Analyse de Tirade Phèdre [PDF]

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Zitiervorschau

Département de Langue et littérature françaises Semestre: S4 Module : Théâtre Classique Professeur : Mme. ARRIFI Écrit par: H. ISMAILI

Analyse de la tirade de Phèdre (IV, 6), élaborée par la professeure en classe-mai 2019Le texte étudié : Phèdre Ah ! douleur non encore éprouvée ! A quel nouveau tourment je me suis réservée ! Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports, La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords, Et d'un cruel refus l'insupportable injure, N'était qu'un faible essai du tourment que j'endure. Ils s'aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ? Comment se sont-ils vus ? depuis quand ? dans quels lieux ? Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire ? De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m'instruire ? Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ? Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher ? Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence Le ciel de leurs soupirs approuvait l'innocence ; Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ; Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux. Et moi, triste rebut de la nature entière, Je me cachais au jour, je fuyais la lumière. La mort est le seul dieu que j'osais implorer. J'attendais le moment où j'allais expirer ; Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée, Encor dans mon malheur de trop près observée, Je n'osais dans mes pleurs me noyer à loisir. Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir, Et sous un front serein déguisant mes alarmes, Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

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Il s’agit d’une tirade extraite de la scène appartenant à l’acte IV de la pièce Phèdre. Cette réplique est une conséquence directe engendrée par l’apprentissage de la nouvelle de la liaison amoureuse d’Hyppolite et Aricie. Suite à cette affreuse révélation, Phèdre va entrer dans un cycle infernal de colère, de rage et de jalousie. Cette péripétie engendre toute une avalanche de délire et de raisonnement chez Phèdre. La plaie est béante et la douleur est impérissable : Phèdre considère cet amour entre les jeunes gens comme la torture suprême et la douleur extrême jamais éprouvée jusque-là. Foudroyée, Phèdre donne libre-cours à sa rage et à sa jalousie. Chez Racine, le tragique nait à l’intérieur de l’homme. Il s’agit d’une fatalité intimement liée à l’intériorité humaine. La fatalité intérieure vise la destruction de l’homme et celui-ci est appelé à faire face à face à ses puissances par la maîtrise et le contrôle de Soi. Phèdre face à ce nouveau tournement saurait-elle se maîtriser et apprivoiser ses démons intérieurs ? En proie à l’extrême douleur, Phèdre éclate en employant « Ah ! » au tout début de son propos. Il s’agit d’une injection expressive qui révèle un sentiment vif brulant et terrible. Elle affirme que cette liaison vécue ni ressentie auparavant. La modalité exclamative nous découvre à quel point Phèdre est sous le choc, traumatisée, incapable de réaliser ce qui vient de se passer. Ainsi, elle confirme par elle-même l’impasse de la situation dans laquelle elle s’était mise. Phèdre dès le début pour dire finalement que tout ce qu’elle avait vécu : « N’était qu’un faible essai du tourment [qu’elle] endure ». L’allitération en [f] dans le premier hémistiche « La fureur de mes feux » indique à quel point Phèdre s’est traumatisée sous l’impulsion de cette passion furieuse, en une boule de feu incandescente de douleur. C’est le son du feu qu’on pointe du doigt. L’allitération en [r] dans le second hémistiche du même vers dévoile l’étranglement et la suffocation de Phèdre, le [r] de ces termes constitue une obstruction à la respiration normale de Phèdre. Et ce, parce que la douleur extrême et l’horreur de son supplice lui entravent toutes les fonctions vitales de la vie. Paroxystique, son martyre est interminable. Dans un sursaut de lucidité et de raison, Phèdre vient d’assoir la vérité la plus flagrante et la plus indubitable : celle de l’amour des jeunes gens : « Ils s’aiment », ce constat écrasant la bascule directement dans une situation de délire et de violence : « …par quel charme ont il trompé mes yeux ?/ Comment se sont-ils vus ? Depuis quand ? Dans quels lieux ? » Phèdre

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martelée à coup de « comment » et de « pourquoi » de cette aventure amoureuse d’Hyppolite. Elle n’arrive toujours pas à y croire. Cette modalité interrogative la fait souffrir davantage, la pilonne jusqu’à basculer encore une fois dans la raison défaillante : « Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire ?/ De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m’instruire ? », sur un mode coléreux et furieux, elle adresse la parole de ses interrogations à sa nourrice Œnone. Elle l’accuse d’être au courant de tout et de lui cacher insidieusement la vérité. Elle se sent trahie par tous ceux qui l’environnent, inclus par tous les êtres humains « Les a-t-on souvent se parler, se chercher ? ». Toujours triturée à coup d’interrogation, toujours entre l’incertitude et l’extrême frayeur, Phèdre se rappelle d’un endroit si cher à son cœur qui avait tant abrité sa passion secrète : « la forêt », cela la mène à se demander si les jeunes amoureux : « Dans le fond des forêts [allaient] se cacher. ». Tout un coup, elle vire du côté de la raison et de la lucidité la plus amère : « Hélas ! Ils se voyaient avec pleine licence. », « Hélas » se veut une interjection expressive révélant l’aigreur, le désespoir et la déception extrêmes de Phèdre suite au constat de son échec dans sa passion pour Hyppolite. Le reste du vers se veut une confirmation, cette fois-ci sans aucun doute, de la véracité de la passion entre Hyppolite et Aricie. Constatant son échec, puis sa défaite, elle est désormais vaincue, malgré elle, l’imaginable pour son faible entendement. Juste après, Phèdre va se livrer à tout un paradigme bâti sur des comparaisons la plupart de temps implicites entre sa passion illicite et celle légitime d’Hyppolite. Elle dit que l’amour des deux amants est libre, approuvé par le ciel, innocent « sans remords », naturel, lumineux est illuminé, serein et pur ; alors que le sien est enfermé, désapprouvé par les dieux, coupable, contre nature, sombre et agité, impur et pécheur. Renchérissant davantage, Phèdre enchaine en moyen de la conjonction « et » suivie d’une virgule pour mettre en relief son « moi », cette entité profonde sujette aux plus atroces calvaires et dire à quel point elle est malmenée, elle et son moi, considérée comme « triste rebut de la nature entière ». Cette fois-ci, elle focalise l’attention par le biais de l’enjambement interne sur l’expression « de la nature entière » parce qu’elle n’est pas rejetée uniquement par ellemême et par Hyppolite, mais encore, c’est ce qu’il y a de plus atroce pour elle, par « la nature entière ». Elle se lamentait et se plaignait toujours d’être constamment recluse, fuyant la lumière, implorant la mort, et attendant 3

constamment le moment où elle allait expirer. Inondée de larmes et d’amertume, son calvaire ne cesse s’aiguiser lorsqu’elle vient à se rappeler de sa vie passée où elle avait vécu sa passion sous le regard inquisiteur des personnes qui lui sont si proches. Là encore, son chagrin se révèle immense. Le terme employé « encore » communique un changement du ton et sa parole va à se modifier parce qu’elle vient à se rappeler, à se souvenir combien elle était réprimée dans sa passion, incapable de pleurer à volonté, de gouter le plaisir fâcheux résultant de sa passion. Elle était contrainte constamment d’afficher une mine sereine masquant ses peines et voilant ses larmes. L’enjambement interne structurant le dernier vers et rejetant la moitié la plus intéressante de l’autre côté du vers – c’est-à-dire, du second hémistiche fermé par- indique le summum de la privation et de la frustration chez Phèdre. Soumise à des tensions féroces, Phèdre n’est que le jouet des forces contradictoires de sa fatalité intérieure. Entre passion et jalousie, Phèdre se déchaine et perd tout contrôle d’elle-même. Tour à tour, elle raisonne et divague ; assaillie par l’hallucination, le sentiment de persécution, le sentiment d’être trahie, Phèdre se sent impotente et inapte à résoudre par elle-même sa tragédie. Les thèmes de la jalousie, de la colère et de violence sillonnent de bout en bout le texte (tirade) de Phèdre. S’aidant d’une langue te d’un verbe foisonnant mais sobre, Phèdre et à travers elle, Racine parvient à donner toute la majesté, la noblesse et la somptuosité requises dans le texte tragique. Pour conclure, il s’avère que la fatalité intérieure, le socle de la tragédie de Racine, est beaucoup plus puissante est destructrice que la fatalité extérieure. Et ce, parce que le mal émane de l’intérieur et les forces dévastatrices internes entreprennent un travail de longue haleine. Il s’agit d’un travail de sape, pointu et concentré auquel l’homme n’arrive pas à s’échapper quoiqu’il fasse. C’est l’épreuve vécue par Phèdre qui tente par tous les moyens de se redresser mais en vain. Encore faut-il dire que la raison se trouve impuissante devant la toutepuissance des pulsions, des impulsions des instincts quand ils se déchainent.

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