Pathologies Buccales 2eme Partie PDF [PDF]

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Zitiervorschau

Presse Med. 2017; 46: 284–285

Éditorial

PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Dossier thématique

Palpez cette bouche que je ne saurais voir Mahtab Samimi

Disponible sur internet le : 23 janvier 2017

Saint-Cyr-sur-Loire, France

Correspondance : Mahtab Samimi, Hôpital Trousseau, service de dermatologie, avenue de la République, 37044 Tours cedex 9, France. [email protected]

Palpate that mouth which I may not behold

L'

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apprentissage lors des études de médecine laisse peu de place à la cavité buccale, et nos habitudes d'examen clinique sont généralement limitées dans cette zone. Il est certain que la somme des connaissances que doivent acquérir les étudiants en médecine est déjà conséquente, que les domaines thérapeutiques sont en constante évolution et que les apprentissages évoluent en conséquence. Lors des mises à jour des référentiels destinés aux étudiants de deuxième cycle, certains signes ou manœuvres cliniques, désignés habituellement par des termes éponymes, sont éliminés pour cause de désuétude, d'ambiguïté voire d'inexactitude. Supprimer définitivement ces termes des référentiels est un choix difficile, car cette lexicologie reflète l'Histoire de la Médecine et les retirer reviendrait à enterrer une part de cette histoire, et peut-être même une part des hommes qui ont fait cette Histoire. Le fameux « signe de Homans », déjà décrié il y a près de 30 ans dans les pages du Lancet [1] persiste dans les manuels de référence, avec toutes les précautions d'usage quant à son inexactitude [2]. À l'heure du tout-technologique, on peut se demander quelle sera dans notre pratique future la part de l'examen clinique face aux examens complémentaires, dont la reproductibilité et les performances diagnostiques pallient l'incertitude de l'art clinique [3]. Au-delà de la valeur symbolique de perpétuer cet « art », et de l'importance qu'accordent les patients à être inspectés, palpés, auscultés (« Docteur, il ne m'a même pas examiné ! »), l'examen clinique reste un garde-fou à la réalisation d'une batterie « parapluie » d'examens complémentaires. Il existe encore des domaines en médecine où seule la clinique est informative : nulle biologie ou imagerie ne permet de porter un diagnostic de langue géographique – alors qu'un diagnostic de « coup d'œil » du praticien averti permet d'éviter les prélèvements mycologiques, sérologies diverses et autres traitements d'épreuve inutiles. Dans la même optique, on ne se lance dans la course au pathologique qu'après avoir exclu le physiologique ; les variations anatomiques de la cavité buccale, méconnues bien que fréquentes, peuvent constituer d'authentiques motifs de consultation. En pratique, connaître ces « variantes » s'avère particulièrement utile face à un patient anxieux, « cancérophobe », qui peut reporter son angoisse sur des éléments pourtant

tome 46 > n83 > mars 2017 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.03.002 © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Palpez cette bouche que je ne saurais voir

E

physiologiques de la bouche (papilles foliées, grains de Fordyce, crêtes palatines. . .). Ce type de demande est fréquente chez les patients ayant des douleurs buccales diffuses « neuro-psychogènes » (« burning mouth syndrome » des anglo-saxons). Rassurer le patient, nommer les structures, affirmer leur caractère bénin, ne pas multiplier les prélèvements et les examens biologiques, font partie intégrante de la prise en charge de ces patients. Sans permettre en soi la guérison de leurs douleurs, on invite ainsi le patient à mettre de côté – du moins en partie – certaines obsessions anxieuses (« Arrêtez de regarder votre langue ! »). Mais l'excès inverse existe aussi, et on reste parfois étonné du retard diagnostique des carcinomes épidermoïdes buccaux dont seulement 1/3 peuvent être pris en charge à un stade localisé. Un adage en pathologie buccale : le cancer ne fait pas, ou très peu, mal – du moins dans les stades débutants. Il est souvent vicieusement « caché » : plancher buccal, sillon pelvi-lingual,

face postérolatérale de langue, inaccessible à notre vue à moins d'aller le débusquer. Pour couronner le tout, les patients les plus à risque ont les bouches les moins « attractives » – tabac, alcool, état buccodentaire délabré – mais il ne faut pas hésiter à aller y faire un tour (de doigt ganté) pour dépister le cancer localisé avant que ne survienne l'extension métastatique. Le paradoxe de la cavité buccale est d'être au carrefour de plusieurs métiers (médecins, dentistes, orthophonistes. . .) et de plusieurs spécialités (chirurgie maxillo-faciale, ORL, dermatologie, gastro-entérologie, neurologues, psychiatres. . .). Nous avons voulu faire participer dermatologues, stomatologues, chirurgiens maxillo-faciaux et dentistes à la rédaction de ces dossiers thématiques. Leurs messages sont convergents : regardez et palpez la bouche de vos patients !

Éditorial

PATHOLOGIES BUCCALES (2 PARTIE)

Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.

Références Sandler DA. Homans' sign and medical education. Lancet 1985;2:1130–1.

tome 46 > n83 > mars 2017

[2]

Collège national des enseignants de cardiologie (CNEC). Cardiologie. 2e éd. Elsevier Masson; 2009.

[3]

Ende J, Fosnocht KM. Clinical examination: still a tool for our times? Trans Am Clin Climatol Assoc 2002;113:137–50.

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[1]

Presse Med. 2017; 46: 286–295

Mise au point

PATHOLOGIE BUCCALE -- 2 E PARTIE

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Dossier thématique

Examen clinique de la cavité buccale et variantes physiologiques Aline Joly 1,2,3, Brigitte Huttenberger 1,3, Arnaud Pare 1,2,3

Disponible sur internet le : 21 février 2017

1. CHRU de Tours, hôpital Trousseau, service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie, 37000 Tours, France 2. Université François-Rabelais, 37000 Tours, France 3. CHRU de Tours, consultation multidisciplinaire de pathologie de la muqueuse buccale, 37000 Tours, France

Correspondance : Aline Joly, CHRU de Tours, hôpital Trousseau, service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie, 37000 Tours, France. [email protected]

Points essentiels Examen clinique systématique des structures anatomiques d'avant en arrière, bouche ouverte puis fermée, inspection et palpation bimanuelle. Examen de l'ensemble de la face, palpation des aires ganglionnaires, examen de l'ensemble des téguments (peau et autres muqueuses). Dépistage précoce des cancers de la cavité buccale. Connaître les variantes anatomiques permet d'éviter les errances diagnostiques et de diminuer l'anxiété des patients. Dans certains cas, le diagnostic est posé « au coup d'œil », il n'est pas nécessaire de réaliser des examens complémentaires.

Key points Physical examination of oral cavity and physiological variations Clinical examination from front to rear of oral cavity, mouth closed then open. Inspection and bimanuel exam. Face examination but also cervical lymph nodes, skin and mucous. Early diagnosis of oral cancer. To reduce diagnostic wavering and patient's stress, physiological varants are important to know. In most cases, clinical examination is enough for diagnosis.

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a cavité buccale est une région anatomique souvent délaissée et mal connue des praticiens et dont l'exploration est confiée aux spécialistes (dentistes, stomatologues, chirurgiens

maxillo-faciaux. . .). Son examen clinique est pourtant facilement accessible et permet à un œil sensibilisé de réaliser des diagnostics de pathologies buccales mais également plus

tome 46 > n83 > mars 2017 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.01.005 © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Examen clinique de la cavité buccale et variantes physiologiques

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PATHOLOGIE BUCCALE -- 2 E PARTIE

généraux. En effet, de nombreuses pathologies générales ont une symptomatologie buccale à ne pas méconnaître. Le but de cet article est d'expliquer de manière didactique et systématisée l'examen de la cavité buccale, et de faire un point sur certaines variantes physiologiques pouvant être des motifs de nombreuses consultations et d'errances diagnostiques.

Examen clinique de la cavité buccale

Rappels anatomiques Les lèvres sont divisées en trois parties anatomiques : la lèvre blanche qui correspond à la partie cutanée externe des lèvres, la lèvre rouge sèche ou vermillon (figure 1a) et la lèvre humide au niveau de la face interne endobuccale. L'examen clinique de la cavité buccale débute toujours bouche fermée afin de visualiser la lèvre blanche et le vermillon, puis bouche ouverte. Dans son épaisseur, la lèvre est divisée classiquement en trois plans : le plan muqueux en face interne endobuccale, le plan musculaire (muscle orbiculaire des lèvres) et le plan externe (muqueuse sèche et peau). Les commissures labiales sont la zone de jonction des lèvres supérieure et inférieure. Les vestibules correspondent aux zones situées entre les arcades dentaires vers l'intérieur et la face interne des lèvres ou les joues vers l'extérieur. Ils présentent des replis fibreux notables, les freins labiaux médians supérieur et inférieur et les replis latéraux. Ils sont tapissés de muqueuse buccale libre. L'examen du fond du vestibule au moyen de miroirs ou d'abaisse-langues se

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Figure 1 Examen bouche fermée puis bouche ouverte de la cavité buccale : a : examen bouche fermée afin de d'examiner la lèvre cutanée et le vermillon ; b : examen bouche ouverte de l'avant vers l'arrière (collection A. Joly)

fait en déplissant la muqueuse de la joue et permet de visualiser la présence de lésions notamment d'ulcérations. Les arcades dentaires correspondent aux dents et aux éléments de soutien dentaire (muqueuse attachée, os alvéolaire). On distingue une arcade supérieure et une arcade inférieure, chacune divisée en deux secteurs (demi-arcade). L'Homme possède deux types de dentition : une dentition temporaire apparaissant progressivement à partir de 6 mois et une dentition définitive remplaçant progressivement les dents temporaires à partir de 6 ans. Les dents temporaires (dents de lait) sont au nombre de 20 (5 par demi-arcade), alors que les dents définitives sont au nombre de 32 (8 par demi-arcade). La numérotation des dents se fait de 1 à 8 (ou de 1 à 5 pour les dents temporaires) en allant de l'incisive centrale à la troisième molaire (ou dent de sagesse). Le premier chiffre

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L'examen clinique de la cavité buccale doit être systématisé en allant des structures les plus antérieures (lèvres, commissures labiales, vestibules et arcades dentaires) aux structures les plus postérieures (joues, langue, plancher buccal, commissures intermaxillaires, palais dur et mou et oropharynx). Il doit toujours être associé au minimum à un examen de l'ensemble de la face et des aires ganglionnaires cervicales. Il est conseillé de réaliser également un examen clinique de l'ensemble des téguments (peau et autres muqueuses : génitales et anales) à la recherche de signes cliniques pouvant orienter le diagnostic. L'examen systématique de la cavité buccale est un atout majeur pour le dépistage précoce des cancers de la cavité buccale. Ce type de cancer, malgré les actions de prévention et la facilité de l'examen clinique, reste sous-diagnostiqué au stade précoce. Leur dépistage précoce permettrait de diminuer la mortalité encore élevée de ces cancers et les séquelles fonctionnelles et esthétiques associées. L'examen de la cavité buccale commence bouche fermée puis bouche ouverte, en inspectant et palpant les structures anatomiques d'avant en arrière (figure 1a et b). La palpation peut être bimanuelle avec une main endobuccale et une main exobuccale, notamment pour les joues et le plancher buccal. Il nécessite peu de matériel : une bonne exposition lumineuse et aux mieux deux miroirs dentaires, moins traumatisants que les abaisse-langues, afin d'exposer l'ensemble des replis endobuccaux.

Mise au point

A. Joly, B. Huttenberger, A. Pare

Figure 2 Numérotation et morphologie dentaire

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correspond au secteur dentaire et le deuxième au type de dent (figure 2). À l'âge adulte, nous possédons par secteur deux incisives (centrale et latérale), une canine, deux prémolaires et trois molaires. Chaque dent est entourée par la gencive attachée (qui adhère fortement au périoste de l'os alvéolaire sous-jacent) et séparée de sa voisine par une papille interdentaire. La zone anatomique postérieure de jonction entre les deux arcades dentaires se nomme la commissure intermaxillaire. Cet espace se situe en arrière des dernières molaires. Son examen attentif est primordial dans le dépistage des lésions néoplasiques. Les joues forment les parois latérales de la cavité buccale. Elles sont tapissées par la muqueuse dite libre (en opposition à la muqueuse attachée des gencives ou du palais). L'orifice de sortie du canal de Sténon, canal excréteur de la glande parotide se situe en regard de la deuxième molaire supérieure. Il correspond à une excroissance muqueuse, plus ou moins saillante, et centrée par un orifice par lequel s'écoule la salive (figure 3). L'évacuation provoquée de salive est effectuée par massage manuel exobuccal de la glande, sur une ligne allant du tragus auriculaire en arrière, vers la commissure labiale en avant. La langue peut se diviser en trois parties : la langue mobile en avant du V lingual (V formé par les papilles caliciformes), la base de langue en arrière et les bords latéraux de la langue. La langue mobile possède deux faces : sa face dorsale (figure 4) ou dos de langue, qui correspond à la face visible de la langue à l'ouverture de la bouche et sa face ventrale (figure 5) visible lorsque l'on demande au patient de toucher son palais avec sa pointe de langue. La face dorsale de la langue est le siège des papilles linguales (figure 4). Ils en existent trois types : les papilles filiformes, fongiformes et caliciformes.

Les papilles filiformes sont les plus nombreuses et sont disséminées sur le dos de la langue. Les papilles fongiformes sont moins nombreuses et dispersées entre les papilles filiformes au niveau du tiers antérieur, réalisant des petits points rouges. Les papilles caliciformes ou circumvallées sont plus grosses et disposées en V séparant la base de langue de la langue mobile. Au niveau de la partie postérieure des bords latéraux de la langue existent un quatrième type de papille : les papilles foliées (en avant des amygdales linguales), regroupées en amas mamelonné (figure 6). Les bourgeons du goût, organes essentiels de la gustation, sont présents dans toutes les papilles, à l'exception des filiformes. La face ventrale de la langue, dans sa partie médiane (figure 5) est marquée par l'insertion du frein de langue qui la relie au

Figure 3 Image de la face interne d'une joue avec visualisation de l'ostium du canal de Sténon en regard de la deuxième molaire supérieure (collection A. Joly)

tome 46 > n83 > mars 2017

Examen clinique de la cavité buccale et variantes physiologiques

Mise au point

PATHOLOGIE BUCCALE -- 2 E PARTIE

Figure 6 Image du bord latérale de la langue avec dans sa partie postérieure les papilles folliées en amas (collection A. Joly)

Figure 4 Image de la face dorsale de la langue avec les différentes structures anatomiques visibles (collection A. Joly)

excréteur des glandes sub-mandibulaires, glandes sousmaxillaires en ancienne nomenclature). Le massage de cette glande par une main exobuccale permet de faire sortir la salive au niveau de l'orifice du Wharton. L'examen des zones postérieures du plancher buccal ne doit pas être oublié et se pratique en réclinant doucement le bord latéral de langue. Le palais ou palais dur représente la partie supérieure de la cavité buccale, en arrière de l'arcade dentaire supérieure. Il est tapissé par de la muqueuse attachée et présente une ligne médiane blanche correspondant à la zone de fusion des deux hémi-palais lors de l'embryogenèse. Il se prolonge en arrière par le voile du palais, mobile lors de la déglutition ou de la phonation, centré par la luette. La cavité buccale se termine en arrière par le voile du palais et la base de langue, délimitant l'oropharynx (piliers pharyngés latéralement, amygdales et paroi pharyngée postérieure).

Rappels histologiques

Image de la face ventrale de la langue avec les structures anatomiques visualisables (collection A. Joly)

plancher buccal. Latéralement, les veines linguales peuvent être le siège de varicosités totalement indolores. Le plancher buccal s'examine au mieux en soulevant la langue vers le palais. L'insertion médiane du frein de langue divise le plancher en deux parties latérales. De part et d'autre du frein se trouve les orifices de sortie des canaux de Wharton (canal

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Variantes physiologiques L'inspection de la cavité buccale peut mettre en évidence différentes variantes, qui restent toutefois physiologiques. Souvent découvertes fortuitement, ces variantes sont des motifs fréquents de consultations, pouvant entraîner une anxiété voire une cancérophobie chez certains patients. Elles sont

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Figure 5

La cavité buccale est tapissée intégralement par une muqueuse constituée d'un épithélium malpighien non kératinisé reposant sur un chorion plus ou moins épais, richement vascularisé et refermant notamment les glandes salivaires accessoires [1]. Seul l'épithélium de la portion sèche des lèvres est légèrement kératinisé. On distingue deux types de muqueuse dans la cavité buccale : la muqueuse libre et la muqueuse attachée. La muqueuse attachée est adhérente au périoste et se situe au niveau des gencives et du palais.

Mise au point

A. Joly, B. Huttenberger, A. Pare

Figure 8 Figure 7 Grains de Fordyce (Collection M. Samimi)

fréquemment causes d'errance diagnostique et d'échec thérapeutique en raison de leur caractère physiologique.

Variantes physiologiques au niveau des lèvres Grains de Fordyce Cliniquement, les grains de Fordyce ressemblent à un semis de papules jaunâtres que l'on retrouve principalement au niveau des lèvres et de la face interne des joues (figure 7). Mais ils peuvent se retrouver sur l'ensemble de la muqueuse buccale libre. Histologiquement, il s'agit de glandes sébacées hétérotopiques (intra-muqueuses au lieu d'intracutanées). La prévalence des grains de Fordyce est variable selon les auteurs (1 % [2], 7,2 % [3], 80 % [1] de la population). Certains auteurs [2,4] ont émis une corrélation clinique entre la présence et le nombre de grains de Fordyce chez les patients à risque de cancers colorectaux héréditaires sans polypose (HNPCC) mais celle-ci n'est pas retrouvée histologiquement [5]. Les grains de Fordyce ne sont donc pas à associer à une pathologie particulière et ne nécessitent aucune biopsie. Le diagnostic est clinique. Pour certains patients, ces papules jaunâtres notamment sur les lèvres peuvent être très inesthétiques. Le laser diode à haute puis basse intensité a été utilisé avec des résultats satisfaisants et stables [6].

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Freins de lèvre Le frein médian de la lèvre supérieure est une bande mucoconjonctive fibreuse qui relie la crête gingivale à la face interne de la lèvre supérieure. Son insertion est relativement basse sur la crête gingivale chez tous les nouveau-nés. Avec l'éruption dentaire et la formation de l'os alvéolaire, ce frein va se retrouver inséré plus haut au niveau de la gencive maxillaire. Dans certains cas, son implantation gingivale peut rester large et basse, responsable d'un diastème (espace) inter-incisif

Frein de lèvre supérieure entraînant un diastème interincisif (collection A. Joly)

(figure 8). Sa section et plastie peut être proposée, si ce diastème persiste à l'éruption des incisives définitives [7]. L'absence de frein de lèvre inférieure ou de frein de langue doit faire évoquer un syndrome d'Ehlers-Danlos. Cette anomalie est un signe clinique connu et décrit de la maladie [8]. Fissure médiane de la lèvre inférieure Une fissure médiane peut se retrouver au niveau de la lèvre inférieure. Elle est la conséquence à minima d'un défaut de fusion des bourgeons mandibulaires lors de la formation de la face au premier trimestre de la grossesse. C'est une variante physiologique rare qui n'a aucune conséquence si la fissure est uniquement muqueuse. Elle peut être pathologique et nécessitant une chirurgie quand le défaut de fusion est également musculaire voire osseux (symphyse mandibulaire). On parle alors de fente de Tessier, dont seulement 30 cas ont été décrits dans la littérature [9].

Variantes physiologiques au niveau des gencives et du palais Perles d'Epstein, Nodules de Bohn et kystes de la lame dentaire Ces trois entités désignent des lésions kystiques de quelques millimètres présentes au niveau des crêtes alvéolaires et du palais des nouveau-nés. Elles sont présentes chez environ 50 à 89 % des nouveau-nés [10]. Les perles d'Epstein sont de petits nodules blanc-nacré présents au niveau du raphé médian palatin des nouveau-nés. Elles correspondent à des inclusions de kératine au niveau de la muqueuse suite à un emprisonnement de tissus épithéliaux lors de la fusion palatine. Les nodules de Bohn sont des nodules kystiques disséminés latéralement sur le palais et dérivant des structures salivaires. Les kystes de la lame dentaire se situent au niveau des crêtes gingivales et correspondent à des reliquats embryologiques des lames dentaires [10,11].

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PATHOLOGIE BUCCALE -- 2 E PARTIE

Dents vestigiales Les dents vestigiales sont une troisième série de dent, présentes dès la naissance, le plus souvent au niveau mandibulaire et médian (figure 10). Elles sont recouvertes initialement par un manchon muqueux qui va disparaître après quelques jours et laisser visualiser ce type de dents. Cliniquement, l'aspect initial ressemble à deux excroissances muqueuses pédiculées au niveau des crêtes gingivales, molles et mobiles. Elles peuvent gêner l'alimentation du nouveau-né et léser les mamelons de la mère lors de l'allaitement. En dehors de ces deux indications, une surveillance simple est nécessaire. Elles tomberont spontanément après quelques semaines. Les dents vestigiales sont rares et peuvent être confondues avec une éruption précoce néonatale des dents temporaires [14]. Leur extraction n'est donc pas indiquée de manière systématique.

Figure 9 Tori mandibulaires (collection M. Samimi)

Ces lésions kystiques du nouveau-né disparaissent au bout de quelques mois de vie et ne sont pas associés à une pathologie spécifique. Aucun traitement n'est nécessaire. Ces lésions ne sont pas douloureuses et ne gênent pas l'alimentation de l'enfant.

Torus mandibulaire Les tori mandibulaires sont des excroissances osseuses (exostose) bénignes recouvertes par une muqueuse gingivale normale (figure 9). Ils se développent au niveau du versant lingual de la mandibule entre la canine et la première prémolaire. Ils sont en général bilatéraux, plus ou moins symétriques et indolores. Leurs prévalences varient en fonction de l'âge et de l'origine ethnique [12]. Leur origine embryonnaire est mal connue [13].

Mise au point

Examen clinique de la cavité buccale et variantes physiologiques

Variantes physiologiques au niveau de la muqueuse jugale Linea alba La linea alba ou ligne blanche correspond à la zone de morsure de la muqueuse jugale entre les deux arcades dentaires (figure 11). Il s'agit d'une ligne blanche fine, horizontale, bilatérale, s'étendant sur la face interne de la joue, d'avant en arrière, de la commissure labiale à la commissure intermaxillaire [15]. Aucun traitement n'est nécessaire. Elle peut être associée à un tic de mordillement. Dans ce cas, une plage blanche d'aspect mâchonné, le plus souvent unilatérale et située en arrière de la commissure labiale, est observée. Diapneusie Une diapneusie (hyperplasie fibro-épithéliale) est une excroissance muqueuse bénigne, indolore, située en regard d'un espace inter dentaire, et secondaire à un tic d'aspiration de la muqueuse au travers de cet espace (figure 12). Une prothèse dentaire mal adaptée peut également par effet ventouse entraîner des diapneusies. Les principales localisations sont les faces

Figure 10

tome 46 > n83 > mars 2017

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Dents vestigiales : a : à quelques jours de vie, dans un manchon muqueux ; b : après quelques semaines. (collection A. Joly)

Mise au point

A. Joly, B. Huttenberger, A. Pare

Figure 13 Leucœdème de la face interne de la joue (collection M. Samimi)

Figure 11 Linea alba (collection A. Joly)

souvent chez les sujets de peau noire et les fumeurs (figure 13). Il est secondaire à un œdème intracellulaire au niveau de l'épithélium. Aucun traitement n'est nécessaire [3,15].

Variantes physiologiques au niveau de la langue La langue scrotale ou fissuraire ou plicaturée La langue est dite scrotale quand il existe des sillons au niveau de sa face dorsale (figure 14). Ces sillons sont plus ou moins profonds et sont tapissés par de l'épithélium. Il existe le plus souvent un sillon médian accompagné de sillons latéraux. La langue scrotale est présente chez environ 20–30 % de la population [16]. L'apparition des sillons est progressive dès le plus jeune âge (vers 3 ans [1]) et s'accentue au cours des années. Elle

Figure 12 Diapneusie de la face interne de la lèvre inférieure (collection A. Joly)

internes de joues et le versant muqueux de la lèvre inférieure, mais elles peuvent être retrouvées en toute zone de muqueuse libre. Une exérèse simple peut être proposée, mais la récidive est fréquente si l'espace interdentaire n'est pas comblé. Si l'excroissance muqueuse est secondaire à une prothèse mal adaptée, la modification de celle-ci est nécessaire pour éviter la récidive.

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Leucœdème Le leucœdème est une opalescence diffuse de la muqueuse buccale et plus particulièrement jugale qui s'observe le plus

Figure 14 Langue scrotale (collection M. Samimi)

tome 46 > n83 > mars 2017

Examen clinique de la cavité buccale et variantes physiologiques

Langue géographique ou glossite exfoliatrice marginée La langue géographie est présente dans 1 à 3 % de la population [20] (figure 15). Elle apparaît en général à l'adolescence et certains auteurs ont émis l'hypothèse d'une transmission familiale. Cliniquement, la langue comporte au niveau de ses faces dorsales et latérales des plages érythémateuses ovalaires plus ou moins confluentes, polycycliques, délimitées par une bordure pustuleuse ou blanchâtre, légèrement surélevée. L'aspect érythémateux est simplement dû à l'absence momentanée des papilles filiformes (histologiquement desquamation synchrone). Ces plages ont comme principale caractéristique d'être migratrices : elles évoluent dans le temps et ont un aspect et une localisation différente à quelques jours d'intervalle. La langue géographique est souvent asymptomatique et ne nécessite aucun traitement particulier, excepté une réassurance du patient qui consulte. Elle peut parfois être associée à des brûlures buccales notamment lors des repas, ou à des altérations du goût [20]. Elle est décrite comme plus fréquente chez les patients atteints d'un psoriasis [21], d'un diabète [22], sans que la corrélation soit toujours retrouvée [23].

La langue géographique est souvent confondue avec une candidose buccale aiguë. Ce diagnostic erroné de mycose buccale est facilement éliminé par l'interrogatoire, et par un geste simple : l'enduit blanchâtre mycosique se décolle avec l'abaisse-langue. L'examen clinique recherche également une image mycosique érythémateuse « en miroir » au niveau du palais (ouranite), qui n'existe pas en regard d'une langue géographique. L'association langue fissuraire et d'une langue géographique est fréquente. Leurs étiologies et mode de transmission restent cependant inconnus [24].

Mise au point

devient évidente et visible à la puberté. Le principal risque est l'accumulation de débris alimentaires à l'intérieur des fissures entraînant une inflammation locale et une halitose. Il peut être évité par une bonne hygiène buccodentaire et un nettoyage doux des sillons. Le caractère plicaturé est de nature physiologique mais peut s'observer chez les patients ayant une trisomie 21 [17], un syndrome de Melkersson-Rosenthal (classique triade : langue plicaturée, macrochéilite, paralysie faciale périphérique [18]), ou un psoriasis [19].

PATHOLOGIE BUCCALE -- 2 E PARTIE

Langue villeuse Elle est due à une hypertrophie et une absence de desquamation des papilles filiformes, entraînant un aspect de villosités sur le dos de la langue (figure 16). La langue villeuse est initialement de couleur blanche mais peut se colorer en marron ou noir à cause de l'alimentation (café. . .) et suite à l'accumulation de macrophages producteurs de porphyrines au sein des villosités. Les facteurs favorisants sont : le tabagisme, la sécheresse buccale, le jeûne prolongé ou l'hygiène buccale insuffisante. Le traitement consiste en un brossage du dos de la langue avec une brosse à dent autre que celle utilisée pour les dents afin d'éviter les contaminations microbiennes. Des kératolytiques ou des rétinoïdes topiques peuvent être utilisés en deuxième intention avec une efficacité variable. La langue villeuse est présente chez environ 0,5 à 11 % de la population générale en fonction des études [16].

Figure 15

tome 46 > n83 > mars 2017

Figure 16 Langue villeuse (collection M. Samimi)

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Langue géographique chez une adolescente (collection G. Lorette)

Mise au point

A. Joly, B. Huttenberger, A. Pare

Figure 17

Figure 18

Crêtes palatines (collection A. Joly)

Torus palatin (collection M. Samimi)

Variantes physiologiques au niveau du palais

ne nécessite aucun traitement. Les tori palatins et mandibulaires apparaissent et grossissent au cours de la vie. Le principal diagnostic différentiel est le syndrome de Gardner associant des ostéomes multiples le plus souvent mandibulaires et une polypose adénomateuse familiale.

Les crêtes palatines À la partie antérieure du palais, en arrière des incisives et des canines, des crêtes muqueuses sont présentes de part et d'autre de la ligne médiane (figure 17). L'arborisation de ses replis muqueux antérieurs représente le rugae palatinae. Ces empreintes palatines sont uniques et ont été décrites comme un moyen d'identification des individus au même titre que les empreintes digitales [25]. Les crêtes palatines sont constituées de crêtes latérales et d'une papille inter-incisive médiane. Le torus palatin Contrairement aux torus mandibulaires, le torus palatin est médian (figure 18). Il se trouve le long de la suture intermaxillaire. Sa prévalence est fonction des ethnies et varie entre 1 et 49 % [26]. Le torus palatin est totalement asymptomatique et

Conclusion L'examen de la cavité buccale est facilement réalisable par tout praticien en consultation. Il doit être systématisé afin de ne pas méconnaître des lésions. Connaître les variantes physiologiques présentes au cours de la vie permet de faire un diagnostic simple au « coup d'œil » et de diminuer l'anxiété des patients. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

Références [1] [2]

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PATHOLOGIE BUCCALE -- 2 E PARTIE

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Examen clinique de la cavité buccale et variantes physiologiques

Presse Med. 2017; 46: 296–302

Mise au point

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en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Sécheresse buccale (xérostomie) Scarlette Agbo-Godeau 1, Aline Guedj 1, Sabine Marès 1, Patrick Goudot 1,2

Disponible sur internet le : 30 mars 2017

1. Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière–Charles-Foix, service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale, consultation de pathologie de la muqueuse buccale, 75013 Paris, France 2. Université Pierre-et-Marie-Curie–Sorbonne, Paris 6, 75013 Paris, France

Correspondance : S. Agbo-Godeau, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière–Charles-Foix, service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale, 75013 Paris, France. [email protected]

Points essentiels La xérostomie ou sécheresse buccale est une plainte buccale fréquente, véritable handicap pour de nombreux patients. Les causes sont diverses, mais dominées par les étiologies médicamenteuses. Les traitements, même s'ils restent actuellement insatisfaisants, visent à améliorer le confort buccal et la qualité de vie des patients, et à prévenir ou traiter les complications locales secondaires à cette sécheresse. Les traitements agissent soit en stimulant les glandes s'il persiste du tissu salivaire fonctionnel, soit en humectant ou lubrifiant les muqueuses buccales avec des salives artificielles.

Key points Xerostomia Xerostomia is a frequent complaint and a real handicap for many patients, often drug-induced. Treatments, even if they are currently unsatisfactory, are aimed at improved oral comfort and quality of life for patients, and to prevent or treat local complications. It consists in humecting buccal mucous membranes with artificial saliva; or in stimulating the glands if functional salivary tissue still exists.

L

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a sécheresse buccale ou xérostomie, est la conséquence d'un défaut quantitatif et/ou qualitatif de lubrification des muqueuses buccales par la salive. C'est un motif fréquent de consultation mais elle est parfois constatée lors d'un examen clinique réalisé dans un autre contexte, le patient négligeant ou tolérant le symptôme. Le déficit, plus ou moins

important, a de nombreuses répercussions en raison du rôle de la salive (lubrification et protection de la muqueuse orale et des dents, hydratation de la muqueuse buccale, propriétés antimicrobiennes et activité enzymatique de la salive). La réalité de ce déficit salivaire ou hyposialie, ainsi que son retentissement doivent pouvoir être objectivés et pris

tome 46 > n83 > mars 2017 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.02.004 © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Sécheresse buccale (xérostomie)

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Rappel physiologique La sécrétion salivaire Elle est assurée par trois paires de glandes salivaires principales, symétriques : les glandes parotides, submandibulaires et sublinguales, ainsi que par des glandes salivaires accessoires, de très petite taille, réparties dans la muqueuse buccale et de l'oropharynx à l'exception des gencives et de la partie antérieure du palais osseux. Ce sont des glandes acinotubulaires : cellules sécrétoires groupées en acini et canaux qui drainent les produits de sécrétion dans la cavité buccale. On distingue deux types histologiques de glandes : séreux pour les parotides, mixtes séro-muqueux pour les glandes accessoires, les sublinguales (à prédominance séreuse) et les submandibulaires (à prédominance muqueuse). La sécrétion salivaire est un phénomène réflexe sous l'influence du système autonome parasympathique (sécrétion abondante et fluide) et sympathique (sécrétion peu abondante et visqueuse). Les principaux neurotransmetteurs sont l'acétylcholine pour le système parasympathique (activation de récepteurs muscariniques) dont l'action est abolie par les atropiniques et la noradrénaline pour le système sympathique. Un contrôle hormonal de la sécrétion salivaire (androgènes, œstrogènes, cortisol et hormones thyroïdiennes) n'a pas été formellement démontré. La salive est composée à 99 % d'eau dans laquelle sont dissoutes des substances organiques essentiellement protéiniques (enzymes salivaires, mucines, lactoferrine, immunoglobulines sécrétoires) et en plus faible proportion : urée, glucose, créatinine, cholestérol et des substances inorganiques (sodium, potassium, calcium, chlore, magnésium, bicarbonates). Le taux de ces différents composants varie en fonction du flux salivaire. Le pH salivaire est compris entre 5,5 et 7, reflétant l'état du milieu buccal. Il varie selon l'âge, plus acide chez le nourrisson et le vieillard, mais également au cours du nycthémère, plus acide au repos. La sécrétion salivaire totale est extrêmement variable sur une journée, entre 0,5 et 1,5 litres environ, en moyenne 0,75 L/ 24 heures. Le débit salivaire est variable dans le nycthémère et selon les glandes. Il est sous l'influence de multiples facteurs : degré d'hydratation, position du corps, exposition à la lumière, rythmes circadien et la consommation médicamenteuse. Les stimuli mécaniques, olfactifs et gustatifs, l'âge et l'alimentation en modifient également le volume. Soixante-dix pour cent de la salive provient des glandes principales et trente pour cent des glandes salivaires accessoires. Les glandes salivaires accessoires sécrètent de façon continue alors que les glandes principales ne sécrètent que sous l'influence de stimuli mécaniques, thermiques, olfactifs ou psychiques. Le débit de repos est de 0,3 mL/ min environ sur 16 heures correspondant à un volume de

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300 mL. Lors des repas, il augmente passant à 4 mL/min, soit pour 2 repas (durée totale d'une heure) environ 480 mL. Enfin, pendant le sommeil ce débit diminue considérablement à 0,1 mL/min soit environ 40 mL pour une nuit de 7 heures.

Rôles de la salive Son principal rôle est la lubrification grâce aux mucines, réalisant un film protecteur sur les muqueuses buccales et les tissus dentaires. Elle intervient dans la déglutition en favorisant la formation du bol alimentaire, dans la digestion par l'action de l'amylase et de la lipase qui débutent la dégradation des sucres et des graisses, dans la gustation en dissolvant les substances gustatives permettant leur fixation sur les récepteurs des bourgeons du goût. Elle a un pouvoir tampon (bicarbonates, phosphates et urée) permettant de neutraliser une acidité locale. La salive a également un rôle de défense locale grâce au pouvoir bactéricide des thiocyanates, des immunoglobulines et du lysozyme qui prévient le développement des germes non commensaux. La salive permet également l'excrétion de catabolites sanguins (urée, acide urique), de substances toxiques (mercure, brome, alcool), de médicaments (morphine, amphétamines, digitaliques, barbituriques. . .), d'hormones (cortisol. . .) servant pour certaines substances à effectuer des tests salivaires de diagnostic.

Hyposialie et xérostomie La diminution du flux salivaire, ou hyposialie, peut être transitoire ou chronique. Les causes sont diverses : peur, tabac, toutes les causes de déshydratation extracellulaire, effets immédiats des toxiques et des médicaments, états infectieux, (viraux, bactériens. . .), états allergiques. La cause de l'hyposialie peut se situer aux trois niveaux de la production de la salive : déficit en eau ou en métabolites nécessaires (déshydratation, malnutrition protidique), atteinte des glandes salivaires (radiothérapie des voies aérodigestives supérieures, maladie de Gougerot–Sjögren, infection par le VIH, peut-être la sénescence), interférences avec la neurotransmission (médicaments, atteinte du système nerveux central).

Signes fonctionnels La sensation subjective de bouche sèche n'est pas toujours présente et n'est pas ressentie de la même façon selon les patients. Elle n'est pas spécifique mais évoque une hyposialie quand elle survient au cours de l'alimentation. Elle est à différencier des sécheresses buccales au réveil disparaissant dans la journée, liées à une respiration buccale nocturne. Le patient consulte pour une difficulté à parler, mastiquer, déglutir. Il éprouve le besoin de s'humidifier la bouche fréquemment, de sucer des bonbons, de boire pour avaler des bouchées d'aliments secs, symptomatologie qu'il différencie nettement de la soif.

297

en charge [1] même si les moyens thérapeutiques restent encore insuffisants.

Mise au point

PATHOLOGIES BUCCALES -- 2 PARTIE

Mise au point

S. Agbo-Godeau, A. Guedj, S. Marès, P. Goudot

L'interrogatoire doit préciser les antécédents et la notion de prise médicamenteuse, la durée et les variations de la sécheresse buccale dans le nycthémère, surtout par rapport aux repas et au sommeil, ainsi que son évolution dans le temps depuis le début des symptômes. Il est possible d'apprécier le degré de gêne occasionnée par cette sécheresse sur la mastication, la déglutition et la phonation ; de faire préciser l'existence éventuelle de dysgueusies, de brûlures, de dysesthésies buccales. Cette gêne, parfois décrite comme une douleur est à différencier des glossodynies ou paresthésies buccales psychogènes [2,3], les deux pathologies pouvant être intriquées chez des patients, le plus souvent des femmes, traitées avec des anxiolytiques ou des antidépresseurs. La tolérance du patient par rapport à ce handicap doit également être évaluée : restrictions alimentaires (aliments secs : pain, viandes blanches. . .), méthodes de compensation de cette sécheresse, petits moyens utilisés. L'interrogatoire recherche également une sécheresse des muqueuses nasale, oculaires (utilisation de larmes artificielles), cutanée, vulvaire (prurit, brûlures, dyspareunies) ainsi que d'éventuels signes systémiques (polyarthralgies. . .).

Examen de la cavité buccale Une hyposialie majeure est évidente dès l'inspection, la muqueuse linguale est sèche et vernissée (figure 1). Les muqueuses buccales sont érythémateuses et collent à l'abaisse-langue. Dans les xérostomies importantes, il persiste souvent de la plaque dentaire sur les dents, des débris alimentaires restant collés aux muqueuses. La salive est rare, épaisse, filante ou quasi inexistante. Elle est parfois mousseuse, car peu abondante, le patient la conserve dans la cavité buccale et l'aère par des mouvements linguaux. La palpation des glandes salivaires principales (parotides surtout) ne fait sourdre que très peu voire aucune salive aux ostiums des canaux. La recherche d'une

Figure 1

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Muqueuse linguale sèche

hypertrophie des glandes salivaires principales, parotides et/ou submandibulaires, peut orienter le diagnostic étiologique de même que des antécédents de parotidite récidivante. Ces signes sont le plus souvent moins nets et l'humidification de la bouche paraît satisfaisante semblant contredire la plainte. Cet élément subjectif varie selon les patients : certains s'habituent à la sécheresse avec le temps alors que pour d'autres, au contraire, elle devient insupportable. Ce sont parfois les complications, éléments indirects, qui révèlent la sécheresse buccale. Les candidoses récidivantes liées à la diminution du flux salivaire, du pH local et des IgA sécrétoires ; des polycaries précoces, nombreuses et rapidement évolutives, une parodontopathie secondaire à la gingivite tartrique conduisant à une édentation précoce et rapide. Une dénutrition peut être observée, en particulier chez les personnes âgées (dysgueusie, difficultés à supporter les prothèses amovibles. . .). Les conséquences psychologiques des sécheresses sévères sont presque constantes entraînant parfois des ruptures sociales avec refus de sortir de chez soi, de parler longtemps, de manger à l'extérieur. . .

Diagnostic de la xérostomie Les tests proposés sont multiples, mais aucun d'entre eux n'est sensible ou spécifique d'une étiologie. Ils sont fonctionnels ou morphologiques. Le plus simple se pratique au fauteuil, il s'agit du test au sucre, test grossier qui manque de sensibilité, mais qui peut être utile en routine : un morceau de sucre no 4 placé sous la langue s'effondre normalement en trois minutes. La mesure du pH intrabuccal est rarement effectuée. Une bande de papier pH est appliquée sur la langue, le résultat est lu sur une échelle colorimétrique. Le pH est acide inférieur à 6,5 en cas de sécheresse. La sialométrie ou mesure des flux salivaires serait théoriquement idéale. Elle mesure le débit salivaire total au repos et après stimulation par l'acide citrique. Le test de la pesée d'une compresse placée dans le plancher buccal antérieur au repos puis après stimulation salivaire semble donner des résultats fiables [4]. Une hyposialie est définie par un poids salivaire non stimulé inférieur ou égal à 0,15 grammes/minute. Cependant, en l'absence d'échantillon standard du débit salivaire de repos, il semble difficile à utiliser comme examen de routine. Il peut avoir un intérêt dans le cadre de protocoles d'études. D'autres examens complémentaires sont éventuellement pratiqués, essentiellement dans un but étiologique ou pour le diagnostic des complications de la xérostomie. La scintigraphie au Technétium 99 (objectivant la valeur fonctionnelle des glandes salivaires) et la sialographie, radiographie des glandes salivaires principales opacifiées après injection d'un produit de contraste dans le canal de Sténon ou de Wharton (objectivant la morphologie de la glande) font partie des critères diagnostiques du syndrome de Gougerot–Sjögren mais ne sont

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Sécheresse buccale (xérostomie)

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maladies infectieuses : hépatites C, infection au VIH, nécessitent une approche diagnostique et une prise en charge thérapeutique spécialisées. Quand aucune étiologie n'est retrouvée, l'hypothèse de la sénescence est soulevée.

Mise au point

PATHOLOGIES BUCCALES -- 2 PARTIE

Les médicaments sialoprives

Biopsie de glandes salivaires accessoires labiales

actuellement plus réalisés au cours des syndromes secs buccaux. L'échographie et l'IRM les ont remplacées lorsque la sécheresse s'accompagne de poussées inflammatoires des glandes salivaires principales. Les examens biologiques sont effectués si le contexte fait suspecter une maladie systémique ou infectieuse (bilan autoimmun, hémopathie, sérologie VIH, hépatite C. . .). Les examens bactériologiques et mycologiques orientés par l'examen buccal évaluent si besoin le retentissement infectieux de l'hyposialie. Un contrôle ophtalmologique s'impose en cas de suspicion de syndrome sec oculaire. L'examen histologique s'effectue sur une biopsie des glandes salivaires accessoires labiales, son apport est précieux pour le diagnostic de lésions spécifiques dans certaines xérostomies : syndrome de Gougerot–Sjögren, sarcoïdose, amylose. Le prélèvement est un geste peu invasif, il s'effectue sous anesthésie locale au niveau de la face muqueuse de la lèvre inférieure. Une courte incision de la muqueuse (5 à 10 mm) est réalisée permettant de prélever au minimum quatre lobules salivaires (figure 2), puis elle est suturée par quelques points. Les suites sont le plus souvent simples à type de douleurs locales peu intenses pendant quelques jours (antalgiques palier 1) et les complications sont rares (hématome, hypoesthésie labiale, infection du site).

Étiologies des xérostomies Les hyposialies iatrogènes sont de loin les plus fréquentes : médicaments sialoprives et radiothérapie dans le traitement des cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS), réaction du greffon contre l'hôte (GVH) après allogreffe de moelle osseuse. Les maladies systémiques : syndrome de Gougerot– Sjögren, sarcoïdose, amylose, hémopathies et certaines

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La radiothérapie cervico-faciale Utilisée dans le traitement des cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) elle délivre en moyenne 65 grays au niveau de la sphère buccofaciale, dose qui altère la fonction salivaire en particulier si les glandes salivaires principales se trouvent dans le champ d'irradiation (nécrose intraglandulaire, atrophie des acini, fibrose et dégénérescence graisseuse). Le diagnostic étiologique est facile dès l'interrogatoire et devant quelques signes associés (aspect glabre et atrophique de la peau avec télangiectasies délimitant le champ d'irradiation) mais ne doit pas faire méconnaître le rôle des prises médicamenteuses associées (antidépresseurs. . ..). L'hyposialie survient dès l'apparition de la radiomucite. Outre l'inconfort, elle peut se compliquer secondairement de caries rapidement évolutives, d'ostéite chronique et d'ostéoradionécrose des mâchoires, de mycoses buccales chroniques et récidivantes. Cette hyposialie n'est pas forcément définitive, un certain de degré de récupération, certes incomplet, survient souvent dans les mois voire les années qui suivent la fin de la radiothérapie.

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Figure 2

Ils sont nombreux et on les estime responsables de 80 % des déficits salivaires. Les personnes âgées sont souvent polymédicamentées avec dans ¾ des cas la présence d'un médicament asséchant la bouche. Tous les médicaments et substances pouvant interférer sur les systèmes nerveux central et périphérique, ont une influence, par effet anticholinergique, sur la production de salive. Pris seuls ou en association, ils provoquent une sensation de bouche sèche et/ou une modification du goût. L'interrogatoire s'attache à rechercher la durée du traitement et les associations médicamenteuses ainsi que leur tolérance. La liste des médicaments sialoprives n'est pas exhaustive. Les médicaments neuropsychotropes affectent directement la transmission de l'influx nerveux émanant du centre salivaire : psycholeptiques, thymoanaleptiques et anxiolytiques, stupéfiants. Les antihypertenseurs sympathoplégiques, les hypotenseurs centraux, les anti-arythmiques, les diurétiques sont souvent en cause. Les anti-ulcéreux cholinergiques et d'une façon générale tous les sympathomimétiques, les atropiniques et les antihistaminiques sont incriminés. Le traitement de ces hyposialies, consisterait à réduire les doses (si possible) ou à modifier le traitement, ce qui s'avère le plus souvent compliqué chez des patients par ailleurs bien équilibrés. D'autant que le retour à une sécrétion salivaire normale à l'arrêt du traitement n'est pas systématique et peut être d'autant plus long que le médicament a été pris de façon prolongée.

Mise au point

S. Agbo-Godeau, A. Guedj, S. Marès, P. Goudot

Le syndrome de Gougerot–Sjögren

Encadre 1

Cette maladie auto-immune chronique aux localisations et formes diverses est caractérisée par un infiltrat lymphocytaire des glandes exocrines. C'est une maladie fréquente, de diagnostic souvent tardif, qui concerne classiquement la femme à partir de 45 ans, sa prévalence après 60 ans est de 2,12 %. Dans les formes débutantes, l'hyposialie peut être minime. Une parotidomégalie est trouvée dans un tiers des cas de syndrome de Gougerot–Sjögren. Le syndrome est primitif ou secondaire aux connectivites et nécessite un bilan clinique général et biologique complet. Le bilan clinique est pluridisciplinaire, il associe à la recherche d'un syndrome sec buccal celle d'un syndrome sec ophtalmique (test de Schirmer, rupture du film lacrymal, test à la fluorescéine. . .), et d'une éventuelle connectivite associée. Les examens complémentaires sont essentiellement biologiques pour authentifier une maladie auto-immune et son éventuel retentissement. Des critères diagnostiques sont proposés par des groupes d'auteurs comme Vitali et al. [5] ou des groupes d'experts internationaux [6] (encadré 1). Le plus souvent le diagnostic est fait sur l'association d'un syndrome sec buccal, d'un syndrome sec oculaire et d'anomalies biologiques immunologiques. La biopsie des glandes salivaires labiales peut être indiquée pour compléter les critères de la maladie. Les parotides, glandes salivaires les plus différenciées et les plus riches en lymphocytes sont atteintes le plus précocement et intensément, mais les glandes submandibulaires et sublinguales ainsi que les glandes muqueuses accessoires sont également concernées. Les constatations histologiques fournies par la biopsie ont été cotées par Chisholm en cinq grades, de 0 à 4 selon l'intensité de l'infiltration mononucléée, classification adoptée pour les critères diagnostiques de la maladie. Elle ne tient pas compte de certains éléments tels que l'atrophie du parenchyme salivaire, la modification des canaux (atrophie et/ou ectasie) et la fibrose interstitielle cotées par Chomette et al. en 3 stades qui rendent mieux compte du degré d'altération des glandes salivaires [7].

Critères européens du syndrome de Gougerot–Sjögren (Vitali) 1 – symptômes oculaires : au moins une réponse positive à l'une des 3 questions suivantes :  avez-vous ressenti une sensation d'œil sec quotidienne persistante et gênante depuis plus de 3 mois ?  avez-vous fréquemment l'impression d'avoir du sable ou du gravier dans les yeux ?  utilisez-vous des larmes artificielles plus de trois fois par jour ? 2 – symptômes buccaux : au moins une réponse positive à l'une des 3 questions suivantes :  avez-vous quotidiennement la sensation d'avoir la bouche sèche depuis plus de 3 mois ?  avez-vous des épisodes récidivants ou permanents de gonflement des parotides à l'âge adulte ?  êtes-vous obligé de boire fréquemment pour aider à avaler les aliments secs ? 3 – signes oculaires : preuve objective de l'atteinte oculaire définie par la positivité d'au moins un des tests suivants :  test de Schirmer  5 mm en 5 min ;  Rose Bengale positif :  4 selon le score de Van Bijsterveld. 4 – signes histologiques :  focus score  1 sur une biopsie de glande salivaire accessoire (foyer : agglomérat d'au moins 50 cellules mononuclées) (focus score : nombre de foyers par 4 mm2 de tissu glandulaire). 5 – signes d'atteinte des glandes salivaires : preuve objective de l'atteinte des glandes salivaires par la positivité de l'un des trois tests suivants :  scintigraphie salivaire ;  sialographie parotidienne ;  flux salivaire non stimulé  1,5 mL en 15 min. 6 – auto-anticorps présence dans le sérum des anticorps suivants :  anti-SSA/Ro ou SSB/La ou les deux. Règles de classification Syndrome de Sjögren primaire :  chez les patients qui ne sont pas susceptibles d'avoir une maladie associée, un syndrome de Sjögren primaire peut être défini par ;  4 des 6 items définissent un syndrome de Sjögren primitif, à condition que l'item 4 (histologie) ou 6 (sérologie) soit positif ;  présence de 3 des 4 critères objectifs (critères 3, 4, 5 et 6) ;  l'arbre de classification peut être une alternative valable pour la classification, mais il est plus destiné aux études cliniques et épidémiologiques. Syndrome de Sjögren secondaire :  chez les patients susceptibles d'avoir une maladie associée (autre connectivite) l'item 1 ou 2 plus 2 items parmi les items 3, 4 ou 5 définissent un syndrome de Sjögren secondaire. Critères d'exclusion :  antécédent d'irradiation de la tête et du cou, hépatite C, lymphome préexistant, sida, sarcoïdose, maladie du greffon contre l'hôte ;  médicaments susceptibles d'entraîner une sécheresse : antidépresseurs, antihypertenseurs, neuroleptiques, parasympathicolytiques.

Autres causes d'hyposialies

300

D'autres maladies atteignant le parenchyme salivaire peuvent entraîner une hyposialie comme la sarcoïdose et l'amylose dont le diagnostic est fait parfois sur une biopsie des glandes salivaires accessoires. Les atteintes des glandes salivaires au cours de l'infection par les virus de l'hépatite C et le VIH, et au cours de la réaction du greffon contre l'hôte (GVH) sont également responsables de sécheresse buccale, majorée par les nombreux traitements prescrits dans ces pathologies. Une hyposialie peut également survenir dans les suites du traitement des cancers de la thyroïde par Iode radio actif [8].

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Sécheresse buccale (xérostomie)

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Traitements des xérostomies Le traitement étiologique Il est souvent difficile. Dosimétrie et protection des glandes salivaires principales lors de la radiothérapie cervico-faciale, diminution ou suppression des médicaments sialoprives. Les traitements de la sécheresse restent actuellement peu satisfaisants. Il faut rappeler au patient de s'hydrater suffisamment (1,5 litre d'eau/jour). Il existe des « petits moyens » de stimulation salivaire : gomme à mâcher sans sucre [9], bonbons acidulés ou mentholés sans sucre, eaux gazeuses et/ou citronnées, noyaux de fruits (stimulation mécanique) ou d'hydratation de la muqueuse : brumisateur d'eau minérale, gorgée d'eau. . . Il est recommandé de ne pas surchauffer les logements l'hiver et d'utiliser des saturateurs et des humidificateurs d'atmosphère.

Les traitements de stimulation Les plus utilisés, lorsqu'il persiste une sécrétion salivaire partielle, sont des sialagogues à base de chlorhydrate de pilocarpine, agoniste muscarinique [10,11] commercialisé sous le nom de Salagen® (AMM dans les xérostomies post-radiques et le syndrome de Gougerot–Sjögren) ou en préparation magistrale (gélules à 2,5 mg ou 5 mg) contre indiqués en cas d'asthme non

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stabilisé, d'iridocyclite et de glaucome à angle fermé. Le traitement est débuté à demi dose afin d'en apprécier la tolérance puis augmenté progressivement pour atteindre une dose efficace de 20 mg/jour. Les effets secondaires sont fréquents, peu sévères (hypersudation, nausées, bouffées de chaleur, céphalées), mais souvent responsables de l'arrêt précoce du traitement. La Céviméline (Exovac®), dérivé de l'acétylcholine, non commercialisée en France, serait mieux supportée [12]. La teinture mère de Jaborandi® a une teneur variable en pilocarpine et un fort titre en alcool, qui peuvent rendre son utilisation risquée. La plante peut être utilisée sous sa forme homéopathique, moins rapidement active mais bien tolérée, intéressante notamment chez les personnes âgées. D'autres traitements comme l'éserine oxyde salicylate (Génésérine 3® en granules) ou l'anétholtrithione (Sulfarlem S25®) largement prescrit, n'ont pas fait la preuve de leur efficacité sur l'augmentation de la sécrétion salivaire. Les traitements des xérostomies totales ne peut être que substitutif : les salives artificielles seraient la solution idéale si leur adhésivité aux muqueuses buccales pouvait être maintenue plusieurs heures. Les produits commercialisés contiennent des mucines ou de la carboxyméthylcellulose qui tentent de les rapprocher de la viscosité salivaire, mais sont encore loin des résultats escomptés. Ils sont commercialisés sous forme de sprays (Artisial®, Elgydium clinic®, Aequasyal®) ou de gel (Oralbalance®, GUM hydral®) [13], ils améliorent le confort buccal mais on un effet transitoire. Des traitements homéopathiques [14] ou oligothérapiques sont parfois utilisés en solution alternative avec une action sur la trophicité des muqueuses plutôt que sur la sécrétion salivaire améliorant ainsi le confort buccal mais ils n'ont pas encore apporté la preuve scientifique de leur efficacité. Un espoir thérapeutique pourrait venir du développement de l'utilisation de cellules souches salivaires [15]. Le traitement doit prévenir les complications chaque fois que cela est possible : hygiène buccodentaire rigoureuse avec utilisation de pâtes dentifrices fluorées diminuant la fréquence des caries, nettoyage soigneux des prothèses mobiles ; régime alimentaire équilibré et non cariogène ; bains de bouche bicarbonatés à préférer aux solutions antiseptiques du commerce, le plus souvent à base d'alcool, irritants et accentuant la sécheresse. La consommation de tabac, d'alcool, de café et de thé en grandes quantités est à proscrire car elle accentue la sécheresse buccale. Certains aliments épicés ou acides sont agressifs et irritants sur des muqueuses sèches et fines, et ont souvent été déjà écartés de l'alimentation par les patients. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

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Les hyposialies nutritionnelles souvent modérées surviennent essentiellement chez des femmes, souvent jeunes, souffrant de troubles du comportement alimentaire (régime amaigrissant, anorexiques), elle peut être associée à une aménorrhée et une hypertrophie des glandes salivaires principales. La disparition des symptômes est obtenue après une rééquilibration diététique associée à une prise en charge psychique. La sénescence est un diagnostic d'élimination. Ces déficits salivaires chez les patients âgés sont plus fréquents chez la femme. L'interrogatoire s'attache à rechercher une respiration buccale associée qui accentue l'assèchement des muqueuses buccales. Cette hyposialie est souvent aggravée par une diminution de la ration hydrique par perte de la sensation de soif, ou volontairement en raison d'une incontinence urinaire handicapante. Dans d'autres cas, la salivation est objectivée à l'examen buccal mais le patient ressent une hyposialie en raison de mouvements incessants de la langue ou d'une déglutition intempestive parfois expliqués par un facteur irritatif local (prothèse dentaire instable) et souvent amplifiée par un contexte anxieux. Cette xérostomie peut être à l'origine d'une gêne importante et permanente, voire de douleurs, entraînant une perturbation de l'alimentation, de la vie affective et sociale [9]. Quant à la biopsie des glandes salivaires accessoires, inutile, elle montrerait la dégénérescence du tissu salivaire remplacé par un tissu conjonctif et adipeux.

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PATHOLOGIES BUCCALES -- 2 PARTIE

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S. Agbo-Godeau, A. Guedj, S. Marès, P. Goudot

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Presse Med. 2017; 46: 303–319

Dossier thématique

Pigmentations de la muqueuse buccale

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PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Jean-Christophe Fricain 1, Vincent Sibaud 2

Disponible sur internet le : 12 avril 2017

1. CHU de Bordeaux, Inserm U1026, UFR odontologie, consultation de pathologies buccales, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux cedex, France 2. Institut universitaire du cancer, Toulouse Oncopole 1, oncodermatologie et consultation pluridisciplinaire de pathologies buccales, avenue Irène-Joliot-Curie, 31100 Toulouse, France

Correspondance : J.-C. Fricain, CHU de Bordeaux, Inserm U1026, UFR odontologie, consultation de pathologies buccales, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux cedex, France. [email protected]

Points essentiels La couleur de la muqueuse buccale est principalement due à la présence d'hémoglobine dans les vaisseaux et dans une moindre mesure de mélanine dans l'épithélium. Les lésions pigmentées sont dues à la présence en quantité anormale de pigments mélaniques (hypermélaninose, hypermélanocytose), hématiques (hémoglobine, hémosidérine, fer), ou d'origine exogène (figure 1). Les lésions pigmentées de la muqueuse endobuccale peuvent être localisées (lésions uniques), multifocales (lésions multiples) ou diffuses (plage). Face à une pigmentation localisée d'allure mélanique, Il faut systématiquement éliminer un mélanome et une biopsie doit être réalisée au moindre doute. Devant une atteinte plus diffuse, il faut en priorité rechercher une maladie systémique sous-jacente. Une étiologie médicamenteuse est également possible mais doit rester un diagnostic d'élimination. Face à une pigmentation liée à un excès de pigment sanguin, il faut en priorité évoquer une malformation d'origine vasculaire (pour les lésions planes) ou un processus tumoral (lésions nodulaires ou tuméfiées). Dans les deux cas, une maladie de Kaposi doit être systématiquement éliminée. Les pigmentations situées à proximité des restaurations dentaires (amalgames, couronnes prothétiques) doivent faire évoquer une cause exogène mais une biopsie doit être réalisée en cas de doute diagnostique avec un mélanome.

Key points Pigmentations of the oral cavity

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Buccal mucosa color is explained by hemoglobin in the vessels and melanin in the epithelium. Abnormal presence of melanin pigments (hypermelaninosis, hypermelanocytosis), hematic pigments (hemoglobin, hemosiderin, iron) but also some exogenous circonstancies explain pigmented lesions (figure 1). These lesions could be localized (single lesions), multifocal (multiple lesions) or diffused.

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J-C Fricain, V. Sibaud

In case of a localized pigmentation with melanic appearance, melanoma must be systematically eliminated with a biopsy. In the case of a more diffused lesion, systemic disease must be evoked. A drug etiology is also possible. A blood pigment excess could be a vascular malformation (flat lesions) or a tumoral process (nodular or swollen lesions). In both cases, Kaposi's disease should be systematically eliminated. Pigmentations near dental restorations (amalgams, prosthetic crowns) could be explained by an exogenous factor but a biopsy should be performed in case of a doubt with melanoma.

Macules pigmentées uniques Macules d'origine mélanique La survenue sur la muqueuse buccale d'une macule pigmentée isolée d'origine mélanocytaire est une situation clinique rare, représentant moins de 1 % des biopsies réalisées en pathologie buccale [1]. Il s'agit dans la majorité des cas d'une macule mélanotique (86 %), plus rarement d'un nævus mélanocytaire

(12 %) et de manière beaucoup plus exceptionnelle d'un mélanoacanthome, d'un mélanome oral, d'une lentigine ou d'éphélides [1]. La gravité potentielle du mélanome muqueux impose une grande rigueur dans la démarche diagnostique, basée sur l'examen clinique complété parfois d'un examen dermatoscopique et surtout d'un examen anatomopathologique au moindre doute [1–6] (figure 1). Les localisations palatines et

Figure 1

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Conduite à tenir diagnostique face à une lésion pigmentée de la muqueuse buccale

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PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

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Pigmentations de la muqueuse buccale

Figure 2 Lentigine : pigmentation brune arrondie de la joue caractérisée par une hypermélanocytose épithéliale et une décharge incontinence pigmentaire dans le chorion

maxillaires doivent également inciter à une plus grande prudence car elles sont les sites privilégiés de développement des nævi et surtout du mélanome. Notons enfin que des pathologies associées à des macules mélanocytaires multiples (voir chapitre correspondant) peuvent se manifester de façon inaugurale par une lésion unique. Le diagnostic est cependant posé en général plus tardivement. Lentigine Il s'agit d'une lésion bénigne, caractérisée par une macule de couleur brune, de taille stable, comprise entre quelques millimètres et 1 cm, bien limitée (figure 2). Cette lésion siège le plus souvent sur les lèvres. Le diagnostic repose sur l'examen histologique qui montre une hyperplasie mélanocytaire, un allongement des crêtes épithéliales et une décharge pigmentaire dans le chorion superficiel [7]. Éphélides Il s'agit de « taches de rousseur » qui siègent principalement sur la peau mais qui peuvent de localiser sur les lèvres au niveau du

bord vermillon. Leur nombre augmente et leur couleur fonce en été pour parfois disparaître totalement en hiver. Elles sont secondaires à une augmentation de l'activité mélanocytaire [7]. Sur le plan histologique, elles correspondent à une hypermélaninose basale sans acanthose ou hyperplasie mélanocytaire. Macule mélanotique orale ou labiale Il s'agit de la lésion mélanocytaire orale de loin la plus fréquente (figure 3). Elle est bénigne. Elle se localise préférentiellement sur les lèvres (surtout inférieures, sur le vermillon) et les gencives avant tout maxillaires (60 % des cas), le palais ou la muqueuse jugale étant moins concernés [1–3]. Elle se présente sous la forme d'une macule arrondie et pigmentée de 2 à 10 mm, de couleur homogène variable (marron à noir) et dont les bords sont le plus souvent réguliers [1–5]. Des formes linéaires ou à bords déchiquetés sont aussi possibles [7]. Il n'y a pas de modification après exposition solaire, contrairement aux éphélides [2,4,5]. Ces macules pigmentées prédominent chez la femme, d'âge moyen [1–3]. L'analyse histologique

Figure 3

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Macule mélanotique de coloration brune caractérisée en histologie par : une hyperpigmentation de la couche basale, la présence de mélanophages dans le chorion et un aspect papillomateux de l'épithélium

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J-C Fricain, V. Sibaud

Figure 4 Nævus mélanocytaire composé de la muqueuse palatine chez un enfant de 3 ans. Les coupes histologiques de la muqueuse palatine montrent les cellules næviques présentent dans l'épithélium et le tissu conjonctif, sont organisée en thèques (flèches) (A : HES  100 ; B : IHC protéine S-100  100)

306

individualise une acanthose avec hypermélaninose basale et mélanophages dans la lamina propria. Le nombre de mélanocytes est le plus souvent quantitativement normal, notamment dans les localisations orales [1,2]. L'étiologie de ces lésions n'est pas déterminée, une origine post-inflammatoire ou réactive a été évoquée. Elles peuvent cependant s'inscrire dans des tableaux plus spécifiques (maladie de Laugier–Hunziker, maladie VIH. . .), qu'il faut systématiquement évoquer en cas de lésions multiples (voir chapitres correspondants) [1,2,7]. Il n'y a pas de prise en charge thérapeutique spécifique nécessaire. Une exérèse peut être proposée en cas de gêne esthétique, notamment sur le vermillon. Nævus Il s'agit d'une tumeur buccale bénigne rare. On note une légère prédominance féminine. Il est surtout diagnostiqué entre 30 et 60 ans [1,8,9]. Le nævus buccal correspond le plus souvent à une lésion papuleuse régulière, infra-centimétrique, avec une pigmentation homogène [1,8]. Des formes achromiques sont possibles [1]. Il n'a pas été mis en évidence d'association significative avec le mélanome buccal [8]. Les thèques næviques, liées à la prolifération mélanocytaire, sont le plus souvent situés dans la lamina propria (nævus intramuqueux ; 60 à 80 % des cas). Les formes jonctionnelles ou composées sont beaucoup moins fréquentes (figure 4). Les nævus bleus, constitués de celles mélanocytaires fusiformes situées profondément dans le chorion, sont plus fréquents en endobuccal comparativement aux localisations cutanées (figure 5). Ils représentent 8 à 23 % des nævus endobuccaux [1,8,9]. Les nævus congénitaux, dysplasiques ou de Spitz sont tout à fait exceptionnels dans ce contexte. La localisation préférentielle est le palais dur (plus

d'un tiers des cas), suivi du vestibule/muqueuse jugale (18 à 24 %), du vermillon (18 %) et des gencives (12 à 22 %) [1,8,9]. Les nævus du plancher buccal ou sur la langue sont tout à fait inhabituels. Le nævus bleu est surtout situé sur le palais dur (> 80 % des cas). Mélanoacanthome Il s'agit d'un cadre nosologique récemment individualisé. Son origine reste controversée mais il est considéré comme une lésion réactionnelle par beaucoup d'auteurs [10–12]. Le mélanoacanthome buccal a surtout été décrit chez les femmes jeunes (troisième et quatrième décades), principalement

Figure 5 Nævus bleu palatin

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Pigmentations de la muqueuse buccale

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PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

d'origine africaine. Il s'agit d'une lésion bénigne rare, qui se présente sous la forme d'une macule pigmentée régulière, le plus souvent unique même si des formes multifocales ou diffuses ont été décrites. Elle peut apparaître très pigmentée et hétérogène, avec une croissance parfois rapide [1,10–13]. Le mélanoacanthome prédomine sur la muqueuse jugale ; les lèvres, les gencives ou le palais sont beaucoup moins souvent atteints. L'examen histologique, indispensable pour éliminer un mélanome, individualise une prolifération mixte avec présence de mélanocytes dendritiques répartis dans un épithélium acanthosique, avec spongiose fréquente. Les mélanocytes basaux sont augmentés en nombre, avec incontinence pigmentaire et infiltrat inflammatoire dermique parfois associés. L'analyse immunohistochimique met en évidence une positivité diffuse pour la protéine S-100, Melan-A ou HMB-45 [6,11]. Une régression – spontanée ou après biopsie – est possible [1,2].

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Figure 6 Lésion multiples de mélanome endobuccal. Présence de macules et de nodules

(RCP) spécialisée. En l'absence de métastases ganglionnaires ou viscérales associées, la prise en charge est chirurgicale, avec exérèse complète initiale de la lésion. Une reprise chirurgicale secondaire, avec marges cliniques de sécurité adaptées au niveau d'invasion de la tumeur et de son épaisseur (qui ne se mesurent pas avec l'indice de Breslow utilisé pour le mélanome cutané), est nécessaire [18]. Celle-ci est également dépendante des contraintes anatomiques loco-régionales. Selon les équipes et après avis de RCP spécialisée, une procédure du ganglion sentinelle est parfois réalisée dans le même temps. La place de la radiothérapie adjuvante post-opératoire, afin d'améliorer le contrôle loco-régional, reste à définir ce d'autant qu'elle peut s'associer à une morbidité non négligeable. Une surveillance clinique et scanographique régulière est ensuite nécessaire. La prise en charge de la maladie au stade métastatique dépend avant tout du statut mutationnel de la tumeur. La présence d'une mutation BRAFV600 est beaucoup moins fréquemment individualisée que dans les localisations cutanées et la place des inhibiteurs BRAF (vemurafenib, dabrafenib) est donc plus restreinte [14,15]. À l'inverse, les mutations c-KIT sont plus fréquentes mais l'intérêt dans ce contexte des inhibiteurs de kinase ciblant ce récepteur n'est pas encore démontré (imatinib, dasatinib, nilotinib). L'efficacité réelle des nouveaux inhibiteurs de checkpoint immunologiques ciblant CTLA-4 (ipilimumab) ou PD-1 (nivolumab, pembrolizumab) restent aussi à préciser dans ces formes rares de mélanome.

Macules non mélaniques Certaines pigmentations endobuccales isolées peuvent être parfois d'origine non mélanique. Ceci inclut les pigmentations vasculaires (hémoglobine, bilirubine) ou exogènes (matériaux

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Mélanome Le mélanome endobuccal représente la seconde localisation ORL, après le mélanome nasosinusien [4,14,15]. Cependant, il s'agit d'une tumeur rare, représentant moins de 0,5 % des tumeurs malignes endobuccales et moins de 1 % de l'ensemble des mélanomes. Il est plus fréquent dans certaines ethnies (populations japonaise, hispanique ou africaine) [15,16]. Le mélanome endobuccal a un mauvais pronostic, avec moins de 30 % de survie globale à cinq ans, du fait d'un diagnostic souvent tardif et d'un envahissement osseux ou ganglionnaire précoce [15–17]. Il n'y a pas de facteurs de risque bien individualisés et il survient principalement de novo [4,14,18]. Il peut apparaître à tout âge, avec un pic vers 60 ans [15,16]. Le mélanome oral prédomine sur la muqueuse maxillaire (70 à 80 % des cas, principalement sur le palais dur et la gencive), les autres localisations (gencive mandibulaire, en rétromolaire ou sur les muqueuses labiale ou jugale) sont plus rares [1,15,16]. Cliniquement (figure 6), il se présente sous la forme d'une ou plusieurs macules pigmentées asymptomatiques souvent hétérogène en couleur, à bords typiquement asymétriques, et évolutive [15,16]. Comme pour les mélanomes cutanés, la croissance est d'abord radiale puis verticale et invasive. Des formes nodulaires ou ulcérées d'emblée sont parfois notées, tout comme la présence de lésions satellites [1,15–17]. Des présentations beaucoup moins évocatrices et parfois faussement rassurantes sont aussi possibles, notamment les formes achromiques (10 à 40 %) [15]. L'examen clinique est idéalement complété par une analyse par dermatoscopie, lorsque la lésion est suffisamment accessible. Une exérèse ou une biopsie muqueuse doit être nécessairement réalisée pour confirmer histologiquement le diagnostic. Enfin, la recherche de métastases loco-régionales ou à distance doit être systématique. Le pronostic est directement corrélé à la précocité du diagnostic. Dans tous les cas, la prise en charge thérapeutique doit être discutée et validée en réunion de concertation pluridisciplinaire

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J-C Fricain, V. Sibaud

Figure 7 Ecchymose, pétéchies et purpura de la joue

étrangers) [4–6]. Le contexte et l'examen clinique attentif, avec analyse dermatoscopique, permettent le plus souvent de porter le diagnostic. Une caractérisation histologique est cependant parfois nécessaire. Origine vasculaire Il s'agit surtout des traumatismes locaux avec formation d'hématomes, de thrombi- ou de pétéchies [5], qui régressent progressivement. Il s'agit de lésions dues à une hémorragie sous-épithéliale avec présence de pigment hémosidérinique (figure 7). Elles se différencient essentiellement par leur taille : les pétéchies sont des petits spots millimétriques, les purpuras font de 2 mm à 2 cm de diamètre et les ecchymoses mesurent plus de 2 cm de diamètre. L'hématome est caractérisé par la présence d'un œdème associé. Ces lésions sont des macules

rouges plus ou moins violacées qui ne disparaissent pas à la pression, contrairement aux tumeurs vasculaires. Elles sont le plus souvent secondaires à un traumatisme, et guérissent rapidement après suppression de la cause. Elles peuvent cependant parfois révéler une pathologie sous-jacente (trouble de l'hémostase et hémopathies, infection, prise de médicaments antiplaquettaires ou anticoagulants). En cas de récidives fréquentes, une numération formule sanguine, un temps de saignement, un INR et un TCA doivent être prescrits à la recherche d'une anomalie sous-jacente de l'hémostase. Une malformation vasculaire est plus rarement impliquée. Les varices linguales (« langue caviar ») et les lacs veineux muqueux sont en général facilement individualisés [7]. Une maladie de Kaposi, liée à l'herpès virus HHV8, doit être de principe discutée, même si les lésions sont le plus souvent nodulaires, diffuses ou multiples (palais, gencive, face dorsale de la langue) et que les localisations buccales surviennent surtout dans un contexte de maladie VIH [19]. Origine exogène Il s'agit surtout de tatouages par des matériaux dentaires (amalgame notamment, « amalgam tatoo »), le plus souvent infracentimétriques, qui prennent une couleur bleu-gris. La gencive et la muqueuse alvéolaire sont les sites privilégiés (50 % des cas) [6,8,20]. Les lésions peuvent être multiples et les opacités parfois visibles sur l'examen radiologique. Histologiquement, on individualise des fragments solides irréguliers ou des granules sombres de matériel dans le tissu conjonctif, avec parfois réaction macrophagique ou granulome à corps étranger. Il s'agit d'une des causes les plus fréquentes de pigmentation endobuccale [20]. Chez l'enfant, un traumatisme avec un stylo en graphite est aussi une cause classique de pigmentation localisée, surtout au palais [10]. Il n'y a pas de prise en charge spécifique. Parfois une biopsie est réalisée pour préciser le diagnostic (figure 8).

Figure 8

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Tatouage gingival traumatique en rapport avec les soins dentaires. Le matériau exogène est retrouvé au niveau du chorion

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Pigmentations de la muqueuse buccale

Macules d'origine mélanique Maladie de Laugier–Hunziker Il s'agit d'une maladie assez rare, acquise, qui débute après la puberté. La femme est plus souvent atteinte que l'homme. La maladie de Laugier se caractérise par des macules mélanotiques plus ou moins confluentes de la muqueuse buccale (figure 9). Au début il peut s'agir d'une macule unique. L'atteinte des lèvres, la plus fréquente, respecte le versant cutané. Les muqueuses jugales et palatine sont aussi souvent concernées. Une mélanonychie en bande (melanonychia striata) ou plus diffuse ainsi qu'une pigmentation de la muqueuse génitale ou anale peuvent être associées. L'examen anatomopathologique met en évidence une hyperpigmentation mélanocytaire de la couche basale avec une incontinence pigmentaire et de nombreux mélanophages dans le chorion [21]. Un traitement par laser à colorant pulsé peut donner des résultats probants sur les atteintes labiales mais le plus souvent aucune prise en charge n'est nécessaire. Il n'y a pas d'atteinte digestive associée et un bilan gastro-entérologique n'est pas indiqué dans ce contexte. Syndrome de Peutz–Jeghers Le syndrome de Peutz–Jeghers (SPJ) est une génodermatose de transmission autosomique dominante, caractérisée par une polypose hamartomateuse du tube digestif associée à des lentigines cutanéo-muqueuses labiales. La prévalence est estimée à moins de 1/50 000. Le SPJ est aussi considéré comme un facteur de risque de développer une tumeur maligne de l'ovaire, du testicule, du col utérin et du pancréas [22,23]. La gravité de la maladie est liée aux polypes digestifs qui peuvent évoluer vers un cancer. Le plus souvent ils occasionnent douleurs, rectorragies et occlusion. Le bilan digestif est obligatoire devant une suspicion de SPJ. Les lentigines siègent le plus souvent sur la semi-muqueuse de la lèvre inférieure et sur la face. La gencive

peut aussi être atteinte de même que la muqueuse jugale ou palatine. Des atteintes de la muqueuse nasale, oculaire, génitale, de la peau des doigts et des orteils ont été décrites. Les lentigines mesurent de 1 à 5 mm de diamètre. Les lésions muqueuses semblent plus persistantes que les lésions cutanées qui disparaissent avec l'âge [22,23]. L'examen anatomopathologique des lésions cutanées est typique de lentigines : hyperplasie mélanocytaire au niveau de la couche basale et allongement des crêtes de l'épiderme. L'examen anatomopathologique des lésions muqueuses montre une hyperpigmentation basale sans hyperplasie mélanocytaire et de nombreux mélanophages dans le chorion [22]. Il n'y a pas de traitement spécifique des lentigines. Une surveillance médicale est nécessaire pour prévenir, diagnostiquer ou traiter précocement les cancers associés à la maladie.

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Macules pigmentées multiples

PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

Autres D'autres pathologies, exceptionnelles, peuvent se manifester par des macules multiples principalement cutanés : syndrome de Carney, syndrome LEOPARD, neurofibromatose, syndrome d'Albright, porphyrie, incontinentia pigmenti. Les atteintes de la muqueuse orale sont possibles mais exceptionnelles.

Macules d'origine non mélanique Lésions purpuriques : la maladie de Rendu–Osler (ou télangiectasies héréditaires familiales) est une dysplasie vasculaire constitutionnelle de transmission autosomique dominante. La prévalence de la maladie en France est de 1/6000 à 1/8500. Le diagnostic de maladie de Rendu–Osler doit être suspecté en cas d'épistaxis chroniques associés à des télangiectasies cutanéo-muqueuses dans un contexte d'hérédité. Les saignements viscéraux dus aux malformations artério-veineuses font la gravité de la maladie. Au niveau de la muqueuse buccale, la maladie se caractérise par de nombreuses télangiectasies des lèvres et de la langue associées à une gingivite érythémateuse

Figure 9

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Macules mélanotiques orales multiples chez une patiente atteinte de maladie de Laugier

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J-C Fricain, V. Sibaud

saignant facilement au contact [24]. Cette gingivite est associée à des télangiectasies situées le plus souvent sur les lèvres et la langue. Le traitement de la gingivite repose sur des mesures d'hygiène buccodentaires strictes. Il n'y a pas de traitement spécifique des télangiectasies mais un traitement laser pour raisons esthétiques peut être proposé au niveau labial.

Plages pigmentées diffuses Il s'agit le plus souvent de plaques uniques ou multiples, nettement plus étendues qu'une macule.

Plages pigmentées d'origine mélanique Pigmentation physiologique ou ethnique Une pigmentation brune diffuse s'observe préférentiellement chez les patients de couleur (40 %), mais peut aussi intéresser 5 % des caucasiens avec un phototype élevé [7]. La pigmentation est localisée sur la gencive attachée et épargne la gencive marginale et les papilles dentaires (figure 10). Les muqueuses jugales et labiales peuvent aussi être intéressées, tout comme les papilles fongiformes. La grossesse semble aussi influencer la survenue de plages pigmentées, du fait des modifications des taux d'œstrogènes et de progestérone. Langue noire villeuse Elle est considérée comme une variation physiologique liée à un défaut de desquamation de la kératine. Elle se caractérise par une élongation des papilles filiformes qui prennent une teinte variant du brun au noir (figure 11). Elle est plus marquée en cas de xérostomie, de tabagisme ou d'hygiène buccodentaire insuffisante. Elle est souvent attribuée à tort à une infection à Candida albicans. Elle est secondaire à des bactéries chromogènes. Aucun examen complémentaire n'est requis et l'élimination des filaments bruns-noirâtres est possible par grattage-raclage et/ou application locale d'un agent kératolytique.

Figure 10

310

Pigmentation gingivale ethnique

Figure 11 Langue noire villeuse

Mélanose tabagique Il s'agit d'une pigmentation brune, le plus souvent claire, qui forme un voile sur la muqueuse buccale. Elle est souvent décrite au niveau gingival mais peut intéresser n'importe qu'elle localisation (figure 12). Elle est strictement bénigne, secondaire à une hyperactivité mélanocytaire réactionnelle. Pigmentation post-inflammatoire La pigmentation peut représenter une séquelle de d'une inflammation préexistante. La forme la plus classique de pigmentation post-inflammatoire endobuccale est le lichen nigricans (figure 13) : c'est la forme pigmentée du lichen plan. Il s'agit d'une décharge pigmentaire post-inflammatoire. Cliniquement, on observe des macules mélaniques brunâtres associées à des stries kératosiques typiques du lichen plan. Ces dernières peuvent cependant être absentes, rendant difficile la différentiation avec une éventuelle mélanose tabagique ou une pigmentation ethnique [25]. L'examen anatomopathologique révèle le plus souvent du pigment mélanique dans le chorion, plus ou moins associé à un infiltrat lympho-plasmocytaire sous la membrane basale. Maladies systémiques Maladie d'Addison Il s'agit d'une maladie rare qui s'associe à un déficit progressif complet en aldostérone et en cortisol. La prévalence en France est de 1 à 5 pour 10 000. Elle se caractérise essentiellement par une fatigue intense, des nausées, des douleurs abdominales, une perte de poids. Ces signes sont accompagnés par une hypermélanose cutanée diffuse siégeant principalement sur

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Pigmentations de la muqueuse buccale

Mise au point

PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

Figure 12 Mélanose tabagique : pigmentation diffuse de la muqueuse labiale

Figure 14 Pigmentation linguale secondaire à une maladie d'Addison

les plis et les zones découvertes. Une pigmentation diffuse multiple de la muqueuse buccale est fréquemment observée, qui peut parfois révéler la maladie [26]. Elle a une couleur brune ou grisâtre (figure 14). Cette pigmentation diffuse se localise souvent sur le palais et la langue. La pigmentation est due à une augmentation de la production d'ACTH (hormone corticotrope) [26]. D'autres endocrinopathies, associées à une hyperproduction d'ACTH, peuvent être responsables d'une pigmentation pseudoaddisonienne : acromégalie, production ectopique d'ACTH, maladie de cushing, phéochromocytome, hyperthyroïdie. Aucun traitement spécifique des pigmentations buccales n'est préconisé. Hémochromatose héréditaire C'est une maladie rare, caractérisée par un excès d'absorption intestinale du fer. Il en résulte un dépôt de fer au niveau du foie,

du cœur, de la peau et des muqueuses. La pigmentation de la peau et des muqueuses est l'un des premiers signes de la maladie, associé à des arthralgies des petites articulations (doigts, poignets). La pigmentation bleu-gris de la muqueuse buccale est diffuse. Elle intéresse en général le palais, la muqueuse libre et la gencive [27]. La pigmentation muqueuse est essentiellement due à une hypermélaninose et non pas au dépôt d'hémosidérine, contrairement au tissu salivaire. La coloration de Perls est par conséquent le plus souvent négative. Aucun traitement spécifique des pigmentations n'est préconisé. Autres causes rares Les carences nutritionnelles (Vit B12, B9), des déficits enzymatiques (alcaptonurie) peuvent exceptionnellement entraîner une pigmentation de la muqueuse buccale.

Figure 13

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Lichen plan jugal caractérisé par une kératose en nappe et un aspect opalin rétro-commissural associé à une plage pigmentée ardoisée. Lichen plan palatin ancien d'aspect hyperkératinisé, verruqueux (hyperplasie verruqueuse) et pigmentation noire séquellaire de processus inflammatoires chroniques

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Origine médicamenteuse De nombreux médicaments peuvent potentiellement induire une hyperpigmentation de la muqueuse buccale [28]. Les lésions se développent en général progressivement, de façon asymptomatique et sont souvent de découverte fortuite. On individualise classiquement des macules pigmentées plus ou moins diffuses, multifocales ou localisées à un seul site anatomique, homogènes ou non, la couleur variant (marron, noir, gris-bleu) en fonction de la localisation et de la molécule inductrice. Les localisations sont ubiquitaires mais l'atteinte palatine est assez évocatrice d'une origine médicamenteuse. Les pigmentations d'origine médicamenteuses sont plus fréquentes chez les patients de phototype élevé. Une atteinte concomitante au niveau cutanée ou des ongles (mélanonychies) n'est pas rare. Le mécanisme à l'origine de cette pigmentation reste le plus souvent non déterminée. Principales causes évoquées :  formation de complexes médicaments (ou ses métabolites) – fer/hémosidérine ou mélanine ;  couleur intrinsèque de la molécule (clofazimine) ;  stimulation de la mélanogenèse (chimiothérapie) ;  stimulation de l'ACTH (ketoconazole, contraceptifs oraux) ;  pigmentation post-inflammatoire. L'évolution de ces hyperpigmentations induites est strictement bénigne et les lésions régressent le plus souvent à l'arrêt du médicament, parfois après plusieurs années. Médicaments inducteurs Minocycline [29] La pigmentation concerne le plus souvent les dents (émail et racines) et l'os. Dans ce dernier cas, la muqueuse en regard peut apparaître par transparence pseudo-pigmentée, notamment au niveau du palais et du sillon muco-alvéolaire. La pigmentation peut aussi parfois se localiser directement sur la muqueuse buccale, que ce soit au niveau de la gencive, du palais dur, des lèvres, de la langue ou des muqueuses jugales. La couleur varie du bleu-noir au gris. Une pigmentation cutanée (localisée sur des cicatrices ou zones de trauma, sur les bras et jambes ou de façon plus diffuse), ophtalmique (sclère) ou unguéale peut être présente, pouvant concerner jusqu'à 15 % des patients traités. Cette pigmentation se développe après plusieurs mois de traitement, de manière dose-dépendante et régresse très lentement à l'arrêt. L'origine de cette pigmentation n'est pas déterminée, une hypermélaninose (augmentation de la synthèse de mélanine) ainsi que la formation, par chélation, de complexes fer/hémosidérine ou mélanine avec la molécule ou ses métabolites ont été proposées. La tétracycline peut également induire, plus rarement, ce type de pigmentation muqueuse. Plus globalement, toutes les cyclines peuvent s'associer à une dyschromie dentaire (minocycline, doxycycline, lymecycline), qui ne doivent pas être prescrites chez la femme enceinte et l'enfant de moins de 8 ans (figures 15 et 16).

Chimiothérapies [30] Elles sont une cause classique d'hyperpigmentation de la muqueuse buccale. Son incidence n'est pas déterminée mais elle est fréquemment constatée en pratique clinique et très clairement sous-estimée par les cliniciens. De nombreuses molécules cytotoxiques peuvent induire ces hyperpigmentations. Citons l'hydroxyurée, le cyclophosphamide, les taxanes (docetaxel, paclitaxel) (figure 16), le fluorouracile et sa prodrogue la capécitabine, la doxorubine (lipsosomale ou non), la bléomycine, le busulfan, le pemetrexed, la cytarabine. . . Il s'agit en général de macules brunes, homogènes, parfois confluentes et qui prédominent sur la muqueuse non kératinisée (plancher buccal, muqueuses jugales). Le palais dur ou la face dorsale de la

Figure 15 Pigmentation sous minocycline. Les dents et gencive adhérente sont pigmentés

Figure 16 Pigmentation linguale due aux taxanes

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Pigmentations de la muqueuse buccale

Figure 17 Pigmentation due à un traitement au long cours par chloroquine

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Mise au point Figure 18 Pigmentation palatine sous imatinib

Zidovudine Une augmentation significative du développement de lésions pigmentées intrabuccales est clairement établie avec cette molécule. Une atteinte cutanée ou unguéale simultanée est là aussi fréquente. Plus globalement, la présence d'hyperpigmentations orales apparaît significativement plus élevée chez les patients VIH+ [7], notamment traités de façon intensive par traitement antirétroviraux (highly active retroviral therapy [HAART]). Interféron alpha [28] Il s'agit d'une complication classique de cette immunothérapie. Elle peut concerner près de 10 % des patients traités par PEG interféron et ribavirine pour une hépatite C. Elle semble liée à une stimulation de la production de mélanine. Une régression très progressive à l'arrêt du traitement est classique. Autres médicaments systémiques [28] Une hyperpigmentation de la muqueuse orale a été décrite avec de nombreux autres médicaments, le plus souvent à partir d'observations isolées ou de courtes séries ; l'imputabilité et l'incidence n'ont pas toujours été établies avec certitude. On peut citer le kétoconazole, la phénytoïne, les phénothiazines (chlorpromazine), la clofazimine (aspect rouge-orangé), l'amiodarone, certains contraceptifs oraux. Le nouvel anticonvulsivant retigabine semble également être associé à une pigmentation cutanée et orale, notamment des lèvres ou du palais (bleuviolet). Pigmentations médicamenteuses exogènes [28] Des médicaments comme le lansoprazole, le fer, la chlorhexidine ou encore le linezolide peuvent induire une pigmentation

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langue peuvent cependant être aussi atteints. Ces lésions peuvent faire suite à une mucite mais se développent le plus souvent de façon spontanée. Du fait de leur caractère asymptomatique, elles sont souvent découvertes de façon fortuite, parfois longtemps après la fin du traitement. Histologiquement, on constate une hyperpigmentation basale avec incontinence pigmentaire et mélanine dans la lamina propria. Le mécanisme à l'origine de ces lésions est toxique, avec agression des mélanocytes par ces agents cytotoxiques. Une pigmentation cutanée (surtout dans les zones de contact mais parfois plus diffuse) et des ongles (bandes mélanonychiques) sont également fréquemment associées. Antipaludéens de synthèse [31] Une pigmentation cutanée bleu-gris est un effet indésirable classique de la chloroquine administrée de façon chronique, notamment au niveau de la face antérieure des jambes. Plus rarement, une pigmentation de même type peut être notée au niveau muqueux (figure 17), classiquement sur le palais dur. Elle semble être avant tout secondaire à des dépôts d'hémosidérine dans la lamina propria (coloration de Perls), même si la présence de mélanine a aussi été rapportée. La mise en évidence de ces lésions nécessite un contrôle ophtalmologique systématique à la recherche de dépôts rétiniens, qui peuvent induire une rétinopathie irréversible. L'hydroxychloroquine ou l'amodiaquine (non disponible en France) peuvent également s'associer, plus rarement, à ce type de pigmentation. Imatinib [32,33] Cet inhibiteur de tyrosine kinase ciblant BCR-ABL peut induire une pigmentation palatine caractéristique, avec un aspect bleugris très similaire à celui précédemment décrit avec la chloroquine. Même si le nombre de cas rapportés est faible, il s'agit d'une situation non exceptionnelle (figure 18).

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exogène. Il faut bien sûr éliminer dans ce contexte une pigmentation exogène induite par le tabac, le café ou des aliments particuliers ainsi qu'une langue noire villeuse (plus fréquente en cas de xérostomie médicamenteuse associée). Traitements locaux Certains traitements topiques peuvent aussi parfois entraîner une pigmentation des muqueuses. Citons le tacrolimus en pommade [34] ou la chlorhexidine en bain de bouche (langue), cette dernière pouvant également induire une coloration brunâtre des dents. Cas particulier de l'érythème pigmenté fixe Il correspond à une réaction médicamenteuse de type immunoallergique. Il se traduit par la survenue d'une ou de plusieurs lésions cutanées bien limitées, initialement inflammatoires (érythème, bulle, œdème) qui peuvent évoluer vers une pigmentation séquellaire. La récidive sur les mêmes zones lors de la réintroduction du médicament inducteur est très caractéristique. Les muqueuses peuvent être atteintes dans 40 à 50 % des cas, notamment au niveau génital, sur les lèvres et parfois en endobuccal. Les lésions orales sont en général multiples (75 % des cas) et peuvent concerner plusieurs zones anatomiques, notamment les muqueuses labiales et jugales. Cependant, en cas de lésion unique, celle-ci prédomine clairement sur la face dorsale de la langue et le palais dur [35]. Il faut noter que la symptomatologie buccale se résume souvent à une érosion, un érythème, des ulcérations aphtoïdes ou une bulle et qu'une pigmentation résiduelle n'est que rarement individualisée [35]. Le diagnostic peut donc être très difficile à faire en cas d'atteinte buccale isolée (5 % des cas), sans lésion cutanée ou génitale concomitante. De nombreux médicaments ont été incriminés, notamment les anti-inflammatoires non stéroïdiens (inhibiteurs de cox 2, diclofénac, piroxicam, naproxène. . .), le paracétamol, les antihistaminiques (cetirizine), les antibiotiques (amoxicilline, cotrimoxazole, tétracyclines), les barbituriques, la pseudoéphedrine. Le diagnostic est parfois difficile et des tests épicutanés (réalisés sur la zone cutanée concernée) ou un test de réintroduction peuvent être utiles.

Plages pigmentées d'origine non mélanique Tatouages Les tatouages de la muqueuse buccale accidentels ou secondaire à un phénomène électrolytique sur les restaurations métalliques dentaires (amalgames, prothèse) sont fréquents [5,7]. Ils se manifestent le plus souvent par une macule pigmentée unique (cf. chapitre correspondant). Parfois ces tatouages relèvent d'une pratique volontaire destinée à colorée les tissus pour mettre les dents en valeur (figure 19). Ces pratiques cosmétiques rituelles consistent le plus souvent à introduire du charbon sous la muqueuse. Il en résulte une plage colorée, gris noir bleuté.

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Sels de métaux lourds L'absorption chronique de métaux peut entraîner une pigmentation muqueuse. Autrefois, cette intoxication était secondaire

Figure 19 Tatouage cosmétique gingival donnant une couleur gris ardoisé à la muqueuse

à des traitements par les sels d'or, d'argent, le bismuth. Aujourd'hui, ces traitements ne sont plus utilisés. Les pigmentations secondaires à des intoxications par les métaux lourds sont aujourd'hui surtout accidentelles [5,7]. Elles concernent essentiellement le plomb, le mercure, le cuivre, le cadmium et le vanadium. Elles entraînent le plus souvent un liseré gingival pigmenté (ex : liseré de Burton dans l'intoxication au plomb). Ce liseré s'explique par la production d'hydrogène sulfuré par le biofilm, qui réagit avec les sels de métaux lourds et s'accumule au niveau de la gencive marginale. La couleur varie en fonction des métaux : noir pour le plomb, grisâtre pour le mercure, bleu-gris pour l'argent, verdâtre pour le cuivre.

Nodules, bulles, tumeurs et pseudotumeurs pigmentées D'origine mélanique Mélanome Les mélanomes de la muqueuse buccale se présentent le plus souvent sous la forme de macules pigmentées ou de nodules. Les formes nodulaires correspondent à une phase de croissance verticale (mélanome invasif). Au stade de nodule, les mélanomes sont souvent ulcérés et hémorragiques. Ils s'accompagnent volontiers de mobilité dentaires (figure 6). La prise en charge est multidisciplinaire [14,15] (cf. chapitre précédent). Tumeur neuro-ectodermique de l'enfant Il s'agit d'une tumeur rare de l'enfant de moins d'un an siégeant habituellement sur la gencive maxillaire. Elle se présente sous la forme d'une tumeur brunâtre. L'examen anatomopathologique montre une double composante cellulaire : neuroblastique et mélanoblastique [36]. Le traitement repose sur l'exérèse chirurgicale.

D'origine non mélanique De nombreuses lésions non mélaniques peuvent entraîner une pigmentation de la muqueuse buccale secondaire à la richesse de la vascularisation et/ou à la présence d'hémosidérine. Il peut

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Figure 20 Granulome pyogénique gingival

s'agir de pseudo-tumeur, de tumeurs bénignes ou malignes et de bulles hémorragiques. Pseudo-tumeurs et tumeurs bénignes non mélaniques pigmentées Granulome pyogénique (épulis inflammatoire ou botriomycome) Il s'agit d'une lésion fréquente, localisée principalement sur la gencive, d'origine réactionnelle (figure 20). Elle se présente le plus souvent sous la forme d'un nodule érythémateux saignant au contact. Le contexte et la présentation clinique sont souvent évocateurs du diagnostic de granulome pyogénique mais une biopsie muqueuse doit être réalisée au moindre doute. Il correspond sur le plan histologique à une prolifération vasculaire bénigne dans un contexte granulomateux non spécifique.

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Granulome périphérique à cellules géantes (épulis à myéloplaxes) De survenue rare, il se présente sous la forme d'une tumeur gingivale de couleur violine. Le granulome à cellules géantes peut entraîner fréquemment une résorption osseuse sousjacente et un déchaussement dentaire. Sur le plan histologique il est caractérisé par un contingent important de cellules fibrohystiocytaires associées à des cellules géantes multinuclées. Il est richement vascularisé et présente des dépôts hémosidérinique ce qui lui confère sa coloration violacée typique (figure 21). La découverte d'un granulome à cellules géantes doit faire rechercher une hyperparathyroïdie associée (hypercalcémie, hypophosphorémie). Le traitement repose sur l'exérèse chirurgicale [38]. Kystes et pseudo-kystes salivaires [39] Les kystes salivaires vrais sont dits rétentionnels car ils sont secondaires à l'obstruction du canal salivaire, empêchant l'écoulement du mucus. Les pseudo-kystes salivaires, ou mucocèles, sont dus à une destruction de la glande, qui secrète la salive dans le parenchyme environnant. Les mucocèles sont les lésions buccales les plus fréquemment analysées sur le plan anatomopathologique chez l'enfant. La lèvre inférieure est atteinte dans 80 % des cas (figure 22). Les autres localisations sont la face ventrale de la langue, le plancher buccal et les joues. Les kystes et pseudo-kystes salivaires sont des nodules violacés ou bleutée de la lèvre inférieure secondaire à un traumatisme. La palpation montre une lésion molle, fluctuante et indolore. Lorsqu'ils sont situés au niveau du plancher buccal, les mucocèles portent le nom de grenouillette (ranula), par analogie clinique avec le ventre d'une grenouille. Les mucocèles du plancher buccal sont en rapport avec une glande salivaire accessoire ou avec la glande sublinguale. Le traitement est l'exérèse chirurgicale à la lame ou au laser diode. Les récidives sont rares. Les

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Pigmentations de la muqueuse buccale

Figure 21

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Granulome à cellules géantes de couleur violacée typique. L'histologie montre des cellules géantes multinuclées associées à de nombreux hystiocytes

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Figure 22 Kyste mucoïde labial de couleur violacée typique

grenouillettes plongeantes peuvent être traitées par marsupialisation pour éviter les séquelles chirurgicales d'une dissection large. Kyste d'éruption Il s'agit d'une coloration bleuâtre correspondant à une hémorragie dans le sac folliculaire d'une dent en cours d'évolution. La poussée de la dent et son émergence dans la cavité buccale entraîne la disparition de la coloration [39]. Hémangiome infantile [39] Les hémangiomes sont souvent situés sur la face et la région péribuccale mais la muqueuse buccale est rarement atteinte. Les hémangiomes superficiels sont tuméfiés, rouges vifs alors que les hémangiomes profonds forment une tuméfaction bleutée. Les hémangiomes régressent spontanément à partir de 18 mois. Les hémangiomes responsables d'un préjudice esthétique et fonctionnel peuvent être traités par bêtabloquants. La chirurgie est parfois nécessaire.

Malformations vasculaires [39] On distingue les malformations vasculaires à flux lent (capillaire, veineuse, et lymphatiques) et les malformations vasculaires à flux rapide (artério-veineuse). Les malformations vasculaires se manifestent par une coloration bleutée, violacée ou rouge de la muqueuse buccale (figure 23). Les plus fréquentes sont les malformations veineuses. Les malformations vasculaires n'ont aucune tendance spontanée vers la régression ce qui les différencie des angiomes. L'abstention thérapeutique est la règle dans la majorité des cas. En cas de gêne esthétique ou fonctionnelle un traitement chirurgical peut être envisagé en tenant compte du risque hémorragique, notamment pour les malformations artério-veineuses. Artère de calibre persistant [39] Elle est caractérisée par une tuméfaction labiale inférieure, discrètement érythémateuse, pulsatile à la palpation. La palpation bidigitale laisse deviner le cordon artériel. Rarement une ulcération est présente. Aucun traitement n'est nécessaire. En cas de gêne importante une exérèse chirurgicale est possible. Hyperplasie endothéliale papillaire intravasculaire (hémangio-entodélium végétant intravasculaire de Masson) [39] Elle est caractérisée par un nodule violacé acquis de l'adulte, asymptomatique. L'examen histologique permet le diagnostic. Aucun traitement n'est nécessaire. En cas de gêne importante une exérèse chirurgicale est possible. Tumeurs malignes non mélaniques pigmentées Maladie de Kaposi (MK) [19,37] Il s'agit d'une néoplasie cutanéo-muqueuse et viscérale d'origine endothéliale qui se manifeste selon 4 formes cliniques : la forme classique (MK méditerranéen), la forme épidémique (MK de l'infection VIH), la forme endémique (MK Africain) et la forme iatrogène (MK post-transplantation ou sous immunosuppresseurs). La forme épidémique de l'infection VIH est la plus fréquente (figure 24). La MK, quelle que soit la forme clinique, est liée à une infection par HHV 8. Elle peut se

Figure 23

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Malformation vasculaire veineuse (a), lymphangiomateuse (b) et artério-veineuse (c)

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Pigmentations de la muqueuse buccale

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PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

Figure 24

Figure 27

Sarcome de Kaposi secondaire à une infection VIH

Bulle hémorragique dans une pemphigoïde des muqueuses

Figure 25 Angiosarcome palatin

présenter sous différentes lésions élémentaires : macule ou nodule de couleur variant du rouge brunâtre au pourpre violacé. Les principales localisations sont le palais dur et mou, la face dorsale de la langue et la gencive. Les macules sont le plus souvent asymptomatiques. Les nodules peuvent générer des douleurs, un saignement et se surinfecter. Dans certains cas ils s'accompagnent de mobilité dentaire ou peuvent occasionner une gêne prothétique. L'examen anatomopathologique objective des cellules endothéliales fusiformes, des fentes vasculaires allongées et une extravasation d'hématies. Angiosarcome [40] Il s'agit d'une prolifération maligne des cellules endothéliales. Les angiosarcomes représentent un à deux pour cent des sarcomes des tissus mous. Les principales localisations dans la bouche sont les lèvres, le palais (figure 25) et la langue. La présentation clinique est souvent peu spécifique (érythème ou nodule violacé). La chimiothérapie et la radiothérapie sont peu

Figure 26

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Pigmentation dans une leucémie aiguë (a) et un lymphome foliculaire B (b)

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Figure 28 Bulle dans une angine bulleuse hémorragique

efficaces. La chirurgie est le traitement de référence. La survie à 5 ans est de 10 à 35 %. Pigmentation gingivale des hémopathies malignes [38] Dans les leucémies aiguës (surtout myéloïdes) et les lymphomes (surtout folliculaires B), la gencive peut être envahie par des cellules tumorales. Classiquement la gencive devient hypertrophique et parfois pigmentée. L'apparition d'une coloration violacée, hyperhémiée et d'un accroissement gingival doit faire évoquer une hémopathie maligne (figure 26). La biopsie confirmera le diagnostic. Bulles hémorragiques Des bulles hémorragiques peuvent s'observer dans les dermatoses bulleuses de type pemphigoïde des muqueuses et dans l'angine bulleuse hémorragique [39]. Pemphigoïde des muqueuses (pemphigoïde cicatricielle) Il s'agit d'une dermatose bulleuse auto-immune rare, caractérisée par la production d'anticorps anti-membrane basale (antiBP 180 surtout et anti-BP 230) responsable d'une bulle sousépithéliale. Les bulles hémorragiques sont rares dans ce

contexte et toujours accompagnées d'ulcérations post bulleuses (figure 27). Le diagnostic repose sur la biopsie avec étude en immunofluorescence directe pour individualiser des dépôts d'IgG, IgA, C3 le long de la membrane basale associés à une bulle supra basale. Une immunofluorescence indirecte et une analyse par Elisa doivent être réalisés pour compléter le diagnostic. Angine bulleuse hémorragique L'angine bulleuse hémorragique est caractérisée par des bulles hémorragiques récurrentes en l'absence de maladie bulleuse auto-immune et de trouble de l'hémostase. La gencive peut être atteinte de même que l'ensemble de la muqueuse buccale (figure 28). Il n'existe pas de traitement efficace pour prévenir les bulles. Le plus souvent, les lésions sont indolores. Déclaration d'intérêts : J.C. Fricain : Sanofi, Amgen, Pierre Fabre, Strauman. V. Sibaud : Roche, BMS, MSD, GSK, Pierre Fabre, Novartis, Bayer, Pfizer, Boehringer Ingelheim.

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PATHOLOGIES BUCCALES (2 E PARTIE)

Presse Med. 2017; 46: 320–330

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PATHOLOGIE BUCCALE (2 E PARTIE)

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Dossier thématique

Cancers de la cavité buccale : facteurs de risque et prise en charge Arnaud Paré, Aline Joly

Disponible sur internet le : 21 février 2017

CHU de Tours, hôpital Trousseau, université François-Rabelais de Tours, service de chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face, avenue de la République, 37170 Chambray-lès-Tours, France

Correspondance : Arnaud Paré, CHU de Tours, hôpital Trousseau, université François-Rabelais de Tours, service de chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face, avenue de la République, 37170 Chambray-lès-Tours, France. [email protected]

Points essentiels La cavité buccale est la localisation la plus fréquente des cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS). Le carcinome épidermoïde est le sous-type histologique le plus fréquent et représente plus de 95 % des cancers de la cavité buccale (CCB). Les principaux facteurs de risques sont l'intoxication alcoolo-tabagique mais également les lésions dites précancéreuses. Ces lésions précancéreuses sont des maladies chroniques de la muqueuse buccale et sont responsables de quasiment 20 % des cas de cancer. Le plan traitement des CCB est décidé de façon collégiale en réunion de concertation pluridisciplinaire après réalisation d'un bilan clinique, radiologique et endoscopique. Ce bilan permet d'évaluer l'extension locorégionale de la tumeur ainsi que son statut métastatique. La chirurgie, la radiothérapie ou encore la chimiothérapie font partie de l'arsenal thérapeutique possible. Cependant, le pronostic dépend principalement de la résécabilité de la tumeur ainsi que des comorbidités du patient pouvant limiter les possibilités de traitement. La chirurgie d'exérèse s'associe fréquemment à des techniques de reconstructions qui ont comme objectif de restituer les fonctions de phonation, de déglutition et de respiration et de limiter les séquelles esthétiques. Souvent diagnostiqués à un stade tardif, le pronostic de ces tumeurs reste mauvais malgré les progrès thérapeutiques et les efforts croissants de prévention. Le profil des patients alcoolo-tabagiques échappant au circuit médical, le taux élevé de récidive ainsi que la fréquence des secondes localisations expliquent en grande partie l'absence d'amélioration de la survie depuis de nombreuses années.

Key points Oral cancer: Risk factors and management

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Oral cavity is the most frequent anatomical subsite of upper aero-digestive tract malignancies. Squamous cell carcinoma is the most common histological type and totalizes more than 95% of

tome 46 > n83 > mars 2017 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2017.01.004 © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Cancers de la cavité buccale : facteurs de risque et prise en charge

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oral cancer. Main risk factors are tobacco and alcohol exposure and also potentially malignant lesions. These precancerous lesions are a chronic disease of oral mucosa and are responsible for about 20% of oral cancer. The treatment of oral cancer depends on clinical, radiological and endoscopic staging and according to the multidisciplinary tumor board decision. Indeed, tumor staging gives information about loco-regional and metastatic spread. Treatment can include surgery, radiation therapy and chemotherapy. However, the prognostic mainly depends on tumor resectability and patient comorbidities. Tumor removal is often associated with reconstruction procedures in order to restore phonation, swallowing and breathing functions with acceptable aesthetic outcomes. The usual delayed diagnosis explains the poor prognostic of oral cancer in spite of prevention attempt and therapeutic improvement. Indeed, the profile of tobacco and alcoholic patients outside of medical system, the high rate of recurrence and the frequency of second primary malignancies explain the stable incidence for years.

Anatomie et sous-localisations des cancers de la cavité buccale La cavité buccale est une dénomination anatomique large regroupant plusieurs sous-localisations (figure 1). Elle comprend les régions allant des arcades dentaires jusqu'à la jonction avec l'oropharynx. Elle inclut également la face interne des joues, les lèvres muqueuses et le vestibule correspondant à la muqueuse située entre les arcades dentaires et la face interne des joues et de lèvres. Par conséquent, l'examen clinque de la cavité buccale nécessite une palpation et une inspection en déplissant la muqueuse de nombreux sillons anatomiques. Les principales localisations des cancers de la cavité buccale (CCB) sont [1] :  la langue mobile qui totalise 20 à 30 % des cas. Elle comprend une face dorsale et une face ventrale, les bords latéraux ainsi





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PATHOLOGIE BUCCALE (2 PARTIE)

que la pointe. La « zone de jonction » est une zone frontière se situant entre la langue mobile et la base de langue. La base de langue ne fait pas partie de la cavité buccale au sens strict. Elle constitue une partie de l'anneau lymphoïde de Waldeyer avec les amygdales et appartient à l'oropharynx ; le plancher buccal est la seconde localisation la plus fréquente et représente 20 à 30 % des CCB. Il regroupe les régions latérales et une partie antérieure. Il est délimité latéralement par le sillon pelvi-gingival et médialement par le sillon pelvilingual ; les autres localisations moins fréquentes sont les lèvres muqueuses avec une nette prédominance de la lèvre inférieure, la face interne des joues, la commissure intermaxillaire, les gencives ou le palais dur (figure 2). Le palais dur ou palais osseux appartient également à la cavité buccale

Figure 1

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Sous-localisations anatomiques de la cavité buccale (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours)

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A. Paré, A. Joly

Figure 2 Carcinome épidermoïde de la gencive maxillaire (A), de la gencive mandibulaire (B) et du palais dur (C) (Collection Dr A. Paré et Dr M. Samimi, CHU de Tours)

contrairement au palais mou communément appelé voile du palais qui constitue la partie supérieure et antérieure de l'oropharynx.

Épidémiologie Incidence et survie

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À l'échelle mondiale, les dernières données d'incidence et de mortalité de l'International Agency for Research on Cancer (IARC) rapportaient 300 000 nouveaux cas et 145 000 décès par an [2]. La dernière étude épidémiologique en France relatée par l'InVS remonte à 2007 [1]. Avec environ 7000 nouveaux cas et 1750 décès annuels, les CCB sont la première localisation des cancers des VADS (35 %) et sont responsables de 1,2 % des décès par cancer. L'âge moyen au diagnostic est 60,3 ans chez les hommes et de 64,1 ans chez les femmes. L'augmentation de l'incidence chez les femmes est une donnée observée depuis plusieurs années avec notamment une augmentation du taux d'incidence de 51,7 % entre 1980 à 2005. A contrario, une diminution chez les hommes de 43,2 % a été observée durant cette même période. Cette tendance traduit principalement l'augmentation de la consommation tabagique par les femmes [1,3]. Cependant, le sex-ratio homme/ femme de 4,9 montre toujours une nette prédominance masculine. Les données épidémiologiques montrent également une disparité géographique avec un taux d'incidence plus élevé dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et du Doubs et plus particulièrement chez les hommes. Ces données reflètent probablement le gradient nord-sud classique de l'éthylisme chronique plus important dans la moitié nord de la France. Par ailleurs, les efforts de prévention et les progrès techniques dans la prise en charge des CCB (imagerie, techniques de reconstruction, radiothérapie par modulation d'intensité) ont permis d'améliorer les séquelles post-thérapeutiques mais sans retentissement sur la survie qui reste stable depuis plus de

20 ans. La survie relative à 5 ans et de l'ordre de 35 % chez l'homme et de 50 % chez la femme. Cette stabilité est à mettre en parallèle avec la persistance de l'exposition chronique au tabac et à l'alcool ainsi que la difficulté de suivi médical régulier chez des patients possédant fréquemment des comorbidités [3].

Histologie Les carcinomes épidermoïdes représentent la très grande majorité des CCB et totalisent plus de 95 % des cas [3]. En cas de dégénérescence maligne, les lésions précancéreuses sont également responsables de ce même type histologique. Parmi les autres les tumeurs épithéliales, les carcinomes glandulaires comme les adénocarcinomes et les carcinomes adénoïdes kystiques sont beaucoup plus rares. Développées aux dépens de glandes salivaires accessoires, l'évolution est en générale plus lente et paucisymptomatique. La localisation palatine est fréquente et explique l'envahissement osseux habituel. Les tumeurs non épithéliales comme les sarcomes (ostéosarcomes ou rhabdomysarcomes principalement) sont également des cancers rares de la cavité buccale et touchent en général des patients plus jeunes. D'autres sous-groupes histologiques comme les mélanomes muqueux ou encore les hémopathies sont également décrits mais restent exceptionnels.

Facteurs de risques Éthylo-tabagisme L'association du tabac et d'alcool est de loin le facteur de risque principal. Pour le tabac, le risque de développement de CCB augmente avec la durée d'exposition et plus particulièrement à partir 20 paquets années [3]. Inversement, après 20 ans d'arrêt, le risque n'est plus significativement différent des personnes non fumeuses. Le tabac à chiquer est également un facteur carcinogène avec notamment l'adjonction de bétel qui donne des localisations préférentiellement au niveau de la face interne des joues ou des lèvres.

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L'alcool ne semble pas jouer un rôle carcinogène direct mais plutôt celui de potentialisateur du tabac. L'éthanol induisant une atrophie de l'épithélium buccal, il favorise la pénétration ainsi que la solubilisation des métabolites carcinogènes du tabac. L'acétaldéhyde, premier métabolite de l'éthanol, a cependant été décrit comme agent cancérigène chez l'animal et souligne son possible rôle carcinogène [4].

Facteurs nutritionnels Les carences vitaminiques sembleraient être impliquées dans la survenue des cancers des VADS. Souvent retrouvées chez le patient éthylique chronique, les carences en vitamine C et A pourraient avoir un rôle dans la survenue de cancer. Le déficit en acide rétinoïque entraînerait une anomalie de maturation du tissu épithélial favorisant ainsi la survenue de cancer. Inversement, la consommation de fruit et légume a été avancée comme facteur protecteur. Mêmes si elles sont relatives, les actions anti-oxydantes, anti-prolifératives et immunostimulantes pourraient avoir un rôle dans la diminution du risque des CCB [3,4].

Lésions précancéreuses (LPC) Les CCB apparaissent le plus souvent suite à l'évolution d'une dysplasie causée par l'exposition alcoolo-tabagique. Cependant, on évalue à presque 20 % la proportion de CCB secondaires à des lésions dites « précancéreuses » [3,5]. L'OMS a définie les LPC par un « tissu morphologiquement altéré au sein duquel un cancer apparaît plus souvent que dans le tissus normal autologue ». Les LPC sont des maladies chroniques de la muqueuse buccale pouvant être régressives mais nécessitant une surveillance régulière au long cours. Une biopsie initiale est recommandée pour confirmer le diagnostic. Ce geste est à réitérer en cas de modification récente ou au moindre doute de dégénérescence maligne. Les lésions entrant dans la classification des lésions précancéreuses sont [5] les suivantes.

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PATHOLOGIE BUCCALE (2 PARTIE)

La leucoplasie La leucoplasie est une plaque blanche de la muqueuse buccale indolore, non détachable au grattage correspondant à une hyperkératose. Il existe principalement deux formes cliniques : la forme homogène bien circonscrite et la forme inhomogène plus à risque de transformation maligne (figure 3). La forme inhomogène peut prendre un aspect nodulaire, érosif voire verruqueux. L'intoxication tabagique en est la principale cause et son arrêt peut permettre une régression complète des lésions. Le traitement repose sur une surveillance annuelle ou l'exérèse en cas de modification récente ou d'aspect suspect. Le risque de dégénérescence maligne en carcinome épidermoïde est évalué entre 5 à 20 % des cas et se produit après une évolution sur plusieurs années.

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Cancers de la cavité buccale : facteurs de risque et prise en charge

Le lichen plan Le lichen plan est une maladie inflammatoire chronique, évoluant par poussée et d'étiologie mal connue (figure 4). La cause auto-immune à médiation cellulaire est la cause généralement admise [6]. Cette maladie est marquée par des phases de poussées inflammatoires et de quiescence. Les lésions de lichen sont blanches en dehors des poussées et peuvent être limitées en plaque ou plus étendues en nappe. Ces lésions peuvent avoir plusieurs aspects dont les plus fréquents sont les formes circinées, réticulées ou dendritiques. Les formes érythémateuses, érosives ou bulleuses traduisent une poussée inflammatoire alors que les formes atrophiques, hyperkératosiques, pigmentées ou hypertrophiques sont observées dans les lichens anciens ou à l'état post-lichénien correspondant à une fibrose irréversible de la muqueuse. Le risque de dégénérescence maligne est rare et est estimé à environ 5 % [7]. Le traitement du lichen repose sur une corticothérapie locale voire générale lors des poussées inflammatoires ainsi qu'une surveillance régulière.

Figure 3

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Leucoplasie homogène du bord latéral de la langue à droite (A). Leucoplasie inhomogène de la face interne de joue à droite (B) (Collection Dr M. Samimi, CHU de Tours)

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A. Paré, A. Joly

Figure 4 Lichen plan étendu de la face interne de joue (A) et du bord latéral de la langue (B) (Collection Dr M. Samimi, CHU de Tours)

La leucoplasie proliférative verruqueuse Anciennement appelée papillomatose orale floride, c'est une lésion rugueuse mais souple à la palpation qui touche préférentiellement le sujet âgé (figure 5). L'aspect peut aller d'un simple papillome bénin jusqu'au placard papillomateux étendu. Son évolution en carcinome verruqueux voire en carcinome épidermoïde infiltrant est quasi systématique. Le traitement par exérèse itérative est en général nécessaire. La guérison est rare est difficile. L'érythroplasie L'érythroplasie touche en général le sujet âgé et se caractérise par une plage veloutée, rouge brillant, uniforme, à limites nettes, souvent très étendue et indolore. Le risque de dégénérescence de ce type de lésion est élevé et implique l'exérèse quand elle est possible. La kératose actinique labiale Également appelée chéilite actinique, elle est secondaire à l'exposition solaire ainsi qu'au tabagisme. Son aspect initial

desquamatif réactionnel évolue ensuite vers une hyperkératose fissuraire (figure 6). Principalement localisée au niveau de la lèvre inférieure, ce type de lésion apparaît en général après 45 ans. Le traitement repose sur l'arrêt du tabac et d'une exérèse en cas de persistance lésionnelle (vermillonectomie).

Human papilloma virus (HPV) Le rôle carcinogène de l'HPV 16 et 18 dans le développement de certains cancers des VADS est désormais admis [8]. En effet, 15 à 20 % des cancers des VADS touchent des adultes jeunes non buveurs non fumeurs pouvant être en lien avec une infection par l'HPV. L'incidence des infections HPV dans les cancers des VADS est d'ailleurs inversement proportionnelle à la consommation alcoolo-tabagique [9]. Cependant, le rôle de l'HPV dans les CCB ne semble concerner qu'une minorité des cas. L'étude de l'expression de la protéine P16 ou celle des transcrits des oncogènes E6 et E7 sont le gold standard actuels pour détecter l'infection par HPV. Le nombre de CCB lié à l'HPV semble au final très restreint et semble ne concerner qu'une très faible

Figure 5

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Leucoplasie profilérative verruqueuse du vestibule inférieur gauche (A). Dégénérescence en carcinome verruqueux (B) (Collection Dr M. Samimi, CHU de Tours)

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Cancers de la cavité buccale : facteurs de risque et prise en charge

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PATHOLOGIE BUCCALE (2 PARTIE)

Figure 6 Kératose actinique labiale inférieure avec un foyer de carcinome épidermoïde in situ paramédian à droite (Collection Dr A. Paré, CHU de tours)

proportion d'entre eux [10,11]. Le rôle de l'HPV semble surtout impliqué dans les cancers de l'oropharynx et plus particulièrement de l'amygdale avec plus de 80 % de cancers de l'oropharynx HPV positifs selon les études [1].

Autres facteurs de risques D'autres facteurs de risque sont également évoqués. La consommation de marijuana a récemment été décrit comme augmentant le risque de CCB [3,4]. Les plaies traumatiques chroniques peuvent être responsables d'ulcérations itératives et son reconnues comme facteurs favorisant à long terme la survenue de CCB. Le traitement préventif repose sur la suppression du facteur traumatisant comme l'adaptation d'une prothèse dentaire traumatique par exemple.

Figure 7 Carcinome épidermoïde de la gencive mandibulaire droite étendu à la commisure intermaxillaire (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours)

L'otalgie reflexe est également un symptôme qui peut être retrouvé dans les localisations postérieures de la cavité buccale. L'examen des aires ganglionnaire est primordial pour évaluer le stade de la maladie. La palpation doit explorer la totalité des aires ganglionnaires et notamment l'aire sub-mentale (IA) et les aires sub-mandibulaires (IB). La lymphophylie importantes des carcinomes épidermoïdes et le drainage lympahtique vers le plancher buccal doivent faire rechercher des localisations cervicales ganglionnaires des aires IA et IB en priorité (figure 8). Le retentissement général doit également être évalué. L'anorexie est fréquente et responsable de pertes de poids importantes. La recherche de comorbidités chez les patients alcoolo-tabagiques est également nécessaire. Les signes de

Présentation clinique

tome 46 > n83 > mars 2017

Figure 8 Niveaux des aires ganglionnaires cervicales (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours) I : sub-mento-mandibulaire ; IA : sub-mental ; IB : sub-mandibulaire ; II : jugulocarotidien supérieur ; IIA : sous-digastrique ; IIB : rétro-spinal ; III : jugulo-caratidien moyen ; IV : jugulo-carotidien inférieur ; V : triangle postérieur ; VI : cervical antérieur.

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Dans la majorité des cas, le développement des CCB se fait après l'évolution d'une dysplasie en carcinome in situ évoluant ensuite vers un carcinome épidermoïde infiltrant. La présentation habituelle est celle d'une lésion ulcérée, bourgeonnante, saignant au contact avec une induration péri-lésionnelle correspondant à l'infiltration sous-muqueuse de la tumeur (figure 7). L'aspect peut parfois être trompeur notamment dans les formes nodulaires peu ulcérées ou celles principalement sous-muqueuses. Dans les localisations gingivales ainsi que du palais ou de la commissure intermaxillaire, l'atteinte osseuse est souvent précoce de par la contiguïté anatomique. En portion dentée, l'atteinte osseuse peut être responsable de mobilité dentaire voire de déchaussement. Un trismus peu parfois être présent. Il traduit l'infiltration des muscles masticateurs (ptérygoïdiens médiaux) principalement dans les localisations de la commissure intermaxillaire ou du plancher buccal postérieur.

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A. Paré, A. Joly

carences nutritionnelles ainsi que les pathologies cardiovasculaires sont à dépister systématiquement en vue des traitements potentiels (chirurgies lourdes, radio-chimiothérapie).

Bilan préthérapeutique L'objectif du bilan pré-thérapeutique est de confirmer le diagnostic, de déterminer le stade local, l'extension régionale et à distance et d'évaluer les comorbidités du patient. Ce bilan permet ensuite d'évaluer de façon collégiale en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) les possibilités thérapeutiques. Une biopsie initiale est indispensable pour confirmer le soustype histologique de la tumeur. Elle peut être réalisée précocement en cabinet de consultation sous anesthésie locale ou lors de la panendoscopie. La biopsie doit être réalisée préférentiellement en périphérie de l'ulcération au niveau de l'induration. Cela permet d'éviter d'envoyer un tissu nécrotique plus difficile à analyser pour le médecin anatomo-cytopathologiste. Une fois le diagnostic confirmé, le bilan d'extension comprend les éléments suivants.

Une panendoscopie des VADS

IRM L'IRM est un examen permettant une analyse plus fine des tissus mous que le scanner. Cependant, le délai plus long relègue encore l'l'IRM à un examen de seconde intention. Les acquisitions en pondération T1 avec et sans injection de Chélate de gadolinium et T2 permettent une analyse plus précise de la délimitation de la tumeur ainsi que son extension locale. L'IRM est particulièrement informative sur les tumeurs de la langue ou du plancher buccal (figure 9). C'est également un examen de qualité pour rechercher une infiltration de la médullaire osseuse mandibulaire [14]. Cet examen permet aussi d'évaluer l'atteinte ganglionnaire cervicale. L'IRM est par conséquent un excellent examen d'exploration locorégional et permet de compléter le scanner cervicofacial.

La panendoscopie des VADS est l'examen qui permet d'évaluer le stade local de la tumeur. Elles est indiquée pour les carcinomes épidermoïdes. C'est un examen court, sous anesthésie générale qui donne des informations parfois difficile à obtenir en cas de douleur ou de trismus lors de l'examen clinique. Cet examen permet ainsi d'évaluer la topographie précise de la lésion, son extension et le degré d'infiltration des tissus voisins. La panendoscopie a également comme objectif de dépister des lésions synchrones des VADS incluant l'oropharynx, l'hypopharynx, le larynx et la partie proximale de l'œsophage. Des biopsies peuvent être réalisées dans le même temps à but diagnostique ou pour confirmer une éventuelle deuxième localisation des VADS. Des photographies ainsi qu'un schéma sont reportés dans le dossier en vue de la RCP. En cas d'éthylisme chronique, une fibroscopie œso-gastro-duodénale est recommandée. Elle permet une exploration complète de l'œsophage et le dépistage des lésions synchrones de la partie proximale du tube digestif. La réalisation d'une fiboscopie bronchique chez les fumeurs peut également être réalisée. Cependant, il n' y a pas clairement de recommandation actuelle en France sur l'intérêt de réaliser d'emblée cet examen de par la rareté d'une lésion synchrone bronchopulmonaire [12].

PET scan Le PET scan est l'imagerie métabolique utilisée en cas de suspicion de maladie métastatique [15]. L'utilisation de 18F-FDG révèle les foyers hyper-métaboliques potentiellement tumoraux. Cet examen ne permet pas une analyse fine de l'infiltration locale de la tumeur mais son excellente spécificité classe cet examen devant le scanner ou l'IRM pour la recherche de localisations métastatiques [16]. L'intérêt et les indications sont donc multiples. Cet examen permet de dépister les adénopathies cervicales ou les métastases à distance (pulmonaire, hépatique) mais également une éventuelle seconde localisation synchrone des VADS. Devant le fort potentiel métastatique des CCB, le PET scan est indiqué dans les tumeurs volumineuses ( T3) ou lors de l'atteinte ganglionnaire multiples ( N2b). Le délai de cet examen étant court, il ne retarde en pas en général la prise en charge.

Imagerie

Un bilan dentaire est réalisé pour éradiquer les foyers infectieux fréquemment retrouvés chez les patients alcoolo-tabagiques. La persistance de délabrement dentaire expose au risque d'ostéoradionécrose (ORN) des mâchoires en cas d'irradiation. Ce bilan permet la réalisation de soins dentaires et la prise d'empreinte pour la confection de gouttières fluorée. Ces gouttières fluorées seront appliquées quotidiennement au long court en cas de radiothérapie pour limiter le risque de survenue d'ORN des mâchoires.

Le scanner Le scanner cervicofacial et thoracique est l'imagerie à réaliser en première intention [13]. Son délai rapide permet d'évaluer l'envahissement locorégional et à distance. L'injection d'iode et les coupes millimétriques permettent d'explorer l'extension tumorale au niveau des tissus voisins. Le scanner est l'examen de choix pour dépister une lyse osseuse corticale. Cet examen informe également sur le statut ganglionnaire cervical ainsi

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qu'une éventuelle localisation pulmonaire. L'analyse de l'infiltration des tissus mous est cependant limitée et moins fine que l'imagerie par résonance magnétique (IRM). Les artefacts dentaires (prothèses métalliques) gênent habituellement l'interprétation et peuvent parasiter la qualité de l'image ainsi que la délimitation de la tumeur.

Classification clinico-radiologique Les données cliniques et d'imagerie permettent de donner un stade à la maladie selon classification TNM de l'Union for International Cancer Control (UICC) (tableau I). Cette classification pronostique reflète notamment la résécabilité de la tumeur ainsi que son statut métastatique.

Bilan dentaire

tome 46 > n83 > mars 2017

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PATHOLOGIE BUCCALE (2 PARTIE)

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Cancers de la cavité buccale : facteurs de risque et prise en charge

Figure 9 Apport de l'IRM dans la délimitation tumorale Coupe coronales et axiales d'un scanner (A) et d'une IRM (B) pour un carcinome épidermoïde pelvi-glosso-gingival gauche (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours). SM : sinus maxillaire ; LM : langue mobile ; M : mandibule ; PB : plancher buccal ; CE : carcinome épidermoïde.

Le traitement des CCB dépend du stade de la maladie, de l'état général du patient et de la décision de la RCP regroupant chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes, radiologues et anatomo-cytopathologistes. La chirurgie reste le traitement de choix pour les CCB quand elle est possible. Elle peut être réalisée seule ou associée à de la radiothérapie et/ou chimiothérapie.

Chirurgie des CCB Le but de la chirurgie est de réaliser une résection tumorale complète et à distance. L'exérèse implique par conséquent des marges d'au moins un centimètre autour de la tumeur pour limiter les résections incomplètes microscopiquement. En peropératoire, des examens extemporanés peuvent être réalisés en cas de doute sur le caractère complet de la résection et peuvent ainsi guider la poursuite de celle ci. Le geste chirurgical peut aller de la simple exérèse avec suture directe à une amputation totale de

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structure comme la langue mobile ou la mandibule. À partir du stade infiltrant (T1), la chirurgie est associée à un curage des aires ganglionnaires cervicales sub-mento-mandibulaires et jugulo-carotidiennes. Le caractère uni- ou bilatéral de la chirurgie ganglionnaire dépend de la localisation de la tumeur et du statut ganglionnaire clinique et radiologique. La technique du ganglion sentinelle est réalisable pour les stades T1 ou T2N0. Même si elle est plus rarement utilisée que le curage cervical, cette technique est utilisée de façon croissante en France. La tumeur réséquée est orientée (fils, schéma) et analysée en anatomo-cytopathologie pour définir le stade histologique de la tumeur (pT), les marges de résection et les critères d'agressivité (emboles vasculaires et engainements périnerveux). Les ganglions cervicaux sont également comptabilisés et analysés un par un à la recherche de métastase pour définir le stade histologique ganglionnaire (pN). Les exérèses peuvent être mutilantes et induire des troubles fonctionnels importants entravant l'alimentation, la phonation

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Traitement

Mise au point

A. Paré, A. Joly

TABLEAU I Classification TNM des cancers de la cavité buccale T

Tumeur primitive

Tx

Évaluation la tumeur primitive impossible

Tis

Carcinome in situ

T0

Aucun signe de tumeur primitive

T1

Tumeur  2 cm

T2

Tumeur > 2 cm mais  4 cm

T3

Tumeur > 4 cm

T4a

Cancer de la cavité orale : envahissement de l'os cortical, des mucles extrinsèques de la language, du sinus maxillaire ou de la peau du visage Cancer de la lèvre : envahissement de l'os cortical, du nerf alvéolaire inférieur, du plancher buccal ou de la peau du visage

T4b

Tumeur envahissant l'espace masticateur, les apophyses ptérygoïdes, la base du crâne ou englobant l'artère carotide interne

N

Ganglions lymphatiques régionaux

Nx

Évaluation des ganglions lymphatiques régionaux impossible

N0

Absence de métastase dans les ganglions lymphatiques régionaux

N1

Métastase ganglionnaire unique homolatérale à la tumeur < 3 cm

N2a

Métastase ganglionnaire unique, homolatérale à la tumeur, comprise entre 3 et 6 cm

N2b

Métastases ganglionnaires multiples homolatérales à la tumeur  6 cm

N2C

Métastase(s) ganglionnaire(s) controlatérale(s) à la tumeur ou bilatérales  6 cm

N3

Métastase(s) ganglionnaire(s) > 6 cm

M

Métastases à distance

Mx

Évaluation de métastases à distance impossible

M0

Absence de métastase à distance

M1

Présence de métastases à distance

ou la respiration. Les conséquences esthétiques peuvent également être majeures. Par conséquent, la chirurgie réparatrice est souvent nécessaire et associée dans le même temps que l'exérèse. Elle permet de restituer au mieux la ou les fonctions altérées liées aux pertes de substance muqueuses, musculaires ou osseuses. Les techniques de reconstruction peuvent aller du simple lambeau local au transplant libre micro-anastomosé (figure 10).

Radiothérapie

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La radiothérapie peut être indiquée pour les patients inopérables ou en postopératoire. Les progrès de ces dernières années reposent principalement sur la diminution des séquelles postradiques via la radiothérapie conformationnelle ou plus récemment la radiothérapie par modulation d'intensité (IMRT). Ces techniques permettent une diminution de l'irradiation des tissus sains péri-tumoraux ainsi que des séquelles comme l'ostéoradionécrose maxillo-mandibulaire, les mucites, la

xérostomie, la dysgueusies, les caries dentaires ou encore le trismus. L'indication de radiothérapie postopératoires est systématiquement discutée en RCP. Elle peut être réalisée sur le site tumoral ainsi que sur les aires ganglionnaires cervicales selon le stade de la maladie. La radiothérapie est principalement indiquée dans les tumeurs volumineuses classées histologiquement pT3 ou pT4, en cas d'envahissement ganglionnaire, de présence d'emboles vasculaires et/ou d'engainements périnerveux et en cas d'exérèse courte (< 5 mm). La radio-chimiothérapie concomitante (RCC) postopératoire peut également être réalisée. Le cisplatine (sels de platine) reste le traitement systémique standard dans la RCC postopératoire. La rupture capsulaire ganglionnaire ainsi qu'une résection tumorale incomplète sont des critères formels de RCC. D'autres facteurs péjoratifs comme les emboles vasculaires ou les engainements périnerveux peuvent également faire discuter une RCC postopératoire.

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Cancers de la cavité buccale : facteurs de risque et prise en charge

E

Mise au point

PATHOLOGIE BUCCALE (2 PARTIE)

Figure 10 Mandibulectomie interruptrice (A) pour un carcinome épidermoïde gingival mandibulaire (B) Reconstruction par lambeau libre de fibula (C) (Collection Dr A. Paré, CHU de Tours).

Chimiothérapie La chimiothérapie peut être proposée à visée curative en association à la radiothérapie ou seule à visée palliative. En cas de chimiothérapie concomitante à une radiothérapie exclusive, l'association de sels de platine (cisplatine ou carboplatine) et de 5 fluoro uracile (5 FU) est recommandée. En cas de contre-indication à la chimiothérapie à base de sels de platine

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ou de patient fragile, un anticorps monoclonal ciblant le récepteur de l'EGF (cétuximab, ERBITUX®) peut également être associé à la radiothérapie [17]. En cas rechutes inopérables ou métastatiques, la chimiothérapie palliative de première ligne associe sels de platine-cétuximab5 FU (protocole EXTREME) [18] ou docétaxel, cétuximab, sels de platine (protocole TPEX) [19]. En cas de contre-indications ou de chimiothérapie de deuxième ligne, le méthotrexate ou le paclitaxel (TAXOL®) peuvent être utilisés. La chimiothérapie préopératoire dite d'induction n'a pas d'indication validée dans les CCB ou avant un traitement par RCC. Elle peut être discutée en cas de maladie agressive rapidement évolutive (T et N). Préférentiellement réalisée chez le sujet est jeune et sans comorbidité, elle repose sur 3 cures de docétaxel, cisplatine, 5 FU (TPF).

Surveillance et prévention Les CCB nécessitent une surveillance de par le risque important de récidive ou de seconde localisation des VADS. En effet, le taux de récidive locale à 5 ans est de l'ordre 20 à 30 %, celui de

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La radiothérapie exclusive est également utilisée pour les tumeurs non résécables ou les patients inopérables. Elle peut être associée à de la chimiothérapie en cas d'atteinte ganglionnaire si les comorbidités et l'état général du patient le permettent. La curiethérapie garde quelques indications dans les CCB. Elle peut être proposée en cas de petites tumeurs de la lèvre (T1 et T2) et montre une efficacité proche de la chirurgie avec une rançon esthétique de très bonne qualité. La curiethérapie peut également être une alternative à la chirurgie en cas de petites tumeurs superficielles (T1 et T2) de la face interne de joue ou de la langue mobile.

Mise au point

A. Paré, A. Joly

récidive ganglionnaire autour de 20 % et celui de métastase à distance de 5 à 10 %. Se surajoute le risque de cancer métachrone qui est évalué de 15 à 20 % à 5 ans [3]. Habituellement, un contrôle clinique est réalisé tous les 3 mois pendant 2 ans où le risque de récidive est maximum, puis espacé à tous les 6 mois les 3 années suivantes. Au-delà de 5 ans et en l'absence de récidive, une surveillance annuelle au long court est à discuter d'autant plus si le sevrage alcoolo-tabagique n'est pas acquis. Une consultation en odontologie est également à prévoir tous les 6 mois. Elle permet la réalisation des soins dentaires et la surveillance de l'apparition de foyer d'ostéoradionécrose. Un contrôle radiologique annuel est également recommandé et repose sur la réalisation d'un scanner cervicofacial et thoracique injecté. Parallèlement, la prévention secondaire repose sur le sevrage alcoolo-tabagique. Même si son obtention est difficile elle permet de diminuer progressivement le risque de récidive ou de nouvelle localisation.

Conclusion Les cancers de la cavité buccale sont les tumeurs malignes les plus fréquentes de VADS et sont majoritairement représentés par les carcinomes épidermoïdes. L'intoxication alcoolo-tabagique reste le principal facteur de risque mais le développement chez des patients pouvant être non buveurs/non fumeurs à partir de lésions précancéreuses préexistantes représente près de 20 % des cas. Le bilan clinique, endoscopique et radiologique permet de définir le stade de la maladie ainsi que le plan thérapeutique. Le pronostic des CCB repose principalement sur la résécabilité de la tumeur. Pour les tumeurs localement avancées, la radio-chimiothérapie concomitante est proposée seule ou en post opératoire. Cependant le taux élevé de récidive ou de seconde localisation des VADS explique le mauvais pronostic des CCB. Les progrès thérapeutiques viendront probablement des thérapeutiques associées et notamment des thérapies moléculaires ciblées. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

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