Revue des Études Juives 170 1-2 volume 170 issue 1-2 [PDF]

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Zitiervorschau

Mireille HADAS-LEBEL Université de Paris IV

HOMMAGE À LOUIS COHN

Je ne peux entendre le nom de Louis Cohn sans aussitôt revoir devant moi son fin sourire bienveillant, son regard pétillant derrière ses lunettes. Pendant plus de trente ans, j’ai eu grand plaisir à le rencontrer aux réunions de la Commission du Livre du Fonds social juif unifié, auxquelles il m’avait, très jeune, associée puis, à partir de 1981, aux réunions de la Commission des Intellectuels sur laquelle il veillait paternellement, et encore en diverses occasions entre deux réunions, notamment aux séances de la Société des études juives dont il avait accepté d’être le trésorier. Il émanait de lui une grande gentillesse qui suscitait la sympathie et un raffinement inné qui portait au respect. Sans qu’il se mît jamais en avant, on finissait par déceler qu’il connaissait le grec et le latin, qu’il avait contribué à écrire quelques pages glorieuses de la Seconde Guerre mondiale et qu’il restait d’une activité inlassable au service de sa communauté, jusqu’à un âge avancé. L’histoire de Louis Cohn, c’est l’histoire d’un Juif allemand né en 1915, qui a eu dix-huit ans en 1933. Cette date veut tout dire. L’enfant choyé d’une famille juive de Breslau, fils d’un professeur d’histoire, élevé dans la pure tradition classique du gymnase, complétée d’une bonne éducation religieuse, comprend que son avenir n’est plus dans son pays natal. Tandis que ses frères et deux sœurs réussissent à gagner la Terre promise, celui qui se nommait alors Wolfgang et en famille Wölfi, prend un jour de 1933 le train pour Paris. Il veut étudier la grammaire comparée et la linguistique générale dans ce qui est encore un pays libre. Il est resté modeste, mais ses succès universitaires remplissent de fierté ses parents restés en Allemagne. Ce sera leur dernière satisfaction. Après avoir réussi à envoyer en Angleterre le plus jeune de leurs fils, ils connaîtront, avec deux de leurs filles, le terrible destin des Juifs restés en Allemagne. Un journal tenu par Willy Cohn, et conservé à Yad Vashem, témoigne de ce que fut leur vie avant leur arrestation. À l’heure de la guerre, le jeune étudiant qui possède encore la nationalité allemande, s’engage dès 1939 dans la Légion étrangère. Il est ensuite interné deux ans et demi en Algérie dans un camp pour étrangers qu’il décrit comme Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 1-2. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126637

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l’un des pires camps de concentration de l’Afrique du Nord, dirigés par des criminels de guerre qui seront d’ailleurs condamnés à mort par un tribunal gaulliste en 1943. Ce garçon doux et pacifique veut remplir son devoir jusqu’au bout. À peine libéré il rejoint l’armée britannique et rejoint en Italie un de ses frères dans la Brigade juive. Il espère vainement retrouver l’un des siens parmi les rescapés qui franchissent la frontière italo-autrichienne. Ce n’est qu’au début 1947 qu’il revient à Paris et à la vie civile. Louis Cohn parlait peu de son engagement héroïque. Il a tout au plus écrit un article pour les Nouveaux Cahiers sur les camps d’Algérie. Avec le temps il avait pris l’allure d’un délicieux érudit sous l’apparence duquel il était difficile de déceler l’homme d’action. La vie n’a pas permis à Louis Cohn de réaliser les ambitions universitaires que promettait sa jeunesse estudiantine. Il a néanmoins pris du service dans l’enseignement en rejoignant l’École Yabné où il est devenu professeur de Lettres à la rentrée 1948. Par cet engagement dans l’une des rares écoles juives de l’après-guerre, il participait à la reconstruction du judaïsme français si durement éprouvé. Ses obligations familiales, une fois devenu mari et père, l’ont contraint à abandonner les recherches qui l’attiraient. Il s’est accompli dans une autre forme d’action au Fonds social où il a exercé pendant deux décennies les fonctions de chef du département de l’Enseignement. Il voyait dans ce poste une véritable mission, et l’on peut dire qu’il a été pendant tout ce temps le missionnaire de l’enseignement juif de qualité, qu’il a été au cœur du renouveau de l’école juive. Soucieux de la formation des maîtres, il a accepté d’être, pendant vingt ans, le secrétaire général de la revue pédagogique Hamoré. Sa culture, dont il ne faisait jamais étalage, était perceptible à travers toutes ses interventions. Il n’y avait pas chez lui de dichotomie entre culture juive et culture générale, culture française et culture allemande. Il était tout simplement cultivé. Sa finesse naturelle faisait qu’il s’exprimait si parfaitement dans la langue française qu’on aurait difficilement décelé une influence étrangère. Il a animé dès ses débuts la collection “Présences du judaïsme” chez Albin Michel en un temps où Lévinas, Néher et Agnon trouvaient difficilement des éditeurs. Il suivait également de près les séances de la Société des études juives. Malgré son apparence frêle, Louis Cohn a atteint le bel âge de 94 ans. Il nous manquait déjà depuis qu’il s’était peu à peu retiré de toutes ses activités. Il manque encore plus à ceux qui savent désormais qu’ils ne le reverront pas. Mireille HADAS-LEBEL [email protected]

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Uriel RAPPAPORT University of Haifa

DID HELIODOROS TRY TO ROB THE TREASURES OF THE JERUSALEM TEMPLE? DATE AND PROBABILITY OF THE STORY OF II MACCABEES, 3

RÉSUMÉ On trouve sur une stèle récemment découverte à Marissa un décret (prostagma) du roi Séleucus IV au sujet de la réorganisation de l’administration des Temples de Koilê Syria (Syrie) kai (et) Phoinikê (Phénicie). Ce décret nous fournit quelques nouvelles données concernant l’histoire de Héliodore, qui suivant le livre des II Maccabées, ch. 3, cherchait à voler les trésors du Temple de Jérusalem. À la suite de ces données fournies par le décret, nous voudrions proposer une nouvelle interprétation, à savoir que Héliodore ne fut pas mêlé à ce vol. Son personnage fut introduit dans l’histoire au lieu d’un autre fonctionnaire Séleucide moins connu et que l’histoire fut conçue et embellie dans les milieux qui soutenaient la famille oniade en Égypte. SUMMARY A recently published stele that was discovered in Marissa contains a decree (prostagma) of the king Seleucus IV concerning reorganization of the administration of the temples in Koilê Syria (Syria) kai (and) Phoinikê (Phoenicia). It brought up some new data and considerations to the issue of the Story of Heliodorus, who according to the book of Second Maccabees, ch. 3 tried to rob the treasures of the Jerusalem Temple. Relying on new data supplied by the decree it is suggested below that Heliodoros did not participate in this event but was introduced into the story in place of another, less known, Seleucid official and that the story was written and embellished among supporters of the Oniad family in Egypt.

A recent publication of a stele that contains three Greek documents aroused anew the interest in the events that took place in Jerusalem at the eve of the Antiochus’ religious persecution and the Maccabaean revolt. These events, of major impact on both Jewish and Christian history, were preceded by conflicts that break out in Jerusalem and involved families of the Jewish nobility, such as the Tobiads, the Oniads and the family of BalRevue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 3-19. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126638

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gea (Bilgah). The backdrop of these events is intertwined with the process of acculturation1 that took place in all the lands included in the empire that was established by Alexander the Great and in its surroundings. On a local level it is also connected to the transition of Syria and Phoenicia from Ptolemaic into Seleucid domain. The three documents inscribed on this stele were published excellently by Cotton and Wörrle.2 The first two are short letters that refer to the decree and addressed to two officials and the third is a letter that contains an important part of a decree (prostagma) of the Seleucid king Seleucus IV (1871753). The stele was broken at its lower edge so that the decree contained 16 lines, 13 of them almost complete. Its location was unknown, though it was rightly guessed to be in Maresha or in its surroundings. Fortunately shortly after the publication of Cotton and Wörrle three inscribed fragments were found in a subterranean complex in Maresha that were ascribed to the same stele.4 Two of them joined perfectly to the stele and the third pertain to it but there is a considerable gap between it and the fuller text above. The fact that the fragments were found in an orderly archaeological excavation proves almost definitely that the stele stood in Maresha, most probably in a temple there. The new fragments more than doubled the preserved text of the decree and added information about Olympiodoros, and enigmatic person till their publication. The decree deals with a change in the administration of the temples in Koile Syria and Phoenicia that was annexed to the Seleucid Empire some twenty years earlier (In the 5th Syrian war of 202-200). Two of the personalities mentioned in the stele have also a major role in the story about the attempt to robe the treasures of the Jerusalem temple, as told in 2Maccabees chapter 3: Seleucus IV, the Seleucid king, and his chief minister (ö êpì t¬n 1. Acculturation in the Hellenistic period that caused the disruption of the social and cultural texture of indigenous peoples can be compared to the effects of modern colonialism. See Éd. WILL, C. ORRIEUX, Joudaïsmos - Hellènismos (Nancy, 1986), 14-35. 2. H. M. COTTON and M. WÖRRLE, “Seleucus IV To Heliodoros - A New Dossier of Royal Correspondence from Israel,” ZPE 159 (2007), 191-205. 3. All dates are BCE except if state differently. ES means Era Seleucidarum. 4. The original location of the stele was not certain when Cotton and Wörrle published their article but was soon firmly established when the three additional fragments that pertain to it were found in a subterranean complex in Maresha. I owe this information with gratitude to my friend and colleague prof. A. Kloner of Bar llan University. On the new fragments and the supportive arguments for their belonging to the same stele see D. GERA, “Olympiodoros, Heliodoros and the Temples of Koilê Syria and Phoinikê,” ZPE 167 (2009), 125-155. I thank Dr. Dov Gera, of Ben-Gurion University of the Negev, for letting me read his article before its publication.

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pragmátwn) Heliodoros. Since the stele was found in the Idumaean Hellenistic town of Maresha, located opposite the south-western corner of Judaea, it is not incidental that its publication opened discussion about two subjects: The nature of the reform in the administration of the temples in Koile Syria and Phoenicia, which is not clear because the decree is only partially preserved; and the probable connection between this reform and the events that took place in Jerusalem as told in 2Macc, 3.5 A third subject, the administration of the Seleucid empire and the hierarchy of its bureaucracy would not be our concern here and it is dealt exhaustively by the publishers of the stele. The contents of the decree, as far as it can be derived from what is preserved of it, do not relate to any specific place, though found in Maresha, but only to Koile Syria and Phoenicia in general. Accordingly it can be safely concluded that the decree was sent by Heliodoros to various officials in this satrapy. With this in mind any supposed specific connection between the decree and the Heliodoros affair, as told in 2Macc, 3, depends on financial and political considerations that may, or may not, indicate to some affinity between them. If there is any connection between the royal decree and the story in 2Macc, 3 it may shed some light on the situation in Judaea that preceded the religious persecution under Antiochus IV in the years 167164. The first step in such an inquiry is to clarify the chronological sequence of these two documents: the decree and 2Macc, 3. In the letter of Seleucus IV to Heliodoros, which contains the decree, no date is preserved. Yet as to this letter are appended two short letters that refer to the decree and addressed to two Seleucid officials, and both are complete and bear dates, we can be sure that the decree was issued just short time before. One of the appended letters is from Heliodoros to Dorymenes and the other is from Dorymenes to Diophanes6 and both are dated to Gorpiaios 134 ES (= August/September 178). So it may be concluded, according to what we know about the span of time needed for such procedures, that the decree was issued about more or less a month earlier. Having this date at hand we have to ascertain the approximate date of the Heliodoros affair. When did the dispute between Simon son of Bilgah7 and 5. On this chapter see commentaries on 2Macc: D. R. SCHWARTZ, 2Maccabees, Introduction, Translation and Commentary (Hebrew; Jerusalem, 2005); J. A. GOLDSTEIN, II Maccabees (New York, 1984); F-M Abel, Les Livres des Maccabées (Paris, 1949). 6. The identity of Dorymenes and Diophanes is exhaustively discussed by GERA, “Olympiodoros,” 138-145. 7. For his identity see commentaries on 2Macc 3:4.

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Onias III, the high priest, burst out (2Macc, 3:4)? When, why and how, as a result of this dispute, did Heliodoros come to Jerusalem and try to confiscate money out of the temple’s treasury (2Macc, 3:7-28)?8 In other words we have to ascertain which was earlier - the royal decree or the mission of Heliodoros. Apparently the fact that the officials mentioned in the royal decree, Dorymenes and Diophanes, and in particular Olympiodoros who was appointed to be in charge of the administration of the temples of Koile Syria and Phoenicia, are not mentioned in the story of 2Macc may reinforce an assumption that the Heliodoros affair preceded the royal decree concerning the reform of the administration of the temples in Koile Syria and Phoenicia. Otherwise we would expect at least Olympiodoros to be involved in the financial disputes about the budget of the Jerusalem temple. If he was not involved it may hint at a possibility that the decree was triggered by the events in Jerusalem that brought up the state of the temples in Koile Syria and Phoenicia in general and was issued as a result of it. But one detail in the course of events militates against such a timetable. Shortly after the failure of Heliodoros in Jerusalem Onias III went to Antioch to explain what supposedly befell Heliodoros in the temple (2Macc, 4:1-6), but he did not arrive on time to appear before Seleucus IV who passed away (September 175) before Onias’ arrival.9 Seleucus was succeeded by his brother Antiochus IV and Onias found himself stuck in Antioch when the new king transferred the high priesthood to his brother Jason (2Macc, 4:7). Three years later (172) Menelaus bribed Antiochus IV to depose Jason and to appoint him high priest in his place (2Macc, 4:24). Some time later he contrived to murder Onias and finally succeeded to get rid of him (2Macc, 4:34).10 As Jason’s deposition took place three years 8. For references to Heliodoros in the sources, especially in inscriptions, see J. D. GRAINGER, A Seleukid Prosopography and Gazetteer (Leiden, 1997), 91-92. E. BICKERMAN, “Heliodorus in the Temple in Jerusalem,” Studies in Jewish and Christian History, New edition in English, I (Leiden, 2007), 432-464 (The French original version, “Héliodore au temple de Jérusalem” was published in Annuaire de I’Institut de philologie et d’histoire orientales et slaves 7 [1939194], 5-40 and was republished in Studies in Jewish and Christian History, II [Leiden, 1980], 159-191), 464, dates this event to 180, but this dating has no support whatsoever. 9. As COTTON and WÖRRLE, “Seleucus IV To Heliodoros,” 203. 10. See M. STERN, “The Death of Onias III,” (Hebrew) Zion 25 (1960), 1-16 (= M. STERN, Studies in Jewish History. The Second Temple Period [Jerusalem, 1991], 35-50). STERN, ibid., 2-3, approves the story that Andronicus murdered Onias but not that this was the reason for his execution by Antiochus IV as told in 2Macc, 4:34. Stern prefers Diodorus Siculus’ version (30.7.20) that Antiochus executed Andronicus because he killed his nephew on that of 2Macc and suggests that though the story of 2Macc that, Andronicus murdered Onias (2Macc, 4:34)

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after Onias’ arrival in Antioch (2Macc, 4:23) and he was murdered there when Menelaus was already in office and as all these events passed consecutively, the attempt on the temple must have occurred in approximately 176-175, apparently after the reform of the temples’ administration, dated to 178, and relatively short time before the death of Seleucus IV in September 175.11 Table 1 THE COURSE OF EVENTS IN 178-172 Events Dates Notes ------The reform according to the Shortly before Gorpiaeos 134 The date is given by the Maresha stele. ES (= Aug/Sep 178). appended letters, ll. 6 & 12. Heliodoros’ supposed arrival 176-175. in Jerusaem and his attempt to enter the temple’s precincts.

“Heliodoros 2Macc, 3).

Onias III goes to Antioch to 175 (2Macc, 4:5). meet Seleucus IV.

Before Seleucus death or, at least, before it was known in Jerusalem.

Seleucus IV passed away.

affaire”

(=

Sep. 175.

Antiochus IV ascends the 175, Some time after Seleu- Onias stays for about 3 years throne. cus’ death. in Antioch. Jason is appointed by Antio- Some time later in the course As Jason was Onias’s brother chus High priest of the Jerusa- of 175. it may be partly legitimate. lem temple. Menelaus replaced Jason as 172. high priest.

2Macc, 4:23 mentions 3 years (supposedly from his appointment to the high priesthood).

Onias III is murdered in Later in 172. Antioche through Menelaus’ instigation.

2Macc, 4:34.

This course of events raises two questions: Why is Olympiodoros not mentioned in 2Macc’s story and why Simon the Balgean applies his comis true what follows is that the king’s nephew was replaced by Onias as the victim of Andronicus (2Macc, 4:35-38). This is a procedure similar to the replacement of a relatively unknown official (probably Olympiodoros) by Heliodoros. 11. Because Menelaus arrived at Antioch at the end of Jason term as High-priest that was in 172. See table 1.

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plaint against Onias to Apollonius son of Thraseas,12 the governor of Koile Syria and Phoenicia and not to Olympiodoros? To proceed we have to explain the background of the decree issued by Seleucus IV. Though the decree as preserved does not contain the details of the reorganization of the temples supervision some points are obvious: The king was not satisfied with the administration of the temples in Koile Syria and Phoenicia as it functioned before 178. The purpose of his decree was to redress this situation; to improve it the king ordered that the administration of the temples in Koile Syria and Phoenicia will be similar to that of the other satrapies of his empire; to implement his decision he appointed Olympiodoros, one of his first friends (l. 32: t¬n prÉtwn ƒílwn), loyal and qualified for this task.13 Was there any specific reason for the king’s initiative in the year 178, assuming that it was prior to the Heliodoros affair? The most simple and probable reason is that the Seleucid government felt that time had come to reorganize and improve the supervision of the administration of the temples in the province of Koile Syria and Phoenicia in accordance with the system customary in the empire at large. Unification is often a sufficient motivation for a bureaucracy, especially a centralized imperial one. The only argument against this explanation is that it came up after twenty years of Seleucid rule that begun with the conquest of the country by Antiochus III in 200. However this postponement can be easily explained. Changes in the bureaucracies of the Hellenistic empires (and not only in them) were slow, and in this specific case we have to take account of additional circumstances: It took few years until the Ptolemaic rule in the new Seleucid province was stabilized;14 Schalit finds Ptolemaic finger prints in the Herodian administration of Judaea more than hundred fifty years later.15 The coins finds show that Antiochus III did not introduce changes in the monetary system in Koile Syria and Phoenicia after its conquest in 200-198 and the Seleucid coinage 12. GERA, “Olympiodoros,” 138-145, devotes a detailed discussion to the identification of the governors of Koile Syria and Phoenicia, including Dorymenes, who is mentioned in the stele, ll. 1; 7. 13. The postion of Olympiodoros under Seleucus IV is similar to that of Nikanor under Antiochos III as described in his letter to Zeuxis (ll. 18-22), a dossier that Cotton and Wörrle and Gera rightly refer to all along their papers. 14. See the Hefziba inscription that contains letters concerning various problems at the aftermath of the fifth Syrian war that dragged at least five years (until 117 ES = 196-195) and see COTTON and WÖRRLE, “Seleucus IV To Heliodoros,” 194 with further bibliography in the notes. 15. A. SCHALIT, King Herod, Portrait of a Ruler (Hebrew; Jerusalem, 1960), 101-121.

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did not replace Ptolemaic silver coins by its own silver coins for some decades.16 Even the Ptolemaic abbreviation L (signifying a year) continued to be in use centuries after the disappearance of the Ptolemies from the area.17 So twenty years postponement was not exceptional and there is no need for a specific event to trigger such a reform. Another motive for setting in motion the above mentioned reform that can be suggested is the need to increase the income from the new province because of the payment of the indemnities that were imposed by Rome on Antiochus III after his defeat on the battlefield of Magnesia (early 189). These indemnities of 12,000 talents were divided into annual payments of 1000 talents per year and were paid fully, with certain delay, in 174/3. Yet these huge sums, as burdensome as they were, were far from being a financial disaster for the Seleucid Empire.18 So, though money was always in need and temples were an important source of income for the Seleucid government, it is not a specific motive that popped up suddenly in the year 178. According to the incomplete text preserved of the royal decree we may conclude that the initiative of Seleucus IV came out firstly to impose on the new satrapy the administrative system that was customary in the other satrapies of the Seleucid empire. That this initiative might have been motivated to some degree by a need (chronic indeed) of money, but there is no indication that links it to any specific event neither in Judaea nor elsewhere.19 16. G. LE RIDER, “La politique monétaire des Séleucides en Coelé Syrie et en Phénicie après 200,” BCH 119 (1995), 393. A. HOUGHTON and C. LORBER, “Antiochus III in CoeleSyria and Phoenicia,” INJ 14 (2000-2002), 54 accept his opinion; O. MØRKHOLM, “The Monetary System of the Seleucid Kings until 129 B.C.,” International Numismatic Convention, Jerusalem 1963, (Tel Aviv and Jerusalem, 1967), 77 has already expressed a similar observation. Also LE RIDER, “Les ressources financières de Séleucos IV (187-175) et le paiement de l’indemnité aux Romains,” Essays in Honour of Robert Carson and Kenneth Jenkins, M. PRICE, A. BURNETT and R. BLAND (eds.) (London, 1993), 55; G. APERGHIS, The Seleukid Royal Economy (Cambridge, 2004), 233-234. For the common slowness of changing former administrative patterns compare the prolongation of Persian patterns retained by Alexander and Pharaonic ones that continued under the Ptolemies. 17. This sign, found on the stele under discussion, can be found on coins of Herod (Y. MESHORER, A Treasury of Jewish Coins [Jerusalem, 2001], nos 44-46) and of Herod Antipas (ibid, nos 75-90). 18. G. LE RIDER, “Ressources financières,” 62: “… les douze versements, en principe annuel, de 1000 talents aux Romains constituaient certes pour sa trésorerie une charge irritante, mais nullement aussi insupportable qu’on l’a souvent pensé” and also ibid. 60-61. 19. This explanation is preferable to the suggestion that the king’s reform was a result of the termination of the tenure of Ptolemy son of thraseas as strategos of Koile Syria and Phoenicia as proposed by COTTON and WÖRRLE, “Seleucus IV To Heliodoros,” 199; 203. Ptolemy son of Thraseas is well known from the Heftzibah inscription and from other sources

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So the introduction of new arrangements into the management of the temples in Koile Syria and Phoenicia was not triggered by the Heliodoros affair, but it may shed some light on the backdrop of it as told in 2Macc.

What is History in the Heliodoros affair? The story told in 2Macc, 3 is obviously not a historical narrative. It is an Epiphany, a revelation of the power of the almighty god in defense of his temple against an attempt to rob its treasures or, more precisely, to invade its sacred precinct, an act that was prohibited for a gentile according to this temple’s rules.20 What really happened than of what is told in 2Macc, 3 and what belongs to the realm of imagination or serves a certain purpose? It is a common knowledge that in every imaginative story of whatever genre there is a kernel of authentic reality or at least a specific Sitz im Leben. But what is the size of this kernel? Is it like an olive’s kernel or avocado’s? It seems to me that Seleucus’ IV decree minimizes the real historical component of the story of 2Macc, 3, an important story in the chain of events that led to the religious persecution by Antiochus IV. It is agreed upon that the Almighty did not send a dragoon and two stalwarts to beat Heliodoros as told by 2Macc, 3:25-26, yet it is agreed upon that there was an attempt to breach the sanctity of the Jerusalem temple and that it failed. Attempts to confiscate treasures of rich temples were not rare in the Seleucid Empire both before and after Seleucus IV (See table 2 below). It is also within the bounds of probability that the internal disputes within the Jewish aristocracy turned the attention of the Seleucid authorities to the financial significance of the treasures of the temple, though it is more probable that such information was well known to the Seleucid authorities independently of Simon allegation (or information, depending on the point of view of each side). (D. GERA, “Ptolemy son of Thraseas,” Ancient Society 18 [1987], 63-73; GRAINGER, Prosopography, s.v. Ptolemaios [4], 115). Supposing he passed away or terminated his office at this date (circ. 178) because of some unknown circumstances ascribe to him extremely long active career. In 218 he is already a high rank commander and the royal decree is from 178, that is forty years later. Assuming that he served as strategos for twenty-two years under the Seleucid regime is far from being acceptable without reliable evidence. 20. E. BICKERMAN, “Heliodorus” (For details see note 7 above), does not refute explicitly the historicity of the event, though he points to its literary genre and other features. N. STOKHOLM, “Zur Überlierferung von Heliodor, Kuturnahhunte und anderen missglückten Tempelräubern,” Studia Theologica 22 (1968), 1-28 discusses at large stories of robbery of temples in Babylonian sources, Herodotus, 2Macc, 3Macc and 4Macc.

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Table 2 SELEUCID KINGS WHO ROBBED TEMPLES King --Antiochus III

Name or Location of temple Dates ----Temple of Ina/Anaitis in 211/10 Media.

Notes --POLYBIUS, Histories, 10:27, 11-12; WILL, Histoire, II, 45-4621.

Antiochus III

Temple in Elymais.

WILL, Histoire, II, 200-202.

Seleucus IV

Jerusalem temple (the Helio- 175 doros affair).

2Macc, 3.

Antiochus IV

Temple(s) in Egypt and the 168 Temple in Jerusalem.

POLYBIUS, Histories, 30:26, 9; 1Macc, 1:21-23; 2Macc, 5:16.

Antiochus IV

Temple of Nanaia in Ely- 164 mais.

POLYBIUS, Histories, 31:9, 1-2; 2Macc, 1:13-16.

Antiochus IV

Temple of Hierapolis

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164 if indeed A dubious information. See occurred. WILL, Histoire, II, 298.

It should also be noted that despite the outward similarity of the attempt by Heliodoros on the temple and those attempts referred to in table 2 they are quite different. The major injury to the temple of Jerusalem and to Jewish religious sensitivity was the attempt to invade the sacred precincts of the temple and not the motive, true or fabricated, of robbing its treasures. This inevitably reminds the attempt by Ptolemy IV to enter the temple, as told in 3Macc, where no pecuniary motive is mentioned. Evidently also in 2Macc the primary motive for entering the temple was to control its budget (2Macc, 3:6) and only when it was reported to the king about the incalculable treasures there he sent Heliodoros “with orders to remove these treasures” (2Macc, 3:7).22 Even the argument between Onias and Heliodoros is focused on the disagreement of the status of the money – is it deposits by widows 21. Éd. WILL, Histoire politique du monde hellénistique, Nancy, 1967. 22. Obviously a secondary layer in the story. Cf. verse 14: “He fixed a day and went into the temple to make an inventory.” To this layer was glued another one about the intention to robe the treasury. The robbing is the intention attributed to the perpetrators of the sacrilege not the act against which the pious Jews were protesting, which is the invading of the temple by a gentile. Heliodoros is mentioned also in 2Macc, 5:18 but this is not an additional information but a direct reference to the story of ch. 3. Interestingly he is alleged there of being sent to check the accounts and not to robe the temple (kaqáper ö J¨liódwros ö pemƒqeìv …. êpì t®n êpískecin toÕ gahoƒulakíou), a version similar to the more lenient one of 3:14. For another secondary layer in the story see 2Macc, 3:25-26 about Heliodoros being beaten by a “rider of terrible aspect” (v. 25) and by “two young men…” (v. 26).

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and orphans or the residuals of the royal contributions that should be restored to the royal exchequer.23 In the context of these events the task of Simon the Balgean should also be clarified. Was he an official in the upper echelons of the temple administration or a Seleucid appointee subordinate to higher Seleucid financial officials? His designation prostates does not clarify this question. Aperghis is of the opinion that it is a designation of a government official in charge of supervising the temple finances.24 An appointment of a Jewish nobleman to such a position is not exceptional and the precedent of members of the Tobiad family in the service of the Ptolemaic administration speaks for itself. Like the Tobiads also the Balgean family were part and parcel of the Hellenized aristocracy in Judaea and there were connections between these two families.25 Simon’s obligation as a government official was to report any mismanagement of the budgetary accounts of the temple26 to his overseers. This does not invalidate the possibility that Simon was involved also in the conflicts within Jewish society and the struggles among certain noble families. It is probable as well that his activity was encouraged by the reform announced in the royal decree (the details of which are unknown). It may even be that his appointment as prostates of the Jerusalem temple was a novelty introduced as part of the reform. These suggestions may explain also further details in the story of 2Macc, 3.27 23. The mission of Heliodoros was to check the accounts yet the expected result was that (at least part of) the treasury will be confiscated. Onias opposed this removal of money claiming or pretending that it is not residual money but deposits. It seems that this is exactly what Heliodoros came to check. 24. APERGHIS, Royal Economy, 287; BICKERMAN, “Heliodorus,” 434-435; C. PRÉAUX, Le Monde Hellénistique4, II (Paris, 2002), 575 (Simon was “commissaire royal près le temple”); J. MA, Antiochus III and the Cities of Western Asia Minor (New York, 1999), 145 as well as COTTON and WÖRRLE, “Seleucus IV To Heliodoros,” 203. V. TCHERIKOVER, Hellenistic Civilization and the Jews (Philadelphia and Jerusalem, 1959), 464-465, note 10 opposed this opinion and thought that Simon was a temple official, but it seems that the assumption that Simon was a Seleucid prostates carries more weight. He accused Onias about accounts and balances (2Macc, 3:6 and cf. APERGHIS, ibid., 173) and his attempt to achieve the post of agoranomos suits more a person who look for a career in the bureaucracy of the state than in the temple administration (APERGHIS, ibid., 285). 25. TCHERIKOVER, Hellenistic Civilization, 154. 26. Disputes about the accounts could have been broken out because of differences between the accountancy system and regulations of the former Ptolemaic administration and the new Seleucid one or about the utilization of the generous grants for the temple by Antiochus III (Antiquities 12: 138-144) and Seleucus IV (2Macc, 3:3) and/or because of lack of supervision on these grants and donations until the royal decree of 178. 27. Since the reform was financial, despite the pious chatter in the decree (APERGHIS, Royal Economy, 107-113; COTTON and WÖRRLE, “Seleucus IV To Heliodoros,” 198), we should

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What then is acceptable historically and what is unacceptable in the story of 2Macc, 3? It seems to me unreasonable that Heliodoros came to Jerusalem to check the sheets of papyri on which the accounts of income and outcome of the temple were written. The new stele makes clear that there was a newly organized administration appointed for this task. It is reasonable that as part of this reorganization Simon the Balgean was appointed (or allocated, if he was holding this position prior to the reform) to inspect the Jerusalem Temple, but that the prime minister was summoned to overcome some difficulties there seems to be an exaggeration. Besides, had Heliodoros been coming to Jerusalem with the intention to put hands on a big sum of money of the temple treasury he would come with a significant military force, probably accompanied by the strategos of the province, and would not retreat in shame because of tricks played on him or popular protests of some kind. Had there been a previous attempt by the financial administration of Koile Syria and Phoenicia to scrutinize the allegations made by Simon that failed it could have been a case for summoning Heliodoros to Jerusalem or of him being sent there by the king. Because such a previous attempt is nowhere recorded and as the story stands now it looks as a result of the reform of the administration of the temples and of the failure of Simon the prostates of the temple, obstructed by the high priest Onias III, to interfere with the budget of the temple. This confrontation about the financial administration of the temple was intermingled with a struggle between the high priest Onias III, the family of Bilgah, the Tobiads that were in war among themselves and probably other Judaean factions. One of the more important officials of the financial branch of the administration of the province (most probably Olympiodoros) interfered in support of Simon but failed. From approximately this point the story developed in an a-historical course. An assumption that Olympiodoros was still in office two or three years after his appointment, can neither be denied nor be proved but is the most probable. There is no reason to suppose that he was dismissed or died shortly after his appointment and consequently it is unreasonable that he was not involved in this affair, despite the fact that his name is not mentioned in 2Macc. The new fragments that describe his former relations with the king expect Simon to appeal to an overseer in the financial branch of the administration (supposedly Olympiodoros) and not to Apollonius son of Thraseas, the strategos. But if Simon major difficulty in the beginning of his activity was to enforce an investigation of the accounts then the strategos was the right official to ask for help. Cooperation between the financial branch and the civil-military branch was usual for implementing administrative decisions (APERGHIS, ibid., 271).

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indicate that he was an important member among the king’s first friends (protoi philoi), loyal and devoted to him and not one who can be ignored.28 My suggestion that his persona on the stage of this dramatic show was replaced by Heliodoros will be demonstrated below29. The story of the Heliodoros affair in 2Macc clearly developed in Egypt among adherents of Onias III and with pro-Ptolemaic orientation (cf. 3:11 that refers to money of the pro-Ptolemaic Tobiad - Hyrcanus).30 In the development of the story within a circle of pro-Oniad tendency the story was flavored by depicting the heroes in white and black, embellished by hyperboles and turned into an epiphany. It adopted stereotypes common to the genre of miraculous stories such as the stories in Daniel, 1-6. In these stories the major gentile figure is a king (Nebuchadnezzar; Darius). The king, willingly or unwillingly, enacts some measures or does certain things that put the Jewish heroes in danger. God saves his faithful believers and the king repents the acts that were perpetrated against them. The plot is nourished with pathetic scenarios, common in Hellenistic pathetic literature, that abound in 2Macc, 3: “Women in sackcloth, their breasts bare, filled the streets; un-married girls who were kept in seclusion ran to the gates… while others leaned out from the windows; all with outstretched hands made solemn entreaty to heaven. It was pitiful…” (3: 19-20) and a lot more. Our gentile hero in the Heliodoros’ affair fits well with most of the stereotypes imbedded in the stories of Daniel, 3-6, as can be seen in table 3 below:

28. The decree, including its new fragments, does not contain the official title of Olympiodoros. The suggestion by GERA, “Olympiodoros,” 149, that he was the high priest [archiereus] of Koile Syria and Phoenicia is most reasonable taking account of the praises heaped on him in the new fragments and their resemblance to Nikanor of the Zeuxis inscription. 29. This is in agreement with Gera’s conclusion, joined by others. See GERA, “Olympiodoros,” 149 with note 121. 30. Needless to mention that there is a consensus that 2Macc is a Jewish Egyptian work. Though a major branch of the Tobiads belonged to the pro-Seleucid party in Judaea Hyrcanus remained loyal to the Ptolemies and his descendants and supporters cooperated with those Oniads who settled in Egypt. See J. Goldstein’s seminal article on the sources of 2Macc and the “Tobiad novel” in Josephus’ Antiquities XII, 158-236 (J. A. GOLDSTEIN, “Tales of the Tobiads,” Semites, Iranians, Greeks and Romans, Studies in their Interactions [Atlanta, 1990], 115-151; also J. A. GOLDSTEIN, II Maccabees [New York, 1984]). At any rate the followers of Onias IV, Onias’ III son, who came to Egypt shortly after Antiochus persecution, were pro-Ptolemaic and might have participated in the development of the story about the pious Onias III and his unjust deposition from the high priesthood.

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Table 3 COMPARISON OF THE STORY OF HELIODOROS AND THE STORIES IN DANIEL, 3-6 2 Macc, 3 Daniel, 3 and 6 ----Heliodoros is not the initiator of the attempt Nebuchadnezzar is not the initiator of the allegaon the temple (2Macc, 3:7b). tion but The Chaldeans are the accusers of the Jews (3:8-12).31 The hero acts by virtue of the king’s orders Nebuchadnezzar is forced to throw the culprits (2Macc, 3:13). into the fire furnace (3;15) And Darius is forced to throw Daniel into the lion’s den (6:15-16). The hero begins to perform the evil act and The culprits are thrown into the fire furnace to enter the temple’s precincts (3:23). (3:19-20) and Daniel into the lion’s den (6:17). God thwarts the evil act (3:24-28).

God saves the culprits (3:25) and Daniel (6:23).

The performer of the evil act is punished The executioners are burned (3:22) and the (3:25-29). accusers of Daniel are devoured by the lions (6:25). Forgiveness (3:32-34).

In the two stories referred to above no forgiveness is required because the king is not the initiator of the evil act.

Repentance (3:35-36).

(3:26-28).32

Proclamation of the miracle and of the omni- (3:29-33; 6:26-28). potence of God (336-39).

The epiphany in 2Macc is even more similar to the epiphany in another Jewish-Egyptian writing – 3Macc, 1:8-2: 24.33 For sure there are differences between the two epiphanies but basically their structure is similar: The king, Ptolemy IV Philopator, tries to enter the sacred precincts of the Jerusalem temple prohibited to gentiles; a terrible uproar burst in Jerusalem (priests prey, virgins weep, the high priest entreats God to save his temple from the perpetrated sacrilege); God beats the king to the ground and he is carried away unconscious by his bodyguards.34

31. In the same way Darius unwillingly endangered the life of Daniel and his friends (6:510). In Daniel, 5:3 the golden vessels that were taken from the first temple by Nebuchadnezzar are brought to the banquet of Belshazzar but he did not ordered to bring them. 32. Nebuchadnezzar repents also in another story in Daniel, 4:34. 33. On 3Macc see the recent commentary by J. MÉLÈZE-MODRZEJEWSKI, Troisième livre des Maccabées (Paris, 2008). 34. See table 4.

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Table 4 TWO EPIPHANIES 2 Macc --Heliodoros is sent to the temple (3:7).

3 Macc ---

Before arriving in Jerusalem Heliodoros is Ptolemy IV visits the “neighboring cities” making a tour in the cities of Koile Syria and (that is those in Koile Syria and Phoenicia Phoenicia (3:8). [1:6]) and then comes to Jerusalem. Heliodoros intends to enter the temple (because Ptolemy IV intends to enter the temple. of the king’s orders [3:13, and cf. above 3:7]). Outcry of the people in Jerusalem (3:14-21).

Outcry of the people in Jerusalem (1:16-29).

Onias the High priest participates in the outcry Simon the High priest prays to God to save the (3:21). temple (2:1-20). Heliodoros is beaten by God’s emissaries Ptolemy IV is beaten by God (2:22). (3:24-27). Heliodoros is taken away by his men (3:27) = Ptolemy IV is taken away by his men and his bodyguard (3:24). bodyguards (2:23). Heliodoros is saved by the High priest (3:3134). Heliodoros repents (3:35-36).

Ptolemy IV repents (6:22-29).35

But it is not only the similarity of the epiphany section in 2Macc and in 3Macc that draw them together. In fact both belong to the Jewish Hellenistic, mainly Alexandrian, literature that flourished in Ptolemaic Egypt. The story of Heliodoros, from an early stage of its composition, developed in Ptolemaic Egypt, as was that of 3Macc, but in each one of them different actors took place. Being a story concocted in Ptolemaic Egypt among Jews that were close associates of the Ptolemaic dynasty and court,36 its negative attitude towards 35. Differently than in the story of 2Macc, 3 the repentance of Ptolemy comes only at the end of the seemingly second epiphany in 3Macc, (6:22-29) but nevertheless it resembles that of 2Macc, (“God… opened the gates of heaven, from which two glorified angels of terrible aspect descended…”, [3Macc,, 6:18]). Obviously the pattern of the plot of 3Macc, that is going on partly in Jerusalem and partly in Egypt, dictated a change in the continuity of the epiphany that ends twice, in the temple (2:22) and, after a long chain of events, in the hippodrome of Alexandria (6:22-29). 36. The most probable circle that nourished and embellished the “Heliodoros affair” would be the Oniad family and its supporters that immigrated to Egypt under the leadership of Onias IV. See TCHERIKOVER, Hellenistic Civilization, 278-284. G. BOHAK, Joseph and Aseneth and the Jewish Temple in Heliopolis (Atlanta, 2006), 46-47; 62; 83; 101, suggests that the author

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the Seleucid regime is also understandable.37 In more general terms it may be stated that we should examine this literary corpus from both Jewish and Ptolemaic perspectives.38 Additional proximity between these two epiphanies is the common appellation of the two major figures - Philopator.39 It may be either accidental or a pointer to a closer relationship between the two stories. In addition to the similarities between these to epiphanies account should be taken of the possibility of oral stories used by authors for their own purposes, such as the story of the persecution under Ptolemy IV in 3Macc that is repeated in Josephus’ Against Apion 2:51-55, ascribing the persecution to Ptolemy VIII40. Attention should also be paid to the fact that those temples’ robberies recorded in our sources (see table 2) took place in circumstances of war or rebellion and were led by a king whereas those of 2Macc and 3Macc took place the first as a bureaucratic step by an emissary of the king and the other as a capricious whim by a king and both at peace time. The mission of Heliodoros, the prime minister and right hand of the king, is far beyond what is expected for a minor accountancy dispute. The analogy between the Heliodoros affair and the robbing of temples in the Seleucid Empire is quite limited then and it is more literary than historical. In short, the decree of Seleucus IV might have spurred an examination of the accounts of the Jerusalem temple, in general or specifically of those concerning the royal contributions to the temple. In the framework of the reform initiated by the king Simon the Balgean, the prostates tou hierou, either was instructed or initiated an examination of the temple’s accounts. He confronted the opposition of the high priest Onias III.41 Each contender of this story was “a Heliopolitan Jew, intimately connected with Onias’ temple” (ibid., 101). For other writings that sprung from Oniad circles, ibid., 102. Cf. also to note 30 above. 37. The Seleucid king tried to robe the Jerusalem temple, a known vice of this dynasty, and his prime minister is ridiculed. If the proposal of an earlier date of 3Macc is right then Heliodoros story may serve as a kind of response to Ptolemy’s IV attempt to desecrate the Jerusalem temple. After all Ptolemy Philopator did not intend to rob the temple and he finally repented whereas Seleucus IV Philopator was motivated by avarice and only his unwilling emissary repented, not the king who sent him. 38. A. WASSERSTEIN, D. J. WASSERSTEIN, The Legend of the Septuagint (Cambridge, 2006), 25 holds this perspective in regard to the Letter of Aristeas. 39. SCHWARTZ, 2Maccabees, 23, note 16. He also stresses the “floating” character of the two stories and points to the “diasporic” character of 2Macc in general. 40. See T. RAJAK, Translation and Survival (Oxford, 2009), 49 and note 69. 41. Gera points to the possibility of confrontation about authority over the Jerusalem temple because, according to him (“Olympiodoros,” 149) Olympiodoros was appointed to be the high priest of Koile Syria and Phoinicia, an appointment that threatened Onias III sovereignty over the temple.

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had his supporters and Simon complained to the strategos42 and probably expected military assistance to enforce the examination. Probably official(s) of the financial branch of the Seleucid administration (most probably Olympiodoros) were involved though they are not mentioned in the story. When this incident was turned among Jews in Egypt into an epiphany it was embellished with new ingredients: The examination of accounts turned into an attempt to robe the temple; at the head of this assignment was placed the highest official of the Seleucid Empire at the time and God was recruited to save his temple; the contenders were colored positively or negatively according to the stance of the circle in which the story developed, probably an Oniad faction in Egypt.43 Heliodoros was a must for the story. He was chosen to play the role of the illustrious figure as in other stories, in which we encounter Nebuchadnezzar, Darius or Ptolemy Philopator. The kernel of the event itself was well known44 and Heliodoros must have been a prominent and known person in Egypt too, not only because of his important position in the court at Antioch,45 but also because his king was the brother of the Egyptian queen and later regent, Cleopatra I, and was friendly to her.46 42. Probably at a certain stage in the development of the story of 2Macc (or version of it) Heliodoros who replaced Olympiodoros, was replaced by Apollonius (son of Thraseas) in 4Macc (4: 5-14), where Apollonius is the official who brake into the temple. TCHERIKOVER, Hellenistic Civilization, 390-391 denies, as many other scholars, the historical value of the report of 4Macc, but even if he is right it shows something about the floating nature of the story. In fact, despite the sloppy nature of 4Macc’s report that is based on 2Macc, its author cited correctly the names of Onias and Simon and omitted only Heliodoros whom he replaced by Apollonius. 43. A collaboration between Oniads and Tobiads of the Hyrcanus branch is probable and the stance of such a circle is quite transparent. See notes 30 and 36 above. 44. See Daniel, 11:20, where both the king and his emissary are nameless, as all the figures in this chapter of Daniel, but it refers to the events recorded in 2Macc, 3 according to most of the commentaries on Daniel, ad loc. since Jerome who cites Porphyry. 45. See GRAINGER, Prosopography, s.v., 91-92; D. GERA, Judaea and Mediterranean Politics 219 to 161 B. C. E. (Leiden, 1998), 105-111. Heliodoros high position is demonstrated by his escort of Laodike, Seleucus IVs daughter, to her wedding to Perseus, king of Macedon. On this occasion he replaced Seleucus who did not accompany his daughter, as one would expect (As done by Ptolemy VI who accompanied his daughter to Acco-Ptolemais, where the ceremony of her wedding to Alexander Balas took place [1Macc, 10:57]). For the two inscriptions that confirm that Heliodoros escorted Laodike on the route to Macedon for her wedding see L. BOFFO, Iscrizioni greche e latine per lo studio della bibbia (Brescia, 1994), 91-97. This event shows that Heliodoros was functioning not in a specific zone but performed various assignments as deputy, or even substitute for the king, when the king was unable or unwilling to perform them. Likewise he was allegedly replacing the king, according to the story of 2Macc, as temple robber, performing the same action as Seleucus’ father Antiochus III and his brother Antiochus IV performed themselves. It is beyond the scope of this paper to discuss the uncertain information that Heliodoros murdered Seleucus IV (APPIAN, Syriaca, 45), but it shows him to be a relatively well known personality. 46. See GERA, Judaea, 105.

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That Heliodoros was inserted into the story of 2Macc gains credibility also because of the other fictitious stories and names in 2Macc. The stories of the mother (Chana in later versions) and her seven sons (2Macc, 7)47 or the martyrdom of the old brave Eleazar (ibid., 6:18-31) have no historical validity whatsoever and they can be understood only by their Sitz im Leben in a time when the trauma of the Antiochus persecution was still alive48. The kernel of the Heliodoros affair may well be a dispute on money accounts between the temple authorities and the Seleucid bureaucracy of Koile Syria and Phoenicia that after a while and with changing circumstances was turned into a magnificent epiphany. It could have been triggered either because of the reform of Seleucus IV or because of the internal tension within Jewish society or, most probably, because of both. The Heliodoros inscription helps to see the Heliodoros affair in real dimensions by presenting a backdrop and raising additional fresh considerations about what happened in Jerusalem at that time. It does not injure the importance of this story neither in the Jewish collective memory nor in its place in western culture.49 Uriel RAPPAPORT [email protected]

47. That the story may have been taking place in Antioch in the presence of Antiochus IV is clearly unreliable. 48. GERA, “Olympiodoros,” 149 draws comparison also between Heliodoros and Haman, the great vizier in the Persian court as a motive for the author of the story to replace Olympiodoros by the chief minister of Seleucus, Heliodoros. As is well known the story of Esther was popular among Jews in Egypt and it may be related to the post Epiphanian period. See U. RAPPAPORT, “The Sitz im Leben of the Massoretic Version of Esther Scroll,” (Hebrew) Beit Mikra 53 (2008), 123-137. 49. BICKERMAN, “Heliodorus,” 445.

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Sabrina INOWLOCKI University of Lausanne

DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES, BROTHER OF JESUS?

RÉSUMÉ Une tradition chrétienne établit un lien entre la destruction de Jérusalem et le meurtre de Jacques le Juste, frère de Jésus. L’une de ses attestations les plus anciennes et les plus explicites est citée pas moins de trois fois par Origène. Celui-ci l’attribue à Josèphe. Dans cette étude, nous allons considérer l’hypothèse selon laquelle Origène aurait paraphrasé un passage authentique de Josèphe, qui ne serait plus présent dans les versions actuelles de cet auteur. Un examen attentif du texte d’Origène montre que, contrairement à l’opinion de certains savants, il n’est pas dénué de référence aux Antiquités juives. Il trouve par ailleurs sa place dans la logique générale de cet ouvrage. D’autres passages des Antiquités juives présentent des parallèles étroits avec le texte sur Jacques, ce qui renforce d’autant la probabilité de son appartenance à la version originelle du livre de Josèphe. En conclusion, si l’on peut dire que les témoignages des Pères sur le judaïsme et le christianisme de leur époque doivent être toujours lus de manière critique, ils ne doivent pas être systématiquement rejetés pour autant. SUMMARY A Christian tradition connects the destruction of Jerusalem to the murder of James the Just, brother of Jesus. One of its earliest and most explicit occurrences is found in Origen, on no fewer than three occasions. Origen ascribes this tradition to Josephus. In this paper, I explore the possibility that Origen may have paraphrased an authentic passage of Josephus, which is no longer extant. A close reading of the evidence in Origen shows that, contrary to some scholars’ opinion, Origen did provide references to Josephus when dealing with this passage. The passage in question would have made sense in the logic of Josephus’ Antiquities. Moreover, other passages in the Antiquities closely parallel the contested paraphrase, which suggests that it may well have belonged to this work. By way of conclusion, it can be said that if patristic testimonies on early Judaism and Christianity should always be read critically, they should not be systematically rejected either.

The fall of Jerusalem and its Temple is undeniably an event of dramatic theological importance for both Jews and Christians.1 For the former, it led 1. The bibliography on this topic is vast. See, e.g., S. G. F. BRANDON, The Fall of JerusaRevue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 21-49. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126639

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22 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? to the necessity of reshaping the foundations of Judaism itself. For the latter, it constituted theological proof both for their supersessionist claims and for the truth of Jesus’ prophecies as expressed, e.g., in Matthew 24: 2. In the early centuries of the Common Era, the claim that the fall of Jerusalem in 70 fulfilled biblical prophecies was often combined with the claim that the destruction of the city and its Temple was a divine punishment against the Jews for their murder of Jesus. This argument is well known. Less popular is the tradition which connects the destruction of the city to the murder of James the Just, brother of Jesus.2 One of its earliest and most explicit occurrences is found in Origen, on no fewer than three occasions.3 Origen ascribes this tradition to Josephus. The question of the relation between Josephus and Christianity has kept scholars busy over centuries.4 The original text of Josephus may occasionlem and the Christian Church. A Study of the Effects of the Jewish Overthrow of A.D. 70 on Christianity, London, 1951; H. NIBLEY, « Christian Envy of the Temple », Jewish Quarterly Review 50, 1950-1960, 97-123, 229-240, reprinted in Mormonism and Early Christianity, vol. 4 in The Collected Works of Hugh Nibley, Salt Lake City, 1987, 391-434; B. REICKE, “Synoptic Prophecies on the Destruction of Jerusalem,” in D. E. AUNE (ed.), Studies in New Testament and Early Christian Literature, Essays in Honor of A. P. Wikgren, Leiden (Suppl. To N. Test. 33), 1997, 121-134; H.-M. DÖPP, Die Deutung der Zerstörung Jerusalems und des Zweiten Tempels in Jahre 70 in der ersten drei Jahrunderten nach Christum, Tübingen, 1998; J. HAHN (Hrsg.), Zerstörungen des Jerusalemer Tempels. Geschehen – Wahrnehmung – Bewältigung, Tübingen, 2002. 2. On this early Christian figure, see, e.g. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden II. 2, Braunschwieg, 1884, 238-257; K.L. CARROLL, “The Place of James in the Early Church,” BJRL 44, 1961, 49-67; R.B. WARD, “Jame of Jerusalem,” RestQ 16, 1973, 174-190; R.B. WARD, “James of Jerusalem in the Two First Centuries,” ANRW II. 26. 1, 1992, 779-812; P.-A. BERNHEIM, Jacques, frère de Jésus, Paris, 1996; R. H. EISENMAN, James the Brother of Jesus: Recovering the True History of Earliest Christianity, London, 1997; J. PAINTER, Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia, 1997; Br. CHILTON and J. NEUSNER (eds.), The Brother of Jesus. James the Just and His Mission, Louisville, 2001; H. SHANKS and B. WITHERINGTON, The Brother of Jesus. New York, 2003; Br. CHILTON and Cr. EVANS (eds.), The Missions of James, Peter, and Paul. Tensions in Early Christianity, Leiden-Boston (SNT 115), 2005. For a complete bibliography on James, see the excellent critical studies by M. MYLLYKOSKI, “James the Just in History and Tradition: Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I and II),” CBR 5-6, 2006-2007, 73-122 and 11-98. 3. Bibliography on this topic is extensive. See e.g., E. SCHÜRER, The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ, Rvd. Edition, F. MILLAR, G. VERMES, and M. GOODMAN, I, Edinburgh, 1973-1987, 428-441; J. P. MEIER, A Marginal Jew. Rethinking the Historical Jesus, I, New York, 1991, 55-68; J. CARLETON PAGET, “Some Observations on Josephus and Christianity,” JTS 52, 2001, 539-624; Recently K. A. OLSON, “Eusebius and the Testimonium Flavianum,” CBQ 61, 1999, 305-322; S. INOWLOCKI, Eusebius and the Jewish Authors. His Citation Technique in an Apologetic Context, Boston-Leiden (AJEC 64), 2006, 207. 4. See, e.g., A. WHEALEY, Josephus on Jesus; The Testimonium Flavianum Controversy from Late Antiquity to Modern Times, Berlin, 2003; S. BARDET, Le Testimonium Flavianum. Examen historique, enjeux historiographiques, Paris, 2002.

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ally have looked different from the one we have for the manuscript tradition of Josephus as it has reached us is highly problematic. We have no manuscripts of books XVIII to XX of the Antiquities earlier than the tenth century.5 Unfortunately, it is precisely in book XX that Josephus’ testimony on James occurs. It is considered by most scholars as authentic.6 Yet in the text as we have it, it is not said that James’ murder was the cause of the fall of Jerusalem and its Temple. The passage about James ascribed to Josephus by Origen has been rejected by most as spurious.7 Yet a few scholars have supported its authenticity.8 Unfortunately, none of them have offered extensive and detailed treatment of the problem. Consequently, their arguments have not found support.9 In this paper, I will take a fresh look at the evidence. I will suggest that the authenticity of the passage should not be rejected at once. I will attempt to show that the arguments against the authenticity of the passage ascribed to Josephus fall short when the Greek text of Origen is closely analyzed. I will conclude with an hypothesis on the reception and transformation of this text in early Christianity.

5. Cf. H. SCHRECKENBERG, Die Flavius-Josephus-Tradition in Antike und Mittelalter, Leiden, 1972; L.H. FELDMAN, Josephus and Modern Scholarship, New York, 1984; CARLETON PAGET, “Some Observations on Josephus and Christianity.” 6. For a recent study of the passage in its Jewish Context, see J. MCLAREN, “Ananus, James, and Earliest Christianity. Josephus’ Account of the Death of James,” JTS 52, 2001, 1-25. Nevertheless, some scholars also reject the authenticity of the passage on James as spurious: e.g., T. RAJAK, Josephus: the Historian and his Society, London, 1983, 131, n. 33 and OLSON, “Eusebius and the Testimonium Flavianum.” 7. E.g. Z. BARAS, “The Testimonium Flavianum and the Martyrdom of James,” in L. H. FELDMAN and G. HATA (Eds.), Josephus, Judaism, and Christianity, Detroit, 1987, 338-348; CARLETON PAGET, “Some Observations on Josephus and Christianity,” 550. K. Olson has argued – unconvincingly in my opinion – that the James mentioned in Josephus is not the same as the Christian martyr mentioned in some Christian sources (OLSON, “Eusebius and the Testimonium Flavianum,” 314-319). For critical remarks, see CARLETON PAGET, “Some Observations on Josephus and Christianity,” 547-548. M. E. HARDWICK, Josephus as an Historical Source in Patristic Literature Through Eusebius, Atlanta (Brown Judaic Studies 128), 1989, 60 is content to say that “Perhaps Origen’s text of the Antiquities contains a Christian gloss on the pericope or possibly Origen is the source for the gloss.” 8. R. GIROD, ORIGÈNE, Commentaire sur l’Évangile selon Matthieu, R. G. Ed. and Transl., I, Paris (SC 162), 1970, 114-116; BERNHEIM, Jacques, frère de Jésus, 330-332, who follows S.G.F. BRANDON, “The Death of James the Just: A New Interpretation,” in Studies in Mysticism and Religion Presented to Gershom G. Scholem, Jerusalem, 1967, 57-69. 9. See e.g. BARAS, “The Testimonium Flavianum and the Martyrdom of James,” 338-348, who has defined Girod’s suggestion as an “unacceptable assumption”; see also CARLETON PAGET, “Some Observations on Josephus and Christianity,” 550.

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24 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? Origen’s Testimonies In the Contra Celsum and the Commentary on Matthew, Origen claims to cite a passage from Josephus in which the latter would have presented the Jews’ murder of James, brother of Jesus, as the cause of the fall of Jerusalem and its Temple. For convenience, I have placed in bold type the passages in which Origen (supposedly) quotes Josephus. Contra Celsum I. 47 ¨O d’ aûtóv, kaítoi ge âpist¬n t¬ç ˆIjsoÕ Üv Xrist¬ç, hjt¬n t®n aîtían t±v t¬n ¨Ierosolúmwn ptÉsewv kaì t±v toÕ naoÕ kaqairésewv, déon aûtòn eîpe⁄n ºti ™ katà toÕ ˆIjsoÕ êpiboul® toútwn aîtía gégone t¬ç la¬ç, êpeì âpékteinan tòn profjteuómenon Xristón· ö dè kaì ¿sper ãkwn oû makràn t±v âljqeíav genómenóv fjsi taÕta sumbebjkénai to⁄v ˆIoudaíoiv kat’ êkdíkjsin ˆIakÉbou toÕ dikaíou, Ωv ¥n âdelfòv ˆIjsoÕ toÕ legoménou XristoÕ, êpeidßper dikaiótaton aûtòn ∫nta âpékteinan. Now this writer (Josephus), although not believing in Jesus as the Christ, in seeking after the cause of the fall of Jerusalem and the destruction of the temple, whereas he ought to have said that the conspiracy against Jesus was the cause of these calamities befalling the people, since they put to death Christ, who was a prophet, says nevertheless - being, although against his will, not far from the truth - that these disasters happened to the Jews as a punishment for the death of James the Just, who was a brother of Jesus (called Christ), - the Jews having put him to death, although he was a man most distinguished for his justice.10

This passage is set in a polemical context: Origen challenges Josephus’ claim that the murder of James caused the destruction of Jerusalem. He emphasizes Josephus’ rejection of Jesus as christos but nevertheless finds his testimony worthy of being quoted. If the passage in bold is indeed a paraphrase/citation from “Josephus”, the text quoted mentioned James as the Just and as “the brother of Jesus called Christ”. The question whether the last bit of the sentence on James being most just is Origen’s or Josephus’ remains open. Contra Celsum II. 13 Gégraptai d® ên aûto⁄v tò ÊOtan dè ÷djte kuklouménjn üpò stratopédwn t®n ¨Ierousalßm, tóte gn¬te ºti ≠ggisen ™ êrßmwsiv aût±v. Kaì 10. ORIGEN, Contra Celsum I. 47. Translation by H. CHADWICK, ORIGEN. Contra Celsum, Cambridge, 1953.

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oûdam¬v tóte ¥n stratópeda perì t®n ¨Ierousal®m kukloÕnta aût®n kaì periéxonta kaì poliorkoÕnta. ToÕto gàr ≠rzato mèn ∂ti Nérwnov basileúontov paréteine dè ∏wv t±v OûespasianoÕ ™gemoníav· oœ ö uïòv Títov kaqe⁄le t®n ¨Ierousalßm, Üv mèn ˆIÉsjpov gráfei, dià ˆIákwbon tòn díkaion, tòn âdelfòn ˆIjsoÕ toÕ legoménou XristoÕ, Üv dè ™ âlßqeia parístjsi, dià ˆIjsoÕn tòn Xristòn toÕ qeoÕ. Now in these it is recorded, that “when ye shall see Jerusalem compassed about with armies, then shall ye know that the desolation thereof is nigh.” But at that time there were no armies around Jerusalem, encompassing and enclosing and besieging it; for the siege began in the reign of Nero, and lasted till the government of Vespasian, whose son Titus destroyed Jerusalem, on account, as Josephus says, of James the Just, the brother of Jesus who was called Christ, but, as the truth makes clear, on account of Jesus, Christ of God.11

Contra Celsum II. 13 provides the shortest account. It is set in a chapter which aims to show Jesus’ prophetic ability to foresee the future. Luke 21: 20 is cited in order to demonstrate that Jesus announced the fall of Jerusalem. Once again, Origen emphasizes the contradiction between Josephus’ statement and the truth, namely that the murder of Jesus Christ triggered the destruction of Jerusalem. The Temple of Jerusalem, Josephus’ disbelief, and details about the calamities that befell the Jews are absent from this passage. The mention of Jerusalem by name as well as the mention of truth indicates that II. 13 is closest to I. 47 (rather than to Matt. X. 17), in which these words appear in the same context. As in Contra Celsum I. 47, James is said to be the Just, the brother of Jesus called Christ. As we shall see now, these two testimonies significantly differ from that of the In Matthaeum. Commentary in Matt. X. 17 ˆEpì tosoÕton dè diélamcen oœtov ö ˆIákwbov ên t¬ç la¬ç êpì dikaiosúnjÇ Üv Flábion ˆIÉsjpon ânagrácanta ên e÷kosi biblíoiv t®n ˆIoudaflk®n ârxaiologían, t®n aîtían parast±sai boulómenon toÕ tà tosaÕta peponqénai tòn laòn Üv kaì tòn naòn kataskaf±nai, eîrjkénai katà m±nin qeoÕ taÕta aûto⁄v âpjntjkénai dià tà eîv ˆIákwbon tòn âdelfòn ˆIjsoÕ toÕ legoménou XristoÕ üp’ aût¬n tetolmjména. Kaì tò qaumastón êstin ºti, tòn ˆIjsoÕn ™m¬n oû katadezámenov e˝nai Xristón, oûdèn ¯tton ˆIakÉbwç dikaiosúnjn êmartúrjse tosaútjn. Légei dè ºti kaì ö laòv taÕta ênómihe dià tòn ˆIákwbon peponqénai. And to so great a reputation among the people for righteousness did this James rise, that Flavius Josephus, who wrote the “Antiquities of the Jews” in twenty books, when wishing to exhibit the cause why the people suffered so great misfortunes that even the temple was razed to the ground, said, that these things 11. ORIGEN, Contra Celsum II. 13. Transl. CHADWICK, slightly modified.

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26 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? happened to them in accordance with the wrath of God in consequence of the things which they had dared to do against James the brother of Jesus who is called Christ. And the wonderful thing is, that, though he did not accept Jesus as Christ, he yet gave testimony that the righteousness of James was so great; and he says that the people thought that they had suffered these things because of James.12

This passage and Contra Celsum I. 47 bear significant similarities and differences. As in Contra Celsum I. 47, Josephus’ status as competent historian is emphasized in the claim that he sought the cause of the Jews’ misfortunes. Both passages emphasize that Josephus did not recognize that Jesus was christos. However, this fact is mentioned in the Contra Celsum in order to explain Josephus’ mistake, while, in the Commentary, it is used in order to stress Josephus’ acknowledgement of James’ extraordinary righteousness. Other differences deserve attention. Firstly, the vocabulary used by Origen is different. In Contra Celsum I. 47, the Jews’ misdeed against James is labelled êkdíkjsin, and in the Commentary on Matthew, tà tetolmjména. James’ righteousness is stressed in both passages, but in a different way: in Contra Celsum I. 47, Origen says that James was killed “even though he was most just” (dikaiótaton aûtòn ∫nta), while in the Commentary, Josephus’ acknowledgement of James’ righteousness is said to be amazing (tò qaumastón êstin – perhaps a quotation of John 9: 30). Only in the Commentary does the Homeric expression “wrath of God” (katà m±nin qeoÕ) occur. Secondly and more importantly, in the Commentary, Origen does not point to Josephus’ mistake (connecting Jerusalem to James rather than to Jesus). He is content enough to show that despite his disbelief, he acknowledged James’ righteousness and presented the Jews’ suffering and the destruction of the Temple as the consequence of the murder of James, brother of Jesus. On the contrary, in Contra Celsum I. 47, he claims that Josephus, even though he was close to the truth, did not find the real cause of the fall of Jerusalem and its Temple, namely, the Jews’ plot against Christ. Significantly, in the Commentary, Origen does not ascribe to Josephus the use of the name James the just: he only mentions the appellation James brother of Jesus called Christ. Last but not least, in the Commentary, the attribution of the destruction of Jerusalem to the murder of James is not only ascribed to Josephus: according to Origen, Josephus would have ascribed it to “the people” (ö laóv). I will come back to this shortly. 12. Comm. in Matt. X. 17. Transl. A. MENZIES.

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This brief analysis indicates that a) out of the three passages, the Commentary is less polemical towards Josephus than the Contra Celsum; b) significant lexical differences distinguish the Commentary from the Contra Celsum; c) there is no word for word citation, whether the passage is authentic or not. Origen seems to be paraphrasing out of memory: the lexical differences between the two passages suggest that he presents the general idea of a passage, which he rephrases with his own words. However, there is one exception: the formula “James brother of Jesus called Christ” occurs in the three passages. It happens to occur also in Josephus’ Antiquities XX. 200. This suggests that this formula is a quotation from Josephus. Before going back to this in more detail, I shall turn to the arguments presented against the authenticity of Josephus’ disputed testimony.

Origen’s citations of Josephus In addition to the absence of the passage from the manuscripts of Josephus (to which I will turn shortly), the rejection of the disputed Josephan passage is based on the absence of exact reference to Josephus in Origen.13 Yet this argument does not seem valid when it is examined in the light of Origen’s citations of Josephus. A. J. Carriker, in his book on the library of Eusebius, convincingly suggests that Origen brought Josephus’ writings with him from Alexandria to Caesarea.14 W. Mizugaki writes in an article on Origen’s use of Josephus that “Origen is thoroughly versed in Josephus’ works”.15 He knew all of them except the Vita. He explicitely mentions Josephus eleven times. This reveals the authority of Josephus as a historical source in Origen’s eye for the latter is no name-dropper, as D. T. Runia has shown, for example, in relation to his use of Philo.16 In addition to the passages cited above, Origen refers to the Against Apion (called by Origen Peri archaiotètos) in Contra Celsum I. 16 and IV. 11 on the antiquity of the Jews and of Moses, but he does not give the number of the book; At I. 47, before the passage examined above, Origen mentions the eight13. See bibliography in note 7. 14. J. CARRIKER, The Library of Eusebius of Caesarea, Boston-Leiden (S.VigChris 67), 2003, 158-159. 15. W. MIZUGAKI, “Origen and Josephus,” in L. H. FELDMAN and G. HATA (eds.), Josephus, Judaism, and Christianity, 325-337. 16. D. T. RUNIA, Philo in Early Christian Literature. A Survey, Assen-Minneapolis (CRINT 3), 1993, 161.

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28 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? eenth book of the Antiquities in relation to John the Baptist. In his other works, he generally gives the title of the Josephan work from which he quotes.17 However, in his Commentary on Lamentations, fr. 115, l. 1 he does not provide any title, probably because he mentioned the title of the War (which he refers to as Peri halôseôs) just before in the same passage.18 The same phenomenon may explain why, in Contra Celsum I. 47 he does not provide the title of the work from which he paraphrases the passage on James: he has referred to the Antiquities a few lines before. When he appeals to Josephus at II. 13, he might not feel the need to repeat a reference which he gave in the previous book, all the more since II. 13 is in fact a summary of I. 47. Therefore, Origen did provide a reference for the passage on James. The Antiquities were mentioned in the same chapter, just before he deals with James. Moreover, it is worth noting that Origen does mention the title of Josephus’ work when he presents the passage on James in the Commentary on Matthew: Üv Flábion ˆIÉsjpon ânagrácanta ên e÷kosi biblíoiv t®n ˆIoudaflk®n ârxaiologían is usually translated “as Flavius Josephus, who wrote the Archaeology of the Jews in twenty books, … said that these things happened to them…”.19 Yet this could also be translated “as Flavius Josephus, when he wrote the Archaeology of the Jews in twenty books …”. Translated as a time clause, the participle provides a reference to Josephus’ Antiquities. The fact that “Origen’s treatment of Josephus assumes a certain amount of knowledge about Josephus on the part of his readers and a situation in which Josephus’ works are within easy reach [this refers to Contra Celsum I. 16 and IV. 11]”20 suggests that his paraphrase is rather faithful to the text of Josephus he had. Since Origen tends to avoid citations21, the fact that the passage in question is only paraphrased does not indicate that it is a fake. Thus Origen may have in fact referred to the Antiquities as the source for the passage on James.

The place of James in Josephus’ Antiquities James is usually perceived as a figure of nascent Christianity in Jerusalem and is studied in the context of early Christianity. As such, some find it dif17. Fr. In Jeremiam (in catenis) 14, l. 4 (reference to the tenth book of the Antiquities); In Lamentationes 105, l. 7; 109, l. 7; Selecta in Psalmos, Ps. 73, v. 5, l. 4 (references to the War, called Peri haloseôs). 18. In Lamentationes 105, l. 7; 109, l. 7. 19. Cf. transl. MENZIES. 20. MIZUGAKI, “Origen and Josephus,” 330. 21. A. von HARNACK, “Der kirchengeschichtliche Ertrag der exegetischen Arbeiten des Origenes,” Part 2, TU 42/4, Leipzig, 1919, 50; MIZUGAKI, “Origen and Josephus,” 331.

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ficult to imagine that Josephus the Jew would have associated the brother of Jesus and leader of the Jerusalem Church and the fall of the city. Yet Josephus’ testimony on James as preserved in the Antiquities is of major historical importance. It reads as follows: ö dè neÉterov ‰Ananov, Ωn t®n ârxierwsúnjn ∂famen eîljfénai, qrasùv ¥n tòn trópon kaì tolmjt®v diaferóntwv, aÿresin dè metßÇei t®n Saddoukaíwn, oÿper eîsì perì tàv kríseiv Ömoì parà pántav toùv ˆIoudaíouv, kaqÑv ≠dj dedjlÉkamen. †te d® oŒn toioÕtov øn ö ‰Ananov, nomísav ∂xein kairòn êpitßdeion dià tò teqnánai mèn F±ston, ˆAlb⁄non d’ ∂ti katà t®n ödòn üpárxein, kaqíhei sunédrion krit¬n kaì paragagÑn eîv aûtò tòn âdelfòn ˆIjsoÕ toÕ legoménou XristoÕ, ˆIákwbov ∫noma aût¬ç, kaí tinav ëtérouv, Üv paranomjsántwn katjgorían poijsámenov parédwke leusqjsoménouv. ºsoi dè êdókoun êpieikéstatoi t¬n katà t®n pólin e˝nai kaì perì toùv nómouv âkribe⁄v baréwv ≠negkan êpì toútwç kaì pémpousin pròv tòn basiléa krúfa parakaloÕntev aûtòn êpiste⁄lai t¬ç ˆAnánwç mjkéti toiaÕta prássein· mjdè gàr tò pr¬ton ôrq¬v aûtòn pepoijkénai. tinèv d’ aût¬n kaì tòn ˆAlb⁄non üpantiáhousin âpò t±v ˆAlezandreíav ödoiporoÕnta kaì didáskousin, Üv oûk êzòn ¥n ˆAnánwç xwrìv t±v êkeínou gnÉmjv kaqísai sunédrion. ˆAlb⁄nov dè peisqeìv to⁄v legoménoiv gráfei met’ ôrg±v t¬ç ˆAnánwç lßcesqai par’ aûtoÕ díkav âpeil¬n. kaì ö basileùv ˆAgríppav dià toÕto t®n ˆArxierwsúnjn âfelómenov aûtòn ãrzanta m±nav tre⁄v ˆIjsoÕn tòn toÕ Damnaíou katéstjsen. But this younger Ananus, who, as we have told you already, took the high priesthood, was a bold man in his temper, and very insolent; he was also of the sect of the Sadducees, who are very rigid in judging offenders, above all the rest of the Jews, as we have already observed; when, therefore, Ananus was of this disposition, he thought he had now a proper opportunity. Festus was now dead, and Albinus was but upon the road; so he assembled a Sanhedrin of judges, and brought before them the brother of Jesus, who was called Christ, whose name was James, and some others; and when he had formed an accusation against them as breakers of the law, he delivered them to be stoned: but as for those who seemed the most equitable of the citizens, and such as were the most uneasy at the breach of the laws, they disliked what was done; they also sent to the king [Agrippa], desiring him to send to Ananus that he should act so no more, for that what he had already done was not to be justified; nay, some of them went also to meet Albinus, as he was upon his journey from Alexandria, and informed him that it was not lawful for Ananus to assemble a sanhedrim without his consent. Whereupon Albinus complied with what they said, and wrote in anger to Ananus, and threatened that he would bring him to punishment for what he had done; on which king Agrippa took the high priesthood from him, when he had ruled but three months, and made Jesus, the son of Damneus, high priest.22

22. AJ XX. 200. Transl. W. WHISTON, The New Complete Works of Josephus, Michigan, 1999, slightly modified.

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30 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? This passage is considered authentic by most scholars.23 The only piece which has raised dispute is the reference to James as being the brother of Jesus called Christ.24 Discussions on this subject are endless and numerous arguments have been offered both for and against the authenticity of this appellation. I do not intend to re-examine this intricate problem in detail. Suffice it to say that I accept the authenticity of this reference. Both Jacob and Jesus were very common names. Josephus needed to clarify to whom these names referred (just as Origen and Eusebius later on). Moreover, I accept the argument that the significance of the expression “who is called Christ” is exaggerated and is not typical of early Christian usage.25 In my view, the fact that Origen ascribes to Josephus the claim that James was “the brother of Jesus called Christ” and yet says that Josephus did not accept Jesus as being the Christ confirms that the expression “called Christ” was not necessarily a Christian interpolation. If the whole expression “James the brother of Jesus called Christ” is indeed authentic, then it supports the authenticity of the passage quoted by Origen, since it is found in no place other than in Josephus. As far as Josephus’ presentation of James’ so-called martyrdom is concerned, in an analysis of Josephus’ passage in the Antiquities, J. McLaren has rightly emphasized that the figure of James in Josephus should not be studied through the lense of later Christian testimonies.26 It should be analyzed in the context of Josephus’ Antiquities. In this work, James appears as a public figure of first century Judaean society, involved in “the machinations of Jewish society in Jerusalem”.27 As McLaren has pointed out, each of the actors of this passage represents a political faction in Jerusalem. The text as we have it in the manuscripts reflects the prominent role of James in Jerusalem.28 Thus the opposition between Ananus, his opponents, and James should not be seen in religious terms as opposing Jews and Christians, or Sadducees and Pharisees. Its nature was essentially political.29 Ananus, a representative 23. 24. 25. 26. 27.

See note 3. See bibliography, e.g., in G. A. WELLS, Did Jesus Exist?, London, 1986, 11. E.g., MEIER, A marginal Jew, I, 58. MCLAREN, “Ananus, James, and Earliest Christianity,” 25. MCLAREN, “Ananus, James, and Earliest Christianity.” See before him, e.g., K. L. CARROLL, “The Place of James in the Early Church,” BJRL 44, 1961, 49-67; R. B. WARD, “James of Jerusalem,” RestQ 16, 1973, 174-190, and Id., “James of Jerusalem in the First Two Centuries,” ANRW II. 26. 1, 779-812. 28. See MCLAREN, “Ananus, James, and Earliest Christianity.” This is also the case in some NT texts: Gal. 1:18; 2:9 (in which James is one of the “columns”, a terminology which certainly refers to the Temple); Luke-Acts 12: 17; 15: 13-21; 21: 18. 29. Ibid., 18-19.

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of the Sadducees, had acted illegally, and he was accused before the Roman governor by representatives of rival factions which were trying to impose their power in Jerusalem. Neither Ananus nor James are really important in Antiquities XX. 200: that which is at stake is rather the general political atmosphere, and the political troubles which led to the fall of the city. This is clearly expressed by Josephus at XX. 214: after narrating different conflicts and outbursts of violence, including the James episode, he concludes: “And from that time it principally came to pass that our city was greatly disordered, and that all things grew worse and worse among us”. Contrary to that which one may think, if Josephus’ alleged passage was indeed authentic, it would not have dramatically changed the general tone and content of Antiquities XX. Especially if it is the people (as I will argue) who thought that James’ murder triggered the fall of the city. It could have been used to dramatize Ananus’ misdeed as well as the unstability of the political climate at the time. The reference to the people and the connection they made between the fall of the city and James’ death would only confirm the view that James was seen by Josephus as some kind of leader, a view already present in the extant text. It would have reinforced the idea that all the conditions leading to the disaster of 70 CE were already present a few years before the great revolt broke out. Thus the alleged passage on James could have fitted well in the climate of increasing tension created by Josephus at the very end of the Antiquities. In addition to the argument presented above, it is important to note that both supporters and opponents to the authenticity of Josephus’ alleged claim have found important parallels between Origen’s paraphrase and other Josephan passages. For instance, Z. Baras30, who rejects Origen’s testimony as spurious, connects this passage to Antiquities XI. 297-305: ˆApoqanóntov dè toÕ ârxieréwv ˆEleasíbou t®n ârxierwsúnjn ˆIÉdav ö pa⁄v aûtoÕ diedézato. teleutßsantov dè kaì toútou t®n tim®n ˆIwánnjv uïòv øn aûtoÕ parélaben, di’ Ωn kaì BagÉsjv ö stratjgòv toÕ [ãllou] ˆArtazérzou tòn naòn êmíanen kaì fórouv êpétaze to⁄v ˆIoudaíoiv, prìn tàv kaqjmerinàv êpiférein (5) qusíav üpèr ârnòv ëkástou tele⁄n aûtoùv djmosíaç draxmàv pentßkonta. toútou dè t®n aîtían toiaútjn sunébj genésqai· âdelfòv ¥n t¬ç ˆIwánnjÇ ˆIjsoÕv· toútwç fílwç tugxánonti ö BagÉsjv üpésxeto t®n ârxierwsúnjn parézein. âpò taútjv oŒn t±v pepoiqßsewv ˆIjsoÕv ên t¬ç na¬ç dienexqeìv t¬ç ˆIwánnjÇ parÉzunen tòn âdelfòn ¿st’ aûtòn ânele⁄n kaì dià t®n ôrg®n tjlikoÕto âsébjma dr¢sai kat’ âdelfoÕ tòn ˆIwánnjn ên t¬ç ïer¬ç Üv deinòn ¥n kaì próteron, Üv mßte par’ ÊElljsin mßte parà barbároiv Ömòn oÀtwv kaì âse30. BARAS, “The Testimonium Flavianum and the Martyrdom of James,” 338-348.

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32 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? bèv ∂rgon gegonénai. tò méntoi qe⁄on oûk ©méljsen, âllà kaì ö laòv di’ aût®n t®n aîtían êdoulÉqj kaì ö naòv êmiánqj üpò Per. When Eliashib the high priest was dead, his son Judas succeeded in the high priesthood; and when he was dead, his son John took that dignity; on whose account it was also that Bagoses, the general of another Artaxerxes’s army, polluted the temple, and imposed tributes on the Jews, that out of the public stock, before they offered the daily sacrifices, they should pay for every lamb fifty shekels. Now Jesus was the brother of John, and was a friend of Bagoses, who had promised to procure him the high priesthood. In confidence of whose support, Jesus quarreled with John in the temple, and so provoked his brother, that in his anger his brother slew him. Now it was a horrible thing for John, when he was high priest, to perpetrate so great a crime, and so much the more horrible, that there never was so cruel and impious a thing done, neither by the Greeks nor Barbarians. However, God did not neglect its punishment, but the people were on that very account enslaved, and the temple was polluted by the Persians. Now when Bagoses, the general of Artaxerxes’s army, knew that John, the high priest of the Jews, had slain his own brother Jesus in the temple, he came upon the Jews immediately, and began in anger to say to them: “Have you had the impudence to perpetrate a murder in your temple?” And as he was aiming to go into the temple, they forbade him so to do; but he said to them, “Am not I purer than he that was slain in the temple?” And when he had said these words, he went into the temple. Accordingly, Bagoses made use of this pretense, and punished the Jews seven years for the murder of Jesus.31

Baras suggested that this passage led Origen to think that Josephus should have corrected his view on the fall of Jerusalem. But this is rather speculative. I would rather propose that this passage is important because some of its motifs closely parallel the retributive logic at work in Josephus’ supposed account of James’ death, especially as it occurs at Contra Celsum II. 13 in which Titus is mentioned: these motifs include the murder perpetrated by the high priest, the punishment implemented by the general of a foreign army, and the collective suffering of the Jews which follows. This is also true of the next passage: As R. Girod has noted32, an important testimony is provided in Antiquities XVIII. 116-117: Tisì dè t¬n ˆIoudaíwn êdókei ôlwlénai tòn ¨JrÉdou stratòn üpò toÕ qeoÕ kaì mála dikaíwv tinuménou katà poin®n ˆIwánnou toÕ êpikalouménou baptistoÕ. kteínei gàr d® toÕton ¨JrÉdjv âgaqòn ãndra kaì to⁄v ˆIoudaíoiv keleúonta âret®n êpaskoÕsin kaì tà pròv âllßlouv dikaiosúnjÇ kaì pròv tòn qeòn eûsebeíaç xrwménoiv baptism¬ç suniénai·. Now some of the Jews thought that the destruction of Herod’s army came from God, and that very justly, as a punishment of what he did against John, that was called the Baptist: for Herod slew him, who was a good man, and com31. Transl. WHISTON. 32. GIROD, ORIGÈNE, Commentaire sur l’Évangile selon Matthieu, 115-116.

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manded the Jews to exercise virtue, both as to righteousness towards one another, and piety towards God, and so to come to baptism.33

This passage is generally considered to be authentic.34 It offers precisely the same kind of deuteronomic logic as the one ruling the passage on James: John the Baptist plays, as it were, James’ role, and Herod’s army that of Jerusalem. As in the allegedly Josephan passage in Origen, a Judaean entity is destroyed by God’s will as a retributive punishment for an evil deed committed against the figure of a “just” individual. The similarities between both texts suggest that Josephus may have authored the excerpt quoted by Origen. Along the same line, the stoning of Onias in Antiquities XIV. 22-2535: ˆOnían dé tina ∫noma díkaion ∫nta kaì qeofil±, Ωv ânombríav potè oΔsjv jΔzato t¬ç qe¬ç lÕsai tòn aûxmòn kaì genómenov êpßkoov ö qeòv œsen, krúcanta ëautòn dià tò t®n stásin ör¢n îsxuràn êpiménousan, ânaxqénta eîv tò stratópedon t¬n ˆIoudaíwn ©zíoun, Üv ∂pause t®n ânombrían eûzámenov, ÿn’ oÀtwv âràv q±Ç katà ˆAristoboúlou kaì t¬n sustasiast¬n aûtoÕ. êpeì dè ântilégwn kaì paraitoúmenov êbiásqj üpò toÕ plßqouv, stàv mésov aût¬n e˝pen· „√ qeè basileÕ t¬n ºlwn, êpeì oï met’ êmoÕ sunest¬tev sòv d±móv êstin kaì oï poliorkoúmenoi dè ïere⁄v soí, déomai mßte katà toútwn êkeínoiv üpakoÕsai mßte kat’ êkeínwn ° oœtoi parakaloÕsin eîv télov âgage⁄n.“ kaì tòn mèn taÕt’ eûzámenon peristántev oï ponjroì t¬n ˆIoudaíwn katéleusan. ¨O dè qeòv taútjv aûtoùv paraxr±ma êtimwrßsato t±v Ömótjtov kaì díkjn eîseprázato toÕ ˆOníou fónou … Now there was one, whose name was Onias, a righteous man he was, and beloved of God, who, in a certain drought, had prayed to God to put an end to the intense heat, and whose prayers God had heard, and had sent them rain. This man had hid himself, because he saw that this sedition would last a great while. However, they brought him to the Jewish camp, and desired, that as by his prayers he had once put an end to the drought, so he would in like manner make imprecations on Aristobulus and those of his faction. And when, upon his refusal, and the excuses that he made, he was still by the multitude compelled to speak, he stood up in the midst of them, and said, “O God, the King of the whole world! since those that stand now with me are thy people, and those that are besieged are also thy priests, I beseech thee, that thou wilt neither hearken to the prayers of those against these, nor bring to effect what these pray against those.” Whereupon such wicked Jews as stood about him, as soon as he had made this prayer, stoned him to death. But God punished them immediately for this their barbarity, and took vengeance of them for the murder of Onias…36 33. Transl. WHISTON. 34. The secondary literature on the subject is the same as the one on the Testimonium Flavianum: cf. note 3. 35. I wish to thank Ken Olson for drawing my attention to this passage. 36. Transl. WHISTON.

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34 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? Again, the theodicy found in this passage is closely reminiscent of Josephus’ alleged passage on James (as well as that of Hegesippus). Strikingly, like James, Onias is described as righteous (díkaion) and is stoned by the Judaeans. For Josephus, this immediately triggered God’s revenge against them. Therefore, Josephus’ passage on James as reported by Origen presents motifs that are closely similar to other Josephan passages. The three excerpts cited above show that, in similar contexts, Josephus did not hesitate to give a theological twist to the political and historical events he was reporting. Obviously, the scenario at work in these passages may be no more than a topos. It could be the result of the influence of the Deuteronomistic history or of the motif of the suffering just on Josephus. Yet this does not invalidate the argument: even if these texts reveal the influence of Deuteronomistic theodicy or the motif of the suffering just, the fact that the same scenario appears as a pattern in the same work supports that it may also have been used in relation to James.

An alternative explanation: the portrayal of Ananus in the War If Josephus only mentions James in the Antiquities, Ananus also appears in the Life37 and the War. The passage of War IV. 318-325 is worth quoting in full: oûk ån ämártoimi d’ eîpÑn älÉsewv ãrzai t±Ç pólei tòn ˆAnánou qánaton, kaì âp’ êkeínjv t±v ™mérav ânatrap±nai tò te⁄xov kaì diafqar±nai tà prágmata ˆIoudaíoiv, ên ¯Ç tòn ârxieréa kaì ™gemóna t±v îdíav swtjríav aût¬n êpì mésjv t±v pólewv e˝don âpesfagménon. ¥n gàr d® tá te ãlla semnòv än®r kaì dikaiótatov. kaì parà tòn ∫gkon t±v te eûgeneíav kaì t±v âzíav kaì ¯v e˝xe tim±v ©gapjkÑv tò îsótimon kaì pròv toùv tapeinotátouv, fileleúqeróv te êktópwv kaì djmokratíav êrastßv, pró te t¬n îdíwn lusitel¬n tò koin±Ç sumféron âeì tiqémenov kaì perì pantòv poioúmenov t®n eîrßnjn· ãmaxa gàr ≠Çdei tà ¨Rwmaíwn· proskopoúmenov d’ üp’ ânágkjv kaì tà katà tòn pólemon, ºpwv, eî m® dialúsainto ˆIouda⁄oi, dezi¬v diaférointo. kaqólou d’ eîpe⁄n, h¬ntov ˆAnánou pántwv ån dielúqjsan· deinòv gàr ¥n eîpe⁄n te kaì pe⁄sai tòn d±mon, ≠dj dè êxeiroÕto kaì toùv êmpodíhontav· Æ polemoÕntev pleístjn ån trib®n ¨Rwmaíoiv parésxon üpò toioútwç stratjg¬ç. paréheukto d’ aût¬ç kaì ö ˆIjsoÕv, aûtoÕ mèn leipómenov katà súgkrisin, proúxwn dè t¬n ãllwn. âll’ o˝mai katakrínav ö qeòv Üv memiasménjv t±v pólewv âpÉleian kaì purì boulómenov êkkaqarq±nai tà †gia toùv ântexoménouv aût¬n kaì filostorgoÕntav periékopten. oï dè prò ôlígou t®n 37. Vita 193-196.

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ïeràn êsq±ta perikeímenoi kaì t±v kosmik±v qrjskeíav katárxontev proskunoúmenoí te to⁄v êk t±v oîkouménjv parabállousin eîv t®n pólin, êrrimménoi gumnoì borà kun¬n kaì qjríwn êbléponto. aût®n êp’ êkeínoiv stenázai to⁄v ândrási dok¬ t®n âretßn, ôlofuroménjn ºti tosoÕton Øttjto t±v kakíav. âllà [gàr] tò mèn ˆAnánou kaì ˆIjsoÕ télov toioÕton âpébj. I should not mistake if I said that the death of Ananus was the beginning of the destruction of the city, and that from this very day may be dated the overthrow of her wall, and the ruin of her affairs, whereon they saw their high priest, and the procurer of their preservation, slain in the midst of their city. He was on other accounts also a venerable, and a very just man; and besides the grandeur of that nobility, and dignity, and honor of which he was possessed, he had been a lover of a kind of parity, even with regard to the meanest of the people; he was a prodigious lover of liberty, and an admirer of a democracy in government; and did ever prefer the public welfare before his own advantage, and preferred peace above all things; for he was thoroughly sensible that the Romans were not to be conquered. He also foresaw that of necessity a war would follow, and that unless the Jews made up matters with them very dexterously, they would be destroyed; to say all in a word, if Ananus had survived, they had certainly compounded matters; for he was a shrewd man in speaking and persuading the people, and had already gotten the mastery of those that opposed his designs, or were for the war. And the Jews had then put abundance of delays in the way of the Romans, if they had had such a general as he was. Jesus was also joined with him; and although he was inferior to him upon the comparison, he was superior to the rest; and I cannot but think that it was because God had doomed this city to destruction, as a polluted city, and was resolved to purge his sanctuary by fire, that he cut off these their great defenders and well-wishers, while those that a little before had worn the sacred garments, and had presided over the public worship; and had been esteemed venerable by those that dwelt on the whole habitable earth when they came into our city, were cast out naked, and seen to be the food of dogs and wild beasts. And I cannot but imagine that virtue itself groaned at these men’s case, and lamented that she was here so terribly conquered by wickedness. And this at last was the end of Ananus and Jesus.38

The reason why Josephus’ description of Ananus in the War so greatly differs from the description in the Antiquities cannot be dealt with in detail here.39 Suffice it to say that this passage may suggest that Origen’s Josephus or Origen himself conflated or confused the testimony of the War and that of the Antiquities, so that the portrayal of ‘Ananus the Just’ was transferred on James. The references to the end of Jerusalem and Ananus’ ability to save the city are especially striking. So is the description of Ananus as being dikaiotatos, just as James in Origen’s Contra Celsum I. 47. The association 38. Transl. WHISTON. 39. See MCLAREN, “Ananus, James, and Earliest Christianity.”

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36 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? of Iakôbos and Ièsous in a passage dealing with the fall of the city could easily have led to a confusion in a Christian’s mind. However, Josephus’ insistance on Ananus’ political and military ability does not fit James’ portrayal: one can hardly see why one would have associated James the Just with Ananus. Moreover, in order to support this hypothesis, one needs to explain the process through which Ananus, James’ murderer in the Antiquities, became the model for the brother of Jesus. To the best of my knowledge, no such explanation is available. Finally, Hegesippus’ testimony is clearly independent from War IV. 318-325. Yet he also connects James’ murder to the siege of the city. This indicates that there was a Christian tradition associating James and Jerusalem that was independant of Josephus. The two Apocalypses of James from Nag Hammadi also attests to this tradition.40 Therefore, although it is tempting to connect this passage to Josephus’ alleged citation in Origen, it is difficult to establish the dependency of the latter upon the former.

Josephus, Hegesippus, Origen, and Eusebius on James’ death In addition to “Josephus”, Hegesippus also connected James’ murder to the siege of Jerusalem.41 Indeed, in his Memoirs, quoted by Eusebius, Hegesippus said: kaì ∂qacan aûtòn êpì t¬ç tópwç parà t¬ç na¬ç, kaì ∂ti aûtoÕ ™ stßlj ménei parà t¬ç na¬ç. mártuv oœtov âljq®v ˆIoudaíoiv te kaì ÊElljsin gegénjtai ºti ˆIjsoÕv ö Xristóv êstin. kaì eûqùv Oûespasianòv poliorke⁄ aûtoúv. And they buried him (James) on the spot, by the Temple, and his monument still remains by the Temple. He became a true witness, both to Jews and Greeks, that Jesus is the Christ. And immediately afterwards Vespasian besieged them.42

The use of the term eûqúv is generally taken as indicating Hegesippus’ intention to connect James’ death and the fall of the city.43 This led some to 40. E.g. I Apoc. James XXXVI. 19; II Apoc. James LIX. 21. For the debate on the literary dependancy between these two writings, Hegesippus, Clement of Alexandria, and the PseudoClementines, see the bibliography in MYLLYLOSKI, part II, 63-83. 41. On which see, e.g., F. S. JONES, “The Martyrdom of James in Hegesippus, Clement of Alexandria, Christian Apocrypha Including Nag Hammadi: A Study of the Textual Relations,” SPSBL 1990, 322-335. 42. HE II. 23. 18. Transl. A. CUSHMAN MCGIFFERT, retrieved from http://www.ccel.org/fathers2. 43. On Hegesippus’ testimony on James, see O. IRSAI, “The Church of Jerusalem: From the ‘Church of the Circumcision’ to the ‘Church of the Gentiles’,” in Y. TSAFRIR and S. SAFRAI (eds.), The History of Jerusalem: The Roman and Byzantine Periods (70-638 CE), Jerusalem, 1999, 61-114 (Hebrew).

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think that Origen’s paraphrase of Josephus resulted from a confusion, deliberate or not, with Hegesippus.44 At any rate, Eusebius agreed with Hegesippus and, for the first time, Hegesippus’ testimony and Josephus’ alleged passage were explicitly associated in the Historia Ecclesiastica45: oÀtw dè ãra qaumásióv tiv ¥n kaì parà to⁄v ãlloiv †pasin êpì dikaiosúnjÇ bebójto ö ˆIákwbov, Üv kaì toùv ˆIoudaíwn ∂mfronav dozáhein taútjn e˝nai t®n aîtían t±v paraxr±ma metà tò martúrion aûtoÕ poliorkíav t±v ¨Ierousalßm, ∞n di’ oûdèn ∏teron aûto⁄v sumb±nai Æ dià tò kat’ aûtoÕ tolmjqèn ãgov. âmélei gé toi ö ˆIÉsjpov oûk âpÉknjsen kaì toÕt’ êggráfwv êpimartúrasqai di’ ˜n fjsin lézewn· taÕta dè sumbébjken ˆIoudaíoiv kat’ êkdíkjsin ˆIakÉbou toÕ dikaíou, Ωv ¥n âdelfòv ˆIjsoÕ toÕ legoménou XristoÕ, êpeidßper dikaiótaton aûtòn ∫nta oï ˆIouda⁄oi âpékteinan. These things are related at length by Hegesippus, who is in agreement with Clement. James was so admirable a man and so celebrated among all for his justice, that the more sensible even of the Jews were of the opinion that this was the cause of the siege of Jerusalem, which happened to them immediately after his martyrdom for no other reason than their daring act against him.46 Josephus, at least, has not hesitated to testify this in his writings, where he says: These things happened to the Jews to avenge James the Just, who was a brother of Jesus, that is called the Christ. For the Jews slew him, although he was a most just man.47

The passage quoted by Eusebius is generally (and rightfully) dismissed as inauthentic because Eusebius does not give the exact reference to Josephus, as he usually does.48 As Chadwick has noted49, Eusebius seems to have turned Origen’s paraphrase of Josephus (as given at Contra Celsum I. 47) into a quotation in direct speech.50 But if Eusebius misused Origen’s 44. On this point, see B. GUSTAFSSON, “Eusebius’ Principles in Handling His Sources,” Studia Patristica 4, 1961, 437 (429-441); R.M. GRANT, “Eusebius, Josephus and the Fate of the Jews,” SBL Seminar Papers 17, 1979, 69-86 (75-76); É. NODET, Baptême et résurrection, le témoignage de Josèphe. Josèphe et son temps 2., Paris, 1999, 41-43. 45. HE II. 23. 20. 46. HE II. 23. 19-20. Transl. CUSHMAN MCGIFFERT. 47. Ibid. 48. See, e.g., GIROD, ORIGÈNE, Commentaire sur l’Évangile selon Matthieu, 115. See my Eusebius and the Jewish Authors, 188-189; 194-195. Yet in some other cases too, it may be argued that Eusebius omitted exact references to Josehus in the HE: See my Eusebius and the Jewish Authors, 219. 49. CHADWICK, ORIGEN. Contra Celsum, 43, n. 2, followed by GRANT, “Eusebius, Josephus and the Fate of the Jews,” 105; S. MASON, Josephus and the New Testament, Peabody, 1992, 16; BARAS, “The Testimonium Flavianum and the Martyrdom of James,” 338-348; OLSON, “Eusebius and the Testimonium Flavianum,” 318-319 also accepts this hypothesis. 50. Therefore, I would reject Hardwick’s contention that there once was a corpus of traditions related to James that was used by Origen, Hegesippus and Eusebius. See HARDWICK, Josephus as an Historical Source, 84; 122.

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38 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? and Josephus’ autorities and texts, there is no evidence that Origen did the same with Hegesippus and Josephus. Moreover, if Hegesippus really wished to connect the martyrdom of James and the fall of the city, he did so in a rather allusive manner. In contrast, the passage ascribed to Josephus by Origen is much more explicit, and in fact quite different from that of Hegesippus: he connects the miseries of the Jews much more directly to the murder of James. Finally, the importance of Josephus as a historical witness in Origen’s work is noteworthy as well as the fact that Origen quotes the passage not less than three times. Therefore, it seems doubtful that Origen simply confused Hegesippus and Josephus. If the name Iosippos has been turned into Hegesippos in the Pseudo-Hegesippus re-writing of Josephus, could the same confusion have been made the other way around? It seems unlikely. Moreover, if one compares Hegesippus’ testimony with the passage from Origen which is closest to it (Contra Celsum II. 13), one important difference must be noted: Josephus’ alleged testimony connects the destruction of Jerusalem by Titus to James’ murder (ö uïòv Títov kaqe⁄le t®n ¨Ierousalßm); in contrast, Hegesippus associates James’ martyrdom to the beginning of the siege by Vespasian (Oûespasianòv poliorke⁄ aûtoúv). Thus there is no reason to think a priori that Origen confused Hegesippus and Josephus. There are even less reasons to suspect that Origen felt free to expand, not to say to tamper with, Hegesippus’ testimony. I would suggest that Origen’s testimony should be read differently. Instead of considering that he confused Hegesippus with Josephus, ascribing to the latter a passage which belonged to theformer, it is perhaps wiser to consider that Hegesippus’ account reflects an early Judaean tradition which originally also occurred in Josephus. If, as is suggested for example by S. Mimouni51, the tradition of James’ martyrdom may be as early as 70 (with a terminus ante quem around 135), the tradition of the fall of Jerusalem as a punishment for James’ death, which immediately follows it, may date back to the same period. The fact that this tradition appears in Hegesippus does not necessarily entail that Josephus could not be aware of it and include it in his work.

Why would Josephus’ passage on James and Jerusalem have been expurged from the Antiquities? The main argument against the authenticity of Origen’s paraphrase of Josephus lies in the absence of the passage in Josephus’ manuscripts. One 51. S. Cl. MIMOUNI et P. MARAVAL, Le christianisme des origines à Constantin, Paris, 2006, 172.

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might say that had Josephus really made such a claim, the Christians would not have dismissed such a Jewish piece on early Christianity. Indeed, it is often said that Josephus owes his literary survival to the Testimonium Flavianum. Yet I do not think that Christian copyists would undoubtedly have copied this passage. I would rather suggest that it disappeared because of the problematic reception of the figure of James in mainstream Christianty. As Painter has emphasized, “because James is the leading figure of the mission directed to the nation of Israel, his dominant role has been obscured in texts that assume the centrality of the mission to the nations.”52 The dominant Christianity that emerged in the second century would be the one that obscured James’ role in Josephus. The Christian embarrassement concerning the brethren of Jesus and the virginity of Mary also played a role in this process.53 Moreover, the figure of James was appropriated by in some ‘Gnostic’ circles.54 This is not in itself contradictory with the importance of James as a figure of Jewish Christianity. It rather indicates that James remained prominent in Christian circles which were increasingly marginalized. This explains why Christians who would see themselves as orthodox would not have wanted to promote the view that the theological punishment of the Jews par excellence was linked to James. As time went by and as mainstream Christianity was emerging, the connection between the siege of Jerusalem and Jesus became more and more crucial in the theological-historical rhetoric of the Church Fathers, reaching a peak in Eusebius’ Historia ecclesiastica. Strikingly, in several passages, Origen feels free to connect the fall of Jerusalem and the murder of Jesus without appealing to Josephus.55 This may indicate that Origen somehow felt compelled to mention an argument which circulated but with which he did not agree. It may suggest that in some circles, the connection between the fall of Jerusalem and James’ martyrdom enjoyed some popularity in the time of Origen. This could have endangered the status of Jesus Christ, whose rejection and crucifixion became associated with the fall of Jerusalem. The tradition reported by Origen may have been all the more dangerous that it made more sense than the association with Jesus’ murder for two 52. J. PAINTER, “Who was James? Footprints as a Means of Identification,” in Br. CHILTON and J. NEUSNER (eds.), The Brother of Jesus. James the Just and His Mission, 59-60. 53. PAINTER, “Who was James? Footprints as a Means of Identification,” 12-24. See also Painter’s monograph: Just James: The Brother of Jesus in History and Tradition. 54. On which see PAINTER, Just James: The Brother of Jesus in History and Tradition, ch. 6-8. 55. E.g. Contra Celsum IV. 22; Comm. in Matth. XXXII-LIX; Hom. Jos. 17:1; De Princ. IV. 1. 3.

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40 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? reasons: Firstly, James seems to have been closely associated to Jerusalem and the Temple, as is shown by Hegesippus’ testimony; Secondly, because James’ death was closer in time to the siege than Jesus’ death. This clearly embarrassed Origen, and later Eusebius. Both explained away this chronological gap by saying that forty (or forty-two) years had been allowed to the Jews in order to repent for their crime against the Lord. But, according to them, the Jews did not repent, and thus underwent the miseries that were well known to the Christians.56 Alternatively, it may also be that an early local tradition associating James and the fall of Jerusalem and its Temple was recuperated by some Christians and applied to Jesus. Josephus’ testimony would be a witness of this older tradition, which should consequently be situated very early after the destruction of the city. In the process of the construction of Christian orthodoxy, this tradition would have been appropriated and used in the rhetoric of supersession. Reading Hegesippus as presenting James’ martyrdom as the cause of the siege supports this scenario.57 It may also attest to the existence of a Jewish Christian tradition associating the death of James and the fall of Jerusalem, if we believe Eusebius’ testimony on his Jewish Christian origins.58 If, as the history of the Testimonium Flavianum indicates, the manuscripts of Josephus have indeed been interpolated by Christians some time between Origen and Eusebius, it is possible that the passage on James ascribed to Josephus by Origen was expurgated at the same period for the reasons I mentioned earlier in this paper. Thus James’ importance in the first Jerusalemite Church and the tradition of his death as the cause of the fall of the city may have undergone some kind of damnatio memoriae. Yet as paradoxical as it may seem, simultaneously, Christian historiographers such as Hegesippus and, later, Eusebius, were anxious to establish an ‘orthodox’ apostolic tradition. In this perspective, they became interested in recovering the ‘original’ apostolic tradition and hence information on the first bishops.59 Eusebius, perhaps as Hegesippus, sought to recover for Christian “orthodoxy” early Christian figures that had been appropriated by “heretic” circles. It is in this context that the figure of James was reconstructed and, to some extent, exalted by these authors. 56. ORIGEN, Contra Celsum IV. 22; EUSEBIUS, HE III. 7. 9. 57. On these early Jerusalemite traditions about James, see IRSAI, “The Church of Jerusalem: From the ‘Church of the Circumcision’ to the ‘Church of the Gentiles’,” 61-114 (Hebrew). 58. HE IV. 22. 59. Cf. IRSAI, “The Church of Jerusalem: From the ‘Church of the Circumcision’ to the ‘Church of the Gentiles’.”

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A tentative reconstruction of Josephus’ passage If one accepts that Josephus may have mentioned an association between James’ death and the destruction of the city and its Temple, one may ask in which manner this assertion was phrased by Josephus, and where it was located. I have pointed out that the Commentary On Matthew is less polemical than the Contra Celsum in its treatment of Josephus’ paraphrase. In the Commentary, Josephus’ testimony is mainly used in order to glorify one of Jesus’ family members, namely James, rather than to criticize it. For this reason, I would suggest that it is in this text, rather than in the Contra Celsum, that Origen provides the account closest to Josephus’ now lost testimony. In the Commentary (X. 17), Origen presents two Josephan “quotations”, which follow one another. The first one (a) is more extensive than the second (b), which closely parallels the first one in a more concise manner: a) ˆEpì tosoÕton dè diélamcen oœtov ö ˆIákwbov ên t¬ç la¬ç êpì dikaiosúnjÇ Üv Flábion ˆIÉsjpon ânagrácanta ên e÷kosi biblíoiv t®n ˆIoudaflk®n ârxaiologían, t®n aîtían parast±sai boulómenon toÕ tà tosaÕta peponqénai tòn laòn Üv kaì tòn naòn kataskaf±nai, eîrjkénai katà m±nin qeoÕ taÕta aûto⁄v âpjntjkénai dià tà eîv ˆIákwbon tòn âdelfòn ˆIjsoÕ toÕ legoménou XristoÕ üp’ aût¬n tetolmjména. Kaì tò qaumastón êstin ºti, tòn ˆIjsoÕn ™m¬n oû katadezámenov e˝nai Xristón, oûdèn ¯tton ˆIakÉbwç dikaiosúnjn êmartúrjse tosaútjn. b) Légei dè ºti kaì ö laòv taÕta ênómihe dià tòn ˆIákwbon peponqénai.

The fact that Origen repeats Josephus’ claim (in b) deserves attention. In the first part of the passage (a), Josephus’ testimony is exalted because of Josephus’ alleged insistance on James’ righteousness. The last sentence (b) repeats and summarizes the first part. Significantly, in (b), it is not only Josephus who says that the death of James triggered the siege of Jerusalem, but also the people, who thought they underwent those miseries because of James: “He says that even the people [or: the people too] thought that they underwent this suffering because of James”. Thus the kai intensifies the clause. It is worth noting that Origen ascribes the association between James and Jerusalem to the people only in this short and repetitive sentence which is clumsily appended to the end of the passage on James. As I pointed out earlier, James is not presented here as “the just”, even though his righteousness (dikaiosunè) is mentioned.

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42 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? The passage is reminiscent of that on John the Baptist: in both cases, it is not Josephus who connects the murder of a prominent figure to a military disaster, but other people. In the passages from Origen examined above, the term laos occurs several times, always to designate the Jews. Therefore, I would suggest that if the passage is authentic, the association between James and Jerusalem was ascribed by Josephus to other people, perhaps the people of Jerusalem. One more element should be taken into consideration. In Contra Celsum I. 47, I have pointed out that Origen claims that Josephus connected the fall of the city and James’ death “as if against his will”. To what does this expression refer? Either it means that Josephus, although he did not accept Jesus as a messiah, nevertheless acknowledged the connection between the Jews’ misfortunes and their murder of a Christian figure; or it may hint that it is not Josephus himself, but others, who reported this argument (cf. Commentary X. 17). A passage from Jerome’s De uiris illustribus may support this hypothesis. As I have mentioned earlier, it is generally accepted that Eusebius’ citation of Josephus’ contested passage in the Historia Ecclesiastica has been taken from Origen rather than the manuscripts of Josephus. It is also well known that Jerome’s Lives of Illustrious Men is largely based on Eusebius’ Historia Eclesiastica. He himself acknowledges his debt in the preface of this work. His life of James60 owes much to Historia Ecclesiastica II. 23: the same sources appear in the same order (Hegesippus, Clement, and Josephus) and the same testimonies are quoted. Yet when it comes to Josephus, Jerome does not ascribe the association between James and the fall of Jerusalem to Josephus, as Eusebius confidently did: Tradit idem Iosephus, tantae eum sanctitatis fuisse et celebritatis in populo, ut propter eius necem, creditum sit subversam esse Hierosolymam. This same Josephus records the tradition that this James was of so great sanctity and reputation among the people that the downfall of Jerusalem was believed to be on account of his death.61 (My italics.)

Interestingly, the account given in Jerome’s life of James seems to echo Origen’s Commentary rather than the Contra Celsum. As the Commentary, it ascribes the connection between James and the fall of Jerusalem to a rumour rather than to Josephus himself. This is all the more striking since, in his life of Josephus, like Eusebius, he ascribes this claim to Josephus himself: 60. Lives of Illustrious Men II (PG 23, 642). 61. Translation by E. CUSHING RICHARDSON, retrieved from http://www.ccel.org/fathers2.

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Hic in decimo octavo Antiquitatum libro manifestissime confitetur, propter magnitudinem signorum Christum a Pharisaeis interfectum, et Ioannem Baptistam vere prophetam fuisse, et propter interfectionem Jacobi apostolic dirutam Hierosolymam. In the eighteenth book of his Antiquities, he most openly acknowledges that Christ was slain by the Pharisees on account of the greatness of his miracles, that John the Baptist was truly a prophet, and that Jerusalem was destroyed because of the murder of James the apostle.62

It may be that in the life of James, Jerome used Origen’s Commentary, while, in the life of Josephus, he used Eusebius’ own summary of Origen, Hegesippus, and Josephus. Indeed, Jerome’s account is phrased in a way that is very similar to Eusebius, HE II. 23. 19.63 But it may also be that Jerome knew of Josephus’ alleged passage through a testimony other than that of Origen or that he chose Origen’s version in the Commentary because he knew of the passage through another testimony. It is unlikely that such a testimony would have been Josephus’ manuscripts because by the time of Eusebius, the passage seems to have already vanished. But he may have known it through another witness. For all these reasons, I would suggest that it may well be that Josephus’ alleged passage in Origen should not be so easily discarded as being inauthentic. If authentic, Josephus’ passage must have been brief, since Josephus’ narrative of the incident as we have it is fairly brief too. The question arises as to whether Josephus described James as righteous because James’ righteousness is mentioned in all three Origenian accounts. The Gospel of Thomas is probably our earliest witness for the appellation “James the Just”.64 The fact that James became known as “the Just” among some Christian groups does not necessarily exclude that he was also known to a member of the Judaean Jewish élite as “James the Just”. Moreover, in the accounts of Onias and John the Baptist from the Antiquities which parallel the passage on James, both figures are praised as being righteous: Onias is said to be dikaios65, and John the Baptist is said to have encouraged the practice of dikaiosunè.66 Although Origen’s testimonies must be read critically, I do not think that he would have tampered with Josephus’ text by simply adding this element. He may have slightly expanded on Josephus’ 62. Lives of Illustrious Men 13 (PG 23, 662). Translation by CUSHING RICHARDSON. 63. Yet he omitted Eusebius’ reference to “the more sensible of the Jews”. 64. Gospel of Thomas 12. I assume here a date no later than 120 CE, cf. recently A. D. DECONICK, Recovering the Original Gospel of Thomas: A History of the Gospel and Its Growth, London, 2005, who dates what she calls the “kernel” to the 50’s. 65. AJ XIV. 22-25. 66. AJ XVIII. 16-17.

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44 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? testimony for apologetic reasons by rephrasing his account in his own way. However, his insistance in the two longest ones (Contra Celsum I. 47 and Commentary X. 17) on Josephus’ acknowledgement of James’ righteousness should lead us to trust that “James the Just” or James’ righteousness occurred in the text he ascribes to Josephus. As I have pointed out earlier, the expression “the brother of Jesus who is called Christ” appears both in the three paraphrases in Origen and in Josephus’ phrasing. This makes it unlikely that the expression has been added by Origen. Thus it was certainly part of the passage known to Origen. Regarding the location of the passage, it has been suggested that it may have appeared in War VI. 5. 3: Origen’s assertion that Josephus was looking for the cause of the disaster of 70 has been interpreted as a reference to a passage other than Antiquities XX. 200; War VI. 5. 3 being the only Josephan passage in which there are messianic overtones, it has been located there.67 However, I think that Origen’s reference to Josephus seeking the cause of the destruction is an overall interpretation of Josephus’ project in the War and in the relevant parts of the Antiquities. Origen’s reference to Josephus’ project is no more than a way to insist on Josephus’ authority as an historian. Moreover, I would argue that it cannot have happened in the War because, as I have suggested earlier, Origen in fact provides references to Josephus, and these are to the Antiquities. In addition, placing this passage in a context which does not deal with James would give too much significance to this episode in Josephus. I assume the passage could only have been part of the account of James’ death in Antiquities XX. 200, for it is the only one where James is mentioned. Therefore, it may be reasonably located at XX. 200-203, either directly after the mention of the stoning (XX. 201) or at the end of the episode, where Ananus is said to have been replaced by Jesus son of Damnaeus (XX. 203). Indeed, in the parallel passages of the Antiquities examined above, the punishment is mentioned either before the episode is narrated (AJ XIV. 22-25), or afterwards (AJ XIV. 22-25; XVIII. 116-117). It seems more logical to assume that the structure of the text was similar to that of the account of John the Baptist, because it does not reflect Josephus’ opinion, but ascribes a tradition to “some Jews”. Thus after the account of Ananus’ misdeed and replacement by Jesus as a high priest, there could have been a short excursus on James and the fall of the city. This excursus would have started with the mention that the people thought that the miseries 67. See the outline of the arguments provided at http://www.earlychristianwritings.com/ testimonium.html.

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endured during the war, among which the fall of the city and its Temple, were due to the murder of this James, the brother of Jesus called Christ, and a most just man. In this context, Josephus’ reference to James’ murder and the fall of the city would have served to dramatize the role played by internal conflicts among the Jerusalemite élites in the defeat in 70. The passage would be in tune with Josephus’ opinion “that it was a seditious temper of our own that destroyed it [Judea], and that they were the tyrants among the Jews who brought the Roman power upon us, who unwillingly attacked us, and occasioned the burning of our holy temple.”68

The Christian Reception of Josephus’ testimony Before I turn to the conclusions, I wish to return briefly to the Christian nachleben of the association between James and Jerusalem. If my hypothesis is correct, Origen is our earliest witness for Josephus’ association between the destruction of Jerusalem and the murder of James. Later authors freely used Josephus’ alleged account, also deriving it from Eusebius rather than from Origen. This can be seen, for instance, from Chronicon Paschale, a seventh century work which is indebted to Eusebius’ works: ˆIÉsjppov ïstore⁄ ên t¬ç pémptwç lógwç t±v älÉsewv ºti ∂touv trítou OûespasianoÕ ™ †lwsiv t¬n ˆIoudaíwn gégonen, Üv metà m´ ∂tj t±v genoménjv par’ aût¬n tólmjv katà toÕ ˆIjsoÕ· ên ˜ç xrónwç, fjsí, kaì ˆIákwbon tòn âdelfòn toÕ kuríou kaì êpískopon ¨Ierosolúmwn genómenon üp’ aût¬n krjmnisq±nai kaì üp’ aût¬n ânaireq±nai liqoboljqénta. Josephus recounts in the fifth book of the Capture that the capture of the Jews took place on the third year of [the reign of] Vespasian, around forty years after their daring act against Jesus. In this time, he says, James too, the brother of the Lord and bishop of Jerusalem, was thrown down by them (the Jews) and killed by them by stoning.69

This passage is a summary in which Eusebius’, Hegesippus’, and Josephus’ accounts are conflated. Yet it was probably made on the basis of Eusebius, HE II. 23, in which all these testimonies are grouped for the first time. Although the passage presents James’ martyrdom and the “capture of the Jews” as chronologically simultaneous, the chronicler strongly implies that the fall of the city is in fact connected to the death of Jesus, which happened forty years “before their (the Jews’) daring act against him.” Jose68. War I. 9. Translation WHISTON. 69. Chronicon Paschale, p. 463 (L. DINDORF, Chronicon Paschale). My translation.

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46 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? phus’ alleged passage on James is not referred to by the chronicler, either because it has already been erased from the manuscripts a few centuries later, or because he did not wish to mention it. The second solution is more likely as he was familiar with Eusebius’ HE, in which it was cited. Thus in the seventh century, there still was some embarrassment about a possible connection between the siege of Jerusalem and James’ death. Along the same line, M. Brossard-Dandré70 has shown that the notice on James in the collection of Pseudo-Abdias (ninth century?), in which the testimonies on James of the Pseudo-Clementine Recognitions and of Eusebius are juxtaposed, aims to demonstrate the failure of James’ Christianity in contrast to Paul. Interestingly, in his Chronography, George Syncellus (c. 800), after citing Hegesippus’ testimony, goes on to quote Josephus (who is explicitly named). But he has added to Josephus’ extant passage (AJ XX. 200-203) Josephus’ alleged passage (as given by Eusebius, HE II. 23. 20, who drew it from Origen, CC I. 47); he placed it under Josephus’ name, before the citation of the extant passage. There is no doubt that his source was Eusebius, HE II. 23. 19-24. But unlike Eusebius, which separated Josephus’ alleged testimony from his extant account of James with a reference to AJ XX, George Syncellus presented the two passages as if they were one. The whole passage on James was introduced with a reference to Vespasian and the cause of the halôsis which is reminiscent of the Chronicon Paschale. Thus in George Syncellus’ Chronography, Josephus’ alleged passage became (once again) part and parcel of AJ XX. Eusebius’ authority was, in his eyes, stronger than the issues raised by the figure of James. Later on, Josephus’ alleged claim is transmitted, for instance, by James of Voragine (thirteenth century) in his Golden Legend (“Life of St James the Minor, apostle”). Apparently aware of the contradiction between the association of the fall of Jerusalem with James and the association with Jesus, this author presents Josephus’ alleged testimony, but, like Origen, he insists that, more than James’ death, it is Jesus’ death which triggered the destruction of Jerusalem. These later accounts reveal the ambiguity of the Christian attitude towards the association between James’ martyrdom and the fall of Jerusalem. On the one hand, this claim, which enjoyed authority thanks to its attribution to Josephus, was inserted by some Christian writers into their Christian history. 70. M. BROSSARD-DANDRÉ, “Abdias et ses sources. Actes apocryphes d’un apôtre apocryphe,” in S. Cl. MIMOUNI et C. MACRIS (ed.), Apocryphité. Histoire d’un concept transversal aux religions du livre. En hommage à P. Geoltrain, Turnhout (Bibliothèque des Hautes Études – Sciences religieuses 113), 2002, 229-242.

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On the other, some of them (even Origen, and after him, Eusebius, and the Chronicon Paschale) seem to have been embarrassed about it. The fact that it is not commonly attested, and might even have been expunged from the manuscripts of Josephus, is striking. In this respect, it must be noted that, to the best of my knowledge, the testimony appears nowhere, not even in the Middle Ages, without a reference to Josephus. More than a care for exactness, this indicates that the Christian authors were not willing to fully integrate such a claim into their own tradition. Therefore, whether authentic or inauthentic, Josephus’ alleged passage on James and the fall of Jerusalem made its way through ancient and medieval Christian literature, albeit with some reluctance. It must be noted that it is especially historians and chroniclers who were interested in this passage. This can be explained by the fact that their suspicion about the figure of James could be overcome by their willingness to recover the “historical facts” of the early Church history, however biased this endeavour may have been. From this point of view, it is perhaps surprising that Origen, who was not particularly interested in these issues, mentions the passage no less than three times. The reason for its presence in Commentary X. 17 can be easily explained: Origen wished to give a laudatory account of Jesus’ siblings, and Josephus’ alleged passage provided him with an account on the justice of James. In the CC, however, he cites it on two different occasions in order to polemicize against it. Thus there may have been some polemics around the claim allegedly made by Josephus, which, as I have suggested, could explain its disappearance from the manuscripts.

Conclusion In this paper, I suggested that a fresh look should be taken at Origen’s paraphrase of a supposedly spurious passage of Josephus. I explored the possibility that in the CC and Matt., Origen may have paraphrased an authentic passage of Josephus, which is no longer extant. The arguments I presented are as follows: 1) There are good reasons for which Josephus’ alleged testimony would have been expurgated from the manuscripts: the marginalization of the figure of James in dominant Christianity as well as the growing importance of the connection between Jesus’ death and the fall of Jerusalem as a divine punishment for the Jews are the main ones. 2) A close reading of the evidence in Origen shows that, contrary to some scholars’ opinion, Origen did provide references to Josephus when dealing with this passage. 3) The passage in question would have made

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48 DID JOSEPHUS ASCRIBE THE FALL OF JERUSALEM TO THE MURDER OF JAMES? sense in the logic of Josephus’ Antiquities. Moreover, other passages in the Antiquities closely parallel the contested paraphrase, which suggests that it may well have belonged to this work. If one accepts the authenticity of the passage, a close reading of the evidence in Origen suggested that the latter paraphrased, rather than cited faithfully, Josephus’ wording. Yet at least one expression (“wrath of God”) is typical of Josephus’ usage while it does not occur in Origen. Origen’s testimonies seem to indicate that James’ justice was mentioned in Josephus’ alleged passage, but probably not the appellation “James the Just”. Through an analysis of the context in which the paraphrase was inserted in Origen, I suggested that Matt. X. 17 reflected more faithfully Origen’s source. I proposed that the claim about James and Jerusalem made in Josephus’ alleged passage was in fact ascribed by Josephus to other people. In other words, it is a tradition related by Josephus, not Josephus’ own claim. Some later Christian authors (Eusebius, Jerome) reported this view. Although there is no proof, it seems likely that this passage, provided that it be authentic, occurred after the mention of the stoning of James (AJ XX. 201). The examination of the evidence in Origen indicated that the latter was polemicizing against Josephus’ alleged passage, which supports its authenticity. Hegesippus’ testimony either reflects the existence of an early Jerusalemite tradition also known to Josephus, according to which the murder of James triggered the fall of Jerusalem; or it suggests that Hegesippus used Josephus’ alleged passage. This tradition, I suggested, was appropriated by emerging mainstream Christianity to the profit of the figure of Jesus, while the figure of James was gradually rejected. An analysis of later testimonies on Josephus’ alleged passage indicates that even in the Byzantine period, the connection between James’ death and the fall of Jerusalem still embarrassed some people. It also shows that, although Origen was the first one to deal with this subject, Eusebius’ account, which was based on Origen, proved to be much more influential. In sum, if it cannot be proved irrefutably that Josephus’ alleged passage on James and Jerusalem is authentic, it can nevertheless be argued that it is plausible. Even though it may have been spurious, the evidence in Origen seems to indicate that it was neither a forgery nor a mistake made by Origen himself, or by a Christian belonging to “the great Church”. Indeed, it was too crucial a testimony for them to be confused about it, and, moreover, it seems to have been subject to rejection and embarrassment, which excludes the hypothesis of a forgery. Although it is rarely mentioned in Christian literature, Josephus’ alleged passage on James was transmitted through the centuries because such a testimony on the so-called brother of Jesus and one

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of the first martyrs could not be omitted altogether. By way of conclusion, I wish to emphasize the methodological consequences of this enquiry. If patristic testimonies on early Judaism and Christianity should always be read critically, they should not be systematically rejected either. The analysis of the context and related documents is crucial in this respect. Moreover, just as it is irrelevant to study the roots of Christianity outside of the context of early Jewish history, the contrary is also true to some extent: the fact that Josephus was a Judean Jew of priestly descent should not automatically entail the inauthenticity of a tradition later appropriated by Christianity. What is at stake from a methodological point of view is less the presence of such traditions in his writings than the interpretation of the evidence. In the case of James, the danger would be to read Josephus through Hegesippus. Josephus’ perception of James was obviously very different from that of Hegesippus, due to the difference of their respective chronological, political, and cultural contexts. But this does not mean that Josephus could not have related a tradition about James and his importance in some Jerusalemite circles. Sabrina INOWLOCKI [email protected]

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Vasileios SYROS University of Chicago

DID THE PHYSICIAN FROM PADUA MEET THE RABBI FROM CORDOBA? MARSILIUS OF PADUA AND MOSES MAIMONIDES ON THE POLITICAL UTILITY OF RELIGION

RÉSUMÉ Cet article représente une contribution à l’étude de la réception du Guide des égarés de Moïse Maimonide dans l’Europe du Moyen Age tardif, et a pour but de souligner les affinités entre les idées de Maïmonide et de Marsile de Padoue concernant la fonction politique de la religion. Aussi bien Marsile que Maïmonide identifient dans la recherche des moyens visant à satisfaire les besoins fondamentaux de la vie humaine la cause principale de la formation des associations politiques. Ils pensent également qu’en raison de la diversité de ses membres, toute communauté politique souffre de conflits, et a ainsi besoin de lois et d’une autorité en mesure de les faire respecter, afin de contrôler les actions de ses membres. Sur la base de ces considérations, Marsile et Maïmonide conçoivent la religion comme un agent réglementant les rapports entre les membres de la société. En affirmant la dimension politique de la religion, Marsile aussi bien que Maïmonide s’appuient sur des exemples empruntés à des traditions païennes (les Sabéens dans le Guide, Hésiode, Pythagore et d’autres philosophes antiques dans le Défenseur de la paix), lesquels sont les points de départ d’une analyse des causes rationnelles de l’existence de la religion et des mythes. Les discussions de Marsile et Maïmonide sur les religions païennes sont partie intégrante de leurs raisonnements sur l’importance politique de la religion et des mythes comme moyens de garantir la durabilité de la vie sociale. SUMMARY This paper is intended as a contribution to the study of the fortune of Moses Maimonides’ Guide of the Perplexed in late medieval Europe and offers a comparative study of Maimonides’ and Marsilius of Padua’s views on the political function of religion. I argue that both Marsilius and Maimonides identify the need to secure the means conducive to human life as the prime cause of the creation of human associations. Due to the diversity of their members, human communities suffer from strife and dissension and thus need laws and an authority to enforce them and exercise control on human conduct. On the basis of these considerations, both thinkers advance the notion of religion as the factor regulating the relations of the members of society. In asserting the political dimension of religious belief and practices, Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 51-71. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126640

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Marsilius and Maimonides rely on examples drawn from pagan traditions (the Sabians in the Guide of the Perplexed and Hesiod, Pythagoras, and other ancient philosophers in the Defensor pacis) to illustrate the rational causes for the existence of religion and myths. Marsilius’ and Maimonides’ discussions of pagan religions are an integral aspect of their reasoning for the political importance of religion as a means to guarantee the durability of an orderly political community.

An intricate question related to Marsilius of Padua’s (1270/1290–ca. 1342) political thought concerns its potential ties to the medieval Islamic philosophical tradition, especially Averroes’ (Ibn Rushd, 1126–1198) philosophy. Given that Marsilius seldom cites any thinkers other than Aristotle, Augustine, Cicero, Sallust, and Seneca, there remains a genuine need to cast further light on the way Marsilius draws on non-Christian sources.1 As is well known, Averroes’ works enjoyed a broad reception in thirteenth-century Paris and had an important influence on such major medieval thinkers as Albert the Great (Albertus Magnus, ca. 1200–1280) and Thomas Aquinas (1224/25–1274). Marsilius studied medicine in Paris and served as rector of the University of Paris from December 1312 to March 1313, and taught medicine as a Master of Arts in the French capital until 1326.2 It is possible that Marsilius was exposed to Averroes’ ideas through various channels during his stay in Paris. Past research assumed that Averroes’ philosophy was particularly influential on Peter of Abano (ca. 1250–1316), a seminal natural and medical philosopher who taught in Paris and from 1307 in Padua.3 Most likely Marsilius studied under Peter in Padua before moving 1. A special note of appreciation is due to Bernardo Bayona, Tony Black, Zeev Harvey, Roberto Lambertini, Jürgen Miethke, Cary Nederman, Jean-Pierre Rothschild, and Bernard Septimus for earlier discussions and valuable comments. I am also grateful to the Yad Hanadiv/Beracha Foundation for awarding me a Visiting Fellowship in Jewish Studies that enabled me to pursue my research at the Hebrew University of Jerusalem during the academic year 2006/2007. See MARSILIUS OF PADUA, The Defender of the Peace, ed. and trans. Annabel BRETT (Cambridge and New York: Cambridge University Press, 2005), lii–lv; Charles W. PREVITÉ-ORTON, “The Authors Cited in the Defensor pacis,” in Essays in History Presented to Reginald Lane Poole, ed. Henry W. C. DAVIS (Oxford: The Clarendon Press, 1927), 405–20. 2. For further details on Marsilius’ life, see Vasileios SYROS, Die Rezeption der aristotelischen politischen Philosophie bei Marsilius von Padua: Eine Untersuchung zur ersten Diktion des Defensor pacis (Leiden and Boston: Brill, 2007), 17–27; Jürgen MIETHKE, De potestate papae. Die päpstliche Amtskompetenz im Widerstreit der politischen Theorie von Thomas von Aquin bis Wilhelm von Ockham (Tübingen: Mohr Siebeck, 2000), 204–47; and Carlo PINCIN, Marsilio (Turin: Giapichelli, 1967), 21–54. 3. On Peter of Abano’s life and works, see Eugenia PASCHETTO, Pietro d’Abano, medico e filosofo (Florence: Nuovedizioni E. Vallecchi, 1984); Luigi OLIVIERI, Pietro d’Abano e il pensiero neolatino. Filosofia, scienza e ricerca dell’Aristotele greco tra i secoli XIII e XIV (Padua: Antenore, 1988); Nancy G. SIRAISI, “Pietro d’Abano e Taddeo Alderotti, Two Mod-

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to Paris4 and maintained contact with him over time; this is supported by the fact that in 1315 he was present as a witness in Peter’s will.5 As is the case with other medieval thinkers who belonged to the Parisian university milieu, Peter was well grounded in Averroes’ natural philosophy and medical thought. The assumption, however, that he was the founder of a distinct “Averroist” trend at the University of Padua has proved problematic.6 What is more important is Marsilius’ personal connection to John of Jandun (d. 1328), Master of Arts at the Collège de Navarre and a leading commentator on Aristotle and Averroes, with whom Marsilius fled in 1326 to the court of Louis IV of Bavaria (1287–1347). John was long considered the fountainhead of the Parisian “Averroists” and the co-author of Marsilius’ opus magnum, the Defensor pacis (Defender of Peace, 1324).7 Yet a number of studies have pointed to striking differences between Marsilius’ and John of Jandun’s political ideas and adduced compelling evidence against the co-authorship of the Defensor pacis by Marsilius and Jandun,8 as well as, more broadly, the existence of “Political Averroism” as a movement that sought to propagate Averroes’ political ideas in the medieval West.9 els of Medical Culture,” Medioevo 11 (1985): 139–62 – repr. in EADEM, Medicine in the Italian Universities, 1250–1600 (Leiden: Brill, 2001), 79–99. 4. MIETHKE, De potestate, 209; and PINCIN, Marsilio, 23–24. 5. Tiziana PESENTI, “Per la tradizione del testamento di Pietro d’Abano,” in Atti del convegno internazionale su Marsilio da Padova [= Medioevo 5–6 (1979/80)], 533–42. 6. See, e.g., the following studies by Bruno NARDI: “Dante e Pietro d’Abano,” in IDEM, Saggi di filosofia dantesca (Florence: La Nuova Italia 1967), 41–65; “La teoria dell’anima e la generazione delle forme secondo Pietro d’Abano” and “Intorno alle dottrine filosofiche di Pietro d’Abano,” in IDEM, Saggi sull’aristotelismo padovano dal secolo XIV al XVI (Florence: Sansoni 1958), 1–17 and 19–74, respectively. 7. The thesis about the co-authorship of the Defensor pacis was advanced by Noël VALOIS, “Jean de Jandun et Marsile de Padoue auteurs du Defensor pacis,” Histoire littéraire de France 33 (1906): 528–623. 8. Alan GEWIRTH, “John of Jandun and the Defensor pacis,” Speculum 23 (1948): 267–72; Ludwig SCHMUGGE, Johannes von Jandun (1285/89–1328). Untersuchungen zur Biographie und Sozialtheorie eines lateinischen Averroisten (Stuttgart: Hiersemann 1966), 95–119; and Carlo DOLCINI, “Marsilio da Padova e Giovanni di Jandun,” in Storia della chiesa vol. 9: La crisi del Trecento e il papato avignonese, 1274–1378, ed. Diego QUAGLIONI (Cinisello Balsamo: San Paolo, 1994), 435–46. On John of Jandun’s philosophy, see Jean-Baptiste Brenet, Transferts du sujet: la noétique d’Averroès selon Jean de Jandun (Paris: Vrin, 2003); IDEM, “Perfection de la philosophie ou philosophe parfait? Jean de Jandun, lecteur d’Averroès,” Recherches de théologie et philosophie médiévales 68 (2001): 310–48; Roberto LAMBERTINI, “Felicitas’ politica und ‘speculatio.’ Die Idee der Philosophie in ihrem Verhältnis zur Politik nach Johannes Jandun,” in Was ist Philosophie im Mittelalter? ed. Jan A. AERTSEN and Andreas SPEER (Berlin and New York: de Gruyter, 1998), 984–90; SCHMUGGE, Johannes von Jandun (1285/89–1328); Stuart MacClintock, Perversity and Error: Studies on the “Averroist” John of Jandun (Bloomington, IN: Indiana University Press, 1956). 9. See, for instance, Bernardo BAYONA AZNAR, “La incongruencia de la denominación ‘averroísmo político,’” in Maimónides y el pensamiento medieval, ed. José Luis CANTÓN

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The first sustained effort to assess the influence of Islamic political thought on the Defensor pacis was undertaken by Jeannine Quillet.10 Quillet drew on Shlomo Pines’ assumption that Marsilius was influenced not by Averroes but, rather, by Al-Farabi’s (d. 950) lost Commentary on the Nicomachean Ethics, which had been translated into Hebrew in 1321 by Samuel ben Judah.11 Quillet’s suggestions concerning a number of similarities between Marsilius and Al-Farabi are indeed intriguing. However, Quillet overlooked the fact that Al-Farabi’s political treatises and Averroes’ Commentary on Plato’s Republic were not translated into Latin during the Middle Ages,12 which meant that medieval thinkers had access solely to Averroes’ commentaries on the Ethics and the Rhetoric as the main sources of his political ideas.13 More recently, Antony Black set forth a number of arguments demonstrating possible Muslim influences on Marsilius. (a) Black notes that Averroes’ Commentary on Plato’s Republic was extant in Samuel ben Judah’s Hebrew translation, which was completed in or near the southern French town of Beaucaire in 1321. Black ponders the possibility that Marsilius might have been in AviALONSO (Córdoba: Universidad de Córdoba, Servicio de Publicaciones, 2007), 329–40; Gregorio PIAIA, “‘Averroïsme politique’: Anatomie d’un mythe historiographique,” in Orientalische Kultur und europäisches Mittelalter, ed. Albert ZIMMERMANN and Ingrid CRAEMERRUEGENBERG (Berlin and New York: de Gruyter, 1985), 288–300; and IDEM, “L’averroismo politico e Marsilio da Padova,” in Saggi e ricerche su Aristotele, Marsilio da Padova, M. Eckhart, Rosmini, Spaventa, Marty, Tilgher, Omodeo, metafisica, fenomenologia ed estetica, ed. Carlo GIACON (Padua: Antenore, 1971), 33–54. 10. Jeannine QUILLET, “L’aristotélisme de Marsile de Padoue et ses rapports avec l’averroisme,” in Atti del convegno internazionale su Marsilio da Padova, 81–142; and EADEM, La philosophie politique de Marsile de Padoue (Paris: Vrin, 1970), 61–64. 11. Shlomo PINES, “La philosophie dans l’économie du genre humain selon Averroès: une réponse à al-Farabi?” in Multiple Averroès, ed. Jean JOLIVET (Paris: Les Belles Lettres, 1978), 189–207; and IDEM, “The Limitations of Human Knowledge according to Al-Farabi, Ibn Bajja, and Maimonides,” in Studies in Medieval Jewish History and Literature, ed. Isadore TWERSKY (Cambridge, MA: Harvard University Press, 1979), 1: 82–109 – repr. in IDEM, Collected Works, vol. 4: Studies in the History of Jewish Thought, ed. Warren Zev HARVEY and Moshe IDEL (Jerusalem: Magnes Press 1997), 404–31, esp. 404–05. 12. Abraham MELAMED, The Philosopher-King in Medieval and Jewish Political Thought (Albany, NY: SUNY Press, 2003), 242–43. 13. See, in general, Péter MOLNÁR, “Une étape négligée de la réception d’Aristote en Occident: Averroès, le Liber Nicomachie et la science politique,” in Averroès et l’averroïsme: (XIIe–XVe siècle); un itinéraire historique du Haut Atlas à Paris et à Padoue, ed. André BAZZANA et al. (Lyon: Presses Universitaires de Lyon, 2005), 265–73; Roberto LAMBERTINI, “Zur Frage der Rolle des Averroes in der praktischen Philosophie des Spätmittelalters: Vorbemerkung zur Rezeption seines Ethikkommentars,” in Averroes (1126–1198) oder der Triumph des Rationalismus, ed. Raif Georges KHOURY (Heidelberg: Winter, 2002), 243–53; and Christoph KUMMERER, Der Fürst als Gesetzgeber in den lateinischen Übersetzungen von Averroes (Ebelsbach: Gremer, 1989).

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gnon, a town close to Beaucaire, in 1316–18 and might have had access to Samuel ben Judah’s translation.14 However, there is no evidence whatsoever that Marsilius used that translation, and, moreover, it would be far-fetched to surmise that Marsilius had any knowledge of Hebrew, Provencal, or a derivative. Black’s argument that “Marsilius was something of a dissident and would have thus been more likely than most to have conversed with Jews”15 is equally problematic: it would have been more natural for a “dissident” thinker to interact with individuals cherishing similar concerns and ideas in Paris, a major center of education that attracted a large number of people from different cultural and religious backgrounds than to search for “Jewish” interlocutors in Southern France. Black reckons that Marsilius’ notion of strife as a characteristic of every human association that necessitates government echoes Muslim theories that employed a similar formula in order to justify the origins of human authority.16 As will be shown later, this idea was common currency in medieval Islamic political thought, but it is also found in the Latin translation of Maimonides’ Guide of the Perplexed. In addition, Black identifies Marsilius as the only medieval European thinker to set forth the view that people are equipped with diverse capacities and skills and that the division of labor is an essential prerequisite for the existence of a human association composed of distinct functional groups that make their appearance prior to the state.17 Once again, this view is not unique to Al-Farabi and Averroes. Maimonides expresses similar opinions with regard to the necessity of the political community and holds that conflicts and discord arise from the very diversity of the aptitudes and the interests of the members of human associations. Finally, Black suggests that the Marsilian notion of legislator humanus is slightly reminiscent of Al-Farabi and Averroes,18 but he overlooks the differences between Marsilius’ idea that the legislator humanus is the entire body of the citizens or its “weightier part” (pars valencior) and al-Farabi’s and Averroes’s notion of the legislator as epitomizing the functions of the ruler, the philosopher, and the imam.

14. Antony BLACK, The West and Islam: Religion and Political Thought in World History (Oxford: Oxford University Press, 2008), 166. 15. BLACK, The West and Islam, 166. 16. BLACK, The West and Islam, 52. 17. BLACK, The West and Islam, 52–53. 18. BLACK, The West and Islam, 54.

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One of the questions thus far largely neglected by scholarly research on Marsilius’ sources concerns the links of his political theory to medieval Jewish philosophy, in particular Moses Maimonides’ (1135–1204) œuvre.19 In 1242–44, after the burning of the Talmud in Paris, there appeared a Latin translation of the first sections of part II of Maimonides’ Guide of the Perplexed (Moreh nevukhim) and an almost complete one under the title Dux neutrorum based on Harizi Hebrew translation.20 It may be presumed that during his stay in Paris Marsilius was familiar with contemporary discussions on Maimonides’ work and had access to one of the copies of the Latin translation of the Guide which had been available as early as in the mid-thirteenth century.21 It is also significant to note in this connection that Peter of Abano’s Conciliator differentiarum philosophorum et praecipue medicorum (ca. 1310) and Lucidator dubitabilibium astronomie contain a number of references both to the Dux neutrorum and Maimonides’ medical writings, which enjoyed a wide reception at the Universities of Montpellier, Bologna, and Padua.22 19. On Maimonides’ Guide of the Perplexed as a possible source of the Defender of Peace, see SYROS, Die Rezeption der aristotelischen politischen Philosophie bei Marsilius von Padua, 107–14. According to Leo Strauss, Marsilius conjoins Maimonides’ notion that the human law aims at the perfection of the human body with Thomas Aquinas’ views on the suprarational status of the divine law to articulate the idea that the only law properly so called is the human law which is concerned with the well-being of the human body. See Leo STRAUSS, s.v. “Marsilius of Padua,” History of Political Philosophy, ed. Leo STRAUSS and Joseph CROPSEY (Chicago, IL and London: University of Chicago Press, 3rd ed. 1987), 276–95, 293–94. On Strauss’ interpretation of Marsilius’ political thought, see Maurizio MERLO, “La catástrofe de la felicidad. Marsilio de Padua en la lección de Leo Strauss,” (trans. from the Italian Pedro Medina Reinón) Res publica 8 (2001): 71–92. For further discussion of the affinities between Marsilius’ and Maimonides’ ideas on divine law appears in Maurizio MERLO, Marsilio da Padova. Il pensiero della politica come grammatica del mutamento (Milan: Angeli, 2003), 22–23. 20. On the reception of the Guide of the Perplexed in the medieval West, see notably Görge K. HASSELHOFF, Dicit Rabbi Moyses: Studien zum Bild von Moses Maimonides im lateinischen Westen vom 13. bis 15. Jahrhundert (Würzburg: Königshausen & Neumann, 2004; 2nd extended ed., 2005), 88–93, 122–27. 21. According to HASSELHOFF, Dicit Rabbi Moyses, 122–29, the two oldest manuscripts of the Dux Neutrorum were extant at the University of Paris. Hasselhoff points to the existence of another two manuscripts (Vatican and Todi) possibly dating back to the thirteenth century. There are also references to two manuscripts of the same period that belonged to theologians in Paris. Two manuscripts (Munich and Graz) are dated back to end of the fourteenth century, whereas three manuscripts (Saint Omer, Cambridge, and Oxford) were produced before the mid-fourteenth century. 22. HASSELHOFF, Dicit Rabbi Moyses, 54, 291, and 294–95. On Maimonides as a source of Peter’s Lucidator, see Il “Lucidator dubitabilium astronomiae” di Pietro d’Abano: opere scientifiche inedite, ed. and transl. Graziella FEDERICI VESCOVINI (Padua: Programma e 1+1 Ed., 1988), 96, 167, 197–99, 202, 204, 209, 238, 275, 344, and 400. The reception of Maimonides’ medical works in the medieval West is surveyed in Lola FERRE, “Dissemination of Maimonides’ Medical Writings in the Middle Ages,” in Traditions of Maimonideanism, ed.

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This paper points to parallels between Maimonides’ and Marsilius’ notions of the political function of religion and is intended as a contribution to a more detailed investigation of the fortune of the Guide of the Perplexed in late medieval Europe. I will argue that both Marsilius and Maimonides identify the need for securing all the means conducive to human life as the chief cause for the genesis of human associations (point A). Due to the diversity of their members, human communities are susceptible to strife and discord and need rules and an authority able to enforce them and to exercise control over human acts. On the basis of these considerations, both Marsilius and Maimonides perceive religion to be a factor regulating the relations of the members of the political community (point B).23 Admittedly, many of these ideas are not entirely novel and occur in a number of medieval political works. The emphasis on the need to satisfy human needs as the primary motive behind the formation of human associations is a recurrent topic in medieval Islamic political writing. As early as in the ninth century, Al-Jahiz (d. 869) stresses that human cooperation is a prerequisite for human survival. Al-Amiri (d. 992) put forwards the view that human assemblages arise out of natural necessity and function as a means for leading a virtuous life, gods or beasts being the sole exceptions.24 Al-Farabi states the idea that man is destined by nature to live in a society, since he cannot obtain the necessities of life without mutual cooperation.25 Averroes identifies societies aiming to provide for the basic necessities of life through agriculture, hunting, or robbery as the most primitive form of Carlos FRAENKEL (Leiden and Boston: Brill, 2009), 17–31; Görge K. HASSELHOFF, “The Translations and the Reception of the Medical Doctor Maimonides in the Christian Medicine of the 14th and 15th Century,” in The Trias of Maimonides/Die Trias des Maimonides: Jewish, Arabic, and Ancient Culture of Knowledge/Jüdische, arabische und antike Wissenskultur, ed. Georges TAMER (Berlin and New York: de Gruyter, 2005), 395–410. 23. Maimonides uses the term shari‘ah, i.e., (religious) law (and not necessarily “religion”). Likewise, Marsilius conceives of religion (lex) as embodying a set of rules concerning human conduct. 24. See, with further references, Patricia CRONE, Medieval Islamic Political Thought (Edinburgh: Edinburgh University Press, 2004), 260–61; Fauzi M. NAJJAR, “Siyasa in Islamic Political Philosophy,” in Islamic Theology and Philosophy, ed. Michael M. MARMURA (Albany, NY: State University of New York Press, 1984), 92–110; Shlomo PINES, “The Societies Providing for the Bare Necessities of Life according to Ibn Khaldun and to the Philosophers,” Studia Islamica 34 (1971): 125–38 – repr. in IDEM, Collected Works, vol. 3: Studies in the History of Arabic Philosophy, ed. Sarah STROUMSA (Jerusalem: Magnes Press, 1996), 217–30; and Franz ROSENTHAL, “State and Religion According to Abu l-Hasan al‘Amiri,” Islamic Quarterly 3 (1956): 42–52. 25. Al-Farabi on the Perfect State: Abu Na≥r al-Farabi’s Mabadi’ ara’ ahl al-madina al-fadila, ed. and Eng. transl. Richard WALZER (Oxford: Clarendon Press, 1985), 229. See also Al-Farabi, The Political Writings:“Selected Aphorisms” and Other Texts, transl. Charles E. BUTTERWORTH (Ithaca and London: Cornell University Press, 2001), 23–26, 46.

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social life.26 Ibn Taymiyyah (1263–1328), Marsilius’ contemporary in Damascus, holds the view that solidarity and mutual help among humans are indispensable for satisfying their needs.27 In addition, a number of Muslim political thinkers depicted humans as being animated by strong desires and passions, declared strife to be a feature of all forms of social organization, and advocated the existence of a ruler and restraints and checks on human conduct.28 However, it is the articulation of these ideas within the framework of the discussion of the political utility of religion by both Marsilius and Maimonides that provides clues that help us discern some intriguing affinities between these two authors. Specifically, I will demonstrate that both Marsilius and Maimonides illustrate the political value of religion by invoking examples from pagan traditions (the Sabians in the Guide of the Perplexed and Hesiod, Pythagoras, and other ancient philosophers in the Defensor pacis), which serve them as starting points for tracing the rational causes for the existence of religion and myths. In this regard, Marsilius’ and Maimonides’ accounts of pagan religions are an integral part of the argumentative strategy they employ to illustrate the political importance of religion and myths as means for guaranteeing the existence and durability of a wellordered political community (point C).

I. In analyzing the causes for the creation of the political community, Marsilius cites Aristotle’s dictum that all men are by nature driven to communal living.29 26. Averroes’ Commentary on Plato’s Republic, ed. and Eng. transl. Erwin I. J. ROSENTHAL (Cambridge: Cambridge University Press, 1956), 217–18 and 113–14. 27. Victor E. MAKARI, Ibn Taymiyyah’s Ethics: The Social Factor (Chico, CA: Scholars Press, 1983), 123; and Henri LAOUST, Essai sur les doctrines sociales et politiques de Taki-dDin AÌmad b. Taimiya, canoniste Ìanbalite né à Îarran en 661/1262, mort à Damas en 728/1328 (Cairo: Institut Français d’Archéologie Orientale, 1939), 259. 28. Crone, Medieval Islamic Political Thought, 261–62; 341–43; Black, The West and Islam, 52, 62. 29. “Est enim, ut diximus, cuius gracia civitas instituta est et necessitas omnium que sunt et fiunt per hominum communicacionem in ea. Hoc ergo statuamus tamquam demonstrandorum omnium principium naturaliter habitum, creditum et ab omnibus sponte concessum: omnes scilicet homines non orbatos aut aliter impeditos naturaliter sufficientem vitam appetere, huic quoque nociva refugere et declinare. quod eciam nec solum de homine *confessum est*, verum de omni animalium genere secundum Tullium 1o De Officiis, capitulo 3o, ubi sic inquit: Principio generi animancium omni a natura tributum est, ut se, corpus vitamque tueatur, declinetque ea que nocitura videantur, omnia que necessaria sunt ad vivendum, acquirat et paret.” (Defensor pacis, I.iv.2). References to the Defensor pacis are to the edition Marsilius von Padua,

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Although Marsilius claims to follow Aristotle,30 his description of the emergence of the political community rests rather on a combination of Aristotle’s account and Stoic ideas mediated through Cicero’s De officiis (I.iv.11): men strive by nature to preserve themselves, to secure what is necessary for living, and to avoid anything that might harm them. In Marsilius’ phrasing, man is by nature composed of contrary elements, whose contrary actions and passions result in the constant destruction of his substance. Moreover, he is born naked and unprotected from the influence of the surrounding air and other elements and thus needs various arts in order to avoid the above-mentioned harms. Since these arts can be exercised only by a multitude of persons, men had to assemble in order to engage in mutual collaboration and satisfy their needs and.31 A number of individuals with diverse talents and skills are for Marsilius a necessary precondition for satisfying the elementary human needs. The political community suffers from disputes and quarrels, which, if not regulated, could occasion its destruction. Hence, its maintenance depends on the existence of a norm of justice, i.e., the law, and its guardian, the ruler or the governing part, whose duty is to restrain any individuals who endanger domestic tranquility.32 The notion of the inner balance of the political community, which harks back to the ancient idea of moderation, is of central significance in Marsilius’ exposition of the parts of the political community and the function of the governing and the sacerdotal parts as agencies for maintaining internal stability and averting excesses in the conduct of the members of society.33 Defensor pacis, ed. Richard SCHOLZ (Hanover: Hahn, 1932/33) (henceforth cited as Defensor pacis). Citations will be to discourse, chapter, and paragraph. I have also consulted the following English translations: Marsilius of Padua, The Defender of Peace vol. 2: The Defensor pacis, transl. Alan GEWIRTH (New York: Columbia University Press, 1956; repr. 2001); Marsilius of Padua, The Defender of the Peace, ed. and transl. BRETT. Compare Aristotle, Politics 1253a2ff. 30. Defensor pacis, I.iv.1. 31. “Quod quamvis experiencia sensata doceat, eius tamen causam quam diximus, inducere volumus distincte magis, dicentes, quod quia homo nascitur compositus ex contrariis elementis, propter quorum contrarias acciones et passiones quasi continue corrumpitur aliquid ex sua substancia; rursumque quoniam nudus nascitur et inermis, ab excessu continentis aeris et aliorum elementorum passibilis et corruptibilis, quemadmodum dictum est in sciencia naturarum, indiguit artibus diversorum generum et specierum ad declinandum nocumenta predicta. Quequoniam exerceri non possunt, nisi a multa hominum pluralitate, nec haberi, nisi per ipsorum invicem communicacionem, oportuit homines simul congregari ad commodum ex hiis assequendum et incommodum fugiendum.” (Defensor pacis, I.iv.3). 32. “Verum quia inter homines sic congregatos eveniunt contenciones et rixe, que per normam iusticie non regulate causarent pugnas et hominum separacionem et sic demum civitatis corrupcionem, oportuit in hac communicacione statuere iustorum regulam et custodem sive factorem.” (Defensor pacis, I.iv.4). 33. The reception of Aristotle’s doctrine of mesótjv in medieval philosophy merits a closer study. See Cary J. NEDERMAN, “The Aristotelian Doctrine of the Mean and John of Salisbury’s

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It is essential to note here that Marsilius draws a distinction between two categories of human acts: the first class includes those acts which are the effect of natural causes apart from human knowledge, such as those acts which result from the contrariety of the elements composing the human body, through their intermixture, e.g., the acts of the nutritive faculty.34 To the second category are included those human acts and passions which originate from the cognitive and appetitive faculties. Marsilius divides this second group into two categories: a) transient acts (actus transeuntes35 or actus civiles or politici36), which are performed by the organs and members of the human body for the benefit or harm of someone other than the doer;37 and b) immanent acts (actus immanentes or monastici38 or spirituales),39 such as human thoughts and desires, which do not cross over into a person other than the doer.40 The main task of the governing part (pars principans) as the instrument of the legislator humanus, the supreme instance and sole source of legislative and governmental authority inside the political community, is to moderate and to correct the excesses of the transient acts and to reduce them to equality or due proportion.41 Immanent acts, by contrast, cannot be regulated them by means of civil legislation. Such acts, Marsilius explains, cannot be proved to be present or absent in someone. But they cannot be concealed from God, whom philosophers feigned to be the maker of such laws and the guarantor of their observance, under the threat of punishment for evildoers and with the promise of eternal reward for doers of good. Marsilius deduces from this that the function of the sacerdotal part is to exercise control on the immanent acts of the citizens.42 According to Marsilius, men did not think about the sacerdotal part of the political community in the same way they thought about the other parts of the political community, since the reasons for its existence could not be proved through demonstration, nor were they self-evident. Nevertheless, all peoples agreed on the importance of worshipping God and on the benefits Concept of Liberty,” Vivarium 24 (1986): 128–41 – repr. in IDEM, Medieval Aristotelianism and Its Limits: Classical Traditions in Moral and Political Philosophy, 12th–15th Centuries (Aldershot: Variorum, 1997), no. VIII. 34. Defensor pacis, I.v.4–6. See also ibid., II.xxii.4. 35. Defensor pacis, I.v.4; I.v.7. 36. Defensor pacis, I.v.4; I.x.2. See further ibid., I.x.1. 37. Defensor pacis, I.v.7. 38. Defensor pacis, I.v.11. 39. Defensor pacis, II.ii.4. 40. Defensor pacis, I.ix.11; II.viii.3. 41. Defensor pacis, I.v.7. 42. Defensor pacis, I.v.11.

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deriving from it, since most religions promise that in the future world God will distribute rewards to those who perform good deeds in this one and will mete out punishments for those who misbehave.43 A substantial part of Marsilius’ discussion of the political dimension of religion revolves around the ancient philosophers (e.g., Hesiod and Pythagoras) who propagated myths and doctrines in order to elicit the obedience of the masses in order to ensure domestic tranquility.44 Most importantly, Marsilius envisions the creation of the first political communities as the product of the collective will of the first patresfamilias: prudent and able men endowed with rhetorical abilities summoned the heads of the first households and induced the majority of them to band together in a political community and to introduce laws not by resorting to coercive power but by employing rhetoric and exhortation.45 In contrast, Marsilius ascribes the emergence of religion to the individual activity of the ancient philosophers and the founders of religious laws. Marsilius points out that the first philosophers—such as Hesiod, Pythagoras, and several other ancients— argued that the establishment of religions for the status of the present world occurred for another purpose, namely the need to guarantee the goodness of both private and civil human acts. In propagating their teachings, some of the founders of religions used myths to instill in men reverence for and fear of God and the desire to cultivate virtues and avoid vices. For instance, although they did not believe in human 43. “Superest autem nobis de sacerdotalis partis necessitate dicere, de qua non omnes homines sic senserunt concorditer, ut de necessitate reliquarum parcium civitatis. Et causa huius fuit, quoniam ipsius vera et prima necessitas non potuit comprehendi per demonstracionem, nec fuit res manifesta per se. Convenerunt tamen omnes gentes in hoc, quod ipsum conveniens sit instituere propter Dei cultum et honoracionem et consequens inde commodum pro statu presentis seculi vel venturi. Plurime enim legum sive sectarum bonorum premium et malorum operatoribus supplicium in futuro seculo promittunt, distribuenda per Deum.” (Defensor pacis, I.v.10). 44. Defensor pacis, I.v.11. A comparative examination of Marsilius’ and Machiavelli’s views on the societal aspects of religious belief appears in Bernardo BAYONA AZNAR, “Marsilio de Padua y Maquiavelo: una lectura comparada,” Foro interno 7 (2007): 11–34. General surveys of medieval and early modern ideas on the political aspects of religion include Ronald BEINER, Civil Religion: a Dialogue in the History of Political Philosophy (New York: Cambridge University Press, 2011); and Mark SILK, “Numa Pompilius and the Idea of Civil Religion in the West,” Journal of the American Academy of Religion 72 (2004): 863–96. 45. Defensor pacis, II.xxii.15. On Marsilius’ ideas on the role of oratory in the genesis of social life, see Cary J. NEDERMAN, “The Union of Wisdom and Eloquence before the Renaissance: The Ciceronian Orator in Medieval Political Thought,” Journal of Medieval History 18 (1992): 75–95; IDEM, “Nature, Sin and the Origins of Society: The Ciceronian Tradition in Medieval Political Thought,” Journal of the History of Ideas 49 (1988): 3–26 – both repr. in IDEM, Medieval Aristotelianism and its Limits, nos. XII and XI, respectively.

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resurrection and life after death, they strove to persuade others that it exists and that pleasures and pain in the next life depend on human deeds in the present one.46 A similar idea can be found in Averroes’ Tahafut al-Tahafut (The Incoherence of the Incoherence), where he refutes al-Ghazali’s (1058– 1111) view that the philosophers deny the doctrine of bodily resurrection. The gist of Averroes’ argument is that the idea of resurrection appeared in various religions much earlier than the emergence of philosophical teachings about resurrection. The philosophers, Averroes notes, perceived the significance of this doctrine for safeguarding the order among men, which is indispensable for human existence and conducive to ultimate happiness.47 The first philosophers also spoke of virtuous men in this world who were placed in the heavenly firmament and of certain stars and constellations named after them. They declared that the souls of men who had acted wrongly entered the bodies of various brutes according to the grade of human vices, mentioned various sorts of torments for evildoers (such as eternal thirst and hunger, as in the case of Tantalus), and pictured the infernal regions as deep and dark.48 Out of fear, men refrained from wrongdoing and were driven to perform virtuous deeds. They were thus well-disposed in themselves and toward others, and many disputes and injuries ceased in communities.49 Marsilius, in enumerating the various meanings of the term “law,” remarks that in its third sense “law” denotes a set of admonitions for voluntary human acts. Aristotle, Marsilius adds, designated religions as “laws,” the Mosaic law was partly called a law, the Evangelic law is called in its entirety law, and all religions, such as Islam and Zoroastrianism, are called “laws in whole or in part.”50 Marsilius’ “naturalistic” understanding of religion is predicated on the vision of religion as a lex operating with practices 46. Defensor pacis, I.v.11. 47. Averroes’ Tahafut al-tahafut (The Incoherence of the Incoherence), Eng. transl. Simon VAN DEN BERGH (Oxford: Oxford University Press, 1954), 1: 359–60. For further discussion, see Richard C. TAYLOR, “Averroes: God and the Noble Lie,” in Laudemus viros gloriosos, ed. Rollen E. HOUSER (Notre Dame, IN: Notre Dame University Press, 2007), 38–59, 50–51. 48. Defensor pacis, I.v.11. 49. Defensor pacis, I.v.11. 50. “Tercio vero modo sumitur lex pro regula continente monita humanorum actuum imperatorum, secundum quod ordinantur ad gloriam vel penam in seculo venturo; secundum quam significacionem lex Mosaica dicta est lex quantum ad aliquam sui partem; sic quoque lex evangelica secundum se totam lex dicitur. Unde apostolus ad Hebreos de hiis ait: Translato enim sacerdocio, necesse est ut legis translacio fiat. Sic eciam de disciplina evangelica lex dicitur Iacobi 1o:: Qui autem prospexerit in legem perfectam libertatis, et in ea permanserit etc., hic beatus in facto suo erit. Hac eciam legis accepcione dicuntur leges omnes secte, ut que Machometi aut Persarum, secundum se totas aut aliquas sui partes, licet ex hiis Mosaica et evangelica, Christiana scilicet, sole contineant veritatem.” (Defensor pacis, I.x.3).

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and regulations according to natural law. Peter of Abano, for example, posits a causal nexus between the movement of celestial bodies and the course of natural events and ascribes the appearance of major historic figures, including “founders of religions,” e.g., Moses, Alexander the Great, Jesus, and Mohammed, to the great conjunction of Saturn and Jupiter.51 These ideas go back to the works of the ninth-century Arab astronomer Abu Ma‘shar (Albumazar, d. 886), who described three kinds conjunctions of the two superior planets, Saturn and Jupiter: the greatest that occurs in the spring tropical sign every 960 solar years and causes the emergence of new religions; the middle that takes place every 240 solar years and leads to political changes, such as change of dynasty; and the minor, which occurs every 20 years and results in revolutions and similar events.52 Marsilius’ aim is not to challenge the status of Christianity as the only true religion. He makes it clear that all religions that are outside the Mosaic Law and the Christian faith were founded on erroneous views about God and are the product of the human mind, false prophets and teachers of errors who did not have correct opinions about God and the afterlife. Yet, he writes that he resorted to a detailed presentation of the societal function of pagan religions in order to illustrate the difference from the true priesthood and, at the same time, the necessity of the existence of the sacerdotal part.53

II. Before proceeding to a detailed discussion of Maimonides’ views on religion, it will be helpful to take a closer look at his Treatise on Logic (Maqala fi Sina‘at al-Man†iq), in which he discusses the purpose of political science.54 In chapter XIV of this work, he divides the history of mankind into two stages: in the first phase, the pagan nations of antiquity were governed in 51. PETER OF ABANO, Conciliator controversiarum, quae inter philosophos et medicos versantur, facsimile, ed. Ezio RIONDATO and Luigi OLIVIERI (Venice 1565; repr. Padua: Antenore, 1985), fols. 13v–14r. See also John M. HEADLEY, Tommaso Campanella and the Transformation of the World (Princeton, NJ: Princeton University Press, 1997), 185–86; and Friedrich VON BEZOLD, “Astrologische Geschichtskonstruktion im Mittelalter,” Deutsche Zeitschrift für Geschichtswissenschaft 8 (1892): 29–72 – repr in. IDEM, Aus Mittelalter und Renaissance: Kulturgeschichtliche Studien (Munich and Berlin: R. Oldenbourg, 1918), 165–95. 52. Abu Ma‘sar on Historical Astrology, The Book of Religions and Dynasties (On the Great Conjunctions), ed. and transl. Keiji YAMAMOTO and Charles BURNETT (Leiden: Brill, 2000), 1: 10–13 and 106–11; 2: 8–10 and 70–73. 53. Defensor pacis, I.v.13 and 14. See further ibid, I.x.3. 54. On this work, see Herbert A. DAVIDSON, Moses Maimonides: The Man and His Works (Oxford: Oxford University Press, 2005), 312–22.

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accordance with rules and laws, i.e., nomoi,55 which were laid down by sages; whereas in the second phase, people are ruled in conformity with divine commandments. The sages of the ancient pagan nations established governance and laid down rules according to the level of perfection of the people, and the kings exercised their power according to these rules. As is the case with the religion of the Sabians, Maimonides points out that philosophers have written many books about these things, some of which have been translated into Arabic, but many and most probably the bulk of them are not extant in Arabic translation.56 Maimonides’ Treatise on Logic was translated into Latin only in the sixteenth century, and Marsilius had no access to it.57 For another source of Maimonides’ ideas on the political relevance of religion, it is crucial to turn to a closer analysis of chapter forty-one of the second part of the Latin translation of the Guide of the Perplexed.58 Following Aristotle’s view of humans as being political by nature, Maimonides there affirms that humans, 55. On Maimonides’ notion of nomos, see Sarah STROUMSA, “Prophecy versus Civil Religion in Medieval Jewish Philosophy: The Cases of Judah Halevi and Maimonides,” in Tribute to Michael: Studies in Jewish and Muslim Thought Presented to Michael Schwarz, ed. Sara KLEIN-BRASLAVY (Ramat Aviv: Tel Aviv University, The Lester and Sally Entin Faculty of Humanities, The Chaim Rosenberg School of Jewish Studies, 2009) [English section], 79–102, 96–102; Zeev HARVEY, “Political Philosophy and Halakhah in Maimonides,” Iyyun 29 (1980): 198–212 [in Hebrew]; and Joel L. KRAEMER, “Civil and Religious Law in Maimonides,” Te‘udah 4 (1986): 185–202 [in Hebrew]. 56. MAIMONIDES, Treatise on Logic: The Original Arabic and Three Hebrew Translations; crit. ed. and Eng. transl. Israel EFROS (New York: American Academy for Jewish Research, 1938), 64; Maïmonide, Traité de logique. Trad. de l’arabe, avec une introd. et des notes par Rémi BRAGUE (Paris: Desclée de Brouwer, 1996), 101–02. See also Joel L. KRAEMER, “Naturalism and Universalism in Maimonides’ Political and Religious Thought,” in Me’ah She‘arim (Jerusalem: Magnes Press, 2001), 47–81; Lawrence V. BERMAN, “A Reexamination of Maimonides’ ‘Statement on Political Science,’” Journal of the American Oriental Society 89 (1969): 106–11; and Leo STRAUSS, “Maimonides’ Statement on Political Science,” Proceedings of the American Academy for Jewish Research 22 (1953): 115–30. Maimonides’ views about the ancient philosophers are discussed in Menachem LORBERBAUM, “Medieval Jewish Political Thought,” in The Cambridge Companion to Medieval Jewish Philosophy, ed. Daniel H. FRANK and Oliver LEAMAN (Cambridge: Cambridge University Press, 2003), 176– 200, 177. 57. Görge K. HASSELHOFF, “Die Drucke einzelner lateinischer Übersetzungen von Werken des Maimonides im 16. Jahrhundert als Beitrag zur Entstehung der modernen Hebraistik: Agostino Giustiniani und Sebastian Münster,” in Gottes Sprache in der philologischen Werkstatt: Hebraistik vom 15. bis 19. Jahrhundert, ed. Giuseppe VELTRI and Gerold NECKER (Leiden and Boston: Brill, 2004), 169–88. 58. References to the Dux neutrorum are made to the following edition: Dux dubitantium. Rabbi Mossei Aegyptii Dux seu director dubitantium aut perplexorum, ed. A. JUSTINIANUS (Paris 1520; repr. Frankfurt a. M.: Minerva, 1964) (henceforth cited as Dux dubitantium). I have relied on the following translation of the Guide of the Perplexed with occasional amendments: Moses Maimonides, The Guide of the Perplexed, transl. Shlomo PINES (Chicago, IL: Chicago University Press, 1963) (henceforth cited as The Guide of the Perplexed).

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in contrast to animals, are characterized by great diversity and are driven to form associations due to the need for mutual cooperation and assistance. Maimonides stands on common ground with Marsilius in holding that the purpose of the political community is to provide men with the means conducive to their existence. Moreover, Maimonides comes remarkably close to Marsilius in considering that the natural diversity of the members of human society generates internecine tension, strife, and instability. Accordingly, he advocates the existence of a ruler whose principal task is to gauge the acts of the members of society and to prescribe actions and moral habits that all of them must always practice in the same way, so that the natural diversity between the members of the political community is mitigated and concealed.59 Marsilius of Padua, Defensor pacis

Moses Maimonides, Dux neutrotum

“[…] indiguit artibus diversorum generum et specierum ad declinandum nocumenta predicta. Que quoniam exerceri non possunt, nisi a multa hominum pluralitate, nec haberi nisi per ipsorum invicem communicacionem, oportuit homines simul congregari ad commodum ex hiis assequendum et incommodum fugiendum.” (I.iv.3) “Verum quia inter homines sic congregatos eveniunt contenciones et rixe, que per normam iusticie non regulate causarent pugnas et hominum separacionem et sic demum civitatis corrupcionem, oportuit in hac communicacione statuere iustorum regulam et custodem sive factorem.” (I.iv.4)

“Ostensum est iam in fine demonstrationis quod natura hominis trahitur post consuetudinem civitatis: quia natura ipsius inducit eum ut conveniat cum aliis hominibus propter necessitates suas. Non est autem homo sicut et caetera animalia quorum coniunctio non est propter necessitates suas. Propter compositionem vero quae fuit in hac specie ultimo composita: sicut scis, fuit magna diversitas inter eius singularia, adeo quod non invenies duos homines omnino consentientes in moribus. Sed nec invenies formas eorum manifestas sibi convenientes. Huius autem rei causa est diversitas conmixtionis. Idcirco variantur accidentia que sequuntur formam: quoniam quaelibet forma naturalis habet propria se comitantia praeter accidentia quae materiam comitantur. Non invenietur autem ista diversitas magna que est in hominibus in aliqua specie animalium irrationalium: sed diversitas quae est in singulari-

59. Dux dubitantium, part II, ch. 41, fol. 66r-v; The Guide of the Perplexed, 381–82. See also the discussions by Howard T. KREISEL, Maimonides’ Political Thought: Studies in Ethics, Law, and the Human Ideal (Albany, NY: SUNY Press, 1999), 189–223; Abraham MELAMED, “Maimonides on the Political Nature of Man: Needs and Responsibilities,” in MinÌah LeSarah: MeÌqarim be-Filosofiyah Yehudit ve-Qabbalah (= Sarah Heller Wilensky Jubilee Volume), ed. Devora DIMANT et al. (Jerusalem: Magnes Press, 1994), 292–333 [in Hebrew]; and IDEM, “Aristotle’s Politics in Medieval and Renaissance Jewish Political Thought,” in Well Begun is Only Half Done: Tracing Aristotle’s Political Ideas in Medieval Arabic, Syriac, Byzantine, and Jewish Sources, ed. Vasileios SYROS (Tempe, AZ: Arizona Center for Medieval & Renaissance Studies, 2010), 147–88, 152–55.

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bus cuiuscunque alterius speciei animalium est vicina sibi, praeterquam in specie hominum: adeo quod invenies duos homines differentes in moribus, sicut si essent duarum specierum: ita et fortitudo unius inducet ipsum ad tollendum filium proprium in hora iracundiae suae. Alius vero timebit occidere aliquem serpentem et debilitatur anima eius in hoc. Hoc idem contingit in pluribus accidentium. Quia vero stat in natura hominis de necessitate necessaria coniunctio, non fuit possibile ullo modo ut perficiant hominum coniunctio et convenientia nisi per rectorem qui concordet et ordinet opera eorum, et suppleat defectus, et diminuat excessus, et imponat leges operibus et moribus, ut ea omnes operent semper per eandem viam: donec occultet diveras magna naturalis sub dispositione ordinata: et tunc varietates omnium erunt ordinatae.” (Part II, ch. 41, fol. 66r; emphasis mine)

For Maimonides, commandments serve three goals: a) to communicate a correct opinion or put an end to an erroneous opinion; b) to teach morals; and c) to regulate social conduct, contribute to establishing proper relations between the members of the community and avert injustice.60 At this point a brief account of Maimonides’ classification of commandments into two categories is in order. The first category concerns the relations between man and his fellow man, whereas the second group concerns the relations between man and God.61 Notwithstanding the differences in terminology between Maimonides’ account of commandments and Marsilius’ typology of human acts, Maimonides’ discussion of the commandments contained in the first category reveals intriguing resemblances to the Marsilian concept of justice. Both Marsilius and Maimonides subscribe to a notion of justice which is reminiscent of Aristotle’s concept of corrective (commutative) justice, whose aim is, according to Aristotle, to restore equality in the transactions between men by rectifying the inequality or wrong according to arithmetical proportion.62 In a similar vein, Maimonides mentions that the punishment meted out to anyone who has done wrong consists of his receiv60. Dux dubitantium, part III, ch. 32, fol. 92r–v; The Guide of the Perplexed, 524. 61. Dux dubitantium, part III, ch. 36, fol. 94r–v; The Guide of the Perplexed, 538. 62. Defensor pacis, I.iv.4; I.v.7; I.xv.7; I.xvi.8; II.viii.7; II.ix.13; II.xii.12; II.xxvi.19. For further discussion, see Syros, Die Rezeption der aristotelischen politischen Philosophie bei Marsilius von Padua, 108ff. See also Marsilius of Padua, Defensor pacis, transl. GEWIRTH, lxxxiv; Aristotle, Nicomachean Ethics 1131a1ff.

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ing precisely the same treatment he has given to somebody else. Thus, he urges that there be judges in every town as well as a ruler who is feared and held in awe, employs all kinds of deterrents, and enhances the authority of the judges.63 Maimonides notes that by studying the doctrines and worship of the Sabians he gained insights into the reasons for the existence of divine commandments.64 An extensive account of the identity of the Sabians lies beyond the focus of the present article.65 In the context of the Guide of the Perplexed, the term is used as a generic designation for all adherents of pagan religions. Maimonides points to the existence of contemporary groups who live in the remote corners of the earth, like the savage Turks in the extreme north and the Indians in the extreme south, as the descendants of the Sabians who once filled the earth.66 He also mentions that the Sabians believed in the eternity of the universe and worshipped seven stars and the sun as the chief deity which governed the world. His account is based on the Nabatean Agriculture (al-FilaÌa al-naba†iyya), which was translated into Arabic by Ibn WaÌshiyah (ninth century) and is the major source of information about the religion of the Sabians, although only a very small portion of it is available in an Arabic translation when compared to the part that has not been translated and no longer survives.67 As mentioned earlier, Marsilius offers a description of pagan religions before the advent of Christianity in order to demonstrate the political necessity of religion. Maimonides employs a similar strategy in his treatment of the political function of divine commandments by presenting the religion of the Sabians as an example of the pagan religions that existed before the 63. Dux dubitantium, part III, ch. 42, fol. 99v; The Guide of the Perplexed, 558, 562. 64. Dux dubitantium, part III, ch. 30, fol. 91r; The Guide of the Perplexed, 518. 65. On the Sabians, see, for example, Jonathan ELUKIN, “Maimonides and the Rise and Fall of the Sabians: Explaining Mosaic Laws and the Limits of Scholarship,” Journal of the History of Ideas 63 (2004): 619–37; Sarah STROUMSA, Maimonides in His World: Portrait of a Mediterranean Thinker (Princeton, N.J. and Oxford: Princeton University Press, 2009), 84–105; EADEM, “Sabéens de Harran et Sabéens de Maïmonide,” and Paul B. FENTON, “Maïmonide et ‘L’agriculture nabatéenne,” both in Maïmonide. Philosophe et savant (1138–1204), ed. Tony LÉVY and Roshdi RASHED (Leuven: Peeters, 2004), 335–52 and 303–33, respectively. 66. Dux dubitantium, part III, ch. 30, fol. 90v; The Guide of the Perplexed, 515. 67. Ibn Wahsiyya’s Kitab al-filaha al-nabatiyya, a work in Arabic which was written in the tenth century and deals with the religious practices of the Sabians. For more information, see La Guida dei perplessi di Mosé Maimonide, ed. Mauro ZONTA (Turin: Unione Tipografico-Editrice Torinese, 2003), 48; and Sarah STROUMSA, “Entre Harran et al-Maghreb: la théorie maïmonidienne de l’histoire des religions et ses sources arabes,” in Judíos y musulmanes en al-Andalus y el-Magreb. Contactos intelectuales, ed. Maribel FIERRO (Madrid: Casa de Velázquez, 2002), 153–64.

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Torah and anatomizing the practices whereby religion served as a source of political efficacy: the Sabians held that the earth would become populated and the soil fertilized through the worship of the stars. The most wise and pious among them taught the people that agriculture would become perfect only if they worshipped the stars and the sun and refrained from provoking them by disobeying them; otherwise their cities would wither and eventually become empty.68 Farmers were praised, because they engaged in the cultivation of the land according to the desire of the stars. Further, the Sabians respected cattle because of their use in agriculture and prohibited their slaughter.69 Their priests instructed the people who met in the temples that, as a result of certain religious acts, rain would come down, the trees of the field would yield their fruit, and the land would become fertile and populated. Similarly, ancient sages and prophets commanded the people to play certain instruments before the images during religious festivals, in order to please the deities and receive their reward, such as long life, exemption from great body deformities, protection from illness, and abundant crop.70 Like Marsilius, Maimonides writes that the sages of the Sabians did not necessarily believe in the myths they propagated. However, they told their fellow men that a certain plague would befall those who did not perform the acts by which faith is supported and confirmed forever and that plague may befall a person, who will then direct his attention to the performance of that act, and adopt idolatry. Capitalizing on the fact that people fear most the loss of their children and property, they spread the tale that if anyone did not pass his son and daughter through the fire, his children would die. As a result, people performed this act, out of pity and apprehension for their children and because of the trifling character of the act and its ease.71 Marsilius of Padua, Defensor pacis

Moses Maimonides, Dux neutrorum

“At extra causas posicionis legum, que absque demonstracione creduntur, attenderunt philosophantes convenienter valde aliam et pro huius seculi statu quasi necessariam causam tradicionis legum divinarum sive sectarum, ex quibus fuit Esiodus, Pythagoras et aliorum antiquorum quamplures. Hec autem fuit bonitas humanorum actuum monasticorum et civi-

“Et dicam quod plurium peccatorum causas et rationes fecit me scire quod scivi de consuetudinibus gentium qui dicuntur Zabii et de opinionibus et de operibus et servitiis ipsorum sicut audies cum exposuero rationes illas praeceptorum de quibus ascendit in cor quod et non habent rationem, et faciam etiam mentionem tibi de libris ex quibus intelliges quod

68. 69. 70. 71.

Dux dubitantium, part III, ch. 31, fol. 92r; The Guide of the Perplexed, 522. Dux dubitantium, part III, ch. 31, fol. 92r; The Guide of the Perplexed, 522. Dux dubitantium, part III, ch. 31, fol. 92r; The Guide of the Perplexed, 523. Dux dubitantium, part III, ch. 38, fol. 96v; The Guide of the Perplexed, 545–46.

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lium, a quibus quies seu tranquillitas communitatum et demum sufficiens vita presentis seculi quasi tota dependet. Nam licet philosophorum aliqui, talium legum sive sectarum adinventores, non senserint aut crediderint hominum resurreccionem et illam vitam que vocatur eterna, ipsam tamen esse finxerunt et persuaserunt, et in ipsa delectaciones et tristicias, secundum qualitates humanorum operum in hac vita mortali, ut ex hoc inducerent hominibus Dei reverenciam et timorem, desiderium fugiendi vicia et colendi virtutes. Sunt enim actus quidam, quos legislator humana lege regulare non potest, ut qui alicui non possunt probari adesse vel abesse, quos tamen non potest latere Deum, quem finxerunt ipsi talium legum latorem et preceptorem observacionis ipsarum, sub eterne pene vel premii comminacione vel promissione bonorum aut malorum operatoribus.[…] Unde pax eciam seu tranquillitas civitatum et vita hominum sufficiens pro statu presentis seculi difficile minus servabatur, quod exposicione talium legum sive sectarum sapientes illi finaliter intendebant.” (I.v.11) “Verum quia gentiles et omnium relique leges aut secte, que sunt aut fuerunt extra catholicam fidem christianam, aut que ante ipsam fuit Mosaicam legem, vel que ante hanc fuit sanctorum patrum credulitatem, et generaliter extra tradicionem eorum, que in sacro canone, vocata Biblia, continentur, non recte senserunt de Deo, ut quia humanum ingenium secuti sunt aut falsos prophetas vel doctores errorum, ideoque nec de futura vita ipsiusque felicitate vel miseria, nec de vero sacerdocio propterea instituto recte senserunt. Locuti tamen sumus in ipsorum ritibus, ut eorum a vero sacerdocio, Christianorum scilicet, differencia et sacerdotalis partis necessitas in comunitatibus manifestius appareret.” (I.v.14; emphasis mine)

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ego cognovi de sententiis Zabiorum, et etiam de opinionibus eorum donec scies vere sine dubio quod ego dicam in rationibus praeceptorum talium.” (Part III, ch. 30, fol. 92r) “Cum intellexeris opiniones istas debiles antiquas apparebit tibi quia et notum fuit hominibus in diebus antiquis, hoc fuit quod propter servitium stellarum multiplicarentur habitatores in terra: et fructus et sapientes eorum. Et qui propinquiores erant inter eos idolis praedicabant hominibus et docebant eos: quia cultus terrae in quo est permanentia esse hominorum, non potest perfici iuxta voluntatem Deorum: nisi serviant Soli et stellis quod si offenderint eas diminuentur fructus et terrae sient desertae.” (Part III, ch. 31, fol. 92r)

III. The preceding comparative study of Marsilius’ and Maimonides’ political ideas centered on the following points of similarity between these two thinkers: they both set forth the idea that human associations grow out of man’s

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need to obtain the means that are necessary for his self-preservation and a sufficient life. The political community suffers from internecine strife due to the diversity of its members. As a result, the viability of any sort of human association is contingent upon the existence of laws as well as of a ruler or government entrusted with the application of justice and keeps the acts of the members of human society in check and wards off excesses. Religion as a factor of domestic stability is concerned with the morality of human acts and balance in the relations among the members of society. Lastly, both Marsilius and Maimonides invoke examples from the pagan past in order to explicate the political dimension of religious belief and of the divine precepts and explore the ways in which pagan religions were used as a means of cementing the unity of the political community and averting dissension and discord. In assessing the affinities between Marsilius and Maimonides it is instructive to examine them against the medical background that each possessed. Both Marsilius and Maimonides were professional physicians, which may partially account for their application of the doctrine of the mean to the discussion of human acts and the function of the ruler/government in guarding against excesses in the conduct of the members of the political community. This idea goes back to Aristotle, who looked upon virtue as mesótjv, i.e., the mean between two extremes and the hallmark of a virtuous life.72 The roots of this concept stretch back to Aristotle’s natural philosophy, according to which the mean is the cardinal feature of a well-formed and symmetrically grown living organism. The ideal political community, as outlined by Marsilius, resembles a well-formed living organism, whose parts and organs are created proportionally and cooperate harmoniously for the sake of the common welfare. The governing part operates as the counterpart of the heart and receives a certain virtue or form universal in causality with the active power or authority to set up and differentiate the other parts of the political community, i.e., the law, from the soul of the entire body of the citizens or its “weightier part” (pars valencior). A legitimate ruler exercising authority according to the laws must command the just and honorable and must prohibit their contraries. Just as the function of the heart in the living organism never ceases, so must the ruler coordinate the various segments of the body politic and ensure social harmony and justice.73 The notion of the mean occupied a prominent place in medieval Jewish and Islamic philosophical literature. Avicenna (Ibn Sina, 980– 1037), for example, assigns the lawgiver the task of promulgating laws regarding mor72. Nicomachean Ethics 1104a11ff., 1119b22ff. 73. Defensor pacis, I.xv.

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als and customs conducive to justice, which consists in the mean.74 Maimonides posits moral decay as a sickness of the soul and the result of the lack of mean.75 Shem-Tov ben Joseph ibn Falaquera (1225–ca. 1290), in his Book of the Seeker, sets forth a definition of moral virtue as a mean between two vices, excess and deficiency.76 In Falaquera’s view, the virtuous man is one who epitomizes ten portions of every noble quality, acts according to the mean, and avoids excesses.77 Marsilius diverges from Aristotle and the aforementioned thinkers by being indifferent to the moral implications of the organic analogy. Yet, in spite of this crucial difference between Marsilius and Maimonides, it is important to note that the doctrine of the mean is one of the key premises of their accounts of the role of the ruler/government and their respective notions of justice, which, as mentioned previously, are based on Aristotle’s definition of corrective justice. A comparative study of Marsilius’ and Maimonides’ views on the political implications of religious belief can yield fruitful results about, e.g., the influence of their medical background on their political ideas, and can help us discern further affinities between the two. It is hoped that the findings of the this paper will provide an incentive for a more detailed investigation of this topic and of the transmission of Maimonides’ political thought in medieval and Renaissance Europe, a question that has thus far not been given due scholarly attention. Vasileios SYROS [email protected] 74. AVICENNA, The Metaphysics of the Healing. A parallel English-Arabic text translated, introduced, and annotated by Michael E. MARMURA (Provo, UT: Brigham Young University Press, 2005), 377. 75. Eight Chapters, chs. 3–4; and Hilkhot De‘ot, chs. 1–2. Compare Guide of the Perplexed, II. 39. For further discussion, see Marvin FOX, “The Doctrine of the Mean in Aristotle and Maimonides: A Comparative Study,” in Studies in Jewish Religious and Intellectual History: Presented to Alexander Altmann on the Occasion of His Seventieth Birthday, ed. Siegfried STEIN and Raphael LOEWE (London/Tuscaloosa: Institute of Jewish Studies/University of Alabama Press, 1979), 93–120 – repr. in IDEM, Interpreting Maimonides: Studies in Methodology, Metaphysics, and Moral Philosophy (Chicago, IL: University of Chicago Press, 1990), 93–123; and Herbert A. DAVIDSON, “The Middle Way in Maimonides’ Ethics,” Proceedings of the American Academy for Jewish Research 54 (1987): 31–72; David SHATZ, “Maimonides’ Moral Theory” and Haim KREISEL, “Maimonides’ Political Philosophy,” both in The Cambridge Companion to Maimonides, ed. Kenneth SEESKIN (Cambridge: Cambridge University Press, 2005), 167–92 (esp. 171–83) and 193–220 (esp. 194, 199), respectively. 76. SHEM TOB BEN JOSEPH IBN FALAQUERA, The Book of the Seeker (Sefer Ha-Mebaqqesh), ed. and trans. M. HERSCHEL LEVINE (New York: Yeshiva University Press, 1976), 60–61. 77. Ibid, 54–55.

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Renata SEGRE

LES JUIFS À VENISE AUX XIIIe ET XIVe SIÈCLES MÉDECINS, NÉOPHYTES ET BANQUIERS*

RÉSUMÉ Au sujet de l’histoire de la présence juive à Venise avant la création du ghetto (1516), la recherche d’archives permet de remonter jusqu’à la seconde moitié du XIIIe siècle. La première documentation, portant sur des dates précises, concerne un medecin, Elia de Ferrara, qui s’installe sur les Lagunes en 1276, et, sauf un séjour de quelques années dans ses domains maritimes, va y habiter jusqu’à sa mort en 1326. Sa condition religieuse n’est pas définie, ainsi qu’il arrive à d’autres de ses collègues. Ce n’est qu’après le baptême que l’appellatif olim judeus accompagne l’identité des nouveaux chrétiens, ce qui révèle l’ambiguïté de la politique vénitienne envers ces résidents. À ce phénomène de courte durée, qui s’arrête avant l’épidémie de peste noire (1348), fait suite, après une trentaine d’années de silence des sources, l’apparition des banquiers d’origine allemande, qualifiés officiellement de judei teotonici (ashkénazi). Mais leurs activités financières ne donnent pas de résultats satisfaisants aux yeux des autorités qui profitent en 1395 de la fin d’une période de guerre et de difficultés économiques pour les renvoyer, à l’échéance de leur condotta. Le patriciat pourra dès lors revendiquer pleinement le rôle primordial de Venise en tant que défenseur de la foi et rampart de l’Église. SUMMARY The ultimate scope of this archival research is the history of the Jewish presence in Venice before the creation of the ghetto (1516). The sources do not go back beyond the thirteenth century; the first dated document refers to a physician, Elia of Ferrara, who moves to the city on the Lagoon in 1276 and apart from a short stay in the Venetian * Abréviations employées pour les archives (tirées des Archives d’État de Venise, sauf indication différente): AC (Avogaria di comun), Canc. Inf. (Cancelleria Inferiore), Cattaver (Ufficiali al Cattaver), MC (Maggior Consiglio), Not. (Notarile), b. (busta), prot. (protocollo), perg. (pergamena), quad. (quaderno), reg. (registro), r (recto), v (verso). L’année commençait le 1er mars, ce que l’on appelait more veneto, on trouvera donc souvent pour janvier et février une double indication d’année dans nos notes (par exemple: février 1463/1464). Les noms ont été modernisés, et maintenus en italien. J’ai le devoir et le plaisir de remercier la direction et les fonctionnaires des Archives d’État de Venise, qui avec leur aide et compréhension, ont rendu possible cette randonnée dans la documentation confiée à leurs soins. Et j’ajoute que sans le soutien de mes amis Gérard Nahon et Simon Schwarzfuchs, l’article n’aurait jamais paru en français. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 73-116. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126641

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sea dominions, lives and operates in the city till his death in 1326. His religious status is never officially disputed and the same applies to many of his colleagues. Never are they named judei, and this indication appears only after they have eventually converted to christianity: evidence of the ambiguity of the government’s policy in that matter in order to avail itself of Jewish doctors without antagonizing the Church and the medical corporation. This trend was not to last long, at the most less than half a century. In the 70s of the Trecento, a full fledged Jewish ashkenazi community is called in by the authorities in the hope that their banking activities would assist in the economic and financial recovery of the Treasury and the people. The test proved unsatisfactory and the patriciate, refusing to renew their charter in 1395, proclaimed loud its role of defensor of the faith and bulwark of the Church against the “infideles”.

L’examen systématique de la documentation conservée aux archives d’État et locales a provoqué, surtout à partir des années 70 du XXe siècle, un renouveau dans l’histoire des juifs en Italie. Mais la richesse de ces sources n’a pas toujours encouragé les chercheurs à les exploiter. C’est le cas de Venise. Ici, la connaissance des évènements qui se sont déroulés avant la création du ghetto sur les Lagunes reste insuffisante, bien que la date d’avril 1516 ait acquis une valeur symbolique et que le mot ghetto soit entré dans l’usage commun universel1. C’est que 1516 marque une ligne de démarcation dans un tableau historique dont les contours, au moins à partir de la moitié du XVIe siècle, sont assez bien définis. Le discours change si on regarde en arrière et si l’on considère l’itinéraire qui, du Moyen Âge et de la Renaissance, a conduit les juifs de Venise à être confinés, pour la première fois en Italie, dans un quartier qui leur sera strictement réservé. La recherche d’archives n’est jamais définitive et cela vaut surtout pour Venise où il n’existe pas de magistrature possédant une juridiction spécifique en matière juive. Cependant, grâce à la documentation déjà réunie, le processus par lequel la présence juive dans la capitale s’est faite stable commence à se dessiner, et les implantations répandues sur le territoire de l’État — jadis structurées et jouissant d’une autonomie propre — se sont vues peu 1. Pour un exposé raisonné et à jour des différentes thèses sur l’origine et l’emploi du mot ghetto, S. DEBENEDETTI-STOW, «The Etimology of “ghetto”: New Evidence from Rome», Jewish History, 6, 1992, p. 79-80. Le discours ne vaut pas pour Venise, où le mot latin getum se trouve déjà au XIIIe siècle dans deux sens: dans un cas il s’agit d’un impôt ou d’un paiement (par exemple, le notaire Guillelmo, officialis de geto sacri palacii, Canc. Inf., Notai, b. 85, 4 janvier 1274; ou geta poncium et salizatarum dus à un maçon, AC, Raspe, reg. 3645/5, fo 81 vo, 20 septembre 1398); dans l’autre, il se rapporte au travail du cuivre (d’où dérive l’emplacement du ghetto originaire, getum rami, déjà in Senato. Misti, reg. 19, 12 avril 1341, dans l’édition imprimée par F.-X. LEDUC, vol. 6, Venise, 2004, p. 277, doc. 498). Voir aussi E. CONCINA, U. CAMERINO, D. CALABI, La città degli ebrei. Il ghetto di Venezia: architettura e urbanistica, Venise, 1991, p. 12-17, 46-47.

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à peu réduites à l’état de pièces d’une communauté nationale axée sur Venise. C’est une ligne de conduite poursuivie avec acharnement par la classe gouvernante de Venise qui tend à rééquilibrer en sa faveur le rapport entre la Dominante et sa Terraferma; au sein du judaïsme de la République, cette politique causera un lourd préjudice aux centres mineurs et périphériques qui, au cours du XVIe siècle, vont presque tous disparaître par décision des autorités centrales, au cas où cela ne se serait pas encore produit sous la dictée du consensus local. Mais peut-on décrire les débuts de cette communauté vénitienne, en indiquer les origines? Il faut admettre que la thèse, longuement soutenue selon laquelle il n’y a pas eu une véritable institution juive structurée sur les Lagunes dans le bas Moyen Âge, résiste et se défend2. La présence juive sera sanctionnée d’une façon officielle seulement dans le dernier quart du XIVe siècle, avec l’arrivée des prêteurs allemands: leur activité ne durera qu’une quinzaine d’années — une sorte de parenthèse dans l’histoire de la ville —, et le Sénat en tirera parti pour proclamer avec fierté qu’en éloignant ces prêteurs, les Vénitiens ont réaffirmé un axiome de la politique de la République — encore appelée Commune —, fille (primigène) de l’Église3: la défense irréfutable des valeurs de la chrétienté vis-à-vis des infidèles (antiqui nostri numquam eos voluerunt videre in Venetiis)4. Pourtant, dans une phase antérieure, qui embrasse une quarantaine d’années entre la fin du XIIIe siècle et les premières décennies du siècle suivant, il y eut des juifs à Venise, qui y vivaient et y opéraient, mais leur véritable identité fut alors passée sous silence, sinon cachée: c’étaient des médecins. Il s’agit là d’une autre particularité de Venise: la règle selon laquelle les premiers prêteurs 2. Il est désormais établi que l’île de la Giudecca (anciennement nommée Spinalunga) ne fait pas référence aux juifs; c’était le siège des teintureries et des travaux du cuir. On pourrait plutôt envisager des contacts entre les mots Giudecca et Giovecca (d’où le nom d’une des rues principales de Ferrare) et leur dérivation du latin. C. M. SANFILIPPO, «Fra lingua e storia: note per una Giudecca non giudaica», Rivista italiana di onomastica, 4, 1998, p. 7, 13-15. 3. Antiqui progenitores nostri, christiane religionis cultores, Signori di notte al civil, b. 1bis, Capitolare, reg. A, fos 36 vo-37 vo, 11 avril 1443 (une copie [Cattaver, b. 1, reg. 2, fos 117 ro-118 ro] porte la date du 15 avril 1443). 4. Senato, Misti, reg. 43, fo 23 ro, 27 août 1394; une copie est in Signori di notte al civil, b. 1bis, Capitolare, reg. A, fo 30 ro. Une autre formule, qui figure comme prémisse et justification de l’urgence de renvoyer les juifs des villes de Trévise, Ceneda et Mestre, proclamait: Pro honore nostri dominii et pro omni bona causa et respectu, sequendo vestigia progenitorum nostrorum. Ibid., fo 29 ro, 28 septembre 1394. Dans une autre saison de crise, un siècle plus tard, on retrouve des expressions semblables (nostri sancti progenitori; sancti padri) et des considérations analogues. Voir à ce propos les remarques de B. DOUMERC, «Novus rerum nascitur ordo: Venise et la fin d’un monde (1495-1511)», in A. DUCELLIER (dir.), Chemins d’Outre-mer. Études sur la Méditerranée médiévale offertes à Michel Balard, Byzantina Sorbonensia. 20, Paris, 2004, surtout p. 239.

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étaient eux-mêmes des médecins, ou bien qu’ils les avaient introduits à leur suite, — et l’activité des uns justifiait la présence des autres —, ne s’applique pas ici. Dans notre cas, il n’y a aucun lien, ni coïncidence temporelle, ni même superposition entre les deux figures traditionnelles de l’histoire juive médiévale. Dans l’état présent de la recherche, les faits dont il sera maintenant question ne nous permettent pas de parler d’un début de communauté juive sur les Lagunes. Mieux vaudrait peut-être les ranger parmi les premières traces qui nous soient parvenues des temps de ses origines. Les historiens qui ont essayé de proposer une solution5, — ils ont dû recourir à des textes en hébreu par manque de documentation en d’autres langues —, n’ont relevé que deux ou trois mentions dont la première, par ordre chronologique, se réfère au passage du talmudiste Isaïa ben Mali de Trani (Rid, vers 1180avant 1260) par le port de Venise à l’occasion de son pèlerinage en Terre sainte6. Les deux autres sont des colophons, respectivement de Hillel ben Shmuel et de Jacob ben Elia, dont la renommée repose sur leur activité de 5. Le débat qui a finalement conclu que le XIVe siècle vénitien n’a pas connu une communauté — au sens propre — de juifs jusqu’aux années 80, s’est déroulé entre D. JACOBY («Les juifs à Venise du XIVe au milieu du XVIe siècle», in H.-G. BECK, M. MANOUSSACAS, A. PERTUSI (eds.), Venezia centro di mediazione tra Oriente e Occidente (secoli XV-XVI): Aspetti e problemi, Florence, 1977, p. 163-165, réédité in Recherches sur la Méditerranée orientale du XIIe au XVe siècle, Londres, 1979, art. 8), B. RAVID («The Jewish Mercantile Settlement of Twelfth and Thirteenth Century Venice: Reality or Conjecture?», Association for Jewish Studies Review, 2, 1977, p. 201-226) et E. ASHTOR («Gli inizi della Comunità ebraica a Venezia», Rassegna Mensile d’Israel, 45, 1978, p. 683-703, réimprimé par U. FORTIS (éd.), Venezia ebraica, Rome, 1979, p. 18-23). Le dernier quart du siècle, le temps des banquiers, a fait l’objet d’une étude approfondie de R. C. MUELLER, «Les prêteurs juifs de Venise au Moyen Âge», Annales, ESC, 30, 1975, p. 1277-1302. Nous y reviendrons. 6. Zidqiyyah ben Avraham Anaw ha-Rofé raconte dans Shibbole ha-leket ha-shalem (S.M. MIRSKY, éd., New York, 1966, p. 34) qu’Isaïa, en route pour la Terre sainte, avait franchi le canal de Venise le samedi sur une gondole. Pour le texte d’Isaïa, voir A. LUZZATTO (éd.), La comunità ebraica di Venezia e il suo antico cimitero, t. I, Milan, 2000, p. 11, note. ASHTOR («Gli inizi della Comunità», art. cit., p. 687) considère ce récit, devenu un classique dans la doctrine rabbinique sur le respect du shabbat (en dérogation à la règle qui interdit l’emploi de tout moyen de transport en ce jour), un des premiers témoignages documentés de la présence de juifs à Venise, au moins en transit. V. COLORNI, «Gli ebrei nei territori italiani a nord di Roma dal 568 agli inizi del secolo XIII», in ID., Judaica minora. Saggi sulla storia dell’ebraismo italiano dall’antichità all’età moderna, Milan, 1983, p. 91-92, va plus loin: il est de l’avis qu’Isaïa a exercé des fonctions rabbiniques à Venise pendant un certain temps, ce qui revient à dire qu’il y avait déjà un groupe assez considérable de juifs dans la ville. Y. FRIEDMAN, «Pilgrimage to the Holy Land as an act of devotion in Jewish and Christian Outlook», in Rashi et la culture juive en France du Nord au Moyen Âge, Paris-Louvain, 1997, p. 297-299. E. ASHTOR, «Venezia e il pellegrinaggio in Terrasanta nel basso medioevo», Archivio storico italiano, 143, 1985, p. 197-225. Récemment ont été retrouvés et édités trois nouveaux fragments de ses gloses au Talmud. M. PERANI, «Il reimpiego dei manoscritti ebraici», in F. BONILAURI et V. MAGUERI, Le comunità ebraiche a Modena e a Carpi. Dal medioevo all’età contemporanea, Florence, 1999, p. 73.

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traducteurs de textes de médecine. Or, le seul lien connu entre Hillel et la Vénétie remonte à son grand-père, Eliezer ben Shmuel (qui avait été juge du tribunal rabbinique de Vérone, indice d’une communauté en plein épanouissement au début du XIIIe siècle); ce qui n’empêche pas Vérone de ranger Hillel parmi ses grands savants du Moyen Âge grâce à ses traductions7. En ce qui concerne le second témoignage, nous espérons contribuer quelque peu dans les pages qui suivent à une meilleure connaissance de la biographie de Jacob ben Elia et du milieu dans lequel il a vécu et travaillé à Venise, avec l’aide des précieuses données déjà offertes par Joseph Shatzmiller8. De plus, ces deux traducteurs, qui étaient aussi bien des médecins, car les deux activités ne pouvaient être séparées, ont d’autres éléments en commun, et la nouvelle documentation sur l’un va sans doute contribuer à l’amélioration de nos connaissances sur l’autre. Reprenons donc notre parcours. En février 1276, le Conseil Majeur autorise magister Helyas medicus, qui fuit de Ferraria à s’établir à Venise et à y exercer la profession médicale avec le status d’habitant: la commune s’engageait à lui éviter tout ennui auquel auraient pu l’exposer les poursuites financières et judiciaires engagées contre lui ailleurs et les réclamations sur ses biens avancées par des créanciers vénitiens de quelques autres personnes du marquisat9. On ne sait rien de sa vie ni de sa famille avant son installation 7. G. CERVETTO, Cenni per una storia dei medici veronesi e del loro antico collegio: discorso accademico, Vérone, 1834, p. 12. (Merci à M. Luca Porto qui a copié pour moi ce texte rare.) Hillel est en effet une personalité remarquable qui, après avoir vecu à Montpellier et Marseille (où il fut membre du tribunal rabbinique, 1252-1253), s’installa finalement à Forlì, où il mourut. Auteur en 1291 de Tagmulei nefesh («Les rétributions de l’âme»), et traducteur en hébreu de nombreux textes médicaux, il est surtout connu pour sa lettre à maître Gaio, médecin du pape Boniface VIII, et son adhésion à la vision thomiste sur l’immortalité de l’âme individuelle en opposition à la pensée d’Averroës sur l’âme universelle. Témoin à Montpellier de la controverse sur l’œuvre de Maïmonide, il en rapportait des échos encore dans ses derniers jours, à Forlì. H. GROSS, Gallia judaica, Amsterdam, 1969 (reprint), p. 374. 8. «Jacob ben Élie, traducteur multilingue à Venise à la fin du XIIIe siècle», Micrologus 9, 2001, p. 195-202. À ce propos, qu’il suffise, pour l’instant, de signaler la prééminence d’une culture et d’une coutume francesizzante (grâce à la diffusion et à la réception de la langue française) dans la Vénétie du XIIIe-XIVe siècle (A. LIMENTANI, «Canal, Martino», in Dizionario Biografico degli Italiani [dorénavant DBI], 17, Rome, 1974, p. 659), et de se demander si on ne pourrait pas y repérer quelque modeste indice susceptible d’expliquer l’accueil que ces médecins et savants reçurent sur les Lagunes et l’attrait que Venise exerçait sur eux. 9. Fuit capta pars quod magister Helyas, medicus qui fuit de Ferraria, possit venire ad habitandum Venecias cum suis rebus quibuscumque voluerit, non obstantibus represaliis factis vel faciendis, ita quod per eos vel per alios pro eis qui eas represalias habent, impediri non possit ipse magister vel bona eius in veniendo, stando vel reddeundo. Et si Consilium est contra, sit revocatum quantum in hoc, et tractetur et habeatur per comune Veneciarum tamquam habitator Veneciarum, sicut tractantur et habentur alii habitatores Veneciarum. MC, reg. 1, Comune I, fo 138 ro, imprimé par R. CESSI (éd.), Deliberazioni del Maggior Consiglio di Venezia, Rendiconti dell’Accademia dei Lincei. Commissione per gli Atti delle Assemblee Costituzionali Italiane, t. 2, Bologne, 1931, p. 163, doc. 111. La décision (dans la législation

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en 1276 à Venise et la protection que lui assurait Venise reste très vague concernant ses affaires et ses soucis. Son arrivée sur les Lagunes est postérieure d’un an à l’acte de grâce et de sauvegarde octroyé aux juifs de Ferrare par le vicaire du podestà, dont le marquis Obizzo Ier d’Este (1264-1293) s’était engagé à observer scrupuleusement toutes les clauses10. Évidemment, ce n’était pas de ses juifs mais de la part de deux de ses voisins que la seigneurie d’Este avait lieu de craindre un renouveau des troubles, au cas où elle ne se serait pas tenue strictement aux pactes conclus: Venise lui avait imposé en octobre 1274 des conditions très dures, entre autres, le droit à l’immunité corporelle et judiciaire pour ses sujets, et le remboursement des droits de douane perçus par le marquis sur les importations vénitiennes à la rivière frontalière de l’Adige11; de même, elle se voit reconnaître, l’année suivante, le contrôle politique de Ravenne et la confirmation de tous ses droits de représailles — résultant le plus souvent de dommages subis sur les routes et dans le transport de marchandises — contre des marchands, venus surtout de Bologne12. Nulle part, et à aucun moment, Elia ne sera appelé judeus; mais tout concourt à le considérer comme tel: l’onomastique le dit originaire de vénitienne dite parte) du Conseil Majeur du 24 février 1275/1276 a déjà été publiée par G. MONTICOLO, I capitolari delle arti veneziane sottoposte alla Giustizia e poi alla Giustizia Vecchia dalle origini al MCCCXXX, Fonti per la storia d’Italia. Statuti, sec. XIII-XIV, vol. I, Rome, 1896, p. 269-270. 10. Omnia et singula capitula, quae continentur in instrumento absolutionis et seu immunitatis, facte judeis Ferrariensibus par Jacob GUARDOLI, vicaire du podestà Guglielmo Lambertini. Sur ce texte, daté du 20 octobre 1275, qui est dans les Statuti Ferraresi de 1287, voir les observations de V. COLORNI («Ebrei in Ferrara nei secoli XIII e XIV», in Judaica minora, loc. cit., p. 154-155). On ne connaît malheureusement pas le texte de ces capitula, ni la raison de leur proclamation. En tout cas, ces concessions accordées aux juifs ne leur évitèrent pas, en 1279-1280 (ibid., p. 156-158), une série d’enquêtes de l’Inquisition pour des actes d’outrage à la foi catholique, principalement en matière de rejudaïsation (le diocèse de Venise en fut aussi frappé, voir infra, p. 98). 11. En cette occasion, comme geste de reconnaissance et d’amitié, le marquis, qui venait de fonder un couvent dominicain à Ferrare, l’avait subordonné à celui de SS. Giovanni e Paolo de Venise. R. PREDELLI, I libri commemoriali della Repubblica di Venezia. Regesti, t. I, Venise, 1876, doc. 315, p. 73. 12. La guerre entre Venise et Bologne, qui avait aussi impliqué Ferrare, dont les relations avec Venise restaient tendues, prit fin avec la paix, signée le 15 août 1275, grâce à la médiation de deux franciscains, Bonaventura de Iseo et Pellegrino de Bologne: elle reconnaissait à Bologne le droit d’importer du blé et du sel de l’Adriatique par la voie fluviale et à Venise le contrôle politique de Ravenne et la confirmation de tous ses droits de représailles. A.-S. MINOTTO (éd.), Acta et diplomata e r. Tabulario veneto, vol. IV, sect. I, Res Bononiae, Forilivii, Ravennae et ceterarum Romandiolae nec non Marchiae Anconitanae atque Umbriae civitatum…, Venise, 1870, p. 90-91; P. BONACINI (éd.), I patti con Bologna, 1227-1321, Pacta veneta 11, Rome, 2005, p. 120-121; G. I. CASSANDRO, Le rappresaglie e il fallimento a Venezia nei secoli XIII-XVI, con documenti inediti, Turin, 1938, p. 8-9 (pour le droit de représailles reconnu à Venise dès 1258).

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Ferrare (domaine de la famille d’Este), mais il est fort possible qu’il n’en soit pas passé directement à Venise. Les difficultés pour le repérer ne proviennent pas de la documentation plutôt limitée que les archives nous offrent; elles résultent aussi des nombreuses homonymies et des incertitudes qu’elles provoquent. L’exemple plus évident nous en est offert par «frater Elyas de Medicis de Ferraria, frater de Penitencia», notaire du diocèse de sa ville; il figure en 1292 parmi les témoins du testament du marquis13 et, deux ans plus tard, comme syndic du couvent des frères mineurs de Ferrare14. Il s’agit évidemment de deux personnes différentes, tandis qu’un certain magistro Elya judeo, à Gênes, en 1267 et 1271, et un autre maître Elia, médecin de la comtesse de Savoie en 129715, pourraient bien être un seul et même personnage. En fait, la recherche d’archives et des coïncidences ponctuelles me portent à croire que l’on peut reconnaître notre médecin vénitien dans le premier des deux cas: c’est que cet Elia (ego magister Elya iudeus) vend le 3 février 1271 au chancelier ducal vénitien Marco Siboto l’esclave espagnole Marieme qu’il avait achetée en 1267 pour le compte du susdit chancelier16. C’est là un exemple assez inhabituel de commerce d’esclave par des juifs qui se déroule au lendemain d’une trève dans les rapports, 13. Obizzo Ier, marquis d’Este et duc d’Ancône, avait réservé une partie considérable de ses biens aux franciscains, en établissant en leur faveur un couvent dans les alentours de la ville de Rovigo et en leur léguant, pour améliorer le sort des frères et sœurs de l’ordre à Ferrare, ses terres et possessions à Sariano (prov. Rovigo) qui avaient autrefois appartenu au juif Benvenuto du feu Blanco. «Acta franciscana e Tabulariis Bononiensibus deprompta», Analecta franciscana, 9, 1927, doc. 564, p. 256-263, Ferrare, 28 juin 1292. 14. Ibid., doc. 619, p. 296-297, Bologne, 2 janvier 1294. Canc. Inf., Notai, b. 9, notaire Bonaiuncta, perg., Ferrare, palais épiscopal, 28 juin 1290. Malheureusement, ne se retrouvent plus, dans ce même palais qui garde les archives ecclésiastiques, les documents du temps d’Obizzo (1264-1293) et de son fils Azzo III (1293-1308), qui figurent dans une liste rédigée au XVIIIe siècle. Il résulte de cet index qu’Elia Medici avait acheté une maison en 1279 et une propriété en 1302 et qu’en 1306, l’évêque avait confirmé à ce même frère Elia un fief dans le Polesine, qui avait jadis appartenu à son père, le feu Enoc de Medicis, chef d’une grande famille de Ferrare dont le nom est déjà enregistré en 1214, puis en 1285 et en 1314. Archivio Curia Vescovile, Ferrara, Fondo convento di san Domenico di Ferrara, n. 3, Z4, T13, T19, Fondo mensa vescovile, Catastro, reg. A, fos 61 vo-62 ro, 21 avril 1306. 15. L. CIBRARIO, Origine e progressi delle istituzioni della monarchia di Savoia, Florence, Coi tipi di M. Cellini, 1869, t. 2, p. 74 («1297. Maestro Elia, giudeo, medico della contessa di Savoia»), témoignage que j’ai repris, sans trop de conviction, dans mon article «Testimonianze documentarie sugli ebrei negli Stati sabaudi (1297-1398)», Michael, IV, 1976, p. 289. C’est qu’entre 1294 (mort de Sybille de Bagé) et 1298 (noce de Marie de Brabant), il n’y a pas eu de comtesse de Savoie, DBI, 2, 1960, p. 741. 16. R. URBANI-G.N. ZAZZU, The Jews in Genoa, Studia Post-Biblica 48.4, t. I, Brill 1999, p. 24-25, doc. 44-46. C. ROTH, «Genoese Jews in the Thirteenth Century», Speculum, 25, 1950, p. 193, p. 196-197. Effectivement, dans l’original on lit Substorim et Marieme (Marianne in Urbani-Zazzu). Archivio di Stato. Genova, Notai ignoti, b. 8, notaire Giovanni de Corsio, 95, fo 160 vo, 3 février 1271.

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souvent tendus, entre les deux cités-états, que Siboto venait justement de négocier en vue de la croisade promue par Louis IX de France. Si l’on accepte cette identification, il en résulte de toute évidence que, lorsque notre médecin arriva en 1276 à Venise, il s’y trouvait au moins une personne de grande autorité, homme de confiance du doge, qui savait qu’on avait à faire à un médecin juif. On pourrait même soupçonner qu’il a joué un rôle dans cette réception. Nous retrouvons notre médecin à Venise au début du XIVe siècle: la veille de Pâques 1300, il obtient l’exemption des droits de douane sur deux amphores de vin de Romagne destinées à sa consommation (pro suo usu), ce qui est un privilège réservé aux souverains et à quelques autres seigneurs, rare pour une personne simplement définie comme Elia de Medicis de Feraria17. L’année suivante, il est installé en Crète où magister Elia medicus fisice emprunte quatre fois mille yperpères chacun, pour un an, à quatre membres du patriciat vénitien (Marino Vido, Jacob Mudacio, Nicola Dandolo et Gabriele Barbo) causa amoris, pro utilitate mei [i.e. nostra] et dans un acte, son fils Jacob figure parmi les témoins18. À une certaine date, quelques années plus tard, pendant qu’il était phisicus salariatus communis à Capodistria/Koper, notre discretus vir magister Elia va accorder de 17. E. FAVARO (éd.), Cassiere della Bolla Ducale. Grazie. Novus Liber (1299-1305), Comitato per la pubblicazione delle fonti relative alla storia di Venezia. Fonti per la storia di Venezia. Sez. I — Archivi pubblici, Venise, 1962, p. 19, doc. 69, mars 1300, signalé aussi par MINOTTO, Res Bononiae, loc. cit., p. 111. Quelques mois plus tard, les autorités vénitiennes imposèrent de nouvelles limitations en matière de consignes de vin octroyées par gratia: Capta fuit pars quod aliquis non debeat caricare vinum, de quo fit gratia, pro portare ipsum extra Rivoaltum, sine licencia officialium illorum ad quos spectat officium vini, sub pena dupli dacii, et dicti officiales debeant, antequam licenciam concedant, scire quantitatem vini quod debebit caricari et locum unde debebit accipi, et numerum vaxellorum in quibus portabitur, et nomen illius qui velet ipsum caricare et ceterarum circumstanciarum, ita quod fraus inde committere non possit. MC, reg. 8, Magnus et Capricornus, fo 9 vo, 23 juillet 1300. Deux amphores correspondent à 1 200 litres, quantité supérieure aux nécessités d’une famille, mais, à ce propos, voir aussi infra, n. 70 et 72. A. MARTINI, Manuale di metrologia, Turin, 1883, p. 818. En cette année, Pâques et Pesah coïncident presque (début avril). Aussi le document ne sert-il pas à vérifier la foi religieuse d’Elia; son intérêt réside seulement dans le caractère extraordinaire de l’exemption. Malheureusement, le manque de règles d’écriture en matière de lettres majuscules et minuscules dans les textes médiévaux ne nous permet pas de préciser si de Medicis était le nom de la famille ou un rappel de la profession traditionnelle de la famille, une traduction de médecin(s) (hébreu rofé/rofim), dont il y a pas mal de cas dans l’onomastique. 18. R. MOROZZO DELLA ROCCA (éd.), Benvenuto de Brixano notaio in Candia (1301-1302), Fonti per la storia di Venezia. Sez. III — Archivi notarili, Venise, 1950, nos 154, 210, 282, 456, p. 59, 77, 104, 164, respectivement 2 juin 1301, 1er juillet 1301, 6 août 1301, 12 novembre 1301. Sur la protection que lui accorda Marseille, en tant que sujet français, lorsqu il était détenu en 1302 dans les prisons de Crète, je renvoie aux Actes du Colloque international «Les juifs du royaume de France et leur expulsion par Philippe le Bel», Montpellier, 2006.

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nouveau un prêt à un Vénitien et l’affaire traînera longtemps, bien au-delà de son retour à Venise19. C’est qu’au début des années 1310, après une absence d’une douzaine d’années, Elia est revenu exercer sa profession dans la capitale, et la commune lui accorde le même traitement qu’elle applique habituellement aux médecins qui sont à sa charge20. Elle a cependant employé une formule ambiguë, qui lui évite tout problème avec la corporation, sans pour cela lui nier son agrément à opérer. Les autorités désiraient évidemment reconnaître les mérites spéciaux de ce médecin et le récompenser en lui octroyant quelques bénéfices (entre autres, l’exemption des contributions aux prêts forcés), mais elles ne pouvaient pas le promouvoir au rang de citoyen (civis)21. Il reste sans doute une personnalité estimée et prestigieuse, mais toujours un étranger et un homme isolé dans la société, exclu du collège médical: ses soins étaient considérés comme essentiels et sa présence en ville devenue indispensable. C’est une règle en vigueur à Venise — elle y sera même codifiée22 —, et se maintiendra jusqu’à ce que l’Église fût hors 19. Magister Elias fisicus, quondam de confinio sancte Fusche, nunc de confinio sancti Juliani, ainsi qu’il est défini sur la base des maisons où il a habité après son retour à Venise. L’arrêt du Giudice del mobile est assez sec envers notre médecin, au contraire de la lettre bullée avec les compliments du capitaine de Capodistria/Koper, Baldovino Dolfin qui y est annexée. Giudice di petizion. Sentenze e interdetti, reg. 2, fo 87 vo, 20 septembre 1314. 20. Quod fiat graciam magistro Elie medico fisico, quod habeat libras X grossorum a nostro commune in anno pro sallario, cum condicione aliorum medicorum, qui salariati sunt a commune, MC, reg. 10, Presbiter, fo 111 ro, 24 décembre 1313. 21. E. ASHTOR, «Ebrei cittadini di Venezia?», Studi veneziani, 17-18, 1975-76, p. 146147, 153-157, sur les différents dégrés de “citoyenneté” (ius civitatis) octroyés par Venise aux juifs, où il est question de quelques cas spéciaux. C’est qu’au Levant et parmi les marchands, il est plus facile de trouver des juifs qualifiés de fidelis noster et de burgensis. À ce propos, pour mieux apprécier la valeur, symbolique encore plus que juridique, de ces termes, il faut suivre le développement des négociations entre Venise et Ancône, centre d’approvisionnement de denrées pour Venise (et de vin, pour les juifs, voir infra, n. 70): dans le traité de paix et de commerce, signé à Ravenne le 3 mars 1281, les deux parties se définissaient respectivement cives et fideles comunis Veneciarum et cives et sequaces civitatis Ancone; par la suite, la controverse traîna quelque temps, car la commune d’Ancône appliquait toute sorte de droits de douane aux subditi dominii Veneciarum, qui s’y opposaient en tant que fideles dominii Veneciarum; finalement, l’accord du 12 avril 1345 redéfinira les droits sur une base d’ordre territorial plutôt que juridique. Aussi les mesures fiscales s’appliqueront-elles à omnes veneti, a Grado usque ad Caput Aggeris [Cavarzere] et omnes alii veneti, qui possunt navigare secundum ordinem Veneciarum et aux Anconitani eiusque districtuales. G. LUZZATTO, «I più antichi trattati tra Venezia e le città marchigiane (1141-1345)», Nuovo Archivio Veneto, n.s., VI, 11, 1906, p. 80, 87-91. 22. Capta. Quod quidam medicus non scriptus in collegio, de quo quidam infirmus valde habet multam devocionem et sperat per eum liberari, possit medicari ipsum infirmum, non obstante aliquo consilio vel ordinatione in contrarium faciente, quod quantum in hoc sit revocatum, AC, reg. 22/5, Brutus, fo 115 vo, 21 avril 1330, publié par MONTICOLO, op. cit., p. 369, doc. 201. Je ne connais pas d’autre justification aussi explicite de l’intervention de

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d’état d’imposer le strict respect des décrets conciliaires: la parte du Conseil Majeur autorisait le malade à faire recours à un médecin de son choix, même non immatriculé23, en cas de nécessité. Cette formule assurait aux membres du patriciat les soins les meilleurs, sauvait l’âme du chrétien et tolérait le traitement des malades par des médecins juifs24. Pendant plus d’une dizaine d’années, la documentation sur Elia sera à nouveau absente; nous le retrouverons en 1326, quelques semaines avant sa mort, alors qu’il rédige son testament25. Malheureusement, tout ce dossier, une commissaria des archives des Procuratori di San Marco de ultra26, a médecins non matriculés, et donc non chrétiens, dans le soin des malades. En 1384, alors que les médecins juifs étaient de nouveau revenus sur la scène, une tentative d’abolition de cette loi échoua au Conseil Majeur. MC, reg. 21, Leona, fo 7 vo, 97 vo, 6 novembre 1384, voir infra, p. 102. Cette distinction entre les deux catégories de médecins (omnes medici phisici, tam de collegio, quam qui per gratiam possunt mederi) durera. Elle est explicitée dans l’ordonnance qui rendait obligatoire leur présence à la conférence mensuelle ad conferendum et disputandum in sciencia medicine, specialiter super casibus dubiis, et à la séance annuelle d’anatomie, visant à améliorer leur connaissance du corps humain, AC, reg. 24/7, Saturnus, fos 75 vo-76 ro, 27 mai 1368. 23. C’est la même logique que sous-entend la dogale (décret du doge), approuvée par le Conseil Majeur le 4 octobre 1270: la règle générale qui, moyennant de graves pénalisations, défendait de s’adonner à des jeux (aliquem ludum cum taxillis) sous les porches des églises ne s’appliquait pas aux gentilshommes (tamen sit licitum bonis hominibus ludere ad tabulas et schachos cum taxillis in dictis locis, non ostante quod superius dictum est). Signori di notte al civil, Capitolare A, fos 2 vo-3 ro. 24. La Summa du cardinal Henri de Suse, dit Hostiensis (mort en 1271) défendait au chrétien de se faire soigner par un juif, tout capable qu’il fût, et non au juif d’exercer ses traitements, ut, quantuncunque boni medici sint, nihil lucrentur cum christianis: quia nec ipsos vocare debent in suis infirmitatibus, nec ab eis recipere medicinam. D. QUAGLIONI, «Fra tolleranza e persecuzione. Gli ebrei nella letteratura giuridica del tardo Medioevo», in C. VIVANTI (éd.), Gli ebrei in Italia, Annali XI.1, Turin, 1996, p. 657. 25. Elia meurt le 24 juin 1326, après avoir dicté son testament le 2 juin à Rialto au notaire Nicola de Rippa, prêtre de l’église de San Silvestro et archidiacre de Grado. Le testament, qui a disparu du dossier de la Commissaria, ne figure pas non plus parmi les actes rédigés par ledit notaire en sa qualité de chancelier du judex mobilium dans les années 1325-1348, Canc. Inf., Notai, b. 155. À ce propos, je signale ici un autre cas d’évidente homonymie (voir supra, n. 15 et 16): presque trois ans après la mort d’Elia, Helyas de la Medega judeus, burgensis Nigropontis rédigeait son testament en latin, où sont nommés sa femme Sarra et ses enfants Ysaia et Samuele. N. IORGA, «Nouveaux documents sur l’Orient vénitien d’après les registres de notaires aux Archives de Venise», Revue historique du Sud-Est européen 12, 1935, p. 219 (tiré de Canc. Inf., Notai, b. 68, notaio Nicolaus Donusdeus, quad. perg., 5 janvier 1329), cité par D. JACOBY, «Les juifs vénitiens de Constantinople et leur communauté du XIIIe au milieu du XVe siècle», Revue des études juives, 131, 1972, p. 408. Notons, en raison de sa coïncidence, que, dans les mêmes semaines, le pape Jean XXII reprocha (par la petite bulle, datée d’Avignon, 13 août 1326) au doge Soranzo le soutien de Venise aux marquis d’Este et à leurs adhérants, frappés d’excommunication pour s’être opposés au vicariat pontifical sur leur ville (tenesse prattica et comercio con Ferraresi escomunicati). Gian Giacomo CAROLDO, Cronica, in Biblioteca Nazionale Marciana, Venezia, Cod. Marc. VII, 128A (= 8639), fo 168 vo. 26. Voir infra, n. 28. C’était une des magistratures les plus élevées et les plus anciennes dont relevait, comme dans notre cas, la gestion des fonds et biens des veuves et des mineurs;

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disparu depuis des années et il ne nous reste que les données publiées par Bartolomeo Cecchetti en 188627, et la fiche détaillée qu’en a rédigée le docteur Luigi Lanfranchi28, autrefois directeur des Archives d’État de Venise; à cela s’ajoutent de nouvelles données offertes par la recherche, propres à corriger et à intégrer nos connaissances. Il en résulte que la famille d’Elia se composait de sa femme, Marchesina, de deux ou trois garçons adultes (donc âgés de plus de 25 ans) — certainement Luciano et Marco (et selon toute probabilité d’Almorò)29 —, et de deux petits-enfants, Alvise et Guglielma, les bébés de Marco30. Celui-ci avait été nommé exécuteur testamentaire par son père, à côté de deux procuratori di San Marco, Marino Foscarini et Marco Morosini. Après que les trois commissaires eurent réussi, grâce à une savante administration des biens, à liquider les positions débitrices du défunt31, il revint finalement au seul Marco de régler les questions financières avec sa belle-mère32 et de se elle venait juste d’être répartie topographiquement (en deça et au-delà du Grand Canal), et la juridiction sur la paroisse de Santa Maria Mater Domini, où avait habité Elia dans ses derniers jours, était revenue aux deux Procuratori de ultra, section nouvellement créée. R. C. MUELLER, The Procuratori di San Marco and the Venetian Credit Market, New York, 1977, p. 8-10. 27. B. CECCHETTI, Per la storia della medicina in Venezia. Spigolature d’archivio, Venise, 1886, p. 18-21; le testament avait déjà été signalé par MONTICOLO, op. cit., p. 269. 28. Le dossier n’est plus conservé à sa place in Procuratori di San Marco de ultra, b. 122, doc. 8. La fiche, qui se trouve dans l’inventaire n. 396/4, p. 843 (de la main, justement, du directeur des Archives qui avait ordonné et numéroté de nouveau ce fond d’archives), fournit plus de détails qu’on n’en tire de l’art. cit. de CECCHETTI, p. 18-21. 29. Je n’ai trouvé aucune mention documentaire d’Almorò, au-delà des listes des enfants — avec un ordre différent — fournies par Lanfranchi (Almorò, Luciano, Marco, Alvise et Guglielma) et Cecchetti (Almorucio, Luciano, Alvise et Marco, sans mentionner Guglielma); notons qu’en 1337, Ludovico (et non Luciano, fausse lecture?) et Marco sont définis comme frères, et Marchesina leur noverca (belle-mère); il en résulte qu’ils étaient nés d’un marriage précédent. Canc. Inf., Notai, b. 11, Bartolomeo prêtre de San Giacomo dall’Orio, quad. perg. 1336-1339, 10 février 1337/38. 30. Les deux nourrices, Giacomina et Benvenuta, revendiquaient des droits sur la succession d’Elia pour avoir allaité Alvise et Guglielma: Giacomina sera recompensée de 200 livres vénitiennes et 36 gros de quibus dictus magister Elyas in dicto suo testamento fecit mencionem (ibid., b. 73, notaire Egidio, prêtre de Santa Sofia, prot., ad datam 28 février 1327), tandis que Benvenuta le sera l’année suivante, par arrêt du Giudice del procurador du 17 février 1328, mais Lanfranchi n’en indique pas le montant. 31. La commissaria mentionne une liste de quittances établies entre le 15 septembre 1328 et le 29 avril 1344. Nous n’en connaissons que deux, celles dont les commissaires furent acquittés pour deux sommes presque égales (200 livres et 4 gros dans un cas, 200 livres et 10 gros dans l’autre) remboursées à deux créanciers d’Elia: un emprunt reçu de Filippo Contarini, un patricien de la famille dite de Santi Apostoli, grand marchand et financier, partenaire ad negociandum de Belello, fils du doge Giovanni Soranzo; l’autre d’Orsato de Boninsegna. Canc. Inf., Notai, b. 73, notaire Egidio, prêtre de Santa Sofia, prot., 18 décembre 1326, 3 janvier 1327. Ibid., b. 179, notaire Marco Sardella, V reg. perg., 8 mars 1317. 32. Par une première quittance, Marchesina reçoit 66 livres et 10 gros pour ses prétentions sur les biens de son mari, le feu magister Helya in siencia medicine professor, de confinio

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mettre d’accord avec son frère. N’eussent été ces raisons testamentaires, toute trace de la famille d’Elia aurait disparu, ainsi que toute mention de son exceptionnelle bibliothèque de médecine, une des plus remarquables, à ma connaissance, pour sa quantité et sa variété à cette époque (nous y reviendrons bientôt): c’est que, aussitot échangé les quittances et déclarations de consentement sur le partage des proprietés, en 1344, le silence tombe définitivement sur cette famille et aucun membre n’a plus pu être identifié par la suite. De ce qu’on a vu jusqu’ici, il résulte qu’Elia avait un certain train de vie, gérait des propriétés, pouvait même agir en temoin et était décidément un personnage très respecté. L’examen des noms des membres de sa famille montre qu’ils relèvent tous de l’onomastique vénitienne; aussi pouvonsnous supposer qu’ils sont nés à Venise — ou, en tout cas, dans ses dépendances33 — et qu’ils ont été tenus sur les fonds baptismaux (chacun à sa naissance ou tous ensemble, lors d’une cérémonie de conversion familiale) par des parrains patriciens, dont ils ont pris le nom34. La seule à porter un prénom, qui n’appartienne pas en exclusif au monde chrétien ou vénitien, est Marchesina, mais nous la rangeons dans la seconde catégorie car elle était la belle-mère (noverca) des fils aînés d’Elia, donc sa seconde femme. Par contre, il y a des raisons de croire qu’Elia avait réussi, de quelque façon, à éluder la question, quoique son testament, à ce qu’on sait, ne donne pas d’instructions pour ses funérailles et sépulture, ni pour les legs qu’il était coutume de faire à des institutions laïques et religieuses de la ville, indices utiles pour révéler les sentiments et la foi du testateur. Sancte Marie Matris Domini, le 10 mars 1327. Ibid., b. 73, notaire Egidio, prêtre de Santa Sofia, prot., ad datam. Dans le second cas, les deux parties, la belle-mère et Marco, se déclaraient satisfaites des prétentions réciproques (de omnibus rationibus ad invicem habitis hucusque et de quantocumque), immédiatement après que Marco eut confié à son frère Ludovico (Luciano? voir supra, n. 29) la gérance de nombre de loyers immobiliers de l’héritage (ad excuciendum omnes fictus omnium suarum domorum et proprietatum, vice et nomine comissarie patris sui, secundum tenorem et formam testamenti dicti patris sui, et imprestita facta pro dictis proprietatibus). Ibid., b. 11, Bartolomeo prêtre de San Giacomo dall’Orio, quad. perg. 1336-1339, 10 février 1338. À propos du titre qui définit notre médecin, il convient de signaler qu’en bas du testament d’un malade, il signe de sa main, ego mag[iste]r Helyas in s[cien]cia me[d]i[cin]e professor testis, l’autre témoin étant un prêtre de la paroisse du testateur, Santa Maria Maddalena. Not., Testamenti, b. 918, notaire Filippo Spinelli, prot. perg., fo 23 vo-24 ro, 28 juillet 1320. 33. Voir supra, n. 9, où on souligne que la parte du Conseil Majeur de 1276, qui accueillait Elia à Venise, ne dit mot de sa famille. 34. D’un côté, leurs noms, qui relèvent de la tradition vénitienne et font donc penser à une relation avec le monde chrétien, de l’autre, la tradition du patriciat de prendre des noms d’origine biblique (Moïse, Zaccaria, Ezechiele, David, Samuel et Simon), sans compter Johanne, Joseph, Jacob, rendent encore plus difficile l’identification des personnes.

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Reste encore une autre question: pourquoi Jacob, le fils d’Elia, que nous avons rencontré en qualité de temoin dans un acte notarié en 1302 en Crète, ne figure-t-il pas dans ce tableau? On pourrait facilement répondre qu’il est mort avant son père; on pourrait aussi le ranger parmi les trois fils d’Elia aux noms désormais non juifs; en tout cas — sans ajouter d’autres hypothèses —, nous avons affaire à un nom (de famille?), qui rappelle celui du fameux traducteur, qu’on pourrait soupçonner d’avoir été son père ou mieux, selon la tradition, son oncle. Il est assez curieux, enfin, que la profession médicale d’Elia ne se soit transmise à aucun de ses enfants. Les expressions honorables, presque de révérence, qui entourent notre médecin, même après sa mort, se retrouvent dans les arrêts du Giudice del procurador où il est appelé magister Helya in siencia medicine professor, de confinio Sancte Marie Matris Domini. Mais à Venise, dans ces mêmes années, nous rencontrons d’autres médecins, qui, pour des raisons variées, nous ramènent au monde de la santé fréquenté par Elia: maître Pietro est également originaire de Ferrare, et la commune lui reconnaît de si grands mérites dans les soins affectés à sa clientèle (nobilibus et aliis personis indigentibus medicamine in arte cyrugie)35, qu’elle lui paie le loyer du cabinet de consultation (stacio parva), où il exerce la chirurgie. Maître Johanne de Fano a eu la hardiesse de pratiquer la médecine en ville sans autorisation: il est grâcié, et finit par choisir de se convertir en 131736. Son baptême n’entraîne aucun changement, même pas du nom, qui se retrouvera comme patronyme de son fils, lui aussi médecin37: de nouveau, si ce n’était le document qui nous le révèle, son passage du judaïsme au christianisme resterait inconnu. 35. Collegio. Lettere secrete, reg. 1308-1310, fo 61 ro, doc. 405, 20 octobre 1309, il avait été recommandé à la commune par les da Polenta, seigneurs de Ravenne; Cassiere, loc. cit., p. 36, doc. 152, 17 novembre 1300. 36. Magistro Iohanni medico… pro eo quod ibat medicando per Venecias, cum ipse ignorabat bannum, et de hoc sunt contenti iusticiarii, Ibid., p. 72, doc. 313, 1er juin 1302. MONTICOLO, op. cit., p. 291-292, doc. 49, tiré de Grazie, Liber secundus, fo 34 vo; quod Iohannes, olim judeus et nunc christianus novellus, possit exercere Veneciis artem medicine, non obstante quod non sit examinatus per collegium medicorum vel alia causa, et si Consilium est contra, sit revocatum, MC., Clericus civicus (copie), fo 227 ro, 16 juillet 1317. MONTICOLO, op. cit., p. 326, doc. 115. L’indication “de Fano” se trouve dans le second privilège de son fils, voir note suivante. 37. Série de privilèges/permits de résidence à Venise octroyés à Muzole filio magistri Iohannis fisici en mai 1329 et le 17 octobre 1340 à Muçolo qd. magistri Iohannis. R. CESSI, P. SAMBIN (éds.), Le Deliberazioni del Consiglio dei rogati (Senato). Serie “Mixtorum”, Monumenti storici, n.s., XV, Venise, 1960, I, p. 391, doc. 59; F.-X. LEDUC (éd.), VeneziaSenato. Deliberazioni miste, Istituto Veneto di scienze lettere ed arti. vol. 6, Venise, 2004, p. 147, doc. 287. Le nom Muzola (diminutif de Moïse) figure aussi dans l’onomastique vénitienne (par ex., Callo Canevato [filius] fidelis nostri de Creta dicti Musole, Ibid., p. 352, doc. 626).

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Il en ira très différemment d’un de ses collègues: par choix ou par renommée, nous ne le savons pas, maître Nicola Bongi, désormais devenu chrétien, a conservé (ou ajouté?) la dénomination judeus: il habite à Venise, contrada de San Cassian, mais auparavant (avant de se faire baptiser?), il demeurait à Sacile (dans le Frioul)38, où il comptait parmi ses patients les plus beaux noms de la noblesse et du clergé du patriarcat d’Aquileia. Une fois dans la capitale, il avait continué à les soigner en les hébergeant (avaitil un hôpital?); mais, en dépit des résultats acquis dans sa profession, il ne réussissait pas à faire reconnaître ses mérites. Certains lui donnèrent en gages des revenus (usufructibus et redditibus) de leurs fiefs, d’autres signèrent des garanties; pourtant, il dut se rendre à Cividale maintes fois au cours d’une période de dix ans39, pour plaider sa cause, à l’aide de lettres du doge40, toujours sans succès, car personne n’osait venir recouvrer ses créances en son nom. Nous le rencontrons en 1325, à son retour à Venise après une nouvelle tentative (sans succès) de récuperer ses honoraires41; nous le retrouverons dix ans plus tard, titulaire du droit exclusif d’exploiter, pendant cinquante ans, un système de conduits d’eau pour améliorer le 38. Magister Nicolaus Bonarci (?Bonaçi?, toutes variations dans l’écriture du nom Bongi, voir aussi infra, n. 42) dictus judeus, medicus de Veneciis, olim commorans in Sacilo, autre formule: magister Nicolas, dictus judeus, aut dictus de Sacilo, et ce judeus se retrouve encore en 1335 (n. 40). La commune de Cividale était son débiteur ainsi que l’était Sacile, pour 1000 livres (pour ses honoraires de médecin conduit?). Canc. Inf., Notai, b. 217, notaire Corrado da Udine, perg., 24 août 1318, 10 décembre 1318, 23 avril 1319; b. 68, notaire Dardanono Andreolo, perg. 3, 15 avril 1319; b. 127, notaire Nicola q. Pertica da Udine, avril 1325, 15 mai 1325, 6 juillet 1325. Commemoriali, reg. 1, 15 décembre 1315, fo 234 ro, doc. 619, item requiritur, pro parte domini ducis et sui Consilii et comunis Veneciarum, quod magistro Nicolao medico de Veneciis, qui dicitur judeus, restituantur bona, mais on lui répond que cela n’est pas possible, car ses biens sont aux mains des officiers du tout-puissant et redoutable comte de Gorice, capitaine général du Frioul. Voir infra, n. 40. 39. Sur un groupe de juifs de Ferrare qui habitaient à Cividale en 1309, voir V. COLORNI, «Nuovi dati sugli ebrei a Ferrara nei secoli XIII e XIV», in Judaica minora, op. cit., p. 200. 40. Le doge adressait une seconde fois au comte Henri de Gorice nomine et vice consilii et communis Civitatis, quasdam literas ex parte d. ducis Veneciarum cum bulla pendenti, quarum tenor, ut in quadam cedula, continebatur taliter, obmissa salutacione, prout dictus magister Nicolaus dicebat: Alias pro magistro Nicolao dicto judeo, civi et fideli nostro, nostras literas et per eos vobis decrevimus destinasse, prudencia vestra rogantes et cum instancia requirentes, quatenus ei vellitis secundum quod continetur in uno publico instrumento procurer qu’il puisse récupérer ses credits vis-à-vis de votre concitoyen Nicolas du feu Lupoldo Paternoster de Cividale, quas preces nostras hucusque ad effectum mittere non curastis, in eius dispendium non modicum et gravamen… ut vobis sit honor et nos habeamus ad vestrum honorem; alioquin non possemus desistere quin super indemnacioni fidelis nostri predicti provideremus. Canc. Inf., Notai, b. 4, notaire Alberto de civitate Austrie, perg., 5 avril 1319. 41. Petitio magistri Nicolai, iterato porecta coram predictis vicario et vicedomino, super predictis et protestatio quod, cum nichil sibi facerent de premissis, nec possendo ulterius substinere expensas, tendebat redire Venecias, Ibid., b. 127, notaire Nicola q. Pertica da Udine, 15 mai 1325.

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fonctionnement des moulins à grain qu’il avait inventés42. Il continuait à jouir de la bienveillance des autorités vénitiennes. Au cours des années 30, grâce à la réputation qu’il avait acquise à l’étranger, Leone judeus (le seul, à ma connaissance, défini par cet appelatif) obtint la permission d’exercer sa profession sans passer l’examen du Collège médical43. En revanche, maître Francesco, devenu chrétien, se rendit en Avignon à la suite d’une ambassade vénitienne auprès du pape Jean XXII, pour obtenir qu’on lui confie l’enfant que sa femme, restée juive, lui refusait44. Peu avant son départ, il fut inclus dans la liste des praticiens salariés par la commune, son honoraire s’élevant à sept livres de gros par an, en comparaison des dix confirmées à son collègue Simone45, originaire de Ferrare, qui, déjà au début du siècle, recevait de la commune de Venise un salaire de quatre livres46. Cet émolument de dix livres remontait en fait à 1307, lorsque, pour contrecarrer la concurrence de Zadar, et pour satisfaire nombre de ses patients, qui se plaignaient auprès du doge Pietro Gradenigo du risque de perdre ses soins, ce salaire fut reconnu à Simone, à condition qu’il s’engage à ne jamais quitter la ville47. Vers la moitié des années 30, que dire de Giovanni (Guglielmo?) fils de Mognezio de Rome qui fut accueilli en 1334 42. Providus vir magister Nicolaus Bongi de Veneciis, dictus judeus, cirugicus. AC, reg. 23/6, Philippicus, fo 5 ro, 9 ro-vo, 30 vo, 30 août 1335, 28 février 1336, 7 mars 1336, 30 août 1338. Signalons la similitude avec le cas d’un ser Solomon judeus… socius in molendinis de Bolpado (au bord de la Lagune) de la noble famille des Minotto, in B. LANFRANCHI STRINA (éd.), Codex publicorum (Codice del piovego), I, Fonti per la storia di Venezia. Sez. I-Archivi pubblici, Venise, 1985, p. 16; II, Venise, 2006, doc. 99, p. 671. 43. Quod magister Leo judeus possit medicari in Veneciis in arte fisice, non obstante quod non sit examinatus per Collegium medicorum, cum Justiciarii bonum testimonium refferant de ipso et de experiencia ipsius, facta in aliis terris. AC, reg. 22/5, Brutus, fo 126 ro, 27 mars 1331. JACOBY, «Les juifs à Venise», art. cit., p. 164. 44. Pendant toute la durée du voyage, Francesco et son serviteur devaient être à la charge de la commune de Venise, qui recommendait à ses ambassadeurs de plaider ce cas avec les autorités papales. R. CESSI, M. BRUNETTI (éd.), Le Deliberazioni del Consiglio, op. cit., 2, Venise 1961, p. 252, doc. 277, 20 novembre 1333. Francesco, qui sera par la suite toujours appelé «de Roma», réussira dans son projet et à un moment donné sa femme Agnese et leur fils Marco «de Roma», évidemment devenus chrétiens, s’établiront à Venise où ils seront reconnus héritiers de leur feu mari et père. Canc. Inf., Notai, b. 14, notaire Nicolò Betino, fasc. 1337, 13 septembre 1337; b. 88, notaire Giacomo pievano de Santa Sofia, minutario 1348-1351, 14 septembre 1350; b. 33, notaire Petro Cavaccia, fasc. perg., fo 2 ro, 12 septembre 1372. 45. CESSI, BRUNETTI (éd.), Le Deliberazioni del Consiglio, op. cit., p. 214-215, doc. 190, 16 septembre 1333. 46. Cassiere, loc. cit., p. 55, doc. 232, 26 mai 1301; Quod fiat gratia. MC, reg. 9, fo 129 ro, 26 juillet 1301. 47. [Cum] multi venerint ad dominum ducem conquerendo quod ipse habeat eos in cura et multos alios, et suplicando quod non permitatur ire à Zara. AC, reg. 20/3, Magnus, fo 35 vo; MC, reg. 9, Magnus et Capricornus, fo 393 vo, 20 avril 1307.

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par le Collège des médecins de Venise, bien qu’il eût étudié suivant des textes en hébreu48, ou de Johanne de Catholicis, chirurgien très apprécié, qui fut autorisé à pratiquer sans avoir rempli toutes les conditions requises des médecins49? Finalement, à la fin de cette décennie, on relèvera un autre cas de médecin converti: celui de maître Augustino, chirurgien jadis juif qui fut baptisé avec toute sa famille: le Conseil Majeur, avec l’approbation de la Giustizia vecchia, lui accorda l’autorisation d’exercer sa profession à Venise50. Revenons à Simone: son origine, l’estime qui entoure ce médecin et les points d’interrogation que suscitent certaines curiosités de sa famille51 nous incitent à le rapprocher d’Elia, auquel nous allons maintenant revenir. Elia, que nos sources ne cessent de définir comme maître et professeur de médecine, possédait une bibliothèque très riche dont il avait lui-même dressé la liste en latin et indiqué les prix, pour prévenir une mévente de ses précieux codes de médecine et philosophie par ses héritiers, incompétents et chargés de dettes, comme nous l’avons déjà vu. Pour notre bonheur, Cecchetti a fait une transcription — bien que sommaire — de cet inventaire52, qui reste ainsi 48. C. ROTH, Jews in Venice, Philadelphia, 1930, p. 27, n. 5 (sans indication de source d’archives), signalé par J. SHATZMILLER, Jews, Medicine and Medieval Society, University of California Press, 1994, p. 38. 49. Quod in civitate nostra Veneciarum possit mederi de dicta arte [cirugie], aliquo non obstante. AC, reg. 23/6, Philippicus, fo 2 ro, 11 avril 1335. 50 Capta. Quod concedatur magistro Augustino judeo cirugico qui, divino promotus spiritu, existens judeus, cum tota eius familia ad fidem christianam pervenit, relictis rebus et omnibus bonis suis, quod divino intuitu et ut se et suam familiam ad honorem Dei valeat substentare, ipse possit in ista civitate Veneciarum mederi de arte cyrugica antedicta, et hoc etiam consulunt justiciarii veteres, Ibid., fo 38 ro, 23 mai 1339. 51. Nous connaissons trois membres de sa famille: le fils médecin, Benedetto, entré au service de la ville en 1323, avec un salaire qui lui sera accru en 1329, et mort pendant la peste de 1349; la femme de Benedetto, Elena, qui dans son testament de 1329 évite d’indiquer où elle désire d’être ensevelie ou de faire des legs aux ordres religieux et laisse une aumône de 100 livres à distribuer par son mari et son beau-père Simone; et la fille de Simone, Cecilia, qui apporte 150 ducats en dot au noble Nicola Querini de San Zulian. Ibid., reg. 21/4, Neptunus, fo 202 vo, 12 mai 1323; reg. 22/5, Brutus, fo 99 vo, 26 mars 1329; Canc. Inf., Notai, b. 233, notaire Zeno de Zenonis, perg. 52, 12 juin 1349; b. 33, notaire Petro Cavaccia, fasc. perg., f. 10r, 24 septembre 1353; Not., Testamenti, b. 1023, notaire Michele Blanco, prot., doc. 57, 8 mars 1329. 52. L’identification de ces textes de médecine se fonde sur les œuvres de N. G. SIRAISI, Arts and Sciences at Padua. The Studium of Padua before 1350, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, Toronto, 1973; Medicine and the Italian Universities. 1250-1600, Education and Society in the Middle Ages and Renaissance, 12, Leiden-Boston-Köln, 2001. C’est à un spécialiste de déduire de cette bibliothèque les adresses et itinéraires médicaux, les écoles fréquentées, le milieu scientifique où Elia acquit ses connaissances. Je me suis bornée à publier le catalogue dans la revue Keshet. Vita e cultura ebraica, 6, 2008, p. 75-86, sous le titre «Un medico a Venezia tra Due e Trecento. Elia da Ferrara e la sua biblioteca». La liste d’une autre bibliothèque juive, dressée à Bologne dans la première moitié du XVe siècle, a été publiée par M. PERANI, mais elle est toute de sujet philosophique et religieux: «Spigolature sul patrimonio

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la seule partie du testament qui soit connue. Parmi les 54 volumes de cette liste, ce sont les œuvres médicales de Galien, Aristote, Avicenne et Averroës (le Colliget) qui l’emportent, suivies par des antidotaires, des textes de physique et de chirurgie, et par l’Agricoltura de Pelagius. Un Dioscoride est évalué 4 livres de petits, les Rationes Petri yspani (super dictis universalibus et particularibus)53 3 sous, le Tractatus de spera (mundi) 18 gros54 et les Commenta Galieni super amphorismis et pronosticis (Prognostica. Liber aphorismorum) d’Hippocrate 2 gros. La liste se termine avec cinq codes qu’Elia avait évité d’évaluer (Isti non sunt extimati): et — ce qui pourrait ne pas être fortuit — ils sont les seuls qui ne ressortent pas directement au domaine des sciences: le Liber de veritate catholice fidei contra infidelium edictus a fratre Thoma de Aquino (Summae contra Gentiles),55 le Liber magistri Bartolomei super libro moralium56, un Liber sive Retorica et, pour terminer, un volume qui commence par les mots Malicia complexionis diverse quandoque57 et se termine avec honor et laus sit Redentori nostro, amen. La liste des livres d’Elia vendus par les exécuteurs testamentaires (vendidimus) fait suite à l’inventaire écrit de sa main: sept en juin de 1327 pour librario degli ebrei a Bologna tra Medioevo e Rinascimento», in M.G. MUZZARELLI (éd.), Banchi ebraici a Bologna nel XV secolo, Bologne, 1994, p. 257-261. 53. Il s’agit du Comm. Isaac, De dietis in particularibus et du Comm. Isaac, Super dietis universalibus; dans la bibliothèque d’Elia il y avait aussi, du même auteur, Liber urinarum, évalué 30 gros. SIRAISI, Medicine, op. cit., p. 12-13. 54. Tractatus de sphaera mundi, recueil de notions astronomiques de John HOLIWOOD, alias SACROBOSCO, mort mi-XIIIe siècle. 55. De veritate catholice fidei et errores gentilium, titre de l’édition imprimée (Venise, 1476). Short-Title Catalogue of Books Printed in Italy, Londres, 1958, p. 669. Le texte d’Elia précède évidemment la canonisation de Thomas d’Aquin, en 1323. L’intérêt des milieux juifs pour sa pensée est illustré par les traductions que Jehuda ROMANO (mort avant 1330) fit, non seulement de l’œuvre Summae contra Gentiles, mais aussi du Commentarium in libros de anima Thome de Aquino, tous deux présents dans la bibliothèque d’Elia où celui-ci est indiqué sous le titre de Commenta Galieni cum questionibus de anima Thome de Aquino; sans compter le Liber de causis, déjà traduit par HILLEL DE VÉRONE. G. SERMONETA, «Jehudah ben Moseh ben Dani’el Romano, traducteur de Saint Thomas», in Hommage à Georges Vajda, Louvain, 1980, p. 249-251, 256-259. 56. Le De proprietatibus rerum (Paris, 1230-50) de l’encyclopédiste franciscain Bartholomeus anglicus? Ou mieux, peut-être: une œuvre de Bartolomeo da Varignana, professeur à l’Université de Bologne (et l’adversaire de son collègue Alderotti), puis à Venise où, en 1321, il devint médecin salarié de la commune avec l’obligation d’instruire duos bonos scolares artis phisice et quod ipse cum sociis habeat solicite et fideliter curam de infirmis tam nobilibus quam popularibus, AC, reg. 21/4, Neptunus, fo 141 ro, 14 juin, 2 août 1321. P. KIBRE, «Logic and Medicine in Fourteenth Century Paris», in A. MAIERÙ, A. PARAVICINI BAGLIANI (éds.), Studi sul XIV secolo in memoria di Anneliese Maier, Rome, 1981, p. 418. 57. Par erreur, Cecchetti avait lu: Malicia constructionis diverse. Il s’agit de l’œuvre de Galien, connue sous le titre des deux premiers mots (Malitia complexionis), Thorndike, A Catalogue of Incipits, col. 399.

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un montant de 52 sous, payés comptant, et un, le premier livre du Canon d’Avicenne, en novembre de 1335, pour six sous et demi: la vente n’a pas dû être un grand succès, si, neuf ans après la mort de son propriétaire, certains de ses livres se trouvaient encore sur le marché; et ceux qui furent vendus n’avaient pas toujours atteint les prix estimés. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est de remarquer que tous les acheteurs étaient de ses collègues, à l’instar d’un certain noble Marco Bondemiro, qui achète pour 10 sous une œuvre d’éthique, rhétorique et politique. Maître Ravagnino58 paya 13 sous pour la Prima pars summae theologie de Thomas d’Aquin, Petro de Compassis 3 sous et demi (au lieu des 10 prévus par Elia) pour les Divissiones d’Almansor d’al-Razi/Rhazes59, tandis qu’un autre Almansor fut acquis par un médecin étranger et anonyme au prix de 9 sous, Pauluccio da Cividale60 acheta un antidotaire, maître Nicolino61 versa 10 sous et demi (au lieu des 16 prévus par Elia) pour se procurer le Vielmina (que je n’ai pas pu identifier)62 à un collègue qui partait à Candie, et, pour finir, maître Simone de Ferrare dépensa 5 sous et demi pour se procurer un Avicenne. Il est possible qu’Elia se soit fait des illusions et qu’il espérait trouver des clients en dehors du cercle étroit de ses collègues, qui ne brillaient pas par la largesse 58. Originaire de Bolzano/Bozen; dans son testament sont mentionnés deux livres, le Liber politicorum Aristotilis, ayant jadis appartenu à l’évêque de Feltre (Belluno), et le Liber Joachim, super Jeremia propheta possédé par l’évêque de Pozzuoli (Naples), mais en ce tempslà aux mains du frère Paulinus de Venise, et qui, de l’avis du testateur Ravagnino, ne valait que 3 sous de gros. Procuratori di San Marco. Misti, b. 79A, perg., 22 octobre 1331. 59. S’agit-il du De aggregationibus et summis iuvamentis membrorum (première édition, Milan, 1481), ou plutôt du Liber medicinalis Almansoris? Sans être parvenue à identifier l’acquéreur, je me demande néanmoins s’il y a quelque correspondance entre son nom, sa profession et ses intérêts. 60. Je propose de l’identifier avec Pace de Frioul, professeur de logique à Padoue (ante 1294-1319), membre du Collège des arts, auteur de vers à la gloire de Venise. SIRAISI, Arts and Sciences, op. cit., p. 36, 51. A. GLORIA (éd.), Monumenti della Università di Padova (1222-1318), raccolti da A.G., Venise, 1884, p. 129, 449. 61. On peut l’identifier avec le médecin Nicolò de la contrada de Sant’Aponal, qui fut accusé d’avoir consenti à son neveu de se rendre à Alexandrie pour des raisons de commerce, malgré la défense imposée après la chute d’Acre. Il avait répondu qu’il le croyait permis à tous ceux qui demeuraient à Venise depuis plus de 30 ans. MC, reg. 12, Clericus civicus, fo 71 vo, 3 février 1315/1316; selon une conjecture d’ASHTOR, «Gli inizi della Comunità», art. cit., p. 695, il s’agissait d’un médecin juif, converti à Venise, qui avait conservé des liens avec son pays d’origine. Mais ce nom est assez répandu et il faut toujours prendre garde aux homonymies, surtout pour les noms assez communs (éviter, par ex., de le confondre avec un certain discreto et sapiente viro domino magistro Nicolino medico, de confinio Sancti Johannis novi, auquel fut reconnu le droit de s’acheter une maison. Canc. Inf., Notai, b. 31, notaire Leonardo Cavazza, perg., 30 octobre 1335). 62. Je me bornerai à suggérer quelques possibilités: la Practica de Gugliemo Corvi, dit de Brescia, archiatre papal à Avignon (A. DE Ferrari, DBI, 29, 1983, p. 827-828), ou la Chirurgia, ou bien la Summa conservationis et curationis de Guglielmo di Saliceto, SIRAISI, Medicine, op. cit., p. 42-43.

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de leurs moyens et, peut-être, leur propension à se procurer ces instruments scientifiques. Exercer la médecine sur les bateaux pour le Levant était particulièrement rentable, mais le bénéfice, ainsi que le sanctionnait perpetua le Sénat, était réservé à ceux qui contribuaient aux prêts forcés, et notre maître Simon n’était pas un des leurs63. Si nous avons tant insisté sur maître Simon, en le rapprochant, à différents égards, d’Elia, c’est parce que nous aimerions trouver, à la conclusion du chapitre sur près de cinquante ans de présence à Venise de juifs sous de fausses apparences ou non définis comme tels, une clef de lecture qui explique cette situation assez exceptionelle. Qu’elle fut extraordinaire est confirmé par le tableau presque idyllique — Shatzmiller parle d’«état de félicité et de sérénité»64 — décrit par Jacob ben Elia dans son Introduction à l’œuvre d’Abu Ma’aschar, où il se rejouit — dans la traduction de Shatzmiller — de demeurer à Venise «la grande ville qui est entourée d’eaux, un peuple gai et joyeux vivant en sécurité… J’y ai rencontré des médecins, parfaits savants… Ils m’ont considéré comme un frère, à leurs yeux, j’étais un résident. La majeure partie des livres de médecine que je possède, c’est de leur langue à la nôtre que je les ai traduits». Il cite les noms de deux de ses collaborateurs: maître Padavino «médecin expert, connaisseur de l’art du ciel»65 et maître Andrea «mon confident»66. Une société ouverte aux nouveautés, qui accueillait avec chaleur et amitié des hommes de science d’origine et de vie tout à fait différentes. En ce qui concerne plus spécifiquement les médecins, l’explication la plus facile à retenir serait que le fait de ne pas porter un nom, suivi de l’appellatif judeus ou hebreus — ce qui sera la règle, à partir du XVe siècle et jusqu’à la fin de l’âge des ghettos —, simplifiait pour les malades chrétiens le recours à des médecins dont on faisait semblant de ne pas connaître l’origine; par ailleurs, les praticiens se sentaient plus libres de prodiguer leurs 63 CESSI, SAMBIN (éds.), Le Deliberazioni del Consiglio, op. cit., p. 354, doc. 348, avril 1328. Il est possible que Simon se proposait de se porter médecin sur un bateau au cours des mêmes semaines pendant lesquelles il acheta son Avicenne. 64. «Jacob ben Élie, traducteur multilingue à Venise à la fin du XIIIe siècle», Micrologus, 9, 2001, p. 198-199. À remarquer que, dans le colophon du livre médical Taysir d’Abenzour, Jacob est appelé hebreo (pas judeo), une distinction qui s’explique par le titre prestigieux qui suit in medicina et aliis scientiis plurimum erudito. 65. Le nom correct est Padavinus, ainsi que nous le lisons dans l’ordonnance du Conseil Majeur: Capta fuit pars et ordinatum quod magister Padavinus de confinio sancti Apolinaris et fratres eius decetero sint veneti in Veneciis et ubicumque, AC, Bifrons, reg. 18/1, fo 40 ro, 5 août 1270. 66. Je propose de l’identifier avec magister Andreas phisicus, qui exerçait la profession à Zadar en 1304, et auparavant à Traù. PREDELLI, I libri commemoriali, op. cit., t. I, n. 208, p. 45, tiré de l’original, reg. I, n. 185, fo 64 vo, 26-30 novembre 1304.

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soins et mieux acceptés dans des milieux qui, autrement, ne leur auraient pas ouvert leurs portes aussi facilement. De fait, à Venise, les médecins que nous avons rencontrés et essayé d’identifier — avec pas mal d’incertitude et d’hésitation67 — paraissent démontrer la validité de la thèse de Bernhard Blumenkranz selon laquelle ils vivaient sur une ligne de frontière que le pouvoir d’attrait représenté par la société chrétienne à ses niveaux les plus élevés, la science et une vie plus agréable, les poussaient à franchir plus facilement68. Mais il y a un autre aspect à considérer. Nos sources ne font mention des juifs que pour préciser qu’ils ne le sont plus, ce qu’on peut vérifier aussi en dehors du monde médical, par exemple, dans le cas du soldat Iohannes de Roma olim iudeus69. Par la suite, durant presque un demi-siècle, à partir de la moitié des années trente, la documentation vénitienne sur les juifs se fait extrêmement rare, sauf pour les domaines vénitiens, connus sous le nom de Terre da mar (Crète, Négropont alias Eubée, Corfou, etc.). Jusqu’ici, nous avons traité de la condition des médecins, qui, malgré tout, semble jeter une certaine lumière sur le brouillard qui entoure la présence à Venise de juifs — ou de personnes que nous croyons pouvoir classer sous cette catégorie. Mais, avant d’examiner les efforts déployés par le clergé pour mettre fin à une situation qui était extrêmement délicate à ses yeux, il faut s’arrêter sur un document unique qui montre qu’un véritable groupement de juifs, que la prudence de la société vénitienne évitait de définir comme tels, demeurait sur les Lagunes. Comme dans le cas d’Elia en 1300, à le révéler c’est de nouveau une affaire d’importation de vin, à l’occasion des fêtes juives de l’automne de 1321: un marchand juif d’Ancône, qui habitait et faisait du commerce à Venise, y a apporté du vin pour satisfaire nombre de ses amis (ad preces et ad nomen quamplurium suorum amicorum de Veneciis) et l’a déposé dans une cave pour qu’ils s’en servent (pro usu sue gentis)70: le marchand Museto est défini comme judeus car, 67. Il y a d’autres médecins qui pourraient être classés dans cette catégorie, mais les preuves ne sont pas pour le moment suffisantes. 68. B. BLUMENKRANZ, Histoire des Juifs en France, Toulouse, 1972, p. 30-31, 40-41; le cas italien est un peu différent, car les médecins juifs sont peu nombreux — et leurs communautés très petites — par rapport à la population au sein de laquelle ils vivaient, et la conversion parmi eux, même au cours des grandes expulsions de la seconde moitié du XVIe siècle, n’atteint pas le niveau que nous relevons en France. 69. Sit ad soldum pedestrem, CESSI, SAMBIN (éd.), Le Deliberazioni del Consiglio, op. cit., p. 275, doc. 369, novembre 1323. Que dire d’un certain Bartholomeus, dictus sinagoga, de Veneciis, condamné pour vol? Signori di notte al criminal, reg. 16, fo 74 vo, 28 mai 1327. 70. Capta. Quod fiat gratia Museto judeo merchatori de Anchona, qui moratur et conversatur Veneciis, qui fecit conduci Venetias vaxellos XLIII vini de partibus Ancone, ad preces et ad nomen quamplurium suorum amicorum de Veneciis, pro usu sue gentis, quod vinum

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pour prolongé qu’ait été son séjour à Venise, il vient d’une ville entrepôt concurrentielle et est classé parmi les hommes d’affaires étrangers; ses coreligionnaires sont dits sui amici et le regroupement de personnes, qui comprend Museto, est appellé gens71. Cette consommation de 43 vaxelli72 sert un nombre assez considérable de personnes (quamplurium, dit le texte), un groupe de Veneciis, mais peut-être s’agit-il d’une étendue plus large: cet arrêt renforce, en tout cas, l’impression qu’il s’agit d’une implantation Justiciarii Veteres dicunt esse perditum, eo quod dicunt fuisse discaricatum de uno plato et positum in uno magaceno et datum postmodum predictis suis amicis, propter quod dicti offitiales ab eo acceperunt pleçariam de valore dicti vini, quod absolvatur a dicta pena et omni alia quam pro dicta causa incurrisset apud dictos Justiciarios, inspecta condicione facti, et quod fraus aliqua non fuit in hoc commissa per eum, AC, reg. 21/4, Neptunus, fo 150 ro, 10 septembre 1321. L’importation de vin pour la consommation privée venait d’être déclarée libre, sauf pour le droit de douane (Ibid., doc. 446, fos 42 vo-43 ro, 28 août 1318), qui fut finalement supprimé sur le vin d’Ancône à la suite du traité de paix et de commerce signé à Venise le 12 avril 1345 (G. LUZZATTO, «I più antichi trattati», art. cit., p. 80, voir aussi supra, n. 21). 71. L’expression gens a dans la tradition vénitienne (qui ressort en ce cas de la latinité classique, gens Julia, etc., par exemple) un emploi plus rare et une valeur positive, tandis que generatio/ex generatione (et moins souvent natio/de natione), qui est la plus courante dans le cas des esclaves (Tartarorum, Mogollorum, etc.), a une nuance péjorative (ut saraceni et alie generationes, imperator vel alie generationes prave voluntatis). Senato. Misti, reg. 54, fo 4 ro-vo, 3 mars 1422. Canc. Inf., Notai, b. 19, Benedetto Blanco, I quad. perg., passim. De nombreux exemples de ce genre se trouvent in C. VERLINDEN, L’esclavage dans l’Europe médiévale, t. II, Gand, 1977, qui rappelle aussi le cas d’un marchand florentin qui, à Tana (sur la mer d’Azov), le 14 septembre 1359, vend à un vénitien une esclave de douze ans ex generatione judaica au prix de 580 hyperpères et commente: «l’expression ex generatione judaica aura simplement été employée par analogie avec la terminologie habituelle des actes, car on ne rencontre pas dans cette région d’autres cas d’asservissement de juifs», Ibid., p. 940941. 72 Vaxillus, vascellum, d’où l’italien vaschetta, «petite urne, vase». J. F. NIERMEYER, Mediae Latinitatis Lexicon Minus, Leiden, 1976, p. 1061. PREDELLI, I libri commemoriali, op. cit., t. I, doc. 536, p. 120; doc. 547, p. 122, 30 novembre 1312, le traduit par vaso vinario et précise qu’il mesurait environ trois bigonci (150,234 litres chacun), ce qui reviendrait à une quantité énorme (près de 19 400 litres). MARTINI, op. cit., p. 818. À remarquer que les unités de mesure les plus repandues dans ce domaine étaient les anfore et les caratelli, tandis que le mot vasello, beaucoup plus rare, est employé dans le commerce de l’huile des Pouilles (par ex., P. KANDLER, Codice diplomatico istriano, II, pages non numérotées, sous la date: Trieste, 16 janvier 1328). G. LUZZATTO, Storia economica di Venezia dall’XI al XVI secolo, Venise, 1995, p. 103, souligne que l’approvisionnement en vin du marché vénitien au XIVe siècle, était fourni, avant que par la Crète, par les regions limitrophes de l’Adriatique (Istrie, Abruzzes et Pouilles), et rappelons que le vin pour la consommation des juifs était importé surtout des Marches et de Crète: voir, par ex., le contrat fieri facere vinum iudaicum, A. LOMBARDO (éd.), Zaccaria de Freddo, notaio in Candia (1352-1357), Venise, 1968, p. 68-69, doc. 94, Crète, 20 avril 1357. F.C. LANE, Le navi di Venezia, Turin, 1983, p. 131-132, 146. J’ajouterai une autre donnée, qui ne correspond pourtant pas avec ce qu’on vient de dire (mais on sait que les mesures variaient d’un endroit à l’autre, et c’est pourquoi elles étaient objet de débat): dans un litige, un témoin déclarait que 33 vaxelli de vin avaient été embarqués sur un bateau à Zadar et quod dictum vinum erat anfore XVIII, Giudice di Petizion. Sentenze a interdetti, reg. 2, fo 20 ro, 27 mars 1314.

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reconnue par les autorités, — on la dirait une communauté ethnique plutôt que religieuse —, qui vit en tranquillité au milieu et à la faveur de la société chrétienne. Une toute dernière petite remarque, qui ne prouve rien mais qui pourrait constituer un autre indice sur l’existence de ce groupe juif demeurant sur les Lagunes: en 1298, le Conseil Majeur octroit à tout le monde la permission d’abattre chez soi les animaux qui serviront pour sa consommation ou vente et dénonce le «complot» des bouchers qui s’opposent à l’élargissement du marché73. Et les difficultés d’approvisionnement que la kasherut entraîne pour les juifs portent précisément sur le vin et la viande. Ce document isolé et précieux, qui ne nous est parvenu que par hasard, à la suite d’un litige en matière de fraude, tranché par le Conseil Majeur74, signale, encore une fois, le risque que le manque de documentation entraîne dans l’interprétation des évènements. Avec cette précaution, reprenons notre analyse, à partir de l’activité déployée par le clergé pour mettre fin à une coexistence entre chrétiens et juifs qui lui déplaisait, et dont on a raison de penser qu’elle a persisté bien au-delà des années 30, quoiqu’il en manque la documentation. Ce sont trois lettres papales en l’espace de quatre mois — entre mai et septembre 1356 — qui vont interrompre ce silence. Dans la première, Innocent VI dénonçait au doge les entraves qui empêchaient l’inquisiteur Michele Pisani de poursuivre les judaïsants et accusait de complicité tous les sujets qui s’opposaient à l’arrestation des hérétiques et à la saisie de leurs biens75. Trois mois se 73. Quicumque emerit vel habebit in domo sua bestiam aliquam et eam interficere voluerit, tam pro vendere quam pro comedere in domo, debeat carnes nectas emporter seulement au pesage à San Marco ou à Rialto, et payer 1 denier la livre. CESSI, Deliberazioni, op. cit., t. 3, Bologne, 1934, p. 422-423, doc. 20, 21 mai 1297; p. 436-39, doc. 7, 1er paragraphe, 22 mars 1298. 74. Dans un autre cas, toujours tranché par le Conseil Majeur, sur un vote d’absolution, un marchand de Pouille est condamné par le Piovego pour avoir importé à Venise du vin et d’autres marchandises et y avoir acheté du savon, malgré la prohibition des autorités vénitiennes: le marchand y est appelé tout court Elia: s’agit-il d’un autre cas de vin pour la consommation des juifs? MC, reg. 12, Clericus civicus, fo 151 ro, 13 juin 1317. 75. Quidam ex subditis tuis, tuum nomen et titulum pretendentes, sic se inquisitori prefato pertinaciter opponere presumpserunt… quod inquisitor idem in hereticos ipsos, iuxta canonicas sanctiones animadvertere, hucusque nequivit. S. SIMONSOHN, The Apostolic See and the Jews. Documents: 492-1404, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, Studies and Texts 94, Toronto, 1988, p. 405-406, doc. 379, Avignon, 1er mai 1356: les judaïsants y sont définis comme heretici, qui de Iudaice perfidie tenebris ad lucem veritatis Catholice solum se verbo converterant, quique huiusmodi perfidie non deponentes errores, diu sub nomine ac habitu Christiano pompis Sathane quibus abrenunciaverunt, ipso fallente, ad contumeliam suscepte iam fidei servierant et etiam serviebant; les autorités vénitiennes y sont menacées de sanctions en tant que complices et le doge lui-même de peines encore plus sévères (immo eo culpe accusaret te gravioris quo maiori potentia fultus es et maiori premines ratione). Remarquons que l’accusation de dampnati heretici frappa dans les mêmes semaines deux seigneurs de la Romagne (à Forlì et à Faenza), que la papauté — en tant que souverain temporel — considérait

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déroulent et au doge Giovanni Gradenigo (21 avril 1355-8 août 1356) succède Giovanni Dolfin (13 août 1356-12 juillet 1361), dont le pontife attend un appui plus sincère: au cours des mêmes semaines, les néophytes enfermés dans la prison de l’Inquisition à Venise ont déjà été condamnés et leurs biens saisis. Aussi, par retour de courrier, Avignon adressera à Venise deux nouvelles lettres: par l’une, le pape autorise l’inquisiteur à élargir son activité répressive au-delà de son étroite juridiction s’il en voit la nécessité76; par l’autre, il demande au doge nouvellement élu de confirmer dans les faits la politique en faveur de l’Inquisition, dèjà poursuivie par certains de ses prédécesseurs77. Il reste que les sources vénitiennes qui jusqu’ici n’ont pas offert d’indications précises sur ce cas, ne manquent pas de révéler que la tension entre les deux partis se traduisait parfois en une méfiance réciproque, bien au delà du langage diplomatique, et que les controverses avec l’Église reflètent une situation locale, ou bien s’y réfléchissent78. comme des ennemis (predicari verbum crucis, intendandoque, dante Deo, contra ipsos facere exercitum generalem) et contre lesquels elle essayait vainement d’être soutenue par Venise. Senato. Misti, reg. 27, fo 73 ro, 86 ro, Ancône, 18 avril 1356, Venise, 9 juin 1356. 76. Le franciscain mineur Michele Pisani, inquisiteur à Venise et dans la Marche de Trévise, venait précisement de rentrer d’Avignon, où il avait consulté le pape super punitione vel correctione illorum neophitorum, quos catholice fidei emulus precipitavit in heresim, et en avait reçu l’instruction de procéder adversus hereticos ipsos in quocunque loco partium, in quibus es inquisitor pravitatis heretice deputatus, vel extra illas, ubicumque videris expedire, solum Deum habendo pre oculis, SIMONSOHN, op. cit., p. 406-407, doc. 380, Avignon, 16 septembre 1356. Le texte est allusif, mais semble indiquer que l’initiative de la rejudaïsation revenait à un néophyte qui avait convaincu d’autres de le suivre. D’autre part, Venise devait en même temps se défendre in curia romana pour avoir arraché à la justice ecclésiastique le fils de la maîtresse de l’évêque Nicola Morosini (ex qua plures genuit filios, sicut publice notum est), accusé de meurtre. Senato. Misti, reg. 28, fo 1 ro, 19 avril 1357. WADDING, Annales Minorum seu Trium Ordinum a S. Francisco Institutorum, Florence, 1932, p. 48, doc. 4, 1350; C. PIANA, «Chartularium Studii Bononiensis S. Francisci (saec. XIII-XVI)», Analecta Franciscana, 11, 1970, p. 381, 15 mars 1350. 77. SIMONSOHN, op. cit., p. 407, doc. 381, Avignon, 17 septembre 1356. Innocent VI se référait à l’engagement pris par Andrea Dandolo au début de son long dogat (1343-1354): per formam promissionis, d. dux solus debet auxilium inquisitoribus dare, pro officio heretice pravitatis in Veneciis exercendo, quandocumque ab ipsis inquisitoribus fuerit requisitus, sine altera requisitione. Collegio. Notatorio, reg. 1, fo 33 vo, 28 février 1342/1343. Pour la formule officielle, en date du 4 janvier 1343, qui repète celle de 1339, au moment de l’élection au dogat de Bartolomeo Gradenigo, voir Liber promissionum ducalium, reg. 1, fo 84 ro. Voir aussi infra, n. 79. 78. Le contrôle des autorités laïques vénitiennes sur l’activité de l’Inquisition dans l’État est documentée tout au long de son histoire: c’est une exigence politique — avant même qu’un choix religieux — qu’on retrouve déjà au XIVe siècle et s’explique aussi par le danger représenté par l’expansion papale à ses frontières méridionales. Il en résulte une ligne de stratégie défensive qui s’exprime dans ses lois: voir, par exemple, la parte du 7 août 1385, par laquelle le Sénat accepte d’assurer un salaire de cinq ducats par mois à l’inquisiteur, mais en refuse sept à ses fonctionnaires, au motif que pecunia potest dici perdita et data sine aliquo fructu vel utilitate. Senato. Misti, reg. 39, fo 127 vo. Deux ans plus tard, le Sénat, qui n’était pas content

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D’ailleurs, la rejudaïsation est une accusation récurrente dans l’histoire de l’Inquisition médiévale, pas seulement en Vénétie, que ce fût pour les difficultés que les convertis rencontraient pour s’adapter à leur nouvelle condition ou par crainte de se trouver en faute, soit en raison de la pression que l’Église exerçait sur les souverains temporels, en les accusant de bienveillance vis-à-vis des hérétiques, d’une part, et de négligence dans la défense de la foi chrétienne, de l’autre. Deux fois déjà, entre le XIIIe et le XIVe siècles, les papes avaient renouvelé au governement vénitien l’appel à collaborer avec les inquisiteurs dans la répression des apparitions d’hérésie, lesquelles se manifestaient, pour ce qui nous concerne, sous forme de retour au judaïsme de la part de néophytes; ces interventions de la Curie auprès des autorités de l’État résultaient de situations locales et de faits limités, mais impliquaient nécessairement des enquêtes, auxquelles celles-ci ne pouvaient en principe se soustraire et refuser son consentement79. Il fallait mener les poursuites, ne fût-ce que du nouvel inquisiteur qui avait été choisi par le clergé, formulait la lettre de sa recommandation au pape en termes froids. À son avis, c’était un frère dominicain qui agissait dans l’intérêt de son ordre et de l’Église, non de l’État (in forma generali qua videbitur dominio, non enim hoc querit nisi pro factis et honoribus ordinis sui), Ibid., reg. 40, fo 69 vo, 11 avril 1387. 79. Selon ILARINO DA MILANO, «L’istituzione dell’Inquisizione monastico-papale a Venezia nel secolo XIII», Collectanea franciscana, 5, 1935, p. 185, la première mention de l’Inquisition est insérée dans la promissio (c’est-à-dire les obligations qui revenaient au doge qu’on allait élire) de Marino Morosini, en 1249. A. POTTHAST, Regesta pontificum romanorum, Berlin, 1875, II, p. 1183, doc. 14332, fait remonter l’activité de l’Inquisition à Venise à la lettre datée de Gênes, 11 juin 1251, par laquelle le pape Innocent VI ordonnait aux dominicains Vincenzo de Milan et Giovanni de Verceil de se rendre sur les Lagunes pour procéder contre des hérétiques (mandat, ut Venetias personaliter accedant et haereticos insequantur), juste une année et demie avant la promissio du doge Ranieri Zen. En décembre 1289, apparaît pour la premère fois, dans celle du doge Pietro Gradenigo, l’engagement de Venise à donner auxilium inquisitoribus, pro officio heretice pravitatis exercendo in Veneciis, quandocumque ab ipsis inquisitoribus fuerimus requisiti, sine alterius requisitione Consilii, et de faire monter sur le bûcher les condamnés. Si les doges, ses prédecesseurs, s’étaient limités à promettre que le choix, fait avec le concours du Conseil Majeur, tomberait sur des probi et discreti et catholici viri, dans la nouvelle formule, élaborée en 1289 (secundum promissionem factam domino pape et acceptationem eius), mais bientôt modifiée, la compétence exclusive en matière d’hérésie ne relevait plus des institutions vénitiennes qui acceptaient l’obligation de payer les frais de l’Inquisition sur la caisse de l’officio super frumento, en échange du droit de toucher omnem profectum et utilitatem. J. GUIRAUD, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Paris, 1938, p. 585. G. GRAZIATO (éd), Le promissioni del doge di Venezia dalle origini alla fine del Duecento, Fonti per la storia di Venezia. Sez. I — Archivi pubblici, Venise, 1986, p. 134 (pour la série de textes plus génériques qui se repètent depuis le dogat de Ranieri Zen, 1253-1268, jusqu’à celui de Giovanni Dandolo, prédecesseur de Gradenigo, voir ibid., p. 41, 62, 82-83, 106-107). Dans la promissio du doge Marino Zorzi (1311) le chapitre s’appelle désormais De inquisitione heretice pravitatis, au lieu de Contra hereticos (Libri promissionum ducalium, reg. 1, fo 50 ro), et ce même texte se retrouve en 1382, 1423 et 1457 (ibid., reg. 2, fo 44 ro, 49 ro, 50 vo).

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pour complaire aux hommes d’Église; et ce n’était que par la suite, qu’on pourrait, le cas échéant, refuser l’intervention du bras séculaire pour l’exécution de la peine. En 1318, Jean XXII avait exhorté le doge Giovanni Soranzo à accorder sa collaboration aux inquisiteurs qui poursuivaient les hérétiques et leurs partisans dans les domaines maritimes assujétis à Venise; il l’invitait à punir les juifs responsables d’actes infâmes contre la vérité de la foi80. Les expressions du texte papal sont, comme d’habitude, vagues et génériques, car la juridiction reconnue à l’Inquisition sur les infidèles, et in primis sur les juifs, se limitait à leur activité de prosélytisme et à l’assistance qu’ils prêtaient à ceux qui essayeraient d’annuler la valeur imprescriptible du baptême (rejudaïsation); les chrétiens, revenus à l’ancienne foi (relapsi), devenaient ipso facto des hérétiques. Cette insistance sur l’attitude du judaïsme envers ses anciens coreligionnaires repentis ou ses nouveaux fidèles, reposait évidemment sur des faits rééls et répétés81. Quelque trente ans auparavant, en 1279, le cardinal légat 80. SIMONSOHN, op. cit., p. 308-309, doc. 298, Avignon, 2 juillet 1318. On connaît un cas d’inquisition, menée dans les domaines vénitiens du Levant: en 1314 le dominicain Andrea Dotto avait essayé sans succès de priver Sambati/Sabbetai de la missetaria de Crète (office chargé de percevoir la taxe sur le commerce maritime, établie moyennant le serment des marchands), charge que le Conseil Majeur lui avait confirmée, à temps indéfini — après la mort de son père Michele, qui l’avait remplie déjà pendant vingt ans — dans une formulation particulièrement générique (sit meseta in Creta, cum condicionibus aliorum, quousque se bene gesserit in dicto officio). AC, reg. 20/3, Magnus, fo 34 ro, 11 décembre 1305. Le Regolamento per l’officio della messetaria du 26 août 1301 précisait que la charge pouvait être confiée seulement à des Vénitiens ou à des sujets ayant résidé plus de 15 ans dans les domaines vénitiens, avec l’approbation du duc (titre reconnu au gouverneur) de l’île. F. THIRIET, Délibérations des Assemblées vénitiennes concernant la Romanie, t. I, La Haye, 1966, p. 87, doc. 32, tiré de MC, reg. 8, Magnus et Capricornus, fo 17 vo. Dans notre cas, Venise ne donna pas suite à la plainte de l’inquisiteur, qui poursuivit pourtant son activité dans les îles grecques jusque dans les années 20s. D. JACOBY, «Venice, the Inquisition and the Jewish Communities of Crete in the Early 14th Century», Studi veneziani, 12, 1970, surtout p. 130-131, 138-139. Voir infra, n. 86. 81. La bulle Turbato corde audivimus (27 juillet 1267) de Clément IV voulait enrayer le phénomène des conversions au judaïsme (quamplurimi reprobi christiani,…, se ad ritum judaicum dampnabiliter transtulerunt) et confiait la compétence en la matière aux inquisiteurs de l’Ordre dominicain pour l’Italie du Nord et franciscain pour l’Italie centrale, partage qui sera de courte durée. SIMONSOHN, op. cit., p. 236-237, doc. 230. La bulle sera publiée de nouveau par Grégoire X et Nicolas IV, le 1er mars 1274 et le 5 septembre 1288, respectivement, ibid., p. 244-245, doc. 236, et p. 267-268, doc. 260. La situation restait décidément alarmante. Aussi, entre-temps, pour contrecarrer le retour à l’ancienne foi et vaincre l’obstination des juifs à réfuser la foi véritable, Nicolas III commanda au provincial «lombard» des dominicains (avec juridiction pratiquement sur toute la plain du Pô, de la Marche de Trévise à la Marche de Gênes) de procéder avec les prêches obligatoires partout où il y avait des juifs generaliter et singulariter, convocando, semel et pluries, ac toties repetitis instantiis, quoties proficere posse putaveris, ibid., p. 248, doc. 241, 7 mai 1278. Et ce n’est pas une affaire

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Latino, légat papal en Romagne, s’en était déjà aperçu. Préoccupé par des cas récents qui s’étaient produits dans le patriarcat d’Aquileia et dans les diocèses de Castello (c’est-à-dire à Venise), Mantoue et Ferrare, il avait sollicité un soutien efficace et immédiat de la part des autorités séculaires en faveur de l’inquisiteur82. Le frère Florio de Vérone de l’ordre des prêcheurs, avait en fait découvert que, dans certaines familles, où cohabitaient des membres dèjà convertis avec d’autres, restés juifs, c’étaient ceux-là et non ceux-ci qui abjuraient leur religion83. De plus, dans d’autres, les enfants n’étaient pas portés sur les fonds baptismaux à leur naissance, et les relapsi étaient réadmis sans problème aux offices de la synagogue; le père dominicain, après avoir constaté les délits, mais encore indécis sur l’importance de la peine, avait choisi de demander l’avis d’hommes de loi et d’Église à Padoue et à Bologne. Le résultat pratiquement unanime de cette consultation fixait quelques principes que Vittore Colorni, qui a étudié le dossier, résume ainsi: tout chrétien revenu au judaïsme est un hérétique, comme est complice restreinte à l’Italie: la documentation de ces campagnes menées par l’Inquisition durant les années 70-80 du XIIIe siècle vis-à-vis des apostats s’étend de la France du Sud à l’Espagne et à l’Angleterre, où Honorius IV parle explicitement de juifs baptisés, qui s’installaient ailleurs, afin de réussir à désavouer leur nouvelle religion, sans être reconnus. Ibid., doc. 255, p. 262-263, Rome, 18 novembre 1286. 82. De Bologne, le 25 août 1279, le cardinal Latino (dit Orsini, en tant que neveu de Nicolas III), légat pontifical en Romagne, Tuscia [Étrurie], Marche de Trévise, Ferrare et Venetiarum partes, donne instruction au frère Florio de Vérone, inquisiteur dominicain à Ferrare (jusqu’à la fin du siècle, avant de devenir co-inquisiteur à Padoue et Vicence, en Vénétie) de procéder contre les coupables d’hérésie, parmi lesquels figuraient nombre de membres de la noblesse proches du mouvement patarin-cathare (E. DUPRÉ THESEIDER, «L’eresia a Bologna nei tempi di Dante», in Studi storici in onore di Gioacchino Volpe per il suo 80° compleanno, I, Florence, 1958, p. 408. COLORNI, «Ebrei in Ferrara», art. cit., p. 183-184). Peu de temps auparavant (Imola, 16 février 1279), Orsini s’était prononcé contra judeos persequentes judeos conversos, et ensuite, entre janvier et juillet de 1281, ce sera lui-même qui conduira à Ferrare les poursuites; en même temps, il travaillait à la rédaction des Statuts qui seront insérés dans les livres synodaux de Padoue et Vérone au XIVe siècle. A. TILATTI, «“Legatus de latere domini Pape.” Il cardinale Latino e le costituzioni del 1279», in Scritti in onore di Girolamo Arnaldi, Istituto Storico Italiano per il Medio Evo. Nuovi studi storici, 54, Rome, 2002, p. 530. G. OPITZ, «Über zwei Codices zum Inquisitionsprozess…», Quellen und Forschungen aus Italienischen Archiven und Bibliotheken, 28, 1937-38, p. 103-105. G. BISCARO, «Eretici ed inquisitori nella Marca Trevisana (1280-1308)», Archivio veneto, s. 5, vol. 11, 1932, p. 150. Une dernière remarque: sur la présence parallèle de Florio et d’Elia à Ferrare et à Venise, voir infra, n. 89). 83. D. MALKIEL, «Jews and Apostates in Medieval Europe-Boundaries Real and Imagined», Past and Present, 194, 2007, p. 3-33) étudie les différentes perspectives et relations qui existaient entre juifs et néophytes à l’intérieur des familles et des communautés, après la conversion; et il ne s’agissait pas toujours nécessairement d’une condition de réfus réciproque. On pourrait dire que le traitement à réserver aux apostats reste une question qui agite le monde juif pendant les deux siècles qui font suite aux croisades et aux massacres qui frappèrent ce dernier, s’assoupit dès que l’Église prend une position dure (avec la création de l’Inquisition), et reprend force après les évènements de 1492.

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celui qui l’y aura poussé ou au moins aidé à renier la conversion; la peine, qui sera fixée selon la gravité de l’accusation, ira de la mort pour l’hérétique, à des amendes, suivies de l’exil ou de la prison, pour les coupables mineurs; il reviendra à l’État d’exécuter, en dernier lieu, la sentence84. L’inquisiteur Andrea Dotto était arrivé à de pareilles constatations vers la fin des années 20, lors d’une seconde enquête qu’il avait menée en Crète. Il avait appris de nouveau, à cette occasion, des faits qui renvoyaient aux catégories susdites: juifs baptisés qui ont abjuré, chrétiens qui judaïsent et trouvent refuge à Alexandrie, femmes esclaves devenues juives. C’était des cas évidents d’hérésie, confirmés par l’avis du juriste Oldrado da Ponte, auquel Dotto en personne les avait rapportés85: contester la compétence spécifique des inquisiteurs se révélait, dans ce cas, particulièrement compliqué pour le gouvernement vénitien. La question avait été tout à fait différente en 1314, quand, lors d’une première enquête, Dotto avait mis en cause la légalité de la charge de misseta (perceveur de la taxe d’intermédiation commerciale maritime) accordée par les autorités à un juif86. Dans ce cas, Venise, ayant vu dans la dénonciation de l’inquisiteur une atteinte à sa souveraineté, avait pris, d’elle-même, 84. COLORNI, «Ebrei in Ferrara», art. cit., p. 161. Deux autres enquêtes, menées à Ferrare par les inquisiteurs dominicains Giovanni dei Pizzigoti de Bologne (entre 1310 et 1315) et Corrado de Camerino (1315-1316), se termineront avec une série de peines pécuniaires, la condamnation d’Isac pour usure et quelques baptêmes; de nouveau, dans ces occasions, les inquisiteurs s’étaient rendus à Venise et à Padoue pour consulter les juristes Rizzardo Malombra (professeur de droit civil et canonique à Padoue, ante 1295-1311, ensuite à Venise), son collègue Rolandino Belvisi (env. 1308-env. 1313, mort à Venise en 1331), Giovanni Bonino de Freganesco et le frère Jacob Bono. G. Biscaro, «Inquisitori ed eretici lombardi (12921318)», in Miscellanea di storia italiana, IIIe s., t. 29, Turin, 1922, p. 488-491, 534-539. 85. JACOBY, «Venice, the Inquisition», art. cit., p. 138-141. Le texte (Consilium XXXVI) est publié par N. ZACOUR, Jews and Saracens in the Consilia of Oldradus de Ponte, Pontifical Institute of Mediaeval Studies. Studies and Texts, 100, Toronto, 1990, p. 74-76, avec des considérations intéressantes, p. 12-16. Sur Oldrado et l’Inquisition dans son premier siècle d’activité, K. R. STOW, «Ebrei e inquisitori. 1250-1350», in M. LUZZATI (éd.), L’Inquisizione e gli ebrei in Italia, Bari, 1994, p. 11. Toujours ID, «The Avignonese Papacy or, After the Expulsions», in J. COHEN (éd.), From Witness to Witchcraft: Jews and Judaism in Medieval Christian Thought, Wolfenbütteler Mittelalter-Studien. Bd. 11, Wiesbaden, 1996, p. 282, qui souligne le rôle joué par Oldrado dont les Consilia furent écrits à la cour pontificale d’Avignon, lors des efforts de l’Inquisition pour contrecarrer la légalité de la présence juive et agir contre les juifs, lorsque, tout en étant des infidèles (non-sujets aux procès d’hérésie), ils dérogeaient à leurs devoirs. L’importance de son rôle dans l’aggravation de la condition juive fut accrue par la diffusion de ses Consilia dès le début de l’imprimerie. QUAGLIONI, «“Both as villain and victim”. L’ebreo in giudizio. Considerazioni introduttive», Quaderni storici, 99, 1998, p. 522-523, voit un autre élément décisif de cette aggravation dans l’unification et la combinaison de normes de droit civil et de droit canonique, alors que durant ce même siècle la doctrine civilistique perfectionnait son idée de tolerantia. 86. Voir supra, n. 80.

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l’initiative de consulter les juristes, et en avait reçu un avis légal (consilium) qu’elle avait agréé. Les arguments invoqués par Rizzardo Malombra et Giovanni Bonino acquièrent une valeur particulière car ils dessinent (ou bien confirment?) les principes qui vont régir la politique de la République de Venise à l’égard de ses juifs au cours des deux siècles suivants. Tout est axé sur un principe de base: l’État est obligé de mettre en œuvre le bras séculier uniquement lorsqu’il juge la sentence convenable dans son fonds et dans sa forme; ces deux conditions essentielles ne sont pas réunies dans le cas en question, car les juifs ne relèvent que de la juridiction laïque, même lorsqu’ils accomplissent des actes infamants envers la foi, d’autant plus que c’est l’Église qui a proclamé qu’il est légitime pour eux de vivre comme juifs au sein de la société chrétienne87. À cet énoncé politique ne manquait plus, pour devenir officiel, qu’un perfectionnement et la sanction de l’autorité du cardinal Bessarione, ce qui arrivera en 146488. Nous allons maintenant essayer de faire entrer maître Elia dans ce tableau. Les autorités vénitiennes octroient à ce médecin l’acte de sauvegarde qui lui permettra de venir habiter la ville, précisément au moment où les juifs de Ferrare cherchent par tous les moyens à se soustraire à l’enquête qu’y mène frère Florio de Vérone89. La carrière d’Elia prend fin peu avant que la mention «juif» figure obligatoirement à côté de son nom. En 1331, apparaîtra pour la première et unique fois90 (sous réserve des surprises que la recherche peut nous réserver), un médecin défini comme judeus; la liste s’interrompt 87. Judei stantibus et manentibus in eo statu in quo consueverint et soliti sint esse et stare et fuerunt et sunt conservati in Creta, eis, ne graventur et ritus non corrumpantur eorum, in quibus Ecclesia eos recipit et conservat, vestrum favorem et suffragii secularis brachium impendatis. Et si forte forisfactum. JACOBY, «Venice, the Inquisition», art. cit., p. 144. Les positions doctrinaires de Malombra et la défense des raisons de Venise (où il était consultore in jure, 1315-1326) vis-à-vis du pouvoir ecclésiastique lui valurent des censures religieuses et il dut quitter la ville deux fois (en 1325 et 1328) pour éviter de graves ennuis pour les autorités et lui-même. E. BESTA, Rizzardo Malombra professore dello Studio di Padova, consultore di stato a Venezia, Venise, 1894, p. 20, 28-30. Voir supra, n. 85. 88. Cum rev. mus d. Bessarion, cardinalis legatus de latere, ad requisitionem istius Consilii X, per suas patentes bullas concesserit quod, cum bona conscientia, dominatio nostra possit concedere comunitatibus civitatum terrarum et castellorum nostrorum tenere judeos, Vadit pars quod ea capitula que… per nostrum dominium concessa fuerunt et similiter capitula que decetero per nostrum dominium concedentur et fient…debeant, auctoritate istius Consilii, observari, non obstante aliquo ordine vel parte que esset incontrarium. Consiglio dei Dieci, reg. 16, fo 150 vo, 22 février 1463/1464. ASHTOR, «Gli inizi della Comunità», art. cit., p. 700. Le texte du cardinal est reproduit in H. VAST, Le cardinal Bessarion (1403-1472). Étude sur la chrétienté et la Renaissance vers le milieu du XVe siècle, Paris, 1878 (reprint, Genève, 1977), p. 457-458. 89. Voir supra, n. 82. COLORNI, «Ebrei in Ferrara», art. cit., p. 203, a retrouvé à Cividale del Friuli une autre famille de juifs originaires de Ferrare, le couple Bonaventura et Perna, et leurs fils Goça et Abraham, et un certain magistro Federico iudeo. Archivio di Stato. Udine, Archivio Notarile Antico, b. 667, reg. perg. 1309, fo 40 vo, 17 septembre 1309. 90. Voir supra, n. 43.

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tout de suite, pour ne reprendre qu’à la fin du siècle. C’est alors que nous rencontrons magister Salomon et alii judei medici, qui sont expressément mentionnés dans l’ordonnance (parte) du Conseil Majeur du 3 avril 1395 sur l’annulation des accords avec les banquiers juifs: elle prévoit que ces mesures ne s’appliqueront pas aux médecins, qui ont déjà été approuvés par la Giustizia vecchia (magistrature chargée des corporations) ou qui viendront exclusivement pour exercer la profession médicale91. Quand les médecins juifs reprirent-ils leur activité à Venise? Nous l’ignorons, mais il faut relever une coïncidence: ils réapparaissent sur la scène au même temps que leurs collègues, jadis juifs, et ce processus se retrouve aussi dans ses domaines du Levant (Terre da mar)92. Abramo Nicolai (fils de Nicola), chrétien depuis 1394, obtint, en vertu d’une lettre papale, de se faire confirmer par une faculté de médecine de la Vénétie (Padoue?) le doctorat qu’il avait obtenu au Caire (ou à Damas?)93, et grâce auquel il soignait déjà une clientèle très respectable à Venise; par contre, Giovanni da Fabriano tomba entre les griffes de la justice vénitienne car, en tant que néophyte, il avait profité — il ne sera ni le premier ni le dernier — de son expérience précédente pour dénoncer à l’Inquisition certains de ses coreligionnaires d’autrefois, dans la capitale et à Padoue, dando eis ad intelligendum quod habebat libertatem a dominio capi et relaxari faciendo huiusmodi sectam judeorum pro suo libito voluntatis94. 91. qui sunt seu venient Venecias et honeste vivent sine mutuare ad usuram, qui possint stare sicut stant ad presens. Le Conseil Majeur avait été appelé à s’exprimer sur certaines doutes qui avaient surgies à la suite du décret du Sénat du 27 août 1394, qui sanctionnait la fin des prêts juifs en 1396, la défense d’y séjourner au delà de quinze jours et l’obligation de porter la rouelle, obligation qui sera imposée également aux médecins le 7 septembre 1402, “multa inhonesta comittentes cum mulieribus.” Senato. Misti, reg. 43, f. 23r. G. Galliccioli, Delle memorie venete antiche, Venise, II, 1795, p. 291, par. 904. 92. Mentionnons ici le cas d’un médecin nouvellement baptisé (magister Carolus, olim judeus, nunc christianus), que Venise envoya à Candie pour suppléer la difficulté d’en trouver un autre sur place. Senato. Misti, reg. 40, fo 136 ro, 24 septembre 1388. 93. SIMONSOHN, op. cit., p. 517-518, doc. 486, 31 juillet 1398. GALLICCIOLLI, op. cit., II, p. 289-290, doc. 901. Selon JACOBY, «Les juifs à Venise», loc. cit., p. 203, Abramo, qui avait étudié la médecine en Arabie, avant de la pratiquer à Alexandrie et au Caire, se convertit en 1394; en 1401, il reçut de Boniface IX un diplôme qui lui permettait de soigner les malades à Venise; et c’est ce même magister Abraham medicus physicorum, neophytus qui sera autorisé à acheter un esclave sarrasin. Canc. Inf., Miscellanea notai diversi, b. 134bis, n. 24, 7 avril 1401, cité par VERLINDEN, op. cit., t. 2, p. 652. D. CARPI, L’individuo e la collettività. Saggi di storia degli ebrei a Padova e nel Veneto nell’età del Rinascimento, Florence, 2002, p. 207-208, signale un magister Habraa Davit de Cayro qui habitait à Venise (contrada San Lio) en 1408: ainsi nous nous trouverions de nouveau en présence de deux médecins originaires du Levant qui portent le même nom, seul le second étant juif. Le premier des deux, jamais défini judeus, sera tué en 1411 par un autre médecin, maître Francesco de Pérouse, qui réussira à échapper à la peine capitale. AC. Raspe, reg. 3645, fo 105 ro, 6 février 1399/1400; reg. 3646, fo 115 vo-116 ro, 10 février 1411/1412. 94. Ibid., fo 9 ro, 11 giugno 1406. CARPI, L’individuo e la collettività, op. cit., p. 208 note) mentionne un certain Giovanni di Spagna, jadis juif, auquel certains banquiers (feneratori) de

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En résumé, les sources restent silencieuses au cours des années centrales du XIVe siècle, pendant près de cinquante ans, qui furent marqués par une série d’épidémies, dont la Peste noire. À ce moment-là, en 1348, la ville se voit obligée de renoncer à sa renommée d’avarice pour faire revenir, par n’importe quel moyen (aliam viam et modum), ses praticiens les plus éminents (notabilibus et magis solemnibus) qui avaient cherché fortune ailleurs95. Cette situation se répétera dans les années 80, quand la commune fut contrainte de rappeler impérieusement tous ses médecins qui étaient partis96: c’est alors que le Conseil Majeur repoussa la tentative d’exclure de la profession ceux qui ne se seraient pas soumis à l’examen du collège97. Serait-ce là un indice du retour des juifs sur la scène vénitienne? En tout cas, et nous le verrons bientôt, ils vont alors se montrer en tant que banquiers, sinon sous l’apparence de médecins. Ce long silence des chartes reste à expliquer: la premiére période coïncide avec la préparation de la croisade en Terre sainte que le pape Jean XXII avait proclamée en 1330 et à laquelle Venise avait adhéré sans enthousiasme, et s’était montrée prête à se réjouir dès qu’elle fut reportée. Ce qui n’empêche pas qu’une vague de passion religieuse ait pénétré la société et que dans la phraséologie de l’ordonnance par laquelle le Conseil Majeur défendait aux sujets vénitiens de faire du commerce au Levant avec les ennemis de la foi chrétienne98, se font entendre des motifs qu’on retrouvera Padoue réclamaient le remboursement de leur argent, 25 février 1406: peut-il être identifié avec Giovanni da Fabriano? 95. La parte, qui dresse une liste de ses principaux médecins (Nicolino, Pagano et Pietro da Venezia), explique en termes clairs que les rares médecins encore en vie n’ont aucun intérêt à revenir à Venise pour un salaire minime (non sit sperandum quod, ex hiis paucis vallentibus medicis qui remanserint in mundo, cum sint ad servicia diversorum dominorum vel communium, cum utilitatibus et prerogativis magnis forte maioribus, quam haberent a nobis, aliquis velit patriam relinquere pro incertis, et venire in terram nostram ad faciendum experienciam sui pro habendo nostrum salarium, per viam petitionis et gratie, ut fieri consuevit, et propterea sit necesse aliam viam et modum tenere ut possimus habere sufficientes et utiles personas pro nobis), aussi faudra-t-il attirer trois médecins capables et leur offrir jusqu’à 10 livres de gros chacun. MC, reg. 17, Spiritus, fo 160 ro, 14 décembre 1348; A.C., reg. 23/6, Philippicus, fo 159 r (version un peu différente). Il est possible que le même discours s’appliquait aux juifs, eux aussi très convoités. En tout cas, aucun nom, même douteux, de juifs ne figure dans les listes de 1341 et de 1345 des praticiens et des chirurgiens approuvés. Senato. Misti, reg. 20, p. 38, doc. 82, 2 octobre 1341 (édition imprimée). CECCHETTI, art. cit., p. 23. Autre remarque: les mesures adoptées par les autorités vénitiennes pour redresser la condition de la ville après la Peste ne font aucune allusion aux juifs, fût-ce que pour les exclure. Senato. Misti, reg. 24, f. 91v-92v, 11 août 1348. 96. MC, reg. 19, Novella, fo 406 vo-407 ro, 1er septembre 1384. 97. Ibid., reg. 21, Leona, fo 7 vo, 6 novembre 1384. Voir aussi supra, n. 21. 98. CESSI, BRUNETTI (éds.), Le Deliberazioni del Consiglio, op. cit., p. 44, doc. 144, 18 juin 1332. Duca di Candia, b. 14, Bandi, 16 août 1332, doc. 67-68, fo 79 ro-vo.

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dans nombre de textes qui exaltent l’hostilité de la République envers les juifs. Ces motifs, qui rebondissent de temps à autre dans les déclarations les plus solemnelles des institutions vénitiennes, ne manquaient pas de renvoyer, le cas échéant, à un temps mythologique (antiquus, antiquitas) où la République avait proclamé à jamais sa raison d’être de défenseur de la foi. Pour ce qui est du silence des sources en matière de juifs, une deuzième phase pourrait renvoyer au temps de la Peste noire et à ses séquelles99, et la troisième à une série d’épidémies qui sévirent au cours des années 70100: dans le premier cas, les médecins juifs n’ont pas été interpelés ou ont refusé de répondre aux appels demandant d’aller soigner les pestiférés; dans l’autre, les difficultés économiques et les frais sociaux d’un état de guerre presque permanent sur terre et sur mer allaient faire pencher la balance101, et les juifs n’étaient certainement pas en mesure d’y apporter un remède. Ce ne sera que dans les années 80, après la crise de la guerre dite de Chioggia (1378-1381), qu’une tentative de recours aux banquiers juifs sera faite; mais c’est là un sujet qui a déjà fait l’objet d’une étude de Reinhold Mueller, ce qui me dispense d’en traiter spécifiquement102. Le séjour des juifs à Venise recommence donc au début des années 80, et c’est là une donnée acquise par l’historiographie. Il y avait toujours eu auparavant des juifs qui passaient par la capitale, ne fût-ce que pour des problèmes relevant de la justice ou pour les affaires de leurs communautés, concentrées à cette époque surtout dans les domaines maritimes (Terre da mar). Mais Venise — pour son énorme profit, et pas seulement d’ordre économique —, était le terminus des routes que marchands et pèlerins, venant du nord, empruntaient pour se diriger vers le Levant. Malgré les interdictions qui leur furent faites, de temps à autre, de voyager sur des 99. Entre 1336 et 1339, Venise s’opposa aux seigneurs de Vérone; la fin de cette guerre marque le début de l’expansion de Venise en Terraferma, avec l’annexion de Trévise, formalisée en 1344; pourtant, les combats se poursuivirent dans l’Adriatique (Zadar) et la Méditerranée (1345-1354). Avec la paix de 1355 avec Gênes et au cours de la trève de 23 ans qui s’ensuivit, Venise se trouva en guerre sur d’autres fronts: à nouveau dans l’Adriatique, contre la Hongrie (1356-1358), la révolte de Candie (1363-1367), la guerre de Trieste (1369-1370) et de Padoue (1372-1374). G. LUZZATTO, Storia economica, op. cit., p. 127. 100. Á part 1349, sont enregistrées celles de 1371-1372 et de 1374, qui entraînèrent inévitablement de graves crises financières et sociales. MUELLER, The Procuratori di San Marco, op. cit., p. 191. 101. Voir supra, n. 99. La guerre contre les Génois, dite de Chioggia, précédée en 1376-77 par celle contre le duc d’Autriche Léopold III, entraîna une longue période de blocus de la voie maritime et des approvisionnements en produits essentiels pour la vie à Venise. 102. «Les prêteurs juifs», art. cit. Cet article, qui étudie l’histoire et la condition des banquiers juifs à Venise, depuis leur arrivée jusqu’à l’échec de cette initiative, m’offre l’occasion de me concentrer sur les aspects qu’il n’a pas traités spécifiquement.

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bateaux vénitiens103, ajoutées aux risques du voyage et du séjour dans la capitale, les juifs avaient tendance à privilégier ce port d’embarquement pour la Terre sainte. Nous avons déjà fait mention du talmudiste Isaïa de Trani qui partit de Venise pour Jérusalem104. Une aventure bien différente arriva à Samisso, un Allemand qui suivait le même itinéraire: il avait préféré attendre la fin de la semaine sainte à bord du navire, il eut la malchance de se faire saisir ses bagages par le Cattaver et ne les récupéra qu’en payant 80 ducats105; un groupe de cinq juifs — parmi lesquels deux femmes —, vecut une expérience bien plus tragique: ils furent pillés et jétés à la mer par le batelier qui les transportait de Portogruaro au port d’embarquement106. L’itinéraire était accidenté jusqu’à la destination finale et tout retard pouvait coûter cher aux passagers car ce n’était qu’à leur arrivée à Venise qu’ils étaient en mesure de négocier leur voyage avec les armateurs des navires. Ils y achetaient leur billet, comme on dirait aujourd’hui, et faisaient insérer dans un contrat-type des clauses individuelles: au printemps de 1385, un groupe de juifs signa un accord avec les patrons de deux bateaux amarrés au port107, qui s’engagèrent à les transporter à Jaffa avec une arrivée prévue 103. Le premier document concernant les juifs, un décret ducal de 960, défendait aux armateurs de transporter des juifs. B. ARBEL, «Jews in International Trade: The Emergence of the Levantines and Ponentines», in R. C. DAVIS, B. RAVID (éds.), The Jews of Early Venice, Baltimore-Londres, 2001, p. 73, 264. Après la chute des derniers bastions chrétiens du Levant (1291), ce qui entraîna l’embargo envers les domaines mamelouks, proclamé par le pape Nicolas IV, et reaffirmé en 1323, Venise avait essayé, avec un remarquable succès, de s’en tirer. Les routes maritimes vénitiennes vers la Terre sainte étaient désormais séparées: entre l’est (Beirut) et le sud (Alexandrie); en février 1374, le Sénat institua sur le parcours CrèteSyrie trois voyages (mude) par an, pour éviter la voie de Chypre, devenue trop dangereuse. THIRIET, Régestes des délibérations, doc. 530, p. 132. D. JACOBY, «Pèlerinage médiéval et sanctuaires de Terre sainte: la perspective vénitienne», in ID. Studies on the Crusader States and on Venetian Expansion, Northampton, 1989, p. 30-31. 104. Voir supra, n. 6. 105. H. SIMONSFELD, Der Fondaco dei Tedeschi in Venedig und die Deutsch-Venetianischen Handelsbeziehungen, II, Stuttgart, 1887, p. 294, doc. 11, 24 avril 1340. JACOBY, «Pélerinage médiéval», art. cit., p. 32-34, 36, souligne qu’il y a eu une reprise des voyages vers la Palestine dans les années 40, dans une période d’allègement des interdictions papales du trafic et du commerce avec les mamelouks. Le Cattaver, la magistrature vénitienne chargé de l’administration des biens échus à l’État et de leur fructification, avait saisi les objets précieux d’un juif et ne lui reconnut pas le status de pèlerin; sans doute, l’application de ces normes restrictives révèle aussi bien des situations de difficultés financières. 106. Quarantia Criminal, reg. 17, fo 72 ro, 8 juillet 1384: une récompense de 1000 livres serait versée à qui livrerait à la justice l’assassin et ses deux complices qui avaient été condamnés par contumace. MUELLER, «Les prêteurs juifs», art. cit., p. 1301. 107. Canc. Inf., Notai, b. 40, notaire Andea Cristiani, prot. VI (1385-1386), respectivement aux fos 3 ro, 9 vo, 14 ro, 15 ro de l’année 1385, le 13 mars (Mordacheo et Bonafant), le 18 avril (Nachaman et Mordacheo), le 10 mai (Vivis et Leone) et le 15 mai (les trois femmes qui voyageaient seules). On dirait que le prix du billet dépendait du nombre de personnes qui occupaient chaque cabine: la veuve avec les deux femmes de sa suite paie 25 ducats, Vivo 44 ducats pour

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— Deus et tempus permictentes — entre mai et juin. L’armateur pourvoyait les passagers en eau, bois et sel, leur donnait des cabines (cameriole) sur le pont, suffisantes pour les accueillir cum havere vestro rebus massaritiis arnesiis et victualibus, bien à l’abri108; pendant l’arrêt à Candie, les marchands étaient autorisés à descendre pour délivrer du poivre et du safran au juif ser Melchel. Deux juifs, Michele et Salamon Fayfelim, se portaient garants du contrat: ils étaient des habitants de Venise, qui opéraient en qualité de courtiers, et prêtaient leur assistance, y compris linguistique, à des amis et à des parents. Sans doute, Fayfelim était-il un allemand (teothonico), le nom donné aux juifs de Alemania, avec une acception géographique très large (l’équivalent d’Ashkenaz)109, et tels étaient aussi tous nos voyageurs. Le premier groupe était conduit par Nachaman et ser Mordacheo, fils de feu ser Hefraim Dolemorx (d’Olomouc?, Moravie)110, et comprenait six autres personnes, tandis que le deuzième groupe, conduit par Vivis/Haim de trois personnes, et Leone 14 pour 2 voyageurs. Leur contrat ne prévoyait pas de voyage de retour; en revanche, dans le contrat signé par deux anglais, un homme d’Église et un laïc, sont indiqués en détail tous les ports où le bateau ferait escale sur la route Venise-Jaffa via Rhodes, avec l’engagement du patron de les attendre à chaque étape. Ibid., fo 10 ro, 20 avril 1385. JACOBY, «Pèlerinage médiéval», art. cit., p. 38, souligne que dans les années 80 Venise développe son service de transport maritime jusqu’à créer une ligne directe Venise-Jaffa. Une description vivante des procédures chères et compliquées auxquelles il fallait se soumettre avant de s’embarquer sur les navires qui faisaient régulièrement le trajet entre Venise et la Terre sainte se lit dans la lettre d’instruction qu’Elia de Pesaro écrivait à son frère, presque deux siècles plus tard, — mais les formalités, les dangers, les pièges n’avaient pas beaucoup changé. Elia raconte ses expériences, parfois amusantes, et recommande de se méfier des patrons de galères, des inspecteurs des douanes, des gardiens du port et de tout ce monde qui s’affole au départ des bateaux et essaie de tirer profit de l’agitation qui règne en ville à ce moment-là. Finalement, arrivé «à bord… de toute façon, ne fais confiance qu’à Dieu, notre Rocher». Pas un mot sur une aide et une coopération éventuelle de la part de la communauté juive qui pourtant, contrairement au XIVe siècle, existait déjà en 1563. D. RÉGNIER-BOHLER (éd.), Croisades et pèlerinages, Paris, 1997, p. 1380-1384. 108. Sur les conditions du voyage, JACOBY, «Pèlerinage médiéval», art. cit., passim, surtout p. 30-31. Les statuts maritimes du doge Pietro Ziani (1205-1229), repris tout de suite (en 1229) et presque à la lettre par son successeur Jacopo Tiepolo, prévoyaient sous le chapitre De cameribus in navis faciendis que nulla camerella sit in aliqua navi super cohopertura superiori, nisi ille camerelle de pupi et una de arbore de medio usque ad portam. R. PREDELLI, A. SACERDOTI (éds.), Gli statuti marittimi veneziani fino al 1255, Venise, 1903 (tiré de Nuovo Archivio Veneto, n.s., 4, 1903), p. 47, 53, 203. 109. Allemagne était un terme générique qui designait l’Allemagne proprement dite, l’Autriche et la région qui s’étendait vers l’est: le Conseil Majeur appellait stratae Theotonicorum et Ungarorum les routes qui, d’un côté, reliaient Venise à Vienne, Augsbourg et les autres villes de haute Allemagne, Nuremberg, Francfort et Cologne, et de l’autre, se dirigeaient vers la Hongrie, à l’est, et vers la France du Nord-Est et les Flandres. La route principale partait de Venise, passait par Trévise, rejoignait la Carinthie par Pontebba, ou par la route d’Allemagne (remontant le cours du Piave et la vallée de la Pusteria); l’autre chemin, par le Brenner, arrivait à Innsbruck et à Aix-la-Chapelle et remontait le Danube jusqu’au bassin du Rhin. G. LUZZATTO, Storia economica, op. cit., p. 50. 110. En hébreu Olomonx.

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Cologne et Léon de Coburg, comptait cinq passagers, et, en dernier lieu, domina Chera [Chena?], la veuve de Mordachay, voyageait avec une femme et une jeune fille (una femena et una puella), pour un total de six cabines distribuées par groupes de familles. À l’époque de ces départs, il existait déjà à Venise, depuis 1382, une communauté (non institutionalisée) de juifs allemands, qui y avaient été accueillis par les autorités afin de contribuer à la solution de graves et urgentes difficultés financières de l’État et de la société, provoquées par la guerre de Chioggia. Par le passé, d’autres juifs de ultra Alpes, des commerçants qui se rattachaient, d’une façon plus ou moins ouverte, au Fondaco dei Tedeschi et aux magasins dans les alentours de Rialto, avaient fréquenté Venise pour de brefs séjours d’affaires. Ils ne jouissaient certes pas des mêmes privilèges que les marchands non juifs; plus d’une fois ils subirent, au contraire, des abus personnels: le souvenir a été conservé d’un juif suisse qui, arrivé en ville avec trois camarades la veille du samedi, n’avait pas eu le temps de rédiger la déclaration sur la quantité d’argent en métal qu’il avait apportée. Josep, c’est son nom, souligna avec emphase la valeur que cette fête revêt pour les juifs (sabbatum est in fide eorum solennis ipsorum dies et festum in tantum quod nullum opus vel servicium ipsa die facerent sibi vel alii); et se plaignit que la justification de son délai n’ait pas été reconnue par les fonctionnaires vénitiens du Fondaco, qui l’avaient condamné111. Ignorance ou mauvaise foi, en tout cas, une preuve évidente d’absence de la norme traditionnelle, qui reconnaissait — et donc garantissait — les cérémonies juives même en l’absence d’une colonie établie sur place112. La première formulation, générique et donc généralisable, qui nous soit connue dans ce domaine, se trouve dans la condotta stipulée par le banquier juif avec la commune de Mestre vers 1393113: nul, laïque ou ecclésiastique, 111. SIMONSFELD, Der Fondaco dei Tedeschi, op. cit., vol. I, p. 28-29, doc. 82, 26 juin 1329, qui le tire du fond d’archives des Grazie, reg. 3, f. 2v. Josep judeus de Cerigo [Zürich] de Alemania, cum tribus suis sociis, qui vocantur Jonas, Josep et Pisis finirent par obtenir que moitié de la peine leur fût remise considerata qualitate hominum et negocii, malgré les arguments des fondighieri, qui protestaient avoir observé strictement formam sui capitularis et quod dicti judei maliciose egerunt. En conformité avec un décret du Conseil Majeur, les marchands étaient tenus de déclarer toute importation d’or et d’argent en monnaie et en pièces dans les deux jours de leur arrivée. MC, reg. 3, Comune II, fo 128 vo, 30 avril 1268. Cette disposition était encore en vigueur, tandis que d’autres venaient juste d’être modifiées. CESSI, SAMBIN (éds.), Le Deliberazioni del Consiglio, op. cit., passim, sub anno 1328. 112. La Summa du cardinal Hostiensis prévoyait explicitement parmi les tolerantiae acceptées in utroque iure (c’est-à-dire, par le droit civil et le canonique), le respect du shabbat. QUAGLIONI, «Fra tolleranza e persecuzione», op. cit., p. 655. 113. MUELLER, «Les prêteurs juifs» art. cit., p. 1277-1302, auquel je renvoie pour tous les aspects économiques et financiers de l’activité des prêteurs juifs à Venise et leurs effets politiques et sociaux, a signalé ce précieux document, qui se trouve in Canc. Inf., Notai, b. 96,

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ne pourra contraindre Moïse ad faciendum aliquod quod sit contra eius consuetudinem et legem judaicam. Cette protection est suivie de deux paragraphes qui sembleraient convenir plutôt à un groupement d’une certaine consistance114: il lui est permis d’acheter (emere) un terrain pour ensevelir ses morts et de se pourvoir d’un lieu de prière (unam sinagogam pro colaudando Deum suo modo); en outre, l’intéressé pourra se procurer la viande à l’abattoir, pourvu que ce soit avant son ouverture à la clientèle chrétienne, et il pourra héberger chez lui amis et voyageurs, pas nécessairement à titre gratuit. Il faut reconnaître que tous ces privilèges à fort impact religieux se justifiaient par le moment où ils furent octroyés: Venise est encore bien disposée envers ses prêteurs juifs, de même qu’elle le sera une génération plus tard à Vérone et dans son district. Pourtant, dans la ville sur l’Adige, dont la communauté juive au début du XVe siècle n’est certainement pas moindre que celle qui vivait dans la capitale (appelée en termes explicites la Dominante) à la fin du XIVe, le culte est toléré uniquement dans les maisons privées, un lieu de prière «officiel» n’est pas prévu et le respect des traditions de vie des juifs est exprimé en termes plutôt faibles115 et par des formules qui notaire Pietro Gualfini, prot. non daté (mais dont les actes se réfèrent aux années 1393-1394); l’imbreviatura, dépourvue de la partie initiale (une feuille entière?), se compose de trois façades: le notaire déclare l’avoir notariée, mais non écrit de sa main, aussi y a-t-il raison de le considérer comme l’original, et de le dater de 1393. Malheureusement, pas mal de données ne nous sont pas parvenues, entre autres la durée de la condotta (et ce n’est pas un élément secondaire). Moïse signe un contrat de location à Mestre pour deux ans (à partir du 1er janvier 1394) d’une maison sur la rue qui mène à la porte vers le Terraglio (donc, vers Trévise), contiguë à celle du locataire, qui était aussi le capitaine du bastion. La présence à l’acte du podestà et capitaine Nicola Grimani renforce son caractère officiel. Ibid., prot. 1393, 30 décembre 1393. 114. Est-ce qu’on pourrait reconnaître dans cette condotta le noyau de ce que Mestre deviendra au XVe siècle en tant que siège de l’implantation juive sur les Lagunes? Pourtant, au moins en ce qui concerne le cimetière, il y en avait déjà un à Venise: deux ne seraient-ils pas trop? Voir infra, p. 111. La condotta de Moïse est personnelle, mais admet l’activité d’un second prêteur, Bert judeus Lupi (alias Wolf) qui déclare: jurandum per fidem suam et per legem Moisey de calumpnia, qu’il avait encore à Venise pas mal de créances à récupérer. Canc. Inf., Notai, b. 96, notaire Pietro Gualfini, prot. 1393, 2 septembre 1393: voir infra, n. 136. Pour le testament qu’il fit rédiger à Trévise en 1397 avant de partir à Jérusalem, voir M. DAVIDE, «Il ruolo delle donne nelle comunità ebraiche dell’Italia nord-orientale (Padova, Treviso, Trieste e Friuli)», in G.M. VARANINI, R.C. MUELLER (éds.), Ebrei nella Terraferma veneta del Quattrocento, Quaderni di Reti Medievali, 2, Florence, 2005, p. 35. 115. Dans la condotta de Guglielmo da Modena et Moise di Vitale da Urbino, banquiers à Vérone, on lit: item quod neque episcopus neque inquisitor se intromitere possint in factis dictorum judeorum, sed solum dominus potestas Verone; item quod non possint molestare neque impedire observando ritus sue legis; item quod sibi liceat celebrare et festos dies facere in eorum domibus quando sibi placebit; il existait déjà un cimetière à «campomarcio» et un hospice pour les voyageurs; la viande devait leur être vendue au même prix qu’aux chrétiens. Archivio di Stato. Verona, Archivio Antico del Comune, reg. 9, fo 23 vo, 24 mai 1420. Voir infra, n. 118.

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apparaissent encore plus ambigües comparées à celles qui s’appliquaient à un pays des alentours, Lazise116, où le cimetière est autorisé, mais seulement en cas de nécessité, étant donné la durée limitée (cinq ans) de cette condotta. Un autre élément, caractéristique d’une condotta, est la façon dont le juif prêteur (car c’est bien de lui qu’il s’agit, faute d’une structure communautaire reconnue) doit être traité par la ville où il opère et par ses habitants: Mestre est le seul endroit où il est assimilé au citoyen (civis), sans pour autant être jamais vraiment défini comme tel117; à Vérone, et exclusivement à l’intérieur de la ville, les deux banquiers associés doivent être considérés comme des semblales (come i loro pari), sans avoir à subir des surprises désagréables118; tandis qu’à Lazise, souvent champ de bataille, le maximum que les autorités sont prêtes à leur promettre est de les assister comme tous les autres résidents (afin, évidemment, de nantir les gages déposés à leur banque)119. À mon avis, les expressions que nous venons de passer en revue définissent mieux que le taux d’intérêt agréé (appelé prode), la véritable condition des juifs; j’ajouterai que dans la réaction du gouvernement devant leur refus d’accepter certaines clauses financières se réflète la force contractuelle des prêteurs vis-à-vis des autorités au cours des phases différentes de leur présence en Vénétie. Considérons deux situations symboliques: en septembre 1385, en vue de l’échéance de la première condotta de cinq ans (le 21 février 1386/1387), le Sénat était disposé à donner suite aux demandes des prêteurs et à améliorer certains chapitres de leur condotta, de manière à encourager les juifs, qui sont déjà actifs à Venise et à en attirer d’autres120; 116. Item quod dicti judei possint custodire eorum festa, secundum eorum consuetudinem, sine aliqua impeditione, lit-on dans la condotta des frères Sabbato et Datolino di Vitale da Urbino (évidemment frères aussi du prêteur de Vérone, voir n. précédente), banquiers à Lazise. Ibid., fos 50 vo-51 ro, 7 août 1421. 117. Quod dictus Moyse tractetur pro cive, et, ut civis, possit emere omnia ei necessaria, où tractetur est ajouté en interligne à la place de teneatur, biffé. Canc. Inf., Notai, b. 96, notaire Pietro Gualfini, fo non daté (voir supra, n. 114). Dans cette même optique, la permission sera octroyée à Moyse d’acheter (emere) le cimetière, alors que de règle toute propriété de biens fonciers est défendue aux juifs. On pourrait citer comme définition optimale de leur status, ce qu’a été reconnu au juif de Négroponte, où il deberetur in omnibus tractari quemadmodum alii cives et fideles nostri, c’est-à-dire quod tractent dictos judeos secundum formam suorum privilegiorum. LEDUC (éd.), Venezia-Senato, op. cit., vol. 6, p. 295, doc. 536, 21 mai 1341. Voir infra, n. suivante. 118. Item quod dicti judei debeant tractari in civitate Verone prout alii pares tractantur et quod eis ultra solitum nichil innovetur. Voir supra, n. 115. 119. Item quod tempore guerre dictum commune et homines Lazisii teneantur et debeant tractare dictos judeos, sicut tractarent se aut ipsos, et sibi facere bonam societatem, et quod debeant bene fieri quod nulle persone de Lazisio debeant offendere dictos judeos aliquo modo, toto eorum posse. Voir supra, n. 116. 120. Senato. Misti, reg. 39, fo 143 vo, 1er septembre 1385.

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il en résultera un accord décennal, qui examine en profondeur les détails du prêt et glisse sur le status des contractants, tout en leur assurant un logement digne et la faculté de choisir leurs chefs (capita), responsables du maniement de la caisse121. Trois ans plus tard122, les autorités vénitiennes seront très peu satisfaites de leurs juifs qui ont choisi d’appliquer des taux à 8 et 10 %, respectivement avec ou sans gage, et l’ont préféré à celui de 10 et 12 %, qui impliquait une contribution de 4 000 ducats par an à la commune; ils ne sont pourtant pas satisfaits eux-mêmes (sicut sentitur clare et manifeste, dicti judei sunt indignati et turbati) et refusent d’avancer les moyens de paiement pour les galères qui doivent lever l’ancre pour les Flandres, bien qu’ils sachent qu’il s’agit là de quelque chose de vital pour l’État (est vita et salus terre nostre); ils en arrivent à faire entrevoir la possibilité de quitter la ville. Le Sénat prendra cette menace au sérieux et, tout en confirmant que sa préférence (sancta et justa et secundum Deum et equitatem et honorem nostre dominationis) serait plutôt de confier un rôle aux banquiers juifs dans le prêt aux personnes indigentes, il recherche d’autres solutions pour sa flotte123. La participation des juifs au système du crédit vénitien, qui avait connu son succès principal durant les dix ans de la première condotta, touchait 121. Sopraconsoli, b. 1, reg. 1, Capitolare, fo 66 vo, 24 novembre 1385. 122. Senato. Misti, reg. 40, fo 148 vo, 31 décembre 1388. 123. Dicitur quod judei nolunt mutuare denarios necessarios et ordinatos pro dictis galeis, secundum conditionem et pactum quod habent cum dominatione nostra pro habitando in hac terra, et dicatur quod non possunt recusare de mutuando, quia dicitur quod habunt in banchis et alibi magnam quantitatem denariorum et quod possunt bene mutuare, et patroni galearum Flandrie offerrant se de dando dictis judeis sufficientissimam plezariam vel pignus. Ibid., fo 149 ro, 5 janvier 1388/1389. Cette décision est approuvée, entre la fin de 1388 et le début de 1389, par de nombreux actes préalables à la clôture des banques (recouvrement de crédits, vente de gages aux enchères, etc.), car, de l’avis des prêteurs, il ne valait pas la peine de poursuivre cette activité. Sarra de Nuremberg le dit explicitement dans l’acte de procuration à Ansel specialiter, ad comparendum coram dominium et Consilium, et faciendum eam cancellari de libris suis, quod non iuvet [? «parchemin délavé»] amplius mutuare, et ad petendum et exigendum suos denarios et prode a communi. Canc. Inf., Notai, b. 168, notaire Marco Rafanelli, prot. perg., fo 48 ro, 7 janvier 1388/1389; voir aussi une série d’actes notariés du même genre, entre le 16 décembre 1388 et le 17 mars 1389, fo 44 ro-60 ro, passim, séparés par un emprunt de 126 livres accordé par Levi et sa sœur Gutele au patron d’une des galères, Zanino Gabriel, et un autre, tout à fait énorme, de 1000 ducats donné par le nobile Josep judeo [de Rothemburg] à Gasparino Morosini (qui avait failli gagner aux enchères une autre des galères), à condition de leur appliquer un prode annuel de 10 % s’ils n’étaient remboursés dans les six mois, ibid., fo 49 vo, 51 vo, 13 et 26 janvier 1388/1389. Senato. Misti, reg. 40, fos 142 ro-vo, 144 vo. Une question surgit tout de suite: y a-t-il un lien avec la condition des juifs ashkénazi, dont l’empereur venait d’annuler les crédits? À la requête de collaboration des conseillers de Nuremberg, Venise répondit avec orgueil que civitas nostra semper fuit libera et francha et sine ulla subiectione iusque est comuniter omnibus attributum, mais, concluait que, pour complaire au souverain, elle s’engageait à éviter que les débiteurs allemands des juifs ne soient harcelés. Senato. Misti, reg. 41, fo 17 ro, 13 octobre 1390. M. LATTES, «Gli Ebrei di Norimberga e la Repubblica di Venezia», Archivio veneto, 4, 1872, p. 151.

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à sa fin, car ils n’avaient pas répondu aux attentes de la société, et bien que renouvelée en 1388, il n’y avait plus de raison de s’attendre à un sursaut. Les juifs étaient appelés au secours lorsque leurs crédits pouvaient soulager les finances de l’État et d’une société en crise de moyen de subsistance. De plus, Venise va bientôt se remettre de la crise consécutive à la guerre de Chioggia. Avant l’échéance de la condotta, à quelques années de la fin du siècle, elle décidera de couper court avec ces banquiers qui lui étaient restés profondément étrangers: c’est pourquoi un décret contra judeos mettra subitement fin à toute leur activité de prêt, réservant aux seuls médecins la résidence en ville, en réduisant le séjour de tous les autres à quinze jours, et en les obligeant à porter ostensiblement le signe jaune, et barrant la route à tout membre du Conseil Majeur qui oserait exprimer une position différente124. L’année 1396 marque donc la fermeture des banques juives, mais pas des contestations avec les débiteurs chrétiens qui en avaient été les principaux bénéficiaires125. À la fin du XIVe siècle on signale également à Venise de nombreuses conversions, manifestation locale d’un phénomène plus général, qui touchait surtout les juifs non italiens126: deux des néophytes sont des vagabonds, deux sont originaires d’Espagne, un est un tailleur127; il y a même un novice, Dominicus de Francia olim ebreus, qui fait 124. Vadit pars quod, completo decem annorum, non possit predictis judeis amplius elongari dictus terminus, nec de novo concedi eisdem quod possint mutuare in Venetiis publice vel occulte, aliquo modo vel forma, ad uxuram. En marge: Contra judeos. Signori di notte al civil, b. 1bis, Capitolare, reg. A, fo 30 ro, 27 août 1394. Pour prendre la mesure de l’ambivalence politique vénitienne, revenons un instant à Vérone, où le podestà reçut du doge Tommaso Mocenigo en 1421 l’ordre de renvoyer les juifs s’ils n’acceptaient pas de réduire le taux d’intérêt à 20 % (possint ire pro factis suis, quia non sumus super inde dispositi aliter providere), mais, dès que la réaction des juifs fut connue (volebant inde recedere dicentes non posse fenerari tam parvo precio), on renonça à cette menace et le gouvernement se contenta de leur imposer le signe jaune, pour satisfaire tout au moins à une des demandes de la commune. Archivio di Stato. Verona, Archivio antico del Comune, reg. 9, fo 29 ro, 40 ro-vo, 90 ro, 10 avril, 30 mai 1421, 18 décembre 1422. 125. Sur l’ordre du doge, les Sopraconsoli (chargés de la surveillance des banques juives) devaient aider à clore les cas les plus délicats en matière de crédits: la réclamation de Moïse de France (du feu Josep, voir infra, n. 144) ou celle de Simon de Nuremberg, non obstante quod tempus judeorum sit ellapsum [in eo] quod ipsi judeo expetare possit ad agendum pro factis uxure, Sopraconsoli, b. 1, reg. 1, Capitolare, fos 66 ro, 67 vo, 26 juin 1397, 12 août 1398, 21 octobre 1402. 126. Le pape Urbain VI ordonnait à l’évêque de Côme Beltramo Borsano de baptiser nonnulli ex ipsis judeis de diversis partibus ad partes Italie accedentes qui le désireraient et seraient prêts à léguer leurs biens pour la récupération de la Terre sainte. SIMONSOHN, op. cit., I, p. 465-566, doc. 438, Rome, 18 novembre 1388. 127. Abraam Benedicti Salomonis, judeus de Ispania, vagabundus qui accepta de se convertir, prit le nom d’Agostino, et réussit ainsi à alléger sa condamnation. Signori di notte al criminal, reg. 12, fo 27 vo, 13 mai 1392. Michael Blaxius, qui fuit judeus, vagabondus, ibid., reg. 13, fo 42 ro, 16 février 1394. Jacobus sartor, qui dicitur de Recanato, sed natus est Ispanie, et fuit judeus. Ibid., reg. 12, fos 48 vo-50 vo, 4 avril- 6 juillet 1397.

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son testament avant d’entrer dans l’Ordre des frères prêcheurs au couvent de San Giovanni e Paolo de Venise128. Le seul signe visible de la brève présence de ces prêteurs réside dans le cimetière de San Nicolò del Lido dont avaient pris possession en 1386 Salomone de Openam (Oppenheim) et Crisanto de Spire au nom des ceterorum judeorum existentium et commorantium Venetiis129: faute d’une communauté structurée, leurs collègues s’engagèrent par la même formule, les uns de faire construire une palissade de protection contre les outrages aux morts, les autres d’arriver finalement à un arrangement avec les moines bénédictins, qui étaient réticents pour accepter des sépultures juives sur leurs terres130. Les autorités du gouvernement vénitien, ainsi qu’elles n’avaient pas voulu que soit créée une Universitas des banquiers juifs (ils avaient négocié dans ce but les conditions de prêt séparément pour chacune des banques), ne leur assigna jamais le quartier conforme à leurs exigences, prévu par les pactes de 1385131. C’est pourquoi jusqu’à la fin de cette tentative, on les verra habiter citra canal entre Santa Sofia et San Luca et ultra canal, à San Silvestro, Sant’Agostino et San Stin, avec une dispersion dans la ville dont nous ne retrouverons plus l’égale par la suite. L’histoire de l’arrivée à Venise d’une nouvelle vague de marchands allemands en 1381, rapportée par la Cronica de Caroldo, retiendra notre attention parce qu’elle offre une version officieuse, agréable pour les autorités du début du XVIe siècle, bien qu’elle ne soit pas confirmée par les documents132: le chroniqueur expose donc qu’au printemps de 1381, le gouvernement vénitien octroya des lettres patentes à l’envoyé du duc Léopold III 128. Not., Testamenti, b. 570, Bernardo Panza alias Gibellino, reg., doc. 22, 15 juillet 1398. 129. A. LUZZATTO (éd.), op. cit., I, p. 46; II, p. 555-557, doc. I-II, 25 septembre 1386. P. CANDIO, «L’antico cimitero ebraico del Lido nei contratti tra la comunità ebraica ed il monastero benedettino di S. Nicolò (XIV-XVIII secolo)», Ateneo Veneto, 178, 1991, p. 110113. Salomon d’Oppenheim, du feu Davit, est documenté à Venise entre 1385 et 1393, lorsqu’il est rentré en Allemagne, après une brève parenthèse à Vérone, vers 1389-1390; dans les mêmes années Crisano/Crisanto/Cresso de Spire séjourne à Venise. 130. A. LUZZATTO (éd.), op. cit., respectivement, p. 557, doc. III, 18 janvier 1389, propter enormia que fiebant ad corpora judeorum, où figurent Symon (de Nuremberg?) et Moyse; et p. 558-559, doc. IV, 27 février 1389, où apparaissent Symon et Salomon. La première tombe connue date de quelques mois plus tard: c’est la sépulture de Samuel fils de Simon, mort le 30 novembre 1389, ibid., p. 48. Toute tentative d’identification reste vaine à cause de la fréquence des mêmes noms dans les différentes familles. 131. Sopraconsoli, b. 1, reg. 1, Capitolare, fos 66 vo-67 vo, 24 novembre 1385 (per nos providebitur de stantia eorum, ita quod poterunt stare simul pro comodo eorum); ibid., 24 octobre 1388 (usque ad presens nil factum fuerit nec provisum, quod non est bene factum, quia ipsi judei non possunt stare peius sicut stant ad presens… faciat providere super hoc, ita quod ipsi judei stent insimul per se et separati ab aliis, in aliquo loco abili et sufficienti pro eorum stantia). 132. SIMONSFELD, op. cit., reste une source digne de foi.

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d’Autriche, venu prendre possession de Trévise133, aussi bien qu’une charte de sauvegarde sur tous les commerçants et sujets (etiandio per tutti li mercatanti et sudditi) du duc et de son frère Albert III de Bavière qui désireraient se rendre à Venise avec leurs marchandises (poter venire liberamente a Venetia et stare et partire con le mercantie et robbe a loro beneplacito). Pas un mot des juifs (du reste, c’était une question délicate à soulever à si peu de temps du rassemblement des juifs dans le ghetto tout récemment créé)134; ce qui n’empêche qu’on pourrait les imaginer en tant que servi Camerae, compris sous l’expression de sujets (sudditi); a fortiori si on considère que les premières condotte et les témoignages initiaux de leur activité effective sur les Lagunes remontent précisément à cette année-là. Faute de noms de famille, ces prêteurs se distinguent par l’indication de leur lieu d’origine; ils proviennent presque toujours des villes de l’Allemagne d’aujourd’hui, alors sous la souveraineté des Habsbourg135, mais il y a aussi un Ber de Zurich136 et un Moïse de Strasbourg (de feu Samuel): il s’agit toujours de teutonici, placés sous la haute sauvegarde impériale137; 133. Pendant la guerre de Chioggia, les seigneurs de Padoue puis les Autrichiens occupèrent Trévise, mais ce ne fut que pour peu de temps. 134. Biblioteca Nazionale Marciana, Cod. Marc. VII, 128A (= 8639). La rédaction de la Cronica remonte au début des années 20 du XVIe siècle. DBI, 20, 1977, p. 516. Sur son auteur, Gian Jacopo Caroldo, et sa perspective politique, voir L. ARCANGELI, «Appunti su guelfi e ghibellini in Lombardia nelle guerre d’Italia (1494-1530)», in M. GENTILE (ed.), Guelfi e ghibellini nell’Italia del Rinascimento, Viella, 2005, p. 412-414. 135. Une lettre de l’empereur adressée au doge concernant la position débitrice de ses vassaux et sujets indique les régions dont ces juifs sont originaires: judei certarum terrarum suarum [de Wenceslaw du Luxemburg], videlicet Franconie, Bavarie et Suevie». Senato. Misti, reg. 41, fo 117 ro, 13 octobre 1390. Voir supra, n. 123. 136. Un manuscrit de Jérémie et d’Ézéchiel fut vendu par Ber de Zurich, alias Issachar ben Moshé, à un certain Moshé ben Joseph à Venise en 1416, selon le colophon du Ms. Parme 1880 (Catalogue de Rossi, 409), signalé par ASHTOR, «Gli inizi della Comunità», art. cit., p. 698. Il signale également (ibid.) un recueil de textes de la kabbale copié par Abram ben Isac ha-Jerushalmi à Venise en 1393 (Bibliothèque Lénine, Catalogue Sachs, 606): c’est le même Abram qui agit comme procureur de Simon de Nuremberg à Venise le 5 septembre 1393 et qui pourrait être lié à Simon de Jérusalem, habitant à Vicence en 1389. Canc. Inf., Notai, b. 169, notaire Marco Rafanelli, fo 54 ro, 16 février 1388/1389, 5 septembre 1393. Voir supra, n. 114. 137. La liste des provenances que la recherche continue d’enrichir comprend Cologne, Miltenberg (am Main), Neumarkt (in der Oberpfalz), Nuremberg, Oppenheim, Rothenburg (ob der Tauber), Seligenstadt (am Main), Spire et Ulm; il y a aussi deux localités difficiles à identifier: Mitvarch (Mittenwald, au sud de Munich?) et Odervan/Odenam/Ordean (Heidenham, un peu au nord d’Ulm?): Germania Judaica, II-III, Tübingen, 1968, 1995, reste l’utensile essentiel à consulter pour les années 1238-1519. A. VERONESE, «Mobilità, migrazioni e presenza ebraica a Trieste nei secoli XIV e XV», in Scritti per Arnaldi, op. cit., p. 554) mentionne un certain Mosé da Strasburgo, actif à Capodistria/Koper en 1398 et, sous l’autorité des rédacteurs de Germania Judaica, place la ville en Autriche (un peu au nord de Klagenfurt) et non en Alsace. Est-il soit homonyme ou le même qui est actif à Venise en 1385 et en 1389?

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le seul banquier dont nous connaissions le nom de famille, est Isac Levi de Rothenburg, souvent dit Levi judeus. L’allemand prévaut dans les prénoms de ces banquiers (Aberlich, Ansel, Ber, Gotman/Bonhomo/Tobia, Manno, Selicman, Vivis, Volf/Lupus) et de leurs femmes (Alegra/Frand, Guothele, Rethilen). Ces femmes, à différence de leurs correspondantes italiennes — des recherches très récentes le soulignent138 —, jouent un rôle actif et autonome dans les affaires de famille; elles gèrent des banques et maintiennent leur contrôle sur leurs biens personnels: Rethilen mourut sans avoir réussi à recouvrer 200 ducats qu’elle avait prêtés au gouvernement vénitien en détresse, à la suite de la révolte de Candie139; nobilis dona Dolze — de la famille de Rothenburg, comme Rethilen — sera créancière de plusieurs patriciens140; Guothele sera titulaire de la banque de prêt au même titre que son frère Isac Levi141; et Pessilinc, membre d’une des familles les plus prestigieuses, succédera à son mari Moyse d’Oppenheim dans leur banque142. Il est évident que les rabbins de cette société devaient appartenir à la même tradition religieuse. En fait, bien que jamais il n’y ait eu une communauté proprement dite, il y eut certainement, au moins dans les années d’épanouissement de cette implantation, une structure religieuse: nous connaissons les noms des membres du tribunal rabbinique qui eut à connaître d’un litige opposant deux Ashkenazim: il était présidé par «magister Salicheman de feu Juda», défini in lege ebrea doctor, et comprenait deux autres membres, Elei/Elie de feu Gozalch et Moïse de feu Josep Conolenz (Coblenz), définis magistri in ebrea lege: tous les trois habitaient à Venise (mais sans indication d’adresse précise)143. Il faut aussi consulter A. BEIDER, «The Birth of Yiddish and the Paradigm of the Rhenish Origin of the Ashkenazic Jews», Revue des études juives, 163, 2004, p. 228-229, surtout en matière d’onomastique en Rhénanie et Franconie (Anshel, Lipman, etc.). 138. DAVIDE, «Il ruolo delle donne», art. cit., p. 31-43. 139. Canc. Inf., Notai, b. 40, notaire Andrea Cristiani, prot. V, fo 48 ro, 28 juin 1386. Son fils et héritier, Per de Rotimborc teotonicus judeus, habitait à Venise, tandis que sa mère était demeurée à Candie. 140. Ibid., b. 168, notaire Marco Rafanelli, prot. perg., fo 11 vo, 5 mai 1388: un des emprunts, de 150 ducats, est à intérêt de 10 %. 141. Ibid., fo 49 vo, 13 janvier 1389. 142. Ibid., fo 44 vo, 18 décembre 1388. 143. Ibid., b. 36, notaire Giovanni Campio (prêtre de san Cancian), reg. 1363-1417, fo 83 vo, 17 août 1386. Salamon qd. David de Openheim était membre du beth-din et aussi un «laïc». Les quatre juges devaient émettre, dans les 60 jours, leur sentence dans un litige entre Aberliz de Olmücz (malgré l’assonance avec Olomouc [Tchécoslovaquie], j’ai des raisons de croire qu’il s’agit d’Ulm, d’où venaient les frères Manno et Aberlin, qui seront ensuite banquiers à Vicence) et Jacob d’Ingolstadt (haute Bavière), qui demeuraient à san Cassian les uns et l’autre, à sant’Aponal; les temoins de l’acte sont un prêtre de l’église de san Martino (près

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Caroldo dans sa Cronica nous a proposé une explication pour l’arrivée des Allemands; mais à Venise vivaient aussi deux familles d’origine différente, simplement définies l’une de Francia144, et l’autre de Yspania dont nous ignorons les vicissitudes et les itinéraires qui les avaient conduits jusque sur les Lagunes. Reste que, dans le premier cas, depuis 1380, des émeutes antijuives se succédèrent contre les rares communautés qui avaient survécu à la première expulsion (l’expulsion définitive sera décrétée par Charles VI de Valois en septembre 1391)145 et dans le second, avait sévi, en 1391, la persécution qui aurait été à l’origine du phénomène des conversos. Salomone de Samuele d’Espagne arrive trop tard. Venise s’est déjà libérée de ses prêteurs juifs. Il devra se réfugier à Mestre (qui était alors une petite ville, régie par un podestà vénitien)146 où il va être associé à Moïse de France qui s’était entre-temps installé à Trévise, mais sans perdre l’intitulé de la banque de Mestre. Il faudra revenir sur la dispersion des banquiers allemands, dès que la documentation sera plus riche en la matière et permettra de dresser une liste de leurs nouveaux refuges. Certains sont rentrés en Allemagne, d’autres se sont transférés dans le duché de Milan, d’autres encore dans les seigneuries de la vallée du Pô. Reste qu’on pourrait remarquer qu’à Venise s’est vérifiée une succession de groupements juifs, ce qui rappelle de près la distinction de l’Arsenal) et l’écrivain de la prison. À remarquer que selon Germania Judaica, II.1, p. 376, il n’y avait plus de juifs à Ingolstadt depuis 1358. Selon CARPI, L’individuo e la collettività, op. cit., p. 114, Moïse de Coblenz était associé avec une des banques de Padoue. 144. Il s’agit de Moise di Joseph Franzos et de Lexer/Lezer (Léazard), fils di magister Moise de Francia, actif à Venise en 1389. Moïse, que nous avons déjà rencontré comme banquier à Mestre, avait vécu en 1393 à Trévise, ensuite à Venise, avant de s’installer à Mestre où il sera finalement associé avec Salomon di Samuel de Yspania et connu comme mag.r Moyses Franzos. Sopraconsoli, b. 1, reg. 1, Capitolare, fo 66 vo, 14 mars 1402; Canc. Inf., Notai, b. 169, notaire Marco Rafanelli, prot., 18 août 1393; ibid., b. 167, notaire Leone da Rovolone, fasc. 3, fo 393 ro, 400 vo, 21 juillet 1400, 23 février 1401. Pourtant, on risque ici un cas d’homonymie car il y a un magister Moïse de France qui fut doctor in litera ebraica à Padoue à partir de 1399, avec lequel Yohanan de Trèves entra en polémique, accusant les juifs de cette ville-là de vivre dans «un endroit où l’on ne connaît pas ceux de l’exil de France ni ne distingue le puissant du pauvre». Biblioteca Laurenziana. Florence, Plut. 88.18, in R. KOHN, Les juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du XIVe siècle, Louvain-Paris, 1988, p. 272. Sur ce personnage et les homonymies, CARPI, L’individuo e la collettività, op. cit., p. 160-161. Voir supra, n. 114. 145. KOHN, op. cit., particulièrement p. 264. 146. Son activité dans la region est attestée jusqu’en 1430; dans les sources de Padoue, il figure comme médecin, ainsi que l’avait été son père, donnée qui n’apparaît pas dans la documentation vénitienne. On se demande s’il serait possible de l’identifier avec ce Salamone Sansono di Vinegia qui, en 1391-1392, envoyait de Barcelone deux balles de livres hébreux sauvées de la dévastation des communautés juives: en ce cas, il vivait déjà sur les Lagunes dans les années 80 du XIVe siècle (la correspondance Shemuel/Shim‘on est fréquente). CARPI, L’individuo e la collettività, op. cit., p. 208-209. R. MUELLER, «The Jewish Moneylenders of Late Trecento Venice: a Revisitation», Mediterranean Historical Review, 10, 1995, p. 212.

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dessinée par Simon Schwarzfuchs147 entre les juifs de Provenzia-Occitanie et de Tsarfat-France du Nord. La première est la phase des médecins, entre le XIIIe et le XIVe siècle, liée — au moins dans le domaine scientifique — à Montpellier (voir Jacob ben Elia); la seconde est représentée par les banquiers allemands de la fin du siècle, qui sont originaires de la Rhénanie et du pays mosan. En conclusion du chapitre sur l’activité des prêteurs juifs à Venise, rappelons la première nouvelle de la quatrième journée d’Il Pecorone148 dans laquelle est relaté, sur un ton haineux, l’échec du projet d’un usurier giudeo149 de se faire rembourser en chair humaine un crédit qu’il avait accordé au marchand le plus riche de Venise, réduit à la misère par son filleul bienaimé. Dans la description du juif apparaissent déjà tous les clichés qui vont le caractériser pendant des siècles, et pas seulement dans la littérature italienne: l’attitude implacable à l’égard des pauvres, le contrat inique qu’il arrache à une personne en difficulté économique, le tour que lui joue une justice qu’il ne voudrait pas accepter, le sang du chrétien qu’il «suce» (ou qu’il est prêt à sucer, sans souci), de façon réelle et au sens métaphorique. L’œuvre attribuée à ser Giovanni fiorentino fut écrite entre 1378 et 1385: à Mestre il y avait, peut-être, déjà une banque juive; il y en eut une certainement dans les annés 90150; en tout cas, la ville avait acquis désormais un rôle économique et financier remarquable, que favorisait sa position géographique. Certes, vers la moitié des années 60, de nombreux foeneratores 147. «L’opposition Tsarfat-Provence: la formation du judaïsme du nord de la France», in G. NAHON, C. TOUATI (éds.), Hommage à Georges Vajda. Études d’histoire et de pensée juives, Louvain, 1980, p. 142-143. 148. E. ESPOSITO (éd.), Ser Giovanni, Il Pecorone, Classici minori italiani, 1, Ravenne, 1974, p. XXVII-XXVIII, 108-115. Sur cet argument, je renvoie à U. FORTIS, «Tra i nipoti di Shylock. L’usuraio ebreo nella letteratura dell’Italia liberale», in Id. (éd.), Dall’antigiudaismo all’antisemitismo, II, L’antisemitismo moderno e contemporaneo, Turin, 2004, p. 135-136, où l’auteur remarque que dans le Pecorone filtre «pour la première fois, dans sa version la plus sombre» la figure classique du juif usurier et extrêmement riche qui, en garantie d’un emprunt de dix mille florins d’or, prétend «enlever une livre de chair à son plaisir (di qualunque luogo e’ volesse)» à messer Ansaldo Veneziano qui avait fait recours à ses services. 149. Il faut souligner la signification que ser Giovanni attribue au mot giudeo dans les vers publiés dans l’Appendice à son Pecorone, op. cit.: dans un cas, il prend le sense de traître (traditore), dans l’autre de cruel et d’impitoyable (crudele, spietato), ibid., XI, vers 7, p. 583, et XXVI, vers 10, p. 598, respectivement. 150. Voir supra, n. 124. À la fin de 1393, il y avait deux banquiers que nous connaissons déjà, Bert de Rothemberg et Moïse de France, les deux sont définis feneratores, l’un avec la précision judeo et l’autre ebreo. Ils viennent de Trévise dont pourtant Moïse est encore occasionellement appelé l’habitant (voir supra, n. 113). Canc. Inf., Notai, b. 169, notaire Marco Rafanelli, prot., 18 août 1393, 23 septembre, 6 novembre 1394; b. 96, notaire Pietro Gualfini, prot. 1393, passim, spécialement 12 septembre et 30 décembre 1393. Déjà signalés par MUELLER, «Les prêteurs juifs», art. cit., p. 1301.

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dantes ad usuram y étaient actifs; cette formulation n’excluait pas qu’il pût s’y trouver des juifs co-intéressés dans ces nouvelles banques, qui offraient des conditions de prêt particulièrement favorables à la clientèle locale151. Ajoutons, de plus, que le sarcasme, dont est pénétré le conte, découle du ressentiment des compatriotes de ser Giovanni, les banquiers par antonomase, c’est-à-dire les «Toscans», sapés par la concurrence locale et éloignés de l’État vénitien, avec des motivations d’ordre politique encore plus qu’économique. Sans compter qu’en Toscane, les banques de prêt que les juifs ouvraient à la même époque à Lucques152, glissaient sur l’aspect religieux. Pourrions-nous, en conclusion provisoire d’une recherche en cours, proposer par hypotèse qu’une «question juive» se pose à Venise pour la première fois à la fin du XIVe siècle, car les prêteurs ashkenazis se sont montrés insuffisants à résoudre le problème de l’usure (et de la pauvreté), pour lequel on avait cru pouvoir compter sur eux? Renata SEGRE [email protected]

151. En fait, les conditions financières plus favorables en matière de crédit offertes par les concurrents, qui essayaient de remplacer les banquiers déjà actifs à Mestre, se retrouvent dans une certaine mesure dans les réglements des prêteurs juifs allemands des vingt dernières années du XIVe siècle. MC. Deliberazioni, reg. 20, fos 265 ro-266 ro, 27 juin 1366. 152. M. LUZZATI, «Paolo Guinigi e il consolidarsi del prestito ebraico in Lucca», in Atti del Convegno “Paolo Guinigi e il suo tempo”, Quaderni Lucchesi di studi sul Medioevo e sul Rinascimento, 4, janvier-décembre 2003, p. 200, souligne que l’implantation des banquiers juifs à Lucques eut lieu «en sourdine». Précisément dans la période où ser Giovanni est censé avoir écrit son œuvre avait surgi une grave tension avec les Anconitans car ils bloquaient les fournitures vénitiennes de marchandises provenant de Florence et de Sienne et embarquées à Fano en direction du Nord.

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Elisabeth HOLLENDER Ruhr-Universität Bochum Jannis NIEHOFF-PANAGIOTIS Freie Universität Berlin

MAHZOR ROMANIA AND THE JUDEO-GREEK HYMN ÊENAS O KURIOS INTRODUCTION, CRITICAL EDITION, AND COMMENTARY ‫לזכרון קהילות יון‬ Stj mnßmj twn Ebraíwn tjv Elládav

RÉSUMÉ Cet article étudie la poésie judéo-grecque comme un aspect du patrimoine culturel romaniote. Il s’interroge sur les particularités de cette identité et sur leur survie après la perturbation massive qui a touché l’Empire byzantin et ses communautés juives en 1204. L’hymne ∏nav ö kúriov, comme d’autres textes judéo-grecs postérieurs, peut être rattaché à une couche linguistique du grec moderne, antérieure à sa normalisation au XIXe et au XXe siècles. Nous donnons ici une édition critique de l’hymne, accompagnée d’un commentaire linguistique, d’une traduction en anglais ainsi que d’une brève analyse des sources juives traditionnelles où il puise l’essentiel de sa matière. SUMMARY This article discusses the phenomenon of Judeo-Greek liturgical poetry as part of the Romaniote cultural heritage. The questions raised in it are how were the specifics of Romaniote identity shaped and transformed and, ultimately, how did it survive the massive impact of external knowledge that streamed into the Byzantine Empire and its Jewish communities after 1204? Using the hymn ∏nav ö kúriov as an example, later Judeo-Greek texts are identified as belonging to a Modern Greek linguistic stratum before normalization. An edition of the hymn and linguistic commentary of its text are accompanied by an English translation and a brief commentary that points out the traditional Jewish sources that underlie most of its content. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 117-171. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126642

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Introduction The purpose of this article is a scholarly edition of a Judeo-Greek poetic text that was used in the Romaniote communities of Corfu and Ioannina (and probably in other Romaniote communities although all textual witnesses extant were copied in Corfu or Ioannina). The edition is accompanied by two commentaries: a linguistic commentary placing the text within the tradition of Modern Greek dialects, and a commentary on the contents that traces the sources of the text within Jewish tradition. This interdisciplinary approach requires a clarification of terminology and presuppositions about the material treated. In this paper we use the term “Romaniote” (derived from Modern Greek: Romaniotes) to denote almost all Greek speaking communities — even if they mainly wrote Hebrew — of the former Byzantine Empire after Heraclius I (610-641), that is: the Greek mainland, the islands, Asia Minor, and Constantinople.1 This denomination claims the whole Byzantine-Greek heritage as Romaniote, a usage which is to be established in contrast to previous research.2 We claim and will prove in this paper the continuity of linguistic and cultural transmissions in the Romaniote communities that is first attested in texts transmitted in the Genizah and outlived the Byzantine Empire by several centuries, lasting at least until the destruction of the Jewish communities of Greece in 1944. Throughout time and place the main characteristics of the Romaniote communities was (and is) their active use of Greek, which they speak and also write, usually in Hebrew characters, and their adherence to a specific liturgical rite, the Minhag Romania.3 The self-identifying name of these communities is clearly a derivation from ¨Rwmanía (Romanía), i.e. the old self-designation of the Byzantine Empire during the Middle Ages.4 After the 1. Southern Italy, though participating in Byzantine culture, is a special case and has to be treated separately. 2. J. Starr chose the term “Romania” as title of his book on the “Jewries of the Levant after the Fourth Crusade,” (Paris, 1949). This designation of the Jews of the former Byzantine Empire mirrors the tendency to name Jewish communities after the political units they live in. 3. The historical development in Corfu was different, since Italian Jews made up a large part of the Jewish population already in the 13th century. The Greek-speaking community in Corfu used a rite (Minhag Corfu) that is a variant of Minhag Romania and we will treat JudeoGreek texts from Corfu as belonging to the Romaniote tradition. 4. This was clearly a popular word, derived from Latin Romania, but accentuated on the paenultima as usual in Greek. While in Greek its use is restricted to texts like the medieval epic Digenis Akritas, the Latin word survives only sporadically, normally in regions like the Emilia Romagna (which stayed for a long time under Byzantine domination); the name for the modern Balkan state thus derives from Greek, as the accentuation shows.

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breaking up of the Byzantine Empire in 1204, Italian immigration into the communities started to change their character, and when the Ottoman Sultan invited large groups of Sephardic Jews to settle in his empire after 1492, these immigrants brought their own traditions and cultures and in many places succeeded in replacing the Romaniote tradition and liturgy with their Sephardic heritage. The given picture of the Jewish affiliations on the map of the former Byzantine then Ottoman Empire thus is the result of a complex process beginning with the Fourth Crusade (1204) and the subsequent migration of non-Romaniote Jews into the fragmented Byzantine Empire which reached its peak with the massive transfer of Sephardic population at the turn of the 15th century. The result of these very complex acculturational exchanges is the subsequent disappearing of most of the communities with a distinctive Romaniote identity and the retreat of Romaniote Judaism into the former provincial towns of western Greece. The main centre of the Romaniotes since the Ottoman times and until the present day is Ioannina (a medieval town in NW Greece, 80 km from the Albanian border), but there were important Romaniote communities also in Patras, Larissa, Arta, Corfu, Volos and Halkis (Euboia). The map of the division shows a certain coincidence with the extension of the medieval “Despotate of Epiros”, one of the “successor states” of the Empire after the Fourth Crusade — a connection that cannot be discussed here. As a result, the Romaniote communities were pushed out off most of the major centers of Late Byzantine/Ottoman economic and cultural activities — mostly through assimilation to the Sephardim. M. Rozen has described this process in her beautiful book for the most prominent city, the city of all cities: Constantinople-Istanbul,5 but comparable developments can be supposed to have taken place in comparable cities where a Byzantine Jewish community of probably Romaniote character can be assumed (e.g. Smyrna and Thessaloniki), where in Ottoman times distinctive Sephardic or Italian communities existed.6 As far as the historical-liturgical framework is concerned, Minhag Romania was known and described by early scholars of Jewish liturgy, yet the 5. M. ROZEN, A History of the Jewish Community in Istanbul. The Formative Years, 14531566, Leiden 2002, reviewed recently by J. NIEHOFF-PANAGIOTIDIS in SOF 63/64 (2004/2005), pp. 686-688. 6. Due to a lack of accessible sources it is virtually impossible to make any statements about the cultural identity of the late medieval and modern Karaite community of Constantinople/Istanbul where Greek is in an archaic form. As for the early medieval Karaite community, cf. Z. ANKORI, Karaites in Byzantium. The Formative Years, 970-1100, New York, Jerusalem 1959 (especially pp. 417-452). Hopefully the Annotated Karaite Bibliography to be published by B. WALFISH will help to establish research into later Byzantine Karaism and its cultural identity.

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material remnants of this Minhag are few.7 Daniel Goldschmidt assumed that the number of communities using the Minhag dwindled to such low numbers, that the preparation of separate prayerbooks was not necessary, that in fact Minhag Romania had been used mainly by the Jews of Constantinople, who adopted the Sephardic rite after the 16th century, since the majority of this community then consisted of Sephardim.8 But Goldschmidt himself pointed to the diversity of prayer rites used by the Jews of the Byzantine and Ottoman Empires. Among the Romaniote communities adhering to Minhag Romania during the 19th and early 20th century, Corfu had, in addition to its Romaniote community, also an Italian and a Sephardic community. Arta, Halkis and Patras had small communities only, but the number of Jews in Ioannina was substantial and two synagogues were in use until the Nazis deported the Ioannina Jews in March 1944. In scholarship, the Romaniotes remain among the most neglected Jewish communities, even if this situation seems to improve in more recent years. The reasons for this almost complete silence of the scholarly world are partly historical and partly the result of traditional scholarly approaches. Most important among the historical reasons is probably the scarcity of textual testimonies about the culture of the Romaniotes available to modern scholarship. Even with the splendid tools available, e.g. the catalogue of the Institute of Microfilmed Hebrew Manuscripts (IMHM) at the Jewish National and University Library, Jerusalem (JNUL), it is still impossible to estimate the number of Hebrew manuscripts produced within the borders of the Byzantine Empire that have come down to us. For some years now paleographers at the Hebrew Paleography Project at the JNUL are able to discern Byzantine handwriting from other Medieval Hebrew scripts,9 but it is most likely that not all extant Byzantine manuscripts have been identified as such.10 On the other hand, a substantial part of European Hebrew manuscripts from 7. More than 30 years ago Daniel Goldschmidt described the known printed editions and manuscripts: D. GOLDSCHMIDT, ‫מחזור רומניא ומנהגו‬, in ‫ספר זכרון ליצחק בן־צבי‬, Jerusalem 1964, vol. I, pp. 205-236; ID., ‫מחזורים כמנהג קהילות יוון‬, Sefunot 13 (1971-1978), pp. 103-190. Only a few additional witnesses of this Minhag can be added after the eastern European collections of Hebrew manuscripts were made available to the scholarly world. 8. But cf. now the aforementioned book by M. Rozen on the complicated history of the “Sepharadization” of the Constantinople community. 9. Out of the more than 80,000 items catalogued at the IMHM, slightly more than 2,900 are catalogued as being written in Byzantine script, including Byzantine Karaite manuscripts. They date from the 13th to the 18th century and cover a range of known texts and documentary evidence. 10. Sometimes fortuity has a hand in identifying Byzantine manuscripts, as in the case of St Petersburg Ms Evr IIa 157/1 which was identified by Edna ENGEL (Jerusalem) for Ulrich Berzbach, “The Textual Witnesses of the Midrash Seder Eliyahu Zu†a. An initial survey,” Frankfurter Judaistische Beiträge 31 (2005), p. 65.

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the Middle Ages have come down to us because they were taken away from their Jewish owners and placed in Christian collections of books and manuscripts. This was in fact the way towards preservation, since most of these collections survived the ups and downs of history, basically without damage, and the Hebrew manuscripts did not suffer from extended usage. This way of preservation was less often available for Hebrew manuscripts within the borders of the Byzantine Empire. Persecutions of Jewish writings did not take place. More manuscripts stayed in Jewish hands, were used until illegible and then buried, and are therefore not available to modern scholars.11 In addition, a major shift in Jewish culture took place when the Ottoman Sultan invited Sephardic Jews into his realms after 1492 (v. supr.). These immigrants, who brought their own language (Judeo-Spanish) and traditions, were rightfully proud of their cultural heritage and brought it with them, including many genres of Hebrew literature. In most parts of the Ottoman Empire the Sephardic communities became the dominant Jewish culture and the Romaniote Jews assimilated into these communities. The interest in texts that were influenced by the Byzantine culture surrounding earlier Romaniote Judaism must have been less: these texts were not copied any more and used copies were buried and left no trace to posteriority. Since it is impossible to argue ex absentia, we simply do not know much about the literature and culture of Jews in the Byzantine Empire. The restrictions on scholarly interest caused by traditional attitude vary from discipline to discipline. The classicists do not occupy themselves with Byzantium at all; the Byzantinists’ and Neohellenists’ attitude can best be described as “hellenocentrism”; Judaism as a minority was hardly ever the focus of their studies. Western historians have eliminated Byzantine history and culture from the mental map of European history. Christian theologians concentrate almost exclusively on Jewish-Greek interaction before and after the rise of Christianity and lose interest in this matter after the reign of Constantine at the latest. Even Jewish Studies seem to have almost completely neglected the Romaniotes, even though Byzantine Eretz Israel has returned to the focus of scholarship in recent years. Part of this may be caused by the different attitudes towards the writing of Jewish history: whereas Heinrich Graetz tried to write a kind of synchronous history of Jewish communities everywhere and therefore placed his knowledge on Jews in the Byzantine Empire in between the parts of his Geschichte der Juden dealing with Jews in other places at the same time, Simon Dubnow 11. A complete review of Hebrew manuscripts in collections in the territory formerly occupied by the Byzantine Empire has not yet been undertaken. There is no doubt that some libraries do own Hebrew manuscripts, and a thorough search might yield material for further studies of the Romaniote culture.

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had introduced an historiography that focused on the centers of Jewish culture and claimed that at any given time one or two of these centers had a kind of cultural dominance and hegemony over the other Jewish communities. According to this historiography, no Jewish community in the Byzantine Empire after the Islamic conquest of Jerusalem was a dominant center of Jewish culture. But the aforementioned lack of sources is probably the more important reason. The ever growing research on the Greek speaking Jews of Hellenistic, Roman and Late Antiquity has been able to show an intense Greek Jewish mutual acculturation (comparable to the convivencia of Muslims, Jews and Christians in medieval Muslim Spain) both in Eretz Israel and in the Jewish Diaspora, e.g. in Alexandria. In recent years, scholarly interest in the time between Constantine and the Arab conquest (634) has grown in Jewish studies, and this period, termed “Byzantine period” will most probably continue to be researched thoroughly.12 On the other hand, no unifying term and hardly any research exists for the Jewish history and culture in the Byzantine Empire after Heraclius, not to mention the three states that inherited much of the Byzantine Empire’s geographical and cultural identity after 1204.13 Byzantinists, on the other side, usually deal only with Greek (that is Christian) antiJewish polemics, displaying in their works sometimes a baffling ignorance of the Jews’ own voice and the developments inside the Jewish community of Byzantium. Cross-cultural study is extremely rare. There is however, from an anthropological side, useful material for the present day culture of the Romaniote Jews. In recent years, in Greece itself, the painful process of remembering has started, giving fruit to some important, however not always scholarly books.14 They provide, however, important material for the reconstruction of the now almost lost culture of the Romaniotes and pieces of oral history. 12. Cf. e.g. the recent research group on Byzantine Jewish culture at the Scholion Research Center of the Hebrew University, Jerusalem, headed by Guy Stroumsa, bringing together young researchers from different fields (archaeology, history, textual studies) who jointly research Jewish culture in Byzantine Eretz Israel. 13. Exceptions to this rule are two monographs by J. STARR (The Jews in the Byzantine Empire, 641-1204, 1939, and Romania. The Jewries of the Levant after the Fourth Crusade, 1949), two monographs and several articles by A. SHARF (Byzantine Jewry: From Justinian to the Fourth Crusade, 1971; Jews and Other Minorities in Byzantium, 1995) and a monograph and several articles by S. BOWMAN (The Jews in Byzantium, 1261-1453, 1985). Starr and Bowman deal almost exclusively with Jewish history in Byzantine. N. DE LANGE, Greek Jewish Texts from the Cairo Genizah, Tübingen, 1996, did edit texts written by Romaniotes, but unfortunately refrained from analyzing the culture behind these texts. Also cf. ID., “Jewish Education in the Byzantine Empire in the Twelfth Century,” in Jewish Education and Learning, Chur, 1994, pp. 115–128; ID., “Hebraism and Hellenism: The Case of Byzantine Jewry”, Poetics Today 19 (1998), pp. 129–145. 14. Cf. e.g. R. DALVEN, The Jews of Ioannina, Philadelphia, 1990.

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In this paper, we shall deal with only one aspect of Romaniote culture, the Greek literature of the Romaniotes, a cross-cultural literature to be located between the Jewish experience of these groups and the language of their surroundings, i.e. the Greek speaking culture of the Eastern Mediterranean. While there are some substantial publications on the medieval Romaniote communities15 — mostly from an historical standpoint and sometimes outdated — this literary aspect of Jewish-Greek acculturation is by far underesteemed. Judeo-Greek literature is among the most unknown medieval/early modern literatures in Europe. This is probably due to the quite remarkable kind of early Modern Greek the texts are written in, a language that specialists in Jewish Studies usually don’t understand, while scholars of (later) Byzantine literature and Modern Greek don’t know enough Hebrew to understand the contexts the Judeo-Greek texts are transmitted in. The cooperation of a specialist in Byzantine and Modern Greek language and literature and a specialist of Medieval Hebrew liturgical poetry addresses this difficulty. Defining Judeo-Greek literature has never been undertaken, even if her existence was more postulated than investigated as early as 1925 by D.S. Blondheim.16 But in this paper, we will use this term in a — purely methodological — contrast to Judeo-Hellenistic literature as follows: it is the whole range of texts in which Greek appears textually (thus excluding rabbinic loanwords) written in Hebrew characters. The oldest of these texts go back to Late Antiquity and are difficult to interpret; the bulk of them appears for the first time in the Cairo Genizah.17 Another mass of texts of a 15. The old, but still very useful article by N. BEES: “Übersicht über die Geschichte der Juden von Jannina,” BNJ 2 (1921), pp. 159-177, is a good example for a regional, city-centered study with a broad historical perspective. Cf. Also G. PRINZING, “Zu den Minderheiten in der Mäanderregion während der Übergangsepoche von der byzantinischen zur seldschukisch-türkischen Herrschaft (11.Jhd.-Anfang 14. Jhd.),” in Ethnische und religiöse Minderheiten in Kleinasien, ed. by P. Herz/J. Kobes, Wiesbaden 1998, pp. 180-198. The study by D. JACOBY, “Les quartiers Juifs de Constantinople à l’époque Byzantine,” Byzantion 37 (1967), pp. 168-183, is centred on Jewish settlement in Constantinople. 16. D. S. BLONDHEIM, Les parlers Judeo-Romanes et la Vetus Latina. Étude sur les rapports entre les traductions bibliques en langue romane des Juifs au Moyen Âge et les anciennes versions, Paris, 1925, p. 157-170, based his stringent and lucid argumenation on a range of only few texts known at that time, e.g. the fragmentary translation of Kohelet from the Cairo Genizah (10th century, but the text is surely older) and the printed Pentateuch of Constantinople (1547). He compared the vernacular Greek renderings of Hebrew words in these Romaniote texts to the older renderings in the Septuagint, Aquila, etc. and saw, already in 1925, that we have to assume a continuity of rendering central concepts of Judaism with Greek words from the Septuagint up to the 16th century. Some examples of this continuity are treated below in the philological commentary. 17. Cf. N. DE LANGE, Greek Jewish Texts from the Cairo Genizah, Tübingen, 1996; J. NIEHOFF-PANAGIOTIDIS, “Byzantinische Lebenswelt und rabbinische Hermeneutik,” Byzantion 74 (2004), vol. 1, pp. 51-109.

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distinctive different character appears after the fourth crusade (1204). This group of texts can be subdivided in two linguistically differentiated subgroups. Most texts that are used in the Romaniote liturgy and were copied in manuscripts of Mahzor Romania, like Judeo-Greek translations of some haftarot and the Greek announcement of the New Moon, are written in a dialect very close to common Modern Greek, comparable to the high language employed in Christian circles. This subgroup contains as to yet less texts than the other linguistic subgroup of late medieval and early modern Judeo-Greek texts, which can clearly be located to North West Greece according to the dialect used. The text dealt with in this paper comes from this area. This literature and its language forms are clearly parallel to Yiddish, Ladino, Judeo-Arabic, etc., but have not met much scholarly attention so far.18 While not all details have been completely researched, it is obvious today that Byzantine culture was, in all its complexity, a continuation of Ancient Greek, Hellenistic and Roman civilization. Medieval Romaniote culture needs to be studied in the context of its Byzantine surrounding culture, much as all medieval Jewish communities are studied within the context of their surrounding majority-cultures. Given the — albeit complex and not always linear — continuity in the surrounding Byzantine culture it is possible that medieval and early modern Judeo-Greek literature was — in whatever limited way — an heir to Judeo-Hellenistic literature, as e.g. the Septuagint or the exegetical and philosophical works written in Greek by Alexandrian Jewish thinkers. The lack of medieval texts and the difficulties in establishing the Romaniote provenance of known texts limit the chances to prove any textual continuity from Judeo-Hellenistic Antiquity to the Judeo-Greek Middle Ages,19 and it is very unlikely that certain genres, like philosophy, were transmitted across the centuries,20 but studies of the Greek 18. This may be due to the lack of widely known Judeo-Greek texts, but is probably also caused by the lack of a non-scholarly lobby that supports the study of its vernacular Judeolanguage, similar to the Sephardim that support Ladino-studies and the Yiddish-speaking community that created a need for the study of Yiddish. 19. The fact that Tobia b. Eliezer chose to start his commentary Leqah Tob on Genesis 1:1 with a remark on the syntactic difference between the Hebrew text and the LXX seems to indicate that he and his audience at the end of the 11th century were familiar with the LXX. It may also be interesting to research the sources for the episode of Legatio ad Gaium in two of the manuscripts of Sefer Yosippon. (The authors wish to thank Ms. Saskia Dönitz, Berlin, who has written a dissertation on Sefer Yosippon, for this important and fascinating example.) In both cases it is also possible that the medieval Jewish authors made use of texts that were continuously transmitted in their Christian surrounding and re-adopted into Jewish culture only in the Middle Ages. 20. The use of Philo in Karaite literature might have been a result of the Arabic reception of Philo, since it is not known whether Benjamin b. Moses al-Nahawendi, who first made use of Philo’s doctrine of the Logos, did know Greek. It will yet have to be researched whether

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vocabulary of medieval Judeo-Greek texts show at least a partial linguistic continuity. A characteristic of Byzantine Jews was their apparently very strong adherence to older cultural traditions and a comparatively small exposure to or acceptance of outside traditions until the 13th century. Older, Hellenistic traditions, stemming back as far as to Alexandrian Bible exegesis, survived in Romaniote Judaism, perhaps because of their link to the Greek language of Hellenistic times. A review of the known texts seems to indicate that Byzantine Jewry was neither as unlearned and unimportant as Abraham Ibn Ezra wanted his readers to believe21 nor disconnected from the rest of the Jewish world. The sheer number of texts found in the Cairo Genizah that contain Greek elements proves that Byzantine Jewish texts made their way into the Muslim world.22 If the usage of Greek in Hebrew texts of Byzantine provenience was in the least parallel to the use of French and German in Tsarfatic and Ashkenazic Hebrew texts, no judgement about the cultural level of Byzantine Jewry should be attempted when looking only at those texts that do contain Greek. Since we cannot know how many of the other, purely Hebrew, texts found in the Genizah were copied or authored in Byzantium, no estimate can be given of the general level of Hebrew literature in Byzantium and the importance of cultural transfer into the Muslim world. It is highly probable that Byzantine Jewish communities turned with their legal problems to the Babylonian academies until at least the 10th century, maybe even until the end of the geonic activities. Israel Ta-Shma has proven that Byzantine Hebrew texts were transmitted into France before and after the first crusade.23 Looking at those Hebrew texts that we know to have been authored in the Byzantine Empire, the example of Tobias b. Eliezer and his exegetical work Leqah Tov clearly shows that most texts known in Ashkenaz at the end of the 11th century were available in Byzantium as well and that news, like that of the persecutions of Jews in the Rhineland and their later Byzantine Karaite authors who knew Greek, like Juda b. Eliya Hadassi, received their knowledge of Philo solely from earlier Karaites or whether they perused the Greek texts available in Byzantion as well. 21. Cf. J. STARR, The Jews of the Byzantine Empire (641-1204), Athens, 1939, Nr. 174 and 175, p. 224. 22. Cf. e.g. N. DE LANGE, Greek Jewish Texts from the Cairo Genizah, Tübingen, 1996, and I. M. TA-SHMA, ‫פרשנות המקרא עברית־בזנטינית קדומה‬, 1000 ‫ סביב שנת‬,‫מן הגניזה‬, Tarbiz 69 (2004), pp. 247–256. 23. Cf. e.g. I. M. TA-SHMA, ‫לתולדות הקשרים התרבותיים בין יהודי ביזנטיון ואשכנז‬, in Me’ah She‘arim. Studies in medieval Jewish Spiritual Life in Memory of Isadore Twersky, Jerusalem 2001, pp. 61–70. Recently A. GEULLA, ‫ אספה‬,‫ אבכיר‬:‫מדרשי אגדה אבודים הידועים מאשכנז בלבד‬ ‫ודברים זוטא‬, dissertation, Jerusalem, Hebrew University, 2007, claimed that several of the midrashim known only from Ashkenaz were originally Byzantine.

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martyrdom travelled fast and reached Tobias b. Eliezer within some weeks. Since it is highly improbable that Kastoria was the only centre of Jewish learning and communication into the West in the Byzantine Empire, even if no sources are left that document this fact, we are left with a void, white space on the map of Jewish cultural development in the Middle Ages. The question to be raised in our article and future research is how the specifica of this Romaniote identity were shaped, transformed and ultimately, how they survived the massive impact of external knowledge streaming into the Byzantine Empire and its Jewish communities after 1204 — a process which parallels the contemporary Christian Byzantine culture and its exposure to western models. If a merging of different traditions can be detected in our text, it reflects a parallel merging of western and Byzantine traditions representative of the late medieval and early Modern Greek popular culture as well — a process not yet consensually described and to which our text — like others, not being discussed here — can contribute in a specific manner. Until now, no comprehensive study on Judeo-Greek literature exists and no attempts have been made to place Judeo-Greek in the linguistic situation of Byzantium. But since Byzantium was not a cultural unity and the two strands of this civilization (popular culture vs. high culture) were — to a certain degree — represented by two levels of language (Modern Greek vs. classical Greek), two kinds of literature, etc., it is of crucial importance to give a full description of Judeo-Greek language and literature in order to properly address the Jewish communities within the Byzantine society. In the given context, a short sketch will suffice. Generally speaking, the earlier texts (mostly Genizah) represent a somehow transitorial stage in the development of the languages of Romaniote Judaism, with clear traces of Hellenistic usage (Aquila, Septuagint, etc.), and a sometimes very difficult to interpret mixture between ancient and Modern Greek. The later texts (mainly early modern poetic and liturgical texts) are written or composed in a language that can be characterized as clearly Modern Greek in a stage before normativization, that is: something like old French in opposition to modern French, concerning the diachronic, the diatopic and the diastratic levels. Early Modern Greek of the Christian tradition is — to say the least — much debated among Byzantinists/Neohellenists as a crucial point concerning problems of datation, language level, social place, dialect treats, extent of orality, etc. A thorough linguistic analysis of the Judeo-Greek texts may help to solve some of these problems, since JudeoGreek is necessarily closer to the popular culture of its time than to the high culture transmitted in church-circles and academies and expressed almost solely in “high”, i.e. classical Greek.

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Another related problem, which can only be touched upon in this paper, is the problem of the famous “gap” in popular Greek literature between Late Antiquity and the high Middle Ages: with the last papyri written in Greek, already under Omayyad domination, our knowledge of spoken Greek tends, for the lack of sources, towards zero after the 8th century. On the other side, the first Christian Greek texts in the vernacular extant were not written before the 12th century — and these texts, like e. g. the Ptochoprodromika or the Chronicle of Morea — are highly debated as far as datation, localization and their social logic are concerned. And even after that time, under the so-called “Frankokratia”24, it is the notoriously conservative orthography of Modern Greek, deriving to 99 % from Ancient Greek (and thus hiding away the language developments of at least two thousand years), that raises all the questions concerning these topics highly problematic to answer. As a matter of fact, the impact of this Judeo-Greek literature on the history of Modern Greek language and literature is enormous — and almost completely neglected. We know of no history of Byzantine or Modern Greek literature that would even mention it. We will therefore have to address some of these questions before being able to properly assess the text we are editing in its cultural surrounding. Our main working hypothesis for this study is that there is a Judeo-Greek language and literature in its own right, consisting of a group of specific texts.25 The oldest traces of this literature are to be found in the Genizah, where for the first time Byzantine Greek in its vernacular variant is used for explaining and translating Hebrew texts26. In the late Middle Ages these first traces develop into a full-fledged literature that stretches from the 14th century into the 20th century — really a literature of longue durée. The problem is, of course, to what extent we can assume an oral tradition behind this development, viz. to what extent the written texts, in their fragmentary appearance as we have them, only reflect a broader use of spoken medieval 24. With this term is normally referred to the Crusader domination on the soil of the Byzantine Empire starting in 1204. 25. Far from the speculations by P. WEXLER, Three Heirs to a Judaeo-Latin Legacy: Judaeo-Ibero-Romance, Yiddish and Rotwelsch, Wiesbaden, 1988. Wexler’s postulate that there was a spoken Judaeo-Greek among the Jewish communities around the Mediterranean Sea is basically correct. But he bases his argumentation exclusively on selected (and very selective!) etymologies of single words in other (i. e. non-Greek) languages, never on the direct Judaeo-Greek evidence as shown by the texts which were already available when he published his book. 26. It is a very interesting point, if and to what extent the Greek texts from the Cairo Genizah go back, directly or indirectly, to the Judaeo-Greek literature of Antiquity, e.g. the Septuagint. We cannot discuss, however, this issue here, cf. J. NIEHOFF-PANAGIOTIDIS, “Byzantinische Lebenswelt” (v. supra).

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Judeo-Greek, e.g. in education or on paraliturgical occasions? Are the fragmentary texts only the top of an iceberg? This question cannot be resolved here, since it is connected to the wider context of orality in Byzantine-Modern Greek literature.27 One point, however, deserves attention and points out in the direction of a possible answer. The language of the Genizah material is vernacular Greek, not the classical or semi-classical language the Byzantine Christians used to write before the development of a vernacular Christian literature (second half of the 12th century, at the earliest). Vernacular Greek, however, was not a written language at the time when the bulk of the Genizah material was written (9th/10th to 12th centuries). The character of early dimotiki displayed by these texts which remain outside the mainstream Byzantine written culture can be directly derived from the oral communication situation that generated these texts. As genre is considered, the use of the vernacular follows roughly the blueprint given by the textual traditions of medieval Judaism (not Hellenistic Judaism anymore), with some local characteristics: – glossaries, explanatory notes to the Bible, the Talmud, etc.; – targum-like translations, with clear traces of the LXX and Aquila, etc.; – liturgical and para-liturgical texts stemming from the synagogue. This last genre is the focus of our research since this is the genre that allowed for the largest variety.28 Hebrew liturgical poetry (piyyut) is one of the best documented genres composed in the medieval Romaniote communities. Since Mahzor Romania contains a large number of classical piyyutim by Elazar birabbi Qallir, there may be an early tradition dating back to the times when Byzantine Judaism was closely connected to the home of classical piyyut in Eretz Israel. The main re-organization of Mahzor Romania probably took place in the 13th century, after the destruction of the greater Byzantine Empire. It shows influences from Italy and also contains piyyutim from the Golden Age of Hebrew poetry in Islamic Spain which were most likely brought to Byzantium via Italy, where Abraham Ibn Ezra had introduced the aesthetics of Golden-Age-Sepharad. But Mahzor Romania also 27. On this issue, see also the recent article by J. NIEHOFF-PANAGIOTIDIS, “Towards a History of Communication in Byzantium: the Greek Church and the Vernacular(s),” in Language of Religion — Language of the People, edited by E. BREMER / J. JARNUT / M. RICHTER / D. J. WASSERSTEIN, Munich, 2006, pp. 25-36. 28. Although technically the Judeo-Greek rubrics (“stage directions”) in some Romaniote copies of the Pesah-Haggada belong to this genre, we concentrate on Judeo-Greek liturgical and para-liturgical poetry.

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contains a large number of piyyutim written by Romaniote authors like Joseph Qalay.29 This strong tradition of liturgical poetry may have been one of the reasons why Judeo-Greek liturgical and para-liturgical literature was a productive genre. The fact that several poetic texts in Judeo-Greek have come down to us that were originally placed either in or at least on the very margins of liturgy singles out this tradition from other literary traditions in Judeo-languages. While M Sota VII.1 and BT Sota 32a-33a permit (private) prayer in the vernacular, and several medieval sources attest to the use of vernacular in prayer,30 liturgical poetry does not seem to have been composed in the Jewish vernacular languages in the West. In addition to (private and public) prayer in Yiddish, we do know of a few Judeo-Italian laments for the 9th of Ab (Fast for the destruction of the Temple) that were obviously used in a paraliturgical setting,31 and vernacular Purim-songs were common in almost all Jewish communities. But some of the Judeo-Greek poems were copied in collections of liturgical poetry, sometimes with rubrics that indicate that they were recited by the Hazan during the prayer. In addition to that, many Judeo-Greek hymns were chanted in paraliturgical and religious settings.32 A few Judeo-Greek poetic liturgical (or para-liturgical) texts are extant that may date back to the 15th century,33 but most texts were probably composed 29. L. J. WEINBERGER has taken upon himself the study of Romaniote liturgy and piyyutim. Among his most important publications in this field are: ‫סדר הסליחות כמנהג קהלית הרומניותים‬, New York, 1980; “Hebrew Poetry from the Byzantine Empire: A Survey of Recent and Current Research,” Bulletin of Judeo-Greek Studies 3 (1988), pp. 18-20; ,‫אנתולוגיה של פיוטי יוון‬ ‫אנתוליאה והבלקנים‬, Cincinnati, 1975; ‫ראשית הפייטנות בבלקנים‬, Cincinnati, 1988; ‫שירת הקודש‬ ‫לרבנים וקראים בדרום מזרח אירופה‬, Cincinnati, 1991; “Greek, Anatolian and Balkan Synagogue Poets,” in Texts and Responses. Studies Presented to N. Glatzer, Leiden, 1975, pp. 108-119; ‫אנטולוגיה של פיוטי יוון אנטוליה והבלקנים‬, Cincinnati, 1976; ‫שירי הקודש ליהודי קשטוריה‬, Cincinnati, 1983; ‫שירת ישראל באי כרתים‬, Cincinnati, 1985; “Some Beliefs and Opinions in the Romaniote Liturgy,” Hebrew Studies 19 (1978), pp. 77-80. 30. Cf. the sources mentioned in S. REIF, Judaism and Hebrew Prayer, Cambridge, 1993, pp. 386-7, n. 31. 31. One of these elegies is transmitted both in Judeo-Italian and in Judeo-Greek and can be dated to the 13th century. On the Italian text cf. U. CASSUTO, “Un’antichissima elegia in dialetto giudeo-italiano,” Archivio glottologico italiano 22-23 (1929), pp. 349-408; S. DEBENEDETTI, “Elegia giudeo-italiana,” Giornale storico della letteratura italiana 97 (1931), pp. 372-373; L. SPITZER, “Agli albori della letteratura italiana: il più antico testo poetico in dialetto giudeo-italiano,” Rassegna mensile di Israel 12 (1937), pp. 102-112; G. FOLENA, “Leo Spitzer. La bellezza artistica dell’antichissima elegia giudeo-italiana,” Rassegna della letteratura italiana 63 (1959), pp. 473-475. 32. Cf. e.g. R. DALVEN, The Jews of Ioannina (op. cit.), pp. 85-88. 33. An early-15th century Mahzor Romania manuscript contains three Judeo-Greek wedding-songs, one of which is bi-lingual while the others were completely composed in JudeoGreek. A scholarly edition of these texts is being prepared by the authors of this article.

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during the 17th and 18th centuries. While the contents of this poetry follows Jewish and Hebrew traditions, the aesthetics employed are mainly Greek with some poetical devices from Hebrew liturgical poetry added. The texts are transmitted in manuscripts that also contain Hebrew texts and sometimes poetry in other vernacular languages (Judeo-Italian, Ladino). From the descriptions of members of the pre-war Romaniote communities we know that differences between Minhag Romania and Minhag Sepharad were known to the praying members of the community:34 they read their prayers from printed Sephardic Mahzorim, but the Hazanim of the Romaniote communities had access to piyyutim and prayer versions of Minhag Romania and inserted them at the appropriate positions into the liturgy. At least from the 17th century onwards, the piyyutim and special prayer-versions of Minhag Romania that differed from the printed Mahzor Sepharad were collected in separate manuscripts, often sorted according to liturgical occasions. Several of these collections have come down to us.35 It seems that each Hazan had his own copy, often written in his own hand. Sometimes Qinot for the 9th of Ab and songs for Purim were collected in separate manuscripts.36 These collections of piyyutim and para-liturgical songs contain early material that can be identified as belonging to Minhag Romania by comparison with earlier manuscripts and the printed editions,37 and they contain additional — usually later — material. Many of the later Hebrew poems included in the Romaniote collections are attested also in Ottoman Sephardic traditions, e.g. works of Samuel Mazal Tov and Israel Najara. In addition to Hebrew poems, the collections also contain poetic texts in the spoken languages of the Ottoman Jews: Ladino, sometimes Italian and/or Apulian and Judeo-Greek.38 The occurrence of liturgical and para-liturgical 34. R. Dalven, The Jews of Ioannina (op. cit.), p. 84-100. 35. The catalogue of the Institute of Microfilmed Hebrew Manuscripts on at the Jewish National and University Library (IMHM) lists more than 40 such collections dated mainly from the 17th century onwards, described as siddurim, Mahzorim or piyyut-collections. In addition to these, a fair number of older liturgical collections from Minhag Romania can be found in this catalogue. For the purpose of this study 25 of these manuscripts containing also Greek texts (dating from the 15th to the late 19th century) were studied. Probably more manuscripts of this type exist in collections not yet completely catalogued and filmed and most probably also private (or community-owned) collections founded by Romaniote Jews both in Greece and in the US. It is impossible to estimate the number of manuscripts that perished during the German occupation of Greece. 36. At least 10 such manuscripts containing Greek texts are known today. 37. This traditional material includes piyyutim from classical payyetanim, piyyutim written by the great Hebrew poets of golden Age Muslim Spain, piyyutim written by early Ashkenazic payyetanim like Simon b. Isaac b. Abun, and of course works of the great Byzantine payyetanim of the 11th to 13th century. 38. A single manuscript from Corfu contains also a piyyut with Yiddish translation.

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poetry in Ladino in these Romaniote collections attests the growing influence the Sephardic rite and customs had on the prayers of the Romaniote Jews. Due to the burning down of the city of Ioannina in 1822 that destroyed the archive of the community and obviously also numerous houses owned by Jews, most of the collections of piyyutim and songs of Romaniote liturgy from the 18th century known today reflect Minhag Corfu, since the Romaniote community of Corfu sold many liturgical manuscripts from its archive to E. N. Adler in 1901.39 These manuscripts are now in the possession of the library of the Jewish Theological Seminary of America, New York. Several 19th century collections of liturgical poetry, mostly written in Ioannina, are today in the possession of the Yad Yitzhaq ben Zvi Institute for the research of eastern Jewish communities in Jerusalem, donated by the late president of the post-war community of Ioannina, Joseph Matzas. The Bodleian Library in Oxford owns some manuscripts that reflect Romaniote rites from different communities and different times. Two Romaniote manuscripts from the collection of Cecil Roth are now kept by the Leeds University Library, two others previously owned by Moses Gaster are now part of the collection of the Manchester University library, and additional manuscripts belong to private collections in different countries. A comparison of those collections mentioned above, that contain also Judeo-Greek hymns and songs, shows, that the amount of non-Hebrew texts is higher in the later collections. While the collections from the 18th century, that do not contain Qinot and Purim songs often have no more than one or two Judeo-Greek texts, often at the very end of the manuscript, and a very limited number of Ladino and multilingual hymns, 19th century collections tend to include several lengthy Judeo-Greek songs, both Qinot and Purim songs and hymns for other occasions, like a hymn on the creation of the world copied in several manuscripts.40 Different reasons could be assumed for this distribution: a) The inclusion of non-Hebrew material into the liturgy usually does not fit in with the traditional understanding of Jewish prayer and synagogue service. Hebrew and Aramaic were the only languages traditionally used for the liturgy.41 Vernacular additions (Yiddish, Arabic) were late developments (even though we have evidence for Yiddish additions as early as the 39. Catalogued by E. N. ADLER, Catalogue of Hebrew Manuscripts in the Collection of E. N. Adler, Cambridge, 1921. 40. Compare editions Matzas. 41. Cf. e.g. Maimonides, Mishne Torah, Hilkhot Tefilla I.4, who ascribes the fixation of prayer to the fact that the children born in exile mixed their language with that of their surrounding and were therefore not able to pray appropriately in Hebrew.

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13th century) that were usually justified by the ignorance of the public. Thus the introduction of Judeo-Greek texts into the liturgy or its immediate surrounding would not have been welcomed univocally. They might have been used only at the fringes of official liturgy and paraliturgical events and thereby limited in the older, more traditional manuscripts. b) Since almost all older manuscripts reflect the rite of Corfu, and the later manuscripts reflect the rite of Ioannina, the difference could be due to local predilection. The Romaniote community in Corfu lived in a surrounding that was influenced strongly by the Venetian rule over the island and by its proximity to the Italian-Jewish and the Sephardic community. The inclusion of Greek texts into the traditionally conservative realm of liturgy could have been less important for them than for the Jews of Ioannina who lived in an “all Greek” surrounding. The number of Judeo-Italian and Ladino texts is by far higher in the earlier collections from Corfu than in the later Ioannina manuscripts, as was to be expected. c) The overwhelming influence of the Sephardic culture could have led to a strengthening of Romaniote and Judeo-Greek traits of liturgy as a means of claiming cultural identity. This would have resulted in the acceptance of more Judeo-Greek texts into the context of the Romaniote liturgy in the course of history. d) Texts in the vernacular could be memorized more easily and thus needed less written transmission, whereas the Hebrew texts used at only a few occasions every year and not immediately accessible even to the Hazanim could not be memorized so easily.42 Judeo-Greek texts would then be written down only in later collections when writing material could be purchased more easily and when a different attitude towards the written as opposed to the memorized prevailed. In this case, the number of JudeoGreek texts might not have grown as much as the manuscripts suggest. Since it will be shown that the texts were often adapted to the respective linguistic level of their audiences, the “modern” language of the late textual witnesses cannot disprove the existence of earlier forms of the songs transmitted orally or in lost manuscripts. The adoption of the vernacular language for liturgical purposes by the Romaniote Jews was known already to early scholars of Jewish liturgy, since the earliest Greek addition to the Mahzor was a Greek translation of the Aramaic annunciation of the New Moon transmitted in several 15th42. The importance of oral transmission of the Judeo-Greek hymns will be discussed in greater detail in the context of the transliteration rules and in the context of the development of the text.

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17th century manuscripts of Mahzor Romania.43 Judeo-Greek songs and dirges have been published earlier44 — albeit hardly in critical editions —, but the exact position of these songs in the religious life of the Romaniote Jews was not described. Given the importance of Hebrew as liturgical language, it can hardly be assumed, that the Greek songs were part of the main liturgy, they would be placed in the context of paraliturgical events like the celebration of a wedding or a circumcision and paraliturgical prayer-meetings. This assumption is strengthened by the comparatively high number of Purim songs among the Judeo-Greek songs known today, obviously placed outside the liturgical setting. Among the oldest Judeo-Greek songs transmitted are also three wedding-songs.45 Also the Judeo-Greek Qinot for Tisha be-Av that are often transmitted in separate manuscripts might have been used in a paraliturgical context and not during the regular synagogue service. Yet some texts defy this paraliturgical placement and a more detailed analysis of their Sitz im Leben is necessary. Using the rubrics in the collections of liturgical poetry and the position of Greek texts in these collections, the liturgical position of these texts can be established to a certain degree. The example chosen for this article is the hymn/piyyut πnav ö kúriov, transmitted in thirteen manuscripts dating from the 17th to the late 19th century. Rubrics for this text exist in some manuscripts, they vary in their wording but are mainly based on the standard rubric in these liturgical collections: ‫( פיוט נאה בלשון יון‬A nice piyyut in Greek language). The use of the Hebrew word ‫ פיוט‬for the Greek texts points to an equation with Hebrew liturgical poetry at least in status. While this is no conclusive proof for the liturgical use of the song, it attaches an importance to the text that might best be realized in a liturgical context, not in a paraliturgical event. Only one manuscript uses the term ‫ פזמון‬to refer to this hymn. But since ‫ פזמון‬is used for liturgical poetry in the Sephardic tradition, 43. Mentioned by L. ZUNZ, “Mitteilungen aus hebräischen Handschriften,” ZfhB 19 (1916), p. 56, and first published from a now lost Breslau manuscript by M. BRANN, and J. ZOLLER, “Mitteilungen über neugriechische und italienische Texte im Synagogen-Ritual,” MGWJ 62 (1918), pp. 275–277. This Greek annunciation is not included in the printed versions of Mahzor Romania, but four more manuscripts of Mahzor Romania include the annunciation of the New Moon. A new publication of this text from all extant sources with philological commentary was recently published, cf. J. NIEHOFF-PANAGIOTIDIS; E. HOLLENDER, “∂xome ‫ראש חדש‬: The Announcement of the New Moon in Romaniote Synagogues”, Byzantinische Zeitschrift 103 (2010), pp. 99-128. 44. Cf. S. SZNOL, “Medieval Judeo-Greek Bibliography — Texts and Vocabularies,” in Jewish Studies 39 (1999), pp. 107-132, and ID., “‫יהודית להפטרת ״ואתחנן״ ל״שבת‬-‫תרגום ביוונית‬ (1-26 ‫”נחמו״ )ישעיה מ‬, Textus 20 (2000), pp. 9-32. 45. An edition of three Judeo-Greek wedding songs transmitted in a 15th century manuscript is being prepared by the authors of this paper.

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even this term does place the text inside liturgy. Only one manuscript transmits an exact liturgical locus for this hymn in the rubric: ‫ליום למנחה משבועות‬ ‫“( מיום שני במנחה לאין כאלהינו בלשון יון‬for the day of Minha of Shavuot, for the second day, for Minha, for ‘None like our God’ in Greek language”).46 This description is unusual, since most Minhagim do not say ‫ אין כאלהינו‬after Minha but as part of the supplications after the Amida in Shaharit and Aravit on weekdays and Mussaf on Shabbat and festivals. It is also not usually embellished or substituted by a piyyut. Since the rubric is not phrased in proper Hebrew but employs several repetitions, one might want also try and interpret it slightly differently and suppose that the hymn was supposed to be used as a poetic embellishment in that position of Minha on the second day of Shavuot, that was taken by ‫ אין כאלהינו‬in Mussaf on this day and that it was regarded as transmitting a content similar to that of the well known Hebrew hymn. This fits with the position of the hymn in some other manuscripts that transmit it within or at the end of the cycle of piyyutim for Shavuot, while other manuscripts of the 18th century seem to place it at the beginning or the end of the manuscript, just outside the realm of the proper piyyutim. It can thus be assumed that the hymn was used at the end of the normal liturgy during Shavuot, probably on the second day of the festival, probably in the transition between the sacred time of the festival and the profane time of the new day. The hymn is transmitted in different forms in the manuscripts. Of the thirteen witnesses that transmit the hymn, eleven transmit Judeo-Greek stanzas only, one transmits mainly Greek stanzas and one Hebrew stanza, while one manuscript transmits a text of alternating Hebrew and Judeo-Greek stanzas (Hebrew first) that obviously translate one another.47 The length of the transmitted texts varies between five stanzas (one manuscript),48 six stanzas (seven manuscripts),49 eight stanzas (two manuscripts and a printed version), eleven stanzas (one manuscript) and twelve stanzas (one manuscript). The manuscript that has both the Hebrew and the Judeo-Greek text transmits the 46. Ms Paris, Jean Lubetzki, 18th century, Corfu, f. 2v. 47. N2 = NY JTS 4588 (formerly ENA 725), probably 18th century, IMHM F. 25491. 48. N5 = JTS 4692 (formerly ENA 1746), Siddur Minhag Corfu for Shavuot, 1797, IHM F. 25596. 49. J = Ms owned by Jerusalem book-seller, Piyyutim, 19th century, IHM F. 71970; L = Leeds, Brotherton Library, Ms Roth 731, 1853, IHM F. 15541; N1 = JTS 5438 (fordermly ENA II 0803), Siddur Minhag Romania, 17th century, hymn in later hand, IHM F. 37202; N3 = JTS 4588 (formerly ENA 735), Compilation of liturgical manuscripts from Corfu, probably 18th century, IHM F. 25491; N4 = JTS 4772 (formerly ENA 741), 18th century, IHM F. 25673; O1 = Ms Oxford Bodleana Opp. Add fol 58 (Neubauer 2500), Mahzor Minhag Romania, 18th century, IHM F. 22212; O2 = Ms Oxford Bodleana Opp. Add. Pct 44 (Neubauer 2379), Pizmonim Minhag Corfu, 1793, IHM F. 21442.

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longest text with twelve stanzas, but some of the stanzas contained in the other two long versions are not transmitted in this manuscript. Josef Matzas published a version of this hymn that contains thirteen stanzas without naming his source.50 Two different versions of the hymn had been previously published.51 A new critical edition of this very text seems to be necessary: only a comparison of the different texts allows for an analysis of the textual development. This text, since it is transmitted since the 17th century in varying length, can be used as an example for the changes introduced into Judeo-Greek songs during the history of transmission. It can also serve as an example on how transliteration of Judeo-Greek changed. The existence of a manuscript that transmits both Hebrew and Greek stanzas is particularly important, since it allows us to understand, how the Hazanim who transmitted the Judeo-Greek text understood its contents and related this JudeoGreek text to the tradition of Hebrew poetry. A first description of the different versions of the text should start with the stanzas included in each manuscript. For this purpose we will assign identifying numbers to all stanzas. Since most manuscripts contain the same six stanzas, these will be numbered with roman numerals from I to VI. All manuscripts contain stanzas I to VI, with the exemption of the one manuscript that transmits only five stanzas and omits stanza IV;52 this is most probably a scribal error. In addition to these six stanzas, the manuscript with the Hebrew translation contains six more stanzas, numbered by us with Hebrew letters from ‫ א‬to ‫ו‬.53 Stanzas ‫ א‬to ‫ ד‬are inserted between stanza IV and V, stanzas ‫ ה‬and ‫ ו‬are inserted after stanza VI. A Corfu manuscript from the 18th century inserts between stanza IV and stanza V five stanzas that are not identical with those of the bilingual manuscript, we have numbered them with the roman letters A to E.54 The late Ioannina manuscript that contains eight stanzas inserts two more stanzas after stanza VI, these being stanza A of the 11 stanza version and a variant of stanza B we named b. Similarly, the Corfiote version that Papageorgios published contains eight stanzas, namely stanzas I to VI and afterwards a variant of stanza ‫ ה‬named 50. J. MATZAS, ‫השירה היהודית ביוונית‬. ‫אסף והקדים מבוא‬, Sefunot 15 (1971–81), pp. 277– 280. 51. First S. PAPAGEORGIOS, “Merkwürdige in den Synagogen von Corfu im Gebrauch befindliche Hymnen”, Abhandlungen und Vorträge des fünften Internationalen Orientalisten Congresses gehalten zu Berlin in 1881, Semitische Section, 1882, pp. 226–232, later by Chaymi in 1910, eight stanzas. The text published by Papageorgios has been used in our edition like a source manuscript, since the author claimed to have transcribed a manuscript. It contains one stanza that is not usually transmitted. Our search for the Chaymi edition was not successful, since Matzas, who refers to this edition, does not give bibliographic information. 52. New York, Jewish Theological Seminary of America, Ms 4692. 53. New York, Jewish Theological Seminary of America, Ms 4588 (ENA 725). 54. Ms Paris Jean Lubetzki.

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by us 1‫ה‬, and thereafter stanza A.55 The Corfiote manuscript (copied in 1829) with eight stanzas contains stanzas I to VI, afterwards a Hebrew stanza (‫ )ז‬that seems to be a combination of stanzas ‫ ה‬and ‫ ו‬and stanza 1‫ה‬.56 The version edited by Matzas contains 13 stanzas, beginning with stanza I to VI. Afterwards, this version has stanza A, stanza b, stanza 1‫ ה‬and variants of stanzas B to E.57 All stanzas that are inserted into the framework of stanzas I to VI deal with the Decalogue, either counting the commandments or repeating them in another way. The fact that some of these stanzas occur in combination, while others are transmitted in one source only and are never combined with stanzas transmitted in other sources, points to a complicated history of transmission that can best be explained by a partly oral transmission. In this case, the general assumption would be that the hymn was originally composed in the short form, but could also contain additional stanzas that elaborate on the Decalogue. The combination of the additional stanzas would in this case depend on the predilection of the Hazan, who might vary the stanzas he learned or might insert stanzas he received from other Hazanim into whatever text he received from his main teacher. In this case we could assume that the text transmitted by Matzas is a late combination that incorporates different sources. The structure of the stanzas teaches us about the poetic conventions of the Hazan who compiled this version of the text, i.e. probably the standards of Judeo-Greek poetry in the late Middle Ages and early modern times. Romaniote poets belonged both to the different traditions of piyyutim contained in their Mahzor (classical, Sephardic, medieval Romaniote) and to contemporary vernacular poetry; they may have had access to classical Greek literature as well. These different literatures are constructed using different aesthetic systems, and it is to be expected that Romaniote poets chose elements from these different traditions to create the aesthetics of Judeo-Greek poetry. One device from Hebrew poetry was not taken over into Judeo-Greek poetry: the acrostic. Neither ∏nav ö kúriov nor any of the other Judeo-Greek poems we have seen uses this poetic device in order to identify the author of the text or even to embellish it with a less personal acrostic. All stanzas have four lines, the fourth line of each is the Hebrew phrase ‫( וישראל הללויה‬and Israel: Praise the Lord!), used as a refrain. The refrain 55. S. PAPAGEORGIOS, “Merkwürdige in den Synagogen von Corfu im Gebrauch befindliche Hymnen” (v. supra.). 56. Manchester, John Rylands University Library, Ms Gaster 163, Mahzor Shavuot Minhag Corfu, 1829, written by Shabbetai b. Salomo Beleli, Hazan in Corfu. 57. J. MATZAS, ‫השירה היהודית ביוונית‬. ‫אסף והקדים מבוא‬, Sefunot 15 (1971–81), p. 277–279.

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is not taken verbally from a biblical verse unlike many of the similar refrains in Hebrew piyyut. The word Halleluya had been adopted into Greek and Latin Christian hymns and thus the refrain might not have been regarded as a linguistically completely foreign entity in the Greek stanzas. Refrain-lines in strophic poetry are known from Spanish-Hebrew poetry, the model was adopted from the Arabic muwashshah-genre (girdle-poetry). Textual variants in the different witnesses do influence the rhyme. This shows that the Hazanim who transmitted the text did not consider rhyme to be an essential part of Greek poetry. As the Greek verse-structure is concerned, we will begin with some basic truths: Modern Greek “metrics” have no connection with Ancient Greek ones: in OG, the role of a syllable in a rhythmical unit (verse, or its subdivisions) depends on its quantity, that is: the conventional length of its vowel (or of its vowel + consonant). The accent of a word had no influence on this and was thus irrelevant for metrics.This whole system had broken down in Late Antiquity when a completely new system came into being, this time based on the place of the accented syllable in a word or word pattern. This Byzantine system was first to be seen in its full function in the works of Romanos Melodos, a hymnographer of probable Jewish origin from the times of Justinian, stemming from Antioch — some of his hymns, kontakia, are still sung today in the Orthodox Church. It is not the place here to repeat the development of Byzantine and Modern Greek metrics from the early 6th century up to the time when our hymn was composed. Suffice it to say that Modern Greek metrics is the heir of Byzantine, mostly Late Byzantine versification, based on accent and number of syllables in one verse (the most popular one is the dekapentesyllabos, consisting of 15 syllables, as its name indicates, still in use and going back to Byzantine times) and rhyme — the latter is still facultative and probably a late medieval innovation under influence from the west (in our hymn, there are still some stanzas without rhyme). When our hymn was written, probably in the 16th or 17th century, there existed already a whole range of vernacular poetry in the Byzantine/postByzantine world, geographically centered on the areas of Latin domination (Frankokratia): Cyprus, Crete, Rhodes, the Ionian islands, etc. It is highly probable that the Jews in these areas had access to this poetry — orally or not. In the following, we will give a paradigmatic analysis of one (the first) stanza of our hymn before offering a general metrical analysis of the verse structure of the whole hymn. Throughout the hymn, every stanza consists of four lines, the fourth being the refrain:

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I X x x X x x x x X 9 syllables X x x X x x x x X 8 syllables X x x X x x x x X 8 syllables x X x x X x x X x 8 syllables (constantly, the refrain is: we-Isra’el halleluyah). In our hymn, metrically speaking, three parts can be distinguished according to the aforementioned categories: Stanzas I-VI consist of verses of 7 to 10 syllables length, most common are however 8 or 9 syllables. Each stanza has its own rhyme throughout, except of course the refrain which remains the same throughout the hymn. These rhymes are: I -óv II -se III -se IV -koú V -? VI -mß The rhythmical pattern of each stanza is the same for each verse inside the stanza, but changes from stanza to stanza. Regularly, between two accentuated syllables there are one, two or — rarely — three unaccentuated ones. The rhythm thus runs smoothly, verses of 8 syllables being quite common in Modern Greek folk poetry. This picture changes abruptly in the following stanzas, Nr. A-E. As a rule, the verses here are more irregular in length: quite often, verses of 12 syllables length, but also one containing sixteen (!) syllables (C2; or should it be split into two verses? But then this stanza would contain 5 lines instead of four). Since we also have verses of 8 or 9 syllables (apart of course of the refrain, which means the same throughout the whole poem), the general picture is much less harmonious — one could even say more nervous and agitated than the unit of stanzas I-VI. This impression is enforced by the fact that it is “legitimate” for this poet, in contrast to the preceeding one, to have even four unaccentuated syllables in one verse before or after an accentuated one (C). Much more regular is the rhyme: beginning with A, all the following stanzas (except B and C, which have no rhyme, ‫ ה‬which has -/ora/ola/), the rhyme is always unaccentuated -e, the ending of the first person plural. This gives a higher degree of cohesion but also monotony to the remaining stanzas. The reason is of course the inculcation of the commandments and their repetitive “we shall/we shall not”.

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The last part (‫ו‬-‫ )א‬returns, as far as length of the verses is concerned, to the first six: the length of the verses varies between 7 and 11 syllables, with some exceptions (3‫ ד‬,3‫)ב‬. The “additional” stanza b fits metrically best to the first six stanzas. From this analysis it seems clear that one finds three poets at work: one for I-VI, one for A-E, one for the last part. The later “imitates” the first as verse structure is concerned. The fact that a bilingual (Hebrew-Greek) version of the song exists is interesting, since the poetic means that the translator (probably in the 18th century) applied, show how the Romaniote culture related to earlier Hebrew poetry that was in use in their synagogues and on paraliturgical occasions. In the bilingual version, the hymn consists of twelve pairs of stanzas, each pair beginning with the Hebrew stanza followed by the Greek one. Obviously Hebrew was considered the holy language and therefore took precedence, even if it is not to be assumed that the majority of worshippers understood Hebrew, and even if the Hebrew was obviously translated from the Greek text. The Hebrew stanzas have non-consistent rhyme patterns like aabb or aaab, there is no difference between the Hebrew translations of stanzas I-VI and stanzas ‫ א‬to ‫ו‬. Part of the Hebrew stanzas have rhymes that follow the standard Hebrew rule that a rhyme can be -CV, -CÂv or -CVC, whereas other Hebrew stanzas have rhymes that seem to consist only of the final vowel Âa, adopted from the vernacular tradition. One Hebrew stanza seems to have no discernible rhyme-pattern; since it consists almost entirely of quotes from the biblical text of the Decalogue, rhyme would have been difficult to achieve. The use of the different rhyme patterns in the Hebrew stanzas does not follow any recognizable pattern. This is unusual for Hebrew poetry, since rhyme was introduced early in Hebrew poetry and has not been abandoned until the 20th century. Most piyyutim have strophic rhyme that may exclude a refrain-line at the end of the stanza, some payyetanim also used the rhyme pattern aabb, but a mixture of different rhyme patterns is not part of the Hebrew poetic traditions.58 The poet of the Hebrew stanzas did not hesitate to use the same word in more than one line of his rhyming stanza, as e.g. in the eighth Hebrew stanza with the rhyme-words ‫ אותה‬,‫ אותה‬,‫אותה‬, and ‫הללויה‬. Also other stanzas give the impression that the author of the Hebrew stanzas was not primarily interested or capable to achieve rhymed 58. Cf. B. HRUSHOVSKI, ‫השיטות הראשית של החרוז העברי מן הפיוט עד ימינו‬: ‫מסה על מושג‬ ‫היסוד‬, Ha-Sifrut 2 (1971), pp. 721–749. A shorter English version of this study was published in T. CARMI (ed. & transl.), The Penguin Book of Hebrew Verse, Harmondsworth, 1981, p. 57–72.

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poetry in the way of the classical or post-classical payyetanim. Unlike the multilingual poems transmitted in Romaniotic collections, the author of this hymn does not try to use a unified rhyme for text in different languages. If rhyme is one of the preferred poetic devices of Hebrew poetry, meter is one of the typical devices of Byzantine and Modern Greek poetry. Since Byzantine times, Greek prosody counts stressed syllables (v. supra). Within their Hebrew poetic tradition, the Romaniote Jews knew both non-metrical and metrical Hebrew poetry, since they had collected in their Mahzor piyyutim from different epochs of liturgical Hebrew poetry. While the classical payyetanim who were well represented in Mahzor Romania, did not use any syllabic meter but counted the (stressed) words in a line (‫)משקל התיבות‬, the Sephardic poets, whose works were almost as well represented in the Mahzor Romania, did employ in their liturgical the syllabic meters taken over from Arabic poetry first by Dunash b. Labrat. This metrical system differentiates between long and short syllables. It was also taken over by Italian Hebrew poets, who slightly adapted the system since they pronounced the shewa mobile as tsere, thereby changing the count of long and short syllables.59 The Hebrew stanzas in the bilingual version of the hymn do not conform to any of the traditional Hebrew metric systems, including ‫משקל‬ ‫התיבות‬. Lines have between two and six words, though most lines have either three or four words and some of the words in the long lines could be excluded from the count since they are prepositions and other particles. The syllabic structure of the Hebrew lines is irregular, lines have between 5 and 12 syllables, but most lines 7 or 8. This proves that the main purpose of the Hebrew stanzas was to provide a translation of existing Greek stanzas, not to provide a poetic rendering that conformed to the aesthetic rules of Hebrew liturgical poetry prevalent in Mahzor Romania. Even if we assume that the Hebrew stanzas were translations of the Greek stanzas, it is worthwhile to analyze the attitude towards the Hebrew Bible in these stanzas. Usually, piyyutim heavily rely on the biblical language, on references to and quotations from the biblical text. In most cases, the biblical text and its traditional exegesis serve as the basis for the linguistic rendering of the poets’ ideas.60 It is therefore remarkable that the Hebrew stanzas of ∏nav ö kúriov seem to use a comparatively simple, not overtly 59. At least the manuscript with the bilingual version of the hymn does represent this dialect and transmits it faithfully in the vocalisation of Hebrew texts. 60. Cf. S. ELIZUR, ‫מדרש ופסוקו בראי הפייטנות‬, Sinai, 99 (1986), pp. 99–109, W. J. v. BEKKUM, “Zur Verwendung der Bibel im klassischen Pijjut,” in Bibel in jüdischer und christlicher Tradition. Festschrift für Johann Maier zum 60. Geburtstag, Frankfurt/Main, 1993, pp. 226– 242.

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biblical language and include several allusions to, but hardly any verbatim quotations from, the Hebrew Bible. But the text is entirely based on the Hebrew Bible and its exegesis, with a few references to later liturgical texts. A few examples may suffice:61 the first line, ‫אחד מלך יי‬, while not a complete quote from the Bible, does allude to one of the most important liturgical texts taken from the Torah, the beginning of the Shema Israel in Deut. 6:4: ‫שמע ישראל יי אלהינו יי אחד‬. If we assume that the Hebrew stanzas translate the earlier Greek stanzas, the translator had to cope with the two nouns kúriov (Lord) and qeóv (God). He seems to have translated qeóv with the Tetragrammaton, pronounced ‫( אדוני‬Lord) and chose ‫( מלך‬King) for kúriov, though in fact the Greek line could be understood as a free rendering of the beginning of the Shema Israel. We have to assume that the translator wanted to allude to the Shema but did not want to quote it in its original Hebrew wording for a liturgical position when the Shema is not said. Similar cases of only slight allusions that can hardly be connected to the biblical text can be found more often in the hymn, e.g. line 5 refers to Gen. 1:9, the creation of land and sea, line 10 probably refers to Deut. 33:4, etc. In other cases the translator chose to include exegetical traditions in his rendering of the Greek text. Line 7 reads ‫אָמ ַירה וְ ָח ְכ ַמה‬ ִ ‫( ַב‬with speech and wisdom), referring to the act of creation. This clearly reflects the exegetical tradition reflected e.g. in the Palestinian Targumim on Gen. 1:1 that substitute ‫ בחכמה‬or ‫ באורייתא‬for the biblical ‫בראשית‬, assuming that God created the world with wisdom/Torah. Among the allusions in piyyutim are the so called ‫כינויים‬, the periphrastical substitutes for names, places and a few concepts. The Hebrew stanzas use a few of the well known kinnuyim, e.g. ‫( רועה‬shepherd) and ‫( הנאמן‬the trustworthy) for Moses in line 13 and 14 according to Exod. 3:1 and Num. 12:7. The only stanzas that contain many biblical quotations are the ones that seem to be inserted in the middle of the traditionally transmitted six stanzas. This description of the commandments quotes almost verbatim in the first two lines of each stanza and adds a further explanation of the gratifications promised to the keepers of the commandments in the third line. Since the last two stanzas in this tradition, that seem to have been inserted with the biblical stanzas into the previous existing shorter poem, relay on traditional prayer-texts, one might speculate that these stanzas, that are not part of the more often transmitted shorter text and are transmitted only in this one bilingual manuscript, might have been written for the bilingual version of the 61. For a complete analysis, cf. the commentary of the edition.

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poem. In this case, the Hebrew stanzas are as much original poetry as their Greek counterparts. ÊENAS O KURIOS Edition of stanzas I-VI according to Oxford Bodleana Ms Opp Add 2* 58 (Neubauer 2500), f. 139r-v (O1), of stanzas A-E according to Ms Paris Jean Lubetzki, f. 3r-3v (P), stanzas ‫ א‬to ‫ ו‬according to Ms New York JTS 4588 (ENA 725) (N2), f. 41r-42r, stanza b according to Ms Makhon Ben Zvi 2051 (Y), f. 51r, edition of stanza 1‫ ה‬according to edition Papagiorgious (S). The vocalisation follows the ms. ‫אוֹק ְיריוֹש אוֹ ֶתיאוֹש‬ ִ ‫ִאינָ ש‬ ‫ַפּנְ דוֹ ְק ַרטוֹש ִקי זוֹנְ ָדנוֹש‬ ‫קוֹר ִמי‬ ְ ‫ישי ֵקי‬ ִ ‫טוֹר‬ ִ ‫ִדיכוֹש‬ :‫וְ יִ ְש ָראל ַה ְללוּיָ ה‬

4

‫יפ ָל ְשי‬ ְ ‫יטין ַת ָל ָשה ְא‬ ִ ‫ִטין יִ ש ֶק‬ ‫יוֹשי‬ ֶ ‫טוֹנוּרנוֹ אַי ֵת ֵמ ִיל‬ ָ ‫ֶמי לוגוֹ ַקי ֶמי ְפרוֹנֵ ֵפ ִשי‬ :‫וְ יִ ְש ָראל ַה ְללוּיָ ה‬

II

‫ִא ְשטוֹ ִסינַ י ֵא ַק ֵט ִב ֵיקי‬ ‫דוֹקי‬ ֶ ‫טוֹן אַיוֹ נוֹמוֹ ַמ ֶש ֶא‬ ‫אַסט ָר ָפס ֵקי ֵמי וְ רוֹנְ ֵדיש‬ ְ ‫יש ֵטיִ יש ֵמי‬ ְ ‫ֵמ‬ :‫וְ יִ ְש ָראל ַה ְללוּיָ ה‬

III

8

12

‫יש ִתיקוּ‬ ְ ‫טוּפּ‬ ִ ‫טוּ דוּלו‬ ַ ‫טוּט ִפינוּ ֵקי‬ ָ ‫טוּט ְכ ִתיקוּ‬ ‫יק ִט ֵיקיש‬ ְ ‫אקיש ְפ ֶל‬ ֵ ‫ֵש ְדיוּ ְפ ָל‬ :‫וְ יִ ְש ָראל ַה ְללוּיָ ה‬

IV

‫יכ ִט ֵיקי‬ ְ ‫ֵקיאוֹ יִ ְש ָר ֵאל טוֹ ֵד‬ ‫ֵקי ְש ִטי ַק ְר ַדיָ יטוּ‬ ‫ימיטוֹ‬ ִ ‫אַט‬ ִ ‫יש ִידי‬ ִ ‫טו ֵא ָיב ִלי אוֹ ָשן וְ ִל‬ :‫וְ יִ ְש ָראל ַה ְללוּיָ ה‬

V

‫יפּ ִריטוֹמי‬ ְ ‫ָש ָבתוֹ ֵק‬ ‫ימי‬ ִ ‫אַדוֹקי ֵא ָמש ֵמי פוֹלי ִט‬ ֵ ‫ילוֹהי‬ ִ ‫אַל‬ ִ ‫ִדיכוֹש ָק ִמיָ יא‬ :‫וְ יִ ְש ָראל ַה ְללוּיָ ה‬

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I

16

20 VI

24

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‫‪143‬‬

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‫‪Edited from P:‬‬ ‫‪A‬‬

‫‪28‬‬ ‫‪B‬‬

‫‪32‬‬ ‫‪C‬‬

‫‪36‬‬ ‫‪D‬‬

‫‪40‬‬ ‫‪E‬‬

‫‪44‬‬

‫יפי‬ ‫טוֹ ְפרוֹטוֹ לוֹגוֹ פוּ ַמש ִא ֵ‬ ‫סוֹמי‬ ‫יפ ֵ‬ ‫יס ֶט ְ‬ ‫ֵאינָ ש ֵתיאוֹש נָ א ִפ ְ‬ ‫יסוֹמי‬ ‫רוֹס ִקינִ ֵ‬ ‫ֵקי אַלוֹש נָ א ִמי ְפ ְ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּיָ ה‬ ‫יפ ֶטירוֹ לוֹגוֹ‬ ‫טוֹ ֶד ְ‬ ‫פוּאַקוּס ִט ֵיקי‬ ‫ְ‬ ‫יסוֹמי‬ ‫נוֹר ִק ֵ‬ ‫נוֹמאטוּנָ א ִמי ְ‬ ‫טוֹ ַ‬ ‫יפ ְטיֵ יאס‪.‬‬ ‫ֵמי ְפ ֶס ְ‬ ‫אסיֵ יאס‬ ‫יאל ְ‬ ‫יקיֵ יאס ֵקי ֵמי ֶפ ְיריֶ ַ‬ ‫אַד ְ‬ ‫ֵמי ִ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ֲללוּיָ ה‬ ‫אט ָירה ֵקי ִטי ַמאנָ ה‬ ‫טוֹ ַפ ֵ‬ ‫יסוֹמי‬ ‫ייאחרוֹנוּס פוֹלוּס נָ א זִ ֵ‬ ‫דוֹקוֹמי ֵקיָ ְ‬ ‫ֵ‬ ‫ימי נָ א‬ ‫ִט ִ‬ ‫נוּראנוֹ‬ ‫אַפאנוּ ְש ִטי יִ יש ֵקי טוֹ ָ‬ ‫ָ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ֲללוּיָ ה‬ ‫יקוֹמי‬ ‫אק ִריָ יה נָ א ְס ְט ֵ‬ ‫אַפוּ ְסקוֹטוֹמוֹ ַמ ְ‬ ‫אזוֹמי‬ ‫ֵקי טוֹן יִ יינֵ יקוֹן נָ א ִמי ִפ ָיר ֶ‬ ‫ימייוֹ‪.‬‬ ‫יפ ִס ְ‬ ‫יק ֶל ְ ִ‬ ‫ִמ ֶידי ֶמ ְ‬ ‫אר ִט ְירייוֹ‬ ‫ִמי ֵדי ֵמי ַמ ְ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ֲללוּיָ ה‬ ‫סוֹמי‬ ‫יפ ֵ‬ ‫אמה נָ א ִמי זִ ֶיל ְ‬ ‫לאוֹאיס ְפ ָר ָ‬ ‫ִ‬ ‫אתי‬ ‫ַק ֵ‬ ‫יסוֹמי‬ ‫אלי נִ א זִ ֵ‬ ‫אפי ֵמיגָ ִ‬ ‫ֵקי ֵמי אַגָ ִ‬ ‫יזוֹמי‬ ‫ית ֶ‬ ‫וֹוֹא ִ‬ ‫ֵקי ֵאינָ ש ִמי טוֹן אַלוֹ נָ א ִ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּיָ ה‬

‫‪Edited from N2:‬‬ ‫א‬

‫‪48‬‬ ‫ב‬

‫‪52‬‬

‫‪31/08/11 13:43‬‬

‫שוֹמי‬ ‫יא ֵ‬ ‫טוֹ ַש ַבאתוֹ נַ א אַיָ ְ‬ ‫שוֹמי‬ ‫יפ ֵ‬ ‫דוּל ְ‬ ‫יק ִשי ֶמ ֶיריש נָ א ְ‬ ‫ֵא ְ‬ ‫ִאי ְש ָתא ֵא ְ‬ ‫שוֹמי‬ ‫אפ ְפ ֶ‬ ‫יפ ַטא נָ א אַנַ ַ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬ ‫שוֹמי‬ ‫ֵ‬ ‫ימי‬ ‫יט ַירא נָ א ִט ִ‬ ‫ִק ִירי ֵקיי ִמ ֵ‬ ‫ישוֹמי‬ ‫ֵ‬ ‫יָ א פוֹלוּש ְכרוֹנוּש נַ א זִ‬ ‫אקוֹשיוּש ֵד ָיקא ְ‬ ‫ְ‬ ‫ְת ַר‬ ‫יסוֹמי‬ ‫ירוֹנוֹמ ֵ‬ ‫ִ‬ ‫קוֹשמוּש ְק ֵל‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬

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‫ג‬

‫‪56‬‬ ‫ד‬

‫‪60‬‬ ‫ה‬

‫‪64‬‬ ‫ו‬

‫‪68‬‬

‫‪144‬‬

‫קוֹטוֹשוּמי‬ ‫ֵ‬ ‫ֵקיי נַ א ִמי ְש‬ ‫שוֹמי‬ ‫אמיַ א יִ נֵ ָיקא ִמי ִפ ָיר ְק ֵ‬ ‫ַק ְ‬ ‫שוֹמי‬ ‫יפוֹטיש ִמי ְק ֵל ְפ ֵ‬ ‫ִט ִ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬ ‫ישוֹמי‬ ‫טוֹמ ְר ִט ִיר ִ‬ ‫נַ א ִמי ְפ ֵש ְפ ַ‬ ‫שוֹמי‬ ‫יפ ֵ‬ ‫ַפ ָראמ*א ְק ֵשינוֹ ִמי זִ ֶיל ְ‬ ‫ישוֹמי‬ ‫ֵאינַ ש ִאישטוֹן אַלוֹ נַ א וֹויִ ִט ֵ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬ ‫אטוֹרא‬ ‫ָ‬ ‫אוֹ ֵטימוּ ַפאנְ דוֹש ַק ַר‬ ‫יגוֹרא‬ ‫ימש גְ ִל ַ‬ ‫אק ֵש ַ‬ ‫ִפ ַיל ְ‬ ‫אוּלה‬ ‫ימש ִטין גֶ ָ‬ ‫ְס ִט ֵיל ַ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ֶללוּ יָ ה‬ ‫ישטא ִת ִריאַ ְרגַ ִלים‬ ‫יבוּמי ִא ַ‬ ‫ֵקי נַ א אַנֵ ֵ‬ ‫יכוּרים‬ ‫אוֹכ ַטא ִב ִ‬ ‫ימא ְ‬ ‫ֵמי טוֹ ִפ ֵיל ַ‬ ‫עוֹלה‬ ‫זִ יגוֹנְ ַדש טוֹ ק ְֹר ַבן ַ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יַ ה‬

‫‪Edited from Y:‬‬ ‫‪b‬‬

‫‪72‬‬

‫יפי‬ ‫טוֹן ֶד ְפ ִטירוֹן לוֹגוֹ ָא ְפ ָמס ִא ֶ‬ ‫סוֹמי‬ ‫ימ ֶ‬ ‫אט ִ‬ ‫אט ָרא נָ ִ‬ ‫ָמנֶ א ֵקי ַפּ ֵ‬ ‫יסוֹמי‬ ‫ימ ֵ‬ ‫אס ִט ִ‬ ‫ֵקי נָ ִמין טוּס וְ ָל ְ‬ ‫וְ יִ ְשׂ ָר ֵאל ַה ְללוּיָ הּ‬

‫‪Edited from S:‬‬ ‫ה‪1‬‬

‫‪76‬‬

‫אטוֹר‬ ‫ַ‬ ‫דוֹק ַר‬ ‫אַפנְ ִדי ַפנְ ְ‬ ‫ֵ‬ ‫מפ ִפ ֵס ָ‬ ‫ִס ַ‬ ‫ימ ַרה‬ ‫ימס ִס ֵ‬ ‫יגוֹרא‬ ‫ִטין גאולה ְס ִט ֵיל ַמס אוֹגְ ִל ַ‬ ‫וישראל הללויה‬

‫‪ according to‬ו ‪ to‬ה ‪, V to VI and‬ד ‪ to‬א ‪Hebrew version of stanzas I to IV,‬‬ ‫‪N2, the vocalization follows the manuscript‬‬ ‫‪I‬‬

‫‪4‬‬

‫‪31/08/11 13:43‬‬

‫ֶא ָחד ֶמ ֶלְך יְ יָ י‬ ‫עוֹלם הוּא ַחי‬ ‫עוֹלם וְ ָעד ַה ָ‬ ‫ִמן ַה ַ‬ ‫ֵב ִלי גוּף וְ ָ‬ ‫צוּרה‬ ‫וְ יִ ְש ַר ֶאל ַה ְללוּ יָ ה‬

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‫‪145‬‬

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‫‪II‬‬

‫ַה ַיָב ַשה ִה ְפ ִריד ִמן ַהיָ ם‬ ‫ַה ָש ַמיִ ם וְ כֹל ֵצ ַבאַם‬ ‫אָמ ַירה וְ ָח ְכ ַמה‬ ‫ַב ִ‬ ‫וְ יִ ְש ַר ֶאל ַה ְללוּ יָ ה‬

‫‪III‬‬

‫ְ‬ ‫וּל ִסינַ י יָ ַרד‬ ‫דוֹשה נַ ַתן ַלנוּ החרד‬ ‫תוֹרה ֵק ַ‬ ‫ָ‬ ‫וּב ַרד‬ ‫וּב ָר ִקים ַ‬ ‫ֵבקוֹלוֹת ְ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬

‫‪8‬‬

‫‪62‬‬

‫‪12‬‬ ‫‪IV‬‬

‫רוֹעה‬ ‫ְלמ ֶֹשה ַר ֵבינוּ ֶ‬ ‫ַהנֶ ֵא ַמן ֵבכֹל ִדי ֵליה‬ ‫תוֹרה ֵבלוּחוֹת ֵש ֶתי‬ ‫נַ ַתן לוֹ ַה ַ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬

‫א‬

‫ְל ַק ֶדש ֶאת יוֹם ַה ָש ַבת‬ ‫יש ָבת‬ ‫ִכי ֵבּיוֹם הוּא נִ ְ‬ ‫ֵש ֶשת ִ‬ ‫אכה‬ ‫יָמים נַ ָע ֶשה ֵמ ַל ַ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬

‫‪16‬‬

‫‪48‬‬ ‫ב‬

‫‪52‬‬ ‫ג‬

‫‪56‬‬ ‫ד‬

‫‪60‬‬ ‫‪V‬‬

‫‪20‬‬

‫ימא‬ ‫אַבא וְ ִא ַ‬ ‫ְל ַכ ֵבד ַ‬ ‫אַד ַמה‬ ‫יחיֶ ה ָעל ַה ַ‬ ‫ֶשנִ ְ‬ ‫אַבא‬ ‫עוֹלם ָ‬ ‫וּמ ַהנְ ִחיל ַ‬ ‫ְ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬ ‫לֹא ִת ְר ַצח לֹא ִתנְ ָאף לֹא ִתגְ נוֹב‬ ‫יעָך לֹא ָת ְחמוֹד‬ ‫ֵא ֶשת ֵר ָ‬ ‫וּל ָא ִמין ֵב ֶשם יְ יָ י‬ ‫ְ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬ ‫לֹא ַת ַענֶ ה ֵב ֶר ַעָך ֵעד ָשוא‬ ‫יעָך לֹא ִת ְתאַו‬ ‫וּבית ֶר ָ‬ ‫ֵ‬ ‫וְ ַל ַעזוֹר ֶאת ֵב ִח ֵירי יָ ה‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יה‬ ‫אוֹתה‬ ‫וְ יִ ְש ַר ֶאל ִק ֵבל ַ‬ ‫אוֹתה‬ ‫וּב ִלבוֹ נַ ַטע ַ‬ ‫ְ‬ ‫אוֹתה‬ ‫שוֹמר ַ‬ ‫ֵ‬ ‫ֵכ ֶע ֶדן טוֹב‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּיָ ה‬ ‫‪62. Not vocalized in ms.‬‬

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‫‪VI‬‬

‫וּמ ַילה‬ ‫ַש ַבת רֹאש ח ֶֹדש ִ‬ ‫נוֹרא ַע ִל ַילה‬ ‫נַ ַתן ַלנוּ ֶאל ַ‬ ‫וּמ ָילה‬ ‫ֵב ִלי שוּם ִמילוּד ִ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬

‫ה‬

‫נוֹרא‬ ‫ֶאל ַחי ָקיָם וְ ַ‬ ‫ַה ִצ ְילינוּ ִב ְמ ֵה ַרה‬ ‫אוּלה‬ ‫ֶש ַלח ַלנוּ ַהגְ ַ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ְללוּ יָ ה‬

‫‪24‬‬

‫‪64‬‬ ‫ו‬

‫‪68‬‬

‫‪146‬‬

‫וְ נַ ַע ֶלה ְל ַשֹלש ְרגַ ִלים‬ ‫יכוּרים‬ ‫נחת ַה ִב ִ‬ ‫ֵב ִמ ַ‬ ‫עוֹלה‬ ‫ֹרבן ָ‬ ‫וְ נַ ְק ִריב ק ַ‬ ‫וְ יִ ְש ָר ֵאל ַה ֵללוּ יָ ה‬

‫‪Edited from R:‬‬ ‫ז‬ ‫‪70‬‬

‫שובנו לגבולינו‬ ‫מהרה התר עולינו‬ ‫ונשוררך גואלינו‬ ‫בשלש פעמי רגלינו‬

‫‪ 1‬אנש ‪ֵ J‬אינַ ש ‪ֵ M N3 N4 S‬אינָ ש ‪ֶ N2 O1‬אנַ ש ‪ֵ N5 O2‬אינַ ס ‪ | Y‬אוקירייוש ‪ J‬או קירייוש ‪ R‬א ִֹקיריוֹ‬ ‫אוֹקיריוֹש ‪ O1‬אוֹ ִק ְירייוֹש ‪ P‬אוֹ‬ ‫אוֹק ְרייוֹש ‪ N3 N4‬אוֹ ִק ְירייוֹש ‪ִ N5‬‬ ‫ש ‪ L‬אוֹ ִק ְיריוֹש ‪ M O2‬אוֹ ִק ְירי ֹיוֹש ‪ִ N2‬‬ ‫אוֹתיאוֹס ‪ֵ | Y‬תיאוֹש ‪ְ M N2 N3 N4 N5 O1 P S‬תאוֹש ‪O2 2‬‬ ‫ִ‬ ‫ִק ְיריוֹש ‪ S‬אוֹקיְ יאוֹס ‪ | Y‬אותיאוש ‪L‬‬ ‫דוֹק ַראטוֹש ‪ָ N5‬פנְ דוֹ ְק ְר ָאתּוֹ‬ ‫נדוֹק ַרטוֹש ‪ַ N4‬פנְ ְ‬ ‫פנדוקרטוש ‪ַ J L‬פנדוֹ ְק ַראטוֹש ‪ַ M N3‬פנדוֹש ַק ְראטוֹש ‪ַ N2‬פ ְ‬ ‫ְ‬ ‫ש ‪ַ O2‬פ‬ ‫דּוֹק ָרטוֹס ‪ֵ | Y‬קי ‪ֵ M N3 N4 O1 P S Y‬קיי ‪ֶ N2 O2‬קי ‪| N5‬‬ ‫אנדוֹק ָריִתוֹש ‪ַ P‬פנְ דוֹש ְק ַרטוֹש ‪ַ S‬פּנְ ְ‬ ‫זונדאנוש ‪ L R‬זוֹנְ ַדנוֹש ‪ M N2 N3 N5 O1 S‬זוֹנְ ַדאנוֹס ‪ N4‬זוֹנְ ָדּנוֹש ‪ O2‬זוֹנְ ָדנוֹס ‪ Y 3‬דכוס ‪ J‬דיחוס ‪ L‬דּיכ‬ ‫יסי‬ ‫טוֹר ִ‬ ‫ישי ‪ִ N2 N3‬‬ ‫תוֹר ִ‬ ‫יסי ‪ִ M‬‬ ‫טוֹר ִ‬ ‫וֹש ‪ִ O2‬דיחוּס ‪ P‬דיכוֹס ‪ S‬דיחוֹס ‪ | Y‬שטורייש ‪ J‬שטוריש ‪ L‬טוריסי ‪ְ R‬ס ִ‬ ‫יסי ‪ְ P‬ס ִ‬ ‫תוֹר ִ‬ ‫ישי ‪ִ O2‬‬ ‫טּוֹר ִ‬ ‫שתוֹריִ יש ‪ְ N5‬ש ִ‬ ‫ְ‬ ‫‪N4‬‬ ‫תּוֹריָ ס ‪ֵ | Y‬קיי ‪ N2‬חס‘ ‪ְ N4‬קיֵ י ‪ | O2‬קיקורמי ‪R‬‬ ‫יסי ‪ִ S‬א ְס ְ‬ ‫טוֹל ִ‬ ‫יש ָר ֶאל ‪ N2 O1‬וְ יִ ְש ָר ֵאל ‪ N3 N4 O2 P Y‬וְ יִ ְש ַר ֶאל ‪ | N5‬אללויה ‪ַ M‬ה ְלל‬ ‫יקוֹר ִמי ‪ N4 4‬וישראל ‪ M S R‬וְ יִ ְ‬ ‫ֵק ְ‬ ‫וּ יה ‪ַ N2‬ה ְללוּיה ‪ַ N3‬ה ֲללוּיה ‪ַ N4‬ה ֲללוּ יָ ה ‪ַ O2‬ה ֲללוּיָ ה ‪ P‬הללויה ‪ֲ S‬ה ְללוּיָ הּ ‪ Y‬הללו יה ‪R‬‬ ‫‪ 5‬ייש ‪ִ L‬איִ יש ‪ M‬יִ יש ‪ִ N2 N3 P‬איִ יס ‪ | Y‬קי ‪ L‬קיטין ‪ֵ R‬קי ִטין ‪ֵ J M N2 N3 N4 N5 S‬קי ִטי ‪O1 P‬‬ ‫אסה‬ ‫אל ָ‬ ‫אשא ‪ַ N2‬ת ָל ָשא ‪ָ N4‬ת ָ‬ ‫ְקיֵ י ִטין ‪ֶ O2‬קי ִטין ‪ | Y‬תלשא ‪ J‬טינתלאסה ‪ L‬תלשא ‪ַ R‬ת ַל ַשא ‪ַ M N5 O2‬ת ָל ָ‬ ‫יפ ַל ֵסי ‪ֵ M S‬אי ְפ ַל ֶשי ‪ֶ N2‬א ְפ ָל ֵשי ‪ֵ N3‬אי ְפ ָל ֵשי‬ ‫‪ַ P‬פ ַל ַשא ‪ַ S‬ת ָל ָסא ‪ | Y‬אי פלשי ‪ J‬איפלא סי ‪ L‬אי פלשי ‪ֵ R‬א ְ‬ ‫יפ ַל ֵ‬ ‫יפ ָל ֶשי ‪ֶ O2‬א ְ‬ ‫יפ ָל ֵשי ‪ֶ O1‬א ְ‬ ‫יפ ַל ֶשי ‪ֵ N5‬א ְ‬ ‫‪ֶ N4‬א ְ‬ ‫אוּרנוֹ ‪M‬‬ ‫אסי ‪ֶ P‬א ְפ ָל ֶסי ‪ Y 6‬טונוראנון ‪ L‬טו נורנו ‪ R‬טוֹן ַ‬ ‫אוּרנוֹ‬ ‫אוּרנוֹ ‪ S‬טוֹן ַ‬ ‫נוּראנוֹ ‪ P‬טוֹן ַ‬ ‫נוּרנוֹ ‪ O2‬טוֹ ָ‬ ‫טוֹנוּרנוֹ ‪ O1‬טוֹ ָ‬ ‫ַ‬ ‫ֹנוֹרנוֹ ‪N5‬‬ ‫נוּרנוֹ ‪ N4‬ט ַ‬ ‫אוּראנוּ ‪ N2‬טוֹ ַ‬ ‫‪ N3‬טוֹן ַ‬ ‫ימ ְיליוֹ‬ ‫יוֹסי ‪ֵ M S‬ת ֵ‬ ‫ימ ְיל ֵ‬ ‫ית ֵ‬ ‫‪ֵ | Y‬אי ‪ֶ O1‬אי ‪ P‬חס‘ ‪ | J M N4 S Y‬איתמליושי ‪ J‬תימילוסי ‪ L‬איתימיליושי ‪ֵ R‬א ֵ‬ ‫ית ֵ‬ ‫ֵשי ‪ֵ N2 N3‬א ֵ‬ ‫ילוֹסי ‪ֵ Y 7‬מי‬ ‫יתי ֵמ ֶ‬ ‫ייוֹסי ‪ֵ P‬א ִ‬ ‫ימ ְיל ֵ‬ ‫יוֹשי ‪ֶ O2‬ת ֶ‬ ‫יט ֵמ ְיל ֶ‬ ‫יוֹשי ‪ֵ O1‬א ֶ‬ ‫יוֹשי ‪ְ N5‬ת ֵמ ְל ֵ‬ ‫יוֹשי ‪ֵ N4‬ת ֵמ ְל ֵ‬ ‫ימ ֵיל ֵ‬ ‫‪ֵ | M N2 N3 N4 N5 O1 O2 P S Y‬קי ‪ֶ M N2 N3 N4 O1 P S‬קי ‪ֵ N5‬קיי ‪ O2‬חס‘ ‪ Y‬מי לוגו קי הוס‘‬ ‫ימי ‪ Y‬חס‘ ‪ | L O2‬פרוניפשי ‪ J R‬מיפנואי ‪ְ L‬פר‬ ‫‪ J O2‬מילוגו קי הוס‘ ‪ֵ | N5‬מי ‪ֵ M N2 N3 N4 O1 P S‬ק ֵ‬ ‫וֹנֵ ְפ ִשי ‪ְ M N4 N5 O1 S‬פרוֹנֵ ְ‬ ‫נוֹאי ‪ 8 Y‬ר‘ שורה ‪4.‬‬ ‫יפּ ִ‬ ‫יפ ִסי ‪ִ P‬א ְ‬ ‫יפרוֹנֶ ְ ְפ ִשי ‪ְ O2‬פרוֹנֶ ְ‬ ‫ישי ‪ֶ N3‬מ ְ‬ ‫יפ ֵשי ‪ְ N2‬פֿרוֹנֵ ֵ‬

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‫ישטוֹ ‪ֵ N2 N4‬א ְשטוֹ ‪ִ N5‬אשטוֹ ‪ִ O1‬אשתּוֹ ‪ִ O2‬אסטוֹ ‪ | Y‬סטוסיני‬ ‫יסטוֹ ‪ִ M P S‬א ְ‬ ‫‪ 9‬איס ‪ L‬אישטו ‪ִ R‬א ְ‬ ‫אט ִיב ֵיקי ‪ֵ N2‬אי ַק ֵט ִבֿ ֵיקי‬ ‫‪ִ L‬סנַ י ‪ִ N5‬סינָ י ‪ִ O1 Y‬סּינַ יִ ‪ | O2‬איקטיביקי ‪ֶ L‬א ַק ֶת ִב ֵיקי ‪ֵ N1‬א ַיק ֵט ִב ֵיקי ‪ֵ M S‬אי ַק ֵ‬ ‫אטיוִ ֵיקי ‪ֵ P‬א ַיק ֵט ִיב ֵיקי ‪ Y‬איקאטיביקי ‪ R 10‬טו ‪ | J‬אַ‬ ‫יקיֵ י ‪ֶ O2‬א ַיק ֶ‬ ‫אט ִיב ֵיקי ‪ֶ N4‬א ַק ֶט ִב ֶיקי ‪ֶ N5‬א ַק ֶטּ ִב ְ‬ ‫‪ֵ N3‬א ַיק ֵ‬ ‫ימש ֵא ֵ‬ ‫דוֹקי ‪ֵ M S‬א ַ‬ ‫י ֹן ‪ | S‬מאשדוקי ‪ J‬אידוקי ‪ַ L‬מ ֵש ֵ‬ ‫אדוֹקי ‪ָ N5‬מ ְש ֶאי‬ ‫ֶ‬ ‫דוֹקי‪ַ N3 N4 O1‬מ ֵש‬ ‫ידוֹקיי ‪ַ N2‬מש ֵא ֵ‬ ‫יאיש‬ ‫ידוֹסי ‪ Y‬מש אדוקי ‪ R 11‬מי שטייש ‪ J‬מי שטייס ‪ֵ L‬מי ְס ֵטיֵ יש ‪ֵ M‬מי ְש ְט ֵ‬ ‫דוֹקי ‪ַ P‬מס ֵא ִ‬ ‫דּוֹקיי ‪ַ O2‬מס ֵא ֵ‬ ‫ֵ‬ ‫‪ֵ N2‬מי ְש ְטיֵ יש ‪ֵ N3‬מי ְש ְטיֵ יס ‪ְ N4‬ש ְטיֶ ש ‪ֵ N5‬מי ְש ִטיֵ יש ‪ֵ O1 O2‬מי ְס ְטיֵ יאס ‪ P‬מי סטייס ‪ֵ R‬מי ְס ֵטיאס ‪S‬‬ ‫ֶמ ִ‬ ‫אפיש ‪ N2‬אַ‬ ‫אַש ַט ַר ֵ‬ ‫אַס ְט ַר ֵפס ‪ְ M‬‬ ‫ימי ‪ | Y‬מסטראפיס ‪ J‬אסתרופיס ‪ְ L‬‬ ‫יסיזמוּס ‪ | Y‬קי ‪ J‬קי מי ‪ֶ L‬קי ‪ֵ N5‬ק ֵ‬ ‫אפיס ‪ P‬אסטרפיס ‪ֵ R‬א ְס ְט ַר ֵפס ‪S‬‬ ‫אַס ְט ָר ֵ‬ ‫אַס ֶט ַר ֵפיש ‪ָ O1‬א ְש ְט ָר ֶפש ‪ְ O2‬‬ ‫אַש ְט ַר ֶפש ‪ְ N5‬‬ ‫טר ֵפיס ‪ְ N3 N4‬‬ ‫ְס ַ‬ ‫ימי ‪ֶ | Y‬מי ‪ N5‬חס‘ ‪ | J L N4 O2 S Y‬מיברונדיס ‪ J‬ורנדיס‬ ‫ֲא ְס ְט ָר ֶפּס ‪ | Y‬קימי ‪ֵ L‬קיי ‪ֶ N2‬קי ‪ְ N5‬קיֵ י ‪ֵ O2‬ק ֵ‬ ‫‪ L‬וְ רוֹנְ ֵדש ‪ M S‬וְ רוֹנְ ֶדיש ‪ֵ N2‬מיוורוֹנְ ֵדיש ‪ N4‬וְ רוֹנְ ֶדש ‪ֵ N5‬מיוְ רוֹנְ ֵדּיש ‪ O2‬וְ רוֹנְ ֵדיס ‪ P‬וורונדיש ‪ R‬וְ רוֹנְ ֶדּס ‪Y‬‬ ‫‪ 12‬ר‘ שורה ‪4.‬‬ ‫‪ 13-16‬חס‘ ‪ N5 13‬טודו לו ‪ J‬טודולו ‪ L R‬טוּ דוּלוּסוּ ‪ M‬טוּדוּלוּ ‪ N2 N3 O1‬טוּדוּלוּטוּ ‪ N4 P‬טוּדּוּלוּ ‪O2‬‬ ‫טוּפ ְ‬ ‫יש ִטיקוּ ‪ִ N2‬‬ ‫יס ִטיקוּ ‪ M S‬טוּ ִפ ְ‬ ‫טוּ דוֹלוּ ‪ S‬טוֹדוּלוֹן ‪ | Y‬טופיסטיקו ‪ J‬טופסטיקו ‪ L‬טוּ ִפ ְ‬ ‫יש ִטיקוּ ‪N3 O1‬‬ ‫אפינו‬ ‫ישטּיקוּ ‪ O2‬טו פישטיקו ‪ R‬טוֹן ִפּ ְס ִטיקוֹן ‪ Y 14‬טואטפינו ‪ L‬טוּ ַט ִפינוּ ‪ M S‬טוּ ַט ִ‬ ‫טּוּפ ְ‬ ‫יס ִטיקוּ ‪ִ N4 P‬‬ ‫ִפ ְ‬ ‫‪ַ N2 N3‬‬ ‫טוּט ִפינוּ ‪ N4 O1‬טּוּ ָט ִפינוּ ‪ O2‬טוֹן ִט ִפּינוֹן ‪ֵ | Y‬קיי ‪ְ N2‬קיֵ י ‪ O2‬חס‘‪ | O1‬טוטפינו ‪ J‬קיטוטחטיקו ‪L‬‬ ‫אכ ִתיקוּ ‪ N2 N3‬טוּ ָט ְכ ִתיכוּ ‪ O2‬טבתיקו ‪ R‬טוֹן ָט ְכ ִטיקוֹן ‪ֵ Y 15‬ש ְדיוֹ‬ ‫)?( טוּ ַט ְכ ִתיקוּ ‪ M N4 O1 P S‬טוּ ַט ְ‬ ‫‪ִ M O1 S‬א ֵ‬ ‫אקיס ‪M‬‬ ‫ישי ְדייוֹ ‪ֵ N2‬שי ִדיאוֹ ‪ֵ N3‬ש ִידיוֹ ‪ֶ N4‬ש ְדיוֹ ‪ֶ O2‬ש ְידיוֹ ‪ P‬דיו ‪ֵ R‬ס ְדיוֹ ‪ | Y‬פלאקיס ‪ְ L‬פ ַל ֵ‬ ‫יטיש ‪M‬‬ ‫יק ֵ‬ ‫אקיש ‪ְ N3 N4 O1‬פ ְל ָא ֶקיש ‪ְ O2‬פ ָל ֶקס ‪ | Y‬פליקיטט ‪ J‬פיליקיטיש ‪ֵ L‬פ ֵל ִ‬ ‫יאיש ‪ְ N2‬פ ַל ֵ‬ ‫אַק ֵ‬ ‫‪ְ P S‬פ ַל ְ‬ ‫יש ֵטיש ‪ְ N4‬פ ֵל ְ‬ ‫יק ְ‬ ‫יל ִ‬ ‫יש ֵטש ‪ֵ N3‬פ ֵ‬ ‫יק ְ‬ ‫יש ֵטיש ‪ְ N2‬פ ֵל ִ‬ ‫יק ְ‬ ‫ֵפ ֶל ִ‬ ‫יס ֵטיס ‪P‬‬ ‫יק ְ‬ ‫יל ִ‬ ‫יטּיש ‪ֶ O2‬פ ֶ‬ ‫יק ֶ‬ ‫יק ִט ֵיקיש ‪ְ O1‬פ ֵל ִ‬ ‫יטס ‪ Y 16‬ר‘ שורה ‪4.‬‬ ‫יש ִטיֵ ש ‪ִ S‬פּ ֶיל ִק ֶ‬ ‫יק ְ‬ ‫פיליקישטיש ‪ֵ R‬פ ִל ִ‬ ‫‪ 17‬קי טו ‪ֵ L‬קי אוֹ ‪ִ M N3 N4 P Y‬קיאוֹ ‪ O2‬קי או ‪ֵ R‬קי אוֹש ‪ | S‬ישראל ‪ M‬יִ ְש ַר ֶאל ‪ N2 O1‬יְ ְש ַר ֶאל‬ ‫יכת ֵיקי ‪N2‬‬ ‫טודחטקי ‪ִ L‬ד ִ‬ ‫‪ N5‬יִ ְש ָר ֶאל ‪ O2‬יִ ְש ַר ֵאל ‪ | S‬טוֹן ‪ N2 Y‬טוּ ‪ S‬חס‘ ‪ | J N4 N5 O2 R‬טודקתיקי ‪ִ J‬‬ ‫טיקי ‪ֵ N4‬‬ ‫יח ֵ‬ ‫טוֹד ְ‬ ‫יקי ‪ֵ N3‬‬ ‫יכ ִת ִ‬ ‫ֵד ְ‬ ‫יכת ֵקי‬ ‫יכ ִת ֵיקי ‪ P‬טודי חטיקי ‪ֵ R‬ד ִ‬ ‫יקיֵ י ‪ֶ O2‬ד ְ‬ ‫טּוֹדּ ְק ִתּ ְ‬ ‫טוֹד ְק ִת ֶיקי ‪ֵ N5‬ד ְק ִט ֵיקי ‪ֶ O1‬‬ ‫יש ִטין ‪ִ N2‬איש ִטהין ‪ְ N3‬ש ִטין ‪ְ N4‬ש ִטין‬ ‫‪ֵ S‬ד ְכ ִט ֵיקי ‪ְ Y 18‬קיֵ י ‪ַ O2‬קי ‪ P‬חס‘ ‪ | N3‬סטין ‪ִ L‬א ְס ִטין ‪ִ M Y‬א ְ‬ ‫‪ְ O2‬ש ִטין ‪ P‬שטין ‪ִ R‬אין ְס ִטין ‪ S‬חס‘ ‪ | J‬שטיקרייטו ‪ J‬כרדיטו ‪ַ L‬ק ְר ְדיַ א טוּ ‪ַ M S‬ק ְ‬ ‫אר ִדיאַ‬ ‫אַר ַדיַ אטוּ ‪ַ N2‬ק ְ‬ ‫רדיַ יטוּ ‪ָ O1‬ק ְר ְדּיָ אטוּ ‪ O2‬גָ ְר ְדיָ יאטוּ ‪ P‬גרדיאטו ‪ַ R‬ק ְרדּיָ טוּ ‪ | Y‬טוֹן ‪M‬‬ ‫טוּ ‪ N3‬גַ ְר ִדיאַטוּ ‪ַ N4‬ק ְר ְדיַ טוֹ ‪ַ N5‬ק ִ‬ ‫אלי ‪P‬‬ ‫אלי ‪ֵ N4‬א ַב ֶלי ‪ֶ N5‬א ָיב ֶלי ‪ֵ O2‬א ָיב ֵ‬ ‫אלי ‪ֵ N3‬א ַיב ֵ‬ ‫‪ | N2 O2 S Y‬הואלי ‪ֵ L‬א ַיב ִלי ‪ֵ M‬א ַיב ֵלי‪ֵ N2 O1 S‬איוַ ֵ‬ ‫אוֹשן ‪ O1 O2‬או ַשאן ‪ P‬אוּ‬ ‫אוֹשן ‪ָ N3 N4 N5‬‬ ‫אוֹשאן ‪ַ N2‬‬ ‫אוֹשן ‪ַ M‬‬ ‫איבאלי ‪ֵ R‬איוָ ֶלי ‪ Y 19‬אושן ‪ J‬אוסן ‪ַ L‬‬ ‫אַט ִ‬ ‫אַתימיטוֹ ‪ִ N4‬‬ ‫ִ‬ ‫יס ִידי ‪ֲ N2‬סוְ ֵל ִס ִידי ‪| Y‬‬ ‫ַשן ‪ S‬חס‘ ‪ | Y‬ולישידו ‪ J‬וליסידי ‪ L‬וְ ִל ִ‬ ‫ימיתוֹ ‪ָ N5‬א ִטימיטוֹ ‪O2‬‬ ‫טוּפיטוּ ‪ Y 20‬ר‘ שורה ‪4.‬‬ ‫ימיטוּ ‪ֵ S‬‬ ‫אַט ִ‬ ‫אתימיטו ‪ִ R‬‬ ‫‪ַ 21‬ש ַבטוֹ ‪ַ M‬ש ַבאתוֹ ‪ַ N2‬ש ַבתוֹ ‪ַ N3 N4 N5 O1 S‬ש ָבתוֹ ‪ָ P‬ש ַבתּוֹ ‪ | Y‬קי פריטומי ‪ J‬קי פיריטומי ‪L R‬‬ ‫ידוֹסי הוס‘ ‪ S 22‬אידוק‬ ‫יטוֹמי ‪ֵ Y‬א ֵ‬ ‫טּוֹמי ‪ֶ O2‬ק ִפ ִיר ִ‬ ‫יטוֹמי ‪ְ N3 N5 O1 P S‬קיֵ י ֶפ ְר ִ‬ ‫יטוֹמי ‪ֵ M N2 N4‬קי ְפ ִר ִ‬ ‫ֵקי ֵפ ִר ִ‬ ‫ידוֹסי ‪[ | Y‬אוֹ ֵתיאוֹש] חס‘ ‪J L N1‬‬ ‫דּוֹקיֵ י ‪ַ O2‬מס ֶא ֶ‬ ‫דוֹקי ‪ֶ N3 N4 N5 O1 S‬א ְ‬ ‫ידוֹקי ‪ֵ N2‬א ֵ‬ ‫ידוֹסי ‪ֵ M‬א ִ‬ ‫אס ֵ‬ ‫‪ַ L‬מ ֵ‬ ‫אוֹתיאוֹס ‪ | Y‬אימש ‪ J‬אימס ‪L‬‬ ‫אוֹטיאוֹש ‪ N2‬אוֹ ֵתיאוֹש ‪ N4 O2 P‬אוּ ֵפיאוֹס ‪ֵ S‬‬ ‫‪ N3 N5 O1‬אוֹ ֵתיאוֹס ‪ֵ M‬‬ ‫ימס ‪ S‬חס‘ ‪ֵ | M Y‬מי חס‘ ‪| J L N5 P Y‬‬ ‫ימש ‪ֵ P‬א ַ‬ ‫ימש ‪ֵ O2‬א ָ‬ ‫ימש ‪ֶ N2 N3 N4‬א ַמש ‪ֵ N5‬א ָמש ‪ֶ O1‬א ָ‬ ‫ֵא ַ‬ ‫מיפולי ‪ִ J L‬‬ ‫יפוֹלי ‪ | Y‬טימו ‪ R 23‬דיחוס ‪ L‬דיכוֹס ‪ M S‬דּיכוֹש ‪ O2‬דיחוּס ‪ | Y‬קאמיא‬ ‫יפוֹלי ‪ֶ N5‬ס ִ‬ ‫פּוֹלי ‪ֶ M‬מ ִ‬ ‫לוֹאי‬ ‫אַלין ִ‬ ‫יאה ‪ | Y‬אלילואי ‪ִ L‬‬ ‫אַמיָ א ‪ַ N2‬ק ְמיָ יא ‪ַ N4 N5 P‬ק ְמיָ א ‪ָ O1‬ק ְמיָ א ‪ֲ O2‬ק ִמ ָ‬ ‫‪ַ L‬ק ִמיאַה ‪ַ M N3 S‬ק ִ‬ ‫ילוֹאי ‪ Y 24‬ר‘ שורה ‪4.‬‬ ‫לוֹהי ‪ֲ N2‬א ִל ִ‬ ‫אַלי ִ‬ ‫‪ִ MS‬‬ ‫יפּי ‪ְ M S‬‬ ‫‪ 25‬טוֹן ‪ M S‬טון ‪ְ | Y‬פּרוֹטוֹ ‪ְ M‬פּרוֹתּוֹ ‪ | Y‬לוֹגוֹש ‪ | S‬אוֹפּוּ ַמ ִש ֵ‬ ‫יפי ‪ֵ Y 26‬אינַ אן ‪ֵ M‬אנַ יש‬ ‫אוֹפּ ָמס ִא ִ‬ ‫סוֹמי ‪ֵ Y 27‬קי חס‘ ‪ | Y‬אַלוֹן‪ֲ M S‬אלוֹן ‪ | Y‬נַ ִמין ‪M‬‬ ‫יפּ ֵ‬ ‫שוֹמי ‪ S‬נָ ִפ ְס ֶט ְ‬ ‫ישט ְפ ֵ‬ ‫שוֹמי ‪ M‬נַ א ִפ ֵ‬ ‫יש ֵט ְפ ֵ‬ ‫אפ ְ‬ ‫‪ֵ S‬אינַ ן ‪ | Y‬נַ ִ‬ ‫יסוֹמי ‪ Y 28‬וישראל ‪ | MS‬אללויה ‪ M‬הללויה ‪ַ S‬ה ְללוּיָ הּ ‪Y‬‬ ‫רוֹשׁ ִקינִ ֵ‬ ‫יפ ְ‬ ‫אמ ְ‬ ‫‪ S‬חס‘ ‪ | Y‬נָ ִ‬ ‫ימישוֹמי ‪M 31‬‬ ‫ול ְש ִת ִ‬ ‫טוֹנּמאטו ‪ | M‬נַ ִמי ‪ַ | M‬‬ ‫ַ‬ ‫אַקוּש ִט ֵיקי ‪M 30‬‬ ‫ְ‬ ‫יפ ֵטירוֹ ‪ | M‬לוֹגוֹן ‪ M‬פוּ‬ ‫‪ 29‬טוֹן ‪ֵ | M‬ד ְ‬ ‫ְפ ֵש ְפ ְטיֵּ יש ‪ֵ | M‬מי חס‘ ‪ִ | M‬‬ ‫ישיש ‪ M 32‬וישראל ‪ | M‬אללויה ‪M‬‬ ‫ימי ‪ֵ | M‬פ ְריֵ ֵיל ֵ‬ ‫אַד ֵיקיש ‪ֵ | M‬ק ֵ‬

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‫ | ְחרוֹנוּש‬M ‫ | פוֹלוּש‬M ‫ ֵקאַייא‬M 34 ‫דוֹקוֹמי‬ ֵ ַ‫ | נ‬M ‫ימי‬ ִ ‫ | ִת‬M ‫ | ַמנַ א‬M ‫יטי‬ ִ ‫ | ֵק‬M ‫ | ַפ ֵטירוֹן‬M ‫ טוֹן‬33 23. ‫ ר‘ שורה‬M 36 ‫אוּרנוֹ‬ ַ | M ‫ | טוֹן‬M ‫ | ִטיִ יש‬M ‫אַפנוֹ‬ ַ M 35 ‫זיסוֹמי‬ ֵ ַ‫ | נ‬M ‘‫הוס‬ ֵ ‫ | נַ ְס ֵט‬M ‫ | ַמ ְקריאַ‬M ‫ | ְשקוֹטוֹמוּש‬M ‫ אַפוֹ‬37 M ‫סוֹמי‬ ֵ ‫ | ִפ ַיר ְק‬M ‫אמי‬ ִ ַ‫ | נ‬M ‫ | יִ ינֵ קוֹן‬M ‫אטין‬ ֵ ‫ ַק‬M 38 ‫קוֹמי‬ 23. ‫ ר‘ שורה‬M 40 ‘‫ חס‬39 M ‫יסוֹמי‬ ֵ ִ‫ | נַ אז‬M ‫אלי‬ ִ ַ‫ | ֵמיג‬M ‫אפי‬ ִ ַ‫ | אַג‬M ‫ימי‬ ֵ ‫ ֵק‬M 42 ‫סוֹמי‬ ֵ ‫יפ‬ ְ ‫ | זִ ֵיל‬M ‫אמי‬ ִ ַ‫ | נ‬M ‫אמא‬ ַ ‫ | ְפ ַר‬M ‫ לוֹיִ יש‬41 ְ | M ‫יפ ֵטירוֹ‬ ְ ‫ ֵד‬23.69 ‫ ר‘ שורה‬M 44 ‫יסוֹמי‬ ֵ ‫ית‬ ִ ‫אבוֹא‬ ִ ַ‫ | נ‬M ‫ | אַלוֹן‬M ‫ ֵאינַ אן‬43 | M ‫ ַמנַ א‬M 70 ‫יפּי‬ ֵ ‫אַפּ ַמ ִש‬ M. ‫ | אללויה‬M ‫ וישראל‬M 72 ‫יסוֹמי‬ ֵ ‫ימ‬ ִ ‫ | וְ ַל ְס ִת‬M ‫אמין‬ ִ ַ‫ נ‬M 71 ‫יסוּמי‬ ֵ ‫ימ‬ ִ ‫אט‬ ִ ַ‫ | נ‬M ‫אט ַירא‬ ֵ ‫ַפּ‬ ָ ‫נדוֹק‬ ְ ‫ ַפ‬73 ‫ימ ַרה‬ ֵ ‫ימס ִס‬ ַ ‫יס‬ ֵ ‫ימ ַפּ ִת‬ ְ ‫ הומו*ל מציג לקרוא סמפתסמימס | ִס‬R 74 ‫ פנדו קראטורה‬M ‫ראטוֹרא‬ M ‫ אללויה‬R 76 ‫ תי גאולה שטילמאש גליגורה‬R 75 ‫ שמבא תישימאש סימירה‬M

J L M N1 N2 N3 N4 N5 P O1 O2 R S Y

= Ms owned by a Jerusalem book-seller, ‫פיוטים‬, 19th century, probably Corfu, F. 71970. = Leeds, Brotherton Library, MS Roth 731 (formerly in the possession of C. Roth), copied 1853 in Corfu or Zante, F. 15541. = Edition Matzas in Sefunot. = NY JTS MS 5438 (formerly ENA II 0803), ‫סדור מנהג רימניא‬, 17th century, F. 37202. = NY JTS 4588 (formerly ENA 725), probably 18th century, F. 25491. = NY JTS 4588 (formerly ENA 725), probably 18th century, F. 25491. = JTS 4772 (formerly ENA 741), 18th century, F. 25673. = NY JTS Ms 4692 (formerly ENA 1746), ‫סדור מנהג קורפו לשבועות‬, 1797, F. 25596. = Paris Jean Lubetzki, ‫מחזור מנהג קורפו לשל רגלים‬, 18th century, F. 42603. = Oxford Bodleian Ms Opp Add. fol. 58 (Neubauer 2500) ‫מחזור מנהג רומניא‬, 18th century, F. 22212. Edited text. = Oxford Bodleian Ms Opp Add. Pct 44, (Neubauer 2379), ‫פזמונים מנהג קורפו‬, 1793, F. 21442. = Manchester - John Rylands University Library, Ms Gaster 163, ‫מחזור‬ ‫שבועות מנהג קורפו‬, 1829, written by Shabbetai b. Salomo Beleli. = Edition Papageorgios. = Makhon ben Zvi 2051, ‫פיוטים בעברית וביונית‬, Ioannina 1877, F. 27100.

Transcription of judeo-greek text: I

4 II

8

´Enav o Kúriov o qeóv pantokrátov kai hwntanóv díxwv stórjsj kai kormí we-Israel halleluya! Tjn gßv kai tjn qálassa éplase ton ouranó eqeméliwse me lógo kai me frónecj we-Israel halleluya!

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III

12 IV

16 V

20 VI

24 A

28 B

32 C

36 D

40 E

44

149

Eiv to Sinai ekatébjke ton ágio nómo mav édwke me stiév me astrapáv kai me brontév we-Israel halleluya! Tou doúlou tou pistikoú tou tapeinoú kai tou taxtikoú se duó plákev pelekistév we-Israel halleluya! Kai o Israel to déxtjke kai stj kardiá tou to ébale wsan blusídi atímjto we-Israel halleluya! Sábbato kai peritomß édwke emáv me pollß timß díxwv kammiá állj loß we-Israel halleluya! To prÉto lógo pou mav eípe énav qeóv na pistécwme kai állon na mj proskunßswme we-Israel halleluya! To deútero lógo pou akoústjke Tó noma tou na mjn orkßswme Me ceutiév, me adikiév kai me pergelasiév we-Israel halleluya! To patéra kai tj mána timß na dÉkwme kai gia xrónouv polloúv na hßswmen apánw stj gjv kai ton ouranó we-Israel halleluya! apou skotwmó makriá na stékwme kai twn gunaikÉn na mj peiráhwme mjde me klecimió mjde me marturió we-Israel halleluya! Káqe loßv práma na mj hjlécwme kai me agápj megálj na hßswme kai énav me ton állo na bojqßswme we-Israel halleluya!

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150 ‫א‬

48 ‫ב‬

52 ‫ג‬

56 ‫ד‬

60 ‫ה‬

64 ‫ו‬

68 b

72 1‫ה‬

76

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To Sábbato na agiáswme ézi mérev na doulécwme eiv ta eftá na anapácwme we-Israel halleluya! Kúrj kai mjtéra na timßswme gia polloúv xrónouv na hßswme trakósouv déka kósmouv kljronomßswme we-Israel halleluya! Kai na mj skotÉsoume kammiá gunaíka peirázwme típotiv mj klécwme we-Israel halleluya! Na mj ceutomartjrßswme práma zéno mj hjlécwme énav eiv ton állon na bojqßswme we-Israel halleluya! W qeé mou pantóv krátora fúlaze mav glßgora steíle mav tjn Ge’ulla we-Israel halleluya! Kai na aneboúme eiv ta tria Regalim me to filema ox ta Bikkurim hugwntav to Qorban ‘Olah we-Israel halleluya! Ton deúteron lógo opou mav eípe mána kai patéra na timßswme kai na mjn touv blastjmßswme we-Israel halleluya! Aféntj pantokrátora sjmpáfjsé mav sßmera tjn Ge’ulla steíle mav oglßgora we-Israel halleluya!

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Philological Commentary on the Judeo-Greek text NB.: the aim of this commentary is a down-to-earth analysis of the text, not an exhaustive literary or linguistic treatment. It is neither my purpose to put the text into its literary or social contexts — this is done in the introduction and at the end of this commentary. The method followed is more traditionally philological to give a first insight to the non-Byzantinist reader. Importance has been given to facts concerning Greek linguistic development, stylistics and syntactical analysis. For doing this, I have used the dictionaries of common usage among Byzantinists-Neohellenists: Dimitrakos, Kriaras, Lampe and LSJ and Trapp (v. infra).63

‫וישראל הללויה‬: this phrase in Hebrew keeps the three parts of the text together (viz. stanzas I-VI, A-E, ‫ )א – ו‬and consists of eight syllables (v. s.). It is also the only part of the song which is consistently hold in — very simple — Hebrew. I ÁEnav ö kúriov: this first sentence of the song covers the whole first stanza. It is a nominal phrase, consisting of nominal predications of God, while the other stanzas of part I have a different structure (except IV which is a series of predications on Moses as giver of the tablets, v.i.).While the first and the second predications are positive: “almighty”, the third is negative (“without picture and body”). This first predication corresponds to the Shema Israel (‫)שמע ישראל‬, of which it is a Modern Greek translation, but cf. LXX, Deut. 6:4. Pantokrátorav: this unattested (v. Kriaras, with further MG evidence) form is, of course, a semi-learned form of the classical and biblical (since LXX, v. Hatch-Redpath, often for Hebrew ‫ יהוה צבאות‬but also for other names of God that are combined from two words like ‫ )יהוה אלהים‬pantokrátwr, which in its ending does not fit the patterns of MG noun declension (SMG would be the almost artificial pantokrátorav, still sounding a little odd). Other mss. have pantòv krátov, etc., which is just a graphical corruption into two words (v. i). stórjsj: out of use in SMG. This word, common in medieval and modern vernacular texts (v. Kriaras, s.v.), is the popular/vernacular development 63. D. DEMETRAKOS, Méga lezikón óljv tjv Elljnikßv glÉssjv, Athens, second edition, 1953, vol. 1-9; E. KRIARAS, Lezikón tjv mesaiwnikßv Elljnikßv djmÉdouv grammateíav, Thessaloniki, 1969; G.W.H. LAMPE, A patristic Greek lexicon, Oxford, 19th edition, 2005; LIDDELL-SCOTT-JONES, A Greek-English Lexicon, Oxford (various editions); E. TRAPP, Lexikon zur byzantinischen Gräzität besonders des 9.-12. Jahrhunderts, Wien, 1994.

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of AG ïstórjsiv “description” with the typical medieval meaning of “depiction, picture”, today, under classical influence, on the verge of disappearing again (according to Kriaras, today only in Crete; the SMG word is hwgrafía). The later ms. tradition has misunderstood this word already and took it, due to graphical confusion, as qeÉrjsj “face” (from Ancient Greek qeÉrjsiv), for which v. Kriaras, s.v. II Tjn gßv: this stanza has the classical structure of this first part of our text (viz. stanzas I-VI): two lines with each one finite verb and a third one with a nominal phrase, specifying the first two lines. Gßv: SMG substandard and dialectical, but common until the 19th century in written vernacular texts, too. On the form (from Ancient Greek katà g±) v. Gewrgíou Xathidáki: Mesaiwnikà kaì Néa ¨Elljniká, vol. 2 (Athens, 1905), p. 654. The Pentateuch from Constantinople uses both forms, with and without final /s/. Me lgo kai me ƒrnej: the last word displays an odd ending, SMG would be frónjsj, AG frónjsiv “wisdom”. The word as it stands would be the normal phonetic development of *fróneusiv, a form that is unknown to me from all existing dictionaries. I don’t think, however, that we are dealing with an ungrammatical word. The interchange of morphems between ancient and Modern Greek is quite common and this form might exist in modern dialects, a fact which my friend, L. Stephou, confirms to me from her dialect. That God created the world with his wisdom (‫ )חכמה‬is common in Jewish exegesis, cf. commentary on contents. III ´Agio nómo: since the LXX the common translation of Torah. Stiév “fire”: The old ëstía developed in popular Greek into stiá “fire” (cf. focus to fuego in Latin to Spanish), which is not anymore existent in SMG but felt as archaic, poetic or dialectical (according to Kriaras, s.v. ëstía: today in Cyprus and on the Black Sea; SMG has the learnedism ëstía “hearth”, mostly metaphorical). Important is the fact that the Pentateuch of 1547 uses the form presented in our hymn regularly, e.g. in Ex 12:8, for “fire”(LXX pÕr); SMG has only fwtiá. Astrapáv “lightening”: the archaic acc. plural (SMG is always - év) is another feature that shows that our text can well be older than the 17th century when the first mss. set in.

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IV Tou doúlou: this stanza is the only pure nominal one in stanzas I-VI except, as has been said, stanza I, and heaps up epitheta for Moses, thus being in a perfect correspondance with stanza I. Here, doúlov, of course, represents Hebrew ‫ ;עבד‬pistikó (a late variant of Ancient Greek pistóv) stands for ‫( נאמן‬cf. commentary on contents); tapeinóv (for a Modern Greek reader/listener, this word sounds very Christian) stands for Hebrew ‫ענו‬, this translation is old (v. Hatch-Redpath, s.v.); taktikóv stands for Hebrew ‫זריז‬, another traditional epithet of Moses. Taxtikoú: note the phonetically regular vernacular development of the ancient taktikóv into a form with aspiration which is, as far as I know, now inexistent in MG, while SMG taktikó “ordinary” is a learnedism. plákev pelekistév: is an almost literal translation of LXX, Ex. 32:16: graf® qeoÕ … kekollaménj ên ta⁄v plazín, the verb koláptw being replaced by MG pelekíw (which is rare in AG, being more common pelekáw).This is a very good example of how the Ancient Greek terminology stemming from the LXX was replaced by the MG one. V Blusídi/Bljsídi (the orthography is debatable, v. i.) “treasure”: this word, which does not exist anymore in SMG (it would sound even completely incomprehensible), is difficult to understand and interpret. Its etymology was debated: G. Hatzidakis (according to Kriaras), the founding father of Modern Greek linguistics, considered it to be a derivation from AG blúsiv “bubbling up” (LSJ) > “gushing forth, flow“(Lampe) > blusídin (formally, a diminuitive; but in SMG, many old diminuitives have the meaning of a simplex). The Greek scholar Favis, on the other side, derived it from AG bl±siv from bállw “to throw, to put”. The full formal and semantic development of this word has, however, been clarified only with the extremely useful dictionary by E. Trapp, which is still not complete. According to it, the first attestation occurs in the “Life of St. Spyridon of Tremithus” from the 7th century in the meaning “Vorrat, Ladung” (so, the derivation from bállw seems correct). In later texts, like the notary formulas from Southern Italy (13th century, v. Trapp), it means “Vermögenswert”; Eustathios from Thessaloniki (12th century) uses it in his commentary on the Iliad (ibid.). If we look at the attestations as given by Kriaras for medieval vernacular literature (there is an additional testimony in vol. 9), we find three meanings:

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1) “treasury”, only attested in the Pentateuch from 1547; 2) “probably” (Kriaras) a kind of “gold coins”: This meaning appears in documents (contracts) from Venetian Crete (17th century) that have been published by the Greek scholar Vizvizis. This is the only sense which seems to be preserved in MG dialects, v. Istorikón Lezikón, s.v. 3) “capital in money” (appears in documents from the Ionian islands — to which Corfu belongs!) from the early 16th century, published by the Greek scholar Manousakas. The key, however, for the understanding of our word in this context, is its use in the Pentateuch of 1547 (Nr. 1, in Kriaras). Here it is to be found throughout to render a crucial concept of Judaism: that Israel is God’s own possession, his ‫ ;סגולה‬thus Israel is called ‫( עם סגולה‬TNK translation: “my treasured possession”, JPS: “own treasury/his own treasured people,” EÜ: “besonderes Eigentum”). The places where this expression occurs are of course those where the Covenant is mentioned: Exod. 19:5; Deut. 7:6; 14:2; 26:18. And it is exactly shavúot when the giving of the Torah (‫מתן‬ ‫ )תורה‬was celebrated with such piyyutim as our hymn, and we have noticed already in our commentary that many textual allusions connect our hymn to the Greek of the passages concerning the divine law-giving to Moses in Exodus. The LXX’s rendering of this Hebrew word or syntagma was, of course, (laòv) perioúsiov, probably an artificial derivation (by the authors of the LXX?) from AG periousía (there exists also periousiasmóv, v. HatchRedpath) “property” (as such also SMG), and this translation was adopted by the early Christians as one of their self- designations. The only conclusion that can be drawn from this history of the rendering of ‫ עם סגולה‬in Greek is that the Romaniote Rabbis decided, probably not earlier than the 7th and before the 16th century, to give up the old LXX rendering and to put a popular, almost vernacular Greek word in its place, bljsídion, in its Early Byzantine secular meaning, “private property” (the context of the Vita of St. Spyridon suggests that the word meant the “private property” of a merchant on a ship, and Tobia b. Eliezer in his commentary on Eccl. 2:7 still understands ‫ סגולה‬in the sense of “treasures (of kings)” and combines it with 1 Kings 10,27). As such, bljsídi was used by Christians and Jews alike, until the Christians almost gave it up again, except in some dialects, where however the abstract and the religious meaning (which probably never existed among Christians, since they kept the wording of the LXX) completely disappeared, and a more concrete significance (“coins”)

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is the only one existing today in peripherical areas of Greece. SMG has, again, the AG qjsauróv and perouía. The author of our hymn evidently knew the usage of the Pentateuch of 1547 and thus linked his poem to this very old translation — for him it was in all probability a terminus technicus, and maybe unknown to him in its original meaning, an archaism reserved for religious contexts like Shavúot. Thus it turns out that the difficult word bljsídi and its interpretation can be considered crucial for our understanding of Romaniote culture and literature, putting the traditional Greek exegesis of the Byzantine Rabbis into the context of the development of the Greek language. VI ´Edwke: this form is not SMG today, the normal form of the aorist 3rd pers. sg. of dínw “to give” being édwse. Some late mss. show exactly this more recent form, thus hinting towards the slow modernization of the text — perhaps under oral influence. ¨Edwke máv: the word order is old, too: SMG would be mav édwse. In this poem, word order is generally speaking still more archaic than in SMG. The main indicator for this is the position of the unaccentuated pronoun. Today, only peripherical dialects like Cypriot preserve the old word order. Loß: coming from the late logß (discussion with reference to Georgacas in Kriaras, s.v.), this word is not known in MG anymore, except in the Gen. sg./pl. forms logßv/logiÉn (exceptions are, again, the Pontic and Cypriot dialects, acc. to Kriaras), like in phrases such as káqe logßv ánqrwpov “men of any kind”. The meaning here “in no other way” corresponds very well to the phraseological evidence in Kriaras, s.v. logß, ekƒr 1 and 2: diá kamiá logß “in no way”, v.e. ibid. s.v. állov 5d fr. A To prÉto: with this stanza, the retelling of the Decalogue begins which covers all the subsequent stanzas until ‫ה‬. For the order of the commandments, cf. the commentary on contents. The first commandments are given each one stanza (A-C), while in the following ones (D-E) each stanza covers six commandments. In ‫ א‬again, one stanza deals with one commandement, thus showing the importance given to keeping the Shabbat. Lógo: It is interesting that in Ex 20:1, at the beginning of the Decalogue, the same Greek word lógov is used referring to the Lord speaking to Israel, while dekálogov is late and very rare (v. Kriaras), the SMG form being entolß “commandment.”

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Eípe (“said”): like in the following stanza (akoústjke “it was heard”) a preference seems to be given here to the oral transmission of the law, in contradiction with the preceding stanzas, where the tablets are mentioned (plákev pelekistév, v.s.). This might be an indication that this part of the song has another author and was composed later than the first (I-VI). ´Enav qeóv: the syntactical difficulty that from pisteúw a nominative is dependent, can easily be resolved if we assume that the syntagma énav qeóv as a whole confession of faith (corresponding to ‫ )יי אחד‬depends on the verb, so this syntagma could be put into quotation marks. Na: this very common conjunction of SMG (< AG ÿna) is used at least once in all of the following stanzas since it inculcates the observation of the law by introducing the subjunctive as substitute for the imperative in the first person of the plural. Pistécwme: the thorough use of the 1st pers. pl. in all the following stanzas while in the biblical original only the 2nd pers. sg. is mentioned very strongly underpins the address to the whole Jewish community which is even more evident in the last two stanzas (‫ ה‬and ‫)ו‬, where the Decalogue is not present but messianic and cultic overtunes gain ground, which are still expressed with the 1st pers. pl. Proskunßswme: since the LXX, the translation of various Hebrew words (v. Hatch-Redpath) and common in SMG, mostly in its Christian sense (metaphorically meaning “to adore”). B Nóma: this form is archaic, and today persists only in the dialects (SMG is ónoma). The aphaeresis of o — is a common phenomenon of vernacular Greek in the Middle Ages (ôrúhion>rúhi “rice”), but in this word it has been recorrected in SMG to its ancient form. Of the medieval form with aphaeresis, only nomátoi persists today (“renowned” n¢CC¢C)20, the preservation of the distinct participle form for feminine plural –at (†ah®at) vs. the colloquial use of a masculine plural suffix for plural feminine forms (†ah®in)21, and the use of the archaic demon18. CHETRIT, Sources, pp. 27-29; J. CHETRIT, “Changes in the Discourse and Arabic Language of the Jews of North Africa at the End of the Nineteenth Century” (in Hebrew), Pe‘amim 53, 1992, p. 93; J. FRAENKEL, “L’imprimerie hébraïque à Djerba (étude bibliographique)”, thèse de doctorat de troisième cycle, université Paris III, Paris, 1982, see index. See P.B. FENTON, “L’arabe dans Rachi et Rachi en arabe”, in R.S. SIRAT (ed.), Héritages de Rachi, Paris, 2006, pp. 266-270. 19. An attempt to counter the French influence on Algerian Jews by publishing JudeoArabic translations and commentaries was made already in the nineteenth century by R. Shelomo Zarka, albeit on a much smaller scale. R. Shelomo Zarka was born in Tunis and moved to Algeria, lived for a while in Oran and then moved to Constantine. See CHARVIT, Élite rabbinique, pp. 77, 84, 101; CHETRIT, Sources, p. 26; E.R. MARCIANO, Sefer Malkhe Yeshurun, Jerusalem, 2000, p. 118; S. ELKAYAM, “Pedagogic Principles in the Writings of R. Shelomo Zarka” (in Hebrew), Hemda‘at 1, 1997, pp. 34-37; A. D. CORRÉ, “Le vocabulaire emprunté dans le livre Say Lamora” (in Hebrew), in I. BEN-AMI (ed.), Recherches sur la culture des Juifs d’Afrique du Nord, Jerusalem, 1991, pp. 41-46. 20. TIROSH-BECKER, Characterization, pp. 305-309; TIROSH-BECKER, Uniformity, p. 199; TIROSH-BECKER, Piyyu†, pp. 355-356. 21. TIROSH-BECKER, Characterization, pp. 304-305; TIROSH-BECKER, Uniformity, p. 199.

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strative pronoun hawlay (‫‘= ;האולאי‬these’) and not the colloquial pronoun hadu22. However, the presence of a few colloquial elements in the language of the SharÌ reflects a process of slow penetration from the spoken dialect into this text23. Examples of such colloquial phenomena are the presence of the form CC¢Ctiw (kt¢btiw) for the 2nd person plural in the past tense24, the colloquial verbal stem CCaC (e.g., sman)25, the colloquial reflexive/passive verbal stem tt¢CC¢C26, the use of the colloquial interrogative particles ash and ¨alash27, and – as we will discuss herein – also the penetration of dialectal roots. The presence of vernacular features is much more prominent in original Judeo-Arabic compositions written by 20th century authors, and it is also significant in Judeo-Arabic translations of post biblical texts, for which an oral translation tradition was not fully consolidated28. In this paper we will discuss dialectal roots that have found their way into a variety of written Constantinian Judeo-Arabic texts. The presence of these dialectal roots in the sharÌ to the Bible is of special interest, as its language is typically conservative in nature. The discussion below will encompass both secondary roots and roots that were created through metathesis.

2. Secondary roots The Judeo-Arabic works which I have studied in this project present a few secondary Arabic roots: √lss, √sgm, and √tkl. 2.1. The root √lss In Judeo-Arabic texts from Constantine we find the dialectal verb l¢ss¢s translating the Hebrew verbs yissed (‫ )יִ ֵסּד‬or yasad (‫)יָ ַסד‬, which mean “to 22. TIROSH-BECKER, Constantine, pp. 269-270; TIROSH-BECKER, Uniformity, p. 199; TIROSH-BECKER, Piyyu†, p. 359. 23. On the differences between the SharÌ to various Books of the Bible with respect to the colloquial elements embedded in them, see TIROSH-BECKER, Uniformity, pp. 197-204. 24. TIROSH-BECKER, Characterization, pp. 303-304; TIROSH-BECKER, Uniformity, p. 200. 25. TIROSH-BECKER, Constantine, pp. 226-227; TIROSH-BECKER, Uniformity, p. 200. 26. TIROSH-BECKER, Characterization, pp. 305-309; TIROSH-BECKER, Uniformity, p. 200; TIROSH-BECKER, Piyyu†, pp. 355-356. 27. TIROSH-BECKER, Constantine, pp. 283-284; TIROSH-BECKER, Uniformity, p. 201; TIROSH-BECKER, Piyyu†, p. 361. 28. On the presence of vernacular features vs. archaic characteristics in the SharÌ to piyyu† Mi Kamokha, see TIROSH-BECKER, Piyyu†, pp. 350-362. Also see M. BAR-ASHER, “Les lexèmes hébreux dans le SharÌ marocain (traditions du Tafilalet)» (in Hebrew), in BARASHER, Traditions, pp. 189-190, 196.

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found”. This colloquial verb was used in translations of various books of the Bible and liturgical texts, where it refers specifically to divine creation. For example: • In Psalms 8:3 the Hebrew words ‫יִ ַסּ ְד ָתּ עז‬, which mean “you [The Lord] have founded strength”29, are translated l¢ss¢st quwwa (,‫עוֹל ִלים וְ ינְ ִקים יִ ַסּ ְד ָתּ עז‬ ְ ‫ִמ ִפּי‬ ‫)מן פ‘ום סגאר וראצ‘עין לססת קווא‬30. • In Proverbs 3:19 the Hebrew words ‫יָ ַסד ָא ֶרץ‬, which mean “The Lord founded the earth”, are translated l¢ss¢s ˆa®∂ (‫ אללאה בכייאסא לסס‬,‫ה‘ ְבּ ָח ְכ ָמה יָ ַסד ָא ֶרץ‬ ‘‫)ארץ‬31. • The phrase ‫ ְבּיָ ְס ִדי ָא ֶרץ‬in the sentence “Where were you when I laid the earth’s foundations?” (Job 38:4) is translated fi t¢lsis-i ˆa®∂ (‫ית ְבּיָ ְס ִדי‬ ָ ִ‫ֵאיפה ָהי‬ ‘‫ ואיין דלווק כונת פי תלסיסי ארץ‬,‫)א ֶרץ‬ ָ 32. • In a translation of the liturgical text Hosha¨not, the Hebrew sentence ‫ְל ַמ ֲענָ ְך‬ ‫יָ ַסד ֶא ֶרץ‬, which means “for You who founded the earth”, is translated fi xa†®¢k ya ¢lli l¢ss¢s ¢l-ˆa®∂ (‘‫)פ‘י כ‘אטרך יא אלי לסס אלארץ‬33.

The verb l¢ss¢s, reflects a secondary denominative root √lss (“to found”), which was derived from the colloquial noun l-sas > lsas (which means “foundation”)34. The noun sas itself is also dialectal, and its origin is the Classical Arabic noun ˆasas (‫)أساس‬, which in turn relates to the Classical 35 . Namely, the lam of the Arabic original definite Arabic verb ˆassasa (‫)أسس‬ ّ article ¢l in the noun l-sas was perceived as the first radical of the triliteral root √lss. The verb l¢ss¢s thus replaced the verb ˆ¢ss¢s with a glottal stop (alif-hamza), which has been weakened in this dialect as in many other modern Arabic dialects36. The distribution of the two verbs l¢ss¢s and ˆ¢ss¢s in the Maghreb is of interest. The colloquial verb l¢ss¢s is characteristic of Moroccan dialects, where it is used alongside the verb ˆ¢ss¢s. According to Moroccan Arabic dictionaries there is a semantic distinction in their use: l¢ss¢s means “to construct, to build the foundations of a house”, while ˆ¢ss¢s means “to 29. The English translation of the biblical verses is given according to the JPS HebrewEnglish Tanakh, Philadelphia, 2000. When deviating from this translation the JPS translation was cited in a footnote. 30. RENASSIA, Psalms. 31. RENASSIA, Proverbs. 32. RENASSIA, Job. 33. RENASSIA, Hosha¨not, p. 2:2 (Hosha¨not for the first day). 34. On the forms lsas and sas see below. 35. In Classical Arabic there are additional singular forms derived from this root to denote foundation – ˆiss, ˆass and ˆuss – but it is clear that l-sas is derived from ˆasas and not from those other forms. For the singular and plural forms in Classical Arabic see LANE, Lexicon, vol. 1, p. 56. 36. TIROSH-BECKER, Constantine, pp. 55-66 (see the different realizations of the original glottal stop therein); CANTINEAU, Cours, p. 84; COHEN, Alger, pp. 35-43; COHEN, Tunis, pp. 36-40.

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found, to establish (institution, society, etc.)”37. The verb l¢ss¢s is also used in Leshon Limmudim by R. Raphael Berdugo from Miknes, Morocco.38 Beaussier’s dictionary, which mainly documents Algerian and Tunisian spoken Arabic, indicates that the verb l¢ss¢s is used in the West Maghreb while the verb ˆ¢ss¢s is used in the eastern regions of the Maghreb39. Indeed, Tunisian and Algerian dictionaries and sources document the verb (ˆ)¢ss¢s40, and not the colloquial verb l¢ss¢s41.The verb ˆ¢ss¢s is also documented in a sharÌ to Psalms from the Tunisian city of Gabes (‫)יִ ַסּ ְד ָתּ עז — אססת קווה‬42. This verb, (ˆ)¢ss¢s, was known to the Jews of Constantine as is documented in R. Yosef Renassia’s trilingual French-Hebrew-Arabic dictionary as the Arabic parallel for the French verb “fonder” and the Hebrew verb “yasad”43. I also found it used in the weekly newspaper El-Îikma (Journal littéraire hebdomadaire, editor: R. Avraham Zerbib), which is the only Judeo-Arabic newspaper from Constantine known today. In its July 21, 1922 issue we find the verb ‫ תאססת‬in the following report: ‫תאססת לסוסייטי פי לאמיריך‬ ‫איסמהא מרבה דעה‬, which means “the society Marbe De‘a was founded in America”. However, in the March 7, 1913 issue of the same newspaper the verb ‫ תלססת‬was used in the same context: ‫האד לייסם לעזיז די מתן בסתר‬ …‫ תועטא לוואחד ג‘מעייה אלי תלססת אליום‬which means “This cherished name, Matan Baseter, was given to a society that was founded today…”. As discussed above, the verb l¢ss¢s is the one constantly used in R. Yosef Renassia’s shuruÌ for various biblical books and liturgical texts. It may reflect a translation tradition, which originates from the West Maghreb. As discussed, the verb l¢ss¢s is derived from the vernacular noun lsas (pl. lsasat), which originates from the definite form of the colloquial sas (i.e. l-sas). The noun sas is documented in a variety of Constantinian Judeo37. COLIN, Dictionnaire, vol. 1, p. 14; vol. 7, p. 1777; DE PRÉMARE, Dictionnaire, vol. 1, p. 48, vol. 11, p. 45. 38. BAR-ASHER, Leshon Limmudim, part 3, p. 418 (Psalms 90:2; ‫ ולססת אוו וכלאקת‬,‫)ותחולל‬, see also part 3, p. 228. 39. BEAUSSIER, Dictionnaire, pp. 10, 899 (second meaning). Beaussier reflects the same semantic distinction discussed above: ‫اسس‬, “to found”, ‫لسس‬, “to dig the foundations”. 40. There are dialects in which the hamza itself is not pronounced and the verbal forms of this root begin with a vowel (¢ss¢s). 41. LENTIN, Supplément, p. 3 (5th verbal stem); BEN SEDIRA, Dictionnaire, p. 8; BORIS, Marazig, p. 10 (2nd and 5th [tyassas] stems). 42. R. FRAJI Allouche of Gabes, Sefer Tehillim… SharÌ Aravi Tunis…, Djerba, 1926 (Psalms 8:3: ‫עוֹל ִלים וְ ינְ ִקים יִ ַסּ ְד ָתּ עז — מן פ‘ם אלצגאר ואלרצ‘יעין אססת קווה‬ ְ ‫;מ ִפּי‬ ִ “From the mouths of infants and sucklings You have founded strength”). Also in a Tunisian JudeoArabic lexicon: “Fondé”, ‫תאסס‬, see ATTAL, Lexique, pp. 36, 52*. 43. RENASSIA, Dictionnaire, p. 212 (‫اسس‬, assesse). It should be mentioned that Lentin’s dictionary, which documents many words used by Constantinian Jews as well, also attests to the root ‫اسس‬, see above note 41.

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Arabic texts, both Bible translations and translations of post-biblical texts. For example: • The Hebrew sentence ‫עוֹלם‬ ָ ‫ וְ ַצ ִדּיק יְ סוֹד‬in Proverbs 10:25, which means “but the righteous is an everlasting foundation”, was translated wa-¨ad¢l sas d-d¢nya (‫)ועאדל סאס דנייא‬44. • In Job 4:19 the words ‫סוֹדם‬ ָ ְ‫א ֶשר ֶבּ ָע ָפר י‬, ֲ meaning “whose origin is dust” were translated f-t-trab sas-hum (‫)פ‘תראב סאסהום‬45. • Amos 9:6 ‫“( וַ ֲאגֻ ָדּתוֹ ַעל ֶא ֶרץ יֽ ָס ָדהּ‬and founded his vault on the earth”) is cited in Mishnah Avot 3:6. In R. Renassia’s commentary to Mishnah Avot he remarks on the word ‫ יֽ ָס ָדהּ‬in this verse: qal ¢l-pasuq “y¢sadah” min l¢shon y¢sod [sas] ([‫)קאל לפסוק ״יסדה״ מן לשון יסוד ]סאס‬46. • In R. Renassia’s translation of the Book of Josippon, which he published under the title Histoire d-¢l-Yahud, we read n¢ql¢b ¢l-ˆa®∂ wa-nh¢ll¢k sisanha (‫)נקלב אלארץ‘ ונהלךּ סיסאנהא‬, which means “I will overturn the earth and destroy its foundations”47.

Like the singular form sas, the plural form sisan is also dialectal. In Classical Arabic the plural form of the noun ˆasas is ˆusus. Once the singular form has changed from the classical ˆasas to the dialectal sas, due to aphaeresis of the alif-hamza and its vowel, a new plural form was derived. This new plural form was constructed in a pattern typical of words whose second radical is a semi-vowel48, such as bab – biban, gar – giran, and thus sas – sisan. Interestingly, the distribution of the two nouns sas (pl. sisan) and lsas (pl. lsasat) in the Maghreb resembles that of the two verbs (ˆ)¢ss¢s and l¢ss¢s. The noun lsas is typical of Moroccan Arabic dialects49, although sas is also documented there (pl. sasat, sisan)50. On the other hand, the noun sas is the one used in Tunisia51. The Jews of Tunis pronounce it sas according 44. RENASSIA, Proverbs. 45. RENASSIA, Job (‫ חתא נאזלין )סאכנין( ביות טין אלדי‬,‫אף שכני בתי חמר אשר בעפר יסודם‬ ‫)פ‘תראב סאסהום‬. 46. RENASSIA, Avot. 47. RENASSIA, Histoire, p. 11 (‫וקאל ראני נרייב האד להיכל ומא נכ‘לליש פיה חג‘רה ונזיד נקלב‬ ‫)אלארץ‘ ונהלךּ סיסאנהא‬. Cf. D. FLUSSER, Sefer Josippon [Josephus Gorionides], Jerusalem, 1978, vol. 1, p. 104 (‫)כי אחפור ואהפוך את כל יסודותיו‬. 48. COHEN, Tunis, p. 197. Cf. MARÇAIS, Djidjelli, pp. 252-253. 49. COLIN, Dictionnaire, vol. 7, p. 1777; HARREL, Dictionary, p. 72; ABD EL-¨AL, Dictionary, p. 206; DE PRÉMARE, Dictionnaire, vol. 1, p. 48. 50. COLIN, Dictionnaire, vol. 4, p. 887. 51. BORIS, Marazig, p. 10; ATTAL, Lexique, pp. 36, 52*. The noun sas is also documented in eastern Arabia (Bahrain), see HOLES, Eastern Arabia, vol. 1, p. 12. This noun appears in a dictionary of Egyptian Arabic in the saying: min is-saas lir-raas, which means “from head to toe, from top to bottom”. However, the main noun that is used in Egyptian Arabic to denote “foundation” is ‫اساس‬. See HINDS, BADAWI, Dictionary, pp. 21, 391.

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to the conditioned shift of the sibilants in their dialect52. The noun sas is prevalent in Algerian dialects as well53. It is the form used in the aforementioned Judeo-Arabic texts from the eastern Algerian city of Constantine, and is documented in R. Yosef Renassia’s trilingual French-Hebrew-Arabic dictionary. In this dictionary the noun sas (‫)ساس‬, transcribed sass, is offered as the Arabic parallel for the French nouns “fondation” (Hebrew parallel: ָ 55. However, in ‫)יסוד‬54 and “base” (Hebrew parallel: ‫ יסוד‬and ‫)]א ִשיש[ אשיא‬ western and central Algeria the use of the noun lsas is documented. The noun lsas is used in the Judeo-Arabic dialect of Alger56, and is documented in Tlemcen alongside the noun sas57. It is thus interesting that in the Contantinian sharÌ we find a mismatch between the verb and the noun, i.e. the verb l¢ss¢s (and not (ˆ)¢ss¢s) is used alongside the noun sas (and not lsas). 2.2. The root √sgm The colloquial root √sgm is used in a variety of Constantinian JudeoArabic texts to express the meaning of “being straight” in the context of “righteousness”, such as in the “path of righteousness” or “a righteous person”58. The core sense of this dialectal root is “to straighten”, “to put in order”, or “to arrange”. Examples for the use of the verb s¢gg¢m in the 2nd verbal stem in Constantinian Judeo-Arabic writings are: • In Psalms 9:9 the Hebrew word, ‫יש ִרים‬ ָ ‫בּ ֵמ‬, ְ which means “righteously” in the sentence “the Lord will judge nations righteously” (‫יש ִרים‬ ָ ‫)יָ ִדין ְל ֻא ִמּים ְבּ ֵמ‬, is translated b-t¢sgim (‫)ישאראע ג‘נוס בתסגים‬59.

52. COHEN, Tunis, pp. 22, 39, 50, 197. 53. CHERBONNEAU, Francais-Arabe, p. 181; BEN SEDIRA, Dictionnaire, pp. 8, 228; BEAUSSIER, Dictionnaire, p. 453 (although the form lsas is also documented there, p. 899). 54. RENASSIA, Dictionnaire, p. 212 (‫ساس‬, sass). Interestingly, in the same page of this dictionary we find: fondement, ‫( אשיה‬with a he), ‫اساس‬, assasse. 55. RENASSIA, Dictionnaire, p. 35 (‫ساس‬, which he transcribes assasse. In this occurrence the word ‫ אשיא‬is written with an aleph). 56. The Muslims of this city use the form (el)lsas. See COHEN, Alger, p. 42. Cf. ibid., (¢l) َ l¢f¨a (“viper”), classical Arabic ‫ْعى‬ ً ‫أف‬. A reverse situation was observed in a Hebrew word that is used in North African Judeo-Arabic dialects of Morocco and Tunisia (Djerba). The first syllable ha in the Hebrew word hagala (< ‫)הגעלה‬, which means “purification of dishes for Passover”, was erroneously perceived as the Hebrew definite article, leading to a dialectal pronunciation of the word as l-gala. See BAR-ASHER, Composante, p. 39, n. 8; Y. HENSHKE, “Hebrew Elements in the Spoken Arabic of Djerba”, Massorot 5-6, 1991, p. 81. 57. MARÇAIS, Tlemcen, p. 314. Also see BEAUSSIER, Dictionnaire, p. 899. 58. Cf. the phrase Òira† al-mustaqim in the opening sura of the Qurˆan. See HEATH, Moroccan Arabic, p. 46. 59. RENASSIA, Psalms. The complete verse ‫יש ִרים‬ ָ ‫וְ הוּא יִ ְשפּט ֵתּ ֵבל ְבּ ֶצ ֶדק יָ ִדין ְל ֻא ִמּים ְבּ ֵמ‬, which contains a parallelism, is translated in the JPS Tanakh as “It is He who judges the world with righteousness, rules the peoples with equity”.

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• In Psalms 5:9 the Hebrew word ‫ ַהיְ ַשר‬in the sentence ‫היְ ַשר ְל ָפנַ י ַדּ ְר ֶכָּך‬, ַ which means “make Your way straight before me”, is translated s¢gg¢m quddam-i †riq-¢k (‫)סגגם קודאמי טריקך‬60. • In Jeremiah 34:15 (Haf†arat Mishpa†im) the sentence ‫וַ ַתּ ֲעשׂוּ ֶאת ַהיָּ ָשר ְבּ ֵעינַ י‬, which means “and [you] did what is proper in My sight”, is translated u-¨maltiw ila l-ms¢gg¢m fi ¨ayniyya (‫)ועמלתיו אילא למסגגם פ‘י עיינייא‬61. • In the liturgical text Hosha¨not the Hebrew sentence ‫הוֹש ְענָ א‬ ַ ‫ָאנָ א יַ ֵשּר ַעם ָבּא ְבּ‬ ‫ר ָבּא ְל ַס ְל ְס ֶלךָּ ְבּ ִח ָבּה‬,ַ which means “Please straighten a nation that comes to praise You with affection, Lord, on Hosha¨na Rabba”, is translated b-r¢gba s¢gg¢m qawm ga fi Hosha¨na Rabba l-yirfa¨-¢k b-m¨azza (‫ברגבא סגגם קום‬ ‫)ג‘א פ‘י הושענא רבא לירפ‘עךּ במעזזא‬62. • Finally, in R. Renassia’s Judeo-Arabic commentary on tractate Avot of the Mishnah we find the expression u-yirudd-u l-†-†riq l-ms¢ggma (‫וירדדו לטריק‬ ‫ )למסגמא‬meaning “return him to the path of righteousness”63.

Interestingly, in R. Yosef Renassia’s trilingual French-Hebrew-Arabic dictionary this verb is written with a ‫ ق‬and is transliterated accordingly with k’ (which denotes q): “droit” – ‫( مسقم – ישר‬msekk’em), “droiture” – ‫ישרות‬ ‫( – تسقيم‬thesk’ime), and “redresser” – ‫( سقم – תיקן‬sakk’ame)64. The root √sgm is a dialectal version of the root √sqm, in which the voiceless 2nd radical qaf is pronounced as its voiced counterpart [g]. This realization of the qaf as [g] in this root is interesting, since in the Judeo-Arabic dialect of Constantine the voiceless qaf is usually preserved. However, when recording speakers of this dialect I encountered examples of the voiced realization in a few rural words, which were most likely borrowed from Muslim nomad dialects, e.g., b¢g®a (“cow”) and g¢m®a (“moon”). Even when recording the sharÌ to Psalms some informants pronounced a few rural words with the voiced realization. For example, g®un ¢r-rim (“horns of oryx”) which appears in Psalms 22:22 (‫)וּמ ַקּ ְרנֵ י ֵר ִמים – ומן קרון ארים‬, ִ and the verb n¢gg¢z (“jumping and skipping like a calf”) which appears in Psalms 29:6 (‫)וַ יַּ ְר ִק ֵידם ְכּמוֹ ֵעגֶ ל – ונגגזהום בחאל לעג‘ל‬65. Dialectal borrowing 60. RENASSIA, Psalms. 61. RENASSIA, Haf†arot. 62. RENASSIA, Hosha¨not, p. 44:1 (Haqafot for Hosha¨na Rabba). 63. ‫וג‘מיע בן אדם לי ירג‘ע עלא צאחבו וירדדו לטריק למסגמא‬. This expression appears in the beginning of R. Renassia’s commentary on Mishnah tractate Avot, where he offers three arguments why this tractate is named Avot, i.e., “Fathers”. This discussion is presented right after an opening paragraph (‫)כל ישראל יש להם חלק לעולם הבא‬,which includes a quotation of Isaiah 60:21. See Renassia, Avot. In the standard version of the Mishnah this paragraph appears in Sanhedrin 10:1. However versions in which this paragraph appears in tractate Avot are known. It is attested to in R. Yaakov ben Shimshon’s commentary on Avot (France, the end of the 11th century). See: S. SHARVIT, Tractate Avoth Through the Ages, Jerusalem, 2004, pp. 38-39, 63. 64. RENASSIA, Dictionnaire, pp. 158, 376. 65. U-n¢gg¢z-hum bÌal l-¨g¢l. The original root is √nqz. The root with a [g] also appears in R. Rennasia’s trilingual dictionary: naggaze. See RENASSIA, Dictionnaire, p. 402. The verb

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of rural words, which find their way into sedentary dialects, is a well-known phenomenon in Arabic dialects. In many of the Maghrebian sedentary dialects in which the main realization of the qaf is voiceless [q], one finds penetration of a few words from nomad dialects with a voiced realization [g]. Many of these words are common to different Maghrebian sedentary dialects66. A voiced pronunciation of qaf as [g] is characteristic of nomad dialects, including nomad dialects of the Maghreb67. Specifically, this realization is typical of the nomad dialects which are spoken in the vicinity of Constantine68. In the Muslim dialect of Constantine there are frequent alternations of the voiced and voiceless realizations [q] and [g] of the ‫ ق‬even in the same word, although some words are consistently pronounced with either q or g in order to distinguish minimal pairs69. It seems that the voiced pronunciation s¢gg¢m in the Jewish dialect of Constantine is a result of the interaction with the local Muslim dialect, which in turn may have been influenced by the contact with the surrounding nomad dialects70. The root √sqm (>√sgm) is a secondary root that was probably derived from the classical Arabic root √qwm in the 10th verbal stem: ˆistaqama (‫)استقام‬. It has already been suggested that such secondary derivations may have been preceded by an assimilation of the t to s in the 10th verbal stem prefix ist-71, resulting in st¢nnä > ss¢nnä (“waited”)72. Examples for similarly derived secondary Arabic roots are saraÌa (√srÌ), “to pasture on morning [a flock]”, which is derived from ˆistaraÌa, whose original root is √rwÌ73; sanaÌa (√snÌ), “to turn anyone away from”, which is derived from ˆistanÌa, whose original root is √nÌw , and sa¨ara (√s¨r), “to kindle [fire]”, from ˆista¨arra, whose original root is √¨rr74. Examples are also found in naggez is attested in Tunis, Tripoli and in Bedouin and rural dialects in Algeria. See MARÇAIS, Tanger, p. 480. 66. COHEN, Alger, p. 46; COHEN, Tunis, pp. 30-31; TALMOUDI, Susa, p. 22; HEATH, BARASHER, Tafilalt, p. 37. 67. CANTINEAU, Cours, pp. 69-70. 68. These include nomad dialects of a Tunisian type that are spoken east of Constantine, and the type of nomad dialects that are spoken in the region west of Constantine. See OSTOYADELMAS, Philippeville, p. 71. 69. LARABA, Constantine, pp. 7, 15-16. 70. TIROSH-BECKER, Constantine, pp. 51-54. 71. On the 10th verbal stem without the initial i in Maghrebian dialects, see for example COHEN, Tunis, p. 130; TIROSH-BECKER, Constantine, pp. 243-245. 72. COHEN, Alger, pp. 78, 234-235; VAJDA, Gloses, pp. 152-153; BLAU, Dictionary, p. 301 (in Maghrebian dialects); HEATH, Moroccan Arabic, p. 46. 73. Cf. BLAU, Grammar, p. 300. 74. BROCKELMANN, Grundriss, vol. 1, p. 522.

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Modern Arabic dialects of the Maghreb, such as the verb s¢qÒa (“to ask”) from ˆistaqÒa in Algeria and Morocco75 and the verb sennes (“get [someone] used to”) from ˆistaˆnasa which is used by Muslims in Tunis76. It should be noted that the derivation of the secondary root √sqm meaning “to straighten” could have conflicted with the already existing homophonic Classical Arabic root √sqm, which in the 1st verbal stem means “to be ill” and in the 2nd verbal stem means “to cause illness”. However, at least in the Muslim and Jewish dialects of Alger77 and in the Jewish dialect of Constantine the classical root √sqm in the context of “illness” is no longer used. The meaning of “to become ill” is expressed in the Jewish dialects of Alger78 and Constantine by the root √m®∂. Thus, in Constantinian JudeoArabic texts we find, for example, the phrase lays m®¢∂t (‫)ליש מרצ‘ת‬79 translating the Hebrew sentence ‫יתי‬ ִ ‫“( ַבל ָח ִל‬I did not become ill”)80 which appears 81 in Proverbs 23:35 . The use of the root √m®∂ to denote “being ill” and “illness” is attested also in Renassia’s trilingual French-Hebrew-Arabic dictionary82. The verb m®¢∂ meaning “to become ill” is likewise used in Moroccan dialects83. The dialectal verb s¢gg¢m or s¢qq¢m is considered to be characteristic of North African Arabic dialects84, both Muslim and Jewish, although the exact pronunciation may vary from one dialect to another. This verb is documented, for example, in the Muslim dialects of Djidjelli85 and Cherchell86 75. BROCKELMANN, ibid.; COLIN, Dictionnaire, vol. 4, p. 820 (s¢qÒa, Ò¢qÒa). 76. H. STUMME, Grammatik des Tunisischen Arabisch, Leipzig, 1896, p. 169; BROCKELMANN, ibid. 77. COHEN, Alger, p. 48. However see BEN SEDIRA, Dictionnaire, pp. 212-213. The meaning “to cause illness” for ‫ سقّم‬is also attested to in Beaussier’s dictionary albeit only as the last meaning at the end of the entry. See BEAUSSIER, Dictionnaire, p. 479. 78. COHEN, Alger, p. 144. 79. On the use of the negation particle lays (‫ )ליש‬in the Constantinian sharÌ of the Bible see TIROSH-BECKER, Constantine, pp. 280-283. 80. The sentence ‫יתי‬ ִ ‫ ִהכּוּנִ י ַבל ָח ִל‬was translated in the JPS: “They struck me, but I felt no hurt”. 81. RENASSIA, Proverbs. Another example: Psalms 35:13 ‫לוֹתם‬ ָ ‫“( ַבּ ֲח‬when they were ill”) is translated as ‫פ‘י מרצ‘תהום‬. RENASSIA, Psalms. 82. RENASSIA, Dictionnaire, p. 289: “malade – ‫( مريض – חולה‬mride)”, and “maladie – ‫חולי‬ ‫( – مرض‬marde)”. The transcriptions mride and marde are given here as they appear in Renassia’s dictionary. 83. COLIN, Dictionnaire, vol. 7, p. 1824. S¢qq¢m in the 2nd verbal stem is used in Morocco in the context of “straightening”, but see the 1st verbal stem therein. COLIN, Dictionnaire, vol. 4, p. 824. 84. BEAUSSIER, Dictionnaire, p. 479; DOZY, Supplément, vol. 1, p. 664 (sqm II); VAJDA, Gloses, pp. 152-153. 85. MARÇAIS, Djidjelli, p. 183 (segg¢m). 86. GRAND’HENRY, Cherchell, p. 183 (segg¢m).

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in Algeria87, and the Muslim dialects of Rabat88, Fes and Miknes89 in Morocco90. It is also used in the Jewish dialects of Skoura in Morocco91, and of Alger and Constantine in Algeria. In fact, the linguistic scene in Alger merits a brief comment. While the Muslims of this city always use s¢gg¢m with the voiced stop, the Jews made a semantic distinction: s¢gg¢m means “to arrange, to repair” while s¢qq¢m means “to straighten, to straighten up”92. The secondary verb saqqama is already attested in medieval Judeo-Arabic in the east. It was used in the monumental Bible translation known as Tafsir Rav Sa¨adia Gaon (882-942), to translate the Hebrew words ‫יִ ֵשּר‬ (“straightened”) and ‫“( ִפּ ֵלּס‬leveled”), even though Sa¨adia also uses the 10th verbal stem form ˆistaqama93. The verb saqqama is also attested in Yefet ben ¨Eli’s translation to Isaiah94, and in David ben Avraham Alfasi’s dictionary Kitab Jami¨ al-ˆAlfaÂ95. It is possible that the use of s¢gg¢m in later Judeo-Arabic Bible translations in the Maghreb – such as the Constantinian tradition and the translation of the 18th-19th century R. Raphael Berdugo of Miknes, Morocco96 – is influenced by the presence of saqqama in Sa¨adia’s Tafsir97. 87. Also see BEN SEDIRA, Dictionnaire, pp. 212-213; cf. LENTIN, Supplément, p. 134. 88. L. BRUNOT, Textes Arabes de Rabat, Paris, 1952, pp. 371, 677-678. 89. HEATH, Moroccan Arabic, pp. 46-47. 90. Also see COLIN, Dictionnaire, vol. 4, pp. 824, 834; DE PRÉMARE, Dictionnaire, vol. 6, pp. 126-127; HARREL, Dictionary, p. 139. 91. HEATH, Moroccan Arabic, pp. 46-47. 92. COHEN, Alger, p. 48. 93. For example, Isaiah 26:7 (‫יָ ָשר ַמ ְעגַּ ל ַצ ִדּיק ְתּ ַפ ֵלּס – יא מסתקים קד סקמת כד‘אך מסלך‬ ‫)אלצאלחין‬, Proverbs 4:26 (‫ סקם מסאלך קדמיך‬,‫)פּ ֵלּס ַמ ְעגַּ ל ַרגְ ֶלָך‬ ַ but Proverbs 4:25 (‫וְ ַע ְפ ַע ֶפּיָך יַ יְ ִשרוּ‬ ‫ ומקלתך תסתקים חד‘אך‬,‫)נֶ גְ ֶדָּך‬. See BLAU, Dictionary, p. 301; J. BLAU, “Some Instances Reflecting the Influence of Saadya Gaon’s Bible Translation on Later Judeo-Arabic Writings”, in R. DÁN (ed.), Occident and Orient: A Tribute to the Memory of Alexander Scheiber, Budapest-Leiden, 1988, p. 25; Y. RATZABY, A Dictionary of Judaeo-Arabic in R. Saadya’s Tafsir, Ramat Gan, 1985, p. 81. 94. D.S. MARGOLIOUTH, A Commentary on the Book of Daniel by Jephet ibn Ali the Karaite, Oxford, 1889, p. 93. The root √sqm appears in Isaiah 40:3 and in the form ‫ مسقم‬for ‫ מישר‬in I Kings 6:35. 95. S.L. SKOSS, The Hebrew-Arabic Dictionary of the Bible known as Kitab Jami¨ al-Alfaz (Agron) of David Ben Abraham al-Fasi the Karaite (tenth cent.), New Haven, 1936-1945, vol. 2, pp. 464-465 (Proverbs 4:26: ‫)פּ ֵלּס ַמ ְעגַּ ל ַרגְ ֶלָך – סקّם סראט רג‘לך‬. ַ 96. BAR-ASHER, Leshon Limmudim, Part 3, p. 224 (Isaiah 26:7: ‫ ישר‬,‫אורח לצדיק מישרים‬ ‫ טאייק למסגם מסליךּ אסאלאח תוזין‬,‫ טריק תסגים אלסאלאח‬,‫ ;)מעגל צדיק תפלס‬Part 3, p. 299 (Psalms 67:5: ‫ בתסגים‬,‫ ;)מישור‬part 4, p. 177, n. 46 (Haf†ara to the 7th day of Passover: ‫טרוק‬ ‫)אלמסגמין‬. Cf. ibid., Part 3, p. 410 (Psalms 78:50: ‫ יסקאם אלמסליךּ‬,‫)יפלס נתיב‬. 97. On the influence of Tafsir Rav Sa¨adia Gaon on later Bible translations from the Maghreb see BAR-ASHER, SharÌ, pp. 24-27; M. BAR-ASHER, “Couches linguistiques du SharÌ maghrébin” (in Hebrew), in BAR-ASHER, Traditions, pp. 52-55.

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2.3 The root √tkl The secondary root √tkl, which is derived from P}ittakala (‫ )إت ََّك َل‬the 8th verbal stem of the root √wkl, is already attested in Ibn-¨Abbad’s dictionary (al-muÌi†) from the 10th century98. This root is common in Modern Maghrebian dialects99, and is frequently used in Constantinian Judeo-Arabic as well. The simple stem of this root tk¢l, which denotes “to rely upon, to trust in”, is used in various texts from Constantine: • In Psalms 5:12 the Hebrew phrase ֽ‫חוֹסי ָבך‬, ֵ which means “who take refuge in You” in the sentence “But let all who take refuge in You rejoice” (‫וְ יִ ְש ְמחוּ‬ ֽ‫חוֹסי ָבך‬ ֵ ‫)כל‬ ָ is translated taklin bik (‫)יפ‘רחו ג׳מיע תאכלין ביךּ‬100. • In Rabbi Renassia’s Judeo-Arabic translation of tractate Avot of the Mishnah the Hebrew phrase ‫( ויש להם על מה שיסמכו‬Avot 3:16), which means “for they have that on which they can rely”101, is translated u-¨and-hum ¨las yitk¢lu (‫)וענדהום עלאש יתכלו‬102. • In Renassia’s translation of the liturgical text Hosha¨not the Hebrew sentence ‫בּוֹ ָב ַטח ִל ִבּי‬, which is a quotation from Psalms 28:7 and means “my heart trusts in Him”, is translated as bih tk¢l q¢lb-i (‫)ביה תכל קלבי‬103.

The verb ‫ تكل‬is also documented in Renassia’s trilingual dictionary (transcribed thkèle) as the counterpart of the Hebrew ‫ ָבּ ַטח‬and the French “compter”104. In the Constantinian SharÌ this verb translates the Hebrew verbs ‫ ָבּ ַטח‬105 and ‫ ָח ָסה‬106. When the Hebrew verb ‫ ָבּ ַטח‬appears in the Bible it can be accompanied by the particles ‫ ב‬or ‫על‬. Accordingly, in the Con98. LANE, Lexicon, p. 310. Also see WRIGHT, Grammar, p. 81, §148, rem. b; C. SARAUW, “Die altarabische Dialektspaltung”, Zeitschrift für Assyriologie und Verwandte Gebiete 21, 1908, p. 48; J.B. BELOT, Vocabulaire arabe-français, Beirut, 1955, p. 56; HAVA, Dictionary, p. 61. 99. COLIN, Dictionnaire, vol. 1, p. 186; KAZIMIRSKI, Dictionnaire, vol. 1, p. 203; COHEN, Tunis, p. 126, note 47; ABD EL-¨AL, Dictionary, p. 42 (‫)ت ِّكل‬. 100. RENASSIA, Psalms. 101. The English translation of citations from the Mishnah is given according to H. DANBY, The Mishnah, London, 1933. The references to chapter and mishnah are denoted according to Ch. ALBECK, H. YALON, The Mishnah, Jerusalem-Tel Aviv 1988. 102. RENASSIA, Avot. 103. RENASSIA, Hosha¨not, p. 9:1 (Hosha{not for the second day). 104. RENASSIA, Dictionnaire, p. 92. 105. “To rely upon, to trust in, put confidence in”, e.g., Proverbs 31:11: ‫ָבּ ַטח ָבּהּ ֵלב ַבּ ְע ָלהּ‬ ‫– תכל ביהא קלב ראג‘להא‬. See RENASSIA, Proverbs. JPS: “Her husband puts his confidence in her”. 106. “Take refuge”, e.g., Psalms 7:2: ‫יתי – אללאה אילאהי ביךּ תכלת‬ ִ ‫להי ְבָּך ָח ִס‬ ַ ‫ה‘ ֱא‬. See RENASSIA, Psalms. JPS: “O Lord, my God, in You I seek refuge”. Note that in R. Renassia’s trilingual dictionary the Arabic counterpart of ‫ חסה‬is ‫“( منع‬réfugier” [sic!]) and the word ‫חסות‬ (“refuge”) is translated in this dictionary as ‫مضرقة‬. See RENASSIA, Dictionnaire, p. 377. Also see note 107 below.

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stantinian sharÌ the verb tk¢l is accompanied by the particles b- or ¨la when translating ‫בּ ַטח‬, ָ reflecting the particle used in the original Hebrew verse107. Examples: • Psalms 25:2: ‫ אילאהי ביךּ תכלת ליש נחשם‬,‫בוֹשה‬ ָ ‫להי ְבָּך ָב ַט ְח ִתּי ַאל ֵא‬ ַ ‫“( ֱא‬My God, in You I trust; may I not be disappointed”)108. • Psalms 31:15: ‫ ואנא עליךּ תכלת יא אללאה‬,‘‫“( וַ ֲאנִ י ָע ֶליָך ָב ַט ְח ִתּי ה‬But I trust in You, O Lord”)109.

Such reflection of the Hebrew particles in the translated biblical verses is typical to the language of the sharÌ110. In the spoken dialect, however, the regular particle that accompanies tk¢l is ¨la (tk¢l ¨la), as we find for example in R. Renassia’s commentary on tractate Avot (e.g., Commentary on Avot 3:9: ‫לאכן לי יתכל עלא חכמתו ועקלו ברךּ‬, “but he who relies only on his wisdom and wits”)111. A similar situation is documented in the Judeo-Arabic of Tafilalt (southeastern Morocco). While in the spoken dialect the Jews of Tafilalt use tk¢l ¨la, in their sharÌ to the Bible the particle that accompanies the verb tk¢l is sometimes influenced by the corresponding particle in the Hebrew verse112. The verb tk¢l is also documented in Leshon Limmudim by R. Raphael Berdugo of Miknes,113 and is used by the Jews of Tunis114. As discussed above, in Constantinian Judeo-Arabic the root √tkl is typically used in the first verbal stem, tk¢l, as is evident, for example, from the participle form taklin bik (Psalms 5:12), which was presented above. In the studied corpus of texts from Constantine we also found once the root √tkl in the second verbal stem, t¢kk¢l, as a translation of the Hebrew Hif¨il form ‫ה ְב ַט ְחתּוֹ‬: ִ t¢kk¢ltih (‫)תככלתיה‬115. In Morocco, however, tk¢l and t¢kk¢l are 107. The Hebrew verb ‫ ָח ָסה‬is typically accompanied by -‫ ב‬and is translated as tk¢l b-. Interestingly, when ‫ ָח ָסה‬was accompanied by the particle ‫ ַתּ ַחת‬in Psalms 91:4 it was translated in the Constantinian sharÌ by the verb ‫ תצ‘ררק‬and not by ‫תכל‬: ‫“( וְ ַת ַחת ְכּנָ ָפיו ֶתּ ְח ֶסה ִצנָּ ה‬you will find refuge under His wings”) — ‫ותחת ג‘ואנחו תתצ‘ררק תרס‬. 108. RENASSIA, Psalms. 109. RENASSIA, Psalms. 110. BAR-ASHER, SharÌ, p. 17 and note 62; Tirosh-Becker, Uniformity, p. 201. 111. RENASSIA, Avot. 112. I would like to thank Prof. Moshe Bar-Asher for this information. Also see note 113 below. 113. A reflection of the Hebrew particle is seen here as well: ‫( חסיו ]בו[ – תכלו פיה‬Deuteronomy 32:37). See BAR-ASHER, Leshon Limmudim, Part 3, p. 116. 114. COHEN, Tunis, p. 126, note 47; ATTAL, Lexique, pp. 21, 76*. M. Cohen testifies to the form t(t)k¢l in the Judeo-Arabic of Alger but see his comment there: COHEN, Alger, pp. 223224, 228. 115. ‫ ברגבא אתפ‘ככר אב תככלתיה ליורת‬,‫ָאנָּ א זְ כר ָאב ִה ְב ַט ְחתּוֹ ָל ֶר ֶשת ַא ְרצוֹת ֲע ָמ ִמים ִש ְב ָעה‬ ‫אראצ‘י אומום סבעא‬. RENASSIA, Hosha¨not, p. 40:2 (Hosha¨not for the seventh encirclement on Hosha¨na Rabba).

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both documented denoting the meaning “to rely upon, to trust in”116. It should be noted that forms with tt, i.e., ttk¢l, are documented in some Moroccan dialects, reflecting its origin in the eighth verbal stem117. In any case, one should distinguish between forms which stem from the root √tkl ( ha¨d-i122, for example: • In the translation of the liturgical piyyu† Mi Khamokha, which is recited in Shabbat Zakhor, the Sabbath preceding the festival of Purim, the Hebrew word ‫מ ְבּריתי‬, ִ was translated ‫מן העדי‬123. • In Jeremiah 33:25 (Haf†arat Mishpa†im) the Hebrew word ‫יתי‬ ִ ‫ב ִר‬, ְ which means “my covenant”, is translated ‫העדי‬124.

In the original Classical Arabic form of this noun ¨ahd (‫)ع ْهد‬ َ there are two adjacent guttural fricative consonants, the pharyngeal ¨ayn and the glottal haˆ. These two consonants switched position through metathesis thereby creating the dialectal form ha¨¢d. This form also reflects a change in the noun pattern from qa†l to qa†¢l (CaCC > CaC¢C). Namely, a short vowel was inserted between the last two radicals and the first vowel was lengthened125. These changes were probably introduced to ease the pronunciation of this word, which has two adjacent guttural consonants. The difficulty of pronouncing successive ¨ayn and haˆ was already reported by the eighth century Arab grammarian Sibawayhi, who remarks that the Arab of Banu Tamim say maÌ-Ìum instead of ma¨-hum126. This mutual assimilation is attested in many dialects, both in the Maghreb and in the Mashriq, including the Judeo-Arabic dialect of Constantine, where we recorded the pronunciation ntaÌ-Ìum instead of nta¨-hum (“their”)127. The metathesis √¨hd > √h¨d is also documented in Leshon Limmudim from Miknes in Morocco128. However, the root √¨hd without the metathesis is the one used in most Magrebian dialects129. In the Judeo-Arabic dialects of 121. RENASSIA, Dictionnaire, p. 100. 122. However according to Colin in Morrocan Arabic the vowel in this case is not shortened, ¨ah¢d, ¨ahdi, see COLIN, Dictionnaire, vol. 5, pp. 1341-1342. 123. RENASSIA, Mi Khamokha, v. 26. 124. RENASSIA, Haf†arot, Haf†arat Mishpa†im. 125. The same process occurred in some Maghrebian dialects with the original root √¨hd leading to the colloquial noun ¨ah¢d. See COLIN, Dictionnaire, vol. 5, pp. 1341-1342; DE PRÉMARE, Dictionnaire, vol. 9, p. 270; W. MARÇAIS, J. FARÈS, “Trois textes arabes d’el-Hâmma de Gabès”, Journal asiatique 221 (1932), p. 267. 126. A. LEVIN, “Sibawayhi’s Attitude to the Spoken Language”, in ID., Arabic Linguistic Thought and Dialectology, Jerusalem, 1998, pp. 220-221. 127. Cf. COHEN, Alger, pp. 33, 72. 128. BAR-ASHER, Leshon Limmudim, Part 3, p. 229, note 11. For the different spellings of this word in this sharÌ see the indices. 129. COLIN, Dictionnaire, vol. 5, pp. 1341-1342 (¨ah¢d); CHERAIFI, Dictionnaire, p. 555 (¨ahd); HARREL, Dictionary, p. 256 (¨ahd); DE PRÉMARE, Dictionnaire, vol. 9, p. 270 (¨ahd, ¨ah¢d); BEAUSSIER, Dictionnaire, p. 687 (‫)عهد‬. ATTAL, Lexique, pp. 56, 57* (‫ ;)עהד‬BEN SEDIRA, Dictionnaire, p. 23 (‫ ;)عهد‬COHEN, Alger, p. 34 (Alger Muslims: ¨ahd).

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Tunis and Alger, where the haˆ was usually not articulated, this noun was pronounced as ¨ad130. 3.2. The root √wgb ( √wgb is known in the 3rd 136. RENASSIA, Mishnah Mo¨ed. 137. Here we mean originally written Judeo-Arabic texts (e.g., commentaries) versus translations of Hebrew texts into Judeo-Arabic (i.e. the shuruÌ). 138. HA-COHEN et al., Joshua: ‫כיף נשדוה פ‘י האד אדינים ומא ג‘אוובהומש‬. 139. RENASSIA, Mishnah Mo¨ed: ‫ויקוללו נעמלשי האדי ולכהן יג‘אוובו אעמל או מא תעמלש‬. 140. RENASSIA, Dictionnaire, p. 382. 141. COHEN, Alger, p. 99. 142. COHEN, Tunis, p. 119. 143. BAR-ASHER, SharÌ, p. 18 note 65, p. 20; M. BAR-ASHER, “Les lexèmes hébreux dans le SharÌ marocain (traditions du Tafilalet)”, in ID., Traditions, p. 174; M. BAR-ASHER, “Parallel Traditions of the Oral SharÌ in the Maghreb and their Transformations”, Massorot 13-14, 2006, p. 69. 144. For the detailed data see HEATH, Moroccan Arabic, p. 178.

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verbal stem in other Maghrebian Muslim dialects145, such as those of Te†wan146, Tanger147, Djidjelli148, Tlemcen149, Tunis150, and Marazig151. 3.3. The root √Ònt ( ¢ÒÒ¢nn¢t). Informants from Constantine often pronounced this imperative form ¢Ò¢nn¢t without the doubling of the Ò. In general, the singular and plural imperative forms of the 5th verbal stem in Constantinian Judeo-Arabic begin with a prosthetic vowel: ¢tk¢ll¢m, ¢tk¢ll¢mu. These imperative forms are written in the sharÌ with an initial aleph, e.g. Psalms 7:7 ‫ אתפ‘כ‘כ‘ר‬,‫ ִהנָּ ֵשׂא‬166. Perfect and imperative forms of the 5th verbal stem may appear with a prosthetic aleph already in medieval Judeo-Arabic texts167. Imperative forms in the 5th verbal stem 158. The emphatic pronunciation of t in the root √nÒt due to its proximity to the emphatic Ò is found in medieval Judeo-Arabic (‫)נצת < נצט‬. See BLAU, Dictionary, p. 699; BLAU, Grammar, p. 39, §22. 159. MARÇAIS, GUÎGA, Takroûna, vol. 5, p. 2271. 160. COHEN, Alger, p. 100. 161. Dozy also discusses the form ‫س ّنط‬. See DOZY, Supplément, vol. 1, p. 845 and references therein. 162. BARTHÉLEMY, Dictionnaire, vol. 2, p. 446. Barthélemy explains this form as a combination of naÒata and Òamata. 163. COHEN, Alger, p. 100; GRAND’HENRY, Cherchell, p. 143, note 295; BEN-SEDIRA, Dictionnaire, p. 280. 164. COLIN, Dictionnaire, vol. 4, p. 1088; DE PRÉMARE, Dictionnaire, vol. 8, pp. 108-109; ABD EL-¨AL, Dictionary, p. 128; CHERAIFI, Dictionnaire, p. 275. The verb Ò¢nnat is also attested in Leshon Limmudim by R. Raphael Berdugo of Miknes, see BAR-ASHER, Leshon Limmudim, Part 3, p. 403 (Psalms 70:6: ‫ חושה לי‬was translated as Ò¢nnat il-i [‫]סנאת אילי‬, i.e. “listen to me”); Part 4, p. 140, note 6 (Haf†arat Zakhor, I Samuel 15:22: ‫ להקשיב‬was translated as m¢l-l-isnnat [‫)]מליסנאת‬. 165. ATTAL, Lexique, pp. 29, 33*; BORIS, Marazig, p. 352. The root √Ònt is used in colloquial Egyptian Arabic, see SPIRO, Dictionary, p. 344. 166. RENASSIA, Psalms. In Leshon Limmudim from Miknes spellings such as ‫ אתקווא‬reflect the pronunciation tt¢quwa, where the aleph indicates that the first character is doubled, and it does not reflect a prosthetic vowel. BAR-ASHER, Leshon Limmudim, part 3, p. 251 note 4, and many more examples therein. 167. BLAU, Grammar, p. 77, § 75. See already in classical Arabic, WRIGHT, Grammar, p. 38, §48 rem. b; pp. 64-65, §111.

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with an initial vowel are used in other Algerian and Tunisian dialects as well168. In Beaussier’s dictionary, which documents Algerian and Tunisian dialects, the perfect form ‫اص ّنت‬ ّ is recorded alongside the regular form 169 ‫ تص ّنت‬. The assimilation of the prefix t in this verb (‫)ص ّنت‬ ّ is also documented in Moroccan dialects, such as those of Tanger and Jbala170, and in the dialect of Marazig in Tunisia171. 3.4 The root √n¨l ( √n¨l is common to many Arabic dialects177, including numerous North African dialects178. Conclusion A key aspect in the study of the Neo-Judeo-Arabic language of any sharÌ of the Bible is the estimation of the relative extent of its conservative features versus vernacular characteristics. My studies of the Constantinian sharÌ of various biblical books have shown that its language is largely conservative and exhibits archaic phenomena. Thus the presence of colloquial roots even in this sharÌ is especially significant. Specifically, we have shown that both secondary dialectal roots, namely √lss, √sgm, and √tkl, and metathesized roots, i.e., √h¨d, √Ònt, √wgb, and √n¨l, have found their way into this sharÌ. These roots were used in the Bible translation as well as in translations of post-biblical texts, such as the Mishnah and piyyu†im (Hosha¨not and Mi Khamokha). They were also employed in original compositions written in Constantinian Judeo-Arabic, such as commentaries on the Bible and on the Mishnah, and in the journal El-Îikma, which was published in Constantine in the first half of the twentieth century. In this paper we demonstrated the use of the aforementioned roots in the different Constantinian texts, and analyzed in detail aspects of their formation due to phonological and morphological processes. We highlighted the unique facets of each verb, their special distribution in the Constantinian Judeo-Arabic corpus and their position among other North African dialects.

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Ofra TIROSH-BECKER [email protected]

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Suzanne HORVATH Centre National de la Recherche Scientifique, Paris

LE «GRAND PROCÈS» DE MEURTRE RITUEL ET SES ANTISÉMITES TISZAESZLÀR, HONGRIE, 1883

RÉSUMÉ En 1883, à la suite de la disparition d’une jeune paysanne dans le village hongrois de Tiszaeszlàr, quinze personnes juives sont accusées de meurtre rituel et jugées. Première manifestation de l’antisémitisme politique en Hongrie, l’affaire divise le pays, comme l’affaire Dreyfus divisera la France et soulève de violentes passions. Grâce à la défense de Karoly Eötvös, les accusés sont acquittés un an plus tard, mais l’événement provoque le questionnement. A-t-il été le produit des idéologies antisémites environnantes? Le conflit entre un gouvernement central récent et un système féodal qui résiste à sa disparition a-t-il joué un rôle? On peut aussi se demander si le choix de traiter l’accusation dans le cadre d’un procès criminel était le plus approprié. C’est la conviction de Karoly Eötvös dans ses mémoires, mais la presse internationale a considéré que l’honneur de la Hongrie a été fortement compromis dans ce procès. SUMMARY In 1883, following the disappearance of a young peasant girl, fifteen Jewish people are accused of blood libel and tried. First demonstration of political anti-semitism in Hungary, the case divides the country — just as the Dreyfus Affair will divide France — and arouses violent passions. Thanks to the defence of Karoly Eötvös, the accused are acquitted one year later, but the case is worth questioning: was it provoked by the surrounding anti-semitic ideologies? Did the conflict between the recently centralized government and the resisting feudal system played a role? Above all, was it justifiable and legitimate to treat the accusation by a criminal trial? In his memoirs Karoly Eötvös believes it was, but the foreign press considers Hungary’s prestige deeply compromised.

La lutte entre les libéraux et les meneurs de l’antisémitisme politique naissant qui s’intensifia en Hongrie en 1882, prit pour prétexte un procès de meurtre rituel. Dans un village au fin fond du pays, des juifs furent accusés de meurtre rituel, arrêtés, emprisonnés pendant un an et demi, puis acquittés. Cette affaire eut un immense retentissement en Hongrie: elle contribua à Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 255-278. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126645

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diviser le pays en deux, suscitant de grandes passions, soulevant le parlement, la presse et l’opinion publique. Elle eut également des effets à un niveau international. Karoly Eötvös qui avait assuré la défense des quinze juifs de Tiszaeszlàr accusés de meurtre rituel, publia en 1903 l’histoire très détaillée du procès1. Mais il existe plusieurs autres documents d’époque sur cet évènement: entre autres, le livre du juge d’instruction de l’affaire, Jozsef Bary, publié seulement en 1933 par ses héritiers, qui relate les évènements du point de vue d’un antisémite acharné2. Ultérieurement le souvenir du procès continuait à agir dans les mémoires: Gyula Krudy en avait fait un roman aussi véridique que peut l’être une fiction reconstituant les faits, d’autant plus qu’il était originaire de la région où ce drame s’était déroulé et qui en avait été durablement secouée3. G.W. Pabst en tira un film en 1948, intitulé Le procès, qui fut présenté également à Paris. La présente étude n’a pas la prétention d’enrichir l’immense littérature cherchant à approfondir les causes et la symbolique de l’accusation de meurtre rituel, accusation remontant à l’antiquité, procédé classique pour charger les ennemis du crime suprême, le sacrifice humain. Mais l’affaire de Tiszaeszlàr reste pratiquement inconnue en France et on ne peut pas la considérer comme ayant surgi isolément dans ce village perdu en Hongrie où la disparition d’une fillette avait fait immédiatement émerger le soupçon que des juifs l’avaient massacrée pour mêler son sang à leur pain azyme — c’est-à-dire l’abstraire du contexte historique dans lequel elle prend son sens, et c’est en cela que réside son intérêt et l’intérêt à la faire connaître. Il s’agit en l’occurrence d’un élément qui s’emboîte dans l’histoire européenne de l’antisémitisme et qui représente une contribution à une question restée ouverte: pourquoi ce fut justement autour de 1880 qu’une nouvelle flambée d’antisémitisme qualitativement différent embrasa les pays européens, y compris la Russie, en dépit des niveaux de développement économiques, politiques, culturels très différents de ces pays? Etait-ce simple mimétisme, comme ce qui s’était passé en Europe en 1848, — l’esprit du temps, le Zeitgeist ou la conséquence de l’émancipation? Pourtant celle-ci était intervenue à des dates différentes selon les pays. Il est possible d’y voir 1. E, KÀROLY, A nagy per – mely ezer éve folyik s még sincs vége (Le grand procès qui dure depuis mille ans et ne voit toujours pas sa fin), 3 vol., Budapest, 1903. 2. J. BARY, A tiszaeszlàri bünper, Bary Jozsef emlékiratai (Le procès criminel de Tiszaeszlàr, mémoires de Jozsef Bary), Gede, facsimilé Kir. Magyar Egyetemi nyomda, 1999 (pr. édition 1933). La date de la première édition coïncide avec celle de la prise de pouvoir par les nazis en Allemagne. 3. G. KRUDY, A tiszaeszlàri Solymosi Eszter (Eszter Solymosi de Tiszaeszlàr), Budapest, 1977, pr. édition 1931.

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aussi une conséquence de l’industrialisation, de l’urbanisation, de la compétition réelle ou imaginaire avec les juifs apparus sur la scène de la vie économique. D’autres facteurs comme la crise économique au début des années 1870, la politique délibérée en Russie visant à susciter des pogroms ou encore la présence d’une idéologie dont les différentes thèses furent mélangées et complétées en Allemagne sont également à prendre en compte. L’histoire du procès de Tiszaeszlàr permettra peut-être de mieux cerner ces différentes questions. 1. L’apparition du nouvel antisémitisme4 L’idéologie de l’antisémitisme arrivait en Hongrie par le biais de l’Allemagne et de l’Autriche. L’émancipation fut accordée aux juifs allemands en 1869. Dès 1875, la théorie de l’antisémitisme commençait à prendre forme et à servir de base à l’idéologie antisémite naissante propagée dans une certaine presse et dans des partis conservateurs-cléricaux ennemis du parti libéral de Bismarck. Les éléments de cette théorie — l’eugénisme, l’anthropologie raciale, le racisme, l’antisémitisme — encore distincts en 1860, se fondaient en une seule idéologie5. Celle-ci, professée par les partis antisémites et par certains scientifiques, eut également un très large impact sur la vie culturelle. En 1875, le pasteur Stoecker créa un parti social-chrétien antisémite. En 1879, les tendances chrétiennes-sociales, conservatrices et radicales se rencontraient dans le Mouvement berlinois qui organisa un congrès antisémite à Dresde en 1882 puis en 1883. Ces congrès, malgré les dissensions entre les participants, parvinrent à un consensus dans leurs objectifs: écarter les juifs de la vie économique et sociale et annuler l’émancipation. En Autriche paraissait dès 1860 un quotidien antisémite intitulé Vaterland, puis l’antisémitisme raciste fit son apparition, dont le principal représentant était Georg Ritter von Schönerer. Pour justifier son antisémitisme, il ajouta aux arguments économiques le nationalisme et sa foi dans la suprématie du peuple allemand de race pure. 4. Voir surtout J. KUBINSZKY, Politikai antiszemitizmus Magyarorszàgon 1875-1890 (L’antisémitisme politique en Hongrie 1875-1890), Budapest, 1976; A. HANDLER, Blood Libel at Tiszaeszlàr, Boulder, 1980; A. PREPUK, A zsidosàg Közép-és Keleteuropàban a tiznkilencedik és huszadik szàzadban (Les juifs en Europe de l’Est au XIXe et XXe siècle), Budapest, 1997; L. GONDA, A zsidosàg Magyarorszàgon 1526-1945 (Les juifs en Hongrie 1526-1945), Budapest, 1992; G. SZÁRAZ, Egy elöitélet nyomàban (À la recherche d’un préjugé), Budapest, 1976. 5. Voir P. WEIDLING, L’hygiène de la race et eugénisme médical en Allemagne, 1870-1933, Paris, 1998.

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En Hongrie, l’émancipation des juifs eut lieu en 1867 et elle était presque totale (elle ne fut complétée qu’en 1895, reconnaissant la communauté religieuse juive et autorisant ainsi les mariages mixtes). Elle permettait à des juifs — tout comme à des Allemands — d’occuper massivement les domaines de l’industrie et des finances que la petite noblesse avait délaissés, en partie par incompétence, en partie parce qu’elle dédaignait ces professions, préférant les emplois dans l’administration et l’armée. En conséquence, à partir de 1870, deux groupes antagonistes étaient présents sur la scène sociale: les juifs et la gentry. Le problème qui faisait remettre encore et toujours sur le tapis la question de l’émancipation, fut l’augmentation constante de l’immigration juive au cours du siècle. Entre 1800 et 1900, quelques 800 000 juifs arrivèrent en Hongrie, dont la majorité était originaire de Galicie, composée de hasidim pauvres, colporteurs, cochers, petits commerçants, taverniers. En 1875, le parti de Ferenc Deàk, figure principale du compromis de 1867 avec l’Autriche, était dissous, pour laisser la place à deux partis: le parti libéral, solidaire du compromis et du gouvernement, et le parti des «indépendants» de l’opposition. C’est dans ce parti que surgit le nom de Gyözö Istoczy, issu de la noblesse appauvrie, ayant eu une carrière dans son comitat6 avant de se faire élire comme député. Istoczy tint des discours antisémites au parlement, dont le premier en 1875. Dans ce discours il avança que les juifs, par leur prolifération et par leur pouvoir acquis dans la vie économique, menacent les Hongrois. Les juifs, disait-il, sont une caste fermée qui aspire à assujettir les peuples non-juifs et à dominer le monde. Il proposa d’introduire la notion nouvelle de «panjudaïsme». Les juifs prétendent oeuvrer pour la démocratie et le libéralisme, mais en fait c’est la ploutocratie qu’ils veulent réaliser et étendre leur pouvoir. Il insista sur la nécessité de la déportation, en terminant: «Sinon, ce sera ou bien eux, ou bien nous, l’un de nous devra fatalement disparaître», et en proposant que la conférence de Berlin de 1878 devrait traiter de la question de cette déportation. Le ministre de l’éducation et des cultes lui rétorqua que sa demande était en totale contradiction avec l’esprit humanitaire du parlement. Istoczy lança un quotidien en 1878: Notre avenir, puis, après l’échec financier, faute de soutien, se mit à organiser des associations antisémites. Son travail commençait à porter des fruits: le bas clergé catholique, certains membres de la gentry, de la jeunesse estudiantine, quelques instituteurs et déclassés de la petite bourgeoisie, se groupèrent autour de lui. Il élabora un projet du statut de sa future association qui imitait et suivait l’exemple alle6. Équivalent de «département».

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mand, bien que ce fait fût systématiquement nié par la suite par les antisémites hongrois. Ensuite, le mouvement, après les tentatives échouées dans la capitale, tentait de constituer un réseau en province, en particulier à Pozsony (aujourd’hui Bratislava) où il pouvait exploiter la fibre du mécontentement consécutive à la crise agraire. Istoczy trouva alors un important soutien en la personne d’un autre député, Gyula Verhovay, juriste, journaliste connu. En 1879 celui-ci fonda un journal, L’indépendance. Ce journal devint le porteparole principal de l’excitation antisémite, offrait son style vitriolé à Istoczy et à Geza Onody, un autre député gentry qui se joignit à eux. Sa trouvaille consistait à relier les slogans antisémites aux aspirations d’indépendance vis-àvis de l’Autriche — autrement dit au chauvinisme. Les évènements à l’étranger — les associations en Allemagne, les pogroms en Russie, les manifestations en Autriche — contribuaient à l’élargissement de l’antisémitisme hongrois. Car Istoczy suivait ces évènements avec beaucoup d’attention, s’abonnait à la presse antisémite étrangère, achetait les livres et les brochures. Dans son discours au parlement en mars 1880 il répétait que la «question juive» était un problème de pouvoir et non de religion, et lança l’idée de la race. En octobre de cette année il fonda un mensuel intitulé 12 tracts. Dans le premier numéro, il revendiqua pour lui la paternité du mouvement antisémite international. Cette position eut pour résultat une lettre ouverte de la Ligue antisémite allemande qui le remercia de ses activités et l’assura de sa reconnaissance. En février 1881 une délégation de la jeunesse estudiantine lui rendit visite au parlement pour lui transmettre les salutations de 234 jeunes antisémites dont la plus grande partie étaient des provinciaux et qui se donnaient pour objectif «d’empêcher les étudiants juifs de fréquenter l’université». La manifestation qu’ils projetaient fut interdite par le ministre de l’intérieur, Kàlmàn Tisza, qui était également le chef du gouvernement; il déclara que le gouvernement avait pour devoir de faire obstacle à la propagation de la haine raciale. Dès le début des années 80, Istoczy adopta et reprit tous les leitmotive trouvés dans les théories antisémites à l’étranger, en particulier celle de Dühring: dans le 12 tracts il parlait de l’aversion instinctive des européensaryens à l’égard des juifs sémitiques. Il puisait dans les écrits de Du Mesnil Marigny7 pour pourfendre le parasitisme des juifs et leurs pratiques d’usure, de tromperies, de falsifications, nomma le «complot international», accusa les juifs d’être des ennemis du patriotisme, d’être cosmopolites, de participer à la subversion socialiste et de s’introduire dans la franc-maçonnerie. Enfin 7. J. DU MESNIL MARIGNY, Histoire de l’économie politique des anciens peuples de l’Inde, de l’Égypte, de la Judée et de la Grèce, Paris, 1878 (première édition 1872).

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et surtout, il s’appuyait largement sur l’ouvrage d’A. Rohling, Der Talmudjude8, ouvrage qui eut un rôle important dans le procès de Tiszaeszlàr. Les antisémites se radicalisaient de plus en plus, approuvant les pogroms en Russie, militant pour la déportation en Palestine, dans les îles de la Pacifique ou sur l’Archipel François-Joseph dans l’Arctique. Parallèlement, les antisémites modérés désiraient conserver les droits acquis par l’émancipation à certains juifs «sur la bonne voie» et exclure les autres — les juifs immigrés de Galicie. Le mouvement pour la suppression de l’émancipation échoua, mais cela n’empêchait pas les antisémites, soutenus cette fois par le clergé, de faire obstacle au projet de loi présenté au parlement concernant les mariages mixtes entre juifs et chrétiens, droits qui n’avaient pas été accordés lors de l’émancipation. Lors du vote de la chambre haute ils réussirent à faire échouer ce projet. La majorité des antisémites étaient membres du parti de l’opposition qui représentait une plateforme utile pour fondre leurs idées avec un nationalisme démagogique, mettant dans le même sac «les capitalistes juifs» et «les oppresseurs autrichiens».

2. Le procès de 1882: les faits et leurs répercussions immédiates L’auteur du livre relatant l’histoire du procès de Tiszaeszlàr, Kàroly Eötvös, d’origine noble, était un avocat connu, député du parti de l’opposition, au faîte de sa renommée en 1882. Il publia son livre vingt ans après les évènements: selon lui, il avait dû prendre du recul avant d’atteindre à l’objectivité nécessaire pour une description fidèle, car à l’époque du procès le pays entier avait été agité par des passions. Son livre, non traduit à ce jour en français, a le grand mérite de donner une description on ne peut plus minutieuse de l’affaire. De plus, le livre est un document sociologique, une mine d’informations sur le village de Tiszaeszlàr, sur la vie de ses habitants et sur tous les protagonistes du procès. Il s’avère la source la plus importante parmi les autres documents de l’époque pour quiconque veut connaître cette affaire: Le premier avril 1882, à Tiszaeszlàr, un village du Nord-est du pays de 2700 âmes au bord du fleuve Tisza, disparut une jeune paysanne de quatorze ans, Eszter Solymosi. Ce jour était un samedi précédant la Pâque juive, et les vingt-cinq familles juives du village s’apprêtaient à élire un sacrificateur et un récitant-remplaçant du rabbin qui ne devait pas résider au village. Trois candidats prétendants aux postes étaient arrivés ce matin dans le village, 8. A. ROHLING, Der Talmudjude, 1871. En français: Le juif selon le Talmud, éd. française considérablement augmentée par A. Pontigny (préface de L. Drumont), Paris, 1889.

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ainsi que deux familles de mendiants itinérants. Quelques-unes de ces personnes étaient présentes à la synagogue également le soir, pour résoudre un conflit surgi entre elles dans la journée. La mère d’Eszter était une pauvre veuve, ouvrière journalière, et sa fille était servante dès l’âge de douze ans. Elle n’était engagée chez sa maîtresse, Mme Huri, que depuis un mois. Celle-ci envoya Eszter le matin de ce samedi chercher de la peinture chez un commerçant à l’autre bout du village, car ce jour-là elle voulait faire un grand nettoyage de printemps et repeindre la maison. La fillette tardait à revenir. Mme Solymosi la cherchait dans l’après-midi et s’adressa à Jozsef Scharf, le shamès (employé de la synagogue), une personne dont le physique et le comportement étaient tout à fait ceux du paysan hongrois9. «Vous la retrouverez» dit celui-ci «à Hajdunànàs aussi, on avait dit que c’étaient les juifs qui avaient fait disparaître un enfant, mais on l’a retrouvé quelques heures plus tard, il s’était endormi près des marécages». Peut-être fut-ce cette phrase qui déclencha la suite des évènements, pensait Eötvös. Mme Solymosi attendit quatre jours avant de porter plainte auprès du juge d’instance, en émettant l’hypothèse que c’étaient les juifs qui avaient tué sa fille. Selon elle, quelqu’un lui avait donné cette idée, mais ne se rappelait plus son nom. Contrairement à ce que suggérait Eötvös, le rôle dans le déclenchement de l’affaire de Geza Onody, propriétaire terrien précisément à Tiszaeszlàr et dont le nom est cité plus haut, est très probable: était-ce lui qui a lancé l’idée du meurtre, ou lui était-elle livrée par les villageois et les fonctionnaires ayant mis en branle le processus judiciaire? Eötvös mentionne de nombreux cas d’accusations de crime rituel contre des juifs au cours des siècles en Hongrie10. Vraisemblablement, les suggestions d’Onody avaient servi à déclencher le réveil d’anciens mythes présents dans la région11. Quoi qu’il en fût, le juge émit une circulaire concernant la disparition de la fillette. On interrogea les témoins qui avaient vu les allées et venues 9. Cette ressemblance, au lieu de diminuer l’aversion contre l’étranger, pouvait la renforcer: en effet, «le différent (…) apparaît encore plus menaçant, puisqu’il se fond dans la société sans qu’il puisse être facilement localisé, restant irréductible dans son altérité qui agit de façon souterraine»: M. VIGGIANO, «Ripensare l’accusa del sangue di Furio Jesi», Bibliomanie, 12, 2008, p. 10. 10. La plupart, sauf cinq cas, furent retirées. EÖTVÖS, op. cit., pp. 12-53. 11. Un autre mythe semblable que décrivait la ballade Kömives Kelemen circulait sous diverses variantes en Hongrie: le château de Déva ne put être construit que grâce aux cendres de la femme d’un des maçons, mélangées au mortier. A l’auteur de ces lignes, en 1968 près de Miskolc (Nord-est de la Hongrie), une paysanne a raconté que la mairie communiste ne devait sa construction qu’aux cendres d’une jeune fille chrétienne que les juifs avaient tuée.

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d’Eszter ce jour-là, mais ces témoignages n’étaient pas concordants. On passa également en revue les causes possibles de la disparition: accident, suicide, meurtre… et on s’arrêta au meurtre rituel. Curieusement, — du moins pour le lecteur du temps présent — l’hypothèse du crime sexuel ne fut jamais mentionnée tout au long du procès qui durerait un an et demi, — y compris de la part de la défense. Le juge s’amusait encore de la supposition de Mme Solymosi, mais la presse du pays entier s’en empara aussitôt. L’étincelle que Istoczy et Onody avaient jeté sur le feu qui couvait, suffit à embraser le peuple et une grande partie de l’opinion publique qui accepta aussitôt la version du meurtre rituel, alors que le parlement et le gouvernement ne cèderaient pas à l’hystérie pendant toute la durée du procès. Le 20 avril, le premier témoignage fut celui d’un garçon de cinq ans, le fils cadet de Scharf le shamès. Le petit, après que quelques voisines, parentes du maire du village, l’eurent gavé de bonbons, déclara que les juifs, ce samedi, dans la synagogue, avaient coupé le cou d’Eszter et avaient pris son sang. Le 4 mai, la mère retourna chez le juge et le pays entier était en ébullition. Le comitat, dont relève Tiszaeszlàr, ordonna une enquête. Le 12 mai, Bary, le juge d’instruction, un jeune homme de vingt-quatre ans dont c’était la première affaire, accepta aussitôt cette version et commença par faire creuser le sol de la synagogue, de son jardin, et de la maison de Scharf. Le 19, il arrêta quelques juifs, dont le fils aîné de Scharf, Moric, âgé de treize ans, qui serait le principal témoin à charge du procès. Au début, le garçon déclara ne rien savoir. Le lendemain on l’amena, de nuit, dans un autre village, dans l’appartement du chef de la gendarmerie, Andràs Recsky, une des figures importantes de la petite noblesse provinciale. Recsky, en présence d’un employé qui rédigerait le procès-verbal, le contraignit à l’aveu par des coups et des menaces. Il déclara désormais que le samedi en question, vers midi, son père avait invité Eszter Solymosi à entrer dans sa maison. Un mendiant juif avait traîné Eszter jusqu’à la synagogue voisine; un autre juif l’avait jetée à terre; malgré ses cris, d’autres juifs encore avaient coupé son cou, faisant couler son sang dans un plat, puis dans une casserole. Le lendemain, ce procès-verbal fut authentifié devant le tribunal. Sur la base de cet aveu tous les juifs dont le nom avait été cité par Moric Scharf furent arrêtés, y compris son propre père. Les accusés ne furent aucunement tenus au courant du déroulement de l’enquête; on ne désignait pas d’avocats pour eux. Bary continua l’interrogatoire de Moric pendant plusieurs jours. Au début il avait voulu l’arrêter, lui aussi, mais finalement on le garda dans l’immeuble de la prison pendant quelques mois, puis on le séquestra à la préfecture du comitat. Il fallait bien isoler le témoin principal;

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toute l’accusation fut fondée sur son aveu. Les neuf juifs emprisonnés niaient catégoriquement l’accusation. Mais l’impact de l’histoire s’amplifiait de jour en jour. Le destin sanglant de la vierge de treize ans excitait les imaginations. Le 20 mai, avant que le «témoignage» de Moric Scharf fût connu, un journal clérical budapestois, le Magyar Allam, publia un article de la plume du curé de Törökbàlint, Ignàc Zimàndy, qui accusait les juifs. Le 23 mai, trente-six heures après l’ «aveu» de Moric Scharf, Geza Onody, qui faisait partie du Parti Indépendant mais avec un programme antisémite, prit la parole à l’Assemblée, pour dénoncer les «assassins juifs». Le 24, la troisième personne du trio, Verhovay, publia aussi une violente diatribe contre les juifs dans le journal Függetlenség. Istoczy discourait également au parlement: il cita le livre de l’abbé August Rohling écrit en 1871, Der Talmudjude, devenu la bible des antisémites, contenant surtout des histoires de meurtre rituel que les juifs auraient commis en Europe. En fait Rohling n’avait fait qu’adapter l’ouvrage d’Eisenmenger, Le judaïsme démasqué, datant de 170112. Istoczy exigeait également une enquête contre le premier juge pour ne pas avoir engagé des poursuites contre les juifs. Kàlmàn Tisza, le premier ministre, chef du parti libéral au pouvoir, rejeta l’interpellation d’Istoczy, soulignant que de toute façon l’enquête concernant la disparition d’Eszter Solymosi relevait des tribunaux et n’avait pas à être traitée au parlement. Un des leaders du parti de l’opposition, Daniel Irànyi, déclara au nom de son parti se désolidariser totalement des vues de Onody, et condamna énergiquement l’accusation de meurtre rituel. Mais l’attitude du parlement exempte d’antisémitisme n’y fit rien: dès lors s’installa dans le pays une coupure entre d’une part le gouvernement et le parlement, et d’autre part les médias qui surexcitaient l’opinion publique et submergeaient les voix de la raison. Des émeutes, des manifestations eurent lieu dans plusieurs villes et villages de province. Des tracts circulaient sur la fille martyre. En vain ordonna Tisza, par une circulaire du premier juillet, de saisir et confisquer les tracts, y compris le 12 tracts. Istoczy et Onody, ce dernier devenu le spécialiste du crime rituel, collectionnaient les histoires concernant les méfaits commis par des juifs assoiffés de sang chrétien, qui leur arrivaient de tous les coins du pays. Au premier congrès antisémite de Dresde, en 12. A l’époque où Rohling écrivait son livre, il était chanoine mais par la suite il fut nommé «professeur d’études bibliques et de l’Ancien Testament» de l’université de Prague, bien qu’il ne connût même pas la langue hébraïque. Mais sa carrière s’interrompit en 1885 avec la perte du procès qu’il avait intenté au rabbin Bloch de Vienne qui avait réfuté ses thèses. La Société des orientalistes allemands ayant soutenu Bloch avec deux experts, Rohling dut retirer sa plainte en diffamation, et après ce scandale, l’Université catholique allemande de Prague le révoqua. Mais ses livres se vendaient bien, même après sa révocation.

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1882, l’apparition de Geza Onody, brandissant le portrait d’Eszter Solymosi et tenant un grand discours dans lequel il exigeait des sanctions contre les juifs, fit sensation. Entre-temps, Bary, le juge d’instruction, continuait son enquête: après avoir retourné le sol de toute la synagogue, il fit explorer le lit du fleuve Tisza le long du village avec des harpons — en vain. Le 17 juin, un groupe de flotteurs de bois descendant la Tisza avec leurs quatre radeaux chargés de bois de chauffage, furent obligés d’amarrer en aval de Tiszaeszlàr, car un de leurs radeaux fut endommagé par un tourbillon. Après s’être installés sur la rive, l’un d’eux aperçut un cadavre que l’eau entraîna sous son radeau, puis sur la rive. C’était un cadavre de femme sans cheveux, vêtue des habits qu’avait portés Eszter Solymosi le jour de sa disparition; attaché à son poignet, un paquet, contenant encore de la peinture bleue. La nouvelle se répandit qu’on venait de retrouver Eszter et son cou était intact! Les juifs du village couraient avertir tout le monde et les journaux. Le maire du village, l’huissier, l’instituteur, le médecin, un étudiant en médecine, le pharmacien… y accoururent, dressèrent un procès-verbal: ils constatèrent qu’il s’agissait d’une jeune fille de quatorze ans, mesurant environ 140 cm. Mais le lendemain arriva le juge d’instruction Bary, accompagné du juge du comitat, du substitut du procureur général, d’autres médecins, du chef de gendarmerie Vay, de la mère de la fillette disparue, des habitants de Tiszaeszlàr et des badauds. En revanche, ni les accusés, ni leurs avocats (à l’époque, ils n’en avaient pas encore!) n’étaient admis à l’identification. Le cadavre était exposé tout nu. La mère ne reconnut pas sa fille dans ce cadavre chauve, ayant dérivé pendant plus de deux mois dans l’eau; parmi les villageois, certains pensaient qu’il s’agissait d’Eszter, d’autres ne la reconnaissaient pas, sauf une jeune fille qui montra sur son pied un signe distinctif incontestable: une cicatrice récente, causée par le piétinement d’une vache, dont tout le monde avait eu connaissance au village. Mais ce témoignage passa inaperçu. On transporta le cadavre à Tiszaeszlàr. Une nouvelle identification eut lieu. Mais dès le lendemain apparut la rumeur qui serait adoptée pour véridique pendant toute la durée du procès: «ce cadavre n’est pas celui d’Eszter Solymosi! Les juifs ont pris un cadavre dans la Tisza, l’ont habillé avec les vêtements d’Eszter!» Le cadavre fut autopsié. Les médecins décrétèrent qu’il ne pouvait s’agir d’Eszter Solymosi, car ce cadavre était âgé de dixhuit ans au moins, n’était pas vierge, était mort depuis dix jours et souffrait d’une maladie des poumons. En outre, il était chauve, probablement parce que chez les juifs les femmes mariées portent une perruque. Sur ce, le cadavre fut enterré.

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À Tiszaeszlàr, un comité se forma; parmi ses membres, le chef de gendarmerie, le maire du village, le juge d’instruction Bary, des députés antisémites et surtout Verhovay, le député-journaliste. Ce comité qui sut que parmi les gens du flottage il y avait un juif, se lança à leur poursuite, sous prétexte qu’ils devaient être responsables de l’apparition de ce cadavre maquillé par les juifs, pour le faire passer pour la dépouille d’Eszter. Tous les sept flotteurs furent arrêtés et soumis à des interrogatoires qui duraient une quinzaine de jours. Deux d’entre eux, dont l’économe juif, après être battus, torturés, avouèrent avoir commis le forfait dont ils étaient accusés et en fournirent jusqu’aux plus petits détails: comment les juifs leur avaient passé le cadavre, comment on l’avait habillé. Un troisième, de sa prison, sans être torturé, se joignit à eux et avoua, suppliant ses autres compagnons, qui résistaient, d’avouer. Deux mois plus tard les hommes torturés portèrent plainte, mais sans résultat. Ce fut à ce stade du procès qu’entra en scène Kàroly Eötvös, que le Bureau Central budapestois, «modeste organe de représentation des juifs» (dit-il), avait pressenti pour assurer la défense des accusés. L’avocat avait longuement hésité. D’autant que plusieurs journaux racontaient en long et en large que les juifs avaient une association secrète et mystérieuse appelée Kagal dont les membres étaient liés par un serment, qui disposait de sommes d’argent fabuleuses, défendait les juifs contre tous, qui avait de l’influence sur les rois, les empereurs, les gouverneurs, les juges et surtout la presse, et dont l’objectif ultime était de conquérir et soumettre le monde entier. Eötvös fut donc soupçonné d’être employé par les membres du Complot. Il savait en outre que le ministre de la justice, Pauler, lui-même était convaincu de la culpabilité des juifs, que la presse entretenait l’excitation, que les tribunaux étaient partiaux, que ni le chef du parti au pouvoir, Kàlmàn Tisza, ni les partis d’opposition, ni la Cour ne le soutiendraient ouvertement, craignant de perdre leur popularité et aller à l’encontre de l’opinion publique13. Des amis députés tentaient de le dissuader. On lui proposa de fonder un nouveau parti dont il serait le leader, avec la devise «Á bas la juiverie, à bas la corruption et le règne de Tisza!” (lequel était en effet taché de corruption) pour faire tomber le gouvernement. Eötvös refusa, “ne serait-ce que du point de vue stratégique» — dit-il «car il n’en résulterait que des émeutes et des pillages». Finalement il accepta la défense des juifs accusés. Mais auparavant il était allé rendre visite à Moric Scharf, le principal témoin de l’accusation, dans sa prison. Il constata que le garçon était totalement apeuré et qu’il était impossible de s’entretenir avec lui. 13. EÖTVÖS, op. cit., Vol. II, pp.73-93.

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Pendant que le juge d’instruction Bary continuait son enquête, Karoly Eötvös se mit au travail. Il consulta des médecins légistes, ne se contentant pas du premier verdict. Ces médecins étaient eux-mêmes antisémites, mais Eötvös obtint d’eux la reconnaissance que la première autopsie n’avait pas été suffisamment minutieuse. Il exigea une nouvelle autopsie et après une longue bataille — il rencontrait partout des résistances: une partie de la société, les classes aisées, était antisémite — il eut gain de cause: on déterra le cadavre, on l’envoya en morceaux à Budapest craignant que — encore! — les juifs ne le substituent par un autre cadavre et on le fit examiner par les meilleurs spécialistes budapestois. Il était significatif que lors du déterrement, personne dans la région, ni nobles, ni paysans, ne voulait héberger les médecins et les avocats qui s’étaient déplacés. L’autopsie eut lieu en décembre et le résultat tomba en janvier 1883: «rien ne prouve que le cadavre n’est pas celui d’Eszter Solymosi». Eötvös présenta au tribunal toutes les illégalités dont le procès était entaché jusqu’alors. Entre-temps, le pharmacien qui avait assisté à l’identification du cadavre, était venu le voir pour lui faire part de l’observation de l’amie d’Eszter qui avait vu sur le pied du cadavre la cicatrice provenant du piétinement par une vache. Craignant pour sa vie, il n’avait pas osé aller voir le juge d’instruction Bary avec son observation. Deux autres personnes parmi les flotteurs arrêtés se décidèrent à relater comment ils avaient été torturés. Fin 1882 un procureur de Budapest se chargea de l’enquête et comme par miracle, les mauvais traitements des prisonniers cessèrent. L’audience du procès se tint à la préfecture de Nyiregyhàza, chef-lieu du comitat, du 19 juin au 3 août 1883. En dehors des journalistes, 232 personnes avaient accès à l’audience. Ce public se composait de propriétaires terriens, d’avocats, de médecins de la région, qui dans leur majorité étaient antisémites, convaincus de la culpabilité des accusés, et manifestaient leur désapprobation en accueillant par des murmures scandalisés, des calomnies, les dépositions de ceux qui témoignaient en faveur des accusés et approuvaient, avec des sourires et hochements de tête, celles des témoins à charge. Seulement huit places furent attribuées aux spectateurs juifs. Quinze personnes étaient accusées de meurtre, de complicités de meurtre et de connivence. L’accusation fut présentée par le substitut du procureur qui termina son réquisitoire en déclarant que les accusés étaient innocents, ce qui lui valut d’être grossièrement molesté et physiquement menacé par Onody au tribunal même. À l’audience, György Vay, le chef de gendarmerie était entendu en tant que témoin. Il nia les tortures que ses victimes lui opposaient et que deux gendarmes confirmaient. Julcsa Szakolczai, l’amie d’Eszter, nia d’abord,

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puis confirma avoir vu sur le cadavre la cicatrice, trace du piétinement, et expliqua qu’elle avait reçu des menaces et que c’était la peur qui l’avait amenée à se taire la première fois. Moric Scharf, le témoin principal, maintint son témoignage sur le meurtre d’Eszter Solymosi, manifesta son mépris des juifs accusés, y compris son propre père, et déclara: «je ne veux pas être juif»; ajoutant que pendant sa séquestration il avait eu la promesse d’avoir un poste de fonctionnaire par ses geôliers qui lui avaient dit que les juifs allaient l’enlever et se venger. L’un des flotteurs, Matej, qui s’était avoué coupable puis s’était rétracté, déclarant que ses aveux lui avaient été arrachés sous la torture, niait de nouveau à l’audience. Dans les récits souvent contradictoires des témoins il y avait certainement de nombreux faux témoignages. À l’audience, à un moment où l’ineptie de l’accusation commençait à apparaître, une villageoise de Tiszaeszlàr, Mme Cseres, qui jusqu’alors ne s’était pas manifestée, se levait pour affirmer qu’elle avait vu de sa fenêtre comment les juifs avaient tué Eszter, en en décrivant jusqu’aux plus petits détails. Eötvös remarque dans son livre qu’à l’époque le faux témoignage était quasiment une institution et que des centaines de pauvres gens en tiraient leur subsistance. Le juge d’instruction Bary se taisait lorsque l’accusation fut démolie. Par la suite, sa responsabilité ne fut pas évoquée. L’audience culmina par le discours de la défense. Kàroly Eötvös parla sept heures d’affilée. À la fin de son discours, il décrivit la vie d’Eszter Solymosi, la misère noire de sa mère obligée de se séparer de sa fille dès que celle-ci eut douze ans, et prouva que la dernière maîtresse d’Eszter la maltraitait, que le jour de sa disparition elle l’avait fait travailler dans le froid sans lui donner à manger et l’avait sévèrement grondée. Et il rapporta la fin de son discours dans son livre: Leo Groszberg confirma devant le tribunal que Zsofi (la soeur d’Eszter) était venue chez lui le dimanche 2 avril, pour chercher du sucre dans sa boutique, et qu’il lui avait demandé — Vous n’avez pas retrouvé Eszter? — Point du tout! Je la plains la pauvre, elle était tellement triste. Tout cela concerne l’état d’esprit d’Eszter entre treize et quatorze heures de l’après-midi. Mais plus tard, la tristesse s’accrut encore lorsqu’elle avait encore plus faim et plus froid et lorsque sa maîtresse la gronda si fort en l’envoyant de nouveau au village que la pauvre fille sa vautra sous le saule près de la fontaine dans la rue pour sangloter. Sans aucun doute, allait-elle retourner à l’épicerie. Son chemin la menait à proximité immédiate du fleuve Tisza. Il y suffit un seul jaillissement de douleur, un seul élan d’amère détermination et la pauvre fillette était déjà au fond du fleuve muet qui la berçait doucement. Là-bas, ni la faim ni le froid, ni le manque de vêtements, ni les injures humiliantes ne pouvaient plus l’atteindre. On peut dire: la mort volontaire est une grande entreprise, elle doit donc néces-

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siter de grandes raisons et la pauvre fillette n’en avait peut-être pas. Il se peut. Mais c’est son âme qui en fut juge. Les autres ne peuvent pas en juger.

Le jugement du tribunal de premier degré prononça qu’il n’était absolument pas prouvé que Eszter Solymosi avait été tuée par des juifs ni par les moyens évoqués au cours de l’enquête, ni par d’autres moyens. Il prononça également qu’il n’était pas sûr que le corps repêché du fleuve fut celui d’Eszter Solymosi; mais il n’était pas sûr non plus qu’il ne fut pas le sien. Les conclusions des jugements des juridictions de second et de troisième degré étaient identiques à celle du tribunal de premier degré. Les accusés étaient libres. Sur les tortures, les jugements se turent. Les personnes injustement accusées n’eurent aucune réparation14. Le livre d’Eötvös s’arrête là. Les réactions d’Istoczy ne tardèrent pas: il déclara que le mensonge avait gagné, mais que désormais il était clair qu’il existait une «question juive» en Hongrie. Dans le 12 tracts il appelait les juifs «des perdants du point de vue moral». Les journaux antisémites condamnèrent le verdict. Le Függetlenség de Verhovay et Germania (un journal clérical allemand) clamaient la justesse de l’accusation. Le journal Magyar Allam déplora que les intérêts juifs l’eussent emporté en Hongrie. Le journal Magyar Korona posait la question: «Où est Eszter Solymosi? Qui l’a tuée?» Les journaux objectifs se réjouirent de ce que le dilemme tragique de la nation avait pris fin. Le verdict prouva l’ineptie de l’accusation, écrivit le Pesti Hirlap, et était tout à l’honneur de la Hongrie. Le Budapesti Hirlap remarqua l’ambiguïté du verdict: «Il plane comme un nuage sombre au-dessus du procès: le verdict ne dit pas que le cadavre trouvé était celui d’Eszter Solymosi, et ne dit pas que les accusés sont innocents.» Le Pesti Naplo souligna un point important: «Seulement quelques fanatiques clament que le meurtre rituel est susceptible de faire l’objet d’un procès criminel!» Le New York Times parla du «soi-disant meurtre de Pâque». La République Française qui donnait des comptes rendus quotidiens du procès, écrivait le 24 juillet: La scandaleuse exhibition de Tiszaeszlàr (…) touche définitivement à sa fin (…). Nous allons à notre grande satisfaction être témoin de l’avortement hideux de cette macabre farce (…) Aussi longtemps que le comitat autonome durera, il est à craindre que des abus de toute nature (…) dureront de même. (…) À quoi sert-il d’avoir un gouvernement foncièrement libéral et progressiste, s’il se trouve désarmé en présence d’une administration échappant presque entièrement à son action ainsi qu’à son contrôle? 14. I. SÀNDOR, A vizsgàlat iratai, Tudositàs a tiszaeszlàri per körülményeiröl. (Les documents de l’enquête. Les circonstances du procès de Tiszaeszlàr), Budapest, 2004, pp. 114117.

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Le Temps écrivait le 13 juillet: Le procès a malheureusement dévié de son cours primitif. La passion religieuse et politique qui dans ces régions primitives (…) s’est emparée de l’affaire (…) les haines intéressées ou aveugles qui dans tout l’Orient européen s’agitent autour de la race sémitique — ne visent pas à confondre le meurtrier, mais à démontrer qu’un crime monstrueux a pu être commis par les juifs. (…) La sécurité et l’honneur de plusieurs millions d’israélites sont attachées à ce procès, car le verdict retentira. Rien ne saurait justifier la procédure barbare qui a servi à instruire le procès. Le public est visiblement animé d’hostilité. (…) Nous ne pouvons que réitérer l’expression d’un regret que le gouvernement n’ait pas cru devoir faire usage de la prérogative qui lui permettait de transférer cette malheureuse affaire du tribunal local à une juridiction indépendante plus impartiale.

Le Daily Telegraph publiait tous les jours des comptes rendus détaillés du procès. Dès son premier jour, il prévoyait que le procès se rangerait parmi les causes les plus célèbres des crimes modernes, tout en l’appelant scandaleux et en vilipendant les mensonges de Moric. Le 23 juin, il écrit: «Il serait difficile d’exagérer l’indignation que manifeste l’opinion publique dans cette partie de la Monarchie concernant le scandale judiciaire qui est en train de se poursuivre.» Selon le journal, l’action des institutions de la justice y est bafouée, deux députés antisémites y sont présents, le procès est entaché d’irrégularités et le procureur craint que le «principal témoin» Moric Scharf ne soit enlevé. Début juillet, le journal n’élimine pas la possibilité d’émeutes antisémites. Le 10 juillet, il écrit: Les gens ici sont littéralement horrifiés des révélations de ces derniers jours concernant ce cas monstrueux, et de la censure pratiquée par la presse de Vienne sur les énormités judiciaires qui ne connaissent pas de limites. La torture des témoins (…) est une pratique courante en Hongrie, mais ici elle est pratiquée au vu et au su de tous.

La façon dont Bary avait conduit le procès, provoque l’indignation de toute l’Europe, et Bary n’est même pas appelé à la barre comme témoin! Le gouvernement hongrois, toujours selon le journal, était resté passif, n’a pas pris les mesures qui s’imposaient: (Il) n’a même pas tenté d’écarter tout le réseau de corruption et d’infamie qui entoure l’affaire à Nyiregyhàza (…). Le gouvernement est responsable de ses agents, et le monde entier sait à présent, (…) quelle sorte de justice est pratiquée par eux à l’égard du peuple hongrois.

Le 14 juillet, le Daily Telegraph espère encore que l’accusation sera révoquée et que le gouvernement engagera une procédure contre les véritables

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criminels, au lieu de continuer ces investigations scandaleuses et illégales. Le dernier jour du procès, le correspondant du journal relève que les antisémites sont épouvantés de la perspective de l’acquittement des accusés, et il termine ses comptes rendus en constatant que le procès était l’affaire d’une faction violente et sans scrupule. L’ Allgemeine Zeitung de Munich qui avait publié quotidiennement des comptes rendus très détaillés des audiences, s’abstint de tout commentaire, mais citait les journaux autrichiens qui consacraient leurs éditoriaux au dénouement du procès. Le Neue Freie Presse écrivait: Ce qui remplit le spectateur impartial d’effroi, (…) c’est qu’un petit parti entièrement sans scrupule ait pu réussir — du moins pour un temps — par une attaque audacieuse, à s’emparer du pouvoir judiciaire et à le plier à ses volontés. Le procès de Nyiregyhàza était un procès tendancieux au pire sens du terme.

Le procès représentait un coup dur pour la justice hongroise. Grossièreté et immoralité caractérisaient le procès qui surpassait tous les cas connus de ce siècle par le mépris de l’équité que manifestaient les personnes qui l’avaient instruit. Maintenant que les accusés sont libres, la justice hongroise devra expier ce péché, écrit le journal. Fremdenblatt demanda qu’après l’acquittement des accusés, les torts et les humiliations qu’ils avaient subis fussent éclaircis, que la justice s’efforçât de réparer et de redresser la fausse image insolente qu’on avait donnée d’eux: Et l’État hongrois doit désormais demander des comptes de la manière la plus énergique à ceux qui ont sali sa renommée et son honneur. (…) La Hongrie doit prouver que de tels méfaits émanent de certains individus, mais non d’ellemême.

Le Die Presse écrivait que la justice était devenue impuissante contre les mensonges de pamphlétaires immoraux, parlait de l’imprévisible opinion publique et de la mauvaise comédie que jouaient les calomniateurs à Nyiregyhàza. Et avant l’audience publique il n’y eut aucun juge dans ce pays pour faire connaître la vérité! Est-ce que l’acquittement des accusés constitue une réparation suffisante? Non, répondit le journal à sa propre question. Le Deutsche Zeitung, enfin, rendait responsable le gouvernement hongrois d’avoir été complice des circonstances qui avaient permis le procès. Tout au contraire de ces souhaits, après la fin du procès, la campagne antisémite s’amplifia. Dès le mois de juillet le préfet du comitat de Pozsony fit part à Tisza de ses inquiétudes concernant d’éventuels pogroms à venir si le député Ivàn Simonyi continuait dans son journal, le Pressburger Grenzbote, ses provocations et ses appels à l’action contre les juifs:

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Car je ne puis tolérer la honte et l’abjection que cet homme (à savoir Simonyi) déverse sur notre ville. (…) Il est inadmissible que certains, motivés uniquement par le désir du gain (car un journal antisémite est une source considérable de revenu) troublent la vie tranquille des citoyens paisibles en propageant la haine interreligionnaire et en excitant impunément la population15.

Fin juillet, il y eut des émeutes à Pozsony. Le 7 août, Joseph Scharf et sa famille, avec son fils Moric, montèrent à Budapest et descendirent dans une auberge. Leur arrivée fut le point de départ d’une série d’émeutes antijuives à Budapest et dans ses environs. Le jour de l’arrivée des Scharf une foule de manifestants assiégea l’auberge, cassa les vitres, fit irruption à l’intérieur à la recherche des Scharf qui avaient réussi à quitter les lieux. La police et même la troupe furent envoyées pour contenir l’émeute. Par la suite, le couvre-feu fut instauré pour un mois. Un grand nombre de personnes furent arrêtées. Les manifestants étaient de jeunes ouvriers, des journaliers, des petits artisans et commerçants16. La vague antisémite atteignit bientôt la province. Du 13 au 15 août des émeutes importantes eurent lieu dans le nord du pays, puis le 19 août à Kaposvàr, dans le sud-ouest cette fois où la troupe munie de baïonnettes fit disperser une foule de plusieurs centaines de personnes. Le lendemain, des affiches conçues par les leaders antisémites couvraient les murs, clamant: Citoyens! Chrétiens! Ces jours-ci les juifs répandaient la nouvelle que les citoyens antisémites voulaient exprimer leur haine parfaitement justifiée contre eux par des émeutes. Il s’agit d’une politique abjecte de la juiverie, qui ne peut avoir qu’un seul but, que l’autorité chrétienne verse du sang chrétien parmi le peuple chrétien qui manifeste, avec les baïonnettes des soldats chrétiens!

Les émeutes continuèrent jusqu’à fin août. Les émeutiers cassaient les fenêtres des juifs, leur lançaient des pierres. Les paysans pauvres commençaient à se joindre à eux. À Nagykanizsa, le 24 août, la foule obtint la libération de 15 personnes arrêtées la veille, malgré l’envoi sur les lieux d’une compagnie de soldats. D’autres compagnies furent envoyées en renfort; il y eut un mort et des blessés. Finalement la loi martiale fut décrétée pour un mois dans le comitat. Pendant la même période, dans le comitat de Somogy, malgré les efforts des autorités pour contenir les troubles, de nombreuses familles juives furent obligées de fuir devant les pillards. À Csurgo, la foule des agresseurs avançait avec à sa tête un orchestre tzigane qui ne s’arrêtait de jouer que lorsqu’ils arrivaient devant une maison juive qu’ils attaquaient en cassant 15. KUBINSZKY, op. cit., p. 106 et ss. 16. G. KRUDY, op. cit., pp. 6-22.

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portes et fenêtres, puis continuaient en musique jusqu’à la maison suivante. À Sarhida un sacrificateur âgé fut tué par la foule. Des incendies furent allumés dans plusieurs villages. Dans les comptes rendus de police on trouve souvent des allusions à des «messieurs» qui arrivaient sur les lieux puis disparaissaient. En effet, les classes moyennes ne participaient pas aux émeutes, mais selon les comptes rendus des préfets adressés au gouvernement, ce furent certainement des gens de leurs rangs qui avaient été à l’origine de l’agitation. Durant le procès, à Nyiregyhàza, une «Association à la défense des chrétiens» fut fondée: dans cette région il y eut également des émeutes. Des journaux antisémites, tels que Ebredjünk (Réveillons-nous) contribuaient à l’agitation. Le préfet du comitat, dans son compte rendu du 16 septembre, exprima lui aussi ses inquiétudes concernant l’action démagogique des antisémites de Nyiregyhàza, qui, «constatant que le peuple est en train de se calmer, continuent leurs provocations avec une fureur délirante». Si les autorités étaient aussi angoissées, c’est qu’elles craignaient que l’agitation antisémite ne dégénère en des mouvements carrément révolutionnaires. Ils devront mener la répression pendant deux mois avant que le calme revienne dans le pays. Les émeutes avaient touché 82 villes et villages en Hongrie. Le Temps écrivait le 7 septembre: La Hongrie malheureusement est en proie à des désordres intérieurs qui affaiblissent son autorité et son action. Des désordres antisémitiques graves s’y sont déroulés. Le royaume de St. Etienne paraît un des théâtres d’élection des opérations de la ligue antisémitique, une association qui a son origine et son siège en Allemagne, qui agit dans l’aveuglement de son fanatisme religieux ou doctrinaire.

Istoczy, déçu par le IIème Congrès antisémite tenu à Chemnitz en avril 1883 — les représentants de l’antisémitisme racial restèrent finalement en minorité — chercha et trouva des contacts avec le mouvement antisémite français. Dans un article de septembre 1883, évoquant le comportement décevant des antisémites allemands, il écrivait: «(…) que soit tenu à Paris dans un avenir proche, un congrès antisémite international, auquel les Hongrois, tout comme les délégués des autres nations européennes, seront présents». Mais son désir ne fut pas exaucé, à cause de l’affaiblissement et de la désintégration des mouvements allemands et hongrois dans les années suivantes. Toutefois, un parti antisémite hongrois fut fondé fin 1883. Cette même année, alors que durait le procès, Ignàc Zimàndy, curé de Törökbàlint dans les environs de Budapest et futur député antisémite, publia un livre calqué sur l’ouvrage de Rohling, Der Talmudjude, dont il revendiquait

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d’ailleurs la filiation17. Après avoir cité les 12 tracts de Istoczy, tous les journaux antisémites, l’ouvrage de Onody intitulé Tiszaeszlàr, il énumèrait les articles de foi du Talmud, tels que «il faut arracher le coeur du chrétien de son corps et abattre les meilleurs des chrétiens», «celui qui verse le sang des sans-dieu (= les non-juifs) fait un sacrifice à Dieu», ou bien «que le nom et le souvenir du Christ soient extirpés» enrichis d’images scatologiques tels que le § 49: «Les sans-dieu (non-juifs) enfermés dans l’enfer supérieur font tomber leurs excréments dans l’enfer inférieur et se réchauffant jusqu’à devenir bouillants, servent de bain à ceux qui détestent le Talmud et en particulier au Christ.» L’ouvrage de Zimàndy contient déjà tous les leitmotive du nouvel antisémitisme: le juif capitaliste, usurier, lubrique, parasite, révolutionnaire, sans pudeur, sans honneur, solidaire avec les autres juifs, comploteur, assoiffé du sang chrétien… diabolique. On peut avoir une idée de ce qui nourrit le zèle de Zimàndy, en lisant les articles de la Civiltà Cattolica, organe du Vatican entre octobre et décembre 1883. La Civiltà Cattolica publie quatre longs articles qui donnent à chaque fois de nouveaux arguments en faveur de la thèse que prendre du sang chrétien pour la Pâque est bien un rite rabbinique existant des juifs, qui le font par devoir de conscience et devoir liturgique. Cette conviction dont certains pouvaient douter après le procès, s’est confirmée d’après Civiltà Cattolica qui évoque le cadavre maquillé, qui a été livré par les juifs d’un hôpital de Pozsony, l’audience où soudain tout le monde témoignait pour les accusés et les accusés acquittés faute de preuves suffisantes. Le journal s’interroge: Où est Eszter Solymosi? Pourquoi Moric Scharf aurait-il inventé cette histoire? Pourquoi Scharf père dit-il à Mme Solymosi que ce n’était pas eux qui ont tué Eszter? Il conclut que c’étaient les Juifs qui avaient empêché de prouver le meurtre rituel. Les juifs et les journaux maçonniques mentent lorsqu’ils prétendent que Grégoire IX, Innocent IV, Clément VI, Sixte IV, Alexandre III avaient déclaré cette accusation fausse! Et les articles suivants en rajoutent: rien n’est plus simple que faire disparaître en Asie ou en Afrique quelqu’un, puis expédier son sang sous forme de poudre par la poste. Et de répéter: où est Eszter? Le cadavre était celui d’une prostituée! Bien entendu, en dernière page de chaque numéro de Civiltà Cattolica se trouve la mention expresse: «avec l’approbation de l’autorité ecclésiastique»18. Le juge d’instance du procès de Tiszaeszlàr, Jozsef Bary, avait écrit sa version des faits en 1912, mais ses héritiers ne l’avaient publiée qu’en 17. I. ZIMÀNDY, Le délire de l’invétéré Maïmonide ou Les articles de foi, les prières et les rites du juifs du Talmud, 1883, p. 49 et p. 60. 18. Sur l’attitude de la Civiltà Cattolica durant le procès de Tiszaeszlàr, voir J. FAVRETSAADA, Le christianisme et ses juifs 1800-2000, Paris, 2004.

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193319. Bary prétend que Eötvös avait menti dans son livre, que toutes ses explications étaient fausses: c’était une oeuvre de fiction, un conte, qui n’avait rien à faire avec la vérité; les juifs avaient fourvoyé l’opinion grâce à leur immense puissance. Il qualifie de «fraude éhontée» la lettre de félicitation que Lajos Kossuth, de son exil de Turin, avait adressée à Eötvös après l’acquittement des accusés20. Il tente de prouver que c’étaient les juifs qui avaient tué Eszter Solymosi. Mais on apprend dans ce livre, que Istoczy, pendant des années, ne réussit à gagner à sa cause que quelques prêtres catholiques et quelques gentrys appauvris. Lorsque Istoczy, toujours selon Bary, propose en 1878 que les juifs soient renvoyés en Palestine, voyant que ni les paysans, ni la classe intelligente ne réagissent, il s’efforce de gagner à ses vues les étudiants — mais comme on l’a vu, Tisza avait interdit sa réunion. Dès 1884, les antisémites commençaient à perdre du terrain, et aux élections de 1892 leur parti rebaptisé entre temps «Parti populaire hongrois» ne se présentait plus aux élections et sa déchéance devint définitive. Mais l’antisémitisme survit dans le Parti Populaire Catholique fondé en 1895, dans les mouvements agraires, dans les mouvements de la jeunesse estudiantine, puis avant et après la Grande Guerre. On peut conjecturer de l’histoire du procès de Tiszaeszlàr, c’est-à-dire des débuts de l’antisémitisme politique hongrois, que l’étincelle lancée par Istoczy était tombée sur un sol favorable, c’est pourquoi elle était capable d’embraser le pays entier et qui plus est, de s’y maintenir, même pendant les années où l’antisémitisme semblait éteint.

3. Le procès de 1882: un révélateur de processus plus profonds? La question se pose s’il était nécessaire et opportun de traiter l’accusation de meurtre rituel par un procès judiciaire. Eötvös lui-même dit dans son livre: «ce n’est pas un procès judiciaire»21. Rien ne prouve mieux son affirmation que pendant l’audience le procureur lui-même clamait l’innocence des accusés à la fin de son réquisitoire! On aurait très bien pu arrêter l’action judiciaire engagée dans le comitat et entachée dès son début d’irrégularités et de moyens coercitifs tombant sous le coup de la loi. Du point de vue critique de l’observateur du XXIe siècle, ce procès n’avait aucune raison 19. L’héritage de Bary survit en Hongrie: le journal d’extrême droite Magyar Jelen a repris en 2007 l’accusation de meurtre rituel des juifs (20/6 et 12/7/2007). 20. BARY, op. cit., p. 606. 21. EÖTVÖS, op. cit., Vol. III, p. 196.

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d’être et était une aberration. C’était l’avis d’une partie de la presse à l’étranger, comme celui du Daily Telegraph, du Temps ou de la République Française qui suggéraient soit l’annulation du procès, soit au moins son transfert de la juridiction locale vers les tribunaux de Budapest. C’est l’état d’agitation extraordinaire dans lequel se trouvait toute la société, déclenchée par l’action du groupe d’Istoczy, qui pourrait peut-être l’expliquer. Le procès était peut-être un moyen — aussi prudent fût-il — de faire face à l’agitation, pour prouver l’ineptie de l’accusation par des moyens légaux. Bien plutôt — comme Eötvös l’avait remarqué, mais sans approfondir davantage cette idée — le gouvernement n’avait pas le courage ou la volonté nécessaires pour aller à l’encontre de l’opinion en risquant sa popularité. Sur l’opportunité du procès, on se perd en conjectures: le procès lui-même aurait-il amplifié l’agitation et l’antisémitisme, même à l’étranger? Cette atmosphère d’agitation était certainement liée à un phénomène apparu dans les dernières décennies du XIXe siècle dans la société hongroise: ce que Gàbor Gyàni et György Kövér appellent la surreprésentation22. En étudiant l’histoire des mentalités à la même époque, et en particulier celle des classes moyennes, les auteurs constatent que deux groupes sont surreprésentés dans les écrits et par suite dans l’opinion et les consciences, les juifs et la gentry: On écrit beaucoup plus sur la «question juive» et «la question gentry» que sur les classes moyennes en général. Aussi, les clichés tels que «les juifs ont occupé les professions du commerce et des finances» ou «la gentry affluait vers les emplois de l’administration» sont également exagérés sous cette forme.

Eötvös pensait que le procès était à l’honneur de la Hongrie. Il affirmait que traiter l’accusation de crime rituel avec tous les moyens de la justice moderne par un «grand» procès transparent, était unique en Europe et que la presse et l’opinion à l’étranger en avaient une opinion très favorable. Mais de la lecture de la presse étrangère, il ressort au contraire que beaucoup estimaient que la Hongrie s’était gravement compromise par ce procès. Le livre d’Eötvös écrit en 1903 ne mentionne pas les affaires de Xanten (1891-92) en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, l’affaire Hilsner en Bohème (1899-1900) et celle de Konitz en Prusse (1900), lesquelles avaient eu également un grand retentissement et offraient des points de comparaison avec celle de Tiszaeszlàr, surtout à Xanten, où les libéraux de gauche, les nationaux-libéraux et le gouvernement s’affrontaient avec les partis conservateurs. 22. G. GYÀNI et G. KÖVÉR, Magyarorszàg tàrsadalomtörténete, reformkor-màsodik vilàghàboru, (Histoire sociale de la Hongrie de 1825 à la seconde guerre mondiale), Budapest, 1998, pp. 139 et ss.

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Toutes ces affaires avaient eu lieu en Allemagne et dans la Monarchie austrohongroise! Selon Marie-France Rouart, au XIXe siècle sur quarante accusations de crime rituel en Europe et à l’Orient, douze eurent lieu en Allemagne et en Autriche-Hongrie23. En ce qui concerne l’arrière-plan du procès, deux constatations s’imposent: premièrement, en Hongrie, la justice n’était devenue centralisée qu’en 1872; jusqu’à cette date elle était décentralisée, et relevait de la compétence des comitats et des villes libres. Au cours de ce procès il s’agissait d’une lutte à mort entre les instances juridiques, les notables de la province, du comitat — le procès fut engagé par elles — et les juridictions gouvernementales centralisées de Budapest. Le procès fut fabriqué par des notables de province et démoli par un avocat de la capitale. Deuxièmement, c’était l’époque où le capitalisme gagnait rapidement du terrain, où la condition de la paysannerie la plus pauvre s’était détériorée et de ce fait cette couche de la société risquait d’être sensibilisée à l’agitation et se joindre aux émeutes, ce qu’avaient bien vu les préfets qui envoyaient des comptes rendus angoissés à leurs supérieurs. La classe des petits propriétaires terriens, dont Istoczy et ses partisans étaient issus, était en difficulté. Mais la déchéance de cette classe, tout comme la montée «des juifs» (qui, en majorité, étaient de très pauvres gens, en témoignent les descriptions d’Eötvös dans son livre) étaient comme on l’a vu, amplifiées par rapport à la situation réelle. On ne peut expliquer entièrement ce qui s’était passé en Hongrie lors du procès ni par la lutte des classes, ni par la lutte des comitats contre l’administration centralisée. Le gouvernement libéral et le parlement résistaient à l’attaque des antisémites qui ne réussirent pas une percée parlementaire24. Mais l’ampleur des émeutes éclatées un peu partout dans le pays suffirait à montrer à elle seule qu’une grande partie du pays était effectivement antisémite ou du moins très réceptive aux idées antisémites. Les régions les plus atteintes étaient celles où l’on craignait la concurrence des commerçants juifs (l’Ouest du pays)25 et l’immigration massive des juifs de Galicie (Nord-Est). L’agitation antisémite se greffait sur «l’antisémitisme rampant» nourri par l’Église depuis le Moyen Age, plus fort en Hongrie 23. Le crime rituel ou le sang de l’autre, Berg International, 1997. 24. J. BÉRENGER, Ch. KECSKEMÉTI, Parlement et vie parlementaire en Hongrie 1608-1918, Paris, 2005. 25. Selon KUBINSZKY, op. cit., p. 127-129. Mais en 2008, la même région connaît des actes de violence contre les tziganes! Et en février —fait rarissime en Hongrie — dans le cimetière juif de Kaposvàr (comitat de Somogy), vingt-quatre tombes ont été profanées (Népszabadsàg, 5/2/2008), alors qu’il n’y a plus de commerçant juif en Somogy.

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qu’en Europe de l’Ouest. Etait-ce dû à l’influence plus forte des églises catholique et/ou protestante, dans l’aire culturelle germano-autrichienne à laquelle la Hongrie appartenait? En tout cas, au cours du procès, l’Église n’avait pas pris la défense des juifs accusés: Les outrances verbales et les désordres qu’elle provoquèrent n’effrayaient pas l’Église. Le haut clergé s’en tint à une phraséologie modérée, mais organisa à la Chambre haute la résistance au mariage civil en général et à la loi sur les mariages mixtes en particulier. Dans plusieurs diocèses cependant, nombre de curés relayaient la propagande antisémite26.

La frontière entre «ancien» et «nouvel» antisémitisme est floue, car la nouvelle idéologie se greffe sur l’antisémitisme chrétien. Les composants de cette nouvelle idéologie, le racisme, l’eugénisme, le nationalisme… sont tous liés au culte de la force, au sens littéral et figuré, dont les fondements furent élaborés par de grands noms au XIXe siècle, qui n’étaient pas tous racistes. Comme on le sait, le sujet de l’accusation de crime rituel est devenu d’une actualité brûlante en 2007, suite au scandale et à la polémique suscitée par le livre d’Ariel Toaff, professeur à l’Université Bar Ilan en Israël, Pasque di sangue, dans lequel, s’appuyant surtout sur le procès d’accusation de crime rituel de 1475 à Trente, il avance qu’au sein du judaïsme askhénaze des groupes extrémistes auraient pu commettre des infanticides plutôt par esprit de représailles à l’égard de leurs oppresseurs que par l’observation de rites. La condamnation de cette thèse par de nombreux historiens (Ronnie Po-chia Hsia, Kenneth Stowe, David Abulafia….) est sans appel. Les documents d’époque, les témoignages et les recherches d’historiens hongrois contemporains concernant l’affaire de Tiszaeszlàr montrent sans équivoque que l’accusation de crime rituel y était sans aucun fondement et forgée de toutes pièces. Encore une preuve, s’il en faut, de l’innocence de ceux accusés du «crime de sang». L’affaire de Tiszaeszlàr démontre que ni la situation économique difficile dans laquelle se trouvait le pays, essentiellement agricole jusque là, désormais en voie d’industrialisation et d’urbanisation et sujet à une crise agricole, ni l’émancipation récente des juifs de Hongrie ne sont la source directe de telles accusations. Le facteur prépondérant et déterminant était l’importation d’idéologies reçues principalement par la médiation de l’Allemagne et de l’Autriche, mais aussi celle du Vatican et de la France.

26. J. BÉRENGER, Ch. KECSKEMÉTI, op. cit., p. 434.

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Suzanne HORVATH [email protected]

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NOTES ET MÉLANGES

David ROKÉAH Hebrew University of Jerusalem

JESUS NONETHELESS. A RESPONSE TO THIERRY MURCIA

In his article on Ben Stada,1 Thierry Murcia collected all the relevant sources and analyzed them meticulously. He also dealt with the relevant research literature about identifying Ben Stada. However, I cannot agree with Murcia’s conclusions: “That if Ben Stada should not on no account be confused with Jesus, he still remains for lack of new discoveries an unknown character apart from the rabbinical material”. Let us consider his titles: Hannozri, the Nazarene; and Ben Pantera, concerning both of which there is a consensus among scholars that, in the Talmudic literature, they refer to Jesus. Matthew 26, 69 calls Jesus “the Galilaean”, whereas in verse 71 he is called the Nazôraean, that is, a man of Nazareth. In verse 73, the bystanders tell Peter that he is one of Jesus’ disciples, because his speech betrays him. This seems to be said contemptuously. Similarly, in a baraita (BT Avodah Zarah 16, 2-17,1), R. Eliezer ben Hyrkanus (floruit ca. 80-110 C. E.) states that Jacob of the village of Schania was a disciple of Jesus the Nazoraean.2 Further on, after offering a suggestion relating to a biblical verse, this Jacob says (according to the Vienna MS.): “Thus had taught me Jesus the Nazoraean.” Justin Martyr claims that the Jews appointed chosen men and sent them to all the inhabited world, proclaiming that a certain godless and lawless sect had been raised by one Jesus, a Galilaean deceiver.3 In his introduction to Emperor Julian’s treatise Against the Galilaeans, Wilmer Cave Wright states that Julian 1. “Qui est Ben Stada?” Revue des Études juives 167 (3-4), juillet-decembre 2008, pp. 367-387. 2. Thus in the Jewish Theological Seminary of America MS, ed. Sh. ABRAMSON, published in New York in 1957. 3. Dialogue with Trypho the Jew, 108, 2. Justin floruit ca. 100-165 C. E. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 279-284. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126646

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always calls the Christians “Galilaeans” because he wishes to emphasise that this was a local creed, “the creed of fishermen”, and perhaps to remind his readers that “out of Galilee ariseth no prophet” (John 7,52); with the same intention he calls Christ “the Nazarene”.4

In T Hulin 2, 24 (ed. ZUCKERMANDEL, p. 503), we have an Eretz-Yisrael parallel to the Babylonian tradition referred to above. In it, R. Eliezer ben Hyrkanus reports that he once met Jacob of the village of Sichnin in the street of Zipporis. Jacob made a heretical statement to him in the name of Jesus [‫ ]ישוע‬ben Pantera.5 Matthew relates (1,18-21; cf. Luke 1, 26-35) that, when Mary, Joseph’s fiancée, was found to be pregnant before they had sexual relations and he wished to renounce her, an angel of the Lord appeared to him in a dream and told him that she had been impregnated by the Holy Spirit and that he should name the child Jesus. There is no doubt that the patronymic Ben Pantera attributed to Jesus by the Sages was intended to counter the story of this dream. That this is so is confirmed by the words put into the mouth of “the Jew” by the anti-Christian polemicist Celsus.6 The Jew charges Jesus with having “fabricated the story of his birth from a virgin” and that he came from a Jewish village and from a poor country woman who earned her living by spinning. She was driven out by her husband, who was a carpenter by trade, as she had been convicted of adultery and had a child by a certain soldier named Panthera.

In light of this, one can understand the disgraceful patronymic attributed to Jesus by the Sages. * * * * * Let us now consider the patronymic Ben Stada (‫)בן סטדא‬, to whose interpretation Murcia devoted his paper. T. Shabbat XI, 15,7 reads: “He who makes a mark on his body by scratching R. Eliezer [ben Hyrkanus] obliges [to bring a sin-offering], but the Sages exempt [him]. R. Eliezer said to 4. See The Works of the Emperor Julian, The Loeb Classical Library, 1923, III, p. 313. 5. This is the version of the Vienna MS. The Oxford MS has Ben Panteri; the editio princeps has Ben Pandera. 6. See ORIGEN, Contra Celsum I:28; 32. The translation here is that of Henry Chadwick, Cambridge University Press, 1965. 7. Ed. Saul LIEBERMAN, The Order of Mo’ed (New York: The Jewish Theological Seminary of America 1962), p. 49.

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them: But did not Ben Stara (‫)בן סטרא‬8 learn from it?” (Lieberman’s comment: “that is, he brought sorcery out [of Egypt] on his flesh.”) In the parallel baraita (BT Shabbat 104b), R. Eliezer says to the Sages: “But did not Ben Stada bring sorceries out of Egypt in a scratch on his flesh?” Raphael Rabbinovicz9 published the uncensored text as follows: “Ben Stada is Ben Pandera.10. R. Hisda said: the husband is Stada, the one who had sexual relations is Pandera … but his mother is Stada (‫… )סטדא‬ as they say in Pumbedita: satit da mi-baalah, ‫סטית דא מבעלה‬, that is, she deviated from [i. e., had been unfaithful to] her husband.” Rabbinovicz remarked concerning this text: “Ben (Stada); in the Oxford manuscript [Stara ‫ ]סטרא‬in all instances [i.e., all three times], and so it is in the Soncino printing of the Gemara, Rashi and Tosphot. But since he said satat [sic] da, it is clear that this is a copyist’s error” [that is, the version, Stara]. In BT Sanhedrin 67a,11 we have the same baraita, which there begins with the following words: “They bring him to the court and stone him to death, and so they did to Ben Stada in Lydda; and they hanged him on the eve of Passover. Ben Stada is Ben Pandera …” Here, too, Rabbinovicz notes (ibid., n. ‫)ע‬, that the version Ben Stara appears in all four instances in the Soncino Printing and in the First Printing of The Eye of Jacob (‫)עין יעקב‬, in the Gemara, and in Rashi. I can add two further instances of the appearance of Ben Stara. They appear, respectively, in a Yemenite manuscript, and in one in the British Museum collections. (Both are recorded in the Talmudic Encyclopedia Institute of Yad Harav Herzog in Jerusalem, where the latter appears under the rubric ‫ לא‬or London Aggadot.) In Assyrian Hebrew script, the difference in manuscripts between resh (‫ )ר‬and dalet (‫ )ד‬is indeed minimal, but the etymology at the end of the passage (stada = satit-da or satat-da) should have forestalled such a copyist’s error – were it is only a matter of a mistaken reading. My conclusion, therefore, is that the original version in the Land of Israel was Stara, and that Stada is a copyist’s error, and that this misreading caused the editor of the Babylonian Talmud to offer an etymological interpretation of satat-da as a way out of the confusion surrounding the names of Jesus’ parents. 8. Thus MS Vienna. ‫בן סיטרא‬: First Printing; MS London: ‫בן סוטרא‬. Only MS Erfurt has ‫בן סטדא‬. 9. Variae Lectiones in Mischnam and in Talmud Babylonicum (Munich 1875), Tractate Shabbat, p. 226 and n. ‫נ‬. 10. It is rather strange that Murcia quoted Osier’s erroneous translation here: “Ben Stada était le fils de Pandéra,” instead of “Ben Stada est Ben Pandéra.” Ben Stada and Ben Pandéra refer to the same individual. 11. Rabbinovicz, ibid., p. 160.

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A baraita in BT Sanhedrin 43a states:12 “On the eve of Passover they hanged Yeshu Hannozri [‫ישו הנוצרי‬, Jesus the Nazarene], and the herald went out before him for 40 days [announcing]: ‫ ישו הנוצרי‬is to be stoned to death because he bewitched and incited and seduced Israel.” Comparing the tradition in BT Sanhedrin 67a with the one in 43a, one can conclude that Ben Stada or, more correctly, Ben Stara, is identical to Jesus the Nazarene in the eyes of the Sages. Once again, the “Jew” of Celsus confirms the criticism directed by the Sages at Jesus in the Talmudic sources (see n. 6 above): “Because he [Jesus] was poor he hired himself out as a workman in Egypt, and there tried his hand at certain magical powers on which the Egyptians pride themselves;13 he returned full of conceit because of these powers, and on account of them gave himself the title of God.” In fact, this accusation had already been made against Jesus in the New Testament. In Matthew 12, 24, Jesus is accused by the Pharisees of casting out evil spirits (daimonia) by the agency of Beelzeboul, the ruler of these evil spirits.14 The Egyptian connection is a reaction of the Sages to the tradition found only in Matthew 2, 15-23, according to which the parents of Jesus fled with him to Egypt after his birth, and only later returned with him to Nazareth. The hanging of Jesus on the eve of Passover referred to in the Talmudic sources relates to the tradition found only in John 19, 14, according to which Jesus was crucified on the eve of Passover. Let us now summarize the main points of our argument. On his pp. 376377, Murcia writes: À la fin du 19e siècle, l’Allemand P. Cassel15 pensait également que Ben Stada, ‫בן סטדא‬, était une forme corrumpue de Ben Stara, ‫בן סטרא‬, auquel il donnait le sens de “fils de l’étoile”16 et qu’il rapportait à Jésus. Il y voyait une allusion à la prophétie de Balaam, à l’étoile des mages et invoquait le cas de Bar Kokhba, le “fils de l’étoile” de la révolte juive de 132-135 apr. J.-C. Sa thèse originale a été réfutée tour à tour par Laible et par Lauterbach.

Murcia is quite right in rejecting Cassel’s suggestion, since it is unimaginable that the Sages would praise Jesus while their other comments on 12. According to Rabbinovicz, ibid., p. ‫סג‬. 13. Cf. BT Kiddushin 49b: “Ten kabs [ = small quantities] of witchcraft descended upon the world: nine measures were taken by Egypt, and one by the whole world.” 14. Mark 3, 22 makes the same accusation, credited to “the Scribes from Jerusalem.” In Luke 11, 14-15, the accusers are some of the crowd. 15. Cited in MURCIA’s n. 74: P. CASSEL, Aus Literatur und Geschichte (Berlin 1885), pp. 381-41. 16. MURCIA, ibid., n. 75: “Du gr. astjr, ‘astre’ et/ou du persan. stara, même sens (cf. l’anglais: star).”

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him testify to their negative and reproachful attitude. These last reflected their conflict with Jewish-Christians in particular. A few lines later, Murcia writes: Comme Cassel, D. Rokeah soutient que Ben Stada n’est autre que Jésus.17 Mais pour ce critique, Stara ne vient ni d’astjr, ni de swtjr, mais de staurov, la croix. Objet de mépris aussi bien pour les païens que pour les Juifs, la “croix”, staurov, constituait l’un des piliers de la prédication paulinienne –car associée à l’idée de rédemption et de salut via la résurrection. Les rabbins auraient surnommé Jésus “Ben Stara”, ‫בן סטרא‬, c’est-à-dire “le fils du Stauros”, i. e. de la Croix, pour répondre à la propagande chrétienne.18 L’idée est ingénieuse, certes, mais comment expliquer, le cas échéant, que tous, rabbins y compris, en aient rapidement (dès le IIIe siècle) et totalement oublié la signification première au point d’en créer de toutes pièces une nouvelle: Ben “Setat da”, ‫ ?סטת דא‬D’autre part, la tradition la plus ancienne concernant Ben Stada stipule qu’il a été condamné dans la ville de Lod ce qui, comme nous l’avons déjà signalé, rend très difficile son identification avec Jésus. Or, précisément, Rokeah omet d’aborder cette question.

The explanation of the patronymic Ben Pantera is not found in the Talmudic sources, but in Celsus. It was probably known to contemporary Jews in the Land of Israel. The same is probably true of the patronymic Ben Stara. In view of the material presented above, Ben Stara seems to be the original version and not Ben Stada, which was not useful as a propaganda tool against Jesus. The New Testament and Celsus both provide evidence that the Christian tradition concerning the flight of Jesus to Egypt, the land of witchcraft, was used by the Sages to attack Jesus. The New Testament also attempted to cope with the problem posed by the crucifixion and by the disgraceful behavior of Jesus on the cross. In his Dialogue with Trypho the Jew, Justin Martyr, a contemporary of the second-century Tannaim, devoted many pages to proving that this event was prophesied by the Hebrew Bible, and that both the form and the material of the cross had powers of salvation. This suggests that the emphasis placed by the Sages on the crucifixion in their calling Jesus Ben Stara, that is, “son of the cross”, was quite effective in the polemic against the new sect. As we saw above, the Sages also referred to the trial and execution of Jesus on the eve of Passover. This reference was confused with another tradition about a trial and execution that took place in the town of Lydda (‫)לוד‬. This single error cannot disqualify all the other sources that support 17. MURCIA’s n. 81: “D. Rokeah, ‘Ben Stara est Ben Pantira’,” Tarbiz 39, 1969-1970, p. 9-18 [en Hébreu].” 18. MURCIA, ibid., n. 82: “Rokeah, 1969-1970, p. 17.”

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the identification of Ben Stara with Jesus.19 In BT Sanhedrin 107a we encounter a much graver error concerning Jesus. He is represented there as the pupil of R. Joshua ben Perachia who accompanied his master in his flight to Egypt. However, R. Joshua lived two generations before the birth of Jesus. This mistaken tradition apparently owed its appearance to the tradition about the flight of Jesus’ family to Egypt. The Talmudic literature surveyed above provides various ancient sources that reflect the struggle of the Jewish leadership during the Yavneh/Jamnia period against nascent Christianity. The same period saw the enactment of the most important anti-Christian regulation, the so-called Birkat haMinim (‫)ברכת המינים‬, that was added to the daily prayer service.20 This struggle reached its peak during the Bar Kokhba revolt, but faded thereafter as a result of the distancing of Judaism and pagan Christianity from one another. It was replaced by the pagan-Christian polemic and persecution. David ROKÉAH [email protected]

19. Incidentally, Lydda/Lod was the town in which R. Eliezer ben Hyrkanus lived and taught. See M. Yadaim 4, 3. 20. See W. HORBURY, “The Benediction of the Minim,” Journal of Theological Studies 33 (1982), pp. 19-61; D. FLUSSER, “Some of the Precepts on the Torah from Qumran (4QMMT) and the Benediction Against the Heretics,” Tarbiz 61 (1992), pp. 333-374 (in Hebrew); Yaakov Y. TEPPLER, Birkat haMinim: Jews and Christians in Conflict in the Ancient World (Tübingen: Mohr Siebeck 2007).

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Daniel STEIN KOKIN University of Greifswald

PIERFRANCESCO GIAMBULLARI AND AZARIAH DE ROSSI: A NOTE ON THE HEBREW DISCOURSE OF ME’OR ENAYIM, CHAPTER 571

RÉSUMÉ Cette note intervient dans un débat érudit de longue date s’agissant d’établir à quel point le Me’or Enayim du polymathe italien Azariah de Rossi doit être regardé comme un défenseur polémique du judaïsme. La note le fait en se focalisant sur une petite partie de sa discussion de la langue hébraïque. En surface, il apparaît qu’au chapitre 57, Azariah emploie les arguments des érudits chrétiens à l’appui de sa thèse selon laquelle l’hébreu «est l’ancêtre et la source de toutes langues». Mais une étude approfondie de ce point du texte montre qu’en fait, Azariah lance ici une polémique subtile contre ses sources chrétiennes, et tout particulièrement, mais de manière implicite, contre l’argument selon lequel le dialecte toscan d’Italie proviendrait directement de l’hébreu ou de l’araméen. En effet, ce sont les érudits juifs qui se révèlent être les mieux à même de démontrer la prééminence de l’hébreu. Or les Toscans ne sauraient revendiquer un rapport particulier avec l’hébreu, comparé aux autres langues. Mon étude d’un petit extrait de ce texte énorme et difficile offre donc une preuve supplémentaire, quoique subtile, en faveur d’une interprétation polémique du Me’or Enayim. ABSTRACT This note intervenes in a long-standing scholarly debate concerning the degree to which the Italian polymath Azariah de Rossi’s Me’or Enayim should be regarded as a polemical defense of Judaism. It does so by focusing on a small section of his discussion of the Hebrew language. On the surface, Azariah appears in this portion of his text (chapter 57) to make use of the arguments of Christian scholars on behalf of his claim that Hebrew “is the antecedent and fount of all languages.” A closer examination of the structure of the discussion reveals, however, that Azariah is here subtly polemicizing against his Christian sources, in particular, albeit implicitly, against the claim that the Tuscan dialect of Italian derives directly from Hebrew or Aramaic. Indeed, it is Jewish scholars who turn out to be best equipped to demonstrate Hebrew’s preeminence; certainly, the Tuscans cannot claim any special relationship with it as compared with other languages. My examination of this small 1. It is my pleasure to thank Bernard Dov Cooperman and Arthur Lesley for their kind support and encouragement with this piece. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 285-291. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126647

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section of a massive and challenging text provides additional, albeit subtle, evidence in favor a polemical interpretation of the Me’or Enayim.

In her 1987 article, “Azariah de Rossi and the Forgeries of Annius of Viterbo,” dean of Azariah de Rossi studies, Joanna Weinberg noted that the early modern Jewish polymath “utilized” the arguments of the Florentine linguist, historian, and court academician Pierfrancesco Giambullari (14951555) in support of his view that Hebrew “is the antecedent and father of all languages.”2 And, indeed, this observation is undoubtedly correct, for in chapter 57 (“On the antiquity of the holy tongue and the use of the Aramaic language among our people”) of his magnum opus, the Me’or Enayim or Light unto the Eyes,3 Azariah deploys Giambullari’s 15464 Il Gello, albeit obliquely (its author is left unnamed), as the first in a series of sources which together highlight the foundational importance of the Hebrew tongue for the history of languages. Not unlike earlier works by the likes of Annius of Viterbo and especially Giambattista Gelli, Giambullari’s book argued that the Tuscan language derived from an ancient form of Aramaic that was highly similar to Hebrew: “… besides an infinity of words that are surely Aramaic,” he had written: “we still have modes and characteristics of speaking that are as Hebraic and Chaldean as these nations themselves.”5 Giambullari thus offered Azariah something most valuable: external proof for a claim central to Jewish pride. When the architecture of this section of this chapter is carefully considered, however, it can be seen that while happy to benefit from Giambullari’s argument, Azariah at the same time engages in a subtle polemic against one of its central tenets, namely that of a unique and direct tie between Tuscan 2. J. WEINBERG, “Azariah de Rossi and the Forgeries of Annius of Viterbo,” in D. B. RUDER(ed.), Essential Papers on Jewish Culture in Renaissance and Baroque Italy (New York, 1992), p. 266. On Giambullari, see M. CRISTOFANI, “Linee di una storia del ‘Revival’ Etrusco in Toscana nel XVI secolo,” in Università di Siena: Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia, vol. II, 1981; P. FIORELLI, “Pierfrancesco Giambullari e la Riforma dell’Alfabeto,” in Studi di Filologia Italiana: Bulletino dell’Accademia della Crusca, vol. XIV, 1956, pp. 177210; G. CIPRIANI, Il mito etrusco nel Rinascimento fiorentino (Florence: L.S. Olschki, 1980). 3. A. de ROSSI, The Light of the Eyes, trans. J. WEINBERG (New Haven, 2001). 4. P. GIAMBULLARI, Il Gello (Florence, 1546). This title evokes G. Gelli’s 1544 Dell’Origine di Firenze and reflects the fact that Gelli is a major interlocutor in Giambullari’s dialogue. The work was later slightly modified and reprinted as Origine della lingua fiorentina altrimenti Il Gello (Florence, 1549), (Origin of the Florentine Language, or alternatively ‘The Gello’), and thereafter as De la lingua che si parla e scrive in Firenza (Florence, 1551). 5. GIAMBULLARI, p. 110 (“… oltra una infinità di voci, che schiettamente sono Aramee, noi ci abbiamo ancora i modi et le proprietà del dire, tanto Hebraiche et tanto Caldee, che quelle genti stesse non l’hanno maggiori.”). MAN

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and Hebrew. For immediately after repeating a number of Tuscan words closely related by Giambullari to Aramaic and Hebrew (and offered in proof of his argument), Azariah proceeds to quote the 1527 Chaldaica grammatica (Aramaic grammar) of the noted German Hebrew and Aramaic scholar Sebastian Münster (1488-1552), in fact an important source for Giambullari, on the post-Babel confusion of the tongues. In contrast to these Tuscans’ suggestion of a direct parallel between Hebrew and the ancient Etruscan tongue (Giambullari himself referred to Hebrew as the “sister language” of Etrurian, contemporary Tuscan’s presumed ancestor6), Münster instead articulates in this work what can be styled a concentric account of the relationship of the world’s languages to Hebrew. It is Near Eastern languages adjacent to the purported scene of the dispersion, such as Aramaic and Arabic, which bear the greatest similarity with Hebrew, while “the languages of the more remote countries, such as Germany and the other western regions (and one presumes these would include Italy as well–DSK), were correspondingly more dissimilar.”7 After citing the southern French/Catalonian Jewish scholar Profiat Duran (c. 1350-c.1415) in confirmation of Münster’s claims, Azariah then turns to his fellow Italian Jewish scholar, Rabbi David Provenzali, who in his now lost Dor ha-Pelagah (Generation of the Division of the Tongues) apparently recorded “more than two thousand Hebrew words, some of which were scattered among the Latin language, others into Greek, Italian, and other languages.”8 As if to drive home the point that no special connection between Hebrew and Tuscan abides, he implicitly responds to Giambullari’s Hebraic etymology for Firenze (Florence) as “Perah Ez” ‫ פרח עז‬or “Flower of the Strong”9 by describing his fellow Mantuan Provenzali as hailing from the city “of the good manna,” deriving the name Mantua from the Hebrew man ‫“( מן‬manna”) and “tova” ‫“( טובה‬good”).10 Thus, if for the likes of 6. Ibid., “la lingua Etrusca… l’Hebrea sua sorella.”. 7. WEINBERG, The Light of the Eyes, p. 677. Hebrew citations from Sefer Me’or Enayim le-Rav Azariah min ha-Adumim (Jerusalem, 1969), vol. 2, p. 456. ‫ואחד בלי שם מחכמיהם … כתב כי בעת הפלגה נשארו כמה מלות מן הלשון הקדוש פזורות ומשובשות‬ ‫ברוב הלשונות המחודשים ואיך אותם שנמצאו קרוב למקום הפלגה נשאר לשונם קרוב ללשון הקדש כגון‬ ‫ וכל אשר יספו להתרחק כאשכנז ויתר גלילות המערב‬,‫הארמי והערבי והעמים הגלוים אליהם בקצות המזרח‬ ‫יסף לשונם להתרחק ממנו …״‬ 8. Ibid., ‫״גם הר״ר דוד פרווינצ״אלי העומד לנס תורה בעיר מ״ן טו״בה בין חבוריו המחוכמים העלה‬ ‫על ספר קראו דור הפלגה יתר מאלפים מלות עבריות המפוזרות קצתם בלשון רומי וקצתם ביוני ואיטלקי‬ ‫וזולתם …״‬ 9. GIAMBULLARI, p. 153. 10. WEINBERG, The Light of the Eyes, p. 677, n. 42, reads this as “of goodness,” reading ‫ מן‬as “min,” (“from,”) instead of “man,” (“manna”). But the Hebraicization of Mantua as meaning “good manna” was a commonplace of the time (and has recently even been com-

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Giambullari, the Hebraic valence of the name “Firenze” constituted a sine qua non of contemporary Tuscany’s links to ancient Etruscan civilization, and through this to the ancient Levant, the manner in which Azariah evokes his native Duchy suggests that for him such connections were hardly unique.11 In short, Azariah’s apparent “utilization” of Giambullari is at least as much, if not more, a response and abuse thereof. Let us now explore in greater detail the course of Azariah’s discussion and its implicit argument. In particular, we shall do so in order to engage Weinberg’s claim that “de Rossi does [not] indicate any awareness of the political nature of the linguistic problem treated by Giambullari.”12 As already noted, after quoting from Giambullari, Azariah straightaway turns to Sebastian Münster, in fact to the very introduction to the German scholar’s Aramaic grammar. Azariah does not offer any reason for this shift, but a closer examination of the relevant section of Giambullari’s Origine can guide us toward an explanation. Indeed, when we return to Giambullari, we discover that immediately after offering “about a hundred examples of words in that language [Tuscan] which derive from the holy tongue,”13 our Florentine author also turns to Münster, among others, for further proof. The problem concerns the alleged Aramaic status of the Tuscan words presented by Giambullari. How, our author asks via his interlocutors (the Origine is written as a dialogue), can it be shown “that all these words are Aramaic?”14 The immediate response: “the very Chaldean and Hebrew dictionaries that are today available in published form, and have been commemorated in a volume of essays published in honor of the twentieth-century Mantuan Jewish scholar Vittore Colorni) and is therefore the more likely reading. See M. PERANI (ed.), Una manna buona per Mantova = Man Tov le-Man Tovah: studi in onore di Vittore Colorni per il suo 92. compleanno (Firenze, 2004). On pp. xiii-xiv, Perani offers some examples of this playful Hebraic rendering of Mantua from the fifteenth century. 11. And this is in fact the case, as further examples from the period are also attested. The noted Cardinal and Christian Kabbalist Egidio da Viterbo interpreted the name of the city of Rome hebraically as meaning “high,” or “exalted.” See, for example, F. SECRET, Scechina e Libellus de Litteris Hebraicis (Rome, 1959), vol. I, fol. 40, p. 50, where Egidio notes that in Psalm 145, which commences with “I will exalt you, O Lord,” (Aromimkha ‫)ארוממך‬, “not Jerusalem but the name of Rome resounds.” And Italian Jews were wont as well to refer to the peninsula as a whole as the “Island of the Dew of the Lord,” (I-tal-ya), in what seems as well to have been a response to the traditional exegesis of Isaac’s blessing of Esav in Genesis 27:39 (“See, of the fatness of the earth shall your home be and of the dew of heaven on high”) which interpreted the “earth” as referring to Italy and “heaven” as Beit Guvrin or Judaea. On this, see Genesis Rabbah 67:6. I am grateful to Piero Capelli for sharing these insights on the I-tal-ya pun with me and to Francesca Bregoli for putting us in touch. 12. WEINBERG, “Azariah de Rossi,” p. 266. 13. AZARIAH, The Light of the Eyes, p. 676. See p. 120 in the 1549 edition of the Origine. 14. GIAMBULLARI, Il Gello, p. 122 (sic 112), “è egli però vero che tutte queste voci siano Aramee?”

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posed by northern Europeans (lit. oltramontani), who do not know our language.”15 To be sure, Giambullari does not here furnish any names (i.e. Münster himself is not explicitly mentioned), yet any knowledgeable reader at the time confronted by this statement would have immediately thought of Sebastian Münster, an identification further encouraged by Giambullari’s subsequent explicit references to him. Münster had in fact published his grammar of the Aramaic language, “a task never before attempted by anyone,” in 1527.16 Angelo Canini’s own Aramaic grammar appeared in Paris in 1554, but no one would have referred to this Italian-born scholar as “oltramontano.”17 In short, eager to shore up any doubts in his reader as to the truly Aramaic quality of the Tuscan words he brings forward, Giambullari invokes the authority of the leading contemporary Hebraicist and Aramaicist, a figure whose very ignorance of Tuscan ensures his reliability. To return now to The Light of the Eyes: considered against the backdrop of Giambullari’s own turn to Münster and his fellow northern scholars, Azariah’s similar move now reads, I suggest, somewhat differently. For his invocation of the great German scholar serves not specifically to strengthen or even build upon Giambullari’s specific position, but in fact largely to undercut it. The geographical aspect of Münster’s argument, that is the link between territorial proximity to “the scene of the dispersion” and linguistic similarity to Hebrew, as outlined in the introduction to, of all texts, his above-mentioned Aramaic grammar, could in fact only undermine the arguments of the likes of Giambullari. But is all the foregoing not simply much ado about nothing? Amid all the furrows and secluded places of Azariah de Rossi magnum opus, why concern ourselves with the one implicit reference to Giambullari, hardly the leading scholar of the sixteenth century? The reason has to do with the critical question of the scholarly vs. polemical character of this book, a question that has excited interest and provoked debate among a number of recent scholars.18 On the surface, the section we have explored of Azariah’s 15. Ibid., “I Dizionarii stessi Caldei et Hebrei che si trovano oggi stampati: et sono composti da oltramontani, che non sanno la lingua nostra”. 16. “… a nemine antehac attentata.” Cited from Münster’s Grammatica Chaldaica by J. WEINBERG, “A Sixteenth-Century Hebraic Approach to the New Testament,” in C. R. LIGOTA and J.-L. QUANTIN (eds.), History of Scholarship: A Selection of Papers from the Seminar on the History of Scholarship Held Annualy at the Warburg Institute (Oxford, 2006), p. 234. 17. Ibid., p. 241. Canini was born in Anghiari, near Arezzo. 18. The two major players in this drama have been Weinberg herself and R. Bonfil. See, for example, J. WEINBERG, “Translator’s Introduction,” in The Light of the Eyes, pp. xxix-xxx; ibid., “The Beautiful Soul,” in D. B. RUDERMAN and G. VELTRI (eds.), Cultural Intermediaries: Jewish Intellectuals in Early Modern Italy (Philadelphia, 2004), pp. 109-126 and R. BONFIL, “Expressions of the Uniqueness of the Nation of Israel in Italy in the Renaissance Period,”

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57th chapter certainly appears highly scholarly and hardly polemical if at all: here de Rossi seems simply to note and enjoy the happy conjunction of traditional (if hardly uncontested) Jewish thinking about the place of Hebrew among the languages with the humanist discourse of the Christian Hebraists. But, as we have tried to show, as one reads between the lines—or more precisely, if one reads with Azariah’s sources open on one’s desk, as one can well imagine he would have—what emerges is a subtle, yet unmistakably different picture: a carefully planned and rather brilliantly executed attempt to (re-)assert Jewish linguistic pride and to maintain a certain distance (a scholarly buffer-zone we may call it) from the contemporary Latin and Italian voices that threatened to usurp and drown out their Hebrew corollaries. It is hardly accidental here, I submit, that both Giambullari and Münster’s names are left unmentioned,19 while the Jewish grammarian Elijah Levita in his common Hebrew designation as Bahur (from whom, Azariah is keen to inform us, Münster stole the idea of writing such an Aramaic grammar), Profiat Duran via his nickname Efodi and the afore-mentioned David Provenzali are explicitly cited. The turn here to Provenzali is particularly apropos, for in referring to his Dor ha-Pelagah–an entire work dedicated to the subject of the dispersion briefly addressed by the unnamed Münster in his grammar–Azariah now implies that it his Jewish colleague who is the true expert on this pivotal event. Not by chance does Azariah for the first time in this section refer both to an author and the title of his book. But it is not, we must make clear, simply a question of leaving non-Jewish sources unattributed. Shortly therafter, for example, Azariah sees fit to refer directly to both Dante and Aquinas.20 My suggestion is that Azariah here specifically forbears to mention by name contemporary Christian scholars, precisely that community whose connections with Azariah the more scholarly (as opposed to polemical) reading of his book wishes to Sinai 76 (1975), pp. 36-46, esp. 39 (Hebrew); “Some Reflections on the Place of Azariah de Rossi’s Me’or Enayim in the Cultural Milieu of Italian Renaissance Jewry,” in B. D. COOPERMAN (ed.), Jewish Thought in the Sixteenth Century (Cambridge, 1983), pp. 23-43, esp. pp. 37-43; “How Golden was the Age of the Renaissance in Jewish Historiography,” in A. RAPOPORT-ALBERT (ed.), Essays in Jewish Historiography (Wesleyan, CT: History and Theory: Studies in the Philosophy of History 27, 1988), pp. 78-102, esp. pp. 96-102. See also S. W. BARON, “Azariah de Rossi’s Historical Method,” in ibid., History and Jewish Historians (Philadelphia, 1964), pp. 205-239, esp. pp. 225 ff. 19. With regard to Münster’s elision, Weinberg correctly notes that contemporary censorship legislation stipulated that as a heretic (alas, Münster was a Protestant) his works “could be cited, but only anonymously” (The Light of the Eyes, p. 677, n. 38). Yet in light of Giambullari’s similar effacement, this can constitute but a partial explanation. 20. The Light of the Eyes, p. 678.

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stress.21 In other words, by implicitly deploying Münster to undermine Giambullari, then immediately thereafter invoking Levita to delegitimize Münster, so as in the end to cite David Provenzali alone as the key and critical authority on the question of Hebrew etymologies (a progression from non-Jewish to Jewish authors which nicely parallels the geographic argument simultaneously advanced), Azariah leaves the careful reader with little doubt as to where the true mastery of Hebrew, its history, and its legacy among the languages of the world resides. And if the matter of the confusion of the tongues needs to be considered geographically, so does the question of contemporary knowledge thereof. By this measure, it is de Rossi’s native Mantua that lies at the center of the universe.22 Daniel STEIN KOKIN [email protected]

21. In emphasizing here how at least in this specific context Azariah demonstrated a strong preference for Jewish over (at least contemporary) Christian scholars, I also intend partially to challenge (and complicate) Bonfil’s assertion that “de Rossi’s heavy reliance upon gentile authors was essentially an expression of his conviction that Judaism could be defended more efficiently by using non-Jewish sources” (BONFIL, “Some Reflections,” p. 41). This principle may apply to many subjects, but not to this one. 22. There may well be a measure of Italian civic pride at work here as well, particularly with regard to the Mantuan Azariah’s undermining of Giambullari’s Tuscan thesis.

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Michael RYZHIK. — ‫«( מסורות לשון חכמים באיטליה על פי מחזורים מימי הביניים‬L’ebraico misnico nelle diverse tradizioni degli ebrei d’Italia secondo i libri di preghiera medievali»), Jérusalem, The Bialik Institute-The Hebrew University, The Ben Yehuda Center for the Research of the Hebrew Language, 2008, 437 + ‫ טו‬+ XIX (résumé en italien) pages. M. Ryzhiq présente les résultats de la recherche conduite sur les traditions de l’hébreu michnaïque dans l’Italie médiévale. Il opère une reconstruction très rigoureuse de nombreux phénomènes de la langue hébraïque, telle qu’elle fut propre seulement aux juifs italiens au Moyen Âge; ce type spécifique d’hébreu représente en fait le développement «italien» de la tradition orientale ancienne dont il s’est progressivement distingué, à cause de toute une série de facteurs historiques et linguistiques particuliers: les mouvements des juifs, la stratification des diverses couches linguistiques, etc. Le travail de Ryzhiq propose dans ce but une perspective méthodologique, double et inédite, abordant la question aussi bien du point de vue linguistique que philologique. En effet, l’auteur déclare tout d’abord sa volonté de tracer le cadre général de la langue hébraïque de l’Italie au Moyen Âge, notamment en se concentrant sur le niveau morpho-phonétique (la vocalisation, le traitement des consonnes gutturales ou sifflantes, l’aspect de schémas nominaux ou verbaux déterminés, etc.), afin d’identifier les traits communs ou variants des diverses sous-traditions linguistiques; de plus, il s’emploie à définir et distinguer les caractéristiques anciennes et originaires du langage, telles qu’elles se sont toujours maintenues, par rapport à celles qui ont, en revanche, évolué au fil des siècles. À cette fin, l’auteur porte une attention philologique soutenue à l’examen d’un corpus bien défini de textes, à savoir les maÌzorim, les livres de prière du cycle annuel. Ceux-ci, par leur nature de textes «populaires», se prêtent bien à fournir des indices importants sur la langue parlée. Là, en effet, la probabilité de rencontrer des phénomènes linguistiques non standardisés sur le modèle de la langue «élevée», biblique et talmudique (avec une référence particulière au Talmud babylonien), et donc authentiques, se révèle haute; à l’intérieur de ce corpus, en particulier, on retrouve des sous-groupes qui se divisent selon des caractéristiques morpho-phonétiques communes (par exemple la vocalisation), fournissant des données sur la prononciation courante des copistes. Sur la question philologique des maÌzorim choisis par Ryzhiq en tant que témoins linguistiques, on reviendra ci-dessous. Ce qu’à présent nous voudrions souligner, c’est davantage la valeur presque «dialectologique» d’une telle étude, qui ouvre de nouvelles perspectives sur la langue des juifs italiens, dans ses variations diatopiques, diaphasiques et même diachroniques: en effet, les travaux sur les traditions de l’hébreu postbiblique constituent, pour le judaïsme, l’équivalent des ouvrages de dialectologie dans d’autres domaines. De ce point de vue, on comprendra la portée particulièrement remarquable d’une étude systématique de l’hébreu michnaïque ressortissant à l’Italie. La Péninsule peut effectivement se vanter de traditions milléRevue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 293-313. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126648

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naires et uniques dans le cadre européen, à cause de sa centralité aussi bien géographique, à cheval entre l’Orient et l’Occident, entre Ashkenaz et Sefarad, qu’historique, tout en considérant le rôle d’intermédiaire que l’Italie a joué en faveur de la circulation physique et culturelle des juifs et de leurs idées en Europe. Malgré tout, une étude approfondie de ces traditions n’a jamais été menée jusqu’à présent, ce qui rend l’œuvre de Ryzhiq encore plus importante dans le cadre de la recherche philologique et linguistique contemporaine. Jusqu’ici, en effet, le seul ample travail que l’on peut compter sur la tradition hébraïque de la langue des juifs italiens est celui que Moshe Bar-Asher a consacré en 1980 à la langue michnaïque d’Italie1; cette étude, quoique complète, s’appuie pourtant sur un seul manuscrit de la Michna, le «Parisinus», composé à Césène en 1399. Déjà à cette occasion, Bar-Asher avait mentionné l’utilité d’une enquête éventuelle sur les traditions populaires italiennes, notamment celles qui sont conservées dans les maÌzorim. À son tour, Emanuel Artom a étudié l’hébreu des juifs italiens2, mais en s’occupant seulement de la prononciation dans les deux derniers siècles. En général, l’hébreu des juifs italiens a reçu une grande attention dans le cadre des études sur le judéo-italien, dont la composante hébraïque constitue un domaine d’analyse fécond et bien développé. Cependant ces enquêtes traitent généralement des rapports sociolinguistiques entre les deux composantes de ce langage, l’hébreu et l’italien: elles se concentrent sur la description des mots hébreux, sur l’adaptation phonétique à la couche dialectale dont ils sortent (en individuant des variétés comme le judéo-vénitien, le judéo-romain, etc.), ainsi que sur leurs évolutions ou polarisations sémantiques: plusieurs recherches ont par exemple affronté la question du tabou linguistique, où les mots hébreux assument la fonction d’euphémismes; il y a aussi une certaine attention portée à la description et à la justification de la connotation affective des hébraïsmes en tant que mots de «lexique familial», ainsi qu’à leur fonction dans le cadre des codes secrets ou du jargon. Il s’agit enfin d’études sociolinguistiques qui, n’ayant pas un caractère systématique et descriptif, n’expliquent pas la physionomie de cette langue en tant que tradition linguistique distincte des autres. À ce propos, il convient d’expliquer quels sont les éléments distinctifs de la langue hébraïque des juifs italiens, et comment ils se sont développés au fil du temps. Il faudra dire quelques mots de la formation de cette tradition, qui suppose la concurrence de plusieurs facteurs: au-delà du développement autonome des traditions anciennes provenant de l’Orient et — dès la fin du Xe siècle — de l’Espagne et de l’Afrique du Nord, toute une série d’autres processus historiques et démographiques a déterminé des changements radicaux au niveau de la langue ainsi que de la pensée et de la liturgie: il suffit de rappeler l’émigration de juifs allemands et français à maintes reprises pendant le XIVe siècle ainsi que l’arrivée des juifs expulsés d’Espagne en 1492. Ce dernier événement, en particulier, a tellement marqué la culture et la vie juives d’Italie que Ryzhiq ne compte pas dans son étude les maÌzorim rédigés après cette date, car tout le matériel linguistique postérieur se ressent notablement de l’influence espagnole, de sorte qu’on ne peut plus distinguer les traits propres de l’état ancien et local de la tradition italienne. 1. Moshe BAR-ASHER, [‫ו‬,‫[ פרקים במסורת לשון חכמים של יהודי איטליה ]עדה ולשון‬Chapitres sur la tradition de la langue michnaïque des juifs d’Italie], Jérusalem, 1980. 2. E.S. ARTOM, «La pronuncia dell’ebraico presso gli ebrei d’Italia», Leshonenu 21, 1947, p. 52-56. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 293-313.

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Dès le début du XVIe siècle, en effet, les juifs parlaient du minhag ha-lo‘ez («le rite de celui qui parle une langue étrangère») pour se référer au rituel italien, puisque la plupart se reconnaissait dans les rituels ashkenaze ou sefardi; c’est à cette époquelà que toutes les grandes villes pouvaient se vanter de posséder plusieurs synagogues de rites divers et, paradoxalement, les juifs italiens étaient un bastion démographiquement minoritaire dans le cadre de cette diversité. Comme l’expression minhag ha-lo‘ez le suggère, de toute façon, la différence liturgique et, pour ainsi dire, «ethnique», était définie a priori en tant que phénomène linguistique, ce qui témoigne clairement de la spécificité de chaque tradition de l’hébreu postbiblique. Malgré tout, les influences réciproques furent inévitables, et même en judéo-italien on peut tout à fait saisir à partir, à peu près, de cette époque, une influence de plus en plus forte du yiddish et du judéo-espagnol, surtout aux niveaux phonétique et lexical. Parallèlement aux émigrations internationales, il faut rappeler aussi les mouvements des juifs à l’intérieur de la Péninsule, du sud (haut Moyen Âge) au nord (bas Moyen Âge), ce dernier représentant le carrefour entre les traditions de Sefarad, Ashkenaz et du sud de l’Italie; là, le mélange de ces composantes s’enrichit ultérieurement des traits typiques des dialectes de cette région. À partir d’une telle situation, donc, si l’on veut décrire la tradition hébraïque des juifs italiens selon toutes ses variations locales, comme c’est l’intention de Ryzhiq, il faut se concentrer sur des sources de la littérature postbiblique provenant des divers points de l’Italie, les examiner une à une et, dans une seconde étape du travail, les soumettre à une analyse comparée pour individuer des isoglosses. L’auteur a dans ce but sélectionné vingt-cinq maÌzorim datant entre le XIIIe et le XVe siècle (hors donc de toute influence ibérique), choisis auprès de l’Institut des Microfilms des Manuscrits de Jérusalem parmi ceux qui présentent des colophons indiquant le lieu et la date de la composition. Ces maÌzorim contiennent aussi bien les prières et les piyyu†im que des extraits de la Michna, un éclectisme textuel qui engendre à son tour une question philologique digne d’intérêt, concernant la variété stylistique, littéraire et même chronologique des ouvrages composant les maÌzorim. L’absence d’uniformité linguistique à l’intérieur de chaque maÌzor, en effet, comporte que des œuvres — comme souvent les passages michnaïques et les haggadot de PesaÌ — gardent des formes non alignées sur le «bon usage» biblique ou talmudique (de Babylone), plus souvent que d’autres textes bien codifiés; par contre, à côté de traits différents dans le même maÌzor, on retrouve parfois, dans le même manuscrit, des formes communes à tous les textes, de sorte que l’on peut, au niveau philologique, établir des sous-types et des variantes de la tradition. Un autre problème philologique à prendre en compte est lié à l’histoire des mouvements continus des juifs, à cause duquel les couches linguistiques se stratifient et s’enchaînent, d’une façon telle qu’il faut regrouper les maÌzorim directement selon les types de tradition et pas selon les lieux de provenance, même en face de traits propres seulement à certaines aires. Dans de tels cas, il pourrait s’agir tout simplement d’archaïsmes conservés dans le tissu du langage et non de phénomènes actuels. Par conséquent, dans l’analyse de la langue des maÌzorim il peut se rencontrer des éléments linguistiques communs à toutes les traditions hébraïques d’Italie, d’autres communs seulement à certains groupes de manuscrits, des traits spécifiques d’un seul maÌzor ou même des traits caractéristiques seulement de quelques textes du même manuscrit.

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À cause de cela, Ryzhiq soumet son étude à deux exigences principales de recherche. Tout d’abord il se propose de conduire un examen séparé de chaque type de texte, à savoir les prières (écrites dans un langage proche du biblique), les passages de la Michna, et finalement les piyyu†im, — qui révèlent une langue à part, avec des traits bien spécifiques du point de vue du lexique autant que morphologique. Parfois, les différences linguistiques entre les textes se motivent en tant que variétés diaphasiques ou diamésiques, variantes selon leur fonction, la méthode de leur apprentissage ou leur transmission textuelle: par exemple l’étude dans le bet ha-midrash ou la prière individuelle et le chant public. Compte tenu de tout cela, la description linguistique de chaque texte doit être complète. Ce principe ne concerne pas seulement les formes morphologiques et les mots, d’ailleurs ponctuellement enregistrés et analysés par l’auteur, mais aussi les traits phonologiques généraux. Seulement en individuant la portée quantitative de ces phénomènes, Ryzhiq considère comme possible de tracer des isoglosses des diverses sous-traditions. Le projet étant ambitieux, l’auteur s’est borné, pour ce premier état du travail, à analyser la langue des extraits michnaïques et des prières, qui présentent des similarités mutuelles, étant en revanche bien distantes de la langue des piyyu†im; c’est cette première étape de la recherche qui donnera ensuite la base pour continuer le travail en se concentrant sur la langue des piyyu†im. Vu la longueur et la complexité du travail, Rhyziq indique avoir examiné dans leur entier les extraits de la Michna et, pour les prières, seulement la catégorie morphologique du nom. Les données qui ressortent de cette analyse, finalement, sont toujours comparées avec les traditions des autres groupes juifs résidant en Italie, ainsi qu’avec les phénomènes dialectaux de l’italien. La source principale pour toute comparaison reste quand même la composante hébraïque des patois judéo-italiens, puisque ces mots hébreux, appartenant à la langue courante, ne furent pas soumis à la correction érudite des grammairiens. En plus, étant parfois transcrits en caractères latins, ils nous aident grandement dans la reconstruction de la prononciation. Il faut souligner l’intérêt que ce travail présente même pour l’étude générale de la Michna: en considérant que les manuscrits les plus importants de la Michna et des autres œuvres postbibliques proviennent d’Italie, l’étude de Rhyziq permettra en principe de répondre à des questions soulevées sur la langue michnaïque telle qu’elle apparaît dans ces manuscrits-là: effectivement on ne peut pas toujours expliquer si certaines particularités linguistiques qui y sont détectées sont des traces authentiques d’une tradition originaire et tout à fait ancienne ou bien des fautes de copie, ou la simple pénétration dans le manuscrit du trait local du copiste. La recherche de Rhyziq, par contre, introduit pour la première fois des outils et fournit des données permettant d’esquisser à ce propos des critères généraux et de mieux encadrer les cas particuliers. D’après ce travail, il est possible de relever l’existence de deux sous-traditions linguistiques principales de l’hébreu des juifs italiens, les maÌzorim se divisant selon l’appartenance à l’une des deux. Dans douze des vingt-cinq manuscrits, la vocalisation et les variantes textuelles témoignent de la transmission de la tradition italienne ancienne qui provient de la Palestine, d’où la désignation par Rhyziq d’«italiens», pour indiquer les maÌzorim attestant ce type de langue. Dans onze manuscrits ultérieurs, en revanche, on retrouve une langue bien semblable à celle des autres traditions, où voisinent des traits orientaux, pour la plupart anciens, à côté d’éléments

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ashkénazes, d’habitude plus récents, se rattachant à la tradition ashkénaze tardive. Rhyziq appelle ce second groupe de maÌzorim «septentrionaux», à cause de leur provenance; comme mentionné ci-dessus, en effet, le nord de l’Italie constituait le point de rencontre entre les diverses traditions linguistiques, qui se sont fondues dans une seule tradition qui a développé ses caractères propres. Cette répartition s’appuie sur des phénomènes phonologiques, même si les données morphologiques et lexicales confirment ultérieurement le cadre général. Les deux derniers manuscrits représentent le groupe de transition entre la double tradition principale, même en étant plus proches du type septentrional, notamment du point de vue morphologique. Naturellement, il ne peut que s’agir d’une distinction graduelle, de sorte que quelques manuscrits, s’alignant sur l’une des deux traditions à cause de leur physionomie générale, présentent pourtant des traits communs aux manuscrits de l’autre; en particulier, le maÌzor ‫« קפ‬italien» dans ses caractéristiques morpho-phonologiques, se rapproche du rituel sicilien dans son texte: il possède des traits orientaux que d’habitude on retrouve dans les manuscrits septentrionaux. Ainsi il nous révèle la route de transmission des traditions, de l’Orient à l’Italie du Nord et à l’Ashkenaz. Exposons en détail l’un des sujets les plus représentatifs des méthode et argumentation de l’auteur; à ce propos, le chapitre qui traite des échanges entre le qamaÒ et le pataÌ d’un côté, et le tsere et le ségol de l’autre, se révèle particulièrement intéressant pour les résultats amenés. Plusieurs maÌzorim documentent en effet de nombreux échanges entre le qamaÒ et le pataÌ, ainsi qu’entre le Òere et le segol; à cet égard, suivant sa méthode d’analyse complète des témoins, Rhyziq parvient à une tripartition entre les manuscrits, conçue aussi bien selon le degré et le type de diffusion de l’échange, que selon le recours spécifique à l’un des signes. Le premier groupe se caractérise par un échange tout à fait libre, attesté dans à peu près tous les types de syllabes, même si l’on y saisit des sous-groupes, selon les préférences accordées chaque fois dans chacun de ces maÌzorim, qui élaborent une méthode de ponctuation individuelle sans aucune restriction. Le deuxième groupe présente en revanche un nombre très limité d’échanges, si bien qu’on peut y reconnaître la tendance des ponctuateurs à s’adapter au système de Tibériade. Les échanges, bidirectionnels, ne sont soumis à aucune règle concernant le type de syllabe. Le troisième groupe compte beaucoup d’échanges, se bornant toutefois à des types spécifiques de syllabes. Faute d’une documentation plus ample, il est difficile d’établir si, à la base de cette préférence syllabique, il y avait une réalité phonétique ou phonologique qui distinguait entre les diverses variétés de voyelles [e] ou [a], d’après leur position dans le contexte syllabique. Néanmoins, on ne peut pas non plus démontrer qu’il y ait une prononciation longue du qamaÒ comme [o], comme semblent le supposer les cas d’échange entre ce signe et le Ìolem. À la suite d’un examen synoptique des manuscrits du premier groupe, il semblerait que ce soit d’habitude le Òere qui remplace le segol, comme le pataÌ remplace le qamaÒ, pour une raison d’économie, puisque le signe constitué de deux traits est plus pratique pour le marquage de la voyelle [e]. Néanmoins, dans deux manuscrits (1‫פס‬,‫)פל‬, l’échange entre le segol et le Òere est monodirectionnel au bénéfice du segol, le signe graphiquement plus complexe, bien que dans le même maÌzor l’emploi du pataÌ, c’est-à-dire le signe «économique», se révèle constant aux dépens du

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qamaÒ. Cela dit, il faudra nécessairement exclure cette explication. Il est en revanche probable que les inventeurs de ce système de ponctuation apparemment incohérent connaissaient plusieurs façons de prononcer le Òere et le segol: d’un côté la prononciation qui les distinguait en [ej] et [e]; d’un autre côté, leur prononciation originaire propre, qui ne distinguait pas entre le segol et le Òere, tous les deux représentant un [e] ouvert. C’est pourquoi les ponctuateurs manifestent une certaine incohérence d’emploi: tantôt ils gardent leur usage propre, tantôt ils adoptent l’usage des autres traditions. Ces autres traditions attestant une différence de prononciation entre les deux couples de signes sont, dans le cas spécifique, représentées par les manuscrits du troisième groupe où, en particulier, on peut remarquer que les échanges (pataÌ à la place du qamaÒ, Òere à la place du segol) arrivent dans la syllabe finale fermée et accentuée. Toutefois, si cela vaut en général pour la distribution des qamaÒ et pataÌ, la situation des Òere et segol ne possède pas autant de cohérence. Concernant les qamaÒ et pataÌ, on pourra assez simplement justifier leur distribution en supposant qu’à côté de la prononciation standard «séfardie» se diffusait une nouvelle prononciation distinguant entre les deux signes, bien qu’exclusivement dans des conditions syllabiques déterminées — la syllabe finale fermée et accentuée: pour cela, on aura commencé à reproduire le nouveau qamaÒ aux dépens du pataÌ seulement là où il devrait apparaître selon ces exigences. Et que, par exemple, deux systèmes de prononciation du qamaÒ existaient; dans le contexte italien, on le tire aussi du fait que dans les piyyu†im italiens anciens, à côté des échanges libres entre le qamaÒ et le pataÌ, il y a aussi des rimes du Ìolem avec le qamaÒ long, qui auront de toute évidence eu la même prononciation. Comme on l’a cependant mentionné ci-dessus, il s’agit d’un cadre de traitement plus unitaire que cela du Òere/ segol. En effet le Òere remplace aussi le segol dans la syllabe ouverte moyenne accentuée des «ségolés», ainsi que dans la syllabe finale accentué ouverte — et parfois dans tous les types de syllabe accentuée. Pour cet état de la question, on ne peut pas encore établir s’il y a un sens phonologique qui détermine la préférence accordée au Òere ou au segol; d’ailleurs, c’est seulement si on démontre de façon définitive que deux types de [e] (par exemple la voyelle [e] et la diphtongue) existaient dans le système des ponctuateurs du troisième groupe de manuscrits, qu’il sera possible d’expliquer la logique des échanges comme dans le cas du qamaÒ/ pataÌ, c’est-àdire comme la superposition d’une seconde prononciation à une première, originaire. Faute de mieux, il faudra donc pour l’instant se borner à une description des phénomènes, même s’il convient d’exposer quelques observations. Tout d’abord, il est patent que plusieurs maÌzorim attestent l’existence de la prononciation du Òere comme [ej]; cela pourtant ne devra pas forcément être considéré comme l’héritage d’une tradition déterminée de l’hébreu, car cela pourrait facilement s’expliquer sur la base de la phonétique régionale de l’italien: en effet, de nombreux témoignages nous informent sur des types divers de [e] dans diverses zones de l’Italie. Par exemple, dans le centre de l’Italie se produit la diphtongaison du [e] en [ie], alors qu’en Piémont, dans le sud de l’Émilie-Romagne, dans le centre de la Péninsule jusqu’à Arezzo, dans les Abruzzes et en Apulie, on trouve la diphtongaison du [e] fermé en [ei] qui généralement ne concerne que les syllabes accentuées. Dans de tels cas, la diffusion du [e]/[ei]/[ie] s’adapte à la diffusion du Òere/ segol, ce qui engage à songer à une distinction entre deux [e] dans la prononciation «italienne» de l’hébreu,

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ainsi qu’en conséquence, à la conservation écrite de cette distinction. D’autre part, en Toscane et dans la région de Rome, on aperçoit en italien la distinction entre le [e] ouvert et le [e] fermé, cela se reflétant même en hébreu sans toutefois qu’il y ait aucun rapport avec la qualité et la quantité vocaliques hébraïques: simplement on utilise l’un ou l’autre signes pour marquer cette différence. Finalement, on peut affirmer que deux types de [e] existent dans les manuscrits du troisième groupe, mais le cadre général est encore trop flottant pour qu’on puisse détecter avec certitude, à la base de cette distinction, des raisons phonologiques qui se rattachent à une tradition hébraïque et non à l’accent régional italien. On a donc affaire, semble-t-il, à l’existence de deux prononciations des juifs italiens, dont l’une, traditionnelle, présente un seul type de [a] et un autre de [e]; pour cette raison, les deux couples de signes de vocalisation sont utilisés sans aucun rapport phonologique entre eux. L’autre prononciation, en revanche, comporte deux types de [a] et probablement de [e], représentés respectivement par les qamaÒ/ pataÌ et les Òere/ segol. Normalement, c’est la prononciation ashkénaze qui est censée distinguer entre les Òere/ segol et les qamaÒ/ pataÌ, mais dans notre cas il faudra davantage songer à l’existence d’une sous-tradition italienne indépendante, cachée sous l’influence séfardie générale: en effet, les ponctuateurs des maÌzorim italiens du troisième groupe témoignent par exemple du passage à la lecture du qamaÒ en [o], comme chez les ashkénazes, mais ce passage s’est réalisé, semble-t-il, grâce à des développements autonomes de la langue locale. Dans le sud-ouest de l’Italie, par exemple, on peut observer le passage de [a] à [ou], d’après les phases intermédiaires [ao] > [oo]. Parallèlement, au nord de la mer Adriatique, en Dalmatie, on observe le passage de [a] > [ua] dans la syllabe fermée (carne > kuarne, «viande») et, dans la syllabe ouverte, à [ou] et ensuite à [u] (spatha > spuotha > sputa, «épée»). Étant donné les témoignages signalant une différenciation de la prononciation du [e] dans les diverses zones italiennes, il est possible pour ce domaine aussi d’établir qu’on a affaire à des développements de la prononciation de l’hébreu nés spontanément en tant qu’évolution de la langue locale. De toute évidence, ces phénomènes propres au troisième groupe de maÌzorim s’expliquent comme l’évolution particulière d’autres traditions spécifiques de lecture de l’hébreu, au delà de l’italienne traditionnelle et de l’ashkénaze. Par conséquent il ne pourra que s’agir de l’évolution particulière d’une tradition orientale ancienne implantée en Italie, comme c’est documenté aussi par d’autres phénomènes que ces échanges qamaÒ/ pataÌ et segol/ Òere. On ne peut que conclure que la prononciation distinguant entre le qamaÒ et le pataÌ (et le segol et le Òere?) touche Ashkenaz et l’Italie à partir de l’Orient, arrive en sous-tradition à côté de la tradition séfardie et ensuite, à cause des contacts entre les communautés et d’un procès de standardisation, demeure en Ashkenaz mais disparaît de l’Italie, qui accueillit un nombre remarquable de refugiés séfardis des persécutions et subit une influence définitive au contact de leur prononciation. Ces résultats nous informent surtout sur la route de pénétration des traditions orientales vers l’Italie et Ashkenaz. La tradition du premier groupe de manuscrits, qui combine librement les échanges des qamaÒ/ pataÌ et des segol/ Òere, représente la tradition italienne originale et locale, tandis que les maÌzorim de deux autres groupes provenant du nord de l’Italie sont, par contre, «septentrionaux» et reflètent des traditions de l’Orient bien qu’en raison de plusieurs détails se rattachant à l’ashkénaze.

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La méthode de recherche de Rhyziq révèle donc ses premiers résultats: d’après ce que l’auteur établit, il y avait deux façons de prononcer les qamaÒ/ pataÌ et les segol/ Òere en Italie, comme le traitement varié des maÌzorim le démontre; en comparant les résultats avec les phénomènes dialectaux de l’italien et avec les autres traditions hébraïques, Rhyziq comprend qu’à côté d’une première tradition «libre» dans ses échanges, en a pris place une seconde, développée directement de l’Orient dans sa base et parallèle pour certains aspects aux développements de la tradition ashkénaze. Cela semblerait déjà porter vers les conclusions finales de l’auteur, cidessus mentionnées, c’est-à-dire la répartition entre manuscrits «italiens» et «septentrionaux» qui gardent deux traditions distinctes de l’hébreu des juifs italiens. Les résultats remarquables obtenus par cette enquête engagent à l’approfondir ultérieurement, tout d’abord en poursuivant le travail d’analyse des textes encore susceptibles d’être examinés, notamment les piyyu†im et, si possible, en étendant cette méthode à des types ultérieurs de sources. La comparaison de tout ce matériel se révélera sans aucun doute bien utile pour esquisser un cadre de plus en plus précis de l’hébreu postbiblique en Italie; tout cela aura des avantages aussi pour mieux définir cette tradition postbiblique par rapport aux autres, ainsi que par rapport aux langues limitrophes qui interagissent, notamment l’italien et ses dialectes. À ce propos, nous voudrions rapidement citer un dernier point d’intérêt, à savoir le recours par Rhyziq à la documentation judéo-italienne. Comme on l’a déjà mentionné, un tel emploi des sources se révèle tout à fait neuf et, au-delà de son utilité pour l’étude de la tradition de l’hébreu postbiblique, il ouvre de nouvelles perspectives même pour la recherche linguistique sur la composante hébraïque de cet idiome. Erica BARICCI Carlos FRAENKEL. — ‫ דרכו של דלאלה׳ אלחאירין למורה‬.‫מן הרמב״ם לשמואל אבן תבון‬ ‫«( הנבוכים‬From Maimonides to Samuel ibn Tibbon. The Transformation of the Dalalat al-Îa’irin into the Moreh ha-Nevukhim»), Jérusalem, The Hebrew University Magnes Press, 2007, 421 pages. Il s’agit de la publication quelque peu raccourcie du travail de thèse de l’A., soutenue en 2000 dans le cadre conjoint de l’Université Libre de Berlin et de l’Université Hébraïque de Jérusalem, sous la codirection des Prof. Peter Schäfer et Zeev Harvey. On reconnaîtra dans l’ouvrage la marque de ces deux établissements, les outils acérés issus d’une longue tradition de philologie au sein du premier, appliqués à un corpus juif fouillé, mis à disposition par le second. Carlos Fraenkel s’est fixé dans cet ouvrage un double objectif. D’abord, il entend nuancer l’image d’un Samuel ibn Tibbon (Rashbat, Lunel v. 1160 – Marseille v. 1230) complètement assujetti à l’auteur du Guide des égarés. Si la traduction du Guide de l’arabe vers l’hébreu reste le maître ouvrage de cet auteur, si par ailleurs il inscrit toujours sa démarche dans la continuité de celle de Maïmonide, y compris dans les textes qu’il écrit en son nom, il n’en reste pas moins qu’on ne saurait réduire sa contribution à l’histoire du Guide et, plus largement, de la philosophie en monde juif à celle d’une traduction entendue comme remplacement des mots d’une langue par ceux d’une autre. Fraenkel, au contraire, y insiste: cette traduction a

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littéralement constitué une adaptation de l’œuvre née de la rencontre du judaïsme et de la culture et de la philosophie islamiques au cadre socio-culturel de l’Occident chrétien. Une telle adaptation a signifié la transformation — selon le titre même du livre de Fraenkel — de l’œuvre de départ en une autre œuvre, qui en est en quelque sorte le jumeau hébraïque, parfaitement conforme et néanmoins subtilement différent voire, parfois, secrètement rival. Derrière le titre de l’ouvrage ne se cache donc pas un précis de traduction de l’arabe de Maïmonide dans un hébreu philosophique en pleine formation, mais un travail de restitution d’une étape importante de la diffusion de la pensée philosophique en monde juif et une réhabilitation de celui qui en est à l’origine. Par parenthèse, les problèmes de traduction stricto sensu sont abordés par ibn Tibbon luimême dans divers textes (notamment, l’introduction à sa traduction du Guide et à son Glossaire des mots difficiles, Perush ha-milim ha-zarot, que l’on trouve en annexe de certaines éditions du Moreh nebukhim). Ils ne sont par ailleurs mentionnés par Fraenkel que lorsqu’ils donnent un éclairage sur les enjeux philosophiques et historiques du travail du Rashbat. À l’appui de son enquête approfondie sur le travail de passeur d’ibn Tibbon, Fraenkel débusque dans les manuscrits de la traduction hébraïque du Guide et surtout dans les notes scribales, parfois marginales, parfois intégrées au texte même, que certains d’entre eux contiennent, les traces des différents stades du travail de traduction, celles du travail de lecteur et de commentateur, parfois critique, effectué par ibn Tibbon et celle de son probable travail d’enseignement du Guide. Qu’ibn Tibbon ait dispensé un enseignement du Guide des égarés, conformément aux indices mis en avant par l’A., fait de lui le premier interprète de l’œuvre du Rambam — proprement, son premier truchement (metargem) —, s’efforçant de proposer une compréhension de ses passages difficiles. Le second objectif de Fraenkel est précisément l’édition de ces notes marginales, du moins de celles que l’on a de bonnes raisons d’attribuer à ibn Tibbon lui-même. Dans un premier temps, Fraenkel situe son propre travail dans la lignée des recherches précédemment menées sur Samuel ibn Tibbon. Un tableau bibliographique complet montre bien le peu d’égard qui a généralement été accordé à ibn Tibbon par les historiens de la philosophie juive, jusqu’au vingt à trente dernières années. De Steinschneider aux années 1980, ibn Tibbon a généralement été considéré comme un simple médiateur transparent entre le Rambam et les juifs d’Europe latine. On doit aux historiens récents de la philosophie juive, Colette Sirat par exemple, d’avoir sorti le Rashbat de l’ombre et principalement à Aviezer Ravitzky la première tentative, dans son travail de thèse, de rendre compte d’une philosophie propre à ibn Tibbon. De ce point de vue, l’objet de l’ouvrage de Fraenkel est de chercher une cohérence entre l’œuvre de traducteur et celle de philosophe du Rashbat. Il s’agit de montrer par une étude concentrée autour de l’objet que constitue la traduction du Guide que le traducteur a en effet aussi été un lecteur et un philosophe fidèle au maître et néanmoins pourvu d’une personnalité propre qui apparaît à qui veut bien la voir. Le second chapitre reconstitue un tableau historique du monde dans lequel ibn Tibbon a grandi et est devenu traducteur, qui est aussi le monde pour lequel il a effectué son travail de traduction. À la pénétration d’une œuvre de type philosophique comme le Guide, il fallait un terreau que l’Europe occidentale a trouvé dans la communauté de Lunel de la fin du XIIe siècle, grâce à ses contacts étroits avec les

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juifs du nord de l’Espagne, évoluant dans une sphère culturelle islamique, puis à l’arrivée de certains d’entre eux fuyant les persécutions almohades, parmi lesquels Juda ibn Tibbon, le père de Samuel, initiateur d’une longue dynastie de traducteurs. Pour Fraenkel, ce qu’a véritablement opéré le Rashbat à travers sa traduction du Guide est la réorientation d’une révolution culturelle déjà en marche au sud de la France, où les productions halakhiques, grammaticales, scientifiques s’étaient multipliées, vers une compréhension intellectualiste du judaïsme. Si la traduction du Guide est une commande, ibn Tibbon avait néanmoins conscience de sa contribution à une telle re-compréhension du judaïsme. Dans un passage de l’introduction à son propre commentaire sur l’Ecclésiaste, il présente Maïmonide comme un quasi-prophète envoyé par Dieu pour sortir le peuple de son ignorance dans tous les domaines, de la halakhah à la science. Anti-prophète serait peut-être plus exact, puisque sa tâche a précisément consisté à renverser la démarche du prophète: le prophète voile les secrets de la Torah (physiques et métaphysiques) dans le langage de l’imagination accessible au peuple tout entier; le philosophe décrypte, dans le langage allégorique des prophètes, les sitrei Torah (les secrets de la Torah) oubliés depuis que les conditions de leur transmission orale ont été anéanties en situation d’exil. Le travail du philosophe est donc en quelque sorte un travail de traduction du langage prophétique en langage conceptuel à l’adresse de ceux qui peuvent l’entendre. Proposer une traduction d’un travail philosophique, c’est donc participer pleinement au travail du philosophe. L’A propose par ailleurs une reconstitution de la chronologie de la traduction. Les membres de la communauté de Lunel, sous l’autorité de Yonathan ha-Kohen, en sont venus à demander à Maïmonide l’envoi d’un exemplaire du Guide, au cours d’un échange épistolaire relatif, au départ, à des questions d’astronomie (à l’origine de l’épître de Maïmonide sur ce sujet) et à des questions sur le Mishneh Torah. Les manuscrits des deux premières parties de l’ouvrage sont arrivés en Provence dans les dernières années du XIIe siècle. Ibn Tibbon s’est alors vu demander de les traduire en raison de sa connaissance des deux langues et de sa formation philosophique. Deux manuscrits de la troisième partie sont arrivés au plus tard en 1200, dont un comportant de nombreuses fautes de copiste. D’après le colophon d’ibn Tibbon, la traduction a été achevée le 30 septembre 1204. Tout au long du travail de traduction, Rashbat et Rambam ont entretenu un échange épistolaire, le traducteur posant à l’auteur des questions sur les passages des manuscrits lui semblant fautifs, des questions de traduction de termes techniques et des questions de compréhension du texte même. De tout cela, les manuscrits de la traduction ont conservé des indices dans des notes marginales. Il y apparaît clairement que, lorsqu’ibn Tibbon voyait une difficulté dans le texte arabe ou éprouvait une difficulté de traduction, il écrivait une traduction mot à mot du texte dont il disposait dans le corps du texte de sa traduction et notait en marge des traductions alternatives ou des corrections possibles du texte arabe supposément corrompu. Il attendait alors la confirmation par Maïmonide de ces hypothèses avant de les intégrer au corps du texte. Cela ressort de l’intégration observée en diverses occasions d’un texte, figurant en note marginale dans un manuscrit, au corps du texte dans d’autres manuscrits plus tardifs. Les interrogations d’ibn Tibbon sur certains mots, en particulier de la troisième partie, n’ont pas reçu de réponse avant le décès de Maïmonide en 1204. L’A. revient en outre ici sur le problème du refus par Maïmonide qu’ibn Tibbon vienne le visiter en Égypte. Il

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critique la thèse soutenue par A. Ravitzky à la suite de J. Levinger, selon laquelle ce refus aurait été motivé par le fait que Maïmonide aurait perçu dans les lettres de son traducteur que celui-ci avait pénétré les secrets de son ouvrage et qu’il n’aurait donc en rien bénéficié de son enseignement direct. Fraenkel conclut après enquête que les indices sont trop maigres pour livrer une solution définitive à ce problème. Le chapitre trois renferme sans doute les apports les plus intéressants et les plus originaux sur le plan de l’interprétation de l’œuvre du Rashbat. Il porte sur les rapports d’ibn Tibbon avec Maïmonide en tant que philosophe. L’A. parvient avec une grande maîtrise à montrer comment, subtilement, ibn Tibbon a pu s’affirmer en tant que personnalité philosophique autonome tout en se réclamant d’une fidélité absolue à la démarche du Rambam. Dans la préface à sa traduction du Guide, ibn Tibbon propose une théorie de la traduction pensée à travers le schème des quatre causes aristotéliciennes: le travail du traducteur est la cause efficiente, les énoncés du livre à traduire constituent la cause matérielle, le fait de coucher les idées du livre traduit, «comme elles sont, sans modification» (ka-asher hem mi-beli shinui), dans la langue d’arrivée est la cause formelle, enfin la cause finale consiste en la compréhension des propos et des idées du livre par les locuteurs de la langue d’arrivée «sans qu’il ne leur reste d’obstacle provenant du livre» (we-lo yish’ar moneac mi-Òad ha-sefer). Fort d’une telle conception, ibn Tibbon détermine le double réquisit d’une bonne traduction: la connaissance des deux idiomes, sur le plan lexical et syntaxique, et la compréhension des idées de l’auteur. Or eu égard à ce second point, théorie de la traduction et épistémologie se rencontrent. L’homme n’a accès aux intelligibles, selon ibn Tibbon, sur ce point influencé par Averroès, que par l’unification de son intellect avec l’Intellect Agent, opérateur du passage de la connaissance de la puissance à l’acte. L’auteur d’une œuvre philosophique est un individu qui, ayant accédé à un tel état d’unification, enseigne à d’autres, au moyen des mots, comment accéder à leur tour à un tel état. Ultimement, lecteur et auteur ne font plus qu’un, unifiés qu’ils sont à l’Intellect Agent. Qu’un traducteur doive d’abord être un lecteur revêt ici un sens particulièrement fort: cela signifie qu’il doit annihiler ce que sa personne a de singulier pour s’identifier à l’auteur, lui-même précédemment dés-individualisé. C’est uniquement une fois cette identification opérée, autrement dit une fois accomplie, pour son propre compte, la finalité de l’œuvre (à savoir la compréhension des idées), que le traducteur devra travailler la matière que constitue le texte d’origine, pour lui donner la forme de la langue d’arrivée, le résultat devant néanmoins rester strictement conforme au texte initial. On comprend désormais, d’une part, que le traducteur doive d’abord et avant tout être un disciple de l’auteur et, d’autre part, qu’ibn Tibbon opte pour une traduction littérale. En théorie, le traducteur, s’il a correctement effectué le travail préalable de compréhension des idées, ne devrait avoir aucun problème de compréhension du texte qu’il doit traduire. En pratique, ibn Tibbon a évidemment rencontré des difficultés de compréhension textuelle. Mais dans tous les cas, nous l’avons vu, ibn Tibbon a traduit le texte qu’il avait sous les yeux, attendant une confirmation éventuelle de ses doutes de la part de l’auteur. Chaque mot dans la perepective d’ibn Tibbon a son importance en tant que moyen d’accès à la compréhension adéquate des idées visées par l’auteur.

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Arrêtons-nous maintenant sur deux thèses parmi les plus stimulantes de l’ouvrage. La première est établie par Fraenkel à partir du relevé de certaines notes de type pédagogique écrites en arabe dans les marges de certains manuscrits. Celles-ci sont comprises comme les indices, d’une part, d’un enseignement du Guide par le traducteur et, d’autre part, de l’existence d’un enseignement philosophique dans un cadre institutionnel. Fraenkel invite à réviser, du moins à nuancer, l’idée selon laquelle la philosophie, à l’inverse de l’étude de la Torah, aurait au Moyen Âge été confinée à un enseignement ésotérique privé, puisque l’enseignement du Guide dont témoigne certaines notes marginales semble avoir été un enseignement collectif et dispensé dans un cadre institutionnel. Ceci est d’autant plus étonnant que cet enseignement, ayant eu lieu dans le sud de la France, semble avoir été dispensé au moins en partie en arabe (puisque les notes dont il s’agit sont les seules rédigées dans cette langue). La thèse mériterait de nouveaux développements, tant elle engage la compréhension du statut même de la philosophie dans le monde de l’étude de la Torah à une époque antérieure à la large diffusion du Guide et aux querelles qui l’ont suivie. La seconde se déploie au gré d’une analyse subtile des textes herméneutiques du Rashbat. Ibn Tibbon, tout en s’inscrivant indéfectiblement, tout au long de son œuvre, dans l’ombre de Rambam, l’érigeant en figure du philosophe accompli, affirme sa propre personnalité philosophique soit par sa compréhension des parts obscures du Guide, soit en s’écartant subtilement des thèses du maître. À partir de deux points, la question décisive de la création ou de l’éternité du monde et le traitement du macaseh merkabah dans le Guide, l’A. montre, dans la lignée d’A. Ravitzky, que le traducteur a bien été le premier à faire une lecture ésotérique du Guide, le tirant dans un sens averroïsant. Pour ne parler que du premier point, il ne faisait aucun doute, pour ibn Tibbon, que Maïmonide soutenait la thèse de l’éternité du monde. Cela ressort en particulier de fait que c’est sur la présupposition de l’éternité que repose la démonstration, dans le Guide, de l’existence et de l’unité de Dieu, qui sont mentionnées, au contraire de la création, parmi les yesodei ha-Torah du premier livre du Mishneh Torah. Un argument pour l’unité de Dieu, dans le Sefer ha-madac (yesodei ha-Torah, 1, 7), semble par ailleurs admettre la vingt-sixième proposition des philosophes, énoncée comme simplement possible au début de la deuxième partie du Guide, selon laquelle la sphère céleste se meut perpétuellement, qui est une proposition décisive pour les tenants de l’éternité. Cette tendance interprétative radicale du Rashbat le conduit à ravaler systématiquement au rang de concessions à la croyance populaire les passages où le Rambam se prononce pour la création, ainsi que tous ceux où s’exprime la thèse d’une limitation de la connaissance, qui empêcherait notamment de trancher la question de l’origine du monde. En pareille occasion, ibn Tibbon se montre perplexe devant les hésitations du Rambam, à l’instar du chapitre II, 29, où il semble remettre en cause les principes de l’astronomie aristotélicienne, sur laquelle repose en dernière instance la thèse de l’éternité. Ibn Tibbon se montre ainsi, à lire ses notes, plus franchement aristotélicien que Maïmonide lui-même. C’est dans le domaine de l’herméneutique biblique que s’exprime au mieux le rapport ambivalent du Rashbat à son maître. Dans ce domaine, il s’emploie toujours à mettre en œuvre les principes d’interprétation des passages jugés allégoriques, exposés dans la préface du Guide des égarés. Ibn Tibbon présente ainsi la rédaction de son propre commentaire sur l’Ecclésiaste comme un complément à l’œuvre

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d’herméneutique biblique du maître dispersée dans ses divers écrits. Cette idée est d’ailleurs rien moins qu’évidente puisque, s’il est une chose que le Rambam n’a pas faite, c’est précisément rédiger un commentaire suivi, consacré à un livre particulier de la Torah. L’interprétation n’est jamais pour lui une fin en soi, mais doit servir un développement, qu’il soit halakhique ou philosophique. Toujours est-il qu’ibn Tibbon n’a pas hésité à plusieurs reprises à écrire un commentaire sur un passage que Maïmonide lui-même avait déjà commenté. En de tels cas, il se pense alors plus fidèle à l’entreprise du maître que le maître lui-même. Ainsi ibn Tibbon n’hésite-t-il pas à s’exclamer, dans une note marginale: «c’est allongé et assoupi (nim weshakhib) que notre maître a dit ceci», lorsqu’il considère qu’une interpréation proposée d’un verset d’Isaïe (12, 3), au chapitre I, 30 ne respecte pas la distinction faite par Maïmonide entre les allégories où il y a lieu d’interpréter le texte dans sa globalité et ceux où chaque élément du passage doit être interprété allégoriquement. Dans d’autres cas, ibn Tibbon exprime, à travers une divergence herméneutique apparemment mineure, une divergence philosophique fondamentale. Ainsi, Maïmonide mentionne, dans le tout dernier chapitre du Guide, un passage de Jérémie (8, 22-23), dont il tire que la fin de l’homme réside dans l’imitation des «voies» (derakhim, en l’occurrence, Ìesed, mishpa† u-Òedaqah) de Dieu, autrement dit que la connaissance de Dieu doit ultimement s’actualiser dans l’action. Dans la préface à sa traduction du Traité des huit chapitres de Maïmonide, ibn Tibbon interprète les mêmes versets en renversant les termes de la lecture maïmonidienne. Selon lui, l’imitation des «voies» n’est plus la fin mais le moyen de l’accès à la connaissance de Dieu. Sur un point aussi important que la question de savoir si la fin ultime de l’homme se situe dans la connaissance ou dans l’action, ibn Tibbon assume donc une thèse opposée à celle du Rambam. Ici la thèse de Fraenkel est particulièrement puissante. L’inteprétation biblique, présentée par le Rashbat comme inscrite dans la fidélité même à l’entreprise maïmonidienne, devient le moyen d’affirmer indirectement des thèses philosophiques distinctes de celles du maître. La critique doctrinale ne pouvait s’exprimer de manière frontale précisément parce qu’ibn Tibbon avait conscience de l’importance de Maïmonide en tant que fondateur d’une manière renouvelée de comprendre le judaïsme. Il s’agissait donc de contribuer à l’édification de Maïmonide comme figure de sage inattaquable, ibn Tibbon ayant par ailleurs assisté aux balbutiements de la première querelle maïmonidienne. L’érection du «Rav ha-Moreh» (le maîtreguide ou maître du Guide) en figure quasi-mythique aura donc commencé très tôt, constituant un composant essentiel de l’entreprise même d’introduction de la philosophie en monde juif. Se dessine ainsi, au gré de divers écarts commis par le traducteur par rapport à son maître, le portrait d’un ibn Tibbon, interprète radical du Guide des égarés et à tendance averroïste. Son œuvre philosophique la plus conséquente, le Ma’amar yiqqawu ha-mayyim, traité consacré à la question de la création et présenté par son auteur comme une «réactualisation» du Guide, rendu caduc sur certains points par le nouveau contexte socio-cuturel de sa diffusion, est un traité entièrement fondé sur des problématiques propres à la cosmologie aristotélicienne. Ibn Tibbon a par ailleurs traduit au moins un traité météorologique d’Averroes (Sefer ’otot ha-shamayyim). Fraenkel montre par ailleurs, toujours au travers de l’analyse d’un écart interprétatif d’ibn Tibbon sur un verset (Ex 20, 2), qu’ibn Tibbon interdit à ceux qui

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ne font pas partie de l’élite intellectuelle (yeÌidei segulah) de s’efforcer un tant soit peu d’acquérir une connaissance démonstrative de Dieu, devant se contenter d’une connaissance fondée sur la tradition. Maïmonide, au contraire, affirmait que tout le peuple avait eu une démonstration de l’existence de Dieu au moment de la scène du Sinaï (cf. II, 33 et passim). De ce point de vue, ibn Tibbon se placerait dans la lignée directe de l’Averroès du Discours décisif, où le Commentateur établit que seuls ceux qui en sont capables ont l’obligation d’étudier la philosophie, strictement interdite à tous les autres. Sur ce point, on aurait souhaité que l’influence d’Averroès ait été mieux établie, l’A. ne précise pas en effet si le Rashbat avait accès au texte même du Discours décisif. Il convient de dire enfin quelques mots de l’édition des notes. Jusqu’à présent, celles-ci n’avaient pas fait l’objet d’un traitement systématique. On trouve par exemple la mention de quelques-unes d’entre elles, en note de la traduction de Salomon Munk, lorsqu’elles vont dans le sens de son propre commentaire et figuraient dans le manuscrit dont il disposait (BNF, héb. 691). Fraenkel a quant à lui sélectionné pour son travail d’édition vingt manuscrits, parmi les 145 connus du Moreh nebukhim. La sélection s’est effectuée, pour un groupe de manuscrits, en fonction de leur ancienneté (le plus ancien datant de 1272), pour un autre, en fonction de leur qualité et des notes marginales qu’ils contiennent. De fait, ces notes posent par leur nature même des problèmes méthodologiques à qui veut en faire une édition. Les divers manuscrits de la traduction dont nous disposons ne présentent pas les mêmes notes marginales. Certaines apparaissent dans certains manuscrits et non dans d’autres. Aucun manuscrit ne comporte toutes les notes. Certaines notes figurent dans la majorité des manuscrits, d’autres, seulement dans certains d’entre eux, d’autres enfin ne figurent que dans un groupe restreint de manuscrits apparentés, présentant les notes en question à l’exclusion de la plupart des autres. Certaines notes figurent en marge dans certains manuscrits et ont fini par apparaître dans le corps même du texte dans d’autres manuscrits. Se pose par ailleurs un problème d’attribution. Certaines notes marginales portent une mention qui les relie directement au traducteur, du type: ‫פי]רוש[ המעתיק‬, [‫שב״ת ]=שמואל אבן תיבון‬, [‫ ד״ת ]=דעת תלמיד‬etc., mais beaucoup sont anonymes. Souvent la même note apparaît avec des variantes importantes dans différents manuscrits, avec mention d’ibn Tibbon, dans un groupe de manuscrits, et de manière anonyme, dans un autre. Parfois, la version la plus riche de la note apparaît dans une version anonyme et ce n’est que parce qu’une note ressemblante attribuée à ibn Tibbon figure dans un autre manuscrit, que l’on peut légitimement rapporter la version anonyme à ibn Tibbon. Comme on ne dispose pas d’une version autographe de la traduction, choisir entre différentes versions d’une note s’avère impossible. C’est pourquoi, lorsqu’il existe des variantes importantes d’une même note dans divers manuscrits — soit dans la grande majorité des cas —, Fraenkel a opté pour une présentation synoptique, présentant en plusieurs colonnes les variantes en question, choisies sur un manuscrit représentatif d’un groupe de manuscrits livrant une version quasi-identique. Ceci est parfaitement conforme avec le double objectif de son édition: donner une présentation la plus lisible possible des notes tout en respectant les caractéristiques philologiques particulièrement complexes de ce genre de textes. Un autre problème de sélection et d’attribution des notes provient du fait que certains manuscrits comportent des notes qui ne sont pas

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d’ibn Tibbon, qu’elles soient anonymes ou attribuées. C’est pourquoi seul un très petit nombre de notes qui ne figurent que de manière anonyme dans l’ensemble des manuscrits ont été incluses dans l’édition, lorsque leur contenu semble les relier au traducteur. Néanmoins, Fraenkel précise que de futures recherches pourraient démentir cette attribution provisoire ou, inversement, conduire à inclure de nouvelles notes anonymes parmi les notes du Rashbat. Au total, l’édition présente une centaine de notes d’ibn Tibbon, très courtes dans l’ensemble, accompagnée chacune du passage du Guide qu’elle commente, en arabe et dans la traduction d’ibn Tibbon. Assurément, ce travail d’édition nous renseigne sur le travail du traducteur et offre des éléments pour la découverte et la compréhension d’une interprétation précocement ésotérique du Guide. Cet ouvrage présente à la fois les qualités que l’on est en droit d’exiger d’un travail historique sérieux et celles d’une présentation et d’une interprétation de la pensée philosophique d’un auteur, dont il est désormais démontré que le caractère mineur en fait précisément la grandeur. David LEMLER Yeshayahou LEIBOWITZ. — Les fondements du judaïsme. Causeries sur les Pirqé Avot (Aphorismes des Pères) et sur Maïmonide, traduction et notes de Gérard Haddad et Yann Boissière, Paris, Le Cerf, 2007, 180 pages («Patrimoinesjudaïsme»). Ce livre, composé de trente et une causeries radiophoniques en hébreu sur les Pirqé Avot, émises de 1976 à 1977 et retranscrites par Ben Tsion Nouriel, ressemble à l’esquisse de ce qui aurait pu être l’exposé théologique de Y. Leibowitz. Se détache le modèle de Maïmonide écrivant son Traité d’éthique, préface au Commentaire des mêmes Pirqé Avot qui inaugure une tradition de présentation de la conception du judaïsme. Y. Leibowitz a voulu s’insérer dans ce contexte. Traité talmudique devenu une partie du livre de prières, les Pirqé Avot forment le texte postbiblique le plus ancien. Il a connu une grande diffusion dans le monde juif. L’étude de la Torah y est au centre. L’auteur évoque «Pirqé Avot, Torah, éthique, éducation» dans la première causerie. Il présente l’ouvrage, recueil de propos des Sages, les «Pères». Bien que le traité ne comporte pas de point de halakha, Y. Leibowitz veut montrer que le monde de la halakha est le fondement sur lequel se développe cette pensée. S’occuper de la Torah est l’essentiel de l’action et des objectifs de ces hommes. Cette occupation n’est pas l’acquisition d’un savoir. L’étude de la Torah y est conçue comme «une fin en soi». Les autres fonctions humaines sont des contraintes. Très variée, la majorité des sentences porte sur la relation de l’homme à lui-même, face à Dieu. Maïmonide est souvent convoqué. La deuxième causerie précise «Torah écrite et Torah orale». Que dit de la «Torah» la première michna du traité? Il ne s’agit pas de la «Torah de Moïse». «La Torah» en question est la Torah orale. Elle est définie d’un point de vue fonctionnel, mode par lequel on l’explique, on la commente et on la renouvelle éventuellement. Il faut pouvoir légiférer selon la Torah. Au cours de l’histoire du judaïsme, la Torah orale est devenue Torah de la vie des juifs dans laquelle se trouvait incluse

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la Torah écrite, le Pentateuque. La mise par écrit de la Torah orale s’est faite par l’achèvement de la Michna, puis des deux Talmuds. Le caractère de l’étude du texte s’est modifié. Pour Maïmonide, la mise par écrit crée le risque de divisions insurmontables. L’auteur aborde «Étude de la Torah et Voie du monde» dans les troisième et quatrième causeries. Discussion de quelques passages dispersés dans les cinq chapitres du Traité des Pères. L’étude de la Torah suscite réflexion et méditation «jour et nuit» et soulève par là un des grands problèmes que rencontre l’homme juif. Il n’est pas un «intellect séparé», «méditer jour et nuit» n’est pas une finalité en accord avec le contexte de sa réalité humaine. Ces deux réalités peuvent-elles s’accorder? L’étude de la Torah se substitue-t-elle aux fonctions naturelles et sociales de l’homme? Ou est-elle un objectif qui lui est fixé? Prise à la lettre, l’expression devient effective si les besoins de l’étudiant se trouvent assurés de l’extérieur. L’étude de la Torah est alors «le mode de vie» d’un groupe qui remplit cette fonction grâce à d’autres personnes qui se chargent des besoins de la collectivité. Ainsi, cette étude existera dans le peuple juif mais celui-ci ne pourra être tenu pour le peuple de ceux qui étudient la Torah. D’après une autre conception, le peuple juif est confronté à l’exigence d’être le peuple de la Torah. L’étude est imposée à tout juif qui accepte le joug du royaume des Cieux, une obligation qu’il accepte dans la mesure de ses possibilités. Si cette exigence se trouve accomplie, le peuple juif sera le peuple de ceux qui étudient la Torah, sans atteindre, cependant, l’intensité des «professionnels». Y. Leibowitz présente ensuite quelques michnayot. Les Maîtres d’Israël sont revenus sur l’opposition entre ces deux conceptions. Maïmonide est opposé au «professionalisme» qui engendre une vie de vol. L’autre conception trouve son expression dans la représentation, tirée de traditions, de la répartition des tâches entre Issakhar et Zabulon. Elle prend appui sur une interprétation de la bénédiction que Moïse donna aux deux tribus: «Sois heureux Zabulon dans tes voyages, et toi, Issakhar, sous ta tente». Issakhar vivra «des voyages de Zabulon», de son commerce. La Torah existera par cette association. Or, le propre de l’étude de la Torah est d’être le but collectif du peuple juif. Si Issakhar étudie, Zabulon est un instrument de l’existence d’Issakhar qui seul pratique la Torah. Dans la cinquième causerie, l’auteur poursuit sa réflexion. La controverse concerne l’expression: «Peiner pour la Torah comme il convient». Il faut comprendre le devoir pour l’homme d’apprendre la Torah. R. Joseph Caro, dans le ShoulÌan Aroukh, opte pour le schéma «Issakhar et Zabulon». Le Rema appuie cette idée. Le Shakh, de même. Une conclusion sur le sujet fait l’objet de la sixième causerie. Les mots de Maïmonide se sont révélés exacts pour ce qui est de l’affaiblissement de la religion et de l’avilissement de la Torah dus à sa transformation en étude professionnelle contre argent. Y. Leibowitz répond également à des questions posées par des auditeurs. Les septième et huitième causeries sont consacrées à «L’homme et le pouvoir (statut de l’homme de la Torah dans le cadre de la réalité politique)». L’homme des Aphorismes des Pères n’est qu’un sujet de la Torah, son monde est subjectif. La voie du monde est constituée par l’ensemble de ses liens avec la réalité objective, la société humaine et ses institutions. Celle qui détient l’autorité est importante. Le lien entre ces deux mondes est problématique. Le principe du monde de la Torah est celui de la sainteté alors que le pouvoir politique est profane. Dans cette asymétrie, le souverain détient un pouvoir dans son rapport à l’homme et ce dernier est impuissant dans sa relation à celui-ci. Trois sentences se rapportent à ce thème. L’auteur traite du rapport de l’intellectuel envers

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l’appareil de pouvoir. Y-a-t-il une seule ou deux positions différentes dans les Aphorismes des Pères à ce sujet? Les sources du judaïsme sont unanimes. Considéré comme très dangereux, le pouvoir politique n’est pas une des valeurs de base de l’existence humaine. C’est la réponse à un besoin. Il y a une divergence complète entre l’intérêt religieux et l’intérêt politique dans la tradition du judaïsme.Y. Leibowitz étudie «La prière» dans les neuvième et dixième causeries. Après 70 ap. J.-C., la prière s’est substituée à la Torah, aux sacrifices et à la charité sur lesquels reposait le monde. Elle forme, depuis, l’un des piliers de l’univers de l’homme pratiquant. Elle est évoquée pour la première fois dans ce livre par R. Siméon: «…Que ta prière ne soit pas quelque chose de fixe, mais supplication et imploration devant Dieu». R. Siméon a appartenu à la génération qui a institutionnalisé les Dix-huit bénédictions qui composent l’essentiel de la prière. Il existe deux conceptions de la prière, opposées l’une à l’autre. La première est l’expression de la pulsion de l’âme individuelle, un culte que l’homme accomplit pour lui-même, non désintéressé. La seconde, celle du livre de prières, est obligatoire, dans ses mots sont inclus les deux principes de la prescription du service de Dieu: cette prière est demandée et invariable. R. Siméon s’oppose à cette conception qui l’a emporté. La prière-précepte a seule une signification religieuse, la prière spontanée reste permise et légale. Puis, l’auteur s’arrête sur la «méditation dans la prière». L’homme doit orienter son cœur vers le service de Dieu, non vers ses besoins. D’autre part, la prière doit être envisagée comme un rituel, un acte religieux. La prière fixée est celle qui a le mieux convenu à l’accomplissement de ce précepte. La sainteté du texte vient de cette décision de caractère halakhique. Acte d’attachement à Dieu, la prière est indépendante des contingences. Dans les onzième et douzième causeries, Y. Leibowitz répond aux objections des auditeurs. «Pour-Lui-Même» et «Non-Pour-Lui-Même» est le sujet analysé dans les treizième, quatorzième et seizième causeries. L’auteur veut parler du service de Dieu. L’une des premières michnayot de l’ouvrage est une sentence d’Antigone de Sokho: «…soyez comme des serviteurs qui servent leur maître non pour recevoir une récompense; et que la crainte du Ciel soit sur vous». Cette sentence renvoie à la finalité de la pratique des préceptes. Elle expose la différence entre le caractère désintéressé et le caractère intéressé du service de Dieu. Discussion sur «l’intentionnalité» dans la prière. Intention d’accomplir le précepte, ou intention d’obtenir quelque chose par le détour de la pratique du précepte? N’y a-t-il pas une autre récompense à la pratique des préceptes qui s’ajouterait au fait qu’elle est en elle-même le service de Dieu? Maïmonide associe ces propos à la Michna, traité Sanhédrin, chapitre Îeleq, expliquant qu’il est donné à tout juif «une part du monde futur». La finalité de l’homme est la connaissance de Dieu qui fonde «le monde futur» et est ancrée dans la Torah. Antigone de Sokho complète peut-être de cette manière: si vous ne pouvez servir Dieu par amour, «que la crainte du Ciel soit sur vous». Y. Leibowitz présente enfin le propos de Rabbi: «… et sois aussi vigilant dans l’accomplissement d’un précepte mineur que dans celui d’un précepte important, car tu ne connais pas le salaire des préceptes». Le «salaire du précepte» est explicitement mentionné, apparemment en opposition à la sentence d’Antigone, mais nous n’en connaissons pas la nature. L’intention de Rabbi ne paraît pas claire, l’auteur cite la sentence de Ben Azaï, l’un de ses prédécesseurs: «Empresse-toi dans l’accomplissement du précepte mineur et fuis la transgression…», «car un précepte entraîne un autre précepte et une transgression entraîne une autre transgression, car le salaire d’un précepte est un

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précepte, et le salaire d’une transgression, une transgression». Qu’est-ce que Ben Azaï a voulu dire? Celui qui accomplit un précepte se prépare à accomplir d’autres préceptes. En revanche, celui qui transgresse s’habitue à la transgression. Dans la dernière partie du propos de Ben Azaï où le mot «précepte» est répété deux fois, il s’agit d’un même précepte, le fait de l’accomplir étant le salaire de son accomplissement. De même, le «salaire de la transgression» est la punition de l’homme. C’est, exposée en profondeur, la sentence d’Antigone de Sokho. On rencontre cette idée dans le Alenou de Moussaf de Roch Hachana. Des désaccords opposent les Sages sur le sens et la valeur religieuse d’une «Torah non-pour-elle-même». Certains encouragent ce point de vue comme «intermède éducatif». D’autres le rejettent. Les tossaphistes s’efforcent d’harmoniser les deux conceptions. Dans la quinzième causerie, Y. Leibowitz répond de nouveau aux questions des auditeurs. «Le langage» est examiné à l’aide de deux sentences dans la dix-septième causerie. Au chapitre premier, Siméon, sans doute le fils de Hillel l’Ancien, loue le silence. Le langage humain comporte un pouvoir de destruction. La plupart des commentateurs des Aphorismes des Pères ont remarqué ses dangers. Maïmonide, dans les Lois sur les opinions, écrit que l’homme gardera le silence et ne parlera que pour exprimer des paroles de sagesse ou ce qui est nécessaire à la santé du corps. Les Sages ont préconisé de restreindre la quantité pour accroître la qualité. R. Abraham Isaac Kook, dans Sacrifice de présence, comprend les paroles de Siméon dans un sens inverse. Le bien ne peut venir du silence. La pensée doit être concrétisée. Dans la dix-huitième causerie, l’auteur considère «Brèves sentences dans les Aphorismes des Pères». Nous rapportons un seul des trois énoncés qu’il éclaire. Au quatrième chapitre, R. Yanaï écrit: «Nous n’avons dans nos mains ni la tranquillité des méchants, ni même les épreuves des justes». R. Ovadia de Bertinoro explique que cela signifie que nous ne comprenons pas la cause de la tranquillité des méchants ni celle des épreuves des justes. Il suggère une deuxième interprétation. Dieu donne aux méchants la sérénité, un mauvais signe pour eux car ils ont reçu le salaire de toute bonne action en ce monde. Les justes reçoivent les épreuves par amour. La majorité des hommes sont des êtres du commun et ne connaissent pas ce sort. L’étude de la Torah dans la pauvreté et la prospérité est citée dans le même chapitre par R. Yonatan. R. Haïm de Volozhyn interprète ce propos sur le plan psychologique et spirituel. La pauvreté est la situation de l’homme qui désire ce qu’il n’a pas, la richesse, celle de l’homme qui se satisfait de ce qu’il a. «Tout est prévu et le libre arbitre est donné» est discuté dans les dixneuvième, vingtième, vingt et unième et vingt-deuxième causeries. Cette sentence du Traité des Pères exprime l’une des questions qui ont tourmenté l’être humain dans la pensée philosophique et la foi religieuse: «Tout est prévu et le libre arbitre est donné». Ce sont les mots de Rabbi Akiba. R. Ovadia de Bertinoro enseigne que tout ce que l’homme fait en secret est dévoilé devant Dieu et le libre arbitre lui est accordé de faire le bien et le mal. R. Hénoch Albeck: «…tout est connu d’avance devant Dieu». La question du libre arbitre se pose avec vivacité. La connaissance qui est celle de Dieu est vraie. Comment exiger d’un homme un acte particulier ou lui en imputer la responsabilité, si cet acte est fixé dans la connaissance de l’Éternel? Une obligation religieuse ou morale doit être réalisable, sinon elle est vide de sens. Peutêtre un tel impératif, même impossible à tenir, a-t-il toutefois du sens? Le problème de la connaissance et celui du libre arbitre sont associés à celui de la Providence ainsi qu’à la pertinence de la récompense et de la punition divines. Une question philoso-

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phique se pose dès que l’on utilise les concepts de la causalité. Du point de vue de ces concepts, qui forment la pensée déterministe, cette question de la connaissance et du libre arbitre est soulevée même si l’on ne reconnaît pas que cette connaissance est celle d’un sujet. Il n’y a pas de différence entre la connaissance d’une conscience subjective qui a une connaissance vraie et la connaissance incluse dans l’information objective inscrite dans l’enchaînement causal des phénomènes. Le concept de libre arbitre présente aussi des difficultés d’un point de vue épistémologique. Certains penseurs ont soutenu l’idée que l’être humain ne pouvait penser les événements sans le concept de la cause. Nous ne pouvons distinguer que deux modalités de la réalité: celle du nécessaire, parce qu’elle comporte une cause à son existence, et celle de l’impossible, parce qu’il n’y a pas de cause à son existence. Nous ne pouvons nous représenter ce qui serait contingent jusqu’au moment où la décision s’impose avec l’événement. Y. Leibowitz précise qu’il ne discutera du déterminisme et du libre arbitre que dans sa manifestation religieuse. Maïmonide, dans son commentaire des propos de R. Akiba, affirme que tout ce qui existe est connu de Lui et Il en dispose, mais sa connaissance des faits n’entraîne pas de nécessité. L’homme jouit du libre arbitre. Maïmonide conclut en faisant référence au traité des «Huit chapitres» qui sert d’introduction et de préface au Commentaire du traité des Pères. Il montre la façon dont il résout la contradiction entre la connaissance divine et le libre arbitre dans ce dernier et revient sur cette méthode dans le cinquième chapitre du Livre de la Connaissance du Michné Torah. La discussion du sujet se trouve dans le Guide des égarés. Il se peut que l’homme ne soit pas libre au sens où il pourrait décider de choisir entre le bien et le mal, mais il est libre de tendre vers une telle décision. La foi religieuse se révèle dans la reconnaissance que l’homme a de sa mission, servir Dieu, pour lequel il déploiera des efforts incessants, même s’il ne peut atteindre ce but. L’auteur limite le libre arbitre de l’homme, admettant qu’il n’a en rien l’assurance de surmonter sa nature par sa volonté. Mais, qu’est-ce qui détermine le désir de cet effort? Le souhait ou le refus de l’homme de dominer ses pulsions provient-il de sa nature? On distingue deux conceptions de la volonté: le «cœur», qui symbolise les pulsions, évoqué dans la sentence «Les méchants sont dominés par leur cœur, mais les justes dominent leur cœur», et l’être qui serait «la nature de l’homme». Faut-il définir la liberté de vouloir comme liberté à l’égard d’une contrainte exercée de l’extérieur et reconnue comme telle? Si telle est la réponse, le problème ne prend pas en compte les débats intérieurs dans le domaine de la morale et de la foi. Si le concept de liberté signifie la possibilité d’agir selon sa volonté, la volonté ne devientelle pas une donnée existant en soi qui peut dominer ce qu’on appelle le cœur? Ou le libre arbitre n’a-t-il de sens que subjectif, à savoir que l’homme n’est pas conscient de cette nécessité intérieure sous le pouvoir de laquelle il exerce sa volonté et considère celle-ci par erreur comme l’origine du processus qui le guide? La liberté n’est alors que la conscience de la liberté. La volonté de l’homme est séparée de sa nature et cette volonté est la force du juste qui maîtrise son cœur, une volonté à laquelle Y. Leibowitz attribue une force objective qui ne peut être trouvée dans cette réalité. C’est la conception de Maïmonide: libre arbitre dans un univers de déterminisme naturel. R. Chasdaï Crescas réduit la liberté à la subjectivité humaine et l’assujettit au système du déterminisme général de la création divine. Mais, la conception déterministe ne constitue pas dans le judaïsme une mise en question de la foi religieuse et de la morale. Dans les vingt-troisième et vingt-quatrième causeries, l’auteur appro-

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fondit «Connaissance, libre arbitre et providence». Au quatrième chapitre du traité, Éléazar Hakapar expose: «Malgré toi tu as été créé, … malgré toi tu vis, malgré toi tu meurs, malgré toi tu auras à rendre compte devant le Roi des rois…». Le parcours d’une vie humaine semble procéder d’une décision divine où le libre arbitre est absent. Maïmonide rappelle que l’homme n’a pas de choix, il élargit toutefois l’idée de «crainte du Ciel» exprimée par les Sages à ce propos («Tout est entre les mains du Ciel, sauf la crainte du Ciel») jusqu’à y inclure tous les actes de l’homme. Il présente l’activité volontaire de l’homme comme une antithèse de la nature, discerne les événements qui se produisent — la providence générale — des actes de celui-ci. Sa faculté d’agir selon sa volonté et non en raison des impératifs de son tempérament, est à ses yeux la plus grande des merveilles de la création, en elle se révèle le fondement divin de l’homme. On établit une différence entre providence générale et providence particulière. La relation de Dieu à sa création et à ses créatures est comprise de façon fonctionnaliste. Il incombe à l’individu d’acquérir pour lui-même la providence particulière. «La foi de Maïmonide» dans les vingt-cinquième et vingtsixième causeries. Le principe de la foi de Maïmonide est que le statut de l’homme face à Dieu consiste en ce qu’il peut atteindre Dieu et lui rendre un culte. Il ne consiste pas en ce que l’homme reçoit de Lui. La méthode par laquelle Maïmonide résout ce qui apparaît comme une contradiction entre la croyance en la Providence et l’idée du libre arbitre est audacieuse. Il est difficile d’admettre que le choix volontaire de l’homme échappe au pouvoir de la causalité générale. Maïmonide affermit sa position en attribuant le déterminisme à la volonté de Dieu qui a accordé le libre arbitre à l’homme et qui connaît. Le libre arbitre entre en conflit sur le plan de la foi religieuse avec la supposition de la connaissance de Dieu. Mais, d’après ce philosophe, nous n’avons pas à prêter à Dieu une connaissance dans le sens qu’elle a comme concept humain. Toute notion empruntée à la conscience humaine devient, dès qu’elle est mise en rapport avec Dieu, un attribut matériel. Ce qui existe provient de la connaissance de Dieu, et nous ne pouvons concevoir celle-ci parce qu’elle est en Lui.. Dans les vingt-septième et vingt-huitième causeries, l’auteur commente «Si je ne suis pour moi, qui est pour moi?». Cet énoncé célèbre suivi de «Et quand je suis pour moi-même, que suis-je? Et si ce n’est maintenant, quand?» est souvent tenu pour un proverbe. On le doit à Hillel l’Ancien. Alors que sa signification paraît simple, penseurs anciens et chercheurs modernes en donnent plusieurs explications. Certains exégètes relient cette sentence avec la précédente qui porte sur l’étude de la Torah. Maïmonide pense «Si ce n’est pas moi-même qui éveille mon âme vers le haut, qui l’éveillera, car je n’ai pas d’éveilleur extérieur». «Quand je suis pour moi» pourrait vouloir dire «quand je m’examine moi-même». Sur «Si ce n’est maintenant, quand?», le commentateur distingue deux étapes de la vie: la jeunesse et la vieillesse. «Maintenant», c’est-à-dire la jeunesse; ce que je ne fais pas dans la jeunesse, je n’aurai pas la force de le faire dans la vieillesse. R. Hénoch Albeck dit: «Si je n’agis pas pour améliorer ma conduite, qui le fera pour moi? Et même si je le fais pour moi-même, à quoi puis-je parvenir, puisque je suis imparfait?» Selon l’interprétation de la relation à l’étude de la Torah, «si ce n’est maintenant, quand?» doit être compris comme s’y référant avec précision. Y. Leibowitz soumet au lecteur d’autres interprétations de commentateurs contemporains. Celle de R. David Tsvi Hoffmann, traducteur du traité en allemand. Il a la même compréhension que Maïmonide du premier tiers de la maxime, mais introduit pour le deuxième tiers de celle-ci un autre

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sens: «…Si je n’ai fait d’effort qu’en ma faveur et non en faveur des autres, ce que j’ai fait n’a aucune valeur». Il veut parler de la Torah qui doit être enseignée. La dernière interprétation retenue est celle du Gaon de Vilna qui met l’accent sur l’inaptitude de l’homme à se perfectionner sans l’aide de Dieu. «Effort et résultat, moyens et finalité» sont étudiés dans les vingt-neuvième et trentième causeries. Le traité se conclut par une courte sentence de trois mots araméens d’un sage nommé Ben Hé-Hé: «Selon la peine, le salaire». L’effort et la fatigue sont la rétribution. Ces mots succèdent à une autre sentence d’un sage du nom de Ben Bag-Bag qui concerne l’étude de la Torah. Certains pensent que la sentence de Ben Hé-Hé se rapporte à celle de Ben Bag-Bag. La peine, l’effort et la fatigue dans l’étude de la Torah, telle est la rémunération. D’après Maïmonide, le salaire dépend de la peine prise dans l’étude de la Torah. On peut élargir la signification des trois mots araméens et appliquer la fin du traité à toutes les actions humaines qui visent à atteindre une valeur quelconque. Est posé le problème de la fin et des moyens. De nombreux penseurs ont réfléchi sur la valeur de l’effort entrepris quand l’objectif recherché reste inaccessible. Le Rav Kook, dans Les Lumières de la repentance, écrit que l’origine de la perfection de l’homme réside dans la nostalgie et le désir de la perfection. La repentance ne réside pas dans le degré de perfection de cette repentance mais dans le combat pour y parvenir. Ben Hé-Hé, par cette sentence, s’efforce d’écarter l’idée que le salaire est fonction du résultat. L’effort pour parvenir au but compte uniquement. Enfin, l’auteur répond à quelques questions d’auditeurs. La trente et unième causerie est consacrée à «L’amour de la Torah». Le sixième chapitre des Aphorismes des Pères a été rattaché au traité mishnique à partir d’autres sources talmudiques et midrashiques. Le sens du concept de Torah est fonctionnel. S’occuper sans cesse de cette discipline jusqu’à ce qu’elle modèle la personnalité du sujet. Cette orientation s’exprime ici sur le plan de l’émotion, se mêlent enthousiasme et désir. La grandeur de la Torah y est décrite. Mais, c’est l’amour de la Torah qui est présenté. L’auteur met en correspondance ce chapitre avec un témoignage littéraire des Sages sur le Cantique des Cantiques, le Midrash rabba, appelé Midrash Hazit. Le midrash admet que l’amour du jeune homme et de la jeune femme du Cantique est une parabole de la relation entre Dieu et Israël. L’amour pour Dieu dans le cœur d’un homme juif est identifié avec son amour pour la Torah, le souhait qu’il a de la connaître et le dévouement dont il fait preuve dans sa réalisation. Cette étude est une expression élevée du rapport du juif à Dieu. En posant les questions essentielles proposées par les Pirqé Avot et en y répondant, Y. Leibowitz «redéfinit les fondements du judaïsme». L’auteur insiste sur la nécessité d’une prière désintéressée. Mais le problème qui le retient le plus longuement est celui de la liberté humaine. Le savant orthodoxe a un projet de vulgarisation dans le respect du texte, les conférences sont destinées à un assez large public israélien. Élisabeth COUTEAU

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Moshe BAR-ASHER, Chaim E. COHEN (éd.). — ‫ מחקרים בלשון מוגשים‬.‫משאת אהרן‬ ‫«( לאהרן דותן‬Mas’at Aharon. Linguistic Studies Presented to Aron Dotan»), Jérusalem, The Bialik Institute, 2009, 54 + 644 + ‫( *יג‬anglais et français) + VII (anglais) pages. A. Dotan est né à Stuttgart en 1928; ses parents gagnèrent la Palestine quand il avait cinq ans. Il participa activement à la Guerre d’indépendance de l’État d’Israël puis revint à ses études d’hébreu, de Bible et littérature hébraïque, d’arabe et de langues sémitiques et de pédagogie à l’université du Mont Scopus à Jérusalem. En qualité de secrétaire scientifique du Comité de la langue hébraïque (1951), puis de l’Académie de la langue hébraïque qui en prit la suite, il fut secrétaire de nombreux comités de terminologie et de grammaire, d’orthographe et de translittération et contribua à la méthodologie, à la réglementation et à l’établissement de liens étroits avec la société et la presse. Il devint membre de plein exercice de l’Académie en 1971. Attaché à la jeune université de Tel-Aviv à partir de 1961, professeur ordinaire en 1973, il y enseigna, ainsi qu’au département d’hébreu de Bar-Ilan, jusqu’en 1996. Outre un enseignement très varié, en langues sémitiques, inscriptions cananéennes, Bible, araméen biblique, grammairiens médiévaux, hébreu moderne, massore, vocalisation, accentuation, il assuma diverses fonctions dans l’administration universitaire et dans de multiples institutions. À l’étranger, il enseigna à la Sorbonne, à Yale et à Queen’s College et fut membre de plusieurs instituts de recherche dont le C.A.T.A.B. de Lyon et la Deutsche Bibelgesellschaft. Son domaine de recherches de prédilection est la massore et les débuts de la grammaire hébraïque; son premier livre, tiré de sa thèse de doctorat qu’avait dirigée le Prof. Z. Ben-Îayyim, fut l’édition critique du Sefer diqduqey ha-†e‘amim d’Aaron Ben-Asher; sa principale contribution, l’édition, précédée d’un volume d’introduction et accompagnée d’une traduction en hébreu, du Sefer ÒaÌut ha-lason de Sa‘adia, sous le titre de Or ri’son be-Ìokhmat ha-lason. On lui doit encore, notamment, la réfutation de la thèse jusqu’alors admise de l’appartenance de Ben-Asher au karaïsme, l’édition de la bible de Léningrad attribuée à Ben-Asher, l’article «Massorah», aux dimensions d’un livre, dans le t. 16 de l’Encyclopaedia Judaica (1). Enfin, il a formé des générations d’enseignants aux niveaux secondaire et universitaire. Une liste des publications d’A. Dotan, établie par N. Basal, se trouve aux p. 1-10; on y compte encore un livre et six articles sous presse, signes d’une activité qui ne se dément pas et que nous espérons longue encore. L’ouvrage compte quatre sections en hébreu et une section en anglais et en français; par commodité nous citons les titres des articles en hébreu dans leur traduction anglaise. La section biblique et sémitique comprend les articles de J. Blau, «On Two Consecutive Mobile S¢was», p. 13-24; H. Cohen, «Medieval Exegesis of Genesis and Modern Biblical Philology: Part Two», p. 25-46; D. Sivan, «The Internal Passive of G-Stems in Northwest Semitic Languages», p. 47-56; E. Qimron, «The Adjectival Suffix ‫יון‬- in Ancient Hebrew», p. 57-60. La section d’hébreu michnique, de langue liturgique et d’araméen comprend: G. Birnbaum, «The Vocalization of ‫ ל‬in the Particle -‫ של‬in MS Kaufman of the Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360. doi: 10.2143/REJ.170.1.2126649

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Mishna», p. 63-74; I. Ben-David, «Biblical ‫»ה ְר ֵבּה‬, ַ p. 75-91; M. Bar-Asher, «The Mishnaic Noun Pattern ‫»פּע ֶֹלת‬, ְ p. 92-101; I. Gluska, «The Daily Amidah Text According to Siddur Rav Sa‘adia Gaon», p. 102-125; A. Dodi, «The Reading Tradition of Biblical and Post-Biblical Words in Catalonian MaÌzorim», p. 126-138; A. Tal, «Geniza Fragments of the Targum to Esther», p. 139-171; Ch. E. Cohen, «Pu‘al and Huf‘al Particles in Mishnaic Hebrew», p. 172-188; M. Florentin, «Another Prayer of the Samaritan Ab Isdå of Tyre», p. 189-195; M. A. Friedman, «‫גיניי‬ ‫ גנונית גנונייה‬,‫ גנתה גננה‬,‫[ »גינייה‬le nom grec de la «femme», le «jardin» et le «dais nuptial» en araméen dans Bere’sit Rabba 18,4, Theodor-Albeck p. 164-165], p. 196200; S. C. Reif, «A Genizah Fragment of the Grace after Meals: a Textual, Theological, and Liturgical Study», p. 201-217; Sh. Sharvit, «The Interchange of ‫פ‬-‫ ב‬in Mishnaic Hebrew», p. 218-243. Section de massore, d’accentuation biblique et d’hébreu médiéval: N. Basal, «The Attribute in a Judeo-Arabic Adaptation of Ibn Jinni’s Al-luma‘ fi al-‘Arabiyya», p. 247-260; D. Becker, «The Use of Augmentative Letters by Medieval Hebrew and Arab Grammarians», p. 261-279; M. Breuer (‫)ז״ל‬, «Mobile and Quiescent S¢wa according to the Rules of Biblical Accentuation», p. 280-288; R. Hazon, «Sefer Tiqqun Shegagot: its Author and Other Issues», p. 289-304; R. HitinMashiah, «A New Solution to a Riddle Poem about Biblical Accent Names», p. 305-315; Y. Tobi, «Lexical Elements in Sa‘adia’s Biblical Commentaries», p. 316-357; A. Maman, «New Fragments from R. Isaac Ibn Barun’s Kitab al-Muwazana», p. 358-391; Y. Ofer, «A Babylonian List of Open and Closed Parshiyot in the Pentateuch», p. 392-434 [avec une édition]; M. Fruchtman, «Medieval Hebrew Poet-Philologists», p. 435-441; M. Ryzhik, «Fifteenth-Century Hebrew Letters from Tuscany», p. 442-452; N. Reich, «A Linguistic Midrash and Masoretic Comment in Kitab al-Tajnis», p. 453-468; R. Shoshany, «The Original Purpose of Biblical Accentuation», p. 469-486; R. Steiner, «PataÌ and QameÒ: On the Etymology and Evolution of the Names of the Hebrew Vowels», p. 487-497; E. Schlossberg, «The Commentaries of Rav Sa‘adia Gaon in the Late Yemenite Midrashim», p. 498-521. Hébreu moderne: I. Eldar, «The Revival of Spoken Hebrew», p. 525-544; E. Borochovsky, P. Trommer, «Dictionary Definitions of Words Belonging to Different Parts of Speech», p. 545-564; D. Doron, «A Syntactic Study of the Palestinian Authority’s Hebrew Publications», p. 565-589; Sh. Izre’el, «From Speech to Syntax: from Theory to Transcription», p. 590-610; I. Zadka, «From ‫ ִענְ דו‬to ‫»ענְ דוֹיאהּ‬, ִ p. 611-618; O. (Rodrigue) Schwarzwald, «Historical and Foreign Influences on the Development of Hebrew», p. 619-629; Y. Shlesinger, «Adjective Distribution in Persuasive Discourse», p. 630-644. Partie anglaise et française: G. Khan, «The Pronunciation of S¢wa with Ga‘ya in the Tiberian Tradition of Biblical Hebrew», p. 3*-18*: A. Sáenz-Badillos, «Abraham Ibn Ezra and Sa‘adia on Hebrew Grammar», p. 19*-32*; M. Serfaty, «Lettres fermées au regard de la Massora et de la Halaka», p. 33*-45*; J. Ribera-Florit (‫)ז״ל‬, «The Babylonian Tradition of Targum Ezekiel», p. 46*-54*. – Pas d’index. L’ensemble est riche et varié et plus d’un titre laisse entendre que la consultation de ce volume sera profitable, hors les études de langue strictement dites, également à des exégètes, des liturgistes, des historiens. Jean-Pierre ROTHSCHILD

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Anita NORICH, Yaron Z. ELIAV. — Jewish Literatures and Cultures. Context and Intertext, Providence, Brown University, 2008, XI + 260 pages («Brown Judaic Studies», 349). Comme le précise l’introduction d’A. Norich, le présent recueil d’études est animé de la conviction qu’il existe bien une culture juive, au-delà de sa diversité historique et géographique et de ses liens profonds avec l’environnement non-juif. Quatre contributions portent sur la culture juive antique (1 à 4), les huit autres concernant la culture juive moderne et contemporaine, cinq de manière générale (5 à 8 et 11) et trois centrées plus spécifiquement sur la littérature (Essai d’ouverture, 9-10). Nous allons présenter successivement ces trois groupes d’études (I, II et III). I. Dans un étude stimulante (1), M. L. Satlow critique une démarche historique essentialiste, encore trop fréquente chez les antiquisants, axée sur les concepts de «judaïsme» et d’«hellénisme», conçus comme des ensembles culturels aux limites claires, dont les relations mutuelles sont analysées en termes d’influence et de phénomènes syncrétiques. Il propose une approche plus modeste de la documentation, qui part non du judaïsme mais des juifs, c’est-à-dire des communautés juives locales, dont les conceptions et les pratiques doivent être interprétées d’abord dans leur environnement immédiat et non d’emblée à partir des grands corpus de référence (Philon, Talmud …). Selon G. Boccaccini (2), le judaïsme hellénisé est à la fois un mythe et une réalité. Il est un mythe si on le conçoit comme l’opposé d’un judaïsme qui serait pur de toute influence grecque (celui de la terre d’Israël ou celui des rabbins). La notion d’un judaïsme hellénisé, distinct des autres judaïsmes, reste cependant pertinente, si l’on désigne par là le «mouvement (…) le plus directement engagé dans un dialogue conscient avec la culture hellénique». Dans cette mouvance du judaïsme, le motif de la sagesse, issu de Pr 8, joue un rôle central. M. Himmelfarb (3) s’intéresse au premier livre des Macchabées qui, contrairement au deuxième, est généralement considéré comme peu affecté par la culture hellénistique. Même si 1 Mac s’inspire de l’histoire deutéronomiste, il ne critique jamais ses protagonistes principaux (Juda et Simon Macchabées) et il valorise surtout leur gloire et leur héroïsme militaires, à la manière grecque. L’auteur du livre a eu connaissance de ce modèle «héroïque» soit en lisant directement les historiens grecs, soit de manière plus indirecte, par les inscriptions de certaines cités hellénistiques ou par le langage diplomatique. Y. Z. Eliav (4) revient sur un sujet maintes fois abordé, celui du rapport des rabbins aux statues, fort nombreuses dans un certain nombre de villes en Palestine romaine. Ce rapport peut être très variable selon l’identité de la statue et la fonction qu’elle assure. Plusieurs traditions s’accordent à ne rejeter que les statues qui ont une fonction cultuelle explicite. Cette définition cultuelle du paganisme n’est pas simplement une idéologie propre aux rabbins qui leur permet de vivre dans un environnement païen, puisqu’elle a des parallèles dans la culture hellénistique. II. Pour S. Baron, le ghetto n’était pas qu’une contrainte extérieure, mais il avait été aussi voulu par les juifs dans leur propre intérêt. R. Bonfil a montré la justesse de cette vue pour l’Italie moderne, où la période du ghetto a été marquée par une grande vitalité culturelle (influence plus nette de la Renaissance et de la culture chrétienne, développement de la kabbale, rencontres et débats accrus entre juifs de

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diverses origines). À la suite de ces deux auteurs, D. B. Ruderman (5) voit dans le ghetto italien, notamment le premier d’entre eux, celui de Venise, à la fois un microcosme qui reflète l’évolution de la culture juive moderne dans toute l’Europe et un des acteurs majeurs du façonnement de cette même culture. M. Rosman (6) présente les cinq modèles historiographiques qui traitent du judaïsme polonais à l’époque moderne. Dans les deux premiers modèles (celui qui est antérieur à la Shoah et celui qui a une orientation sioniste), la culture juive polonaise est surtout perçue comme juive. Le troisième modèle (celui de l’école américaine ancienne) pose au contraire clairement l’existence de deux pôles distincts, le pôle juif et le pôle polonais, en interaction variable l’un avec l’autre. Le quatrième modèle (celui de l’école américaine récente) insiste plus encore sur l’imbrication de la culture juive polonaise dans la culture polonaise, souvent perceptible en profondeur, quand elle ne l’est pas en surface. Il a l’aval de l’A. Le cinquième modèle est celui de l’hybridité en contexte colonial ou du juif dissonant dans tout contexte culturel, qui suscite chez l’auteur des réserves importantes. K. P. Bland (7) décrit une conception, présente chez des personnalités intellectuelles variées (G. Scholem, Y. Yerushalmi, F. Rosenzweig, G. Janouch), qui voit dans la littérature la quintessence de la culture ou de la religion juive et qui dévalorise les arts visuels. Même un auteur comme Kafka, «optique par nature», estime que les juifs ne sont pas peintres mais raconteurs d’histoires. Cette conception est cependant contredite par de nombreux exemples (les dessins de Spinoza, l’importance de l’iconographie dans la kabbale…). Un personnage de Sholem Aleichem, Motl, se heurte à l’hostilité de sa famille envers la peinture, mais cette hostilité finit par être levée. Selon G. Safran (8), avant la révolution de 1917, les intellectuels juifs d’Europe de l’Est, notamment russes, veulent tous créer une culture juive séculière et moderne mais ils sont en désaccord sur l’identité de la langue qui doit être le moyen d’expression de cette culture. Dans la revue Evreiskii mir (Le monde juif), en 1910, ils débattent d’abord des mérites comparés de l’hébreu et du yiddish puis du yiddish et du russe. Le cas de S. An-sky, partisan du russe, montre que les positions des uns et des autres sont loin d’être univoques, puisqu’il a tenté de faire de sa femme russophone une actrice jouant en yiddish et qu’il écrivait à S. Niger, partisan de cette langue: «nous avons les mêmes aspirations». Dans une perspective assez proche, N. Seidman (11) s’interroge sur les raisons qui ont poussé son père à ne pas traduire à des gendarmes français un discours qu’il venait de prononcer en yiddish devant un groupe de réfugiés juifs («je suis juif, vous n’avez rien à craindre») et d’opter plutôt pour un nouveau discours («je leur ai dit qu’ils arrivaient dans la terre natale de la liberté»). Même s’il s’agit d’un discours stratégique en face du pouvoir, il montre surtout qu’une traduction dépend toujours du contexte dans lequel elle est produite et que, faite à la fois de répétition et de différence, elle est un phénomène central de créativité culturelle. Le récit reflète aussi le rapport fondamental des juifs à la traduction, qui exprime un certain refus de la transparence, le juif étant celui qui, par excellence, n’est pas traduisible. III. D. Miron (Essai d’ouverture) traite des théoriciens de la littérature juive d’avant la création de l’État d’Israël. Vivant à une époque de fragmentation à la fois culturelle et littéraire, ils tentent au contraire de concevoir l’histoire de la littérature juive, notamment hébraïque, sous l’angle de la continuité. L’un des plus importants de ces historiens, D. Sadan, donne même à cette continuité une formulation à la fois hégélienne et freudienne. Or, cette continuité est loin d’être évidente, comme le

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montre la fausse analogie entre le bilinguisme pratiqué au Moyen Âge (hébreu/ arabe), qui est fonctionnel, et celui de l’époque contemporaine (hébreu/yiddish) qui ne l’est pas. L’A. propose pour cette raison de passer du modèle de la continuité à celui de la contiguïté. S. Pinsker (9) s’interroge sur la naissance de la fiction hébraïque moderne, souvent conçue comme un processus de libération par rapport aux contraintes formelles et idéologiques des textes religieux classiques. Les écrivains classés dans le courant anti-NusaÌ (le terme NusaÌ désignant le bon style hébreu, tel que H. N. Bialik l’a défini) sont loin de vérifier cette conception. U. N. Gnessin emploie le verbe haya suivi du participe actif, typique du style de la Mishna, la figure rabbinique de la ma†ronita et la formule «il n’y a pas d’endroit sans lui», qui dans la tradition qualifie la Shekhina et qu’il applique au vide existentiel de l’homme moderne. D. Fogel décrit le monde des travailleurs, dont il se sent exclu, en termes à la fois rabbiniques et modernes (y compris antisémites avec le juif improductif et efféminé). D. Baron, qui n’a été perçue comme moderne qu’il y a peu, se montre subversive à l’intérieur même de la culture rabbinique, avec la lutte d’un de ses personnages pour placer la teÌinne(a) de sa mère dans une geniza. J. Levinson (10) enfin souligne l’influence du modèle culturel judéo-allemand sur les écrivains juifs américains, avec l’Essence du judaïsme de L. Baeck (E. Lazarus), la tendance à parler d’esprit national juif et à l’identifier à la morale, présente notamment chez H. Graetz (L. Lewisohn), l’opposition du juif naturel et du juif surnaturel et l’histoire ouverte au salut messianique de F. Rosenzweig (A. Cohen), le judaïsme comme religion classique opposée à l’idolâtrie de L. Baeck (C. Ozick) et la préservation de l’identité juive à travers un conflit avec le milieu environnant (C. Potok). Le recueil est donc de grande qualité, en particulier par les passages consacrés au rapport complexe de la culture juive à la notion d’universel, notamment dans le phénomène de la traduction. On peut cependant regretter l’absence de l’époque médiévale ainsi que la prépondérance presque exclusive du monde ashkénaze, même si la provenance de l’ouvrage l’explique en partie. José COSTA Francesca CALABI. — Storia del pensiero giudaico ellenistico, Brescia, Ed. Morcelliana, 2010, 286 pages. Francesca Calabi, professeur à l’Université de Pavie, s’est fait connaître depuis plusieurs années par ses publications en langue italienne sur la littérature juive de langue grecque. C’est ainsi qu’elle a offert successivement au public italien des traductions du De Decalogo de Philon d’Alexandrie (éd. ETS, 2005), du Contre Apion de Flavius Josèphe (1993 et 2007), de la Lettre d’Aristée à Philocrate, une étude sur la pensée de Philon: Linguaggio e legge di Dio, interpretazione e politica in Filone di Alessandria (Ferrare, Corso, 1998) aussitôt traduite en anglais (Scholars Press, 1998), les actes d’un colloque intitulé La rivelazione in Filone di Alessandria, natura legge, storia (Pazzini, 2004, en collaboration avec Angela Maria Mazzanti). Elle anime également avec Robert Berchman les Studies in Philo of Alexandria and Mediterranean Antiquity dont le volume I publié par ses soins, Italian Studies on Philo of Alexandria (Brill, 2003) réunit neuf contributions qui illustrent l’intérêt porté aux études philoniennes en Italie.

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Son dernier ouvrage, Storia del pensiero giudaico ellenistico, inclut dans son étude non seulement les écrits juifs en langue grecque — tous de provenance alexandrine — , mais également des œuvres de nature diverse écrites en hébreu et en araméen aussi bien qu’en grec, étalées sur quatre siècles, dont certaines proviennent d’une Judée plus ouverte qu’on ne le croit généralement à l’influence grecque. Tirant les conséquences de la définition donnée par Hengel du judaïsme hellénistique, l’auteur nous oblige ainsi à réviser la conception courante de la littérature dite «judéo-hellénistique». La classification des œuvres adopte certains partis pris originaux: ainsi de traiter ensemble des quatre livres des Maccabées malgré les écarts chronologiques, ou d’extraire la Règle de la guerre du chapitre sur Qumran pour la replacer dans son environnement apocalyptique ou encore d’inclure Jésus et les écrits pauliniens dans la pensée judéo-hellénistique. Le dernier chapitre (ch. 9) est complété par une étude du mouvement chrétien due à Romano Penna (p. 195-230). On appréciera dans plusieurs chapitres l’addition d’un petit paragraphe sur la destinée toujours surprenante des œuvres évoquées. Ce livre, qui n’a pas d’autre prétention que d’être un ouvrage pédagogique, invite à des lectures plus spécialisées grâce à l’abondante bibliographie placée à la fin de chaque chapitre. Il constitue une introduction à la fois simple et non conformiste à un vaste pan de la littérature antique. Mireille HADAS-LEBEL Yehudah B. COHN. — Tangled Up in Text. Tefillin and the Ancient World, Providence, Brown University, 2008, XI + 202 pages («Brown Judaic Studies», 351). Le sujet traité par l’A. est celui de l’histoire ancienne d’une pratique juive, celle des tefillin, pluriel d’un terme qui signifie aussi prière (tefilla). Les tefillin consistent en deux boîtes de forme cubique, où l’on place un ou des parchemins qui contiennent les versets suivants: Dt 6, 4-9 et 11, 13-21 (c’est-à-dire les deux premières parties du shema‘ Yisra’el), Ex 13, 1-10 et 11-16. L’une de ces boîtes est destinée à être fixée sur la tête et l’autre sur le bras gauche. À l’heure actuelle, elles sont portées uniquement lors de la prière du matin. L’A. s’interroge d’abord sur les passages scripturaires que contiennent les tefillin et qui sont censés fonder cette pratique. Ex 13, 9 parle d’un «signe», qui est certainement la consécration du premier-né. Dt 6, 6 demande «que ces paroles (…) soient sur ton cœur». Le verset n’indique pas très clairement de quelles paroles il s’agit. Il prescrit manifestement un effort de mémoire, ce qui a deux conséquences: il n’est pas question d’écrire les paroles et l’acte de placer sur le cœur est purement métaphorique. Le sens du mot †o†afot, employé dans Ex 13, 16, Dt 6, 8 et 11, 18, en parallèle avec celui de «signe», est problématique (désigne-t-il un bandeau? un pendentif?). Le lien des tefillin avec ces versets est donc tout sauf évident et il est largement tributaire de l’exégèse qui en a été faite bien après l’époque de leur rédaction. Selon certains commentateurs, la Septante, la Lettre d’Aristée ou encore Philon d’Alexandrie seraient les premières attestations littéraires de la pratique des tefillin, mais aucun de ces textes n’est parfaitement convaincant, soit parce que le mot †o†afot

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n’est pas compris (pour la Septante, c’est un adjectif: «mobile» ou «immobile», selon les versions), soit parce que la mention de la main est purement symbolique (Lettre d’Aristée, Philon), soit parce que les «paroles» sont associées aux portes sur lesquelles il faut les placer et non au signe sur la main (Lettre d’Aristée). Flavius Josèphe et le Nouveau Testament sont des témoins plus fiables, le premier paraphrasant les versets de Dt 6, 8 et 11, 18 avec les mots «bras» et «tête», le deuxième employant le terme phulakterion qui semble désigner les tefillin, ce qui est confirmé par la Peshi††a. Dans la littérature tannaïtique, les tefillin apparaissent comme un usage déjà bien établi, susceptible même de fonder d’autres pratiques, comme l’exemption des femmes de tous les commandements liés au temps. Les passages qu’elles contiennent sont semblables à ceux d’aujourd’hui. Les tefillin peuvent être portées toute la journée et plutôt à l’extérieur de la maison (au travail par exemple), d’où l’interdiction de les porter le jour du shabbat. Au contact du corps, elles sont susceptibles de contracter et de transmettre l’impureté rituelle. Les non-juifs ont l’autorisation de vendre les tefillin et même de les écrire, certainement dans le but de briser le monopole des scribes, mal perçu par les rabbins. Du mot «signe» employé au singulier, ceux-ci déduisent l’obligation d’écrire tous les textes sur un seul parchemin pour les tefillin du bras. Plusieurs textes montrent que la pratique des tefillin n’est pas propre aux juifs du courant rabbinique et que les normes des rabbins n’étaient pas suivies par tous. Certains placent les dix commandements dans les tefillin ou divisent la tefilla en cinq compartiments ou, lisant la Tora de manière plus littérale, placent les tefillin sur le front et la paume. La Mishna cite «ceux qui disent: il n’y a pas de tefillin». Les ‘amme ha-areÒ étaient réputés ne pas les porter, même si d’autres traditions les mentionnent comme des acheteurs de tefillin. On rapporte le cas de femmes portant les tefillin, même si une pratique parallèle existait peut-être pour elles, appelée du nom de †o†afot. Il est possible que le papyrus Nash, qui date du IIe siècle avant notre ère et qui contient le texte des dix commandements ainsi que celui de Dt 6, 4-5 ait un lien avec les tefillin. Les exemplaires les plus anciens de tefillin remontent à la même époque et ont été trouvés à Qumran. Les boîtes contenant les tefillin de Qumran ont une forme généralement rectangulaire. Quatorze de ces boîtes sont divisées en quatre compartiments (= tefillin de la tête), neuf en un compartiment (= tefillin du bras), deux enfin en trois compartiments (=?). Cinq d’entre elles contenaient les parchemins qui permettaient de les identifier comme tefillin. Il n’est pas toujours aisé de distinguer un parchemin de tefilla et de mezuza, même quand des passages du livre de l’Exode sont cités. L’A. fournit à ce sujet plusieurs critères de distinction (p. 60-62). On retrouve généralement dans les parchemins de tefillin les trois groupes de versets connus par la tradition rabbinique ultérieure, mais taillés plus large. D’autres «anomalies» sont à noter (la citation de Dt 32 ou d’extraits du décalogue dans la version d’Ex 20; l’omission de certains versets, due dans certains cas au désir d’éviter des répétitions; huit parchemins sur douze placent les versets de Dt avant ceux d’Ex; là où la tefilla est divisée en quatre compartiments, chaque parchemin correspond uniquement à l’un des quatre passages scripturaires). Après 70, on a six parchemins de tefillin et une boîte qui ne diffèrent pas fondamentalement des prescriptions rabbiniques.

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Selon l’A., l’ensemble des données qu’il a présentées suggère fortement que les tefillin sont une sorte d’amulette. Il a été d’ailleurs précédé sur cette voie par d’autres auteurs comme E. Schürer et L. Blau. Les amulettes attachées sur le corps et contenant des inscriptions sont fréquentes dans le monde hellénistique et romain. Le terme de phulakterion, «moyen de protection», qui est employé en grec pour désigner les tefillin, conforte cette lecture magique de l’objet. Cette amulette a pour but d’inciter Dieu à se rappeler du fidèle et à lui garantir une longue vie. Elle est vraisemblablement liée au rituel du shema‘, lui aussi conçu de manière magique. L’hypothèse de l’A. permet de comprendre pourquoi certains versets ont été omis à Qumran (ils rappellent les commandements à accomplir pour bénéficier de la longévité, ce que l’amulette seule doit garantir) ou ajoutés (Dt 32 parle de longévité et juxtapose prédictions négatives et antidote écrit). Même si les rabbins n’appellent jamais la tefilla une amulette (qame‘a), l’hypothèse contribue aussi à éclairer quelques passages difficiles: les tefillin qui doivent être la propriété exclusive de leur utilisateur, le littéralisme de ceux qui les portent sur le front et la paume, l’interdiction de tefillin rondes et mal placées, l’obligation pour le père de «prendre» les tefillin pour les placer «sur son fils» quand celui-ci est assez grand pour commencer à s’en occuper, le fait enfin qu’ils sont portés vraisemblablement sur le lit de mort. Il est probable que les tefillin sont apparues à l’époque des Macchabées, caractérisée par une montée de l’alphabétisation et donc par une valorisation de l’écrit ainsi que par la mise en place de nouvelles pratiques. Comme le montrent les découvertes de Qumran, les tefillin n’étaient pas encore à l’époque l’objet de règles trop strictes et constituaient une pratique populaire plutôt que sectaire. Le livre de l’A. a donc le mérite de souligner à nouveau combien certains rituels que l’on considère naïvement comme rabbiniques ont une histoire complexe, témoignant de l’existence de plusieurs judaïsmes, avant comme après 70. José COSTA Israel M. TA-SHMA. — ‫ עיונים בספרות הרבנית בימי הביניים‬.‫כנסת מחקרים‬, t. IV, ‫ארצות‬ ‫ פרובנס ומאסף‬,‫«( המזרח‬Studies in Medieval Rabbinic Literature 4. East and Provence» [et compléments]), Jérusalem, Bialik Institute, 2010, ‫טו‬ + 416 pages. Quatrième et dernier volume d’une série dont deux ont déjà été signalés ici (RÉJ 164/1-2, 2005, p. 361-362 et 166/3-4, 2007, p. 576-577), introduit par quelques pages, d’abord parues en anglais, sur l’état et l’avenir des études sur la littérature rabbinique. La Provence est la dernière des cinq parties du monde juif que devait couvrir la série; les quatre chapitres de la deuxième section du présent livre lui sont consacrés: les commentaires de Rashi-Rif et de Rashi-Ro’sh; le recueil Se’elot u-tesubot min-ha-samayim et ses compléments; l’installation de sages provençaux en EreÒ Yisra’el; l’abrégé des Devoirs des cœurs par R. Asher b. Shelamiyah de Lunel. Le regretté Professeur Ta-Shma avait fait paraître en 1999 et 2000 deux volumes consacrés à la littérature exégétique et talmudique en se proposant un troisième volume portant sur le judaïsme oriental, dont on a recueilli ici, dans la première section, les éléments déjà prêts à sa mort, en sept chapitres dont cinq entièrement

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inédits; ils portent sur l’exégèse gaonique; introduction à la littérature d’exégèse du Talmud en Orient; Bagdad; les sages d’Alep; les voies interprétatives de R. Juda Almadari et le développement de l’exégèse sur le Rif; Fostat en Égypte et l’œuvre exégétique de Maïmonide; Maïmonide a-t-il eu une position révolutionnaire regardant l’étude du Talmud? [l’A. répond par la négative]; ainsi que l’écrivait I. Ta-Shma, l’étude du Talmud en Orient se caractérise par sa dépendance étroite des traditions gaoniques. Une troisième section comporte onze articles récents, certains de parution posthume, regardant Ashkenaz et ∑arfat, déjà traités dans le volume I: «Des parallèles qui ne se rencontrent pas: les écoles des tossafistes et l’environnement (pré)universitaire en France aux XIIe-XIIIe siècles»; une réponse de R. Isaac l’Ancien à propos du cas du dénonciateur: la portée de la aggadah dans la halakhah ashkenaze; «les sages ne rendent pas impur» [Midras Misley, 9]: halakhah et aggadah; «l’aveugle d’un œil est dispensé de paraître» [Îagiga 2b]: une derasah tannaïtique obscure et ses commentaires; les moments d’entrée et de sortie du shabbat: si la journée astronomique détermine aussi le changement de date; mentions de la mesure du temps dans la littérature rabbinique médiévale; l’anniversaire de naissance dans le judaïsme; l’interdiction de boire de l’eau à la tequfah et sa source; l’attention dans la prière et le début de la controverse sur les piyyu†im; ReyÌa milta [d’après PesaÌim 76ab; une évolution des décisionnaires, dans le sens de la permissivité, à propos de la contamination par l’odeur dans la cuisson]; sur le Smag, son abrégé et la littérature des abrégés. Une quatrième section comporte deux chapitres sur des aÌaronim (R. Jacob Josué Falk et son Peney Yehosu‘a; le Ga’on de Vilna, l’auteur du Sa’agat areyeh, le Peney Yehosu‘a et le ∑iyyun le-nefesh Ìayyah: pour l’histoire des nouveaux courants de la littérature rabbinique à la veille de la période de la haskalah); une cinquième, quatre études critiques sur des recherches contemporaines (la recherche sur la kabbale et la halakhah; J. Katz à propos de halakhah et kabbale; les Tosafistes d’E. E. Urbach; Yeynam de Î. Soloveitchik); une dernière, quatre hommages à d’autres savants (S. Lieberman, I. Twersky, E. Kupfer et Y. D. Gilat). Enfin, une quarantaine de pages sont consacrées à des sources relatives à l’enfance et à la jeunesse (deux cent trentehuit références). Ce volume, comme les précédents, est équipé d’une liste des sources primaires, une liste des lieux de publication initiale des études ici reprises et trois index des références, des personnes et des notions (un index général est en cours de préparation). C’est avec le même regret que pour les volumes antérieurs de ne pouvoir détailler ces études denses et fondamentales que nous refermons celui-ci. Jean-Pierre ROTHSCHILD Hillel GAMORAN. — Jewish Law in Transition. How Economic Forces Overcame the Prohibition against Lending on Interest, Hebrew Union College Press, Cincinnati, 2008, X + 196 pages. Le livre de l’A. porte sur la législation rabbinique en matière de prêt à intérêt, de l’époque tannaïtique à celle des AÌaronim. L’A. rappelle dans un bref chapitre que la Bible interdit cette pratique dans le cas du pauvre qui est dans le besoin et il précise ensuite la question qu’il va traiter et que la Bible n’aborde justement pas:

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qu’en est-il du prêt à intérêt dans le cadre de transactions commerciales entre juifs? Cinq domaines de la halakha sont successivement abordés: 1. le prêt de récoltes, 2. le paiement anticipé d’un produit, 3. l’achat à crédit, 4. les hypothèques et 5. les investissements. (1) Si quelqu’un emprunte une quantité de blé, qu’il la rend un mois plus tard et que le prix du blé a augmenté, le prêteur reçoit plus qu’il n’avait donné, ce qui équivaut à une sorte d’intérêt. C’est pourquoi les tanna’im n’autorisent la chose que si l’emprunteur a déjà la quantité de blé en sa possession au moment du prêt et que, pour une raison quelconque, elle lui est inaccessible. Certains amora’im assouplissent cette règle en disant qu’il est possible d’emprunter même si tout le blé n’est pas en possession de l’emprunteur ou dans le cas où ce blé est accessible sur un marché, à un prix connu. Les ge’onim sont divisés sur cette dernière possibilité: certains d’entre eux l’admettent (AÌay, Shim‘on Qayyara et Îay), d’autres l’ignorent. Les Rishonim ont suivi les ge’onim les plus indulgents. Rabad autorise même de fixer un moment précis pour le remboursement, ce que Rambam rejette et Yosef Qolon admet, si le produit ne connaît pas des cycles réguliers et donc des périodes où il est systématiquement cher. Yosef Qaro enfin autorise un prêt initial d’une partie du produit, pour que le bénéficiaire du prêt soit en mesure d’emprunter le reste. (2) La valeur de produits payés à l’avance peut augmenter avant la livraison effective. De manière fort analogue à ce que nous avons vu précédemment, la transaction n’est autorisée que si le vendeur a déjà le produit en sa possession au moment du paiement, même s’il n’est pas complètement achevé. Cela permet de considérer l’acheteur comme le véritable propriétaire dès le moment de l’achat, même si dans le cas où du vin acheté à l’avance se gâte, c’est le vendeur qui est considéré comme responsable. Comme dans le cas de l’emprunt de blé, certains rabbins (ici des tanna’im) autorisent le paiement à l’avance si la marchandise est accessible au vendeur sur un marché, à un prix connu. Certains ge’onim suivent cette dernière option (AÌay, Shim‘on Qayyara). D’autres sont dans la continuité de la première, en exigeant que l’acheteur ait tout le produit en sa possession. Rambam comme Yosef Qaro citent les deux opinions dans leurs codes. Le paiement en avance est encore pratiqué au XIXe siècle en Pologne et au XXe siècle en Israël, où des rabbins autorisent d’acheter à l’avance la viande d’un animal vivant ou un livre pas encore sorti, y compris avec une réduction, puisque le prix du livre n’est pas encore officiellement connu. (3) Augmenter le prix d’achat d’un produit en autorisant l’acheteur à payer plus tard est une forme prohibée d’intérêt, sauf dans le cas où l’acheteur est lui-même un vendeur et qu’il tire un profit du fait que sa marchandise lui a été vendue par un rabbin. L’amora Rab NaÌman autorise cependant la transaction par un contrat nommé †arsha, quand le prix de la marchandise n’est pas stipulé explicitement dans le contrat. Certains ge’onim admettent le paiement immédiat à un prix réduit (Shim‘on Qayyara, Îay), d’autres approuvent le †arsha de Rab NaÌman, certains autorisant même l’acheteur à prendre tout de suite la marchandise (∑emaÌ ben Paltoy). La plupart des Rishonim approuvent aussi le †arsha de Rab NaÌman, en l’assortissant souvent de quelques restrictions: la transaction est interdite si le prix du marché est connu (Rabbenu Tam1), y compris s’il est plus bas que celui qui est finalement acquitté (Rambam), elle est autorisée si l’augmentation du prix est 1. C’est aussi la position de Shemu’el ha-Sardi, de Me’ir de Rothenburg et de Rosh. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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modeste (Ya‘aqob ben Asher et plus tard Maharshag), quand il n’y a pas de date fixée et que le processus se déroule sur plusieurs années (achat puis paiement partiel puis à nouveau achat …) (Rambam, Yehuda ben Asher). Yosef Qaro suit la position de Rabbenu Tam, mais d’autres AÌaronim, soucieux des risques pris par le vendeur, sont plus indulgents: même les marchandises caractérisées par des cycles réguliers de prix connaissent désormais d’importantes fluctuations (Yosef Îayyim) et si l’augmentation correspond au prix normal de la marchandise, connu par les gens, ce n’est pas de l’intérêt (Efrayim Nabon). D’autres facilités sont offertes par l’analogie entre l’achat à crédit et la location. (4) Il est interdit en principe à un créditeur de bénéficier des récoltes de la terre hypothéquée par son débiteur. Un certain type de transaction, appelé hypothèque de Sura, était cependant accepté par l’ensemble des amora’im babyloniens: le débiteur vend la récolte de sa terre au créancier pour un certain nombre d’années, puis il récupère sa terre, même si la dette n’est pas entièrement remboursée. Un autre type de transaction, appelé hypothèque par déduction, était moins unanimement accepté: le créancier profite de la récolte sous la forme d’une déduction annuelle, qui permet la diminution de la dette. Par la suite, elle est acceptée par les ge’onim de Sura et non par ceux de Pumbedita. Si l’on excepte Rabbenu Îanan’el, Rif et Ramban, elle est également approuvée par la majorité des Rishonim, qui sont sensibles au risque pris par le créditeur. Rabbenu Tam l’autorise même dans le cas des maisons (et plus tard RashbaÒ, contrairement à Rashi et Rambam qui estiment qu’il n’y a pas prise de risque), même si la période stipulée a expiré (Rabad) et que le créancier puisse être évincé de la maison (en cas de remboursement anticipé de la dette) ou pas (Rashba à la suite de Rashi). La proposition de Rosh, visant à formuler l’hypothèque par déduction comme une hypothèque de Sura (la durée limite de celle-ci n’étant pas clairement fixée par la loi) connaît un vif succès, avant d’être acceptée par Yosef Qaro, même si d’autres AÌaronim admettent l’hypothèque par déduction dans sa formulation première. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, elle tend à être remplacée par la vente conditionnelle2. À partir du XVIIe siècle, elle disparaît des responsa, puisque les créditeurs n’occupent plus les propriétés hypothéquées, qui deviennent de simples garanties. (5) Les tanna’im autorisent un contrat d’association entre un bailleur de fonds et un gestionnaire, selon deux formules: soit les profits et les pertes sont répartis de manière égale et le gestionnaire reçoit en plus une rémunération, soit l’investisseur accepte 75% des pertes éventuelles et il est dispensé de la rémunération. Les amora’im de Nehardea nomment ce contrat ‘isqa et le considèrent comme moitié prêt et moitié dépôt. Les ge’onim sont divisés sur le profit de l’investisseur (Sherira: 75%, Ya‘aqob: 50%, Îay réconcilie les deux opinions en disant que cela dépend de la présence ou non de la rémunération, celle-ci étant semblable à celle du po‘el ba†el). En cas de vol ou d’accident et s’il n’y a pas négligence du gestionnaire, seul l’investisseur est responsable (Mattityahu) ou les deux le sont, l’un pour le prêt, l’autre pour le dépôt (Sherira, Shim‘on Qayyara, Îay). Rabbenu Îanan’el, Rif et Rambam sont restés très proches des positions géoniques. La tendance des Rishonim est cependant de favoriser de plus en plus l’investisseur. Pour la rémunération complémentaire, un zuz (Yehuda de Barcelone) ou un dinar (Rabad) suffisent. Quand le 2. Cela tient au cas très particulier des exilés d’Espagne. Certains ge’onim avaient déjà tenté de légitimer la vente conditionnelle, avec notamment la procédure des deux contrats. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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montant de cette rémunération ou la répartition des profits et des pertes ne sont pas stipulés au départ, l’avantage est à l’investisseur (Rabad; Ramban et Rabbenu Nissim sont en désaccord avec cet avis). En cas de perte ou de vol, c’est le gestionnaire qui devient responsable. Rabad ajoute même au contrat des garanties «fictives» que le gestionnaire ne peut par définition réunir. Ce type de contrat est «amélioré» par les rabbins ultérieurs (Israël Isserlein et Moshe Trani) et il est accepté par Yosef Qaro. Celui-ci propose un deuxième type de contrat fondé sur une différence temporelle: au début, l’investissement est considéré entièrement comme un dépôt et ce n’est que dans une deuxième étape qu’il devient entièrement un prêt. Maharam propose un contrat type (hetter ‘isqa), avec des blancs à remplir, qui distingue deux périodes, précise la somme à payer à l’investisseur et exige du gestionnaire de prouver son absence de profit par des témoins. Il finit par s’imposer avec des modifications (par exemple, l’absence de profit «prouvée» par un serment). Les derniers AÌaronim permettent l’emploi du contrat pour rembourser une dette (Yosef Sha’ul Nathanson), pour acheter une maison (Maharsham), pour soutenir des activités commerciales déjà existantes (Me’ir Arik). Moshe Feinstein a enfin créé, à la suite d’autres tentatives du même ordre, un contrat type destiné à une banque américaine mais utilisé aujourd’hui dans toutes les banques israéliennes. Comme le sous-titre l’indique, l’A. a voulu montrer que les nécessités de l’économie ont poussé les rabbins à être de plus en plus souples en matière d’intérêt et son argumentation est convaincante, même si elle est quelque peu répétitive («dans un contexte où le commerce est en expansion… les rabbins prennent telle et telle décision»). Il a su cependant manifester de la finesse dans ses analyses, insistant sur les spécificités de certains lieux (Sura est plus ouverte aux nécessités du commerce que Pumbedita), de certains rabbins (Rabad était un homme riche et individualiste, Rashba un financier) et de certains corpus (Rif ou Rambam sont plus indulgents dans leurs responsa que dans leurs codes). José COSTA Alessandra VERONESE. — Gli ebrei nel Medioevo, Rome, Jouvence, 2010, 269 pages («Il timone bibliografico», 6). L’auteur, spécialiste de l’histoire des juifs d’Italie à la fin du Moyen Âge, publie ici un instrument de travail: Gli ebrei nel Medioevo («les Juifs au Moyen Âge») est un ouvrage de caractère d’abord bibliographique, comme tous les volumes publiés dans cette collection. Le livre se compose de trois parties, suivies de trois index (de personnes, de lieux et d’auteurs, outils indispensables pour un ouvrage de la sorte). La première d’entre ces parties est une brève histoire des «juifs dans le monde médiéval» («Gli ebrei nel mondo medievale») en un peu moins d’une centaine de pages et une douzaine de parties. Est envisagée de manière classique et claire l’histoire de la présence juive dans le monde médiéval lato sensu (pas seulement l’Occident ni même la chrétienté), depuis l’arrivée consécutive à la Dispersion: d’abord l’installation de communautés juives (pour autant qu’on connaisse l’histoire de cette installation) et leur histoire dans les diverses régions du monde médiéval où il y avait des juifs (l’aire méditerranéenne et l’Europe du Nord, sans oublier les terres d’Islam et Byzance), puis des approches plus thématiques (la vie économique,

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sociale et culturelle; les aspects juridiques de la présence juive; les voyages et les pèlerinages; les croisades), et enfin la détérioration progressive de la situation des juifs dans le monde médiéval (XIIe-XIVe siècles), débouchant sur les persécutions et expulsions de la fin du Moyen Âge. La deuxième partie du livre offre un panorama historiographique («Panorama storiografico») d’une douzaine de pages, bien mené quoique rapide et peut-être un peu insistant sur l’Italie. Enfin, on trouve la partie essentielle du livre, la bibliographie, riche de 1534 références classées en deux grands ensembles: les œuvres générales (elles-mêmes réparties en une vingtaine de catégories et de thèmes comme, pour en évoquer quelques-uns au hasard, les répertoires, encyclopédies et atlas; les sources; la langue et la littérature juives; le dialogue avec les chrétiens et l’antijudaïsme; etc.) et les œuvres se limitant à un contexte géographique précis (sept espaces sont retenus). On doit saluer l’équilibre géographique et thématique atteint dans ce livre. Sans doute pourrait-on trouver utile qu’un tel ouvrage soit accessible aussi sous forme électronique (du reste, Alessandra Veronese a rendu accessible sur le site Internet «Reti medievali», bien connu des historiens médiévistes, un travail également intitulé Gli ebrei nel Medioevo, comparable à ce livre quoique de dimensions plus modestes); il reste que cette bibliographie, incomplète sans doute (comment pourrait-il en être autrement? l’exhaustivité n’est pas visée) et ponctuellement amendable (les éditions originales des ouvrages traduits en italien sont parfois signalées, parfois non), est riche et clairement ordonnée; elle pourra être utile aux chercheurs versés dans les études juives médiévales. Pierre SAVY Robert BONFIL. — History and Folklore in a Medieval Jewish Chronicle. The Family Chronicle of AÌima‘az ben Paltiel, Leyde-Boston, Brill, 2009, XVII + 402 pages, cartes et pl. («Studies in Jewish History and Culture», 22). Grâce aux efforts de Robert Bonfil, la «chronique d’AÌima‘aÒ», un classique de l’historiographie (ou de la littérature?) juive médiévale parfois désigné comme la «Megillat AÌima‘aÒ», est enfin disponible dans l’édition critique bilingue qu’elle méritait. De ce texte, signalé jadis par Adolf Neubauer (le savant hongrois le découvrit à Tolède en 1868-1869 et l’évoqua dans divers travaux, publiés notamment dans la Revue des études juives), il existait certes plusieurs éditions et même des traductions, à commencer par l’édition qu’en donna Neubauer lui-même en 1895; évoquons aussi la traduction anglaise publiée par Marcus Salzman en 1924, ou l’édition en hébreu de Benjamin Klar, publiée en 1944 et revue par la suite. La présente édition, qui couvre les p. 226-355 du volume, offre davantage: on trouve ici non seulement, sur la page de droite, l’édition critique des 63 paragraphes du texte hébreu (édition fondée essentiellement sur le manuscrit conservé à Tolède, et signalant les variantes des autres leçons), abondamment annoté par Bonfil, mais encore, sur la page de gauche, la traduction anglaise, plus proche du texte original que celle de Salzman; le texte hébreu a été édité avec soin, et les notes élucident autant que possible allusions, obscurités et références historiques ou littéraires; quant à la traduction en anglais, elle est de lecture aisée. En outre, précédant l’édition elle-même, l’«essai introductif» en anglais écrit par Bonfil («Introductory Essay»), composé de cinq chapitres, est long de plus de 180 pages. Le volume se termine avec une

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épaisse bibliographie et un index; pour être complet, signalons la présence d’un beau cahier d’illustrations (4 cartes et 29 planches). Ce livre est donc une somme importante sur le texte d’AÌima‘aÒ et autour de lui. L’«essai introductif» est, on l’a dit, assez long et parfois assez loin du texte d’AÌima‘aÒ, si bien que l’on tient presque deux livres en un. Bonfil y envisage dans un premier chapitre «le texte et son contexte» («Chapter one. The text and its context»): il s’agit de réfléchir à la réception du texte, et, surtout, de présenter cette «chronique», composée en 1054 à Capoue, dans le Midi de l’Italie (Campanie), par un certain AÌima‘aÒ, fils de Paltiel. L’un des points les plus discutés est celui du statut du texte et du genre auquel il appartient, et ce point se révèle lié à un autre enjeu, qui court tout au long de l’essai de Bonfil: celui de la perspective dans laquelle il convient de lire AÌima‘aÒ, et plus précisément de l’histoire à la connaissance de laquelle son texte est utile. On l’a longtemps lu comme une source concernant les juifs sous Byzance, et les traits non-historiques de ce texte (composé pour partie en prose rimée, non exempt d’inexactitudes et de traits légendaires) étaient interprétés comme propres à ce judaïsme byzantin, d’inspiration palestinienne, donc inférieur au judaïsme babylonien. Bonfil prend ses distances avec cette historiographie. Reste à savoir dans quel genre on peut ranger ce texte: est-ce une histoire, une généalogie (ce livre est centré sur la famille de l’auteur, et qualifié par ce dernier, à la fin de l’œuvre, de «livre de [sa] généalogie»)? Voire une hagiographie, une épopée ou une saga? Ou encore un exemple juif du genre arabe du maqâma (récit en prose rimée mêlée de poèmes)? Tout cela à la fois, sans doute; le texte est difficilement classable. Bonfil insiste sur ce qui rapproche la chronique d’AÌima‘aÒ des formes de la littérature orale, et il conclut en soulignant qu’AÌima‘aÒ lui-même désigne son livre comme un midrash sefer (c’est au premier paragraphe de la chronique, p. 226-227): désignation cumulative insistant sur le fait que ce texte vise à une vérité (comme le midrash, qui, si l’on en croit Ephraim Urbach, est à la civilisation juive ce que l’histoire est à la civilisation grecque), qu’il raconte une histoire, ici surtout familiale (le sous-titre le définit comme une «Family Chronicle»), sans pour autant être tout à fait ce que l’on désigne aujourd’hui comme un livre d’histoire. Le deuxième chapitre («Chapter two. Historical setting and narrative structure») porte sur le cadre historique dans lequel fut composée la chronique, dans cette communauté juive de Capoue prise entre la domination byzantine et les raids sarrasins, avant d’envisager en détail la structure narrative de la chronique et d’en présenter le contenu: l’histoire d’Aharon, qui couvre environ 30 % de la chronique (il faut dire que le personnage, venu de Bagdad et ayant séjourné en Italie, est illustre, et apparaît chez les Ìassidei Ashkenaz); l’histoire de Paltiel (30 % de la chronique encore), l’homme dont AÌima‘aÒ se juge le descendant et qui, d’esclave qu’il était, devint vizir, en une ascension évidemment parallèle à celle de Joseph; l’histoire de Shephatiah, personnage très lié au monde byzantin, qui fait l’objet d’une digression dans l’histoire d’Aharon; puis les «histoires mineures» («Minor Stories»), comme celles de Sawdan et Tophilo. Maints éléments et maints événements avérés (que l’on retrouve ailleurs, par exemple, sous une forme un peu différente, dans le Sefer Ìassidim) font l’objet dans le texte d’une «distorsion» ou d’un déplacement. Éléments historiques et éléments légendaires sont mêlés dans une perspective qui, de toute façon, n’est pas celle de l’historien, mais qui n’est pour autant pas sans rapport avec la vérité historique.

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Les trois derniers chapitres de l’introduction envisagent, eux, différents aspects de l’œuvre d’AÌima‘aÒ: l’éditeur a identifié un certain nombre de thèmes dans lesquels il présente des éléments de commentaire sur tel ou tel aspect de la chronique. Le troisième chapitre («Chapter three. Frameworks of communal life and images of leadership») porte ainsi sur la vie communautaire, sur ses principales figures (on note la prééminence de certaines personnes qui ont droit à la parole; l’excellence culturelle est l’une des voies d’accès aux élites sociales) et sur ses principaux lieux (à commencer par la synagogue, qui exerce une fonction fondamentale dans les activités publiques). Les communautés juives d’Italie méridionale sont alors à une phase de transition, au moment où s’engage le déclin des figures du Ìazzan et du pay†an et où la posture hagadique et mystique palestinienne est remplacée par celle, rationaliste et philosophique, de Babylonie. L’auteur insiste sur ce qui est un des principaux enjeux de la source, à savoir le remplacement du judaïsme palestinien par le judaïsme babylonien, qui n’empêche pas qu’il reste un substrat palestinien ou non-babylonien (certains usages ont la vie dure, comme la consommation exclusive de pain produit par des juifs, ou l’étonnante pratique du jeûne le shabbat). Le quatrième chapitre («Chapter four. Family») envisage la famille, thème que divers courants historiographiques ont retravaillé depuis quelque temps (évoquons au moins les gender studies) mais que Bonfil préfère aborder dans la perspective de l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss, dont les principaux apports sont ici présentés, avant une étude des relations entre hommes et femmes dans les groupes chrétiens et juifs de l’Italie méridionale à l’époque: à partir surtout des histoires de Tophilo et de Shephatiah, et du récit concernant Amittai, les thèmes de la naissance, du mariage et des funérailles sont abordés. Enfin, le cinquième chapitre («Chapter five. Jews and Christians: Magic, Sorcery, Everyday Life, and Popular Piety») porte sur les relations entre juifs et chrétiens telles que la chronique d’AÌima‘aÒ permet de les saisir, soit surtout dans le cadre des pratiques magiques, abondamment représentées dans la chronique, dans celui de la piété quotidienne et populaire (culte des morts) et de tout ce qui exprime une certaine mentalité (rêves, croyances, malédictions). On peut discuter de l’insertion de la chronique et de son «univers mental» dans un cadre plus large, celui d’une «mentalité médiévale» homogène (il est ainsi question de «the absence of a borderline between the physical and the metaphysical in the minds of medieval men and women», p. 185; l’auteur parle volontiers, en français dans le texte, d’«outillage mental» et de «constante de longue durée»), alors que ces notions sont aujourd’hui remises en cause. De même que, sans bien sûr contester la possibilité de la comparaison et l’historicité du judaïsme, on peut juger que l’inscription du judaïsme dans un ensemble de «civilisations anciennes» comparables entre elles rend sa spécificité incertaine (les rapprochements sont nombreux entre judaïsme et christianisme, entre rites juifs et autres rituels; voir par exemple p. 139). Enfin, la question de l’usage de ce livre étrange qu’est la chronique d’AÌima‘aÒ demeure posée, car, au-delà de son importance évidente, ce texte reste un objet mal défini qui, mis à part qu’il nous renseigne sur lui-même et peut-être sur son rédacteur, est d’usage difficile pour l’historien; on en tient du moins ici une étude approfondie et surtout une édition qui fera référence. Pierre SAVY

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Hannanel MACK. — ‫«( מסודו של משה הדרשן‬The Mystery of Rabbi Moshe Hadarshan»), Jérusalem, The Bialik Institute, 2010, 357 pages, 2 pl. en noir et blanc h.-t. L’œuvre de l’exégète (darshan) Moïse, actif en Provence au XIe s., n’est connue que par des fragments anonymes (tels la première partie du midrash Nombres Rabba, Genèse Rabbati et le Midrash aggadah) ou par les citations d’autres auteurs: principalement, parmi les juifs, Rachi, son contemporain de France du nord légèrement postérieur, puis, quatre cent cinquante ans plus tard, Isaac Abrabanel dans le Yesu‘ot mesiÌo; parmi les chrétiens, au XIIIe siècle, Raymond Martin dans le Pugio fidei qui fait un large usage du Talmud et d’importants auteurs hébreux médiévaux au nombre desquels Rachi, Maïmonide, Abraham ibn Ezra et David Qimhi. Cette œuvre pose donc deux problèmes, en déterminer les contours en même temps que les raisons de son occultation dans les milieux juifs, survenue peu de temps après sa diffusion large dans les commentaires de Rachi. Singulier destin: Rachi le cite des dizaines de fois, traitement très rare de sa part envers un auteur médiéval; exceptionnelle aussi est alors la réception en France du nord d’un auteur du Midi; non moins exceptionnel l’effacement subséquent. Le présent ouvrage, dont le point de départ fut une recherche sur Nombres Rabba dirigée par le Prof. Y. Zusman à l’Université Hébraïque et terminée en 1991, cherche à reconstituer sa biographie, sa famille (on lui connaît un frère, Lévi, et sans doute un fils, Juda, objets des chapitre 6 et 7) et son milieu (R. Natan de Rome, l’auteur du ‘Arukh, le reconnaît pour son maître et le cite cinq fois; c’est l’objet ici du ch. 8) ainsi qu’à cerner son ou ses œuvres, leur ampleur et leurs sujets principaux sans se dissimuler les deux difficultés posées par le remaniement par les auteurs des extraits qu’ils rapportent et la difficulté de reconnaître, dans des recueils d’extraits, ce qui appartient anonymement à R. Moïse ou, si son nom apparaît, les limites du texte qui lui revient; il propose sur ce point quelques critères d’identification (ch. 23); enfin, il recueille dans une troisième partie tous les fragments d’attribution bien établie: les testimonia apportés par Rachi, ceux des recueils anonymes, attribués selon les critères définis par l’A., ceux que rapportent les sources latines, pour finir trois commentaires de piyyu†im, plus un attribué à son fils Juda. L’A. dresse un état détaillé des recherches (ch. 2, p. 20-26): Zunz avait distingué Moïse ha-Darshan d’un homonyme mais n’avait pas reconnu sa présence dans Nombres Rabba et Sh. Y. Rappaport n’avait pas bien perçu celle-ci; A. Epstein avait recueilli soixante-dix extraits mais sans tenir compte d’Abrabanel, des tossafistes, ni des sources chrétiennes; il avait exclu tous les extraits d’attribution incertaine, notamment ceux, d’intérêt messianique, que Rachi et d’autres médiévaux n’ont pas utilisés peut-être à cause de l’usage qu’auraient pu en faire des chrétiens; M. Himmelfarb et d’autres ont suggéré des liens avec la littérature apocryphe. L’œuvre de R. Moïse apparaît comme un pont entre diverses traditions: ayant vécu dans le Midi (ch. 4 et 5; il est couramment nommé «de Narbonne» où sans doute il passa une grande partie de sa vie), rapidement connu par Rachi dans la France du nord, il manifeste des influences italiennes (ch. 11) et orientales (ch. 10), mais on ne doit jamais oublier, en tentant de caractériser son style ou sa méthode, que ce qui nous est parvenu de lui a toujours pu être remanié par un, voire deux intermédiaires ou davantage.

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Divers indices donnent à penser que ce que Rachi appelle yesodo sel R. Moseh ha-Darsan, dont les principaux recueils de fragments sont Nombres Rabba et Genèse Rabbati et que le Pugio fidei nomme Beresit rabba rabbati, était très étendu, couvrant tout le Pentateuque et plusieurs livres des Prophètes et des Hagiographes selon un plan et une systématicité que l’on n’est guère en mesure de reconstituer, en raison notamment du caractère douteux de l’attribution de maint fragment anonyme (p. 130-131); bien que ses utilisateurs chrétiens aient surtout pris chez lui la matière messianique, les testimonia juifs manifestent qu’il cultivait des intérêts variés. Parmi ses sources on peut nommer, outre le Talmud et les midrashim classiques, les midrashim Tadshe’ et Abkir, le Sefer yeÒirah et les compositions liturgiques de Kalir (Qillir) et, on l’a plusieurs fois soutenu, des éléments des littératures apocryphe ou orientale (p. 123-129) — de telles littératures, dans le cas de la numérologie, ayant d’ailleurs laissé des traces en France longtemps avant R. Moïse et ayant pu lui être accessibles sur place. Au nombre de ses sujets de prédilection apparaissent la création du monde, les patriarches, les tribus d’Israël, la station au Sinaï, la Loi et les commandements, le tabernacle et le temple, l’exil et la délivrance, Israël et les nations, le messie, avec un intérêt particulier pour la numérologie. Il se pourrait que, son sobriquet le fait peut-être entendre (ch. 13), R. Moïse ait été un prédicateur oral: est-ce lui-même, alors, qui aurait mis par écrit ses homélies? Peut-être, bien que l’A. ne le suggère guère, faudrait-il rechercher dans cette voie une raison de leur dispersion et de la quasi-disparition de leur auteur en tant, précisément, qu’auteur. L’A. invoque comme cause principale de l’effacement, une trop bonne connaissance du monde chrétien (p. 35 et ch. 12), et inversement, l’usage messianique que purent faire les chrétiens de ses ouvrages: au moment où, avec le début des croisades, l’hostilité se développait entre les deux familles religieuses, il parut dangereux aux juifs d’en faire usage; il n’avait par lui-même franchi nulle «ligne rouge», car en ce cas Rachi ne lui eût par fait écho et l’on aurait (p. 112) polémiqué contre lui, il fut banni non comme ennemi intérieur mais en raison d’un besoin de défense vis-àvis de l’extérieur (p. 99-101). Cet argument ne convainc qu’à moitié parce qu’il semble fondé sur un anachronisme: au XIIIe s., le Pugio fidei sera le premier ouvrage chrétien à faire usage des textes rabbiniques dans la polémique antijuive et il n’y a pas apparence que les juifs de la fin du XIe siècle aient expurgé préventivement leur littérature de ce qui serait beaucoup plus tard utilisé contre eux; au surplus, l’A. lui-même (p. 219) note que l’élément messianique était loin d’être dominant dans ses ouvrages; inversement, la «trop» bonne connaissance que R. Moïse aurait eue du monde chrétien et qui aurait pu l’éloigner des nouvelles sensibilités juives durement marquées par les débordements de la première croisade, consisterait en sa réutilisation d’éléments chrétiens pour évoquer le messie, notamment le même choix de versets des prophètes que les récits évangéliques (p. 116-118): à la suite de la rencontre personnelle avec des clercs chrétiens ou leurs écrits impossible à préciser (p. 130) ou, c’est nous qui le suggérons, par remploi d’éléments habituellement non consignés par écrit d’un messianisme juif «populaire» qu’évoque ici l’A. (p. 113114); cela n’est peut-être pas inconcevable dans le climat de bonne intelligence globale entre communautés religieuses avant la première croisade, selon la thèse ancienne de Bernhard Blumenkranz, mais reste conjectural. Un autre argument avancé par l’A. est digne de considération (p. 95): le changement des méthodes d’exégèse et le triomphe de celle de Rachi, paradoxalement le principal porte-parole

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de R. Moïse, expliquerait l’effacement de son œuvre; il n’y avait pas encore, en son temps, d’opposition entre derash et pesa†, elle se met en place peu après et Abraham ibn Ezra pourra se poser en contempteur des darshanim. La riche matière recueillie par Rachi (ch. 15), portant essentiellement sur les Nombres, avait été réunie jadis par Epstein (on la reproduit et commente à nouveau p. 223-239 [quarante-cinq extraits] en s’appuyant essentiellement sur lui); on s’interroge ici sur les choix de Rachi, sur le statut que comporte l’emploi du terme de yesod et sur l’accès direct ou non (on ne peut en décider) que Rachi avait aux écrits de R. Moïse. Dans une moindre mesure, des sources juives des XIIe et XIIIe siècles font quelque écho à R. Moïse (ch. 16): NaÌmanide, des recueils de commentaires français et ashkenazes, un supplément au midrash TanÌuma, R. David QimÌi; mais l’autre grande source juive est, on l’a dit, Abrabanel (ch. 17), polémiquant à distance avec l’adversaire des juifs lors de la dispute de Tortose, l’apostat Josué Lorqi; c’est pour ainsi dire une source involontaire, puisqu’il rapporte les citations faites par Lorqi en l’accusant de les avoir falsifiées, accusation que la comparaison avec le Pugio fidei qu’Abrabanel ne semble pas avoir connu ou, en tout cas, utilisé et dont s’est servi Lorqi ne permet pas de maintenir; quant à la thèse de l’historien I. (F.) Baer d’après laquelle Raymond Martin lui-même était un faussaire, S. Lieberman puis Î. Merhavia l’ont réfutée. Toutes les citations faites par Abrabanel ont leur équivalent dans le Pugio, et il en met sous le nom de R. Moïse que nos versions du Pugio seules n’auraient pas permis de lui restituer, les attribuant à Be-R’esit Rabba et non Rabbati. Le Pugio fidei, en effet, comporte une abondante matière homilétique juive relative au messie. Contre Baer (Mélanges A. Gollack et Sh. Klein, Jérusalem, [5]702 [1941/2]), S. Lieberman (Historia judaica 5, New York, 1943) et des érudits espagnols ont fait valoir que les adversaires juifs de Lorqi, qui l’utilisa à Tortose, ne l’avaient pas accusé de falsifications et que les accusations ultérieures d’Abrabanel provenaient plus d’une fois de ce qu’il n’avait pas eu accès, dans l’exil où il était alors, aux mêmes sources que Lorqi; il n’en reste pas moins que Raymond Martin ne s’est pas fait faute de manipuler les textes pour les adapter à ses fins. Après A. Epstein, qui n’avait pas publié l’ensemble, on a recueilli ici les extraits de R. Moïse d’après l’éd. Carp(a)zov de 1687; on a aussi fait usage du texte, plus court mais très proche, du ms. Paris, Bibl. Ste-Geneviève 1405, copie composite (ce qui suppose plusieurs copistes aptes à écrire l’hébreu), réputée en partie autographe mais en tout cas exécutée peu après l’achèvement de l’ouvrage, à la fin du XIIIe ou au début du XIVe s. Soixante-quinze exégèses de Moïse ha-Darshan, dont beaucoup regardent les temps messianiques, sont éditées ici p. 240-292, d’après le Pugio fidei et le Yesu‘ot mesiÌo. Les citations hébraïques y sont souvent écourtées et légèrement modifiées par rapport aux originaux et, dans le cas de Moïse ha-Darshan dont les originaux ne sont pas conservés, il n’est pas aisé de déterminer ce qu’il en est; Raymond Martin les attribue au commentaire de R. Moïse sur la Genèse mais il est difficile de penser qu’ils proviennent tous de cet ouvrage, R. Moïse ayant commenté bien d’autres livres de la Bible. Outre Martin «lui-même», un certain R. RaÌmon (RaÌman?) dont les interventions sont rapportées dans l’ouvrage et qu’on a proposé d’identifier comme un collaborateur juif de Martin, connaît lui aussi les écrits de Rachi et de R. Moïse ha-Darshan. Certaines élaborations d’exégèses en forme de prothèmes (petiÌata’) midrashiques classiques peuvent avoir été composées ainsi par R. Moïse lui-même ou être dues à d’autres mais avoir été incorporées à ses Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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recueils, voire être l’indice d’un accès de seconde main aux textes de R. Moïse. P. 293-295, on édite sept exégèses de R. Moïse que rapporte d’après Raymond Martin le De arcanis catholicae veritatis de Pietro Galatino, écrit à Bari au début du XVIe s., éd. Bâle, 1550, qui ne figurent pas dans nos textes du Pugio et qu’il tire peut-être de J. Salvaticus Porchetus, Victoria adversus impios Hebraeos, Paris, 1520. — À signaler J.-J. Brierre-Narbonne, R. Moïse le Prédicateur, Commentaire de la Genèse, [textes hébreux tirés du Pugio fidei avec leur traduction française], ronéotypé, Paris, P. Geuthner, 1939. Les ch. 19 à 21 sont consacrés aux trois principaux recueils midrashiques réputés être les principaux dépôts d’enseignements de R. Moïse: Nombres Rabba (début du XIIIe s. au plus tard), Genèse Rabbati (dont on ne possède plus le manuscrit depuis l’éd. Albeck de 1940) et Midrash aggadah (que S. Buber a daté au plus tôt du début du XIIe s. et dont une source privilégiée serait le balkanique LeqaÌ †ob de la fin du XIe ou du début du XIIe) le ch. 22 à d’autres sources juives occasionnelles, et le ch. 23, décisif (p. 205-217), examine, après H. Albeck mais de manière plus serrée que lui, les moyens d’identification des citations anonymes dans les recueils, avant un bref chapitre de conclusion (24). Définis évidemment à partir des textes attribués formellement et probablement non déformés par Rachi, les critères d’identification devraient permettre d’attribuer d’autres morceaux anonymes figurant dans ces gisements midrasiques que ceux qu’en ont extraits Rachi et d’autres. Un caractère structurel (mais non omniprésent) est l’usage de mises en correspondances, non de deux termes ou expressions mais de deux épisodes comptant quelques versets à partir de la mise en correspondance de plusieurs de leurs éléments, l’un des deux textes correspondant à l’un des grands moments de l’histoire biblique (par exemple, la corrélation entre la parasat Òisîyot (Ex., 19) et la parasah de la sortie d’Égypte [Ex., 6]); l’appartenance aux livres bibliques que l’on sait avoir été traités par R. Moïse et aux sujets de prédilection dont la liste a été donnée plus haut fournit un critère thématique, la pureté d’un hébreu exempt d’aramaïsmes et de mots étrangers un critère formel. L’A. ne se dissimule pas que des centaines de passages des trois recueils en question pourraient répondre à ces critères et qu’il appartient à la recherche future de les examiner de près et d’affiner davantage les conditions d’attribution. Au total, l’A. s’était assigné comme tâches de réunir l’ensemble des données et des textes relatifs à cet auteur obscur; de ne rien celer du caractère conjectural qui s’attache à bien des choses, notamment à sa biographie; de fournir pour la restitution future d’extraits anonymes des critères d’attribution dont il ne se dissimule pas qu’ils ne peuvent avoir de valeur absolue. Dans ces limites fort raisonnables et compte tenu de l’état du dossier, il a assurément rempli sa mission. Rappelons qu’on lui doit encore, entre autres, un travail sur la réception médiévale de Job dont il a été rendu compte dans la RÉJ 167/1-2, 2008, p. 273-275. Jean-Pierre ROTHSCHILD Chanoch GAMLIEL. — ‫ תפיסות תחביריות בפירוש רש״י‬.‫«( רש״י כפרשן וכבלשן‬Linguistics in Rashi’s Commentary»), Jérusalem, Mosad Bialik, 2010, 258 + ‫ יד‬pages, bibliographie, index des sources et des sujets. Rashi avait-il une doctrine linguistique? Pour le démontrer, l’A. (p. 199, 200) a rassemblé et classé, selon les catégories de la linguistique moderne, un florilège de Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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remarques grammaticales dispersées dans le commentaire de Rashi sur la Tora. Il a ainsi relevé des observations sur les valences et distributions, sur le système verbal, les valeurs temporelle, aspectuelle et modale des formes verbales, le groupe nominal et la syntaxe, des thèmes choisis en raison de leur récurrence. Les versions textuelles retenues sont celles de la seconde édition d’A. Berliner (Raschi, Francfort, 1905) et des trois volumes publiés dans la série «Haketer» (université Bar-Ilan, 1997, 1999, 2007), suffisamment dignes de foi, selon l’A., pour cette recherche qui ne nécessitait pas l’utilisation d’une édition critique. En effet, la plupart des interpolations tardives sont de type midrashique et non linguistique, ce dont conviennent de nombreux chercheurs, parmi lesquels on mentionnera Menahem Cohen (éditeur de la série «Haketer») et Eleazar Touitou. S’il est acquis que Rashi connaissait les enseignements des grammairiens espagnols Menahem ben Saruq et Dunash ibn Labrat, ce que signale l’A., il ne faut pas négliger pour autant les autres sources rabbiniques dont il disposait et qui contiennent, pour certaines, de multiples éléments grammaticaux: la Massore, le Talmud, le Midrash et, on le verra plus tard, la Baraita de-Rabbi PinÌas ben Ya’ir ou Midrash Tadsheh. Ainsi, lorsque Rashi précise le sens de la particule bet dans l’expression wa-tiqÒar hå-‘åm badårekh (Nombres 21,4), qui exprime ici l’idée de cause instrumentale et non le fait de se trouver dans un lieu, il se fonde sur la remarque de la Massora magna qui signale quatre occurrences du verbe qåÒar suivi de la préposition bet. Certes, la Massore n’indique pas la valeur de la particule, mais elle fournit à Rashi les outils lui permettant de lever l’ambiguïté et d’interpréter le verset correctement, qu’il faut donc traduire par «Le peuple fut à bout de souffle à cause du trajet», et non, «sur le chemin». En revanche, la remarque que fait Rashi à propos de la forme verbale yis‘u (Exode 5,9) reflète une réflexion originale sur les valences. Rashi, comme le souligne l’A., n’accepte pas le classement de Menahem ben Saruq qui a rangé cette occurrence sous le sens «avoir confiance» (MaÌberet, racine ‫שע‬, 4); il note l’emploi inhabituel de la préposition bet et propose de comprendre le verbe différemment, «parler». Son choix, qui était probablement motivé, en premier lieu, par le contexte, est conforté par l’utilisation de la préposition bet. Bien qu’il affirme que Rashi avait une doctrine linguistique, l’A. s’interroge sur l’absence quasi-totale de terminologie dans son commentaire (p. 207), qu’il attribue au caractère pionnier de son œuvre. Il note également qu’il n’y a pas de théorisation, et l’on ajoutera, ni de classification systématique comme celle du MaÌberet de Menahem ben Saruq. Dès lors, peut-on considérer qu’un exégète soucieux du sens littéral et qui, de ce fait, s’intéresse aux particularités grammaticales, avec une prédilection pour les éléments syntaxiques, a une doctrine linguistique s’il n’éprouve pas le besoin de créer un métalangage pour décrire les phénomènes qu’il commente? Il n’est pas sûr que l’on puisse répondre par l’affirmative, d’autant moins que les rares termes techniques figurant dans le commentaire de Rashi semblent être des emprunts à la littérature rabbinique classique. Ainsi, l’A. avance que pour Rashi, le système verbal comporte trois temps, le passé, le présent permanent ou coutumier, et le futur (p. 210) rendus par les locutions leson ‘åvar, leson howeh, et leson ‘åtid qui seraient «semble-t-il» (p. 210) une innovation terminologique. Il nous semble nécessaire de nuancer cette affirmation. Tout d’abord, il convient de préciser le sens de låson dans ce cas précis. En effet,

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ce mot a de multiples acceptions dans la langue de Rashi1, comme l’a signalé la regrettée S. Kessler-Mesguich, et l’une d’elles est «signification, sens». Ainsi, leson ‘åvar signifierait «sens (et non: «forme») de passé», leson ‘åtid «sens de futur», les termes åvar et åtid désignant déjà, sans ambiguïté aucune, le passé et le futur dans le Talmud (Ketubbot 87a). Quant à howeh, il convient effectivement de le comprendre dans son acception talmudique, «quelque chose qui est coutumier ou fréquent», et non dans celle qu’il a acquise plus tard, y compris dans l’hébreu contemporain, de «présent». Ce sens est d’ailleurs signalé par Eliezer ben Yehuda, ‫ בדבר מצוי תדיר במנהג העולם‬:‫ בהווה‬2, qui cite à l’appui plusieurs occurrences de ce terme dans la Mishna (Shabbat 6,9; ‘Eruvin 1,10, etc.). En fait, pour désigner le présent, Rashi emploie le terme hå-‘omed (Exode 9,3 et p. 86), également relevé par l’A., probablement emprunté à la Baraita de-Rabbi PinÌas ben Ya’ir, qu’il mentionne dans son exégèse de la Bible3. Rappelons que ce texte évoque trois temps, ‫על‬ ‫( לשעבר ועל דבר העומד ועל לעתיד לבא‬Eisenstein, OÒar ha-midrashim, p. 483)4. Pour justifier sa thèse, l’A. indique à plusieurs reprises que le texte biblique pouvait être compris ad sensum, et que les interventions de Rashi ne seraient dues qu’à l’intérêt qu’il portait à la grammaire; c’est probablement vrai, mais il faut toujours garder présent à l’esprit que Rashi était un maître et que, comme tout bon enseignant, il voulait s’assurer que les mots du verset étaient compris de ses élèves. Si, comme le croit Menahem Banitt, le texte biblique était traduit durant la leçon, cela tendrait à prouver que la traduction induisait une réflexion sur la langue hébraïque. Ce qui ressort de cet ouvrage, et c’est l’un de ses mérites, c’est l’extrême sensibilité de Rashi au texte biblique, la compréhension presque intuitive qu’il en avait et qui se reflète dans les nombreuses remarques qui soulignent le sens des prépositions, ainsi que les valeurs temporelle, aspectuelle et modale des formes verbales. Il semble cependant difficile de parler de doctrine, dans la mesure où Rashi n’a pas théorisé son enseignement grammatical, a peu innové et s’est fondé sur les traités de grammaire qu’il connaissait, sur les notes de la Massore et sur les enseignements de la littérature rabbinique. Judith KOGEL Géraldine ROUX. — Du prophète au savant. L’horizon du savoir chez Maïmonide, Paris, Le Cerf, 2010, 359 pages («Patrimoines-judaïsme»). Appuyé à une solide bibliographie (p. 339-350) et pourvu d’un utile «lexique des notions arabes et hébraïques» (vingt-deux mots et expressions arabes, cinquante pour l’hébreu), cet ouvrage enquête, comme son titre l’indique expressément, sur la 1. S. KESSLER-MESGUICH, «Tout ce qui n’est pas langue sainte est appelé la‘az», in R.-S. SIRAT (dir.), Héritages de Rachi, Paris, 2006, p. 291-302. 2. E. BEN-YEHUDA, Thesaurus totius hebraitatis et veteris et recentioris [en hébreu], rééd. New York-Londres, 1960, t. II, p. 1055. 3. II Chr. 4,4, par exemple. 4. Le terme ha-‘omed est également employé par Abraham ibn Ezra dans son commentaire (Osée 6,1, par exemple) et par Juda ibn Tibbon pour traduire l’ouvrage de Saadia Gaon, Emunot we-de‘ot. Une fois de plus, il semble bien que ce soit la terminologie qui indique les sources auxquelles les auteurs ont puisé. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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filiation qui conduit, selon Maïmonide, du prophète au savant. Il comporte trois parties: «une écriture des temps crépusculaires» porte sur les moyens de l’entendement humain d’à présent (la logique et les limites de la connaissance) et sur l’encodage de la Loi et ses raisons (idolâtrie — y compris les risques internes au judaïsme — et allégorie). «La revenance [!] du prophète» se divise en cosmologie (avec les thèses majeures de la création ex nihilo et de la providence) et prophétologie-messianologie (critère, législation prophétique; messie, histoire et royauté). Enfin «l’éveil du perplexe» comporte une dimension individuelle (avec, surtout, le point d’une «croyance rationnelle») et une autre, collective (questions de l’autorité et de l’unité). L’introduction insiste sur la perte de la science ancienne selon Maïmonide, le caractère secret de sa transmission et sa perfection n’ayant pas résisté aux vicissitudes de l’exil (urgences diverses, éparpillement, destruction des élites); elle indique justement que Maïmonide pose une «harmonie» originaire (le terme est vague) entre la philosophie et la Loi et reprend d’un chercheur plus connu comme spécialiste des philosophies allemande et juive de l’époque contemporaine, Gérard Bensussan (Qu’est-ce que la philosophie juive?, Paris, 2004), l’extrême prise au sérieux du thème maïmonidien de la réappropriation du savoir englouti, qu’on £n’envisage pas un moment, semble-t-il, de considérer comme une possible précaution de langage, tout en notant à juste titre sa similitude avec le mythe platonicien de l’Âge d’or. Tout l’ouvrage se présente comme une sorte de relecture, à la lumière des lignes de M. Bensussan citées p. 19-20, de l’essentiel de l’œuvre maïmonidienne (Guide des égarés, Mishneh Torah et Épître au Yémen), qui en redistribue correctement la teneur (dont on voudra bien nous pardonner de ne pas donner ici le détail) dans le cadre ainsi fourni: comment passer de la prophétie (éteinte) et aussi de la sagesse (perdue elle aussi) des maîtres du Talmud à la science (problème épistémologique) et de l’autorité prophétique à une nouvelle légitimité unificatrice (problème politique)? Ce dernier point s’atteindrait par l’universalité de la raison et de nouvelles formes de communication: «Un nouveau mode de transmission des secrets de la Loi est donc nécessaire, afin de les redécouvrir grâce à l’équivalence transcriptive de la sagesse des philosophes et de celle des sages d’Israël. Et ce mode de transmission ne peut être qu’écrit» (p. 333), cela vaut des vérités de la raison philosophique (Guide des égarés) comme de la codification halakhique (Mishneh Torah). Mais il nous semble que le premier point, à savoir le postulat maïmonidien (ou bensussanien?) de l’«équivalence transcriptive» de la sagesse ancienne et de la nouvelle science des philosophes, demeure précisément toujours ce qui est en question et n’est pas affronté ici avec toute la clarté requise, à en juger par les formules hésitantes ou contradictoires de la conclusion: comment, en effet, «redécouvrir par transcription» ce qui est «perdu», autrement dit, quelle est la garantie de l’équivalence entre le savoir nouveau et le savoir ancien? Comment mettre par écrit une tradition perdue? L’A. perçoit la difficulté, tente d’y répondre: c’est par la méthode du retranchement, par négation et allégorie, «conduisant à tisser un réseau de conjectures comme seul savoir positif de la science physique et surtout de la science métaphysique». C’est au moins reconnaître qu’on ne recouvre pas la science perdue, mais dans le meilleur des cas un succédané; et qu’est-ce, encore une fois, qui garantit que cette science par définition perdue était de même nature que ce qu’on peut atteindre par la voie négative? On se réclame ici de l’«observation préliminaire» — on ne sort guère, dans cet ouvrage, des mots de la traduction française de Munk

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— de Guide, III. Que dit Maïmonide à cet endroit? Que «cette science s’est entièrement perdue dans notre communion» (Munk, t. III, p. 4), «ce que j’en crois posséder moi-même n’est que simple conjecture» (p. 5). Nous ne sommes pas sortis des termes mêmes de la position du problème par Maïmonide: ou bien il fait le pari que la science est la même1 (parce qu’il postule qu’il ne peut y avoir qu’une vérité et que sa méthode le rend assuré que ce qu’il atteint est vrai), ce qu’incite à penser, l’A. le note, la restriction «dans notre communion», ou bien il prend acte de ce que la science ancienne est perdue et qu’il faut en fonder une nouvelle. L’A. n’a pas escamoté la difficulté, elle l’a déplacée vers le plan politique: «comment guider les communautés disséminées vers la conception de croyances vraies sans vision prophétique?». La question de la vérité et celle de l’autorité tendent à se mêler dans ces dernières pages, et les métaphores se succèdent pour indiquer que la continuité des savoirs ne peut être que partielle: «Or, s’il y a bien rapprochement dans la science, le savant, dans le temps de l’Exil, ne peut être prophète» (p. 335-336); «c’est au contraire sur le mode de l’analogie qu’on peut comprendre la tâche du savant comme intermédiaire entre le prophète et le roi-messie» (p. 336); «le projet est de prendre pour modèles les savants de la sagesse ancienne, c’est-à-dire les sages du Talmud»… «renouant avec la sagesse» (ibid.): «rapprochement, analogie, modèles, renouer», tout suggère deux choses, la non-identité de la nouvelle science avec l’ancienne, et le degré indéterminé du recoupement toujours postulé mais, nous a-t-il semblé, jamais démontré. D’accord avec la position logique, politique et communicationnelle du problème de l’autorité du savant et de la science nouvelle, nous sommes obligé d’avouer que, peut-être par défaut de compréhension de notre part, nous ne voyons pas que la question pourtant donnée pour centrale de l’«équivalence transcriptive» des savoirs quant à leur teneur de vérité, celle même que Maïmonide a ouverte sans y répondre clairement, ait ici progressé, par exemple, par rapport à la façon dont la posait Heschel en 1945 sous le titre célèbre: «Did Maimonides Believe he had Merited Prophecy?». Jean-Pierre ROTHSCHILD Howard [Îayyim] KREISEL, Colette SIRAT, Avraham ISRAEL (éd.). — ‫כתבי ר׳ משה‬ ‫ פירוש האזהרות לר׳ שלמה אבן גבירול‬.‫ מאמר התנינים‬.‫ ספר פיאה‬.‫«( אבן תבון‬The Writings of R. Moshe Ibn Tibbon»), Be’er Seba‘, HoÒa’at ha-sefarim sel Unibersi†at Ben-Guriyyon ba-Negeb, [5]770 [2009/ 2010], 448 p. («The Goldstein-Goren Library of Jewish Thought», 12). Moïse ibn Tibbon représente la troisième génération de la famille de traducteurs de l’arabe qui remplirent la fonction décisive que l’on sait dans la transmission du savoir philosophique en hébreu. Son grand-père Juda, venu d’Espagne en Provence au milieu du XIIIe siècle, avait traduit entre autres des ouvrages fondamentaux de la pensée juive: Croyances et opinions de Saadia Gaon, Kuzari de Juda ha-Lévi et Devoirs des cœurs de BaÌiyya ibn Paqquda; son père Samuel, le Guide des égarés et d’autres ouvrages de Maïmonide ainsi que des traités d’Aristote et d’Averroès. 1. C’est la lecture de l’école rationaliste provençale: v. H. KREISEL, The Writings of R. Moshe Ibn Tibbon, p. 50-51, recensé ici même, et ce que nous en écrivons: «Ce qui rend la restauration possible, etc.». Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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Moïse ibn Tibbon traduisit quant à lui, bien qu’ayant débuté sur le tard (vers 1244, peut-être pour en vivre après que les médecins juifs eurent perdu le droit de soigner les chrétiens; né entre 1190 et 1195, il fut actif jusqu’en 1274), «une bibliothèque entière» incluant d’autres écrits encore de Maïmonide, de nombreux commentaires d’Averroès à Aristote, et d’autres philosophes ou savants tels que Ptolémée et Razès. Cette activité considérable a relégué au second plan son œuvre personnelle et c’est pour la première fois que sont ici édités le Sefer pe’ah, commentaire philosophique d’homélies en apparence contraires à la raison (postérieur au Malmad ha-talmidim de 1236-1240, peut-être à la traduction des Principes des existants d’Alfarabi de 1273; cité dans le Liwwiyat Ìen en 1276), d’après le ms. unique, difficile à lire et fautif d’Oxford, (cat. Neubauer) 939 [Opp. 241], sur la base d’un travail effectué il y a longtemps par Madame Colette Sirat et complété ici par le Prof. Kreisel; le Ma’amar ha-tanninim, autre écrit d’exégèse philosophique qui porte sur les créations du cinquième jour et sur la géographie, d’après le ms. unique du Vatican, Vat. ebr. 298 et des transcriptions de C. Sirat et du Dr. O. Fraisse (dont l’édition, en 2004, du commentaire de Moïse ibn Tibbon au Cantique des cantiques a été recensée dans RÉJ 166/1-2, 2007, p. 342-343) revues par M. Kreisel; enfin le commentaire des Azharot (piyyutiμ pour la fête de Sebu‘ot dressant la liste des commandements) de Salomon ibn Gabirol, sur la base d’une édition procurée par le R. Abraham Israel à partir du ms. de Cambridge, Trinity Coll. F. 12. 16, revue par M. Kreisel et lui. M. Kreisel est aussi l’auteur de l’introduction générale et des introductions particulières aux trois livres. L’étendue et les contours de l’œuvre personnelle sont incertains: outre les trois ouvrages ici édités et le commentaire au Cantique, la plupart des manuscrits lui attribuent un Sefer ‘olam qa†on (édité dans une thèse apparemment non publiée de Dropsie College par S. Almog en 1966), un traitement aristotélicien de l’âme humaine, à ne pas confondre avec l’ouvrage de même titre, mais néoplatonisant, de Joseph ibn ∑addiq. Un court sentiment sur la lettre adressée par son père à Maïmonide a été reproduit avec celle-ci (v. Z. Diesendruck, «Samuel and Moses Ibn Tibbon on Maimonides’ Theory of Providence», HUCA 11, 1936, p. 363-364); une lettre portant sur le Ma’amar Yiqqawu ha-mayyim de son père (ms. Parme, Bibl. Palatine, Pal. 2620, ff. 91v-99v, dont un large extrait est donné ici). Selon Isaac de Latès (XIVe s.), Moïse ibn Tibbon est encore l’auteur d’un Sefer leqe† sikheÌot que nous ne connaissons plus (mais auquel Moïse lui-même fait allusion dans le Pe’ah) et d’un «remarquable commentaire de la Loi écrite». La question se pose s’il est identique au commentaire au Cantique, que Latès ne mentionne pas, ou si le commentaire de ce livre n’est qu’une partie d’un plus vaste ensemble; certaines auto-références du commentaire au Cantique inciteraient à le penser, cependant il se pourrait qu’elles renvoient à un autre ouvrage supposé perdu sur l’histoire des patriarches; il est possible encore qu’à part le Cantique, Moïse ibn Tibbon ait commenté la Bible de manière discontinue, il manifeste en tout cas une prédilection pour le commentaire de passages choisis. Un surcommentaire à Abraham ibn Ezra sur le Pentateuque serait également perdu. Le commentaire au Cantique nomme en outre les She‘ar shib‘ah shebu‘ot, She‘ar ha-gan, She‘ar ha-haggadah. D’autres she‘arim inconnus sont mentionnés dans le Pe’ah, dont il est également incertain si ce qui nous reste est un ouvrage complet ou une partie (pourtant différente du She‘ar ha-haggadah cité dans le commentaire du Cantique, qui paraît avoir contenu d’autres choses) d’un

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plus vaste ensemble disparu dont le Sefer ha-tanninim pourrait être un autre fragment; il est encore possible que des ouvrages initialement indépendants aient été réunis après coup, et que l’intention ait été de produire une sorte d’encyclopédie du judaïsme à la lumière de la philosophie. L’introduction générale de M. Kreisel tâche également de donner quelque idée des ouvrages (ou parties) perdus d’après les quelques testimonia qui permettent d’en supposer l’existence. D’attribution douteuse sont un commentaire du Sefer ha-madda‘ de Maïmonide dont subsistent deux fragments anonymes et que certains ont cru pouvoir lui attribuer, et un commentaire du récit de la Création selon Maïmonide, attribué à l’un des Tibbonides (dont subsistent des fragments dans trois manuscrits), qui diffère des commentaires de Samuel ibn Tibbon. L’explication rationnelle des homélies rabbiniques s’inscrit dans la continuité du projet maïmonidien (en partie resté inaccompli) de restituer le savoir perdu des anciens sages et de le dévoiler. Ce qui rend la restauration possible, c’est que leur savoir n’aurait pas été une tradition prophétique mais le simple exercice de la raison, si bien, d’ailleurs, qu’ils ont pu parfois se tromper et ont eu des opinions différentes; ce n’est rien d’autre que la perte des sciences, due aux tribulations, qui explique celle du sens des homélies des sages; avant Maïmonide, Abraham ibn Ezra n’en avait pas jugé autrement. Samuel ibn Tibbon, son traducteur, a jugé que les circonstances exigeaient une méthode plus explicite que celle des anciens, avec le motif supplémentaire de pouvoir tenir tête aux chrétiens qui, de leur côté, étudient les sciences; Moïse ibn Tibbon reprendra ce dernier motif. Dans le même esprit que ces auteurs, Jacob Anatoli étend le principe d’interprétation philosophique à une grande partie des textes de la liturgie. Dès lors, les interprétations seront d’ordre cosmologique, historique, requerront parfois l’addition à l’aggada d’un élément-clé passé sous silence par l’homéliste; les mêmes types de significations (naturelles, symboliques, historiques) serviront à motiver les préceptes de la Loi — Moïse ibn Tibbon ayant soin, même lorsqu’il avance des explications naturelles, de ne pas se départir de la ligne maïmonidienne qui privilégie les explications par le contexte historique — et, comme chez Anatoli, le texte des bénédictions liturgiques. L’explication des récits bibliques fait paraître des préoccupations de morale et de justice en même temps qu’une critique sociale des médecins et des juges. Enfin, l’explication, qui termine le Sefer pe’ah, de versets de l’Ecclésiaste est une manière pour R. Moïse de se rattacher à son père, qui avait commenté ce livre. Le Sefer ha-tanninim traite d’histoire, de géographie et de météorologie mais non de biologie. Il exprime une vue optimiste du progrès des sciences. Nous n’avons manifestement pas le texte complet, mais sans doute n’en manque-t-il pas grandchose. Conservé dans sept manuscrits (liste p. 275-277), le commentaire à ibn Gabirol est peut-être destiné à montrer l’accord entre les listes des commandements de la Loi établies par ibn Gabirol et par Maïmonide, lequel avait critiqué le genre des azharot sur ce que leurs auteurs étaient des poètes plus soucieux de prosodie et de beau langage que d’exactitude halakhique et qu’ils s’étaient appuyés sur le décompte des commandements donné par les Halakhot gedolot, qu’il estimait fautif. Il révèle d’autres compétences de Moïse ibn Tibbon, en langue (explication des mots rares et des procédés poétiques) et en halakhah, et à nouveau le souci des motifs des commandements.

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Pourvu d’introductions détaillées et d’un important appareil de notes (de critique textuelle, d’indication de sources et d’éclaircissements divers) et complété d’index des références bibliographiques, des citations et, pour le commentaire aux Azharot, des préceptes positifs et négatifs, cet ouvrage tout à la fois procure des textes inédits, restitue toute la personnalité littéraire et doctrinale de leur auteur et insère celui-ci dans la tradition entière du maïmonidisme rationaliste dont il complète en retour la vision d’ensemble. Pour ne pas parler de ses autres travaux (son volume de 2001 sur la prophétie, RÉJ 164/1-2, 2005, p. 353-355, s’étendait de Saadia Gaon à Spinoza), M. Kreisel, qui avait consacré il y a peu d’imposants volumes au Ma‘aseh Nissim de Nissim de Marseille (v. RÉJ 163/1-2, 2004, p. 367-369) et au Liwwiyat Ìen de Lévi b. Abraham de Villefranche (v. RÉJ 169/1-2, 2010, p. 253-254), s’affirme décidément comme le grand interprète de cette école rationaliste provençale au XIIIe et au début du XIVe siècle. Jean-Pierre ROTHSCHILD Iberia Iudaica 2, La polémica judeo-cristiana en Hispania. The Jewish-Christian Controversy in Hispania, Alcobendas (Madrid), Aben Ezra Ediciones-Associación Hispana de Estudios Hebraicos, 2010, 440 pages. Ce second volume de la jeune revue contient p. 13-258 une série de travaux sur la polémique judéo-chrétienne en Espagne: p. 13-19, résumés; p. 27-200, neuf études en espagnol, allemand, anglais et français; p. 203-258, cinq textes. Six autres articles sont hors thème. L’abondante section de bibliographie contient une liste d’études sur les cimetières juifs de l’Espagne médiévale (par N. Roth, p. 327-329), un bulletin bibliographique du judaïsme espagnol (notices signalétiques, en général brèves, de livres et d’articles, classées par sujets et par auteurs médiévaux; p. 331356), une large section de comptes rendus (p. 357-422) et une liste de publications reçues (p. 423-429). Le volume se termine par trois notices nécrologiques: celles de l’hébraïsant catalan Eduard Feliu i Mabres, du jésuite américain Joseph I. Burns, historien de la Catalogne, et du bibliste et araméisant, le professeur Josep Ribera Florit. Sur la polémique: A. Barcala Muñoz, «La literatura latina antijudia en la España tardo romana y visigoda (ss. IV-VIII)», p. 27-53; O. Limor, «Polemical Varieties: Religious Disputations in 13th Century Spain», p. 55-79; H. Trautner-Kromann, «Three Jewish Polemicists of Aragonia», p. 81-104 [Salomon Adret, Bahya b. Asher, Abraham Bibago]; R. Chazan, «Defining and Defaming Israelites and Judeans/ Jews in the Pugio fidei», p. 105-119 [La définition-dénonciation des juifs au début du l. II est plus destinée à un public chrétien que juif. Le ch. 1 porte sur le royaume israélite du Nord et ses fautes qui lui valurent un rejet définitif de Dieu; le ch. 2, sur le royaume judéen du Sud, avec la distinction de ceux qui meurent de leurs fautes et de ceux qui rejoignent la vérité chrétienne. Les révoltes juives de 66-70 et 132-135 sont attribuées à deux faux messies idolâtres (Juda a donc péché comme Israël), tous deux nommés Bar-Koziba [fils du mensonge] et soutenus par le célèbre R. Akiba, encore que l’histoire et les juifs ne connaissent que le second: fiction difficile à faire admettre aux juifs, davantage destinée à assurer le public chrétien qu’en dépit de l’usage fait ici de la littérature rabbinique, l’auteur n’en est pas dupe]; J.-P. Roth-

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schild, «La faute d’Adam dans la polémique des juifs espagnols contre le christianisme à la fin du XIVe et du [scil., «au»1] XVe siècle», p. 121-142 [Hasdaï Crescas en 1398 affiche une ligne strictement rationnelle et donne aussi l’impression d’une unanimité du camp juif. Profia† Duran (en 1396 et 1397), sans précédent, soumet le corpus chrétien à une très «moderne» critique des sources. Dans l’anthropologie de Maïmonide, élaborée hors la directe influence chrétienne, Adam était voué à l’intellection des objets élevés et ne connaissait rien de ce qui serait la vie de ses descendants; chez Abrabanel qui, au XVe siècle, infléchira la tradition héritée par un usage de Thomas d’Aquin, il sera aussi dédié à la vie de l’intellect mais celle-ci comportera désormais une connaissance théorique du sensible et du social. Chez l’un et l’autre, la «chute» est nécessitée par la structure de l’homme; chez tous les auteurs juifs évoqués ici, elle a le caractère d’une conséquence inéluctable, non d’une sanction pénale comme en chrétienté]; C. Del Valle Rodríguez, «La impugnación del cristianismo desde la perspectiva del Jesús histórico en la obra de Profiat Durán (s. XIVXV)», p. 143-176 [bio-bibliographie; étude de son usage polémique de la critique historique; discussion de divers thèmes chrétiens dans la Kelimmat ha-goyyim; traduction de quatre passages d’œuvres de Profiat]; A. Tavares, «La literatura de la polémica religiosa judeocristiana en Portugal antes de la expulsión, en 1497», p. 177-192; N. Roth, «Christian Anti-Jewish Polemics in Medieval Spain, a Listing», p. 193-195; U. Ragacs, «Antijüdische Polemik in Spanien: Literatur in Latein», p. 197-200 [liste d’études modernes, par auteurs latins]. Section «textes»: C. Del Valle, «La disputa de Tortosa: la antigua versión original hispana de las Actas», p. 203-215; C. Del Valle Rodríguez, J. Ma Soto Rábanos, «La maldición de los herejes — birkat ha-minim — de Juan de Valladolid, 1375», p. 217-232 [médecin du roi Henri II de Castille, il se convertit au christianisme en 1372. Au titre V, chapitre 12 de son ouvrage, il rapporte la dispute publique tenue à Burgos avec des rabbins castillans à propos de la malédiction des hérétiques qui figure dans le rituel juif. Son ouvrage, écrit en hébreu entre 1375 et 1381, fut traduit en castillan, puis en latin par Gonzalo González, évêque de Cadix (†1381); le latin seul, De concordantia legum, subsiste dans le manuscrit de Paris, BN(F), lat. 3360]; J. Ma Soto Rábanos, «La disputa de Burgos de 1375, de Juan de Valladolid (la versión latina)», p. 233241 [traduction castillane moderne annotée et texte latin du chapitre relatif à la dispute de Burgos. Le Dr S. R. publiera sous peu la traduction de l’ouvrage complet]; C. Del Valle, «Carta de R. Isaac ben al-AÌdab a R. Samuel ibn Zarza (texto hebreo y traducción castellana)», p. 243-250 [une lettre de 1369, mss de Munich, Bayer. Staatsbibl., hebr. 51, ff. 532v-536v et hebr. 7, ff. 495v-497]; N. Roth, « Solomon ibn Adret against infinite universe», p. 251-258 [traduction annotée de Sh-u’’t ha-Rashba’, Vienne, 1812 (réimpr. Jérusalem, 1976) 1, no 9, texte d’abord paru dans Sh’elot ha-Rashba’ ‘al qeÒat ‘inyyanim, Constantinople, 1516]. Hors thème: A. Scandaliato, «Autori ebrei siciliani dal XIII secolo al 1492», p. 261-275; M. Á. Ladero Quesada, «Judíos en el reino nazarí de Granada», p. 277-295; E. Gutwirth, «Belatedness, History and Authorship: the Case of Medieval Spain», p. 297-309; A. Barcala Muñoz, «El cambio de niño para el bautizo», p. 311-312; C. Del Valle, «Atalaya del judaísmo hispano», p. 313-320; T. Calders i Artís, «Els límits geogràfics i temporals de la producció literària dels jueus catalans», p. 321-323. Jean-Pierre ROTHSCHILD 1. Épreuves non communiquées à l’auteur. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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Éric SMILEVITCH (intr., trad., n.). — Hasdaï Crescas, Lumière de l’Éternel. Or Hachem, avant-propos de Jean-Pierre Adjedj, Paris, Hermann-[Strasbourg], Ruben Éditions, 2010, 1275 pages («Hermann Philosophie»). Le traducteur a pris pour point de départ l’édition Shlomo Fis[c]her (Jérusalem, Sifrey Ramot, 1990), clairement subdivisée et commodément vocalisée. Il n’en a pas moins su recourir de façon judicieuse aux variantes des manuscrits, notamment Florence, bibl. Laurentienne, Conv. Soppr. 417, dont M. Zeev Harvey lui avait signalé l’importance. La traduction se présente armée d’une longue introduction (p. 13-207; plus les principes d’édition et une bibliographie succincte, p. 209-219; improprement intitulée «préface» sans doute par souci de différence avec l’introduction de Crescas lui-même) et d’une annotation, ou plutôt d’un commentaire, abondant, souvent plus que le texte et parfois l’expropriant entièrement (ainsi p. 749, 902, 1123). Après avoir rappelé la situation historique et philosophique de la doctrine de Crescas (les massacres et les conversions forcées de 1391 en Castille et en Aragon, où son seul fils avait péri) et ses lignes de force (le libre arbitre de l’homme n’est rien de plus — et rien de moins — que la liberté d’un consentement intérieur à des représentations et à des actions qui sont déterminées; l’âme humaine est dotée de pensée mais non constituée par elles, l’imitatio Dei ne consiste pas dans l’intellection — contre Maïmonide et Gersonide — mais dans l’amour), M. S. procède à une analyse détaillée de l’ouvrage. Il considère ensuite, successivement, les «modèles rationnels du Or Hachem (Torah, science et philosophie)» [où il s’efforce en particulier de rendre compte par la superposition de ces modèles de la grande difficulté des deux premières sections de l’ouvrage et revient sur quelques-unes de leurs questions majeures]; les «sciences nouvelles (physique, métaphysique et halakha)»: Crescas, qui ne s’interdit nulle hypothèse non contradictoire, fût-ce aux dépens des présupposés d’Aristote regardant le réel, au scandale du maïmonidien Shem Tob b. Joseph ibn Shem Tov (p. 129-132), pourrait faire figure de précurseur de la science et de la philosophie modernes, de Kepler à Kant, mais son œuvre ne s’inscrit pas, semble-t-il, dans l’histoire européenne des sciences, le seul point de passage historique étant l’Examen doctrinae vanitatis gentium de Pic de la Mirandole (v. ici p. 117); de plus, il existe des différences car la notion de la vérité de Crescas n’exige ni adéquation à l’être, ni intuition cartésienne des essences, mais seulement la cohérence «syntaxique» d’un discours, sa non-contradiction, d’où pluralité de vérités compatibles; toutes choses dérivent de choix de la Cause première qui, par définition, ne sont pas nécessaires, ni non plus arbitraires, mais sous-tendus par l’unité d’intention du désir du maximum de bien, par quoi s’expliquent la pluralité et même le mal: c’est ce qui fournit le critère de vérité d’une proposition de physique ou de métaphysique parmi toutes celles qui ne sont pas contradictoires, et quelle que soit la «syntaxe» dans laquelle elle est formulée. La position de Crescas devant l’infini des possibles n’est pas un pieux scepticisme à l’égard des capacités de l’homme à connaître, mais Gersonide d’une part, Euclide d’autre part lui fournissent les moyens d’une théorie métaphysique (homonymie et amphibologie des attributs divins) et physique (les présupposés explicites et implicites de la géométrie euclidienne regardant l’espace), qui sont les objets des deux dernières sections, «le fini, l’infini et le transcendant» et «l’infini et la mesure, la théorie du vide». Plusieurs excursus intéressants portent sur le refus de la conception maïmonidienne de la halakhah comme fermée à la notion d’infini, la position par rapport à la notion d’infini d’Azriel de Gérone et la distance gardée vis-à-vis de la kabbale. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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Les notes, profuses, n’assurent pourtant que des éclaircissements requis par les variantes du texte des manuscrits, les ellipses de Crescas ou la nécessité d’expliciter des références scripturaires ou philosophiques et de préciser les contextes (en particulier pour ce qui regarde Aristote, Maïmonide et Gersonide, mais aussi Isaac Pulkar, Abner de Burgos). Le point de vue adopté par le traducteur et commentateur est celui d’un lecteur qui s’inclut, et peut-être avec lui son public potentiel, dans la filiation juive. Il en résulte quelques effets plus spectaculaires que décisifs comme un parti pris de traitement des titres et des noms propres hébreux qui n’est ni une francisation ni une translittération savante mais une sorte de restitution à la française de la prononciation hébraïque (Avraham, Berèchit, Yirmya, Ralbag plutôt que Gersonide [mais «R. Lévi b. Gerson» eût réconcilié tout le monde], etc.1). De plus de conséquence pourrait être l’option de ne rien tenter en fait d’insertion de la problématique de l’ouvrage dans le cadre plus large de la philosophie et la théologie du moyen âge tardif occidental, en dépit de la mention dans la bibliographie du fameux article de Salomon Pinès2 qui en a posé le problème. M. S. a beau jeu de répondre d’avance (en note, p. 17-18) que, depuis lors, bien peu de résultats convaincants ont été apportés et de soulever les problèmes de méthode. Le spécialiste incontesté de Crescas, W. Z. Harvey, n’en croit pas moins utile de relever une communauté de préoccupations avec des chercheurs chrétiens contemporains, n’exclut pas un contact direct avec Nicole Oresme et note des positions quasi-scotistes3. D’ailleurs, le point de vue «interne» adopté ne se prive pas d’être informé par les traductions et interprétations d’Aristote données par Tricot, Vuillemin et Aubenque ou par les études générales de philosophie et d’histoire des sciences de Duhem, Koyré ou Gilson: il n’est pas un point de vue aveugle. Raison de plus, dirions-nous, pour ne pas s’embarrasser d’une forme inusuelle et qui risque de limiter, c’est dommage, la portée de l’ouvrage. Heureusement, le corps même de la traduction ne se ressent pas de ce choix: à part les translittérations inhabituelles et la conservation à notre avis inopportune de stéréotypes qui relèvent de la phraséologie de la langue de départ et non de la pensée ou du style de l’auteur («si Dieu le décide»), la langue d’arrivée est celle de la philosophie générale, correcte dans la traduction comme dans les notes, visant avec succès la fidélité au détail en dépit de l’étendue du texte. Un plan détaillé, p. 12371253, un index des noms propres et un index des citations complètent le dispositif d’appropriation du texte par le lecteur. L’ouvrage, dont la parution finale a été soutenue par le Centre National du Livre et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, est dû à l’initiative du Docteur Adjedj, en témoignage de piété filiale. Strasbourg donne décidément l’exemple d’un mécénat bien inspiré (voir RÉJ 167/3-4, 2008, p. 639-641) dont il serait souhaitable qu’il fît des émules. Notons aussi la réussite matérielle4 de ce livre à la fois maniable et 1. Poussé au point de rendre bibliographiquement introuvable un auteur comme S. B. Urbach, noté ici comme «Simh’a Bounan (!) Ourbakh». 2. S. PINES, «Scholasticism after Thomas Aquinas and the Teachings of Îasdai Crescas and his Predecessors», Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities I/10, 1967, dont le même principe de franco-hébraïsation fait omettre le titre en langue européenne, de règle en bibliographie. 3. Ainsi W. Z. HARVEY, Physics and Metaphysics in Îasdai Crescas, Amsterdam, 1998, à propos de l’univers infini, p. 3, 5, 24-29; à propos du déterminisme et du libre arbitre, p. 138, 145-146. 4. Toutefois, on remet souvent les manuscrits à l’éditeur une relecture trop tôt. C’est encore le cas ici: p. 29, «fut-elle»; 35 «la faute ou le mérite engendre seuls»; 210, n. 1, Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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lisible (mais assez onéreux: cent trente «euro») en dépit de la masse de l’ensemble. Tout juste six cents ans après son achèvement en hébreu (5170 [1410]), voici à présent accessible en français (et peut-être pour la première fois au complet dans une langue européenne), avec un appareil introductif et d’accompagnement très efficace, le dernier des grands textes de la pensée juive médiévale, après le Guide des égarés, par Salomon Munk, le Kuzari traduit par Charles Touati et la synthèse doctrinale et la traduction partielle de Gersonide par le même. Mais l’ouvrage de Crescas, tant par la portée universelle de larges portions du texte lui-même que grâce à la manière dont M. S. l’a, en définitive, rendu accessible à tous, devrait autant que son adversaire le Guide prendre place dans la bibliothèque courante de la philosophie générale. Jean-Pierre ROTHSCHILD Alexander FIDORA, Mauro ZONTA (éd.); Josep BATALLA I ROBERT, D. HUGHES (collab.). — Vicent Ferrer, Quaestio de unitate universalis ‫מאמר נכבד בכולל‬, Text llatí i versió hebrea medieval amb traduccions catalana i anglesa, Santa Coloma de Queralt, UAB-Obrador Edèndum-URV, 2010, 367 pages («Bibliotheca Philosophorum Medii Aevi Cataloniae», 1). M. Zonta a signalé il y a plus de dix ans1 l’identification à laquelle il avait procédé d’un ‫ ויסינט‬...‫ מאמר נכבד בכולל לחכם‬contenu dans le manuscrit unique de Parme, bibl. Palatine 2631 (De Rossi 457, Richler 1316), ff. 126v-144 comme la traduction hébraïque d’un écrit de logique du jeune Vincent Ferrer, le futur prédicateur dominicain antijuif. Il est parvenu depuis à une lecture plus complète et qui semble convaincante de la suscription, dans laquelle l’encre a corrodé le papier, ‫לחכם פרי‬ ‫נקרא ויסינט‬. Le texte hébreu ici édité souffre de lacunes importantes, dues à la corrosion du papier. M. Zonta a tenté de reconstituer le texte latin original, dont l’hébreu est l’unique témoin, et a suppléé dans sa traduction anglaise, qui se veut d’ailleurs moins littérale qu’interprétative, entre crochets obliques, des mots absents de l’hébreu ou différents des leçons du texte hébreu et qu’il a cru pouvoir restituer. Le texte hébreu et la rétroversion latine occupent les p. 172-305, la traduction anglaise, les p. 307-354. L’ouvrage latin fut écrit à Lérida vers 1370-1372, son auteur, lecteur en logique en 1370 avant de partir étudier la théologie à Barcelone en 1372, puis à Toulouse, n’ayant guère plus de vingt ans; il tomba ensuite dans l’oubli. Témoin de sa connaissance du thomisme et de l’influence du nominalisme, cet ouvrage est sans rapport avec son futur rôle politique et avec l’activité ultérieure de prédicateur international qui l’a rendu célèbre, en France, en Flandres, en Allemagne, en Suisse, dans le «Manuscripte»; 210-211, «les lacunes… sont traduits»; «Ms. Florence, Ms. Londres», non, mais «de Florence», etc. 1. G. TAMANI, M. ZONTA, Aristoteles Hebraicus…, Venise, Supernova, 1997, p. 140; M. ZONTA, «The Original Text of Vincent Ferrer’s Tractatus de unitate universalis Discovered in an Unknown Hebrew Translation?», Bulletin de philosophie médiévale 39, 1997, p. 147-151; id., «About Saint Vincent Ferrer’s ‘‘Wider Version’’ of his Quaestio sollemnis de unitate universalis in Hebrew Translation» est encore à paraître dans E. H. Füllenbach, G. Miletto (éd.), Dominikaner und Juden, Berlin, Akademie Verlag. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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nord de l’Italie et jusqu’en Bretagne où il mourut en 1419, ne prêchant que dans sa langue maternelle et, dit-on, sachant se rendre intelligible à tous. Le texte édité par H.-D. Fages, Œuvres de saint Vincent Ferrier, t. I, Paris, 1909, puis par J. A. Trentman, «The Questio de unitate universalis of Vincent Ferrer», Mediaeval Studies 44, 1982, p. 110-137, d’après le ms. unique de Vienne, Dominikanerkonvent 49/271, ff. 237-241v qui l’attribuait à «Magister Vincentius O.P.», diffère largement d’une longue citation d’un même traité attribué à «sanctus Vincentius», faite par Petrus Niger (1434-1483). M. Zonta pensait dès 1997 que le texte imprimé par Fages et Trentman était celui d’un abrègement ultérieur, et son travail l’a confirmé depuis dans ce sentiment. La traduction hébraïque est du milieu du XVe siècle. Son attribution au traducteur prolifique ‘Eli Îabilio2 est suggérée avec une forte vraisemblance par son contexte dans le manuscrit. L’étude préliminaire d’A. Fidora, «El filòsof Vicent Ferrer i el problema dels universals» (p. 16-77; en catalan, traduction anglaise en regard), présente l’auteur et situe son ouvrage par rapport à la problématique des universaux au moyen âge tardif. Le texte latin du manuscrit de Vienne est réédité par M. Fidora avec une traduction catalane en regard (p. 84-139), et suivi d’une traduction anglaise. Le texte hébreu édité par M. Zonta, sa rétroversion latine en regard et la « traduction interprétative » en anglais qui suit sont une tentative courageuse de double restitution d’un texte dont l’original latin est perdu et dont la traduction hébraïque l’est à peine moins, l’encre du ms. De Rossi 457 ayant littéralement brûlé le papier par endroits. S’il nous est permis d’exprimer quelques réserves, le choix de l’Éd. de marquer dans l’hébreu tous les passages non lus par la même convention «+…+» sans l’indication du nombre de caractères concernés ne permet pas de se rendre un juste compte de la proportion du texte illisible; d’un autre côté, puisqu’il indique avoir essayé de restaurer le texte hébreu lui-même dans certains passages indéchiffrables (p. 185: «In such places, I have endeavoured to reconstruct the original Hebrew wording as best as I can and as far as is possible»), il aurait été préférable de distinguer de tels passages par un système de crochets, qu’il aurait fallu, il est vrai, employer très fréquemment, or l’Éd. n’a usé de crochets dans l’hébreu que pour restituer les articulations de l’ouvrage et proposer des titres de parties, ce qui facilite d’ailleurs grandement l’accès au texte; enfin, il nous a semblé que la lecture pouvait être nettement améliorée et nous supposons ce qui suit: le manuscrit, que nous avons vu en très mauvais état il y a quelque trente ans, doit être à présent interdit à la consultation; M. Zonta a dû disposer d’un microfilm moins bon que celui de l’Institut de recherche et d’histoire des textes. Voici quelques exemples, à partir de deux sondages: p. 188 (début du texte; f. 127r), l. 7: ‫ שהיה דבר נמצא‬lire ‫ ;שהנה ענין נמצא‬l. 11 2. À propos duquel voir J.-P. ROTHSCHILD, «Questions de philosophie soumises par ‘Eli Habilio à Shêm Tob b. Shêm Tob, vers 1472», in Archives d’histoire doctrinale et littéraire du moyen âge 61, 1994, p. 105-132; ID., «The Hebrew Translation of Ps.-Thomas Aquinas De potentiis animae in the circle of the Ibn Shem Tovs (Spain, ca. 1450-1475)», in G. BUSI (éd.), Hebrew to Latin-Latin to Hebrew. The Mirroring of two Cultures in the Age of Humanism. Colloquium held at the Warburg Institute. London, October 18-19, 2004, Berlin, Freie Universität-Turin, Aragno, 2006, p. 89-131; M. ZONTA, Hebrew Scholasticism in the Fifteenth Century. A History and Source Book, Dordrecht, Springer, 2006, p. 166-208 et 11*33*. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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‫ מהתנאים‬lire ‫ מהמשיגים‬et conséquemment dans le latin, p. 189, l. 14, perceptionibus au lieu de conditionibus; l. 15 +…+ lire ‫( סבת‬lat. l. 19 causa); l. 16 ‫ לבד‬lire ‫להם‬ (lat. l. 20 eis au lieu de solum); l. 17 ‫ לשמות‬lire ‫( למשיגים‬lat. l. 21 perceptionum au lieu de nominum); l. 19 ‫ השכלי‬lire ‫( הפועל‬lat. l. 23 agens au lieu de intellectualis); p. 190, l. 3 ‫ כשמהם הנה וכו׳‬.‫ הישות אחת‬+...+ lire .‫]?[ אישיות ]?[ אחת תמצא בשניהם‬ ‫( הנה וכו׳‬p. 191, l. 3 individualitas (?) una in ambobus. Etc.); l. 3-4 ‫היה מתנועע איש‬ ‫ אחר שסקראט נח‬+...+ ‫ אפלטון‬lire ‫היה מתנועע אחר שאפלטון התנועע ומנוח אחר שסקראט‬ ‫( נח‬lat.l. 3-4 Movetur enim cum Plato motus est et quiescit cum Sortes quieuerit); l. 5 ‫ שיתנועע אחד‬lire ‫ ;שיתנועע דבר אחד‬l. 7 ‫ רתואלסתר בזה‬lire ‫( רסדובלכתי ]?[ בזה‬lat. l. 9 procedendo hoc ordine au lieu de confutando hoc modo); l. 8 ‫ואישׁים הבדל מין‬ ‫ מובנה‬lire ‫( ואשׂים הבדל בין מובניו‬lat. l. 10 ponam differentiam inter sensus eorum au lieu de individua differunt eorum sensu); l. 9 ‫ ואם‬lire ‫או‬. Mêmes observations sur un passage pris de façon aléatoire vers la fin du texte: p. 284 (f. 142r), l. 5 ‫ על זה‬lire ‫ ;עלינו‬l. 9 ‫ ישכיל מה‬lire ‫( הנה למה‬p. 285, l.11 tum, quia non est scientia au lieu de intelligit quod non est etc.); l. 10 ‫ ובעלי תכלית‬lire ‫( הם בלתי בעלי תכלית‬lat. l. 13 et sunt infinita au lieu de et finita); l. 11 ‫ שהנחת‬lire ‫( שהגעת‬attingere au lieu de ponere); ibid. ‫ תכוון‬lire ‫ ;תובן‬l. 12 ‫מהם אשר הם הבלתי‬ ‫ מסכימים‬lire ‫( והבלתי בעל תכלית מהצד אשר הם בו בלתי מסכימים‬lat.l. 16-17 et infinita secundum quod sunt disconvenientia eo au lieu de possibilia ex eis quae sunt disconvenentia); l. 14 ‫שתבא‬...‫ שתהיה‬lire ‫שינשא‬...‫ ;]?[ שתגיע‬l.16 ‫ מצד‬lire ‫ ;מהצד‬p. 286, l. 1 +… + lire ‫( נבחין‬cf.le latin de V cité en apparat, intelligendo, ce qui suggère que l’hébreu soit une copie dont l’original ait porté ‫ ;)נבין‬l. 2 ‫הסכמה אשר ערום אשר סבת‬ ‫ ההם‬lire ‫( הטבע האנושי ]?[ ערום אשר נמצא בהם‬p. 287, l. 2-3 natura humana (?) nuda quae est in eis rebus au lieu de convenientia quae est nuda, quae est causa illarum rerum, cf. V: naturam nudam quae est in eis specifica); l. 5 ‫ במה‬lire ‫ ;ענין‬l. 5-6 ‫כל‬ ‫ האישים מצד שתהיה בעל תכלית‬lire ‫כל האישים הבלתי בעלי תכלית במציאות בעל תכלית‬ (lat.l. 7-8 omnes individui infiniti in existentia finita au lieu de omnes individui secundum quod sunt finita [!]); l. 8 ‫ ]![ כל שכן נטיתם‬lire ‫( כשנבחינם‬lat. 9-10 considerando ea ut au lieu de non tantum inclinatio eorum secundum quod, cf. V: considerando ea ut3); ibid. 2‫ מצד‬lire ‫כפי‬. Nous regrettons d’avoir dû montrer un peu longuement que l’édition du texte hébreu demande, malheureusement, à être révisée au vu du manuscrit ou à l’aide d’un meilleur microfilm. L’ouvrage est complété par un glossaire latin-hébreu des principaux termes du texte et par des index nominum et rerum. Rien donc n’a été omis dans ce volume généreux pour assurer au lecteur le meilleur accès à l’ensemble du dossier. La collection qu’inaugure ce volume annonce pour paraître prochainement deux autres textes de logique médiévale, le Tractatus brevis de modis distinctionum de Petrus Thomae O.F.M. (1280-1337) et le Tractatus de suppositionibus, encore de Vincent Ferrier, déjà publié par Trentman à Stuttgart en 1977. Nouveau témoignage du soin que prend la Catalogne de mettre en valeur son patrimoine littéraire médiéval et de l’effort considérable et exemplaire, dont le revue Arxiu de textos catalans antics est le meilleur témoin, qu’elle consent pour cela malgré la dureté des temps. Jean-Pierre ROTHSCHILD

3. Le choix de secundum quod ne repose donc pas sur une étude spécifique du lexique de V, qui préfère ut. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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Jacobo Israel GARZÓN. – los judíos hispano-marroquies (1492-1973), Madrid, Hebraica Ediciones et Casa Sefarad-Israel 2008, 576 pages. Jacobo Israel Garzón, né à Tétouan, la Jérusalem séfarade, est président de la Fédération des communautés juives d’Espagne après avoir présidé pendant de nombreuses années celle de Madrid et il a été l’un des fondateurs de l’excellente revue Raices. Il était vraiment la personne le mieux préparée, par ses études, sa culture et son expérience, pour donner enfin un ouvrage très exhaustif sur l’histoire des juifs de langue espagnole du Maroc entre l’expulsion d’Espagne et l’exil après l’accession à l’indépendance du Maroc en 1956. S’il existe de nombreuses études sur le judaïsme marocain en général, nous n’avions que des études partielles et en petit nombre sur les juifs marocains de langue espagnole. Avec cet ouvrage nous avons enfin une histoire complète des juifs de langue espagnole qui s’installèrent dans les deux places fortes de Ceuta et Melilla et dans la zone de ce qui deviendra le protectorat espagnol. Dans son introduction l’auteur s’explique sur le choix du titre, «juifs hispanomarocains» qu’il a préféré à séfarade, trop large puisqu’il regroupe tous les juifs du bassin Méditerranéen ou sefardites, sans lien avec le Maroc. Par ce choix l’auteur prend clairement position: les juifs dont il va étudier l’histoire sont au carrefour de l’histoire du judaïsme du Maroc et de l’histoire de l’Espagne. C’est ce qui fait l’originalité et l’intérêt de cette étude. L’ouvrage se compose de deux parties: l’histoire puis la société et la culture, le tout complété par des documents annexes passionnants, un glossaire et une bibliographie très complète qui rendra de grands services. L’auteur a choisi de présenter son travail par périodes chronologiques avec une présentation générale suivie du détail pour chacune des villes où s’est déroulée cette histoire: Alcazarquir, Arcila, Ceuta, Larache, Melilla, Tanger, Tetuan, Xauen. Il suffirait de rassembler les textes pour avoir une histoire de chaque communauté. Dans un premier temps l’auteur étudie les différentes vagues d’arrivée des juifs espagnols, après 1479 et l’établissement de l’Inquisition à Séville en 1487, après la chute du royaume maure de Malaga en 1490, après la capitulation d’Almeria et en 1492 après la chute de Grenade. En résumé, quatre grandes vagues fondent le judaïsme hispano-marocain: 1492: après l’édit d’expulsion des Rois Catholiques; 1493: l’arrivée des juifs espagnols réfugiés provisoirement au Portugal; 1496-97: arrivée des juifs portugais; 1498: arrivée des juifs de Navarre. Pour toutes ces arrivées l’auteur fait un point précis de ce qu’il est possible de savoir sur les origines exactes et sur le chemin parcouru avant d’arriver en terre d’Afrique, ainsi que sur les vicissitudes bien connues: exigences financières des capitaines réclamées en vue des ports d’arrivée, violences physiques et morales, conversions en vue d’un retour vers la Péninsule et enfin débarquement sur des plages inhospitalières ou désertiques. Sous l’intitulé d’historiographie et traditions juives, l’auteur dresse un état de toutes les chroniques qui traitent de l’expulsion de 1492 et du départ vers le Maroc et l’Afrique. Nous citerons les plus passionnantes: la Shalshelet-ha-qabala de Gedalya ibn Yayia du XVIe siècle, celle d’Abraham Torrutiel, peut-être la plus digne de foi, écrite en 1510 par un exilé, enfin Shebe† Yehuda de Shlomo Ibn Verga traduite et éditée en 1927 par Francisco Cantera Burgos. Cet état des chroniques est

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complété par des poèmes, églogues et compositions poétiques inspirées par le drame de l’expulsion et aussi par soixante-dix notices portant sur la vie, l’œuvre et bien entendu les publications des rabbins espagnols réfugiés au Maroc après 1492. C’est là un véritable dictionnaire du rabbinat espagnol du XVIe siècle et de son devenir: une synthèse très riche que les chercheurs sauront exploiter. Dans la partie historique Jacobo Israel Garzon prend le parti très suggestif d’étudier l’histoire des juifs hispano-marocains dans ses rapports avec les diverses monarchies chérifiennes et sous l’œil quelquefois bienveillant mais souvent hostile de l’Europe en général. Il donne des exemples significatifs: Tétouan détruite par les Espagnols en 1399, ruinée par une expédition portugaise en 1437, reconstruite en 1489, Tanger, conquise par les Portugais en 1471, qui passe sous la domination anglaise en 1661 jusqu’en 1684 puis sous statut international au XXe siècle et sous contrôle espagnol pendant la Deuxième Guerre mondiale. Pendant la période uatasida (1492-1554) les juifs sont à peu près bien reçus mais doivent se plier au statut de la dhima avec ses douze règles; en contrepartie de quoi ils jouissent d’une totale autonomie communautaire, religieuse et judiciaire (pour les conflits entre juifs). C’est sous ce statut plus ou moins rigide que vont vivre les juifs jusqu’au XIXe siècle. Pour la période saadi (I554-1660), il convient de se souvenir de l’expédition du roi du Portugal Don Sebastian qui est vaincu par la main du sultan Mohamed AlMutawakilo à Alcazarquivir. Les juifs savent que ce roi du Portugal a promis d’obliger tous les juifs du Maroc à se convertir ou à périr par son épée, c’est pourquoi, à l’annonce de la grande victoire, ils décident que le deuxième jour de rosh Ìodesh Elul sera un nouveau Pourim sous le nom de Pourim Sebastiano ou encore Pourim des chrétiens. La tradition voulait qu’on distribue des aumônes aux pauvres et qu’on lise la meguila en judéo-espagnol et en hébreu qui raconte cet événement. Avec la dynastie alaouite (1660-1792) nous entrons dans la période moderne. Les alaouites originaires du Tafilalet venaient d’une famille d’Arabie arrivée au XIIIe siècle. Mouley Rachid fait la conquête de Tétouan en 1668 puis de Tanger en 1684 et de Larache en 1689. Cette dynastie réussit dans la deuxième moitié du XVIIe siècle à unifier le pays, à moderniser l’armée et à développer les relations avec l’Europe en s’apppuyant sur les grandes familles commerçantes judéo-espagnoles comme les Toledano, les Maimaran ou les Benatar. On peut parler à ce moment d’une véritable renaissance de la culture juive avec de nombreux rabbins comme Yehuda Benatar (1655-1733), Moïse Berdugo (?-1737) ou Jacob Abensur (16731753). 1792-1912 est la période la plus décisive pour l’histoire de ces communautés, en particulier sous le règne de Muley Soliman (1792-1822) qui rétablit la dhima et crée les mellah fermés de Tetouan, Rabat, Salé et Mogador. Le règne de Muley ‘Abd el-RaÌman (1822-1859) est marqué par une application stricte de la dhima alors qu’en Europe les juifs obtiennent un régime de liberté. À partir de cette époque les juifs hispano-marocains recherchent la protection des puissances occidentales ou envisagent même de partir. Deux événements très symptomatiques: l’exécution de la jeune Sol, la tsaddeqet de Tanger qui refuse de se convertir à l’islam, et celle de Victor Darmon, agent consulaire d’Espagne à Mogador, pour avoir eu des relations avec une musulmane. Sidi Mohamed ‘Abd el-RaÌman (1859-1873) sera vaincu par les Espagnols et devra accepter l’occupation de

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Tétouan et de ses douanes pendant deux ans (1859-1860). Il recevra la visite de Sir Moses Montefiore venu défendre les juifs opprimés. Ce dernier fera ouvrir en 1864 la première école de l’Alliance Israélite Universelle qui accueillera quatre cent cinquante élèves en 1885. L’auteur examine avec attention l’impact de cette guerre hispano-marocaine sur la communauté de Tétouan et en particulier sur le phénomène encore mal connu de la ré-hispanisation du judéo-espagnol ou jaquetia au contact des militaires espagnols. La presse espagnole de ce temps fit de nombreux reportages sur la langue espagnole archaïque que parlaient les juifs de ces villes. La période coloniale est évidemment marquée par la conférence d’Algésiras et l’établisement des deux protectorats, espagnol au nord du pays et français dans le reste du territoire. Cet ouvrage ne prend en compte que la zone du protectorat espagnol de 1912 à 1956. Pendant cette période la bourgeoisie juive va s’enrichir et participer au développement des juderias en dehors des murailles des villes. En particulier à Tanger, qui obtient un statut de ville internationale en 1923 et qui en profite largement même si la crise de 1929 en ralentit les effets. La démographie est aussi en hausse: ainsi Tétouan passe-t-elle de 4250 habitants en 1913 à 8156 en 1940, tandis que Larache conserve sa population de 200 habitants, comme Alcazarquivir; Arcila et Nador en comptent quelques centaines. À cela il convient d’ajouter les populations juives de Ceuta et de Melilla qui demeurèrent des villes de souveraineté espagnole. Au total on peut dire qu’en 1944 les Judéo-espagnols du Maroc sont autour de 30.000. Cette population évoluera en fonction des événements historiques: émigration vers la zone du protectorat français offrant de meilleures opportunités économiques; guerre civile espagnole qui, sans rien changer au statut juridique des communautés, fut néanmoins peu favorable aux juifs compte tenu des liens du franquisme avec le nazisme. De toutes les manières le flux migratoire vers l’Argentine et le Venezuela ne cessa jamais au long du XXe siècle. Pour la période post-coloniale de 1956 à 1973, l’auteur résume bien la situation: «Les raisons qui expliquent la diaspora des juifs: il faut signaler la naissance de l’État d’Israël en 1948, les erreurs de la politique marocaine vis-à-vis des juifs (malgré la bonne volonté de Mohamed V et de Hassan II), l’influence de l’éducation occidentale reçue durant un siècle, et le rôle de la ré-hispanisation de la langue parlée». La mort de Mohamed V et la guerre de 1973 accélèrent le mouvement de départ, clandestin ou accepté par les autorités marocaines et aujourd’hui, dans ces petites villes, il ne reste que quelques centaines de juifs. Dans le chapitre sur les communautés juives hispano-marocaines à l’étranger l’auteur livre une très intéressante étude où il rend compte de ses recherches sur les populations à Gibraltar, au Royaume-Uni, au Portugal, au Brésil, à Oran, en Égypte, en Espagne, au Pérou, en Argentine, au Venezuela et en Israël. Dans la deuxième partie de cet ouvrage presque encyclopédique nous trouvons, sous le chapitre «culture et société», des études sur le vêtement, les vêtements de mariage, la langue, la poésie, les mentalités, la vie familiale et religieuse, la liste des noms les plus courants, la liste des principaux rabbins classés par ville, les habitudes alimentaires, le folklore, les coutumes et l’artisanat, l’organisation communautaire, le régime juridique, le système éducatif, les organisations caritatives, le patrimoine dans les villes et quartiers juifs, les synagogues, les cimetières, les hôpitaux, les

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journaux et la presse juive. Les grandes figures du monde intellectuel comme José Benoliel ou Samuel Lévy, avec un dictionnaire des auteurs juifs et l’étude particulière de deux romans, Mazal Tob de Blanche Bendahan et Indianos tetuanies de Isaac Benaroch Pinto. En plus des innombrables notes en bas de page, l’auteur nous offre plusieurs annexes: la transcription d’un contrat de mariage de 1857, le rapport d’Isaac Benchimol sur les fêtes religieuses à Tétouan, le rapport de la société de bienfaisance Yagdil Tora de Tétouan entre 1913 et 1920, le compte rendu de la première assemblée de la Confédération des associations hispano-marocaines en janvier 1920, le dahir (décret) créant la communauté de Tanger en 1925, un glossaire et une bibliographie exemplaire et complète. Ce livre sera d’une grande utilité pour tous les chercheurs de France, d’Espagne et du Maroc qui y trouveront de nombreuses sources d’information et des pistes de recherches. Il plaira bien entendu à tous les descendants de cette diaspora qui retrouveront ainsi les traces de leurs familles et de leurs histoires. On pourra difficilement faire plus et mieux sur ce sujet. La lecture est toujours facilitée par un style fluide et concis, ce qui doit être signalé. De nombreuses illustrations, dont certaines sont inédites, complètent l’ensemble qui a reçu l’appui de la Casa Sefarad-Israel, organisme créé par le gouvernement espagnol pour favoriser et aider une meilleure connaissance et compréhension du fait séfarade et à l’amélioration des relations avec l’État d’Israël. Le livre refermé, on a le sentiment que l’auteur a bien rempli sa mission en nous offrant les ombres et les lumières d’une communauté aujourd’hui disparue au Maroc mais encore présente et vivante à Madrid, à Barcelone, à Malaga, à Caracas, à New York et à Paris. Charles LESELBAUM Alberto CASTALDINI. — La segregazione apparente. Gli Ebrei a Verona nell’età del ghetto (secoli XVI-XVIII), Florence, Leo S. Olschki, 2008, XVI + 218 pages («Accademia Nazionale Virgiliana di Scienze Lettere e Arti, Classe di Scienze Morali», 3). Comme l’indique son titre, ce livre s’inscrit dans un courant historiographique tendant, sinon à valoriser le rôle du ghetto dans l’histoire des juifs d’Italie, du moins à montrer sa richesse et sa complexité: la «ségrégation» qu’il a imposée aux juifs de la ville de Vérone (en Vénétie, dans le nord de l’Italie, dans l’État de Terre Ferme que la République de Venise s’est constitué à la fin du Moyen Âge) ne serait qu’«apparente», voilà la thèse qu’il défend dans huit chapitres thématiques entraînant son lecteur sur deux siècles d’histoire, de la création du ghetto de Vérone (autour de 1599) à l’année 1796, date d’une double rupture dans l’histoire des juifs de Vérone: la chute de Venise et, avec l’arrivée des Français, l’ouverture du ghetto, c’est-à-dire l’émancipation des juifs. L’introduction fait la part belle à la présentation du ghetto comme facteur de stabilité protégeant l’identité des juifs (p. X), comme «solution de compromis» moins dure que l’expulsion pure et simple, si bien que l’on ne peut porter sur lui un jugement «entièrement négatif» (Robert Bonfil, cité p. XI) — du reste, les juifs de Vérone fêtèrent, semble-t-il, l’institution du ghetto.

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La mémoire conservée de ce ghetto véronais est faible: il fut détruit dans les années 1920, et l’on n’en a donc guère d’autres traces que de papier. Le premier chapitre envisage la création du ghetto, perçue comme nécessaire à la fin du XVIe siècle en raison de l’arrivée de nouveaux juifs à Vérone et de l’influence du modèle vénitien (le ghetto est institué à Venise en 1516). Un lieu est choisi, central et proche du marché, mais il faut longtemps pour passer du projet à la décision et de la décision à l’ouverture effective du ghetto: ce processus, dans lequel l’évêque de Vérone Agostino Valier joue un rôle décisif, s’étale de 1585, voire 1579 (ou même 1547, à en croire la note 15, p. 6), à 1599. Aux 400 âmes que compte alors la communauté, on impose de résider dans un quartier fermé — rappelons qu’obligation de résidence et fermeture sont les traits caractéristiques du ghetto —, non sans avoir au préalable réglé les questions de propriété juridique des immeubles, le système locatif intégrant même le droit du locataire appelé le jus gazagà (qui vient de Ìazaqah). Le ghetto connaît une croissance démographique soutenue au long de l’époque moderne, due à la natalité et à l’immigration — surtout, au cours du XVIIe siècle, l’arrivée des juifs ibériques dans une communauté jusqu’alors composée de juifs italiens et ashkénazes. Il faut donc sans cesse aménager voire agrandir le ghetto: parfois les juifs font part de cette nécessité aux autorités chrétiennes (on trouve à ce propos p. 36 une étrange histoire présentant des «rabbins» demandant, en 1749, qu’on leur concède un petit édifice où se tenir quand nécessaire pour ne pas contracter l’impureté que les morts pourraient leur transmettre: sont-ce vraiment des rabbini, ou bien plutôt des «prêtres», soit des kohanim?). Le deuxième chapitre, sur la vie quotidienne des juifs du ghetto, présente les facettes de ce monde quasi insulaire, ce microcosme qui, aux chrétiens de Vérone, semble exotique et peuplé d’étrangers: l’antijudaïsme n’atteint pas «les excès d’autres villes de la Péninsule» (p. 37; on peine à imaginer un antijudaïsme qui ne soit pas un «excès», mais c’est une question de formulation), mais il y a quelques «épisodes d’intolérance» (p. 38-40). Comme on le sait grâce aux divers travaux sur les juifs d’Italie, la synagogue est alors un lieu d’une grande importance dans la vie juive, lieu de prière mais aussi lieu d’étude, lieu de réunion, lieu de communication avec les pouvoirs, remplissant au besoin des fonctions «profanes». Sont successivement envisagés le dialecte juif véronais — plutôt peu développé par comparaison à d’autres villes d’Italie; la «société juive», avec ses marginaux; les organes d’autogouvernement, à commencer par la fort officielle communauté juive de Vérone, avec son conseil restreint et son conseil élargi; les métiers du ghetto; les relations entre juifs et chrétiens (relations commerciales, prêt masqué, frictions souvent dues à des problèmes de relations intimes et de conversions au christianisme). Le chapitre suivant porte sur la vie religieuse qui, comme dans toute la diaspora, tourne alors autour des synagogues, spécialisées selon les «nations» de provenance. Le récit fameux que fait Montaigne dans son Journal de voyage d’une circoncision à Rome le 30 janvier 1581 fait ici l’objet d’une lecture discutable: chacun appréciera au vu du texte si l’on peut affirmer que cette cérémonie parut à Montaigne «un vacarme indistinct» qui lui «fit une impression négative» («un frastuono indistinto che male impressionò l’autore degli Essais»). L’élite religieuse des rabbins est présentée, dans sa hiérarchie italienne (morénu haRav, chavèr et

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chakhàm), avant que ne soient évoquées les principales figures rabbiniques de la Vérone moderne, la plus connue étant celle de Menachem Navarra (1717-1777), médecin de formation, rabbin de la communauté pendant près de vingt-cinq ans et auteur prolifique, qui fait l’objet d’un développement à part. Les juifs disposent de plusieurs institutions d’assistance et de solidarité, sans oublier le cimetière séparé où ils reposent. Le dernier chapitre, sur l’identité juive et la culture, confirme la profonde imprégnation chez les juifs véronais de la culture profane non-juive (sciences, lettres, grec, art, musique, etc.), avec les figures de poètes, de médecins, etc., le plus illustre étant bien sûr Isaac Cardoso, qui a écrit Las excelencias de los Hebreos à Vérone: un long développement porte sur cet homme auquel Yossef Haïm Yerushalmi a consacré un livre bien connu. Cardoso meurt en 1683 et est sans doute enterré au cimetière véronais de Campofiore. La communauté de Vérone est marquée par la vogue de la cabbale et par l’arrivée de marranes, mais aussi par le sabbatianisme, qui pour finir nuit à la communauté car il déconsidère la foi juive auprès des polémistes chrétiens. Le livre envisage ensuite l’éducation juive dispensée dans le ghetto et le programme «scolaire» que suivent les jeunes élèves juifs; et la typographie et les livres imprimés dans le ghetto de Vérone, les principaux ouvrages imprimés, parfois notables, étant signalés par l’auteur. Enfin, un épilogue considère la «suite de l’histoire»: le déclin de Venise et l’émancipation. La République disparaît le 12 mai 1797; les troupes françaises, comme ailleurs, ouvrent le ghetto, plongeant les juifs dans une période nouvelle, celle de l’émancipation. On peut regretter que l’ouvrage n’ait visiblement pas tiré profit des archives de la communauté juive de Vérone, conservées aujourd’hui en Israël, où elles sont parties dès avant la guerre; si l’on croise quelques sources dans La segregazione apparente (notamment l’Historia de riti hebraici, de Leon Modena, plus vénitienne que véronaise), il n’y est pas question d’archives (en italien non plus qu’en hébreu), ou à peine et de seconde main; le volume ne repose que sur de la «bibliographie secondaire», fort bien maîtrisée et utilisée, et il constitue donc plutôt un ouvrage de synthèse, sur un thème sur lequel existent déjà de nombreux travaux. Les emprunts aux auteurs ayant travaillé directement sur les juifs de Vérone (en particulier Bonamini, Ioly Zorattini et Pavoncello) ou qui ont touché à ce sujet ou à un sujet proche (Bonfil, Borelli, Roth, Yerushalmi, etc.) sont légion, comme en témoigne l’index des auteurs cités. Autre regret, plus ponctuel, mais signe d’une faible sensibilité à la forma urbis: l’absence de carte de Vérone tout entière et de la place du ghetto dans la ville, alors même que lesdites cartes existent (et sont même évoquées par l’auteur, p. 74). Des récits ponctuels disposés en ordre chronologique dans des passages thématiques, voilà qui forme l’essentiel du livre. La volonté de «séparation physique entre les deux communautés religieuses» est évoquée comme raison du ghetto véronais (p. 19), mais en passant, et la discussion sur l’historiographie du ghetto est un peu éparpillée; le livre ne fournit pas vraiment de réflexion de fond sur les raisons qui ont présidé à la création du ghetto véronais, à la différence, par exemple, du livre de Stefanie Siegmund pour Florence (The Medici State and the Ghetto of Florence, 2007). Voilà les regrets qu’on peut formuler envers ce livre, au demeurant maniable, clair et de lecture agréable. Pierre SAVY

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Sharon FLATTO. — The Kabbalistic Culture of Eighteenth-Century Prague. Ezekiel Landau (the «Noda Biyehudah») and his Contemporaries, Oxford-Portland (Oregon), The Littman Library of Jewish Civilization, 2010, XIII + 268 pages. Il arrive en histoire qu’une fin projette une ombre sur ce qui l’a immédiatement précédée et qu’une période que sa suite n’a pas prolongée soit négligée ou dépréciée par les chercheurs. C’est, selon l’A., ce qu’on observe à propos du judaïsme de Prague (dix mille personnes alors), demeuré vivace dans sa culture traditionnelle pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, en dépit du rapide déclin du début du siècle suivant. L’Édit de Tolérance de Joseph II, en 1781, n’avait rien changé aux institutions communautaires: le tribunal rabbinique, les hautes écoles talmudiques, les petites écoles demeuraient les mêmes; rien de comparable avec le Berlin contemporain. Indissociable de la communauté apparaît son chef spirituel pendant près de quarante ans, de 1754 à sa mort, le rabbin Ézéchiel Landau (1713-1793), par sa position institutionnelle, par sa longévité dans celle-ci, par sa forte personnalité qui fit de lui l’interlocuteur des autorités rabbiniques de toute l’Europe aussi bien que des souverains politiques, Marie-Thérèse puis Joseph II, enfin par sa vaste activité d’écrivain. Landau avait été formé en Pologne et y avait acquis sa sensibilité à la kabbale; la découverte récente de ses annotations aux Derekh ‘eÒ Ìayyim et Peri ‘eÒ Ìayyim de R. Haïm Vital et la prise en compte de son rôle dans l’édition du rituel kabbalistique Tiqqun nefes complètent l’image du halakhiste célèbre pour ses huit cent cinquante responsa rassemblés dans le recueil Noda‘ bi-Yehudah, ses novellae sur le Talmud ∑iyyun le-nefes Ìayyah et son annotation au SulÌan ‘arukh intitulée Dagul mi-rebabah; le chef de communauté, auteur de nombreux sermons, y exprimait d’ailleurs sa familiarité et celle de son public avec les thèmes kabbalistiques. La différence entre les responsa, très réticents devant la kabbale, et les écrits spécifiques sur celle-ci, et encore avec les sermons, s’expliqueraient à la fois, nous y souscrivons volontiers, par une différence de genre et de publics. Les responsa se doivent de rappeler à l’ensemble du monde ashkenaze, si ce n’est du monde juif, le primat du raisonnement halakhique «pur» sur les considérations kabbalistiques en matière de décisions rituelles à caractère public, également de prévenir toute complaisance qui pourrait faire le jeu des antinomismes sabbataïstes ou frankistes, le premier péril aux yeux de l’orthodoxie de cette génération; quant aux sermons, ils sont la preuve de la familiarité déjà acquise et persistante de la communauté de Prague avec la kabbale; au surplus, en fait de kabbale, Landau se montre davantage respectueux des acquis d’une littérature vénérable qu’adepte de spéculations nouvelles. Quant aux sources kabbalistiques, on met en œuvre la méthode recommandée par M. Idel, Hasidism: between Ecstasy and Magic, celle d’une «analyse panoramique» qui tienne compte de leur diversité et l’on se met ainsi en mesure de contester après I. Tishby, B. Sack et lui, le primat absolu de la kabbale lurianique dans le sabbatéisme et dans le hassidisme moderne. Le débat ainsi évoqué ressemble assez à la confrontation de deux pétitions de principe, chaque école trouvant les sources, ou plutôt le point de vue unificateur, dont elle s’est mise en quête, ou non, mais nous nous gardons bien d’un avis personnel en matière aussi complexe et aussi étrangère. La revue des sources et des thèmes de la kabbale chez Landau conduit aussi à une prometteuse révision du point de vue conventionnel sur l’opposition entre Ìasidim et mitnagedim:

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son âpreté tiendrait moins de la lutte des contraires que du combat fratricide ou, pour le dire avec l’A. dans les mots de Freud, du «narcissisme des petites différences». L’étude procède ainsi: la continuité de la communauté de Prague et de sa culture halakhique et kabbalistique, le rôle du R. Landau et les tendances et menaces nouvelles (trois chapitres); la formation et l’engagement de Landau en kabbale, ses réticences à en traiter ouvertement (trois chapitres); la diversité de ses sources kabbalistiques (trois chapitres: Zohar et sources anciennes; extase et enseignement cordovériens; lurianisme); principaux thèmes kabbalistiques chez Landau et à Prague (deux chapitres: les démons, l’âme et la vie dans l’Au-delà; la théurgie et l’exil de la Sekhinah). La conclusion, pour une part, répète sans raison l’introduction et, pour une autre, évoque brièvement le déclin rapide du savoir juif dans les deux générations suivantes du judaïsme pragois (le proche Presbourg du Îatam Sofer devient alors la citadelle de la tradition) et la place qu’y tinrent encore les fils et un des petits-fils du R. Landau. En se réclamant de l’étude des «mentalités» selon l’école des Annales et dans une «longue durée» (tout cela en français dans le texte), l’A. soutient dans l’introduction qu’à l’image de son chef, la communauté subit, dans la période considérée, davantage l’influence de la kabbale de l’Est que celle de la haskalah. Mais au fond, l’ouvrage semble hésiter entre l’étude d’une personnalité et celle d’une société pour se limiter en fait, le simple exposé du plan l’a montré, à la première et à celle de quelques autres personnages marquants, sur un fonds de société rappelé dans la première partie et évoqué en conclusion. La société se déduit donc, dans le meilleur des cas, précisément, de l’image ici brossée de son chef. C’est le lot de beaucoup de livres de n’être pas tout à fait ce qu’ils annoncent. Celui-ci n’en est guère moins intéressant, puisque nous y gagnons, documentée par une solide bibliographie de sources primaires et secondaires (p. 233-259), la première biographie intellectuelle fouillée d’un acteur majeur de la vie spirituelle et institutionnelle du judaïsme du XVIIIe siècle, avec, tout de même, d’importantes retombées quant à la société ellemême: réévaluation du dernier demi-siècle avant l’irruption des idées de réforme; révision des termes de la confrontation entre le hassidisme moderne et ses adversaires; présence effective de la kabbale dans une des plus grandes communautés juives. — Un index général détaillé oriente efficacement dans l’ouvrage. Jean-Pierre ROTHSCHILD Nicole SAVY. — Les Juifs des romantiques. Le discours de la littérature sur les Juifs de Chateaubriand à Hugo, Paris, Belin, 2010, 253 pages («Littérature et politique»). Ce livre décrit une évolution qui conduit des archétypes abstraits du juif vers une prise en compte de la diversité des juifs réels, au fond parallèle à (et déterminée par) l’intégration progressive des juifs au corps national, l’accroissement de leur nombre et leur plus grande visibilité dans un «temps long» du romantisme français qui ne se borne pas à la première moitié du XIXe siècle mais s’étend jusqu’à la mort de Victor Hugo. On y fera son profit de bien des choses: du rappel de ce que la notion de «race» fut au XIXe siècle reçue partout, d’ailleurs pas nécessairement biologique (Renan,

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Michelet) ni défavorable aux juifs (Gobineau) (ch. 2). De ce que les archétypes littéraires des romantiques français sur le sujet furent anglais: le Marchand de Venise, adapté par Vigny, traduit par François-Victor Hugo; et Ivanhoé, traduit dès 1820 et objet d’un engouement considérable (ch. 3). Autre réservoir d’archétypes, la Bible mise à la mode par Chateaubriand d’où sort le juif «perpétuellement antique», errant ou Job, cependant que la veine anglo-médiévale de l’usurier se poursuit, dont les exemples sont présentés selon une progression bien étudiée: Namouna de Vigny (1832) s’en tient au vieux préjugé; Le juif (Filippo Ebreo) de Stendhal, inachevé (1831), est une curieuse tentative avortée pour concilier le vieux type avec un récit à la première personne et des aventures picaresques; Jonathas de La fée aux miettes de Nodier (1832) est une «mise en excès qui désarme le stéréotype»; dans Le pauvre colporteur de Lamartine (1835), le poète brave la foule au nom de l’humanité, Christ nouveau qui piétine les préjugés des bigots (ch. 4). Jusqu’ici, le juif réel est absent et lorsqu’il paraît, sous la Monarchie de Juillet, c’est sous la figure exceptionnelle et par là encore irréelle de James de Rothschild: «Shylock, d’un coup, se modernise» (ch. 5); non sans aigreur d’abord (Chateaubriand ne s’y étend pas, Vigny bien davantage, notamment dans des notes personnelles qui expriment la rancœur de l’aristocrate abaissé par la révolution de 1830 supposée payée par le financier), sous des avatars plus ou moins déjudaïsés chez Stendhal (Thaler dans Le rouge et le noir, Leuwen dans le roman éponyme), avec excès dans le dithyrambe chez Delphine de Girardin (alias le vicomte de Launay) dans les années trente et quarante et, bien plus tard (1863-1865), dans La San Felice de Dumas où s’opère une réhabilitation à la fois romanesque (le banquier héroïque) et politique. L’approche du juif réel connaît encore un détour: les juifs étrangers, plus nombreux et visibles dans ces contrées dont on peint la couleur locale (ch. 6): Nerval à Vienne (pittoresque), Stendhal à Rome (politique), Flora Tristan à Londres (compassion), la demi-juive Marie d’Agoult évoquant de l’intérieur le ghetto de Francfort, Heine transposant son judaïsme tourmenté dans le moyen âge du Rabbin de Bacharach (1825-1840) et des Mélodies hébraïques (1851) et, le premier, nommant Moïse un socialiste et formulant le plus nettement l’injuste paradoxe des vieilles imputations de déicide, de crime rituel et de commerce de l’argent; bien entendu, en Orient (ch. 7), les juifs font partie de la diversité ambiante, courtiers et misérables, mais d’une ténacité ou d’une noblesse dans le malheur qui frappent Lamartine et même Chateaubriand; Dumas seul y a vu des juifs aisés et se distingue encore par sa bienveillance; Gautier, qui ne craint pas ailleurs les stéréotypes malveillants (Le pied de momie, Le roman de la momie), se montre prémonitoire en 1846, puisque le canevas d’Ivanhoé lui sert à mettre en scène l’alliance des chrétiens et des juifs contre l’Arabe dans l’Algérie nouvellement conquise. Ce chapitre et le suivant reviennent sur l’étrange différence féminine (dont Chateaubriand seul rend compte théologiquement: les hommes ont crucifié Jésus, les femmes l’ont assisté): autant le vieillard juif est le plus souvent laid, ridicule et moralement disgracié, autant ses filles sont «adorablement belles» (Drumont!), la «figure décisive» étant La Juive (ambiguë, puisque croyant l’être elle ne l’est pas) de l’opéra de Scribe et Halévy (1835; près de six cents représentations jusqu’en 1930; joué à l’inauguration de la salle Garnier en 1875); c’est que l’interdit, l’antique noblesse, la vulnérabilité et la lascivité orientale réunis font de la juive en sa jeunesse une troublante figure (on aurait pu faire ici allusion à la peinture) avant que la vieillesse lui fasse intégrer le type de

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la sorcière; au sortir du romantisme, Baudelaire avec la fraternité dans la déchéance, les Goncourt avec la peinture d’un naturalisme cru des pièges de la séduction, dissoudront cette image. Ambigu lui aussi, immensément populaire au XIXe siècle et multiplié par l’imagerie d’Épinal, le Juif errant, proche et lointain, unissant les temps, figure aussi, chez les socialistes, de l’humanité souffrante (ch. 9), évoqué par Chateaubriand et Balzac, chanté par Bérenger, mais surtout mis en scène par Edgar Quinet (1833-1838), Eugène Sue (1844-1845) chez qui les juifs incarnent l’humanité fidèle et persécutée et les jésuites, la rapacité, et Dumas qui commença en 1852 une épopée de dix mille pages dont il n’écrira que mille; son juif errant, qui s’arrêta chez Cléopâtre, est un révolté vigoureux, mais plus pour des motifs narratifs que philosophiques: ce sont là des figures universelles de 1848 et la «dilution d’une des figures de l’antijudaïsme ancien». Les chapitres suivants traitent de trois écrivains: le ch. 10 évoque l’antijudaïsme spontané et l’œuvre contradictoire de George Sand, le ressentiment économique de son ami Pierre Leroux, les incriminations de Sand et Flaubert contre leur éditeur Michel Lévy, une autre manière de penser l’altérité et l’errance. Dans la Comédie humaine (ch. 11) paraissent, parmi deux mille cinq cents personnages, une trentaine de juifs; les relations de Balzac avec James de Rothschild sont exemplaires, il a des mots élogieux pour Samuel Cahen, traducteur de la Bible, avec cela maltraite l’«affreux juif» Crémieux et méprise les juifs polonais; notablement, les juifs de la Comédie sont intégrés à la société, les enfants d’unions mixtes sont nombreux; parmi les courtisanes et avec toutes leurs ambiguïtés, le type juif domine, très présent aussi chez les hommes d’argent, mais toujours (Esther, Gobseck, Nucingen — plutôt Fould que Rothschild —, Halpersohn, Magus) un noble idéal ou une passion désintéressée transcende le stéréotype et certains sont, comme le romancier même, les démiurges de l’humaine comédie. Enfin Victor Hugo (ch. 12): plus que tous il a évolué et est parvenu à une perception plus aiguë de la cause juive; aux premiers stéréotypes, à la vindicte de 1832 contre l’apostat Simon Deutz, dénonciateur de la duchesse de Berry, font suite des ambiguïtés dans Cromwell et les Burgraves, les réclamations de S. Cahen dans les Archives israélites et les explications d’Hugo, le judaïsme encore médiéval de Francfort dans Le Rhin (1842), une intervention en faveur des juifs de Rome et une déclaration «d’amitié et de péremption» dans les Archives israélites (1849); dans les années 1850, le père en deuil de sa fille, l’exilé, l’annonciateur des Châtiments, l’homme de l’espérance et de l’amour se reconnaît en Job, Isaïe, Ézéchiel; Le Gibet de la Fin de Satan oppose Jésus à la violence fanatique des prêtres, mais toutes les religions sont visées: «Partout l’homme est méchant…/ Toute divinité dans ses mains dégénère/ En idole»; dans Torquemada (1869, publié en 1882) le peuple juif est l’innocence condamnée, et le poète lui-même, pourchassé et prophète. Retour d’exil, Hugo assiste à un mariage rue de la Victoire en 1877, la musique seule le surprend; aux pogromes de 1881 il répond, après bien des hésitations, par un appel au droit et à la justice, appelant à arracher l’avenir aux «doigts de spectre» du passé. L’A. voit volontiers dans ce passage «de l’indifférence à la curiosité, de la souffrance à l’identification, de l’écriture à l’action… à la politique et au droit, au nom de l’histoire, de l’humanité et du progrès» le modèle de la convergence de la sollicitude pour la cause juive avec la lutte contre tous les refus de l’autre, objet d’une conclusion qui insère son propos dans sa propre vision du monde et de l’actualité.

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Ainsi, les positions personnelles ne sont pas celées mais le propos repose sur une documentation solide et finement interprétée. Jean-Pierre ROTHSCHILD Haïm KORSIA. — Gardien de mes frères, Jacob Kaplan, préface du bâtonnier André DAMIEN, Ivry, Éditions Pro-Arte, 2005, 182 pages. Destiné à un large public, ce livre attachant n’est pas remplacé par celui qui est recensé ci-après, sauf en ce qui concerne la préface, reprise à titre de prologue. Il comprend en effet une iconographie originale rassemblée par l’auteur et Jacques Giami, un ensemble d’un grand intérêt intégré chrnologiquement à cette biographie aussi riche que concise du grand rabbin. Gérard NAHON Haïm KORSIA. — Être juif et Français. Jacob Kaplan, le rabbin et la République. Préface de Jacques CHIRAC, prologue du bâtonnier André DAMIEN, [Paris], Éditions Privé [reprises par Michel Lafon], 2006, 418 pages. L’histoire du judaïsme moderne et contemporain de la France a fait l’objet dans les dernières décennies de recherches novatrices. Nombre de thèses — comme celleci, dirigée par le professeur Paul Lévy à l’Université de Poitiers — ont été soutenues dans plusieurs universités. Beaucoup d’ouvrages sont venus éclairer des aspects connus ou mal connus de cette histoire, surtout contemporaine. Cependant le rabbinat, un aspect primordial pour la pratique et plus encore pour la compréhension du judaïsme — même sur les plans politique ou intellectuel — reste le parent pauvre des travaux universitaires. Le choix du grand rabbin Jacob Kaplan (1895-1994) constitue en soi une contribution de prix, s’agissant tant d’une personnalité rabbinique de premier plan dans notre pays que de la place qu’elle a occupée dans l’État près d’un siècle durant. Cette recherche met en œuvre plusieurs fonds d’archives publiques, communautaires, privées, peu ou pas exploités jusqu’à présent dans cette perspective; à certains d’entre ces fonds jusqu’ici fermés à la consultation, l’auteur est parvenu à obtenir l’accès. Il fait appel aussi à des témoignages écrits et oraux, aux souvenirs que luimême conserve de son personnage, à la littérature historique du XXe siècle, à la presse juive, générale, voire à la presse clandestine sous l’occupation. L’enquête a opéré un choix délibéré, à savoir, la personnalité rabbinique, essentiellement dans la cité, au contact des hommes politiques, de la presse, de l’Église, sans s’interdire pour autant de s’introduire à l’intérieur des consistoires et des communautés. Les rouages et le fonctionnement de ces institutions propres au judaïsme français devaient en effet être expliqués sous peine de rendre illisibles les démarches et les actions du rabbin, puis du grand rabbin de Paris (1950-1955) et du grand rabbin de France (1955-1980). H. K. a voulu présenter simultanément le contexte historique, le monde politique français et étranger, la communauté juive aux prises avec la conjoncture — tragique parfois, et l’on pense à l’époque de Vichy, délicate toujours, spécialement lorsqu’il

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importait de récupérer les enfants Finaly sans heurt frontal avec l’Église —, l’action et la pensée du rabbin puis du grand rabbin à l’intérieur des cadres tracés par l’institution consistoriale. À cet égard l’auteur met en lumière la complexité et la particularité sociologiques d’un système où les notions de pouvoir, de liberté et de susceptibilité s’équilibrent d’une manière plus ou moins heureuse. H. K. explique pourquoi et comment, sous le régime de Vichy, le Consistoire Central et ses dirigeants repliés à Lyon paraissent osciller entre une apparente collaboration et une dose à apprécier de résistance. Fallait-il alors s’accrocher à la légalité alors que celle-ci allait manifestement à l’encontre de la loi naturelle? Dans cette perspective apparaissent tant l’institution consistoriale elle-même que les laïcs, les rabbins et le rabbin Jacob Kaplan, nommé grand rabbin de France par intérim lorsque, menacé, Isaïe Schwartz, titulaire de la dignité, dut quitter Lyon — dans leur effort pour sauver ce qui pouvait l’être dans l’honneur et la dignité, avec tous les points d’exclamation et d’interrogation qui s’imposent. L’ouvrage s’articule sur quatre périodes: «une personnalité prometteuse», «la Résistance à Vichy», «l’artisan du renouveau», une personnalité française». La première partie s’attache à la famille, aux modèles, à la formation classique du jeune homme — études rabbiniques au Séminaire Israélite de France et universitaires à la Sorbonne —, à sa conduite courageuse sur le front durant la Première Guerre mondiale, à sa chaire de Mulhouse puis de Paris, d’abord à la synagogue de la rue Notre-Dame de Nazareth puis dans celle de la rue de la Victoire. Il adopte alors une attitude positive face au patriotisme des Croix de Feu, mais aussi face à l’accueil des immigrés — une attitude qui n’allait pas toujours de soi — et face au sionisme alors très minoritaire dans le judaïsme français. La deuxième partie, la plus sensible sans doute, revient sur la réception par le Consistoire, très vite exilé à Lyon, du Statut des juifs, des rafles, des déportations, de l’aryanisation des biens juifs. Elle fait apparaître le grand rabbin, — bientôt grand rabbin de France par intérim — dans ses efforts pour aider ses coreligionnaires, dans ses démarches pour obtenir une intervention de l’Église en leur faveur, pour arrêter les déportations et alerter l’opinion, dans les moments où il échappe lui-même de justesse et dans des circonstances curieuses à une arrestation par des agents de la Milice. La troisième partie s’attache à la difficile réorganisation de la communauté juive française amoindrie, appauvrie, saignée à blanc par la guerre, les spoliations, les déportations. Elle met en valeur les rapports du grand rabbin avec l’Église. Il s’agissait alors, certes, de développer les rapports d’amitié et de confiance avec l’Église catholique, mais aussi de tenir le cap avec fermeté, pour atteindre des objectifs ponctuels comme le retour en France et la libération des enfants Finaly cachés en Espagne. Il s’agissait à plus long terme d’entreprendre une tâche de longue haleine visant à remplacer «l’enseignement du mépris» du judaïsme — tellement enraciné qu’il paraissait naturel — par «un enseignement de l’estime». Le grand rabbin œuvre encore pour l’accueil des juifs rapatriés d’Algérie. Vis-à-vis de la nouvelle politique arabe du général de Gaulle, il assume et affirme la solidarité croissante des juifs de France avec Israël. Sur ce dernier aspect de l’action et de la pensée du grand rabbin, une documentation inédite mise au jour par l’auteur fournit des clés d’explication, sinon de compréhension, du personnage et des personnels politiques qu’il côtoie. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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La dernière partie consacrée en principe au couronnement de cette carrière rabbinique dans le siècle, l’élection du grand rabbin — une première dans l’histoire de la France — à l’Académie des sciences morales et politiques, s’attache davantage à l’activité relationnelle avec l’Église et avec le monde de la pensée française qu’à la production littéraire, pourtant immense, du grand rabbin Jacob Kaplan, une production envisagée essentiellement dans sa fonction apologétique sans doute, pédagogique certainement. Le grand rabbin entend montrer en produisant un florilège de textes que les grands auteurs français ont souligné l’apport du judaïsme au christianisme et à la France. Dans sa conclusion, H.K. souligne le fil conducteur de la pensée et de l’action du grand rabbin Kaplan: «réussir l’union absolue entre sa vision du judaïsme et de la France», une vision qui intègre la dimension particulariste et la dimension universaliste de la religion juive. Les documents produits en annexe (pp. 377-400) comprennent notamment le discours du rabbin lors d’un office au Temple Victoire pour les Croix de feu en 1936, une lettre du cardinal Pacelli (futur pape Pie XII) du 12 juin 1938, une lettre du grand rabbin à Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, du 31 juillet 1941, son ordre de mission aux États-Unis du 8 novembre 1944, une lettre d’André Neher du 28 mai 1945, la plaidoirie de l’avocat du Grand Rabbin en 1948 contre Simone Berriau — comédienne réputée qui accola son nom à celui du théâtre Antoine —, propriétaire de l’appartement du rabbin qui le dénonça, fit vider le logement de ses meubles et le vendit, une lettre du recteur de la Mosquée de Paris Si Hamza Boubakeur au «Révérendissime Grand Rabbin Kaplan» du 13 octobre 1969 à l’occasion de l’incendie de la Mosquée El-Aksa à Jérusalem, lettre apostillée manuellement par le signataire: «Ma présente lettre ne doit pas être publiée, bien entendu, dans une quelconque publication», un télégramme de Joséphine Baker à l’issue de la guerre des Six Jours. Une chrolonogie bien utile reprise du Livre du centenaire du Grand Rabbin Jacob Kaplan, Grand Rabbin du Consistoire Central, Doyen de l’Institut de France, dirigé par Maurice-Ruben Hayoun, Francis Kaplan, René-Samuel Sirat, Paris, Éditions Noêsis, 1997, se trouve entre les pp. 401 et 405. L’apparat iconographique groupé en hors-texte entre les pp. 198 et 199 restitue les tenues vestimentaires d’antan, les personnalités que rencontra le grand rabbin Kaplan, du pape au grand rabbin d’Israël, de David Ben Gourion à Jacques Chirac, ses visites dans les hauts lieux de l’histoire, son entrée à l’Institut avec les honneurs de la Garde républicaine… La bibliographie (pp. 409-412) aurait gagné à comprendre les travaux de Richard Ayoun sur Mahir Charleville, d’Éliane Roos sur Moïse Schuhl, de Jean-Marc Chouraqui sur la prédication rabbinique, de Phyllis Cohen-Albert sur le Consistoire ainsi que le Journal d’un rabbin de Joseph Cohen, grand rabbin de Bordeaux. Rappelons ici que le grand rabbin Kaplan fit partie du Conseil d’administration de la Société des Études juives pour laquelle il prononça une communication que le signataire de ces lignes eut l’honneur d’organiser1.

1. J. Kaplan (Grand Rabbin de France, Membre de l’Institut), «La communauté juive française sous l’Occupation (conférence donnée à la Société des Études juives le 24 mai 1971). Rapport dû à M. Maurice E. Moch», dans la Revue 130, 1971, pp. 451-457. Revue des études juives, 170 (1-2), janvier-juin 2011, pp. 315-360.

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La synthèse de H.K., novatrice, tant par ses choix thématiques et documentaires, ses analyses, sa mise en œuvre méthodique, ses problématiques que par la netteté, la vigueur, l’élégance de son style et de sa pensée, constitue un apport de premier plan à l’histoire religieuse de la France. Gérard NAHON

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LIVRES REÇUS À LA RÉDACTION

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rigenda, XI pages et p. 11121-11829; t. XVIII, Under the Rule of Aragon and Spain, XXXI pages et p. 11831-12444 («A Documentary History of the Jews in Italy», 30-32; «Studia post-Biblica», 48/3). TOLLET (Daniel), Être juif en Pologne. Mille ans d’histoire. Du Moyen Âge à 1939, Paris, Albin Michel, 2010, 328 pages («Présences du judaïsme/ Poche»). TRIVELLATO (Francesca), The Familiarity of Strangers. The Sephardic Diaspora, Livorno, and Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, New HavenLondres, Yale University Press, 2009, XIII + 470 pages. YAGIL (Limore), La France terre de refuge et de désobéissance civile (1936-1944). Exemple du sauvetage des juifs, t. I, Histoire de la désobéissance civile. Implication des corps de métiers, préface de François-Georges Dreyfus, Paris, Éditions du Cerf, 2010, 470 pages; t. II, Implication des fonctionnaires. Le sauvetage aux frontières et dans les villages-refuges, ibid., 2010, 399 p. («Cerf-Histoire»).

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