Théologie Fondamentale [PDF]

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Zitiervorschau

PLAN DU COURS INTRODUCTION GENERALE

Chap I. : LA THÉOLOGIE FONDAMENTALE AUJOURD’HUI : IDENTITÉ ET ARTICULATION. Introduction A. Bilan historique I. Le concile Vat. I (1870) II. Entre Vatican I et Vatican II III. Le concile Vat II (1962-1965) B. De concile Vat II à l’encyclique Fides et Ratio. I. La longue transition entre Vat II et la constitution apostolique Sapientia Christiana (1965-1979) a. Continuité de l’apologétique comme voie à la dogmatique b. La théologie dogmatique de la révélation, réalité primaire du christianisme comme théologie fondamentale c. La théologie fondamentale comme apologétique de l’immanence d. La théologie fondamentale comme analyse de l’homme auditeur de la parole e. Début de la théologie fondamentale pratique comme théologie du monde II. De la constitution Sapientia christiana aux encycliques Fides et Ratio (et Lumen Fidei) (1980) (2013). 1. Les deux écoles actuelles de la théologie fondamentale 2. Deux blocs : a. L’épistémologie de la théologie fondamentale : la concession synthétique de la crédibilité C. Encycliques Fides et Ratio : contribution à la théologie fondamentale 1. Les encycliques Fides et Ratio de 1998 (et Lumen Fidei 2013). D. Identité et articulation de la théologie fondamentale 1. L’identité de la théologie fondamentale : proposition de vérité révélée comme objet de notre foi. 2. Les doubles devoirs de la théologie fondamentale : celui de base-herméneutique, comme théologie fondamentale dogmatique ; celui dialogue-contextuel, comme théologie fondamentale apologétique. 3. L’articulation concrète de la théologie fondamentale Chap II : L’INITIATIVE SALVIFIQUE DE DIEU 1

A. La révélation 1. Aspects doctrinaux (Dei Filius – Dei Verbum) 2. Révélation publique - révélation privée 3. Aspects systématiques B. La Parole de Dieu devient Parole écrite et transmise 1. Parole de Dieu 2. La Parole de Dieu faite écriture 3. La Parole de Dieu faite Tradition Chap III : UN SEUL SAINT DÉPÔT DE LA PAROLE DE DIEU CONFIÉ À L’ÉGLISE A. La Sainte Écriture 1. Inspiration 2. Canonicité B. La Tradition 1. La Tradition selon Dei Verbum 2. Certaines clarifications conceptuelles 3. Témoignages de la Tradition C. Interrelation entre la Sainte Écriture et la Tradition 1. Unité entre la Sainte Écriture et la Tradition 2. La dépendance réciproque entre la Sainte Écriture et la Tradition 3. La différence entre la Sainte Écriture et la Tradition D. Le magistère de l’Église 1. La triple forme de magistère 2. Les déclarations de magistère CONCLUSION GÉNÉRALE BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE        

LETOUZEY, ANÉ, s. dir., Dictionnaire de la Bible, Paris, 1923. Dictionnaire biblique universel, Paris, Desclée, 1984. P. POUPARD (s.dir.), Dictionnaire des religions, Paris, PUF, 1984. P. EICHER (s.dir.), Dictionnaire de théologie (trad. franç. B. LAURET), Paris, Cerf, 1988. J. DORÉ (s.dir.), Dictionnaire de théologie chrétienne. Les grands thèmes de la foi, Paris, Desclée, 1979. Encyclopédia Universalis, 20 vol , Paris, 1970. G. DUMEIGE (s.dir.), Histoire des conciles œcuméniques, Paris, Orante, 1963-1965. H.C. PUECH (s.dir.), Histoire des religions, Paris, Gallimard, 1970-1976.

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 B. LAURET, F. REFOULÉ (s.dir.), Initiation à la pratique de la théologie, Paris, Cerf, 1982-1984 : t.I, Introduction ; t.II, Dogmatique I ; t. III, Dogmatique II ; t. IV, éthique ; t V, Pratique.  A. GEORGE, P. GRELOT, Introduction à la Bible : t.I, Au seuil de l’ère chrétienne, 1973 ; t.II, Ancien Testament, 1973, t.III, Introduction critique au Nouveau Testament, 1976-1986.  J. DORÉ (s.dir.), Manuel de théologie, Paris, Desclée, 8 vol, 1985-1988.  Mysterium salutis. Dogmatique de l’histoire du salut, (trad. t. 1-13 R. RINGENBACH), Paris, Cerf, 1969-1972.  H.-I. MARROU, J. DANIÉLOU (s.dir.), Nouvelle histoire de l’Église, Paris, Seuil, t. I-V, 1963-1965.  G. DUMEIGE, éd., Textes doctrinaux du magistère de l’Église sur la foi catholique, Paris, Orante, 1975.  X. LÉON-DUFOUR (s.dir.), Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1971.  A. ABÉCASSIS, La parole incarnée, Initiation à la pratique de la théologie, t.I, Paris, Cerf, 1982.  J.-P. AUDET, éd, La didachè. Instructions des apôtres, Paris, 1958.  L. BOUYER, Le Fils éternel. Théologie de la parole de Dieu et christologie, Paris, Cerf, 1974.  ------------, Gnosis, Paris, Cerf, 1988.  E. CASTELLI, éd., L’infaillibilité. Son aspect philosophique et théologique, actes du colloque organisé par le Centre international d’études humanistes et par l’institut d’études philosophiques de Rome, Paris, Aubier-Montaigne, 1970.  H. CAZELLES, Le Messie de la Bible : christologie de l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 1978.  A. DARTIGUES, La Révélation : du sens au salut, Paris, Desclée, 1985.  Ch. DUQUOC, Christologie. Essai dogmatique : I L’Homme Jésus, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 29, 1968 ; II Le Messie, « Cogitatio Fidei » 67, 1972.  C. GEFFRÉ, « Esquisse d’une théologie de la Révélation », La Révélation, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1977.  R. GAURDINI, Le Seigneur, 2Tomes, Paris, Alsatia, 1946.  J. GUILLET, Jésus devant sa vie et devant sa mort, Paris, Aubier, 1971.  P. LENGSFELD, « Tradition et Écriture. Leur rapport », Mysterium salutis 2, Paris, Cerf, 1969.

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 M. MESLIN, L’expérience humaine du divin, Paris, Cerf, « cogitatio Fidei » 200, 1988.  J.-B. METZ, La foi dans l’histoire et la société, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 99, 1979.  I. DE LA POTTERIE, « Je suis la voie, la vérité et la vie. Jn 14, 6 » dans NRT 88/9 ( 1966), 907-942.  E. POULAT, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Tournai, Casterman, 1962.  P. RICOEUR, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, II, Paris, Seuil, 1986.  -------, « herméneutique et critique des idéologies », Démythisation et idéologie, actes du colloque organisé par le Centre international d’études humanistes et par l’institut philosophique de Rome aux soins de E. CASTELLI, Paris, Aubier-Montaigne, 1973, 25-61.  R. SCHULTE, « la préparation de la révélation trinitaire », Mysterium salutis 5, Paris, Cerf, 1970.  B. SESBOÜÉ, Jésus-Christ dans la tradition de l’Église, Paris, Desclée, « Jésus et Jésus-Christ » 17, 1982.  H.Urs von BALTHASAR, La gloire et la croix. Les aspects esthétiques de la révélation, Paris, Aubier : I, Apparition, 1965 ; II, Styles, 1968-1972 ; III, Théologie, 1983.  ------, Théodramatique, I-IV, Einsiedeln, 1973-1983.  ------, « Le Saint-Esprit. L’inconnu au-delà du Verbe », dans Lumière et vie 67 (1964), 115-126.  ------, « Le mystère pascal », Mysterium salutis, t. 12, Paris, Cerf, 1972.  ------, La foi du Christ, Paris, Cerf, « Foi vivante » 76, 1968.  K. BARTH, Dogmatique, Genève, Labor et Fides, 1953-1965.  O. BIMWENYI KWESHI, Discours Théologique négro-africain, problème des fondements, Louvain, 1977.  H. BOUILLARD, Connaissance de Dieu. Foi chrétienne et théologie naturelle, Paris, Aubier-Montaigne, 1967.  ------, « l’expérience humaine et le point de départ de la théologie fondamentale », dans Concilium 6 (1965), 83-92.  R. BULTMANN, Foi et compréhension. L’histoire de l’homme et de la révélation, Paris, Seuil, 1969.  Y. CONGAR, La Tradition et les traditions. Essai historique, Paris, Fayard, 1960.

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 ------, « L’Église, une, sainte, catholique et apostolique », Mysterium salutis, t. 15, Paris, Cerf, 1970.  -----, « L’infaillibilité et l’indéfectibilité », dans RSPT 54 ( 1970), 601613.  -----, L’infaillibilité du magistère pontifical. Selon Vatican II, Paris, Centurion, « Lumen Gentium » 77, 1982.  A. DARLAP, « Théologie fondamentale de l’histoire du salut », Mysterium salutis, t. 1, 43-134.  A. DARTIGUES, La révélation : du sens au salut, Paris, Desclée, 1985.  A. DEISSLER, « La révélation de Dieu dans l’Ancien Testament », Mysterium salutis, t. 5, 309-371.  Ch. DUQUOC, Christologie. Essai dogmatique, Paris, Cerf, I, L’homme Jésus « Cogitatio Fidei » 29, 1968 ; II, Le Messie « Cogitatio Fidei » 67, 1972.  H. FEINER, « Révélation et Église. Église et Révélation », Mysterium salutis, t. 3, 48-52.  H. FRIES, « La révélation », Mysterium salutis, t. I, Paris Cerf, 1969, 209s.  G. GAIDE, « Tu es le Christ. Tu es Pierre. Mt 16, 13-20 », dans Assemblée du Seigneur 52 ( 1974), 16-27.  J. GREISCH, L’Âge herméneutique de la raison, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 133, 1985.  G. GUTIERREZ, Théologie de la libération, Lumen Vitae, 1974.  H. HAAG, « De la parole de Dieu au livre de l’Écriture sainte », Mysterium salutis, t. 2, 169-227.  A. HAMANN, « La venue du Fils dans l’histoire, première étape de la rédemption » Mysterium salutis, t. 9, 121-155.  K. JASPERS, La foi philosophique face à la révélation, Paris, Plon, 1973.  J. JÉRÉMIAS, Le message central du Nouveau Testament, Paris, Cerf, « Foi vivante », 1976.  H. KÜNG, l’Église, Paris, DDB, 1968.  -----, Infaillibilité ? Une interpellation, Paris, DDB, 1971.  -----, Être chrétien, Paris, Seuil, 1978.  P.E. LAPIDE, Fils de Joseph ? Paris, Desclée, « Jésus et Jésus-Christ » 2, 1978.  K. LEHMANN, K. RAHNER, « Kérygme et dogme », Mysterium salutis, t.2, 183-284.

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 ------, « l’historicité de la transmission. Le problème du développement des dogmes » Mysterium salutis, t. 2, 313-387.  P. LENGSFELD, « Tradition et Écriture. Leur rapport » Mysterium salutis, t. 2, 270-310.  M. LÖHRER, « Le magistère de l’Église », Mysterium salutis, t. 6, 81133.  A. LOISY, L’Évangile et l’Église, sans lieu, 1908 ; réimpression sans changement, Francfort, 1973 (4).  B.J.F. LONERGAN, Pour une méthode en théologie, Paris, Cerf, « Cogitatio Fidei » 93 (2ème partie), 1978.  H. de LUBAC, Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme (1938), Paris, Cerf, « Traditions chrétiennes », 1983 (7).  ------, Méditation sur l’Église, Paris, Aubier, 1953(2).  -----, Dieu se dit dans l’histoire : la révélation divine, Paris, Cerf, « Foi vivante » 159, 1974.  ----------, Révélation divine, Affrontements mystiques, Athéisme et sens de l’homme, Paris, Cerf, 2010.  R. MARLÉ, Le problème théologique de l’herméneutique, Paris, Orante, 1968.  W. PANNENBERG, Esquisse d’une christologie, Paris Cerf, « Cogitatio Fidei » 62, 1971.  Ch. PERROT , Jésus et l’histoire, Paris, Desclée, « Jésus et Jésus-Christ » 11, 1979.  K. RAHNER, L’homme à l’écoute du Verbe. Fondements d’une philosophie de la religion, Paris, Mame, 1968.  -----, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, Centurion, 1983.  J. RATZINGER, K. RAHNER, Révélation et Tradition, Paris, DDB, « Questiones disputatae », N° 7, 1972.  L. SARTORI, « Critères pour un appel adéquat du sensus fidelium », dans Concilium 168 (1981), 99-105.  E. SCHILLEBEECKX, Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, Paris, Cerf, 1960.  -----, « le problème de l’infaillibilité ministérielle. Réflexions théologiques », dans Concilium 83 (1973), 83-102.  R. SCHULTE, « La préparation de la révélation trinitaire », Mysterium salutis, t. 5, 93-97.

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 A. STENZEL, « les modes de transmission de la révélation. La liturgie, lieu théologique » Mysterium salutis, t. 3, 161-180.  P. TILLICH, Théologie systématique : I, Introduction. Raison et révélation, Paris, Planète, « l’expérience intérieure », 1970.  J. TRÜTSCH, « La foi », Mysterium salutis, t. 4, 11-147.  S. WIEDENHOFER, « Révélation » dans P. EICHER, éd., Dictionnaire de Théologie, Paris, Cerf, 1988, 664-672.  D. HERCSIK, Elementi di teologia fondamentale, Bologna, EDB, 2006 ; Città di Castello (PG) 2009.  S. PIÉ-NINOT, La teologia fondamentale, “rendere ragione della speranza” ( 1P 3, 15), Brescia, Queriniana, 20104.  H. WALDENFELS, Manuel de théologie fondamentale (trad. de l’Allemand par O. DEPRÉ), « Cogitato Fidei », Paris, Cerf, 1990.

BREF APERCU COMPREHENSIF DE LA THEOLOGIE Le mot théologie signifie étymologiquement : « traité sur Dieu » (De divinitate ratio sive sermo : S. Augustin, De civitate Dei VIII, I) : la théologie est donc la science de Dieu. Objet : L’objet matériel primaire de la théologie est Dieu, l’objet secondaire : ce sont les choses créées, en tant qu’elles sont en relations avec Dieu. Quant à l’objet formel, nous distinguons la théologie naturelle et surnaturelle : 

La théologie naturelle fondée par Platon (S. Augustin nommera theologia naturalis. Cette théologie depuis le XIXème s. sera appelée la Théodicée) ; c’est ce qui constituera le sommet de la philosophie. Elle est l’exposé scientifique des vérités sur Dieu, autant qu’elles peuvent être connues à la lumière de la raison naturelle. Elle se veut une étude méthodique et critique de Dieu, de son existence, de ses attributs, de ses rapports avec ses créatures, étude effectuée par le moyen de seules facultés humaines.

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Par contre la théologie surnaturelle est l’exposé scientifique des vérités sur Dieu, autant qu’elles sont connues à la lumière de la révélation divine. Se voulant une étude sérieuse sur Dieu, les humains, l’univers ; cette dernière a comme point de départ les révélations spéciales de Dieu lui-même. La théologie se décline au pluriel. Si toute théologie est « discours sur Dieu », la théologie fondamentale n’en est qu’une branche, avec des ramifications sans doute multiples, mais dont l’objectif est identique : exprimer la foi chrétienne en fonction des défis de l’histoire. Elle ne croit pas suffisant de se limiter à un travail intemporel d’intelligence de la foi, mais elle se montre soucieuse de sa traduction dans le langage de ses interlocuteurs. Alors que la vérité dont elle parle - l’événement fondateur de la foi : Christ mort et ressuscité - est invariable, sa crédibilité est tributaire d’un certain nombre de paramètres, d’ordre culturel ou existentiel, qu’il est impossible d’ignorer. Pour s’exprimer en termes de Paul Tillich, son objectif s’énonce ainsi : « la théologie, comme fonction de l’Eglise chrétienne, doit en servir les besoins… Elle oscille entre deux pôles : la vérité éternelle de son fondement et la situation temporelle dans laquelle la vérité éternelle doit être reçue »1. Sans rien négliger de la « vérité éternelle », dont elle se doit de rendre compte, la théologie fondamentale a cependant les yeux davantage fixés sur la « situation temporelle »dans laquelle il lui importe d’en rendre compte. Pour le dire avec les mots de Maurice Blondel : « l’important est, non de parler pour les âmes qui croient, mais de dire quelque chose qui compte pour les esprits qui ne croient pas.»2 Quant à l'objet de ces deux types de théologie, la théologie naturelle a comme objet formel Dieu tel qu'il est connu dans la création par la raison naturelle. Alors que l'objet formel de la théologie surnaturelle est Dieu, tel qu'il est connu par la foi dans la révélation (S. Augustin, De Civ. Dei VI, 5 ; S. Th 1,1,1, ad 2). De par leur principe de connaissance, elles se distinguent par : ratio naturalis et ratio fide illustrata. De par leurs moyens de connaissance : ea quae facta_sunt et revelatio divina. Leur objet formel : Deus unus et Deus unus et trinus. 1 P. TILLICH, Théologie systématique, I., Paris, Cerf-Labor et Fides, 2000, p.

21 s. M.BLONDEL, Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d'apologétique (1896)., Paris, PUF, 1956, p. 7 et 22. 2

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Le caractère scientifique de la théologie est indubitable. S. Thomas d'Aquin l'affirme sans détour parce que la théologie part des vérités fondamentales (principia) certaines, les vérités révélées et en tire des raisonnements strictement scientifiques, des connaissances nouvelles, des conclusions théologiques réunies en un système cohérent et complet. Mais la théologie est une science subalterne (scientia subalternata) parce que ses principes ne sont pas pour nous d'une évidence interne mais empruntés à une science supérieure, la science de Dieu communiquée par la révélation. Etant une science subalterne par rapport à son principe interne, la théologie surpasse pourtant toutes les autres sciences par la sublimité de son objet, la certitude absolue de ses connaissances qui repose sur la science infaillible de Dieu et sa relation immédiate avec la fin dernière de l'homme. La théologie pour S. Thomas est une science à la fois Spéculative et Pratique. Ceci parce que d'une part elle considère Dieu, la vérité première, et les choses extra divines dans leurs rapports avec Dieu. Et d'autre part, elle étudie la conduite morale de l'homme dans sa subordination à sa fin dernière surnaturelle. Le côté spéculatif a la prééminence, parce que la théologie vise avant tout la connaissance de la vérité divine et parce que la finalité de l'acte moral consiste dans la connaissance parfaite de Dieu. Elle est aussi une Sagesse parce qu'elle a pour objet la Cause première et dernière de toutes choses. Elle est par le fait même la sagesse la plus haute parce qu'elle considère la Cause première et dernière à la lumière de la vérité révélée communiquée par la science divine elle-même. (S.Th. 1, 1,6). La théologie est considérée comme science de la Foi. Elle suppose la foi au sens objectif (fïdes quae creditur) et au sens subjectif (fides qua creditur). La théologie a en commun avec la foi, les sources de connaissances : la sainte Ecriture et la Tradition (règles de foi éloignées) ainsi que les définitions de l'Eglise (règles de foi prochaines). Comme science de la foi, la théologie a encore un principe de connaissance particulier, la raison humaine avec laquelle elle cherche à pénétrer le contenu et la cohésion du système des vérités surnaturelles. S. Augustin exprime cette pensée en disant : crede ut intelligas (Sermo XXXXIII, 7, 9) ; S. Anselme de Cantorbéry dira Fides quaerens intellectum (Proslogion, Proemium) et credo ut intelligam (proslogion, 1). La théologie fondamentale cherche à rendre toujours prêt les croyants à la défense contre quiconque leurs demande raison de l'espérance qui est en eux (1P 3,15). Cette démarche porte les croyants comme le stipule la constitution dogmatique sur la divine révélation à proposer la doctrine authentique sur la Révélation divine et sur sa transmission, 9

afin qu'en entendant l'annonce du salut, le monde entier y croie, qu'en croyant il espère, qu'en espérant il aime3. C'est dans cette optique que nous orienterons notre cours pour chercher à présenter et à comprendre en même temps certains concepts, contenus et méthodes qui sont à la base de la théologie. La théologie fondamentale a connue d'énorme progrès qui a fait qu’elle soit enrichie sur divers aspects. Nous citerons en premier lieu l'ouvrage de Deken WALTER et compagnons : Handbuch der Fundamental théologie4, en second lieu la synthèse de l'Université Pontificale Grégorienne de Rome avec le fameux dictionnaire de Théologie Fondamentale5. Ces travaux de la Grégorienne auront un impact considérable sur le « le Congrès International de Théologie fondamentale » organisé au sein de ladite université en 1995. Le pape Jean Paul II dans son encyclique Fides et Ratio de 1998, définira en des termes explicites la thématique de la théologie fondamentale : « En vertu de son caractère propre de discipline qui a pour tâche de rendre compte de la foi (cf. 1 P3, 15), la théologie fondamentale devra s'employer à justifier et à expliciter la relation entre la foi et la réflexion philosophique. Reprenant l'enseignement de saint Paul (cf. Rm 1, 19-20), le concile Vatican I avait déjà attiré l'attention sur le fait qu'il existe des vérités naturellement et donc philosophiquement connaissables. Leur connaissance constitue un présupposé nécessaire pour accueillir la révélation de Dieu. En étudiant la Révélation et sa crédibilité conjointement à l'acte de foi correspondant, la théologie fondamentale devra montrer comment, à la lumière de la connaissance par la foi, apparaissent certaines vérités que la raison saisit déjà dans sa démarche autonome de recherche. La Révélation confère à ces vérités une plénitude de sens, en les orientant vers la richesse du mystère révélé, dans lequel elles trouvent leur fin ultime. Il suffit de penser par exemple à la connaissance naturelle de Dieu, à la possibilité de distinguer la révélation divine d'autres phénomènes ou à la reconnaissance de sa crédibilité, à l'aptitude du langage humain à exprimer de manière significative et vraie même ce qui dépasse toute expérience humaine. À travers toutes ces vérités, l'esprit est conduit à reconnaître l'existence d'une voie réellement propédeutique de la 3 Cf. DV1. 4 Cf. KEN WALTER, POTTMEYER Herman Josef, SECKLER Max, Handbuch

der Fwdamentaltheologie,Vott - 4,Stuttgart, 1984-1988-2000. 5 Cf. R. LATOURELLE, R. FISCICHELLA (Dir), Dictionnaire de théologie

fondamentale, Paris, 1992. 10

foi, qui peut aboutir à l'accueil de la Révélation, sans s'opposer en rien à ses principes propres et à son autonomie spécifique. De la même manière, la théologie fondamentale devra démontrer la compatibilité profonde entre la foi et son exigence essentielle de l'explicitation au moyen de la raison, en vue de donner son propre assentiment en pleine liberté. Ainsi, la foi saura montrer en plénitude la voie à une raison qui recherche sincèrement la vérité. La foi, don de Dieu, tout en ne se fondant pas sur la raison, ne peut certainement pas se passer de cette dernière. En même temps, apparaît le besoin que la raison se fortifie par la foi, afin de découvrir les horizons auxquels elle ne pourrait parvenir d'elle-même »6. La lettre encyclique de Pape François dans son n° 32 et 36 nous parle de ce lien entre la foi (qui est l'annonce de la vérité de l'amour de Dieu et l'ouverture de l'homme à cet amour), et le désir profond de l'homme pour la vérité qui ne peut se satisfaire que dans l'amour de Dieu. L'amour de la vérité du monde grec fera de lui un partenaire idoine pour le dialogue avec les premiers chrétiens7 . La lettre encyclique Laudato, nous montre l'importance de préservation de la nature comme notre maison commune, lieu aussi de la révélation de Dieu. Sans trop chercher à élargir la liste de recherches, des publications et congrès qui ont eu lieu ces dernières années, tous cela à contribuer d'une manière marquante à donner un nouvel élan à la théologie fondamentale comme activité théologique, une discipline de plus en plus systématique avec une grande influence ecclésiale et pastorale. L'importance de la théologie fondamentale se pose encore aujourd'hui avec plus acuité face à un monde de plus en plus sécularisé, informatisé et à perte de sens religieux. La rationalisation de l'espérance qui habite en nous est le processus qui agencera notre cours en commençant d'abord dans le premier chapitre à étudier la théologie fondamentale telle qu'elle se présente aujourd'hui : son identité et son articulation. Le deuxième chapitre s'attèlera sur l'initiative salvifique de Dieu. Le troisième et dernier chapitre traitera du saint dépôt de la foi confié à l'Église.

6JEAN PAUL II, Fides et Ratio, 67 7

FRANÇOIS, Lumen Fidei, 32-36.

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Chap I. : LA THÉOLOGIE FONDAMENTALE AUJOURD’HUI : IDENTITÉ ET ARTICULATION. Introduction L’apologétique déjà au début du christianisme cherchait à « donner une réponse », on dirait mieux « défendait » (en grec : apologhia) la foi. Les explications raisonnées de notre espérance (1P 3, 15), de notre foi étaient bien données et défendues par l’apologétique. Au deuxième siècle, Clément d’Alexandrie, qui sera après suivi par Origène (Contra Celsum VII, 12), ajouteront à ce texte de l’apôtre Pierre qui parle de la raison de notre espérance, la raison de notre foi. D’autres Pères de l’Église : Eusèbe de Césarée, Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie, continueront dans leur réflexion à maintenir le lien entre l’espérance et la foi. Il fallait attendre pour le monde latin, S. Augustin qui prendra la 1P 3, 15 comme point de référence et à cela il y adjoint la foi, pour la rationalisation de notre croire. Sa lettre Ad consentium sera considérée comme sa première œuvre systématique sur la relation entre la foi et la raison. La naissance de la scolastique consacrera ce texte de S. Augustin8. L’apologie a joué des rôles divers en ce qui concerne la foi au début du christianisme 9. Mais ces rôles de l’apologie fera une basse figure au moment de la systématisation de la théologie comme science, ceci spécialement dans la « Somme théologique ». Pendant cette époque, les efforts intellectuels seront plus consacrés à arguer la foi et à approfondir sa relation avec la raison10. C’est l’âge d’or de la « fides quaerens intellectum » que S. Anselme, S. Thomas d’Aquin et S. Bonaventure développeront et qui sera interrompu par le nominalisme de Guillaume d’Ockham. Ce dernier considérera comme voie archaïque celle de ces prédécesseurs et plaidera pour une voie moderne basée sur le positivisme et l’historicité de la foi. A cette nouvelle voie Luther opposera une forte résistance à la philosophie et à la 8 Cf. J. DE GHELLINCK, Le mouvement théologique du XIIè siècle, Paris,

1948. 9 Cf. B. POUDERON, J. DORÉ, Les apologistes chrétiens et la culture

grecque, Paris, 1998. 10 Cf. M.-D. CHENU, La théologie comme science au XIIIè siècle, Paris,

19693. pp 33-52. (Rhétorique sacrée et apologétique). 12

théologie naturelle au profit de la foi, ce qui suscitera l’apologie de la contre Réforme. L’Apologétique refait surface, mais sous la dénomination claire que nous connaissons aujourd’hui de la théologie fondamentale même si sa reconnaissance officielle fera l’objet d’un long périple. Il suffit pour s’en rende compte, jeter un coup d’œil sur sa récente histoire. Le concile Vatican II, dans ses différents documents officiels ne fera aucune mention à cette discipline, ni même dans « Normae Quaedam » qui sont les premières normes d’application conciliaire publiées en 1968 par Paul VI pour ce qui concerne l’enseignement théologique. Il faut attendre la « Sapientia Christiana » (29.04.1979), la constitution apostolique qui interviendra quinze ans après le concile Vatican II, pour voir explicitement mentionné la « théologie fondamentale » comme discipline obligatoire dans les études théologique. L’encyclique Fides et Ratio (14. 09. 1998) de Jean Paul II consacrera un paragraphe entier à cette discipline, dans lequel seront définis les objectifs clairs de la théologie fondamentale 11. Récemment, la dernière lettre encyclique de pape François sur la lumière de la foi, dédiera les numéros 32-36 à ce dialogue entre la foi et la raison. Cette introduction nous ouvre ainsi la porte pour commencer notre étude sur le bilan historique de la théologie fondamentale dans ses débuts : l’apologétique jusqu’à la lettre encyclique Lumen Fidei avec un accent particulier sur Fides et Ratio. Nous analyserons aussi les points de vue de deux conciles (Vatican I 1870 et Vatican II 1962-1965) sur ladite discipline. Ce qui fixera notre intelligence et nous conduira à étudier avec plus de sécurité les chapitres qui suivront. I.

Le concile Vatican I (1870) C’est à travers Dei Filius que nous pouvons lire l’orientation apologético-démostrative du concile Vatican I. Cette orientation peut être divisée en trois parties : -

L’existence de Dieu et de la religion (démonstration religieuse) L’existence de la vraie religion (démonstration chrétienne) L’existence de la vraie Église (démonstration catholique) Pour ce qui concerne la théologie fondamentale, nous retiendrons ces grandes affirmations du concile Vatican I :

11 Cf. JEAN PAUL II, Fides et Ratio, 67. On peut aussi lire la Lettre aux

participants au Congrès international de Théologie fondamentale promu par l'Université Pontifical Grégorienne pour le 125ème anniversaire de la constitution dogmatique «Dei Filius», 30 septembre 1995. 13

1. Il existe une voie « naturelle » à travers laquelle Dieu peut être connu avec certitude « certo cognosci », et une autre « supra naturelle » par laquelle Dieu nous a parlé, spécialement à travers son Fils (He 1, 1) : DH 3004. 2. L’importance de la révélation dans la connaissance des choses divines qui ne sont pas par elles-mêmes inaccessibles : DH 3005. 3. La révélation est contenue dans les livres écrits et dans la Tradition non écrite, ces livres sont écrits sous l’inspiration du Saint Esprit et ont Dieu comme auteur : DH 3006. 4. La soumission, par la foi, de la raison créée à la vérité incréée. La foi comme commencement du salut de l’homme : DH 3008 5. La foi est conforme à la raison (rationi consentaneum), pour cela il y a des preuves, arguments extérieurs, miracles, signes et prophéties sûres, adaptés à toutes intelligences : DH 3009. 6. L’Eglise catholique comme destinataire et lieu de la crédibilisation évidente de la révélation divine : DH 3013 7. Il existe une double voie de la connaissance (duplex ordo) : une avec la raison naturelle, l’autre avec la foi divine : DH 3015. 8. La raison illuminée par la foi (ratio fide illustrata), arrive à une certaine connaissance des mystères : soit par analogie, soit par le lien qui existe entre les mystères avec la fin ultime de l’homme : DH 3016. 9. La foi et la raison ne peuvent jamais être en contradiction entre elles : La juste raison démontre les fondements de la foi (demostret) : DH 3019. Nous retiendrons que ces affirmations ont conduit à déduire le caractère apologéticodémonstratif du concile Vatican I. À l’affirmation N° 1 : « certo cognosci » on ajoutera dans le serment anti-moderniste « demostrari posse » : DH 3538 ; qui constituent un parallèle à la « prova » et au « demonstret » que nous trouvons dans les affirmations 5 et 9 ; mais dans les actes du concile, le verbe « démontrer » a un sens mitigé. La formule « crédibilité évidente » que nous trouvons dans l’affirmation 6, est comprise comme une évidence « rationnelle obligatoire ». II.

Entre Vatican I et Vatican II Suite à une compréhension littérale du concile Vatican I, l’orientation apologéticodémonstrative se voit de plus en plus renforcée et confirmée. L’apologétique, influencée par le

14

nominalisme et spécialement par la voie dite « moderne » du XIVème s., devient plus défensive, cette attitude de l’apologétique demeurera jusqu’à la fin du concile Vatican II12. Pendant cette époque émergera, bien que d’une manière un peu marginalisée, les éléments pour une apologétique rénovée, teintée de la tradition de S. Augustin, Albert le Grand, S. Bonaventure mais surtout de S. Thomas d’Aquin, qui souligne la fonction illuminatrice de la révélation et de la grâce dans le domaine de la foi. Plus spécifiquement pour la TF, sa construction entre les deux conciles sera marquée par trois étapes de démonstrations : -

démonstration religieuse avec les thèmes : religion-Dieu-possibilité de la révélation ; démonstration chrétienne avec thème : concrétisation de la révélation effective en Jésus Christ

-

compris comme vrai envoyé de Dieu ; démonstration catholique avec thème : l’Église catholique comme véritable Église fondée par Jésus Christ et gardienne de la révélation. La démonstration catholique aura un caractère nettement anti-Réforme, alors que la démonstration religieuse quant à elle aura des accents anti-lumière. Elle insistera sur la religion révélée par opposition à une religion de la raison pure. On verra alors naître trois formes de l’application concrète de TF :



La forme latine : le processus de la TF correspond ici à l’apologétique à trois temps que nous



avons mentionné plus haut ; l’apologétique d’immanence qui adoptera la méthode d’immanence initiée par M. Blondel (1861-1949). la forme « germanique » : prend en son compte l’apologétique de l’immanence tout en élargissant et approfondissant la démonstration religieuse. La philosophie de religion, qui fait de l’homme un homme « à l’écoute du Verbe » (K. Rahner), sera appelée en appui. Elle met en valeur la capacité de l’homme d’entendre la parole de Dieu et de lui répondre (K. Rahner, Pontentia oboedientialis).

III.

Le concile Vatican II ( 1962-1965) Dei Verbum consacrera le progrès réalisé par la théologie fondamentale. Elle n’aura plus son point de départ, comme l’apologétique classique, dans la révélation générale, mais partira immédiatement de l’événement concret de la révélation accomplie en Jésus Christ et aura comme méthode historico-théologique. La contribution du concile Vatican II à la TF se 12 Cf. C. GEFFRÉ, Un nouvel âge de la théologie, Paris, Cerf,

« CogitatoFidei » 68, 1972 ; H. BOUILLARD, « L’expérience humaine et le point de départ de la théologie fondamentale » dans Concilium 6 (1965), 83-92. 15

fait voir sur deux points : d’une part en ce qui concerne la révélation : la considération de l’économie du salut dans une perspective sacramentelle (DV 2 et 4) ; le concile fait du principe de l’incarnation le paramètre de la compréhension de la révélation (DV 4) et de l’Église (LG 8). Apparaît ainsi la centralité du Christ dans la révélation et dans la foi (DV 2 et 4, NA 2). D’autre part, le concile propose une théologie rénovée centrée sur le Christ comme la plénitude personnelle et authentique de la révélation (DV 4) qui en même temps est l’accomplissement de la Sainte Écriture (DV 16). Tous les signes particuliers constituent son irradiation parmi les hommes et d’une manière spéciale l’Église est le « signe-sacrement » du Christ dans le monde (LG 1, 9, 48, 59). Les miracles sont tous liés à la personne de Jésus (DV 2,4, LG 5, AG 12) pour susciter la foi en sa personne. L’Église est appelée à témoigner de cette foi. Le thème du témoignage déjà traité par le concile Vatican I sera repris par Vatican II et deviendra très important. Il sera considéré comme voie d’accès à la crédibilité de l’Église (LG 13, 35, 38-42 ; AG 6, 11, 15, 21, 24, 37 ; GS 43 ; PO 3. PC 25). Le concile Vatican II met clairement en lumière que la révélation est crédible non seulement à partir des signes externes qui l’accompagnent, mais elle est en elle-même la clé de lecture de l’intelligibilité de mystère de l’homme (GS 22). Pour ce qui concerne la relation entre la foi et la raison, le concile Vatican II, en premier lieu, à la définition du concile Vatican I qui affirme que : « puisque l’homme dépend totalement de Dieu comme son créateur et Seigneur, et que la raison créée est complètement soumise à la Vérité incréée, nous sommes tenus de présenter par la foi à Dieu qui se révèle, la soumission plénière de notre intelligence et de notre volonté » (DH 3008), le concile Vatican II unit à l’affirmation précédente DV 5 : « l’obéissance de la foi » (Rm 16, 26 ; Rm 1, 5 ; 2Co 10, 5-6) qui engage l’homme en toute liberté avec la grâce de l’Esprit Saint pour l’intelligibilité de la révélation. En deuxième lieu, faisant référence au concile Vatican I dans DV6, le concile Vatican II change l’ordre (Cf DV 3), mettant en premier lieu « la connaissance de Dieu à travers la révélation » (DH 3005), et en second lieu « la connaissance naturelle de Dieu » (DH 3004) pour ainsi montrer la primauté de la révélation. I.

La longue transition entre Vatican II et la constitution apostolique Sapientia Christiana (19651979) a. Continuité de l’apologétique comme voie à la dogmatique La TF telle que nous l’avons actuellement est née de l’apologétique classique et d’une réflexion sur la nécessité de se réformer en vue de répondre aux besoins de son temps. Cette réforme était importante pour sa survie. Vue son cheminement, l’apologétique était habituée 16

aux changements, aux virages imprévus. Mais pendant la longue période de transition entre Vatican II et la constitution Sapientia Christiana (Constitution apostolique de Jn Paul II sur les Universités et les facultés ecclésiastiques le 29. 04 1979), le changement était si profond et si spectaculaire que l’apologétique a due même changé de nom pour devenir TF. Ce changement de nom ne sera qu’un élément avant coureur d’un changement beaucoup plus profond qui affectera le statut même de cette discipline. Le changement touchera le nom, le contenu, la méthode et l’identité même de la cette discipline. Mais on fera attention en parlant de tous ces changements par le fait que les problèmes qu’affronte la TF actuelle restent substantiellement les mêmes : « révélation et crédibilité ». La TF actuelle n’aura pas la prétention de se vanter comme un commencement absolu. La formation de la nouvelle image de l’apologétique, appelée désormais TF, date des années de l’après deuxième guerre mondiale. Cette période couvre trois décennies qui correspondent à un triple mouvement de la réflexion théologique : une phase de réaction de l’apologétique classique, une phase de l’adoption définitive du terme TF et une phase de réaction de réflexion sur son identité et sur la hiérarchisation de ses tâches. En prenant le concile Vatican II comme référence, on parlerait de trois phases : phase préconciliaire, conciliaire et postconciliaire. Nous parlons de trois phases plutôt que de trois étapes chronologiques, car à vrai dire, il s’agit de trois vagues qui se recouvrent autant qu’elles se succèdent. Lorsque la deuxième se soulève, le mouvement de la première se fait encore sentir; et tandis que la deuxième se déploie, la troisième est déjà amorcée. Un historique, avec un développement assez exhaustif de cette discipline théologique relativement jeune fait encore défaut à l’heure actuelle13. L’apologétique classique se basera sur les trois types de démonstrations : la démonstration religieuse, chrétienne et catholique et cherchera à répondre à une nécessité historique de son temps : lutte contre le mouvement de la Réforme du XVIès., contre les libertins et les athées du XVIIè s., les deistes et les encyclopédistes du XVIIIè s. Face à tous ces mouvements, il fallait opposer un discours cohérent sur l'existence et les attributs de Dieu, sur la providence et l'immortalité de l'âme (théodicée). Contre les déistes qui se contentaient d’une religion naturelle et rejetaient toute idée de révélation historique, l’apologétique s’attellera à démontrer que le christianisme est la véritable religion révélée sur la base des preuves convaincantes que Jésus Christ est celui qui parle au nom de Dieu et qui nous révèle pleinement Dieu. Aux Réformistes, la démonstration catholique fera voir que parmi les 13 C. GEFFRÉ, Un nouvel âge de la théologie, Paris1972, 291-365.

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diverses confessions chrétiennes, l’Église catholique est la seule et véritable Église. Étant donné que nos frères de la Réforme s’appuyaient plus, en ce qui concerne la foi, sur la subjectivité et d’une manière particulière sur l’action de l’Esprit qui nous fait adhérer à la Parole de Dieu et nous donne la certitude de son origine, l’apologétique insistera sur les critères objectifs : les miracles, les prophéties… Entrer en usage courant en 1830, l’apologétique se constituera en discipline théologique qu’à partir du début de XX è s. on verra naître des œuvres qui non seulement s’appliqueront à une justification rationnelle et systématique de la foi, mais s’emploieront à définir le statut épistémologique de l’apologétique comme science à part de la philosophie et de la dogmatique. Nous pouvons citer à titre illustratif les ouvrages de Michael Nicolau et Joachim Salaverri, Theologia Fundamentalis : SacraeTheologiae summa I ; qui bien qu’étant d’avant Vatican I continuera à être utilisé et aura un grand impact sur le mouvement théologique. K. Rahner aura une grande admiration pour ces livres. Il dira « il n’y a au monde aucune TF supérieure à cette « Somme » quant à l’équilibre de matière qu’elle propose, quant à la proportion de l’abondance bibliographique, quant à la mise à jour de l’apport des écoles… ». On citera aussi les ouvrages de : S. Tromp, de Ambroise Gardeil, de Reginald Garrigou-Lagrange, Dieckmann... Cette période de continuité de l’apologétique classique postconciliaire sera plus représentée par A. Beni dans son ouvrage : Théologie fondamentale. En Allemagne par Adolph Kolping et Andrew Lang. On assistera à une série de renouveaux dans les diverses filières théologiques : renouveau au niveau des études bibliques, patristiques, au niveau des méthodes et techniques de l’exégèse…La révélation et la foi deviennent des réalités beaucoup plus riches, plus concrètes, plus personnelle. Avec la systématisation de l’apologétique classique, le rapport avec nos frères de la Réforme ne sera plus celui de la fermeture mais d’ouverture et d’accueil mutuel. b. La théologie dogmatique de la révélation, réalité primaire du christianisme comme théologie fondamentale DV a réussi a structuré le traité dogmatique de la révélation et il sera considéré comme la grande charte de la TF. La grande et même trop rationalisation de la foi par le courant des théologiens avant Vatican II, mettra en crise la TF. Ce qui portera des théologiens à orienter leur recherche vers la théologie dialectique de K. Barth surtout dans sa « théologie de la

18

Parole »14. Cette nouvelle perspective portera son fruit dans la diffusion de l’ouvrage de R. Latourelle « Théologie de la révélation »15. On pourra encore citer beaucoup d’autres publications comme celles de M. Seybold, de H. Waldenfels. Toutes ces publications chercheront à commenter DV pour une meilleure compréhensibilité de la révélation. La présentation dogmatique de la révélation aidera à vaincre le déisme et à montrer que la religion naturelle n’est pas suffisante en elle-même pour trouver la réponse aux grandes interrogations de l’homme. La théologie de la parole comme révélation, qu’on ne trouvait pas dans la tradition de l’apologétique classique aura une grande influence. La TF doit parler dogmatiquement de mystère et apologétiquement de faits. Le discours de la TF doit inclure la verticalité du sens salvifique en même temps que l’horizontalité du fait. Ces deux dimensions qui constituent le discours de TF sont voulues par Dieu et notifiées par ses témoins autorisés. La révélation est à la fois événement et commentaire. Dieu se révèle Verbis gestisque, ce qui veut dire Dieu intervient dans l’histoire mais à travers des médiations (gestes, œuvres, élus qui interprètent ces événements). Dieu entre en communication avec l’homme, lui parle, mais par l’intermédiaire d’une histoire signifiante authentiquement interprétée. Sans Moïse l’Ex ne serait qu’une immigration. C’est qui différencie la révélation chrétienne d’autres révélations, idéologies… c. La théologie fondamentale comme apologétique de l’immanence. L’extrinsécisme constitue un des faits qui a contribué au renouvellement de l’apologétique classique. Ce renouvellement est l’œuvre de M. Blondel (1861-1949) qui sera le défenseur de cette apologétique qu’on nommera « apologétique de l’immanence » comme faisant partie de l’apologétique intégrale. Son influence en ce qui concerne la rénovation de la TF fut et continue à être décisive. Sa méthode de l’immanence à donner naissance à l’« Apologétique de l’immanence ». Cette apologétique de l’immanence n’affiche pas un refus radical de la forme traditionnelle de l’apologétique, mais la critique dans la mesure où, l’homme destinataire de la parole de Dieu était resté largement négligé dans ses tendances, ses attentes et ses espoirs, ses doutes et ses limites 16. L’apologétique de l’immanence ajoutera aux motifs objectifs de crédibilité de la révélation chrétienne les motifs subjectifs de la disposition 14Cf H.U. von BALTHASAR, Karl Barth, Köln, 1951; H.BOUILLARD, Karl

Barth, Paris 1957; T. CITRINI, GesùCristorivelazione di Dio. Il tema negli ultimi decenni della teologia cattolica, Venegono Inferiore, 1970. 15 La première édition paraitra à Paris en 1963, la seconde avec un

chapitre sur DV paraitra à Paris en 1966. 19

à la foi pour montrer la corrélation de l’effort humain d’une part et du don divin en Jésus Christ d’autre part. Le message du Christ n’est pas un message annoncé de l’extérieur de l’homme, mais dans l’immanence du cœur de l’homme, il est au fond toujours déjà entrevu consciemment ou inconsciemment. La révélation comme réponse du sens posée par l’homme. N’étant pas seulement une forme historique de procédé théologique, la méthode de l’immanence est en principe un moment ou un aspect de toute la TF. H. Bouillard sera le principal représentant de cette apologétique17. Il s’en suivra une vague d’auteurs comme K. Rahner 18, J. Lacroix19, A. Marananche20… Ces différents auteurs s’inspireront de M. Blondel pour porter à leur tour leur contribution en ce qui concerne l’approche théologique. Ils ne se limiteront pas seulement à une vision d’en haut de la foi qui va au-delà de l’extrinsécisme mais incluront aussi la dimension illuminative et vitale de l’acte de la foi. Nous citerons dans ce cadre les théologiens comme John Henry Newman et Peter Rousselot21. d. La théologie fondamentale comme analyse de l’homme auditeur de la parole La divulgation de l’œuvre de K. Rahner, Hörer des Wortes (1941), qui analyse et centre son attention sur « la potentia oboedientialis » de l’homme à la libre révélation, aura une grande influence sur le mouvement théologique de l’époque. Traitant de l’anthropologie métaphysique qui devient analyse de l’écoute de la part de l’homme, d’une éventuelle révélation, pour lequel l’homme est auditeur de la parole par son essence même qui lui donne 16 Cf. H. de Lubac, « Apologétique et théologie », dans NRT 57 (1930) ; H.

BOUILLARD, Blondel et le christianisme, Paris 1961 ; Y. CONGAR, La foi et la théologie, Paris 1962. 17 H.BOUILLARD, Comprendre ce que l’on croit, Paris 1971 ; Révélation de

Dieu et langage des hommes, Paris, 1972. K.H. NEUFELD, Vérité du christianisme, Paris 1989. 18 K.RAHNER, Handbuch der pastoral theologie, Freiburg 1966. 19 J. LACROIX, Le désir et les désirs, Paris 1975. 20 A. MARANANCHE, Les raisons de l’espérance. Théologie fandamentale,

Paris 1979. 21Cf. sur ce point R. AUBERT, le problème de l’acte de foi, Louvain 19502.

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la capacité d’écouter Dieu pour avoir accès d’une éventuelle révélation dans son histoire. La philosophie ne peut être authentiquement chrétienne que quand comme l’anthropologie théologique, arrive à démontrer que l’homme dans sa constitution, doit toujours être à l’écoute d’une possible révélation de Dieu. Une telle réflexion philosophique reçoit le caractère d’une « preparatio Evangelii ». Par sa méthodologie qui fut qualifiée de transcendantale, Rahner sera considéré comme un point décisif de la théologie moderne. Cette qualification de sa méthodologie est par analogie à la philosophie transcendantale qui régnait à l’époque. Parlant de la théologie transcendantale, il dira lui-même que : nous pouvons appeler la théologie transcendantale cette théologie qui, à partir de son orientation génialement théologique, examine les conditions à priori, le sujet croyant par la connaissance des vérités importantes de la foi »22. Ces écrits sont très nombreux, nous noterons seulement à titre illustratif ces quelques écrits : Hörer des Wortes (L’homme à l’écoute de Verbe 1967); son cours fondamental sur la foi, Lexikon für theologie und Kirche, Freiburg 1957-1965; Grundkurs des Glaubens 1976 (Traité fondamental de la foi 1983)… « Pour me libérer de la crainte que m’inspire ton immensité, tu dois admettre que ta parole infinie soit enfermée dans les limites, tu dois la faire passer dans mon étroitesse » (Worteins Schweigen, Innsbrück1938, trad. fr. Mulhouse 1966). Cette citation nous fait voir que sa théologie n’est pas seulement le produit d’un enseignement magistral et d’une recherche scientifique, mais elle trouve sa source dans une vie de foi, de prière dont nous pouvons retenir quatre aspects : spiritualité ignatienne, expérience de Dieu qui est à la fois personnelle et ecclésiale ; fréquentation des Pères de l’Église, et une spiritualité orientée sur le mystère du Père, sa Parole et son Esprit. La théologie de K. Rahner est fondée sur le Verbe incarné : Parole du Père, sa vie de croyant est vécue dans un oui primordial à l’Église concrète, milieu porteur de notre conversion, pour devenir un « ministre du Christ et aider les âmes. Pour lui, l’esprit toujours tourné vers le monde, est aussi une conscience de soi qui sait se reprendre, dépasser les images et les concepts, et qui trouve sa liberté à rechercher l’invisible dans le visible, à écouter dans le silence les paroles de l’origine (Urworte), les simples mots, porteurs d’un secret mystère : le Sans-Nom est venu se dire dans le cœur de l’homme et dans l’histoire des peuples (élément fondamental de l’anthropologie rahnienne, l’homme à l’écoute du Verbe…). 22 K. RAHNER, Théologie transcendantale, dans Sacramentummundi 8,

347-353. 21

Cette approche crée une certaine perplexité autour de concept même de la TF qui se transforme en une théologie formelle qui élabore une structure formelle et permanente de la révélation. La TF par cette transformation pouvait en un certain moment être considérée comme une phénoménologie théologique des concepts fondamentaux de la révélation. On pouvait alors parler de la TF comme propédeutique de la philosophie ou axiomatique de la théologie, et comprise comme praeambulum fidei qui cherche à démontrer la vérité de l’existence humaine comme ordonnée à Dieu.

e. Début de la théologie fondamentale pratique comme théologie du monde La publication de l’ouvrage de J.B. Metz : « la foi dans l’histoire et dans la société », marque le début d’une TF qui trouve sa signification dans une théologie politique comme expression d’une dimension publique et sociale de la foi, il dira que : « une TF pratique doit évoquer et décrire une praxis qui s’impose à toutes les tentatives logico-évolutionniste de reconstruction, même à celui qui a tendance à se dissoudre dans un processus d’une dialectique matérialiste de l’histoire de la praxis religieuse intense et autonome, c'est-à-dire le sujet religieux compris comme autonome » (Cf. la foi dans l’histoire et dans la société). Ce point de vue a suscité une grande attente mais a connu aussi un grand rejet explicite23, il donnera naissance aux divers aspects de la théologie, nous citerons ici en l’occurrence la théologie de la libération. On ne peut traiter de TF sans traiter de la théologie de la mission de l’Église. On parlera du vrai christianisme s’il est capable d’intervenir avec sa caractéristique fondamentale à l’intérieur des contradictions et des conflits de notre société24. III.

De la constitution Sapientia christiana à l’encyclique Fides et Ratio (1980-1998). La constitution apostolique Sapientia Christiane de 1979 représente le premier

document officiel de magistère qui a cité solennellement la TF parmi les disciplines théologiques obligatoires25. La constitution dans son article troisième, parlant des fins des facultés ecclésiastique, stipule clairement en disant que ces facultés doivent « cultiver et 23 H. ZAHRNT, Dieu ne peut pas mourir. Contre les fausses alternatives

dans l’Église et dans la société, Paris 1971. 24G. GUTIÉRREZ, Teologia de la libératione, Brescia 1972 ; A. GONZÁLEZ

MONTEZ, Razónpolitica de la fe, Salamanca 1976 ; Nouvelle édition revue et augmentée : Teologiapoliticacontemporánea, Salamanca 1995. 22

promouvoir, grâce à la recherche scientifique, les disciplines qui leur sont propres, et avant tout approfondir la connaissance de la Révélation chrétienne et des disciplines qui lui sont connexes, dégager de façon systématique les vérités qu’elle contient, considérer à sa lumière les questions nouvelles qui surgissent au cours du temps, les présenter d’une manière adaptée aux hommes d’aujourd’hui dans les diverses cultures »26. Insistant sur le but de la Faculté de théologie, la constitution détermine clairement qu’elle a pour but : « d’approfondir et d’exposer systématiquement, selon la méthode scientifique qui lui est propre, la doctrine catholique, puisée avec le plus grand soin aux sources de la Révélation divine, et aussi de s’appliquer à rechercher, à la lumière de cette Révélation, des solutions aux problèmes que se posent les hommes »27. En coïncidence avec la publication de ce document, la TF aura une nouvelle image, seront élaborées diverses synthèses qui conduiront à une certaines convergences sur l’identité de la TF même. Avec la publication des « Problèmes et perspectives de la TF », ouvrage publié par les professeurs de la Grégorienne, nous citerons : R. Latourelle, G. O’Collins, K. Rahner, J. Alfaro, G. Martelet…, nombreuses différences apparaîtront dans le status questionis de la TF., qu’est ce qu’en fait la TF. À partir de ces différences, commenceront à naître des nouvelles synthèses qui proposeront une image rénovée de TF. Cette nouvelle image, nous pouvons la présenter selon deux grands modèles : le modèle épistémologique qui met en relief la dimension de la crédibilité et le modèle systématique qui s’attèle à manifester la structure et le contenu de la TF. On ne traitera pas de ces deux modèles de manière exclusive, ces deux modèles se complètent. 1. Les deux écoles actuelles de la TF a. La TF comme théologie de la crédibilité de la révélation (École de l’Université Grégorienne de Rome). Cette école met l’accent sur la christologie et la sémiologie. Sur le fond de premier pionnier de collège romain qui deviendra par la suite l’université Grégorienne, R. Latourelle et R. Fiscichella porteront un nouveau coup de pouce à la TF dans la fondation de « l’École de la Grégorienne ». Les deux seront les auteurs de : « La révélation : événement et crédibilité (1985). » Après ils dirigeront ensemble les travaux de l’important : « Dictionnaire de la TF »

25 JEAN PAUL II, Sapientia christiana, Art 51, 1. 26 JEAN PAUL II,Op cit., Art 3, 1. 27 JEAN PAUL II, Op cit. Art 66.

23

de 1990 qui contient une synthèse significative de leur contribution en ce qui concerne la TF (crédibilité pp. 212-230). b. La TF comme « théologie de fondements de la révélation » (École allemande). Cette école soulignera la double dimension de la révélation : la dimension ad intra et ad extra. Cette école mettra un accent particulier sur les questions ayant trait à la religion et à l’Église. Se fondant sur la tradition allemande de la TF comme théorie des principes théologiques et introduction à la gnoséologie théologique. Son origine dans l’école allemande se manifeste sous deux formes -

principales complémentaires selon leur priorité : L’École de Tübingen : elle mettra l’accent sur « la vérité » de la révélation. Elle est la première et la plus influente. Max Seckler (M. Seckler, dir, aux origines de l’école de Tübingen : Brève introduction à l’étude de la théologie (1819) ; Le salut et l’histoire. La pensée de S. Thomas d’Aquin sur la théologie de l’histoire) sera le grand représentant de cette école, bénéficiant de sa grande connaissance de Thomas d’Aquin et de J.S. Drey (fondateur de cette école), il marquera d’une empreinte spéciale la réédition de Handbuck der Fundamental

-

theologie. L’école de Fribourg : elle mettra quant à elle l’accent sur « le sens » de la révélation. Elle est la seconde école allemande après celle de Tübingen. Elle aura comme promoteur HansjürgenVerweyen avec son fameux ouvrage : Gottes letztes Wort. Grundriss der Fundamental theologie, (Düsseldorf 1991). Cet ouvrage sera réédité (Regensburg 2000) et beaucoup d’autres ouvrages suivront après.

2. Deux Blocs a. L’épistémologie de la théologie fondamentale : la concession synthétique de la crédibilité Le renouveau de la TF est beaucoup plus lié aux composantes épistémologiques humaines de l’acte de la foi : sa crédibilité et les signes qui accompagnent la foi. On part donc d’une vision plus personnaliste de l’acte de la foi et de la fonction illuminante de la grâce qui porte une concession synthétique de la crédibilité dans laquelle la lumière de la foi effectue la « synthèse » de certains signes ou motifs de crédibilité. Cette crédibilité n’a de la valeur que grâce à la lumière de la foi. Quand nous parlons de la crédibilité, elle n’est pas une étape préliminaire de l’acte de la foi, comme on parlerait d’une concession analytique, c’est un acte quo, formel, un acte qu’on peut distinguer grâce à la réflexion comme point de convergence dans la réalité vivante de croyant. C’est cette ultime concession de la crédibilité qui rend possible une nouvelle image de la TF. En parallèle à l’épistémologie, il faut qu’on tienne aussi présent la perspective herméneutique, qui après Vatican II a eu une grande importance dans TF.

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Vatican II s’inscrivant dans la logique et la continuité même du Vatican I, abordera diversement dans DV, la problématique de la révélation. La révélation selon Vatican II, le dira H. Bouillard, n’apparaît plus comme un corps de vérités surnaturelles communiquées par Dieu, elle est l’auto manifestation de Dieu dans une histoire sensée, dont le sommet est le Christ, médiateur de la création et accomplissement du salut dans sa plénitude. La révélation est l’acte même de Dieu qui se révèle lui-même par les événements et les paroles qui l’interprètent. Nous comprenons ici que l’herméneutique adoptée par Vatican II en ce qui concerne la révélation, prend pour point de départ « l’expliquant » pour aller graduellement à l’ « inexpliqué ». L’approche herméneutique de la révélation du Vatican II se démarque ici de celle du Vatican I qui parle de la révélation de Dieu par la création avant d’envisager celle historique qui est la révélation personnelle de Dieu et du salut en Jésus Christ. H. Bouillard enchaine en disant que Vatican I s’éloigne aussi des vues de tous ces théologiens qui, plutôt que d’écouter ce que la révélation dit d’elle-même, ont pris appui sur des présupposée théologiques et ont prétendu éclairer l’ « expliquant » en partant de l’ « inexpliqué »28. Avec Vatican II on passe d’une théologie abstraite et notionnelle de la révélation à une théologie concrète et historique. On fait appel à une conception biblique de la vérité, une vérité conçue comme la réalisation progressive d’une promesse non une vérité dont le seul lieu est le jugement de la raison. Ici les événements historiques qui entrent dans l’objet formel de la révélation deviennent les éléments épistémologiques fiables pour la crédibilité. La révélation comme l’affirmera

C. Geffré, est inséparablement parole et histoire, sens et

événement29. Au lieu d’être réduite seulement à la communication des vérités nouvelles, la révélation devient avec Vatican II, communication de Dieu lui-même qui est événement de grâce et du salut. On voit ici la subordination de la dimension doctrinale de la révélation à la présence et à la manifestation de Dieu en son fils Jésus. Le Christ devient à la fois le sens de l’histoire et son accomplissement. La révélation sera ainsi donc définie comme une manifestation, une « épiphanie »30. 28 H.BOUILLARD, « Le concept de révélation de Vatican I à Vatican II », in

J.AUDINET e.a, Révélation de Dieu et langagedes hommes, Paris 1972, 44. 29 C.GEFFRÉ, « esquisse d’une théologie de la révélation », in Révélation,

Bruxelles : Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1984, 180. 30 Ibidem.

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L’exposé de Vatican II met en relief la transcendance de l’acte de Dieu par rapport à la parole de l’Église. Il est profondément biblique, puisqu’il expose la révélation selon l’histoire. Le schéma directeur du Vatican I reste un schéma autoritaire : la révélation de Dieu exige la soumission de la foi, tandis que Vatican II s’inscrit dans un schéma dialogal et « communicationnel » d’un partenariat. Il n’abolit pas le premier mais le situe dans un cadre plus fondamental. L’histoire sera considérée par B. Sesboüé comme le lieu privilégié et accrédité de la révélation. Celle-ci «est d’abord et avant tout une personne : Jésus, le Christ, est la révélation absolue de Dieu sur Dieu et son dessein sur l’homme. Il est le témoin fidèle. Il y a donc transcendance de sa personne et de sa parole par rapport à tout autre discours de l’Église. La révélation n’est pas un catalogue de vérités, fussent-elles organisées. L’ensemble de vérités est second et prend sens en référence à cette personne »31. En affirmant ainsi pleinement le caractère humain dans l’approche herméneutique de la révélation pour sa crédibilité, nous ne devons jamais perdre de vue ou faire dissoudre dans l’humain le caractère transcendantal dont revêt la révélation. La révélation n’étant pas figée dans un texte passé, ni dans un dépôt, ni dans un sens tout fait32. Si on dit que la révélation est close dans sa phase publique en JC et dans sa phase constitutive et scripturaire avec la mort du dernier des apôtres, en tant qu’auto communication de Dieu dans l’histoire du salut, elle se poursuit et son actualisation dans la conscience humaine n’est jamais achevée33. AG 22 dit : « il est nécessaire que dans chaque grand territoire socio culturel, comme on dit, une réflexion théologique soit encouragée, par laquelle, à la lumière de la Tradition de l’Église universelle, les faits et les paroles révélés par Dieu, consignés dans les Saintes Écritures, expliqués par les Pères de l’Église et le magistère, seront soumis à un nouveau examen ». Nous voyons bien apparaître ici une tâche herméneutique qui nous est confiée. Celle-ci demande comme le dit P. Ricoeur, que la révélation s’adresse davantage à l’imagination du croyant qu’à son obéissance 34 passive et 31 B.SESBOÜÉ, C. THEOBALD, La parole du salut, T. IV, Paris 1996, 531. 32 L. MUSEKA NTUMBA, La Nomination africaine da Jésus Christ : Quelle

christologie ?, Louvain-La-Neuve 1988, 72. 33 C. GEFFRÉ, Op.cit, 202. 34 P. RICOEUR, « Herméneutique de l’idée de Révélation », in la

Révélation, Op cit, 54. 26

répétitive des vérités, mais à une imagination créatrice qui renouvelle sans cesse, sous l’action de l’Esprit, et l’entendement de cette Révélation, et l’obéissance qui lui est due. 1. 2. L’Encyclique Fides et Ratio de 199835 Dès le début de cette lettre encyclique le terme central est situé autour de la foi et de la raison qui sont «comme les deux ailes avec lesquelles l’esprit humain s’élève vers la contemplation de la vérité ». Cette affirmation constitue l’affirmation magistrale de toute la lettre encyclique en ce qui concerne l’épistémologie théologique. Expliquant les exigences imposées par la parole de Dieu à la philosophie, le Pape fait cette forte affirmation : « faisant mien ce que les Souverains Pontifes ne cessent d’enseigner…je désire exprimer avec force la conviction que l’homme est capable de parvenir à une conception unifiée et organique du savoir… » (cf.FR 85). La référence explicite aux enseignements des Papes sur ce thème si délicat, nous pouvons la trouver dans la Déclaration sur la liberté religieuse 1-3, dans laquelle référence, on cite les encycliques de différents Papes : Jean XXIII, Pie XII et Léon XIII, Paul VI. De Jn Paul II lui-même, il fera référence à ses encycliques comme Redemptor hominis, Veritatis Splendor. De Vat II, hormis ce que nous avons déjà cité dans la déclaration sur la Liberté religieuse, nous pouvons encore citer GS 15. C’est ainsi que la conclusion de FR donnera la synthèse de cette contribution de magistère Cf. FR 102. Quant à la TF, elle sera exceptionnellement décrite dans FR 67 avec ses trois devoirs spécifiques : «… ». La décrire comme discipline cela doit nous amener à considérer la TF comme une science en tant qu’une réflexion systématique pour son enseignement. Optatam 35 Pour ce qui concerne la contribution de Fides et ratio à la TF vous

pouvez lire : R. FISICHELLA, Fides et ratio. I rapporti tra fede e ragione, Casale M. 1998 ; Fides et ratio. Testo e commento teologico-pastorale, Cinisello Balsamo 1999; S.THRUTHIYIL – M. TOSO (éd), Fede e ragione. Opposizione, composizione?, Roma 1999; A.M. LÉONARD, Un guide de lecture pour l’encyclique Fides et Ratio, in Cahier de l’École Cathédrale, Foi et Raison, Paris 1998. Dans ce livre vous pouvez lire trois commentaire de A.CHAPELLE, À l’ombre de la sagesse, 75-86 ; J.-M. GARRIGUES, Autonomie spécifique et ouverture personnelle de la raison à la foi, 87104 ; C. COTTIER, Les philosophes et la philosophie interpellés, 105-117. F. LAWRENCE, “Athens and Jerusalem. The contempory Problematic of Faith and Reason”, in America 179 (1998);L. GERA, in R.FERRARA – J. MÉNDEZ (ed), Fe y razón. Comentarios a la Enciclica, Buenos Aires 1999. 27

Totius 16 expliquera quelque chose qui n’a jamais été expliqué dans laTF mais dont nous retrouvons quelques traits formellement esquissés dans la constitution apostolique Sapientia Christiana dans laquelle la TF fut traité comme « discipline théologique faisant référence aussi aux questions de l’œcuménisme, les religions non chrétiennes et l’athéisme ». Il faut qu’on arrive à démontrer comment la foi et la raison se rencontrent dans la vérité selon l’affirmation de GE (Gravissimum educationis momentum) 10. Quant au texte classique, spécialement ceux de la Vulgate, cités par S. Augustin et S. Thomas., ce texte unit la foi à l’espérance (Ep. 120, 1, Somme Théologique II-IIae, q. 2a. 10). Le terme latin Ratio signifie « explication, considération, motif et cause », en grec il sera traduit par logos qui signifie « rendre compte de, raison, réflexion rationnelle, résultat de la réflexion ou motif rationnel attentivement évalué », ceci est particulièrement important pour la vie quotidienne et spécialement pour la philosophie comme « réflexion ». La référence de 1P3, 15 sera reconnu par beaucoup de spécialistes récents comme « la grande charte » de la TF. Cette discipline doit « rendre raison de la foi, justifie et explique la relation entre la foi et la réflexion philosophique». Cette préoccupation a toujours fait objet

de la recherche

théologique depuis belle lurette, la scholastique médiévale s’y occupera avec attention ; S. Thomas résume cette préoccupation avec précision en affirmant qu’elle doit « démontrer ce que sont les preambula fidei » (il s’agit des vérités religieuses et morales qui peuvent être connues à la lumière de la raison humaine. Par les praeambula, la décision de croire sort de la sphère de l’arbitraire, car elle se justifie comme un acte libre devant les exigences de la raison); (« faire connaître à travers les comparaisons (aliquas similitudines) ce qui appartient à la foi » et « nous atteler à ce qui se dit contre la foi, démontrant que c’est faux ou que c’est ne pas nécessaire » (dans Boeth. De Trinitate. q. 2a.3). Nous pouvons encore lire la contribution de S. Thomas en ce qui concerne la relation entre la raison et la foi dans la Somme Théologique I, q1a. 8c). Il comprend toute cette discussion à l’intérieur de la réflexion chrétienne et théologique, même dans la Somme contre les gentils, dans lequel il se donne pour tâche de réfléchir sur « la vérité que la foi professe et que la raison cherche » (1, 9)36. La raison n’est pas vue comme une alternative de la foi, elle est « sujet de la foi » dans le sens qu’elle est porteuse de la foi et signifie ce qu’est la capacité de vérité de l’esprit humain. On comprendrait mieux alors pourquoi cette étape fut considérée comme le début d’une nouvelle apologétique engagée méthodologiquement dans le sens de la relation entre foi et raison

36 R.A. GAUTHIER, Somme contre les Gentils, Paris 1993.

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appliquant systématiquement la triple démonstration : religieuse, chrétienne et catholique qui aura une influence sur les siècles qui vont se suivre. À ces deux premières tâches citées si haut, nous ajouterons cette troisième tâche de la TF qui est celle d’ « étudier la révélation et sa crédibilité ». Nous nous trouvons dans la gestation de la naissance de cette discipline théologique spécifique qui systématiquement commencera dans les deux anciennes écoles : celle de Tübigen avec J.S. Drey et celle du collège romain avec G. Peronne. Pour ce qui concerne la Crédibilité, S. Thomas déjà à son époque utilisera cette terminologie mais qui par après sera largement utilisé au XVII è s. Le concile Vatican I de sa part, l’utilisera aussi dans une forme significative quatre fois dans Dei Filius et en ce qui concerne la foi (DH 3013, 3033, 3036). En vue de rendre encore plus crédible la foi en la révélation, Vat I parlera de « fidei nostrae obsequium rationi consentaneum… pour que l’hommage de notre foi soit conforme à la raison, Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint-Esprit soient accompagnés de preuves extérieures de la Révélation… » (DH 3009). La perspective de la crédibilité deviendra à partir de ce temps la caractéristique appropriée à la TF même si son articulation concrète comporte diverses focalisations. La crédibilité équivaut à une foi digne, fiable, raisonnable et capable d’attirer la personne vers un engagement de vie qui soit totale. Ainsi la crédibilité devient l’expression spécifique d’une nouvelle discipline qui est la TF. FR reprend cette affirmation que nous trouvons déjà dans Vatican I. La crédibilité devient par le fait même une médiation entre la révélation et le sujet croyant. Remontant aux Évangiles, spécialement à celui de S. Jn 20, 31, l’évangéliste détermine l’objectif de son Évangile : « pour que vous croyiez ». Un objectif qui aux yeux de ceux qui croient déjà en Jésus Christ est la manifestation et le renforcement de sa profession de foi, Jésus est l’accomplissement des anciennes promesses et la révélation même de Dieu puisqu’il est son Fils. Sur cette base, la foi de chacun peut désormais grandir et se justifier de façon plus consciente et ainsi atteindre la vie. Pour ceux qui jusque-là ne croient pas encore, Jésus est présenté avec son message comme celui qui offre le moment favorable pour passer des « ténèbres » à la lumière de la vie (Jn 1, 9 ; 3, 17-19). La crédibilité de la révélation peut être mieux comprise à partir de deux principes que nous pouvons tirer de passage de Jn 20, 31 : -

Concentration christologique : Jésus comme révélateur du Père est le centre véritable de la foi chrétienne. La foi en Jésus Christ comme accomplissement de l’ancienne alliance confirme en même temps la foi en sa filiation divine sans une remise en doute ou une abstraction 29

quelconque de l’historicité de ses paroles et ses actions. La crédibilité en la personne de Jésus, nous conduit naturellement à un christocentrisme de la foi, le Christ devient l’élément -

basilaire de la foi chrétienne. Cette foi en la personne du Christ a comme finalité «la vie en son nom». La dimension sotériologique de la plénitude de la révélation en la personne de Jésus Christ. La foi en Jésus Christ est en vue du salut, de la vie éternelle. Ce salut n’est pas exclusif à un groupe mais il est ouvert à tous ceux qui croient. Après le concile Vatican II, avec la nouvelle vision de l’Église, sa centralité et sa considération comme sacramentum c'est-à-dire signe dans le monde qui assume ainsi toute la Révélation comme telle dans son sens significatif, GS affirme : « tout le bien que le peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette réalité que l’Église est le sacrement universel du salut» (GS 48).Ceci en « vertu d’une analogie qui n’est pas sans valeur »(LG 8). FR reprendra l’expression « crédibilité » non seulement pour traiter de TF (67) mais la thématise comme une réflexion de sens (FR 1, 26, 33). Cet usage de la crédibilité part de la vision synthétique de l’acte de croire de la TF aujourd’hui. Et cette vision a été rendue possible grâce à la personnalisation de l’acte de la foi et de la fonction illuminante de la grâce qui effectue la « synthèse » des signes, motifs de crédibilité qui n’auraient de la valeur que grâce à l’intervention de la lumière divine. Déjà dans le concile Vatican I, le concept de la Révélation fut introduit pour la première fois dans le langage officiel de concile dans un contexte complexe de l’apologétique. Il faut alors attendre DV pour qu’un tel concept assume clairement une perspective théologico-dogmatique. En effet DV 1en lisant le mystère chrétien du salut à travers le concept de la Révélation – comme mouvement historique de l’auto communication de Dieu Trine : « nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous est apparue : ce que nous avons vu et entendu, nos vous l’annonçons, afin que vous soyez en communion avec nous et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils JC » (1Jn 1, 2-3) ; transforme la Révélation à un des concepts fondamentaux dans la compréhension de l’auto compréhension de christianisme et montre l’importance de focaliser théologiquement le thème de la Révélation. C’est ce qui sera l’orientation prédominante de concile Vatican II, bien qu’il va aussi récupérer progressivement l’aspect apologétique mais plus sous un angle plutôt théologique par rapport à la Révélation et sa crédibilité. Partant de la charte de la TF : « 1P 3, 15 », FR est arrivée à définir l’identité de la TF comme : 30

-

Un compte rendu humain « rationnel » dans le sens humano-vital partant de la « la recta ratio, c'est-à-dire de la raison qui réfléchit correctement sur le vrai » (FR 50), le témoin rend son témoignage non seulement avec les parole mais aussi avec sa propre vie, il est témoin au sens

-

grec du terme : martyre. Une proposition sensée de crédibilité : on traite ici de la recherche qui« tend vers une vérité ultérieure qui soit susceptible d'expliquer le sens de la vie; c'est donc une recherche qui ne peut aboutir que dans l'absolu. Grâce aux capacités inhérentes à la pensée, l'homme est en mesure de rencontrer et de reconnaître une telle vérité… » (RF 33). Cette proposition naît comme un conte rendu qui manifeste les motifs pour lesquels on croit partant de fondement

-

ultime de la vérité, de la recherche de sens absolu. Instance préparant aussi à la foi : naît ici la nécessité d’une attention particulière et l’écoute de temps et de l’autre, comme auditus temporis et alterius : « Mais il ne fait pas de doute que les courants de pensée qui se réclament de la post-modernité méritent d'être attentivement considérés » (FR 91), étant donné que « la théologie, dans sa fonction d'intelligence de la Révélation, a toujours été amenée à recevoir les éléments des différentes cultures pour y faire entrer, par sa médiation, le contenu de la foi selon une conceptualisation cohérente » (FR 92).

Il faut aussi qu’on ajoute les deux pôles de la TF tel qu’ils sont inclus dans DV 1: -

Dei Verbum qui constitue l’expression biblique de l’annonce de la Révélation chrétienne : Ap

-

19, 13ss Écoute religieuse (fides ex auditus): la matrice biblique de cette écoute nous la trouvons dans Rm 10, 17. L’écoute de la parole fruit de la prédication fait naître la foi et conduit au témoignage de vie qui crédibilise la parole de Dieu.



Les instances de la TF La Théologie s’organise comme science de la foi à la lumière de ce double principes méthodologiques : l’auditus fidei et l’intellectus fidei. Par l’auditus fidei nous entrons en possession des contenus de la Révélation tels que nous les trouvons progressivement explicités dans la Tradition, la Sainte Écriture et le Magistère de l’Eglise (DV 10). L’intellectus fidei porte la théologie à répondre aux exigences de la pensée à travers la réflexion spéculative (FR 65). Ces principes proviennent de l’expression paulinienne fides ex auditus (Rm 10, 17) et de la formule de S. Anselme Fides quaerens intellectum. La FR parlant de Révélation et de son accueil énumère trois instances : « L'enseignement des deux Conciles du Vatican ouvre également une véritable perspective de

31

nouveautés pour le savoir philosophique. La Révélation introduit dans l'histoire un point de repère que l'homme ne peut ignorer s'il veut arriver à comprendre le mystère de son existence; mais, d'autre part, cette connaissance renvoie constamment au mystère de Dieu que l'esprit ne peut explorer à fond mais seulement recevoir et accueillir dans la foi » (FR 14). La première instance qui constitue la Révélation en soi renvoie à l’auditus fidei qui constitue la ratio théologique, alors que les deux autres instances : l’histoire et l’homme constituent l’intellectus fidei qui sont enracinés dans la ratio philosophique (ratio philosophico-historique, ratio philosophico-anthropologique) qui sont les deux instances basilaires de la TF. La ratio philosophico-historique et la ratio philosophico-anthropologique ne constituent pas une étape pré-théologique, comme on serait tenté de le penser, mais elles indiquent les conditions de possibilités solides pour que la décision de croire n’apparaît pas arbitraire aux yeux de l’histoire. R. Latourelle parlera de trois moments pour illustrer ces trois instances : le moment historique, le moment philosophique et le moment théologique. Pour être encore plus explicite il parlera de la trilogie : Jésus à travers les Évangiles, l’homme et ses problèmes à la lumière du Christ, les Miracles de Jésus et la théologie des miracles. Quant à R. Fiscichella l’aspect théologique vient en première. Suite à sa dimension théologique, cet aspect donne sens à l’histoire et l’homme. L’École allemande quant à elle, bien que partant toujours de la ratio théologique, sans négliger les deux autres ; la ratio philosophique guidera toutes les recherches, tant sur le point de vue de la vérité que sur le point de vue de sens (H. Verweyen). Ces trois instances chercheront en premier lieu à faire connaître, le sens théologique – ratio théologique- des grandes affirmations de la foi de l’Église : la Révélation pleine de Dieu en JC et l’Église comme son témoignage. En second lieu, elles chercheront à rendre compréhensible le sens historique de la Révélation. En troisième lieu la décisive nécessité de percevoir le sens anthropologique de la Révélation – ratio philosophico-anthropologique -. La Révélation est en définitive une proposition de sens absolu pour l’histoire et pour l’homme. -

La ratio théologique : la considérant comme point de départ de TF, la TF part de la Révélation chrétienne comme « la vraie étoile sur laquelle s'oriente l'homme… » (FR 15), à cause de son caractère divin, nous n’avons que des bribes, des miettes de sa connaissance, c’est ainsi que « seule la foi permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhension cohérente » (FR 13). C’est ainsi que nous pouvons affirmer sans détour que l’auditus fidei est le moment fondant dogmatico-positif de la TF. Ceci pour la simple raison qu’il nous permet d’étudier la pleine Révélation de Dieu en JC à travers la Tradition ecclésiale. Cette Tradition qui dans sa 32

bonne partie, représentée par les Écritures Saintes qui constituent le principe catholique de ladite Tradition d’où la nécessité herméneutique qui nous permet de vérifier le lien entre la foi actuelle de l’Église et l’événement salvifique définitif de JC comme Révélation pleine de la -

Vérité de Dieu (Jared Wicks). La ratio philosophique considérée comme voie pour l’intelligence de la TF. La spécificité de la TF fait qu’elle prenne en considération la manière de philosopher deson temps pour arriver à démontrer les raisons pour lesquelles on croit dans une réflexion bien structurée qui peut en soi préparer aussi à la foi. Pour cette raison l’auditus temporis et alterius est très décisive dans la ratio philosophique de la TF aujourd’hui. La FR 92 affirmera qu’: « aux diverses époques de l'histoire, la théologie, dans sa fonction d'intelligence de la Révélation, a toujours été amenée à recevoir les éléments des différentes cultures pour y faire entrer, par sa médiation, le contenu de la foi selon une conceptualisation cohérente ». FR 72 ajoutera que « situé dans une culture, tout homme dépend d'elle et influe sur elle. L'homme est à la fois fils et père de la culture dans laquelle il est immergé », à cette affirmation qui marque l’importance des cultures, la FR ajoute « il ne fait pas de doute que les courants de pensée qui se réclament de la post-modernité méritent d'être attentivement considérés» (FR 91). D’ici découle l’exigence incontournable de dialogue avec les cultures, les diverses religions. L’intellectus fidei de la TF trouve dans la ratio philosophique son instance spécifique, cette ratio philosophiqueest constituée de deux aspects : l’aspect historique – la ratio philosophico-historique -, et l’aspect anthropologique – la ratio philosophico-anthropologique. On parvient à ces deux aspects grâce à l’auditus temporis et alterius. Chap. II : L’INITIATIVE SALVIFIQUE DE DIEU « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14). La venue dans la chair de Fils de Dieu est la libre démonstration de l’amour de Dieu en même temps que la révélation de son être profond « Dieu est amour » (1Jn 4, 16). Cette œuvre qui constitue le destin suprême de Dieu fut accomplie en JC qui est l’aboutissement d’un long périple historique de la révélation de Dieu. Le présent chapitre traitera de l’initiative salvifique de Dieu dans les trois points suivants : la révélation ; les modèles de révélation et la Parole de Dieu qui devient Parole écrite et transmise.

A. La révélation 33

Les voies pour la connaissance de Dieu sont substantiellement deux : la raison et la révélation. Avec la première, l’homme sans une quelconque illumination de Dieu peut arriver à la connaissance de mystère transcendant de Dieu en dehors de toute révélation surnaturelle. La théologie naturelle se servira de cette première voie. Mais l’expérience nous apprend que les résultats qu’on atteint seulement par la raison humaine sont toujours modeste tant pour l’objet de la recherche que pour la raison elle-même. Par la raison on peut arriver à des preuves convaincantes que Dieu existe , c’est la preuve « De Deo an sit » : les preuves de l’existence de Dieu partant des arguments cosmologiques (mouvement, la cause décrit par Aristote, la contingence détaillée par Platon, la hiérarchie des êtres, l’argument ontologique de S. Anselme…). Ce résultat est très important pour le dialogue avec ceux qui se disent athées… Mais le problème avec les athées n’est pas celui de rejet des preuves convaincantes sur l’existence de Dieu, ni celui de la validité intellectuelle des preuves de l’existence de Dieu, mais celui de la vérité de la philosophie qui est derrière ce refus de l’athée. Un autre résultat qu’on peut atteindre par la raison est celui de l’être, de l’essence même de Dieu, sa nature. Preuve « De Deo quid sit ». Est le résultat comme on le dit au négatif. En réalité avec la raison humaine, l’homme arrive à connaître ce que Dieu n’est pas, non ce que Dieu est. Ainsi l’homme par sa raison arrive à connaître que : Dieu n’est pas matériel ou corporel, ne vit pas dans le temps et ne se trouve pas fixé dans un quelconque de l’espace, ne se compte pas avec les autres êtres (Dio + les autres êtres). L’homme sait bien que Dieu ne correspond à rien de ce que l’homme peut penser, dire ou imaginer de lui ou représenter. Tout ce que l’homme fait comme image, projette comme pensée, même les plus sublimes, proviennent de la pensée humaine et ne peuvent jamais réunir tout ce que Dieu est réellement. Dieu reste et restera infiniment « l’au-delà ». Mais nous retiendrons qu’il est tout à fait vrai que Dieu a laissé dans la réalité créée, les vestiges, signe, empreinte de son être ; c’est ainsi que réfléchissant sur la perfection des choses créées, l’homme se servant de l’analogie (S. Augustin, Confession XI, 4, 6 ; DH 806 : « car si grande que soit la ressemblance entre le créateur et la créature, on doit encore noter une plus grande dissemblance entre eux », S Thomas d’Aquin, Somme Théologique I, q.4, a.3, ad 4.) peut tenter de connaître quelque chose de la réalité de Dieu. L’homme peut affirmer donc que Dieu est un être subsistant, infini, éternel, créateur du monde, provident… Malgré tous ces vestiges de Dieu à travers la création, la connaissance humaine reste radicalement imparfaite. Se confirme ici l’affirmation

34

de S. Thomas : « Dieu est (et reste) au-delà de ce que nous disons ou pensons de lui »37, d’ailleurs « il dépasse (excedit) ce que nous connaissons de lui »38. Nous pouvons alors dire que pour la raison humaine, quelque soit l’effort fourni, Dieu reste inaccessible et inconnaissable dans la profondeur de son mystère. Ce qui nous pousse à dire que l’homme peut connaître réellement Dieu dans la mesure où lui, Dieu, se révèle et se manifeste à lui par la grâce. Nous nous poserons alors la question : Dieu, éternel et infini, s’est-il vraiment révélé aux hommes ? Nous pouvons diviser cette question en trois questions : -

Que ce qu’est la révélation ? (la nature de la révélation) Est-elle possible la révélation ? (la possibilité de la révélation) Est-elle arrivée, historiquement une révélation authentiquement divine ? (l’existence de la révélation) La première question est terminologique tandis que les deux autres sont d’une importance capitale qui, demandent un approfondissement. Considérée comme le fondement de la foi chrétienne, la révélation ne peut être accueillie et fonder la foi chrétienne que grâce à l’engagement et à l’ouverture de l’homme dans un acte de foi religieuse (W. Kasper). Nous croyons à la révélation par la foi qui est « une option fondamentale de s’engager dans la dimension de mystère divin ». Nous retiendrons que la foi « n’est pas un acte pure de l’intelligence, de la volonté et de l’affectivité. Elle se situe au niveau de la décision vitale qui englobe tout l’homme et tous ses actes. Est une sorte de choix originaire, une option fondamentale, la décision en faveur d’une certaine compréhension de la réalité dans sa totalité. En tant que acte responsable de l’homme, cette décision est une réponse de l’acceptation de la révélation. On se sent inviter, interpeler et porter par cette révélation. Elle devient une confiance originaire qui se comprend comme don »39.

1. Aspects doctrinaux (Dei Filius – Dei Verbum) a. La nature de la révélation En faisant recours à la lexique, la révélation signifie en grec apokalupsis, epiphaneia, delosis. En latin, elle signifie : revelatio, manifestatio. Nous retrouvons ce terme dans les origines de la littérature chrétienne mais sa structuration en concept dans le christianisme a été 37 S.THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique I, Q. 1, a. 9, ad 3. 38S.THOMAS D’AQUIN, Potentia, q.7, a.5, ad 14. 39 W. KASPER, Der Gott Jesu Christi, Freiburg 1983, 153.

35

tardivement fournie. Elle désigne un des faits théologiques centraux : « Dieu est connu par Dieu ». Cette connaissance advient de manière tout à fait plurielle. On établira ici deux sens de la révélation : la révélation naturelle : manifestation de Dieu qui se fait connaître par la création et par la conscience de l’homme. La révélation surnaturelle : manifestation de Dieu communiquant sa volonté, la connaissance de son être et son plan tel qu’il se développe dans l’histoire à l’homme par la parole à travers ses élus, ses envoyés. Ces approches nous fournissent seulement les précompréhensions de la révélation. Si la révélation est comprise dans les termes d’une spontanéité divine et d’une réceptivité humaine qui en même temps est réponse de Dieu lui-même, si la révélation est un procès englobant son destinataire, nous pouvons dire qu’aucun concept satisfaisant ne saurait en être proposé sans les facteurs subjectifs de la réceptivité humaine et objectifs de la manifestation de Dieu. Une révélation est divine quand elle a pour sujet Dieu de la Bible. Elle peut être « naturelle » ou «supra naturelle». La révélation que Dieu accomplie est naturelle quand elle est faite à travers les œuvres de la création. À travers la création, Dieu révèle sa sagesse, son omnipotence et sa bonté de telle manière que l’être humain peut sentir sa présence, le rencontrer et l’adorer. Cette révélation se fait sous un mode et une forme qui sont appropriés parfaitement à la nature sensible et intellectuelle de l’homme. La révélation naturelle est une grande importance, parce qu’à travers elle l’homme sent plus facilement et plus spontanément la présence de Dieu : non seulement d’un Dieu grand et omnipotent devant qui il faut tomber à genoux, mais aussi un Dieu bon, bienfaisant devant qui monte spontanément la prière d’action de grâce. Nous pouvons pousser plus loin cette révélation naturelle de Dieu au-delà de la beauté, des merveilles de la nature pour voir dans toutes les bonnes découvertes scientifiques humaines la révélation de Dieu (Ps 18 (19), 2). La révélation est supra naturelle quand, soit par la manière, les conditions, les formes par lesquelles elle advient, soit par son contenu, elle dépasse les possibilités et les exigences de la nature humaine et est par le fait même essentiellement une grâce, un don absolument gratuit que Dieu fait à l’homme sans les mérites de ce dernier. La révélation supra naturelle appartient à l’ordre de la grâce non à celui de la nature humaine et aucune personne ne peut se la procurer ni l’exiger. Elle est un don gratuit de Dieu et elle dépend du choix que Dieu fait librement de la personne à qui il veut se révéler. Dans la révélation supra naturelle, l’initiative est toujours de Dieu, qui dans une forme diverse se révèle à l’homme soit en lui faisant connaître ce qu’il veut communiquer, soit se rendant lui-même garant de la véracité et de la réalité de ce qu’il a révélé. Le contenu de la révélation supra naturelle est alors le mystère 36

même de Dieu, est Dieu même : « Deus Seipsum revelans » : « seipsum revelare et notum facere sacramentum voluntatis suae »(DV2). Dieu a voulu se révéler à l’homme et lui révéler sur lui son plan de salut. Vatican I dira « lattame placuisse eius sapientiae et bonitati, alia eaque supernaturali via sei psum ac aeterna voluntatis suae decreta humano generi revelare » (DH 3004). Le concile Vat II aborde le problème de la nature de la révélation en prenant appui sur S. Paul (Eph 1, 9 ; Col 1, 26-27 ; 1Tm 3, 16). Vatican II marque bien l’unité concrète entre la révélation et le salut, l’unité personnelle du double objet de la révélation : la fin à laquelle elle tend et le moyen voulu pour réaliser cette fin (la béatitude et son chemin : S ; Thomas d’Aquin). Nous revenons ici au mot « sacramentum » appliqué au Christ, qui évoque ici (Eph 1, 10), le mystère du Christ qui dans l’unité de sa personne, est pour nous le sacrement de Dieu (sacramentum : à la fois signe et moyen : LG 1) Dieu conduit l’humanité au salut par le Christ et se révèle à elle dans le Christ 40. Le Verbe fait chair nous donne accès au Père et nous rend participants de la nature divine. Dieu étant invisible à librement voulu se faire connaître : « il a plu à Dieu ». Cette liberté de Dieu confirme sa transcendance en même temps que sa liberté souveraine. Et cette manifestation de Dieu est la résultante de sa sagesse et de sa volonté. Le dessein qu’il nous dévoile est celui de son amour, c’est cela la finalité de la révélation. b. La possibilité et le fait de la révélation Nous pouvons ici nous poser la question si la révélation supra naturelle est elle possible ? On comprend alors ici que le vrai problème qui nous intéresse est celui de FAIT : Y a-t-il eu oui ou non une révélation authentiquement supra naturelle et divine ? Il est bien évident qu’on ne peut parler de fait de la révélation si la révélation elle-même n’est pas possible. Quelles sont alors les conditions de possibilité d’une révélation supra naturelle ? Elles sont deux : -

Il faut qu’il ait entre Dieu qui révèle à l’homme son mystère et l’homme une distinction réelle. C’est ainsi que tous les systèmes panthéistes ne peuvent nous parler de la révélation supra

-

naturelle. L’existence d’une réalité supra naturelle, supra sensible et supra rationnelle, « quelque chose que Dieu peut révéler à l’homme et que ce dernier peut connaître. Ainsi tous ceux qui n’acceptent pas qu’il existe des réalités qui ne sont pas sensibles (matérialistes, les positivistes…) et tous ceux qui rejettent l’existence des réalités et des vérités qui dépassent la 40 P.-T. CAMELOT, o.p., “Le Christ sacrament de Dieu”, dans L’homme

devant Dieu (Coll. « Théologie », Paris, Aubier, 1963), t. I, 355-363. 37

raison humaine (rationalistes), les agnostiques, tous n’acceptent pas qu’il existe une réalité supra sensible et supra rationnelle, qui transcende l’esprit humain, ne peuvent accepter la possibilité d’une révélation supra naturelle c'est-à-dire transcendant l’esprit humain, qui a 

comme auteur Dieu et comme contenu son mystère même. La négation de possibilité d’une révélation La négation de possibilité de révélation est à situer à partir de Déisme (John Toland et Matthew Tindal) qui nie la révélation divine parce que pour les tenants de cette doctrine l’unique religion valide était celle naturelle. La révélation peut exister mais elle est toujours inférieure à la religion naturelle qui est parfaite en elle-même. Du côté allemand, la révélation supra naturelle sera rejetée par Hermann Samuel Reimarus et Gotthold Ephraim Lessing; ces derniers considèrent l’AT et le NT comme des produits historiques de l’enfance et de la jeunesse de l’humanité; il fallait attendre la maturité de la raison pour découvrir dans les dogmes la vérité de la raison. Jean Jacques Rousseau affirmera l’inutilité de la révélation et dira que : « les plus grandes idées de la divinité nous viennent par la raison seule. Voyez le spectacle de la nature, écoutez la voix intérieure. Dieu n’a-t-il pas tout dit à nos yeux, à notre conscience, à notre jugement ? Qu’est ce que les hommes nous diront de plus ? Leurs révélations ne font que dégrader Dieu, en lui donnant les passions humaines. Loin d’éclaircir les notions du grand Etre, je vois que les dogmes particuliers les embrouillent ; que loin de les ennoblir, ils les avilissent ; qu’aux mystères inconcevables qui l’environnent ils ajoutent des contradictions absurdes ; qu’ils rendent l’homme orgueilleux, intolérant, cruel ; qu’au lieu d’établir la paix sur la terre, ils y portent le fer et le feu »41.



Concile Vatican I : Dei Filius Le prologue de Dei Filius qui n’est pas repris dans Denzinger et qui normalement fait le pont avec le concile de Trente, nous donne l’objet formel du texte qui est l’opposition du « magistère extraordinaire » (Chap III) aux erreurs des temps modernes. Face à toutes ces positions, la constitution dogmatique sur la foi catholique « Dei filius » constituera la réaction du concile Vatican I. Il affirmera que l’homme peut avoir accès avec certitude, par la raison, à la connaissance de l’existence de Dieu : « la même Eglise, notre Mère, tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées, car depuis la création du monde, ce qu’il y a d’invisible se laisse voir à l’intelligence grâce à ses œuvres (Rm 1, 20) …il a plu à sa sagesse 41J. J. ROUSSEAU, Emile, ou de l’éducation, 1. IV.

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et à sa bonté de se révéler lui-même au genre humain ainsi que les décrets éternels de sa volonté par une autre voie, surnaturelle…(He 1, 1) » (DH 3004). Le concile affirme en premier lieu le fait de la révélation : il y a eu une révélation divine, supra naturelle. Le concile affirme en deuxième lieu l’initiative de Dieu : la révélation est uniquement l’œuvre de Dieu, due à sa sagesse et à sa bonté. Par cette sagesse de Dieu, l’homme peut connaître sans erreur Dieu (DH 3005). En troisième lieu Vatican I affirme la nécessité de la révélation parce que les « biens divins » aux quels l’homme est appelé à participer « dépassent absolument ce que peut saisir l’esprit humain » (DH 3005). À ces affirmations du concile, toutes positions contraire était anathématisée (DH 3028). Le concile affirmera en quatrième lieu que l’objet de la révélation surnaturelle est « Dieu lui-même », non seulement dans son existence et dans ses attributs, mais aussi dans sa vie intime, dans son plus profond mystère. Le concile n’accepte pas seulement la possibilité de la révélation supra naturelle mais confirme qu’il y a eu réellement la révélation supra naturelle. Dieu à travers les prophètes, et d’une manière unique, à travers Jésus Christ a fait connaître la « vérité » en ce qui concerne sa vie divine, son destin de salut pour les hommes par l’incarnation, la mort et la résurrection de Jésus. Ces vérités constituent « le dépôt de la foi » (depositum fidei) confié à l’Église en vue de le garder intacte, le défendre contre les erreurs, l’interpréter avec autorité et le transmettre non seulement à la génération chrétienne mais aussi à tous les hommes. À cette divine révélation le croyant adhère avec l’acte de foi qui se fonde sur l’autorité de Dieu qui se révèle. 

Négation de fait objectif (historique) Les années qui suivront le concile Vatican I, la théologie libérale protestante se confirmera,

en

Allemagne

avec

Albrecht

Ritschl

(1822-1889),

Friedrich

Schleiermacher(1768-1834), et en France avec Auguste Sabatier (1839-1901). Pour Schleiermacher, pour qui la religion consiste dans « le sentiment de dépendance » de Dieu, la révélation qui se trouve dans toutes les religions, est le fruit spontané et subjectif de concept de Dieu qui émane de sentiment de dépendance. Pour Ritschl, la révélation est une expérience religieuse totalement immanente de l’homme dans laquelle il n’y a aucun contenu doctrinal, et la foi est une disposition affective de l’âme mais ne comporte aucune croyance déterminante. Pour Sabatier la révélation n’est pas la communication de vérité objective, mais est une expérience intérieure avec laquelle Dieu se révèle à l’esprit humain, de tout l’homme parce que « l’expérience religieuse initiale qui est faite à partir de la création nouvelle dans la personne du Christ… se répète et se réalise de nouveau dans la conscience de ses disciples, de 39

manière que la révélation chrétienne n’est pas quelque chose morte ou dépassée, mais reste une révélation toujours vivante, toujours présente et toujours féconde, contemporaine avec tous les âges et toutes les générations »42. Ces idées affecteront aussi le monde catholique et aura comme défenseurs surtout Alfred Loisy (1857-1940) et Georges Tyrrell (1861-1907). Loisy quant à lui, considérera la révélation comme une vérité que Dieu nous fait connaître. Elle ne constitue pas un dépôt immutable de vérités confiées à l’Église, mais elle est une expérience religieuse c'est-à-dire la perception intuitive et expérimentale de notre relation avec Dieu ; est la conscience de rapport que l’homme a avec Dieu qui est en continuelle évolution 43. Les modernistes considéreront la révélation non comme un fait historique, une irruption de Dieu dans l’histoire en vue de se faire connaître aux hommes, leur faire connaître son dessein, mais « une expérience religieuse » privée de contenu doctrinal, un fait purement immanent à la conscience religieuse de l’homme. L’Église a commencé à rejeter cette conception de la révélation, d’abord par le décret de Saint Office Lamentabili (03.07.1907), décret qui condamne la proposition selon laquelle « la révélation n’a pu être autre chose que la conscience que l’homme a acquise de sa relation à Dieu » (DH 3420). Ce décret fut le premier écrit doctrinal pontifical par lequel a été condamné le modernisme. Les propositions condamnées proviennent pour une part de certains auteurs, dont les plus importants sont Alfred Loisy 44, Edouard le Roy, Ernest Dimnet et Albert Houtin. Ce décret trouvera son complément dans l’encyclique qui sera publié ci peu de temps après. Le rejet sera plus large et systématique avec la lettre encyclique de Pie X : « Pascendi dominici gregis » (08.09.1907), dans laquelle les erreurs modernistes étaient considérées comme une doctrine de « l’immanence vitale ». Dans cette lettre encyclique le modernisme sera ramené à un système. Une telle doctrine dira la lettre encyclique de Pape, réduit la religion « au sentiment » religieux de l’indigence de divin qui naît de subconscient de l’homme (DH 3477), la révélation est alors réduite à un phénomène de la conscience ou « sentiment » religieux, totalement subjectif et en perpétuel évolution selon le temps. 42 A.SABATIER, Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la

psychologie et l’histoire, Paris 1897, 33. 43 A.LOISY, Autour d’un petit livre, Paris 1903, 191-200. 44 Vous pouvez lire ces livres : L’Evangile et l’Eglise de 1902; Autour d’un

petit livre de 1903. 40

Cette conception de la révélation comme expérience subjective que défendaient les modernistes est encore aujourd’hui défendu par certains auteurs, en l’occurrence G. Moran qui assène que la révélation « ne peut être fermée dans un texte quelconque, mais se produit dans l’expérience vivante des hommes »45. G. Moran poursuivra cette idée en affirmant que : « la révélation est un avènement qui se vérifie dans la personne et existe seulement comme réalité personnelle. Si aujourd’hui il y a quelque part la révélation dans l’Église, cela ne pouvait advenir sinon dans l’expérience consciente des hommes »46, en réalité, « la révélation est un phénomène universel, présent dans la vie de toutes les personnes et dans toutes les religions »47. 

Concile Vatican II : Dei Verbum Face à cette conception de la révélation que nous trouvons chez les modernistes, conception selon laquelle la révélation historique et objective est réduite à une expérience universelle subjective qui se vérifie continuellement dans l’histoire de tous les hommes et de toutes les religions ; le concile Vatican II détermine dans la constitution dogmatique (18. 11. 1965) la position de l’Église catholique romaine. DV affirme avant tout le fait historique de la révélation du à l’initiative de Dieu : « la vie éternelle qui était auprès du Père s’est manifestée à nous (1 Jn 1, 2-3)… » (DV 1), parce qu’ « il a plu à Dieu… » (DV 2). Cette initiative ne fut pas le fruit d’une contrainte ou d’une exigence de la part de l’homme à Dieu, mais est simplement un signe de bonté de Dieu qui a voulu parlé aux hommes « comme à des amis » et a voulu s’entretenir « avec eux » (DV 2). La révélation est un don de l’infinie bonté de Dieu aux hommes, à ses amis. En second lieu, le concile définit l’objet de la révélation : Dieu « se révèle en personne et fait connaître le mystère de sa volonté… » pour rendre les hommes, par le Christ, participants de sa nature divine et ainsi entrer en communion avec lui (DV 2). R. Latourelle souligne le caractère « personnel » de l’auto donation de Dieu en personne. Dieu se donne en se révélant. Le concile a voulu personnaliser la révélation : Dieu se manifeste d’abord luimême avant de chercher à faire connaître son dessein de salut. Le dessein de Dieu selon le sens que nous relate l’apôtre Paul : « les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint, auprès du Père et sont rendus participants de la nature divine (Eph 2, 18) » 45G.MORAN, Theology of revelation, New York 1966, 118. 46Ibidem, 128. 47 G. MORAN, The present revelation, New York 1972, 19.

41

(DV 2). Ici le dessein de Dieu est exprimé dans le sens de relation interpersonnelle qui inclut trois principaux mystères de la foi chrétienne : la Trinité, l’Incarnation et la Grâce. La révélation est essentiellement révélation des personnes : le mystère de la vie de trois personnes divine, le mystère de la personne du Christ, de notre vie des fils adoptifs par le Père. La révélation apparaît dans sa dimension trinitaire. En troisième lieu, le concile Vatican II définit la nature de la révélation et le mode par lequel Dieu nous la donne. Le concile dit «pareille économie de la révélation comprend des actions et des paroles intimement liées entre elles, de sorte que les œuvres, accomplies par Dieu dans l’histoire du salut, attestent et corroborent à la doctrine et le sens indiqués par les paroles, tandis que les paroles proclament les œuvres et éclairent le mystère qu’elles contiennent » (DV 2). L’hébreu biblique utilise aussi le même concept dabar, pour faire référence soit aux paroles dites ou aux événements arrivés (Gn 15, 1 ; 22, 1 ; 39, 7 ; 40, 1). La révélation divine supra naturelle advient non seulement à travers les « paroles » (verba) de Dieu dites aux prophètes ou inspirées par les auteurs sacrés, comme beaucoup des théologiens l’ont pensés, mais aussi à travers les « événements » (gesta) accompli par Dieu dans l’histoire du salut : ces événements sont interprétés par les envoyés de Dieu. Nous comprenons alors ici que la révélation de Dieu ne peut être réduite seule à des paroles, à un ensemble des doctrines. Il ne faut non plus la réduire à l’histoire. On notera que la connexion entre l’événement et la parole n’est pas toujours dans un ordre chronologique : la parole qui donne sens à l’événement peut être contemporaine, mais peut aussi le précédé. Vatican II affirme aussi le développement historique de la révélation : elle commence avec la manifestation que Dieu fait de lui-même aux pro-géniteurs, aux parents qui après la chute leur fait la promesse de la rédemption. Les autres étapes sont l’appel d’Abraham, la mission confiée à Moïse, aux prophètes afin d’enseigner et guider le peuple d’Israël en vue de connaître le Seigneur comme le seul vrai Dieu et de préparer la venue du Sauveur promis (DV 3). Mais la « plénitude de la révélation » avec la venue parmi les hommes de Jésus Christ, le Verbe de Dieu fait chair, qui « prononce les paroles de Dieu » (Jn 3, 4) : «qui, par toute sa présence et par la manifestation qu’il fait de lui-même par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, et plus particulièrement par sa mort et sa résurrection glorieuse d’entre les morts, par l’envoi enfin de l’Esprit de vérité, achève en l’accomplissant la révélation… » C’est ainsi qu’ « aucune nouvelle révélation publique n’est dès lors à attendre avant la manifestation glorieuse de notre Seigneur Jésus Christ » (1 Tm 6, 14 ; Tt 2, 13) (DV 4). La première conséquence est qu’« à Dieu qui se révèle est due l’obéissance de la foi (Rm 16, 26 ; 2Co 10, 5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu 42

dans un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui se révèle » (DV 5). La seconde conséquence est que la révélation supranaturelle est contenu dans les livres de l’Ancien et de Nouveau Testament que l’Église catholique a définit pendant le concile de Trente comme divinement inspirés : « Les réalités divinement révélées, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y ont été consignées sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Notre sainte Mère l’Église, de par la foi apostolique, tient pour sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint (Cf. Jn 20, 31 ; 2Tm 3, 16 ; 2P 1, 19-21 ; 3, 15-16), ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même » (DV 11), ici émane alors le rôle qu’a l’Église d’interpréter cette parole révélée de Dieu (DV 12). 

Les traits spécifiques de la révélation Nous pouvons dire qu’il existe une double manière de révélation que Dieu fait de luimême : la première qui est universelle et générale. Celle-ci destinée à tous les hommes. Elle se manifeste dans la création et dans le « témoignage de la conscience » (Rm 2, 15). Elle est de l’ordre naturel. Il suffit d’user de la raison pour y arriver. La deuxième est celle adressée au peuple d’Israël et ensuite à l’Église. Celle-ci est chronologiquement et spatialement située. Elle relève de l’ordre supranaturel par le fait qu’elle contient la manifestation de mystère de Dieu, sa vie intime et son dessein de salut. La raison à elle seule est insuffisante pour y parvenir ; il faut la grâce de la foi. Nous retiendrons que ce dernier type de la révélation « spéciale » porte en soi un caractère historique, avec un début (Abraham, Moïse…), un développement (avec les prophètes, rois…) et un accomplissement (avec Jésus Christ, ses apôtres et ses témoins). Ce caractère historique de la révélation fait qu’elle soit « progressive », « croissante » et s’améliorant au cours de temps. S’incarnant dans l’histoire, la révélation pleine de Dieu se soumet à la loi, au caractère limité de l’histoire des hommes, à la mutation de langage humain… Ce qui fera la différence entre la révélation hébraïco - chrétienne avec d’autres types de révélation gnostique, ésotérique, initiatique qui manquent ce caractère historique et surtout considère l’histoire comme le lieu d’erreur et du mal. Nous noterons aussi que cette révélation spéciale a un caractère purement «christologique». Elle est entièrement traversée par Jésus Christ. Dès son début, elle est orientée vers le Christ et trouve en lui son accomplissement, sa plénitude. En Jésus Christ, c’est Dieu lui-même qui est personnellement avec nous, dans notre histoire, s’est révélé à nous, nous a parlé (DV 4). Ceci nous fait comprendre qu’en la personne de Jésus, Dieu s’est 43

complètement révélé, l’ensemble de la révélation doit être vue et comprise en fonction et à la lumière de la personne de Jésus, de son enseignement et de son exemple. C’est ainsi que nous pouvons dire que la révélation faite progressivement à partir de l’AT porte en soi une « valeur impérissable : car tout ce qui a été écrit l’a été pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation venant des Écritures, nous possédions l’espérance (Rm 15, 4)» (DV 14). Cette révélation progressive dans l’AT est faite en vue « de préparer l’avènement du Christ Sauveur de tous, et de son Royaume messianique, d’annoncer prophétiquement cet avènement (1Co 24, 44 ; Jn 5, 39 ; 1P 1, 10) et de le signifier par diverses figures (1Co 10, 11) » (DV 15). Nous pouvons alors ainsi arriver à donner aux livres de l’AT « leur complète signification dans le NT (Mt 5, 17 ; Lc 24, 27 ; Rm 16, 25-26 ; 2Co 3, 14-16) auquel ils apportent en retour lumière et explication » (DV 16). Cette révélation spéciale porte en elle aussi une dimension ecclésiale qu’on ne pourra escamoter. Elle n’est pas destinée à des personnes singulière, mais Dieu choisit une communauté : la communauté d’Israël, après celle réunie autour de Jésus, l’Église. Á travers ces communautés, Dieu s’est révélé à toute l’humanité, à l’univers entier. L’Église reçoit d’Israël la révélation faite par Dieu dans l’AT, cette révélation qui est portée à sa plénitude en JC dans le NT, transmise par les apôtres. L’Église la garde dans son intégrité comme Depositum fidei, l’interprète authentiquement grâce à la lumière de l’Esprit Saint et la communique intégralement au peuple de Dieu en l’inculturant dans différent peuple. L’Église, spécialement le magistère, n’a aucun pouvoir sur la révélation, elle est à son service. Elle doit la défendre contre toute hérésie, la garder dans son intégrité, l’interpréter authentiquement et la transmettre à tous les hommes. Nous noterons aussi le caractère de la « nouveauté absolue » de la révélation spéciale hebraico-chrétienne. Elle dépasse tout ce que l’entendement humain pourra imaginer et va audelà de tout ce que la raison humaine pourra comprendre : « car vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes voies ne sont pas vos voies… autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées » (Is 55, 8-9). S. Irénée de Lyon parlera de «toute nouveauté » : « le Christ a porté toute nouveauté en se portant soi-même, lui qui était annoncé »48. S. Thomas dira quant à lui que « Christus initiavit nobis viam novam »49. Le Dieu qui se révèle en Jésus Christ n’est pas 48 IRÉNÉE DE LYON, AdversusHaereses IV, 34, 1 in SC 100/II, 846-848. 49 THOMAS D’AQUIN, SummaTheologiae, I-II, q. 106, a. 4, ad 1.

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le Dieu des philosophes comme l’affirme bien Blaise Pascal : « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des scientifiques. Certitude, sentiment, joie, paix. Dieu de Jésus Christ »50. Le Dieu révélé en Jésus Christ est un Dieu qui révèle sa puissance par les abaissements et sa gloire sur la croix (1Co 1, 18). C’est tout ce qui fait la nouveauté de la révélation chrétienne et la donne un caractère unique dans l’histoire humaine. La révélation hébraico-chrétienne a ainsi une valeur absolue et exprime la plénitude insurpassable de la manifestation de Dieu aux hommes : « dans l’AT, Dieu a parlé et s’est fait connaître à travers les hommes qu’il avait lui-même choisi d’avance (Abraham, Moïse, les prophètes…), dans le NT, il a parlé à travers son propre Fils qui est La Vérité faite homme (Jn 14, 6). La révélation chrétienne est absolument vraie p.c.q elle porte en elle le sceau et l’attestation de Dieu même en la personne divine de Jésus Christ qui est Fils de Dieu. Cette révélation pleine de Dieu dans le christianisme ne doit pas nous mener à enfermer Dieu dans sa révélation, seulement dans la religion chrétienne. Libre dans ses desseins, Dieu s’est certainement d’une manière ou d’une autre révélé son être dans d’autres religions, bien que d’une manière partiale. Les autres religions contiennent les germes de la révélation, « la semence du Verbe ». Par la venue du Christ dans la chair, la révélation hébraïco-chrétienne, telle que gardée dans l’Église catholique, constitue objectivement « la plénitude de la révélation » (DV 2), et l’Église catholique, sous la grâce de l’Esprit Saint « tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu’à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu » (DV 8). L’Église grandit continuellement dans la connaissance et la compréhension de ce que Dieu a pleinement révélé en son Fils Jésus Christ. Nous comprenons alors ici que la révélation n’est pas un dépôt des vérités « mortes » mais vivant dans l’expérience de l’Église comme communauté croyante qui chemine dans la découverte de la grande richesse de la révélation. Découverte qui continuera à se faire jusqu’au jour où l’Église arrivera à la « vérité toute entière » (Jn 16, 13). 2. Révélation publique – révélation privée Une des questions le plus débattue dans la théologie moderne est celle de chercher comment répondre correctement à la question des révélations privées 51. Quand on parle des révélations privées c’est pour faire la différenciation de celles qu’on appelle publiques (DV 4) contenues dans le dépôt de la foi que l’Église conserve. Le terme privé ne doit pas nous faire 50 B.PASCAL, Œuvres complètes. Présentation et notes de Louis Lafuma,

Paris 1963, 618. 45

pensés que ces révélations concernent seulement exclusivement les individus qui les reçoivent. Certaines de ces révélations – par exemple comme celle du Sacré cœur à la sainte Marguerite Alacoque en 1673-1675- ont eu une grande influence sur la piété des fidèles et sur la liturgie de l’Église dans leur ensemble. En faisant référence aux Saintes Écritures, nous trouvons un bon nombre des citations qui nous parlent des communications exceptionnelle d’en haut. Paul dans ses lettres parle des visions et révélations qui lui sont accordées (2Co 12, 1-7) et le livre des Ac nous donnent un bon nombre des références de ces expériences (Ac 11, 28 ; 21, 9-10). Les révélations privées ont jouées un rôle très important dans la vie de l’Église primitive, il suffit pour s’en rendre compte, visité la Didaché, le Pasteur d’Hermas, les lettres de S. Cyprien. Pour l’époque médiévale, on penserait à la figure de Catherine de Sienne, de Brigitte de Suède…au XIX ème et XXème, nous citerons certaines apparitions mariales accompagnées des messages du ciel comme celle de Catherine Labouré, les enfants de la Salette, Bernadette Soubirous, les enfants de Fatima… On tiendra bien distinctes les révélations privées de celles qui sont contenues dans le dépôt de la foi (DV 4). Les révélations privées ne proposent pas des nouvelles doctrines, même si elles tirent l’attention sur les matières qui font déjà partie de la doctrine de l’Église. L’importance des révélations privées est surtout d’ordre pratique. Elles aident à éclairer les croyants sur la manière dont ils doivent se conduire dans les circonstances où ils se trouvent, à diriger leur action pratique, morale, spirituelle et religieuse. Elles interviennent soit pour les biens spirituel personnel des âmes, pour un groupe des croyants ou pour l’ensemble de l’Église en général dans une circonstance de l’histoire. S. Thomas d’Aquin affirmera que les différentes époques de l’Église ont toujours connues des personnes « dotées de l’esprit prophétique, non pour révéler des nouvelles doctrines, mais pour guider la conduite des hommes »52. Certains théologiens de tradition thomistes comme, Gaëtan, Melchior Cano, suite au caractère essentiellement pratique de la révélation privée, soutiennent qu’elles ne peuvent 51 Cf. Y.CONGAR, « la crédibilité des révélations privées » in Vie spirituelle

53 (1937), Supplément, 29-43 ; L. VOLKEN, Visions, Revelations and the Church, P.J. Kenedy, New York, 1963 ; P. ADNÈS, « révélations privées » in Dictionnaire de Spiritualité 13 (1988), 482-491 ; B.J. GROESCHEL, A Still Small Voice : A Pratical Guide on ReportedRevelations, San Francisco 1993 ; A. VERGOTE, « Visions et apparitions : approches psychologiques » in RTL 22(1991), 202-225. 52 THOMAS D’AQUIN, SummaTheologiae, II-II, q. 174, a.6, ad 3.

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pas être acceptées comme constituante de la foi divine. Le concile de Trente par contre affirmera graduellement que la révélation privée peut être prise comme matière constituante de la foi divine, pour la simple raison qu’elle est un don spéciale que Dieu fait à ce qu’il choisi, chose qui n’est pas donné à tout le monde (DH 1540). Certains théologiens comme, André Vega, François Suárez soutiendront cette thèse du concile Trente en affirmant que la révélation privée peut constituer l’objet de la foi divine pour la personne qui la reçoit et pour tout ceux à qui le fait de la révélation est manifesté. Les autorités de l’Église ont la grande responsabilité de faire les investigations sur l’authenticité de ces révélations privées, surtout quand elles ont les conséquences pastorales. Les critères pour l’authentification sont : d’abord les critères généraux comme ceux de la conformité à la doctrine catholique, d’ordre doctrinal surtout en ce qui concerne l’objet de la révélation particulière. Dieu ne peut pas lui-même aller à l’encontre de sa propre Parole déjà annoncée. Toutes révélations allant à l’encontre de la Parole de Dieu, de la vérité de la foi, de la probité morale seront considérées comme fausses. Ensuite, on tiendra aussi compte de l’état psychologique de la personne prétendant avoir eu une révélation. Est-elle psychologiquement en bonne santé ou porte en elle une pathologie psychologique cachée. Enfin, on tiendra aussi en considération les retombées de ces révélations. Quels sont les fruits au niveau de la conversion, de la vie du bénéficiaire de la révélation, la ferveur qui en découle, et évidemment les miracles, les guérisons qui accompagnent cette ferveur53. Quand l’Église arrive à donner son aval sur l’authenticité des révélations privées, les chrétiens sont alors libres d’y croire. On tiendra toujours présents les avertissements de S. Jean de la Croix, dans la montée du mont carmel, et des autres saints en ce qui concerne la révélation privée. Ils nous mettent en garde contre les allusions assez fréquentes en cette matière. 3. Aspects systématiques a. Dieu se révèle parlant et actualisant Ce qui caractérise le christianisme comme religion est l’affirmation de l’intervention de Dieu dans l’histoire. Intervention qui est le fruit de sa libre initiative. Cette intervention est 53Pour tout approfondissement, on prendra soins de lire P. ADNES,

« Révélations privées » in DTF, 1189-1193 ; F. BOESPFLUG, « Révélations particulières » in DCT, 1222-1224 ; K. RAHNER, « Révélation privées» in Revue d’Ascétique et de Mystère 25 (1949), 506-514 ; Y. CONGAR, « La crédibilité des révélations privées » in Vie spirituelle supplément (Oct 1937), 29-48 ; R. LAURENTIN et cie, Vraies et fausses apparitions dans l’Église, Paris 1973. 47

vécue dans le sens de rencontre de quelqu’un avec l’autre, de quelqu’un qui parle et de l’autre qui écouté et qui répond. Dieu qui s’adresse à l’homme, et l’homme qui répond à Dieu dans un acte de foi et d’obéissance. Le fait et le contenu de cette communication, c’est que nous appelons « révélation ». La révélation se présente comme l’expérience de l’action d’une puissance souveraine qui modifie le cours normal de l’histoire et de l’existence individuel. Cette action ne doit pas être prise seulement comme une manifestation matérielle de la puissance, elle est encadrée par la Parole : une puissance qui dialogue, qui annonce, qui explique et donne un plan d’action. Dieu ne parla pas à la masse, d’une manière générale, mais se choisit un peuple. De ce peuple, il choisit selon son vouloir les intermédiaires qui transmettent sa Parole et demandent au peuple de répondre à la parole de Dieu. De ces intermédiaires, Dieu finit par envoyer son propre Fils, qui vient non seulement pour transmettre la Parole, mais qui est lui-même la Parole vivante du Père. L’AT n’a pas un terme technique pour traduire l’idée de la révélation, nous trouvons plutôt l’expression « parole du Seigneur » (dabar Adonai) qui en fait signifiait la communication divine. Ce qui comptait plus n’était pas le fait de voir la divinité, mais plutôt d’écouter sa Parole (Gn 12, 1ss ; Ex 33, 11 ; 33, 21-23). Le caractère essentiel de la Parole de Dieu se fait voir par la révélation du Sinaï aux prophètes. Par sa Parole, Dieu introduit progressivement l’homme dans la connaissance de son être intime. La Parole de Dieu dans l’AT dirige et inspire une histoire qui commence avec la Parole de Dieu prononcée dans la création et qui se conclut avec la Parole faite chair. 

La Parole Dans la Bible hébraïque nous trouvons citer autour de 2650 fois le terme dabar qui signifie aussi « acte ». En poussant plus loin jusqu’à la racine, ce terme signifierait « être derrière », ce qui laisse attendre « quelque chose de caché qui est en train d’être poussé ». Pour parler de ce terme, le grec usera de logos que nous trouvons 1239 fois dans la Septante et 330 fois dans le NT. Ce terme en grec signifiera aussi « une chose dite ou un fait annoncé (Lc 1, 37ss) ». Indiquons ces quelques aspects de la parole :

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L’alliance - la loi - la Parole : L’alliance du mont Sinaï est un moment décisif dans l’histoire de la révélation. Elle ne peut se comprendre qu’à la lumière de tout un processus historique dont elle est l’accomplissement. À travers l’Alliance, le Seigneur a démontré à Israël sa puissance et sa fidélité en le libérant de la domination des Egyptiens, en faisant de ce peuple sa propriété et en le constituant en une nation. Toutes les traditions attribueront à cette Alliance des lois qui sont les conditions que Dieu donnent à son peuple. Ces lois sont des 48

« paroles » de l’Alliance (Ex 20, 1-17) ou encore « les dix paroles » (Ex 34, 28). Les paroles de l’Alliance sont la révélation de la volonté divine, et leur observation ou transgression comporte la bénédiction ou la malédiction (Dt 11, 26-28 ; 28, 1.15 ; 30, 15ss ; Jer 21, 8 ; Si 15, 16-17…). Le livre de l’Ex usait du terme Debarim seulement pour indiquer le Décalogue (Ex 20, 1). Le Dt quant à lui appelait le Décalogue aussi les dix paroles (Dt 4, 13 ; 10, 4) et cette expression sera aussi étendue à l’alliance (Dt 28, 69), à l’ensemble de toutes les lois -

morales, civiles, religieuses et pénales (Dt 28, 69 ; 30, 14 ; 32, 47). La Parole de Dieu est Irrévocable et Dynamique. Le prophétisme représente une nouvelle étape de l’histoire de la Parole. Le Pentateuque en racontant l’histoire des origines des nations se met dans un point de vue prophétique. Les patriarches sont considérés comme des êtres charismatiques, conduits par la Paroles de Dieu (Gn 12 ; 13 ; 15 ; 16 ; 18 ; 26 ; 28). Moïse sera considéré comme le prototype des prophètes (Dt 34, 10-12 ; 18, 15.18). La parole de Dieu à l’époque de tous ces prophètes s’impose comme une expression de la volonté divine et comme puissance décisive de l’histoire d’Israël. Les prophètes qui précédent le temps de l’exil (Amos, Osée, Michée, Isaïe) sont les gardiens et les défenseurs de l’ordre moral prescrit par l’Alliance. Ils auront pour tâche de rappeler toujours le peuple de Dieu à la justice, à la fidélité à l’Alliance, au service de Dieu. Le refus d’obtempérer à cet appel des prophètes, la Parole de Dieu est souvent adressée à son peuple à travers ses envoyés pour condamner et annoncer les punitions (Am 4, 1 ; 5, 1 ; 7, 10-11 ; Os 8, 7-14 ; 13, 15 ; Mi 6-7 ; Is 1, 10-20 ; 16, 13, 28, 13-14…). Et ces paroles de Dieu sont Irrévocables et Dynamiques (1 Sam 15, 29 ; Is 31, 2 ; Jer 4, 28, Ml 3, 6...). Quant au caractère Dynamique de la Parole, elle s’exprime dans Is 31, 2, Os 6, 5, elle sera encore plus explicite dans Is 9, 7 : « Le Seigneur a jeté une parole en Jacob, elle est tombée en Israël ». On pourra aussi lire : Is 55, 10-11, Sg 18, 14-15,

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Zc 1, 5-6 ; Am 8, 11. La Parole dirige et interprète l’histoire : La littérature historique relate l’histoire du salut et comporte en elle une théologie de l’histoire qui relit et illustre l’alliance que Dieu a conclut avec son peuple. Cette histoire pleine de la parole de Dieu fait que l’histoire trouve sens et pleine signification que quand elle est dirigée et interprétée par la Parole de Dieu. L’alliance conclue par le Seigneur et les conditions posées par lui présupposent que le cours des événements soit régi par la volonté divine en fonction des témoignages de peuple élu. C’est la

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Parole de Dieu qui fait et rend intelligible l’histoire d’Israël. La Parole est porteuse de confort et d’espérance : il suffit ici de remettre en mémoire les temps de l’exil où la parole des prophètes sans cesser d’être une parole vive, rendait la force et l’espérance aux exilés. La Parole n’est plus un message, mais un ordre fort, une puissance

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opérant des effets physiques (Ez 33, 1-21). Comme porteuse de confort et d’espérance, la -

Parole de Dieu aide à la constitution d’un nouveau peuple de Dieu, à la nouvelle Israël. La Parole est cosmique et historique : le Deutero-Isaïe (Is 40-55) nous retrace bien ce caractère cosmique et historique de la Parole divine. La transcendance du Seigneur se manifeste avant tout dans la nature, les astres du ciel obéissent au créateur et il les appelle par leur nom (Is 40, 26 ; 45, 12 ; 48, 13). La souveraineté absolue du Seigneur sur la création est le fondement et la garantie de son action omnipotente dans l’histoire. Avec sa Parole, il a tout créé à partir de rien, et il est le patron non seulement des forces de la nature, mais de toutes les nations. Cette Parole de Dieu domine l’histoire et ne se révèle pas dans le vide : « je n’ai pas parlé en secret, en quelque coin d’un obscur pays, je n’ai pas dit à la race de Jacob : cherchezmoi dans le chaos ! Je suis Yahvé qui proclame la justice, qui annonce des choses vraies » (Is 45, 19). Cette Parole de Dieu fait l’histoire à cause de son efficacité : « de même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger, ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir

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accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission… » (Is 55, 10-12). La Parole est sagesse : Le même Dieu qui illumine les prophètes, s’est servi de l’expérience humaine pour révéler l’homme à lui-même, le remplir de la sagesse à travers sa Parole pour permettre à l’homme de guider sa vie avec prudence et discernement (Pr 1, 1-6 ; 2, 6 ; 20, 27). La sagesse, comme la Parole, est sortie de la bouche du Très haut ; elle est l’œuvre à l’origine de la création et est venue s’établir en Israël (Si 24, 3-31). La sagesse finalement s’identifie

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avec la Parole de Dieu créatrice et révélatrice (Sg 9, 9). La Parole : Écriture et personne : la grande nouveauté apportée par le NT en général et d’une manière particulière est l’équation affirmée entre la parole divine et Jésus de Nazareth, entre le logos qui est Dieu, de Dieu et le Christ qui est Fils du Père. Le Christ est la Parole éternelle, subsistante en elle-même, personnelle, et la révélation s’accomplit pleinement en lui parce qu’il est cette ultime parole de Dieu faite chair pour nous parler du Père. Jésus Christ est la Parole éternelle de Dieu qui crée et révèle le Père. Il annonce le salut et interpelle l’humanité, en lui l’humanité trouve son plein accomplissement. Il est en rapport intime avec le Père (Jn 1, 1). En Jésus Christ, la Parole intérieure de Dieu résonne à l’extérieur et se fait attendre à l’homme. Lui est le Verbe abrégé du Père54parce qu’il résume et synthétise toutes les paroles fragmentaires de Dieu en une seule Parole. 54 H.DE LUBAC, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Vol I,

Paris 1961, 181-197. 50

Ces aspects de la Parole que nous avons parcourus dans la Bible, doit aussi nous conduire à voir le caractère dynamique et noétique de la Parole dans l’homme. La Parole est ce qui sort de la bouche de l’homme (Jér 17, 16), mais elle a sa source dans le cœur de l’homme. La parole exprime, extériorise ce que l’homme a déjà dans son cœur (Gn 17, 17; Ps 14, 1). Elle n’est pas la pure expression d’idée abstraite, elle est chargée de sens, de contenu noétique. Pour Israël, la Parole possède une double valeur : noétique et dynamique. D’une part elle est expression de pensée, des intentions, des projets… D’autre part, la parole a une force active, une puissance qui actualise ce qu’elle signifie, opère ce que l’homme médite et décide dans son cœur. Son efficacité est plus grande et plus puissante autant qu’est la volonté de qui elle procède. Elle libère une énergie. Bref, la parole est une force opérante, son dynamisme s’enracine dans le dynamisme de celui qui la prononce. On notera aussi une interdépendance entre la parole et les événements. La révélation advient soit à travers les actions, soit à travers les paroles (DV 2). La parole est nécessaire pour faire connaître le sens des faits, mais on notera aussi que les faits portent en eux-mêmes une valeur originale indéniable. La croix de Jésus par exemple nous révèle en même temps le jugement et le pardon, la miséricorde de Dieu. La parole de Dieu est toujours active, pénétrante de force dynamique. Elle est l’élément générateur de l’histoire du salut et l’acte à travers lequel Dieu fait connaître à l’homme sa volonté. Elle a une valeur noétique parce qu’elle nous fait connaître notre destinée, elle a aussi une valeur dynamique parce qu’elle opère le salut annoncé. Elle est l’événement, l’annonce, l’accomplissement, la promesse et la réalisation qui sont des éléments intimement connexes. 

Révélation naturelle ou cosmique C’est à travers l’histoire qu’Israël a connu son Dieu, l’événement de la libération de l’Egypte l’a fait expérimenter la toute grande puissance de Dieu. Pour y parvenir, Dieu a utilisé les éléments de la nature pour se révéler à son peuple et accomplir leur libération : Ex 7-15 : l’eau changée en sang, les grenouilles, les moustiques, la vermine, la peste du bétail, la grêle, les furoncles, la grêle, les sauterelles… Le premier chapitre du livre de la Gn affirme que Dieu a tout créé avec sa Parole, sa parole donne existence et subsistance (Ps 33). La création et tous les êtres créés deviennent la révélation de Dieu. Par sa Parole, il gouverne tous les phénomènes de la nature. Cette révélation cosmique se lie au Christ comme sagesse incréée. La présence de Dieu dans les créatures est attribuée dans les Écritures et la Tradition à la Parole de Dieu, le logos, à sa Sagesse. Et l’apôtre Jn parlant de logos, il l’identifie à Jésus, le Verbe fait chair (Jn 1, 1-5.9). Il y a une présence du Logos dans le monde créé, cette présence qui rend intelligible (logique) 51

et significatif (icône) le monde. Cette présence qui rend logique et fait voir l’empreinte de logos dans la création atteint sa perfection dans l’être puisque crée à l’image et ressemblance de Dieu.  -

Révélation historique ou Révélation à travers la « parole de Dieu » Dans les prophètes Nous assistons encore à une nouvelle initiative de Dieu. Dieu qui se révèle dans l’histoire. Il se transmet aux hommes par sa Parole confiée aux prophètes comme ses envoyés. Il fait cela dans un temps qui peut être daté, dans un espace bien définit. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire l’histoire des vocations des prophètes. C’est le début d’une économie historique de la Parole de Dieu, économie historique qui est d’abord parlée, écrite et faite chair comme accomplissement de tout.

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Dans le Fils « En ces jours qui sont les derniers, il nous a parlé par le Fils » (He 1, 2). En son Fils la révélation de Dieu est complète. Jésus Christ ne nous révèle pas un élément du dessein de Dieu, il est lui-même ce dessein de Dieu (DV 4). Le Christ est le parfait révélateur de Dieu. Si les synoptiques commencent leurs évangiles avec des prédications préliminaires, Jean le théologien, indique un début plus radicale d’une révélation qui est pour lui celle de la vie éternelle : la Parole qui devient chair. Les pères de l’Église diront que la parfaite révélation de Dieu ne pouvait être faite que par Dieu. La révélation que Jésus a faite de son Père n’est pas seulement celle de sa doctrine, de son enseignement, mais aussi celle de ses actes, ses miracles, de toute sa vie (Jn 14, 6.9), de son humiliation par amour de l’incarnation à la croix.



Révélation finale ou eschatologique Les Écritures annoncent une révélation eschatologique qui ne sera plus manifestée ni par la parole, mais par des réalités dont nous affirmons par la foi (He 11, 1). Cette révélation au-delà de tout ce qui concerne Jésus Christ, sa gloire, elle révélera aussi les actions de chacun de nous, nos œuvres, ce que nous sommes (Col 3, 4 ; 1P 1, 5, 1Jn 3, 1-2). À chacune des étapes de la manifestation de Dieu correspond une amélioration de notre connaissance de Dieu : à la révélation naturelle correspond la lumière de l’intelligence ; à la révélation à travers la Parole des prophètes, apostolique transmise à l’Église, correspond la lumière de la foi ; à la révélation eschatologique, la lumière de la gloire. Le parcours que nous avons fait nous permet de distinguer de manière plus précise le concept de la révélation biblique. La révélation nous apparaît comme une intervention libre et gratuite de Dieu – à travers la nature, les événements de l’histoire interprétée par la parole adressée aux prophètes – qui se fait connaître soi-même, fait connaître son dessein du salut 52

qui l’engage dans l’Alliance avec Israël et par la suite avec toutes les nations à travers son Fils qui accomplit toutes les promesses. C. La Parole de Dieu devient Parole écrite et transmise Partout où Dieu s’est révélé aux hommes, il a toujours usé de la parole, pas n’importe quelle parole, il s’agit bien de la parole humaine. Pour se faire comprendre aux hommes, la Parole de Dieu à assumer la forme de la parole humaine. La foi si vive de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance a fait que la parole de Dieu ne prenne pas seulement la forme de la parole humaine mais qu’elle soit insérée comme parole humaine dans l’Écriture humaine et dans la plénitude de temps pour être toujours transmise. 1. Parole de Dieu Chrétiens catholiques et protestants sont tous d’accord sur le fait que les Écritures Saintes sont la Parole de Dieu. DV l’affirme d’une manière claire et forte : « les Saintes Écritures contiennent la Parole de Dieu et, puisqu’elles sont inspirées, elles sont vraiment cette Parole ; que l’étude de la Sainte Écriture soit donc pour la théologie sacrée comme son âme »55. Ce point commun entre les catholiques et les protestants sur la Parole de Dieu est très complexe. Certains protestants évangélistes, affirment une identité physique entre les Écritures et les paroles effectivement prononcées par Dieu., ils rejettent comme inadéquate l’idée selon laquelle les Écritures constituent les témoignages de la Paroles de Dieu ; allant jusqu’à affirmer que Dieu n’a jamais communiqué à travers la parole56. Il y aura aussi certains théologiens protestants, qui affirmeront que la Parole de Dieu est une réalité dynamique ; Jésus sera considéré comme la Parole de Dieu (K. Barth). Les Écritures sont vraiment la Parole de Dieu quand nous les revivons dans la proclamation et dans la prédication (R. Bultmann). Le Card. Carlo Maria Martini nous a aidés à distinguer diverses significations de l’expression « Parole de Dieu ». Elle suggère l’idée de communicabilité de Dieu. La Parole de Dieu nous renvoie : -

Aux événements de l’histoire du salut, parce qu’en hébreu, le mot dabar signifie : « parole,

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événement, réalité » ; Au message communiqué par les envoyés de Dieu : prophète et Jésus ; 55DV 24. 56 R.E. BROWN, The Critical Meaning of the Bible, New York 1981, 1-44.

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À la personne de Jésus qui est le Verbe de Dieu (Jn 1, 1) ; À la prédication chrétienne Au message de Dieu adressé aux hommes en général À la Bible57. La Parole de Dieu dans la tradition hébraïque et chrétienne est radicalement diverse aux oracles divins que nous pouvons retrouver dans les religions hellénistiques et le proche Orient. La Parole de Dieu dans la tradition hébraïque n’a pas seulement la fonction de communiquer la vérité, mais aussi d’encourager, de consoler et aussi de provoquer…

2. La Parole de Dieu faite Écriture a. Le témoignage de l’Ancien Testament C’est dans la promulgation du Décalogue (Ex 24, 3) de l’AT que nous retrouvons le plus ancien témoignage écrit de la Parole divine. Dans cette publication nous trouvons l’expression : « Moïse mit par écrit toutes les paroles de Yahvé… » (Ex 24, 4), on peut aussi lire Ex 34, 10-26. 28. Nous restons toujours buter sur l’auteur de « dix paroles ». Qui entre Dieu et Moïse, a réellement écrit les dix paroles ? La Bible TOB fait passer Dieu comme l’auteur, celui qui a écrit les dix paroles (Ex 34, 1 ; Dt 10, 2). Alors que la Bible de Jérusalem fait passer Moïse comme celui qui a écrit les dix paroles : « Yavhé dit à Moïse : mets par écrit ces paroles car selon ces closes, j’ai conclu mon alliance avec toi et avec Israël » (Ex 34, 27). Ce débat autour de sujet, de l’écrivain des dix paroles ne doit pas nous éloigner de point focale de notre argument : il est un fait qu’au moment de la conclusion de l’Alliance, le texte de la loi était mis par écrit. Dans la tradition hébraïque, le décalogue représentait le document officiel sur lequel le Seigneur et Israël conclurent le traité de l’Alliance. Le Décalogue constituait le document qui montrait la bénignité, la bienveillance de Dieu envers son peuple Israël qui était considéré comme sa propriété. Le peuple, par la lecture des dix paroles, lecture faite par Moïse, entrait en connaissance de la volonté de Dieu. Il était tenu à jurer l’obéissance à cette volonté : « Il prit le livre de l’Alliance et il en fit la lecture au peuple qui déclara : tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons et nous y obéirons » (Ex 24, 7). Ceci devait être transmis des générations en générations (Dt 31, 9-13. 24-28). Les alliances d’Orient Antique comportaient l’engagement de déposer les textes de pacte dans le temple, au pied de la divinité, et périodiquement procéder à la lecture publique de ces textes, ceci pour que les textes ne soient pas oubliés et pour les faire connaître à la nouvelle génération. Cette pratique sera aussi adopté par la tradition biblique juive : Dt 31, 913.24-28 : « Moïse leur donna cet ordre : tous les 7 ans, temps fixé pour l’année de Remise, 57 C.M. MARTINI, La parola di Dio alle origini della Chiesa, Roma 1980, 56-

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lors de la fête des Tentes, au moment où tout Israël se rend, pour voir la face de Yahvé ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi, tu prononceras cette Loi aux oreilles de tout Israël. Assemble le peuple, hommes, femmes, enfants, l'étranger qui est dans tes portes, pour qu'ils entendent, qu'ils apprennent à craindre Yahvé votre Dieu et qu'ils gardent, pour les mettre en pratique, toutes les paroles de cette Loi. Leurs fils, qui ne le savent pas encore, entendront, et apprendront à craindre Yahvé votre Dieu, tous les jours que vous vivrez sur la terre dont vous allez prendre possession en passant le Jourdain » (Dt 31, 10-13). Dès le début de son histoire, la vie sociale, religieuse et morale d’Israël était guidée et vivifiée par un texte écrit malgré les temps difficiles qu’Israël a connu (2R 22, 8.13 ; 2Chr 34, 14-21). La Torah est la révélation mise par écrit. À part la Torah, nous retrouvons beaucoup de témoignages des discours de Jérémie qui ont été mis par écrits (Jer 25, 13 ; 45, 1 ; 51, 60). Nous avons le premier exemple qui nous montre que la Parole prophétique en forme écrite est annoncée comme « Parole de Dieu »

(Jer36, 6. 8. 11). Lors de l’investiture de prophète Ezéchiel, la parole du Seigneur

lui a été mise dans la bouche non comme l’a vécu Jérémie, mais comme un rouleau écrit par le Seigneur lui-même (Ez 2, 9). Cette référence nous convainc qu’à cette époque existait en forme écrite la Parole de Dieu. Le prophète Isaïe après avoir prêché la Parole de Dieu, et devant le refus de peuple de Dieu d’accueillir cette parole, il la mettra par écrit sous forme d’un compte rendu pour les générations à venir (Is 30, 8 ; 8, 16-18 ; 34, 16). Ceci pour que les générations à venir trouvent foi, espérance, et surtout pour montrer la fidélité du Seigneur (Is 31, 2). La Parole de Dieu écrite constitue la révélation permanente de Dieu, elle possède l’inviolable engagement de Dieu de sauver son peuple de la persécution de leurs adversaires (Ps 56, 11). Le peuple d’Israël a attribué un caractère sacré, divin, au compte rendu écrit des événements de l’histoire du salut, des lois et des discours des prophètes. b. Témoignage du Nouveau Testament Le témoignage du NT est encore plus expressif que celui de l’AT. Les témoignages du NT sont pour avant tout témoignages d’évaluation des écrits de l’AT. Ceci se fait plus voir pour chacune des affirmations que nous trouvons d’une manière particulière dans les Actes des apôtres. Pour les juifs, la prédication des apôtres est source et norme de vérité. Paul démontrera aux juifs de Thessalonique que le Christ devrait souffrir, mourir et ressuscité des morts (Ac 17, 2ss). Les juifs de Bérée vont aussi examiner la prédication de Paul à la lumière des Écritures pour voir si tout était exact (Ac 17, 11). Toutes les discussions avec les juifs étaient conduites à base des Écritures (Ac 18, 28). Il existe une forte synergie entre la Parole de Dieu telle que faite écriture dans l’AT et celle du NT. L’AT est la source de la vérité, l’ignoré c’est être dans l’erreur (Mt 22, 29 ; Mc 55

12, 24.27). Les paroles prophétiques de l’AT rendent témoignage au Christ, et le caractère profond qu’elle porte ne peut être comprise qu’à travers les enseignements du Christ (Lc 24, 27.32.45 ; Jn 2, 22 ; 20, 9). Cette synergie se fait sentir dans des expressions telles que « pour que s’accomplit cet oracle prophétique du Seigneur » (Mt 1, 22 ; 2, 15 ; .17.23 ; 4, 14 ; 5, 17 ; Mc 14, 49 ; Lc 4, 21 ; 7, 1 ; Jn 12, 38 ; Ac 1, 16). Autre fait marquant dans le NT, est l’identification de l’Écriture à Dieu. L’apôtre Paul usera l’expression telle que « car l’Écriture dit au Pharaon ». La Parole de Dieu suit un processus de personnalisation, « l’Écriture parla », ce qui ne veut dire rien d’autre que « Dieu parle » (Rm 9, 15.17). Paul verra dans l’Écriture l’expression de la volonté même de Dieu (Rm 11, 4). L’Église apostolique considère l’AT comme un document qui a toute sa valeur parce qu’il révèle la volonté de Dieu qui est garantie par les apôtres.

3. La Parole de Dieu faite Tradition Étant donné que le « Dieu vivant parle une seule fois » (Ps 62, 12 ; Jb 40, 5 ; Pr 6, 16 ; 30, 15 ; AM 1, 3), la Parole prononcée se fait écriture et tradition pour être écoutée et vécue par les hommes de toutes les générations. Le Verbum Scriptum et le Verbum traditum constituent le seul sacré dépôt de la Parole de Dieu qui est confiée à l’Église. Pour comprendre le sens que le concile Vatican II accorde à la tradition, il faut nous référer au deuxième chapitre de DV. Ce que nous pouvons tout de suite noter, Vatican II, contrairement au concile de Trente, ne parle pas des « Saintes Écritures » et des « traditions non écrites » au pluriel, comme l’a fait le concile de Trente. Vatican II parle de deux au singulier (DV 10). Nous tiendrons présent qu’avec Vatican II, le problème Écriture et Tradition est repris de manière concrète, non pas d’abord du point de vue des « choses transmises », mais celui de « l’acte de transmission »58.Tradition, concept plus abstrait sans doute, mais le singulier est commandé par le passage souligné plus haut : des « choses transmises » à celle de « transmission active ». On mettra l’accent ici sur l’acte unique de la transmission active. C’est ainsi qu’on ne suivra pas le mouvement classique, Écriture, Tradition et Magistère mais plutôt Tradition active en tant qu’elle englobe le tout. Une autre affirmation du concile Vatican II, cette 58 B. SESBOÜÉ (dir), La parole du salut, T IV, Paris, Desclée, 1996, 532.

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Tradition qui tire leur origine des apôtres (DV 8), de leurs prédications orales, de leurs exemples et de leurs institutions. Ceci nous fait comprendre que la Tradition n’est pas un ensemble des doctrines ésotériques transmises oralement, mais une réalité qui se manifeste et prend corps dans la doctrine, dans la vie et le culte de l’Église (DV 8). Vatican II aura une vision plus large de la Tradition que celle du concile de Trente. Cette avancée de concile Vatican II mettra plus en lumière la définition de l’Église telle que nous le trouvons dans LG59: Église comme sacrement universel du salut. Cette définition met en évidence les deux faces de l’unique réalité qui est l’Église : le Christ-Tête de l’Église et l’Église-Corps du Christ. Tous les deux forment une unité inséparable. L’Église est la lune par rapport au soleil60, elle sait qu’elle ne dispose pas de la lumière propre, mais elle est le reflet de la lumière du Christ. L’Église n’est pas une fin en soi, mais elle renvoie à une réalité beaucoup plus à elle qui est le Christ. De la même façon, l’Écriture et la Tradition ne sont pas en ellesmêmes l’Évangile mais sont «comme un miroir où l’Église en son cheminement terrestre contemple Dieu, dont elle reçoit tout jusqu’à ce qu’elle soit amenée à le voir face à face tel qu’il est (1 Jn 3, 2) »61. C’est que le Pape Jean XXIII et les pères conciliaires, ont voulu distingué le mode avec lequel les vérités de la foi doivent être annoncées du dépôt de la foi (GS 62). Cette définition de l’Église comme sacrement universelle du salut a une forte retombée sur la Tradition. En premier lieu, la Tradition n’est plus comprise comme une histoire, une vase fermée faite de la génération post apostolique, mais comme une présence sacramentelle de l’Évangile dans l’histoire. Elle transcende les limites personnelle et temporel pour rendre toujours présent le Verbe de Dieu dans le monde (DV 8). En deuxième lieu, le fait de sa nature sacramentelle, il faut un esprit de discernement et de critique face à la variété des traditions. Il faut toujours confronter les diverses traditions qui existent dans l’Église avec l’unique Traditio qui consiste dans l’auto-donation de Dieu à travers Jésus Christ dans l’Esprit Saint à nous (Rm 8, 32 ; 4, 25 ; Eph 5, 2). Les traditions particulières se trouvent face à la Tradition unique qu’elles ne peuvent épuiser complètement. L’unique Tradition servira de correcteur à d’autres traditions de l’Église jusqu’à l’accomplissement des temps (LG 8). En troisième lieu, 59 DV 1 ; 48. On peut aussi lire LG 9 ; 59 ; GS 42 ; 45. 60 Cette image de la lune et du soleil fut plus développée par H. Rahner,

reprise par H.de Lubac, Hans urs von Balthasar et K. Rahner. 61 DV 7.

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la Tradition porte en elle une dimension historico-pneumatologique. DV l’affirme en disant que sous l’assistance de l’Esprit Saint, on peut progressivement arriver à l’intelligence de la Tradition (DV 8).

Chap III : UN SEUL SAINT DÉPÔT DE LA PAROLE DE DIEU CONFIÉ À L’ÉGLISE « La Sainte Tradition et la Sainte Écriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église » (DV 10), le document conciliaire dira encore davantage qu’ « a pour règle suprême de sa foi les Écritures, conjointement avec la sainte Tradition » (DV 21). Il est alors nécessaire d’approfondir le Dei Verbum scriptum en même temps que le Dei Verbum traditum en tenant compte de leur lien étroit, inséparable et surtout de leur origine dans une même source (DV 9). Elles rendent toutes deux présentes le mystère du Christ. a. La Sainte Écriture Elle est la parole de Dieu en tant qu’elle est inspirée par l’Esprit Saint (DV 9), elle nous communique la volonté de Dieu telle que communiquée çà travers les prophètes, les apôtres (DV 21). La Tradition apostolique fera discerner les livres qui devraient être retenus pour canonique ou non canoniques. Dans l’AT, on retiendra 46 livres, alors que dans le NT 27 livres. 1. Inspiration a. Le concile Vatican II Le titre du troisième chapitre de la constitution dogmatique sur la révélation divine du concile Vatican II estintitulé « l’inspiration de la Sainte Écriture et son interprétation ». En allant dans le texte même, nous voyons que l’inspiration est considérée comme un mode spécifique de parler de caractère sacré des Écritures qui a une grande implication pour les croyants, sur leur considération de l’AT et le NT comme des livres saints. C’est dans DV 11 que nous trouvons l’affirmation clé du concile. Le concile veut récapituler l’enseignement traditionnel sur l’inspiration partant des ces quatre textes du NT : Jn 20, 31 ; 2Tm 3, 16 ; 2P 1, 19-21 et 2P 3, 15-16. Le témoignage cl é sur l’inspiration, tel que beaucoup de chrétiens le pense, position soutenue aussi par le concile Vatican II, se trouve concentrer d’une manière très forte dans : 2Tm 3, 16-17 et 2P 1, 19-21. S. Augustin en parlera dans De genesi ad litteram 2.9.20. Quant à S. Thomas d’Aquin, il abordera le sujet dans De veritate q. 12, a.2.

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Le concile Vatican II n’abordera pas la question d’une manière isolée, il fera chaînon avec les conciles de Trente et le concile Vatican I ; spécialement avec les documents De canonicis Scripturis (HD 1501) (concile de Trente, quant au concile Vatican I : Dei filius. Nous ajouterons aussi la lettre encyclique Providentissimus Deus du Pape Léon XIII et celle de Pie XII : Divino Afflante Spiritu. b. Les premières interprétations chrétiennes de l’inspiration Le témoignage du NT était tel que les premiers Pères de l’Église ont considéré l’inspiration des Écritures comme quelque chose évidente en soi. Mais à partir du II ème et IIIème siècle, la terminologie « Écriture » était étendue à tous les écrits chrétiens qui avaient autorité. Ces écrits à la fin seront incorporés dans le canon sous le nom du NT62. Pour citer quelques Pères de l’Église qui ont débattu cette question sur la caractère inspiré de la Parole de Dieu, nous citerons en passant S. Irénée de Lyon, qui nous enseigne que les Écritures sont parfaite pour autant qu’elle nous ont été donnée par Dieu et son Esprit63. Grégoire de Nazianze nous recommandera de prêter attention même aux plus brefs textes parce ce qu’ils ont été attribués à la sollicitude de l’Esprit64. C’est ainsi que l’inspiration sera considérée sous divers aspects : - Inspiration comme Extase (S. Justin : Dialogue ave Tryphon) (1Sam 10, 5ss ; 19, 20ss) - Inspiration comme illumination (Origène : De principiis) - Inspiration comme dictée (S. Augustin : De consensu Evangelistarum et dans De doctrina Christiana). Nous retiendrons ces trois termes importants qui sortiront de chez les Pères de l’Église en ce qui concerne le caractère inspiré de la Parole de Dieu. Ils parleront de : la condescendance (Jean Chrysostome), dictée (S. Augustin), et Dieu comme auteur des Écritures (S. Augustin). c. Approche contemporaine de l’inspiration a. Dans le monde Protestant Pour ce qui concerne le monde protestant, nous pouvons citer comme représentants : Benjamin Breckinridge Warfield, James Innell Packer, Jan Howard Marshall. Nous ajouterons aussi à cette liste des représentants K. Barth dont nous voulons donner ici son appréhension 62Cf pour cet argument Sources chrétiennes 312. 63 IRÉNÉE DE LYON, AdversusHaereses 2, 28, 2. 64 GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Oratio 2, 105, SC 247, 224ss.

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de l’inspiration. Les idées de K. Barth (1886-1968) sur l’inspiration ont été suivies par beaucoup de théologiens protestants. Pour Barth, la Bible a une position unique comme témoignage de la révélation de Dieu à travers Jésus Christ, qui est essentiellement le Verbe de Dieu. L’inspiration n’est pas la qualité de textes écrits en soi, mais une déclaration solennelle affirmant que Dieu a la faculté de se servir de l’Écriture pour se révéler aux être humains, soit à des individus, soit au groupe. C’est la théorie de la faculté divine. Les positions protestantes récentes sur l’inspiration continuent celle de Barth, attribuant toujours un rôle déterminant à la communauté ecclésiale face à la Bible. b. Dans le monde catholique romain Nous remarquons actuellement un certain réalisme des écrits catholiques sur l’inspiration. La lecture des textes bibliques de la part de Vatican II met en exergue les caractéristiques humaines des textes et les processus de leur production. Ces textes qui sont la Parole de Dieu, sont en même temps Parole humaine. Les diverses méthodes exégétiques aident seulement à faire la lumière sur l’aspect humain des Écritures. Les récentes théories utilisent un des quatre aspects suivants en ce qui concerne l’inspiration : Théorie psychologique, théorie sociale, approche littéraire, aspects ecclésiaux. 2. Canonicité a. Le Canon en général  Certaines réflexions théologiques préliminaires La canonicité et l’inspiration désignent deux réalités diverses : un livre écrit pendant la période biblique est canonique dans la mesure où il entre dans un recueil circonscrit et jouit d’un statut exceptionnel dans l’Église. Un livre par contre est inspiré dans la mesure où il tire sa source de l’Esprit Saint. Mais nous noterons une sorte de circularité entre les deux. L’inspiration précède la canonicité mais elle est confirmée avec certitude par tous par la canonicité. Pour arriver à la canonicité, l’Église part toujours de la Tradition, pour voir si le livre remonte de période des apôtres pour le cas du NT. Et pour l’AT on tient compte de IV premiers siècle avant notre ère chrétienne65. Dans la Septante le terme apparaît 3 fois, alors que dans le NT, il apparaît 4 fois dans les écrits de Saint Paul. Dans l’usage ecclésiastique antique, le canon désigne la règle de foi, la norme de la vérité révélée (S. Irénée de Lyon, Eusèbe de Césarée…). Dans la terminologie courante, l’Église considère canonique le livre faisant partie des livres sacrés, inspirés par Dieu comme nous l’avons souligné plus haut. Ces livres ont valeur normative pour la foi et pour la morale. La terminologie catholique romaine divise les livres 65 M. GILBERT, « Canon des Écritures » in DCT, 237-241.

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de l’AT en protocanonique (39) et deutérocanonique (7). Cette distinction ne doit pas nous faire pensé que les protocanoniques sont plus canoniques que les deutérocanoniques. Cette distinction veut nous faire noter que les protocanoniques ont été acceptés sans grandediscussion, alors que les deutérocanoniques ont été acceptés après une longue et houleuse discussion. S. Athanase fera la distinction entre les livres canoniques et apocryphes. Nous ferons cette distinction des appellations pour mieux comprendre les termes dans les deux Églises chrétiennes : Protestante et Catholique. Catholiques

Protestants

Protocanoniques catholiques de l’AT=

Canoniques protestants de l’AT

Deutérocanoniques catholiques de l’AT

=

Apocryphes protestants

Apocryphes catholiques

=

Pseudo épigraphes protestants

Le concile Vatican I (Dei Filius, 1870) a parlé des « livres sacrés et canoniques… écrits sous l’inspiration de l’Esprit Saint », le concile reprendra l’énumération de concile de Trente pour l’identification de ces livres (DH 3006). La canonicité implique la reconnaissance par l’Église de caractère inspiré des livres de la Bible (DH 3006). Quant au concile Vatican II (Dei Verbum, 1965), il affirme que « c’est cette même tradition, qui fait connaître à l’Église le canon intégral des Livres Saints, c’est elle aussi qui, dans l’Église, fait comprendre cette Écriture Sainte et la rend continuellement opérante » (DV 8). Cette affirmation sera encore renforcée par DV 11. Nous noterons, à la suite de K. Rahner66, que la manifestation et la déclaration des livres inspirés ont été progressives, elles n’ont pas été faites d’un seul coup.

b. Tradition 1. Notion : La Tradition étant un concept très répandu et difficile à définir, chez beaucoup de personnes la Tradition évoque fixation, ce qui est dépassé, ce qui fait obstacle au progrès, à la liberté. Nous ne devons pas tomber dans cette conception erronée. De par son étymologie, la Tradition tire son origine du substantif latin « traditio » qui vient du verbe « tradere ». Substantiellement, elle peut être utilisée dans deux sens : dans le sens transitif : le verbe signifie le fait de confier, de transmettre ou de laisser une chose à une 66 CF. K.RAHNER, Über die Schriftinspiration, Freiburg 1958.

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personne, confier une personne au bon soin de quelqu’un d’autre. Dans le sens intransitif pronominal, le verbe peut se référer au fait que la personne s’abandonner par exemple à ses larmes ou se dédie à l’étude de quelque chose, on met ici en premier plan la personne qui agit. De son usage chrétien, il correspond à la «paradosis» qui signifie transmission, faisant ici allusion aux données humaines en générales. La Tradition c’est ce qui relie les générations qui se suivent entre elle: elle renvoie à la vie même. La tradition comme processus de communication comporte aussi bien un aspect positif, l’acte de transmettre, qu’un aspect passif, le «traditum ». Les deux aspects sont liés et renvoient l’un à l’autre. L’acte de transmission est un processus de communication diachronique auquel on a un Transmetteur et un receveur et un « traditum ». Elle se déploie en doctrines, rites, coutumes, normes, récits. Elle constitue toute une culture. La Tradition dont il est question ici dans notre cours est celle qui provient des apôtres; celle qu’ils ont reçu de l’enseignement et de l’exemple de Jésus, celle qu’ils ont appris de l’Esprit Saint. Nous noterons que la première génération des chrétiens n’avait pas encore le NT écrit, tel que nous l’avons actuellement. Le NT lui-même atteste le processus de la Tradition vivante. De cette Tradition des apôtres, naîtront des traditions théologiques, disciplinaires, liturgiques ou spirituelles des Églises locales. Ces traditions constituent des formes particulières à travers les quelles la grande Tradition s’expriment selon les formes adaptées aux lieux et diverses époques. 2. La Tradition selon Dei Verbum Le texte officiel de magistère ecclésial qui nous parle d’une manière autoritaire et nous donne des indications précises sur la Tradition est la constitution dogmatique DV du concile Vatican II sur la révélation divine. On notera ce fait important du concile Vatican II : le concile présume un certain parallélisme entre la révélation divine et la Tradition Sacrée. Un aspect particulier de la révélation selon les Pères conciliaires touche le rôle du Christ dans l’économie de la révélation (DV2). Cette affirmation sera explicitement développée dans DV4 qui nous présente le Christ comme la plénitude et le médiateur de la révélation (He 1, 3; Jn 1, 18; Mt 11, 27). Il convient de souligner cette intervention de l’archevêque Paul Zoungrana (Burkinafaso), qui s’appuyant sur les références bibliques : Col 1, 15, He 1, 3 et Mt 17, 5, a

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affirmé tout haut que le Christ est en personne la divine révélation. Le Christ comme l’affirmera H. de Lubac est le « Verbum abbreviatum »67. Selon la foi chrétienne, la révélation suprême de Dieu fut pleinement donnée en Jésus Christ, le Fils incarné du Père. Le concile Vatican II développe d’une manière systématique cette affirmation dans DV 4. Le concile Vatican II après avoir traité de la valeur pérenne du dépôt apostolique, il va dans le deuxième chapitre traiter de « la transmission de la divine révélation ». Il y aura, d’une part, une continuité entre le concile de Trente, Vatican I et Vatican II. D’autre part, Vatican II apportera aussi sa contribution. Dans DV 7, Vatican II fera écho de Pastor aeternus (DH 3050) et du concile de Trente (DH 1501). Dépassant l’idée du christianisme comme « une religion de livre », le concile Vatican II caractérise l’Évangile du Christ comme « la source de toute vérité salutaire et de toute règle morale » (DV 7). Le concile de Trente insistant plus sur l’aspect verbal de l’Évangile et de la Tradition apostolique, le concile Vatican II fait mention aussi des éléments non-verbaux (DV 7). Vatican II synthétisera son enseignement sur la Tradition par rapport aux conciles précédents dans DV 19. Nous comprenons alors ici que pour Vatican I, la proclamation apostolique était plus une simple notification ou information historique sur la parole et les gestes de Jésus. Les pères conciliaires y décèlent plutôt une interprétation créative des enseignements et de la vie de Jésus, une interprétation sous l’illumination de l’Esprit Saint qui avait comme but de susciter et de confirmer la foi chrétienne. Le vrai auteur de cette Tradition antique est le Christ luimême, la Tradition constitue l’élément intrinsèque de la révélation constitutive. La Tradition maintient l’Église dans une conversation ininterrompue avec Dieu. Selon Vatican II, la Tradition constitue la vie de l’Église, elle la vivifie et la relie à Jésus qui constitue la personne, l’acte et le contenu de la tradition. L’invitation de Paul à garder vive ce qu’il a d’abord lui-même reçu puis transmis (2 Th 2, 15 ; 1 Co 15, 1-11) ne doit pas seulement être réduit aux choses de type historique ou doctrinal, comme nous le dit le concile Vatican II. Cette Tradition doit être comprise comme « tout ce qui contribue à conduire saintement la vie du peuple de Dieu et à en augmenter la foi » (DV 8). Et les gardiens de cette Tradition, nous les trouvons dans LG 20. Vatican II va adopter un concept assez différent de la Tradition qui d’une bonne part provient de l’école de Tübigen (XIX ème s.). Contrairement au concile de Trente qui parlait de la tradition au pluriel, DV parlera de la tradition au singulier (avec l’unique exception que 67 Cf. H.DE LUBAC, La Rivelazione divina e il senso dell’uomo. Commento

alle Constituzioni conciliari “Dei Verbum” e “Gaudium et Spes”, Milano 1985, 78. 63

nous trouvons dans DV 8). La Tradition n’est pas un ensemble de vérités particulières mais un processus dynamique de transmission dynamique sous l’assistance du Saint Esprit (DV 8). Vatican II considérera la Tradition comme concept global et dynamique et non verbal contrairement à la vision statique et orale de concile de Trente. « La Sainte Tradition et la Sainte Écriture constituent un unique dépôt de la Parole de Dieu, confié à l’Église » (DV 10). Ce dépôt de la foi ne peut être authentiquement interprété que par le magistère. C’est ainsi que « la sainte Tradition, la Sainte Écriture et le magistère de l’Église…sont tellement reliés et solidaires entre eux qu’aucune de ces réalités ne subsiste sans les autres » (DV 10). Dans son commentaire de DV 7, H. De Lubac nous fait comprendre que la Tradition et l’Écriture sont les voies de la révélation divine68. La Tradition et l’Écriture sont voulue par Dieu, aucune d’entre elles n’est autonome ou inférieure par rapport à l’autre. Du point de vue catholique, il est impossible de penser que seule la Bible est la parole de Dieu, ni la Tradition totalement dépendante de l’Écriture. Ils transmettent ensemble la parole de Dieu. Continuant à renforcer l’affirmation de concile de Trente, DV 9 confirme que l’Écriture et la Tradition doivent être acceptées et vénérées avec le même sentiment de piété et de respect. Une bonne théologie de l’Écriture et de la Tradition présuppose aussi une théologie adéquate de la révélation. Une des raisons qui a poussé les pères conciliaires a rejeté le premier schéma qui leur a été proposé, c’est parce qu’il donnait l’impression que l’Écriture et la Tradition étaient à la base de la révélation, alors qu’on devrait affirmer le contraire. Ce premier schéma avait adopté la méthode régressive, partir du présent pour arriver au passé. Vatican II adoptera la méthode génétique ou causale, commençant des origines pour arriver aux effets présents. DV commence par le concept de la révélation pour arriver à la Tradition et à l’Écriture. Cet ordre est tellement juste pour la simple raison que l’Écriture présuppose la Tradition, alors que la Tradition de son côté présuppose la révélation. La révélation qui est à la base de la foi chrétienne était destinée à être publiquement proclamée dans la Tradition apostolique et formulé dans le langage inspiré de la Sainte Écriture. Nous noterons finalement que la relation entre la révélation, la Tradition et l’Écriture ne doit pas être comprise dans un sens linéaire mais plutôt dans un sens circulaire. La révélation suscite la Tradition et l’Écriture, mais l’Écriture et la Tradition incorporent la révélation pour la transmettre aux chrétiens. La Tradition considérée comme l’héritage, le 68 H. DE LUBAC, La Rivelazione divina e il senso dell’uomo. Commento alle

Costituzione conciliari “Dei Verbum” e “Gaudium et Spes”, Milano, 1985, 182. 64

patrimoine apostolique laissé à l’Église à travers l’Esprit Saint, ce patrimoine est exprimé, vécu et transmis à travers plusieurs d’autres traditions qui ne coïncident pas avec elle. Quant à l’authenticité des traditions, le concile fait appel à la cohérence et à l’orthodoxie qui doivent se dégagées entre ces traditions et la parole de Dieu. Et il ne revient qu’au magistère seul, à cause de son « charisme certain de vérité » (DV 8) le discernement et l’interprétation authentique de ces traditions (DV 10). Le principe de la Tradition vivante est l’un des points fondamentaux qui distinguait l’Église catholique des églises de la Réforme. Le principe protestant de la « Sola scriptura » contre celui de la « Scriptura et Traditio » est dépassé. G. Ebeling nous parlera de la Tradition comme le mode de transmission. Hans Rückert dira que l’Écriture est aussi la Tradition. Nous vivons la Tradition écrite et non-écrité. Oscar Cullmann atteste quant à lui le caractère singulier de la Tradition. Il fait la distinction entre la tradition apostolique et celle ecclésiastique. Il dira « Sola scriptura Traditio apostolica » contre la « traditio ecclesiastica ». Pour lui la tradition apostolique apparaît comme la règle de la révélation pour tous de l’Église. Les Écrits des apôtres seuls préservent le caractère unique de la mission apostolique, empêchent que des facteurs autres que les témoignages humains des apôtres par leur parole ne viennent altérer la joyeuse nouvelle de JC. Les catholiques de leur côté auront aussi leur position. Pour eux, si le dépôt de la foi demeure toujours le même, cela suppose une transmission « fidèle », une Tradition. La Parole de Dieu qui a été livrée aux temps prophétiques et apostoliques, Dieu continue à la dire actuellement dans l’Église. En ce sens, la révélation divine est coextensive à l’histoire. La foi de l’Église ne se borne pas à une adhésion purement extérieure, il s’agit d’une vérité vivante, personnelle et intériorisée. Pour Vatican II, la Tradition chrétienne est vie, et nous relie au Christ. La Tradition est donc liée au contexte christologique qui la fonde. 3. Certaines clarifications conceptuelles Constituant toutes deux un seul dépôt de la foi (DV 10), l’Église les considère comme la règle suprême de la foi (DV 21). Compte tenu de rapport existant entre la Tradition et l’Écriture, le concept de la Tradition peut être compris dans un horizon plus large incluant en son sein même la Bible, par rapport à un concept de Tradition restreint qui fait allusion seulement à la « tradition orale ». Nous pouvons déjà distinguer, dans le contenu matériel de la vie de l’Église, deux types de Traditions : Constitutive et déclarative. La première englobe en son sein : la sainte Écriture et les traditions non écrites. Alors que la deuxième est constituée des témoignages des traditions. 65

On distingue quant à l’origine : -

La Tradition divino-apostolique : qui comprend les vérités révélées par Dieu aux apôtres par

-

le Verbe incarné et par l’opération directe du Saint Esprit. Ex : le Baptême, l’Eucharistie. La tradition humano-apostolique : celle qui remonte aux temps apostoliques sans faire partie

-

de la révélation directe du Christ. Ex : Le diaconat, l’Episcopat… La tradition ecclésiastique : celle qui a pris naissance dans l’Église après les Apôtres. Cette Tradition ne doit jamais être confondue avec les données révélées, même si elle est normative. Ex : Le célibat sacerdotal, les trois vœux religieux. On distinguera la Tradition Fondatrice (apostolique : 1Tm 6, 20 ; 2Tm 1, 12-14) et la Tradition Réceptrice (ecclésiastique a un double souci : la fidélité et la compréhension

-

progressive du dépôt de la foi). En lien avec l’Écriture, on peut distinguer : La Tradition inhérente : nous trouvons ici les traditions contenues dans la Bible. Ex :

-

Diaconat, l’onction des malades. La Tradition déclarative ou explicative : celle qui est implicitement contenue dans la Bible

-

mais explicitée par l’Église. Ex : La confirmation, le célibat sacerdotal. La Tradition constitutive : qui existe en dehors de la Bible. Ex : la vénération des martyrs aux tombes.

4. Témoignages de la Tradition L’Église dans tout ce qu’il est, sa foi, son croire, son culte et sa vie (DV 8) constitue l’unique témoignage de la traditio Jesu. Nous noterons pourtant que le témoignage par excellence est « la prédication apostolique, qui se trouve spécialement exprimée dans les livres inspirés » (DV 8). La prédication des apôtres fait partie de témoignage constitutif de la Tradition. Cette unique Tradition hérité des apôtres se distingue par la tradition écrite, la Sainte Écriture (l’A.T et le NT), et la tradition non écrite. L’étude de contenu de ces traditions, de leur existence, de leur rapport ave la Sainte Écriture et l’Église, est accompli par l’apologétique et la théologie fondamentale. C’est ce témoignage qui doit être conservé jusqu’à la fin des temps (DV 8). C’est ici qu’intervient le travail de magistère, ses enseignements qui sont à considérés comme la tradition déclarative pour que l’évangile soit « toujours gardé intact et vivant dans l’Église, les apôtres laissèrent pour successeurs des évêques, auxquels ils remirent leur propre fonction d’enseignement » (DV 7). Le magistère exerce pleinement ce rôle dans la sainte liturgie qui est lieu par excellence de son enseignement. La liturgie par ses trois aspects : sa nature cultuelle (protestatio fidei), qui fait prier l’Église selon sa foi ; par l’incorporation en son sein de nombre pas moindre des textes doctrinaux et par la traduction en pratique des intentions 66

doctrinales ; elle devient le lieu éducatif de sens divin, de sens humain, de sens plus profond de rapport religieux avec le Christ qui est le sommet de la révélation. c. Interrelation entre la Sainte Écriture et la Tradition Le rapport entre la Sainte Écriture et la Tradition n’est pas un problème secondaire pour tout ce qui concerne la théologie en général. Le rapport entre les deux est des conséquences notables pour tout argument théologique, pour l’expression de la foi, les dogmes et le dialogue avec les autres religions. Le concile Vatican II traite de ce rapport dans le DV 9. Mais ce que nous pouvons tout de suite faire remarqués que le concile a omis certaines questions qui théologiquement restent insolvables. Nous noterons par exemple le problème concernant le contenu matériel de la Tradition, le contenu de la Tradition est-il plus objectif que ce que nous trouvons dans l’Écriture ? Y-a-t-il dans la Tradition des choses que nous ne trouvons pas dans l’Écriture ? Le concile n’a pas voulu s’attarder sur l’objet quantitatif de la Tradition. Voulant plus privilégier le dialogue œcuménique, le concile mettra plus l’accent sur le rapport et sur le service réciproque de la Tradition et de l’Écriture. 1. Unité entre la Sainte Écriture et la Tradition a. Unité d’origine Du point de vue origine, la Tradition et l’Écriture ont une même origine. C’est ce qui constitue leur premier point d’unité. Les deux témoignent que Dieu s’est effectivement révélé à Israël à travers ses prophètes et ensuite pleinement en Jésus Christ. Elles ne sont pas seulement l’expression de cette révélation, mais elles sont aussi enracinées dans le fait de la révélation. Dieu qui se révèle est l’auteur de ce que l’Écriture et la Tradition transmettent. Dieu en est l’auteur et le contenu. b. Unité de service De l’unité d’origine dérive aussi l’unité de service. La Tradition et l’Écriture ont toutes comme finalité le service de la communication de la révélation de Dieu. Elles témoignent de cette révélation à l’Église et au monde. Les deux font que la vie de l’Église, de chaque chrétien et chrétienne est vécue et revue à la lumière de l’Écriture et de la Tradition. Et c’est ce qui maintient toute l’Église à la fidélité au message du Christ. Exprimant la promesse de l’assistance de l’Esprit Saint pour l’Église, la Tradition et l’Écriture rendent aussi possible la réalisation de cette promesse en maintenant l’Église dans la fidèle adhésion à Dieu qui ne ment pas. 67

c. Unité dans le contenu Compte tenu de leur contenu, la Tradition et l’Écriture présentent une unité indéniable. Elles témoignent toutes de l’unique grande œuvre de Dieu pour le salut de l’être humain. L’homme face à cet amour immense de Dieu est appelé à répondre par un acte responsable de foi. Le concile de Trente parlera de l’unique source, l’évangile, annoncé d’abord par le Christ et ensuite prêché par les apôtres (DH 1501). Les deux, la Tradition et l’Écriture, ne doivent pas être considérée comme deux sources totalement séparées. La Tradition et l’écriture doivent être considérer comme les deux manifestations de l’unique qui est l’Évangile, l’accomplissement de la parole de Dieu, annoncé par le Christ. La triple unité de la Tradition et de l’Écriture culmine dans l’affirmation de la commune suffisance de deux témoignages de l’unique Évangile. L’Écriture lue à la lumière de la Tradition et la Tradition comprise comme interprétation de l’écriture, témoignent ensemble de l’unique Évangile du Christ qui est l’unique source de la vérité et du salut. 2. La dépendance réciproque entre la Sainte Écriture et la Tradition. Sans nier, ni remettre en question la triple unité que nous avons tenté de démontrer cihaut, il s’avère pourtant important de mettre en lumière al dépendance réciproque qui les lie mutuellement. Nous le ferons en trois moments qui sont les suivants : a. Durant leur formation Déjà au moment de leur formation, elles avaient une interdépendance commune. Nous attendrons la Tradition dans un sens plus large, plus général : l’Écriture, chaque livre de l’AT et du NT, dépendent de l’expression, de la parole, de formule que les auteurs ont compris de la bouche, de la prédication soit des prophètes, soit des apôtres sous une forme écrite. C’est ainsi qu’un écrit peut dépendre d’un autre écrit, une tradition dépendre d’une autre tradition, une tradition écrite ou orale dépendre d’une autre ainsi de suite (cf. cours sur l’Introduction à la Bible). Ce que nous pouvons tirer de tout ceci, est l’interdépendance que nous pouvons lire entre la Tradition et l’Écriture. b. Durant l’époque post apostolique Cette interdépendance n’existera pas seulement durant la période de leur formation, c'est-à-dire durant la période apostolique mais continuera même pendant la période post apostolique. Cette dépendance post apostolique se manifeste surtout dans la fonction que l’Écriture et la Tradition exercent dans l’église comme des témoignages fiables dans la révélation de Dieu. L’Écriture serait stérile et paralysante sans la Tradition serait à son tour 68

nébuleuse et désorientant sans l’Écriture. Elles s’authentifient mutuellement et donnent ainsi efficacité à la foi et à la prédication de l’Église. c. Dans le sens épistémologique Leur dépendance mutuelle se fait voir encore d’une manière très forte quand il s’agit de leur reconnaissance scientifique. D’un côté, la canonicité et le caractère sacré de l’Écriture ne sont rendus possibles que grâce à la Tradition. De l’autre côté, c’est grâce à l’Écriture que la Tradition peut être reconnue comme une Tradition divino-apostolique. Cette dépendance constitue une base herméneutique importante sur le plan noétique de la Tradition et de l’Écriture. -

L’Écriture dépend de la Tradition : les livres que nous considérons comme faisant partie de la Sainte Écriture doivent être confirmés comme appartenant à la Tradition divino-apostolique (DV 8). Bien que l’Écriture doit être écoutée spirituellement comme parole de Dieu, mais nous noterons que la portée de cette exigence et l’extension de ces livres qui contiennent cette parole de Dieu, ne sont correctement déduites et comprises que dans la Tradition divino apostolique. c’est à partir de la Tradition que nous pouvons comprendre le caractère canonique et inspiré de l’Écriture. Élément important à tenir toujours présent dans la théologie biblique. Hormis cette importance de la Tradition dans l’interprétation de l’Écriture, la Tradition aide à connaître et à maintenir saine, à croire et à prêcher d’une manière orthodoxe

-

l’Écriture. La Tradition dépend de l’Écriture : l’Écriture aide aussi à la reconnaissance de la Tradition comme Tradition divino-apostolique. Les théologiens sont tous d’accord sur le fait que les dogmes et les différentes formules de la profession de foi sont considérés comme les témoignages infaillibles de la Tradition divino-apostolique. Pour ne pas tomber dans certaines pratiques ou certaines conceptions aberrantes de la Tradition, le théologien cherchera toujours dans l’Écriture la pureté et la concrétude de l’origine de la vie de l’Église pour un discernement authentique et fiable. On doit se servir de l’Écriture comme norme critique d’authentification de la Tradition divino-apostolique. Ceci vaut tant pour les théologiens que

pour le magistère. 3. La différence entre la Sainte Écriture et la Tradition L’unité entre les deux n’exclut pourtant pas le caractère singulier et particulier que chacune porte en elle comme différence et qui fait sa spécificité. Au-delà de l’unité qui les lie, chacune a une identité unique qui permet un échange mutuel et fructueux. Cette particularité qui fait leur différence, nous la trouverons sur le plan forme, structure et principe. a. Sur le plan forme

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L’Écriture et la Tradition se différencient sur le plan Forme. Une différence que nous pouvons considérer du point de vue phénoménologique. Le concile de Trente parlera de « livres écrits » et des « traditions non écrites ». Le fait que l’Écriture soit fixée par écrit, garantie le caractère invariable et originel de son témoignage face auquel l’Église est appelée à garder et à obéir. Étant donné que la forme écrite représente l’unicité non répétable du début (le semel factum), la forme orale de la Tradition fait appel à la continuité historique à laquelle l’Église fait toujours référence comme à son origine en ce qui concerne sa foi (le semper facturum). La célébration liturgique nous exprime bien cette différence : la lecture de l’Évangile et la récitation à la mémoire de Credo. Le célébrant en lisant l’Évangile écrit, les chrétiens l’accueillent dans sa forme originelle telle quelle, sans être édulcoré. Accueillant l’Évangile, les chrétiens répondent par la confession orale de la foi, récitée à la mémoire. Cette récitation fait entrer la communauté présente dans la chaîne qui la lie à celle qui l’a précédée. b. Sur le plan structure Leur structure pneumatologique les différencient aussi l’une de l’autre. Bien que toutes deux nous communique le message divin qui nous révèle l’amour de Dieu pour nous en vue de notre salut et nous face à ce message nous sommes invités à croire, elles sont pourtant structurellement différentes. Cette différence s’exprime en ceci : l’Écriture est formellement la Parole de Dieu, elle est parole de Dieu. DV 9 le dira : «la Sainte Écriture est la Parole de Dieu en tant que, sous l’inspiration de l’Esprit divin, elle est consignée par écrit » ; alors que la Tradition est parole qui procède de l’homme, mais qui contient la parole de Dieu. La Tradition, le dira DV 9 : « porte la Parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur et par l’Esprit Saint aux apôtres… ». Ceci nous pousse à voir dans l’Écriture le logos personnelle de Dieu et la mission même de l’Esprit Saint étant donné que lui-même l’Esprit Saint en est l’inspirateur ; alors que le témoignage de la Tradition divino-apostolique (credo, dogme), ont comme auteur l’Église (apôtres), l’intervention de Dieu pourtant dans la composition des dogmes et les différents symboles de la foi est appelée Aspiration 69 ou assistance négative70. Malgré toute cette différence structurelle, le chrétien doit conduire le chrétien à ce que DV9 affirme à une « pari pietatis affectu ac reverentia suscipienda et veneranda est ». 69 M.J. SCHEEBEN, Handbuch der KatholischenDogmatik, Freiburg, 1948,

228. 70 S. TROMP, De Sacrae Scripturae inspiratione, Romae, 1945, 95.

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c. Sur le plan principe On note aussi une différence du point de vue principe entre la Tradition et l’Écriture. Sur ce point nous ne pouvons pas mettre les deux sur le même pied d’égalité. Si aujourd’hui nous voulons parler de l’origine, du lieu où a pris naissance, la provenance de l’Église, de toutes les prédications, discours… cela ne peut être autre chose que l’Écriture. La raison de cette affirmation émane de la structure même de la Tradition et de l’Écriture, Écriture comme Parole de Dieu et Tradition comme réponse apostolique de l’Église. Résumant ce que nous avons jusque là dit, nous pouvons dire que le rapport entre la Tradition et l’Écriture ne peut être abordé dans le sens de l’existence à l’origine de deux entités isolées. La Tradition et l’Écriture sont deux manières à travers laquelle se manifeste l’unique Évangile de Dieu. Elles constituent une unité de par leur origine commune, de par leur service et de par leur contenu. Dépendante l’une de l’autre, elles sont pourtant différentes de par leur forme, de part leur structure et de par leur principe.

d. Le Magistère de l’Église Les promesses de Dieu révélées dans sa parole et pleinement accomplies en Fils furent adressées à tout le peuple pour leur salut. Le depositum fidei contenu dans la Sainte Tradition et dans la Sainte Écriture, fut, à travers les apôtres, confié à toute l’Église (DV 10). Le corps ecclésial, dans sa totalité, mais selon sa structure organique, conserve la parole de Dieu et vit infailliblement, on dirait même indéfectiblement dans la foi. Avant de comprendre le mot magistère qui constitue ce dernier point de notre cours. Faisant brièvement cet excursus pour comprendre ces deux mots : infaillibilité et indéfectibilité, qui parfois prêtent confusion et discussion. Le terme infaillibilité se réfère d’abord à « la collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (Jn 2, 20.27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier » (LG 12).Ensuite il fait référence aux évêques réunis au concile œcuménique (LG 21, 2). À la fin d’une manière spéciale, il se réfère au Pontife romain (LG 25, 3). Nous préciserons ici que l’infaillibilité s’applique aux actes ayant trait à la foi. Pour ce qui concerne l’Indéfectibilité, elle s’applique à la garde de la Parole, à la fidélité de l’Église. L’infaillibilité présuppose l’Indéfectibilité. Cette dernière est à la base de la première. L’esprit Saint est le

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garant de l’infaillibilité et de l’indéfectibilité71. L’Esprit Saint est donné à tous les fidèles selon la constitution organique de corps du Christ. C’est l’Esprit Saint qui nous rend indéfectibles dans la foi et donne à ceux qui ont le pouvoir pastoral et détiennent le magistère de l’Église de diriger et d’enseigner d’une manière infaillible. L’infaillibilité de l’Église est unique, mais divisée et exercée de deux manières complémentaires (DV 10). Cherchons à présent à comprendre ce que signifie le terme magistère dans la vie de l’Église. Le terme désigne une autorité dans un domaine déterminé. Ici il s’agit du domaine de l’enseignement. « Magisterium » (magister), magis ; Il indique la position d’autorité et de supériorité d’une personne ou d’une instance par rapport à d’autres personnes ou instances qui lui sont subordonnées. Ce terme qui connaîtra une définition restrictive avec Vatican I, spécialement avec le Pape Pie XII qui le réduire au magistère papal en ce qui concerne la proclamation des dogmes (1950 : assomption de Marie). Vatican II redonne au magistère toute sa dimension historique et réhabilite en même temps le Peuple de Dieu comme sujet uni au Christ. Vat II posera au moins les principes d’une définition et d’un usage plus différencié du magistère : -

Vat II remet le peuple de Dieu en l’honneur, le magistère « ne peut faillir dans la foi » quand « les évêques aux derniers des fidèles laïcs » réunit ensemble, exprime dans le magistère leur

-

accord universel en matière de foi et de mœurs (LG 12), Le sujet du magistère suprême est le Pontife romain inséparable de la collégialité épiscopale,

-

et cela au service de la Parole de Dieu (DV 10 ; LG 25), Nécessité d’une ouverture du travail théologique (GS 44, 62). On comprend alors désormais le magistère comme la charge collégiale des évêques, unis au Pontife romain, en vue d’annoncer l’Évangile « à temps et à contre temps » et d’exercer l’autorité nécessaire pour que celui-ci soit annoncé partout correctement.

1. La Triple forme de magistère Le magistère ecclésiastique se catégorise en trois niveaux :  Le magistère ordinaire  Le magistère ordinaire et universel  Le magistère solennel ou extraordinaire Cette distinction entre le magistère ordinaire tout court et le magistère ordinaire et universel fut l’œuvre du concile Vatican I pour éviter la confusion entre l’enseignement papal, quand il le fait seul, on parle de « magistère ordinaire », mais quand il s’agit de l’enseignement concordé de l’ensemble des évêques, « cum et sub Petro », réunis au concile

71 Cf. PIE XII, Mystici Corporis, 1943.

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œcuménique72, on parle alors de,« magisterium ordinarium totius Ecclesiae per orbem dispersae »73, magistère ordinaire et universel. a. Le magistère ordinaire Ce magistère enseigne, soit de mode expresse, soit de mode tacite. Il est de droit divin et est constitué de Pontife romain (successeur de Pièrre) et des Évêque (successeur des apôtres)74. Ce magistère ordinaire est constitué des Évêques et de Pontife romain comme nous l’avons dit ci-haut : -

Les premiers exercent leur magistère ordinaire par la prédication, les lettres synodales, les mandements, la vigilance doctrinale, le synode diocésain ou concile particulier. Leur magistère n’est pas infaillible. Si les évêques en communion avec le siège romain tiennent une

-

vérité appartenant à la foi comme vraie, cette vérité de facto est infaillible. Le second, le Pape quant à lui exerce son magistère ordinaire soit par lui-même, soit par ses



auxiliaires de droit ecclésiastique : Par lui-même : par les encycliques, constitutions apostoliques, les discours et les lettres ou des brefs. À partir de Grégoire XVI et surtout ave PIE IX, les encycliques sont devenues la forme la plus caractéristique d’exercice de magistère romain, plus adapté au monde moderne. 72 DH 3011 ; on peut aussi lire le Can 1323, 1 de 1917. 73 DH 2879. 74Cf Can 753 : « Les Évêques qui sont en communion avec le chef du

Collège et ses membres, séparément ou réunis en conférences des Évêques ou en conciles particuliers, bien qu’ils ne jouissent pas de l’infaillibilité quand ils enseignent, sont les authentiques docteurs et maîtres de la foi des fidèles confiés à leurs soins ; à ce magistère authentique de leurs Évêques, les fidèles sont tenus d’adhérer avec une révérence religieuse de l’esprit ». Nous noterons que ce canon traite également du magistère authentique : non de celui des actes de magistère du Pontife romain ou du collège épiscopal, mais de celui de chacun des évêques et de celui des conférences des évêques ou des conciles particuliers. Il importe de remarquer, en accord avec LG 25, qu’une communion doit exister entre ce magistère et celui du pape. C’est pourquoi le magistère du pape est un point de référence pour assurer la caractéristique évangélique de la prédication des pasteurs. Nous pouvons préciser, avec des mots empruntés au prologue de laConst. dogmatiquePastor æternus du Concile Vatican I, que la prédication du pape a pour finalité « que l’épiscopat soit lui-même un et indivis et que, grâce à cette cohérence interne du sacerdoce, la multitude universelle des croyants conserve l’unité de foi et de la communion » (Acta Sanctæ Sedis 6 [1870-1871] 40-47 ; D 3051).

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Par ses auxiliaires de droit ecclésiastique : ces sont les dicastères de la Curie romaines (Congrégations, Conseils, Tribunaux… Cf. DH 2880). L’autorité des documents émane ou de fait que ces dicastères sont dirigés par le collège des cardinaux 75 ou ils ont l’approbation du pape soit « in forma communi »76, le document approuvé reste un acte de la congrégation, soit « in forma specifica »77, l’acte ainsi approuvé devient un acte papal au sens strict, engageant

l’autorité personnelle du Souverain Pontife. b. Le magistère ordinaire et universel C’est ce que tout l’épiscopat soutient unanimement et en communion avec le siège romain comme une vérité appartenant à la foi ou à la morale, qui doit être considérée comme telle et retenu comme définitive78. c. Le magistère extraordinaire 75 Can 349 : « Les Cardinaux de la Sainte Église Romaine constituent un

Collège particulier auquel il revient de pourvoir à l’élection du Pontife Romain selon le droit particulier ; les Cardinaux assistent également le Pontife Romain en agissant collégialement quand ils sont convoqués en corps pour traiter de questions de grande importance, ou individuellement, à savoir par les divers offices qu’ils remplissent en apportant leur concours au Pontife Romain surtout dans le soin quotidien de l’Église tout entière ». 76 Il s’exprime à travers les paroles de mandato Summi Pontificis, facto

verbo cum Santissimo o simili. Ainsi approuvé, un tel document restera un acte de dicastère particulier. 77Ces documents sont annoncés sous une formule particulière comme :

Motu proprio, certa scientia, de apostolica auctoritatis plenitudine declaramus, non obstante qua cumque lege seu consuetudine in contrarium. Un acte ainsi approuvé devient un Acte papal au sens strict de mot, qui engage l’autorité personnel de Souverain Pontife. 78 DH 2879 ; LG 25 ; Can 749 § 2 : « Le Collège des Évêques jouit lui aussi

de l’infaillibilité dans le magistèrelorsque les Évêques assemblés en Concile Œcuménique exercent le magistère comme docteurs et juges de la foi et des mœurs, et déclarent pour l’Église tout entière qu’il faut tenir de manière définitive une doctrine qui concerne la foi ou les mœurs ; ou bien encore lorsque les Évêques, dispersés à travers le monde, gardant le lien de la communion entre eux et avec le successeur de Pierre, enseignant authentiquement en union avec ce même Pontife Romain ce qui concerne la foi ou les mœurs, s’accordent sur un point de doctrine à tenir de manière définitive ».

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On l’appelle ainsi p.c.q elle entre en action dans des circonstances exceptionnelles, surtout pour aviser à une situation critique ou déclarer la foi de l’Église contre des hérésies. Souvent elle aboutit à des définitions solennelles c'est-à-dire à un jugement formel et définitif porté sur un point précis en matière de doctrine. C’est le fait soit du concile œcuménique, soit du Pape quand il parle ex cathedra79. -

Concile œcuménique : nous noterons de prime abord que les conciles constituent un fait historique de la vie de l’Église. Les premiers conciles œcuméniques furent convoqués soit par les Empereurs, soit sous la demande des Papes. C’est à partir du IXème s. qu’on appellera conciles œcuméniques seulement ceux qui sont convoqués par les Papes et dirigés par lui ou ses délégués et approuvés par le Pape. On distingue les conciles particulier et universel ou œcuménique. Le premier peut être diocésain, provinciaux et nationaux ; le second est l’assemblée solennelle des évêques de tout l’univers réunis à l’appel, sous l’autorité et sous la présidence du Pontife romain, pour délibérer et légiférer en commun sur des choses qui

-

intéressent la chrétienté, Le Pape parlant ex cathedra : Une telle déclaration du Pape ex cathedra est infaillible. Mais il faut pour cela que soit réunis les conditions suivantes : que le Pape parle en docteur et pasteur universel ; qu’il s’adresse à toute l’Église en manifestant son intention de l’obliger ; qu’il engage la plénitude de son autorité ; qu’il veuille juger définitivement un point concernant la foi ou les mœurs.

2. Les déclarations de magistère Le « Acta Apostolicae Sedis » que nous avons après la promulgation de CIC de 1983, nous donne plus de vingt types divers d’expression de Pape Jean Paul II avec ceux de son prédécesseur Paul VI. Nous avons ainsi une variété des textes qui va des solennelles constitutions apostoliques aux messages de félicitations. Les différentes configurations de ces différents actes démontrent aussi leur teneur et surtout l’importance que le Souverain Pontife leur accorde. a. La solennelle profession de foi 79 Can 749§ 1 : « Le Pontife Suprême, en vertu de sa charge, jouit de

l’infaillibilité dans le magistère lorsque, comme Pasteur et Docteur suprême de tous les fidèles auquel il appartient de confirmer ses frères dans la foi, il proclame par un acte décisif une doctrine à tenir sur la foi ou les mœurs ». 75

Durant la cérémonie de clôture, le 30 Juin 1968, de l’année de la foi (1967-1968), le Pape Paul VI avait prononcé une nouvelle et solennelle forme de profession de foi catholique, se référant aux dogmes et doctrines qui constituent la vie de l’Église. Cette confession n’est pas à classer parmi les catégories des documents légaux. Il n’y a pas eu des prescriptions relatives pour l’utilisation publique de cette formule. Cette formule est plus restée pour les études et les enseignements dans l’Église. b. La décrétale Elle n’est rien d’autre que la lettre que le pape écrite en réponse à des consultations sur des questions disciplinaires,administration, elle peut aussi être un acte papal pour la canonisation d’une personne80. Avec toutes les discussions que le monde théologique a connues concernant l’infaillibilité en ce qui concerne la canonisation, on retient pourtant que la canonisation constitue un acte de magistère extraordinaire du Saint Père qui requiert foi et obéissance de la part des fidèles. c. Les Encycliques De part ses premiers destinataires, elles sont des lettres envoyées par le pape à tous les évêques (ou parfois à ceux d'une seule nation), généralement pour rappeler la foi de l'Église à propos d'un problème d'actualités. Mais avec le Pape Jn Paul II, ces actes papaux seront adressés au monde entier81, elles ne serviront pas pour définir un dogme, elles chercheront à donner des conseils sur certains aspects doctrinaux compte tenu de certaines circonstances spécifiques des divers pays. Les propositions de magistère ne sont pas des propositions appartenant au dépôt de la révélation, mais elles appartiennent à la doctrine catholique82. L’encyclique constitue l’expression de l’autorité de magistère ordinaire de Pape, à moins que son contenu déclare le 80 Nous citerons par exemple « Et ego » (16 Juin 2002) concernant la

canonisation de Padre Pio de Pietrelcina (Capucin) (AAS 95, 2003) ; « Exalta vit humiles » (31 Juillet 2002) concernant la canonisation de Jean Diego Cuauhtlatoatzin (AAS 95, 2003) ; « Domine, ut videam (6 Octobre 2002) concernant la canonisation de José Maria Escrivá de Balaguer (AAS 95, 2003)… 81 « Sollicitudo rei socialis » (30 Déc 1987) ; « Veritatissplendor » (6 Août

1993) “Evangelium vitae” (25 Mars 1995); “Ecclesia de Eucharistia” (17 Avril 2003)... 76

contraire. Autrefois certaines lettres circulaires des diverses congrégations furent considérées comme des Encycliques, considération disparue depuis belle lurette. d. Les Lettres apostoliques Contrairement aux lettres encycliques, les lettres apostoliques sont destinées à des catégories particulières des personnes ou à un groupe précis d’évêques, à un groupe des catholiques. e. Les Exhortations apostoliques Post-synodaux Ce sont les documents que les Papes écrivent fréquemment comme exhortation apostolique. Souvent les Papes, en particulier avec Jean Paul II, écrivent ces documents après les assises d’une assemblée de synode des évêques pour proposer officiellement les enseignements de synode. On note une série des Exhortations apostoliques publiées soit selon les différents thèmes, soit comme résultante des synodes convoqués selon les critères géographiques83. f. allocutions durant le consistoire Même si une allocution de Pape n’est pas nécessairement un texte légal, nous noterons une exception à l’allocution du Pape Paul VI durant le consistoire du 5 Mars 1973. Le Pape va parler de collège cardinalice, d’associer d’autres personne à ce collège, chose que ni la constitution apostolique romaine (1 Oct 1975), ni la constitution apostolique Universi

82Cf PIE XII, Humani generis, 12 Août 1950, in AAS 42. 83 À titre illustratif, nous pouvons noter : l’Exhortation apostolique

Reconciliatio et paenitentia (2 Déc 1984), publiée après le synode de 1983 qui a étudié la situation de sacrement de la réconciliation dans l’Église. L’exhortation Apostolique Christi fideles laici (30 Déc 1988) publiée après le synode tenu en 1987 sur les laïcs. L’Exhortation apostolique Pastores gregis (16 Oct 2003), elle fut publiée sur l’évêque serviteur de l’Évangile de Jésus Christ, suite au synode qui a eu lieu en 2001 sur le même thème. L’Exhortation Apostolique Ecclesia in Africa (1995) publiée suite au synode tenu sur l »Église en Afrique et sa mission évangélisatrice vers 2000. L’Exhortation Apostolique Ecclesia in Europa (28 Juin 2003) reprend les conclusions de synode des évêques, qui avait traité au court de synode, la situation de l’église en Europe. 77

Dominici gregis (22 Fév 1996) concernant la vacance de siège apostolique n’avaient tenter de prendre une telle considération. g. Constitutions Apostoliques Elles constituent la forme la plus solennelle de document légal qu’un Papa peut publier en son nom propre. Elles abordent plus des problèmes doctrinaux ou disciplinaires. Ces actes papaux concernent l’Église universelle ou une Église particulière, dans le cas par exemple de l’érection d’un diocèse, la création d’une province ecclésiastique. Souvent les constitutions Apostoliques sont publiées en forme de bulle et signées par le secrétariat d’État, les plus importantes sont toujours signées le Pape lui-même. La dernière Constitution Apostolique signée par le chancelier fut sous le Pape Paul VI par le Card. Luigi Traglia. Le Pape Paul VI supprimera cette pratique pour réserver la signature des Constitutions Apostoliques seulement par le Pape. Nous pouvons citer une des Constitutions Apostoliques à caractère dogmatique qui a beaucoup influée sur la foi de l’Église, c’est le « Munificentissimus Deus » (1Nov 1950). Cette constitution Apostolique publiera solennellement la glorification de Marie, son assomption au ciel avec son âme et son corps. La grande réforme liturgique postconciliaire fut publiée en forme des Constitutions Apostoliques84. Le nouveau code de droit canon fut aussi publié par une Constitution Apostolique85. Il aura beaucoup d’autres Constitutions Apostoliques qui seront publiées, à caractère dogmatique ou disciplinaires. Nous citerons pour terminer la Constitution Apostolique « Fideidepositum » (11 Oct 1992) : qui concerne la publication de catéchisme de l’Église Catholique. h. Motu proprio Le Motu proprio est la source la plus commune pour la législation canonique. Le Motu proprio est une lettre apostolique écrite par le Pontife romain par sa propre initiative. Originairement un Motu proprio est écrit pour les affaires de la Curie romaine ou en rapport 84 Nous pouvons citer à propos : « Pontificalis romani (18 Juin 1968) : dans

laquelle furent approuvés les nouveaux rites pour les ordinations diaconales, presbytérales et épiscopales. « Sacramunctionem infirmorum (30 Nov 1972) : concernant le sacrement de l’onction des malades. « Missale romanum (3 Avril 1969) : publiait le Missel romain rénové sous ordre de concile œcuménique Vatican II. 85 Cf. « Sacrae disciplinae legis (25 Janv 1983).

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avec l’administration de l’État papal. Le Motu proprio sera plus un document légal. Alors que les Encycliques et les autres lettres papales sont destinées à une certaine catégorie de personnes, le Motu proprio pourtant est destinée à toute l’Église. Les documents de concile Vatican II exerçant une grande influence sur la vie de l’Église, fait partie de magistère qui oriente et dirige la pensée et la vie de l’Église. Ces documents sont préparés et approuvés en quatre divers types des documents : constitutions, décrets, déclarations et messages. Il est difficile à l’étape actuelle de choses d’établir avec précision pourquoi ces documents sont ainsi classifiés. Mais ce que nous pouvons observer que les quatre Constitutions destinées à toute l’Église, sont divisées de la manière suivante : deux dogmatiques, une pastorale, et une autre sans une quelconque qualification spéciale. Les neuf décrets sont destinés d’une manière spécifique à une catégorie des fidèles ou à un type d’apostolat. Les trois déclarations sont les documents qui rapportent l’enseignement de l’Église sur certaines questions controversées et déterminantes. Les messages sont des exhortations destinées à des diverses catégories de personnes.

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