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DICTIONNAIRE SARTRE Sous la direction de François N OUDELMANN et Gilles PHILIPPE
PARIS HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR 7, QUAI MALAQUAIS CV!")
2004 www.honorechampion.com
Diffusion hors France: Éditions Slatk:ine, Genève www.slatk:ine.com © 2004. Éditions Champion, Paris. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays. ISBN: 2-7453-1083-6 ISSN: 1275-0387
AVANT-PROPOS
On croit souvent Sartre fâché avec l'ordre alphabétique n'est-ce pas en suivant celui-ci que l'Autodidacte de La Nausée prétendait faire le tour des connaissances humaines ? À l'âge de vingt ans, pourtant, Sartre avait entrepris de noter ses pensées selon l'ordre imposé par un carnet alphabétique ramassé dans le métro, simple article publicitaire pour les Suppositoires Midy. L'ordre alphabétique a ceci de séduisant qu'il ne s'agit que d'une apparence d'ordre; nul mieux que lui n'entérine l'aléatoire. En décloisonnant les domaines de l'activité sartrienne (littérature, philosophie, politique), en écrasant les oppositions chronologiques (écrits de jeunesse, concepts de maturité, engagements militants), en précipitant les rapprochements a priori les plus incongrus (Hugo et Huis clos; Janet et Japon; Le Havre et Leibniz; Manuscrits et Maoïsme; Morale et Moravia; Névrose et New York; « Parterre de capucines» et Parti Communiste ... ), il peut seul rendre à Sartre son épaisseur. Mieux encore, il est seul capable de donner une idée de la complexité qui fut celle du parcours sartrien, comme le prouvent les impressionnantes séries alphabétiques qui émaillent ce dictionnaire celle des anti- (anti-américanisme, anticommunisme, antidialectique, antipsychiatrie, antisartrismes, antisémitisme, antitravail...), celle des cahiers et des carnets (Cahier Lutèce, Cahier pour une morale, Carnet Midy, Carnet Dupuis, Carnets de la drôle de guerre ... ), ou celle des guerres (Guerre froide, guerre d'Algérie, guerre de Corée, guerre d'Espagne, guerre d'Indochine, guerre du Vietnam, guerres mondiales ... ). Aussi nous a-t-il semblé que l'ordre alphabétique avait cet immense mérite qu'il laisse à la contingence sa part, qu'il ne transforme pas en destin un parcours sinueux s'il en est, bref qu'il répond - sans trahir - à la question sartrienne par excellence, celle qui ouvre son dernier livre «Que peut-on savoir d'un homme aujourd'hui? ». Il respecte ainsi tant l'antiscientisme de Sartre que son ambition de totalisation. D'Absence et Absurde à Richard Wright et Lena Zonina, on trouvera donc ici, pêle-mêle, tous les concepts de la pensée sartrienne (des mieux connus aux plus pointus), tous les textes importants (même s'ils sont peu accessibles ou restent inédits), toutes les influences (en amont et en aval), tous les combats, tous les secrétaires et plusieurs des maîtresses, beaucoup d'amis et presque autant d'ennemis, quelques villes et pays, quelques formules célèbres, bien d'autres choses encore. Les quelque huit cents notices qui, sans prétention à l'exhaustivité, composent ce Dictionnaire ont été rédigées par soixante des meilleurs spécialistes de la pensée et de l'œuvre de Sartre. Nous avons tenu à associer à l'entreprise des représentants des diverses traditions nationales sartriennes et de toutes les générations de la critique: des témoins les plus prestigieux (et plusieurs des collaborateurs font euxmêmes l'objet d'une notice) aux doctorants les plus prometteurs. Nous avons surtout tenu à garantir la complexité de la trajectoire et de la pensée de Sartre en
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demandant l'aide de spécialistes des disciplines les plus diverses (philosophie, histoire, littérature, sociologie, psychologie, linguistique ... ) et de sensibilités (culturelles, philosophiques ou politiques) les plus opposées.
François NOUDELMANN Gilles PHILIPPE
L'élaboration de cet ouvrage a bénéficié de l'aide très précieuse de Michel Contat, Vincent de Coorebyter, Geneviève Idt et surtout de Michel Rybalka, qui n'a pas mesuré son dévouement pour nous aider à mener l'entreprise à son terme. L'ampleur de l'ouvrage peut expliquer qu'il reste quelques inexactitudes locales; celles-ci ne sont bien sûr imputables qu'aux maîtres d'œuvre et aux auteurs des notices de ce dictionnaire.
ONT COLLABORÉ A CET OUVRAGE
Juan Manuel ARAGUES (IMA) Georges BARRÈRE (GB) Véronique BERGEN (YB) Jean-Pierre BOULÉ (JPB) Jean BOURGAULT (JB) Elisabeth BOWMANN (EB) Claude BURGELIN (CB) Philippe CABESTAN (phC) Florence CAEYMAEX (FC) Robert CHENAVIER (RC) Bruno CLÉMENT (BC) Yvan CLOUTIER (YC) Annie COHEN-SOLAL (ACS) Jacques COLETTE (JC) Michel CONTAT (MC) Vincent de COOREBYTER (VdeC) Grégory CORMANN (GC) Jacques DEGUY (ID) Benoît DENIS (BD) Francis DESCHAMPS (PD) David DRAKE (DD) Gabriella FARINA (GF) Pascale FAUTRIER (PF) Alain FLAJOLIET (AF) Thomas R. FI..YNN (TRF) Elena GALTSOVA (EGa) Dennis A. GILBERT (DAG) Daniel GIOV ANNANGELI (DG) Eva GoTHLIN (EGo) Isabelle GRELL-FELDBRUEGGE (lGF) Robert HARVEY (RH) Denis HOLLIER (OH) Helge Vidar HOLM (HVH) John IRELAND (JI) Michel KAIL (MK) Noureddine LAMOUCHI (NL) Annette M. LAVERS (AML) Andrew N. LEAK (ANL) Jean-François LOUETTE (JFL) William L. McBRIDE (WLM) Guillaume MAINCHAIN (GM)
Anne MATHIEU (AM) Jean-Marc MOUILLIE (JMM) Frank NEVEU (FrNe) François NOUDELMANN (FrNo) Gilles PHILIPPE (GP) Hadi RIZK (HR) Michel RYBALKA (MR) Yvan SAl.ZMANN (YS) Ronald E. SANTONI (RES) Gisèle SAPIRO (GS) Nao SAWADA (NS) Michel SICARD (MS) Juliette SIMONT (JS) Robert V STONE (RVS) Paolo T AMASSIA (PT) Sandra TERONI (ST) Fabrice THUMEREL (FT) Arnaud TOMES (AT) Adrian V AN DEN HOVEN (AvdH) Patrick VAUDAY (pVa) Pierre VERSTRAETEN (PVe) Alain VIRMAUX (AV) Gérard WORMSER (GW) Vincent von WROBLEWSKI (VvW)
BmLIOGRAPHIE ET TABLE DES ABRÉVIATIONS
Nous indiquons pour chacun des livres de Sartre son édition originale, suivie - le cas échéant - de son édition la plus courante à laquelle renvoient les paginations indiquées dans le Dictionnaire. 1. Essais philosophiques et politiques
r
L'Imagination, Alcan, 1936; rééd. PUF, « Quadrige ». L'Imaginaire, Gallimard, 1940 ; rééd. « Folio ». TE : La Transcendance de ['Ego, Vrin, 1965 (en revue 1937). ETÉ Esquisse d'une théorie des émotions, Hermann, 1939. EN L'Être et le Néant. Essai d'ontologie phénoménologique, Gallimard, 1943 ;
rire
rééd. « Tel ».
EH L'existentialisme est un humanisme, Nagel, 1946 ; rééd. « Folio ». RQJ Réflexions sur la question juive, Paul Morihien, 1946 ; rééd. « Folio ». AHM L'Affaire Henri Martin, recueil de textes commentés par Jean-Paul Sartre, Gallimard, 1953.
CRD 1
Critique de la Raison dialectique, 1. 1 «Théories des ensembles pratiques », précédé de Questions de méthode, Gallimard, 1960 n elle éd. A. Elkaïm-Sartre, 1985. CRD Il Critique de la Raison dialectique [1958-1962], t. II (inachevé) « L'intelligibilité de l'histoire », éd. A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, 1985. CM Cahiers pour une morale [1947-1948], Gallimard, 1983. VE Vérité et Existence [1948], éd. A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, 1989. 2. Œuvres romanesques
OR
les récits de fiction sont cités dans l'édition des Œuvres romanesques procurée en 1981, par Michel Contat et Michel Rybalka dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Le volume rassemble les nouvelles et romans suivants La Nausée, Gallimard, 1938 ; rééd. « Folio ». Le Mur, Gallimard, 1939 ; rééd. « Folio ». L'Âge de raison (Les Chemins de la liberté, 1), Gallimard, 1945 ; rééd. « Folio ». Le Sursis (Les Chemins de la liberté, II), Gallimard, 1945 ; rééd. « Folio ». La Mort dans l'âme (Les Chemins de la liberté, III), Gallimard, 1949 ; rééd. « Folio ».
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3. Théâtre Les pièces de théâtre sont citées par simple mention des divisions dramatiques habituelles (tableau, acte, scène ... ). On retouvera l'ensemble de ces œuvres dans le volume Théâtre complet, sous la direction de Michel Contat, Gallimard, «La Pléiade », 2005, ou bien (à la seule exception des Troyennes) dans la collection « Folio ». Mc Les Mouches, Gallimard, 1943. HC Huis clos, Gallimard, 1945 (en revue 1944). MSS Morts sans sépulture, Lausanne, Marguerat, ~946. PR La Putain respectueuse, Nagel, 1946. MS Les Mains sales, Gallimard, 1948. DBD Le Diable et le Bon Dieu, Gallimard, 1951. K Kean (d'après Alexandre Dumas), Gallimard, 1954. Nk Nékrassov, Gallimard, 1956 (en revue 1955). SA Les Séquestrés d'Altona, Gallimard, 1960 (en revue 1959). Tr Les Troyennes (d'après Euripide), Théâtre national populaire, 1965 Gallimard, 1966. 4. Scénarios
JF Les jeux sont faits, Nagel, 1947 ; rééd. « Folio ». E L'Engrenage, Nagel, 1948 ; rééd. « Folio ». SF Scénario Freud [1958-1960], Gallimard, 1984.
5. Monographies sur écrivain B Baudelaire, Gallimard, 1947 ; rééd. « Folio ». SG Saint Genet comédien et martyr, Gallimard, 1952. IF I-III L'Idiot de lafamille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, Gallimard, I-II 1971 ; III 1972; nelle éd. A. Elkaïrn-Sartre, 1988. Mali Mallarmé. La lucidité et sa face d'ombre, éd. A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, « Arcades », 1986. 6. Recueils de textes S 1 Situations, 1 [« Essais critiques »], Gallimard, 1947 ; rééd. « Folio ». S II Situations, II [« Qu'est-ce que la littérature? »], Gallimard, 1948 rééd. « Folio ». S III Situations, III [« Lendemains de guerre »], Gallimard, 1949. S IV Situations, IV [« Portraits»], Gallimard, 1964. S V Situations, V [« Colonialisme et néocolonialisme »], Gallimard. 1964. S VI Situations, VI [« Problèmes du marxisme, 1 »], Gallimard, 1964. S VII Situations, VII [« Problèmes du marxisme, 2 »], Gallimard, 1965. S VIII Situations, VIII [« Autour de 68 »], Gallimard, 1972. SIX: Situations, IX [« Mélanges »], Gallimard, 1972.
BIBLIOGRAPHIE ET TABLE DES ABRÉVIATIONS
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S X Situatiqns, X [« Politique et autobiographie »], Gallimard, 1976. ÉdS Les Ecrits de Sartre, éd. M. Contat et M. Rybalka, Gallimard, 1970 (chronologie et bibliographie enrichies de nombreux textes inédits ou difficiles d'accès). TS Un théâtre de situations, éd. M. Contat et M. Rybalka, Gallimard, 1974 ; nelle éd. 1992, « Folio ». ÉdJ Écrits de jeunesse, éd. M. Contat et M. Rybalka, Gallimard, 1990.
7. Entretiens EP Entretiens sur la politique (avec D. Rousset et G. Rosenthal), Gallimard, 1949. RR On a raison de se révolter (avec Ph. Gavi et P. Victor), Gallimard, 1974. SF Sartre, un film réalisé par Alexandre Astruc et Michel Contat, Gallimard, 1977. CA La Cérémonie des adieux de Simone de Beauvoir, suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre (août-septembre 1974), Gallimard, 1981. EM L'Espoir maintenant (avec B. Lévy, 1980), Lagrasse, Verdier, 1991.
6. Autobiographie, lettres et notes LC I-II Lettres au Castor et à quelques autres (t. 1 1926-1939; t. II 19401963), éd. S. de Beauvoir, Gallimard, 1983. CDG Carnets de la drôle de guerre (septembre 1939 - mars 1940), éd. A. Elkaïm-Sartre, Gallimard, 1995. M Les Mots, Gallimard, 1964 ; rééd. « Folio ». RA La Reine Albemarle ou le dernier touriste [1951-1952], éd. A. Elkaïrn-Sartre, Gallimard, 1991.
Bibliographie secondaire Quoique déjà anciens, deux ouvrages restent indispensables pour qui s'intéresse à Sartre. Il s'agit de la chronologie-bibliographie de Michel Contat et Michel Rybalka, Les Écrits de Sartre (Gallimard, 1970) et de la biographie d'Annie Cohen-Solal, Sartre, une vie 1905-1980 (Gallimard, 1985 ; rééd. «Folio »). La bibliographie des études sur Sartre étant considérable, on se contentera de rappeler les principaux instruments de recherche à la disposition des spécialistes Robert Wilcocks, Jean-Paul Sartre A Bibliography of International Cricticism, Edmonton, University of Alberta Press, 1975 François H. Lapointe, Jean-Paul Sartre and his Critics. An International Bibliography (1938-1980), Bowling Green, Philosophy Documentation Center, 1981 ; Michel Contat et Michel Rybalka, Sartre. Bibliographie 1980-1992, Éditions du CNRS, 1993. Pour les publications postérieures à 1993, on se référera aux livraisons annuelles du Bulletin d'information du Groupe d'études sartriennes, devenu L'Année sartrienne en 2001.
A Absence « J'ai rendez-vous avec Pierre à quatre heures. J'arrive en retard d'un quart d'heure Pierre est toujours exact; m'aura-t-il attendu? Je regarde la salle, les consommateurs et je dis "n n'est pas là" Y a-t-il une intuition de l'absence de Pierre ou bien la négation n'intervient-elle qu'avec le jugement? » (EN 44). Disons par avance que pour Sartre non seulement l'absence de Pierre se donne à l'intuition mais en outre la négation Pierre n'est pas là, suppose le néant. Lorsque Sartre s'interroge sur l'absence de Pierre au cours de la première partie de L'ttre et le Néant, il s'agit de décider si la négation comme structure du jugement est à l'origine du néant ou si, au contraire, c'est le néant, comme structure du réel, qui est l'origine et le fondement de la négation. Du point de vue d'une ontologie phénoménologique, la question est décisive. Elle est posée d'une certaine manière par Heidegger lorsqu'il affirme dans Qu'est-ce que la métaphysique? que « c'est le néant luimême qui néantit (das Nichts selbst nichtet) ». De son côté Sartre découvre le non-être comme une composante du réel et veut inscrire le néant au cœur de l'être. Mais il lui faut alors affronter Bergson sa conception des idées négatives comme celles d~ désordre, de hasard ou de néant ; sa réduction au début du chapitre IV de L'Évolution créatrice, de l'idée de néant à une pseudo-idée et, par suite, la question « pourquoi quelque chose plutôt que rien ? » à un pseudoproblème. Pour Bergson, Monsieur Jourdain feuilletant un livre de sa bibliothèque ne verra jamais une absence de vers mais de la prose ou, inversement, des vers et non une absence de prose. Tout à l'opposé, il y a bien selon Sartre une intuition de l'absence de Pierre - quand bien même cela semblerait absurde puisqu'il ne saurait y avoir apparemment intuition du rien. En effet, le jugement «Pierre n'est pas là» repose sur la saisie intuitive d'une double néantisation. Car chercher Pierre du regard dans le café implique une première néantisation qui est effectivement donnée à l'intuition dans l'évanouissement successif de toutes les fOImes perçues qui ne sont pas Pierre, et qui se constituent en fond. Cette recherche comprend en
outre une seconde néantisation celle de Pierre en tant que « forme-néant qui glisse comme un rien à la surface du fond ». Cette description de l'absence conduit ainsi à admettre, contre Bergson, que le néant hante l'être, qu'il ne se ramène pas à une idée sans objet, et qu'il se donne bien dans une intuition. PhC Absolu Faire de la« quête de l'absolu» l'enjeu, indissociablement métaphysique et moral, de la philosophie sartrienne peut sembler paradoxal. C'est pourtant par cette formule que Sartre résume, dans les Carnets de la drme de guerre (283, 317), le projet philosophico-littéraire qu'il a mené jusque-là. Et, lorsque, après la guerre, Sartre salue l'originalité artistique de Giacometti, qui a su « sculpter l'homme tel qu'on le voit» CS III 299), Sartre titre La recherche de l'absolu ». Il ne s'agit bien sOr pas - passion bien inutile - d'une quête de Dieu, cet « être absolu cause de soi » (CDG 430), dont L'ttre et le Néant et les Cahiers pour une morale montrent le caractère contradictoire. D'ailleurs, plutôt qu'une recherche de l'absolu, le projet sartrien est celui d'articuler deux absolus conscience et chose. Se rappelant ses premières tentatives littéraires, Sartre affirme que ces écrits poursuivaient « l'appropriation de cet absolu, la chose, par cet autre absolu, moi-même» (CDG 283). Bien avant L'ttre et le Néant, Sartre cherchait à concilier sa théorie de la contingence et la thèse de l'autonomie de la conscience. Ce défi réclame que l'on tienne ensemble ces deux autres passages des Carnets «Bref, je cherchais l'absolu, je voulais être un absolu et c'est ce que j'appelais la morale » (282), et « cette morale, c'était pour moi une transformation totale de mon existence et un absolu. Mais finalement, je recherchais plutôt l'absolu dans les choses qu'en moi-même, j'étais réaliste par morale» (286). L'absolu de la conscience, Sartre s'emploie à le dégager dans La Transcendance de l'Ego et dans L'Être et le Néant. D'un ouvrage à l'autre, la conséquence est partiellement bonne. L'ouvrage de 1943 conserve la distinction fondatrice
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établie entre conscience de soi et connaissance de soi. Cette distinction pennet à Sartre d'affIrmer le caractère absolu de la conscience (de) soi, débarrassée de toute subordination à la réflexion. La conscience est un absolu, parce qu'elle s'éprouve dans «la plus concrète des expériences» (EN 23). Elle est un absolu, parce qu'elle est conscience (d')elle-même, tout simplement : il s'agit d'un« absolu d'existence, non de connaissance» (EN 22). Déjà La Transcendance de l'Ego affirmait «Une consciénce pure est un absolu tout simplement parce qu'elle est conscience d'elle-même. Elle reste donc un "phénomène" au sens très particulier où "être" et "apparaitre" ne font qu'un» (TE 25). Lorsqu'il affinne la transcendance de l'Ego, Sartre convoque les Recherches logiques de Husserl contre la métaphysique cartésienne et pose la spontanéité de la conscience «c'est pour avoir cru que Je et pense sont sur le même plan que Descartes est passé du Cogito à l'idée de substance pensante lO (TE 34). La portée philosophique est majeure la conscience sartrienne n'est pas un sujet. Elle est un « absolu non substantiel lO (TE 25 ; EN 22 et 667). Il ne faut cependant pas gommer l'écart décisif que les Camets scellent entre l'article de 1934 et L'ttre et le Néant. Invoquant la lecture de Heidegger, ainsi que l'expérience de la guerre, Sartre renonce à la thèse confortable d'une« conscience-refuge» (CDG 576) que rien ne peut affecter, parce qu'elle est cause de soi. L'exigence d'authenticité en passe par la prise en charge de l'historicité fondamentale de la conscience «Valeur métaphysique de celui qui assume sa vie ou authenticité. C'est le seul absolu» (298). Cette conscience « désarmée et humaine» (576) n'en est pas moins un absolu, dans la mesure où elle se fait dans l'Histoire, se déterminant librement par rapport à une situation particulière. «Pour parler comme Heidegger, c'est du XX" et de ses problèmes que je me fais annoncer à moi-même ce que je suis. [... ] Je ne suis un absolu que parce que je suis historique lO (138).
Au-delà même de cette conquête de l'historicité, le IIllIJ.rre-ouvrage de Sartre se propose de dépasser cette simultanéité de l'homme et du monde vers la transphénoménalité de l'être-ensoi. Le phénomène d'2tre est certes un absolu « il se dévoile comme il est lO. Mais, bien qu' « absolument indicatif de lui-m2me lO, il n'est qu'un « relatif-absolu» (EN 12), parce qu'il ne peut être que pour une conscience. En revanche, l'être-en-soi, comme condition de ce dévoile-
ment, échappe à cette relativité «Le phénomène d'en-soi est un abstrait sans la conscience mais non son être» (670). L'Être et le Néant oblige à penser une « subjectivité absolue [qui] renvoie d'abord à la chose» (666), bref « le retard de la conscience » sur l'être.
GC Absurde Au cœur d'une philosophie de la contingence, l'absurde est à la fois ce qui doit être conjuré et ce qui valide le cadre général qui fait de la signification la contrepartie d'une action. La démonstration en est faite tout particulièrement au moment où Sartre, contre les réflexions consacrées par Heidegger à l'être-pour-la-mort, établit l'absence de signification de la mort (EN 617 sqq.). L'absurde contrevient aux interprétations de l'existence en termes de narration et de mémoire. Il renvoie aux aspects impersonnels du devenir. En effet l'étude de la temporalité avait montré que les ek-stases temporelles ne s'unifient pas au cours de leur devenir devenu présent, le futur diffère de ce qu'il était au moment de l'anticiper, et le passé tombe dans une substantialité psychique où la conscience n'entre plus. La conscience en acte est un présent ouvert aux multiples dimensions temporelles. Jamais assurée d'atteindre au but, elle demeure dans un monde de possibles pourvus d'une signification singulière qui s'actualise en permanence. Et si les obstacles rencontrés au cours de l'action restent partie intégrante de celle-ci - justifications de l'énergie avec laquelle chacun s'y consacre -, ce qui vient ôter à un pour-soi ses possibilités sans relever de l'entreprise qu'il mène relève de l'absurde. Sartre opère ici une distinction entre deux modalités de l'attente il y a en effet un hiatus entre ce dont on peut être sÛT que cela se produira un jour et l'imprévu de sa survenance à un moment précis. Dans le premier cas, il y va d'une relation ontologique à la finitude, que tous mes comportements intègrent d'une certaine manière, mais le second survient sans relation au cours de l'action, dont il vient briser les lignes et qu'il marque du sceau de l'échec. La considération de l'absurdité de toute entreprise au regard de la mort condamnerait ainsi à une inaction que n'implique en rien la pensée de la finitude, et il faut dire que la signification de l'existence provient de perspectives de l'action en situation,
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A
et non pas de ce qui peut, du dehors, faire tomber l'existence dans le néant. Cela peut être démontré à propos du suicide, «absurdité qui fait tomber ma vie dans l'absurde» (598). Dès lors qu'il interdit, par principe, d'intégrer la dimension du futur à l'acte qui le définit, il n'est pensable à partir des catégories de l'action que dans la mesure où il serait un refus actif d'un futur «pire que la mort ». Cependant, même dans le cas d'un suicide héroïque (pour ne pas parler sous la torture) ou lucide (pour éviter la déchéance), il ne peut se comprendre que comme une soumission aux « causes extérieures » sans signification extériorité et contingence sont sans rapport à une quelconque signification. D'ailleurs, « l'acte même de liberté est assomption et création de finitude» (604) en sorte que l'absurde n'est pas à mettre au compte de la finitude il relève de sa négation in-définie et des limites de fait qui n'apparaissent qu'à la lumière de mes projets l'absurde n'ôte pas de signification et n'a aucune portée ontologique, car il n'apparaît qu'à partir de la dimension signifiante conférée par mon entreprise - ce que Sartre nomme « situation» (606-612). Dès lors, ce qui motivait les réflexions sur l'absurde est à reprendre à partir de la facticité du pour-soi en situation, qui ouvre sur la nécessité de (se) projeter c'est en fonction de projets assumés qu'apparaissent les limites objectives de ma situation, celles que je m'emploie vainement à transcender. Ce~ limites ne sont pas pensables selon la notion de l'absurdité, mais relèvent du concept d'irréalisable. Un irréalisable est un horizon externe que je dois obligatoirement prendre en compte «Cet être-juif n'est rien en dehors de la libre manière de le prendre. Simplement, bien que je dispose d'une infinité de manière d'assumer mon être-pour-autrui, je ne puis pas ne pas l'assumer nous retrouvons ici cette condamnation à la liberté que nous définissions plus haut commefacticité »(586). C'est de cette manière que Sartre répond à Heidegger « l'être-pour» est un être pour dépasser, en les assumant, des limites aperçues comme horizon de la situation il y va d'un libre projet qui se connait d'avance à travers ses limites. L'irréalisable caractérise mon engagement ou mon bistorialisation, mais ne caractérise pas la situation comme absurde. En revanche, il établit une signification qui détermine la liaison entre mon libre projet et mon passé c'est en décidant librement d'assumer certaines significations passées que les sociétés et les personnes s'bistorialisent (557). Et ce lien se fait sous la forme
de « conduites à tenir» relativement à ce passé. L'absurde renvoie donc proprement à ce vis-àvis de quoi je n'ai pas possibilité de prendre position ma naissance ou ma mort sont absurdes en ceci qu'elles constituent des limites formelles, mais sans détermination, du pour-soi. La mort « n'est aucunement fondement de sa finitude [... ] elle est situation-limite comme envers choisi et fuyant de mon choix [... ] Mais précisément comme cet envers est à assumer non comme ma possibilité, mais comme la possibilité qu'il n'y ait plus pour moi de possibilités, elle ne m'entame pas » (605-606). GW «
Achever la gauche ou la guérir ? »
Texte d'un entretien publié dans Le Nouvel Observateur du 24 juin 1965 et repris dans Situations VIIl, qui a pour prétexte 1'« opération Defferre ». Soutenu par le centre et le centre gauche, Gaston Defferre projette d'être candidat à l'élection présidentielle de 1965 contre de Gaulle. Cette campagne, orchestrée par L'Express comme celle de « Monsieur X », échoue finalement du double fait du MRP et de la SFIO. Sartre dénonce l'analyse technocratique de Defferre selon laquelle la maladie de la gauche impose de l'achever en la fondant dans une « grande fédération » de centre gauche et préconise, au contraire, de la guérir en s'appuyant sur la base et les luttes sociales qu'elle continue de mener. Ces luttes, qui sont des conflits réels, n'ont plus pour seul but de satisfaire les revendications essentielles mais d'obtenir de participer à la gestion des entreprises. La renaissance de la gauche exige qu'elle soit le reflet et l'instrument de telles luttes. Il en appelle à une candidature commune de la gauche (SFIO, PSU, PCp) et soutient que, dans une société d'exploitation, la gauche ne saurait disparaître car elle est le produit de cette société même.
MK « L'Acteur»
Trois fragments du premier tome de L'Idiot de la famille (166-169 662-665 787-791), où Sartre tente de mettre en évidence une étape décisive dans l'évolution de l'imaginaire de Flaubert, ont été intégrés par Contat et Rybalka dans Un théâtre de situations (TdS 211-225), car ils constituent une méditation importante sur
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DICfIONNAlRE SARTRE
l'ontologie théâtrale et sur le «paradoxe du comédien », déjà interrogés par Sartre dans L'Imaginaire et prolongés par son adaptation de Kean d'Alexandre Dumas. Au départ, Sartre dévoile la position ontologiquement impossible de l'acteur (