Balzac, sa vie et ses oeuvres d'après sa correspondance
 2747581888, 9782747581882 [PDF]

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Zitiervorschau

BALZAC SA VIE ET SES OEUVRES D'APRÈS

SA CORRESP01SDANCE

1ère édition,

Librairie

Nouvelle,

@ L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-8188-8 EAN:9782747581882

1858

~I}IE

SDRVI LLE

J..Je (NÉE

DE BALZAC)

BALZAC S..\. VI E

ET SES ŒUVRES D'A

P n È s

L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris

FRANCE

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n 1~ S P 0 :'i D AN C E

L'Harmattan Konyvesbolt 1053 Budapest Kossuth L.u. 14-16

HONGRIE

L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino

ITALlE

Les Introuvables Collection dirigée par Thierry Paquot et Sylvie Carnet La collection Les Introuvables désigne son projet à travers son titre même. Les grands absents du Catalogue Général de la Librairie retrouvent ici vitalité et existence. Disparus des éventaires depuis des années, bien des ouvrages font défaut au lecteur sans qu'on puisse expliquer toujours rationnellement leur éclipse. Oeuvres littéraires, historiques, culturelles, qui se désignent par leur solidité théorique, leur qualité stylistique, ou se présentent parfois comme des objets de curiosité pour l'amateur, toutes peuvent susciter une intéressante réédition. L 'Harmattan propose au public un fac-similé de textes anciens réduisant de ce fait l'écart entre le lecteur contemporain et le lecteur d'autrefois comme réunis par une mise en page, une typographie, une approche au caractère désuet et quelque peu nostalgique. Déjà parus

GIRAUD Albert, Pierrot lunaire, 2004. HALEVY Ludovic, L'abbé Constantin, 2004. CHERBULIEZ Victor, Meta Holdenis, 2004. IBANEZ V. B., Terres maudites, 2004. MOREAU Hégésippe, Contes à ma soeur, 2004. FLEURIOT Mlle Z., Raoul Daubry, 2004. MONIER René, L'origine de la fonction économique des villes, 2004. LORRAIN Jean, Portraits de femmes, par Pascal Noir, 2004. W.J. LOCKE, Simon l'ironiste, 2003. GOMEZ CARRILLO E., L'évangile de l'amour, 2003. De GONCOURT Edmont et Jules, Armande, 2003 NEGRI A., Les solitaires, 2002. GORKI M., En Gagnant mon pain. Mémoires autobiographiques,2002. REINACH S., Orpheus, 2002. NOIR Pascal, Jean Lorrain: La Dame aux Lèvres rouges, 2001. BAKOUNINE, Confession, 2001. LEFEVRE T., Guide pratique du compositeur et de

l'imprimeur typographes, 1999.

Préface

Née en 1800, un an après son frère Honoré de Balzac, Laure Balzac épouse en 1820 l'ingénieur des Ponts et Chaussées Surville. Cependant, pour la publication de cet ouvrage, elle signe Mme L. Surville, précisant entre parenthèses " née de Balzac". Pourquoi donc la reprise de cette particule accompagnée de son nom de jeune fille? Au commencement étaient les BaIssa, une vieille famille paysanne originaire du Tarn. Aîné de onze enfants, BernardFrançois (1746-1829), clerc de notaire, transforme son nom en Balzac et commence une ascension sociale digne de la Comédie humaine. Naissent Louis-Daniel, qui ne vivra pas (1798), Honoré (1799), Laure (1800), Laurence (1802), au baptême de laquelle son père s'attribue la particule. Honoré fait de même en 1830, affirmant être le descendant des Balzac d'Entragues dont il adopte les armoiries. Pourquoi Mme Surville est-elle amenée à s'abriter derrière l'identité de son mari? Cette démarche estelle motivée par un contexte défavorable à la condition féminine? Laure Surville nous offre là un ouvrage intime basé sur la correspondance de l'auteur de la Comédie humaine. Il est structuré d'une manière chronologique, évoquant successivement l'enfance, les parents, l'adolescence et la naissance de la vocation d'écrivain de Balzac. Mme Surville s'excuse, en revanche, du caractère anecdotique de son témoignage: "Je demande grâce pour les badinages familiers que contiennent les premiers fragments que je vais citer. Leur caractère intime appelle naturellement l'indulgence. Je n'ose les supprimer, parce qu'ils peignent merveilleusement le caractère primordial de mon frère, et que le développement successif d'une telle intelligence me semble intéressant à suivre".

Paradoxalement, c'est cette familiarité qui donne force à ce témoignage. Auteur de contes, elle a notamment publié le Compagnon du foyer. C'est une amie et une confidente qui recueille les soucis, les déceptions et les projets de Balzac. Le titre de l'ouvrage indique avant tout une volonté de témoignage à propos d'un homme, sa vie, son œuvre littéraire. Mme L. SurviIle évite l'erreur de nombreux critiques qui abordent l'œuvre et la vie de Balzac avec des élans trop subjectifs. Ce n'est donc pas un traité d'histoire littéraire. Laure passe très vite sur l'enfance en Touraine (1799-1818) et les années d'apprentissage (1819-1829). Elle insiste beaucoup plus sur les années créatrices (1830-1840) et les années difficiles (1841-1850). Elle n'apporte pas un savoir nouveau mais une perspective familiale. Il s'agit plutôt d'un portrait humain, d'une conversation cœur à cœur entre un frère et une sœur. Laure Surville est de ce point de vue un guide authentique de Balzac en tant qu'homme et en tant qu'écrivain. Donc Mme de Surville continue d'entretenir le prestige de Balzac à partir de souvenirs qui le glorifient: " Ceux qui furent dans le secret de son existence se demandent avec autant d'attendrissement que de respect comment un homme trouva assez de temps, de forces physiques et surtout de forces morales pour suffire à d'aussi grands labeurs!... ". La correspondance de Balzac a longtemps souffert de méconnaissance. Largement considérée en tant que lettres d'affaires, en tant que renvois d'épreuves et signatures de contrats, Mme Surville apporte des nuances à cette correspondance. En effet, elle met en relief l'articulation de cette correspondance avec les relations familiales de l'auteur, avec les femmes qu'il a connues, et aussi avec d'autres écrivains et éditeurs. Laure Surville confie: "Nous vécûmes toujours l'un près de l'autre dans une intimité et une confiance sans bornes. " Ainsi, s'agissant de Balzac, on ne peut concevoir l'étude de l'œuvre sans celle de l'homme. Elles se nourrissent réciproquement à un degré qui se rencontre rarement chez d'autres écrivains. Par ailleurs, la personnalité révélée de II

l'auteur offre un caractère si pittoresque, des contrastes si criants, qu'ils captivent par eux-mêmes l'intérêt des auteurs et des lecteurs. Mme Surville nous dépeint l'âme d'un homme angoissé et révolté. Dans une de ses lettres, Balzac nous fait part de son ressentiment: "- Il faudra que je meure, disait-il amèrement, pour qu'ils sachent ce que je vaux! ". Elle nous explique que cela ne résultait pas tant de sa précarité matérielle ou de ses opinions politiques que de l'ignorance de son potentiel d'écrivain. Il avait de plus la conscience aiguë d'être à la merci d'un système de communication complexe, aléatoire et pervers. Pouvons-nous aller, dès lors, jusqu'à suggérer une parole inquiète chez un homme qu'on imagine trop facilement tonitruant? Balzac utilise donc la transgression. Une transgression limitée, mais, paradoxalement, efficace, car sa liberté de création passe par un jeu avec les codes et les contraintes. Balzac nous donne l'image d'un écrivain qui avance en terrain miné, en butte aux caprices des critiques. Mais son obstination n'avait d'égale que sa puissance de travail: " il travaillait dans un réduit, où il trouvait la liberté et portait de belles espérances, malgré ses premières déceptions littéraires". Balzac a une approche mystique du travail: il croit en la force de l'esprit. Du côté des femmes, Balzac s'entendait très bien avec George Sand; mais sa grande, sa seule véritable amie fut Zulma Carraud (1796-1889), qu'il avait connue par sa sœur Laure. Durant toutes les années 1830, principalement, elle entretint avec lui une correspondance exceptionnelle, tout animée d'un souci moral bien exprimé par cette phrase: " Je me tourmente du désir de vous savoir ce que vous devriez être" (3 mai 1832). Zulma Carraud comptait tellement pour Balzac que lui, l'amant de quelques maîtresses, accepta de n'être que son ami. Il vantait à Laure sa "haute intelligence" et "son sens littéraire" (octobre 1838). Idéalisées par l'auteur, les femmes que Balzac a connues font l'objet des dédicaces de ses romans. Laure Surville peint Balzac dans une posture d'historien philosophe, témoin lucide de son temps. L'auteur de la Comédie humaine choisit la forme romanesque pour s'exprimer. Cela est III

assez nouveau. Elle explique bien des malentendus avec une partie de la critique qui voit encore dans le roman un genre mineur. Mais Balzac revendique le roman comme objet d'études sociales en faveur de ses idées philosophiques. Il en fait le théâtre d'un monde en transformation où se meut une société tout entière. En 1836, il lance la Chronique de Paris. Six mois plus tard, la publication est suspendue. Les années suivantes le voient débordant d'activité: il entre à la Société des gens de lettres qui milite pour la défense des droits des auteurs face au développement de la presse. Il achète une propriété aux " Jardies ", à Sèvres, se rend en Sardaigne où il escompte exploiter d'anciennes mines d'argent (mai à juin 1838) ; prend la défense du notaire Peytel accusé de meurtre (août 1839). Balzac fonde en 1840 une nouvelle revue, la Revue parisienne, qui se solde par un nouvel échec. Après avoir acquis des terrains autour des" Jardies ", il est obligé de vendre la propriété, saisie par un créancier. Certes le style de Mme Surville, à travers ces anecdotes, est une glorification de Balzac. On peut donc s'interroger, à travers cette écriture, sur son statut d' écrivaine. Autrement dit, par-delà cette glorification, dans quelle mesure Mme Surville existe-telle pour elle-même? Comment alors s'affranchir de l'héritage de son frère? Elle ne s'affranchit que dans l'espace de cette correspondance qu'elle réunit et annote. La présente édition est, de fait, une mine de renseignements sur la genèse des lettres de Balzac. Le titre de l'ouvrage indique avant tout une volonté de témoignage à propos d'un homme, sa vie, son œuvre littéraire. Mais Mme L. Surville évite l'erreur de nombreux critiques qui abordent l' œuvre et la vie de Balzac avec des élans trop subjectifs. Or, ici on est en présence d'un éclairage à la fois intimiste et réaliste. Sa démarche est ambivalente: elle met en exergue une vérité émotionnelle et apporte une pierre supplémentaire dans l'édification du grand homme, à travers la part significative accordée au moi. Par ailleurs, ce retour aux sources permet de dissiper trop de légendes pittoresques qui entourent la vie de Balzac. Beaucoup de contemporains ou de biographes à la mémoire IV

défaillante ont en effet pour principal souci de se mettre en valeur aux dépens de l'auteur. L'authenticité est ici respectée grâce à de très nombreuses lettres largement citées, comme celle dans laquelle Balzac montre son premier accès de découragement. Car rien ne peut remplacer la lettre envoyée ou reçue, document qu'il convient de citer. Elle permet la consignation d'un certain nombre de petits faits. Elle joue donc le rôle d'une mémoire tout en affirmant une parole première. C'est la source à partir de laquelle les critiques ont puisé, même si la pertinence du travail de Mme Surville n'a pas été saluée. En effet, elle est victime d'une double disparition, étant à la fois la sœur de Balzac et la secrétaire de ses biographes. Mais le lecteur sera sensible à cet hommage symbolique et universel. Florent Batard et Tarik Hamidouche.

v

Je me crois ob1igée envers mOll frère et envers tous, à publier des détails que, seule aujourd'h.ui, je puis donner, et qui permettront d'écrire une biographie

exacte

de l'auteur

de LA COMÉDIE HUl\IAINE.

Les alnÎs de Balzac m'ont pressée de couper court le plus tôt possible à ces légendes qui ne manquent pas de se former alltour des noms illustres, afin de prévenir les erreurs qlli pourraient s'accréditer sur le caractère et sur les circonstances de la vie de mon frère~ J'ai compris qu'il valait mieux dire la vérité, quand bon nombre de personnes pouvaient encore l'attester. LA COl\iÉDIEHUMAINE a suscité presque autant d'attaques que d'admiratiol1s. Tout récemment encore, des critiques l'ont jugée sévèrement au non1 de la religion et de la nlorale, que les adversaires des t

grandes renomrnées tâchent toujours de mettre de leur parti. Je ne sais si, à aucune époque, il y a eu en France un peintre c}emœurs qui n'ait pas été accusé de faire scandale, et quelle littérature sortirait des principes sévères qu'on veut imposer aux écrivains; si ceux qui les professent se mettent à I:œuvre, réussiront-ils à prouver, par l'exemple, que Balzac s'est troll1pécllland il a cru clue le roman de mœurs ne peut se passer de contrastes, et qu'on n'instruit pas les hommes par la seule peinture de leurs vertus?.. Je n'ai ni le pouvoir l1i]a volonté d'appeler de ces arrêts, et je ne prétends pas ici défendre mon frère. Le temps, qui a consacré tant de génies contestés ou insultés à lellr époque, lui assignera sa place dans la littérature française. Rapporto11s-nous-enà ce juge, le seul qui soit impartial et infaillible. L. SURV'ILLE,

Paris, le

i5 janvie.r 18:)6.

NÉE DE BALZAC

BALZAC SA VIE ET SES OEUVRES D'APRÈS

SA

CORRESPONDANCE

l\f011frère est 11éà 1'ours le 16 filai I~799, jour de Saint-Honoré. Ce nom plllt à n1011 père, et qllOiqu'il fût sans précéclents ùans les fan1illes paternelle et ]11aterllelle, il le d011na à son fi]s. Ma mère avait perdu son prelTIler enfant en voulant l'al]aiter. On CllOjsit, 110urle petit Honoré, une belle nourrice qui demeurait à la porte de la ville, dans une maison bien

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aérée et entollrée de jardins. Mon père et fila 111èreftIrent si satisfaits des soins de cette femme, qu'ils me firent élever aussi par elle et lui laissèrent mon frère après son sevrage. Il avait près de quatre ans quand nous revînmes ellsemble à la maÏ50n paternelle. La })elle santé d'Honoré préserva notre mère de tOlItes ces inquiétudes latentes qui éveillent les tendres sollicitudes et inspirent ces gâteries si chères aux enfants; ils ne jouaient pas à cette époque le rôle important qu'on leur impose aujollrd'htli dans beaucoup de falllilles. On ne les mettait pas el1 scène, on les laissait ellfants et on les formait avant tout au respect et à l'obéissance envers lellrs parents. Mlle Delahaye, chargée de nous, eut peut-être trop de zèle à cet endroit, car avec le respect et l'obéissance, elle nOllS imprimait aussi la crainte. Mon frère se souvint longtemps des petits effrois qlli nous saisissaient quand elle nous conduisait le n1atin dire bonjollr à notre mère et quand nOllS entrions dalls S011salon pour hlÎ sou-

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haiter le bonsoir. C'était pour JI0UScomme des cérémonies solennelles, quoiqu'elles se répétassent tous les jours! Il est vré\i que par des signes convenus, ma mère voyait, soidisant Sllr nos visages, les petits 111éfaitsque 110l1Sa,rions pu COffilnettre et qui nous valaient de sévères réprin1andes de sa part, car elle ~eule DOllSpunissail ou nous récompel1sait. HOlloré ne fut donc ni transfoflné en prodige, ni adulé dans cet âge ail l'on ne com~ prend encore l'amour de ses parents que par des baisers et des sOllrires; s'il tra11it de bonne heure qllelqueS-tlnes des qualités qlli devaient le rendre illllstre, 11111 ne le remarqua ni ne s'en souvint. C'était \ln charn1ant enfant: sa joyeuse

hllmeur sa bouche bien dessinée et SOtl~

riante, ses grands ye'ux bruns, à la fois brillants et doux, son front élevé, sa riche cllevelul'e noire, le faisaient relnarquer dans les l)fomenactes où l'on nous conduisait tOllS les clelJx.

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La famille réagit tellement StIr le caractère des enfants et exerce de si grandes influences sur leur sort, qlle qtIelqtleS détails Sllr nos parents me I)araissent ici nécessaires; ils expliqlleront d'aillellrs les IJremiers événen1ents d,e la jeunesse de mon frère. l'Ion père, né en Languedoc e11174.6, étaIt a,Tocat all conseil sous LOllisXVI. Sa profesSiOI},le mit en relation avec les notabilités d'alors et avec des honln1es qlle la Révolution fit surgir et rendit célèbres Ces circonstances 1lli permirent, en 1793, de sauver plus d'un de ses anciens proteeteurs et de ses anciens amis. Ces services dangereux l'exposèrent, et un conventionnel très-influent, qui s'intéressait au citoye1l .Balzac, se 11âta de l'éloigner dll~sOllvenir de Robespierre en l'envoyant dans le Nord organiser le service des VIvres de l'armée. Ainsi jeté dans l'administr'ation de la gtlerre, mon père y resta, et il était chargé des subsistances de la vingt-deuxième di vi-

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sion militaire, lorsqll'il épousa à Paris, en 1797, )a fille d'un de ses chefs, en Inême temps directeur des llô11itaux de 'Paris. Mon père v"écut clix-nellf ans à Tours, où il acheta UIle n1aisOl1et des propriétés près-de la ville. Après dix ans de séjollr, on parla de le nommer maire, mais il refusa cet honneur pOlIr ne pas abandonner la clirection du grand hôpital dont il s'était chargé. Il craignit. de manquer de telnps pour bien remplir ces triples fonctions. Mon p~re tenait à la fois de Montaigne, de Rabelais et de l'oncle Toby par sa philosophie, son originalité et sa b.onté. Comme l'oncle Toby, il avait aussi une idée prédominante. Cette idée c11cz ltli était la santé. Il s'arrangeait si bien de l'existence qll'il voulait vivre le plus JOl1gtemp.s possible. Il avait calculé, d'après les années qu'il faut à l'hoIDll1e pour arriver à l'état pa.rfait, que sa vie (levait aller à cent an.s et plus,. pOlIr atteindre le plt~s, il prenait des soins extraordinaires et veillait sans cesse à établir ce

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qu'il a ppelaiL l'équilibre

des r orees fDitctlé~~.

Grand travail, vraiment!... Sa tendresse paternelle allgmentait encore ce désir de longévité. A quarante-cinq ans, ,n'étant pas marié et ne comptant pas se marier, il avait placé lIne bonne partie de sa fortune en viager, moitié sur le grandlivre, moitié sur la caisse I.Jaféfrge,qu'on fondait alors et dont 'jl était \ln des plus forts actionnaires. (Il touchait en 1829, quand il mourut par accident, à l'âge de qlI3tre-vingt-trois ans, dOllze mille francs d'intérêt. ) J~arédllction des rentes, les gaspillages, qui eurent lieu dans J'administration de la tontine, dilninuèrent ses re,tenus; Inais sa belle et verte vieillesse lui donna l'espoir de partager un jour avec l'État, à l'extinction des concurrents de sa classe, l'.immense capital de Ja tontine; ce qui eût grandement réparé Je lort qu'il avait fait à sa falnille. Cet espoir passa tellement chez IllÎ à l'état de conviction, qu'il reconlmandait sans cesse

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aux siens de conserver leur santé pour jouir des nlillions qu'il leur laisserait. Cette conviction, que chaCtln entretenait, le rendait heuretlx et le consola dans les reve~s de fortune qui l'atteignirent à la fin de sa ,Tie. - Lafarge réparera tout un jour, disait-il. Son originalité, devenue pr'overbiale à rfours, se manifestait aussi bien dans ses discours qlle dans ses actrons; il ne faisait et ne Sa nlémoire, SOIl esprit d'observation et de re}1artie 11'étaie11tpas moins remarqllaJ)les qlle son originalité; il se souvenait, à vingt aIlS de distance, de ))aro]es qll'on lui avait dites. A soixante-dix ans, renCOlltrant inopinément un ami d'enfance, il s'entretint avec lui, sans 3tlCnne hésitation, dans l'idiome de son pays~ où il n'était pas retourné dëpuis l'âge (le quatorze ans! Ses fines remarqlles lui fire11t pIllS cl'Ulle fois prédire les succès Oll les désastres (le gens qu'on appréciait bien autrement qu'il ne Jes jllgeait; ]e tel11pSlui donna SO\l,rent raison dans ses prophéties! tes rép1iq,lles, eIlfin, ne lui faisaient jaJnais défaut en aucune OCC1]rrence. Unjol1f qu'on lisait ùans un journal lIn a.rticle sur un centenairc (atLicle qu'on lle

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passait pas, COinmeon peut croire), contre son habîtude, il interrompit le lecteur pour dire avec enthousiasme: - Celui-là a vécu sagement et n'a pas gaspillé ses forces en toute sorte d'excès-, comme le fait l'imprudente jeunesse... Il se trouva que ce sage se grisait souvent, au contraire, et soupait tous les soirs, llne des plus grandes énormités qu'e l'on pût commettre contre sa santé (selon mon père). - Eh bien! reprit-il sans s'én10nvoir, cet homme a abrégé sa vie, voilà tOllt !... Quand Honoré fut d'âge à comprendre et à apprécier son père, c'était un beau vieillard, fort énergique encore, aux manières courtoises, parlant peu et rarement de lui, jndulgent pour la jeunesse qui lui était sYlnpathique, laissant à tOllSu,ne liberté qu'il voulait pour lui, d'un jugement sain et droit, malgré ses excentricités, d'une humellr si égale et d'un caractère si doux qu'il rendait hellreux tous Ce\IXqui l'entouraient! Sa haute instruction lui faisait sui,rre avec

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bonhellr les progrès des sciences et ]es améliorations sociales', dont, à leur début, il comprenait l'avenir! Ses graves entretie,ns, ses curieux récits avancèrent son fils dans la science de la '7ie et lui fournirent le sujet de plus d'lIn de ses livres. Ma n1ère, riche, belle, et beaucoup plus jeune que son mari, avait une rare vivacité d'esprit et d'irnagination, une activité infatigable, une grande fermeté de décisio11 et un dévouen1ent sans bornes pour les siens. Son amour pour ses enfants planait sans cesse sur eux, mais elle l'exprimait p'lutôt. par des actions que par des paroles. Sa vie entière prouva cet an1our; elle s'oub]ia sans cesse pour nous, et cet oubli lui fit connaître l'inforttlne qu'elle supporta courageusement. Sa (lernière et plus cruelle épreuve fut, à l'âge de soixante-douze ans, de survivre à son glorieux fils et de j'assister dans, ses derniers~ mOlnents; elle pria pour Ilti à son lit de mort, souten(le par la

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foi religieu.se qui remplaçait tOlItes ses espérances terrestres par celles du ciel. Ceux clui ont COnnt1mon père et ma mère attesteront la fidélité de ces esquisses. I.Jes qualités de l'auteur de LA CÛ1\IÉDIE HUMAINE sont certainen1ent la conséquen"ce logique de celles de ses parents; il avait l'originalité, la llléllloire, l'esprit cl'obseryation et le jugeInent cIe son père, !'ilnagÎnati()n, l'activitéyde sa mère, de tous les dnex, enfill, l'énergie et la bonté. Honoré était l'aîné de deux sœurs et d'lIn frère. Notre sœur cadette mourut j-ettne, après cinq années de mariage. Notre frère partit pour les colonies, Oll il se Inaria et resta. A la naissance d'Honoré, tout faisait présager' pour llli un bel avenir. La fortune de notre mère, celle de notre aïeule maternelle qui vint vivre avec sa fille dès ({u'elle ru t veuve, les émolume11ts et les rentes viagères cIe mon père composaient llne ,grande /cxistence à notre ft'l1)i IIG.

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~fa Inère se consacra exclusivement à notre édllcation et se crl1t Ql)ligée d'llser de sévérité envers nous pour neutraliser les effets de l'i11du]geIlce de notre père et de notre aïeule. Cette sé'vérité comprilna les tendres expansions d',Honoré, à qui l'âge et ]a gravité de son père inspirÇ\ient allssi la réserve. Cet état de choses tourna all profit de l'affeçtiOITfraternelle; ce fut certainement le pren1ier sentÎn1ent qui s'épanouit et fleurit dans son cœur. J'étais de deux ans s.eulel11entpIllS jeune CIll'Honoré, et dans la ll1ême situation (lue lui vis-à-vis cIe nos parents; élevés el1semble, nous nOllSaimâmes tendTement; les souvenirs de sa tel1dresse datent cIe loin. Je n'ai pas oublié avec quelle vélocité il accourait à moi pour m'éviter de rouler les trois m,arches hautes, inégales et sans rampes qllÎ conduisaient de la chall1bre de notre 110l1rrice dan~ le jardin! Sé\ tOllchante protection continlla all logis paterl1eI, où pIllS d'une fois ill se laissa punit' pour ITIoi, sans trallir ma c,ulpa])ilité. Quand j'arrivais à telnps pOlll'

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n1'accuser:

«

N'avoue donc rien une atltre

fois, me disait-il, j'aime ~,à~être grondé pOllr toi! » On se sOllvient toujours de ces naïfs dévouements! D'11eurenses circonstances protégèrent encore notre affection. Nous vécûmes toujours l'un J)rès de l'alllre dans une intimité et lIne confiance sans bornes. Je connus donc en tout temps les joies et les peines de mon frère, et j'eus toujOllfS le dOllX privilége de le consoler; certitude qui fait aujourd'11ui ma JOIe. Le plus g'rand événeme11t de son enfance fut un voyage à Paris, où ma mère le condllisit, en 1804., pour le présenter à ses grands parents. Ils raffolèrent cIe leur joli petit-fils, qu'ils comblèrent de caresses et de présents. Peu habitllé à être fêté ainsi, Honoré revint à Tours la tête pleine de joyeux souve11irs,le cœlll'arel11plid'affection pOlIr ces chet.s grands parents dont il me parlait sans cesse, les décrivant de son mieux, ainsi que lellr

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maison, leur beall jardin, sans ollblier Mouch,e, le gros chien de garde avec lequel. j I s'était lié illtimement. Ce séjour à Paris servit longtemps d'aliment à son imagination. Notre grand'mère ailnait à raconter les faits et gestes de SOlI ~etit-fils chez elle, et répétait volontiers cette petite scène. Un soir qu'elle avait fait venir pour 111ila lanterne magique, Honoré n'apercevant pas parmi les spectateurs son ami jJ;Iouche, se

lève en criant d'un ton d'aulorité: « Attendez !... » (Il se savait le lnaltre chez SOIl grand-père.) Il sort dtl salon et rentre traî-

nant le bO.nchien, à qlli il dit: toi là, jUollche, et regarde;

« Assieds-

ça l1e te coûtera

rien, c'est bon papa qui paye!

»

Quelclues mois après ce voyage, on changeait la veste de soie brllne et la belle ceinture bleue du petit Honoré l)our des ,Têlenlents de detlil. Son cher gr~nd-pèrte venait de ITIÛUrII",frappé })ar line apoplexie fou(lroyante. Ce fut son premier chagrin; il

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pleura bien fort quand on lui dit qu'il D.e vel-rait plus son aïeul, et son souvenir It1i resta tellement présent à l'esprit que, longtemps après ce jour néfaste, me voyant prise d'lIn malencontreux fOll l'Ire pendant lIne réprilnal1de de notre mère, il s'approche de moi, et pour arrêter cette gaieté intempestive qui menaçajt de tour11er à mal, me dit à l'oreille d'un ton tragique:

-

Pen.se à la Illort de ton grand-papa! SeCO\1fSinefficace, hélas! car je ne l'avais pas connu et ne comprenais pas encore la mort! On ]e voit, ]ef\ sellIes paroles qu'on a retentleS (les premières années d'Honoré révélaient plutôt la bonté que l'esprit. Je file souviens néanmoins qll'illI1ontrait déjà son imagination dans ces jeux de l'enfance que George Sand a si bien décrits dans ses Mé1noi1rtes.Mon frère improvisait de petites COIllédies qui nous an)llSaient (succès que n'ont paB tOlljOllfSles grandes); il écorchait pendant des heures e11ti~res les cordes d'un

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petit violon rouge, et sa physionomie radiellse prouvait qu'il croyait écouter (les mélodies. Aussi ét.ait-il fort étonné quancl je le suppliais de finir cette ffillsique qui ellt fait hurler l'alni ltlo11che_

- l'll n'entends donc pas carnIne c'est joli? Ine disait-il. Il lisait enfin avec passioIl, c.omme la plllpart des enfants, tOlItes ces féeries don tles catastrop11es, plus ou moins dramatiques, les font tant pleurer! Elles ]lli inspiraient sans doute d'autres contes, car à des babilJages étourdissants, succédaient quelquefois (les silences qu'-on n'expliqllait qlle par la fatigue, filais qui pouvaient bien être (léjà des rêveries dans des mondes imaginaIres. Quand il eut sept ans, il passa d'un externat de Tours all collége de Vendôlne, fort célèbre alors. Nous allions régulière1nent le voir chaqlle anl1ée à Pâques et à la distrihution des prix; I11ais fort pell couronné aux conCOtlrS, il rece"iait plus de reproches

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qlle de louanges })endant ces jours qll'il attendait si jmpatiemment, et dont il se faisait à l'avance tant de joie!... Il resta sept années dans ce collége, où il Il'y avait jalnais de vacances. Le souvenir (le ce ten1pS lui inspira la prelllière partie dll livre de Lattis I.a,mbert. Dans cette pren1ière partie, Louis I.Jambert et lui ne font qu'un, c'est Ba1zac en deux personnes. La vie de collége, les petits événements de ses jOllrs, ce qu'il y sOllfl'rit-et y pensa, tout esl vrai, jusqu'à ce traité de la 1)olo.1~té, qu'un de ses professeurs (qu'il nomme) brûla sans le lire, dans sa colère de le trouver au lieu du de\ioir Qll'il demandait. Mon frère regretta toujours cet écrit comn1e lIn monlllllent de son intelligence à cet âge. .11 avait quatorze ans quand M. MareschaI, le directel1r dtl collége, écrivit à 110tre mère, entre Pâques et les prix, de vellir en toute hâte chercher 8011fils. Il était attci11t d'tlne espèce de comel ClllÎ inquiétait (1'allta11tplus ses maîtres, qu'ils n'en voyaient

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pas les causes. l\rlon frère était POUI-'ell x url écolier paresseux; ils ne pouvaient donc attribuer à aucune fatiglle intellectuelle cetle espèce de maladie cérébrale. Devenu maigre et chétif, Honoré ressemblaità ces somnambtlles qui dorment les yeux ouverts, il n'entelldait pas la plupart des questions qu'on lui adressait et ne savait que répondre quand on 1l1i demandait brusquement: « A quoi

pensez-vous? Où êtes-vous?

»

Cet état surprenant, dont plus tard il se rendit comIJte, proven.ait d'une espèce tte congestion d'idées (pour répéter ses expressions); il avait lu, à l'insu de ses professeurs, UIle grande partie de la riche bibliothèqtle du collége, formée par les savants oratorÎells fondateurs et propriétaires de cette vaste Îl1stitution, où plus de trois cents jeunes gens étaient élevés; c'était dans le cacllot, où il se faisait mettre journellement, qrt'il dévorait ces livres sériellx, qui avaient développé s011esprit aux dépensde soncorps, (.Janscet âge orl les forces physÎttues doivent

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être all moins aU.ssiexel:céesque les forces iHtellectueiles. Pérsonne de la famille n'avait oublié l'étonnement ql1e la vue d'Honoré causa lorsque notre lnère le ramena de Vendôme. - Voilà donc, (lisait douloureusement notre grand'rnère, comIne le collége nous renvoie les. jolis enfants qlle nous Itli envoyons! Mon père, fort i11quiet de l'état de son fils, fut bientôt rassuré en voyant que le cllan,gelnent de pays, le grand air et le contact bienfaisant de la famille suffisaient à lui rendr'e la vivacité et la gaieté de l'adolescence qui cOlnme11çait pour' lui. Le classelnent des idées se fit peu à peu dans sa vaste mémoire, Oll il enregistrait déjà les événements et les êtres qui s'agitaient autour de Illi; ces souvenirs 8e1'vire11t plus lard à ses Inerveilleuses peintures de la Vie de province. Mû par une vocation qu'il ne comprenait pas encore, elle ]e portait instinctivement vers des lee-

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tures et des observations qui préparaIRnt ses travaux et qui devaient les relldre si féconds; il an1assait des matériaux sans savoir encore à quel édifice ils serviraient. Quelques

types de LA COlVIÉDIE HUl\IAINEdatent

certainement de ce temps. Dans les longtleS pron1enades que notre n1ère lui faisait faire, il admirait déjà el1 artist(~ ]es doux pa~7sages-de sa chère TOllraine qtl'il décrivit si bien! Il s'arrêtait quelquefois e'nthousiaslné devant ces beaux soleils couchants qUI éclairent si pittoresquement les clocllers gothiques de Tours, les villages épars sur les coteaux, et cette Loire, si majestuetlSe, C011verte alors de voiles de toutes grandeurs. 1\'Iaisnotre mère, plus SOUCIeusepour ItlÎ d'exercices que de rêveries, le forçait à lancer le cerf-"volant de notre jellne frère Oll à c'ourir après ma sœllf et moi; il 011biiait alors le paysage et devenait le plus jellne et le plus gai des quatre e11fants qUI entouraient notre mère.

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Il n'ell était pas ainsi da11sla cathédrale de Sajnt -Gatien, où elle nOllS conduisait régulièrement aux jours de fête. Là, Honoré pouvait songer à loisir, et aUCUlledes poésies et des splendeurs de cette belle église 11'étaient perdlles pour lui. Il ren1arquait tout, depllis les n1erveilleux effets de lumière qu'y produisent les viel1x vitrallX, les nuages d'encel1s qlli enveloppent comme dans des voiles les officiants, jllsq\l'aUX pompes dll service divin, rendues plus. splendides encore, par la présence du cardinal- archevêqlle. Les physio11omies des prêtres, qll'Ïl étu(liait,lllÎ aÎ(leront un jOllf à cOlnposer les abbés Birotteau et Lorall, et ce cllré Bonnet dont ]a tranql1illité d'âule fait un si beau contraste avec les agitations du remords qui torture la repentante Vérollique. Cette église l'avait tant in1pressiol1né, que le 11on1seul de Saint-Gatiea réveillait el1lui des mondes (le 8011'7enirs, où les fraîcl1es et pures sensations de l'adolescence et les sentiments religieux (clui ne l'aba11donnèrent

".., .iJ

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jamais), étaient mêlés aux idées d'holnnle qui germaient déjà clans ce puissant cerveau. Il suivait comme externe les cours du coIJége, et recevait chez son père les répétitiollS de ses professellrs, Il commençait il dire clll'on parlerait de lui lIn j01Ir, et ces paroles, qui fâisaient rire, devinrent le texte de plaisanteries illcessantes. Atl nom de cette célébrité future, ()n 1lli fit subir une infinité (le petits tourments, préludes des plus grands C!ll'On devait lui infliger pour l'illustration acquise. L'apprentissage 11'étaÎt pas inlltile! Il acceptait toutes ces lllalices en riant plus que les autres (il riait tOlljOUf5dans cc J)ien11eureux temps). Jamais caractère ne f11tplus ain1able, jalllais non pIllS personne n'eut plus tôt que ltli le désir et l'intuitioll de la renommée. On était loin cependal1t d'exalter Oll (l'encourager ce désir! 1\fon frère, je l'ai déjà dit, lIDpell conlprimé par la crainte, pensait .)

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plus clu'il ne parlait deval1t son père et sa mère; ceux-ci, ne pouvant le juger en toute connaissance de cause, ne voyaient en lUI, comn1e ses Inaîtres, flu'un garçon fort ordinaire qu'il fallait même stimuler pour loi faire faire ses devoirs de grec et de latin. Notre mère, qui s'occupait plus particlllièrenlent de lui, soupçonnait si peu ce qtl'était déjà son fils aîné et ce qu'il deviel1drait un jOUI~,qu'elle attribuait au hasard les réflexions et les remarques sagaces qui Illl

échappaient parfois. « Tll ne comprellds certainement ,pas ce que tu dis là, H011oré"» lui disait-elle alors. Lui, l)our toute. réponse, souflait de ce sourire si fin, si railleur Ollsi bOll dOllt il était doué. Cette protestation à la fois éloquente et muette était taxée (l'ou.... trecuidance quand ma lllère l'apercevait, car Honoré, n'osant pas avoir raison avec elle, ne lui expliq~uait ni ses idées ni S011 sourIre. Les conlpressions qu'on exerce sur le génie, les injustices qui le froissent, les ob-

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stacles qu'OIllui{)ppose, dOllblent peut-êtr',e ses forces et imprinlent plus de vigueur à son essor; on aime du 1110insà le penser. A la fil1de 18;1t, mon père fut appelé à Paris, à la direction des vivres de, la première divisioll militaire. Honoré acheva ses étlldes cl1ez ~f. Lel)itre, J'lle Saint-L'anis, et chez Mi\tl.Sgallzer et Beuzelin, rue de Thorigny , all Marais, où nous clBmeurions. Honoré ne fut pas plus rernarqué dans ces institutioos que dans les colléges de Vendôme et de Tours. En faisant ses discours de rhétorique, il commença à s'éprendre des beautés de la langue française. J'ai conservé l'llne de ses co"mpositions de conCOllrs (le discours de la fenlme de Brutus à son mari après la condan1nation de Ees fils)QLa doulstlr de la 111èrey est peinte avec él1ergie, et cette faClllté ptlissante que possédait lnon frère d'entrer dans l'âme de ses personnages s'y fait cléjà remarquer. Ses classes tern1inées, il rentra llne troisiè,me fois sous le toit l)aterneJ. On était

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en 1816. Jl avait alors dix-sept ans et den1i. ~1a mère faisait dll travail la base de toute éducation et s'entelldait merveilleusement à l'enlploi du temJps; elie ne laissa dOnc pag un il}stant son fils oisif. Il reçllt des ]eçol18 S11rtoutes les sciences 11égligées all collpge et suivit les cours de la Sorbonne. Je me souviens encore cIe l'entho(lSiasme Llue lui causaient les éloquentes imI)rovisations des Villemain, des Guizot, des Cousin. C'était la tête en feu qu'il no Ils les redisait pour nous associer à ses joies et nous les faire romprel1dre. Il courait travailler dans les bibliothèques publiques afin de mieux profiter des enseignements de ses illllstres professeurs. Pendant ses pérégrinations au qllartier latin, il achetait sur les quais des livres rares et précieux qu'il savait choisir. Ce flIt là l'origine de cette belle bibliothèque que ses constantes re]atio11S"avec les libraires rendire11t si complète, et qu'il voulait légller à ~a ,rille natale; 111aisl'i11différence de ses

BALZA.C

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COlnpatriotes pour lui lors de ses voya,ges à Tours le blessa si J)rofôndéme'nt, qu'il renonça à ce proJet. M. Brun, préfet actllel d'II1dre-et-Lolre, ancien camarade d'Honoré au coJlége de Vendôme, d'accord avec le maire, M. Marne, frère du célèbre libraire qui édi(a les premières œnvres de Balzac, dont il c'omprit a,ussitôt l'avenir, ont fait placer une inscription sur la maiSO]loù l'auteur de LACO}IÉDIE HUMAINE

est né. Ce n'est toutefois pas celle

Oll il passa son enfance. La maison de mon père 3ppartient aujourd'hui à Mmela comtesse d'Outremont, amie de notre famille, et portait autrefois le numéro 29 de cette rue flui partage la ville et la traverse, depuis Je pont jUSqll'à l'avellue de Grammont. On eût bien étonné les parents et les a'mis de Balzac si on le\lr eût dit, en ~8'17et ll1ème pIns tard, qu'ilmériterait un jour cethonneut' rendll à sa mémoire, si on lellr ellt annoncé ellfln qu'on d011nerait son nOIn à ]a rue qlt'il ]labitait à ParÏs lors (le sa mort, et qll'Ull 2.

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imposant cortége le suivrait à sa dernière clemeure. Ils n'auraient pas en assez (l'incrédulité à opposer 'à de telles prophéties, car, malgré la vivacité d'un esprit qui commenç,ait à se faire jour, nlll "ne croyait encore à la haute intelligence d'Honoré; il est vrai qu'il IJarlait beaucollp, s"amllsait de niaiseries comme les enfapts, et avait lllle bonhomie et parfois des naïvetés qlli le faisaient souvent notl'e dupe. Il eût été facile néanmoins de remarquer l'attrait qu'il avait pour les gens d'esprit et pour les conversations substantielles. Il se plaisait sn'rtout auprès d'une vieille amie de notre grand'Inère, Mlle de R..., qlli avait été liée intime111ent avec Beaunlarchais, et qlli demeul"ait d.ans la même maison qlle nous. l\fon frère la faisait oauser sur cet homme célèbre dont, grâce à ces détails, il connut si bien l'existence, qu'il eût pl1fournir les matériaux de la belle biographie qt1e M. de J.Jon1énie vient de publier sur lui~ l\Ion père VOlllut qu'Honoré fît son droit,

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S11})îttous ses examens, et passât les trois années de son cours chez l'avoué et le notaire, afin d'y apprendre les détails de~la procédure, et la forme et la tenetlr (le tous les actes. L'éducation d'un homme n'était pas cornplète, selon filon père, s'il ne connaissait pas les législations ,anciennes et modernes et surtollt les lois de son pays. Honoré entra daI1s l'étuc}e de 1\1.de Merville, notre ami. 1\1.Scribe venait de la quitter. Après dix-huit IllOis de, séjour chez cet a vOtlé, il fl.ltreçll chez 1\1.Passez, notaire, où il resta le même temps. M. Passez 11abitait la maison où nous demeuriolls et était aussi l'un de 110Sintimes. Ces circonstances explifluent la fidélité (les descriptions d'intérieur (l'études qu'on ren13-rqlle

dans

LA CO~IÉDIEHUMAINE, et la

profoncle Gonnaissance des lois ({u'elle révèle. J'ai trouvé cllez un avoué de Paris Je livre de César lJi1r1otteCl'1l at1lniliell (les œtl'7res (les légistes; il m'aSSltra que cet oll,rrage était excellent à consulter en matière de faillites.

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1\10nfrèr1e étaÏt fort OCCllpé à celte époque,

cap, indépendamment de son cours de droit et des travaux dont le chargeaient ses paleons, il a'~ait encore à Se préparer pour ses ex'amens suecessifs; mais son activité, sa mémoire, sa facilité étaient telles, qu'il trollvait encore le temps d'achever ses soirées à la table de boston ou de whist de ma grand'mère, où cette dOllce et aimable femme 111i faisait gagner, à force d'imprudences Oll de distractions volontaires, l'argent qu'il consacrait à l'acquisition de ses livres. Il aima tOlljours ces jeux en mémoire d'elle; jJ s'y rappelait ses paroles, et un de ses gestes retrouvé lui semblait l1ll bonheur arraché à la tombe! ~fon frère nous accoll1pagnait aussi cluetquefois au bal, mais s'y étant laissé clloil~ malencontreusement, malgré les leçons qu'il recevait d'un maître de danse de l'Opéra, il renoonça à la danse, tant Ie- SOlIrire des femll1es qui sl1ivit sa chllte lui resta sur ]e cœllr; il se promit alors de (laminer la société au-

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f'l'ement que par des grâces et des talents de salon, et devint seulemel1t spectateur de ces fête's dont plus tard il lltilisa les souvefi I1"8.

A vingt et un ans, il avait terminé son droit. et passé ses examens. Mon père ltlÎ confia les l)rojets qu'il avait pour son avenir et qui eussent conduit Honoré à la fort\lne; mais la forttl11e était alors ]e moindre de ses SOUCIS.

l\lon père avait protégé jadis un hOlnn1e (IU'ilavait retrouvé, en 1814, notaire à Paris. Celui-ci, reconnaissant et pour rendre au fils le service qt.l']l avait reçu dll père, offrait de prendre Honoré darts son étude et de la 1llÎ laisser après que)qlles années de stage,; la caution de filon père pour ll4fnel)artie de la charge, lIn bea11l11ariage, des l,rélèvements successifs Sllr les brillants revenus de l'étllde, auraient acqllitté fil0I1 frère en peu d'ànné-es. Mais Balzac, courbé clix ans, peut-être, snI" des C011trats (le venle, des contrats de

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mariage ou Sllr des inventaires !... lui qUI aspirait secrètement à la gloire littéraire! Sa stupéfaction fut grande à cette révélation; il déclara nettement ses désirs, et ce fut au tour de n-otre père d'être stllpéfait. D,ne vive discussion suivit. Honoré combattit éloq\lemmenL les puissantes raisons qu'on lui donnait, et ses regards, ses paroles, son accent révélaient une telle vocation, que mon père lui accorda deux ans pour faire s,es preuves de talent. Cette belle chance perdue explique la sévérité dont on usa envers lui et la rancune {ju'il conserva contre le notariat" ranCUlle qui perce dans quelques-unes de ses œuvres. Mon père, ne céda pas, toutefois, aux désirs d'Honoré sans regrets; des événements fâcheux les augmentaient encore. Il venait d'être mis à la retraite et de subir des pertes d'argent dans deux entreprises. Enfin nous allions vivre dans une maison de campagne qll'il venait d'acheter à six lielles de Paris.

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Les chefs de fan1111ec()nlprent1ront les inquiétudes de nos parents en cette circonstal1ce. Mon frère n'avait encore donné aucune preuve de talent littéraire, et il avait sa fortune à faire; il était donc rationnel de désirer pOlIr lui un état moin~ 'problématique qlle celui de littérateur! PO\lr une vocation telle que celle d'Honoré, vocation qu'il justifia si grandement, que de médiocrités ont été jetées en des voies malheureuses par- une semblable condescendance! Aussi, celle de mon père envers son fils fut-elle traitée de faiblesse et généraJement blâmée par tous ceux qui s'intéressaient à nous. «

On allait faire perdre à ll10n frère un

temps précieux; l'état de littérateur pouvait-il, en aucun cas, mener à la fortune? Honoré avait-il l'étoffe d'un homme de génie? Tous en dOlltaient...» Qu'eût-on dit à mon père, s'il eût mis ses amis dans ]a confidei1ce des offres qUI lui avaient été faites? Un intime, un peu brusque et fort absolu,

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déclara qlle, pour lui, Honoré n'était bon ~lll'à faire un expéditio11naire! Le malheureux avait une belle ma,i1~,selon l'expression dll maître d'écriture qu'on lui avait donné à sa sortie du collége.

-

A votre place, ajouta cet ami, je n'hésiterais IJas à Inettre Honoré dans (Iuelque administration où, avec votre protection, il arriverait promptement à se suffire. Mon père jugeait. alors son fils alltrell1ellt (lue cet intinlC, et, ses théories aidant, il cro~7aità l'Ïntelligence de ses enfant.s; il se contenta donc (Je s011rire à cette sortie, tint bon et passa outre. Il est à présllmer que ses amis se séparèrent, ce soir-là, en déplorant entre eux l'aveuglenlent paternel... ~la mère, 1110insconfiante que son mari, pellsa qll'un peu de Inisère ramènerait promptement -Honoré à la soumission. Elle l'installa d011C,avant notre départ de Paris, dans une n1ansarde qu'il choisit près de ]a bibliotllèque de l'Arsenal, ]a seule qll'il

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lIe COl111l1t pas et où il se proposait d'aller travailler; elle meu}}-la stl"'icteln'entsa chall1l)fe d'un lit, d'une table et de quelques chaises, et la pension qu'elle lui alloua pour y vivre 11'ellt certainement })as suffi à ses besoins les l)lus rigoureux, Bi notre .mère 11'eût}J3Slaissé à Paris une vieille femme, attacllée de~)tlis vingt ans {lU service cIe la fa111ille,qu'elle chargea de veiller Sllr lui. C'est celte felnme qu'il appelle~, dans ses lettres, l' Iris

:lnessagè1~e.

Passer subitement de l'i11térÎeur d'llne lnaison où il trouvait l'abondance, à la solitude d'un grenier où tOllt bien-être lui Inal1-ql1ait, certes la transition était dllre! Il ne se fJlaignit pas toutefois dalls ce rédl1it, où il trouvait]a liberté et portait de belles espé~ rances que ses pl~en1ières déceptiol1S Jittéraires ne pUrel}t éteindre. C'est alors ql18 COffilnence celte correspondal1ce conservée par tendresse et qui (levÎn t s-Îtôt de chers et de précieux SOtlvel11rs. 3

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Je delllande grâce pour les badinages fanliJiers que contiennent les premiers fr'agInents que je. vais citer. Leur cal~act.èTeintimé appelle 11aturellemellt l'jndulgence. Je n'ose les sllpprimer, parce qu'ils peigne11t InerveilletlSement le caractère prImordial (10 l110n frère, et cIlle ]e liéveloppelllent StlCCessif d'une telle ir1telligence llle semble intéressallt à suivre. Dans sa première lettre, après avoir éntln1éré ses frais d'ellllnénagement (détails qUI n'étaient à autres fins qlle de pl~o1ivel"à notre Inère qu'il 'n1anquait (léjà d'argent), il Ille confie qu'il a pris un dOll1estique. «

-

Un domestique!... y penses--t{], mon

frère 1 »)

-

Oui, tlndomestique. Il a un nom aussi

drôle que celui du docteur. Le sien s'appelle l'ranquille, le n1ien s'appelle Moi-1nême. lVlauvaise emplette, vraiment!... NIoi-nlême est paresseux, maladroit, imprévoyant. S011mailre a fai111, a soif; il n'a quelquefois ni pain ni eau à lui offrir; il ne sait l,as Inême le garantir contre le vent qui

DA.LZAC



sou1fle à travers fa porte et sa fellêtre, conlme

Tulou dans sa flûte, mais nloins agréable111ent.») Suivent ]('s réprÎJnandes servi tellf : «

.--

Moi-mên1C

(lu maître au

?..

-- Plaît-i), monsieur? » - Regardez cette toile (l'araignée où cette grosse mouche pousse des crjs à m'étourdir? Ces moutons qui se pronlènent sous le IÏt, cette poussière sur les vitres qui In'aveugle ?.. »

»)

Le paresseux regarcle et ne bouge pas! et

nlalgré tous ses défauts, je ne puis me séparer de cet il1intelljgent Moi-même!... »)

Dans sa seconde lettre, il s'excuse de la l)remière, qlle notre nlère avait trouvée fort négligée. Dis fi ill,aUlan que je travaille tant, que YOUS écrire est mon délassement! Alors, sauf 'TOt' respect et le mien, je vais, comIne l'âne de Sanello, par les cllemins broutant tout ce que je rencontre. Je ne fais pas de brouillon (fi donc! lA cœur ne ronnaît pas les brouillons). Si je 11eponctue pas, sj je ne ID.erelis 1185,c'esl pour que vous me relisiez «(

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BALZA.C

et pensiez plus longtemps à Inoi! Je jette ma plume aux bêtes, si ce n'est pas là une tlnrsse (le femme !... ») Vous saurez, mad"emoiselle,qu'on éconolnise pour avojr ici lIn l)iano;' quand fila mère et toi YOtlSviend rez n1Cvoir, vous en trouverez un. J'ai pris files mesures, en reClllant.les murs il tiendra, et si Inon propriétaire ne veut pas entendre à cette }1clilétlépense, je l'ajouterai à l'acqllisition du pjallo, et le Songe de Roussea'u (nlorceall de CraIneI' fort à la mode alors) retentira dans Ina Illansarde, Ollle ]JesoÏl1de songes se fait généralement sen tir. »)

Qlle cIe tl~aVal1X il l11édite !... (les rOl}1allS, (les cOlnédies, des opéras-con1jques) des tragédies SOl1tsur sa liste cl'Ot1vrages à faire. JI ressel11ble à l'etirant qui a tant de paroles à dire cIu'il ne sait par où con1111encer.C'est c1'a]Jord Stella et Coqsigt1le, cIeux livres qUi ne virent jall1ais re jour! De tOllSses IJfojets cIe COll1édiede ee te111ps-,j'e me souvie118des Deux [>hilosophes; qll'il eût certaÎnell1eIlL repris à ses loisirs. Ces prétel1dlls pllilosoplles se mOfll1aie11tl'nn de l'alltre, se (IUerellaieI1t.

BA.LZA.f:

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sa11S cesse, eomnle des an1Îs (disait 1110n frère en racontant cette pièce). Ces philosophes, tOllt en n1él)risant les 110cl1ets(le ce n1onde, se les clisputaient sans l)ollvoir les o'f)tenir, insuccès final qui les raccOlnmo(lait et 1erlr faisait mauclire el1 C0111l11unla détestalJle e11gea11ce}1ulnail1e! Pour laquelle (le ces œllvres llli falll-ille Taclt*ede 110tre l)ère clont l'édition Inanqtle (lans la bibliothèque de l'Arsenal1 Ce clésil fait le slljet {=[esa troisième lettre. «(

Il me faut absolllment le Tacile de filon TJrre;

il n'en a pas J)esoin, maintenarlt

CIlioe ou dans la BiJ)le!...

qu'il est Cl~11Sla

»)

lVlonpère, ellthollsiasmé (les Chill0is ([)eulêtJ.~e à callse (le lellr I011gévité con1111e peuple), lisait alors les gros livres des jésllÎtes missionnaires (lui ont £lécrit la Clline les premiers; il annotait allssi cIe préciellses é(litions de la Bil)le qu'il possédait, livre qui, en tout telnps, callsa son admiration. te

Il ne te fatlt l'as I011gtenlpSpour savoir Ollest

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la clef de la bibliothèqllé! Papa 11'e3tpas toujours chez lui, il se promène tous les jours! et le farinier Godard est là pour m'apporter le Tacite! » A propos, Coqsigrue dépasse présentement mes forces, il faut le ruminer et attendre pour l'écrire. » Je n'aime pas, n1a cl1ère, tes travaux tlistorjques et tes tableaux siècle par sjècle. Pourquoi t'amuser (et le mot est 01al cl1oisi) à refairè l'ouvrage de Blair? Prends-le dans la bibliotllèque, il ne doit pas être loin du Tacite, et apprends--Ie par cœur; mais à quoi bon? 'Une jeune fille en sait assez quand elle ne fricasse pas Annibal avec César , ne prend pas le Trasimène pour un général d'armée, et Pharsale pour une dame romaine; lis PJlltarque et deux ou trois livres de ce calibre-là, et tu seras caléepour toute ta vie, sans déroger à ton titre charmant de femme. Veux-tu donc deven irune ») J'ai

sa van te 1 Fi !. .. fi!...

fait cette nuit tIn rêve délicieux; je lisais

Tacite que tu m'avais envo~ré!... »)Talma joue n1aintenant Auguste dans Cinna. J'aj grand'peur de ne pouvoir résister à l'aller voir; mais quelle folie!... mon estomac en trem])le!

...

» Les nouvelles de mon nlénage SOllt désas-

BA.tZA.C

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tl~uSéS, les travaux nllisent à la propreté. Ce coquin de J'loi-même se néglige de plus en pIllS. ]1ne descend que tous les trois ou quatre jours pOlIr les achats, va cllez les marcl1ands les plus voisins et les plus mal a11provisionnés du cluartier; les autres sont trop loin, et le garçon économise au llloins se6 pas; de sorte qlle ton frère (destiné à lant de célébrité) est déjà nourri at)solument comme un grand homme, c'est-à dire qu'il meurt de faim! »)

Autre sinistre: le café fait d'affreux gribouil-

lis par terre; il faut 'be-aucoup.d'eau pour réparer le dégât; or, l'eau ne montant pas naturellement dans ma céleste mansarde (elle y descend seulen1€l1tles jours (l'orage), il faudra aviser, après l'acllat du piano', à l'établissement d'une maclline 11ydraulique,si \e café continue à s'enfuir, pendant que maître et serviteur bayent aux corneilles. »)

Avec le Tacite, n'oublie pas de m'envoyer lI11 couvre-pied; si tu pouvais y joincIre quelque vieil11.ssi1ne châle, il me serait bien utile. 1'u ris? C'est ce qllÎ me manque dans filon costullle nocturne. Il a fallu d'abord penser aux jambes qui souffrent le plus du frojd; je les enveloppe du carrick tou-

rangeau que Grogniart, de boustiquantemémoire,

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B..'\.LZAC

cousillonna. (Grogniart était un petit tailleur de Tours cllargé jadis d'ajuster à la taille dtI fils les llabits du-père, et qui ne s'acquittait pas cIece travail à la-satlsfaction d'Honoré.) » Le susdit carrick n'arrivant qu'à mi-cofl'S, reste le }lalllmal défe11ducontre la gelée, qui Il'a que le tojt et Ina veste de molleton à traverser pour arriver à ma peau fraternelle, trop tendre, hélas! pOlIr le supporter; de sorte que le froid 1ne pipe.

Quant à la tête, je compt(~sur une calotte dantesque,pour qu'elle puisse braver aussi l'aquilon. ~\insi équipé, j'habiterai fort agréaJJlement ., mon pa I3lS.... ))

)

Je finis cette lettre comme Caton finissait ses

discours; il disait: Que Carthage soit détruite! Moi, je dis: Que le Tacite soit pris! et je suis, cl1èrehjstorienne, de vos quatre pieds huit pouces, le très-l1tlmble serviteur. » ,r oici tIne ]ettre (d'août 18-19)que je copie lout entière, après avoir- préalablen1ent dOllné les eXI)lications nécessaires pOlIr la rendre intelligible. Mon père, pour épargner it son fils (les froissen1ents

d'aIllOl1r- pro})re

el1 cas

titi

BA.LZ~;\C

45

11011-8uccès (le ses espérances, ]e disait alJSe11tde Paris. C'était d'aillel1fs lIn InoycI1 de le préserver de tOLItetentation IlloncJaÎnc. ~I. de Villers, dont il parle dans cette lettre, éta.it l1n 'Tieil ami de la famille" ancien abbé et comte de Lyon, retiré à Nogent, petit viUage situé })rès de l'Isle-Adalll. 1\1011 frère avait cléjà fait IJ]llsÎellfs séjours chez lui; la spirituelle conversation de ce bOll vieillard, ses curieuses anecdotes sur l'anCIenne cour all il avait otJtenll de grancls Sllccès, les encQUragelnents qtl'il donnait à lllon frère, dont il ét.ait le con-fident, avaient fait naître 1111etelle affection entre eux, clu'Honoré appelait pIllS tard J'Isle-Adam SOl~pc(/reldis in.~piratelt't. (c

Tu veux des nouvelles, il fatlt que je les

fasse; personne ne passe dans mon grenier, je ne peux donc te parler que de moi et t'enVO).E-f autre cllose que des faril)oles; exernple : »)

Le feu a pris rue Lesdiguières,n° 9, à la tête

d'lIn pallvre garçon, et les pompiers n'ont pu l'éteindre. Il a été nlis par U11ebelle feITlme qu'il ne cDnnaît pas: on dit qu'elle demeure aux Quatre:3.

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B..4.LZA.C

Nations, au bout du pont des Arts '; elle s~appelle la Gloire. » Le malheur est que le hrll1é raisonne, et il se dit: » Que j'aie ou ,non du génie, je me prépare dans les deux cas bien des c]1agrjns! })

Sans génie, je suis f1an11Jé! il fûlldra passer la

vie à serltir ùes désirs non satisfaits, de misérables jalousies, tristes peines!... » Si j'ai du génie, je serai persécuté~ caloI11nié;

je sais bien qu'alors

1\'I1le

la Gloire essuîera bien

des pleurs!... » Il serüit temps encore de faire partie nulle et de devenir un M. ***,qui juge tranquillement les autres. sans les connaître, qui jure après les }lommes d'État sans les comprendre, -qui gagne au jeu, même en écartant les atouts, l'heureux 11omme! et qui pourra bien un jOllf devenir député, parce qu'jl est rjclJe, l'llomme parfait I » Si je gagnais demain un quine à la loterie, j'aurais raison comn1e lui, quoi que je fasse Oll dise; mais n'ayant pas d'argent pour acheter cette eS11érance,je n'ai pas celte merveilleuse cllânce pour en imposer aux sols!... Patraque d'hun~anité !... ») Parlons plutôt de mes plaisjrs! J'ai fait hier un

BALZAC

47

boston chez mes l)ropriétaires, où, après avoir entassé misères sur piccolos et avoir eu des chances d'innocent (j'avais peut-être songé à M. ***), ., . , . , J al gagne... t rOis sols.... » Maman va dire: ( Anons, Honoré va devenir » jouellf !... » Point, mèr.e, je veille sur mes pasSIons. » J'ai songé qu'après l'lliver laborieux que je viens de passer, quelques jours de campagne me seraient bien nécessaires!... » NOll,n1aman, ce 11'CStpas pour fujr ma bonl1e vache enragée: j'aime ma vac11e; mais quelqu'un près de vous, vous dira q-ue l'exercice et le grand air sont hie11utHes à la santé de l'homme! Or dOllC, con1me Honoré ne peut se montrljI" cIlez son père, llourquoi n'irait-il pas chez le bon IV!.de Villers, qui l'aime jusqu'à soutenir le pauvre re. belle? » Une idée, mère! si vous lui écriviez pour ar.ra11gerce vO_J?age?Allons, c'est comme si c'était fait; VOlISavez beau prendre votre air sévère, on sait que vous êtes bonne au fond, et l'on ne vous craint qu'à derrli ! ») Quand

viendrez-vous Ille voir? boire mo,n

café, manger des œufs bro'uillés, raccommodés sur un plat que vous m'apporterez? car si je succombe

48

Bi\LZ~\C

à Cin.na, jl faudra renoncer à mOIlter mon mé... nage et peut-être même au piano et à la mac]1Îne llydralllique. ») L'Iris ITlessagère ne vient. pus! J'achèverai demain cette lettre. DEMAIN. (

Pus d'Iris encore!... Se dérangerait-elle?,.

(Elle avait soixante-dix ans. ) Je ne la vois jamais qu'à la volée et toujours si essoufflée, qu'elle peut il 11eineme rendre compte dl1 quart de ce que je voudrais savoir. Pensez-vous à moi autant que jo pense à vous? Criez-vous quelquefois au ,vI1istOll au bostol1: « Honoré, où es-tu? ») Je ne t'ai pas dit qu'avec l'incendie j"ai eu aussi d'affre'uses rages de dents. Elles ont été suivies ll'une fluxion qui me rend présentement llideux.

Qui dît: Fais arracher?Que diable! on tient à ses dents, et il faut mordre, d'ailleurs, quelquefois dans mon état, quand ce ne serait qu'au travail! ))

») J'entends

Ie-souffle de la déesse. ») All! vous êtes lllaintenant sous le cllarme de

la familleM ; fais un recueil de tous les IJélas de la belle-mère, redis moi bien ce qll'elle soupirera... Je m'en remets à toi pûur rire, tu es mon

D~.\.LZAC

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~IOlnus, mon Ijon ~Iomus, car je mé suis cru il votre diner de féception; tes récits sont la manne de mon.désert. » Merci de vos tendresses et de vos provisions; je t'ai reconnue 11epeux lire la fin sans attendrisselnent; il Y fut 'malheuretlSement prol)hète, il ne (levait pas achever cett.e œuvre tant aimée. C'est alors qu'il y associa tOllS ses amis ell dédiant à chacl1l1, li11des livres (lui la composent. I..3liste de ces dédicaces prouve qu'il fut ain1é d'lIn grand nombre de nos illustrations contenlporaines. De 1827 à 184.8, mOl1frère p\lblia cluatrevingt-dix-sept ouvrages formant clix mille 11\litcent seize pages de cette édition com})acte, qlli triplent au llloins celles des in-octa\'o ordinaires de la ]ibrail'-ie. J'ajouterai qll'il écrivit cette énorlne quantité de VOlll-

BA LZA.C

JOI

mes sans secréraire ni correcteur d'épreuves. La liste de ces 01.1Vfages,avec la date Qll'il leur assigna après les a\roir relnaniés, pelIt seule faire comprendre la valeur de ses travaux, car l)eu de lectelll's ignorent !'in1portance de ces livres. 1827 (Fin de.) Les Chouans. 1828. Catlterinede Médicis. 1829. La Physiologie du 1nariage, Gloire et 1nalheur, le Bal de Sceaux, il 1Terlugo,la 1830.

1831.

1832.

1833.

Paix d,uménage. ~ r .La Vendetta, une Double l?aln-ille,Etude de femme, Gobseck, autre Étude de femme, la Grande Bretèche, Adieu, l'Élixir de longue-vie, Sarrazine, la Peau de chagrin. Mada11'te Firlniani, le Réquisitionnaire, l'A uberge rouge, iff aître Corné h.us, les Proscrits, un Épisode so-usla Terrettr, Jésus-Christ en Flandre. La Bourse, la Femme abandonnée, la Gre1~adière,le Message, les ltIarana, Louis Lambert, l'Illustre Gaudissart, le colonel Chabert, une Passion dans le désert, le Chef-d'œuvre inconnu, le Curé de TOllrs. Sél'.apltita, Eugénie Grandet, }1"'erragus,le Médecin de Cttlnpagne. 6.

t62

DALZ.4C

1834. Un Drame a>ubord de la rner, fa Duchesse de Langeais, la Fille aua' yellx d'011, le Père Goriot, la Reche11c/zede l'absolu.

1835. Le Contrat de n'tariage, la l?elnlne de trente ans, le Lys dans la vallée, J.tIeln~othréconcilié. 1836. La Vieille Fille, l'Enfant !Jnaudit, Faci110 Cane, la Mess-ed-el'Athée, l'Interdiction. 1837. Le Cah18n,et des antt8ques, la maison NUC1811gen_,Gambara, César Birotteatl.

1838.

Unie f""ille d'Eve,

les E111ployés,

Olt la Fe1nlne

supérie1tre. 1839. Pie1~re Grassoll, les Secrets de la princesse de Cadignan, jtJassilnila Doni, Pierrf!tte.

1840. Z. Marcas, la ReVUBparisienne. 1841. ltlé1noires de dell.r jeurtes mar18ées, Ursllle lJtlirou€'t, Ul1e Ténébreuse Affaire.

18'42. La ]?allsse 1J'laî!resse,_Albert Savarus, 'un Début dans la ~ie, un Ménage de garçon., ou les Deux Frères. 1843. Honorine, Splendeurs et 1J;J18sèresdes ccurtisanes, Illusions perdues. 1844. Blatrt8x,1J;lodeste Mignon, Ga'udissart JI. 18~.5. Un P1"ince cIe la bohême, E s-quisse (1'h01nme d'affaires, En/vers de l' histo18recontelnporaine, le Cllré de village.

B_4.LZ_.\C

t03

1846. Les Comédiens sans le savoï-r, les Pare1~ts

pauvres. 1847. Les Paysans. Ses dOtlZe l)rerniers r0l11anS, ses COÎ~te~~ dtrôlatiques, ses travaux dans la Chrol~ique de Paroi_y, dans la Pressepari(~ieJ~ne, son Thédtre, la Monographic de la presse, les Petites lJli.~ère~~de la '/)ie c01~j~/;gale,la Théof1:e de Zll démclrrche,les articles publiés dans le A/usée des Familles, dans les Français peints plll~ eux-mi!mes, tels que le Petit Rentier, l'.E:picier, ceux pllbliés dans les Animaux, édités par Hetzel, ne sont pas compris dans celte nomenclature, et j'en oublie sans cloute encore. Quelqlles détails StIr l'origine de quelques n10ts de ses Œ11vresoffriront })eutêtre de !'iI1térêt. Le sujet de l'Atluerge 1~uge, histoire véritable, quoi qll'on en ait dit., lui fut donné par lIn aI1cien cllirul'gien des armées, ami (le l'homme clui fut condamné i-l1justelneI1t. "MOllfrèl~e n'ajouta que le (]énolIll1ent. Le rOlnaI) de Q1tert,[i1~D1.lf'lfClt-ll,c{u'on ad-

-104

BA. LZAC

Inire surfout dans ce qui est historique, causa une grosse colère à Honoré; contraireInent à la fOllIe, il trouvait que 'Valter Scott avait étrangelnel1t défigllré Louis XI, roi encore 11131conlpris, selon lui. Cette colère lui fit composer Ma,ltre C01f11~élil1IS, ollvrage où il l11etLOllis Xl en scène. Les Deux Ptoscrits, qu'il écrivit après l'étude approfondie des œllvres de Dante, COlnme un 110mmage renclll à ce puissa11t génie, SOftent. également du plan qu'il avait adopté. UJ~Épisode S01/;8la Terreur (article qtli l)artlt d'abord dans un keepsake) lui fut racon té par le sombre 11érosde cette histoire. Mon frère clésirait voir Samson, l'exéctlteur des hautes œuvres. Savoir ce que pensait cet homme clont l'âme était si remplie de sanglants souvenirs, apprendre comment il envisageait SOl1terrible état et sa 'vie misérable, c'était une étude qui devait le tenter. ~I. A..., directeur des prisons, avec qui JllOn frère était lié, lui ménage

u~ne entre-

vue. Honoré trollve tln jour chez M. A... tln

B.l LZAC

t05

110IDmeIJâle, à figure nol)le et triste; sa mise, ses manières, son langage, son instrlIction le lui font prendre pour quelque savant attiré par la même clJiriosité qll,e lui. Ce savant était .Samson J... l\lon frère, averti par M. A..., réprÎlne tOllt étonnelnent toute répulsion, et a mène l'entretien sur les sujets qui l'intéres sent. Il attire si bien la confiance de Samson, 'que celui-ci, entraîné, arrive à peindre les souffrances cIe sa vie. La mart de Louis XVI lui avait laissé des terreurs (jt des remords de criminel (Samson était royaliste). Il fit dire pour le roi, le lendemain de l'exécution, la seule messe expiatoire qlli fut peutêtre célébrée à Paris ce jour-là!... Ce fut aussi la conversation que Inon frère ellt avec iJlart'in, le célèbre dornptellr d'aniIllaux, à l'isslle d'une de ses représentations, qui lui fit cOlnposer l'article intitlIlé: une Pa.ssion dalLs le dése1"t. Séraphita, cette œuvre étrange qui seI11ble la traduction d'lIn livre allemand, lui fut an&pirée par une -amie. Notr-e mère lui vint 4

fon

B..L\LZAC

en aide pour les 1110yens d'exéclltioll. Ma 111ère,fort Occul)ée d'idées religiellses, lisait. alors les nJystiqlles et les a\lait collectiollnés. Honoré s'empare des œuvres de Saint-Martin, de Swedenborg, de l\ll1eBOllrignon, (Je MmeGllyon, de Jacob Boellm, qui formaient pIllS de cent. volumes, et les dévore. Il lisait comme d'autres fellillettent, et cependallt s'a"ssimilait tout ce qu'il y avait d'idées dalls t1n livre !...If se plonge dans l'élude du somnambulisrne et du nlagnétisme, qui se reliel1t au mysticisme; et fila mère, ardente atl merveilleux, lui f01.1rnitencore les occasions de ces études: elle connaissait tous les magnétisellrs et les somnalnbules célèbres de cette époq\le. Honoré assiste à qllelqtleS séances, s'entllonsiasme IJour ces facultés inexplicables et les phénoInènes qu'elles proclllisent, tr'oll'7e' à ces facultés !)lllS d'extensioll qu'elles Il'el1 ont, l)etlt-être, et compose .Séraphita SOllS l'iInpressio11 de ces idées. Mais elnporté p.ar ]es nécessités de sa ,Tie,

B.-l L Z l\C

lOT

{lui ne lui IJermettaient d'éerire d'alllres livres qtle cellX qllÎ plaisaient au public et qlli se yen.. liaient, il ~e\Tjnt 11ellreusemenl au réel et fut arracl1é de ces lnéd'itat.ions métaphysiqlles (IlIÎ eussent peut-être égaré celte- grande intelligence, car elles en GIlt perdll plus d'une. Il allt abréger (les détails qui paraîtront trop longs l)eut-êtl~e et qlli 111econdttiraient à apprécier des œuvres que je ne pllis juger. Je Ille sens e-tfr-ayéeau sellI souvenir des travaux et (les évéJ1eme11tsentassés dal1s les ~vingtdernières années lie l'existence de mon frère. I11dé!JellClalTInlent de ses ouvrages, il avait à faire face à de 110In}JreUSCS correspondances (l'affaires, et à (l'allt{~esq{]l llli prellaie~nt encore l)llls de te1nps. Je trollve penc1ant ce laps tIe teJnps des v.oyages ell Savoie, ell Sarllaigne, el1 Corse, ell J\.lleI11agI1e, ell Italie, il

Saint-PétersJ)ourg, dans la RllssÎe 111éridio11ale, où il séjofrrna (lenx 'fois, sans €OITI])-' ter ceux t!u'il faisait (lallS l'-i[llérienr~-dè la 1~'J.:ance,partollt' où iJ plaçait ses .peTso:n~

BALZAC

103

}1ages, ponr décrire fidèlement les villes Oll les campagnes où il les faisait vivre. En 'venant prendre congé de nous, il 110US (lisait: Je pars pour Alençon, pour Gre-

-

noble, où "demeurent M 11~~Yormont..., kl. Be}~a!ss'ls.. .

L'impossible n'existait pas pOllr lui; il le prouva d'abord en,{rouvan t le courage de 'Tivre clans les premières années de sa vie littéraire, où il se pri\Ta plus d'une fois ell1 nécessaire afin cIe se procurer le~superflu, si utile, pour' ocoaper une place d>ans cette société qu'il voulait peindre! Ces temps me rappellent de si gr.andès angoisses, qlle je ne puis y revenir sa11Stristesse. De 1827 à 1836, mOl}frère ne put se SOlltenil~qll'el1 faisant des billets dont les éehéa11ces l'inquiétaient perpétuellement, car il n'y POllvait faire honneur qu'avec le produit de ses œuvres, et r'époque où il les ache,Tait était toujours incertaine. Après avoir fait a.ccel)ter et eSCOIlll)terces }.>illetsaux llsuriers., première affaire diffi-

BALZAC

109

cfile, il fallait souvent les Jeur faire renouveler, soconde affaire pIllS difficile encore, et dont lui seul pouvait se charger, car d'al1tres ellssent échollé en cIetelles 11égociations, mais il fascinait tout le monde, même les llsurÎers. - Quelle dépense d'intelligence perdue! nOllSdisait-il tristement en re,-enant accablé de fatigue de toutes ces démarches qui interrompaient son travail. Il ne potlvait empêc]ler tOlllerois que les escomptes des uso.riers et les intéF,êts cumulés de ses obligations I)rincipales, lIe fissent ressembler sa dette flottante (comn1e il l'appelait dans ses jOllrs de gaieté) à la boule de neige qtli va tOlljOllfSgrossissant en roulant; cette dette augn1entait tellenlent en passant sur les mois et les années, que mon frère désespérait par ll10111entsde s'acquitter jamais-. De temlJs à alltre, l)our apaiser les plus Inel13çants (le ses créal1ciers, il faisait des prodiges ùe travail qui effrayaient les libraires et ]es illlprimellfs; les (lates les plus chargées de la liste que j'ai donnée, '1

{to

B.A.LZAC

nous disent les années où il sOllffrit le plllS~ Ces travaux surllumains furent certainement une (les callses qlli abrégèrent sa vie. Dne grande comn1otion lllorale détermina ]a maladie- de cœur dont il rnollfut, mais elle n'eût pas marcl1é si vite si elle ne se fût pas développée dal1s un sang enflammé. Cet état d'anxiété dllra jusqu'à l'hellre des réimpressions, qui commencèrent à llli permettre cIe s'acqllitter partielleInent. Avec quelle joie il supporimait ql1elqlles chiffres de ce tel~rib]e état de situation qu'il avait tOUjOtlfSsous les yeux afin de stillluler sans cesse son courage. Après tant de travaux, quand donc aurai-je un sou à tlloi? me disait-il souvent; je le ferai certai11elnent encadrer, car il fera à lui seull'llistoire de ma vie. Quelqlles lettres des années 1832, 1833, 183!~et 1835, pendant lesquelles il voyagea, fero'nt miellx connaître la situation de son âme que tout ce qlle je pourrais dire. Elles sont écrites d'Angoulême, d'Aix, de Saché,

-

BALZA.C

tft

(le Marseille, de Nlila11.Les ouvrages dOI)t il y parle me guident pour en 3,ssigner la date, qui manque presql1e toujours à ses leltres. Angoulênle était la ville où vivait momentanément la fami] le C..., chez laquelle lllon frère allait souvent (le commandant C... y dirigeait la pOlldrerie). Une vive an1itié s'était établie entre mon frère et cette 11onorable famille en 1826, époque où j'habitais Versailles. 1\1.C.!t.était alors directeur des études à l'École militaire de Saint-Cyr... Je retrouvai avec joie sa femn1e, avec laquelle j'avais été élevée. Cette amitié fidèle et i11telligente fut UI1des bonhellfs de la vie de mon frère. Ses ouvrag-es signés d'Angoulême et lie Frapestes (terre que l\tfmeC... possédait en Berri), témoignent de cette profonde sYlupatl1ie. Saché est une belle propriété située à sept liell'es de Tours-; elle appartient à 1\1.de 1\1..., ami de notre famille. Honoré trouva aussi cbez lui en tOtlt temps la pIns noble hospitalité llnie à la l)lus C011stanteaffection. Il avait chez ces arnis la tranquillité qui ]llÎ n1311quait

tt2

BA LZA.C

à Paris. Il écrivit là plusieurs ouvrages, notamment LO~tisLa.mbe.rt-,le Lys dans la vallée, la Recherche de l'clbsolu, et plusietlrS at1tres qui ne me reviennent pas à la méllloire. « Augoulènle... (Je crois que c'était en 1852.)

» Merci, fi1a sœur; le dévouement lies cœurs aimés nous fait tant de bien! Tu m'as renclu cette énergie qui m'a fait surmonter jusqu~ici les difficultés de ma vie! Oui, tu as raison, je ne m'arrêterai pas, j'avancerai, j"atteindrai le but, et tu me verras lIn jour cOlnpté parmi les. grandes intelligences de mon pays! ) Mais quels efforts pour arriver là! ils l)risent le corps, et la fatigue venue, le déco\lragement suit! ») LOllisLambert

m'a coûté tant de travaux! que

d'ouvrages il m'a fallu relire pour écrire ce livre. Il jettera l)eut-être un jOllr ou l'autre la science dans des vojes nouvelles. Si j'en avais fait une œtlVre purement savant.e, il eût attiré l'attention des penseurs qui n'~yjetteront pas les yeux. Mais si le hasard filet, un jour ou l'autre, Louis Lambert entre leurs mains, ils en parleront peut-être!... Je crois Louis Lambert Ul1beau livre! Nos amis l'ont admiré ici, et tu sais qu'ils ne me trompent pas!

BA.LZ1C »)

f 13

Pourquoi revenir sur sa terminaison? tu con-

nais la raison qui me l'a fait choisir! Tu as toujours peur. Cette fin est probable1 et de tristes exen)ples ne la justifient que trop: le docteur n'a-t-ilpas dit que la folie est toujours à la port-e des grandes int~lligences qui fonctionnent trop?.. » Encore n1erci de ta lettre, et pardonne au

IJ8uvre artiste ]e clécouragement q ni l'a rend ue nécessaire. La partie engagée, je\ joue si gros jeu! Il faut toujours progresse.r. ~Ies livres sont les seules réponses que je veuille jamais faire à ceux qui comlllencent à nl'altaquer. » Que leurs critiques ne te préoccupent pas.

trop; elles sont de bOllSpronostics: on l1e Lliscute pas la médiocrjté!... »)Oui, lu as raison, Ines progrès sont réels, et mon courage i.nfernal sera récompensé. Persuadele aussi à' ma mère, cllère sœur, dis-lui de filefaire l'aumône de sa patience; ses dévouements lui seront comptés! Un jour, je l'espère, - un peu de gloire lui 11nyeratout! PatlVre mère! cette imagination qu'elle m'a donnée la jette per11étllellcment du nord au midi et du n1idi au nord: de tels voyages fatigtlt~nt; je le sais aussi, lliOi! »_Dis à n1a mère '-Illeje l'aime comme lorsque j'étais enfant. Des larn1es me ga-gnent efl t'écrivant ces ligne~, larn1es de tendresse et de désespoir,

i 14

B _-\ L Z A. C

car je sens l'avenir, et il me faut cette n1ère clévouée au jour du triomphe! Quand l'atteindrai-je? ») Soigne bien

notre mère, I..Iallre,I)our le pré-

sent et pour l'avenir. »)

Quant à toi et à ton mari, ne doutez jamais de

mon cœur; si je ne puis vous écrire, que votre te11dresse soit indulgente, n'incriminez jamais mon silence; dites-vous: Il I)ense à nous, il nous parle; entendez-moi, mes bons amis, vous, mes I)lus vieill~s et mes plus sûres affections! » En sortant de mes longues méditations, de mes lravaux accablants, je me repose dans vos cœurs comme daIls un lieu délicieux où Tien ne :Ine blesse I ») Quelque

jour, quand mes œuvres seront

cléveloppées, vous verrez qu'il a fallu bien des lleures pOlIr avoir pensé et écrit tant de choses; vous m'absoudrez alors de tout ce qui vous aura déplu, et vous IJardonnerez, non l'égoïsme de 1'11on1n1e(l'bomme n'en a pas), mais l'égoïsme du penseur et dll travailleur. ») Je

t'embrasse, cllère consolatrice qui m'aI-)-

portes l'espérance, baiser de tendre reconnaissance; ta lettre m'a ranimé; après sa lecture, j'ai poussé un hourra jOtyeuxet crié: ») En

avant, troupier! jette-toi en travers dal1s

la 118taille! »)

BALZA'C

115

011 compren(lra les émotiol1sqtIe Ine callsaient de pareilles lettres! Dans LÜlu/isLambert, lTIOnfrère, pour faire passer qlIelques idée~ qlIi n'étaient pas encore ~lcceptées~ se crut obligé de les Inettre sous ]a sauv,egarde de la folie. « Encore, me disait-il, n'ai-je pas osé leur

(lonner toute l'extension que je leur vois!



Louis Lambert se demande si l'-électricité n'entre pas corome base dans le fluide particlIlier où s'éla}Jorent et d'où jaillissent nos pensées? Il voit dans les 1)e11SéeslIn système con1plet, selnblable à l'ul1 des règnes de la nature, une sorte de floraisol1, une botanique céleste dont le développell1ent passera pel1têtre pour l'ouvrage d'un fou!... « Oui, tout en nous et 110rsde 110115,dit Louis Lambert, atteste la vie de ces créations ravissantes qtle je compare à des fleurs, pour obéir à je 11e sais quelle révélation de leur nature. »

NIan frère revient, dans I,lusie1lrs de ses ollvrages, StIr ce sujet de lnéditations; dans

tf6

BALZAC

la Peau lle ch_ag1~iJ1, entre 311tres, il analyse la llaissarlcP, la vie Ot1 la n10rt de certaines pensées, une des pIns ravissantes pages de cett.e œuvre. Louis Lambert trouvait les idées et les sentin1cnts doués de certaines propriétés de lanatllre pllysique, de mouvement, de pesanteur, etc., et le délllontrait par quelcll1es exel11plesjt

» L'attente, dit-il) n'est si douloureuse que parce que la souffral1ce passée s'additionne sans cesse à la souffrance présente et produit une pesanteur qui oppresse l'âme. » La peur, ce foudrCJiementintérie.ur semblable

aux accidents électriques (si bizarres et si capricieux dans leurs nlocles), la peur, qui presse si violemment la machine llumaine, que les facultés J' sont soudainement porlées soit au plus ]laut {Joint de la puissance, soit au dernier degré de la désorganisation, ne trDuvera-t-elle pas l'application deses effets quand les savants auront reconnu le rôle immense que joue l'électricité dans nos pensées? ... ») La colè1--e n'esl-elle pas aussi un courant de la force l1umaine qui agit électriquenlent? ») Sa commotion, quand elle se dégage, 11'agit-

BA.tz~\.C

il7

elle pas sur les personnes présentes, ulême sans qu'elles en soient le ]Jllt ou la cause? » A quoi, si ce n'est à une pllissance électrique, attrÎbuer la magie avec laquelle la volonté s'intronise si majestueusement dans les regards, éclate dans la voix (courant de ce roi des fluides) pour foudroyer tous les obstacles au commandement ,. ') I genIe.... cu »)

Les idées, les sentiments

sont des forces vi res,

et ces forces ctlez certains êtres deviennent des fleuves de VOIOlltéqui entraînent

tOllt!

)

D'autres exemples viennent encore à l'al)pui : il parle dll fanatisme cIela foi qui enfal1te les miracles. Louis Lambert clit el1core : « Les événements qlli attestent l'action de l'humanité ont des causes dans lesquelles ils sont préconçus, comme nos actions sont acconlplies clans notre penséè avant de se prodllire au dellors! ») Le" faits n'existent pas, il ne reste de nous que des jdées. »)

Je borne là mes citations; je n'ai 'TOllIll que prollver ce que j'ai avancé: le livre seul pelIt faire apprécier la halltel1f de cet esprit 7.

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si ardent à chercher la solution (les questiol1S qlli occupent le plus les l)enseurs !... Mais reven011S aux réalités de la vie, et voyons si cellli-Ià savait juger les cl10ses -humaines qui, en 184.0, faisait ai11si parler z. ~Iarcas, dans un n\lJ11éro de la Revue par~s~en1~e

:

« Je ne crois pas que la forme actuelle du gOll-vernement subsiste dans dix ans, dit z. ~1arcas; la jeunesse qui a fait aotît 1830, et qu'on a oubliée, éclatera comme la cllaudière d'une machine à vapellr. La jeunesse 11'a])USôlljourd'hui d'issue en Fral1ce, elle y amasse U110avalanclle de capacités méconnues, d'ambitions légitin1es et jnquiètes. ») Quel sera le bruit qui ébranlera ce3 masses? Je ne sais; mais elles se précipiteront sur l'état de choses actuel et le bouleversero11t. ») Il

est des lois de fluctuation qui régissent les

populations. L'empire romain les avait méconnues quand les barbares arrivèrent. ))

Aujourd'llui les barbares sont les intelligences.

Les lois de trop-plein agissent en ce monlent lentenlent, sourdement autour de nous. Le- gouvernemel\t...méconnait la p\lissance à qui il doit tout. Il s'est laissé lier les mains par les absurdités du

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contrat; il est tout 11réparé comme U11evictime. » Louis XIV, NarJoléon, l'...~nglelerre, étaient et sont avides de jeunesse intelligente. En France, la jeunesse est condamnée à l'inaction par la légalité nouvelle, par les conditions mauvaises dll priIlcipe électif, par les vices de la constitution ministérielle. ») En

examinant ]a conlposi1ion de la Chamt.Jre

élective, vous n'y trouvez pas de déplltés de trente ans. La jeunesse de Ricllelieu, celle de Mazarin, celle de Colbert, de Pitt, dll prince de Metternicl1, de Napoléon, n'y trouveraient pas de place!... Burke~ Sheridan et Fox ne pourraient s'y asseoir!... On devine les motifs d'une circonstance à venir, mais on ne peut prévoir la circonstance elle-même. En ce mOUlent on pousse la jeunesse entière à se faire républicaine, parce qu'elle voudra voir daTIsla république son émancipation. Elle SBsouviendra des jeunes représentants du peuple et des jeunes généraux!... La France el1 état d'infériorité vis-à-vis de la Russie et de l'Angleterre!... la France au troisième rang!... On nous tionne la paix en escomptant l'avenir!... Les reClllades de la peur passent pour manœuvres d'habileté! Mais les dangers viendroI1t, la jeunesse surgira comme en 1790 I... Et vous périrez pour Il'avoir pas demandé à la jeunesse de la France ses forces et son énergie, son dévQuement et son

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ardeur; pour avoir pris en llaine les gens capables, pour ne les avoir pas triés avec alTIOUrdans cette

belle génération!

»)

Ces lignes, écrites all n10ment de la plus gr'ande prospérité du règne de Lou-is-Philippe, prouvel1t combien Balzac '~oyait loin et jugeait de 11aut. Mon frère, après Lottis La1}~berttermillé, partit d'Angoulême pour la Savoie. Je trou've d'Aix deux lettres que je Fuis donner, lIne écrite à Ina 111ère,UIle autre à IllOi. « Aix,1 cr »)Je SllÎS tOl11JJé dans

septem])re

l'attendrissement

1832.

le pIllS

profon