25 ANS DANS LES GEÔLES DE TINDOUF-Ali Najab - Extrait [PDF]

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Zitiervorschau

ALI NAJAB

25 ANS DANS LES GEÔLES DE TINDOUF

C

e sont 25 années d’une expérience douloureuse de prisonnier de guerre que l’auteur tente de nous raconter. Plus de 9125 jours de souffrances, de tortures et d’humiliations de la part du polisario sous les yeux indifférents d’officiers des services de sécurité militaire algériens. Pour Ali Najab : « Ce livre n’aurait pas vu le jour si mon épouse Atika Saiagh ne m’avait pas poussé à l’écrire. Mais je n’ai pas voulu qu’il ne soit qu’à moi tout seul. C’est le livre de tous mes compagnons d’infortune dont je rapporte quelques témoignages pour montrer ce qu’ils ont subi et vécu eux aussi. » Ce livre se veut d’être donc l’apologie des 2400 prisonniers de guerre marocains qui ont subi durant un quart de siècle, un vrai calvaire dans l’indifférence totale des instances internationales et des ONG des droits de l’Homme. L’auteur insiste sur le fait que les conventions de Genève et ses protocoles additionnels, qui protègent le prisonnier de guerre, sont opposables au polisario et à l’Algérie. Et ce, pour la principale raison que toutes les violations se sont produites sur le territoire algérien alors même que l’Algérie fait partie des pays signataires de ces conventions ! Cet ouvrage est également un devoir de mémoire et de reconnaissance spécialement envers ceux qui ont sacrifié leurs vies pour la récupération de nos chères provinces du sud. Cette dette et cette reconnaissance que chaque citoyen marocain a envers eux sont un élément clé pour le développement, chez la jeunesse notamment, d’un sentiment d’appartenance, de la valeur du courage et du dévouement pour la patrie.

ALI NAJAB

25 ANS DANS LES GEÔLES DE TINDOUF

25 ANS DANS LES GEÔLES DE TINDOUF

ALI NAJAB

145 DH / 24 € ISBN : 978-9920-769-38-9 Dépôt légal : 2019MO5359

MES MÉMOIRES DE PRISONNIER DE GUERRE

Ali NAjAb

Publié avec le concours du ministère de la Culture

25 ANS DANS LES GEÔLES DE TINDOUF MES MÉMOIRES DE PRISONNIER DE GUERRE

ISBN : 978-9920-769-38-9 Dépôt légal : 2019MO5359 © Éditions La Croisée des Chemins 16, Rue Mouaffak Eddine Imm. A, Rés. Dbibagh Quartier des hôpitaux - Casablanca. [email protected] www.lacroiseedeschemins.ma

À Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Chef Suprême et Chef d’État-Major général des Forces armées royales

À nos martyrs disparus pendant la guerre du Sahara À nos prisonniers morts sous la torture à Tindouf À mes parents À ma femme Atika Saïagh À ma fille Ola À mes petits-enfants Meryem et Yazid À mon frère feu Dr Ahmed Najab

Le capitaine Ali Najab avec sa femme et leur fille, âgée de trois ans, à la base aérienne de Laâyoune, en 1978, deux semaines avant sa capture.

P R É FAC E

J’

ai fait la connaissance du capitaine Ali Najab, ex-officier de l’armée de l’air des Forces armées royales, au mois d’octobre 2005, à l’occasion de la préparation et du tournage d’une émission de télévision pour le compte de la chaîne de télévision marocaine 2M. Dans cette émission, intitulée Le temps d’un voyage, il s’agit de simuler une rencontre « à l’impromptu », dans un compartiment du train Rabat-Marrakech, entre un ex-détenu du Polisario (Ali Najab), un ancien résistant de l’Armée de Libération (Mohamed Bensaïd Aït Idder), un historien professeur universitaire (Jamaâ Baïda) et une jeune étudiante en journalisme (Bouchra Raif). Il était prévu, dans le scénario, qu’une discussion « spontanée » s’engage entre les quatre « voyageurs » pour aborder, au fil du parcours entre la capitale et la ville ocre, les péripéties de la colonisation du Sahara marocain, les actions de l’Armée de Libération dans cette région pendant les années cinquante, la Marche verte, les convoitises algériennes et le témoignage d’Ali Najab en sa qualité d’ex-officier des FAR tombé entre les mains de l’ennemi pour vivre le calvaire, durant un quart de siècle, dans les geôles du Polisario et de ses commanditaires. La discussion entre les quatre personnes a été très riche ; l’émission a d’ailleurs été diffusée à plusieurs reprises sur 2M. Lors de cet échange, j’ai été impressionné par Ali Najab dont les 25 années de captivité n’ont point estompé sa passion débordante pour la cause de l’intégrité territoriale du Maroc. Au terme de l’émission, je lui ai fait part du grand intérêt que revêt

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son témoignage pour les générations montantes et pour un pan peu exploré de l’histoire du « temps présent » de notre pays. Depuis cette rencontre, je n’ai cessé, par le biais de la presse et des réseaux sociaux, de suivre avec admiration l’action militante et inlassable d’Ali Najab pour ce qui est devenu, désormais, la cause sacrée de sa vie. C’est, par conséquent, un immense plaisir pour moi, aujourd’hui, d’avoir entre les mains les épreuves de ses Mémoires pour lesquelles je rédige volontiers une préface. Je m’attendais à lire uniquement le récit tragique dont l’ex-prisonnier a déjà donné, ici et là, des fragments à l’opinion publique nationale et internationale, mais j’ai été agréablement surpris en constatant que les Mémoires d’Ali Najab emmènent le lecteur, dans les deux premiers chapitres, loin dans le passé pour lui faire connaître l’environnement familial et social dans lequel il a vu le jour et a grandi, mais aussi sa scolarité primaire et secondaire, puis son engagement dans les Forces armées royales et ses divers stages de formation. Ce sont des éléments biographiques d’une très haute importance puisqu’ils permettent de mieux appréhender les circonstances et les situations qui ont pétri Ali Najab pour faire de lui l’homme exceptionnel qu’il est devenu. Ali Najab est né en 1943, au pied du Jbel Bouiblane dans le Moyen Atlas oriental, dans l’espace tribal amazigh des Aït Ourain, réputés pour leur bravoure guerrière. Dans la restitution de son enfance au sein d’une famille modeste, puis de sa scolarité primaire à Maghraoua, à Mezguitem et à Taza, l’auteur fait revivre des aspects du Maroc d’antan dont l’intérêt sociologique n’échappera pas aux spécialistes. Il quitte bientôt sa région natale pour poursuivre sa scolarité secondaire à Casablanca, d’abord à l’école Jules-Ferry, puis à l’école industrielle (futur lycée Al Khawarizmy) où il décroche avec brio son baccalauréat en mathématiques et techniques (1963-1964). Les péripéties de ce parcours révèlent un jeune homme ambitieux que les difficultés ne découragent jamais. Le récit biographique est agrémenté, chaque fois que cela semble opportun, d’éléments du contexte historique : l’occupation française, l’exil du Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef, l’euphorie de l’indépendance et bien d’autres épisodes encore.

Préface — 11

Après l’obtention du baccalauréat, la voie est ouverte à la véritable vocation du jeune ouraini ; il choisit de s’engager dans l’armée de l’air en 1965. Les cycles de formation et les stages qu’il a effectués au Maroc, en France, aux États-Unis et en Iran laissent entrevoir une carrière prometteuse. Et au lendemain de la Marche verte, plus précisément au mois de janvier 1976, c’est un jeune capitaine plein d’enthousiasme et patriote jusqu’à la moelle qui rejoint nos provinces méridionales, comme pilote de chasse, chef de détachement d’une escadrille d’avions F-5 et chef des moyens opérationnels de la base de Laâyoune, pour accomplir, avec ses frères d’armes, le devoir de défense de l’intégrité territoriale du Maroc. Ainsi commence un tournant capital dans sa vie professionnelle, personnelle et familiale. Le 10 septembre 1978, la mission du capitaine Ali Najab au Sahara va brusquement tourner au cauchemar lorsque son avion sera abattu par l’ennemi non loin de Smara. Tombé entre les mains du Polisario, c’est la descente aux enfers pour ce jeune officier dont la captivité va se prolonger pendant un quart de siècle dans les geôles du mouvement séparatiste et de son commanditaire algérien. C’est à cet épisode tragique que l’auteur consacre la plus grande partie de son livre. Il se veut témoin d’une guerre larvée qui n’avoue pas son nom, mais aussi, chez l’ennemi, de pratiques barbares dignes d’un autre âge. C’est un témoin oculaire qui a souffert physiquement et moralement pendant 25 années, loin de sa patrie et de sa famille, mais qui a toujours gardé l’espoir de retrouver un jour les siens et de témoigner pour l’Histoire. C’est tout à son honneur, car les militaires, même à la retraite, s’abstiennent généralement d’écrire leurs Mémoires et évitent d’évoquer publiquement leurs parcours professionnels. Cela est peut-être dû à une interprétation rigide du « devoir de réserve ». D’où l’expression « la grande muette » pour désigner l’armée qui, en France par exemple, s’est vue interdire le droit de vote sous la IIIe République et jusqu’en 1945. Mais entre « devoir de réserve » et « devoir de mémoire », Ali Najab a clairement fait son choix. Les pages qu’il consacre à sa carrière militaire avant la captivité révèlent aux lecteurs la noblesse du « métier des armes » dont le jargon est souvent peu connu auprès des civils. L’histoire militaire marocaine est d’ailleurs encore à écrire. Et au moment où

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les autorités marocaines ont opté pour un retour du service militaire pour nos jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans, le livre d’Ali Najab, porteur d’une forte charge de patriotisme et de civisme, vient heureusement combler, certes partiellement, une lacune dans nos bibliothèques. Ali Najab est à ce propos révolté de constater que les jeunes Marocains ignorent l’histoire de leur pays, une histoire susceptible de renforcer chez eux l’amour de la patrie ; il écrit à ce sujet : « Je suis personnellement perturbé quand je rencontre des jeunes qui connaissent l’histoire du FC Barcelone et du Réal de Madrid, mais ne connaissent rien ni du conflit du Sahara ni de l’histoire du Maroc tout court. » L’auteur n’a pas la prétention de s’ériger en historien, mais il livre son témoignage émouvant au grand public et, le cas échéant, aux historiens du « temps présent » qui ne cessent de déplorer le manque de sources documentaires pour cette jeune discipline. En plus de son propre témoignage sur les souffrances et les vicissitudes de la captivité, des interrogatoires, de la torture et des humiliations qu’il a vécus, il fait œuvre utile en rapportant en plus, fidèlement, plusieurs autres témoignages de ses codétenus, ses frères d’infortune. Tous sont unanimes pour affirmer, arguments précis à l’appui, que c’est bel et bien le régime algérien qui fait la guerre au Maroc par Polisario interposé ; un legs de la période de la guerre froide qui perdure contre tout bon sens. Le cessez-le-feu intervenu en 1991 n’a pas mis fin au clavaire. Ali Najab et de nombreux autres prisonniers de guerre marocains doivent supporter leur destin dramatique quelques années encore. C’est, enfin, grâce notamment à l’action du Comité international de la Croix-Rouge, qu’un contingent de 243 détenus, dont 25 officiers et pilotes, peuvent rentrer chez eux, tous fiers du devoir accompli même s’ils doivent vivre le restant de leurs jours avec des séquelles profondes. Ali Najab retrouve les siens, et en premier lieu son épouse, Atika Saïagh, et sa fille, Ola, qui n’avait que trois ans lorsque le destin de son papa, au mois de septembre 1978, l’a brusquement et cruellement privée de l’amour paternel. Mais fort heureusement, une dame, Atika Saïagh, exceptionnellement

Préface — 13

courageuse, militante, peintre et poétesse talentueuse, a su, contre vents et marées, se défendre bec et ongles pour protéger dignement le nid familial. Mis à la retraite le 31 décembre 2003, le capitaine Najab ne connaît pas de répit. Son combat est inlassable, d’abord pour la libération des autres prisonniers de guerre, restés dans les camps des séparatistes en territoire algérien, en violation totale de la convention de Genève et de ses protocoles additionnels, ensuite pour la défense des droits moraux et matériels des ex-détenus qui ont payé le prix fort pour le Sahara marocain. En guise de conclusion, nous sommes en présence d’un récit de Mémoires fort instructif à plus d’un titre. Il s’inscrit, certes, dans une perspective de devoir de mémoire, mais il dévoile aussi des aspects peu connus de la « guerre du Sahara ». C’est un livre qui mérite d’être traduit très vite en arabe, en anglais et en espagnol pour diffuser à grande échelle les messages qu’Ali Najab y a intelligemment disséminés. Jamaâ Baïda Historien, directeur des Archives du Maroc Rabat, le 5 septembre 2019

AVA N T- P RO P O S

Q

u’est-ce que la liberté ? Vous la découvrirez, dans sa matière bien concrète, tout au long de ce livre qui vous fera comprendre qu’elle ne se décrète pas et doit être recherchée au fond de chacun. Le capitaine Najab était un jeune pilote de chasse qui, en 1978, lors d’une mission aérienne de reconnaissance dans la région de Smara au Sahara marocain, dut s’éjecter de son avion F-5R atteint par un missile. Capturé, il ne retrouva sa patrie et sa famille qu’en 2003. Ses conditions de détention furent assorties de violences multiples, physiques, avec des bastonnades et des séances de torture physiques et morales, inspirées de l’Asie. Il lui fallut laisser du temps au temps avant d’en écrire le quotidien. Bien des choses lui avaient été volées, comme ses marques et ses repères d’un monde qui avait beaucoup changé. Peut-être aussi une certaine vision de l’humanité, car au milieu des loups, l’homme peut devenir loup. Durant tout ce temps, Atika Saïagh, son épouse et mère de leur fille, Ola, veillait, telle Pénélope durant le long temps de l’Odyssée, et leurs esprits s’appuyèrent. Au retour, leurs forces convergèrent. Ce livre en est le fruit commun, mais aussi les peintures si poignantes et artistiques de Atika. On n’encage pas la liberté, a démontré, durant 25 ans, Ali Najab à ses tortionnaires. L’homme est resté debout. Chaque jour. Fier de ses forces intérieures. Sa pensée, fluide et limpide, maintenant libérée des scories des souffrances endurées, lui donne une belle écriture, bien structurée : exposé, développement,

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résolution. Le jeune pilote de chasse, tout tendu par son devoir envers son Roi et son pays, fit front durant chacune de ces 25 années. Son livre n’est aujourd’hui rien d’autre que l’expression de ce devoir, vif, sobre, déterminé, cornélien sans doute. Ali Najab est aussi un écrivain. Les silhouettes de deux immenses personnages de la littérature du xxe siècle, Antoine de Saint-Exupéry et Alexandre Soljenitsyne, ont accompagné ma lecture. J’ai ressenti la même exigence morale, vu le même silex qui étincelle la pensée et perçu la même espérance joyeuse, avec ce message : « La liberté est dans l’homme, dans sa capacité à se subordonner et à sacrifier ce qui le domine, pour mériter le nom d’Homme. » Hubert Seillan Avocat au Barreau de Paris

I N T RO D U C T I O N

L’

idée d’écrire un livre sur le calvaire que j’ai vécu, 25 années durant, à Tindouf, en Algérie, en tant que prisonnier de guerre, avec quelque 2 300 autres compagnons d’infortune, ne m’a pas tellement immédiatement enthousiasmé après ma libération. Je pensais que le récit oral que j’en faisais, çà et là, ou même dans la presse, allait suffire pour me sentir délivré de mes « troubles de stress posttraumatique », croyant, qu’à elle seule, « la parole purifie ». Mais je me suis rendu compte, au fil du temps, que dans le récit oral, il est difficile de raconter une histoire sans qu’elle soit, fatalement, à la fois « objective et partisane ». Paul Ricœur, dans son livre La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, trouve que « la mémoire pose problème quant à la représentation objective du passé ». En effet, la mémoire est influencée par ce que le témoin a vu ou entendu après les faits. Le témoin tend aussi à surévaluer son propre vécu et à généraliser sa propre expérience, à donner une importance à des faits mineurs de son vécu, alors que d’autres faits qu’il évoque à peine seraient plus importants. Sans entrer dans ces considérations philosophiques, ce livre se propose plutôt de montrer que la mémoire, chez nous, prisonniers de guerre marocains, est entretenue par des faits vécus. Dans notre univers carcéral, à Tindouf et à Boufarik (dans le nord de l’Algérie) pour certains, nous n’avons pas seulement vu et entendu. Nous avons aussi subi et enduré. Les 25 années de captivité – soit 9 125 jours (et c’est une moyenne) –, sont pleines de souvenirs

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douloureux et amers, de séquelles de torture, et de souffrances qui sont restées incrustées dans notre mémoire, peut-être à jamais. En effet, certains de nos camarades sont morts sous la torture, sous nos yeux. D’autres ont succombé, abandonnés dans un coin, sans soins, parce que leur évacuation vers un hôpital a trop tardé. Certains ont tout simplement été passés par les armes. Au total, 120 prisonniers ne reverront jamais leurs familles (cf. rapport de la mission internationale d’enquête, du 11 au 25 avril 2003, de France Libertés, Fondation Danielle-Mitterrand). En dehors des 45 prisonniers civils et militaires que nous avons enterrés nous-mêmes et dont les tombes se trouvent tout près du Q.G. du Polisario à Raboni, et des 22 autres morts dans les prisons militaires des casernes de Boufarik, Boughar, etc., dans le nord de l’Algérie ; les autres ont été enterrés n’importe où, à la hâte, un peu partout autour de Tindouf, et resteront à jamais sans sépultures. S’il y a eu une guerre au Sahara ? Oui, il y a eu une guerre au Sahara et non un maintien d’ordre comme certains s’amusent à le prétendre. Mais ceux qui s’attendent à trouver dans ce livre l’histoire de la guerre du Sahara seront déçus. Je n’ai pas voulu m’étendre sur la guerre elle-même, préférant plutôt parler des prisonniers de guerre et de leur calvaire, en effleurant tout simplement quelques batailles pour tenter de comprendre les tenants et les aboutissants de leur capture. D’autre part, je n’ai pas voulu faire de ce livre, « mon livre à moi tout seul ». J’ai tenu à ce qu’il soit celui de tous les prisonniers, autrement dit, une tribune pour eux, pour exprimer ce qu’ils ont vécu. Tous les récits de ces évènements sont étayés par les témoignages de ceux qui les ont supportés, ou plus souvent, qui les ont subis. Dans chaque rubrique, les faits rapportés par ces illustrations n’obéissent pas à une chronologie rigoureuse. J’ai jugé que ce n’était pas utile. L’important, à mon sens, était de les recueillir d’abord auprès des témoins, puis de les transcrire le plus rigoureusement possible en faisant des recoupements. Dans le premier chapitre, je décris rapidement, dans un premier temps sous forme biographique, ma scolarité, puis mon engagement dans l’armée de l’air, ma formation militaire et mes écoles de pilotage.

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Dans un deuxième temps, mon arrivée au Sahara et le début de la guerre, pour en venir à mon accident aérien qui fut un tournant décisif, voire fatal, dans ma vie et dans ma carrière militaire. L’éjection et mon premier contact avec les maquisards sont décrits avec précision. L’enquête qui a été menée à mon encontre, par des officiers algériens, au Q.G. de l’armée algérienne à Tindouf, fut tellement pénible que je la décris avec beaucoup de détails. Lorsque je fus emmené à Raboni, devant le Polisario, escorté par l’un de ses combattants redoutables, Ayoub Lahbib, mon premier contact avec les prisonniers de guerre marocains fut un choc pour moi. Je ne m’attendais pas à les trouver dans une situation aussi désolante. Cette condition et leurs souffrances, tout au long d’un demi-siècle de captivité, sont amplement décrites dans ce livre. Par conséquent, le lecteur trouvera largement exprimé les sujets suivants : – certains épisodes importants, à couper le souffle, comme la liste des prisonniers morts sous la torture et l’institutionnalisation de cette dernière, dès l’arrivée des détenus à Raboni jusqu’à leur libération ; – la liste des articles des conventions de Genève, opposables à l’Algérie et au Polisario, largement violées en raison du traitement des prisonniers marocains pendant la guerre et durant 14 ans après le cessez-le-feu ; – l’utilisation des prisonniers dans les programmes de propagande antimarocaine diffusés à la radio ou devant la presse (voir le témoignage en annexe) ; – la soumission permanente des prisonniers aux travaux forcés avec constamment la faim au ventre ; – la tentative – mais soldée par un échec – du Polisario d’enrôler dans son armée des prisonniers marocains d’origine sahraouie. Tous ces programmes, et ces traitements, infligés aux prisonniers étaient institutionnalisés dans le but de leur laver le cerveau, afin de les empêcher de penser à leur sort ou de réfléchir à une évasion. Mais nous avions vite pris conscience des démarches de l’ennemi, et malgré la vigilance permanente des gardes qui « veillaient constamment au

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grain », des prisonniers – souvent de simples soldats – ont réussi à s’évader : de vraies épopées qui sont rapportées avec minutie dans le chapitre « Évasions ». Les conditions de vie dans les centres n’offraient cependant pas, à tous, l’occasion de prendre le large. Comment avons-nous donc survécu à ce calvaire ? La foi et l’espoir ont certainement joué un grand rôle. D’abord la foi en nos capacités intrinsèques : l’organisation et la discipline entre nous. Nous avions décidé d’oublier nos grades et de vivre en frères. Renforcer les liens d’amitié et de camaraderie. Venir en aide aux malades et aux gens âgés et surtout veiller aux valeurs morales. Ensuite la foi en Dieu. La prière et la lecture du Coran n’étaient imposées à personne, mais elles sont vite devenues l’antidote à notre angoisse, notre anxiété. Très vite nous avions réalisé que, comme le dit Victor Frankl dans Découvrir un sens à sa vie : « L’important n’était pas ce que nous attendions de la vie, mais ce que nous apportions à la vie. » Au lieu de se demander si notre vie en prison avait un sens, nous nous disions que c’était à nous – ensemble, la main dans la main – de donner un sens à la vie. Pour ne pas subir passivement le poids du temps, dont nous n’étions pas conscients – même s’il pesait sur nous –, nous essayions de créer un semblant de spiritualité. Pour se soustraire aux pressions du quotidien, il y avait le rêve. Deux choses dans notre vie échappaient à notre ennemi : nos rêves et nos pensées. Avec l’esprit, on pouvait sauter par-dessus les murs et aller « surfer sur le Web » de notre imagination, car il fallait « alimenter nos rêves pour qu’ils ne meurent pas » (Antoine de Saint-Exupéry). Le rêve éveillé était aussi un puissant moyen « de nourrir le meilleur de nous-mêmes et de nous en nourrir ou de nous en servir en retour », comme noté par Guy Corneau dans Le Meilleur de soi. Nous refusions d’être nihilistes. Chacun essayait de trouver en lui la clé pour franchir la porte entre le statut de victime et celui d’un être libre, c’est-à-dire de l’homme capable de faire le bien autour de lui.

Introduction — 21

Malgré, donc, toutes les vicissitudes d’une très longue période en captivité, nous réalisions que nous étions destinés à une tâche de dévouement et d’abnégation. Nous étions, certes, partagés entre l’angoisse et la fierté, mais nous étions lucides sur le fait que notre communauté de prisonniers de guerre n’était pas la somme de nos intérêts, mais la somme de nos dons pour notre pays. Dans cette guerre, nous avons perdu beaucoup d’hommes. Qu’ils soient pilotes ou combattants de l’armée de terre, ils sont tous tombés au champ d’honneur. Ils étaient tous des combattants courageux, sincères et dévoués. Ceux qui ont échappé à la mort n’en déméritent pas pour autant. Ils ont continué le combat jusqu’à la victoire finale. Nos provinces du Sud vivent aujourd’hui dans la quiétude et la paix. Le Polisario a été créé sans âme. Il l’est toujours et le restera à jamais. S’il est aujourd’hui hors du Sahara, c’est parce qu’il y a eu un phénomène de rejet naturel, voire biologique, de la terre qu’il revendique. De nos jours, il est en réanimation à Tindouf, avec le régime algérien à son chevet, mais pour combien de temps avant que cette terre ne décide d’arrêter de garder en vie un corps moribond soutenu par respiration artificielle ? Enfin, une dernière partie qui traite du retour des prisonniers de guerre marocains dans leur pays, dont l’accueil n’a, malheureusement, pas été à la hauteur de leurs souffrances subies chez l’ennemi. La santé de beaucoup d’entre eux est altérée par les séquelles de la torture et les longues années de privation, de mauvaises nourritures, d’absence de soins appropriés. Reçus à Agadir dans l’indifférence, puis mis à la retraite avec les grades que nous portions au moment où nous sommes tombés entre les mains de l’ennemi, nous nous sommes sentis humiliés, notre dignité bafouée. Il n’y a pas eu de mesures prises pour une réinsertion adéquate dans la vie civile ni pour un accompagnement au cours des retrouvailles avec nos familles qui, pourtant, ont été la source de nouvelles souffrances psychologiques. En conclusion, j’estime que notre pays – l’État et la société civile – ont un devoir de mémoire et de reconnaissance envers tous ceux qui ont donné ou sacrifié leur vie pour le Sahara, y compris les prisonniers rapatriés de

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Tindouf ou morts là-bas. Pour s’acquitter de cette dette envers eux, il faut pérenniser ce devoir de mémoire et de reconnaissance, condition sine qua none pour forger chez le citoyen marocain en général, chez les générations montantes et les jeunes en particulier, le sens de la citoyenneté, celui du devoir national, du dévouement et du sacrifice.

CH A PI T R E I LES

Ali Najab devant sa cellule au centre des prisonniers dit « 9-juin », en 1998. Capitaine Najab devant sa chambre avec la déléguée du CICR au centre Aouint Belgraa situé à 176 km dans le sud de Tindouf, deux semaines avant sa libération.

Un groupe de prisonniers de guerre marocains lors du rassemblement pour l’appel, au centre dit « 9-juin », en 1997 (Photo CICR).

Un prisonnier de guerre marocain en train de vider une fosse septique dans un camp des populations civiles.

Centre dit « 9-juin » construit par les prisonniers eux-mêmes et aménagé spécialement pour les journalistes et les délégations pour les rencontrer. Chaque coupole abrite une dizaine de prisonniers (Photo CICR, 2002).

C’est la meilleure photo que retient le capitaine Najab de sa captivité parce celle-ci fut prise le jour où il répondit avec virulence à un journaliste de chez Sigma au sujet des bombardements de populations civiles. Cellule individuelle du capitaine Najab à son arrivée à Raboni après 45 jours d’interrogatoire au quartier général de l’armée algérienne à Tindouf (photo retrouvée à Raboni par un prisonnier).

Capitaine Najab avec l'un de ses camarades (capitaine Régragui) devant leur cellule collective (n° 79) au centre dit « 9-juin ».

Capitaine Najab devant sa cellule au centre des prisonniers de guerre dit « 9-juin » en 1997 (photo CICR).

Arrivée à Agadir des 404 derniers prisonniers de guerre marocains libérés par l’Algérie et le Polisario sous la pression des États-Unis.

Capitaine Najab et Dr Benmansour (à sa gauche) au centre dit « 9-juin » devant la cellule 97 en présence de quelques prisonniers, en 1997 (Photo CICR).

Capitaine Najab en train d’écrire une lettre à sa femme (sous le regard vigilant d’un garde du Polisario) qu’il va remettre au journaliste anglais (The Guardian) debout derrière lui. (au centre d’accueil des journalistes, à Tindouf, en 1986). (Photo BBC).

Capitaine Najab, avec le Dr Benmansour (prisonnier de guerre lui-même), lors d'un test de glycémie avec le matériel envoyé par sa femme, Atika (1997).

André Young, ex-ambassadeur américain à l’ONU en visite chez le Polisario discutant en aparté avec le capitaine Najab, en 1980. Pilotes de chasse prisonniers de guerre marocains face à la presse, dont France 2 avec Pierre Longlois (émission Résistance) Le capitaine Najab est à droite.

C O N C LU S I O N

A

près une Marche verte comme clé magique qui a, d’abord, forcé l’Espagne à s’asseoir à la table des négociations, après les accords de Madrid arrachés à l’Espagne aux forceps et entérinés par l’ONU, après moult tractations de la part de l’Algérie pour faire avorter le projet, nous sommes entrés au Sahara par la grande porte. Malheureusement, nous nous sommes heurtés à un mouvement séparatiste fabriqué et armé par cette même Algérie. Mais ce mouvement de séparatistes a germé, il faut le reconnaître, chez nous, dans nos universités à Rabat ; c’est la conséquence de nos fautes sur le plan politique depuis l’indépendance. L’Algérie nous a fait la guerre par séparatistes du Polisario interposés. Cette guerre a eu lieu sur le terrain, au Sahara, de 1975 à 1991, puis il y a eu un cessez-le-feu, à un moment où nous étions en position de force. Aujourd’hui, cette situation de « ni guerre ni paix » dure depuis déjà 28 ans, sans que l’ONU ne trouve de solution définitive à ce conflit. Cette situation inquiète, à juste titre, tous les Marocains parce qu’il n’est plus à démontrer que la récupération du Sahara est, pour eux, une question de vie ou de mort. Je constate cela à longueur de journée chez nos concitoyens au cours de nos discussions à bâtons rompus. Je suis souvent bombardé par des questions du genre : « Avons-nous vraiment gagné la guerre au Sahara ? » En tant que militaire ayant participé à cette guerre, ma réponse est catégorique : « Oui, nous avons gagné la guerre ! » Pour les convaincre de la victoire du Maroc, je leur dis : « Le drapeau marocain flotte partout au Sahara ;

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la population y vit en toute quiétude ; elle participe aux élections locales et parlementaires ; l’État marocain a investi et continue d’investir au Sahara dans des projets colossaux d’infrastructure et de développements structuraux... N’est-ce pas assez pour se sentir chez soi ? … J’ai visité Laâyoune et Dakhla depuis ma libération, et j’ai été agréablement surpris par les progrès réalisés dans nos provinces du Sud en comparaison avec ce que j’y avais laissé en 1978, à la veille de mon accident. J’ai discuté avec la population sahraouie, surtout avec les quidam que j’ai connus à Tindouf et qui sont aujourd’hui de retour au Maroc. Je suis heureux de constater qu’ils sont aujourd’hui convaincus qu’ils étaient induits en erreur par le Polisario et l’Algérie, son « directeur de conscience ». Le Polisario est hors du Sahara. Pour être précis, il loge à Tindouf en territoire algérien et non au Sahara ex-occidental. Son retour à la guerre, dont il brandit la menace de temps en temps, est quasiment impossible compte tenu de la conjoncture régionale et internationale et en raison, surtout, aussi, du fait qu’il ne sera jamais armé par l’Algérie comme avant. Parfois, il se dresse sur ses ergots dans la partie tampon pour se faire une publicité propagandiste, mais les Sahraouis qui ont rejoint le Maroc après le cessez-le-feu nous assurent que l’arsenal militaire du Polisario est depuis bien longtemps corrodé et en « cale sèche ». Ses fanfaronnades ne servent qu’à alimenter, sur le plan diplomatique, la machine de nuisance algérienne contre le Maroc sur la scène internationale. Cependant, le dossier n’est pas clos et si les armes se sont tues sur le terrain, la guerre continue sur le plan politique et diplomatique. De la même façon, notre armée connut, dans les années 80, un redressement spectaculaire sur le champ de bataille, notre diplomatie conçut récemment un changement tangible en devenant offensive. La tournée de Sa Majesté le Roi en Afrique lui redonna une vigueur originale en devenant plus combattif. Piloté par Sa Majesté le Roi, le retour du Maroc dans l’UA par la grande porte a ressuscité l’espoir chez les Marocains. Mais notre diplomatie officielle, à elle seule, ne peut être efficace dans un monde où les lobbys sont des rapaces et où l’argent est roi.

Conclusion — 557

Pour être efficace, notre diplomatie a besoin d’être épaulée par une diplomatie parallèle (ou complémentaire), comme je l’ai déjà dit dans l’interview accordée à M. Arif Hakim, rédacteur en chef de l’Observateur du Maroc (n°53, du 13 au 19 novembre 2009) : « Par conséquent, l’arme du Maroc réside dans le front interne. Un front uni. Il faut d’abord sensibiliser en permanence, et non épisodiquement, le peuple marocain sur l’affaire du Sahara en lui précisant d’abord ce qu’est le Polisario et en lui expliquant la mascarade que l’Algérie joue à Tindouf depuis plus de trois décennies déjà. Ceci d’une part. D’autre part, définir une stratégie d’actions diplomatiques sur la scène internationale qui devront être menées souvent, et non épisodiquement par des équipes formées de parlementaires compétents. Ensuite, il faut impliquer notre Université (professeur et étudiants compris) dans la recherche d’idées pouvant renforcer notre diplomatie sur la scène internationale. D’une façon générale, nos intellectuels, nos hommes d’affaires devraient s’engager davantage eux aussi, en faisant une diplomatie parallèle, en mettant à profit leurs réseaux de relations à l’étranger. Enfin, pourquoi ne pas parler aussi de l’affaire du Sahara dans les écoles primaires et dans les lycées ? […]. Notre système éducatif a beaucoup de pain sur la planche dans ce sens. Le rôle de la presse est extrêmement important dans la sensibilisation des Marocains sur le problème de l’intégrité territoriale. Certains journaux devraient s’arrêter de présenter chaque fois le Polisario comme une victime. Je suis consterné de constater que certains anciens militants d’Ila al Amam continuent à prendre position en faveur d’un référendum d’autodétermination au Sahara. »

C’est dire que le chemin est encore long pour enterrer définitivement ce conflit, parce qu’il faut arriver à convaincre les cinq grandes puissances au Conseil de sécurité de l’ONU que la solution de l’autonomie élargie, proposée par le Maroc, demeure la seule et unique pour mettre définitivement fin à un conflit préfabriqué pendant la guerre froide et pour des buts stratégiques où le Maroc allait être tronqué de son Sahara, et dont le retour à la mère-patrie est, pour le peuple marocain, une question de vie ou de mort. Tous les représentants du secrétariat général de l’ONU qui ont été dépêchés au Sahara savent que l’organisation d’un référendum au Sahara est illusoire parce que les listes électorales se sont avérées impossibles à établir.

558 — 25 ans dans les geôles de Tindouf

Ils sont convaincus que, aujourd’hui comme demain, l’autonomie élargie proposée par le Maroc est la ligne rouge que ni le peuple marocain, ni le Maroc, ni son Roi, ne franchiront. Qui, au Maroc, serait capable de dire aux Forces armées royales, à Dieu ne plaise, de quitter le Sahara ? Ce serait trahir l’histoire du Maroc, trahir nos martyrs, trahir leur mémoire ! J’ai écouté le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion de la XVIIIe célébration de la fête du Trône. J’ai été ému quand il a dit combien la question du Sahara lui tenait à cœur ! J’ai retrouvé chez lui cette fibre patriotique que je lui connaissais lorsque je l’accompagnais dans ses déplacements, de temps en temps, au début des années 70, alors qu’il était encore Prince héritier. Mais ce n’est pas le premier discours où il fait allusion avec force au problème du Sahara. Voici un extrait de son discours devant les représentants du Parlement, le 11 octobre 2013 :

Conclusion — 559

une fois, que la source de notre force, dans la défense de notre Sahara, réside dans l’unanimité de toutes les composantes du peuple marocain autour de ses valeurs sacrées. La situation est difficile. Rien n’est encore tranché. Les manœuvres des adversaires de notre intégrité territoriale ne vont pas s’arrêter, ce qui pourrait placer notre cause devant des développements décisifs. Par conséquent, je vous exhorte tous, une nouvelle fois, à une forte mobilisation, une vigilance de tous les instants, et à des initiatives efficaces, aux niveaux interne et externe, pour contrecarrer les ennemis de la nation où qu’ils se trouvent, et pour déjouer les stratagèmes illégitimes auxquels ils ont recours. Face à cette situation, il incombe désormais au Parlement d’élaborer un plan d’action intégré et efficient, mettant à contribution tous les instruments de travail parlementaire, afin de poursuivre la défense de notre intégrité territoriale, en laissant de côté les antagonismes entre majorité et opposition. Notre cause nationale ne saurait être

« En effet, la question du Sahara s’est trouvée cette année (2013) en butte à des

l’otage des conjonctures et des calculs politiques.

défis majeurs que nous avons pu relever grâce à la force de notre position et à la

De même, il appartient aux membres du Parlement et des conseils élus locaux

légitimité de notre cause. Mais on ne devrait pas se satisfaire de remporter cette

et régionaux, surtout dans nos provinces du Sud, d’assumer pleinement leurs

bataille ni céder à un optimisme béat.

responsabilités en tant que représentants des habitants de la région, et le devoir

Nous avons, en effet, constaté quelques défaillances dans la manière d’aborder

qui leur incombe de contrer les ennemis de la patrie.

notre cause nationale primordiale, nonobstant les initiatives sérieuses entreprises

En tant que Représentant suprême de l’État, symbole de l’unité de la nation, Je

par certains parlementaires, mais qui demeurent, malgré tout, insuffisantes.

n’épargnerai aucun effort, à tous les niveaux, pour préserver l’intégrité territoriale,

Voilà qui est de nature à encourager nos adversaires à passer à la vitesse supérieure

la Souveraineté et la stabilité du Royaume, fort de l’unanimité de Notre peuple

dans leurs manœuvres pour porter préjudice à notre pays.

fidèle et des efforts conjugués de toutes ses composantes.

Ceci tient au fait que la majorité des acteurs ne se mobilisent avec force qu’en cas

J’ai été élevé dans l’amour de la patrie et J’étais témoin, comme tous les Marocains,

de danger imminent menaçant notre intégrité territoriale, comme s’ils attendaient

malgré mon jeune âge à l’époque, de l’ambiance de mobilisation et de l’esprit

le feu vert avant d’entreprendre quoi que ce soit.

patriotique élevé qui avaient marqué la récupération de nos provinces du Sud,

Or, au lieu d’attendre les attaques de nos adversaires pour y riposter, il faut plutôt

grâce à la glorieuse Marche verte, et au génie de son concepteur, Notre Vénéré

les acculer à la défensive, en prenant les devants, en anticipant les évènements et

Père, Sa Majesté le Roi Hassan II, que Dieu sanctifie sa dernière demeure.

en y répondant de manière positive.

Et c’est précisément cet esprit qui doit continuer à inspirer nos actes et nos initiatives.

En effet, la question du Sahara n’est pas seulement la responsabilité du Roi, mais elle

Je demeurerai donc, comme vous m’avez toujours connu, au premier rang des

est également la cause de tous et de chacun : institutions de l’État, Parlement, conseils

défenseurs de notre intégrité territoriale, à la tête des marches pour le développement,

élus, et tous les acteurs politiques, syndicaux et économiques, les organisations de

le progrès et la prospérité, dans le cadre de l’unité, de la sécurité, de la stabilité et

la société civile, les médias et l’ensemble des citoyens. Il faut donc rappeler, encore

de l’unanimité nationale inébranlable. »

560 — 25 ans dans les geôles de Tindouf

Dans un autre discours, il tient à mettre les points sur les « i » : « En toute responsabilité, Nous affirmons qu’il n’y a plus de place pour l’ambiguïté et la duplicité : ou le citoyen est marocain, ou il ne l’est pas. Fini le temps du double jeu et de la dérobade. L’heure est à la clarté et au devoir assumé. Ou on est patriote ou on est traître. Il n’y a pas de juste milieu entre le patriotisme et la trahison. On ne peut jouir des droits de la citoyenneté, et les renier à la fois en complotant avec les ennemis de la patrie. Quant aux adversaires de notre intégrité territoriale et ceux qui se meuvent dans leur giron, ils savent plus que d’autres que le Sahara est une cause cruciale pour le peuple marocain, uni autour de son Trône qui est le dépositaire et le garant de sa Souveraineté, de son unité nationale et de son intégrité territoriale. »

Et s’agissant des dirigeants algériens : « En faisant de cette question la clef de voûte de leur stratégie belliqueuse, “ils” ne font que confirmer qu’ils sont bien le véritable protagoniste dans ce conflit artificiel, faisant fi des sentiments de fraternité réciproque existant entre les peuples marocain et algérien. »

Ces extraits, à eux seuls, constituent une feuille de route pour les Marocains (responsables politiques et société civile) pour bâtir un front interne solide face aux ennemis de notre intégrité territoriale. Mais ce front interne, à l’instar d’un édifice doit avoir un socle solide : 1. Revoir le statut de nos martyrs en améliorant les conditions sociales de leurs enfants et de leurs veuves parce que, ce que leur prévoient les textes en vigueur, restent en deçà des sacrifices que ces braves militaires ont consentis, en acceptant de mourir pour la marocanité du Sahara. 2. Résoudre le problème des ex-prisonniers de guerre qui est toujours latent et épineux. Cette question est problématique parce que la façon dont elle a été abordée jusqu’ici ne reflète pas l’intensité des souffrances et de la torture que ces prisonniers ont endurées aux mains de l’ennemi 25 années durant. Ils ont aussi besoin d’une réhabilitation et d’une réinsertion en guise de traitement pour leurs troubles de stress post-traumatique.

Conclusion — 561

3.

Créer une journée du Martyre qu’il faudra ajouter à la liste des fêtes nationales, à la mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie pour la patrie. 4. Créer, pour la Mémoire, un cimetière pour les martyrs du Sahara et ses anciens combattants en général, avec des sépultures pour les disparus en guise de reconnaissance et de mémoire pour leurs enfants qui méritent, entre autres, le statut de pupilles de la nation. 5. Mettre en valeur des lieux de mémoire pour nos martyrs et nos anciens combattants du Sahara en créant des monuments, des musées, etc. Il faut que les Marocains sachent – je ne dis pas l’État ni le commandement de l’armée, parce que, eux, le savent – que nous avons perdu des hommes valeureux dans cette guerre du Sahara. Qu’ils soient pilotes ou combattants de l’armée de terre, ils sont tous tombés au champ d’honneur. Envers ces gens-là, nous avons tous – du haut de la pyramide jusqu’au simple citoyen – un devoir de mémoire et de reconnaissance ; en somme, une dette. Pour nous acquitter de cette dette, il faut pérenniser ce devoir de mémoire, condition sine qua none pour forger chez le citoyen marocain, en général, et chez les générations montantes, en particulier, surtout les jeunes, le sens de la citoyenneté, du devoir, du dévouement et du sacrifice. Un hommage particulier, aussi, à tous nos combattants (officiers, sousofficiers et hommes de troupes) qui ont eu la chance de ne pas mourir au champ de bataille ni de tomber aux mains de l’ennemi et qui ont continué à combattre le Polisario jusqu’à la veille du cessez-le-feu. C’est grâce au combat acharné qu’ils ont mené contre l’ennemi que l’« algérisario » a baissé les bras. Ils méritent eux aussi d’être cités par l’Histoire. Je témoigne, également pour l’Histoire, que notre armée de l’air (FRA) – parce que la situation de guerre l’imposait – engagea toute une génération de jeunes pilotes de chasse, surtout sans préparation adéquate sur des appareils dépourvus d’équipements antimissiles ; elle les a envoyés dans une guerre où l’ennemi, lui, était équipé en missiles SAM-7, SAM-6, 8 et 9 de fabrication russe. Résultat : au regard des pilotes de chasse, et à celui du nombre d’avions et d’hélicoptères engagés, le bilan fut lourd au cours de cette guerre.

562 — 25 ans dans les geôles de Tindouf

Je voudrais terminer ce livre-témoignage en rendant un vibrant hommage à ces pilotes qui ont su largement faire face aux missiles antiaériens par leurs seules compétences et bravoure. Je terminerai par une petite pensée pour nos martyrs. Je citerai quelques-uns de mémoire : Ben Kacem (T-6) ; Chana Omar (F-5) ; Kouyess Sliman (F5) ; Driss Bahaji (F5) ; Dahhou Mohammed (F-1) ; Bejjaji Ahmed (F5E) ; Nakili (F1) ; Ousghir Abdelkader (F-1) ; El Fan Ahmed (F-1) ; Maataoui Mahjoub (F-1) ; Mabrouki (F-5) ; Salhi (F-5) ; El Ouafi (F-1) ; Mouana (F-5) ; Drissi (H.Bell) ; Belhaj et Amine (C-130) ; Boutouba (H.Puma) ; El Hayan (H.Bell) et d’autres encore. Sublimes figures d’aviateurs, de valeurs morales et professionnelles irréprochables. Ils ont accompli leur devoir jusqu’au bout. Tous bons, sincères et dévoués comme le sont des êtres de lumière et d’exception. Capitaine Najab après sa libération recevant des mains du colonel Khaldouni un tableau de F-5 au cours de la réception offerte en l’honneur des pilotes de chasse de la 2e BAFRA, ex-prisonniers de guerre en 2003, à la base aérienne de Meknès.

Conférence de presse conjointe entre le sénateur John McCain et le capitaine Najab au Capitol Hill à Washington, au mois de mai 2005.

Capitaine Najab aux Nations unies pour un témoignage à la Commission où il dévoila les violations des conventions de Genève par le Polisario et l’Algérie dans le traitement des prisonniers de guerre marocains.

Capitaine Najab de retour au foyer familial au mois de septembre 2003, avec sa femme Atika Saïagh, sa fille Ola et sa petite-fille Meryem.

Intervention du capitaine Najab devant le sénateur John McCain et le congressman Diaz Balart au Sénat à Washington, en 2005, pendant la campagne pour la libération des derniers 404 prisonniers de guerre marocains encore détenus à Tindouf.

Au Sénat à Washington, le sénateur John McCain lisant sa lettre de remerciements à Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour le wissam qu’il lui a accordé après son intervention en faveur de la libération des 404 derniers prisonniers marocains. À sa droite, capitaine Najab et ses camarades qui ont fait campagne aux États-Unis avec lui.

Au Sénat à Capitol Hill au mois de novembre 2005, le capitaine Najab remerciant le sénateur Lugar pour avoir obtenu la libération des 44 prisonniers marocains et leur rapatriement de Tindouf à Agadir en 2005.

Capitaine Najab à sa descente d’avion après un vol effectué à son retour de captivité. À sa gauche : son épouse Atika Saïagh et à sa droite leur fille Ola, tenant sa petite-fille Meryem, puis son gendre Adil, en 2004 à Meknès.

T É M O I G N AG E S

(Bis) Capitaine Najab à sa descente d’avion, lors d'un vol effectué après son retour de captivité : « Je voulais partir à la retraite sur une note d’optimisme. », a-t-il dit.

TA B L E D E S M AT I È R E S

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Chapitre I Les premiers pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Chapitre II Mon double engagement professionnel et personnel . . . . 41 Chapitre III De la guerre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Chapitre IV La captivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Chapitre V L’autre guerre des nerfs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Chapitre VI Les grandes attaques du Polisario sous l’appellation « offensive Houari Boumédiène » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Chapitre VII Mon expérience à l’école dite « 12-Octobre » : 1980-1983 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 Chapitre VIII Traitement des prisonniers de guerre marocains en général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 Chapitre IX Prisonniers de guerre marocains morts sous la torture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331 Chapitre X Incident et quelques déboires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347 Chapitre XI Les évasions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361 Chapitre XII Situation des prisonniers de guerre marocains après le cessez-le-feu de 1991. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397 Chapitre XIII Déportation de prisonniers de guerre marocains de Tindouf dans le nord de l’Algérie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405 Chapitre XIV Témoignage de trois médecins prisonniers de guerre . 417

Chapitre XV Des officiers prisonniers de guerre marocains à Tindouf . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre XVI Libération et rapatriement des prisonniers de guerre marocains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre XVII Après la libération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre XVIII Campagne pour libérer les 404 prisonniers encore détenus à Tindouf . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre XIX Réinsertion dans la vie civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre XX De la guerre au Sahara : « Ce que je crois. » . . . . . . . . . . Chapitre XXI L’action des FAR dans nos provinces sahariennes . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Témoignages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

431 469 481 485 505 523 541 555 569