L'Europe entre utopie et realpolitik
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Zitiervorschau

L'EuROPE

ENTRE UTOPIE

ET REALPOLITIK

Questions Contemporaines Collection dirigée par JP. Chagnollaud, B. Péquignot et D. Rolland Chômage, exclusion, globalisation... Jamais les « questions contemporaines» n'ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la collection « Questions contemporaines» est d'offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, militants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à la réflexion collective.

Dernières parutions Claude FOUQUET, Modernité, source et destin, 2009. Héliane de VALlCOURT de SERANVILLERS, La preuve par l'ADN et l'erreur judiciaire, 2009. Ivan FRIAS et Jean-Luc POULlQUEN, Soigner et penser au Brésil. Ces chemins de la culture qui passent par la France, 2009. Aliaa SARA YA, Des engagés pour la cause des droits de l'homme en Egypte, 2009. N. ANDERSSON et D. LA GO T, La Justice internationale aujourd'hui, 2009. Nicolas PRESSICAUD, Le vélo à la reconquête des villes. Bréviaire de vélorution tranquille, 2009. Jean TOURNON (dir.), La République antiparticipative, 2009. Laurent VERCOUSTRE, Faut-il supprimer les hôpitaux? L'hôpital aufeu de Michel Foucault, 2009. Anne-Marie GANS-GUINOUNE, Et si c'était à refaire... ? Des françaises immigrées aux Pays-Bas racontent, 2009. Florence SAMSON, Tabous et interdits, gangrènes de notre société,2009. Jean-Philippe TESTEFORT, [email protected]. Envisager une transmission durable, 2009. Madonna DESBAZEILLE, Ouverture pour le XXle siècle, 2009. Jean-Pierre COMBE, Lellres sur le communisme. Un intellectuel communiste témoigne et réagit, 2009.

Irnerio SEMINATORE

L'EuROPE

ENTRE

UTOPIE

ET REALPOLITIK

Préface de Graham Watson

L'HARMATTAN

@

L'HARMATTAN,

2009

5-7, rue de l'École-Polytechnique;

75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com diffusion.harma [email protected] [email protected] ISBN:

978-2-296-06928-2

EAN : 9782296069282

PRÉFACE L'Europe entre Utopie et Realpolitik invite ses lecteurs à voyager à travers les débats et les problèmes majeurs qui ont conduit au processus d'unification et d'intégration européenne, qui les ont façonnées et parfois contrastées. L'Union européenne est une expérience unique en terme de gouvernance supranationale. Aucun autre moment dans l'histoire n'a vu autant d'Étatsnations aller si loin en mettant en commun leur souveraineté. Contre les vœux de certains et les prédictions de beaucoup, l'UE a évolué en un corps législatif, doué d'un système judiciaire indépendant et d'une monnaie unique. Dans ce processus, elle a réintégré avec succès les anciens pays communistes, en les ramenant au sein de la famille européenne. En dépit de difficultés tout au long du parcours, le chemin menant à l'intégration européenne est toujours un chantier ouvert, avec des développements en cours dans la politique énergétique, de prévention des changements climatiques et des initiatives communes en matière de sécurité et de défense. Il y a peu de doutes que l'intégration européenne va continuer. Cependant, pour comprendre ce qui fait avancer l'Europe, nous avons besoin d'une appréciation correcte de son histoire, de ses peuples et de sa place dans le monde. Nous avons également besoin d'évaluer cela à travers le double prisme, des luttes occasionnelles entre moralité et sens pratique, utopie et realpolitik. Ce texte est instructif, pénétrant et accessible. C'est une pierre angulaire pour l'apprentissage et le débat, et une contribution, qui est la bienvenue, dans la littérature sur les politiques et l'histoire européennes.

Graham Watson Président de la Commission

« Alliance des Démocrates

et des Libéraux»

(ALDE) du Parlement

Bruxelles,

5

européen

le 5 mars 2009

LES POSTULATS DU RÉALISME ET LEUR ABANDON La tradition de pensée du réalisme comme doctrine de la raison de l'État, conception de la puissance internationale et interprétation calculée et rationnelle des intérêts nationaux, embrasse le cours tout entier de l'histoire de l'Europe et fait corps unique avec le concept moderne de souveraineté, comme soumission absolue à une autorité indivisible, inconditionnelle et umque. L'abandon des postulats du réalisme, de la part du monde académique continental depuis 1945, l'anarchie du système et la permanence des conflits, ont été la conséquence directe de la tragédie européenne et de deux conflits mondiaux inexpiables. Cet oubli marque l'émergence d'une conjoncture d'idéalisation des relations internationales qui représente la remise en question de la souveraineté comme fondement originaire de l'ordre international et de la société étatique, et de ce fait, l'antihistoire de l'Europe, la négation de la realpolitik. C'est dans les profondeurs de l'abîme européen et au cœur de son drame que furent ensevelies les intuitions de Machiavel, les réflexions de Richelieu et les fictions mythologiques de Hobbes. Périrent avec elles les subtiles distinctions de l'âge politique contemporain et les conceptualisations élevées des cultures, italienne du XVIe, française et allemande des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Conceptions développées par nombre de philosophes, historiens et juristes, parmi lesquels les pères du monde moderne et de la société des États, Hegel, Ranke, Treitsche, Meinecke, Weber et Schmitt.

6

1. INTRODUCTION 1.1

LES POSTULATS DU RÉALISME

Canlmal de Richeheu

1.1.1Les postulats du réalisme et leur abandon La tradition de pensée du réalisme, comme doctrine de la raison de l'État, conception de la puissance internationale et interprétation calculée et rationnelle des intérêts nationaux, embrasse le cours tout entier de l'histoire de l'Europe et fait corps unique avec le concept moderne de souveraineté, comme soumission absolue à une autOlité indivisible, inconditionnelle et

unique. L'abandon des postulats du réalisme. l'anarchie du système et la permanence des conflits de la part du monde académique continental depuis 1945 ont été la conséquence directe de la tragédie européenne et de deux cont1its mondiaux inexpiables. Cet oubli marque l'émergence d'une conjoncture d'idéalisation des relations internationales qlÙ représente la remise en question de la souveraineté comme fondement originaire de l'ordre international et de la société étatique, et de ce fait, l'antihistoire de l'Europe, la négation realpolitik. C'est dans les profondeurs de l'abîme européen et au cœur de son drame que furent ensevelies les intuitions de Machiavel, les réflexions de Richelieu et les fictions mythologiques de Hobbes. Pélirent avec eUes les subtiles distinctions de r âge politique contemporain et les conceptualisations élevées des cultures italienne du xvr, ti-ançaise et allemande des XVIII", 7

XIXe et XXe siècles. Conceptions développées par nombre de philosophes, historiens et juristes, parmi lesquels les pères du monde moderne et de la société des États, Hegel, Ranke, Treitsche, Meinecke, Weber et Schmitt. Nous ajouterons dans le même sillage les noms de Carr et d'Aron et, au-delà de l' Atlantique, ceux de Niebuhr, Morgenthau, Kennan, Kissinger, Kaplan, Waltz et bien d'autres. À l'opposé du réalisme politique, la tradition idéaliste, tirant ses racines et ses sources de l'impératif éthique, parcourt le fil souterrain qui va de Kant à Habermas et de Hamilton à Haas et à Deutsch, puis à Robbins, Spinelli, Monnet, jusqu'aux penseurs constructivistes et déshistoricisants de la postmodernité. Ainsi, si l'histoire de l'Europe s'identifie étroitement à l'histoire du concept de souveraineté, de système légal national, de realpolitik et de doctrine d'État-puissance (Staatsmachtgedanke), la conception de l'Europe comme soft power, apparaîtra, en son pur concept, comme une antihistoire de l'Europe séculaire, sans épopée et sans mythes, sans téléologie ni transcendance, une histoire dédramatisée, dépolitisée, éthique ment indifférente et techniquement bureaucratique, au visage moral d'une « démocratie désarmée ». L'histoire de l'Europe moderne naît, dès les premiers siècles de l'âge moderne, à travers la compétition violente, la concentration progressive du pouvoir et de la force, soustraits aux privilèges des autorités féodales et des corps intermédiaires, noblesse, seigneuries et villes libres. Elle se réalise dans les formes de la monarchie absolue sur le continent ou de l'équilibre de pouvoir entre roi et parlement en Grande-Bretagne. Cette histoire de la monopolisation du pouvoir et de la violence physique constitue l'attribut et la substance mêmes de la souveraineté, comme qualification de l'autorité suprême et légitime, ayant permis à l'État d'imposer les règles indispensables d'une cohabitation pacifiée aux citoyens et la soumission à la loi des controverses privées à l'intérieur d'une société apaisée. Grâce au processus de monopolisation de la force de la part de l'État et à l'exercice d'un pouvoir de coercition irrésistible de la part de son autorité suprême, il fut possible de créer, puis d'imposer, un ordonnancement juridique et un système efficace de normes universellement valables. Ce fut par le monopole de la force qu'il fut consenti une élévation civile par l'éducation et une progression économique par la certitude du droit. Par ailleurs, la création d'une autorité centrale forte identifia dans le monopole légal de la force le fondement essentiel de la justification oligopoliste de la violence. Cette conception, mise en sommeil en temps normal dans une démocratie moderne, ne doit pas faire oublier qu'en cas de crise «il doit y avoir un homme ou un groupe d'hommes », comme le rappelle H. J. Morgenthau, «qui assume la responsabilité ultime pour l'exercice de l'autorité politique », ou à la manière de Schmitt, « qui décide de l'état d'exception », un état dans lequel, même dans la démocratie la plus 8

parfaite, la décision n'est guère de la loi, mais d'un homme, dans lequel se confondent le pouvoir de fait et le pouvoir de droit. Peut-on, de nos jours, partager la souveraineté, le système de décision, l'ordonnancement juridique, la sécurité intérieure et extérieure, sans unifier la force, l'appareil de violence, le système de coercition et de survie en un système de décision unique? Depuis toujours, le réalisme politique et la théorie réaliste ont établi une liaison, réciproquement contraignante, entre l'existence de l'État et l'anarchie internationale, au sein de laquelle règnent des facteurs de rivalité et d'antagonisme plutôt que des principes de solidarité. Que cette liaison repose sur la morphologie du système, unipolaire, bipolaire ou multipolaire, ou sur la distribution mondiale du pouvoir et donc sur une «balance », planétaire, le réalisme met en exergue la séparation nette entre sécurité interne et sécurité extérieure. En effet, le caractère objectif et critique de la menace ainsi que le poids et l'influence de la politique extérieure sur la politique interne justifient ce primat praxéologique et conceptuel, qui ne peut être démenti ni infirmé, mais seulement atténué, par la théorie de l'interdépendance entre les économies, les sociétés et les États. C'est de l'anarchie internationale et de sa permanence structurelle, c'est de l'imperfection essentielle du système que l'on ne peut exclure l'emploi unilatéral de la force. C'est l'absence d'une instance centrale de régulation et d'un ordonnancement juridique, en mesure d'imposer son arbitrage par des compromis sanctionnés et efficaces, que découle la difficulté d'une gouvernabilité globale du système international. L'imperfection des institutions universelles de sécurité est due à la permanence d'une pluralité des souverainetés militaires et à la dispersion des formes autonomes du monopole de la force. Ainsi, les problèmes de sécurité constituent, au sein de la structure anarchique du système international, le fondement même de la realpolitik et de l'exigence d'une politique qui garantit, par la logique de la puissance et la morale du combat, la survie des unités politiques en situation de crise extrême. La garantie de sécurité extérieure est donc la préoccupation fondamentale des hommes d'État et des élites politiques, car les États n'ont jamais consenti à se soumettre à l'arbitrage d'une idée, d'une morale, d'un système de valeurs ou d'une norme, lorsque des questions d'intérêt vital étaient en cause. L'histoire européenne et mondiale nous rappelle cruellement que les principes juridiques, éthiques et politiques (au sens des priorités et des principes partisans) ont été toujours sacrifiés face à la préoccupation dominante de l'État ou de ses régisseurs d'assurer la survie des nations. Ainsi, dans un contexte international, caractérisé par la subordination de toute autre valeur à l'impératif de la sécurité extérieure, tirent leur raison d'être la politique de puissance ou la stratégie, comme conduite aventureuse, liées organiquement à l'anarchie internationale. Le primat de la politique extérieure sur la 9

politique interne, à travers l'idée de raison et le calcul instrumental, s'est appliqué à l'art du gouvernement, comportant une planification rigoureuse des moyens de défense, en fonction de l'ambition politique et du «sens» assignés à la place de l'État et de la nation, dans la hiérarchie de puissance et dans le cadre plus général de la vie historique. On comprendra plus aisément pourquoi le réalisme reflète sans équivoque l'expérience du système européen des États et celle de la scène planétaire, où les considérations géopolitiques prévalent sur les affinités idéologiques des hommes de gouvernement d'autres États. Le constat de cette liaison entre les problèmes de sécurité et la structure hobbesienne du monde influe également sur le rapport entre la realpolitik et la science politique. En effet, les indications méthodologiques de Max Weber sur les « types idéaux» ne doivent pas être retenues comme un simple reflet de la réalité, mais comme des «modèles» pour comprendre les aspects fondamentaux et récurrents de comportements périlleux, en isolant en leur sein un« noyau rationnel constant », qui dépend de l'existence d'une société «sui generis », mi-sociale et mi-asociale. La société de nature, où la conciliation des intérêts antagoniques et conflictuels est l' œuvre des États, a inspiré des interprétations différentes de la realpolitik. Un de ces exemples est la politique de réconciliation franco-allemande, un épisode de la realpolitik européenne, disjointe de la politique d'intégration, mais qui a agi comme le moteur de celle-ci. Cette politique de réconciliation, inspirée par la conception gaullienne de 1'« Europe des patries », a été dictée par l'idée de bâtir un pôle de puissance européen indépendant dans le cadre de l'affrontement Est-Ouest et de la politique mondiale de la bipolarité et peut être résumée avec les mots de Bismarck à Guillaume I après Sadowa. «Nous ne devons pas choisir un tribunal (n.d. r. de l'histoire), mais bâtir une politique allemande (n.d. r. européenne) ». Une politique européenne qui a eu clairement une signification extérieure, car elle visait la conception ambitieuse d'un acteur global au sein de la pluralité des souverainetés militaires existantes.

10

1.2

NÉOKANTISME ET INTÉGRAnONNISME

La catastrophe européelme de 1945 a jeté les bases de la tentative de surmonter les dérives de la realpolitik, accusée d'avoir été à]' origine de la tragédie de l'Europe. Le point de départ de ce défi immense a été identifié dans la conception politique de Kant, selon lequel l'anarchie internationale reste le fondement de toute recherche de la paix de toute constmction intellectuelle. Cependant, celle-ci considérée dans son caractère relatif et historiquement contingent. En la construction d'une autorité supétieure aux États, une «fédération universelle », imposerait une limitation au caractère absolu de la souveraineté, dont la définition fut donnée par Jean Bodin aux États généraux de Blois en 1576, celle d'Auctoritas Superiorem non recoglloscens. La loi de la force et le rapport de forces pures ne seraient plus les régulateurs suprêmes des controverses internationales, supplantées désonnais par la domination universelle du droit. À la dure réalité de la puissance se substituerait ainsi l'utopie légaliste d'un ordonnancement jmidique, qui, partant d'une base théorique prescriptive, se développerait sur le modèle des enseignements des pères de la Constitution tëdéraliste amélicaine et de Hamilton en particulier. Le dépassement de la realpolitik a été la résultante d'une réorientation des valeurs européennes depuis 1945, allant dans le sens d'un rejet de la philosophie de l'histoire à forte empreinte romantique, élaborée au XIX< et XX" siècle par les théoriciens allemands de l'État-puissance. Cet État perdrait connotations de moyen d'expression d'un peuple d'histoire universelle et par là d'instrument de conquête et de progrès civil et culturel au service de l'humanité. L'abandon d'tlle pareille conception, hélitée des courants nationalistes du XIXe siècle, était lié à la conviction que l'Étatnation correspondait à un modèle supérieur d'organisation politique. Ainsi, les indications théoriques du philosophe de KÜnigsberg avaient pour but de poser «autrement» le problème de la souveraineté nationale absolue, surmontant, au moins en théOlie, l'obstacle conceptuel de l'anarchie II

internationale. La sous-estimation de l'emacinement mental de l'idée-force de la nation au profit d'un cosmopolitisme abstrait et de l'idéal de l'unification progressive de l'humanité a représenté les points faibles de la pensée fédéraliste, qui s'est appuyée sur l'autonomie de la raison et sur la poussée impérieuse de la loi morale. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il fallait sortir du réalisme de la politique internationale, de la balance of power, de la logique contradictoire des intérêts nationaux concurrents, de l'utilisation de la violence, de la peur et de l'animosité réciproques. Il fallait s'engager sur la voie inédite de la conciliation des intérêts, au lieu et à la place de leur dissymétrie, des jeux d'influences compensatoires, et donc d'une sorte d'interdépendance complexe et imprévisible. Le processus d'intégration européenne a voulu substituer ainsi aux déterminismes traditionnels de l'intérêt national et de la sécurité, ceux de la paix et du bien-être, et l'intégration poursuivie s'est dessinée comme une première étape vers une vision des relations internationales remodelées par l'harmonie. Cette intégration a cru obéir, d'autre part, au critère de la nécessité et de l'irréversibilité plus qu'à celui d'une vision volontariste de l'histoire. Il en est découlé l'égarement de la finalité, fondée à l'origine sur la centralité des oppositions et sur les aléas du politique. Par ailleurs, cette centralité originelle de la politique reposait sur une lecture de la vie internationale qui affichait la volonté d'en transformer les objectifs, en permettant aux nations et d'abord aux sociétés européennes de poursuivre des buts de coopération dans des secteurs qui étaient aussitôt exclus du domaine de la politique et confiés à des autorités administratives ou techniques. À la conception réversible de la politique et donc aux contrastes entre structures d'intérêts aux finalités divergentes, qui sont le propre de toute œuvre humaine, l'intégration remplaça l'idée d'un processus irréversible qui permettrait de passer graduellement à l'intégration politique. Cette conception idéaliste de l'harmonisation des sociétés européennes a non seulement exclu du processus d'intégration la volonté mais la politique comme telle (sécurité - diplomatie - défense), restée du ressort des États. En effet, la dissociation des aspects coopératifs, à base socioéconomique, et des aspects conflictuels, à fondement politico-diplomatico-stratégique, autorisait à confier la gestion des politiques intégrées ou communautarisées à des « élites administratives de pouvoir », l'eurocratie. Or, puisque la progression de l'intégration est pragmatique et graduelle, les intérêts et les objectifs ne peuvent être pensés d'avance (incrementalism). Ceux-ci ne sont que des effets indirects. Dans ces conditions, l'exclusion de l'anticipation et celle de la politique interdisent de faire jaillir un débat et de donner une signification à la participation des citoyens qui reste perpétuellement éloignée et intellectuellement distante, même si dans les démocraties, comme oligarchies modernes, l'évocation de la souveraineté populaire est la fiction par laquelle l'origine du pouvoir et l'autorité des lois dérivent des citoyens. 12

1.3

PACIFISME ET UTOPISME LÉGALISTE

Mais ce fut le souci de la paix qui demeura le fondement de l'idéalisme intégrationniste et des premières formes du pouvoir fédératif, justitiant la quête permanente de nouveaux horizons de sécurité. Ce fut par l'idéalisation militante du combat pour la « non-guelTe », que se constituèrent deux grands courants de pensée, se réclamant de la négation de la realpolitik, le pacitisme et l'utopisme légaliste. Le premier résulta d'une sorte d'évidence, le sentiment et souvent la volonté obstinée d'imposer une conversion historique all cours de l'aventure humaine et à la nature profonde des relations de puissance entre les États. En se battant pour cette conversion historique, les différentes formes de pacifisme, idéologique, juridique, religieux individuel, portèrent à la conscience du monde la disproportion entre les moyens de destruction apocalyptique et les enjeux des rivalités de puissance. Disproportion face à laquelle toute résignation ou impuissance apparaissaient moralement coupables. Le moralisme des convictions int1uença également l'autre forme de militantisme pour la paix, l'idéologie juridique ou l'utopisme du droit. TOlite doctrine de la paix qui vèlÜlle surmonter les raisons poussant les FJats à la en pratiquant une politique de puissance devrait s'attaquer à la racine profonde de la société hobbesienne, à son caractère naturel, mi-social, mi-asocial. Cette doctrine devrait aller au-delà de la logique des acteurs, de leurs intentions et de leurs enjeux, pour prendre en considération le point essentiel de la politique internationale, il savoir que les États se reconnaissent réciproquement le droit du recours il la force, car ce droit constitue le fondement même de leur souveraineté.

13

lA

SOUVERAINETÉ ET DROIT INTERNATiONAL

Sous l'aspect juridique, la conception de la «souveraineté >.' et la politique qui la traduit en action extérieure s'identifient à la doctline de ]'indépendance nationale et, par conséquent. à une conduite conforme à la tradition coutumière des États en compétition permanente, hostiles de ce fait à toute sorte de primauté d'un ordre juridique international à vocation uni verse lIe . Au sujet d'une quête de la paix entre les peuples et les nations, l'idéologie juridique et l'utopisme du droit ont-ils été plus effjcaces que le réalisme classique, en parvenant à l'éradication de la guerre par la négation de la realpolitik '? L'idée de la Société des nations et la fonction d'arbitrage des Nations unies, qui ont pris la place de la première après la Deuxième Guerre mondiale, ne semblent guère le prouver. En effet, le fonctionnement de ces deux institutions n'a fait qu'accroître la confusion et donc l'équivoque entre deux principes, le droit des États de recourir à la force et le respect de la loi internationale visant à garantir le statut tenitorial existant, au-delà et au-dessus de tout critère de justice. D'innombrables en transgression in ternationale >>. :

. .

échappatoires ont émaiHé la pratique offensive des États, de la légalité officielle et de la «communauté

la pratique des "incidents », permettant à un État de répondre par une agression à des tensions locales en disqualifiant la notion juridique de guerre ,>

"

le recours à la "non-belligérance tiers intéressé d'une position de " indirect et partisan;

14

» en cas de conflit ouvert, ou l'adoption ». pour masquer une attitude de soutien

.

la violation du «Pacte» ou de la «Charte », exigeant efficaces et comportant un vote ou des recommandations Conseil.

des sanctions unanimes du

Plus spécifiquement les «clauses d'évasion» des Nations unies, «relatives aux menaces à la paix, aux ruptures de la paix, et aux actes d'agression» relevant du Conseil, ont été pratiquées avec souplesse dans deux cas:

. .

celui, plus récurrent, de formes d'intervention «dans les affaires relèvent de la compétence nationale et interne à un État » ! ;

qui

celui de la constitution d'alliances régionales, en charge « du droit naturel de légitime défense individuelle et collective » (OTAN).

Dans le cas de l'OTAN, il est à préciser que la «légitime défense collective » est autre chose que la « sécurité collective » des Nations unies, car elle en représente le substitut dont l'automatisme de l'art. 5 est l'expression politico-stratégique en situation de crise. La tendance moderne et post-moderne à nier la force contraignante de l'hostilité naturelle entre les personnes nationales en occultant l'importance de son corrélat, la realpolitik, revient à nier la distinction entre droit interne et droit international. Ce dernier est en effet disqualifié comme droit authentique car dépourvu de tribunal pour dire le droit et de force irrésistible pour l'imposer. Suivant cette tendance, l'imperfection essentielle du droit international le condamne à n'être autre chose qu'un droit pur ou spontané, dépourvu d'une norme originaire (Grundnorm) ou d'une série de «faits normatifs contraignants ». Or, un ordre sans obligation normative, sans subordination prescriptive, sans instance centrale d'interprétation, sans une force irrésistible de sanction pour les actes illicites, peut-il être un ordre légal? Au sein de cet environnement, la guerre n'est pas un acte illicite relevant de l'ordre juridique et moral relavant du jus gentium, mais une nécessité de l'État de nature. L'État de nature impose de se faire justice soi-même, de réagir à un acte illicite, de se défendre contre une agression, d'agir en représailles, d'obtenir satisfaction ou réparation pour un tort subi injustement parce qu'il n'y a pas de souveraineté du droit, ni de volonté commune aux États souverains, ni d'instance centrale pour la qualification des faits et la définition des normes applicables. En effet, celles-ci peuvent comporter le sacrifice de la justice sur l'autel de la stabilité et de la sécurité, plus importantes au regard de l'ordre et de la sécurité globale. Cette considération revient à réhabiliter théoriquement la realpolitik, comme politique de prudence et d'équilibre et à infirmer les illusions et les espoirs du multilatéralisme, de l'idéologie légaliste et de l'utopie du droit international public. 15

Le retour à la realpolitik, si jamais on r avait abandonnée dans un monde tendanciellement multipolaire, une portée objective et a une signification précise, celle du réalignement de l'Europe dans le jeu politique global, allant dans le sens d'une politique de prévention et de définition d'un rôle géopolitique de partenaire crédible des États-Unis donnant vie à un noyau de stabilité politique mondiale. retour est r équivalent du concept culture mondiale, d'autodétermination de puissance et de limite du soft power et impose l'exigence d'une évaluation à large spectre des menaces, des dissymétries, des vulnérabilités et des proliférations concurrentes. Ce retour suscite un débat doctrinal sur les fonnes d'intégration à prévoir et sur des alliances et des coalitions, pour restreindre la plage des affrontements futurs dans le nouveau désordre des nations.

1.5

L'UNION

EUROPÉENNE

ENTRE TRANSFERTS DE COMPÉTENCES

ET PARTAGE DE SOUVERAINETÉ

Signahltf

du Tmiré de la CEC4

Le rejet de la politique de puissance par les États européens après l'effondrement moral et politique de 1946 a-t-il permis l'atrinllation du règne de la loi conformément à l'idée de raison? A-t-il justifié le rassemblement de l'humanité en une «fédération universelle ", limitant le pouvoir absolu de la souveraineté, selon les vœux d'Emmanuel Kant? A-t-il ouvert la voie à un empire universel et donc au 16

refus volontaire de l'antagonisme la monarchie universelle?

et de la rivalité de puissance,

imposée par

Le sentiment national, encore emaciné dans les esprits, a-t-il consenti des limitations et des transferts de souveraineté qu'aucun imperium n'a pu obtenir par la force sans un consentement profond, ou sans une conscience historique élevée? L'intégration européenne ne tenta guère d'amoindrir, ni d'enlever la gestion de l'identité et de la culture nationales aux États membres. À l'inverse, 1'« appétit naturel des hommes pour l'état civil» et pour l'idée de la paix, comme postulat légal du système, implique le principe de l'unité de celui-ci et la considération que l'idée de la guerre est une notion moralement indifférente. Le Traité de Rome, silencieux sur le concept de souveraineté, a été conçu comme une « union» de plus en plus étroite entre les États et les sociétés européennes et a laissé subsister «de facto et de jure », la souveraineté politique des États membres. La pluralité des souverainetés militaires, qui en constituent le fondement, en a été la sauvegarde intangible. L'oubli intentionnel du concept de souveraineté n'a pas interdit au débat académique et, plus rarement, politique d'évoquer les perspectives institutionnelles de l'unité politique du continent. Le concept de souveraineté, ayant justifié dans la plupart des cas le partage de l'ordonnancement politique intérieur, fut employé par les idéologues de la démocratie pour justifier une seule forme de régime, dissimuler l'influence excessive des élites au pouvoir, mettre l'accent sur une fiction, le gouvernement des hommes par la loi, limiter le cadre des relations légitimes aux seuls pays démocratiques et l'action extérieure aux pays de l'Europe centrale et orientale. Seuls les souverainistes ou les doctrinaires de l'Europe des patries se préoccupèrent de l'interprétation extérieure de la souveraineté et donc de l'indépendance politique de l'Europe sur la scène internationale.

17

1.6

FÉDÉRATION ET CONFÉDÉRATION

James Modis"/1

Les fédéralistes mettaient]' accent sur la distinction entTe deux différentes perspectives institutionnelles, celle de «fédération» ou celle de « confédération» (Staatenbund), rendant la ligne de partage entre les deux formes institutionnelles pmticulièrement nette, au moins en son principe. En effet la première efface les frontières de la souveraineté politicostratégique entre États membres et crée un acteur unique sur la scène intemationale prenant la place des acteurs fédérés comme cela se fit aux USA et dans l'Empire allemand. Dans la perspective de la confédération en revanche, le cadre institutiOlme1 laisse subsister la pluralité des centres décision et d'action politico-militaires des États membres. « fédération» exige tIDe conversion des volontés de puissance, postule un pacte solennel entre les citoyens et fonde une communauté de destins entre les peuples. La question

de la ,', a commenté Michael Ignatieff de la Harvard University, ,to Tous

en

les êtres de r uni vers sont

Ainsi, dans une pensée où la ruse est essentielle, l'art du divin comme l'art du stratège constituent la science ce qu'il advient. Scruter les signes est capital, car dans la maîtrise du futur oÙ tout est signe et indice, ceux-ci 93

dévoilent les secrets du temps, lisibles dans les hautes combinaisons stratégiques, qui exigent à chaque fois déchiffrement et interprétation. Or, dans la pensée chinoise qui est mélange de religion et de sagesse, l'importance des temps fonde l'inaction taôiste, comme observation de l'immuable, et celle-ci se révèle dans la supériorité de la transcendance sur l'immanence et de la« ruse du temps» sur la «ruse de l'homme ». Dans cette science des mutations, qui fut la matière première des lettrés, la ,t et la «souveraineté T> ne sont point immanentes à la Verfassung sens propre.

mais bel et bien normtranszendent,

absolus au

Ainsi, et encore une fois, les concepts fondamentaux de la théorie moderne de la consÜtution et de l'État demeurent des concepts théologiques sécularisés.

En effet, si la « vérÜé» existentielle du pohÜque est dans l' « état d'excepÜon », au plan cognitif l'état d'exception dévoile le radicalisme de la vie naturelle des États et le « dogme ,>qui la secoue et l'inspire, la crise, de la même manière que le «miracle »,dévoile dans la théologie l'existence éclairante et tenible du Dieu créateur.

XIIA L'EXISTEI\iTIEL ET L'OCCASIONNEL

Dans la dimension totale du poliÜque,

\< souverain »

est donc celui qui

décide, selon Schmitt, sur l'état d'exception, celui qui est le maitre intégral des affaires intérieures et extérieures. Or, toute circonstance, tout moment poliÜque est virtuellement un moment d'exception (voir Je 11 septembre aux USA). C'est Je souverain qui décide de son actualisation sur la guerre au teITorisme international).

(déclaraÜon

de Bush

guère Le décisiOlmisme, introduit par l' « existentiel » n'est r« occasionnel" mais r« ontologique ». L'existenÜel est l'antinormatif par excellence, c'est-à-dire la « politique en devenir ».

204

La politique comme décision tempestive comme dieu mortel, et comme calcul (Hobbes).

(Machiavel) s'oppose à l'État rationnel, comme

Par ailleurs, la Constitution et l'État, comme l'existentiel et le temps, doivent pouvoir saisir l'occasion et la prendre par les cheveux, ainsi que nous l'admirons dans la symbolique tapis de la Renaissance italienne célébrant les Médicis. Quel système de décision, quel ensemble de nonnes, quel critère de vote, quel type de majorité permettront à l'Union d'être le temps de l'Europe qui prend l'occasion par les cheveux, l'oriente dans le sens du destin et tlnalement la domine?

XII.S THÉOLOGIE ET POLITIQUE

Puisque la vie spirituelle de toute époque est polycentrique et la philosophie de l'histoire représente l'orientation imprimée à un sujet politique par ses élites-guides, le processus de sécularisation de l'Europe, que nous vivons depuis un siècle, affaiblit cene-ci par rapport à l'offensive théologique, téléologique et métaphysique d'autres peuples, en lutte pour la vie, la survie ou l'hégémonie, offensive conduite aujourd'hui au nom de la « revanche de Dieu ». Dans ce cadre, la décision politique ne dépend d'auclme structure jmidique, d'aucune technique séculaire, d'aucun cadre constitutionnel et institutionnel mais de l'enjeu existentiel le plus radical et radicalement

205

négateur, l'opposition entre l'ami et l'ennemi, le conjoncturel et le circonstanciel.

mise à nu par l'occasionnel,

L'ennemi public n'est pas l'ennemi personnel et privé l'inimicus mais l' hostis, celui qui s'oppose à notre conception collective et occidentale de la vie et demeure le porteur d'une conception irréductible et incommensurable de l'existence et de la culture. Le normativisme juridique, l'État de droit et la légitimité internationale prêchant la « commensurabilité» et l'équivalence des intérêts neutralisent l'antithèse radicale de l'ami et de l'ennemi et la vident de sa substance éthique, négatrice et créatrice; la vident de toute puissance de changement et d'avenir. Ils la réduisent à un équilibre exsangue, à un calcul optimalisé, « commensurabilité» de valeurs incompatibles, en paix apparente artifice absolu.

à une et en

Le souverain qui décide de l'État d'exception ne peut être le chairman du Conseil de l'UE9, qui fixe les règles du jeu et qui est un produit de la normalité institutionnelle. Pour l'heure, ce président ne peut être le décideur et donc le «souverain », car il ne peut être le porteur d'une symbiose irrépressible de théologie, de philosophie et de droit-force, le droit-personne du cas extrême, en mesure d'aller au-delà des horizons constitutionnels actuels, postmodernes et posttragiques.

Le président permanent du conseil, simple président de séance dépourvu d'autorité est ici un joueur parmi d'autres et dispose d'un pouvoir limité et dérivé, non originel, non indépendant, non suprême. Selon A. Lamassoure, «[l]'évaporation de la fonction de la souveraineté ferait en sorte que, dans la nouvelle constitution, le rôle du « maître d'ouvrage » sera partagé entre le Conseil de l'UE, le président permanent dudit conseil et le président de la commission ». Cette évaporation tricéphale de la souveraineté est ainsi présentée: «ladite fonction n'a pas besoin d'être exercée par une seule personne ni une seule autorité, compte tenu de la nature collective du projet.

206

XII.6

ÉTHIQUE ET POLITIQUE. AU-DELÀ DE LA CONSTITUTION

Le concept de politique résultant de la double tension de la politique et de l'État, a dans la dialectique de l'ami et de l' ennemi un renouvellement perpétuel. Cette dialectique condui t, dans chaque conjoncture, à des a]]jances occasionnelles et temporaires. En travaillant sur System der Sittlichkeit de Hegel. Schmitt découvre que « l' ennemi ,> se constitue comme tel par une différence éthique et cette différence est elle-même 1'« ennemi» un étranger à nier dans sa totalité existentielle. En 1962, présentant à Pamplona sa Théorie des Partisanen, Schmitt rendra un hommage appuyé à Lénine dont la supéliorité sm- tous les autres marxistes de son temps consista à avoir approfondi et radicalisé la notion d'inimitié totale et d'en avoir fait r axe de gravité de la guene sociale. L'essentiel pour Lénine fut de savoir d'abord qui était son ennemi. Cet ennemi absolu fut identifié dans l'adversaire de classe. Par cette opération, Lénine tït de r ennemi réel un ennemi absolu. Or, « celui qui est en lutte avec un ennemi absolu voit un avertissement dans sa capadté immédiate de lutte, voit son affaiblissement dans l' amlétisation, la relativisation et la neutralisation de l'ennemi. D'où l'inévitable manque d'objectivité de tOLItedécision politique. Ainsi, dans la lutte, la distinction entre «légalité et illégalité» - dira Lukacs - « est pour les marxistes un problème éminemment tactique », le marxisme se situant d'emblée au-delà du droit existant et en rupture avec celui-ci, Dans cette relativisation de l'État et du droit, hérités de la tradition dujus publicum ellropaeum et de la civilisation juridique du XIX" siècle, nous percevons la mise en valeur des concepts d' « ennemi» et de « puissance 't,

207

Le droit perd de sa substance éthique et égare sa liaison conceptuelle avec les présupposés de la pensée théologique et les dogmes « pessimistes du pêché ». Le dogme théologique fondamental sur la démonisation du monde conduit à une division des hommes en « bons» et « mauvais », de la même manière que la distinction en amis et ennemis. En revanche, l'optimisme indifférencié, typique du concept universel d'homme aboutit à une conception du monde « bon », parmi lequel règnent naturellement la paix, la sécurité et l'harmonie. Le concept d'humanité n'a pas d'ennemis et comporte une obligation morale de fraternité et de solidarité. Ce même optimisme représente, par ailleurs, la dissolution de l'histoire de l'Occident comme histoire de conflits et de luttes pour l'hégémonie, imposées politiquement par la « loi du mouvement », l'anima mundi. Cela aboutit à la conception dominante dans l'Europe d'aujourd'hui, où le conflit séculaire entre le droit et la puissance est résolu par une morale publique entièrement sécularisée et devenue totalement autonome par rapport à la métaphysique et à la religion. Ainsi, dans le cadre d'une conception moralisante et légalitaire de la vie internationale, le caractère radical de la distinction de l'ami et de l'ennemi est éclipsé par la confusion du politique et des valeurs et par la soumission de ces dernières aux normes instituées, celles de l'économique et du droit. Suivant cette confusion, le concept politique de mouvement et de lutte devient, par l'influence de la pensée libérale, au plan économique, « concurrence» et, au plan spirituel, « discussion ». Ainsi, les différends dans les relations internationales tendent à remplacer la clarté de la distinction entre «paix» et «guerre» par des approches d'indécision, des options mixtes de légalité (manifestation du nomos, de la voluntas, de 1'« éthos » étatiques comme coercition et force contraignante) et légitimité (fidélité formelle à une autorité ou à un consensus occasionnel dépourvus de sanction, démocratique ou juridique) ou encore de négociation et de refus d'engagement. Cette conception est un «amas hétéroclite d'économie, de liberté, technique, de laïcisation éthique et de parlementarisme» (C. Schmitt).lO

10

de

Il aboutit, selon Marc Ferry, à un concept d'État où « sa vérité » se situerait dans le

choix d'une « alternative entre espace multiculturel des mondes fermés », autrement dit entre la société classique des États, comme «état de nature et guerre permanente » et l'« ordre cosmopolitique de sociétés ouvertes ». Cependant, il s'agit d'une alternative de réalités purement spéculatives, fondées sur un ordre défini dans la seule dimension du ius gentium et hominum, en vue de l'entente et de la coopération universelles.

208

XII.7

LE RÉALISME RADICAL

Thomas Hobbes

Nit'olo' Machial'elli

Les théoriciens de la conception «pessinÜste t, du monde - les réalistes radicaux, les réalistes classiques et, en particulier, Hobbes et Machiavel fondent la distinction entre amis et ennemis sur la conviction, ancrée dans les parties antagonistes d'être dans Je », dans le ,>.Cette pulvérisation concerne tout autant la grammaire (les moyens, les techniques et les doctrines de combat) que la logique propre de la guerre (l'entendement et les visées politiques, le type de paix recherché, les choix et les regroupements entre amis et ennemis). L'ennemi

210

Dans l'État constitutionnel, social, l'existence même de la attaquée, la lutte est décidée en seule force des armes» (Lorenz

«la Constitution est l'expression de l'ordre société des citoyens ». Ainsi, lorsqu'elle est dehors de la Constitution et du droit « par la von Stein).

Or, si un peuple craint les fatigues et le risque de l'existence politique, on trouvera un autre peuple disposé à assumer de telles fatigues, garantissant le premier des ennemis extérieurs et gérant ainsi la domination politique. «Ce sera alors le protecteur à déterminer l'ennemi, en raison de la relation éternelle qui existe entre protection et obéissance» (c. Schmitt). La relation hypothèse?

entre l'Europe

et les USA se rapporte-t-elle

à une pareille

Déjà Hobbes avait indiqué que le but principal du Leviathan était de proposer aux yeux des hommes la « mutual relation between Protection and Obedience ». Dans la parfaite sécurité du bien-être, le bourgeois - rajoutait polémiquement Hegel - trouve la compensation de sa nullité politique dans les fruits de la paix (comme l'Europe d'aujourd'hui) et demande à être dispensé du courage et soustrait au danger de la mort violente. Mais «l'ennemi est la différence elle-même et cette différence est éthique ». Elle ne peut être réglée par des discussions, par des votes, par un système de transactions, par une diplomatie de pures concessions. Elle ne peut reposer sur des irrésolutions ni sur des attentes dans l'espoir que la confrontation de nature métaphysique entre vérités opposées puisse être repoussée et résolue par une négociation sans fin. Tout système de vérités ne peut admettre l'affirmation et la diffusion de son contraire et doit le combattre, comme Dieu a combattu Satan, en le chassant du paradis terrestre. Or, le «satanisme» est un concept intellectuel qui s'oppose à la séduction du paradis, dans lequel plongent les Européens, les héritiers d'Abel « qui chauffent leur ventre au feu patriarcal» du bourgeois. Or, le « Satan» d'aujourd'hui est l'expression littéraire de l'élévation au Trône du «père adoptif» de tous ceux que, dans sa noire colère, Dieu a chassé du paradis, et que le rachat du règne de Caïn le fratricide, par d'autres « vérités », veut élever au rang de Dieu, unique, vindicatif et tout-puissant. Où sont-elles, dans le monde d'aujourd'hui, et stratégiques de ces doctrines théologiques?

les réincarnations

politiques

Nous retrouvons aujourd'hui dans la lutte contre la politique, non seulement les ennemis extérieurs qui combattent au nom de leurs « vérités» métaphysiques mais ceux qui, financiers, économistes, technocrates, s'unissent à l'intérieur pour demander que soit mis un terme à la passionnalité de la politique par l'objectivité et l'interdépendance de la vie

211

économique, par l'objectivisme des tâches admÎlùstratives, institutionnelles et managériaJes, ou par des techniques de régulation internationales. Ces épigones postmodernes de la neutralisation du politique montrent leur absence de foi dans l'histoire, car, dans leur passivité et indifférence morales, ils ont perdu de vue l'essence métaphysique de toute politique, une métaphysique qui ne connaît pas de synthèse, ni de troisième voie.

XII,9

LA CONSTITUTION

ET LA « GUERRE CIVILE MONDIALE

L'expérience politico-constitutionneJJe de l'Occident moderne autour du rapport entre souveraineté, constitution et décision, relation autour du culemme du choix et du défi de l'action.

»

a tourné et cette

Toutes les formes d'État, démocratiques, monarchiques et aristocratiques, ont de résoudre le problème de la décision dans le cadre d'un choix juridique et constitutionnel. Le grand chantier du désenchantement du «politique» ouvert par Weber, pOllfsuivi et approfondi par Carl Schmitt, a été laissé de côté depuis l'émergence d'une pensée d'inspiration kantienne constituée d'un amas inanimé de fonctiOlmalisme, de sociologisme et de constructivisme. De cette pensée sans histoire est née Jïllusion qtÙ peine à retrouver l'instinct du politique.

d'une union sans ennemis

À l'instar du cosmopolitisme kantien et du de la république universelle ainsi que de Jïdéologie postmoderne, selon laquelle l'humanité, au moins ew'opéenne, s'est commuée en une société pacifiée et en un monde hannonieux, où il 11'y aurait plus d'hostilité ni de sujets belliqueux et hostiles, ces demiers sont dégradés par les doctrinaires de la dépolitisation en partenaires cont1ictuels. 212

Le vieux réflexe du politique comme lutte, guerre et conflit a été ainsi égaré. En effet, lorsque l'on redécouvre l'ennemi, on le fait de manière primitive et ancestrale dans la dimension pré moderne et dans les zones grises de la planète, autrement dit, dans un sens prépolitique. La solution militaire d'un conflit politique s'inscrit désormais dans le cadre d'une «guerre civile mondiale» - la Weltbürgerkrieg, aux actants multiples et aux métamorphoses incessantes. Or, la dépolitisation européenne est d'autant plus frappante que les nouveaux sujets de la politique s'expriment avec les vieux concepts de la lutte à mort, les concepts radicaux d'ami et d'ennemi, et l'Occident y fait figure d'adversaire, sans détour et sans nuances. Si la fin du marxisme a mis en crise les catégories de la théorie du progrès, la fin de la bipolarité a mis un terme à l'hégémonie de la rationalité occidentale. Le XVIIIe éclairé avait adopté allait du fanatisme à la liberté, du l'illumination des esprits. « désoccidentalisé » et hostile, ce l'illumination à la superstition, de fanatisme.

une conception orientée du progrès qui dogme à la critique, de la superstition à Avec l'émergence d'un monde cheminement s'est inversé. On passe de la critique au dogme et de la liberté au

Cette inversion a une cible fixe et incontournable: l'Occident, objet a priori d'une haine absolue. Le conflit larvé entre, d'une part, ce qui est Occident et, d'autre part, ce qui ne l'est pas, est volontairement ignoré par les Européens car cela les dispense de s'armer spirituellement et de s'investir dans la création d'un outil de cohésion et d'action, une constitution politique, une politique étrangère et de défense commune, qui sont les conditions préalables pour l'émergence d'une volonté forte et d'une stratégie unitaire. La pensée officielle veut ignorer la notion même d'opposition car les vieilles oppositions ont eu pour enjeux des conflits. Ceci est dû au fait que nous vivons paisiblement une époque servile et docile, celle de l'âme désenchantée, prophétiquement annoncée par Ortega y Gasset. La notion d'opposition, que la dialectique hégélienne a commuée en contradiction, a été trahie par la conversion marxiste et néolibérale de la politique dans l'économie.

213

XII.IO

UNE

CONSTITUTION

POLITIQUE

POUR

UNE

EUROPE

RESTAURÉE

La prise de conscience du contlit, qui s'effectue au niveau des idées, des grandes conceptions du monde et des cultures, n'élimine pas, mais se superpose à la Machtpofitik, aux logiques stratégiques et géopolitiques des acteurs majeurs de la scène mondiale. des classes dirigeantes européennes, la contestation opinions au sujet d'tme polarisation des débats entre l'éthique et r économique n'a réussi ni à extirper la politique et l'État ni à dépolitiser le monde, ni encore à étouffer la recherche du sentiment universel de liberté. La Constitution doit aider à la renaissance, désormais mûre, d'une conscience géopolitique et d'un imaginaire européens, un retour aux in tentions politiques originelles des pays fondateurs et à l'émergence d'une nouvelle ère, celle d'une Europe restaurée et donc refondée à r échelle planétaire; une Europe qui dispose d'une force propre, car la force est indispensable pour les ensembles politiques qui veulent vivre sur la scène du monde. La force demeure la ressource principale de l'agir stratégique. Seuls les acquis de la puissance interdisent de confier son destin aux rêves de la paix, érigée en valeur absolue et instituée en régulatrice de la compétition internationale. choix entre idées-valeurs est un choix de destin et de ce fait un choix politique radical qui appartient au primat de la délibération politique et donc du pouvoir souverain. ce type de choix que découlent les grandes orientations de la vie collective, qui on1:à leurs deux l'exception et la norme, la paix guelTe, le passé et r avenir. 214

Ainsi, la condition de survie d'un ensemble de peuples, liés par une constitution est de prévoir les cas d'exception et les figures de la souveraineté qui délibèrent des cas extrêmes dans les situations extrêmes. En réalité, si la politique est destin, le destin de l'Europe passe d'abord par la politisation de sa constitution et par la militarisation de sa puissance, aujourd'hui « civile ». Une constitution dans laquelle existe laquelle se forge une décision; une décision se fasse valoir par une force, une finalité et les plus importantes, ce qui importe est ce on décide.

une autorité; une autorité par qui s'impose par une volonté et un espoir, car, dans les décisions que l'on décide et pas comment

En effet, la décision a son propre caractère et sa propre légitimité, et celle-ci est dictée par l'intensité qui l'anime, par la grandeur qui la soutient, par la vérité transcendante qui en est la nécessité, le symbole et le mythe, l'idée du « bien », du «juste» et du « vrai» 11. Si le texte de la convention a pour but de fixer des limites à la concentration du pouvoir, il ne doit pas constituer une entrave à l'exercice du leadership, conformément à une démocratie monocratique et moderne. Il a également pour mission de donner une réponse à la défiance des institutions, au doute et à la résignation des élites, au ressourcement des forces du changement et des réformes, aux évolutions de la scène mondiale, loin des immobilismes politiques et des syndromes culturels d'abandon. Son objectif principal est de combler l'écart entre la Constitution et la pluralité des États, entre l'État central, détenteur exclusif de la souveraineté et les États constituants sans souveraineté12, entre le politique et la « société civile» qui a été par le passé une cause permanente de crise dans le monde européen et qui est une cause de contestation permanente dans l'univers planétaire d'aujourd'hui. En termes théologiques, cet écart est marqué par la résurgence dans les relations extérieures d'un dualisme métaphysique à peine oublié, celui de Dieu et du monde, de la toute-puissance et de la force démoniaque.

11 Nous sommes aux antipodes de l'idéalisme vénusien de Mario Télà, spécifiant que le «risque inhérent à certaines transactions de l'Europe-puissance est d'envisager un mouvement vers l'Union politique de type néo-hégémonique, néo-mercantiliste, ou basé sur une « identité contre », liée à un modèle des relations internationales qui rappelle celui de la balance ofpower, aggravé parles tensions entre civilisations [...]. L'identité constitutionnelle démocratique de l'Europe est exactement le contraire de la construction d'une puissance repliée sur elle-même et orientée vers un rôle politico-militaire hégémonique [...]. La perspective kantienne est celle de la constitution d'un « pouvoir civil », aux frontières établies mais ouvertes, composante et moteur d'une démocratie continentale et mondiale. » 12 C'était le cas de la Fédération impériale du Reich allemand dont le simple rappel

est susceptible d'induire plusieurs pathologies de rejet. 215

Ce dualisme réapparaît de manière éclatante par l'appel ultime à Dieu dans la « décision» de donner et se donner la mort lors d'attaques suicides et, d'autre part, par le recours à l'éthique de la force dans le cadre de 1'« action préventive» et de la riposte proportionnée à la menace existentielle de l'ennemi. C'est ce dualisme qui impose à chaque fois et dans chaque conjoncture un choix existentiel entre l'ami et l'ennemi. Ainsi, la force du « désenchantement» des « catégories du politique» de Schmitt apparaît avec la plus grande pertinence mais aussi dans ses limites car, d'une part, l'État a perdu le monopole du politique suite à la naissance de pôles de pouvoir et de nouveaux sujets de la conflictualité à l'échelle internationale (terrorisme, êtres politiques quelconques, mouvements idéologiques ou identitaires, etc.), ce qui assigne à la politique mondiale une fonction de «gouvernabilité » et non d'intégration et, d'autre part, car la naissance de théories sur le «pouvoir diffus» relativise la fonction existentielle du « politique pur » en dépolitisant ses « options ». Le grand dilemme, élémentaire et immédiat, qui se pose à l'Europe consiste à savoir si on peut faire coexister l'utopie du droit public et d'une constitution dépourvue de la majestas d'antan avec la réalité de la politique mondiale de puissance et de force, et si 1'« essence» du politique peut être inscrite à l'extérieur dans la dialectique de l'un et du multiple et à l'intérieur dans un réseau de relations fonctionnelles, engendrant une version purement administrative de la théorie de la décision et une image tranquillisante de la paix, la pax apparens de Thomas d'Aquin. Vivons-nous le dernier crépuscule de cette paix illusoire qui, en épais brouillard de l'esprit, nous interdit la représentation classique de la souveraineté et des chefs fondateurs des républiques, celle insolente et insoutenable du roi Soleil qui, comme la mort ne pouvait être regardé dans les yeux?

216

XIII. LE SERVICE EUROPÉEN D'ACTION EXTÉRIEURE. DU « PROJET DU TRAITÉ CONSTITUTIONNEL» AU « TRAITÉ DE LISBONNE» XIII.l

LA GENÈSE INSTITUTIONNELLE

Le Service européen d'action extérieure dont la nouveauté était inscrite dans le projet de traité constitutionnel de la Convention européenne résulte de trois innovations majeures:

.

. .

la première était celle de la création d'un ministre européen des Affaires étrangères, conduisant la PESC et s'appuyant sur ce service; la deuxième. l'élection d'un président permanent du Conseil européen, élu pour deux ans et demi, renouvelable une assurant la représentation extérieure de rUnion ; la troisième, la reconnaissance et exp1icite de la personnalité juridique de l'Union. permett,mt à celle-ci d'agir sur la scène internationale.

Depuis le mandat accordé à la Convention de répondre à différentes questions sur l'avenir de l'Europe et après un an et demi de travaux, la Convention était parvenue au consensus européen de Thessalonique du 20 juin 2003, et donc à un projet de constitution qui disciplinait une série de matières et particulièrement l'action extérieure de l'Union. Celle-ci était

présentée, dans le projet de traité constitutionnel de l'Union, sous un titre unique, alors que, dans précédents, elle figurait dans des textes différents, Ce regroupement était justifié sur le plan de la logique et sur celui de la cohérence, puisque toutes les actions menées par l'UE sur la scène internationale, soient-elles économiques, humanitaires ou politiques, d'aide au développement ou de solidarité interne, dans le cas de la lutte antiterroriste, doivent avoir des objectifs communs. En parcourant rapidement le texte en matière de politique étrangère, nous devons prendre acte d'un élément de continuité et d'un facteur de discontinuité.

. .

XIII.2

L'élément de continuité était représenté par le vote à l'unanimité dans la prise de décision au sein du Conseil. L'unanimité comporte ex COf/verso le «droit de veto de chaque État sur des dossiers portant atteinte il ses intérêts, à ses orientations ou à ses principes. Le facteur de discontinuité et donc d'innovation était constitué par la création de la fonction du futur ministre des Affaires étrangères qui devait cumuler la charge du vice-président de la Commission européenne; double charge qui s'explique par le but de disposer d'un budget et d'un pouvoir de coordination afin de mener à bien les actions décidées par le Conseil.

SUR LA FIGURE DU « HAUT REPRÉSENTANT

~~

Au sein de la Commission, le ministre (aujourd'hui haut représentant), sera en prise directe, par le biais du collège des commissaires, avec les États membres sur toutes les questions qui touchent à la stratégie des moyens et à leur mise en œuvre, ainsi qu'aux orientations de politique générale.

218

Le ministre des Affaires étrangères, M. Solana, qui avait été désigné dans la figure du haut représentant/secrétaire général actuel, devait faire en sorte que l'action de soit plus efficace et mieux écoutée dans le monde. Il devait avoir pour tâche de présenter l'Union d'une «seule voix », d'assurer la coordination entre les institutions et autres acteurs de la politique extérieure, sans qu'aucune d'entre elles ne soit prépondérante, et de faire entendre cette «position concertée» à r Assemblée et au Conseil de sécurité des Nations unies. Ce nouvel outil diplomatique, sur lequel doit s'appuyer son action et dont la constitution doit être prévue, sera donc placé sous son autorité et prendra la forme d'un « Service européen d'action extérieure ». Par le biais des délégations de la Commission dans près de pays, il pourra disposer d'une structure int1uente et représentative dans les grandes régions du monde.

XIII.3 LE STATUTDU SERVICE. UN ENJEU DE POUVOIR

La question la plus importante, qui a été et demeure l'objet d'une lutte d'int1uence entre la Commission et le Conseil, est celle du statut de ce Sera-t-il autonome ou sera-t-il rattaché en pmiie au Conseil ? D'intenses débats ont eu lieu. lors de la présentation d'un «projet de service» par le président de la Commission M. Barroso et Je haut représentant/secrétaire général M. Solana au Conseil, le 10 mm's 2005, entre les institutions de l'UE et les gouvernements des États membres. Ces divergences ont porté sur la configuration du service et les liens entre les compétences et les fonctions respectives du Conseil, de la Commission et des États membres, sous le contrôle du Parlement européen. 219

Ce qui apparaissait certain, à l'époque, c'était que les directions générales de la Commission, qui ont en charge k commerce extérieur, le développement, l'aide humanitaire, ainsi que la gestion des programmes d'assistance financière extérieure, ou encore les négociations d'élargissement, restaient sous la responsabilité des commissaires désignés. En revanche seraient placés directement sous l'autorité du chef de la diplomatie européenne, l'état-major de l'UE ainsi que fonctionnaires dont les compétences recouvrent les grandes aires économiques et politiques. L'importance et le volume des effectifs devraient dépendre des options retenues, mais auraient dû être de quelques centaines de fonctimmaires. Un rapport fut présenté au Conseil européen les 16 et 17 juillet 2005, tranchant sur ces différents points.

XIII.4 LA NATURE DU SERVICE, SON AUTORITÉ, SES COMPÉTENCES ET SES LIMITES

Labvrinthe .

de MVI10s .

Considéré sous l'angle de ses compétences, le Service européen d'action extérieure aura pour mission de concevoir et de mettre en œuvre Wl équilibre délicat entre le respect des politiques étrangères, de sécurité et de défense des États membres de l'Union et le développement d'un processus décisionnel, central et efficace, de capacités crédibles d'action militaire. Dans le cadre du Traité Lisbonne, la maîtrise des traités reste dans les mains des États et ceux-ci gardent la «compétence des compétences '>, autrement dit, la souveraineté pleine en matière d'action extérieure. De ce fait, la capacité ultime de répondre de manière autonome aux défis sécuritaires, militaires et civils de l'Union européenne ou il une 220

crise existentielle et identitaire brutale, demeure dans les mains des États. Le service est le moyen constitutionnel d'un progrès politique vers des formes d'intégration sécuritaires plus poussées. Son objectif est d'aider les États membres à se doter d'influence, de puissance et de capacités de coercition par la voie de la coordination et sur une base volontaire et pas de les remplacer ou de se substituer à leurs pouvoirs. En son sein, les personnes étatiques les plus ambitieuses réaliseront des « coopérations renforcées» par la méthode européenne d'une éventuelle coalition de volontaires. Le service demeurera ainsi l'outil politique intégré d'une influence de l'Union qui n'est pas encore centralisée et fédérale, mais qui a besoin dans ce domaine d' « un plus d'Europe» et donc d'un plus de coordination. Il est 1'« outil de conception» des options, de mise en œuvre institutionnelle et des résultats politico-militaires, attendus dans le domaine de la stabilité et de la pacification partout là où des situations de crise exigent une présence de l'Europe sous la contrainte d'états de nécessité et d'urgence ou pour leur prévention. Aux termes du Traité de Lisbonne, les États membres ont souscrit à l'obligation de se consulter, de se coordonner et de se soumettre aux décisions du Conseil en matière de PESC/PESD sans disposer cependant d'un pouvoir de contrainte ni de la possibilité d'un recours à la Cour de justice, en cas de non-participation ou de non-exécution. En effet, les États membres restent pleinement souverains dans cette matière, car l'organe doté d'un pouvoir d'autonomie et de responsabilité vis-à-vis des gouvernements est le haut représentant de l'Union, lié au Conseil de l'UE. Ce dernier demeure l'institution politique de représentation des États, qui gardent la maîtrise des affaires étrangères et donc une compétence exclusive ne les obligeant d'aucune manière à une position commune. Le silence du haut représentant en cas d'absence de position commune est l'expression de cette règle, qui résulte simultanément d'un état de fait et d'un état de droit. En effet, la PESC/PESD repose totalement sur les moyens politiques et militaires des États membres, et ceux -ci demeurent les détenteurs exclusifs de toute autorité et de toute subjectivité en matière de droit international public. Une évolution est certes possible car la forme du traité elle-même n'est guère figée. En effet, elle est fondée, d'une part, sur l'évolution de la situation internationale et, de l'autre, sur la capacité d'y répondre et de s'y adapter, par la progression d'une intégration plus approfondie dans les domaines essentiels de la sécurité intérieure et extérieure. Le monde, tel qu'il est, est le vrai demandeur de «plus d'Europe », et il reste l'accélérateur le plus vraisemblable de sa constitution politique, la force dynamisante la plus probable de sa « volonté» unitaire. Cependant, le poids du « hasard» ou de la machiavélienne Fortuna ne pourront rien sans un projet politique qui demeure le seul interprète du projet constitutionnel.

221

XIII.5

LE TRAITÉ DE LISBONNE

À L'HEURE DE SA MISE EN PLACE.

LA DUALITÉ DES POLITIQUES EXTÉRIEURES

Après le rejet du projet de traité constitutionnel,

sa réféœnce à la

«

loi fondamentale »,

qui devait consacrer

par

d'une Europe politique, un

traité modificatif simplitié fut à Lisbonne le 13 décembre 2007 par les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement et il est aujourd'hui à l'heure de sa mise en place. Le tnùté, que les plus audacieux de ses opposants (N. Dupont-Aignan), présentèrent à l'Assemblée nationale française comme

de Woodrow \Vilson. La proposition de remplacer le système des alliances, basées sur le principe de l'équilibre des forces, avec un système de « sécurité collective », bouleversa les mœurs de la realpolitik européenne. L'émergence d'une menace Oll d'un défi, portés à l'ordre régulé des nations devait s'appuyer désormais sur un engagement solennel, celui, improbable, d'élinÜner la guerre de privilégier l'intérêt commun à l'intérêt national vital.

302

XVII.4

LA«

SÉCURITÉ

COLLECTIVE ».

OBJECTIFS

ET

PRiNCIPES« PAIX PAR LA FORCE» OU « PAIXPAR LE DROIT» ?

Un système de « sécurité collecÜve » n'avait jamais existé auparavant et, avec la Première Guerre mondiale il fallait la destl1lcÜon de toute une génération, pour faire basculer les convictions bien ancrées des décideurs européens vers l'idéalisme d'un président américain pour qui il ne pouvait exister qu'une seule forme de sécurité, celle de la comnnillauté internationale tout entière. Le postulat œntral la sécurité collective reposait sur une idée très noble, mais fausse, que tout acte d'agression ou toute violation du principe d'lUl règlement pacifique devait être sanctionné, en dernière instance, ? de la politique d'élargissement a reposé sur la volonté de changer la , politique de «l'autre» par l'expérience brutale de la globalisation. Cependant, la véritable limite atteinte par le processus d'intégration est dans l'usw-e et dans l'affaiblissement du 377

leadership (noyau dur ou groupe pionnier). Les « revers institutionnels» de cette fonction primordiale pour l'élaboration d'une politique étrangère et de sécurité commune se traduisent par le caractère intergouvememental de cette politique et par le « principe de l'unanimité ,>qui la régit. En effet l'adoption des «coopérations renforcées» consacre cette ditliculté d'avancer à plusieurs, avec un dénominateur institutionnel paralysant et consensuel. Le concept consumériste «d'Europe à la carte» en exprime le paradoxe gnostique. Plus en amont et plus en profondeur, l'approche sécuritaire de l'Union est marquée par un vide théorique, la disparition de la notion d'ennemi, qui induit une dépolitisation des relations intemationales et gomme, dans lm monde dédramatisé, le porteur de la menace, de la puissance de négation et de l'altérité existentielle. Par ailleurs, il relève de l'évidence que l'on ne participe pas à la dialectique historique sans une taille démographique adéquate. Or, l'une évidences de l'Europe est son vieillissement et son déclin démographique. anémie existentielle freine le dynamisme social, lui interdisant le renouvellement des générations et hypothéquant son présent et SUltout son avenir. Ainsi, à la sonnette d'alarme institutionnelle et conceptuelle, il faut ajouter la cloche du danger mortel qu'impose un redressement de la natalité, liée à la faiblesse de la croissance et à la stagnation économique.

XIX.S

ÉVIDENCES NOTES

ET BLOCAGES

DU PROCESSUS

SUR LE DÉBAT EN COURS À PROPOS

D'INTÉGRATION DU PROJET DE

TRAITÉ CONSTITUTIONNEL

En rétléchissant aujourd'hui à l'Europe et au projet politique de l'Union européenne, la première évidence pour un analyste désenchanté est l'absence d'une culture politique partagée, à la mesure enjeux européens et mondiaux. 378

La deuxième évidence est que l'Union européenne, avec ses élargissements successifs, a évolué depuis 10 ans, beaucoup plus vite vers la formation d'un espace de stabilisation et de pacification interne, que vers la constitution d'une véritable puissance, exprimée par le renforcement de ses institutions. La dilution progressive de l'Union vers une Europe-espace qui s'élargirait indéfiniment, incluant la Turquie, l'Ukraine, la Géorgie et d'autres pays issus de la dislocation de l'ancien Empire soviétique, pourrait engendrer une série de conséquences préjudiciables et parmi celles-ci:

. .

l'abandon

du projet fédéral de l'Union

ou de l'unité politique

le déséquilibre entre centre et périphérie, autrement dit la substitution de la problématique du renforcement institutionnel par celle de la modernisation et de rattrapage de développement des nouveaux pays, aggravées par des questions non résolues de démocratie politique et des droits des minorités...

D'autres conséquences préjudiciables apparaissant l'Europe actuelle ou pour le dire autrement:

. . .

du continent;

comme «limites»

de

en ce qui concerne l'aspect politique, comme redéfinition d'un projet d'Union, encadré par une avant-garde d'États, décidés à aller plus loin dans les deux domaines essentiels, celui de la politique étrangère, de sécurité et de défense commune et celui de la coordination plus poussée des politiques économiques et monétaires; en ce qui concerne l'aspect économique et social, une politique de relance de l'emploi et de l'innovation, conformément aux objectifs fixés par la stratégie de Lisbonne; en ce qui concerne l'aspect énergétique commune à l'échelle communautaire.

enfin, la définition

d'une

stratégie

Le risque de régression de l'Union vers une zone de libre échange améliorée, accompagnée par la prééminence de préoccupations sociales et économiques, induites, d'une part par les standards européens et de l'autre par les poussées désagrégeantes de la mondialisation, fait ressortir l'exigence invoquée, à droite comme à gauche, de fixer les « limites» géographiques et politiques de l'Union. Par ailleurs, la double emprise, de l'influence britarmique sur les politiques internes et de l'influence américaine sur les politiques extérieures et de sécurité, impose de trouver une solution à l'absence de leadership (avant-garde, noyau dur ou centre de gravité politique), dont la traduction institutionnelle est le renforcement des institutions. Le projet de traité constitutionnel a voulu reprendre l'expression de cette exigence de réformes. Mais le débat provoqué sur ce texte a été dévoyé de son but. Certains y ont vu une rédaction insuffisante, d'autres une rationalisation indispensable, d'autres encore un projet non nécessaire pour la constitutionnalisation de 379

l'Europe, qui existerait déjà de facto. Il s'agirait, selon ce dernier courant de pensée, d'éviter de remuer les mémoires nationales et les symboles d'une idée constitutionnelle inappropriée. Ce débat n'est ni conclu ni enterré, mais il a été aiguisé par le « double rejet» référendaire français et hollandais. En ce qui concerne le seuil critique atteint par le processus d'intégration, des réponses n'ont pas été apportées à une série de questions fondamentales. Quel est le soutien réel au projet d'une Europe fédérale et donc d'une Europe puissance politique auprès des élites, intellectuelles, administratives et politiques aujourd'hui en Europe? Et quel est le soutien des opinions et des sociétés? Qui est prêt en Allemagne, en France, en Autriche, en Espagne ou aux Pays-Bas à supporter des coûts d'une vraie fédéralisation des politiques économiques et monétaires. Où doit s'arrêter l'Union projet pour le monde?

européenne,

avec quelles frontières

et avec quel

Ainsi, une harmonisation entre la finalité politique de l'Union, la temporalité nécessaire à la mettre en œuvre et la modalité institutionnelle pour la traduire en expression juridique et symbolique, est plus nécessaire que jamais. Pour ce qui est du thème de la légitimité de l'Union vis-à-vis des citoyens, l'aile « libérale» des commentateurs politiques a relevé qu'on ne peut plus «cacher l'Europe» et que la longue période de l'éloignement technocratique est révolue. Ces analystes en ont conclu que tout système d'oppression, soit-il éclairé, reste un despotisme et que son nom le plus vrai est celui d'un despotisme technocratique puisqu'il n'a pas pour origine une « volonté générale ». Il s'agirait là d'une oppression réglementaire qui est la maladie commune des démocraties représentatives modernes. Par ailleurs, le caractère illisible de la constitution aurait été l'une des raisons de son rejet, auquel on a rajouté la non-simultanéité des referenda. Cette dernière remarque argue que la non-simultanéité des scrutins aurait faussé la totalité de la consultation, là où elle a lieu, par des effets d'entraînements pervers, travestissant en expression de la volonté démocratique des enjeux nationaux, étrangers en débat européen. Ainsi, si l'Europe a existé dans les débats référendaires, elle n'a été qu'un alibi, un otage et un témoin impuissant. L'impasse de fond et la véritable « limite» de l'Europe actuelle est qu'il n'y a plus en Europe un consensus sur ce qu'il faut faire et donc sur le « sens» et la nécessité d'agir en commun. La période de la modernisation européenne, de la signature du Traité de Rome à la moitié des armées soixante-dix a été marquée par la convergence des idéologies et par la tutelle de la puissance publique allant dans le sens d'une modernisation contrôlée, de telle sorte qu'il pouvait y avoir une liaison inavouée entre dirigismes nationaux et coordination européenne et que depuis les années quatre-vingt, ce mécanisme s'est bloqué. 380

À partir des almées quatre-vingt-dix, cette hybridation des volontés, des rhétoriques et pratiques a cohabiter dérégulation libérale et modèle social national. Aujourd'hui, cette convergence ayant disparu, il apparait fort problématique de pomsuivre le processus d'adaptation et de modernisation appelé «Stratégie de Lisbonne >', puisque d'une part les objectifs apparaissent impossibles à tenir et de r autre, ils constituent matière de compétence nationale, la ComnÜssion em'opéenne n'y jouant qu'un rôle d'incitation et d'accompagnement rhétorique.

XIX.6

LES

«FRONTIÈRES

D'ABSORPTION»

EXTÉRIEURES»

ET

LES «CAPACITÉS

DE L'VE

,) de l'Europe, ce thème est sorti du domaine de l'abstraction et est devenu un sl~iet d'actualité et d'interrogation institutionnelle, un thème de réflexion géopolitique et stTatégique, mais aussi de débat citoyen, à paltir de la décision du Conseil du 17 décembre 2004 d'ouvrir les négociations d'adh6sion avec la Turquie.

Pour ce qui est du problème des « ti'Olltières extérieures

La crainte d'avoir atlaire à une Union qui ne connaît plus de limites, ni à l'Est ni au Sud-Est du continent, ni dans la région du Caucase du Sud et de la mer Noire, pour ne pas parler du Moyen-Orient et du Golfe, exige la définition d'un cadre organisateur général des relations extérieures de rUE, sm un double plall, régional et mondial, et cela en raison de l'interconnexion des défis et des dangers, étendus et multifonnes, et du repositionnell1ent

381

géostratégique de l'Occident, l'Occident américain, en Irak et en Afghanistan.

européen

et l'Occident

Ainsi, deux dimensions problématiques sont concernées, institutionnelle et, l'autre, de nature sécuritaire.

. .

nord-

une, de nature

La première est liée aux «capacités d'absorption » de l'Union européenne, et concerne la représentation, le poids et l'équilibre institutionnel au sein du Conseil des ministres de l'Union, mais aussi les capacités budgétaires et les politiques de solidarité et de cohésion.

La deuxième se réfère aux relations de proximité, les Balkans occidentaux en particulier, à des zones à très forte instabilité politique, à haut potentiel de conflits, à un degré élevé de spiralisation de la violence, en raison de l'interaction de problèmes non résolus, de haines ancestrales et de la présence de ressources et de revendications territoriales, aiguisant les crises latentes ou gelées.

Il faut y ajouter, au Proche-Orient, en Asie Mineure, en Asie du Sud-Est et en Extrême-Orient, les problèmes liés à la prolifération des armes de destruction massive et la porte ouverte sur un « clash de civilisations » entre l'Islam et l'Occident, avec, sur toile de fond, dans le Golfe et en Afrique du Nord, l'écart persistant entre la modernité occidentale et l'emprise de régimes autocratiques, incapables de se réformer. Au niveau du système international, la gestion des relations extérieures et les retournements stratégiques des situations, voire le cas de l'Iran, imposent à l'DE d'avoir une personnalité politique forte, une structure de décision efficace et une définition des « frontières sûres », qui ne demeurent plus une source d'équivoques, ni de perceptions erronées. Ceci exige une vision réaliste du monde, car la coexistence de la paix et de la guerre est toujours d'actualité, la dialectique des antagonismes toujours à l' œuvre et la conscience de l'hétérogénéité du monde est toujours là pour prouver que les individus et les peuples n'obéissent pas aux mêmes conceptions du juste et de l'injuste, de la démocratie et de la liberté et que la diversité des régimes politiques et des corps sociaux engendre différents types d'inégalités, d'inimitiés et de conflits. Par ailleurs, l'hétérogénéité des cultures rajoute à ce tableau une exigence de détermination et de prudence, face à des comportements qui demeurent sourds à la raison, extrêmes dans les idées et radicaux dans l'action.18

18

La« capacité d'absorption »de l'Union. Le traité de Copenhague a fixé parmi les critères d'adhésion de nouveaux pays la «capacité d'absorption de rUE ». Depuis Copenhague, la prise en considération de ce critère, qui touche tout autant aux aspects institutionnels et politiques (pondération des voix et capacité de décision) qu'aux aspects géopolitiques et budgétaires, a été oubliée. Or, dans la «pause de réflexion» constitutionnelle menée sous la présidence autrichienne de l'Union, le Parlement européen a pris l'initiative d'une remise en question des critères adoptés jusqu'ici, en matière de candidatures à l'adhésion, dans une résolution 382

XIX.7

UN

CHANGEMENT

L'EURASIE.

SUR

CIVILISATIONNELLES.

DE LES UN

PARADIGME:

DE

« LIMITES»

RÉGIONALES

SEUL

ÉCHIQUIER,

L'EuROPE

À ET

L'ÉCHIQUIER

MONDIAL

Parmi les «linÜtes» qui se dressent en Europe à la conception d'une politique étnmgère commune, la plus importante est le changement de paradigme intervenu depuis la fin de bipolarité. En effet, la matrice le 16 man; 2008 à une large majorité. 397 voix contre 95. Le PE a demandé à la Commission européenne de donner une définition claire de ce critère-clé et a exigé d' en et J'étendue, Cette résolution implique dès lors une réorientation évidente et

.. .

des perspectives des élargissements de la nature géographiques;

et de l'identité

de l'Union,

de J'ouverture d'une nouvelle issue pour les «

y compris pays

vivant

dans ses ,? a disparu, puisque, dans la pensée du libéralisme, le concept politique « lutte» devient « concurrence» sur le plan économique et « discussion débat» sur le plan spirituel.

de ou

Le peuple se transforme en opinion et le « citoyen» communication et de messages.

de

Les programmes des revendications de la masse cités ébranlent la cohésion subversion des pouvoirs en

XX.5 POUR UNE Df« ENNEMI»

en consommateur

autorités se calquent sur les attentes et les ou de la rue et les marginaux de la cité et des des sociétés au nom d'identités refoulées et de la bandes.

APPROCHE

SÉCURITAIRE

ET POUR UNE AXIOMATIQUE Lf« ACTION PRÉEMPTlVE »

DU

CONCEPT

RÉNOVÉE

DE

Le concept d'« ennemi» est central pour les relations de sécurité. En effet, il implique une définition identita.ire essentielle, et en même temps il tl'ace les contours d'une altérité hostile. C'est un concept incontournable et polymorphe qui a une source génétique et une mutation phénoménologique, source et mutation qui reposent sur les notions d'adversaire et d'hostilité tantôt permanents, tantôt circonstanciels. Pour acquélir une plausibilité et une signification politiques et historiques, concepts doivent être mis à J'épreuve des circonstances et des réalités L'hostilité comme latence de 403

l'ennemi est le présupposé de crises et de conflits constituant de formes d'inimitiés antérieures.

les révélateurs

Nous nous bornerons à analyser les différentes typologies de l'animus hostilis et donc des relations d'hostilités possibles pour la sécurité de l'Union. Leur variation recouvre l'éventail des relations extérieures ou intérieures selon les conjonctures et les situations. Ces variations s'appellent alliances ou coalitions à l'extérieur et cohésion stratégique à l'intérieur. Ainsi, nous reviendrons sur la matrice principielle du concept d'ennemi et sur ses figures.

. .

20

Est un «ennemi» public, l'acteur étatique ou subétatique, qui, par sa philosophie, par ses ambitions ou ses intérêts, porte atteinte à la sécurité de l'Union, à son intégrité territoriale et à celle de ses États membres, ainsi qu'à la cohésion stratégique des sociétés européennes. Est un «ennemi » latent l'acteur régulier, ou l'organisation irrégulière qui, par ses déclarations d'hostilité et de haine, par son comportement violent ou menaçant, par ses agissements terroristes évidents et occultes, porte à maturation un danger imminent et grave pour l'Union européenne20, ses États membres et ses citoyens, en faisant usage ou menaçant de faire usage de la force et de capacités conventionnelles, balistiques, nucléaires,

Un débat est en cours aux États-Unis et aux Nations unies, sur la recherche d'un

juste équilibre entre le droit à l'autodéfense et 1'« action préemptive » pour contrer actuelle de toute règle commune au sujet d'une menace imminente et grave. La quête des certitudes quant à la nature de la menace et à 1'« imminence mise à exécution engendre une série de dilemmes qui ont pour objet:

. . . ..

l'absence » de sa

la nature du système international et le rôle de la dissuasion dans le cadre d'un environnement où plusieurs équilibres doivent être assurés simultanément par une pluralité d'acteurs rivaux ou hostiles; les traits essentiels des régimes politiques hostiles, aspirant à devenir des puissances balistiques et nucléaires; la difficulté de négocier avec des organisations ou des régimes perturbateurs, autocratiques et proliférant s, en leur accordant des garanties de sécurité dans leur course à l'arme de la terreur et de la puissance politique; le dilemme

du retard au sujet d'une action irrévocable

et contre un ennemi

déclaré;

la soumission du droit naturel à l'autodéfense, à la preuve imparable d'une agression; Cette inversion des rôles entre agressé et agresseur virtuels mais désignés et la prime accordée à l'agresseur en cas d'attaque conforte la liberté d'agir en premier et restreint le droit de l'agressé à l'autodéfense. La reformulation du principe de sécurité et d'autodéfense et le renouvellement de l'axiomatique de la menace et de sa perception sont à la base de l'adaptation des principes de la légalité et de la légitimité internationale aux réalités du monde contemporain. Si, face aux menaces nouvelles, chaque acteur est dans l'obligation de redéfinir les règles de sa riposte aux vulnérabilités et aux défis émergeant s, une convergence des États majeurs de la planète peut parvenir à définir les nouvelles conditions de la riposte individuelle (unilatérale) ou collective (multilatérale) dans le cadre d'un droit universel reformulé et adapté à notre époque (voir en ce sens Henry Kissinger, Le Monde du 21 avril2006). 404

. . . .

biologiques, communauté

seul ou en liaison avec d'autres acteurs, internationale et par l'ordre légal interétatique.

bannis

par

la

L'ennemi n'est pas toujours l'agresseur au sens de la logique juridique, pénale et criminelle du droit public international. L'ennemi est l'incarnation d'un danger ou d'un risque politique objectif, la source et le présupposé de l'agression, le perturbateur de demain. L'ennemi préexiste à l'acte agressif et il en est la cause et l'origine. C'est le rapport d'inimitié qui constitue l'essence et la source des phases et des mutations successives de l'hostilité et son actualisation événementielle ou circonstancielle, préemptive ou défensive. Est un « ennemi » géopolitique de l'Union, de ses États et de ses citoyens, tout acteur ou tout actant, qui porte atteinte à la stabilité mondiale, régionale ou locale, utilisant la force ou la menace directe ou indirecte d'emploi de la force dans le but de provoquer des tensions ou des crises graves; en agissant par la subversion idéologique ou politique appuyée sur la subversion armée, ou visant à conquérir et subjuguer les esprits par l'intimidation ou le chantage. Est un «ennemi» idéologique, l'actant étranger qui tend à instaurer une vision du monde, une philosophie ou un régime éthico-politique incompatible avec l'histoire, le système des droits, des valeurs et des croyances existantes au sein de sociétés européennes désormais multiculturelles. Est un «ennemi» total ou systémique le perturbateur stratégique et civilisationnel, porteur d'une remise en cause de la balance of power et de la sécurité globale et d'une culture de rejet de l'Occident, d'une volonté d'inversion des hiérarchies établies et visant à instaurer, directement ou indirectement, par la force ou sous la menace de la force, par la discrimination identitaire, religieuse, culturelle ou ethnique, des régimes politiques et des visions de l'avenir négateurs, irréductibles dans leurs fondements structurels et moraux aux convictions profondes héritées par la tradition judéo-chrétienne, puis laïque de l'Europe et partagée par les opinions et par les modes de pensée dominants, en ce qui concerne les valeurs de paix, d'universalisme, de coexistence et de raison, valeurs qui constituent les legs de l'Occident et les horizons souhaitables de l'évolution humaine pour les siècles à venir.

C'est ainsi que l'absence de la figure de l'ennemi dans la définition du concept européen de sécurité est capitale pour la compréhension de sa faiblesse. Elle est essentielle pour déceler la nature du comportement et des mesures prévues pour faire face aux défis et aux menaces extérieures. Cette absence de la figure de 1'« ennemi » en acte n'exclut guère la définition d'un état latent d' hostilité, comme situation intermédiaire entre l'état de conflit et l'état de paix qui puisse servir à déguiser le concept et à en masquer les manifestations les plus évidentes. Le dépassement de la conception purement militaire des conflits interdit d'évaluer correctement la signification des postures politiques et des options diplomatiques pour conjurer les difficultés 405

des sÜuations de tensions de crise. Par aineurs, elle ôte aux modalités diplomatiques la possibilité de gouverner le système international. Et puisqu'il n'existe pas un monde de seuls amis, (de la démocratie ou de libe11é), il interdit de faire le partage entre la politique de compromis et la politique de coercition, entre multilatéralisme et unilatéralisme. La limite du concept de sécurité est dans la dilution de la personnalité de l'Union dans till tout politiquement hétérogène, le multilatéralisme des Nations unies, où les États démocratiques coexistent avec des États voyous, des États autocratiques et des États en faillite. Il en résulte une autre «limite» de rUE, son aveuglement et sa cécité conceptuelle. En réalité la caractéristique plincipale d'mIe puissance est son unilatéra1isme, autrement dit l'évaluation indépendante et autonome de ses choix essentiels, ne comportant pas de dilution de la volonté d'affirmation de son identité et de son avenir, au sein des délibérations d'une enceinte IlHlltilatérale, les Nations unies, à l'âme «servile et docile », une enceinte qui n'est guère l'expression de la puissance de la paix et de son idéal, mais le simple substitut de la puissance qui lui fait défaut.

XX.6 SUR LA PREEMPTIVE STRATEGYET LA« DÉMOCRATIE ARMÉE ». LA «SOUVERAINETÉ LIMITÉE»

FICTIVE»

ET LA «SOUVERAINETÉ

En ce qui concerne r , apparaît comme le moyen pour rUE de construire des alliances durables en Eurasie, fondées sur une cohérence et sur un pouvoir fédérateur équivalent à celui des USA. Il est également lm laboratoire qui consiste à appréhender les turbulences et les conflits dans leurs dimensions mondiales et à maîtriser la prolifération balistique et nucléaire et le telTorisme de portél': internationale. C'est enfin un test des « limites » de l'intégration fonctionnelle, marquant la transition vers un plus haut niveau de complexité, un progrès vers une interaction entre la gouvernance interne et la gouvernabilité internationale. Enfin, c'est le telTain de vérification des deux hypothèses centrales du système international, celle du dialogue ou celle du « choc des civilisations ». Dans la mesure oÙ cette zone charnière représente une limite informelle entre stabilité régionale et stabilité mondiale, elle est aussi le lieu d'expérimentation d'une influence éclairée de l'UE sllr les grandes affaires du monde et plincipalement sur le « grand jell » et pour le désenclavement de l'énergie, du pétrole et des matières premières au cœur de la telTe centrale, Ie heartland de Halford MacKinder29. ""

L'amiral

britannique

H. J. MackinJer

(1861-1947

421

J, qui fut professeur

de géographie

Au niveau du système international, il représenterait le relais manquant dans l'évolution vers une forme de multipolarisme coopératif et vers des formes d'interdépendances régionales.

à Oxford (de 1887 à 1905), puis à la London School of Economics and Political Science (de 1895 à 1908), est le fondateur de la géopolitique classique, celle qui oppose la terre et la mer. Il a exposé ses théories dès 1904 et les a révisées quarante ans plus tard, dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale. La vision mondiale de la géopolitique de Mackinder est celle d'une « île mondiale » organisée autour d'un pivot, le heartland, centre de gravité de tous les phénomènes géopolitiques. L'Eurasie, inaccessible à la puissance maritime, a pour cœur l'Asie centrale. Celle-ci est protégée par un croissant de zones faisant obstacle à la pénétration depuis les côtes, l'inner crescent constitué par la Sibérie, l'Himalaya, le désert de Gobi, le Tibet. Plus loin se trouvent les pays ayant accès aux océans, le coastland. Au-delà des mers qui délimitent l'île mondiale se trouve l'outer crescent, composé de la Grande-Bretagne et du Japon. Enfin, plus loin encore est situé le Nouveau Monde, dont le cœur est représenté par les États-Unis. L'ensemble des phénomènes géopolitiques se résume en une lutte entre le heartland et l'outer crescent. La doctrine de Mackinder est caractérisée par la doctrine de la suprématie de la puissance continentale: « Qui tient l'Europe orientale tient le heartland, qui domine le heartland domine l'île mondiale, qui domine l'île mondiale domine le monde. »La hantise de Mackinder était une alliance entre l'Allemagne et la Russie qui auraient ainsi dominé l'île mondiale. C'est pourquoi le cœur du monde doit être encerclé par les alliés terrestres de la Grande-Bretagne. Cette dernière doit contrôler les mers, mais également les terres littorales qui encerclent la Russie, c'est-à-dire l'Europe de l'Ouest, le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et de l'Est. La Grande-Bretagne elle-même avec les États-Unis et le Japon constituent le dernier cercle qui entoure le cœur du monde.

422

XXI.9 LE RÔLE DE LA RUSSIE RÉGIONALES ÉQUILIBRÉES

ET LES INTERDÉPENDANCES

Dans cette prospective la Fédération de Russie, en chute démographique et économique pourrait y jouer un rôle de rivale amicale plutôt que d'acteur hostile, car elle n'a d'autres altematives en Asie centrale et en ExtrêmeOrient que le choix entre le Japon et la Chine dans les orientations de politique générale que sont la coopération, l'aide au développement et le peuplement. En complément elle serait conduite à réduire ses points de friction avec rUE à l'Ouest, de la Baltique au Caucase, en passant par l'Ukraine. La création de cette zone serait un puissant facteur de développement démocratique de type pacifjque. Elle aiderait puissamment au désenclavement énergétique, géoéconomique et géostratégique de la région centrale de l'Asie, davantage adaptée à un monde multipolaire et à des modèles de sociétés mixtes, mi-tracutionnelles et mi-modemes, mais à économie ouverte et à tendance libérale. Une pareille hypothèse équilibrerait

423

et renforcerait l'entente euro-américaine zone chami~re de l'Europe.

dans le monde, en rapprochant

cette

Cette vision européenne de la mullipolarité serait basée sur un ensemble d'interdépendances régionales équilibrées et intégrées. plus fondées sur la gouvernance que sur la gouvemabilité, plus coopératives qu'antagoniques. Cette vision ne s'oppose pas à la dominance coopérative de l'unipolarisme américain élargi à l'Europe et tient compte davantage des évolutions plus récentes de la politique mondiale. Elle induit l'Europe à mieux profiler sa personnalité internationale, lui permettant de faire face aux nouveaux défis de la globalisation et de r écosyst~me et au degré très élevé de complexité qui les cm'actétise. Après l'implosion de l'Union soviétique et l'effondrement du bloc de l'Est, nous entrons dans une troisième phase de l'hérHage de la postguerre froide, et donc de la logique de la stabilisation des relations politicostratégiques, par les élargissements conjoints de rUE et de l'OTAN, mm'qués pm' le sommet de Varsovie, puis de Vilnius et, après le 11 septembre et la lutte internationale au terrorisme, par la « phase de Kiev et de Tbilissi ».

XXI.l0

PROJECTION

DE L'DE

VERS LE CAUCASE

ET L'ASIE

CENTRALE ET OBJECTIFS SOUHAITABLES

",-W,-,.",W.,'.:!S>1

Cette projection de l'Union européenne vers le Caucase et r Asie centrale avec un dessein stratégique et culturel, défini en toute indépendm1ce à pm'tir de ses intérêts propres, pourrait satisfaire à une série d'objectifs:

.

fixer les limites de l'UE, demandes d'adhésion, et conséquents;

ainsi que celles des élcu'gissements soutenir ses choix à raide de

424

et des moyens

.

faire de redéfinie ;

.

un partenaire

influent

dans

une politique

mondiale

favoriser un dialogue et une planification mondiale par r identification des détïs il affronter collectivement (détérioration de l'environnement, surpopulation, fanatismes, pandémies. catastrophes naturelles)

.

fixer un agenda de sécurité planétaire au XXI" qui ait pour mission d'adapter le rôle de l'Ouest dans son ensemble il une phase d'éveil du monde et sous l'effet des menaces que fQnt peser sur la planète les turbulences exacerbées par les arsenaux nucléaires et par les dynamiques de puissance en Extrême-Olient et dans les grands Balkans eurasiens,

La création de cette , avec

les terres du littoral qui côtoient J'Atlantique et constituent le premier cercle entourant le cœur du monde. Si la suprématie de la puissance continentale appartient demain à la Chine montante. la réhabilitation du Rimland de J'extérieur et du Rimland de l'intérieur apparaît à l'évidence comme le seul moyen d'établir une zone d'interposition et un moyen éprouvé pour contenir l'expansion territOliale et maritime de l'Empire du milieu en Eurasie, en dehors l'utilisation de menace verticale.

XXL13

L'UE, LA RUSSIE ET LA CHINE

Dans ces conditions,

le soutien de la part de l'UE à la création

d' un