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Voici un livre qui capture, avec éloquence et expertise, la complexité théorique, la richesse clinique et les fondements empiriques de l’une des approches prédominantes de la psychothérapie contemporaine. Tout en s’adressant à de nombreux types de problèmes psychologiques, il démontre quand et comment implanter une large palette de techniques pour amen er le client à identifier, approfondir et transformer son expérience émotionnelle et cognitive, afin de reconnaitre et affirmer ses besoins, résoudre des conflits intra- et interpersonnels et développer un parcours de vie harmonieux avec soi et les autres. Il appartient à la bibliothèque de tous ceux et celles qui désirent approfondir leur compréhension du processus de changement en psychothérapie et enrichir leur répertoire d’interventions thérapeutiques. Louis G. Castonguay, PhD Professeur de psychologie clinique, Penn State University, Etats-Unis
Admiration (pour le travail effectué), gratitude (envers les auteurs), plaisir (de lecture) et excitation (à l’idée d’intégrer ces idées dans mon travail de thérapeute) : voici quelques unes des émotions que j’ai éprouvées en découvrant cet ouvrage, consacré à l’une des approches psychothérapiques actuelles les plus précieuses et fructueuses. Je pense que tous les thérapeutes éprouveront eux aussi ce même genre de joies grâce à cet excellent outil de découverte et de travail ! Christophe André, MD Médecin psychiatre, hôpital Sainte-Anne, Paris, France
Un exposé clair et didactique aussi bien des bases théoriques de la psychothérapie centrée sur les émotions que des étapes du processus thérapeutique et des mécanismes de changements qui s’opèrent. Un véritable manuel, exposant comment traiter des pathologies importantes telles que les troubles de l’humeur et de la personnalité. Une référence sans équivalent en langue française qui s’adresse aussi bien aux étudiants en formation qu’aux psychothérapeutes chevronnés. Pierre Marquet, MD-PhD Professeur de psychiatrie, Université Laval, Canada
Avec cet ouvrage clair et stimulant, Ueli Kramer et Emna Ragama donnent aux émotions une place déterminante dans les processus thérapeutiques et démontrent l’intérêt majeur d’allier la recherche sur les émotions à la pratique clinique pour comprendre et développer une psychothérapie centrée sur les émotions. David Sander, PhD Professeur de psychologie de l’émotion, Université de Genève, Suisse
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Enfin une présentation complète en français de la Thérapie Centrée sur l’Emotion (TCE) de Leslie Greenberg, la plus aboutie des thérapies émotionnelles. Cet ouvrage remarquable aborde tous les points pertinents pour la TCE, des bases théoriques et empiriques aux détails complets de sa mise en œuvre dans la clinique, considérant aussi la validation scientifique de la TCE et la formation à cette approche. L’ouvrage est richement illustré par des exemples cliniques. Assurément, un ouvrage indispensable à tout psychothérapeute. Pierre Philippot, PhD Professeur de psychologie clinique, Université de Louvain, Belgique
Chez le même éditeur Dans la même collection La psychothérapie : approches comparées par la pratique, par C.-E. Rengade, M. Marie-Cardine, 2014, 248 pages. Applications en thérapie familiale systémique, par T. Albernhe, K. Albernhe, 2e édition, 2013, 248 pages. Cas cliniques en thérapies comportementales et cognitives, par J. Palazzolo, 3e édition, 2012, 288 pages. La relaxation thérapeutique chez l’enfant, par M. Bergès-Bounes, C. Bonnet, G. Ginoux, A.-M. Pecarelo, C. Sironneau-Bernardeau, 3e édition, 2008, 216 pages.
Dans la collection « Médecine et psychothérapie » : Le développement psychique précoce. De la conception au langage, par B. Golse, M .R. Moro, 2014, 360 pages. Thérapie cognitive et émotions. La 3evague, par J. Cottraux, 2e édition, 2014, 226 pages. Les thérapies familiales systémiques, par T. Albernhe, K. Albernhe, 4e édition, 2014, 336 pages. Les psychothérapies comportementales et cognitives, par J. Cottraux, 5e édition, 2011, 384 pages. Psychothérapie cognitive de la dépression, par I.M. Blackburn, J. Cottraux, 3e édition, 2008, 248 pages.
Pratiques en psychothérapie
La psychothérapie centrée sur les émotions Ueli Kramer Psychothérapeute, psychologue-associé au Département de Psychiatrie-CHUV, Université de Lausanne, Suisse ; Département de Psychologie, Université de Windsor, Canada
Emna Ragama Psychologue-psychothérapeute FSP, pratique privée à Genève, Suisse
Avec la collaboration de Normand Gingras Antonio Pascual-Leone Catalina Woldarsky Meneses Préface de Leslie S. Greenberg
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Liste des auteurs Auteurs Ueli Kramer, PhD, Dr. phil., est Privat-Docent à l’Université de Lausanne (Suisse) et Adjunct Professor à l’Université de Windsor (Canada), psychologue-psychothérapeute FSP et superviseur reconnu au niveau fédéral. Affilié à l’Institut Universitaire de Psychothérapie et au Service de Psychiatrie Générale du Département de Psychiatrie à Lausanne, il est chercheur en psychothérapie ; il s’intéresse aux processus et résultats des traitements des troubles de la personnalité. Formé à l’Université de York (Canada) à la psychothérapie centrée sur les émotions, il pratique cette approche en psychiatrie adulte. Emna Ragama, psychologue-psychothérapeute FSP reconnue au niveau fédéral, Master en psychologie clinique (Université de Genève, McGill University) et Master en biologie, neuroscience clinique (Université de Genève). Formée à différentes approches thérapeutiques (comportementale et cognitive, mindfulness) et suite à une expérience professionnelle de plus de 10 ans au département de psychiatrie adulte des Hôpitaux Universitaires de Genève, elle est installée en cabinet privé à Genève. Formée à la psychothérapie centrée sur les émotions (Université de York, Canada), ainsi qu’à l’approche de couple (International Centre for Excellence in Emotionally Focused Therapy, Canada), elle les pratique et participe aux développements de leur formation.
Collaborateurs Normand Gingras, psychologue-psychothérapeute, Ottawa Couple and Family Institute Inc., Ottawa, Canada. Antonio Pascual-Leone, psychologue-psychothérapeute, département de Psychologie, Université de Windsor, Canada Catalina Woldarsky Meneses, psychologue-psychothérapeute, pratique privée, Lausanne, Suisse.
Remerciements Nous sommes particulièrement heureux de présenter ce premier ouvrage en langue française sur la psychothérapie centrée sur les émotions. Cet ouvrage n’aurait pas vu le jour sans le soutien actif d’un grand nombre de personnes et d’institutions. Les deux auteurs tiennent à remercier Leslie Greenberg pour sa présence, sa générosité et son humour ; Dominique Servant et la direction de la collection « Pratiques en Psychothérapie » pour son précieux soutien, sa confiance et son suivi ; Valérie Le Rey, Gaëtan Bretéché et la maison d’édition Elsevier Masson pour l’intérêt qu’ils ont montré à publier cet ouvrage. Nous remercions Émilie Chappuis pour sa lecture précieuse et nos trois contributeurs Normand Gingras, Antonio Pascual-Leone et Catalina Woldarsky pour leur collaboration aimable et rigoureuse à cet ouvrage. La deuxième auteure (E. R.) tient à remercier : Sue Johnson et The International Centre for Excellence in Emotionally Focused Therapy pour m’avoir offert son enseignement de qualité et son réseau international ; Gilbert Pinard (Université McGill), pour m’avoir sensibilisée à son art de la relation thérapeutique ; Gilles Bertschy, Jean-Michel Aubry, Lucio Bizzini et Guido Bondolfi (Hôpitaux Universitaires de Genève), pour avoir initié ma rencontre avec la psychothérapie centrée sur les émotions. Merci enfin à mon compagnon Jean-Christophe, ma fille Mayleen et à Cyrielle pour leur présence et leur encouragement. Le premier auteur (U. K.) tient à remercier le Département de Psychiatrie du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois de l’Université de Lausanne pour le soutien, la Société Académique Vaudoise et le 450e Anniversaire de l’Université de Lausanne, qui m’ont permis de travailler sur ce livre durant un congé scientifique. Je remercie le Département de Psychologie de l’Université de Windsor, Canada, de m’avoir si chaleureusement accueilli durant cette année. Je tiens à remercier Martina Belz et Franz Caspar de m’avoir donné l’opportunité d’apprendre la psychothérapie centrée sur les émotions en Suisse. Je remercie ma femme Nicole et ma fille Félicia pour leur amour, patience et générosité. Nous remercions nos familles, amis et collègues qui nous ont accompagnés durant cette aventure d’écriture. Finalement, merci à nos clients, pour leur confiance même dans la tourmente, leur fragilité. Ils nous apprennent quotidiennement le métier de psychothérapeute et nous confirment ainsi que les émotions sont si inévitables, si cruciales et si mobilisatrices de changement. Ueli Kramer et Emna Ragama Lausanne et Genève, Octobre 2014
Préface C’est avec grand plaisir que j’écris la préface de ce premier volume en langue française au sujet de l’emotion-focused therapy (EFT), intitulé La psychothérapie centrée sur les émotions, par Ueli Kramer et Emna Ragama. La psychothérapie centrée sur les émotions est fondée sur l’idée « Je ressens, donc je suis » : les émotions ne sont ni secondaires à la cognition, ni des décharges auxiliaires à la motivation. En réalité, les émotions donnent de la couleur et du sens à la vie. Elles sont nos compagnons de vie, gouvernant une grande partie de ce que nous faisons. Comme Vincent van Gogh l’a écrit à son frère en 1889 : « N’oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu’à celles-ci nous obéissons sans le savoir. » Avec l’avènement d’une conception de l’émotion comme une ressource adaptive et un système de signification – au lieu de quelque chose dont il s’agit de se débarrasser de manière cathartique, qu’il s’agit de modifier, contrôler ou de corriger par la raison –, la compréhension du rôle de l’émotion dans les relations humaines et en psychothérapie a connu un changement radical. Ce « nouveau regard » reformule les priorités de la recherche en psychothérapie qui s’intéresse à déterminer comment nous pouvons faciliter au mieux le changement émotionnel, traiter les émotions en tant que variable indépendante qui existe en tant que telle, au lieu d’un produit de la cognition. Les questions-clés pour les psychothérapeutes d’aujourd’hui sont : comment faciliter au mieux l’accès aux émotions, comment permettre la conscience de l’émotion et comment aider à la transformation de l’émotion mal adaptée ? Ce livre permet la compréhension des moyens de faciliter ce type de changement émotionnel. Il y a une dualité dans le travail avec les émotions. Cette dualité est due au fait que les émotions primaires sont à la fois sources de savoir et donneuses de plaisir-douleur. Les sentiments nous donnent souvent un savoir immédiat, intime et personnellement significatif au sujet de nous-mêmes et des autres, d’une manière immédiate et très spécifique. Ces sentiments demandent une attention et une articulation dans le langage, afin de pouvoir préciser et clarifier ce qui est ressenti et de faciliter la compréhension de soi. Mais à un certain point, les sentiments – comme résultat de traumatismes ou de la négligence du passé – peuvent devenir des expériences destructives accablantes. Ces sentiments comprennent de la souffrance et de la douleur à des intensités qui ne sont pas supportables (ou du plaisir inqualifiable) et peuvent ainsi devenir des sources de menace. Ils produisent ainsi des expériences intolérables et peuvent représenter un danger à l’existence psychologique. Dans ces cas, ils doivent être transformés ou régulés, afin de préserver un sentiment de cohérence du soi.
XII Construisant sur la primauté de l’émotion et de l’importance de son acceptation, la psychothérapie centrée sur les émotions, à travers les dernières décennies, a développé un focus particulier sur l’importance de la transformation émotionnelle, impliquant que la meilleure manière de changer une émotion, c’est par une autre émotion (Greenberg, 2002, 2011)1. Kramer et Ragama, les auteurs de ce livre, ont fait un travail exceptionnel pour rendre la psychothérapie centrée sur les émotions plus accessible au public des psychothérapeutes francophones. Ce livre améliorera la pratique et la formation à la psychothérapie centrée sur les émotions, dans les pays francophones, et aura un impact international. Il soutiendra ainsi le grand nombre de programmes de formation TCE en Europe, en Asie et aux Amériques. Dans ces programmes de formation, les participants apprennent que la souffrance émotionnelle ne peut pas être simplement comprise comme étant causée par ou changée par des difficultés cognitives ou comportementales, mais que la douleur provient d’une place profondément ancrée dans l’âme, de sources implicites. Ils apprennent que les personnes tirent bénéfice du processus de faire face aux douleurs évitées, en les transformant et en construisant une nouvelle signification, afin de changer la narration de leur vie. Avec ce livre, les auteurs témoignent de leur compréhension de la psychothérapie centrée sur les émotions et de son processus de changement thérapeutique. Leslie Greenberg York University, Toronto, Canada Toronto, Octobre 2014
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Greenberg, L. S. (2002). Emotion-focused therapy. Coaching clients to work through their feelings. Washington, D. C.: American Psychological Association. Greenberg, L. S. (2011). Emotion-focused therapy. Washington, D. C.: American Psychological Association.
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Racines et place de l’approche centrée sur les émotions
La psychothérapie centrée sur les émotions (TCE) prend ses racines dans les approches humanistes qui, dans les années 1960 et 1970, ont représenté une « troisième force », entre le behaviorisme et les approches psychodynamiques, forces dominantes de l’époque sur le continent nord-américain. Les approches humanistes ont classiquement réfuté le déterminisme conceptualisé par les deux autres approches. Elles considèrent l’être humain doté de ressources et capable de décisions éclairées, par conséquent, possédant une capacité d’autodétermination et d’autoréalisation. La TCE a évolué à partir de ses racines, pour devenir aujourd’hui une approche expérientielle et néo-humaniste. Ainsi, elle a élaboré, grâce aux travaux de recherche, une théorie fondée sur l’expérience subjective du client et de ses changements, qui ne cesse d’évoluer aujourd’hui à la lumière des avancées dans ce domaine. On peut donc définir que la TCE est une psychothérapie fondée sur : • une approche expérientielle basée sur le processus ; • une théorie constamment actualisée des processus émotionnels. Dans ce chapitre, les origines de la TCE seront retracées, puis, situées par rapport aux approches voisines.
Approche centrée sur la personne Selon l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers (Rogers, 1951), l’être humain est conçu comme ayant un ensemble de caractéristiques structurées. C. Rogers s’est notamment intéressé aux liens évaluatifs entre, d’une part, l’expérience primaire et immédiate, appelée « organismique », et, d’autre part, le concept de soi de la personne. Selon lui, la qualité de la consistance de ce lien serait génératrice de la santé mentale, de la créativité et du bonheur individuel et interindividuel. L’être humain serait ainsi intrinsèquement et constamment à la recherche de la cohérence entre son expérience immédiate et la représentation qu’il a de lui-même en tant que personne, son rôle social et son identité, l’incongruence de ces liens étant génératrice de problèmes psychiques. Par exemple, en passant devant un parc pour enfants, une femme ressent soudainement une grande tristesse. En thérapie, elle re-construit le lien entre cette expérience actuelle et son désir non accompli de retourner dans le monde du travail après plusieurs années La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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de pause, en relation avec l’éducation de ses enfants qu’elle avait assumée. Une telle incongruence entre l’expérience et la représentation identitaire peut être à l’origine des problèmes psychiques ou des blocages internes de l’individu. La résolution comprend l’intégration de ces divergences en une nouvelle synthèse créatrice. Cette théorie met ainsi l’actualisation du potentiel de soi au cœur des besoins individuels. Le fait de tendre vers le dépassement des incongruences perçues par l’individu serait une force centrale dans les processus de guérison, dans la créativité et l’autoréalisation. Notons que, mise à part cette force motivationnelle centrale, C. Rogers a aussi conceptualisé d’autres motivations centrales de l’être humain, comme l’auto-évaluation en continu et la considération positive par l’autre. Les processus d’émulation vers l’accomplissement de soi et le processus de tendre vers des interactions satisfaisantes en sont des implications. Si ces processus ou l’accès aux motivations centrales sont bloqués, la personne peut présenter une anxiété ou plus généralement une « souffrance » émotionnelle, l’empêchant de réaliser son potentiel. Cette situation peut produire des symptômes. Selon cette approche, le traitement se centre sur le développement d’une relation qui facilite les processus d’évolution, de croissance et d’actualisation de la personne. Le psychothérapeute propose une considération positive de la personne en face et s’intéresse à l’auto-actualisation et au processus d’évaluation de soi. De cette manière, la souffrance émotionnelle de la personne diminue et ses forces motivationnelles se libèrent : une expérience correctrice peut avoir lieu. C. Rogers considère que des éléments spécifiques de la rencontre entre le client avec son thérapeute sont transformateurs : être vu comme l’on est (par l’empathie thérapeutique), de manière authentique (par une attitude thérapeutique congruente) et sans condition (par une considération positive thérapeutique de l’autre). Ces éléments favorisent le développement de la congruence entre l’expérience et le concept de soi. La psychothérapie centrée sur les émotions s’inscrit complètement dans cette lignée et utilise l’ensemble des principes énumérés, tout en les développant davantage et en les différenciant (Greenberg et al., 1998). Par ailleurs, la TCE considère certes que l’anxiété, ou plus généralement la souffrance émotionnelle, peut être une barrière à l’autoréalisation, mais aussi que l’émotion est fondamentalement adaptive et est ainsi une porte d’entrée pour mieux comprendre l’intériorité de la personne.
Focusing expérientiel Si C. Rogers a développé un modèle structural de la personne et de son développement, Eugene Gendlin (1996) a conceptualisé le processus et la focalisation sur soi. E. Gendlin s’est davantage intéressé au chemin parcouru par
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la personne pour réaliser ses motivations principales, plutôt qu’aux contenus de ces motivations. Il a ainsi mis le concept de l’expérience (immédiate) au cœur de sa théorie clinique en créant le concept d’« experiencing » – la connaissance expérientielle. Il en a proposé une opérationnalisation, en utilisant une échelle de codage par juge externe (Klein et al., 1969, 1986). La profondeur de la connaissance expérientielle peut être définie comme un processus de construction de nouvelles significations à partir du sens corporel (felt sense), des expériences préverbales et affectives (Greenberg et Safran, 1989). La connaissance expérientielle tient ainsi compte de tous les éléments présents sur le moment, pour construire une nouvelle signification ; elle peut différer en profondeur et qualité. E. Gendlin propose une procédure thérapeutique spécifique pour les dénouer les blocages du soi : le focusing expérientiel. Cette procédure thérapeutique part de l’hypothèse que l’expérience immédiate de l’être humain ne peut que très partiellement être mise en représentation et en mots. Parallèlement à l’expérience représentée et partagée par des mots – explicite –, il existe chez l’être humain en tout temps un champ d’activité interne faisant partie de l’expérience immédiate – l’implicite. Le focusing vise à mettre des mots subjectivement « justes » sur ces expériences implicites, la personne peut alors confirmer, une fois le bon mot trouvé : « oui, c’est ça ! ». Le « ça » représente ici le sens corporel (felt sense) qui a deux caractéristiques intéressantes : (1) un sentiment global, vague, prenant en compte toute l’expérience de la personne ; (2) un sentiment pour lequel seulement certains mots précis correspondent. Le sens corporel est un sentiment non défini, mais qui comporte « une couleur ou texture très spécifique » qui reste souvent à découvrir. La TCE comme psychothérapie expérientielle fondée sur le processus est fondamentalement ancrée dans les théories du focusing, et a intégré cette technique dans son modèle. Cependant, la TCE applique le focusing à son cadre théorique en faisant la distinction entre différents types de processus émotionnels à accéder et symboliser. Elle favorise ainsi certains types de processus et d’émotions, supposés être particulièrement productifs.
Thérapies Gestalt, existentielle et systémique La psychothérapie Gestalt, selon Fritz Perls (Perls, 1969 ; Perls et al., 1951), partage avec la théorie de C. Rogers la centralité donnée à la tendance à l’auto-actualisation de la personne. F. Perls met également l’expérience organismique au cœur de sa théorie et conçoit les actions de l’être humain comme étant influencées par ses « besoins prioritaires ». L’intégration de ces différentes tendances à l’action dans une entité cohérente devient le défi de la personne. La psychopathologie serait conceptualisée comme un
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manque d’intégration, un morcellement, ou aussi des blocages entre les parties du soi, les tendances à l’action et les besoins sous-jacents. Inspiré par les principes du psychodrame (Moreno, 1959 ; Blatner, 1989), F. Perls a utilisé les techniques avec la chaise vide, ou le dialogue sur deux chaises, afin de permettre de donner une voix à chacune des entités à l’intérieur de la personne. Aussi le dialogue sur deux chaises se réalise-t-il dans un esprit d’expérimentation et de créativité, dont l’issue n’est pas claire d’emblée (Greenberg et Kahn, 1978 ; Perls et al., 1951). Classiquement, Perls et collaborateurs (1951) distinguent la position du « topdog », une partie de soi dominante qui formule des injonctions (« tu dois… »), de la position du « underdog », une partie de soi soumise et manipulatrice, répondant typiquement à la position « topdog » (par un « oui, mais… »). Encouragé par le thérapeute, ce dialogue entre des parties de soi favorise leur intégration, leurs assouplissements mutuels et serait donc fondamentalement source de transformations. La TCE a repris ces conceptualisations et techniques en les ajustant aux modèles des émotions. À travers plusieurs travaux de recherche sur les techniques des dialogues sur deux chaises (ou avec la chaise vide), L. Greenberg a développé avec ses collaborateurs des modèles de séquences thérapeutiques productives, à partir des premiers travaux sur le conflit interne (Bohart, 1977 ; Greenberg, 1979, 1984, 1986 ; Greenberg et Webster, 1982). Ces modèles sont ainsi devenus des tâches thérapeutiques structurées, ou des heuristiques d’intervention, plus complètes. Par ailleurs, la TCE s’est inspirée des penseurs des approches existentielles (Frankl, 1959 ; Yalom, 1980), qui considèrent que l’être humain est avant tout orienté par ses idéaux et buts de vie, et que l’être en souffrance vient en thérapie pour affronter fondamentalement les « dernières choses » de l’existence, comme l’isolation, la perte, la liberté ou le non-sens. Ces composantes fondamentales de l’existence suscitent des peurs qui interfèrent avec l’authenticité, le développement de soi et l’autoréalisation, ce qui compose le focus de l’attention dans la psychothérapie. Finalement, notons que la thérapie de couple centrée sur les émotions (voir chapitre 5) a été fortement influencée par les approches systémiques structurales (Minuchin et Fishman, 1981 ; Fisch et al., 1982) et les théories de la communication (Weakland et Watzlawick, 1979), notamment par la conceptualisation des problèmes conjugaux en termes de cycles interactionnels négatifs, et par l’utilisation de techniques de mises en acte et des questionnements circulaires. En même temps, la TCE de couple a largement dépassé ces concepts systémiques classiques, par un focus immédiat sur l’expérience émotionnelle des partenaires, et en développant des étapes de résolution des problèmes conjugaux validées par la recherche empirique (Greenberg et Johnson, 1988 ; Greenberg et Goldman, 2008 ; Johnson, 2004).
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Influences de la recherche en psychothérapie, des sciences cognitives, des neurosciences affectives et du constructivisme L’étude du processus de changement remonte à la première heure du développement de la TCE. Parmi les travaux ayant influencé l’élaboration de la TCE, notons ceux visant à comprendre les éléments de changement thérapeutique (Greenberg, 1984). L’importance de la recherche portant sur le processus thérapeutique a été contextualisée dans le résumé de K. Grawe (1997). Ce dernier propose que la recherche en psychothérapie dépasse la priorité donnée à la question d’efficacité absolue (« la psychothérapie marche-t-elle ? ») et relative (« la psychothérapie A est-elle plus efficace que la psychothérapie B ? »), ainsi que la question de savoir quel traitement marche pour quel patient. Il suggère plutôt de se focaliser sur la compréhension des mécanismes de changement des psychothérapies. Dans cette catégorie de recherche, de manière plus spécifique, L. Greenberg (1999) propose de revenir à la première fonction de la recherche, l’observation. Au lieu de très vite inférer des concepts à partir de nos théories, le champ de la recherche en psychothérapie gagnerait par un focus rigoureux sur l’observation. L’observation comprend la prise en compte de ce qui se passe dans l’interaction thérapeutique, moment après moment. En regardant un enregistrement d’interaction entre un client et un thérapeute, le thérapeute-chercheur peut se poser les questions suivantes (Greenberg, 1999) : 1. Quels sont les indices concrets que quelque chose est « en mouvement » (activé) chez ce client à ce moment-là de l’interaction ? 2. Quelles sont les interventions du thérapeute qui facilitent cette activation ? 3. Quelles sont les intentions et les stratégies du thérapeute à ce moment-là ? 4. Quel est l’effet chez le patient de cette intervention du thérapeute ? Ce n’est pas un hasard si un chercheur humaniste contribue au retour à l’observation pure de l’interaction. En effet, la tradition humaniste en psychothérapie est historiquement la première à avoir proposé d’étudier le processus thérapeutique en détail (Rogers, 1951, 1957). Même si les travaux de C. Rogers présentent quelques problèmes méthodologiques, c’est ce dernier qui a montré aux générations suivantes l’importance d’avoir accès à l’enregistrement de l’interaction client-thérapeute à des fins de recherche et de formation. Ensuite, c’est avec le développement de l’échelle mesurant la connaissance expérientielle (« experiencing », Klein et al., 1986) qu’il est devenu possible d’observer systématiquement et d’accéder à l’immédiateté de l’expérience du client en séance. La profondeur de la connaissance expérientielle est aujourd’hui considérée comme l’un des facteurs de c hangement principaux dans l’explication des résultats thérapeutiques (Goldman et al., 2005 ; Pascual-Leone et Yeryomenko, soumis).
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Par exemple, la qualité vocale est un aspect descriptif de cette profondeur de la connaissance expérientielle (Rice et Kerr, 1986 ; voir chapitre 2). Par ailleurs, l’observation et la mesure de la collaboration au sein de la psychothérapie ont débuté, par exemple, par la notion d’alliance thérapeutique (Bordin, 1979 ; Horvath et Greenberg, 1994). Il s’agit aujourd’hui d’un concept-clé de la TCE, allant au-delà des idées de base de s’accorder sur les buts et les tâches dans le cadre d’un lien affectif : différentes formes d’empathie, en tant que techniques thérapeutiques, ont été développées et étudiées (Elliott et al., 2011 ; voir chapitre 2). Le désir de s’attarder à savoir comment la psychothérapie marche a donc nécessité d’observer et de mesurer, dans le processus, les premiers conceptsclés du changement : la profondeur de la connaissance expérientielle et l’alliance thérapeutique. Le courant néopiagétien du développement de l’intelligence (PascualLeone, 1990, 1991) a contribué à l’élaboration des soubassements théoriques de la TCE. Ce courant part du postulat que l’expérience, dans l’ici et maintenant, n’est ni prédéterminée (et devrait simplement être rendue consciente), ni complètement re-construite à partir de zéro. Il admet que la construction de l’expérience se passe par l’interaction entre structures (des schèmes) affectifs et cognitifs (« software » en quelque sorte) et des processus innés opérant sur ces schèmes (« hardware » en quelque sorte ; Pascual-Leone, 1990). Cette contribution s’inscrit dans une position épistémologique constructiviste et dialectique de l’être humain (Watson et Greenberg, 1996 ; Greenberg et Pascual-Leone, 2001). Ces auteurs suggèrent qu’un travail thérapeutique se limitant à des éléments représentés et ainsi proches de la conscience de l’individu ne peut prétendre à un véritable changement en profondeur. Aussi, les modèles constructivistes nous informent de la surdétermination des expériences subjectives. Même si la narration subjective accède, en surface, peut-être à un seul déclencheur menant à une expérience (« ma mère m’a appelé, c’est pour cela je me sens soulagée maintenant »), en réalité, une telle expérience est inscrite dans un réseau de contraintes multiples, avant tout d’ordre affectif – en lien avec les besoins, intentions, buts et plans de l’individu –, et exerce elle-même des contraintes multiples sur des processus perceptuels, d’évaluation et d’action (Greenberg et Pascual-Leone, 2001 ; Guidano et Liotti, 1983). Par ailleurs, la position constructiviste permet d’expliquer les processus constitutifs du sens corporel : il s’agit d’un « résultat d’une synthèse automatique et dynamique de processus affectifs et cognitifs, contribuant à la complexité interne de l’individu » (Greenberg et Pascual-Leone, 2001). Ce que nous expérimentons donc comme « donné » est en réalité déjà le résultat de processus non-conscients complexes interagissant les uns avec les autres.
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Dans le prolongement des recherches sur les processus non-conscients impliqués dans les émotions (Levenson, 1994, 2003 ; Scherer, 1984), les dernières années ont vu naître un grand nombre d’études sur les soubassements neurobiologiques de certains de ces processus. L’étude des corrélats biologiques de l’activité émotionnelle a une certaine tradition (Sander, 2013). Leur importance est en accord avec les prémices des recherches menées dans le contexte de la TCE, notamment de la notion des marqueurs ou indices corporels pour l’évaluation d’un état émotionnel (Damasio, 1994 ; Greenberg, 2002). Certains résultats suggèrent qu’il s’agit ici des processus multiniveaux et multimodaux, distribués en parallèle, activant un grand réseau de connexions neuronales, et ayant des boucles de rétroaction (feed-back loops) vers les systèmes perceptuels. Une émotion peut donc être vue comme un réseau d’actions distribué, non-localisable à un seul endroit. Une conception de l’émotion, ou de la mémoire émotionnelle (Lane et al., 2014), consistant en un système dynamique complexe s’impose (Gardhouse et Anderson, 2013 ; Greenberg et al., 1993). Ces travaux de recherche ayant constamment influencé la modélisation de la psychothérapie centrée sur les émotions, nous constatons aujourd’hui qu’un rôle central est donné aux émotions dans la prise de décision et dans le développement cognitif, en lien avec la santé mentale. Sur cette base, il est devenu un devoir de développer un modèle clinique d’intervention thérapeutique qui tienne compte de ces avancées et qui permette de véritablement s’adresser aux niveaux corporels et non-conscients, ensemble avec leurs propriétés émergentes, du fonctionnement de l’être humain. Un thérapeute TCE doit apprendre à communiquer avec l’émotion du client afin d’« entrer » complètement dans son expérience émotionnelle et corporelle, pour l’accepter et la transformer de l’intérieur. Les modèles des neurosciences affectives, des sciences cognitives et de la recherche en psychothérapie sont ainsi en permanence en toile de fond des interventions centrées sur les émotions.
Comparaison avec d’autres approches thérapeutiques Nous proposons une brève note comparative avec quelques approches majeures en psychothérapie, notamment psychodynamiques et cognitives. Le thérapeute psychodynamique, dans son activité de formulation du cas et d’intervention, est à la recherche, chez son client, d’un pattern interpersonnel stable – formulé sous forme d’une hypothèse de transfert – qu’il peut relier à une origine dans les interactions du client avec ses figures parentales (Greenberg et Safran 1987, 1989). Ces patterns se rejouent dans les relations interpersonnelles actuelles et dans l’interaction avec le thérapeute. Ce pattern interpersonnel est conçu comme stable à travers un ensemble
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La psychothérapie centrée sur les émotions
de situations. La méthode de formulation du Core Conflictual Relationship Theme (CCRT ; Luborsky et Crits-Christoph, 1998) est un exemple de ce type de conceptualisation en termes de patterns psychodynamiques. Toute formulation CCRT est composée de trois parties, le désir du client, la réaction (réelle ou imaginée) de l’autre et la réaction de soi (à cette dernière). Dans cette formulation, l’affect et l’émotion sont secondaires au désir. Ce dernier concept peut être rapproché du concept de besoin existentiel dans la TCE, sans que ces deux se confondent. Par contraste, le thérapeute centré sur les émotions ou expérientiel se focalise sur une seule situation d’interaction, un « épisode émotionnel », très loin des patterns généraux. Cette focalisation sur une situation lui permet de l’explorer en profondeur en admettant l’émotion comme compas primaire de l’approfondissement. Pour contraster, le thérapeute cognitif se centre sur les pensées automatiques, les postulats et les schémas de base, et, dans les approches plus récentes, les émotions y prennent une place de plus en plus centrale (Arntz et Van Genderen, 2010 ; Foa et Kosak, 1986 ; Philippot, 2011 ; Rachman, 1980, 1981). Malgré cette centralité émergente, la différence capitale avec la TCE réside dans l’acceptation de la primauté des émotions dans les situations explorées. Pour le thérapeute cognitif, la formulation et l’intervention se fondent toujours sur une compréhension des éléments cognitifs centraux, qui produisent secondairement des affects et des émotions, alors que le thérapeute TCE adopte une formulation et un style d’intervention partant de l’émotion comme première réaction immédiate dans une situation afin d’explorer les ressentis associés, les significations, les tendances à l’action et les besoins existentiels. Ces derniers font partie intégrante de l’émotion – qui sera aussi la source du changement –, alors que les théories cognitives ne permettent pas de comprendre l’émotion, ni le besoin existentiel comme agent central du changement thérapeutique. D’un point de vue technique, les thérapies cognitivo-comportementales proposent donc de parler « au sujet » de l’émotion, la TCE propose de construire une nouvelle signification « à partir » de l’émotion ressentie en séance. La TCE se définit comme une approche intégrative ; la pluralité des approches l’influençant en témoigne. En parallèle à son développement, plusieurs autres approches intégratives inspirées des courants humanistes et de la recherche en psychothérapie ont vu le jour, avec des caractéristiques semblables à la TCE. En Europe germanophone, une tendance à l’intégration des approches interpersonnelles, cognitivo-comportementales et humanistes dans une thérapie psychologique a vu le jour avec les travaux de K. Grawe (1998 ; 2004) et R. Sachse (2003). La psychothérapie centrée sur la clarification (Sachse, 2003 ; Kramer et al., 2009) se comprend comme un développement de l’approche centrée sur la personne et du focusing, en complétant cette approche par un modèle interpersonnel explicatif des problèmes spécifiques des clients avec trouble de la personnalité (Sachse et al., 2011).
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La clarification des éléments internes contribuant au problème présenté de ces clients – comme les affects, les attentes et les schèmes – par l’approfondissement de l’expérience immédiate du client, constitue le cœur de l’approche. Malgré cette proximité conceptuelle avec la TCE, il existe des différences entre ces deux approches. Si les thérapeutes centrés sur la clarification et sur les émotions utilisent la directivité de processus (voir chapitre 3) pour accéder à une représentation valide des éléments internes, les thérapeutes TCE se focalisent encore plus rigoureusement sur les émotions comme source primaire d’information, ce qui est indépendant du problème initial du client. K. Grawe (1998) a adopté une perspective plus globale sur les processus de changement en psychothérapie et conçoit la clarification comme un mécanisme de changement parmi d’autres. Il l’intègre avec des processus d’auto-efficacité/de maîtrise, d’activation des problèmes et des ressources au sein d’une théorie générale de la genèse des troubles psychiques et du changement thérapeutique (thérapie psychologique ; Grawe, 1998, 2004). Même si cette théorie s’est beaucoup basée sur les résultats de recherche en sciences cognitives, elle permet d’expliquer l’activité émotionnelle et son changement. La thérapie psychologique partage ainsi plusieurs aspects avec la TCE, notamment son ancrage fort dans la recherche en psychothérapie et l’accent mis sur le processus de changement de la clarification. Elle représente néanmoins une théorie et un type d’intervention plus globaux, moins spécifiquement centrés sur les émotions, que proposé par la TCE. Enfin, parmi les approches thérapeutiques présentant des chevauchements avec la TCE, citons aussi la thérapie comportementale-dialectique (TCD ; Linehan, 1993). Ces deux approches ont en commun le focus sur l’émotion et son acceptation radicale comme cœur du changement au sein du client, mais divergent dans la manière de procéder. Si le thérapeute comportemental-dialectique vise en tout temps à contrebalancer les exigences de changement avec les exigences d’acceptation des émotions par la validation (Linehan, 1997), le thérapeute centré sur les émotions accueille pleinement l’expérience émotionnelle immédiate. Ce dernier perçoit la transformation comme un potentiel inhérent à l’émotion ressentie sur le moment. D’autres divergences sont également à noter, notamment l’attention du thérapeute TCE sur des indices du processus, afin de prendre des décisions cliniques d’intervention, ce qui ne fait pas partie de la TCD (Kramer, 2015). En conclusion, la psychothérapie centrée sur les émotions est une forme de traitement intégrative, spécifique et moderne, se trouvant dans une dialectique entre ses racines humanistes, Gestalt et existentielles d’une part, et ses racines scientifiques d’autre part, notamment avec une recherche portant sur l’observation des processus psychothérapeutiques et des sciences cognitives et affectives. Sa spécificité épistémologique réside ainsi dans l’équilibration de forces contradictoires, une balance à réaliser
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en permanence. Cette spécificité épistémologique peut être mise en parallèle avec la conceptualisation des processus émotionnels selon le modèle TCE : une perspective dialectique et constructiviste y est adoptée. Elle sera expliquée dans le chapitre suivant, tout comme la théorie de la relation thérapeutique et du dysfonctionnement, pour, finalement, aboutir à une synthèse provisoire des travaux visant à comprendre le changement thérapeutique : comment changer l’émotion avec l’émotion. Bibliographie Arntz, A., & Van Genderen, H. (2010). Schematherapie bei Borderline-Persönlichkeitsstörung. Weinheim: Beltz. Blatner, A. (1989). Psychodrama. In R. J. Corsini, D. Wedding et al.,(Eds.), Current Psychotherapies (4th ed., pp. 561-571). Itasca, IL: F. E. Peacock Publishers Inc. Bohart, A. (1977). Role playing and interpersonal conflict resolution. Journal of Counselling Psychology, 24, 15-24. Bordin, E. S. (1979). The generalizability of the psychoanalytic concept of the working alliance. Psychotherapy: Theory, Research and Practice, 16, 252-260. Damasio, A. (1994). Descartes’ error: Emotion, reason and the human brain. New York: Putnam. Elliott, R., Bohart, A. C., Watson, J. C., & Greenberg, L. S. (2011). Empathy. In J. Norcross (Ed.), Psychotherapy relationship that work (2nd ed., pp. 132-152). New York: Oxford University Press. Fisch, R., Weakland, J. H., & Segal, L. (1982). The tactics of change : Doing therapy briefly. San Francisco: Jossey-Bass. Foa, E. B., & Kosak, M. J. (1986). Emotional processing of fear: Exposure of corrective information. Psychological Bulletin, 99, 20-35. Frankl, V. (1959). Man’s search for meaning. Boston: Beacon. Gardhouse, K., & Anderson, A. K. (2013). Objective and subjective measurements of affective science. In J. Armony, & P. Vuilleumier (Eds.), The Cambridge Handbook of Affective Neuroscience (pp. 57-81). Cambridge: Cambridge University Press. Gendlin, E. T. (1996). Focusing-oriented psychotherapy: A manual of the experiential method. New York: Guilford Press. Goldman, R., Greenberg, L. S., & Pos, A. E. (2005). Depth of emotional experience and outcome. Psychotherapy Research, 15(3), 248-260. Grawe, K. (1997). Research-informed psychotherapy. Psychotherapy Research, 7, 1-19. Grawe, K. (1998). Psychologische Therapie. Göttingen: Hogrefe. Grawe, K. (2004). Neuropsychotherapie. Göttingen: Hogrefe. Greenberg, L. S. (1979). Resolving splits : the two-chair technique. Psychotherapy: Theory, Research and Practice, 16, 310-318. Greenberg, L. S. (1984). A task analysis of intrapersonal conflict resolution. In L. N. Rice, & L. S. Greenberg (Eds.), Patterns of change: Intensive analysis of psychotherapy process (pp. 67-123). New York: Guilford Press. Greenberg, L. S. (1986). Change process research. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 54, 4-9. Greenberg, L. S. (1999). Ideal Psychotherapy Research. Journal of Clinical Psychology, 55(12), 1467-1480.
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Bases théoriques et méthodologiques de la thérapie centrée sur les émotions
Théorie des émotions Le cœur de l’approche centrée sur les émotions est le focus du traitement sur l’expérience émotionnelle. Le champ d’études des émotions est actuellement en plein essor. Il existe plusieurs modèles en psychologie (Armony et Vuilleumier, 2013 ; Davidson et al., 2003 ; Ekman et Davidson, 1994 ; Fridja, 1986 ; Izard, 1991 ; James, 1950/1890 ; Oatley et Jenkins, 1992 ; Sander, 2013 ; Scherer, 1984, 2000 ; Sroufe, 1996), comme en psychologie clinique plus particulièrement (voir Foa et Kosak, 1986 ; Greenberg et Safran, 1984, 1987, 1989 ; Greenberg et Paivio, 1997 ; Greenberg, 2002, 2011a/b ; Guidano et Liotti, 1983 ; Safran et Greenberg, 1991 ; Schore, 1994). Au delà des divergences conceptuelles notables, les théoriciens s’accordent sur certains principes fondamentaux concernant les émotions que nous allons brièvement présenter, tout en les articulant avec les implications cliniques.
Convergences des théories des émotions Propriétés adaptives des émotions Les émotions sont fondamentalement adaptives (Darwin, 1872/1955 ; Ekman, 1972, 1984 ; Ekman et Friesen, 1975 ; Frijda, 1986). Elles représentent des signes internes qui nous renseignent sur les conditions nécessaires pour la survie. Il s’agit d’un système d’information archaïque et fondamental, ancien dans la phylogenèse et le développement humain, plus ancien que le système d’information des représentations ou des cognitions. Par exemple, les processus émotionnels de l’anxiété nous renseignent concernant un danger potentiel. En tant que promeneur, si nous voyons une forme sinueuse par terre, entre les feuilles d’automne, de manière automatique, nous allons retirer notre jambe, avant de nous rendre compte, dans un second temps et de manière consciente, que nous nous trouvons face à une branche inoffensive et non pas un serpent (LeDoux, 1996). L’émotion, à travers son traitement de l’information partiel et rapide, nous La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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La psychothérapie centrée sur les émotions
a pourtant protégé d’un danger potentiel ; cela est nécessaire à notre survie au quotidien en tant qu’individu et en tant qu’espèce. Si l’émotion est ainsi le compas de l’être humain, on peut dire que ce dernier perçoit le monde à l’aide de ce système émotionnel. Ce système néglige certains événements et focalise sur d’autres, en fonction des caractéristiques pertinentes pour la survie. En termes phylogénétiques, les émotions dites négatives – liées à une expérience déplaisante – ont évolué de manière à nous préparer à des menaces, en développant une série de réponses émotionnelles. A contrario, les émotions dites positives – liées à une expérience plaisante – ont certes permis d’améliorer la qualité de vie, mais étaient rarement proches des impératifs de la survie. Le niveau de différenciation expérientielle est ainsi plus élevé pour les émotions dites négatives (« déplaisantes », comme la honte, la peur, l’embarras, la tristesse, le deuil, la colère, la rage, etc.) que pour les émotions dites positives (« plaisantes », comme la joie, l’intérêt, le relâchement, le contentement, la compassion et l’amour). Cela s’illustre au niveau lexical : nous avons plus de mots en langue française pour décrire des adversités, comparés au nombre de mots pour décrire les événements positifs. La joie, l’espoir et l’intérêt sont des forces qui nous animent à explorer davantage, à différencier et à améliorer le statu quo, à rester dans un lien compassionné avec l’autre significatif et à créer de nouveaux contacts, à rester fondamentalement ouvert à une nouvelle expérience de soi et de l’autre. Ces forces sont très utiles en psychothérapie. Elles guident le client dans l’activité d’auto-exploration, le motivent à venir en séance pour découvrir et changer ses habitudes émotionnelles et comportementales, ainsi qu’à faire de nouveaux liens. Les émotions positives peuvent aussi contrebalancer les émotions négatives, les annuler et les transformer. Par exemple, l’expérience de la joie n’est pas compatible avec celle de la tristesse. Les émotions positives favorisent l’action ainsi que l’approche et elles peuvent se confondre mutuellement, ce qui n’est pas le cas pour les émotions négatives. La peur suscite la préparation à la fuite, la colère, la préparation à l’attaque, la honte, la préparation à la perte de la face, le dégoût, la préparation au rejet d’un objet, et la tristesse, la préparation au retrait. Les émotions nous préparent à l’action, visant l’adaptation et la survie (Frijda, 1986).
Des entités subjectives distinctes Les émotions peuvent être classées en des catégories distinctes, fondées sur l’expérience subjective de l’individu. Malgré les catégories d’émotions de base existantes (Ekman et Friesen, 1975), il faut admettre que la grande majorité des expériences émotionnelles sont complexes, comprenant des émotions, sentiments et significations idiosyncratiques dans leur contexte interpersonnel. Par exemple, l’individu peut se sentir une victime
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ersécutée, peut être fier d’une autre personne, peut ressentir de la misérip corde pour l’autre ou se sentir une personne rabaissée. Il faut aussi ajouter que l’individu tout-venant, comme le client en psychothérapie, a parfois de la peine à correctement identifier les émotions en lui (pour une démonstration expérimentale de la qualité de la représentation des émotions chez les tout-venants, voir Nabi, 2002). Selon Greenberg et collaborateurs (1993), ces états complexes sont en lien avec des structures profondes (des schèmes émotionnels, voir section suivante) ou avec un affect central fondamental. Ces structures profondes sont à l’origine de ramifications expérientielles plus complexes, par exemple de nuances et de goûts d’expériences différents. Ces structures sont composées par des synthèses dialectiques et dynamiques, reconstruites à répétition, entre des éléments par moments contradictoires, comme les sensations corporelles, les significations attribuées, dans leur interaction perpétuelle avec le monde environnant (Pascual-Leone, 1991). Ces entités sont discrètes : même si le mot attribué à un tel état (comme le mot « triste ») est identique pour deux clients, la qualité expérientielle d’un tel état diffère d’une personne à l’autre. Par exemple, une cliente en séance se pose la question de savoir pourquoi elle hésite à présenter son petit ami peu conventionnel à ses amies. Elle dit : « Je souhaiterais le leur présenter, mais je ne le fais pas. » Son comportement est orienté et organisé par une structure interne qui n’est pas – pour le moment – représentée chez la cliente et se trouve en contradiction avec ses envies plus conscientes, d’où son attitude d’interrogation face à elle-même. Le processus thérapeutique permet d’accéder à son sens profond d’être inadéquat, un sentiment d’être fondamentalement une mauvaise personne et ayant une influence négative sur les autres. C’est ce sentiment qui oriente l’action de la cliente, de façon inadaptée, et empêche la réalisation de ses buts affectifs et cognitifs. Un travail thérapeutique focalisant sur ce sentiment – un travail expérientiel permettant sa transformation – sera bénéfique pour cette cliente. Elle accédera à ce sentiment d’« être une mauvaise personne », avec son origine dans l’histoire d’attachement et accèdera à ce qu’elle aurait voulu vraiment être. Après ce travail thérapeutique, la cliente modifiera son comportement. Un autre exemple est un client présentant un affect dépressif et qui se dit « bloqué » dans sa vie. Une formulation et un travail thérapeutique permettent l’accès à la peur d’être exploité par d’autres personnes, ce qui amène le client, comme réaction secondaire, à ne plus entreprendre de nouveaux projets et ainsi à sombrer dans la dépression. Aussi, ici, la peur d’être exploité est une émotion « mal adaptée », faisant partie des émotions facilitées chez ce client, suite à ses expériences relationnelles de négligence émotionnelle dans son histoire. La formation de ces émotions peut être comprise dans un contexte traumatisant qui n’est
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plus d’actualité, mais qui continue à influencer la vie de ce client au niveau de sa mémoire émotionnelle.
Modélisations selon des dimensions objectives Les émotions peuvent être classées selon des critères continus et objectifs. Plusieurs modèles existent pour décrire les dimensions génériques des émotions. Un modèle en plusieurs phases constituant l’appréciation du stimulus émotionnel (appraisal) a été développé (Ellsworth et Scherer, 2003 ; Scherer, 1984). Ces phases influençant la qualité de l’appréciation du stimulus et de la réaction émotionnelle, sont, parmi d’autres, la nouveauté (« est-ce que je connais ce stimulus ? ») et sa pertinence (« est-ce que ce stimulus concerne mes besoins et buts ? »). Nous n’entrons pas ici dans le débat scientifique au sujet du primat cognitif ou affectif au niveau de l’appréciation du stimulus (voir Zajonc, 1980, 1984), car ce débat se place à un niveau plutôt conceptuel, assez loin de l’expérience du client qui peut – en réalité – présenter les deux cas de figure. Trois dimensions de base de l’émotion sont décrites par Bradley et Lang (1994). Ce modèle a inspiré une des mesures les plus utilisées dans la recherche (Self-Assessment Manikin) où chaque état émotionnel peut être codé sur les dimensions de l’activation (« est-ce que je suis émotionnellement activé ? »), de la valence (« est-ce que mon état est plus plaisant ou déplaisant ? ») et de la dominance (« à quel degré est-ce que je me sens en contrôle ? »). Un modèle à deux dimensions, en les combinant aux catégories d’émotions distinctes, a été proposé et validé par le groupe de recherche de l’Université de Genève (Scherer, 2005), sous forme de la roue des émotions (Geneva Emotion Wheel). Dans un espace à deux dimensions – le contrôle et la valence –, une quarantaine d’émotions distinctes sont répertoriées. Par exemple, la colère ou l’irritation présentent une valence neutre et un contrôle maximal, tandis que la peur et les soucis, un contrôle relativement bas et une valence plutôt négative, ou encore la fierté, une valence positive et un degré de contrôle plutôt élevé. D’autres modèles dimensionnels existent, où les états émotionnels distincts peuvent être classés et regroupés dans un espace émotionnel à deux dimensions (Haxby et al., 2001). Par exemple, pour deux émotions comme la colère et le dégoût, fondamentalement très différentes dans l’expérience subjective, il a été démontré que leurs expressions dans ces modèles dimensionnels se ressemblent et se trouvent rapprochées dans cet espace émotionnel. À l’inverse, des processus similaires peuvent être associés à des corrélats dimensionnels très différents, comme le montre l’exemple sur les corrélats neurobiologiques de l’activité d’identification des émotions. Il a été montré que les patients présentant une lésion amygdalienne, qui ont une incapacité sélective à identifier les expressions faciales, conservent la capacité spécifique de distinguer les émotions (Hamann et Adolphs, 1999). Cela peut être surprenant compte tenu de l’importance donnée à l’amygdale dans la
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littérature concernant la reconnaissance faciale des émotions (voir Armony et Vuilleumier, 2013). Cette préservation du jugement chez ces individus peut être expliquée par une distribution large de ces capacités, dépassant la localisation neurofonctionnelle au sein de l’amygdale et s’étendant sur le cortex somato-sensoriel droit qui est également connu pour être impliqué dans le jugement des émotions (Adolphs et al., 2000 ; Damasio, 1994 ; Damasio et al., 2003). Il apparaît, malgré l’intérêt de ces modèles dimensionnels, qu’il est aussi nécessaire d’étudier les émotions au niveau des catégories distinctes, ou de combiner les deux stratégies (Scherer, 2005). Pascual-Leone et Greenberg (2007), en combinant ces deux stratégies, considèrent deux dimensions fondamentales dans les émotions vécues par les clients en séance : • la profondeur et la différenciation de l’expérience dans l’ici et maintenant, couplée avec la qualité de la signification ; • le degré d’internalité (vs externalité) de l’émotion. Par exemple, dans un espace à quatre quadrants défini par ces deux dimensions, une colère rejetante, servant à mettre en dehors un élément interne, serait peu profonde et externe. Un autre exemple est la douleur psychologique en lien avec des blessures d’attachement : elle est maximale au niveau de la profondeur de l’expérience et est une expérience interne. Ces modèles suggèrent que des dimensions spécifiques de l’émotion, avec leurs soubassements neuronaux et composantes psychologiques, sont centrales pour comprendre notre manière de percevoir et juger le monde en vue de l’adaptation. Ces modèles sont surtout utiles en combinaison avec une approche catégorielle.
Une distribution en parallèle des processus sous-tendant les émotions Les émotions comprennent plusieurs processus distribués en parallèle. Initialement, et en revenant à l’exemple du début du chapitre, les travaux de LeDoux (1996) ont permis de soutenir l’hypothèse de la localisation du traitement et de la reconnaissance de la peur au sein d’un circuit neuronal complexe. LeDoux différencie ainsi globalement deux voies neuronales du traitement de l’information en lien avec l’anxiété : • La voie sous-corticale. Cette voie passe par des connexions amygdaliennesthalamiques. Elle est la voie « rapide et sale », car approximative et opérant en quelques millisecondes. • La voie corticale. Cette voie passe par le cortex occipital et frontal, impliquant un traitement complet de l’information. Elle est la voie « lente et précise ». Pour le dire avec les mots de Greenberg et Pascual-Leone (1995, p. 187) : « De nouvelles expériences et comportements adaptatifs sont le résultat de l’interaction dialectique entre deux lignes de conscience : le système
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lent, conceptuel-rationnel, et le système moins délibéré de l’action et de l’émotion, rapidement adaptif. » La signification associée à une émotion serait ainsi construite dans le dialogue – et résultante de contraintes réciproques – entre ces deux systèmes ou lignes de conscience. Notons que les auteurs constructivistes font ici abstraction d’une ambition de localisation au niveau neuronal, contrairement à LeDoux. Si les conclusions de LeDoux ont pu être confirmées par d’autres recherches en neurosciences affectives (p. ex., Philipps et al., 1998 ; voir aussi Philippot, 2011 pour une discussion), il faut également mentionner que de nouvelles études ont aussi ajouté des arguments en faveur d’une distribution davantage parallèle du traitement de la peur. Il serait aujourd’hui plus prudent de parler d’une « multitude de voies » de traitement et de la reconnaissance de la peur (Pessoa et Adolphs, 2010), rendant l’image de deux voix séparées et bien localisables plus floue et ajoutant de la complexité au sujet des modèles du traitement de la peur. Des résultats de recherches similaires, suggérant une distribution en parallèle et très vaste au sein du cerveau, existent, par exemple pour le dégoût (Anderson et al., 2003) et la colère (Calder et al., 2001). Une conception dynamique du cerveau s’impose ici – appelée la plasticité cérébrale (p. ex., Doigde, 2007) – argumentant en défaveur d’une perspective neuro-localisatrice des fonctions de l’être humain. En revanche, cette conception dynamique argumente en faveur d’une distribution large au niveau fonctionnel, ce qui est particulièrement utile pour comprendre l’activité émotionnelle. Cette perspective a davantage été élaborée autour de la notion de reconsolidation mnésique, un processus qui transforme la mémoire traumatique par l’intérieur, c’est-à-dire par l’expérience émotionnelle dans l’ici et maintenant (Ecker et al., 2012 ; Welling, 2012). Il nous paraît central ici qu’une stratégie de recherche appliquée, intégrant l’expérience émotionnelle idiosyncratique et distincte (Goldstein, 1951 ; Gendlin, 1996 ; Greenberg, 2002) du participant, est la plus prometteuse à mener à des conclusions articulées et pertinentes pour l’intervention psychothérapeutique.
Un déploiement dans le temps Les émotions se déploient dans le temps. Il s’agit d’un concept fondamentalement dynamique. La séquence émotionnelle la plus simple a été définie par Sander (2013) dans le contexte des neurosciences affectives, en tant que plus petit dénominateur commun de différents modèles. Au niveau du microprocessus, une émotion comprend : (a) une phase de stimulus ou de l’évocation de l’émotion et (b) une phase de la réponse expérientielle. Il s’agit ici d’une séquence proche des modèles comportementaux simples (stimulus-réponse), à la différence près qu’il s’agit ici d’une réponse émotionnelle avec un grand nombre possible de niveaux de la réponse qui ne
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sont pas nécessairement déterminés par le stimulus. Tandis que ce modèle minimal en deux phases est compatible avec les modèles TCE, des séquences plus élaborées et différenciées, et cliniquement plus significatives, ont été proposées par Pascual-Leone et Greenberg (2007). Dans ce modèle séquentiel du traitement émotionnel, les auteurs considèrent que l’essence d’un état émotionnel subséquent est déjà comprise dans l’état émotionnel actuel éprouvé par le client. Cette définition est centrale pour la notion de transformation émotionnelle (voir ci-après, la section « Transformation émotionnelle étape par étape »).
Conclusions Nous pouvons donc retenir que les émotions sont fondamentalement adaptives et qu’elles peuvent être conceptualisées à la fois comme entités subjectives distinctes et selon des dimensions objectives. Les émotions représentent des activations neuronales à distribution vaste, dont la compréhension par la recherche ne fait que débuter. Par ailleurs, les émotions se déploient dans le temps, à travers des séquences précises. Ces conclusions en tête, tournons-nous maintenant vers la place des émotions en psychothérapie.
La place centrale des émotions dans le processus psychothérapeutique Les émotions sont centrales à la psychothérapie, favorisant à la fois l’accélération des effets thérapeutiques et l’intégration de différents modèles en psychothérapie (Magnavita, 2006). On peut donc affirmer qu’une psychothérapie sans émotion, cela n’existe pas ! Ainsi, l’habituation à des stimuli anxiogènes fait partie des traitements d’exposition pour les troubles anxieux (Foa et Kosak, 1986 ; Jaycox et al., 1998). Aussi l’augmentation de la représentation des contenus émotionnels fait-elle partie des traitements psychodynamiques focalisés sur l’affect (McCullough et al., 2003 ; Fosha, 2000). De manière analogue, l’expression des émotions au sein d’une dyade − conjugale, par exemple − fait partie des traitements interpersonnels et systémiques (Kiesler, 1996) et l’approfondissement de l’affect, amenant le client vers une connaissance expérientielle profonde, relève de l’arsenal des interventions des traitements expérientiels (Daldrup et al., 1988 ; Elliot et al., 2004 ; Sachse, 2003). Une place centrale revient donc à l’émotion dans le processus psychothérapeutique. Nous allons tenter d’en comprendre les raisons. Premièrement, les émotions sont les fondements préverbaux de l’existence humaine. Les émotions, ou leurs précurseurs ontogénétiques chez le petit enfant, empreignent les premiers apprentissages de l’être humain, bien avant la formation de représentation. Une personne se souvient de ses toutes
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premières années de sa vie avant tout en termes de sensations, d’odeurs, de goûts, de sons, de sentiments à la fois flous au niveau des contenus et précis au niveau des contours expérientiels. Ce ne sont ainsi pas les pensées, ni les croyances ou schémas représentés qui donnent la direction à la vie de la personne, son goût de vivre, sa vitalité et son expérience immédiate ; ce sont les structures émotionnelles (Stern, 2010). Le développement de troubles mentaux peut ainsi être compris dans ce cadre. Le développement socioaffectif de l’enfant, en termes d’attachement et d’enjeux identitaires, jette les bases pour son intégrité psychologique à l’adolescence et à l’âge adulte. Deuxièmement, les émotions sont au cœur du processus thérapeutique en tant que dialogue interpersonnel spécifique. Les changements psychothérapeutiques les plus profonds sont ceux réalisés autour des besoins, buts et émotions du client, donc les éléments centraux de sa personne, et non pas autour des cognitions ou comportements (Greenberg et Safran, 1984, 1987 ; Greenberg, 1979). Ces derniers peuvent être vus comme des corrélats superficiels d’un changement en profondeur. Le changement émotionnel concerne l’identité même de la personne, les fondements de son système d’attachement et ses capacités de représentation et d’interaction. C’est le cœur du changement même, souhaité tout d’abord par le client lui-même. Ainsi, une émotion peut être définie selon un réseau d’activation, à plusieurs niveaux de complexité, comprenant des tendances immédiates à l’action, un sentiment, des évaluations (pré-)conscientes, des buts et besoins. Une émotion est ainsi comprise comme un schème d’activation. La notion de schème est proche de la définition de « schème » selon J. Piaget (1954), dans laquelle l’épistémologue conçoit, chez le bébé, des activations de schèmes sensorimoteurs complexes et de manière quasi automatique, sans qu’ils n’accèdent à la conscience de l’individu. Selon Piaget, la notion de schème comprend une liaison instrumentale, entre moyens et buts. Elle décrit donc une entité partiellement représentée et « en action ». Dans ce sens, la notion de schème diffère de ce qui est communément compris dans les thérapies cognitives sous le terme « schéma » (Beck, 1995 ; Arntz et Van Genderen, 2010). Dans ces dernières approches où l’émotion est secondaire au changement cognitif, il s’agit d’une entité représentée chez l’individu qui agirait sur les processus mentaux et pathologiques. Chez Greenberg (2002), la notion de schème émotionnel comprend plusieurs niveaux d’activation : physiologique, sensoriel, affectif, cognitif, orienté vers l’action et l’accès à la signification de ces niveaux d’activation. Dans ce sens, il s’agit bien d’un focus sur les « émotions » et non sur l’affect. La dernière notion est communément utilisée pour décrire les états d’âmes activés et non-intégrés, tandis que la notion d’émotion comprend toujours, en plus de la composante de l’activation spécifique, la construction d’un sens à partir de cette activation (Sachse et Langens, 2014). Cette complexité
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du concept a plusieurs implications pour le travail thérapeutique centré sur les émotions : • l’émotion est comprise comme un processus, avec plusieurs micro-étapes ; • il existe des conditions spécifiques décrivant la productivité du travail thérapeutique centré sur les émotions ; • il existe des sous-types d’émotions que le thérapeute doit différencier. Ces implications sont examinées les unes après les autres dans les sections suivantes.
L’émotion est un processus Les émotions impliquent un processus qui se développe, sous des conditions favorables, naturellement et par étapes, allant de l’émergence de l’émotion à son achèvement. L’individu peut certes exercer par moments un certain contrôle sur ses émotions. Cependant, la plupart du temps, il s’agit d’états mentaux survenant automatiquement, avec une composante corporelle importante et qui se déploient d’un moment à l’autre, ce qui mérite donc le terme de processus. L’appréhension des stimuli dans l’environnement se réalise à des niveaux présymboliques, influençant ainsi notre perception, notre état émotionnel et notre jugement (Zajonc, 1980). Greenberg et Paivio (1997) décrivent ce processus en cinq étapes, comprenant l’émergence, la conscience, l’appropriation, l’expression et l’achèvement de l’émotion. Souvent, ce processus se passe en cycle. Par exemple, une fois l’achèvement d’un état émotionnel atteint, une nouvelle émotion émerge, est portée à la conscience, ensuite l’individu se l’approprie pleinement comme faisant partie de son identité, puis l’exprime et tend vers l’achèvement de l’émotion. À chaque étape du processus, un blocage ou un problème peut survenir. Par exemple, l’émergence d’un état émotionnel « inacceptable » peut être repoussée et inhibée, l’appropriation d’une émotion peut être bloquée par des enjeux identitaires (« ce n’est pas moi »), l’expression (ou toute autre action) peut être réprimée par des processus interférents de désirabilité sociale et par des émotions « sociales » de gêne ou de honte, ce qui bloque l’achèvement (completion) de l’émotion initiale. Ce processus émotionnel peut ainsi être entravé à différentes étapes, ce qui peut provoquer un état émotionnel appelé « détresse chronique ». Cet état de détresse chronique est souvent ce que les clients présentent en début de traitement, mais n’est généralement pas l’état émotionnel qui a provoqué le problème ou le blocage. Fondamentalement, on peut dire que l’acceptation des émotions en tant que processus naturel, déployé entre émergence et achèvement, est une étape essentielle permettant à un individu de guérir de ses blocages et dissoudre sa détresse chronique. Mais il existe d’autres conditions nécessaires pour que le processus émotionnel suive son cours naturel et productif.
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Les conditions spécifiques pour la productivité des émotions En tout, sept critères ont été développés décrivant la productivité d’un processus émotionnel dans le cadre psychothérapeutique (Auszra et al., 2013). Ces critères sont reliés entre eux de manière ordonnée, ce qui veut dire que les premières étapes sont des prérequis pour les étapes ultérieures (figure 2.1) : 1. Conscience de l’émotion (attending). Le client est conscient de son expérience émotionnelle. Si l’émotion n’est pas (encore) symbolisée ou représentée (voir critère deux), donc présymbolique, elle doit au moins être dans la conscience, ou dans le focus de l’attention, de l’individu. Cela est particulièrement important avec les émotions exprimées uniquement au niveau non verbal ; cette expression doit être consciente pour l’individu. 2. Symbolisation de l’émotion (symbolization). L’individu doit nommer l’expérience émotionnelle, en mettant des mots sur son état dans l’ici et maintenant. 3. Congruence de l’émotion (congruence). L’émotion exprimée non verbalement et le contenu de l’expression émotionnelle doivent être congruents. Ces deux expressions sont reliées, avec suffisamment de contact mutuel et de chevauchement de contenu. 4. Acceptation de l’émotion (acceptance). L’émotion doit être acceptée par l’individu, qui adopte une attitude d’intérêt et de curiosité par rapport à
Figure 2.1. Les conditions spécifiques pour la productivité des émotions en séance. D’après Auszra et al., 2013.
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sa propre émotion. L’individu est à l’écoute de son émotion, la prend au sérieux et en extrait des informations. L’acceptation de l’émotion comprend aussi l’acceptation du soi ayant cette émotion. 5. Régulation de l’émotion (regulation). L’émotion doit être suffisamment activée dans l’ici et maintenant, mais aussi, doit être suffisamment régulée, dans le sens que l’individu garde une distance suffisamment grande par rapport à son émotion. Cette distance devrait lui permettre un processus constructif d’intégration des éléments affectifs et cognitifs en une structure de sens plus complexe et cohérente. 6. Appropriation de l’émotion (agency). L’émotion est appropriée par l’individu ; ce dernier assume la complète responsabilité de son émotion, comme faisant partie de son expérience et de son identité. Cet élément implique une attitude active de l’appropriation de l’émotion comme construction subjective, à partir des buts, besoins et actions dans la situation dans laquelle émerge l’émotion. L’individu conçoit sa propre personne comme étant la source de l’émotion. 7. Différenciation de l’émotion (differentiation). À travers son expression, l’émotion doit devenir de plus en plus différenciée, nuancée, ce qui généralement implique l’accès à une construction plus complexe et intégrée de cette émotion. La différenciation peut aussi décrire un processus de transformation vers une autre forme d’expérience émotionnelle, plus acceptée et appropriée et nuancée que la précédente. Le critère (5) de la régulation émotionnelle mérite davantage d’attention. Du point de vue des théories des émotions, il s’agit ici d’une fonction centrale (Gross, 2002, 2007). L’enfant qui se développe intègre ses affects, actions et sensations divergents en une synthèse plus complexe. Cette synthèse représente un pattern d’émotion symbolisé et ainsi le résultat de la régulation émotionnelle. Selon Greenberg et Paivio (1997), la première fonction du processus de symbolisation est ainsi la régulation des affects sous-jacents. Les mots mis sur un affect ressenti rendent ce dernier plus complexe – il devient une émotion nommée – contribuant à la distance cognitive de l’individu par rapport à cet état émotionnel et à la réduction de l’intensité de cet état. La régulation des émotions se développe grâce à la maturation neurophysiologique, cognitive et affective de l’enfant, mais aussi grâce aux réactions que les figures d’attachement présentent face à des émotions exprimées par l’enfant. Ainsi, les schèmes émotionnels se développent dans le cadre intersubjectif des relations d’attachement (Stern, 1985). Ce sont ces schèmes émotionnels, sous forme de sentiments de rapport affectif à soi-même construits à partir du contexte intersubjectif, qui servent de boussole pour l’intégration et le développement émotionnel ultérieurs. La qualité de ces processus ultérieurs dépend en partie de la fonction de la conscience émotionnelle. L’individu qui sait identifier ses émotions comme ayant une valeur adaptive et qui est capable d’en extraire
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une information (« un signal ») aura plus de facilité à accéder à une autoorganisation stable et régulée en termes émotionnels. La régulation des émotions n’est pas seulement dépendante de la conscience qu’un individu a de ses émotions et de leur valeur adaptive, mais aussi de leur expression. Si l’expression activée est souhaitable et permet de transmettre un message de manière efficace, une expression sous-tendue par une activation mal régulée produit des effets contraires. Par ailleurs, l’expression émotionnelle doit être socialement adéquate, au bon moment de l’échange interpersonnel ou social, afin d’être vécue par l’interlocuteur (ou par le client ou par son contexte) comme efficace. Il s’agit ici d’une balance subtile et fragile qu’il s’agit de re-construire régulièrement et qui est caractéristique d’une santé mentale et, ultimement peut-être, de la sagesse humaine. De manière générale, on peut dire qu’une intensité émotionnelle moyenne à basse est le plus productif, mais il existe des situations où une tristesse intense et profonde est nécessaire pour traverser un processus de deuil de la perte d’un proche, ou une colère intense est nécessaire et efficace pour affirmer ses frontières et ses besoins. Ainsi, contrairement à certaines conceptualisations génériques de la régulation émotionnelle parlant de suppression, d’inhibition ou de contrôle (voir Gross, 2002, 2007), Greenberg et Paivio (1997, p. 31) définissent, de manière dynamique et idiosyncratique, cette fonction centrale comme « la réalisation d’une expérience nuancée et l’expression de celle-ci sous l’égide de sa propre conscience ». Dans ce sens, la maturité émotionnelle n’est pas un long fleuve tranquille, mais implique l’attention à nos expériences émotionnelles, la conscience émotionnelle et une expression nuancée de notre expérience, compte tenu du contexte interpersonnel. Grandir émotionnellement veut dire surmonter nos anciennes peurs et blocages émotionnels qui ne sont plus fonctionnels aujourd’hui, mais l’étaient dans le contexte de notre histoire d’apprentissage émotionnel. Par exemple, Paulette, une cliente en psychothérapie, se rappelle des propos de sa mère. Elle décrit : « Je me rappelle de ma mère qui, quand j’étais triste, me disait de ne pas “être triste… qu’il ne faut pas pleurer pour rien… que cela n’avance en rien dans la vie… c’est comme ca”. Elle était souvent alors très froide et distante dans l’attente que mes larmes se sèchent… Ma mère disait alors : “Ha ! c’est mieux ! Et ne recommence pas ça !” ». Cet exemple montre comment l’histoire d’apprentissage émotionnel peut contribuer à des blocages et des limitations de l’expérience émotionnelle actuelle.
Définition des types d’émotions et interventions psychothérapeutiques Tandis que l’émotion est considérée comme adaptive, les émotions idiosyncratiquement ressenties et exprimées par des clients peuvent varier en fonction de différents critères. Selon Greenberg et Safran (1987, 1989 ;
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Greenberg et Paivio, 1997), certaines émotions concernent une réaction à un événement à l’extérieur du soi et certaines autres concernent une réaction à un processus interne. Par exemple, une personne qui se sent triste à cause d’une perte (externe) est dans un autre état émotionnel qu’une personne qui se sent impuissante et triste face à son incapacité de contrôler sa colère (interne). L’intervention thérapeutique est très différente. Dans la première expérience (externe), le thérapeute facilite l’expression complète de la tristesse, de la douleur en lien avec la perte et du processus de deuil de la personne. Dans la deuxième expérience (interne), le thérapeute facilite l’exploration complète des relations internes entre l’impuissance et la colère sous-jacente, qui engendre l’expérience actuelle. Fondamentalement, Greenberg et Paivio (1997) distinguent trois catégories d’émotions : primaire, secondaire et instrumentale. Les émotions primaires peuvent être davantage différenciées entre émotions primaires adaptées et mal adaptées. Les émotions primaires sont les émotions qui surviennent comme réactions directes et immédiates à des stimuli externes, tandis que les émotions secondaires et instrumentales sont des émotions qui suivent (séquentiellement) les émotions primaires ou bien qui sont socialement influencées ou médiatisées. La distinction entre émotions primaires adaptées et mal adaptées renvoie au lien avec les conditions biologiques (adaptées) versus au lien avec l’histoire d’apprentissage émotionnelle de l’individu, empreinte de patterns d’attachements problématiques et traumas relationnels (mal adaptées). Dans l’exemple de Paulette (cf. ci-dessous), son expérience de la tristesse primaire est interrompue par un processus de blocage, qui avait été appris à travers des expériences difficiles ou traumatiques dans le contexte des liens d’attachement.
Émotions primaires adaptées Il s’agit ici de réactions émotionnelles qui démontrent clairement une valeur adaptive sur le moment de l’expérience, par exemple la peur face à un danger, ou la colère face à une transgression. Généralement, ces émotions ont un contour expérientiel et un contenu très précis, comme la tristesse face à la perte d’un proche. Sont rangées sous émotions primaires adaptives aussi les sentiments (feelings), ce complexe sentiment fait d’expériences du sens corporel (felt sense), ainsi que la douleur psychologique, qui peut être plus floue par nature. Les émotions primaires adaptées ont une qualité de fraîcheur et d’immédiateté, de nouveauté et de découverte. Même si leurs contenus peuvent être négatifs (i.e., tristesse, colère), leurs accès et expression complète produisent un sentiment souvent qualifié de positif et de curatif (Fosha, 2000 ; Greenberg, 2002). En psychothérapie, il s’agit donc de les promouvoir et de les compléter ; il s’agit des processus centraux contenant des informations précieuses et ayant des tendances à l’action spécifiques et productives. Par exemple, le fait d’éprouver de la colère face à
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La psychothérapie centrée sur les émotions
un traitement de défaveur est un processus central auquel il s’agit d’accéder et que le client doit symboliser en thérapie, afin qu’il puisse se défendre de manière adéquate.
Émotions primaires mal adaptées Il s’agit de réactions émotionnelles primaires qui ont été adaptées durant l’histoire d’apprentissage, mais ne le sont plus au moment présent. Généralement, ces émotions sont associées à des schèmes émotionnels et donc à des expériences d’attachement en lien avec l’expression émotionnelle initiale de la personne en tant qu’enfant. Par exemple, en tant qu’enfant, une cliente a fait l’expérience que la proximité peut être source de danger, de contrôle et de violence. Elle a développé un sentiment primaire de peur de l’intimité, accompagné par une tendance à la colère face à l’expression par l’autre d’une authenticité ou d’un soutien chaleureux. Généralement, les émotions de peur et de honte sont les plus prévalentes dans cette catégorie, mais toutes les émotions sont possibles. Par exemple, une personne peut avoir un vieux sentiment connu d’être nulle, sans valeur et sans intérêt, ce qui peut être rapproché de l’expérience de la honte. Alternativement, une personne peut avoir un vieux sentiment connu de soi en tant que fondamentalement vulnérable, dépendant et faible, ce qui peut être résumé sous un sentiment de peur. Ces sentiments sont primaires, dans le sens qu’aucune autre réaction émotionnelle ne s’interpose entre celles-ci et le stimulus. Il s’agit, comme pour les émotions primaires adaptées, de réactions immédiates, mais cette fois-ci empreintes d’un vieux sentiment de familiarité que le client décrit souvent comme « je suis déjà venu là ! », ce qui peut se rapprocher pour certains cas d’une expérience de « déjà-vu ». Si cette expérience émotionnelle émerge dans la séance, elle doit être focalisée, défaite, intégrée et transformée.
Émotions secondaires Les émotions secondaires constituent des réactions à des expériences émotionnelles primaires, adaptées ou non, ou à des pensées ; elles sont donc secondaires par rapport à la séquence et à la fonction. Par exemple, un client expérimentant un vieux sentiment familier (comme décrit ci-dessus) sous-tendu par l’idée « je suis nul », ne supporte pas de rester avec ce sentiment et se met en colère (émotion secondaire) contre le système qui l’entoure. Comme autre exemple, un client ne se permet pas de montrer la colère (émotion primaire) et, à la place, se présente avec un état d’activation diffus, en pleurant et en se positionnant comme une victime. Comme dernier exemple, une cliente se sent impuissante et déprimée (émotion secondaire) lorsqu’elle pense à ses échecs. Cette cliente déprimée dit à la première séance : « Peu importe ce que je fais, je ne vais pas changer. J’ai fait déjà plusieurs thérapies et il semble que rien ne m’aide. » À partir de cette impuissance, couplée à un désespoir concernant l’option que la thérapie
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actuelle ne l’aide pas, cette cliente se sent comme dans une « trappe », sans issue. L’exploration empathique permet ici de reconnaître cet état d’impuissance comme un état secondaire sous-tendu par un sentiment ancien de honte primaire mal adaptée, avec des craintes plutôt superficielles qui y sont associées : « Si je re-commence à travailler et à aller mieux, je vais devoir affronter des collègues trop critiques et je m’effondrai à nouveau ! » Cela est un exemple d’une impuissance secondaire, cachant un sentiment plus profond (et primaire) de la honte. En psychothérapie centrée sur les émotions, l’évaluation du processus émotionnel se déployant sur le moment est importante. À cet effet, il est central pour le thérapeute de développer une acuité perceptuelle (PascualLeone et Andreescu, 2013) lui permettant de différencier, chez un client, les émotions secondaires des émotions primaires (mal adaptées ou adaptées). Les interventions thérapeutiques centrées sur les émotions secondaires sont très différentes de celles centrées sur les émotions primaires : le thérapeute permet au client de passer autour de ces états émotionnels – tout en les acceptant –, ou de les défaire pour accéder au « cœur » de l’information émotionnelle précieuse en lien avec la réaction primaire. Les émotions secondaires peuvent aussi être comprises comme émotions « de surface » ou défensives, notamment par les approches psychodynamiques (voir Fosha, 2000). Contrairement à ces écoles, la psychothérapie centrée sur les émotions n’admet pas nécessairement une étiologie traumatique de ces émotions et ne les met pas directement en lien avec une pulsion biologique. De manière descriptive, ces émotions secondaires sont des manifestations d’un système dynamique complexe – qu’est l’être humain – en réponse à des réactions immédiates jugées comme « inappropriées » par ce même système. Toutefois, nous admettons que souvent, les émotions secondaires servent d’évitement des émotions primaires, notamment mal adaptées : exprimer la rage en réaction à la honte, exprimer la détresse en réaction à la peur d’être laissé seul.
Émotions instrumentales Les émotions instrumentales sont exprimées dans un contexte interpersonnel, sur la base du savoir chez l’individu que cette expression a un effet sur autrui. Ce savoir peut exister sous forme d’un savoir explicite ou implicite (savoir-faire). Depuis l’enfance, l’être humain apprend que l’expression de certaines émotions provoque un état désiré. Par exemple, l’expression de la colère peut produire une attitude de soumission chez l’autre et l’expression de la tristesse peut engendrer de la sympathie pour le soi ou de la pitié chez l’autre. Ainsi, un enfant peut exprimer de la colère pour contrôler ses parents et/ou exprimer de la peur pour être sûr que ses parents le soutiennent. Ces émotions ont un caractère superficiel, avec des tonalités de voix dramatisantes ou particulièrement aiguës. Aussi, ici, le thérapeute TCE doit-il
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disposer d’une acuité perceptuelle suffisante lui permettant de différencier les émotions instrumentales d’autres types d’émotions et d’implémenter l’intervention appropriée. Par exemple, il s’agit, face à ces émotions instrumentales, d’augmenter chez le client sa capacité de représentation en lien avec le caractère instrumental de l’émotion, car ces émotions sont fondamentalement insuffisantes pour satisfaire les besoins centraux de l’individu. Comment évaluer et différencier ces émotions dans le processus thérapeutique ? L’outil principal du thérapeute TCE est l’empathie dans ses différentes formes (voir ci-après la section « Théorie de la relation thérapeutique » pour une élaboration plus détaillée). Le thérapeute « se met à la place » du client, expérimente avec les paramètres évoqués par le client, « goûte » à cette expérience et partage ce qu’il imagine comme étant la synthèse de l’expérience du client. Cela implique que le thérapeute ait une connaissance des réponses émotionnelles universelles. Parmi ces connaissances concernant les réponses émotionnelles adaptées, notons que la violation de ses frontières suscite la colère, le danger de rester seul, la peur, la perte d’un proche, la tristesse. Quant aux réponses émotionnelles mal adaptées possibles, une connaissance supplémentaire est requise. Par exemple, un thérapeute ayant conscience des schèmes émotionnels de sa cliente victime d’abus, peut considérer que la proximité relationnelle puisse susciter chez elle de la honte de perdre la face ou de la peur d’être envahie. Il est également indispensable pour le thérapeute de connaître ses propres réactions émotionnelles, selon les situations spécifiques. L’empathie avec le client est de meilleure qualité si le thérapeute formule de manière cohérente le cas, les problèmes et les objectifs de traitement pour la situation en question. Finalement, une conscience accrue, chez le thérapeute, du moment présent, du contexte de la séance – du moment de la journée et de l’impact émotionnel du lieu de la rencontre – est un autre prérequis pour une empathie optimale (voir tableau 2.1). Tableau 2.1. Types d’émotions et interventions appropriées. Type d’émotion
Type d’émotion spécifique
Interventions
Primaire adaptée
Tristesse suite à perte Colère suite à violation Peur suite à menace
Accès aux informations adaptées (tendances à l’action et le besoin)
Sentiment du sens corporel
Symbolisation de la signification et du besoin
Douleur psychologique
Accéder et compléter
Sentiment d’être sans valeur/honte Sentiment d’insécurité/peur Peurs d’intimité et de la hauteur
Accéder le schème mal adapté pour le transformer
Primaire mal adaptée
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Type d’émotion
Type d’émotion spécifique
Interventions
Secondaire
Impuissance Désespoir Rage Humilité Jubilation (avec malveillance)
Prise de conscience et exploration
Instrumentale
Colère dominante Larmes de crocodile
Prise de conscience de la fonction interpersonnelle
Indignation morale Embarras feint
Prise de conscience et exploration
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D’après Greenberg et Paivio, 1997, p. 37.
Qualités vocales En étudiant les émotions en psychothérapie, l’observation des indices paraverbaux, dont la qualité vocale, est importante. Afin d’évaluer correctement et de savoir différencier les différentes types d’émotions énumérées, le thérapeute devient un être d’assimilation et d’intégration des éléments exprimés par le client sur le moment, un « processeur auxiliaire » (Rice et Kerr, 1986) en quelque sorte qui se « branche » complètement sur l’expérience du client et intègre cette dernière à la place du client. La qualité vocale du client en est un élément important. Rice et Kerr (1986) distinguent plusieurs qualités vocales de base : 1. Qualité vocale externe. La qualité vocale externe est marquée d’assurance et suggère que le contenu exprimé n’est pas une expérience vécue dans l’ici et maintenant ; elle ne comprend pas d’accès à une nouvelle construction symbolique. C’est comme si la personne adoptait un ton professoral, dans le sens « Je m’adresse à… ». L’énergie présente est dirigée vers l’extérieur et la voix est pleine et entière. Le rythme et l’accentuation sont réguliers, hautement prévisibles et souvent marqués par une voix aiguë. Une intonation particulière sur la fin de la phrase est fréquente. Cette qualité vocale est souvent rencontrée dans les émotions instrumentales et secondaires. 2. Qualité vocale émotionnelle. La qualité vocale émotionnelle est le résultat d’une émotion sous-jacente débordante. Ainsi, elle est perturbée et déformée. Le schéma vocal habituel est brisé, par exemple par une voix qui « craque », qui tremble, qui comprend des cris perçants ou s’efface presque complètement. Le rythme est hautement irrégulier, y compris les accents prosodiques. L’intonation vers la fin de la phrase est inattendue, nouvelle et surprenante. Cette qualité vocale suscite ainsi de la tension au niveau de la trame narrative et montre qu’un processus pertinent est actuellement en train de se produire. Les clients en phase d’exploration émotionnelle, éprouvant des émotions productives (p. ex., des émotions primaires mal adaptées), mais non résolues et non complètement transformées, présentent souvent cette qualité vocale.
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3. Qualité vocale focalisée. La qualité vocale focalisée marque une attention focalisée sur le vécu interne de la personne et montre que toute l’énergie est actuellement mise dans la construction de sens nouveau. Le client cherche ses mots, « les mots justes », décrivant son expérience sur le moment. Ainsi, le rythme est hautement irrégulier, haché et avec une intonation finale inattendue. L’intonation peut être forte ou aussi avec une voix traînante. L’interlocuteur ressent de l’intérêt pour ce processus qui est marqué par un contenu inédit et construit sur le moment. Souvent les clients en exploration émotionnelle présentent cette qualité de la voix, mais cette fois lorsqu’ils se trouvent à une étape plus avancée de construction de sens (p. ex., en élaborant le deuil d’un parent qui n’a jamais été là pour le client). Globalement, nous appelons cette attitude empathique d’évaluation par le thérapeute le compas émotionnel. Le compas émotionnel est orienté vers les expériences émotionnelles du client et nous renseigne sur des éléments de base. Il nous aide, fondamentalement, à distinguer le type d’émotion expérimentée sur le moment par le client. La différenciation en termes de types d’émotions est centrale, car elle permet de mieux comprendre le client et de faire des choix éclairés concernant l’intervention émotionnellement appropriée sur le moment. Dans le tableau 2.1, nous montrons les différents types d’émotions, avec des soustypes spécifiques, ainsi que des interventions appropriées à ces catégories. De manière schématique, nous pouvons résumer que les émotions instrumentales demandent un travail de prise de conscience du but instrumental impliqué dans cette émotion. Par exemple, l’expression de la tristesse a comme fonction instrumentale de susciter de la compassion en l’autre. Ensuite, les émotions secondaires demandent à être explorées et transformées vers l’accès à une émotion plus primaire, les émotions primaires mal adaptées demandent l’accès à un schème mal adapté en vue de sa transformation. Finalement, les émotions primaires adaptées demandent l’accès à l’information adaptive contenue dans cette émotion. Chaque catégorie d’émotions requiert donc une attitude thérapeutique différenciée.
Théorie du dysfonctionnement émotionnel S’il est vrai que nos actions et interactions sont avant tout guidées par nos émotions, nous pouvons postuler que l’origine des dysfonctionnements dits « de surface » – comportementaux, interpersonnels et cognitifs – se trouve dans notre système émotionnel. Il s’agit donc d’examiner en détail quelles sont ces sources de dysfonctionnements émotionnels possibles chez l’être humain. Rappelons que la cohérence est comprise comme une caractéristique structurant les liens entre l’activation expérientielle et le processus de construction de la signification (Greenberg et al., 1993). En revanche,
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l’incohérence émotionnelle peut être due à plusieurs déterminants internes et aussi, à un stress relié à la situation externe. Cette dernière situation se produit lorsqu’une personne se sent par exemple en colère, mais est dans l’impossibilité de s’affirmer ou de rappeler ses limites. Dans ces cas, la colère primaire reste, elle ne peut pas être complétée et résolue et peut produire des réactions secondaires, comme l’impuissance ou comme conséquence, un sentiment d’être une victime des circonstances ou en échec. Cela peut se produire, par exemple, dans des cas de violence conjugale. Dans ces situations, il est important de considérer la mise à l’abri de la personne loin de la situation stressante et potentiellement (re-)traumatisante. Au niveau des aspects internes à l’être humain, l’incohérence émotionnelle peut se montrer à travers des difficultés à réguler l’émotion. La régulation émotionnelle est une fonction primaire selon la TCE, une finalité générale qui relie plusieurs moyens et stratégies thérapeutiques. Il s’agit de situations où une colère, par exemple, est présente, mais son intensité, sa durée, sa qualité, sa finalité ou d’autres aspects opératoires de l’émotion sont dysfonctionnels. Cela peut résulter en une expression démesurée de cette émotion : la colère devient la rage en anticipant une agression majeure, ou l’anxiété devient la panique en anticipant une terreur. Afin de mieux réguler ces aspects opératoires de l’émotion, le principe d’intervention est de moduler l’intensité et de ralentir le processus émotionnel. Il existe une série de stratégies de régulation classiques qui sont utilisées à cette fin au niveau thérapeutique, par exemple, en utilisant la respiration ou en comptant jusqu’à dix dans des situations stressantes : l’apprentissage de la régulation émotionnelle est une tâche idiosyncratique et profondément humaine. Chaque personne est amenée, à travers son développement, à constituer sa « boîte à outils de coping » très personnelle. Cette conception dynamique et créatrice de la régulation émotionnelle dépasse les catégorisations classiques connues dans la littérature (voir Gross, 2007). Elle met, une fois de plus, l’individu en tant qu’agent au cœur du processus de guérison qui devient un processus de transformation, car des éléments vraiment nouveaux émergent. Par exemple, une cliente ayant eu le diagnostic de trouble de la personnalité borderline a développé une stratégie de coping inédite qui consiste, au moment où un stress émerge, à s’asseoir à son ordinateur et à formuler une lettre à son thérapeute dans laquelle elle décrit tout ce qu’elle a sur le cœur. Cette action d’écriture lui a permis d’intégrer et de lâcher l’émotion sur le moment et d’éviter des passages à l’acte dangereux pour sa santé. Cette stratégie, développée par une cliente en utilisant ses ressources et intérêts personnels (l’écriture), montre que l’élaboration, l’articulation en mots et la différenciation du vécu émotionnel sont des processus potentiellement utiles à la régulation émotionnelle (Paivio et Pascual-Leone, 2010), mais, ici, nous considérons que c’est l’application idiosyncratique qui rend ce processus si productif. Un client abusé durant
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l’enfance a développé une impulsivité et agressivité marquée, qui s’était manifestée dans plusieurs contextes sociaux. La thérapie a dû focaliser sur la différenciation de la colère impliquée dans les états d’impulsivité et d’agressivité, ce qui a permis à ce client de se ré-approprier « sa » colère primaire, face à son père qui a abusé de lui. Ce travail de différenciation de la colère a eu comme fonction primaire la régulation émotionnelle, dans le sens d’une baisse des problèmes d’agressivité et d’impulsivité. Parfois, il est aussi nécessaire d’aider la régulation des émotions secondaires, comme dans le cas d’une cliente avec une excitabilité émotionnelle accrue, état accompagné de détresse non-spécifique et de manifestations physiologiques. Afin de pouvoir établir un dialogue thérapeutique et de libérer ou créer un espace mental de travail, il était nécessaire pour elle de lui enseigner quelques techniques de respiration utilisables en séance. De surcroît, la régulation émotionnelle est co-construite par une présence thérapeutique particulièrement affirmée (Geller et Greenberg, 2012 ; Paivio et Laurent, 2001 ; voir chapitre 3). Les capacités du thérapeute de se mettre à la place d’une cliente présentant des problèmes de régulation émotionnelle dans l’ici et maintenant et de véritablement proposer un climat empathique de confiance, d’accueil et de réassurance profonde, souvent réalisé par le comportement non- et paraverbal du thérapeute, sont centrales ici. Les émotions douloureuses sont difficiles à supporter pour nous tous ; ainsi, pour certains clients, l’évitement et la suppression de ces émotions peut être une solution provisoire. Toutefois, ce type de solution ou de coping est rarement efficace et ne soutient pas la santé mentale au long cours. Si la douleur ressentie peut être acceptée en tant que telle, elle peut être utilisée et transformée dans le but de l’adaptation de l’individu. Il s’agit de situations cliniques de contrôle excessif ou d’évitement expérientiel, qui implique souvent un processus sous-jacent d’auto-interruption (ou de blocage) de l’expérience émotionnelle. Cette interruption peut prendre plusieurs formes au niveau des processus d’information. Il peut y avoir une suppression des aspects affectifs de la conscience (pour ne garder qu’une description purement cognitive à la conscience), ou un évitement comportemental de la situation qui pourrait susciter l’émotion douloureuse. Dans ce cas, le client peut aussi simplement ignorer son expérience affective immédiate, tout en se focalisant sur des éléments externes ou relationnels, ou en produisant des symptômes psychosomatiques. À l’extrême, des comportements d’addiction et impulsifs, des automutilations et des états dissociatifs ont souvent, au moins partiellement, la même fonction : supprimer une expérience affective douloureuse primaire. La tentative du client de se couper de cette expérience affective a plusieurs effets : (1) le client perd son compas émotionnel, le sens de ce qui est fondamentalement « juste » pour lui. Il se sent désorienté et vide de sens et de direction dans sa vie ; (2) le client continue à avoir ces états émotionnels, malgré
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ses tentatives d’évitement. Le client devient donc profondément confus. Il ne se coupe pas seulement d’occasions de ressentir quelque chose, mais aussi de faire sens avec ce ressenti et de l’utiliser pour informer ses choix et actions dans sa vie. Ce processus tend à s’auto-alimenter et à se maintenir ; le processus d’interruption devient chronique et il devient de plus en plus difficile de rétablir la cohérence entre les parties divergentes au sein de la personne. Nous pensons que seulement un traitement qui met ces processus émotionnels et d’interruptions au cœur du travail thérapeutique, sera à même de produire une transformation profonde. Le cas de figure le plus extrême qui est source d’incohérence au sein de l’individu est l’expérience traumatique. L’expérience traumatique tend à départager et dissocier les liens entre sensations, affects, mémoire, traitement de l’information et élaboration de sens, dans le cas de trauma survenu à l’âge adulte. Si le trauma concerne l’enfance (p. ex., des abus sexuels du client lorsque celui-ci était enfant), il est courant qu’une mémoire émotionnelle traumatique existe sans avoir été mise en mots, avec des carences fondamentales au niveau du développement des capacités de représentation, de synthèse et de mise en sens chez le client dès l’enfance (Paivio et PascualLeone, 2010). La TCE propose un cadre fondamentalement sécurisant qui permettra la mise en mots et l’élaboration de cette expérience émotionnelle restée sans mot (voir chapitre 4). Finalement, le processus de construction de sens de soi peut être mis à mal de différentes manières. Rappelons que par un processus de construction de sens, nous entendons une synthèse dynamique et dialectique entre l’expérience sur le moment et des structures psychologiques (les schèmes émotionnels, dont l’activation automatique se passe à plusieurs niveaux psychologiques et biologiques). De ce fait, nous assumons des liens complexes et bidirectionnels entre les processus cognitifs et l’expérience affective. Ce sera toujours cette dernière qui servira de compas ou d’orientation dans la construction de sens elle-même. Des dysfonctionnements au niveau « cognitif » sont ainsi sous-tendus par une expérience émotionnelle qui influence les niveaux de la représentation. Par exemple, un client anxieux, présentant une insécurité profonde, a des pensées anticipatoires de catastrophisation. Ces dernières sont influencées par son état d’âme sur le moment, en cas de dysfonctionnement relié à des problèmes au niveau émotionnel. Selon cette conception, la cognition devient un marqueur de surface, un corrélat, d’un processus dysfonctionnel plus profond, qui est régi par les systèmes émotionnel et corporel. À ce titre, Greenberg et Paivio (1997) différencient quatre formes de dysfonctionnements possibles au niveau des capacités de construction de sens : 1. Une incohérence entre les émotions, y compris les besoins, qui génère une expérience particulière. Elle peut résulter en la non-prise en compte par la personne de ses émotions ou des carences de représentation au sujet du
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lien entre les émotions, les besoins et buts. Ces émotions ainsi opérant hors-conscience ne sont pas modifiables ; elles génèrent des conflits entre l’expérience vécue et les contraintes externes mouvantes. Par exemple, une personne peut se sentir « bizarre », à chaque fois qu’elle conduit devant le lieu de travail de son ex-conjoint, car elle continue, en réalité à avoir un attachement non résolu à cette personne, malgré la séparation officielle. Il faut souligner qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème au niveau de l’évaluation ou de l’appréciation (appraisal), comme noté par certaines théories cognitives (dans l’exemple donné, l’appréciation étant en cohérence avec la réalité), mais bel et bien d’un problème plus global d’un réseau d’activation émotionnelle, impliquant un non-accès, chez cette personne, à son conflit interne entre la séparation réelle et l’attachement affectif au conjoint. 2. Une réponse interne du client à la perception d’une divergence entre le besoin et la situation peut être problématique. Il s’agit ici d’une réponse dysfonctionnelle à la perception d’une frustration d’un besoin. Par exemple, une cliente réagit par un accès de colère intense et des pensées suicidaires lorsqu’elle apprend que sa candidature à un poste n’a pas été retenue. La perception de la frustration semble correcte ; ce qui est dysfonctionnel est l’intensité de la réponse de la colère : au lieu d’essayer de comprendre les raisons du refus pour se préparer à une nouvelle opportunité, elle est envahie par la colère. 3. Une importante source de dysfonctionnement au niveau du processus d’autoévaluation. L’évaluation de soi est toujours en jeu lorsqu’il s’agit de construire une nouvelle signification. Elle peut être plus ou moins adaptée à la réalité et au contexte ; le fait, chez une cliente, de se considérer comme étant « trop grosse », malgré les apparences et d’autres autodescriptions plus nuancées, en est un exemple. Il est important de souligner que ce ne sont pas les contenus du processus d’auto-évaluation qui sont seuls à l’origine des dysfonctionnements, mais avant tout l’interaction entre ces contenus, les processus automatiques qui les enclenchent et la qualité de la symbolisation au niveau langagier. 4. Les dysfonctionnements peuvent se trouver au niveau des séquences émotionnelles complexes. Une cliente peut présenter toujours la même séquence émotionnelle lorsqu’elle se sent stressée. Par exemple, à partir d’un sentiment profond d’inadéquation qu’elle n’arrive pas à pleinement éprouver et symboliser, elle développe une rage foudroyante (par des moments d’impulsivité par exemple), s’épuise et tombe typiquement dans un état d’impuissance quasi léthargique. C’est seulement au moment où elle réussit à accéder pleinement à son sentiment d’inadéquation que ces séquences émotionnelles peuvent être comprises, dénouées et transformées. Les dysfonctionnements psychologiques – dans d’autres littératures, appelées des indices de la psychopathologie – du client sont à comprendre au niveau émotionnel. Les émotions, les besoins, leur degré d’articulation avec la construction de la signification et les actions associées sont
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des processus qui peuvent être à l’origine des problèmes présentés par les clients. Une compréhension détaillée des émotions est donc à la fois une porte d’entrée pour accéder à l’origine des problèmes présentés et un moyen de faciliter le changement, la résolution et la transformation.
Besoins d’identité et d’attachement Comme il en a été question plus haut, le sens de la cohérence a été mis au cœur de la théorie du fonctionnement humain, visant à une régulation affective moment-par-moment (Greenberg et al., 1993). L’individu agit à tout moment en fonction de son sens de cohérence et en accord avec des besoins en lien avec les motivations de base. Ces dernières sont ici définies d’un point de vue de l’adulte (et non pas de l’enfant lésé). Même si l’origine des dysfonctionnements peut remonter à la vie enfantine (voir ci-dessus, l’explication de l’origine des émotions primaires mal adaptées), nous partons ici de l’hypothèse de la centralité de l’expérience émotionnelle adulte, dans l’ici et maintenant, pour le fonctionnement actuel de la personne. Par exemple, le fait qu’un client aie tendance à se sentir honteux dans ses interactions sociales implique des tendances à l’action dans l’ici et maintenant et le sentiment sous-jacent, la honte, doit être focalisé (et non pas l’origine possible, dans l’enfance, de cette honte). La honte est ici le sentiment de l’adulte, et non pas un sentiment que le client a nécessairement éprouvé de la même manière en tant qu’enfant, dans la situation d’origine. Le client aurait pu, par exemple, dans le cas d’une situation d’abus, se sentir terrifié, angoissé ou anxieux. Pour une transformation efficace, nous nous focalisons sur les besoins – actualisés dans l’ici et maintenant – de reconnaissance, de validation et de réconfort chez ce client en tant qu’adulte et pas nécessairement sur les besoins de protection en tant qu’enfant. Dans la TCE individuelle, tout comme de couple, il est de ce fait important pour le thérapeute de favoriser la satisfaction des besoins fondamentaux de l’adulte (ou des deux partenaires adultes pour un couple) présent en psychothérapie. Greenberg et Goldman (2008) synthétisent les catégories de besoins relationnels d’adulte qui s’organisent en deux systèmes motivationnels parallèles et interconnectés : (1) le système des besoins de reconnaissance, de contrôle, de maintien des limites et d’affirmation (besoin d’identité) et (2) le système des besoins d’attachement, de lien, de stabilité et de réassurance (besoin d’attachement). Dans le contexte de la thérapie de couple centrée sur les émotions, ces auteurs proposent un troisième système motivationnel, celui de l’attraction et l’affection pour autrui, qui sera abordé dans le chapitre décrivant les spécificités liées au contexte conjugal (voir chapitre 5). Ces deux systèmes de base reflètent la nature relationnelle de l’existence de l’être humain : une personne existe par rapport à l’autre, sa rencontre
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avec autrui et son ouverture envers l’autre et le monde. Comme le dit Buber (1958), une personne ne peut être complètement sûre de l’expression de sa propre souffrance, sauf si l’autre a réellement répondu à cette expression, produisant ainsi une validation profonde de l’existence de la souffrance de cette personne et ainsi de l’existence de cette personne toute entière. Ces systèmes motivationnels sont donc fortement reliés et interconnectés. L’identité est l’expérience d’être unique, de savoir se définir comme un être différencié et développé, dans le sens d’un processus de croissance psychologique. L’identité comprend une facette sociale, avec les rôles, statuts et interactions de la personne avec son entourage, et une facette intime, avec l’expérience subjective à la fois de continuité et de discontinuité dans le temps. Fondamentalement, l’identité est ainsi une expérience relationnelle, soit dans le sens d’une relation avec soi-même, c’est-à-dire se narrer, de manière plus ou moins cohérente, être la même personne à travers des expériences assez différentes, soit dans le sens d’une relation à autrui, c’est-à-dire assumer, ou transgresser, les rôles sociaux réservés au soi. Ainsi, l’identité et les besoins rattachés sont empreints d’émotions et d’affects. Des émotions typiques associées au besoin d’identité sont, parmi d’autres, la fierté, la honte, l’intérêt, la peur, l’impuissance et la colère (Greenberg et Goldman, 2008). Afin de donner du sens à leur vie, les personnes créent – ou se racontent – certaines identités. Cela peut créer des incohérences dans l’expérience du soi. Une personne peut par exemple faire l’expérience d’une relation de couple insuffisamment validante. Dans ce cas de figure, il n’est pas rare que le besoin de validation, comme facette identitaire, devienne tellement important que la personne recherche une autre source de validation, par exemple par ses collègues au sujet de ses accomplissements professionnels. À un moment donné, ce déséquilibre peut devenir source de souffrance et le besoin pur de reconnaissance peut émerger là où il manquait : au cœur de la personne, face à son partenaire. Dans cette situation, c’est comme si la « voix » du besoin du soi prend la place et s’exprime : « Je veux être reconnu pour qui je suis ! » (exemple tiré de Greenberg et Goldman, 2008). La validation généreuse du soi, de son identité et de son évolution sont des contreparties interpersonnelles dont le soi a fondamentalement besoin. Cela est en accord avec la théorie du soi (Self) développée par Rogers (1951). Tandis que cette conception originelle a proposé une ligne développementale différente de l’attachement et des besoins de dépendance, Greenberg et Goldman (2008) suggèrent plutôt que le besoin identitaire soit orienté vers le contrôle et la compétence, ainsi que la connexion profonde en termes de lien avec autrui. La formation identitaire devient ainsi, d’un point de vue développemental et de la psychothérapie, un processus de co-construction, dans lequel la notion de validation empathique du soi est au cœur. Ces éléments ont été classiquement inclus dans la notion d’attachement (voir ci-après), ce qui, selon Greenberg et Goldman (2008), ne rend pas compte
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des besoins sous-tendants assez différents. Stern (1985) reconnaît que le soi n’est pas un concept sur lequel tous les auteurs peuvent s’accorder. Il propose ainsi la notion de sentiment d’être soi (sense of self), ce sentiment subjectif qui fait qu’un enfant déjà, et un adulte plus tard, sait implicitement ce qui fait partie de soi, en tant que fondation de savoir qui « je » suis. Ce sentiment d’être soi regroupe le sentiment de contrôle, d’unicité et de cohérence au sein de la personne. C’est une validation profonde de ce sentiment d’être soi dont une personne a besoin pour son développement. Cela comprend tous les affects potentiellement émanant de ce sentiment et décrit ce que Stern (1985) appelle le besoin pour l’ajustement affectif (affect attunement ; Greenberg et Goldman, 2008). Les sentiments exprimés demandent ainsi une réponse affective affirmative, afin que la personne puisse se sentir reconnue et validée dans son identité et continuer à grandir psychologiquement. Le besoin d’attachement a été décrit comme étant primaire dans les motivations humaines (Harlow et Zimmermann, 1958). Bowlby (1988) décrit la nature du lien affectif entre l’enfant et son parent (ou caretaker). Dans sa théorie, les enfants sont ceux qui expriment la détresse et les parents répondent de manière plus ou moins ajustée (ou responsive) à cette détresse. Lors de ce type d’expression de détresse, l’attachement sûr de l’enfant est caractérisé par des comportements de sécurité et de sûreté, de recherche de confort, par exemple en retrouvant la proximité du parent, en cas de détresse, pour se laisser réconforter. Ainsi, l’enfant vérifie trois aspects de l’interaction favorisant la survie sur la base de son besoin d’attachement : (1) la proximité de la personne significative (caretaker) ; (2) la disponibilité de la personne significative ; (3) la réceptivité de la personne significative. Cela peut être traduit, en termes langagiers et pour l’adulte comme suit : (1) « Es-tu présent pour moi ? » ; (2) « Es-tu là pour moi ? » ; (3) « Réponds-tu si je t’appelle ? » (Greenberg et Goldman 2008, p. 79). Les comportements associés, classés dans des styles d’attachement décrits dans la littérature (Mikulincer et Shaver, 2007), ont été démontrés comme modulant des fonctions cognitives et affectives. Par exemple, le style d’attachement module la distinction centrale entre l’appréciation d’une situation sociale en tant que menaçante ou pas, ce qui a des conséquences émotionnelles et comportementales (Vrticka et Vuilleumier, 2012). Ce processus est sous-tendu par un réseau neuronal d’activation sous-corticale (i.e., amygdale, hippocampe et striatum) et corticale (i.e., insula et cortex cingulaire ; Vrticka et Vuilleumier, 2012). Ces circuits émotionnels sont influencés par des circuits de processus de contrôle volontaire, par exemple par l’activité neuronale dans le cortex préfrontal médian et la jonction temporopariétale. Des fonctions cognitivo-émotionnelles associées à l’attachement sont également sous-tendues par des activités hormonales, comme celle de l’ocytocine (Meyer-Lindenberg et al., 2011), qui a été confirmée dans
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son potentiel de pouvoir faciliter des comportements d’approche dans des situations sociales perçues initialement comme risquées ou dans la modulation des comportements d’attachement (Buchheim et al., 2008). Aussi, au niveau des émotions associées à l’attachement, les ancrages biologiques et psychologiques s’entremêlent et interagissent. Greenberg et Goldman (2008) comprennent la portée de la notion d’attachement de manière spécifique. Dans la littérature, comme expliqué ci-dessus, la notion d’attachement englobe le lien affectif à un caretaker, englobant la proximité (besoin d’attachement) et la validation (appartenant au besoin d’identité). Il existe pourtant des situations dans lesquelles il n’existe pas ou peu de validation du soi et de l’identité, malgré des liens de proximité forts. Cela peut être le cas dans les situations d’événements traumatiques ou de négligence émotionnelle. Comme nous utilisons ce concept ici, nous postulons, avec Greenberg et Goldman (2008), qu’il s’agit de deux centres auto-organisateurs de la personne dont l’expression peut fortement fluctuer à travers les situations et d’une personne à l’autre. Un adulte peut se présenter avec un comportement d’attachement sûr face à une personne et en même temps osciller vers un comportement d’attachement vulnérable face à une autre. Aussi, selon la situation, la personne a la possibilité d’utiliser une panoplie de patterns d’attachement, en fonction des différentes expériences de l’être humain. Ces patterns d’attachement peuvent aussi évoluer à travers le temps et avec des expériences relationnelles correctrices, notamment à travers la transformation émotionnelle en psychothérapie. Cette critique face à la centralité de la notion d’attachement postulée par certains auteurs permet une nouvelle conceptualisation des liens entre affect, émotions et lien d’attachement. Greenberg et Goldman (2008) considèrent que la capacité de régulation de l’affect d’une personne dépend des besoins fondamentaux d’attachement, ainsi que de ceux d’identité. Le modèle centré sur les émotions met ainsi les motivations et besoins au service d’un schème émotionnel visant et assurant la survie de la personne et de l’espèce. L’attachement décrit ici le lien affectif, subjectivement vécu comme plus ou moins stable par la personne, qui permet à la personne de réguler ses affects dans l’intersubjectivité. La validation, en revanche, est un principe interpersonnel qui assouvit le besoin d’identité, qui, lui aussi sert au schème de la régulation d’affect, de manière partiellement indépendante du système d’attachement (voir Schore, 1994 ; Stern, 1985). Cette différenciation a des implications importantes pour la psychothérapie centrée sur les émotions. D’abord, elle implique que l’individu a plusieurs chemins lui permettant d’avoir accès à ses besoins fondamentaux et leur empreinte idiosyncratique. L’importance du besoin d’attachement implique directement que le psychothérapeute favorise des attachements sûrs, au sein d’un espace sécurisant qu’est la relation thérapeutique. Cette manière de faire a des vertus en soi pour la transformation émotionnelle et
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aussi pour un travail focalisé sur le contenu des émotions. Le thérapeute doit être fondamentalement proche (au sens figuré du terme) de l’expérience du client, disponible et ajusté moment-par-moment. Dans la thérapie de couple centrée sur les émotions, cet espace d’attachement sécurisant a un effet de modèle pour l’interaction de couple et peut générer des solutions productives très rapidement. Pour la formation du futur thérapeute centré sur les émotions, cela implique un travail expérientiel de profondeur sur ses propres blessures d’attachement, afin d’être capable d’offrir cet espace d’attachement sécurisant. L’importance du besoin d’identité implique que le thérapeute doit activement valider l’expérience du client, dans le sens de favoriser son développement identitaire. Le thérapeute doit être particulièrement attentif à la validation empathique du sentiment d’être soi, ce qui revient à proposer les variables de base et des développements techniques de celles-ci.
Théorie de la relation thérapeutique La relation thérapeutique est centrale pour toute psychothérapie, mais l’est particulièrement pour le travail explicite sur les émotions. Cette centralité est due à deux caractéristiques complémentaires de la relation thérapeutique : • sa fonction de co-régulation de l’affect en psychothérapie, par la présence thérapeutique, l’expérience par le client du lien affectif et soutenant de la part du thérapeute et de la congruence ; • sa fonction de faciliter une exploration empathique profonde et productive qui est ajustée aux affects du client. Ces deux points embrassent complètement et étendent en même temps la position de Rogers (1957) sur la centralité de la relation thérapeutique et l’importance des contributions du thérapeute, ainsi que du client, à la collaboration et à l’alliance thérapeutique. L’alliance thérapeutique est aujourd’hui considérée comme l’indicateur du processus ayant la valeur prédictive la plus robuste pour le changement symptomatique ; il s’agit ici communément non seulement du lien affectif d’un client avec son thérapeute, mais aussi de l’accord au sujet des buts et moyens de la thérapie. La Taskforce de l’APA a montré la centralité de l’alliance thérapeutique par une série de méta-analyses (Horvath et al., 2011). Parmi les contributions du thérapeute à la qualité de l’alliance thérapeutique et de la relation thérapeutique plus globalement, un rôle central revient à l’empathie.
L’empathie L’empathie peut être définie comme une attitude du thérapeute qui vise à « opérer au sein du cadre de référence du client et de rester en contact
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empathique avec le monde interne du client » (Greenberg et Elliott, 1997, p. 167). L’empathie étant une « attitude », elle peut être vue comme une manière d’être du psychothérapeute, ou le climat émotionnel créé par la personne du thérapeute (Bohart et Greenberg, 1997 ; Watson et al., 1998). L’étude de cas de Gloria a décrit ce climat émotionnel présent dans les séances de thérapie. Cette cliente a été interviewée par trois thérapeutes, C. Rogers, F. Perls et A. Ellis (Shostrom, 1965). Il a été montré que, par leurs interventions et leurs expressions non verbales, chaque thérapeute a facilité un climat relationnel et des processus émotionnels différents chez la cliente. Rogers a facilité l’expérience de la honte, de l’intérêt et de la joie en Gloria, Perls davantage la peur et le mépris en Gloria et Ellis la peur également, ainsi que la colère. Chaque thérapeute donne préférence à l’élicitation de certaines émotions, ce qui peut être mis en lien avec son approche thérapeutique et aussi avec son style d’interaction et sa vie personnelle (Magai et Haviland-Jones, 2002). Aujourd’hui, les thérapeutes centrés sur les émotions diraient qu’il s’agit d’un travail expérientiel chez le psychothérapeute d’identifier chez soi les émotions privilégiées dans sa vie personnelle et de se munir d’outils pour pouvoir accueillir la plus grande panoplie émotionnelle existante. Le climat émotionnel empathique, selon la TCE, implique un thérapeute qui sait se connecter à l’expérience émotionnelle du client momentpar-moment. Il sait favoriser l’accès, l’approfondissement et l’achèvement (completion) de la douleur psychologique adaptive. Il sait permettre à son client de ressentir sa force d’affirmation à l’intérieur de lui et ainsi de l’aider à exprimer la colère primaire adaptée. Ces ajustements empathiques se réalisent avant tout par un « faire comme si », analogue à ce que propose Rogers au niveau du contenu et de sa compréhension par le thérapeute (Rogers, 1975), mais ici au niveau des processus émotionnels. Le thérapeute « fait comme s’il » entrait dans l’expérience émotionnelle du client sur le moment et il parle à sa place, met l’emphase sur l’émotion et la rend ainsi la plus poignante possible. Il faut insister sur le « comme si » ; le thérapeute est conscient qu’il s’agit ici des émotions d’autrui et sait aussi utiliser proactivement sa réaction interne émotionnelle à des effets thérapeutiques. C’est ainsi que l’empathie du thérapeute peut contribuer directement à la régulation émotionnelle chez le client, à la profondeur de la connaissance expérientielle, des processus de transformation en accédant aux ressources enfouies et à la compassion délicate pour soi. On peut observer certains marqueurs, comme le ton de la voix cohérent avec le contenu exprimé (p. ex., une voix fragile avec la honte et énergique avec la colère), l’expression du visage cohérente avec le contenu exprimé, le thérapeute qui se penche en avant sur sa chaise, ou la larme qui se produit au coin de l’œil du thérapeute. Par ailleurs, un thérapeute empathique garde un contact visuel avec le client, adoptant une expression d’intérêt ou de concernement (p. ex., hoche la tête). Il utilise une intonation de la voix et une rapidité
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du discours similaire au client et il évite d’interrompre le client. Au final, il s’agit d’un mode de réponse marqué d’implication émotionnelle correspondante et d’absence d’ennui, en utilisant des mots émotionnels saillants, en proposant une attitude d’exploration (au lieu de donner des conseils) et des messages clairs et directs.
Les bases neurobiologiques de l’empathie L’empathie, ou du moins des composantes de celle-ci, ont été investiguées par les neurosciences sociales (Klimecki et Singer, 2013 ; Watson et Greenberg, 2009). En partant du concept voisin de la présence thérapeutique (voir chapitre 3), Geller et Greenberg (2012) soulignent que le cortex préfrontal a été associé à des fonctions nécessaires pour être pleinement présent. Ces fonctions comprennent la régulation corporelle, la communication ajustée à l’autre, la balance émotionnelle, y compris la peur, la réponse flexible, l’empathie pour la situation de l’autre, la conscience réflexive, la conscience de soi, l’intuition et la moralité (Siegel, 2007). Par ailleurs, le calme interne à partir duquel il est productif de développer l’empathie pour l’autre est seulement possible grâce à une balance entre les activités sympathique et parasympathique. La découverte des neurones miroirs (Gallese et al., 1996 ; voir aussi Grèzes et Decety, 2001) a permis de confirmer l’hypothèse que les mêmes régions cérébrales sont recrutées lorsqu’il s’agit d’exécuter soi-même un comportement ou de l’observer chez quelqu’un d’autre, les aires du cerveau traitant les informations autoréférentielles en moins. Ce dernier point souligne qu’il est important d’insister sur le « comme si » dans les actions thérapeutiques empathiques, et également qu’il est possible de comprendre les soubassements neurobiologiques de la larme du thérapeute dans le coin de son œil, face à un client touché. Aussi les fonctions de l’empathie ont-elles été associées en grande partie aux activations dans les structures limbiques et insulaires du cortex cérébral (Klimecki et Singer, 2013). Lutz et collaborateurs (2008) ont comparé des experts en méditation aux novices, dans une tâche où on leur présentait des bruits évocateurs de stress. Ils ont trouvé une densité plus élevée des récepteurs en vasopressine (avec davantage d’ocytocine relâchée) et une activation plus grande dans l’aire médiane de l’insula chez les experts en méditation, comparés aux novices en méditation. Ces résultats peuvent être interprétés comme reflétant l’importance du système de récompense dans l’expérience du lien chaleureux et de l’attachement, même si l’individu est face à un stimulus négatif, comme dans cette expérimentation. Pour notre propos, ce type de recherche montre que la qualité de l’empathie varie entre différents individus, également entre différents thérapeutes ; cette qualité d’être en lien avec autrui a des corrélats neurobiologiques avérés, notamment sur l’activation insulaire, ainsi que des marqueurs d’une attitude psychologique reflétant le lien affectif,
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l’approchement, la considération, l’apaisement et l’amour, même en cas d’adversité.
Empathie et processus thérapeutique L’empathie thérapeutique a des effets sur et est affectée par le processus thérapeutique à plusieurs niveaux. Notamment, l’empathie thérapeutique contribue chez le client à l’éveil de sa curiosité pour sa vie interne. Elle peut favoriser l’acceptation et la compréhension de soi-même. Le thérapeute, en étant empathique, doit le faire avec compassion et humilité, et en étant complètement présent (voir chapitre 3). L’empathie a le pouvoir d’évoquer, chez le client, des schèmes émotionnels centraux et prépare ainsi un terrain fertile pour l’exploration émotionnelle subséquente. Aussi, l’empathie thérapeutique fait-elle « fondre » certaines émotions secondaires, notamment si elles sont défensives, et permet-elle l’accès aux émotions primaires. L’empathie permet d’augmenter le focus thérapeutique et contribue à la modulation et à la régulation affective. Par ailleurs, en ce qui concerne le trauma complexe, l’empathie thérapeutique ouvre un espace interne à l’exploration de la mémoire traumatique (Paivio et Laurent, 2001). Finalement, l’empathie thérapeutique peut servir de modèle pour d’autres relations interpersonnelles et contribue ainsi fondamentalement à la construction de la confiance. L’empathie est si centrale qu’elle peut être décrite comme attitude globale en même temps qu’elle peut être départagée en différentes techniques thérapeutiques au sein de la TCE. En somme, ces techniques représentent différentes facettes de la présence thérapeutique (Geller et Greenberg, 2012 ; voir chapitre 3).
Principes et formes d’empathie Principes d’empathie Les principes de l’empathie sont au nombre de deux. Il s’agit de l’ajustement (attunement) et de la communication (Greenberg et Elliott, 1997). Ajustement L’ajustement empathique comprend le thérapeute qui se met à la place du client. Il observe de manière minutieuse l’évolution de l’expérience du client et s’ajuste en entrant en contact avec cette expérience. Une guidance fondée sur le processus oriente l’attention du client vers son expérience immédiate et le « rejoint » dans son activité de compréhension et de construction de sens. Cela est réalisé par le thérapeute en utilisant le compas émotionnel qui est toujours orienté vers la douleur psychologique profonde du client. Entre le contenu de ce que dit le client et la manière de le dire, la dernière prime toujours sur le premier dans l’écoute attentive du thérapeute.
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Communication La communication au sujet de l’empathie, et de sa rupture, est également importante. Analogue à des ruptures de l’alliance thérapeutique dans le processus thérapeutique dans son ensemble (Safran et Muran, 2000), il peut y avoir des mini-ruptures de l’empathie. Ces dernières comprennent la conscience du thérapeute à tout moment de son absence potentielle de l’empathie et aussi qu’il est mal ajusté à l’expérience du client sur le moment. Le fait de communiquer cette expérience au client montre à celui-ci que le thérapeute est bien avec lui, malgré la rupture de l’empathie décrite. La communication empathique comprend le discours explicite du thérapeute au sujet de la compréhension du client par le thérapeute. Le client doit savoir explicitement que le thérapeute est « de son côté » (Elliott, 1985).
Formes d’empathie Selon Greenberg et Elliott (1997), il existe cinq formes différentes d’empathie, correspondant à des techniques d’intervention relationnelles. Compréhension La compréhension empathique décrit l’intervention du thérapeute qui communique sa compréhension des éléments implicites reliés au vécu du client sur le moment. Il n’y a pas de nouveau contenu ajouté par le thérapeute ; l’intervention se focalise sur les éléments implicites exprimés sur le moment. Le thérapeute communique à partir des mots et du cadre de référence du client et la fonction de cette forme d’empathie est de soutenir le soi et de l’aider à l’affirmation. Le thérapeute peut, par exemple, dire face à une cliente qui manifeste, en décrivant une situation de déception amoureuse, des éléments de tristesse et de colère : « Je vois que vous êtes à la fois triste et en colère. » Évocation L’évocation empathique décrit l’intervention du thérapeute qui active l’expérience du client dans l’ici et maintenant, en utilisant des mots expressifs, des métaphores ou une imagerie évocatrice. À nouveau, l’intervention est formulée à partir du cadre de référence du client. Cette intervention sert à l’évocation sur le moment d’une expérience encore mal représentée, ce qui doit permettre l’accès de la représentation de l’expérience, dans le but d’accéder à des informations expérientielles fraîches. Aussi ici, il n’y a pas d’ajout de nouvelle information, mais l’expérience est rendue plus saillante. Par exemple, le thérapeute peut dire face à un client qui évoque la scène durant laquelle il part de sa maison familiale, tout en se sentant encore attaché à sa famille : « Vous vous sentiez chassé de votre maison familiale. » Exploration L’exploration empathique décrit l’intervention du thérapeute qui encourage le client à explorer « aux frontières » de son expérience et à construire de nouvelles significations. À nouveau, la formulation du thérapeute utilise
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les mots et le cadre de référence du client et permet ici de rechercher de nouvelles informations. Ainsi, le thérapeute fonctionne comme oriente du processus ; il n’ajoute aucun nouvel élément de lui-même, mais guide le client à accéder aux nouvelles informations, en étendant ses modèles de compréhension, en différenciant l’expérience. Le thérapeute guide l’attention du client sur les aspects peu clairs de son expérience, propose des questions ouvertes ou des demandes directes pour plus d’information autour de ce qui est implicitement dans le récit narré, mais n’a pas encore été explicité. Face à un client qui manifeste une fragilité fondamentale en séance, le thérapeute peut par exemple dire : « Vous vous sentez à l’intérieur tellement fragile, frêle… ou… » Conjecture La conjecture (ou la supposition) empathique décrit l’intervention du thérapeute qui offre une nouvelle information, tirée de sa propre expérience ou de son cadre de référence. Cela est réalisé dans le cadre collaboratif, de manière non autoritaire et dans un cadre de référence partagé entre le client et le thérapeute. Ainsi, le thérapeute tient compte à la fois du cadre de référence du client (de ses mots et expériences) et du cadre de référence propre au psychothérapeute et les intègre. Il opère ainsi en parallèle du cadre de référence du client ; il n’est pas en train de guider, ni de suivre. La fonction de la supposition empathique est d’offrir au client un symbole, qui potentiellement fasse sens et lui permette d’éclaircir des aspects de son expérience qui n’ont pas encore été éclaircis. De ce fait, la conjecture empathique concerne toujours un aspect significatif du soi qui mérite attention, et qui ne l’a pas encore obtenue jusqu’à présent. Par exemple, le thérapeute peut dire à une cliente qui décrit un sentiment de rejet dans des situations interpersonnelles : « Peut-être croyez-vous que vous n’êtes fondamentalement pas du tout intéressante. » Interprétation L’interprétation fondée sur l’empathie est une intervention du thérapeute qui vise à ce que le thérapeute puisse se construire un modèle du fonctionnement du client, servant ensuite de base au thérapeute pour partager des éléments avec le client, dont ce dernier n’est pas encore conscient. Cette fois-ci, cette intervention vient du cadre de référence du thérapeute, sur la base de sa compréhension empathique de l’expérience du client. La fonction de cette intervention est de relier les différentes expériences, ou aspects de l’expérience, chez le client. Cette interprétation est réalisée de manière non jugeante par le thérapeute en restant fondamentalement responsive et ouvert à l’expérience du client sur le moment, lorsqu’il entend cette interprétation. Le moment pour cette intervention doit être bien choisi et le client doit être prêt à assimiler cette nouvelle information. Par exemple, le thérapeute peut dire face à un client qui interroge ses problèmes de colère :
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« Vous êtes très en colère et ceci vous protège de votre sentiment d’être fondamentalement une personne inappropriée. » Exemples d’interventions Le tableau 2.2 montre différents exemples de ces interventions, en fonction du but de l’intervention empathique. En effet, l’intervention empathique Tableau 2.2. Formes d’empathie en fonction des émotions exprimées et des cognitions présentes. But/ Empathie
Compréhension
Évocation
Exploration
Supposition
Interprétation
Adaptée
Je vois comment vous êtes triste
Exprimer cette douleur, mais personne n’est là
Si triste, vous sentez comme…
J’imagine que vous êtes en colère
Votre colère que vous n’avez jamais exprimée
Mal adaptée
Tellement vulnérable à l’intérieur
Ce sentiment Si vulnérable d’être ou… délaissé, un enfant seul
J’imagine vous vous sentez abandonnée
Votre besoin d’être entouré vous marque
Secondaire
Si frustré
–
–
–
Votre colère vous protège de votre tristesse
Instrumentale
Vous pleurez, pour exprimer : « Tu m’as fait du mal. »
–
–
–
Vos larmes peuvent aider à le mobiliser
Signification
Vous n’êtes pas sûr si vous en êtes capable
Comme une victime maltraitée
Ceci implique que vous ne serez plus jamais la même
Peut-être comme si personne n’est là pour moi
Ce sentiment actuel d’être seul est similaire à l’abandon du passé
Croyance
Ce sentiment d’être une mauvaise personne
Tout ce que je touche tourne au drame
Vous dites, je suis nul, que se passe-t-il à l’intérieur ?
Peut-être vous sentez que vous n’aurez jamais du succès
Votre croyance de devoir vous débrouiller seul prévient de chercher de l’aide
Émotion
Cognition
D’après Greenberg et Elliott, 1997, p. 177.
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peut considérer des processus émotionnels et des processus cognitifs. Parmi les processus émotionnels, l’intervention peut se focaliser sur une expérience émotionnelle primaire adaptée, où le contenu concerne le besoin existentiel, la colère adaptée, la douleur psychologique comme exemples d’émotions primaires adaptées. L’intervention peut aussi se focaliser sur l’expérience émotionnelle primaire mal adaptée, où le contenu concerne souvent un sentiment fondamental d’insécurité, d’abandon ou la peur ou la honte de soi. L’intervention empathique peut concerner l’expérience émotionnelle secondaire (des émotions exprimées en réponse à une émotion primaire) ou instrumentale (des émotions exprimées pour avoir un effet interpersonnel). Aussi, l’intervention empathique peut concerner des contenus cognitifs. Par exemple, elle peut se focaliser sur la signification idiosyncratique où le thérapeute focalise sur la construction du client de son expérience. Finalement, l’intervention empathique peut concerner la croyance de base qui organise les représentations et les significations (p. ex., des standards, des valeurs, des croyances au sujet du soi et d’autrui). Dans une opérationnalisation de ces critères de différenciation et une application à du matériel clinique, Greenberg et Elliott (1997) relatent qu’après formation, les codeurs ont réussi à différencier les cinq catégories d’intervention de manière satisfaisante.
Considérations méthodologiques : recherche portant sur le processus Dans cet ouvrage, la référence à la recherche en psychothérapie demande à cet endroit une brève note méthodologique. La recherche en psychothérapie focalisée sur l’observation des processus thérapeutiques est un complément riche et indispensable à la recherche portant sur l’efficacité des psychothérapies. Greenberg (1984, p. 4) a défini l’objectif de la recherche sur l’observation des processus en psychothérapie ainsi : « l’identification, la description, l’explication et la prédiction des effets du processus influençant le changement thérapeutique ». Kazdin (2009) ajoute même un lien de causalité comme objectif de ce type de recherche : (1) les variables du processus et du résultat doivent covarier ; (2) la variable du processus (la cause) doit précéder le résultat (l’effet) ; (3) des explications plausibles alternatives doivent pouvoir être exclues : (4) le lien trouvé doit être en cohérence avec la théorie de mécanismes de changement sous-jacente. Les différents aspects des émotions, tels que définies dans ce chapitre, en sont des concept-clés. Historiquement, Rogers (1951) a débuté ce type de recherche portant sur le processus, suivi par Rice et Greenberg (1984), en utilisant le paradigme de l’événement significatif qui sera expliqué plus bas, et un bon nombre d’autres chercheurs ont utilisé d’autres paradigmes au sein de la recherche focalisée sur le processus thérapeutique. Par exemple, la recherche reliant le processus au résultat est très répandue et robuste pour
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certains types de variables très globales ou évaluatives (comme l’alliance thérapeutique ; Stiles, 2013). Malgré cela, l’intérêt pour la clinique de ce type de recherche est limité et un certain nombre de problèmes méthodologiques existent, comme par exemple le risque de mesurer un processus au mauvais moment – reflétant ainsi un processus non valide – de la trajectoire du changement thérapeutique. L’approche par des séquences, en étudiant au sein des séances les séquences interactionnelles de type client-thérapeute-client (Meystre et al., 2014 ; Sachse, 1992 ; Sachse et Elliott, 2002) est prometteuse et permet des conclusions pertinentes pour l’intervention clinique. Par exemple, Sachse (1992), dans un échantillon de thérapies centrées sur la personne, a pu montrer que la directivité fondée sur le processus face à certains caractéristiques du client, a permis pour le client d’accéder à un traitement de l’information plus profond. Par ailleurs, Elliott (2010) décrit une approche qualitative de recherche centrée sur des événements aidants, en interrogeant les clients après leurs séances de psychothérapie. Cette approche laisse sélectionner les événements à étudier par le client et « donne la parole » aux clients. Finalement, l’approche centrée sur les événements significatifs en psychothérapie (Rice et Greenberg, 1984) part du présupposé qu’au sein d’une séance de psychothérapie, certains moments sont plus significatifs pour prédire le changement thérapeutique que d’autres. Ces moments sont ensuite micro-analysés et comparés à (ou mis en « résonance avec ») une modélisation rationnelle. Cette approche méthodologique est appelée la task analysis (Greenberg, 2007 ; Pascual-Leone et al., 2013), ou l’analyse de la tâche thérapeutique. Initiée autour de l’analyse des tâches industrielles (Annett et Stanton, 1998), reprise par la psychologie du développement cognitif (Newell et Simon, 1972 ; Pascual-Leone, 1976) et développée par Greenberg (1984, 2007) dans le domaine de la psychothérapie, la task analysis est fondamentalement une approche de découverte scientifique intégrant des méthodes qualitatives et quantitatives. Suite au constat d’une performance ou d’une expérience spécifique chez le client, cette méthode sert à répondre à la question « comment est-ce que le client a réussi à faire cela ? », une question d’un intérêt clinique profond. Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’analyser momentpar-moment la performance du client, de faire des observations informées par une théorie spécifique et cohérente et de procéder à l’amélioration et l’affinement de cette théorie par les nouveaux faits. Le nouveau modèle doit être re-testé dans un échantillon indépendant. Souvent, de nouvelles méthodes d’observation doivent être développées, afin de confronter le nouveau modèle aux faits. Cette méthode, expliquée dans d’autres écrits en détail (voir PascualLeone et al., 2013), a permis de développer, micro-analyser et valider les tâches thérapeutiques de la TCE énumérées dans le chapitre 3. Elle a permis
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de démontrer les étapes de transformation émotionnelle à travers la TCE (Pascual-Leone et Greenberg, 2007) ainsi que de développer et valider un modèle de résolution des blessures d’attachement dans le contexte de la TCE de couple (Woldarsky Meneses et Greenberg, 2014).
Transformation émotionnelle étape par étape Le modèle TCE propose comme un des mécanismes centraux le changement de l’émotion par l’émotion (Greenberg, 2002 ; Greenberg et Paivio, 1997 ; Greenberg et Pascual-Leone, 2006). Malgré l’intérêt d’une telle affirmation au niveau intuitif, il manquait les étapes que le client en TCE devait nécessairement parcourir pour réaliser une telle transformation émotionnelle. Fondamentalement, la transformation émotionnelle doit se produire sur deux lieux : 1. en accédant en séance aux composantes non-conscientes (évocation), et en ouvrant d’autres possibilités affectives créant une nouvelle synthèse dynamique sous forme d’un changement dans le sens corporel (aspect dynamique). 2. en symbolisant cette nouvelle synthèse en la « laissant parler » et en rendant le nouveau sens corporel – cette synthèse expérientielle – complètement accessible à la conscience (aspect dialectique). Ces opérations se font en permanence et peuvent être facilitées par les techniques du psychothérapeute qui guide activement le client dans un état émotionnel spécifique, dans le but de l’évocation et de la symbolisation complète. En utilisant l’analyse de la tâche thérapeutique, un modèle séquentiel de la transformation émotionnelle a été développé (Pascual-Leone et Greenberg, 2007 ; Pascual-Leone, 2009). Il s’agit d’un modèle descriptif répondant à la question de savoir « comment un client a réussi à passer d’un état émotionnel peu productif, peu différencié, à une résolution émotionnelle complète et un lâcher-prise ? ». Si l’émotion est un processus multiniveau et multidimensionnel se déployant dans le temps (voir ci-dessus), un tel modèle de transformation émotionnelle doit tenir compte de la complexité de ce changement non-linéaire. Pascual-Leone (2009 ; PascualLeone et Greenberg, 2007) a développé ce modèle empiriquement fondé en plusieurs sous-étapes de transformation (figure 2.2). À partir de l’identification, au sein des séances thérapeutiques TCE, des épisodes émotionnels (comme événements thérapeutiques), un état émotionnel (secondaire ou instrumental) non-résolu, présentant des caractéristiques complexes et avec un niveau d’intensité plutôt élevée (la détresse globale) a été défini comme point de départ. À partir de là, il est postulé que l’individu, en différenciant et avançant dans son processus de résolution
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Figure 2.2. Étapes de transformation émotionnelle. D’après Pascual-Leone et Greenberg, 2007, p. 877.
(accompagné et facilité par le thérapeute), accède soit à une colère rejetante (secondaire), soit à des émotions primaires mal adaptées. Concernant ces dernières, le client peut soit se trouver dans un état de honte mal adaptée ou de peur mal adaptée, la dernière pouvait être en lien avec une expérience d’attachement frustrante ou traumatique. Sous-tendant les états émotionnels de peur ou de honte primaires mal adaptées, se trouve une évaluation négative du soi qui prend la forme d’un substrat cognitif des schèmes émotionnels (comme sous-tendant le sentiment d’inadéquation, la cliente peut présenter une évaluation négative de soi de type « je suis bonne à rien ! »). Dans les séances présentant une résolution de l’épisode émotionnel et un achèvement de la transformation émotionnelle, le cheminement se poursuit par le dénouement des émotions primaires mal adaptées et de l’évaluation négative, par l’accès au besoin existentiel. L’accès expérientiel et profond par le client au besoin existentiel est souvent conçu comme l’étape-charnière de la transformation émotionnelle, car cette étape libère des ressources inhérentes aux émotions primaires adaptées, enfouies jusqu’à maintenant (Greenberg, 2002, 2011a). L’accès au besoin par l’individu mènera directement à deux possibilités de résolution distinctes – et chez certains clients, les deux successivement : la résolution par la colère affirmée (ou par l’autocompassion) et la résolution par la douleur psychologique ou le deuil. Par exemple, une cliente traumatisée durant l’enfance,
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après avoir dépassé son impuissance secondaire, a eu accès à son schème émotionnel autour de la peur de l’abandon et de la solitude (« Je n’existe pas sans l’autre ! »). Dans un processus thérapeutique productif, impliquant des dialogues avec la chaise vide (voir chapitre 3), elle a eu accès à la colère affirmée dans la scène d’abus où elle tient responsable l’agresseur, son père, et lui dit « J’ai le droit d’exister ! C’est toi qui a fait la faute ! », pour ensuite, après avoir pleinement accédé à cette colère adaptée, sombrer dans un processus de deuil primaire adapté que ce père n’a jamais été celui qu’elle aurait souhaité avoir. Ce processus primaire adapté permet l’avancement de la transformation émotionnelle de plus en plus profondément. Ce processus de transformation est ensuite complété par l’acceptation de l’épisode émotionnel et une attitude de lâcher-prise de l’émotion. L’intérêt essentiel de ce modèle réside en sa définition opérationnalisée des différents types d’émotions et leurs places respectives dans une séquence de transformation émotionnelle. Notamment, ce modèle conçoit deux types de colère (i.e., rejetante et affirmée) et deux à trois types de tristesse (détresse globale, deuil/douleur psychologique et la honte/peur, qui peut parfois prendre l’allure d’un état de tristesse). Au clinicien averti revient donc la tâche importante de savoir différencier ces manifestations émotionnelles d’un client. Cela est le cœur de l’évaluation du processus par le thérapeute, une capacité sous-tendue par de l’acuité perceptuelle qui doit faire l’objet d’entraînement et de supervision. Pour ce faire, le thérapeute apprend à identifier et différencier les indices composant chaque type d’émotion.
Formulation de cas Historiquement, la TCE s’est développée comme approche fondée sur les indices du processus (voir chapitre 3) ; elle s’est basée sur l’évaluation du processus émergeant sur le moment. La formulation de cas n’a pas fait partie de l’arsenal technique des thérapeutes humanistes et néo-humanistes, ce qui est en lien avec les problèmes inhérents à toute évaluation ou diagnostic dans le domaine de la psychothérapie, comme souligné par Rogers (1951, p. 220) : « Le diagnostic psychologique, comme généralement compris, n’est pas nécessaire pour la psychothérapie et peut avoir des effets néfastes sur le processus thérapeutique. » Malgré cet accent rigoureux sur le processus appliqué par la TCE, il est de plus en plus considéré comme utile et productif de savoir formuler un cas, dans le but de développer un focus du travail thérapeutique. Ainsi, un travail d’explicitation et de développement d’une méthode de formulation de cas TCE a eu lieu (voir Goldman et Greenberg, 2015). Cette méthode de formulation de cas TCE est fondée sur le primat du processus et permet d’articuler un focus de travail thérapeutique autour de la douleur psychologique centrale présente chez le client (Timulak et
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Pascual-Leone, 2014). La formulation de cas TCE n’est jamais réalisée à priori (p. ex., en tout début de thérapie, une fois pour tout), mais émerge et est réadaptée en fonction du processus thérapeutique. Par ailleurs, la formulation de cas est une tâche collaborative – coconstruite – entre le client et le thérapeute. Cela est important, car la TCE part du présupposé que les éléments les plus centraux et émotionnellement poignants émergent (a) seulement après un certain temps de travail thérapeutique (pas nécessairement à la première séance) et (b) seulement dans le contexte d’une relation thérapeutique hautement sûre, empreinte de présence, empathie, acceptation et congruence du thérapeute. Ces conditions favorisent l’engagement du client en la relation thérapeutique, en réalisant les tâches suivantes : autorévélation, exploration et approfondissement de l’expérience dans l’ici et maintenant. Ces tâches visant l’engagement du client sont les prérequis pour une formulation de cas TCE (Greenberg et Goldman, 2007). L’identification et l’élaboration des structures cognitivo-affectives (des schèmes émotionnels) déterminant les problèmes symptomatiques de surface constituent le processus central dans la formulation de cas. Souvent, les clients présentent des schèmes émotionnels soit fondés sur la honte primaire mal adaptée – par exemple un sentiment d’inadéquation ou d’insuffisance permanente –, soit fondés sur la peur primaire mal adaptée – par exemple un sentiment d’être absolument laissé seul et d’être sans défense. Le thérapeute et le client identifient et approfondissent ensemble le schème émotionnel, qui devient ainsi un focus stable au sein d’une séance et à travers plusieurs séances. Le but, souvent implicite, est d’accéder et de transformer les déterminants internes soustendant les problèmes présentés (p. ex., les symptômes, les crises existentielles, les problèmes interpersonnels). Pour certains types de client, le focus de travail est avant tout l’établissement d’une relation thérapeutique de confiance, ou pour d’autres encore, le développement d’une perspective internalisée, centrée sur l’émotion sur le moment. En complément à ce focus explicite, le thérapeute pratique, sur une base momentanée, le diagnostic du processus (Greenberg et Goldman, 2007). Les éléments auxquels le thérapeute TCE est attentif dans ce contexte sont l’émergence d’indices, de pré-indices et de micro-indices (voir chapitre 3). En outre, il est attentif à la profondeur de la connaissance expérientielle, la capacité de régulation des émotions (i.e., sur- ou sous-régulation), la qualité vocale et la capacité à intégrer, réfléchir au sujet, faire l’expérience et la qualité de transformation des émotions. Une attention est portée à comment les choses sont dites, leur spécificité et vivacité, et non pas leurs contenus. Ainsi, la formulation de cas TCE débute avec le tout premier contact et se termine à la fin du traitement. Le diagnostic du processus est ainsi compris véritablement comme la clé du changement en TCE, car une attention très détaillée à la qualité des changements émotionnels, moment-par-moment, devrait permettre de faire émerger, chez le client, des ressources inhérentes
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à ses émotions, qui peuvent ensuite être utilisées pour la résolution des problèmes. Afin de savoir différencier ce qui est central chez le client de ce qui ne l’est pas, le thérapeute a besoin d’une acuité perceptuelle (voir chapitre 3) et il doit savoir faire usage du compas émotionnel. Ce dernier oriente le thérapeute vers la douleur la plus profonde, la plus poignante et vivace, sur le moment. Cela est particulièrement utile dans les cas où un certain nombre d’indices émergent en parallèle dans le processus (voir chapitre 3) et le thérapeute et le client doivent décider ensemble lequel est le plus vivace et le plus en accord avec le focus thérapeutique et ainsi, potentiellement le plus productif à être poursuivi, approfondi et résolu dans le processus thérapeutique. Bibliographie Adolphs, R., Damasio, H., Tranel, D., Cooper, G., & Damasio, A. R. (2000). A role for somatosensory cortices in the visual recognition of emotion as revealed by 3-D lesion mapping. Journal of Neuroscience, 20, 2683-2690. Anderson, A. K., Christoff, K., Panitz, D., De Rosa, E., & Gabrieli, J. D. (2003). Neural correlates of the automatic processing of threat facial signals. Journal of Neuro science, 23, 5627-5633. Annett, J., & Stanton, N. (1998). Task analysis. Ergonomics, 41, 1529-1536. Armony, J., & Vuilleumier, P. (2013). The Cambridge Handbook of Human Affective Neuroscience. Cambridge: Cambridge University Press. Arntz, A., & Van Genderen, H. (2010). Schematherapie bei Borderline-Persönlichkeitsstörung. Weinheim: Beltz. Auszra, L., Greenberg, L. S., & Herrmann, I. (2013). Client emotional productivity - optimal client in-session emotional processing in experiential therapy. Psychotherapy Research, 23(6), 732-746. Beck, J. S. (1995). Cognitive therapy. Basics and beyond. New York: Guilford Press. Bohart, A., & Greenberg, L. S. (1997). Empathy reconsidered: Development in psychotherapy. Washington, D.C: American Psychological Association. Bowlby, J. (1988). A secure base. New York: Basic Books. Bradley, M. M., & Lang, P. J. (1994). Measuring emotion: the self-assessment Manikin and the semantic differential. Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 25, 49-59. Buber, M. (1958). I and thou (2nd edition). New York: Charles Scribner’s Sons. Buchheim, A., Erk, S., George, C., Kächele, H., Kircher, T., Martius, P., & Walter, H. (2008). Neural correlates of attachment trauma in borderline personality disorder: a functional magnetic resonance imaging study. Psychiatry Research, 163, 223-235. Calder, A. J., Lawrence, A. D., & Young, A. W. (2001). Neuropsychology of fear and loathing. Nature Reviews Neuroscience, 2, 352-363. Daldrup, R., Beutler, L., Engle, D., & Greenberg, L. (1988). Focused expressive psychotherapy: Freeing the overcontrolled patient. New York: Guilford Press. Damasio, A. (1994). Descartes’ error: Emotion, reason and the human brain. New York: Putnam.
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Tâches dans le processus thérapeutique
Ce chapitre a pour objectif de résumer les tâches thérapeutiques validées empiriquement et utilisées dans le contexte de la psychothérapie centrée sur les émotions. Nous tentons de synthétiser les étapes, pas à pas, ce qui ne devrait pas donner l’impression qu’il s’agit d’un processus linéaire. En fait, le travail avec les émotions est un processus itératif, avec des avancées et des retours en arrière, qui se réalisent dans le contexte d’une relation thérapeutique activement validante et encourageante. Cette présentation synthétique a donc l’ambition d’un manuel, mais ne remplace pas la formation expérientielle du psychothérapeute désireux d’appliquer ces tâches dans le processus thérapeutique.
Approche fondée sur l’indice du processus La TCE a comme particularité d’être une approche expérientielle fondée sur les indices du processus (marker). Par « indice du processus », Greenberg et collaborateurs (1993) entendent un état émotionnel problématique demandant une intervention particulière menant à sa résolution. Ces états se ressemblent à travers les événements, les séances et les clients et peuvent ainsi faire l’objet d’une description objective par leurs caractéristiques communes (Rice et Greenberg, 1984). Un indice est révélateur d’une opportunité de changement et ce changement peut être favorisé par une intervention appropriée, en potentialisant sur les ressources inhérentes à la situation. Ces indices sont postulés comme étant reliés aux schèmes émotionnels. Concrètement, un indice peut être un état émotionnel émergent, un comportement spécifique, une manière d’évoquer des contenus, l’intonation de la voix pendant que le client parle d’une situation concrète. Par exemple, lors d’une séance, une cliente travaille la résolution d’un conflit avec une personne significative, sa mère, et se souvient d’un épisode émotionnel où sa mère entrait dans sa chambre. La cliente relate d’un ton irrité : « Comme à son habitude, elle n’a même pas frappé à la porte… » Alors que la colère émerge, la cliente regarde soudainement le mur et le fixe comme figée, d’une expression vide. Tandis que le thérapeute lui demande ce qui se passe à ce moment, elle répond : « Rien !… c’est comme si je me congèle maintenant. » Il s’agit d’un indice d’un processus d’auto-interruption de l’émotion : une émotion (la colère) était présente dans la narration, dans le contenu du récit débuté, et dans la qualité vocale, La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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mais a été interrompue par la cliente et la colère disparaît brutalement. L’indice indique que la cliente est prête à pouvoir accéder et travailler ses émotions à cet endroit précis. Il est possible qu’un indice apparaisse dans une forme rudimentaire, comme expression préalable, appelé un pré-indice (pre-marker), que le thérapeute TCE saura reconnaître et qu’il permettra d’exprimer plus amplement. Cela permettra au thérapeute de proposer une intervention spécifiquement adaptée à un indice. Dans les exemples qui suivront, nous choisirons des verbatims les plus prototypiques. Rappelons que les clients ont donné leur accord pour l’utilisation de ce matériel clinique dans ce cadre et que l’ensemble des informations permettant d’identifier des clients a été omis ou changé, y compris les noms des personnes.
Tâches du thérapeute Afin de réaliser l’évaluation du processus et la formulation de cas TCE, il revient au thérapeute la tâche de bien percevoir les changements chez le client, moment-par-moment et dans la globalité. Avec Pascual-Leone et Andreescu (2013), nous appelons cette tâche l’acuité perceptuelle, déjà brièvement mentionnée dans le chapitre 2. L’acuité perceptuelle comprend la capacité entraînée chez un psychothérapeute à repérer les signes de processus et à les traiter efficacement. Cette capacité est le premier pas indispensable d’une intervention efficace orientée par les indices du processus ; elle est donc particulièrement indispensable dans le cadre de la TCE. La formation à la TCE débute ainsi par l’entraînement de l’acuité perceptuelle (et moins par l’entraînement direct de techniques ou l’apprentissage de théories complexes), pour laquelle des échelles développées en recherche en psychothérapie peuvent être utilisées. L’entraînement au codage de l’échelle de la connaissance expérientielle (experiencing ; Klein et al., 1986) ou des émotions distinctes selon la classification des états affectifs de signification (Classification of Affective-Meaning States, CAMS ; Pascual-Leone et Greenberg, 2005) peut s’avérer fort utile. Le thérapeute devrait savoir repérer les différents types d’émotions, moment-par-moment, chez un client, son style émotionnel, narratif et relationnel. Ce psychothérapeute devrait savoir identifier les indices du processus dès leur émergence. Un thérapeute devrait savoir utiliser son compas émotionnel pour être capable d’orienter l’attention et le processus directement et systématiquement vers la douleur du client. Une étude portant sur la formation a confirmé l’intérêt d’une telle démarche dans le sens que les thérapeutes, ayant reçu ce type de formation à l’acuité perceptuelle, rapportent des indices supérieurs de compétence et de satisfaction avec leurs clients, comparés à avant la formation (Pascual- Leone et al., 2013). On peut considérer qu’une acuité perceptuelle bien entraînée permet au thérapeute d’avoir des ressources cognitives et affectives
Tâches dans le processus thérapeutique
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en séance permettant de se focaliser sur le fait « d’être avec le client » (i.e., la présence thérapeutique), mais aussi la formulation de cas et l’implémentation optimale des tâches d’exploration et de mise en acte, ce qui augmente l’efficacité globale.
La présence thérapeutique La présence thérapeutique est une tâche centrale du thérapeute TCE. Par « présence thérapeutique », Geller et Greenberg (2012) entendent un état où la personne du thérapeute est complètement absorbée dans la rencontre sur le moment avec le client, aux niveaux physique, émotionnel, cognitif et spirituel. Il s’agit d’un contact profond et ancré avec soi-même de manière à créer un espace d’ouverture à l’autre, marqué par le développement et l’expansion de la conscience. Même s’il y a des caractéristiques communes, l’expérience subjective de la présence n’est pas identique d’une personne à l’autre. La présence thérapeutique est comprise comme un état évolutif, donc jamais acquis pour toujours et le thérapeute continue ainsi en séance, et en-dehors des séances, à accorder régulièrement la qualité de ce contact avec lui-même. Cet état de présence contribue au développement de la personne du thérapeute, son bien-être, y compris la prévention du burn-out professionnel, le calme intérieur, l’autocompassion et une vitalité journalière. Le modèle développé et validé par Geller et Greenberg (2012) comprend une série de composantes de la présence thérapeutique, avec trois tâches du thérapeute : (1) ouverture à la présence, (2) processus de la présence et (3) expérience de la présence. Le thérapeute complètement présent pratique cette présence dans sa vie et est ouvert à la présence en séance avec son client. Il ouvre un espace interne pour la présence, tout en mettant consciemment entre parenthèse ce qui pourrait interférer avec cette présence thérapeutique. Par ailleurs, le thérapeute pratique en séance la réceptivité « en écoutant avec la troisième oreille », y compris une réceptivité « corporelle » et sensorielle. Il suit le processus en faisant attention à l’expérience intérieure sur le moment présent et communique avec authenticité, en étendant la conscience. Il utilise un style de réponse intuitif, tout en étant congruent à soi et attentif à l’autre. La présence thérapeutique comprend aussi de s’accorder régulièrement avec soi-même, de rester en contact avec soi-même, tout étant complètement absorbé dans le moment présent par le contact avec le client. Cette expérience de disponibilité complète est ainsi hors du temps, peut subjectivement « donner de l’énergie » et faciliter l’ouverture d’un espace mental permettant une qualité de la connaissance expérientielle optimale. Il y a plusieurs chemins pour cultiver la présence thérapeutique, par le développement de soi, la spiritualité, une pratique de tambours thérapeutique en passant par le rythme (Geller, 2009), ou encore
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par la pratique de la méditation, ou la mindfulness, dans ses différentes versions (p. ex., Segal et al., 2001 ; Philippot, 2011). Geller et Greenberg (2012) différencient l’état de présence thérapeutique, comme état habituel de l’être humain du thérapeute, du chemin pour y parvenir, par la pratique régulière. Un exercice favorisant la présence thérapeutique est proposé ici au lecteur, tout en considérant que la présence est un concept compris par chacun(e) à sa manière (adapté de Geller et Greenberg, 2012, p. 110).
Moment de présence − Exercice Prenez un moment de pause. Adoptez une position confortable. Portez attention à votre respiration. Focalisez votre attention à l’intérieur de vous-même. Rappelez-vous et re-prenez contact avec une expérience où vous étiez complètement présent sur le moment, comme lors d’un coucher de soleil, lors de la rencontre avec un bébé ou lors d’une vue merveilleuse de la nature. Que ressentez-vous dans votre corps maintenant ? Rappelez-vous et re-prenez contact avec une expérience où vous avez été en présence d’un(e) ami(e) qui a eu besoin de votre aide. L’avez-vous aidé ? Comment était-ce d’être avec cet(te) ami(e), comment était-ce d’aider cette personne ? Comment avez-vous fait pour l’aider, pour rester calme dans cette situation difficile ? Que ressentez-vous dans votre corps maintenant ? Connectez-vous à une expérience où vous avez été en présence d’un(e) client(e) qui a eu besoin de votre aide. Vous l’avez aidé. Comment était-ce ? Comment était-ce d’être avec ce(tte) client(e), comment était-ce d’aider cette personne ? Comment avez-vous fait pour aider, rester calme dans cette situation difficile ? Que ressentez-vous dans votre corps maintenant ? Avant de revenir à la lecture de ce livre, notez sur une feuille quelques mots qui décrivent votre expérience avec vous-même, les caractéristiques de votre présence à vous.
La présence thérapeutique est une attitude transcendante et intégrative qui se développe et qui présente des facettes multiples et interconnectés ; elle est directement reliée à l’empathie thérapeutique. La présence est mesurable, et présente des corrélats neurobiologiques avérés, comme discuté dans le chapitre 2.
La directivité de processus En sus de la formulation de cas fondée sur le processus (Goldman et Greenberg, 2015 ; voir chapitre 2), la directivité de processus est centrale dans la TCE. Contrairement aux approches cognitives (Beck, 1995 ; Arntz et Van Genderen, 2010), où une directivité de contenu est favorisée et
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c ontrairement aux approches centrées sur la personne (Rogers, 1951), où une non-directivité est pratiquée, la TCE, comme d’autres approches expérientielles, propose la directivité de processus. La directivité de processus comprend d’orienter le client selon ce qui émerge moment-par-moment et de suivre la douleur profonde transparaissant – à des degrés variables pour chaque client – dans la narration. La TCE fait donc un compromis – re-construit en permanence – entre pacing (suivre le client) et leading (diriger le client). En accord avec les présupposés de base des thérapies humanistes, le pacing prime en principe sur le leading. Un thérapeute présent avec son client et percevant le processus de manière correcte saura prendre ce type de décision sur le moment.
Les mises en acte La tâche probablement la plus prototypique ou dramatique du thérapeute TCE est l’utilisation de la chaise vide pour les différents dialogues menant vers la résolution. Il s’agit des interventions les plus structurantes et dirigées, faisant usage de la directivité de processus. L’origine psychodramatique et Gestalt étant décrite ailleurs (Blatner, 1989 ; Perls et al., 1951 ; voir chapitre 1), il faut souligner que les études de Greenberg et collaborateurs ont permis de mieux comprendre et structurer ces interventions. Mais en quoi ces mises en acte sont-elles si centrales pour le changement thérapeutique ? Le fait de parler à partir d’une composante de soi (comme « être la voix critique dans ma tête », au lieu de réfléchir au sujet de cette voix) permet une implication et une évocation de l’expérience émotionnelle immédiate au sein de cette voix : cette voix devient vivace, fraîche et organismiquement présente, en quelque sorte « en chair et en os ». Si le thérapeute répond de manière appropriée, cela permet l’augmentation de la conscience émotionnelle associée à chaque voix à l’intérieur du client (voir la théorie des émotions au chapitre 2). Aussi le client apprend à se (ré-)approprier réellement, sur le vif du sujet, une expérience affective et ses significations. Ainsi, une conscience que cette voix existe au sein de soi émerge et un dialogue avec cette voix, jadis réprimée ou ignorée, peut commencer. Ce dialogue initie le changement affectif, la transformation émotionnelle (i.e., changer l’émotion par l’émotion) et l’intégration narrative. Dans ce processus, une place centrale revient à la découverte expérientielle. L’utilisation de la chaise vide donne un aspect ludique, presque léger, à la psychothérapie, où l’expérimentation, la créativité et les essais et erreurs sont explicitement encouragés. Comme dans les premiers écrits des théoriciens Gestalt (Perls, 1969 ; Perls et al., 1951), le dialogue sur deux chaises est une situation d’expérimentation, et nous ajouterions aujourd’hui qu’il permet de créer une nouvelle expérience émotionnelle synthétique, en passant par le dialogue entre des parties de soi (Watson et Greenberg, 1996). Le contexte
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d’un dialogue sur deux chaises peut aussi donner l’occasion d’intensifier l’expérience émotionnelle, en la dramatisant, afin d’accéder à une représentation plus claire et précise. L’intensification peut se faire en invitant le client à crier, à taper sur un coussin ou à pousser la chaise en face. Toutefois, le thérapeute désirant intensifier l’expérience émotionnelle doit à tout moment savoir quelle est l’expérience primaire adaptée à laquelle il s’agit d’accèder et de compléter. Les thérapeutes peu sûrs de cette différenciation chez un client particulier sont conseillés de ne pas utiliser l’intensification (Greenberg et Safran, 1989). Par ailleurs, il existe également des situations où le client ne désire pas travailler avec la chaise vide ; pour ces situations, nous proposerons une alternative efficace. Dans les sections qui suivent, nous présenterons les indices les plus importants avec leurs interventions appropriées. Nous aborderons brièvement les indices relationnels, pour ensuite aborder plus largement les différents indices plus spécifiques au travail thérapeutique TCE. Pour des questions de place, nous n’aborderons pas en détail l’exploration empathique, l’ouverture d’un espace mental et la narration traumatique, expliquées ailleurs (Elliott et al., 2004).
Indices relationnels Deux indices relationnels sont décrits dans cette section. De la littérature existant ailleurs à ce sujet (p. ex., Safran et Muran, 2000), nous allons les aborder brièvement et renonçons notamment à la présentation de verbatims de clients. Le début de la psychothérapie, c’est-à-dire les trois à cinq premières séances, constitue un premier indice. Comme souligné par Gendlin et Beebe (1968), le principe des traitements expérientiels est le contact avant le contrat (contact before contract). En parallèle à l’élaboration d’une formulation de cas et le développement d’un focus thérapeutique centré sur les émotions, réalisés conjointement par le client et le thérapeute, ces premières séances consistent à rencontrer et accueillir le client dans un contexte de travail chaleureux et empathique. La construction d’une base de confiance, l’établissement d’un focus de travail, y compris l’accord sur les buts et les tâches sont des éléments-clés de ces premières rencontres. Le niveau d’engagement du client avec du matériel émotionnel et central est un facteur important que le thérapeute doit observer moment-parmoment. Le tableau 3.1 résume les étapes de cette construction de l’alliance thérapeutique, y compris les difficultés qui peuvent émerger. Si l’alliance thérapeutique se construit tacitement entre le client et le thérapeute, les étapes une à cinq se réalisent sans que le thérapeute y prête attention. Dans les cas où la construction de l’alliance n’est pas optimale et en cas de questionnement au sujet de son optimum, ce tableau peut
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Tableau 3.1. Développement de l’alliance thérapeutique. Étape de construction de l’alliance
Difficultés possibles
1. Indice : le client débute la thérapie
Le client ne vient pas à la première séance
2. Initiation d’un environnement de travail empreint de confiance : ajustement empathique, présence thérapeutique
Le client ne se sent pas compris, ne fait pas confiance, perçoit l’empathie en tant qu’intrusive
3. Développement d’un focus thérapeutique : formulation de cas et directivité de processus ; identification de la douleur centrale et la suivre
Absence de focus thérapeutique ; le client a de la difficulté à se focaliser en séance
4. Accord autour des buts
Le client est ambivalent par rapport au changement, n’est pas complètement engagé en psychothérapie, a une définition différente du problème
5. Accord autour des tâches : consensus autour de la manière de travailler, y compris par le focus sur les émotions en les explorant
Le client a de la difficulté à se focaliser à l’intérieur de lui-même ; le client a des attentes différentes de ce qui devrait être fait en thérapie
6. Réalisation d’un environnement de travail productif
Le client a des difficultés avec l’alliance (prérupture) que le thérapeute doit identifier
Étapes d’après Elliott et al., 2004, p. 145.
aider à repérer le problème. Par ailleurs, il peut y avoir des problèmes fondamentaux de présence ou d’empathie thérapeutique qui créeraient des problèmes dans le processus de construction de l’alliance thérapeutique en début de traitement. Finalement, l’étape 6, l’accomplissement d’un environnement de travail productif, est importante, indépendamment de la construction de l’alliance. Cette étape représente à nouveau le niveau 0 (travail en utilisant le pré-indice, voir tableau 3.2) de la résolution des ruptures de l’alliance thérapeutique. Une fois l’alliance thérapeutique construite sous une forme suffisamment solide en début de thérapie, tout au long du traitement peuvent apparaître des ruptures de l’alliance. Elles peuvent fondamentalement prendre deux formes (Safran et Muran, 2000) : (1) confrontation ou plainte du client par rapport à un élément de la thérapie, ou la thérapie dans son ensemble, expression de colère ou d’insatisfaction envers le thérapeute ; ou (2) retrait émotionnel du client (étape 1 ; tableau 3.2). La confrontation peut être assez simple à repérer, par exemple, une cliente peut dire de manière insatisfaite : « Je n’aime pas quand vous me ralentissez et demandez des choses sur les émotions ! Ça me dérange ! » Le thérapeute focalise complètement sur cette critique, la valide ainsi, et dit par exemple : « Vous dites que je vous ralentis et vous vous sentez irritée ou dérangée quand j’interviens de cette manière ? » Le retrait
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La psychothérapie centrée sur les émotions
Tableau 3.2. Résolution de l’alliance thérapeute, suite à une rupture. Résolution de la tâche
Réponses du thérapeute
1. Pré-indice
Écouter de manière non défensive les possibles difficultés avec l’alliance ; demander directement si le client perçoit une difficulté
2. Indice : difficulté avec l’alliance possible
Confrontation : accueil de la plainte et réflexion empathique par rapport à son contenu le plus précis possible Retrait : adresser une possible difficulté de manière douce et ouverte
3. Initiation de la tâche : exploration
Suggérer qu’il est bon de réfléchir au sujet de la rupture, en assumant une partie de la responsabilité ; exploration des perspectives
4. Approfondissement : exploration dialectique
Chaque personne explore sa part de responsabilité pour la rupture ; exploration du schème émotionnel sousjacent chez le client
5. Résolution partielle
Résumer la nouvelle compréhension partagée
6. Exploration des solutions pratiques
Explorer les besoins du client et des solutions ; proposer un changement
7. Résolution complète : satisfaction authentique du client et enthousiasme pour la thérapie
Encourager une réflexion autour de la négociation de la rupture d’alliance ; refléter les réactions du client
Étapes d’après Elliott et al., 2004, p. 160.
émotionnel peut être plus difficile à repérer, il est plus subtil dans le processus. Par exemple, face au client qui vient en retard à répétition, le thérapeute peut attirer l’attention du client sur ce point : « Il me semble que vous êtes venu passablement en retard durant ces dernières séances, y compris juste maintenant. Comment vous ressentez cela ? » Le client décrit qu’il trouve difficile de venir en thérapie et le thérapeute peut poursuivre : « C’est très important ce que vous me dites là… cette difficulté-là. » Pour les clients, dans les deux exemples, on peut noter qu’ils évoluent vers l’initiation de la tâche, où le thérapeute propose une intervention d’exploration, ensuite d’approfondissement des schèmes émotionnels et interpersonnels en lien avec la rupture observée entre le client et le thérapeute, tout en gardant toujours en tête et dans le dialogue que le thérapeute lui-même a aussi contribué à la rupture. Ce type de travail d’exploration, d’approfondissement empathique, allant vers la résolution complète de la rupture peut contribuer à une connaissance expérientielle – par rapport à la relation thérapeutique – plus profonde, détaillée et précise. Il peut augmenter la collaboration et la qualité du travail thérapeutique centré sur les émotions dans les étapes ultérieures de la thérapie.
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Indices spécifiques de la psychothérapie centrée sur les émotions Le tableau 3.3 présente une synopsis des huit indices spécifiques à la TCE, avec leurs interventions appropriées et résolutions.
Tableau 3.3. Synopsis des huit indices principaux, avec exemple, intervention et résolution. Manifestations
Exemple
Intervention
Résolution
« Je me sens totalement inutile, il ne me reste plus rien ! Je suis transparent, je ne peux plus continuer. »
Affirmation empathique, validation normalisation empathique, au niveau du contenu mais aussi au niveau de l’expérience
Renforcement du sens de soi, de la confiance, de la tolérance envers soi
Évocation vivace de l’expérience, rechercher l’expression du vécu ; rechercher la signification
Construction avec l’expérience d’une nouvelle manière de comprendre
Création de sens, les accommoder à l’événement de vie perturbant
Acceptation et plan d’action
Focusing expérientiel ; mettre des mots « justes » sur le sens corporel
Felt shift du ressenti au niveau des sensations corporelles
Indice 1. Vulnérabilité Sentiments d’intense fragilité, honte profonde, insécurité
Indice 2. Réaction problématique Étonnement, surprise par rapport à une réaction
« Sur le chemin pour venir j’ai vu un enfant qui pleurait fort en présence de sa mère, j’ai senti des larmes au coins des yeux… »
Indice 3. Bouleversement de significations Un événement de vie perturbant Un sentiment de protestation, confusion existentielle profonde
« Ma femme est morte et je me retrouve à devoir rechercher un travail à quelque temps de la retraite. La vie est injuste en fait… j’ai déjà eu assez de malheur, je ne comprends pas ? ! »
Indice 4. Sentiments diffus Confusions, sentiments de ne pas pouvoir donner un sens au vécu
« Je ressens une pression dans la poitrine comme un poids terrible que je ne comprends pas, je viens d’avoir ce sentiment et ne peux pas dire ce qu’il se passe, ce que c’est. »
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La psychothérapie centrée sur les émotions
Manifestations
Exemple
Intervention
Résolution
Élaboration de l’autocritique en utilisant le dialogue sur deux chaises
Adoucissement Négociation Acceptation des deux parties
Indice 5. Autocritiques Reproches, critiques agressives envers soi
« Je suis fondamentalement quelqu’un qui n’a pas de valeur, vraiment un déchet. »
Indice 6. Auto-interruption du processus émotionnel Auto-interruptions (autocensures, blocages d’un ressenti, auto-interruptions)
« J’ai les larmes au bord des yeux mais je ne pleurerai pas ! » « Je sais que c’est affreux mais c’est comme si j’étais congelé, je ne sens rien. »
Élaboration de l’auto-interruption en utilisant le dialogue sur deux chaises
Libération de l’expression Expression d’un besoin de sécurité, de modération, de protection
Élaboration du conflit émotionnel non résolu avec une personne significative en utilisant le dialogue avec la chaise vide
Expression du besoin (de se séparer, de pardonner, de réparation, d’une reconnaissance de responsabilité, deuil, etc.) Expression des émotions primaires adaptées
Dialogue de l’autocompassion, en utilisant le dialogue avec la chaise vide. Développer une représentation apaisante (chaise apaisante) qui ressent et exprime de la compassion envers lui
Développer compassion envers soienfant. Accès à une nouvelle représentation, vue de soi
Indice 7. Conflit non résolu Présence de sentiments non exprimés/non résolus envers une personne significative du passé (pas actuel)
« Au fond, ma mère n’a jamais été là pour moi, je me retrouvais toujours seule à devoir m’occuper de mon frère, elle mettait son travail avant nous, depuis que mon père nous avait laissé… je ne pouvais rien dire mais c’était dur de devoir jouer la grande… »
Indice 8. Angoisse primaire Expression d’angoisse primaire ou de besoin existentiel, lié à un souvenir d’enfance
« J’étais constamment angoissée que ma mère ne fasse une bêtise, je ne pouvais être comme les autres enfants, insouciante… »
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Indice de la vulnérabilité Manifestation de l’indice Le ressenti et l’expression de la vulnérabilité en séance sont centraux. L’accueil bienveillant et chaleureux en séance de la vulnérabilité a été décrit par les théoriciens centrés sur la personne (voir Rogers, 1951 ; Greenberg et al., 1993). Il s’agit d’un moment où le client est sur le point d’accéder et d’exprimer un sentiment profond de vulnérabilité, d’impuissance, avec un sentiment commun d’épuisement. Par exemple, le client qui est sur le point d’avoir les larmes aux yeux, la cliente qui montre des indices non verbaux de la honte tout à coup dans la narration (i.e., regard tourné vers le bas, voix qui tremble, rythme respiratoire légèrement augmenté), tous ces éléments peuvent être des manifestations de cet indice. Le client peut aussi verbalement exprimer d’être « au bout du rouleau », ou de ne pas « voir la fin du tunnel ». À l’émergence de cet indice, le thérapeute, psychologiquement présent, répond par l’affirmation empathique (i.e., « je vois, c’est tellement dur pour vous »), en signifiant au client tout au long de ce processus qu’il « est avec » lui dans le dénouement de l’état de vulnérabilité. Le thérapeute n’explore pas, ne rassure pas, et n’interprète pas, il est simplement là avec le client. François est suivi pour un état dépressif et relate un épisode traumatique de son adolescence concernant sa première petite amie qui est tragiquement décédée dans un accident de voiture. Au moment de raconter cet épisode, de manière plutôt surprenante selon lui, François accède à une fragilité en lui ; il dit qu’il s’est senti « anéanti ». François (ému) : « C’est dur d’en parler, je ne sais pas comment j’ai fait pour m’en sortir… la prof en classe… avait annoncé le décès de Caroline… et (le client baisse la tête et avale sa salive)… je rentrais après l’école et restais sur mon lit cloué, complètement perdu… seul… » Thérapeute : « c’est si dur, je suis si cloué, si seul, perdu… » F. : « Mh-hm » T. : « … vraiment seul avec cette douleur d’avoir perdu… » F. (en pleurs) : « Mh-hm. Oui, c’est tellement dur… je ne voyais pas à quoi cela servait… je ne voyais pas d’espoir… » T. : « cette souffrance est encore là aujourd’hui… cela semble sans espoir, comme… tellement anéanti. »
Le thérapeute utilise l’affirmation empathique et fait totalement confiance au potentiel de croissance du client, à pouvoir dépasser sa vulnérabilité. Il accompagne par sa présence empathique la vulnérabilité du client moment après moment en lui offrant sécurité et validation. S’il le souhaite, le client peut toujours entrer encore un peu plus dans sa vulnérabilité, en accédant
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La psychothérapie centrée sur les émotions
aux émotions primaires adaptées. Lorsque le client touche le « fond », il sent une nouvelle force qui transforme ses émotions primaires mal adaptées, comme la honte, ou chez François, le sentiment omniprésent de solitude. Le client peut alors arriver à l’émotion primaire adaptée comme la tristesse face à la perte de Caroline (ou, dans d’autres situations, la colère affirmée face à la violation). Des actions concrètes comme s’affirmer ou s’approcher des autres deviennent possibles avec la résolution de la vulnérabilité. Dans le cas de François, de manière peu typique pour l’indice de la vulnérabilité, le travail se focalise sur une douleur passée. Toutefois, elle continue à être présente dans l’ici et maintenant, comme des indices verbaux (changement de temps entre passé et présent) et non verbaux (« baisse la tête de manière émue »), un travail sur cet indice semble donc valable et productif pour le client.
Étapes de résolution de l’indice de la vulnérabilité Ces étapes sont décrites dans le (tableau 3.4).
Tableau 3.4. Étapes de résolution de l’indice de la vulnérabilité. Étapes
Actions du thérapeute
I
Confirmer la présence de l’indice Le client exprime avec détresse des sentiments intenses le concernant (fragilité, honte, désespoir)
Écouter et refléter la vulnérabilité
II
Approfondir Le client commence à approfondir
Affirmation empathique, compréhension douce et chaleureuse. Favoriser les besoins de prendre soin de soi
III
Intensifier l’approfondissement, toucher le fond
Écoute active, proposer des images, métaphores
IV
Remontée avec une nouvelle force (résolution partielle) Changement, apparition de sentiment de croissance, d’espoir. Apparition d’émotions primaires adaptées, accompagnées de l’expression de besoins, tendances à l’action
Écouter, refléter, suivre la croissance, l’espoir, les besoins et des actions reliées
V
Accueil du changement Le client décrit ou exprime un relâchement, un plus grand calme
Explorer et soutenir les mouvements du client
VI
Résolution complète Le client exprime un sentiment de complétude, d’acceptation, de capacité
Explorer, soutenir les changements du schème de soi
Tâches dans le processus thérapeutique
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Étape I. Identifier l’indice de vulnérabilité chez le client L’indice peut apparaître sous différentes formes, par exemple, si le client : • exprime intensément sa vulnérabilité en des termes génériques, négatifs ; • exprime un sentiment envahissant de fragilité ou de honte qui affecte son expérience et provoque un sentiment de ne pas être adéquat ou capable ; • révèle une confession douloureuse, comme s’il hésitait à faire pour la première fois une révélation, face au thérapeute ; • montre l’intensité émotionnelle de ce qu’il vit, par des indices accompagnateurs au niveau verbal (par exemple pour le désespoir : « je ne me sortirai jamais du tunnel ») et non verbal (posture, expression faciale, être sur le point de pleurer, le regard tourné vers le bas, silence). Étape II. Approfondir la vulnérabilité Le thérapeute répond de manière empathique, afin d’aider le client à rester avec son épuisement et son sentiment de fragilité et de les garder dans son focus. Cela permettra un approfondissement de l’expérience sur le moment. Le thérapeute est attentif au cœur de cet état. Face à François, le thérapeute peut par exemple dire : « C’est tellement anéantissant pour vous. » Étape III. Intensifier l’état de vulnérabilité Par son affirmation empathique et sa présence, le thérapeute aide le client non seulement à rester avec sa vulnérabilité mais aussi à l’intensifier. À l’image d’un accompagnateur « d’un baptême de plongée sous-marine », le thérapeute reste à côté du client, lui offrant sa présence pour entrer davantage dans l’état de vulnérabilité. L’utilisation de la métaphore pour décrire le ressenti du client qui « n’a plus de souffle » peut l’aider à se sentir accepté et compris. Il s’agit d’une construction commune entre le client et le thérapeute de métaphores, de représentations qui lui parlent et décrivent la totalité de la fragilité de la personne (voir l’exemple cidessous). François : « Mhm-hm… oui comment c’est possible de continuer à espérer avec ce sentiment à l’intérieur de moi, cela me semble un tunnel sans lumière. » Thérapeute : « C’est comme dans un tunnel et je ne vois pas la sortie… il fait si noir dans ce tunnel… Mm-hm (pause)… je suis seul, je ne vois pas la sortie… (pause) Je me sens si fragile, si vulnérable… mhm. »
Notons ici la formulation du thérapeute, à la première personne, comme s’il parlait à la place du client ; il s’agit d’une technique expérientielle visant à rendre l’expérience la plus immédiate et saillante : le thérapeute accepte ici la fonction de processeur auxiliaire (Rice et Kerr, 1986, voir chapitre 2).
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La psychothérapie centrée sur les émotions
Étape IV. Résolution partielle : remontée avec une nouvelle force En même temps que le thérapeute accompagne la vulnérabilité, il est attentif à l’apparition de discrets changements dans l’état émotionnel du client, ces nouveaux états émotionnels primaires adaptés. Ainsi, le client peut accéder à de nouvelles ressources et peut être dans un état où il a envie de spontanément exprimer ses besoins et de tendre vers de nouvelles actions. Dans le cas de François, cette nouvelle force émerge au travers d’un souvenir d’enfance qui le renvoie à la solitude qu’il a ressentie dans les moments de souffrance. François (sur un ton triste) : « Je n’ai aucune image de quelqu’un qui s’inquiète de mon état… de moi. » Thérapeute : « Mm-hm… quelqu’un qui serait à mes côtés dans ces moments… » F. : « Oui, vous savez… qui vienne me dire “ça va aller, je suis là… tu n’es pas tout seul”. » T. : « … une main qui dit “je suis là pour toi”… » F. : « Oui, c’est ça !… pour me sortir de cette noyade ! » T. : « Je me noie et personne ne vient m’aider… » F. (en regardant son thérapeute les larmes aux yeux) : « Mm-hm… vous savez, j’en aurais eu tellement besoin… avec Caroline ! » T. : « Je vois, François, je vois. Et ça vous rend tellement triste. »
Le thérapeute reconnaît et valide l’émergence et l’expression de besoins et attire l’attention du client sur l’émergence de la tristesse primaire adaptée, face à la perte de Caroline. Étape V. Accueil expérientiel du changement Une fois qu’il y a eu l’apparition de cette nouvelle force, le client peut exprimer un sentiment de soulagement ou d’apaisement. Dans le cas de François, il se sent moins seul ici et maintenant en séance et également dans son souvenir. François accueille ce changement de la manière suivante : « C’est étonnant, je n’ai jamais senti combien j’ai été seul et si fragile… je n’ai eu personne pour partager cette fragilité… On a tous besoin de quelqu’un, oui. » Étape VI. Résolution complète de la vulnérabilité : changement de l’image de soi Le client qui atteint la résolution complète exprime de nouveaux aspects de soi, un sens de direction dans sa vie, empreint d’émotions positives. Le client peut accéder à l’acceptation, un sentiment de complétude et/ou d’affirmation de soi. François conclut en disant : « En fait, je me suis toujours trouvé faible quand j’avais besoin de quelqu’un pour me soutenir… c’est comme ça que je me voyais… mais maintenant, je pense que j’ai même été assez courageux ! » L’affirmation empathique de la vulnérabilité du client est une forme d’intervention fondée sur les variables de base, en utilisant l’empathie et la
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présence thérapeutique. L’indice peut prendre des formes très variées, mais les étapes de résolution se ressemblent à travers les clients.
Indice du point de réaction problématique Manifestation de l’indice L’indice du point de réaction problématique décrit un moment où le client est étonné, surpris ou gêné par sa propre réaction, qu’il juge « problématique ». Le client ressent des réactions émotionnelles discrètes, mais présentes. Le client rapporte une de ses réactions problématiques qu’il décrit comme « pas raisonnable », ou « bizarre ». Cela peut concerner des comportements, des réactions émotionnelles vécues par le client comme disproportionnées par rapport au contexte. L’intervention appropriée lors de l’émergence de cet indice est l’exploration systématique des réactions problématiques (systematic evocative unfolding ; Greenberg et al., 1993 ; Elliott et al., 2004). Historiquement, il s’agit d’un des premiers indices qui a été décrit et étudié dans le contexte de la psychothérapie centrée sur la personne (Rice et Saperia, 1984). La focalisation par le thérapeute et l’exploration d’une telle réaction inattendue permet au client de revisiter en détail ce qu’il a vécu. En le faisant, le client accède à une nouvelle expérience qui lui permet la construction de significations inédites. Le thérapeute incite le client à parcourir le point de réaction problématique, à le micro-analyser, à le dénouer en quelque sorte, afin de visiter les processus internes et externes qui l’ont conduit à la réaction. Il ne s’agit pas d’une analyse intellectuelle, ou d’une discussion « à froid », mais bien d’une exploration « à chaud » et évocatrice. Accompagné du thérapeute, le client évoque la scène liée à la réaction problématique. Elle est revisitée « au ralenti », dans un climat accueillant, chaleureux et non défensif, afin de favoriser la curiosité du client, d’identifier étape par étape les activateurs perceptuels, schèmes émotionnels, représentations de soi, plans et modèles opérants impliqués. À travers cette nouvelle expérience d’exploration et de dénouement, le client devient conscient des activateurs internes de sa réaction. Le but est de permettre l’expérience émotionnelle, afin d’en faire émerger une nouvelle. Marie, en séance, s’assombrit en disant qu’elle trouve de plus en plus dur d’aller travailler, en raison d’une certaine appréhension « de perdre le contrôle et de devenir agressive ». Cela étonne Marie qui se décrit comme n’étant pas une personne facilement agressive ni impulsive. Encouragée à approfondir, elle rapporte une situation actuelle. Alors qu’elle parlait de banalités avec sa collègue qu’elle apprécie généralement, une soudaine colère a émergé. Ne comprenant pas ce qui se passait, Marie rapporte avoir « dû faire un effort pour ne pas lui hurler dessus ». Elle « s’étonne d’ellemême », ses réactions de colère « la dérangent » et lui posent « problème ».
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La psychothérapie centrée sur les émotions
L’aspect intrinsèque et non réactionnel au contexte est un indicateur qu’il s’agit ici d’un point de réaction problématique : Marie n’attribue pas sa réaction à sa collègue ou au contexte professionnel. Elle juge elle-même sa réaction bizarre et inquiétante et semble motivée à l’explorer. En résumé, l’indice du point de réaction problématique comprend quatre éléments : 1. Une réaction spécifique dans une situation particulière. 2. La conscience subjective que sa réaction est problématique ou déroutante, sans savoir pourquoi elle arrive. 3. La réaction lui appartient et ne s’explique pas simplement par le contexte. 4. L’intérêt chez la cliente d’explorer cette situation.
Étapes d’exploration systématique du point de réaction problématique Six étapes composent la résolution complète (tableau 3.5). Il est important de s’ajuster au client « là où il est », dans le processus de résolution. Étape I. Identifier l’indice du point de réaction problématique Le client rapporte une situation avec les éléments mentionnés caractéristiques du point de réaction problématique. L’écoute empathique par le thérapeute peut ici permettre à l’indice partiellement présent de se révéler complètement : par exemple, le client, en faisant l’expérience de l’ouverture et de la présence thérapeutique, devient intéressé et curieux à explorer davantage. Ainsi, le thérapeute conduit Marie à passer du problème général Tableau 3.5. Étapes de l’exploration systématique des réactions problématiques. Étapes
Actions du thérapeute
I
Confirmer l’indice
Identifier et refléter l’indice et proposer la tâche
II
Évoquer l’expérience de la situation
Encourager à entrer dans la situation pour la ré-évoquer
III
Rechercher des significations idiosyncratiques des deux côtés (réaction et attributions)
Maintenir le focus du client sur les réactions émotionnelles saillantes du stimulus Reconnaître et focaliser le client sur la recherche de sens, de significations
IV
Relier la réaction problématique avec ces significations (meaning bridge ; résolution partielle)
Utiliser des propositions empathiques pour accéder aux liens sémiotiques et la mise en sens Suivre le niveau d’étonnement chez le client
V
Reconnaître, examiner les schèmes de soi
Encourager l’accès à d’autres significations et d’autres schèmes de soi
VI
Considérer de nouvelles options (résolution complète)
Encourager de nouvelles options de compréhension et de changement
Tâches dans le processus thérapeutique
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« j’ai de l’appréhension à aller au travail » à « j’ai eu une réaction bizarre au travail qui m’inquiète ». Le thérapeute propose alors une exploration d’une de ces scènes. Thérapeute : « Seriez-vous d’accord que nous revenions ensemble sur ce qui s’est passé ce matin face à votre collègue Patricia ? » Marie : « Oui, mais je ne sais vraiment pas ce qui s’est passé… » T. : « Peut-être pourriez-vous me raconter la scène, comme si j’étais là avec vous lorsque vous étiez en train de discuter avec Patricia… ? »
Étape II. Évocation de l’expérience subjective Une fois que le client a donné son accord pour l’exploration, le thérapeute oriente le client au moment situé juste avant que la réaction problématique n’apparaisse. Encouragé par le thérapeute à revivre la situation, le client est généralement capable de se remettre dans la scène avec les composantes externes et les états internes, de manière la plus vivace possible. Le thérapeute tente de comprendre la situation et le monde, tels que construits par le client. Il l’informe également de l’intention de recréer la scène et de s’approcher des processus qui ont déclenché la réaction problématique. Thérapeute : « Qu’est-ce qui s’est passé juste avant que vous ressentiez cette colère en vous ? Vous étiez dans votre bureau, non ? Que faisiez-vous ? » Marie : « En fait, j’étais vraiment fatiguée cette matinée-là, et tendue, car je devais finir encore un document avant midi. J’étais assise au bureau à ma table. Et c’est là que Patricia est arrivée et me raconte ce qu’elle avait fait la veille, avec son nouvel petit ami… » T. : « Restez avec cela… vous êtes là, assise à votre bureau, à l’écouter vous raconter sa soirée, elle a l’air ravie, et une partie de vous se dit, je suis en retard et je dois absolument finir avant la pause… » M. : « Oui, elle a l’air si contente, je ne veux pas me montrer cassante, pourtant je lui dis que je devrais finir ce travail et elle parle, parle… » T. : « Elle parle, parle… et vous lui dites que vous devriez finir et peut-être que… dans votre corps, vous êtes fatiguée ? » M. : « Ha oui, je le suis, elle le sait, elle m’a même dit que j’avais l’air épuisée ! » T. : « Donc vous êtes assise là, épuisée, comment vous sentez-vous dans votre corps ? » M. : « J’ai comme une pression ici (montre son plexus), c’est étouffant ! » T. : « C’est comme une pression ici (imite le geste de Marie), comme si vous étouffiez… »
Une fois que le client est dans la scène, le thérapeute recherche les éléments qui ont été significatifs pour le déclenchement de la réaction
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problématique : par exemple, chez Marie, la sensation d’étouffement, l’épuisement et la perception de la voix de l’autre comme lassante. Ces éléments deviennent alors le focus, afin de permettre la prise de conscience des représentations, d’explorer plus profondément encore la situation dans ses caractéristiques les plus saillantes, à la recherche des significations idiosyncratiques. Thérapeute : « Donc, il y a quelque chose en lien avec la manière, dont elle était débout, vous regardant être épuisée, mais sans vous voir vraiment. » Marie : « Oui, c’était sa manière de simplement continuer et continuer, sa voix… » T. : « Sa manière de continuer et continuer, et sa voix vous oppresse ? » M. : « Oui, je me sentais étouffée. Comme si je manquais d’air… Je le sens maintenant. » T. : « Comme maintenant, vous sentez cette sensation d’étouffement, restez avec cela… que dit cette sensation ? » M. : « Là, je suis fâchée et énervée… je n’avais pas réalisé que je l’étais et que je n’ai pas osé le lui dire… »
Le thérapeute poursuit le processus en s’appuyant sur les sensations corporelles de Marie afin de lui permettre de prendre conscience de la pression qu’elle a ressentie. Cette pression n’a pas été retenue dans la mémoire de Marie qui se rappelle davantage du sentiment de devoir contrôler sa colère. Étape III. Recherche de significations idiosyncratiques Il est important que les sentiments et leurs liens avec la situation soient explorés. Cela peut amener le client à identifier d’autres émotions, plus profondes et proches de son schème émotionnel. Par exemple, Marie reconnaît son sentiment d’étouffement. Elle réalise qu’elle ressentait une certaine colère. Aussi réalise-t-elle qu’elle se sent si ignorée, parce que sa collègue continue simplement à parler sans se soucier de comment elle va. Thérapeute : « Il semble que Patricia ne remarque pas que vous êtes si épuisée ou en colère… » Marie : « Oui, c’est simplement, je me sens si ignorée, c’est comme si je n’existais pas. Je me sens invisible et… comme si je voulais crier très fort : “je suis là, je suis là”. »
Marie atteint alors une nouvelle perception de la situation. Elle porte un nouveau regard sur ce qu’elle avait jusqu’à présent considéré comme une situation sans explication. Marie se sent si ignorée et incapable de s’affirmer et prendre sa place. Cette étape se termine lorsque le client accède à une nouvelle compréhension de sa réaction problématique. Le thérapeute aide le client à aborder
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les aspects internes de sa réaction, mais aussi à identifier sa construction de ce qui était le plus saillant pour lui. Étape IV. Résolution partielle du point de réaction problématique : liens entre la réaction et ses significations Le client se montre curieux de poursuivre l’exploration des liens et de la prise de conscience ayant débuté à l’étape III. Il s’agit d’un processus où le client est affectivement engagé sur le moment de manière congruente, impliquant des besoins, des peurs et des croyances à propos de soi et de sa relation avec les autres. L’accompagnement par le thérapeute au travers des réflexions ou conjectures empathiques aide le client à établir des liens entre le processus émotionnel et la réaction problématique. Marie réalise au travers de l’exploration que sa colère prenait son origine dans son sentiment d’invisibilité et son incapacité de se rendre visible. Thérapeute : « Être vue et entendue est important pour vous… » Marie : « Oui, c’est ça, mhm… j’aurai dû lui demander de s’arrêter mais je ne savais pas comment faire… comme si je perdais tous les pouvoirs… » T. : « C’est comme si vous vous effondriez… » M. : « C’est toujours la même histoire… je n’ose pas montrer aux autres ce dont j’ai besoin… alors je me laisse faire et cela m’énerve… »
À ce point de l’exploration, le client expérimente l’émotion associée à la réaction problématique. Marie parle aussi de cette manière de faire qui lui appartient depuis longtemps (« c’est une vieille histoire ! »). Elle a ainsi accès à son schème émotionnel et son sentiment de ne pas être importante, d’être invisible. Dans ce qui suit, Marie explore spontanément l’origine de ce schème émotionnel. Marie : « Nous étions quatre filles… ma mère était souvent débordée… j’étais la dernière, j’ai appris à être calme et à ne pas être vue… c’est comme ça que ma mère m’appréciait, si je ne demandais rien. » Thérapeute : « C’était alors une bonne manière d’être dans cette situation familiale. »
Étape V. Reconnaître les schèmes de soi Le client explore le schème émotionnel, son origine et la construction de ses réactions. Dans cette perspective, le client peut observer avec compassion la présence dans sa vie actuelle de ce genre de réactions problématiques, et ses constructions et significations associées. Étape VI. Résolution complète du point de réaction problématique : considérer de nouvelles options Le client a établi une nouvelle compréhension de sa réaction problématique. Il est plus conscient des déclencheurs, du processus et des constructions
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associées. Il cherche de nouvelles manières d’appréhender les situations déclenchantes et tente de les mettre en pratique. L’exploration systématique du point de réaction problématique représente un dénouement réalisé étape par étape par le client en séance, avec l’aide du thérapeute. Ce dernier utilise les différentes formes d’empathie pour modeler le processus et aussi pour orienter le client vers des expériences émotionnelles primaires adaptées, des nouveaux liens sémiotiques et représentations.
Indice du bouleversement de la signification Manifestation de l’indice L’indice du bouleversement de la signification (meaning protest ; Elliott et al., 2004 ; Yalom, 1980 ; Janoff-Bulman, 1992) apparaît lors de crises de vie liées à des événements actuels ou passés, internes (comme des traumas passés) ou externes (comme des pertes, deuils). Cela s’exprime alors par un bouleversement des significations, voire un anéantissement des croyances fondamentales ou précieuses de la personne. Ce processus peut être plus ou moins explicite et apparent. L’ébranlement peut concerner une vision existentielle par le client du monde, de soi et des autres. Voici des exemples de significations : • du monde : « Au fond, il y a une justice dans ce monde » ; « Le monde ne peut pas s’effondrer » ; « La nature reprend toujours le dessus » ; • de soi : « Je suis une personne forte, je suis une personne de confiance » ; « Je ne suis pas une personne qui se ferait tromper » ; • des autres : « Ma famille sera toujours là pour moi » ; « Mon mari n’est pas un homme qui pourrait me tromper » ; « Mes amis proches ne me trahiront jamais ». Clarke et Greenberg (1986) considèrent que chaque être humain possède des croyances précieuses. Faisant partie intégrante de son identité, elles sont profondément ancrées dans la vie de la personne et font partie des fondements qui lui permettent de comprendre et d’appréhender le monde. Ces croyances précieuses sont porteuses d’une forte valence affective, proche des schèmes émotionnels – mais ayant une autre fonction. Ces croyances précieuses sont profondément connectées aux expériences et ancrées dans le corps, symbolisées par le langage, la religion, le système judiciaire et politique, et, finalement, reliées par les besoins fondamentaux de l’individu (Clarke et Greenberg, 1986 ; Elliott et al., 2004). Ces croyances précieuses peuvent être déstabilisées par des événements de vie. Suite à un événement bouleversant, le client se décrit déboussolé, en crise, ébranlé au niveau de ses croyances. L’assimilation de ces événements dans les croyances précieuses, ou à l’inverse, l’accommodation des croyances précieuses à la réalité externe, sont ainsi des processus nécessaires pour
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résoudre la crise. De ce fait, les systèmes de croyances, et des significations, doivent être revisités pour résoudre le problème sous-tendant cet indice. L’adaptation nécessite alors une réorganisation du lien entre l’organisme et son environnement, impliquant souvent de multiples accommodations et assimilations des schèmes émotionnels et significations idiosyncratiques. L’intervention appropriée est la création de sens. Frédéric, un homme de 60 ans, consulte huit mois après le décès de sa femme. Il exprime sa tristesse au sujet de la perte de sa femme, mais rapidement aussi une indignation envers la vie. Il explique que cela faisait plusieurs années qu’il préparait un plan de retraite anticipée « pour avoir plus de temps avec ma femme et pour être moins stressé ». Alors qu’il prend sa retraite, sa femme décède d’un cancer, une « catastrophe » pour Frédéric. Il doit chercher un nouveau travail, prendre en charge la famille et se sent complètement débordé et seul. Frédéric : « C’est vraiment injuste ! J’ai dû reprendre un travail de consultant, car je n’avais plus les moyens financiers et je me retrouve surchargé alors que ce que je recherchais et planifiais depuis plusieurs années était de moins bosser ! »
Cette situation complexe illustre la présence d’un deuil en cours, emmêlé avec un bouleversement de la signification. On voit bien aussi le caractère de « protestation » dans l’exemple cité (par la présence de la colère, « c’est injuste ! »).
Étapes de la création de sens face au bouleversement de la signification Le processus thérapeutique vise à permettre au client de prendre conscience de ses croyances précieuses qui sont remises en question au travers de l’événement de vie, afin de pouvoir réorganiser sa compréhension de la réalité. De manière empathique, non jugeante et bienveillante, le thérapeute facilite l’exploration des significations, des croyances précieuses que le client porte sur soi ou sur le monde, dans le but de créer un nouveau sens. L’idée que ses croyances précieuses se sont développées de manière ajustée à l’époque et au contexte du client est importante. Étant donné les nouvelles réalités qui se sont imposées à lui, ces significations sont remises en question, ce qui crée la souffrance. Les étapes de la résolution d’un bouleversement de la signification sont décrites dans le tableau 3.6. Étape I. Identifier l’indice L’indice comprend trois éléments : • Un événement de vie perturbant. Le client décrit une situation souvent négative qui ne correspond pas à ses attentes, à « sa réalité », en violation avec ses croyances de base ou précieuses.
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Tableau 3.6. Étapes de la création de sens face au bouleversement de la signification. Étapes
Actions du thérapeute
I
Identification de l’indice
Écouter et refléter l’indice
II
Description de la croyance précieuse
Exploration, évocation et conjonction empathiques, utilisation des métaphores
III
Réflexion sur soi
Faciliter la réflexion sur soi, sur l’origine et la signification de la croyance précieuse
IV
Exploration de l’utilité de la croyance précieuse en fonction de l’événement (résolution partielle)
Faciliter l’évaluation de la croyance précieuse (par une différenciation entre « jadis » et « ici et maintenant »)
V
Révision
Refléter les formulations alternatives de la croyance précieuse
VI
Plan d’action (résolution complète)
Faciliter l’exploration des conséquences potentielles et actions de la révision
• Un sentiment de protestation. Le client exprime de la révolte, de la colère. Il s’insurge face à l’événement. L’intensité émotionnelle sera souvent proportionnelle au décalage entre la croyance et l’événement. • La présence d’une surprise, d’incompréhension, de confusion existentielle profonde. Le client exprime qu’il ne « comprend pas », qu’il ne sait pas quoi faire avec ce qui lui arrive, que cela n’a pas de sens, ce qui peut aboutir à un « brouillage émotionnel », qui ne lui permet pas de voir clair. Reprenons la situation de Frédéric, alors qu’il décrit un sentiment assez intense de révolte par rapport à sa situation. Frédéric (les larmes aux yeux et avec une certaine énergie) : « J’avais attendu ce moment de la retraite depuis si longtemps… j’avais si besoin de vivre plus tranquillement… et me voilà avec trois enfants à charge, un travail à plein temps et ce sentiment d’être… si seul… c’est injuste ! » Thérapeute (d’une voix douce) : « Alors vous qui vouliez vivre avec moins de stress, vous vous retrouvez avec cet énorme poids… c’est tellement injuste. » F. : « Oui, je ne comprends pas… pourquoi ?… J’ai tellement souffert ! » T. : « Oui, cet événement vous a tellement bouleversé. »
Dans cette première étape, le client peut ressentir de la confusion entre différentes significations. Le thérapeute l’aide à clarifier. Ici, Frédéric ressent la tristesse de la perte de sa femme, emmêlée à la colère d’avoir été « maltraité par la vie ». Il exprime que cela l’envahit dans son quotidien, que
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chaque moment lui rappelle cette injustice. Frédéric exprime en premier lieu la souffrance de ne pas comprendre cette injustice. La porte d’entrée est donc bien là où se trouve l’indice du processus : l’opportunité pour le changement émotionnel se trouve là. Étape II. Description de la croyance précieuse Après avoir identifié l’indice, le client est encouragé à expliciter de quelle manière l’événement ne s’intègre pas dans sa représentation du monde, des autres ou de lui-même. Comment cela le fait-il sentir ? Quels sont les représentations sous-jacentes ? Une alternance entre expression des réactions émotionnelles et de l’accès aux contenus des croyances caractérise cette étape. Cette phase permet au thérapeute d’entrer dans le monde des représentations du client. Frédéric raconte combien il avait eu l’espoir que les choses changent, surtout lui qui « n’avait pas toujours été épargné par la dureté de la vie ». Thérapeute (d’une voix lente et douce) : « La vie ne semble pas avoir été tendre avec vous, avec le suicide de votre frère, puis le décès précoce de votre mère… » Frédéric (le regard fixant le sol, les poings serrés) : « Oui, la vie s’acharne sur moi, je ne comprends pas… » T. : « Comment cela vous fait-il sentir ? La vie s’acharne sur moi et je ne comprends pas… » F. : « C’est injuste, je suis fâché ! Comme si je n’ai pas déjà eu ma dose de malheur, j’ai pas assez payé ? ! » T. : « Alors, je ne le mérite pas, j’ai déjà assez souffert… comme si nous devions tous supporter une dose de souffrance, et qu’au-delà, cela ne serait pas juste… c’est cela ? »
Le thérapeute et le client accèdent ici ensemble à la formulation de la croyance précieuse de Frédéric (« J’ai le droit à avoir de la chance dans la vie »), celle qui induit la souffrance actuelle, et le sentiment d’injustice face à l’événement bouleversant. Étape III. Réflexions sur soi Ce processus permet au client de réfléchir sur l’origine de la croyance précieuse, et aussi de mieux la comprendre, ainsi que sa réaction émotionnelle. Frédéric a vécu des événements de vie douloureux durant son enfance et son adolescence et a entendu son entourage lui donner une explication à « cette malchance ». Il se rappelle qu’après le décès de son frère, il a été très fâché en lien avec cette malchance, mais n’a pas pu trouver d’autres explications que « la vie est dure et tu t’en remettras ». Puis à la suite du décès de sa mère quelques années plus tard d’un cancer, il a encore entendu « tu n’as pas de chance, mais elle tournera ». Ainsi, lorsque sa femme avait été atteinte d’un cancer et lorsqu’elle a récupéré de sa maladie, le client s’était
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dit enfin : « Cette fois, la vie m’a compris, la chance tourne… je ne peux pas avoir autant de malheur… » Frédéric : « J’ai été tellement heureux quand ma femme m’a annoncé qu’elle n’était plus malade… je me suis dit : enfin ! ! Cette fois, c’est mon tour d’avoir de la chance dans la vie. » Thérapeute : « C’est mon tour d’avoir de la chance… la vie sera juste maintenant avec moi… vous deviez être si rassuré. » F. : « Et je me rappelle de ma rage quand j’ai appris la rechute du cancer !… J’aurai voulu hurler que cela n’était pas juste… pour moi… mais c’est ma femme qui était malade… alors je n’ai rien dit. » T. : « Cette rage, vous la sentez maintenant que vous me reparlez de ce moment si dur ? » F. (en montrant son ventre) : « Là ! Une boule dur, oui. » T. : « Cette boule qui vous dit quoi ? » F. : « Je ne mérite pas cela, j’aurai dû être épargné… elle n’aurait pas dû mourir et me laisser avec cette souffrance encore une fois !… Je suis maudit… peut-être qu’au fond je suis une mauvaise personne qui mérite d’être punie… je dois mériter cela, car je suis mauvais. » T. (le ton de la voix adouci) : « Vous pensez que vous méritez d’être puni, car vous êtes une mauvaise personne… si mauvaise que la vie s’acharne contre vous. » F. (les yeux brillants) : « C’est peut-être cela qui se passe et je ne m’en sortirai jamais. » T. : « Ça vous touche, restez avez cela un peu… » F. (visiblement ému) : « Oui (pause)… » T. : « Qu’est-ce qui se passe en vous… » F. : « Je n’avais pas vraiment réalisé que je me le disais… je ne sais pas si c’est juste de se dire cela… je ne pense au fond pas vraiment que je sois une mauvaise personne. »
Ce processus permet à Frédéric de comprendre l’origine de la croyance précieuse, en accédant au schème émotionnel profond (le sentiment d’être maudit ; « Je suis une mauvaise personne »). Étape IV. Résolution partielle du bouleversement de la signification : utilité de la croyance précieuse dans le contexte de l’événement actuel Arrivé à ce stade, Frédéric affirme qu’il continue à avoir droit à de la chance dans la vie, mais reste dubitatif par rapport au sens que la perte de sa femme peut vraiment avoir pour cette croyance. Une exploration lui a permis d’accéder à l’idée qu’il en a le droit, « malgré tout ce qui m’est arrivé » (au lieu de « à cause de ce qui m’est arrivé »). Étape V. Révision La ré-évaluation et la re-formulation de la croyance précieuse à ce stade s’accompagnent par la modification de la qualité et de l’intensité
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émotionnelle. Frédéric n’exprime plus de colère, mais une tristesse, même si la situation globale reste « injuste », il ne se regarde plus comme une victime d’un châtiment, mais, au contraire, comme une bonne personne qui n’a pas eu de chance. Lors du processus thérapeutique, il a pu revenir sur l’établissement d’une croyance liée à un sentiment de responsabilité. Au fond, il se dit : « Je dois être une mauvaise personne, car seules les mauvaises personnes sont punies par la vie… la preuve est que ma mère est morte aussi. » Avant la rechute cancéreuse de sa femme, cette croyance a été renforcée. « Je suis épargné, car au fond je sais que je ne suis pas une mauvaise personne. » Frédéric revisite la croyance précieuse et il finira par se dire : « Je ne m’étais pas rendu compte de cette idée, mais maintenant je sais que cela n’est pas si simple… on ne souffre pas forcément parce que l’on est une bonne ou une mauvaise personne, mais c’est le destin… » Étape VI. Résolution complète du bouleversement de la signification Au vue de ces élaborations, le client appréhendera son monde autrement, avec plus d’affirmation, mais aussi avec un lâcher-prise serein et « sage », sur ce qui se trouve en dehors de son contrôle. Dans le cas de Frédéric, ce dernier décide, dans la mesure du possible, de ne plus se remettre en question par rapport aux événements de la vie : « Je ne veux plus me dire que je suis mauvais ; je mérite mieux que cela. » Thérapeute : « Oui, vous méritez mieux que cela, tout à fait. » Frédéric : « Effectivement cela me soulage, et le destin, je ne le change pas… »
La résolution du bouleversement de la signification est une tâche existentielle importante, qui peut prendre une importance particulière dans le traitement des traumas (voir chapitre 4). Par ailleurs, les processus d’accommodation et d’assimilation illustrés par ce cas montrent que l’intégration en une narration cohérente avec le soi est souvent saccadée et non-linéaire et, malgré (ou à cause de) cela, fondamentalement productive.
Indice du sentiment diffus Manifestation de l’indice Cet indice apparaît lorsque le client décrit un sentiment diffus comme « quelque chose n’est pas comme il faut », « quelque chose me dérange », sans qu’il ne puisse mettre le doigt sur ce quelque chose (Elliott et al., 2004 ; Gendlin, 1996 ; Greenberg et al., 1993). Il peut y avoir aussi un manque d’élaboration des émotions sur le moment, le sentiment de « tourner en rond », « de rester en surface des émotions », comme c’est le cas lorsque le client éprouve seulement des émotions secondaires. Un client nous dit : « Je
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ne sais pas ce qui se passe, mais je sens bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas, je n’arrive pas à me l’expliquer. » L’intervention indiquée pour cet indice est le focusing expérientiel, qui a été développé par Gendlin (1964, 1981, 1996). Cornell (1996) et Leijssen (1998) ont suggéré l’intégration du focusing dans le cadre de la thérapie expérientielle. Le focusing est considéré comme « une attitude », une manière du thérapeute d’être avec soi et avec le client, qui favorise la présence thérapeutique et la focalisation sur un thème émotionnel central. Dans sa manière la plus classique, le focusing permet de nommer l’innommable, d’accéder à une représentation idiosyncratique qui soit juste pour un sens corporel (felt sense) donné. Le focusing expérientiel favorise donc la mise en mots, le processus de la connaissance expérientielle et l’élaboration de la signification à partir des éléments implicites (Gendlin, 1996). Leijssen (1990 ; p. 228) décrit la tâche comme suit : « Attendre, rester tranquillement présent avec ce qui n’est pas nommé, être réceptif à ce qui n’est pas formé. » Cet état d’esprit implique une certaine ouverture patiente, tolérante, avec compassion, une curiosité bienveillante, pleinement ancrée dans l’ici et maintenant. La littérature étant bien fournie au sujet du focusing expérientiel, également en langue française, cette section sera courte et n’inclura pas de longs verbatims.
Étapes du focusing expérientiel Le processus du focusing permet d’aider le client à accéder et à explorer son sens corporel, ses sentiments diffus du sens de soi qui sont sous-tendus par des schèmes émotionnels. Il s’effectue selon les six étapes décrites dans le tableau 3.7. Étape I. Identifier l’indice L’indice classique pour s’engager dans un focusing expérientiel est l’expression d’un sentiment diffus que quelque chose ne va pas. Le client peut le formuler de la manière suivante : « Je ne sais pas ce que je ressens, mais je sens que cela ne tourne pas rond… je n’arrive pas à mettre le doigt dessus… je me sens… étrange… et je ne sais pas pourquoi… » Greenberg et collaborateurs (1993) décrivent trois composantes de cette expérience : • Elle est interne et particulière (contrairement à une expérience abstraite, générale, ou externe). • Elle est difficile à articuler ou à symboliser. • Elle induit un certain inconfort, voire de la détresse. L’exploration empathique du thérapeute a comme intention de susciter l’intérêt du client à s’arrêter sur cette expérience : « Pourriez-vous vous arrêter un instant sur ce sentiment… Fermez les yeux, restez avec ce sentiment… Demandez-vous ce qui se passe en vous en ce moment. »
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Tableau 3.7. Étapes du focusing expérientiel. Étapes
Actions du thérapeute
I
Identification de l’indice Expression vague, globale
Identifier et refléter l’indice au client Suggérer l’exploration de la situation
II
Accéder aux sentiments diffus, y compris au niveau sensoriel
Encourager l’attitude du focusing Encourager le client à tourner le focus à l’intérieur de lui… ce qui trouble, n’est pas clair Accueillir le sentiment global
III
Rechercher, expérimenter une description possible (« c’est comme si… »)
Demander au client de chercher des mots, des images à propos du sentiment diffus. Refléter exactement ce que dit le client. Encourager le client à trouver une représentation qui convienne le mieux possible au sentiment diffus
IV
Changement du sentiment (résolution partielle)
Exploration empathique. Y-a-t-il autre chose ? Sentiments profonds ? Réactions ?
V
Accueil du changement du sentiment
Encourager le client à rester avec le nouveau sentiment. L’aider à mettre de côté les éventuels autocritiques ou oppositions
VI
Compléter la résolution (en dehors de la thérapie, dans d’autres séances)
Encourager et faciliter l’appropriation du changement
Étape II. Accéder au sentiment diffus Dans cette étape, le thérapeute encourage le client à s’ouvrir à l’expérience dans l’ici et maintenant, avec une attitude bienveillante, curieuse et non jugeante. Le thérapeute peut encourager le client : « Imaginez que ce sentiment est devant vous, dans une pièce vide. Uniquement vous et ce sentiment. Maintenant, pourriez-vous regarder ce sentiment… » Étape III. Recherche de description correspondante Une fois que le client est attentif au sentiment diffus et est disponible pour son approfondissement, le thérapeute entame avec le client une recherche de ce qui permet de décrire le sentiment. Le thérapeute propose et vérifie avec le client si les images ou mots ou métaphores correspondent. Thérapeute : « Est-ce que cela correspond à ce que vous ressentez ?… c’est comme si… »
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Étape IV. Résolution partielle du sentiment diffus : changement (felt shift) du sentiment La recherche de correspondance de l’étape III peut prendre du temps et son accomplissement peut se révéler par des signes visibles de soulagement du client, comme une expiration ou un sourire. Cela peut prendre la forme d’une détente physique, d’un sentiment de libération, de satisfaction, voire de complétude. Si cela n’apparaît pas, le thérapeute poursuit la démarche du focusing, en utilisant un questionnement ou une focalisation, afin de cerner mieux le cœur du sentiment diffus. Thérapeute : « Qu’est ce qui est le pire à propos de [ce sentiment] ?… De quoi a-t-il besoin ?… Comment cela serait-il, si [ce sentiment] se résolvait ?… »
Étape V. Accueil du changement Lorsqu’un changement (shift) de ce sentiment apparaît, même discret, il peut y avoir l’émergence d’un soulagement, mais aussi d’une autocritique, comme réaction au caractère nouveau du changement. Dans ce cas, il est important que le thérapeute aide le client à continuer à centrer son attention sur l’expérience du focusing. Il encourage le client à accueillir l’expérience nouvelle avec empathie et acceptation en laissant de côté la critique. Cette attitude est appelée l’activité d’accueil expérientiel (receiving ; Elliott et al., 2004). Étape VI. Résolution complète du sentiment diffus : intégration Lorsque le focusing a permis la résolution du sentiment diffus, le client commence à intégrer cette nouvelle expérience dans sa vie quotidienne. Cela peut se passer dans le cadre des séances dans de nouvelles tâches, ou à l’extérieur. Cela peut paraître naturel et simple pour certains clients et plus ardu pour d’autres. Pour cette raison, le thérapeute doit se montrer flexible, créatif et présent tout au long du processus.
Indice de la voix critique Manifestation de l’indice La voix critique apparaît lorsque le client exprime de fortes critiques, des reproches, des dévalorisations envers lui-même, avec des conséquences sur son fonctionnement et son bien-être. Les critiques sont généralement très présentes dans le cas de dépression de type anaclitique ou autocritique (Blatt, 2004), ainsi que dans le cas de troubles alimentaires (Dolhanty et Greenberg, 2007 ; Greenberg et Watson, 2006 ; voir chapitre 4), parmi d’autres troubles. La thérapie cognitive (Beck, 1976) conceptualise chez les clients déprimés ce phénomène, sous forme de pensées automatiques plus ou moins conscientes envers soi. Elle propose des interventions de restructuration cognitive pour changer les tendances à l’autocritique des clients.
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Malgré l’intérêt de ces conceptualisations et interventions, la recherche a montré que l’autocritique est avant tout un phénomène affectif et émotionnel (Whelton et Greenberg, 2005). Le processus de résolution de l’autocritique doit permettre l’accès complet aux schèmes émotionnels orientant les phénomènes cognitifs de surface, dans le but de la transformation émotionnelle. Pour ce faire, une activation émotionnelle accompagnant les cognitions d’autocritiques est nécessaire, dans le sens d’une « hot cognition » activée sur le moment (Greenberg et Safran, 1984). De ce fait, le dialogue sur deux chaises pour la résolution des conflits internes est l’intervention appropriée à cet indice (Greenberg, 1979 ; Greenberg, 1984 ; Greenberg et al., 1993). La recherche, en utilisant l’analyse de la tâche thérapeutique sur une série de clients ayant résolu avec succès leur autocritique (voir chapitre 6), a permis de définir les étapes de résolution décrites et illustrées ici. Michelle, une femme de 50 ans, consulte pour apprendre à gérer son anxiété et traiter un trouble alimentaire. Comme à la séance précédente, elle arrive à sa quatrième séance avec du retard. Elle s’assoit et commence immédiatement à se faire des reproches. Michelle : « Je suis vraiment nulle, c’est désespérant… je savais que j’allais être en retard et je n’ai rien fait pour m’organiser correctement… en fait c’est comme ça partout, et même ici, je n’y arrive pas ! » Thérapeute : « Je vous entends vous blâmer de votre retard… Je me demande, comment vous sentez vous quand vous faites ça ? » M. (avec une expression de dégoût) : « Je me trouve si nulle !… Je n’arrive pas à faire des simples choses comme être à l’heure ! » T. : « Quand vous dites cela, comment vous sentez-vous par rapport à vous ? » M. : « Je suis fâchée ! C’est comme si je me fouette ; je ne mérite pas mieux. »
Michelle prend conscience de l’action de cette partie critique qu’elle représente métaphoriquement comme « un fouet ». Typiquement, les sentiments d’hostilité, d’irritabilité, de dégoût et de dédain ou mépris pour soi y sont associés. Le conflit se matérialise, ici dans l’image d’un fouet, dans la partie du soi qui frappe de critiques une autre partie du soi qui ne serait pas à la hauteur et plus vulnérable. Il y a ici, selon la conception dialogique du soi dans la résolution de conflits intrapsychiques (Elliot et Greenberg, 1997), deux voix (ou parties du soi) qui apparaissent : (1) la voix critique (i.e., l’internalisation d’injonction de l’extérieur, des parents, de l’entourage, de la société ; chez Michelle : « Je te fouette, tu le mérites… tu es nulle ») et (2) la voix expérientielle (i.e., l’expérience interne, en particulier porteuse de sentiments vulnérables, des besoins fondés sur le système émotionnel biologiquement adaptif ; chez Michelle, le désespoir, le sentiment de capitulation). Ces deux parties du soi, l’une plus externe (1), l’autre plus
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Figure 3.1. Le setting pour la résolution émotionnelle de l’autocritique.
interne (2), sont différenciées dans un dialogue de mise en acte de type Gestalt sur deux chaises, et à chaque partie du soi est donnée une voix. Chaque voix est sous-tendue par une expérience propre et différenciée, qui évolue de manière séparée – mais reliée à l’autre – à travers le processus de résolution. La résolution comprend l’adoucissement de la voix critique en révélant de la peur pour le soi expérientiel ou en exprimant de l’empathie pour l’expérience émotionnelle de l’autre partie. La figure 3.1 illustre le setting thérapeutique de base avec deux chaises pour le client et celle du thérapeute. Le thérapeute se place (de manière symbolique) à distance égale entre les deux parties du soi. Il travaille avec les deux parties, afin de leur donner une voix de manière séparée, et favorise la connaissance expérientielle rattachée à chacune d’elle et permet le processus de résolution de l’autocritique pour les deux voix séparément et en parallèle.
Étapes de la résolution de l’autocritique Le processus en six étapes a pour but de faciliter l’activation et l’expérience émotionnelle, afin d’accéder au schème émotionnel mal adapté, dans le but de sa transformation (tableau 3.8). Ainsi, il ne vise pas l’apprentissage de stratégies de coping, de contrôle ou de déni d’une partie. Il ne vise pas non plus une modification cognitive. En revanche, une nouvelle vision du soi et du monde, au niveau de la représentation du client, résultera généralement de ce dialogue. Le dialogue permet au client de faire l’expérience du point de vue de la partie critique d’abord (partie plus externe), ensuite, depuis la partie de soi expérientielle (partie plus interne). Le processus permettra l’adoucissement de la critique au travers de l’accès à l’émotion primaire mal adaptée, en vue de sa transformation en, par exemple, la colère affirmée et
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Tableau 3.8. Étapes de la résolution de l’autocritique. Étapes
Actions du thérapeute
I
Identifier l’indice d’une voix interne critique
Identifier et confirmer l’indice Proposer la tâche
II
Initier le dialogue sur deux chaises Depuis la chaise critique
Faciliter la séparation entre les deux parties et le contact entre elles, faciliter l’intensité et le sens de responsabilité des émotions
III
Depuis la chaise expérientielle Approfondir le conflit Les émotions primaires et les besoins émergent
Permettre la différenciation des émotions, vers les émotions primaires adaptées, et des besoins existentiels (et les valeurs de la partie critique)
IV
Depuis la chaise expérientielle Nouvelles expériences envers soi-même (résolution partielle)
Aider le client à ressentir une nouvelle expérience organismique et donner du sens à son expérience
V
Depuis la chaise critique Adoucissement de la critique
Faciliter l’adoucissement, vers la considération pour la compassion, pour la partie expérientielle
VI
Depuis la chaise expérientielle Négociations et ré-conciliations entre les parties (résolution complète)
Faciliter la négociation entre parties, dans le respect du besoin de la personne
l’expression de besoins. Le résultat sera de permettre au soi de développer des actions plus adaptées au monde actuel du client. Étape I. Identifier l’indice Le travail débute par l’observation d’une souffrance liée à l’expression du conflit interne due à l’expérience d’une autocritique. Typiquement, le client utilise un langage qui exprime les notions « d’être coincé, tiraillé, piégé », avec l’évocation d’une image de soi faible, d’une dévalorisation accompagnée d’un découragement, voire de désespoir. L’autocritique est directement reliée à un sens profond d’inadéquation du soi. Dès qu’une autocritique fondamentale, à savoir directement reliée au sens inadéquat du soi, a été identifiée, le thérapeute la reflète et propose une mise en acte spécifique, la tâche du dialogue, en utilisant deux chaises. Par exemple, dans le cas d’une cliente avec un trouble alimentaire, la verbalisation de l’autocritique fondamentale a pris la forme suivante : « Je suis vraiment trop grosse, moche, un tas de graisse ! » Durant l’étape I, il s’agit d’identifier avec le client la présence du conflit interne fondé sur l’autocritique, et des conséquences émotionnelles (voir l’exemple de Michelle).
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Figure 3.2. Étape II. Initier le dialogue sur deux chaises pour la résolution de l’autocritique.
Étape II. Initier le dialogue sur deux chaises Lorsque l’autocritique et la partie expérientielle sont suffisamment explicites, le thérapeute propose au client de débuter le dialogue. La figure 3.2 montre le setting. Une fois que le client est assis dans la position de la critique, on lui demande « d’être » la voix critique, d’imaginer en face la personne et de critiquer activement l’autre partie. Le thérapeute accompagne activement ce processus, sans interférer. La partie critique peut alors s’exprimer en s’adressant à l’autre, comme elle le fait « à l’intérieur de la tête de la personne », comme pour Michelle : « Tu es nulle, tu es si grosse et dégueulasse ! » Le thérapeute encourage cette expression, est attentif à l’expression non verbale afin de créer la conscience explicite de la critique et de ses significations, ici la présence non- et paraverbale de mépris, de dédain et de dégoût (i.e., le client descend les lèvres pour faire une moue), accompagnant notamment l’expression verbale « dégueulasse ». Souvent, les éléments para- et non verbaux sont les plus poignants ici et le thérapeute aide le client à les rendre explicite, en formulant un message univoque à la partie expérientielle du soi. Une fois ce message clairement identifié et exprimé, le thérapeute demande au client de se déplacer sur la chaise expérientielle. Étape III. Approfondissement de l’expérience Une fois que le client est installé sur la chaise expérientielle, il est encouragé à observer ce qui se passe à l’intérieur de lui, à décrire son ressenti sur le moment, face à cette critique. Une fois qu’il a formulé clairement ce qu’il ressent, le thérapeute lui propose de l’exprimer directement à la voix critique que le client imagine être assis devant lui (figure 3.3).
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Figure 3.3. Étape III. Approfondissement de l’expérience en réaction à l’autocritique. L’étape III permet de travailler avec la réaction affective, afin d’approfondir cette expérience permettant l’accès aux schèmes émotionnels centraux et d’augmenter la prise de conscience du lien entre l’autocritique et les réactions internes et émotionnelles. Le thérapeute accompagne le client à accéder aux émotions primaires et aux besoins sous-jacents ressentis par la partie expérientielle. Il favorise leurs évocation, description et expression. Par exemple, il peut y avoir initialement un sentiment de désespoir, de résignation du soi ou de capitulation devant la critique. Si le client tend à « donner raison » à la critique, le thérapeute encourage l’expérience émotionnelle sur la chaise expérientielle, et non pas l’appréciation cognitive ou rationnelle. Lorsque Michelle exprime son ressenti face à la critique (« tu es nulle, grosse, tu es faible et dégueulasse »), la qualité de sa voix change. Sur la chaise expérientielle, sa voix est davantage focalisée à l’intérieur, au sens de Rice (voir chapitre 2), et « fragile », tout en laissant apparaître un début d’affirmation. Thérapeute : « Que se passe-t-il en vous maintenant ? » Michelle (les poings serrés) : « C’est terrible et c’est injuste… (pause)… En fait, je ne mérite pas qu’on me parle comme ça ! » T. : « Oui, en colère, je vois, mais que ressentez-vous dans votre corps maintenant ? » M. : « Mhm, je sens… comme si c’était quelque chose de mal, comme si je suis toute petite et je voulais disparaître. » T. : « Mhm, comme si vous vouliez disparaître, vous dérober. » M. : « Oui, je me sens mal, comme si j’étais pas OK. » T. : « Oui… de quoi avez-vous besoin de sa part ? » M. : « Mhm, je veux du soutien, et pas de la critique, en fait. » T. : « Dites-lui ce dont vous avez besoin. » M. : « Je ne mérite pas ça ! » T. : « Bien, en disant cela, qu’est-ce qui se passe en vous ? » M. : « Je me sens soulagé, un peu, oui. »
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T. : « Redites-lui. » M. (en tapant sur l’accoudoir) : « Je veux… pas ça ! ! » T. (doucement) : « Bien, mhm… au fond, vous ne voulez pas ça, mais que méritez-vous, au fond ? » M. : « (pause) je mérite… qu’on me considère avec douceur et délicatesse, c’est ça ! Et aussi, je veux que tu (à la voix critique) m’acceptes telle que je suis ! » T. : « Dites-lui. J’ai besoin que tu me considères… »
L’accès au besoin existentiel est central. Michelle avait d’abord besoin de dire ce qu’elle ne veut plus (« Je ne mérite pas ça »), avant d’accéder au besoin explicite pour une certaine « douceur » et « délicatesse ». Par la suite, le thérapeute aide Michelle à symboliser sa colère affirmée, comme émotion primaire adaptée sous-jacente, exprimée envers la partie critique, toujours en étant sur la chaise expérientielle. C’est alors qu’un changement s’effectue. Michelle (d’une petite voix, le regard vers le sol, l’expression triste) : « C’est vraiment triste et méchant de dire ça, je ne m’étais pas rendu compte ! » Thérapeute : « Mhm… laissez parler et venir cette immense tristesse… »
Le processus montre ici que Michelle accède non seulement à de la colère affirmée, mais aussi à de la tristesse, ce qui est une nouvelle opportunité d’approfondissement sur la chaise expérientielle. Étape IV. Résolution partielle : nouvelle expérience et affirmation de soi Le thérapeute encourage et soutient non seulement l’expression de l’émotion primaire, mais aussi celle des besoins associés. Dans le cas de Michelle, elle a montré de la colère et de la tristesse face à cette critique méprisante, des émotions qui sont pleinement accueillies dans l’espace thérapeutique. Étape V. Adoucissement de la critique Une fois que les émotions primaires adaptées ont été pleinement accueillies, y compris l’affirmation des besoins, le client change et se replace sur la chaise de la voix critique (figure 3.4). Thérapeute (en s’adressant à Michelle assise sur la chaise critique) : « Que se passe-t-il quand vous entendez cette colère et cette tristesse ? » Michelle (les yeux vitreux) : « Je ne sais pas… (pause) » T. : « Que se passe-t-il, maintenant, Michelle ?… je vois vos yeux vitreux… » M. : « Elle me touche ! » T. : « Mhm… qu’est-ce qui vous touche en elle ? »
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Figure 3.4. Étape V. Adoucissement de l’autocritique. M. : « Elle a l’air si vulnérable… elle veut si bien faire… » T. : « Dites-lui. » M. (pause) : « … tu me touches… je suis désolée, je ne voulais pas te blesser, vraiment, désolée. » T. : « Mhm… » M. : « Je réalise que j’ai peur pour toi, tu es si fragile. » T. : « Dites-lui, encore une fois, j’ai peur pour toi… » M. : « J’ai peur pour toi. »
La voix critique s’est adoucie en exprimant sa peur pour la partie expérientielle. Les contenus de cette peur peuvent être explorés plus en détail. Ensuite, le thérapeute demande de re-changer de chaise. Fondamentalement, l’adoucissement de la critique peut prendre différentes formes. Elle peut se présenter comme de la peur (voir exemple de Michelle). Cela peut aussi apparaître comme de l’autocensure (« Je vais désormais me taire, pour te respecter »), ou de l’autocompassion et la volonté de prendre soin de l’autre partie. La partie critique exprime de l’adoucissement, une peur, des regrets ou des excuses. Le client se place ensuite sur la chaise expérientielle pour accueillir ces émotions. Étape VI. Résolution complète de l’autocritique : négociation Les deux parties ayant pu exprimer leurs besoins et leurs vulnérabilités respectives, leur lien est plus apaisé. Le ton du dialogue devient plus collaboratif et bienveillant l’un pour l’autre. Le thérapeute est ici moins actif, il continue à favoriser l’exploration avec ce qui est là, et l’expression, la complétude et l’acceptation émotionnelle (figure 3.5). La résolution s’accompagne souvent d’un sentiment corporel de soulagement, de « se sentir plus serein » du côté de la partie du soi, qui a été si longtemps malmenée par la critique, qui, maintenant, « change de visage » en quelques sorte, dans le sens d’une narration de soi plus cohérente, d’un sens de soi intégré et transformé.
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Figure 3.5. Étape VI. Résolution complète de l’autocritique. Ainsi, la résolution de l’autocritique en utilisant le dialogue sur deux chaises comme évocation des émotions associées au conflit interne, suivant les étapes décrites et validées, est une des interventions les plus puissantes dans le cadre de la TCE.
Indice de l’auto-interruption Manifestation de l’indice L’indice de l’auto-interruption est une forme particulière d’un conflit interne : une émotion primaire adaptée (ou un besoin, une tendance à l’action), émergente dans le processus, est bloquée (Greenberg et al., 1993 ; Elliott et al., 2004). Une partie interne ne tolère pas ce ressenti et son expression émerge. Cette partie peut être nommée la partie interruptrice. Ainsi, cet indice peut ressembler, dans sa forme verbale au moins, à l’autocritique, mais avec une composante d’interdiction plus forte (« ne dis pas X ou Y, tu n’as pas le droit de le dire »). Typiquement, l’auto-interruption a un caractère davantage non verbal ou corporel, avec des niveaux d’expressions variés. Aussi l’autocritique implique-t-elle l’évaluation du soi, tandis que l’autointerruption implique une action sur le soi. Parfois, l’auto-interruption peut être exprimée uniquement au niveau corporel, par des maux de tête, des sensations de nausées ou d’étouffement. La mise à distance d’une émotion, notamment dans le contexte de l’apprentissage traumatique, a pu être une stratégie adaptée à un moment donné, mais peut ensuite prendre les formes extrêmes de dissociation ou d’une incapacité à ressentir, auxquelles le thérapeute TCE doit donner une attention prioritaire (Paivio et PascualLeone, 2010 ; voir chapitre 4). Cet indice est détecté lorsque le client montre des signes de blocage au niveau émotionnel. Il peut être décrit de manière simple comme « je viens de ressentir quelque chose, mais c’est parti, comme si un rideau s’est fermé
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sur mon expérience » (Kramer et Pascual-Leone, 2013). Il comprend trois aspects : 1. Présence du début d’une expérience émotionnelle adaptée, d’un besoin existentiel ou d’une tendance à l’action. 2. Présence d’une restriction ou d’une interruption de cette expérience. 3. Le client exprime un sentiment de détresse en lien avec l’interruption. À un moment donné du dialogue sur deux chaises de la résolution de l’autocritique rapporté dans la section précédente (dernière ligne de l’exemple donné, étape III), Michelle s’apprête à exprimer son besoin existentiel. Thérapeute : « Dites-lui. J’ai besoin que tu me considères… » Michelle : « J’ai besoin… (s’arrête) » T. (avec douceur) : « Que se passe-t-il à l’intérieur de vous maintenant ? » M. (le visage tendu en fronçant les sourcils) : « C’est bizarre, c’est comme si ma gorge se serrait, comme si ma voix ne peut plus sortir… je ne peux pas le dire. »
Dans cette situation, le travail thérapeutique avec la critique ne peut plus se faire, l’accès au besoin existentiel est bloqué. Le thérapeute déplace alors provisoirement le focus sur la résolution de ce blocage, avant de compléter la résolution de l’autocritique. Catherine est une cliente de 22 ans, qui vit chez ses parents et se présente avec un état dépressif. Elle exprime rapidement le conflit qu’elle vit depuis longtemps avec sa mère, qui « ne m’écoute pas, m’étouffe et ne me permet aucune liberté ni intimité ». (Ce conflit non-résolu avec la mère fera l’objet d’une autre intervention appropriée plus tard dans le processus thérapeutique.) Catherine (avec une expression de colère) : « Ma mère fait comme ça : elle rentre dans ma chambre sans frapper à la porte… j’ai 22 ans et je suis coincée ; je n’ai pas de travail… » Thérapeute (de manière empathique) : « Vous vous sentez coincée par votre mère, vous sentez-vous peut-être envahie par elle ? » C. (en souriant) : « Ha bon ?… Non, je me sens pas envahie du tout (en souriant)… je ne sais pas… (pause)… c’est comme s’il y a une cage dans mon ventre qui enferme mes émotions… je ne sais pas, c’est comme ça depuis toujours… je ne peux rien faire… »
L’indice de l’auto-interruption apparaît, de manière plutôt dramatique. La colère est interrompue par le sourire ; l’image de la cage y est donnée. Malgré le sourire apparent, la cliente se dit souffrir de cette situation. Les signes physiques (épaules lourdes, nuque douloureuse, oppression dans la poitrine) et l’utilisation de métaphore (p. ex., la cage, les chaînes aux pieds, être dans une bulle) peuvent être des indices d’une auto-interruption. Ces métaphores amenées par le client sont utiles en devenant un langage
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commun avec le thérapeute dans le processus. Au départ, cette métaphore peut permettre de prendre conscience du processus d’interruption (« la cage », étape I ; voir tableau 3.9), de mettre en acte cette image dans le cadre d’un dialogue sur deux chaises, afin de l’expérimenter (« Soyez la cage maintenant. Comment fait-elle pour enfermer l’émotion ? Faites-le maintenant » ; étape II), d’observer les effets sur la chaise expérientielle (« Comment cela vous fait-il sentir d’être dans la cage ? » ; étape III), d’accéder pleinement à l’émotion interrompue, y compris aux besoins et actions (« Qu’avez-vous besoin de cette partie interruptrice maintenant ? » ; étape IV). Finalement, lors de la résolution, il est important de soutenir l’accueil de ces besoins exprimés (étape V) et dans l’étape finale (VI), il est important d’exprimer l’apaisement des sensations par la partie expérientielle (i.e., « je me sens plus forte, je n’ai plus la sensation de la cage autour de moi »).
Étapes de la résolution de l’auto-interruption Ces étapes sont décrites dans le tableau 3.9.
Tableau 3.9. Étapes de la résolution de l’auto-interruption. Étapes
Actions du thérapeute
I
Identification de l’indice
En collaboration avec le client, l’aider à prendre conscience de l’auto-interruption, à la décrire
II
Initier le dialogue sur deux chaises Le client se place du point de vue de la partie interruptrice, la joue de manière concrète et spécifique
Séparer les parties et les mettre en contact Mettre en évidence les ressentis corporels et émotionnels associés Créer la conscience de l’activité d’autointerruption
III
Approfondissement du processus afin de permettre au client de ressentir la passivité et la résignation, liées à l’interruption
Favoriser l’appropriation de la partie interruptrice et la prise de conscience des origines adaptées de l’interruption, de ces besoins et intentions
IV
Chaise expérientielle Affirmation envers l’auto- interruption (résolution partielle)
Identifier l’expérience interrompue
V
Le client exprime clairement ses besoins associés avec ses émotions primaires adaptées
Soutenir l’affirmation de soi face à la partie interruptrice, en lien avec le besoin ressenti. Expression de ce besoin
VI
Le client se sent plus fort, apaisé et envisage des actions en conséquence de l’apparition complète de son émotion primaire adaptée (résolution complète)
Encourager la construction de la signification, faciliter le dialogue, les actions concrètes, les nouvelles perspectives
Tâches dans le processus thérapeutique
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Étapes I, II et III. De l’identification de l’auto-interruption à la conscience de sa valeur adaptée passée Comme la résolution de l’auto-interruption représente certaines similarités avec la résolution de l’autocritique, abordée ci-dessus avec davantage de détails, nous synthétisons la procédure et renvoyons à la partie précédente au sujet de l’autocritique. Par ailleurs, pour plus de développement, ce processus de résolution est bien documenté dans d’autres écrits (Elliott et al., 2004 ; Greenberg et al., 1993). Suite à l’identification de l’indice (voir ci-dessus), Catherine se place sur la chaise de la partie interruptrice (« la cage » ; étape II). Le thérapeute explore alors le mécanisme de blocage de manière vivante et concrète (étape III). Il est possible de s’aider d’un coussin, de gestes spécifiques, de mouvements de pied, pour faciliter la mise en acte de la partie interruptrice, ainsi que pour intensifier l’expérience émotionnelle. Toutefois, chacun de ces mouvements doivent systématiquement recevoir l’opportunité de s’exprimer verbalement, après l’action concrète. Le thérapeute peut favoriser cette symbolisation en proposant par exemple : « Et si le bras que vous venez de jeter en l’air comme ça pouvait parler, que dirait-il ? » Thérapeute (en s’adressant à Catherine sur la chaise représentant la partie interruptrice) : « Soyez la cage. Mettez les émotions de Catherine dans la cage, comme vous faites d’habitude, comment faites-vous ? » Catherine (en accompagnant avec des gestes de serrage par les mains) : « Je lui serre la gorge, je la fait toute petite, Catherine, et après je lui mets un sourire. Voici ». T. : « Oui, faites-le. Quels muscles utilisez-vous ? » C. : « Ici, dans ma gorge. » T. (en reprenant les mots et les gestes) : « Pendant que vous la serrez comme ça, que lui dites-vous ? » C. : « Ne dis rien… et souris… et reste là, tais-toi ! »
Le thérapeute demande alors à Catherine de changer de chaise et explore avec elle son ressenti émotionnel et corporel, et les conséquences sur son comportement. Étapes IV, V et VI. De l’affirmation des besoins à sa prise en considération Une fois que Catherine est revenue sur la chaise expérientielle (étape IV), elle est encouragée à explorer son ressenti émotionnel et corporel (étapes V et VI) qu’elle exprime au blocage, à « la cage » (étape VI). Catherine (depuis la chaise expérientielle, en s’adressant à la partie interruptrice) : « Quand tu me mets dans la cage, je ne peux plus rien faire pour me protéger et je me décourage. » Thérapeute : « Très bien. Comment vous sentez-vous quand vous dites cela ? »
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La psychothérapie centrée sur les émotions
C. (semble étonnée) : « Je me sens plus forte, comme si la cage était devenue plus petite… je deviens trop grande pour entrer dedans (rit de manière soulagée). » T. : « Vous vous sentez soulagée en disant cela, et forte face à cette cage… » C. : « Oui, c’est ça, c’est exactement ça. J’ai le droit d’être fâchée avec ma mère. Je le suis et je dois l’exprimer ici, avec vous (se tourne vers le thérapeute). »
La colère affirmée émerge avec le relâchement de l’auto-interruption. La colère est accompagnée d’un sentiment de contrôle, du besoin existentiel sous-jacent, permettant à Catherine de sortir progressivement de l’autointerruption (et de s’engager dans le processus de résolution du conflit avec une personne significative, ici la mère, comme décrit dans la section suivante). De son côté, Catherine prend conscience des besoins actuels du soi et se rassure, devient plus forte et confiante dans l’expression de sa colère envers sa mère, ce qui sera important pour la suite de sa thérapie.
Indice du conflit émotionnel non résolu avec une personne significative (unfinished business) Manifestation de l’indice L’indice du conflit émotionnel non résolu avec une personne significative est présent lorsque le client montre une certaine souffrance en lien avec une relation interpersonnelle du passée, comme avec un parent, un(e) ami(e), un(e) conjoint(e). Dans cette relation interpersonnelle s’est formé un schème émotionnel donnant lieu à un sentiment subjectif d’incomplétude, que « quelque chose n’est pas fini ». Ce schème émotionnel associé peut être latent dans une relation actuelle problématique (avec une figure d’autorité, un ami, le conjoint actuel). Dans ce cas, cette relation actuelle problématique peut servir de porte d’entrée dans le processus de résolution, mais le travail thérapeutique central devra se réaliser sur la relation du passé dans laquelle le schème émotionnel s’est initialement formé. L’intervention appropriée à l’indice du conflit émotionnel non résolu avec une personne significative est le dialogue avec la chaise vide, où la personne significative est invitée mentalement à s’asseoir sur la chaise vide (unfinished business ; Greenberg et al., 1993). Ce type d’indice apparaît avant tout dans deux cas de figure cliniques. Premièrement, et cela est le centre de ce chapitre, lorsque la relation problématique implique la notion d’abandon ou de négligence émotionnelle ; la présence d’une dépression clinique (voir chapitre 4), mais pas uniquement, peut être associée à ce type de problème d’attachement (Greenberg et Watson, 2006). Deuxièmement, lorsqu’il y a eu présence de trauma ou d’abus dans l’histoire du client. Ce cas de figure sera abordé spécifiquement dans le chapitre 4, car la procédure
Tâches dans le processus thérapeutique
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est légèrement différente et pour certains de ces clients traumatisés, une autre procédure centrée sur les émotions est à privilégier. Comme il s’agit en quelque sorte de la tâche thérapeutique dans laquelle les clients entrent le plus profondément dans leur expérience intime, une relation thérapeutique solide et une capacité de réguler les émotions doivent être acquises, avant d’entamer ce travail de transformation. Il est donc nécessaire d’avoir pour cette tâche un thérapeute présent, du temps à disposition, de la lenteur et plusieurs séances préalables pour forger une relation de travail. Arthur est un homme de 45 ans, père d’une fillette de huit ans, et il est en instance de divorce depuis deux ans. Il vient consulter pour un surmenage professionnel qui le conduit au bord de la dépression. Une première partie de la thérapie (environ dix séances) s’est centrée sur ce surmenage, la partie oppressante et l’anxiété associée. Arthur a fait un travail de résolution de l’autocritique et de ces conséquences sur son image de soi, en bénéficiant des dialogues sur deux chaises (voir ci-dessus). Il a ainsi accédé à la honte (primaire mal adaptée), qu’il a pu relier à son histoire d’attachement avec son père. Sa mère, qui souffrait d’une dépendance à l’alcool, était souvent incapable de prendre soin de lui et de son petit frère. Arthur : « Je me rappelle quand je rentrais de l’école, j’ouvrais la porte et je savais immédiatement comment cela allait continuer avec ma mère qui avait bu (pause, tourne le regard vers le bas de manière triste)… mais le pire c’était quand mon père rentrait et qu’il me grondait de n’avoir pas fait assez attention à Maman, il disait que je n’aurai pas dû la laisser boire… » (Le regard au sol, Arthur ne parle plus, il secoue la tête de manière désespérée.) Thérapeute : « Que se passe-t-il maintenant, vous secouez la tête… » A. (sans expression) : « Mon père, il n’a jamais été là pour moi ! »
Étapes de résolution du conflit émotionnel avec une personne significative Ces étapes sont décrites dans le tableau 3.10. Étape I. Identifier l’indice L’indice d’un conflit émotionnel non résolu avec une personne significative peut se présenter de différentes manières. Mais comme illustré avec l’exemple d’Arthur, il comporte au moins les éléments suivants : • présence de sentiments négatifs comme de la rancune, des blessures, des ressentiments ; • ces sentiments sont envers une personne qui a eu un rôle significatif dans son parcours de vie ; • ces sentiments sont encore actuellement vécus ; • présence de (discrets) signes d’auto-interruption de ces sentiments, signifiant leur pertinence.
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La psychothérapie centrée sur les émotions
Tableau 3.10. Étapes de résolution du conflit émotionnel avec une personne significative. Étapes
Actions du thérapeute
I
Identifier et confirmer l’indice
En collaboration avec le client, écouter et refléter les marqueurs comme les plaintes, les reproches, l’expression de blessures, regrets envers la personne significative du passé
II
Initier le dialogue avec la chaise vide
Proposer la tâche. Favoriser la présence la plus vivante possible de la personne significative. Aider et accompagner le client s’il présente des difficultés à s’engager
III
Différencier signification et accès et expression des émotions primaires. Activations des émotions (p. ex., tristesse, colère, peur, honte)
Exploration empathique. Encourager un langage par le « Je ». Favoriser des émotions primaires. Être attentif aux éventuels processus d’auto-interruptions
IV
Expression, reconnaissance et affirmation des besoins non satisfaits (résolution partielle)
Aider le client et encouragement empathique dans le processus d’exploration et d’expression des besoins non satisfaits
V
Changement (shift) dans la représentation de la personne significative. Un nouvel éclairage, moins négatif envers l’autre, envers soi, éventuellement développement de la compassion
Encourager l’élaboration de la perspective imaginée de l’autre
VI
Affirmation de soi et lâcher-prise (résolution complète). Le client s’affirme et lâche prise sur les sentiments non résolus envers l’autre (compréhension, pardon interpersonnel, tenir l’autre responsable pour le tort)
Encourager le dialogue, vers le pardon interpersonnel, la compréhension, le fait de pouvoir tenir l’autre responsable pour le tort, l’affirmation de soi
Cet indice est fréquemment accompagné d’expression d’émotions secondaires comme des plaintes, des blâmes, sous-tendus manifestement par une grande douleur psychologique centrale, qui n’est pourtant pas toujours dans le focus attentionnel du client. Arthur, en parlant de son père, utilise une voix plaintive en disant : « Il n’a jamais été là pour moi ! » L’expression se fait d’une manière contenue et modulée. « Je n’avais qu’à me taire, car il ne comprenait pas… À l’époque je ne pouvais rien faire, je me sentais même
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coupable et j’avais peur quand il rentrait de ce qu’il allait dire… ça me fâche aujourd’hui, quand j’y pense. » Parfois, l’indice n’est pas exprimé aussi clairement, mais est présent au travers des difficultés dans une relation actuelle. Les souffrances du passé sont ainsi actualisées dans une situation d’interaction récente. On peut demander au client de choisir avec qui il sent que cela serait le mieux de commencer. À noter, cependant, que l’interaction ne vise pas la résolution d’un conflit relationnel actuel, voire un conflit de couple. Il est possible aussi que cet indice apparaisse lors d’un travail sur l’autocritique, en utilisant le dialogue sur deux chaises. Dans cette situation, le thérapeute évalue le processus, avec le client, ce qui semble le plus problématique et poignant sur le moment. Si la critique est puissante et clairement en lien avec une personne significative du passé, le thérapeute peut aussi proposer un travail thérapeutique, en utilisant la chaise vide (résolution du conflit émotionnel avec une personne significative du passé qui est à l’origine de l’autocritique actuelle). Arthur, dans la première partie de sa thérapie, présentait beaucoup d’autocritiques. Spontanément, il relie cette « petite voix critique avec celle de son père ». Le thérapeute propose ainsi l’initiation du dialogue avec la chaise vide en vue de la résolution du conflit émotionnel avec son père. Thérapeute : « Seriez-vous d’accord de placer votre père à la place de la critique ici, sur la chaise devant vous et de le lui dire ? Vous pouvez imaginer votre père être assis ici ? » Arthur : « Je n’ai pas envie d’aller là, pour l’instant, de lui parler… non. »
Ce dialogue avec le père n’est pas poursuivi à cet endroit. De manière explicite, le thérapeute respecte ainsi la décision d’Arthur, ce qui peut être très important pour la suite de la psychothérapie. Peut-être rassuré par cette nouvelle force de respect de sa décision, Arthur réussira à adoucir sa critique dans la suite du dialogue sur l’autocritique et à la résoudre. Quelques séances plus tard, le client reviendra spontanément au conflit émotionnel non résolu avec son père. Étape II. Début du dialogue avec la chaise vide Au moment de la mise en place de la tâche, comme il en a été question, il est important d’évaluer avec le client l’intensité de l’émotion reliée au fait de placer la personne significative en face de lui sur la chaise vide. Également, il est fréquent que le client parle de ses deux parents, ou de plusieurs personnes. Il est possible de démarrer le travail avec plusieurs personnes sur la chaise vide, en cherchant à préciser rapidement la cible. Lors de la tâche, il est important de valider et d’encourager le dialogue avec la personne sur la chaise et moins avec le thérapeute. Ce dernier reste intensément présent
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en validant l’expérience et l’encourage à ne pas se sentir seul face à la tâche sur le moment présent. La tâche débute par l’établissement du contact du client avec la personne significative. L’évocation de la présence de l’autrui significatif peut se faire à travers la remémoration d’aspects visuels ou olfactifs, de l’expression, de comportements en lien avec une situation concrète du passé. Une fois la personne évoquée, le thérapeute aide le client à élaborer à partir du ressenti sur le moment : « Que ressentez-vous face à la présence de cette personne ici ? » Cette symbolisation de l’expérience peut déjà être communiquée à la personne, se trouvant maintenant (en imagination) sur la chaise vide. Le choix d’un exemple d’un épisode émotionnel particulièrement douloureux, à l’origine du schème émotionnel, avec cette personne, fait partie de cette étape. Le client est amené à décrire en détail la situation, afin de l’évoquer dans l’ici et maintenant. Étape III. Différencier le sentiment L’étape de la différenciation permet au client, dans la version classique de l’élaboration du conflit avec une personne significative, de prendre le rôle de l’autre significatif, après avoir changé de chaise. Cela permet d’augmenter encore l’implication émotionnelle du client, d’évoquer le schème émotionnel dans l’ici et maintenant, en vue de sa transformation. Le thérapeute est attentif aux messages implicites, transparaissant dans le para- et non verbal du client dans le rôle de l’autrui significatif. Il les lui reflète et demande de formuler un message complet à la chaise expérientielle, le client en imagination, devant lui. Ensuite, le client change à nouveau sur la chaise du soi/expérientielle. À nouveau sur la chaise expérientielle, le client est amené à décrire sa réaction interne sur le moment. Le thérapeute initie et favorise l’expression des émotions primaires adaptées envers l’autrui significatif, comme la tristesse et la colère. Chez le client, une formulation sous forme de « plaintes » envers l’autrui significatif est souvent au départ du processus. Le client formule des accusations ou raconte une série d’injustices. Dans cette situation, le thérapeute encourage la symbolisation du ressenti et son expression à la chaise vide. L’utilisation de la première personne (« je ») est ici favorisée, afin d’activer chez le client ses émotions primaires adaptées. Par exemple, sur la chaise expérientielle, Arthur reprend les reproches envers son père : « Quand les choses allaient mal, maman avait bu, et tu partais en disant que tu n’en pouvais plus, en me demandant de m’en occuper ! » Thérapeute : « Qu’est-ce qui se passe en vous quand vous dites cela à votre père maintenant ? » Arthur : « J’ai un peu peur de sa réaction, de le décevoir… mais je ne pouvais pas m’occuper seul de ma mère. »
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T. : « Comme si vous voulez dire : “Je suis si seul et démuni, papa, à devoir m’occuper de maman”. » A. (visiblement touché) : « Je suis seul, oui, tu me laisses seul à faire ça, c’est trop lourd pour moi. » T. : « Vous êtes touché, qu’est-ce qui se passe en vous maintenant ? »
Le thérapeute à ce moment aide Arthur à explorer son expérience émotionnelle sur le moment, afin de dépasser un discours plutôt externalisé et d’accéder à son ressenti interne. Pour cela, une forme de mini-focusing (voir section sur le focusing) peut être utile (sur la chaise expérientielle du client). Alternativement, il peut aussi être utile de proposer à nouveau au client de venir sur la chaise de l’autre significatif, en vue de l’augmentation de la poignance du message donné au soi et de l’expérience sur la chaise expérientielle. En ce faisant, le thérapeute accompagne, guide, intensifie et accentue le processus. Par exemple, chez Arthur, en tant que père, un message poignant de rejet et d’ignorance du client, en tant que garçon dans la scène évoquée, peut être exprimé. Une fois le message exprimé sur la chaise du père de manière poignante, le client change de chaise et revient sur la chaise expérientielle. Il différencie et approfondit encore davantage son expérience, toujours d’abord en décrivant ce qui se passe à l’intérieur de lui-même. Ensuite, avec l’aide du thérapeute, il exprime son expérience directement au père. Le thérapeute favorise l’émergence des émotions primaires adaptées : ici, la tristesse d’être seul. Étape IV. Expression des besoins existentiels non satisfaits Le moment-clé de la transformation dans ce processus de résolution d’un conflit avec une personne significative est l’accès aux besoins existentiels. Arthur (sur la chaise expérientielle, visiblement triste) : « Oui, je ne sais pas ce que je serai devenu s’il était parti… » Thérapeute : « Dites-lui. » A. (ému) : « Je ne sais pas ce que je serai devenu sans toi… » T. : « Si ces larmes… pouvaient parler, que diraient-elles ? » A. : « Je me suis senti si seul, et je suis triste à l’idée de ne plus te revoir. »
Arthur est encouragé ici à ressentir sa tristesse primaire afin de l’exprimer à son père. Il est important dans un premier temps de simplement laisser l’espace pour les larmes, la douleur, avant de nommer la tristesse et de la différencier. L’expression des émotions primaires de tristesse permet ici l’accès expérientiel au besoin fondamental en termes d’attachement qui n’a pas été satisfait dans cette situation. Arthur, qui vient d’accéder à sa tristesse primaire adaptée, est encouragé par le thérapeute à ressentir et exprimer ses besoins.
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Thérapeute : « Dites à votre père, ici, ce qui vous a manqué. » Arthur : « … » T. : « Ce qui m’a manqué de toi… » A. : « Ce qui m’a manqué, c’est qu’il s’intéresse à ce que je pouvais ressentir quand il partait en me laissant seul avec ma mère. » T. : « Dites-lui. » A. (ému) : « Oui, je suis un enfant… et j’ai besoin que tu t’occupes de moi comme enfant, que tu me laisses sortir avec mes copains… j’ai besoin que tu me laisses être un enfant ! » T. : « J’ai besoin que tu me laisses être un enfant, protégé par toi… » A. (les larmes coulant) : « J’ai besoin de me sentir comme un enfant et protégé par toi… de pouvoir me laisser aller dans tes bras et de pleurer, surtout quand c’est dur d’être seul avec maman. » (pleure) T. : « Mhm oui, c’est ça… J’ai besoin d’être dans tes bras, de me laisser aller, d’être rassuré. »
Lorsque le client a de la difficulté à accéder à ses besoins, on peut utiliser, à nouveau, le focusing ou l’exploration empathique, tout en laissant du temps au client et ses processus. Il faut noter que l’accès expérientiel au besoin, dans le cadre d’un dialogue avec une chaise vide, comme illustré par le cas d’Arthur, est différent d’un accès plus cognitif à un besoin (supposé être moins central). Cette dernière situation, caractérisée par un processus moins profond, peut se produire au tout début d’une exploration systématique d’une réaction problématique (ou au tout début de toute autre intervention expérientielle). À ces moments-là, le thérapeute pose simplement la question « qu’est-ce qui vous a manqué ? » ou « qu’aviez-vous besoin dans cette situation ? ». À ce stade initial du processus, moins profond que dans l’exemple d’Arthur, l’accès cognitif à un besoin déjà représenté permet simplement de continuer l’exploration, sans forcément vivre de l’intérieur la douleur profonde associée au manque. Dans ce cas de figure, il ne s’agit pas d’une expérience de transformation émotionnelle. C’est seulement l’accès expérientiel au besoin, un accès à un territoire jadis enfoui, qui est transformateur des schèmes émotionnels, comme montré avec Arthur, dans l’extrait de séance ci-dessus. L’autre émotion primaire qui peut être importante dans ce processus est la colère affirmée. Il est important de distinguer la colère primaire de la colère secondaire qui s’exprime souvent de manière à repousser l’autre, à masquer des éléments de vulnérabilité sous forme de plainte projective. Le client a ainsi perdu la capacité adaptée et les ressources inhérentes de cette émotion. Dans le cas d’Arthur, comme cela a pu s’entrevoir dans les passages cités, un conflit non résolu existait également avec la mère. Concrètement, la dépendance et la maladie de la mère lui rendaient la tâche difficile pour s’affirmer et dire (à la mère, dans un dialogue subséquent en utilisant la chaise vide) : « C’était injuste de me blesser de cette manière, en buvant comme ça… je suis en colère, je ne méritais pas d’être traité
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de cette manière. » Concrètement, Arthur, après avoir ressenti de la tristesse, a ainsi pu accéder à la colère, non autorisée jusque-là, avec d’autres besoins existentiels associés. Pour simplifier la présentation de cet exemple clinique d’Arthur, cette piste de résolution du conflit avec la mère n’est pas poursuivie plus loin. Étape V. Changement de la représentation de l’autre significatif L’activation et l’expression des émotions primaires participent non seulement à la reconnaissance et l’expression des besoins, mais leur donne aussi un sens de légitimité. Parallèlement, les vues et représentations de la personne significative changent. Le thérapeute reconnaît et soutient ce changement de perspective, en aidant le client à élaborer et consolider les changements. Arthur a pu reconnaître ses besoins de sécurité, de protection et d’attention en tant qu’enfant, dans la relation d’attachement avec son père. Après l’expression du besoin, le thérapeute propose à Arthur de venir sur la chaise du père, d’être son père. Arthur (en tant que père, s’adressant à son fils Arthur) : « Je me sens touché par toi, mon fils… tu avais besoin que je sois plus fort et que je sois là pour te rassurer… c’était dur pour moi, j’ai fait ce que j’ai pu, mais je n’ai pas réussi à tout faire et je t’ai abandonné. Je ne savais pas comment faire autrement. » Thérapeute : « C’était dur pour vous de le laisser avec sa mère, et aussi, vous avez l’air de dire que vous pensiez à lui ? » A. (en tant que père) : « Oui, je ne pensais qu’à toi, Arthur, mais je ne te l’ai jamais dit. Je m’en veux, j’aurai dû demander de l’aide pour faire soigner ta mère, elle allait si mal, mais j’avais si honte pour la famille. » T. : « Je m’en veux, pour toi. Pourriez-vous lui dire encore cela. » A. (en tant que père) : « Je m’en veux, j’aurai dû être là pour toi, mon fils… ce n’était pas à toi de tout porter… » T. : « Comment vous sentez-vous quand vous dites cela ? » A. : « Triste, coupable… » T. : « Dites-le-lui. » A. (en tant que père, à son fils) : « Je suis désolé de t’avoir laissé te débrouiller seul, c’était faux… je t’ai enlevé une partie de ton enfance, je suis triste de l’avoir fait. » (ému)
À ce moment, le rôle du thérapeute est de reconnaître et d’encourager le changement de perspective, afin d’aider le client à l’adopter et le consolider. Il est possible ainsi que le client puisse intégrer cette nouvelle expérience au niveau de ses schèmes émotionnels de soi et des autres. Étape VI. Résolution complète du conflit avec une personne significative La résolution apparaît lorsque le client accède à un certain sens de libération de ses émotions jadis non résolues. Sa représentation de l’autre s’est
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enrichie de compassion, ou de pardon interpersonnel, ou aussi, notamment dans ces cas d’abus, d’une capacité de rendre l’autre responsable de ses actes (par la colère affirmée). Pour cette résolution complète, le client revient sur la chaise expérientielle. Le thérapeute d’Arthur explore son expérience, son ressenti face à ce qu’il vient d’entendre de la part de son père. Thérapeute (à Arthur sur la chaise expérientielle du client) : « Que ressentez-vous en entendant cela [les paroles du père, voir passage ci-dessus] ? » Arthur : « Je suis triste. Je comprends et j’ai envie de lui pardonner. » T. : « Dites-le-lui. » A. : « Je te pardonne… (les larmes aux yeux)… je sais que si tu avais pu faire autrement, tu l’aurais fait pour moi, je comprends cela maintenant que je suis un adulte. » T. : « Vous êtes touché quand vous dites cela ? » A. : « Oui. » T. : « Parlez-lui à partir de ce qui vous touche. » A. : « Oui, c’est touchant, cet enfant, moi… j’aurais eu besoin d’un parent qui soit là dans cette situation difficile avec ma mère, je te pardonne, tu as fait ce que tu as pu. » T. : « Je me sens triste de ne pas avoir eu tes mots, ton soutien, ton assurance. » A. : « Oui. » T. : « Dites-le-lui. » A. : « Ça m’a manqué, tes mots, ton soutien… ça m’a aussi rendu qui je suis aujourd’hui, maintenant je peux passer à autre chose… » T. : « … Comme si vous vous sentiez prêt à passer à autre chose. » A. : « Oui, je me sens apaisé, c’est étrange… comme si j’avais compris qu’il n’a pas pu, mais aussi que j’y avais droit, j’ai posé ça maintenant… je suis plus calme, presque optimiste. » (sourit en regardant le thérapeute) T. : « Très bien, restez avec ce sentiment un peu. »
Arthur montre une acceptation nouvelle qui le conduit à un état plus apaisé, un état de résolution de ce conflit. Cette résolution d’un conflit avec une personne significative s’accompagne souvent d’un sentiment de force intérieure, voire d’optimisme, que le thérapeute explore et valide.
Indice de l’angoisse primaire Manifestation de l’indice Lors d’apparition d’angoisse primaire (anguish), accompagnée de douleur existentielle, de la honte ou de la détresse, nous pouvons parler d’un état émotionnel profond requérant une intervention particulière. Souvent cet
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état émotionnel apparaît dans le contexte de l’évocation d’un souvenir infantile non résolu lors de l’élaboration d’un conflit avec une personne significative (voir ci-dessus), mais pas uniquement. Dans ce contexte, un signe distinctif est l’expression, par le client, d’un besoin non satisfait, empreint de désespoir et de désarroi profond (Greenberg, 2013 ; Goldman, 2014 ; Ito et al., 2010a,b). L’intervention appropriée dans ce contexte est le dialogue d’apaisement ou d’autocompassion. Favoriser l’autocompassion permet de protéger les parties vulnérables et fragiles du soi qui se sont révélées durant le travail expérientiel. Le travail d’autocompassion se fait dans le cadre d’un dialogue soi-autre, en utilisant la chaise vide (Kramer et Pascual-Leone, 2013). Cette intervention face à cet indice est différente de la facilitation de la régulation émotionnelle d’un client présentant des dérégulations affectives (Kramer, 2011, 2015). C’est aussi différent d’un entraînement à l’autocompassion (Gilbert, 2009) où les capacités de mindfulness peuvent jouer un rôle très important, ou encore, connu dans le cadre de la thérapie des schémas, différent de l’intervention du « reparentage limité » (Arntz et Van Genderen, 2010). Comme ces interventions focalisent sur la régulation cognitive des émotions, le dialogue d’autocompassion facilite la construction de nouvelles significations à partir du vécu expérientiel dans l’ici et maintenant. Il faut noter que les capacités de régulation des émotions et la pleine conscience peuvent faire partie des prérequis pour la productivité d’un dialogue expérientiel d’apaisement. Ce dernier comprend, à partir de l’accès du client au besoin existentiel non satisfait dans une situation particulière, l’introduction en imagination d’un « bon parent », d’un « parrain », d’une figure empreinte de compassion pour le soi dans le dialogue. Cette personne ou cette partie de soi, sur la chaise de l’apaisement, développe la fonction de prendre soin de la partie vulnérable en face, de manière immédiate. Il s’agit de la fonction de protection, de réassurance, de défense de l’enfant angoissé ou vulnérable, en veillant au besoin existentiel exprimé par ce dernier (Goldman, 2014). L’indice est défini par la présence dans le processus émotionnel du client de ces deux éléments : • la présence d’un état affectif douloureux d’angoisse primaire (anguish), ou la présence des besoins existentiels non remplis ; • cet état est accompagné d’un désespoir reconnu comme familier et non résolu, et d’un état de détresse profond et intense.
Étapes de la résolution de l’angoisse primaire Ces étapes sont décrites dans le tableau 3.11. Étape I. Identifier l’indice Le thérapeute identifie l’indice et rend ainsi le client attentif à cette opportunité momentanée de changer et d’expérimenter quelque chose de nouveau. Le client prend conscience de la souffrance dans le contexte de l’évocation
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Tableau 3.11. Étapes de la résolution de l’angoisse primaire. Étapes
Actions du thérapeute
I
Identifier et confirmer l’indice. Prendre conscience de la douleur (angoisse primaire) dans le contexte de l’évocation d’un souvenir infantile
Accompagner le processus émotionnel, l’évocation de la mémoire épisodique, des peurs, des blocages
II
Initier le dialogue des deux chaises Sur la chaise expérientielle Le client « enfant » exprime ses besoins, l’émotion primaire adaptée, la douleur existentielle
Accompagner le client à expérimenter le vécu sur le moment, l’angoisse primaire/la douleur existentielle, les besoins de cet enfant
III
Sur la chaise apaisante Évocation de l’enfant blessé sur l’autre chaise, ensuite de la compassion, du soutien, de l’empathie, de la protection pour l’enfant blessé, validation de ses besoins, être « bon parent », « un ange gardien »
Accompagner et refocaliser le client sur le dialogue de l’autocompassion Encourager l’expression de l’autocompassion de manière directe
IV
Sur la chaise expérientielle Accueil expérientiel de la compassion (résolution partielle)
Accompagner le client dans le processus de recevoir (aspects émotionnels, corporels, cognitifs, etc.)
V
Élaboration de la signification de la compassion
Différencier et approfondir les changements
VI
Développement d’une résilience, une nouvelle compréhension de sa souffrance, lâcher prise (résolution complète)
Faciliter le dialogue, ici et maintenant et en dehors des séances. Accès à une mémoire épisodique positive, une nouvelle représentation, vue de soi
d’un souvenir infantile qui peut apparaître lors de l’élaboration d’un conflit avec une personne significative ou un état profond de honte. Par exemple, le client peut constater, sur le moment, en évoquant une scène particulière : « Je ne peux pas supporter cette douleur… je me sens si seul… j’ai besoin de… je n’arrive pas à dire ! » L’angoisse primaire (ou profonde) devient apparente dans cet exemple, ce n’est pas uniquement un état de détresse globale et non différencié, mais le client ouvre la porte à l’accès au besoin, qui serait pour le moment indicible (« j’arrive pas à dire ! »), mais bien dans le focus de l’attention du client. Laura est une jeune femme qui souffre d’anxiété et qui a subi les comportements abusifs d’une mère dépendante à l’alcool. À travers le processus thérapeutique, elle a déjà accédé à sa peur fondamentale d’être seule. Coincée par cet état, qu’elle dit « bien connaître », elle reste habitée par un intense désespoir, qui « lui gâche la vie ». Laura se rappelle de son expérience de vie avec sa mère lorsqu’elle avait environ 13 ans. Elle accède à
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son souvenir d’elle-même d’être à la sortie de l’école, en fin d’après-midi, angoissée de savoir sa mère seule à la maison, et de ne pas savoir dans quel état elle allait la retrouver en rentrant. Durant la journée, il lui arrivait de l’appeler au téléphone, afin de vérifier qu’elle ne soit pas « trop saoule ». La boule au ventre, elle n’arrivait pas à se concentrer sur les cours. Laura : « Je ne peux pas supporter… je me sens si seule quand j’y repense, je ressens cela encore et encore… » Thérapeute : « Encore et encore… si seule, comment c’est pour vous à l’intérieur, de vivre cela ? » L. : « Angoissée, là dans le ventre (montre son ventre), la boule qui me dit “ça y est, tu es encore là, tu devrais aller voir à la maison !” » T. : « C’est vraiment douloureux pour vous, je vois, cette angoisse, vous sentir si seule et de ne rien pouvoir faire… »
Étape II. Initier le dialogue avec la chaise vide Le thérapeute propose la tâche et explore un peu plus la douleur identifiée, accompagne le client à expérimenter le vécu de l’angoisse. Après avoir aidé le client à prendre conscience de la douleur, la proposition du thérapeute d’y travailler avec autocompassion peut déjà être une première manière importante de se sentir validé et apaisé. Thérapeute : « Restez avec ce sentiment de solitude… que se passet-il à l’intérieur de votre ventre ici là ? » Laura : « Une boule, elle a toujours été là… surtout quand j’étais adolescente, je me souviens… (pause)… j’étais délaissée par ma mère, seule au monde… je n’avais pas une vie comme les autres filles de mon âge… même en classe… (Laura met une main sur son ventre) » T. : « Quand vous vous revoyez dans la classe à cette époque, vers la fin de la journée, comment vous sentez-vous ? » L. : « Je suis tellement angoissée à l’idée de rentrer et de la trouver par terre ivre morte. » T. : « Je vois votre douleur, Laura. Restez avec cela, si vous pouvez. Regardons si nous pouvons aider. »
Étape III. Évocation de l’enfant et de la compassion Le client est invité à passer sur la chaise d’apaisement afin d’évoquer l’enfant vulnérable et de la compassion pour lui. D’abord, le thérapeute demande si le client peut « voir » l’enfant vulnérable sur la chaise vide dont il vient de faire l’expérience. Une fois le contact avec l’enfant établi, le rôle d’apaisement est défini, selon le contexte. Là, il peut y avoir plusieurs options : on peut demander de faire intervenir une bonne mère/un bon père, un ami, on peut demander d’imaginer un enfant « universel » éprouvant cette angoisse (sur la chaise en face) et d’être soi-même en train d’apaiser cet enfant universel, on peut encore faire imaginer que le client adulte entre dans la scène évoquée
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pour apaiser le client-enfant dans la scène. Le choix dépend de la situation concrète et des informations à disposition ; chez Laura, la marraine se prête très bien à cet exercice, sur la base de la narration de la cliente (voir ci-dessous). L’instruction est similaire pour les différents cas de figure : « Soyez le bon parent (ou l’autre apaisant) et apaisez l’enfant vulnérable devant vous. » Généralement, comme décrit par Goldman (2014), le client proteste dans un premier temps, en disant : « Comment ? Je ne sais pas faire cela. » Le thérapeute peut accueillir cette protestation en encourageant le client et en soulignant que justement, parce qu’il ne sait pas comment faire, qu’il est important d’essayer de faire cette nouvelle expérience dont il a tant rêvé, mais qu’il n’a jamais obtenue. Le dialogue d’apaisement est avant tout une expérimentation créative, servant à créer une nouvelle expérience émotionnelle chez le client, qui contribue ainsi à changer l’émotion par l’émotion. Thérapeute (à Laura sur la chaise d’apaisement) : « Imaginez cette jeune fille de 13 ans assise là (pointant la chaise vide). Sa mère ne la regarde pas et ne s’occupe d’elle que rarement… (pause)… rappelez-vous… elle vit dans la peur, elle est seule. Vous la voyez dans sa solitude là maintenant ? » Laura (acquiesçant) : « Mhm. Je suis dévastée de voir ça. » T. : « Est-ce qu’il y avait quelqu’un qui pouvait répondre à ses besoins ? » L. : « Oui, ma marraine. » T. (à Laura sur la chaise d’apaisement) : « Soyez la bonne marraine de Laura. Qu’auriez-vous envie de lui dire, à Laura ? » L. (marraine) : « J’aurais envie de la protéger, de la prendre dans mes bras. Elle n’est pas toute seule, je suis là pour elle. » T. : « Dites-lui. Je suis là pour toi. » L. (marraine) : « Je suis là pour toi, Laura. Je te protège. » T. : « Mhm… » L. (tendrement) : « Ne t’inquiète pas, je suis là pour toi, tu es une fille forte… » T. : « Protégez-la. » L. (visiblement émue) : « Je suis là pour toi, tu n’es pas toute seule, Laura. » T. : « Oui, vous êtes tendre et rassurante, si vous pouviez entrer dans la scène, que feriez-vous ? Imaginez-la à l’école, avant de rentrer à la maison, toute angoissée à l’idée de ce qu’elle trouvera, seule, à la maison… » L. (en se serrant ses bras) : « … Je te prends dans mes bras, pour te rassurer… je suis là… » T. : « Faites-le maintenant, pour la protéger. » L. (en refermant ses bras sur elle et en se caressant le dos, pleure) : « Je suis là, tu n’es pas toute seule, Laura je suis là pour toi, tu ne seras plus jamais seule. »
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Étape IV. Résolution partielle de l’angoisse primaire À cet endroit, le thérapeute demande au client de prendre à nouveau place sur la chaise de l’enfant vulnérable ou angoissé. Thérapeute (d’une voix douce à l’enfant Laura, comme s’il assistait à la scène entre une mère et son enfant) : « Laura, comment cela vous fait-il sentir ? » Laura (les larmes aux yeux) : « C’est incroyable de sentir que je ne suis pas toute seule, qu’il y ait quelqu’un là pour moi maintenant. » T. : « Ça vous touche, oui… comment cela vous fait-il sentir dans votre corps, d’être pris dans les bras, d’être caressée ? » L. (avec soulagement) : « J’ai moins froid qu’avant, comme si j’avais des frissons avant et que je me suis mise une douce couverture autour de moi maintenant, c’est si doux… »
Étape V. Élaborer la signification du changement Sur la chaise expérientielle (de l’enfant jadis vulnérable, maintenant apaisé), le client explore la signification de ce changement dans la résolution de son angoisse primaire. Le thérapeute peut ainsi reprendre les images et métaphores de la première étape et les confronter à celles de l’étape IV, et proposer au client de les commenter. Thérapeute (à Laura) : « Vous aviez décrit au début une boule au ventre. Où est-elle là maintenant ? » Laura : « Elle est encore un peu là, cette expérience ne s’efface pas, mais c’est comme si elle était devenue plus légère, presque transparente. La boule est là, mais elle ne me fait plus mal. »
Dans ce travail de résolution de l’angoisse primaire, il peut être nécessaire de re-visiter à plusieurs reprises les mêmes contenus, dans un processus itératif et d’approfondissement non-linéaire. Laura a déjà ressenti une validation, son besoin jadis non satisfait de « se sentir seule » a été reconnu et satisfait dans le cadre thérapeutique. Étape VI. Résolution complète de l’angoisse primaire Finalement, un processus de construction de la résilience, d’autovalidation, d’autoprotection, ou de lâcher-prise a lieu. Dans certains cas, un processus de deuil, du parent qui n’a pas assouvi le besoin de l’enfant vulnérable, est également nécessaire. La résolution de l’angoisse primaire est ainsi un processus thérapeutique hautement intense et émouvant, dans son émergence d’émotions positives fortes à partir d’un état de douleur existentielle, qui sera transformée à travers les étapes du dialogue d’apaisement (Goldman, 2014 ; Ito et al., 2010a,b).
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Adaptations spécifiques de la psychothérapie centrée sur les émotions
Même si la psychothérapie centrée sur les émotions a été développée en tant qu’approche intégrative, mettant au cœur le client et ses émotions, loin des catégorisations diagnostiques, ces dernières années ont vu l’émergence d’adaptations cliniques de la TCE à un nombre de troubles psychiques. Ces adaptations ont démontré qu’il est possible de respecter l’intégrité de l’approche centrée sur les émotions, tout en tenant compte des spécificités d’un nombre croissant de situations cliniques. Dans ce chapitre, nous aborderons avant tout la dépression et le trauma complexe, comme les deux adaptations majeures validées de la TCE. Ensuite, des explorations sont proposées au sujet du trouble d’anxiété généralisée, les troubles alimentaires et les troubles de la personnalité. Le chapitre suivant (chapitre 5) abordera les adaptations de la TCE au contexte conjugal.
Dépression Plusieurs formes de dépression présentent des caractéristiques émotionnelles particulières. Selon le modèle TCE, ces caractéristiques émotionnelles sont comprises comme étant le facteur responsable de l’émergence et du maintien de la dépression, produisant des pensées dépressives empreintes de biais cognitifs, des comportements de retrait social et une manière inadaptée de gérer le stress (coping). Selon le modèle dialectique-constructiviste (Greenberg et Watson, 2006), un processus dépressif peut être expliqué par l’articulation entre l’expérience vécue de la perte, des composantes biologiques et une construction d’un sens idiosyncratique. Ces composantes s’intègrent dans un cycle mal adapté d’émotions créant et maintenant la dépression. Par exemple, suite à la perte de son travail, un client ressent une tristesse à laquelle il ne peut pas avoir directement accès en raison de son histoire d’apprentissage émotionnel. Cette tristesse est ainsi remplacée par une expérience de honte primaire mal adaptée et plus particulièrement par un sentiment profond d’inadéquation de la personne. Ainsi, le client se sent inadéquat, faible et pas à la hauteur des défis de la vie. Cet état d’inadéquation connu de longue date par ce client est si désagréable qu’il est supplanté par des émotions réactionnelles de défaite et d’impuissance profonde, toutes des émotions secondaires. Cette impuissance conduit le client à des cognitions secondaires d’autocritique, à un sentiment d’être « sans énergie » et à une aboulie, accompagnés La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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de stratégies comportementales inefficaces pour gérer le stress (p. ex., en utilisant le retrait social). Ces comportements et stratégies font l’objet d’une appréciation cognitive secondaire : « Je devrais me bouger », ce qui revient à la critique par l’autocoaching (i.e., coach-critic), ce qui est à différencier de la critique primaire (ou fondamentale) utilisable comme indice d’un dialogue sur deux chaises (cf. chapitre 3). Cette expérience de critique par l’autocoaching tend à augmenter à nouveau l’expérience de la perte au quotidien. Généralement, les thérapies cognitives débutent leur travail à cet endroit de la pensée, « Je devrais me bouger » (i.e., critique par l’autocoaching), car cette pensée est consciente et la plus apparente dans l’interaction thérapeutique. Nous pensons qu’il s’agit ici d’une pensée secondaire, non centrale, qui contribue certes au maintien de la dépression, mais c’est seulement l’émotion primaire mal adaptée, au cœur de l’expérience chez ce client, en interaction avec l’autocritique primaire et fondamentale, qui est à l’origine organismique de ce cycle dépressif (Greenberg et Watson, 2006). La figure 4.1 illustre cet exemple clinique. Le traitement doit donc se focaliser sur l’autocritique fondamentale générant les émotions primaires mal adaptées (i.e., le sens d’inadéquation), dans le but de les transformer et de faire émerger la profonde tristesse face à la perte, enfouie.
Figure 4.1. Processus émotionnels dans la dépression. D’après Greenberg et Watson, 2006, p. 54.
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Phases du traitement centré sur les émotions de la dépression Trois phases ont été décrites pour le traitement centré sur les émotions des clients avec dépression. Chaque phase comprend un focus attentionnel du thérapeute à certaines tâches cliniques (p. ex., la construction de l’alliance thérapeutique ou la résolution de l’autocritique), qui sont décrites ailleurs (voir chapitre 3).
Phase 1. Créer une relation thérapeutique stable et initier la focalisation d’attention et de conscience des émotions. Phase 2. Évoquer et explorer, de manière la plus complète possible, les émotions, en particulier accéder aux émotions primaires. Phase 3. Favoriser la transformation émotionnelle en permettant l’ouverture vers de nouvelles expériences.
Dans la première phase, le thérapeute propose une relation thérapeutique empreinte de chaleur et d’authenticité. Il porte une attention particulière au sentiment d’être soi du client, afin de le valider. Le thérapeute propose au client une explication de la raison de focaliser le traitement sur les émotions et oriente l’attention du client sur les manifestations internes de l’émotion. Ce dernier mouvement a aussi été appelé « internalisation de la perspective ». Si les émotions sont dérégulées ou mal régulées (comme c’est le cas dans le trouble de la personnalité borderline ; Kramer, 2015), l’établissement d’un niveau acceptable de régulation des émotions fait également partie de cette phase de traitement. Ces deux éléments principaux – la relation thérapeutique et l’internalité de la perspective de travail – permettront d’établir un focus de travail pour la psychothérapie, élément essentiel de la formulation de cas. Dans ce qui suit, nous allons nous attarder aux émotions spécifiquement présentes dans le traitement de la dépression. Lorsqu’un client exprime sa souffrance en disant « je me sens déprimé », il faut noter que la « dépression » n’est pas une émotion, mais un ensemble de symptômes psychologiques caractérisés par l’expérience phénoménologique d’un « gris sur gris ». La TCE postule que la dépression a son origine dans des émotions mal adaptées et l’évitement de ces émotions par le client. Une tendance est observée dans la clinique que généralement, les clients masculins évitent leur tristesse primaire, tandis les clientes féminines leur colère primaire ; les deux sont sources de souffrances au niveau affectif. Parmi les émotions les plus souvent évitées dans la dépression, il s’agit de la honte ou de la culpabilité, de la peur, de la tristesse et de la colère.
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La honte Le sentiment de honte est particulièrement douloureux et contribue chez le client à une tendance à se cacher, vouloir disparaître sur le moment, afin d’éviter d’affronter le regard de l’autre. La honte, selon Tomkins (1963), est l’émotion de l’indignité et de la transgression. La honte est une composante du processus de socialisation et décrit le rapport entre la personne et son environnement social et culturel, y compris les normes et les règles. Dans le contexte de la psychothérapie de la dépression, la honte est généralement mal adaptée (Greenberg et Watson, 2006), mais il existe aussi de la honte adaptée. La honte adaptée peut impliquer une tendance à l’action du pardon interpersonnel, de la réparation et du rapprochement psychologique à l’autre. Par exemple, lors de l’exclusion sociale à l’adolescence, un jeune éprouve de la honte adaptée lorsqu’il se fait exclure suite à une hygiène inadaptée. Ou un adulte éprouve de la honte adaptée lors d’un enterrement lorsqu’il marche, sans faire exprès, sur un bouquet de fleurs posé par terre à l’intention du défunt. La honte primaire adaptée peut être une ressource dans le processus de la thérapie de couple centrée sur les émotions, comme étape indispensable lors du pardon interpersonnel suite à une blessure d’attachement d’un des partenaires (Woldarsky Meneses et Greenberg, 2014). En contraste, dans ce qui suit, nous parlerons uniquement de la honte mal adaptée. Indépendamment de l’origine de ce sentiment de honte mal adaptée dans une situation donnée (origine sociale ou interne), la personne se sent fondamentalement « nu(e), rejeté(e), seul(e), méprisable » (Greenberg, et Iwakabe, 2011). La honte fait ainsi partie des enjeux identitaires de la construction de la personne ; la honte est ressentie si une personne se sent attaquée ou diminuée dans son for intérieur, son rôle ou son statut dans la société. La honte est différente de la culpabilité. La culpabilité s’exprime avant tout en rapport avec des aspects spécifiques erronés de la personne, et non pas avec l’identité fondamentalement fautive de la personne dans sa totalité. Par exemple, dans le cadre d’une séparation conjugale, une personne peut se sentir coupable d’éprouver du plaisir ; elle peut se faire le reproche de penser uniquement à elle et à la satisfaction de son plaisir au moment où elle s’intéresse à une nouvelle liaison. Cette personne ne ressent pas nécessairement un sens profond d’inadéquation du soi. L’émotion de la honte peut apparaître en lien avec le fait même d’être en psychothérapie. Malgré une collaboration apparente, notamment chez les clients avec dépression, il reste, chez plusieurs, des interrogations internes de savoir « est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de fondamentalement mauvais ou fautif chez moi ? ». Le thérapeute TCE est attentif à cette interrogation intime, qui peut être là au début sans être nommée explicitement, en étant attentif à son émergence verbale et non verbale et en proposant une
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relation thérapeutique particulièrement chaleureuse, acceptante, normalisante et validante. Sur ce cheminement thérapeutique, il est souvent utile pour le client d’accéder à la douleur comprise dans l’expérience de la honte. Il peut par exemple arriver qu’une baisse de l’estime de soi ou le sentiment d’être exclu par la société, d’être « bizarre », soit au cœur de la honte. Une fois que le client a accédé à la honte, l’identification du besoin existentiel et l’accès expérientiel sont des étapes-clés, en vu de la transformation émotionnelle. La honte est souvent sous-tendue par une compréhension chez le client que le soi est fondamentalement mauvais et pas assez bon. Ces clients présentent souvent une dépression particulièrement anxieuse, car ils ne sont jamais sûrs d’être complètement acceptés tels qu’ils sont. Dans ces cas, un style d’intervention thérapeutique empreint d’ouverture, de tentatives et de propositions, formulées de manière hésitante et fragile, peut signifier pour le client qu’il existe plusieurs options possibles, ce qui n’exclut ainsi pas la possibilité que le client soit fondamentalement acceptable tel qu’il est. En revanche, un style d’interaction trop affirmé par le thérapeute pourrait créer chez ce type de clients de l’anxiété et un sentiment de ne pas être à la hauteur. Finalement, à tout moment du processus de travail thérapeutique avec la honte, particulièrement dans la dépression, une attention particulière est portée aux indicateurs non verbaux de cette émotion (p. ex., le regard soudainement tourné vers le bas, un rire pour couvrir l’embarras) et du mépris (p. ex., un ton de la voix hautain, une arrogance non verbale) qui indiquent une forme particulièrement perspicace et « froide » de l’autocritique. L’empathie thérapeutique, avec ses éléments d’ajustement fins aux niveaux non verbal et verbal, peut être utilisée pour permettre au client un travail thérapeutique sur des éléments non représentés, mais visiblement pertinents de son vécu émotionnel. La honte émerge souvent en réponse à une autocritique empreinte de mépris et de dégoût et souvent sous la forme de sentiment d’infériorité, d’être sans valeur, d’être dénué de sens et de compétences. Le fait d’affronter en séance ses émotions requiert de la personne (du client) du courage et une détermination, c’est-à-dire une certaine conviction que le fait d’accepter et d’aller « à travers la honte » est bénéfique. Il est ainsi compréhensible que la honte puisse provoquer des processus d’évitement dans la thérapie, par exemple sous forme d’auto-interruptions. Une fois que les processus d’évitement et d’interruption de l’expérience de la honte ne sont plus très poignants, un processus de travail thérapeutique sur cette honte peut avoir lieu et est souvent indispensable pour la guérison de la dépression. Dans un dialogue sur deux chaises de type autocritique, il est coutume que la résolution de la honte puisse se faire par l’accès de la personne à la colère affirmée. La colère affirmée, comme émotion primaire adaptée, défait généralement les nœuds en lien avec la honte mal adaptée. L’émergence
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de la colère adaptée et protectrice de la personne, son expression dans un dialogue sur deux chaises, transforme l’enveloppe affective totale de la personne et permet de créer une nouvelle émotion, face au dédain froid de l’autocritique et en défaisant la honte, par exemple en accédant à la fierté ou à la détermination.
La peur La peur, dans sa forme primaire mal adaptée, est une émotion centrale dans le travail thérapeutique avec la dépression. Il s’agit ici d’une insécurité fondamentale en rapport avec les liens d’attachement. De manière générale, il s’agit d’investiguer cette émotion en fonction du vécu du client et des thèmes sous-jacents. Deux facettes existent : la peur d’être abandonné et de ne plus pouvoir vivre dans le lien, et la peur du danger, suite à un abus. De manière plus spécifique, plusieurs thèmes de peur peuvent apparaître dans le discours du client déprimé (Greenberg et Watson, 2006) : • le client peut avoir peur d’être rejeté ou jugé, ce qui interrompt ou empêche la personne d’être authentique ; • le client peut présenter une peur primaire mal adaptée, ce qui implique que le monde est perçu comme un endroit maléfique ; • le client a peur de répéter des erreurs familiales, ce qui peut entraîner des inhibitions dans le rôle de parent ; • le client a peur du changement, ce qui implique le sentiment de faire du « sur place » ; • le client peut exprimer des peurs d’avoir des émotions, ce qui peut résulter en des blocages et auto-interruptions dans le travail thérapeutique sur les émotions. Toutes ces facettes de la peur primaire mal adaptée doivent être accédées en thérapie, afin de favoriser leur transformation.
La tristesse La tristesse est souvent présente dans la dépression, mais il faut différencier l’émotion de la tristesse de l’état symptomatique de la dépression. Ce dernier peut se confondre partiellement avec les manifestations d’émotions secondaires, en réaction à un sentiment de perte et de danger mal adapté plus primaire. Il s’agit ici souvent de l’état d’impuissance secondaire. En contraste, la tristesse peut aussi s’exprimer sous forme adaptée primaire, par exemple, à la suite de la perte existentielle d’un proche, d’un projet, ou, parfois, du sens de la vie. Les cibles thérapeutiques les plus productives dans la dépression sont la tristesse en lien avec les blessures d’attachement subies ou en lien avec un processus de deuil non résolu ou arrêté prématurément. Dans le cas d’un deuil non-résolu ou d’un sentiment de
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tristesse interrompu, le travail thérapeutique consiste à évoquer et donner de l’espace à cette tristesse primaire adaptée. En début de processus de transformation, typiquement dans un dialogue sur deux chaises, cette émotion peut s’exprimer sous forme de sentiment de « gorge nouée », avec une douleur du « bas » du corps, rapportés par le client verbalement ou apparents au niveau corporel. Donner un espace à ce qui est dans ce nœud, à cette douleur, est central à cet endroit, par exemple, en proposant une intervention comme : « C’est comme si vous retenez cette expérience [de la tristesse], mais au fond de vous, il y a une mer de larmes. Laissez-les venir. » Il apparaît ainsi crucial de différencier cet état adapté primaire, d’une tristesse mal adaptée ou secondaire. À nouveau, le thérapeute doit ici faire preuve d’une acuité perceptuelle plutôt fine (voir chapitre 3), afin de déceler correctement les états émotionnels, tout en intégrant cette perception dans un modèle du client dans le cadre de la formulation de cas (voir chapitre 2).
La colère La colère fait partie des émotions inhérentes à la dépression. Dans une étude sur les émotions autorapportées par des clients présentant une dépression, l’expérience de la colère est la plus souvent rapportée (Kagan, 2003). Aussi a-t-il été montré qu’une intensité élevée de colère est en lien avec plusieurs problèmes psychosomatiques (p. ex., l’hypertension et la maladie de Crohn), psychologiques et social (Broman et Johnson, 1988), comparée à une colère faible ou modérée. Finalement, les clients avec dépression présentent souvent une suppression de la colère (i.e., la colère est présente au niveau de l’expérience, mais elle n’est pas accédée, ni symbolisée, ni exprimée ; Akhavan, 2001 ; Greenberg et Watson, 2006). La tâche thérapeutique primordiale dans le traitement de la dépression devient ainsi l’expression de la colère affirmée. Il ne s’agit pas ici d’une décharge émotionnelle de la colère en séance, comme préconisé ailleurs, mais de l’expression de la colère de manière souvent modérée (mais pas uniquement), ciblée (souvent en utilisant des mises en acte) et spécifique (à l’intérieur d’une situation ou d’un contexte interpersonnel impliquant un autre significatif particulier, voir chapitre 3). Cette colère est empreinte de signification, sert à ériger une limite claire, pour mieux connecter avec autrui de manière constructive, au lieu de rejeter l’autre dans un mouvement de dédain et de rage.
Émotions positives L’absence d’émotion « positive » dans la dépression requiert que le thérapeute soit attentif et empathique par rapport à l’émergence dans le processus, même de manière discrète, de l’intérêt, de l’excitation, de la joie et de la
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fierté ou de l’espoir. Si dans la dépression, les clients présentent peu d’émotions positives, elles sont d’autant plus importantes à chaque moment du processus thérapeutique. Une expérience émotionnelle positive (qui peut d’ailleurs aussi résulter suite à l’expérience d’une émotion primaire adaptée ; Greenberg et Watson, 2006 ; Fosha, 2000) est fondamentalement l’antidote des blessures d’attachement et des problèmes identitaires. Cela peut se voir également dans le contexte du traitement des problèmes de couple, tout comme dans le traitement individuel des états dépressifs et d’autres troubles. Par exemple, le sentiment de relâchement ou de contentement dans l’après-coup d’une émotion primaire adaptée est important et le thérapeute doit permettre au client de faire l’expérience complète de cet état de contentement. Ce dernier état peut être nouveau pour le client et peut ainsi compléter, connoter différemment et enrichir le processus de transformation émotionnelle. Finalement, l’accès et l’expression, en séance de la TCE de couple, de la compassion, d’un intérêt authentique et pour des aspects ludiques et de l’amour pour l’autre partenaire sert également d’antidote aux expériences destructrices.
Trauma complexe Le traitement TCE des problèmes en lien avec le trauma complexe, c’est-àdire des problèmes psychologiques qui se sont formés consécutivement aux traumatismes interpersonnels, de blessures d’attachement répétées et de maltraitance infantile, représente un chapitre bien développé et une forme de traitement validé empiriquement (Paivio et Pascual-Leone, 2010 ; Paivio et al., 2010 ; Paivio et Greenberg, 1995). Hormis les principes et techniques de la TCE décrite ci-dessus (voir chapitre 3), la psychothérapie centrée sur les émotions du trauma complexe présente une série de spécificités par rapport à l’approche originale. Ces différences émanent des particularités de la population avec traumatismes complexes – en particulier suite à des abus dans l’enfance –, du programme de recherche rattaché et des recommandations cliniques pour cette population. Premièrement, la qualité de la relation thérapeutique est encore plus importante pour la population avec trauma complexe, comparée à d’autres clients. Deuxièmement, une organisation en quatre phases de traitement, à la fois bien distinctes conceptuellement entre elles et applicables de manière récursive en clinique, caractérise le traitement ; il en suit une utilisation un peu plus marquée d’une directivité de contenu, orientée spécifiquement vers la mémoire traumatique. Troisièmement, il y a une adaptation technique spécifique proposée pour le travail sur les blessures d’attachement non résolues. Quatrièmement, le mécanisme fondamental du changement réside en la transformation de la mémoire traumatique.
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Phases du traitement centré sur les émotions du trauma
complexe
Phase 1. Le travail sur la relation thérapeutique. Phase 2. Le travail thérapeutique avec les émotions de honte et de peur. Phase 3. Le travail d’évocation, de transformation du deuil, de la douleur et de la colère affirmée. Phase 4. La fin, la dissolution du lien thérapeutique.
Relation thérapeutique face au trauma complexe La qualité de la relation thérapeutique est centrale dans le traitement des clients avec trauma complexe. Si d’autres formes de traitement proposent des techniques spécifiques, par exemple l’exposition à des stimuli anxiogènes dans le but de l’habituation à ces stimuli et l’interprétation de transfert afin d’augmenter la représentation des patterns interpersonnels, la psychothérapie centrée sur les émotions différencie les aspects d’empathie pour ces clients. Notamment, comme discuté par Paivio et Laurent (2001), l’empathie thérapeutique face à des clients avec trauma complexe a deux objectifs fondamentaux : la modulation de l’intensité émotionnelle et l’augmentation de la conscience émotionnelle. La modulation émotionnelle comprend l’expression par le thérapeute de sa compréhension et du soutien par rapport aux émotions du client, ce qui permettra au client d’accepter plus pleinement sa vie émotionnelle et de faire davantage confiance au thérapeute. Cet aspect devrait contribuer à une collaboration plus profonde et à une alliance thérapeutique forte. Aussi la conscience émotionnelle peut-elle être favorisée par des réflexions empathiques du thérapeute focalisant sur les émotions du client. Une telle capacité du thérapeute appelée « responsivité » (responsiveness) empathique peut également aider le client à dépasser les états de dissociation, à différencier davantage la douleur sous-jacente et permettre ainsi au client d’avoir une représentation encore plus précise de ce qui lui fait mal. Cette collaboration thérapeutique lui permettra de s’ouvrir émotionnellement face au thérapeute et permettra de préparer le terrain pour les tâches de transformation de la mémoire traumatique et des émotions dans la suite du traitement.
Travail thérapeutique en utilisant des dialogues mis en acte entre deux parties de soi Dans la deuxième phase du traitement, les dialogues sur deux chaises, où typiquement deux parties du soi interagissent, sont utilisés ; dans la
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troisième, le thérapeute emploie typiquement les dialogues en utilisant la chaise vide où la représentation d’une autre personne est invoquée pour permettre la transformation émotionnelle (dialogues soi-autrui). Le travail thérapeutique se focalise sur les émotions primaires mal adaptées, c’est-à-dire les différentes formes de peur et d’anxiété mal adaptées, ainsi que la honte et la culpabilité. Ces émotions impliquant un dialogue interne (i.e., entre deux aspects du soi), elles précèdent généralement l’accès aux émotions primaires adaptées et la résolution émotionnelle complète. Le client présente souvent un sentiment central que le soi est fondamentalement vulnérable, particulièrement fragile, sans emprise et impuissant. Cette auto-organisation, avec ses affects, représentations, tendances à l’action et sensations physiologiques, interfère avec un sens de soi comme étant confiant, capable de faire face aux adversités et capable de construire et maintenir des liens interpersonnels et intersubjectifs. Dans ce contexte, la peur (primaire) mal adaptée, la honte et la culpabilité sont comprises comme ayant une fonction semblable dans le processus de résolution émotionnelle : il s’agit d’auto-organisations qui interfèrent avec la transformation et leur accès devient ainsi une étape-clé dans le processus. De ce fait, la voie royale pour la transformation de ces émotions primaires mal adaptées réside dans les techniques expérientielles décrites dans le chapitre précédent, selon l’émergence d’un indice dans le processus du client, et plus particulièrement l’élaboration de l’autocritique et de l’auto-interruption. Ces tâches de mise en acte utilisant le dialogue sur deux chaises permettent d’élaborer de la signification in situ, à partir du vécu expérientiel du client (Paivio et Pascual-Leone, 2010 ; Kramer et Pascual-Leone, 2013).
Travail thérapeutique utilisant des dialogues mis en acte entre soi et autrui Dans le contexte de la phase de travail permettant la transformation émotionnelle complète et l’accès à des émotions primaires adaptées (phase 3), plusieurs techniques thérapeutiques sont possibles, en utilisant des dialogues expérientiels soi-autrui. Classiquement, les blessures d’attachement se résolvent en utilisant un dialogue avec la chaise vide de type résolution du conflit émotionnel avec une personne significative (unfinished business, voir chapitre 3). Lorsque la douleur, l’angoisse primaire et le besoin existentiel non assouvi sont présents, s’y rajoute le dialogue de l’autocompassion. Le travail thérapeutique avec la population traumatisée a permis de comprendre qu’il n’est pas utile pour les clients avec traumatisme d’« incorporer » – via la mise en acte – l’acteur de l’agression. Par ailleurs, certains clients n’apprécient pas le travail évocateur de la chaise vide pour résoudre leurs blessures d’attachement traumatiques, notamment si une phobie sociale ou des sentiments marqués de gêne et de honte se présentent en
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comorbidité du trauma. Pour la première raison, Paivio et Pascual-Leone (2010) développent la confrontation imaginaire comme possible alternative pour cette population. Cette procédure est différente de l’élaboration d’un conflit avec une personne significative dans le sens que le client peut imaginer l’agresseur sur la chaise vide, ou alternativement, derrière la chaise ou encore devant la porte de la salle de consultation, le but étant d’évoquer l’autre : dans tous les cas, le client ne devra pas changer de chaise dans cette procédure. Dans ce sens, tout d’abord, le client, assis sur la chaise expérientielle, doit établir un contact avec l’autre imaginé sur la chaise (ou se trouvant ailleurs, mais qui est mentalement présent dans l’espace thérapeutique). Le client est guidé à évoquer un souvenir d’un épisode émotionnel précis d’abus ou de violence. À partir de là, les mêmes étapes d’évocation, de conscience et d’expression émotionnelles (émotion exprimée à l’agresseur, dans le cadre de la situation concrète) sont applicables ici, comme dans la résolution d’un conflit émotionnel avec une personne significative, le changement de chaise en moins. En effet, il n’est pas productif ni nécessaire pour le client d’« être » l’agresseur ; la transformation émotionnelle peut avoir lieu à partir de la chaise expérientielle uniquement. Tout au long de ce processus, le thérapeute veille particulièrement à la profondeur des processus, à la qualité de la connaissance expérientielle et facilite la résolution d’éventuels blocages émotionnels et de problèmes du processus de la connaissance expérientielle. Le thérapeute aide le client aussi à différencier ses émotions, à partir des sentiments globaux de détresse à des émotions primaires spécifiques, tout en promouvant l’accès aux besoins existentiels. Finalement, le thérapeute facilite le changement dans la perception du soi en lien avec autrui. Pour les clients qui ne désirent pas travailler avec le dialogue en utilisant la chaise vide (voir ci-dessus la deuxième possibilité évoquée), il existe la possibilité pour le thérapeute de proposer une exploration empathique, dans ce contexte de la confrontation avec le trauma complexe. Le principe est le même que dans la résolution d’un conflit émotionnel avec une personne significative : le thérapeute suit internement les étapes de résolution associées au conflit avec une personne significative ou la confrontation imaginaire, sauf que le thérapeute ne propose pas de dialogue direct avec l’agresseur. Ainsi, le setting ressemble plus à une exploration systématique de la réaction problématique (systematic evocative unfolding ; voir chapitre 3), excepté que des contenus traumatiques sont travaillés selon la procédure décrite pour la confrontation imaginaire.
Dissolution du lien thérapeutique dans le traitement du trauma complexe La phase de terminaison d’un traitement du trauma complexe est très importante et tient compte des blessures d’attachement et de pertes
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otentiellement vécues par ces clients. Elle fait ainsi partie intégrante du p traitement curatif. La manière avec laquelle le client et le thérapeute prennent congé peut être comprise comme un indicateur pour l’avancement et la réussite de la psychothérapie. Dans le contexte du dialogue avec une personne significative, d’abord, une attention particulière est portée à une réparation imaginaire, un pardon interpersonnel, une séparation ou le fait de tenir l’agresseur responsable de ses actes, réalisés par le client. À nouveau, un accompagnement empathique et encourageant de ces processus sera tout aussi important que la transformation émotionnelle et mnésique en tant que telle. Le thérapeute peut, par exemple, encourager le client, à la fin de la thérapie, à évaluer sa compréhension actuelle du trauma, en la comparant à celle décrite par lui-même en début du traitement, en décrivant les changements qu’il a observés. De manière globale, il est postulé que la psychothérapie centrée sur les émotions du trauma complexe est sous-tendue par la transformation de la mémoire traumatique. La mémoire traumatique est ici comprise comme une auto-organisation intégrée, ré-activée au moment de l’exposition avec des stimuli qui ressemblent à ceux encodés en lien avec le trauma (Van der Kolk, 1996). Les experts des différentes approches traitant le trauma complexe, et plus spécifiquement traitant les symptômes du stress post-traumatique, s’accordent pour dire que l’exposition répétée et réalisée à ces contenus mnésiques dans le contexte d’une relation thérapeutique chaleureuse et validante est la clé de voûte du succès d’un traitement. Toutefois, les avis divergent quant aux processus impliqués dans cette exposition. Les uns proposent que l’habituation à des stimuli anxiogènes (Foa et al., 2000 ; Jaycox et al., 1998) conduit à des changements dans la mémoire traumatique, les autres postulent que le processus de construction de la signification serait la clé permettant la transformation mnésique (Ecker et al., 2012 ; Lane et al., 2014). Les deux processus impliquent l’activation émotionnelle en séance et des éléments nouveaux introduits dans la mémoire. Toutefois, la perspective de la construction de la signification propose que les liens entre émotions et significations soient intégrés en un nouveau schème émotionnel, avec des caractéristiques spécifiques et idiosyncratiques (Paivio et Pascual-Leone, 2010). Il s’agit de l’émergence d’une nouvelle émotion, grâce à un processus qui est fondamentalement ancré à l’intérieur de soi, dans le contexte d’une profonde connaissance expérientielle.
Troubles anxieux Différentes formes d’anxiété En général, l’expérience d’anxiété peut prendre plusieurs formes en psychothérapie. L’anxiété peut être primaire adaptée, comme réaction directe
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et immédiate à un stimulus, suscitant la tendance à l’action de la fuite et la protection de soi. En plus, l’anxiété peut être : • primaire mal adaptée, et peut ainsi prendre les formes suivantes : – une insécurité de base d’un sentiment de soi non protégé : un sentiment d’être inefficace et absolument vulnérable (i.e., sentiment profond d’abandon, de peur d’être « exposé », de vulnérabilité) ; – une peur traumatique : un sentiment fondé sur des expériences traumatiques dans l’apprentissage émotionnel dans le contexte des liens d’attachement (voir section sur le trauma complexe) ; • secondaire. L’anxiété secondaire décrit un individu qui a peur de certaines émotions ou autres expériences internes (comme des images ou des cognitions). Cette anxiété secondaire est ainsi un état de surface et ne représente pas le cœur de la problématique. Elle implique souvent une tendance à l’action à l’évitement de l’émotion (et non pas la fuite du stimulus spécifique, comme chez l’anxiété primaire adaptée). Ces expériences menacent l’identité de la personne ou ses liens d’attachement. Cette conceptualisation a été appliquée à plusieurs troubles anxieux, notamment la phobie sociale (Elliott, 2013 ; Shahar, 2014) et le trouble d’anxiété généralisée (Timulak et al., 2012). À titre d’exemple, nous présentons les élaborations au sujet du dernier trouble.
Trouble d’anxiété généralisée Dans le modèle TCE, les ruminations anxieuses faisant partie des problèmes présentés dans le contexte du trouble d’anxiété généralisée, représentent en fait l’évitement d’une émotion primaire. Le modèle postule que cet évitement n’est pas complet et que ces émotions primaires apparaissent ici et là au sein des émotions secondaires, même de manière discrète. Ainsi, endessous de cette émotion secondaire se trouve souvent un sentiment primaire de honte ou de peur, un non-accès aux ressources qui permettraient l’autocompassion et des conflits non résolus avec les figures d’attachement. Finalement, ces clients ont souvent de la peine à accéder aux émotions primaires adaptées, par leurs processus ruminatifs en place, et ainsi, ont de la peine à accéder à et tirer bénéfice des ressources inhérentes à la colère affirmée. Le modèle complet des processus émotionnels dans l’anxiété comprend un cercle vicieux. Ce modèle considère que les pensées catastrophisantes (p. ex., « peu importe ce que je fais, je vais échouer ») sont des pensées secondaires de contrainte ou d’autocritique, ayant un impact sur la perception du soi en tant que perdant le contrôle. Cette perception suscite une auto-organisation au sein de l’individu d’un sentiment profond d’insécurité, de honte et de peur primaire mal adaptée (ou de peur traumatique).
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Ce sentiment profond pourrait être traduit en essence par une évaluation négative de type « je suis fondamentalement faible et je vais être laissé(e) seul(e) », par exemple. Cet état émotionnel est si intolérable que l’individu s’en défend très vite et développe une série d’émotions secondaires (p. ex., l’impuissance secondaire) et des cognitions (de catastrophisation), accompagnées d’actes de rumination anxieuse. Cela referme le cercle du processus émotionnel de l’anxiété. Ce cercle vicieux est représenté dans la figure 4.2. En principe, l’indice processuel pour ce genre d’émotion est le conflit anxieux et les anticipations anxieuses (anxiety split). Il est composé de deux parties internes au soi : une partie qui fait peur et l’autre partie (la partie expérientielle) qui est vulnérable. De manière plus profonde, la partie qui fait peur exprime sa peur notamment lorsque la partie expérientielle veut s’affirmer ou exprimer ses besoins. Le travail thérapeutique à partir de cet indice correspond à une variante du dialogue sur deux chaises, qui peut être mise en parallèle avec la résolution de l’autocritique (voir chapitre 3). Au lieu d’une voix critique identifiée dans l’élaboration de l’autocritique, ici, il s’agit d’identifier la voix interne catastrophisante. Ensuite, la résolution du conflit anxieux se réalise en suivant le modèle élaboré pour l’autocritique et ne sera pas explicité davantage ici. Un modèle de conceptualisation des problèmes dans le cadre du trouble de l’anxiété généralisée a été développé par Timulak et collaborateurs (2012). Sur la base de leur recherche focalisant sur la phénoménologie de ce trouble, ces auteurs soulignent l’importance des processus d’évitement de la douleur profonde dans le développement et le maintien du trouble de l’anxiété généralisée. Ces processus d’évitement sont multiples : autointerruptions (par des évitements comportementaux et émotionnels, p. ex., une peur de ressentir des émotions), traitement négatif de la personne ou processus autocritiques et des émotions secondaires (détresse globale et colère rejetante).
Figure 4.2. Processus émotionnels dans la rumination anxieuse. D’après Greenberg, 2013.
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La douleur profonde chez les clients avec un trouble de l’anxiété généralisée tend à se grouper en trois catégories : • La honte : « Je suis défectueux et c’est pour cela que je n’ai pas le droit à un traitement correct. » • La solitude : « Je me sens vide, sans soutien. » • Le trauma : impliquant des expériences de non-contrôlabilité et nonprévisibilité. Une fois que le client est arrivé à cette douleur profonde au niveau expérientiel, en cohérence avec le modèle TCE (Timulak et al., 2012), le besoin existentiel peut émerger, par exemple, pour certains clients, un besoin d’être traité dignement ou correctement (pour défaire la « honte »), d’être en lien et soutenu par l’autre (pour défaire la « solitude ») et de retrouver un endroit de protection (pour défaire le « trauma »). La résolution émotionnelle se fait ici de la même manière que les autres cas de figure présentés, selon le modèle de transformation émotionnelle (Pascual-Leone et Greenberg, 2007), soit en introduisant l’autocompassion via le dialogue en utilisant la chaise vide – à l’émergence de l’indice de l’angoisse ou la douleur primaire –, soit en accédant à la colère affirmée et protectrice, soit par un processus de deuil et lâcher-prise.
Troubles du comportement alimentaire Les troubles du comportement alimentaire psychogènes, notamment l’anorexie (Dolhanty et Greenberg, 2007, 2009) et la boulimie (Wnuk et al., 2014), ont été associés à des problèmes émotionnels par un nombre d’auteurs. Dans le cas de la boulimie, les émotions sont vécues à la fois comme trop intenses et débordantes (« sous-régulées »), à la fois comme suscitant des inquiétudes chez le client qui les met à distance et se coupe d’elles (« sur-régulées »). L’évitement de l’expérience affective et la peur de la honte sont ainsi au cœur des troubles alimentaires. De ce fait, la TCE représente un cadre de conceptualisation et de traitement adéquat pour les troubles du comportement alimentaire. Elle propose une série de techniques pour mieux vivre avec ces émotions et surtout pour être capable d’extraire les informations adaptives de ces émotions dans les situations. Cette approche permet ainsi aux clients : • d’accepter leurs expériences émotionnelles ; • de réguler adéquatement l’intensité émotionnelle ; • de pouvoir transformer les émotions mal adaptées en des émotions plus adaptées par l’accès à l’autocompassion et la construction de la signification (Dolhanty et Greenberg, 2007). Au-delà de l’augmentation de la conscience émotionnelle des processus émergeant moment-par-moment et de l’empathie, l’accent est mis sur des mises en acte des conflits internes, en utilisant la chaise vide ou le dialogue sur deux chaises (Greenberg et al., 1993).
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Par exemple, de façon similaire à ce qui est décrit dans le chapitre 3, l’autocritique peut, chez une cliente avec une anorexie, prendre la forme de « tu es trop grosse ! ». Cette critique est utilisée comme indice du processus dans l’élaboration de l’autocritique, en recourant au dialogue sur deux chaises. Si le dégoût ou le mépris envers soi se manifeste implicitement dans ce processus, il devient important pour la cliente d’y accéder pleine ment. À partir de l’expression de l’autocritique de cette manière, sur la chaise expérientielle, d’abord une honte, ensuite une douleur profonde peut émerger en réaction à cela. Cela peut être accompagné par l’accès au besoin existentiel et à la colère affirmée. Ces derniers éléments plus adaptés visent à protéger l’intégrité physique et psychique du soi de la critique. Par exemple, une cliente avec une anorexie affirme sur la chaise expérientielle, en réaction à l’autocritique : « J’ai besoin que tu arrêtes de me traiter de cette façon-là » (exemple tiré de Dolhanty et Greenberg, 2007). Un problème qui intervient souvent dans cette population, comme avec d’autres clients très « raisonneurs », est que la première réaction sur la chaise expérientielle face à l’autocritique consiste en un simple acquiescement de la critique (« tout est vrai, oui ! »). Pour dépasser ce dilemme technique, le thérapeute doit faciliter, chez la cliente, la conscience que cette réponse d’acquiescement se trouve à un niveau cognitif, mais qu’on ne connaît pas encore la « réelle » réaction émotionnelle, à l’intérieur de la personne. Une supposition empathique peut aider, si nécessaire, dans le sens pour le thérapeute de parler « à la place » de la cliente, d’une manière hésitante. Cliente (sur la chaise expérientielle, en réponse à l’autocritique émise) : « Je suis d’accord avec le fait que je suis trop grosse, oui. » Thérapeute : « J’imagine, en écoutant cette critique, vous devez vous sentir… anéantie… dans votre existence. »
Dans le contexte de l’anorexie, en explorant l’expérience émotionnelle, il arrive souvent que la cliente présente une auto-interruption, par exemple en disant « c’était là, mais maintenant, je ne ressens rien ». Cette remarque peut être utilisée comme indice d’auto-interruption et être traitée par un dialogue sur deux chaises, en focalisant sur l’auto-interruption sur le moment (voir chapitre 3). Ce dialogue permet d’augmenter la conscience du client qu’il est lui-même à l’origine de cette interruption et permet de la dénouer et transformer. Durant ce processus, la qualité de la « voix critique anorexique » (Dolhanty et Greenberg, 2007) peut émerger de manière distincte, une voix critique qui se caractérise par une particulière dureté et qui est empreinte d’une certaine fierté. Ces caractéristiques soulignent l’importance d’un processus d’élaboration du conflit interne en utilisant deux chaises, qui permet de séparer la voix critique de la réaction expérientielle et, en même temps, de recréer un nouveau contact entre elles. Cette isolation de la voix critique anorexique permet de dénouer explicitement des conflits internes et de
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ifférencier d’autres aspects de l’expérience émotionnelle, y compris les besoins d existentiels. Ce processus permet ainsi de re-créer un contact expérientiel – utile au changement émotionnel – entre les deux parties du conflit interne. Lorsque le client avec un trouble alimentaire élabore ses conflits non résolus avec une personne significative, il devient souvent apparent qu’il a vécu des abus ou des traumas de manière répétée. Dans ce contexte et en utilisant la chaise vide, le client peut par exemple partager son ressenti de culpabilité, de ressentiment, de colère ou de douleur psychologique envers la personne significative. Ces émotions peuvent être élaborées de manière constructive, en leur donnant la signification émergente à partir de l’expérience dans l’ici et maintenant. Dans ce cadre, les éléments techniques employés dans le contexte du traitement du trauma complexe peuvent être utilisés si nécessaire (Paivio et Pascual-Leone, 2010 ; voir section sur le trauma complexe). Un cas d’anorexie est rapporté par Dolhanty et Greenberg (2007). Une femme athlète professionnelle décrit sa vie de famille comme parfaite et sans difficultés et des parents « gentils, ce qui est leur seul défaut ». Malgré ce contexte apparemment bienveillant, la cliente a développé une autocritique particulièrement dure, en se disant « sois vigilante, autrement tu fais des erreurs et tu tombes, ou encore pire, tu fais des erreurs sans que tu le voies, mais les autres le voient et tu deviens ridicule ». L’émotion primaire mal adaptée est ici la honte, à laquelle nous pouvons seulement accéder à travers le travail d’élaboration de l’autocritique. Le processus thérapeutique a permis à cette cliente d’accéder au besoin existentiel sous-jacent à cette auto-organisation mal adaptée. La résolution du conflit émotionnel avec une personne significative, ici les parents, a permis de laisser émerger la colère affirmée envers eux, pour ne pas l’avoir protégée assez et l’avoir exposée à cette honte. Les spécificités émotionnelles des troubles alimentaires font que le traitement TCE avec cette population est un premier choix. La TCE se focalise sur la douleur profonde qui n’est pas toujours apparente en premier lieu.
Troubles de la personnalité Les troubles de la personnalité constituent un domaine encore peu investi par les théoriciens et thérapeutes travaillant avec la TCE, mais il émerge des travaux de recherche montrant que ces clients pourraient bénéficier d’interventions TCE, sous réserve de quelques adaptations (Warwar et al., 2008 ; Pos et Greenberg, 2012 ; Pos, 2014). Pour l’instant, des études de cas existent pour les troubles de la personnalité borderline et évitante. Comme souligné par Pos et Greenberg (2012) pour le cas du trouble de la personnalité borderline, le dialogue sur deux chaises pour l’élaboration de l’autocritique – technique particulièrement évocatrice d’émotions – pourrait être inapproprié dans sa forme classique. Il est considéré que la
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polarisation et l’intensification de l’expérience peut être contre-productive face à des processus fragiles de type borderline (voir aussi Elliott et al., 2004). Cette intensification émotionnelle peut en effet produire une dérégulation et une désorganisation émotionnelle (Pos et Greenberg, 2012). Il est donc nécessaire d’adapter cette technique pour l’élaboration de l’autocritique. Les auteurs concluent qu’une version adaptée de la TCE facilite plusieurs processus cognitivo-affectifs productifs : la stimulation de la métaconscience et de la méta-expérience de la polarisation intrapsychique, la diminution de l’intensité émotionnelle et de l’augmentation de la cohérence de l’expérience de soi. Cette étude du cas d’Ève, une cliente avec un trouble de la personnalité borderline, a permis de démontrer que la TCE admet un nombre d’hypothèses comme étant vraies dans l’élaboration de l’autocritique en utilisant le dialogue sur deux chaises. Ces hypothèses sont remises en question dans les traitements avec des clients présentant un trouble de la personnalité borderline. En général, il est admis qu’un côté du conflit est plutôt un processus mal adapté – en principe la voix critique –, tandis que l’autre côté du conflit – la réaction expérientielle – est plus adapté. Cette dernière est généralement plus près de l’intériorité de la personne (voir chapitre 3, section sur l’élaboration de l’autocritique). Or, dans les processus borderline, le processus mal adapté pourrait se trouver dans le lien (ou le dialogue interne) entre ces deux auto-organisations. Il est admis et illustré dans le traitement TCE de la dépression que la résilience et l’émergence du besoin existentiel se fait spontanément (lorsque le client se trouve sur la chaise expérientielle), après l’évocation affective de l’autocritique. Cette hypothèse implique un niveau général de résilience que les clients avec trouble de la personnalité borderline n’ont pas toujours. Sur la base des confusions possibles entre faire semblant d’avoir une expérience affective – par le biais du jeu – et l’expérience affective elle-même, décrites dans la littérature sur le fonctionnement des clients avec trouble de la personnalité borderline (Fonagy et al., 2002), une attention particulière doit être donnée au degré de conscience que le client présente par rapport à sa vie interne. Le dialogue sur deux chaises implique un degré moindre de contact avec le thérapeute sur le moment de l’élaboration, ce qui peut évoquer chez la cliente borderline un sentiment d’abandon (par le thérapeute ou par le contexte thérapeutique). Finalement, il faut noter que malgré la présence dans le processus d’un indice pour un conflit interne de type autocritique, le client ne perçoit pas toujours ce conflit en tant que tel. Pour répondre à ces questionnements et critiques du dialogue sur deux chaises pour l’élaboration de l’autocritique dans le contexte du traitement des clients borderline, Pos et Greenberg (2012) proposent l’utilisation de certains principes d’intervention de la TCE de couple. Pour répondre à l’observation que c’est le lien entre auto-organisations qui pourrait être mal
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adapté chez les clients borderline, il s’agit ici de traiter ce lien entre autoorganisations émotionnelles. Au lieu de traiter de manière séparée les deux voix différentes (l’autocritique vs la partie expérientielle), le travail se focalise sur le lien entre elles. Le travail thérapeutique peut se faire ici avec le cycle mal adapté de l’interaction entre les deux parties, et non pas avec l’une ou l’autre partie isolément (voir chapitre 5 et Greenberg et Johnson, 1988 ; Greenberg et Goldman, 2008). Cette approche plus complexe et douce face à l’évocation des affects dans l’élaboration de l’autocritique en utilisant le dialogue sur deux chaises, permet à la fois un contact soutenu avec le thérapeute et une régulation émotionnelle appropriée. Aussi, il paraît nécessaire de vérifier soigneusement la capacité de représentation, chez la cliente, des deux voix impliquées dans le processus d’autocritique, avant d’entrer en dialogue en utilisant les deux chaises. Ainsi, les contenus du dialogue sont pré-pensés par la cliente borderline, ce qui permet une meilleure intégration lors du dialogue. Une deuxième étude de cas TCE décrivant une cliente avec trouble de la personnalité borderline concerne Sara (Kramer et Pascual-Leone, 2012). Sara a bénéficié, comme Ève, d’un traitement en deux étapes, comportementaldialectique, puis centré sur les émotions. Suivant les recommandations de Pos et Greenberg (2012) ainsi que de Paivio et Pascual-Leone (2010) pour le trauma complexe, le traitement TCE a débuté ici par la résolution des problèmes en lien avec l’autocritique (relation de soi à soi, en utilisant l’adaptation du dialogue sur deux chaises en tant que cycle mal adapté), pour être continué par l’élaboration d’un conflit avec une personne significative. Pour cette dernière, Sara a travaillé tour à tour des conflits non résolus avec la mère, intrusive et contrôlante, et le père, effacé, non fiable et absent. L’accès à l’expérience de la colère affirmée dans cette phase de traitement a été un événement-clé dans le processus de guérison de cette cliente (Kramer et Pascual-Leone, 2012) et a contribué à la diminution symptomatique à la fin du traitement. Finalement, Pos et Greenberg (2012) soulignent l’importance donnée aux réponses empathiques du thérapeute dans le cadre de la TCE pour les clients avec trouble de la personnalité borderline. Ici, il est important de noter qu’un regard inconditionnel par rapport à l’ensemble des éléments présentés par le client est adopté. La chaleur et l’authenticité ne sont pas utilisées de manière contingente, comme suggéré par les approches comportementales (p. ex., Linehan, 1993). Pour un cas avec un trouble de la personnalité évitante, Pos (2014) a démontré l’adéquation du modèle TCE au traitement des clients avec des processus d’évitement expérientiel. L’auteure a identifié chez ces clients lors de leur élaboration d’un conflit avec une personne significative, le problème de la non-individuation au niveau expérientiel, ce qui revient à une absence d’identité du soi, sur la chaise expérientielle. La nonindividuation émotionnelle surgit surtout en réponse à l’autre significatif,
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si ce dernier est vécu de manière négative (ce qui est très souvent le cas). Ce problème de non-individuation se manifeste par une affiliation de surface à ce que l’autre significatif (sur la chaise de l’autre) vient de dire. La cliente peut réagir à la personne significative en disant par exemple : « Elle a raison, je suis complètement faible » (Pos, 2014, p. 130). Alternativement, ce problème peut mener à un évitement complet de la communication et au retrait émotionnel sur la chaise expérientielle. Finalement, la non-individuation peut mener à une révolte défiante et peu productive, en disant simplement « non ! ». Une version de l’autocritique par l’autocoaching fréquemment rencontrée dans les cas avec évitement expérientiel est l’injonction, donnée à soi-même, du « simplement sois normal ! ». Cela peut donner lieu à un conflit interne spécifique au trouble de la personnalité évitante, entre cette injonction et la non-individuation expérientielle (Pos, 2014). Dans le cadre de l’élaboration de l’autocritique en utilisant le dialogue sur deux chaises, ces clients évitent ainsi d’évoquer une critique fondamentale, qui pourrait les toucher trop près de leur for intérieur, mais débutent ce dialogue par une critique secondarisée (par l’autocoaching). Cette critique de type autocoaching vise ici à mobiliser le soi pour « simplement rester normal ». Par exemple, une cliente, Noémie, présentant un trouble de la personnalité évitante, dit sur la chaise de la critique : « Évite qu’on ne te remarque ! Tu dois travailler plus durement, tu dois tout faire pour ne pas sortir de la masse ! » Même si cette « critique » est pertinente pour ce type de clients, elle ne représente pas le cœur de l’autocritique fondamentale qui, chez Noémie, est autour de « tu es une paresseuse ! », Ce niveau de profondeur est souvent évité par ces clients dans un premier temps du dialogue. Une acuité perceptuelle du thérapeute (i.e., savoir différencier la critique secondarisée par l’autocoaching de l’autocritique fondamentale) est une capacité importante et contribue à maintenir, dans le processus, le focus thérapeutique sur la critique fondamentale, même si elle reste seulement implicite – « entre les lignes » – au début du dialogue. Dans un cadre thérapeutique bienveillant, il est possible de pénétrer à la critique fondamentale et de faciliter un processus de résolution productive. Ce dernier implique d’arriver aux schèmes émotionnels fondamentaux, qui chez Noémie, comprennent le sentiment de honte face à l’inadéquation centrale de sa personne, avant de quitter cette émotion dans le but de la transformer. Pour ces clients avec trouble de la personnalité, le thérapeute doit proposer un échafaudage solide aux processus d’expérience de son client, avec l’émotion comme point d’entrée pour favoriser la profondeur de la connaissance expérientielle empreinte de nouvelles significations. Cet échafaudage expérientiel paraît particulièrement important pour les clients avec trouble de la personnalité, mais, comme souligné par Elliott et al. (2004), peut aussi être utile pour tout client victime de stress intense, de négligence émotionnelle grave et d’abus.
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Il faut noter que les changements proposés dans les traitements TCE pour les troubles de la personnalité impliquent que les résultats thérapeutiques sont attendus après davantage de séances, comparés aux traitements des autres clients. Les clients décrits ci-dessus ont tous eu des traitements durant au moins deux ans. Cela rend la validation par les méthodes quantitatives en recherche plus laborieuse. Toutefois, les exemples donnés reflètent la pratique au plus près ce que les experts TCE font à travers des contextes divers, et permettent ainsi des adaptations créatives et efficaces du modèle de base. Bibliographie Akhavan, S. (2001). Comorbidity of hopelessness depression with borderline and dependent personality disorders: Inferential coping and anger expression styles as vulnerability factors. Unpublished doctoral dissertation. Philadelphia: Temple University. Broman, C. L., & Johnson, E. H. (1988). Anger expression and life stress among Blacks: Their role in physical health. Journal of the National Medical Association, 80, 1329-1334. Dolhanty, J., & Greenberg, L. S. (2007). Emotion-focused therapy in the treatment of eating disorders. European Psychotherapy, 7(1), 95-115. Dolhanty, J., & Greenberg, L. S. (2009). Emotion-focused therapy in a case of anorexia nervosa. Clinical Psychology and Psychotherapy, 16(4), 366-382. Ecker, B., Ticic, R., & Hulley, L. (2012). Unlocking the emotional brain. New York: Routledge. Elliott, R. (2013). Person-centered/experiential psychotherapy for anxiety difficulties: Theory, research and practice. Person-Centered and Experiential Psychotherapies, 12(1), 16-32. Elliott, R., Watson, J. E., Goldman, R. N., & Greenberg, L. S. (2004). Learning emotionfocused therapy: The process-experiential approach to change. Washington, D.C: American Psychological Association. Foa, E., Keane, T., & Friedman, M. (Eds.). (2000). Effective Treatments for PTSD: Practice Guidelines from the International Society for Traumatic Stress Studies. New York: Guilford Press. Fonagy, P., Gergely, G., Jurist, E. L., & Target, M. (2002). Affect regulation, mentalization, and the development of the self. London: Karnac. Fosha, D. (2000). The transforming power of affect: A model of accelerated change. New York: Basic Books. Greenberg, L. S., Ford, C., Alden, L., & Johnson, S. M. (1993). Change processes in emotionally focused therapy. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 61, 78-84. Greenberg, L. S., & Goldman, R. N. (2008). Emotion-focused couples therapy: The dynamics of emotion, love and power. Washington, D.C: American Psychological Association. Greenberg, L. S., & Iwakabe, S. (2011). Emotion-focused therapy and shame. In R. L. Dearing, & J. P. Tangney (Eds.), Shame in the therapy hour (pp. 69-90). Washington, D.C: American Psychological Association. Greenberg, L. S., & Johnson, S. M. (1988). Emotionally focused therapy for couples. New York: Guilford Press. Greenberg, L. S., & Watson, J. C. (2006). Emotion-focused therapy for Depression. Washington, D. C: American Psychological Association.
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Thérapie de couple centrée sur les émotions Catalina Woldarsky Meneses1, Normand Gingras2, Emna Ragama3 1Psychologue-psychothérapeute, Pratique privée, Lausanne, Suisse. 2Psychologue-psychothérapeute, Ottawa Couple and
Family Institute Inc., Ottawa, Canada.
3Psychologue-psychothérapeute, Pratique privée, Genève, Suisse.
La psychothérapie centrée sur les émotions appliquée au contexte conju gal nécessiterait un ouvrage en soi. Elle a connu d’immenses développe ments depuis son émergence en 1988. Son application illustre la force et la faisabilité du modèle centré sur les émotions, et rejoint un intérêt de beaucoup de thérapeutes de couple désireux d’intervenir directement sur les émotions dans le contexte conjugal. Nous allons donner d’abord quelques éléments historiques, puis présenter un survol des aspects théoriques ainsi que des développements selon deux variantes théoriques, celle de Johnson (1996, 2004) et celle de Greenberg et Goldman (2008).
Fondements historiques et théoriques Dans les années 1980, Leslie Greenberg, ses étudiants, et plus particulière ment sa doctorante, Sue Johnson, mettent en place un programme de recherche à l’Université de Colombie-Britannique (Canada). De ces études, qui utilisent l’analyse de la tâche thérapeutique, découle la thèse de M aster de S. Johnson. La thérapie de couple centrée sur les émotions (TCE-C) est officiellement apparue en 1988, avec la publication du premier livre de L. Greenberg et S. Johnson. Les auteurs y décrivent un modèle thérapeutique qui intègre des éléments de la thérapie systémique, comme l’importance de se focaliser sur les cycles interactionnels existant entre les membres du système (Minuchin et Fishman, 1981), notamment en utilisant les techniques de mise en acte (« enactments »). De même, bien sûr, ce modèle thérapeutique intègre des éléments des thérapies expérientielles et des techniques Gestalt (Perls, 1969 ; voir chapitre 1). De manière spécifique pour la TCE-C, les émotions sont au cœur du modèle interactionnel de couple. Ce n’est qu’au travers de la dimension affective, de la manière dont les partenaires se sentent et peuvent accueil lir le ressenti de l’autre, qu’il peut y avoir un changement relationnel au niveau des perspectives et des actes de chacun. Chaque partenaire est très La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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attentif aux signaux émotionnels de son partenaire. Il les lit avec beaucoup de soin et réagit en conséquence et la différenciation en types d’émotions s’applique (voir chapitre 2 ; Greenberg, 2002 ; Greenberg et Paivio, 1997 ; Greenberg et Safran, 1987). La réceptivité et l’accessibilité émotionnelle du partenaire sont des concepts centraux dans la perspective de l’attachement, appliquée au champ du couple. À l’époque, les notions d’attachement en clinique n’en étaient qu’à leurs débuts (Weiss, 1982 ; voir chapitre 2), et l’application au contexte conjugal permettait une meilleure compréhension des dimen sions caractérisant les liens affectifs au sein du couple. Dans cette perspec tive, les conflits relationnels résultent le plus souvent de blessures affectives non exprimées provenant de besoins inassouvis d’attachement (proxi mité, disponibilité et sensibilité) et identitaire (acceptation, valorisation, voir chapitre 2). Ces conflits se visualisent au travers de dynamiques cycliques négatives, caractérisées par des interactions intenses et des pro fils de réponses émotionnelles. Par exemple, un partenaire pourrait repro cher à l’autre : « Tu es tellement fermé… tu as peur de l’intimité ! » L’autre partenaire pourrait alors répliquer : « Tu es tellement exigeant » ou « tu es tellement demandant ! ». Dans cette dynamique d’attaque et de défense, la réponse de l’un invalide celle de l’autre. Cela tend à augmenter la réactivité émotionnelle et à intensifier la dynamique du conflit de couple. Le changement thérapeutique en TCE-C ne découle pas d’une catharsis, ou d’une amélioration de compétence ou d’une nouvelle compréhension, mais de la sensibilisation et l’expression d’une nouvelle expérience émotionnelle qui transforme la nature du cycle interactionnel du couple. L’antidote aux conflits réside dans l’expérience de chacun d’exprimer sa vulnérabilité (i.e., expression des émotions primaires sous-jacentes), couplée à l’expérience qu’elle puisse être accueillie et reconnue de manière empathique par l’autre. Les changements de la dynamique du couple se font en accédant à des émo tions sous-jacentes vécues par chacun des partenaires en vue de créer des nouvelles expériences émotionnelles correctrices où l’ouverture mutuelle, la réceptivité et la validation font place aux nouveaux types d’interactions qui rétablissent la confiance et rapprochent – au lieu d’éloigner – les parte naires (Greenberg et Johnson, 1988). Lorsque les deux partenaires réalisent l’influence de la manière dont ils expriment leurs émotions sur leur cycle négatif, ils peuvent être encouragés à prendre le risque d’exprimer leurs émo tions sous-jacentes et ainsi s’engager dans un nouveau type d’interaction.
Une approche empirique La TCE de couple est une approche empiriquement validée par de nombreuses études (Snyder et al., 2006 ; Johnson et al., 1999 ; voir chapitre 6). Ces dernières ont démontré que l’expérience de l’expression émotionnelle est au cœur de la
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résolution des conflits (Greenberg et al., 1993 ; Greenberg et al., 1988 ; Greenberg et Johnson, 1986, 1988 ; Plysiuk, 1985). Des recherches récentes ont égale ment démontré que l’expression en séance d’émotions vulnérables prédisait les résultats thérapeutiques positifs (McKinnon et Greenberg, 2013). On remarque qu’au cours de la dernière décennie, la recherche portant sur la théo rie de l’attachement et sur son application aux relations de couple a connu un engouement sans précédent, favorisant sa pertinence pour les thérapeutes TCE de couple (Johnson et Denton, 2002). Ce traitement s’applique à divers types de problématiques, comme la dépression (Dessaulles et al., 2003 ; Whiffen et Johnson, 1998), l’état de stress post-traumatique (Johnson, 2002) et la dou leur chronique (Knowal et al., 2003). En outre, les stratégies et techniques de la TCE-C s’appliquent aussi aux familles en détresse (Johnson et al., 1998). La contre-indication principale reste la présence de violence conjugale. Depuis leur fondation de la thérapie de couple, Johnson et Greenberg ont progressivement différencié leur conceptualisation théorique de la dyna mique interpersonnelle, donnant naissance à deux branches de la thérapie de couple centrée sur les émotions. D’une part, celle développée par Johnson et ses collaborateurs, qui met l’accent sur la notion de l’attachement. D’autre part, celle de Greenberg et Goldman, qui met l’emphase sur la régulation des affects au travers des deux dimensions de base de l’attachement et de l’identité. Nous allons présenter brièvement ces deux approches.
La TCE de couple selon Johnson Survol des principes-clés Inspiré par les travaux de Bowlby (1969a,b,c, 1973, 1988, 1989), l’approche TCE de couple de S. Johnson (1996, 2004) met l’accent sur l’attachement en la considérant comme la force centrale qui organise les dynamiques des couples.
L’attachement Selon Johnson (2004), les êtres humains ont un besoin inné de maintenir la proximité avec un autre significatif. Un lien d’attachement dit « sécurisant » implique une accessibilité mutuelle et une réceptivité émotionnelle. Cela amène un sentiment de sécurité qui permet à l’individu de « réguler ses émo tions, de traiter l’information, de résoudre des problèmes, de mieux composer avec les différences et de communiquer clairement » (Johnson, 2008, p. 112), en plus de promouvoir l’autonomie et la confiance en soi (Johnson, 2004). Un lien d’attachement vulnérable provoque souvent des émotions dés agréables au sein d’une interaction négative. Les besoins des partenaires n’y sont que partiellement remplis malgré leurs tentatives en ce sens (Johnson, 2004, 2008). Établir un lien d’attachement sécurisant fournit le remède nécessaire permettant aux couples d’exprimer leurs émotions et leurs besoins avec précision et efficacité et de se sortir de leur cycle d’interaction négative
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(Johnson, 2004). Cette approche suppose que l’insécurité entre adultes et la détresse de séparation sont les éléments qui sous-tendent les problèmes relationnels. Les besoins et désirs d’attachement étant essentiellement sains et adaptés, c’est dans la façon dont ces besoins et désirs sont exprimés que les problèmes surviennent. La dynamique interpersonnelle qui organise les interactions et façonne l’expérience émotionnelle dominante de chacun prend ainsi la forme d’un cycle réciproque de réactions d’autorenforcement caractérisé par des émotions négatives intenses.
Les cycles interactifs La dynamique interpersonnelle est « le client » en TCE de couple. Le but de la thérapie est alors de restructurer cette dynamique, par la création, dans le contexte présent, de nouvelles expériences émotionnelles caracté risées par des interactions qui favorisent un attachement sécurisant. Cette nouvelle dynamique agira comme antidote au cycle interactif négatif et elle redéfinira la dynamique interpersonnelle comme havre sécuritaire. Le modèle décrit quatre dynamiques interpersonnelles négatives, nommées en termes de comportements affectifs de chaque partenaire. Cycle interactif Poursuiveur/Poursuivi Ce cycle est de loin le plus commun. Un des partenaires dit « poursui veur » se montre exigeant, voire agressif, interagit avec un partenaire dit « poursuivi », qui demeure en retrait et qui est plus distant au niveau émotionnel. On peut comprendre la position de poursuiveur comme une protestation contre la séparation émotionnelle et celle de retrait comme une protection, un engourdissement face aux attaques de l’autre et qui à son tour déclenche une « panique » ou une agression chez le poursuiveur qui exige une réaction de la part de son conjoint. La plupart des autres dynamiques sont une variante de celle-ci. Le plus souvent, la conjointe est dans la position poursuiveur et le conjoint est dans celle du poursuivi. Par exemple, Janie se sent seule et mal-aimée dans sa relation de couple, ce qu’elle exprime à son conjoint Guillaume sous forme de reproches et de critiques : « Tu n’es pas là pour moi, je ne peux pas compter sur toi, tu ne t’intéresses qu’à toi… ». Guillaume a l’impression qu’il est inadéquat. Ce message est douloureux pour lui, alors il s’engourdit et se retire, en confirmant alors à Janie qu’elle doit se sentir seule et qu’il n’est pas là pour elle. Cycle interactif Poursuivi/Poursuivi (ou retrait – retrait) Dans cette dynamique, les partenaires évitent de s’engager émotionnelle ment et face au conflit, ils se retirent l’un de l’autre. La plupart du temps, il s’agit d’une dynamique « Poursuiveur/Poursuivi » où le poursuiveur a pro gressivement ou soudainement abandonné la poursuite. Ce désengagement
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du poursuiveur peut indiquer le début du deuil de la relation, ce qui le conduira à un état de détachement. Autrement, il peut s’agir d’un poursui veur « timide » qui éprouve une grande anxiété et qui abandonne la pour suite rapidement. Ces cycles sont difficiles à maintenir sur le long terme et se caractérisent par de l’engourdissement, la distanciation, le retrait et le refus d’engager l’autre. Par exemple, une épouse poursuiveuse abandonne la poursuite au fil des ans et se tourne graduellement vers ses amis/amies à l’extérieur de la relation conjugale. L’époux poursuivi ne s’en rend pas compte. Au bout de quelques années, par exemple lors du départ des enfants, elle lui annonce qu’elle le quitte. Il réagit en paniquant et en la poursuivant intensivement de peur de la perdre, ce qui peut provoquer la décision d’entamer une démarche de thérapie. Cycle interactif Poursuiveur/Poursuiveur (ou attaque – attaque) Normalement, ce cycle est le résultat d’une escalade d’un cycle poursuiveur/ poursuivi où le partenaire poursuivi lorsque provoqué, s’enflamme à son tour et répond à l’attaque par l’attaque. Suite à la dispute, le poursuivi se retire dans sa position habituelle jusqu’à ce qu’il soit provoqué à nouveau. Ces cycles caractérisent les couples très actifs, voire agressifs et sont faci lement reconnaissables. Souvent les thérapeutes sont intimidés par les couples pris de ce type de cycle. Cycles complexes Il s’agit d’une combinaison des cycles décrits ci-dessus, souvent lorsque l’un ou l’autre des partenaires souffre de traumatisme et où le niveau d’anxiété et d’évitement est élevé. Avec ce type de cycle, la séquence sera plus compli quée et pourrait exiger plus de temps à cerner pour le thérapeute. Par exemple, le mari fait des demandes exigeantes pour recevoir l’atten tion et la reconnaissance de sa conjointe. Elle se retire, ce qui provoque une escalade d’exigences de la part du mari et où la conjointe finit par se défendre en attaquant à son tour. Par la suite, les deux se retirent et la conjointe tombe dans une déprime qui dure quelques jours. Le mari reprend la poursuite doucement, elle répond graduellement et ils s’enlisent dans une période intensive de retrouvailles au niveau sexuel. Quelques jours plus tard, le cycle reprend à nouveau.
Les interventions Le processus : les stades Dans sa conception initiale, la TCE de couple correspond à une démarche de traitement en neuf étapes regroupées en trois stades. Ces étapes se suc cèdent et s’imbriquent les unes dans les autres, la suivante incorporant les éléments de la précédente. Chez un couple affichant un niveau moyen de
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détresse, les partenaires franchissent les étapes plutôt rapidement et au même rythme. Lorsque le seuil de détresse est plus élevé, le partenaire plus passif ou plus retiré est invité à prendre les devants dans les étapes. Le théra peute doit donc veiller à ce que ce partenaire s’engage émotionnellement et puisse rassurer l’autre sur sa disponibilité et son soutien. L’assurance de cet engagement aidera le partenaire plus critique et actif à s’adoucir, à adopter une attitude plus conciliante. Stade 1. Évaluation et « désescalade » La thérapie tente d’abord de rendre explicite la dynamique, à savoir « les pas de cette danse » en soulignant certaines émotions, compor tements et prises de position chez l’un et chez l’autre, sans toutefois vouloir changer cette dynamique. Ce stade comprend quatre étapes qui sont la création de l’alliance thérapeutique avec la détermination des sujets de conflit, la reconnaissance de la dynamique dysfonctionnelle et des enjeux de l’attachement, l’accès aux émotions primaires qui soustendent l’attachement et, finalement, l’évaluation et la désintensifica tion des cycles interactionnels problématiques. II s’agit, vers la fin de ce stade, de donner aux partenaires une méta-perspective de leur propre dynamique. Dans cette optique, en conformité avec le concept de causalité circu laire tributaire de la pensée systémique où la cause provoque un effet qui, à son tour, est la cause de l’événement suivant, les partenaires sont à la fois les acteurs et les victimes d’une dynamique qu’ils créent invo lontairement par une régulation émotionnelle inflexible. Cela engendre une dynamique dont les patterns d’interaction deviennent très contrai gnants, ce qui favorise alors une régulation contraignante des émo tions. Il s’agit donc d’un cercle vicieux duquel il devient très difficile de s’extraire. En présentant la dynamique de cette manière au couple, on évite que les partenaires se blâment l’un et l’autre, et on promeut qu’ils mettent plutôt le blâme sur la dynamique interpersonnelle. À la fin du stade, il y a une désintensification. Le thérapeute, avec la participation des partenaires, propose une reformulation du problème qui résonne avec le vécu de chacun et qui cible la dynamique interpersonnelle, plu tôt que l’autre partenaire, comme l’ennemi à vaincre. Les partenaires s’aperçoivent qu’ils participent, sans le vouloir, à créer « leur propre misère ». S’ils acceptent cette reformulation, les changements qu’ils doivent apporter à leurs comportements deviennent plutôt évidents. En revanche, si la thérapie s’arrête à ce stade, il est peu probable que le couple soit en mesure de maintenir ses gains sans sombrer de nouveau dans la dynamique dysfonctionnelle. Une nouvelle dynamique, qui pro meut la sécurité d’attachement et des émotions positives, doit être mise en place.
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Stade 2. Changements dans les prises de position interactionnelles Ce stade comprend trois étapes qui visent à rendre explicites les besoins, les peurs et les croyances sur soi, ensuite de promouvoir l’acceptation de ceux-ci chez l’autre partenaire. Enfin, il s’agit de favoriser l’engagement émotionnel et l’expression des besoins de chacun, en suscitant et façonnant les événe ments-clés de changement. C’est au sein de cet événement critique de rappro chement affectif (bonding event) que chaque partenaire est invité à changer sa prise de position, à se risquer à faire confiance à l’autre et ainsi à participer à la transformation de la dynamique interpersonnelle. Le but premier est d’amener le partenaire poursuivi à se réengager dans la relation et à récla mer vigoureusement les conditions de son réengagement. Par exemple, un homme pourrait dire à sa conjointe : « Je veux être là pour toi. Je sais que je suis distant, c’est ma façon de me protéger. Mais je ne peux plus supporter toutes ces attaques. Je veux qu’on trouve une autre façon. » Un second objec tif est d’obtenir le « relâchement » de la prise de position amère et critique du partenaire poursuiveur, en encourageant une prise de position plus vulné rable qui lui permette de demander que soient comblés ses besoins d’attache ment. Ce relâchement émotionnel favorisera une réponse positive de la part de l’autre, qui n’aura pas à contrer sa colère et sa critique. À la fin de ce stade, une nouvelle forme d’engagement émotionnel est possible. Le thérapeute encouragera ces moments d’engagement pendant la séance, en sachant qu’ils peuvent également avoir lieu à l’extérieur de la thérapie. Les partenaires sont alors plus en mesure de se confier et de trouver le réconfort auprès de l’autre, qui est dorénavant plus accessible, attentif et soutenant. Stade 3. Consolidation des changements, intégration à la vie de tous les jours Ce stade a pour but de bien ancrer les nouvelles prises de position et d’inté grer ces changements à la vie de tous les jours. Le thérapeute peut revoir les progrès de chaque partenaire au cours de la démarche thérapeutique tout en favorisant une narration cohérente de son parcours. Il peut également soutenir les partenaires dans la résolution de problèmes concrets qui, autre fois, auraient eu des effets néfastes sur leur relation. Cela s’avérera beaucoup moins difficile étant donné que ces problèmes ne seront plus teintés d’un affect négatif envahissant, car ils ne menacent plus la relation. Les parte naires sont en mesure d’afficher ouvertement leurs besoins d’attachement et les émotions primaires qui leur sont tributaires. Pour le partenaire plus en retrait, il s’agit de démontrer sa disponibilité, son soutien et son besoin de valorisation, alors que pour le partenaire plus actif, il s’agit d’exprimer sa peur d’abandon et son désir de proximité. Ces expressions interpellent de nouvelles réponses chez l’autre, constituant ainsi l’établissement d’une dynamique différente caractérisant une relation sécurisante. Lorsque le couple franchit ces étapes avec succès, il semble être en mesure de résoudre
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des conflits de longue date et de régler des problèmes concrets, ces derniers étant maintenant dénués de leur connotation de menace de l’attachement.
Interventions thérapeutiques Dans un premier temps, les interventions peuvent viser le maintien de l’alliance thérapeutique ou la prise de conscience élargie d’un sentiment, d’une émotion, ces deux visées contribuant à la prise de conscience de la dynamique interrelationnelle, avec les prises de position de chacun, leurs émotions primaires et secondaires, leurs comportements et perceptions. Il y a souvent un élément de recadrage positif visant à encourager le développe ment d’une vision positive d’autrui. À la lumière de la théorie de l’attache ment, même les comportements les plus inusités sont interprétés comme des tentatives, souvent inefficaces, de rapprochement vers l’intimité et le bien-être conjugal. Dans un deuxième temps, les interventions viseront la restructuration de la dynamique interactive où le poursuivi sera encou ragé à prendre une place plus active dans la relation et où le poursuiveur sera encouragé à faire confiance à son conjoint en « relâchant » sa prise de position amère et critique et en demandant à l’autre de répondre à son besoin d’affection. Dans la TCE-C, on fait appel aux interventions suivantes pour démarrer et faire avancer le processus thérapeutique. Les mêmes inter ventions pourront servir des objectifs différents, en fonction du stade dans lequel le couple se trouve. Refléter l’expérience émotionnelle Il s’agit de se concentrer sur le processus de la thérapie, construire et main tenir l’alliance et clarifier les réponses émotionnelles sous-jacentes aux prises de position interactionnelles. Le reflet est l’intervention de base ; on souligne ici l’importance d’un accordage au niveau de l’empathie et de la dynamique interactive. Thérapeute : « Pourriez-vous m’aider à comprendre ? Je crois que vous dites que vous devenez si déprimé, si découragé dans ces situations que vous vous trouvez à vouloir prendre le contrôle de tout, parce que le sentiment d’être découragé est tellement envahissant. Est-ce bien cela ? Dès lors, vous commencez à faire des reproches à votre femme. Est-ce que je comprends bien ? »
Valider l’expérience de chaque partenaire Légitimer les réponses et encourager les clients à continuer l’exploration, à savoir comment ils construisent leurs expériences et leurs interactions ; construire l’alliance. Thérapeute : « Bien sûr, je vous comprends, vous vous sentiez si désemparé que vous ne pouviez pas vous reposer, c’est normal dans ces circonstances. Lorsque vous êtes si démoralisé, vous ne pouvez même pas vous relâcher. Est-ce bien cela ? »
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Questions et réponses évocatrices : refléter et questionner Rendre plus explicites certains éléments marginaux de l’expérience afin de promouvoir la réorganisation de celle-ci ; formuler des éléments incertains et marginalisés de l’expérience et encourager l’exploration et l’engagement. Cela peut se passer par des questions ouvertes, les stimuli, les réponses phy siologiques des partenaires, les désirs qui leur sont associés et la significa tion ou la tendance à l’action. Thérapeute : « Qu’est-ce qui vous arrive en ce moment, lorsque vous entendez votre conjoint vous dire à quel point il s’est senti seul ? » ; « Comment vivez-vous cela ? » ; « Lorsque cela arrive, une partie de vous désire s’enfuir, si j’ai bien compris… »
Rehausser les réponses émotionnelles et les positions interactionnelles Souligner les expériences-clés responsables des réponses envers le parte naire et les nouvelles formulations des expériences qui vont réorganiser la dynamique interrelationnelle. Il s’agit d’utiliser des répétitions, images, métaphores ou mises en acte. Thérapeute : « Pourriez-vous lui dire cela, directement à elle, à quel point vous avez peur ? » ; « Il semble que cela soit très difficile pour vous, comme d’escalader une montagne, c’est très épeurant » ; « Pouvez-vous vous tourner vers lui et lui dire : “C’est trop difficile à demander. C’est trop difficile à demander que tu me tiennes la main” ? »
Émettre des suppositions de manière empathique ou proposer une interprétation Clarifier et formuler de nouvelles interprétations, particulièrement sur les positions interactionnelles et les définitions des schèmes opérationnels du soi. Ces interventions sont analysées de façon plus détaillée dans Johnson (1996), y compris les indices spécifiant le moment où celles-ci sont utilisées et la description des processus dans lesquels les partenaires s’engagent. Thérapeute : « Vous ne croyez pas que quelqu’un puisse voir cette partie de vous et vous accepter tel quel, est-ce bien cela ? Alors vous avez l’impression que vous n’avez pas le choix, vous devez vous cacher ? »
Suivre, refléter et rejouer les interactions Ralentir et clarifier les pas de la dynamique interpersonnelle ; rejouer les séquences interactionnelles-clés. Thérapeute : « Qu’est-ce qui vient tout juste de se passer ? Il semble que vous vous soyez éloignée de votre colère pour un instant et ayez fait appel à lui. Est-ce bien ça ? Mais, Jacques, vous ne portiez attention qu’à sa colère et vous êtes donc resté caché derrière votre barricade. »
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Recadrer dans le contexte du cycle et du processus d’attachement Modifier la signification des réponses spécifiques et favoriser l’adoption de perceptions positives de l’expérience du partenaire. Thérapeute : « Vous vous paralysez parce que vous vous sentez sur le bord de la perdre, est-ce bien cela ? Vous vous “congelez” parce qu’elle est tellement importante pour vous, et non parce que vous vous en souciez peu. »
Restructurer et former les interactions Clarifier et rendre plus explicites les dynamiques interrelationnelles négatives. Mettre en jeu les prises de positions présentes et les nouveaux comportements fondés sur les nouvelles réponses émotionnelles et « choré graphier » les événements-clés de changement. Thérapeute : « Pouvez-vous lui dire : “Je vais t’ignorer, tu n’auras pas la chance de me ravager encore une fois” ? » ; « C’est la pre mière fois que vous mentionnez cette honte. Pourriez-vous lui parler de cette honte ? » ; « Pouvez-vous lui demander s’il-vousplaît ? Pouvez-vous lui demandez ce dont vous avez besoin en ce moment ? »
Technique précise lors des impasses dans le processus de changement Une impasse peut apparaître par exemple lorsqu’un couple a de la diffi culté à s’identifier à la dynamique interactive négative proposée ou si des émotions très fortes empêchent l’intervention. Le thérapeute peut alors sug gérer des images ou raconter des anecdotes représentatives qui relatent de façon très imagée la dynamique dans laquelle le couple se trouve piégé. Ces anecdotes (disquisitions) reflètent les processus interactionnels du couple, mais avec un certain niveau de détachement (Millikin et Johnson, 2000 ; Johnson, 1996), ce qui les rend moins menaçantes et donc plus susceptibles d’être adoptées comme illustrations de leur propre situation. Il s’agit d’une intervention indirecte qui offre au couple une image claire, sans toutefois exiger de réponse dans l’immédiat. Thérapeute : « II y a quelque chose ici qui me fait penser à un autre couple avec qui j’ai travaillé, peut-être que ça ne s’applique pas à votre situation, ce n’est peut-être pas du tout semblable, mais pour ce couple, la conjointe la plus active se rendait au point où elle voulait que l’autre souffre aussi. Elle désirait tellement avoir un contact avec lui, avoir au moins un effet sur cette personne qui semblait étanche et hermétique, qu’elle finissait par le marteler continuellement, juste pour s’assurer qu’elle n’était pas ignorée ou laissée pour compte. L’autre conjoint avait l’impression d’être attaqué, sans relâche et de façon effrénée, et se creusait une tran chée de plus en plus profonde, pour s’arc-bouter, pour accroître
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sa position défensive. Un genre de “tu ne m’auras pas”, mais ça devenait épuisant de toujours être aux aguets, à anticiper la prochaine fusillade pour l’éviter, toujours prêt à courir et à fuir. Ça devenait une sorte d’enfer pour les deux, mais chacun était tellement pris dans sa position, jamais elle ne cessait ses attaques, jamais il n’abaissait ses défenses… et le plus triste est qu’ils sont restés pris dans cette dynamique pendant des années, voire pen dant toute leur vie… jusqu’au moment où elle a appris qu’elle était atteinte du cancer. »
Travail sur les blessures La recherche sur le processus de changement dans la TCE-C a permis de cerner un événement particulier qui risque de bloquer l’établissement d’un nouveau lien sécurisant, qu’on nomme « blessure d’attachement » ( Johnson et Whiffen, 1999). Certains théoriciens de l’attachement font remarquer que, lors d’une crise ou d’une situation urgente, la façon de répondre du partenaire peut avoir un effet marquant, voire disproportionné, sur la qua lité de l’attachement (Simpson et Rholes, 1994). De tels incidents viennent confirmer ou infirmer les suppositions faites sur le lien d’attachement et sur la fiabilité du partenaire. Ces situations, où le partenaire se sent abandonné, trompé ou trahi sont négatives au niveau de l’attachement du couple. Elles surviennent lors d’événements critiques tels qu’une perte, un danger phy sique, une infidélité ou une période de grande incertitude peuvent être vues comme des traumatismes relationnels (Johnson et al., 2001) et causent souvent des torts considérables à la relation. Au cours de la thérapie, ces incidents refont souvent surface de façon très vive et envahissent le vécu actuel du partenaire blessé. Lorsque l’autre partenaire ne répond pas de façon rassurante et réparatrice, ou lorsque le partenaire blessé n’est pas en mesure d’accepter cette réponse, la blessure s’aggrave et s’ancre dans la dynamique interpersonnelle. Au fur et à mesure que les partenaires vivent des échecs dans leurs efforts pour surmonter ces blessures et à réparer les liens brisés entre eux, leur aliénation et leur désespoir augmentent. Par exemple, lorsqu’une femme a subi une fausse-couche et que son mari s’est aperçu qu’elle perdait du sang et qu’elle tremblait, le mari s’est mis en mode « automate », a pris le contrôle de la situation et l’a accompagnée en silence jusqu’à l’hôpital. Profondément perturbé, il s’est maîtrisé pour ne pas aggraver la détresse de sa conjointe, refusant toujours de discuter de l’événe ment. De son côté, elle s’est sentie profondément trahie et a bandonnée par son refus d’en parler, le croyant insensible et endurci devant sa propre détresse. Cette perception de trahison était à la source d’une profonde méfiance, et elle restait incapable de se rapprocher de son mari. Une telle blessure risque de s’instaurer au centre du dialogue du couple et de miner la mise en place de nouvelles dynamiques positives.
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Premièrement, le thérapeute aide le partenaire blessé à rester en contact avec les émotions douloureuses qui sont associées à la blessure et il facilite l’expression de leur impact et de leur signification par rapport à l’attache ment. À ce stade initial, de nouvelles émotions peuvent surgir, telles que la colère, qui évoluent en expression claire de douleur et d’impuissance, ou de peur et de honte. Le lien entre cette blessure et la dynamique interper sonnelle négative devient alors explicite. Par exemple, une partenaire peut dire : « Je me sens si impuissante. Oui, je l’ai frappé pour lui montrer claire ment qu’il ne pouvait faire semblant que je n’étais pas là. Il ne pouvait pas simplement ignorer ma douleur comme cela. Depuis ce temps-là, je ne lui ai jamais plus fait confiance. » Deuxièmement, l’autre partenaire commence à comprendre la signification de la blessure à l’égard de l’attachement comme un reflet de l’importance qu’elle a pour le partenaire blessé plutôt que comme le reflet de sa propre insensibilité ou de son comportement inadéquat. Ce partenaire reconnaît alors la douleur et la souffrance du parte naire blessé et s’explique sur sa version de l’événement. Troisièmement, le partenaire blessé tente de s’approprier une définition plus complète et inté grée de la blessure ; il exprime son chagrin par rapport à la perte que cette blessure a provoqué et sa peur devant la perte du lien d’attachement. Ce partenaire permet à l’autre d’être témoin de sa vulnérabilité. Quatrième ment, l’autre partenaire s’engage davantage au niveau émotionnel ; il recon naît sa part de responsabilité dans la blessure d’attachement et exprime son empathie, ses regrets ou ses remords à son partenaire blessé. Cinquième ment, le partenaire blessé se risque à demander réconfort et affection auprès de son conjoint, ce qui n’a pas eu lieu lors de l’événement blessant. Une réponse consolante et affectueuse agira comme antidote à la blessure d’atta chement. Sixièmement, les partenaires sont en mesure d’élaborer ensemble une nouvelle narration de l’événement. Cette narration plus ordonnée et complète comprend, pour le partenaire blessé, une description claire et satis faisante de l’expérience et des motifs de l’autre lors de l’événement en ques tion. Lorsque la blessure d’attachement se sera résorbée, le thérapeute sera en mesure d’encourager la confiance envers l’autre afin d’entamer la mise en place d’une dynamique positive.
La TCE de couple selon Greenberg et Goldman Survol des principes-clés Greenberg et Goldman (2008) reprennent le modèle de base développé par Greenberg et Johnson (1988), en mettant l’accent sur la régulation des affects dans la dynamique du couple. Ils reprennent l’idée fondamentale de Ekman et Davidson (1994) qui emphasent que les êtres humains cherchent à maximiser les expériences émotionnelles positives et à minimiser les
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expériences émotionnelles négatives. Ainsi, l’individu recherche naturelle ment les affects de calme, de joie, de plaisir, de fierté, d’excitation alors qu’il cherche à éviter la douleur, la honte, la peur et les affects reliés à la survie. Par conséquent, les pensées et les actions sont reliées à des buts affectifs positifs ou négatifs. De ce fait, les relations affectives sont une source importante d’émotions. Le rapprochement de l’autre déclenche un sentiment de sécu rité, de valorisation, de bien-être, de confiance où on se sent compris ou reconnu comme un être unique et important. La régulation de l’affect étant, selon Greenberg et Goldman, une motivation première, les êtres humains recherchent des relations soutenantes et d’amour pour les émotions positives qu’elles procurent et se retirent des relations non soutenantes et jugeantes, pour éviter les émotions négatives où on se sent mal. Ainsi, « les émotions régulent donc les couples et les couples r égulent les émotions » (Greenberg et Goldmann, 2008, p. 42). La régulation de l’affect est donc le fondement de toute relation intime et donc de la thérapie de couple.
La régulation des affects Le développement de la régulation de l’affect débute dans l’enfance et se retrouve dans les relations adultes (Gross, 2007). Cette régulation se réa lise souvent de manière implicite, non verbale, les partenaires étant bien plus souvent affectés par ces mêmes canaux, que par le contenu verbal. Ce qu’ils entendent dans la voix ou lisent sur le visage de l’autre ou ressentent dans le contact auprès de leur partenaire a bien souvent plus de valeur que les mots. L’expression émotionnelle influence la réponse émotionnelle de l’autre. Se sentir proche, connecté à l’autre, recevoir une validation empa thique, se sentir libre de s’exprimer, conditionnent les besoins d’identité et de compétence. Lorsque l’on se sent systématiquement incompris, pas bien et en insécurité – en colère, honteux, ou anxieux–, la relation devient fragile et conflictuelle. Les gens cherchent dans la relation un sentiment de bien-être, d’être pris en compte et de recevoir de bons soins (Fosha, 2000). Néanmoins, il arrive que le partenaire ne puisse pas apporter cette régula tion, par exemple parce qu’il est stressé, ou débordé ou parce qu’il trouve les demandes de l’autre trop intenses. Dans ce cas, il devient important que l’individu développe la capacité de s’autoréguler afin que sa détresse ne se présente pas sous forme d’attaques ou de retraits vis-à-vis de son partenaire. L’équilibre relationnel dépend non seulement de la capacité de l’individu à s’autoréguler, mais aussi de sa capacité à l’exprimer et à accueil lir celle de son partenaire. Tous les partenaires ont besoin d’une réponse chaleureuse et empathique de l’autre pour se sentir aimés et appréciés. Les individus qui souffrent de blessures ou de difficultés en lien avec d’anciennes relations ou qui ont eu une histoire traumatique, sont particuliè rement sensibles. Le partenaire qui peut offrir une réponse empathique et de la reconnaissance aux sentiments vulnérables de ce partenaire, permet aussi
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une expérience émotionnelle correctrice. À l’aide du thérapeute, chacun développe la capacité de prendre soin de soi et de supporter les frustrations plutôt que d’exploser de rage ou de se retirer en s’isolant (en « boudant ») pendant des jours. Les difficultés des couples sont des échecs au niveau de la régulation des affects, des réponses affectives et de leurs communications. En TCE-C, les partenaires travaillent non seulement à apprendre à révéler leur vulnérabilité, mais aussi à recevoir la réponse de l’autre, ainsi qu’à faire face à leurs propres émotions. Le thérapeute accompagne le partenaire lorsqu’il se montre très vulnérable de manière validante et empathique : « Lorsque c’est comme cela, vous vous sentez si désespérément seule… votre partenaire ne sera jamais là pour vous… c’est comme si vous aviez besoin d’eau au milieu du désert… c’est tellement dur d’avoir besoin de lui et qu’il ne réponde pas… »
Les systèmes motivationnels Selon Greenberg et Goldman (2008, p. 42), les émotions et les motivations sont intrinsèquement reliées, en effet, ces auteurs assument que « sans émo tions, il n’y a pas de motivation ». Les émotions sont des indicateurs de besoins. Les besoins concernent l’attachement, la valorisation, l’identité et l’estime de soi. La régulation de l’affect est le vecteur des motivations et des comportements du couple, qui s’applique au niveau de trois dimensions, considérées aussi importantes que les unes que les autres : l’attachement, l’identité et la sensation d’attraction (voir chapitre 2). Dimensions liées à l’attachement Cette dimension, qui a été développée précédemment (chapitre 2), se réfère aux besoins primordiaux des êtres humains (Goldman et Greenberg, 2013). En résumé, il s’agit de la part de chaque partenaire de satisfaire les besoins suivants : • proximité : « Est-ce que tu es là pour moi ? » ; • disponibilité : « Est-ce que tu peux répondre quand j’ai besoin de toi ? » ; • réceptivité : « Peux-tu me donner ce dont j’ai besoin, pour me soutenir ? ». Dimensions identitaires Greenberg et Goldmann (2008) considèrent l’identité comme une expé rience consciente d’un soi unique et en constante évolution qui permet de donner du sens aux expériences et qui se construit aux travers d’elles. Ce processus interne dialectique est plus ou moins implicite. Le dévelop pement de l’identité est influencé par une multitude de facteurs géné tiques, environnementaux et sociaux. Ce processus se met en place dans les relations d’attachement primaires, au travers de la proximité, de la disponibilité et de la validation avec l’autre significatif (voir la discussion au chapitre 2). Afin de donner du sens et des buts à sa vie, l’adulte crée cer taines identités : « le qui je suis ». Il a besoin pour cela de la validation et de la reconnaissance de l’autre. Ces besoins sont propres aux partenaires
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au sein du couple, en fonction aussi des valeurs et normes socioculturelles du couple, dans le contexte de son tissu social, marqué par le rang social, l’identité et l’accès aux ressources (Gilbert, 2003). Ainsi, les menaces du sentiment d’identité, de valeur engendrent chez l’individu des comporte ments agressifs dominants, de pouvoir ou de contrôle. Ces comportements peuvent viser à maintenir un sentiment du soi et de l’identité. Cela peut aussi passer par le besoin d’attirer l’autre, d’être reconnu. L’individu peut « se battre » pour se faire reconnaître et assurer sa place, son identité dans le couple, engendrant une lutte dite de « dominance » (Greenberg et Goldman, 2008 ; Goldman et Greenberg, 2013). Dans ces situations conflictuelles, le partenaire « soumis » ressent de la honte, de la déva lorisation. Lorsqu’il le montre, cela va automatiquement réactiver de la colère chez le partenaire se trouvant dans la position de « dominant ». Les comportements d’humiliation, d’insultes, de manque de soutien engendrent des blessures de l’estime de soi et de l’identité. L’expression de mépris ou de dégoût peut être un indice de communication montrant la supériorité de la personne face à l’autre, afin de protéger son estime de soi et sa position dans les yeux de l’autre. D’après Gottman (1994), c’est une manière de maintenir son identité qui est particulièrement destructrice. Dans les cycles négatifs, la honte est typiquement suivie par la rage, la colère, ensuite par la tristesse et la culpabilité. Les sentiments d’impuis sance peuvent conduire à la violence. Dans ce cas, la rage est secondaire et permet d’éviter les émotions primaires de la honte et de l’humiliation dans le contexte intime. Des sentiments d’impuissance peuvent empoi sonner la relation et conduire à des comportements d’abandon, de dés investissement de la relation intime. Plutôt que de réagir par la domination, une autre façon de protéger l’iden tité peut être par le retrait. Au lieu de se mettre en colère, le partenaire perd la confiance et se retire derrière « un mur de protection » pour éviter d’être cri tiqué et blessé, la relation devenant dès lors dysfonctionnelle. La TCE visera alors à développer chez les partenaires du couple la capacité de tolérer à la fois la frustration de leurs besoins et la perte de contrôle, afin de permettre une reconnaissance de l’autre comme personne à part entière. Les partenaires sont encouragés à valider avec l’autre ses droits, ses sentiments, et ses envies afin de passer de la confrontation à la différenciation et à l’apaisement. Lors des conflits de domination, l’enjeu principal n’est pas celui de l’atta chement ou de la distanciation affective. Cependant, ces derniers peuvent être affectés par le déclenchement de l’anxiété secondaire d’abandon et d’insécurité (p. ex., « Si tu vois comme je suis affreux, tu pourrais m’aban donner » ou « Si tu ne me valorises pas assez, je dois t’abandonner »). Dans ces cas, où les menaces au niveau de l’identité activent les besoins liés à l’attachement, il est préférable d’aborder en premier lieu les besoins d’iden tité et les questions liées à l’attachement par la suite.
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Dimensions liées aux sentiments d’attraction Selon la théorie des émotions de Frijda (1986 ; voir chapitre 2), les per sonnes restent en relation en raison des sentiments positifs que la relation leur procure. Nous cherchons la proximité avec un partenaire sécurisant et qui est source d’un ensemble de sentiments positifs. La présence de sentiments positifs, comme l’attirance, le sentiment d’être apprécié et de plaire, l’excitation, l’intérêt, déclenchent un bien-être qui favorise le rapprochement. Ces sentiments sont les moteurs des comportements de rapprochement – versus d’éloignement – et par conséquent sont des fac teurs ayant une portée sur l’amélioration et la satisfaction relationnelle (Gottman, 1994).
Les interventions Le processus : les stades Greenberg et Goldman (2008) ont développé à partir du processus théra peutique initial (Greenberg et Johnson, 1988) un modèle de traitement en cinq stades. Stade 1. Validation et formation de l’alliance Ce stade permet l’établissement d’une alliance collaborative et sécurisante entre le thérapeute et le couple. Elle est obtenue par le biais de la validation de la douleur émotionnelle de chaque partenaire et de la formation d’un lien affectif avec chacun (Greenberg et Goldman, 2008). Le lien entre le couple et le thérapeute est essentiel d’une part, afin d’aider la réduction de l’anxiété de chaque partenaire, d’autre part, afin de leur permettre de se sen tir suffisamment en sécurité pour se révéler émotionnellement et s’exposer (Greenberg et Goldman, 2008). Le thérapeute tente aussi de comprendre les préoccupations fondamentales du couple et comment il aborde les enjeux en lien avec l’attachement et l’identité. Stade 2. Désescalade du cycle négatif Le thérapeute travaille principalement à réduire la réactivité émotionnelle entre les partenaires (Greenberg et Goldman, 2008). Les problèmes du couple sont extériorisés, nommés et traduits sous la forme d’une dyna mique, d’un cycle. De cette manière, une distance affective se crée entre le couple et son problème. En collaboration avec le thérapeute, chaque parte naire prend conscience de son rôle dans le cycle interactionnel identifié et de ses besoins d’attachement et d’identité, ainsi que le lien avec des enjeux individuels significatifs tels qu’un traumatisme ou des besoins non satis faits durant la petite enfance ou lors d’une ancienne relation (Greenberg et Goldman, 2008). Cela permet au couple de reformuler leur problème en termes de besoins inassouvis plutôt qu’en termes de défauts, réduisant ainsi encore la réactivité émotionnelle.
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Stade 3. Accéder aux émotions sous-jacentes Lorsque les partenaires arrivent à exprimer leurs sentiments de vulnérabilité sans accusation, l’interaction devient plus facile et abordable (Greenberg et Goldman, 2008). Cela crée un contexte plus sûr pour chaque partenaire, qui peut plus facilement demander de l’aide et exprimer ses besoins non satisfaits. En termes de cycle, l’accusateur exprime de la peur, de la tris tesse ou un sentiment de solitude. Alors que pour celui qui se distancie, il exprime souvent de l’anxiété ou de la colère. Pour les « dominants », il s’agit de honte, peur ou colère et pour les « soumis », de colère, de limites ou de peur. Cependant, lorsque certains partenaires rencontrent des difficultés à accéder et à exprimer leurs émotions primaires adaptées, le thérapeute travaille avec cette personne afin de lui permettre de surmonter les blocages et d’identifier les besoins et les aspects du soi dans la relation (Greenberg et Goldman, 2008). Stade 4. Restructuration de l’interaction négative Il est essentiel que les partenaires soient en mesure d’accepter et de valider leurs émotions, leurs besoins et ceux de leur partenaire (Greenberg et Goldman, 2008). S’il existe des blocages liés à des émotions mal adaptées en lien avec la réponse du partenaire (méfiance, protection, validation), on doit y accéder et les explorer afin de favoriser leur transformation. Lorsque les partenaires sont capables d’entendre l’autre exprimer ses besoins, cela indique que leurs schèmes émotionnels et comportementaux ont changé. Il est alors possible de restructurer le cycle de l’interaction. Lorsque le parte naire – qui avait tendance à faire des reproches, des critiques en exprimant de la colère – s’apaise, l’autre se sent plus confortable, apaisé et donc prêt aussi à lui tendre la main et à prendre le risque de se réengager dans la relation. De même, lorsque le « dominant » diminue ces comportements de dominations, le « soumis » peut prendre le risque de plus s’affirmer. Une fois que les partenaires deviennent plus accessibles les uns aux autres, il faut alors s’engager dans le travail thérapeutique, afin qu’ils apprennent à s’apai ser. Ils seront alors en mesure de transformer leurs émotions mal adaptées lorsque l’autre partenaire ne sera pas disponible ou réceptif (Goldman et Greenberg, 2013). Stade 5. Intégration et consolidation Dans la phase finale, le thérapeute et le couple travaillent ensemble pour intégrer les nouveaux schémas interactionnels. Cette intégration est faci litée par la création d’un nouveau récit de couple, qui reconnaît et pro meut les gains réalisés en thérapie. À la fin de la thérapie, ce nouveau récit comprend la validation de la nouvelle dynamique, la capacité de régulation de ses propres affects et de ceux de l’autre, et une prise de conscience de soi et de son partenaire accrue (Greenberg et Goldman, 2008).
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Interventions thérapeutiques Le thérapeute est ici considéré comme un « coach des émotions ». Le concept du « coaching » repose sur la prémisse que les partenaires ont des ressources et un potentiel de croissance qui peut être développé par un entraînement spécifique au niveau des émotions (Greenberg et Goldman, 2008). Ce travail se situe au niveau de la conscience émotionnelle et de l’expression émotionnelle. Pour ce faire, le thérapeute TCE-C pourrait proposer des tâches à domicile entre les séances, par exemple, proposer à un mari d’observer ce qu’il ressent lorsqu’il est la cible des critiques. De même, à son épouse, il pourrait lui proposer d’observer ce qu’elle ressent lorsqu’elle se sent invalidée. Le mari pourrait rapporter se sentir inconsidéré et la femme ressentir de la honte. Conformément à l’origine humaniste de la TCE, le thérapeute ne commande ni prescrit de changement. De même, il sera soucieux de ne pas « juger » les partenaires en utilisant des termes susceptibles de compromet tre la cohésion du couple. Par exemple, il est proscrit d’affubler un parte naire de « manipulateur, narcissique, ou infantile ». Le thérapeute considère plutôt les deux partenaires comme faisant de leur mieux, compte tenu de leurs vécus, pour obtenir la proximité et la validation de l’autre, ce qui est radicalement différent que de concevoir l’un ou l’autre des partenaires comme étant problématique ou dysfonctionnel. Sophie et Nicolas sont en couple depuis 20 ans. Lors de leur rencontre avec le thérapeute, ils décrivent une dynamique « dominant/soumis ». Sophie se sent constamment critiquée et sous l’emprise de Nicolas, qui, à son tour, ne se sent pas assez considéré par Sophie. Le thérapeute cherche à désamorcer les tensions en mettant l’accent sur la manière dont les deux partenaires participent activement à la dynamique et en explorant les émotions et les besoins qui sous-tendent la prise de position de chacun (dominant/soumis). Thérapeute : « Sophie, je vois que vous êtes agitée, que vous cher chez à vous défendre… c’est pareil pour vous, Nicolas… Nous allons essayer de nous arrêter un peu afin d’essayer de voir ce qui se passe là derrière. » [Le thérapeute décrit leur comportement et invite le couple à regarder la situation autrement en explorant leurs expériences sous-jacentes.] Sophie : « Je suis énervée parce qu’il m’accuse encore une fois, j’ai l’impression que quoi que je fasse, c’est toujours mal, Nicolas. » (soupir) T. : « Hm-mm, pouvez-vous prendre quelques instants pour regar der ce qui se passe dans votre corps quand vous dites cela ? » [Le thérapeute se concentre sur l’ici et le maintenant et guide Sophie à observer les émotions qui sous-tendent sa réaction.] S. (soupir) : « Um, je crois que je me sens triste… triste de nous voir nous disputer encore… triste que je n’arrive pas à lui montrer que j’avais de bonnes intentions quand j’ai appelé sa sœur. »
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T. (d’une voix douce) : « Oui, cela semble vraiment douloureux… de sentir ses intentions et ses comportements mal compris. » S. : « Exactement ! Je me sens incomprise et critiquée. (voix tremblante) … ça me fait mal. »
Le thérapeute, « coach de l’émotion », guide les partenaires vers les sen timents présents, mais qui n’ont pas encore été exprimés. Parallèlement, il porte une constante attention au processus de changement dans les inter actions du couple. Il reflète les actions qu’il constate sur le plan systémique et en évitant un langage péjoratif, en les intégrant dans la dynamique interactive négative du couple. T. : « Mm-hm. Généralement, que faites-vous quand ce genre de sentiment arrive ? » [Le thérapeute tente d’établir le lien entre son comportement et les émotions sous-jacentes de Sophie dans le but d’explorer son rôle dans le cycle du couple.] S. (d’une voix douce) : « Bien – j’ai tendance à me refermer et à ne plus rien dire. C’est comme si je me disais à moi-même “à quoi ça sert de discuter ?” » (T. : « mm-hm »)… « et puis je commence à penser que peut-être il a raison. (soupir) Et puis je commence à douter de moi-même et là, je me sens déprimée. » T. : « Oui, je comprends. On dirait que vous dites que vous vous sentez vaincue et impuissante, comme si vous vous résignez à vous soumettre, même si vous êtes en désaccord. » [Le thérapeute reflète l’expérience émotionnelle avec la position qu’elle adopte dans la dynamique.] S. : « Oui ! Exactement… et je supporte mal qu’il doive avoir toujours raison, donc je finis par l’éviter pour ne pas me sentir si seule. » [La dimension de l’attachement est affectée : leur lutte pour le pouvoir conduit Sophie à se sentir seule et distante de Nicolas.] T. : « Nicolas, saviez-vous ce qui se passait pour Sophie ? » Nicolas : « Euh, oui et non, je veux dire que je le savais, mais je ne savais pas combien elle était touchée. » T. : « Et que se passe-t-il à l’intérieur de vous, quand vous l’entendez parler de comment elle se sent critiquée et vaincue ? » [Le thérapeute oriente Nicolas vers son corps afin d’aller plus loin dans l’explora tion de sa réaction émotionnelle.] N. : « Cela me fait me sentir mal. Je sais que je peux être difficile et me mettre vraiment en colère, mais euh, parfois, vous savez, elle aussi me fait me sentir mal. » T. : « OK et quand vous vous sentez mal, voulez-vous dire “invi sible” ? Il me semble que c’est ce que vous disiez la dernière fois. » N. : « Oui, exactement, comme si elle ne me respectait pas, ne tenait pas compte de moi… alors je perds le contrôle et ça me rend furieux. » [Nicolas fait le lien entre son comportement et sa réaction émotionnelle sous-jacente.]
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T. : « Et c’est là que la dynamique se réactive. Le cycle peut commencer avec l’un ou l’autre… il me semble que de votre côté, Nicolas, cela démarre quand vous vous sentez ignoré par Sophie et que cela active ce sentiment de dévalorisation et que vous réa gissez avec rage. » [Le thérapeute identifie l’émotion primaire (la honte) et les émotions secondaires (la rage).] N. : « Oui. » T. : « C’est alors que Sophie commence à se sentir incomprise parce qu’elle n’a pas l’intention de vous dévaloriser et donc elle se sent impuissante et vaincue et finit par se soumettre à ce que vous dites, mais intérieurement, elle se sent réellement en colère et par la suite s’éloigne de vous. Nous devons donc comprendre ce que vous pouvez faire lorsque ce sentiment d’être invisible ou sans valeur se déclenche afin qu’il ne génère pas une lutte de pouvoir entre vous, et aussi ce que Sophie peut faire pour sentir qu’elle a aussi une place dans la relation. » [Le thérapeute décrit le cycle du couple sans blâmer les partenaires.]
En outre, le thérapeute entraîne le couple à s’engager dans de nouveaux comportements au sein de la session par l’intermédiaire de mise en acte. Il s’agit de moments significatifs porteurs d’émotions vulnérables, besoins qui vont participer au processus de changement de l’interaction du couple. Ces mises en acte permettront de restructurer les cycles interactionnels négatifs et les styles de communication. T. : « Nicolas, pouvez-vous vous tourner vers Sophie et lui dire ce qui se passe quand vous vous sentez invisible ? Je ne suis pas sûr qu’elle le sache vraiment car ce qu’elle voit surtout dans ces moments, c’est que vous prenez avec force beaucoup d’espace. Pouvez-vous la regarder et mettre quelques mots sur ce sentiment de valorisation ? » N. (inspirant profondément, se tournant vers Sophie) : « Eh bien, cela me rend vraiment mal à l’aise. Euh, c’est comme quand j’étais un gamin et que mon père m’ignorait, ne me regardait même pas quand je voulais lui dire quelque chose. » T. : « Et Sophie, je vois qu’il y a des larmes dans vos yeux, que se passe-t-il quand il dit cela ? » S. : « Je me sens triste pour lui. Il m’a déjà parlé de ses difficultés d’enfance, de sa solitude, mais je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse se sentir comme ça aujourd’hui. »
Travail avec les blessures Woldarsky Meneses et Greenberg (2011) ont étudié le processus de pardon interpersonnel, en utilisant une analyse de la tâche thérapeutique. Dans leur étude de validation (Woldarsky Meneses et Greenberg, 2014), ils ont constaté que l’expression de la honte associée à la blessure par « le parte naire blessant » était critique dans le processus de résolution du pardon. Plus
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précisément, les auteurs ont pu définir des facteurs facilitateurs du pardon interpersonnel : le partenaire blessant doit pouvoir exprimer de la honte (primaire adaptée) par rapport à ce qu’il/elle a fait – et non pas seulement de la culpabilité – et le partenaire lésé doit pouvoir l’accepter. Il faut noter que cette expression de la honte ne doit pas se faire sous la forme d’une autoflagellation, reflétant un schéma de soi inadapté de dévalorisation, ni paraître comme une forme de manipulation interpersonnelle, « pour être consolé ». En revanche, la honte et la détresse empathique servent à commu niquer qu’avoir blessé l’autre a eu un énorme impact sur le partenaire bles sant lui-même. Ainsi, contrairement au modèle de Millikin et Johnson (2000), qui soulignent que l’expression de vulnérabilité par le « partenaire blessé » est centrale dans le processus du pardon interpersonnel, Woldarsky Meneses et Greenberg (2014) ont démontré que c’est bien l’expression de la vulnérabilité du partenaire qui a blessé qui est fondamentale dans le proces sus de résolution du pardon interpersonnel. Peter : « Je me sens mal… (en regardant vers le bas) je suis vraiment, vraiment désolé. Je voudrais pouvoir revenir en arrière. » Thérapeute : « Et que se passe-t-il pour vous, Johanna, quand il vous dit cela ? » Johanna (soupir) : « Je suis un peu agacée en fait. Il l’a déjà dit – mais vous savez, la manière dont il le dit – je n’y crois pas vraiment… ! » T. : « Peter, pourriez-vous essayer encore en parlant directement à Johanna. Regarder la et dites-lui ce que vous ressentez. Elle a besoin de savoir comment cela vous affecte. » P. : « Je, je, euh, (en regardant Johanna)… (voix brisée) je ne peux pas encore me regarder dans le miroir, en sachant combien je t’ai blessé. Quand je repense à tout ce qui se passait pour toi… alors que moi, je cassais tout… ce qui était le plus important pour moi. (pleurs). Je sais que j’ai brisé quelque chose… ça me fait mal de savoir que je l’ai fait. » J. (les larmes aux yeux) : « Euh, je l’ai jamais entendu le dire comme ça… (en chuchotant) merci ! » T. : « Pourriez-vous lui dire comment il vous touche quand vous le voyez comme ça ? » J. : « Euh, c’est vraiment difficile pour moi de te voir souffrir. J’ai toujours eu le sentiment d’être seule dans ma tristesse mais main tenant je vois que toi aussi, tu es triste de ce qui nous est arrivé. »
Conclusions À notre connaissance, il n’existe pas d’autre texte qui regroupe les deux développements récents de la TCE-C. Nous avons tenu à le faire afin de rapporter au plus près l’historique de ces deux branches avec leur tronc commun, à savoir la TCE. De ce fait, les deux modèles partagent beaucoup
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de points communs quant à leurs origines ; ils intègrent les notions de la théorie de l’attachement. En TCE-C, le couple est vu comme un sys tème de régulation des émotions : les êtres humains s’attachent, car cela les fait se sentir bien. De même, ces modèles considèrent la théorie du soi dans le contexte conjugal, la validation et l’empathie envers l’autre étant une manière de réguler l’estime de soi. Les modèles s’accordent en considérant que le processus de changement des dynamiques négatives des couples s’effectue en différents stades. Dans le cadre d’une alliance et d’une confiance thérapeutique, le thérapeute accompagne le processus. Il débute par l’identification des cycles, des positions de chaque partenaire, et des intensifications. L’expression de sentiments de vulnérabilité et sa réceptivité par le partenaire permettra une réorganisation des cycles inter actionnels, avec des modifications aux niveaux des émotions et de leurs expressions. Finalement, il suivra l’apparition et la consolidation des cycles positifs du couple. Le développement de Johnson met principale ment l’emphase sur les questions d’attachement, notamment autour des blessures de l’attachement. Greenberg et Goldman intègrent les proces sus identitaires dans le modèle. Au travers d’étapes supplémentaires qui travaillent sur les processus émotionnels de chaque partenaire, ce modèle vise le changement de soi. De manière novatrice, ce chapitre a permis de rassembler ces idées et conceptualisations précieuses, afin de décrire un premier aperçu de l’appli cation de la TCE au contexte conjugal. C’est une approche empiriquement validée et particulièrement attractive dans le champ des thérapies de couple aujourd’hui. Bibliographie Bowlby, J. (1969a). Attachment and loss. Vol. 1 – Attachment. New York: Basic Books. Bowlby, J. (1969b). Attachment and loss. Vol 3 – Loss, sadness and depression. New York: Basic Books. Bowlby, J (1969c). Attachment. New York: Basic Books. Bowlby, J. (1973). Attachment and loss. Vol. 2 – Separation. New York: Basic Books. Bowlby, J. (1988). A secure base. New York: Basic Books. Bowlby, J. (1989). The making and breaking of affectional bonds. London: Routledge. Dessaulles, A., Johnson, S. M., & Denton, W. (2003). Emotion focused therapy for couples in the treatment of depression: A pilot study. American Journal of Family Therapy, 31, 345-353. Ekman, P., & Davidson, R. J. (1994). The nature of emotion: Fundamental questions. New York: Oxford University Press. Fosha, D. (2000). The transforming power of affect : A model of accelerated change. New York: Basic Books. Frijda, N. H. (1986). The emotions. Cambridge: Cambridge University Press. Gilbert, P. (2003). Evolution, social rules and differences in shame and guilt. Social Research, 70, 205-230.
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Validation empirique de la psychothérapie centrée sur les émotions – Mécanismes de changement, tâches et résultats thérapeutiques Antonio Pascual-Leone1 et Ueli Kramer2 1Département de Psychologie, Université de Windsor, Canada.
2Département de Psychiatrie, Université de Lausanne, Suisse ;
département de Psychologie, Université de Windsor, Canada.
En tant que cliniciens, les deux coauteurs de ce chapitre observent tous les jours des clients qui changent en psychothérapie. Si cette observation est certes satisfaisante pour le clinicien, elle est aussi futile pour le chercheur : le moment productif s’échappe et nous restons avec une trace de mémoire forcément sélective et biaisée de ce moment d’interaction. Et les questions centrales restent ouvertes, comme « est-ce que ceci était vraiment utile, et si oui, pourquoi ? », « est-ce qu’autre chose aurait été mieux ? », « comment le client a réussi à faire cela ? », « est-ce que cet effet se maintiendra à long terme ? ». La recherche en psychothérapie, notamment portant sur les mécanismes de changement, donne quelques réponses à ces questions centrales. La recherche est donc une tâche à la fois nécessaire et productive, c’est pour cela qu’un tel chapitre spécifiquement dédié à la recherche TCE peut permettre de comprendre encore mieux et en profondeur l’approche, ses atouts, ses potentiels de développement et ses limites. Il est nécessaire, car nous pensons qu’un psychothérapeute centré sur les émotions doit adopter, dans l’âme, une attitude de modestie, d’émerveillement et d’intérêt candide devant le phénomène du changement en psychothérapie, ce qui revient à l’attitude d’un chercheur devant son objet d’étude. Finalement, mieux comprendre un phénomène implique une meilleure théorie, une meilleure intervention et une quête de répondre aux questions centrales encore en suspens. Ce chapitre débutera par la discussion des données empiriques probantes en lien avec les mécanismes de changement postulés (voir chapitre 2 pour l’élaboration théorique de ces mécanismes), qui représentent le véritable cœur des recherches portant sur le processus thérapeutique en TCE. Ensuite, des recherches portant sur des tâches du thérapeute sont abordées, pour terminer par la validation empirique globale, dans l’application de la TCE aux différentes problématiques. La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Mécanismes de changement Dans cet ordre, les mécanismes de changement postulés comme sous-tendant l’approche centrée sur les émotions, sont la relation thérapeutique, la connaissance expérientielle, les qualités de l’émotion, la transformation émotionnelle et le processus d’assimilation, ainsi que l’intégration narrative.
La relation thérapeutique L’alliance thérapeutique est aujourd’hui considérée comme le processus relié au résultat thérapeutique de la manière la plus systématique, à travers les approches thérapeutiques. Plusieurs méta-analyses ont synthétisé la littérature, dont la plus récente au sujet de l’alliance thérapeutique dans les traitements individuels (Horvath et al., 2011). Cette étude a méta-analysé 201 études, publiées ou non, durant la période de 1973 à 2009 (au total plus de 14 000 clients). La taille de l’effet global, ajustée pour les tailles de l’échantillon et les intercorrélations entre les mesures de résultat, est de r = 0,275 (i.e., représente environ 8 % de la variance expliquée du résultat thérapeutique). Ces effets sont comparables à travers les approches thérapeutiques, sont robustes et ne dépendent pas du fait qu’une étude a été publiée ou non. Dans la TCE, le développement de l’alliance est un processus débutant à la toute première séance et la qualité de l’alliance à ce moment-là, codée par le client, prédit le résultat thérapeutique à travers plusieurs études (Pos et al., 2009 ; Wong et Pos, 2014b). La psychothérapie centrée sur les émotions, ensemble avec d’autres approches thérapeutiques, favorise une construction de l’alliance thérapeutique qui prévient les possibles ruptures de l’alliance, ou les répare dans un processus de re- négociation empreint d’empathie. Une récente méta-analyse (Safran et al., 2011) a analysé les rôles de la rupture et de la résolution de l’alliance thérapeutique dans la prédiction du résultat thérapeutique. Trois études et au total N = 148 clients ont été inclus, tout traitement confondu. La taille de l’effet globale était de r = 0,24, ce qui représente un petit effet, mais qui est statistiquement significatif (p = 0,002). La qualité de la relation thérapeutique, avec ses différentes composantes, a montré des liens systématiques avec le résultat thérapeutique, au-delà d’une approche particulière. Pour la TCE, l’empathie du thérapeute est postulée être un ingrédient central. Le thérapeute y propose un environnement particulièrement accueillant et chaleureux empreint de la capacité et de la motivation chez le thérapeute de comprendre l’expérience du client depuis l’intérieur. Sur la base de 57 études conduites en langue anglaise (N = 3 599 clients et 224 effets distincts), Elliott et collaborateurs (2011) ont montré une taille d’effet modérée reliant l’empathie au résultat thérapeutique (d = 0,30), ce qui correspond à l’explication d’environ 9 % de la variance du résultat thérapeutique. Plusieurs formes de traitement ont été incluses dans
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la méta-analyse, y compris la TCE. Des analyses complémentaires ont montré que ce lien n’est pourtant pas constant, relevé par un score significatif mesurant la variabilité inter-études (Q = 205,6, p 2,00). Une différence-clé entre la TCE et le traitement plus traditionnel cognitivocomportemental de l’anxiété réside en le fait de permettre l’accès et la transformation des schèmes fondamentaux, souvent fondés sur la honte. Ce sont ces schèmes émotionnels qui sont postulés être à l’origine des biais cognitifs décrits dans la littérature cognitive sur les troubles anxieux (Shahar, 2014). Plusieurs études de cas ont exploré ces traitements TCE pour les troubles anxieux (voir McNally et al., 2014). Malgré cela, davantage d’études sont nécessaires pour conclure au sujet de l’efficacité spécifique de la TCE dans le cadre des troubles anxieux, mais les résultats sont très prometteurs.
Traitement des problèmes conjugaux La TCE de couple compte parmi les traitements les plus efficaces dans ce domaine depuis plusieurs années (Snyder et al., 2006), notamment une plus-value de ce traitement par rapport à d’autres traitements maritaux a été rapportée en ce qui concerne le maintien des effets à moyen terme, ensemble avec la profondeur des effets (Cloutier et al., 2002). La métaanalyse de Johnson et collaborateurs (1999) permet d’affirmer que la TCE de couple est efficace pour réduire la détresse conjugale, augmenter l’ajustement dyadique et contribuer au pardon interpersonnel. Johnson et collaborateurs (1999) ont méta-analysé 7 études et ont rapporté une taille de l’effet grand pré-post (d = 1,31), comparé à la liste d’attente, pour la variable de l’ajustement dyadique, et plus de 70 % de rémission pour la détresse relationnelle (86 % de changement significatif). Des études plus récentes ont montré la généralisation de la TCE de couple à un nombre croissant de problèmes et de couples avec des problèmes spécifiques. Cela inclut les couples faisant face à la dépression (Dessaulles et al., 2003), à des enfants avec une maladie chronique (Cloutier et al., 2002), au cancer du sein (Couture-Lalande et al., 2007 ; Naaman et al., 2009), à des problèmes relationnels dus à un abus d’enfance (Dalton et al., 2009 ; MacIntosh et Johnson, 2008) et face à des problèmes sexuels (Honarparvaran et al., 2010). La recherche a montré que ces effets se maintiennent à trois ans après la fin du traitement TCE (Halchuk et al., 2010). Sur cette base empirique, la TCE de couple est reconnue comme faisant partie des traitements empiriquement soutenus, par l’American Psychological Association.
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Conclusions En conclusion, la psychothérapie centrée sur les émotions est un traitement remarquablement efficace pour un grand nombre de contextes et de problèmes. Si ses efficacités absolue et relative sont bien établies, soulignons que des avancés extraordinaires ont été faites en ce qui concerne la compréhension des mécanismes de changement et des tâches thérapeutiques responsables des changements symptomatiques. La qualité, la profondeur, la quantité et la rigueur méthodologique des études portant sur les processus de changement en TCE sont uniques et aucune autre forme de psychothérapie ne peut, à notre connaissance, présenter ce niveau de détail de compréhension des mécanismes de changement en jeu, qui sont clairement prédictifs du résultat thérapeutique. Ces travaux sont particulièrement importants, car ils servent d’inspiration et d’exemple à l’ensemble du champ de la psychothérapie au niveau international, aussi dans le monde francophone. Finalement, les résultats de ces recherches sur les processus sont si poignants et ont un degré de résolution si fin qu’ils peuvent être appliqués directement dans la pratique quotidienne du clinicien travaillant avec le modèle TCE, et au-delà. Bibliographie Angus, L. E., & Greenberg, L. S. (2011). Working with narratives in emotion-focused therapy. Changing stories, healing lifes. Washington, D. C.: American Psychological Association. Auszra, L., Greenberg, L. S., & Herrmann, I. (2013). Client emotional productivity optimal client in-session emotional processing in experiential therapy. Psychotherapy Research, 23(6), 732-746. Barrett-Lennart, G. T. (1981). The empathy cycle: Refinement of a nuclear concept. Journal of Counseling Psychology, 28, 91-100. Bischkopf, J. (2013). Emotionsfokussierte Therapie. Grundlagen, Praxis, Wirksamkeit. Göttingen: Hogrefe. Blatner, A. (1989). Psychodrama. In R. J. Corsini, D. Wedding et al.,(Eds.), Current Psychotherapies (4th ed., pp. 561-571). Itasca, IL: F. E. Peacock Publishers Inc. Boritz, T. Z., Angus, L., Monette, G., & Hollis-Walker, L. (2008). An empirical analysis of autobiographical memory specificity subtypes in brief emotion-focused and client-centered treatments of depression. Psychotherapy Research, 18(5), 584-593. Boritz, T. Z., Angus, L., Monette, G., Hollis-Walker, L., & Warwar, S. (2011). Narrative and emotion integration in psychotherapy: Investigating the relationship between autobiographical memory specificity and expressed emotional arousal in brief emotion-focused and client-centred treatments of depression. Psychotherapy Research, 21(1), 16-26. Boritz, T. Z., Bryntwick, E., Angus, L., Greenberg, L. S., & Constantino, M. J. (2014). Narrative and emotion process in psychotherapy: An empirical test of the Narrative-Emotion Process coding system (NEPCS). Psychotherapy Research, 24(5), 594-607.
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Formation – Des premiers pas à l’expertise
La formation des psychothérapeutes dans une approche thérapeutique efficace, et plus globalement la dissémination de celle-ci, est une tâche importante. Elle représente l’étape manquante entre la synthèse de la connaissance, établie dans les livres et articles accessibles facilement, pour la TCE aussi en langue française, et une pratique psychothérapeutique efficace d’un thérapeute. La formation dans les approches expérientielles comprend, en plus de l’acquisition des notions de base et avancées, au moins trois roles supplémentaires, inter-reliées et relativement spécifiques à cette approche, à nos yeux.
Travail expérientiel du thérapeute Le travail expérientiel est central. Le thérapeute lui-même, à travers des séminaires, l’expérience personnelle de thérapie ou de groupes d’intervision focalisés sur le matériel des participants-psychothérapeutes, doit être en constante quête de poursuivre son travail expérientiel. Le groupe est particulièrement intéressant dans ce contexte, car le psychothérapeute apprend en étant client d’un processus au sujet de son propre matériel émotionnel, en assistant au travail expérientiel des collègues et en tant que thérapeute et superviseur facilitateurs de ces tâches.
Acquisition de la compétence en des tâches thérapeutiques Il s’agit ici du développement de la présence et empathie thérapeutique, de l’acuité perceptuelle, la qualité de la formulation de cas et des interventions évocatrices et facilitatrices du changement. L’acquisition des tâches spécifiques du thérapeute est centrale dans le processus de formation à la TCE ; elle doit se réaliser à partir de l’enregistrement vidéo des séances avec des clients et leur visionnement par le psychothérapeute. À travers les séminaires et les supervisions de cas (les dernières accessibles au participant à partir d’un certain niveau de compétence), le thérapeute acquiert la compétence dans ces domaines. Pour le développement de la présence thérapeutique, la pratique de la mindfulness, du tambour thérapeutique fondé sur le rythme, la spiritualité et d’autres activités créatrices centrées sur l’élaboration du sens de la vie sont utiles. Pour le développement d’une acuité perceptuelle, La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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l’apprentissage des échelles de codages, comme les échelles de la connaissance expérientielle ou de l’activation émotionnelle, ou encore la Classification of Affective Meaning States, dans le cadre de la recherche, peuvent être utiles, tout comme le codage, dans le cadre de la recherche, d’entretiens thérapeutiques filmés en utilisant ces échelles. Il existe plusieurs instituts dans les différentes parties du monde qui promeuvent la formation à la TCE, proposent des supervisions cliniques et d’autres activités.
Développement d’une identité de psychothérapeute-chercheur Finalement, le développement de l’identité de psychothérapeute-chercheur peut paraître loin du quotidien pour certains psychothérapeutes. Malgré tout, elle nous semble centrale. L’expertise développée dans l’approche TCE va de pair avec la notion de modestie. En effet, nous connaissons encore peu de choses du processus émotionnel en psychothérapie. Cette attitude nous rend curieux et authentiquement intéressés à poursuivre les questions de recherche formulées, à les approfondir et à contribuer à améliorer la précision du savoir et du savoir-faire dans ce champ passionnant. Un témoignage d’un expert par rapport à la beauté et aux plaisirs de travailler avec l’approche TCE est donné par Timulak (2014). L. Timulak (2014, p. 751) évoque son propre développement en tant que thérapeute TCE lorsqu’il écrit : « Mon expérience personnelle du travail avec des clients différents a eu un impact majeur sur ma vie personnelle et professionnelle. Chaque psychothérapie permet une proximité particulière avec le client qui m’affecte dans ma manière d’être et dans ma manière d’être avec les autres. Chaque client laisse une trace en moi, je crois, et me rend plus conscient et sensible aux méandres de la souffrance et de la douleur humaines et les manières de les transformer. Je suis un apprenti avide avec la motivation de comprendre le monde autour de moi, et mon travail thérapeutique en particulier. (…) J’ai le sentiment de mûrir à travers mon travail, qui m’apprend à mieux me connecter avec mes propres douleurs et vulnérabilités. J’ai le sentiment de pouvoir mieux les partager avec mes proches, que je peux être plus doux avec moi-même et les autres et que je suis plus déterminé d’être davantage courageux face à l’adversité ou l’injustice. Par exemple, c’est plus facile pour moi aujourd’hui d’être vulnérable et émotionnel et quand mes yeux commencent à se remplir de larmes, il est plus facile d’accepter cela maintenant qu’il y a quelques années encore. » Timulak, L. (2014). Witnessing clients’ emotional transformation : An emotion-focused therapist’s experience of providing therapy. Journal of Clinical Psychology : In Session, 70(8), 741-752.
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Ce témoigne illustre la puissance de la transformation émotionnelle, ayant un impact non seulement sur le client, au sein de la salle de thérapie et au-delà, mais aussi sur la personne du psychothérapeute, dans sa vie professionnelle et privée. Le travail thérapeutique centré sur les émotions est ainsi une tâche fondamentalement existentielle, noble et libératrice, aussi pour le psychothérapeute ou celui en train de le devenir. Pour en savoir plus Pour aller plus loin, après la lecture d’un ouvrage d’introduction comme celui-ci, nous recommandons la lecture des ouvrages suivants, avant tout en langue anglaise (et pour certains la traduction en langue française est en préparation). Elliott, R., Watson, J. E., Goldman, R. N., & Greenberg, L. S. (2004). Learning emotionfocused therapy: The process-experiential approach to change. Washington, D.C: American Psychological Association. Greenberg, L. S. (2002). Emotion-focused therapy. Coaching clients to work through their feelings. Washington, D.C: American Psychological Association. Greenberg, L. S. (2011). Emotion-focused therapy. Washington, D.C: American Psychological Association. Greenberg, L. S., & Goldman, R. N. (2008). Emotion-focused couples therapy: The dynamics of emotion, love and power. Washington, D.C: American Psychological Association. Greenberg, L. S., & Paivio, S. C. (1997). Working with emotions in psychotherapy. New York: Guilford Press. Greenberg, L. S., & Watson, J. C. (2006). Emotion-focused therapy for Depression. Washington, D.C: American Psychological Association. Johnson, S. M. (1996). The practice of emotionally focused marital therapy: Creating connection. New York: Brunner/Mazel. Johnson, S. M. (2014). Serre-moi fort: Sept conversations pour une vie entière d’amour. Paris: Poche. Paivio, S. C., & Pascual-Leone, A. (2010). Emotion-focused therapy for complex trauma. An integrative approach. Washington, D.C: American Psychological Association. Par ailleurs, ajoutons que des vidéos (DVD) de formation éditées par l’American Psychological Association, destinées aux professionnels de la santé mentale, au sujet de la TCE sont disponibles (http ://www.apa.org/pubs/videos/about-videos.aspx). Ces DVD comprennent des séances de psychothérapie enregistrées, accompagnées de commentaires par le thérapeute-expert.
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Perspectives – Vers une approche spécifique et intégrative
La psychothérapie centrée sur les émotions étant parmi les approches thérapeutiques les mieux validées empiriquement, notamment au niveau de la compréhension détaillée des mécanismes de changement, deux questions demeurent ouvertes : 1. Comment la TCE peut-elle être articulée avec d’autres approches thérapeutiques, afin de pouvoir faire ce qu’un certain nombre de cliniciens pratiquent tous les jours : une approche intégrative du traitement du client et de ses problèmes ? 2. Quelles sont les applications cliniques spécifiques que la TCE peut et doit explorer davantage, à la fois par les cliniciens et les chercheurs ?
Une approche intégrative Pour un psychothérapeute travaillant selon une modalité thérapeutique autre que la TCE, il peut, dans certains cas, s’avérer difficile d’incorporer la TCE dans sa pratique courante. Il est vrai que la TCE favorise un style relationnel spécifique, ainsi qu’un focus immédiat sur l’expérience émotionnelle sur l’ici et maintenant dans les différentes tâches. Il est possible qu’un thérapeute ayant été formé à d’autres modalités de traitement puisse trouver difficile d’accéder à ce style d’interaction thérapeutique et, certaines tâches contradictoires avec sa pratique habituelle. Malgré certaines difficultés rencontrées, nous avons fait de très bonnes expériences lorsque les approches expérientielles sont enseignées à des thérapeutes expérimentés et motivés ayant été formés à d’autres modalités thérapeutiques au préalable. Même si ces modèles sont très différents de la TCE, nous avons observé une grande satisfaction chez les thérapeutes face aux outils spécifiques que la TCE offre. De ce fait, nous sommes convaincus que l’intégration de la TCE avec d’autres pratiques thérapeutiques soit possible, fructueuse, et particulièrement prometteuse. Cependant, l’expérience et la motivation du participant sont des facteurs importants, tout comme une supervision adéquate, accompagnant le processus d’apprentissage de la TCE. Ce qui semble être le plus spécifique et nouveau pour certains thérapeutes d’autres obédiences, c’est le fait de ne pas se contenter de « parler au sujet des émotions », mais « à partir d’elles ». Il nous semble que ces arguments, ensemble avec le statut scientifique largement reconnu de la TCE, La psychothérapie centrée sur les émotions © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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convergent vers la revendication d’une meilleure intégration des concepts et méthodes centrés sur les émotions, le plus tôt possible, dans la formation universitaire en psychologie clinique et en formation à la psychothérapie. Aussi, certains clients et contextes, par exemple le contexte clinique hospitalier, ont souvent d’autres préférences immédiates ou impliquent des contraintes qui rend la focalisation sur l’expérience émotionnelle dans l’ici et maintenant difficile. Dans certains cas, comme dans le cas de suicidalité aiguë, comptant parmi les rares contre-indications actuelles de l’approche TCE, il est préférable d’adopter un style d’interaction favorisant un échange descriptif autour des faits et comportements. Pour ces situations spécifiques et au-delà bien sûr, la TCE encourage les thérapeutes à consulter des experts, ou des pairs avisés, afin de pouvoir (a) accéder au vécu émotionnel du thérapeute de manière différenciée en lien avec ces situations cliniques relevant d’un défi émotionnel et (b) intervenir le plus efficacement et le plus proche possible du client. Dans ce sens, la psychothérapie centrée sur les émotions devient un outil intégratif, avec la personne du/de la psychothérapeute comme médiateur central des effets. Les approches intégratives en psychothérapie sont actuellement en plein essor et rencontrent de plus en plus d’intérêt, également dans le monde francophone. Un sondage récent, conduit par l’Université de Delphi sur 70 psychothérapeutes-experts, a investigué la question de savoir quelle psychothérapie serait pratiquée en 2022 (Norcross et al., 2013). Les résultats montrent que des théories intégratives, ensembles avec cognitivocomportementales et multiculturelles, ainsi que des interventions cliniques favorisant spécifiquement la relation thérapeutique et des compétences spécifiques chez le client, sont jugées parmi les plus prometteuses. Malgré cet intérêt pour l’intégration en psychothérapie, la recherche à ce sujet est encore à ses débuts (p. ex., Boswell et al., 2010). La théorie du changement, les tâches et interventions thérapeutiques spécifiques à la TCE ont une valeur particulièrement prometteuse pour l’intégration, notamment du point de vue de la recherche en psychothérapie. Les mécanismes de changement de la TCE sont, jusqu’à un certain point, également centraux dans d’autres types de traitement : les émotions sont centrales, de différentes manières, pour toutes les psychothérapies. La centralité de la profondeur de la connaissance expérientielle dans d’autres approches thérapeutiques a été démontrée dans plusieurs études (Whelton, 2004), notamment pour la psychothérapie cognitivo-comportementale (Castonguay et al., 1996) et psychodynamique (Silberschatz et al., 1986). Des études plus récentes ont montré que la séquence émotionnelle identifiée comme étant particulièrement fructueuse chez les clients en TCE (PascualLeone, 2009) est au moins en partie compatible avec la séquence émotionnelle produisant un résultat thérapeutique positif dans les psychothérapies psychodynamiques (p. ex., Kramer et al., 2015), ce qui est corroboré par une
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étude de cas analysant une séquence cliniquement significative de rupture et de résolution de l’alliance thérapeutique (Kramer et al., 2014). La différenciation entre émotions primaire et secondaire, chère au modèle TCE, peut paraître quelque peu inhabituelle aux psychothérapeutes d’autres approches. Toutefois, des études ont montré que cette différence est robuste et prédit les résultats thérapeutiques à travers différentes formes de traitement. Cela a été démontré empiriquement pour la différence entre tristesses secondaire (i.e., détresse globale) et primaire (i.e., douleur psychologique et deuil ; Berthoud et al., soumis ; Kramer et al., 2015) et les colères secondaire (i.e., rejetante) et primaire (i.e., affirmée ; Kramer et al., in press). En résumé, ces recherches montrent que l’accès aux émotions primaires adaptées, comme la douleur psychologique ou la colère affirmée, est en lien avec la réduction des symptômes à la fin du traitement comportemental et psychodynamique, ce qui n’est pas le cas des émotions secondaires (comme la détresse globale). Cette différenciation, décrite dans le chapitre 2, est donc centrale et sa pertinence peut s’étendre à une large palette de traitements des troubles mentaux ; cette différenciation est donc prometteuse pour affiner les modèles thérapeutiques divers. Plus concrètement, plusieurs thérapeutes discutent l’intégration des techniques TCE avec d’autres traitements, notamment comportemental et psychodynamique. Par exemple, les études de cas de Pos et Greenberg (2012) et de Kramer et Pascual-Leone (2012) décrivent des clientes avec trouble de la personnalité borderline (voir chapitre 4 pour les détails), où deux phases du traitement sont utilisées. D’abord, les clientes ont reçu un traitement comportemental-dialectique, permettant de focaliser sur la réduction de l’intensité émotionnelle, en entraînant des compétences de régulation émotionnelle, ensuite, un traitement expérientiel focalisé sur ces émotions a eu lieu. Pour les deux cas, cela a seulement eu un sens une fois les tâches principales à la régulation émotionnelle terminées avec un certain succès, ce qui peut se faire en recourant aux techniques comportementales ou pas (voir Kramer, 2015). Ajoutons que la phase d’entraînement aux compétences de régulation a pu contribuer à la qualité de la collaboration et de l’alliance thérapeutique, à la qualité du focus thérapeutique sur les émotions et à la profondeur de la connaissance expérientielle, qui sont tous des éléments centraux pour cette phase expérientielle du traitement. Un autre cas de figure est l’intégration des techniques expérientielles dans une approche intégrative psychodynamique. Fosha (2005) propose une formulation du processus thérapeutiques en trois étapes principales, passant du travail avec les mécanismes de défense vers les « affects centraux » (core affects), et, finalement, vers un « état central ». Ce dernier représenterait un état de calme, ouverture, perspective, où l’ensemble du « paysage émotionnel » à l’intérieur de la personne devient visible. Fosha (2005) donne l’exemple d’une cliente ayant subi un accident, présentant
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des séquelles du trauma. En séance, elle ré-entre dans l’expérience du deuil et de la douleur psychologique (face à la perte de l’idée d’être « normale »), ainsi que la colère (face à ses parents, pour ne pas l’avoir suffisamment protégée), ici les affects centraux (i.e., les émotions primaires). Avec le soutien du thérapeute, la cliente a laissé émerger une nouvelle compréhension (i.e., l’état central) de la situation traumatique : elle s’insert dans un ensemble de situations d’abandon et de négligence par ses parents, à travers son enfance, qui avait été marquée par l’« absence d’une direction » (Fosha, 2005). Cette nouvelle construction de la signification décrit l’état émotionnel émergeant de la cliente. Finalement, l’intégration de la TCE dans les thérapies cognitivo- comportementales (TCC), notamment en résonance avec les approches dites de la « troisième vague » de TCC (Philippot, 2011) est une autre perspective prometteuse. À ce titre, Grosse Holtforth et collaborateurs (2012) ont montré pour une forme spécifique de traitement cognitivo-émotionnel de la dépression (exposure-based cognitive therapy ; Hayes et al., 2005) une baisse des symptômes dépressifs et une réduction des comportements d’évitement qui sont connus pour maintenir l’état dépressif et des émotions secondaires associées à la dépression. Toutefois, en examinant l’efficacité relative de l’ajout des techniques émotionnelles et interpersonnelles à un protocole TCC pour le trouble anxieux généralisé, Newman et collaborateurs (2011) n’ont pas trouvé de différence de réduction de symptômes en fonction du type de traitement.
Perspectives spécifiques Dans le chapitre 6, Pascual-Leone et Kramer ont élaboré une synthèse contemporaine de la recherche dans le domaine de la TCE. Une perspective particulièrement intéressante dans le domaine de la mise en évidence des changements émotionnels à travers la TCE est le recours aux méthodes d’évaluation neurobiologique. Comme élaboré dans le chapitre 2, l’émotion est un état complexe, avec des composantes biologiques, physiologiques, psychologiques, de construction idiosyncratique de la signification et interpersonnelles. Si la recherche actuelle en TCE s’est focalisée sur les éléments psychologiques, un nouveau défi représente les mesures neurobiologique et physiologique de l’émotion, comme corrélat du changement thérapeutique en TCE. Des considérations méthodologiques, fondées sur les principes de la TCE, ont été élaborées par Pascual-Leone et collaborateurs (soumis), discutées par Lane et collaborateurs (2014) et démontrées par Doerig et collaborateurs (2014). Dans le contexte de la TCE de couple, une étude récente (Johnson et collaborateurs, 2013) a utilisé un paradigme particulièrement intéressant pour la mesure du changement émotionnel : celui de « se donner la main ». Au
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total, N = 24 couples hétérosexuels en TCE de couple (comme décrit dans le chapitre 5) durant en moyenne 22 séances de traitement, ont participé à cette étude. Aux femmes, ont été proposés deux examens dans un environnement IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle), un préet une post-intervention. Aux partenaires masculins ayant accompagné les participantes dans le laboratoire, il a été demandé de collaborer en tenant la main de leur épouse pour une des conditions, pendant que la conjointe se trouvait dans le scanner. Les deux autres conditions étaient pour les participantes (a) de donner la main à un étranger et (b) une condition sans donner la main. Des stimuli anxiogènes ont été présentés en scanner comme faisant partie de l’examen. Les résultats montrent un changement lors du deuxième examen (post-traitement) dans les circuits responsables du traitement neuronal des stimuli menaçants, avant tout pour la condition de la main tenue par le partenaire. Ces effets ont été les plus proéminents dans le cortex préfrontal et cingulaire antérieur (partie dorsale), des régions connues pour la régulation de la douleur physique et l’affect négatif, pour soi ou par empathie pour autrui. Un défi actuel de la psychothérapie centrée sur les émotions est son application à un ensemble de plus en plus divers de contextes cliniques spécifiques. Un travail d’élaboration théorique et des études de cas ont montré que des versions de la TCE peuvent être utilisées dans le traitement des troubles alimentaires (voir chapitre 4), en adaptant l’élaboration de l’autocritique et de l’autocompassion (Dolhanty et Greenberg, 2007, 2009 ; Dolhanty et Lafrance, 2011 ; Wnuk et al., 2014). Par ailleurs, le domaine des troubles de la personnalité (voir chapitre 4) a été exploré pour le trouble de la personnalité borderline (Pos et Greenberg, 2012 ; Warwar et al., 2008) et évitante (Pos, 2014), en élargissant le travail expérientiel dans les dialogues avec les deux chaises. Des parties du modèle TCE ont été intégrées dans le traitement clinique des comportements autodommageables (Kimball, 2009). Un travail important a été proposé pour des troubles en lien avec l’émotion de la colère, en termes de formulation de cas TCE (Pascual-Leone et al., 2013) et pour le traitement de la colère secondaire comme résultat de trauma précoce (Pascual-Leone et Paivio, 2013). Finalement, pour le traitement des addictions, des cliniciens ont suggéré d’intégrer des techniques de l’entretien motivationnel et de la TCE pour faciliter le changement en profondeur (Engle et Arkowitz, 2006). Un nombre de cliniciens ont utilisé le modèle TCE dans le contexte des traitements de groupe. Une étude portant sur les résultats thérapeutiques d’un module de groupe TCE pour des prisonniers, traitant des problèmes en lien avec la violence domestique, a été réalisée et a montré des effets modestes (Pascual-Leone et al., 2011), qui sont toutefois comparables aux traitements traditionnels trouvés pour les modèles cognitivo-comportemental ou psychoéducatif, pour la même population. Par ailleurs, la satisfaction
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des clients en thérapie de groupe TCE est généralement élevée (Lafrance Robinson et al., 2012, 2014 ; voir aussi Wnuk et al., 2014). Finalement, des versions de la TCE appliquées au contexte familial ont été développées, pour le traitement de la dépression chez l’adolescent, l’expression émotionnelle à l’âge pré-scolaire, ou la résolution de conflit intrafamilial (Diamond et al., 2002 ; Denham et Auerbach, 1995). Les résultats de ces recherches suggèrent qu’il s’agit ici d’un traitement prometteur, car après 12 semaines de traitement de famille inspiré de la TCE, 81 % des patients traités ne présentent plus de symptômes cliniques (comparés aux 47 % en liste d’attente ; Diamond et al., 2002). Davantage de recherches sont nécessaires pour confirmer l’intérêt de ces développements spécifiques, mais le thérapeute TCE expérimenté y trouvera inspiration et est encouragé à appliquer et intégrer la TCE à des contextes divers. Par ailleurs, le clinicien inspiré et créatif est encouragé à explorer d’autres applications encore, car une chose est sûre : l’émotion est omniprésente dans les dialogues thérapeutiques et elle peut être utilisée à des fins de transformation de l’expérience.
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