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Master Droit International des Affaires Master Juristes d’Affaires Master Management International Professeur: MARGHICH Abdellah 2019/2020
Commentaire du cadre juridique de l’opération du CREDOC Le crédit documentaire est un instrument privilégié du commerce international qui a connu un succès sans pareil. Ce n’est pas par hasard qu’on l’a qualifié du « sang de la vie du commerce international ». C’est en raison du rôle prépondérant voire vital qu’il joue dans le monde des affaires. En effet c’est un outil indispensable pour le financement « d’opérations internationales de tous genres », même les plus complexes et les plus sophistiquées. Son emploi aujourd’hui n’est plus retreint aux seules opérations de vente de marchandises, matières premières et biens de consommation. Son domaine couvre, en plus, une myriade de transactions commerciale telles que les prestations de services fournies à l’étranger (à l’instar des travaux d’ingénierie, de direction de projets, le financement des recherches et développement, le transfert de technologie, les prestations informatiques, la création de logiciels, les contrats de travaux scientifiques, de génie civil), les contrats d’entreprises, l’édification d’usines, les opérations à montage complexes comme par exemple la vente d’usine clé en main, le vente d’un ensemble industriel, les projets d’installations industrielles, les contrats de travaux publics tels que les contrats de construction de barrages de ponts, de routes, d’usines, de complexes industriels ou touristiques, les financements publics internationaux, les marchés publics, les opérations de compensation, les opérations bancaires syndiquées,
le
financement
de
mines
d’or,
les
contrats
pétroliers,
l’industrie
cinématographique, les affaires immobilières, les contrats de bail, etc. On assiste également à
son utilisation comme « tremplin » de financement à moyen et à long terme de contrats de fourniture de bien industriels, matériels et d’équipement. Le volume de ces opérations peut afficher des montants considérables. Les RUU de 1983, de 1993 et celle de 2007 ont expressément consacré cette évolution au sein de l’art. 4. Le principe selon lequel les parties ont à considérer les documents à l’exclusion des marchandises fut élargi pour embrasser les « services et/ou autre prestations auxquels les documents peuvent se rapporter ». Historiquement, cet instrument, véritable chef d’œuvre de technique bancaire, émergea peu à peu au début du vingtième siècle, au cours de la première guerre mondiale 1. A maintes reprises, l’essor de cet instrument fut analysé. Ce qu’il est essentiel de remarquer c’est que les changements du système commercial, vraisemblablement dûs à un développement rapide des moyens de communication et de transport, se sont heurtés, au gré des hasards de l’Histoire, à une période d’instabilité politique jusque là inédite à l’échelle mondiale. Le commerce international fut affecté par des déséquilibres économiques importants et il est souvent advenu qu’un commerçant n’ait pu avoir l’assurance de voir son cocontractant honorer ses engagements. Ce scénario provoqua l’apparition d’un phénomène financier et économique lié à l’accroissement prodigieux des échanges commerciaux internationaux. Il n’est pas surprenant que la fiabilité et les multiples possibilités qu’offrait le crédit documentaire aient répondu aux besoins propres du commerce mondial des services et des marchandises. D’une manière générale, il serait erroné de situer la naissance du crédit documentaire dans sa version moderne irrévocable et confirmée dans la nuit des temps. Ceux qui le font, confondent à tort entre la « lettre de crédit ouverte » ou « traveller’s letter of credit » et le « crédit documentaire » ou « lettre de crédit commerciale ». « Au demeurant, la technique du crédit documentaire est de création récente ». Elle date, en réalité, à la fin de la première guerre mondiale. La doctrine l’affirme de manière unanime « l’usage du crédit documentaire s’est développé après la première guerre mondiale dans les relations que les exportateurs américains entretenaient avec leurs clients européens ». Le « crédit documentaire » ou « lettre de crédit documentaire » est définit comme étant tout arrangement, quelque soit sa dénomination, en vertu duquel une banque émettrice 1
Certains auteurs affirment que l’engagement documentaire est un dérivé de l’ancienne lettre de crédit rencontrée chez les Phéniciens, Babyloniens, Assyriens ou encore chez les Grecs. D’autres considèrent que l’on doit chercher sa provenance dans la lettre de crédit médiévale du 12ème siècle. Cependant, les uns et les autres s’accordent sur l’apparition de la version moderne du crédit documentaire au début du 20ème siècle.
s’engage, de manière irrévocable, à payer un crédit à vue immédiatement, un crédit différé à maturité ou à accepter une traite tirée par le bénéficiaire et la payer à maturité, pourvue que la présentation soit conforme. C’est la définition qu’a prévu l’article 2 (8) des RUU 600. Elle diffère de celle prévue par l’article 2 des RUU 500. Elle marque avec clarté un changement qui reflète une évolution qu’a connu cette technique aujourd’hui. Il s’agit de la notion d’irrévocabilité qui est devenue un élément essentiel de la définition du crédit documentaire alors qu’elle n’était qu’une forme possible de crédit. Il en résulte que le crédit révocable n’existe plus. L’irrévocabilité de l’engagement bancaire est devenue un élément constituant l’essence même de cette technique. La définition du crédit documentaire est dorénavant tributaire de l’engagement irrévocable du banquier. L’importateur occupe incontestablement une place importante dans le crédit documentaire. C’est grâce à ses instructions que tout ce mécanisme est mis en mouvement. Techniquement, on le désigne par le terme « donneur d’ordre ». Il est utile de définir ce qu’il faut entendre par l’expression « donneur d’ordre » dit aussi « ordonnateur ». Il s’agit de toute personne physique ou morale qui ordonne l’ouverture d’un crédit documentaire ou à la demande de laquelle le crédit a été ouvert et qui bénéficie de la prestation promise. M. WHEBLE, le défini comme étant, toute personne « qui donne les instructions, stipule les documents et établit les modalités et les conditions ». Il peut s’agir d’un donneur d’ordre pour son propre compte, apparent ou non apparent, ce qui est le cas fréquent. Il peut encore s’agir d’un donneur d’ordre pour le compte d’autrui. D’abord, le crédit documentaire fournit une réponse adaptée au conflit d’intérêt existant entre l’acheteur et le vendeur dans la vente internationale. Dans une telle opération commerciale, l’acheteur souhaite recevoir la marchandise qu’il a commandée tandis que le vendeur, de son côté, souhaite en recevoir le prix. L’un et l’autre préféreraient une parfaite concomitance entre le dessaisissement de la marchandise et la réception du prix. Mais cela est rarement possible. D’ailleurs, lorsque acheteur et vendeur s’engagent dans une affaire commerciale internationale, ils doivent s’entourer de nombreuses précautions, rendues d’autant plus nécessaires du fait qu’ils encourent des risques liés aux rapports internationaux. La distance séparant les contractants, la diversité des systèmes juridiques, les incertitudes politiques sont des sources de méfiance traditionnelles en matière internationale. Il va sans dire que les risques politiques et économiques s’avèrent plus que jamais présents dans le contexte international. Ainsi les préoccupations qui se font jour sont aussi sérieuses que diversifiées et aboutissent à la recherche d’une voie permettant de mener à bien l’opération.
Le crédit documentaire réalise, par l’intervention du système bancaire d’un ou plusieurs pays, un compromis acceptable pour chacun et adaptable aux principales situations, grâce à ces diverses modalités. La substitution de la solvabilité de l’acheteur par celle de la banque2 est sans aucun doute souhaitable, car les rapports créés par l’émission du crédit sont ainsi contrebalancés. L’intervention du banquier est marquée par le principe de la neutralité absolue. Elle élimine, du moins théoriquement, les risques en assurant la solidité nécessaire à l’institution. En effet, il est l’intermédiaire en qui l’acheteur et le vendeur « vont mettre leur confiance afin de vaincre leur méfiance ». L’attribution au banquier d’un pouvoir de contrôle sur les documents habituellement représentatifs de la livraison de la marchandise est déterminante. Par ailleurs, son rôle comme marchand de documents fait du crédit documentaire une méthode fiable de règlement international, le paiement n’étant effectué au vendeur qu’en échange de documents conformes à la lettre de crédit. Le mécanisme bien élaboré du crédit documentaire risquerait fort, cependant d’être perturbé par l’absence d’un règlement bien défini et véritablement efficace. Etant donné qu’aucune législation de source nationale ou internationale, tant en France que dans la quasitotalité des pays étrangers, ne vient organiser et préciser les opérations de crédit documentaire, ce vide législatif et le caractère épars de la jurisprudence ne pouvaient fournir le cadre nécessaire pour accompagner le développement des relations commerciales internationales après la première guerre mondiale. Conscients du caractère dirimant d’un tel handicap, les praticiens mobilisèrent leurs énergies. Après plusieurs tentatives de codification privée à l’échelon national, la Chambre de Commerce Internationale (CCI) s’est saisie du problème en 1926. Avec la tâche d’obtenir une solution juste et équilibrée pour toutes les parties engagées dans l’opération, la CCI bâtit une œuvre remarquable, depuis jamais démentie : les « Règles et Usances Uniformes aux Crédits Documentaires – (RUU). Après une longue élaboration, due essentiellement aux milieux bancaires, les RUU parurent pour la première fois en 1933. Elles devaient être révisées une première fois en 1951 puis en 1962, version à laquelle se rallièrent les Britanniques, puis encore en 1974, en 19833 et celle de 1993. Enfin, la sixième réforme, dernière en date, est celle de 2007. 2
Nous prenons le terme, ici, dans sons sens générique, car il y a du mot « banque » un sens plus technique, propre à chaque système juridique national. Cela semble être la position adoptée par les RUU ICC Publication, N° 500. 3 La version des RUU de 1983 a intégré le crédit réalisable par paiement différé, le crédit « stand-by » et a largement mis à jour les articles relatifs aux documents de transport et aux modes d’établissement et de reproduction des documents afin de tenir compte des nouvelles techniques.
La fréquence de ces révisions assure une évolution des RUU conforme aux pratiques internationales. D’ailleurs, une autre clé du succès des RUU tient à la qualité de la méthode qui préside leur élaboration. De façon décentralisée dans chaque pays membre, la CCI associe les meilleurs spécialistes, sous la bienveillance de nombreux gouvernements. La Commission des Nations Unies pour le Doit Commercial International (CNUDCI) a adopté unanimement, le 17 avril 1975, une décision en en recommandant l’utilisation. L’application des RUU se fait par un système d’adhésion volontaire, soit par le système bancaire d’un pays donné, c’est le cas notamment en France, soit par adhésion individuelle de banques. Ces règles ont, en effet, une vocation universelle, au sens où l’article 1 des RUU précise qu’elles s’appliquent « à tous les crédits documentaires », et un caractère supplétif dans la mesure où elles s’appliquent « sauf dispositions contraires stipulées expressément dans le crédit ». Puis, l’élargissement du domaine du crédit documentaire, dont la diversité ne cesse d’augmenter en réponse à la myriade de transactions commerciales qui se concluent de nos jours, ne fait que renforcer la constatation de la flexibilité pratique de cet instrument. Celui-ci couvre un domaine tant national qu’international et, en particulier, des opérations hors du cadre de la vente commerciale. Les RUU reconnaissent expressément cette évolution en se référant dans leur article 4, à des « services et /ou autres prestations ». Cette même évolution a engendré l’avènement d’une nouvelle version de ce type d’instrument : la lettre de crédit stand-by. Cet instrument, dont il est fait mention dans la dernière version des RUU, est vraisemblablement d’origine américaine. Sa naissance remonte aux temps troublés de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, la pratique bancaire, notamment américaine et asiatique, excelle dans son utilisation. Toutefois, l’objectif principal des RUU est de régler l’opération du crédit documentaire. Celui-ci peut être défini comme « l’opération par laquelle une banque, appelée banque émettrice ou banque apéritrice accepte à la demande d’un acheteur, appelé donneur d’ordre ou ordonnateur, de mettre des fonds à la disposition du vendeur, appelé bénéficiaire, contre remise de documents constatant la bonne exécution d’une vente ». On constate donc qu’un crédit documentaire met en présence au moins trois parties : un vendeur exportateur voulant avoir une garantie de paiement qui demandera à être réglé par crédit documentaire, un acheteur importateur qui s’adressera à sa banque pour satisfaire cette demande, et la banque de ce dernier qui ouvrira, si elle en a convenance, le crédit. Cependant, le plus souvent, ledit crédit impliquera l’intervention d’une banque intermédiaire.
L’intervention de cette banque intermédiaire s’explique par le fait que la banque émettrice est généralement une banque du pays de l’acheteur et que, pour des raisons de confiance et de facilités matérielles, le vendeur préfère avoir affaire à une banque de son pays. Cette banque intermédiaire peut avoir d’ailleurs un rôle plus ou moins étendu. A cet égard, on distingue principalement la banque notificatrice, la banque désignée et la banque confirmatrice. La banque notificatrice se borne à transmettre l’accréditif au vendeur sans prendre aucun engagement à son profit4. La banque désignée, sauf si elle est la banque confirmatrice, ne contracte pas non plus d’engagement envers le bénéficiaire du crédit 5. Toutefois, à la différence de la banque notificatrice qui se borne à notifier le crédit, la banque désignée est investie du mandat de réaliser le crédit pour le compte de la banque émettrice. A ces qualités peut s’ajouter celle de la banque confirmatrice ou confirmante qui contracte envers le bénéficiaire un engagement ferme, comparable à celui de la banque émettrice, et qui vient s’ajouter à ce dernier6. A ce titre, afin de renforcer la sécurité de l’importateur, le banquier ne doit pas garder le silence et jouer un rôle passif. Il ne doit pas non plus se limiter à notifier les instructions de son client au bénéficiaire machinalement. Il n’est simplement un robot de transmission aveugle des instructions. Son rôle doit, en revanche, être aussi important que celui de l’importateur. « Nul ne contesterait le rôle actif, parfois même décisif, qui est à cet égard celui de la banque ». Le banquier constitue donc un intermédiaire actif indispensable. Il constitue également une partie à l’opération du crédit, responsable aussi bien que bénéficiaire du bon déroulement de la transaction. Il est responsable parce que pèsent sur lui des obligations assez lourdes, soumi à des risques graves et susceptibles de sanctions sévères. Il est bénéficiaire, parce qu’il réalise des commissions et profite d’un droit de gage sur la marchandise. Il a intérêt à ce qu’elle soit délivrée conformément aux instructions. Cette position centrale qu’il occupe dans l’opération ne l’autorise pas à être passif. Il est tenu d’être un participant actif et de déployer des efforts personnels pour faire réussir la transaction. En effet, dès le moment où il consent à l’ouverture de crédit, le contrat se forme. Ce contrat est « un contrat définitif qui produit ses effets immédiatement (…) il produit dés sa 4
Art. 7, a) RUU : « Un crédit peut être notifié au bénéficiaire par l’intermédiaire d’une autre banque (Banque notificatrice) sans engagement de la part de la Banque notificatrice (…) ». 5 Art. 10, c) RUU : « Sauf si la Banque désignée est la Banque confirmante, la désignation par la Banque émettrice n’entraîne pour Banque désignée aucun engagement de payer ». 6 Art. 9, b) : « La confirmation d’un crédit irrévocable par une autre banque (la Banque confirmante), agissant sur autorisation ou à la demande de la Banque émettrice constitue un engagement ferme de la Banque confirmante s’ajoutant à celui de la Banque émettrice ».
conclusion des obligations réciproques à la charge de ses parties ». Le banquier est non seulement appelé à agir activement mais surtout à agir diligemment. « Les opérations bancaires comportent souvent de nombreux risques pour les clients des établissements de crédit ou pour les tiers. Par conséquent, les établissements de crédit sont tenus de vérifier que les opérations qu’on leur demande de passer ne présentent pas d’anomalie du moins apparente. Ce devoir est dit de vigilance, [diligence], ou de surveillance et de prudence. Il est la conséquence de sa qualité de professionnel…l’inaction du banquier est source pour lui de responsabilité, envers son clients ou envers les tiers. On lui demande un degré de diligence qui est celui du bon professionnel ».