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Zitiervorschau

Séquence 5 Tragédie et comédie au XVIIe siècle : le classicisme Sommaire Objectifs & parcours d’étude Introduction 1. Autour de l’auteur Fiche méthode : Le classicisme Corrigés des exercices 2. Le classicisme de L’École des femmes : vue d’ensemble Fiche métode : Les règles du théâtre classique 3. Le classicisme de L’École des femmes : à l’épreuve du texte Corrigés des exercices Bilan

Séquence 5 – FR20

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O

bjectifs & parcours d’étude

Objectifs

 votre connaissance du mouvement classique • Approfondir  les règles du théâtre classique • Revoir  la notion de registre comique • Revoir  une pièce de Molière dans son intégralité • Étudier

Textes et œuvres

 L’École des femmes (texte • Molière, intégral

Introduction Objet d’étude La tragédie et la comédie au XVIIe siècle : le classicisme

Objet d’étude et objectifs Conseils de méthode Webographie

Chapitre 3 Chapitre 1 Chapitre 1 : Autour de l’auteur A. Biographie de Molière B. Contexte historique C. L’esthétique classique en peinture et dans l’art des jardins Fiche méthode : Le classicisme Corrigés des exercices

Chapitre 2 Chapitre 2 : Le classicisme de L’École des femmes : vue d’ensemble A. U  n tournant dans le genre de la comédie : « la grande comédie » B. Le respect de la règle des trois unités ? C. La structure de la pièce Fiche méthode : Les règles du théâtre classique Corrigés des exercices

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Chapitre 3 : Le classicisme de L’École des femmes : à l’épreuve du texte A. É tude de l’exposition (acte I, scène 1) B. A  rnolphe : une édifiante satire du jaloux (acte II, scène 3) C. D  e l’utilité du récit dans la comédie (acte III, scène 4) D. Montrer aux hommes leurs ridicules (acte V, scène 4)

Bilan Questionnaire sur le classicisme et la comédie dans Les Femmes savantes

Introduction A

Objet d’étude et objectifs Cette séquence s’inscrit dans l’objet d’étude «  Le théâtre et la comédie au XVIIe siècle : le classicisme », dans la continuité de la précédente, où vous avez pu découvrir les deux genres1 théâtraux consacrés au XVIIe siècle, la comédie et la tragédie, genres repris de l’Antiquité gréco-latine, et plus particulièrement en France du théâtre latin de Plaute et de Térence. À présent que vous connaissez les caractéristiques de ces deux genres et que vous savez analyser les registres comique et tragique, nous allons nous consacrer à l’étude du théâtre et de l’esthétique classiques à travers une comédie de Molière, L’École des femmes, considérée comme la première « comédie classique ». Au terme de cette séquence, vous saurez définir le classicisme, mouvement littéraire et culturel dominant, sous Louis XIV, et étudier une comédie du XVIIe siècle. Vous connaîtrez en particulier les principes de l’esthétique classique et ses principaux représentants dans la littérature, la peinture, l’architecture et l’art des jardins. Vous maîtriserez les règles établies pour le théâtre par les représentants de ce courant et saurez les observer dans une comédie ou une tragédie. Vous approfondirez enfin votre connaissance des registres comique et tragique.

B

Conseils de méthode Avant de vous lancer dans l’étude de la pièce, nous vous invitons à la lire dans l’édition Hatier, Collection Classiques & Cie, numéro 19, parue en avril 2010. Vous trouverez dans ce livre de poche le texte intégral annoté de L’École des femmes et d’une autre pièce cruciale pour notre sujet, La Critique de l’École des femmes, chaque œuvre étant précédée d’une préface et l’ensemble suivi d’un dossier présentant les thèmes les plus importants. D’autres éditions proposent des commentaires plus étoffés, mais superflus à votre niveau. Cette édition a le mérite de vous donner les annotations opportunes, un accès facile et éclairant à La Critique de l’École des femmes, et des repères synthétiques. Deux précisions cependant : vous n’êtes pas tenu de consulter les préfaces et le dossier dans la mesure où les cours et exercices de cette séquence vous fournissent le contenu pédagogique que vous devez acquérir ; en revanche, nous vous recommandons vivement la lecture de La Critique.

1. Par commodité, on parle de « genres » bien que le terme de « sous-genres » soit plus adapté, dans la mesure où l’on emploie déjà le mot « genre » pour désigner l’ensemble des productions théâtrales, comme on parle de genre poétique ou de genre narratif.

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En fin de séquence, un extrait des Précieuses ridicules vous sera proposé, afin que vous l’analysiez en mobilisant toutes les connaissances et les compétences que vous aurez acquises pendant ce cours. Afin de retirer le meilleur profit de celui-ci, rédigez vos réponses aux questions d’analyse de texte, en prenant soin de citer et de commenter convenablement le texte pour justifier vos analyses.

C

Webographie Les pièces de Molière ont fait couler beaucoup d’encre chez les critiques et de nombreux sites sur Internet traitent de son parcours et de son œuvre. Un site incontournable est celui de la Comédie-Française : http://www.comedie-francaise.fr Vous y trouverez de nombreux dossiers concernant notre dramaturge :

Parcours Molière



Ce dossier de la Comédie-Française fournit des outils pédagogiques et des éléments sur le contexte historique dans lequel vécut Molière ainsi que les principales étapes de sa vie, autant de pistes pour préparer les élèves à l’étude de l’œuvre de Molière.

Molière et ses personnages : le tableau d’Edmond Geffroy



Ces pages proposent une analyse de Jacqueline Razgonnikoff du tableau d’Edmond Geffroy «Molière et les caractères de ses comédies». Celui-ci rend un hommage à Molière et témoigne ainsi de la ferveur avec laquelle le XIXe siècle redécouvre le dramaturge.

Molière - éléments biographiques



Ce dossier propose une série d’éléments biographiques sur Molière. Il comprend une chronologie mais également une sélection d’articles biographiques dans les publications de la Comédie-Française. – Les parents de Molière et sa naissance (Sylvie Chevalley)– Années d’apprentissage (Alain Niderst).

 Molière et le décor de théâtre

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Cet article d’André Boll, secrétaire général de l’Association internationale des Critiques Dramatiques, tiré de la revue de la Comédie-Française, propose de retracer l’évolution du décor de théâtre dans les représentations des pièces de Molière, depuis Molière et jusqu’au XXe siècle.

Les Femmes savantes de Molière



Ce dossier pédagogique de la Comédie-Française présente Les Femmes savantes de Molière mises en scène par Bruno Bayen. Un autre site important est celui du théâtre de l’Odéon http://www.theatre-odeon.fr. Vous y trouverez aussi de nombreux dossiers sur Molière, l’un d’eux présente L’École des femmes ainsi que des extraits de mises en scène en vidéo. Bonne lecture et bon travail ! 4

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Chapitre

1 A

Autour de l’auteur Biographie de Molière Molière est un très grand dramaturge français, vous ne l’ignorez pas et avez certainement déjà lu plusieurs de ses comédies. Il est bon que vous ayez quelques connaissances essentielles sur sa vie, qui vous permettront de mieux comprendre ses œuvres et de les replacer dans leur contexte historique. Pour cela, je vous invite à faire des recherches sur la biographie du dramaturge sur Internet, en consultant plusieurs sites – et pas seulement Wikipedia ! –, et à prendre des notes sur ce qui vous semble important à retenir, avant de compléter la biographie proposée dans l’exercice autocorrectif suivant.

Document 1

Nicolas Habert, Jean-Baptiste Poquelin dit Molière. Écrivain et dramaturge, représenté tenant le Tartuffe. Gravure. 25,2 x 18 cm. Châteaux de Versailles et Trianon, Paris. © RMN / Gérard Blot

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Exercice autocorrectif n° 1 En vous aidant de sites sur Internet, complétez cette biographie. Sont indiquées en gras les informations à retenir. 1622-1644 : À Paris, de l’univers bourgeois à la vocation pour le théâtre dit Molière, naît à Paris le 15  janvier 1622, de Jean Poquelin, valet de chambre et tapissier du Roi, et de Marie Cressé, fille de marchands tapissiers. Voué à un avenir bourgeois par la charge héréditaire de son père, il fait ses études au Collège Clermont à Paris (aujourd’hui Lycée Louis Le Grand), puis entreprend des études de droit à Orléans. Mais, en ....................., il fonde avec Joseph et …................................. .............. Béjart une troupe de comédiens qu’ils baptisent …............................. .................. et adopte, en 1644, le pseudonyme de …............................................, abandonnant ainsi ses études et l’avenir que la position de sa famille lui avait tracé. …...............................................,

1645-1657 : En province, d’acteur de …............................................... à auteur ….. .............................................

En 1645, après des débuts difficiles à Paris, « l’Illustre Théâtre » fait faillite et Molière est emprisonné pour dettes. Son père l’aide à se tirer d’affaire et il intègre, avec les Béjart, la « troupe de Dufresne », une troupe itinérante parcourant les grandes villes de …............................................... où ils interprètent de nombreuses …..............................................., notamment de Corneille. Cependant, c’est dans le registre comique que Molière excelle. Il écrit alors ses premières …..............................................., comme La Jalousie du Barbouillé (1646) ou Le Médecin volant (1647). En 1655, il écrit sa première véritable …........... ...................................., en cinq actes et en vers, L’Étourdi ou les contretemps, et s’impose comme auteur comique en 1656 avec Le Dépit amoureux. 1658-1661 : À Paris, sous la protection de « Monsieur », du Théâtre du Petit-Bourbon au …............................................... En 1658, la troupe regagne Paris et obtient la protection de Philippe d’Orléans ou « Monsieur », …............................................... unique du roi, qui les installe comme sa troupe personnelle au Théâtre du Petit-Bourbon, où ils jouent en alternance avec la troupe de …............................................... du célèbre comédien italien Scaramouche. Dans ce théâtre, Molière est consacré comme auteur comique avec la représentation des Précieuses …............................................... (1659). En 1660, ce succès est confirmé par la représentation de Sganarelle ou le Cocu imaginaire, mais, la même année, la troupe se retrouve sans lieu de représentation car le Petit-Bourbon est démoli pour bâtir la colonnade du Louvre. Cependant, grâce à la médiation de Philippe d’Orléans auprès du Roi, Molière et sa troupe se voient attribuer le …................................................ Dans ce nouveau théâtre où il restera pour le reste de sa vie, Molière nourrit de grandes ambitions et, en particulier celle de s’illustrer dans la

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tragédie, le genre noble à l’époque. En 1661, il inaugure donc la nouvelle salle avec une tragi-comédie, Dom Garcie de Navarre ou Le Prince jaloux. La pièce est un échec et Molière revient sur le terrain de la comédie où il rencontre un grand …............................................... avec L’École des maris. Cette œuvre lui attire cependant l’hostilité des …............................................... qui voient dans cette pièce l’incarnation d’une morale permissive à l’encontre des valeurs traditionnelles. 1661-1662 : Du début des divertissements royaux à Versailles à la protection royale

Document 2

Séduit par L’École des maris, le surintendant du Roi, Nicolas Fouquet, invite Molière à donner une représentation devant Louis XIV dans son château de Vaux-le-Vicomte. Connaissant le goût du roi pour les ballets, Molière invente, avec Les Fâcheux, un nouveau genre, la …............................ ..................., qui associe comédie, musique et danse. Louis XIV est séduit. Cet événement marque un tournant décisif dans la carrière de Molière qui alternera désormais les représentations de comédies-ballets créées avec Lully devant la Cour de Louis XIV à Versailles et les représentations de ses comédies et des tragédies nées d’autres plumes, au théâtre du Palais-Royal. Il est désormais en charge des …............................................... En 1665, Louis XIV fera de la troupe de Molière la …................................................



Jean Hégesippe Vetter, Molière reçu par Louis XIV. XIXe siècle. Huile sur toile. Sénat – Musée d’Orsay, Paris. © Photo RMN / Hervé Lewandowski. Séquence 5 – FR20

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1662-1665 : À Paris, la « grande comédie » : consécration et controverses En 1662, Molière épouse …..............................................., de vingt ans sa cadette, présentée sur le contrat de mariage comme la sœur de Madeleine – la partenaire de scène de Molière et son ancienne maîtresse – mais que beaucoup disent être en réalité la fille de celle-ci. Le scandale provoqué par ce mariage, qui voit naître toutes sortes de fabulations autour du couple, semble être à l’origine de la nouvelle comédie de Molière, …......................... ......................, dont la première représentation a lieu en décembre 1662 au Palais-Royal. Son succès est considérable. Avec elle, Molière fonde la ….. ............................................., non sans mal puisqu’elle déclenche aussitôt l’une des plus grandes polémiques de son temps. Cette pièce satirique écrite selon la forme des tragédies classiques, soit en cinq actes et en alexandrins, soulève les protestations des rigoristes chrétiens, moralistes et gardiens des règles du théâtre classique auxquels s’ajoutent les nombreux auteurs et acteurs envieux de la faveur grandissante de Molière à la Cour et auprès du public parisien. Cette longue polémique est ravivée par la représentation de …............................................... (1664) que le Roi, sous la pression de la cabale des dévots, fait interdire très rapidement. Molière n’obtient l’autorisation de la représenter qu’en 1669, dans une version très remaniée. De même, son …............................................... (1665) fait l’objet d’une censure qui durera encore longtemps après sa mort (jusqu’en 1841). 1666-1673 : Comédies de caractères, comédies de mœurs et comédiesballets Dans les dernières années de sa vie, Molière se tourne vers les comédies de caractères et de mœurs, qui le tiennent à l’écart des attaques des dévots. Citons quelques uns des chefs-d’œuvre écrits durant cette période : …............................................... (1666), …............................................... (1668), Le Bourgeois …............................................... (comédie-ballet, 1670), Les …........... .................................... savantes (1673), Le Malade imaginaire (1673). Continuant à jouer malgré la maladie pulmonaire dont il souffre depuis 1665, il s’éteint le 7 février 1673, juste après la quatrième représentation du ….. ..............................................

➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice n° 1 à la fin du chapitre.

B

Contexte historique Molière a vécu sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV, au cours desquels se sont épanouis les mouvements culturels du baroque puis du classicisme. Molière est lui-même un représentant du classicisme. Vous trouverez une présentation détaillée de ce courant dans la fiche méthode en fin de chapitre. La vie culturelle est étroitement liée au contexte historique. Retenez donc les aspects marquants du XVIIe siècle exposés dans le tableau ci-après.

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Politique

1610/17-1643 Règne de Louis XIII avec le cardinal Richelieu : période de troubles.

1644-1661 Régence d’Anne d’Autriche avec le cardinal Mazarin.

1661-1685 « Le siècle de Louis le Grand », phase prospère du règne de Louis XIV.

Hostilités d’une bonne partie de la famille royale et de la grande aristocratie française, d’où de nombreuses manœuvres politiques pour affaiblir les aristocrates au profit du pouvoir royal.

Révoltes paysannes, puis émeutes et Fronde des Princes (1650-1652), révolte des derniers féodaux contre le pouvoir centralisateur qui émerge et réduit leur influence.

Marqué par la Fronde, Louis XIV écarte l’aristocratie du pouvoir en 1663, s’entoure de bourgeois, comme Colbert, et instaure un pouvoir personnel et une monarchie absolue.

Longues guerres contre l’Espagne.

Social

Économique

Religieux

Lutte contre les protestants dans le sud de la France.

Guerres incessantes : guerre de la ligue d’Augsbourg (16881697) et guerre de succession d’Espagne (1701-1714).

Multiples réformes. Nombreux succès militaires. Développement du courant janséniste.

Création de la Compagnie du Saint-Sacrement (1629) pour lutter dans l’ombre contre l’impiété, l’immoralité et le protestantisme.

Dissolution de la Compagnie du SaintSacrement (1665). Persécutions des jansénistes manifestant une certaine opposition à l’absolutisme (1653-1669).

Révocation de l’Édit de Nantes (signé en 1598 par Henri IV), interdiction du protestantisme et paroxysme des persécutions.

Économie dynamisée mais lourds impôts.

Lourds impôts qui étranglent la population ; mauvaises récoltes et épidémies.

Développement du commerce et des manufactures avec Colbert.

Ruine économique de la France provoquée par les guerres.

Affaiblissement de la noblesse, misère paysanne.

Misère paysanne, affaiblissement de la noblesse.

Noblesse évincée et divisée, essor de la bourgeoisie sur laquelle s’appuie le roi, misère paysanne.

Noblesse, bourgeoisie et paysans également mécontents.

Essor du classicisme.

Le roi favorise l’épanouissement des arts et des sciences, ce qui donne lieu à l’apogée du classicisme. Cet art est au service du pouvoir royal (cf. les divertissements royaux dans les jardins du château de Versailles) ; construction du château de Versailles.

Incompréhension des intellectuels qui étaient auparavant dévoués au roi.

Certaine émancipation féminine tout au long du XVIIe siècle. 1634 : création de l’Académie française.

Culturel

1685-1715 Période moins brillante du règne de Louis XIV.

Épanouissement du mouvement baroque ; émergence d’autres exigences artistiques fondées sur la raison. Naissance du courant de la préciosité autour de Mme de Rambouillet et Mlle de Scudéry.

Mécénat royal pour mettre l’art au service du pouvoir royal et création d’académies de peinture, de sculpture, d’architecture.

Querelle des Anciens et des Modernes et fin du classicisme.

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Exercice autocorrectif n° 2 Pour bien comprendre le contexte historique du XVIIe siècle, recherchez les définitions du jansénisme et de la préciosité. Vous pouvez consulter des manuels, des encyclopédies ou des sites en ligne. Sites conseillés :

http://www.port-royal-des-champs.eu E http://www.amisdeportroyal.org E http://www.ac-clermont.fr (ressources pédagogiques) E http://www.lettres-et-arts.net E

➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice n° 2 à la fin du chapitre. Document 3

La Carte du Tendre, gravure, XVIIe siècle - Paris, B.N.F. © RMN/Agence Bulloz.

C

L’esthétique classique en peinture et dans l’art des jardins Le classicisme est un mouvement littéraire qui se développe en France, et plus largement en Europe, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, de 1660 à 1680. Il s’impose donc dans la littérature, mais aussi la philosophie, la musique, les arts plastiques et l’architecture, tendant vers une

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perfection formelle définie d’après l’héritage gréco-romain mais correspond aussi à la consolidation des États nations soucieux de contribuer au développement d’un art qui magnifie leur puissance. Vous allez découvrir les caractéristiques de ce mouvement en peinture et dans l’art des jardins par le biais d’exercices autocorrectifs. La lecture préalable de la Fiche Méthode sur le classicisme en fin de chapitre peut vous aider à répondre aux questions.

Exercice autocorrectif n° 3 Analyse d’un tableau

Document 4

Nicolas Poussin, L’inspiration du poète, 17e siècle, huile sur toile, 182x213cm, Musée du Louvre, Paris. © RMN/René-Gabriel Ojéda.

Proposez une interprétation de ce tableau de Nicolas Poussin en répondant au questionnaire suivant.

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 Identification du sujet



 Qui est le personnage assis au centre de la scène ? Regardez ce qu’il

tient dans les mains et ce qu’il porte sur la tête. 2 Regardez maintenant la femme qui se tient debout derrière le per-

sonnage central. Comment est-elle vêtue ? Que porte-t-elle à la main droite ? Savez-vous qui est cette femme ? 3 Qui sont les deux petits garçons ailés ? Que fait celui qui se tient aux

pieds du personnage féminin ? 4 Pouvez-vous deviner qui se tient à droite de la scène ? Que porte ce

personnage dans ses mains ? Que regarde-t-il ? Pourquoi ? Que diriezvous de son expression ? 5 Le personnage assis au centre, que fait-il ? Quelle explication donne-

riez-vous à son geste d’après le titre du tableau ?

 Étude de la composition



6 Que diriez-vous de la composition du tableau ? Appuyez-vous sur la

façon dont sont disposés les personnages ?

 Étude de la lumière et des couleurs



7 Regardez maintenant la lumière qui emplit le tableau. D’où provient-

elle ? Quelles sont les couleurs prédominantes ? Quel rapport y a-t-il entre les couleurs et la lumière ? Pourquoi, selon-vous, le peintre a-t-il choisi cette lumière et ces couleurs  ? Cela a-t-il un rapport avec le thème du tableau ? Conclusion 8 Qu’est-ce qui fait de ce tableau une œuvre éminemment classique ?

Exercice autocorrectif n° 4 Le classicisme dans les jardins du château de Versailles Rendez-vous sur le site officiel du château de Versailles à l’adresse suivante  : http://www.chateauversailles.fr. Sur la page d’accueil, cliquez sur la rubrique « Plan interactif ». Vous aurez accès à une carte interactive, cliquez alors sur la rubrique « Les Jardins » et répondez aux questions suivantes. 1 Trouvez des arguments pour classer ces jardins comme jardins clas-

siques. Pour ce faire, suivez les étapes suivantes : a) Observez le plan et notez les caractéristiques classiques que vous remarquez dans l’aménagement de l’espace.

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b) Consultez les différents sites numérotés et relevez quelles sont les principales références iconographiques présentes dans les jardins. Attention, limitez-vous aux aménagements faits pendant le règne de Louis XIV (1643-1715). 2 La course du Soleil et le mythe d’Apollon sont les références symbo-

liques les plus présentes dans les Jardins du Château de Versailles. Dans ses mémoires, Charles Perrault évoque la création du décor solaire de la grotte de Thétis sur ordre de Louis XIV. Lisez l’extrait qui relate cette création et répondez au questionnaire proposé.

Document 5 « Lorsque le roi eut ordonné qu’on bâtit la grotte de Versailles, je songeai que, sa Majesté ayant pris le Soleil pour sa devise, avec un globe terrestre au-dessous et ces paroles  : Nec pluribus impar, et la plupart des ornements de Versailles étant pris de la fable du Soleil et d’Apollon (car on avait mis sa naissance et celle de Diane, avec Latone, leur mère, dans une des fontaines de Versailles, où elle est encore), on avait aussi mis un soleil levant dans le bassin qui est à l’extrémité du petit parc ; je songeai donc qu’à l’autre extrémité du même parc où était cette grotte (car elle a été démolie depuis), il serait bon de mettre Apollon qui va se coucher chez Thétis après avoir fait le tour de la Terre, pour représenter que le roi vient se reposer à Versailles après avoir travaillé à faire du bien à tout le monde. Je dis ma pensée à mon frère le médecin, qui en fit le dessin, lequel a été exécuté entièrement, à savoir : Apollon dans la grande niche du milieu, où les nymphes de Thétis le lavent et le baignent, et dans les deux niches des côtés, il représenta les quatre chevaux du Soleil, deux dans chaque niche, qui sont pansés par des Tritons. M. Le Brun, lorsque le roi eut agréé ce dessin, le fit en grand et le donna à exécuter, sans presque y rien changer, aux sieurs Girardon et Regnaudin pour le groupe du milieu, et aux sieurs Gaspard Marsy et Guérin pour les deux groupes des côtés, où sont les chevaux pansés par les Tritons. Mon frère fit aussi des dessins pour tous les autres ornements de cette grotte, figures, rocailles, pavés... ; il fit aussi le dessin de la porte, qui était très beau : c’était un Soleil d’or qui répandait ses rayons aussi d’or sur toute l’étendue des trois portes, lesquelles étaient de barres de fer peintes de vert. Il semblait que le Soleil fût dans cette grotte et qu’on le vît au travers des barreaux de la porte. » PERRAULT, Charles, Mémoires de ma vie, précédé de « Un moderne paradoxal », essai d’Antoine Picon, Paris, Macula, 1993, p. 208-209.

Questionnaire a) L a devise latine Nec pluribus impar, de traduction controversée, est le plus souvent interprétée ainsi  : «  sans égal  » ou «  au-dessus de tous ». Quel est d’après vous le sens de cette comparaison du Roi avec le Soleil ?

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b) Connaissez-vous le mythe de Latone, la naissance d’Apollon et Diane, et l’histoire du serpent Python ? Faites des recherches documentaires si besoin et explicitez le rapport de ce mythe avec la vie de Louis XIV. c) Hormis le Soleil, quelles autres attributions d’Apollon peuvent entrer en relation avec la figure de Louis XIV ?

➠ Reportez-vous aux corrigés des exercices n° 3 et 4 à la fin du chapitre.

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Fiche méthode

L e classicisme

Chapitre

1

Fiche méthode

Naissance d’une notion Le terme est tiré du latin classicus ; l’adjectif « classique » qualifiait dans la Rome antique la langue parlée par l’élite intellectuelle et sociale, par opposition à la langue vulgaire, la langue du peuple. Le terme «  classique » apparaît à la Renaissance pour désigner, par opposition à l’art gothique, une esthétique définie d’après le modèle antique grécoromain. À la fin du XIXe siècle, ce sont les historiens de l’art qui donnent son sens actuel à la notion de « classicisme » pour définir, par opposition au « baroque », le courant qui s’est développé à partir de la fin du XVIe siècle dans les arts plastiques, l’architecture, la littérature et la philosophie. Définition : L’esthétique classique du XVIIe siècle se place dans la continuité de celle de la Renaissance dont elle hérite des valeurs : la recherche de l’harmonie, l’imitation de l’Antiquité, l’observation de la nature, et, dans les arts plastiques, le rendu de la perspective, du modelé et de l’anatomie. Son idéal de beauté, par opposition au baroque, réside dans l’ordre, la clarté et la symétrie.

Chronologie et contexte historique Née en France sous les ministères de Richelieu (1624-1642) et de Mazarin (1642-1661), l’esthétique classique atteint son apogée dans la première partie du règne de Louis XIV (1661-1687) dont elle servira l’image de puissance et d’autorité. « La querelle des Anciens et des Modernes », à partir de 1687, annonce la fin de ce courant. On peut donc distinguer trois phases dans le classicisme 1620-1661 :

détournement de l’esthétique baroque et élaboration du goût classique. À partir de 1620, l’aristocratie et plus encore la bourgeoisie commencent à se lasser des excès baroques tandis que le pouvoir royal tente de contrôler la création littéraire : l’Académie française est fondée en 1635. L’idéal de l’honnête homme (cf. infra) voit le jour.

1661-1687 :

apogée du classicisme. Cette phase correspond à une période de stabilité au moment où, à la mort de Mazarin, Louis XIV commence à exercer le pouvoir par lui-même.

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Fiche méthode

Le Roi Soleil exerce un pouvoir absolu fondé sur la religion. Cet absolutisme est apprécié de la bourgeoisie et de l’aristocratie, l’une profitant de la paix, l’autre de l’aide royale. Dans ce contexte, Louis XIV crée une vie mondaine brillante et patronne les arts. 1687-1715 :

déclin du classicisme Alors que Louis XIV multiplie les guerres qui affament le peuple et mettent à mal la bourgeoisie, des protestations s’élèvent et l’esprit critique se répand. Dans le domaine littéraire, les « Modernes » en viennent à rejeter le fondement du classicisme : l’imitation des Anciens

Contexte culturel Le classicisme se diffuse au sein de la bourgeoisie et des aristocrates de moindre rang – la haute aristocratie ayant été écartée par Louis XIV – pétris par la même culture gréco-latine. Laissées sans instruction, mis à part quelques personnalités d’exception –comme Mlle de Scudéry–, les femmes, créeront le courant précieux.

Les grands principes de l’esthétique classique  L’imitation des Anciens Comme les écrivains de la Renaissance, les classiques se donnent pour modèles, les auteurs grecs et latins et comme références théoriques, les Poétique d’Aristote (IVe s. av. J.-C.) et d’Horace (Ier s. ap. J.-C.), qui ont explicité dans leur œuvre les principes de l’art antique. Précisons cependant que cette imitation n’est pas un plagiat : il s’agit de s’inspirer d’un auteur antique connu pour rivaliser avec lui. Quantité de fables de La Fontaine sont ainsi empruntées aux fabulistes grec Ésope (Ve  siècle av. J.-C.) et latin Phèdre (Ier  siècle après J.-C.). Phèdre, tragédie de Racine, est la troisième version d’un mythe déjà mis en scène par Euripide (dramaturge grec du Ve siècle av. J.-C.) puis Sénèque (auteur latin du Ier siècle ap. J.-C.). Racine s’inspire aussi d’Euripide pour sa tragédie Andromaque. Pour Les fourberies de Scapin, la source de Molière est le Phormion de Térence (auteur comique latin du IIe s. av. J.-C.)  ; pour L’avare, il reprend La marmite de Plaute (auteur comique latin du IIIe s. av. J.-C.).

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Le chêne un jour dit au roseau : « Vous avez bien sujet d’accuser la nature ; Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ; Le moindre vent qui d’aventure Fait rider la face de l’eau, Vous oblige à baisser la tête. Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d’arrêter les rayons du soleil, Brave l’effort de la tempête. Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n’auriez pas tant à souffrir : Je vous défendrais de l’orage ; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. – Votre compassion, lui répondit l’arbuste, Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci : Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ; Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos ; Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots, Du bout de l’horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le nord eût porté jusque-là dans ses flancs. L’arbre tient bon ; le roseau plie. Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu’il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

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La Fontaine, « Le chêne et le roseau », Fables, I, 22

Ésope, « Le roseau et l’olivier »* Le roseau et l’olivier disputaient de leur endurance, de leur force, de leur fermeté. L’olivier reprochait au roseau son impuissance et sa facilité à céder à tous les vents. Le roseau garda le silence et ne répondit mot. Or le vent ne tarda pas à souffler avec violence. Le roseau, secoué et courbé par les vents, s’en tira facilement ; mais l’olivier, résistant aux vents, fut cassé par leur violence. Cette fable montre que ceux qui cèdent aux circonstances et à la force ont l’avantage sur ceux qui rivalisent avec de plus puissants.

* Traduction d’Émile Chambry.

La querelle des Anciens et des Modernes est révélatrice d’une évolution qui marquera la fin du classicisme et annoncera le siècle des Lumières. Les « Modernes » (Perrault, Fontenelle) contestent cette toute-puissance des modèles antiques : s’ils sont dignes d’admiration, disent-ils, le progrès de l’art et de la société oblige les artistes à innover et à rechercher d’autres sources d’inspiration et de nouvelles formes artistiques en accord avec leur temps. Le parti des Anciens (Boileau, La Bruyère) ou parti des classiques rétorque que l’Antiquité gréco-latine est la seule référence possible car elle a atteint la perfection et l’universel. La preuve en est la durée de la renommée des auteurs de l’Antiquité.

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2 La raison L’art classique prétend se fonder sur la raison, dans un souci constant de lucidité et d’analyse. S’il s’intéresse bien souvent aux passions et à l’irrationnel, il cherche à les rendre intelligibles. On refuse donc le droit de juger à ceux chez qui la raison et le jugement ne sont pas développés par l’habitude de la réflexion et par la culture intellectuelle : les productions classiques s’adressent à un public cultivé. De cette valeur accordée à la raison découlent plusieurs traits caractéristiques de l’esthétique classique. a) La codification : sous l’autorité de la raison, s’érige un système très strict de règles dans chaque genre. Les règles classiques sont les œuvres des doctes qui définissent les théories du goût classique, à travers des lettres, des traités, des arts poétiques. Vaugelas et Guez de Balzac légifèrent ainsi sur la bonne utilisation de la langue. Jean Chapelain et l’abbé d’Aubignac définissent les règles du théâtre classique. En musique et dans les arts plastiques, les principes formels sont très contraignants et rigoureusement défendus par les académies, créées pendant cette période. L’autorité des Anciens repose donc désormais sur les théoriciens et les académiciens. b) Vraisemblance et bienséance  : afin de montrer la réalité dans ce qu’elle a de rationnel et d’universel, l’art classique s’efforce d’être naturel, autrement dit de donner l’impression de la réalité. c) Souci de clarté : de la même façon que la raison éclaire le jugement, l’art se doit d’éclairer l’entendement. Ce souci de clarté se traduit en littérature, par le recours à un langage simple et précis. Retenez les vers de Boileau qui synthétisent si bien cette idée : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire viennent aisément. » (Art poétique) 3 Placere et docere : plaire et instruire Les productions classiques se donnent une finalité morale, celle d’élever les hommes, en particulier en les purifiant de leurs passions et de leurs vices. Pour y parvenir, « le secret est d’abord de plaire et de toucher » (Boileau, Art poétique). Autrement dit, seul un homme intéressé et ému par l’œuvre peut recevoir l’enseignement qu’elle contient. Lisez cet extrait de Phèdre de Racine où l’héroïne éponyme de la pièce ouvre tout entier son cœur à son beau-fils Hippolyte à qui elle vient d’avouer son amour. Ce passage est une remarquable illustration de la doctrine classique « plaire, toucher et instruire ». À la lecture de ce texte, vous éprouverez sans doute en effet à la fois un plaisir esthétique, un sentiment de pitié pour l’héroïne tragique et de l’aversion pour sa monstrueuse passion.

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PHÈDRE Ah, cruel ! tu m’as trop entendue ! Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur. Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur : J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime, Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ; Ni que du fol amour qui trouble ma raison Ma lâche complaisance ait nourri le poison ; Objet infortuné des vengeances célestes, Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes. Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ; Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle De séduire le cœur d’une faible mortelle. Toi-même en ton esprit rappelle le passé : C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ; J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ; Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine. De quoi m’ont profité mes inutiles soins ? Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ; Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes. J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes : Il suffit de tes yeux pour t’en persuader, Si tes yeux un moment pouvaient me regarder… Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire, Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? Tremblante pour un fils que je n’osais trahir, Je te venais prier de ne le point haïr : Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime ! Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même ! Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour : Digne fils du héros qui t’a donné le jour, Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite. La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte ! Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ; Voilà mon cœur : c’est là que ta main doit frapper. Impatient déjà d’expier son offense, Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance. Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups, Si ta haine m’envie un supplice si doux, Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée, Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ; Donne. Racine, Phèdre, 1677, acte II, scène 5.

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L’idéal classique ou la morale du «  Grand Siècle » : l’honnête homme L’honnête homme (pluriel les «honnêtes gens») est marqué par le sens de la mesure et de l’élégance. Maître de soi et plein de finesse, cultivé et toujours désireux d’apprendre avec esprit critique, il est ouvert, curieux, savant sans être pédant, agréable et s’adapte sans hypocrisie à la société mondaine, puisque son sens de la mesure lui fait connaître et accepter les faiblesses humaines. Lisez ce portrait tiré des Caractères, œuvre dans laquelle le moraliste Jean de La Bruyère stigmatise des défauts inconciliables avec l’honnêteté. Par inversion, vous aurez un portrait de l’honnête homme ! Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l’œil fixe et assuré, les épaules larges, l’estomac haut, la démarche ferme et délibérée. Il parle avec confiance ; il fait répéter celui qui l’entretient, et il ne goûte que médiocrement tout ce qu’il lui dit. Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit ; il crache fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il dort la nuit et profondément ; il ronfle en compagnie. Il occupe à la table et à la promenade plus de place qu’un autre. Il tient le milieu en se promenant avec ses égaux ; il s’arrête, et l’on s’arrête ; il continue de marcher, et l’on marche : tous se règlent sur lui. Il interrompt, il redresse ceux qui ont la parole : on ne l’interrompt pas, on l’écoute aussi longtemps qu’il veut parler ; on est de son avis, on croit les nouvelles qu’il débite. S’il s’assied, vous le voyez s’enfoncer dans un fauteuil, croiser ses jambes l’une sur l’autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par fierté et par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du temps ; il se croit des talents et de l’esprit. Il est riche. Jean de La Bruyère, « Des biens de fortune », Les Caractères, 1688.

Principaux représentants du classicisme en littérature Théâtre : Fable : Œuvres morales :

l’œuvre de Pierre Corneille dans la seconde moitié du XVIIe siècle et surtout Jean Racine pour la tragédie, Molière pour la comédie Jean de La Fontaine Jean de La Bruyère (Les Caractères), La Rochefoucauld (Maximes)

Roman :

Mme de La Fayette (La Princesse de Clèves)

Poésie :

Nicolas Boileau (Art poétique, Satires, Épîtres) Mémorisez cette phrase pour retenir le nom des grands auteurs classiques : « Sur la racine de la bruyère, la corneille boit l’eau de la fontaine Molière ».

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Caractéristiques du classicisme en peinture Sujets nobles tirés de la mythologie, de la Bible, de la vie des saints, de la poésie bucolique latine. E Importance du dessin, avec des contours nets, une lumière vive, des couleurs clairement définies et une absence totale de contrastes violents qui permet de distinguer aisément tous les éléments du tableau. E Perspective en plans successifs, construits sur des lignes verticales ou horizontales, évitant les diagonales et les spirales réclamées par le baroque. E Composition claire et ordonnée, souvent fermée (la scène est contenue dans le cadre), où les figures ne se recoupent pas ou peu. E Personnages idéalisés, selon le modèle des sculptures de l’Antiquité classique, souvent vêtues à l’antique et dans une attitude statique, sobre et discrète. E Principaux représentants : Nicolas Poussin (1594-1665), François Perrier (1590-1650) , Laurent de la Hyre (1606-1656), Philippe de Champaigne (1602-1674), Pierre Mignard (1612-1695) et Charles le Brun (1619-1690) E 

Caractéristiques de l’architecture classique L’architecture classique se caractérise par des lignes droites, la recherche de la symétrie et de la rigueur géométrique, ainsi que par l’importance de l’orthogonalité. La sobriété des surfaces et des plans oppose les constructions classiques aux baroques, soucieuses d’effet décoratif, tout en courbes et contre-courbes, et pourvues de surcharges ornementales. E Parfaite fonctionnalité  : adéquation entre l’architecture et la fonction de l’édifice. E Imitation de l’Antiquité  : présence de colonnes et statues selon les modèles antiques, et le respect des proportions tenues pour «  parfaites  » par les philosophes grecs et romains. E Principaux représentants : Pierre Lescot (1515-1578), Philibert Delorme (1510-1570), Salomon de Brosse (1565-1628), François Mansart (1598-1661), Jules Hardoin-Mansart, Louis-le Vau. E Œuvres-phares de l’architecture classique : E la colonnade du Louvre

E 

Vue en enfilade de la Colonnade Perrault. Musée du Louvre, Paris. © RMN/Caroline Rose. Séquence 5 – FR20

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Caractéristiques de l'art des jardins classiques C'est le « jardin à la française », qui se caractérise par : E un plan géométrique et symétrique qui crée des effets de perspective très calculés ; E une composition de parterres, d'allées, de bassins, de fontaines, d'arbres et d'arbustes taillés suivant des formes régulières ; E la présence de sculptures illustrant des scènes tirées de la mythologie gréco-romaine et de l'histoire antique ; E le château de Vaux-le-Vicomte.

Parterres de broderies du château de Vaux-le-Vicomte, Maincy, Seine-et-Marne, France (48°34’N–2°43’E) © Roger-Viollet.

Vue aérienne du château. © Roger-Viollet.

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le château de Versailles

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Bassin, statue et jeux d’eau du Parterre d’Eau dans le parc du château de Versailles. Photo : Sylvain Sonnet. © HEMIS.FR/AFP.

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C orrigés des exercices

Chapitre

1

Corrigé de l’exercice n° 1 1622-1644 : À Paris, de l’univers bourgeois à la vocation pour le théâtre Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, naît à Paris le 15 janvier 1622, de Jean Poquelin, valet de chambre et tapissier du Roi, et de Marie Cressé, fille de marchands tapissiers. Voué à un avenir bourgeois par la charge héréditaire de son père, il fait ses études au Collège Clermont à Paris (aujourd’hui Lycée Louis Le Grand), puis entreprend des études de droit à Orléans. Mais, en 1643, il fonde avec Joseph et Madeleine Béjart une troupe de comédiens qu’ils baptisent «  l’Illustre Théâtre  » et adopte, en 1644, le pseudonyme de Molière, abandonnant ainsi ses études et l’avenir que la position de sa famille lui avait tracé. 1645-1657 : En province, d’acteur de tragédie à auteur comique En 1645, après des débuts difficiles à Paris, «  l’Illustre Théâtre  » fait faillite et Molière est emprisonné pour dettes. Son père l’aide à se tirer d’affaire et il intègre, avec les Béjart, la «  troupe de Dufresne  », une troupe itinérante parcourant les grandes villes de province où ils interprètent de nombreuses tragédies, notamment de Corneille. Cependant, c’est dans le registre comique que Molière excelle. Il écrit alors ses premières farces, comme La Jalousie du Barbouillé (1646) ou Le Médecin volant (1647). En 1655, il écrit sa première véritable comédie, en cinq actes et en vers, L’Étourdi ou les contretemps, et s’impose comme auteur comique en 1656 avec Le Dépit amoureux. 1658-1661 : À Paris, sous la protection de « Monsieur », du Théâtre du Petit-Bourbon au théâtre du Palais-Royal En 1658, la troupe regagne Paris et obtient la protection de Philippe d’Orléans ou «  Monsieur  », frère unique du Roi, qui les installe comme sa troupe personnelle au Théâtre du Petit-Bourbon, où ils jouent en alternance avec la troupe de la commedia dell’arte du célèbre comédien italien Scaramouche. Dans ce théâtre, Molière est consacré comme auteur comique avec la représentation des Précieuses ridicules (1659). En 1660, ce succès est confirmé par la représentation de Sganarelle ou le Cocu imaginaire, mais, la même année, la troupe se retrouve sans lieu de représentation car le Petit-Bourbon est démoli pour bâtir la colonnade du Louvre. Cependant, grâce à la médiation de Philippe d’Orléans auprès du roi, Molière et sa troupe se voient attribuer le Théâtre du Palais-Royal. Dans ce nouveau théâtre où il restera pour le reste de sa vie, Molière nourrit de grandes ambitions et, en particulier celle de s’illustrer dans la tragédie,

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le genre noble à l’époque. En 1661, il inaugure donc la nouvelle salle avec une tragi-comédie, Dom Garcie de Navarre ou Le Prince Jaloux. La pièce est un échec et Molière revient sur le terrain de la comédie où il rencontre un grand succès avec L’École des maris. Cette œuvre lui attire cependant l’hostilité des moralistes chrétiens qui voient dans cette pièce l’incarnation d’une morale permissive à l’encontre des valeurs traditionnelles. 1661-1662 : Du début des divertissements royaux à Versailles à la protection royale Séduit par L’École des maris, le surintendant du Roi, Nicolas Fouquet, invite Molière à donner une représentation devant Louis XIV dans son château de Vaux-le-Vicomte. Connaissant le goût du Roi pour les ballets, Molière crée, avec Les fâcheux, un nouveau genre, la comédie-ballet, qui associe comédie, musique et danse. Louis XIV est séduit. Cet événement marque un tournant décisif dans la carrière de Molière qui alternera désormais les représentations de comédies-ballets créées avec Lully devant la Cour de Louis XIV à Versailles et les représentations de ses comédies et des tragédies nées d’autres plumes au Théâtre du PalaisRoyal. Il est désormais en charge des distractions royales. En 1665, Louis XIV fera de la troupe de Molière la « Troupe du Roy ». 1662-1665 : À Paris, la « grande comédie » : consécration et controverses En 1662, Molière épouse Armande Béjart, de vingt ans sa cadette, présentée sur le contrat de mariage comme la sœur de Madeleine – la partenaire de scène de Molière et son ancienne maîtresse – mais que beaucoup disent être en réalité la fille de celle-ci. Le scandale provoqué par ce mariage, qui voit naître toutes sortes de fabulations autour du couple, semble être à l’origine de la nouvelle comédie de Molière, L’École des femmes, dont la première représentation a lieu en décembre de 1662 au Palais-Royal. Son succès est considérable. Avec elle, Molière fonde la comédie classique, non sans mal puisqu’elle déclenche aussitôt l’une des plus grandes polémiques de son temps. Cette pièce satirique écrite selon la forme des tragédies classiques, soit en cinq actes et en alexandrins, soulève les protestations des rigoristes chrétiens, moralistes et gardiens des règles du théâtre classique auxquels s’ajoutent les nombreux auteurs et acteurs envieux de la faveur grandissante de Molière à la Cour et auprès du public parisien. Cette longue polémique est ravivée par la représentation de Tartuffe (1664) que le roi, sous la pression de la cabale des dévots, fait interdire très rapidement. Molière n’obtient l’autorisation de la représenter qu’en 1669, dans une version très remaniée. De même, son Dom Juan (1665) fait l’objet d’une censure qui durera encore longtemps après sa mort (jusqu’en 1841). 1666-1673 : Comédies de caractères, comédies de mœurs et comédies-ballets Dans les dernières années de sa vie, Molière se tourne vers les comédies de caractères et de mœurs, qui le tiennent à l’écart des attaques des dévots. Citons quelques uns des chefs-d’œuvre écrits durant cette période  : Le Misanthrope (1666), L’Avare (1668), Le Bourgeois gentilhomme (comédie-ballet, 1670), Les Femmes savantes (1673), Le Malade

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imaginaire (1673). Continuant à jouer malgré la maladie pulmonaire dont il souffre depuis 1665, il s’éteint le 7 février 1673, juste après la quatrième représentation du Malade imaginaire.

Corrigé de l’exercice n° 2 Le jansénisme est une doctrine religieuse et morale du XVIIe siècle qui doit son nom à l’évêque d’Ypres, Cornélius Jansenius (1585-1638). Son ouvrage, l’Augustinus (1640), provoque un grave débat entre les jansénistes, partisans de cette doctrine inspirée de celle de saint Augustin (354-430), et les Jésuites. Jansénius prétend que le péché originel a fait perdre à l’homme sa liberté, et que la grâce est uniquement accordée par la volonté de Dieu selon une prédétermination «gratuite», donnant ainsi peu de part au libre arbitre. Le pape Innocent X condamne le jansénisme comme hérésie en 1653. Le jansénisme, prônant l’austérité et une vertu rigide, influence la bourgeoisie parisienne et la noblesse de robe et devient un instrument d’opposition politique au pouvoir royal. Les précieuses prônent le raffinement du comportement, des idées et du langage. C’est ainsi qu’elles souhaitent un retour à l’amour courtois médiéval et, dans son roman Clélie, Histoire romaine, Mlle de Scudéry – qui restera selon ses vœux célibataire – invente « la Carte du Tendre », sorte de « géographie amoureuse » où l’amour est « la mer dangereuse » pour la femme. Les précieuses affectionnent les jeux de l’esprit et mettent la subtilité de la pensée au service du discours sur l’amour, au centre de leurs conversations. Celles-ci se tenaient dans des salons, en particulier ceux de Catherine de Rambouillet et de Madeleine de Scudéry. S’y réunissaient des femmes, mais aussi des hommes, considérés comme les « beaux esprits » de leur temps. Dans Les Précieuses ridicules et Les Femmes savantes, Molière raille les recherches excessives de raffinement de la préciosité en mettant en scène des femmes pédantes, trompées par des hommes sans talent littéraire qu’elles accueillent comme d’incomparables poètes.

Corrigé de l’exercice n° 3  Le personnage assis au centre est Apollon. C’est une divinité aux mul-

tiples prérogatives : dieu du soleil, de la beauté, des arts, en particulier de la poésie et de la musique. Ici, il est représenté avec l’un de ses principaux attributs : la lyre qui accompagne le poète dans la déclamation de ses vers. On le voit aussi porter sur la tête une couronne de laurier. 2L  a femme qui se tient debout à gauche est Calliope, la première des

muses, muse de l’éloquence et de la poésie épique. Elle tient dans la main droite un instrument à vent. 3 I l s’agit de putti. On appelle ainsi, en sculpture et en peinture, le dieu

Amour (Cupidon en latin, Éros en grec) représenté sous les traits d’un

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petit enfant ou d’un ange. Le putto qui se tient aux pieds de Calliope, porte un livre et une couronne de laurier. Deux autres ouvrages sont posés au sol. Des inscriptions permettent de les identifier : Ilias (l’Iliade d’Homère), Odyssea (l’Odyssée d’Homère) et Aeneidos (l’Énéide de Virgile). 4 À droite, enfin, se tient le poète, le stylet à la main. Il compose une

nouvelle ode et est en extase, le regard tourné vers le haut, vers le putto qui s’apprête à le couronner de laurier. 5 Apollon désigne de la main droite ses écrits. Il s’agit de la représen-

tation de l’idéal poétique antique, tel qu’on le trouve chez Homère, Hésiode, Virgile ou encore Platon et Aristote. Le poète reçoit l’inspiration des dieux, qui parlent par sa bouche pour dire les choses telles qu’elles ont été et telles qu’elles sont. Pour les Grecs, l’inspiration poétique était une forme de révélation, le moyen d’accéder à la vérité. C’est pourquoi, Apollon est dieu de la poésie et de la musique au même titre que dieu des oracles. 6 Ce chef-d’œuvre de Nicolas Poussin nous montre trois personnages

principaux, parfaitement alignés. On voit aussi deux putti qui se tiennent entre les personnages, l’un en bas à gauche, aux pieds de la Muse, l’autre à droite, légèrement en arrière, au-dessus et entre Apollon et le poète. Cette composition vise l’harmonie : les personnages sont disposés dans une symétrie soulignée par l’opposition des deux putti. 7 Une lumière diffuse et dorée de soleil couchant caresse les chairs et

les drapés, et, par ses effets d’ombres, leur confère un volume ample et souple. La prédominance de couleurs chaudes (rouge et jaune) renforce ce climat crépusculaire, le plus propice aux chants à la gloire guerrière. Poussin crée ici un parallèle subtil entre la dignité de la peinture et celle de la poésie, entre la poétique du langage et celle des images. 8 L’œuvre représente un « Parnasse », c’est-à-dire l’assemblée des Muses

réunies autour du dieu Apollon Dans la mythologie antique, cette assemblée se tenait sur le Parnasse, lieu sacré dédié aux beaux-arts. La mise en scène harmonieuse et symétrique que Poussin donne de cette scène mythologique se situe dans une tradition antique, rénovée durant la Renaissance italienne, et dont une des principales représentations demeure celle que peignit Raphaël dans l’une des « Chambres » du Vatican. Le sujet rejoint la plus haute aspiration du classicisme : l’art se doit de rechercher la beauté parfaite, s’adressant à l’esprit plutôt qu’aux sens, et élevant l’homme au-dessus de ses passions.

Corrigé de l’exercice n° 4 a  ) Les jardins de Versailles sont l’exemple le plus abouti du « jardin

à la française ». Suivant les canons classiques, leur organisation est placée sous le signe de la géométrie et de la symétrie. Ils offrent ainsi de nombreux parterres, bosquets, fontaines et bassins séparés par

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des allées disposées géométriquement de part et d’autre d’un axe central est-ouest, une allée royale de 335 mètres de long et 40 mètres de large. Notons que cette allée existait déjà du temps de Louis XIII, mais fut réaménagée par André Le Nôtre pour représenter la course du Soleil et ainsi glorifier le Roi-Soleil Louis XIV. La nouvelle organisation tenait évidemment compte du parcours du soleil pour que les figures représentées soient éclairées au moment voulu par l’astre solaire. b) De multiples ensembles sculpturaux illustrant des scènes de la mythologie grecque animent les parterres, bassins et bosquets du château de Versailles, et font revivre les mythes antiques chers aux classiques, tout en glorifiant le Roi-Soleil. Au cours d’une promenade dans les jardins, le visiteur croise ainsi Apollon (Bassin d’Apollon), Diane, leur mère Latone (Bassin de Latone), le géant Encélade, Saturne, Flore, Bacchus et Cérès, quatre divinités liées au cycle des saisons et symbolisant respectivement l’hiver, le printemps, l’automne et l’été. Une attention particulière doit être accordée aux sculptures qui se trouvent le long de l’allée royale puisqu’elles se rattachent au mythe du dieu Apollon, également appelé Phébus, «le brillant « et assimilé avec le Soleil dont il conduit le char. À l’extrémité ouest de l’allée, à l’opposé de la façade du château, se trouve ainsi le bassin d’Apollon où l’on peut apprécier une statue d’Apollon qui sort des eaux monté sur son char. Grâce à la disposition toute particulière de cet ensemble, le départ du char du Soleil est salué par la lumière du matin. En deçà de l’Allée Royale, au pied des marches qui descendent du parterre de l’Eau en provenance de la façade du château, on trouve le bassin de Latone, qui nous montre ce personnage défendant ses enfants, Apollon et Diane, du courroux de Junon. Là où se dresse aujourd’hui l’aile nord du château, se trouvait la grotte de Téthis, fille d’Océan vivant dans les profondeurs marines, qui accueillait tous les soirs Apollon après sa course. Les statues qui montraient les nymphes assistant Apollon dans sa toilette ont été placées depuis dans le bosquet situé immédiatement au nord du bassin de Latone. L’omniprésence de la mythologie gréco-romaine dans les jardins de Versailles en fait une parfaite illustration de la conception classique du jardin. 2 a) Depuis l’Antiquité, le soleil est l’astre roi de la voûte céleste, car

il est source de chaleur et de vie  : toute plante et tout animal ont besoin de ses rayons pour vivre, jusqu’aux plus petits. Depuis Copernic (XVIe siècle), le soleil est placé au centre de l’univers (place que l’on croyait auparavant occupée par la terre), et les autres astres tournent autour de lui comme « une espèce de cour ». Enfin, le soleil est aussi l’astre qui représente la régularité même, qui se lève et qui se couche, qui poursuit indéfectiblement sa course incessante. Louis XIV se veut au centre de toute chose, investi d’un pouvoir suprême sur tous ses sujets, qui profitent directement de sa bienveillance. Son pouvoir et ses bienfaits ne sont plus entravés par les nobles qui, dans le système féodal, étaient les vrais seigneurs du peuple. Désormais, les trois états (noblesse, bourgeoisie et peuple) sont sous l’autorité indiscutable et bienfaisante du roi, tout comme les rayons du

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soleil se répandent sur la porte de la grotte de Thétis. Le roi est aussi l’incarnation d’une action et d’un travail sans relâche, tout comme le soleil continue éternellement sa course malgré son apparent immobilisme. Dans ses Mémoires, Louis XIV explique le choix de sa devise au dauphin : « Le carrousel2, qui m’a fourni le sujet de ces réflexions, n’avait été projeté d’abord que comme un léger amusement ; mais on s’échauffa peu à peu, et il devint un spectacle assez grand et assez magnifique, soit par le nombre des exercices, soit par la nouveauté des habits ou par la variété des devises3. Ce fut là que je commençai à prendre celle que j’ai toujours gardée depuis, et que vous voyez en tant de lieux. Je crus que, sans s’arrêter à quelque chose de particulier et de moindre, elle devait représenter en quelque sorte les devoirs d’un prince, et m’exciter éternellement moimême à les remplir. On choisit pour corps le soleil, qui, dans les règles de cet art, est le plus noble de tous, et qui, par la qualité d’unique, par l’éclat qui l’environne, par la lumière qu’il communique aux autres astres qui lui composent comme une espèce de cour, par le partage égal et juste qu’il fait de cette lumière à tous les divers climats du monde, par le bien qu’il fait en tous lieux, produisant sans cesse de tous côtés la vie, la joie et l’action, par son mouvement sans relâche, où il paraît néanmoins toujours tranquille, par cette course constante et invariable, dont il ne s’écarte et ne se détourne jamais, est assurément la plus vive et la plus belle image d’un grand monarque. Ceux qui me voyaient gouverner avec assez de facilité et sans être embarrassé de rien, dans ce nombre de soins que la royauté exige, me persuadèrent d’ajouter le globe de la terre, et pour âme nec pluribus impar : par où ils entendaient ce qui flattait agréablement l’ambition d’un jeune roi, que, suffisant seul à tant de choses, je suffirais sans doute encore à gouverner d’autres empires, comme le Soleil à éclairer d’autres mondes, s’ils étaient également exposés à ses rayons. Je sais qu’on a trouvé quelque obscurité dans ces paroles, et je ne doute pas que ce même corps n’en pût fournir de plus heureuses. Il y en a même qui m’ont été présentées depuis ; mais celle-là étant déjà employée dans mes bâtiments et en une infinité d’autres choses, je n’ai pas jugé à propos de la changer. » b) Junon, jalouse des amours de Jupiter et Latone, interdit à la terre d’accueillir cette dernière, enceinte d’Apollon et Diane, afin de l’empêcher d’accoucher. Traquée par le serpent Python, lancé aussi par Junon à sa poursuite, Latone cherche désespérément un endroit où 2. carroussel : lieu où se donnaient les revues militaires, les manifestations officielles. 3. devise : figure emblématique accompagnée d’une courte formule qui, généralement, s’y rapporte.[…] La devise de Louis XIV était un soleil qui éclaire un monde, avec ses mots : Nec pluribus impar (définition donnée par le Trésor de la Langue Française Informatisé). Cette devise signifie : «Au-dessus de tous les hommes».

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donner le jour à ses enfants et finit par arriver à l’île de Délos qui, selon la légende, flotte sur la mer. Ainsi, Apollon et Artémis naissent finalement sur cette île, où se trouvait le plus célèbre temple dédié à Apollon. Toujours poursuivie par Junon, Latone se rend avec ses enfants sur les rives du fleuve Xanthe, en Lycie, et là, au moment où, épuisée, elle espère se désaltérer, les habitants des environs, excités par Junon, s’y opposent et la chassent brutalement. Latone, excédée, maudit ces paysans et les transforme en grenouilles. Plus tard, Apollon, muni de son arc et de ses flèches, traque et tue le serpent Python. À la mort de son père, Louis XIV accède à la couronne mais non pas au pouvoir, car il n’est âgé que de cinq ans et sa mère, Anne d’Autriche, assume la régence avec l’aide du cardinal Mazarin. Pendant cette période, les parlements et l’aristocratie se rebellent contre le pouvoir royal, provoquant des troubles et guerres intestines qui dureront cinq ans. On dénomme cette période la Fronde. Le parti du roi finit par vaincre les rebelles, mettant ainsi fin aux guerres civiles et rebellions « que les ennemis de la France ont voulu susciter ». c) Apollon est aussi le dieu de l’art, particulièrement de la poésie et de la musique. Or Louis XIV a des goûts fastueux qui sont propices à l’épanouissement des beaux-arts. Il s’est conduit en mécène et patron des arts en aidant financièrement Molière, le musicien JeanBaptiste Lully, le décorateur Charles Le Brun ainsi que le jardinier André Le Nôtre. Par ailleurs, il aimait beaucoup la danse : vous avez peut-être vu le film de Gérard Corbiau, Le roi danse (2000), qui conte les liaisons tumultueuses et parfois dangereuses entre Louis XIV, le Roi-Soleil, et les musiciens et artistes de la cour. Pour approfondir votre connaissance des liens qu’entretient Louis XIV avec les arts, et en particulier avec le théâtre, vous pouvez consulter les sites suivants : Psyché de Lully, Corneille et Molière Site internet : http://www.opera-montpellier.com L’opéra et orchestre national de Montpellier propose l’étude de «Psyché» de Lully, Corneille et Molière, créé au XVIIe siècle afin de célébrer la puissance du Roi Soleil et ainsi éblouir sa cour. Ce dossier présente le sujet mythologique de la pièce, qui fonctionne comme un miroir. Molière joué à la Cour Site internet : http://www.comedie-francaise.fr La représentation des comédies-ballets de Molière à la Comédie-Française «avec tous leurs ornements» Site internet : http://www.comedie-francaise.fr Cet article de Jacqueline Razgonnikoff analyse l’évolution de la forme de représentation que les héritiers officiels de Molière, les Comédiens

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Français, ont donné à la comédie-ballet au cours de leur histoire ou lui donnent encore sur la scène. Lully - Marche pour la Cérémonie des Turcs Site internet : http://mediatheque.cite-musique.fr/ Créée en 1670, la «marche pour cérémonie des Turcs» de Jean-Baptiste Lully est extraite de la comédie-ballet «Le bourgeois gentilhomme» pour laquelle il collabore avec Molière. Versailles et les fêtes de cour sous le règne de Louis XIV Site internet : http://www.chateauversailles.fr Grâce à ce dossier, particulièrement destiné aux élèves du collège, découvrez le faste des fêtes organisées à la cour de Louis XIV à Versailles. Vous allez maintenant commencer l’étude de la pièce. Sachez que vous pouvez en visionner sur Internet des extraits. Pour cela, tapez le titre L’École des femmes dans la barre de votre moteur de recherche, puis cliquez sur la rubrique « vidéo ».

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Chapitre

2 A

Le classicisme de L’École des femmes : vue d’ensemble Un tournant dans le genre de la comédie : « la grande comédie » Comme vous avez pu le lire dans la biographie liminaire, L’École des femmes marque un tournant dans l’œuvre de Molière puisqu’elle inaugure le « genre » de la comédie classique et déclenche une vive polémique, qui conduit le dramaturge à justifier et, par là-même, à définir sa démarche et ses conceptions artistiques. En homme de théâtre, il le fait sur scène, à travers deux comédies présentées en 1663, La Critique de l’École des femmes et L’Impromptu de Versailles, qui font s’affronter les points de vue antagonistes sur la pièce. Il serait bon d’ailleurs que vous lisiez au moins la première de ces deux œuvres. Pour mesurer le caractère novateur de L’École des femmes, nous étudierons tout d’abord, dans une perspective d’histoire littéraire, le statut et les formes de la comédie avant celle-ci, puis les critiques adressées à Molière et, enfin, la riposte de Molière et la définition de la « comédie classique ».

1. L  a comédie en France avant L’École des femmes Au moment où Molière donne L’École des femmes, la scène comique est dominée par la farce et la commedia dell’arte, déjà évoquées dans la séquence précédente. La farce, née dans l’Antiquité avec Aristophane et Plaute, et devenue très populaire au Moyen-Âge, est une pièce bouffonne visant à provoquer le rire par les moyens les plus simples, voire les plus grossiers, sans aucun souci de la morale. Son comique repose sur la déformation de situations ou de personnages tirés de la trivialité quotidienne. Tromperies et ruses sont le lot de couples conventionnels : maris et femmes, vendeurs et clients, maîtres et serviteurs. Certains types même, tels que la femme acariâtre, le soldat fanfaron, le vieillard amoureux ou le philosophe pédant, traversent les siècles. L’intrigue, on ne peut plus simple, repose sur des retournements, sur le schéma de « l’arroseur arrosé » très souvent. Si ces rebondissements provoquent le rire, les jeux de masque, de scène et les plaisanteries volontiers grossières l’entretiennent tout au long de la pièce.

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La commedia dell’arte, représentée en France à l’époque de Molière par la troupe des Comédiens Italiens, en particulier par le célèbre Scaramouche, est une forme de théâtre semi-improvisé où la gestuelle, parfois même l’acrobatie, et la fantaisie verbale des acteurs sont les principaux moteurs du comique. Les acteurs sont des professionnels (d’où le nom « dell’arte ») spécialisés dans un type de personnage stéréotypé, qu’ils interprètent au gré de leur envie, en suivant seulement le canevas établi au début de la représentation. Autour des années 1630, certains dramaturges, en particulier Pierre Corneille, veulent éloigner la comédie de la farce et de la commedia dell’arte et en faire une véritable œuvre littéraire, au rebours de l’improvisation que supposent les deux formes de comédie dominantes. Cette comédie des années 1630 est un genre « moyen » qui associe un certain réalisme social et la stylisation (« beau » langage, « noble » conception de l’amour ...). À la date de L’École des femmes, Molière s’est illustré dans la farce avec La Jalousie du Barbouillé (1646) et Le Médecin volant (1647). Il a composé des comédies de structure variable d’un, trois, ou cinq actes, en prose ou en vers, dans lesquelles il emprunte aux lazzi4 de la commedia dell’arte. L’Étourdi ou les contretemps et Le Dépit amoureux comportent cinq actes et sont écrites en vers, comme le genre majeur de la tragédie. Si L’École des femmes est considérée comme la première des « grandes comédies  » de Molière, ce n’est donc pas parce qu’elle est composée en alexandrins et se déploie sur cinq actes. Frustré de ne pouvoir briller dans le grand genre de la tragédie, Molière s’est employé à donner à la comédie une dignité et une fonction sociale qui l’élèvent à un niveau proche de cette dernière, et ce souci l’a conduit dans les faits à adopter les principes de l’esthétique et du théâtre classiques. Par la suite, ses détracteurs – dont maints dramaturges jaloux de son succès – lui ont reproché de transgresser ces règles, critique que personne n’aurait songé à adresser au sujet d’une farce, d’une commedia dell’arte ou d’une comédie privilégiant une intrigue farcesque et la gestuelle comique. La querelle soulevée par L’École des femmes s’explique donc paradoxalement par la rigueur, l’originalité et la qualité du travail littéraire qui caractérisent cette œuvre, qui fait rire et édifie tout à la fois. Pour mieux mesurer la richesse de la pièce, recensons d’abord les critiques qu’elle a suscitées.

2. L  es critiques adressées à L’École des femmes Les adversaires de Molière sont nombreux : acteurs et auteurs jaloux, moralistes dévots, théoriciens de la littérature, mais aussi « précieuses » et

4. lazzi (mot italien) : plaisanteries burlesques en paroles ou en actions, jeux de mots, grimaces, gestes grotesques.

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«  petits marquis  ». Même Corneille se montre envieux du succès de Molière, ainsi que les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne qui redoutent que ses comédies concurrencent, voire détrônent la noble tragédie. Évoquons rapidement les protestations formulées par les dévots et les moralistes. Les premiers dénoncent le caractère impie et libertin de la pièce, voyant dans les Maximes sur le mariage d’Arnolphe une parodie des Dix commandements et, plus généralement, dans l’utilisation dévoyée que ce personnage fait de la religion un outrage sacrilège à la dignité de celle-ci. Sont en outre considérées comme des atteintes à la morale l’ambiguïté sur l’article « le » en suspend dans la réplique d’Agnès (Acte II, scène 5, v. 572 sq.), et certaines expressions jugées excessivement triviales, voire outrancières, comme la savoureuse métaphore faisant de « la femme » « le potage de l’homme » (v. 437). Certains lisent même la comédie comme une satire antiféministe. Les arguments esthétiques nous retiendront davantage. Il s’agit tout d’abord d’entorses à la vraisemblance : E le quiproquo avec le notaire ; E le grès qu’Agnès est censée avoir soulevé : ce « pavé » est trop lourd pour une jeune fille ; E les va-et-vient d’Horace  : un amoureux ne saurait aller et venir en si peu de temps auprès de sa bien-aimée en suscitant à chaque fois des incidents. On reproche également à Molière la transgression de la règle du bon ton, qui interdit le mélange des genres. La présentation d’une pièce comique sous la forme d’un poème dramatique en cinq actes est ainsi fustigée, en ce que cette forme est une prérogative de la tragédie. En outre, certaines répliques, d’Arnolphe surtout, sont jugées tragiques et donc inadéquates dans une comédie. Ainsi en va-t-il, pour Robinet, dans Le Panégyrique de l’École des femmes, de la proposition de se tuer qu’Arnolphe fait à Agnès. Aux yeux de Boursault, la réplique d’Agnès – « le petit chat est mort » – « ensanglante la scène », comme dans une tragédie. Enfin, c’est le caractère « dramatique » de l’œuvre qui est tout simplement contesté, dans la mesure où «  il ne se passe point d’actions » et que « tout consiste en des récits que viennent faire ou Agnès ou Horace » (propos tenus par le poète Lysidas dans La critique de l’École des femmes, scène 6).

3. L  a riposte de Molière et la définition de la « comédie classique » Le débat qui s’établit dans La Critique de L’École des femmes entre d’une part, Célimène « la précieuse », le marquis et le poète Lysidas, pourfendeurs de la pièce, et, d’autre part, Uranie et Dorante, ses apologues, nous renseigne à la fois sur les arguments des détracteurs de la pièce et sur les conceptions théâtrales de Molière. De fait, celui-ci s’exprime à travers la voix de Dorante, homme sage et raisonnable, conscient des travers des

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uns et des autres, mais toujours respectueux  : le modèle de l’honnête homme. À l’inverse du marquis – parangon du « petit marquis », qui suit aveuglement les modes et en tire un sentiment infondé de supériorité – Dorante peut avancer et développer les raisons de son enthousiasme, lui-même motivé par une réflexion plus générale sur la comédie. Dans la scène 6, Dorante soutient que la comédie est un genre plus difficile que la tragédie car la seconde met en scène des héros légendaires, pour lesquels le poète n’a « qu’à suivre les traits de [son] imagination », tandis que la première doit « entrer comme il faut dans le ridicule des hommes » et pour cela les « peindre d’après nature ». « On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. » À cela s’ajoute la nécessité de « plaisanter » à partir de portraits ressemblants, autre difficulté, qui conduit Dorante à cette conclusion : « c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens ». Par l’intermédiaire de Dorante, Molière se montre également sans équivoque sur la question du respect des règles : « Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l’art soient les plus grands mystères du monde ; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poèmes [comiques] ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations les fait aisément tous les jours sans le secours d’Horace et d’Aristote. » Il va plus loin, donnant comme « la grande règle de toutes les règles », celle de « plaire », et ajoutant : « si les pièces, qui sont selon les règles ne plaisent pas et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait de nécessité que les règles eussent été mal faites. » C’est dire combien la pratique prime sur la théorie pour Molière ! Mais si Dorante condamne l’obsession de certains pour les règles, il n’en défend pas moins la conformité de la pièce aux préceptes classiques, déclarant avec aplomb : « et peut-être n’avons-nous point de pièce au théâtre plus régulière que celle-là. » Voilà ainsi justifiée cette séquence et les analyses qui vont suivre sur le respect des règles du théâtre et de l’esthétique classiques dans la pièce ! Sans anticiper sur votre étude, rapportons la réponse de Dorante concernant la prévalence des récits sur l’action : « Premièrement, il n’est pas vrai de dire que toute la pièce n’est qu’en récits. On y voit beaucoup d’actions qui se passent sur la scène, et les récits eux-mêmes y sont des actions », d’autant qu’ils sont faits « innocemment » à la « personne intéressée ». En assistant à la réaction d’Arnolphe, le spectateur prend à la fois connaissance des actions qui ont eu lieu hors-scène et voit en actes la joie ou le désespoir du protagoniste. Dorante justifie également le comportement inconstant d’Arnolphe au nom du réalisme psychologique. Un homme jaloux peut bien éprouver un « transport amoureux » tout autant qu’une désillusion tragique. Ceci n’est pas en désaccord avec son caractère ridicule et la forme de la comédie.

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La façon dont le public doit recevoir la pièce est énoncée par Uranie, qui sert également – quoique plus épisodiquement – de porte-parole au dramaturge. Ainsi explique-t-elle admirablement que la comédie vise à une satire des vices et des mœurs humains, et non à une caricature mordante d’un individu en particulier : « Pour moi, je me garderai de m’en offenser et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s’y dit. Ces sortes de satires tombent directement sur les mœurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N’allons point nous appliquer nous-mêmes les traits d’une censure générale […] Toutes les peintures ridicules qu’on expose sur les théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics, où il ne faut jamais témoigner qu’on se voie ; et c’est se taxer hautement d’un défaut, que se scandaliser qu’on le reprenne. » Elle perçoit même l’intérêt didactique de cette satire, invitant chacun à « profit[er] de la leçon ». (scène 6) En résumé, qu’est-ce qui fait de L’École des femmes une illustration de « la grande comédie » ou de « la comédie classique » ? l’organisation de l’intrigue centrée sur le personnage d’Arnolphe, qui garantit l’unité de l’action ; E la complexité de caractère d’Arnolphe, qui évolue au cours de la pièce, à l’égal d’Agnès d’ailleurs, tandis que, dans la farce, les personnages sont immuables ; E la présence des récits qui créent l’action et assurent le respect de la bienséance en tenant à distance les gestes et actions qui auraient pu choquer (scènes galantes entre Agnès et Horace, Horace assommé « à mort » par Georgette et Alain) ; E le fait que le comique naisse surtout du ridicule des caractères et plus rarement d’une gestuelle et de plaisanteries gratuites, «  faites pour rire ». Le comique naît ainsi de la peinture « d’après nature » des caractères ; E le souci de plaire, mais aussi d’instruire : Molière livre aux spectateurs, avec le personnage d’Arnolphe, une leçon sur les effets délétères de la passion amoureuse et de la jalousie, et propose une réflexion sur la condition féminine. E 

De plus, le personnage de Chrysalde, au début et à la fin de la pièce, permet d’instaurer des échanges dominés par la raison, et on peut dire que L’École des femmes est l’illustration de ce qui deviendra la clef de voûte du système théâtral de Molière : c’est par le rire que le spectateur est édifié, c’est le comique qui fait passer la leçon. La célèbre formule Castigat ridendo mores, (« [la comédie] corrige les mœurs par le rire ») d’origine incertaine et reprise par Molière, exprime – si l’on veut – la catharsis propre à la comédie. Elle résume une idée développée par Horace dans sa Poétique selon laquelle le rire est vecteur de l’instruction. Boileau, qui réprouvait le mélange des genres, au nom de la règle du bon ton, marqua d’ailleurs – tout comme Louis XIV – son soutien à Molière lors de « la Querelle ». Au témoignage de Monchesnay en 1742, « M. Despréaux [nom de Boileau] ne se lassait point d’admirer Molière, qu’il appelait

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toujours le Contemplateur. Il disait que la nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les caractères des hommes. » Dans son Art poétique, en 1674, Boileau se montra plus sévère, reprochant à son ami de s’être écarté de ce comique subtil en faisant « en ses doctes peintures » souvent « grimacer ses figures » et en alliant « sans honte à Térence Tabarin [nom donné à celui qui fait le farceur sur les places publiques] ». On pourrait ajouter à cet inventaire la composition en cinq actes et en alexandrins et le respect de la règle des trois unités, mais ces deux aspects sont beaucoup plus accessoires : ils ne suffisent pas à créer la comédie classique.

B

Le respect de la règle des trois unités ?

O

Avant de faire ces exercices, vous devez avoir lu la pièce intégralement.

Exercice autocorrectif n° 1 Une des règles que nous n’avons pas évoquée dans l’exposé sur la polémique soulevée par L’École des femmes est celle des trois unités. Répondez aux questions suivantes pour savoir si elle se trouve respectée.  Seules quelques indications permettent de mesurer le temps drama-

tique écoulé entre le premier et le dernier vers. Elles se trouvent aux vers 2, 1362, 1370, 1634. Lisez-les : l’unité de temps est-elle observée ? 2P  our les unités de temps et d’action, faites les recherches nécessaires

dans le livre pour remplir les cases «  lieu  » et «  personnages  » du tableau ci-dessous. Pour identifier le lieu dramatique, reportez-vous en particulier aux didascalies en tête de la pièce et au début de chaque scène et, en leur absence, demandez-vous où est censée se dérouler l’action compte tenu du sujet de la scène. 3L  e tableau une fois rempli, vous vous demanderez si les unités de lieu

et d’action sont remplies. Vous justifierez votre réponse.

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Acte

Scène

Acte I

Sc. 1 Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4

Acte II

Sc. 1 Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4 Sc. 5

Acte III

Sc. 1 Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4 Sc. 5

Acte IV

Sc. 1 Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4 Sc. 5 Sc. 6 Sc. 7 Sc. 8 Sc. 9

Acte V

Sc. 1 Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4 Sc. 5 Sc. 6 Sc. 7 Sc. 8 Sc. 9

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Lieu

Personnages

Exercice autocorrectif n° 2 Pour consolider ces conclusions, élaborez les schémas actantiels pour Arnolphe à la fin des actes I, II, III, IV, et V. Pour ce faire, aidez-vous du Point méthode ci-dessous.

➠ Reportez-vous aux corrigés des exercices n° 1 et 2 à la fin du chapitre.

Point méthode : Le schéma actantiel Destinateur : celui qui commande l’action

Destinataire  : celui pour qui l’actant agit

Sujet  : celui conduit l’action

Adjuvant  : allié ou auxiliaire du sujet dans sa quête

C

qui

Objet  : but poursuivi par le sujet

Opposant  : obstacle ou adversaire du sujet dans sa quête

La structure de la pièce Exercice autocorrectif n° 3 Le tableau des présences Complétez le tableau suivant puis commentez la fréquence d’apparition des personnages. Précisez les scènes où Arnolphe monologue.

➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice n° 3 à la fin du chapitre.

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Oronte

Enrique

Un notaire

Horace

Agnès

Georgette

Alain

Arnolphe

Chrysalde

1

2

3

Acte I

4

1

2

3

Acte II 4

5

1

2

3

Acte III 4

5

1

2

3

4

5

Acte IV 6

7

8

9

1

2

3

4

5

Acte V 6

7

8

9

1

es règles du théâtre classique

Fiche méthode

L

Chapitre

Fiche méthode

Boileau, le théoricien du classicisme Inspiré de la Poétique d’Aristote5, l’ouvrage de l’abbé d’Aubignac, Pratique du théâtre (1657), pose les bases du théâtre classique. Les règles ainsi édictées se répandent dans les salons mondains et sont complétées, dans cette seconde moitié du Grand Siècle, par doctes et dramaturges, en particulier Corneille dans Les Trois discours sur l’art dramatique (1660). Précisons cependant que les dramaturges plaident le plus souvent pour une adaptation des règles. Les tragédies de Racine constituent l’une des formes les plus achevées de l’esthétique du théâtre classique. Il est important de noter aussi que les règles qui suivent ont été formulées en premier lieu pour la tragédie, car les théoriciens s’intéressent peu à la comédie, tenue pour un genre mineur et que le texte connu de la Poétique d’Aristote ne fait qu’évoquer. Mais certains auteurs comiques, tels Corneille ou Molière, soucieux de l’élever au rang de genre littéraire ont suivi en partie ces canons artistiques. Les œuvres produites dans cet esprit se voient attribuer le nom de « grandes comédies ». En 1674, au chant III de son Art poétique, Nicolas Boileau, dit « le législateur du Parnasse 6 », va reprendre et résumer en des vers mémorables des règles déjà en vigueur. Lisez ce passage concernant la tragédie : nous y avons surligné certaines de ces règles. Le secret est d’abord de plaire et de toucher ; Inventez des ressorts7 qui puissent m’attacher, Que dès les premiers vers l’action préparée Sans peine du sujet aplanisse l’entrée. […] Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué. Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué8. Un rimeur sans péril, delà les Pyrénées9, 5. Œuvre théorique sur la création littéraire du philosophe grec du IVe siècle av. J-C. 6. Parnasse : dans la mythologie grecque, ce terme désigne le lieu de résidence d’Apollon et des neuf Muses. Par métonymie, il désigne une assemblée de poètes. 7. ressorts : incidents qui nouent l’action. 8. marqué : déterminé. 9. delà : par-delà. Allusion à un auteur espagnol. Notez le ton méprisant.

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Sur la scène en un jour renferme des années : Là souvent le héros d’un spectacle grossier, Enfant au premier acte, est barbon10 au dernier. Mais nous, que la raison à ses règles engage, Nous voulons qu’avec art l’action se ménage 11; Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli12. Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable : Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. Une merveille absurde est pour moi sans appas L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas. Ce qu’on ne doit point voir qu’un récit nous l’expose : Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ; Mais il est des objets que l’art judicieux Doit offrir à l’oreille, et reculer13 des yeux. Que le trouble14 toujours croissant de scène en scène, À son comble arrivé se débrouille sans peine : L’esprit ne se sent pas plus vivement frappé, Que lorsqu’en un sujet d’intrigue enveloppé, D’un secret tout à coup la vérité connue, Change tout, donne à tout une face inconnue. Boileau, Art poétique, Chant III, v. 1-60

La règle des trois unités Tirée des commentaires italiens de la Poétique d’Aristote et formulée à la Renaissance, puis éclipsée pendant la période baroque, cette règle s’est imposée dans le théâtre classique après la fameuse « querelle du Cid » en 1636.

«  Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli »

Édictées au nom de la vraisemblance, les unités de lieu et de temps visaient à réduire au maximum l’écart entre le lieu et le temps de l’action dramatique et le cadre et la durée de l’action représentée sur scène. L’unité de temps fut fixée à vingt-quatre heures, ce qui souleva maintes contestations (certains faisant justement valoir que le déroulement de

10. barbon : vieillard, vieux beau. 11. se ménage : soit ménagée. 12. Au cours d’un acte, la scène ne doit jamais rester vide. 13. reculer : écarter 14. trouble : complexité de l’intrigue.

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l’intrigue, avec ses multiples péripéties, en une journée unique était peu crédible). Conçue initialement comme une unité géographique – une seule ville ou deux villes voisines –, l’unité de lieu s’imposa très vite comme une unité de décor. On opta alors pour des lieux propices aux rencontres : une place ou un intérieur bourgeois dans la comédie, l’antichambre d’un palais dans la tragédie. Les événements survenus ailleurs devaient alors être relatés. L’unité d’action devait, quant à elle, permettre au spectateur de concentrer son attention sur le point essentiel de la tragédie ou « nœud » de la pièce. Cette règle n’interdisait pas les actions secondaires – les théoriciens divergeaient sur ce point – mais impliquait que celles-ci fussent subordonnées à l’intrigue principale. Une autre règle existe qui est celle de l’unité de ton : cette règle interdit qu’on mêle les registres comique et tragique dans une même pièce.

«  Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose : Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ; Mais il est des objets que l’art judicieux Doit offrir à l’oreille, et reculer des yeux. »

La règle des bienséances Le souci de plaire de l’esthétique classique est à l’origine de la règle des bienséances. Désireux de plaire, l’auteur se veut en harmonie avec la morale et les goûts de son public de manière à rencontrer son adhésion. La personne royale est, bien entendu, l’arbitre suprême du bon goût. On distingue deux sortes de bienséance :

Selon la bienséance dite « interne » ou « convenance », le comportement des personnages doit être conforme à leur âge, à leur condition sociale, aux mœurs et aux coutumes de leur pays. C’est à la fois une question de logique et de vraisemblance. C’est sans doute dans cet esprit que Racine choisit de ne pas « salir » Phèdre en la rendant directement responsable de la calomnie d’Hippolyte : c’est Œnone qui en est coupable.

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La bienséance dite « externe » vise, quant à elle, à ne pas choquer la sensibilité ni les principes moraux du spectateur. Se trouvent ainsi bannis de la scène la représentation d’actes violents (meurtres, suicides...), les allusions marquées à la sexualité, à la nourriture, à la vie du corps en général, ainsi que les mots grossiers, qui n’ont leur place que dans les farces. Les scènes trop violentes font l’objet d’un récit : dans Phèdre, la mort d’Hippolyte sera racontée. Les récits de ces scènes constituent de véritables morceaux de bravoure puisqu’ils doivent toucher autant et même davantage que l’action représentée. Vous imaginez la difficulté qu’ont rencontrée les dramaturges dans la composition des aveux amoureux de Phèdre, de Bérénice ou tout simplement d’une jeune ingénue. C’est, d’ailleurs, par souci des bienséances que Pierre Corneille révisa toutes ses pièces après 1660 à l’occasion d’une réédition complète de son théâtre.

E 

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La vraisemblance Suivant la même doctrine du placere (plaire), du docere (enseigner) et du movere (toucher), il est nécessaire que le public tienne pour vraies les actions représentées sur scène. Celles-ci doivent donc être vraisemblables, faute de quoi les spectateurs ne prendront pas goût à la pièce et ne ressentiront pas les émotions escomptées et, partant, n’en retireront pas non plus la portée didactique. Il est important de noter que « vraisemblable » ne signifie pas « vrai », comme le précisent l’abbé d’Aubignac, puis Boileau : « Il n’y a donc que le Vraisemblable qui puisse raisonnablement fonder, soutenir et terminer un poème dramatique : ce n’est pas que les choses véritables et possibles soient bannies du Théâtre  ; mais elles n’y sont reçues qu’en tant qu’elles ont de la vraisemblance ; de sorte que pour les y faire entrer, il faut ôter ou changer toutes les circonstances qui n’ont point ce caractère, et l’imprimer à tout ce qu’on y veut représenter.» (Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, 1657)

La catharsis Reprenant un terme utilisé par « Que dans tous vos discours la Aristote au livre VI de sa Poétique, passion émue les théoriciens classiques ont Aille chercher le cœur, l’échauffe assigné à la tragédie – et pas à la et le remue. » comédie – une fonction morale, la catharsis ou « purgation des passions  ». En montrant les conséquences ultimes et catastrophiques des passions, la tragédie purgerait l’âme du spectateur de ces mêmes passions et l’inciterait à ne pas imiter les héros tragiques. Le théâtre rendrait ainsi les hommes meilleurs. À noter que le passage de la Poétique aristotélicienne est trop imprécis et mutilé pour affirmer que cette théorie est reprise d’Aristote.

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C orrigés des exercices

Chapitre

1

Corrigé de l’exercice n° 1  Le vers 1634 permet à lui seul de mesurer la durée du temps dra-

matique. À la scène 6 de l’acte V, Horace, confiant à Arnolphe son « malheur », déclare en effet : « Cet Enrique, dont hier je m’informais à vous ». Il s’est donc écoulé une journée depuis la première rencontre des deux hommes à l’acte I, scène 4. En outre, la révélation de la scène 6 suit de peu le récit d’Horace à la scène 1 de ce même acte V, où deux indications situent la rencontre de très bon matin (v. 1362 et 1370). Même si on ignore exactement le moment de la journée auquel commence la pièce, il appert que l’unité de temps est respectée. Selon toute vraisemblance, l’action se déroule en vingt-quatre heures, d’un matin à un autre. 2 Acte Scène Lieu Acte I Sc. 1 Sur une place de ville (didascalie initiale), devant la maison d’Arnolphe Sc. 2 Sur la place et à l’intérieur de la maison ; changement de décor dépend d’un choix de mise en scène Sc. 3 Dans la maison ou sur la place (choix de mise en scène) Sc. 4 Sur la place, devant la maison Acte II Sc. 1 Sur la place, devant la maison Sc. 2 Dans la maison ou sur la place (choix de mise en scène) Sc. 3 Dans la maison ou sur la place (choix de mise en scène) Sc. 4 Dans la maison Sc. 5 Dans la maison Acte III Sc. 1 Dans la maison Sc. 2 Dans la maison Sc. 3 Sur la place, devant la maison Sc. 4 Sur la place, devant la maison Sc. 5 Sur la place, devant la maison Acte IV Sc. 1 Sur la place, devant la maison Sc. 2

Dans la maison ou sur la place (choix de mise en scène)

Personnages Arnolphe, Chrysalde Arnolphe, Alain, Georgette

Arnolphe, Agnès Arnolphe, Horace Arnolphe Arnolphe, Alain, Georgette Alain, Georgette Arnolphe, Agnès, Alain, Georgette Arnolphe, Agnès Arnolphe, Agnès, Alain, Georgette Arnolphe, Agnès Arnolphe Arnolphe, Horace Arnolphe Arnolphe Arnolphe, le Notaire

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Acte V

Sc. 3 Dans la maison ou sur la place (choix de mise en scène) Sc. 4 Dans la maison ou sur la place (choix de mise en scène) Sc. 5 Sur la place, devant la maison Sc. 6 Sur la place, devant la maison Sc. 7 Sur la place, devant la maison Sc. 8 Sur la place, devant la maison Sc. 9 Sur la place, devant la maison Sc. 1 Sur la place, devant la maison ou à l’intérieur de la maison Sc. 2 Sur la place, devant la maison Sc. 3 Sur la place, devant la maison Sc. 4 Sur la place, devant la maison Sc. 5 Sur la place, devant la maison Sc. 6 Sur la place, devant la maison Sc. 7 Sur la place, devant la maison Sc. 8 Sur la place, devant la maison Sc. 9 Sur la place, devant la maison

Arnolphe, le Notaire, Alain, Georgette Arnolphe, Alain, Georgette Arnolphe Arnolphe, Horace Arnolphe Arnolphe, Chrysalde Arnolphe, Alain, Georgette Arnolphe, Alain Arnolphe, Horace Arnolphe, Agnès, Horace Arnolphe, Agnès Arnolphe, Alain Arnolphe, Horace Arnolphe, Horace, Chrysalde, Oronte, Enrique Arnolphe, Georgette, Horace, Chrysalde, Oronte, Enrique Arnolphe, Agnès, Horace, Chrysalde, Oronte, Enrique, Alain, Georgette

3 La didascalie initiale fournit une indication sur le lieu dramatique : « la

scène est sur une place de ville ». Le relevé des personnages présents dans chaque scène et des actions qui s’y jouent permet de conclure que le lieu ne change pas ; seul le décor peut varier selon des choix de mise en scène. L’action se déroule en effet sur une place de ville, et plus précisément devant la maison où est séquestrée Agnès. Plus vraisemblablement, les scènes où celle-ci figure devraient se dérouler à l’intérieur des murs de la demeure, ainsi que celles avec les domestiques. La scène 2 de l’acte I devrait permettre de voir l’intérieur et l’extérieur de la maison puisque Alain et Georgette, dedans, ne se décident pas à ouvrir à Arnolphe qui frappe à la porte. Molière a donc observé l’unité de lieu, mais dans les choix de mise en scène, l’unité de décor semble difficile à assurer. Notons, en outre, que le choix d’une place est à la fois conforme à l’usage et utilisé de façon stratégique par Molière : c’est ce qui explique l’ignorance d’Horace quant à l’identité entre Arnolphe et M. de la Souche. L’unité d’action est assurée par l’omniprésence scénique d’Arnolphe, absent dans une seule et courte scène (Acte II, scène 3). Le projet du barbon d’épouser Agnès est énoncé au tout début de la scène 1 et trouve sa résolution dans la dernière scène de la pièce. L’intrigue amoureuse menée par Horace – que l’on peut considérer comme une action secondaire – est, en outre, parfaitement rattachée à l’action principale par le jeu des récits d’Horace à Arnolphe et trouve, en même temps qu’elle, son dénouement.

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Corrigé de l’exercice n° 2 Fin de l’acte I

Destinateur : Arnolphe, honneur, orgueil,

Destinataire : Arnolphe

Objet  : mariage avec Agnès  ; ne pas être trompé

Sujet : Arnolphe

Adjuvant : personne

Opposant : Horace

Fin de l’acte II Destinateur  : orgueil, honneur d’Arnolphe

Destinataire : Arnolphe

Sujet : Arnolphe

Adjuvant : personne

Objet  : mariage avec Agnès  ; ne pas être trompé

Opposants  : Horace, sentiments d’Agnès

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Fin de l’acte III

Destinateur : honneur, amour

Destinataire : Arnolphe

Sujet : Arnolphe

Adjuvant : personne

Objet  : mariage avec Agnès  ; ne pas être trompé

Opposant  : Horace, Agnès

Fin de l’acte IV Destinateur : honneur, amour

Destinataire : Arnolphe

Sujet : Arnolphe

Adjuvants : Alain, Georgette

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Objet  : mariage avec Agnès  ; ne pas être trompé

Opposants  : Horace, Agnès

Fin de l’acte V Destinateur  : amour, orgueil

Destinataire : Arnolphe

Sujet : Arnolphe

Adjuvants : Georgette, Alain

Objet  : mariage avec Agnès

Opposants  : Horace, Agnès, Chrysalde, Enrique, Oronte

Ces schémas actantiels successifs font nettement apparaître la permanence du projet de noces d’Arnolphe avec sa pupille. Ils mettent également à jour quelques modifications dans les motivations, les adjuvants et les opposants du personnage moteur de l’action. Notons tout d’abord que, dès la fin de l’acte I, ce dernier connaît des adversaires, qui ne vont cesser de se multiplier au fil de la pièce. Les auxiliaires apparaissent seulement durant l’acte III et ne sont que d’un maigre secours car ils se contentent d’exécuter les ordres qui leur sont donnés sans prendre d’intérêt personnel au projet du barbon. Surtout, on voit qu’à partir de l’acte III, la psychologie d’Arnolphe se complexifie : l’amour-propre, l’orgueil ne sont plus ses seules motivations, s’y joint l’amour pour Agnès, un amour si puissant qu’il le conduira, durant l’acte V, à renoncer à la finalité première de tout son projet de mariage : ne pas être cocu. Le respect de l’unité d’action n’interdit donc pas l’évolution des personnages.

Corrigé de l’exercice n° 3 (voir tableau ci-après) L’exposition et le dénouement obéissent aux règles de la comédie  : Arnolphe et Chrysalde parlent pour exposer la situation aux spectateurs et l’ensemble des personnages se retrouvent dans la dernière scène pour célébrer le mariage des jeunes gens. Chrysalde et le notaire sont deux personnages secondaires  ; ils sont peu présents. La place centrale du notaire (acte IV, scènes 2 et 3) est inhabituelle. Il vient pour remplir les contrats de mariage. Sa disparition indique qu’une péripétie a eu lieu et que le contrat est reporté.

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Arnolphe est omniprésent  : il apparaît dans 31 scènes sur 32  ! Il rencontre tous les autres personnages  ; il veut être au courant de tout et est au centre des intrigues. Pourtant, il est extrêmement seul comme en témoignent ses nombreux monologues (12). Son interlocuteur privilégié est Horace qu’il rencontre seul dans 5 scènes sur 9, ce qui prouve leur intimité. Agnès et lui ne sont réunis sur scène qu’à la fin de l’acte V. La jeune Agnès, quant à elle, représente la femme surveillée par excellence  : elle n’apparaît jamais seule ni en tête à tête avec son amant. Elle se trouve 8 fois sur scène, et à chaque fois avec Arnolphe, seul ou accompagné d’Alain et Georgette. C’est dans l’acte V seulement qu’Horace la rejoint sur scène. Le couple de valets occupe 10 scènes. Dans les actes I à III, ils sont avec Agnès ; puis dans l’acte V ils se trouvent sur scène avec Arnolphe : les alliances se défont et l’action s’emballe.

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Scènes de dialogues

Scènes de monologue

8

1 2 3

4

(dialogues et monologues)

Scènes mixtes

9

5

6

7

8

9

5

3

7

Oronte

6

3

5

Enrique

4

2

3

Un notaire

4 5 1 2

9

3

Horace

2

8

1

Agnès

5

11

4

Georgette

3

11

2

Nombre de scènes

Alain

1

Acte V

11

4

Acte IV

Arnolphe

3

Acte III

31

2

Acte II

Chrysalde

1

Acte I

Chapitre

3 A

Le classicisme de L’École des femmes : à l’épreuve du texte Étude de l’exposition (acte I, scène 1) 1. Lecture analytique n° 1 Écoutez la lecture de la scène 1 de l’acte I (vers 123 à 174) sur votre CD audio, puis relisez l’extrait vous-même avant d’aborder son étude.

Questions de lecture analytique 1 Dans le théâtre classique, les premiers vers d’une comédie ou d’une

tragédie doivent servir d’exposition des personnages, de l’action et du lieu. Les vers que vous venez de lire fournissent au spectateur de multiples informations de ce point de vue : lesquelles ? 2 Reprenez chacune des informations que vous avez repérées. En quoi

leur énoncé permet-il de rendre la suite de l’intrigue vraisemblable ? 3 Relevez les éléments comiques de l’extrait.

Réponses 1 Cet extrait donne aux spectateurs diverses informations concernant :

l’intrigue :

Arnolphe s’est fait le tuteur d’une petite paysanne, que sa mère, pressée par la nécessité, lui a abandonnée alors qu’elle avait quatre ans. L’enfant a été élevée dans un couvent, à l’écart du monde, selon les principes de son tuteur visant à « la rendre idiote autant qu’il se pourrait » (v. 138). Cette éducation a donné les résultats escomptés et Arnolphe s’apprête donc à épouser sa pupille, modelée «  au gré de [son] souhait » (v. 142). C’est dans ce dessein qu’il a « retir[é] » (v.143) la jeune fille du couvent et la tient dans une « [autre] maison, où nul ne [le] vient voir » (v. 146).

le lieu :

Arnolphe affirme qu’il tient sa future femme à l’écart « dans cette autre maison, où nul ne [le vient] voir  » (v.146). On comprend donc que l’échange entre les deux hommes se déroule à l’extérieur, dans la rue –





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la didascalie avant le texte précise « sur une place de ville » – devant la demeure dans laquelle se trouve enfermée la jeune fille. E les personnages :

les deux personnages principaux sont présentés au cours de ce dialogue, Arnolphe et Agnès. Par sa longue tirade, Arnolphe dévoile une partie de son caractère : il nous apparaît extravagant de se choisir et même de se fabriquer une femme si ignare  ; bien plus âgé qu’elle, il évoque la figure traditionnelle du barbon de comédie. La richesse n’est pas ce qui motive Arnolphe dans le choix d’une alliance : « je me vois assez riche, dit-il, pour pouvoir […] / Choisir une moitié qui tienne tout de moi.  » (v. 126-127). Par la réplique de Chrysalde, le public apprend enfin qu’Arnolphe est âgé de quarante-deux ans et qu’il s’est donné « un nom de seigneurie » (v. 172) : dans le monde, il se fait appeler Monsieur de la Souche. Quant au portrait de sa future épouse, il se limite à la description qu’en fait Arnolphe, unique personnage à la connaître, et pour cause : elle est cloîtrée depuis l’âge de quatre ans, des années durant dans un couvent et tout récemment dans une maison en ville, où elle ne côtoie que des domestiques « tout aussi simples qu’elle » (v. 148). Arnolphe ne fournit aucune précision sur son physique ; il insiste en revanche sur son caractère, qui, à l’en croire, se limite à un seul trait : l’innocence, mot qui signifie aussi bien « absence de méchanceté » qu’« absence de culture ». C’est le champ lexical le plus développé qu’il utilise à son propos : « idiote » (v. 138), terme à prendre au sens de « privée de culture », « innocente » (v. 140), « bonté naturelle » (v.147), «  ignorance  » (v. 156), «  ses simplicités  » (v. 159), «  innocence à nulle autre pareille » (v. 163). Derrière ce portrait se profile un personnage-type, celui de l’ingénue. Reste enfin le personnage de Chrysalde, dont le spectateur ne sait rien, sinon qu’il est « ami » d’Arnolphe (v. 151) ; il incarne le personnage du confident. L’écoute et la franchise dont il fait preuve à l’égard du fantasque « Seigneur de la Souche » le présentent effectivement comme tel. Mais il n’est pas seulement cela  : il apparaît, dès cette scène inaugurale, comme la voix de la raison face à l’extravagance du personnage principal. 2 La connaissance qu’Arnolphe a des origines de sa pupille est limitée.

Pour lui, elle est la fille d’une paysanne indigente. Se cherchant une enfant qu’il pourrait façonner à son gré pour ensuite l’épouser, il n’a pas enquêté davantage, ne s’est pas inquiété de sa naissance ni de sa fortune. Bien au contraire, qu’elle n’en eût point, constituait à ses yeux un gage de tranquillité conjugale : elle n’aurait à lui « reprocher aucun bien ni naissance  » (v. 128). Le coup de théâtre qui dénoue la pièce n’est alors pas incroyable du point de vue d’Arnolphe. Rien n’empêche en effet qu’Agnès soit le fruit d’un «  hymen secret  » (v.1740) et qu’Arnolphe n’en ait rien su.

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Le choix du lieu rend également vraisemblable l’action, et plus particulièrement le quiproquo d’Horace. Si l’action se déroule devant la maison où est séquestrée Agnès, cette demeure n’est pas celle où réside Arnolphe. Horace n’a donc aucune raison de soupçonner qu’elle lui appartient et qu’il est, par conséquent, le geôlier de sa bien aimée. À cela s’ajoute le récent changement de nom d’Arnolphe, suffisamment neuf pour que son ami Chrysalde ne parvienne pas à s’y faire ; il est donc parfaitement normal qu’Horace, qui n’a pas vu Arnolphe depuis longtemps, ignore la modification de son état civil. La méprise est d’autant plus fondée que « La Souche » est le nom de la maison dans laquelle est enfermée Agnès (v. 173). Le plan préparé par Arnolphe est cohérent avec son obsession du cocuage. Peu lui importe la naissance, la pauvreté, voire même la laideur de sa femme, Arnolphe ne pense qu’à son honneur ; il ne veut pas être cocu. Notons enfin que Molière va jusqu’à justifier ce récit qui expose des événements passés en faisant dire à Arnolphe  : «  Vous me direz  : Pourquoi cette narration ? / C’est pour vous rendre instruit de ma précaution. » (v. 149 -150) 3 Pour informative que soit la scène, elle n’en est pas moins comique.

On s’amuse surtout du caractère des personnages. Sans rire aux éclats, le spectateur s’amuse de la fantaisie d’Arnolphe qui a mis tous ses soins à « rendre [sa femme] idiote autant qu’il se pourrait » (v. 138) et qui s’est acheté un nom à particule ridicule pour faire oublier qu’il est un simple bourgeois. On est distrait également par son assurance fanfaronne concernant les « précaution[s] » (v.150) qu’il a prises pour ne pas être trompé par sa femme, alors même qu’on devine que le nerf de l’action sera lié aux entraves placées à l’accomplissement de son plan. Son orgueil se ressent à la longueur de la tirade – trente-et-un vers – uniquement consacrée à l’exposé de son projet. De plus, le barbon insiste avec un tel contentement sur l’ingénuité d’Agnès que l’on s’attend à la découvrir autrement plus rebelle qu’il ne la dépeint. La question d’Agnès que rapporte Arnolphe (vers 164) prête elle aussi à rire  ; le sujet en est plus grivois, mais finalement c’est bien de la naïveté de la jeune fille que s’amuse le spectateur. Aussi peut-on classer ces vers dans le comique de caractère, même si l’évocation de sujets grivois relève de la farce.

Exercice autocorrectif n° 1 À l’aide des réponses aux questions ci-dessus, composez le plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte. Vous organiserez ce plan en fonction de la question suivante : En quoi ce passage nous introduit-il dans une comédie classique ?

➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice n° 1 à la fin du chapitre.

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2. Chrysalde, le « raisonneur » Dans L’École des femmes, Chrysalde incarne la morale du juste milieu, de « l’honnête homme », homme de bonne compagnie qui s’efforce de faciliter les relations sociales. Il essaie de prévenir et raisonner Arnolphe en ami pour lui éviter des infortunes et des déconvenues. Sur le plan dramatique, il représente la norme qui permet de mesurer la folie d’Arnolphe qu’il juge d’ailleurs « malade ». Il a aussi un rôle dramaturgique important car il apporte la contradiction, la contestation et permet la relance des arguments développés par le personnage d’Arnolphe. Le dialogue progresse alors et le spectateur peut pénétrer plus avant dans les obsessions du barbon. Relisez trois passages où ce personnage prend la parole, Acte I, scène 1, v. 46-72 ; Acte IV, scène 8 v. 1240-1267 et Acte V, scène 9, v. 1760-1779, pour vous en rendre compte par vous-même.

B

Arnolphe : une édifiante satire du jaloux (acte II, scène 3) Vous allez étudier la scène 3 de l’acte II. Relisez les scènes 1, 2 et 3 de l’acte II avant d’aborder l’étude de cette scène. Écoutez la lecture de la scène 3 de l’acte II sur votre CD audio, puis relisez l’extrait vous-même.

Questions de lecture analytique 1 a) Où en est-on de l’action au début de la scène 3 ?

b) La scène fait-elle progresser l’intrigue ? 2 Qui sont les personnages sur scène ? À quelle catégorie sociale appar-

tiennent-ils ? À quel type de comique sont traditionnellement liés ces personnages ? Le spectateur est-il déçu dans ses attentes ? 3 Montrez que le portrait tracé par Alain propose une satire de l’homme

jaloux fine et juste.

Réponses 1 a) À la fin de l’acte I, dans la scène 4, Arnolphe a rencontré Horace,

le fils de son ami Oronte, dont il n’a plus de nouvelles depuis quatre ans. La conversation qui s’ensuit a lieu – comme, du reste, dans toute la pièce (unité de lieu) – devant le logis où est enfermée Agnès. Le

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jeune homme, qu’une lettre d’Oronte recommande à Arnolphe, est venu s’établir dans la ville et confie à l’ami de son père qu’il s’est épris d’un « jeune objet » (v. 317) retenu par un homme jaloux, un certain « de la Zousse ou Source » (v. 328), dans la maison qui leur fait face. Il ajoute que l’argent qu’Arnolphe vient de lui prêter lui servira à mener à bien sa « juste entreprise » (v. 343) : se « rendre maître [de la belle] en dépit du jaloux » (v. 342). Le rideau se lève à l’acte II sur un monologue d’Arnolphe, qui précise ses plans : savoir quels résultats Horace a déjà obtenus auprès d’Agnès. Pour cela, il s’apprête à interroger ses domestiques, Georgette et Alain qui, le voyant d’humeur chagrine, feignent des malaises. Arnolphe lui-même se sent mal, tant il est troublé ; il décide finalement de s’informer de la « propre bouche » d’Agnès (v. 407). b) Dans la mesure où elle n’apporte pas de réponse à la question que se pose Arnolphe et où elle n’introduit pas de nouvelle péripétie par rapport à l’action principale, cette scène ne présente aucune progression dramatique. Son intérêt est ailleurs. 2 Les deux personnages en scène sont Alain et Georgette, les domes-

tiques d’Arnolphe. Or, traditionnellement, dans la comédie, les valets et servantes apparaissent dans des scènes comiques. Cupides et fourbes, ils ridiculisent leur maître en lui soutirant de l’argent, en déjouant ses plans ou en faisant pleuvoir sur son dos les coups de bâton qui leur étaient destinés. Ce sont des experts de l’intrigue et des « combines », sans cesse en train de courir à droite et à gauche pour mener à bien leur plan, d’où le nom de servus currens, d’«  esclave courant », pour ce rôle, dans la comédie latine. Aussi est-ce en général à eux qu’il revient de monter et mettre en œuvre le plan pour déjouer les projets de mariage du père sévère (senex dans la comédie latine) et permettre l’union du fils (adulescens dans la comédie latine) avec celle vers laquelle le porte son cœur – que l’on croyait d’ailleurs orpheline et de vile naissance et se révèle en fait fille d’une riche et honorable famille. La présence de ces deux personnages sur scène crée deux horizons d’attente  : dramatique (la fomentation d’un complot pour protéger leur jeune maîtresse), et esthétique (on attend un comique de farce). Molière trompe le spectateur dans sa première attente : Georgette et Alain ne sont pas des intrigants et ne le seront à aucun moment de la pièce. C’est ainsi qu’ils exécuteront l’ordre d’Arnolphe d’assommer Horace à l’acte IV. La scène n’en est pas moins comique, selon les principes de la farce ou de la commedia dell’arte. Parmi les éléments comiques de farce, on peut relever la comparaison de la femme à un potage, à laquelle recourt Alain pour faire comprendre à Georgette ce qu’éprouve le jaloux : « Dis-moi, n’est-il pas vrai quand tu tiens ton potage/ Que, si quelque affamé venait pour en manger, / Tu serais en colère, et voudrais le charger ? […] La femme est en effet le potage de l’homme » (v. 432-436). La métaphore est ensuite filée avec une certaine grivoise-

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rie, évoquant en des termes à peine voilés le cocuage : « un homme voit d’autres hommes parfois / Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts » (v. 437-438). Ce genre d’allusion sexuelle a dû faire rire le parterre, mais a choqué certains contemporains de Molière. Est également comique l’ingénuité de Georgette, qui en fait une enfant et rappelle la simplicité de sa jeune maîtresse. Elle apparaît tout d’abord timorée, exprimant franchement sa « peur » face à l’attitude d’Arnolphe. En l’espace de seulement trois vers, elle emploie, en effet, deux fois le substantif « peur » et les adjectifs « terrible » et « horrible ». Son effroi est en lui-même comique puisqu’il semble dû à l’aspect de son maître plutôt qu’à ses menaces de coups  : «  ses regards m’ont fait peur » ; « jamais je ne vis un plus hideux chrétien » (v. 415-417). S’ensuit un dialogue avec Alain où Georgette enchaîne comme une jeune enfant les « d’où vient que […] ? » (v. 421, 424) et les « pourquoi […] ? » (v. 426, 440). 3 À travers cette scène, Molière livre aux spectateurs une juste satire

du jaloux, mais attention  : pas du caricatural jaloux de comédie, mais de l’homme jaloux. Si les commentaires et le langage de Georgette et d’Alain rendent la scène comique, le portrait qu’ils tracent de l’homme jaloux est en effet assez exact. La première réplique de Georgette donne une description physique – presque médicale – de l’état de démence que cause la jalousie. À ce qu’elle décrit, il faut imaginer Arnolphe les yeux exorbités ou hagards, le visage grimaçant. Cette peinture est d’autant plus juste qu’elle complète l’analyse qu’Arnolphe lui-même a fait de son état à la fin de la scène précédente : « je suis en eau : prenons un peu d’haleine. / Il faut que je m’évente et que je me promène. » (v. 403-404), « Du chagrin qui me trouble » (v. 413). La seconde réplique de Georgette brosse un portrait en actes du jaloux : il fait garder et surveiller la belle, la tenant au logis « avec […] rudesse » et empêchant quiconque d’en approcher (v. 419-422). Une fois fixée sur le mal dont souffre son maître – « la jalousie » (v. 423) – Georgette poursuit : « Oui ; mais pourquoi l’est-il ? et pourquoi ce courroux ? » (v. 426) Alain ne répond qu’à la seconde question au moyen de la comparaison entre la femme et le potage. Pour cocasse qu’elle soit, cette analogie a le mérite de présenter très clairement le sentiment du jaloux : il considère la femme comme son objet, sa propriété et ne supporte pas qu’on cherche à attenter à son bien ! La dernière observation de Georgette évoque avec crudité le comportement raillé par Arnolphe dans la scène 1 de l’acte I : la tacite acceptation du cocuage par certains  : «  Oui  ; mais pourquoi chacun n’en fait-il pas de même, / Et que nous en voyons qui paraissent joyeux / Lorsque leurs femmes sont avec les biaux monsieux. » (v. 440-442). C’est ainsi l’occasion pour Molière de railler également ses contemporains qui tirent parti du cocuage. Aussi rustre et maladroit que soit le langage des deux valets, force est de constater qu’ils donnent une juste peinture des mœurs contemporaines et des passions humaines. Alain surtout s’avère doué de qualités d’observation et de finesse psychologique. Il connaît le trouble et la colère éprouvés par l’homme

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jaloux et sait reconnaître les symptômes de cette maladie de l’âme. Les deux serviteurs s’entretiennent donc de façon grotesque sur un sujet sérieux, celui de la jalousie et de ses manifestations. La scène doit donc être dite burlesque : on y voit des personnages de naissance et de langage grossiers traiter d’un sujet sérieux. En ce sens, on peut dire que, pour farcesque qu’elle soit, cette scène n’en a pas moins une fonction morale. Elle vise à « purifier » les spectateurs de la jalousie en les faisant rire d’une définition certes burlesque, mais juste de cette passion.

Exercice autocorrectif n° 2 À l’aide des réponses aux questions ci-dessus, composez le plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte. Vous organiserez ce plan en fonction de la problématique suivante : En quoi cette scène illustre-t-elle les deux préceptes classiques : plaire et instruire ?

➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice n° 2 à la fin du chapitre.

C

De l’utilité du récit dans la comédie (acte III, scène 4) Relisez les scènes 1 à 4 de l’acte III avant d’aborder l’étude des vers 892-926 de la scène 4. Horace y fait un récit à Arnolphe sur la manière dont Agnès l’a dupé. Écoutez la lecture de la scène 4 de l’acte III sur votre CD audio, puis relisez-le vous-même avant d’aborder son étude.

Questions de lecture analytique 2 a) Où en est-on de l’action au début du passage ?

b) Quel nouveau rebondissement introduit le récit d’Horace ? 2 Pourquoi, d’après vous, Molière a-t-il choisi de faire rapporter par le

récit d’Horace l’épisode du grès au lieu de la représenter sur scène ? En quoi ce choix a-t-il un effet comique, celui de ridiculiser Arnolphe ? 3 Dressez la liste des éléments du texte qui suscitent le rire. À quel type

de comique (de situation, de geste, de caractère, de mot) chacun d’eux appartient-il ? 4 Relevez le champ lexical de la guerre. Par qui est-il employé ? Quel en

est le sens ?

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5 Quel est le véritable triomphateur, d’après le discours d’Horace ? 6 Quel enseignement le spectateur peut-il retirer de ce passage ?

Réponses 1 a) À la fin de l’acte II, Arnolphe avait ordonné à Agnès de rompre tout

commerce avec Horace et, s’il revenait, de lui jeter un «  grès  » (v. 635), autrement dit une grosse pierre. Au début de l’acte III, le barbon exulte et félicite Agnès de son « honnêteté » (v. 658) : il l’a vue jeter une pierre pour détourner Horace. Il décide de hâter les noces, fait appeler le notaire pour établir le contrat et donne à lire à Agnès d’austères Maximes du mariage ou les devoirs de la femme mariée. À la scène suivante, le jaloux célèbre en lui-même son triomphe, se félicitant d’avoir élu pour épouse « un morceau de cire » (v. 810) auquel il peut « donner la forme qui [lui] plaît » (v. 811). b) Le récit d’Horace bouscule toutes les certitudes d’Arnolphe et déjoue ses plans. Le spectateur qui l’a vu savourant sa victoire à la fin de la scène 3, comprend, comme le personnage lui-même, qu’il est défait : même s’il épouse Agnès, Arnolphe sera cocu ; toutes ses précautions auront donc été inutiles. En apprenant qu’Agnès a attaché une lettre à la pierre qu’elle a lancée à Horace, Arnolphe découvre en effet d’une part, que sa pupille répond à l’amour du galant, d’autre part que la jeune fille est loin d’être innocente et modelable comme il le croyait : elle a feint la soumission pour mieux le duper et saurait donc, autant qu’une autre, tromper son mari. Il prend enfin conscience que son projet de mariage pourrait être à nouveau contrecarré, si Agnès parvenait à s’échapper du logis où il la tient séquestrée. 2 Molière aurait pu représenter la scène amoureuse entre les deux

jeunes gens. Les détracteurs de L’École des femmes ont d’ailleurs critiqué son manque d’action, inhabituel pour une comédie, tout en jugeant invraisemblable qu’une jeune fille comme Agnès pût soulever un « grès »... Ce dernier argument est fort discutable : nous ne le retiendrons pas comme un motif justifiant le recours au récit. Il semble du reste que le respect des règles de bienséance et de vraisemblance ne soit pas le souci principal de Molière. Ce qui compte, ce n’est pas tant l’action racontée que les effets du récit sur Arnolphe et le jeu d’interlocution qui s’établit entre le narrateur et le narrataire. On devine en effet la colère et le désespoir d’Arnolphe rendu spectateur de la comédie qui le ridiculise. Dans son récit, Horace revient en effet sur les précautions aussi nombreuses qu’inutiles du jaloux et fait ainsi apparaître sous les yeux de l’intéressé un portrait satirique de luimême : « Cet homme, gendarmé d’abord contre mon feu,/ Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade ... ; Qui, pour me repousser ... anime du dedans tous ses gens contre moi,/ Et qu’abuse à ses yeux, par sa machine même ... » (927-932). La mortification d’Arnolphe ne s’arrête pas là puisque Horace, sans cesse, sollicite son approbation au récit des exploits de sa bien-aimée et l’invite à rire du ridicule de

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Monsieur de la Souche, au moyen de questions rhétoriques notamment (v. 922-925). Le tuteur d’Agnès est d’ailleurs explicitement présenté comme un personnage de comédie par le jeune homme : « Ne trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage / A joué mon jaloux dans tout ce badinage ? » (v. 924-925) Et pour coller à cet autre personnage qu’il s’est lui-même donné, celui de l’ami confident, Arnolphe se voit contraint de rire de Monsieur de la Souche, comme l’indiquent les didascalies : « Arnolphe rit d’un ris forcé », « Arnolphe avec un ris forcé ». Il se trouve donc pris à son propre rôle, et ce d’autant plus qu’il a dit à Horace lors de leur premier rencontre trouver du « plaisir » à se « donner souvent la comédie » en observant les « tours » que les femmes jouent à leur mari (v. 297-298). Si donc Arnolphe subit un « revers de satire » comme le lui avait prédit Chrysalde au tout début de la pièce (v. 56), il ne doit s’en prendre qu’à lui. 3 Voici la liste des sources du comique dans le texte :

le quiproquo qui amène Horace à faire à son adversaire le récit de son triomphe alors que le premier l’ignore (comique de situation) ; E le rôle de confident qu’Arnolphe s’est donné avec Horace et qui l’oblige à rire d’un récit qui le ridiculise et face auquel il ne peut rien répondre (comique de situation) ; E la situation d’Arnolphe, défait, alors qu’il célébrait sa victoire  : Arnolphe est « l’arroseur arrosé » (comique de situation) ; E le portrait burlesque que brosse Horace du jaloux déjoué à l’aide de procédés d’insistance aux vers 927-932  : accumulation de verbes d’action (« gendarmé », « se retranche », « fait parade », « repousser », « anime »), superlatif (« tous ses gens ») (comique de mots) ; E la victoire des jeunes amoureux sur le méchant et injuste vieillard, triomphe qui n’est pas sans rappeler celui de la femme et de l’amant sur le mari jaloux dans la farce traditionnelle (comique de situation) ; E le rire franc d’Horace enfin : sincère et spontané, il suscite la sympathie et s’avère communicatif. (comique de caractère). E 

Le comique de situation domine donc la scène : si la scène du grès n’est pas représentée, la situation d’énonciation qui en rend compte est source d’une action fondamentalement comique. 4 Dans cet extrait, contrairement aux vers qui précèdent, Horace mono-

polise la parole face à un Arnolphe, accablé, qui ne sait que répondre et ne peut laisser librement éclater sa fureur. C’est donc dans le discours d’Horace qu’il convient de chercher le champ lexical de la guerre. On relève ainsi les termes « gendarmé », « mon feu », « se retranche », « fait parade », « me repousser », « machine » – mot qui renvoie ici au pavé lancé par Agnès et peut désigner aussi bien une machination qu’une machine de guerre. Ce que le jeune homme évoque en ces termes, c’est la défense mise en place par Arnolphe contre le projet de séduction d’Horace. L’emploi du champ lexical de la guerre a pour effet de donner une dimension épique à l’entreprise galante. On serait

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enclin à rire de l’orgueil du jeune homme si celui-ci se présentait comme un héros. Il n’en est rien. Bien au contraire, le champ lexical de la défense militaire a donc pour effet de ridiculiser Monsieur de la Souche qui déploie contre la modeste entreprise d’Horace – être reçu par Agnès – un dispositif disproportionné. 5 Horace ne se présente pas comme un conquérant ; pourtant il célèbre

la défaite d’Arnolphe assiégé. C’est en Agnès, et plus encore en l’amour, qu’il reconnaît la cause de la victoire. L’arme qui terrasse le jaloux est « un trait hardi qu’a fait cette jeune beauté » (v. 898), un trait inattendu, qui a l’air d’un «  miracle » (v. 910). Et de fait, si la jeune fille apparaît comme le bras de la victoire, le dieu qui l’a guidée est l’amour, ce « grand maître » qui métamorphose les êtres, et fait en un instant d’un « avare » un « libéral », « un vaillant d’un poltron » (v. 906907), de l’« innocente » (v. 909) Agnès une femme « d’esprit » (v. 923). Le champ lexical de la force – « grand maître », « force les obstacles », « flammes puissantes » – et celui, extrêmement développé, de l’étonnement et de l’admiration – « m’a surpris », « va vous surprendre », « effets soudains », « miracles », « miracle », « étonniez », « j’admire », « n’êtes-vous pas surpris ? », « choses étonnantes », « n’admirez-vous point ? » – font de l’amour l’héroïque triomphateur du ridicule jaloux. En se fondant sur le titre de la comédie, il n’est pas faux cependant de dire que la femme est aux yeux de Molière l’autre héroïne de l’histoire. C’est, en effet, à travers Agnès que s’exprime l’amour, comparé par Horace à un maître d’école au moyen d’une métaphore filée : « un grand maître », « nous enseigne », « par ses leçons » (v. 900-903). Corrigé par l’amour, Arnolphe se trouve donc à l’école des femmes. 6 Par le rire, le public prend parti pour Horace et Agnès contre Arnolphe.

Avec eux, c’est l’amour qui triomphe de la jalousie. L’enseignement moral que le spectateur peut retirer de cet épisode comique est multiple. Tout d’abord, la jalousie est condamnable car elle conduit à des actes violents tels que la séquestration de la belle et l’agression de ses prétendants. Ensuite, elle est vaine, et partant ridicule, car elle s’attaque à plus fort qu’elle, l’amour, qui soumet à son joug même « la nature » humaine (v. 905). Enfin, Molière plaide ici en faveur de l’émancipation féminine. En tenant Agnès dans l’ignorance du monde, Arnolphe obtient le contraire de l’effet escompté : loin d’être soumise, elle se rebelle. On peut également songer que cette scène condamne les mariages arrangés entre un mari âgé et une damoiselle et prône pour guide conjugal l’amour. La défense des jeunes filles contre la tyrannie paternelle et leur revendication à se marier selon leur cœur est l’un des grands ressorts dramatiques du théâtre de Molière. Notez que cette position n’a rien d’original. En 1660, l’émancipation féminine est déjà en marche, surtout dans les milieux aristocrates et intellectuels, notamment à travers le mouvement des précieuses – jugées par ailleurs excessives par Molière (comme l’indique le titre d’une de ses pièces, Les Précieuses ridicules).

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Exercice autocorrectif n° 3 À l’aide des réponses aux questions ci-dessous, composez le plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte. Vous organiserez ce plan en fonction de la problématique suivante : Quelles sont les fonctions de ce récit ?

➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice n° 3 à la fin du chapitre.

D

Montrer aux hommes leurs ridicules (acte V, scène 4) Vous allez étudier un extrait de la scène 4 de l’acte V, scène où Arnolphe apparaît ridiculement pathétique et où Agnès prend le dessus grâce à sa conquête de la parole. Écoutez la lecture des vers 1566 à 1611de la scène 4 de l’acte V sur votre CD audio, puis relisez-le vous-même avant d’aborder son étude.

Questions de lecture analytique 1 Situez le passage : où en est-on de l’action ? Quel est l’intérêt drama-

tique du passage ? 2 Arnolphe offre tour à tour deux visages dans ce texte : lesquels ? 3 a) Pour attendrir Agnès, Arnolphe recourt aux registres tragique et

pathétique (voir Point méthode ci-dessous). Relevez les procédés qui appartiennent à ces deux registres : lexique, ponctuation, figures d’insistance. b) Montrez qu’Arnolphe est fondé à utiliser ces registres puisque la situation a tout d’une tragédie. 4 a) En dépit de la présence des registres et thèmes de la tragédie, ce

texte reste fondamentalement comique : pourquoi ? b) Les procédés comiques sont-ils conformes à l’esthétique classique ? 5 Comparez l’image de la femme dans le discours d’Arnolphe et l’atti-

tude d’Agnès. Qu’en concluez-vous ? 6 Quelle leçon, d’après vous, le spectateur retire-t-il de cette confron-

tation ?

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Point méthode : Le registre pathétique Le terme « pathétique » vient du grec « pathos » qui signifie « la passion ». Le registre pathétique vise à susciter l’émotion du lecteur, il essaie de le faire réagir devant une situation inhumaine, de le bouleverser, d’exciter sa pitié, sa souffrance, son horreur voire sa terreur. Il peut se mêler à une tonalité dramatique ou tragique. Les moyens mis en œuvre sont les suivants : E champ

lexical de la douleur ; syntaxiques chaotiques ; E exclamations et interjections ; E antithèses et oxymores ; E répétitions ; E métaphores et comparaisons à forte nuance émotive. E rythmes

Réponses 1 Cette scène de confrontation constitue l’un des sommets dramatiques

de la pièce. Métamorphosée par l’amour, Agnès a maintenant acquis une assurance et un aplomb qui lui permettent de tenir tête à son tuteur. Elle ne se contente plus de réagir passivement à ses demandes (III, 2). Elle a acquis l’indépendance de pensée et a appris à s’exprimer ; aussi affirme-t-elle, hautement et sans peur, ses droits au savoir, à l’amour, au plaisir. Mais l’intérêt de la pièce vient aussi de l’évolution d’Arnolphe. Après avoir pris conscience de son amour, il laisse éclater une passion maladroite et furieuse. 2 Dans les trois quarts de l’extrait, Arnolphe se présente sous les traits

de l’amoureux, de l’homme passionnément amoureux, mais tragiquement éconduit. Mais, face à l’insensibilité d’Agnès, qui, non seulement le repousse, mais aussi le provoque en évoquant le succès de son rival, Arnolphe change de visage. Il redevient le tuteur intransigeant, la figure paternelle inexorable qui gronde et ordonne quand on lui résiste. Rappelez-vous les mots par lesquels il met un terme à la discussion avec Agnès au sujet de son mariage à la fin de l’acte II : « C’est assez / Je suis maître, je parle : allez, obéissez. » (v. 641642) Relisez également les propos venimeux qu’Arnolphe adresse à sa pupille au début de la scène 4 de l’acte V. 3 a) Après avoir tenu des propos d’amoureux transi (v. 1569-1595),

Arnolphe adopte une autre stratégie. Il prend le masque du héros tragique et en adopte le langage. Il recourt ainsi au lexique usuel dans les tragédies de Corneille ou de Racine. C’est le cas tout d’abord du vocabulaire de la passion amoureuse : « tendresse » (v. 1570, 1581), « cœur » (v. 1570), « soupir amoureux » (v. 1587), « passion » (v. 1598), « ma flamme » (v. 1604). Puis on trouve le lexique de la fureur et de la menace : « traîtresse » (v. 1572, 1580), « ingrate » (v. 1600), « cruelle » (v. 1604), « courroux » (v. 1607), « vengera » (v. 1611). On relève même

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le champ lexical de la mort : « regard mourant » (v. 1588), « me tue » (v. 1603). Certains vers pourraient même appartenir à une tragédie et au registre pathétique qui la caractérise. C’est particulièrement vrai du vers 1607, qui commence par une exclamation de douleur et se compose de plusieurs figures de style : anaphore (« trop me »), une gradation ascendante (« braver » / « pousser mon courroux ») et un rythme binaire. L’accumulation de questions et l’anaphore « veux-tu » dans les vers 1600 à 1603 rappelle également le style de la tragédie. Les gestes que le vieillard se dit « prêt » à exécuter pour « prouver sa flamme » appartiennent aussi à l’univers tragique. « [P]leurer », « [se] batt[re] », « [s’]arracher [...]  les cheveux » sont des gestes de suppliants conventionnels dans la tragédie grecque antique. Quant au suicide, il est envisagé par maints héros tragiques et quelquefois même accompli. C’est le cas – hors de scène évidemment, pour ne pas contrevenir aux bienséances – pour la Phèdre de Racine. b) La situation dans laquelle se trouvent enlisés les personnages relève de la tragédie. Follement épris d’Agnès, Arnolphe n’est pas aimé en retour de la jeune fille. Son cœur la porte vers un autre prétendant ; mais les deux amoureux voient leur union contrariée par la jalousie et l’autorité paternelle d’Arnolphe. On retrouve le schéma actantiel de la Phèdre de Racine : Phèdre aime Hippolyte, mais n’en est pas aimée ; Hippolyte et Aricie sont épris l’un de l’autre, mais la jalousie de Phèdre rendue efficace à travers l’autorité paternelle de Thésée, empêchera cette union. Cet extrait développe un autre thème emblématique de la tragédie : l’idée de fatalité de la passion. Agnès l’affirme clairement : elle n’est pas maîtresse de ses sentiments. Face à Arnolphe qui la prie et la supplie de l’aimer, elle répond : « Du meilleur de mon cœur je voudrais vous complaire. / Que me coûterait-il, si je le pouvais faire ? » (v. 1584-1585). Avec cette expression à l’irréel, Agnès souligne bien le fossé entre vouloir et pouvoir. Arnolphe peut bien ensuite lui demander ce qu’elle «  veu[t]  » qu’il fasse pour l’aimer – «  si tu le veux  », «  tout comme tu voudras  », «  veux-tu  » répété cinq fois et suivi de « tu le veux » – Agnès le renvoie à l’inéluctabilité de sa passion pour Horace  : « Tenez, tous vos discours ne me touchent point l’âme  ; / Horace avec deux mots en ferait plus que vous.  » (v. 1605-1606). Arnolphe lui-même prend conscience de la fatalité de la passion par une sorte d’introspection, elle aussi caractéristique de la tragédie  : « Ce mot, et ce regard désarme ma colère, / Et produit un retour de tendresse et de cœur, […] Chose étrange d’aimer, et que pour ces traîtresses/ Les hommes soient sujets à de telles faiblesses ! » (v. 15691573). Les termes « sujets » « faiblesses » traduisent bien la vulnérabilité de l’homme face à l’amour, l’infériorité de la volonté et de la raison face à la passion, qui transforme la femme aimée en «  maîtresse » absolue, qui « désarme » et soumet. Arnolphe prend en effet devant Agnès la posture du suppliant. Une autre observation énoncée en aparté – « Jusqu’où la passion peut-elle faire aller ! » – témoigne de la prise de conscience par Arnolphe de l’irrésistible force de l’amour.

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Pour expliquer celui que sa pupille éprouve pour Horace, il en vient même à conclure : « C’est quelque sort qu’il faut qu’il ait jeté sur toi. » (v. 1590) Poussons plus loin l’analogie entre ce passage et la tragédie. La réflexion introspective d’Arnolphe fait ressortir le conflit entre la raison et la passion, moteur essentiel de nombreux dilemmes de la tragédie. Dans les vers 1574 à 1578, l’amant éconduit dresse une liste des défauts féminins qui sont – à ses yeux – autant d’arguments ou de raisons pour se détourner de ces « animaux-là ». Mais la logique se trouve elle aussi contredite puisque « malgré tout cela », conclut Arnolphe, les hommes « font tout » pour les femmes. Un dernier thème peut être rattaché à la tragédie, celui de la clémence : alors qu’il a la possibilité de se venger, le héros accorde le pardon à son ennemi. C’est ce que fait Auguste vis-à-vis de Cinna dans la tragédie éponyme de Corneille. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser qu’Arnolphe se prend pour Auguste lorsqu’il lance à Agnès : « Hé bien ! faisons la paix. Va, petite traîtresse, / Je te pardonne tout et te rends ma tendresse. » (v. 1580-1581) Arnolphe ne s’est-il pas précédemment comparé à Auguste dans sa méthode pour juguler la colère (Acte II, scène 4, v. 447-453) ? ! L’identification est néanmoins de courte durée puisque quelques vers plus loin, Arnolphe est redevenu un impitoyable tyran. 4 a) Si la scène ne sombre pas dans la tragédie, c’est tout simplement

parce que l’on a affaire à une parodie de tragédie. Arnolphe n’est pas crédible en héros tragique. Tout d’abord, il n’en a que partiellement le langage. À la hauteur tragique se mêlent des mots ou expressions familières (« petite traîtresse », « mon pauvre petit bec ») voire triviales (« te caresserai », « te bouchonnerai », « te baiserai », « te mangerai »). Ainsi, à un premier vers qui pourrait appartenir à la tragédie, « Vois ce regard mourant, contemple ma personne  », succède un alexandrin avec un mot vulgaire  : «  Et quitte ce morveux et l’amour qu’il te donne  » (v. 15881589). Ensuite, Arnolphe connaît imparfaitement les gestes du héros tragique. Le suppliant ne s’arrache pas « un côté de cheveux », cette précision est ridicule et suggère que le personnage n’est pas disposé à renoncer à sa chevelure. Ces décalages burlesques provoquent le rire. Enfin, Arnolphe n’est pas crédible en héros tragique car il n’en a pas la grandeur. Il lui manque la noblesse d’âme. Ces revirements sont trop brusques et n’apparaissent pas comme le fruit d’un être en proie à un conflit intérieur. Bien au contraire, on y voit les réactions tyranniques d’un enfant capricieux à qui on a refusé ce qu’il demandait. Car Arnolphe s’abaisse trop en suppliant Agnès  : il s’avilit. Il cesse d’être un tuteur ou un père et devient un enfant. L’excès qui ressort de ses paroles le tourne en ridicule et le discrédite aux yeux du spectateur, d’autant que son attitude est en parfaite contradiction avec son autoritarisme ordinaire. Cet excès est sensible dans la sensuelle promesse d’amour des vers 1595-1596, surabondant en procé-

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dés d’insistance : pléonasmes hyperboliques (« sans cesse », « nuit et jour  »), anaphore en «   je te  » qui matérialise l’union, gradation ascendante, et même allitération et assonance dans la répétition de la finale « erai ». Il atteint le comble de la dérision dans la série de propositions de postures tragiques (v. 1600-1603) énoncées dans une gradation ascendante et rythmées par l’anaphore « veux-tu ? ». Cette énumération s’achève d’ailleurs par une proposition injonctive « Oui, dis si tu le veux » dont la simplicité rompt avec le style soutenu qui précède, créant à nouveau un décalage burlesque. Enfin, la bassesse morale d’Arnolphe éclate malgré le registre tragique. La gradation « je te caresserai, /Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai. » (v. 1594-1595) révèle ainsi la lascivité du personnage qui exprime son amour par son appétit sexuel. Le spectateur ne découvre pas là une face cachée du personnage : la concupiscence du vieillard était déjà apparue autour du «  le...  » équivoque dans la scène 5 de l’acte II. Le champ lexical de l’animalité qu’utilise le barbon à propos d’Agnès trahit enfin la vision dégradante et, sinon misogyne, tout au moins sexiste, que le barbon a de la femme, et même de celle qu’il aime. Les femmes sont qualifiées d’ « animaux » (v. 1579) et Agnès est tour à tour un oiseau au « petit bec » (v. 1586), menacé d’être « dénich[é] » (v. 1609), et un cheval qu’Arnolphe promet de frotter avec de la paille. Tel est en effet le sens premier du verbe « bouchonn[er] » (v. 1595). Devant son refus d’être domestiquée, la jeune fille est finalement traitée de « bête indocile » (v. 1608). b) Les procédés comiques employés dans cette scène ont valu bien des critiques à Molière, au nom de la bienséance et du bon ton. Il n’est pas convenable de mélanger les genres ; il n’est pas vraisemblable de prêter une attitude et une langue tragiques à un simple bourgeois  ; il n’est pas décent d’employer un vocabulaire familier et des allusions grivoises. Pour donner un exemple concret, Robinet s’indigne qu’Arnolphe propose à Agnès de se tuer, comportement qui n’est possible selon lui que dans une tragédie (Le Panégyrique de l’École des femmes, scène 5). Les objections touchant au mélange des genres sont réfutées si l’on considère la scène comme une parodie burlesque à l’intérieur d’une comédie. Quant à l’objection relative à la vulgarité, voire à « l’obscénité » des propos, Molière l’aurait rejetée en affirmant que pour édifier « la grande règle est […] de plaire » (Critique de l’École des femmes, scène 6) et que dans le public, il y a aussi le parterre, à savoir les gens de condition modeste. 5 La métaphore animalière suffit à rendre compte de l’image rétrograde

et pleine de préjugés qu’Arnolphe entretient sur les femmes. Si l’on développe les sous-entendus de cette comparaison, la femme apparaît en effet comme un être privé de raison, soumis à ses instincts et incapable de se modérer. Le personnage de Molière expose un point de vue misogyne vieux de plusieurs siècles. C’est, par exemple, celui de Caton le Censeur, si l’on en croit Tite-Live (XXXIV, 3) : « Lâchez la bride à ces tempéraments effrénés et à ces animaux rétifs [...] ». Cette représentation avilissante est complétée par la description des vers

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1574-1578. La femme y est encore déshumanisée par l’emploi de tournures indéfinies : « Ce n’est qu’ », « Il n’est rien de plus ». De plus, aucune qualité ne lui est reconnue  ; au contraire, elle cumule tous les défauts, au point de n’être qu’ « imperfection ». Elle est « faible » de corps et d’esprit (« faiblesses », « âme fragile », « faible », « imbécile  ») et par conséquent déraisonnable («  extravagance  »), indigne de confiance («  traîtresses  », «  indiscrétion  », «  infidèle  ») et, pour couronner le tout, mauvaise (« noirceur », « leur esprit est méchant »). Ce noir tableau contraste avec l’impression produite par Agnès. Loin d’être fragile et déraisonnable, la jeune fille apparaît en pleine possession de ses moyens intellectuels et se place en position de force par rapport à son hargneux tuteur. Elle fait preuve d’intelligence psychologique en déclarant à Arnolphe qu’elle ne peut l’aimer, autrement dit que l’amour ne se commande pas. Ce discernement la place, de fait, en position de supériorité face à un Arnolphe aveuglé par la folie. Elle s’impose ensuite comme une personne sûre d’elle-même, qui ose s’exprimer en toute franchise lorsqu’elle conclut : « Tenez, tous vos discours ne me touchent point l’âme » (v. 1605). Avouons que la méchanceté n’est pas absente de ce constat : elle sait parfaitement qu’elle blessera Arnolphe. Elle va d’ailleurs plus loin dans cette voie en rappelant le nom honni d’Horace aux oreilles éprouvées du vieillard. Est-ce à dire qu’Agnès est, comme le suggère Arnolphe, un être perfide  ? Ce n’est pas cette image que le spectateur retire de la jeune fille. Son sarcasme est justifié par les vexations qu’elle a essuyées et les propos désobligeants et humiliants qu’Arnolphe tient sur elle et Horace. On notera d’ailleurs qu’elle n’est pas aussi blessante au début du passage (v. 1584). Le vieillard l’a poussée à bout ; on comprend parfaitement que son émancipation passe par la révolte. En conclusion, le titre de la comédie prend une nouvelle fois tout son sens ici. Arnolphe reçoit en effet une leçon d’Agnès – l’amour ne se commande pas – tandis qu’elle apprend par la confrontation à réfléchir par elle-même et à s’affranchir de l’aliénation dans laquelle elle a été trop longtemps tenue. 6 Quelle leçon le spectateur retire-t-il de la pièce  ? Comme toujours,

plusieurs. Celle énoncée par Horace dans la scène 4 de l’acte III se trouve réaffirmée : l’amour est un grand « maître », aux deux sens du terme ; il domine tout le reste et éduque les hommes. Agnès en est l’exemple vivant. La passion, en revanche, mène à la folie. Arnolphe, dans cette scène, est en effet littéralement fou. Excessif dans son programme d’abêtissement d’Agnès, il se montre tout aussi déséquilibré dans sa façon d’exprimer son amour, ou plutôt sa passion amoureuse. Car il ne se maîtrise plus, comme il le fait observer en aparté (v. 1598) et passe par plusieurs phases : la tentative d’attendrissement par une présentation pathétique (v. 1586-1588), puis les promesses de libre coquetterie, d’amour, et même de totale liberté une fois qu’ils seront mariés. Il l’autorise même à avoir des amants. C’est ainsi qu’on peut comprendre ces deux vers ambigus : « Tout comme tu voudras,

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tu pourras te conduire  ; / Je ne m’explique point, et cela, c’est tout dire. » (v. 1595-1596) Par cette déclaration, on peut juger de l’aliénation d’Arnolphe, et plus exactement de son assujettissement à la passion amoureuse : pour épouser Agnès et obtenir son amour, il est prêt à souffrir ce qu’il a pris tant de soin d’éviter, le cocuage ! Il passe ensuite aux registres pathétique et tragique, avant de retrouver le ton de la menace face à la fin de non-recevoir de sa pupille. Tant d’instabilité est signe de démence et rappelle la réaction d’Harpagon dans L’Avare, lorsqu’il découvre qu’on lui a dérobé sa cassette. Dans les deux cas, le bouleversement des personnages provoque l’hilarité  ; dans le cas présent, il suscite également une forme de compassion. Car l’amour d’Arnolphe apparaît sincère. On est tenté d’employer l’adjectif « pathétique » dans le sens où l’utilisent les jeunes aujourd’hui : il est tellement ridicule qu’il suscite la pitié. Contentons-nous de dire que Molière dresse un portrait tristement comique des effets de la passion amoureuse et de la jalousie. C’est ainsi que la comédie « corrige les mœurs par le rire ». Notez cependant que les metteurs en scène modernes, à la suite des romantiques, ont accentué cette dimension pathétique. Pour certains, la disparition scénique d’Arnolphe à la fin de la pièce équivaut à une mort symbolique, qu’avait annoncée sa menace de suicide. Tout est affaire d’interprétation ! Suivant celle-ci, la pièce cesse d’être une comédie au sens classique.

Exercice autocorrectif n° 4 À l’aide des réponses aux questions ci-dessous, composez le plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte. Vous organiserez ce plan en fonction de la problématique suivante : En quoi ce texte non seulement ne déroge pas à la règle du bon ton, mais répond aux exigences de la comédie classique, plaire et instruire ? 

➠ Reportez-vous au corrigé de l’exercice n° 4 à la fin du chapitre.

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C orrigés des exercices

Chapitre

1

Corrigé de l’exercice n° 1 Voici une proposition de plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte portant sur la question :   « En quoi ce passage nous introduit-il dans une comédie classique ? » I. Une scène d’exposition 1. Présentation des personnages 2. Présentation du lieu 3. Annonce de l’intrigue II. Un passage qui répond aux exigences de la vraisemblance 1. Des informations qui justifient le quiproquo d’Horace 2. Des indications qui justifient la surprise d’Arnolphe à la fin de la pièce 3. Des informations cohérentes avec le personnage d’Arnolphe III. Un comique de caractères 1. Agnès : le type comique de l’ingénue 2. Arnolphe : le type comique du barbon jaloux

Corrigé de l’exercice n° 2 Voici une proposition de plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte portant sur la problématique : « En quoi cette scène illustre-t-elle les deux préceptes classiques, plaire et instruire ? » I. Un échange burlesque 1. Un comique farcesque : la grossièreté et la trivialité du langage paysan 2. Un comique de caractère : Georgette, une naïveté enfantine qui fait rire II. Une satire édifiante des mœurs contemporaines 1. Une description réaliste des symptômes de la jalousie 2. Une satire de la jalousie et de l’acceptation du cocuage

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Corrigé de l’exercice n° 3 Voici une proposition de plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte portant sur la problématique « Quelles sont les fonctions de ce récit ? »

I. Un récit qui fait progression l’action 1. Le récit de l’événement passé : l’assurance d’Arnolphe démentie 2. La détermination d’Agnès 3. Un récit qui annonce de nouvelles péripéties et l’échec d’Arnolphe II. Un récit qui fait rire 1. Une situation farcesque entre l’amant, la femme et le mari 2. Le comique de situation lié au quiproquo 3. Le portrait satirique du jaloux III. Un récit qui édifie 1. Favoriser l’éducation des femmes : sinon, elles apprendront au détriment de l’autorité parentale 2. Supériorité de l’amour, favoriser les mariages d’amour : sinon, c’est le cocuage assuré 3. Se détourner de la jalousie : elle mène à la folie

Corrigé de l’exercice n° 4 Voici une proposition de plan détaillé d’une lecture analytique de ce texte portant sur la problématique « En quoi ce texte non seulement ne déroge pas à la règle du bon ton, mais répond aux exigences de la comédie classique, plaire et instruire ? » I. Parodier la tragédie pour faire rire 1. Les registres et les thèmes de la tragédie 2. Détournement burlesque de ces registres II. Un passage qui détourne les spectateurs des passions 1. Agnès, la force de la parole conquise 2. Arnolphe, l’aliénation provoquée les passions

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B ilan Questionnaire sur le classicisme et la comédie dans Les Femmes savantes La comédie Les Femmes savantes a été jouée pour la première fois au Théâtre du Palais-Royal le 11 mars 1672. Pour cet exercice, vous aurez besoin de lire plusieurs passages de la pièce. Pour ce faire, téléchargez le texte au format PDF en vous rendant à l’adresse suivante http://www.toutmoliere.net. Vous pourrez y effectuer le téléchargement du texte.

Questionnaire I. Observez la division de la pièce en actes. 1 Combien y en a-t-il ? Que pouvez-vous dire de cette structure ?

II. Lisez les scènes 1 et 2 de l’acte I. 2 Observez la disposition du texte sur la page  ? Que pouvez-vous en

dire ? 3 Ces scènes 1 et 2 remplissent-elles bien leur fonction d’exposition ?

Pourquoi ? Le spectateur est-il en mesure de deviner le type d’intrigue qui va se dérouler dans la pièce ? 4 Dans quelle mesure peut-on dire que cette scène traite d’un sujet

sérieux, déjà abordé dans L’École des femmes ? 5 Étudiez les procédés comiques dans la scène 1 ; diriez-vous qu’ils relè-

vent de la farce et /ou de la commedia dell’arte et/ou de la comédie de caractères et /ou de la comédie de mœurs ? Justifiez votre réponse. III. Lisez les scènes 1 et 4 (et dernière) de l’acte V. 6 En quoi vous permettent-elles d’affirmer qu’il y a unité d’action dans

la pièce ? 7 Contre quel danger Molière cherche t-il à prévenir le public ?

IV. En conclusion… 8 À partir des réponses aux questions précédentes, montrez, dans un

paragraphe de conclusion, que Les Femmes savantes est une comédie classique.

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Corrigé du questionnaire 1 La pièce comporte cinq actes, comme dans les tragédies classiques.

Cette composition est considérée comme la meilleure par les théoriciens classiques, avec l’exposition dans l’acte I, le nœud à l’acte III et le dénouement à l’acte V. 2 La comédie est écrite en vers, en alexandrins, comme la tragédie. La

forme poétique est tenue pour plus noble que la prose et apporte à son auteur plus de considération en ce qu’elle suppose un plus grand travail littéraire. 3 À travers les dialogues entre les deux sœurs puis entre les deux sœurs

et Clitandre, les scènes 1 et 2 fournissent au spectateur les informations essentielles pour comprendre l’intrigue. Armande et Henriette sont sœurs et éprises du même jeune homme, Clitandre. Le cœur de ce dernier allait initialement à Armande, mais celle-ci ayant repoussé sa flamme pour se consacrer toute entière aux choses de l’esprit, il s’est tourné vers Henriette et lui a demandé sa main. Armande prétend trouver honteux que sa sœur dédaigne la philosophie pour se marier, mais on comprend qu’elle est en fait jalouse d’Henriette. On devine qu’elle sera un obstacle à cette union et qu’elle ne plaidera pas le parti d’Henriette auprès de leur mère, qu’on imagine d’après ce qu’en disent ses filles, vouée, comme Armande, au culte de l’esprit. Le cœur de l’action sera donc, on le comprend, de savoir si Henriette et Clitandre pourront se marier comme ils le souhaitent. On prévoit de multiples péripéties venant entraver cette union. 4 À travers la discussion entre les deux sœurs, Molière aborde les ques-

tions de l’éducation des femmes et de la condition féminine. Les deux sœurs et leur mère apparaissent émancipées et la figure du père et du mari non tyrannique. Certes, Armande rappelle à Henriette qu’elle a besoin du consentement «  de ceux qui [lui] ont donné l’être  » (v. 164) ; mais, dans le reste de l’échange, il n’est question que de leur mère. On imagine que c’est d’elle, surtout, que dépend le sort d’Henriette et que le père est plus effacé. La mère est, en outre, présentée comme une femme entièrement dédiée à la culture de l’esprit. Si le thème abordé est identique à celui de L’École des femmes, la problématique est donc bien différente : loin de condamner les pères et maris qui laissent les femmes ignares, Molière critique, par une présentation ridicule d’Armande, l’aspiration de certaines femmes à n’être qu’esprit ! Par là, Les femmes savantes se rapprochent davantage des Précieuses ridicules, comédie donnée en 1659, avant L’École des femmes, où Molière raille le mouvement de la préciosité, ou tout au moins la recherche excessive d’élégance et de spiritualité de certaines précieuses. 5 Dans ces deux scènes, le comique naît du caractère de Philaminte,

de son extravagance et de ses contradictions : éprise de Clitandre et aimée en retour, elle a refusé de l’épouser, considérant le mariage comme une aliénation ; à présent que Clitandre a trouvé une femme

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qui répond à sa flamme et à ses vœux, elle cherche à empêcher leur union, par jalousie, tout en refusant de reconnaître qu’elle puisse céder à pareil sentiment. La démesure, pour ne pas dire la folie, de ce personnage éclate dans les expressions qu’elle emploie pour qualifier le mariage et ce qui s’y rattache : cela provoque pour elle « un mal de cœur  » (v.6), ce «  mot  » est «  à l’esprit  » «  dégoûtant  » (v. 10), « bless[e] » (v.11), fait « frissonn[er] » (v.13) ! ; elle souligne la vulgarité et la bassesse de « tels attachements » (v. 27-35), qui « aux bêtes ravale [l’homme] » (v.48) et engage sa sœur à se rendre sensible aux « charmantes douceurs / Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs  »  ! Son pédantisme, les multiples hyperboles, le recours au champ lexical du dégoût et de l’horreur à propos du mariage et de l’amour au sujet de la philosophie ajoute en outre un comique de mots, qui achève de rendre le personnage parfaitement ridicule. Comme Chrysalde, dans la scène liminaire de L’École des femmes, Henriette apparaît comme le parti de la raison, du bon sens face à un personnage qui se veut l’incarnation de la raison ! Comme dans L’École des femmes, le contraste entre les deux sœurs fait davantage ressortir la fantaisie, l’illogisme, et partant, le ridicule d’Armande. Ainsi Henriette a-t-elle toujours un argument convaincant à opposer à sa sœur ; en particulier, lorsqu’Armande lui donne leur mère pour exemple, elle a l’esprit de rétorquer qu’elle « ne ser[ait] point ce dont [elle se] vant[e] » si leur mère n’avait point cédé à certaines « bassesses »... (v. 77) Ces deux personnages ne sont pas de ceux que l’on trouve dans la farce ou la commedia dell’arte ; en outre le comique est subtil et vise l’édification des spectateurs : par la présentation d’une femme ridicule, Molière prévient le public, féminin en particulier, contre la folle passion qu’elle incarne. On peut donc parler de comédie de caractère. De plus, Armande rappelle certaines précieuses contemporaines de Molière. On peut donc aussi parler de comédie de mœurs. 6 Dans ces deux scènes de l’acte V, l’intrigue est centrée sur le mariage

d’Henriette, sujet exposé dès l’ouverture de la pièce, dans les premiers vers de la scène 1 de l’acte I. On peut donc affirmer qu’il y a unité d’action, comme le veulent les règles du théâtre classique. 7 Dans ces deux scènes figure le personnage de Trissotin. Gendre sou-

haité par Philaminte, la mère d’Henriette qui l’estime pour ses vers, il apparaît antipathique dans son obstination à vouloir épouser Henriette alors que celle-ci lui avoue courageusement qu’elle n’a pour lui aucune inclination et aime Clitandre. On devine déjà son hypocrisie, qui éclatera dans la scène finale, à l’entendre ainsi répéter sa passion à la jeune fille sans faire aucun cas de ses sentiments. Au dénouement de la pièce, la véritable motivation de Trissotin apparaît au grand jour : c’est la fortune d’Henriette qui l’intéresse ; c’est dans l’espoir de contracter un bon mariage qu’il s’est gagné la confiance de Philaminte en flattant son extravagant culte de l’Esprit. À travers ce personnage, Molière prévient le spectateur à la fois contre les cupides qui s’introduisent chez les gens dans le dessein de s’emparer de leur fortune et contre les passions – ici une dévotion unilatérale à la

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science – qui rendent ceux qui en sont atteints vulnérables. Molière avait déjà mis en scène le personnage du parasite dans son Tartuffe (1664). Le personnage éponyme profitait d’une autre dévotion, celle, répandue à l’époque, pour la religion. La pièce fut d’ailleurs censurée car la mise en scène de ce « faux dévot » déplut aux dévots. 8 La pièce Les Femmes savantes mérite le nom de « comédie classique »

à plus d’un titre. Tout d’abord, elle comprend cinq actes, le premier destiné à l’exposition de l’intrigue, le troisième au nœud et le dernier au dénouement. Ensuite, et surtout, cette pièce aborde des sujets sérieux, l’éducation des femmes, la condition féminine et la préciosité, sur un mode comique ; par le biais du ridicule, Molière entend détourner le public, féminin en particulier, d’un désir de savoir, à ses yeux excessive. Il s’agit de « corrig[er] par le rire », d’instruire en plaisant. Cette pièce est donc essentiellement une comédie de mœurs et aussi une comédie qui expose des caractères extravagants, peints d’après nature, même si le dramaturge force un peu le trait. On est loin du comique vulgaire, voire grossier, de la farce, loin de ses personnages stéréotypés, ou des Arlequin, Pantalon, Colombine de la commedia dell’arte. Le rire est donc subtil et édifiant, selon les préceptes classiques. Les Femmes savantes respectent la règle des unités. Toutes les actions se rattachent à l’action principale, le mariage d’Henriette avec Clitandre, et trouvent leur dénouement en même temps qu’elle. En outre, il n’y a qu’un seul lieu, la demeure parisienne du bourgeois Chrysale, de son épouse Philaminte et de leurs deux filles, Armande et Henriette. L’étude que nous avons menée ne nous permet pas d’affirmer que l’unité de temps est observée, mais c’est bien le cas. On notera enfin le souci de Molière de créer une œuvre d’une grande qualité littéraire en composant un poème dramatique en alexandrins. 

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