Les musées d'art moderne ou contemporain : une exploration conceptuelle et historique
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Zitiervorschau

Les musées d'art moderne ou contemporain: une exploration conceptuelle et historique

Logiques historiques Collection dirigée par Dominique Poulot La collection s'attache à la conscience historique des cultures contemporaines. Elle accueille des travaux consacrés au poids de la durée, au legs d'événements-clés, au façonnement de modèles ou de sources historiques, à l'invention de la tradition ou à la construction de généalogies. Les analyses de la mémoire et de la commémoration, de l'historiographie et de la patrimonialisation sont privilégiées, qui montrent comment des représentations du passé peuvent faire figures de logiques historiques.

Déjà parus Danielle JOUANNA, L'Europe est née en Grèce, 2009. Alain SERVEL, Histoire de la notabilité en pays d'Apt aux XVr-XVlr siècles. Les mécanismes d'ascension sociale, 2009. Corinne BELLIARD, L'Emancipation des femmes à l'épreuve de la philanthropie, 2009. Didier FISCHER, L'homme providentiel de Thiers à de Gaulle, 2009. Olivier CHAÏBI, Jules Lechevalier, pionnier de l'économie sociale (1862 - 1862),2009. Michel HAMARD, La famille La Rochefoucauld et le duché pairie de La Roche-Guyon au xvIIf, 2008. Martine de LAJUDIE, Un savant au XIXème siècle: Urbain Dortet de Tessan, ingénieur hydrographe, 2008. Carole ESPINOSA, L'Armée et la ville en France. 1815-1870. De la seconde Restauration à la veille du conflit francoprussien, 2008. Karine RIVIERE-DE FRANCO, La communication électorale en Grande-Bretagne, 2008. Dieter GEMBICKI, Clio au xVIIf siècle. Voltaire, Montesquieu et autres disciples, 2008. Laurent BOSCHER, Histoire des prisonniers politiques. 1792 1848. Le châtiment des vaincus, 2008. Hugues COCARD, L'ordre de la Merci en France, 2007 Claude HARTMANN, Charles-Hélion, 2007. Robert CHANTIN, Parcours singuliers de communistes résistants de Saône-et-Loire, 2007.

J. Pedro LORENTE

Les musées d'art moderne ou contemporain: title exploration conceptuelle et historique

L'Harmattan

Édition originale: Los museos de arte contemporémeo: Nocion y desarrollo historico. Gij6n: Editorial Trea, 2008. Traduction française: Julien Bastoen Illustrations: Francisco Javier Hernandez Caudal

@ L'HARMATTAN,

2009 5-7, roe de l'École-Polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN: 978-2-296-10820-2 E"~N:9782296l08202

INTRODUCTION

Depuis plusieurs décennies, nous assistons à un boom des musées et centres d'art moderne ou contemporain, qui sont devenus les institutions privilégiées des politiques culturelles dans le monde entier, conçues souvent comme des aimants pour attirer les foules, dont l'implantation doit être capable de stimuler le tourisme, dynamiser le secteur tertiaire, régénérer un quartier marginal et revitaliser une ville en décadence. L'histoire de l'essor de ce type de musées est depuis longtemps mon principal objet d'étude, et l'objectif de ce livre est d'expliquer qu'un phénomène similaire a caractérisé deux périodes distinctes, auxquelles sont consacrées la première et la seconde partie de ce volume. Si, comme nous le verrons, le Musée des Artistes Vivants à Paris fut la référence la plus concurrencée et discutée du XIXe siècle et si le Museum of Modern Art de New-York s'imposa dans une bonne partie du XXe comme le canon à imiter ou contester, il est peut-être trop tôt pour affirmer lequel des musées d'art contemporain est actuellement le plus influent. Alors qu'il est sans doute impossible de formuler le problème en termes artistiques il serait inutile de chercher un épicentre culturel dans notre société rhizomatique, où aucune métropole n'a véritablement supplanté Paris et New-York comme capitale mondiale des arts -, il n'est sûrement pas moins absurde de le considérer du point de vue muséologique. Quand des hommes politiques ou des mécènes fondent aujourd'hui un musée d'art plus ou moins récent, sur quel concept de musée s'appuient-ils? En réalité, ni le modèle parisien ni le modèle new-yorkais ne répondirent, même à leur apogée, à un concept muséologique clair et inamovible. La notion de musée d'art moderne telle que la formula Alfred Barr Jr., en la comparant à une torpille en mouvement, était déjà caduque après la Seconde guerre mondiale, quand le même Barr renonça à se défaire de l'art postimpressionniste, qui constitue aujourd'hui encore le point de départ de la collection permanente. De la même manière, la personnalité du Musée du Luxembourg pendant la IIr République n'avait plus grand-chose à voir avec la définition du musée destiné aux œuvres des artistes vivants, telle que l'avaient envisagée les conseillers de Louis XVIII pour les questions d'art; il n'est donc pas surprenant que sa dénomination n'ait pas été souvent -

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reprise par ses émules], pour lesquels la distinction entre Musée d'art moderne et Musée d'art contemporain fut parfois assez peu perceptible. En outre, les adjectifs « moderne» et « contemporain» ne signifient pas la même chose que par le passé, et leur sens varie selon les lieux et les langues, et selon le substantif qu'ils qualifient. En fait, les deux termes sont polysémiques, et leur bonne compréhension suppose de prêter attention aux milieux disciplinaires et linguistiques de leur usage. En français comme dans toutes les autres langues romanes, avec l'influence de la terminologie historique née après les Lumières, nous avons appelé « Période Moderne» l'ère comprise entre la découverte de l'Amérique et la Révolution française, tandis que la période suivante est qualifiée de « Contemporaine» ; mais même dans des textes historiographiques, les deux adjectifs peuvent prendre des sens différents lorsqu'ils n'accompagnent pas le substantif « période ». En revanche, les historiens anglophones désignent ces mêmes périodes respectivement Early Modern et Modern, ce qui peut susciter quelques confusions quant à l'emploi de ce dernier qualificatif, alors que celui de contemporary fait simplement référence à quelque chose de plus ou moins actuel. Similaire, quoique plus précise, la terminologie historique allemande dissipe, avec les termes Frühe Neuezeit y NeuerrelNeuste Geschichte, les doutes liés aux connotations des adjectifs moderne etzeitgenosse. Il n'est pas surprenant que ce soit dans le milieu culturel allemand qu'on ait clarifié pour la première ] Le nom des musées n'est pas une question anodine pour les historiens: il fournit des clés pour identifier les réseaux d'influences culturelles qui ont pu modeler l'identité de ces institutions. De même que certains parents donnent à leurs enfants le prénom de personnes qui leur sont chères ou de personnalités qu'ils admirent, les fondateurs de musée trahissent aussi, à travers le nom qu'ils ont choisi pour leur institution, les modèles qu'ils avaient à l'esprit. Les émules les plus directs du Musée du Luxembourg apparurent dans les capitales des royaumes voisins. Dans ces pays, c'était une question d'orgueil national que de se doter d'un musée du même type, voire de le surpasser c'est le sens étymologique du terme « émulation », du latin œmulare : entrer en compétition avec. Toutefois, émuler ne signifiait pas nécessairement calquer. En dépit du fait que les politiques muséales mises en œuvre par les cours d'Espagne, de Belgique et des Pays-Bas s'inspiraient du modèle français, aucun de ces royaumes n'érigea un fac-simile du Musée du Luxembourg. Son caractère singulier de musée de passage, réservé en théorie aux artistes vivants, ne fut jamais repris tel quel ailleurs. Aucun de ces musées n'alla jusqu'à proposer de se défaire de ses œuvres au fur et à mesure que leurs auteurs décédaient, pas même cet émule de Haarlem, le Rijks Verzameling van Levende Meesters, qui est une traduction hollandaise quasi littérale de Musée des Artistes Vivants. En règle générale, plus ces émules furent fondés tard, plus ils se distinguèrent du Musée du Luxembourg, y compris dans leur dénomination. -

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fois la division historique dans les musées d'art, lorsque Louis 1erde Bavière décréta au milieu du XIXe siècle que la Alte Pinakothek de Munich abriterait les tableaux antérieurs à 1780 environ, et que les tableaux plus récents iraient à la Neue Pinakothek, qu'il construisit à ses frais en face de la précédente, séparant ainsi les chefs-d'œuvre anciens des peintures d'une nouvelle èrececi dit, ses collections de sculpture restèrent exposées dans un seul et même musée, la Glyptothèque. On procéda à cette même division historique littérale à Bruxelles, où, dans le dernier quart du XIXe siècle, la collection nationale de sculptures fut réunie dans un même musée, tandis qu'on séparait les peintures anciennes et les peintures modernes dans deux institutions distinctes, le Musée Ancien et le Musée Moderne. Cette terminologie n'était pas vraiment plus éclairante, parce que les dénominations de « nouvelle pinacothèque» ou de « musée moderne» ne laissaient rien deviner du contenu2 ; au moins la séparation chronologique était-elle plus claire, si bien qu'elle fut reprise dans d'autres capitales muséales comme Londres, où Turner constitua la ligne de partage des eaux entre la National Gallery et la Tate Gallery, ou encore Madrid, où c'est Goya qui devint le point d'orgue de la visite du Prado et l'artiste ouvrant les collections de la nouvelle institution, qui finit par être rebaptisée Museo de Arte Moderno en 1895, après quelques hésitations3. « Musée d'art moderne» devint, au fur et à mesure qu'on avançait dans le XXCsiècle, le nom le plus couramment donné aux musées consacrés aux œuvres postérieurs à la chute de l'Ancien Régime, surtout - aussi

paradoxal que cela puisse paraître - dans les pays où les historiens qualifient cette même période de « contemporaine ». Avec les modestes musées d'art moderne apparus à Madrid ou Barcelone au tournant du siècle ou le projet avorté de Musée d'art moderne à Paris, annoncé en 1925 par Daniel Tzanck, 2

A Berlin, à la même époque, on construisit en complément de l'Altes Museum de Schinkel, consacré à la culture classique, un Neues Museum; mais ce « nouveau musée» n'était pas du tout consacré à l'art de la période contemporaine, mais à l'histoire de la civilisation depuis les Egyptiens. 3 On l'appela d'abord Museo de Arte Contemporimeo ; on craignit cependant que cette dénomination prêtât à confusion, puisqu'il ne s'agissait pas de créer une vitrine pour les artistes strictement contemporains, mais de former une collection historique complémentaire de celle des maîtres anciens du Prado (les textes des décrets royaux où sont discutés les différentes appellations sont reproduits intégralement dans l'appendice documentaire de Jiménez-Blanco, 1989, pp. 235-40 ; voir aussi Vozmediano, 1991). Un siècle plus tard, la naissance de Picasso servit de limite post quem à la collection du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia (MNCARS). 9

président de la Société des Amateurs d'Art et des Collectionneurs (Morel, 1996), les exemples les plus pertinents restent les musées qui se multiplièrent en Italie. Entre le début du Risorgimento et l'apogée du fascisme, on créa dans chaque ville d'importance une Galleria d'Arte Moderna - nationale à Florence et Rome, municipale ailleurs -, spécialisée dans l'art du XIXe siècle et immédiatement postérieur, et dont la dénomination contrastait avec l'aspect rétrograde et passéiste qui les caractérisait en général. En revanche, dans les musées de la fin du xvur, du Xlxe et même postérieurs qui fleurirent alors dans les villes britanniques et les pays d'Europe du Nord sous influence anglo-saxonne, l'usage de l'adjectif Modern n'aurait suscité aucun malentendu, et pourtant l'écriteau sur la porte d'entrée l'évitait soigneusement. On lui préférait des appellations génériques4 ou, comme pour la Tate Gallery ou la Mappin Art Gallery, des dénominations en hommage au patronyme de leur fondateur respectif (on serait tenté d'interpréter l'ouverture en 1908 d'une Municipal Gallery of Modern Art - nom pour le moins pompeux - à Dublin comme le signe d'une rébellion irlandaise contre les usages prévalant dans la métropole). Le même phénomène toucha les Etats-Unis, une autre aire d'influence culturelle anglaise, où abondèrent les musées de ce genre, toujours affublés de noms imprécis ou dérivés de patronymes, comme la Albright Art Gallery, la COl"COranGallery, la Walker Art Gallery. Les premiers à indiquer de manière explicite leur spécialisation furent des musées établis à New-York par des francophiles qui souhaitaient concurrencer le modèle parisien: ce fut ainsi le cas de la Gallery of Living Artists d'Albert E. Gallatin - une dénomination qui renvoie à celui du Musée des Artistes Vivants parisien - et du très célèbre Museum of Modern Art. Ce dernier, fondé en 1919, constitua un jalon historique à de nombreux égards, y compris dans le domaine terminologique, puisqu'il contribua à donner un sens nouveau à l'expression « art moderne ». Bien qu'il tardât à se doter d'une collection propre, et que cette collection, 4

L'art victorien était l'orientation favorite tant des riches collectionneurs qui fondèrent des musées à Londres et dans d'autres grandes villes britanniques, que des classes populaires auxquelles étaient destinés ces musées; mais cette prépondérance ne parvint pas à se traduire par une dénomination spéciale. De même, dans les pays qui modelèrent leur politique sur le paradigme britannique, le nom se bornait à spécifier le rattachement administratif: à Amsterdam et La Haye, les deux musées qui acquirent une réputation de porte-drapeau des avant-gardes du XX" siècle choisirent de s'appeler simplement Stedelijk Museum (Musée municipal) et Gemeentemuseum (Musée communal). 10

puisqu'elle procédait essentiellement de donations d'œuvres du XIXe siècle et plus récentes de tous les styles, affectât le même caractère hétérogène que celle d'autres musées similaires, le MoMA n'exposait que de l'art « moderne» au sens exclusif du terme, tel que l'entendait son directeur, Alfred H. Barr5. Admirateur de Picasso, Matisse et les autres artistes avant-gardistes parisiens, il leur devait une certaine intolérance à l'égard des autres tendances contemporaines - y compris les mouvements américains - et de la majeure partie de l'art du siècle précédent, à l'exception de Cézanne, Van Gogh ou d'autres artistes considérés comme des précurseurs6. L'acception de l'adjectif modern évolua ainsi vers celle qu'on lui prête aujourd'hui dans le domaine artistico-culturel, associée exclusivement à ce qu'on a appelé par la suite Modern Movement (le Mouvement moderne) : c'est le MoMA qui, à travers l'exposition Modern Architecture: International Exhibition en 1932, puis de son propre siège, inauguré en 1939, contribua à consacrer Le Corbusier, Mies van der Rohe ou les disciples de l'International Style (Style international), qui étaient les représentants de ce Mouvement moderne en architecture. La dénomination Museum of Modern Art, avec la connotation d'innovation artistique à laquelle était désormais associé l'adjectif qui en occupait la position centrale, connut un immense succès dans toutes les langues. Après la Seconde Guerre mondiale, cette terminologie parvint à s'imposer dans toutes les langues occidentales, ce qui nous incite à affinner 5

En 1934, à l'occasion du cinquième anniversaire du MoMA, et pour répondre aux critiques suscitées par le nom de l'institution, Barr élabora une définition de l'art moderne qui fut soumise à l'approbation du conseil d'administration puis publiée dans un communiqué de presse: « 'Modern Art' is a relative, elastic term that serves conveniently to designate painting, sculpture, architecture and the other visual arts, original and progressive in character, produced especially within the last three decades but including also pioneer ancestors of the nineteenth century ». 6 Le 4 octobre 1996, lors d'une réunion consacrée à la définition des orientations futures du MoMA, Kirk Varnedoe, conservateur en chef du Département de Peinture et Sculpture du MoMA, reprit à son compte ce positionnement initial de Barr, en affirmant: « We don't collect Salon paintings of the late nineteenth century, we collect what we think is modern art of the late nineteenth century. And we don't collect everything that's made in contemporary art. We collect that part of contemporary art which we think honors the ideals or the ambitions and achievements of the founders of modem art. So we believe that there was revolution, a fundamental change in the questions, debates, audiences, and social contexts of making art that happened -pick your date- between 1880 and 1920, between 1900 and 1910, between 1906 and 1917, and that we have not passed a similar watershed since» (in Elderfield, 1998, p. 31). Il

que le MoMA de New-York« vola l'idée d'art moderne », au sens littéral de l'expression, et pas seulement au sens figuré utilisé par Serge Guilbaut pour intituler son fameux ouvrage sur la politique culturelle des Etats-Unis pendant les débuts de la Guerre froide (Guilbaut, 1989). Ceci dit, afin d'éviter les confusions, les bibliographies en anglais ont continué d'opérer une distinction terminologique disciplinaire, si bien qu'on utilise toujours dans les études historiques l'expression Modern Period ou Modernity, pour se référer à ce que nous appelons la Période contemporaine, tandis que les spécialistes de l'art utilisent le terme Modernism quand ils parlent concrètement de la période d'innovations radicales qui a suivi l'impressionnisme pour s'épanouir avec l'art non figuratif et expérimental imposé par les avant-gardes artistiques qui se succédèrent jusqu'au milieu du XXe siècle au moins 7. Ces imbroglios lexicaux pourraient déjà aisément confondre le lecteur non spécialiste; et pourtant les séismes les plus importants dans la terminologie muséale se produisirent plus tard, et eurent pour épicentre le Boston Museum of Modern Art, qui avait ouvert en 1935 comme satellite du MoMA. Pour le distinguer clairement de l'institution mère et marquer son émancipation, on le rebaptisa Institute of Modern Art en 1939, avant de troquer en 1948 ce nom pour celui d'Institute of Contemporary Art. Curieusement, la plus grande polémique fut suscitée par le second changement de nom, autour dc l'opposition entre les épithètes modern et contemporarl. En revanche, la timide nuance apportée par le changement de substantif passa relativement inaperçue, alors que le terme « musée» faisait pourtant l'unanimité aux Etats-Unis, où la dénomination art gallery,

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Il n'y a toujours pas de consensus sur le fait que cette période commence avec Cézanne, avec Manet, ou bien avant, et l'on débat encore au sujet du point final de cette intense course à l'innovation: s'agit-il du début de la Seconde Guerre mondiale, du pop art des années soixante, ou de la Trans-avant-garde et des autres mouvements des années quatrevingt? (pour se faire une idée de la diversité d'opinions sur la définition et la limitation chronologique du Modernism, on comparera les textes sélectionnés par Frascina & Harris, 1992, en particulier aux pages 23-27, où est repris l'un des derniers articles écrits par Raymond Williams). 8 Cette différenciation avait déjà été proclamée peu de temps avant par des groupes d'artistes new-yorkais, parmi lesquels les chefs de file de l'expressionnisme abstrait, qui firent remarquer, au moment de la fondation de la Federation of American Painters and Sculptors en 1941, qu'« l'art moderne n'existe pas, il n'est d'art que contemporain» (Guilbaut, 1989, note 115). 12

tellement commune au Royaume-Uni9, et qui vaut autant pour un lieu d'exposition que pour une collection permanente ouverte au public, ne rencontra pas le même succès. Evidemment, à Boston, le changement de nom ne fut pas la sanction d'un mouvement anti-musée, et ne doit pas non plus être perçu comme une désaffection similaire à celle qui toucha aux Etats-Unis la terminologie des musées de sculpture en plein airlO. La préférence pour le substantif « institut» était une manière de mettre davantage l'accent sur les travaux d'étude, la divulgation scientifique et le montage d'expositions temporaires, que sur la richesse de la collection permanente, qui était dès lors à peine visible, au risque de priver le public assidu du plaisir intime de se familiariser avec certaines salles ou certaines œuvres. Il en fut de même à Londres, où fut fondée en 1948 une institution homonyme par un groupe de passionnés dont le songe initial, très américain, était de créer un musée d'art moderne placé sous gestion privée; seulement, 9

Au Royaume-Uni et dans les pays du Commonwealth, tels l'Australie ou le Canada, le latinisme museum est généralement réservé aux musées d'archéologie, de sciences, d'ethnologie, d'histoire, etc. Une distinction similaire persista un temps en France, où les révolutionnaires appelèrent « musée» l'institution nationale spécialisée en art, et muséum, calque du latin, pour désigner un musée d'histoire naturelle. 10 Les musées de sculpture en plein air doivent être rapprochés des parcs de sculptures, un phénomène culturel plus vaste qui s'est étendu au monde entier tout au long du xX" siècle; le, bibliographies et les experts ne manquent pas sur le sujet, 'lui n'" pourtant que {,,;->Whitney écrivit: « Il est naturel et approprié que les artistes nordaméricains soient représentés en plus grand nombre que ceux de n'importe quel autre pays. Mais il est également important, à un moment où Hitler a transformé le nationalisme en un épouvantable fétiche, que soient représentés pas moins de vingt-quatre pays distincts du nôtre dans la collection du musée» (Hunter, 1984 : 23). Les Etats-Unis s'étaient mêlés à la Seconde Guerre Mondiale et ce pays historiquement isolationniste suivait avec plus d'intérêt que personne ce qui se passait de l'autre côté de l'Atlantique. Cela stimula sans doute davantage l' européanisme du MoMA, qui vint en aide à de nombreux artistes qui fuyaient le régime nazi et la guerre pour trouver asile à N ew- York. Il donna un coup de main à certains pour les démarches douanières, il offrit un travail à d'autres, comme ce fut le cas pour Luis Bufiuel, qui fut employé de la filmothèque du musée entre le propre d'un amateurtandis que Goodyear et Barr étaient les «professionnels» (Meecham & Sheldon, 2000 : 202).

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1939 et 1943. Ce moment fut crucial dans l'histoire de cette ville qui, grâce à l'afflux de tant de grands créateurs exilés, devint bientôt la capitale mondiale des arts. Malgré tout, il convient de reconnaître que le rôle du MoMA en relation avec ces artistes fut moindre que celui de quelques autres galeries, tout particulièrement celle de Peggy Guggenheim, Art of This Century, un espace original -il serait à peine exagéré de parler de musée, puisqu'elle dérivait d'un projet muséal personnel, et que tel serait son destin 13_ inauguré au septième étage d'un bâtiment situé au n° 30 de la 57èrncRue Ouest, en octobre 1942. En fin de compte, Peggy et Max Ernst, alors jeunes mariés, le conçurent comme un repaire de réunion et comme une vitrine attrayante des surréalistes européens, même si, à partir de l'année suivante, ils commençèrent à exposer des œuvres de Robert Motherwell, Jackson Pollock et d'autres jeunes artistes new-yorkais dont la peinture abstraite dérivait du surréalisme -à la grande joie de Alfred H. Barr, qui collabora à certaines activités de la galerie, et surtout à celle du critique Clement Greenberg, qui avait initialement réservé quelques critiques négatives à la galerie, mais qui, à partir de la « révélation» du nouvel art américain dont il y fit l'expérience, devint un supporteur de son écurie-. Il semble que ce que Barr, Greenberg et Peggy Guggenheim ellemême recherchaient, c'était un art nord-américain qui ressemblât à leurs courants d'avant-garde européens préférés, les dadaïstes et les surréalistes, et que Art of This Century fut le terrain d'essais où, 13 Selon Thomas M. Messer (dans Klüser & Hegewisch, 1991 : 102-109), la célèbre galerie new-yorkaise Art of This Century était né de l'aspiration à créer un musée: après tout, en effet, Peggy Guggenheim, avait commencé sa collection à Londres, sous l'influence de Herbert Read, avec lequel elle tenta en 1939 de fonder à Londres un nouveau musée d'art moderne dont le prestigieux historien d'art aurait été le directeur, et même si la guerre fit avorter le projet, l'idée resta bien ancrée dans l'esprit de la galeriste. De fait, il y avait une collection permanente -dont le catalogue fut publié avant l'inauguration de la galerie- qui occupait trois salles, dont la muséographie originale avait été conçue par l'architecte viennois Frederick Kiesler: une salle dédiée à l'art cubiste et abstrait dans laquelle les tableaux, suspendus à des câbles, donnaient l'impression de flotter, et deux autres salles aux murs courbes où étaient exposés, dans des lutrins mobiles, le surréalisme et l'art cinétique. Une quatrième salle était réservée aux expositions temporaires, qui se succédèrent au rythme d'une dizaine par an, entre l'ouverture à l'automne 1942 et la fermeture définitive au printemps 1947 (la liste complète fut donnée par Melvin P. Lader en annexe de la thèse de doctorat qu'il consacra à cet espace et qu'il défendit à l'Université du Delaware en 1981, mais qui ne fut jamais publiée). A la suite d'une exposition itinérante en Italie, à partir de l'été 1949 la collection s'installa de manière permanente dans le Palazzo Venier dei Leoni à Venise, la maison-musée où Peggy se retira jusqu'à sa mort en 1979 -trois ans avant sa mort, elle avait confié le musée aux mains de la fondation Solomon R. Guggenheim, afin d'en assurer la continuité-. 208

finalement, ils trouvèrent ce qu'ils cherchaient chez des artistes expressionnistes abstraits tels que Motherwell et, surtout, Pollock. Cette galerie-musée voisine, qui s'efforçait de montrer le dernier cri, constitua indubitablement un révulsif pour le MoMA : sous son influence, Alfred Barr commença à promouvoir une série d'expositions d'art non conventionnel, et accéléra même les conséquences des récents changements de nomenclature qui avaient supprimé la désignation de « collection permanente» (entre avril et septembre de l'année 1941, un écrit émanant du comité des acquisitions -Advisory Committee Report of the Museum Collections- suggéra que le terme Permanent Collection fût substitué par celui de Museum Collection). Sans abandonner sa métaphore favorite de la torpille en mouvement, avançant dans le courant de l'art moderne grâce à l'impulsion des pionniers historiques, il jugea préférable de faire référence au musée par le biais d'une comparaison biologique: pour pouvoir continuer de croître convenablement après deux décennies d'existence, l'institution devait fonctionner comme un organisme vivant, c'est-à-dire qu'elle ne pouvait pas se contenter d'« absorber» de nouvelles œuvres, mais devait aussi pouvoir se libérer de ses déchets. Cela n'est pas sans rappeler une autre figure de rhétorique similaire, celle du fleuve au lit permanent et aux eaux changeantes, dont avait parlé A. Conger Goodyear, le premier président du conseil d'administration: si, à l'époque, il était question de mettre l'accent sur le fait que le MoMA devait se consacrer aux expositions temporaires, l"allusion au caractère transitoire s'appliquait dorénavant aux fonds acquis grâce à la générosité des bienfaiteurs du musée. Barr, qui, de par sa formation d'historien d'art, avait convoité ces trophées pour l'institution, et s'était tant employé à les obtenir, paraissait désormais décidé à se séparer de quelques-uns de ses Cézanne chéris pour acheter des Pollock. Cette stratégie s'avéra difficile à assumer pour lui, et d'autant plus pour les membres du conseil d'administration, qui n'étaient pas disposés à le suivre dans une telle dérive, dans la mesure où ils ne partageaient généralement pas sa passion pour la jeune bohème artistique newyorkaise, bien qu'on ait parfois soutenu le contrairel4. Il semble que le 14Pour une fois je ne partage pas l'avis de Serge Guilbaut, d'après qui les responsables du Met représentaient les vieux riches nord-américains et le musée, par conséquent, reflétait une culture soumise, prudente, et académique, tournée vers le passée, tandis que le jeune, libéral et dynamique Museum of Modem Art représentait les nouveaux riches, les « riches éclairés» [Rockefeller, Sachs], le futur de la culture nordaméricaine (Guilbaut, 1989). Ce stéréotype paraît convaincant à première vue: si on laisse de côté Paul J. Sachs, professeur à Harvard, et qui entrait difficilement dans un classement de riches vieux ou nouveaux, Nelson Rockefeller était en revanche très 209

front de la bataille socio-artistique déjà commentée entre les artistes de la partie ancienne de New-Y ork et le collectionneurs des zones résidentielles plus au nord, qui avait auparavant laissé le MoMA en zone neutre, divisait à présent le musée en deux. En son sein s'étaient formés deux camps, et le président du conseil d'administration de l'époque, Stephen C. Clark, collectionneur des maîtres modernes historiques, était de ceux qui souhaitaient remettre Barr à sa place, lequel fut finalement démis en 1943 de ses fonctions de directeur et de conservateur en chef du département le plus important. Barr révoqué de manière foudroyante Alfred Barr Jr. avait dù essuyer quelques démêlés avec le vieux Goodyear, le premier président du conseil d'administration du MoMA, qui ne partageait pas ses idéaux à propos des missions du musée, mais étant donné que c'était ce dernier qui l'avait nommé directeur, et qu'il J'avait toujours soutenu, il n'y eut pas de graves dissensions entre eux. Bien meilleure furent ses relations avec les jeunes Nelson A. Rockefeller et Jock Whitney, qui occupèrent brièvement la présidence en 1939-40 et 1941 ; mais quand, pendant la guerre, ces deux vinrent proposer leurs services au bureau des Affaires Inter-américaines, leur succéda en 1942 Stephen Clark, un vieil homme d'affaires qui avait l'intention de bien tenir les comptes, dans un contexte défavorable. Barr lui parut être un gaspilleur -il avait augmenté son salaire et avait perdu le contrôle des dépenses, en dépit de la pénurie en ces temps de guerre-, très téménllIe dans sa nouvelle politique concernant la collection --l'acquisition d'une œuvre de Max Ernst en 1942 irrita profondément Clarket trop controversé à propos de sa politique d'expositions --en particulier celles qu'il consacra à l'art naïf: en effet la presse et les gens bien pensants raillèrent le MoMA quand, après une exposition dédiée à Henri Rousseau en 1942, Barr monta au musée une autre exposition consacrée à l'atelier de nettoyage de chaussures d'lm certain Joe Milone, à la suite de laquelle il y eut, l'année suivante, une dernière exposition, consacrée au peintre « primitif» Morris Hirshfield-. Ceux qui désapprouvaient cette politique étaient convaincus de ce que les attributions du directeur, jadis timide et renfermé, lui avaient monté à la tête au point qu'il commençait à se comporter d'une manière arrogante, imprudente et individualiste; moderne, jusque dans ses affaires, les exploitations de pétrole, et l'était encore davantage son successeur à la tête du conseil d'administration du MoMA en 1941, Jock Whitney, propriétaire de maisons de production cinématographique. Mais en réalité, la fortune familiale de la quasi-totalité d'entre eux s'était formée à la fin du XIXèmesiècle, si bien que les « nouveaux riches» étaient aussi bien les responsables du Met que ceux du MoMA, certains d'entre eux faisant même partie des deux conseils d'administration. 210

quoi qu'il en soit, il était évident que ses décisions ne s'appuyaient pas sur un consensus établi avec le conseil d'administration, ni n'allaient dans le sens de r opinion publique. Par conséquent, le 16 octobre 1943, Clark demanda à ce qu'on expulsât Barr du bureau qu'il occupait comme directeur, et lui proposa de rester, s'il le souhaitait, pour la moitié de son salaire, au poste de directeur honoraire, à la tête d'une nouvelle section dénommée « Département de recherche en Peinture et Sculpture », où il se consacrerait à écrire des textes -très concrètement, il lui demanda d'écrire un livre sur l'histoire de l'art moderne. Mais Barr ne partit pas: prétextant travailler sur ce livre, dont la rédaction prit du retard-il préféra en effet préparer sa thèse de doctorat sur Picasso-.- il installa ses quartiers dans la bibliothèque du musée et continua d'y recevoir tout type de consultations, comme lorsqu'il était directeur. Toujours est-il que le poste de directeur resta vacant de 1944 à 1949, période pendant laquelle la direction fut assurée par un collège de cinq personnes, parmi Iesquelles Barr lui-même. Il continua d'incarner la continuité historique du MoMA, au poste de Directeur des Collections. qu'il occupa de 1947 jusqu'à son dé art à la retraite en 1967. Chaque fois qu'il s'agit d'aborder la révocation de Alfred Barr Jr., les chroniques internes du MoMA passent très vite et préfèrent en parler comme de son« changement de position dans l'institution », alors que ce fut le point culminant d'un sérieux conflit de personnes15. Avalant des couleuvres, il préféra se contenter de l'humble occupation d'écrire des

textes, pour pouvoir continuer le combat de l'intérieur et le gagner

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15 C'est ainsi qu'y fit allusion, de manière laconique, et sans autre précision, le principal intéressé dans ses mémoires sur le Mo MA (Barr, 1977 -il s'agit d'une chronique du Département de Peinture et de Sculpture, depuis 1927, année où il le fonda, jusqu'à sa retraite en 1967-): «In November 1943 Alfred H. Barr, Jr., was asked to resign as Director of the Museum and curator of Painting and Sculpture, but he continued to install the collection under the title Director of Research »... Quelques paragraphes plus loin, quoiqu'il ne commente pas cette décision de Stephen C. Clark ni ne laisse entendre qu'ils étaient personnellement en conflit, il brossait le tableau de l'affrontement générationnel au sein du MoMA : « With the two young Presidents gone [il fait ici référence à Nelson Rockefeller et Jock Whitney], the older Trustees, founders of the Museum, resumed responsibility. The staff was a generation younger, and so were the active members of the Advisory Committee" [et il ne résiste pas, par la suite, à la tentation d'ajouter que ces vieux membres du conseil d'administration -Clark, Lewishohn, Goodyearabandonnèrent finalement les fonctions qu'ils occupaient au comité d'acquisitions du MoMA et léguèrent leurs collections à d'autres musées]. Barr demeura au MoMA jusqu'à sa retraite en 1967. Nommé conseiller du musée par le conseil d'administration, il poursuivit sa collaboration jusqu'à ce que la maladie d'Alzheimer l'emportât, le 15 août 1981. 211

quatre ans plus tard il fut nommé «Directeur des Collections », et se maintint à cette charge jusqu'à son départ à la retraite, à 65 ans-. Etant donnée la réputation de Alfred Barr auprès de ses collègues, ce ne fut pas tâche facile de lui trouver un successeur au poste de directeur, qui resta vacant, tandis qu'en interne on forma un comité de direction de cinq personnes, parmi lesquelles René d'Harnoncourt, qui finit par être nommé nouveau directeur en 1949. Non moins diplomatique fut la nomination du successeur de Barr à la tête du Département de Peinture et de Sculpture, pour lequel on désigna une personne liée aux deux camps affrontés, James T. Soby16, un des collectionneurs membres du conseil d'administration du MoMA et membre du personnel, puisqu'il avait été engagé comme assistant de Barr, dont il avait partagé l'intérêt pour le surréalisme et qu'il avait même aidé à découvrir ces artistes «primitifs» nord-américains qu'ils considéraient tous deux en mesure de soutenir la comparaison avec le Douanier Rousseau et le Facteur Cheval. De fait, Soby se maintint dans le sillage de Barr. Il est révélateur que le premier Pollock à intégrer une collection publique fût La Louve, que Barr avait vu dans la galerie de Peggy Guggenheim en 1943, et dont le MoMA fit l'acquisition l'année suivante, alors même que Barr avait déjà été remercié. C'est à ce moment-là qu'intervint la polémique vente aux enchères, durant laquelle le MoMA brada des tableaux impressionnistes et post-impressionnistes pour pouvoir acheter des œuvres de Pollock, Motherwell ou Matta. En plus d'avoir suscité la grogne des artistes nord-américains d'autres tendances 17,cet épisode fit sortir de leurs gonds Stephen Clark, Samuel Lewisohn, Henry Allen Moe et d'autres membres influents du conseil d'administration, qui réclamèrent une meilleure définition des objectifs qui guidaient la 16En tant que membre du Junior Advisory Committee depuis 1937, James Thrall Soby fut doublement lié au MoMA dans les années quarante. D'une part, au titre de riche collectionneur qu'il était, il devint membre du conseil d'administration entre 1942 et 1949, et membre du comité consultatif sur la collection du musée de 1940 à 1967. D'autre part, étant un bon expert en matière de peinture contemporaine et d'écrits sur l'art, il devint le second d'Alfred Barr, engagé comme Assistant Director du musée en janvier 1943, et dirigea d'octobre de cette dernière année à janvier 1945 le Département de Peinture et de Sculpture (il exerça par ailleurs la fonction de président par intérim de 1947 à 1957). 17Désireux d'éteindre l'incendie, Soby publia un article dans lequel il soulignait que le mécénat aux jeunes artistes n'était pas une mission primordiale du MoMA, en dépit du fait que, à travers son programme éducatif, le musée avait fait beaucoup plus pour le soutien aux jeunes artistes que ce qu'aurait permis un mécénat direct (J.T. Soby, « Acquisitions Policy of The Museum of Modern Art» in Museum News, 15 juin 1944; cité par De Santiago, 2003 : 242). 212

politique d'acquisitions du musée et exigèrent que fussent réservées quelques salles pour faire connaître l'évolution de la collection, dont ni les visiteurs ni même le conseil d'administration n'étaient informés. Sentant son autorité remise en question, Soby démit de sa fonction de chef du Département de Peinture et de Sculpture, après avoir obéi aux ordres et mis en place au troisième étage du musée une sélection de soixante œuvres de la collection, ce qui mérite d'être souligné18. Il fut remplacé en janvier 1945 par James Johnson Sweeney, qui ne resta pas en place très longtemps non plus -il succéda sept ans plus tard à Hilla Rebay comme directeur du Museum of Non-Objective Painting, qui abandonna dès lors sa spécialisation et fut rebaptisé «Musée Guggenheim »-. Il s'agissait d'une période de changements, de nouveautés, dont les autres musées new-yorkais, en particulier le Whitney, sans doute le premier à se faire l'écho de l'expressionnisme abstrait19, n'étaient pas exempts. Ceci dit, le succès auprès de la critique et du public que rencontra la grande exposition de trois cent cinquante peintures et sculptures de la collection du MoMA, inaugurée en juin 1945, apaisa les esprits: si la Seconde Guerre mondiale touchait à sa fin, la paix semblait aussi de plus en plus proche au Département de Peinture et de Sculpture du musée. De toute manière, la primauté de cette section du musée avait pris fin avec l'affirmation d'autres départements, qui 1:; Non moins intéressant est le plaidoyer que Soby écrivit après avoir démissionné, et dans lequel il tenta d'expliquer à ses collègues du conseil d'administration que chacun d'entre eux était libre de miser sur un goût bien défini en tant que collectionneur privé, mais que collectionner pour un musée supposait d'être attentif à une plus grande variété de tendances, pour le bien de la mission didactique de l'institution, et à cause des inévitables répercussions que ses préférénces pouvaient avoir sur le marché de l'art et l'évolution du goût. Pour démontrer par l'exemple cette nécessaire diversité, on monta pendant quelque jours une exposition privée des fonds du musée pour que les membres du conseil d'administration pussent voir le meilleur de la collection (excepté les pièces en prêt) aux deuxième et troisième étages du musée les 24 et 25 janvier 1945, et le reste dans un magasin voisin le 30 du même mois. Sweeney, Soby et Barr co-signèrent alors une lettre adressée au conseil d'administration, dans laquelle ils soutenaient que la majeure partie des fonds destinés aux acquisitions avaient été dépensés pour l'achat d'œuvres d'importance, et que seule une petite partie avait été investie dans l'achat d'œuvres secondaires ou dans la promotion de nouveaux talents. 19On considère que le premier texte où apparut la formule « expressionnisme abstrait » est un compte-rendu de l'exposition annuelle du Whitney, publiée en 1945 par Hilda Loveman dans Limited Edition, qui mentionnait Gottlieb, Tobey, Motherwell, Rothko, Ernst, Marin, et d'autres à la suite du commentaire suivant: « Le Musée de la 8èmeRue, qui a supporté pendant des années les accusations selon lesquelles il était davantage tourné vers le conservatisme et qu'il favorisait ses artistes maison, a remercié cette année un certain nombre d'entre eux, ajouté cinquante nouvelles signatures et prit note des tendances expressionniste-abstraites en peinture» (cf Guilbaut, 1989 : note 52). 213

s'avérèrent bien plus utiles pour la propagande militaire ou le divertissement populaire, objectifs prioritaires pendant les hostilités. Expansion en temps de guerre, avec de multiples départements et un personnel renouvelé Pendant la durée de la Seconde Guerre mondiale, l'institution se sentit dans l'obligation de remonter le moral de plus grand nombre possible de concitoyens, à l'instar de tous les autres musées, dans ce difficile contexte d'hostilités2o. C'est pourquoi le MoMA bouleverser ses activités habituelles, pour y inclure des programmes thérapeutiques à l'attention des soldats qui étaient revenus handicapés, installer un bal dans les galeries ainsi qu'une cantine pour militaires dans le jardin du musée, qui devint le centre de loisirs favori des forces armées à New-York (Lynes, 1973 : 233-238; Hunter, 1984: 20-22), et élaborer une programmation spéciale pour l'armée ou les autres instances gouvernementales, en particulier le Bureau des Affaires Inter-Américaines -à la tête duquel se trouvait le principal parrain du MoMA, Nelson Rockefeller21-. La 20Le Mo MA traîna derrière lui un important déficit économique pendant la guerre car il ne faisait pas payer l'entrée aux militaires, qui constituaient alors son public majoritaire: les marins et soldats en permission à N ew- York le considéraient comme la quatrième attraction de la ville, derrière la Statue de la Liberté, l'Empire State Building, et lc Rockefeller Center. En général, tous le musées new-yorkais virent le nombre de leurs visiteurs augmenter pendant la guerre, comme conséquence de leurs activités patriotiques: «Les visites aux musées s'accrurent de fait à un rythme étonnamment effréné, comme le montrent les chiffres suivants. En 1943, année cruciale, le nombre de visiteurs du Metropolitan Museum augmenta de 15% par rapport à 1942, pour atteindre I 384 207. Le nombre de membres du Museum of Modern Art avait doublé en avril 1940, passant de 3000 à 6846 pour atteindre en juillet les 7309. Qui plus est, la montée de la conscience nationale des Etats-Unis depuis son entrée en guerre avait amené les musées à prendre des mesures décisives pour s'intégrer à la vie sociale et politique de la nation, en conséquence de quoi ils se frayèrent un chemin jusqu'à la conscience d'un nombre croissant de personnes. Les musées mirent leurs installations à disposition de la nation, qui servirent souvent d'armes de propagande. Le Metropolitan apporta son soutien au groupe Artists for Victory et le Museum of Modem Art servit de centre de loisirs pour les soldats, symbole de la liberté d'expression et lieu idéal pour monter des expositions militaires à des fins de propagande» (Guilbaut, 1989). 21Fils de l'une des fondatrices du MoMA, Nelson Rockefeller, qui présidait le conseil d'administration du musée en 1940, lorsque Roosevelt créa ce bureau à Washington pour le remercier de son soutien, avait passé auparavant par différents postes au sein du musée, auquel il fit son retour en 1946 en tant que président, charge qu'il exerça jusqu'en 1953. Nancy Einreinhofer lui attribue un rôle aussi décisif que celui d'Alfred Barr dans l'histoire du MoMA, en affirmant que c'est surtout grâce à lui que le musée put grandir dans tous les sens du termes, jusqu'à l'extension de 1964; elle attribue cependant partie de son mérite à d'autres membres de cette famille de magnats du pétrole et des finances: ses parents, ses frères et surtout sa belle-sœur Blanchette, 214

pluridisciplinarité des départements qui, depuis la fondation du MoMA, avait constitué l'une de ses caractéristiques les plus modernes, se vit alors renforcée, précisément par l'importance capitale acquise par les activités didactiques, le design, les films et la photographie. Quand, en 1944, à l'occasion du quinzième anniversaire de l'institution, fut organisée une exposition commémorative intitulée Art in Progress, il ne fut plus question de rassembler toutes les sections du musée au sein d'un montage unitaire -comme cela avait été le cas pour Art in Our Times, l'exposition du dixième anniversaire, où la peinture et la sculpture avaient constitué la colonne vertébrale du circuit de visite- : en effet, ce sont cinq expositions complémentaires qui se succédèrent tout au long de l'année. La première, Painting and Sculpture, fut conçue par le Département éponyme, tandis que chacun des autres départements présenta par la suite sa propre contribution, sous les titres suivants: Design for Use, Built in USA; Dance and Theatre Design; Posters, Photography; Circulating Exhibitions, Educational Services et Film Library. Bien qu'il y eût, comme on a vu dans le chapitre antérieur, des expositions et des collections de design au MoMA très peu de temps après sa fondation, elles avaient dépendu d'une section qui s'occupait surtout d'architecture. Le Département de Design Industriel, avec Eliot Noyes comme directeur, ne fut créé qu'en 1940, et durant la guerre ses activités acquirent une importance particulière, dans le but d'encourager la surconsommation patriotique, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du musée: par exemple, en 1942, les visiteurs pouvaient voir en sortant du bâtiment, à l'angle de la 42èmeRue et de la SèmeAvenue, la « publicité la plus grande du monde », une affiche qui avait remporté le concours «Défends l'Amérique du Nord », organisé par le MoMA en guise de réponse au slogan «Achetez des produits nord-américains» (Guilbaut, 1989). Avec ce précédent, il n'est pas surprenant qu'en 1946, le MoMA engageât à la tête de ce département Edgar Kaufmann Jr, fils du propriétaire des grands magasins Kaufmann de Pittsburgh, qui travaillaient en étroite collaboration avec leurs homologues tant à NewYork que dans d'autres villes; leur mission? Non seulement financer des expositions et des prix de design en 1941 et 19S0, mais surtout faire en sorte que le musée renouât avec le succès des expositions-vente d'objets utiles pour la maison, qui constituaient une tradition indissociable du MoMA22. Toutefois, ces activités furent de nouveau regroupées en 1948 épouse de John D. Rockefeller III, qui fut présidente du MoMA de 1959 à 1964 puis de nouveau à partir de 1972 (Einreinhofer, 1997: 164-178). 22 Rappelons que ces expositions d'objets de design, qui avaient lieu avant les fêtes de Noël (ou qui coïncidaient avec la période d'achats juste avant Noël) étaient déjà 215

au sein d'un Département d'Architecture et de Design, sous la direction unique de Philip Johnson (Stanzewski, 1998 : 167). C'est aussi en 1940 que fut créé le Département de Photographie, dont le premier conservateur fut Beaumont Newhall, jusqu'alors employé de la bibliothèque du musée, et qui avait monté trois ans auparavant une grande rétrospective intitulée Photography: 1839-1937. En novembre 1943, le MoMA ouvrit même un Photography Center juste en face du jardin, dans deux bâtiments de la 54èmeRue, qui comprenait des espaces d'exposition, des salles d'étude et des bureaux; mais cette extension du musée ne survécut que huit mois -elle avait été louée à l'architecte et membre du conseil d'administration du musée Philip L. Goodwin, qui décida de vendre à Nelson Rockefeller ces bâtiments, à la place desquels ce dernier fit construire des appartements-. Newhall n'eut pas non plus une grande longévité en tant que conservateur de la photographie, car il fut appelé à participer à la guerre et démissionna à peine revenu au pays. Dans la pratique, d'abord pendant les absences de Newhall dues à la guerre, puis officiellement à partir de 1947, le département fut dirigé par Edward Steichen, spécialiste des montages caractérisés à la fois par un impact visuel et un contenu politique forts: des expositions de propagande, telles que Road to Victory en 1942 -qui occupa tout le deuxième étage et qui, grâce au Bureau des Affaires Inter-Américaines de Rockefeller, parcourut l'Amérique Latine, accompagnée d'un texte en espagnol-, Airways to Peace en 1943 et Power in the Pacffic en 1945, puis, en 1955, sans doute l'exposition qui rencontra le plus de succès dans l'histoire du musée: Family of Man23. Les films furent des média encore plus utiles au service du nationalisme et de la propagande pendant la guerre, et il n'est pas organisées dans les années trente; mais c'est sans doute avec les expositions annuelles intitulées Good Design pour le ménage, montées en collaboration avec des grands magasins entre 1950 et 1955, que cette tradition du MoMA atteignit son apogée (cf l'article de Terence Riley & Edward Eigen, in Elderfield, 1994: 154). D'autre part, la vente d'objets de design au musée ne se limitait pas à la durée des expositions, puisque ces derniers, sous une forme ou sous une autre, avaient représenté une part importante de l'échantillonnage des catalogues, cartes postales et autres souvenirs qui étaient vendus dans la boutique du hall, dont les activités se développèrent avec la Museum Store Annex qui fut installée à différentes adresses successives dans les environs, jusqu'à l'ouverture en 1989 d'un Museum Design Store,juste en face du musée. 23 Si Steichen, pour ses expositions, réutilisa des photos de ses confrères, celles-ci n'étaient pas destinées à montrer leurs mérites, mais à faire partie d'un montage qui était son œuvre, en tant que curator-auteur; la preuve en est qu'il n'encadra ni ne mit sous verre les photos, car peu lui importait d'attirer l'attention sur leur valeur individuelle: ce qui l'intéressait, c'était l'effet d'ensemble, que produisaient les images flottant et formant par elles-mêmes l'espace d'exposition (cf Szarkowski, John: « The Family of Man », in Elderfield, 1994 : 13-37). 216

étonnant que la Filmothèque du MoMA fût un des services du musée qui acquirent le plus d'importance et d'autonomie pendant le conflit et les années qui s'ensuivirent. Comme nous l'avons déjà vu, dès ses débuts en 1935, il s'agissait d'une fondation créée par le musée mais avec des statuts distincts de celui-ci, sous la présidence de Jock Whitnel4 et la direction de John E. Abbott. A ses ordres directs travaillait l'anglaise Iris Barry, spécialiste du cinéma européen, qui ne tarda pas à se rendre compte de la primauté du cinéma états-unien -en 1940 Barry publia une étude pionnière sur D. W. Griffith, à qui la Filmothèque consacra cette année-là plusieurs hommages-. Elle fut aussi, depuis son poste de conservateur, très impliquée dans la lutte contre Hitler, puisque d'une part elle se débrouilla pour se procurer de nombreux films et documentaires nazis, qu'elle analisa avec son équipe afin d'en extraire des séquences destinées à la contre-propagande menée par le gouvernement et l'armée nord-américains; d'autre part, elle aida des maisons de production de Hollywood ainsi que les forces armées dans la production de films et documentaires de guerre. C'est à cette occasion, lorsque la Filmothèque du MoMA produisit des films de propagande en espagnol et en portuguais contre les puissances de l'Axe, destinés aux républiques latino-américaines, que collabora Bufiuel, à l'initiative de Barry. Il s'agissait alors d'une commande gouvernementale; la seconde, plus ambitieuse, fut le Motion Picture Project, développé en 1942-45 par la Filmothèque du MoMA et la Bibliothèque du Congrès conjointement, afin de conserver la mémoire historique d'une sélection de films américains les plus dignes du mérite national, social, artistique ou . . 25 . h lstonque 24 John Hay Whitney, surnommé « Jock », rendit compatible cette charge avec sa nomination en 1940 en tant que chef de la Motion Picture Division, après que Nelson Rockefeller eut créé l'Office of the Coordinator oflnter-Amerian Affairs (C.LA.A.). Par l'envoi de documentaires et de films éducatifs en espagnol et en portuguais, la MaMAs' Film Library fut alors au service d'une campagne culturelle de la C.LA.A. pour convaincre les républiques américaines de ne pas s'engager dans la Seconde Guerre mondiale en faveur des puissances de l'Axe (c'est dans ce contexte que Luis Bunuel fut engagé par le MoMA comme éditeur en chef, chargé de produire ou de sélectionner des films de propagande et de les distribuer aux autres nations américaines). II n'est donc pas exagéré de dire que Jock Whitney fit du MoMA un instrument de propagande militaire nord-américaine au début des années quarante, ainsi que l'affirmait Eva Cockroft, qui avançait en outre que Whitney avait été engagé pendant la guerre par l'organisme qui précéda la CIA, au service duquel travallait la fondation de bienfaisance qui portait son nom (1992: 84; voir aussi Saunders, 2001 : 363). 25 La Filmothèque du MoMA reçut du gouvernement de Washington un contrat pour produire des films de propagande destinés aux républiques latino-américaines, à la demande du Bureau des Affaires Inter-Américaines dirigé par Nelson Rockefeller, qui avait créé spécialement une section cinématographique afin d'y placer Jock Whitney, 217

Le Département de l'Education bénéficiait également d'une certaine ancienneté et d'un haut degré d'autonomie à cette époque cruciale. A sa tête se trouvait Victor D'Amico, qui, en 1939, soit seulement deux ans après avoir intégré l'équipe du MoMA, créa une unité didactique spéciale, le Young People 's Art Center, une galerie pour les jeunes -qui disposa à partir de 1941 d'un espace permanent au troisième étage du musée- où artistes et lycéens donnaient des cours d'initiation à l'art pour les enfants, etc. Sur le même modèle, il ouvrit pendant la guerre le War Veterans' Art Center, qui s'attacha entre 1944 et 1948 à réadapter les soldats à la vie civile. A ce dernier succéda le People 's Art Center26 dont les activités furent en réalité assez son ami et successeur au conseil d'administration du MoMA -qui démissionna par la suite de cette fonction, mais pas de la présidence de la Filmothèque-. Ce ne fut pas non plus une coïncidence si le Motion Picture Project, fût confié non seulement à la Bibliothèque du Congrès, bénéficiaire habituelle des lois nord-américaines de dépôt légal, mais aussi à la Filmothèque du MoMA, puisque ce projet fut financé sur des fonds de la Rockefeller Foundation. A cette époque, la difficulté résidait dans le choix des auteurs et des critères de cette sélection des films nord-américains qu'il convenait de conserver pour la postérité; seulement, avec le temps, ce sont le mode et le lieu de conservation qui finirent par poser problème. C'est ce dont commença à se préocupper Barry qui, après la fin de la guerre, en 1946, parvint enfin à exercer officiellement la direction de la Filmothèque, charge qu'elle avait en réalité toujours assumée et qu'elle ne conserva que cinq ans, jusqu'à son départ à sa retraite, à la suite duquel c'est son ancient assistant, Richard Griffith, qui lui succéda. Ce dernier reçut également l'appui financier de la Rockefeller Foundation pour commencer à résoudre le problème de la conservation. Dernière étape dans l'affirmation progressive de son indépendance par rapport au noyau du musée, la Filmothèque du MoMA finit par faire jouer ses bonnes relations avec les entreprises privées, dont les contributions permirent de construire en 1995, au nord-est de la Pennsylvanie, le Film Preservation Center, doté des dispositifs de sécurité et de conservation qu'exigent le stockage de plus 13000 bobines. Pour tous les détails, je renvoie aux informations disponibles dans l'article de Mary Lea Bandy « Nothing sacred: 'Jock Whitney snares antiques for museum'. The founding of the Museum of Modern Art Film Library », in Elderfield, 1995 : 75-103. 26 Cet espace ouvrit en 1950 et fonctionna vingt ans durant, y compris après le départ à la retraite de D'Amico. Ce pédagogue charismatique était le leader d'un courant dans le domaine de la psychologie de l'apprentissage, qui fut particulièrement à la mode en son temps: les explications historico-artistiques ne l'intéressaient pas, il rejettait les méthodes de dessin, dictatoriales selon lui, basées sur l'imitation de modèles, réclamait la création d'après la libre inspiration de l'esprit, aussi bien dans la pratique artistique des enfants que dans celle des artistes professionnels, il croyait en la progression naturelle depuis le fait de faire soi-même de l'art jusqu'à la capacité de comprendre et de penser l'art des autres. Bien qu'il ne fût pas l'inventeur de cette pédagogie, qu'il rebaptisa creative teaching, il en fut néanmoins son plus grand apôtre -ses ateliers expérimentaux d'initiation à l'art au MoMA, et son fameux livre Experiments in Creative Art Teaching, qu'il publia en 1960, ont constitué depuis une source d'inspiration pour de nombreux services pédagogiques de musées d'art contemporain. L'indépendance de ses activités par rapport au fonctionnement du MoMA fut telle 218

indépendantes du MoMA, dans la mesure où elles étaient généralement organisées par une association d'éducateurs artistiques dénommée Committee on Art Education -que d'Amico présida d'une main de fer pendant des années-, qui cherchait à se rapprocher des créateurs: Stuart Davis, George Grosz, Ben Shahn, Max Weber, Lipchitz, Ad Reihartdt, Philip Guston, ou Robert Motherwell furent quelques-uns des artistes qui participèrent aux discussions informelles avec ces éducateurs au MoMA. Mais l'activité vedette du musée pendant la guerre furent les expositions itinérantes. Si elles avaient toujours représenté un élément important dans la projection nationale et internationale de l'institution, c'est à cette époque que les expositions exportées par le MoMA devinrent l'un des phénomènes clés de la politique culturelle étatsunienne et américaine en général. Depuis Washington, le réseau de Nelson Rockefeller et son Bureau des Affaires Inter-Américaines commandèrent au musée des expositions temporaires qui voyagèrent dans toute l'Amérique Latine27. Leur gestion fut assurée par Porter A. McCray, qui fut engagé pendant la guerre par Nelson Rockefeller au Bureau des Affaires Inter-Américaines et qui, après la victoire, devint un élément de premier ordre dans l'équipe du MoMA, puisqu'il Y fut nommé membre du comité de cinq personnes qui dirigea l'institution jusqu'en 1949. McCray finit par devenir responsable des programmes internationaux du Mo MA durant la Guerre Froide: dès 1952 il fut directeur du plan international d'activités du musée, financé par la Rockefeller Brothers Fund, puis, à partir de 1956, il pl6sida

qu'en 1960, le Département d'Education créa une fondation autonome, dénommée Institute of Modern Art, dont la mission consista à mettre en place des programmes éducatifs dans les écoles ou bien des activités estivales. Cette fondation fut complétée en 1968 par Ie Lillie P. Bliss International Study Center, installé dans l'édifice voisin du MoMA, qui dépendait jusqu'alors du Whitney Museum. (Il est question du développement du Département d'Education et de ses activités dans le difficile contexte des années trente et quarante dans l'article de Carol Morgan «From modernist utopia to cold war reality: A critical moment in museum education» in Elderfield, 1995 : 150173). 27 En 1941, le MoMA, en collaboration avec le Bureau du Coordinateur des Affaires Inter-Américaines (C.I.A.A.), le Musée Américain d'Histoire Naturelle, le Musée de Brooklyn et le Metropolitan Museum, organisa la plus grande exposition d'art contemporain nord-américain jamais vue en Amérique Latine: 159 peintures, Il aquarelles (données issues de l'article de Helen M. Franc, «The early years of the International Program and Council» in Elderfield, 1994: 113). Au total, Ie C.LA.A. de Nelson Rockefeller fit circuler à travers toute l'Amérique latinedix-neuf expositions de peinture contemporaine nord-américaine commandées au MoMA, qui mena à bien, pendant la durée de la guerre, pas moins de trente-huit contrats pour divers bureaux gouvernementaux. 219

l'International Council of MaMA, qui s'avéra être le prolongement institutionnalisé de l'initiative de Nelson Rockefeller. Une ascension parallèle connut une autre figure clé, qui débuta en tant que commissaire de plusieurs expositions ethnologiques à succès: René d'Harnoncourt, un aristocrate autrichien, bon connaisseur de l'art et de l'artisanat des tribus indigènes américaines, et qui bénéficiait de très bons contacts au Mexique. Cela lui valut d'être nommé en 1943 «chef de la section d'art» du Bureau des Affaires Inter-Américaines par Nelson Rockefeller, qui avait des intérêts personnels dans cette partie-là du continent -ses investissements pétroliers les plus rentables se trouvaient au Mexico et au Venezuela-. L'année suivante, il fut recruté par le MoMA pour diriger un nouveau Département des Industries Manuelles -qui prêta plus d'attention à la modernité de l'artisanat des peuples «primitifs» qu'à l'artisanat moderneet pour assurer la viceprésidence chargée des activités à l'étranger, en particulier des relations avec les républiques latino-américaines, qui acquirent une grande importance pour le musée, notamment après le versement d'un capital anonyme par un des membres du patronat, dont l'identité n'est pas difficile à devine(?8. De qui pouvait-il s'agir, sinon de Nelson Rockefeller lui-même? Avec un parrain aussi influent, D'Harnoncourt, capable de captiver avec son raffinement nobiliaire et ses dons pour les relations personnelles, accéda au rang de directeur des conservateurs en 1946, et présida le comité de coordination qui, faute de directeur, était à la tête du MoMA, jusqu"à ce que, en octobre 1949, il fut enfin nommé directeur du musée. Il s'agit donc d'une ascension lente, qui permit à D'Harnoncourt de gagner des points petit à petit, et concrètement de s'attirer le soutien enthousiaste de Alfred Barr, son prédécesseur à la direction du musée. Ils étaient tous les deux très différents, et pas seulement de par leur formation, mais finirent par se considérer comme les continuateurs d'une même lignée: si Barr s'était enorgueillit du fait que sous sa direction le MoMa avait été pionnier, en dehors des musées d'anthropologie et d'ethnologie, à organiser des expositions d'art « primitif»29, 28

L'Inter-American Fund rendit possible l'acquisition, avant 1946, de cinquante-huit peintures et sculptures en Argentine, au Brésil, au Chili, en Colombie, à Cuba, en Equateur, au Mexique, au Pérou et en Uruguay. De toute manière, l'attention particulière pour l'art latino-américain n'était pas nouvelle, puisque selon une règle tacite, appliquée très tôt dans l'histoire du MoMA, le musée ne pouvait pas utiliser l'argent issu de la vente d'une œuvre d'un artiste états-unien ou latino-américain pour acheter autre chose qu'une œuvre meilleure de ce même artiste; ceci dit, cette règle ne s'appliquait pas dans le cas des artistes européens. 29 Avant d'organiser les expositions déjà citées consacrées aux artistes «primitifs» ou naïfs contemporains qui lui coûtèrent son poste, Barr avait été à l'origine des 220

D'Harnoncourt se lança droit dans cette direction, puisqu'il concevait la création artistique comme une exploration de la dimension primitive de l'être humain et l'artiste moderne comme un chamane qui servirait de médium facilitant cette exploration pour autrui. Al' occasion du vingtième anniversaire du MoMA, D'Harnoncourt conçut en 1948-49 une exposition, Timeless Aspects of Modern Art, qui conjuguait des œuvres d'avant-garde du XXèmesiècle avec des des œuvres d'art chinois, africain et européen de toutes époques; cette exposition fut la déclaration publique de ses convictions, ainsi synthétisées dans le panneau explicatif d'introduction: « l'art moderne n'est pas un phénomène historique isolé, mais, de même que l'art de n'importe quelle autre période, il est une partie de l'ensemble de l'art de tous les temps. En outre, l'exposition sert à rappeler que des formes «modernes» d'expression telles que l'exagération, la distorsion, l'abstraction, etc., avait déjà été utilisées par les artistes et ce depuis le début de la civilisation, afin de donner forme à leurs idéees.» Même Barr n'était jamais allé aussi loin dans son attachement à vouloir trouver à l'art moderne des antécédents historiques de plus en plus anciens! (après il ya eu au MoMA maintes expositions d'art «primitif», mais avec des pièces historiques, comme s'il "n'y avait pas des bons artisans vivants en Afrique: cf. Clifford, 1988: 189-214). En ce qui concerne la muséographie, D'Harnoncourt se montra dès lors plus radical que Barr: si, comme lui, au lieu de suivre la mode muséographique si américaine des period rooms, il continua de miser sur une présentation décontextualisée, mmimaliste, très neutre et inhmiste, dans laquelle les œuvres étaient plongées dans une lumière quasi sacrée, provenant de quelques spots, il n'en était pas moins enclin à intensifier le caractère dramatique des fonds sombres3o, en peignant les murs en noir, en bleu, ou autres couleurs (Staniszewski, 1998 : 84). expositions intitulées Sources nord-américaines de l'art moderne (Aztèques, Mayas, Incas) en 1933, Art noir africain en 1935, ou encore Art indien des Etats-Unis en 194 I. Il Y faisait référence avec une certaine fierté dans son texte pour le catalogue de l'exposition du dixième anniversaire, qu'il intitula « The Museum of Modem Art is a laboratory: in its experiments the public is invited to participate ». En passant, cette métaphore fut l'une des préférées de D'Harnoncourt, qui jamais ne se lassa de rendre hommage à Barr chaque fois qu'il comparait le MoMA à « un laboratoire aux expérimentations duquel le public est invité à prendre part », formule qu'il répéta régulièrement pendant les années où il exerça la direction -soit jusqu'en 1968, année où il mourut dans un accident de voiture alors qu'il était sur le point de prendre sa retraite; à cette occasion, Barr, très affecté, lui dédia un émouvant éloge funèbre, riche en louanges et en remerciements-. 30Il avait déjà testé ces fonds de différentes couleurs pour l'exposition Arts of the South Seas (29 janvier-19 mai 1946) et les réutilisa dans d'autres expositions, notamment Modern Art in Your Life (5 octobre-4 décembre 1949), dans laquelle le mur situé face à l'entrée du parcours était d'un bleu intense, à proximité de murs noirs, de telle sorte que 221

Ainsi donc, le MoMA se trouvait dans une phase de transformation, et surtout, il était le théâtre d'une redéfinition radicale de l'art moderne, dont il n'hésitait pas à élargir les bornes pour y inclure tout type de productions culturelles. Cette remise en question n'était pas sans toucher également les artistes de la dite Ecole de New-York, dont la créativité était liée à l'artisanat primitif, les gestes du chamane, la peinture matiérique des fresques. Seulement au même moment, redevint plus que jamais d'actualité la question de la signification du mot «moderne », qu'avaient laissée en suspens les protestations de la A.A.A. en 1940 par le biais du tract intitulé How Modern is the Museum of Modern Art? : « Cela désigne-t-ille grand art de toutes les époques? Cela signifie-t-il un Metropolitan uni au Whitney? Alors à quoi sert le Musée d'art moderne?» Les responsables de ces musées tentaient eux aussi de délimiter à l'amiable la spécialité de chacun, afin qu'au lieu de se comporter comme des concurrents, surenchérissant les uns après les autres pour l'acquisition des mêmes œuvres d'art, ils pussent se les répartir suivant une stratégie planifiée en fonction de leur politique de collection. Accords et désaccords avec d'autres musées voisins, qui forgèrent définitivement la personnalité du MoMA (et des autres). On se souvient que le MoMA était né comme un « musée de passage », à l'instar du Luxembourg vis-à-vis du Louvre, dans la mesure où, d'après les discours fondateurs, les œuvres les plus remarquables devaient être transférées au Metropolitan Museum. En dépit de la substitution de ce délai par une chronologie postquem, que Barr ancra approximativement en 1880, l'idée d'origine, maintes fois répétée par Goodyear, selon laquelle le MoMA était un fleuve au cours permanent, qui serait amené un jour ou l'autre à se jeter, tel un affluent, dans le cours du musée historique new-yorkais, ne disparut pas pour autant. Les contacts les œuvres pussent se détacher par l'intermédiaire de l'éclairage focalisé (Staniszewski, 1998: 112). Dans son ouvrage sur l'histoire des accrochages muséographiques au MoMA, Mary Anne Staniszewski ne tarit pas de louanges sur la diversité et l'expérimentalisme des scénographies d'exposition de l'époque de D'Harnoncourt, tandis qu'après lui, selon elle, les présentations du Mo MA se plièrent à un standard et le musée cessa d'être, d'un point de vue muséographique, «un laboratoire aux expérimentations duquel le public est invité à prendre part ». J'aimerais souligner ici qu'à cette époque le MoMA continua de se distinguer des autres musées d'art contemporain par l'abondance de cartels explicatifs et par le recours fréquent aux diagrammes à flèches destinés à synthétiser l'évolution historique de l'art (les flèches de Barr étaient des lignes entrecroisées, celles de D'Harnoncourt rappelaient les pseudopodes des amides, voir à ce sujet une comparaison de deux exemples dans Staniszewski, 1998 : 128, fig. 2.56 et 2.57). 222

liminaires à la concrétisation de cette idée avaient été pris dès 1931, entre Goodyear et son homologue au Met, William Sloane Coffin, qui s'accordèrent alors sur la nécessité d'établir une ligne de partage de la politique de leur institution respective, autour des œuvres de vingt ans d'ancienneté ou plus. Malgré tout, les négociations au sommet entre les deux musées subirent un coup d'arrêt en novembre 1934, même si, en théorie du moins, le projet ne fut jamais abandonné: de là la substitution en 1941 des termes permanent collection par museum collection. Cette même année, la situation connut un rebondissement avec l'arrivée à la présidence du conseil d'administration du Met de Francis Henry Taylor, qui voulut étendre les bornes chronologiques de la collection pour faire taire les critiques de plus en plus nombreuses visant le caractère trop conservateur du musée, et tenta même d'acquérir la collection du Museum of Living Artists d'Alfred Gallatin. Dans la foulée, il jeta son dévolu sur un morceau plus savoureux encore à absorber, le Whitney Museum of American Art: sa fondatrice, Gertrude Vanderbilt Whitney, mourut en effet en 1942, et il ne semblait pas difficile de convaincre son conseil d'administration que la survie du musée passait par une fusion avec le Met pour former un grand complexe muséal. Comme le siège du Whitney dans la gème Rue s'était avéré trop exigu, il leur promit la construction d'un imposant bâtiment annexe au sud du Metropolitan Museum -dont les collections d'art américain seraient par la suite placées à proximité de l'accès direct à la nouvelle extension-; il utilisa aussi comme appât la perspective de la conservation des œuvres d'art américain arrivées au Metropolitan Museum grâce au Fonds Hearn et de la participation aux décisions concernant les achats d'œuvres d'artistes américains vivants à réaliser sur les fonds de ce legs. Ce projet de fusion du Whitney et du Met fut approuvé par les conseils d'administration respectifs en 1943, laissant le MoMA dans un isolement inconfortable, lui qui avait toujours voulu se voir attribuer par le Met la gestion du Fonds Hearn, en échange de ses collections historiques. Mais Taylor convoitait également la collection du MoMA. Si, jusqu'alors, ce musée et le type d'art qu'il soutenait n'avaient pas suscité plus intérêt de la part du Metropolitan Museum, ce dernier dirigeait désormais son point de mire vers l'Ecole de Paris de la fin du XIXème et du début du XXèmc siècles. L'art de la Renaissance italienne perdit peu à peu de sa popularité pendant la guerre, par sa provenance, d'une certaine manière, d'une puissance ennemie, tandis que depuis l'occupation de la France, le public nord-américain considérait avec plus de sympathie l'art français impressionniste, post-impressionniste et avant-gardiste, si méprisé par les nazis. Plus que pour ses qualités esthétiques, c'était surtout parce qu'il représentait la liberté, la rébellion 223

et l'individualisme face au totalitarisme ou au conformisme qu'il était apprécié. Cela légitimait le goût affiché par le MoMA, tout en le plaçant devant une double difficulté. Premièrement parce que le postimpressionnisme et les avant-gardes parisiennes étaient devenues des butins très prisés par d'autres institutions; deuxièmement parce qu'il lui coûtait de se séparer de cet art historique qui faisait son prestige: rappelons qu'en 1944, lorsque le MoMA était à court d'argent, pas moins de cent huit pièces de la collection furent vendues aux enchères -dont quatre Cézanne et un Matisse-, pour dégager des fonds en vue de l'achat d'œuvres plus récentes; mais certains des membres du conseil d'administration protestèrent et Barr lui-même renonça à partir de ce moment-là à son idéal de la torpille en mouvement perpétuel, en lui substituant une comparaison avec la croissance de l'arbre, dont la profondeur des racines s'accroît à mesure qu'il grandit31. C'est pourquoi, quand le Metropolitan Museum offrit de l'argent en échange des collections historiques du MoMA, Barr se refusa à se séparer de celles-ci, recourant au souvenir des collections des fondatrices et faisant remarquer que la générosité des membres les plus anciens du conseil d'administration suivrait la destination des collections auxquelles ils s'étaient identifié dans leur jeunesse. Mais passant outre ces objections, le nouveau président du conseil d'administration du Metropolitan Museum, Roland L. Redmond, accéléra la signature d'un accord avec les présidents du Whitney et du MoMA : le Three Museum

Agreement fut finalement formalisé le 1cr octobre 1947 pour une validité prévue de dix ans renouve1ables. On annonça immédiatement que le Met achèterait les œuvres « classiques» de l'art moderne, et que la ligne de partage des eaux entre ce musée et les deux autres serait l'année 1910. Ensuite, les tenants et les aboutissants de la négociations étaient entre les mains de Barr, qui raccourcit tellement la liste des œuvres transférables que, en fin de compte, seules la collection d'art populaire américain et vingt-six œuvres de «classiques» de l'art moderne, incluant quelques Cézanne et Picasso. Il s'agissait d'un commencement symbolique, mais 31Barr se rendit compte que se séparer des œuvres des pionniers de l'art moderne pour acheter des œuvres plus récentes signifiait s'aliéner la sympathie de quelques-uns des membres les plus anciens du conseil d'administration, associés à l'art de ces temps passés, tels que Samuel Lewisohn et Stephen Clark, qui quittèrent le MoMA pour le Metropolitan Museum, et même A. Conger Goodyear, qui abandonna le comité chargé des acquisitions lorsque Barr acheta un Rothko en 1952. La torpille s'enlisa peu à peu. Barr lui-même aIIajusqu'à proposer, au milieu des années cinquante, l'achat d'œuvres de Corot et de Manet (Varnedoe, 1995 : 45). Pendant cette même décennie, le MoMA finit par s'imposer des restriction à la vente d'œuvres d'artistes modernes classiques, sauf pour acheter des œuvres similaires, ce qui, ajouté à l'interdiction de vendre des œuvres d'artistes américains vivants, rendit toute vente presque impossible. 224

comme le Met proposait de payer $191.000 sous forme d'annuités, Barr réclama que le MoMA se séparât de ces œuvres à terme et proposât même que son musée en conservât l'usufruit pendant vingt-cinq ans, y compris si la liquidation du crédit arrivait à son terme entre temps. C'est dans ce contexte que l'une des fondatrices et donatrices les plus généreuses du MoMA, Abby Aldrich Rockefeller, légua le gros de sa collection au musée en 1948, en précisant qu'il devait rester au MoMA pendant cinquante ans, avant d'être transféré au Metropolitan32. Cependant, il ne restait au Three Museum Agreement qu'une courte période de validité. Cette même année -1948-I'accord fut rompu par un des trois signataires, le Whitney Museum. Sa directrice, Juliana Force, entretenait de bonnes relations avec le personnel du MoMA, mais se sentait négligée par les représentants du Metropolitan Museum qui, malgré les promesses, ne tenaient pas ses avis en compte pour les achats effectués sur le fonds Hearn. Elle doutait également de la concrétisation de la mise à disposition d'un nouveau bâtiment adjoint au Met à Central Park, dans la mesure où le Service des Parcs de N ew-York s'opposait à sa construction. Lassée de voir ses attentes frustrées, Force, qui était par ailleurs en phase terminale d'un cancer et qui ne souhaitait pas que disparût le musée qu'elle avait lancé avec Gertrude Whitney, exigea depuis son lit d'hôpital que le conseil d'administration du Whitney Museum mît un terme à cette accord trompeur: le 1er octobre 1948, en effet, le conseil annonça la rupture du contrat avec le Met, sans pour autant remettre en cause ses liens avec le MoMA. Bien au contraire, le rapprochement entre ces deux musées gagna en force, y compris en termes spatiaux, puisque ce que le MoMA leur avait promis en vain, ils l'obtinrent immédiatement du MoMA: un terrain proche de celui-ci, dans la 54èmcRue Ouest. Il faut bien reconnaître que la coïncidence du retour de Jock Whitney et Nelson Rockefeller à la tête du conseil d'administration du MoMA y était sans doute pour quelque chose. Confronté à cette situation inédite, dans laquelle c'est lui qui était désormais isolé, le Metropolitan Museum se sentit libre de contreattaquer, en recourant même à des stratégies de concurrence déloyale contre le Musée d'Art Moderne, qui n'avait pas encore dénoncé l'accord. 32 Mrs. Rockefeller léguait au MoMA la collection en des clauses très généreuses, qui permettaient au musée de vendre ou d'échanger quelques œuvres et de conserver l'ensemble au MoMA pour un laps de temps deux fois plus long que celui que Barr avait proposé pour le transfert au Metropolitan. C'est précisément l'exécution des clauses du testament qui obligea le Mo MA à procéder au transfert de ces œuvres au Metropolitan Museum en 1998, alors que cette pratique avait été abandonnée par les deux musées avant même de dénoncer définitivement l'accord de 1947 et de devenir des concurrents déclarés. 225

Non content d'avoir accueilli des transfuges volontaires comme Samuel Lewisohn et Stephen Clark, il tenta d'attirer d'autres collectionneurs de l'Ecole de Paris qui avaient fait partie du conseil d'administration du MoMA, telle Adele Levl3. Mais le protagoniste des premiers et des plus importants conflits fut avant tout l'art américain. Etant donné que plus rien ne le liait au Whitney, le Met fit savoir qu'il dorénavant serait actif dans le domaine de l'art américain du XXèmesiècle, ce pourquoi il recruta un nouveau conservateur, Robert Beverly Hale, intime du cercle de Jackson Pollock, dans l'objectif de réunir une bonne représentation de l'Ecole de New-York. Il ne faisait de cette manière que suivre les goûts de sa clientèle, puisque même les vieilles familles patriciennes qui collectionnaient l'art historique européen commencèrent alors à s'intéresser à l'art américain des XIXème et XXème siècles. Le nationalisme que la Seconde Guerre mondiale avait éveillé dans la société nord-américaine fut attisé avec le début de la Guerre froide, et le milieu artistique, qui ne pouvait rester en marge de cette mode, fut alors le témoin de conversions remarquables: le cas de Samuel Kootz34, galeriste qui signa des contrats avec Motherwell et Stamos dès 1945, tout en étant membre du conseil d'administration du MoMA, est l'un des exemples phares utilisés par Serge Guilbaut pour raconter comment N ew-York est devenue la capitale de l'art moderne grâce à la crispation patriotique (Guilbaut, 1989). Mais dans ces pages on fait aussi mention de Francis Henry Taylor ou de Roland L. Redmond, présidents successifs 33En 195 I, Adele Levy, qui était membre du conseil d'administration du MoMA depuis 1940, fut discrètement invitée par le Metropolitan Museum à emmagasiner sa collection dans un abri antiatomique de West Point que le gouvernement avait destiné à la sauvegarde les trésors les plus précieux du patrimoine, en cas d'attaque nucléaire des soviétiques. Le Met fut chargé de répartir le volume disponible aux divers musées newyorkais : seulement 28 m3 furent attribués au MoMA pour y entreposer ses œuvres, tandis que Mrs Levy se vit proposer tout l'espace dont elle avait besoin pour sa collection (cette information est tirée de la p. 276 de la thèse doctorale de Helaine Messer, MaMA: Museum in Search of an Image, soutenue à l'Université de Columbia en 1979, page amplement reproduite dans Varnedoe, 1995 : 7 I note 100). 34 Samuel Kootz s'était fait un nom en 194 I, avec la publication dans le New York Times d'une lettre incendiaire -dans laquelle il critiquait la situation artistique des Etats-Unis et plaidait en faveur d'un «art nouveau» internationalistequi reçut une telle réponse de la part des artistes et d'autres instances -les grands magasins Macy's l'invitèrent en 1942 à monter une exposition d'art nord-américain contemporainque Guilbaut s'exclame: «N'était-il pas étrange, le monde de l'art nord-américain de la période de réorganisation en temps de guerre? Un publiciste qui travaille dans l'industrie du cinéma envoie une lettre-insulte à un journal, et sans qu'on sache comment, parvient à mettre la scène artistique sens dessus dessous, décroche un contrat pour monter une exposition, écrit un livre sur l'art nord-américain et se voit inviter à faire partie de l'assemblée de conseillers du Musée d'Art Moderne avant d'ouvrir sa propre galerie d'art et de gagner une fortune» (Guilbaut, 1989 : notes 5 I-55). 226

du conseil d'administration du Metropolitan Museum, qui commencèrent dès février 1948 à reprocher au Whitney et au MoMA leur engagement pour un art moderne trop assimilé aux avant-gardes européo-newyorkaises, arguant qu'il serait plus patriotique de soutenir l'art contemporain authentiquement américain de Thomas Hart Benton et des autres peintres régionalistes, reproches que Taylor réitéra en décembre de la même année dans la revue Life. Ces attaques à l'européanisme de la modernité new-yorkaise et à son porte-drapeau, le MoMA, furent perçues avec d'autant plus de consternation qu'elles provenaient des présidents d'un musée partenaire; cependant, plus douloureux encore résulta le manifeste (cité in extenso dans Ross, 1985 : 52-53) que lancèrent, le 17 février 1948 -la date n'avait pas été laissée au hasard, puisqu'elle correspondait au 35èmeanniversaire de l'ouverture de l'Armory Show à New-York-, les dirigeants de la succursale que le MoMA avait ouverte à Boston onze ans auparavant. L'art moderne est mort. Vive l'art contemporain! Depuis 1939, le Bostoulvfuseum o.lModern Art fonctionnait sous ]e nom d'Institute oflvlodern Art, un changement de dénomination qui avait déjà marqué un premier jalon dans sa volonté de s'affirn1cr par une personnalité propre, distincte de celle du MoMA new-yorkais. Le nom «institut» s'inspirait des centres affiliés à J'Université de Harvard voisine, et mettait]' accent sur sa mission de simple lieu d'étude des dernières tendances, où il n' était question de prendre pani pour aucune d'entre elles; le remplacement du substantif «musée» avait servi à souligner son renoncement à posséder une collection. L'appellation « institut » avait fait par la suite de nombreux émules; Herbert Read luimême!' avait adoptée à partir de 1947 pour désigner le musée d'art moderne qu'il essayait depuis plusieurs années dc fonder à Londres, car sa mission de devait pas être ]a collection, mais l'étude et l'exposition: de fait, c'est bien SOliSl'enseigne d'lnstitute ofContemporar,y Art qu'il commenca à fonctionner l'année suivante. Cest ~récisément ce nom qu'adopta presque simuJtanément35 l'institution de Boston à partir du manifeste polémique du 17 février 35 Les responsables de l'ICA de Boston se sont toujours référé à la naissance de l'ICA de Londres début 1948 comme s'il s'agissait d'une simple coïncidence, sans doute parce que la première exposition de l'espace londonien eut pour titre « Forty Years of Modem Art: 1907-1947", c'est-à-dire qu'à Londres on considérait que l'art moderne n'avait pas disparu en 1939. Il est à ce titre significatif que la seconde exposition s'intitulât « Forty Thousand Years of Modern Art », ce qui indique qu'on ne souhaitait pas non plus fixer de point de départ de l'art moderne qui, selon eux, pouvait être identifié à toutes les époques, y compris à l'art des peuples primitifs -un argument 227

1948, où le changement d'épithète se justifiait par l'affirmation que j'expression « art moderne », qui signifiait à l'origine l'art récent, avait depuis servi à désigner une révolution intellectuelle initiée à la fin du XIXèrne siècle et qui avait pris fin en 1939, avec J'éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Or, il n'était pas seulement question de la fin de l'art moderne, mais le texte -intitulé « A10dem Art >. and the American Public-- lui reprochait en outre d'être un art réservé aux seuls initiés, et mu par le goût de provoquer et de tourner le dos à la société, de teHe sorte que le grand public nord-américain ne le comprenait pas. Signé par le président du conseiJ d'administration, Nelson W. Aldrich, et Je directeur, James S. Plaut, ce texte fut largement diffusé -ils l'envoyèrent à tous les musées, critiques, revues et journaux les plus importants du pays- en annonçant que 1'1.c.A. de Boston souhaitait se dissocier d'une telle aberration par le biais d'un changement de nom et par l'orientation de ses activités vers les expositions, les publications et, dans la mesure du possible, vers l'intégration de l'art au commerce et à J'industrie. Le design commercial et industriel était, en effet, un élément clé pour cette institution qui, début 1948. avait créé un Département de Design Industriel. Si, en cela, il ne s'éloignait pas te1lement du précédent établi par le MoMA, dont la section homonyme traversait à cette époque une phase de croissance de ses activités et de sa projection sociale, l'ICA de Boston alla cependant plus loin, en réalisant des consultations pour les emreprises, alors que les expositions du musée new-yorkais célebraiclll le design hors de Jïndustrie. Cependant, le principal point de litige cntre les deux était la peinture. La volonté de réconcilier cet art avec Je public amenèrait l'ICA à protester contre le favoritisme du MoMA à l'égard du cubisme, du surréalisme ou de j'abstraction, et à revendiquer une peinture humaniste, en prise avec la société, et compréhensible. Mais, à cause de son prétendu renoncement à prendre parti pour telle ou telle tendance, l'ICA ne cita pas d'exemples concrets, et sa position fut mal interprétée: la presse conservatrice l'applaudit comme s'il s'agissait d'une attaque contre l'expressionnisme abstrait de Pollock et de ses suiveurs, en faveur du régionalisme de Benton et d'autres artistes figuratifs chantres de r Amérique profonde, également brandi au Mo MA par Alfred Barr et, surtout, par son successeur René d'Harnoncourtsi bien qu'il n'est pas étonnant que le naturaliste et anthropologue Desmond Morris en vînt à diriger l'ICA de Londres en 1967, lorsque ce dernier déménagea de Dover Street à son luxueux emplacement actuel, Nash House sur The Mali (selon Sandy Nairne, il rentra alors dans le rang, tout en conservant cependant sa réputation bohème, à laquelle contribua à partir de 1968 le directeur suivant, le metteur en scène Michael Kustow, cf Nairne, 1996 : 392-4, et 408, notes 17-20). 228

alors qu'il suffit d'énumérer les titres des expositions qu'il organisa pour vérifier que l'ICA recherchait un compromis entre ces deux extrêmes: l'expressionnisme allemand, Rouault, Kokoschka, Munch, Ensor, Corinth, Orozco... Le manifeste de 1948 par lequel l'ICA de Boston annonçait son nouveau nom et proclamait que 1'« art moderne» était mort fut très applaudi par la revue généraliste Life, qui jugea qu'il était temps que quelqu'un osât dire que l'art abstrait et les avant-gardes européennes dont il était issu n'étaient qu'une provocation à l'égard du public, et qui, au nom des braves gens de la classe moyenne, exhorta les peintres à suivre les pas des romantiques et des réalistes nord-américains. Il y a toujours eu des considérations artistiques de ce genre dans la presse non spécialisée -et elles réapparaissent parfois aujourd'hui encore-, mais elles acquirent une autre dimension dans le contexte de l'histérie patriotico-conservatrice de l'après-guerre36, qui suscita de vifs débats sur le divorce entre le public et les artistes nord-américains qu'avait dénoncé l'ICA, débats auxquels fut mêlé le MoMA37, qui s'affrontait à l'un des 36Les persécutions d'artistes de gauche par la droite la plus récalcitrante avaient débuté des années avant la « chasse aux sorcières» du maccartysme. En 1947 le Secrétaire d'Etat (ministre des Affaires Etrangères) George C. Marshall dut faire annuler l'exposition Advancing American Art, qui avait commencé à circuler en Europe et en Amérique Latine, car lors de son passage au Metropolitan à l'automne 1946 elle avait attiré les foudres de nombreux journaux, notamment la presse à scandale de Hearst, qui dénoncèrent les sympathies gauchistes de nombreux artistes; ces attaques ne faiblirent pas, mais redoublèrent au contraire de virulence quelques mois plus tard, avec la publication dans des revues populaires de reproductions de certaines peintures accompagnées de la légende suivante: « cette œuvre a été achetée grâce à l'argent de vos impôts ». A la suite de ces attaques, en 1949, George A. Dondero, membre républicain du Congrès, accusa violemment le MoMA d'exposer de l'art abstrait ou non-figuratif qui, selon lui, était le produit du communisme russe (cf l'article de Helen M. Franc en Elderfield, 1994 : 115). 37 Les reproches formulés par l'ICA dans « L"art moderne' et le public américain» mirent sur la défensive les artistes qui s'identifiaient à cette dénomination, les incitant à se ranger du côté du MoMA qui, le 5 mars 1948, organisa un forum intitulé The Modern Artist Speaks, où des artistes tels que Stuart Davis présentèrent la discorde en termes de politique internationale (Guilbaut, 1989). Le MoMA fut aussi le théâtre d'une table ronde entre spécialistes de l'art moderne, organisée par le revue Life, qui en publia un compte-rendu dans son numéro du Il octobre 1948, au cours de laquelle on discuta de l'abîme qui menaçait de séparer l'art du grand public. Une autre célèbre table ronde, cette fois organisée par et pour les artistes, eut lieu l'année suivante à San Francisco, et se prolongea l'année suivante à New-York, avec la participation active d'Alfred Barr; les actes de ces deux tables rondes furent compilés sous la co-direction de Bernard Karpel, Robert Motherwell et Ad Reinhardt, sous le titre Modern Artists in America, 1951 (Batschmann, 1997 : 192-3). 229

moments les plus critiques de son histoire-. Mais quand, le 8 août 1949, Life publia un article banal sur Pollock dans l'intention de le ridiculiser, celui-ci devint célèbre dans tout le pays et, même s'il ne plaisait pas à tout le monde, il commença à vendre autant de tableaux qu'il en mettait sur le marché. Posséder un Pollock, c'était comme d'arborer une marque de vêtement facilement reconnaissable, autrement dit cela devint un phénomène de mode: en avril 1950, l'autre revue bourgeoise à grand tirage, Vogue, présenta un Pollock comme élément de décoration pour une maison de rêve, et, en mars 1951, Cecil Beaton en choisit un autre comme fond pour photographier, pour la même revue, les mannequins arborant la collection de printemps. Conformément à cette tendance tellement nord-américaine de proclamer quelqu'un numéro un dans son domaine, Pollock fut élevé au rang d'icône populaire: c'était le Picasso américain, et à ce titre, il le surpassait. Sa galeriste, Betty Parsons, fille d'une famille notable de New-York, en fut la principale bénéficiaire; mais Samuel Kootz luimême, marchand de Picasso aux Etats-Unis, qui possédait une galerie juste en face de celle de Parsons, se mit au diapason de ce courant patriotique en abandonnant des artistes intemationalistes américains consacrés tels que Byron Browne, Carl Holty et Romare Bearden précisément parce qu'ils étaient des suiveurs de Picasso et de l'avantgarde parisienne, et en soutenant à leur place des expressionnistes abstraits comme Motherwell, Gottlieb, ou encore Baziotes38. Même le 38

La galerie de B. Parsons, inaugurée en 1946, était le juste milieu -auquel aspiraient les intellectuels d'avant-gardeentre les coopératives d'artistes et les galeristes ouvertement « commerciaux» comme Samuel Kootz ou les grands marchants au sommet de la pyramide, tels que Sidney Janis ou Leo Castelli, qui représentaient « l'avant-garde établie, écadémique », pour reprendre les termes de Serge Guilbaut dans son article « Le marketing de l'expressivité dans le N ew-Y ork des années cinquante» (Guilbaut, 1993). D'un point de vue sociologique, la galerie de Parsons était donc l'équivalent commercial du MoMA, auquel elle ressemblait également en termes architecturaux et muséographiques, puisqu'elle était faite d'un cube gris clair, illuminé par une fenêtre unique au plafond. Mais c'est Samuel Kootz qui fit le plus d'efforts pour imiter le MoMA, et trouva sa clientèle parmi les agents de la bourse auxquels il proposait l'expertise du personnel qualifié du musée, dont Andrew Camuff Ritchie, directeur du Département de Peinture et Sculpture du MoMA. Il faisait une grande publicité des achats que lui faisaient ce musée-là ou d'autres similaires et avait l'habitude d'exposer ces œuvres dans une salle spéciale, sorte de cabinet particulier. En réalité, ses stratégies commerciales s'apparentaient aux activités d'un musée, puisqu'au lieu d'accumuler sur les cimaises les œuvres que lui livraient les peintres qu'il représentait, il leur organisait des expositions thématiques, dont les titres n'étaient pas sans avoir des consonnances parisiennes, chacune d'entre elles s'accompagnant de la publication d'un catalogue dont les textes étaient commandés à de prestigieux historiens d'art tels que Meyer Schapiro et Clement Greenberg (Guilbaut, 1993). 230

critique formaliste Clement Greenberg, qui en parlait comme d'une «peinture de type nord-américain », ne put s'affranchir de l'exaltation patriotique de ce courant comme d'un phénomène intrinsèquement national, auquel on apposa finalement le label d'« Ecole de New-York », en réponse à la coutume française de désigner les avant-gardistes de toute nationalité actifs dans la capitale sous la bannière collective d'« Ecole de

Paris ». L'immense prestige populaire dont bénéficiaient ces derniers et surtout Picasso- en tant que symboles de la résistance aux nazis, des deux côtés de l'Atlantique, perdit de sa vigueur aux Etats-Unis, à cause de leur engagement ou de leurs sympathies communistes -Picasso était en cela particulièrement représentatif- si bien qu'ils cédèrent leur place à Pollock et à l'Ecole de New- York au ranking artistique de la Guerre froide contre l'URSS et les régimes communistes. Même si ces derniers ne préchaient pas de messages patriotiques, et même s'ils ne faisaient pas de déclarations ouvertement anticommunistes, il n'en était pas moins contestataires ou autant éloignés de la politique que leurs tableaux; mais l'exaltation du réalisme socialiste dans le bloc communisme convertit l'expressionnisme abstrait en un symbole de liberté et d'individualisme, les valeurs suprêmes du bloc capitaliste. Tels furent les arguments avancés par Nelson Rockefeller, président du conseil d'administration du MoMA, à son homologue à l'ICA de Boston, Nelson Aldrich, exigeant de ce dernier qu'il se rétractât publiquement, parce que dans cette lutte, face à la persécution de l'art moderne européen par les nazis, on ne pouvait tolérer de position intermédiaire. Pendant quelque temps, l'ICA préféra rester silencieux et attendre que passât la tempête, mais son silence fut instrumentalisé par les polémistes les plus rétrogrades qui ne cessaient de vitupérer leurs critiques à l'abstraction européo-new-yorkaise. Alléguer qu'il avait accusé cette peinture d'être déshumanisée et éloignée du grand publicsans avoir cependant jamais remis en cause sa valeur- ne fut d'aucun secours à l'ICA à l'heure de se démarquer de ce soutien conservateur imprévu et de se positionner dans un juste milieu, défenseur d'un pluralisme qui allait de la figuration académique à l'abstraction radicale. Beaucoup d'autres musées choisirent de se ranger du côté du MoMA et certains mêmes paraissaient disposés à signer un contre-manifeste. Personne ne voulut arbitrer la discorde. Pas même le Metropolitan Museum de New-York qui, malgré les sympathies de quelques-uns de ses dirigeants, avait déjà marché sur les plates-bandes du MoMA: il parvint en 1949 à faire main basse sur la collection d'Alfred Stieglitz,

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donnée par Georgia ü'Keefe39, et préparait pour l'année suivante l'exposition American Painting Today-1950, dont le commissariat fut confié au nouveau conservateur en la matière, Robert Beverly Hale, qui défendit la thèse de la survivance de l'art moderne comme une tradition héritée qui renaissait sur en terre américaine. Un autre médiateur possible, le Whitney Museum of American Art, s'aligna totalement sur le MoMA, y compris au sens matériel du terme. En 1949 débuta le chantier de son nouveau siège, sur le terrain voisin que le MoMA lui avait cédé40 : la façade et les étages devaient avoir une hauteur identique à ceux du bâtiment du MoMA, afin de faciliter une éventuelle unification ultérieure. A la fin de cette même année, les deux musées établirent une convention selon laquelle le Whitney s'engagea à vendre toutes ses œuvres antérieures au XXèmesiècle et à en utiliser le produit pour acheter de l'art nord-américain récent. Se voyant isolé, l'ICA finit par céder, et à la suite d'âpres négociations (Guilbaut, 1993), signa en mars 1950 une déclaration conjointe avec le MoMA et le Whitney, intitulée A Statement On Modern Art (texte intégral dans Ross, 1985 : 88-9). Le texte fut signé au nom de l'ICA par son directeur, James S. Plaut, et par le directeur de l'Education, Frederick S. Wight; au nom de MoMA par son directeur René d'Harnoncourt, par le directeur des Collections, Alfred Barr JI., et par le directeur du Département de Peinture et de Sculpture; et au nom du 39 Georgia O'Keefe avait collaboré à l'organisation de l'exposition que le MoMA consacra en 1947 à la collection d' A]fred Stieglitz, mais elle fut déçue qu'un catalogue n'eût pas été publié pour l'occasion. A cause de ce ressentiment, et parce qu'en vertu de l'accord entre les deux musées, les œuvres des pionniers des avant-gardes devaient tôt ou tard revenir au Metropolitan Museum, elle préféra donner directement à ce musée le gros de ]a collection de son mari, et ]e reste à l'Art Institute de Chicago -le Met chargea toutefois Barr de procéder à ]a répartition des œuvres entre Chicago et Newy ork, et lui concéda finalement que les œuvres destinées à New-York pussent être déposées au MoMA- (Varnedoe, 1995 : 71, note 95). 40 En 1949,]e conseil d'administration du Mo MA -qui avait été présidé par John Hay Whitney en ] 940-42- donna au Whitney une partie de son terrain sur ]a 54èmeRue Ouest, lequel l'accepta tout en précisant qu'en aucune manière les deux musées ne s'acheminaient vers une fusion, mais qu'ils souhaitaient bénéficier mutuellement de leur proximité dans cette zone du centre de Manhattan, qui attirait un large public. L'édifice fut conçu en collaboration avec Philip C. Johnson, alors directeur du Département d'Architecture du MoMA, et fut ouvert au public le 26 octobre ]954. Lui aussi s'avéra bientôt trop exigu, si bien qu'en 1963 on acheta un terrain à l'angle de Madison Avenue avec ]a 75èmeRue, on vendit au MoMA l'édifice de ]a 54èmeRue (cet emplacement correspond désormais à ]a partie du MoMA où se trouvent ]e jardin, ]e restaurant, la bibliothèque, les ateliers de restauration et les réserves), et on commanda à Marcel Breuer, ancienne gloire de ]a Bauhaus, un nouveau projet, qui fut réalisé en 1964-66 et ouvert au public ]e 28 septembre 1966. Le bâtiment marqua un nouveau jalon sur ]e Museum Mile et dans l'histoire de l'architecture moderne (Baur, 1967). 232

Whitney Museum par son directeur, Hermon More, et par son directeur adjoint, Lloyd Goodrich. Ils commençaient par reconnaître la pluralité de tendances de l'art contemporain, mais soulignaient explicitement l'originalité et la vitalité du mouvement moderne, actif depuis le début du siècle et toujours aussi dynamique. En guise de concession, ils reconnaissaient ensuite que ce mouvement n'était pas toujours une garantie de qualité, et que, en outre, restaient valables les tendances traditionnelles; mais les signataires déclaraient que leurs institutions devaient se spécialiser dans la nouveauté, avec ou sans le soutien du public. Ils démentaient également le récent divorce entre l'un ou l'autre, qui avait tant fait couler d'encre, alléguant que les expositions n'avaient jamais reçu un si grand nombre de visiteurs ni n'avaient fait l'objet d'un tel intérêt de la part de la presse généraliste. Ils affirmaient par la suite que l'humanisme, qui revenait si souvent dans la bouche des ennemis de l'art moderne, était une valeur dont ils tenaient aussi compte, bien que ce ne fût pas nécessairement dans le sens littéral promu par l'art académique, pour lequel primait la représentation de la figure humaine. Enfin, ils regrettaient les attaques politico-morales contre l'art moderne, comparables selon eux à celles que lui infligèrent les nazis en le surnommant art «dégénéré» ou «anti-allemand », ou encore à celles qu'il recevait alors des soviétiques, qui le baptisaient art « bourgeois» ou « anti-russe ». Pour terminer, il déclaraient que le rôle des musées n'était pas d'orienter l'art ni le goût du public, mais d'offrir à leurs visiteurs une représentation objective des œuvres de la meilleure qualité; une mission pour laquelle on réclamait de tous une attitude plus ouverte et respectueuse à l'égard de la créativité des artistes. Ainsi, le MoMA imposa une revendication totale de l'art moderne et, puisqu'il était devenu le chantre victorieux d'une tradition qui remontait aux post-impressionnistes et qui, selon ses préceptes, n'avait pas été interrompue jusqu'à l'expressionnisme abstrait, se séparer des pionniers de l'art moderne n'avait plus aucun sens. D'autant moins que le Metropolitan Museum paraissait se comporter plus comme un concurrent que comme un partenaire. Aussi, en mars 1952, le MoMA demanda-t-il au Met de mettre un terme à l'accord de collaboration sans attendre l'accomplissement du délai de dix ans: ce dernier accéda de bonne grâce à la demande, tout en réclamant que lui fussent livrées immédiatement

les œuvres qu'il avait payées en cinq annuités, jusqu'à la réunion, le 1er

octobre précédent, de la somme convenue de $191.000 -ainsi fut conclut l'accord, exception faite de quelques œuvres auxquelles fut accordé un délai de séjour supplémentaire au MoMA-. En réalité, l'opération marqua un nouveau triomphe de la tradition moderne parisiano-new-yorkaise, puisque dès lors les deux musées disposaient de 233

leurs Cézanne et de leurs Picasso, et allaient entrer en concurrence pour compléter leur collection. Cette victoire fut d'autant plus éclatante qu'en mars 1952 précisément, le conseil d'administration du Museum of Non-Objective Painting, présidé par Harry Guggenheim, neveu du fondateur, obtint la démission de Hilla Rebay : depuis la guerre contre l'Allemagne, sa vision germanocentrée avait suscité un certain embarras, mais les critiques avaient redoublé à l'encontre de son prêche dogmatique pour un spiritualisme non-figuratif, et de l'excentricité de la présentation muséographique41. Sept mois plus tard était nommé son successeur à la direction du musée, James Johnson Sweeney, qui, jusqu'alors, avait eu la charge du Département de Peinture et de Sculpture du MoMA. Avant même son arrivée, la Fondation Guggenheim avait décidé de laisser de côté l'ancienne spécialisation du musée et de le rebaptiser Salomon R. Guggenheim Museum, en mémoire du fondateur, à l'occasion du dixième anniversaire de sa mort. Le premier jour de l'entrée en fonctions de Sweeney coïncida avec le début d'un processus de réforme, qui le conduisit à licencier dix membres de l'équipe de Rebay ; il fut par la 41Le Museum of Non-Objective Painting déménagea en 1947 à son emplacement actuel au nOlO71 de la Cinquième Avenue, dans un édifice de six étages qui fut redécoré en fonction du goût de Hilla Rebay pour les atmosphères mystiques. Hilla Rebay y exposa de nouveau les tableaux de Kandinsky et Bauer, plus les sept-cents autres qu'elle avait achetés au marchand d'art d'Europe centrale Karl Nierendorf, dans une ambiance mystique où les tableaux, bordés de leurs grands cadres dorés, tranchaient sur les cimaises entoilées de gris, étaient accrochés si bas qu'ils touchaient pratiquement le sol. James T. Soby déclara des années plus tard que seules les mouches posées sur les tapis pouvaient les voir convenablement. Une critique publiée en 1951 dans le New York Times mettait en doute le fait que le musée «pût justifier son exemption d'impôts par son statut de musée éducatif» : elle le décrivait en effet comme un « lieu esotérique et occulte dans 1equeJ on parlait un langage mystique» (Krens, 1991 : 28, 30). En 1956, Je musée quitta cet emplacement, sans pour autant interrompre ses activités qu'il poursuivit provisoirement dans Ja 72ème Rue Est, tandis qu'on construisait le nouvel édifice conçu par Frank Lloyd Wright en 1943. Rebay transmit sans doute un peu de son mysticisme à Wright, qui dessina pour elle un logement doté d'une structure circulaire, annexe de la célèbre spirale du nouveau bâtiment du musée. Je ne suis pas sûr qu'elle put en profiter, mais de toute manière la Fondation Guggenheim dut être très généreuse à son égard quand elle lui retira la direction, puisque, avant sa mort en 1967, Hilla Rebay Jégua toute sa coJlection au musée (Vrachopoulos & Angeline, 2005). Ce fameux édifice en spirale avait été initialement dessiné pour une autre parcelle: en effet, nombreux furent les emplacements annoncés pour le musée, mais en 1959 on se rabattit finalement sur l'emplacement du siège de la Fondation sur la Cinquième Avenue, à proximité de Central Park (plus de trois miJle personnes assistèrent à l'inauguration le 31 octobre 1959, six mois après la mort de Wright). En 1990-92 on restaura et agrandit ce bâtiment, qui est devenu l'emblème et le logo commercial de la Fondation.

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suite applaudit pour les changements qui firent du musée un second MoMA: il fit enlever les entoilements sombres et les grands cadres, lança un programme de restauration, créa un département de photographie, un service d'archives, et donna une nouvelle orientation à la collection. A tout cela s'ajouta un double changement dans les signes distinctifs du Guggenheim: l'accroissement de sa collection et un nouvel édifice. Suivant la mode du moment, le musée exalta l'expressionnisme abstrait, ce qui trahissait absolument son engagement initial pour l'abstraction de Kandinsky; mais l'acquisition de L 'Homme aux bras croisés de Cézanne non seulement ouvrit les portes de la collection au premier tableau figuratif, mais encore abaissa de dix ans la limite chronologique de la collection -abaissement confimé en 1963 avec l'arrivée de la collection Thannhauser d'art post-impressionnistesi bien que le musée déplaça son intérêt vers le chemin parcouru par l'art moderne depuis l'Ecole de Paris à celle de New-York. A l'appui de cette politique vinrent s'ajouter beaucoup d'autres acquisitions, qui se succédèrent en l'espace de quelques années42, en dépit du fait que les coffres de la Fondation Guggenheim s'étaient vidés peu à peu avec l'inflation et la construction du siège définitif du musée.

42 Des peintures de Braque, Picabia, Malevic, des sculptures de Brancusi, Giacometti, Ducchamp-Villon, et surtout, le legs, en 1953, de Katherine S. Dreier, co-fondatrice avec Duchamp de la Société Anonyme. Il existe aussi une thèse sur Sweeney, écrite par Toni Ramona Beauchamp: James Johnson Sweeney and the Museum of Fine Arts, Houston: 1961-1967. Université du Texas, Austin, 1983. 45 Carol Duncan et Alan Wallach popularisèrent la métaphore chartraine dans un article fameux dans lequel ils se référaient au MoMA comme à un temple rituel du capitalisme tardif: la référence à la cathédrale de Chartres vient à l'appui du caractère paradigmatique du bâtiment du MoMA qui, lors de sa construction en 1939, trahissait un goût nouveau et étranger, avant de devenir le modèle muséographique habituel de toute grande ville nord-américaine et du monde occidental (Duncan & Wallach, 1978 : 30). Presque vingt ans plus tard, Duncan utilisa de nouveau cette métaphore en parlant des contenus, puisque selon elle le Mo MA imposa, à travers de son parcours muséographique, une conception de l'histoire de l'art moderne qui fut reprise dans tous les manuels et musées modernes (Duncan, 1995 : 103 -l'idée me plaît, mais pas son argumentation, qui confond« musées modernes» et musées d'art moderne-).

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Curieusement, son architecte, Frank Lloyd Wright, était un personnage totalement étranger à cette voie triomphale parisino-newyorkaise, et c'est sans doute ce pourquoi il s'entendit mieux avec l'excentrique allemande Hilla Rebay qu'avec Sweeney -ce dernier fit peindre de blanc les murs intérieurs et accrocher les tableaux à des grilles verticales, contrairement à ce qu'avait préconisé l'architecte avant de mourir-. Il demeure certain que Wright dessina moins une architecture pensée pour un usage muséographique qu'une sculpture monumentale digne d'admiration en elle-même: il n'avait en effet pas prévu d'espace pour la conservation et la restauration des fonds non exposés, et imposait au visiteur un parcours en pente descendante incommode et encore moins flexible que le parcours fixe imposé au MoMA à travers d'une suite labyrinthique de salles (fig. 21). En pratique, les limitations du musée étaient telles qu'en 1960, à peine inauguré le célèbre bâtiment en spirale, Sweeney démissionna et s'en alla diriger le Musée de Houston: en 1961 lui succéda Thomas M. Messer, qui resta à la tête du Guggenheim vingtsept ans -soit jusqu'à son départ à la retraite en 1988- durant lesquels il éradiqua définitivement la collection de son statut initial de sanctuaire d'un goût privé déterminé, et imposa, à l'aide de donations et d'échanges, un « collectionnisme professionnel» comme celui des autres musées et fondations publiques (Messer, 1988: 31-32). Tout cela pourrait passer pour de simples accrochages ou des positionnements changeants entre musées, mais on ne doit pas pour autant sous-estimer son Importance dans l'histoire de l'art el dans la consécration de certains courants. Selon un parallélisme brillant que Carol Duncan aime à répéter45, un archétype d'art moderne se diffusa dans le milieu du XXèmc siècle à partir du MoMA de New-York, dont le rôle peut être comparé à celui de Chartres, foyer à partir duquel fut diffusé le prototype de cathédrale gothique. Cependant, comme nous allons le voir, on relève des positions opposées en ce qui concerne le leadership du MoMA dans la promotion de l'expressionnisme abstrait et son rôle sur la scène internationale.

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CHAPITRE 7 LE MaMA, MODELE INTERNATIONAL PENDANT LA GUERRE FROIDE: TRIOMPHE ET CONTEST ATION Le rôle international du l'expressionnisme abstrait

MoMA

dans

la

promotion

de

Du moment où le MoMA obtint le rôle principal en tant qu'omphale reconnu de la nouvelle capitale de l'art, il devint le point de convergence de tous les regards et de tous types de critiques. Mais ce fut quelque chose qu'il assuma avec plaisir: il apprendit à être en permanence dans toutes les bouches, à l'instar de beaucoup de personnalités publiques, et prit même plaisir à attiser le feu des polémiques à son encontre. Le musée s'habitua à supporter les protestations des collectifs d'artistes et les critiques publiées, qu'il ne reçut jamais avec indifférence ni ne passa sous silence dans ses propres chroniques - il les détourna même à son profit dans les slogans publicitaires 1. Quelle meilleure preuve de maturité peut montrer une institution dédiée à quelque chose d'aussi polémique et discutable que l'est l'art récent? Personne ne peut enlever ce mérite au MoMA, indépendamment du jugement qu'on peut émettre sur l'importance de son rôle au milieu du XXème siècle sur certaines questions qui ont fait couler beaucoup d'encre. Fut-il, par exemple, en avance sur son temps pour ce qui est du triomphe de l'expressionnisme abstrait américain, ou mont a-t-il sur le char triomphal pour hisser le drapeau une fois la victoire célébrée? Fut-il, pendant la Guerre froide, Uf1 instrument de la CIA dans la lutte internationale contre le communisme, ou tenta-t-il simplement de prévenir le pays d'un isolement international en matière de relations culturelles? Enfin, adopta-t-il la muséographie ]

Paraphrasant le manifeste de 1940 intitulé How Modern is The Museum of Modern Art, où le collectif A.A.A. se demandait, entre autres choses, s'il s'agissait d'un musée ou un cirque à trois pistes, le New Yorker Magazine décrivit le MoMA, le 6 juillet 1953, comme un « cirque à neuf pistes» ; mais, à la différence du texte antérieur, celui-ci était un article d'autopromotion, signé de l'un des membres du musée, Dwight Macdonald, et destiné à rappeler que la fonction traditionnelle de conservation et d'exposition des œuvres n'était qu'une des pistes, étant donné que l'institution proposait en outre le plus grand club social de la ville, un cinéma, une bibliothèque, une école, une maison d'édition, une maison de production de spectacles pour d'autres institutions, un arbitrage du goût, et une entreprise organisant plus d'une vingtaine de productions annuelles. 239

froide et aseptisée du white cube parce que son discours était devenu raideur et mystificateur, ou parce c'était précisément celle qui seyait le mieux à l'art de l'époque? Selon Diana Crane (1987: 36) l'expressionnisme abstrait passa presque inaperçu avant 1948 à New-York, en dépit de la campagne de promotion dont elle faisait l'objet de la part de critiques comme Clement Greenberg ou James J. Sweeney lui-même, successeur de Barr et Soby à la tête du Département de Peinture et de Sculpture du MoMA. Contre l'avis de certains membres influents du conseil d'administration, Alfred Barr JI. s'intéressa aussi immédiatement à ce courant, puisqu'il avait toujours été fasciné par l'artiste romantique moderne, le surréalisme et le graphisme. Après l'année agitée marquée par la rébellion de l'ICA de Boston et la campagne de la revue Life en faveur du régionalisme, on a vu avec quelle rapidité le musée avait répondu par le biais d'une campagne qui fit tourner le vent à sa faveur jusqu'à gaigner sa plus haute réputation de la main de l'expressionnisme abstrait. Quand le triomphe de ces artistes fut total dans les années cinquante, ces derniers trouvèrent d'autres appuis de type commercial ou médiatique, surtout en l'espèce de la revue Art News, dont le rédacteur en chef, Thomas B. Hess, osa reprocher au MoMA son soutien tardif et timide. Barr envoya une réponse détaillée2, dans laquelle il passa en revue les œuvres de l'Ecole de New-York acquises et exposées par le MoMA. Ainsi commença une longue succession de droits de réponse signés des deux intéressés (synthétisées par Irving Sadler, dans Barr, 1989: 41-44), qui donna lieu à un débat substantiel sur la primauté que le musée avait accordé à l'Ecole de Paris au détriment de la production locale, débat dans lequel chacune des parties ne pouvait pas avoir totalement tort3. Hess accusait le MoMA de ne s'être qu'à peine occupé de l'art national, à l'exception modeste de la série d'expositions-vente d'œuvres 2 En septembre 1957, Art News publia un droit de réponse d'Alfred Barr à l'attention du directeur de la publication, en réplique aux vertes critiques parues dans les pages de cette revue pendant des années, et, en particulier, à l'éditorial paru à l'occasion du cinquante-cinquième anniversaire de la revue (la lettre est citée in extenso dans Barr, 1989: 259-262). 3 Même les plus critiques à l'égard de Barr et du MoMA concèdent que leur rôle était considérable: quand, en 1955, Barr se montra intéressé par une toile de Hans Hoffman pour le MOMA, le prix passa immédiatement de 150 à 15000 dollars tandis qu'il réunissait encore les fonds; l'année suivante, il s'intéressa à un tableau de Pollock, et tandis qu'il cherchait des donateurs, le prix de l'œuvre quadrupla pour ainsi dire, à la mort de l'artiste: avant, elle coûtait 8000 dollars, après, 30000 (Guilbaut, 1993). A l'inverse, William Rubin, un de ses successeurs à la tête du département de peinture et de sculpture, reconnut que Barr avait laissé un peu de côté l'expressionnisme abstrait et, plus encore, l'art américain du début du XXème, domaines dans lesquels Rubin tenta de combler les lacunes laissées par son prédécesseur (en Hunter, 1984 : 45). 240

de jeunes Américains, organisées par Dorothy C. Miller et presque toujours dotées d'un caractère hétéroclite et itinérant4 -et même si, précisément, seules celles qui furent consacrées à l'expressionnisme abstrait, en 1952 et 1956, n'avaient pas voyagé-. Il se plaignait, avec raison, de ce que le musée n'avait jamais dédié à l'expressionnisme abstrait new-yorkais une grande exposition: la rétrospective historique beaucoup plus générale intitulée Abstract Painting and Sculpture in America, organisée en 1951 par le nouveau chef du Département de Peinture et de Sculpture, Andrew C. Ritchie, l'avait laissé sur sa faim. Ritchie, pourtant, montra par la suite plus d'intérêt pour l'art américain de son époque que pour l'art européen, en mettant en place de nouvelles activités dans ce domaine5, à la grande satisfaction du directeur de Art News; ce dernier se fût sans doute davantage réjoui si, en lieu et place de Ritchie, on avait promu Miller, qui, en dépit du fait qu'elle était la plus ancienne spécialiste de l'art américain au musée, avait toujours été

4 Dorothy C. Miller monta la première en 1942, Americans 1942: 18 Artists from 9 States. Une fois terminée au MoMA, l'exposition fut divisée en deux autres d'envergure plus réduite, qui circulèrent dans d'autres musées des USA et du Canada jusqu'au printemps 1943. L'exposition suivante, Fourteen Americans, en 1946, dans laquelle prédominaient déjà les abstraits, circula également en Amérique du Nord. Mais malgré le succès rencontré par ses expositions, le MoMA ne laissa pas Miller monter la troisième avant avril-juin de l'année 1952 -toutefois, Rothko et Still n'ayant pas donné leur accord pour laisser leurs œuvres participer à une tournée dans d'autres musées, l'exposition ne fut pas itinérante. Même sort pour la plus polémique de toutes, 15 Americans, ouverte au MoMA entre avril et juillet 1952, dans laquelle prédominaient les œuvres de grande dimension de l'expressionnisme abstrait, et qui ne fut pas seulement très contestée par quelques critiques récalcitrants, mais aussi par le propre public du MoMA : aussi le président Soby fut-il obligé de préciser: « It is the role of the Museum to show current tendencies in contemporary art, not to tell artists what these tendencies should be» (Zelevansky, 1994: 103, nota 119). L'exposition suivante de la série, en 1956, 12 Americans, où prédominaient également les œuvres abstraites, ne circula pas non plus, tout comme Sixteen Americans, visible au musée de décembre 1959 à février 1960. Enfin, Americans 1963, visible au MoMA entre mai et août de l'année indiquée dans son titre, et qui, elle, fut ensuite montrée dans des musées des Etats-Unis et du Canada, marqua la fin d'une ère et le début d'une autre, d'après l'article de Lynn Zelevansky sur Dorothy Miller, qui reçut de nombreuses et violentes lettres de protestation et dut faire placer des barrières pour empêcher le public de s'en prendre aux œuvres de Ad Reinhardt et d'autres (Zelevansky, 1994: 84-5). 5 A partir de 1950 et pendant la décennie des années soixante, Ritchie organisa une nouvelle série d'expositions dédiées aux artistes qui n'avaient pas encore bénéficié d'une exposition personnelle à New-York; ces expositions, dénommées New Talent, qui eurent lieu à l'étage noble, dans l'espace situé à la sortie de la Members' Dining Room, étaient généralement accessibles au public à des heures spécifiques. Il y eut un total de quatorze expositions New Talent, qui, d'une certaine manière, préfigurèrent la série d'expositions Projects, qui commença dans les années soixante-dix. 241

reléguée à un second plan derrière ses collègues masculins6. Ceci dit, c'est à Dorothy Miller qu'incomba la responsabilité d'organiser la première exposition du MoMA dédiée exclusivement à l'expressionnisme abstrait, The New American Painting7, qui, comme tant d'autres expositions dont elle fut la commissaire, était une exposition itinérante; mais dans ce cas précis, c'est seulement après avoir circulé dans huit pays européens en 1958 et 1959 qu'elle fut visible au MoMA, alors que cette éventualité n'avait pas été prévue: ce retour à la maison-mère fut possible grâce aux pressions exercées par des artistes exposés et à leurs appuis dans le milieu artistique et de la communication. La polémique ne disparut pas pour autant: elle trouva un prolongement dans le débat sur une stratégie supposée du MoMA destinée à promouvoir à l'étranger ce qu'il n'était pas décidé à défendre sur le sol américain. En réalité, c'est la politique culturelle du gouvernement américain luimême qui semblait affecter ce comportement double. Depuis que le sénateur McCarthy avait entrepris en 1951 sa campagne de persécution des intellectuels et créateurs d'obédience gauchiste, le gouvernement fédéral s'appliquait à sélectionner le type d'activités auxquelles il destinait ses subventions. Mais, parallèlement, comme les Etats-Unis s'attachaient à exporter leur image de pays défenseur de la liberté en 6 Ce n'est pas par hasar si c'est précisément à partir du moment où l'art américain commença à occuper le rôle principal sur la scène de l'art contemporain, que les collègues masculins de Miller, Andrew C. Ritchie en tête, suivi par Sam Hunter, William C. Seitz, ou Frank O'Hara, commencèrent à lui emboîter le pas. C'est sur eux que retomba le succès rencontré dans les années cinquante et au début des années soixante par des expositions individuelles d'artistes dont ils assurèrent le commissariat -des artistes tels que Pollock, David Smith, Rothko, Tobey, Gorky, Hofmann, Motherwell, etc., que Miller avait auparavant inclus dans sa série d'expositions collectives. 7 Le titre proposé initialement, Expressionnisme abstrait américain, ne plaisait guère à quelques uns des artistes représentés, tel Motherwell, qui suggéra La Nouvelle Peinture américaine. La tâche de Dorothy Miller fut compliquée par le fait que Pollock venait de mourir et qu'il était plus difficile de se trouver des œuvres de lui, tandis que Still et Rothko refusèrent de coopérer, et ne furent représentés qu'à travers des œuvres provenant de collections privées et d'institutions. La situation était si tendue que le MoMa opta au départ pour l'envoi de cette exposition en Europe, au lieu de la monter au sein même du musée, persuadé que le public outre-atlantique était moins directement impliqué dans les controverses suscitées par ces œuvres. En fait, l'idée de cette exposition répondait à une demande des directeurs de musées européens, qui récoltèrent grâce à elle des triomphes marquants. En particulier à Bâle, puisque Hans Theier, président du Kunstverein local, fit un premier don au Kunstmuseum, pour qu'y soit constituée la première galerie d'art américain ouverte dans un musée européen. L'exposition rencontra également un franc succès à son passage par le Musée national d'art contemporain de Madrid en juillet-août 1958. 242

pleine Guerre froide, faire circuler à l'étranger tout type de productions, y compris les plus rebelles ou les plus novatrices, ne pouvait qu'être que rentable politiquement. C'est une question d'image qui fut même incluse dans les stratégies marquées du sceau de la United States Information Agency (USIA), créée en 1953 par le président Eisenhower pour coordonner les activités de propagande à l'extérieur; mais en 1956 survinrent d'autres attaques contre l'inclusion d'artistes soupçonnés de sympathies gauchistes dans des expositions internationales issues de cette agence, et la Maison Blanche déclara que dorénavant il n'y aurait plus de mécénat gouvernemental pour les expositions destinées à l'étranger qui incluraient des œuvres créées après 1917 -l'année de la révolution bolchevique-. On a su par la suite qu'il y eut de nombreuses exceptions à cette règle, à l'insu du Sénat et de la Chambre des Représentants, qui donnèrent cependant leur aval dans un cas particulier, à condition que l'exposition ne fût pas visible aux Etats-Unis après avoir été montée en Europe: il s'agit d'une exposition de peinture américaine que la USIA envoya à Moscou en 1959, avec la fameuse exposition photographique itinérante The Family of Man, qui avait été étrennée au MoMA quatre ans avant8. Cette convergence des chemins empruntés par le gouvernement et le musée n'était pas fortuite: on se rappellera en effet que le MoMA bénéficiait déjà d'une longue expérience dans la programmation d'activités culturelles destinées à l'étranger, qu'il avait développée pendant la Seconde Guerre mondiale en collaboration avec l'administration publique, en particulier le Bureau des Affaires InterAméricaines. Nelson Rockefeller l'avait dirigé en collaboration avec son ami Jock Whitney, et quand, à la fin de la guerre, ils se trouvèrent de nouveau tous les deux à la tête du conseil d'administration du MoMA, ils durent penser que le musée pourrait être une plateforme depuis laquelle continuer ce travail international pendant la Guerre froide: la preuve en 8 Family of Man, montée par Edward Steichen au MoMA en 1955, fut l'exposition la plus triomphale dans l'histoire du musée. Même s'il convient de lui reconnaître le mérite d'avoir été un chant implicite à l'égalité des sexes et des races, puisque nombre de femmes et de personnes de couleur y étaient présentées sous un jour favorable, elle donnait une vision édulcorée de la fraternité mondiale qui devint 1'« image de marque» favorite du Plan Marshall et de la publicité pour les produits américains, quand le gouvernement et des compagnies comme Coca Cola financèrent les prolongations de l'exposition photographique qui, divisée en quatre versions réduites, fut envoyée dans d'autres centres en Amérique, puis fut exportée en entier dans quatre-vingt-quatre villes du reste du monde (outre les études qui lui sont spécifiquement consacrées, tels l'article de John Szarkow ski dans Elderfield, 1994: 12-37 ou l'analyse complète dans Staniszewski, 1998: 209-259, je renvoie au texte critique écrit par Roland Barthes en 1956, reproduit dans Bolanos, 2002 : 214-216). 243

est que les postes les plus convoités de l'équipe furent proposés à René d'Harnoncourt et Porter A. McCray, qui avaient travaillé sous leurs ordres dans ce service diplomatico-culturel de Washington. Alors que le premier fut promu directeur du musée, McCray fut nommé en 1952 directeur de l'International Program ofCirculating Exhibitions, un projet de Nelson Rockefeller commandé au MoMA par le biais de la Rockefeller Brothers Fund, qui lui garantissait une aide d'une durée de cinq ans pour organiser des expositions d'art américain dans d'autres pays et faire venir des œuvres des écoles étrangères aux Etats-Unis d'Amérique. Parmi les premières expositions envoyées en Europe, une de celles qui rencontra le plus de succès fut 12 Modern American Painters and Sculptors, dédiée à l'expressionnisme abstrait, qui commença sa tournée par le Musée National d'Art Moderne à Paris au printemps 1953. C'est là également que fut inaugurée, en 1955, une anthologie de l'art américain des cinquante années antérieures, composée de pièces du musée sélectionnées par Dorothy Miller, qui circula sous le titre Modern Art in the United States: A Selection from the Collections of the Museum of Modern Art dans d'autres centres de Zurich, Barcelone9, Francfort, Londres, La Haye, Vienne et Belgrade. A l'époque, l'harmonie entre l'art américain et son homologue européen était telle que, pour la célébrer, on monta en mai 1955 à la fois au MoMA et au Whitney Museum -qui se trouvait encore dans un bâtiment voisin- l'exposition New DecadelO consacrée à la peinture et à la sculpture européennes et américaines Je l'après-guerre; le jour de l'inauguration coïncida avec l'ouverture d'un colloque sur le même thème, également financé par l'International Program. Par ailleurs, l'Europe concentra les attentions dans l'importation d'expositions, puisque la première d'entre elles, en 1954, fut une exposition de photos et de plans intitulée The Modern Movement in Italy: Architecture and Design, qui circula aussi au Canada et dans le reste des Etats-Unis. Le Japon, occupé jusqu'en 1952 par l'armée des Etats-Unis, fut également une cible prioritaire de l'influence américaine, qui ne porta pas seulement son intérêt sur la relance de l'économie. Ainsi, c'est à l'image 9 Pendant la Ille Biennale Hispano-américaine d'Art, c'est Franco lui-même qui, le 12 octobre 1955, inaugura l'exposition qui se tenait simultanément à deux endroits: le Musée d'art moderne et le Palau de la Virreina sur les Ramblas, où la municipalité se chargea ensuite d'organiser des expositions d'art contemporain. 10 En fait il faut parler de deux expositions, une au MoMA intitulée The New Decade: 22 European Painters and Sculptors, et un autre au Whitney appellée The New Decade: 35 American Painters and Sculptors, où les artistes du réalisme étaient aussi presentés à coté des expressionistes abstraits (voir le texte du conservateur du Whitney John 1. H. Baur en Hills, 2001). 244

du MoMA -au point qu'on l'inaugura avec une exposition consacrée à Cézanne et Renoir- qu'on conçut le premier Musée d'art moderne du pays, qui ouvrit ses portes en 1951 dans la ville de Kamakura, une ancienne capitale du Japon, dans un bâtiment élevé au milieu de jardins poétiques et de miroirs d'eau par l'architecte réputé Junzo Sakakura, disciple de Le Corbusier, dont il fut l'assistant dans le projet du célèbre Musée d'art occidental qui ouvrit en 1959 dans le parc Deno de Tokyo pour abriter la collection Matsukata. Même si cette collection est surtout connue pour ses tableaux contemporains et postérieurs à l'impressionnisme, ses plus anciennes pièces appartiennent en réalité à l'art européen du XVe siècle -elle n'entre donc pas dans le cadre de ce livre, contrairement au Musée national d'art moderne pour l'art de 1907 en avant, qui fut créé entre temps à Tokyo, par le Ministère de l'Education en 1952, à l'emplacement des anciens studios de cinéma de la Nikkatsu Corporation (en 1969, l'institution fut toutefois transférée au parc de Kitanomaru Koen, où l'architecte Yoshiro Taniguchi, le père de y oshio Taniguchi, conçut un nouveau bâtiment également situé près d'un pont et d'un bois, qui est resté son siège jusqu'à aujourd'hui). Cette formule à succès fut ensuite appliquée à Kyoto, une autre ancienne capitale du pays, où le même Ministère de l'Education ouvrit dans le Palais des Expositions du parc Okazaki une succursale du Musée national d'art moderne en 1963, qui prit son autonomie quatre ans plus tard et commença à fonctionner sous le nom de Musée d'art moderne de Kyoto' '1 . L'Amérique latine fut l'autre foyer d'action primordial (Lorente, 2007 : 153-155) ; il ne pouvait en être autrement étant donné les intérêts de Rockefeller dans cette zone, où avaient déjà éclos de modestes musées d'art moderne, toujours dans des sièges provisoires, et issus d'initiatives privées à l'instigation d'artistes, d'intellectuels et de mécènes, comme par exemple celui qui fut créé à Santiago du Chili par l'artiste Mario Bonta en 1947, ou celui qui fut formé à partir de 1955 à Bogota sous la direction de la critique argentine Marta Traba mais qui n'ouvrit pas au public avant 1963. Mais l'aide n'était pas adressée à ces cas isolés, et il n'y eut pas non plus d'étroite collaboration avec le Mexique voisin, ce qui ne manque pas d'être curieux, à moins de se rappeler que le pro soviétique Diego Rivera, qui avait pourtant été en pourparlers avec Nelson Rockefeller pour la fresque du RCA Building, «régnait» sur le milieu

11Le bâtiment fut démoli en 1984 et on commença à construire, d'après les dessins de l'architecte Fumihiko Maki, le nouveau siège du Musée national d'art moderne de Kyoto qui fut inauguré en 1986. 245

artistique mexicain12. On peut toutefois signaler l'intervention en faveur de la création d'un musée d'art moderne dans des pays comme le Venezuela où les intérêts pétroliers de Rockefeller étaient manifestes 13. Malgré tout, le meilleur résultat fut obtenu par une stratégie moins insolente, qui consistait à fomenter de nouveaux foyers de développement d'un art moderne dans une lignée franco-américaine et abstraite, susceptible de mener la réplique latino-américaine à l'ascendant pris par les muralistes marxistes mexicains sur tout le continent (Guilbaut, 1997). Ainsi, en novembre 1950, le MoMA signa un accord de coopération mutuelle dans le domaine des activités éducatives et des prêts pour les expositions avec le Museu de Arte Maderna de Sào Paulo, qui avait été fondé deux ans auparavant à partir d'une donation de Nelson Rockefeller, et qui devint rapidement une des principales vitrines de l'art abstrait et, pour un temps, le musée le plus à la pointe du pays dans sa catégorie14. 12La capitale mexicaine dut attendre 1964 pour voir l'ouverture de son Musea de Arte maderna, fondé à l'instigation du président Adolfo Lopez Mateos, et abrité dans un bâtiment circulaire dessiné par l'architecte Pedro Ramirez Vazquez, le plus grand représentant local du Mouvement moderne international. 13Nelson Rockefeller était l'ami de l'homme d'affaires Inocente Palacios, promoteur du Musée d'art moderne de Caracas, un projet surtout connu pour l'édifice novateur, en forme de pyramide inversée, qui fut dessiné pour lui en 1955 par l'architecte Oscar Niemeyer, mais qui ne vit finalement pas le jour, malgré le soutien offert par le MoMA de New-York (sur ce cas particulier il existe une excellente thèse de doctorat inédite, soutenue par Carola Barrios en 2006 à l'Ecole Supérieure d'Architecture de l'Université Polytechnique de Barcelone). 14 Le MoMA avait entamé en 1946 les démarches pour établir un musée d'art moderne au Brésil, pour lequel Nelson Rockefeller donna treize œuvres, dont certaines échurent à Rio de Janeiro, tandis que la majorité resta à Sao Paulo: un mobile de Calder, et des peintures de Chagall, Ernst, Robert Gwathmey, Grosz, Jacob Lawrence, Léger, Masson, Arthur Osver, et Everett Spruce. Quand fut créé le Musée d'art de Sao Paulo (MASP), célèbre pour sa splendide collection de toiles de maîtres anciens, les intellectuels, artistes et hommes politiques locaux firent porter tous leurs efforts vers l'étape suivante, c'est-à-dire la fondation, le 15 juillet 1948, du Museu de Arte Maderna, dont les statuts s'inspirèrent d'une copie de ceux du MoMA fournie par Rockefeller -on créa des commissions d'architecture, d'arts graphiques, de cinéma, d'expositions temporaires, d'arts populaires, de photographie, de musique, de peinture et de sculpture-. Son inauguration eut lieu le 8 mars de l'année suivante, dans l'immeuble même où s'était installé le MASP, puis fut transféré dans un pavillon du Parc Ibirapuera, où se sont tenues jusqu'à présent les Biennales de Sao Paulo, gérées depuis 1962 par un organisme autonome. En 1963, le majeure partie de la collection du Museu de Arte Maderna de Sao Paulo fut de nouveau transférée -avec la collection particulière de son présidentfondateur, l'industriel Ciccilo Matarazzo, et de son épouse, Yolanda Penteado-, à l'Université de Sao Paulo; mais sous la pression de certains amis du MAM qui refusaient sa disparition, on procéda à une bipartition: le Museu de Arte Maderna survécut en tant qu'institution nomade, jusqu'à ce qu'il trouve en 1968 un siège définitif dans un autre pavillon d'Ibirapuera, qui fut rénové en 1982 par l'architecte Lina Bo Bardi, tandis que ]' autre partie de la collection, rebaptisée Museu de Arte 246

C'est là que furent organisées à partir de 1951 les fameuses biennales internationales de Sào Paulo, auxquelles le MoMA collabora assidûment dans les années cinquante, par le biais de prêts exceptionnels -le Guernica vint orner la «Sala Especial Pablo Picasso» de la ne Biennale- et par le montage d'expositions collectives ou individuelles d'artistes américains, telle la rétrospective posthume dédiée à Pollock pendant la Ve Biennale; le MAM de Sào Paulo fut alors progressivement éclipsé par la concurrence de Rio de Janeirol5, où avait aboutit en 1958 une initiative similaire, l'actuel Museu de Arte Moderna à Baia da Guanabara, qui vécut son âge d'or grâce à l'art néo-concret et conceptuel. De même, avec la collaboration du MoMA de New-York, fut fondé en 1956, sous la direction de Rafael Squirru, un Museo de Arte Moderno à Buenos Aires, dont le programme d'activités fut lancé quatre ans plus tard avec une Exposition Internationale d'Art Moderne, organisée à un étage supérieur du Teatro San Martin (avenida Corrientes), et où les meneurs de l'expressionnisme abstrait new-yorkais et de 1'« art . J:" . 16 llllorme l »europeen' tenaIent 1a ve d ette . Cette tendance du MoMA à s'autoproclamer à l'étranger héraut du dernier cri artistique s'accrut d'autant plus que, amoindri par la tension politique intérieure, le gouvernement états-unien préférait se défausser de telles initiatives. De nouvelles conditions fiscales permettaient alors à Nelson Rockefeller et aux autres membres du conseil d'administration du musée de déduire du montant des impôts 30% de la valeur des aides consenties à des institutions d'utilité publique comme le MoMA. La Contemporanea, que l'Université s'était engagé à reloger, dut attendre 1992 pour voir l'inauguration de son nouveau siège sur le campus universitaire d'Ibirapuera, après de nombreux projets avortés (Barbosa, 1990;.Chiarelli, 1998).. 15Le MAM carioca connut un essor plus lent en dépit du fait que Rio de Janeiro était encore la capitale du Brésil: au lieu d'un comité d'artistes et de mécènes, c'est le Gouvernement du District Fédéral, en 1948, qui le fonda comme complément au Museu Nacional de Belas Artes sur ]'Avenida do Rio Branco en centre-ville. Après avoir erré de siège provisoire en siège temporaire, il vit en 1954 le début de la construction de son siège définitif, qui fut inauguré quatre ans plus tard à l'Aterro do Flamengo : un superbe complexe paysager avec vues sur la mer, conçu par le paysagiste Roberto Burle Marx et l'architecte Alfonso Eduardo Reidy. Il fut ravagé par un incendie en 1978 au cours duquel toute la collection fut détruite, mais l'ensemble -déclaré bien du patrimoine historico-culturel du Brésil- fut immédiatement restauré et, grâce à des donations et des dépôts, le musée put recommencer à constituer une collection historique, même si, bien entendu, il se consacre plutôt aux expositions temporaires (Zilio, 1999: 7-17).. 16Depuis 1987 le Museo de Arte Moderno de Buenos Aires occupait un ancien dépôt de tabac du quartier de San Telmo, cédé par la municipalité (Cf Gutiérrez, 2003 : 360362) ; il a été fermé pour travaux et les activités du musée ont été transférées à l'ancien Palacio de Correos (Poste Centrale) au 172, Avenida Corrientes. 247

plupart de ces aides prirent la forme de donations de tableaux, qui contribuèrent à la rapide consécration muséale de l'Ecole de New-York, la tendance à la mode parmi les grands collectionneurs; mais c'était dans leur intérêt également que la valeur des œuvres de cette Ecole fussent en hausse, chose qu'on ne pouvait laisser aux mains du marché de l'art, étant donné que les prix américains étaient hors de portée pour les économies de survie qu'affrontait le reste des pays après la guerre. Le meilleur moyen d'obtenir la reconnaissance mondiale du nouvel art américain était de le faire connaître par le biais d'expositions itinérantes, de catalogues illustrés accompagnés d'études, de cycles de conférences... en un mot, le type d'activités qui constituait désormais le savoir-faire du MoMA, et que le gouvernement ne semblait pas en mesure d'assurer à l'étranger. Il s'agit donc d'une sorte de relais patriotique, selon lequel certaines tâches furent assumées par des organismes privés pour éviter un vacance dans le domaine de la diplomatie culturelle. La meilleure illustration de cette stratégie fut le fait que, durant les années cinquante, l'International Program du MoMA -rebaptisé International Council à partir de 1956, traduisant un peu son évolution vers une autre échelle, toujours sous l'autorité de Porter A. McCrai717Une fois terminé le laps de cinq années pendant lesquelles la RBF s'était engagée à donner des fonds, on choisit le nom The International Council at the Museum of Modern Art sur proposition de Nelson Rockefeller, lequel, conscient que les expositions internationa]es de l'agence fédérale USIA étaient mises à mal par l'opposition de membres du Congrès rétrogrades, voulut que ]e MoMA se tournât vers la collaboration avec divers musées et fondations pour obtenir de nouvelles aides: c'est ainsi que les fondations Ford et Ava]on, en particulier, furent mises à contribution. Au nombre des expositions qui furent exportées, il convient de citer celle qui fut l'exposition inaugurale du nouveau Musée de l'Orangerie à Paris en 1958: Clouet ta Matisse: French Drawings from American Collections, une sélection effectuée par un comité de dix musées américains sous la hou]ette du Metropolitan Museum de New-York, où l'exposition fut remontée l'année suivante. Le « Conseil International au Musée d'art moderne» -et non plus «du»faisait ainsi honneur à sa nouveHe dénomination, bien qu'elle ne tarda pas à semer le mécontentement au sein du MoMA. Extérieures aux activités propres au musée, les activités de l'International Counci] surchargeaient l'appareil administratif et l'appareil de la conservation du MoMA, et concurrençaient même ce dernier dans la recherche de parrainages financiers parmi les fondations les plus proches. D'autre part, le monopole des décisions détenu par le Comité de Coordination -d'Harnoncourt, Whee]er, Barr, et McCray- provoquait le ressentiment de leurs collègues plus jeunes, qui pensaient que leurs avis méritaient d'être davantage pris en compte. Pour faire taire ces critiques, on en vint en 1960 à distinguer entre l'International Program, qui formerait dorénavant partie de l'appareil du MoMA, et l'International Council of the Museum of Modern Art -comme on le rebaptisa alors-, une fondation indépendante qui serait le parrain et le commanditaire du premier; des trente-neuf membres de droit et cinq membres honoraires de différents pays qu'on dénombrait à J'origine, la composition de la fondation passa a]ors à soixante-neuf membres de droit et huit membres honoraires. Mais Porter A. McCray se sentit 248

s'occupa de la représentation américaine aux biennales de Sào Paulo et de Venise18 ou dans d'autres concours comme la Documenta II de Cassel en 1959, ou la 1èreBiennale de Paris de la même année. Cette situation suscita de nombreuses réticences parmi ceux qui pensaient que la sélection et la présentation des œuvres envoyées à des festivals internationaux au nom d'un pays étaient tombées aux mains du privé, soumises à des intérêts et à des points de vue particuliers. A l'inauguration de l'exposition de sculptures de Calder qui fut envoyée pour représenter les Etats-Unis à la IIèmeBiennale de Sào Paulo en 1953, l'ambassadeur américain n'était pas présent et n'envoya pas même un délégué, comme firent pourtant les autres diplomates pour leurs pavillons respectifs. Lors de la Biennale de Venise de 1954, l'ambassadeur des Etats-Unis en Italie, Claire Boothe Luce, interdit à son personnel de prêter main forte au MoMA pour le montage du pavillon américain, sous prétexte que des œuvres de Ben Shahn et de Kooning, qu'il qualifiait de « communiste et d'étranger », allaient y être exposées. On a su plus tard que le MoMA avait reçu des fonds réservés, échappant au contrôle parlementaire, de la part de la CIA, qui concevait comme une arme offensive pendant la Guerre Froide l'exportation d'expositions américaines en Europe, au Japon ou en Amérique latine et à des concours internationaux: ces révélations (Cockcroft, 1974), au moment de leur apparition pendant la période tendue de la Guerre du Vietnam, attisèrent la méfiance de bon nombre de progressistes anti-

tellement blessé par les critiques qu'il démissionna l'année suivante -Waldo Rasmussen, son adjoint, lui succéda- et deux années plus tard il quitta le MoMA pour devenir directeur d'une fondation dédiée aux échanges culturels avec l'Asie, créée par John D. Rockefeller (informations tirées de l'article de Helen M. Franc, « The early years of the International Program and Council» dans Elderfield, 1994 : 108-149). 18 Le MoMA avait déjà été chargé avec le Cleveland Museum of Art de la représentation américaine à la Biennale de Venise en 1950 ; mais en 1954, à l'occasion de son vingtcinquième anniversaire, le musée acheta le pavillon américain -grâce à l'argent pris sur le Rockefeller Brohers Fund et sur le fonds de l'International Program- et paya les factures de l'entretien du pavillon les dix années qui suivirent -c'était le seul pavillon de la Biennale à ne pas appartenir à un Etat-. Le MoMA ne fut pas pour autant le seul responsable des expositions qui s'y montèrent, car s'il assura la représentation des Etats-Unis lors de certaines biennales de Sào Paulo (en 1951, 1953, 1957 et 1961), il délégua à plusieurs reprises (1955, 1959, 1963 et 1965) cette responsabilité à d'autres musées, qui reçurent à cet effet une subvention de l'International Council at the Museum of Modern Art; à l'occasion de la biennale de Venise en 1956, représentation américaine fut confiée à la charge de l'Art Institute de Chicago, et en 1960 au Baltimore Museum of Art, avec la participation financière de l'International Council at the MoMA ; puis, en 1964, ce fut au tour du Jewish Museum de New-York, alors sous les auspices de l'USIA au nom du gouvernement fédéral, qui reprit dès lors le contrôle du pavillon (Rizzi & di Martino, 1982: 97 ; Kimmelman, 1994: 55, note 51). 249

impérialistes à l'égard du musée19. Toutefois, certaines de ces polémiques successives sont parvenues à diffuser le cliché abusif selon lequel l'expressionnisme abstrait aurait été le fer de lance de cette stratégie politique, alors que parmi les expositions exportées par le MoMA, celles qui rencontrèrent le plus de succès furent celles consacrées à la photographie, au cinéma et au design, domaines dans lesquels les américains étaient les leaders mondiaux et incontestables. C'est du moins ce qu'a démontré le critique d'art Michael Kimmelman, dans une étude où il a mis le doigt sur quelques erreurs répétées contenues dans ce genre d'accusations politisées2o (Kimmelman, 1994). Selon lui, le Mo MA ne parvint jamais à s'associer à une tendance en particulier, attitude neutre qui lui a précisément valu d'être la cible de nombreuses attaques. Reconnaissons sans ambages que le MoMA manifesta une certaine ambivalence à l'égard de l'art abstrait, en en faisant la promotion dans les 19Avant le célèbre article de Cockcroft publié initialement dans Artforum en juin 1974, la même revue avait publié en mai et octobre 1973 deux articles de Max Kozloff et William Hauptman respectivement, sur le rôle de l'art dans la Guerre Froide. En fait, les fuites et les enquêtes à ce sujet n'étaient pas nouvelles, puisque Eva Cockcroft fonda une bonne partie de son article sur les révélations sur la CIA publiées par le New York Times le 25 février 1967 et sur la polémique publique que suscitèrent ces révélations (notamment un article publié dans le Saturday Evening Post du 20 mai suivant par Thomas W. Braden, qui avait été administrateur du MoMA avant de travailler pour la CIA). Il fut alors prouvé que la CIA, pour une image de pluralisme qui s'avérait être une bonne stratégie de communication avec l'étranger, octroya un soutien financier non pas seulement au MoMA mais aussi à de nombreuses organisations et publications libérales ou presque socialistes, qui n'auraient jamais pu se voir alloué des fonds publics par le Congrès en ces années de censure et de persécution politico-culturelle. La CIA versa la majeure partie de cet argent au MoMA par le biais du Whitney Trust, une fondation créée par Jock Whitney, un des poids lourds du conseil d'administration du MoMA (Sur la CIA et la Guerre froide culturelle on trouvera de plus amples informations dans Saunders, 2001, même si cet essai n'est pas historique mais journalistique, et qu'y prime l'esprit polémique sur la volonté d'offrir des informations nuancées). 20 La bête noire de ses critiques n'est autre que Serge Guilbaut -que j'admire particulièrement-, dans la mesure où celui-ci, dans son célèbre livre de 1983, articula une explication en termes politiques de la manière dont New-York vola à Paris l'idée d'art moderne; argumentaire que le même Guilbaut a repris par la suite en incluant des références au commerce de l'art de l'après-guerre. Michael Kimmelman n'a pas répondu à ce raisonnement dans sa très complète revue des essais polémiques autour du MoMA, puisqu'il nie la prémisse majeure: selon lui, le MoMA n'est jamais parvenu à s'associer à une tendance artistique en particulier. Seulement, indépendamment du fait que le musée fut ou non le champion de l'expressionnisme abstrait, on ne peut nier qu'un certain opportunisme politique accompagna ses paris esthétiques, attitude qui resurgit de manière manifeste lorsque le MoMA consacra en 1961 une exposition au Polonais Tadeusz Kantor et à d'autres « dissidents », auxquels ont fit porter la bannière du « monde libre» ondulant au cœur du bloc communiste. 250

expositions à l'étranger sans pour autant l'appuyer ouvertement au sein même du musée2! ; ces hésitations finirent par être dissipées à partir du 8 octobre 1958, lorsque le musée inaugura sa première exposition « permanente» de la collection historique de peinture et de sculpture dans les salles du deuxième étage, à travers laquelle il offrait sa vision personnelle de la trajectoire suivie par l'art moderne, qui paraissait aboutir au triomphe final de l'Ecole de New-York. En tout cas, le MoMA n'imaginait pas alors que son lien avec l'expressionnisme abstrait triomphant était un mariage auquel il se devait d'être fidèle à vie. En 1959, alors que l'exposition The New American Painting, qui venait de marquer la consécration de ce courant sur la scène internationale, revint au musée après une tournée en Europe, Dorothy C. Miller était déjà en train de préparer son exposition collective Sixteen Americans, qui fut montrée au musée de décembre 1959 à février 1960, et

dans laquelle figuraient aussi bien Ellsworth Kelly et Frank Stella

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chefs de file du Hard-Edge Painting qui ouvrit la voie au minimalisme-, que des précurseurs du Pop Art, tels Jasper Johns et Robert Rauschenberg. Le musée acheta des tableaux à des deux derniers artistes à l'occasion de l'exposition, puisque AlfTed Barr, qui exhortait déjà les jeunes artistes à la révolte contre la génération consacrée dans les années d'après-guerre, reconnut immédiatement en eux les prémices de ce que serait l'art le plus en vogue des années soixante. En réalité, le lancement du Pop Art aux Etats-Unis coïncida avec l'exposition The Art of Assemblage organisée par William Weitz au MoMA en 1961. Le boom des années soixante: émulation internationale du modèle américain Né en Angleterre, le Pop Art finit pourtant par s'imposer comme la meilleure expression du « mode de vie à l'américaine» (American way of life) et parut même plus susceptible, de par son caractère apolitique et hédoniste, d'être instrumentalisé à l'échelle internationale aux fins de l'impérialisme culturel américain22. On pourrait aussi dire qu'il s'agissait typiquement d'un « art de musée », étant donné sa compréhension aisée par le public et les grandes dimensions des œuvres, dont les couleurs criardes contrastaient vivement sur les murs blancs éclairés par des rangées de spots incandescents que le MoMA avait mis à la mode. On pourrait même spéculer sur le rôle que jouèrent, dans la consécration du 21 De la même manière que l'Espagne de Franco porta aux nues les œuvres d'« art informel» dans les expositions internationales, tandis qu'elle les dédaignait dans les institutions du pays (Lorente, 1998). 22 Les pièces de la collection de Pop Art de Leon Karushar furent vendues à sa mort à l'Allemand Karl Stroher, qui créa pour elles un musée dans son pays (Crane, 1987 : 39). 251

dernier cri de la peinture moderne, des vitrines flambant neuf telles que le nouveau bâtiment du Guggenheim de Frank Lloyd Wright, inauguré en 1959, l'extension Est du MoMA réalisée en 1962-64 par Philip Johnson, ou le nouveau siège du Whitney Museum construit en 1963-66 par Marcel Breuer et Hamilton Smith, trois jalons polémiques23 de 1'histoire de l'architecture moderne qui affirmaient chacun à leur manière la voie à suivre pour dépasser la monotonie de l'angle droit caractéristique du «style international ». Mais puisqu'il y avait désormais une profusion d'espaces muséaux nouveaux ou agrandis en Amérique du Nord -y compris au Canada, où le Musée d'Art Contemporain de Montréal avait été créé en 1964-, susceptibles de favoriser la diffusion du Pop Art, le soutien du marché de l'art fut cette fois très important dès le début, les grands millionnaires s'étant lancé tête baissée dans l'accumulation d'œuvres de Andy Warhol, Roy Lichtenstein, James Rosenquist, Tom Wesselmann et les autres. Naturellement, le ressentiment des membres des autres mouvements artistiques qui se multiplièrent dans les années soixante et au début des années soixante-dix fut d'autant plus prononcé que le succès du Pop Art fut rapide et important. Certains d'entre eux eurent toutefois le privilège d'une consécration muséale, tell' art optique -Op Artauquel le MoMA consacra une exposition spéciale en 1967; mais les autres étaient plus difficiles à faire entrer dans le cadre du musée: le mouvement Fluxus, les happenings, l'art de l'action, le body art, le land art, l'op art, le computer art, r art conceptuel, l'art minimal... Ce dernier parvint à s'attirer l'attention particulière du Musée Guggenheim, lequel, 23En juin 1956, à peine révélé le projet de Wright pour le Musée Guggenheim, la revue Arts publia un éditorial dans lequel Hilton Kramer exigeait son annulation, proposition qui fut soutenue par vingt-et-un artistes de renom. Depuis lors, les analyses positives ou négatives sur le bâtiment ont proliféré au point que les articles spécialisés ne donnent aucune bibliographie exhaustive sur le sujet (on trouvera néanmoins une sélection dans Searing, 1983: 71, note 25, et dans Coolidge, 1989: 129, notes 4-14). On pourrait en dire autant du siège du Whitney, grâce auquel Breuer devint aussitôt un des chefs de file du «brutalisme» : on a comparé l'édifice à un bunker ou à un coffre-fort, qui est la métaphore préférée par Helen Searing parmi toutes celles proposées dans les études antérieures (1983 : 72, note 30). On ne peut pas dire non plus qu'on manque de matière sur Philip Johnson, qui, après avoir été l'un des pionniers du « style international» -en 1932 il avait organisé au MoMA l'exposition qui consacra cette tendance-, finit par être vers la fin de sa vie un chantre du postmodernisme; la transition entre les deux tendances s'étaient précisément réalisée quand il intervint sur la façade du MoMA, en ajoutant de part et d'autre -d'abord l'extension ouest destinée aux bureaux, en 1950; puis l'extension est, destinée à la collection, en 1964--- des bâtiments aux teintes et textures radicalement distinctes de celles de la façade originale de 1939, dont il supprima par ailleurs certains éléments (cf Wallach, 1998: 82, et surtout les articles contenus dans Elderfield, 1998, où figure une bibliographie exhaustive). 252

en fin de compte, s'était toujours intéressé à la dure poétique de l'art « non objectif ». Mais la plupart du temps ce sont ces artistes émergents eux-mêmes qui prirent l'initiative d'ouvrir de nouveaux espaces artistiques, certes souvent très modestes et réduits au rôle de figurants, tels ceux que quelques artistes créèrent dans le Lower East Side à NewYork; par exemple, celui ouvert en décembre 1961 par Claes Oldenburg, qui a trouvé davantage d'écho auprès des historiens d'art des générations suivantes que chez le public de l'époque (cf l'article de Dore Ashton dans Klüser & Hegewisch, 1991 : 148-155). Ces nouveaux courants furent bientôt diffusés dans le reste de l'Amérique, où l'un de leurs principaux relais fut le Centre Culturel Di Tella, un nouvel espace culturel fondé en 1963 par une famille d'industriels, qui entra en concurrence à Buenos Aires avec le Museo de Arte Maderno, certes fondé avec la colaboration du MoMA, mais qui languissait, faute de soutien. Ailleurs ce type de fondations surgit à l'initiative des artistes eux-mêmes, tel le Museo Paraguayo de Arte Moderno d' Asunci6n en 1965, ou d'initiatives locales voire ecclésiastiques, tel le Museo de Arte Contemporémeo créé en 1966 à Minuto de Dios, un quartier populaire de l'ouest de Bogota, à l'instigation du père Rafael Garcia Rerreros, un télévangéliste qui animait une émission très suivie à la télévision colombienne et encouragea le soutien des élites et de la communauté artistique24. En général, il reste difficile de savoir jusqu'à quel point ces nouveaux espaces consacrés à l'art contemporain assumaient la contestation de la culture officielle que représentaient les musées d'art moderne. Un foyer de modernité à. Buenos Aires La Fondation Di Tella existait dès 1958 : eUe avait été établie par les frères Torcuato et Guido Di Tella en mémoire de leur père, un industriel important et mécène des arts. L'espace culturel qui ouvrit en 1963 au n0940 de la calle Florida regroupait trois initiatives artistiques: premièrement un centre d'expérimentation audiovisuelle, consacré au théMre expérimental, deuxièmement un centre pour la composition de 24 Le quartier Minuto de Dios est un exemple d'urbanisation modèle en matière de logements sociaux, qui fut doté, grâce à des mouvements chrétiens du bas de l'échelle sociale, de structures pour l'éducation, dont faisait partie le Museo de Arte Contempor!meo, situé dans un bâtiment original dont la forme en spirale, bien qu'inversée, renvoie au Guggenheim new-yorkais, et dont les activités se centrèrent sur le design, les arts du feux, les ateliers d'enfants et l'organisation de Salons des Jeunes Artistes. Il dut fermer ses portes en 1993 pour motifs économiques, mais rouvrit ses salles en 1999 après un ambitieux réaménagement du bâtiment et, sans délaisser sa vocation sociale, il est devenu un centre de recherche et d'expositions spécialisé en art contemporain, anthropologie et technologie informatique. 253

musique expérimentale auquel accouraient les compositeurs de toute l'Amérique latine, et surtout un centre d'art, dirigé par Romero Brest, qui avait démissionné de son poste au Museo de Bellas Arles, oÙ étaient visibles la collection de la famille Di Tella ainsi que des expositions itinérantes d'art latino-américain et international. Leur prix annuel d'art national et international -les finalistes de l'édition 1964 furent Robert Rauschenberg, Jasper Johns et Kenneth Noland, qui remporta le prixétait attribué par un jury de critiques célèbres, tels que Clement Greenberg, Lawrence Alloway, Piene Restany ou Giulio C. Argan. Vers 1965, autour du Centre gravitait un une orbite de modernité aux accents pop, dénommée lvJanzana Loea (littéralement « le pâté de maison fou »), réputée pour ses galeries d'art, ses librairies, ses bars et ses restaurants. Pendant la dictature militaire des années 1966-1976, les autorités regardaient ce quartier d'un mauvais œil, persuadées qu'il s'agissait d'un repaire de hippies, de marxistes, d'homosexuels et de drogués; on envoya fréquemment la police pas seulement contre eux. mais aussi contre le Centre Di TeJ1a, pour J'ob]iger à fermer plusieurs expositions (King, J985). Le soutien américain ne leur fît pas défaut, surtout de la part des fondations Ford et Rockefeller; mais c'est sans doute précisément ce soutien qui leur fit perdre cette verve expérimentale, au point qu'ils furent bientôt dépassés par le Centro para el Arle ,1: la Comunicacion (CA YC) fondé par Jorge Ginsberg en 1969. Ce centre avait beau être d'envergure plus modeste, il était cependant bien plus interdisciplinaire ---il intégraIt de:-,anistes, des critIques, des sociolüguc~, des mathématiciens, des informaticiens, des architecteset fut résolument tourné vers l'art conceptuel et la réflexion théorico-politique en sur la création atiistique en relation avec les technologies informatiques et la société. Entre temps, la Fondation Di Tella fut ruinée par la récession économique et son centre culturel ferma en 1970 : à cette époque, il n'était déjà plus la vitrine des dernières tendances artistiques qu'il avait été au début de la décennie, puisqu'il était devenu le promoteur d'une modernité internationale et élitiste, éloignée des mouvements sociaux argentins qui eurent paradoxalemcnt line grande répercussion sur d'autres foyers de la sphère artistique, dont les expositions Tucumim Arde. organisées en 1968 par un collectif d'artistes de Rosario, sont la démonstration. L'Europe occidentale offre un exemple similaire: elle vécut dans les années soixante une longue phase de croissance économique, qui favorisa la prolifération de nouveaux musées et de collectionneurs intéressés non seulement par l'expressionnisme abstrait mais aussi par le Pop Art et les autres courants artistiques révélés pendant cette période. Il 254

aurait été logique que le Royaume-Uni prît de l'avance dans ce boom, mettant en avant son rôle de médiateur entre l'Europe et les USA, qui s'était dès lors traduit en matière de musique rock, de mode, de politique, etc. Mais il n'en fut pas ainsi dans le milieu de l'art, puisque la société et les musées de Grande-Bretagne, Tate Gallery en tête, centraient surtout leur attention sur l'art britannique et sur les imitateurs de l'Ecole de Paris, sans même que des collectionneurs si avisés comme l'était Jim Ede, le propriétaire de Kettle's Yard à Cambridge, donnassent l'impression d'être au courant de la nouvelle conjoncture artistique mondiale. La seule exception à cette léthargie nationaliste qui mérite d'être mentionnée est l'inauguration, en 1960, de la Scottish National Gallery of Modern Art d'Edimbourg par Kenneth Clark, dotée d'œuvres modernes internationales données par Sir Alexander Maitland, et qui fut l'un des très rares musées de cette spécialité apparus dans le pays dans ces annés-Ià, bien plus marquées par la création de centre d'expositions temporaires, de l'ICA londonien fondé par Herbert Read en 1948 à l'ouverture vingt ans plus tard de la Hayward Gallery, ou même le Museum of Modern Art d'Oxford, fondé en 1969 par l'architecte Trevor Green, avec l'intention de former une collection de l'art du XXèmesiècle, projet qu'il ne put finalement pas mener à terme, si bien que son institution devint elle aussi une simple galerie d'expositions . 25 temporaires. On peut en dire autant des grandes puissances artistiques et muséales comme la France et l'Italie, qui vécurent longtemps dans une certaine autarcie culturelle, en dépit de l'américanisation économique consécutive au Plan Marshall. La France, qui, sous la présidence de Charles De Gaulle, avait développé dans les questions politiques et militaires une indépendance orgueilleuse par rapport à l'autorité américaine, résistait également à la colonisation américaine sur la question culturelle. En matière de musée, ses apports les plus importants furent les écomusées et la rénovation des musées ethnologiques, tandis que la muséalisation de l'art contemporain resta au stade embryonnaire. C'est seulement en 1955 qu'ouvrit le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, dans l'aile qui lui avait été affectée au sein du Palais de Tokyo, 25 De fait, cette institution a renoncé au terme «musée» dans sa dénomination officielle, pour éviter tout malentendu concernant l'absence de collection permanente et sa politique d'accueil d'expositions d'art émergent, non muséalisé; ce «non-musée» servit néanmoins de tremplin vers la consécration pour de nombreux artistes, et même pour ses directeurs, tel Nicholas Serota qui le fut entre 1973 et 1976, avec Sandy Nairne comme assistant, ou encore David Elliott qui lui succéda à partir de 1976 jsuqu'à ce qu'il abandonne Oxford vingt ans plus tard pour aller diriger le Maderna Museet à Stockholm.

255

mais ses cimaises furent longtemps réservées presque exclusivement aux œuvres de l'Ecole de Paris antérieures à la Seconde Guerre mondiale ce qui, tout compte fait, pourrait sembler en accord avec le canon préconisé par le MoMA-. L'institution voisine, le Musée National d'Art Moderne, ne sembla pas s'éloigner de cette même voie, puisqu'il ne portait pas davantage son attention sur l'art contemporain: désespéré par cet état de fait, son conservateur, Jean Cassou, démissionna en 1965 et fut remplacé par Bernard Dorival, qui ne fit que consolider cette tendance historiciste, de telle manière qu'il était alors impossible de voir l'art le plus récent, si ce n'est au Musée des Arts décoratifs dirigé par François Mathey (DeRoo, 2006: 40). Quant aux gallerie d'arte moderna e contemporémea qui formaient un dense réseau en Italie, la majorité étaient restées après la Seconde Guerre mondiale comme en état d'hibernation, étant donné qu'elles avaient été fermées pendant de longues années et qu'elles n'avaient pas augmenté leurs collections pour rendre compte de l'évolution de l'art contemporain. Exception notable, la municipalité de Milan utilisait depuis 1947 les anciennes écuries de la Villa Belgiojoso pour y exposer de l'art contemporain, en complément de la collection de la Galleria d'Arte Moderna, et construisit un bâtiment de deux niveaux, le Padiglione d'Arte Contemporanea, qui fut inauguré en 1954 avec une exposition consacrée à Rouault; mais les années d'aprèsguerre furent trop dures pour presque toutes les communes qui avaient fondé plusieurs années auparavant une de ces institutions comme un acte de patriotisme moderne, si bien que les budgets furent réservés à des choses plus pressantes (Huber, 1997; Bonaretti, 2002: 147-163). C'est seulement avec la croissance économique ultérieure que certaines d'entre elles crurent que leur moment était arrivé, mais face à l'évidence selon laquelle il était déjà trop tard pour espérer acquérir une sélection pertinente d' œuvres représentatives des tendances artistiques internationales du XXèmesiècle, elles optèrent pour une redéfinition totale de leur mission. Deux exemples suffiront ici: les galeries d'art moderne de Venise et de Vérone, qui furent libérées des reliquats du XIXèmcsiècle pour ainsi se consacrer entièrement à ce qu'on entendait alors par « art moderne », suivant le paradigme du MoMA new-yorkais, bien qu'aucune de ces deux galeries ne parvînt à le présenter sous la forme d'une collection permanente, si ce n'est simplement à travers d'expositions temporaires -du même que la Galleria Civica deI Comune di Modena, fondée en 1959 par des artistes et intellectuels de gauche désireux de parier contre le modèle americain et pour le réalisme socialiste plus ortodoxe proposé par le PCI-. Celle de Turin s'appliqua également pendant les années cinquante et soixante à organiser des expositions sur les tendances internationales de l'art moderne, à cette particularité près 256

qu'elles eurent lieu dans un bâtiment neuf, construit à la suite d'un concours lancé en 1951, que remportèrent les architectes Carlo Brassi et Goffedo Boschetti: le nouveau musée, inauguré en 1959, s'ouvrit aux tendances internationales (Viale, 1960). Mais même ces exemples isolés , . . .26 n eurent

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En revanche, et pour des raisons évidentes, les importateurs les plus enthousiastes de l'art américain et du parangon muséal new-yorkais furent les pays d'Europe centrale et septentrionale. Dans la Yugoslavie du maréchal Tito, l'historien et critique d'art Izidor Cankar avec le soutien des heritiers d'un homme d'affaires local funda en 1947 la Moderna Galerija en Ljubljana, equivalent slovène du Museum of Modern Art, dans un bâtiment construit en 1951 à l'entrée du Parc Tivoli. En Allemagne, pays divisé après la guerre, l'American Way of Life s'imposa rapidement et victorieusement dans la puissante République Fédérale comme une manière de plus de surmonter le passé nationalsocialiste: un possible symbole de cette ouverture pourrait être le premier musée d'art moderne de l'après-guerre, le Museum am Ostwall à Dortmund, fondé en 1947 et construit entre 1949 et 1956 avec les reliquats réutilisés du vieux Musée des Beaux-Arts de la ville, détruit pendant la Seconde Guerre mondiale; toutefois, comme l'affrontement politico-culturel se faisait surtout dans le cadre de l'opposition à la propagande communiste, c'est Berlin qui fut le théâtre privilégié de ce «duel culturel ». Les grands musées y avaient inclus dans le secteur soviétique, y compris la Nationalgalerie et une grande part de ses collections d'art allemand du XIXèmesiècle et du début du XXème, ce qui fournit un prétexte idéal pour faire table rase et repartir de zéro: ainsi, à sa fondation en 1954 de ce côté-ci du Mur, la Neue Nationalgalerie étaitelle principalement orientée vers l'art récent international. Evidemment, le siège définitif inauguré en 1968, signé Mies van der Rohe, le plus célèbre architecte allemand émigré aux Etats-Unis, était de «style international»: il s'agissait d'un musée souterrain, situé sous un hall vitré et isolé dans une « acropole» (comparaison emprunté de Bonaretti, 2002: 146) orné d'un jardin et de sculptures en plein air (fig. 22), separée 26 L'édifice flambant neuf du musée d'art moderne de Turin fut entièrement fermé pendant quinze ans, avant sa réouverture en 1993 après une rénovation totale, sous le nouveau nom de Galleria d'Arte Maderna e Cantemparanea, et obtint peu après une véritable autonomie administrative par rapport au Musea civico. Cela s'est passé en pleine période postmoderne, quand les municipalités italiennes ont encouragé la réouverture de nombreuses galeries d'art moderne, y compris celles qui étaient restées ancrées dans l'art du XIXèmesiècle et du début du XXème, comme la Villa delle Rose à Bologne, la Galleria Ricci Oddi à Plaisance, ou la Galleria Giannani à Novare. 257

Fig. 22 Façade de la Neue Nationalgalerie

de Mies van der Rohe, Berlin

par enceintes et perrons de l'ultarmoderne Potsdamerstrasse, artère centrale d'un quartier de Berlin Ouest à l'emplacement d'une zone entièrement détruite pendant la guerre Vue de l'extérieur, ces façades de verre, qui furent tellement en vogue dans l'Allemagne capitaliste, étaient une déclaration d'ouverture, de volonté de ne cacher à l'intérieur aucune sorte de machination politique ou idéologique (Schubert, 2000: 53). A l'intérieur, toutefois, on recourut au white cube: depuis le MoMA, James Johnson Sweeney commenta quelques mois après l'inauguration que les salles affectées à la collection permanente étaient en effet directement inspirées de la muséographie des galeries new-yorkaises (Coolidge, 1989 : 71); en revanche, l'espace destiné aux expositions temporaires s'avéra immédiatement peu flexible, dans la mesure où l'exposition inaugurale fut consacrée à de petites toiles de Mondrian, alors que Mies avait conçu cet espace suivant le goût américain de l'époque pour les sculptures et les tableaux de grandes dimensions27. D'autres architectures offraient davantage d'adaptabilité, telle projet de Karl Schwanzer pour le pavillon autrichien de l'Exposition Universelle de Bruxelles en 1958, qui fut remonté dans le Sweizergarten -Jardin Suisse- excentré dans l'agglomération de Vienne, et qui fut inauguré en 1962 comme Musée d'art du XXèmc siècle. Mais le rôle principal dans cette modernisation 27Mies van der Rohe, qui fut lui-même collectionneur de sculptures, confirma à la Neue Nationalgalerie l'obsession qui l'avait poursuivi en tant qu'architecte, pour donner aux sculptures un cadre d'exposition favorable, dans lequel il affectionnait d'intercaler de ci de là quelque tableau de grandes dimensions. 258

et américanisationdu goût artistique de l'Europe Centrale capitaliste revient surtout aux grands collectionneurs, comme l'industriel Peter Ludwig, qui constituait alors une vaste collection d'expressionnisme abstrait et de Pop Art états-unien, abritée depuis 1969 dans la ville de Cologne, à laquelle ilIa donna finalement sept ans plus tard pour fonder le Musée Ludwig (qui ne fut inauguré qu'en 1986). Non moins enthousiastes des grandes œuvres d'art vendues de l'autre côté de l'Atlantique étaient les collectionneurs de Belgique, de Hollande et des pays nordiques, dont les élites culturelles s'étaient très tôt démarquées des attitudes paternalistes ou hostiles à la nouvelle peinture américaine telles qu'elles furent courante en France ou en Italie (Herrera, 1995: 34-5). En fait, les premiers Pollock à entrer dans des collections de musées européens intégrèrent le Stedelijk Museum d'Amsterdam en 1951. Ce dernier ne fut pas seulement l'une des étapes les plus triomphales des expositions itinérantes envoyées par l'International Program du MoMA : il organisa en outre tout au long des années cinquante de nombreuses expositions d'art américain, au point que le critique français Michel Ragon en vint à le qualifier d'ennemi de l'Ecole de Paris. Les manuels d'histoire de l'art font généralement référence à Willem Sandberg, directeur de ce musée municipal durant les années d'après-guerre, en tant que designer et promoteur du groupe CoBrA -les peintres de l'informel originaires de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam, si proches de l'expressionnisme abstrait américain-, alors que son inf1uence dans la domaine de la muséologie est bien plus fondamentale (Frank, 1964: 320; Petersen, 2004), et ne peut être comparée qu'à celle d'Alfred Barr au MoMA, dont il se servit de modèle pour le musée qu'il dirigea jusqu'en 1962 (il fit ses adieux avec l'exposition polémique Dylaby, qui ébranla les conventions muséographiques ; cf l'article de Ad Petersen dans Klüser & Hegewisch, 1991 : 156-165). A l'image de Barr, Sandberg avait été marqué par la Bauhaus, et c'est lui qui fit du Stedelijk, qui n'était alors qu'un capharnaüm muséographique typique du XIXème siècle, le musée européen le plus apparenté au MoMA par ses murs blancs, son parcours subdivisé en petites salles à la gloire de Malevitch, Mondrian ou d'autres avant-gardistes « historiques », ou ses expositions polémiques consacrées à des mouvements artistiques récents, que les autres musées hollandais ne tardèrent pas à relayer28. Le cap fut maintenu par le directeur suivante, 28Avant d'arriver à la direction du Stedelijk, Willem Sandberg s'était déjà fait connaître par son action dans la résistance contre l'occupation allemande et contre les persécutions antisémites -ce qui lui valut d'être recruté par la suite à la tête du Musée d'art moderne de Tel Aviv-. De fait, c'est sans doute Sandberg qui fut la première personnalité publique à devenir un « directeur-vedette », un archétype tellement 259

Edy de Wilde, qui affirmait que le Stedelijk était « la tête de pont du MoMA en Europe» et qui en fit un musée à plusieurs départements, et étendit la collection au Pop Art, au minimalisme, à l'art conceptuel, et à d'autres courants issus des Etats-Unis. C'est sous son influence que fut conçu le Maderna Museet de Stockholm, section du Musée national suédois dédiée à l'art postérieur à 1909 installée tout près de ce dernier, dans un bâtiment du XIXèmesiècle qui avait été le centre d'éducation physique de la marine de guerre sur l'île de Skeppsholmen. Les travaux de réhabilitation du bâtiment n'étaient pas encore terminés quand, en 1956, la tournée mondiale du Guernica de Picasso y fit escale, et quand le nouveau centre fut enfin inauguré en 1958, il n'avait toujours pas de directeur, poste auquel fut nommé l'année suivante un jeune licencié en Histoire de l'Art, Pontus Hulten, qui faisait déjà partie de l'équipe originale29. Son admiration fréquent aujourd'hui -beaucoup y aspirent tout au moins- et qui se traduit dans le fait que la personnalité du directeur façonne le musée à sa manière. Il fit évidemment du musée municipal d'Amsterdam une projection de lui-même, au point que Harald Szeemann, un autre directeur-vedette, fit un jour ce commentaire: « On ne va pas seulement au Stedelijk, mais bien et surtout chez Sandberg» (déclaration transcrite dans Szeemann, 1996 : 40). Sandberg, qui était avant tout un graphiste pour la publicité (c'est pour cette facette que le Musée des Arts Décoratifs de Paris lui consacra une rétrospective en 1973), fit éliminer les frises décoratives du XIXcmesiècle et peindre de blanc les murs des salles et même les briques du vestibule du Stedelijk -une opération que je juge peu heureuse-, fit ensuite ajouter un restaurant, une salle d'estampes et. enfin, en 1954, il prolongea le bâtiment ancien par une « aile nouvelle », dont les parois de verre étaient censées favoriser le dialogue entre les œuvres et les piétons traversant le parc de Museumplein ou passant dans la Van Baerlestraat; entre temps, en plus d'avoir acheté ou commander de nombreuses œuvres à des artistes vivants tout en les intégrant aux activités de l'institution, il se proposa de transformer le musée en une « maison des arts» au pluriel, où en plus de la peinture on trouverait le cinéma, la photographie, l'architecture, le design, la musique et la danse (Galen & Schreurs, 1995: 102-139; Virto, 2003). Le directeur suivant, Edy de Wilde, s'était montré particulièrement amateur de Dubuffet et de l'Ecole de Paris en tant que directeur du Van Abbemuseum de Eindhoven entre 1946 et 1964 (cf l'article de Ph. Peters dans Debbaut, 1995: 42-55); il changea toutefois son fusil d'épaule au Stedelijk, se montrant davantage américanophile. Mais Amsterdam, métropole ancienne fondatrice de la ville de NewYork, n'était pas un foyer isolé d'américanisation dans le pays, puisque le KrollerMüller Museum d'Otterlo devint l'apôtre de la sculpture de Calder et de ses disciples, tandis qu'à La Haye, le Gemeentemuseum, avec Wim Beeren à sa tête, fut pionnier dans la diffusion du Pop Art américain en 1964, puis du minimalisme à partir de 1968 ; ce dernier courant avait trouvé deux auparavant un acheteur enthousiaste en la personne de Jean Leering du Van Abbemuseum de Eindhoven (Herrera, 1995 : 38-41). 29 Pontus Hulten aspirait à obtenir pour le Maderna Museet l'autonomie totale par rapport au Natianalmuseum, mais n'y parvint pas. Ceci explique sans doute le ton amer des souvenirs qu'il évoque de ces années-là, surtout parce qu'il tenta aussi en vain de concrétiser son concept de Kulturhuset, une Maison de la Culture qui, au lieu de fonctionner autour d'un théâtre comme celles de Malraux en France, aurait rassemblé 260

pour le Stedelijk d'Amsterdam qu'il entra immédiatement en relation avec Sandberg pour organiser ensemble des expositions ambitieuses, comme la mémorable exposition d'art cinétique en 1961, Bewagen Bewegung, ou celle consacrée l'année suivante à Rauschenberg, Jasper Johns, Alfred Leslie et Richard Stankiewicz, qui furent toutes deux montées d'abord au Stedelijk puis au Maderna Museet. Comme Sandberg dut attendre de nombreuses années avant de pouvoir obtenir un visa pour les Etats-Unis à cause de son passé de militant de gauche, c'est finalement au seul Hulten que profita cet accord de coopération: considéré par les états-uniens comme l'introducteur du Pop Art en Europe, il fut invité par le MoMA en 1968 pour assurer le commissariat de la célèbre exposition The Machine. Un autre musée émergea dans l'aire d'influence du Stedelijk, cette fois au Danemark, à Humlebaek, à 35 km au nord de Copenhague. Knud Jensen, magnat de l'industrie agro-alimentaire et éditeur, y avait acheté en 1955, afin d'y installer sa collection, une maison de campagne du XIXèmc siècle, environnée de prés avec vue sur un lac et sur le littoral face aux côtes suédoises. Son premier propriétaire avait eu trois épouses, qui, par pure coïncidence, se prénommaient toutes Louise: de là vient le nom du domaine, «Louisiana» ; le nom et l'esprit du lieu parurent si beaux à Jensen qu'il se refusa à les modifier, et imposa même la conservation scrupuleuse de la maison, de ses plafonds bas et de ses salles d'échelle domestique aux architectes auxquels il commanda l'aménagement d'un musée, qui iUt inauguré en 1958. La collection originale de Jensen était exclusivement dédiée à l'art danois de la première moitié du XXèmc siècle, mais à la suite d'une «conversion personnelle »30 d'abord, puis, à partir de 1966, grâce à des subventions de autour de la section de la bibliothèque municipale et de son musée la plus grande pluralité possible de formes d'expression culturelle, avec la musique expérimentale, le cinéma, la danse, le théâtre et un centre de documentation. Il reconnaît toutefois que toutes ces idées se matérialisèrent lorsqu'il fut placé à la tête du Musée National d'Art Moderne à Paris (Hulten, 1981 : 32). 30 Après avoir vendu son affaire à une multinationale et laissé la plus grande partie de l'argent de la vente à la Fondation Louisiana, liée au musée, Jensen décida de consacrer tout son temps libre à cette initiative; il se réjouit très vite de n'avoir pas donné au musée un nom trop explicitement associé à l'art danois, puisqu'en 1959, lors d'une visite à la Documenta II, il resta émerveillé par ce qu'i! découvrit: Pollock, De Kooning, Kline, Rothko, Dubuffet, Wols, Bacon, Tàpies... Il entra immédiatement en relation avec l'organisateur, Arnold Bode, et obtint que nombre des œuvres exposées fussent montrées quelques mois plus tard à Louisiana, qui cessa alors d'être un musée d'art danois d'un autre temps, pour devenir un des lieux de pèlerinage favoris des amateurs d'art contemporain international. Sa découverte suivante fut le Stedelijk de Sandberg, qui l'aida à monter une série d'expositions controversées en 1960, année où débuta également son amitié avec Pontus Hulten et une longue collaboration avec le 261

l'Etat et à la générosités de fondations et d'autres particuliers, le musée réorienta sa spécialisation vers l'art postérieur de 1950 (fig. 23). L'organisation architecturale du domaine fut également bouleversée par la suite, car les architectes Joorgen Bo et Vilhelm Wohlert, les deux disciples de Mies van der Rohe qui avaient déjà chargés d'installer le

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Fig. 23 Intérieur Copenhague

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Maderna Museet de Stockholm, marquées par de nombreuses expositions et publications en commun (Jensen, 1991, en particulier le deuxième chapitre, où il narre ce« changement de cap »). 262

musée dans la maison en limitant les altérations, en conçurent une grande extension constituée de galeries vitrées avec vues sur le parc, comme dans 1'« Aile Nouvelle» du Stedelijk, ou bien de salles semi-enterrées qui se fondent dans le paysage. Louisiana pourrait sembler un exemple trop particulier et trop périurbain pour mériter d'être considéré comme un musée comparable par son influence et son rôle de modèle à ceux des grandes capitales; seulement son public n'est pas rural -il est composé pour la majeure partie de personnes modernes venant de Copenhague et de Malmo-- et sa trajectoire n'est plus représentative des tendances muséales d'une époque donnée. Son succès incita d'autres musées danois sous tutelle publique à réorienter leur spécialisation: j'en veux pour preuve le musée d'art d' Aalborg, une institution qui était dédiée, depuis sa fondation au XIXèrne siècle, à l'art contemporain danois -c'est-à-dire, à l'art primé dans les expositions officielles d'alorset qui se sépara de ses collections d'art du XIXèrne après la Seconde Guerre mondiale pour se spécialiser dans l'art international du XXèrne,surtout après la donation de la collection d'Anna et Kresten Krestensen, comprenant de grandes figures des années quarante et cinquante. Dans ce cas aussi il y eut une rénovation architecturale, qui devait fatalement se traduire par la présence de parois vitrées avec vues sur des espaces verts et sur une style indubitablement moderne, puisque c'est ni plus ni moins qu'Alvar Aalto qui fut chargé de dessiner le nouveau bâtimenl du Nordjyllands Kunstmuseum, inauguré en 1972 (Hobolth, 1992). La France aussi sacrifia institutionnellement au culte de l'expressionnisme abstrait à l'américaine3] ; on y trouve un exemple apparenté aux précédents, si ce n'est dans l'orientation artistique, du moins en ce qui concerne le modèle de fonctionnement et la recherche d'une savante intégration de l'architecture moderne dans un paysage naturel idyllique. L'éditeur et marchand français Aimé Maeght, qui ouvrit la Fondation Maeght dans les environs de Saint-Paul-de-Vence, n'est-il pas l'homologue parfait du danois Jensen? Dans ce cas également, le fondateur eut le coup de foudre pour le cadre naturel, une 3]

Rebecca J. DeRoo a signalé dans son étude sur les musées et les expositions français durant les années soixante la frustration d'une des rares femmes à avoir occupé un des échelons les plus importants de la conservation en France, Suzanne Pagé, conservateur au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, face à la domination de l'art informel: «Moi, j'ai voulu acheter une œuvre d'Annette Messager. Ça m'a été totalement refusé. Les gens considéraient ça comme absolument sans aucun intérêt, indigne, hors de propos dans un musée. C'était mal foutu. C'était un moment où encore, pour une génération de conservateurs, il y avait l'idée que ce qu'on met dans le musée c'est de la peinture abstraite. » (DeRoo, 2006 : 234-235, note 38). 263

propriété dans les pinèdes, dans laquelle il commença par restaurer, en mémoire de son fils disparu Bernard, une ancienne chapelle dédiée au saint portant le même prénom; mais il voulut ensuite édifier un bâtiment où exposer sa collection et pouvoir y faire séjourner ses amis -Bonnard, Braque, Miro, Giacometti, Calder, Chagall, Dubuffet, etc-. Ces derniers l'aidèrent à organiser la disposition des sculptures sur la colline et à planifier la construction du musée qu'il commanda, par l'intermédiaire de Miro, au catalan Josep LIuis Sert, disciple de Le Corbusier (qui était

alors occupé par la préparation d'un Musée du

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siècle dans le

nouveau quartier de La Défense, aux portes de Paris, commandé par le ministre de la Culture André Malraux, mais la mort soudaine de l'architecte fit avorter le projet). Et c'est le ministre Malraux qui vint inaugurer en personne, en 1964, les installations de la Fondation Maeght, alors qu'il s'agissait d'une entité privée qui ne recevait aucune subvention du gouvernement. Apparemment, la commune ne se montra pas non plus disposée à collaborer, dans la mesure où les villageois voyaient d'un mauvais œil ce repaire d'intellectuels venus de Paris, et quand Aimé Maeght voulut y construire un théâtre moderne avec une salle de concerts, les édiles de Saint-Paul lui refusèrent le permis de construire, prétextant que la construction ou bien devrait respecter le style traditionnel provençal ou bien ne se ferait pas... si bien qu'elle ne se fit pas (Cabanne, 1993 : 43). Mais dès lors s'imposa définitivement l'idéal de musée d'art moderne conçu comme un édifice d'avant-garde à l'ausrérité géométrique cistercienne, agrémenté de vues sur la nalure (Birksted, 2004). Josep LIuis Sert lui-même construisit un bâtiment très similaire à Barcelone, pour abriter en 1971 la Fundacia Mira, qui veille sur la ville du haut de la verte colline de Montjuïc. On assista ensuite à la répétition jusqu'à la banalisation d'un cliché muséographique : tandis qu'en Europe de l'Est on construisait des « musées de la révolution» qui interprétaient chacun l'histoire locale selon un modèle soviétique qui reprenait pieusement l'hagiographie de Marx, Lénine ou d'autres pontifes communistes, le nouvel emblème de la civilisation occidental était un type de musée qui se devait d'être équivalent partout, doté d' œuvres semblables dues à un échantillon standard d'artistes très connus et reconnus au niveau mondial, dans des bâtiments dessinés en série par des cabinets d'architecture de renommé internationale reconnaissables à leur marque de fabrique. A l'intérieur dominait toujours la muséographie du white cube imitant l'asepsie blanche des hôpitaux: les visiteurs silencieux progressaient dans le temple-bunker en contemplation extatique suivant un parcours artistique inspiré par le prototype établi par le MoMA. L'ouverture, en 1974, du Hirshhorn Museum and Sculpture Garden (fig. 24), un bâtiment en béton 264

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Fig 24 Extéreur et intérieur (galerie des maîtres de l'sculpture de Picasso en avant) au Hirshhorn Museum, Washington

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ceint de jardins et d'espaces verts au centre de Washington D.C., peut être considéré comme le résumé états-uni en de cette mode: sa collection permanente, composée d'œuvres contemporaines et postérieures à Picasso, données par le financier d'origine lettonne Joseph H. Hirshhorn, fut organisée séparément selon un itinéraire double, avec les sculptures le long d'un couloir incurvé, et à droite une succession de salles de peintures, comme au MoMA Si l'on tient compte du fait que dans l'inconscient collectif américain l'établissement des premiers colons dans les prairies était tellement mythifié, on ne peut être surpris par l'idée répandue selon laquelle ce prototype de musée de verre et de béton implanté dans quelque beau site naturel, où le personnel et les visiteurs se rendaient généralement en voiture, était quelque chose de « typiquement américain ». L'exportation de ce modèle occidental atteignit son apogée grâce à son adoption enthousiaste par des cultures lointaines en voie d'occidentalisation rapide, par exemple au Japon où, comme nous avons vu plus haut, se généralisa dans les années cinquante et soixante ce modèle d'implantation des musées dans des parcs agréables, qui correspondait parfaitement tant à la tradition culturelle japonaise qu'au goût américain, et qui s'avérait en outre si emblématique du Mouvement moderne, grâce à des pionniers comme Le Corbusier. D'autres exemples ne tardèrent pas à suivre ce sillage, telle Musée national d'art contemporain international, inauguré en 1977 dans un parc de la banlieue d'Osaka ou le Musée Hara d'art contemporain ouvert en 1979 à Tokyo, dans une propriété de style Bauhaus entourée jardins, ou bien encore en Corée du Sud -telle Musée national d'art contemporain, fondé en 1969 et transféré en 1986 dans un bâtiment moderne dans le Grand Park de Séoul. Durant ces décennies de dictature militaire soutenues par Washington, l'essor de ce type de musées affecta une inévitable tournure politique. Par pur machiavélisme, et parfois contre leurs propres goûts, les plus grands tyrans du monde occidental agirent aussi comme les défenseurs de ces lieux de pèlerinages champêtres -et inaccessibles sans automobilede la modernité. Ce n'est pas un hasard si l'arrivée de Pinochet au pouvoir au Chili fut suivie en 1974 du transfert du Museo de Arte Contemporaneo du centre de Santiago au Parque Forestal. C'est aussi sous une dictature proaméricaine que fut fondé en 1975 au Guatemala le Museo Nacional de Arte Moderno, situé dans les faubourgs du centre historique de la capitale dans la Finca La Aurora. Le cas du Museo EspaflOl de Arte Contemporaneo (MEAC), n'est pas moins significatif: situé à l'origine dans le palais de la Bibliothèque Nationale sur le Paseo de Recoletos à Madrid, on songea vers la fin du régime 266

franquiste32 à le déplacer vers le Parc du Retiro ; finalement, après bien des péripéties, il fut transféré dans un bâtiment aux parois en verre de « style international» dessiné par Lopez de Asiain sur un terrain arboré de la Cité Universitaire, et inauguré par Franco le Il juillet 1975. La même année, la dictature de Marcos inaugura le Metropolitan Museum de Manille dédié à l'art américain et à ses émules. Deux ans plus tard, le Chah d'Iran construisait à Téhéran un Musée d'art contemporain calqué lui aussi sur le modèle muséographique occidental.

32 Sur le création et le refondation de musées dans le cadre de la politique culturelle de l'Espagne de Franco, outre le livre sur le MEAC (Jiménez-Blanco, 1989), il peut être utile de consulter l'article que j'ai consacré à ce sujet (Lorente, 1998). J'y explique comment, en marge des vitrines muséales de l'art officiel, certains musées tentèrent de se démarquer du paradigme dominant, en partie par vocation contre-culturelle, mais surtout par manque de moyens. Ce fut le cas du Museo de Arte Contemporimeo de Barcelona qui fut actif entre 1960 et 1963 au premier étage du cinéma Coliseum, comme de tant d'autres musées nés sous le franquisme. Il y eut d'autres initiatives pionnières aussi marquantes que cette dernière et issues elles aussi de la base, menées par des groupes d'artistes et d'intellectuels qui se montrèrent très tôt concernés par la revitalisation du tissu urbain de cités historiques: citons le Museo de Arte Abstracto Espanol, installé par Z6bel et Tomer dans les Casas Colgadas de Cuenca en 1966, ou encore le Museo de Arte Contemporimeo inauguré en 1972 dans une maison seigneuriale de Villafamés (province de Caste1l6n), sans compter ceux qui poussèrent comme des champignons sur tout le territoire pour servir d'appât à touristes; il serait trop long de tenter d'en faire une liste exhaustive qui, outre ceux de Ay1l6n (province de Ségovie), d'Ibiza, d'Elche, de Majorque, de Grande Canarie ou de Lanzarote, inclurait aussi des institutions parachutées depuis le sommet de la hiérarchie ministérielle, tels ceux de Séville et de Tolède, preuve de l'unanimité sociale autour de la conception de ce type de musée comme produit d'appel pour le tourisme. Mais puisque leur public, et même leurs fondateurs, se rendaient dans ces localités dans le cadre d'une escapade depuis les grandes villes, il convient de les considérer comme des produits de la culture de l'automobile et de la révolution urbaine -urban sprawl, ou révolution urbaine d'après la denomination d' Henri Lefebvre-, au même titre que les musées de sculpture en plein air, qui furent partout très en vogue dans les années soixante et soixante-dix: le premier musée de ce type en Espagne fut le Museo de Arte al Aire Libre, sur le Paseo de la Castellana à Madrid, constitué à partir de quinze sculptures données par leurs auteurs, et inauguré en 1972; mais les meilleurs exemples pouvant corroborer le rôle joué par ces musées dans la colonisation urbaine, si caractéristique des Trente Glorieuses et des voitures utilitaires, furent ceux qui étaient implantés dans des sites naturels, tels le Museo de Escu/tura al Aire Libre de Santa Cruz de Tenerife, le Museo de Escultura al Aire Libre de Hecho (province de Huesca), ou bien encore celui des terrains proches de Malpartida de Caceres, qui a été récemment complété par l'ouverture du Museo Vostell. 267

Les révoltes anti-musée et anti-système, la querelle autour du MoMA Alors que, dans un monde occidental sous l'empire de la pax americana, bourgeonnaient des musées d'art moderne et contemporain aussi apparentés les uns aux autres que les thermes, théâtres et cirques de la civilisation romaine, un esprit rebelle, contre-culturel commençait à germer chez les jeunes, les intellectuels, les artistes. Mai 68 fut un cri d'alarme qui se fit d'abord entendre à Paris avant de trouver de nombreux échos ailleurs. Le milieu de l'art fut également le théâtre de protestations contre la guerre, de la lutte contre les privilèges des classes dirigeantes, de la dénonciation de l'impérialisme des Etats-Unis. Même les artistes américains qui étaient sélectionnés pour exposer en Europe profitaient des vernissages pour prendre publiquement position contre la guerre du Vietnam --ce qui valut à Carl André d'être arrêté à La Haye en 1968-. La rébellion anti-musée et anti-système contamina aussi les directeurs de musées eux-mêmes, tel Harald Szeemann, qui, lorsqu'il était à la tête de la Kunsthalle de Berne, provoqua en 1969 un grand scandale avec l'exposition When Attitudes Become Form, dans laquelle il réunit soixante-neuf artistes des Etats-Unis, de Belgique, d'Allemagne, du Royaume-Uni, de France, des Pays-Bas et d'Italie; mais au lieu d'assigner une salle à chacun, il les encouragea à s'approprier l'édifice pour en faire un lieu de réunions, de débats, d'expérimentations, d'installations, et même d'interventions destructrices (même le trottoir en face de l'entrée fut soulevé, au grand dam du journal local, d'après les dires de Szeemann dans Klüser & Hegewlsch, 1991 : 212). Aux EtatsUnis aussi les musées furent le théâtre privilégié de ce type de guérillas politico-artistiques. C'est pourquoi le soulèvement des jeunes artistes contre le MoMA fut encore plus radical, non plus parce que le musée leur parût trop imperméable aux nouvelles manifestations artistiques, mais simplement parce qu'il avait acquis le statut de modèle dans sa catégorie muséo-culturelle, ce qui en faisait un temple de l'establishment et par conséquent une cible à attaquer. Des collectifs d'artistes comme la Arts Workers Coalition (AWC) ou le Guerrilla Art Action Group, choisirent le MoMA et Nelson Rockefeller comme cibles favorites de leurs attaques, qui prirent souvent la forme de performances ou d'« installations» (Lippard, 1984). Le milieu de l'art fut dans l'œil du cyclone de l'activisme politique contestataire des années soixante-dix. Dès l'automne 1968 il y avait eu des protestations politiques visant la sphère artistique de Chicago, des campagnes contre l'exposition annuelle du Whitney, des boycottages à la Biennale de Venise et à la Documenta de Kassel, ainsi qu'à la Biennale de Sào Paulo l'année suivante, boycottages qui furent réitérés les éditions suivantes. Mais, bien évidemment, c'est le MoMA qui cristallisa les controverses publiques les plus retentissantes de 268

la part des artistes et des intellectuels, fondées sur la conviction chaque jour plus forte -relayée alors dans des articles spécialisés-, que le MoMA était un atout incontournable dans le jeu de l'impérialisme culturel états-uni en. Le MoMA, théâtre des controverses artistiques en 1969-70 En 1969, pendant l'exposition The Machine at the End of the Aiechanical Age, dont le commissariat était assuré par Pontus Hutten, Takis, qui était représenté par une de ses sculptures, intitulée TeleSculpture, exigea pourtant qu'elle mt rctirée : il allégua que mêmc s'il l'avait vendue au MoMA, on aurait dû lui demander une autorisation préalable à son inclusion dans cette exposition, et comme on ne prêta pas attention à sa demande, i] procéda à son « enlèvement », aidé d'un groupe d'amis qui se barricadèrent dans Je jardin du musée. Ils ne consentirent à la restituer pacifiquement que quand le directeur du MoMA, Bates Lowery, promit de retirer l'œuvre de l'exposition et d'organiser une réunion pour discuter des relations cntrc le musée et les artistes. En guise de préparation de cette réunion, il y eut des rassemblements d'artistes au cours desquels s'accumulaient les revendications, ee qui incita le musée à optcr pour un report de la réunion en attendant quc tout revienne à la nornlalité. Mais c'est tout le contraire qui arriva: cette réaction attisa la safia combativa, qui donna naissance à une nouvelle organisation, la Art TYorkers Coalition (AWC), menée entre autres par] 'artiste conceptuel Hans Haacke, qui présenta au MoMA une liste de treize réclamations, parmi lesquelles figurent: l'entrée gratuite, le paiement par le musée de royalties aux artistes dont les œuvres seraient prêtées pour des expositions, l'attribution du commissariat d'expositions à un comité d'artistes renouvelé chaque année, le recrutement dans J'équipe du MoMA de quelques artistes alternatifs, le recrutement d'un chargé des relations avec les artistes, une plus grande représentation des femmes artistes dans les collections, la création d'une section dédiée aux artistes afro- et latino-américains, confiée à une équipe composée de membres de ces mêmes « races ». Pour augmenter la pression, ils menèrent des actions auprès du pubJic et de la presse. Joseph Kosuth et d'autres membres de ]a AWC imprimèrent des copies du pass annuel des abonnés du MoMA avec la mention « art workers », qu'ils distribuèrent devant le musée le 22 mars 1969. Le 30 mars, environ trois cents artistes et critiques occupèrent le jardin du musée, scandant les treize réclamations et distribuant des copies de la pétition au cri de « Bury the Mausoleum of Modern Art» (Enterrez le Mausolée de l'Art Moderne 1). Pour prévenir une mauvaise image publique, le MoMA céda sur un bon nombre des

269

revendications, malS apprit aussi à se serVir de la presse pour se défendre33. Le 10 novembre J969, un autre groupe, qui se faisait appeler Guerrilla Art Action Group, exigea la démission immédiate de tous les RockefeJJer présents au conseil d'administration du MoMA, au cours d'une performance consistant en un «bain de sang»: ses membres entrèrent dans le ha11élégamment habillés, et se mirent soudain à crier, à lancer des copies de leur pétition et faire exploser des poches de sang de bœuf.-- qu'ils avaient dissimulées, puis se laissèrent tomber par tene pour faire le mort dans les flaques de sang34, avant de sortir dignement, quelqucs minutcs avant l'anivée de la police. Des artistes d'un autre collectif sc dévêtirent dans lc jardin du musée et se mirent à danser nus autour des sculptures pour dénoncer l'enHsemcnt du musée dans J'art modeme classique, au cri dc « Mausoleum of Modem Art» (le jeu de mot fit école...). En janvier 1970, eurent Heu au MoMA des sittings d'artistes et furent collées des affiches contre les massacres d'enfants pendant la guerre du Vietnam (iJ existe une photo célèbre de Jan Van Raav montrant les artistes de la AWC avec leurs affiches devant Guernica de Picasso). Par Ja suite, pour protester contre J'invasion du Cambodge et contre la répression des manifestations d'étudiants, un collectif d'artistes, de galeristes et de critique de New-York proposa un jour de grève au sein du milieu artistique de la ville le22 mai 1970 (le 33

Plusieurs comités furent créés pour la question des relations avec les artistes, on nomma Arthur Drexler représentant du MoMA aux réunions de la AWC, et on instaura pour quelque temps l'entrée gratuite au musée le lundi. Mais il n'y eut pas que des concessions: parallèlement, le MoMA démontra son habileté pour la contrepropagande, en distribuant à ses 6 500 visiteurs, le fameux 30 mars 1969, une lettre du directeur, accompagnée de graphiques qui montraient le déficit économique du musée, des chiffres illustrant ses acquisitions (69% des acquisitions du musée entre 1967 et 1969 avaient été consacrées à des œuvres d'artistes vivants, dont 40% avaient moins de quarante-cinq ans), et des informations sur sa politique des publics (le MoMA accordait régulièrement l'entrée gratuite aux artistes, aux scolaires et aux personnes défavorisées). 34 Quatre jours avant l'action-protestation de Guerrilla Art Action Group au MoMA, une autre performance-protestation avait eu lieu dans le hall du Whitney, où les membres d'un autre collectif -qui avait beaucoup d'affiliés en commun avec le premier- dénommé Art Workers Coalition, avaient crié, tout en jetant de la poudre rouge, que le musée avait du sang sur les mains à cause de la guerre. Quelques mois plus tard, cet autre groupe organisa un sitting au MoMA, devant le Guernica de Picasso, protestant contre le fait que le conseil d'administration avait refusé un projet d'affiche pacifiste qu'ils avaient pourtant élaboré avec certains conservateurs du musée. Il semble que la fameuse performance « sanguinaire» au MoMA reprit des accusations du même ordre, car l'année suivante, un autre groupe --de nouveau formé par des membres communs aux précédentsdénommé Art Strike Against Racism, Sexism, Repression and War, accusa Nelson Rockefeller de s'enrichir grâce à la guerre et exigèrent sa démission du conseil d'administration du MoMA. 270

Whitney ferma, le Mo MA ouvrit mais ne fit pas payer l'entrée et projeta mêmc un film pacifiste). Le lendcmain, le MaMA inaugura une exposition de «photos-protestations », et en juillet et septembre J970, organisa une exposition d'art contestaire anti-musée, constituée de six environmeuts créés par des artistes conceptuels. Hans Haacke en monta un des six, IvfoMA Pol!, qui consisitait en une ume double pour le vote de soutien ou d'opposition à Nelson Rockefeller, qui était alors candidat à sa propre succession au poste de gouverneur de l'Etat de New-York. Ce fut la première et la demière exposition d'art conceptuel au MoMA dans les années soixante-dix, et le clou d'un an et demi de manifestation. A part avoir tenu le premier rôle dans les révoltes contre le MoMA, l'apport le plus important de Hans Haacke, Joseph Kosuth, Vito Acconci et d'autres artistes conceptuels en rébellion contre musée-mausolée fut le montage d'une exposition conceptuelle en 1970, intitulée Information, dont le commissariat fut assuré par Jennifer Licht, et dans laquelle les artistes allèrent jusqu'à s'attribuer les responsabilités et activités du musée (Staniszewski, 1998 : 270-6). Ce fut un souffle d'innovation dans une institution qui avait presque tout perdu de son expérimentalisme muséographique initial. Dans les années soixante, l'unique effet de surprise qu'avaient quelquefois rencontré les visiteurs du Mo MA était le retrait partiel ou total de la collection permanente pour faire place à une exposition. Mais au nom d'un esthétisme dépolitisé, prétendument neutre, même les expositions du Département de Photographie avaient cessé d'être aussi novatrices et marquantes qu'elles l'étaient au temps de Steichen, depuis que lui avait succédé en 1962 John Szarkowski, qui sanctifiait l'aura artistique des photos en les présentant dans des passe-partout blancs et des cadres alignés à hauteur du regard sur un mur blanc35. Après l'expérimentation des murs de couleurs et l'attention aux pièces ethnographiques apportée par d'Hamoncourt dans les années cinquante, la normalité dans les années soixante était d'être confronté à une présentation fixe des classiques du mouvement modeme environnés de murs blancs comme dans un temple calviniste; il s'agissait autrement dit d'une survivance du canon artistique et de la muséographie qui avaient marqué, dans la jeunesse d'Alfred Barr, un changement radical, seulement ces œuvres étaient, deux générations après, déjà reléguées au rang de reliques embaumées (Staniszewski, 1998 : 291-292). L'apothéose 35Selon Mary Anne Staniszewski, le Département de Photographie renforça à partir des années soixante-dix l'esthétisation formaliste de l'histoire canonique de ce média, qui ne fut guère contrariée et plutôt intensifiée avec l'arrivée de Peter Galassi à la tête du Département en 1991 (Staniszewski, 1998: 105-110,339-note 143-). 271

de la consécration du MoMA comme prototype de la modernité coïncida avec l'extension du bâtiment de Goodwing et Stone par Philip Johnson entre 1962 et 1964 : ce dernier voulut tellement rehausser la modernité emblématique de l'édifice originel qu'il en vint à supprimer les détails qui en déparaient la pureté architecturale primitive (Elderfield, 1998). Ainsi, la façade fut purgée de décorations courbes Art Déco, de l'enseigne aux lettres majuscules sur céramique sombre, qui attirait tant l'attention suffisamment pour que les passants de la Cinquième Avenue pussent lire de haut en bas: «THE MUSEUM OF MODERN ART» (Wallach, 1998 : 75). En 1973, lorsque William Rubin fut nommé conservateur en chef du département de peinture et de sculpture, se produisit le premier changement important dans le circuit de l'exposition permanente, suivant certes les mêmes principes: Rubin maintint la même structure narrative qui, en définitive, n'avait jamais été un parcours strictement linaire ordonné de manière chronologique36, mais la rendit, selon ses critiques, aussi rigide qu'un parcours fixé à l'avance (Duncan, 1995 : 104 et 157, note 8). Non seulement il n'y avait toujours pas de fenêtres ou de couloirs pour le visiteur pût reposer ses yeux, mais désormais des bancs plus minimalistes37, en nombre réduit, remplaçaient les anciens garnis de cuir, on avait éliminé tous les détails qui pouvaient perturber l'uniformité de l'espace-boîte des petites salles rectangulaires, qui formaient une succession labyrinthique (fig. 25) sans aucun dégagement: aussi les 36Kirk Varnedoe, successeur de Rubin au poste de conservateur en chef des peintures et sculptures, prétend que le parcours antérieur était à peine linéraire et, évidemment, non chronologique: « When l inherited the installation from Rubin, it was essentially what happened with Barr: you hit the Demoiselles d'Avignon and for three straight rooms you learned Cubism inside-out and backwards, up to Picasso's Three Musicians, at which point you then suddenly were reminded that German Expressionism happened, then you backed up and backtracked and went through Cubism. So, having gone from 1907 to 1924, you then went back and started again in 1908 and went back to 1913, and then when you got through to Picasso and Surrealism at the end, suddenly you were at the Bicycle Wheel and you 're back in 1913 and in a rationalist tradition in which Dada has appended to Surrealism. And that was the canonical, linear presentation, and it wasn't chronological at all. It was a very different kind of story. It was a story about a rationalist tradition and an irrationalist tradition; it was a story about a dominant stream and a minor stream» (Elderfield, 1998 : 47). 37 « Minimaliste» est le terme utilisé par Glenn D. Lowry, directeur du MoMA, pour décrire la muséographie de ces années-là, pour laquelle on continuait d'utiliser des rails d'éclairage au plafond, tandis qu'on avait supprimé tous les éléments qui n'étaient pas strictement indispensable au fonctionnement du bâtiment -comme les retours d'air conditionné- et que les bancs -dessinés par Arthur Drexler, directeur du Département d'Architecture et de Design- se faisaient plus rares, plus étroits qu'avant et aussi nus que les salles elles-mêmes (commentaires rapportés dans Elderfield, 1998 : 88-9). 272

visiteurs devaient-ils diriger leurs pas, amortis par la moquette, selon ordre déterminé d'une salle à une autre, chacune d'entre elles offrant au regard quelques rares pièces sélectionnées selon un critère d'exemplarité, isolées quelques rares pièces sélectionnées selon un critère d'exemplarité, isolées des autres par des cimaises blanches... une présentation canonique du modèle muséographique consacré: le white cube.

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Fig. 25 Présentation de la collection permanente du MaMA en 1973. -Salles du 2ème étage: 1 Post-Impressionnisme, 2 Fantaisie et expressionnisme au tournant du siècle, 3 Cubisme analytique, 4 Cubisme synthétique, 5 Cubisme et classicisme, 6 Expressionnisme, 7 Encore plus de Cubisme et Fauvisme, 8 De Stijl et Purisme, 9 Monet: f!Ytnphéas, 10 Futurisme, 11 Matisse, 12 Constructivisme et Suprématisme, 13 Blaue Reiter et Orfismo, 14 École de Paris, 15 Latina-Américains et primitifs, 16 Américains. -Salles du 3ème étage: 1 Picasso après 1930: Guernica, 2 Dada, 3 Surréalisme, 4 Surréalisme et ses affinités, 5 Européens d'après-guerre, 6 Expressionnisme abstrait, 7 Expressionnisme abstrait, 8 Art américain et européen circa 195060,9 Art américain et européen circa 1950-60, 10 Brancusi, 11 Sculpture, 12 Sculpture, 13 Sculpture

Carol Duncan et Alan Wallach écrivirent un article polémique sur cette installation de la collection permamente, où ils décrivaient le

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MoMA comme un musée-catéchisme dédié à la «révélation »38 historique de la modernité, en deux mots comme un espace de catéchisation rituelle: le récit de l'histoire de l'art moderne y prenait la forme d'une narration évangélique guidant les fidèles vers «le vrai chemin» du progrès artistique moderne. Ce chemin commençait au deuxième étage par Cézanne, précurseur de Picasso et Matisse, auxquels étaient réservées les meilleurs salles du parcours par le cubisme, le fauvisme, le futurisme, le constructivisme y l'Ecole de Paris, tandis que les Nymphéas de Monet, les expressionnistes allemands et l'art américain étaient relégués dans des salles périphériques, sortes d'impasses; ensuite, laissant dans le couloir les Mexicains Rivera ou Orozco et d'autres artistes américains à la manière d'une digression, on reprenait le fil de l'histoire au troisième étage: avec Guernica de Picasso commençait un nouveau parcours à travers des « chapelles reliées les unes aux autres », dédiées au dadaïsme, au surréalisme, à l'expressionnisme abstrait et à la sculpture moderne (Duncan & Wallach, 1978 : 35-7). La métaphore filée du rite initiatique, dans cette interprétation corrosive, s'achevait sur des considérations ironiques sur le manque de lumière naturelle, le silence pieux, et les allers-retours compliqués qu'on imposait au visiteur, comme s'il avançait dans un labyrinthe.. . (où le guettaient d'ailleurs des gorgones peintes menaçantes -Les Demoiselles d'Avignon de Picasso, une Femme de Willem de Kooning- ou bien des sculptures totémiques de déesses-mères -Femme de dos de Matisse, Figure de Lipschitz-) avant d'atteindre l'état de grâce avec la contemplatwn ùes Pollock, Rothko, Newman et autres Reinhardt: le clou de l'itinéraire était l'expressionnisme abstrait. La peinture abstraite, résultat du dépouillement progressif de l'ornement et du sens, s'avérait particulièrement appropriée pour insuffler au visiteur des valeurs morale et religieuse: le MoMA était en effet le 38 L'utilisation

ironique du champ lexical de la religion est précisément ce qui rendit l'article célèbre, car on y on comparait le rôle de Chartres, modèle et foyer de diffusion de tant de cathédrales gothiques, à celui du MoMA à New-York, paradigme canonique du musée d'art moderne de la seconde moitié du XXème siècle (Duncan et Wallach 1978 : 30). Ses auteurs, sans pour autant préciser qu'ils étaient en train de critiquer l'installation permanente alors récemment inaugurée par William Rubin, laissant de côté toutes les expositions temporaires et les autres départements du musée, déduisaient de ce dogmatisme linéaire et labyrinthique l'interprétation du MoMA comme un temple rituel du capitalisme triomphant depuis les années trente, qui imposait une narration canonique de la modernité: « the rooms that contain the permanent collection are linked to each other as in a chain, so that the visitor must follow a prescribed route. Off this main route are several cul-de-sacs and secondary routes, the content of which the Museum thereby designates as subsidiary to its central history of modern art. These detours and dead ends include the history of photography, modern sculpture, decorative arts, and prints" (Duncan & Wallach, 1978 : 34). 274

temple suprême de ce culte capitaliste, où la force spirituelle de la modernité était soulignée par des cimaises d'un blanc immaculé et dénuées de tout ornement, invitant à la contemplation intense, au recueillement mystique. Seulement, pour continuer de filer la métaphore, ce culte quasi religieux se vit bientôt concurrencer par des sectes et des temples hérétiques, surtout à partir des années soixante-dix. Etroitement liés à la rébellion sociale qui marqua l'époque, les espaces d'exposition et les musées alternatifs se multiplièrent non seulement à N ew- York et dans d'autres villes des Etats-Unis, mais aussi dans le reste du monde, suivant des exemples pionniers comme l'exposition permanente que l'artiste Donald Judd monta en 1968 avec ses œuvres et celles d'autres sculpteurs qu'il collectionnait dans un vaste édifice de SoHo à New-York, avant d'acheter quelques années plus tard des baraquements militaires à Marfa (Texas). Même le fondations artistiques établies alors par des millionnaires ou par de grandes entreprises se vantaient de pouvoir offrir une alternative aux musées proprement dits: l'exemple le plus emblématique des centres encore actifs aujourd'hui demeure le Dia Center for the Arts, dont l'origine remonte à une fondation créée en 1974 par la femme d'affaires Philippa de Menil et son époux, le marchand allemand Heiner Friedrich. Même Duncan et Wallach affirmaient dans leur article que le MoMA avait perdu, durant la décennie précédente, une grande partie de l'influence qu'il exerçait auparavant sur le monde de l'art (Duncan et Wallach, 1978 : 50, note 22). De fait, au moment où ils écrivirent ces mots, le Centre Pompidou avait été inauguré quelques mois avant à Paris, et beaucoup le saluèrent comme le nouveau paradigme muséal qui remettrait en cause à la fois en Europe et dans le reste du monde l'hégémonie que le modèle du MoMA avait exercée jusqu'alors.

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CHAPITRE 8. LE CENTRE POMPIDOU, UN CONTRE-MODELE FINIT PAR IMITER LE MaMA

QUI

Les révoltes d'étudiants et les mouvements contestataires de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix remirent en cause le modèle hégémonique du MoMA, vers lequel l'ensemble du monde occidental avait les yeux tournés, puisqu'il était le porte-drapeau du paradigme culturel états-uni en. L'esprit rebelle des temps nouveaux eut pour foyer principal Paris; c'est pourquoi il faut accorder une attention particulière au Centre Pompidou, qui y fut fondé en réponse à ces mouvements sociaux. Mais les nombreuses attentes suscitées par ce centre culturel novateur inauguré en 1977 ne furent exaucées que bien peu de temps. En effet, si l'on observe ce qu'il s'est passé depuis lors, on pourrait dire que si cet exemple a bien marqué un jalon dans l'histoire des musées d'art moderne et contemporain, il n'est pas parvenu à lancer une tendance. Il faut reconnaître qu'il s'agit d'un premier coup d'essai des politiques culturelles typiques de la postmodernité, au même titre que la revitalisation des centres historiques ou la recherche de la participation d'une plus grande variété d'usagers; mais iJ est certain que cette institution, qui prétendait incarner un modèle alternatif au MoMA, finit par l'imiter à bien des égards. Au risque que notre perspective actuelle paraisse choquante, il convient plutôt de considérer le Centre Pompidou comme le dernier chapitre de la descendance du MoMA de New-York, dont l'influence finit par marquer ce qui avait initialement passé pour un contre-modèle français. Le second avènement de Paris comme capitale moderne et internationale des arts. S'il est évident que l'histoire du Centre Pompidou mériterait un traitement particulier dans n'importe quel livre sur les musées d'art moderne et contemporain, il n'est toutefois pas certain si la position qui lui convient est celle de clou d'une époque ou de point de départ d'une autre. Les analystes actuels, depuis leur point de vue du début du xxre siècle, sont confrontés à cette alternative quand s'agit de mesurer l'impact que purent avoir les révolutions artistiques et les agitations socioculturelles de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix. Dans de nombreux manuels d'histoire de l'art, cette phase 277

d' avant-gardisme et d'expérimentalisme est considérée comme un point final, comme une éclosion plus comparable avec l'obsession pour l'innovation qui fut celle des «ismes » du premier tiers du XXC siècle, qu'avec l'histoire plus récente. De même, pour Charles Jencks, le critique qui a fait de la défense et de la définition de l'architecture postmoderne son cheval de bataille, le Centre Pompidou n'entrerait pas encore dans cette catégorie: il le considère plutôt comme un édifice «moderne tardif» (Late Modern), le champ du cygne du radicalisme qu'avaient inauguré les premières avant-gardes de l'art moderne (Jencks, 1989: 30). Il ne parvint pas non plus, par son organisation et ses activités, à s'imposer comme un paradigme de la postmodernité ; néanmoins, il y a un domaine où il fut précurseur: pendant le mandat de Georges Pompidou, il constitua le fer de lance des Grands Travaux présidentiels, établissant ainsi un précédent pour les présidents français suivants. Après lui, ils ont tous souhaité léguer leur «monument» culturel] . Le goût de la VC République française pour la grandeur et la modernité, qui a déclenché cette course contagieuse à l'émulation, pourrait être un héritage de son fondateur, le président Charles de Gaulle. Encore que, à la différence de ses successeurs, le vieux général ne se lançât pas personnellement dans un projet pharaonique d'équipement culturel. En réalité il confia ce rôle de protagoniste de la politique culturelle à André Malraux, qui consacra une bonne partie de ses efforts aux musées sans pour autant parvenir à concrétiser le projet de Musée de l'Art du XXC siècle qu'il avait commandé à Le Corbusier pour le quartier d'affaires moderne de La Défense2. Cet ensemble de gratte-ciels dans la banlieue de Paris était, avec l'avion supersonique Concorde et l'énergie nucléaire, l'un des symboles de la course française à la modernisation 1 Pour Giscard d'Estaing ce fut le Musée d'Orsay, qui ne fut pas achevé sous son mandat, tandis que le legs de François Mitterrand comprend l'extension du Louvre et la construction de la nouvelle Bibliothèque Nationale de France, et que le président Jacques Chirac est à l'origine du Musée du Quai Branly. 2 Le Musée National d'Art Moderne, rouvert après l'occupation allemande sous la responsabilité de Jean Cassou, languissait avec environ cent mille visiteurs par an, en dehors de quelques événements exceptionnels comme le fut la célèbre exposition Les sources du XX' siècle, organisée par Jean Cassou et James Johnson Sweeney. Au vu de ce succès, Malraux confia à Jean Cassou le projet d'un Musée du XX' siècle qui n'aurait pas été qu'un musée d'art, mais aurait même dépassé le MoMA par son caractère inclusif, qui aurait associé aux arts plastiques l'architecture, les arts décoratifs, la philosophie et la musique. Il commanda le bâtiment à Le Corbusier - qui avait toujours rêvé de pouvoir construire un musée universel dédié à la philosophie, à la culture matérielle et aux arts - et le projet fut développé entre 1963 et 1965,jusqu'à ce que le mort soudaine de l'architecte mît fin à la dynamique. 278

que De Gaulle souhaitait mener en concurrence avec les Etats-Unis. Parallèlement, aussi bien le président comme son ministre de la Culture s'attachaient à régénérer le centre de la capitale: Malraux voulut ainsi favoriser l'installation de musées et d'artistes dans le Marais, un quartier central qui avait échappé à la rénovation urbaine du siècle précédent et qui conservait par conséquent l'aspect du Paris ancien. Et même si cette idée s'ajouta aux nombreux projets pour lesquels il ne se montra pas assez persévérant à l'heure de les mettre en pratique, on peut la considérer, à l'instar de l'engagement gaulliste de régénérer les Halles, comme un antécédent immédiat de la fondation du Centre Pompidou dans ce même quartier, qui devait devenir le théâtre privilégié de la montée en scène de Paris, en tant que nouvelle capitale internationale de l'art. La régénération urbaine du centre de Paris, dans la ligne de mire des politiques Dans les années cinquante et soixante, avec les augmentations successives des loyers et la spéculation sur le sol constructible, le centre de Paris avait perdu les deux tiers de ses habitants, en particulier les moins fOliunés. Le point culminant de cc processus fut la démolition des Halles, qui, dit-on, fut politiquement décidée en 1963, après que Madame de Gaul1e, qui était venue d'y promener, eut manifesté son indignation de voir autant de marginaux en plein cœur de Paris. Le marché fut transféré à Rungis, en périphérie sud de Paris, et avec lui disparurent les commerçants, les manœuvres qui chargeaient les marchandises de nuit, les tavernes, les restaurants populaires et les cafés, les petites affaires liées à la présence du marché, les prostituées... et les

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qu'on ne voyait jamais mais dont la présence allait de soi, et

ravivait chez les bourgeois le spectre des pestes médiévales. Ainsi, l'un des quartiers les plus populaires et les plus bruyants de Paris fut transformé en un quartier parmi les plus chers du monde, où vingt-cinq rues furent victimes de la pioche, qui finit par s'attaquer aussi aux bâtiments des Halles, malgré les protestations de ceux qui les considéraient comme llll chef-d'œuvre de l'architecture métallique du XIXc siècle. Avec Mai 68, j'ancien marché fut occupé par des orateurs, des groupes de théâtre populaire, de magie, de happenings, etc. Cela ne fit que contrarier la droite, réaffinnée dans sa position quand Georges Pompidou sortit vainqueur des élections présidentiel1es en juin: en dépit des campagnes menées par les défenseurs du patrimoine, cc qui restait des nefs du lDarché fut rasé en 1971. On évoqua la possibilité de reconvertir le terrain en espace vert, puisqu'il n'yen avait aucun à proximité, mais Pompidou s'imaginait que la pelouse deviendrait un 279

repaire de hippies, si bien qu'il opta pour la construction d'un Forum des Halles, un labyrinthe de galeries commerciales sur quatre niveaux souterrains, qui gravite autour du pôle d'échange des lignes du RER, promu par De Gaulle, et du métro. Tout près restait en suspens un autre défi urbanistique à relever: dans un quartier ouvrier tel que Beaubourg, un énorme terrain demeurait vide, trente ans après la démolition des maisons insalubres qui l'occupaient. A l'époque où Je marché des Halles était encore en service, cette esplanade servait de parking pour les voitures et camionnettes de livraison, et c'est là qu' aJTivaient les manœuvres en quête el'un travail de charge et de décharge. 11devint par la suite le point de ralliement des participants aux manifestations qui rejoignaient ensuite la place de la République. En 1968, on confirma que le terrain accueillerait une grande bibliothèque publique, à la direction de laquelle était pressenti JeanPierre Seguin, qui envisageait d'adopter pour son fonctionnement le système anglo-saxon de la consultation libre pour les lecteurs. Quand, l'année suivante, Pompidou décréta que la capitale française se devait d'avoir un nouveau centre national d'art et de culture, il associa immédiatement les livres et les arts, parce qu'il souhaitait agir vite et que le terrain de Beaubourg était le seul disponible: la Mairie de Paris 1'avait déjà réservé pour une bibliothèque, mais le céda finalement gratuitement à l'Etat le 23 décembre 1969 pour gu'il y installe son centre polyvalent. La droite au pouvoir avança l'argument selon lequel, de eette manière, elle apportaiL une réponse aux claml:urs SOCiales levées -:n faveur de la défense du centre historique, étranglé par la rénovation urbaine et architecturale de la Défense et de la périphérie de Paris. La gauche se lamenta de J'exode définitif de la population ouvrière du quartier de Beaubourg: attirés par les masses de visiteurs du Centre Pompidou, des établissements touristiques, des restaurants, des commerces ouvrirent bientôt, entraînant un embourgeoisement similaire à celui du centre de New-York. Cependant, indépendamment des intrigues politiques, il convient de rappeler qu'alors que le Musée National d'Art Moderne n'avait cu aucun impact sur le quarticr lorsqu'il était au Palais de Tokyo, en revanche, dans les environs immédiats de Beaubourg se multiplièrent rapidement les galeries d'art, les boutiques de design ou de cartes postales et d'aiTichcs d'art, les lieux de réunion, de vie ou de travail pour les artistes: il s'est progressivement formé llll « quartier d'art », aussi pittoresque que le Quartier Latin ou Montmartre, mais créé cette fois d'en-haut, à partir de l'installation d'un musée et centre el'art.

280

En 1969, le président Pompidou annonça3 son intention de créer à Paris un nouveau centre culturel qui inclurait, unis dans un seul lieu, une grande bibliothèque publique d'accès libre, le musée et la collection nationale d'art moderne, des espaces pour le design, la recherche acoustico-musicale, des galeries pour les expositions temporaires, des auditoriums pour le théâtre, les conférences, les concerts, le cinéma, etc. C'était sa réponse à Mai 68, car il était convaincu qu'un tel élan culturel pouvait permettre, mieux que n'importe quoi d'autre, à surmonter les tensions qui avaient divisé la France, et à faire en sorte que Paris puisse retrouver sa suprématie dans le panorama artistique international, alors que ses intellectuels étaient de nouveau les maîtres à penser dans le monde entier (Fleury, 2007). Ainsi, autour des arts et de la culture, entendus au sens large et inclusif, se réuniraient des aires de connaissance et de créativité qui s'étaient développées jusqu'alors de manière isolée, en restant trop loin du contact avec la société. Il s'agissait donc d'un équipement culturel mixte, qui suivait l'exemple des Maisons de la Culture que le ministre Malraux avait ouvertes dans les années soixante4, à la différence près qu'ici, l'objectif n'était pas de rendre accessible au peuple certaines formes d'expression, mais tout le contraire: concentrer en un seul site ce qu'il y avait de plus novateur pour le regard du citoyen lambda, qui était par conséquent invité à faire l'effort pour assimiler à sa manière, sans être dépourvu pour cela de l'assistance nécessaire. De là le rôle central réservé à la bibliothèque, conçue pour donner de l'information plus qu'une formation, puisque les périodiques, les revues et les livres les plus récents y seraient en accès libre, afin que chacun puisse exercer sa curiosité à son aise; c'est pourquoi elle fut baptisée Bibliothèque Publique d'Information (BPI), car elle est était censée proposer à l'usager l'information la plus à la

3 Le Conseil des Ministres du I 1 décembre 1969 officialisa l'idée de construire à Beaubourg un centre culturel, qui fut alors définit par Pompidou lui-même, dans une entrevue accordé à Le Monde le même jour: «Je voudrais passionnément que Paris possède, comme on a cherché à en créer aux USA, avec un succès jusqu'ici inégal, un centre culturel qui soit à la fois un musée et un centre de création où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audiovisuelle, etc. » (cité par Ameline, 1990: 364 ; et Dufrêne, 2000: 34). 4 S'inspirant du précédent établi par un grand missionnaire culturel des années cinquante, Jean Vilar, fondateur du festival d'A vignon et du Théâtre National Populaire (TNP), Malraux conçut les Maisons de la Culture pour promouvoir la décentralisation culturelle: il fonda la première en 1961, dans sa ville natale, Le Havre, où il réserva exceptionnellement le rôle de protagoniste aux arts visuels, tandis que c'est le théâtre qui tint la vedette dans les suivantes: Caen, le Théâtre de l'Est Parisien, Bourges, Amiens, Thonon-les-Bains, Firminy, et Grenoble (Poirrier, 2000 : 99-102). 281

pointe sur n'importe quel thème et sur n'importe quel support - imprimé, film, enregistrement sonore, fichier informatique, etc. Le nouveau centre culturel serait formé de l'association de quatre départements. Outre la BPI de Jean-Pierre Seguin, on fonda ex nova l'Institut de Recherche et de Coordination Acoustique Musicale (IRCAM), à la tête duquel fut nommé Pierre Boulez - qui laissa son poste de directeur de la New York Philharmonic - ; on y intégra le Centre de Création Industrielle (CCI) déjà existant, dirigé par François Mathey et dédié aux expositions de design et d'architecture5 ; enfin, le Musée National d'Art Moderne (MNAM), transféré depuis le Palais de Tokyo, et qui était désormais dirigé par les conservateurs Jean Leymarie et Dominique Bozo après le départ à la retraite de Jean Cassou, fut associé au Centre National d'Art Contemporain (CNAC) de Germain Viatté, pour former le Département des Arts plastiques. Un Conseil de Direction, fédérant ces quatre départements, serait chargé de planifier cette vie en collectivité, puisqu'il ne s'agissait pas seulement pour eux de cohabiter, mais de développer des activités communes (expositions pluridisciplinaires), de partager des espaces d'usage mixte, d'harmoniser leur programmation et leur information, etc. Pour assurer la cohésion de l'ensemble, on créa dès l'été 1970 le poste de « président du centre» qui fut confié à Robert Bordaz, un haut fonctionnaire riche d'une longue expérience dans l'administration et connu pour diriger d'une main de fer, dont la mission fut de concrétiser le projet, avec le soutien politique du président Pompidou, du premier ministre Jacques Chirac el de François Mitterrand, depuis l'opposition; ses fonctions prirent fin le jour même de l'inauguration. C'est à Bordaz qu'on doit le nom de Centre d'Art et Culture Georges Pompidou, qu'il imagina après la mort du président éponyme en avril 1974. Son successeur, Valéry Giscard d'Estaing, paraissait peu enclin à mener le projet à son terme. Pour s'assurer qu'il le fit, Bordaz lui dit qu'il fallait, en mémoire de son prédécesseur et ancien compagnon 5 Le Centre de Création Industrielle (CCI), premier centre national français consacré au design, était né en ] 969 au sein du Musée des Arts Décoratifs, à l'initiative de son directeur, François Mathey. 6 Pour pallier ]a déception consécutive à l'échec du projet de Musée du XXe siècle à La Défense, Ma]raux avait créé en ]967, dans l'ancien palais Rothschi]d de]a rue Berryer, ]e Centre Nationa] d'Art Contemporain (CNAC), qui devait développer la recherche et la documentation sur l'art contemporain: dans ce cadre, une équipe de conservateurs et de critiques d'art menèrent à bien une politique d'acquisitions qui permit l'entrée dans les collections nationales d'œuvres de Bacon, Balthus, Pollock, De Kooning, etc. Cette collection se voulait une sorte de purgatoire ou d'antichambre du Musée Nationa] d'Art Moderne, auquel arrivèrent seulement quelques-unes de ces œuvres, après ]a mort de leur auteur (Law]ess, 1986 : 66-7). 282

de parti, le concrétiser avec cette dénomination, ce qui ne manqua pas d'émouvoir et d'enthousiasmer les amis et la veuve de Pompidou, tout en lui assurant finalement l'appui de la droite majoritaire au Parlement même si de nombreux hommes politiques conservateurs avaient du mal à partager cet enthousiasme pour le centre. En revanche, la proposition ne fut pas du goût de la gauche, et de nombreux Parisiens se montrèrent récalcitrants, au point qu'à l'appellation officielle, raccourcie en « Centre Pompidou », répondit une appellation populaire tendant à se référer à son emplacement: Beaubourg7. Robert Bordaz fut également à l'origine de la proposition de doter le centre de l'autonomie administrative, d'abord pendant sa gestation, pour que les travaux de construction et la mise en branle des quatre départements ne souffrissent pas des lenteurs bureaucratiques habituelles, puis cette autonomie lui fut concédée de manière permanente, pour éviter la dispersion de ses éléments constitutifs, qui auraient sinon dépendu de tutelles administratives distinctes. Aussi, par la loi du 3 janvier 1975, le centre fut-il défini comme un « établissement public à caractère culturel doué de la personnalité morale et de l'autonomie financière », soulevant les protestations des syndicats et corps de fonctionnaires, qui croyaient que ce statut priverait le personnel de Beaubourg des possibilités d'évolution de carrière dans leur administration de tutelle d'origine. Pour cette raison ou pour d'autres, il semble qu'aucun des professionnels français du corps des conservateurs de musées ne postula pour prendre les rênes du nouveau MN AM, soustrait à la tutelle de la Direction des Musées de France (Dufrêne, 2000 : 87). On dut recruter pour ce poste un professionnel étranger de prestige, le suédois Pontus Hulten, qui avait suivi le modèle désacralisant et activiste établi par le Stedelijk de Sandberg, lorsqu'il s'était agi de guider les premiers pas du Maderna Museet de Stockholm, où l'on avait toujours souhaité voir fonctionner au centre de la ville un centre culturel au sein duquel auraient été associés les arts plastiques, la musique, la poésie, le cinéma, etc. Personne n'incarnait mieux une telle multiplicité de facettes que Hulten, diplômé en Histoire de l'Art, artiste, cinéaste et ami de nombreux artistes. La nomination d'un meneur né comme lui, qui croyait

7 «Ce n'est pas le centre Georges-Pompidou qu'a inauguré, hier, le président de la République. Pour la bonne raison que le centre Pompidou n'existe pas, n'existera jamais. On dit, on ne cessera de dire Beaubourg et c'est très bien ainsi. Que Beaubourg ait rejeté le nom qu'on lui imposait pour prendre celui que le site lui donnait est une preuve de santé qui augure bien de sa vie future, au moment même de sa naissance» (Gilles Plazy, Le Quotidien de Paris, 1er février 1977, cité par Lawless, 1986: 76-7). 283

avec

enthousiasme8

en

la

possibilité

de

matérialiser

le

rêve

interdisciplinaire de Beaubourg - suivant le modèle historique de la Bauhaus et d'autres centres culturels suédois et hollandais - était un argument pertinent pour justifier l'ambition politique de redonner à Paris sa place de capitale internationale des arts, puisque Hulten commençait à être un personnage mondialement connu: en 1968, il s'était permis le

luxe de refuser la direction du MoMA à New-York - à cause, selon ses dires, de son aversion à l'égard des trustees, «une masse de millionnaires généralement peu concernés par la culture» (interview reprise dans Dufrêne, 2000 : 250). Qu'il acceptât un poste similaire en France pour mettre sur pied un projet encore incertain s'avéra donc particulièrement flatteur. Avec le recul, ce choix se révéla bénéfique pour lui, puisqu'il vécut alors le moment le plus glorieux de sa brillante carrière internationale dans le monde des musées9. Soit dit en passant, Hulten évitait toujours la dénomination de « musée» pour parler de son lieu de travail; en effet, alors que ses illustres prédécesseurs Louis Hautecœur et Jean Cassou avaient seulement reçu le titre de conservateur en chef du MNAM, lui fut intronisé directeur du Département des Arts Plastiques, chargé de la peinture, de la sculpture, des dessins, des arts graphiques et de la photographie au Centre Pompidou, et pas seulement dans le cadre du musée proprement dit. s En 1975, à peine engagé, Hulten écrivit ces très belles lignes: «Beaubourg, dans sa conception et son architecture, est un effort unique et original pour réunir les différents éléments de la culture moderne, et pour les rendre accessibles au public en un seul endroit. Pour ces raisons, Beaubourg offrira plus de chances d'explorer ce qui rapproche et sépare différentes disciplines, et permettra d'entreprendre des projets de collaborations plus vastes que ceux auxquels les institutions traditionnelles nous ont habitués. A Beaubourg, des relations nouvelles pourront se développer entre la peinture et la musique, le cinéma et la sculpture, entre les mots et la danse. Le souvenir d'une visite à Beaubourg ne sera pas seulement l'impression laissée par telle ou telle œuvre, une peinture, un livre, ou une exposition, mais le jeu de reflets qui se créent entre les expériences, les contradictions et les étincelles de l'inspiration, en passant d'œuvres récentes, parfois choquantes et difficilement compréhensibles, à des œuvres plus anciennes et mieux connues.» (cité dans Lawless, 1986: 84). 9 En 1981 il quitta le MNAM à Paris pour venir diriger le MoCA à Los Angeles, qui allait ouvrir en 1983 (sur les prières d'un groupe d'amis artistes, menés par Sam Francis, il mesura alors ses réserves à l'encontre les millionnaires membres du conseil d'administration). En 1985, il devint directeur artistique du Palazzo Grassi à Venise, siège des expositions de la fondation FIAT. En 1987, il revint au Centre Pompidou en qualité de consultant, après la démission de Bozo. En 1990, il fut nommé directeur artistique de la Kunsthalle de Bonn, quoi ouvrit au public en 1992. En 1996, à soixantedeux ans, il lança le Musée Jean Tinguely à Bâle. En 2005, un an avant sa mort, il fit don de sa collection personnelle au Maderna Museet de Stockholm, afin qu'elle fût exposée dans un local conçu selon les plans de son ami l'architecte Renzo Piano. 284

Bien évidemment, tout cela ne fit qu'attiser le chauvinisme de nombreux Français qui ne pouvaient retenir leur stupéfaction en assistant à la construction d'un centre national d'art où tant d'étrangers allaient occuper des postes importants: non seulement Hulten, mais aussi l'italien Luciano Berrio au centre d'électroacoustique, ou le yougoslave Vonko Globokar, en charge des instruments et voix à l'IRCAM. C'étaient quelques-unes des figures les plus en vue d'un bataillon d'envahisseurs, sorte de cheval de Troie qui faisait irruption dans la technocratie culturelle française pour introduire, à la manière américaine, l'art d'attirer des professionnels prestigieux, nationaux ou étrangers, en leur proposant des contrats périodiquement renouvelables : ce procédé, qui devint la norme dans ce type de grands établissements culturels, était une des nouveautés les plus marquantes du «phénomène Beaubourg », du « défi du Centre Pompidou », pour reprendre les formules de quelques analystes (Leroy, 1977 ; Mollard, 1977). Mais si, dans un premier temps, c'était cette ouverture vers l'étranger, inhabituelle en France, qui avait attiré l'attention, c'est le concours d'architecture qui représenta la plus grande avancée. Il y avait seulement quatre Français sur les neuf membres du jury10 chargé de sélectionner un proj et parmi les 681 présentés. Les architectes élus furent l'italien Renzo Piano et l'anglais Richard Rogers (qui avaient alors un peu plus de la trentaine), en association avec l'entreprise d'ingénierie danoise Ove Arup ; tous étaient basés à Londres, et il y eut également une présence étrangère abondante parmi les fournisseurs: acier de chez Krupp, escaliers mécaniques du Japon, etc.). Le projet retenu était certainement le seul à ne pas satisfaire aux exigences du concours, puisqu'il était expressément demandé un vaste bâtiment de plain-pied, tandis que Piano et Rogers proposaient de laisser libre de construction la majeure partie de la surface du terrain pour créer une grande place et de construire un bâtiment à plusieurs niveaux audessus du sol (Proto, 2005 : 583) ; mais c'était le projet qui correspondait le plus à l'esprit de l'expérimentalisme à la pointe, à la fusion des arts et à l'ouverture au public qui avaient présidé à la création du nouveau centre culturel. Ils proposaient un bâtiment fonctionnaliste - une

«machine à exposer»

-

fait d'espaces polyvalents aux fonctions

interchangeables, et transparent jusqu'à exhiber, pour ainsi dire, ses entrailles afin de favoriser les relations des espaces intérieurs entre eux et alimenter la curiosité du regard dedans-dehors. Ils laissaient libre la 10 Le jury était composé de Jean Prouvé (président), Gaétan Picon (vice-président), Philip Johnson, Émile Aillaud, Oscar Niemeyer, Michel Laclotte, Sir Frank Francis, William Sandberg et Herman Liebaers. 285

totalité de la surface de chaque niveau, avaient prévu la possibilité de changer la hauteur des plafonds, pour pouvoir intercaler des mezzanines, dans la mesure où tous les conduits de ventilation, d'électricité, d'eau et de gaz, les monte-charges et les ascenseurs étaient regroupés du côté de la rue du Renard. Pour rendre encore plus visible cette nouveauté, ils placèrent ces tuyauteries et gaines à l'extérieur du «squelette» métallique, soulignant leur présence par des couleurs vives, dépourvues de charge symboliquell, mais qui n'avaient pas pour autant été attribuées au hasard: les gaines électriques dans des tubes orange, les gaines de ventilation étaient bleues, les conduites d'eau étaient vertes, les ascenseurs, les escaliers mécaniques et les autres éléments mobiles étaient rouges. Non moins original et non-conformiste s'avéra le choix de ne construire que sur une surface somme toute assez limitée, le long de la rue du Renard, alors qu'ils avaient à disposition un immense terrain, qu'ils choisirent de transformer en une vaste place piétonne. C'était s'élever contre la tradition du Mouvement moderne, qui aurait voulu que le bâtiment fût érigé au centre du terrain, au milieu d'un espace vert, afin de donner un caractère plus sculptural aux profils de l'édifice tout en créant un repère visuel pour le quartier. Mais c'était aussi aller à l'encontre des pressions des urbanistes conservateurs, qui plaidaient pour un alignement du bâtiment le long de la rue Saint-Martin, l'une des plus anciennes de Paris, à condition que le style de la façade de ce côté fût

respectueux du cadre urbain, c'est-à-dire mimétique

-

ce tronçon de la

rue prolonge finalement la «piazza» de Beaubourg. C'était en effet la clé du projet que d'offrir une grande place qui fût à la fois un lieu de circulation et de réunions spontanées; c'est pour dégager l'esplanade qu'on a reporté au sous-sol les parkings sur trois niveaux et les espaces pour les réserves, de la même manière qu'on a dû excaver la place Stravinski pour construire l'IRCAM de Pierre Boulez, afin de ne pas obstruer la vue sur la façade nord de l'église Saint-Merri (Marinelli, 1978). Quelque écrivain utopiste revait comme idée vraiment révolutionnaire de faire un bâtiment completement dans le soUS-SOl12.Le JJ « Bleu, rouge, jaune. Mettre des couleurs sur Beaubourg, en plein gris Paris, c'était, fût-ce involontairement, afficher une contestation. Les trois primaires - le bleu, le

rouge, le jaune

-

sonnaient comme le manifeste d'une culture pour tous:

un

fondamentalisme revendicatif, autant que la maison de verre, autant que la transparence des parois. [...] L'absence de charge symbolique des couleurs comme l'aspect d'antimonument du Centre traduisent la méfiance des « soixante-huitards» envers toute représentation, et notamment la représentation du pouvoir. » (Dufrêne, 2000 : 45). 12 Sous le pseudonyme de Gustave Affeulpin, le sociologue suisse Albert Meister publia en 1976 un essai intitulé La soi-disant utapie du centre Beaubourg, 286

projet de Piano y Rogers était donc beaucoup plus respectueux du contexte que ce que son architecture high tech le laisser supposer, puisque les auteurs souhaitaient que les visiteurs du Centre pussent à tout moment promener leur regard et admirer le paysage urbain 13, à la fois depuis l'édifice, et même littéralement à travers lui: de là les parois, les ascenseurs et les escaliers mécaniques vitrés, et l'élévation du bâtiment sur des pilotis. Si la proposition originale prévoyait un édifice surélevé, touchant à peine le sol, les lois françaises de prévention des incendies et les règlements d'urbanisme ne permettaient pas une élévation aussi haute, et obligèrent les architectes à réduire le bâtiment d'un niveau et à le faire reposer directement sur le sol (Coolidge, 1989 : 95-8, fig. 84). L'inclinaison du pavement de la place vers l'entrée du Centre paraît inviter le passant à s'approcher en lui donnant la bienvenue - un artifice qui a été repris au Musée Guggenheim à Bilbao et à la Tate Modem à Londres. Cette incitation faite aux touristes et aux flâneurs à jeter un coup d'œil derrière les vitres tandis qu'ils promènent le regard avec curiosité à la recherche de quelque chose qui puisse attirer leur attention, prenait source dans la façade-même de l'édifice, par le biais de flux d'information en tout genre, projetés grâce à des enseignes ou des panneaux lumineux, des écrans de télévision, de cinéma, etc. Il s'agissait d'attirer une foule nombreuse de spectateurs au cœur de la ville, par l'intermédiaire de la stridence visuelle propre aux parcs d'attractions, ou bien caractéristique de Times Square, à New-York - encore que le recours à une telle stratégie de communication pour un centre d'exposition avait été utilisé auparavant pour le Pavillon Espagnol de l'Exposition internationale de 1937, avec les grandes affiches couvertes d'actualités sur l'Espagne. Toutefois, ce projet de «façade d'informations », qui aurait dû être réalisé par l'ingénieur Billy Klüver, fut très tôt écarté pour des raisons techniques, financières et autres14, si où il imaginait 70 étages dans le sous-sol (voir le commentaire au texte en anglais par Frei, 2007). 13 « (Piano) - Dans une ville aussi dense que Paris, nous avions pensé qu'il ne fallait pas occuper la totalité du terrain disponible, afin de créer un parvis, une sorte de clairière, dont l'animation se révèle étroitement complémentaire des activités proposées par le Centre. La place devait être reliée aux Halles par un souterrain. Nous pensions à l'époque que les Halles ne seraient pas démolies [...] (Rogers) - Nous nous heurtions en réalité à un dogme de l'administration. Au début des années 70, la voiture était reine à Paris. Il n'y avait pas de rues piétonnes, et les pouvoirs publics autorisaient la circulation et le stationnement à peu près partout. La conception de la place allait à contre-courant de cette politique. C'est pour cela qu'elle a été aussi difficile à réaliser» (interview de R. Rogers et R. Piano avec A. Picon (Piano & Rogers, 1987: 12-13). ]4 Piano et Rogers soupçonnaient que des questions d'ordre politique les avaient empêché de la mettre en œuvre: qui aurait sélectionné l'information à donner? Et si les 287

bien que la façade résulta encore plus transparente et industrielle, laissant le rôle décoratif principal à l'escalator sinueux qui la parcourt en diagonale: ce n'est pas par hasard qu'il devint le logo du nouveau Centre, son meilleur symbole et en définitive, le premier de ses chefsd'œuvre modernes à être vu par le public15. Pourtant l'installation de quelques écrans d'information à l'abri, dans le forum du rez-de-chaussée, n'aurait pas posé de problème technique, et aurait permis d'accueillir ou d'orienter les visiteurs à leur entrée dans un espace aussi vaste que déconcertant. On semble ne pas avoir non plus évoqué l'alternative d'en répartir à l'intérieur de l'édifice, où il était si facile pour le public de se perdre, les espaces n'étant pas tellement différenciés puisqu'ils étaient conçus pour être interchangeables; rien n'était délimité ni défini: ni les bureaux, qu'il a fallu improviser - avec si peu de bonheur qu'on dut ensuite les transférer dans des immeubles voisins -, ni la grande bibliothèque, dont les 15 800 ro' se trouvaient principalement répartis au niveau 3, mais aussi au niveau 2 et au niveau 4, ni le musée, d'une superficie identique, et qui, en plus de se partager le niveau 4 avec la bibliothèque, occupait tout le niveau 5, tandis qu'au niveau 6 étaient censés cohabiter la grande galerie des expositions temporaires payantes et des attractions populaires comme le bar et le restaurant, les terrasses de sculpture ou le panorama sur la ville. Le projet architectural était, en définitive, fils de l'esprit rebelle soixantehuitard, inf1uencé par le brutalisme et le pop: il symbolisait le passage du fonctionnalisme rationaliste à l' anti-monument insolent. A mesure que la construction avançait, elle suscita des protestations virulentes du public et de la presse, parce que l'architecture d'ingénieurs était jugée bonne pour des structures commerciales ou de loisirs, telles que le Crystal Palace ou la Tour Eiffel, mais pas pour des musées ou des monuments, en dépit du fait qu'existaient de prestigieux exemples contemporains franchement high tech, en l'espèce du Sainsbury Centre de Norman Foster inauguré à Norwich en 1977, ou du National Air and Space Museum ouvert en 1976 à Washington D.C. La presse qualifiait le bâtiment de «raffinerie », d'« usine à gaz» et autres métaphores industrielles, suscitant ainsi des campagnes de protestation contre étudiants occupaient le bâtiment pour diffuser des messages sur la façade? (interview accordée à Domus en janvier 1977, citée dans Dufrêne, 2000 : 107-8). 15 « Out of the sacred reliquary of art, where it was supposed to be, the escalator represents both the symbol and the symptom of the de-sacralisation of art accomplished by the Pompidou and the cultural operation it was intended to put in motion. No longer

secluded in the sacred enclosure of silence and isolation, art - exactly like this escalator is 'out', visible and enjoyable» (Proto, 2005 : 586).

-

288

Fig. 26 Vue aérienne du Flateau Beaubourg. le bâtiment Richard Rogers dans son contexte urbain

de Renzo Piano et

certains détails du projet16. Si les hommes politiques alors au pouvoir avaient gouverné au gré de la direction des courants de l'opinion publique, le bâtiment n'aurait sans doute jamais été terminé, parce que les voix qui s'élevaient n'y étaient pas favorables: les uns le jugeaient trop altier et d'une modernité élitiste, les autres le trouvaient complètement vulgaire et de mauvais goût (fig. 26). On se rappelle sans doute le commentaire, devenu populaire, du critique Hilton Kramer, qui surnomma le bâtiment le « King Kong» de l'architecture, ce qui pourrait passer pour un compliment s'il ne s'agissait pas, au contraire, d'une 16

Les éléments les plus critiqués furent les manches à air - allusion à l'admiration corbuséenne pour les paquebots - qui servaient de bornes à la piazza. Le tout Paris protesta contre leur laideur et le président Giscard les fit enlever - elles furent vendues pour un franc symbolique à Jean Tinguely, un artiste spécialisé dans le recyclage de pièces de machines, qui les réutilisa partiellement pour fabriquer l'amusant Crocodrome, mi-jeu mi-œuvre d'art, qui fut par la suite installé au milieu du forum. Entre temps, on consulta deux équipes expertes en ventilation, qui reconnurent que la seule et meilleure solution était celle qui avait été conçue à l'origine, si bien que de nouvelles manches à air, identiques aux précédentes quoique peintes en blanc, selon les vœux de Giscard, furent mises en place (Coolidge, 1989 : 134, note 36).

289

pique - la plupart des éloges ont, du reste, pris une tournure ambiguë; de fait, malgré sa célébrité mondiale, qui propulsa Rogers et Piano au rang de stars, l'influence architecturale du Centre Pompidou fut assez limitée sur les musées postérieurs... On peut tout de même citer quelques émules en France, tels le Carré d'Art à NîmesJ7 de Norman Foster, la Fondation Cartier pour l'Art Contemporainl8 de Jean Nouvel à Paris, ou le Musée d'Art Contemporain de StrasbourgI9, par Adrien Fainsilber.

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Le Carré d'Art de Nîmes fut aussi un projet de régénération urbaine, promu par la

droite, précisément par Jean Bousquet, un magnat des affaires dans le monde de la mode (Cacharel) qui entra en politique et, sous l'étiquette du centre-droit, parvint à reprendre à la gauche la mairie de sa ville natale. L'ancien théâtre municipal, qui s'élevait face à la Maison Carrée et en pastichait le portique, avait brûlé en 1952 et n'avait pas été reconstruit, si bien que le terrain servait de parking. On lança un concours réservé à de grandes agences invitées, qui fut remporté par celle de Norman Foster; les parallélismes entre le Centre Pompidou et le Carré d'Art se limitent toutefois à leur architecture de verre et de haute technologie, car ce dernier, construit de 1988 à 1992, ne se caractérise pas par une stridence de couleurs ni par la volonté d'attirer l'attention; au contraire, il traduit le souci d'entrer en relation avec le contexte urbain en particulier avec le monument qui lui fait face et avec les places et rues adjacentes. Ceci dit, on y trouve aussi un atrium central, qui articule les accès aux salles d'exposition, à la bibliothèque - très fréquentée, au bar situé au-dessus et à la terrasse depuis laquelle la vue est imprenable, mais on y retrouve aussi cette combinaison des arts visuels, des livres, de la musique, du cinéma, etc. (cf le texte de Kenneth Powell dans Lampugnani & Sachs, 1999). 18 Le président de Cartier, Alain Dominique Perrin, est un grand collectionneur d'art contemporain qui est à l'origine de la Fondation Cartier pour l'Art Contemporain, dont le premier siège se trouva dans le château de Jouy-en-Josas, qui regroupait les ateliers, les pavillons d'exposition, et le jardin de sculptures, avant d'être transféré en 1994 à son siège actuel à Paris, dans un nouveau bâtiment situé Boulevard Raspail, commandé à Jean Nouvel (qui avait déjà dessiné une usine et un entrepôt pour l'entreprise Cartier), dont un tiers est réservé aux expositions temporaires que la fondation organise. Dans cet exemple se mélangent également architecture high-tech et planification urbaine, puisque la fausse façade de verre et d'acier fonctionne comme une vitrine à travers laquelle on peut voir les noyers du jardin, qui sert d'atrium précédant la vraie façade, douze mètres plus loin (voir le texte de Sebastian Redcke dans Lampugnani & Sachs, 1999). 19Le Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg fut inauguré en 1998 place Jean Arp, d'après les plan de l'architecte parisien Adrien Fainsilber, qui voulut manifestement s'inspirer du Centre Pompidou, avec des façades transparentes et ses bouches d'aération sur la place, que l'architecte pensait d'abord excaver pour y installer les locaux techniques; il fut contraint de les installer à l'arrière de l'édifice, car on lui demanda de construire un garage sous la place. De là l'ouverture des façades vitrées du côté du siège du Conseil Régional et de la très élitiste École Nationale d'Administration, et l'opacité des façades à l'arrière, du côté du quartier populaire de la station de chemin de fer (ses critiques l'ont interprété comme un symbole de soumission au pouvoir et de dédain à l'égard du peuple). 290

Beaubourg vu de l'intérieur, ou la persistance du modèle américain. Si, vu de l'extérieur, le Centre Pompidou symbolisa moins l'avènement d'une nouvelle ère que d'une phase de transition, l'examen de son contenu n'est en pas moins problématique, quand il s'agit de déterminer son degré d'innovation, indépendamment des diatribes dont il a toujours été la cible. Alors que, pour une bonne part, l'innovant projet architectural et urbain fut réalisé, les éléments intérieurs les plus novateurs finirent par se figer, après des années de débats passionnés. Depuis le début, d'aucuns osèrent remettre en question la proposition originelle d'unir en un seul contenant l'art, la musique, la lecture et d'autres attractions, comparant l'amalgame à celui d'un supermarché ou d'un grand magasin (Mollard, 1975: 111). Le rôle contestataire et critique de l'art contemporain, pourtant revendiqué dans les années soixante-dix, courait le risque d'être dilué dans une expérience divertissante de loisir et de consommation de masse au service de l'industrie touristique et de l'entertainment (DeRoo, 2006 : 168). Même pour les plus radicaux, un musée au sein du projet était un poids, et ils lui auraient préféré un centre d'expositions temporaires; le problème ne venait pas de tant de l'appellation du musée - à condition qu'elle ne déterminât pas sa spécialisation en une collection historique - que de sa mission, qu'ils voulaient entièrement tournée vers l'art et les débats contemporains. Le modèle de ce nouveau type d'institution existait déjà, et, après les précédents établis par l'ICA de Boston ou celUI de Londres en pleine Guerre froide, c'est à New-York, précisément, qu'était en train de naître une institution qui finirait par devenir un nouveau paradigme international. Après avoir été licenciée du Whitney Museum en 1976, le conservateur Marcia Tucker fonda Ie New Museum of Contemporary Art, qui ouvrit l'année suivante dans un espace du Graduate Centre of the New School for Social Research. Il s'agissait donc d'un retour au downtown bohème de Manhattan, et par conséquent, d'un retour aux origines du Whitney et d'autres musées d'art moderne; seulement, comme sa dénomination le laissait supposer, le musée n'était plus tourné vers l'art moderne dans son évolution historique, mais bien vers l'art contemporain, et se voulait un nouveau type de musée à travers son fonctionnement. Il faisait partie d'une nouvelle famille d'espace alternatifs qui émergèrent dans le N ew- York des années soixante-dix, comme AIR (acronyme de «New York Artists in Residence Gallery»), Clocktower, PS.1, Artist's Space, Fashion Moda, Longwood Arts Gallery, ABC No Rio, ou encore l'Alternative Museum; nombre d'entre eux étaient promis à une existence éphémère (certains, disparus plus précocement, eurent droit à un hommage rendu précisément par le New 291

Museum of Contemporary Art, qui leur dédia une exposition intitulée Alternatives in Retrospect, dont Jacki Apple assura le commissariat en 1981). Leur positionnement « alternatif» s'était fait, évidemment, par rapport au MoMA et aux autres musées de l'establishment, d'abord en termes de sociologie urbaine, par leur localisation dans des quartiers d'artistes du centre historique de Manhattan, de préférence SoHo2o, comme l'a signalé Reesa Greenberg (in Greenberg et al. 1996, 356-362 et 366, note 31) ; en outre, il ne semble pas moins singulier que ces structures fussent gérées par des collectifs et des activistes des droits de l'homme, du mouvement contre la guerre du Vietnam, des minorités ethniques, de la communauté gay, des associations féministes, courants avec lesquels, selon 1'historienne féministe Juli Carson, cadrait parfaitement le musée fondé par Marcia Tucker, qui, par le biais de ses expositions et de l'édition de livres de théorie critique, devint un foyer de diffusion des débats anglo-américains sur le mouvement féministe ou sur d'autres thèmes d'actualité (Carson, 2007 : 206-215). Tucker a toujours répété que le but de son musée était d'exposer les idées plus que les objets, et même si ce leitmotiv ne dispensait pas de procéder à des acquisitions, la collection du New Museum of Contemporary Art, au nom de son engagement avec la contemporanéité, fut définie au départ comme semi-permanente, dans la mesure où elle devait être mise à la vente tous les dix ans. Ce dernier point était, tout compte fait, une proposition assez similaire à celle du MoMA des origines - qu'ils finirent eux aussi par oublier, avec le temps -, mais c"est surtout l'importance que Tucker donnait à l'information dans le musée qui constitua son principal apport, d'après Amparo Serrano de Haro, qui a vu en lui le reflet du passage de notre société postindustrielle à une économie basée sur l'information: de fait, quand le musée emménagea au rez-de-chaussée de l'Astor Building, ce sont les vitrines donnant sur le trottoir de Broadway, lieu privilégié de diffusion du calendrier de ses activités, qui constituèrent l'un des espaces d'exposition les plus novateurs (Serrano de Haro, 1988). Toutefois, ni le New Museum of Contemporary Art ni les autres espaces alternatifs apparus à New-York n'étaient très connus à Paris, et, dans tous les cas, il était impensable que les plus hautes instances de 20 Pour ne pas se limiter à une clientèle urbaine trop socialement déterminée, le New Museum of Contemporary Art décida d'accueillir en 1980 une série d'expositions intitulée Events, pour laquelle Marcia Tucker offrit ses salles à des groupes d'artistes qui disposaient de leurs propres espaces alternatifs dans d'autres quartiers (Nairne, 1996: 400 et 409, note 37). Mais le New Museum ofContemporary Art a toujours été fidèle au downtown de Manhattan, puisqu'en 1983 il a été transféré dans les niveaux bas de l'Astor Building au sud de Broadway, puis en 2007 dans un bâtiment construit ad hoc sur Bowery Street. 292

l'Etat français aspirassent à prendre modèle sur ces initiatives venues de la base, dans la mesure où c'est le MoMA qu'elles voulaient concurrencer. C'est devenu un lieu commun de décrire l'évolution du Centre Pompidou d'une initiative utopiste surgie à une époque d'expérimentalisme culturel, à une institution qui rentra peu à peu dans le rang, négligeant son essence et ses caractéristiques les plus novatrices, En réalité, il succomba dès le départ à l'influence MoMA, à partir du moment où l'on décida qu'il abriterait un musée qui, au lieu d'être dédié à l'art contemporain le plus récent, serait consacré à tout l'art du XXe siècle. Non seulement il perdit alors l'occasion de s'ériger en nouveau paradigme muséal, mais il priva aussi du Musée National d'Art Moderne le Palais de Tokyo, qui demeura vide et désaffecté pendant de nombreuses années - l'ironie de l'historie veut que dans ce pavillon de l'Exposition internationale de 1937 fût ouvert, en 2002, un centre d'art spécialisé dans l'art le plus radicalement contemporain. Les quelques défenseurs du projet Beaubourg se demandèrent alors quelle était l'utilité d'imposer à un lieu tellement à la pointe toute l'histoire de l'art moderne. Les vénérables œuvres d'avant-garde déjà consacrées par le temps ne paraîtraient-elles pas anachroniques dans leur nouveau cadre? Par ailleurs, toute une génération de bienfaiteurs du MNAM avait tant de difficulté à s'identifier avec l'esprit Beaubourg qu'ils refusèrent de donner les collections pourtant promises ou s'opposèrent au transfert des collections existantes, en exigeant qu'elles restassent au Palais de Tokyo, pour former une «musée d'art moderne» selon une acception restreinte du terme qui était déjà largement admise21, Si les responsables de la fondation du nouveau Centre avaient été majoritairement jeunes, sans doute eussent-ils vu d'un bon œil cette répartition; mais le président de l'établissement, Robert Bordaz, était d'un âge déjà bien avancé, s'identifiait davantage aux luttes des pionniers modernes et, par-dessus 21 «La société des amis du Musée d'art moderne, que préside M. Jacques Segard, ne s'oppose pas au transport, mais s'efforce d'en limiter les effets en établissant un subtil distinguo entre l'art moderne et l'art contemporain. Pour elle, en effet, seules les œuvres postérieures à 1950 devraient prendre le chemin du centre Beaubourg» (Lawless, 1986: 69). Etant donné qu'un changement avait été apporté au statut légal de l'institution, on ne put laisser de côté cette réclamation, si bien que les œuvres données au MNAM par des collectionneurs opposés à leur transfert à Beaubourg demeurèrent au Palais de Tokyo jusqu'à la réorganisation générale du Centre Pompidou en 1985, après qu'une transformation opérée par Gae Aulenti permit d'accueillir et de différencier, par un traitement muséographique plus traditionnel, les collections d'art moderne du musée. Cette différenciation sembla synonyme de victoire pour ceux qui, depuis 1976, défendaient une nouvelle dénomination, Musée d'Art Moderne et Contemporain (Moulin, 1992: 161, note 45), même si, dans un souci de continuité, on choisit finalement de conserver l'ancien nom du musée. 293

tout, voulait donner à son institution une prééminence mondiale qu'elle n'aurait jamais atteinte s'il avait opté pour une spécialisation dans l'art de l'après Seconde Guerre mondiale, trop centré sur l'Ecole de NewYork. C'est pourquoi il décida que le Centre serait dédié à l'art du XXe siècle dans son ensemble, exigea le transfert des collections du MNAM, et fixa à 1905 - année qui vit la reconnaissance des Fauves au Salon d'Automne -la date pastquem de la collection, qui remontait jusqu'alors jusqu'au postimpressionnisme, à l'instar du MoMA. Ainsi, en replaçant Matisse et l'Ecole de Paris dans la colonne vertébrale de la collection, on faisait preuve de patriotisme et on prenait un pas d'avance par rapport à l'institution newyorkaise ; mais on perdait une chance historique de faire du Centre Pompidou l'emblème du dépassement de la modernité, qui l'aurait placé à la pointe d'une nouvelle vague muséologique internationale à l'ère de la postmodernité. Il peut sembler curieux que cette observance du modèle en vigueur du «musée d'art moderne », qui était alors contesté même à New-York, soit passée totalement inaperçue pour nombre de personnes qui ont écrit sur Beaubourg. De nombreux artistes et intellectuels de gauche critiquaient le MoMA parce que l'expressionnisme abstrait, qui obtint la reconnaissance pendant la Guerre Froide, restait le point final de l'exposition permanente à l'étage noble, et que les innovations artistiques des années soixante et soixante-dix n'étaient présentées que lors d'expositions temporaires, au rez-de-chaussée. En revanche, personne ne semble s'être rendu compte que le même phénomène se produisit à Beaubourg, où les œuvres contemporaines animaient la visite du forum au rez-de-chaussée et de diverses salles d'expositions temporaires, tout en étant exclues du MNAM, le noyau consacré à la pérennité artistique. A l'origine, d'un total de huit mille pièces composant la collection du musée22, seul un millier était exposé en permanence; Pontus Hulten et Germain Viatte les ordonnèrent de manière chronologique, comme au MoMA - sans toutefois appliquer la distinction par école nationale - si bien qu'au niveau 4 (2960 m2) s'enchaînaient le fauvisme, l'expressionnisme, le cubisme, le futurisme et la première abstraction; et au niveau 5 (4 780 m2), le circuit de visite passait en revue le dadaïsme, le surréalisme, les artistes de l'entre-deux-guerres ; après quoi, de l'autre côté d'un mur coupe-feu qui marquait la ftontière entre le saint des saints et le territoire des non-consacrés, venait l'espace (3 300 m2) dédié à l'art 22 Le nombre d'œuvres exposées augmenta (400 en 1977, 600 en 1984, 850 depuis 1985) de manière proportionnelle à l'enrichissement de la collection, qui passa de 9 000 à 30000 pièces. 294

contemporain français et international. Cette coupure muséographique fut accentuée par la suite avec l'installation au niveau 5 de l'exposition permanente des mouvements du XXe siècle jusqu'à 1965, et qu'on réserva le niveau 4, auquel on accédait depuis le niveau 5 par des escalators latéraux qui passaient inaperçus pour de nombreux visiteurs déjà fatigués de leur parcours dans la collection historique, à l'exposition de l'art le plus récent dans le cadre d'installations non permanentes. Le plus ironique dans l'affaire, c'est que cette similitude/rivalité avec le moule du MoMA à Paris fut le résultat d'une décision principalement politique, si ce n'est prise sous la pression des autorités, car la crédibilité du gouvernement gaulliste avait été entamée par les critiques nationalistes lancées depuis les deux camps par ceux qui craignaient que le nouveau Centre ne devienne un instrument au service de l'hégémonie culturelle des Etats-Unis, qui pouvait faire croître la demande et les prix de l'autre côté de l'Atlantique23. Ce n'est pas un hasard si, pour l'inauguration du bâtiment, on décida de consacrer une rétrospective dans la grande galerie des expositions à un pionnier français de l'art moderne, Marcel Duchamp, dont le commissariat fut assuré 'par Pontus Hulten en personne, qui le considérait comme le véritable premier artiste du XXC siècle, alors que Beuys comme les artistes figuratifs pop contestaient son rôle historique. Hulten ne rencontra aucun obstacle pour opérer une ouverture vers l'art moderne européen, y compris dans sa politique d'acquisitions pour le MNAM, qu'il enrichit d'œuvres de Mondrian, Malevitch, Magritte, Bellmer, Ernst, Grosz, Kandinskl4, etc. Mais ses achats d'œuvres de grands noms américains comme Pollock, Rauschenberg, ou Oldenburg, levèrent de nombreuses suspicions, en particulier pour le financement «à l'américaine» de quelques-unes de ces acquisitions25, qui ne furent pas 23« Le plus frappant, c'est l'entrée en force de l'école américaine: tenants de 'l'action painting', du pop et de l'op' art, du minimal art, etc., avec Pollock, Gorky, Tobey, Sam Francis, Rothko, Stella, Segal et bien d'autres que je ne puis citer. L'accent ainsi porté sur la production d'outre-Atlantique est conforme à 'l'esprit Beaubourg' qui se manifeste aussi par la place considérable faite au néo-réalisme d'Yves Klein, Arman, Raysse, Spoerri, Niki de Saint-Phalle, ainsi qu'aux plus récents conformistes d'avantgarde» (article de Frank Elgar publié dans Carrefour le 25 juillet 1974, cité par Lawless, 1986 : 76). 24 L'acquisition d'œuvres de Kandinsky fut complétée par le legs testamentaire de son épouse, qui donna au musée toutes les peintures, gravures et dessins que possédait son mari, et qui entrèrent dans la collection après sa mort survenue en 1981. 25 Contre la tradition française qui voulait que les acquisitions pour les musées nationaux fussent la prérogative de l'Etat, on admit des donateurs, au nombre desquels il convient de citer la collectionneuse française de naissance, établie au Texas, Dominique de Menil - particulièrement généreuse dans ses donations d'art américain, avec des œuvres de Jackson Pollock, Larry Rivers et Andy Warhol; on créa même à 295

dissipées par son application à investir également dans l'art français, n'hésitant pas à miser sur ceux qui étaient, selon lui, les homologues locaux des artistes pop américains: les nouveaux réalistes comme Klein, Raysse, Tinguely, Arman, César, etc. (DeRoo, 2006 : 182). Pour certain, cette stratégie ne faisait que suivre ce que le marché de l'art international avait déjà consacré, et marquait le renoncement du musée à son rôle de juge de la qualité et de laboratoire expérimental, en faveur d'un art divertissant mais inoffensif, calibré pour le plaisir des collectionneurs d'élite. Le critique Michel Ragon ironisa sur le délit de favoritisme à l'égard d'artistes comme Yves Klein, Jean Tinguely ou Arman, qui passaient pour les parrains tutélaires du Centre, puisqu'ils étaient « les bien-aimés de l'ancien Président Pompidou et de Pontus Hulten. On ne pouvait, n'est-ce pas, ne pas les mettre. On les met d'ailleurs à toutes les sauces à Beaubourg» (article paru dans le n° 152 de Cimaise, cité dans Dufrêne, 2000: 141). Rien d'étonnant, alors, à ce que la seconde grande exposition, Paris-New York, que coordonna également Hulten et qui parut même compléter par son thème la précédente sur Duchamp, déplût assez aux «anti-impérialistes» le critique Pierre Schneider décrivit l'exposition comme le fruit d'un nouveau Plan Marshall, destiné cette fois à l'hégémonie esthétique des Etats-Unis -; il n'est pas inutile de rappeler qu'elle fut la moins visitée de la série des quatre grandes expositions pluridisciplinaires (avec Paris-Berlin, Paris-Moscou et Paris-Paris) organisées en collaboration par le MNAM, le CCl et la BPI. Cependant

- trêve de digressions -, depuis son ouverture au public le 2 février 1977, après une solennelle cérémonie officielle d'inauguration deux jours avant, le problème majeur de Beaubourg fut paradoxalement son immense succès populaire: avec près de sept millions de visiteurs par an, « le plus grand centre culturel du monde », d'une superficie totale de presque 65 000 m2, s'avéra rapidement trop exigu. La cohue était telle dans le forum du rez-de-chaussée que le spectacle humain bigarré volait la vedette aux installations et expositions d'accès libre qui y étaient montées chaque semaine par des artistes contemporains; pendant

quelque temps, on réserva l'espace central duforum

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parce qu'il attirait

la foule par son caractère burlesque, cinétique et interactif - au Crocodrome de Zig et Puce, une gigantesque « sculpture ludique », faite de pièces mécaniques recyclées assemblées par Jean Tinguely, Niki de Saint-Phalle et Bernard Luginbuhl, avec la collaboration de Billy Klüver, Daniel Spoerri et de Pontus Hulten lui-même. Ensuite, vingt minutes de New-York une Beaubourg Foundation, qui fut rebaptisée Pompidou Art and Culture Foundation (DeRoo, 2006 : 185). 296

par la suite Georges

queue étaient nécessaires pour pouvoir emprunter les escaliers mécaniques menant aux niveaux supérieurs, soit à la terrasse sommitale,

attraction principale pour les touristes - majoritairement étrangers, ce qui n'était pas prévu -, soit à l'endroit favori des jeunes parisiens, la grande bibliothèque, qui représentait la moitié des entrées et où il était

impossible de trouver une place - seulement 1 300 chaises pour 13 000 lecteurs par jour, dont beaucoup étaient des clients quotidiens, souvent peu intéressés par les autres activités du Centre26. Le musée, avec seulement - un million et demi de visiteurs par an, était le seul lieu à ne

pas être saturé de public

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à l'exception de la reconstruction du petit

atelier de Brancusi, installé sur la place27 -, parce que l'entrée au MNAM était payante et contribuait à limiter le nombre de visiteurs à 2000 par jour, dont 40% d'étrangers, bien qu'il pût recevoir une moyenne de 13 400 visites les dimanches des premières années, puisque l'entrée était gratuite. Egalement d'accès payant, mais avec l'avantage d'avoir leur contenu renouvelé tous les trois ou quatre mois, les grandes expositions du niveau 6 connurent dès le début un succès similaire à celui du musée. Les files d'attente et la répercussion publique massive firent de Beaubourg, pendant quelques années, un phénomène social sans précédent (Fleury, 2007), qui s'est reproduit récemment après l'ouverture du Guggenheim à Bilbao ou de la Tate Modem à Londres, encore que ces deux derniers exemples n'ont pas donné lieu à un effet de surprise, car leur succes avait été conscIencieusement planifié et préparé par les médias. De même que tout ce qui est nouveau peut choquer, de 26 D'après les études sur le public, l'usager typique de la bibliothèque était un étudiant de l'enseignement secondaire ou supérieur: «Jeune, diplômé et parisien, ce visiteur plutôt fidèle se rencontre majoritairement à la BPI, est un habitué des expositions pluridisciplinaires des premières années - Paris-New York (1977), Paris-Berlin (1978), Paris-Moscou (1979) ou Paris-Paris (1981) -, visite plus rarement le Musée national d'art moderne, plus rarement encore une terrasse fortement appréciée des touristes» (Poirrier, 2000: 123). Ainsi, la réalité contredisait les buts fondamentaux de la bibliothèque, qui était supposée pouvoir attirer tout type de public, par son caractère informatif et divertissant, et moins par son aspect formatif. 27 C'était une condition expresse formulée par Brancusi, au moment de léguer ses œuvres, qu'elles fussent conservées et exposées dans la configuration où elles étaient dans son atelier. On avait déjà tenté, dans l'ancien MNAM de l'Avenue du Président Wilson, de l'évoquer par un montage spécial intégré au parcours de visite. A Beaubourg, on opta pour reconstruire l'atelier sur la piazza, en respectant l'orientation du bâtiment, la direction de lumière naturelle, et la disposition des pièces. Seulement, comme il s'agissait d'un espace très réduit et encombré d'œuvres, on dut le fermer plusieurs années, et c'est seulement depuis la mise en place d'un couloir vitré autour de l'atelier, inauguré en l'an 2000, que peuvent le voir des flux contrôlés de visiteurs munis de leur ticket d'entrée au MNAM. 297

même ce succès «excessif» fut l'objet de critiques. L'une des plus dures, on la doit au sociologue Jean Baudrillard, qui considéra que plus qu'un centre d'art, c'était un phénomène de mode, un simulacre de consommation culturelle où tout l'attention était portée sur la gestion à grande échelle de flux de clients, comme dans un supermarché (Baudrillard, 1977). Edy de Wilde, alors directeur du Stedelijk Museum d'Amsterdam, alla encore plus loin, en disant: «Le public entre par l'entrée principale et l'art s'échappe par les petites portes de derrière» (cité par Ameline, 1990: 366). Mais, d'un autre point de vue, on pourrait aussi dire que Beaubourg a consolidé une pratique immémoriale de «consommation culturelle»: la déambulation sans but ni objet déterminé a priori. De ce point de vue, il a effectivement posé un jalon, pour ce qui est de l'appropriation publique de lieux patrimoniaux, car il ne s'agissait pas d'une chasse gardée pour la délectation de connaisseurs de l'art sachant ce qu'ils recherchent, mais d'un spectacle de masses joyeusement perdues dans un labyrinthe sans vraiment savoir pourquoi elles y sont arrivées (Heinich, 1988: 209). Sans doute le Centre Pompidou a-t-il symbolisé en France le passage d'une politique culturelle typique de l'administration du XIXe siècle, fondée sur la promotion des Beaux-Arts, à un engagement dans l'industrie culturelle orientée vers le consommateur (Monnier, 1995 : 365). Dans tous les cas, cette issue avait déjoué les pronostics de Pontus Hulten. Certes, c'était un fervent partisan de l'attraction du grand public par tout une gamme de facilités, et il appuya avec enthousIasme des nouveautés telles que des horaires de visite décalés par rapport à ceux d'une journée de travail normale - ouverture tardive en semaine et fermeture nocturne les week-end -, le remplacement des gardes à uniformes, typiques du musée-temple, par d'accortes hôtesses, et l'accès gratuit à la plupart des installations, dans la mesure du possible (Lawless, 1986: 81; Duftêne, 2000 : 127i8. Mais il avait toujours parlé de faire de 28

L'ouverture nocturne était une idée que Pontus Hulten avait déjà testée à Stockholm et que Jean-Pierre Seguin avait proposée dès le début du projet de la bibliothèque, si bien qu'il y eut immédiatement un consensus sur le fait que le Centre Pompidou fût ouvert de dix à douze heures du matin jusqu'à dix heures du soir. La proposition de recruter des hôtesses rencontra moins de succès, en dépit du fait qu'en Suède il avait pu vérifier l'intérêt de recruter des jeunes mères désireuses de reprendre le chemin du marché du travail, ou bien des commerçantes au chômage, qui assuraient un bon accueil et contribuaient à donner une image moins académique; mais dans le cas de Beaubourg, ce sont des candidates diplômées qui postulèrent et qu'il parut difficile de refuser, même si elles ne correspondaient pas au profil recherché, et on ne put pas non plus se passer d'agents de sécurité. Le point le plus débattu fut toutefois celui de la gratuité, que Hulten ne put même pas imposer dans le musée qu'il dirigeait, soit pour des motifs psychologiques - on lui assura que le paiement était la meilleure garantie 298

ce lieu l'intermédiaire entre la production et la contemplation de l'art, un point de rencontre des artistes avec le public, où ce dernier puisse passer de la curiosité à la création: des laboratoires d'expérimentation visuelle, sonore, écrite, artistique, des ateliers pour enfants ou d'initiation à l'art pour groupes et individuels, etc., lui étaient ainsi proposés29. Hulten insista même pour que le MNAM, à la différence d'autres musées français, ne recrutât pas de personnel formé à l'histoire de l'art pour les visites guidées, qu'il voulait faites par des artistes ou des étudiants en art, à même de communiquer leurs réactions personnelles devant les œuvres exposées. C'était donc un pari, pour faire primer à Beaubourg « l'expérience» de l'art sur son «interprétation », pour reprendre des termes utilisés des années plus tard par un autre directeur de musée pour exprimer les pôles opposés d'une éternelle alternative (Serota, 1996). Même le MoMA qui, à ses débuts, sous la direction d'Alfred Barr Jr., s'était tant consacré à l'interprétation historico-artistique, penchait déjà vers l'autre côté de la balance, pas seulement au Département de l'Education, où était toujours perceptible l'influence de Victor D'Amico et de son fameux livre Experiments in Creative Art Teaching, mais aussi dans la programmation d'expositions confiées aux artistes eux-mêmes, surtout celles de la série « Projects », que le musée mit en place à la fin des années soixante-dix30. Rien ne pouvait plus enthousiasmer Pontus d'un bon comportement et de valorisation de l'expérience de la visite -, soit pour des questions de stratégie de fidélisation du public par le biais de la vente de cartes d'abonnement, dont le plus grand avantage, à part celui de donner le droit d'entrer sans faire la queue, était sa rentabilité sur le long terme, comparativement au paiement de plusieurs entrées au plein tarif. Cette stratégie et quelques autres - en particulier celle de placer des «délégués» dans les comités d'entreprises, les associations ou d'autres collectifs, qui reçoivent gratuitement les publications et bénéficient de l'entrée à prix réduit - qui furent adoptées pour capter un public parmi ceux qui n'allaient pas souvent dans les musées, s'inspiraient aussi de celles que Jean Vilar avait expérimentées au Théâtre National Populaire (T.N.P.), fondé par le gouvernement français en 1951 (Dufrêne, 2000 : 31). 29 « En attendant que l'art soit intégré à la vie et pénètre la société dans sa totalité, c'est dans les 'musées' d'une conception nouvelle que ces échanges peuvent se faire. Ces musées ne sont plus uniquement conçus pour conserver des œuvres qui ont désormais perdu leur fonction individuelle ou sociale, religieuse ou politique - église, salon, palais - mais des lieux où les artistes rencontrent le public et où le public lui-même peut devenir créateur» (texte de Pontus Hulten, daté de 1975, cité par Ameline, 1990 : 365). 30 Si, en 1970, le Mo MA avait déjà invité des artistes comme Hans Haacke ou Vito Acconci à monter leurs propres installations à l'intérieur de l'exposition Information, la série « Projects» consistait en de petites expositions commandées à des artistes invités qui se chargeaient eux-mêmes de la sélection et de l'installation des œuvres. Le MoMA finit par réserver à ces projets de commissariat externe l'une de ses salles, dite Project room. La série se prolongea jusqu'en 1981, avant d'être reprise en 1986, puis imitée 299

Hulten qui, ne l'oublions pas, était historien de l'art mais aussi artiste et ami des artistes. En outre, d'après le projet d'origine, Beaubourg ne devait pas comporter de frontière entre la vie quotidienne et l'expérimentation artistique, car la créativité de la rue devait entrer au musée et l'art du musée sortir dans la rue. Dans les premiers temps, les illustrations de l'un et de l'autre ne manquèrent pas: par exemple, en 1977, avec l'Art show d'Edward Kienholz, un auteur d'installations et de happenings ami de Hulten, ou en 1983, quand la Ville de Paris aménagea au-dessus de l'IRCAM, sur la place adjacente Igor-Stravinski, une fontaine colorée commandée à Jean Tinguely et à son épouse Niki de Saint-Phalle. Mais la massification des visiteurs et le passage du temps entamèrent peu à peu cet élan utopiste visant à réduire les distances entre « faire» et «voir» l'art, dont les adeptes les plus fidèles furent sans doute, en définitive, les troupes de jongleurs, de contorsionnistes et autres artistes de rue, qui viennent régulièrement animer la place, non loin de l' entrée3l. Par la suite, les trois concepts qui présidèrent à la création de Beaubourg perdirent peu à peu leur pertinence: l'interdisciplinarité, la promotion de la création, et le fonctionnalisme désacralisant, en quête de la plus grande ouverture possible au public. Il n'y a pas d'élan ou d'utopie qui dure éternellement. L'expérimentation créative, à dans de nombreux musées, qui ont également créé des espaces réservés aux petites expositions d'artistes et aux facettes radicalement contemporaines du panorama artistique. Mais cela pose des questions ontologiques du point de vue de l'essence même du musée: « A museum must, in a sense, sanction these artists' projects; yet the responsibilities and agendas of this work are perceived to be those of the artist, not the institution. In most installation-based art produced in a museum, the creativity and institutional responsibility of the curator as "cultural producer" disappears» (Staniszewski, 1998 : 298). 3] Un autre phénomène social, qui a également inspiré de brillantes descriptions, telles celle de Jean Clair: « Sur ce plateau dédif et mal raboté qu'on appelle un peu pompeusement la Piazza Beaubourg, s'est établie, hiver comme été, une cour curieuse. On y tire les cartes comme on y tire le portrait, on dresse des thèmes astraux, on découpe des silhouettes, on déchiffre les visages et on lit l'avenir, à l'occasion on y règle des comptes obscurs, au poing et au couteau. [...] À l'ombre du grand bateau culturel, tous ces fakirs, crayonneurs et devins qui font la manche ont été poussés par le même instinct qui les faisait autrefois se réunir à l'ombre de la cathédrale. [...] Il pleut. À demi nue ou vêtue d'oripeaux, cette faune reflue à l'intérieur de la nef et, commodément accoudée sur les balustrades, échange des recettes de métier. Un poète d'avant-garde hurle en sous-sol des onomatopées, une mère tente de faire partager à son jeune fils son admiration énervée pour un mobile de Calder et un jeune snob se pâme devant une ferraille d'un artiste américain du moment. Mais indifférents aux mystères que la religion culturelle déploie autour d'eux, ces pouilleux se requinquent en attendant la fin de l'averse, se contentant de surveiller du coin de l'œil leur pratique» (Clair, 1992 : 35-37). 300

l'exception de certaines collaborations très concrètes avec des artistes,

s'asphyxia sous le poids d'appareils bureaucratiques qui - sauf dans le cas de l'IRCAM - avaient d'autres priorités. Après l'euphorie initiale, soit lorsque le MNAM collaborait encore avec le CCI et la BPI dans la programmation commune d'événements et d'expositions, chaque équipe professionnelle s'est repliée dans son propre champ, et l'esprit d'interdisciplinarité s'est progressivement affaibli. Quant à la prise en

charge des usages du public et à son corolaire, la flexibilité - sans doute l'une des plus grandes vertus du bâtiment -, on se rendit compte que ni la libre circulation ni les changements fréquents dans la distribution ou dans les montages n'étaient des principes opérants. C'est une leçon que le MNAM dut tirer au bout de quelques années de fonctionnement. La muséographie flexible du projet original de Piano et Rogers, qui prenait sa source dans le dessein moderne du flowing space, prévoyait la possibilité de montrer les peintures sur des écrans de petites dimensions suspendus au plafond ou reposant sur le sol par l'intermédiaire de pieds métalliques, mais Pontus Hulten compartimenta l'espace à l'aide de panneaux épais (I2 cm), de 80 cm de largeur et d'une hauteur standard de 2,80 m, 3,50 m, 4,30 m, ou 5,60 m. Il s'agissait d'un agencement similaire à celui qui fut adopté au Stedelijk Museum dans sa nouvelle aile vitrée, où, sans renoncer à donner aux visiteurs la possibilité d'observer les passants, on accrocha des tableaux dans des sortes de cellules rectangulaires isolées, ouvertes sur un côté. Ici aussi, on cherchait à créer, à l'intérieur d'une architecture sans doute trop transparente et criarde, une sensation d'intimité; de là le recours à un éclairage diffus et froid venant du haut, et à un velum, suspendu à 3,30 m de hauteur, qui dissimulait à la vue le dispositif technique du plafond. Etant donné que chacune de ces unités, fermée sur trois côtés seulement, n'était ni à proprement parler une «salle », ni une «cellule» dont la répétition modulaire se serait répercuté sur le plan, on choisit de les appeler « cabanes », puisque Hulten, amateur d'art africain, aimait l'idée

que son musée - dans lequel il fit placer des tabourets africains et intercaler des vitrines exposant des œuvres d'art premier - puisse évoquer un village de cabanes. Il adopta également le dispositif des cabanes dans les grandes expositions d'histoire culturelle32 dédiées à 32La vie culturelle de Paris, New-York, Berlin et Moscou, dans les premières décennies du XXe siècle, était évoquée dans ses aspects artistiques et historiques, une stratégie qualifiée d'« exposition totale» par Germano Celant, qui ajoute: « This method has the merit of exhibiting not merely objects, but the connections among various cultural processes as well as their political implications. Everything is thus reduced to a document of its time, so that 'masterpieces' (as idealism would define them) are equivalent to so-called 'minor' works. Connotations of quality disappear and 301

Paris-New York, Paris-Berlin, Paris-Moscou et Paris-Paris en 1977, 1978, 1979 et 1981 respectivement, quoiqu'à l'époque il comparât cette muséographie, qui combinait des espaces pouvant accueillir les foules et d'autres plus intimistes33, à l'espace public des villes, une autre de ses obsessions récurrentes depuis la vigie de Beaubourg, située au centre d'une métropole sur laquelle elle offrait de splendides vues à travers ses façades vitrées et depuis ses terrasses. Avec ses places, ses avenues, ses jardins et ses ruelles, toute agglomération urbaine répond à des degrés divers aux différents niveaux d'utilisation par les habitants; de la même manière, Hulten voulait offrir aux visiteurs un espace d'exposition correspondant à différents niveaux d'intérêt, de curiosité et de fatigue: tous pouvaient parcourir les rues principales, où étaient présentées les œuvres essentielles (fig. 27), quelques-uns entraient dans les cabinets annexes pour y découvrir ou approfondir certains aspects - un moment précis de l'histoire de l'art ou un aspect thématique -, et au MNAM les plus intéressés pouvaient même explorer les réserves accessibles au public, en appelant une hôtesse pour faire descendre du plafond les . 34 panneaux auxque 1s 1es œuvres e' t aIent accroc h ees . ' Ainsi donc, ces montages perpétuaient la dualité des « galeries pour le grand public» et des «salles pour l'étude », qui avait été revendiquée dans le premier tiers du XXe siècle, en combinaison avec un agencement de petites salles dans une succession labyrinthique suivant un parcours chronologique imposé au visiteur, qui avait été introduite au MoMA dans les années soixante. Aux débuts de Beaubourg, cependant, chaque visiteur était considéré comme un flâneur potentiel, susceptible de se promener à son rythme sans itinéraire préétabli, puisque tout était laissé à sa propre initiative. L'expérience ne s'avéra pas probante pour le

hierarchical differences are destroyed» (citation extraite de son article in Greenberg et al., 1996 : 385 - publié à l'origine dans le catalogue de la Documenta VII en 1982). 33 «ParisIParis offered an itinerary constructed along a circulation corridor whose walls, covered with artworks, at times opened on to larger and quite frequently fragmented spaces. The relative exiguity of the rooms, the manner in which their interiors were deployed and the large number of exposed objects combined to present the visitor with a very linear, yet labyrinthical, passage» (Jean-Marc Poinsot, in Greenberg & Ferguson & Nairne, 1996: 42-3). 34 Pontus HuIten les avait baptisées «cinacothèques », en référence au cinétisme, et décrivait leur fonctionnement en ces termes: « Trois installations permettent d'avoir à la disposition du visiteur environ 600 œuvres. Chaque système comporte 33 écrans métalliques suspendus sur lesquels sont accrochés des ensembles d'œuvres complémentaires classées soit par artiste, soit par école. Une hôtesse propose un catalogue dans lequel on choisit l'écran que l'on veut faire descendre» (Dufrêne, 2000 : 158). Cette innovation muséographique ne fut presque jamais en service, parce qu'elle trahit assez vite son excès de sophistication et de fragilité (Lawless, 1986 : 95). 302

Fig. 27 Museographie originelle du MAM au Centre Pompidou, les explanades avec les cabanescouvertes par un velum

combinant

public majoritaire du musée: des touristes dont le temps était compté et qui s'inquiétaient de ne pas savoir où diriger leurs pas, se perdaient, ou ne trouvaient pas les œuvres qu'ils auraient voulu voir. Et à supposer qu'ils eussent le temps ou l'occasion de revenir, les visiteurs non initiés avaient du mal à échapper à la confusion, puisque le strict respect de l'ordre chronologique - les œuvres étaient ordonnées selon les dates de production - faisait que les travaux d'un même artiste ou d'une même école nationale pouvaient être dispersés, et rapprochait entre eux des œuvres parfois diamétralement différentes, dont l'association ne pouvait paraître pertinente ou amusante qu'au spécialiste (Lassalle, 1987: 63). Comme à cela s'ajoutait la rareté des cartels explicatifs, d'après les principes énoncés par Malraux de ne pas interférer avec une documentation écrite dans la contemplation des œuvres, on aboutit bientôt à la certitude que ce premier dispositif muséographique était très limité et devait être modifié (Lawless, 1986 : 95-6) ; c'est surtout parce qu'il s'agissait d'un montage en « labyrinthe ouvert» que l'organisation de présentations spéciales (ensemble de donations, œuvres de petit format, dessins) était rendue très difficile et que le moindre changement obligeait finalement à bouleverser toute l'installation muséographique, y 303

compris les supports (Ameline, 1990: 366). Ces quelques limitations mises à part, les mérites de la présentation n'en restaient pas moins entiers, d'après l'analyse rétrospective de la muséologue Bemardette Dufrêne, admiratrice dévote de Pontus Hulten, qui ne tarit pas d'éloges: Ce type de muséographie constitué pour la première fois à Beaubourg, est un apport nouveau à l'expographie. En effet, ce qui est élaboré par le(s) concepteurs(s) n'est pas un point de vue que l'on transmet au visiteur dans le but de le convaincre par une démonstration mais un dispositif à partir duquel il va construire son propre point de vue. Le souci du concepteur est alors moins d'explicitation que d'incitation. Le souci principal est de mettre en situation le visiteur en évitant autant que faire se peut de le surdéterminer. Pour cela, un certain nombre de conséquences sont tirées de la programmation et de dispositions architecturales poussées jusqu'à leur terme, notamment la "jlexibilité des espaces" (Dufrêne, 2000 : 163). C'est clairement la pratique, comme toujours, qui contredit cette flexibilité supposée, parce qu'il revenait trop cher de changer fréquemment la disposition, si bien que les cabanes et cimaises temporaires devinrent quasi permanentes. D'autre part, la neutralité s'avéra inexistante, car le contenant était en lui-même tellement voyant qu'il en volait la vedette aux œuvres d'art: au Centre Pompidou, il était difficile de se concentrer pour contempler une œuvre. De là le commentaire de Donald Judd, dans le catalogue de la Documenta de Kassel en 1982, qui le décrivait comme un «monstre coûteux et disproportionné [...] dont le bâtiment impose des changements aux caractéristiques fondamentales des sculptures et des tableaux, qui eux ne changent pas: l'édifice et le changement ne sont que mises en scène et artifices» (Donald Judd, «On Installation », cité par Ameline, 1990: 366). On tenta de rectifier le tir déjà sous la direction de Pontus Hulten, en introduisant en 1980, pour les grandes toiles de l'école de N ew- York, des murs de grande hauteur et un éclairage indépendant du reste de l'édifice, afin d'accentuer l'effet de recueillement (Lassalle, 1987 : 6567). Quand, en 1982, Dominique Bozo prit la suite de Hulten à la direction du musée, il chargea l'architecte d'intérieur Gae Aulenti, avec le feu vert de Piano et Rogers, de réorganiser la muséographie en cherchant à différencier l'espace d'exposition du reste de l'espace architectural.

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La réforme muséographique des années quatre-vingt à Beaubourg et au MoMA. Le Centre Pompidou subit une série de réaménagements à partir de 1984, qui consistèrent à transférer les bureaux à l'extérieur du bâtiment afin de libérer des espaces pour de nouveaux usages, à créer une nouvelle entrée à l'angle sud, à améliorer le flux et l'orientation des visiteurs. Douglas Davis a commenté sur le mode de l'ironie qu'en définitive, la meiHeure preuve de la flexibilité donnée par Beaubourg et ses architectes fut la prédisposition à subir des interventions comme celles-là (Davis, 1990: 55). De fait. Renzo Piano se chargea en personne de concevoir une extension souterraine vers Je nord, pour y aménager une salle de cinéma de plus de trois-cents places, et d'ajouter des espaces d'exposition temporaire, en particulier les deux Galeries contemporaines placées sous

la gestion directe du MNAM, et installées en 1985 sur la mezzanine -reJiée au hall par un escalator - et au rez-de-chaussée, du côté de la fontaine Stravinsky: il y remplaça la moquette par des sols en parquet pour rendre plus évidente Ja différenciation de ces espaces, pensés pour présenter de petites expositions d'artistes méconnus, des expositions collectives, ou encore des expositions thématiques. Cette diffërenciation fut reprise également au sein du musée, dont l'entrée fut reportée au niveau 5, qui bénéficia précisément de la transfonnation luxueuse opérée par Gae Aulenti, tandis que le niveau 4, partagé avec la bibliothèque, conserva l'agencement architectural d'origine moquette, spots lummeux et éclairage naturel, œuvres accrochées a des cimaises étroites -

avec cependant une touche de présentation expérimentale très

appropriée pour son contenu, une sélection renouvelée fréquemment de l'art contemporain et postérieur aux années soixante, avec des lieux réservés à la vidéo, aux installations, aux dessins contemporains et aux œuvres délicates. Ainsi se produisit, au sein du MN AM, une différenciation par niveau, entre l'art {1)et de celle-là à la salle 9 «< Expressionnisme abstrait »), en s'ouvrant ainsi à r esprit de la postmodcrnité, qui prêchait en faveur de la liberté et de la multiplicité des parcours. Après tous ces bouleversements, plus nombreux ou presque que ceux du MoMA, le Centre Pompidou demeura un élément de référence international, comme l'icône de la jeunesse rebelle qui tentait de vieillir à la manière des vieux rockeurs, sans trop trahir ses idéaux vieux de vingt ans (Clair, 1992; Lauxerois, 1996; Dufrêne, 2007 ; Fleury, 2007). Mais, plus qu'un modèle à suivre, Beaubourg devint le point d'inflexion historique d'une contreculture anti-musée généralisée à une passion muséale mondiale, comme l'a parfaitement souligné Douglas Davis dans le sous-titre du livre qu'il a consacré aux grands réaménagements architecturaux et aux nouveaux musées construits dans les années quatre36 Pour se faire une idée des controverses qu'elle suscita à l'époque, on peut comparer la version institutionnelle, racontée par le directeur du musée (Oldenburg, 1984: 33) à la vision critique exprimée par des analystes extérieurs (en particulier Wallach, 1998 : 82-87). On doit au critique Hilton Kramer d'avoir dit que la nouveauté du MoMA, après son agrandissement, n'était pas tant le fait d'avoir gagné de l'espace, mais d'avoir institutionnalisé cette coupure entre l'art moderne historique et celui du présent: « As a result, the new MoMA is no longer a single museum with a unified purpose and outlook, but two (or more) museums which pursue vastly different objectives and uphold very different standards» (cité par Lowry, in Elderfield, 1998 : 90). 307

vingt: Design and Culture in the Post-Pompidou Age (Davis, 1990). En France, c'est l'époque qui marqua la prolifération de nouveaux musées et centres d'art contemporains à Lyon, Bordeaux, Villeneuve-d' Ascq, Dunkerque, Saint-Étienne, Grenoble, etc., qui servirent de tremplin à des artistes tels que Toroni, Buren, Sarkis ou Boltanski; mais aucun des musées n'a tenté de suivre scrupuleusement le modèle muséographique du Centre Pompidou. Même Pontus Hulten n'osa pas reprendre le flambeau de cette utopie dans le cadre de ses projets ultérieurs, et les professionnels qui partirent de Beaubourg vers d'autres aventures, tels Jean-Hubert Martin, Daniel Abadie, Alfred Pacquement, Jean Clair ou Germain Viatte, ne se comportèrent pas en apôtre de Hulten, ce qui ne les empêcha pas de monter des expositions surprenantes dans les institutions où ils furent appelé à travailler, comme le Musée des Arts Africains et Océaniens, le Jeu de Paume, le Musée Picasso, ou le Musée Cantini à Marseille. En réalité, la flamme populiste qui contribua à la mise en branle du Centre se maintint difficilement in situ. Après une nouvelle phase de réaménagement de son architecture intérieure, le centre a rouvert le 1erjanvier 2000 avec seulement deux espaces d'accès libre et gratuit: le Forum et la BPI, qui dispose à présent d'une entrée séparée, si bien que l'usage des escaliers mécaniques si attrayants reste limité au public payant. Il reste bien peu de choses de cette espèce de foire d'attractions, qui ressemble aujourd'hui davantage aux autres temples du capitalisme triomphant, quand on sait que ses nouveaux services incluent, par exemple, un restaurant très luxueux situé dans la galerie supérieure des expositions, un café moderne concédé au groupe Costes, la grande librairie du forum, gérée par une célèbre maison d'édition, ou la boutique de design, qui dépend d'un grand magasin pansIen.

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EPILOGUE Bien que le Centre Pompidou n'ait pas établi un nouveau paradigme musé al susceptible de remplacer le MoMA au rang de modèle international, il ouvrit néanmoins une nouvelle phase dans I'histoire de ce type de musées. Sa silhouette innovante eut beau ne pas faire d'émules directs, elle encouragea par la suite tout nouveau musée à se doter d'un édifice singulier qui soit en mesure de se détacher clairement de son environnement, et d'attirer l'intérêt de la presse et de tous les citoyens, y compris ceux qui ne fréquentent pas les musées. L'architecture des musées - qu'il s'agisse de bâtiments nouveaux ou de

bâtiments reconvertis

-

est devenue ainsi l'un des emblèmes les plus

visibles de la postmodernité. Les débats autour des deux options, survenus parfois dans une même ville, comme à Los Angeles avec le Temporary Contemporary et le MoCA, firent couler des flots d'encre dans les années quatre-vingt, sans que personne ne semblât se soucier de questions finalement plus fondamentales pour ces musées, à savoir celles de la collection ou de la politique artistique. Par la suite vint l'heure de gloire du Guggenheim de Bilbao et de la Tate Modern de Londres, qui furent immédiatement éclipsés par la spectaculaire extension du MaMA en 2004 ou d'autres exemples plus récents. On peut véritablement parler d'une course à la jactance architecturale et médiatique, qui détourne l'attention à d'autres questions et paraît ne pas vouloir tarir, car même si les voix critiques de certains professionnels de musées s'élèvent pour réclamer la priorité à l'adéquation du contenant au contenu, il semble que nous allons rester encore longtemps prisonniers de cette spirale des inaugurations et des extensions toujours plus coûteuses. La dynamisation urbaine est un autre aspect du «phénomène Beaubourg» qu'on n'avait pas tellement pris en considération jusqu'alors, et qui constitue depuis un enjeu primordial et incontournable, surtout pour les musées et centres d'art contemporain, puisque ce sont ceux qui sont les plus susceptibles de générer dans leur environnement l'implantation d'art public, d'ateliers d'artistes, de galeries, de cafés et de restaurants à l'ambiance bohème, etc. L'attente du «miracle» de la régénération d'un quartier en déclin voire de tout une ville en crise a tellement marqué certains investissements, tels la Tate of the North à Liverpool ou le Mass MoCA, que beaucoup en prédirent l'échec en s'appuyant sur des indicateurs économiques, sur leur 309

impact urbain, ou sur le flux de touristes venus de l'extérieur... sans prendre en compte leur collection, ni leur programmation d'exposition, ni leurs activités pédagogiques, ni leur fonctionnement exemplaire en qualité de musées. Il semble qu'on ne puisse plus faire marche arrière dans cette spirale obsessionnelle qui réclame des musées un rôle dans la régénération du milieu auquel on les greffe, et ce malgré le scepticisme de certains, qui ont signalé que lorsqu'un environnement urbain dégradé devenait à la mode, il s'ensuivait généralement un processus connu sous le nom de gentrification, qui n'améliore pas la vie des défavorisés, mais les oblige au contraire à quitter leur quartier. Ces questions ont constitué le point de mire de mon attention en qualité de muséologue ; c'est pourquoi j'ai choisi de clore ce livre par une brève exploration, du point de la topographie urbaine, des derniers exemples les plus marquants parmi les musées d'art contemporain. Mais les questions de la définition et de l'appellation de ces musées demeurent bien présentes, au même titre que d'autres sujets de réflexion qui remettent en cause les concepts muséaux hérités du passé. Nous ne pouvons ignorer que beaucoup de ces nouveaux musées ont été créés sans collection permanente, parfois même sans l'intention d'en former une, soit parce qu'on a opté pour collectionner l'art de la dernière génération - pour ensuite le revendre ou le transférer ailleurs - soit parce qu'on a opté pour monter seulement des expositions temporaires, sans disposer de collection permanente, ce qui évoque moins la conception traditionnelle du musée que le positionnement d'une simple Kunsthalle. On peut relever un sous-phénomène intéressant, au sein de cette stratégie basée sur la prévalence de la fonction d'exposition sur les autres tâches muséales : les montages qui réinterprètent périodiquement la collection permanente, bouleversant l'agencement chronologico-stylistique, par la confrontation d'œuvres d'art de périodes, de provenances et de courants différents. En rupture totale avec l'organisation diachronique, cette stratégie a contribué à remettre une fois encore en question le concept même du musée d'art contemporain, dont la spécialisation est définie, en fin de compte, par une distinction chronologique. Ceci dit, ni ce phénomène, ni la multiplication des musées virtuels sur l'Internet n'ont mis un frein à la prolifération des musées d'art contemporain au cours des dernières décennies: une période qu'on pourrait peut-être qualifier d'« âge d'or» des musées d'art contemporain, étant donné qu'ils ne sont plus l'apanage exclusif des grandes métropoles, mais sont devenus des produits d'appel culturels parfaitement communs dans les agglomérations de toute taille.

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CHAPITRE 9 REVUE TOPOGRAPHIQUE DES NOUVEAUX MUSÉES D'ART CONTEMPORAIN AU TOURNANT DU MILLENAIRE Les usages architecturaux et urbains de la postmodernité et leur héritage en Europe Il est plus approprié de parler d'art de la postmodernité que de «postmodernisme », afin de prévenir toute confusion pouvant naître de l'assimilation à un « isme » ou un style déterminé d'un courant culturel qui s'est précisément défini par la pluralité esthétique et la rupture avec tous les canons. Il reste certain, cependant, qu'en architecture au moins, il y eut dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix une manière internationale reconnaissable à un joyeux éclectisme populiste qui mêlait tout type de matériaux et de couleurs clinquants, à des façades-écrans qui dissimulaient la structure interne derrière une accumulation de citations érudites rappelant le classicisme: frontons, fenêtres palladiennes, fausses ruines, etc. Ces hommages historicistes semblaient particulièrement adaptés à l'architecture des musées, et, de fait, le critique américain Charles Jencks, qui fut le grand parrain de cette mode architecturale, qualifia très tôt d'édifice pionnier du «postmodernisme» l'extension réalisée par l'écossais James Stirling pour la Stadtgalerie de Stuttgart en 1977-84, qui fut également analysée par Douglas Crimp comme le prototype du musée postmoderne (d'après « The Postmodern Museum », article paru dans la revue Parachute, n046, 1987, repris dans Crimp, 1993 : 282-325). Les nouveaux musées d'art contemporain ne furent pas exclus de cette tendance, dont le musée Abteiberg de Mônchengladbach, construit en 1982 par Hans Hollein, fut unanimement considéré comme emblématique: c'est surtout pour son dispositif scénographique que Rosalind Krauss Ie qualifia de postmoderne (voir son article dans Greenberg, 1996: 347 ; quelques pages plus loin, Reesa Greenberg alléguait que le trait le plus typiquement postmoderne de ce bâtiment était le contraste entre l'extérieur, si animé et pittoresque, et sa personnalité intérieure, calme, froide et élégante: p. 363). Plus tard, ce fut au tour des profils dynamiques et des plans labyrinthiques des bâtiments déconstructivistes d'être portés aux nues comme les clous de l'architecture postmoderne : on citera le musée Guggenheim à Bilbao, terminé par Frank Gehry en 1997, et le Musée juif de Daniel Libeskind, 311

inauguré à Berlin en 2001. Entre temps, les critiques d'architecture avaient évolué, passant d'une conception simplement stylistique du postmodernisme, déjà dépassée, à un appareil théorique incluant des considérations philosophiques (Krauss, 1996 ; Hernandez, 2003). De ce point de vue moins simpliste, 1'histoire des solutions muséographiques caractéristiques de cette période a donné lieu à quelques revues d'ensemble qui ont proposé certaines classifications ou interprétations, en faisant des exemples paradigmatiques de quelques musées construits ad hoc ou installés dans des édifices reconvertis (Montaner & Oliveras, 1986; Davis, 1990; Montaner, 1990, 1995, 2003; Lampugnani & Sachs, 1999; Giebelhausen, 2003; Layuno, 2003 ; Newhouse, 2006). Dans l'ensemble, ces révisions internationales ont contribué à dissiper l'importance accordée jadis à «l'effet Beaubourg» ; sans revenir sur le fait que le Centre Pompidou ne parvint pas à établir de jalon de la muséographie postmoderne, n'oublions pas que la culture française doit être la première référence dès lors qu'on tente de définir la postmodernité, à partir du courant de pensée dont les apôtres furent Alain Badiou, Jean Baudrillard, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Gilles Lipovetsky, etc. Bien évidemment, le dilemme soulevé par l'alternative entre la réutilisation d'édifices anciens ou la construction de musées ad hoc datait, en France, de la période des Lumières. Et si la Révolution française avait installé les premiers musées publics dans des palais, des châteaux, des églises, des couvents, ou d'autres édifices représentatifs de l'Ancien Régime, qui furent dès lors accessibles à tous les citoyens, la prolifération dans la France postindustrielle de musées et de centres d'art contemporain, presque toujours ouverts dans des bâtiments emblématiques de l'ère industrielle (anciennes usines, magasins et hangars), ne fut pas moins chargée de symbolisme. Le précurseur en la matière fut le CAPC de Bordeaux, installé dans l'ancien «entrepôt réel des denrées coloniales» ou «Entrepôt Laîné », un hangar désaffecté datant du XIXc siècle, dans lequel étaient entreposés à l'époque coloniale du sucre, du café, du coton, des épices et d'autres produits, et qui était situé dans la zone franche du port bordelais, une zone autrefois inaccessible au public étranger à ces activités (Guillemeteaud, 2000). On ne peut s'empêcher de penser aux espaces de contrôle disciplinaire étudiés par Foucault, quand on déambule librement dans le vaste espace d'exposition de cet ancien entrepôt où s'affairaient jadis les ouvriers sous la stricte vigilance des contremaîtres, qui étaient en même temps contrôlés depuis le poste de surveillance, espace auparavant accessible au seul patron ou à son homme de confiance, et 312

qui est désormais ouvert aux visiteurs même quand il n'y a pas d'exposition au rez-de-chaussée, puisqu'elle accueille une installation permanente de Richard Long et d'autres pièces de la collection. Le Centre National d'Art Contemporain Le Magasin, à Grenoble, la Laiterie à Poitiers, le Musée d'Art Contemporain de Lyon, le MAC de Marseille, Les Abattoirs EAMC à Toulouse, ou encore le MAC La Piscine à Roubaix constituent des exemples non moins emblématiques. L'identification de ce genre muséal avec l'archéologie industrielle a été telle que même des architectes chargés de concevoir des bâtiments ad hoc pour les musées se sont inspirés des caractéristiques des usines: ce fut le cas pour le MAC Lille-Métropole à Villeneuve-d'Ascq, tandis qu'en 2002 on a réutilisé pour l'art le plus récent l'aile du Palais de Tokyo anciennement affectée au MNAM, en en faisant un espace brut; il y a toutefois en France de fameux exemples d'architecture high tech rutilante, tels le MAC de Strasbourg - curieuse imitation du Centre Pompidou dans de nombreux aspects, y compris les «périscopes» de ventilation sur le parvis -, le MAC-Val à Vitry-sur-Seine, l'extension de Renzo Piano pour le MAC de Lyon, le MAMC de Nice ou le Carré d'Art MAMC de Nîmes. En Italie, qui devint à l'époque de la Trans-avant-garde un important foyer de l'art postmoderne, l'intérêt pour l'installation de musées dans des bâtiments reconvertis reposait sur de nombreux antécédents historiques, qu'on pourrait faire remonter à la fondation des premiers musées dans les états pré-unitaires; mais le précédent le plus présent à l'esprit restait sans aucun doute les brillants allestimenti de Carlo Scarpa ou d'autres architectes de l'après-guerre, comme le groupe BBPR ou même Carlo Minissi, à la fois auteur et théoricien influent de ce type d'interventions dans des bâtiments classés (Minissi, 1983 et 1988; Huber, 1997). Un pays aussi touristique et doté d'un patrimoine architectural à conserver si important devait naturellement poursuivre cette politique d'ouverture aux visiteurs de monuments restaurés et transformés en musées en tout genre, y compris d'art contemporain - ce qui, en soit, n'est pas inédit, mais il faut souligner que c'est seulement à partir des années quatre-vingt que les musées d'art contemporain en Italie connurent un rayonnement similaire à celui qu'ils avaient connu au début du XXe siècle. C'est le Castello di Rivoli, dans les environs de Turin, qui donna le coup d'envoi: il fut inauguré en 1984 après de longues années de restauration et une reconversion muséographique assez osée, due à

Andrea Bruno, qui sut parfaitement tirer parti d'un bâtiment - surnommé Manica Lunga d'après

sa forme allongée - complexifié 313

par son

inachèvement après des siècles d'interventions et d'indécisions]. A la fin des années soixante-dix, il était question d'acheter la collection Panza di Biumo d'art américain de l'après-guerre, mais l'idée s'avéra politiquement incorrecte pour les partis de gauche, qui proposèrent en échange de faire ressortir le rôle prépondérant de Turin dans le développement de l' arte po vera ; finalement, la tâche de former une collection incomba à Rudi Fuchs, qui s'était précisément distingué, en tant que directeur du Musée van Abbe d'Eindhoven, par son positionnement contestataire par rapport au modèle de la modernité américaine: il choisit donc, pour faire contraste avec l'espace palatial, des œuvres de Beuys, Mario Merz, Pistoletto, ou de l'art minimal... (West, 1986: 29-31). Aujourd'hui le Castello abrite une collection historique consacrée à l'art de 1910 à nos jours, complétée par d'ambitieuses expositions temporaires, structurées autour de parcours conventionnels, qui tendent à relier des salles monographiques dédiées chacune à un artiste ou à un groupe. Certains des aspects novateurs de la muséographie originale ont été maintenus, par exemple les salles entièrement décorées de blanc ou d'autres tons, et le contraste voulu entre l'art contemporain et le contexte architectural ancien ne laisse toujours pas de surprendre (fig. 28). Le succès photogénique de ces contrastes a incité d'autres villes italiennes à s'en inspirer, y compris la capitale, où la municipalité a créé en 2002 le Museo di Arte Contemporanea di Roma (MACRO), qui dispose de deux espaces, l'un dans une ancienne usine de fabrication de glaçons, qui appartenait aux 1 Sur les restes d'un ancien château médiéval, on érigea au début du XVne siècle une construction inhabituelle, d'une largeur de 7 m pour une longueur de 140 m, parce qu'elle était destinée à accueillir la galerie de peintures de Charles-Emmanuel le' de Savoie. Ravagée par un incendie, elle fut ensuite l'objet d'un projet de transformation en une luxueuse résidence de la cour, à l'initiative de Victor Amédée n, qu'il commanda à l'architecte baroque Filippo Juvarra ; mais le chantier fut interrompu alors que seul un tiers du projet avait été réalisé et que la Manica Lunga n'avait pas encore été détruite. Le monarque éclairé Charles-Emmanuel III de Savoie reprit les travaux, qui furent de nouveau interrompus, cette fois à la suite de l'invasion napoléonienne. En 1860, le palais fut loué aux monarques par la municipalité de Rivoli, qui en fit finalement l'acquisition pour y loger un bataillon d'infanterie. Après la Seconde Guerre mondiale, on fragmenta le dernier étage de la Manica Lunga pour en faire des logements pour les sans abris, tandis que la partie basse accueillait toutes sortes d'animaux. A partir des années soixante, on entreprit un chantier de restauration, sans pour autant avoir une affectation précise en tête, jusqu'à ce que la région du Piémont prit en 1978 la décision définitive de destiner le complexe palatial à un Musée d'art contemporain, géré par un consortium dont font partie la Région Piémont, la fondation CRT, la Chambre de Commerce, d'Artisanat et d'Agriculture de Turin, la Ville de Turin et le groupe bancaire Unicredit (voir l'article d'Anna Giorgi dans Piva, 1993 : 121- 128). 314

Fig. 28 Castello di Rivoli-Museo di Af1e Contemporanea:extérieur de la Manica Lunga et intérieur d'une des salles dans le Castello. 315

bières Peroni, via Reggio Emilia 54, l'autre dans les anciens abattoirs du Testaccio. Comme dans le cas de Rome, on a souvent opté pour implanter ces musées dans ces bâtiments de l'ère industrielle, ce qui implique non seulement une subtile différence chronologique mais aussi espaces d'une grande ampleur, qui représentent la solution inverse à l'exiguïté et la bigarrure initialement préconisées par Rem Koolhaas2, l'actuel architecte vedette de la postmodernité ré interprétée de manière philosophique; mais il ne fait aucun doute qu'en dépit d'une politiqueculturelle italienne complcxe3, la tendance dominante de nos jours reste favorable aux nefs de vastes dimensions pour ce type de musées (Bonito Oliva, 2004 ; Pratesi, 2006) : pour le vérifier il suffit de visiter le Museo Nazionale delle Arti dei XXI Secolo (MAXXI) à Rome, construit par Zaha Hadid à l'emplacement de l'ancienne caserne de Montello. En réalité, il suffisait de voir l'un des rares exemples italiens de bâtiments construits ad hoc pour des musées pour que vienne spontanément à l'esprit la comparaison avec l'ampleur de ce type de nefs de la périphérie des villes: c'était notamment le cas du Centre pour l'art contemporain Luigi Pecci à Prato, dont l'extérieur reflète la première manière postmoderne par son mélange de citations historicistes et de populisme kitsch. Lors de son inauguration le 25 juin 1988, à proximité 2 Au cours de l'exposition mtitulée Retrace Your Steps: Remember Tomorrow, organisée en 1999-2000 au Sir John Soane Museum de Londres, Koolhaas présenta une maquette de Rome en contrepoint d'une maquette de Soane pour expliquer qu'il avait, pour son projet non réalisé de Musée d'art contemporain dans la capitale italienne, imaginé une muséographie hyperdense, évoquant une sorte de Merzbau. Curieusement, Hans-Ulrich Obrist, responsable des expositions à la Serpentine Gallery de Londres, fut l'un des fervents admirateurs de cette muséographie exiguë (cf Wade, 2000, pp. 45-6). 3 Il ne reste plus aucune trace de la hiérarchisation centralisée de la période fasciste ni de la répartition tacite des compétences en matière de musées entre l'Etat et les municipalités à laqueIIe nous faisions allusion dans les chapitres précédents. Aujourd'hui, les nouveaux musées italiens sont généralement gérés par des consortiums d'organismes privés et de pouvoirs publics, au sein desquels les gouvernements régionaux occupent une place de plus en plus prépondérante. Une meiIIeure coordination fait toutefois défaut à ces consortiums, surtout s'ils sont actifs dans la même ville: à Rome, par exemple, la distribution des activités entre la Galleria Nazionale d'Arte Maderna e Contemporanea et le Museo Nazionale delle Arti dei XXI secolo est loin d'être clarifiée, et aucune convention ne semble avoir été prévue pour régir les relations entre ces deux musées nationaux et le Museo d'Arte Contemporanea di ROma (MACRO) ; à Naples, où fonctionnait un centre municipal d'art contemporain depuis 1998 dans le Palazzo Roccela, la région Campanie a inauguré en 2005 le Museo di Arte contemporanea Donna REgina (MADRE) dans un ancien palais réhabilité par Alvaro Siza en plein centre historique, près de la cathédrale, du Trésor de San Genaro et du Musée archéologique national. 316

de la rocade de cette ville de Toscane, ce bâtiment, œuvre de l'architecte florentin Italo Gamberini, fut exagérément célébré comme étant le premier édifice italien construit et conçu spécialement pour un musée d'art contemporain; on en oublia les précédents de Turin ou de Bologne4 et on passa allègrement sous silence le fait que ce bâtiment n'allait être, en principe, qu'un simple centre d'expositions; il s'est doté depuis d'une collection permanente, particulièrement riche en œuvres de l' arte povera et de la trasavanguardia, qui fait l'objet d'expositions tournantes dans une extension récente. Il s'agit toutefois d'un cas exceptionnel, sans émule déclaré, puisque, comme nous l'avons dit, la norme en Italie reste l'installation des musées dans des bâtiments anciens restaurés - on pourrait citer des exemples récents pris à Bergame, Bolzano, Gênes,

Modène, Molfalcone, Naples, Syracuse, etc.

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et les constructions

nouvelles se cantonnent aux extensions ou aux annexes, comme celle dessinée par Mario Botta pour le Museo di Arte Moderna e Contemporanea di Trento e Rovereto. Ceci dit, devant cette actualisation postmoderne du dilemme opposant les partisans des musées abrités dans des constructions nouvelles à ceux des musées installés dans des bâtiments réaffectés, caractéristique du XIXc siècle, on ne peut pas dire que ce soit répétée la division constatée pour le XIXe siècle entre les pays latins et ceux d'influence germanique. Si, en France et en Italie surtout, la crise de la modernité a pu supposer un retour à la coutume de la reconversion muséographique d'édifices historiques, aucune tendance ne s'est dégagée clairement en Espagne et au Portugal; l'Allemagne et ses proches voisins n'ont pas non plus montré une nette propension à la construction de bâtiments nouveaux pour mettre en valeur l'art le plus récent. Alors que les années de Guerre froide avaient vu les musées d'art moderne de la République Fédérale Allemande s'ériger en vitrines d'un « Style International» qui représentait les valeurs du monde occidental et symbolisait la modernité, on n'est pas parvenu à s'entendre sur un canon architectural et 4 Rappelons qu'à Turin avait été inauguré en 1959 le bâtiment de la Galeria d'Arte Moderna e Contemporanea, construit à la suite d'un concours remporté par Carlo Brassi et Goffedo Boschetti - il est vrai que le musée est resté fermé pendant douze ans, jusqu'à sa réouverture en 1993, après un important chantier de rénovation. A Bologne, le siège actuel de la Galeria d'Arte Moderna dans le quartier du parc des expositions fut inauguré en 1975, dans un bâtiment spécialement conçu par Leone Pancaldi pour abriter la collection permanente au premier étage et les expositions temporaires au rez-dechaussée. Comme nous l'avons déjà indiqué au chapitre 5, ce musée possède une succursale à la Villa de lIe Rose, une demeure suburbaine donnée à la VilIe qui l'ouvrit au public en 1926 et la restaura en 1989. 317

muséographique commun pour les musées d'art contemporain construits après la chute du Mur. Il est tentant de retenir, parmi les musées fondés depuis la chute du Mur, ceux qui sont apparus dans d'autres anciens pays communistes5, et qui incarnent parfaitement le triomphe de la norme de la modernité artistique autrefois emblématique du bloc capitaliste. Dans une certaine mesure, il y aurait simplement lieu d'affirmer que la fin du Mouvement moderne n'a pas abouti à un nouveau modèle hégémonique ; c'est pourquoi, devant l'hésitation sur le type de musée à construire, on a souvent opté, finalement, pour la restauration de bâtiments anciens ou le recours aux agences d'architectes stars, qui se sont avérées être de sérieuses garanties de succès médiatique (Montaner, 1986 et 1990). Le cas le plus connu et le plus exemplaire de la première option fut les Hallen für Neue Kunst, que la collection Crex d'art contemporain ouvrit au public en 1984 à Schaffhausen (Suisse) : elles se voulaient un lieu d'expérimentation, destiné à montrer l'art sans la médiation de la conservation ou de la pédagogie. Cette consécration d'un espace « brut », produit d'un positionnement radical, ne passa pas inaperçue aux yeux du directeur de la Tate Gallery (Serota, 1996 : 42-45), qui commanda à l'un de ses assistants une étude sur ce type de précédents (Nairne, 1996). Pour ce qui est de l'architecture d'auteur, comme nous l'avons déjà dit, la manière du «postmodernisme» des années quatre-vingt trouva en Allemagne, avec l'Abteiberg Museum de l'architecte Hans Hollein à Mônchengladbach, inauguré en t 985, l'une de ses applications les plus acclamées; c'est d'ailleurs le directeur de ce musée, Johannes Cladders, qui consacra la mode des «présentations anhistoriques »6. Mais l'heure 5 La reconstruction en 1995 du palais des expositions de Prague, le Veletrzni pahic, pour en faire le siège de la galerie nationale tchèque d'art moderne et contemporain ne peut s'apparenter à la reconversion politique d'une icône de l'état communiste, puisque le bâtiment fonctionnaliste original datait de 1925-1929. On pourrait encore donner une interprétation politique de l'Ars Aevi Sarajevo, un musée d'art contemporain fondé dans la capitale de Bosnie-Herzégovine, symbole de résistance culturelle pendant la guerre des Balkans, et pour lequel Renzo Piano a dessiné un nouveau bâtiment qui devrait être inauguré en 2009. Il serait difficile de se hasarder à une interprétation similaire, cependant, au sujet du Musée d'art moderne de Moscou, fondé dans le centre de la capitale par l'Académie Russe des Beaux-Arts, sous la présidence du sculpteur et homme politique controversé Zurab Tsereteli : son siège principal, inauguré en 1999 dans une demeure XIXe de style néoclassique, sert à exposer en permanence essentiellement des œuvres issues de la collection privée de Tsereteli ; une succursale, dans un autre bâtiment historique ouvert au public en 2003, sert de cadre aux expositions temporaires. 6 «L'installation [du musée de Monchengladbach] n'est pas chronologique. D'après moi, la chronologie est la chose la plus simple de l'histoire: tout le monde le sait ou sait où il peut l'apprendre. Il existe un multitude de sources pour cela. La chronologue à elle 318

de gloire du musée fut de courte durée: à la dissipation de l'effet de nouveauté du bâtiment s'ajouta au début des années quatre-vingt-dix le transfert de la célèbre collection Marx, qui y était exposée sous forme de prêt prolongé, à Berlin, où elle forma le noyau d'une succursale de la Neue Nationalgalerie spécialisée dans l'art récent, installée entre 1990 et 1996 par l'architecte-urbaniste Joseph Paul Kleihue dans une gare désaffectée du XIXe siècle, la Hamburger Bahnhof. En Allemagne, ce dernier exemple a été sans doute le plus représentatif de cette « muséalisation» des architectures historiques, même si, par la suite, d'autres exemples non moins marquants n'ont pas manqué7. Quant aux bâtiments nouvellement construits, certains exemples ont suscité une littérature critique abondante: c'est surtout le cas du Museum für Moderne Kunst (MMK) à Francfort, qui doit sa célébrité à son directeur provocateur Jean-Christophe Ammann8 et dont le bâtiment, dû à Hans

seule ne répresente pas un principe organisateur pour un musée. Pour moi ce qui est plus important est de montrer qu'il existe certains ponts entre les œuvres, des ponts de caractère, de mentalité ou même de couleur. Par exemple on a une salle dédiée au blanc chez des artistes comme Fontana, Sol Lewitt et d'autres» (Johannes Cladders, cité dans West, 1986: 25; voir aussi son texte dans Mendoza Castells et al, 1990). En réalité, cette mode postmodeme pourrait remonter aux années soixante-dix et quatre-vingt, c'est-à-dire à Rudi Fuschs, Jan Hoet et Harald Szeemann, voire à des précédents qu'on peut trouver dans des expositions telles que Modern Art Old and New, organisée en 1955 par Willem Sandberg au Stedelijk Museum d'Amsterdam, ou aux expérimentations du début du XXe siècle, puisque Max Sauerlandt avait déjà juxtaposé des xylographies expressionnistes et des statuettes archaïques grecques dans la Kunsthalle de Hambourg, et que Karl Ernst Osthauss avait quant à lui combiné les avant-gardes européennes avec l'art «primitif» africain ou océanien au Musée Folkwang (cf Meijers, 1996 : 14-15 et Schubert, 2000: 135). 7 Comme le MARTa à Herford, ouvert en 2005 dans un ancien bâtiment industriel aménagé en musée et agrandi par Frank Gehry, ou encore le Museum Gunzenhauser à Chemnitz, inauguré en 2007 dans l'ancien siège central de la Sparkasse Chemnitz - la caisse d'épargne locale -. 8 Certains lui reprochèrent d'avoir confondu la collection du musée avec sa collection personnelle, lorsqu'il fut à la tête du MMK entre 1989 et 2002, à tel point qu'on parla de « Musée Ammann» ; mais ce personnalisme, qui aurait pu choquer s'il s'était agi d'une institution financée avec les deniers publics, se «justifia» par le fait que le musée fut privé des subventions municipales; de sucroÎt, J.C.A. se défendait avec l'argument que, pour lui, il n'y avait rien de plus désolant que de visiter des musées historiques, c'est-à-dire de traverser un certain nombre de salles abritant des œuvres témoignant d'un goût homogène, avant d'arriver aux salles d'art contemporain, pleines de choses hétérogènes réunies de manière arbitraire, preuve que le directeur ne s'était pas hasardé à opérer une sélection personnelle; il ajoutait: «Dans le futur, chaque musée se présentera sous une autre forme, en accord avec la décision subjective de son directeur. Il est loin le temps où les musées se partageaient les mêmes artistes, et ne 319

Hollein, fut inauguré en 1991 près de la cathédrale (à l'instar du Museum

Ludwig à Cologne, ou de la Tate Modern à Londres

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cette proximité

entre les musées postmodernes et les cathédrales a précisément été commentée par Javier Gomez, 2003: 175-180); ou bien encore de l'impressionnant cube de 50 mètres de haut et 40 mètres de côté à la base du Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM), une nouvelle Bauhaus de l'art électronique conçue pour accueillir conférences, art expérimental et performances, dessinée par Rem Koolhaas et son Office for Metropolitan Architecture, et inaugurée en 1997 à Karlsruhe à côté de la gare, sur un terrain jouxtant les voies ferrées; deux ans plus tard, dans la même ville, le Museum für Neue Kunst a ouvert dans un ancien bâtiment industriel. Il s'agit toujours d'architectures signées, avec les stylèmes personnels qui matérialisent l'image de marque reconnaissable de super-agences d'architecture, sans pour autant qu'on puisse leur trouver des points communs. Tout au plus serait-il possible de distinguer,

en matière d'architecture récente des musées, une certaine préférence notamment en Allemagne et dans son aire d'influence culturelle - pour la concentration de l'offre muséale de quelque nature qu'elle soit en des points urbains précis, à l'instar de ce qui s'était fait au XIXe siècle avec la Museumsinsel de Berlin ou la zone de la Kônigsplatz à Munich (Layuno, 2003 : 110; Gomez, 2006 : 85-89). Ainsi, la MuseumsUfer de Francfort devint-elle célèbre dans les années quatre-vingt (Giebelhausen, 2003 : 75-107), mais dut céder la vedette à la Bundeskunsthalle et au Musée d 'histoire allemande de Bonn, ou plus récemment au \:omple.\.t: du Museum Kunst Palast de Dusseldorf et, surtout, à la zone dénommée Kunstareal à Munich, qui regroupe entre autres la Alte et la Neue Pinakothek, la Pinakothek der Moderne inaugurée en 2002, et le Branhorst Museum construit en 2008. Vienne demeure sans doute la référence la plus importante en matière de concentration urbaine d'institutions consacrées exclusivement à l'art moderne et contemporain: la capitale autrichienne avait ouvert un Museum moderner Kunst dans le palais Liechtenstein, situé dans le riche quartier nord de Rossau, en guise de réponse postmoderne au Museum des 20. Jahrhunderts qui fonctionnait depuis 1962 dans le Sweizergarten; mais toute l'offre muséale a été concentrée dans le Museums Quartier, inauguré en 2001. En plus de réhabiliter les anciennes écuries impéritales pour en faire une Kunsthalle destinée aux expositions temporaires, on érigea de part et d'autre et dans le même périmètre le Museum Moderner Kunst (MUMOK), sous la houlette de la manquaient pas de s'épier, et même d'essayer de se concurrencer» 46). 320

(Ammann, 1996:

Fondation Ludwig de Vienne, et le Leopold Museum, à partir de la collection d'art autrichien du XXe siècle appartenant à Rudolf Leopold, sans compter le centre d'architecture, le centre de danse, les locaux pour les artistes en résidence, etc... Il n'existe pas, dans le reste de l'Europe, une telle concentration urbaine de musées et centres d'art contemporain associés à d'autres espaces artistiques; ceci dit, plus personne n'ignore le rôle dynamisateur de telles institutions dans la formation d'un cultural district, indépendamment du fait qu'elles soient installées dans des bâtiments réhabilités ou dans de nouveaux bâtiments. Parmi ceux qui ont ouvert dans des bâtiments anciens, l'un des exemples les plus éloquents est fourni par le MUHKA d'Anvers (Museum van Hedendaagse Kunst Antwerpen), dédié à l'art flamand et international postérieur à 1970, et installé dans un ancien silo à grains au bord de l'Escault, dans une zone très proche de la place du Musée des Beaux-Arts: la proximité des deux musées a généré un produit d'appel culturel et touristique, renforcé par la concentration, dans le quartier voisin du «Zuid », de presque toutes les galeries d'art contemporain de cette ville belge. On pourrait multiplier les exemples, à commencer par la ville voisine de Gand et son Stedelijk Museum vor Actuele Kunst (SMAK), célèbre pour les initiatives pionnières de son directeur Jean Hoet pour amener l'art dans d'autres espaces urbains9, et qui fut ouvert lui aussi dans un bâtiment réaffecté du Parc de la citadelle, lOut pres du rvluséc d'art ancien; on pourrait terminer cette liste avec des exemples pris aux limites sud-est de l'EuropelO. 9 Jan Hoet organisa en 1986 l'exposition Chambres d'Amis, qui prétendait amener l'art contemporain et son public dans des demeures particulières (il le raconte lui-même dans Klüser & Hegewisch, 1991: 238-245). L'idée a été maintes fois reprise depuis, mais elle a surtout généré des répliques muséales ; ainsi des musées mettent-ils désormais des salles à disposition d'artistes pas encore consacrés, permettant de faire souffler un peu d'air frais dans ces institutions: c'est le cas de 1'« Espacio Uno» au M.N.C.A Reina Sofia à Madrid, ou de 1'« Espai 13» dans la Fundacio Joan Miro à Barcelone. JO Un Musée d'art moderne avait déjà été inauguré dans un ancien entrepôt du quartier de Tophane, à Istambul, au sein duquel l'Université Bilgi a ouvert en 2007, dans ce qui fut jadis la centrale thermoélectrique la plus importante de l'ancien Empire Ottoman, un complexe culturel associant résidences pour artistes, bibliothèque, salle de concerts, amphithéâtre, un musée de l'énergie, et un nouveau musée d'art contemporain qui en constitue la principale attraction. En 2008 se sont achevés les travaux de restauration du siège du Musée national d'art contemporain d'Athènes (EMS T, fondé en 2000 sans siège ni collection) : l'ancienne brasserie Fix, située à l'époque de son apogée dans la périphérie industrielle de la capitale grecque, se trouve maintenant, avec la croissance urbaine, dans une zone centrale, à proximité du nouveau Musée de l'Acropole, de telle manière qu'on a créé une promenade permettant d'attirer les visiteurs grâce à la 321

Parmi ceux qui ont été installés dans des édifices construits ad hoc, l'un des meilleurs exemples reste le nouveau siège du Musée d'art moderne construit par Rafael Moneo entre 1991 et 1998 à Stockholm, à côté du grand hangar où il avait été fondé -qui abrite désormais un Musée d'architecture -: tous deux bénéficient d'une situation privilégiée, avec vue sur le Musée Vasa, sur la petite île de Skeppsholmen, où se trouve également le Musée d'art oriental, et qui est unie par une passerelle au Musée national d'art. Sans quitter les pays nordiques, nous pourrions signaler un autre excellent exemple, situé à Helsinki, où le Musée d'art contemporain Kiasma, conçu par l'architecte états-uni en Steven Holl fut inauguré en 1998 à trois cents mètres à peine de la Galerie Finlandaise d'Art, dans un lieu faisant carrefour - kiasma (chiasme, en français) est le nom donné à un croisement de nerfs ou de

ligaments

-

entre la baie ouverte de Tôô16 et les architectures du

Finlandia Hall d'Alvar Aalto au nord, du Parlement national à l'ouest, et de la gare d'Bliel Saarinen à l'est. Mieux encore: citons le cas du nouveau Musée d'art moderne de Bruxelles, abrité non pas dans un bâtiment érigé, mais creusé au pied du Musée royal d'art ancien, sur le «Mont des arts », entre 1979 et 1984, ou encore le Musée d'Art Moderne Grand-Duc Jean (MuDAM), inauguré dans la ville de Luxembourg en 2006, dans un bâtiment de LM. Pei, situé dans le quartier de Kirchberg, près du fort reconstruit de Thüngen ainsi que de l'auditorium ou d'autres institutions; nous pourrions conclure cette brève revue àes exemples de ce type à Lisbonne, au Centœ cuiturd de Belém (CCB), une véritable « cité des arts »11construite de 1988 à 1993 dans une zone touristique et monumentale, incluant la Tour de Belém et le Monument aux Découvertes. Il y a évidemment bien d'autres quartiers d'art ou cultural districts (ou encore, en espagnol, barrios artisticos : voir Beida & Marin, 2006 : 75102); ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la terminologie dominante demeure anglo-saxonne, puisque les îles britanniques et l'Amérique du Nord constituent encore la principale référence dans le domaine, encore que des formules aussi concises que arts-led urban boost peuvent combinaison de l'antiquité et de l'art contemporain; cet afflux de visiteurs sera d'autant plus important quand les travaux du nouveau pôle d'échanges métro, tramway et train de l'Avenue Killarrois seront terminés. Il En plus des centres de congrès, de spectacles et d'expositions, l'ambitieux projet de l'architecte italien Vittorio Gregotti et du portugais Manuel Salgado prévoyait l'ajout d'autres dépendances culturelles: certaines se sont concrétisées depuis, en particulier le Museu Colecçào Berardo inauguré en 2007, afin d'abriter cette importante collection d'art européen et américain postérieur à la Seconde Guerre mondiale. 322

soulever des problèmes de traduction. C'est pourquoi il est bien nécessaire, dans cette digression sur l'art et la dynamisation urbaine en Europe, de consacrer un paragraphe au Royaume-Uni et à l'Irlande, puisqu'à défaut d'avoir fondé des musées d'art moderne et contemporain de grande envergure, ces pays n'en ont pas moins fait de l'impact urbain leur préoccupation première, au point qu'on en est venu à mesurer le succès ou l'échec de ces institutions non pas tant d'après leurs activités propres, mais principalement d'après leur répercussion sur l'amélioration de leur environnement urbain, sur l'économie locale, le tourisme, etc. Ce fut le cas de l'Irish Museum of Contemporary Art installé à peu de frais et sans grand battage médiatique en 1991, dans un ancien hospice situé en bordure du périphérique de Dublin, à proximité de la brasserie Guiness, en guise de contrepoint étatique et contemporain à la Hugh Lane Municipal Gallery of Modern Art, célèbre notamment pour sa collection d'œuvres d'impressionnistes français (Herrero, 2003). Mais c'est surtout la Tate Gallery de Liverpool qui fut taxée de mauvais investissement: l'Albert Dock, le seul entrepôt victorien de cette ville portuaire à avoir échappé à la pelleteuse, avait été sauvé de la ruine après un processus de restauration auquel James Stirling donna une touche

postmoderne en faisait peindre la colonnade en rouge vif

-

ce caprice

kitsch dissimule peut-être une allusion savante au palais de Cnossos -, avant d'être ouvert au public en 1986 sous la forme d'un complexe touristique qui comprenait, en plus de la première succursale de la Tate Guliery, un musée de la marine, un centre d'interprétation dédié aux Beatles, et une grande variété d'espaces récréatifs ou commerciaux. Les touristes répondirent présents, surtout la première année, mais on se rendit compte bientôt que leurs séjours dans la ville étaient si courts que, même dans le cas où ils restaient une nuit sur place, le retour sur investissement demeurait très loin des prévisions, en dépit d'une offre muséale de haut niveau et de l'impact que l'implantation de ce complexe avait pu avoir sur le secteur artistique de la ville, surtout dans le Creative Quarter limitrophe (Lorente, 1996). C'est sans doute pour cela que la Tate Gallery, lorsqu'elle voulut ouvrir une seconde succursale à l'emplacement d'un ancien réservoir de gaz à St-Ives, un port de pêche en déclin, choisit de lui donner un caractère plus discret (voir l'article de Chris Stephens dans Giebelhausen, 2003: 108-124); rien à voir avec l'accent mis de nouveau sur le pari de la régénération urbaine de la rive sud de la Tamise ou des districts londoniens de Lambeth et Southwark12, 12 Pendant la durée des travaux, la Tate Modern ouvrit un Visitor Centre abritant une exposition destinée à informer sur le projet, publia tous les quatre mois un bulletin d'information diffusé à 4 000 foyers, commerces et entreprises du quartier, et créa les 323

dans la perspective de l'inauguration, en l'an 2000, de la Tate Modern dans une ancienne centrale thermoélectrique (Barker, 1999; Moore, 2001 ; Sabbagh, 2001). Le principal instigateur de ce projet fut Nicholas Serota, qui s'était toujours plaint que 85% de la collection de la Tate restaient dans les réserves; il avait donc encouragé l'ouverture de succursales et la rotation annuelle des pièces en présentation permanente. Etant donné son admiration bien connue pour des espaces artistiques qu'il avait pu visiter à Bonn, Francfort, Mônchengladbach, Maastricht, etc. (Serota, 1996), son choix d'implanter le nouveau musée dans un ancien bâtiment industriel ne fut pas une surprise, ni même sa décision de présenter la collection permanente par le biais de montages périodiquement renouvelés; en revanche, le choix qu'il fit avec les responsables directs du musée chapeautés par le directeur Lars Nittve13, d'adopter pour la Bankside Business Partnership et Bankside Community Development Partnership, deux agences destinées à coordonner les interventions dans le quartier. Depuis l'ouverture de la Tate Modern, les services éducatifs du musée collaborent activement avec les écoles locales et les centres de formation pour adultes du quartier. Un programme de formation des surveillants de salles a même été créé, à l'issue duquel la priorité est donnée au recrutement d'habitants de Lambeth et Southwark : 21 habitants des environs ont ainsi été recrutés par le musée; cette « discrimiation positive» a eu comme résultat d'inciter les cafés et restaurants du musée à compter dans leur personnel 30% d'habitants des quartiers environnants. Des performances artistiques ont eu lieu dans le quartier et depuis 1997 on célèbre le Tate Annual Event, une sorte de fête de quartier dont l'organisation est confiée à un artiste (Cochrane, 2000). 13 Le suédois Lars Nittve, diplômé en économie, bénéficie néanmoins d'une longue expérience dans le monde des musées et de l'art (en tant que photographe). Critique d'art pour des revues telles que Art Forum ou Svenska, il fut conservateur en chef du Musée d'art moderne de Stockholm, puis directeur du Musée Louisiana d'art moderne au Danemark. Après avoir démissionné à la suite de désaccords avec Nicholas Serota, il fut remplacé en 2002 par Vicente Todoli, formé à l'IV AM de Valence (Espagne) et qui dirigeait à l'époque le musée de Serralves à Porto. Un autre personnage à prendre en compte,comme responsable de la présentation de la collection à la Tate Modern, n'est autre que Frances Morris, dont l'argumentation convaincante tenait en ces mots: « l think what we've tried to do at Tate Modern is create a number of stories around the collection [... J. What we have done is allowed a number of different narratives to come into play, a series ofdifferent display typologies which will evolve [...J. None ofthose conversations are etched in stone. Conversations move on and will be replaced by other conversations» (in Hiller, 2001 : 68-69). Cependant, contre ces « conversations» entre œuvres de différentes périodes, qui sont devenues tellement à la mode aujourd'hui, y compris au Musée d'art moderne du Centre Pompidou, où l'on a inauguré en 2005 un montage de la collection par section thématique, Jean Clair a écrit sur un ton non moins passionné, allant jusqu'à reprocher à Malraux et à son musée imaginaire ces dialogues néoformalistes: « une Vierge romane, dans le façonnage de ses volumes, serait comparab le à une sculpture cubiste, une statue de Laurens par exemp le [... J. Qui n'a vu Malraux, en cet état d'ivresse intellectuelle, courir agité d'une cimaise à une autre en 324

première présentation de la collection la mode «anhistorique» venue d'Europe centrale, fut particulièrement controversé, avant d'être légitimé au niveau mondial: même le MoMA de New-York s'est mis au goût du jour avec des expositions telles que Open Ends, dans le cadre du cycle MoMA2000. En réalité, leur recherche d'associations d'idées visuelles Cézanne et Carl André, Monet et Long, Matisse et Dumas, Collins et Salcedo, Giacometti et Newman, Hamilton et Kiefer - s'inscrivait dans la lignée muséographique du Sainsbury Centre for Visual Arts à Norwich, construit entre 1978 et 1991 par Norman Foster pour la University of East Anglia, même si l'antécédent académique du premier

montage thématique de la Tate Modern - vie quotidienne, paysage, corps et société

-

est à trouver dans des genres picturaux caractéristiques du

XIXc siècle - peinture d'histoire, nu, paysage, nature morte, etc. -dans

une acception si large, ceci dit, que cet « arrangement» marquait plutôt le retour du musée d'art contemporain aux origines des cabinets de curiosités, selon Stephen Bann (Bann, 1995). D'après le sociologue espagnol Vicente Verdu, «l'artifice thématique éveille plus facilement l'intérêt du public peu averti en matière de peinture, suscite la curiosité de la comparaison et génère un divertissement pour le spectateur libéré de la nécessité de comprendre» (repris dans Bellido, 2001: 201); en revanche, Diarmuid Costello, professeur à Oxford, affirmait que seuls les initiés, dotés de solides connaissances en art moderne et contemporain, pouvaient reconnaître les clins-d' ceil et les courts-circuits chronologiques personnels proposés, audelà desquels rien ne se prêtait à la discussion ou à l'interprétation (Costello, 2000: 17-21). Ces critiques semblent avoir fait mouche, ou, plus simplement, les critères antérieurs ont passé de mode, car depuis 2006 la nouvelle présentation de la collection n'est plus organisée par thème: elle met théoriquement l'accent sur des points nodaux dans l'art du XXC siècle, réunis sous des titres allusifs: Poetry and Dream peinture métaphysique, surréalisme, réalisme, installations poétiques; Material Gestures - autour de l'abstraction des années 1940 et 1950, de l'expressionnisme et de l'expressionnisme abstrait; Idea and Object -

constructivisme, minimalisme, art conceptuel; States of Flux -- cubisme, futurisme, vorticisme, pop art, art digital. Désormais, l'attente la plus grande est suscitée par le rôle qui va être donné à la photographie, à la vidéo et au travail social dans l'extension sud prévue pour 2012, qui sera située dans une pyramide de verre également conçue par Herzog et De visitant une exposition, et tirer du rapprochement des œuvres les plus diverses, les plus éloignées dans l'espace et dans le temps, des théories suprenantes, enthousiasmantes parfois, mais toujours farfelues» (Clair, 2007: 110-111). 325

Meuron, et par laquelle l'institution souhaite symboliser son implication sans cesse croissante dans la vie des quartiers environnants. En définitive, il semble que la contribution la plus importante de la Tate Modern, celle qui n'a jamais été remise en question, ait été précisément son succès en tant que catalyseur de la régénération de son contexte urbain (fig. 29).

Ah

y! c ».'

326

Fig. 29 Façade et intérieur de la Tate Modern, Londres

Le fait est que, indépedemment du «retour à l'ordre» qui s'impose dans les pratiques britanniques de la muséographie et l'expographie, l'itinéraire linéaire horizontal de l'enfilade a cédé la place à un autre itinéraire non moins contraignant, vertical celui-IàI4, par le biais des escaliers mécaniques ou des ascenseurs transparents qui permettent aux visiteurs d'accéder sans peine aux niveaux supérieurs - à la différence des escaliers des musées victoriens qui symbolisaient l'effort nécessaire à l'élévation de l'éducation - selon un parcours étudié pour voir et être vu, pour s'émerveiller de l'espace intérieur. Et, si leur statut social le permet, ils peuvent faire des achats dans les boutiques ou bien profiter de la vue incroyable sur la ville qui s'offre à eux depuis le restaurant - toujours très cher - situé sur la terrasse sommitale (l'espace d'exposition, dans ce bâtiment, occupe bien moins de surface que les espaces dédiés à la consommation: Montaner, 2003; Prior, 2003). Aurait-on retenu les leçons de Beaubourg? En partie peut-être, au moins pour ce qui concerne le rôle principal donné à l'architecture et à l'emplacement central dans la ville: en effet, pendant le dernier quart du siècle passé, la réhabilitation de bâtiments industriels et la revitalisation urbaine sont devenus des arguments fétiches pour obtenir des financements de la part des pouvoirs publics au Royaume-Uni, traditionnellement peu enclins aux dépenses en matière de politique culturelle (cet argument a été développé par Claire Doherty dans Wade, 2000: 105). Un musée alternatif et farouchement indépendant comme celui d'Oxford a ainsi fini par assurer sa pérennité grâce au soutien des pouvoirs publics, non pas tant à la faveur de la qualité de sa programmation, qu'à l'importance de sa présence dans le tissu urbainl5. 14 « Travelling on an escalator is as presciptive as walking through the enfilade: you cannot get off until you reach the top, and, in this sense, it is its vertical equivalent. Once each work of art, instantiating a moment in art history, was revealed through horizontal walking; now the gallery itselfis revealed through vertical ascent through the building. Visual (as opposed to physical) movement is further stimulated and accommodated by the apparatus of balconies, mezzanines, internal windows and Beijing platforms that characterize the contemporary gallery. Looking down on and through gallery space produces a view of art as an ensemble effect; it distracts attention from the individuated work of art» (Rees Leahy, 2007: 114). 15 Rappelons que le Museum of Modern Art d'Oxford, fondé en 1965 par l'architecte Trevor Green, à la tête d'un collectif d'artistes, d'universitaires, et de citoyens locaux, fut d'abord établi temporairement dans une demeure de King Edward Street, avant de trouver un domicile définitif en 1966, dans l'ancienne brasserie Hall's, un bâtiment de la fin du XIXe siècle, loué à la Ville d'Oxford; en 1989, la municipalité ayant renoncé à ses projets pour ce terrain, le musée s'est vu renouveler le bail pour 99 ans. Ce dernier 327

Cette mode politique s'est aussi traduite ostensiblement à travers de nouveaux exemples tels que la Gallery of Modern Art de Glasgow (GoMA) ouverte en 1996 dans un bâtiment néoclassique du centre ville, et dont la couverture médiatique s'est moins focalisée sur sa collection et ses activités que sur sa capacité à générer une dynamique urbaine. De la même manière, « l'effet domino» recherché en matière de régénération urbaine, d'amélioration de l'image ou d'élévation de l'estime de soi locale a été l'un des motivations politiques les plus rebattues à l'investissement, dans des infrastructures culturelles destinées aux régions jadis industrielles du nord de l'Angleterre, de millions de livres issues de la nouvelle loterie nationale (MacLeod, 2007): d'impressionnants musées et centres d'art contemporain ont ainsi proliféré, souvent installé dans des bâtiments réutilisés, comme le Baltic Centre for Contemporary Art de Gateshead, inauguré en 2002 dans un imposant edifice industriel, qui a servi de couronnement institutionnel à la stratégie locale faisant de l'art contemporain un élément de revitalisation de cette ville située en face de Newcastle, sur l'autre rive du Tyne; les bâtiments nouvellement construits ne manquent pas non plus, comme le Middlesbrough Institute of Modern Art inauguré en 2007, ou la New Art Gallery of Walsall, localité de la périphérie industrielle de Birmingham, une institution emblématique d'une « renaissance régionale» comparable au mouvement philanthropique de la fin du XIXc siècle, selon son premier directeur, Peter Jenkinson (dans Wade, 2000 : 14-15). Toutefois, s'il y a un pays où la fondation de nouveaux musées a été l'emblème politique d'un processus de décentralisation de la politique culturelle, c'est bien l'Espagne (Bolafios, 1997 ; Holo, 2002). La récente phase de prospérité démocratique et le développement territorial des communautés autonomes a favorisé la formation d'une constellation de musées et de centres d'art contemporain, dénué cependant de tout patron commun, ni en matière de définition des missions ni, bien évidemment, en matière d'architecture ou d'urbanisme; ceci dit, dans presque tous les cas, on a voulu en faire des éléments dynamisateurs de l'environnement urbain, qu'ils aient été implantés dans des bâtiments anciens réhabilités, dans des bâtiments construits ad hoc, ou dans des structures conciliant les deux options (voir Jiménez-Blanco, 1993; Diego, 1993; Lorente, 1997 ; Lomba 2001 ; Bonet et Power, 2003 ; Martin, 2003 ; et surtout s'est toujours défini comme une «galerie non commerciale », un espace alternatif où l'on peut voir l'art national et international le plus récent, ce qui ne l'empêche pas aujourd'hui de recevoir des subsides de l'Université d'Oxford et de l'Arts Council, en plus des subventions accordées par la municipalité. 328

Layuno, 2003). On assiste à un retour à la mode de la réutilisation de couvents ou d'autres bâtiments historiques, comme ce fut le cas au XIXe siècle: l'exemple le plus parlant n'est autre que le MNCARSJ6 à Madrid, inauguré dans l'ancien hôpital San Carlos en 1986 et qui s'enorgueillit, depuis 2005, d'une extension signée des Ateliers Jean Nouvel. Le territoire espagnol a vécu un boom sans équivalent des constructions, obéissant aux mêmes logiques. Depuis l'IV AM de Valence, inauguré en 1989 dans un quartier degradé bordant les anciennes murailles de la ville, et le MEIAC de Badajoz, construit entre 1989 et 1995 à l'emplacement d'une ancienne prison, les nouveaux édifices se sont succédé à un rythme soutenu; certains d'entre eux ont été signés par des architectes de réputation internationale, tels le portugais Alvaro Siza, auteur du CGAC, élevé sur le cimetière du couvent de Santo Domingo, en limite nord du centre historique de Saint-Jacques-de-Compostelle, et inauguré en 1993 ; ou encore l'américain Richard Meier, auteur du bâtiment du MACBA au 16 L'ancien hôpital San Carlos, œuvre de l'architecte Francisco Sabatini, fut de nouveau inauguré en 1986 en tant que Centro de Arte Reina Sofia. Peu après, en 1988, un décret royal a fait du centre d'art un musée, qui a fusionné avec l'ancien Museo espano! de arte contemporémeo (MEAC); des travaux d'extension interne furent entrepris jusqu'en 1990, et deux années plus tard, un avant-goût de la présentation de la collection permanente fut visible. Le 2c étage fut consacré à l'art jusqu'à 1945 (moderne) et le 4e à l'art postérieur à la Seconde Guerre mondiale (contemporain). L'extension de Jean Nouvel, inaugurée en 2005, offre autour d'une cour couverte trois nouveaux bâtiments: la bibliothèque, le bâtiment regroupant l'auditorium, la salle de réception et le bar-restaurant, et les espaces des expositions temporaires. Parmi les autres exemples de bâtiments réutilisés figurent des couvents reconvertis, tels le CA Santa Monica à Barcelone, ouvert en 1989, le Centro Anda!uz de Arte Contemporimeo (CAAC) à Séville, installé depuis 1997 dans une ancienne chartreuse puis faïencerie, ou le Museo de Arte Contemporimeo Espano! « Patio Herreriano » à Valladolid, inauguré

en 2002 ; d'anciens halles au grain ou marchés - comme la Panera à Lérida, actif depuis 2003, ou le CAC à Malaga inauguré en 2003 ; des remparts ou des bastions - un précédent existe depuis 1969 en l'espèce du Musée d'art contemporain d'Ibiza, tandis que le MAMC Es Baluard à Palma de Majorque a été inauguré en 2004; d'anciennes prisons - le MARCO à Vigo, ouvert en 2002; d'autres bâtiments institutionnels - le Musée d'art contemporain de Elche a ouvert en 1980 dans l'ancien hôtel de ville; ou encore des demeures historiques - c'est dans l'une d'elles que le Centro At!imtico de Arte Moderno, à Las Palmas, débuta ses activités en 1989, mais nous pourrions remonter à 1966, année de l'inauguration, dans les fameuses « Casas Colgadas », du Museo de Arte Abstracto Espano! de Cuenca (la Fondation Juan March, qui gère aujourd'hui ce musée, a installé en 1996 un Museo de Arte Espano! Contemporémeo dans une demeure bourgeoise du quartier ancien de Palma de Majorque) et l'on pourrait enfin citer le cas, très ancien, du Museo Municipal de Arte de! sig!o XX à Alicante, inauguré dans la Casa de !a Asegurada en 1977. Et cette liste n'inclut pas les musées et centres monographiques consacrés à un artiste, ni les institutions non musé ales dédiées à la création et aux expositions temporaires. 329

sein du Raval, un quartier barcelonais connu - avant l'inauguration du musée en 1996 - pour être une zone de prostitution; ou enfin le canadien résidant en Californie Frank Gehry, qui choisit le terrain des anciens chantiers navals de Bilbao pour édifier le Guggenheim, terminé en 1997, et qui s'est érigé en un modèle d'intervention architecturale et urbaine (fig. 30) très discuté (voir Tellitu & Esteban & Gonzalez, 1997 ; Zulaika, 1997 ; Frias, 2001 ; Esteban, 2007 ; Guasch & Zulaika, 2007).

!Fig. 30 Entourage

urbain du Museo Guggenheim-Bilbao.1 330

Suivant cet exemple, d'autres bâtiments muséaux ont été construits hors des centres historiques, souvent dans la zone d'extension urbaine caractéristique de la modernité industrielle: citons l'Artium de Vitoria, bâti en 2002 à l'emplacement d'une ancienne gare routière, ou le MUSAC de Luis Mansilla et Emilio Tunon, inauguré à Léon en 2005, un musée dont l'extension horizontale importante correspond à une volonté de colonisation et d'expansion urbaine qui peut difficilement entrer dans le cadre d'une stratégie de régénération de la ville ancienne. On compte même déjà des structures créées hors du tissu urbain: le cas du CDAN construit par Rafael Moneo à Huesca et actif depuis 2006 - est particulièrment frappant: situé dans une zone de villas bourgeoises suburbaines, il est également environné de jardins et de vignes, comme les musées imaginés par Van de Velde, Sert, etc. Au Portugal, en revanche, cette dernière tendance est la norme. Les principaux musées et centres d'art contemporain ont à peine suivi, depuis les dernières décennies, la tendance postmoderne du retour au tissu urbain, ni même la traditionnelle politique de réutilisation des bâtiments réhabilités, pourtant caractéristique des pays latins17 : on est resté fidèle, finalement, au penchant du Mouvement moderne pour les périphéries vertes. Ainsi, la Fondation Gulbenkian de Lisbonne, en complément au centre d'expositions, au siège administratif et au célèbre musée qui abrite les collections d'art ancien léguées par le collectionneur éponyme, fitelle édifier en 1983, de l'autre côté de l'étang qui orne ses jardins, le Centro de Arte Moderna (connu sous le sigle CAMJAP, car il porte depuis 1993 le nom du premier président de la Fondation, José Azeredo de Perdigào) ; mais l'exemple récent le plus connu reste sans doute la Fondation Serralves à Porto, installée depuis 1989 dans une splendide villa Art Déco, mais qui, depuis 1999, a transféré l'essentiel de ses activités dans le tout nouveau Museu de Arte Contemporânea construit par Alvaro Siza dans les jardins de cette villa suburbainel8.

17 A l'exception notable, par exemple, du Museu de Arte Maderna de Sintra, ouvert depuis 1987 dans un ancien casino Art Déco, ou du Centra de Arte Contemporânea dos Açores en cours d'installation dans les murs de l'ancienne distillerie de Ribeira Grande, sur l'île de S. Miguel. 18 La Fundaçào Serra Ives, afin de réflechir à sa personnalité future, organisa en 1990 un colloque international intitulé 0 Museo, Nova Destina de Arte Contemporimea, avec la collaboration du Centre Georges Pompidou, curieux modèle avoué de la Fondation... laquelle n'a pourtant rien à voir non plus avec le soi-disant modèle français, ni en matière urbanistique et architecturale, ni en matière de gestion, puisqu'aucun de ces nouveaux musées portugais d'art contemporain ne dépend de la tutelle étatique de 331

Les musées d'art contemporain intégrés à des complexes de loisirs ou d'affaires: dernières tendances en Amérique et de l'autre côté du Pacifique. La survivance de la tradition moderne que nous venons de commenter, en guise de point final de ce panorama européen, pourrait bien aussi apparaître comme en-tête à cette dernière section, dont le titre aurait pu arborer l'expression diehard modernism, si nous n'avions pas choisi de nous intéresser en premier lieu aux marges de l'Amérique anglophone, plus précisément au sud du continent américain. La croissance, au cours du XXC siècle, des grandes villes latino-américaines, a été traditionnellement orientée par les élites d'influence nord-américaine, appliquées à construire des bastions de la modernité; il n'est donc pas surprenant que les alternatives urbanistico-architecturales liées à la postmodernité ne soient pas encore traduites sous formes de réalisations muséographiques notables (en dépit d'initiatives méritoires commentées dans Bellido, 2007: 101-264). Rappelons que, sous la dictature de Pinochet, le MAC de l'Université du Chili fut transféré de son siège historique de la Quinta Normal vers le Parque Forestal, où il est toujours en activité, dans l'édifice monumental de l'Ecole des Beaux-Arts, rouvert en tant que siège du musée en 2005. Un autre exemple chilien se rapproche toutefois des tendances commentées ci-dessus: le Musée d'art contemporain de Valdivia, fondé par l'Université Australe du Chili en 1994, au bord de la rivière Calle Calle, dans les vestiges restaurés de l'ancienne brasserie Anwandter. A Buenos Aires, sans doute la plus européenne des métropoles américaines, le début du réaménagement, pour en faire le nouveau siège du Musée d'art moderne, de l'ancien dépôt de tabac construit en 1918 par la compagnie Piccardo y Cia Ltda, a coïncidé, en en 1987, avec la tentative de création d'un pôle de redynamisation urbaine dans le quartier populaire de San Telmo; mais les résultats espérés se font encore attendre... Quant au projet de création d'un Musée d'art contemporain à Puerto Madero, annoncé par les propriétaires du quotidien La Nacion au début du nouveau siècle, il n'a pas été suivi d'effet. En revanche, l'ouverture du Musée d'art latinoaméricain (MALBA) est devenue réalité en 2001 : constitué à partir de la collection d'Eduardo F. Constantini, il s'est installé au sein du quartier moderne de La Recoleta, dans un bâtiment conçu dans ce but par les argentins Gaston Atelman, Martin Fourcade et Alfredo Tapia, qui ont suivi la logique de neutralité architecturale du traditionnel «cube l' Instituto Português de Museus : ils sont en effet administrés sur un mode autonome par des fondations qui gèrent des fonds publics et privés (Guimaraes, 2004 ; 263). 332

blanc ». C'est plutôt hors de la capitale argentine que surgissent enfin des exemples tels que le Museo de Arte Contemporémeo de Rosario (MACRO), inauguré en 2004 dans les anciens silos à grain Davis, sur une rive du Parami. De la même manière, au Pérou, la capitale n'a pas encore trouvé de siège définitif pour le Museo de Arte Contemporémeo de Lima (LiMAC), fondé en 2002, même s'il existe le projet de lui trouver un asile souterrain à proximité d'une des autoroutes qui mènent à la ville. Au contraire, à Arequipa, un Musée d'art contemporain a été inauguré en 2003, dans une grande bâtisse qu'occupait auparavant la Gerencia de Ferrocarriles deI Sur; tandis qu'en périphérie de Trujillo, le célèbre peintre local Gerardo Chavez, propriétaire de ce qui fut un ancien dépôt sucrier, a inauguré en 2006 un Musée d'art moderne qui porte son nom. Mais le meilleur exemple sud-américain de cet éloignement des nouveautés muséographiques postmodernes par rapport à l'offre muséale des capitales est fourni par l'Equateur: en effet, ce n'est pas à Quito, mais à Guayaquil, la plus grande ville du pays, que la Banque Centrale a édifié en 2003 le Musée d'anthropologie et d'art contemporain (MAAC), attraction maîtresse du « Malec6n 2000 », un complexe commercial et de loisir qui a participé à la régénération des rives du Guayas, tout près du quartier ancien de Las Pefias (imitant en cela le modèle établi par Bilbao, au point que l'on parle même d' « effet Guayanheim » ! Voir Verdecia, 2004: 86-155). On pourrait également évoquer les alternatives les plus contemporaines, comme la critique de la précédente génération des «musées d'art moderne» ; mais il est certain qu'en Amérique du Sud, cette dialectique n'a pas vraiment pris, ni en ce qui concerne les collections, ni en ce qui concerne la localisation. Au Brésil, après la scission à la fois de l'administration et des collections du Museu de Arte Moderna «historique» de Sâo Paolo, l'architecte Lina Bo Bardi fut chargée en 1982 de réaménager son siège dans le Parc d'Ibirapuera dans le centre ville, et en 1992, un autre bâtiment fut construit ailleurs pour le nouveau Museu de Arte Contemporémea, qui ne se voulait pas, malgré son nom, une réponse postmoderne, mais s'affirmait comme le véritable héritier du MAM ; c'est pourquoi il était indispensable de conserver la même spécialisation chronologique. En revanche, à Rio de Janeiro, l'alternative au MAM situé dans le parc Brigadeiro Eduardo Gomes, connu sous le nom d'Aterro do Flamengo, n'est pas venue d'un musée récent dans le quartier ancien ni dans une zone urbaine à revitaliser, mais du spectaculaire Musée d'art contemporain construit entre 1991 et 1996 sur les plans de l'architecte vedette du Mouvement moderne, Oscar Niemeyer - aujourd'hui centenaire - à Niteroi, une ville de banlieue: il défie l'horizon sur un promontoire rocheux de la baie de Guanabara. Par 333

son allure il rappelle le project jamais construit du MAM de Caracas, qui fut pour beaucoup dans le développement des institutions qui prirent le relais dans les villes du Venezuela: du Musée d'art contemporain édifié en 1973 dans la zone du Parc central à l'initiative de la journaliste Sofia Imber, au Musée d'art contemporain de Maracaibo, construit par l'Universidad deI Zulia sur les terrains du campus en 1989. Le Musée d'art moderne de Bogota (MAMBO), pionnier en Colombie, fondé par Marta Traba et Gloria Zea en pleine Guerre froide, n'a jamais trouvé en l'espèce du Musée d'art contemporain (MAC) une alternative postmoderne très marquée, que ce soit en matière de contenu ou en matière urbanistico-architecturale, alors qu'il est situé dans un quartier populaire, et que le bâtiment, conçu par l'architecte Eduardo deI Valle et inauguré en 1970, affecte une architecture typique de la génération moderne: sa silhouette tronconique est inspirée de celle du Guggenheim de New-York; à Medellin, le fait est que le MAM fondé en 1978 survit sans faire de vague dans un quartier petit-bourgeois des banlieue proche, tandis que le Museo de Antioquia, dont les collections englobant toutes les époques et spécialités, sont installées depuis l'an 2000 dans l'ancien hôtel de ville, a été un élément moteur de la régénération du centre historique réputé dangereux. Plus l'influence culturelle des Etats-Unis se fait sentir, plus la dichotomie entre art moderne et art contemporain, entre modernité et postmodernité, devient intense. Au Mexique, dans la capitale fédérale, la première alternative au Musée d'art moderne établi dans le bois de Chapultepec ne fut autre que le Musée Rufino Tamayo d'Art contemporain international de la seconde moitié du XXC siècle, dont le siège fut construit entre 1979 et 1981 sur les plans des architectes Teodoro Gonzalez de Lean et Abraham Zabludovsky... dans ce même bois de Chapultepec. Par la suite sont apparus, le Musée d'art Carrillo Gil dans le quartier périphérique de San Angel, ainsi que le Centre culturel Santa Teresa (Xteresa), ouvert depuis 1993 dans un ancien couvent du centre ancien de Mexico. Dans d'autres capitales d'état mexicaines, le panorama est également en train de changer, puisque le Musée d'art contemporain (MARCO) inauguré en 1991 dans la ville de Monterrey (Nuevo Lean), et construit par le célèbre architecte mexicain Ricardo Legorreta, est situé dans le centre-ville, au sein du complexe urbanistique de la Macroplaza, près du casino et de la cathédrale. De son côté, le Musée d'art contemporain d'Oaxaca (MACO), fondé en 1992 par le Gouvernement d'Etat, s'est installé dans une ancienne demeure artistocratique construite entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe. Même si la spécialisation dans l'art le plus récent semble requérir la préexistence d'un musée consacré aux avant-gardes de l'art 334

moderne, cela n'a pas empêché les autres pays d'Amérique centrale de miser, eux aussi, sur la stratégie du arts-led urban boost. En 1983, l'Institut Panaméen d'Art acheta l'ancien Temple maçonnique situé à Ancon, c'est-à-dire dans les zones rendues par les Etats-Unis d'Amérique, et, après l'avoir réhabilité, y ouvrit un Musée d'art contemporain, qui est l'une des principales attractions du centre-ville, tout près du Palais législatif. En 1994, le Ministère de la Culture et de la Jeunesse du Costa Rica inaugura à San José le Musée d'art et de design contemporains (MADC), l'un des éléments constituant le Centra Nacional de Cultura installé dans l'ancienne Ftibrica Nacional de Licores, fondée en 1856 : située dans l'important quartier historique du centre de la capitale, elle fait partie des sites de très grand intérêt architectural et patrimonial du pays. En 2002, après plusieurs déménagements, le Musée d'art contemporain (MAC) de Porto Rico, fondé dix-huit ans auparavant par une association formée d'artistes et de mécènes, s'établit définitivement dans le bâtiment monumental de l'ancienne Ecole Rafael M. Labra, dans le quartier de Santurce. Logiquement, c'est en Amérique du Nord que le choc entre la continuation du Mouvement moderne et les courants de la postmodernité, dont les principaux théoriciens ont été précisément américains et canadiens, a été le plus fort. Ceci dit, il n'est plus habituel d'y voir s'élever de nouveaux cubes blancs fermés sur l'extérieur, organisés aUtour d'un jardin lIltérieur, ou environné~ de vertes prairies: les nouvelles cathédrales de l'art, toutes de verre et de béton, préfèrent désormais le bouillonnement urbain (Gomez, 2006: 90-99). Certaines institutions en sont même venues à changer d'emplacement, de mission et même de nom, telle la Art Gallery of North York de la ville de Toronto, qui fut rebaptisée en 1999 Museum ofContemporary Canadian Art (MOCCA), consacrée à l'art canadien postérieur à 1985, puis transférée en 2005 dans un nouveau bâtiment construit exprès dans le quartier historique, bénéficiant ainsi du voisinage d'artistes et de galeries. A Montréal, le changement de nom du musée national spécialisé dans l'art postérieur à la Second Guerre mondiale, fondé en 1964, s'est imposé dans la mesure où l'usage l'avait déjà rebaptisé Musée d'Art Contemporain; devenu institution autonome en 1983, il se tourna résolument vers l'art récent international et déménagea vers la zone de la ville où se concentrent, depuis les années quatre-vingt, les marchands les plus reconnus et la majeure partie de la communauté francophone (Greenberg, 1996: 354-355) : réouvert en 1992 sur la Place des Arts, très centrale, il fait partie intégrante d'un complexe

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architectural qui abrite également un théâtre, une bibliothèque, un auditorium de musique et divers services à vocation commerciale. En matière de ce que les anglo-saxons appellent clustering, les exemples ne manquent pas aux Etats-Unis d'Amérique, où le Museum of Contemporary Art de Los Angeles (LA MoCA), dédié à l'art de 1940 à nos jours, fut l'un des premiers points nodaux à cristalliser d'intenses débats autour des muséographies moderne et postmoderne. Il fut fondé à l'initiative d'un collectif d'artistes, de collectionneurs, d'hommes politiques et de citoyens en 1980, alors que le musée à la mode, dans le monde entier, était le Centre Pompidou à Paris; le recrutement au poste de premier directeur, d'un certain Pontus Hulten, qui avait de bons amis dans le milieu des artistes californiens19, ne peut pas, en principe, nous surprendre (Dufrêne, 2000: 251-254). Dans le cas du LA Mo CA, le bâtiment fut aussi commandé à un architecte étranger, le japonais Arata Isozaki, et comme à Beaubourg, on misa sur un emplacement central, dans le quartier commerçant de Bunker Hill, non loin du Music Center, avec l'ambition de créer un cœur urbain palpitant dans une ville caractérisée par un urbanisme dispersé, dépourvu de colonne vertébrale (West, 1986: 26-72). Seulement, pour motifs économiques, la construction fut retardée; en attendant, un siège provisoire, le Temporary Contemporary (TC), ouvrit en 1983 dans une ancienne caserne de police et un hangar réhabilités par Frank Gehry, à la limite de 19 Parmi les fondateurs du musée figuraient des artistes tels que Robert Irwin et De Wain Valantine, ainsi que de riches patrons, disposés à faire des donations à la nouvelle institution. Pour Puntus Hulten, il ne faisait aucun doute que de grands artistes californiens comme Edward Kienholz, Diebenkorn, Ruscha ou Larry Bell donneraient des œuvres. Mais on attendait de lui qu'i! obtînt des œuvres d'artistes étrangers: quand Eli Broad, président du conseil d'administration du nouveau musée, lui souhaita la bienvenue, il affirma qu'i! s'agissait de diriger non pas un nouveau musée provincial, mais une institution d'envergure internationale, consacrée en priorité à l'art postérieur à la Seconde Guerre mondiale (Dufrêne, 2000 : 254). Malgré l'urgence, i! put constituer une collection, privée cependant d'une articulation historique aussi cohérente que celle de Beaubourg, et non pas tant grâce à la générosité des artistes qu'à la collaboration des collectionneurs. Hulten appela Dominique de Meni!, Peter Ludwig, le comte Panza et Seji Tsutsumi, président du groupe Seibu, poète et collectionneur, et même le Musée Getty. De fait, ce qui avat d'abord été présenté comme une initiative venue des artistes, finit par être soutenue par les millionnaires (Berelowitz, 2003). Hulten espérait inaugurer le musée avec une exposition ambitieuse, The Territory of Art in the 20th Century, dont les pièces - extraordinaires - auraient marqué les points nodaux de l'évolution de l'art; finalement, cette exposition inaugurale consista en un hommage à huit grandes collections d'art contemporain: cinq privées (Ludwig, Schreiber, Weisman, Lipman, De Menil) et trois publiques (MoMA, MNAM, Musée de Vienne), dans l'espoir de pouvoir susciter une généreuse émulation du côté des donateurs privés. Le directeur écrivit alors un article censé énoncer de grands principes (Koshalek, 1996). 336

Little Tokyo. Il s'agissait d'un quartier bohème, au sein duquel bon nombre d'artistes possédaient un atelier: ce sont eux qui, en majorité, s'opposèrent à la fermeture prévue du TC, alors que le siège définitif était sur le point d'être inauguré. Après l'ouverture du LA MoCA en 1987, on décida de faire son annexe du TC de Little Tokyo, si bien que l'affrontement entre eux, deux bâtiments respectivement associés à la bohème artistique et aux élites fortunées, semble s'être soldé par un match nuPo (Berelowitz 1994; 2003). Et même si la coexistence de ces deux sièges pour une seule institution a pu être considérée comme le symptôme d'un dédoublement de personnalité, sur la foi de connotations sexuelles divergentes (le site masculin, industriel, non spectaculaire, opposé au lieu féminin, curviligne, tentaculaire, exhibitionniste et voyeuriste, selon Reesa Greenberg, 1996: 363-4), il n'en demeure pas moins que ce pari, très postmoderne, d'appliquer simultanément deux muséographies antagoniques, fut très applaudi et inspira même par la suite le MoMA, qui absorba en l'an 2000 le PS-l - l'un des espaces reconvertis apparus dans le New-York des années soixante-dix - afin de proposer une alternative au siège principal, toujours associé au canon moderne et au white cube muséographique. S'il y a un domaine où le LA MoCa fit école, après ces querelles, c'est certainement celui de l'emplacement stratégique des nouveaux musées dans des centres culturels, des quartiers commerçants ou de loisir, véritables foyers d'agitation de la vie urbaine aux Etats-Unis. Rappelons à ce propos qu'en 1995, le San Francisco Museum ofllJ.odern Art (SF-MOMA), un concurrent californien du MoMA, fondé el 1935, déménagea dans le Yerba Buena Center for the Arts, dessiné par l'architecte suisse Mario Botta (Henderson, 2000), et réorienta dès lors sa spécialisation principale vers l'art le plus contemporain21. Le cas de la nouvelle succursale du Museum of Contemporary Art San Diego, inaugurée en 1996 dans un bâtiment conçu par Robert Venturi et Denise Scott-Brown, à proximité du quartier financier et du La Jolla Recreation Center, est pour le moins similaire. Il semble que la dernière mode, parmi les musées américains, soit au retour à l'origine: les amusements (attractions), les arcades (galeries marchandes), l'art ostensiblement contemporain tout mélangé, comme au XIXème siècle. A Cleveland 20 Toutefois, le récent changement de nom du TC, rebaptisé « Geffen Contemporary» en l'honneur d'un des membres les plus généreux du conseil d'administration du MoCA, donne l'impression que les élites ont eu le dernier mot. 21 Bien qu'il fût fondé en 1935, sur le modèle du MoMA de New-York, seul son Department of Photography dispose d'une très vaste collection historique; dans les autres départements, c'est l'art de l'après-guerre qui domine, et en particulier l'art contemporain postérieur à 1980 (Garrels, 1996). 337

(Ohio), une institution fondée en 1968 sous le nom de The New Gallery, et rebaptisée seize ans plus tard Cleveland Center for Contemporary Art, fut transférée en 1990 au sein du complexe culturel et commercial dénommé Cleveland Play House, sur Carnegie Avenue; elle porte depuis 2002 le nom de Museum of Contemporary Art (MoCA). Parfois, le changement de nom et d'emplacement, le retour au centre historique, paraissent sanctionner le triomphe radical, y compris au cœur du pays, d'une politique culturelle en franche opposition avec les modèles de la modernité américaine établis il y a un quart de siècle: le Jacksonville Museum of Modern Art, par exemple, qui ouvrit en 1999 dans le Western Union Telegraph Building, un bâtiment Art Déco du centre ancien, à côté de l'Hôtel de Ville, a été rebaptisé Jacksonville Museum of Contemporary Art en 2006; ou bien encore Ie Contemporary Art Museum à Saint-Louis (Missouri), fondé sous un autre nom en 1980, et qui fonctionne depuis 2003 dans un nouveau bâtiment situé dans le Grand Center, le quartier culturel de la vieille ville. D'autres cas fournissent, en revanche, des exemples de réponses ambivalentes à des dilemmes similaires22. Dans cette même ligne consistant à faire valoir les nouveaux musées d'art contemporain comme des instruments de dynamisation de l'environnement urbain, l'exemple le plus médiatisé fut sans doute celui du Massachussetts Museum ofContemporary Art (Mass MOCA) à North Adams, inauguré en 1999 dans l'immense enceinte d'une ancienne usine textile du XIX" siècle, reconvertie en fabrique de matériel électrique au milieu du XXe siècle (fig. 31). Les attentes formulées par son premier instigateur, Thomas Krens, en matière de retombées économiques et touristiques, étaient sans doute démesurées; il fut appelé à diriger le Musée Guggenheim avant même de pouvoir concrétiser le projet, qui fut remis en question après qu'il eut tenté en vain d'en faire une filiale du Guggenheim (Zukin, 1995: 78-107). Grâce, peut-être, à ce changement 22 Ainsi, pour le Modern Art Museum de Fort Worth (Texas), on a opté pour un nouvel exemple d'architecture de tradition moderne: le bâtiment puriste et anguleux de Tadao Ando est venu, en 2002, s'ajouter au Kimbell Art Museum dessiné par Louis 1. Kahn et à l'Amon Carter Museum de Philip Johnson, au sein du fameux cultural district de la ville. Auparavant, à Chicago, on avait choisi un quartier culturel et aristocratique, connu sous le nom de « Gold Coast », à proximité de North Michigan Avenue et de Lake Shore Drive, pour ériger en 1996, entre les bâtiments néo-gothiques de la Northwestern University au sud et les tours résidentielles de haut standing au nord, le Museum of Contemporary Art conçu par l'architecte berlinois Josef Paul Kleihues ; son absence de prétention et sa hauteur modeste - le premier étage pour la collection permanente et le rez-de-chaussée pour les expositions, l'auditorium et le département de l'éducation - répondent, selon Franz Schulze, au souhait d'intégrer le musée à son contexte urbain sans attirer l'attention (voir Lampugnani & Sachs, 1999: 133-136). 338

de timonier, l'accent a enfin été mis sur le cap artistique à prendre, plus que sur l'impact indirect sur le tourisme ou l'économie. Fondé avec l'objectif déclaré de ne pas se constituer autour d'une collection, mais de

Fig. 31 Les vastes espaces MassMoCA

industrielles

339

à l'extérieur

et intérieur

du

fonctionner au rythme des expositions temporaires, à l'instar d'une Kunsthalle, le Mass MO CA prétend être le plus grand centre américain d'art contemporain, incluant non seulement les arts visuels, mais aussi la musique et les arts scéniques, un mélange particulièrement dans l'ère dutemps ; ceci dit, sa plus grande originalité réside dans le fait qu'il se définit de plus en plus comme un centre d'exposition et de création, où le public peut voir des œuvres en cours d'élaboration23. Cela dérive probablement de pratiques similaires expérimentées auparavant à New-York. Souvenons-nous aussi de ce que la Dia Art Foundation se vantait, à des débuts, de faire le pari des expositions temporaires pour se différencier diamétralement du type d'activités d'un musée; mais si, en 1987, dans le quartier new-yorkais de Chelsea, elle ouvrit le Dia Arts Center dans un ancien dépôt de marchandises de quatre niveaux, situé 22c Rue Ouest, afin d'abriter de grandes expositions de longue durée, elle n'en a pas moins inauguré en 2003 une autre dépendance à Beacon (Etat de New-York), en amont de l'Hudson, pour abriter sa collection permanente d'œuvres des années soixante à nos jours; l'ancienne biscuiterie Nabisco24 a ainsi été reconvertie grâce à une donation financière de Louise et Leonard Riggio, dont les noms figurent désormais sur l'enseigne de cette annexe muséale. Il est évident que ce cas ouvre la voie au développement d'une autre ligne argumentaire, parallèlement au débat opposant les musées aux centres d'exposition d'art contemporain: la prolifération des réseaux institutionnels dotés de sièges et succursales multiples25. L'exemple le 23 Le Mass MoCA insiste de plus en plus sur le fait qu'il montre des œuvres dans toutes les phases du processus de création, en particulier depuis la procédure juridique de 2007, gagnée au détriment de Christoph Büchel : l'artiste suisse, qui avait pris trop de temps pour préparer une installation, s'était vu annuler le contrat d'exposition, à la suite de quoi il décida de ne pas retirer les matériaux déjà en place et interdit même au musée de laisser visible son œuvre, sous prétexte qu'elle était inachevée. 24 Hal Foster a écrit, avec beaucoup d'ironie, à ce sujet: «A funny circularity is evident here. Minimalist artists pioneered the use of Soho lofts, once used for ligth manufacturing, as inexpensive studios, and these spaces set the units of measurement for the work; artists like Judd and Serra also adapted principles of factory fabrication to sculpture. And now this art is being returned to an industrial setting. (To come full circle the old Nabisco box factory needs an installation of Brillo boxes by Warhol.) What is more fitting than royal portraits in palaces, paintings of modern life in national museums, abstract works in white-cube museums and Minimalist installations in industrial sheds?» (Foster, 2003). 25 Cette prolifération n'a rien de commun avec les politiques culturelles de décentralisation qui ont donné lieu, en Europe, à l'ouverture de succursales de la Tate Gallery à Liverpool, St.-Ives et Londres, ou à la construction - actuellement en cours 340

plus pertinent en la matière est sans aucun doute fourni par la stratégie de Thomas Krens, en tant que directeur du Guggenheim: cette stratégie s'est distinguée d'un côté par la priorité donnée aux blockbusters, financées par de grandes marques de motos, de mode, ou d'autres types de produits, sans le moindre cas pour la période historique - les expositions consacrées à l'archéologie chinoise ou égyptienne, à MichelAnge ou à Rubens, par exemple, auraient dû rester hors du champ d'action d'un musée d'art contemporain - et d'un autre côté par la création de ce que Krens appelle une « constellation », quand d'autres y voient des «franchises »26. Ainsi, au Musée Guggenheim donnant sur Central Park à New-York et au Musée Peggy Guggenheim à Venise géré depuis 1981 par la fondation new-yorkaise - se sont ajoutés une

d'une antenne du Centre Pompidou à Metz; aux Etats-Unis, il s'agit bien d'une stratégie d'affaires (Gomez, 2006: 303-318). En plus des succursales multiples du Dia Center for the Arts, il convient de signaler un autre exemple qui abonde dans ce sens: l'ouverture, dans les années quatre-vingt, de succursales du Whitney Museum of American Art dans quatre bâtiments appartenant à de grands groupes industriels: en 1981 ouvrit le Whitney at Fairfield, logé et financé par Champion International, on créa en 1983 le Whitney at Philip Morris, financé par Philip Morris Corporation, on fonda en 1986 Ie Whitney Downtown at Federal Reserve Plaza, financé par IBM et Park Tower Realty, tandis que le Whitney at Equitable Center, sous la coupe de la Equitable Insurance Company, ouvrait la même année. Tous les frais étaient pris en charge par le ou les groupes respectifs, qui s'engageaient à mettre à disposition du musée une extension pour lui pel1llettre d' accroître ses collections, à lui assurer une publicité intense auprès des employés des groupes et des visiteurs extérieurs, ainsi qu'à octroyer de généreuses donations annuelles à l'institution «mère». Le prix à payer pour ces «avantages », selon Nancy Einreinhofer, était que ces accointances avec le monde des affaires entraînaient de nombreuses autocensures et favorisaient, au détriment des priorités scientifiques, le contentement des sponsors (Einreinhofer, 1997 : 138). 26 La fuite en avant de Krens, avec l'expansion du Guggenheim aux quatre coins du globe, a suscité de nombreuses critiques, parmi lesquelles ressort celle de Joseba Zulaika, qui a écrit par exemple: « Les villes du monde sont pour Krens ce que les femmes sont pour Dom Juan: des accessoires utiles pour assouvir ses fantasmes de pouvoir et de conquête. Ce qui importe, au fond, c'est qu'elles le désirent toutes. On entend fréquemment parler de villes, au Brésil, en Argentine et ailleurs, qui se disputent simultanément l'attention de Krens. Ces villes ne veulent pas de ce qu'on appelait jadis un musée, c'est-à-dire un édifice destiné à une chose aussi ringarde que l'exposition de peintures sur des cimaises. Elles veulent davantage: un musée krensifié, doté d'un sex appeal susceptible d'éveiller le désir des masses et qui soit, en plus, un musée. Ce qui importe vraiment, toutefois, c'est ce qui dépasse la définition du simple musée, ce qui va au-delà de l'art en tant que tel» (dans Guasch et Zulaika, 2007 : 163). Il n'en reste pas moins évident que Krens est parvenu à associer à de telles stratégies de prestigieux musées, tel l'Ermitage - qui possède un « satellite» à Londres et un à Las Vegas, en association avec le Guggenheim - ou encore le Louvre - qui va disposer à son tour d'un « satellite» à Abu Dhabi, où est également prévue, juste à côté, une autre succursale du Guggenheim (Clair, 2007 : 66-83). 341

succursale active dans le SoHo new-yorkais de 1992 à 2001, le Guggenheim-Bilbao inauguré en 1997, le Deutsche Guggenheim Berlin ouvert cette même année dans un bâtiment appartenant à la Deutsche Bank, et enfin le Guggenheim Las Vegas & Hermitage Guggenheim, installés tous deux de 2001 à 2008 dans le casino The Venetian (sans compter beaucoup d'autres projets qui ne sont pas matérialisés, mais qui se sont tous caractérisés par la réunion de l'architecture de marque au souhait de mêler museums & business). En réalité, bon nombres de ces stratégies avaient été éprouvées au MaMA, à New-York. On se rappelle l'intérêt de Nelson Rockeffeller pour la création de tout un complexe commercial, culturel et de loisir entre Rockeffeller Center et le MaMA, ou encore l'extension et le réaménagement du musée mené à bien par Cesar Pelli en 1980-84, au moment de la construction d'un gratte-ciel annexe, enfermant bureaux et appartements, dans un contexte de saturation foncière et de crise financière. La situation s'est avérée de nouveau délicate pour le MaMA du XXlc siècle, à tel point qu'une intervention architecturale semblait inévitable pour le remettre sous le feu des projecteurs; mais le conseil d'administration écarta à la fois la possibilité d'abandonner ou de démolir le siège historique et la possibilité de le conserver sous une forme fossilisée27. Une alternative était-elle envisageable? L'aggiornamento du modèle canonique jadis le plus universellement imité/contesté ne pouvait entraîner le renoncement à son propre héritage

muséographique - il aurait supposé un refoulement de son pa~sé et de son identité. A la suite des exposiciones anhistoriques provocatrices du cycle «MoMA 2000 », qui furent organisées avant la fermeture pour travaux, et où l'on avait pu voir par exemple le Baigneur de Cézanne à côté d'un baigneur du photographe Rijhstra, un retour à l'ordre s'est manifesté avec le musée rénové, inauguré en 2004 : sans pour autant se priver d'une architecture - voire d'un discours institutionnel - aux clins d'œil postmodernes, le MaMA est revenu, à bien des égards, à la

27 Terence Riley, alors conservateur en chef de l'Architecture et du Design, formula en ces termes son refus de ces deux attitudes extrêmes: « Both tabula rasa demolition and blind preservation are different forms of the same institutional amnesia. The one scrapes away the past, cutting it off from the present, and the other embalms the past, making it remote and inaccessible to the present in any meaningful way. The challenge of designing a new environment without shucking of our history and traditions is much more difficult than either of these two approaches» (in Elderfield, 1998: 121). En décembre 1997, Jacques Herzog & Pierre de Meuron, Yoshio Taniguchi et Bernard Tschumi, les trois sélectionnés à la suite du concours d'idées lancé au printemps 1997 (auquel furent également invités les agences de Steven Holl, Toyo Ito, Rem Koolhaas, Rafael Vifioly, et Tod Williams & Billie Tsien), présentèrent leurs projets. 342

contintuité d'une modernité sans complexe (Bois, 2005; Message, 2006), dont le bâtiment flambant neuf de Yoshio Taniguchi est tout à fait emblématique. Il est fort possible que le choix de cet architecte japonais, un diehard modernist dont Ie Marugame Genichiro-Inokuma Museum of Contemporary Art avait trahi son goût pour la monumentalité froide, fût motivé précisément par son penchant très limité pour les plaisanteries postmodernes: en effet, sa trajectoire a toujours été un exemple de fidélité au langage constructif du Mouvement Moderne au Japon, autre pays transformé depuis la Guerre froide en base avancée et bastion de l'avant-garde moderne occidentale. Taniguchi composa une façade assez attrayante pour être visible depuis la Cinquième Avenue, à base d'ardoise noire, de marbre blanc et de panneaux d'aluminium anodisés, mais seulement du côté de ce qui était, jusqu'alors, la partie arrière du musée, car on ne lui aurait pas permis d'intervenir sur le puzzle des architectures historiques de la façade donnant sur la 53e Rue Ouest, par laquelle se fait toujours l'entrée principale. On a ainsi opéré une distinction spatio-fonctionnelle, entre d'un côté la rotonde d'entrée historique, par laquelle on accède aux services éducatifs et de recherche, et de l'autre cette entrée « d'apothéose» par laquelle le reste du public accède aux grands espaces d'exposition et aux espaces commerciaux28, sans pour autant que l'on ait définivement renoncé à cette muséographie intimiste - faite de petites salles de hauteur et de dimensions domestiques, et si caractéristique du MoMA depuis l'époque d'Alfred Barr - puisqu'elle est évoquée au troisième niveau. Si l'extension de Cesar Pelli avait permis la création de vastes salles pour les œuvres contemporaines de grandes dimensions, ménageant toutefois une distinction des espaces historiques des espaces ajoutés par une différenciation du type de revêtement du sol en parquet ou moquette, la nouvelle rénovation de Taniguchi n'en montre pas moins le souci de s'inscrire dans une certaine continuité; cette impression est confirmée à mesure qu'on pénètre dans le bâtiment et qu'on s'avance soit vers l'est, 28 «As a distinctive cultural institution, the Museum must engage the city. The immediate physical environment of the Museum is markedly different on its north and south periphery, and those differences should be reflected in the character of the Museum itself by concentrating the commercial elements of the Museum on the Fiftythird Street side, and by placing the cultural uses and main Museum entrances on the quieter Fifty-fourth Street side. The dual missions of the Museum in the twenty-first century -exhibition of the collection and education of the public- are best given their own symbolic identities. One provides for the viewing of real objects and the other, their representations: the virtual museum as counterpoint to the actual one» (Taniguchi, 1998 : 242). 343

soit vers le haut, et qu'on laisse derrière soi la nouvelle façade et le vestibule aux vastes espaces de rencontre, favorables aux jeux de regards - grâce notamment à la mezzanine et les fenêtres qui donnent sur le jardin depuis lesquelles les visiteurs peuvent se pencher et être vus - : ce

sont des concessions superficielles à la muséographie postmoderne, car même le circuit chronologique des peintures et sculptures a été de nouveau mis en place, sur trois niveaux de hauteur décroissante, les œuvres les plus anciennes étant placées à l'étage supérieur et les œuvres les plus récentes au niveau inférieur29. Le MoMA est donc resté fidèle à lui-même, c'est-à-dire à la présentation d'un itinéraire canonique de l'art moderne, qui est une des valeurs historiques pour lesquelles le public est prêt à payer; cependant, à la suite des changements introduits dans les années quatre-vingt, on a continué d'ouvrir des portes faisant communiquer entre elles les salles consacrées à des périodes stylistiques et historiques distinctes, afin d'offrir au visiteur une liberté toujours plus grande dans son parcours, et on a prévu des cimaises de plus en plus longues (Lowry, 2004). Ceci dit, à partir de la fermeture du MoMA pendant les travaux de rénovation et d'extension, le musée d'art moderne le plus canonique a mis en branle une autre stratégie grâce à laquelle il s'est pleinement impliqué dans les tendances du XXlc siècle, par l'intermédiaire du PS-I, un de ces nombreux centres créés à New-York par des collectifs dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, dans des espaces « recyclés» (Carson, 2007 ; Serrano de

Haro, 1989) - ancienne école, dans ce cas précis30. 29 Ainsi, c'est à l'art récent que les visiteurs sont d'emblée confrontés: une abondance d'installations et d'interventions, dont le poids parfois très important et les montages moins définitifs que changeants justifient leur placement au rez-de-chaussée; ceux qui veulent voir l'ensemble de la collection peuvent prendre les ascenseurs afin de commencer par le niveau supérieur avant de redescendre, mais comme une grande partie du public est déjà familiarisée avec la collection permanente, il lui suffit de se tenir au courant des changements les plus récents (Terence Riley in Elderfield, 1998 : 277). Un détail n'est pourtant pas passé inaperçu: la première salle de la collection permanente de peinture et de sculpture ne commence plus avec le Baigneur de Cézanne, mais avec le portrait que Paul Signac fit de son ami le critique Félix Fénéon; peut-être s'agit-il d'un clin d'œil complice à l'égard des courants historico-artistiques les plus récents, qui, plutôt que de faire le récit des difficultés et des prouesses des artistes d'avant-garde, revendiquent l'importance de leur milieu artistique... encore que, selon le directeur Glenn Lowry, ce portrait qui ressemble plutôt à celui d'un magicien, avec son chapeau, sa baguette et ses étoiles magiques, symbolise surtout la manière dont le MoMA se déftinit désormais:« It's about showmanship, the mases... it's about coming up on popular culture» (cité dans Newhouse, 2006: 308). 30 Alanna Heiss fonda en 1971 The Institute for Art and Urban Resources Inc., dédié à la réutilisation des espaces désaffectés pour y organiser des expositions, des performances, y installer des ateliers d'artistes, etc. Son principal centre d'activités fut 344

Le New Museum of Contemporary Art, fut un autre de ces espaces alternatifs: fondé en 1977 par Marcia Tucker, qui resta à sa tête pendant vingt-deux ans, il ouvrit initialement dans le Graduate Center of the New School for Social Research sur la Cinquième Avenue, et de fréquentes expositions proposées par des associations d'artistes y furent présentées; mais la consécration n'est intervenue qu'en 1983, à la suite de l'aménagement dans le rez-de-chaussée loué de l'Astor Building, en plein SoHo, et la construction d'un siège propre, dans la zone du Bowery, en 2007, a été la cerise sur le gateau du processus de gentrification dans le Lower East Side31. Les sept niveaux du nouvel édifice dessiné par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, fondateurs de l'agence japonaise SANAA, ne sont pas alignés; chacun est en saillie d'un côté ou de l'autre, par un jeu très déconstructif qui donne l'impression d'une absence - apparente - de stabilité, qui se justifie en réalité par la nécessité de gagner de l'espace et de faire en sorte que chaque niveau dispose d'un éclairage zénithal naturel; le résultat est un exemple de transparences, de murs blancs et de reflets d'aluminium tant sur la façade qu'à l'intérieur. Il s'agit donc d'un parti très postmoderne, peut-être davantage vu de l'extérieur que de l'intérieur, puisque, en outre, l'engagement initial de Marcia Tucker, de vendre la collection cette ancienne Public School nOI (de là l'abréviation en PS-I) du district de Long Island, cédée gracieusement par la Ville de New-York (Wade, 2000: 74). Le centre opère toujours sous la direction d'Alana Heiss, mais désormais en tant que succursale du MoMA, qui a absorbé également la Clocktower Gallery, dans le Lower Manhattan, pour y installer la radio de cette filiale ainsi que des ateliers d'artistes. 3 I « It's also a thrilling piece of architecture that achieves enormous impact through the elaboration of simple, strong ideas, without the overwhelming heroics of Frank Gehry's great Guggenheim Museum branch in Bilbao, Spain. Completed 10 years after Gehry's building, the New Museum is tangible evidence that the global boom in art-museum design and construction shows no signs of weakening. It also demonstrates how art museums have the power to transform the image of entire neighborhoods. In this context, the New Museum, which officially opened Dec. I, could be viewed as part of the conquest of every square inch of Manhattan by the wealthy. But the museum shouldn't be blamed for the gentrification of the Bowery, once famous -or infamousas the city's skid row. Pricey new apartment buildings are already sprouting near the museum, along with yoga studios, trendy boutiques and chic bars [...] In contrast to the grubby, graffiti-smeared buildings that surround it, which look earthbound, weathered and weighty, the museum virtually floats. It is light, ethereal and mysterious. It arouses curiosity, creates a mood of anticipation and gently invites the passerby to figure out what's going on inside. It also suggests, at least in a subliminal way, that the act of viewing art requires active participation. By designing the building as a set of blocks, the architects are tapping into collective memories of the wooden blocks children use as toys, which can be rearranged at will. The museum's blocky shapes suggest the possibility that a similar kind of playfulness and open-ended quality extends to the appreciation of contemporary art» (Litt, 2008). 345

tous les dix ans pour permettre au musée de rester en phase avec l'art actuel, semble avoir été oublié... C'est pourquoi s'avère inévitable la comparaison avec un autre emblème de la muséographie postmoderne, construit par le même binôme d'architectes, dans la ville japonaise de Kanazawa: le 21st-Century Museum of Contemporary Art (difficilement traduisible en français sans

Fig. 32 Le 21st-Century Museum of Contemporary An museographie sans entrée ni parcours prédeterminés.

346

de

en trahir le nom: c'est bien le musée qui est du XXIe siècle, non sa collection d'art contemporain, consacrée principalement à des artistes nés arès 1965). Inauguré en 2004 dans le centre de Kanazawa, le bâtiment de Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa est un gigantesque cylindre de 113 mètres de diamètre et d'un seul niveau, sans façade principale ni façade arrière, percé de quatre entrées qui donnent accès à un labyrinthe de places, d'îlots et de couloirs aux parois transparentes; il renferme même un amusant bassin qui permet aux visiteurs de voir et d'être vus depuis toutes les faces (fig. 32). Cela faisait déjà plusieurs années que ses responsables, la conservatrice en chef Yuko Hasegawa et le directeur Yutaka Mino - ancien conservateur à l'Art Institute de

Chicago

-

constituaient la collection, qui met l'accent sur des thèmes

d'actualité tels que l'art et la communication, la périphérie mondiale, ou bien les traditions repensées; mais ils s'enorgueillissent surtout de pouvoir servir leur public au point de l'encourager à présenter ses propositions pour le programme des expositions. Il s'agit sans doute de la meilleure illustration, dans un pays comme le Japon, qui fut un bastion de la modernité pendant la Guerre froide, de l'infiltration de la postmodernité dans une multitude de domaines. Pour ce qui concerne le projet architectural, cependant, il y avait eu plusieurs précédents notoires. Premièrement, le Musée d'art contemporain d'Hiroshima, fondé en 1989 - qui se targue d'être le premier musée japonais consacré exclusivement à l'art contemporain - et construit dans le superbe parc Hijiyama par Kisho Kurokawa, multiplie les citations renvoyant à diverses périodes de l'histoire de l'architecture et des civilisations, des colonnades classiques à l'architecture industrielle japonaise. L'année suivante, ce fut au tour du musée Watari-Um d'être inauguré dans une rue centrale de Tokyo; la marchande d'art contemporain Shizuko Watari, à qui en revenait l'initiative, commanda le musée à l'architecte suisse Mario Botta, qui répondit par un bâtiment curieux en forme de triangle rectangle aux façades très animées. Plus encore, c'est un bâtiment grandiloquent de l'architecte Takahiko Yanagisa, exemple stylistique de l'éclectisme postmoderne, qui abrite le Musée d'art contemporain de Tokyo (MOT), inauguré en 1995 dans le Kiba Park par le gouvernement métropolitain, dans le cadre d'une politique de régénération de l'est de la capitale japonaise. Les succursales se sont également multipliées, comme celle que le Musée Hara d'art contemporain de Tokyo créa dans la ville de Shibukawa, où fonctionne depuis 1988 le Hara Museum ARC, construit par Arata Isozaki sur les flancs du mont Haruma, dans le parc de Ikaho Green Bokujo ; ou encore les deux succursales créées ces dernières années par le premier émule japonais du MoMA de New- York, le Musée d'art 347

moderne de Kamakura, dépendant de la Préfecture de Kanagawa: la première construite dès 1984 à l'emplacement d'un parking proche du siège, la seconde inaugurée en 2003, au bord de la plage de Isshiki, à Hayama. Même les cultural districts ont proliféré, tel celui de l'île de Nakanoshima au centre d'Osaka, où est venu s'implanter en 2004 le

Musée national d'art contemporain international - qui avait été pourtant inauguré en banlieue en 1977 -, dans un bâtiment de César Pelli, immergé et imperméabilisé contre les crues du fleuve. Enfin, le Japon a également appliqué, tout en le renouvelant, le modèle américain de l'inclusion de musées dans des centres d'affaires aux vocations diverses: le Musée Mori, ouvert en 2003 dans une tour de 54 étages du centre de Tokyo, où se trouvent également des bureaux, des hôtels, des cinémas, des théâtres, des boutiques, des banques, etc., fournit ainsi une superbe illustration de ce que, d'après David Almazan, l'intégration des musées dans la trame sociale et urbaine ne doit pas être considérée uniquement sur le plan horizontal - celui du sol - mais aussi parfois sur le plan vertical, puisque dans ce cas la Tour Mori est devenue l'un des jalons les plus marquants de la skyline de Tokyo (Almazan, 2003 : 399). De la même manière, à Sydney, au-delà du célèbre bâtiment de l'Opéra dû à Jorn Utzon, la tour du Musée d'art contemporain ouvert en 1991 dans l'ancien édifice Art Déco du Maritime Services Board, se singularise au sein du waterfront. Il s'agit une fois de plus d'un exemple de réutilisation postmoderne de bâtiments historiques, au même titre que de nombreux autres cas que l'on pourrait énumérer pour les pays de l'aire Pacifique, qui ne distingue guère du reste du monde actuel. Ainsi, dans le centre de Séoul, le palais royal de Deoksugung a rouvert en 1998 en tant qu'annexe consacrée aux expositions temporaires les plus novatrices du Musée national d'art contemporain de Corée, qui avait été actif à ce même emplacement de 1973 jusqu'à son transfert, en 1986, dans un bâtiment construit pour lui dans le parc Gwacheon. Quant au Musée d'art contemporain de Taipei, ouvert en 2001 dans l'ancien hôtel de ville, il ne constitue pas seulement un exemple de plus de la renaissance du patrimoine architectural des quartiers anciens des villes, mais aussi des nouveaux modes de gestion, puisqu'il est administré par la Contemporary Art Foundation, qui dépend de la municipalité et du secteur privé. Et la tendance ne semble guère différente dans les villes de la Chine continentale, où commencent déjà à apparaître d'innombrables exemples de musée et de centres d'art contemporain dans le cadre d'ambitieuses initiatives à vocation récréative et commerciale. A commencer par Shanghai, où, en 2004, dans la rue Duo Lun, célèbre pour ses cafés littéraires qui furent jadis l'épicentre de la bohème, a été fondé le Duolun Museum of Modern Art, issu d'une initiative privée parrainée 348

par plusieurs groupes commerciaux, et où la Fondation Samuel Kung, soutenue par le conseil municipal, a créé en 2005 le Musée d'art moderne (Shanghai MOCA) dans une serre du Parc populaire central, transformée par un architecte chinois de l'équipe de Rem Koolhaas, Liu Yuyang, musée qui est venu compléter l'offre culturelle d'un quartier où se trouvaient déjà le Shanghai Art Museum, le Shanghai Museum et le Shanghai Grand Theater. Les initiatives similaires ne manquent pas pour autant dans la capitale, où l'on a inauguré en l'an 2000 le Millennium Art Museum (MAM) de Pékin, sous la coupe du Beijing Gehua Cultural Development Group; cette compagnie, contrôlée par la municipalité, gère trois grands centres de loisirs, parmi lesquels l'imposant Gehua Culture Center, où opère un musée spécialisé dans l'art et les nouvelles technologies, en partenariat avec le ZKM de Karlsruhe, en Allemagne. En 2007, le Centre Ullens d'Art Contemporain a ouvert dans une ancienne manufacture de munitions, qui avait déjà été l'objet de négociations entre le gouvernement et Thomas Krens, en vue de l'implantation d'une succursale du Guggenheim; cela n'a pas empêché la formation d'un quartier d'art, avec des boutiques, des cafés et plus d'une centaine de galerie d'art, auxquels s'ajoute désormais ce musée fondé par le magnat et collectionneur belge Guy Ullens. La prolifération actuelle des musées et centres d'art contemporain est telle sous ces latitudes, comme sur le reste du globe, qu'il se pourrait qu'aucun des exemples mentionnés dans la trop longue liste de cet épilogue ne constitue, en définitive, le paradigme de notre épùque... Pourra-t-on encore envisager, dans le futur, une histoire des musées d'art contemporain dans les termes que nous avons utilisé dans ce livre, avec une première partie organisée autour du cas du Musée du Luxembourg à Paris, et une seconde autour du MoMA de New-York? Le phénomène du net art et des musées virtuels d'art contemporain est en train de prendre une telle importance que la localisation dans telle ou tele partie du monde n'a peut-être plus de sens... Dans ce cas, il est clair que le support informatique se prêtera mieux que le libre à la narration d'une histoire des musées d'art contemporain, une tâche inévitablement marquée, par la nature même de ces institutions, par un point de départ historique fixe, et un développement ouvert sur l'avenir, qui requiert des mises à jour continuelles et des révisions des données et de la bibliographie. A l'ère de l'Internet, il se peut que le fait de parcourir physiquement un musée ou de soupeser ce livre qu'on vient de terminer soit un bonheur en voie d'extinction... Ou peut-être pas?

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371

TABLE DES MATIERES

:

Introduction

7

PREMIERE PARTIE: LE MUSEE DU LUXEMBOURG A PARIS, PARADIGME DU XIXEMESIECLE 25 Chapitre 1. Origine du Musée des Artistes Vivants à Paris 27 L'émergence de Paris comme capitale muséale de référence à la fin du XVIIlème siècle et au début du XIXème siècle .27 « Les catch-penny shows: une coutume enracinée dans la culture anglo-saxone » .30-31 Le nouveau Musée des Artistes vivants, instrument de la monarchie 38 « Musées conçus comme instruments de propagande du souverain en place».

. . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . ..51-

Chapitre 2. Premiers Luxembourg

émules,

premières

alternatives

52

au 55

L'onde de choc du Musée des Artistes Vivants dans les autres capitales. .. . . .. . .. . . . .. . .. . . .. . ... .. . .. . . . . ... . .. . ... .. .. . .. . . 55 « Louis I de Bavière, créateur du premier contre-modèle muséal et urbain».

................

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . ... . . . .

. .65-66

Remise en question du musée de passage au milieu du XIXèm siècle.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .68

Un autre modèle novateur apparu à Londres et imité au RoyaumeUni 75 «Directives données par John Sheepshanks dans le procès-verbal de donation»

78-80

373

Chapitre 3. Dilemmes non résolus dans le dernier tiers du XIxrne siècle 85 Musées d'art national et/ou contemporain? La difficulté à fixer une spécialisation et à la maintenir. .. . .. . .. .. . .. . .. « Une négotiation complexe médiatisée presse»

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 9 8-1 0 1

Des débats politique Chapitre

.. .. .. .. .. 85 par la

sur la modernité

4.

Utopies

et

architecturale,

expériences

au

artistique

et 104

tournant

du

s ièc le. . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .119

Des musées très singuliers, fondés par des philanthropes riches et idéalistes.

.......

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .119

« Une catégorie spéciale: les « musées d'auteur» nord».

..........

en Europe du

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . ... . . . . . .123-125

Une ère de changements dans la politique muséale européene pour l'art moderne ...130 «Le développement en Italie d'un réseau municipal de gallerie d'arte moderna »

...143-145

DEUXIEME PARTIE: LE ROLE DU MOMA NEW-YORKAIS COMME MODELE INTERNATIONAL AU XXEME SIECLE.

.................................................

. . . . . ..151

Chapitre 5. Les bases et le contexte du surgissement MoMA Déclin des expériences européennes «La collection (Pologne) »

internationale

du 155 .155

d'art

nouveau

à L6dz .162-163

New-York s'affirme comme la capitale muséale de la modernité: la fondation du MoMA et d'autres institutions analogues.. .171 « Les deux filiales du MoMA à Boston et à Washington» 190-191 374

Chapitre 6. Le passage du MoMA à l'âge adulte dans un contexte de guerre et rivalités... .. . . .. .. . . . . .. . . . . .

..

.197

"How Modern Is the Museum of Modern Art?". . ... . . . . . .. . . . . ..197 « Barr révoqué de manière foudroyante ».. ...210-211 Expansion en temps de guerre, avec de multiples départements et un personnel renouvelé 214 Accords et désaccords avec d'autres musées voisins, qui forgèrent définitivement la personnalité du MoMA (et d'autres) 222 « L'art moderne est mort. Vive l'art contemporain! ».. 227-229 Chapitre 7. Le MoMA, modèle international pendant la Guerre Froide: triomphe et contestation... .. .. .. . .. .. .. .. .. ..239 Le rôle international du MoMA dans la promotion de l' expressi

onisme

abstrait.

. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .239

Le boom des années soixante: modèle

américain.

émulation internationale du

......................

. . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. .251

« Un foyer de modernité à Buenos Aires» ..253-254 Les révoltes anti-musée et anti-système, la querelle autour du MoMA

.268

"Le MoMA, théâtre des controverses artistiques en 1969-70"

..269-271

Chapitre 8. Le Centre Pompidou, un contre-modèle qui finit par imiter le MoMA 277 Le second avènement de Paris comme capitale moderne et internationale des arts. 277 « La régénération urbaine du centre de Paris, dans la ligne de mire des politiques » '" 279-280 Beaubourg vu de l'intérieur, ou la persistance du modèle américain.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..291

«La réforme muséographique Beaubourg et au MoMA » 375

des années quatre-vingt à .35-307

EPILOGUE: Chapitre 9: Revue topographique des nouveaux musées d'art contemporain au tournant du millenaire

309

Les usages architecturaux et urbains de la postmodernité et leur héritage en Europe. .. . .. .. .. . .. . .. ... . .. .. . .. .. . . .. . .. . .. .. . . .311 Les musées d'art contemporain intégrés à des complexes de loisirs ou d'affaires: dernières tendances en Amérique et de l'autre côté du Pacifique

332 .351

Bibliographie

376

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