Lettre Ouverte Aux Protestants, ST Francois de Sales [PDF]

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Zitiervorschau

LETTRE OUVERTE AUX PROTESTANTS, par Saint François de Sales

PREMIÈRE PARTIE : DÉFENSE DE L'AUTORITÉ DE L'ÉGLISE

CHAPITRE I : Les Ministres, n'ayant pas la Mission, n'ont pas l'autorité ARTICLE PREMIER : Les Ministres n'ont Mission ni du peuple ni des princes séculiers Premièrement, Messieurs, vos devanciers et vous aussi avez fait une faute inexcusable, quand vous prêtiez l'oreille à ceux qui s'étaient séparés de l'Eglise, car ce n'étaient pas des personnes qualifiées comme il fallait pour prêcher. Ils portaient la parole, à ce qu'ils disaient de la part de Dieu, contre l'Eglise ; ils se vantaient de porter le libelle de divorce de la part du Fils de Dieu à l'Eglise son Epouse ancienne, pour se marier à cette jeune assemblée refaite et réformée. Mais comment pouvez-vous croire aussitôt ces nouvelles, que sans leur faire montrer leur charge et commission bien authentifiée, vous commenciez de premier abord à ne plus reconnaître cette Reine pour votre princesse, et à crier partout que c'était un adultère ? Ils crurent cela et semèrent ces nouvelles, mais qui les en avait chargés ? On ne peut s'enrôler sous aucun capitaine sans l'aveu du prince chez lequel on demeure : et comment fûtes-vous si prompts à vous enrôler sous ces premiers ministres, sans savoir si vos pasteurs étaient de vrais pasteurs ? même que vous saviez bien que vous étiez sortis de l'état dans lequel vous étiez nés et nourris. Eux, donc, sont inexcusables de ce que sans l'autorité du magistrat spirituel ils ont fait cette levée de bouclier, et vous, de les avoir suivis. Vous voyez bien où je vais me battre ; c'est sur la faute de mission et de vocation que Luther, Zwingli, Calvin et les autres [?] : car c'est une chose certaine que quiconque veut enseigner et tenir rang de pasteur en l'Eglise, il doit être envoyé. Saint Paul : Quomodo praedicabunt, nisi mittanbur ? : "Comme prêcheront-ils, s'ils ne sont envoyés ? " Et Jérémie : " Les prophètes prophétisent à faux, je ne les ai pas envoyés " ; et ailleurs : Non mitebam prophetas et ipsi currebant : " Je ne les envoyais point, et ils couraient ". La mission est donc nécessaire ; vous ne le nierez pas, si vous ne savez quelque chose plus que vos maîtres. Mais je vous vois venir en trois escadrons : car, les uns d'entre vous diront qu'ils ont eu vocation et mission du peuple et magistrat séculier et temporel ; les autres de l'Eglise ; comment cela ? parce que, disent-ils, Luther, Œcolampade, Bucer, Zwingli et autres étaient prêtres de l'Eglise comme les autres ; les autres, enfin, qui sont les plus habiles, disent qu'ils ont été envoyés de Dieu mais extraordinairement. Voyons ce qu'il en est du premier. Comment croyons-nous que le peuple, et les princes séculiers, aient appelé Calvin, Brence, Luther, pour enseigner la doctrine que jamais il n'avait jamais entendue ? et avant, quand ils commencèrent à prêcher et semer cette doctrine, qui les avait chargés de ce faire ? Vous dites que le peuple dévot vous a appelés, mais quel peuple ? Car, ou il etait catholique, ou il ne l'etait pas : s'il était catholique, comment vous eut-il appelé et envoyé prêcher ce qu'il ne croyait pas ? et cette vocation de quelque bien petite partie du peuple hors catholique, comme pouvait-elle contrevenir à tout le reste qui s'y opposa ? et comment une partie du peuple pouvait-elle donner autorité sur l'autre partie, afin que vous pouviez délier les âmes de l'ancienne obéissance ? car un peuple ne peut donner l'autorité que sur soi-même. Il eut donc fallu ne point prêcher sinon là où vous étiez appelés du peuple, ce que, si vous l'eussiez fait, vous n'auriez pas eu tant de suite. Mais disons voir, quand Luther commença, qui l'appela ? Il n'y avait encore point de peuple qui pensait aux opinions qu'il a soutenues, comment donc l'eut-il appelé pour les prêcher ? S'il n'était pas catholique, qu'était-il donc ? luthérien ? non pas, car je parle de la première fois ; quoi donc ? Qu'on réponde donc, si l'on peut. Qui a donné l'autorité aux premiers d'assembler les peuples, dresser des compagnies et bandes à part ? Ce n'est pas le peuple, car ils n'étaient pas encore assemblés.

Mais, ne serait-ce pas tout brouiller de permettre à chacun de dire ce que bon lui semblerait ? A ce compte chacun serait envoyé ; car il n'y a si fou qui ne trouve des compagnons, témoins les Trithéistes, Anabaptistes, Libertins, Adamites. Il faut se ranger à l'Ecriture, en laquelle on ne trouvera jamais que les peuples aient pouvoir de se donner des pasteurs et prédicateurs. ARTICLE II : Les Ministres n'ont pas reçu Mission des Evêques catholiques Plusieurs donc de notre âge, voyant leur chemin coupé de ce côté-là, ils se sont jetés de l'autre, et disent que les premiers maîtres réformateurs, Luther, Bucer, Œcolampade, ont été envoyés par les évêques qui les firent prêtres, et vont ainsi enchaînant leur mission à celle des Apôtres. Véritablement c'est parler français, et réellement, que de confesser que leur mission ne peut être coulée des Apôtres à leurs ministres que par la succession de nos évêques et par l'imposition de leurs mains : la chose est telle sans doute. On ne peut pas faire sauter cette mission si haut que des Apôtres elle soit tombée entre les mains des prédicateurs de ce temps sans avoir été touchée par un des Anciens et de nos devanciers : il eut fallu une bien longue sarbacane en la bouche des premiers fondateurs de l'Eglise, pour avoir appelé Luther et les autres sans que ceux qui étaient entre deux s'en fussent aperçus, ou bien (comme dit Calvin à une autre occasion et mal à propos), que ceux-ci eussent eu les oreilles bien grandes : il fallait bien qu'elle fût conservée entière si ceux-ci devaient la trouver. Nous avouons donc que la mission était derrière nos évêques, et principalement dans les mains de leur chef, l'Evêque romain. Mais nous nions formellement que vos ministres en aient eu aucune communication pour prêcher ce qu'ils ont prêché, parce que : 1 - Ils prêchent des choses contraires à l'Eglise en laquelle ils ont été ordonnés prêtres : donc, ou ils errent ou l'Eglise qui les a envoyés, et, par conséquent, ou leur Eglise est fausse ou celle de laquelle ils ont pris la mission. Car d'une Eglise fausse il ne peut sortir une vraie mission : si c'est leur Eglise qui est fausse, moins ils ont mission ; car en une Eglise fausse ne peut être une vraie mission. Comme que ce soit donc, ils n'ont point eu de mission pour prêcher ce qu'ils ont prêché : puisque si l'Eglise en laquelle ils ont été ordonnés était vraie, ils sont hérétiques d'en être sortis et d'avoir prêché contre sa créance ; et si elle n'était vraie, elle ne leur pouvait donner mission. 2.- Outre cela, quoiqu'ils eussent eu mission en l'Eglise Romaine, ils ne l'ont pas eue pour en sortir et distraire de son obéissance ses enfants : certes, le commissaire ne doit pas excéder les bornes de sa commission, ou c'est pour néant. 3 - Luther, Œcolampade ou Calvin n'étaient pas évêques ; comment donc pouvaient-ils communiquer quelque mission à leurs successeurs de la part de l'Eglise romaine, qui proteste en tout et par tout qu'il n'y a que les évêques qui peuvent envoyer, et que cela n'appartient aucunement aux simples prêtres ? En quoi saint Jérôme même a mis la différence qui est entre le simple prêtre et l'évêque, en l'épître à Evagrium ; et saint Augustin et Epiphane mettent Arius en compte avec les hérétiques parce qu'il tenait de contraire.

ARTICLE III : Les Ministres n'ont pas la Mission extraordinaire Ces raisons sont si vives, que les plus assurés des vôtres ont pris parti ailleurs qu'en la mission ordinaire, et ont dit qu'ils étaient envoyés extraordinairement de Dieu, parce que la mission ordinaire avait été gâtée et abolie, quand et quand la vraie Eglise, sous la tyrannie de l'Antichrist. Voici leur plus assurée retraite, laquelle, parce quelle est commune à toutes sortes d'hérétiques, mérite d'être attaquée à bon escient et ruinée sans dessus dessous. Mettons donc notre dire par ordre pour voir si nous pourrons forcer cette leur dernière barricade. Je dis, donc :

1. - que personne ne doit alléguer une mission extraordinaire qui ne la prouve par des miracles. Car, je vous prie, à quoi en serions nous, si ce prétexte de mission extraordinaire était recevable sans preuve ? Ne serait ce pas un voile à toutes sortes de rêveries ? Arius, Marcion , Montanus, Massalius, ne pourraient-ils pas être reçus à ce grade de réformateurs en prêtant le même serment ? 2. - Jamais personne ne fut envoyé extraordinairement qui ne prit cette lettre de créance de la divine Majesté. Moïse fut envoyé immédiatement de Dieu pour gouverner le peuple d'Israël ; il voulut savoir le nom de qui l'envoyait, et quand il eut appris ce nom admirable de Dieu, il demanda des marques et patentes de sa commission : ce que notre Dieu trouva si bon, qu'il lui donna la grâce de trois sortes de prodiges et de merveilles, qui furent comme trois attestations, en trois divers langages, de la charge qu'il lui donnait, afin que qui n'entendrait l'une n'entendit l'autre. Si donc ils allèguent la mission extraordinaire, qu'ils nous montrent quelques œuvres extraordinaires, autrement nous ne sommes pas obligés de les croire. Vraiment Moïse montre extraordinairement bien la nécessité de cette preuve à qui veut parler extraordinairement ; car, ayant à demander le don d'éloquence à Dieu, il ne le demande qu'après avoir le pouvoir des miracles, montrant qu'il est plus nécessaire d'avoir l'autorité de parler que d'en avoir la promptitude. La mission de saint Jean-Baptiste, quoiqu'elle ne fut du tout extraordinaire, ne fut-elle pas authentifiée par sa conception, sa nativité, et même par sa vie tant miraculeuse, à laquelle Notre Seigneur donna si bon témoignage ? Mais quant aux Apôtres, qui ne sait les miracles qu'ils faisaient et le grand nombre de ceux-ci ? Leurs mouchoirs, leur ombre servaient à la prompte guérison des malades et à chasser le diable : Par les mains des Apôtres étaient faits beaucoup de signes et merveilles parmi le peuple (Actes, 5 :12) et que ce fut en confirmation de leur prédication, saint Marc le dit tout ouvertement, dans les dernières paroles de son Evangile, et saint Paul, aux Hébreux. Comment donc se voudront excuser et relever de cette preuve pour leur mission ceux qui en notre âge en veulent avancer un d'extraordinaire ? Quel privilège ont-ils plus qu'apostolique et mosaïque ? Que dirais-je de plus ? Si notre Souverain Maître, consubstantiel au Père, duquel la mission est si authentique qu'elle présuppose la communication de même essence, lui-même, dis-je, qui est la source vive de toute mission ecclésiastique, n'a pas voulu s'exempter de cette preuve de miracles, quelle raison y a-t-il que ces nouveaux ministres soient crus à leur seule parole ? Notre Seigneur allègue fort souvent sa mission pour mettre sa parole en crédit : " Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie " (Jean, 20 : 21) ; " Ma doctrine n'est point mienne, mais de Celui qui m'a envoyé " (Jean, 7 : 16) ; " Et vous me connaissez, et savez d'où je suis, et ne suis point venu de par moi-même " (28). Mais aussi, pour donner autorité à sa mission, il met en avant ses miracles, mais plutôt atteste que, s'il n'eut fait des œuvres que nul autre n'a faite parmi les Juifs, ils n'eussent point eu de péché de ne croire point en lui ; et ailleurs il leur dit : " Ne croyez-vous pas que mon Père est en moi et moi en mon Père ? Au moins, croyez-le par les œuvres " (Jean, 14 :11-12). Qui sera donc si osé que de se vanter de mission extraordinaire, sans produire quand et quand des miracles, il mérite d'être tenu pour imposteur : or est-il que ni vos premiers ni derniers ministres n'ont fait aucun miracle : ils n'ont donc point de mission extraordinaire. Passons outre. Je dis, secondement, que jamais aucune mission extraordinaire ne doit être reçue, étant désavouée de l'autorité ordinaire qui est en l'Eglise de Notre Seigneur. Car, 1.- nous sommes obligés d'obéir à nos pasteurs ordinaires sous peine d'être publicains et païens (Matthieu, 18 :17). Comment donc pourrions-nous ranger nous sous autre discipline que la leur ? Les extraordinaires seront tenus pour néant, puisque nous serions obligés de ne pas les entendre, dans le cas où, comme j'ai dit, elles seraient désavouées des pasteurs ordinaires. 2. Dieu n'est point auteur de divisions, mais d'union et de concorde (I Corinthiens, 14 : 33), principalement entre ses disciples et ministres ecclésiastiques, comme Notre Seigneur montre clairement en la sainte prière qu'il fit à son Père dans les derniers jours de sa vie mortelle (Jean, 17 : 11 et 21). Comment donc autoriserait-il deux sortes de pasteurs, l'un extraordinaire, l'autre ordinaire ? Quant à l'ordinaire qu'elle soit autorisée cela est certain ; quant à l'extraordinaire, nous le présupposons : ce seraient donc deux Eglises différentes, qui est contre la plus pure parole de Notre Seigneur, qui n'a qu'une seule épouse, qu'une seule colombe, qu'une seule parfaite (Cantiques, 6 : 8) . Et comment pourrait être le troupeau uni, conduit par deux pasteurs inconnus l'un de l'autre, à divers repaires, à divers huchements (appels) et redans (retranchements), et dont l'un et l'autre voudraient tout avoir ? Ainsi serait l'Eglise, sous diversité de pasteurs ordinaires et extraordinaires, tirassëe (tiraillée) ça et là en diverses sectes. Et quoi ? Notre Seigneur est-il divisé (1 Corinthiens, 1 : 13) , ou en lui-même ou en son corps qui est l'Eglise ? Non, pour vrai, mais, au contraire, il ni a qu'un Seigneur (Ephésiens, 4 : 5), lequel a bâti son corps mystique (12) avec une belle variété de membres très bien agencés (11), assemblés et serrés comtement (?), par toutes les jointures de

la sousministration (?) mutuelle (16) ; de façon que de vouloir mettre en l'Eglise cette division de troupes ordinaires et extraordinaires, c'est la ruiner et perdre. Il faut donc revenir à ce que nous disions, que jamais la vocation extraordinaire n'est légitime quand elle est désavouée de l'ordinaire. 3. Et de fait, ou me montrera jamais une vocation légitime extraordinaire qui n'ait été reçue par l'autorité ordinaire ? Saint Paul fut appelé extraordinairement (Actes, 9 : 6), mais ne fut-il pas approuvé et autorisé par l'ordinaire, une (Actes, 9 : 7) et deux (Actes, 13 : 3) fois ? et la mission reçue par l'autorité ordinaire est appelée mission du Saint-Esprit (Actes, 13 : 4). La mission de saint Jean-Baptiste ne peut pas se bien dire extraordinaire, parce qu'il n'enseignait rien contre l'Eglise mosaïque, et parce qu'il était de la race sacerdotale (Luc 1, 8) : si est-ce néanmoins que la rareté de sa doctrine fut avouée par l'ordinaire magistrat de l'Eglise judaïque, en la belle légation qui lui fut faite par les prêtres et les lévites (Jean 1 : 19 et suiv.), la teneur de laquelle présuppose une grande estime et réputation en laquelle il était tenu par eux ; et les Pharisiens mêmes, qui étaient assis sur la chaire de Moise, ne venaient-ils pas en grand nombre à son baptême (Matthieu, 3 : 5-7) tout ouvertement, sans scrupule ? C'était bien recevoir sa mission à bon escient. Notre Seigneur même, qui était le Maître, ne voulut-il pas être reçu de Siméon (Luc, 2 : 28 et 34) qui était prêtre, comme il appert en ce qu'il bénit Notre-Dame, et même pour sa Passion, qui était l'exécution principale de sa mission, ne voulut-il pas avoir le témoignage prophétique du grand Prêtre qui était pour lors (Jean, 11 : 51) ? 4. Et c'est ce que saint Paul enseigne, quand il ne veut que personne s'attribue l'honneur pastoral sinon celui qui est appelé de Dieu, comme Aaron (Hébreux, 5 : 4) : car la vocation d'Aaron fut faite par l'ordinaire, Moïse, si que Dieu ne mit sa sainte parole en la bouche de Aaron immédiatement, mais Moïse, auquel Dieu fit ce commandement (Exode, 4 : 15) : " Tu lui parleras et tu mettras les paroles dans sa bouche ; et je serai en ta bouche et en la sienne ". Que si nous considérons les paroles de saint Paul, nous apprendrons même, 5. que la vocation des pasteurs et magistrats ecclésiastiques doit être faite visiblement ou perceptiblement, non par manière d'enthousiasme et motion secrète : car voilà deux exemples qui proposent ; d'Aaron, qui fut oint et appelé visiblement (Lévitique, 8 : 12 ; Exode, 28 : 1), et puis de Notre Seigneur et Maître, qui, étant Souverain Pontife et Pasteur de tous les siècles, ne s'est point clarifié soi-même (Hébreux, 5 : 5-6), c'est-à-dire, ne s'est point attribué l'honneur de sa sainte prêtrise, comme avait dit saint Paul auparavant, mais a été illustré par Celui qui lui a dit : " Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui, et, tu es prêtre éternellement, selon l'ordre de Melchisédech ". Je vous prie, pensez à ce trait : Jésus-Christ est Souverain Pontife selon l'ordre de Melchisédech. S'est-il ingéré et poussé de lui-même à cet honneur ? non, mais il y a été appelé (Hébreux, 5 : 10). Qui l'a appelé ? - Son Père éternel (5, 5). Et comment ? - Immédiatement et médiatement tout ensemble : immédiatement, en son Baptême (Matthieu, 3 : 17) et en sa Transfiguration (Matthieu., 17 : 5), avec cette voix : " Celui-ci est mon Fils bien aimé auquel j'ai pris mon bon plaisir, écoutez-le " ; médiatement, par les Prophètes, et surtout par David dans les lieux que saint Paul cite à propos des Psaumes : " Tu es mon Fils, moi-même, aujourd'hui, je t'ai engendré " (Psaumes, 2 : 7), et " Tu es prêtre éternellement, selon l'ordre de Melchisédech " (Psaumes, 109 : 4). Et partout la vocation est perceptible : la parole en la nuée fut entendue, et en David entendue et lue ; mais saint Paul, voulant montrer la vocation de Notre Seigneur, apporte les passages seuls de David, par lesquels il dit Notre Seigneur avoir été clarifié de son Père, se contentant ainsi de produire le témoignage perceptible, et fait par l'entremise des Ecritures ordinaires et des Prophètes reçus. Je dis troisièmement que l'autorité de la mission extraordinaire ne détruit jamais l'ordinaire, et n'est donnée jamais pour la renverser : témoins tous les Prophètes, qui jamais ne firent autel contre autel, jamais ne renversèrent la prêtrise d'Aaron, jamais n'abolirent les constitutions de la Synagogue ; témoin Notre Seigneur, qui assure que tout royaume divisé en soi-même sera désolé, et l'une maison tombera sur l'autre (Luc, 11 : 17) ; témoin le respect qu'il portait à la chaire de Moïse, la doctrine de laquelle il voulait être gardée (Matthieu, 23 : 2,3). Et de vrai, si l'extraordinaire devait abolir l'ordinaire, comment saurions-nous quand, à qui et comment nous nous y devrions ranger ? Non, non, l'ordinaire est immortelle pendant que l'Eglise sera ici bas en ce monde : Les pasteurs et docteurs qu'il a donnés une fois à l'Eglise doivent avoir perpétuelle succession, pour la consommation des Saints, " jusqu'à ce que nous nous rencontrions tous en l'unité de la foi, et de la connaissance du Fil de Dieu, en homme parfait, à la mesure de la taille du Christ en sa plénitude ; afin que nous soyons plus enfants, flottants et menés ça et là à tout vent de doctrine, par la piperie des hommes et par leur rusée séduction " (Ephésiens, 4 : 11-14). Voilà le beau discours que fait saint Paul, pour montrer que si les docteurs et pasteurs ordinaires n'avaient perpétuelle succession, mais plutôt fussent sujets à l'abrogation des extraordinaires, nous n'aurions aussi qu'une foi et une discipline désordonnées et interrompues à tous coups, nous serions sujets à être séduits par les hommes qui à tout

propos se vanteraient de l'extraordinaire vocation, mais plutôt, comme les Gentils, nous cheminerions en la vanité de nos entendements, un chacun se faisant accroire de sentir la motion extraordinaire du Saint-Esprit : de quoi notre âge fournit tant d'exemples, que c'est une des plus fortes raisons qu'on puisse présenter en cette occasion ; car, si l'extraordinaire peut lever l'ordinaire administration, à qui en laisserons-nous la charge ? A Calvin, ou à Luther ? A Luther, ou au Pacimontain ? Au Pacimontain, ou à Blandrate, ou à Brence ? A Brence, ou à la reine d'Angleterre ? car chacun tirera de son côté cette couverte (couverture) de la mission extraordinaire. Or la parole de Notre Seigneur nous délivre de toutes ces difficultés, qui a édifié son Eglise sur un si bon fondement, et avec une proportion si bien entendue, que les portes d'enfer ne prévaudront jamais contre elle (Matthieu, 16 : 18). Que si jamais elles n'ont prévalu ni prévaudront, la vocation extraordinaire n' y est pas nécessaire pour l'abolir : car Dieu ne hait rien de ce qu'il a fait, comment donc il abolirait l'Eglise ordinaire pour en faire d'extraordinaires ? vu que c'est lui qui a édifié l'ordinaire sur soi-même, et l'a cimentée de son sang propre.

ARTICLE IV : Réponse aux arguments des Ministres Je n'ai encore su rencontrer parmi vos maîtres que deux objections à ce discours que je viens de faire ; dont l'une est tirée de l'exemple de Notre Seigneur et des Apôtres, l'autre, de l'exemple des Prophètes. Mais, quant à la première, dites-moi, je vous prie, trouvez-vous bon qu'on mette en comparaison la vocation de ces nouveaux ministres avec celle de Notre Seigneur ? Notre Seigneur n'avait-il pas été prophétisé en qualité de Messie ? Son temps n'avait-il pas été déterminé par Daniel (9 : 24 et 26) ? A-il fait une action qui ne soit presque pas particulièrement cotée dans les Livres des Prophètes et figurée dans les Patriarches ? Il a fait changement de bien en mieux de la loi mosaïque, mais ce changement-là n'avait-il pas été prédit (Aggée, 2 : 10) ? Il a changé par conséquent le sacerdoce d'Aaron en celui de Melchisédech, bien meilleur ; tout cela n'est-ce pas selon les témoignages anciens (Hébreux, 5 : 6) ? Vos ministres n'ont point été prophétisés en qualité de prédicateurs de la Parole de Dieu, ni le temps de leur venue, ni pas une de leurs actions ; ils ont tu un remuement sur l'Eglise beaucoup plus grand et plus âpre que notre Seigneur le fit sur la Synagogue, car ils ont tout ôté sans y remettre que certaines ombres, mais de témoignages ils n'en ont point à cet effet. Au moins ne se devraient-ils pas exempter de produire des miracles sur une telle mutation, quoique vous tiriez prétexte de l'Ecriture ; puisque Notre Seigneur ne s'en exempta pas, comme j'ay montré ci-dessus, encore que le changement qu'il faisait fut puisé de la plus pure source des Ecritures (Luc, 1 : 70). Mais où me montreront-ils que l'Eglise doive jamais plus recevoir une autre forme, ou semblable réformation, que celle qu'y fit Notre Seigneur ? Et quant aux Prophètes, j'en vois plusieurs abusés. 1. On pense que toutes les vocations des Prophètes ont été extraordinaires et immédiates : chose fausse ; car il y avait des collèges et des congrégations de Prophètes reconnus et avoués par la Synagogue, comme on peut recueillir de plusieurs passages de l'Ecriture. Il y en avait en Ramatha, en Béthel, en Jéricho où Elisée habita, en la montagne d'Ephraïm, en Samarie ; Elisée même fut oint par Elie ; la vocation de Samuel fut reconnue et avouée par le grand Prêtre, et en Samuel recommença le Seigneur à apparaître en Silo (voir les Livres des Rois ), comme dit l'Ecriture, qui fait que les Juifs tiennent Samuel comme fondateur des congrégations prophétiques. 2. On pense que tous ceux qui prophétisaient exerçaient la charge de la prédication : ce qui n'état pas, comme il appert des sergents de Paul et de Saul même (1 Rois, 19 : 20 et suiv.). De façon que la vocation des Prophètes ne sert de rien à celle des hérétiques ou schismatiques, car : 1. Ou elle était ordinaire, comme nous avons montré ci-devant, ou approuvée du reste de la Synagogue, comme il est aisé de le voir en ce qu'on les reconnaissait incontinent, et on en faisait conte en tous lieux parmi les Juifs, les appelant hommes de Dieu (3 Rois, 17 : 18) : et à qui regardera de près l'histoire de ces anciennes synagogues, verra que l'office des Prophètes était aussi commun entre eux qu'entre nous des prédicateurs. 2. Jamais on ne montrera un prophète qui voulut renverser la puissance ordinaire, mais plutôt l'ont toujours suivie, et n'ont rien dit de contraire à la doctrine de ceux qui étaient assis sur la chaire de Moïse et d'Aaron ; mais plutôt il s'en est trouvé qui étaient de la race sacerdotale, comme Jérémie, fils d'Helcias, et Ezéchiel, fils de Buzi ; ils ont toujours parlé avec honneur des Pontifes et succession sacerdotale, quoiqu'ils aient repris leurs vices. Isaïe, voulant écrire dans un grand livre qui lui fut montré, prit Urie, prêtre, quoiqu'à venir, et Zacharie prophète à témoins, comme s'il prenait le témoignage de tous les prêtres et prophètes ; et Malachie n'atteste-t-il pas que les lèvres du prêtre gardent la science, et demanderont la loi de sa bouche ; car l'ange du Seigneur des armées ?

(Ezéchiel, 2 : 7) tant s'en faut que jamais ils aient retiré les Juifs de la communion de l'ordinaire. 3. Les Prophètes, combien de miracles ont-ils fait en confirmation de la vocation prophétique ? Ce ne serait jamais fait si j'entrais en ce dénombrement. Mais si quelquefois ils ont fait quelque chose qui eut quelque visage d'extraordinaire pouvoir, incontinent les miracles se sont ensuivis : témoin Elie, qui dressant un autel en Carmel selon l'instinct qu'il avait eu du Saint-Esprit, et sacrifiant, montrant par miracle qu'il le faisait à l'honneur de Dieu et de la religion Juive (3 Rois 18 : 32 et 38). 4. Enfin, vos ministres auraient bonne grâce s'ils voulaient s'usurper le pouvoir de prophètes, eux qui n'en ont jamais eu le don ni la lumière : ce serait plutôt à nous, qui pourrions produire une infinité de prophéties des nôtres ; comme de saint Grégoire Thaumaturge, au rapport de saint Basile, de saint Antoine, témoin Athanase, de l'abbé Jean, témoin saint Augustin, saint Benoît, saint Bernard, saint François et mille autres. Si donc il est question entre nous de l'autorité prophétique, elle nous demeurera, soit-elle ordinaire ou extraordinaire, puisque nous en avons l'effet, non pas à vos ministres qui n'en ont jamais fait un brin de preuve : sinon qu'ils voulussent appeler prophéties de la vision de Zwingli, au livre inscrit : Subsidium de eucharistia, et le livre intitulé : Querela Lutheri, ou la prédiction qu'il fit, l'an 25 de ce siècle, que s'il prêchait encore deux ans il ne demeurerait ni pape, ni prêtres, ni moines, ni clochers, ni Messes. Et de vrai, il n'y a qu'un mal en cette prophétie, c'est seulement faute de vérité ; car il prêcha encore près de vingt-deux ans, et néanmoins encore se trouve-t-il des prêtres et des clochers, et en la chaire de Saint Pierre est assis un Pape légitime. Vos premiers ministres donc, Messieurs, sont de ces prophètes que Dieu défendait de parler, en Jérémie : " Ne veuillez pas écouter les paroles des prophètes qui prophétisent et vous déçoivent ; ils parlent selon la vision de leur cœur, et non point par la bouche du Seigneur " ; " Je n'envoyais pas les prophètes et ils couraient ; je ne parlais pas à eux et ils prophétisaient " ; "J'ai entendu ce que ces prophètes ont dit, prophétisant en mon nom le mensonge, et disant : j'ai eu un songe ; j'ai eu un songe ! " (Jérémie, 23 : 16, 21 et 25). Ne vous semble-t-il pas que ce sont Luther et Zwingli avec leurs prophéties et visions ? ou Carolostade avec sa révélation qu'il disait avoir eue pour sa cène, qui donna occasion à Luther d'écrire son livre : Contra coelestes prophetas ? C'est bien eux, au moins, qui ont cette propriété de n'avoir pas été envoyés ; c'est eux qui prennent leurs langues, et disent " le Seigneur a dit " (31) : car ils ne sauraient jamais montrer aucune preuve de la charge qu'ils usurpent, ils ne sauraient produire aucune légitime vocation, et donc, comment veulent-ils prêcher ? On ne peut s'enrôler sans aucun capitaine ni sans l'aveu du prince, et comment fûtes-vous si prompts à vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, sortir de l'état auquel vous étiez nés et nourris qui est l'Eglise catholique ? Ils sont coupables d'avoir fait de leur propre autorité cette levée de bouclier, et vous de les avoir suivis ; dont vous êtes inexcusables. Le bon enfant Samuel, humble, doux et saint, ayant été appelé par trois fois de Dieu, pensa toujours que ce fut Héli qui l'avait appelé : 1. par les peuples et les magistrats, 2. par nos évêques, 3. par sa voix extraordinaire. Non, non, qu'ils... Samuel fut appelé trois fois par Dieu, et selon son humilité il pensait que ce c'était une vocation d'homme, jusqu'au moment où, enseigné par Héli, il connut que c'était la Voix divine (1 Rois, 3 : 4-10). Vos ministres, Messieurs, produisent trois vocations de Dieu : par les magistrats séculiers, par les évêques, et par la voix extraordinaire. Ils pensent que c'est Dieu qui les a appelés en ces trois façons-là. Mais non, ils reconnaissent que c'est une vocation de l'homme, et que les oreilles ont corné à leur vieil Adam, et s'en remettent à celui qui, comme Héli, préside maintenant à l'Eglise. Et voilà la première raison qui rend vos ministres et vous aussi - quoique inégalement - inexcusables devant Dieu et les hommes d'avoir laissé l'Eglise.

CHAPITRE II : Erreurs des ministres sur la Nature de l'Eglise ARTICLE PREMIER : Que l'Eglise chrétienne est visible Au contraire, Messieurs, l'Eglise, qui contredisait et s'opposait à vos premiers ministres, et s'oppose encore à ceux de ce temps, est si bien marquée de tous côtés, que personne, tant aveuglé soit-il, ne peut prétendre cause d'ignorance du devoir que tous les bons Chrétiens lui ont, et que ce ne soit la vraie, unique, inséparable et très chère Epouse du Roi céleste, ce qui rend votre séparation d'autant plus inexcusable. Car, sortir de l'Eglise et

contredire à ses décrets, c'est toujours se rendre païen et publicain (Matthieu, 18 : 17), quand ce serait à la persuasion d'un ange ou d'un séraphin (Galates, 1 : 8); mais, à la persuasion d'hommes pécheurs à la grande forme, comme les autres, personnes particulières, sans autorité, sans aveu, sans aucune qualité requise à des prêcheurs ou prophètes que la simple connaissance de quelques sciences, rompre tous les liens et la plus religieuse obligation d'obéissance qu'on eu en ce monde, qui est celle qu'on doit à l'Eglise comme Épouse de Notre Seigneur, c'est une faute qui ne se peut couvrir que d'une grande repentance et pénitence, à laquelle je vous invite de la part du Dieu vivant. Les adversaires, voyant bien qu'à cette touche leur doctrine serait reconnue de bas or, ont tâché par tous moyens de nous divertir de cette preuve invincible que nous prenons les marques de la vraie Eglise, et partant ont voulu maintenir que l'Eglise est invisible et imperceptible, et par conséquent non remarquable. Je crois que c'est ici est l'extrême absurdité, et qu'au par-delà immédiatement se loge la frénésie et la rage. Mais ils vont par deux chemins à cette leur opinion de l'invisibilité de l'Eglise; car les uns disent qu'elle est invisible parce qu'elle consiste seulement dans les personnes élues et prédestinées, les autres attribuent cette invisibilité à la rareté et à la dissipation des croyants et fidèles : dont les premiers tiennent l'Eglise être en tout temps invisible, les autres disent que cette invisibilité a duré environ mille ans, ou plus ou moins, c'est-à-dire de saint Grégoire jusqu'à Luther, quand la papauté était paisible parmi le christianisme; car ils disent que durant ce temps-là il y avait plusieurs vrais chrétiens secrets, qui ne découvraient pas leurs intentions, et se contentaient de servir ainsi Dieu à couvert. Cette théologie est tant imaginaire et damnable, que les autres ont mieux aimé dire que durant ces mille ans l'Eglise n'était ni visible ni invisible, mais totalement abolie et étouffée par l'impiété et l'idolâtrie. Permettez-moi, je vous prie, de vous dire librement la vérité. Tous ces discours ressentent le mal de chaud; ce sont des songes qu'on fait en veillant, qui ne valent pas celui que Nabuchodonosor fit en dormant; aussi lui sont-ils du tout contraires, si nous croyons à l'interprétation de Daniel (Daniel, 2 : 34) : car Nabuchodonosor vit une pierre taillée d'un mont sans œuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s'accrut tellement que devenue montagne elle remplit toute la terre; et Daniel l'entendit du royaume de Notre Seigneur qui demeurera éternellement (vers 44). S'il est comme une montagne, et si grande qu'elle remplit la terre, comme sera-t-elle invisible ou secrète ? Et s'il dure éternellement, comment aura-t-il manqué 1000 ans ? Et c'est bien du royaume de l'Eglise que s'entend ce passage : car 1. celui de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s'élèvera pas au temps des autres royaumes, comme porte l'interprétation de Daniel, mais après la consommation du siècle; joint que d'être taillé de la montagne sans œuvre manuelle appartient à la génération temporelle de Notre Seigneur, selon laquelle il a été conçu du Saint-Esprit dans le ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans œuvre humane, par la seule bénédiction du Saint-Esprit. Ou donc Daniel a mal deviné, ou les adversaires de l'Eglise catholique, quand ils disaient l'Eglise être invisible, cachée et abolie. Ayez patience, au nom de Dieu; nous irons par ordre et brièvement, montrant la vanité de ces opinions. Mais il faut avant tout dire que c'est qu'Eglise. Eglise vient du mot grec qui veut dire, appeler; Eglise donc signifie une assemblée ou compagnie de gens appelés : Synagogue veut dire un troupeau, à proprement parler. L'assemblée des juifs s'appelait Synagogue, celle des chrétiens s'appelle Eglise : parce que les juifs étaient comme un troupeau de bétail, assemblé et regroupé par crainte, les chrétiens sont assemblés par la Parole de Dieu, appelés ensemble en union de charité par la prédication des Apôtres et leurs successeurs; dont saint Augustin a dit : " L'Eglise est nommée de la convocation, la Synagogue, du troupeau; parce qu'être convoqué appartient plus aux hommes, et entroupelé (regroupé) appartient plus au bétail "; or, c'est à bonne raison que l'on a appelé le peuple chrétien Eglise ou convocation, parce que le premier bénéfice que Dieu fait à l'homme pour le mettre en grâce, c'est de l'appeler à l'Eglise; c'est le premier effet de sa prédestination : ceux qu'il à prédestinés il les a appelés, disait saint Paul aux Romains (Romains, 8 : 30); et aux Colossiens : " Et la paix de Christ tressaute en vos cœurs, en laquelle vous êtes appelés en un corps ". Etre appelé en un corps, c'est être appelé en l'Eglise; et en ces similitudes que fait Notre Seigneur en saint Mathieu (20 : 1 et 16 ; 22, 2 et 14), de la vigne et du banquet avec l'Eglise, les ouvriers de la vigne et les conviés aux noces il les nomme appelés et convoqués : Plusieurs, dit-il, sont appelés, mais peu sont élus. Les Athéniens appelaient Eglise la convocation des citoyens, la convocation des étrangers s'appelait autrement; donc, le mot d'Eglise vient proprement aux chrétiens, qui ne sont plus adversaires et passants, mais concitoyens des Saints et domestiques de Dieu (Ephésiens, 2 : 19).

Voilà d'où est pris le mot d'Eglise, et voici sa définition. L'Eglise est une sainte (Ephésiens, 5 : 27) université ou générale compagnie d'hommes, unis (Jean; 11 : 52; Ephésiens, 4 : 4 ; saint Cyprien : De unitate Ecclesiae) et recueillis en la profession d'une même foi chrétienne, en la participation de mêmes Sacrements et Sacrifice (1 Corinthiens, 10 : 16-21; Hébreux, 7 : 21), et en l'obéissance (Jean, 10 : 16 et 21, 17) d'un même Vicaire et lieutenant général en terre de Notre seigneur Jésus-Christ et du successeur de saint Pierre, sous la charge des évêques légitimes (Ephésiens, 4 : 11-12). J'ai dit avant tout que c'était une sainte compagnie ou assemblée, parce que sainteté intérieure. J'entends parler de l'Eglise militante de laquelle l'Ecriture nous a laissé témoignage, non de celle que proposent les hommes. Or, en toute l'Ecriture, il ne se trouvera jamais que l'Eglise soit prise pour une assemblée invisible. Voici nos raisons, simplement étalées : 1. Notre Seigneur et Maître nous renvoie à l'Eglise en nos difficultés et dissensions (Matthieu, 18 : 16-17); saint Paul enseigne son Timothée comme il faut converser en elle (1 Timothée, 3 : 15); il fit appeler les Anciens de l'Eglise Milétaine (Actes, 20 : 17), il leur montre qu'ils sont constitués par le Saint-Esprit pour régir l'Eglise (vers 28), il est envoyé par l'Eglise avec saint Barnabé, il fut reçu par l'Eglise (Actes, 15 : 3-4 et 22), il confirmait les Eglises (verset 41), il constitue des prêtres par les églises, il assemble l'Eglise (Actes, 14 : 22 et 26), il salue l'Eglise en Césarée (Actes; 18 : 22), il a persécuté l'Eglise (Galates, 1 : 13). Comment peut s'entendre tout ceci d'une Eglise invisible ? Où la chercherait-on pour lui faire les plaintes, pour converser avec celle, pour la régir ? Quand elle envoyait saint Paul, elle le recevait, quand il la confirmait, il y constituait des prêtres, il l'assemblait, il la saluait, il la persécutait, était-ce par figure ou par la foi seulement et par l'esprit ? Je ne crois pas que chacun ne voie clairement que c'était des effets visibles et perceptibles de part et d'autre. Et quand il lui écrivait (Galates, 1 : 2 et 2 Corinthiens, 1 : 2), s'adressait-il à quelque chimère invisible ? 2. Que dira-t-on des prophéties, qui nous représentent l'Eglise non seulement visible mais toute claire, illustre, manifeste, magnifique ? Ils la dépeignent comme une reine parée de l'or d'Ophir, son vêtement fait de tissus d'or, avec une belle variété d'enrichissements (Psaumes, 45 : 10 et 14), comme une montagne, comme un soleil, comme une pleine lune, comme l'arc-en-ciel, témoin fidèle (Isaïe, 2 : 2 et Michée, 4 : 1-2) et certain de la faveur de Dieu vers les hommes qui sont tous la postérité de Noé, qui est-ce que le Psaume porte en notre version : Et thronus ejus sicut in sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta in aeternum, et testis in caelo fidelis (Psaumes, 88 : 37; Cantiques, 6 : 9; Genèse; 9 : 13). 3. L'Ecriture atteste partout que l'Eglise peut être vue et connue, mais plutôt qu'elle est connue. Salomon, dans les Cantiques, parlant de l'Eglise, ne dit-il pas : Les filles l'ont vue et l'ont prêchée pour très heureuse ? Et puis, introduisant ses filles pleines d'admiration, il leur fait dire : Qui est celle-ci qui comparaît et se produit comme une aurore en son lever, belle comme la lune, élue comme le soleil, terrible comme un escadron de gendarmerie bien ordonné ? (Cantiques, 8 et 9) N'est-ce pas la déclarer visible ? Et quand il fait qu'on l'appelle ainsi : Reviens, reviens Sulamite, reviens, reviens, afin qu'on te voie, (Cantiques, 7 : 1) et qu'elle réponde : Que verrez-vous en cette Sulamite sinon les troupes des armées ? (7 : 1), n'est-ce pas encore la déclarer visible ? Qu'on regarde ces admirables cantiques comme des représentations pastorales des amours du céleste Epoux avec l'Eglise, on verra qu'elle est partout très visible et remarquable. Isaïe parle ainsi d'elle : Ce vous sera une voie droite, si que les simples ne s'égareront point par elle (Isaïe, 35 : 8); ne faut-il pas bien qu'elle soit découverte et aisée à remarquer, puisque les plus grossiers mêmes [les simples] s'y sauront conduire sans se faillir ? 4. Les pasteurs et docteurs de l'Eglise sont visibles, donc l'Eglise est visible : car, je vous prie, les pasteurs de l'Eglise ne sont-ils pas une partie de l'Eglise, et ne faut-il pas que les pasteurs et les brebis se connaissent les uns et les autres ? Ne faut-il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suivent (Jean 10, 4) ? Ne faut-il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis égarée, qu'il reconnaisse son parc et son bercail ? Ce serait de vrai une belle sorte de pasteurs qui ne sut reconnaître son troupeau ni le voir. Je ne sais s'il me faudra prouver que les pasteurs de l'Eglise sont visibles : on nie bien des choses aussi claires. Saint Pierre était pasteur, ce que je crois, puisque Notre Seigneur lui disait : Pais mes brebis (Jean 10 : 17); ainsi étaient les Apôtres, et néanmoins on les a vus (Marc, 1 : 16). Je crois que ceux auxquels saint Paul disait : Prenez garde à vous et à tout le troupeau, auquel le Saint-Esprit vous a constitués pour régir l'Eglise de Dieu (Actes, 20 : 28), je crois , dis-je , qu'il les voyait; et

quand ils se jetaient comme bons enfants au col de ce bon père, le tenant embrassé et baignant sa face de leurs larmes (verset 37), je crois qu'il les touchait, sentait et voyait : et ce qui me le fait plus croire, c'est qu'ils regrettaient principalement son départ parce qu'il avait dit qu'ils ne verraient plus sa face (verset 38); ils voyaient donc saint Paul, et saint Paul les voyait. Enfin, Zwingli, Œcolampade, Luther, Calvin, Bèze, Muscule, sont visibles, et quant aux derniers il y en à plusieurs qui les ont vus, et néanmoins ils sont appelés pasteurs par leurs sectateurs. On voit donc les pasteurs, et par conséquent les brebis. 5. C'est le propre de l'Eglise de faire la vraie prédication de la Parole de Dieu, la vraie administration des Sacrements ; et tout cela n'est-il pas visible ? Comment donc veut-on que le sujet soit invisible ? 6. Ne sait-on pas que les douze Patriarches, enfants du bon Jacob, furent la source vive de l'Eglise d'Israël; et quand leur père les eut assemblés devant soi pour les bénir (Genèse, 40 : 1 et 2), on les voyait, on s'entrevoyait entre eux. Que m'amuse-je faire en cela ? Toute l'histoire sacrée fait foi que l'ancienne Synagogue était visible, et pourquoi pas l'Eglise catholique ? 7. Comme les patriarches, pères de la Synagogue israélite, et desquels Notre Seigneur est né selon la chair (Rom 9, 5), faisaient l'Eglise (judaïque) visible, ainsi les Apôtres avec leurs disciples, enfants de la Synagogue selon la chair, et, selon l'esprit de Notre Seigneur, donnèrent le commencement à l'Eglise catholique visiblement selon le Psalmiste : Tes enfants prendront la place de tes pères; tu les constitueras princes sur toute la terre (Psaumes, 44 : 17) : par douze Patriarches te sont nés douze Apôtres, dit Arnobe. Ces Apôtres assemblés en Jérusalem, avec la petite troupe des disciples et la très glorieuse mère du Sauveur, faisaient la vraie Eglise; et comment ? visible, sans doute, mais tellement visible que le Saint-Esprit vint arroser visiblement ces saintes plantes et pépinières du christianisme (Actes 2 : 3). 8. Les anciens juifs comment se reconnaissaient-ils en tant que peuple de Dieu ? - Par la circoncision, signe visible; nous autres, par le Baptême, signe visible. Les anciens par qui étaient-ils gouvernés ? - Par les prêtres aaroniques, gens visibles; nous autres, par les évêques, personnes visibles. Les anciens par qui étaient-ils prêchés ? - Par les prophètes et les docteurs, visiblement; nous autres, par nos pasteurs et prédicateurs, visiblement encore. Les anciens quelle manducation religieuse et sacrée avaient ils ? - De l'agneau pascal, de la manne, tout est visible; nous autres, du très saint Sacrement de l'Eucharistie, signe visible quoique de chose invisible. La Synagogue par qui était-elle persécutée ? - Par les Egyptiens, babyloniens, Madianites, Philistins, tous peuples visibles; l'Eglise, par les païens, Turcs, Maures, Sarrasins, hérétiques, tout est visible. Bonté de Dieu, et nous demanderons encore si l'Eglise est visible ? Mais qu'est ce que l'Eglise ? - Une assemblée d'hommes qui ont la chair et les os ; et nous dirons encore que ce n'est qu'un esprit ou fantôme, qui semble être visible et ne l'est que par illusion ? Non, non, qu'est-ce qui vous trouble en ceci, et d'ou vous peuvent venir ces pensées ? Voyez ses mains, regardes ses ministres, officiers et gouverneurs; voyez ses pieds, regardez ses prédicateurs comme ils la portent au levant, couchant, midi et septentrion : tous sont de chair et d'os. Touchez-la, venez comme d'humbles enfants vous jeter dans le giron de cette douce mère ; voyez-la, considérez-la bien tout en son corps comme elle est toute belle, et vous verrez qu'elle est visible, car une chose spirituelle et invisible n'à ni chair ni os comme voyez qu'elle a (Luc, 24 : 39 ). Voilà nos raisons, qui sont bonnes et à toute épreuve; mais ils ont quelques contre raisons, qu'ils tirent, ce leur semble, de l'Ecriture, bien aisées à rabattre à qui considérera ce qui s'ensuit : Premièrement, Notre Seigneur avait en son humanité deux parties, le corps et l'âme : ainsi l'Eglise son Épouse a deux parties ; l'une intérieure, invisible, qui est comme son âme, la foi, l'espérance, la charité, la grâce; l'autre extérieure et visible comme le corps, la confession de foi, les louanges et cantiques, la prédication, les Sacrements, le Sacrifice : mais tout ce qui se fait en l'Eglise à son intérieur et son extérieur; la prière intérieure et extérieure (1 Corinthiens, 14 : 15), la foi remplit le cœur d'assurance et la bouche de confession (Romains, 10 : 9), la prédication se fait extérieurement par les hommes, mais la secrète lumière du Père céleste y est requise, car il faut toujours l'écouter et apprendre de lui avant que de venir au Fils (Jean, 6 : 44-45); et quant aux Sacrements, le signe y est extérieur mais la grâce est intérieure, et qui ne le sait ? Voilà donc l'intérieur de l'Eglise et l'extérieur . son plus beau est dedans, le dehors n'est pas si excellent : comme disait l'Epoux dans les Cantiques : Tes yeux sont des yeux de colombe, sans ce qui est caché au dedans (Cantiques, 4 : 11); le miel et le lait sont sous ta langue, c'est-à-

dire en ton cœur, voilà le dedans, et l'odeur de tes vêtements comme l'odeur de l'encens, voila le service extérieur; et le Psalmiste : Toute la gloire de ceste fille royale est au-dedans, c'est l'intérieur, revêtue de belles variétés en franges d'or, voilà l'extérieur (Psaumes, 44 : 14-15). Deuxièmement, il faut considérer que tant l'intérieur que l'extérieur de l'Eglise peut être dit spirituel, mais diversement; car l'intérieur est spirituel purement et de sa propre nature, l'extérieur de sa propre nature est corporel, mais parce qu'il tend et vise à l'intérieur spirituel on l'appelle spirituel, comme fait saint Paul, les hommes qui rendaient le corps sujet à l'esprit, quoiqu'ils fussent corporels ; et quoiqu'une personne soit particulière de sa nature, si est-ce que servant au public, comme les juges, on l'appelle publique. Maintenant, si on dit que la loi évangélique a été donnée dans les cœurs intérieurement, non sur les tables de pierre extérieurement, comme dit Jérémie (31 : 33), on doit répondre qu'en l'intérieur de l'Eglise et dans son cœur est tout le principal de sa gloire, qui ne laisse pas de rayonner jusqu'à l'extérieur qui la fait voir et reconnaître; ainsi quand il est dit en l'Evangile, que l'heure est venue quand les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité (Jean, 4 : 23), nous sommes enseignés que l'intérieur est le principal, et que l'extérieur est vain s'il ne tend et ne se va rendre dans l'intérieur pour s'y spiritualiser. De même, quand saint Pierre appelle l'Eglise maison spirituelle (1 Pierre, 2 : 5), c'est parce que tout ce qui part de l'Eglise tend à la vie spirituelle, et que sa plus grande gloire est intérieure, ou bien parce que ce n'est pas une maison faite de chaux et de sable, mais une maison mystique faite de pierres vivantes, où la charité sert de ciment. La sainte Parole porte que le royaume de Dieu ne vient pas avec observation (Luc, 17 : 30) : le royaume de Dieu c'est l'Eglise; donc l'Eglise n'est pas visible. Réponse : Le royaume de Dieu, en ce lieu-là, c'est Notre Seigneur avec sa grâce, ou si vous voulez, la compagnie de Notre Seigneur pendant qu'il fut au monde, dont il s'ensuit : Car voici le royaume de Dieu est au-dedans de vous (vers 21) ; et ce royaume ici ne comparut pas avec l'apparat et le faste d'une magnificence mondaine, comme les Juifs croyaient ; et puis, comme on à dit, le plus beau joyau de cette fille royale est cachée au-dedans, et ne peut se voir. Quant à ce que saint Paul a dit aux Hébreux (12 : 18-22), que nous ne sommes pas venus vers une montagne maniable, comme celle de Sina, mais vers une Jérusalem céleste, il ne fait pas à propos pour faire invisible l'Eglise; car saint Paul montre en cet endroit que l'Eglise est plus magnifique et enrichie que la Synagogue, et qu'elle n'est pas une montagne naturelle comme celle de Sina, mais mystique, dont il ne s'ensuit aucune invisibilité : outre ce qu'on peut dire avec raison qu'il parle vraiment de la Jérusalem céleste, c'est-à-dire de l'Eglise triomphante, dont il y ajoute, la fréquence des Anges, comme s'il voulait dire qu'en la vieille loi Dieu fut vu en la montagne en une façon épouvantable, et que la nouvelle nous conduit à le voir en sa gloire là-haut en Paradis. Enfin, voici l'argument que chacun crie être le plus fort : je crois la sainte Eglise catholique; si je la crois, je ne la vois pas; donc elle est invisible. N'y a-t-il pas là rien de plus faible au monde que ce fantôme de raison ? Les Apôtres n'ont-ils pas cru Notre Seigneur être ressuscité, et ne l'ont ils pas vu ? Parce que tu m'as vu, dit-il luimême à saint Thomas, tu as cru (Jean, 20 : 29); et pour le rendre croyant il lui dit : Vois mes mains, et apporte ta main et lmets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule mais fidèle (verset 47) : voyez comme la vue n'empêche pas la foi, mais la produit. Or, autre chose vit saint Thomas et autre chose il crut; il vit le corps, il crut l'Esprit et la Divinité, car sa vue ne lui avait pas appris de dire : Mon Seigneur et mon Dieu (verset 28), mais la foi. Ainsi croit-on un baptême pour la rémission des péchés; on voit le baptême, mais non la rémission des péchés. Aussi voit-on l'Eglise, mais non sa sainteté intérieure, on voit ses yeux de colombe, mais on croit ce qui est caché audedans, on voit sa robe richement ornée avec ses houppes d'or, mais la plus claire splendeur de sa gloire est audedans, que nous croyons; il y a en cette royale Épouse de quoi repaître l'œil intérieur et extérieur, la foi et le sens, et c'est tout pour la plus grande gloire de son Epoux. ARTICLE II : QU'EN L'EGLISE IL Y A DES BONS ET DES MAUVAIS, DES PREDESTINES ET DES REPROUVES

Pour rendre l'invisibilité de l'Eglise probable chacun produit sa raison, mais la plus grossière que je vois, c'est de s'en rapporter à l'éternelle prédestination. De vrai, cette ruse n'est pas petite de détourner les yeux spirituels des gens de l'Eglise militante à la prédestination éternelle, afin qu'éblouis à l'éclair de ce mystère inscrutable nous ne voyions pas ce qui est devant nous. Ils disent donc qu'il y a deux Eglises, une visible et imparfaite, l'autre invisible et parfaite, et que la visible peut errer et s'évanouir au vent des erreurs et idolâtries, l'invisible, non. Que si l'on demande quelle est l'Eglise visible, ils répondent que c'est l'assemblée des personnes qui font profession d'une même foi et Sacrements, qui contient les bons et les mauvais, et n'est Eglise que de nom; et l'Eglise invisible est celle qui contient les élus seulement, qui, n'étant pas en la connaissance des hommes, sont seulement reconnus et vus de Dieu. Mais nous montrerons clairement que la vraie Eglise contient les bons et les mauvais, les reprouvés et les élus, et voici :: 1.- N'était-ce pas la vraie Eglise, celle que saint Paul appelait " colonne et fermeté de la vérité, et maison du Dieu vivant " (1 Timothée, 3 : 15) ? Sans doute, car être colonne de vérité ne peut pas appartenir à une Eglise errante et vagabonde. Or l'Apôtre atteste de cette vraie Eglise, maison de Dieu, qu'il y a en celle-ci des vaisseaux d'honneur, et de contumélie [méprisable] (2 Timothée, 2 : 20), c'est-à-dire des bons et des mauvais. 2. - N'est-ce pas la vraie Eglise contre laquelle les portes d'enfer ne prévaudront point ? Et néanmoins en celle-ci il y a des hommes qui ont besoin d'être déliés de leurs péchés, et d'autres auxquels il les faut retenir, comme Notre Seigneur fait voir en la promesse et puissance qu'il en donne à saint Pierre (Matthieu, 16 : 18-19). Ceux auxquels on les retient ne sont-ils pas mauvais et réprouvés ? Ainsi cela est propre aux reprouvés que leurs péchés soient retenus, et l'ordinaire des élus qu'ils leur soient pardonnés : or, que ceux auxquels saint Pierre avait pouvoir de les retenir ou pardonner fussent en l'Eglise, il appert; de ceux qui ne sont en l'Eglise, qu'il n'appartient qu'à Dieu seul d'en juger (1 Corinthiens, 5 : 13); ceux, donc, desquels saint Pierre devait juger n'étaient pas hors de l'Eglise mais dedans, quoiqu'il dut y avoir des réprouvés. 3. - Et Notre Seigneur nous enseigne-t-il pas qu'étant offensé par quelqu'un de nos frères, après l'avoir repris et corrigé par deux fois en diverses façons, nous le déférions à l'Eglise ? " Dis-le à l'Eglise; que s'il n'entend l'Eglise, qu'il te soit comme païen et publicain " (Matthieu, 18 : 17). On ne peut ici s'échapper, l'argument est inévitable; il s'agit d'un frère qui n'est ni païen ni publicain, mais sous la discipline et correction de l'Eglise, et par conséquent membre de l'Eglise, et néanmoins il n'est pas inconvenant qu'il soit réprouvé, acariâtre et obstiné. Les bons, donc, ne sont pas seulement de la vraie Eglise, mais les mauvais encore jusqu'à tant qu'ils en soient chassés : sinon qu'on veuille dire que l'Eglise à laquelle Notre Seigneur nous renvoie soit l'Eglise errante, peccante et antichrétienne; ce serait trop blasphémer à la découverte. 4. - Quand Notre Seigneur dit : " Le serviteur ne demeure pas en la maison à jamais, le fils demeure toujours " (Jean, 8 : 35), n'est-ce pas autant que s'il disait qu'en la maison de l'Eglise y est l'élu et le reprouvé pour un temps ? car, qui peut être ce serviteur qui ne demeure pas toujours en la maison, que celui-là qui sera jeté une fois dans les ténèbres extérieures ? Et, de fait, il montre bien que c'est aussi ce qu'il entend quand il dit immédiatement devant : " Qui fait le péché est serviteur du péché " (verset 34). Or celui-ci, encore qu'il ne demeure pas à jamais en la maison, il y demeure néanmoins pour un temps, pendant qu'il y est retenu pour quelque service. 5 - Saint Paul écrit à l'Eglise de Dieu qui était à Corinthe (voir 1 Corinthiens, 1 : 2), et néanmoins il veut qu'on en chasse un certain incestueux ( 5 : 2) : si on l'en chasse il y était, et s'il y était et que l'Eglise fut la compagnie des élus, comment l'en eut-on pu le chasser ? Les élus ne peuvent pas être réprouvés. 6.- Mais pourquoi me niera-t-on que les reprouvés et mauvais soient de la vraie Eglise, puisque mêmes ils y peuvent être pasteurs et évêques ? La chose est certaine. Judas n'est-il pas réprouvé ? Et toutefois il fut Apôtre et Evêque, selon le Psalmiste (Psaumes, 108 : 8) et saint Pierre, qui dit qu'il eut part au ministère de l'apostolat (Actes, 1 : 17), et tout l'Evangile, qui le tient toujours comme membre du Collège des Apôtres. Nicolas Antiochien ne fut-il pas diacre comme saint Etienne (Actes, 6 : 5) ? et néanmoins plusieurs anciens Pères ne font point de difficulté pour tout cela de le tenir pour hérésiarque, comme entre autres Epiphane, Philastre, Jérôme; et, de fait,

les Nicolaïtes prirent occasion de lui de mettre en avant leurs abominations, desquels saint Jean en l'Apocalypse (2 : 6) fait mention comme de vrais hérétiques. Saint Paul atteste aux prêtres éphésiens (Actes, 20 : 28) que le SaintEsprit les avait faits évêques pour régir l'Eglise de Dieu, mais il assure aussi que quelques-uns d'entre eux s'élèveraient disant des méchancetés, pour débaucher et s'attirer des disciples (verset 30) : il parle à tous quand il dit que le Saint-Esprit les a fait évêques, et parle de ceux-là mêmes quand il dit que d'entre eux s'élèveraient des schismatiques. Mais quand aurais-je fait, si je voulais entasser ici les noms de tant d'évêques et prélats lesquels, après avoir été légitimement colloqués en cet office et dignité, sont déchus de leur première grâce, et sont morts hérétiques ? Qui vit jamais rien de si saint pour un simple prêtre qu'Origène, de si docte, si chaste, si charitable ? Il ni à celui qui puisse lire ce qu'en écrit Vincent de Lérins, l'un des plus polis et doctes écrivains ecclésiastiques, et faire considération de sa damnable vieillesse après une si admirable et sainte vie, qui ne soit tout ému de compassion, de voir ce grand et valeureux nocher, après tant de tempêtes passées, après tant de si riches trafiques qu'il avait faits avec les Hébreux, Arabes, Chaldéens, Grecs et Latins, revenait plein d'honneur et de richesses spirituelles, faire naufrage et se perdre au port de sa propre sépulture. Qui oserait dire qu'il n'eut pas été de la vraie Eglise, lui qui avait toujours combattu pour l'Eglise, et que toute l'Eglise honorait et tenait pour l'un de ses plus grands docteurs ? Et quoi ? le voilà à la fin hérétique, excommunié, hors de l'Arche, périr au déluge de sa propre opinion. Et tout ceci est semblable à la sainte parole de Notre Seigneur (Matthieu, 23 : 2-3), qui tient les scribes et pharisiens pour des vrais pasteurs de la vraie Eglise de ce temps-là, puisqu'il commande qu'on leur obéisse, et néanmoins il ne les tient pas pour élus mais plutôt pour réprouvés (versets 12-13). Or quelle absurdité serait-ce, je vous prie, si les élus étaient de l'Eglise ? Il s'ensuivrait ce qu'ont dit les Donatistes, que nous ne pourrions pas connaître nos prélats, et par conséquent nous ne pourrions pas leur rendre l'obéissance : car, comment pourrionsnous connaître si ceux qui se disent prélats et pasteurs sont de l'Eglise, puisque nous ne pouvons pas connaître qui, d'entre les vivants, est prédestiné et qui ne l'est pas, comme il se dira ailleurs ? Et s'ils ne sont pas de l'Eglise, comment peuvent-ils y tenir le lieu de chefs ? Ce serait bien un monstre des plus étranges qui se peut voir que le chef de l'Eglise, comment y peuvent ils tenir lieu de chefs ? Ce serait bien un monstre des plus étranges qui se peut voir que le chef de l'Eglise ne fut de l'Eglise. Non seulement, donc, un reprouvé peut être de l'Eglise, mais encore pasteur en l'Eglise; l'Eglise donc ne peut être appelée invisible pour être composée de seuls prédestinés. Je conclus tout ce discours par les comparaisons évangéliques qui montrent clairement toute cette vérité. Saint Jean fait semblable l'Eglise à l'aire d'une grange, en laquelle est non seulement le grain pour le grenier, mais encore la paille pour être brûlée au feu éternel (Matthieu, 3 : 12); ne sont-ce pas le élus et les réprouvés ? Notre Seigneur la compare au filet jeté dans la mer, dans lequel on tire et les bons et les mauvais poissons (Matthieu, 13 : 47); à la compagnie de dix vierges dont il y en à cinq folles et cinq sages (Matthieu, 25 : 1-2); à trois valets dont l'un est fainéant et partant jeté dans les ténèbres extérieures (versets 26-30); et enfin à un festin de noces (Matthieu, 22 : 2) dans lequel sont entrés et bons et mauvais, et les mauvais n'ayant pas la robe requise sont jetés dans les ténèbres extérieures. Ne sont-ce pas tout autant de suffisantes preuves que non seulement les élus mais encore les reprouvés sont en l'Eglise ? Il faut donc fermer la porte de notre propre jugement à toutes sortes d'opinions, et à ce propos encore, avec cette proposition jamais assez considérée : Il y en à beaucoup d'appelés, mais peu de choisis (verset 14). Tous ceux qui sont en l'Eglise sont appelés, mais tous ceux qui y sont ne sont pas élus; aussi Eglise ne veut pas dire élection mais convocation.

Mais où trouveront-ils en l'Ecriture un lieu qui leur puisse servir de quelque excuse pour tant d'absurdités, et contre des preuves si claires que celles que nous avons faites ? Il ne manque pas de contre raisons en ce point, jamais l'opiniâtreté n'en laisse avoir faute à ses serviteurs. Apporteront-ils donc ce qui est écrit aux Cantiques (4 : 7, 12 et 15), de l'Épouse, que c'est un jardin fermé, une fontaine ou source cachetée, un puits d'eau vivante, qu'elle est toute belle et sans aucune tache, ou, comme dit l'Apôtre, glorieuse, sans ride, sainte, immaculée (Ephésiens, 5 : 27) ? Je les prie de bon cœur qu'ils regardent ce qu'ils veulent conclure de ceci, car s'ils veulent conclure qu'il ne doive avoir en l'Eglise que des saints immaculés, sans ride, glorieux, je leur ferai voir avec ces mêmes passages qu'il n'y a en l'Eglise ni élu ni reprouvé : car, n'est ce pas " la voix humble mais véritable ", comme dit le grand concile de Trente, " de tous les justes " et élus, " remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs " ? Je tiens saint Jacques pour élu, et néanmoins il confesse : Nous offensons tous en plusieurs choses (Jacques, 3 : 2); saint Jean nous ferme la bouche et à tous les élus, afin que personne ne se vante d'être sans péché, mais plutôt au contraire veut que chacun sache et confesse qu'il pèche (1 Ep. Jean, 1 : 8); je crois que David en son ravissement et extase savait que c'était

des élus, et néanmoins il tenait tout homme pour mensonger (Ps 115, 2). Si donc ces saintes qualités données à l'Epouse Eglise se doivent prendre risque à risque , qu'il n'y ait aucune tache ni ride, il faudra sortir hors de ce monde pour trouver la vérification de ses beaux titres, les élus de ce monde n'en sont pas capables. Mettons donc la vérité au net. 1. - .L'Eglise encore est toute belle, sainte, glorieuse, et quant aux mœurs et quant à la doctrine. Les mœurs dépendent de la volonté, la doctrine, de l'entendement : en l'entendement de l'Eglise jamais n'y entra fausseté, ni en la volonté aucune méchanceté : elle peut par la grâce de son Epoux dire comme lui : Qui d'entre vous, o conjurés ennemis, me reprendra de péché (Jean, 8 : 46) ? Et ne s'ensuit-il pourtant pas qu'en l'Eglise il n'y ait des méchants; ressouvenez-vous de ce que j'ai dit ailleurs (cf art 1). L'Épouse a des cheveux et des ongles qui ne sont pas vivants, quoi qu'elle soit vivante; le sénat est souverain, mais non pas chaque sénateur; l'armée est victorieuse, mais non pas chaque soldat; elle emporte la bataille, mais plusieurs soldats y demeurent morts. Ainsi l'Eglise militante est toujours glorieuse et victorieuse sur les portes et puissances infernales, quoique plusieurs des siens, ou s'égarant et mettant en désordre, comme vous avez fait, demeurent en pièces et perdus, ou par des autres accidents y sont blessés et meurent. Prenez donc l'une après l'autre les belles louanges qui sont semées dans les Ecritures, et faites-en une couronne, car elles lui sont bien dues, comme plusieurs malédictions à ceux qui étant en un si beau chemin s'y perdent; c'est une armée bien ordonnée (Cantiques, 6 : 9), quoique plusieurs s'y relâchent. 2. - Mais qui ne sait combien de fois on attribue à tout un corps ce qui n'appartient qu'à l'une des parties ? L'Épouse appelle son Epoux blanc et vermeil, mais incontinent elle dit qu'il a les cheveux noirs (Cantiques, 5 : 1011); saint Mathieu dit que les larrons qui étaient crucifiés avec Notre Seigneur blasphémèrent (Matthieu, 27 : 44), et ce ne fut que l'un d'eux au rapport de saint Luc (Luc, 23 : 39); on dit que le lis est blanc, mais il y a du jaune et du vert. Or, à qui parle en terme d'amour use volontiers de cette façon de langage, et les Cantiques sont des représentations chastes et amoureuses. Toutes ces qualités donc sont justement attribuées à l'Eglise, à cause de tant de saintes âmes qui y sont et qui observent très étroitement les saints commandements de Dieu, et sont parfaites de la perfection qu'on peut avoir en ce pèlerinage, non de celle que nous espérons en la bienheureuse Patrie. 3. - Et quant au surplus, quoiqu'il n'y eut point d'autre raison d'ainsi qualifier l'Eglise que pour l'espérance qu'elle a de monter là-haut toute pure, toute belle, en contemplation du seul port auquel elle aspire et va en courant, cela suffirait pour la faire appeler glorieuse et parfaite, principalement ayant tant de belles arrhes de cette sainte espérance. Il ne serait jamais fait qui voudrait s'amuser sur tous les pieds de mouches qu'on va considérant ici, et pour lesquels on baille mille fausses alarmes au pauvre peuple. On produit le passage de saint Jean : " Je connais mes brebis, et personne ne me les enlèvera de mes mains " (Jean, 10 : 28); et que ces brebis-là sont les prédestinés qui sont seuls du bercail du Seigneur, on produit ce que saint Paul dit à Timothée : " Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui " (2 Timothée, 2 : 19), et ce que saint Jean a dit des apostats : " Ils sont sortis d'entre nous, mais ils n'étaient pas d'entre nous " (1 Jean 2, 19). Mais quelle difficulté trouve-t-on en tout cela ? Nous confessons que les brebis prédestinées entendent la voix de leur pasteur et ont toutes les propriétés qui sont décrites en saint Jean (ch. 10), ou tôt ou tard, mais nous confessons aussi qu'en l'Eglise, qui est la bergerie de Notre Seigneur, il n'y a pas seulement des brebis mais encore des boucs; autrement pourquoi serait-il dit qu'à la fin du monde, au jugement, les brebis seront séparées des boucs, sinon parce que jusqu'au jugement, pendant que l'Eglise est en ce monde, elle a en soi des boucs avec les brebis ? Certes, si jamais ils n'avaient été ensemble, jamais on ne les séparerait : et puis enfin de compte, si les prédestinés sont appelés brebis aussi le sont bien les réprouvés, témoin David : " Votre fureur est courroucée sur les brebis de votre parc " (Psaumes, 73 : 1) ; " J'ai erré comme la brebis qui est perdue " (Psaumes, 118) ; et ailleurs quand il dit : " O vous qui dirigez Israël, écoutez, vous qui conduisez Joseph comme une ouaille " (Psaumes, 90 : 1) : quand il dit Joseph, il entend les Josephois et le peuple israélite, parce qu'à Joseph fut donné la primogéniture (1 Chroniques, 5 : 1), et l'aîné baille nom à la race. Isaïe , 53, 6, compare tous les hommes, tant reprouvés que élus, à des brebis : Omnes nos quasi oves erravimus, et vers 7 il compare Notre Seigneur : Quasi ovis ad occisionem ductus est ; et tout au long du chapitre 34 d'Ezéchiel, où sans doute tout le peuple d'Israël est appelé brebis, sur lequel David devait régner. Mais qui ne sait qu'au peuple d'Israël tout n'était pas prédestiné ou élu ? Et néanmoins ils sont appelés brebis, et sont tous ensemble sous un même pasteur. Nous confessons donc qu'il y a des brebis sauvées et prédestinées, desquelles il est parlé en saint Jean, il y en a d'autres damnées, desquelles il est parlé

ailleurs, et toutes sont dans un même parc. Semblablement, qui nie que Notre Seigneur connaisse ceux qui sont à lui ? Il sut sans doute ce que Judas ne laissa pas d'être de ses Apôtres; il sut ce que devaient devenir les disciples qui s'en retournèrent en arrière (Jean, 6 : 67) pour la doctrine de la réalité de manducation de sa chair, et néanmoins il les reçut pour ses disciples. C'est bien autre chose être à Dieu selon l'éternelle prescience, pour l'Eglise triomphante, et d'être à Dieu selon la présente communion des saints, pour l'Eglise militante. Les premiers sont seulement connus de Dieu et des hommes. " Selon l'éternelle prescience ", dit saint Augustin, " o combien de loups sont dedans, combien de brebis dehors."; Notre Seigneur donc connaît ceux qui sont à lui pour l'Eglise triomphante, mais outre ceux-là il y en a plusieurs autres en l'Eglise militante desquels la fin sera en perdition, comme le même Apôtre montre quand il dit qu'en une grande maison (2 Timothée, 2 : 20) il y a toutes sortes de vases, et même quelques-uns pour l'honneur, d'autres pour l'ignominie. De même ce que saint Jean dit : " Ils sont sortis d'entre nous, mais ils n'étaient pas d'entre nous ". Je dirai, comme dit saint Augustin : ils étaient des nôtres ou d'entre nous numero, et ne l'étaient pas merito, c'est-àdire, comme le dit le même Docteur : " Ils étaient entre nous et des nôtres par la communion des Sacrements, mais selon la particulière propriété de leurs vices ils ne l'étaient pas "; ils étaient déjà hérétiques en leur âme et de volonté, quoique selon l'apparence extérieure ils ne le fussent pas. Et n'est pas à dire que les bons ne soient pas avec les mauvais en l'Eglise, mais, au contraire, comme pouvaient-ils sortir de la compagnie de l'Eglise s'ils n'y étaient pas ? Ils étaient sans doute de fait, mais de volonté ils étaient déjà dehors. Enfin, voici un argument qui semble être assorti de forme et de figure : " Celui qui n'a pas Dieu pour père n'a pas l'Eglise pour mère " (St Cyprien, De Unit Eccl.), chose certaine; de même, celui qui n'a pas Dieu pour père n'aura point l'Eglise pour mère, très certain : or est-il que les réprouvés n'ont point Dieu pour père; donc ils n'ont point l'Eglise pour mère, et par conséquent les réprouvés ne sont pas en l'Eglise. Mais la réponse est belle. On reçoit le premier fondement de cette raison, mais le second, que les reprouvés ne sont pas des enfants de Dieu, a besoin d'être épluché. Tous les fidèles baptisés peuvent être appelés fils de Dieu pendant qu'ils sont fidèles, sinon qu'on veuille ôter au Baptême le nom de régénération ou nativité spirituelle que Notre Seigneur lui à baillé (Jean, 3 : 5); que si on l'entend ainsi, il y a plusieurs réprouvés enfants de Dieu, car combien y a-t-il de gens fidèles et baptisés qui seront damnés, lesquels, comme dit la Vérité (Luc, 8 : 13), croient pour un temps, et au temps de la tentation se retirent en arrière : de façon qu'on niera tout court cette seconde proposition, que les reprouvés ne sont pas des enfants de Dieu; car étant dans l'Eglise ils peuvent être appelés enfants de Dieu par la création, rédemption, régénération, doctrine, profession de foi (Galates, 3 :1 et 6), quoique Notre Seigneur se lamente d'eux en cette sorte par Isaïe : " J'ai nourri et élevé des enfants et ils m'ont méprisé " (Isaïe, 1 : 2). Que si l'on veut dire que les réprouvés n'ont point Dieu pour père parce qu'ils ne seront point héritiers, selon la parole de l'Apôtre : " S'il est fils, il est héritier " (Galates, 4 : 7), nous nierons la conséquence, car non seulement les enfants sont dans l'Eglise, mais encore les serviteurs, avec cette différence que les enfants y demeureront à jamais comme héritiers, les serviteurs non, mais seront chassés quand bon semblera au Maître. Témoin le Maître même, en saint Jean (8 : 35), et le fils pénitent, qui savait bien reconnaître que plusieurs mercenaires avaient des pains en abondance chez son père, quoique lui, vrai et légitime fils, mourut de faim avec les pourceaux (Luc, 15 : 17) : ce qui rend preuve de la foi catholique pour ce sujet. O combien de serviteurs, puis-je dire avec l'Ecclésiaste (10 : 7), ont été vus à cheval, et combien de princes à pied comme valets; combien d'animaux immondes et de corbeaux en cette Arche ecclésiastique; ô combien de pommes belles et odoriférantes sont sur le pommier vermoulues au-dedans, qui néanmoins sont attachées à l'arbre et tirent le bon suc de tige. Qui aurait les yeux assez clairvoyants pour voir l'issue de la course des hommes, verrait bien dans l'Eglise de quoi s'écrier : plusieurs sont appelés et peu sont élus; c'est-à-dire, plusieurs sont en la militante qui ne seront jamais en la triomphante. Combien sont dedans qui seront dehors, comme saint Antoine prévit d'Arius, et saint Fulbert de Bérengère. C'est donc chose certaine, que non seulement les élus mais les réprouvés encore peuvent être et sont de l'Eglise, et qui, pour la rendre invisible, n'y met que les élus, fait comme le mauvais disciple qui, pour ne secourir point son maître, s'excuse de n'avoir rien appris de son corps mais de son âme.

ARTICLE III : L'Eglise ne peut pas périr Je serai d'autant plus bref ici, que ce que je déduirai au chapitre suivant sert d'une forte preuve à cette créance de l'immortalité de l'Eglise et de sa perpétuité. On dit donc, pour détraquer le joug de la sainte soumission qu'on doit à l'Eglise, qu'elle avait péri il y a quatre-vingt et tant d'années, morte, ensevelie, et la sainte lumière de la vraie foi éteinte : c'est un blasphème pur que tout ceci contre la Passion de Notre Seigneur, contre sa providence, contre sa bonté, contre sa vérité.

Ne sait-on pas la parole de Notre Seigneur même : " Si je suis une fois élevé de terre j'attirerai à moi toutes choses ? " (Jean, 12 : 32) N'a-t-il pas été élevé en la Croix ? N'a-t-il pas souffert ? Et comment donc aurait-il laissé aller l'Eglise qu'il avait attirée, à vau-de-route [en fuite, en pleine déroute] ? comment aurait-il lâché cette prise qui lui avait coûté si cher ? Le prince du monde, le diable, avait-il été chassé (vers 31) avec le saint bâton de la Croix pour un temps de trois ou quatre cens ans pour revenir maîtriser mille ans ? Voulez-vous évacuer en cette sorte la force de la Croix ? Etes-vous arbitres de si bonne foi que de vouloir si iniquement partager Notre Seigneur, et mettre désormais une alternative entre sa divine bonté et la malice diabolique ? Non, non, quand un fort et puissant guerrier garde sa forteresse tout y est paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il lui lève les armes et le dépouille (Luc, 11 : 21-22). Ignorez-vous que Notre Seigneur s'est acquis l'Eglise par son sang (Actes, 20 : 28) ? Et qui pourra la lui enlever ? Pensez-vous qu'il soit plus faible que son adversaire ? Ah ! je vous prie, parlons honorablement de ce capitaine; et qui donc ôtera d'entre ses mains son Eglise ? Peut-être dires-vous qu'il peut la garder mais qu'il ne le veut; c'est donc sa providence, sa bonté, sa vérité que vous attaquez. La bonté de Dieu a donné des dons aux hommes, montant au ciel, des apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs, docteurs, pour la consommation des saints, en l' œuvre du ministère pour l'édification du corps de Jésus-Christ (Ephésiens, 4 : 8 et 11-12). La consommation des saints était-elle déjà faite il y a onze cents ou douze cents ans ? L'édification du corps mystique de Notre Seigneur, qui est l'Eglise, avait-elle été parachevée ? Ou cessez de vous appeler édificateurs, ou dites que non; et si elle n'avait pas été achevée, comme de fait elle ne l'est pas même maintenant, pourquoi faites-vous ce tort à la bonté de Dieu que de dire qu'il ait ôté et enlevé aux hommes ce qu'il leur avait donné ? C'est une des qualités de la bonté de Dieu que, comme dit saint Paul, ses dons et ses grâces sont irrévocables (Romains; 11 : 29), c'est-à-dire qu'il ne les donne pas pour les ôter ensuite. Sa divine Providence, dès qu'elle eut créé l'homme, le ciel, la terre, et ce qui est au ciel et sur la terre, les conserva et conserve perpétuellement, en façon que la génération du moindre oisillon n'est pas encore éteinte; que dirons-nous donc de l'Eglise ? Tout ce monde ne lui coûta de premier marché qu'une simple parole : Il le dit et tout fut fait (Psaumes, 148 : 5), et il le conserve avec une perpétuelle et infaillible Providence; comment, je vous prie, eut-il abandonné l'Eglise qui lui coûte tout son sang, tant de peines et de travaux ? Il a tiré Israël de l'Egypte, des déserts, de la mer Rouge, de tant de calamités et captivités, et nous croirons qu'il a laissé s'enfermer le christianisme en l'incrédulité ? Il a tant eu de soin du fils de l'esclave qui devait être chassé hors de la maison d'Abraham (Genèse, 21 : 10-12), et n'aura tenu compte l'Epouse légitime ? Il aura tant honoré l'ombre, et il abandonnera le corps ? O que ce serait bien pour néant que tant et tant de promesses auraient été faites de la perpétuité de cette Eglise. C'est de l'Eglise que le Psalmiste chante : " Dieu l'a fondée en éternité " (Psaumes, 43 : 8) ; Son trône (il parle de l'Eglise, trône du Messie, fils de David, en la personne du Père éternel) sera comme le soleil devant moi, et comme la lune parfaite en éternité, et le témoin fidèle au ciel (Psaumes, 88 : 37); " Je mettrai sa race dans les siècles des siècles et son trône comme les jours du ciel ", c'est-à-dire, autant que le ciel durera, c'est-à-dire autant que le ciel durera (Psaumes, 88 : 30); Daniel l'appelle Royaume qui ne se dissipera point éternellement (Daniel, 2 : 44), l'Ange dit à Notre-Dame que ce royaume n'aurait point de fin (Luc, 1 : 33), et parle de l'Eglise comme nous le prouvons ailleurs (de la visibilité de l'Eglise art 1); Isaïe n'avait-il pas prédit (53 : 10) en cette façon de Notre Seigneur : S'il met et expose sa vie pour le péché il verra une longue race, c'est-à-dire, de longue durée ? Et ailleurs (61 : 8) : " Je ferai une alliance perpétuelle avec eux "; après (vers 9) : Tous ceux qui les verront (il parle de l'Eglise visible) les connaîtront ? Mais, je vous prie, qui a baillé charge à Luther et Calvin de révoquer tant de saintes et solennelles promesses que Notre Seigneur a faites à son Eglise, de perpétuité ? N'est-ce pas Notre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, dit que les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (Matthieu, 16 : 18) ? Et comment vérifiera-t-on cette promesse si l'Eglise a été abolie mille ans ou plus ? Et ce doux adieu que Notre Seigneur dit à ses Apôtres : " Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi ", comment l'entendronsnous si nous voulons dire que l'Eglise puisse périr ? Mais voudrions-nous bien casser la belle règle de Gamaliel qui, parlant de l'Eglise naissante, usa de ce discours : Si ce conseil ou cette œuvre est des hommes, elle se dissipera, mais si elle est de Dieu, vous ne saurez la dissoudre ? L'Eglise n'est ce pas l'œuvre de Dieu ? Et comment donc dirions-nous qu'elle soit dissipée ? Si ce bel arbre ecclésiastique avait été planté de main d'homme, j'avouerais aisément qu'il pourrait être arraché, mais ayant été planté de si bonne main qu'est celle de Notre Seigneur, je ne saurais conseiller à ceux qui entendent crier à tous propos que l'Eglise avait péri, sinon ce que dit Notre Seigneur : Laissez-là ces aveugles, car toute plante que le Père céleste n'a pas plantée sera arrachée (Matthieu, 15 : 13-14), mais celle que Dieu a plantée ne sera point arrachée. Saint Paul dit que tous doivent être vivifiés chacun en son ordre; les prémices ce sera Christ, puis ceux qui sont

de Christ, puis la fin; entre Christ et les siens, à savoir l'Eglise, il ni a rien d'entre deux, car montant au ciel il les a laissés en terre, entre l'Eglise et la fin il ni a point d'entre deux, d'autant qu'elle devait durer jusqu'à la fin. Quoi ? Ne fallait-il pas que Notre Seigneur régnât au milieu de ses ennemis jusqu'à ce qu'il eut mis sous ses pieds et assujetti tous ses adversaires (Psaumes, 109 : 1, 2 et 3; 1 Corinthiens, 15 : 25) ? Et comment s'accompliront ces autorités si l'Eglise, Royaume de Notre Seigneur, avait été perdue et détruite ? Comment régnerait-il sans royaume, et comme régnerait-il parmi ses ennemis s'il ne régnait pas ici-bas sur le monde ? Mais, je vous prie, si cette Epouse fut morte après que du côté de son Epoux endormi sur la Croix elle eut premièrement la vie, si elle fut morte, dis-je, qui l'eut ressuscitée ? Ne sait-on pas que la résurrection des morts n'est pas moindre miracle que la création, et beaucoup plus grand que la continuation et conservation ? Ne sait-on pas que la re-formation de l'homme est un bien plus profond mystère que la formation, et qu'en la formation Dieu dit, et il fut fait (Psaumes, 148 : 5) ? Il inspira l'âme vivante (Genèse, 2 : 7), et il ne l'eut pas si tôt inspirée que ce céleste homme commença à respirer; mais en la re-formation Dieu employa trente-trois ans, sua le sang et l'eau, mourut même sur cette re-formation. Et qui donc sera si osé de dire que cette Eglise est morte, il accuse la bonté, la diligence et le savoir de ce grand re-formateur, et qui se croit être le re-formateur ou "ressuscitateur" de celle-ci, il s'attribue l'honneur dû à un seul Jésus-Christ, et se fait plus qu'Apôtre. Les Apôtres n'ont pas remis l'Eglise en vie, mais la lui ont conservée par leur ministère après que Notre Seigneur l'eut établie; qui donc dit que l'ayant trouvé morte il l'a ressuscitée, à votre avis ne mérite-t-il pas d'être assis sur le trône de témérité ? Notre Seigneur avait mis le saint feu de sa charité au monde (Luc, 12 : 49), les Apôtres avec le souffle de leur prédication l'avaient accru et fait courir par tout le monde : on dit qu'il était parmi les eaux d'ignorance et d'iniquité; qui pourra le rallumer ? Le souffler ne sert de rien, et quoi donc ? Il faudrait peut-être rebattre de nouveau avec les clous et la lance sur Jésus-Christ, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu, ou s'il suffira que Calvin ou Luther soient au monde pour le rallumer ? Ce serait bien en vérité des troisièmes Elie, car ni Elie ni saint Jean-Baptiste n'en firent jamais autant; ce serait bien laisser tous les Apôtres en arrière, qui portèrent bien ce feu par le monde, mais ils ne l'allumèrent pas. " O voix impudente ", dit saint Augustin contre les Donatistes : " l'Eglise ne sera pas par ce que tu ni es point ? ". " Non, non ", dit saint Bernard, " les torrents sont venus, les vents ont soufflé (Matthieu, 7 : 25) et l'ont combattue, elle n'est point tombée parce qu'elle était fondée sur la pierre, et la pierre était Jésus-Christ (1 Cor 10, 4) ". Et n'est-ce pas la même chose de dire que l'Eglise a manqué ou de dire que tous nos devanciers sont damnés ? Oui, pour vrai, car hors de la vraie Eglise il ni a point de salut, hors de cette Arche tout le monde se perd. O quel contre change on fait à ces bons Pères qui ont tant souffert pour nous préserver l'héritage de l'Evangile, et maintenant, outrecuidants que sont les enfants, on se moque des Pères, on les tient pour fous et insensés. Je veux conclure cette preuve avec saint Augustin, et parler à vos ministres : " Que nous apportes-vous de nouveau ? Faudra-il encore une fois semer la bonne semence, puisque dès qu'elle est semée elle croît jusqu'a la moisson (Matthieu, 13 : 30-43) ? Si vous dites être partout perdue celle que les Apôtres avaient semée, nous vous répondons : lisez-nous ceci dans les Saintes Ecritures, ce que pour vrai vous ne lirez jamais que premièrement vous ne nous montriez être faux ce qui est écrit, que la semence qui fut semée au commencement croîtrait jusqu'au temps de la moissons. La bonne semence ce sont les enfants du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moisson c'est la fin du monde (vers 38 et suiv.). Ne dites pas donc que la bonne semence est abolie ou étouffée, car elle croît jusqu'à la consommation des siècles ". Article IV

LES CONTRE RAISONS DES ADVERSAiRES ET LEURS RÉPONSES

1. - L'Eglise ne fut-elle pas toute abolie quand Adam et Eve péchèrent ? Réponse : Adam et Eve n'étaient pas Eglise, mais plutôt le commencement de l'Eglise; et il n'est pas vrai qu'elle fut perdue, car ils ne péchèrent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire. 2. - Aaron, souverain Prêtre, n'adora-t-il pas le veau d'or avec tout son peuple ? Réponse : Aaron n'était encore pas souverain Prêtre ni chef du peuple (Exode, 4 : 16), mais plutôt le fut par après (Exode, 40 : 12-13, Exode, 31, Exode 32); et il n'est pas vrai que tout le peuple était idolâtre, car les enfants de Lévi n'étaient-ils pas des gens de Dieu ? et ne se joignirent-ils pas à Moïse (Exode, 32 : 26) ? 3. - Elie se plaint d'être seul en Israël. Réponse : Elie n'était pas le seul homme de bien en Israël, puisqu'il y avait

7000 hommes qui ne s'étaient pas abandonnés à l'idolâtrie (3 Rois, 19 : 18), et ce qu'en dit le prophète n'est que pour mieux exprimer la justice de sa plainte; et n'est pas vrai qu'encore que tout Israël eut manqué l'Eglise pourtant eut été abolie, car Israël n'était pas toute l'Eglise, mais plutôt en était déjà séparé par le schisme de Jéroboam, (12 : 31 et 28), et le royaume de Juda en était la meilleure et la principale partie; c'est d'Israël non de Juda, aussi, de quoi Azariahou prédit (2 Chroniques, 15 : 3) qu'il serait sans prêtre et sacrifice . 4. - Isaïe dit (1 : 6) que de pied en cap il n'y avait aucune santé en Israël. Réponse : Ce sont des façons de parler, et de détester le vice d'un peuple avec véhémence; et encore que les prophètes, pasteurs et prédicateurs usent de ces générales façons de parler, il ne faut pas les vérifier sur chaque particulier, mais seulement sur une grande partie, comme il appert par l'exemple d'Elie, qui se plaignait d'être seul, et néanmoins il y avait encore 7000 fidèles. Saint Paul se plaint aux Philippiens (Phil., 2 : 21) que chacun recherchait son propre intérêt et commodité, néanmoins, à la fin de l'Epître, il confesse qu'il y en avait plusieurs gens de bien de part et d'autre. Qui ne sait la plainte de David (Psaumes, 13 : 4) : " Il n'y a pas un seul qui fasse le bien, pas même un seul " ? Ces façons de parler sont fréquentes, mais il n'en faut faire conclusion particulière sur un chacun; davantage, on ne prouve pas par là que la foi eut manqué en l'Eglise, ni que l'Eglise fut morte, car il ne s'ensuit pas, si un corps est partout malade donc il est mort. Ainsi sans doute s'entend (St Aug. De unit Eccles., c. x) tout ce qui se trouve de semblable dans les menaces et répréhensions des Prophètes. 5. - Jérémie défend (7 : 4) qu'on ne se confie point au mensonge, disant, le Temple de Dieu, le Temple de Dieu. Réponse : Qui vous dit que sous prétexte de l'Eglise il faille se confier au mensonge ? Ainsi, au contraire, qui s'appuie au jugement de l'Eglise s'appuie sur la colonne et fermeté de vérité (1 Timothée, 3 : 15), qui se fie à l'infaillibilité de l'Eglise ne se fie pas au mensonge, si ce n'est mensonge ce qui est écrit : " Les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle " (Matthieu, 16 : 18). Nous nous fions donc en la sainte parole qui promet perpétuité de l'Eglise. 6. - N'est il pas écrit qu'il faut que l'apostasie vienne et que soit apparu l'homme d'iniquité (2 Thessaloniciens, 2 : 3), et que le sacrifice cessera (Daniel, 12 : 11), et qu'à grand peine le Fils de l'homme trouvera la foi en terre à son second retour visible, quand il viendra juger (Luc, 18 : 8) ? Réponse : Tous ces passages s'entendent de l'affliction que fera l'Antichrist en l'Eglise les trois ans et demi qu'il y régnera puissamment (Daniel, 7 : 25 et chapitre 12; Apocalypse, 11 : 2 et 12, 14) ; nonobstant cela, l'Eglise durant ces trois ans même ne manquera pas, mais plutôt sera nourrie et conservée parmi les déserts et solitudes où elle se retirera, comme dit l'Ecriture (Apoc 12, 14). Article V

QUE L'ÉGLISE N'A JAMAIS ETE DISSIPÉE NI CACHÉE

La passion humaine peut tant sur les hommes qu'elle les pousse à dire ce qu'ils désirent avant d'en avoir aucune raison, et quand ils ont dit quelque chose, elle leur fait trouver des raisons où il n'y en a point. Y a-t-il un homme de jugement au monde qui ne connaisse clairement, quand il lira l'Apocalypse de saint Jean, que ce n'est pas pour ce temps qu'il est dit (c'est-à-dire, l'Eglise) s'enfuit la solitude ? Les Anciens avaient sagement dit que bien savoir reconnaître la différence des temps dans les Ecritures était une bonne règle pour bien les entendre, faute de quoi les Juifs à tous coups s'équivoquent, attribuant au premier avènement du Messie ce qui est proprement dit du second, et les adversaires de l'Eglise encore plus lourdement, quand ils veulent faire l'Eglise telle des saint Grégoire jusqu'à cet âge qu'elle doit être du temps de l'Antichrist. Ils tournent à ce biais ce qui est écrit en l'Apocalypse (12 : 6 et 14), disent que la femme s'enfuit en la solitude, et prennent conséquence que l'Eglise a été cachée et secrète, épouvantée par la tyrannie du Pape, il y a mille ans, jusqu'à ce qu'elle se soit produite en Luther et en ses adhérents. Mais qui ne voit que tout ce passage respire la fin du monde et la persécution de l'Antichrist ? Le temps y étant déterminé expressément de trois ans et demi (6 et 14), et en Daniel aussi (Daniel, 12 : 7); et qui voudrait par quelque glose entendre ce temps que l'Ecriture a déterminé, contredirait tout ouvertement Notre Seigneur, qui dit qu'il sera plutôt écourté, pour l'amour des élus (Matthieu, 24 : 22). Comment donc osent-ils transporter cet écrit à une intelligence si éloignée de l'intention de l'auteur, et si contraire à ses propres circonstances ? Sans vouloir regarder à tant d'autres paroles saintes qui montrent et assurent haut et clair que l'Eglise ne doit jamais être si cachée dans les solitudes jusqu'à cette extrémité-là, et pour si peu de temps, ou on la verra fuir, d'où on la verra sortir. Je ne veux plus ramener tant de passages déjà notés ci-dessus (art. 1), où l'Eglise est dite semblable au soleil, lune, arc-en-ciel (Psaumes, 88 : 37),

à une reine (Psaumes, 44 : 10 et 14), à une montagne aussi grande que le monde (Daniel, 2 : 35), et un monde d'autres; je me contenterai de vous mettre en tête deux grandes colonnes de l'ancienne Eglise, des plus vaillants qui furent jamais, saint Augustin et saint Jérôme. David avait dit : " Le Seigneur est grand et trop plus louable en la cité de Notre Dieu, en sa sainte montagne ". " C'est la cité ", dit saint Augustin, " mise sur la montagne ", qui ne peut se cacher, c'est la lampe qui ne peut être scellée sous un tonneau, connue de tous, à tous fameuse, car il s'ensuit : " Le mont Sion est fondé avec grande joie de l'univers ". Et de fait, Notre Seigneur, qui disait que personne n'allume la lampe pour la couvrir sous le boisseau (Matthieu, 5 : 15), comment eut-il mis tant de lumières en l'Eglise pour les aller cacher en certains recoins inconnus ? Il poursuit : " Voici le mont qui remplit l'universelle face de la terre, voici la cité de laquelle il est dit : " La cité ne se peut cacher qui est située sur le mont " (Matthieu, 5 : 14). Les Donatistes (les Calvinistes) rencontrent le mont, et quand on leur dit, mont, ce n'est pas une montagne, disent-il, et plutôt y donnent et l'heurtent de front que d'y chercher une demeure. Isaïe, qu'on lisait hier, cria : " Il y aura dans les derniers jours un mont préparé, la Montagne de la maison du Seigneur, à la tête des montagnes, et vers laquelle toutes les nations afflueront " (2 : 2). Qu'y a-t-il de si apparent qu'une montagne ? Mais il se fait des monts inconnus parce qu'ils sont assis sur un coin de la terre. Qui d'entre vous connaît l'Olympe ? Personne, certes, ni plus ni moins que les habitants de l'Olympe ne savent ce qu'est notre mont Chidabbe; ces monts sont retirés en certains quartiers, mais le mont d'Isaïe n'est pas de même, car il a rempli toute la face de la terre. La pierre taillée du mont sans œuvre manuelle (Daniel, 2 : 34-35), n'est ce pas Jésus-Christ, descendu de la race des Juifs sans œuvre de mariage ? Et cette pierre ne fracassa-t-elle pas elle-même tous les royaumes de la terre, c'est-à-dire, toutes les dominations des idoles et démons ? Ne s'accrut-elle pas jusqu'à remplir tout l'univers ? C'est donc de ce mont qu'il est dit, préparé sur la cime des monts; c'est un mont élevé sur le sommet de tous les monts, et toutes les nations se rendront vers celui-ci. Qui se perd et s'égare au sujet de ce mont ? Qui choque et se casse la tête en celui-ci ? Qui ignore la cité mise sur le mont ? Mais non, ne vous émerveillez pas qu'il soit inconnu à ceux-ci qui haïssent les frères, qui haïssent l'Eglise, car, par ce, vont-ils en ténèbres et ne savent où ils vont, ils se sont séparés du reste de l'univers, ils sont aveugles de mal talent. Ce sont les paroles de saint Augustin contre les Donatistes, mais l'Eglise présente ressemble si parfaitement à l'Eglise première, et les hérétiques de notre âge aux anciens, que, sans changer autre que les noms, les raisons anciennes combattent autant collet à collet les Calvinistes, comme elles faisaient des anciens Donatistes. Saint Jérôme (Adver Lucifer, 14, 15) entre en cette escarmouche d'un autre côté, qui vous est bien aussi dangereux que l'autre, car il fait voir clairement que cette dissipation [dispersion] prétendue, cette retraite et cachette, abolit la gloire de la Croix de Notre Seigneur; car, parlant à un schismatique réuni à l'Eglise, il dit ainsi : " Je me réjouis avec toi, et rends grâce à Jésus-Christ mon Dieu, de ce que tu t'es réduit de bon courage de l'ardeur de fausseté au goût et saveur de tout le monde; et ne dis pas comme quelques-uns : O Seigneur, sauve-moi, car le saint a manqué (Psaumes, 11 : 1 ), desquels la voix impie évacue la Croix de Jésus-Christ, assujettit le Fils de Dieu au diable, et le regret que le Seigneur a proféré des pécheurs (Psaumes, 29 : 10), il l'entend être dit de tous les hommes. Mais déjà n'advienne que Dieu soit mort pour néant; le puissant est lié et saccagé, la parole du Père est accomplie : Demande-moi, et je te donnerai les gens pour héritage, et pour ta possession les bornes de la terre (Psaumes, 2 : 8). Où sont, je vous prie, ces gens trop religieux, mais plutôt trop profanes, qui font plus de synagogues que d'églises ? Comment seront détruites les cités du diable, et enfin, à savoir en la consommation des siècles, les idoles comment seront-ils abattus ? Si Notre Seigneur n'a point eu d'Eglise, ou s'il l'a eue en la seule Sardaigne, certes il est trop appauvri. Hé ! si Satan possède une fois l'Angleterre, la France, le Levant, les Indes, les nations barbares et tout le monde, comment auront été ainsi accueillis et contraints les trophées de la Croix en un coin de tout le monde ? Et que dirait ce grand personnage de ceux qui non seulement nient qu'elle ait été générale et universelle, mais disent qu'elle n'était qu'en certaines personnes inconnues, sans vouloir déterminer un seul petit village où elle fut il y a quatre-vingts ans ? N'est-ce pas bien avilir les glorieux trophées de Notre Seigneur ? Le Père céleste, pour la grande humiliation et anéantissement que Notre Seigneur avait subi en l'arbre de la Croix (Philippiens, 2 : 8-9), avait rendu son nom si glorieux que tout genou se devait plier en sa révérence, mais ceux-ci ne prisent pas tant la Croix ni les actions du Crucifix, ôtant de ce compte toutes les générations de mille ans. Le Père lui avait donné en héritage beaucoup de gens, parce qu'il avait livré sa vie à la mort, et avait été mis au rang des méchants hommes (Isaïe, 53 : 12) et voleurs, mais ceux-ci lui amaigrissent bien son lot, et rognent si fort sa portion qu'à grand peine durant mille ans aura-t-il eu certains serviteurs secrets, mais plutôt n'en aura du tout point eu; car je m'adresse à vous, ô devanciers, qui portiez le nom de Chrétiens, et qui avez été en la vraie Eglise : ou vous aviez la vraie foi, ou vous ne l'aviez pas; si vous ne l'aviez pas, ô misérables, vous êtes damnés (Marc, 16 : 16), et si vous l'aviez,

pourquoi la scelliez-vous aux autres ? Que n'en laissiez vous pas des mémoires ? Que ne vous opposiez-vous pas à l'impiété, à l'idolâtrie ? Ou si vous ne saviez pas que Dieu a recommandé à un chacun son prochain (Ecclésiaste, 17 : 12) ? Certes, on croit de cœur pour la justice, mais qui veut obtenir le salut il faut faire la confession de sa foi (Romains, 10 : 10; Luc, 12 : 8), et comment pouviez-vous dire : " J'ai cru, et parce que j'ai parlé (Psaumes, 115 : 1 : " J'aime, quand Dieu entend la voix de mon imploration. Quand il tend vers moi l'oreille : je l'invoque en mes jours.") ? O misérables encore, qui ayant un si beau talent l'avez caché en terre : s'il en est ainsi, vous êtes dans les ténèbres extérieures (Matthieu, 25 : 25-30). Mais si au contraire, ô Luther, ô Calvin, la vraie foi a toujours été publiée et continuellement prêchée par tous nos devanciers, vous êtes misérables vous-mêmes, qui en avez une toute contraire, et qui pour trouver quelque excuse à vos volontés et fantaisies, accusez tous les Pères ou d'impiété s'ils ont mal cru, ou de lâcheté s'ils se sont tus. Article VI

L'ÉGLISE NE PEUT PAS ERRER

Quand Absalon voulut une fois faire faction et division contre son bon père David, il s'assit près de l'avenue de la porte, et disait à tous ceux qui passaient : " N'y a-t-il pas une personne agréée par le Roi pour vous écouter, hé ! qui me constituera juge sur terre, afin que tous ceux qui auront quelque négociation viennent à moi et que je juge justement " (2 Rois, 15 : 2-6) ? ainsi sollicitait-il le courage des Israélites. O combien d'Absalon se sont trouvés en notre âge, qui, pour séduire et détruire les peuples de l'obéissance à l'Eglise et aux pasteurs, et solliciter les courageux chrétiens à la rébellion et révolte, ont crié par toutes les avenues d'Allemagne et de France : il n'y a personne constitué de Dieu pour écouter les doutes sur la foi et les résoudre; l'Eglise même, les magistrats ecclésiastiques, n'ont point de pouvoir pour déterminer ce qu'il faut tenir en la foi et ce que non; il faut chercher autres juges que les prélats, l'Eglise peut errer en ses décrets et règles. Mais quelle plus dommageable et téméraire persuasion pouvaient-ils faire au christianisme que celle-là ? Si donc l'Eglise peut errer, ô Calvin, ô Luther, à qui aurais-je recours en mes difficultés ? A l'Ecriture, disent-ils : mais que ferais-je, pauvre homme ? car c'est sur l'Ecriture même où j'ai difficulté; je ne suis pas en doute s'il faut ajouter foi à l'Ecriture ou non, car qui ne sait que c'est la parole de vérité ? Ce qui me tient en peine, c'est l'intelligence de cette Ecriture, ce sont les conséquences de celle-ci, lesquelles étant sans nombre, diverses et contraires sur un même sujet, où qu'un chacun prend parti qui en l'une qui en l'autre, et que de toutes il n'y en a qu'une salutaire, ah ! qui me fera connaître la bonne d'entre tant de mauvaises ? Qui me fera voir la vraie vérité au travers de tant d'apparentes et masquées vanités ? Chacun se voudrait embarquer sur le navire du Saint-Esprit, il n'y en a qu'un, et celui-là seul prendra port, tout le reste court au naufrage; ah ! quel danger de se méprendre : l'égale ventance [sic vanité ?] et assurance des patrons en déçoit la plupart, car tous se vantent d'en être les maîtres. Quiconque dit que Notre Maître ne nous a pas laissé des guides en un si dangereux et malaisé chemin, il dit qu'il veut nous perdre; quiconque dit qu'il nous a embarqués à la merci des vents et de la marée, sans nous donner un expert pilote qui sache bien entendre sur la boussole et la charte marine, il dit que ce Seigneur a commis une faute de prévoyance; quiconque dit que ce bon Père nous a envoyés en cette école ecclésiastique, sachant que l'erreur y était enseignée, il dit qu'il a voulu nourrir notre vice et notre ignorance. Qui entendit jamais deviser d'une académie ou chacun enseignait, personne ne fut auditeur ? Telle serait la république chrétienne si les particuliers... Car si l'Eglise même erre, qui n'errera ? Et si chacun y erre, ou peut errer, à qui m'adresserais-je pour être instruit ? A Calvin ? Mais pourquoi plutôt qu'à Luther, ou à Brence, ou au Pacimontain ? Nous ne saurions donc ou recourir en nos difficultés si l'Eglise errait. Mais qui considèrera le témoignage que Dieu a donné pour l'Eglise, si authentique, il verra que dire, l'Eglise erre, n'est autre sinon dire, Dieu erre, ou se plaît et veut qu'on erre, qui serait un grand blasphème : car, n'est ce pas Notre Seigneur qui dit : Si ton frère a péché contre toi, dis-le à l'Eglise; que si quelqu'un n'entend pas l'Eglise, qu'il te soit comme païen et publicain (Matthieu, 18 : 17) ? Voyez-vous comment Notre Seigneur nous renvoie à l'Eglise en nos différends, et quels qu'ils soient ? Mais combien plus dans les injures et différends plus importants ? Certes, si je suis obligé, après l'ordre de la correction fraternelle, d'aller à l'Eglise pour faire amender un vicieux qui m'aurait offensé, combien plus serais-je obligé d'y déférer celui qui appelle toute l'Eglise Babylone, adultère, idolâtre, mensongère, parjure ? d'autant plus principalement qu'avec cette malveillance il pourra débaucher et infecter toute une province, le vice d'hérésie étant si contagieux que comme chancre il se va toujours traînant plus avant (2 Timothée, 2 : 17) pour un temps. Quand donc j'en verrai quelqu'un qui dira que tous nos pères, aïeuls et bisaïeuls ont idolâtré, corrompu l'Evangile et pratiqué toutes les méchancetés qui s'ensuivent de la chute de Religion, je m'adresserai à l'Eglise, le jugement de laquelle chacun doit subir. Que si elle peut errer, ce ne sera plus moi, ou l'homme, qui nourrira cette erreur dans le monde, ce sera Notre Dieu même qui l'autorisera et

mettra en crédit, puisqu'il nous commande d'aller à ce tribunal pour y entendre et recevoir justice : ou il ne sait pas ce que s'y fait, ou il veut nous décevoir, ou c'est à bon escient que la vraie justice s'y administre, et les sentences sont irrévocables. L'Eglise a condamné Bérengère; quiconque veut en débattre plus avant je le tiens comme un païen et péager, afin d'obéir à mon Seigneur, qui ne me laisse pas en liberté en cet endroit, mais me commande : Tiens-le comme un païen et péager. C'est le même que saint Paul enseigne, quand il appelle l'Eglise colonne et fermeté de vérité (1 Timothée, 3 : 15). N'est-ce pas dire que la vérité est soutenue fermement en l'Eglise ? Ailleurs la vérité n'est soutenue que par intervalles, elle en tombe souvent, mais en l'Eglise elle y est sans vicissitude, immuablement, sans chanceler; bref, stable et perpétuelle. Répondre que saint Paul veut dire que l'Ecriture a été remise en garde à l'Eglise, et rien de plus, c'est trop ravaler la similitude qu'il propose, car c'est bien autre chose, soutenir la vérité que garder l'Ecriture. Les Juifs gardent une partie des Ecritures, et beaucoup d'hérétiques encore, mais pour cela ils ne sont pas colonnes et fermetés de la vérité. L'écorce de la lettre n'est ni vérité ni fausseté, mais selon le sens qu'on lui baille elle est véritable ou fausse. La vérité donc consiste au sens, qui est comme la moelle, et partant, si l'Eglise était gardienne de la vérité, le sens de l'Ecriture lui aurait été remis en garde, il le faudrait chercher chez elle, et non en la cervelle de Luther, ou Calvin, ou de quelque particulier; dont elle ne pourrait errer, ayant toujours le sens des Ecritures. Et de fait, mettre en ce sacré dépôt la lettre sans le sens, ce serait y mettre la bourse sans l'argent, la coquille sans le noyau, la gaine sans l'épée, la boite sans l'onguent, les feuilles sans le fruit, l'ombre sans le corps. Mais dites-moi, si l'Eglise a en garde les Ecritures, pourquoi est-ce que Luther les prit et les porta hors de celle-ci ? Et pourquoi ne prenez-vous pas de ses mains aussi bien les Maccabées, l'Ecclésiastique et tout le reste comme l'Epître aux Hébreux ? Car elle proteste d'avoir aussi chèrement en garde les uns que les autres. Bref, les paroles de saint Paul ne peuvent souffrir ce sens qu'on veut leur bailler. Il parle de l'Eglise visible, car où adresserait-il son Timothée pour converser ? Il l'appelle maison de Dieu; elle est donc bien fondée, bien ordonnée, bien couverte contre tous les orages et tempêtes d'erreur; elle est colonne et fermeté de la vérité; la vérité donc est en elle, elle y loge, elle y demeure, qui la cherche ailleurs la perd. Elle est bien tellement assurée et ferme que toutes les portes d'enfer, c'està-dire toutes les forces ennemies, ne sauraient s'en rendre maîtresses (Matthieu, 16 : 18); et ne serait-ce pas place gagnée pour l'ennemi si l'erreur y entrait, dans mes choses qui sont pour l'honneur et le service du Maître ? Notre Seigneur est le chef de l'Eglise (Ephésiens, 1 : 22); n'a-t-on point honte d'oser dire que le corps d'un chef si saint soit adultère, profane, corrompu ? Et qu'on ne dise pas que c'est l'Eglise invisible, car il n'y en a point : d'Eglise visible (comme je l'ai montré ci-dessus) Notre Seigneur en est le chef ; écoutez saint Paul (Ephésiens, 1 : 22) : Et ipsum dedit caput supra omnem ecclesiam, non sur une église de deux que vous imaginez, mais sur toute l'Eglise. Là ou deux ou trois se trouveront assemblés au nom de Notre Seigneur, il se trouve au milieu d'eux (Mat 18, 20) : ah ! qui dira que l'assemblée de l'universelle Eglise de tous temps ait été abandonnée à la merci de l'erreur et de l'impiété ? Je conclus, donc, que quand nous voyons que l'Eglise universelle a été et est en créance de quelque article, soit que nous le voyons exprès en l'Ecriture, soit qu'il en soit tiré par quelque déduction, ou bien par Tradition, nous ne devons aucunement contrôler ni disputer ou douter sur celui-ci, mais plutôt prêter obéissance et hommage à cette céleste Reine que Notre Seigneur commande, et régler Notre foi à ce niveau. Que si c'eut été impiété aux Apôtres de contester avec leur Maître, aussi le sera-ce à qui contestera contre l'Eglise; car si le Père a dit du Fils : Ipsum audite (Mat 17, 5), le fils a dit de l'Eglise, Si quis Ecclesiam non audiverit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus (Mat 18, 17).

ARTICLE VII : Les ministres ont violé l'autorité de l'Eglise Je ne suis pas maintenant en grande peine de montrer combien vos ministres ont avili la sainteté et majesté de l'Église. Ils crient haut et clair qu'elle a demeuré 800 ans en adultère et antichrétienne, dès saint Grégoire jusqu'à Wyclif que Bèze tient pour le premier restaurateur du christianisme. Calvin se voudrait bien couvrir par une distinction, disant que l'Église peut errer en choses non nécessaires au salut, non dans les autres, mais Bèze confesse librement qu'elle a tant erré qu'elle n'est plus Église; et cela n'est ce pas errer en choses nécessaires au salut ? même qu'il avoue que hors de l'Église il n'y a point de salut. Il s'ensuit donc de son dire, quoiqu'il se tourne et contourne de tous côtés, que l'Église a erré dans les choses nécessaires au salut : car, si hors de l'Église on ne trouve point de salut, et si l'Église a tant erré qu'elle n'est plus Église, certes en elle il n' a point de salut; or on ne peut perdre le salut qu'en se détournant des choses nécessaires au salut, elle a donc failli en choses nécessaires au salut : autrement, ayant ce qui est nécessaire au salut elle serait la vraie Église, ce qui ne se peut. Et de Bèze dit qu'il a appris cette façon de parler de ceux qui l'ont instruit en sa religion prétendue, c'est-à-dire, de Calvin; et de

vrai, si Calvin pensait que l'Église romaine n'eut pas erré dans les choses nécessaires au salut il eut eu tort de s'en séparer, car y pouvant faire son salut, et y étant le vrai christianisme, il eut été obligé d'y demeurer pour son salut, lequel ne pouvait être en deux lieux différents. On me dira peut être que de Bèze dit bien que l'Église Romaine qui est aujourd'hui erre en choses nécessaires, et que partant il s'en est séparé, mais qu'il ne dit pas que la vraie Église ait jamais erré. Mais on ne se peut échapper de ce côté-là : car, quelle Église y avait-il au monde il y a deux cents, trois cents, quatre cents et cinq cents ans, sinon l'Église Catholique romaine, toute qu'elle est à présent ? Il n'y en avait point d'autre sans doute; donc, c'était la vraie Église et néanmoins errait, ou il ni avait point de vraie Église au monde : et en ce cas-là encore est-il contraint d'avouer que cet anéantissement était venu par erreur intolérable et en choses nécessaires au salut, car, quant à cette dissipation de fidèle et secrète Église, j'en ai déjà assez fait voir la vanité ci-devant; outre cela que quand ils confessent que l'Église visible peut errer, ils violent l'Église à laquelle Notre Seigneur nous adresse en nos difficultés, et que saint Paul appelle colonne et pilier de vérité (1 Timothée, 3 : 15), car ce n'est que de la visible de laquelle s'entendent ces témoignages, sinon qu'on voulut dire que Notre Seigneur nous eut renvoyé à parler à une chose invisible, imperceptible et du tout inconnue, ou que saint Paul enseignait son Timothée à converser en une assemblée de laquelle il n'eut aucune connaissance. Mais ce n'est pas violer tout le respect et la révérence due à cette Reine Epouse du Roi céleste d'avoir ramené sur ses terres quasi toutes les troupes que cidevant, avec tant de sang, de sueurs et de travaux, elle avait par solennelle punition bannies et chassées de ses confins, comme rebelles et conjurées ennemies de sa couronne, j'entends, d'avoir remis sur pied tant d'hérésies et fausses opinions que l'Église avait condamnées comme entreprenant la souveraineté sur l'Église, absolvant ceux qu'elle a condamnés, condamnés ceux qu'elle avait absous ? Voici des exemples. Simon le Mage disait que Dieu était cause du péché, dit Vincent de Lérins, mais Calvin et Bèze n'en disent rien de moins, le premier au traité De l'éternelle prédestination, le second en la Réponse à Sébastien Castalio. Quoiqu'ils nient le mot ils suivent la chose et le corps de cette hérésie, si hérésie se doit appeler, non athéisme; de quoi tant de doctes hommes les convainquent par leurs propres paroles que je ne m'y amuserai pas. Judas, dit saint Jérôme, pensait que les miracles qu'il voyait partir de la main de notre Seigneur fussent opérations et illusions diaboliques; je ne sais si vos ministres pensent ce qu'ils disent, mais que disent-ils quand on produit les miracles, sinon que ce sont sorcelleries ? Les glorieux miracles que Notre Seigneur fait au Mondevis, au lieu de vous ouvrir les yeux, qu'en dites vous ? Les Pépuziens, dit saint Augustin, ou Montanistes et Phriges comme les appelle le Code (De Haeret. l, I; Tit. V, 5), admettaient à la dignité de la prêtrise les femmes; qui ne sait que les frères Anglais tiennent Elisabeth leur Reine pour chef de leur Église ? Les Manichéens, dit saint Jérôme, niaient le libre arbitre : Luther a fait un livre contre le libre arbitre, qu'il appelle De servo arbitrio; de Calvin je m'en rapporte à vous (Amb., Ep 83 , Manichaeos ob Dominicae diei jejunia jure damnamus). Les Donatistes croyaient que l'Église s'était perdue en tout le monde, et qu'elle leur était demeurée seulement à eux; vos ministres parlent ainsi. Encore croient-ils qu'un mauvais homme ne peut baptiser; Wyclif en disait tout autant, que j'apporte en jeu parce que de Bèze le tient pour un glorieux réformateur. Quant à leurs vies, voici leurs vertus : ils donnaient le très précieux Sacrement aux chiens, ils jetaient le saint Chrême à terre, ils renversaient les autels, rompaient les calices et les vendaient, ils rasaient la tête des prêtres pour lever la sacrée onction, ils levaient et arrachaient le voile des nones pour les profaner. Jovinien, au témoignage de saint Augustin (I De haerisibus, ad quodvult Deus, c 82), voulait qu'on mangeant en tout temps et contre toute prohibition toutes sortes de viandes, disait que les jeûnes n'étaient pas méritoires devant Dieu, que les sauvés étaient égaux en gloire, que la virginité n'était rien de plus que le mariage, et que tous les péchés étaient égaux : chez vos maîtres on enseigne la même chose.

Vigilance (comme écrit saint Jérôme, 1. Adversus Vigilantium, et 2 epistolis adversus eunem) nia qu'on dut avoir en honneur les reliques des saints, que les prières des saints fussent profitables, que les prêtres dussent vivre en célibat, la pauvreté volontaire : ne niez-vous pas de tout ceci ? Eustathius méprisa les jeûnes ordinaires de l'Église, les traditions ecclésiastiques, les lieux des saints martyrs et les basiliques de dévotion. Le récit en est fait par le Concile Gangrense, in praefatione, où pour ces raisons il fut déclaré anathème et condamné. Voyez-vous combien vos réformateurs en ont condamnés ? Eunomius ne voulait point céder à la pluralité, dignité, antiquité, comme témoigne saint Basile contre Eunomius. Il disait que la seule foi suffisait au salut et justifiait, Aug, haer. 54. Quant au premier trait, voyez de Bèze en son traité Des marques de l'Église; quant au second, n'est-il pas d'accord avec cette tant cette sentence de Luther, que de Bèze tient pour très glorieux réformateur : Vides quam dives sit homo Christianus sive baptizatus, qui etiam volens non potest perdere salutem suam, quantiscumque peccatis, nisi nolit credere? Arius, au récit de saint Augustin, niait la prière pour les morts, les jeûnes ordinaires, et la supériorité de l'Evêque par dessus le simple prêtre; vos ministres nient tout cela. Lucifer appelait son église seulement la vraie église, et disait que l'Église ancienne, d'Église était devenue une mauvaise maison, Hier., Contra Lucif.; et que crient vos ministres tout le jour ? Les Pélagiens se tenaient assurés et certains de leur justice (Hieron., adver Pel 1 III, 17-18)), promettaient le salut aux enfants des fidèles qui mouraient sans baptême (Aug., 1. VI contra Julianum, c II et III), ils tenaient tous les péchés pour mortels (Hier 1. II). Quant au premier, c'est votre ordinaire langage, et celui de Calvin in Antidoto, sess 6 ; le second et troisième est trop trivial parmi vous pour en dire autre chose. Les Manichéens rejetaient les sacrifices de l'Église et les images; et qu'ont fait vos gens ? Les Messaliens méprisaient les ordres sacrés, les églises et les autels, comme dit saint Damascène, Haer 80 ; Ignatius (apud Theodoretum, Dialogo 3 qui dicitur Impatibilis) : Eucharistias et oblationes non admittunt, quod non confiteantur Eucharistiam esse carnem Servatoris nostri Jesu Christi, quae pro peccatis nostris passa est, quam Pater benignitate suscitavit; contre lesquels a écrit saint Martial, Epistola ad Burdegalenses. Berengaire voulut dire le même longtemps après, et fut condamné par trois Conciles, aux deux derniers desquels il abjura son hérésie. Julien l'Apostat méprisait le signe de la Croix, Soc. 1. 3 c. 2; aussi faisait Xénaïas, l. 16 c 27 ; les Mahométans n'en font rien de moins, Damascène, Haeresi centesima. Mais qui voudra voir ceci bien au long, qu'il voie Sander, l 8 c 57, De visib Monarch Eccl et Belarmin, in notis Ecclesiae. Voyez-vous les moules sur lesquels vos ministres ont jeté et formé leur réforme ? Or sus, cette seule alliance d'opinions, ou pour mieux dire, cet étroit parentage et consanguinité, que vos premiers maîtres avaient avec les plus cruels, envieillis et conjurés ennemis de l'Église, vous devait-elle pas détourner de les suivre et vous ranger sous leurs enseignes ? Je n'ai noté pas une hérésie qui n'ait été tenue pour telle en l'Église que Calvin et Bèze confessent avoir été vraie Église, à savoir, dans les premiers cinq cents ans du Christianisme. Ah ! je vous prie, n'est-ce pas fouler aux pieds la majesté de l'Église, que de produire comme réformes et réparations nécessaires et saintes, ce qu'elle a tant abominé lors qu'elle était en ses plus pures années, et qu'elle avait terrassé comme impiété, ruine et dégât de la vraie doctrine ? L'estomac délicat de cette céleste Epouse n'avait pu soutenir la violence de ces venins, et les avait rejetés avec un tel effort que plusieurs veines de ses martyrs en étaient éclatées, et maintenant vous le lui représentez comme une précieuse médecine. Les Pères que j'ai cités ne les eussent jamais mis au rôle des hérétiques qu'ils n'eussent vu le corps de l'Elise les tenir pour tels; c'étaient des plus orthodoxes, et qui étaient confédérés à tous les autres évêques et docteurs catholiques de leur temps, qui montre que ce qu'ils tenaient pour hérétique l'était à bon escient. Imaginez-vous donc cette vénérable antiquité, au

ciel, autour du Maître, qui regarde vos réformateurs; ils y sont allés combattant les opinions que les ministres adorent, ils ont tenu pour hérétiques ceux dont vous suivez les pas; penses-vous que ce qu'ils ont jugé erreur, hérésie, blasphème et ariens, manichéens, en Judas, ils le trouvent maintenant sainteté, réforme, restauration ? Qui ne voit que c'est ici le plus grand mépris qu'on peut faire à la majesté de l'Église ? Si vous voulez venir à la succession de la vraie et sainte Église de ces premiers siècles, ne contrevenez donc pas à ce qu'elle a si solennellement établie et constituée . Personne ne peut être héritier en partie, et en partie non; acceptez l'héritage résolument : les charges ne sont pas si grandes qu'un peu d'humilité n'en face la raison, dire adieu à ses passions et opinions, et passer compte du différend que vous avez avec l'Église; les honneurs sont infinis, d'être héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ (Romains, 8 : 17), en l'heureuse compagnie de tous les bienheureux.. CHAPITRE III : Les Marques de l'Église ARTICLE PREMIER DE L'UNITÉ DE L'ÉGLISE - LA MARQUE PREMIÈ0RE : LA VRAIE ÉGLISE DOIT ÊTRE UNE EN UN CHEF 1. - Combien de fois et en combien de lieux, l'Église, tant militante que triomphante, et à l'Ancien et au Nouveau Testament, soit appelée maison et famille, il me semblerait temps perdu d'en vouloir faire recherche, puisque cela est tant commun dans les Ecritures que ceux qui les ont lues n'en douteront jamais, et qui ne les a pas lues, incontinent qu'il les lira, il trouvera quasi partout cette façon de parler. C'est de l'Église que saint Paul dit à son cher Timothée (1 Tim 3, 15) : Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quae est Ecclesia, columna et firmamentum veritatis; c'est d'icelle que David dit : (Ps 88, 5) Beati qui habitant in domo tua Domine ; c'est d'elle que l'Ange dit : Reganbit in domo jacob in aeternum; c'est d'elle que Notre Seigneur : In domo patris mei mansiones multae sunt (Jean 14, 2), Simile est regnum caelorum homini patrifamilias, Mat 20; et en cent mille autres lieux. Or, l'Église étant une maison et une famille, le maître de cette maison, il ne faut pas douter qu'il n'y en a qu'un seul, Jésus-Christ, ainsi est-elle appelée maison de Dieu. Mais ce Maître et Père de famille, s'en allant à la droite de Dieu son Père et ayant laissé plusieurs serviteurs en sa maison, voulut en laisser un qui fut serviteur en chef, et auquel les autres se rapportassent; ainsi dit Notre Seigneur : Quis putas est servus fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ? Et de vrai, s'il n'y avait un maître valet en une boutique, pensez comment le trafic irait, s'il n'y avait pas un roi en un royaume, un paron [Littré : parons, un père et une mère des oiseaux de proie ?] en un navire, et un père de famille en une famille, et de vrai ce ne serait plus une famille; mais écoutez Notre Seigneur : Omnis civitas vel domus divisa contra se non stabit (Matthieu, 12 : 25). Jamais une province ne peut être bien gouvernée d'elle-même, principalement si elle est grande. Je vous demande, Messieurs les clairvoyants, qui ne voulez pas qu'en l'Église il y ait un chef, me sauriez-vous donner exemple de quelque gouvernement d'apparence auquel tous les gouvernements particuliers ne se soient rapportés à un ? Il faut laisser à part les Macédoniens, Babyloniens, Juifs, Mèdes, Perses, Arabes, Syriens, Français, Espagnols, Anglais, et une infinité des plus remarquables, dans lesquelles la chose est claire. Mais venons aux républiques : dites-moi, où avez-vous vu quelque grande province qui se soit gouvernée d'elle-même ? Jamais. La plus belle partie du monde fut une fois de la république des Romains, mais une seule Rome gouvernait, une seule Athènes, Carthage, et ainsi des autres anciennes, une seule Venise, une seule Gênes, une seule Lucerne, Fribourg et autres. Jamais vous ne trouverez que toutes les parties de quelque notable et grande province se soient employées à se gouverner soimême, mais fallait, faut et faudra que ou un homme seul, ou un seul corps d'hommes résidant en quelque lieu, ou une seule ville, ou quelque petite portion d'une province, ait gouverné le reste de la province, si la province était grande. Messieurs qui vous plaisez dans les histoires, je suis assuré de votre voix, vous ne permettrez pas qu'on m'en démente. Mais supposé, ce qui est très faux, que quelque province particulière se fut gouvernée d'elle-même, comment pourrait-on dire de l'Église chrétienne, laquelle est si universelle qu'elle comprend tout le monde ? Autrement, il faudrait toujours avoir un concile debout de toutes les évêchés, et qui l'avouera ? Il faudrait que tous les évêques fussent toujours absents de leur diocèse, et comment pourrait se faire cela ? Et si tous les évêques étaient pareils, qui les assemblerait ? Mais quelle peine serait-ce, quand on aurait quelque doute en la foi, de faire assembler un concile ? Il ne se peut nullement donc faire, que toute l'Église, et chacune de ses partie, se gouverne elle-même sans se rapporter l'une à l'autre. Or, puisque j'ai suffisamment prouvé qu'il faut qu'une partie se rapporte à l'autre, je vous demande la partie à laquelle on se doit rapporter. Ou c'est une province : si c'est une province, où est elle ? Ce n'est pas l'Angleterre,

car quand elle était catholique, où lui trouvez-vous ce droit ? Si vous proposez une autre province, où sera elle ? Et pourquoi plutôt celle-ci qu'une autre ? Outre ce que pas une province n'a jamais demandé ce privilège. Si c'est une ville, il faut que ce soit l'une des patriarcales : or, des patriarcales il n'y en a que cinq, Rome, Antioche, Alexandrie, Constantinople et Jérusalem. Laquelle des cinq ? Toutes sont païennes, excepté Rome. Si donc ce doit être une ville, c'est Rome, si une assemblée, c'est celle de Rome. Mais non; ce n'est ni une province, ni une ville, ni une simple et perpétuelle assemblée, c'est un seul homme- chef, constitué sur toute l'Église : Fidelis servus et prudens, quem constituit Dominus. Concluons donc que Notre Seigneur, partant de ce monde, afin de laisser unie toute son Église, il laissa un seul gouverneur et lieutenant général, auquel on doit avoir recours en toute nécessité. 2. - Ce qu'étant ainsi, je vous dis que ce serviteur général, ce dispensateur et gouverneur, ce maître valet de la maison de Notre Seigneur, c'est saint Pierre, lequel a raison de cela peut bien dire : O Domine, quia ego servus (Psaumes, 115 : 6) ; et non pas seulement servus, mais doublement, quia qui bene praesunt duplici honore digni sunt (1 Timothée, 5 : 17); et non seulement servus tuus, mais encore filius ancillae tuae. Quand on a quelque serviteur de race, à celui-ci on se fie davantage, et lui baille-t-on volontiers les clefs de la maison; donc non sans cause j'introduis saint Pierre, disant O domine, etc., car il est serviteur bon et fidèle (Matthieu, 25 : 21-23) auquel, comme à un serviteur de race, le Maître a baillé les clefs : Tibi dabo claves regni caelorum (Matthieu, 16 : 19). Saint Luc nous montre bien que saint Pierre est ce serviteur, car, après avoir raconté (12 : 37) que Notre Seigneur avait dit par avertissement à ses disciples : Beati servi quos cum venerit Dominus invenerit vigilantes ; amen, dico vobis, quod praecinget se, et faciet illos discumbere, et transiens ministrabit illis, saint Pierre seul interrogea Notre Seigneur (verset 41) : Ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes ? Notre Seigneur, répondant à saint Pierre, ne dit pas : Qui putas erunt fideles, comme il avait dit beati servi, mais, Quis putas est dispensator fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ut det illis in tempore tritici mensuram ? Et de fait, Théophylacte dit que saint Pierre fit cette demande comme ayant la suprême charge de l'Église, et saint Ambroise, l. 7, 131, sur saint Luc, dit que les premières paroles, beati, s'entendent de tous, mais les secondes, quis putas, s'entendent des évêques, et beaucoup plus proprement du Souverain. Notre Seigneur, donc, répond à saint Pierre comme voulant dire : ce que j'ai dit en général appartient à tous, mais à toi particulièrement, car, qui penses-tu être le serviteur prudent et fidèle ? Et de vrai, si nous voulons un peu éplucher cette parabole, qui peut être le serviteur qui doit donner le froment sinon saint Pierre, auquel la charge de nourrir les autres a été donnée : Pasce oves meas (Jean, 21 : 17) ? Quand le maître de la maison va dehors, il donne les clefs au maître valet et économe, et n'est-ce pas à saint Pierre auquel Notre Seigneur a dit : Tibi dabo claves regni caelorum ? (Matthieu, 16 : 19) Tout se rapporte au gouverneur, et le reste des officiers s'appuient sur celui-ci, quant à l'autorité, comme tout l'édifice sur le fondement. Ainsi saint Pierre est appelé pierre sur laquelle l'Église est fondée : Tu es Képhas, et super hanc petram (verset 18) : or est-il que Képhas veut dire en syriaque une pierre, aussi bien que sela en hébreu, mais l'interprète latin a dit Petrus, pour ce qu'en grec il y a Petros, qui veut aussi bien dire pierre comme petra; et Notre Seigneur, en saint Matthieu, 7, dit que l'homme sage fait sa maison et la fonde sur le rocher, supra petram : en quoi le diable, père de mensonge, singe de Notre Seigneur, a voulu faire certaine imitation, fondant sa malheureuse hérésie principalement en un diocèse de saint Pierre, et en une Rochelle. De plus, Notre Seigneur demande que ce serviteur soit prudent et fidèle, et saint Pierre a bien ces deux conditions : car, la prudence comme lui peut-elle manquer, puisque ni la chair ni le sang ne le gouvernent point, mais le Père céleste (verset 17) ? Et la fidélité comment lui pourrait-elle faillir, puisque Notre Seigneur dit : Rogavi pro te ut non deficeret fides tua (Luc, 22 : 33) ? Lequel il faut croire que exauditus est pro sua reverentia (Hébreux, 5 : 7), de quoi il donne bien bon témoignage quand il ajoute (Luc ubi supra) : Et tu conversus confirma fratres tuos, comme s'il voulait dire : j'ai prié pour toi, et partant confirme les autres, car pour les autres je n'ai pas prié sinon qu'ils eussent un refuge assuré en toi. 3. - Concluons qu'il fallait donc que Notre Seigneur abandonnant son Église quant à son être corporel et visible, laissât un lieutenant et vicaire général visible, et celui-ci c'est saint Pierre, dont il pouvait bien dire : O Domine, quia ego servus tuus. Vous me direz, oui, mais Notre Seigneur n'est pas mort, et d'abondant il est toujours avec son Église, pourquoi donc lui baillez-vous un vicaire ? Je vous réponds que n'étant pas mort il n'a point de successeur, mais seulement un vicaire, et d'abondant, qu'il assiste vraiment son église en tout et partout de sa faveur invisible, mais, afin de ne faire pas un corps visible sans un chef visible, il a encore voulu l'assister en la personne d'un lieutenant visible, par le moyen duquel, outre les faveurs invisibles, il administre perpétuellement son Église en manière et forme convenable à la suavité de sa disposition.

Vous me direz encore, qu'il n'y a point d'autre fondement que Notre Seigneur en l'Église : Fundamentum aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est, quod est Christus Jesus (1 Corinthiens, 3 : 11). Je vous accorde que tant la militante que la triomphante Église sont fondées sur Notre Seigneur comme sur le fondement principal, mais Isaïe nous prédit qu'en l'Église on devait avoir deux fondements, au chap. 28, 16 : Ecce ego ponam in fundamentis Sion lapidem, lapidem probatum, angularem, praetiosum, in fundamento fundatum. Je sais bien comment un grand personnage l'explique, mais il me semble que ce passage-là d'Isaïe se doit du tout interpréter sans sortir du chap. 16 de saint Matthieu, l'Evangile d'aujourd'hui (28, 13). Là donc Isaïe, se plaignant des Juifs et de leurs prêtres en la personne de Notre Seigneur, de ce que ils ne voudraient pas croire : Manda, remanda, expecta, reexpecta, et ce qui s'ensuit, ajoute : Idcirco haec dixit Dominus, et partant le Seigneur a dit : Ecce ego mittam in fundamentis Sion lapidem. Il dit : in fund amentis, à cause qu'encore les autres Apôtres étaient les fondements de l'Église : Et murus civitatis, dit l'Apocalypse (21 : 14), habens fundamenta duodecim, et in ipsis duodecim, nomina duodecim Apostolorum Agni, et ailleurs (Ephésiens, 2 : 30) : Fundati super fundamenta Prophetarum et Apostolorum, ipso summo lapide angulari Christo Jesu, et le Psalmiste (Psaumes, 86 : 1) : Fundamenta ejus in montibus sanctis; mais entre tous il y en a un lequel par excellence et supériorité est appelé pierre et fondement, et c'est celui auquel Notre Seigneur a dit :: " Tu es Képhas ", id est, Lapis. Lapidem probatum. Ecoutez saint Matthieu (16, 13 suiv.); il dit que Notre Seigneur y jettera une pierre éprouvée : quelle preuve voulez-vous autre que celle-là : Quem dicunt homines esse Filium hominis ? Question difficile à laquelle saint Pierre, expliquant le secret et ardu mystère de la communication des idiomes, répond si pertinemment que rien plus, et fait preuve qu'il est vraiment Pierre, disant : Tu es Christus, Filius Dei vivi. Isaïe poursuit et dit : lapidem praetiosum. Ecoutez l'estime que Notre Seigneur fait de saint Pierre : Beatus es, Simon Bar Jona. Angularem. Notre Seigneur ne dit pas qu'il fondera une seule muraille de l'Église, mais toute, Ecclesiam meam. Il est donc angulaire in fundamento fundatum, fondé sur le fondement; il sera le fondement mais non pas premier, car il y aura déjà un autre fondement, Ipso summo lapide angulari Christo (Ephésiens supra). Voilà comme Isaïe explique saint Matthieu, et saint Matthieu, Isaïe. Je n'aurais jamais fait si je voulais dire tout ce qui me vient audevant de ce sujet.

ARTICLE II L'ÉGLISE CATHOLIQUE EST UNIE EN UN CHEF VISIBLE, CELLE DES PROTESTANTS NE L'EST POINT ET CE QUI S'ENSUIT Je ne m'amuserai pas beaucoup en ce point. Vous savez que tous, tant que nous sommes catholiques, reconnaissons le Pape comme Vicaire de Notre Seigneur : l'Église universelle le reconnut dernièrement à Trente, quand elle s'adressa à lui pour confirmation de ce qu'elle avait résolu, et quand elle reçut ses députés comme présidents ordinaires et légitimes du Concile. Je perdrais temps aussi de vous prouver que vous n'avez point de chef visible; vous ne le niez pas. Vous avez un suprême Consistoire, comme ceux de Berne, Genève, Zurich et les autres, qui ne dépend d'aucun autre. Vous êtes si éloignés de vouloir reconnaître un chef universel, que même vous n'avez point de chef provincial; les ministres sont autant parmi vous l'un que l'autre, et n'ont aucune prérogative au Consistoire, ainsi sont inférieurs, et en science et en voix, au président qui n'est pas ministre. Quant à vos évêques ou surveillants, vous ne vous êtes pas contentés de les ravaler jusqu'aux rangs de ministres, mais les avez rendus inférieurs, afin de ne rien laisser en sa place. Les Anglais tiennent leur Reine pour chef de leur Église, contre la pure parole de Dieu : si ne sont-ils pas désespérés, que je sache, qu'ils veuillent qu'elle soit chef de l'Église Catholique, mais seulement de ces misérables pays. Bref, il n'y a aucun chef parmi vous autres dans les choses spirituelles, ni parmi tout le reste de ceux qui font profession de contredire au Pape. Voici maintenant la suite de tout ceci : la vraie Église doit avoir un chef visible en son gouvernement et son administration ; la vôtre n'en a point, donc la vôtre n'est pas la vraie Église. Au

contraire, il y a une Église au monde, vraie et légitime, qui a un chef visible, il n'y en a point qui en ait un que la Nôtre, la Nôtre donc seule est la vraie Église. Passons outre ARTICLE III DE L'UNITÉ DE L'ÉGLISE EN LA FOI ET CRÉANCE LA VRAIE ÉGLISE DOIT ÊTRE UNIE EN SA DOCTRINE Jésus-Christ est-il divisé ? (1 Corinthiens, 1 : 13) Non, en vrai, car Il est Dieu de paix non de dissension, comme saint Paul enseignait par toutes les Eglises (1 Corinthiens, 14 : 33). Il ne se peut donc faire que la vraie Église soit en dissension ou division de créance et de doctrine, car Dieu n'en serait plus auteur ni époux, et, comme royaume divisé en soi-même (Matthieu, 12 : 25), elle périrait. Tout aussitôt que Dieu prend un peuple à soi, comme il a fait l'Église, il lui donne l'unité de cour et de chemin. L'Église n'est qu'un corps, duquel tous les fidèles sont membres, joints et liés ensemble par toutes les jointures (Ephésiens, 4 : 16); il n'y a qu'une foi et un esprit qui anime ce corps . Dieu est en son saint lieu, il rend sa maison peuplée de personnes de même sorte et intelligence ( Psaumes, 67 : 6, 7); donc la vraie Église de Dieu doit être unie, liée, jointe et serrée ensemble dans une même doctrine et créance. ARTICLE IV : L'ÉGLISE CATHOLIQUE EST UNIE EN CRÉANCE, LA PRÉTENDUE RÉFORMÉE NE L'EST POINT " Il faut ", dit saint Irénée [au II e siècle] (Contra Haeresiae, 1. III, c. III), " que tous les fidèles s'assemblent et viennent se joindre à l'Église romaine, pour sa plus puissante principauté ". " C'est la mère de la dignité sacerdotale " ce disait Jules 1 er. C'est " le commencement de l'unité de la prêtrise " (Epistolae I ad Orient., Vide Concil, an. 336), " c'est le lien d'unité ", se dit Saint Cyprien ; " Nous n'ignorons pas qu'il y a un Dieu, qu'un Christ et Seigneur, lequel nous avons confessé, un Saint-Esprit, un Évêque dans l'Église catholique ". Le bon Optatus disait ainsi aux Donatistes : " Tu ne peux nier que tu ne saches qu'en la ville de Rome la principale chaire a été premièrement conférée à saint Pierre, en laquelle a été assis le chef de tous les Apôtres, saint Pierre, qui fut appelé Képhas, chaire en laquelle l'unité fut de tous gardée, afin que les autres Apôtres ne voulussent pas se prétendre et défendre chacun la sienne, et que dès lors celui-là fut schismatique et pécheur, qui voudrait se bâtir une autre chaire contre cette unique chaire. Donc, en cette unique chaire, qui est la première des prérogatives, fut assis premièrement saint Pierre " (De Scism Donat , 1. II). Ce sont presque les paroles de cet ancien et saint Docteur. Tous, tant qu'il y a de catholiques en cet âge, sont dans la même résolution; nous tenons l'Église romaine pour Notre rendez-vous en toutes nos difficultés, nous sommes tous ses humbles enfants et prenons nourriture du lait de ses mamelles, nous sommes les branches de cette tige si féconde et ne tirons aucun suc de doctrine que de cette racine. C'est ce qui nous tient tous parés d'une même livrée de créance, car, sachant qu'il y a un chef et lieutenant général en l'Église, ce qu'il résout et détermine avec l'avis des autres prélats, lorsqu'il est assis sur la chaire de saint Pierre pour enseigner le christianisme, sert de loi et de niveau à Notre créance. Qu'on coure tout le monde et partout on verra la même foi dans les catholiques; que s'il y a quelque diversité d'opinions, ou ce ne serait pas en chose appartenant à la foi, ou tout incontinent que le Concile général ou le Siège romain en aura déterminé, vous verrez chacun se ranger à leur définition. Nos entendements ne s'égarent point les uns des autres en leurs créances, ainsi se maintiennent très étroitement unis et serrés ensemble par le lien de l'autorité supérieure de l'Église, à laquelle chacun se rapporte en toute humilité, et y appuie sa foi comme sur la colonne et fermeté de la vérité (1 Timothée, 3 : 15) ; notre Église catholique n'a qu'un langage et un même parler sur toute la terre. Au contraire, Messieurs, vos premiers maîtres n'eurent pas plus tôt été sur pied, ils n'eurent pas plus tôt pensé de se bâtir une tour de doctrine et de science qui allait toucher à découvert dans le ciel, et leur acquit la grande et magnifique réputation de réformateurs, que Dieu, voulant empêcher cet ambitieux dessein, permit entre eux une telle diversité de langage et de créance, qu'ils commencèrent à se cantonner qui ça qui là, que toute leur besogne ne fut qu'une misérable Babel et confusion. Quelles contrariétés a produit la réforme de Luther : je n'aurais jamais fait si je les voulais tout mettre sur ce papier; qui les voudra voir lira le petit livre de Frédéric Staphyl, De Concordia Discordi, Sander, livre 7, de sa Visible monarchie, et Gabriel de Préau, en la Vie des hérétiques. Je dirai seulement ce que vous ne pouvez pas ignorer et que je vois maintenant de mes yeux. Vous n'avez pas un même canon des Ecritures; Luther n'y veut pas l'épître de Saint Jacques, que vous recevez.

Calvin tient être contraire à l'Ecriture qu'il y ait un chef en l'Église; les Anglais tiennent le contraire. Les huguenots français tiennent que selon la Parole de Dieu les prêtres ne sont pas moindres que les évêques; les Anglais ont des évêques qui commandent aux prêtres, et entre eux, deux archevêques, dont l'un est appelé Primat, nom auquel Calvin veut si grand mal. Les Puritains en Angleterre tiennent comme article de foi qu'il n'est pas loisible de prêcher, baptiser, prier dans les églises qui ont été autrefois aux catholiques, mais on n'est pas si dépité de ça : mes notes que j'ai dites qu'ils le tiennent pour article de foi, car ils souffrent et les bannissements et les prisons plutôt que de s'en dédire. Ne savez-vous pas qu'à Genève l'on tient pour superstition de célébrer aucune fête des Saints ? Et en Suisse on les fait, et vous en faites une de Notre-Dame. Il ne s'agit pas ici que les uns le fassent, les autres non, car ce ne serait pas contrariété de religion, mais ce que vous et quelques Suisses observez, les autres le condamnent comme contraire à la pureté de la religion. Ne savez-vous pas que l'un de vos plus grands ministres dit à Poissy que le " Corps de Notre Seigneur était aussi loin de la cène que la terre du ciel " (Théodore de Bèze) ? et ne savez-vous pas encore que cela est tenu pour faux par plusieurs des autres? L'un de vos maîtres n'a-il pas confessé dernièrement la réalité du Corps de Notre Seigneur en la cène, et les autres ne la nient-ils pas ? Me pourrez-vous nier, qu'au fait de la justification vous soyez autant divisés entre vous que vous l'êtes d'avec nous ? Témoin l'Anonyme disputeur. Bref, chacun parle son langage à part, et de tant d'huguenots auxquels j'ai parlé, je n'en ai jamais trouvé deux de la même créance. Mais le pire est que vous ne vous sauriez accorder; car ou prendrez-vous un arbitre assuré ? Vous n'avez point de chef en terre pour vous adresser à lui en vos difficultés; vous croyez que l'Église même peut s'abuser et abuser les autres; vous ne voudriez mettre votre âme en main si peu assurée, ou vous n'en tenez pas grand compte. L'Ecriture ne peut être votre arbitre, car c'est de l'Ecriture même de quoi vous êtes en procès, voulant les uns l'entendre d'une façon, les autres de l'autre. Vos discordes et disputes sont immortelles si vous ne vous rangez à l'autorité de l'Église: Témoin les colloques de Lunebourg, de Mulbrun, de Montbéliard et celui de Berne récemment, témoin aussi Tilmann Heshusius et Eraste, témoin Brence et Bulinger. Certes, la division qui est entre vous au nombre des Sacrements est remarquable : maintenant, communément, parmi vous on ne met que deux sacrements ; Calvin en a mis trois, ajoutant au baptême et cène, l'ordre; Luther y met la pénitence pour troisième puis dit qu 'il n'y en a qu'un ; enfin les protestants au colloque de Ratisbonne, auquel se trouva Calvin, témoin Bèze en sa Vie, confessèrent qu'il y avait sept sacrements. En l'article de la toute puissance de Dieu, comment estce que vous y êtes divisé ? Pendant que les uns nient qu'un corps puisse être, vu par la vertu divine, en deux lieux, les autres nient toute puissance absolue, les autres ne nient rien de tout cela. Que si je voulais vous montrer les grandes contrariétés qui sont en la doctrine de ceux que de Bèze reconnaît tous pour glorieux réformateurs de l'Église, à savoir Jérôme de Prague, Jean Hus, Wyclif, Luther, Bucer, Œcolampade, Zwingli, Poméran et les autres, je n'aurais jamais fini : Luther seul vous instruira assez de la bonne concorde qui est entre eux, en la lamentation qu'il fait contre les Zwingliens et Sacramentaires, qu'il appelle Absalons, Judas et esprits svermériques (fanatiques), l'an 1527. Feu son Altesse de très heureuse mémoire, Emmanuel Philibert, raconta au docte Anthoyne Possevin qu'au colloque de Wormace, quand on demanda aux protestants leur confession de foi, tous, les uns après les autres, sortirent hors de l'assemblée, pour ne se pouvoir accorder ensemble. Ce grand prince est digne de foi et il raconte ceci pour y avoir été présent. Toute cette division a son fondement au mépris que vous faites d'un chef visible en terre, car, n'étant point lié pour l'interprétation de la Parole de Dieu à aucune supérieure autorité, chacun prend le parti que bon lui semble : c'est ce que dit le Sage, les superbes sont toujours en dissension (Proverbes, 13 : 10), qui est une marque de vraie hérésie. Ceux qui sont divisés en plusieurs partis ne peuvent être appelés du nom d'Église, parce que, comme dit saint Jean Chrysostome, " le nom d'Église est un nom de consentement et de concorde ". Mais quant à nous autres, nous avons tous un même canon des Ecritures, et un même chef, et pareille règle pour les entendre; vous avez diversité de canon, et en l'intelligence vous avez autant de textes et de règles que vous êtes de personnes. Nous sonnons tous au ton de la trompette d'un seul Gédéon, et avons tous un même esprit de foi au Seigneur et à son lieutenant, l'épée des décisions (Jud. 7 : 20) de Dieu et de l'Église, selon la parole des Apôtres (Actes, 15 : 28) : Visum est Spiritui Sancto et nobis. Cette unité de langage est en nous un vrai signe que nous sommes l'armée du Seigneur, et vous ne pouvez être reconnus que pour Madianites, qui ne faites en vos opinions que criailler et hurler chacun à sa mode, chamailler les uns sur les autres, vous entr'égorgeant et massacrant vous mêmes par vos dissensions, ainsi que dit Dieu par Isaïe : Les Egyptiens choqueront contre les Egyptiens, et l'esprit d'Egypte se rompra (19 : 2-3) : et saint Augustin dit que " comme Donatus avait tâché de diviser Christ, ainsi lui-même par une journelle séparation [i.e. par une séparation qui arrive chaque jour] des siens était divisé en lui même ". Cette seule remarque doit vous faire quitter votre prétendue église, car, qui n'est avec Dieu est contre Dieu (Matthieu, 12 : 30) ; Dieu n'est point en votre église, car il n'habite point qu'en lieu de paix, et en votre église il n'y a ni paix ni concorde.

ARTICLE V DE LA SAINTETE DE L'ÉGLISE : MARQUE SECONDE L'Église de Notre Seigneur est sainte : c'est un article de foi. Notre Seigneur s'est donné pour elle, afin de la sanctifier (Ephésiens, 5 : 26); c'est un peuple saint, dit saint Pierre (1 Pierre, 2 : 9) ; l'Epoux est saint, et l'Epouse sainte; elle est sainte étant dédiée à Dieu, ainsi que les aînés en l'ancienne synagogue furent appelés saints, pour ce seul respect (Exode, 13 : 2; Luc, 2 : 23). Elle est sainte encore parce que l'Esprit qui la vivifie est saint (Jean, 6 : 64 ; Romains, 8 : 11), et parce qu'elle est le corps mystique d'un chef qui est très saint (Ephésiens, 1 : 22-23). Elle l'est encore parce que toutes ses actions intérieures et extérieures sont saintes; elle ne croit, ni espère, ni aime que saintement; en ses prières, prédications, Sacrements, Sacrifice, elle est sainte. Mais cette Église a sa sainteté intérieure, selon la parole de David (Psaumes, 44 : 14-15). Toute la gloire de cette fille royale est au-dedans; elle a encore sa sainteté extérieure, en franges d'or environnée de belles variétés. La sainteté intérieure ne peut se voir; l'extérieure ne peut servir de marque, parce que toutes les sectes s'en vantent, et qu'il est malaisé de reconnaître la vraie prière, prédication et administration des Sacrements. Mais, outre tout cela, il y a des signes avec lesquels Dieu fait connaître son Église, qui sont comme parfums et odeurs, comme dit l'Epoux dans les Cantiques ( 4 : 11) : L'odeur de tes vêtements comme l'odeur de l'encens; ainsi pouvons-nous, à la piste de ses odeurs et parfums (1, 3), chercher et trouver la vraie Église, et le gîte du fils de la licorne (Ps 28, 6).

ARTICLE VI

LA VRAIE ÉGLISE DOIT RELUIRE EN MIRACLES

L'Église, donc, a le lait et le miel sous sa langue (Cantiques, 4 : 11), en son cœur, qui est la sainteté intérieure, que nous ne pouvons pas voir; est comme une robe richement " parée de l'or d'Ophir " (Psaumes, 44 : 10), qui est la sainteté extérieure, laquelle peut se voir. Mais, parce que les sectes et hérésies déguisent leurs vêtements en même façon sous une fausse étoffe, outre cela elle a des parfums et odeurs qui lui sont propres, et ce sont certains signes et lustres de sa sainteté, qui lui sont tellement propres qu'aucune autre assemblée ne s'en peut vanter, particulièrement en notre âge : car, premièrement, elle reluit en miracles, qui sont très suaves odeurs et parfums, signes express de la présence de Dieu immortel ; ainsi les appelle saint Augustin ( Confessions, 1 9, 7) Et de fait, quand Notre Seigneur partit de ce monde, il promit que l'Église serait suivie de miracles : Ces marques, dit-il, suivront les croyants : " en mon nom ils chasseront les diables, ils parleront nouveaux langages, ils ôteront les serpents, le venin ne leur nuira point, et par l'imposition des mains ils guériront les malades " ( Marc, 17 : 18). Considérons, je vous prie, de près ses paroles. 1. - Il ne dit pas que les seuls Apôtres feraient ces miracles, mais simplement ceux qui croiront. 2. - Il ne dit pas que tous les croyants en particulier feraient des miracles, mais que ceux qui croiront seront suivis de ces signes. 3. - Il ne dit pas que ce fut seulement pour dix ans, ou vingt ans, mais simplement que ces miracles accompagneront les croyants. Notre Seigneur donc parle aux Apôtres seulement, mais non pour les Apôtres seulement; il parle des croyants en corps et en général, à savoir de l'Église; il parle absolument, sans distinction de temps .Laissons ces saintes paroles en l'étendue que Notre Seigneur leur a donnée : les croyants sont en l'Église, les croyants sont suivis de miracles, donc en tous temps il y a des miracles. Mais voyons un peu pourquoi le pouvoir des miracles fut laissé en l'Église : ce fut sans doute pour confirmer la prédication évangélique; car saint Marc le témoigne, et saint Paul, qui dit (Hébreux, 2 : 4) que Dieu donnait témoignage à la foi qu'il annonçait, par miracles. Dieu mit en mains de Moïse ces instruments afin qu'il fût cru (Exode, 4), dont Notre Seigneur dit que s'il n'eut fait des miracles les Juifs n'eussent pas été obligés de le croire (Jean, 15 : 24). Or sus, l'Église ne doit-elle pas toujours combattre l'infidélité ? Et pourquoi donc voudriez-vous lui ôter ce bon bâton que Dieu lui a mis en main ? Je sais bien qu'elle n'en a pas tant de nécessité qu'au commencement; après que la sainte plante de la foi a pris bonne racine on ne la doit pas si souvent arroser; mais aussi, vouloir lever en tout l'effet, la nécessité et cause demeurant en bonne partie, c'est très mal philosopher. Outre cela, je vous prie, montrez-moi quelque saison en laquelle l'Église visible ait été sans miracles, dès qu'elle commença jusqu'a présent. Au temps des Apôtres se firent infinis miracles, vous le savez bien; après ce temps-là, qui ne sait le miracle conté par Marc Aurèle Antonin, fait par les prières de la légion des soldats chrétiens qui étaient en son armée, laquelle pour cela fut appelée Fulminante ? Qui ne sait les miracles de saint Grégoire Thaumaturge, saint Martin, saint Antoine, saint Nicolas, saint Hilarion, et les merveilles qui arrivèrent aux Théodose et Constantin ? De quoi les auteurs sont

irréprochables, Eusèbe, Rufin, saint Jérôme, Basile, Sulpice, Athanase. Qui ne sait encore ce qui advint en l'invention de la sainte Croix, et au temps de Julien l'Apostat ? Au temps de saint Chrysostome, Ambroise, Augustin, on a vu plusieurs miracles qu'eux mêmes content. Pourquoi voulez-vous donc que la même Église cesse maintenant d'avoir des miracles ? Quelle raison y aurait-il ? Pour vrai, ce que nous avons toujours vu, en toutes sortes de saisons, accompagner l'Église, nous ne pouvons l'appeler que propriété de l'Église : la vraie Église qui fait paraître sa sainteté par miracles. Que si Dieu rendait si admirable et le Propitiatoire, et son Sinaï, et son buisson ardent, parce qu'il y voulait parler avec les hommes, pourquoi n'a il rendu miraculeuse son Église, en laquelle il veut à jamais demeurer ?

ARTICLE VII L'ÉGLISE CATHOLIQUE EST ACCOMPAGNÉE DE MIRACLES PRÉTENDUE NE L'EST POINT

ET LA

Ici maintenant je désire que vous vous montriez raisonnables, sans chicaneries et opiniâtreté. Informations prises dûment et authentiquement, on trouve que, sous le commencement de ce siècle, saint François de Paule a fleuri en miracles indubitables, comme est la ressuscitation des morts; on en trouve tout autant de saint Diègue d'Alcala : ce ne sont pas bruits incertains, mais preuves assignées, informations prises. Oseriez-vous nier l'apparition de la Croix faite au vaillant et catholique capitaine Albuquerque et à toutes siennes gens en Camarane, que tant d'historiens écrivent (Vide Maffaeum, Hist. Ind., l. 5), et à laquelle tant de gens avaient eu part ? Le dévot Gaspard Berzee, aux Indes, guérissait les malades priant seulement Dieu pour eux à la Messe, et si soudainement qu'autre que la main de Dieu ne l'eut pu faire. Le bienheureux François Xavier a guéri des paralytiques, sourds, muets, aveugles, a ressuscité [ranimé] un mort, son corps n'a peut-être consumé quoi qu'il eut été enterré avec de la chaux, comme ont témoigné ceux qui l'ont vu entier quinze mois après sa mort (Maff., l. 15) ; [...] . En Méliapor on a trouvé une croix, incise sur une pierre, laquelle on estime avoir été enterrée par les chrétiens du temps de saint Thomas : chose admirable néanmoins véritable, presque toutes les années, environ la fête de ce glorieux Apôtre, cette croix-là sue abondance de sang, ou liqueur semblable au sang, et change de couleur, se rendant blanche pâle, puis noire, et tantôt de couleur bleue resplendissante et très agréable, enfin elle revient à sa couleur naturelle; ce que tout le peuple voit, et l'évêque de Cocine en a envoyé une publique attestation, avec l'image de la croix, au saint Concile de Trente (Maff l 2). Ainsi se font les miracles aux Indes où la foi n'est encore du tout affermie; desquels je laisse un monde, pour me tenir en la brièveté que je dois. Le bon Père Louis de Grenade, en son Introduction sur le Symbole, conte plusieurs miracles récents et irréprochables. Entre autres, il produit la guérison que les Rois de France catholiques ont fait, de notre âge même, de l'incurable maladie des écrouelles, ne disant autre que ces paroles : " Dieu te guérit, le Roi te touche ", n'y employant autre disposition que de se confesser et communier ce jour-là. J'ai lu l'histoire de la miraculeuse guérison de Jacques, fils de Claude André, de Belmont, au bailliage de Baulme, en Bourgogne : il avait été huit années durant muet et impotent; après avoir fait sa dévotion en l'église de saint Claude le jour même de la fête, huitième Juin 1588, il se trouva tout soudainement sain et guéri. Cela ne l'appelez-vous pas miracle ? Je parle de chose voisine, j'ai lu l'acte public, j'ai parlé au notaire qui l'a reçu et expédié, bien et dûment signé, Vion; il n'y manqua pas de témoins, car il y avait du peuple par milliers. Mais vais-je m'arrêter à vous produire les miracles de notre âge ? Saint Malachie, saint Bernard et saint François n'étaient-ils pas de Notre Église ? Vous ne le sauriez nier; ceux qui ont écrit leurs vies sont très saints et doctes, car même saint Bernard a écrit celle de saint Malachie, et saint Bonaventure celle de saint François, auxquels ni la suffisance ni la conscience ne manquaient point, et néanmoins ils y racontent plusieurs grands miracles : mais surtout les merveilles qui se font maintenant, à nos portes, à la vue de nos Princes et de toute Notre Savoie, près de Mondevis, devraient fermer la porte à toute opiniâtreté. Or sus, que direz-vous à ceci ? Direz-vous que l'Antichrist fera des miracles ? Saint Paul atteste qu'ils seront faux (2 Thessaloniciens, 2 : 9), et pour le plus grand que saint Jean produit (Apocalypse, 13 : 13), c'est qu'il fera descendre le feu du ciel. Satan peut faire tels miracles, mais plutôt en a fait sans doute; mais Dieu laissera un prompt remède à son Église, car à ces miracles-là les serviteurs de Dieu, Elie, Enoch, comme témoignent l'Apocalypse (11, 5-6) et les interprètes, opposeront des autres miracles de bien autre étoffe, car, non seulement ils se serviront du feu pour châtier miraculeusement leurs ennemis, mais auront pouvoir de fermer le ciel afin qu'il ne pleuve point, de changer et convertir les eaux en sang, et de frapper la terre du châtiment que bon leur semblera; trois jours et demi après leur mort ils ressusciteront et monteront au ciel, la terre tremblera à leur montée. Alors donc, par l'opposition de vrais miracles, les illusions de l'Antichrist seront découvertes, et comme Moïse fit enfin confesser aux magiciens de Pharaon, Digitus Dei est hic (Exode, 8 : 19), ainsi Elie et Enoch feront enfin que leurs ennemis rendent gloriam Deo caeli (Apocalypse, 11 : 13). Elie fera en ce temps-là de ses saints tours de prophète, qu'il faisait jadis pour dompter l'impiété des Baalites et autres religionnaires (3 Rois, 18). Je veux donc dire 1. que les miracles de l'Antichrist ne sont pas tels que ceux que nous produisons pour l'Église, et partant il ne s'ensuit pas que, si ceux-là ne sont pas la marque de l'Église ceux-ci ne le soient pas non plus; ceux-là seront montrés faux et combattus par des plus grands et solides, ceux-ci sont solides, et personne n'en peut plus opposer de plus assurés. 2. Les

merveilles de l'Antichrist ne seront qu'une boutade de trois ans et demi, mais les miracles de l'Église lui sont tellement propres que dès qu'elle est fondée elle a toujours été reluisante en miracles; en l'Antichrist les miracles seront forcement [illusoires], et ne dureront pas, mais en l'Église ils y seront naturellement en sa surnaturelle nature, et partant ils sont toujours, et toujours l'accompagnent, pour vérifier la parole, ces signes suivront ceux qui croiront (Marc, ult. 17). Vous diriez volontiers que les Donatistes ont fait des miracles, au rapport de saint Augustin (De Unit Eccles c 19); mais ce n'étaient que certaines visions et révélations, desquelles ils se vantaient sans aucun témoignage : certes, l'Église ne peut être prouvée vraie par ces visions particulières; au contraire, ces visions ne peuvent être prouvées ou tenues pour vraies sinon par le témoignage de l'Église, dit le même saint Augustin. Que si Vespasien a guéri un aveugle et un boiteux, les médecins mêmes, au récit de Tacite (Hist., l 4, , 81), trouvèrent que c'était un aveuglement et une perclusion qui n'étaient pas incurables; ce n'est donc pas merveille si le diable sut les guérir. Un juif étant baptisé se vint présenter à Paulus, évêque novatien, pour être rebaptisé, dit Socrate (Lib. 7, c. 17) ; l'eau des fonts tout incontinent s'évanouit : cette merveille ne se fit pas pour la confirmation du Novatianisme, mais du saint Baptême, qui ne devait pas être réitéré. Ainsi " quelques merveilles se sont faites ", dit saint Augustin (De civ. Dei, l 10, c 15), " chez les païens " : non pas pour preuve du paganisme, mais de l'innocence, de la virginité et fidélité, laquelle, où qu'elle soit, est aimée et prisée de son auteur; Or ces merveilles ne se sont faites que rarement; donc on n'en peut rien conclure : les nuées jettent quelques fois des éclairs, mais ce n'est que le soleil qui a pour marque et propriété d'éclairer. Fermons donc ce propos. L'Église a toujours été accompagnée de miracles solides et bien assurés, comme ceux de son Epoux, donc c'est la vraie Église; car, me servant en cas pareil de la raison du bon Nicodème (Jean, 3 : 2), je dirai : Nulla societas potest haec signa facere quae haec facit, tam illustria aut tam constanter, nisi Dominus fuerit cum illa (Jean, 3 : 2) ; et comme disait Notre Seigneur aux disciples de saint Jean, Dicite, caeci vident, claudi ambulant, surdi audiunt (Matthieu, 11 : 4-5; Luc, 7 : 22), pour montrer qu'il était le Messie, ainsi, entendant qu'en l'Église se font de si solennels miracles, il faut conclure que vere Dominus est in loco isto (Genèse, 28 : 16). Mais quant à votre prétendue Église, je ne lui saurais dire autre sinon Si potest credere, omnia possibilia sunt credenti (Marc, 9 : 22); si elle était la vraie Église elle serait suivie de miracles. Vous me confesserez que ce n'est pas de votre métier de faire des miracles, ni de chasser les diables; une fois il réussit mal à l'un de vos grands maîtres qui s'en voulait mêler, ce dit Bolsec (In vita Calvini, c 13) : Illi de mortuis vivos suscitabant, ce dit Tertullien (De Praes., c 30) : istis de vivis mortuos faciunt. On fait courir un bruit que l'un des vôtres a guéri une fois un démoniaque; on ne dit toutefois point, où, quand, comment, la personne guérie, ni quelque certain témoin. Il est aisé aux apprentis d'un métier de s'équivoquer en leur premier essai; on fait souvent courir certains bruits parmi vous pour entretenir le simple peuple en haleine, mais n'ayant point d'auteur ne doivent avoir point d'autorité : outre ce que, à l'expulsion du diable, il ne faut tant regarder ce qui se fait, comme il faut considérer la façon et la forme comme on le fait; si c'est par oraisons légitimes et invocations du nom de Jésus-Christ. Puis, une hirondelle ne fait pas le printemps; c'est la suite perpétuelle et ordinaire des miracles qui est La marque de la vraie Église, non accident : mais ce serait se battre avec l'ombre et le vent, de réfuter ce bruit, si lâche et si débile que personne n'ose dire de quel côté il est venu. Toute la réponse que j'ai vue chez vous, en cette extrême nécessité, c'est qu'on vous fait tort de vous demander des miracles : aussi fait-on, je vous promets ; c'est se moquer de vous, comme qui demanderait à un maréchal qu'il mit en œuvre une émeraude ou diamant. Aussi ne vous en demande-je point; seulement je vous prie que vous confessiez franchement que vous n'avez pas fait votre apprentissage avec les Apôtres, Disciples, Martyrs et Confesseurs, qui ont été maîtres du métier. Mais quand vous dites que vous n'avez pas besoin de miracles parce que vous ne voulez établir une foi nouvelle, dites-moi donc encore si saint Augustin, saint Jérôme, saint Grégoire, saint Ambroise et les autres prêchaient une nouvelle doctrine, et pourquoi donc se faisait-il tant de miracles et si signalés comme ils produisent ? Certes, l'Evangile était mieux reçu au monde qu'il n'est maintenant, il y avait de plus excellents pasteurs, plusieurs martyres et miracles avaient précédé, mais l'Église ne laissait pas d'avoir encore ce don des miracles, pour un plus grand lustre de la très sainte Religion. Que si les miracles doivent cesser en l'Église, c'eut été au temps de Constantin le Grand, après que l'Empire fut fait chrétien, que les persécutions cessèrent, et que le christianisme était bien assuré, mais tant s'en faut qu'ils cessassent alors, qu'ils multiplièrent de tous côtés. Au bout de là, la doctrine que vous prêchez n'a jamais été annoncée, en gros, en détail; vos prédécesseurs hérétiques l'ont prêchée, auxquels vous vous accordez avec chacun en quelque point et avec nul en tous, ce que je ferai voit ci-après. Votre église où était-elle, il y a 80 ans ? Elle ne fait que d'éclore, et vous l'appelez vieille. Ha ! ce dites-vous, nous n'avons point fait une nouvelle église, nous avons frotté et épuré cette vieille monnaie, laquelle, étant longtemps demeurée couverte dans les masures, s'était toute noircie, et souillée de crasse et moisie. Ne dites plus cela, je vous prie, que vous avez le métal et le calibre; la foi, les Sacrements, ne sont-ce pas des ingrédients nécessaires pour la composition de l'Église ? Et vous avez tout changé, et de l'un et de l'autre ; vous êtes donc de faux monnayeurs, si vous ne montrez le pouvoir que vous prétendez de battre sur le coin du Roi tels calibres. Mais ne nous arrêtons pas ici : avez vous épuré cette Église ? Avez-vous nettoyé cette monnaie ? Montrez-nous donc les caractères qu'elle avait quand vous dites qu'elle chut en terre, et qu'elle commença à se rouiller. Elle tomba, ce dites-vous, au temps de saint Grégoire ou peu après. Dites ce que bon vous semblera, mais en ce temps-là elle avait le caractère des miracles; montrez-le nous maintenant, car, si vous ne vous montrez bien particulièrement l'inscription et l'image du Roi en votre monnaie, et nous la vous montrons en

la Nôtre, la Nôtre passera comme loyale et franche, la vôtre, comme courte et rognée, sera renvoyée au billon. Si vous nous voulez représenter l'Église en la forme qu'elle avait au temps de saint Augustin, montrez-la nous non seulement bien dénotée mais bienfaisante en miracles et saintes opérations, comme elle était alors. Que si vous vouliez dire qu'alors elle était plus nouvelle que maintenant, je vous répondrais, qu'une si notable interruption comme est celle que vous prétendez, de 900 ou mille ans, rend cette monnaie si étrange que si on n'y voit en grosses lettres les caractères ordinaires, l'inscription et l'image, nous ne la recevrons jamais. Non, non, l'Église ancienne était puissante en toute saison, en adversité et prospérité, en œuvres et en paroles, comme son Epoux, la vôtre n'a que le babil, soit en prospérité ou adversité; à moins qu'elle montre maintenant quelques vestiges de l'ancienne marque, autrement jamais elle ne sera reçue comme vraie Église, ni fille de cette ancienne Mère. Que si elle s'en veut vanter davantage, on lui imposera silence avec ces saintes paroles : Si filii Abrahae estis, opera Abrahae facite (Jean, 8, 39) : la vraie Église des croyants doit toujours être suivie de miracles, il n'y a point d'Église en Notre âge qui en soit suivie que la Nôtre, la Nôtre donc seule est la vraie Église. ARTICLE VIII

L'ESPRIT DE PROPHETIE DOIT ÊTRE EN LA VRAIE ÉGLISE

La prophétie est un très grand miracle, qui consiste en la certaine connaissance que l'entendement humain a des choses sans expérience ni aucun discours naturel, par l'inspiration surnaturelle; et partant, tout ce que j'ai dit des miracles en général doit être employé en ceci : mais, outre cela, le prophète Joël prédit (2 : 28-29) qu'au dernier temps, c'est-à-dire au temps de l'Église évangélique, comme interprète saint Pierre, Notre Seigneur répandrait son Saint-Esprit sur ses serviteurs et servantes et qu'ils prophétiseraient (Actes, 2 : 17); comme Notre Seigneur avait dit : " Ces signes suivront ceux qui croiront " (Marc, ult. 17). Donc, la prophétie doit toujours être en l'Église, où sont les serviteurs et servantes de Dieu, et où il répand toujours son Saint-Esprit. L'Ange dit, en l'Apocalypse, que le témoignage de Notre Seigneur c'est l'esprit de prophétie (19 : 10) : or, ce témoignage de l'assistance de Notre Seigneur n'est pas seulement donné pour les fidèles, mais principalement pour les infidèles, dit saint Paul ( 1 Corinthiens, 14 : 22); comme donc diriez-vous que Notre Seigneur l'ayant donné une fois à son Église il le lui enleva par après ? Le principal sujet pour lequel il lui a été concédé y est encore, donc la concession dure toujours. Ajoutez, comme je le disais des miracles, qu'en toutes les saisons l'Église a eu des prophètes; nous ne pouvons donc dire que ce ne soit une de ses propriétés et une bonne pièce de son douaire. Jésus-Christ, montant aux cieux, a mené la captivité captive et a donné des dons aux hommes; car il a donné les uns pour apôtres, les autres pour prophètes, les autres pour évangélistes, les autres pour pasteurs et docteurs (Ephésiens, 4 : 8-11) : l'esprit apostolique, évangélique, pastoral et doctoral est toujours en l'Église, et pourquoi lui enlèvera-t-on encore l'esprit prophétique ? C'est un parfum de la robe de cette Epouse (Cantiques, 4 : 11). ARTICLE IX POINT

L'ÉGLISE CATHOLIQUE A L'ESPRIT DE PROPHÉTIE, LA PRÉTENDUE NE L'A

Il n'y a presque point eu de saints en l'Église qui n'aient prophétisé. Je nommerai seulement ceux-ci plus récents : saint Bernard, saint François, saint Dominique, saint Antoine de Padoue, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, qui furent très assurés Catholiques; les saints desquels j'ai parlé ci-dessus sont du nombre, et en notre âge, Gaspard Berzee et François Xavier. Il n'y a celui de nos aïeux qui ne racontait très assurément quelque prophétie de Jehan Bourgeois, plusieurs desquels l'avaient vu et entendu. Le témoignage de Notre Seigneur c'est l'esprit de prophétie (Apocalypse, ut supra). Produisez-nous maintenant quelqu'un des vôtres qui ait prophétisé pour votre église. Nous savons que les Sibylles furent comme les prophétesses des Gentils, desquelles parlent presque tous les Anciens; Balaam aussi prophétisa (Nombres, 22-24), mais c'était pour la vraie Église; et partant leur prophétie n'autorisait pas l'église; en laquelle elle se faisait, mais celle pour laquelle elle se faisait : quoique je ne nie pas qu'entre les Gentils il n'y eut une vraie Église de peu de gens, ayans la foi d'un vrai Dieu et l'observation des commandements naturels en recommandation, par la grâce divine; témoin Job en l'ancienne Ecriture, et le bon Cornelius avec ses autres soldats craignant Dieu (Actes, 10 : 2, 7), en la nouvelle. Or, où sont vos prophètes ? Et si vous n'en avez point, croyez que vous n'êtes pas du corps pour l'édification duquel Notre Seigneur les a laissés, au dire de saint Paul (Ephésiens, 4 : 11-12); aussi, le témoignage de Notre Seigneur c'est l'esprit de prophétie. Calvin a voulu, ce semble, prophétiser, en la préface sur son Catéchisme de Genève, mais sa prédiction est tellement favorable à l'Église catholique, que quand nous en aurons l'effet nous serons contents de le tenir pour prophète. ARTICLE X

LA VRAIE ÉGLISE DOIT PRATIQUER LA PERFECTION DE LA VIE CHRETIENNE

Voici des rares enseignements de Notre Seigneur et de ses Apôtres. Un jeune homme riche protestait d'avoir observé les commandements de Dieu en sa tendre jeunesse; Notre Seigneur, qui voit tout, le regardant l'aima, signe qu'il était tel qu'il avait dit, et néanmoins il lui donne cet avis : " Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, et tu auras un trésor au ciel, et suis-moi " (Marc, 10 : 17-21; Matthieu, 19 : 16-21). Saint Pierre nous invite avec son exemple et de ses compagnons : " Voici, nous avons tout laissé et t'avons suivi "; Notre Seigneur recharge avec cette solennelle promesse : " Vous qui m'avez suivi serez assis sur douze chaires, jugeant les douze tribus d'Israël, et quiconque laissera sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses champs, pour mon nom, il en recevra le centuple, et possèdera la vie éternelle " (Matthieu, 19 : 27-29) . Voilà les paroles, voici l'exemple : Le fils de l'homme n'a pas de lieu où il puisse reposer sa tête " (Ibid., 8 : 20); il a été tout pauvre pour nous enrichir (2 Corinthiens, 8 : 9) ; il vivait d'aumônes, dit saint Luc (8 : 3) : Mulieres aliquae ministrabant ei de facultatibus suis; en deux Psaumes (Psaumes, 108 : 22; 39 : 18) qui touchent proprement sa personne, comme interprètent saint Pierre (Actes, 1 : 20) et saint Paul (Hébreux, 10 : 7), il est appelé mendiant; quand il envoie prêcher ses Apôtres, il les enseigne : Nequid tollerent in via nisi virgam tantum, et qu'ils ne portassent ni pochette, ni pain, ni argent à la ceinture, mais chaussés de sandales, et qu'ils ne fussent affublés de deux robes (Marc, 6 : 8-9). Je sais que ces enseignements ne sont pas des commandements absolus, quoique le dernier fut un commandement pour un temps; aussi n'en veux-je rien dire autre sinon que ce sont de très salutaires conseils et exemples. En voici encore d'autres semblables, sur un autre sujet : " Il y a des eunuques qui sont ainsi nés du ventre de leur mère, il y a aussi des eunuques qui ont été faits par les hommes, et il y a des eunuques qui se sont châtrés eux-mêmes pour le royaume des cieux " : qui potest capere, capiat, " qui peut comprendre comprenne " (Matthieu, 19 : 12). C'est cela même qui avait été prédit par Isaïe : " Que l'eunuque ne dise point, voici je suis un arbre sec, parce que le Seigneur dit ainsi aux eunuques : qui garderont mes Sabbats, et choisiront ce que je veux, et tiendront mon alliance, je leur baillerai, en ma maison et en mes murailles, une place et un nom meilleur que les enfants et les filles, je leur baillerai un nom sempiternel qui ne périra point ". Qui ne voit ici que l'Evangile va justement joindre à la prophétie ? Et en l'Apocalypse (14, 3, 4), " ceux qui chantaient un cantique nouveau, qu'autre qu'eux ne pouvait dire, c'étaient ceux qui ne s'étaient point souillés avec les femmes, parce qu'ils étaient vierges ; ceux-là suivent l'Agneau où qu'il aille ". C'est ici où se rapportent les exhortations de saint Paul : " Il est bon à l'homme de ne point toucher la femme " (1 Corinthiens, 7 : 1). " Or je dis à qui n'est pas marié, et aux veuves, qu'il leur sera bon de demeurer ainsi, comme moi " (verset 8). " Quant aux vierges, je n'en ai point de commandement, mais j'en donne conseil, comme ayant reçu miséricorde de Dieu d'être fidèle" (verset 25). Voici la raison : " Qui est sans femme, il est soigneux des choses du Seigneur, comme il plaira à Dieu, mais qui est avec sa femme, il a soin des choses du monde, comme il agréera à sa femme, et est divisé; et la femme non mariée et la vierge pensent aux choses du Seigneur, pour être saintes de corps et d'esprit, mais celle qui est mariée pense aux choses mondaines, comme elle plaira à son mari. Au reste, je dis ceci pour votre profit; non pour vous tendre un piège, mais pour ce qui est honnête, et qui vous facilite le moyen de servir Dieu sans empêchements " (versets 32-35). Après : " Donc qui joint en mariage sa pucelle il fait bien, et qui ne la joint point fait mieux " (verset 38). Puis, parlant de la veuve : " Qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit en Notre Seigneur, mais elle sera plus heureuse si elle demeure ainsi, selon mon conseil; or je pense que j'ai l'esprit de Dieu " (verset ult.). Voilà les instructions de Notre Seigneur et des Apôtres, et voici l'exemple de Notre Seigneur, de Notre-Dame, de saint Jean-Baptiste, de saint Paul, saint Jean et saint Jaques, qui ont tous vécu en virginité, et, en l'Ancien Testament, Elie, Elisée, comme ont remarqué les Anciens. Enfin, la très humble obéissance de Notre Seigneur, qui est si particulièrement notée dans les Evangiles, non seulement à son Père (Jean, 6 : 38), à laquelle il était obligé, mais à saint Joseph (Luc, 2 : 51), à sa Mère, à César auquel il paya le tribut (Matthieu, 17, ult.), et à toutes les créatures, en sa Passion, pour l'amour de nous : Humiliavit semetipsum, factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis (Philippiens, 2 : 8). Et l'humilité qu'il montre d'être venu enseigner, quand il dit : " Le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir " (Matthieu, 20, 28). " Je suis entre vous comme celui qui sert " (Luc, 22 : 27). Ne sont-ce pas des perpétuelles répliques et expositions de cette tant douce leçon, " Apprenez de moi que je suis débonnaire et humble de courage " (Matthieu, 11 : 29) ? Et de cette autre : " Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il prenne sa croix tous les jours, et qu'il me suive " (Luc, 9, 23) ? " Qui garde les commandements il renonce assez à soi-même pour être sauvé, c'est bien assez s'humilier pour être exalté " (Matthieu, 23 : 12), mais d'ailleurs il reste une autre obéissance, humilité et renoncement de soi-même, auquel l'exemple et les enseignements de Notre Seigneur nous invitent. Il veut que nous apprenions de lui l'humilité, et il s'humiliait, non seulement à qui il était inférieur en tant qu'il portait évidemment, car, sur le modèle de la perfection de vie qu'ont tenue et conseillée les Apôtres, une infinité de chrétiens ont si bien formé la leur que les histoires en sont pleines. Qui ne sait combien sont admirables les rapports que fait Philon le Juif de la vie des premiers chrétiens en Alexandrie, au livre intitulé De vita supplicum, ou Traité de saint Marc et ses disciples ? comme témoignent Eusèbe, Nicéphore, saint Jérôme et, entre autres, Epiphane qui dit que Philon écrivant des Jesséens il parlait des chrétiens, qui pour quelque temps après l'Ascension de Notre Seigneur, pendant que saint Marc prêchait en Egypte, furent ainsi appelés, ou à cause de

Jessé de la race duquel fut Notre Seigneur, ou à cause du nom de Jésus, nom de leur Maître et qu'ils avaient toujours en bouche : or, qui verra les livres de Philon, connaîtra en ces Jesséens et thérapeutes, guérisseurs ou serviteurs, une très parfaite renonciation de soi-même, de sa chair et de ses biens. Saint Martial, disciple de Notre Seigneur, en une épître qu'il écrit aux Tholosains, raconte qu'à sa prédication la bienheureuse Valéria, épouse d'un roi terrestre, avait voué la virginité de corps et d'esprit au Roi céleste. Saint Denis, en sa Ecclésiastique Hiérarchie (6 : 1, 3), raconte que les Apôtres, ses maîtres, appelaient les religieux de son temps thérapeutes, c'est-à-dire, serviteurs ou adorateurs, pour le spécial service et culte qu'ils faisaient à Dieu, ou moines, à cause de l'union à Dieu en laquelle ils s'avançaient. Voilà la perfection de la vie évangélique bien pratiquée en ce premier temps des Apôtres et leurs disciples, lesquels ayant frayé ce chemin du ciel si droit et montant, y ont été suivis à la file de plusieurs excellents chrétiens. Saint Cyprien garda la continence et donna tout son bien aux pauvres, au récit de Pontius, diacre; autant en firent saint Paul, premier ermite, saint Antoine et saint Hilarion, témoin saint Athanase et saint Jérôme, saint Paulin, évêque de Nole, témoin saint Ambroise, issu d'illustre famille en Guyenne, donna tout son bien aux pauvres, et, comme déchargé d'un pesant fardeau, dit adieu à son pays et à son parentage, pour servir plus attentivement son Dieu; de l'exemple duquel se servit saint Martin pour quitter tout et pour inciter les autres à la même perfection. Georges, Patriarche Alexandrin, conte que saint Chrysostome abandonna tout et se rendit moine. Potitianus, gentilhomme africain, revenant de la cour de l'Empereur, raconta à saint Augustin qu'en Egypte il y avait un grand nombre de monastères et religieux, qui représentaient une grande douceur et simplicité en leurs mœurs, et comme il y avait un monastère à Milan, hors ville, garni d'un bon nombre de religieux, vivant en grande union et fraternité, desquels saint Ambroise, évêque du lieu, était abbé, il leur raconta aussi, qu'auprès de la ville de Trèves il y avait un monastère de bons religieux, où deux courtisans de l'Empereur s'étaient rendus moines, et que deux jeunes damoiselles, qui étaient fiancées à ces deux courtisans, ayant entendus la résolution de leurs époux, vouèrent pareillement à Dieu leur virginité, et se retirèrent du monde pour vivre en religion, pauvreté et chasteté : c'est saint Augustin qui fait ce récit (Confessions, l. 8, c. 6). Possidius en raconte tout autant de lui, et qu'il institua un monastère, ce que saint Augustin lui-même conte en une sienne épître (211). Ces grands Pères ont été suivis de saint Grégoire, Damascène, Bruno, Romuald, Bernard, Dominique, François, Louis, Antoine, Vincent, Thomas, Bonaventure, qui tous, ayant renoncé et dit un éternel adieu au monde et à ses pompes, se sont présentés en un holocauste parfait au Dieu vivant. Maintenant, concluons : ces conséquences me semblent inévitables. Notre Seigneur a fait coucher en ses Ecritures ces avertissements et conseils de chasteté, pauvreté et obéissance, il les a pratiqués et fait pratiquer en son Église naissante; toute l'Ecriture et toute la vie de Notre Seigneur n'était qu'une instruction pour l'Église, l'Église donc devait en faire son profit, ce devait donc être un des exercices de l'Église que cette chasteté, pauvreté et obéissance ou renoncement de soi-même; item, l'Église a toujours fait cet exercice en tous temps et en toutes saisons, c'est donc une de ses propriétés : mais à quel propos tant d'exhortations si elles n'eussent dû être pratiquées ? La vraie Église donc doit reluire en la perfection de la vie Chrétienne ; non déjà que chacun en l'Église soit obligé de la suivre, il suffit qu'elle se trouve en quelques membres et parties signalées, afin que rien ne soit écrit ni conseillé en vain, et que l'Église se serve de toutes les pièces de la Sainte Ecriture. ARTICLE XI : La perfection évangélique de la vie évangélique est pratiquée en notre Eglise; en la prétendue Eglise, elle est méprisée et abolie. L'Église qui est présente, suivant la voix de son Pasteur et Sauveur, et le chemin battu des devanciers, loue, approuve et prise beaucoup la résolution de ceux qui se rangent à la pratique des conseils évangéliques, desquels elle a un très grand nombre. Je ne doute point que si vous aviez hanté les congrégations des Chartreux, Camaldulenses, Célestins, Minimes, Capucins, Jésuites, Théatins et autres, en grand nombre desquelles fleurit la discipline religieuse, vous ne fussiez en doute si vous les devriez appeler anges terrestres ou hommes célestes, et ne sauriez quoi plus admirer, ou en une si grande jeunesse une si parfaite chasteté, ou parmi tant de doctrines une si profonde humilité, ou entre tant de diversités une si grande fraternité; et tous, comme célestes abeilles, ménagent en l'Église et y brassent le miel de l'Evangile avec le reste du christianisme, qui par prédications, qui par compositions, qui par leçons et disputes [réponses aux objections théologiques dont témoignent les célèbres " Questions disputées " de S. Thomas d'Aquin], qui par le soin des malades, qui par l'administration des Sacrements sous l'autorité des pasteurs. Qui obscurcira jamais la gloire de tant de religieux de tous Ordres et de tant de prêtres séculiers qui, laissant volontairement leur patrie, ou pour mieux dire leur propre monde, se sont exposés au vent et à la marée pour accoster les gens du Nouveau Monde, afin de les conduire à la vraie foi et les éclairer de la lumière évangélique ? Qui, sans autres appointements que ceux d'une vive confiance en la Providence de Dieu, sans autre attente de travaux, misère et martyre, sans autres prétentions que de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, ont couru parmi les cannibales, Cnariens, nègres, Brésiliens, Moluchiens, Japonais et autres étrangères nations, et s'y sont confinés, se bannissant eux-mêmes de leur propre pays terrestre, afin que ces pauvres peuples ne fussent bannis du Paradis céleste. Je sais, quelques ministres y ont été, mais ils y sont allés avec appointements

humains plutôt, lesquels quand ils leur ont failli, ils s'en sont revenus sans faire autre, parce qu'un singe est toujours singe; mais les nôtres y sont demeurés en perpétuelle continence, pour féconder l'Église de ces nouvelles plantes, en extrême pauvreté, pour enrichir ces peuples du trafic évangélique, et y sont morts en esclavage, pour mettre ce monde-là en liberté chrétienne. Que si, au lieu de faire votre profit de ces exemples et conforter vos cerveaux à la suavité d'un si saint parfum, vous tournez les yeux plutôt vers les lieux où la discipline monastique est du tout abolie, et n'y a plus rien d'entier que l'habit, vous me contraindrez de dire que vous cherchez les cloaques et voiries, non les jardins et vergers. Tous les bons catholiques regrettent le malheur de ces gens, et détestent la négligence des pasteurs et l'ambition des aises de laides âmes, qui, voulant tout manier, disposer et gouverner, empêchent l'élection légitime et l'ordre de la discipline pour s'attribuer le bien temporel de l'Église. Que voulez-vous ? Le Maître y avait semé la bonne semence, mais l'ennemi y a sursemé la zizanie (Matthieu, 13, 24-25); cependant l'Église, au Concile de Trente, y avait mis bon ordre, mais il est méprisé par ceux qui devaient le mettre en exécution, et tant s'en faut que les docteurs catholiques consentent à ce malheur, qu'ils tiennent être grand péché d'entrer en ces monastères mais plutôt débordés. Judas n'empêcha point l'honneur de l'ordre apostolique, ni Lucifer de l'angélique, ni Nicolas du diaconat; mais ces abominables ne doivent empêcher le lustre de tant de dévots monastères que l'Église catholique a conservés, parmi toute la dissolution de notre siècle de fer, afin que pas une parole de son Epoux ne demeurât en vain, sans être pratiquée. Au contraire, Messieurs, votre église prétendue méprise et déteste tant qu'elle peut tout ceci; Calvin, au livre 4 de ses Institutions, ne vise qu'à l'abolissement de l'observation des conseils évangéliques. Au moins, ne m'en sauriez-vous montrer aucun essai ni bonne volonté parmi vous autres, ou jusqu'aux ministres chacun se marie, chacun trafique pour assembler des richesses, personne ne reconnaît autre supérieur que celui que la force lui fait avouer; signe évident que cette prétendue église n'est pas celle pour laquelle Notre Seigneur a prêché, et tracé le tableau de tant de beaux exemples : car, si chacun se marie, que deviendra l'avis de saint Paul, Bonum est homini mulierem non tangere (1 Corinthiens, 7, 1) ? Si chacun court après l'argent et après les possessions, à qui s'adressera la parole de Notre Seigneur, Nolite thesaurizare vobis thesauros in terra (Matthieu, 6, 19), et l'autre, Vade, vende omnia, da pauperibus (19, 21) ? Si chacun veut gouverner à son tour, où se trouvera la pratique de cette si solennelle sentence, Qui vult venire post me abneget semetipsum (Luc, 9, 23) ? Si donc votre église se met en comparaison avec la nôtre, la nôtre sera la vraie Epouse, qui pratique toutes les paroles de son Epoux, et ne laisse pas un talent de l'Ecriture inutile; la votre sera fausse, qui n'écoute pas la voix de l'Epoux, mais plutôt la méprise : car il n'est pas raisonnable que, pour tenir la vôtre en crédit, on rende vaine la moindre syllabe de l'Ecriture, laquelle, ne s'adressant qu'à la vraie Église, serait vaine et inutile si en la vraie Église on n'employait toutes ses pièces. ARTICLE XII : DE L' UNIVERSALITÉ OU CATHOLICISME DE L'ÉGLISE, MARQUE TROISIÈME Ce grand Père, Vincent de Lérins, en son très utile Mémorial, dit que sur tout on doit avoir soin de croire " ce qui a été cru partout " (toujours, de tous) [il manque une partie de l'article dans le manuscrit d'origine] comme les fourbisseurs et chaudronniers, car le reste du monde nous appelle catholiques; que si on y ajoute romains, ce n'est sinon pour instruire les peuples du siège de l'Evêque qui est Pasteur général et visible de l'Église, et déjà du temps de saint Ambroise (Vide lib. De excessu Sat., 47), ce n'était autre chose être romain plutôt de communion qu'être catholiques. Mais quant à votre église, on l'appelle partout huguenote, calviniste, zwinglienne, hérétique, prétendue, protestante, nouvelle ou sacramentaire; votre église n'était point devant ces noms, ni ces noms devant votre église, parce qu'ils lui sont propres : personne ne vous appelle catholiques, vous ne l'osez pas quasi faire vous-mêmes. Je sais bien que parmi vous vos églises s'appellent réformées, mais autant ont de droit sur ce nom les luthériens, ubiquitistes, anabaptistes, trinitaires et autres engeances de Luther, et ne le vous quitteront jamais. Le nom de religion est commun a l'église des juifs et des chrétiens, à l'ancienne Loi et à la nouvelle; le nom de catholique c'est le propre de l'Église de Notre Seigneur; le nom de réformée est un blasphème contre Notre Seigneur, qui a si bien formé et sanctifié son Église en son sang, qu'elle ne devait jamais subir autre forme que d'épouse toute belle (Cantiques, 4, 7), de colonne de fermeté et de vérité (1 Timothée, 3, 15). On peut réformer les peuples et particuliers, mais, non l'Église ni la Religion, car, si elle était Église et Religion elle était bien formée, la déformation s'appelle hérésie et irréligion; la teinture du sang de Notre Seigneur est trop vive et fine pour avoir besoin de nouvelles couleurs : votre église donc, s'appelant réformée, quitte sa part à la formation que le Sauveur y avait faite. Mais je ne puis vous dire que ce que vous disent de Bèze, Luther et Pierre Martyr en entendent : Pierre Martyr appelle les luthériens, luthériens, et dit que vous êtes frères avec eux, vous êtes donc luthériens; Luther vous appelle svermeriques et sacramentaires; de Bèze vous appelle luthériens, consubstantiateurs et chimiques, et néanmoins les met au nombre des églises réformées. Voilà donc les nouveaux noms que ces réformateurs avouent les uns pour les autres; votre église, donc, n'ayant pas seulement le nom de Catholique, vous ne pouvez dire en bonne conscience le Symbole des Apôtres, ou vous vous juges vous-mêmes, qui, confessant l'Église catholique et universelle, persistez en la vôtre qui ne l'est pas. Pour vrai, si saint Augustin vivait maintenant, il se tiendrait en Notre Église laquelle, de temps immémorable, est en possession du nom de

Catholique.

ARTICLE XIII : LA VRAIE ÉGLISE DOIT ÊTRE ANCIENNE L'Église pour être catholique doit être universelle en temps, et pour être universelle en temps il faut qu'elle soit ancienne; l'ancienneté donc est une propriété de l'Église, et en comparaison des hérésies elle doit être plus ancienne et précédente, parce que, comme dit très bien Tertullien (Apologet., c. 43 ; Adv. Marc., l 4, c 5), la fausseté est une corruption de vérité, la vérité doit donc précéder. La bonne semence est semée devant l'ennemi, qui a sursemé la zizanie bien après (Matt., 13, 24-25); Moïse devant Abiron, Datan et Coré; les anges devant les diables; Lucifer fut debout au jour avant qu'il chut dans les ténèbres éternelles; la privation doit suivre la forme. Saint Jean dit des hérétiques : Ils sont sortis de nous (1 Jean 2, 19), ils étaient donc dedans avant que de sortir; la sortie, c'est l'hérésie, l'être dedans, la fidélité. L'Église donc précède l'hérésie : mais plutôt la robe de Notre Seigneur fut entière avant qu'on la divisât (Jean, 19, 23-24), et bien qu'Ismaël fut devant Isaac, cela ne veut dire que la fausseté soit devant la vérité, mais l'ombre véritable du Judaïsme devant le corps du Christianisme, comme dit saint Paul (Hébreux, 10, 1). ARTICLE XIV : L'ÉGLISE CATHOLIQUE EST TRÈS ANCIENNE, LA PRÉTENDUE TOUTE NOUVELLE Dites-nous maintenant, je vous prie, notez le temps et le lieu où premièrement Notre Église comparut dès l'Evangile, l'auteur et le docteur qui la convoqua : j'userai des mêmes paroles d'un Docteur et Martyr de Notre âge, dignes d'être bien pesées (Bx Edm. Campion, Decem Rationes, 7, Historia). " Vous nous confessez, et n'oseriez faire autrement, que pour un temps l'Église romaine fut sainte, catholique, apostolique : lorsqu'elle mérita ces saintes louanges de l'Apôtre : "Votre foi est annoncée par tout le monde" ( Romains, 1, 8); " Je fais sans cesse mémoire de vous " (verset 9); " Je sais que, venant à vous, j'y viendrai en abondance de la bénédiction de JésusChrist " (15, 29); " Toutes les églises en Jésus-Christ vous saluent " (16, 16); car votre obéissance a été divulguée par tout le monde; lorsque saint Paul, en une prison libre, y semait l'Evangile (Act.,, ult., 30, 31 ; 2 Timothée, 2 : 9); lorsqu'en celle-ci saint Pierre gouvernait l'Église ramassée en Babylone (1 Pierre, 5, 13); lorsque Clément, si fort loué par l'Apôtre (Philippiens, 4 : 3), y était assis au timon; lorsque les Césars profanes, comme Néron, Domitien, Trajan, Antonin, massacraient les Évêques romains plutôt, et lors même que Damase, Sirice, Anastase, Innocent y tenaient le gouvernail apostolique : même au témoignage de Calvin, car il confesse librement qu'en ce temps-là ils ne s'étaient encore point égarés de la doctrine évangélique. Or sus donc, quand fut-ce que Rome perdit cette foi tant célébrée ? Quand cessa-t-elle d'être ce qu'elle était ? En quelle saison, sous quel évêque, par quel moyen, par quelle force, par quel progrès, la religion étrangère s'empara-t-elle de la cité et de tout le monde ? Quelles voix, quels troubles, quelles lamentations engendra-t-elle ? Hé ! chacun dormait-il par tout le monde pendant que Rome, Rome, dis-je, forgeait de nouveaux Sacrements, nouveaux Sacrifices, nouvelles doctrines ? Ne se trouve-t-il pas un seul historien, ni grec ni latin, ni voisin ni étranger, qui avait mis ou laissé quelques marques en ses commentaires et mémoires d'une chose si grande ? Et certes, ce serait grand cas si les historiens, qui ont été si curieux de remarquer jusqu'aux moindres mutations des villes et peuples, eussent oublié la plus notable de toutes celles qui se puissent faire, qui est de la religion, en la ville et province la plus signalée du monde, qui est Rome et l'Italie. Je vous prie, Messieurs, si vous savez quand Notre Église commença l'erreur prétendue, dites-le nous franchement, car c'est chose certaine que, comme dit saint Jérôme (Adv. Lucif., 28), Haereses ad originem revocasse, refutasse est. Remontons le cours des histoires jusqu'au pied de la Croix, regardons au deçà et au delà, nous ne verrons jamais, en pas une saison, que cette Église catholique ait changé de face, c'est toujours elle-même en doctrine et en Sacrements. Nous n'avons pas besoin contre vous, en ce point, d'autres témoins que des yeux de nos pères et aïeux, pour dire quand votre Église commença. L'an 1517, Luther commença sa tragédie, Zwingli et Calvin furent les deux principaux personnages. Voulez-vous que je note par le menu comment, par quels succès et actions, par quelles forces et violences, cette réforme s'empara de Berne, Genève, Lausanne et autres villes ? Quels troubles et lamentations elle a engendrés ? Vous ne prendriez pas plaisir à ce récit, nous le voyons, nous le sentons : en un mot, votre église n'a pas 80 ans, son auteur est Calvin, ses effets, le malheur de notre âge. Que si vous la voulez faire plus ancienne, dites où elle était avant ce temps-là : ne dites pas qu'elle était mais invisible, car, si on ne la voyait point qui peut savoir qu'elle ait été ? Puis Luther vous contredit qui confesse qu'au commencement il était tout seul. Or, si Tertullien, déjà de son temps, atteste que les catholiques déboutaient les hérétiques par leur postériorité et nouveauté, quand l'Église même n'était qu'en son adolescence : Solemus, haeriticos, compendi gratia, de posterioritate praescribere (Adv. Hermog., c. 1), combien plus d'occasions avonsnous maintenant ? Que si l'une de nos deux églises doit être la vraie, ce titre demeurera à la Nôtre qui est très

ancienne, et à votre nouveauté, l'infâme nom d'hérésie. N'est-ce pas jusqu'à la consommation des siècles (Matthieu, 28, 20) ? Si ce conseil, dit Gamaliel, ou cette œuvre est des hommes elle se dissipera, mais si elle est de Dieu vous ne sauriez la dissoudre (Actes, 5, 38-39) : l'Église est l'œuvre de Dieu. Qui donc la dissipera ? Laissezlà ces aveugles, car toute plante que le Père céleste n'a pas plantée sera arrachée (Matthieu, 15, 13-14), mais l'Église a été plantée par Dieu et ne peut être arrachée. Saint Paul dit que tous doivent être vivifiés, chacun à son tour; les prémices ce sera Christ, puis ceux qui sont du Christ, puis la fin ( 1 Corinthiens, 15, 23-24) : il n'y a point d'entre deux entre ceux qui sont de Christ et la fin, d'autant que l'Église doit durer jusqu'à la fin. Il fallait que Notre Seigneur régnât au milieu de ses ennemis jusqu'à ce qu'il eut mis sous ses pieds et assujettit tous ses adversaires (Psaumes, 109, 1-2 ; 1 Corinthiens, 15, 25), et quand les assujettira-t-il tous sinon au jour du jugement ? Mais cependant il faut qu'il règne parmi ses ennemis sinon ici-bas ? Et ou règne-t-il sinon en son Église ? Si cette épouse fut morte après qu' elle eut reçu la vie du côté de son Epoux endormi sur la Croix, si elle fut morte, dis-je, qui l'eut ressuscitée ? La résurrection d'un mort n'est pas un moindre miracle que la création : en la création Dieu dit, et il fut fait (Psaumes, 148, 5), il inspira l'âme vivante (Genèse, 2, 7), et aussitôt qu'il l'eut inspirée l'homme commença à respirer; mais Dieu voulant reformer l'homme il employa trente-trois ans, sua le sang et l'eau, et mourut sur l'œuvre. Qui donc dit que l'Église était morte et perdue, il accuse la Providence du Sauveur; qui s'en appelle le re-formateur ou le restaurateur, comme Bèze appelle Calvin, Luther et les autres, il s'attribue l'honneur dû à Jésus-Christ, et se fait plus qu'apôtre. Notre Seigneur avait mis le feu de sa charité au monde ( Luc, 12, 49), les Apôtres avec le souffle de leurs prédications l'avaient étendu et fait courir par l'univers : on dit qu'il était éteint par l'eau de l'ignorance et de la superstition. Qui pourra le rallumer ? Le souffle n'y sert de rien; il faudrait donc peut-être rebattre de nouveau avec les clous et la lance sur Jésus-Christ, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu? Sinon que l'on veuille mettre Luther et Calvin pour pierres angulaires du bâtiment ecclésiastique. " O voix impudente ", dit saint Augustin contre les Donatistes (In Ps. 101, Sermo 2, 7), " que l'Église ne soit point parce que tu n'y es pas " . " Non, non ", dit saint Bernard (Sermo 79 in Cant.), " les torrents sont venus, les vents ont soufflé (Matthieu, 7, 25) et l'ont combattue, elle n'est point tombée, parce qu'elle était fondée sur la pierre, et la pierre était Jésus-Christ (1 Corinthiens, 10, 4). Quoi donc ? Tous nos devanciers sont-ils damnés ? Ou pour vrai, si l'Église avait péri, car hors l'Église il n'y a point de salut. O quel contre change; nos Anciens ont tant souffert pour nous conserver l'héritage de l'Evangile, et maintenant on se moque d'eux et les tient on pour fous et insensés ". " Que nous dites-vous de nouveau ? ", dit saint Augustin (De unit. Eccl.) " Faudra-t-il encore une fois semer la bonne semence, puisque dès qu'elle est semée elle croît jusqu'à la moisson (cf. Matthieu, 13, 30) ? " Que si vous dites que celle que les Apôtres avaient semée est partout perdue, nous vous répondrons, lisez-nous ceci dans les Saintes Ecritures, et vous ne le lirez jamais que vous ne rendiez faux ce qui est écrit, que la semence qui fut semée au commencement croîtrait jusqu'au temps de moissonner. La bonne semence ce sont les enfants du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moisson c'est la fin du monde (vers 38, 39). Ne dites donc pas que la bonne semence est abolie ou étouffée, car elle croît jusqu'à la fin du monde. L'Église donc ne fut pas abolie quand Adam et Eve péchèrent; car, ce n'était pas Église, mais plutôt le commencement de l'Eglise : outre qu'ils ne péchèrent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire. Ni quand Aaron dressa le veau d'or; car, Aaron n'était pas encore souverain Prêtre ni chef du peuple, c'était Moïse, lequel n'idolâtra pas, ni la race de Lévi qui se joignirent à Moïse. Ni quand Elie se lamentait d'être seul (3 Rois, 19, 14); car, il ne parle que d'Israël, et Juda était la meilleure et principale partie de l'Église : et ce qu'il dit n'est qu'une façon de parler pour mieux exprimer la justice de sa plainte, car au reste il y avait encore sept mille hommes qui ne s'étaient encore point abandonnés à l'idolâtrie ( vers 18). Ce sont donc certaines expressions véhémentes, accoutumées es prophéties, qui ne doivent se vérifier en général pour un grand débordement, comme quand David disait (Psaumes, 13, 4) : Non est qui faciat bonum, et saint Paul : Omnes quaerunt quae sua sunt. (Philippiens, 2, 21) Ni ce qu'il faut que la séparation et dévouement vienne (2 Thessaloniciens, 2, 3), lors que le sacrifice cessera (Daniel, 12, 11), et qu'à grand-peine le Fils de l'homme trouvera la foi sur la terre (Luc, 18, 8); car, tout ceci se vérifiera dans les trois ans et demi que l'Antichrist régnera, durant lesquels toutefois l'Église ne périra point, mais sera nourrie dans les solitudes et déserts, comme dit l'Ecriture.

ARTICLE XVI : NOTRE ÉGLISE EST PERPÉTUELLE, LA PRÉTENDUE NE L'EST PAS Je vous dirai, comme j'ai dit ci-dessus (art 14), montrez-moi une dizaine d'années, dès que Notre Seigneur est monté au ciel, en quelle année Notre Église n'ait pas été : ce qui vous garde de savoir dire quand Notre Église a commencé, c'est parce qu'elle a toujours duré. Que s'il vous plaisait vous éclaircir à la bonne foi de ceci, Sanderus, en sa Visible Monarchie, et Gilbert Genbrard, en sa Chronologie, vous fourniraient assez de lumière, et surtout le docte César Baron, en ses Annales. Que si vous ne voulez pas de premier abord abandonner les livres de vos Maîtres, et n'avez point les yeux sillés d'une trop excessive passion, si vous regardez de près les Centuries de Magdebourg, vous n'y verrez partout rien d'autre que les actions des catholiques; car, dit très bien un docte de notre âge (Bx Edm. Campion, ubi supra, art. 14, p 124), " s'ils ne les y eussent pas recueillies ils eussent laissé

mille et cinq cents ans sans histoire ". Je dirai quelque chose de ceci ci-après (Art. 18, 20). Or, quant à votre église, supposons ce gros mensonge pour vérité, qu'elle ait été du temps des Apôtres, elle ne sera pourtant pas l'Église catholique : car, la Catholique doit être universelle en temps, elle doit donc toujours durer; mais dites-moi où était votre église il y a cents, deux cents, trois cents ans, et vous ne le sauriez faire, car elle n'était point; elle n'est donc pas la vraie Église. Elle était, ce me dira peut-être quelqu'un, mais inconnue : bonté de Dieu, qui ne dira le même ? Adamites, Anabaptistes, chacun entrera en ce discours; j'ai déjà montré (ch. 2, art. 1) que l'Église militante n'est pas invisible, j'ai montré qu'elle est universelle en temps, je vais montrer qu'elle ne peut être inconnue. ARTICLE XVII : LA VRAIE ÉGLISE DOIT ÊTRE UNIVERSELLE EN LIEUX ET EN PERSONNES Les Anciens disaient sagement que savoir bien la différence des temps était un bon moyen d'entendre bien les Ecritures, faute de quoi les Juifs errent, entendant du premier avènement du Messie ce qui est bien souvent dit du second, et les ministres encore plus lourdement, quand ils veulent faire l'Église telle dès saint Grégoire en ça qu'elle doit être temps de l'Antichrist. Ils tournent à ce biais ce qui est écrit en l'Apocalypse (12, 6, 14), que la femme s'enfuit en la solitude, dont ils prennent l'occasion de dire que l'Église a été cachée et secrète jusqu'à ce qu'elle se soit produite en Luther et en ses adhérents. Mais qui ne voit que ce passage ne respire autre que la fin du monde et la persécution de l'Antichrist ? Le temps y étant expressément déterminé de trois ans et demi, et en Daniel aussi (12, 7). Or, qui voudrait par quelque glose entendre ce temps que l'Ecriture a déterminé, contredirait au Seigneur qui dit qu'il sera plutôt accourci, pour l'amour des élus (Matthieu, 24, 22). Comment donc osent-ils transporter cette Ecriture à une intelligence si contraire à ses propres circonstances ? Au contraire, l'Église est dite semblable au soleil, à la lune, à l'arc-en-ciel (Psaumes, 88 : 37), à une reine (Psaumes, 44 : 10,14), à une montagne aussi grande que le monde (Daniel, 2 : 35) : elle ne peut donc être secrète ni cachée, mais elle doit être universelle en son étendue. Je me contenterai de vous mettre en tête deux des plus grands Docteurs qui furent jamais. David avait dit : Le Seigneur est grand et trop louable, en la cité de notre Dieu, en sa sainte montagne. C'est la cité, dit saint Augustin, assise sur la montagne, qui ne peut se cacher, c'est la lampe qui ne peut être couverte sous un tonneau, connue et célèbre à tous, car il s'ensuit : Le mont Sion est fondé avec grande joie de l'univers. Et de fait, Notre Seigneur, qui disait que personne n'allume la lampe pour la couvrir d'un mur, comme eut-il mis tant de lumières qui sont en l'Église pour les couvrir et cacher plutôt en certains coins ? Voici le mont qui remplit l'univers, voici la cité qui ne peut se cacher. Les Donatistes rencontrent le mont, et quand on leur dit mont, ce n'est pas une montagne, disent-ils, et plutôt y choquent du front que d'y chercher une demeure. Isaïe, qu'on lisait hier, cria : Il y aura dans les derniers jours un mont préparé sur le sommet des montagnes, maison du Seigneur, et toutes nations s'y couleront à la file. Qu'y a-t-il de si apparent qu'une montagne ? Mais il se fait des monts inconnus, parce qu'ils sont assis en un coin de la terre. Qui d'entre vous connaît l'Olympe ? Personne, certes, ni plus ni moins que ses habitants ne savent ce qu'est notre mont Chidabbe; ces monts sont plutôt retirés en certain quartiers, mais le mont d'Isaïe n'est pas semblable, car il a rempli toute la face de la terre. La pierre taillée du mont sans œuvre manuelle, n'est-ce pas Jésus-Christ, descendu de la race des juifs sans œuvre de mariage ? Et cette pierre-là ne fracassa-t-elle pas tous les royaumes de la terre, c'est-à-dire, toutes les dominations des idoles et éons ? Ne s'accrut-elle pas jusqu'à remplir le monde ? C'est donc de ce mont dont il est dit qu'il est préparé sur la cime des monts; c'est un mont élevé sur le sommet des monts, et toutes les nations se rendront vers lui. Qui se perd et s'égare de ce mont ? Qui choque et se casse la tête en lui ? Qui ignore la cité mise sur le mont ? Mais non, ne vous émerveillez pas qu'il soit inconnu à ceux qui haïssent les frères, qui haïssent l'Église, car ils sont ténèbres et ne savent pas où ils vont, ils se sont séparés du reste de l'univers, ils sont aveugles de mal talent : c'est saint Augustin qui a parlé. Maintenant écoutez saint Jérôme, parlant à un schismatique converti : " Je me réjouis avec toi ", lui dit-il, " et je rends grâce à Jésus-Christ, mon Dieu, de ce que tu t'es réduit de bon cœur de l'ardeur de fausseté au goût de tout le monde; ne disant plus comme quelques uns : O Seigneur, sauvez-moi, car le saint a manqué, desquels la voix impie vide et avilit la gloire de la Croix, assujettit le Fils de Dieu au diable, et le regret qui a été proféré des pécheurs, il l'entend être dit de tous les hommes. Mais déjà n'advienne que Dieu soit mort pour néant, le puissant est lié et saccagé, la parole du Père est accomplie : Demande-moi, et je te donnerai les gens pour héritage, et les bornes de la terre pour ta possession. Où sont, je vous prie, ces gens trop religieux, mais plutôt trop profanes, qui font plus de synagogues que d'églises ? Comment seront détruites les cités du diable, et les idoles abattues ? Si Notre Seigneur n'a point eu d'Église, ou s'il l'a eue en la seule Sardaigne, certes il est trop appauvri. Ha ! si Satan possède une fois le monde, comment auront été les trophées de la Croix mais plutôt accueillis et contraints en un coin de tout le monde ? Et que dirait ce grand personnage s'il vivait maintenant ? N'est-ce pas bien avilir le trophée de Notre Seigneur ? Le Père céleste, pour la grande humiliation et anéantissement que son Fils subit en l'arbre de la Croix, avait rendu son nom si glorieux que tous les genoux se devaient plier en la révérence de celui-ci (Philippiens, 2 : 8-10), et parce qu'il avait livré sa vie à la mort, étant mis au rang des méchants (Isaïe, 53 : 12) et voleurs, il avait en héritage beaucoup de gens; mais ceux-ci ne prisent pas tant les passions du Crucifix, enlevant de sa portion les générations de mille années, si que à peine durant ce temps

il y ait eu quelques serviteurs secrets, qui enfin ne seront qu'hypocrites et méchants ; car je m'adresse à vous, ô devanciers, qui portiez le nom de Chrétiens, et qui avez été en la vraie Église : ou vous aviez la foi, ou vous ne l'aviez pas; si vous ne l'aviez pas, ô misérables, vous êtes damnés (Marc 16 : 16), et si vous l'aviez, que n'en laissiez-vous pas des mémoires, que ne vous opposiez-vous pas à l'impiété ? Ne saviez-vous pas que Dieu a recommandé le prochain à un chacun (Ecclésiastique, 17 : 12) ? Et qu'on croit de cœur pour la justice, mais qui veut obtenir salut il faut faire la confession de foi (Romains, 10, 10 ; Luc 12, 8) ? et comme pouviez-vous dire : " J'ai cru, et partant j'ai parlé " (Psaumes, 115, 1) ? Vous êtes encore misérables, qui ayant un si beau talent l'avez caché en terre. Mais si, au contraire, ô Calvin et Luther, la vraie foi a toujours été publiée par l'antiquité, vous êtes misérables vous-mêmes qui, pour trouver quelque excuse à vos fantaisies, accusez tous les Anciens ou d'impiété s'ils ont mal cru, ou de lâcheté s'ils se sont tus. ARTICLE XVIII : L'ÉGLISE CATHOLIQUE EST UNIVERSELLE EN LIEUX ET EN PERSONNES, LA PRÉTENDUE NE L'EST POINT L'universalité de l'Église ne requiert pas que toutes les provinces ou nations reçoivent tout à coup l'Evangile, il suffit que cela se fasse l'une après l'autre; en telle sorte que néanmoins l'on voie toujours l'Église, et qu'on connaisse que c'est celle-là même qui a été par tout le monde ou la plus grande partie, afin qu'on puisse dire : Venite ascendamus ad montem Domini (Isaïe, 2 : 3). Car l'Église, au temps des Apôtres, jeta partout ses branches chargées du fruit de l'Evangile, témoin saint Paul (Colossiens, 1 : 6); autant en dit saint Irénée en son temps, qui parle de l'Église romaine ou papale à laquelle il veut que tout le reste de l'Église se réduise " pour sa plus puissante principauté " . Prosper parle de notre Église, non de la vôtre, quand il dit (Carmen de Ingratis, Pars Ia, lin 40-42) : " Par l'honneur pastoral, Rome, siège de Pierre, est chef de l'univers; ce qu'elle n'a pas par guerre ou par armes réduit à sa sujétion lui est acquis par la religion ". Car vous voyez bien qu'il parle de l'Église qui reconnaissait le Pape de Rome pour chef. Du temps de saint Grégoire il y avait partout des catholiques, mais plutôt qu'on peut voir par les épîtres qu'il écrit aux évêques presque de toutes nations. Au temps de Gratien, Valentinien et Justinien, il y avait partout des catholiques romains plutôt, comme on peut voir par leurs lois. Saint Bernard en dit autant de son temps; et vous savez bien ce qui en était au temps de Godefroy de Bouillon. Depuis, la même Église est venue à notre âge, et toujours romaine et papale, de façon qu'encore que notre Église maintenant serait beaucoup moindre qu'elle n'est, elle ne laisserait pas d'être très catholique, parce que c'est la même romaine qui a été, et qui a possédé presque en toutes les provinces des nations et peuples innombrables. Mais elle est encore maintenant étendue sur toute la terre, en Transylvanie, Pologne, Hongrie, Bohême et par toute l'Allemagne, en France, en Italie, en Slavonie, en Candie, en Espagne, Portugal, Sicile, Malte, Corpsique, en Grèce, en Arménie, en Syrie, et tout partout : mettrai-je ici en compte les Indes orientales et occidentales ? De quoi qui voudrait voir un abrégé, il faudrait qu'il se trouvât en un Chapitre ou assemblée générale des religieux de saint François appelés Observantins : il verrait venir de tous les coins du monde, vieux et nouveau, des religieux à l'obéissance d'un simple, vil et abject; si que ceux-là seuls lui sembleraient suffire pour vérifier cette partie de la prophétie de Malachie ( 1 : 2) : In omni loco sacrificatur nomini meo. Au contraire, Messieurs, les prétendus ne passent point les Alpes de notre côté ni les Pyrénées du côté d'Espagne, la Grèce ne vous connaît point, les autres trois parties du monde ne savent qui vous êtes, et n'ont jamais entendu parler de chrétiens sans sacrifice, sans autel, sans sacerdoce, sans chef, sans Croix, comme vous êtes; en Allemagne, vos compagnons luthériens, brensiens, anabaptistes, trinitaires, rognent votre portion, en Angleterre, les puritains plutôt, en France, les libertins : comme donc osez-vous plus vous opiniâtrer de demeurer mais plutôt à part du reste de tout le monde à guise des Lucifériens et Donatistes ? Je vous dirai, comme disait saint Augustin à l'un de vos semblables (De unit. Eccl., c. 17), daignez, je vous prie, nous instruire sur ce point, comme il se peut faire que Notre Seigneur ait perdu son Église par tout le monde, et qu'il ait commencé de n'en avoir qu'en vous seulement. Certes, vous appauvrissez trop Notre Seigneur, dit saint Jérôme (supra, art. 17 p1. 34, cf. p. 71). Que si vous dites que votre église a déjà été catholique au temps des Apôtres, montrez donc qu'elle était en ce temps-là, car toutes les sectes en diront de même; comment enterrez-vous ce petit bourgeon de religion prétendue sur cette sainte et ancienne tige ? Faites que votre église touche par une continuation perpétuelle l'Église primitive, car si elles ne se touchent pas, comment tireront-elles le suc l'une de l'autre ? ce que vous ne ferez jamais. Aussi ne serez-vous jamais si vous ne vous rangez pas sous l'obéissance de la catholique, vous ne serez jamais, dis-je, avec ceux qui chanteront : Redemisti nos in sanguine tuo, ex omni tribu, et lingua, et populo, et natione, et fecisti nos Deo nostro regnum (Apocalypse, 5 : 9-10). ARTICLE XIX : LA VRAIE ÉGLISE DOIT ÊTRE FÉCONDE Peut être direz-vous, à la fin, que ci-après votre Église étendra ses ailes, et se fera catholique par la succession du

temps. Mais ce serait parler à l'aventure; car, si les Augustin, Chrysostome, Ambroise, Cyprien, Grégoire, et cette grande troupe d'excellents pasteurs, n'ont su si bien faire que l'Église n'ait donné du nez en terre bientôt après, comme disent Calvin, Luther et les autres, quelle apparence y a-t-il qu'elle se fortifie maintenant sous la charge de vos ministres, lesquels ni en sainteté ni en doctrine ne sont comparables avec ceux-là ? Si l'Église en son printemps, été et automne n'a point fructifié, comme voulez-vous qu'en son hiver l'on recueille des fruits ? Si en son adolescence elle n'a cheminé, où voulez-vous qu'elle coure maintenant en sa vieillesse ? Mais, je dis plus : votre Église non seulement n'est pas catholique, mais encore ne le peut être, n'ayant la force ni vertu de produire des enfants, mais seulement de dérober les poussins d'autrui, comme fait la perdrix; et néanmoins c'est bien l'une des propriétés de l'Église d'être féconde, c'est pour cela entre autres qu'elle est appelée colombe (Cantiques, 6 : 8); et si son Epoux, quand il veut bénir un homme, rend sa femme féconde, sicut vitis abundans in lateribus domus suae (Psaumes, 127 : 3), et fait habiter la stérile en une famille, mère joyeuse en plusieurs enfants (Psaumes, 112 : 9), ne devait-il pas avoir lui-même une Épouse qui fut féconde ? Même que selon la sainte Parole, cette déserte devait avoir plusieurs enfants (Isaïe, 54 : 1; Galates, 4 : 27), cette nouvelle Jérusalem devrait être très peuplée et avoir une grande génération : Ambulabunt gentes in lumine tuo, dit le prophète (Isaïe, 54 : 3, 4), et reges in splendore ortus tui. Leva in circuitu oculos tuos et vide; omnes isti congregati sunt, venerunt itbi; filii tui de longe venient, et filiae tuae de latere surgent (53 : 11-12) ; et : Pro eo quod laboravit anima ejus, ideo dispertiam ei plurimos. Or cette fécondité des belles nations de l'Église se fait principalement par la prédication, comme dit saint Paul (1 Corinthiens, 4 : 15) : per Evangelium ego vos genui : la prédication donc de l'Église doit être enflammée : Ignitum eloquium tuum Domine (Psaumes, 118 : 40); et qu'y a-t-il de plus actif, vif, pénétrant et prompt à convertir et bailler forme aux autres matières que le feu ? ARTICLE XX : L'ÉGLISE CATHOLIQUE EST FÉCONDE Telle fut la prédication de saint Augustin en Angleterre, de saint Boniface en Allemagne, de saint Patrice en Hibernie, de Willibrord en Frize, de Cyrille en Bohême, d'Adalbert en Pologne, d'Astric en Hongrie, de saint Vincent Ferrier, de Jean Capistran; telle la prédication des Frères fervents, Henry, Antoine, Louis, de François Xavier et mille autres, qui ont renversé l'idolâtrie par la sainte prédication, et tous étaient catholiques romains plutôt. Au contraire, vos ministres n'ont encore converti aucune province du paganisme, ni aucune contrée : diviser le christianisme, y faire des factions, mettre en pièces la robe de Notre Seigneur, ce sont les effets de leurs prédications. La Doctrine chrétienne catholique est une douce pluie qui fait germer la terre infructueuse; la leur ressemble plutôt à une grêle qui rompt et terrasse les moissons et met en friche les plus fructueuses campagnes. Prenez garde à ce que dit saint Jude : Malheur, dit-il, à ceux qui périssent en la contradiction de Coré; Coré était schismatique : ce sont des souillures à un festin, banquetant sans crainte, se repaissant eux-mêmes, nuées sans eaux qui sont transportées çà et là aux vents; ils ont l'extérieur de l'Ecriture, mais ils n'ont pas la liqueur intérieure de l'esprit : arbres infructueux de l'automne; ils n'ont que la feuille de la lettre, et n'ont point le fruit de l'intelligence : doublement morts; morts quant à la charité par la division, et quant à la foi par l'hérésie : déracinés, qui ne peuvent plus porter fruit; flots de mer agitée, écumant ses confusions de débats, disputes et remuements; plantes errantes, qui ne peuvent servir de guide à personne, et n'ont point de fermeté de foi mais changent à tout propos. Quelle merveille donc si votre prédication est stérile ? Vous n'avez que l'écorce sans le suc, comment voulez-vous qu'elle germe ? Vous n'avez que le fourreau sans l'épée, la lettre sans l'intelligence, ce n'est pas merveille si vous ne pouvez dompter l'idolâtrie : mais plutôt saint Paul (2 Timothée), parlant de ceux qui se séparent de l'Église, il proteste sed ultra non proficient. Si donc votre église ne se peut en aucune façon dire catholique jusqu'à présent, moins devez-vous espérer qu'elle le soit ci-après; puisque sa prédication est si flaque, et que ses prêcheurs n'ont jamais entrepris, comme dit Tertullien (De Praescr., c. 42), la charge ou commission ethnicos convertendi, mais seulement nostros evertendi. O quelle église, donc, qui n'est ni unie, ni sainte, ni catholique, et qui pis est, ne peut avoir aucune raisonnable espérance de jamais l'être. LES RÈGLES DE LA FOI AVANT-PROPOS Si l'avis que saint Jean donne (1 Jean, 4 : 1) de ne pas croire à toutes sortes d'esprits, fut jamais nécessaire, il l'est maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires esprits, avec une égale assurance, demandent créance parmi la chrétienté en vertu de la Parole de Dieu; après lesquels on a vu tant de peuples s'écarter, qui çà qui là, chacun à son humeur. Comme le vulgaire admire les comètes et les feux erratiques et croit que ce sont de vrais astres et vives planètes, tandis que les plus entendus connaissent bien que ce ne sont que des flammes qui se

coulent en l'air le long de quelques vapeurs qui leur servent de pâture, et n'ont rien de commun avec les astres incorruptibles que cette grossière clarté qui les rend visibles; ainsi le misérable peuple de notre âge, voyant certaines chaudes cervelles s'enflammer à la suite de quelques subtilités humaines, éclairées de l'écorce de la Sainte Ecriture, a cru que c'étaient des vérités célestes et s'y est amusé, quoique les gens de bien et judicieux témoignent que ce n'étaient que des inventions terrestres qui, se consumants peu à peu, ne laisseraient autre mémoire d'elles que le ressentiment de beaucoup de malheurs qui suit ordinairement ces apparences. O combien était-il nécessaire de ne pas s'abandonner à ces esprits, et premier que [avant] de les suivre, éprouver s'ils étaient de Dieu ou non (1 Jean, ubi sup.). Hélas ! il ne manquait pas de pierres de touche pour découvrir le bas or de leurs happelourdes [pierres fausses], car Celui qui nous fait dire que nous éprouvions les esprits, ne l'eut pas fait s'il n'eut su que nous avions des Règles infaillibles pour reconnaître le saint d'avec le faux esprit. Nous en avons donc, et personne ne le nie, mais les séducteurs en produisent de telles qu'ils les puissent fausser et plier à leurs intentions, afin qu'ayant les règles en main ils se rendent recommandables, comme par un signe infaillible de leur maîtrise, sous prétexte duquel ils puissent former une foi et religion telle qu'ils l'ont imaginée. Il importe donc infiniment de savoir quelles sont les vraies Règles de notre créance, car on pourra aisément connaître par là l'hérésie d'avec la vraie Religion, et c'est ce que je prétends faire voir en cette seconde Partie. Voici mon projet. La foi chrétienne est fondée sur la parole de Dieu; c'est cela qui la met au souverain degré d'assurance, ayant comme garant cette éternelle et infaillible vérité; la foi qui s'appuie ailleurs n'est pas chrétienne : donc la Parole de Dieu est la vraie Règle de bien croire, puisque être Fondement et Règle en cet endroit n'est qu'une même chose. Mais parce que cette Règle ne règle point notre croyance sinon quand elle est appliquée, proposée et déclarée, et que ceci peut bien et mal faire, il ne suffit pas de savoir que la Parole de Dieu est la vraie et infaillible Règle de bien croire, si je ne sais quelle parole est de Dieu, où elle est, qui la doit proposer, appliquer et déclarer. J'ai beau savoir que la Parole de Dieu est infaillible, que pour tout cela je ne croirai pas que Jésus est le Christ Fils du Dieu vivant, si je ne suis assuré que ce soit une parole révélée par le Père céleste, et quand je saurai ceci, encore ne serai-je pas hors d'affaire, si je ne sais comme il le faut entendre, ou d'une filiation adoptive, à l'Arienne, ou d'une filiation naturelle, à la Catholique. Il faut donc, outre cette première et fondamentale Règle de la Parole de Dieu, une autre seconde Règle par laquelle la première nous soit bien et dûment proposée, appliquée et déclarée; et afin que nous ne soyons pas sujets à l'ébranlement et à l'incertitude, il faut que non seulement la première Règle, à savoir la Parole de Dieu, mais encore la seconde, qui propose et applique cette Parole, soit du tout infaillible, autrement nous demeurons toujours en branle et en doute d'être mal réglés et appuyés en notre foi et croyance; non déjà par aucun défaut de la première Règle, mais par l'erreur et faute de la proposition et application de celle-ci. Certes, le danger est égal, ou d'être déréglé à faute d'une juste Règle, ou d'être mal réglé à faute d'une application bien réglée et juste de la Règle même. Mais cette infaillibilité, requise tant en la Règle qu'en son application, ne peut avoir sa source que de Dieu même, vive et première fontaine de toute vérité. Passons outre. Or, comme Dieu révéla sa Parole et parla par la bouche des Pères et des Prophètes, et finalement en son Fils (Hébreux, 1 : 1-2), puis par les Apôtres et Evangélistes, dont les langues ne furent que comme plumes de secrétaires écrivant très promptement (Psaumes, 44 : 2), employant en cette sorte les hommes pour parler aux hommes, ainsi, pour proposer, appliquer et déclarer cette sienne Parole, il emploie son Epouse visible comme son truchement et l'interprète de ses intentions. C'est donc Dieu seul qui règle notre croyance chrétienne, mais avec deux instruments, en diverses façons : 1. par sa Parole, comme avec une Règle formelle; 2. par son Eglise, comme par la main du compasseur [celui qui mesure avec le compas] et régleur. Disons ainsi : Dieu est le peintre, notre foi la peinture, les couleurs sont la parole de Dieu, le pinceau c'est l'Eglise. Voilà donc deux Règles ordinaires et infaillibles de notre croyance : la Parole de Dieu qui est la Règle fondamentale et formelle, l'Eglise de Dieu qui est la Règle d'application et d'explication . Je considère en cette seconde Partie et l'une et l'autre; mais, pour en rendre le traité plus clair et maniable, j'ai divisé ces deux Règles en plusieurs, en cette sorte : La Parole de Dieu, Règle formelle de notre foi, ou elle est en l'Ecriture ou en la Tradition : je traite premièrement de l'Ecriture, puis de la Tradition. L'Eglise, qui est la Règle d'application, où elle se déclare en tout son corps universel par une croyance générale de

tous les chrétiens, ou en ses principales et nobles parties par un consentement de ses pasteurs et docteurs; et en cette dernière façon, ou c'est en ses pasteurs assemblés en un lieu et en un temps, comme en un Concile général, ou c'est en ses pasteurs divisés de lieux et d'âge, mais assemblés en union et correspondance de foi, ou bien, enfin, cette même Eglise se déclare et parle par son chef ministériel : et ce sont quatre Règles explicatives et applicables pour notre foi, l'Eglise en corps, le Concile général, le consentement des Pères et le Pape; outre ces Règles, nous ne devons pas en rechercher d'autres, celles-ci suffisent pour affermir les plus inconstants. Mais Dieu, qui se plaît en la surabondance de ses faveurs, voulant aider la faiblesse des hommes, ne laisse pas d'ajouter parfois à ces Règles ordinaires (je parle de l'établissement et fondation de l'Eglise) une Règle extraordinaire, très certaine et de grande importance; c'est le Miracle, témoignage extraordinaire de la vraie application de la Parole divine. Enfin, la raison naturelle peut encore être dite une règle de bien croire, mais négativement, et non pas affirmativement; car qui dirait ainsi, telle proposition est article de foi, donc elle est selon la raison naturelle, cette conséquence affirmative serait mal tirée, puisque presque toute notre foi est hors et par dessus notre raison; mais qui dirait : cela est un article de foi, donc il ne doit pas être contre la raison naturelle, la conséquence est bonne, car la raison naturelle et la foi étant puisées de même source et sorties d'un même auteur, elles ne peuvent être contraires.

Voilà donc 8 règles de la foi : l'Ecriture, la Tradition, l'Eglise, le Concile, les Pères, le Pape, les Miracles, la Raison naturelle. Les deux premières ne sont qu'une Règle formelle, les quatre suivantes ne sont qu'une Règle d'application, la septième est extraordinaire, et la huitième, négative. Au reste, qui voudrait réduire toutes ces règles en une seule, dirait que l'unique et vraie Règle de bien croire c'est la Parole de Dieu, prêchée par l'Eglise de Dieu. Or, j'entreprends ici de montrer, clair comme le beau jour, que vos réformateurs ont violé et forcé toutes ces Règles (et il suffirait de montrer qu'ils en ont violé l'une, puisqu'elles s'entretiennent tellement que qui en viole l'une viole toutes les autres); afin que, comme vous avez vu en la première partie qu'ils vous ont enlevés du giron de la vraie Eglise par schisme, vous connaissiez en cette seconde partie qu'ils vous ont ôté la lumière de la vraie foi par l'hérésie, pour vous tirer à la suite de leurs illusions. Et je me tiens toujours sur une même posture, car je prouve premièrement que les Règles que je produis sont très certaines et infaillibles, puis je fais toucher au doigt que vos docteurs les ont violées. C'est ici ou je vous appelle au nom de Dieu tout puissant, et vous somme de sa part de juger justement. CHAPITRE PREMIER : QUE LES RÉFORMATEURS PRÉTENDUS ONT VIOLÉ LA SAINTE ÉCRITURE, PREMIÈRE RÈGLE DE NOTRE FOI ARTICLE PREMIER : LA SAINTE ÉCRITURE EST UNE VRAIE RÈGLE DE LA FOI CHRÉTIENNE Je sais bien, Dieu merci, que la Tradition a été devant [avant, i.e. a précédé] toute l'Ecriture, puisque même une bonne partie de l'Ecriture n'est que la Tradition réduite en écrit avec une infaillible assistance du Saint-Esprit; mais parce que l'autorité de l'Ecriture est plus aisément reçue par les réformateurs que par celle de la Tradition, je commence par cet endroit, pour faire une entrée plus aisée à mon discours. La Sainte Ecriture est tellement Règle à notre créance [credo, foi] chrétienne, que celui qui ne croit pas tout ce qu'elle contient, ou croit qui quelque chose qui lui soit tant soit peu contraire, est infidèle. Notre Seigneur y a renvoyé les Juifs pour redresser leur foi (Jean, 5 : 39); les Sadducéens erraient pour ignorer les Ecritures (Marc, 12 : 24); c'est donc un niveau très assuré, c'est un flambeau luisant dans les obscurités, comme parle saint Pierre (2 Pierre, 1 : 19), qui, ayant lui-même entendu la voix du Père en la Transfiguration du Fils, se tient néanmoins pour plus assuré au témoignage des Prophètes qu'en cette sienne expérience (verset 17, 18). Mais je perds du temps; nous sommes d'accord en ce point, et ceux qui sont si désespérés que d'y contredire, ne savent pas appuyer leur contradiction que sur l'Ecriture même, se contredisant eux-mêmes avant de contredire l'Ecriture, se servant

d'elle en la protestation qu'ils font de ne s'en vouloir servir.

ARTICLE II : COMBIEN ON DOIT ÊTRE JALOUX DE SON INTEGRITÉ Je ne m'arrêterai pas non plus guère en cet endroit. On appelle la Sainte Ecriture le Livre du Vieux et du Nouveau Testament. Certes, quand un notaire a expédié un contrat ou autre Ecriture, personne n'y peut remuer, ôter, ajouter un seul mot sans être tenu pour faussaire : voici l'Ecriture des Testaments de Dieu, expédiée par les notaires à ses députés; comment peut-on l'altérer tant soit peu sans impiété ? Les promesses ont été dites à Abraham, dit saint Paul (Galates, l : 3, 16), et à sa semence; il n'est pas dit " et ses semences ", comme en plusieurs, mais comme en une, et à ta semence, qui est Christ : voyez, je vous prie, combien la variation du singulier au pluriel eut gâté le sens mystérieux de cette parole. Notre Seigneur met en compte les iota, voire les seuls petits points et accents de ses saintes paroles ( Matthieu, 5 : 18); combien donc est il jaloux de leur :intégrité ? Les Ephratéens disaient sibolleth, sans oublier une seule lettre, mais parce qu'ils ne prononçaient pas assez grassement, les Galaadites les égorgeaient sur le quai du Jourdain (Jud., 12 : 6). La seule différence de prononciation en parlant et en écrit, la seule transposition d'un point sur la lettre scin [sin ou schin] , faisait toute l'équivoque, et, changeant le jamin [un point à droite] en semol [un point à gauche], au lieu d'un épi de blé signifiait une charge ou fardeau. Qui change tant soit peu la sainte Parole mérite la mort, qui ose mêler le profane au sacré (Lévitique, 10 : 9-10). Les ariens corrompaient cette sentence de l'Evangile (Jean, 1, 1-2) : In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Hoc erat in principio apud Deum, en remuant un seul point; car ils lisaient ainsi (Aug., l. 3, De Doct. Christiana, c. 2) : Et Verbum erat apud Deum, et Deus erat. (Ici ils mettaient le point, puis recommençaient la période) Verbum hoc erat in principio apud Deum. Ils mettaient le point après l'erat, au lieu de le mettre après le Verbum; ce qu'ils faisaient de peur d'être convaincus par ce texte que le Verbe est Dieu : tant il faut peu pour altérer cette sacrée Parole. Quand le vin est meilleur il se ressent plutôt du goût étranger, et la symétrie d'un excellent tableau ne peut souffrir le mélange de nouvelles couleurs. Le sacré dépôt des Saintes Ecritures doit être gardé bien consciencieusement.

ARTICLE III : QUELS SONT LES LIVRES SACRÉS DE LA PAROLE DE DIEU Tous les livres sacrés sont premièrement divisés en deux, en ceux du Vieux Testament et ceux du Nouveau : puis, autant les uns que les autres sont partagés en deux rangs; car il y a des Livres, tant du Vieux que du Nouveau Testament, dont on n'a jamais douté qu'ils ne fussent sacrés et canoniques, il y en a dont on a douté pour un temps, mais en fin ont été reçus avec ceux du premier rang. Ceux du premier rang, de l'Ancien Testament, sont les cinq Livres de Moïse, Josué, les Juges, Ruth, 4 des Rois, 2 de Paralipomènes [ou des Chroniques], 2 d'Esdras et de Néhémie, Job, 150 Psaumes, les Proverbes, l'Ecclésiaste, les Cantiques, les 4 Prophètes plus grands, les douze moindres. Ceux-ci furent canonisés par le grand Synode où se trouva Esdras qui y fut scribe, et jamais personne ne douta de leur autorité qui ne fut tenu péremptoirement pour hérétique, comme notre docte Genebrard va déduisant en sa Chronologie. Le second rang contient ceux-ci : Ester, Baruch, une partie de Daniel, Tobie, Judith, la Sapience, [ou la Sagesse], l'Ecclésiastique, les Macchabées, premier et second. Et quant à ceux-ci il y a grande apparence, au dire du même docteur Genebrard, qu'en l'assemblée qui se fit en Jérusalem pour envoyer les 72 interprètes en Egypte, ces Livres, qui n'étaient encore en être [reçus, comptés] quand Esdras fit le premier canon, furent alors canonisés, au moins tacitement, puisqu'ils furent envoyés avec les autres pour être traduits; hormis les Macchabées, qui furent reçus en une autre assemblée par après, en laquelle les précédents furent derechef approuvés : mais comme que ce soit, parce que ce second canon ne fut pas fait si authentiquement que le premier, cette canonisation ne leur peut acquérir une entière et indubitable autorité parmi les Juifs, ni les égaler aux Livres du premier rang. Ainsi dirai-je des Livres du Nouveau Testament, qu'il y en a du premier rang, qui ont toujours été reconnus pour sacrés et canoniques entre les catholiques : tels sont les 4 évangiles, selon saint Mathieu, saint Marc, saint Luc,

saint Jean, les Actes des Apôtres, toutes les Epîtres de saint Paul hormis celle aux Hébreux, une de saint Pierre, une de saint Jean. Ceux du second rang sont l'Epître aux Hébreux, celle de saint Jacques, la seconde de saint Pierre, la seconde et troisième de saint Jean, celle de saint Jude, l'Apocalypse, et certaines parties de saint Marc, de saint Luc et de l'Evangile et Epître première de saint Jean : et ceux-ci ne furent pas d'indubitable autorité en l'Eglise au commencement, mais, avec le temps, enfin furent reconnus comme ouvrage sacré du Saint-Esprit, et non pas tout à coup, mais à diverses fois. Et premièrement, outre ceux du premier rang tant du Vieux que du Nouveau Testament, environ l'an 364 on reçut au Concile de Laodicée (Can 59) (qui depuis fut approuvé au Concile général sixième (1)), le livre d'Ester, l'Epître de saint Jacques, la 2. de saint Pierre, la 2 et 3 de saint Jean, celle de saint Jude, et l'Epître aux Hébreux comme la quatorzième de saint Paul. Puis, quelque temps après, au Concile 3 de Carthage (Can. 6-7), auquel se trouva saint Augustin, et a été confirmé au Concile Général, de Trulles, outre les Livres précédents du second rang, furent reçus au canon comme indubitables, Tobie, Judith, deux des Macchabées, la Sagesse, l'Ecclésiastique et l'Apocalypse; mais avant tous ceux du second rang, le Livre de Judith fut reçu et reconnu pour divin au premier général Concile de Nicée, ainsi que saint Jérôme en est témoin, en sa préface sur celui-ci. Voilà comme on assembla les deux rangs en un, et furent rendus d'égale autorité en l'Eglise de Dieu; mais avec progrès et succession, comme une belle aube se levant qui peu à peu éclaire notre hémisphère. Ainsi fut dressé au Concile de Carthage la même liste des Livres canoniques qui a depuis toujours été en l'Eglise catholique, et fut confirmée au sixième général (Can 2), au grand Concile de Florence en l'Union des Arméniens, et en notre âge au Concile de Trente, et fut suivie par saint Augustin (De Doct. Christiana, l. 2, c 8). A peu que je n'ai oublié de dire : vous ne devez point entrer en scrupule sur ce que je viens de déduire, encore que Baruch ne soit pas nommément coté au Concile de Carthage, mais seulement en celui de Florence et de Trente; car, d'autant que Baruch était secrétaire de Jérémie (36 : 4), on mettait en compte parmi les Anciens le Livre de Baruch comme un accessoire ou appendice de Jérémie, le comprenant sous celui-ci, ainsi que cet excellent théologien Bellarmin le prouve en ses Controverses. Mais il me suffit d'avoir dit ceci; mon Mémorial n'est pas obligé de s'arrêter sur chaque particularité. En conclusion, tous les Livres, tant du premier que du second rang, sont également certains, sacrés et canoniques. ARTICLE IV : PREMIÈRE VIOLATION DES SAINTES ÉCRITURES RÉFORMATEURS, RETRANCHANT PLUSIEURS DE LEURS PARTIES.

FAITE

PAR

LES

Voilà les Livres sacrés et canoniques que l'Eglise a reçus et reconnus unanimement des douze cents ans en çà : et avec quelle autorité ont osé ces nouveaux réformateurs biffer tout en un coup tant de nobles parties de la Bible ? Ils ont raclé une partie d'Ester, Baruch, Tobie, Judith, la Sagesse, l'Ecclésiastique, les Maccabées; qui leur a dit que ces Livres ne sont pas légitimes et recevables ? Pourquoi démembrent-ils ainsi ce sacré corps des Ecritures ? Voici leurs principales raisons, ainsi que j'ai peu recueillir de la vielle préface faite devant les Livres prétendus apocryphes imprimés à Neufchâtel, de la traduction de Pierre Robert, autrement Olivetanus, parent et ami de Calvin, et encore de la plus nouvelle, faite sur les mêmes Livres par les professeurs et pasteurs prétendus de l'Eglise de Genève, l'an 1588. 1 - " Ils ne se trouvent ni en hébreu ni en chaldéen, lesquelles langues jadis ont étés écrites (fors à l'aventure le Livre de la Sagesse), dont la grande difficulté serait de les restituer "; 2. - " Ils ne sont point reçus comme légitimes des Hébreux " ; 3. - " ni de toute l'Eglise "; 4. - Saint Jérôme dit qu'ils ne sont point estimés, " idoines ", pour " corroborer l'autorité des doctrines ecclésiastiques. " (Praefat. in lib. Salom., Ad Chromat. et Heliodor.); 5. - Le Droit Canon "en profère son jugement " (Can. Sta Romana Dist. XV decreti Ia pars);

6. - et la Glose (Can. Canones, Dist. XVI), " qui dit qu'on les lit mais non point en général, comme si elle voulait dire que généralement partout ne soient point approuvés "; 7. - " Ils ont été corrompus et falsifiés ", comme dit Eusèbe (L. 4, c. 22); 8. - " notamment les Macchabées "; 9. - et spécialement le second, que saint Jérôme dit " n'avoir trouvé en hébreu " (In Prologo galeato, ad libros Sam. et Mal.). Voilà les raisons d'Olivetanus; 10. - Il y a en ceux-ci " plusieurs choses fausses ", dit la nouvelle préface. Voyons maintenant ce que valent ces belles recherches. 1. Et quant à la première : êtes-vous d'avis de ne pas recevoir ces Livres parce qu'ils ne se trouvent pas en hébreu ou chaldéen ? Recevez donc Tobie, car saint Jérôme atteste qu'il l'a traduit du chaldéen en latin, en l'épître que vous citez vous-mêmes (Epistola ad Chromatium et Heliodorum (Praefat. in Tobium)), qui me fait croire que vous n'êtes guère gens de bonne foi; et Judith, pourquoi pas ? qui a aussi bien été écrit en chaldéen, comme dit le même saint Jérôme, au Prologue; et si saint Jérôme dit qu'il n'a pu trouver le 2. des Macchabées en hébreu, qu'en peut mais le premier ? recevez-le toujours à bon compte, nous traiterons par après du second. Ainsi vous dirai-je de l'Ecclésiastique, que saint Jérôme l'a eu et trouvé en hébreu, comme il dit en sa préface sur les Livres de Salomon. Puis donc que vous rejetez également ces Livres écrits en hébreu et en chaldéen avec les autres qui ne sont pas écrits en même langage, il vous faut chercher un autre prétexte que celui que vous avez allégué, pour racler ces Livres du canon : quand vous dites que vous les rejetez parce qu'ils ne sont écrits ni en hébreu ni en chaldéen, ce n'est pas cela, car vous ne rejetteriez pas, à ce compte, Tobie, Judith, le premier des Macchabées, l'Ecclésiastique, qui sont écrits ou en hébreu ou en chaldéen. Mais parlons maintenant pour les autres livres, qui sont écrits en autre langage que celui que vous voulez. Ou trouvez-vous que la Règle de bien recevoir les Saintes Ecritures soit qu'elles soient écrites en ces langages-là plutôt qu'en grec ou en latin ? Vous dites qu'il ne faut rien recevoir en matière de religion que ce qui est écrit, et apportez en votre belle préface le dire des jurisconsultes : Eribescimus sine lege loqui; vous semble-t-il pas que la dispute qui se fait sur la validité ou invalidité des Ecritures soit une des plus importantes en matière de religion ? Sus donc, ou demeurez honteux, ou produisez la Sainte Ecriture pour la négative que vous soutenez : certes, le Saint-Esprit se déclare aussi bien en grec qu'en chaldéen. On aurait, dites-vous, " grande difficulté de les restituer ", puisqu'on ne les a pas en leur langue originale. Est-ce cela qui vous fâche ? Mais pour Dieu, dites-moi, qui vous a dit qu'ils sont perdus, corrompus ou altérés, pour avoir besoin de restitution ? Vous présupposez peut-être que ceux qui les auront traduits sur l'original auront mal traduit, et vous voudriez avoir l'original pour les collationner et les juger. Laissez-vous donc entendre et dites-vous qu'ils sont apocryphes parce que vous n'en pouvez pas être vous-même le traducteur sur l'original, et que vous ne vous pouvez pas vous fier au jugement du traducteur : il ni aura donc rien d'assuré que ce que vous aurez contrôlé ? Montrez-moi cette Règle d'assurance en l'Ecriture. Plus, êtes-vous bien assuré d'avoir les textes hébreux des Livres du premier rang ainsi purs et nets comme ils étaient au temps des Apôtres et dès 70 ? Prenez garde de vous méprendre; certes, vous ne les suivez pas toujours, et ne sauriez en bonne conscience : montrez-moi encore ceci en la Sainte Ecriture. Voilà donc votre première raison bien déraisonnable. 2. Quant à ce que vous dites que ces Livres que vous appelez apocryphes ne sont point reçus par les Hébreux, vous ne dites rien de nouveau ni d'important; saint Augustin proteste bien haut : " Libros Machabeorum non Judaei sed Ecclesia Catholica pro canonicis habet : Non les Juifs, mais l'Eglise catholique tient les Livres des Macchabées pour canoniques. " (l. 18, c. 36, Cité) Dieu merci, nous ne sommes pas juifs, nous sommes catholiques : montrez-moi par l'Ecriture que l'Eglise chrétienne n'aie pas autant de pouvoir pour autoriser les Livres sacrés qu'en avait la Mosaïque : il ni a en cela ni Ecriture ni raison qui le montre.

3. Oui, mais toute l'Eglise même ne les reçoit pas, dites-vous. Et de quelle Eglise entendez-vous ? Certes, l'Eglise catholique, qui est la seule vraie, les reçoit, comme saint Augustin vient de vous attester maintenant, et le répète encore ailleurs : le Concile de Carthage, celui de Trulles, 6. général, celui de Florence, et cent auteurs anciens, en sont témoins irréprochables et saint Jérôme nommément, qui atteste du livre de Judith qui fut reçu au Concile premier de Nicée. Peut- être voulez-vous dire qu'anciennement quelques catholiques douteront de leur autorité; c'est selon la division que j'ai faite ci-dessus : mais quoi pour cela ? Le doute de ceux-là peut-il empêcher la résolution de leurs successeurs ? Est-ce à dire que si l'on a pas tout résolu au premier coup, il faille toujours demeurer en branle, incertain et irrésolu ? N'a-t-on pas été pour un temps incertain de l'Apocalypse et d'Ester ? Vous ne l'oseriez nier, j'ai de trop bons témoins; d'Ester, saint Athanase et saint Grégoire de Nazianze, de l'Apocalypse, le Concile de Laodicée : et néanmoins vous les recevez; ou recevez-les tous, puisqu'ils sont d'égale condition, ou n'en recevez point, par même raison. Mais, au nom de Dieu, quelle humeur vous prend-il d'alléguer ici l'Eglise, l'autorité de laquelle vous tenez cent fois plus incertaine que ces Livres- mêmes, et que vous dites avoir été fautive, inconstante, voire apocryphe, si apocryphe veut dire caché; vous ne la prenez que pour la mépriser et la faire paraître inconstante, or avouant or désavouant ces Livres. Mais il y a bien à dire entre douter d'une chose si elle est recevable, et la rejeter : le doute n'empêche pas la résolution suivante, mais plutôt en est un préalable; rejeter présuppose résolution. Être inconstant ce n'est pas changer un doute en résolution, mais oui bien changer de résolution en doute; ce n'est pas instabilité de s'affermir après l'ébranlement, mais oui bien de s'ébranler après l'affermissement. L'Eglise donc, ayant pour un temps laissé ces Livres en doute, enfin les a reçus en résolution authentique; et vous voulez que de cette résolution elle retourne au doute. C'est le propre de l'hérésie et non de l'Eglise de profiter ainsi de mal en pis (2 Timothée, 3, 13) ; mais de ceci ailleurs. 4. Quant à saint Jérôme que vous alléguez, ce n'est rien à propos, puisque de son temps l'Eglise n'avait encore pas pris la résolution qu'elle a prise depuis, touchant la canonisation de ces Livres, hormis celui de Judith. 5. Et le canon Sancta Romana, qui est de Gélase premier, je crois que vous l'avez rencontré à tâtons, car il est tout contre vous; puisque, censurant les Livres apocryphes, il n'en nomme pas un de ceux que nous recevons, mais plutôt au contraire atteste que Tobie et les Maccabées étaient reçus publiquement en l'Eglise. 6. Et la pauvre Glose ne mérite pas que vous la glosiez ainsi, puisqu'elle dit clairement ( Can. Canones, dist. 16 decreti Ia Pars) que " ces Livres sont lus, mais non peut-être généralement ". Ce " peut-être " là garde de mentir, et vous l'avez oublié; et si elle met en compte ces Livres dont est question, comme apocryphes, c'est parce qu'elle croyait que apocryphe voulut dire n'avoir point de certain auteur, et partant y enrôle comme apocryphe le Livre des Juges : et sa sentence n'est pas si authentique qu'elle passe en chose jugée; enfin, ce n'est qu'une glose. 7. Et ces falsifications que vous alléguez ne sont en point de façon suffisantes pour abolir l'autorité de ces Livres, parce qu'ils ont été justifiés et épurés de toute corruption avant que l'Eglise les reçut. Certes, tous les Livres de la Sainte Ecriture ont été corrompus par les anciens ennemis de l'Eglise, mais, par la Providence de Dieu, ils sont demeurés francs et nets en la main de l'Eglise comme un sacré dépôt, et jamais on n'a pu gâter tant d'exemplaires qu'il n'en soit assez demeuré pour restaurer les autres. 8. Mais vous voulez surtout que les Maccabées nous tombe des mains, quand vous dites qu'ils ont étés corrompus; or, puisque vous n'avances qu'une simple affirmation, je n'y parerai que par une simple négation. 9. Saint Jérôme dit qu'il n'a su trouver le 2. en hébreu; eh bien ! que le premier y soit; le second n'est que comme une épître que les Anciens d'Israël envoyèrent aux frères juifs qui étaient hors de la Judée, et si elle est écrite au langage le plus connu et commun de ce temps-là, s'ensuit-il qu'elle ne soit pas recevable ? Les Egyptiens avaient en usage le langage grec beaucoup plus que l'hébreu, comme montra bien Ptolémée quand il procura la version des 72 ; Voilà pourquoi ce 2. Livre des Maccabées, qui était comme une épître ou commentaire envoyé pour la consolation des Juifs qui habitaient en Egypte, a été écrit en grec plutôt qu'en hébreu. 10. Reste que les nouveaux préfaciers montrent ces faussetés dont ils accusent ces Livres, ce qu'à la vérité ils ne feront jamais; mais je les vois venir : ils produiront l'intercession des saints, la prière pour les trépassés, le libre arbitre, l'honneur des reliques et semblables points, qui sont expressément confirmés dans les Livres des

Maccabées, en l'Ecclésiastique et autres Livres qu'ils prétendent apocryphes. Prenez garde, pour Dieu, que votre jugement ne vous trompe; pourquoi, je vous prie, appelez-vous faussetés ce que toute l'antiquité a tenu pour articles de foi ? Que ne censurez-vous doctrine de ces Livres, que de censurer ces Livres, reçus de si longtemps, parce qu'ils ne secondent pas à vos humeurs ? parce que vous ne voulez pas croire ce que les Livres enseignent, vous les condamnez ; et que ne condamnez-vous plutôt votre témérité, qui se rend incrédule à leurs enseignements ? Voilà, ce me semble, toutes vos raisons évanouies, et n'en sauriez produire d'autres; mais nous saurons bien dire, que s'il est ainsi loisible indifféremment de rejeter ou révoquer en doute l'autorité des Ecritures desquelles on a douté, quoique l'Eglise en ait déterminé, il faudra rejeter ou douter d'une grande partie du Vieux et du Nouveau Testament. Ce n'est donc pas un petit gain à l'ennemi du christianisme, d'avoir de plein saut raclé en la Sainte Ecriture tant de nobles parties. Passons outre.

ARTICLE V : SECONDE VIOLATION DES ÉCRITURES PAR LA RÈGLE QUE LES RÉFORMATEURS PRODUISENT POUR DISCERNER LES LIVRES SACRÉS D'AVEC LES AUTRES ET DE QUELQUES MENUS RETRANCHEMENTS QUI S'ENSUIVENT Le marchand rusé tient en montre les moindres pièces de sa boutique, et les offre les premières aux acheteurs, pour essayer s'il les pourra déduire et vendre à quelque niais. Les raisons que les réformateurs ont avancées au chapitre précédent ne sont que biffes, comme nous avons vu, dont on se sert comme d'amusement, pour voir si quelque simple et faible cervelle s'en voudrait contenter : et de fait, quand on vient au joindre, ils confessent que ni l'autorité de l'Eglise, ni de saint Jérôme, ni de la Glose, ni du chaldéen, ni de l'hébreu, n'est pas cause suffisante pour recevoir ou rejeter quelque Ecriture. Voici leur protestation en la Confession de foi présentée au roi de France par les Français prétendus réformés : après qu'ils ont mis en liste, en l'Article troisième, les Livres qu'ils veulent recevoir, ils écrivent ainsi en l'Article quatrième : " Nous connaissons ces Livres être canoniques et Règle très certaine de notre foi, non tant par le commun accord et consentement de l'Eglise, que par le témoignage et persuasion intérieure du Saint-Esprit, qui nous les fait discerner d'avec les autres livres ecclésiastiques ". Quittant donc le champ des raisons précédentes pour se mettre à couvert, ils se jettent dans l'intérieure, secrète et invisible persuasion qu'ils estiment être faite en eux par le Saint-Esprit. Or, à la vérité, c'est bien leur procédé de ne vouloir s'appuyer en cet article sur le commun accord et consentement de l'Eglise; puisque ce commun accord a canonisé l'Ecclésiastique, les Livres des Macchabées, tout autant et aussitôt que l'Apocalypse, et néanmoins ils veulent recevoir celui-ci et rejeter ceux-là : Judith, autorisé par le grand premier et irréprochable Concile de Nicée, est biffé par les réformateurs; ils ont donc raison de confesser qu'en la réception des Livres canoniques, ils ne reçoivent point l'accord et consentement de l'Eglise, qui ne fut jamais plus grand ni solennel qu'en ce premier Concile. Mais pour Dieu, voyez la ruse. " Nous connaissons ", disent ils, " ces Livres être canoniques, non tant par le commun accord de l'Eglise " : à les entendre parler, ne diriez-vous pas qu'au moins en quelque façon ils se laissent guider par l'Eglise ? Leur parler n'est pas franc : il semble qu'ils ne refusent pas du tout crédit au commun accord des chrétiens, mais que seulement ils ne le reçoivent pas à même degré que leur persuasion intérieure, et néanmoins ils n'en tiennent aucun compte; mais ils vont ainsi retenus en leur langage pour ne paraître pas du tout incivils et déraisonnables. Car, je vous prie, s'ils déferaient tant soit peu à l'autorité ecclésiastique, pourquoi recevraient-ils plutôt l'Apocalypse que Judith ou les Macchabées, desquels saint Augustin et saint Jérôme nous sont fidèles témoins qu'ils ont été reçus unanimement de toute l'Eglise Catholique ? et les Conciles de Carthage, Trulles, de Florence, nous en assurent. Pourquoi, disentils donc, qu'ils ne reçoivent pas les Livres sacrés " tant par le commun accord de l'Eglise que par l'intérieure persuasion " ? puisque le commun accord de l'Eglise n'y a ni rang ni lieu. C'est leur coutume, quand ils veulent produire quelque opinion étrange, de ne parler pas clair et net, pour laisser à penser aux lecteurs quelque chose de mieux. Maintenant, voyons quelle règle ils ont pour discerner les Livres canoniques d'avec les autres ecclésiastiques : " le témoignage ", disent ils, " est persuasion intérieure du Saint-Esprit ". O Dieu, quelle cachette, quel brouillard, quelle nuit; ne nous voilà pas bien éclaircis en un si important et grave différend ? On se demande comment l'on peut connaître les Livres canoniques, on voudrait bien avoir quelque règle pour les discerner, et l'on nous produit ce qui se passe en l'intérieur de l'âme, que personne ne voit, personne ne connaît, sinon l'âme même et son Créateur.

1.- Montrez-moi clairement que ces inspirations et persuasions que vous prétendez sont du saint et non du faux esprit; qui ne sait que l'esprit des ténèbres comparait bien souvent en habit de lumière ? 2. - Montrez-moi clairement que, lors que vous me dites que telle et telle inspiration se passe en votre conscience, vous ne mentez point, vous ne me trompez point. Vous dites que vous sentez cette persuasion en vous, mais pourquoi suis-je obligé de vous croire ? Votre parole est-elle si puissante, que je sois forcé sous son autorité de croire que vous pensez et sentez ce que vous dites ? Je veux vous tenir pour gens de bien, mais quand il s'agit des fondements de ma foi, comme de recevoir ou rejeter les Ecritures ecclésiastiques, je ne trouve ni vos pensées ni vos paroles assez fermes pour me servir de base. 3. - Cet esprit fait-il ses persuasions indifféremment à chacun, ou seulement à quelques-uns en particulier ? Si à chacun, et que veut dire que tant de milliers de catholiques ne s'en sont jamais aperçus, ni tant de femmes, de laboureurs et autres parmi vous ? Si c'est à quelques-uns en particulier, montrez-les moi, je vous prie, et pourquoi à ceux-là plutôt qu'aux autres ? Quelle marque me les fera connaître et trier de la presse du reste des hommes ? Me faudra-il croire au premier qui dira d'en être ? Ce serait trop nous mettre à l'abandon et à la merci des séducteurs : montrez-moi donc quelque règle infaillible pour connaître ces inspirés et persuadés, ou permettez-moi de n'en croire aucun.. 4. - Mais en conscience, vous semble-il que l'intérieure persuasion soit un moyen suffisant pour discerner les Saintes Ecritures, et mettre les peuples hors du doute ? Que veut donc dire que Luther racle [enlève] l'Epître de saint Jacques, laquelle Calvin reçoit ? Accordez un peu, je vous prie, cet esprit et sa persuasion, qui persuade à l'un de rejeter ce qu'il persuade à l'autre de recevoir. Vous direz peut-être que Luther se trompe, il en dira tout autant de vous; à qui croire ? Luther se moque de l'Ecclésiaste, il tient Job pour fable; lui opposerez-vous votre persuasion ? Il vous opposera la sienne : ainsi cet esprit, se combattant soi-même, ne vous laissera pas d'autre résolution que de vous bien opiniâtrer de part et d'autre. 5. - .Puis, quelle raison y a-t-il que le Saint-Esprit aille inspirant ce que chacun doit croire à des je ne sais qui, à Luther, à Calvin, ayant abandonné sans aucune telle inspiration les Conciles et l'Eglise tout entière ? Nous ne nions pas, pour parler clairement, que la connaissance des vrais Livres sacrés ne soit un don du Saint-Esprit, mais nous disons que le Saint-Esprit la donne aux particuliers par l'entremise de l'Eglise. Certes, quand Dieu aurait révélé mille fois une chose à quelque particulier nous ne serions pas obligés de le croire, sinon que Dieu le marquât tellement que nous ne puissions plus révoquer en doute sa fidélité; mais nous ne voyons rien de tel en vos réformateurs. En un mot, c'est à l'Eglise générale que le Saint-Esprit adresse immédiatement ses inspirations et persuasions, puis, par la prédication de l'Eglise, il les communique aux particuliers ; c'est l'Epouse en laquelle le lait est engendré, puis les enfants le sussent de ses mamelles : mais vous voulez, au rebours, que Dieu inspire aux particuliers, et par leur moyen à l'Eglise, que les enfants reçoivent le lait, et que la mère soit nourrie à leurs tétins; chose absurde. Or, si l'Ecriture n'est violée et sa majesté lésée par l'établissement de ces intérieures et particulières inspirations, jamais elle ne fut ni ne sera violée; car ainsi la porte est ouverte à chacun de recevoir ou rejeter des Ecritures ce que bon lui semblera. Hé ! de grâce, pourquoi permettra-t-on plutôt à Calvin de racler [d'enlever] la Sapience [la Sagesse] ou les Maccabées, qu'à Luther de lever [d'enlever] l'Epître de saint Jacques ou l'Apocalypse, ou à Castalio, le Cantique des Cantiques, ou aux Anabaptistes, l'Evangile de saint Marc, ou a un autre, la Genèse et l'Exode ? Si tous protestent de l'intérieure révélation, pourquoi croira-t-on plutôt l'un que l'autre ? Ainsi cette Règle sacrée, sous prétexte du Saint-Esprit demeurera déréglée, par la témérité de chaque séducteur. Connaissez, je vous prie, le stratagème. On a enlevé toute autorité à la Tradition, à l'Eglise, aux Conciles; que demeure-t-il de plus ? L'Ecriture. L'ennemi est fin; s'il voulait l'arracher tout à coup il donnerait l'alarme; il établit un moyen certain et infaillible pour l'enlever pièce à pièce tout bellement, c'est cette opinion de l'intérieure inspiration, par laquelle chacun peut recevoir ou rejeter ce que bon lui semble : et de fait, voyez un peu le progrès de ce dessein. Calvin ôte et racle du canon, Baruch, Tobie, Judith, la Sapience, l'Ecclésiastique, les Maccabées : Luther lève l'Épître de saint Jacques, de saint Jude, la 2. de saint Pierre, la 2 et 3. de saint Jean, l'Epître aux

Hébreux; il se moque de l'Ecclésiaste, et tient Job pour fable. En Daniel, Calvin a biffé le cantique des trois enfants, l'histoire de Susanne et celle du dragon de Bel; item, une grande partie d'Ester. En l'Exode on a enlevé, à la Genèse et ailleurs, parmi ces réformateurs, le 22 e verset du 2e chapitre, lequel est de telle substance que ni les 70 ni les autres traducteurs ne l'auraient jamais écrit s'il n'eut été dans les originaux. De Bèze met en doute l'histoire de l'adultère en l'Evangile de saint Jean (saint Augustin avise que pieça [il y a longtemps ou quelque temps] les ennemis du christianisme l'avaient rayée de leurs livres, mais non pas de tous, comme dit saint Jérôme). Dans les mystérieuses paroles de l'Eucharistie, ne veut-on pas ébranler l'autorité de ces mots, Qui pro vobis funditur (Luc, 22, 20), parce que le texte grec montre clairement que ce qui était dans le calice n'était pas du vin, mais le sang du Sauveur ? comme qui dirait en français : " Ceci est la coupe du nouveau testament en mon sang, laquelle sera répandue pour vous "; car en cette façon de parler, ce qui est en la coupe doit être le vrai sang, non le vin, puisque le vin n'a pas été répandu pour nous, mais le sang, et que la coupe ne peut être versée qu'a raison de ce qu'elle contient. Qui est le couteau avec lequel on a fait tant de retranchements ? L'opinion de ces inspirations particulières; qu'est-ce qui fait si hardis vos réformateurs à racler, l'un cette pièce, l'autre celle-là, et l'autre une autre ? Le prétexte de ces intérieures persuasions de l'esprit, qui les rend souverains, chacun chez soi, au jugement de la validité ou invalidité des Ecritures. Au contraire, Messieurs, saint Augustin proteste : " Ego vero Evangelio non crederem, nisi me Catholicae Ecclesiae commoveret authoritas : Je ne croirais pas à l'Evangile si l'autorité de l'Eglise Catholique ne m'émouvait "; et ailleurs : " Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctae Ecclesiae Catholicae tradit authoritas : Nous recevons le Vieux et le Nouveau Testament au nombre de Livres que l'autorité de la sainte Eglise Catholique propose ". Le Saint-Esprit peut inspirer ce que bon lui semble, mais quant à l'établissement de la foi publique et générale des fidèles, il ne nous adresse qu'à l'Eglise; c'est à elle de proposer quelles sont les vraies Ecritures, et quelles non : non qu'elle puisse donner vérité ou certitude à l'Ecriture, mais elle peut bien nous faire certains et assurés de la sa certitude. L'Eglise ne saurait rendre un livre canonique s'il ne l'est, mais elle peut bien le faire reconnaître pour tel, non pas changeant la substance du livre, mais changeant la persuasion des chrétiens, la rendant toute assurée de ce dont elle était douteuse. Que si jamais Notre Rédempteur défend son Eglise contre les portes d'enfer, si jamais le Saint-Esprit l'inspire et conduit, c'est en cette occasion; car ce serait bien la laisser du tout et au besoin, s'il la laissait en ce cas duquel dépend le gros de Notre religion. Pour vrai, nous serions très mal assurés si nous appuyons notre foi sur ces particulières inspirations intérieures, que nous ne savons si elles sont ou furent jamais que par le témoignage de certains particuliers; et supposé qu'elles soient ou aient été, nous ne savons si elles sont du vrai ou faux esprit; et supposé qu'elles soient du vrai esprit, nous ne savons si ceux qui les récitent les récitent fidèlement ou non, puisqu'ils n'ont aucune marque d'infaillibilité. Nous mériterions d'être abîmés, si nous nous jetions hors le navire de la publique sentence de l'Eglise, pour voguer dans le misérable esquif de ces persuasions particulières, nouvelles, discordantes; notre foi ne serait plus catholique, mais plutôt particulière.

Mais avant que je parte d'ici, je vous prie, réformateurs, dites-moi où vous avez pris le canon des Ecritures que vous suivez. Vous ne l'avez pas pris des Juifs, car les Livres évangéliques n'y seraient pas, ni du Concile de Laodicée, car l'Apocalypse n'y serait pas, ni du Concile de Carthage ou de Florence, car l'Ecclésiastique et les Maccabées y seraient. Où l'avez-vous donc pris ? Pour vrai, jamais il ne fut parlé de semblable canon avant vous; l'Eglise ne vit jamais canon des Ecritures où il n'y eut ou plus ou moins qu'au vôtre : quelle apparence y a-t-il que le Saint-Esprit se soit recelé à toute l'antiquité, et qu'après 1500 il ait découvert à certains particuliers le rôle des vraies Ecritures ? Pour nous, nous suivons exactement la liste du Concile Laodicée, avec l'addition faite au Concile de Carthage et de Florence; jamais homme de jugement ne laissera ces Conciles pour suivre les persuasions des particuliers. Voilà donc la fontaine et la source de toute la violation qu'on a fait de cette sainte Règle; c'est quand on s'est imaginé de ne la recevoir qu'a la mesure et Règle des inspirations que chacun croit et pense sentir. ARTICLE VI : COMBIEN LA MAJESTÉ DES SAINTES ÉCRITURES A ÉTÉ VIOLÉE DANS LES INTERPRÉTATIONS ET VERSIONS DES HÉRÉTIQUES Afin que les religionnaires de ce temps déréglassent du tout cette première et très sainte Règle de notre foi, ils ne se sont pas contentés de l'accourcir et défaire de tant de belles pièces, mais l'ont contournée et détournée chacun à

sa poste, et au lieu d'ajuster leur savoir à cette Règle, ils l'ont réglée elle-même à l'équerre de leur propre suffisance, ou petite ou grande. L'Eglise avait généralement reçu, il y a plus de mille ans, la version latine que l'Eglise catholique produit, saint Jérôme, tant savant homme, en était l'auteur ou le correcteur; quand voici en notre âge s'élever un épais brouillard de l'esprit de tournoiement (Isaïe, 19 : 14), lequel a tellement ébloui ces regratteurs [retoucheurs maladroits] de vieilles opinions qui ont couru ci-devant, que chacun a voulu tourner, qui d'un côté qui de l'autre, et chacun au biais de son jugement, cette sainte sacrée Ecriture de Dieu : en quoi, qui ne voit la profanation de ce vase sacré de la sainte lettre, dans laquelle se conservait le précieux baume de la doctrine évangélique ? Car, n'eut-ce pas été profaner l'Arche de l'alliance, si quelqu'un eut voulu maintenir qu'un chacun la pouvait prendre, la porter chez soi et la démonter toute et dépecer, puis lui bailler telle forme qu'il eut voulu, pourvu qu'il y eut quelque apparence d'Arche ? Et qu'est ce autre chose soutenir que l'on peut prendre les Ecritures, les tourner et accommoder chacun selon sa suffisance ? Et néanmoins, dès lors qu'on assure que l'édition ordinaire de l'Eglise est si difforme qu'il la faut rebâtir tout à neuf, et qu'un homme particulier y met la main et commence ce train, la porte est ouverte à la témérité : car si Luther l'ose faire, et pourquoi pas Erasme ? Et si Erasme, pourquoi pas Calvin ou Melanchthon ? Pourquoi pas Henricus Mercerus, Sebastien Castalio, Bèze, et le reste du monde ? Pourvu qu'on sache quelques vers de Pindare, et quatre ou cinq mots d'hébreu, auprès de quelques bons trésors de l'une et l'autre langue. Et comme se peuvent faire tant de versions, par si différentes cervelles, sans la totale éversion [ruine] de la sincérité de l'Ecriture ? Que dites-vous ? Que l'édition ordinaire est corrompue ? Nous avouons que les transcripteurs et les imprimeurs y ont laissé couler certaines équivoques, de fort peu d'importance (si toutefois il y a rien en l'Ecriture qui puisse être dit de peu d'importance), lesquelles le Concile de Trente (sess. IV) commande d'être levées, et que d'ores en avant [dès maintenant] on prenne garde à faire imprimer l'Ecriture le plus correctement qu'il sera possible; au reste, il n'y a rien qui n'y soit très sortable au sens du Saint-Esprit qui en est l'auteur : comme ont montré ci-devant tant de doctes gens des nôtres (Genbrard, in praef. Psalt. et in Psalt.; Titelman in Prol Apaulogetico; Toletan, in I pag. Apaul.; Belarminus (Controv. De Verbo Dei, l. 2, c. 9-14), et alii), qui se sont opposés à la témérité de ces nouveaux formateurs de religion, que ce serait perdre temps d'en vouloir parler davantage; outre ce que ce serait folie à moi de vouloir parler de la naïveté des traductions, qui ne sus jamais bonnement lire avec les points en l'une des langues nécessaires à cette connaissance, et ne suis guère plus savant en l'autre. Mais quoi ? Qu'avezvous fait de mieux ? Chacun a prisé la sienne, chacun a méprisé celle d'autrui; on a tournaïllé [fait beaucoup de tours et de détours sans s'éloigner, tergiversé] tant qu'on a voulu, mais personne ne se compte de la version de son compagnon : qu'est-ce autre chose que renverser la majesté de l'Ecriture, et la mettre en mépris vers les peuples, qui pensent que cette diversité d'éditions vienne plutôt de l'incertitude de l'Ecriture que de la bigarrure des traducteurs ? Bigarrure laquelle seule nous doit mettre en assurance de l'ancienne traduction, laquelle, comme dit le Concile, l'Eglise a si longuement, si constamment et si unanimement approuvée.

ARTICLE VII : DE LA PROFANATION DANS LES VERSIONS VULGAIRES Que s'il en va ainsi des versions latines, combien est grand le mépris et profanation qui s'est faite dans les versions françaises, allemandes, polonaises et autres langues : et néanmoins voici un des plus prégnants artifices que l'ennemi du christianisme et d'unité ait employé en notre âge pour attirer les peuples à ses cordelles [à son parti]; il connaissait la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induit tous les sectaires à traduire les Saintes Ecritures, chacun en la langue de la province où il se cantonne, et à maintenir cette opinion [...] que chacun était capable d'entendre les Ecritures, que tous devaient les lire, et que les offices publics devaient se célébrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province. Mais qui ne voit le stratagème ? Il ni a rien au monde qui passant par plusieurs mains ne s'altère et perde son premier lustre. Le vin qu'on a beaucoup versé et reversé s'évente et perd sa force, la cire étant maniée change couleur, la monnaie en perd ses caractères; croyez aussi que l'Ecriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu'elle ne s'altère. Que si aux versions latines il y a tant de variété d'opinions entre ces tournoyeurs [girouettes], combien y en a-t-il davantage dans les éditions vulgaires et maternelles d'un chacun, éditions que chacun ne peut pas reprendre ni contrôler. C'est une bien grande licence à ceux qui traduisent, de savoir qu'ils ne seront point contrôlés que par ceux de leur province même; chaque province n'a pas tant d'yeux clairvoyants comme la France et l'Allemagne. " Savons-nous bien ", dit un docte profane, " qu'en Basque et en Bretagne il y ait des juges assez pour établir cette traduction faite en leur langue ? L'Eglise universelle n'a point de plus ardu jugement à faire " (Montaigne, l. 1, c. 56). C'est l'intention de Satan de corrompre l'intégrité de ce testament; il sait ce qu'il importe de troubler la fontaine et de l'empoisonner, c'est gâter toute la troupe également.

Mais disons candidement; ne savons-nous pas que les Apôtres parlaient toutes les langues (Actes, 2 : 9-11) ? Et que veut dire qu'ils n'écrivirent leurs Evangiles et Epîtres qu'en hébreu, comme saint Jérôme atteste de l'Evangile de saint Matthieu (praefat. In Math.), en latin, et en grec, comme on tient des autres Evangiles; qui furent les trois langues choisies (Ex pontificali Damasi, in vita Petri (Concilia an 43) ; Hilar., Praef. in Psalmos, 15 ), dès la Croix même de Notre Seigneur, pour la prédication du Crucifix ? Ne portèrent-ils pas l'Evangile par tout le monde, et au monde n'y avait-il point d'autre langage que ces trois là ? Si avait la vérité ( Actes, 2 : 11), et néanmoins ils ne jugèrent pas être expédient de diversifier en tant de langues leurs écrits : qui méprisera donc la coutume de notre Eglise, qui a pour son garant l'imitation des Apôtres ? De quoi nous avons une notable trace et piste en l'Evangile : car le jour que Notre Seigneur entra en Jérusalem, les troupes allaient criant : " Hosanna filio David ; benedictus qui venit in nomine Domini ; hosanna in excelsis " (Matthieu, 21, 9); et cette parole, " Hosanna " [de l'hébreu : Dieu son secours], a été laissée en son entier parmi les textes grecs de saint Marc et saint Jean, signe que c'était la même parole du peuple : or est-il que " Hosanna ", ou bien " Osianna " (l'un vaut l'autre, disent les doctes en la langue (Genbrard, in Psal., 117, 24), est une parole hébraïque, non syriaque, prise, avec le reste de cette louange-là qui fut donnée à Notre Seigneur, du Psaume 117. Ces peuples, donc, avaient accoutumé de dire les Psaumes en hébreu, et néanmoins l'hébreu n'était plus leur langue vulgaire, ainsi qu'on peut connaître de plusieurs paroles dites en l'Evangile par Notre Seigneur, qui étaient syriaques, que les Evangélistes ont gardées, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha et autres, que les doctes tiennent n'être pas hébraïques pures mais syriaques, quoiqu'elles soient appelées hébraïques parce que c'était la langage vulgaire des Hébreux de la captivité de Babylone. Laquelle, outre le grand poids qu'elle doit avoir pour contrebalancer toutes nos curiosités, a une raison que je tiens pour très bonne; c'est que ces autres langues ne sont point réglées, mais de ville en ville se changent en accents, en phrases et en paroles, elles se changent de saison en saison, et de siècle en siècle. Qu'on prenne en main les Mémoires du sire de Joinville, ou encore celles de Philippe de Commines, on verra que nous avons du tout changé leur langage qui néanmoins devaient être des plus polis de leur temps, étant tous deux nourris en cour.

source : Solum Dei Verbum