Entrepreneuriat International [PDF]

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Zitiervorschau

Introduction Alors que pendant des décennies, les entrepreneurs ont pu créer et développer des produits sur un marché essentiellement domestique, dans un rayon d’action certes variable (du service de proximité à l’ensemble d’un territoire national), le phénomène de mondialisation (ou plutôt de globalisation) est en train de transformer l’environnement des entreprises. Les enjeux ne concernent pas que les grandes firmes diversifiées ou, selon certains modèles d’évolution, les entreprises ayant atteint un certain stade de développement. On constate une part croissante d’entreprises en émergence s’adressant d’emblée aux marchés internationaux (McDougall, Shane, Oviatt, 1994). Si l’on semble s’accorder aujourd’hui pour reconnaître la singularité des contextes des processus entrepreneuriaux et la nécessité de les modéliser pour apporter des connaissances à la fois théoriques et pratiques (Verstraete, 2002), on peut se questionner sur la spécificité de l’entrepreneuriat s’adressant à un marché international, voire global. L’objectif de notre communication est de contribuer à cerner le champ de l’entrepreneuriat international, en nous questionnant sur la singularité du processus correspondant. La question, issue de notre « terrain de recherche », est la suivante : dans quel processus s’inscrit un entrepreneur qui s’oriente assez rapidement vers un marché international et quelles conditions favorisent ce choix ? Cette question constitue le point central d’une problématique construite dans le cadre d’une thèse en cours et l’état d’avancement que nous livrons ici comporte trois parties. La première partie de ce texte présente notre acception de l’entrepreneuriat et des modélisations de types processuelles qui lui correspondent pour, ensuite, exposer le contexte au sein duquel nous l’étudions : l’international. Enfin, nous évoquerons l’avènement d’un nouveau champ de recherche : L’entrepreneuriat international. La seconde traite de la notion de processus d’internationalisation dans ce cadre théorique. Nous verrons que le contexte entrepreneurial remet au moins partiellement en cause la théorie processuelle d’internationalisation dite d’Uppsala (Johanson & Vahlne, 1977, 1990). Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous évoquerons les résultats issus de notre travail empirique qui permettent d’éclairer ce phénomène et d’apporter un certain nombre de réponses à notre question de recherche.

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1. Le processus entrepreneurial dans un contexte international

L’entrepreneuriat est vue tantôt comme un phénomène, tantôt comme un processus. L’apprécier comme phénomène permet d’en avoir une connaissance partagée, comme un processus d’en offrir des modélisations adaptées au contexte au sein desquels il se manifeste. Dans nos travaux, ce contexte est d’une couverture relativement large puisqu’il concerne l’international. Ce qui nous conduira à évoquer le champ de recherche, relativement récent de l’entrepreneuriat international. 1.1. L’entrepreneuriat : Du phénomène au processus

L’entrepreneuriat est un phénomène relevant, selon les auteurs, de la détection d’une opportunité (Shane, Venkataraman, 2000), de la création de valeur nouvelle (Bruyat, 1993) ou encore de la création d’une organisation (Gartner, 1985, 1995 ; Verstraete, 1997, 2003). C’est à cette dernière conception que nous adhérons, plus particulièrement à la proposition faite par Verstraete considérant le phénomène comme unissant dans une relation de symbiose un entrepreneur à l’organisation impulsée par celui-ci : « l’entrepreneur impulse le phénomène en agissant au sein de la structure dans laquelle il évolue, pour tenter de concrétiser la vision qu’il se fait de l’organisation ». Ainsi, un niveau cognitif, un niveau praxéologique et un niveau structural servent la compréhension du phénomène et l’auteur en offre la représentation théorique suivante : PhE = f [( C x P x S ) ⊂ (E x O)] « L’apport des recherches sur le phénomène s’appuie : sur la compréhension des connaissances de l’entrepreneur le conduisant à entreprendre (C) ; la singularité des actions appelées par l’acte (P) ; la structure des contextes au sein desquels le phénomène émerge (S) ; l’entrepreneur (E) en tant qu’individu, notamment son histoire de vie et autres aspects généraux (dispositions, affectivité, émotions…) permettant de mieux le connaître ; l’organisation impulsée (O). Autrement dit, un programme de recherche en entrepreneuriat vise à apporter des connaissances sur chacune des dimensions (C, P, S), sur leurs interactions, et sur la relation à laquelle elles s’appliquent, à savoir l’entrepreneur et l’organisation impulsée (E et O). » (Verstraete, 2003, p.16). L’auteur insiste également sur le besoin de modéliser les processus correspondant aux différentes manifestations de ce phénomène, rejoignant ainsi les autres auteurs francophones dont les travaux sont des efforts de

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modélisation de type processuel (Bruyat, 1993 ; Hernandez, 1999 ; Deschamps, 2000 ; Fayolle, 2000). Qui dit processus, dit temps. Même si ce temps n’est pas strictement balisé, on peut considérer qu’il y a un début, une fin et entre les deux, une série d’étapes séquentielles ou cycliques. Le modèle d’un processus de gestion considère les variables qui s’intègrent à chaque étape du processus (ex. construction du réseau, dimension du marché…). L’observation d’un processus présente l’avantage de considérer le caractère dynamique et l’interaction des variables entre elles (Verstraete, 1999 ; Fayolle, 2000). Plusieurs variables entrent ainsi en jeu, chacune pouvant relever du profil de l’entrepreneur, du secteur d’activité ou du contexte d’action. L’interaction de ces variables se cristallise dans des étapes que des travaux ont tenté de mettre à jour. Stevenson et Gumpert (1985) décrivent le processus entrepreneurial sous forme de 5 étapes. Les auteurs se réfèrent à une approche par les ressources (ressource-based view) : - L’identification d’une opportunité d’affaires, - la mise en place d’une stratégie et d’un plan d’affaire (business model) pour capitaliser sur cette opportunité, - l’acquisition et le développement de ressources pour exécuter cette stratégie, - le contrôle de ces ressources, - le choix de la meilleure structure organisationnelle. Hernandez (1999) décrit quatre stades (initiation et maturation d’une idée, décision et finalisation stratégiques). Le modèle de processus de gestion entrepreneurial de Filion (1997) comporte 5 éléments pas nécessairement séquentiels : Apprendre, vérifier, animer, architecturer et visionner. Celui de Bruyat (1993) se décline en plusieurs étapes : Prise de conscience, intention, engagement et action de créer avec une certaine irréversibilité. L’auteur introduit la notion de configuration stratégique instantanée perçu par le créateur pour illustrer la modélisation du processus d’engagement dans un projet de création d’entreprise. Sammut (1998) s’intéresse plus particulièrement à une des phases du processus entrepreneurial qu’elle nomme phase de démarrage, laquelle se poursuit par la phase de croissance. L’auteur délimite ce démarrage entre le moment où l’entreprise réalise ses premières commandes et celui, plus flou, où le créateur adopte une gestion systémique, et atteint le seuil de rentabilité (Sammut, 1995). Dans un article plus récent, elle revient sur cette notion de démarrage dans un contexte

international (Sammut et Torrès, 1997). 3

Après avoir précisé notre acception de l’entrepreneuriat et du processus qui lui est lié, nous nous penchons, dans la partie suivante, sur le contexte dans lequel nous plaçons notre objet : la mondialisation.

1.2. L’entrepreneuriat dans la mondialisation Dans le langage courant, le terme de mondialisation n’est que la traduction française de globalization. Pourtant, Urban (2000) nous rappelle que dans la langue française, deux vocables sont utilisés pour évoquer le même processus : Mondialisation et globalisation. Alors que le premier, plus ancien, renvoie à la notion d’espace, de frontière et de références nationales, il ne touche qu’une partie minoritaire de la population. Le second prend un sens plus radical. Par nature et en profondeur, la globalisation concerne tous les aspects de la vie et touche un très grand nombre de personnes dans le monde. Il s’agirait en quelque sorte d’une intensification du phénomène de mondialisation, lui-même initié par les désirs coloniaux des états souverains au XIXème siècle. On parle alors de mondialisation globalisée. « Avec la globalisation, une nouvelle architecture organisationnelle de la société mondiale se construit ». (Urban, 2000, p. 4). Le phénomène de mondialisation fait désormais partie de notre quotidien. Il n’est pas un jour où les médias n’évoquent telle ou telle conséquence liée à ce phénomène. Il n’est pourtant pas perçu de façon uniforme. Pour les uns, le terme n’a pas de résonance et le profit qu’ils tirent des offres satisfaisant leurs attentes sans cesse renouvelées les conduit à ne pas se poser de questions à ce propos (Verstraete 2002). C’est devenu « naturel ». Pour d’autres, ce phénomène perturbe leurs activités économiques puisque localement, ils se voient envahis par ces offres qu’ils étaient auparavant les seuls à fournir à leurs proches clients. Enfin, il y a ceux qui y perçoivent des opportunités d’élargir leur espace d’action ou de construire une offre s’adressant d’emblée à l’international. Les décisions politiques internationales induisent de plus en plus de possibilités d’échanges et de communications transfrontalières. A ce propos, si la notion de frontière reste cohérente d’un point de vue géographique pour la plupart des régions du monde, elle est moins perceptible à des niveaux économiques, politiques, voire culturels (entreprises multinationales, zones de libre échange, marchés communs, accès à l’information via le réseau Internet, etc.), comme le montre les manuels de géopolitique ou de management international.

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Deux facteurs essentiels sont à l’origine de cette évolution : D’une part, les barrières protectionnistes et les contraintes structurelles liées aux politiques nationales tombent petit à petit. Nous assistons globalement à un phénomène qui facilite l’accès aux marchés, et corrélativement à de nouveaux fournisseurs potentiels. D’autre part, mais les deux phénomènes sont liés, les avancées technologiques de production, de transport et surtout de communication permettent un accès plus facile, meilleur marché, plus rapide ou tout simplement possible à une grande variété d’informations, de biens et de compétences inédits (Wright, 1999, Verstraete et Filion, 2001). Torrès (2000), dans un chapitre qu’il consacre à l’entrepreneuriat face à la globalisation, parle d’horizon temporel court et d’horizon spatial long pour caractériser la société de l’information dans laquelle nous sommes entrés. La combinaison de ces deux facteurs permet désormais aux plus petites structures d’avoir accès à des informations et des marchés autrefois réservés à des structures d’une certaine taille, capables de mobiliser une logistique ou une infrastructure lourdes. La mobilisation d’un réseau participe de cette nouvelle opportunité offerte aux petites structures (Cooper, 2002), ou aux entrepreneurs individuels qui peuvent ainsi créer d’emblée, dans un contexte global. Alors que les grandes multinationales et les firmes entrepreneuriales fonctionnaient dans des contextes voire des espaces de marchés différents, même si des relations d’affaires unissaient souvent les premières aux secondes, la mondialisation permet aujourd’hui aux plus petites structures de faire partie intégrante d’un marché global, jusqu’à exercer une véritable activité concurrentielle, ou tout au moins une nouvelle forme de collaboration. « Sans évacuer la forte présence de puissants groupes, les jeunes et les petites entreprises disposent des outils permettant d'élargir les frontières de leur espace d'affaires, qu'il s'agisse d'exporter ou de s'implanter en différentes régions du monde. Ainsi, on s'accorde à reconnaître que l'international offre des occasions d'entreprendre qui ne sont pas réservées à la grande entreprise ayant atteint une hypothétique taille adéquate, réalisé une baisse substantielle de ses coûts et acquis une bonne maîtrise des technologies. […] Les volontés politiques, la suppression graduelle des barrières protectionnistes ainsi que le développement et le transfert des technologies facilitent les communications et donnent une plus grande accessibilité aux marchés internationaux » (Verstraete, Filion, 2001, p. X).

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Dans ce nouveau contexte, les entrepreneurs doivent acquérir une meilleure connaissance du marché international. Parallèlement, les plus grosses structures s’intéressent désormais aux stratégies et aux processus entrepreneuriaux (Wright, 1999, p. IX). Certains auteurs n’hésitent plus à inclure dans le champ de l’entrepreneuriat, certaines activités, indépendamment de la taille ou de l’âge de l’entreprise, dès lors que celles-ci présentent un caractère innovant, proactif et générateur de risque. (Mc Dougall & Oviatt, 2000). Les études dont il est ici question parlent généralement de Corporate Entrepreneurship, ou d’Intrapreneuriat. Cette posture, très présente dans la littérature anglo-saxonne nous pose la question de l’acception du terme intrapreneuriat. Il nous semble que parfois la confusion est faite entre un comportement entrepreneurial l’entrepreneuriat stricto sensu. L’entrepreneur est, par nature, quelqu’un qui s’adapte au contexte ou qui le crée pour développer de nouvelles opportunités d’affaires. Filion (1997) nous en propose une définition descriptive : « Un entrepreneur est une personne imaginative, caractérisée par une capacité à se fixer et à atteindre des buts. Cette personne maintient un niveau élevé de sensibilité en vue de déceler des occasions d’affaires […]. » Lorsque la donne environnementale change, il s’adapte aux nouvelles variables de son environnement (marché, normes, contraintes ou levées de contraintes…). Ainsi, quand bien même un entrepreneur se serait essentiellement intéressé à un marché local au tout début du processus, la perception qu’il a de ses affaires peut changer d’une part parce que l’existence de l’organisation peut révéler de nouvelles opportunités et d’autre part parce que l’interaction qu’il a avec son environnement une fois les affaires engagées lui permet de sentir les mouvances du marché. Le phénomène peut alors devenir international, évidemment à des degrés différents de couverture géographique, mais il apparaît pertinent de considérer que la mondialisation de marchés devrait avoir une incidence sur la fréquence, pour les jeunes entreprises, d’une ouverture à l’international plus précoce qu’auparavant. Comme le clame Wright (1999), l’entrepreneuriat international devient nouveau champ de recherche. 1.3. L’entrepreneuriat international comme champ de recherche

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La littérature traitant de l’entrepreneuriat international est relativement floue concernant sa délimitation et certains auteurs semblent même faire preuve d’opportunisme plutôt que de rigueur scientifique. Cet effort de délimitation est pourtant nécessaire pour que nous puissions davantage cerner notre objet de recherche. Un certain nombre de chercheurs se sont intéressés au rôle croissant de jeunes entreprises dans un environnement international. Ils soutiennent que celles-ci deviennent des acteurs décisifs de cette économie globale, dès les premières années de leur création. En 1989, McDougall décrit l’entrepreneuriat international comme le développement de nouvelles entreprises (international new ventures) qui d’emblée, s’engagent dans des affaires internationales et dont la vision opérationnelle est, dès les phases initiales, orientée vers l’international. En 1994, Oviatt et McDougall suggèrent que des entreprises naissent « globales » et diffèrent d’entreprises devenues internationales, au gré du temps et de l’acquisition de nouvelles compétences. Ils soutiennent que le contexte singulier de ces organisations « nées globales » est un facteur suffisamment déterminant pour qu’un champ théorique leur soit spécifiquement dédié. Nous verrons que ces auteurs reviennent sur ces propos dans de plus récents travaux, pour élargir la notion d’entrepreneuriat international (initialement réservé à ces entreprises « born global ») à toute entreprise faisant montre de certains critères habituellement associés aux organisations en phase de création. Zahra (1993) propose une autre acception : l’entrepreneuriat international est l’étude de la nature et des conséquences de la prise de risque par des firmes qui se lancent sur des marchés internationaux. Cette définition est plus large mais s’avère relativement vague, alors que le champ appelle une délimitation non pas stricte, mais au moins suffisamment rigoureuse. Peu ou prou des textes consultés dans la littérature anglo-saxonne, à propos de l’entrepreneuriat international, ne proposent clairement et préalablement, une définition de chacun des deux termes pris individuellement. Deux champs de recherche sont régulièrement convoqués pour délimiter l’entrepreneuriat international : le management international et l’entrepreneuriat (Dana, Etemad, Wright, 1999). Zahra et George (2002) détaillent encore davantage les domaines dont elle est issue. Outre le management international et l’entrepreneuriat, le management stratégique et la stratégie internationale participent de l’étude de ce champ de recherche. Ce qui apparaît dans Verstraete (2002), où l’entrepreneuriat international est présenté comme un des thèmes à la jonction du management stratégique et de l’entrepreneuriat, donc comme une dimension clé 7

dans la stratégie entrepreneuriale. Il convient néanmoins, avant de revenir sur ces différentes contributions théoriques, de définir et de circonscrire un peu plus le terme d’entrepreneuriat international. Pour illustrer, certes de façon générique mais ce n’est qu’un premier temps, ce que pourrait être un modèle de l’entrepreneuriat global, nous avons choisi l’adaptation de Torrès (2000) du modèle de Verstraete (1997). Partant de la constatation que l’avantage de cette modélisation réside dans son aspect dynamique et amendable. Figure 1 : Modélisation de l’entrepreneuriat global (adapté de T. Verstraete, 1999)

Cette précision nous permet de prendre quelques distances avec l’acception de Zahra, Jennings et Kuratko (1999) qui se contentent de définir l’entrepreneuriat comme un phénomène organisationnel proactif, innovant et de prise de risque. Nous émettons également certaines réserves vis à vis de la tendance à ne pas dissocier les notions d’entrepreneuriat et de management des PME (Dana, Etemad & Wright, 1999). Enfin, nous ne sommes pas tout à fait convaincus de l’approche plus récente de Mc Dougall et Oviatt (2000). Ces derniers appellent 8

à une définition plus large de l’entrepreneuriat international, incluant l’analyse d’activités de type entrepreneurial au sein d’entreprises établies. Ils suivent ainsi les recommandations de Giamartino, McDougall et Bird (1993) qui défendaient déjà l’idée d’un élargissement de cette définition. Nous sommes en droit de nous interroger sur les raisons qui ont conduit notamment McDougall à tenir des raisonnements parfois contradictoires en si peu de temps d’intervalle. Il nous semble qu’il s’agit ici d’une question d’opportunisme empirique. Si cet argument est, après tout, recevable, il eut été plus simple de l’annoncer sans équivoque. Il est vrai qu’il est plus facile d’analyser ce que les entreprises font effectivement, plutôt que d’essayer de déchiffrer les éventuelles intentions d’entrepreneurs individuels. Cette remarque nous conduit à nous poser la question suivante : Est-il utile de définir un nouveau champ de recherche tel que l’entrepreneuriat international, pour analyser des comportements de prise de risque ou d’innovation à l’international par des organisations déjà établies ? Zahra et George (2002) insistent le fait qu’inclure l’analyse d’entreprises préexistantes au sein du champ de l’entrepreneuriat international permet d’évacuer la présomption selon laquelle les organisations pérennisées ne sont pas capables d’innover ou de prendre des risques. Encore une fois, cette posture présente l’inconvénient de limiter la notion d’entrepreneuriat aux seules variables de prises de risque et d’innovation. Cette mise au point nous paraissait utile. Nous avons vu que notre acception de l’entrepreneuriat diffère quelque peu de la définition largement répandue dans la littérature anglo-saxonne. Il en est de même de la notion d’entrepreneuriat international. Comme le soulignent d’ailleurs Zahra et George (2002), le développement du champ de l’entrepreneuriat international repose essentiellement sur des travaux américains. Ainsi, Mc Dougall et Oviatt (1997) dressent un inventaire détaillé de la littérature anglo-saxonne et proposent un certain nombre de pistes de futures recherches dans ce champ. Les études concernant d’autres régions (Autio et al., 2000 ; Holmlund and Kock, 1998) ne permettent pas d’établir une corrélation objective entre ces différents travaux. Pourtant, certains chercheurs n’hésitent plus à remettre en cause le modèle d’entrepreneuriat américain, qui règne tant sur le monde académique (la très grande majorité des revues étant anglo-saxonne) que sur le monde économique (Kamdem, 2001, Valéau, 2001, Torrès, 2001). 9

Ces auteurs, notamment, relèvent l’existence d’autres formes d’entrepreneuriat, moins ancrées dans une idéologie individualiste et avide de profit, mettant en avant des valeurs davantage sociales. A travers une revue de littérature très détaillée, Etrillard (2004), démontre la distance entre le courant de l’international entrepreneurship anglo-saxon et la vision des chercheurs français s’intéressant aux itinéraires d’entrepreneurs à l’international. L’auteur propose de considérer « l’activité internationale » comme une des modalités de décision stratégique de l’entrepreneur. Ses conclusions corroborent l’analyse de Verstraete et Fillion (2001), même si ces auteurs remarquent que la notion de strategic entrepreneurship semble se substituer à celle de corporate entrepreneurship, dans les revues anglo-saxonnes. Après la description de notre cadre de recherche, la prochaine partie s’intéresse plus particulièrement à la théorie des processus d’internationalisation dans ce contexte. Puis, nous verrons que ces théories d’internationalisation ne répondent pas forcément au contexte de l’entrepreneuriat international.

2. Le

processus

d’internationalisation

dans

le

contexte

de

l’entrepreneuriat Au cours de ces dernières années, et probablement en écho au contexte de mondialisation dans lequel nous sommes entrés, il apparaît qu’un grand nombre d’articles scientifiques ont eu trait aux différentes théories d’internationalisation. La plus représentative d’entre elles, dite théorie d’internationalisation processuelle, a été remise en cause à maintes reprises, en particulier au regard du contexte entrepreneurial. 2.1. La théorie processuelle d’internationalisation Appelée aussi théorie d’Uppsala, du nom de l’Université dont sont issus ses principaux chercheurs (Johanson & Vahlne, 1977, 1990), cette vision souligne le caractère incrémental des processus de changement que subissent les entreprises. Une fois engagé, le processus avance lentement et par étapes successives. De cette vision, les auteurs en ont déduit un certain nombre de recommandations. Ils préconisent notamment que l’initialisation d’une

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expansion internationale ne doit pas intervenir trop tôt dans le développement de l’entreprise. (Eriksson, Johansson, Majkgråd & Sharma, 1997). Les modèles dit processuels s’inscrivent clairement dans la lignée de la théorie de Penrose (1959). Ils utilisent son cadre théorique (accumulation de ressources / développement commercial) comme base de travail à partir de laquelle ils analysent la croissance internationale (Johanson & Vahlne, 1977, 1990 ; Eriksson et al., 1997). Ces modèles décrivent le processus d’internationalisation comme un processus d’apprentissage. Les opportunités d’affaires disponibles sont fonctions des ressources de l’entreprise et de sa capacité à les exploiter. Et puisque la plupart des ressources sont cumulatives (à l’instar de la connaissance par l’expérience), l’internationalisation est essentiellement présentée comme un processus incrémental. Ce cycle incrémental est régulé par deux facteurs principaux qui interagissent entre eux. Lorsqu’une ressource est engagée sur un marché international, cela déclenche un processus d’apprentissage par le truchement de la confrontation de l’entreprise aux conditions du marché étranger. Ainsi, ce processus d’apprentissage résulte de l’accumulation de connaissances sur l’organisation des marchés étrangers (Johanson & Vahlne, 1990). Au fur et à mesure que cette expérience croît par accumulation des connaissances, l’entreprise peut augmenter la taille et la vitesse de son engagement international. Lequel intensifie le phénomène d’apprentissage de l’organisation des marchés étrangers, perpétuant ainsi la boucle entre ces deux facteurs. Cependant, l’apprentissage par l’expérience est un phénomène relativement lent. Il faut un certain temps avant que cette boucle rétroactive accélère véritablement le processus. Ce modèle s’inspire profondément de la théorie béhavioriste de Cyert & March (1963). La notion de perception du management de la firme quant aux décisions de développement international est donc un élément clé de la théorie processuelle d’internationalisation. Eriksson et al. (1997) suggèrent que plusieurs petites méprises commises au cours d’un développement international graduel permettent au management d’avoir une perception plus réaliste, donc une action plus efficace, qu’une seule grave erreur perpétrée dans le cadre d’une approche précipitée qui brûlerait les étapes préconisées. Ces auteurs insistent toutefois sur la nécessité de valider empiriquement ces propositions. Mais ils soulignent que les structures et les routines adoptées pour soutenir la croissance internationale doivent être adaptées graduellement pour permettre un apprentissage des besoins des marchés étrangers, mais aussi des capacités potentielles de l’entreprise. 11

Si cette théorie se concentre sur l’explication du processus d’internationalisation, elle ne décrit pas vraiment comment ce processus est effectivement initié. On apprend juste que celui-ci n’intervient que lorsque la firme réagit à des demandes d’exportation non sollicitées. Cette vision reflète un mode de fonctionnement relativement passif, axé sur le principe de réactivité (Johanson & Vahlne, 1990). Ce qui contraste singulièrement avec le contexte entrepreneurial, délibérément proactif. Ceci explique probablement pourquoi un certain nombre d’auteurs du champ de l’entrepreneuriat remettent en cause cette théorie (McDougall, Shane & Oviatt, 1994 ; McDougall & Oviatt, 1997). Parmi les questions soulevées, on trouve notamment les interrogations suivantes : - Le processus d’internationalisation de la firme doit-il impérativement débuter tardivement et se dérouler de façon « incrémentale » comme le suggère cette théorie ? - Un démarrage rapide (voire immédiat dans le cas des « born global » firms) est-il une stratégie sinon recommandable, tout au moins possible et dans quelles conditions ? - Et dans l’affirmative, quelles sont les ressources initiales qui influencent les éventuels modèles d’internationalisation des firmes entrepreneuriales, contredisant ainsi la théorie processuelle d’internationalisation ? C’est dans cette perspective que certains auteurs définissent un nouveau champ de recherche : L’entrepreneuriat international. 2.2. L’entrepreneuriat

international,

vers

un

nouveau

modèle

d’internationalisation ? Il existe désormais un certain nombre d’entreprises qui se lancent à l’international dès leur création, particulièrement dans le secteur de la haute technologie. Cette réalité contredit les conclusions de la théorie processuelle d’internationalisation. Nous verrons que, dans le détail, divers facteurs contingents doivent être pris en considération et qu’il serait un peu hâtif de rejeter cette théorie à la seule lumière de contres exemples, même significatifs. Oviatt et McDougall figurent parmi les auteurs les plus prolifiques du champ de l’entrepreneuriat international. Leurs travaux se penchent sur l’entrepreneur et son rôle de décideur central de sa propre structure. Ce que Verstraete (1999) décrit comme une relation de symbiose entre l’entrepreneur et son organisation. Nous l’avons vu, Oviatt et McDougall (1997) soutiennent que les théories d’internationalisation existantes ne suffisent pas à 12

expliquer le phénomène d’internationalisation entrepreneuriale. Plusieurs constatations militent, en effet, en faveur d’un développement international de plus en plus rapide. Il s’agit de l’accélération des moyens de transport et de la diffusion de l’information, de la suppression graduelle des barrières protectionnistes qui conduisent à une certaine homogénéisation des marchés, du développement et du transfert des technologies, mais aussi de l’accélération du phénomène de mobilité internationale du capital humain et financier. La notion de mondialisation y prend un sens particulièrement prégnant en offrant aux jeunes et petites entreprises une plus grande accessibilité aux marchés internationaux, autrefois « réservée à la grande entreprise ayant atteint une hypothétique taille adéquate, réalisé une baisse substantielle de ses coûts et acquis une bonne maîtrise des technologies. […] » (Verstraete & Filion, 2001). Dans certains secteurs d’activité, l’idée d’entreprendre rapidement, voire dés l’origine, à l’international devient une solution de plus en plus séduisante et concevable (Oviatt & McDougall, 1997). Plus le niveau d’expertise et du savoir est élevé, plus le choix de l’international paraît judicieux. Les entreprises dont l’activité correspond à ces critères de niveaux de connaissance (knowledge-intensive firms) profitent des avantages d’une position internationale en combinant des ressources intellectuelles, par essence très mobiles à d’autres ressources, moins mobiles, mais économiquement avantageuses, pour saisir des opportunités sur des marchés étrangers. Pourtant, il existe des similitudes entre la théorie d’Uppsala et les concepts développés en entrepreneuriat international. L’internationalisation précoce s’accompagne également d’un processus d’apprentissage. Ce qui permet une accumulation (elle aussi précoce) de connaissances reposant sur l’expérience, et subséquemment la mise en place de structures et de routines au sein de la firme, lesquelles à leur tour soutiennent la croissance internationale. On retrouve ici la même boucle rétroactive décrite par Johanson et Vahlne (1977). La principale différence concerne le développement ultérieur de la firme et les conséquences induites par le choix d’une internationalisation plus ou moins rapide sur ce développement (Autio, Sapienza & Almeida, 2000). McDougall & al. (1994) prétendent que les PME qui démarrent leur processus d’internationalisation tardivement prennent le risque qu’un changement de direction de la firme soit très consommateur de temps, en raison du phénomène d’inertie structurelle.

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A la lumière de cette réflexion, ils préconisent qu’en amont de son projet d’internationalisation, l’entrepreneur se pose la question suivante : « D’un point de vue stratégique, est-il plus opportun de créer une entreprise sur le marché intérieur avec le projet d’une internationalisation ultérieure ou de créer une entreprise internationale, dès son origine ? ». D’un point de vue plus fondamental, les deux courants de recherche admettent que le développement de la firme est dépendant de l’apprentissage, par le biais de l’accumulation d’expériences. Enfin, il ne faut peut être pas perdre de vue le fait que la théorie processuelle d’internationalisation s’est développée dans un environnement international beaucoup plus régulé qu’il ne l’est aujourd’hui. Les opérations internationales étaient plus limitées et les compétences en management international, plus rares. D’autre part, les travaux empiriques menés par Oviatt et McDougall (1997) s’intéressent à des entreprises à haut niveau d’expertise (knowledge-intensive firms), au management probablement plus sophistiqué. Alors que Johanson & Vahlne (1977) ont développé leur modèle à partir de PME suédoise manufacturières. Le champ de recherche de l’entrepreneuriat international et l’élaboration d’un modèle d’internationalisation adhoc est donc intimement lié au contexte de mondialisation récent. Mais quelles sont les variables qui permettent aux structures entrepreneuriales de justifier une internationalisation rapide ? A partir d’un travail empirique réalisé auprès d’entrepreneurs français s’inscrivant d’emblée dans une démarche internationale, nous avons essayé de relever les spécificités liées à la particularité de ce contexte. Dans une approche de type constructiviste et dans un premier temps, nous avons cherché à comprendre, à partir d’entretiens avec ces entrepreneurs, ce qui les avait conduit à adopter cette posture d’emblée internationale, et dans un second temps, de souligner un certain nombre de spécificités liées au processus « d’internationalisation entrepreneuriale » dans lequel ces entrepreneurs étaient engagés. L’objectif de ce travail exploratoire est d’essayer de déterminer les causes et les conséquences d’un processus d’internationalisation entrepris par une organisation entrepreneuriale. Plus précisément, nous verrons quelles sont les conditions déterminantes pour entreprendre sur un marché d’emblée international et surmonter les écueils de cette démarche. Dans un premier temps, nous évoquerons les contraintes spécifiques de ce processus. Puis nous explorerons les différentes variables qui permettent de surmonter ces obstacles. 14

3. Contraintes

et

solutions

du

processus

d’internationalisation

entrepreneuriale. Quelques pistes de réflexions empiriques. Les jeunes organisations ont peu d’expérience opérationnelle. En entreprenant ou élargissant leurs activités à l’étranger, elles doivent également faire face à des contraintes liées à ces environnements moins familiers, donc plus incertains. On le voit, les jeunes firmes entrepreneuriales qui s’internationalisent sont confrontées à la conjonction de deux facteurs contraignants que sont l’inexpérience de toute nouvelle activité associé au manque de maîtrise d’un milieu étranger. Ces deux variables avec lesquelles l’entrepreneur doit composer constituent des sources de vulnérabilité pour la jeune entreprise. 3.1. La double contrainte de l’entrepreneuriat international Contrairement à d’autres études concernant des entreprises récentes, ayant déjà par le passé traversé avec succès des situations difficiles, nous nous sommes intéressés exclusivement à des entreprises en phase de création ou dans les premiers stades de leur existence. A l’opposé des PME et des Multinationales qui bénéficient déjà d’une longue expérience de gestion et d’actions, que l’on pourrait appeler historique opérationnel, les firmes entrepreneuriales sont confrontées à des contraintes internes et externes liées au phénomène de nouveauté. Ce que les auteurs anglo-saxons désignent sous le terme de « liability of newness » (Rhee, 2002). En interne, le ou les membres d’une firme entrepreneuriale doivent remplir un rôle encore largement inconnu. L’apprentissage organisationnel n’existe pas comme dans les entreprises déjà établies. Autrement dit, puisque dans la plupart des cas, on se trouve face à une structure créée ex-nihilo, il n’est pas possible de profiter de l’acquis antérieur de membres expérimentés. Pour palier à cet inconvénient l’entrepreneur peut investir dans la formation. Mais cette solution a un coût et engendre surtout une certaine inefficacité temporaire. En externe, un des problèmes spécifiques à la jeune entreprise concerne les relations sociales mises en oeuvre. Ces relations s’établissent sur la notion de confiance, laquelle demande en général du temps pour s’établir. De ce fait, les firmes entrepreneuriales sont contraintes à établir des contacts avec des étrangers (terme entendu dans le sens d’inconnus). Alors que les entreprises établies entretiennent des liens tissés de longue date avec les personnes qu’elles servent ou avec lesquelles elles échangent.

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Bien évidemment, le stade de développement de l’entreprise est un facteur important à cet égard. Terpstra & Olson (1993) distinguent différents niveaux de problèmes liés au concept de nouveauté, selon le stade de croissance de la jeune entreprise. Dans le contexte plus particulier des nouvelles entreprises technologiques, Kazanjian (1988) montre que les 3 problèmes majeurs relevés dans la phase de croissance sont différents qualitativement et quantitativement de ceux rencontrés dans les stades qu’il qualifie de conception et de commercialisation. Ces 3 problèmes majeurs concernent les activités de vente et de marketing, les systèmes organisationnels et les relations humaines (les individus). Ces différences sont corroborées dans l’étude menée par Terpstra & Olson (1993), sur des entreprises à croissance rapide, selon qu’elles se trouvaient à un stade de démarrage (start-up) ou de croissance (growth). Le deuxième facteur de contrainte est relatif à l’engagement de la firme sur des marchés internationaux. Ce que la littérature anglo-saxonne désigne par le terme (sans équivalent en langue française) de « foreignness » (Johanson & Vahlne, 1977 ; Zaheer, 1995) lorsqu’une entreprise décide d’étendre ses opérations au-delà de son marché national. Plusieurs variables interviennent autour de ce concept : Il s’agit des différences culturelles, légales, institutionnelles et linguistiques, mais également du manque de connaissances des conditions de marché local, et enfin du coût engendré par la communication et les erreurs liées aux opérations à distance. Bien entendu, ces éléments et leur degré de contrainte varient en fonction du type de région ou de pays vers lequel s’oriente l’entreprise. Ces inconvénients sont inhérents à toute firme opérant sur des marchés internationaux, comme le montre certaines théories sur les Multinationales (Zaheer, 1995). Pour palier à ces inconvénients, ces Multinationales doivent posséder un certain nombre d’avantages concurrentiels face à leurs rivaux locaux. Encore une fois, l’impact du facteur de « foreignness » est bien plus prégnant, lorsqu’il s’agit d’organisations de petite taille, qui plus est lorsqu’il est question de firmes entrepreneuriales. Dès lors, il convient de s’interroger sur les conditions qui permettent aux structures entrepreneuriales de surmonter cette double contrainte ? En d’autres termes, quels sont les avantages concurrentiels que ces jeunes firmes peuvent mettre en avant pour leur permettre d’entreprendre une activité d’emblée internationale ou se développer rapidement sur des marchés extérieurs ?

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3.2. Les variables favorables à l’internationalisation entrepreneuriale A partir d’un travail empirique, réalisé sur 11 entreprises en cours de création, sur des marchés internationaux, nous avons identifié 3 sources d’avantages compétitifs : Le produit (quoi), la stratégie (comment) et l’équipe entrepreneuriale (qui). Après une rapide justification de la méthode choisie, nous présentons une synthèse des résultats obtenus sur le terrain. 3.2.1 Méthodologie et collecte de données En sciences de gestion, comme en toute science sociale, chaque recherche s’appuie sur des fondements épistémologiques et des méthodes de collecte de données, lesquelles dépendent partiellement des conditions de production et de réception des discours scientifiques (Pailot, 2003). Le premier principe du choix de la méthode est que celle-ci soit adaptée à la problématique de recherche. Nous n’entrerons pas dans le débat scientifique sur la subjectivité relative des méthodes qualitatives ou quantitatives. Remarquons simplement que ce critère de subjectivité est inhérent à la recherche en sciences sociales. Si la collecte de données par entretiens ne peut être exempte de biais subjectifs, dont il faut être conscient pour les relativiser, le choix des échantillons dans l’élaboration d’un protocole de type quantitatif, est également sujet à une certaine subjectivité. Notre objectif de recherche est de comprendre un processus entrepreneurial spécifique. Or, comme le souligne Eisenhardt (1989), les méthodes qualitatives permettent justement de comprendre un phénomène, un objet, une situation. Par ailleurs, notre objet de recherche est de par sa nature inadapté à un traitement méthodologique quantitatif. Les entreprises qui créent leur activité sur un marché d’emblée international ne sont pas nombreuses et difficilement identifiables, puisqu’elles n’ont pas encore de bilan, ne sont pas répertoriées institutionnellement, voire n’ont pas encore déposé leur statut. Il ne s’agit pas ici de justifier notre méthode de recherche par défaut. Mais de montrer que le choix n’a pas lieu d’être puisqu’il est matériellement impossible d’envisager une méthodologie quantitative, en l’occurrence. Nous aurons donc recours à l’étude de cas, que l’on peut présenter comme l’archétype des méthodes qualitatives. Selon Yin (1988), il s’agit d’une stratégie de recherche destinée à observer un phénomène donné dans un certain environnement. Eisenhardt (1989) ajoute que cette méthode est particulièrement adaptée à l’étude de la dynamique d’un phénomène. Or, 17

notre objet de recherche s’intéresse au processus conjoint d’internationalisation et d’entrepreneuriat. Nous avons vu que le processus impliquait la notion de temps. Le caractère dynamique est bien une variable associée à la notion de processus. Plus précisément, l’étude de cas permet une analyse d’un phénomène contemporain (par opposition à une reconstitution historique, par exemple) dans un contexte réel (Yin, 1988). Encore une fois, notre objet de recherche s’intègre parfaitement à cette proposition. Nous étudions des entreprises en cours de création dans un contexte de marché international. Les critères de contemporanéité et de réalité y sont très présents. 

L’accès au terrain via l’entretien non directif : L’entretien permet l’étude des faits dont la parole est le vecteur principal. A la fois irremplaçable pour accéder à certaines connaissances dont l’intérêt est manifeste pour la recherche, l’entretien est, paradoxalement, souvent remis en cause d’un point de vue scientifique. Pourtant, il permet d’éviter certains biais liés à l’anonymat des questionnaires, de vérifier l’authenticité du discours et du locuteur ès qualités, de contrôler son intérêt pour le sujet et de le mettre dans une situation de concentration mentale plus propice à l’expression de ses schèmes de pensée. L’entretien permet au locuteur d’apporter sa propre vision de la compréhension du sujet. Parmi les différentes formes d’entretien, l’approche non directive facilite l’expression du locuteur en favorisant sa propre prise en charge du problème. L’objectif est d’obtenir un matériel discursif fiable (représentatif de la pensée du locuteur) et valide (conforme aux objectifs de la recherche). L’entretien non directif de recherche est défini par Blanchet et Gotman (1992) comme l’ensemble des conduites d’un interviewer qui vise la production par un interviewé d’un discours continu et structuré sur un problème donné. A contrario, l’entretien focalisé, ou semi-directif, correspond davantage à une démarche hypothético-déductive, où la grille d’entretien détermine par avance les questions et les thème à aborder. Dans un entretien non directif, le rôle du chercheur se borne à aider le locuteur à s’exprimer. Il intervient au début de la rencontre pour présenter sa démarche, introduire son sujet et poser la ou les questions principales, circonstanciées. Il n’intervient ensuite que pour recentrer, reformuler et accepter le discours de l’acteur.

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L’entretien non directif est bien adapté à notre sujet, dans la mesure où, à priori, l’objet de la recherche et l’implication personnelle du locuteur ne constituent pas des facteurs particuliers d’inhibition ou de réserves. 

L’Analyse de contenu des matériaux récoltés : L’analyse de contenu recherche les informations qui se trouvent dans un texte ou un discours afin de dégager des sens exploitables dans le cadre de la recherche menée. Elle consiste à réduire les informations pour les catégoriser et les mettre en relation avant d’aboutir à une description, une explication ou une configuration. Wacheux (1996). D’un point de vue technique, il s’agit, de retranscrire un ou plusieurs discours, de définir les catégories de classement ou unités de significations émergeant du discours, de réduire les données en des catégories analytiques pertinentes par rapport à l’objet de recherche et d’en dresser une vision synoptique, sujette à une pratique interprétative inéluctable. Dans l’absolu, l’analyse de contenu est une méthode formalisée, standardisée et objective d’analyse de discours. Alors qu’à l’origine, l’analyse de contenu est née d’une volonté de quantification, il est désormais admis de mener une analyse plus qualitative, dont l’objectif est d’apprécier l’importance des thèmes dans le discours plutôt que de la mesurer, in Thiétart (1999). Cette acception convient particulièrement à l’objet de notre étude. Il existe deux grands types d’analyses de contenu en fonction des unités d’analyse retenues : les analyses lexicales (s’intéresse à la nature des mots) et les analyses thématiques (la phrase est l’unité d’analyse). D’après L Bardin (1993, cité par Thiétart, 1999). Nous adopterons cette deuxième option. L’unité de codage des catégories choisie se présente sous la forme de thèmes en concordance avec notre unité d’analyse retenue.

3.2.2 Résultats 

Première variable : Le produit.

Etant donné qu’une des particularités de la contrainte liée au concept de nouveauté réside dans l’absence de connaissance du produit que l’entreprise souhaite proposer, l’avantage concurrentiel attaché à cette variable dépend de la capacité de la nouvelle organisation à gérer 19

sa relation avec le client potentiel. En effet, le consommateur est souvent réticent à passer à un autre produit ou une autre marque. Cette méfiance est encore plus exacerbée lorsqu’elle émane d’une nouvelle entreprise (Porter, 1982). Lorsqu’il est lancé, le nouveau produit doit vaincre la résistance liée aux habitudes d’achat. L’entreprise doit prendre des mesures capables de stimuler la prise de conscience, l’intérêt, l’essai et l’achat. Une des solutions pour parvenir à surmonter cet obstacle de la « loyauté » du client à un bien ou une marque réside dans la création d’un produit unique. Ainsi, plus le produit ou le service est unique, moins la loyauté du client pèse sur celui-ci. Ce caractère d’unicité aide les nouvelles entreprises à éviter une concurrence directe avec des PME ou de plus grandes structures, sur un marché dont elles n’ont pas l’expérience et l’avantage de la reconnaissance immédiate du client potentiel. Le caractère unique du produit est très souvent lié à la nature du marché envisagé par l’entrepreneur. La plupart du temps, un produit unique est associé à un marché de niche. Si cette remarque semble pertinente dans le cadre de notre étude, il serait pour le moins un peu hâtif d’établir une relation de causalité entre ces 2 éléments, de façon généralisée. Etablir une corrélation entre l’unicité d’un produit et la notion de niche marketing ne fait pas partie de nos intentions de recherches. Cependant, nous avons pu relever des expressions telles que : « En terme de produit et de marketing, notre société est clairement sur un marché de niche ». Locuteur 2. L’association entre ces deux éléments revient fréquemment. Ce constat s’inscrit dans la logique développée par certains auteurs selon laquelle un produit unique ou un produit potentiellement adapté à un marché de niche est un facteur important pour la croissance et la performance des nouvelles entreprises (Gartner, Starr & Bhat, 1998 ; Mosakovski, 1993). Un avantage compétitif peut également provenir de la capacité de l’entreprise à développer plusieurs produits simultanément. Hitt, Hoskinsson et Kim (1997) démontrent que les firmes diversifiées, en termes de nombre de produits proposés, qui choisissent une stratégie internationale, réalisent des économies grâce à l’étendue de leur activité et améliorent ainsi leurs performances. Cette réflexion ne fait pas de distinction entre les différentes tailles et niveaux de développement des structures étudiées. En revanche, au fur et à mesure de leur diversification, celles-ci doivent souvent faire face à un accroissement de la gestion des informations. Ce qui ne constitue pas un atout pour les jeunes entreprises pour lesquelles la gestion du temps constitue une contrainte majeure. Si la plupart des entreprises de notre échantillon envisagent bien un développement de la gamme des produits ou des services qu’elles proposent, celui-ci interviendra dans une 2ème 20

phase de croissance, lorsque le projet initial sera consolidé. « Nous envisageons de développer notre produit vers d’autres secteurs d’activité, pour lesquels certaines applications [du produit] seraient intéressantes » Locuteur 4. Il est à noter, à ce propos, que pour certains entrepreneurs, le développement ultérieur du produit pourrait concerner le marché intérieur. Autrement dit, l’entreprise imagine un démarrage de son activité sur un marché international. Et dans un second temps seulement, elle compte profiter des résultats réalisés à l’étranger pour développer la gamme ou une autre application du produit sur le marché national. En ce sens, la diversification est un facteur de croissance pour l’entreprise, même si celle-ci se décline de manière un peu inattendue. Ce résultat constitue un des éléments qui nous permettent de remettre en cause la théorie d’internationalisation dite processuelle. 

Deuxième variable : La stratégie

Certains entrepreneurs font parfois preuve d’une trop grande confiance dans le succès de leur entreprise. Ils éprouvent ce que certains appellent « l’euphorie entrepreneuriale » qui peut les conduire à considérer certaines options stratégiques comme viables, sans y avoir consacré un temps de réflexion et d’élaboration suffisant (Cooper, Woo & Dunkelberg, 1988). Le choix de l’international figure probablement parmi les options qui exigent l’élaboration d’une stratégie des plus fines et complexes. Contrairement aux PME et aux multinationales, les firmes entrepreneuriales qui pénètrent les marchés internationaux rapidement, voire d’emblée, ne possèdent pas d’historique opérationnel, ni à l’international, ni sur son propre territoire. Ces jeunes structures sont donc confrontées à un problème de temps pour mettre en place un grand nombre d’opérations sans aucune antériorité pratique. Les entrepreneurs évoquent également d’autres problèmes liés à un manque de ressources telles que la préparation et l’expérience. Si la préparation et l’apprentissage participent de la réduction des risques liés au développement international des PME ou des multinationales (Chen & Martin, 2001 ; Mitchell, Shaver &Yeung, 1992), ces conditions semblent être encore plus cruciales pour des firmes entrepreneuriales, pour lesquelles au caractère incertain de l’étranger s’ajoute celui de la nouveauté. La formulation et la mise en oeuvre d’une stratégie sont donc essentielles pour acquérir et maintenir un ou plusieurs avantages concurrentiels. La survie, comme la croissance des firmes passent par cette étape.

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Il existe dans la littérature un grand nombre de travaux, validés empiriquement, qui présentent les effets de la stratégie sur les avantages concurrentiels des entreprises. Cependant, on trouve encore peu de recherches en stratégie dans un contexte entrepreneurial (Gartner, Starr & Bhat, 1998 ; Robinson, 1998 ; Sandberg & Hofer, 1987). A l’instar de leurs aînées, bien établies, les firmes entrepreneuriales peuvent envisager différentes stratégies. En revanche, la faisabilité et l’efficacité des choix stratégiques effectués n’auront pas les mêmes conséquences. Si nous prenons l’exemple d’une stratégie de réduction des coûts telle que l’économie d’échelle, cela induit que la firme soit capable de produire un volume suffisamment important pour prétendre profiter de ce choix stratégique. Cela suppose une infrastructure conséquente, un certain nombre de ressources disponibles et une demande déjà bien exprimée. Ces conditions sont évidemment rarement réunies dans le cas d’une nouvelle création d’entreprise. Si, de surcroît, l’entreprise souhaite développer dans le même temps ses activités à l’international, il faut également qu’elle prenne en compte un certain nombre de coûts additionnels tels que les frais douaniers ou de transport. Le choix d’une telle stratégie pour une nouvelle entreprise ne favorise donc pas son engagement à l’exportation, ni ses chances d’accroître ses performances en se développant à l’international. Il semblerait donc plus pertinent pour une firme entrepreneuriale de mettre en place des stratégies qui procurent d’autres formes d’avantages concurrentiels. Nous pensons en particulier aux facteurs d’innovation et aux nouvelles technologies. En effet, ces éléments peuvent constituer un avantage concurrentiel capable de surmonter les barrières établies par les entreprises déjà présentes avec une longue expérience opérationnelle. Ces stratégies basées sur une avance technologique appartiennent à ce que Porter (1982) classe sous le terme d’avantage concurrentiel lié à la différenciation du produit. Comme nous l’avons déjà évoqué, une offre spécifique est un avantage concurrentiel dans la mesure où celle-ci entraîne une fidélisation des clients, liée à cette différenciation (du produit, du service ou de l’image de marque, par exemple). Sur un continuum virtuel entre une stratégie orientée sur les coûts et une stratégie orientée sur un service ou un produit innovant, la plupart des résultats de notre recherche se positionnent vers ce deuxième pôle stratégique d’essence innovante. Notre échantillon d’entrepreneurs étant essentiellement issus des secteurs de la recherche technologique, ce résultat n’est pas surprenant. Quant à la position stratégique choisie par les entreprises observées dans le secteur des services, celle-ci reste guidée par la notion de nouveauté ou d’offre de type 22

précurseur (souvent en réponse à une demande spécifique ou une opportunité d’affaire décelée par l’entrepreneur). Les variables stratégiques sont intimement liées à la nature du produit. Le caractère unique de celui-ci est un des éléments déterminants dans l’élaboration de la stratégie de l’entreprise. Certains auteurs parlent de compétences stratégiques et opérationnelles. La première désigne la capacité du ou des dirigeants à initier et construire le processus d’internationalisation, en tant que composante stratégique de l’entreprise. La seconde servant de support à la mise en oeuvre de cette stratégie (Pantin, 2005). Ces compétences, attribuées à l’équipe dirigeante d’une PME, sont encore plus déterminantes dans le cadre d’une structure entrepreneuriale dans la mesure où l’entrepreneur est souvent seul. Cette notion de compétence stratégique nous conduit à envisager de manière plus générale les variables liées aux ressources humaines. 

Troisième variable : L’équipe entrepreneuriale

Selon l’approche dite «resource-based view », les ressources de la firme considérées comme rares, d’une certaine valeur, non substituables et difficilement imitables, constituent les bases d’un avantage concurrentiel durable. Les chercheurs en Management stratégique ont appliqué cette logique pour expliquer comment les organisations pouvaient obtenir et maintenir un avantage concurrentiel (Barney, 1991 ; Wernerfelt, 1984). Certains auteurs soulignent notamment que les ressources humaines en général et plus particulièrement les équipes de direction constituent un des déterminants majeurs influençant les comportements et les résultats des organisations (Hambrick & Mason, 1984). Dans le cadre d’une firme entrepreneuriale, plusieurs raisons militent pour un impact encore plus prononcé de l’équipe dirigeante. En premier lieu, les membres de cette équipe bénéficient par leur statut (ils sont souvent dirigeants et propriétaires) d’une plus grande légitimité dans leurs prises de décisions. D’autre part, ils ont en général beaucoup moins recours à des conseils extérieurs et se réservent ainsi la plupart des initiatives managériales et conséquemment les responsabilités qui en découlent. Une des plus importantes sources d’avantages concurrentiels au niveau de l’équipe entrepreneuriale réside dans l’expérience acquise par ses membres (McDougall, Shane & Oviatt, 1994). Les chercheurs en Management international, en particulier les travaux sur la théorie d’internationalisation de la firme (Johanson & Vahlne, 1977) définissent l’expérience au niveau de la firme comme la caractéristique la plus importante pour permettre un développement international. En outre, l’expérience est assimilée à une forme de 23

connaissance tacite et une ressource intangible, difficile à apprendre (Eriksson, Johanson & Majkgard, 1997 ; Kogut & Zander, 1993). Bien évidemment, ce niveau d’expérience serait très influencé par celles que les membres de l’équipe entrepreneuriale ont acquises individuellement avant de créer leur nouvelle entreprise. Si l’on suit les arguments de certains auteurs qui se sont penchés sur la théorie des réseaux ou de l’apprentissage, les firmes dont l’équipe entrepreneuriale possède une expérience technique ou commerciale antérieure présentent moins de risques d’entreprendre ou de s’impliquer dans un développement international (Barkema et al., 1996 ; Birley, 1985 ; Coviello & Munro, 1995 ; Dubini & Aldrich, 1991). Shrader, Oviatt & McDougall (2000) ajoutent que plus ces niveaux d’expérience (technique et commerciale) sont élevés plus ils constituent un atout majeur pour dépasser les contraintes liées au facteur de « foreignness » et conséquemment assurer à l’entreprise de meilleurs résultats à l’international. Ce raisonnement est consolidé par les arguments qui soutiennent que les ressources humaines initiales sont de nature à atténuer les inconvénients liés à la petite taille et au caractère débutant des nouvelles entreprises (Thakur, 1998). « Grâce à notre expérience technique sinon unique, tout au moins très spécialisée, nous sommes presque les seuls dans le monde à pouvoir développer ce produit, à l’heure actuelle. Si nous profitons de cet avantage avant que d’autres ne s’y intéressent, nous aurons une bonne longueur d’avance sur le marché. » Locuteur 7. Dans le cas des entreprises de notre échantillon, les variables liées aux ressources humaines de l’équipe entrepreneuriale (parfois réduite à une seule personne, l’entrepreneur lui-même) se déclinent sous deux formes principales: Les expériences techniques, liées à la nature du produit, du service et du secteur d’activité de l’équipe entrepreneuriale. Les expériences de gestion (au sens large), lesquelles peuvent être commerciales, financières, juridiques, par exemple. Autrement dit, l’équipe entrepreneuriale possède des compétences d’ordre technique et/ou de gestion acquises ou démontrées antérieurement au projet de nouvelle firme. Ces expériences constituent un avantage pour le projet d’entreprise.

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Enfin, la maîtrise d’une langue étrangère (principalement l’anglais) semble être une condition incontournable pour envisager un projet sur des marchés non francophones. Il est illusoire de penser apprendre une langue simultanément à la gestion de la multitude des tâches auxquelles doit faire face l’entrepreneur lorsqu’il s’engage dans un processus de création d’entreprise. Les lacunes linguistiques constituent un frein rédhibitoire au souhait de développement sur certains marchés étrangers. Nous verrons, d’ailleurs, que la recherche de partenaires ou de collaborateurs pour palier certaines carences constatées (et admises) par l’entrepreneur est un élément clé de leurs préoccupations, dans la vision qu’ils se font de leur organisation à court terme. « Bien sûr, j’aurais aimé lancer mon activité avec d’autres pays. Je sais que la demande existe aussi en Asie, par exemple. Mais, c’est loin. J’ai peur que mon idée soit piquée et surtout il faut parler l’anglais. […] Je regrette bien maintenant de ne pas avoir appris à me débrouiller en anglais. Ce n’était pas important pour moi, avant. J’arrive à lire les documents en anglais, avec un dictionnaire, je m’en sors. Mais parler…C’est une autre histoire. […] On verra plus tard. Si ça marche bien, j’embaucherai quelqu’un pour démarcher en Asie. » Locuteur 2. Conclusion : L’entrepreneuriat international « français », une posture de recherche et ses limites Lorsque l’on parle d’entrepreneuriat international, il est possible d’envisager des questions de plusieurs ordres. Notamment, celles qui concernent la variable internationale. Si le terme traduit une variété de situations relatives aux relations entre plusieurs pays, il peut s’agir de réalités très différentes à analyser : relations de partenariat, réseau international, relation d’affaires ou commerciale de type client / fournisseur. D’autre part, et d’un point de vue plus méthodologique, il existe diverses façons d’aborder le sujet. Une étude pourrait envisager l’entrepreneuriat international tel qu’il existe dans différentes régions du monde. Les résultats pourraient alors conduire à l’élaboration d’un inventaire typologique retraçant les différences et les analogies entre les modèles entrepreneuriaux relevés ou mis à jour. Or cette démarche, malgré un intérêt certain, présuppose d’avoir accès à des données relatives à chaque région, mais également qu’il soit possible d’établir un modèle régional représentatif. Pour des raisons relevant autant du réalisme que du pragmatisme empirique, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à l’entrepreneur français. Ainsi, nous avons tenté de 25

faire apparaître, sur un échantillon représentatif de cas, si et comment celui-ci répond aux exigences de l’entrepreneuriat international. Torrès (2001) parle d’idéal-type de l’entrepreneur corporatiste (représentatif du modèle français). Bien que l’auteur souligne lui-même les limites à vouloir restreindre le modèle entrepreneurial français à un idéal-type, inévitablement réducteur, cette réflexion constitue piste qu’il conviendra peut être d’approfondir. Quant aux limites méthodologiques liées au choix de l’objet de recherche, il est un problème que l’on rencontre de façon récurrente dans la littérature tant anglo-saxonne que francophone. Il n’est, en effet, pas clairement établi dans la plupart des études du champ de l’entrepreneuriat, à quel stade une nouvelle entreprise cesse de l’être (Ostgaard & Birley, 1996). Etant donné que notre travail s’intéresse aux entreprises « d’emblée » internationales, nous avons pu éviter l’écueil empirique de l’amalgame qui consiste à analyser indifféremment des organisations qui vont de l’entreprise en phase de création jusqu’à la petite entreprise établie depuis quelques années, mais qui ne se comporte plus comme une structure entrepreneuriale, tel que nous l’avons défini. En contre partie, ce positionnement méthodologique présente l’inconvénient majeur de considérablement réduire le nombre d’entreprises susceptibles de correspondre à notre objet de recherche. Un des objectifs de notre travail réside dans l’élaboration d’un modèle

décrivant la

singularité du processus d’entrepreneuriat international dans le contexte de l’entreprise en phase de démarrage, s’adressant à un marché global (appliqué au cas français). S’intéresser au processus présente des avantages indéniables. En effet, il apparaît clairement, qu’un modèle dit processuel, de par ses caractéristiques, permet d’effectuer des transpositions concrètes de ses variables, et donc d’envisager éventuellement son « enseignabilité » Le Moigne (1995). Desreumaux13 ajoute que la volonté de décrire, d’expliquer, de prédire, de changer ou de maîtriser forme les contributions possibles du chercheur aux connaissances sur l’organisation. Notre intention de recherche est, ici, d’expliquer. Enfin, cet objectif peut aider le créateur (ou l’individu qui envisage cette éventualité) à comprendre le processus associé à son action. D’une part, parce qu’il est plus facile d’agir après une phase de réflexion préalable. D’autre part, parce que l’entrepreneur a souvent besoin de communiquer sur ses intentions (Cossette, 2003). La clarification et l’analyse du projet précisent sa formulation et aident ainsi les différentes parties prenantes à mieux le comprendre et le soutenir. 26