Terres indiennes et politique indigeniste au Bresil : Des territoires a la carte
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Zitiervorschau

SOMMAIRE Liste des abréviations Tableaux et illustrations Carte des principales ethnies Préface Introduction

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PREMIERE PARTIE Les antécédents de la politique indigéniste et le tournant de la nouvelle Constitution 19 Chapitre 1 De 1910 aux années 1970 : La « civilisation » comme unique option

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Chapitre 2 La Nouvelle République : Sarney et l’espoir déçu

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Chapitre 3 1988, un tournant pour les communautés indigènes

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DEUXIEME PARTIE La politique indigéniste et ses acteurs depuis 30 ans

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Chapitre 1 La politique indigéniste de Fernando Collor de Mello à Lula 79 Chapitre 2 L’enjeu central, la Terre

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Chapitre 3 Quelles perspectives d’avenir pour les Indiens du Brésil ?

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Conclusion

Sources et Bibliographie Annexes – table Table des matières A propos de Survival

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LISTE DES ABREVIATIONS CAPOIB : Conselho de Articulação dos Povos e Organizações Indígenas no Brasil [Conseil pour l’articulation entre les peuples et les organisations indiennes du Brésil] CCPY: Comissão Pró-Yanomami [Commission pro-Yanomami] CEDI : Centro Ecumênico de Documentação e Informação [Centre oecuménique de documentation et d’information]. Cette organisation deviendra par la suite l’ISA (Cf. ci-après). CIMI : Conselho Indigenista Missionario [Conseil (catholique) indigéniste missionnaire] CIR : Conselho Indígena de Roraima [Conseil indigène de Roraima] COIAB : Coordenação das Organizações Indígenas da Amazônia Brasileira [Coordination des organisations indigènes d’Amazonie brésilienne] COICA: Coordinadora de las Organizaciones Indígenas de la Cuenca Amazónica [Coordination des organisations indigènes du Bassin amazonien] CONAGE: Coordenação Nacional dos Geólogos [Coordination nationale des géologues] CPI/SP: Comissão Pró-Índio de São Paulo [Comission proindienne de São Paulo] CSN : Conseil de sécurité national CTI : Centro de Trabalho Indigenista [Centre de travail indigéniste] DNPM : Departamento Nacional de Produção Mineral [Département national de production minérale] FOIRN : Federação das Organizações Indígenas do Rio Negro [Fédération des organisations indigènes du Rio Negro] FUNAI : Fundação Nacional de Assistência aos Indios [Fondation nationale d’assistance aux Indiens] IBRAM : Instituto Brasileiro de Mineração [Institut brésilien d’exploitation minière] INCRA : Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária [Institut national de colonisation et de réforme agraire] ISA : Instituto SocioAmbiental [Institut socio-environnemental]

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NDI: Núcleo de Documentação e Informação [Noyau de documentation et d’information] OIT : Organisation internationale du travail ONG : Organisation non-gouvernementale OPAN: Operação Anchieta, deviendra Operação Pan Amazônica PCN : Projet Calha Norte SADEN : Secretaria de Assessoramento da Defensa Nacional [Secrétariat des affaires de Défense nationale] SNI : Service national d’Information SPI : Serviço de Proteção aos Índios [Service de protection de l’Indien] TI : terre indigène UNI: União das Nações Indígenas [Union des Nations indigènes]

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TABLEAUX ET ILLUSTRATIONS Figure 1 – Le démembrement du territoire yanomami Figure 2 – Le démembrement de la terre indigène Pari-Cachoeira Figure 3 – Conséquences du décret 1.775/96 sur les T.I. Figure 4 – Situation des T.I. au Brésil (ISA) Figure 5 – Ecole kayapó Figure 6 – La représentation du territoire (Kayapó) Figure 7 – Les limites du PIX : « Nous et les Autres »

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CARTE DES PRINCIPALES ETHNIES

Source : Survival, « Dépossédés : Les Indiens du Brésil », Ethnies, Paris, vol. 16, n° 28, 2002, p. 19.

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PREFACE Conçu à l’origine comme un mémoire de fin d’études de l’Institut d’Études politiques de Strasbourg, le texte d’Émilie Stoll a l’immense mérite d’être le premier bilan en langue française de la politique indigéniste brésilienne de ces trente dernières années. Au moment même où le Brésil et le monde s’interrogent sur les effets de la déforestation accélérée qui ravage l'Amazonie, elle analyse avec méthode et discernement les bouleversements qui ont fait passer les sociétés autochtones du Brésil du statut de populations mineures, victimes et largement laissées pour compte du développement économique, à celui de sujets collectifs de droit de plus en plus présents dans la vie politique nationale. Son travail renvoie au magasin des clichés complaisants et archaïsants des révélations médiatiques périodiques de "tribus inconnues n'ayant jamais eu de contact avec la civilisation". Quelques silhouettes brandissant des arcs et des flèches en direction du ciel et de l’avion qui les photographie, cet instantané publié récemment ne fait que reprendre un cliché connu depuis soixante ans au moins. En réalité, ces groupes, qui subsistent effectivement en très petit nombre en Amazonie, souvent de la taille d'une grande famille ou des habitants de quelques maisons, ne sont que les derniers rescapés de sociétés morcelées et harcelées fuyant les contacts violents avec les "pionniers" du front de colonisation, exploitants de bois tropicaux, chercheurs d'or, éleveurs de bétail et autres et portent souvent dans leur chair les cicatrices de balle de leurs bourreaux. Pour 99% des sociétés autochtones du Brésil, le contact avec le monde moderne est plus ou moins récent, mais il est permanent et irréversible, et Émilie Stoll a justement mis au centre de son analyse des politiques récentes la question du territoire, élément premier et fondamental de la survie indienne au Brésil. Les Indiens possèdent aujourd'hui un territoire - en réunissant tous les "parcs indigènes" et les "territoires indigènes" disséminés dans cet immense pays, mais majoritairement amazoniens- qui constitue globalement un peu plus de 12 % de la superficie totale du Brésil, ce que l'on peut facilement contraster avec l'étendue des déforestations, de l'ordre de 7 à 8 % (chiffre âprement discuté, mais dont l'ordre de grandeur n'est pas en doute). On peut imaginer ce

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que les propagandistes du développement accéléré, fort nombreux et bien organisés au Brésil, disent de cette situation, surtout à l'heure de l'expansion vertigineuse de la culture du soja et de celle des futurs biocarburants. Il n'en reste pas moins qu'Émilie Stoll a raison d'affirmer que les sociétés autochtones "sont le dernier bastion contre la déforestation massive qui sévit en Amazonie". Le mode de culture traditionnel des sociétés indiennes - et il faut ici répéter, contre un préjugé encore trop courant, que les Indiens d'Amérique du Sud sont dans leur immense majorité et depuis des millénaires des agriculteurs et non des chasseurs-cueilleurs nomades - ne détruit pas la forêt, il l'aménage et la mise en jachère des jardins après quelques années d'exploitation permet la reconstitution du couvert végétal, ce qui rend possible de défricher à nouveau. Il ne fait donc aucun doute que la constitution de 1988 qui légalise la reconnaissance de territoires indiens sous la garantie de l’État brésilien (qui reste le propriétaire de ces terres) a ralenti le mouvement de déforestation et a permis la consolidation d’importantes réserves foncières en Amazonie, et les quelques cas, relativement isolés, de d’abattage et de vente illégale de bois dans des réserves indiennes par des Indiens ne contredisent pas cette réalité. Les tentatives plus récentes de l’État pour contrôler les défrichages et ralentir l’exploitation sauvage de l’Amazonie (création des UCF, unités de conservation forestière, sanctions financières aux défricheurs abusifs, crédits pour un développement respectueux de l’environnement…) viennent compléter les effets de la politique indigéniste inaugurée en 1988. Si les mouvements proIndiens, au Brésil et à l’étranger ont pu contribuer à sauver les Indiens en les abritant derrière les arbres (l’argument écologique), ce sont aujourd’hui les Indiens qui abritent les arbres. Émilie Stoll, en retraçant avec finesse et rigueur les vicissitudes et les contradictions de la politique indigéniste, ne cache ni les insuffisances de celle-ci, notamment quant à une dotation budgétaire chroniquement squelettique pour la FUNAI, ni la progressive décentralisation de celle-ci, qui est allée de pair avec un dessaisissement de ses fonctions. En effet, l'assistance médicale et sanitaire et l'éducation sont aujourd'hui respectivement sous la responsabilité du ministère de la santé et des états et communes. Les communautés indigènes doivent donc se battre avec les com-

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munes proches de leur territoire pour que les crédits fédéraux alloués aux Indiens et relayés par les communes ne soient pas "aspirés" ou simplement volés au passage, et de nombreuses manifestations indiennes attestent de ces difficultés. Il en est de même des invasions de territoires indigènes, pour lesquelles les forces de police et les juges locaux prennent généralement le parti des envahisseurs au mépris de la loi. La Funai, même lorsqu'elle réagit en défense des Indiens, ce qui est son rôle constitutionnel, ne dispose en général pas de moyens de contrainte, et doit faire appel, comme les Indiens d'ailleurs, à l'opinion publique, en mobilisant les associations et les ONG tant indiennes que pro-indiennes. C'est enfin la renaissance indienne au Brésil que ce tableau de la politique indigéniste esquisse, montrant comment les Indiens ont rapidement pris conscience que les représentations traditionnelles de l’indianité au Brésil pouvaient être bouleversées par leur accès aux savoirs modernes, par la valorisation de leurs savoirs et de leur savoir-faire dans le monde actuel (biodiversité, patrimoine génétique, connaissances pointues des êtres vivants de la forêt), mais aussi que le rapport de force leur était en général défavorable, particulièrement dans les conflits locaux, et que l’appel à l’opinion publique, pour rappeler et faire respecter leurs droits, permettait parfois de renverser le rapport de force. Il est étonnant, et la conclusion relativement optimiste de l’auteur va en ce sens, que quelque 700 000 Indiens aient pu survivre dans le Brésil d’aujourd’hui, et défendent leur existence, leur culture et leur avenir contre les formidables pressions d’un des états les plus modernes de la planète. Patrick Menget Président de Survival International France.

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INTRODUCTION Alors que les gouvernements occidentaux commencent à s’alarmer du réchauffement climatique et de la raréfaction des ressources naturelles, les populations autochtones du Brésil et d’ailleurs sont touchées de plein fouet par le « rouleau compresseur de la civilisation ». Ces peuples dits « primitifs » sont fragiles car leur survie en tant qu’Indiens est intrinsèquement liée à l’environnement naturel dans lequel ils vivent. Au Brésil, cela fait longtemps que les gouvernements essaient de résoudre la question indigène. Au gré des époques, l’image de l’Indien a changé et les actions gouvernementales mises en œuvre dépendaient de la façon dont il était perçu. Ce n’est qu’au XXème siècle que les Indiens ont été considérés comme dignes d’être incorporés dans la civilisation des Blancs, en tant qu’êtres humains. Un long chemin a été parcouru jusqu’à la situation actuelle et la question indigène a beaucoup évolué, surtout depuis l’avènement de la Constitution fédérale de 1988, qui a permis l’essor d’un ample mouvement associatif. Cependant, la politique indigéniste fluctue invariablement autour d’une constante : celle d’un rapport de force permanent entre les Indiens et les acteurs économiques pour la possession du territoire. Nous allons traiter ici de la politique indigéniste mise en œuvre depuis 1988 ainsi que des promoteurs de cette politique. Le sujet est vaste et nous avons tenté d’en donner une vue générale de manière à apporter des pistes de réflexion sur des enjeux présents qui, de près ou de loin, nous concernent tous. La mise en œuvre d’une politique indigéniste en harmonie avec les populations concernées nécessite une compréhension des modes de pensée et d’action indigènes. Aussi avons-nous voulu apporter un éclairage historique à cet ouvrage, tout en y incorporant des notions ethnologiques dans la mesure de nos possibilités. Le message est avant tout humaniste et malgré toutes les difficultés que traversent aujourd’hui les Indiens au Brésil, il se veut optimiste et chargé de l’espérance que, dans un futur proche, les gouvernements ne confondent plus altérité indienne et retard mental ou technologique.

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Au XVIe siècle, lorsque les Portugais ont débarqué, il y avait environ cinq millions d’autochtones au Brésil. Selon le recensement de l’IBGE réalisé en 2000, complété par les estimations de la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) et de l’Institut SocioAmbiental (ISA), la population indienne vivant toujours traditionnellement s’élèverait aujourd’hui à 480 000 individus1, soit 0,25% de la population totale. Aujourd’hui cette population croît à une vitesse surprenante et les prévisions fatalistes des écrivains du début du siècle n’ont plus lieu d’être. Ce surprenant revirement de situation s’opère depuis les années 1950 et nous a interpellés. Après cinq siècles de confrontation avec la société occidentale qui ont engendré maladies et aliénation ; après le contact, la « pacification », puis la civilisation par les fonctionnaires brésiliens, les Indiens résistent et préservent leur culture des agressions occidentales. Leur présence, qui paraît si anachronique, est un exemple vivant de leur résistance culturelle. Lorsque nous regardons en arrière et analysons les législations et les politiques indigénistes mises en œuvre, nous sommes remplis d’admiration par l’existence encore réelle de ces peuples au Brésil aujourd’hui. Notre travail met le doigt sur des moments clés de l’histoire de la politique indigéniste et analyse les réactions de part et d’autre du rapport de force afin de comprendre comment ces populations ont su défendre leurs territoires et leur culture, notamment grâce à l’appropriation de techniques occidentales. Dès lors, le nombre réduit que constituent les Indiens monopolise depuis 1988 une grande part du débat national. Nous étudierons tout d’abord la genèse et les antécédents de la politique indigéniste moderne, ainsi que l’importance de la rédaction d’une nouvelle constitution pour le développement d’une résistance indigène. Puis, nous analyserons la politique indigéniste récente et les débats actuels autour de l’indianité au Brésil. Nous 1. L’IBGE recense la population en prenant note de l’origine ethnique de chaque individu sur la base d’une déclaration. Ainsi, le dernier recensement, en 2000, dénombrait 734 127 individus auto-déclarés indiens (Cf. Annexe 1). Ce nombre intègre les populations vivant de manière traditionnelle ainsi que les Indiens urbanisés ou les groupes ayant entamé un renouveau culturel (il s’agit principalement de groupes indiens originaires du Sud-est du Brésil qui ont été les premiers colonisés et qui, bien souvent, ont subi de très lourdes pertes culturelles). De leur côté, la FUNAI et l’ISA, qui travaillent directement avec les Indiens vivant de manière traditionnelle dans les terres indigènes, font régulièrement des recensements et mettent en avant un nombre de 480 000 individus environ.

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prêterons une attention toute particulière à l’action du système associatif dans les projets mis sur pied alors que l’Etat s’est progressivement désengagé des domaines sociaux concernant les Indiens. La double facette qui a toujours tiraillé le Brésil entre une idéologie humaniste et une quête pour la modernité est encore aujourd’hui reflétée dans le traitement dispensé par l’Etat à ses minorités.

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PREMIERE PARTIE Les antécédents de la politique indigéniste et le tournant de la nouvelle Constitution

« L’ethnocide ne trouvera sa solution que dans le cadre d’une modification de ses rapports de l’Occident à la totalité, à l’univers ». Robert Jaulin, 1974.

Chapitre 1 De 1910 aux années 1970 : La « civilisation » comme unique option 1. Les prémices de la politique indigéniste Le Brésil a beaucoup légiféré sur ses Indiens. Une politique indigéniste au sens moderne du terme a pris forme au XIXe siècle, à travers quelques lois et décrets régulant les relations entre les Indiens et l’Etat. C’est à cette période que germe l’idée que l’Indien puisse faire obstacle au développement économique de la Nation. Et cette idée a persisté jusqu’à aujourd’hui. Au XIXe siècle, l’Indien était perçu comme étant au stade infantile de l’humanité1. Dès lors, il était susceptible de se développer si on lui enseignait les rudiments de la « civilisation ». Cette vision était en harmonie avec le positivisme d’Auguste Comte dont était imprégnée la société intellectuelle brésilienne à cette époque ; selon cette doctrine, l’Homme est perfectible. Dès lors, les Indiens du Brésil étaient soumis au régime des orphelins2, sous la tutelle du même juge3. La première constitution du Brésil, en 1891, ne faisait même pas mention des autochtones : considérés comme des soushommes, il ne leur était reconnu aucun droit.

1. « Infância da humanidade », notion développée par Francisco Adolpho, cité dans Dominique Buchillet, « De la colonie à la République : images de l’Indien, politique et législation indigénistes au Brésil », Cahiers des Amériques Latines, Paris, n° 23, 1996, p. 73. 2. Juizado de Menores 3. Loi du 27 octobre 1831, article 4.

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2. La « conquête » des Indiens Le SPI, premier organe étatique en charge des Indiens La genèse du SPI En 1910, une institution gouvernementale spécifiquement chargée de la protection des Indiens est créée sous le nom de Serviço de Proteção aos Índios e Localização de Trabalhadores Nacionais [Service de protection des Indiens et de localisation des travailleurs nationaux – SPI]1. Ce service est le fruit du travail d’un petit groupe d’activistes libéraux dont un personnage se détache : le lieutenant-colonel ingénieur des armées Cândido Mariano da Silva Rondon, lui-même descendant d’Indiens Bororo par sa grand-mère. Cândido Mariano da Silva Rondon avait pour mission de construire une ligne télégraphique entre Cuiaba et Araguaia. Pour ce faire, il devait traverser les territoires des Indiens Bororo. C’est dans ces circonstances qu’il élabore les techniques de pacification des Indiens dits « hostiles ». C’est alors qu’il a commencé à connaître et à apprécier ces mêmes Indiens. Il a vu la misère de ceux qui côtoyaient la civilisation depuis longtemps et les ravages provoqués au sein de leurs groupes : désorganisation sociale, pauvreté, prostitution des femmes, dépendance … De là, lui est venue l’idée d’une impérieuse nécessité de créer une agence gouvernementale de protection des Indiens. « Mourir s’il le faut, mais ne jamais tuer » Cândido Mariano da Silva Rondon accepta d’en devenir le premier directeur, à six conditions : 1. Les Indiens ne devaient pas être forcés d’accepter rapidement la doctrine chrétienne ou la civilisation. 2. L’incorporation des Indiens dans la société nationale ne devait pas être fondée sur un endoctrinement religieux ou quelque autre système métaphysique ou religieux. 3. Le nouveau service prendrait la forme d’une inspection qui superviserait les initiatives publiques et privées. 1. Décret n° 8.072, du 20 juin 1910, créant le Service de Protection de l’Indien et de Localisation des Travailleurs Nationaux. Dès sa création, le SPI fut intégré au ministère de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce.

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4. La protection des terres indigènes serait la principale responsabilité du SPI. Les territoires volés devraient leur être rendus intégralement ou sous la forme d’une compensation d’une aire équivalente à proximité. 5. Les Indiens seraient encouragés à se sédentariser, et du bétail leur serait donné à cet effet. Cependant, le personnel devrait s’assurer que cela n’entre pas en conflit avec leurs traditions culturelles. 6. Les officiers du service contacteraient des tribus nomades, dans le but d’éviter les guerres entre tribus ou entre Indiens et civilisés. Les officiers doivent être désintéressés et privilégier le bien-être des Indiens1. Selon la pensée positiviste de Rondon, si les Indiens étaient préservés, ils pourraient évoluer en paix et atteindre le niveau de civilisation souhaité2. Rondon était de bonne foi, en témoigne sa devise : « Mourir s’il le faut, mais ne jamais tuer».

Il fallait montrer ses bonnes intentions aux Indiens en ne ripostant jamais aux attaques. Il voulait réaliser « un grand encerclement de paix »3, mais il ignorait alors que cette étreinte se refermerait sur les Indiens jusqu’à les étouffer. La mission du SPI La mission du nouveau service était ambitieuse et teintée d’humanisme : « Assurer protection et assistance aux Indiens du Brésil, en leur garantissant la vie, la liberté et la propriété, en les protégeant de l’extermination, en les délivrant de l’oppression et de l’exploitation, et en les abritant de la misère – qu’ils vivent sédentarisés dans un village, unis en tribus, ou mé-

1. John Hemming, Die if you must, Londres, Pan, 2003, p. 20. 2. Alcida Rita Ramos, Indigenism: Ethnic politics in Brazil, Madison, University of Wisconsin Press, 1998, p. 156. 3. Expression reprise dans le titre du livre de Antonio Carlos de Souza Lima, Um grande cerco de paz, Petropolis, Vozes, 1995, cité dans le compte rendu de Benoît de l’Estoile, dans Revue de Synthèse : Anthropologie, Etats et populations, Paris, tome 121, 4° S., n° 3-4, juillet-décembre 2000, pp. 489-492. Ce lexique guerrier est lié au rôle essentiel joué par les militaires républicains dans le SPI.

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langés avec les civilizados [nouveaux brésiliens ou co1 lons] » .

Le SPI garantissait également aux Indiens la possession effective des terres qu’ils occupaient, ainsi qu’une assistance médicale. Cet organe étatique semblait porter des valeurs très novatrices. L’avenir paraissait prometteur pour les Indiens du Brésil. Cependant, la loi établissant le SPI contenait également des clauses évolutionnistes et très paternalistes, dont les effets furent problématiques sur les Indiens. En effet, le but ultime du SPI était l’intégration harmonieuse des Indiens dans la société brésilienne, mais aux dépens de leur identité culturelle. A cela s’ajoutait le rôle de tutelle du SPI puisque, selon le Code civil de 1916, les Indiens entraient dans la catégorie des individus « relativement incapables »2. La philosophie positiviste aidant, les autorités brésiliennes ont suivi une conception ethnocentrique et évolutionniste, à savoir que l’unique trajectoire possible pour ces groupes « primitifs » était un effort de mimétisme grâce auquel ils parviendraient graduellement à rattraper le stade des sociétés dites « avancées ». A l’époque, l’idée que ces groupes de « sauvages » possédaient une réalité culturelle qui leur était propre et avec laquelle ils pouvaient se développer de manière différenciée, n’était pas considérée. Le fonctionnement du SPI La pacification, une étreinte mortelle Depuis la découverte des Amériques, les Indiens d’Amazonie ont la réputation d’être « sans Roi, sans Loi, sans Foi »3. C’est le noyau même de l’altérité indienne pour les observateurs de l’époque. En effet, les chefs indiens entretenaient des relations complexes avec d’autres groupes. Ils pratiquaient des activités guerrières sous forme de razzias (avec des prises d’otages symboliques). De plus, les revirements d’alliances et d’hostilités étaient 1. Regulamento do SPI, Article 2.d., 7 septembre 1910. 2. Au sens libéral (légal) du terme. « Relativement incapable » était la catégorie dans laquelle se trouvaient également les femmes et les débiles mentaux (Articles 5 et 6). 3. Rapport des Jésuites portugais datant du XVIè siècle. Cf. Anne Losonczy, cours DEVL011, « Anthropologie des sociétés amazoniennes », ULB, notes de cours, année 20052006 ; Patrick Menget, « Les frontières de la Chefferie : Remarques sur le système politique du haut Xingu (Brésil) », L’Homme, Paris, vol. 33, n° 126, 1993, pp. 59-76.

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constants. Les Indiens ont donc conservé, aux yeux du monde blanc, une image de guerriers sauvages (parfois anthropophages). Les pacifier permettait aux Blancs (éleveurs de bétail, cultivateurs et extracteurs) d’occuper leurs immenses territoires, jusque là impénétrables à cause des attaques. La technique de pacification privilégiée par le SPI était celle de la séduction1 plutôt que la force. Il s’agissait d’attirer les Indiens au moyen de cadeaux tels que des machettes, des couteaux, des objets en métal, des colliers de perles... Cette phase de cour galante a été appelée namôro. Ainsi, des équipes de pénétration, recrutées dans la population locale, partaient à la recherche de tribus isolées pour les pacifier. La pacification a plus tard été renommée attraction. Concrètement, l’équipe de pénétration s’implantait dans un endroit stratégique, à l’intérieur du territoire tribal, à proximité de moyens de communication. Elle défrichait une clairière, construisait une maison protégée (en prévision des attaques) en son centre, et plantait un potager2. Le poste d’attraction était prêt. La phase de namôro pouvait commencer. Une fois le contact établi, le SPI fournissait à la tribu des biens de consommation occidentaux, jusqu’à ce qu’elle y soit habituée. C’est alors que le flux cessait. Le groupe était donc obligé d’aller au contact d’autres civilisés pour se procurer les biens et denrées désirés. Et il devait payer pour les obtenir, une pratique étrangère à ces sociétés. Dès lors, une nouvelle forme de relation s’établissait entre les Indiens et les Blancs. Et au sein même du groupe, les activités quotidiennes se trouvaient modifiées par la nécessité de produire des biens supplémentaires, à vocation mercantile, pour pouvoir les échanger contre les biens manufacturés. En fait, une pacification était réussie lorsque le groupe se trouvait dans une condition de dépendance irréversible vis-à-vis de la société nationale, de laquelle il ne pourrait plus sortir. Dans ce contexte, le sertanista, « domestiqueur d’Indiens », était le spécialiste des techniques d’attraction et de pacification des peuples indigènes encore insoumis à l’appareil gouvernemental. Parmi ceux-ci, certains ont été élevés au rang de héros nationaux comme, par exemple, les frères Villas Bôas ou Sydney Possuelo. 1. Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., pp.146-154. 2. Darcy Ribeiro, Frontières de la civilisation, Paris, Union Générale d’Editions, 1973, p. 135.

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Mais derrière les actes de bravoure et de renoncement, il y a toujours eu la visée claire de prendre possession des terres et des ressources des territoires où se situaient les Indiens. Comme le soulignait Darcy Ribeiro, « l’œuvre de pacification sert davantage les besoins d’expansion de la société nationale que ceux des Indiens »1. Au moyen de la politique de pacification, le SPI est intervenu en tant que nouveau facteur dans le paysage indigène : il contrôlait artificiellement le processus d’intégration des ethnies. Qui est Indien ? Qui ne l’est pas ?2 La population brésilienne est notamment le résultat d’un métissage de Blancs, d’Indiens et de descendants d’esclaves africains. Dès lors, il est impossible de se baser sur un critère phénotypique ou culturel pour définir la catégorie « Indien ». De plus, il n’y a pas d’accord entre les scientifiques sur la définition des peuples amérindiens. Darcy Ribeiro a tenté une définition, il y a un demi-siècle : « Dans le Brésil, est indigène essentiellement cette partie de la population qui présente des problèmes d’inadaptation à la société brésilienne sous ses diverses facettes, problèmes provoqués par la conservation des us et coutumes ou par pure fidélité à une tradition précolombienne. […] Est Indien tout individu reconnu membre d’une communauté d’origine précolombienne, qui s’identifie comme ethniquement distincte de la communauté nationale et est considérée indigène par la population brésilienne avec laquelle elle est mise en contact »3.

De manière plus générale, les chercheurs privilégient une définition axée davantage sur la culture que sur l’ascendance précolombienne, ou encore une définition axée sur la reconnaissance des populations indiennes en tant que peuples ou nations et non simplement ethnies. Les éléments faisant consensus sont la continuité historique avec les populations antérieures à la conquête, une auto-

1. Id., p.142.

2. Eliane Brun, « Qui est Indien ? Qui ne l’est pas ? », Courrier International, Paris, n° 838, du 23 au 29 novembre 2006, p. 30. 3. Darcy Ribeiro, op.cit., p. 122.

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identification, ainsi qu’une reconnaissance de cette indianité par la communauté nationale1. Les vicissitudes de l’histoire du SPI Conditions et effets de l’intervention protectionniste L’intervention protectionniste du SPI, la pacification, est motivée par l’idée que, si les Indiens sont rattrapés par l’avancée du front d’expansion économique et qu’ils rentrent en contact direct avec les Brésiliens, sans assistance ni protection préalable, ils seront voués à disparaître inéluctablement. Pour éviter cela, il est nécessaire qu’un intermédiaire leur assure un minimum d’assistance. Les premiers effets de la politique de pacification interviennent avant même le premier contact. Les groupes indiens dérangés par les nouveaux occupants blancs migrent vers d’autres territoires encore vierges, entrant en « concurrence écologique » avec d’autres groupes indiens déjà sur ce territoire. Plus d’Indiens pour moins de ressources, cela implique une réorganisation politicoéconomique du ou des groupes. Par la suite, le contact avec les équipes de sertanistas imposa à nouveau aux Indiens d’élaborer une exégèse eschatologique où l’homme Blanc aurait sa place. En cela, les Indiens se sont plutôt bien mobilisés, comme en témoignent certaines études2 sur 1. Alison Brysk, « Acting Globally: Indian Rights and International Politics in Latin America », in Donna Lee Van Cott (coord.), Indigenous Peoples and Democracy in Latin America, New York, St Martin’s Press, 1994, p. 47. En 1986, le Groupe de Travail des Nations Unies sur les Populations Indigènes (UNWGIP) établit une définition basée sur l’occupation traditionnelle des terres : “Indigenous populations are composed of the existing descendants of the people who originally inhabited the present territory of a country (or countries), wholly or partially, at the time when persons of a different culture or ethnic origin arrived there from other parts of the world, overcame them, either by direct conquest, settlement, or other means, reduced them to a non-dominant group within their home region or territory.” (cité par Cindy Holder, « Indigenous Peoples and Multicultural Citizenship: Bridging Collective and Individual Rights », Human Rights Quarterly, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, Vol. 24, n° 1, Février 2002, p. 127). 2. Voir par exemple Bruce Albert, « La fumée du métal», L’Homme, Paris, vol. 28, n° 106, 1988, pp. 87-119 ; Stephen Hugh-Jones, « The Gun and the Bow – Myths of White Men and Indians », L’Homme, Paris, vol. 28, n° 106, 1988, pp. 138-155 ; Carlo Severi, « L’Etranger, l’Envers de soi et l’échec du symbolisme : deux représentations du Blanc dans la tradition

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l’adaptation des croyances et l’intégration de l’Homme Blanc dans leurs mythes et traditions. C’est sans doute l’une des causes fondamentales de la persistance et de la ténacité de l’altérité indienne et de leur difficile intégration dans la société brésilienne. Cependant, c’est la prise de conscience de leur impuissance face à la société dominante qui a parfois acculé les Indiens au plus profond de l’acculturation, leur laissant entrevoir un sombre avenir. Darcy Ribeiro raconte les transformations opérées sur une tribu suite aux impressions de trois chefs Kaingang après leur retour d’une visite de São Paulo, organisée par l’inspecteur du SPI : « Maintenant, ils avaient pleinement conscience de l’insignifiance de leur tribu devant la tribu immense des Blancs. C’était le désenchantement d’un peuple tribal devant une société nationale et l’ampleur écrasante de celle-ci en regard de sa propre petitesse. Dès lors, le prestige qu’ils attribuaient au Blanc devint tel qu’aucune valeur tribale ne put lui résister. Ils avaient appris qu’ils ne pouvaient rien faire face au Blanc, sinon se livrer désarmés à sa domination. C’est ainsi que se brisa l’orgueil qu’ils avaient pour leurs danses, leurs chants, leurs coutumes particulières et qu’ils commencèrent à adopter les éléments culturels qui leurs étaient accessibles : les vêtements, les aliments, les façons de manger et tout ce qui était symbolique de la civilisation à laquelle ils se soumettaient »1.

L’objectif du SPI était d’imposer la culture brésilienne aux Indiens pour les faire progresser vers la civilisation. Cela se fit aux dépens des cultures indigènes, ce qui entraîna leur destruction. Le gouvernement brésilien a donc officiellement préféré une option d’éducation à une option d’élimination des Indiens. En ce sens, l’intégrité physique n’était pas ce qu’on cherchait à atteindre, mais bien la culture. Il est possible de parler d’ « ethnocide », selon la formulation de Robert Jaulin2 : l’esprit est attaqué et non la vie des chamanique cuna », L’Homme, Paris, vol. 28, n° 106, 1988, pp. 174-183 ; Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit, p. 133. 1. Darcy Ribeiro, 1973, op. cit., p. 161. 2. Robert Jaulin, La Paix Blanche : Introduction à l’Ethnocide, t.1 « Indiens et colons », t.2 « L’Occident et ailleurs », Paris, Seuil, 1974, 423 pp. et 318 pp. ; au sujet de l’ethnocide, voir aussi Pierre Clastres, « De l’ethnocide », L’Homme, Paris, vol. 14, n° 3, 1974, pp. 101110.

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personnes considérées « autres ». Ces « autres » portent le mal, mais il est corrigible en leur montrant le bien, c’est-à-dire, dans le cas présent, la civilisation brésilienne. Premier bilan : 1957 et les prédictions de Darcy Ribeiro Selon Darcy Ribeiro, en 1957 l’objectif du SPI était atteint1. A savoir que les étendues de terres convoitées par la société brésilienne en expansion avaient bien été occupées, tandis que les Indiens étaient tant bien que mal préservés, physiquement, dans les Postes Indigènes créés à cet effet. Le SPI a donc rempli sa fonction de point d’équilibre entre, d’une part, le front économique avide de terres, et, d’autre part, les Indiens qui ont été relativement préservés, du moins physiquement. Cependant, pour ces Indiens acculturés mais vivants, « les chances de jouir des bénéfices de la civilisation sont pratiquement nulles »2, puisqu’ils sont relégués à des rangs subalternes par leur condition d’Indiens. Les pacifications entreprises par le SPI ont par contre été des échecs dans le domaine de l’assistance, notamment médicale et foncière. Les pacificateurs ont en effet transmis aux Indiens des maladies méconnues, qui ont fait d’autant plus de ravages que ceux-ci n’avaient pas de défense immunitaire adéquate : des maladies bénignes pour les uns s’avéraient mortelles pour les autres. C’est ainsi que les épidémies de maladies infectieuses ont décimé les Indiens dans des proportions alarmantes, provoquant l’extinction ou la réduction démographique de nombreux groupes indigènes. L’un des seuils les plus bas concernant leur dépeuplement correspondrait à la période entre 1900 et 1957 (une période caractérisée par les contacts forcés), avec l’extinction d’environ quatre-vingt-sept groupes indigènes3. Ceci fut à l’origine de pertes culturelles chez certains Indiens dont la communauté avait été tellement réduite, que, sans parler d’acculturation, leur système tribal ne pouvait se perpétuer avec si peu d’individus. Quant-aux terres, la politique qui consistait à leur allouer de petites réserves de manière à ce qu’ils soient forcés à une acculturation rapide, s’est avérée catastrophique. D’autant plus que leurs terres étaient impuné1. Darcy Ribeiro, 1873, op. cit. p. 133 et p. 265. 2. Ibid. 3. Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., p. 160.

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ment envahies par toutes sortes d’acteurs pour des raisons économiques. En 1957, Darcy Ribeiro, désabusé, prédisait que les Indiens atteindraient un tel seuil de « déculturation »1 suite aux contacts entretenus avec les Brésiliens, qu’ils finiraient par perdre leur identité ethnique et deviendraient des « Indiens génériques », stigmatisés par la société nationale dont ils ne pouvaient prétendre faire partie, et seraient laissés pour compte, sans culture spécifique ni tradition. Cependant, ceci ne s’est pas produit, et nous assistons même depuis les années 1950 à un redressement démographique des populations indiennes. De l’ethnocide au génocide Dès le milieu des années 1930, les idéaux humanistes qui avaient permis la création du SPI commencèrent à s’estomper sous l’effet de plusieurs décrets. L’organe de tutelle des Indiens avait été retiré des prérogatives du ministère de l’Intérieur et dépendait désormais du ministère de la Guerre2. Le SPI avait ainsi une tâche supplémentaire : inculquer des notions patriotiques (éducation morale et civique, instruction militaire …) aux Indiens de manière à en faire de bons citoyens brésiliens3. Ces mesures furent extrêmement dommageables pour les Indiens. Trois ans plus tard, l’objectif était, à terme, de transformer les Indiens en de petits agriculteurs sédentaires, de façon à laisser libre à la colonisation l’immensité du territoire où ils avaient l’habitude de nomadiser, libre à la colonisation. Le SPI fut alors transféré de nouveau au ministère de l’Agriculture4, jusqu’en 1967. C’est surtout à partir des années 50 que le SPI a entamé son déclin. Les fonds qui lui furent alloués étaient insuffisants pour qu’il puisse assurer la protection des Indiens, si bien qu’ils furent victimes de nombreux abus. De plus, le personnel en place était 1. Notion utilisée par Christian Gros, Pour une sociologie des populations indiennes et paysannes de l’Amérique Latine, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 168. La « déculturation » est la dégradation culturelle sous l’influence d’une culture dominante. Cette notion, couplée à la notion de « reculturation » ont été instituées par Jean Poirier : J. Poirier, « Ethnies et cultures », in Ethnologie régionale, Paris, Gallimard, Encyclopédie de la Pléiade, 1972, pp. 2425. 2. Décret n° 24.700 du 12 juillet 1934. 3. Décret n° 736 du 6 avril 1936. 4. Décret n° 1735 du 3 novembre 1939.

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inapproprié et mal payé, la corruption allait bon train. En 1967, Le général João Baptista de Oliveira Figueiredo entreprit la réalisation d’une vaste étude sur l’action du SPI, pour redorer l’image du Brésil sur la scène internationale. Or, c’est un catalogue d’actions criminelles contre les Indiens qui ressortit de l’enquête : le document de cinq mille pages listait des meurtres en masse, des actions de torture et de guerre bactériologique, des comportements esclavagistes, des viols, vols et négligences qui entachaient l’action du SPI. Ainsi, il était possible d’y lire que la variole avait été délibérément inoculée aux Indiens Pataxo ; que des Indiens Tapayuna (Beiços de Pau) avaient été empoisonnés à l’arsenic ; que des propriétaires terriens avaient donné de l’alcool à des Maxacali et les avaient abattus alors qu’ils étaient saouls ; et la liste était longue1… Selon Survival International, le Rapport Figueiredo mettait directement en cause cent trente-quatre fonctionnaires du SPI, accusés de plus de mille crimes. Aucun ne fut condamné à une peine sévère. Le rapport ne fut pas publié mais il fit assez de remous au Brésil pour qu’un journaliste britannique, Norman Lewis, mène son enquête. Il en résulta une première de couverture dans le Sunday Time, intitulée « Genocide » et publiée dans le monde entier. Cela provoqua une vague de protestations et la création de plusieurs ONG internationales qui se rendirent au Brésil pour porter assistance aux Indiens. Parmi celles-ci figurent notamment Survival International, la Croix Rouge et The Aborigines Protection Society. Le SPI fut aboli et immédiatement remplacé par l’organe de protection des Indiens encore en place aujourd’hui : la Fundação Nacional de Assistência aos Indios [Fondation nationale d’assistance aux Indiens – FUNAI].

1. Darcy Ribeiro, 1973, op. cit., p. 133 et p. 265.

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3. SPI-FUNAI : d’un échec à l’autre Le nouvel organe étatique de protection des Indiens prit immédiatement la relève du SPI. Cependant, il n’y avait pas de changements majeurs dans l’esprit du nouveau service. Il fut même dénoncé comme étant pire par certains ethnologues brésiliens : « Le programme de la Fondation nationale d’assistance aux Indiens (FUNAI) est de devenir autosuffisant d’ici peu d’années, au moyen de l’exploitation des richesses des 1 terres indigènes et de la force du travail des Indiens » .

La politique indigéniste au service des « intérêts nationaux » Avec la militarisation du pouvoir en 1964, une politique d’occupation systématique de l’Amazonie fut pratiquée, dans une perspective de développement économique du Brésil et de sécurité nationale. Divers plans furent imaginés de manière à attirer les intérêts économiques marchands dans la région. La FUNAI et le Statut de l’Indien L’organisme étatique de protection des Indiens depuis la chute du SPI, en 19672, s’appelait désormais la Fundação Nacional de Assistência aos Indios [Fondation nationale d’assistance aux Indiens – FUNAI]. Elle fut placée sous le contrôle du ministère de l’Intérieur, ce qui était source de conflits, puisque le ministère suivait les objectifs d’expansion de la société nationale tandis que la FUNAI gérait les intérêts (notamment fonciers) des Indiens. La loi n° 6.001, du 10 décembre 1973, communément connue sous le nom de « Statut de l’Indien », vint compléter les statuts de la FUNAI, en la chargeant de la tutelle des Indiens. Toujours en vigueur aujourd’hui, elle donne un véritable statut juridique aux Indiens et leur garantit un certain nombre de droits. Ce Statut de l’Indien avait notamment pour but d’améliorer l’image du Brésil à l’étranger, suite au scandale du Rapport Figueiredo concernant les pratiques du SPI. 1. Id, p. 149. 2. Promulgation de la loi n° 5.371 le 5 décembre 1967.

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Le Statut insiste sur la nécessité de préserver la culture indigène1 par le droit de possession des terres pour les Indiens qui les occupent. Mais il contient aussi des clauses préjudiciables aux Indiens ; l’esprit même du texte demeure très assimilationniste. Le premier article prône « l’intégration progressive et harmonieuse des Indiens et des communautés indigènes à la communion nationale ». L’indianité est considérée comme une phase temporaire, les Indiens étant automatiquement voués à être intégrés dans la société brésilienne. A cette fin, les Indiens sont classés selon leur degré d’acculturation : « isolés », « en voie d’intégration » et « intégrés ». Ces derniers jouissent du plein exercice de leurs droits civils, même s’ils restent sous la tutelle de la FUNAI. Le Statut de l’Indien prévoit la possibilité de s’émanciper du régime tutélaire, sous certaines conditions. Cette émancipation s’accompagne de la perte de tous les droits liés à leur condition d’Indiens (et donc la perte du droit à la terre). Enfin, le Statut de l’Indien prévoit des clauses d’expropriation : la propriété pleine n’est pas reconnue aux Indiens ; ils peuvent être déplacés de leurs propres terres pour des raisons de sécurité nationale, ou encore pour permettre la construction d’ouvrages tels que des routes, des barrages ; des autorisations de prospection et d’extraction minière peuvent être accordées aux compagnies brésiliennes et la FUNAI peut louer certaines terres indigènes2. Donc, si l’incompétence civile des Indiens avait, dans les années 1970, l’avantage de préserver leur patrimoine, elle avait aussi un gros inconvénient : le tuteur des Indiens demeurait l’Etat, qui avait été l’un de leurs agresseurs les plus assidus. L’eldorado amazonien Les militaires voulaient faire décoller économiquement le pays, pour en faire une puissance hégémonique sur le continent latino-américain. Il s’agissait alors d’exploiter les richesses naturelles du Brésil, et la région amazonienne regorgeait de richesses : 1. Dominique Buchillet, 1996, op. cit., p. 85. 2. Bruce Albert, « Indian lands, environmental policy and military geopolitics in the development of the Brazilian Amazon », Development and Change, La Hague, vol. 23, n° 1, 1992, p. 38.

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minerais, or, produits de la forêt (noix…), bois précieux. De plus l’Amazonie était un vaste territoire inoccupé, « sinon par quelques Indiens ». Dès lors, ceux-ci apparurent comme une entrave au développement de l’économie. Il fallait donc les chasser de leurs territoires, soit en les incorporant comme main d’œuvre dans les fazendas, soit en les exterminant. Le développement du Brésil devait passer par l’occupation de l’ensemble de son territoire par les Nationaux, et par la construction d’infrastructures pour permettre la progression de la frontière économique, d’autant plus que l’Amazonie est une région multifrontalière, donc « sensible ». Quoi de mieux pour en garantir la « brésilianité » que d’y installer durablement des brésiliens. Dès les années 1970, fut officiellement instauré un Plan d’intégration nationale (PIN) dont le but était le peuplement et la mise en valeur de l’Amazonie. Ce plan permettait aussi par la même occasion de résoudre le problème des petits paysans sans terres. Le PIN avait trois sortes d’objectifs : économiques, sociopolitiques et géopolitiques. Les instruments de cette politique résidaient dans la création de routes (dont la Transamazonienne est la plus connue), la construction de barrages hydroélectriques (le Tucurui), la colonisation publique, les aides fiscales et les crédits subventionnés pour l’élevage et l’industrie. Une politique alléchante couplée à un règlement foncier bienveillant provoquèrent un afflux massif et incontrôlable d’acteurs de toute sorte, en quête de terre. Ceci eut un impact brutal sur la forêt et les Indiens amazoniens qui étaient restés jusqu’ici relativement isolés de la civilisation. Ce modèle était très prédateur : en l’espace de vingt ans, une superficie grande comme la France a été déboisée et les rivières ont été polluées au mercure (utilisé par les orpailleurs)1. Malheureusement pour les Indiens, le « miracle brésilien » des années soixantedix fut synonyme pour eux de massacres, déportations et spoliations2.

1. Bruce Albert, « Les sociétés autochtones : territorialité, ethnicité et écologisme » in dossier Brésil : Enjeux amazoniens, Orstom Actualités, Paris, n° 42, 1994, p. 14. 2. Bruce Albert, « Les Indiens et la Nouvelle République », Les Temps Modernes, Paris, n° 491, juillet 1987, p. 122.

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La militarisation de la politique indigéniste Les objectifs du PIN, on le comprend bien, contredisaient les objectifs de reconnaissance des terres indigènes. Dans le contexte du PIN, la FUNAI devenait gênante pour le gouvernement puisqu’elle était chargée de la délimitation des terres indigènes, délimitations qui entraient souvent en conflit avec les intérêts des nouveaux colons, et plus particulièrement des propriétaires de fazendas. Le gouvernement militaire du général João Baptista de Oliveira Figueiredo (1979-1985) fit donc en sorte d’affaiblir la FUNAI en la démembrant dans une sorte de projet de régionalisation. Ce projet, en 1980, prévoyait la création de « Conseils indigénistes régionaux » destinés à « promouvoir l’articulation de l’administration des affaires indiennes aux autorités municipales et régionales »1. Dans ces conditions, on comprend bien que les intérêts locaux et surtout les acteurs de la politique locale (système clientéliste) favorisaient une spoliation des territoires indigènes au profit des intérêts économiques locaux. D’autant plus que les militaires au pouvoir annulèrent les prérogatives d’homologation des terres indigènes de la FUNAI : un décret présidentiel2 associait le Conseil de sécurité nationale (CSN)3 et le Service national d’information (SNI) aux travaux de la FUNAI. Il s’agissait d’une véritable infiltration des militaires et de leurs organes de sécurité, défense nationale, services secrets, dans l’organe indigéniste. La FUNAI n’était plus en mesure de défendre pleinement les intérêts des Indiens dans une pareille situation. Le gouvernement Figueiredo avait également signé, en novembre 1983, un décret4 légalisant la prospection et l’exploitation minière sur les terres indigènes. Mais ce décret ne fut jamais réglementé5.

1. Id., p. 124. 2. Décret n° 88.118 du 23 février 1983 et arrêté de réglementation du 17 mars 1983. 3. Devenu le SADEN. 4. Décret 88.985 de 1983. 5. La réglementation est la condition juridique nécessaire pour l’application d’un décret.

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Mouvement pro-indien et contestations indigènes Devant la montée en puissance de l’intervention de l’Etat en Amazonie et l’expansion des intérêts économiques, une série d’acteurs de la société civile s’organisèrent pour pallier les déficiences de l’Etat en matière de protection des droits et coutumes des sociétés indigènes. Dans la foulée, un mouvement indigène vit le jour ; c’était l’éveil des Nations indigènes. La création du CIMI et l’essor des ONG Dans la lignée de Bartolomé de Las Casas, des missionnaires formèrent les deux premières ONG pro-indigénistes au Brésil1. Elles joueront un rôle important dans la politique indigéniste jusqu’à nos jours. L’OPAN (Operação Anchieta) fut créée en 1969. Le CIMI (Conselho Indigenista Missionario) fut créé en 1972, par des missionnaires catholiques influencés par la théologie de la libération. L’indigénisme missionnaire et sa doctrine d’« option préférentielle pour les pauvres », se portaient désormais comme les défenseurs de l’altérité indienne. Le CIMI se confronta, au nom des intérêts des Indiens, aux groupes économiques et au gouvernement brésilien et fut actif dans le domaine législatif notamment, en proposant divers textes aux autorités. Dès sa création, le CIMI encouragea les dirigeants indiens à se réunir dans de grandes assemblées, où se formèrent les premiers germes de la lutte pour le droit à la diversité culturelle des Indiens du Brésil. Dès les années 1970 et 80, une concurrence entre les différentes ONG et organisations pro-indigénistes2 était déjà observable. Les premières assemblées régionales eurent lieu au début des années 70 et furent sponsorisées par le CIMI (quinze réunions entre 1974 et 1980)3. A la fin des années 70, les ONG indigénistes se professionnalisèrent de façon à pouvoir efficacement relayer les demandes des Indiens au niveau national. Les ONG n’avaient pas toutes le même champ d’action. Par exemple, le Centro de Trabalho Indigenista 1. Bruce Albert, « Territorialité, ethnopolitique et développement », Cahiers des Amériques Latines, Paris, n° 23, 1996, p. 186. 2. Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., p. 103. 3. Bruce Albert, 1996, op. cit., p. 186.

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(CTI), basé à São Paulo, concentrait ses projets de développement sur les Indiens Kraho de l’Etat de Goias, les Sateré-Mawé d’Amazonas et les Waiãpi de l’Amapa ; la Commission pour la création du parc Yanomami (CCPY)1 s’occupait, quant à elle, exclusivement des Yanomamis ; tandis que l’Institut socioenvironnemental (ISA, initialement CEDI2), s’intéressait autant aux questions indigènes qu’aux questions environnementales. Dès les années 70, les ONG brisèrent le monopole de la FUNAI en matière de politique indigéniste, et pallièrent les lacunes de l’Etat en jouant un rôle d’assistance à différents niveaux et dans différents domaines. Nous verrons par la suite qu’à partir des années 80, les ONG ont porté les revendications des Indiens sur la scène internationale, de manière à pouvoir atteindre plus efficacement le niveau national. L’éveil des Nations indigènes Suite à l’action des ONG pour encourager les Indiens à prendre conscience de la nécessité de faire valoir leurs droits civiques et politiques, un petit nombre d’organisations indiennes ont vu le jour au début des années 80 - même si ce n’est qu’après la promulgation de la Constitution de 1988 qu’elles se sont multipliées. Dans les assemblées organisées au début des années 70, les Indiens avaient revendiqué leur différence culturelle non pas en tant qu’Indiens « génériques »3, mais en tant que peuples distincts au sein de la Nation brésilienne. Les Indiens sont avant tout Xavante, Kayapó, Yanomami, Kaingang, etc. Dès lors, le terme « Indien » ne fut plus considéré comme péjoratif ou discriminatoire. C’est en 1980, que la première organisation pan-indienne a été créée, sous le nom de União das Nações Indígenas (UNI). Dès sa création, l’UNI s’est trouvée dans une situation de confrontation avec la FUNAI qui ne tolérait pas qu’une organisation indigène pût exister- les Indiens étant sous la tutelle de la FUNAI - et, pire encore, pût contester la politique indigéniste officielle. De plus, le terme « Nation indigène » scandalisait les militaires. En effet, ils craignaient que ce type d’organisation n’encourageât les commu1. Créée en 1978, et rebaptisée par la suite Comissão Pró-Yanomami. 2. Instituto SocioAmbiental et Centro Ecumênico de Documentação e Informação. 3. Cf. les prédictions de Darcy Ribeiro.

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nautés indiennes à fomenter des mouvements séparatistes. La question indigène figurait d’ailleurs toujours dans les préoccupations de sécurité nationale. Suite à cela, de malicieuses concessions furent accordées par les militaires : des postes au sein de la FUNAI furent proposés en 1982 à certains membres du premier directoire d’UNI, y compris au président de l’organisation1. Un Indien fut nommé chef du personnel de la FUNAI, et un autre Directeur du Parc du Xingu. Ceci était évidemment une stratégie de déstabilisation puisque les Indiens nommés devaient en toute logique démissionner de l’UNI. Autrement dit, l’UNI serait devenue une organisation indigène avec une direction salariée de l’organe officiel de la politique indigéniste, la FUNAI. Un Indien Xavante, Mario Juruna, fut élu la même année à la Chambre fédérale des représentants pour un mandat de quatre ans. C’était la première fois qu’un représentant indigène était élu au Parlement. Mario Juruna s’illustra dans son rôle de représentant fédéral, par des discours enflammés dans lesquels il fustigeait la FUNAI et la politique indigéniste du gouvernement. S’il n’a pas joué de rôle déterminant dans le mouvement indigéniste naissant, faisant trop souvent cavalier seul, néanmoins, comme le fait remarquer Ailton Krenak, « il a donné une identité à la parole indigène au niveau national », permettant ainsi au mouvement de se « structurer dans l’espace qu’il ouvrait par sa personnalité et sa présence politique hors du commun »2. Cependant, il ne représentait pas vraiment une menace pour le gouvernement militaire dans le sens où il bénéficiait d’une immunité : sa condition d’Indien excusait en quelque sorte ses propos, puisque, étant relativement incapable et sous la tutelle de la FUNAI, il n’était pas pleinement responsable de ses paroles. De plus, ses allées et venues hors du pays étaient soumises à l’obtention d’un passeport dont la demande devait être formulée à la FUNAI. C’est ainsi qu’en novembre 1980, lorsque Mario Juruna fut invité à participer au tribunal Russell, à 1. Survival, « Entretien avec Ailton Krenak », président de l’UNI ; propos recueillis par Carlos Alberto Ricardo et Robin Wright, Ethnies, Paris, vol. 5, n° 11-12, 1990, p. 8. 2. Mario Juruna avait bien cerné la politique des Blancs. Il utilisait ainsi un dictaphone avec lequel il enregistrait les promesses que lui faisaient les représentants officiels (et qu’ils ne respectaient jamais). Sa technique l’avait rendu célèbre et faisait le régal des journaux nationaux. Cf. Survival, « Entretien avec Ailton Krenak », 1990, op. cit., p.8.

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Rotterdam, la FUNAI lui refusa la délivrance d’un passeport, de peur qu’il ne dénonçât comme ethnocide les crimes du Brésil1. Au su de cette réalité tutélaire, Mario Juruna était utilisé par les dirigeants de son parti politique comme un symbole d’oppression sous le régime militaire. Il représentait une petite porte ouverte pour les critiques contre le régime, mais n’était en aucun cas pris au sérieux. Par conséquent, dès le retour de la démocratie, Mario Juruna n’était plus utile et fut peu à peu écarté de la scène politique. Les dirigeants d’UNI ont eu à cet égard plus d’influence car ils avaient opté pour une stratégie sur le long terme, visant à faire prendre conscience, aux niveaux régional et national, de la valeur des cultures indiennes et de l’importance de les préserver. Cependant, dès la fin des années 80, UNI cessa d’être active. Elle fut néanmoins relayée par une myriade d’organisations indiennes créées après la nouvelle constitution. De manière générale, le mouvement pro-indigéniste était très mal perçu par les militaires qui voyaient dans chaque revendication des Indiens une menace pour la sécurité nationale. L’une de leurs réactions fut la proposition par le ministre de l’Intérieur, Rangel Reis, d’une série de critères d’indianité, tels que les Indiens qui en étaient dépourvus seraient émancipés (contre leur gré)2. Si c’était le cas, après avoir perdu leur culture, ils perdraient tous les droits qui s’y rattachaient : le droit à un territoire, à la protection de la FUNAI, etc. De grands mouvements de contestation éclatèrent, notamment de la part d’ONG internationales telles que Survival International, si bien que le gouvernement fit marche arrière3. Un autre moyen de pression de la part des militaires, fut de restreindre l’accès des territoires indigènes aux anthropologues. Les années 70 furent donc une période d’éveil politique d’une petite partie des Indiens brésiliens. Eux qui n’avaient jamais eu la possibilité de participer à la vie politique du pays, ils commencèrent à se structurer de manière à jouer un rôle, du moins médiatique, et à devenir les propres acteurs de leur cause. Cependant, le rôle à jouer était encore minime puisque les droits des Indiens res1. A ce sujet, voir Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., pp. 104-114. 2. Alcida Rita Ramos, « A Hall of mirrors, the rhetoric of indigenism in Brazil », Critique of Anthropology, Londres, vol. 11, n° 2, 1991, p. 164. 3. Survival, « Dépossédés, les Indiens du Brésil », Ethnies, Paris, n° 28, 2002, p. 18.

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taient soumis à leur degré d’acculturation. Or, c’étaient les Indiens les moins acculturés qui avaient le plus intérêt à défendre leurs droits, surtout territoriaux. Ainsi, certains groupes allaient jouer la carte de l’altérité indienne, qui devint alors une source de puissance. Ce fut le cas des Kayapó, qui jouèrent un rôle important lors de l’assemblée constituante de la constitution de 1988. Une autre stratégie, pour les plus acculturés, fut de se fondre dans la société nationale afin d’employer les voies d’accès nationales pour entrer en politique. Ce fut, par exemple, le cas de Mario Juruna. Ce dernier fut quand même instrumentalisé par les militaires puisqu’il était sous leur tutelle, ainsi que par les membres de son propre parti, puisqu’il fut éliminé de la scène politique une fois l’horizon plus clément. Cependant, à cette époque, le mouvement indigéniste naissant ne représentait qu’une infime fraction des peuples autochtones brésiliens. De plus, les dirigeants de ces mouvements, souvent coupés de leurs communautés d’origine et éduqués dans les villes, pouvaient être considérés comme des étrangers par les communautés villageoises1 qui ne percevaient pas forcément l’intérêt d’adopter des manières de faire occidentales. Ainsi, ceux qui faisaient avancer la cause indigène au niveau national et international n’étaient pas forcément perçus positivement par leurs homologues Indiens. On n’observe d’ailleurs toujours pas de ralliement autour de ces figures.

1. Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., p. 142.

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Chapitre 2 La Nouvelle République : Sarney et l’espoir déçu 1. De grandes espérances La transition démocratique au Brésil s’amorça sous l’impulsion des élections présidentielles de 1985. Le candidat Tancredo Neves, qui allait être élu Président, faisait campagne pour le compte de l’Alliance démocratique, parti politique, récemment légalisé, d’opposition au régime militaire en place. Lors de la campagne précédant les élections, Tancredo Neves ouvrit le dialogue avec les représentants indigènes et indigénistes, leur faisant entrevoir un changement dans la politique indigéniste. La grande nouveauté reposait dans le fait que, pour la première fois, les indigènes, par leurs représentants directs (UNI et les ONG indigénistes), devenaient des interlocuteurs valables aux yeux du futur Président. La session « Indio e Estado » organisée à la Chambre des députés, en novembre 1984, était chargée d’espoir pour les peuples indigènes du Brésil. Le dialogue semblait enfin ouvert. En témoignait aussi le document de synthèse remis par UNI à Tancredo Neves, qui se porta comme le mandataire de la demande de « réforme démocratique de la politique indigéniste nationale »1. Mais était-ce pure rhétorique ? Car cette période transitoire entre gouvernement militaire et gouvernement civil résultait du bon vouloir des militaires, dès lors qu’ils restaient très influents sur la scène politique. Nul ne saura les véritables intentions de Tancredo Neves, puisqu’il décéda quelques mois plus tard, avant même d’être rentré dans ses fonctions. Il fut remplacé par José Sarney, nommé Président intérimaire par les militaires. José Sarney était l’ex-Président du parti démocratique social, qui avait soutenu la dictature issue du coup d’Etat de 1964. C’est là que le bât blesse : le nouveau gouvernement civil restait sous la tutelle des militaires. Contrairement 1. Bruce Albert, 1987, op. cit., p. 121.

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aux promesses électorales de Tancredo Neves, le nouveau Président s’attaqua à la question indigène d’une manière tout à fait inattendue : de la même manière que les militaires. La politique indigéniste allait connaître des changements, mais aux antipodes des intérêts des Indiens. Il s’agissait d’une véritable régression politique ou d’un « lapsus politique » selon l’expression de Bruce Albert1.

2. De grandes déceptions José Sarney n’avait pas tenu compte des promesses de Tancredo Neves ; pire encore, il poursuivait la politique des militaires, à savoir une spoliation des terres au profit de l’intérêt national. En 1986, il entreprit des réformes se révélant néfastes pour les Indiens : gel de la démarcation des terres indigènes, décentralisation de la FUNAI et autorisation de la prospection minière sur les terres indigènes. Le gel de la démarcation des terres indigènes Depuis le décret présidentiel n° 88.118 du 23 février 1983 réglementant la procédure de délimitation des terres indigènes, le Conseil de sécurité national était associé aux décisions de la FUNAI, ce qui bloquait le processus d’homologation des terres. En quelque sorte, les militaires avaient un accès direct aux décisions de la FUNAI, vidant de sa substance l’organe étatique en charge de protéger les Indiens. Le gouvernement Sarney continuait dans cette voie, tant et si bien qu’en décembre 1985, aucune procédure d’homologation de réserve territoriale indigène n’avait été faite (soit au bout de neuf mois de pouvoir) : « Le décret 88.118 du général Figueiredo, vestige de la dictature militaire, loin d’être abrogé, fut délibérément utilisé par le gouvernement Sarney, à la fois comme mécanisme de spoliation généralisée et, suivant en cela l’exemple de

1. Id., p. 122.

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l’administration précédente en l’amplifiant encore, comme instrument de blocage »1.

Le Secrétaire du Conseil de sécurité nationale et chef du cabinet militaire du Président José Sarney, le général Bayma Denys, poussait même à redéfinir les territoires indigènes comme des terres productives appartenant à l’Union, et dont un module de cent hectares serait alloué par famille. Il était également le promoteur de l’idée selon laquelle l’Etat ne devait pas accorder de terres indigènes aux groupes situés géographiquement sur une zone frontalière et répartis de part et d’autre de la frontière. Par exemple, les Yanomamis sont situés sur la zone frontalière avec le Venezuela. Il y a donc des Yanomami brésiliens et des Yanomami vénézuéliens. Le général craignait un ralliement des Yanomami brésiliens et vénézuéliens dans des revendications séparatistes. C’est ce qui fut à l’origine du projet Calha Norte, comme nous le verrons par la suite. La réorganisation de la FUNAI Suite à la démission du 13e Président de la FUNAI2, Apoena Mireilles début 1986, une commission interministérielle fut mise sur pied dans le but de formuler un projet de restructuration de la FUNAI. Il fut décidé de décentraliser la FUNAI de manière à supprimer la majeure partie de l’administration centrale à Brasilia, et de créer des « super intendances exécutives régionales », au nombre de six3. A cela s’ajoutait une « Super intendance des questions foncières » à Brasilia4. Tout fut fait sans concertation aucune avec les organisations indigènes. Si bien que, lorsque la nouvelle administration fut créée, des mouvements de protestation éclatèrent chez les Indiens. Néanmoins, nonobstant leur prise de position, José Sarney signa le même jour, le décret n° 92.470, qui entérinait la nouvelle organisation de la FUNAI. Dès lors, c’est au niveau régional que les activités relatives au recensement – crucial pour la démarcation des territoires indigènes – et à l’utilisation des ressources naturelles situées sur les terri1. Id., p.125. 2. Cf. Annexe 2 : Les présidents de la FUNAI. 3. à Bélém, Cuiaba, Curutiba, Goiania, Manaus et Récife. 4. Décret n° 92.470/86.

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toires indigènes, étaient planifiées, coordonnées, exécutées et accompagnées. Ceci portait préjudice aux communautés indigènes, puisque ce genre de prérogatives au niveau régional favorisait les comportements clientélistes et la corruption. De plus, il est évident que ces mesures n’étaient pas faites pour le bien des Indiens, mais qu’elles favorisaient les intérêts économiques du pays. Il s’agissait d’une reconnaissance légale de la spoliation planifiée des terres indigènes. La prospection minière en terres indigènes Nous avons vu précédemment1 les manœuvres de l’administration Figueiredo pour tenter de légaliser la prospection et l’exploitation minière sur les territoires des Indiens. Or, c’est un arrêté ministériel du gouvernement Sarney qui, en juillet 1985, donna le pouvoir au Directeur du Département national de production minière (DNPM), radicalement anti-indien, de signer directement les autorisations de prospection minière (alors que le décret Figueiredo n’était pas encore réglementé). En l’espace de quelques mois, les autorisations augmentèrent de près de 124 %2 ! Suite aux protestations de l’UNI et du CIMI, le ministre des Mines et de l’Energie annula les autorisations et mit en place un groupe de travail3 pour créer une réglementation au décret 88.985, ce qui fut fait deux ans plus tard, et ne résolut en rien le problème pour les Indiens, puisque la finalité était de réguler l’exploitation minière sur leurs terres. Le rapport du groupe de travail ne fut jamais rendu public. Et les concessions de prospections dénoncées ne furent pas annulées. Cependant, aucune nouvelle concession ne fut octroyée par après. La conséquence fut une explosion des titres miniers en Amazonie, entre 1985 et 19864, affectant les terres indigènes de façon considérable.

1. Voir Chapitre 1. 2. Bruce Albert, 1987, op. cit., p. 132. 3. Arrêté commun du ministre des Mines et de l’Energie et du ministre de l’Intérieur, n° 692, prorogé par l’arrêt n° 1.332. 4. Cf. Annexe 9 : évolution de l’exploitation minière dans les TI.

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3. Intérêts géopolitiques et sécurité nationale Le projet Calha Norte Proposé en juin 1985, quelques mois avant la Nouvelle République, le projet Calha Norte (PCN) émanait de Bayma Denys, le Secrétaire du Conseil de sécurité nationale. Le concept reposait sur l’occupation militaire systématique de la zone frontalière se situant au nord du cours de l’Amazone-Solimoes (la rive gauche), et le développement économique de la région. Les mots d’ordre étaient sécurité nationale et développement. En tout, ce n’était pas moins de 14 % du territoire national brésilien qui était concerné1. En outre, le projet affectait cinquante-six ethnies, soit 53 700 individus représentant 25 % de la population indienne du Brésil2. Concrètement, la région nord-amazonienne se voyait divisée en trois zones : la zone riveraine (d’occupation plus traditionnelle), la zone frontalière (Colombie, Venezuela et les trois Guyanes) et la zone intérieure. C’est sur la zone frontalière qu’allait se concentrer le PCN, tout d’abord en délimitant une bande de cent cinquante kilomètres de large, tout le long des 6 500 kilomètres de frontières. Le côté positif du projet était la construction d’un réseau d’hôpitaux le long de la frontière au nord3, et la volonté affichée d’améliorer les services sociaux et le niveau de vie des populations locales4. Cependant, le PCN restait avant tout un projet de développement économique qui visait à attirer les investissements étrangers et à exploiter les ressources naturelles situées dans la zone concernée et sur les territoires indigènes. Le PCN prévoyait quatre axes fondamentaux d’intervention, dont le troisième consistait en une « politique indigéniste appropriée, coordonnée avec celles des pays voisins et prenant en compte les dimensions politiquement sensibles de la question indigène ainsi que ses répercussions internationales ; [un] renforcement 1. Marcio Santilli, « Projet Calha Norte : Politique indigéniste et frontières Nordamazoniennes », Ethnies, Paris, n° 11-12, 1990, p. 113. Il s’agit d’environ 6500 kilomètres de frontière avec la Colombie, le Venezuela et les trois Guyanes. 2. Bruce Albert, « Développement amazonien et sécurité nationale », Ethnies, Paris, n° 1112, 1990, p. 116. 3. Alcida Rita Ramos, 1991, op.cit., p. 165-166. 4. SG/CSN 1988 : 12-17, 19-23, cité dans Bruce Albert, 1990, op. cit., p. 119.

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de la FUNAI en matière de protection et d’assistance aux populations indigènes »1. Dans la pratique ceci se traduisit par le filtrage des demandes de démarcation des terres indigènes par un groupe de travail, selon les indications du Conseil national de sécurité, à savoir que devaient être exclues des délimitations les terres suivantes : 1) les territoires situés dans des zones de frontière ; 2) ceux dont la superficie était considérée comme trop importante ; 3) ceux situés près de villes ; 4) ceux coupés par des voies de communication. L’application de ces critères engendrait une réduction drastique des territoires indigènes. Par exemple, les Tikunas ne pouvaient obtenir que 10 % de leur territoire effectif2. De manière générale, le PCN consistait à réduire les terres indigènes de façon à sédentariser les Indiens et libérer les terres pour des compagnies de prospection minière et ainsi attirer les investissements dans la région. Il s’agissait clairement d’une politique d’acculturation forcée des Indiens. A cela s’ajoutait un isolement politique, puisque l’accès aux territoires des Indiens était soumis à habilitation par le PCN. En étaient donc exclus les militants proindigénistes, les représentants d’organisations indiennes, les anthropologues et missionnaires engagés, pour éviter le développement de velléités séparatistes des ethnies frontalières. De cette manière, l’assistance sanitaire, éducative, économique, alimentaire, fut uniquement promulguée par les militaires, pour créer une dépendance irréversible chez les Indiens. Ainsi, ils seraient plus facilement manipulables et corruptibles avec l’intrusion sur leur territoire d’entreprises d’extraction3. Une seule ethnie était explicitement nommée par le PCN : les Yanomami. En effet, c’est une ethnie nombreuse et dispersée sur un territoire de 94 191 kilomètres carrés, répartis le long de la frontière et sur les Etats de Roraima et Amazonas. De plus, elle est représentée par la Commission pro-Yanomami (CCPY), une ONG brésilienne influente créée en 1978, qui milite pour la démarcation d’un parc Yanomami. Ceci était vu d’un très mauvais œil par les militaires, qui craignaient des mouvements séparatistes de la part 1. Extrait de l’exposé des motifs n°018/85 (19/6/85) du SG/CSN, cité dans Bruce Albert, 1990, op. cit., p. 119. 2. Bruce Albert, 1987, op. cit., p. 138. 3. Marcio Santilli, 1990, op. cit., p. 113.

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de ces Indiens binationaux (Brésil-Venezuela), de mieux en mieux organisés, et soutenus par des organisations internationales1. La duperie de la création du Parc Yanomami Le Projet Calha Norte eut pour conséquence directe le règlement de la question foncière en territoire Yanomami. L’association CCPY militait depuis 1978 pour la création du Parc, et la visibilité internationale donnée à cette question poussa les militaires à agir rapidement. Le Conseil national de sécurité, de qui dépendait l’autorisation de démarcation des terres indigènes, depuis le décret n° 88.118, avait opposé son veto à la proposition de la FUNAI, en 1985, de démarquer un parc yanomami continu de 94 191 kilomètres carrés. En 1988, à grand renfort de couverture médiatique, le gouvernement brésilien annonça la création d’un parc yanomami de 80 000 kilomètres carrés. Il s’agissait de l’arrêté n°160, modifié en novembre par l’arrêté n° 2502. Or, dans la réalité, cette réserve n’avait rien à voir avec le plan de parc yanomami proposé par la FUNAI : il s’agissait d’un éclatement du territoire yanomami en vingt-deux zones régies par différents statuts administratifs de telle façon que ces territoires ne soient pas protégés contres les activités d’extraction. Ainsi, trois unités territoriales furent délimitées (deux forêts nationales et une réserve, soit 61 097 kilomètres carrés) au sein desquelles furent découpées dix-neuf aires indigènes, éparpillées dans les trois unités écologiques, représentant 24 352 kilomètres carrés3. Dès lors, seuls les dix-neuf « îlots » yanomami4 relevaient du droit des terres indigènes (droit de possession permanente et usufruit exclusif des Indiens) ; sur les forêts nationales et la réserve, ils bénéficiaient d’un « usage préférentiel », sans que fût précisé en quoi cela consistait. Au Brésil, les forêts nationales relèvent du Code forestier5. Selon son article 5, les forêts nationales sont destinées à 1. Bruce Albert, 1990, op. cit., p. 117. Il cite le terme d’ « Etat Yanomami indépendant » employé par les militaires (cf. SG/CSN 1985 : 4-5). 2. Au sujet des arrêtés 160 et 250, voir Bruce Albert, 1992, op. cit., p. 40. 3. Bruce Albert, 1990, op. cit ., p. 121. 4. Cf. Figure 1 : Le démembrement du territoire yanomami. 5. Loi 6.771 du 15 septembre 1965.

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l’exploitation commerciale du bois et des ressources du sous-sol1. Si bien que, dès juillet 1989, le ministre des Mines et de l’Industrie avait annoncé la création de trois réserves d’orpaillage dans la Forêt nationale de Roraima, hors territoire yanomami. Clairement, ces statuts fonciers ne permettaient pas, comme le voulait la nouvelle Constitution de 1988, une occupation permanente et un usage exclusif des terres indigènes par les Indiens.

Figure 1

Source : Survival, Ethnie, Paris, vol. 5, n° 11-12, 1990, p. 118.

1. Décret n° 97.627 du 10 avril 1989 : « les activités d’exploitation de sous-sol ne sont pas incompatibles avec le concept de forêt nationale ».

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La figure de la « colonie » indienne Les militaires avaient inventé une nouvelle stratégie pour intégrer les Indiens contre leur gré. Il s’agissait de la notion de « colonie indienne »1. Partie intégrante du Plan Calha Norte, les « colonies indiennes » seraient les terres indigènes destinées aux Indiens acculturés, tandis que les autres Indiens bénéficieraient de mesures protectionnistes dans des « aires indigènes ». Le décret n° 94.946 du 23 septembre 1987 créant ces nouvelles catégories foncières, stipulait que la FUNAI devait promouvoir le « développement » et « l’intégration progressive » des habitants des colonies indigènes. Cependant, cette initiative fut sans lendemain puisque la nouvelle Constitution de 1988 la rendit inconstitutionnelle. Le nouveau concept fut expérimenté sur les Indiens Tukano de Pari Cachoeira (région du Haut Rio Negro), avec leur « consentement ». Il s’agissait d’un marché forcé par les circonstances entre les Tukano et la compagnie minière Paranapanema. En effet, des Indiens Tikuna du Haut Solimões (Amazonas), ayant refusé de négocier avec les militaires, s’étaient retrouvés sans protection, et avaient fait les frais de convoiteurs de terres. Les Tikunas, en 1988, étaient l’ethnie la plus nombreuse parmi les Indiens du Brésil, avec vingt mille individus répartis sur six municipes2. Confrontés dès le XIXème siècle au contact permanent avec les civilisés, les Tikunas s’étaient petit à petit déculturés jusqu’à l’implantation de sept postes indigènes de la FUNAI, au milieu des années 70. Ceci permit enfin à ces Indiens d’obtenir la régularisation de leurs terres. Ils avaient revivifié leur culture et avaient intensivement lutté pour la reconnaissance légale de leur territoire depuis 1980. Si bien qu’entre 1982 et 1984, des dispositions avaient été prises par la FUNAI pour l’identification et la démarcation de leurs terres. Ce processus avait été gelé car ces terres se situaient dans une zone frontalière entrant dans le cadre du PCN. Parallèlement, la FUNAI tenta à plusieurs reprises de duper les 1. Alcida Rita Ramos, 1991, op. cit., p. 166. 2. João Pacheco de Oliveira et Antonio Carlos de Souza Lima, « Massacre d’Indiens dans le Nord Amazonien », Ethnies, Paris, n° 11-12, 1990, p. 136. Les six municipes : Tabatinga, Benjamin Constant, São Paulo de Olivença, Amatura, Santo Antonio de Iça et Tonantins.

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Indiens à popos de la démarcation de leurs terres, faisant monter la tension tant du côté indigène que du côté des exploitants alentours1. En mars 1988, les Tikuna obtinrent enfin la démarcation d’une réserve à São Leopoldo, fief d’une exploitation illégale de bois. Le 28 mars 1988, des hommes recrutés par Oscar de Almeida Castelo Branco, l’exploitant de bois en question, tentèrent d’exterminer le groupe de Tikuna de São Leopoldo, qui s’était rendu dans la municipalité de Benjamin Constant pour des démarches administratives conseillées par la FUNAI2. Alors qu’ils étaient sur le chemin pour Capacete, un groupe de Blancs armés les encercla par surprise et fit feu : quatorze Tikuna furent abattus et vingt-trois autres blessés3. Les Indiens étaient en litige avec l’entrepreneur qui exploitait illégalement du bois sur leur territoire. Les hommes de main d’Oscar de Almeida Castelo Branco furent gardés vingt-quatre heures en garde à vue puis relâchés. Cette désinvolture manifeste dans le traitement des crimes contre les Indiens renforçait la pression que leurs ennemis exerçaient contre eux. Surtout que les militaires du PCN avaient expulsé des territoires Tikuna les groupes de soutien et les anthropologues, sous prétexte qu’ils incitaient les Indiens à la révolte. Dans ce contexte, les autres Indiens de la région durent choisir entre faire un compromis avec les militaires ou bien être laissés sans défense sous le joug des envahisseurs. Les militaires choisirent d’expérimenter leur projet de « colonies indigènes » sur les Indiens Tukano, car, tout comme les Tikuna, ils étaient parmi les premiers à avoir revendiqué leurs droits territoriaux dans les années 70. Alors que le Conseil national de sécurité bloquait une proposition de démarcation de leur territoire faite par la FUNAI, les Indiens Tukano se rendirent à Brasília. A 1. Pour plus de détails, cf. João Pacheco de Oliveira et Antonio de Souza Lima, Id., pp. 138140. 2. En 2001, suite à la vague internationale de protestations, ce massacre a été jugé comme un « génocide », mais en novembre 2004, la Justice Fédérale brésilienne a acquitté le commanditaire de ce massacre, et réduit les peines des exécutants. A ce sujet, voir Brazzil Magazine du vendredi 12 novembre 2004, « Brazilian Justice Acquits Man Sentenced for 1988 Massacre of Indians » : http://www.brazzilmag.com/content/view/711/41. 3. Parmi les quatorze victimes, il y avait cinq garçons de cinq à douze ans, et parmi les blessés, trois enfants et deux vieillards. Voir à ce sujet le rapport d’Amnesty International « Etrangers dans notre pays » Les populations indigènes du Brésil, 2005 ; João Pacheco de Oliveira et Antonio Carlos de Souza Lima, 1990, op. cit. p. 141.

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l’entrevue qu’ils obtinrent avec Bayma Denys et le ministre de l’Intérieur, les militaires leur refusèrent toute démarcation de réserve indigène au motif qu’ils étaient déjà trop acculturés. La seule option possible, selon Bayma Denys, était la création de « colonies agricoles » telles que définies dans l’article 29 du Statut de l’Indien : des terres destinées aux activités agropastorales des Indiens acculturés, administrées par la FUNAI, mais auxquelles avaient accès tous les non-indiens. Les militaires leur firent comprendre que s’ils n’acceptaient pas, ils perdraient tous leurs droits sur leur territoire. La décision de refuser en bloc ce modèle de régularisation foncière fut prise par les Indiens lors d’une réunion extraordinaire à Pari Cachoeira, les 8 et 9 juin 1986 car ils ne voulaient pas avoir à partager leur terre avec les Blancs. A la place, les Tukano concédèrent une redéfinition des limites de leur réserve, c’est-à-dire une diminution de plus d’un million d’hectares, laissant l’entreprise Paranapema libre d’exercer ses activités minières dans les lieux où elle était déjà établie de fait. Un accord d’honneur fut scellé avec l’entreprise1. C’est sur cette base que dans le cadre du PCN le territoire Tukano fut divisé en forêts nationales et colonies indigènes. Les Tukano avaient toujours refusé de partager leurs terres avec les Blancs. Devant leur intransigeance, le Conseil national de sécurité créa une nouvelle catégorie foncière : les « colonies indigènes », dérivées des « colonies agricoles », où seraient mis en œuvre des programmes de développement communautaire, sans y faire entrer de colons blancs. Ces colonies indigènes seraient entourées de forêts nationales que des tiers pourraient exploiter avec leur accord. Finalement, le 26 janvier 1988, un arrêté ministériel2 déclara comme « occupation permanente » des Indiens Tukano et Maku la terre indigène Pari Cachoeira, subdivisée en trois colonies indigènes et deux forêts nationales3. La méthode était identique à celle utilisée pour la démarcation du territoire yanomami. De même, elle préférait l’entrée des capitaux à la protection effective des populations indigènes et de leur milieu. 1. Dominique Buchillet, « Pari Cachoeira, le laboratoire Tukano du projet Calha Norte », Ethnies, Paris, n° 11-12, 1990, p. 128 et suiv. 2. Arrêté ministériel n° 012. 3. Dominique Buchillet, 1990, op. cit., p. 133. Cf. Figure 2 : Démembrement de la terre Pari Cachoeira.

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Figure 2 Le démembrement de la T.I. Pari-Cachoeira et les « colonies indigènes » - Plan Calha Norte (1988)

Source : Dominique Buchillet, « Pari Cachoeira », Ethnie, Paris, vol. 5, n° 11-12, 1990, p. 131.

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Le but sous-jacent au Plan Calha Norte et de ses ramifications demeurait identique aux objectifs du Plan d’intégration nationale des années 1970, à savoir la réduction des territoires indigènes au profit des intérêts marchands. Mis en place sous un gouvernement « démocratique »1, il n’en demeurait pas moins très autoritaire tant par la qualité de ses organisateurs (le Conseil de sécurité national) que par ses moyens d’action (spoliations, accords forcés, expulsion des organisations militantes des territoires Yanomami…). C’était toujours les militaires qui menaient la danse en Amazonie. La politique mise en œuvre dans cette région l’était au détriment des droits de l’homme et en totale contradiction avec la nouvelle constitution de 19882. De manière générale, la Nouvelle République n’entraîna pas de changements positifs dans la politique indigéniste. Le retour à la démocratie n’eut pas de réelle incidence sur les droits des Indiens, et la culture assimilationniste prévalait toujours au sein des institutions brésiliennes. Alors que le mouvement indigène s’organisait, le gouvernement Sarney ne semblait pas disposé à l’accueillir comme un acteur à part entière dans le champ politique national, ni à considérer les Indiens comme des citoyens brésiliens. En laissant l’Amazonie entre les mains des militaires, il condamnait 60 %3 des Indiens brésiliens à subir une politique d’intégration forcée telle qu’elle avait été pratiquée sous le SPI, et ce sous couvert d’une doctrine de sécurité nationale. Le véritable enjeu résidait dans l’appropriation des terres des Indiens. Ainsi, comme le dit Bruce Albert : « La Nouvelle République n’aura ainsi fait que parachever une politique indigéniste conçue depuis les années 60 avant tout comme un instrument d’élimination des Indiens, obstacles humains au modèle d’occupation de l’Amazonie, conjuguant militarisation et grands investissements prédateurs ».

1. Le plan Calha Norte était un programme « spécial » intégré dans la première version du Plan de Développement de l’Amazonie 1985-1989, de la Nouvelle République (PDA). 2. Cf. Annexe 3 : Les effets du PCN sur les TI. 3. Au Brésil, les anthropologues considèrent que 60% des Indiens se situent en Amazonie Légale. L’Amazonie Légale comprend les six Etats de l’ancienne « Région Nord » (Amapá, Pará, Roraima, Amazonas, Acre et Rondônia).

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Parallèlement à cela, le gouvernement Sarney était chargé de mettre en place une assemblée constituante, chargée de rédiger la nouvelle constitution du Brésil démocratique. Dans cette tâche, la politique mise en œuvre renforça le poids des groupes de pression anti-indiens, notamment l’IBRAM, le lobby minier, qui souhaitait ouvrir les terres indigènes riches en minerais à l’exploitation. Or, de manière inattendue, les Indiens se mobilisèrent pour prendre activement part à l’assemblée constituante. Ainsi, même si sur le plan étatique la politique indigéniste était catastrophique, la société civile brésilienne était en effervescence et les Indiens prenaient part à ce mouvement, créant l’outil juridique qui serait à l’origine d’un revirement de situation en leur faveur.

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Chapitre 3 1988, un tournant pour les communautés indigènes 1. La Constitution : un apport législatif décisif La nouvelle Constitution brésilienne entra en vigueur le 5 octobre 1988. Elle était née après dix-huit mois de débats1, entre les différents acteurs de la société civile et les représentants élus de l’Assemblée constituante. La nouvelle Constitution se voulait ouverte aux propositions de la société civile. L’Assemblée constituante devait prendre acte des dépôts d’amendements populaires, lors de la rédaction du texte final. Toutes les catégories sociales de la société civiles ayant milité furent assez bien représentées dans la nouvelle Constitution, exception faite du mouvement des Sans terre2. De manière surprenante, la question des droits indigènes dans le texte constitutionnel constitua l’un des sujets les plus débattus. Une société civile active lors de la constituante Les Indiens dans le débat constitutionnel Certaines communautés indiennes se mobilisèrent et participèrent activement au processus qui mena à la rédaction finale du texte de la nouvelle Constitution. Leur présence dans la politique brésilienne était visible depuis l’élection de Mario Juruna à la Chambre des représentants, en 19823. Pour s’assurer une place dans le débat, l’UNI avait d’abord présenté huit candidats indiens aux élections des représentants de 1. Manuela Carneiro da Cunha, « L’Etat, les Indiens et la nouvelle Constitution », Ethnies, Paris, vol. 5, n° 11-12, 1990, p. 12. 2. Les Sans Terre n’ont rien obtenu en ce qui concerne la réforme agraire. Cf. Bérengère Marques-Pereira, cours POLT 024 « Régimes politiques : pays en développement », ULB, année scolaire 2005-2006 (Conférences). 3. Depuis son élection, Mario Juruna s’était différencié des autres députés par sa liberté de parole. Cette liberté lui était conférée par son incapacité juridique due à la tutelle de la FUNAI.

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l’Assemblée constituante, en 19861. Aucun n’ayant été élu, les Indiens lancèrent alors une campagne nationale sur le thème « Peuples indiens dans l’Assemblée constituante », hautement médiatisée. Dès lors, des Indiens de près de trente-cinq ethnies différentes se rendirent à Brasília et se relayèrent pour participer aux débats constitutionnels en 1987 et 19882. Parmi ceux-ci, il était à noter la présence importante et continue du peuple Kayapó. A leurs côtés, l’UNI et ses dirigeants (notamment Marcos Terena, Álvaro Tukano, Lino Miranha puis Ailton Krenak) assurèrent la représentation continue de l’ « indianité générique » au cours du processus3. Les organisations indiennes comptaient également avec le soutien d’organisations en faveur des droits de l’homme et des peuples indigènes. Parmi celles-ci, le Centre oecuménique de documentation (CEDI), le CIMI, la Comissão Pró-Índio de São Paulo [Commission pro-Indiens – CPI/SP], le Centro de Trabalho Indigenista [Centre de travail indigéniste – CTI], Oxfam et Cultural Survival participèrent à l’élaboration de plusieurs des amendements proposés4. A cela s’ajoutait un large mouvement de défense du droit à la citoyenneté nommé Ação Pela Cidadania [Action pour la citoyenneté], qui soutint la cause des droits des Indiens, et dont plus particulièrement le sénateur Severo Gomes devint l’un des porteparoles 5. Les groupes d’intérêts anti-indiens dans le débat constitutionnel Le principal opposant aux intérêts des Indiens, également présent lors du débat constitutionnel, était le lobby minier, en partie représenté par l’IBRAM6. Il souhaitait légaliser l’exploitation du sous-sol sur les terres indigènes. 1. dont Mario Juruna. 2. Maria Guadalupe Moog Rodrigues, « Indigenous Rights in Democratic Brazil », Human Rights Quarterly, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, vol. 24, n° 2, mai 2002, p. 494. 3. Bruce Albert, 1996, op. cit., p. 188. 4. Georgia O. Carvalho, « The politics of indigenous land rights in Brazil », Bulletin of Latin American Research, Elsevier Science Ltd., vol. 19, n° 4, octobre 2000, p. 468. 5. Ibid. 6. Instituto Brasileiro de Mineração. Parmi les autres lobbies anti-indiens se trouvaient également le Syndicat des chercheurs d’or d’Amazonie (União Syndical dos Garimpeiros da Amazônia Legal), l’Association des Importateurs-Exportateurs de bois (Associação dos Importadores e Exportadores de Madeira), l’Association des éleveurs de bétail du Ma-

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Peu après l’élection de l’Assemblée constituante, en 1986, un document de synthèse sur les concessions de prospection minière octroyées en terres indigènes1 fut rendu public. Ce document, rédigé conjointement par le CEDI et la Coordenação Nacional dos Geólogos (CONAGE), scandalisa jusqu’aux représentants constitutionnels. En effet, un nombre impressionnant de concessions avait été accordé (illégalement) : plus de 17,6 millions d’hectares étaient sollicités ou concédés pour l’exploitation dans soixante dix-sept terres indigènes, sous le contrôle de soixante-neuf entreprises ou groupes économiques2. Deux propositions d’amendements furent présentées à l’Assemblée constituante, en 1987. La première, rédigée par l’UNI3, tout comme la seconde, émanant du CIMI, proposaient l’interdiction des activités minières sur les terres indigènes par les sociétés privée et publiques, ce droit n’étant ouvert qu’aux Indiens eux-mêmes. En réponse à cela, le lobby minier mena une campagne de diffamation contre les organisations pro-indigénistes, largement relayée par la presse conservatiste4. Le CIMI et d’autres organisations furent accusés de bloquer l’accès des entreprises brésiliennes aux gisements de minerais amazoniens et de fomenter des alliances avec des entreprises étrangères. Tant et si bien qu’une commission d’enquête fut ouverte. Celle-ci innocenta les organisations accusées, mais le démenti fit beaucoup moins de tapage médiatique que les accusations.

ranhão (Associação dos Criadores de Gado do Maranhão), l’Association des entrepreneurs amazoniens (Associação dos Empresários de Amazônia – AEA) et l’Union Démocratique Ruraliste (União Democrática Ruralista – UDR). 1. Document intitulé « Empresas de Mineração e Terras Indígenas na Amazônia ». 2. ISA, Mineração em Terras Indígenas na Amazônia brasileira, São Paulo, mai 2005, p. 5. 3. Avec le soutien de dix-huit organisations indiennes, du CEDI et de l’ABA. 4. Notamment le quotidien O Estado de São Paulo : « « A conspiração contra o Brasil », 9 août 1987, cité par Maria Guadalupe Moog Rodrigues, 2002, op. cit., p. 497.

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L’Indien dans la nouvelle Constitution fédérale1 La nouvelle Constitution prévoit un chapitre spécifique entièrement dédié aux Indiens : Le Chapitre VIII « Des Indiens »2 du titre VIII « De l’Ordre social ». A cela s’ajoutent quelques dispositions dispersées tout au long du texte constitutionnel sur certains sujets précis. Le texte entérine les succès obtenus lors des négociations de la constituante par le lobby indigène. Tout d’abord, les Indiens ont obtenu des droits civiques et sont considérés comme des adultes. En second lieu, la Constitution supprime toute perspective assimilationniste et reconnaît la diversité culturelle des populations indigènes. Enfin, le texte garantit le droit à la terre aux Indiens et impose la délimitation totale des réserves territoriales d’ici à 1993. Une reconnaissance juridique La Constitution de 1988 atténue la capacité relative des Indiens. Ils quittent leur statut de mineurs pour celui de majeurs, qui leur reconnait le droit de plaider à la Cour, de se porter parties légitimes et de créer des organisations (article 232). Le texte reconnaît donc aux Indiens la capacité juridique. Si des Indiens portent plainte en défense de leurs droits et intérêts, le Ministère public doit intervenir à tous les actes du procès, de façon à défendre leurs droits et leur patrimoine, notamment foncier3. Les organisations indiennes obtiennent également la capacité juridique4. Elles pourront donc dorénavant être officialisées, c’està-dire déposer leurs statuts et ouvrir de manière autonome un compte bancaire. La tutelle ne pourra plus prétendre entraver l’expansion de telles associations, qui sont l’expression même des revendications indigènes. En cas de litige ou de poursuite au sujet des droits des Indiens, seule la justice fédérale est compétente5.

1. A ce sujet, cf. Secretaria de communicação de governo da presidência da Republica, Governo Fernando Henrique Cardoso, « Sociétés Indigènes et l’action du gouvernement », Brasilia, 1996, (www.planato.gov.br/publi_04/COLECAO/PUBLICA.HTM). 2. Cf. Annexe 4 : Extraits de la Constitution de 1988. 3. Article 129 v, de la Constitution de 1988. 4. Article 232 de la Constitution de 1988. 5. Article 109 xi, de la Constitution de 1988.

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Le caractère pluriculturel de la Nation brésilienne L’article 231 de la Constitution reconnaît une identité culturelle propre et différenciée aux Indiens, à travers leurs coutumes, langues, croyances et traditions. Elle reconnaît également qu’ils ont une organisation sociale particulière qu’il convient de préserver. L’Etat est en charge de protéger les « manifestations et cultures populaires des Indiens », car elles « participent au processus culturel national »1. La diversité ethnique est donc considérée comme une richesse culturelle, et non plus comme un stigmate à éradiquer. Pour la première fois au Brésil, la constitution reconnaît aux Indiens le droit à la différence. La reconnaissance de la culture propre des Indiens dans la Constitution implique une redéfinition de la communauté nationale. Jusqu’à présent, le Brésil reconnaissait une société nationale uniforme dans laquelle la seule option valable était l’intégration pure et simple de tous les groupes Indiens, considérés comme des étrangers. C’est pour cela que l’Etat faisait la guerre aux cultures indiennes, au moyen d’une politique ethnocidaire. Avec la nouvelle Constitution de 1988, les Indiens ont le droit de conserver leur identité propre et leur culture différenciée. La nature et les origines pluriethniques du pays sont donc implicitement reconnues. Mais peut-on réellement parler, à l’instar de Christian Gros, d’une « Nation multiculturelle »2 ? En ce qui nous concerne, nous ne pensons pas que ce terme soit applicable au cas brésilien. Le texte en luimême ne fait aucune référence explicite à un quelconque multiculturalisme. Certes, le Brésil reconnaît le droit à la diversité identitaire et culturelle de ses peuples indigènes et aux Quilombos3. Mais ceci ne semble pas se traduire par une égalité de principe entre les diverses composantes de la nation brésilienne. En effet, sur le plan civique, les Indiens restent privés de certains droits fondamentaux tels que le droit de vote (sauf sous certaines conditions) et ils restent régis par des lois à la philosophie évolutionniste : la loi 6.001 sur le Statut de l’Indien et le Code civil. De même, ils ne possèdent 1. Article 215§1 de la Constitution de 1988. 2. Christian Gros, « Le multiculturalisme à l’école : entre mythe et utopie », Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, vol. XXXI, n° 3, 2001, p. 61 ; Christian Gros, « Des territoires multiculturels ? », Cahiers des Amériques Latines, Paris, n° 45, 2004, pp. 30-49. 3. Ce sont les populations Noires descendantes d’esclaves fugitifs, qui ont conservé un mode de vie traditionnel. La Constitution de 1988 leur accorde également des droits fonciers.

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pas le droit de propriété au sens juridique du terme. Il s’agit donc selon nous d’une reconnaissance de l’origine pluriethnique de la Nation et non une sacralisation de la multi-culturalité du Brésil. Les cultures autochtones sont des richesses constitutives de la Nation brésilienne. Elles font partie du patrimoine culturel du Brésil. Dès lors, la préservation de ces cultures indigènes devient une prérogative de l’Etat1. Elle va donc tout naturellement s’accompagner de droits culturels différenciés tels que l’enseignement scolaire bilingue2. Selon les termes de Michel Agier, coexistent donc « une qualification symbolique de l’Indien et une déqualification sociale des populations indigènes »3. La Constitution se porte garante d’une certaine diversité ethnique pour les populations indigènes et afro-brésiliennes. De cette manière, toute idée d’incorporation des autochtones à la société nationale est supprimée du texte. Ceci est observable à l’article 22, qui donne à l’Union la compétence exclusive de légiférer sur les populations indigènes. Auparavant, les constitutions se reportaient à la compétence de l’Union pour « légiférer sur l’incorporation des sylvicoles à la communion nationale »4. Il n’est plus fait mention d’Indiens acculturés ou non acculturés. Dans ce cadre, les colonies indigènes, au sens du projet Calha Norte, sont parfaitement contraires à la Constitution, puisque le critère définissant leur emploi est le degré d’acculturation des Indiens se situant sur les territoires. Le droit à une identité culturelle différenciée passe par un enseignement différencié. Il se traduit par le droit à un enseignement fondamental bilingue pour les jeunes Indiens, et selon des procédés d’apprentissage spécifiques (article 215). Dans la majorité des cas, l’école est une institution étrangère à la culture des Indiens. Cependant, c’est quasiment le seul canal permettant d’accéder aux connaissances nécessaires pour comprendre et manipuler les codes de la société dominante. L’école est 1. Christian Gros, 2001, op. cit., p. 61. 2. Article 210, §2 de la Constitution de 1988. 3. Michel Agier, Maria Rosario G. de Carvalho, « Nation, race, culture : Les mouvements Noirs et Indiens au Brésil », Cahiers des Amériques Latines, Paris, n° 17, 1994, pp. 117-118. 4. Secretaria de communicação de governo da Presidência da Republica, 1996, op. cit.

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donc nécessaire pour que les Indiens puissent établir des relations plus égalitaires avec la société nationale. Dès lors, il est important d’utiliser si possible des procédés d’apprentissages propres, de façon à renforcer et valoriser la culture indigène (le but n’étant justement plus l’intégration des jeunes Indiens dans la société nationale). Dans sa Convention n°169, « relative aux peuples indigènes et tribaux », qui remplace en 1989 la Convention n° 107, jugée trop paternaliste, l’Organisation internationale du travail (OIT) évoque une éducation bilingue pour les Autochtones. Cette Convention n°169, qui sera ratifiée par le Brésil en 2002, reconnaît dans ses articles 28, 29 et 30, le droit des peuples autochtones à l’usage et à la préservation de leur langue ainsi qu’à des formes spécifiques d’éducation1. La nouvelle Constitution brésilienne va dans ce sens. Elle est même avant-gardiste par rapport à la Convention n°169 de l’OIT. Cependant, vu la situation des Indiens au Brésil, la mise en œuvre d’une telle éducation bilingue différenciée représente un défi de taille. En effet, au Brésil les Indiens se répartissent en deux cent vingt peuples environ, et parlent cent quatre-vingts langues différentes. Et parmi cette mosaïque de langues, cent dix sont parlées par moins de quatre cents individus2. Il paraît donc peu fonctionnel et très coûteux de développer un enseignement bilingue spécifique à chaque groupe. Comment alors satisfaire à toutes les demandes ?... Reste que l’inscription de ce potentiel dans la Constitution a un impact symbolique fort. Comme le précise Christian Gros, « les constitutions fonctionnent comme une sorte de mythe moderne […]. Avec la place nouvelle que [la Constitution] donne aux populations autochtones, à leurs langues, à leurs cultures, à leur devenir, c’est bien l’imaginaire national qui est ainsi retravaillé »3.

1. Cf. Annexe 5 : Extraits de la convention 169 de l’OIT. 2. Chiffres de l’Instituto SocioAmbiental : ISA, Aconteceu- Povos indigenas no Brasil, site Internet : http://www.socioambiental.org/pib/index.html (consulté le 29 mars 2007). 3. Christian Gros, « Le multiculturalisme à l’école, entre mythe et utopie », Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, vol. XXXI, n°3, 2001, p.63.

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Des droits fonciers L’une des grandes avancées de cette Constitution concerne le droit à la terre pour les Indiens. Non seulement les terres auxquelles ils peuvent prétendre sont définies très largement, mais surtout, leur droit « originaire » sur ces terres est reconnu1 ; c’est dire qu’il est antérieur à la formation du Brésil en tant qu’Etat indépendant, c’est affirmer officiellement que les Indiens sont les premiers habitants du Brésil. Dès lors, l’Etat brésilien se doit de délimiter, démarquer et protéger les terres indigènes. Selon l’article 231 §1 de la Constitution, il s’agit avant tout des terres « traditionnellement » occupées par les Indiens, c’est-à-dire les terres que les Indiens « habitent de manière permanente, celles qu’ils utilisent pour leurs activités productives, celles qui sont indispensables à la préservation des ressources du milieu naturel nécessaires à leur bien être et celles qui sont nécessaires à leur reproduction physique et culturelle, selon leurs usages, coutumes et traditions ». En somme, ce sont des éléments culturels (us, coutumes et traditions) qui légitiment en grande partie la délimitation des terres indigènes comme terres nécessaires à la subsistance et à la préservation des traditions du groupe. C’est donc un « habitat »2. La Constitution stipule que les Indiens ont un droit de possession permanent et inaliénable sur leur terre3. Ils jouissent de l’usufruit exclusif des richesses de leur terre, c’est-à-dire les richesses du sol, des cours d’eau et des lacs4. Cependant, la possession qui leur est conférée ne correspond pas à la notion de propriété du droit civil. En effet, ces terres appartiennent à l’Union (article 20, xi), ce qui est contraire à la Convention n° 169 de l’OIT et a été contesté par certaines organisations militantes5. Au Brésil, la Cons-

1. Article 231 de la Constitution de 1988. 2. Secretaria de communicação de governo da Presidência da Republica, 1996, op. cit. 3. Article 231, §2 de la Constitution de 1988. 4. Article 231, §2 de la Constitution de 1988. 5. Il faut noter que la Convention n° 169 de l’OIT est postérieure d’une année à la promulgation de la constitution du Brésil. L’ONG Survival International, dans sa publication « Dépossédés, les Indiens du Brésil », Ethnies, n° 28, 2000, soutient cette thèse.

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titution différencie donc la notion de territoire (indigène)1 et la notion de propriété (de l’Union). Dès lors, les terres sont en principe inaliénables et nonappropriables par des non-indiens2. Il existe cependant des exceptions autorisées par la Constitution. Des concessions minières peuvent être autorisées en terre indigène, mais seulement après autorisation du Congrès national et des populations indiennes concernées. Il en est de même pour l’utilisation des ressources hydriques3. Cette disposition est le fruit du travail des lobbies miniers durant la rédaction de la Constitution. En effet, les terres indigènes, surtout en Amazonie, sont très riches en ressources minérales et aurifères. Si une concession est accordée, une participation aux résultats de l’exploitation doit être assurée aux Indiens concernés4. Dans ce cas précis, les Indiens ont le droit d’exprimer leur avis sur l’utilisation des ressources de leur territoire. Il s’agit d’une grande nouveauté. Grâce à la possession permanente de leurs terres, les groupes indiens ne peuvent pas en être retirés. Là encore, la Constitution prévoit des exceptions en cas de catastrophe ou d’épidémie. Le Congrès national doit donner son accord par référendum. Si la souveraineté nationale est menacée, les Indiens peuvent également être déplacés, après approbation du Congrès5. Les terres des Indiens sont donc relativement bien protégées par les nouveaux statuts de la Constitution de 1988. De plus, cette dernière prévoit qu’en cas de non-respect des clauses concernant l’exploitation des ressources ou la propriété inaliénable des terres indigènes, les actes concernés sont nuls et non avenus et n’ouvrent pas droit à réparation6. Seules sont autorisées des dérogations au nom de « l’intérêt public ». Cette notion assez floue doit être préci-

1. Le territoire, au sens sociologique, peut être lié à l'identité culturelle des populations l'habitant, ou encore aux représentations que l'on s'en fait (définition de Wikipédia) : « Le territoire est une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale, donc) de l’espace, par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire. » Guy Di Méo (2000). Au sens politique, un territoire est défini comme « une portion de l’espace délimitée pour exercer un pouvoir. » Sack (1986). 2. Article 231, §4 de la Constitution de 1988. 3. Article 49 xvi et 231 §3 de la Constitution de 1988. 4. Article 231, §3 de la Constitution de 1988. 5. Article 231, §5 de la Constitution de 1988. 6. Article 231, §6 de la Constitution de 1988.

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sée ultérieurement dans une loi complémentaire. A ce jour, ceci n’a pas été fait et laisse un champ assez large d’interventions possibles. L’article 67 de la Constitution prévoit un délai de cinq ans pour terminer la démarcation de toutes les terres indigènes, c’est-à-dire jusqu’au 5 octobre 1993. Aujourd’hui, ce processus de démarcation n’a pas encore abouti.

2. L’émergence de la société civile indigène Militer pour l’inscription des droits indigènes au sein de la Constitution a beaucoup appris aux groupes déjà en place. Ils ont pris conscience de l’importance de la visibilité de leurs revendications et se sont organisés de plus en plus efficacement. Parallèlement, la Constitution de 19881 a légalisé, dans son article 232, la création d’organisations indiennes pouvant se porter parties lors d’un procès : elles ont acquis la personnalité juridique. Ceci a encouragé leur création. Naissance d’un ample mouvement associatif Les organisations indiennes se sont démultipliées à partir de 1988. Le Diretorio de Associações e Organizações Indigenas no Brasil ne recensait, en 1986, que huit organisations indiennes avec des statuts légaux, contre deux cent quatre-vingt-dix en 19992 (soit une multiplication par trente-six en dix ans). Elles sont pour la plupart enregistrées sous la forme d’« organisations de la société civile »3. Fin 2000, Bruce Albert dénombrait plus de trois cents associations indigènes au Brésil, dont cent quatre-vingts dans les six Etats du Nord (Acre, Amapá, Amazonas, Pará, Rondônia et Roraima)4.

1. Article 232 de la Constitution de 1988. 2. Chiffres cités dans Maria Guadalupe Moog Rodrigues, 2002, op. cit., p. 501. 3. Du type des « associations Loi de 1901 » françaises. Bruce Albert, « Associations amérindiennes et développement durable en Amazonie brésilienne », Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, vol. XXXI, n° 3, 2001, p. 49. 4. Id., p. 49. Pour une liste détaillée de ces associations, se reporter au site de l’ISA : http://www.socioambiental.org/pib/portugues/org/quadroorg.htm.

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En général, les organisations indiennes ont plutôt un caractère local (un village, le bassin d’une rivière1…) et ce, en raison de la grande diversité entre les groupes indiens au Brésil2. Les organisations locales ne bénéficient que de fonds non-gouvernementaux réduits et ponctuels. Elles sont donc très souvent volatiles et instables. L’ISA observe que certaines de ces petites organisations se réfèrent à une catégorie professionnelle au sein d’une ethnie (par exemple des professeurs : l’OPIAC - Organização dos Professores Indígenas do Acre (Acre) ; des agents de santé : l’AAISMS - Associação dos Agentes Indígenas de Saúde do Médio Solimões (Amazonas) ; etc.) Quelques organisations de femmes se sont également formées (AMAI - Associação das Mulheres de Assunção do Içana (Amazonas) ; Associação das Mulheres Indígenas JenipapoKanindé (Ceará) ; CONAMI - Conselho Nacional das Mulheres Indígenas (District Fédéral) ; etc.) Suites aux campagnes menées par les organisations proindigénistes à la fin des années 70 et au début des années 80, concernant la démarcation des terres yanomami, kayapó et waiãpi, quelques personnalités indigènes emblématiques se sont signalées sur la scène politique interethnique telles que les chefs Payakan et Raoni (Kayapó), Davi Kopenawa (Yanomami) ou encore Waiwai (Waiãpi). Des organisations kayapó et waiãpi ont été créées en 1993 et 1995, et les Yanomami demeurent essentiellement représentés par la CCPY de São Paulo3. Les Kayapó4 ont été très actifs lors des négociations pour la Constitution de 1988 et ont su pérenniser leur présence sur la scène politico-médiatique. En février 1989, ils ont organisé la première assemblée des Peuples Indigènes du Xingu d’Altamira (Pará). A 1. Association Ação Cultural Indígena Pankararu des Indiens de la périphérie de São Paulo (site internet : www.setor3.com.br/sitesolidario/pankararu/) ; Associação Guarani Nhe'em Porã (aldeia Krukutu - Saõ Paulo) : http://www.culturaguarani.hpg.ig.com.br/index.html. 2. Il y aurait 220 peuples et 180 langues parlées : Chiffres de l’Instituto SocioAmbiantal ISA , Aconteceu- Povos indigenas no Brasil, site internet : http://www.socioambiental.org/pib/index.html (consulté le 29 mars 2007). 3. La Commission Pro-Yanomami est une ONG de solidarité dont les cadres sont constitués d’anthropologues brésiliens et étrangers. 4. Voir à ce sujet Bruce Albert, 1997, op. cit., p.193 et suiv.

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cette assemblée étaient présents près de six cents dirigeants indiens, et presque autant d’invités non-indiens (ONG brésiliennes, américaines et européennes, et près de trois cents journalistes1). Elle avait pour objectif de montrer à grand renfort médiatique l’opposition des Indiens du Xingu à un projet de complexe hydroélectrique (barrages) d’Eletronorte sur le Rio Xingu. L’assemblée fut hautement médiatisée, alors que les Kayapó avaient reproduit l’un de leur villages en guise de campement pour les cinq jours que durait l’événement. De même, ils pratiquèrent publiquement un rite, la « cérémonie du maïs »2, qui a eû une efficacité médiatique remarquable, puisque le prêt de la Banque mondiale fut suspendu. Les Kayapó savent parfaitement bien utiliser leur altérité pour se faire entendre. Il s’est également créé un « noyau » d’organisations indiennes régionales ayant un accès régulier à des fonds importants et, entre autres, gouvernementaux. Ces organisations régionales, que nous nommerons fédérations, sont plutôt urbaines3. Elles se situent à différents niveaux. Sur le plan régional, il existe quelques organisations, comme par exemple l’União das Nações Indígenas do Acre [Union des Nations indigènes de l’Acre - UNI-AC] ; le Conselho Indígena de Roraima4 [Conseil indigène de Roraima – CIR] créé en 1989 ; la Federação das Organizações Indígenas do Rio Negro [Fédération des organisations indigènes du Rio Negro – FOIRN (Amazonas)] fondée en 1987. Une autre organisation, hors Amazonie, est l’Articulação dos Povos e Organizações Indígenas do Nordeste, Minas Gerais e Espírito Santo [Articulation des peuples et organisations indigènes du Nordeste, Minas Gerais et Espírito Santo – APOINME]. Au plan supérieur, la Coordenação das Organizações Indígenas da Amazônia Brasileira [COIAB] a été créée en 1989. Aujourd’hui, la COIAB regroupe en son sein soixante-quinze organisations indigènes amazoniennes, représentant cent soixante-

1. Maria Guadalupe Moog Rodrigues, 2002, op. cit., p. 495. 2. Baridjumoko 3. Bruce Albert, 2001, op. cit., p. 49. 4. Site du CIR : http://www.cir.org.br/.

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cinq peuples1. La COIAB est elle-même membre d’une confédération indigène transnationale, la Coordinadora de las Organizaciones Indígenas de la Cuenca Amazónica [Coordination des organisations indigènes du Bassin amazonien – COICA], créée en 1984. La COICA regroupe les principales organisations des neuf pays amazoniens2. Un effort pour fédérer les organisations au niveau national a été fait depuis 1991, avec la création du Conselho de Articulação dos Povos e Organizações Indígenas no Brasil [Conseil pour l’articulation entre les peuples indigènes et les organisations du Brésil – CAPOIB]. Deux assemblées en 1991 et l’année suivante, lors d’une réunion de la COIAB, sont à l’origine de la CAPOIB. Cette dernière a notamment compté sur l’appui du CIMI3. La CAPOIB n’est devenue réellement opérationnelle qu’après sa première assemblée générale, en avril 1995. Deux cent un chefs indigènes s’y rendirent, représentant soixante-dix-sept peuples et quatre cents Indiens4. De manière générale, les organisations indigènes cherchent à « réduire la distance qui les sépare de la structure sociale brésilienne, à revendiquer leur reconnaissance légale et leur participation politique. (…) [Il s’agit donc de] réduire leur minorité (au sens juridique d’individus mineurs) sociale et politique et, à partir de là, d’établir une relation moins asymétrique avec les groupes régionaux structurellement dominants et avec les institutions de l’Etat »5. Ceci a pour effet de créer un clivage entre les groupes acculturés et non acculturés. Nous pouvons voir, à travers l’exemple des Kayapó et des Xavante, que les actions radicales pratiquées par certains groupes ne sont tolérées que par ceux que les autorités nationales reconnaissent comme des « Indiens purs ou authentiques »6. Pourtant, ces groupes, qui ont gardé leurs traditions et leur langue, sont souvent ceux qui ont le mieux compris comment 1. Site de la COIAB : http://www.coiab.com.br (consulté le 7 avril 2007). 2. Site de la COICA : http://www.coica.org/index.html. 3. Bruce Albert, 1996, op. cit., p. 189. 4. Maria Guadalupe Moog Rodrigues, 2002, op. cit., p. 502. 5. Michel Agier et Maria Rosario G. de Carvalho, 1994, op. cit., p. 112. 6. Ibid.

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fonctionnait le système politique brésilien (ils ont compris l’importance de la médiatisation de leur image), et ont très bien su s’y adapter. Les Indiens de ces groupes ont souvent été érigés en leaders emblématiques, mobilisant un vaste public surtout international, par exemple le chef kayapó Raoni ou le chef yanomami Davi Kopenawa. L’internationalisation du mouvement Le mouvement indigène qui s’est développé au niveau régional (les assemblées de chefs indiens) et national (l’UNI) dans les années 1970 - 1980 a créé un nouvel espace politique qui a eu largement sa place dans les débats autour de la Constitution de 1988. Au cours des années 1990, le mouvement a trouvé un écho mondial. Cette dimension internationale sera consacrée par le « Sommet de la Terre » de Rio de Janeiro (1992) puisqu’il se trouve associé, à tort ou à raison, avec la question de la défense de l’environnement et des droits de l’Homme. Dès lors, les organisations indiennes ont eu à leur portée tout un panel de ressources financières allant du subside municipal à celui de la Banque mondiale. La mobilisation internationale et la fin du monopole évolutionniste L’action au niveau international a un potentiel beaucoup plus important qu’au niveau du cadre strictement national. Pour obtenir le support des organisations internationales, il fallait pouvoir formuler des demandes de manière à ce qu’elles puissent rentrer dans une discipline reconnue faisant cause sur la scène mondiale. Tous les pays n’ont pas des populations autochtones sur leur territoire et ne se sentent pas forcément concernés par une lutte qui peut sembler dérisoire. Dès lors, il fallait trouver un autre registre d’action. Le mouvement indigène pouvait se baser sur deux registres distincts : d’une part, le registre écologique de préservation de l’environnement, et, d’autre part, le registre de la défense des droits de l’Homme, en s’appuyant sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »1. Le mouvement indien, comme nous le verrons par la suite, s’est centré sur le registre le plus ac1. Article premier de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948).

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cessible et le plus effectif, à savoir, le mouvement écologiste1. Cette internationalisation du mouvement a notamment été rendue possible grâce à des groupes de soutien non-brésiliens2 qui ont relayé les demandes indigènes sur la scène internationale. Pour émouvoir le public international, le mouvement a fait en sorte de mettre un visage humain sur les revendications. Ainsi, des leaders indiens, de préférence non acculturés, ont émergés. C’est le cas du chef kayapó Paulinho Payakan, qui fut propulsé sur la scène internationale après que l’anthropologue Darryl Posey l’eût emmené à un congrès scientifique à Miami. Par la suite, Payakan a été utilisé comme figure emblématique pour faire pression sur la Banque mondiale, pour qu’elle cesse de financer les projets destructeurs de l’environnement au Brésil3. A ce sujet, un activiste américain du mouvement pro-indigéniste déclarait : « Nous avions besoin de quelqu’un qui représenterait le côté humain … Payakan avait une apparence authentique et, bien sûr, les ornements du chef kayapó ont constitué un très bon support médiatique. Il paraissait vraiment représenter la forêt… »4.

Cependant, ceci n’a pas empêché le chef kayapó de se corrompre, la décennie suivante, dans la vente d’une partie du bois de sa réserve5, à son propre profit, ce qui a provoqué de sérieuses dégradations écologiques et de graves inégalités sociales au sein des groupes concernés. Un autre leader qui a fait connaître la problématique indigène du Brésil sur la scène internationale est le chef kayapó Raoni, après avoir établi une relation directe avec le chanteur britannique Sting. Ce dernier a créé la Rainforest Foundation en 1989 et a emmené Raoni dans une tournée mondiale avec lui, de façon à médiatiser au possible la cause des Indiens du Brésil. Le but était de créer un parc national kayapó de 180 000 kilomètres carrés dans la région du Xingu. Raoni a rencontré de nombreuses personnalités qui lui 1. Alison Brysk, 1994, op. cit., p. 30. 2. Par exemple, l’association Cultural Survival. 3. Par exemple, en novembre 1988, Payakan est allé protester avec les membres de l’ONG Survival International, devant la Midland Bank, à Londres, contre le financement par cette banque et la Banque mondiale, d’une série de barrages sur le Xingu. Cf. photo dans Survival, Ethnies, Paris, Survival, vol. 5, n° 11-12, p. 23. En 1989, il fut le principal organisateur de la réunion d’Altamira contre le projet de barrage sur le Rio Xingu. 4. Interview du 21 mai 1992, retranscrit dans Alison Brysk, 1994, op. cit., p. 36. 5. Bruce Albert, 1996, op. cit., p. 195.

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ont apporté leur soutien, dont le Président français de l’époque, François Mitterrand. Le parc a été démarqué en 19931. Parallèlement, une nouvelle conception des peuples indigènes, moins évolutionniste émerge sur le plan international, permettant de relayer la cause des Indiens et de leurs organisations. La Convention n° 107 de l’OIT est remplacée par la Convention n° 169, plus favorable aux Indiens. Cette Convention met l’accent sur le droit à la diversité culturelle, la fin de la doctrine évolutionniste et le droit à la propriété collective (au sens juridique) de leurs terres par les peuples indigènes. La conscientisation des Banques multilatérales de développement Les Banques multilatérales de développement (BMD) participent au développement des pays dits en voie de développement en finançant, sous la forme de prêts, de grands projets dans des secteurs écologiquement sensibles, comme par exemple l’énergie (complexes hydro-électriques), les transports (construction de routes) et le développement rural (agriculture intensive). Ces projets, au nom du développement, font passer au second plan les préoccupations concernant les populations les plus défavorisées, dont les peuples indigènes font partie. Parmi ces organismes de financement, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement (BID) sont les plus actives. La Banque mondiale a commencé à financer à partir des années 19802 des projets à grande échelle au Brésil, qui prévoyaient certes une assistance aux populations autochtones touchées, mais sans grands effets dans la pratique. Ce fut le cas du projet Fer Carajas3, qui a eu pour conséquences un déboisement massif à renouveler chaque année pour servir de combustible aux usines implantées. Que ce soit sur des projets d’implantation d’usines, de construction de routes, ou encore d’immersion de régions entières par la construction de barrages, les populations locales n’avaient aucun pouvoir d’action ni 1. A ce sujet se reporter au site http://gertonline.free.fr/Raoni. 2. Stephan Schwartzman et Korinna Horta, « La Banque mondiale en Amazonie », Ethnies, Paris, vol. 5, n° 11-12, 1990, p. 24. 3. Projet grandiose mettant à profit le potentiel hydro-électrique de la région du Grand Carajas, de manière à exploiter à grande échelle les richesses minières de la région. Ce projet touchait quarante communautés indigènes représentant un total de 13000 individus (cf. Stephan Schwartzman et Korinna Horta, 1990, op. cit. p. 24).

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de décision. Ce constat n’était pas propre au Brésil. Il concernait tous les pays en voie de développement bénéficiant de prêts conditionnés1 de la part des BMD. Si bien que, dans la première moitié des années 80, des associations écologistes et indigénistes ont entamé une action (notamment aux Etats-Unis2, le plus gros donateur) pour faire prendre conscience des conséquences écologiques des projets financés par la Banque mondiale. Le mouvement a eu gain de cause puisque, en 1989, le Président de la Banque mondiale3 annonçait une réforme quant au traitement des questions environnementales. Ce changement s’est concrétisé, par exemple, lorsque la BID a menacé le Brésil de suspendre un prêt accordé en 1985 devant servir à paver une route allant de Porto Velho, dans l’Etat de Rondônia, à Rio Branco, dans l’Etat d’Acre. Il s’agissait de continuer la route BR-364. En 1988, les versements ont cessé jusqu’à ce que des mesures effectives de protection des populations indigènes et de protection de l’environnement soient prises4. Cette route aurait coupé une partie du territoire yanomami dans son prolongement à travers les Etats d’Amazonas et de Roraima5. Un Projet pour la protection de l’Environnement et des Communautés indigènes (PMACI) a été mis en place. Il s’agissait en réalité d’une duperie, puisque sous réserve de protection écologique, le territoire indigène était morcelé en dix-neuf îlots et deux forêts nationales. Aujourd’hui, les Banques multilatérales de développement parlent d’« écodéveloppement »6 et subordonnent leurs prêts au respect d’un cahier des charges rigoureux censé assurer un usage rationnel des ressources et respecter les droits de leurs habitants. La « directive opérationnelle DO 4.20 », en 1991, est venue définir la politique de la Banque mondiale destinée aux peuples indigènes. 1. Ces prêts sont conditionnés à l’exécution d’un projet de développement précis qui a été accordé par les pays « décideurs » de ces institutions (le nombre de voix de chaque pays membre est proportionnel à sa contribution dans le fonds de la BMD). 2. Campagne relayée aux Etats-Unis par l’Environmental Defense Fund. 3. Le ministre à cette date était B. Conable. Cf. Stephan Schwartzman et Korinna Horta, 1990, op. cit., p. 27. 4. Ibid. 5. Gregory M. Maney, « Rival Transnational Networks and Indigenous Rights : The San Blas Kuna in Panama and the Yanomami in Brazil », Research in Social Movements, Conflicts and Change, Kent State University, Patrick G. Coy Editor, JAI, Center for Applied Conflict Management, , vol. 23, 2001, p. 130. 6. Christian Gros, 2004, op. cit., p. 42.

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Elle prévoit un certain nombre d’obligations à respecter, dont la consultation systématique des peuples autochtones et la prise en compte de leurs vues et préoccupations dans tous les projets soutenus par la banque qui ont un impact sur leurs terres, leurs ressources ou leur culture1. De cette manière, la Banque mondiale peut influer sur la politique des pays et imposer des projets soutenables qui respectent les droits des peuples autochtones. Le positionnement écologique du mouvement indigène Jusque dans les années 80, le lobby de défense des droits de l’Homme restait fermé aux revendications des Indiens du Brésil. D’une part, la législation en vigueur (la Convention 107 de l’OIT) était très paternaliste et, d’autre part, les rares actions menées n’ont pas eu de conséquence réelle. L’Organisation des Etats américains (Organisation of American States – OAS) avait mis sur pied une commission pour écouter les plaintes des Indiens. Or le dénouement proposé était une médiation entre les Indiens et les auteurs des crimes. Des organisations de défense des droits de l’Homme comme Amnesty International restaient également absentes de cette région du monde. Ce n’est que plus tard que l’organisation publiera des rapports annuels sur les violations des droits de l’Homme concernant les Indiens. De manière générale, le lobby des droits de l’Homme n’était pas accessible aux Indiens. Le mouvement s’est donc tourné plus particulièrement vers le lobby écologiste. Leurs revendications respectives avaient un point commun : elles étaient reliées à la terre. De plus, les organisations écologistes avaient un poids important dans les pays occidentaux d’où elles étaient issues. Un des représentants du groupe de soutien Cultural Survival précisait : « Nous nous voyons comme une organisation de défense des droits de l’Homme au sens large, et c’était certainement notre premier terrain de contact avec les droits indigènes. Mais nous nous sommes déplacés davantage vers l’écologie … Clairement, cela fonctionne mieux2 ».

1. Conseil économique et social des Nations unies, « Examen des activités du système des Nations unies concernant les questions autochtones : débat interactif », New-York, 13-24 mai 2002, p. 3 (texte disponible sur Internet : http://www.un.org/french/events/indigenous/ecn1920022a12f.pdf). 2. Interview du 14 mai 1992, retranscrit dans Alyson Brysk, 1994, op. cit., p. 36.

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Il s’opéra alors un glissement des organisations pro-indigénistes vers l’écologie. C’est ainsi que le Centro Ecumênico de Doumentação et Informação (CEDI) de São Paulo est devenu Instituto SocioAmbiental (ISA). De même, l’OPAN a changé de nom : Operação Anchieta est devenue Operação Amazônia Nativa. L’alliance entre les organisations indiennes du Brésil et le mouvement écologiste a été scellée en 1989, lors de la conférence d’Altamira contre la construction d’un complexe hydro-électrique par Eletronorte dans la région ; et elle a atteint son point culminant en 1992, lors du Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro. Cette tendance a participé à la création d’une image romantique de l’Indien protecteur de la nature. Le discours écologiste repris dans les discours des Indiens s’est fait avec d’autant plus de créativité que « la dimension souvent apocalyptique de l’écologisme trouve un écho dans la lecture cosmologique qu’ils font de la destruction de leur environnement par l’avancée de la Frontière »1. Ceci n’est pas forcément une bonne chose sur le long terme, puisque ce nouvel imaginaire conditionne leur identité politique et la subordonne à une certaine vue de l’Indien. Il risque de se créer un nouveau clivage entre les « vrais » et les « faux » Indiens selon leur rapport à l’environnement. Par exemple, les Waiãpi de l’Etat d’Amapá se sont lancés dans une activité d’orpaillage (non polluante)2 dans leur réserve, grâce au soutien du Centro de Trabalho Indigenista (CTI)3. Grâce aux revenus tirés de l’orpaillage, ce groupe a réussi à regagner de l’indépendance et ainsi à conserver son identité tout en pouvant se procurer des produits de base brésiliens (des vêtements, du sucre, du sel …)4. L’autodétermination des Indiens passe aussi par le libre choix de la façon plus ou moins écologique dont ils utiliseront leurs ressources naturelles. Ce n’est qu’après la Conférence d’Iquitos, en 1991, que les Indiens ont noué des liens avec les lobbies de défense des droits de l’Homme. Ils ont poussé les écologistes à passer d’un ethos purement « préservationniste » à une stratégie de développement du1. Bruce Albert, 1994, op. cit., p. 18-19. 2. Bruce Albert, 2001, op. cit., p. 55. 3. Création de l’APINA (Conselho das Aldeias Waiãpi) qui met sur pied des projets dans les communautés Waiãpi. 4. Survival, « Dépossédés, les Indiens du Brésil », Ethnies, Paris, n° 28, 2002, p. 42.

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rable bénéficiant à l’environnement. Amnesty International a alors créé un compte rendu spécial et lancé une campagne en faveur des peuples indigènes. Après le Sommet de la Terre de Rio, l’ONU a déclaré 1993 comme l’« Année des peuples indigènes ». Cette dernière a été suivie par la « Décade des peuples indigènes ». Le paradoxe des organisations indiennes Le paradoxe du mouvement indien est très bien résumé par les propos de Christian Gros. Selon lui, les organisations indigènes qui réussiront le mieux seront celles qui auront : « la capacité, assez remarquable, […] d’articuler différentes logiques apparemment peu conciliables : revendication identitaire et demande d’intégration ; volonté d’affirmer une autonomie et capacité à passer des alliances ; référence à une histoire, une tradition, et un désir de modernisation ; revendications de droits généraux (comme les droits de l’individu et du citoyen) et défense des droits particuliers (comme les droits autochtones) ; attitude contestataire face au pouvoir et appel à l’Etat protecteur et dispensateur de ressources ; forte expressivité dans la conduite du mouvement et aussi réelle capacité instrumentale ; création d’organisations nouvelles, mais aussi respect et appui aux formes d’organisations traditionnelles ; ancrage territorial et 1 référents globaux, etc. » .

Ces mouvements ont comme principal objectif la lutte pour la reconnaissance des droits autochtones (droit à la terre, droit à la diversité culturelle, droit au respect), mais également la reconnaissance des droits à la citoyenneté brésilienne. D’une certaine façon, pour atteindre la question de l’accès à la citoyenneté, ces groupes utilisent les signes de la différence ethnique2. Ce qui est paradoxal puisque les citoyens, dans une démocratie, sont égaux devant la loi. Or, leur condition d’Indiens « originaires » leur ouvre droit à toute une série d’avantages, notamment fonciers, dont ne disposent pas d’autres couches de la société brésilienne tout aussi défavorisées (par exemple les Sans terre). A travers cette lutte pour la reconnaissance de leurs droits, les Indiens souhaitent une intégration

1. Christian Gros, 2001, op. cit., p. 64. 2. Michel Agier et Maria Rosario G. de Carvalho, 1994, op. cit., p. 107.

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dans la Nation, mais construite sur le respect de leurs différences, de leurs valeurs et de leurs droits1. La Constitution de 1988 ouvre de grandes perspectives en matière de droits pour les Indiens. Certes, certaines dispositions de la Constitution doivent être précisées par des lois applicatives, mais le tronc d’ensemble est assez satisfaisant. Il est évident que la mobilisation directe des Indiens lors des préparatifs de l’Assemblée constituante a joué un rôle essentiel dans cette avancée. Cependant, dans les faits, les Indiens d’Amazonie (60 %) ne profitent pas de ce renouveau constitutionnel, puisqu’ils sont sous le joug des militaires. En effet, le projet Calha Norte et ses ramifications sont une réalité pour les ethnies d’Amazonie. De fait, nous voyons bien le caractère anticonstitutionnel d’un tel projet puisqu’il est guidé par une vision civilisatrice, aux antipodes des nouveaux idéaux de reconnaissance pluriethnique de la société brésilienne. Cependant, ce projet militaire reste possible grâce à la clause de l’article 231 §5 prévoyant une atteinte aux droits territoriaux des Indiens en cas de risque pour la « souveraineté du pays ». Et c’est bien ce qu’invoquent les militaires lorsqu’ils mettent en avant la Sécurité Nationale et des risques de mouvements séparatistes, notamment de la part des Yanomami. De par la nouvelle organisation des pouvoirs de la Constitution, il appartiendra désormais au Chef d’Etat brésilien d’assumer la démocratisation du Brésil en faisant appliquer la Constitution sur l’ensemble du territoire. L’entrave la plus flagrante à l’application de la nouvelle Constitution réside dans la législation antérieure du Statut de l’Indien. Ce Statut reste en vigueur et représente la loi commune régissant le droit indigène. Or, il n’est pas compatible avec la Constitution de 1988. Il met l’accent sur « l’intégration progressive et harmonieuse des Indiens et des communautés indigènes à la Nation » et reconnaît plusieurs classes d’Indiens selon leur degré d’acculturation (Indiens isolés, en voie d’intégration, et intégrés)2. Cet objectif a 1. Christian Gros, « Indiens et Démocratie en Amérique Latine », Ethnies, Paris, n° 29-30, 2003, p. 148. 2. Loi 6001/73, citée dans Secretaria de communicação de governo da Presidência da Republica, 1996, op. cit.

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été banni de la nouvelle Constitution. Dès lors, les dispositifs du Statut restent en vigueur, à condition de ne pas entrer en conflit avec la Constitution. Mais comme la Constitution n’évoque que des principes généraux et que le Statut de l’Indien est une loi d’application plus précise, la marge d’appréciation est assez large. Par exemple, le Plan Calha Norte, parfaitement inconstitutionnel, est tout à fait légal du point de vue du Statut de l’Indien. Il dépendra donc de la plus ou moins grande complaisance du juge d’accepter ou non de tels projets. Le flou juridique laisse reposer beaucoup de pouvoirs sur un seul homme. Très vite, la nécessité s’est fait sentir de reconsidérer le Statut de l’Indien. La même critique peut être faite vis-à-vis du Code civil en vigueur, qui met l’accent sur la relative incapacité des Indiens. Dans ces conditions, ils n’ont pas d’accès aux droits conférés par la citoyenneté brésilienne. Ceci entraîne une interrogation quant à l’effectivité réelle d’une telle Constitution. Certains auteurs la considèrent comme un « programme papier », qui se concrétise par une politique intégrationniste sur le terrain1. La Chambre des députés a nommé une commission spéciale chargée d’étudier le sujet, en 19922. Trois projets de loi ont été présentés à la chambre des députés : le premier provenait de l’exécutif3, et les deux autres d’ONG4. Aujourd’hui [2007], le projet du nouveau Statut de l’Indien, appelé Statut des sociétés indigènes5 est en suspens. Malgré le consensus obtenu en mai 2001 par la chambre des députés sur un texte6, le nouveau Statut reste en attente, oublié ou bloqué dans les couloirs du Sénat fédéral7.

1. Carlos Frederico Marés de Souza Jr, « On Brazil and its Indians », in Donna Lee Van Cott (coord.), Indigenous peoples and democracy in Latin America, New York, St Martin’s Press, 1994, p. 219. 2. Secretaria de communicação de governo da Presidencia da Republica, 1996, op. cit.. 3. Projet de loi n° 2.160/91. 4. Projets de loi n° 2.619/92 émanant du CIMI, et n° 2.057/91 émanant du Núcleo de Derechos Indígenas. Pour plus de détails sur ces projets de loi se reporter à Enio Cordeiro, « Politica indigenista del Brasil y autodeterminacion », América Indígena, México, vol. LIV, n° 3, juil.-sept. 1994, p. 63. 5. Dominique Buchillet, « Droits constitutionnels, ressources génétiques, protection du patrimoine génétique et des savoirs traditionnels des populations indigènes (Brésil) », Journal de la Société des Américanistes, Paris, tome 88, 2002, p. 248. 6. Projet de Loi n° 2057/91 de Luciano Pizzatto. 7. Dominique Buchillet, 2002, op. cit., p. 248.

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DEUXIEME PARTIE La politique indigéniste et ses acteurs depuis 30 ans

« L’appartenance identitaire est toujours multiple » Amin Maalouf, 2001. « Pour qu’une culture vive et se développe, il faut qu’elle soit à la fois ouverte et fermée : trop ouverte elle disparait dans sa spécificité et est absorbée par plus fort qu’elle ; trop fermée, elle dépérit inexorablement » Christian Gros, 2001. « Ethnic cultures, born on resistance and adaptation to domination, must be seen as transformative and relational rather than timeless, capsulized essences » Garfield Seth, 2001.

Chapitre 1 La politique indigéniste de Fernando Collor de Mello à Lula La politique indigéniste, au Brésil, à l’instar des sujets jugés « secondaires »1 par les dirigeants, a connu un traitement très variable selon les gouvernements en place. A la sensibilité humaniste des dirigeants viennent se greffer des paramètres extérieurs à prendre en considération. La démocratie est jeune au Brésil, et les groupes de pression de l’ère militaire sont encore actifs dans le pays. De plus, le système électoral impose aux partis progressistes, encore trop fragiles face aux intérêts économiques et militaires, la formation de coalitions. Cette situation explique d’une part de fortes pressions sur le Président (provenant des membres de sa coalition) et d’autre part l’émergence de sujets plus ou moins prioritaires dans la politique nationale. Dans ce contexte, la politique indigéniste peut être analysée comme le résultat d’un rapport de force entre plusieurs groupes en présence. D’un côté, le lobby indigéniste pousse à aller de l’avant dans la démarcation des terres indigènes et dans la préservation de la forêt amazonienne. Ce mouvement est soutenu par des anthropologues brésiliens et étrangers, par le mouvement écologiste mondial et, de manière générale, par les pays occidentaux dits « développés » (qui voient leur intérêt dans la préservation du « poumon de la planète »2). La faiblesse du mouvement indien à l’intérieur du pays est donc en partie compensée par la pression internationale (l’histoire récente a montré que le Brésil est sensible à son image sur la scène internationale). D’un autre côté, les groupes de pression favorables au développement économique du pays et à l’exploitation des richesses amazoniennes sont nombreux et très puissants au Brésil. Ces groupes possèdent l’argent, le pouvoir et, bien souvent maintiennent des situations de fait (irrégulières, comme par exemple l’occupation illégale des 1. Par exemple l’écologie. Ces sujets sont jugés « secondaires » dans un pays en développement comme le Brésil. Les sujets politiques « prioritaires » sont l’économie et les finances du pays. 2. Union européenne ; France (Jacques Chirac en 2001) ; ONU …

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terres indigènes). Ces acteurs « développementalistes » sont visibles tout particulièrement sur trois fronts au Brésil: ce sont les compagnies minières brésiliennes et multinationales, les exploitants de bois et les grands propriétaires terriens (cultivateurs1 et éleveurs de bétail). Il résulte de ces paramètres un traitement variable de la politique indigéniste au gré des cycles politiques. Ceci a été particulièrement évident lors des mandats des deux derniers Présidents en fonction, Fernando Henrique Cardoso et Lula, car ils ont couru pour un double mandat. Dans les deux cas, il est possible d’observer un début de premier mandat présidentiel sensible à la question indigène et plutôt favorable aux Indiens dans son traitement. La fin du premier mandat est quant à elle marquée par un regain de conservatisme et une limitation (réduction ?) des droits des Indiens sur leurs terres. Il est possible d’y voir les signes d’un accroissement du poids des forces « développementalistes », dans une stratégie de réélection. Dès lors, de façon assez surprenante, ce sont sous les mandats des deux derniers Présidents, pourtant considérés comme des hommes de gauche, que les initiatives les plus défavorables aux Indiens ont été prises, parmi d’autres décisions plus favorables. A l’inverse, le Président précédent, Fernando Collor de Mello, malgré son programme économique néolibéral2, a pratiqué une politique bénéfique aux Indiens et hautement médiatisée à l’international. Néanmoins, la courte durée de son mandat vient nuancer cette constatation.

1. Notons l’expansion récente des cultivateurs de soja et l’autorisation (temporaire) par Lula de la culture de plants transgéniques dans le Mato Grosso (suite à la pression des agriculteurs qui ont illégalement importé ces semis) alors que la vente et la consommation de produits transgéniques sont interdites au Brésil. 2. Fernando Collor, jusque là inconnu, a été élu sur un mot : faire rentrer le Brésil dans la modernité. Il est « l’homme neuf » de la campagne présidentielle de 1989. Il sera déchu de ses fonctions en 1992, suite à un scandale de corruption.

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1. Une politique progressiste : 1989-1994 En 1989, Fernando Collor de Mello est le premier Président du Brésil à avoir été élu au suffrage universel direct. Ceci est important à souligner, car la campagne électorale qui a suivi la rédaction de la Constitution a intégré de nouveaux thèmes. Les questions noires et indiennes, qui ont suscité tant de débats lors de la constituante, ont été incorporées dans les programmes des principaux partis politiques1. Depuis cette époque, les candidatures de certains partis (PT, PMDB, PDT2) ont été attribuées à des dirigeants noirs ou indiens. A partir de 1991, le gouvernement Collor a commencé à percevoir positivement les opportunités de financements étrangers pour les actions de protection de l’environnement. Ces subsides qui concernent en priorité l’Amazonie ont permis de démarquer et d’homologuer de nombreuses terres indigènes3. La communauté internationale a commencé à se mobiliser pour défendre les Yanomami à partir de 1988. Ainsi, l’ONU a décerné le Prix mondial de son programme environnemental à Davi Kopenawa Yanomami, chamane et leader charismatique des Yanomami. De cette manière, la lutte pour la terre de son peuple a pu être amplement médiatisée à l’étranger. Des ONG européennes telles que Survival International ont porté l’affaire des « îlots Yanomami » devant les représentants politiques européens et devant l’Union européenne4. L’action internationale a été soutenue à l’intérieur du Brésil par certains représentants de la société civile et notamment par le sénateur Fernando Henrique Cardoso. Si bien que, lorsque Fernando Collor de Mello nouvellement élu s’est rendu en Europe, il a dû faire face à de nombreuses critiques et à une opinion publique échaudée. A son retour au Brésil, le Président fit expulser les chercheurs d’or du territoire Yanomami. La politique indigéniste, pour le gouvernement Collor de Mello, va désormais être un moyen de se faire bien voir sur la scène 1. Michel Agier et Maria Rosario G. de Carvalho, 1994, op. cit., p. 119; Carlos Frederico Marés de Souza, 1994, op. cit., p. 227. 2. PT-Parti des Travailleurs (gauche) ; PMDB-Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (centre gauche), PDT-Parti Démocratique Travailliste. 3. João Pacheco de Oliveira, (coord.), Indigenismo e territorialização: Poderes, rotinas e saberes coloniais no Brasil contemporâneo, Rio de Janeiro, Fundação Ford, 1998, p. 13. 4. María Guadalupe Moog Rodrigues, 2002, op. cit., p. 500.

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internationale et par la même occasion de capter des financements externes1. La création du Parc Yanomami Dès le 24 mars 1990, le nouveau Président du Brésil entreprend de rendre visite aux Yanomami. Suite à cette rencontre, il annonce qu’une nouvelle étude de délimitation des terres yanomami sera exécutée. Il souhaite également une reformulation du projet Calha Norte2. A cet égard, le Président neutralise certains aspects de l’hégémonie militaire en Amazonie. Ceci provoque des tensions entre les militaires et la présidence de la République. Fernando Collor de Mello est le premier Président à assumer les pleins pouvoirs que lui confère son mandat. Bien sûr, les militaires ont toujours un certain poids dans la politique indigéniste, mais ils n’en ont plus le monopole. Le gouvernement Collor cherche à concilier l’ouverture du champ politique aux acteurs civils et l’ouverture du champ économique au modèle de développement tel qu’il avait été mis en place par les militaires. Dans cette situation où la démocratie fut imposée, la politique indigéniste allait enfin pouvoir se développer réellement de manière positive. La politique indigéniste échappe clairement à la tutelle de l’armée avec la promulgation d’un nouveau décret régissant la procédure de démarcation des terres indigènes : le décret 22 du 4 février 1991. L’armée est exclue de la nouvelle procédure. Le décret 22 proposait en outre de fixer l’échéance des démarcations foncières au 5 octobre 1993. Ce texte est accompagné des décrets 23, 24, 25 et 26, qui transfèrent certains domaines d’action de la FUNAI aux ministères concernés (éducation, santé, environnement, agriculture). Dans cette décentralisation, la FUNAI est principalement reléguée dans le rôle de proposer les délimitations des terres indigènes. Mais la décision finale appartient au ministre de la Justice.

1. Sara Gavney Moore, Maria Carmen Lemos, « Indigenous Policy in Brazil : The Development of Decree 1775 and the Proposed Raposa/Serra do Sol Reserve, Roraima, Brazil », Human Rights Quarterly, Maryland, The Johns Hopkins University Press, vol. 21, n° 2, mai 1999, p. 449. 2. Pour perdurer, le PCN devra s’accompagner d’une politique environnementale sérieuse. Cf. Bruce Albert, 1992, op. cit., p. 57.

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Le décret du SADEN (1987) qui avait permis la création de terres indigènes discontinues le long de la frontière (les « aires » et « colonies » indigènes) est annulé par l’Avocat général pour son inconstitutionnalité. Lors de la journée de l’Indien, le 19 avril 1991, le Président Fernando Collor de Mello révoque les limites du territoire Yanomami telles qu’elles avaient été définies en 1988. Le territoire est placé sous interdit en attendant les nouvelles délimitations1. Le même mois, un projet médical fut mis en place pour les Yanomami qui souffraient de sérieuses épidémies. Le Président Fernando Collor de Mello a finalement signé le décret de démarcation d’une terre indigène yanomami continue, la veille du Sommet de Rio. Cet acte sans aucun doute politique n’en est pas moins une grande avancée dans l’application du droit indigène brésilien. Une volonté affichée d’adapter le Statut de l’Indien à la nouvelle Constitution Comme nous l’avons vu précédemment, la loi 6.001/73 régissant en pratique les rapports entre les Indiens et l’Etat est inconstitutionnelle sous certains aspects. En effet, alors que la nouvelle Constitution met l’accent sur un développement différencié et la protection des valeurs culturelles des Indiens, le Statut de l’Indien est dominé par une philosophie évolutionniste et intégrationniste. Au début des années 1990, la FUNAI, le CIMI et le NDI ont soumis des propositions au Congrès fédéral pour une nouvelle loi du Statut de l’Indien. En 1993, un groupe de travail interministériel formé de sénateurs, de députés, de représentants indigènes et d’organisations pro-indigènes ont travaillé sur le sujet2. En juillet 1994, après plusieurs mois de discussions, le groupe de travail, coordonné par le député Luciano Pizzatto, est arrivé à un accord : le projet de loi n° 2 057/91. Ce projet avait à l’époque été approuvé par la Chambre des représentants. Cependant, avant même d’arriver au Sénat, le texte a dû être réexaminé par la Chambre des représentants, en décembre 1994, suite à un recours 1. Bruce Albert, 1992, op. cit., p. 61. 2. Georgia O. Carvalho, 2000, op. cit., p. 474.

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introduit par cinquante-six députés1. Le Président Fernando Henrique Cardoso lui-même (1er janvier 1995-31 décembre 2002) s’était montré très critique vis-à-vis de ce texte. Dès lors, le projet de loi est resté paralysé à la Chambre des représentants. La nomination de Nelson Jobim au ministère de la Justice ouvrait une ère de regain de conservatisme et un rapport de force favorable aux lobbies « développementalistes ». L’activisme du lobby « développementaliste » De puissants lobbies anti-indiens ont fait pression depuis 1988 pour modérer la politique indigéniste pratiquée par le gouvernement. Ces pressions ont parfois consisté en des campagnes de diffamation comme celle mentionnée précédemment. Une première campagne avait été menée en 1987. Elle fut réactivée en 1990. La position prise par les « développementalistes » en 1987 avait été largement relayée par la presse conservatiste : les lobbies internationaux et l’Eglise catholique auraient dit aux Indiens d’exiger qu’on leur donnât de très vastes terres, riches en minerais, de façon à saper les intérêts nationaux2. Ces fausses accusations avaient été démenties par les enquêtes parlementaires qui s’ensuivirent. En 1990, la démarcation de la terre indigène yanomami fut définie par des politiciens locaux et nationaux comme étant le résultat d’un complot international ayant pour but d’empêcher les brésiliens d’exploiter leurs minerais3. Ces accusations pernicieuses n’eurent pas d’incidence réelle sur la démarcation du territoire yanomami. Cependant, depuis cette époque le lobby « développementaliste » fait campagne pour l’annulation de la terre yanomami4 et pour la révision des critères utilisés pour démarquer les terres 1. Le chef de file de cette coalition était le député Arthur da Távola (PSDB-Rio de Janeiro). La demande provenait du ministre de la Justice en personne, Nelson Jobim (1/01/1995 7/04/1997). Cf. Georgia O. Carvalho, 2000, op. cit., p. 474. 2. Id., p. 467. 3. Id., p. 469. 4. Suite la campagne de diffamation, Jair Bolsonaro a introduit un projet de loi qui propose l’annulation de la démarcation de la Terre Indigène yanomami (Projecto de Decreto Legislativo 365/1993). Mis au placard pendant plusieurs années, le projet a été réactivé le 3 mars 1999. Plus récemment, en 2004, le projet de loi PLS 188/2004 modifiait les démarcations des Terres Indigènes situées dans des zones frontalières, pour des raisons de Défense Nationale. Pour voir les projets de loi concernant les Indiens, se référer au site du CIMI, (http://www.cimi.org.br/?system=news&eid=236).

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indigènes. Par exemple, en 1993, lors de la réforme de la Constitution fédérale (réforme prévue initialement dans le texte original), près de soixante-dix textes réformant le droit originaire des Indiens à la terre ont été proposés. A cette occasion, plusieurs organisations indiennes sous la direction d'Ailton Krenak1, des organisations proindiennes2 et des ONG internationales3 se sont mobilisées. Une véritable compétition entre les indigénistes et les « développementalistes » s’ensuivit si bien que le coordinateur de la réforme constitutionnelle, Nelson Jobim, opta pour un compromis, nommant Fábio Feldman4 sous-coordinateur de la réforme. Comme nous l’avons vu, les lobbies « développementalistes » ont fait de gros efforts pour tenter de réduire les droits des Indiens, et surtout leurs droits fonciers. Pendant la période 1989-1994, les tentatives ont souvent échoué à cause des importantes mobilisations du lobby indigéniste. Cependant, ces mobilisations, souvent appuyées par des organisations internationales, sont restées sporadiques. De plus, la volonté de donner une bonne image du Brésil à l’international par le gouvernement Collor a joué en leur faveur. Le premier janvier 1995, Nelson Jobim (partisan de la coalition « développementaliste ») a été nommé ministre de la Justice par le nouveau Président Fernando Henrique Cardoso. Cette opportunité pour les « développementalistes » va ouvrir une ère de regain de conservatisme dans le traitement de la politique indigéniste au Brésil.

1. Dont la COIAB et la CAPOIB. 2. Dont le Núcleo de Direitos Indígenas (NDI), le Centro Ecumênico de Documentação e Informação (CEDI), la Comissão Pró-Indio (CPI), le Centro de Trabalho Indigenista (CTI), le Instituto de Estudos Sócio-Econômicos (INESC), le Grupo de Trabalho Amazônico (GTA), l’Associação Brasileira de Antropología (ABA), l’Ordem dos Adrogados do Brasil (OAB). 3. Dont Survival International, The Environmental Defence Fund, The Amazon Coalition et Amanak’a Network. 4. Militant du PSDB et pro-Indien. Grâce à son action, les droits territoriaux des Indiens ne furent pas révisés.

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2. Un virage conservateur à peine masqué : 1994-2000 Fernando Henrique Cardoso est à l’origine un politicien à tendance progressiste qui avait promis lors de son mandat électoral de réaliser la démarcation de toutes les terres indigènes et de systématiser le dialogue avec les représentants indigènes. Son élection aurait pu constituer une occasion pour les peuples indigènes de voir appliqués leurs droits fonciers. Or, la coalition de partis l’ayant mené au pouvoir va quelque peu lui lier les mains et lui imposer des concessions lourdes de conséquences sur les Indiens. Cependant, nous allons voir que le bilan de la politique indigéniste menée par Fernando Henrique Cardoso, en 2002, est plutôt positif dans les faits. Le seul problème est qu’il a mis en place des mécanismes structurels qui auront des répercussions sur les Indiens au-delà de ses mandats, ce qui pouvait s’avérer dangereux, surtout si les Présidents suivants n’avaient pas cette fibre sociale. La première atteinte directe aux droits des Indiens fut sans doute d’avoir nommé Nelson Jobim ministre de la Justice dès janvier 1995. Après avoir nommé Márcio José Brando Santilli Président de la FUNAI, geste apparemment d’ouverture, il ne fallut pas longtemps pour que Nelson Jobim mît en œuvre le programme – qu’il soutenait personnellement – de réduction des droits fonciers des Indiens. Le « décret génocide » Peu après sa nomination au ministère de la Justice, Nelson Jobim initia une discussion sur le principe contradictoire1. Il s’agit du droit légal permettant de contredire ou de mettre en doute les démarcations des terres indigènes. Ce droit représentait clairement une opportunité pour les intérêts économiques qui convoitaient les terres indigènes (que ce soit pour l’exploitation de leur sous-sol, de leur bois, ou d’autres richesses naturelles) mais également pour les propriétaires terriens qui avaient été expulsés de ces terres suite à un processus de démarcation. L’argument avancé fut celui d’une 1. Contraditório. Cf. IWGIA « New decree threatens the integrity of Indigenous territories », Indigenous Affairs, Amsterdam, n° 1, jan.-fév.-mars 1996, p. 8 ; Dominique Buchillet, « Le décret 1775/96 : une nouvelle forme de spoliation des territoires indigènes ? », Journal de la Société des Américanistes, Paris, tome 82, 1996, pp. 341.

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inconstitutionnalité du décret 22 régissant le processus de démarcation des terres indigènes, car il ne prévoyait pas la possibilité pour les intéressés de faire un recours en contestation. La Constitution stipule pourtant que les contrats concernant des terres indigènes sont nuls et non avenus, et n’ouvrent pas droit à indemnisation. Dans ces conditions, il ne semble pas que la fermeture au principe contradictoire soit inconstitutionnelle. C’était d’ailleurs l’opinion soutenue par le Ministère public fédéral brésilien1. En revanche, considérer comme des motifs de contestation les titres de propriété existant sur les terres indigènes est anticonstitutionnel. Pourtant, le 8 janvier 1996, le décret 1775/96 fut signé. Il modifiait la procédure de démarcation des terres indigènes2 et y incorporait le principe contradictoire. Ainsi, tout intéressé pouvait, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la promulgation, contester la délimitation de la terre indigène telle que proposée par la FUNAI. Le plus surprenant est que ce droit fut appliqué rétrospectivement. C’est-à-dire qu’il touchait non seulement toutes les terres indigènes à démarquer, mais également toutes celles qui avaient déjà été démarquées avant la promulgation du décret3 ! La décision finale de l’acceptation ou du rejet des requêtes contradictoires appartiendrait au seul ministre de la Justice. Éminemment politique, cette décision donne un pouvoir discrétionnaire à un seul homme, dont les aspirations indianophiles varient selon les gouvernements en place. Ce peut être très préjudiciable. Ce décret eut comme premier effet un déferlement d’actions en contradiction : mille soixante-six requêtes pour réviser près de soixante-dix terres indigènes. Alors que la FUNAI avait rejeté toutes les requêtes, le ministre de la Justice considéra que parmi celles-ci, quatre cent dix-neuf concernant trente-quatre terres indigènes étaient pertinentes4. Il décida en fin de compte que parmi ces trente-quatre terres indigènes, huit devraient être révisées : les TI

1. Dominique Buchillet « Les vieux démons de la politique indigéniste au Brésil » Journal de la Société des Américanistes, Paris, tome 81, 1995, p. 270. 2. A ce sujet, voir la Partie 2-Chapitre 2. 3. Seules étaient exemptes, les terres indigènes enregistrées au SPU (une minorité). 4. Georgia O. Carvalho, 2000, op. cit., p. 473.

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Raposa/Serra do Sol des Makuxi1 (Roraima), Sete Cerros des Guarani/Kaiowa (Mato Grosso), Krikati (Maranhão), Kampa do Rio Envira (Acre), Apyterewa et Bau des Paracana et Kayapó (Pará) et les deux terres Evare I et Seruini Mariene des Tikuna (Amazonas)2. Parmi les requêtes, certaines provenaient directement d’Etats brésiliens : les Etats du Pará et de Rondônia, par exemple, ont contesté toutes les terres indigènes présentes dans leur Etat3. Les protestations furent vives de la part des activistes proindiens. Une campagne nationale fut menée par le CIMI et l’ISA. A l’étranger, Survival International et Oxfam se mobilisèrent et envoyèrent des lettres aux gouvernements européens, demandant qu’ils suspendent leurs aides financières concernant les Indiens du Brésil (projet Rainforest Trust Fund)4. Avec Amnesty International et Amanak’a Network, ces ONG allèrent protester auprès de l’ambassadeur brésilien à Londres. Le parlement européen finit par voter une résolution condamnant les actions du gouvernement brésilien, et recommandant la suspension des projets de développement financés au Brésil, jusqu’à la révocation du décret. Devant une telle opposition, Nelson Jobim en personne se rendit en Europe pour éviter le gel des financements européens et du programme pilote du G75. Il argumenta alors en faveur de son décret sans lequel la procédure de démarcation des terres indigènes aurait été en péril. L’ouverture de cette procédure au principe contradictoire représentait, selon lui, le seul moyen pour la légitimer6. L’ouverture au principe contradictoire était donc un moyen de sécuriser le processus de démarcation des terres indigènes ! Après cette visite les gouvernements des pays européens se démobilisèrent.

1. Makuxi, Wapishana, Taurepany, Patamona, Ingarikó. 2. Julio Feferman et Beto Borge, « Brazil’s Indians on Alert as Government Hears Final Land Rights Appeals », Summer Fall, vol. XIII, n° 2, 1996 ; Dominique Buchillet, « Les conséquences du décret présidentiel n° 1775/96 pour les droits territoriaux des indiens », Journal de la Société des Américanistes, Paris, tome 83, 1997, p. 295. Cf. Figure 3 : Conséquences du décret génocide sur les TI. 3. Julio Feferman et Beto Borge, 1996, op. cit. (http://forests.org/archived_site/today/recent/1996/lasthrbr.htm). 4. Georgia O. Carvalho, 2000, op. cit., p. 473. 5. PPG7: programme pilote financé par le G7 pour la conservation de la forêt amazonienne. 6. Georgia O. Carvalho, 2000, op. cit., p. 474.

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Figure 3 Conséquences du Décret 1.775/96 sur les T.I. Application rétroactive du principe contradictoire

Source: ISA, « Terras Indígenas no Brasil: um balanço da era Jobim », Documentos do ISA, Brasília, n° 3, 1997, p. 12.

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Le cas de la terre indigène Raposa/Serra do Sol La terre indigène Raposa/Serra do Sol fait partie des huit TI qui devaient être réexaminée par la FUNAI. Or, les études complémentaires demandées furent boycottées par l’organe indigéniste, en signe de protestation. La médiatisation de la visite de Nelson Jobim aux Indiens laissait présager un dénouement qui leur serait favorable. Cependant, le 20 décembre 1996, la décision ministérielle n°801 rendit les requêtes des orpailleurs inconstitutionnelles, tout en reconnaissant que des ajustements étaient nécessaires aux limites de la terre indigène. En fait, il s’agissait d’en exclure les zones de population non indienne déjà consolidées2. Cette décision, éminemment politique, prenait donc en compte les situations de fait pour la démarcation des terres, au mépris des principes constitutionnels. Cette légitimation des invasions illégales provoquait une perte de 300 000 hectares et le morcellement de la terre indigène3. En effet, si la terre indigène avait été démarquée de façon continue, l’Etat de Roraima, dans lequel elle se situe, aurait été largement recouvert par des terres indigènes puisque le parc yanomami représentait déjà quelques 9 664 980 hectares4, soit 43 % de la superficie totale5. Cette problématique pose toujours problème aujourd’hui. Un bilan mitigé pour Fernando Henrique Cardoso Des ambitions économiques conservatrices et dommageables En 1997, Fernando Henrique Cardoso annonça un programme de colonisation sur sept millions d’hectares dans le Roraima. C’est donc sans surprise que les garimpeiros et les colons retournèrent envahir en masse les terres yanomami6. 1. Despacho 80 du 20 décembre 1996. 2. Les cinq villes d’orpailleur créées par le gouverneur de l’Etat de Roraima, Neudo Campos ainsi que les routes utilisées par les fronts d’invasion. Cf. IWGIA « Cut up in Raposa », Indigenous Affairs, Amsterdam, n° 1, jan.-fév.-mars 1997, pp. 8-12. 3. Dominique Buchillet, 1997, op. cit. 4. ISA, « Caracterização Socioambiental das TI no Brasil », visité le 6 mai 2008, www.socioambiental.org. 5. Selon le portail du gouvernement, le Roraima a une superficie de 22 429 800 hectares : www.rr.gov.br, visité le 6 mai 2008. 6. Gregory M. Maney, 2001, op. cit., p. 125.

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En 1999, sous la pression des groupes de pression « développementalistes », Fernando Henrique Cardoso alla même jusqu’à réduire la Réserve des Makuxi, le long du territoire yanomami. Ces pressions clairement obtenues dans un but politique permirent la réélection de Fernando Henrique Cardoso en 1999. Un bilan pourtant positif en fin de mandat Lors de son premier mandat, Fernando Henrique Cardoso avait alloué des fonds plutôt modestes à la politique indigéniste avec une nette baisse en 1998, l’année de sa réélection. Cependant, à partir de 1999, les fonds alloués grimpèrent en flèche jusqu’à atteindre 205 835 000 R$. La majeure partie de ces fonds étaient attribués à la Santé (65 %). A la fin de son mandat, le deuxième plus gros poste était celui des terres (15 %)1. Le Président, libéré de ses contraintes politiques, pouvait enfin porter l’attention qu’il souhaitait à la question indigène et ainsi démarquer une grande quantité de terres indigènes. Dans le bilan de la présidence de Fernando Henrique Cardoso, la démarcation des terres indigènes a une place privilégiée puisqu’il permit l’autorisation de cent quarante-cinq terres et la déclaration de cent dix-huit autres, représentant un total de 41 043 hectares.

3. Une politique indigéniste récente marquée par les aléas des cycles politiques : 2000-2007 La fin du mandat de Fernando Henrique Cardoso a été plus favorable aux questions indigènes (2000-2002). La rédaction du nouveau Code civil et la ratification de la Convention n° 169 de l’O.I.T. constituent même de grandes avancées au regard du droit autochtone. Il est probable qu’en l’absence de perspective de réélection, les pressions des groupes conservateurs ont eu moins d’effet sur le Président. L’élection de Lula en 2002 allait porter un souffle nouveau et susciter de grands espoirs. Son programme clairement tourné en 1. INESC, A era FHC e o Governo Lula : transição ?, Brasília, avril 2004, p. 303. Cf. Annexe 6 : Fonds alloués à la politique indigéniste sous F.H.C.

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faveur des plus démunis (dont font partie les Indiens) comportait certains points précis d’importance pour eux, comme par exemple la démarcation effective et continue de la terre indigène Raposa/Serra do Sol qui avait été réduite par l’ancien ministre de la Justice, Nelson Jobim, en 1996. Cependant, la trajectoire de la politique mise en œuvre par Lula a été assez similaire à celle de Fernando Henrique Cardoso. D’importants progrès au regard du droit Le nouveau Code civil (2002-2003) Le nouveau Code civil, publié le 10 janvier 2002, sous Fernando Henrique Cardoso, constitue une avancée majeure : il libère les Indiens de l’incapacité relative à laquelle ils étaient toujours assujettis dans l’ancien code1. En effet, celui-ci déclarait dans ses articles 5 et 6 que : « Sont absolument incapables d’exercer personnellement les actes de la vie civile : 1) les mineurs de moins de 16 ans ; 2) les fous de tout genre ; 3) les sourds-muets qui ne pourraient exprimer leur volonté » 2. « Sont incapables, relativement à certains actes ou à la manière de les exercer : 1) les personnes âgées de 16 à 21 ans ; 2) les pródigos [ceux qui ont des comportements irresponsables] ; 3) les femmes mariées tant que dure l’union conjugale3, et ; 4) les sylvicoles. Paragraphe unique : les sylvicoles seront soumis au régime tutélaire, établi par des lois et des règlements spécifiques, qui cessera au fur et à mesure de leur adaptation à la civilisation du pays » 4.

Aujourd’hui, la condition d’Indien n’est plus une entrave à l’exercice de leurs droits sociopolitiques. De plus, le nouveau Code civil se conforme à la Constitution qui rejette toute idée d’intégration graduelle des Indiens dans la Nation brésilienne. Sur le plan moral, cela peut être interprété comme la reconnaissance officielle par l’Etat brésilien de l’égalité en droit entre les Brésiliens et les Indiens. L’Etat leur reconnaît la capacité à réflé1. L’ancien Code Civil était la Loi n° 3.071 du 1 janvier 1916, révisée par la Loi 3.725 du 15 janvier 1919. 2. Article 5 du Code Civil de 1916, cité dans Dominique Buchillet, 2002, op. cit., p. 250. 3. Les femmes mariées ont été retirées des incapables relatifs en 1962. 4. Article 6 du Code Civil de 1916, cité dans Dominique Buchillet, 2002, op. cit., p. 250.

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chir comme des hommes libres et avisés. Dans ce sens, le nouveau Code civil reconnaît enfin aux Indiens la citoyenneté. Sur le plan pratique, cela ouvre le droit de vote aux Indiens, qu’ils vivent de façon sédentaire (urbanisés ou non) ou seminomadique (dans un isolement volontaire). A cet égard, l’électorat indigène va gagner en importance stratégique, devenant lors de l’élection de 2002 une des cibles de la campagne de Lula1. La nouvelle situation des Indiens est néanmoins soumise à une législation spécifique, selon l’article 4 du nouveau code. Il est à noter que la notion de capacité relative à laquelle les Indiens étaient auparavant soumis est encore présente dans le Statut de l’Indien, d’où une réelle nécessité de le réviser. Entré en vigueur le 10 janvier 2003, et bien accueilli par les Indiens, le nouveau Code civil a profité à Lula, élu en novembre de la même année, créant un climat propice au dialogue avec les dirigeants indigènes. La ratification de la Convention 169 de l’O.I.T. Le Brésil a ratifié la Convention n° 169 de l’OIT le 19 juin 20022. Cette Convention est venue se substituer à la Convention n°107 de l’OIT que le Brésil avait ratifié. Cette dernière était vivement critiquée depuis les années 80 pour sa vision clairement intégrationniste, en contradiction avec l’évolution de la pensée ethnologique. La deuxième partie de la Convention 169 porte sur les droits territoriaux et les ressources naturelles des terres indigènes et tribales. Elle impose notamment que les Indiens soient les propriétaires collectifs de leurs terres, ce qui n’était pas pour plaire à tous les membres du Congrès. Le projet de loi 34/93 qui a permis la ratification du texte de l’O.I.T. était bloqué au Congrès depuis plus de 10 ans3.

1. Le recensement démographique de 2000 pratiqué par l’IBGE estime qu’environ 730 000 individus se considèrent Indiens au Brésil (Indiens urbain compris : cf. Annexe 1). L’Institut SocioAmbiental considère que parmi ceux-ci, environ 480 000 vivent dans les terres indigènes (http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/qoqindex.shtm). 2. La Convention 169 avait été adoptée lors de 76è conférence Internationale du Travail, en 1989. Elle est rentrée en vigueur en 1991. 3. Dominique Buchillet, 2002, op. cit., p. 251.

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Lula : de l’inquiétude à la suspicion Les promesses électorales : « the commitments » Lula a bâti un programme électoral en faveur des couches modestes de la population. Les Indiens n’en ont pas été exclus. Ses promesses et ses déclarations ont provoqué, à son bénéfice, une participation massive des Indiens détenteurs du droit de vote. Le candidat avait même pris des engagements fermes répertoriés dans son Commitment to the Indigenous Peoples of Brazil lancé en septembre 2002. Or, jusqu’en avril 2007, le gouvernement Lula n’avait toujours pas donné signe de l’application d’une stratégie cohérente concernant la politique indigéniste. Certes certains territoires avaient été démarqués et ratifiés, mais la politique n’avait pas d’orientation claire, ce qui exacerbait les erreurs et les omissions des gouvernements précédents. Le problème majeur était que le gouvernement s’était montré incapable de répondre aux attentes qu’il avait fait naître, rendant plus grande la sensation de duperie ressentie par les Indiens. Lula a été vivement critiqué par les organisations indigènes qui s’étaient initialement mobilisées1 lors de la campagne présidentielle de 2002. Une pratique du pouvoir décevante La situation des Indiens du Brésil a semblé se dégrader lors du premier mandat de Lula. Cette dégradation a principalement touché deux secteurs : la santé indigène et les droits de l’Homme. Durant cette période, les meurtres de dirigeants indiens se sont multipliés au Brésil. La hausse des tensions concernant les terres n’y était pas étrangère. La Justice brésilienne a eu également tendance à criminaliser les Indiens et favoriser les requêtes des « développementalistes » sur le sujet des terres. Ainsi, plusieurs terres indigènes ont été réduites légalement ou illégalement, sans que le ministre de la Justice ou le Président de la FUNAI ne s’en inquiètent. La terre indigène Baú des Kayapó, dans le Sud de l’Etat du Pará, a ainsi vu sa superficie réduite de près de 17 %2. Ceci a été qualifié de « bonne négo1. IWGIA, The Indigenous World 2002-2003, Copenhagen, 2003, p. 157. 2. COIAB et APOINME, Manifesto de repúdio contra a política indigenista do Governo Lula, Manaus e Alagoas, 3 août 2004. Cf. Annexe 7 : Manifesto de repúdio.

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ciation » par le Président de la FUNAI de l’époque, Mércio Pereira Gomes. Le Président de la FUNAI de septembre 2003 à mars 2007, Mércio Pereira Gomes, représentait une menace pour les intérêts des Indiens. Son action, très controversée, ne semblait pas protéger leurs intérêts. Il a d’ailleurs déclaré en 2005 que le processus de démarcation des terres avait atteint une ampleur trop importante et qu’il convenait de le freiner. A cela s’ajoutait un budget de la FUNAI réduit. Certains Indiens se sont plaints d’une complicité entre la Justice et les intérêts économiques du pays. Ainsi, le Statut de l’Indien toujours en vigueur a été parfois utilisé de façon à priver les Indiens de leurs droits (se faire représenter par un avocat, par exemple)1. Les postes de la FUNASA ont été attribués politiquement. La santé indigène a connu une crise depuis l’accession de Lula au pouvoir. Les pouvoirs fédéraux sont régulièrement interpellés par les organisations de défense des Indiens, suite aux épidémies. A cela s’ajoute un accroissement de la malnutrition. Alors que Lula se faisait un point d’honneur de son programme « Faim zéro », des Indiens meurent régulièrement de sous-nutrition, notamment chez les Guarani, l’une des ethnies les plus sinistrées par la répartition des terres. La réaction du ministre de la Santé, Humberto Costa (PT) a été de déclarer en 2005 qu’ « il n’y a pas plus de morts qu’il n’y en a normalement »2. En 2004, la FUNASA a pourtant dépensé plus d’argent en déplacements de ses fonctionnaires qu’en médicaments pour les Indiens3. Pour ce qui est des violations des droits de l’homme, la violence vis-à-vis des Indiens s’est accrue ces dernières années. Les dirigeants indigènes qui mènent campagne pour la démarcation de leurs terres sont victimes de menaces de mort qui sont régulière-

1. Marta Carvantes et Daniel Garibotti, « Lula est prisonnier des groupes qui ont des intérêts dans les territoires indigènes – Interview de Marcos Luidson de Araujo, dirigeant du peuple indigène Xucurú, Brésil », Réseau d’Information et de Solidarité avec l’Amérique Latine (RISAL), 28 janvier 2004. 2. Ministério das Relações Exteriores, « La faim tue encore des Indiens », Noticário, Seleção Diária de Notícias Internacionais, 11 avril 2005. 3. Ibid.

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ment exécutées. L’année 2005 remporte le triste record des assassinats de dirigeants indiens1. Les Indiens ont la sensation que, depuis la venue au pouvoir de Lula, les changements espérés n’ont pas eu lieu et que, au contraire, leur situation a empiré. La justice est plus corrompue, la FUNAI n’agit que sous pression (des Indiens comme des « développementalistes ») et de manière générale le climat de tension et de violence a augmenté2. La question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’une incompréhension de la question indigène ou d’une réelle incapacité politique à mettre en œuvre le programme présidentiel en la matière. Une incompétence larvée serait due au fait que les membres du parti des travailleurs ont voulu occuper un maximum de grands ministères. Il en résulte que les députés et les ministres ne sont pas nommés aux bons postes. Ceci entraîne la nomination de personnes qui n’ont aucune connaissance dans le domaine qui leur est imparti3 et donne l’impression d’un manque de compréhension de la part du gouvernement. Selon Marcos Luidson de Araujo, dirigeant du peuple Xucurú, « Lula est prisonnier des groupes qui ont des intérêts dans les territoires indigènes »4. Ainsi le gouvernement serait ligoté par les alliances grâce auxquelles il a été élu. Cette explication n’est pourtant pas la seule… Il apparaît que le gouvernement Lula ne fait pas exception et qu’il a eu tendance à céder aux pressions des groupes d’intérêts économiques, au mépris de ses engagements envers les Indiens5. C’est ainsi qu’en 2006, le déboisement de l’Amazonie a été autant si ce n’est plus intensif qu’en 1982, une année pourtant record6. C’était la conséquence d’une privatisation de l’Amazonie avec cinq 1. Silvio Cavuscens « Avant Lula, il y avait davantage de dialogue avec les Indigènes », Le Courrier, Genève, 13 janvier 2007 ; Survival, News, 9 janvier 2006. 2. Marta Carvantes et Daniel Garibotti, 2004, op. cit.. 3. Silvio Cavuscens, 2007, op. cit. 4. Marta Carvantes et Daniel Garibotti, 2004, op. cit. 5. Avec des mesures prises qui autorisent la culture de soja transgénique, privatisent la forêt amazonienne, lancent un grand projet de colonisation de l’Amazonie et la construction de barrages hydroélectriques… 6. Silvio Cavuscens, 2007, op. cit.

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millions de kilomètres carrés vendus après avoir fait l’objet d’appels d’offre de la part du gouvernement1. Le mouvement indigène a accusé Lula de délimiter les terres au compte-goutte de façon à éviter l’expulsion des intérêts économiques nécessaires à sa réélection en 2006. La terre indigène Raposa/Serra do Sol a été ratifiée le 15 avril 2005 après plus de deux ans d’attente2. Jusqu’en avril 2008, le gouvernement fédéral n’avait pas pris les mesures nécessaires pour expulser les occupants nonindiens de la terre indigène. Les émeutes organisées par les arrozeiros3 et certains membres du gouvernement de l’Etat de Roraima se sont soldées par un recul des forces armées – recul encouragé par le Tribunal suprême fédéral4. Ces remous ont été l’occasion pour les groupes de pression anti-indiens de faire ressurgir les vieux démons liés à l’histoire de la politique indigéniste brésilienne : la peur de voir se créer une Nation indigène indépendantiste, le refus de voir l’Etat du Roraima recouvert par les terres indigènes, la convoitise des riches terres brésiliennes par des groupes de pression étrangers … Même s’il apparaît que la question indienne est davantage considérée depuis la réélection de Lula, la politique indigéniste demeure un vrai défi pour le gouvernement. Revirement réel ou réformes cosmétiques ? L’organisation de la manifestation « Avril indigène »5 et de son campement « Terre libre » en 2007 ont eu pour résultat un revirement dans la politique indigéniste du gouvernement Lula. Suite à cette manifestation qui a réuni les principaux peuples indigènes à Brasília, Lula a annoncé la démarcation de plusieurs terres indigènes6 ainsi que la mise en place d’une Commission nationale des peuples indigènes du Brésil (CNPI). Notons ici que cette commis1. La motivation officielle de cette privatisation était de protéger l’Amazonie des appropriations illégales… Voir l’article de Eleonora Gosman, « Lula approuve une loi polémique qui privatise la forêt amazonienne », RISAL, 15 mai 2006. 2. Lula avait promis de la ratifier en 2003, puis il a octroyé un délai. Cf. Amnesty : www.amnesty.be. 3. Cultivateurs de riz (grands propriétaires terriens) 4. Voir les Manchetes de l’Instituto Socioambiental d’avril et mai 2008. 5. « Abríl Indígena » est une manifestation qui a été organisée pour la première fois en 2006 suite à une lettre ouverte contre la politique indigéniste du gouvernement Lula. Cf. Amnesty : www.amnesty.be. 6. Lula a notamment signé trois homologations de T.I. Cf. CIMI – Informe n°762 du Boletim du 20 mai 2007.

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sion avait été promise par le gouvernement en 2003 et devait permettre la participation des représentants indigènes aux débats gouvernementaux sur la politique indigéniste. Suite à ces actes, le Président Lula a pris des engagements visà-vis des Indiens, avouant ne pas avoir encore réalisé son programme politique les concernant. Mais d’ici à 2010, tout devrait être réalisé. Les Indiens ont de quoi être sceptiques et méfiants puisque les promesses similaires n’ont pas été tenues précédemment. S’agit-il uniquement de réformes cosmétiques de façon à valoriser l’image du Brésil et à acheter la paix sociale ? Les trois années à venir nous apporteront les réponses. Pourtant, un certain volontarisme politique semble présent. En témoigne la récente opération de police contre l’abattage illégal de bois en Amazonie, dans le Parc national du Xingu, où vivent quatorze ethnies1. Parmi les personnes arrêtées se trouvaient des propriétaires terriens, des exploitants forestiers, des dirigeants indiens et des agents de la FUNAI. L’expulsion des occupants illégaux des terres indigènes est une prérogative de l’Etat qui est rarement appliquée. Démarquer les terres indigènes et en expulser les envahisseurs revient à appliquer la Constitution fédérale. Reste à savoir si cette application de la Constitution restera isolée ou sera utilisée comme un précédent à prendre en exemple. La prise de position du gouvernement fédéral (en opposition par rapport à l’avis du Tribunal Fédéral Suprême qui avait annoncé l’arrêt de l’expulsion) lors de l’évacuation des arrozeiros de la TI Raposa/Serra do Sol en avril 2008 est un bel exemple de ce volontarisme. A l’origine, les conditions politiques ont favorisé les groupes de pression « développementalistes ». Depuis les années 60, de grandes campagnes en faveur de l’exploitation des ressources naturelles amazoniennes ont été lancées, au mépris des droits des Indiens. Au milieu des années 80, les choses ont changé en faveur du lobby indigéniste. Les mouvements pro-démocratiques se sont 1. Le Monde, « Brésil : Opération de police contre l’abattage illégal de bois en Amazonie », 16 mai 2007.

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développés, avec la création d’organisations indiennes et proindiennes. L’aboutissement de ce mouvement est la rédaction d’une Constitution démocratique en 1988. Grâce au lobby indigène et indigéniste, la Constitution contient des clauses garantissant aux Indiens la possession et le contrôle exclusifs de leurs terres ancestrales. Les premières élections présidentielles directes au suffrage universel, en 1990, ont stimulé une compétition entre les candidats, de façon à ce qu’ils intègrent dans leurs programmes électoraux les questions indigène et environnementale. L’élection de Fernando Collor de Mello, qui avait courtisé les votes des écologistes, a donné au lobby indigène des alliés au sein du gouvernement. Et le gouvernement Collor a pris ses responsabilités en expulsant les garimpeiros des terres Yanomami puis en démarquant un Parc Yanomami continu. En 1995, l’élection de Fernando Henrique Cardoso a modifié le rapport de force, renforçant le pouvoir du lobby « développementaliste » : la crise économique et la mobilisation politique des acteurs économiques ont poussé le Président et son gouvernement à prendre des mesures clairement en faveur des groupes économiques, notamment dans les domaines de l’exploitation minière, forestière, et de l’agrobusiness. Ce n’est qu’à la fin de son second mandat que Fernando Henrique Cardoso a mis en place une politique indigéniste cohérente et permis de grandes avancées juridiques en la matière. Il semblerait que Lula suive la même voie. Reste à savoir si l’inclinaison indianophile du gouvernement Lula se précisera à travers des actions concrètes pendant son second mandat. A cet égard, l’adoption du Statut des sociétés indigènes, qui est toujours bloqué au Congrès, représente un chantier de la plus haute importance. La lutte sans fin au sujet des terres indigènes a mené à un processus politique changeant au gré des rapports de force entre les indigénistes et les « développementalistes », laissant le Brésil sans direction claire quant à sa politique indigéniste, surtout à propos de la question foncière. Alors que la Constitution prévoyait la démar-

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cation totale des terres indigènes en 1993, aujourd’hui 16,5 % des terres indigènes ne sont même pas encore identifiées1.

1. Chiffres de l’ISA (Cf. Figure 4).

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Chapitre 2 L’enjeu central, la terre 1. « L’Indien, c’est la terre »1 La revendication de leurs terres ancestrales par les Indiens est primordiale au Brésil. C’est une problématique commune à tous les peuples autochtones du continent, comme l’a montré la conférence de Quito, en 1990 : « Le droit au territoire est une demande fondamentale des peuples indigènes du continent »2.

Cette question du territoire se confond avec la question de la survie des Indiens, en tant que peuples distincts, et de la conservation de leurs références culturelles. Lorsque qu’un peuple perd sa culture, il cesse d’être un peuple, puisque le lien social qui le constituait a disparu. Or, la culture des peuples indigènes est inextricablement liée au milieu dans lequel ils évoluent. En effet, les Indiens des basses terres, vivant dans le milieu forestier amazonien, n’ont pas les mêmes activités de subsistance que les Indiens vivant dans les savanes, ou encore dans le sud du Brésil. Dans chaque cas, les activités quotidiennes diffèrent, de même que les activités rituelles, qui en découlent3. Le support de la vie sociale est directement lié au système de croyances et de connaissances. La relation spécifique qui lie les peuples indigènes à leur terre revêt donc deux aspects : l’environnement propre de chaque groupe indien est à la base de la production alimentaire nécessaire à sa survie physique ; il est également ce qui soutient leur identité ethnique. 1. Expression formulée par l’Etat brésilien en 1991, IWGIA, Ikewan n° 59, 2006, p.6. 2. Citation d’une déclaration faite à la conférence de Quito (1990), citée dans Carlos Frederico Marés de Souza Filho, O renascer dos povos indígenas para o direito, Curitiba, Juruá Editoria, 2000, p. 120. 3. Dans la plupart des cultures indigènes, les rituels religieux sont calés sur les cycles climatiques ou agricoles, comme par exemple la « cérémonie du maïs nouveau », Baridjumoko, chez les Kayapó, reconduit l’interdépendance cosmologique harmonieuse entre la production de la socialité humaine et l’appropriation du milieu naturel (Bruce Albert, 1996, op. cit., p. 194).

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Le concept de territoire est nécessairement lié à l’histoire culturelle du groupe, à son univers mythologique, aux relations matrimoniales, aux interactions sociales et aux systèmes d’alliances politiques et économiques entre les villages d’un même groupe. Réduire le territoire des Indiens revient à désarticuler toute l’épine dorsale de leur vie socioculturelle. La relation que chaque groupe ethnique entretient avec son territoire est unique. Par exemple, chez les Yanomami, c’est la mobilité de leur occupation territoriale qui permet d’assurer la subsistance de tous, sans compromettre la régénération des écosystèmes exploités, de même que la paix entre les communautés1. Le but est de restituer à la terre son potentiel le plus vite possible, afin de pouvoir en bénéficier à nouveau et au moindre coût. L’espace a également un rôle structurant dans la culture indigène. Par exemple, chez les Sanimá, c’est le village – et non le lignage – qui est l’unité politique de base. En cas de conflit, c’est l’unité territoriale et non le réseau de parentèle qui est déterminant2. Bruce Albert a montré le rôle structurant de l’espace dans la mémoire et les relations intercommunautaires chez les Yanomamë (un sous-groupe des Yanomami) : dans ces sociétés, il est interdit de prononcer le nom des morts et des vivants. Il en résulte une mémoire généalogique très courte. La mémoire du groupe n’est donc pas conservée par des lignages, mais par le nom des lieux : les noms des lieux successifs de résidence sont rappelés par les anciens. A partir de ces noms de lieux, les Yanomamë se remémorent les principaux événements historiques (conflits, moments heureux…). C’est ce que Bruce Albert appelle les « catégories résidentielles historiques ». A partir de ces catégories, le réseau social de chaque membre du groupe est déterminé en fonction de la distance qui sépare les individus : des co-résidents, on passe aux alliés (proches voisins), puis aux ennemis anciens ou virtuels et enfin aux ennemis inconnus3.

1. Pierrette Birraux-Ziegler, « La territorialité des indiens Yanomami du Nord du Brésil : Aspects ethnogéographiques et géopolitiques », in Paul Claval Singaravelou (coord.), Ethnogéographies, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 175. 2. Id., p. 181. 3. Bruce Albert, Temps du sang, temps des cendres. Représentation de la maladie, système rituel et espace politique chez les Yanomami du sud-est, Paris, Université de Paris X (Thèse de doctorat : Paris X), 1985, cité dans Pierrette Birraux-Ziegler, 1995, op. cit., p. 181.

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Le territoire est donc dépositaire de la nourriture du groupe, de sa mémoire et de ses mythes (la forêt abrite différentes catégories d’êtres appartenant au cosmos yanomami). C’est un élément structurel du système social et politique des Indiens. Enfin, c’est un facteur de cohésion de la communauté qui structure ses rapports avec le cosmos. La Constitution de 1988 se fait le relai de cette relation spécifique qui lie les peuples indigènes à leur terre, en leur octroyant des terres indigènes. Au Brésil, le nombre officiel de terres revendiquées par les Indiens est de six cent huit1. Dans ce chiffre ne figurent pas les terres indigènes « à identifier » qui n’ont pas été officiellement reconnues par la FUNAI. Les terres indigènes recouvrent 109 641 763 hectares (soit 12,9 % de la superficie du Brésil)2. Le CIMI avance des chiffres plus importants et estime que deux cent vingt-quatre terres n’ont reçu aucune reconnaissance officielle. Le nombre total de terres revendiquées par les Indiens atteindrait selon l’organisation les huit cent cinquante3. Cette divergence entre les chiffres du CIMI et de l’ISA reflète une opposition plus profonde quant à l’action à mener auprès des populations indigènes. Le CIMI a eu parfois tendance à gonfler les chiffres pour des raisons politiques. Nous nous référerons donc à ceux de l’ISA.

1. Cf. Figure 4. 2. Cf. Figure 4 ; L’ambassade du Brésil en France considère que la superficie du Brésil représente 851 196 500 hectares. 3. Cf. Annexe 8 : Etat des TI – CIMI.

103

Figure 4 SITUATION DES TERRES INDIGENES (T.I.) AU BRESIL Données de l’Instituto SocioAmbiental (ISA) Pour une meilleure lecture, l’ISA a regroupé en 4 groupes principaux les 7 étapes du processus de démarcation des TI. Ainsi, les terres « à identifier », « en cours d’identification » et « à usage restreint » sont regroupées dans le sous-total A. De même, les terres « réservées, « homologuées » et « enregistrées » sont comptabilisées dans le sous-total B. (Données actualisées le: 24/04/2008)

Situation des terres En cours d’identification Restriction d’usage pour les non-indiens Sous-total A :

%

Nbre de TI

Surface (hectares)

%

98

109 684

3 101

16,61

461 757 571 441

Identifiées

25

4,11

2 200 903

2,01

Déclarées

52

8,55

10 067 133

9,18

Réservées

19

137 755

Homologuées Enregistrées au CRI et/ou au SPU Sous-total B : Total Général:

24

1 545 385

387 430 608

70,72 100,00

95 119 146 96 802 286 109 641 763

0,52 *

88,29 100,00

Remarque : Sont exclues de ce tableau les TI « à identifier », et ne sont prises en compte que les terres ayant été officiellement reconnue par un acte – quel qu’il soit – provenant d’un organe fédéral pertinent dans le processus de reconnaissance des terres indigènes. * Le pourcentage de terres “En cours d’identification” contient une distorsion due au fait que la superficie de ces terres n’est encore pas officiellement définie. Source : Instituto SocioAmbiental http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/ondeestao/sit_jurid.html

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2. Principes constitutionnels, loi et fonctionnement des TI Le droit originaire au territoire, la notion de terre indigène La conception du droit des Indiens sur les terres qu’ils occupent accompagne les législations brésiliennes depuis le XVIIe siècle1. Mais c’est dans la Constitution de 1988 qu’elle trouve son explication puisque les Indiens y sont considérés comme les habitants « originaires » du Brésil. C’est ce statut qui leur confère un droit originaire sur leurs terres ancestrales, les terres indigènes (TI). La catégorie juridique « terres indigènes », telle qu’elle existe au Brésil, ne correspond à aucune forme de propriété existante dans le droit. Il s’agit d’une notion sui generis. En effet, la terre indigène garantit aux Indiens la pleine possession et non la pleine propriété. Tout acte de transaction ou de propriété sur une terre indigène est nul et non avenu, puisque l’Union en est le seul propriétaire depuis la Constitution de 19672. Selon la Constitution de 1988 et la loi spécifique qui régit le droit des Indiens (loi 6.001), la notion juridique de terre indigène renvoie à « l’habitat de groupes qui se reconnaissent un lien de continuité avec les occupants originels du pays et sont reconnus comme tels par la société nationale »3. Les terres indigènes et le Statut de l’Indien Il est question des terres indigènes dans le chapitre « Les Terres des Indiens » du Statut de l’Indien, soit vingt et un articles en tout. La loi énumère trois catégories de TI4 : les terres occupées ou habitées par les sylvicoles ; les terres « réservées » par l’Etat aux Indiens et les terres de « dominion »5 des communautés sylvicoles. La dernière catégorie est constituée des terres acquises de façon légale par les Indiens et dont la propriété au sens du Code civil leur est garan1. Voir à ce sujet Carlos Frederico Marés de Souza Filho, 2000, op. cit., p. 124-126. 2. En 1967, les Militaires ont inclu dans les biens de l’Union les « terres occupées par les sylvicoles ». Cité dans Carlos Frederico Marés de Souza Filho, 2000, op. cit., p. 129. 3. João Pacheco de Oliveira Filho, « Terres indiennes et frontière économique », Ethnies, Paris, vol. 5, n° 11-12, 1990, p. 17. 4. Article 17 de la Loi 6.001/73. 5. Articles 32 et 33 du Statut de l’Indien.

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tie de façon pleine et entière (terres reçues suite à des actes de droit civil tels que l’achat, l’échange ou la donation). La première catégorie - les terres occupées ou habitées par les sylvicoles - comprend les terres considérées comme possession permanente des Indiens. Elle recoupe la notion de TI présente dans la Constitution de 1988 : les « terres traditionnellement occupées par les Indiens ». Selon la loi 6.001, il s’agit des terres occupées en relation avec les « usages, les coutumes et les traditions tribales »1 des Indiens, mais aussi nécessaires aux activités indispensables à leur subsistance ou économiquement utiles. Il s’agit donc d’un minimum vital selon le Statut de l’Indien, tandis que la Constitution va plus loin puisqu’elle englobe parmi les terres traditionnellement occupées celles nécessaires à la préservation de l’environnement naturel des Indiens indispensable à leur bien-être. La deuxième catégorie de terres figurant dans le Statut de l’Indien, les terres « réservées », concerne des zones de terres nonoccupées, utilisées pour indemniser, récompenser, ou installer des Indiens2. Un tuteur, le SPI puis la FUNAI, établit des parcs et des réserves indigènes. Ce concept reflète le dilemme qui se posait au XIXe siècle : éduquer ou éradiquer les Indiens. En effet, d’un côté, il s’agit de protéger et intégrer les Indiens en tant que citoyens et de l’autre, il s’agit de sédentariser les Indiens à des fins punitives. Dans tous les cas, les terres « réservées » ne sont pas traditionnellement occupées par les Indiens. Selon le Statut de l’Indien, les terres « réservées » peuvent se décliner en « réserves »3, « parcs »4, « colonies agricoles5 » et « territoires fédéraux indigènes »6.

1. Le Statut de l’Indien, article 23 : « Considera-se posse do índio ou silvícola a occupação efectiva da terra, que, de acordo com os usos, costumes e tradições tribais, detém e onde habita e exerce atividade indispensável à sua subsistência ou economicamente útil. » 2. Carlos Frederica Marés de Souza Filho, 2000, op. cit., p. 130. 3. Article 27 du Statut de l’Indien : aire destinée à servir d’habitat à un groupe indien. 4. Article 27 du Statut de l’Indien : aire continue dont les Indiens ont la possession. Ces Indiens ont un degré d’intégration permettant à l’Union de leur donner une assistance économique, sanitaire et éducative. L’environnement (faune et flore) du parc doit être préservé. Par exemple, le Parc Indigène du Xingu (1961). 5. Article 29 du Statut de l’Indien : aire destinée aux Indiens acculturés qui est ouverte à la présence des Brésiliens. C’est cette catégorie qui avait été manipulée dans le cas des Tukano (Cf. Partie 2 - Chapitre 2). 6. Statut de l’Indien, article 26.

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La procédure de démarcation des TI Démarquer les terres indigènes est nécessaire pour leur protection physique ainsi que pour leur reconnaissance juridique. C’est l’Etat brésilien et plus particulièrement la FUNAI1 qui a la charge de cette mission. A plusieurs reprises, l’Etat s’est vu imposer des limites temporelles pour achever ce travail de démarcation, mais à ce jour il n’est pas encore abouti. Ainsi, déjà en 1973, le Statut de l’Indien prévoyait une démarcation totale des terres indigènes dans les cinq ans suivant la promulgation de la loi2. Plus tard, la Constitution de 1988, dans son article 673, prévoyait à nouveau un délai de cinq ans. Ce délai a expiré le 5 octobre 1993, sans que le travail ait été achevé. Le processus de démarcation d’une terre est long et complexe. Le Statut de l’Indien indique dans son article 19 que les TI seront démarquées administrativement selon la procédure prévue dans le décret du pouvoir exécutif la régissant. La procédure a été modifiée cinq fois depuis 1973. Le dernier des cinq décrets4, le plus polémique est le décret présidentiel 1.775 de 19965. Il est toujours en vigueur aujourd’hui. Les décrets successifs ont rendu à chaque fois le processus de démarcation plus difficile : le premier décret, en 1976, requérait deux spécialistes, nommés par la FUNAI (un anthropologue et un arpenteur6 ou un ingénieur), qui étaient chargés d’établir un rapport détaillé pour servir de base à la démarcation physique du territoire du groupe visé. En 1983, le deuxième décret a compliqué le processus en remplaçant les deux agents de la FUNAI par une équipe technique pour identifier la zone. La FUNAI devait ensuite transmettre son rapport à un groupe de travail composé de plusieurs organes fédéraux. Leur décision était acheminée jusqu’aux organes décideurs à savoir le ministre de l’Intérieur et le ministre des Affaires foncières.

1. Statut de l’Indien, article 25. 2. Statut de l’Indien : l’article 65 donne comme date d’échéance le 19 décembre 1978. 3. Article 67 de l’Ato das Disposições Constitucionais Transitórias. 4. Décret 76.888 du 8 janvier 1976 ; décret 88.118 du 23 février 1983 ; décret 94.945 du 23 septembre 1987 ; décret 22 du 4 février 1991 ; décret 1.775 de 1996. Carlos Frederica Marés de Souza Filho, 2000, op. cit., p. 151. 5. Décret publié par le Président F.H. Cardoso. 6. Agrimensor.

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Quatre ans plus tard, le décret de 1987 posait des conditions supplémentaires et discriminantes pour certains groupes indigènes, à savoir que les territoires situés dans les zones frontalières ne pouvaient être délimitées au même titre que les autres1. Ce décret, devenu anticonstitutionnel en décembre 1988, a été remplacé en 1991. Le quatrième décret a tenté d’adapter la procédure de démarcation des terres indigènes à la nouvelle Constitution. Il avait de sérieux défauts, mais aussi des points positifs. Ainsi, le décret 22 ne prévoyait toujours pas de consultation systématique des peuples indigènes dans la délimitation de leur territoire ni de possibilité pour eux de participer à la démarcation. Pourtant les Indiens sont les mieux à même de dire quels sont les lieux nécessaires à leur reproduction culturelle. L’un des avantages de ce décret reposait dans la détermination du ministre de la Justice à publier un plan de démarcations de façon à respecter le délai de cinq ans imparti par la Constitution. En 1996, le cinquième et dernier décret a été signé par Fernando Henrique Cardoso, modifiant le processus de démarcation et imposant le principe contradictoire2. Le système actuel découle donc du décret 1.775/96. Il prévoit sept étapes distinctes3 : La première étape du processus de démarcation concerne les études d’identification de la terre concernée. Une étude de terrain est réalisée par un anthropologue nommé par la FUNAI. Le rapport qui en résulte va ensuite servir de base de travail à un groupe technique. Composé de préférence de cadres techniques de la FUNAI, le groupe est coordonné par un anthropologue et effectue des études complémentaires dans divers domaines : ethnohistoire, sociologie, droit, cartographie et environnement. En outre, un relevé agraire est réalisé. Le rapport résultant de ces recherches doit nécessairement comporter un certain nombre d’informations indiquées dans l’arrêté n°14 du 9 janvier 1996.

1. Rappelons ici le contexte du Plan Calha Norte (Cf. Partie 1 Chapitre 2). 2. Cf. Partie 2 Chapitre 1. 3. La procédure de démarcation définie ici est tirée de la présentation faite par l’Instituto SocioAmbiental, « Processo de demarcação » : http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/ondeestao/demarc.shtm.

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Une fois le rapport achevé, il est transmis à la FUNAI. C’est la deuxième étape. Le Président de la FUNAI doit approuver l’étude d’identification dans un délai de quinze jours et publier ses remarques au Diário Oficial da União [Journal officiel de l’Union – DOU] ainsi que dans le Journal officiel de l’Etat où se trouve le territoire concerné. La publication doit encore être déposée au siège de la Préfecture concernée. La troisième étape est ce qu’il y a de plus contestable dans l’actuelle procédure de démarcation des TI, à savoir la phase contradictoire. Depuis 1996, tous les tiers intéressés ont désormais quatrevingt-dix jours à compter de la publication au DOU pour contrer la décision de la FUNAI. Ces tiers peuvent être des personnes morales de droit public comme les Etats ou les municipes. Ils doivent apporter des preuves pertinentes à la raison de leur requête, que ce soit pour obtenir une indemnisation ou pour démontrer un vice de procédure. Ceci ouvre un vaste espace où les intérêts privés locaux peuvent interférer avec ceux des Indiens. La FUNAI doit se prononcer sur ces recours dans les soixante jours et faire parvenir ses avis au ministre de la Justice. Une fois acheminées au ministre de la Justice, les plaintes vont être réexaminées. Le ministre a alors trente jours au terme desquels il devra soit publier un arrêté acceptant la délimitation proposée par la FUNAI et déterminant sa démarcation physique ; soit prescrire des diligences de façon à modifier la proposition initiale de la FUNAI ; soit désapprouver l’identification de la FUNAI, avec une décision réputée fondée sur l’article 231 §1 de la Constitution. Cette étape cruciale du processus, la quatrième, est la déclaration des limites de la terre indigène. L’étape suivante consiste à démarquer physiquement la terre indigène, d’après l’arrêté du ministre de la Justice. La FUNAI est responsable du bon déroulement de la démarcation mais doit veiller à ce que l’Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária [Institut national de colonisation et de réforme agraire – INCRA] ait relocalisé les éventuels occupants non-indiens de la surface concernée. La Démarcation est ensuite soumise au Président de la République qui doit l’homologuer par décret. Enfin, la septième et dernière étape consiste à enregistrer dans les trente jours suivant l’homologation la terre indigène au Cartório

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de Imóveis da Comarca [l’Etude immobilière] du district correspondant et au Serviço de Patrimônio da União [Service du patrimoine de l’Union –SPU].

3. Principaux enjeux et acteurs de la question foncière Terres indigènes et exploitation Les terres indigènes amazoniennes sont riches en minerais précieux, et notamment en or. C’est une des raisons pour lesquelles les lobbies miniers poussent à l’ouverture des TI à l’exploitation des richesses du sous-sol. Dans les faits, ceci se traduit par une invasion massive et illégale de garimpeiros1. En plus de transmettre des maladies aux Indiens, ces envahisseurs polluent les cours d’eau de la région où s’abreuvent les populations, en raison de l’utilisation massive de mercure pour séparer l’or de la boue. Cependant, la législation brésilienne dans sa forme actuelle ne semble pas pouvoir changer cette nouvelle forme de colonisation. Le Statut de l’Indien établit que seules les richesses du sol peuvent être exploitées par les Indiens2. L’exploration des richesses du sous-sol des terres indigènes est déterminée par les lois en vigueur3, c’est-à-dire par le Código de Mineração [Code sur l’Exploitation]. L’option d’une exploitation du sous-sol des terres indigènes par des tiers est donc ouverte par le Statut de l’Indien. Dans la Constitution de 1988, les ressources du sous-sol appartiennent à l’Union (au même titre que les TI). L’exploitation de ces ressources n’est autorisée que si deux conditions sont remplies : obtenir l’autorisation du Congrès national et l’accord des communautés concernées4. Celles-ci devront toucher une partie substantielle des bénéfices de l’exploitation sur leur territoire. Une loi applicative devait venir préciser le processus pour l’obtention d’une autorisation et fixer le pourcentage du bénéfice touché par les In-

1. Chercheurs d’or. 2. Loi 6.001, article 44. 3. Loi 6.001, article 45. 4. Article 231 §3 de la Constitution de 1988.

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diens. Aujourd’hui, aucune loi n’a été promulguée1 et la pratique veut que l’on applique le Code sur l’exploitation. Ce vide juridique permet aux parties concernées d’interpréter largement la Constitution, à l’instar du Departamento Nacional de Produção Mineral [Département national de production minérale DNPM], qui reconnaît comme acquis le droit à des tiers de prospecter sur les terres indigènes2. Dès lors, la pression est constante et les demandes d’autorisation de prospection minière sur les terres indigènes augmentent sans cesse3. Pourtant, selon l’article 231 §7 de la Constitution, aux terres indigènes ne s’applique pas l’article 174 §3-4 favorisant l’octroi d’autorisations ou de concessions de recherches des gisements de minéraux exploitables pour les entreprises artisanales. L’exploration minière dans les terres indigènes est donc clairement proscrite aux non-indiens par la Constitution. Dans les faits, l’ISA totalisait, en 2005, 4 821 processus d’exploitation minérale (ces processus n’ouvrent pas droit à une exploitation effective, ils consistent à l’ouverture des démarches pour une demande d’autorisation) de trois cent soixante-sept requérants – entreprises ou individuels – ayant une incidence sur centvingt-trois terres indigènes. Les terres indigènes les plus touchées par ces processus d’exploitation, et non sans problèmes, sont les terres indigènes yanomami, avec six cent-quarante processus (cinq cent-trente-et-un avant la Constitution de 1988 et cent-neuf après), menkragnoti, avec quatre-cent-treize processus (soixante-quatorze avant et trois cent trente-neuf après) et Alto Rio Negro, avec trois cent soixante-quatre processus (trois cent vingt-huit avant et trentesix après)4. Par contre, des autorisations et concessions (titres ouvrant droit à une exploitation des ressources) situées dans les terres indigènes représentaient en février 2005 quelque soixante-cinq entreprises,

1. Un projet de loi n°1.610-A/96 a été émis par le Sénateur Romero Jucá. 2. Carlos Frederico Marés de Souza Filho, 2000, op. cit., p. 140. 3. Cf. Annexe 9 : Progression des concessions minières entre 1987 et 1998. Cf. Annexe 10 : Progression des concessions minières entre 1998 et 2005. 4. ISA, Mineração em Terras Indígenas na Amazônia brasileira, São Paulo, mai 2005, p.13.

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avec deux cent quarante-quatre titres, affectant quarante et une terres indigènes1. Les terres indigènes sont touchées inégalement par l’exploitation minérale. Par exemple, la TI Cajueiro n’est touchée que par une unique demande de prospection, alors que les TI Kwazá do Rio São Pedro, Xikrin do Cateté, Roosevelt, Pequizal, Baú e Arara ont plus de 90 % de leur territoire qui fait l’objet d’intérêts et convoitises miniers2. Ceci crée des conflits entre les Indiens et les envahisseurs. Si bien qu’en avril 2004, la pression était telle dans la terre indigène Roosevelt que les Indiens se sont insurgés et le conflit armé qui s’en suivit provoqua la mort de ving-neuf garimpeiros3. Le gouvernement Lula a adopté en urgence, le 17 septembre 2004, un décret créant un « groupe opérationnel pour surveiller et garantir l’adoption des mesures nécessaires pour contrôler toutes les entreprises et quiconque se livrant à de l’exploration minérale dans les terres indigènes, en particulier les aires Roosevelt, Parc indigène Aripuanã, Serra Morena et Aripuanã (terres des Cinta Larga), localisées dans les Etats de Rondônia et Mato Grosso ». Le compte-rendu des travaux de ce groupe serait rédigé sous forme de loi, selon les termes de l’article 231§3 de la Constitution fédérale4. En mars 2005 fut créée à la Chambre des représentants une commission spéciale chargée de discuter d’un avant-projet de loi régulant l’exploitation sur les terres indigènes : elle prenait comme référence le projet de loi que le sénateur Romero Jucá avait présenté en 19965. La version de l’avant-projet de loi a été finalisée le 1er août 2006. Ce projet qui se voulait « démocratique et d’inclusion sociale » a été très controversé. En effet, une vision ethnocentrée du 1. Id., p.44. 2. Id., p.49. Cf. Annexes 11 - 12 - 13. 3. INESC, « Mineração nas Terras Indígenas: inclusão social ou expropriação organizada? », Nota Técnica, Brasília, n° 112, octobre 2006, p.2. 4. “Grupo Operacional para fiscalizar e garantir a adoção das medidas necessárias e cabíveis para coibir toda e qualquer exploração mineral em terras indígenas, em especial nas áreas Roosevelt, Parque Indígena Aripuanã, Serra Morena e Aripuanã (terras dos Cinta Larga), localizadas nos Estados de Rondônia e Mato Grosso, até que a matéria seja regulamentada por lei, nos termos do art. 231, § 3º, da Constituição”. 5. PL 1.610-A/96, adopté par le Sénat fédéral. Ce projet de loi sur l’exploitation minière dans les TI a été critiqué par Dominique Buchillet car il présentait cinq défauts majeurs assez préoccupants. Cf. Dominique Buchillet, 2002, op. cit., pp. 245-260.

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développement prévaut, à savoir, un « projet culturel du capitalisme global »1. De plus, les Indiens des terres indigènes concernées ne sont pas prioritaires pour l’éventuelle exploitation des ressources de leur sous-sol. Ils sont, au contraire, soumis aux mêmes exigences et obligations que les non-indiens qui convoitent des titres d’exploitation. Le risque est donc de voir apparaître une privatisation du sous-sol des terres indigènes, dont l’exploitation serait soumise à une autorisation délivrée par un organe (étatique) gestionnaire des ressources minérales. Or, il est clair que le minerai amazonien représenterait une grosse rentrée d’argent dans les caisses de l’Etat. La problématique de l’exploitation des ressources minérales ne s’applique pas qu’envers les tiers. Qu’en est-il du droit d’exploitation par les communautés indiennes elles-mêmes ? En effet, l’exploitation minière n’a rien à voir avec les activités productives traditionnelles nécessaires pour leur reproduction culturelle. De plus, il est difficile d’argumenter dans le sens de la préservation des ressources naturelles nécessaires à leur bien-être. L’exploitation minérale est loin d’être considérée comme une activité écologique. L’extraction de minerais, même de façon écologique2, est clairement destinée à une production marchande. L’économie de marché n’est pas un trait spécifique de la culture traditionnelle des Indiens. Certains groupes indiens connaissaient l’existence d’or dans le sous sol de leur territoire, mais leur mythologie leur prescrivait de l’extraire, car l’or est source de maux. C’est une façon imagée de montrer deux conséquences distinctes de l’extraction de l’or – mais avec un résultat similaire, la désintégration du lien social des sociétés amérindiennes – d’une part les conflits au sein de la communauté dus à l’apparition de l’argent et des inégalités entre les membres de la communauté, d’autre part les maladies des Blancs véhiculées par les chercheurs d’or. Davi Kopenawa Yanomami, chamane et porteparole yanomami, a fait le récit cosmologique de l’invasion massive des chercheurs d’or dans les terres yanomami. Le récit de la Xawara Wakëixi à l’anthropologue Bruce Albert : 1. INESC, octobre 2006, op. cit., p.3. 2. Exemple d’orpaillage écologique mis en place chez les Waiãpi.

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« Lorsque l’or reste enfoui sous la terre, tout va bien. Il n’est pas dangereux. Mais quand les Blancs le tirent de là, ils le brûlent et le réchauffent en l’étalant au-dessus du feu, comme s’ils préparaient de la farine de manioc. Il s’en échappe alors de la fumée. C’est ainsi que se crée la xawara. Cette épidémie-fumée de l’or se propage partout dans la forêt, là où vivent les Yanomami, mais aussi sur les terres des Blancs, partout […]. Elle est très agressive et lorsque qu’elle se répand ainsi, tous les Yanomami finissent par mourir. […] Une fumée qui ne se voit pas mais qui se propage partout et commence à tuer des Yanomami. […] C’est ce que 1 disent nos anciens, qui sont de grands chamanes » .

Certains groupes indiens ont pris le parti d’exploiter eux-mêmes l’or se situant sur leur réserve. Un des exemples les plus connus est celui des Waiãpi qui vivent dans la région du bassin des Rio Aroa et Inipuku (Amapa). Les Waiãpi ont commencé à exploiter artisanalement l’or de leur terre en 1982, sur l’initiative du chef du village de Mariry, Waiwai. L’orpaillage waiãpi s’inscrit dans le cycle normal des activités de subsistance. L’orpaillage n’est pas intensif, il n’est pas considéré comme une activité productive à but lucratif2. Les familles waiãpi se rende sur le lieu d’exploitation périodiquement pour extraire la quantité d’or dont elles ont besoin : « Nous ne travaillons pas tout le temps. Nous nous arrêtons quand nous avons ce dont nous avons besoin. Nous ne travaillons pas en hiver, seulement l’été. Certains travaillent au garimpo, d’autres aux plantations. Nous ne travaillons pas tout le temps car nous ne voulons pas que l’or s’épuise, nous voulons garder l’or, nous ne voulons pas travailler tout le temps pour ne pas tomber malade. Nous travaillons lentement, calmement, personne ne veut travailler rapidement. C’est notre terre, personne n’a besoin de courir, qui va nous effrayer ? » 3

Cette utilisation modeste et sporadique de l’or résulte en partie de l’expérience traumatisante que les Waiãpi ont vécue avant d’expulser les chercheurs d’or. Les Waiãpi ont réélaboré leur dis1. Davi Kopenawa, “Fièvres de l’or”, Ethnies, Paris, vol. 7, n° 14, hiver 1992-1993, p.40 ; Cf. illustration de la xawara réalisée par Davi Kopenawa Yanomami, mise en ligne sur le site Internet de la CCPY, (http://www.proyanomami.org.br/v0904/depoimentos/ourocanibal.htm). 2. Dominique Tilkin Gallois, « L’or et la boue ; Cosmologie et orpaillage waiãpi », Ethnies, Paris, vol. 5, n° 11-12, 1990, p. 53. 3. Waiwai, 1986, cité par Dominique Tilkin Gallois, 1990, op. cit., p. 53.

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cours mythique pour y incorporer l’homme blanc. Ce dernier apparaît tout comme chez les Yanomami comme un prédateur de la terre et des Indiens. Les Indiens doivent donc assurer la conservation de la terre et la pérennité de l’or1. L’or, selon un des mythes waiãpi aurait été disposé partout dans la terre après un cataclysme par Ianejar, le créateur, afin de la solidifier puisqu’elle porte le genre humain : « Ianejar s’est lassé des cataclysmes. C’est alors qu’il a créé l’or, distribuant ce métal dans la terre, partout, dans toutes les rivières. L’or a rendu plus solide la terre qui supporte l’humanité, une terre qui ne devra plus brûler. La terre, tant qu’elle garde son or, ne pourrit pas. […] Les Blancs sont en train d’épuiser tout l’or laissé par Ianejar sur leurs terres, c’est pour cela qu’ils viennent le chercher sur notre territoire. Mais ils devront l’acheter, car cet or nous appartient. Nous ne voulons pas que cet or s’épuise » 2.

Ainsi, la revendication de Waiãpi d’exploiter seuls l’or de leur réserve est légitimée par ce discours cosmologique : il est de la survie de l’humanité (de la terre qui porte l’humanité) de ne pas exploiter notre or3. Il est certain que les activités qui ont un coût environnemental élevé dans les terres indigènes amazoniennes devraient être évitées. Cependant, l’Amazonie recèle un important patrimoine minéral nécessaire au développement économique du pays, de sorte qu’il est légitime de vouloir stimuler son exploration. Dès lors, l’activité minière doit être strictement encadrée et limitée de façon à contrôler son impact sur l’environnement.

1. Ibid. 2. Ibid. 3. Cf. Annexe 14 : L’orpaillage waiãpi.

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Terres indigènes et unités de conservation Le concept d’unité de conservation est intégré dans le droit environnemental et désigne un espace territorial qui a une protection spéciale par la loi de façon à garantir sa biodiversité1. La Constitution de 1988, dans son article 225 reconnaît la nécessité de délimiter des zones de protection de l’environnement. Par ailleurs, la loi n° 9.985 de juin 2000 a institué le Système national des unités de conservation (SNUC)2. Les terres indigènes peuvent être considérées comme une forme particulière d’unités de conservation, selon Carlos Frederico Marés de Souza Filho, puisqu’il existe ainsi des restrictions dans différentes lois concernant l’exploitation des ressources naturelles (végétales et animales) dans ces terres : l’article 3 du code forestier3 définit les forêts des terres indigènes comme des aires de préservation permanente4. Le Statut de l’Indien, dans son article 46, interdit la coupe de bois dans les forêts indigènes considérées de préservation permanente sauf si un programme de récupération est mis en place. Dans le droit, les terres indigènes et les unités de conservation sont pourtant deux formes juridiques distinctes. Le problème se pose donc quand elles se superposent. Les unités de conservation impliquent la protection de la faune et la flore de l’aire délimitée alors que les terres indigènes sont l’habitat des Indiens, dont la subsistance dépend des produits naturels de l’aire où ils vivent (chasse, cueillette…). Les terres indigènes sont reconnues, dans la Constitution de 1988, comme le lieu de reproduction physique et culturelle des Indiens. Ceux-ci ont le droit à un processus de développement différencié, en accord avec leurs cultures et traditions. A cet égard, les Indiens jouissent de l’usufruit exclusif des richesses du sol, des fleuves et des lacs sur leurs terres. Ils peuvent donc utiliser ces richesses dans le cadre de leurs coutumes et traditions, et pour survenir à leurs besoins. En revanche l’excédent produit à des fins com1. Carlos Frederico Marés de Souza Filho, 2000, op. cit., p. 142. 2. Instituto SocioAmbiental, « Sobreposições com Unidades de Conservação », http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/ondeestao/ucs.shtm (consulté le 16 avril 2007). 3. Loi 4.771/65. 4. Carlos Frederico Marés de Souza Filho, 2000, op. cit., p. 144; Enio Cordeiro, 1994, op. cit., p. 72.

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merciales (pour se procurer des biens et des services occidentaux), n’entre pas dans ce cadre. Dès lors, il paraîtrait logique que les Indiens respectent les lois de protection de l’environnement telles que définies dans le Statut de l’Indien, le code forestier, etc. C’est la solution proposée par Carlos Frederico Marés de Souza Filho. Le débat reste ouvert. En novembre 2000, les ministres de la Justice et de l’Environnement ont mis en place un groupe de travail1 chargé de la question de la superposition des terres indigènes et des unités de conservation. Aucun résultat satisfaisant n’a encore été publié, malgré diverses propositions d’organisations non gouvernementales. Par exemple, l’ISA avait proposé la création de réserves indigènes de ressources naturelles2 alliant les avantages de la préservation des ressources naturelles aux avantages des terres indigènes, mais toutes les ONG n’étaient pas d’accord avec ce système3.

1. Arrêté Interministériel n°261, du 8 novembre 2000. Cf. Figure 5 : TI et UC 2. Instituto SocioAmbiental, « Sobreposições com Unidades de Conservação », http://www.socioambiental.org.

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Cf. Carte de l’ISA montrant la superposition des TI et des UC : www.socioambiental.org

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4. Les résultats observables L’état des démarcations aujourd’hui Des années 1980 aux années 1990, il était observable une prédominance notable des phases initiales du processus de démarcation, avec, en 1983, 68 % des terres indigènes au stade de terres « à peine identifiées » ou « délimitées »1 et une part relativement faible de terres « démarquées » ou « homologuées » (32 %). Un inversement de tendance est observable depuis 1992 ; l’Instituto SocioAmbiental recense régulièrement l’état des terres indigènes du Brésil. De cette façon, nous disposons de données précises qui nous permettent de voir que 97 % des terres indigènes ont passé le stade de l’identification. Parmi celles-ci, trois cent quatrevingt-sept terres sont enregistrées au CRI et au SPU, soit un total de 63 % de l’ensemble des six cent huit terres indigènes du Brésil (Cf. Figure 4). En prenant chaque catégorie, nous pouvons voir dans quelles proportions se situe la majorité des terres indigènes. Les terres « en phase d’identification » représentent 16 % de l’ensemble, celles avec « restriction d’utilisation aux non-indiens » représentent 0,5 %, celles « identifiées » 4 %, celles « déclarées » 8 %, celles « réservées » 3 %, celles « homologuées » 4 % et celles « enregistrées » 64 %. Plus de la moitié des terres indigènes sont arrivées au stade final du processus de démarcation, à savoir l’inscription au service du patrimoine de l’Union. La conclusion que nous pouvons tirer est que plus des 4/5e des terres indigènes ont entamé le processus qui va les mener à l’homologation. Mais il serait trop hâtif de dire que toutes ces terres indigènes sont sécurisées puisque la procédure de démarcation, depuis 1996, prévoit une possibilité de recours pour les tiers située entre l’étape de l’identification et celle de déclaration par le ministre de la Justice. En excluant les terres seulement identifiées (et en conservant les terres réservées car elles sont jugées garanties aux Indiens2), le résultat obtenu montre que 79 % des terres indigènes sont sécurisées juridiquement, même si, dans la pratique, les 1. João Pacheco de Oliveira, (coord.), Indigenismo e territorialização: Poderes, rotinas e saberes coloniais no Brasil contemporâneo, Rio de Janeiro, Fundação Ford, 1998, p. 13. 2. Instituto SocioAmbiental, « TI reservadas », http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/ondeestao/reserv.html.

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invasions sont fréquentes. Ces quatre cent quatre-vingt-deux terres indigènes couvrent une superficie de 106 869 419 hectares (le Brésil fait 851 196 500 hectares1, les terres indigènes sécurisées représentent donc 12,5 % du territoire national)2. Le processus de démarcation des terres inscrit dans la Constitution touche donc à sa fin puisque seulement ¼ des terres indigènes officiellement reconnues reste à sécuriser. D’autant plus que les terres « en cours d’identification », « à usage restrictif » et « identifiées » ne représentent en surface que 2,5 % des terres indigènes. De façon générale, c’est une victoire pour les Indiens puisque au bout de vingt ans, l’objet principal de leurs revendications semble arriver à son terme. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire, et si certains groupes ont obtenu la démarcation de leur terre, les groupes plus vulnérables et moins organisés n’ont pas eu cette chance. Réflexions sur le droit de possession des Indiens sur leurs terres La Convention n° 169 de l’Organisation internationale du travail qui a été ratifiée en 2002 par le Brésil stipule que les Indiens doivent bénéficier de la propriété collective de leur terre. Or, au Brésil, les Indiens n’en ont que la possession permanente et l’usufruit. Ceci rend leur droit à la terre fragile puisque comme nous l’avons vu il est possible par une simple loi de remettre en question la démarcation des terres indigènes. C’est la raison pour laquelle certaines organisations3 militent pour l’application de la Convention de l’OIT afin que les Indiens deviennent les propriétaires de leur habitat. Il nous semble que cette position est dangereuse. En effet, en sus des pressions économiques et financières auxquelles sont soumis les Indiens, ceux-ci risqueraient de céder leur terre à des groupes d’exploitants et de finir totalement démunis, comme ce fut le cas pour les Indiens d’Amérique du Nord. A ce sujet, le Daws Act constitue un précédent : la mise en propriété privée des terres amérindiennes en 1884. Dans les années 1930, les Indiens d’Amérique avaient perdu les 9/10è de leurs terres. 1. Instituto SocioAmbiental, « Localização e extensão das TI », http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/ondeestao/locext.asp. 2. Cf. Annexes 15 et 16 : L’état des TI en Amazonie et au Brésil. 3. C’est la thèse soutenue par une publication de Survival International : « Dépossédés, les Indiens du Brésil », Ethnie, vol. 16, n° 28, 2000.

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D’ailleurs, cette position semble validée par le fait que les entreprises d’extraction minière ou forestière soudoient un nombre croissant d’Indiens afin de leur accorder des concessions dans leur réserve.Certains Indiens sont même directement impliqués dans l’abattage illégal de bois. C’est le cas de certains Indiens du Xingu. Ce fut le cas du dirigeant indigène Payakan qui vendit une partie de sa réserve à son propre profit. De plus, les Indiens n’ont pas tous la notion de « propriété » au sens où nous l’entendons. Pour eux, vendre une partie de la forêt signifie qu’ils autorisent des étrangers à venir l’exploiter, mais ils ne se rendent pas compte qu’ils ont définitivement perdu le droit d’accès en ces lieux1. De même, ils n’ont pas toujours une vision du long terme. Trop de terres pour si peu d’Indiens ? Depuis les années 1970, un argument contre la démarcation des terres indigènes s’est développé : comment justifier que 12,9 % du territoire national soit alloué à une minorité ethnique représentant à peine 0,25 % de la population brésilienne ? Aujourd’hui encore, il n’est pas rare que des politiciens s’en servent, en témoigne une déclaration2 de l’ancien Président de la FUNAI luimême, Mércio Pereira Gomes (sept. 2003-mars 2007) du 12 janvier 2006 dans laquelle il disait : « Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de limites à leurs revendications territoriales, mais nous arrivons à une étape où la Cour suprême aura à en instaurer une ». A cet argument statistique s’en ajoute un autre, économique, selon lequel les vastes étendues de terres réservées pour les Indiens sont immobilisées et donc restreignent l’avancée de la frontière économique. Dans ce cas, les terres indigènes deviennent un obstacle au développement du Brésil. C’est sans doute l’une des raisons de la multiplication des décrets régissant la procédure de démarcation des terres indigènes, rendant celle-ci de plus en plus complexe, comme nous l’avons vu précédemment.

1. Entretien avec Patrick Menget, le 2 mars 2007. 2. Déclaration à l’agence de presse Reuters le 12 janvier 2006. Source : Survival, Newsletter « Brésil : Les Indiens attaquent la FUNAI », 17 janvier 2006, http://www.survivalfrance.org/related_material.php?id=373.

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Ces affirmations anti-indiennes ne sont pas exactes et il convient de les analyser1. Tout d’abord, s’il est vrai que les Indiens ne représentent qu’une petite partie de la population globale du Brésil, il n’en est pas de même au niveau régional. Les Indiens au Brésil sont dans 60 % des cas situés en Amazonie légale et plus précisément, presque 50 % dans le Nord amazonien. Si bien que, dans cette région, les Indiens représentent une part importante de la population. En 1990, les Indiens représentaient 72 % de la population rurale de l’Etat de Roraima, et presque 10 % dans l’Etat d’Amazonas2. Des chiffres plus récents montrent qu’ils représentent 20 % de l’extension du Pará et 47 % de celle du Roraima3. Au niveau des communes amazoniennes, les Indiens peuvent représenter la majorité de la population4. Si l’on regarde du côté des terres, 98 % des terres indigènes se trouvent en Amazonie légale5. La faiblesse démographique des Indiens perd de son sens si on regarde précisément leur dispersion géographique. João Pacheco de Oliveira démontre que si l’on prend la population rurale non-indienne de chaque Etat et la surface de terres productives utilisée par cette population (nombre d’hectares par habitant rural) et que l’on compare ce ratio avec le nombre d’hectares par Indien, le résultat obtenu montre que dans de nombreux Etats, les terres indigènes seraient moins étendues que les propriétés rurales (Etat de Bahia, Etats de Santa Catarina, Rio Grande do Sul et d’autres encore). Dans les Etats où le rapport hectares/habitant semble favorable aux Indiens, il ne l’est plus dans la pratique, puisque la plupart des terres indigènes sont affectées par des activités économiques de non-indiens. Enfin, il reste au Brésil dans de nombreux Etats, des terres effectivement disponibles pour le développement rural6. A cet égard les Indiens ne constituent pas un obstacle au développement de l’agriculture au Brésil.

1. João Pacheco de Oliveira Filho, 1990, op. cit., p. 20-21. 2. Id., p.20. 3. Bruce Albert, 1996, op. cit., p.178. 4. Par exemple, les communes de Santo Antonio de Iça, São Paulo de Olivença, Amaturá, Tabatinga … 5. Instituto SocioAmbiental, « Localizaçãoe extensão das TI », http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/ondeestao/locext.asp. 6. Cf. Annexe 17 : terres disponibles en 1990.

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Si cette question est sans cesse réactualisée, c’est sans doute parce que les terres indigènes sont souvent situées dans des régions sensibles sur le plan économique (présence d’importants gisements d’or et de minerais précieux) et sur le plan géopolitique (dans des zones frontalières), si bien que malgré la faiblesse démographique des Indiens au Brésil, la question indienne a acquis une place considérable dans le débat national à travers ses enjeux territoriaux. Il y a eu une forte avancée dans le processus de démarcation des terres indigènes depuis les années 80 : en 1981, la FUNAI reconnaissait l’existence de trois cent huit terres indigènes couvrant 400 000 kilomètres carrés ; en 1996, le gouvernement de Cardoso en comptait cinq cent cinquante-quatre, représentant 947 000 kilomètres carrés1; aujourd’hui [2007], les chiffres officiels recensés par l’Instituto SocioAmbiental portent le nombre de terres indigènes officiellement reconnu à cinq cent quatre-vingt-treize, soit 1 092 363 720 kilomètres carrés2. C’est un grand progrès, même si force est de constater que la FUNAI n’est pas très efficace pour mener à bien la démarcation : Vingt ans n’ont pas suffit à réaliser ce qui devait être fait en cinq ans d’après la Constitution. Il ne faut pas oublier que tout de même 36 % des terres indigènes doivent encore arriver à l’étape de l’enregistrement. La majorité des terres indigènes, légalisées ou non, (84 % selon la FUNAI3) font l’objet de diverses formes d’invasion et d’exploitation économique non indigène4. Les terres qui ont atteint l’homologation et l’enregistrement sont les mieux protégées contre les invasions illégales5. Il serait donc bénéfique pour les Indiens de hâter les processus entamés. Cette politique de démarcation menée systématiquement depuis la dernière constitution a sans aucun doute un effet positif sur les Indiens. La reconnaissance d’une terre pour des groupes qui se trouvaient dans une position vulnérable freine considérablement le processus de dépouillement dont ils étaient jusque là victimes6. Et les 1. Bruce Albert, 1996, op. cit., p. 181. 2. 109 236 372 hectares. Source : ISA, , « Situação jurídica das TI hoje », http://www.socioambiental.org/pib/portugues/quonqua/ondeestao/sit_jurid.html, Total général des Terres Indigènes (Cf. Figure 4). 3. Chiffre cité dans Bruce Albert, 1996, op. cit., p. 181. 4. Exploitations forestière, minière, agricole, hydroélectrique … 5. João Pacheco de Oliveira Filho, 1990, op. cit., p. 19. 6. Christian Gros, 2004, op. cit., p. 40.

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colons qui envahissent leurs territoires savent qu’ils ne sont pas à l’abri d’une expulsion. La précarité change de bord. Il est de l’intérêt général de protéger effectivement les terres indigènes au Brésil. Elles sont le dernier bastion contre la déforestation massive qui sévit en Amazonie.

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Chapitre 3 Quelles perspectives d’avenir pour les Indiens du Brésil ? Aujourd’hui, au Brésil, les Indiens constituent une population d’environ 700 000 individus dont 380 000 ont encore un mode de vie traditionnel1. Ces derniers représentent 0,25 % de la population brésilienne et ont un taux de natalité nettement plus élevé que la moyenne nationale2. De manière générale3, les Indiens se sont stabilisés et voient depuis leur nombre augmenter continuellement. La question de la préservation de l’intégrité physique semble résolue pour la majeure partie des ethnies brésiliennes. Cependant, qu’en est-il de l’intégrité culturelle et spirituelle de ces groupes ? Sont-ils inexorablement voués à se faire « avaler par la grande machine et devenir une fraction du prolétariat rural »4 brésilien ? Tout en espérant que ce ne sera pas le cas, nous ne pouvons apporter de réponse à cette question. Cependant, il est intéressant de constater des comportements indigènes qui vont dans le sens du renforcement culturel, en réaction à l’acculturation croissante due au contact avec la culture brésilienne. Et de manière surprenante, ces initiatives sont souvent basées sur des outils de travail occidentaux, parfois même sur une technologie avancée. C’est par exemple l’utilisation de la vidéo par certains groupes, ou encore d’images satellites par d’autres. Mais ces nouvelles initiatives ne doivent pas occulter les principaux enjeux des revendications indigènes, à savoir le respect de leurs droits constitutionnels. Comme nous l’avons vu, la démarcation des terres indigènes arrive à son terme et malgré la résistance de la part de certains groupes « développementalistes », ce droit semble acquis. Il n’en est pas de même pour l’éducation différen1. Chiffres du dernier recensement de la population brésilienne par l’IBGE ; Cf. Annexe 1 : Recensement de l’IBGE en 2000 (population indigène). 2. IBGE: http://www.ibge.gov.br/home/default.php. 3. Un certain nombre d’ethnies est toujours en voie d’extinction. 4. Marc Lenaerts, Anthropologie des Indiens Ashéninka d’Amazonie : Nos sœurs Manioc et l’étranger Jaguar, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 269.

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ciée, les programmes de santé et les programmes économiques alternatifs permettant l’autosubsistance des Indiens et leur autonomie. Depuis les années 1990, la FUNAI est reléguée à un rôle secondaire, celui de délimiter les terres indigènes. Les autres aspects de la politique indigéniste sont du ressort des différents ministères concernés, qui dans la plupart des cas n’en font pas une priorité. Ainsi, la santé indigène a été négligée lors du premier mandat de Lula, les postes de la FUNASA ayant été alloués selon des décisions politiques1. Il semble bien que l’avertissement de Christian Gros se concrétise au Brésil : sous l’autonomie territoriale relative accordée aux Indiens par la démarcation des terres, un abandon et une certaine marginalisation se font sentir, laissant la voie ouverte à une privatisation de la politique indigéniste. Cette thèse est validée par Bruce Albert lorsqu’il parle d’un « indigénisme officiel aujourd’hui réduit à sa plus simple expression » 2. Dès lors, la plupart des projets socio-éducatifs et économiques concernant les Indiens sont d’origine privée, impulsés par des ONG militantes brésiliennes ou étrangères, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de rivalité entre les divers acteurs. Comment concilier une indianité stéréotypée par le monde occidental (qui attend d’ailleurs que les Indiens la reflètent) avec le monde moderne, dans lequel ils évoluent au même titre que la société brésilienne ? Où trouver les fondements d’une légitimité à l’indianité nécessaire pour prétendre aux avantages, notamment fonciers, auxquels elle ouvre droit ? Il est important de se pencher sur ces questions alors que tant d’autres secteurs de la population, tout aussi marginalisés et paupérisés, n’ont pas droit à ces avantages fonciers et sociaux (nous pensons ici aux Sans terres).

1. Eliane Brun, 2006, op. cit., p. 30. 2. Bruce Albert, 1996, op. cit., p.189.

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1. Les alternatives socio-économiques Le domaine de la santé L’état de santé des populations indigènes est très hétérogène selon leurs conditions de vie, qu’ils vivent dans un territoire démarqué ou non, qu’ils doivent faire face ou non à d’éventuelles invasions, etc. De manière générale, ce sont les conditions de contact avec la société brésilienne qui déterminent l’état de santé des différents groupes indigènes. A cet égard, la démarcation d’une terre indigène revêt une importance toute particulière (même si les invasions illégales sont monnaie courante). D’après la FUNASA, le profil épidémiologique des Indiens est caractérisé par des cas d’infections respiratoires, diarrhées, malaria, tuberculose, et toutes les maladies pour lesquelles ils n’ont pas développé d’immunités1. La dispersion des groupes indigènes et leur localisation dans des régions reculées, voire difficiles d’accès, rendent problématique l’accès aux prestations de santé. Au Brésil, c’est le ministère de la Santé, la FUNASA, qui est en charge de la santé indigène. La FUNASA a opté pour la mise en place de trente-quatre districts sanitaires spéciaux indigènes (DSEI), qui représentent un sousgroupe du système unifié de Santé (pour tous les Brésiliens)2. Les DSEI ont une base territoriale et entendent respecter la culture et les relations de pouvoir entre les groupes dont ils ont la charge. A chaque DSEI correspondent plusieurs postes de Santé indigènes. Ce sont les agents indigènes de santé qui interviennent dans les villages. Le système organisationnel de la FUNASA et des DSEI est pyramidal3 et a montré ses limites sous le premier mandat de Lula. Il est trop dépendant des personnes nommées aux plus hauts postes. Le problème ne semble pas être la quantité des fonds alloués par le gouvernement, mais plutôt leur utilisation. En effet, la majeure partie de cet argent n’arrive pas jusqu’aux populations visées. Ceci résulte en partie de la décentralisation de la FUNASA. Ainsi, certains Etats bloquent ou détournent volontairement les fonds 1. Source : FUNASA www.funasa.gov.br. 2. Enio Cordeiro, 1994, op. cit.; Site de la FUNASA, www.funasa.gov.br. 3. Cf. Annexe 18 : L’organisation des DSEI.

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destinés aux Indiens (ou choisissent de façon discriminatoire à quel groupe ils les allouent). Par exemple, en février 2007, le gouvernement de l’Etat du Mato Grosso a annoncé qu’il cesserait de fournir une aide alimentaire aux populations Guarani1. Ce programme alimentaire avait été mis en œuvre en 2004 suite au décès de vingt et un enfants. Aujourd’hui, certaines communautés indigènes sont gravement touchées par des épidémies. C’est le cas des Indiens de la vallée du Javari qui traversent une crise sanitaire depuis fin 2006 (épidémies de malaria et d’hépatite). L’Education indigène : les défis à venir L’école indigène, une question primordiale La plupart des groupes indigènes sont très désireux d’apprendre et l’école leur paraît un outil indispensable pour pouvoir prétendre jouer un rôle politique et citoyen afin de défendre leur autonomie socio-économique et culturelle. Pour cela, il est impératif de pouvoir déchiffrer les modes d’action occidentaux. En effet, la plupart des dirigeants indigènes actuels sont passés par les bancs d’une école, que ce soit à la mission jésuite, dans un poste de la FUNAI ou encore en ville2. Cette éducation occidentale leur a permis de transcrire des demandes indigènes en des termes compréhensibles et recevables par la société nationale et internationale. Les communautés indigènes demandent des écoles3 et celles-ci se sont multipliées. Selon la Constitution de 1988, l’enseignement scolaire indigène doit être différencié et refléter leurs langues (enseignement bilingue), coutumes et traditions. Le but n’est donc plus de « civiliser » les jeunes Indiens, mais, au contraire, de valoriser leur culture, tout en leur donnant les moyens de déchiffrer les codes de la société dans laquelle ils évoluent. La plupart des programmes mis en place par les organisations indigènes visent ainsi à créer des écoles pour leurs enfants. Le problème principal reste l’acquisition de fonds pour pouvoir les mettre en œuvre. Ce sont donc les groupes les plus médiatisés et qui arrivent à capter le plus de fonds qui s’en sortent le mieux. Ainsi, les 1. Survival International, News, 9 février 2007. 2. Davi Kopenawa Yanomami en est l’exemple-type. 3. Les Ashéninka (Marc Lenaerts, 2004, op. cit., p. 184).

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Kayapó construisent des écoles grâce au pourcentage obtenu de l’orpaillage de l’or blanc sur leurs terres1. Les Yanomami ont également élaboré un programme éducatif différencié avec l’appui de la CCPY, du CIR, de l’APIR et de l’OPIR qui est couplé avec l’édition de huit journaux en langue yanomami2. Savoirs indigènes, savoirs occidentaux L’éducation scolaire à l’ « occidentale » représente un changement de point de vue pour les Indiens. En effet, dans les communautés, le savoir était jusque là transmis par la pratique. Or, d’après les études des anthropologues, il semblerait que certaines ethnies amazoniennes aient une façon tout à fait particulière d’appréhender les choses : en termes de relations3. L’apprentissage traditionnel des jeunes enfants, très peu structuré, est basé principalement sur l’observation directe, une pratique par mimétisme, au cas par cas. Parfois, ces observations lors des sorties en forêt sont dans une seconde phase commentées au village, de façon à compléter les informations acquises en forêt4. La perception indigène des choses est sans doute à la base de cet apprentissage pragmatique, désordonné et un peu déroutant pour l’Occidental. Ceci réside peut-être dans la relation que les Indiens entretiennent avec le gibier, avec les plantes et les différents êtres qui peuplent leurs lieux de vie. Il en résulte une confrontation entre l’apprentissage scolaire et l’apprentissage traditionnel. Alors que le second procède davantage par mimétisme participatif, le premier et sa démarche analytique semble assez hermétique aux Indiens, surtout pour les adultes : « On voit qu’ils [les Ashéninka] reproduisaient là leurs propres démarches d’apprentissage. Les nôtres, sélection des seuls signes productifs [à propos de l’alphabet et la formation de mots], décomposition analytique et recomposition séquentielle, leur restaient profondément étrangères »5.

1. Cf. Figure 6 : Une école kayapó. 2. Jornais Yanomami : de Alto Catrimani, Watoriki (Demini), Homoxi, Kayana u, Paapiú, Parawa u, Toototobi, Jornal do profesores yanomami (Cf; www.proyanomami.org.br). 3. Nous autres, Occidentaux, appréhendons plutôt les choses en termes d’esprit (au sens d’essence immatérielle et stable). 4. Marc Lenaerts, 2004, op. cit., p. 179. 5. Id., p. 184.

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Toujours selon Marc Lennart, les jeunes s’en sortent beaucoup mieux que les adultes. Mais au bout de quelque temps, le jeune Indien se trouve en butte à des difficultés scolaires qui ne seront surmontées que quand « quelque chose » dans son approche aura été « cassé ».

Figure 5 - Ecole Kayapó

Coup d’œil par la fenêtre de l’école. Paradoxe : c’est avec le pourcentage obtenu de l’orpaillage blanc sur leurs terres que les Kayapó enseignent à leurs enfants à écrire dans leur langue. Kayapó (Djetutire, 1991).

Source : Photographies de Milton Guran et texte de Milton Guran et Bruce Albert, « Regards en miroir – Indiens du Brésil », Ethnies, Paris, Survival, vol. 7, n° 14, 1992-3, p. 75.

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Les « communautés pratiquantes » : la transmission de la culture Comme le disait Pierre Bourdieu, « par son fonctionnement même, l’école modifie le contenu et l’esprit de la culture qu’elle transmet »1. Si l’enseignement bilingue présente l’avantage de pérenniser la langue indigène par sa transcription et par son apprentissage systématique aux jeunes Indiens, il n’en reste pas moins inapproprié pour transmettre certains aspects de la culture indigène. En effet, la culture est d’abord une pratique avant d’être un simple apprentissage discursif. Elle s’apprend au contact de « communautés pratiquantes »2, comme l’a montré Marc Lenaerts qui a étudié les Ashéninka : « A un enfant qui n’accompagne pas ses parents en forêt, il manquera sans doute toujours quelque chose de fondamental »3.

Or, la présence quotidienne des enfants à l’école les retire forcément du milieu forestier et les déqualifie par rapport aux savoirs liés à la vie en forêt. A cet égard, l’école entre en concurrence avec l’apprentissage parental traditionnel. L’écueil à éviter est la transformation du patrimoine culturel indigène en folklore sous prétexte de l’enseigner à l’école de façon statique, décontextualisée et finalement dépourvue de sens. La mise en place d’écoles où l’apprentissage se fait sur une base différenciée en accord avec la culture est donc impérative pour la sauvegarde de la culture indigène en plus de la seule langue vernaculaire. Cet apprentissage est étroitement lié à la problématique de la formation de professeurs indigènes capables de transmettre la culture indigène comme une chose vivante et non comme un savoir lié à un passé qui n’est plus. Ceci est un défi pour les générations indiennes à venir. L’économie de marché et les Indiens Suite au contact avec les Occidentaux, les Indiens ont, depuis des décennies, acquis des besoins matériels (savon, riz, sel, etc.) auxquels ils ne peuvent répondre qu’en pratiquant une activité de 1. Pierre Bourdieu cité par Laura Rival, « Modernité et politiques identitaires dans une société amazonienne », Cahiers des Amériques Latines, paris, n° 23, 1996(3), p. 123. 2. Ibid. 3. Marc Lenaerts, 2004, op. cit., p. 181.

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subsistance. A ces menus biens de la vie courante s’ajoutent désormais d’autres besoins rendus nécessaires par le désir de préserver leur culture. Ainsi, les Indiens veulent des écoles bilingues adaptées, organisent des rencontres intercommunautaires, utilisent des techniques modernes comme la vidéo ou les ordinateurs. A cela s’ajoutent leurs activités politiques de lobbying auprès des autorités gouvernementales pour veiller à l’application de leurs droits. Ces choses ont un coût et des fonds sont nécessaires pour soutenir leur stratégie de réaffirmation culturelle. La pratique d’activités économiques par les Indiens s’est imposée comme le revenu le plus viable sur le moyen et long terme (puisque les fonds publics sont incertains, fluctuants et ont diminué dans les années 1990). Dans les années 1970, des dirigeants Kayapó ont cru pouvoir trouver dans la vente d’une partie du bois de leur réserve la solution à ce besoin de fonds1. Aujourd’hui ces pratiques ont heureusement cessé, du moins officiellement, et la nécessité de monter des projets alternatifs « écologiquement corrects » voire « socioécologiquement durables » s’est imposée au sein des communautés. Ces projets prennent souvent appui sur les organisations indigènes locales. L’ouverture croissante de l’économie a semblé (semble encore ?) pouvoir être une solution aux besoins pécuniaires des peuples autochtones parallèlement à l’importance croissante du commerce éthique. Ainsi, certains groupes internationaux désireux de profiter de l’image « écolo » ont passé des contrats avec des groupes indiens concernant la récolte de produits de la forêt : guarana, noix du Brésil etc. Ces projets ont eu des résultats plus ou moins heureux. Un exemple célèbre est l’accord de commerce entre la compagnie anglaise de cosmétiques The Body Shop et les Indiens Kayapó. L’enseigne avait fourni à deux villages Kayapó, A’ukre et Pukanu, les outils nécessaires pour presser de l’huile de noix du Brésil utilisée dans des shampoings2. 1. Cf. la corruption de Payakan. 2. Terence Turner, « Neoliberal Ecopolitics ans Indigenous Peoples: The Kayapó, The ‘Rainforest Harvest’, and the Body Shop », Yales F&ES Bulletin, New Haven, n° 98, 1995, p. 96-97.

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Le problème de cet accord était que le prix et les quantités produites étaient fixés unilatéralement par The Body Shop, mettant les Indiens dans une situation d’infériorité et de dépendance. De plus, les Kayapó dont l’image de marque profite à l’enseigne, n’étaient pas rémunérés pour la campagne publicitaire gratuite qu’ils suscitaient, d’autant plus que dans le cas présent, The Body Shop avait plus à gagner de l’image « équitable » que de l’huile de noix du Brésil proprement dite 1. Au final, les revenus tirés de cette exploitation ne suffirent pas à suspendre les concessions accordées par les Kayapó des deux villages aux exploitants miniers et bûcherons sur leurs terres. Cependant, le projet « Trade Not Aid » de The Body Shop a été très bien perçu par les Kayapó – alors même qu’il était vivement critiqué par les anthropologues et autres sympathisants occidentaux. L’idée d’une exploitation des richesses naturelles dans un but lucratif est critiquable car ce but peut ne pas atteindre les objectifs souhaités auprès des communautés indigènes, tout en provoquant une détérioration de leur milieu de vie. Cependant, il nous semble indispensable de mettre en place des projets alternatifs de ce type de façon à éviter une exploitation prédatrice des terres indigènes (directement ou indirectement par le biais de concessions) plus lucrative à court terme. Certains projets menés par des communautés locales tendent à générer des gains profitant aux producteurs, sans qu’il y ait en aval une « machine à profit », une entreprise multinationale comme The Body Shop. Ce sont par exemple les projets de marché équitable promus par une organisation comme Oxfam2. Sur cet exemple, l’ISA a lancé plusieurs projets pilotes dont une entreprise d’apiculture depuis 2003, chez les Indiens Suyá, Trumai, Ikpeng et Kayabi du Xingú. Le miel est vendu dans de petits magasins de la région3.

1. Id., p. 98. 2. Id., p. 121. 3. ISA, 10 años, São Paulo, 2004, p. 26.

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2. Les écueils de la mondialisation : de nouveaux défis Des rivalités entre Indiens Les représentations cosmologiques de certaines ethnies consistent en un réseau de relations entre différents êtres, situés à un certain maillon de la chaîne trophique et entretenant des rapports réciproques de proies à prédateurs. A cela s’ajoute une conception nourricière selon laquelle l’identité propre ne peut être construite qu’à travers des emprunts symboliques à l’Autre1. Traditionnellement, cette conception provoquait un état de guerre permanent entre les différents groupes indigènes ennemis. Même après la pacification des Indiens par le SPI, puis la FUNAI, cette belligérance latente a persisté. La restriction et la fermeture du territoire n’ont fait qu’aviver les tensions entre les groupes. Il faut savoir en qu’il n’existe pas d’unité au sein des ethnies vivant sur un même territoire. Ceci était particulièrement visible dans des groupes comme les Kayapó qui semaient la terreur avant d’être pacifiés. La rivalité entre chefferies est aujourd’hui toujours présente. Ceci n’est pas sans conséquence, puisque l’union fait la force. Devant une politique indigéniste hésitante, c’est un défi de taille que l’union des Indiens pour faire valoir leurs droits face aux grands projets d’initiative gouvernementale. Dans la pratique, l’idée a commencé à se répandre et les organisations indigènes multiplient les occasions de se rassembler. Ainsi, des Jeux indigènes ont même été créés. En 2006, Terence Turner, un anthropologue spécialiste des Kayapó, relevait la décision historique de plusieurs communautés rivales de s’assembler sous une direction commune. Du 28 mars au 1er avril 2006, deux cents Kayapó se sont réunis à Piaraçu sous la direction de Megaron Tuxukarramãe2 pour discuter de la meilleure manière de faire obstacle à la construction d’une série de barrages sur les fleuves Xingu et Iriri. Cet événement faisait suite à une précédente réunion qui avait été boycottée par les trois plus larges communautés Kayapó 1. Anne Losonczy, cours DEVL011, « Anthropologie des sociétés amazoniennes », ULB Bruxelles, notes de cours, année 2005- 2006. 2. Indien Kayapó directeur de l’office régional de la FUNAI dans le Mato Grosso.

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de l’Est, rivales traditionnelles des Kayapó de l’Ouest1. Une fois les Kayapó unis sous une direction commune, l’émergence d’une communauté politique kayapó a été possible, plus forte et plus influente. Les divisions internes entre les groupes interdisent la création d’un ample mouvement indigène au Brésil. La puissance du mouvement indigène dépendra de leur capacité à s’unir et à dépasser les rivalités structurelles encore en œuvre aujourd’hui. Depuis les années 1990 et la privatisation croissante de la politique indigénistene, les rivalités entre groupes indiens se sont accrues concernant la captation des ressources. Ce sont les groupes les plus visibles et qui savent le mieux manipuler leur image médiatique qui accèdent le plus aux fonds, qu’ils soient d’origine privée ou publique. Certains groupes indigènes ont toujours conservé une relation clientéliste avec la FUNAI. C’est le cas des Xavante ou des Kayapó par exemple. Par des actions spectaculaires, ils accaparent l’attention au détriment d’autres groupes moins nombreux et souvent dans une situation plus fragile2. Souvent, les groupes les plus habiles à se faire subventionner sont ceux qui ont gardé une allure « authentique ». Il s’opère donc un clivage entre Indiens acculturés et non-acculturés, au profit des seconds3. Ce clivage entre « vrais » et « faux » Indiens a son importance au sein même de la communauté indigène. Par exemple, parmi les Indiens urbains d’Altamira, les indios legitimos (purs) ont une précieuse spécificité au regard de leurs semblables. Le terme même de indios misturados4 (métissés) porte en son sein l’idée d’une perte culturelle engendrée par le métissage5.

1. Terence Turner et Vanessa Fajans-Turner, « Political innovation and inter-ethnic alliance, Kayapó resistance to the developmentalist state », Anthropology Today, Journal of the Royal Anthropological Institute, London, vol. 22, n° 5, 2006. 2. Michel Agier et Maria Rosario G. de Carvalho, 1994, op. cit., p.113. 3. Bruce Albert, 1996, op. cit., pp. 198-199. 4. Terme développé par João Pacheco de Oliveira. 5. Judith Vaes, Les Indiens urbains d’Altamira, Para, Brésil ; un rapport à l’indianité, issu du passé, reconstruit dans le présent, Mémoire soutenu à l’Université Libre de Bruxelles, dir. Patrick Menget, 2005, p. 48.

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Des rivalités entre ONG La rivalité entre le CIMI et l’ISA Il existe une rivalité entre les deux plus grandes ONG proindiennes du Brésil, le CIMI et l’ISA. En effet, le CIMI d’origine catholique et l’ISA, organisation plus scientifique et environnementaliste, ont des points de vue divergents quant à la façon de traiter la politique indigéniste au Brésil. Ceci a des conséquences fâcheuses et dessert les intérêts des Indiens. Lorsque le gouvernement fait passer un acte contestable, les deux ONG montent au créneau, mais lorsqu’il s’agit de faire des propositions, les divergences empêchent de trouver un accord. Ceci est d’autant plus vrai que chaque organisation a la main mise sur certaines ethnies, desquelles elles tirent leur légitimité. L’ISA critique l’interventionnisme de l’Etat brésilien dans les affaires indigènes et défend l’idée selon laquelle les ONG seraient mieux à même de s’occuper des domaines de la santé, de l’éducation et des alternatives de développement économique pour les Indiens. Au contraire, le CIMI défend un engagement plus grand de l’Etat vis-à-vis des Indiens. De plus, l’organisation catholique pense que toute stratégie orientée vers le marché est incompatible avec les traditions indigènes. Elle privilégie donc une vision plus paternaliste1. Ces divisions ont porté et portent encore préjudice à la question indigène. Ne serait-ce que pour la question des terres, les deux organisations n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le nombre de terres indigènes à identifier, affaiblissant l’objet de la dissension. Néocolonialisme et indigénisme Ce que nous appelons des comportements néocoloniaux sont les façons de mettre la main sur des groupes indiens utilisées par certaines ONG. Sous prétexte de porter assistance à la cause indienne et de détenir la bonne solution, des organisations n’hésitent pas à imposer leur point de vue aux populations qu’elles soutiennent. Ainsi, les secteurs progressistes de l’Eglise catholique, comme le CIMI, sont malgré tout toujours attachés à leurs racines reli1. Maria Guadalupe Moog Rodrigues, 2002, op. cit., p. 505.

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gieuses. Ils proposent de conserver les cultures indigènes à travers une « incarnation » interculturelle, mais dans le but de convertir les Indiens au christianisme1. Une ONG telle que CCPY aurait eû une dynamique paternaliste qui aurait empêché la formation d’un mouvement Yanomami de plus grande envergure avant les années 1990. C’est la thèse avancée par Gregory M. Maney2 lorsqu’il dit que l’ONG a agit comme un gardien car les Yanomami « avaient besoin de temps » pour « comprendre leurs droits constitutionnels et apprendre à négocier avec le monde extérieur »3. Fort heureusement, il semble que cette dynamique paternaliste se soit estompée. Enfin, certains anthropologues s’alarment de voir se développer la figure de l’Indien « domestiqué »4. Cet Indien est une source de revenu et de légitimation pour l’organisation qui l’exploite, une nouvelle forme de commerce en quelque sorte. Parler de la professionnalisation croissante du tiers secteur connaît une certaine vogue. La question de l’Indien domestiqué suit la même logique. Il s’agirait de choisir de défendre ou non certains Indiens plus « rentables » que d’autres. Ceci s’accompagne bien entendu de campagnes de publicité et d’une sorte de prise de parts de marché dans le monde de l’indigénisme. Ce genre de pratique est dangereux. De quel droit choisit-on d’aider un groupe ethnique plutôt qu’un autre ? Ce choix précipite un clivage entre « vrais » et « faux » Indiens tel que nous l’avons mentionné précédemment. Les conséquences de cela sont une sorte de mise en scène systématique de l’indianité de façon à répondre au stéréotype de l’Indien imaginé par les Occidentaux. Ces stéréotypes sont pourtant aux antipodes d’une réalité vécue au jour le jour. Lorsque sa survie en dépend, il est difficile de blâmer l’Indien qui vend le bois de sa réserve ou, à l’époque du projet Calha Norte, l’Indien Tukano qui passe un accord avec les militaires. A partir du moment où une organisation exige un certain comportement en contrepartie de son soutien, l’Indien n’a plus de libre choix. C’est une forme de colonialisme que de refuser à un peuple de faire les arrangements qu’il désire à sa culture. 1. Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., p. 291. 2. Gregory M. Maney, 2001, op. cit., p. 122. 3. Citations de Claudia Andujar, citées par Gregory M. Maney, Id., p. 122. 4. Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., p. 276.

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3. Indianité et modernité A ceux qui pensent que l’Indien qui a la télévision, qui s’habille à l’occidentale et qui se déplace en voiture n’est pas un Indien, il convient de leur rappeler que la technologie n’est pas l’apanage des « civilisés ». Il serait vraiment trop ethnocentrique et irrespectueux de penser qu’une civilisation –occidentale– soit la seule à pouvoir bénéficier de la technologie pour conserver son identité. Être Indien, c’est avant tout une affaire d’identité. Or, l’identité n’est pas un bien matériel qui se modifie au gré des colifichets, fussent-ils de la technologie de pointe. Cette sous-section est dédiée à tous ceux qui ne voient en l’Indien qu’une figure exotique, un bipède à plume, un bon sauvage ou encore le protecteur de la forêt. Des identités multiples L’Indien brésilien du XXIè siècle est loin de l’image stéréotypée du sauvage vêtu de plumes vivant des plantes de la forêt et de la chasse. Même s’il est vrai qu’il existe encore un certain nombre de groupes d’Indiens non contactés au Brésil, les autres ont pour la plupart adopté certains aspects de la société brésilienne par laquelle ils sont entourés. La diversité ethnique et géographique des Indiens ne permet pas de faire état d’une homogénéité entre les groupes. Les Indiens du sud, qui ont été les premiers par les nouveaux arrivants, semblent plus acculturés que ceux du nord. Beaucoup d’entre eux ne se différencient plus vraiment de la population pauvre rurale brésilienne. En Amazonie, le contraste est plus fort. Certains groupes ont fait le choix de rester relativement à l’écart de la société brésilienne et de conserver leur culture la plus intacte possible. D’autres groupes ont des contacts fréquents avec les Blancs dont ils ont adopté un certain nombre de pratiques. Dans tous les cas, cela ne signifie pas forcément la perte de l’identité indienne. Certes, les cultures indigènes se sont modifiées, mais il est de l’essence même de la culture de ne pas être figée. Aussi, l’intégration du monde des Blancs dans la culture de ces sociétés ne constitue pas toujours une détérioration de celle-ci. S’il en est ainsi, c’est peut être parce que la cosmologie de certains Indiens amazoniens des basses terres conçoit la construction du

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« moi » par des emprunts symboliques à l’ « autre » (l’ennemi). Ces emprunts, considérés comme des trophées de guerre, peuvent être des objets mais également des choses immatérielles telles que des noms de personnes, des esprits etc. La culture indigène intègre donc en son sein des fragments d’autres cultures. A la différence de la civilisation occidentale qui procède par la négation d’autrui, la culture de certains groupes indiens inclut l’Autre dans sa propre perception du monde. L’identité est multiple1 et les Indiens brésiliens ont à juste titre le droit de prétendre à leur moitié brésilienne s’ils le désirent. Ce sujet est particulièrement complexe lorsqu’il s’agit d’Indiens qui se sont sédentarisés et qui vivent en ville. Les Indiens urbains, comme l’a montré Judith Vaes dans une étude menée à Altamira2, attachent beaucoup d’importance à cette double identité. Et elle n’est pas facile à valoriser : « La figure de l’Indien au Brésil emprunte des représentations du sens commun qui souvent imposent à l’individu qui s’en réclame de correspondre à un être aujourd’hui devenu presque imaginaire tant ce qui le caractérise est entaché d’un anachronisme contradictoire avec le dynamisme de la réalité et du monde dans lequel ce reliant doit s’efforcer d’être encore authentique pour être.[…] Malheureusement pour les Indiens des villes, leur nouveau milieu de vie civilisé les arrache à une quelconque indianité fondamentalement ancrée dans la forêt et la culture qui s’y déploie »3.

Ainsi, même à la ville, l’identité indienne persiste, même si la culture a subi de lourdes pertes. D’ailleurs, les réseaux de relations entre les Indiens de la ville et ceux de la forêt persistent et participent à revitaliser l’indianité des premiers4. Bruce Albert a montré que l’idée d’un passage à sens unique de l’Indien rural/traditionnel à l’Indien citadin/déculturé n’était pas pertinent. Au contraire, il est observable dans de nombreuses régions un « réaménagement des réseaux sociaux amérindiens sous la forme d’espaces transversaux – véritables communautés multilocales qui articulent, à l’échelle 1. Amin Maalouf, Les Identités Meurtrières, Paris, LGF-Livre de Poche, 2001. 2. Altamira était à l’origine une aldeia indigène qui a petit a petit vu sa population croître par la venue des colons et qui est devenue la plus grande ville au cœur de l’Amazonie. 3. Judith Vaes, 2005, op. cit., p. 1. 4. Judith Vaes, 2005, op. cit., p. 24 et suiv.

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régionale, relations de parenté, flux de biens et circulation de personnes entre pôles situés en divers points de la forêt et des villes »1. Les pratiques de renouveau culturel La Reculturation Être Indien au Brésil donne des droits constitutionnels spécifiques : fonciers, culturels et sociaux. Aussi, comme la souligne Christian Gros : « Si pour obtenir le bénéfice d’un territoire et accéder à ses ressources, il convient de montrer et démontrer son autochtonie, son ancestralité, d’évoquer ses racines, son ascendance, d’affirmer la force d’un lien qui vous unit à un ensemble de familles, une communauté, il y a peu de doutes que l’on favorise fortement un processus d’ethnogenèse, de communalisation ethnique – l’ethnicité pouvant se définir comme la croyance subjective à des ancêtres communs ou putatifs »2.

Dès lors, de nombreux groupes d’origine indigène mais acculturés ou des groupes de petits exploitants ruraux aux caractéristiques proches (par exemple certains caboclos parlent le Guarani) se cherchent des racines indigènes pour prétendre à une terre et une situation meilleure. Video nas Aldeias : un instrument de réaffirmation ethnique Le projet « Video nas Aldeias », lancé en 1987 avec l’aide du CTI (Centro de Trabalho Indigenista) et d’anthropologues est un exemple de la façon de renforcer et réactiver les cultures indigènes. Le but était d’initier les Indiens à l’utilisation de la vidéo caméra afin qu’ils puissent exprimer à travers les images leur identité, la vision qu’ils avaient d’eux-mêmes et du monde qui les entoure. Le CTI a formé les producteurs de vidéo et leur a appris à mettre leur prise de vue sous forme de cassettes vidéo. Il a également proposé de stocker un double des productions et d’en assurer la diffusion et la commercialisation auprès des Indiens comme des non-indiens3.

1. Bruce Albert, 2001, op. cit., p. 55. 2. Christian Gros, 2005, op. cit., pp. 43-44. 3. Terence Turner, « The Kayapó video project : a progress report », Revue de la Commission d’Anthropologie Visuelle, Université de Montréal, 1990, p. 3.

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Ce projet a été expérimenté notamment chez les Kayapó et chez les Waiãpi en 1990. Chez les Kayapó, l’implantation du projet a résulté d’une demande de leur part, face aux problèmes qu’ils rencontraient dans le principal village, Gorotire, par suite du manque d’implication de la part de certains jeunes dans les croyances traditionnelles et la culture kayapó. A cet égard, l’introduction de la vidéo a constitué un outil de jonction dans la construction d’une culture hybride née de la tradition indigène et du contact avec le monde blanc1. Faire des vidéos de sa culture est un moyen de s’affirmer de façon moderne. Cela permet de résoudre en partie la question de l’identité chez les jeunes de façon satisfaisante (intégrée). Chez les Waiãpi, la demande émanait également de leur communauté mais avait pour origine une insatisfaction de la part des Indiens concernant les expériences de films et vidéos déjà réalisés à leur sujet, mais qui n’avaient jamais été diffusés. Les Waiãpi désiraient donc filmer différents aspects de leur culture afin de les montrer et de faire ainsi partie du concert des nations indigènes du Brésil2. La vidéo a permis aux Kayapó et aux Waiãpi de présenter leur culture et leur mode de vie sous une forme audible de tous, et suscitant respect et encouragement 3. Ce type de projet permet également de renforcer la communication entre différentes ethnies indiennes. Les Waiãpi utilisèrent la vidéo pour affirmer leur identité culturelle, en comparant les pratiques de leur communauté à celles des autres groupes indigènes. Dès lors, ils s’inspirèrent des manières de faire de certains groupes, comme les Kayapó intégrant une nouvelle rhétorique, plus guerrière, dans leur discours politique, ce qui eut un franc succès dans les négociations auprès des autorités gouvernementales4. Par ailleurs la projection chez les Waiãpi de vidéos réalisées dans d’autres ethnies (Guarani, Waurá, Kayapó, Krahô, Xavante, Parakãna, etc.) leur a permis d’acquérir une vision élargie des autres 1. Terence Turner, 1990, op. cit., p. 1. 2. Dominique Tilkin Gallois, Vincent Carelli, « Video in the villages : The Waiãpi experience », ref. inconnue(http://www.anthro.umontreal.ca/varia/beaudetf/Media_Autochto nes/8-aldeias/pdf/Waiapi_DGallois.pdf). 3. Terence Turner, 1990, op. cit., p. 1. 4. Dominique Tilkin Gallois, Vincent Carelli, ref. inconnues, op. cit., p. 3.

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groupes, renforçant les associations présentes dans les mythes fondateurs où les Waiãpi sont représentés comme les « vrais humains ». Les Indiens ont réalisé qu’ils n’étaient pas les seuls engagés dans ce combat de survie culturelle et que leurs ennemis traditionnels (les autres groupes indiens) présentaient parfois beaucoup de similarités, ne seraient-ce que linguistiques. La vidéo est un outil qui a permis aux Indiens de renforcer, voire de reconstituer leur culture face à la société dominante. Visionner des rites accomplis par les autres groupes indiens peut permettre une prise de conscience de son propre rapport à la culture et provoquer une réappropriation de certains aspects de la culture qui avaient été laissés de côté. Les Indiens sont souvent confrontés à l’image de primitifs qu’ils renvoient, technologiquement inférieurs et relativement démunis face à la société dominante. L’utilisation de la vidéo acquiert un sens politique et permet de faire entendre sa voix dans le monde des Blancs. Au-delà de son rôle purement culturel, la vidéo a été utilisée par les deux ethnies à des fins politiques, pour sensibiliser les opinions publiques et récolter des fonds pour leurs projets (ce qui n’a pas été sans créer des rivalités entre les différents villages). L’autre utilisation purement politique de la vidéo fut de filmer les invasions illégales dans les terres indigènes. Cette utilisation, commune aux Kayapó et aux Waiãpi a permis de donner force à leurs propos sur la revendication de démarcation foncière et a ainsi modifié leurs relations avec les Blancs tout en renforçant leur propre culture. La technologie de pointe au service des intérêts indiens Au premier abord, modernité et indianité sont deux notions qui paraissent contradictoires. Dans les faits, il s’avère que l’un peut servir l’autre. C’est ce que nous allons étudier à partir d’un cas concret qui est l’utilisation d’une technologie de pointe, la cartographie par satellite, chez les Indiens Kayapó et Yanomami.

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Le projet de cartographie par image satellite Deux projets de cartographie par image satellite ont été lancés dans deux communautés indigènes amazoniennes : les Yanomami et les Kayapó. Dans les deux cas, le but initial était de réaliser un système d’information géographique (SIG) de façon à répertorier les ressources naturelles disponibles dans les terres indigènes concernées. Sont à l’origine de ces programmes l’Institut de Recherche et de Développement1 ainsi que des organisations brésiliennes (CCPY pour les Yanomami ; MPEG et UAS pour les Kayapó). L’objectif initial de recueil de données purement environnementales a été détourné dans chaque cas à des fins politiques. Il est intéressant de voir que l’utilisation d’une technique occidentale de pointe a servi à légitimer la particularité culturelle des Indiens. Le projet yanomami a été mis sur pied en 2003 et impliquait l’IRD, le CNRS et la Commission Pro-Yanomami (CCPY)2. Grâce à un système de télédétection, il s’agissait d’évaluer les effets de l’activité des orpailleurs sur l’environnement et l’ampleur de la régénération de la nature dans la région de Homoxi entre 1988 et 1998, en terre indigène yanomami, mais également de fournir des indications sur le peuplement yanomami de la région et les activités agricoles qui y sont associées3. Le projet kayapó impliquait quant à lui l’IRD, le MPEG et l’UAS de Belém. Il s’agissait de réaliser une spatialisation des savoirs locaux dans la région de São Felix do Xingú (Pará) au niveau du village kayapó. Mais à la demande des Indiens, ce projet a été mis de côté au profit d’une cartographie politique de leur terre à tous (au niveau de la terre indigène dans sa totalité)4.

1. IRD : organisme français public de recherche. 2. Bruce Albert et François-Michel Le Tourneau, « Regards croisés sur un territoire », Sciences au Sud – Le Journal de l’IRD, Paris, n° 25, mai/juin 2004, p. 10. 3. Bruce Albert et François-Michel Le Tourneau, « Usage d’images TM et ETM+ de Landsat dans un contexte pluridisciplinaire : orpaillage, agriculture amérindienne et régénération naturelle en territoire yanomami (Amazonie brésilienne) », Télédétection, Paris, Editions scientifiques GB, vol. 4, n° 4, 2005. Cf. Annexe 19 : TI yanomami et projet landsat. 4. Pascale De Robert et Anne-Elisabeth Laques, « La Carte de Notre Terre. Enjeux cartographiques vus par les Indiens Kayapó (Amazonie brésilienne) », Mappe Monde, Montpellier, vol. 69, n° 1, 2003.

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Confrontation de deux réalités Cartographier le territoire indigène avec la participation des populations concernées n’est pas sans difficulté. En effet, la représentation cartésienne du monde est étrangère à la plupart des sociétés amazoniennes. C’est le cas des Yanomami et des Kayapó qui ont un savoir géographique basé sur des repères temporels ou matériels vécus. Deux réalités sont en confrontation : une réalité occidentale, imposée aux Indiens, et une réalité indigène radicalement différente. La plupart des sociétés amazoniennes traditionnelles ont une conception particulière de leur rapport au territoire. Comme l’explique Oiara Bonilla1, « les lieux ne font sens que par rapport à un vécu : ce sont des lieux que l’on fréquente, que l’on exploite, où ont eu lieu certains événements, où sont plantés des arbres fruitiers ou des palmiers, où des morts sont enterrés, où l’on réalise les rituels, où certains résident ou ont résidé jadis. ». De manière plus générale, il s’agit d’un réseau de lieux vécus dans un territoire illimité. Ainsi, quand un ancien Kayapó dessine le territoire kayapó à l’anthropologue, il commence par tracer un cercle, « Pukatoti d’où nous venons tous » et trace à partir de ce lieu originel un réseau d’autres cercles représentant les villages successifs reliés par des traits plus ou moins longs (en fonction de la rivalité entre les groupes)2. Aujourd’hui, cette représentation du territoire se voit bouleversée par l’imposition d’une limite : la frontière de la terre indigène. Aussi, les jeunes générations ont une approche un peu modifiée du territoire. Le jeune Kayapó va commencer par tracer un grand cercle représentant les limites de la réserve pour ensuite y inscrire les différents villages3.

1. Oiara Bonilla, « Topographies cosmiques et démarcations de terres indiennes : le cas des Paumari (Rio Purus, Amazonas) », in Idelette Muzart-Fonseca dos Santos et Denis Rolland (coord.), La Terre au Brésil : de l’abolition de l’esclavage à la mondialisation, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 143. 2. Pascale De Robert, « Terre coupée : Recomposition des territorialités indigènes dans une réserve d’Amazonie », Ethnologie française, Paris, vol. XXXIV, n° 1, 2004, p. 80. 3. Cf. Figure 7 : Représentation du territoire (Kayapó).

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Figure 6 - La représentation du territoire (Kayapó) La représentation « traditionnelle » du territoire : Un réseau de lieux qui s’étend à l’infini - Dessin de Kupatô Kaiapó (Ancien)

La représentation du territoire par un jeune Kayapó : Délimitation des frontières de la réserve - Dessin de Axuapé Kaiapó

Source : Pascale De Robert, « Terre coupée : recomposition des territorialités indigènes dans une réserve d’Amazonie », Ethnologie française, Paris, XXXIV, 1, 2004, p. 81.

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Le rapport même à la nature est différent chez les Indiens. Notre conception occidentale d’une nature-objet leur est étrangère. La plupart des ethnies amazoniennes ne considèrent pas la forêt comme une entité inerte. Elles n’ont d’ailleurs pas de vision transcendante telle que nous pouvons en avoir. Chez les Yanomami, le cosmos est une totalité sociale régie par un système assez complexe d’échanges symboliques. Ces échanges s’organisent entre sujets humains et non-humains (les animaux, les végétaux et les esprits). Le chamanisme est la pierre angulaire de ces échanges1. Dans ce réseau de relations, urihi, la « terre-forêt », est une entité vivante qui est mise à mort par la déforestation2. Comme chacun des acteurs du réseau, parmi lesquels figurent les Yanomami, urihi possède un « souffle vital » d’origine mythique. Elle est donc en même temps une source de nourriture pour les Indiens et un habitat pour les esprits chamaniques, formant ainsi le système cosmologique yanomami. C’est donc le rapport aux êtres qui est le creuset de l’altérité indienne. Cette altérité a su être habilement maniée par certains dirigeants indigènes, comme Davi Kopenawa Yanomami. L’adaptation des mythes à l’arrivée des Blancs et à leur rapport prédateur à la nature a été intégrée dans un discours écologique. L’écologie est devenue « le creuset discursif privilégié »3 des dirigeants indiens. Nous voyons ici l’ampleur d’une confrontation entre indianité (une vision du monde comme un réseau relationnel) et modernité (carte). Pourtant l’une n’exclut pas l’autre et les Yanomami comme les Kayapó ont su faire cohabiter ces deux visions du monde radicalement différentes, mais légitimant un même discours écologique.

1. Bruce Albert, 1993, op. cit. 2. Cf. Figure 8 : Urihi. 3. Bruce Albert, 1993, op. cit .

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L’utilisation de la cartographie satellite par les Indiens Il est intéressant de constater que les deux ethnies ont eu une utilisation similaire de la carte satellite de leur terre. Yanomami et Kayapó ont réalisé des cartes personnalisées détaillant leurs connaissances géographiques. Il s’agissait de s’approprier l’outil des Blancs en le remplissant de sens. En effet, sur les cartes régionales, les terres indigènes sont souvent représentées comme des espaces vides (sans nom de lieux, sans indication de peuplement) ce qui est un déni même de leur existence. Les frontières y sont même parfois erronées. La première appropriation de l’espace a été d’y inscrire une toponymie amérindienne1. En peuplant la carte de noms de lieux (voire de personnes chez les Kayapó), les Indiens souhaitent montrer que la terre n’est pas vide, mais qu’elle est occupée. Pascale de Robert insiste sur la volonté des Kayapó d’inscrire sur leur carte un nombre de noms satisfaisant pour rivaliser avec les espaces occupés par les Blancs, peuplés de noms de lieux. Ainsi, tous les lieux de vie présents et passés sont inscrits, de façon à légitimer leur existence dans la région et prouver qu’ils parcourent encore tous les chemins de la forêt. Il est intéressant de voir que, dans les deux cas, les Indiens ont voulu créer une carte des mouvements migratoires de leurs peuples, fournissant les données d’une « ethno-cartographie » sur leur occupation de l’espace2. Ceci est une façon de lier la vision indienne du territoire comme un réseau de lieux et d’événements présents et passés à l’outil occidental, la carte, et de légitimer leur occupation du territoire depuis des temps anciens3. Politiquement, Yanomami et Kayapó peuvent utiliser cette cartographie pour légitimer l’image de « gardiens de la forêt » qui leur est souvent prêtée. Les Yanomami peuvent s’appuyer sur une description précise des dégradations environnementales qu’ils dénoncent dans leurs discours politiques. La carte Kayapó montre clairement une distinction entre la réserve indigène et les alentours qui sont défrichés. Le mythe de l’Indien protecteur de la forêt peut

1. Cf. Annexe 21 : La carte de notre terre (Kayapó). 2. Bruce Albert et François-Michel Le Tourneau, 2005, op. cit. Chez les Kayapó, cette carte a été nommée « cheminement des Anciens ». 3. Annexe 20 : Migrations et occupation yanomami. de Homoxi

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donc être renforcé par des images fortes (vert pour la forêt, rose pour les zones déboisées). En outre, les Kayapó – traditionnellement divisés par des luttes intestines – ont voulu utiliser la carte pour démontrer leur unité sociale et territoriale. Et ils ont finalement refusé le projet de départ qui consistait à répertorier les catégories vernaculaires de végétation à l’échelle du village. La carte devait être celle d’un peuple unique et uni habitant certes plusieurs villages, mais sur une seule terre, leur terre à tous, pyka yrý, la « terre coupée »1. Les Kayapó souhaitaient donc ne pas montrer leurs divisions internes. Au contraire, ils ont insisté sur la division entre eux et les autres Brésiliens (défricheurs de forêt)2.

Figure 7 Les limites du Parc Indigène du Xingú L’image des Indiens défenseurs de la nature : « Nous et les Autres »

Source: ISA, 10 anos, São Paulo, 2004. 1. Pascale De Robert et Anne-Elisabeth Laques, 2003, op. cit. ; « Terre coupée » est un terme inventé pour appeler leur territoire depuis qu’il connait des limites territoriales. 2. Cf. Figure 9 : Limites du PIX.

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Chez les Yanomami, le SIG doit permettre d’orienter une action de récupération de l’environnement dans la zone de Homoxi, touchée par l’impact de la ruée vers l’or entre 1988 et 19981. Par ailleurs, les Indiens souhaitent, dans leur projet de cartographie, former des professeurs yanomami aux techniques utilisées. La télédétection pourrait ainsi être utilisée par les Yanomami – fortement touchés par l’invasion d’orpailleurs – comme un outil de contrôle de leur territoire2. A terme, les Yanomami devraient être suffisamment bien formés pour continuer ce programme de surveillance par satellite de façon autonome. L’utilisation de technologies modernes doit donc permettre une certaine autonomisation des Yanomami pour un meilleur contrôle de leur territoire3. La cartographie par satellite offre un nouvel outil aux Indiens. Cet outil est matériel (c’est une technologie avancée du monde occidental) mais également politique. Il participe à légitimer l’occupation de la terre indigène par les Indiens. Cette légitimation est nécessaire car les Indiens au Brésil bénéficient de droits particuliers et ils doivent donc « mériter » ces droits. Nous avons vu que la plupart des groupes ne vit plus que partiellement de manière traditionnelle. Pourtant, les différentes cartes qu’ils ont établies réhabilitent leurs particularités culturelles, en insistant sur la dimension temporelle par exemple. Leur territoire est revalorisé grâce à la toponymie en langue amérindienne et à l’occupation de l’espace. Il est important de montrer que l’espace qui leur est réservé n’est pas « vide » et qu’il correspond à une histoire passée, présente et future qui légitime leur droit à la terre, en tant que premiers occupants du Brésil. Les Kayapó et les Yanomami ont su s’approprier une technique occidentale et l’utiliser de façon stratégique. La carte est un instrument de pouvoir traditionnellement réservé aux Blancs. Son contrôle permet un contrôle du territoire et davantage d’autonomie pour les Indiens.

1. Bruce Albert et François-Michel Le Tourneau, 2005, op. cit. 2. Bruce Albert et François-Michel Le Tourneau, 2004, op. cit., p. 10. Cf. Annexe 29 : Les résultats satellites chez les yanomami. 3. Bruce Albert et François-Michel Le Tourneau, 2004, op. cit., p. 10.

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CONCLUSION La politique indigéniste au Brésil n’est pas uniquement le fait de l’Etat. Elle est le fruit de négociations continues entre divers acteurs étatiques, économiques et sociaux. Ce flux d’échanges a propulsé la problématique indigène au rang des principaux débats nationaux. La législation brésilienne est très progressiste en la matière, surtout la Constitution fédérale. Le pays dispose également d’une organisation en charge de la protection des Indiens. A la différence des pays limitrophes, la FUNAI dispose de fonds et a un pouvoir d’action réel. Pourtant, dans les faits, les Indiens sont toujours victimes de spoliations et d’un délaissement dans les domaines sanitaires et sociaux. La présence effective de minorités n’est pas relayée par une multi-culturalité officielle au Brésil, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. De plus, des idées racistes ou évolutionnistes persistent au sein de la population brésilienne. En témoigne le meurtre d’un Indien venu demander des subventions à Brasília, brûlé vif alors qu’il dormait sur un banc, par de jeunes adolescents qui croyaient voir en lui un « simple clochard »1. Ceci démontre un malaise plus profond de la société brésilienne qui se répercute sur la question indigène. Les couches les plus pauvres de la population sont marginalisées et celles qui ne peuvent pas se réclamer d’une des catégories ethniques protégées par la Constitution (les Indiens, les Quilombos) ne bénéficient d’aucune assistance. Ceci est à même de provoquer des tensions entre des groupes qui n’ont rien à s’envier (Sans terre, etc.). La participation politique que l’Etat semble accorder aux Indiens a été jusqu’à présent un leurre et si leurs organisations ont un peu d’influence dans le Brésil d’aujourd’hui, c’est en raison de la pression internationale maintenue constante grâce à l’implication d’ONG transnationales qui font pression sur les gouvernements occidentaux. L’élection de présidents progressistes à l’image de Fernando Henrique Cardoso et Lula a représenté une aubaine pour les Indiens, mais à chaque fois ils ont été déçus. Il est possible de lire en filigrane une incompréhension du monde indigène qui est malgré 1. Argument utilisé par les jeunes gens pour se justifier d’un tel acte.

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tout toujours perçu comme anachronique, arriéré et en voie d’extinction. Cette perception a pour conséquence l’implantation de politiques protectionnistes ou d’abandon. Pourtant, il est important de voir en l’Indien autre chose qu’une curiosité, un attardé ou un protecteur de la nature. L’Indien est un être humain qui est fier de son identité. Cette identité ne se caractérise pas par un refus de la modernité, mais plutôt par un rapport différent aux choses et au monde dans lequel nous vivons. Cette identité puise dans la forêt son essence et est ainsi fortement associée à des lieux de vie faisant sens pour la communauté. La politique indigéniste échouera tant qu’elle n’aura pas modifié son approche du monde indigène. Reste à savoir si le second mandat de Lula va oser s’attaquer à l’épineux problème de la question indigène en profondeur, c’est-àdire en favorisant l’adoption d’un nouveau Statut des Sociétés Indigènes et en expulsant les occupants illégaux des terres indigènes. Le paradoxe du Brésil demeure et sa politique indigéniste s’en ressent. D’un côté il se veut humaniste et soucieux du bien-être de ses populations traditionnelles (qui font partie de sa vitrine internationale) ; de l’autre, il veut se moderniser à tout prix et voit dans l’Amazonie la clé de son développement économique. Ce paradoxe est parfaitement résumé dans ces lignes que nous empruntons à Alcida Rita Ramos : « Brésil, à la rencontre de trois origines, la terre du métissage exalté mais aussi dénigré. Brésil, pour toujours le pays du futur, le Géant qui repose à jamais dans son splendide mausolée, chanté ainsi dans son hymne national. La terre d’une démocratie raciale illusoire, du fantasme tropical, des plages paradisiaques, et de l’enfer vert amazonien. Brésil, le champion de l’inégalité sociale, le paradis de l’impunité, le lieu où les lois autocratiques et le libéralisme se rencontrent. Maison de l’homme cordial, à l’hospitalité généreuse, à l’informalité amicale, à l’humour, à la diversité, à l’inventivité. Brésil pluriel qui renie sa pluralité, le géant multiethnique qui prétend être ethniquement uniforme. Brésil, tueur et défenseur d’Indiens, d’une grand-mère indienne attrapée au lasso au fin fond de la jungle et occidentalisée par l’oubli progressif de son indianité. Ceci est le Brésil, complexe, qui continue à nourrir une relation nonrésolue avec ses minorités, entre amour et haine, une ambivalence vis-à-vis de l’Indien considéré comme un enfer nécessaire, un « os en travers la gorge » bien pratique, un alibi

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idéologique parfait qui sert à justifier son étouffement et un complexe d’infériorité inflexible »1.

Au Brésil, l’écueil de la politique indigéniste reste aussi en partie dû aux poches de résistance autocratiques héritées de l’ère des militaires. Le tandem argent-pouvoir est encore trop souvent observable ainsi que les pratiques politiques clientélistes. Dès lors, les gouverneurs de certains Etats brésiliens sont de riches exploitants et ils ont tendance à entraver le droit indigéniste pour favoriser leurs propres intérêts. C’est le cas dans l’Etat du Mato Grosso dont le gouverneur Blairo Borges Maggi est le plus gros producteur de soja du Brésil. Il est certain qu’au Mato Grosso, la déforestation prime sur les droits des Indiens. C’est ainsi que le gouverneur s’est vu décerner en juin 2005 le prix de la « tronçonneuse d’or » par Greenpeace. Depuis le premier mandat de Fernando Henrique Cardoso, les gouvernements brésiliens ont trop souvent tendu la main aux barons de l’agrobusiness : ils contribuent à renflouer les caisses d’un Etat dont la priorité nationale est le remboursement de la dette du pays. Les revendications foncières des minorités passent bien sûr au second plan. A cela s’ajoutent des impératifs de réélection rendant la mise en œuvre de politiques indigénistes presque impossible avant la fin du second mandat. Tant que le Brésil n’aura pas complètement réglé sa question démocratique, les intérêts des Indiens seront traités inégalement selon la gouvernance des Etats. Cependant, il serait illusoire de penser l’indigénisme officiel uniquement sous l’angle de l’Indien victime passive du système. Au Brésil, il a été clairement observable une prise en main de leur destin par les peuples indigènes dès les années 80. De victimes passives, ils sont passés au rôle d’acteurs de leur propre destinée. La création des organisations indigènes, la formation d’alliances, l’utilisation de techniques de communication modernes leur ont permis d’avoir une place de choix dans l’arène des négociations lors de l’inscription de leurs droits fondamentaux. La politique indigéniste est en grande partie le résultat de cette mobilisation à divers niveaux, et aujourd’hui le débat porte sur les façons concrètes de faire accéder les Indiens au rang d’interlocuteurs privilégiés pour les sujets les concernant. C’est une grande avancée.

1. Alcida Rita Ramos, 1998, op. cit., p. 292.

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Perçus comme « en voie d’extinction » jusqu’au milieu du siècle, les peuples indigènes du Brésil sont aujourd’hui les instigateurs de modèles de développement différenciés et surtout durables. Ces modèles passent par la mise sur pied d’écoles indigènes et la formation de professeurs aptes à transmettre un patrimoine socioculturel et un projet d’avenir propre à chaque communauté. Ces microprojets sont en premier lieu une réponse économique aux besoins des communautés. Puis, ils doivent concilier cette économie marchande avec la préservation de leur environnement naturel. En somme, il s’agit de bénéficier des avantages (matériels) que peut apporter la civilisation occidentale, tout en préservant les valeurs et la culture ancestrales. Et finalement, n’est-ce pas justement par ce choix de conserver de façon consciente et volontaire les valeurs tribales ancestrales clairement différenciées du monde occidentalisé brésilien, que les Indiens du Brésil sont entrés dans la modernité ? Alors que nous achevons de rédiger ces quelques lignes sur la question indigène au Brésil, les organisations indigénistes donnent l’alerte. La fin de l’année 2007 a été à nouveau entachée d’un rapport accablant du CIMI montrant une recrudescence des meurtres d’Indiens. D’après les données de l’organisation, il y a eu soixanteseize assassinats d’Indiens au Brésil en 20071, dont quarante-huit commis dans l’Etat du Mato Grosso do Sul. Ces meurtres restés impunis ont été commis sur des hommes et des femmes, des adolescents et des vieillards allant de douze ans à cent sept ans ! Les causes de cette violence sont malheureusement toujours les mêmes : conflits fonciers, déconsidération, racisme et négligence gouvernementale. Ces actes isolés viennent s’inscrire dans un génocide qui dure depuis cinq cents ans, sous le couvert d’une politique indigéniste dérisoire, incapable de faire appliquer les droits constitutionnels et fondamentaux des Indiens. Un espoir tout de même réside dans l’action volontaire de l’actuel président de la FUNAI, Márcio Augusto Freitas de Meira. Ce dernier semble compétent et plus au fait dans la compréhension des sociétés indigènes. Avec un président Lula en fin de mandat et disposé à faire évoluer la cause de ceux qui avaient porté tant 1. Rapport du CIMI du 5 janvier 2008 : http://www.cimi.org.br/?system=news&action=read&id=2963&eid=259.

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d’espoir en lui et qu’il a tant déçus, le moment est propice pour de grandes avancées. La bonne volonté du président de la FUNAI s’est concrétisée en 2007 par une accélération de la démarcation de terres indigènes et par une réactivité appréciable. Suite au rapport accablant du CIMI sur la violence dont sont victimes les Indiens, Márcio Augusto Freitas de Meira a annoncé le 11 janvier 2008 une intensification des actions de la FUNAI au profit des Indiens Guarani-Kaiowa et Ñandéva du Mato Grosso do Sul. Son action se veut ouverte au dialogue et en accord avec les volontés indigènes. Dans une interview donnée en avril 2007, il s’exprimait ainsi : « Les peuples indigènes, comme tous les secteurs de la société civile, ont le droit de recourir à tous les moyens pour garantir leurs droits. […] Dans une société démocratique, le mouvement social est autonome pour chercher l’appui et le soutien de partenaires, y compris à l’international. La FUNAI, en tant qu’organe étatique, se doit de dialoguer avec ces peuples tout en respectant leur autonomie »1.

Une fois de plus encore, nous nous laisserons porter à croire en une possible réforme de la politique indigéniste, une éternelle illusion encore possible et absolument nécessaire pour ceux qui, yanomami, kayapó, Guarani-Kaiowá, wayãpi, Ikpeng, Makuxi, Krenak, Maxakali, Satere-Mawé, Tikuna, etc., attendent tant de nous.

1. Dialogo necessario com os Indios, 19 avril 2007 : http://www.gabeira.com.br/noticias/noticia.asp?id=3613.

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• Divers • • •

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ANNEXES – TABLE Annexe 1 : IBGE - Recensement des populations indigènes en 2000 Annexe 2 : Les Présidents de la FUNAI Annexe 3 : Les effets du PCN sur les TI Annexe 4 : Extraits de la Constitution de 1988 Annexe 5 : Extraits de la Convention 169 de l’OIT Annexe 6 : Les fonds alloués à la politique indigéniste sous FHC Annexe 7: Manifestó de repudio contra a política indigenista do Governo Lula (en portugais) Annexe 8 : L’état des TI (CIMI) Annexe 9 : L’évolution de l’exploitation minière dans les TI : 1987-1998 Annexe 10 : Les processus d’exploitation dans les TI : 1998 - 2005 Annexe 11 : La TI Xikrin do Catete et exploitation minière Annexe 12 : La TI Kwaza et exploitation minière Annexe 13 : La TI Bau et exploitation minière Annexe 14 : L’orpaillage waiãpi Annexe 15 : Les TI en Amazonie Annexe 16 : Les TI au Brésil Annexe 17 : Les terres libres au Brésil en 1990 Annexe 18 : L’organisation des DSEI Annexe 19 : TI yanomami et projet landsat – Image satellite de la terre indigène yanomami Annexe 20 : L’occupation yanomami de la région de Homoxi Annexe 21 : Le projet landsat kayapó

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Annexe 1 La population indigène brésilienne en 2000 selon l’IBGE

Source : IBGE (http://www.ibge.gov.br/home/estatistica/populacao/tende ncia_demografica/indigenas/tab1_26.pdf)

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Annexe 2 Les Présidents de la FUNAI : 1967-2007 1 - José de Queiróz Campos - journaliste (déc. 1967 - juin 1970) 2- Oscar Jeronymo Bandeira de Mello - militaire (juin 1970 - mars 1974) 3 - Ismarth Araújo de Oliveira - militaire (mars 1974 - mars 1979) 4- Ademar Ribeiro da Silva - ingénieur (mars - nov. 1979) 5- João Carlos Nobre da Veiga - militaire (nov. 1979 - oct. 1981) 6- Paulo Moreira Leal - militaire (oct. 1981 - juil. 1983) 7- Otávio Ferreira Lima - économiste (juil. 1983 - avr. 1984) 8- Jurandy Marcos da Fonseca - avocat (mai - sept. 1984) 9- Nelson Marabuto - policier (sept. 1984 - avr. 1985) 10- Ayrton Carneiro de Almeida (nomination papier ) 11- Gérson da Silva Alves - militaire (avr. - sept. 1985) 12- Álvaro Villas Bôas - indigéniste (sept. - nov. 1985) 13- Apoena Meirelles - sertanista (nov. 1985 - mai 1986) 14- Romero Jucá Filho - économiste (mai 1986 - sept. 1988) 15- Íris Pedro de Oliveira - avocat (sept. 1988 - mars 1990) 16- Airton Alcântara - militaire (mars 1990 - août 1990) 17- Cantídio Guerreiro Guimarães - militaire (août 1990 - juil. 1991) 18- Sidney Possuelo - sertanista (juin 1991 - mai 1993) 19- Cláudio dos Santos Romero (mai. - sept. 1993) 20- Dinarte Nobre de Madeiro (sept. 1993 - sept. 1995) 21- Márcio José Brando Santilli - philosophe (sept. 1995 - mars 1996) 22- Júlio Marcos Germany Gaiger - avocat (mars 1996 - juil. 1997) 23- Sulivan Silvestre - avocat (août 1997 - fév. 1999) 24- Márcio Lacerda - politicien (fév. - nov. 1999) 25- Carlos Frederico Marés Filho - avocat (nov. 1999 - avr. 2000) – co-fondateur de ISA 26- Roque Barros Laraia - anthropologue (avr. - mai 2000) 27- Glênio da C. Alvarez - géologue (mai 2000 - juin 2002) 28 - Otacílio Antunes Reis Filho (juin - juil. 2002) => intérim 29 - Artur Nobre Mendes - anthropologue (août 2002 - jan. 2003) 30 - Eduardo Aguiar de Almeida - journaliste (fév. - août 2003) 31 – Mércio Pereira Gomes (sept. 2003 - mars 2007) 32 – Márcio Augusto Freitas de Meira – historien anthropologue (Depuis mars 2007) Source : ISA (http://www.socioambiental.org/pib/portugues/indenos/presfunai.shtm)

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Annexe 3 Effet du PCN sur les T.I.

Source : Marcio Santilli, « Projet Calha Norte », Ethnie, Paris, Survival, vol.5, n° 11-12, 1990, p. 115.

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Annexe 4 Les Indiens et la Constitution de 1988 : le texte Section II – De la culture Titre III – De l’organisation de l’Etat Chapitre II – De l’Union Art. 215, § 1° - L’Etat protégera les manifestation s des Art. 20 – Sont considérés comme biens de l’Union : cultures populaires, indigènes et afro-brésiliennes ainsi que xi : - les terres traditionnellement occupées par les Incelles des autres groupes qui participent du processus diens. culturel national. Art. 22 – L’Union a compétence exclusive à légiférer sur : Chapitre VIII – Des Indiens xiv : - les populations indigènes. Art. 231 – L’organisation sociale, les coutumes, les langues, les croyances, les traditions et les droits originaires des Titre IV – De l’organisation des pouvoirs Indiens sur les terres qu’ils occupent traditionnellement sont Chapitre II – Du pouvoir législatif reconnus, l’Union étant tenue de procéder à la démarcation Section II – Des attributions du Congrès national Art. 49 – Le Congrès National a compétence exclusive de ces terres ainsi que de protéger et de faire respecter tous leurs biens. pour : xvi – autoriser l’exploitation des ressources hydriques, la § 1°- Les terres traditionnellement occupées par l es Indiens prospection et l’exploitation des richesses minières dans les sont celles qu’ils habitent de manière permanente, celles qu’ils utilisent pour leurs activités productives, celles qui terres indigènes. sont indispensables à la préservation des ressources du milieu naturel nécessaires à leur bien-être et celles qui sont Chapitre III – Du pouvoir judiciaire nécessaires à leur reproduction physique et culturelle selon Section IV – Des tribunaux régionaux fédéraux leurs usages, coutumes et traditions. et des juges fédéraux § 2° - Les terres traditionnellement occupées par l es Art. 109 – Les juges fédéraux ont compétence dans les Indiens sont destinées à leur possession permanente, procès et les jugements relatifs : l’usufruit des richesses du sol, des cours d’eau et des lacs xi – aux disputes sur les droits indigènes. leur revenant en exclusivité. Chapitre IV – Des fonctions essentielles de la justice § 3° - L’utilisation des ressources hydriques, y co mpris Section I – Du Ministère Public Art. 129 – Le Ministère Public a pour fonctions institution- des potentiels énergétiques, la prospection et l’exploitation des richesses minières dans les terres indigènes ne peuvent nelles : être réalisées qu’avec l’autorisation du Congrès national, les v – de défendre judiciairement les droits et intérêts des communautés affectées étant consultées et leur participapopulations indigènes. tion aux résultats de cette exploitation étant assurée selon les termes établis par la loi.

Titre VII – De l’ordre économique et financier

§ 4° - Les terres mentionnées dans cet article sont inaliénables et indisponibles et les droits sur elles sont imprescriptibles.

Chapitre I – Des principes généraux de l’activité économique Art. 176 – Les gisements miniers, exploités ou non, et les autres ressources minérales ainsi que les sources d’énergie hydraulique, relèvent, pour ce qui est de leur exploitation, d’une propriété distincte de celle du sol et appartiennent à l’Union, le concessionnaire se voyant garantir la propriété du produit de l’exploitation. § 1° - La prospection et l’exploitation des ressour ces minières et ressources d’énergie auxquelles se rapportent le capot de cet article ne pourront être effectuées que sur autorisation ou concession de l’Union, dans l’intérêt de la nation, par des Brésiliens ou par des entreprises brésiliennes à capital national, selon la loi qui établira des conditions spécifiques lorsque ces activités seront menées dans les zones de frontière ou dans les terres indigènes.

Titre VIII – De l’ordre social

§ 5° - Le déplacement de groupes indigènes de leurs terres est prohibé, excepté, ad referendum du Congrès national, en cas de catastrophes ou d’épidémies qui mettent en danger leur population, ou dans l’intérêt de la souveraineté du pays, après délibération du Congrès national, leur retour immédiat étant garanti, en toute hypothèse, une fois le risque écarté. § 6° - Les actes qui auraient pour objet l’occupati on, la propriété et la possession des terres auxquelles a trait cet article ou l’exploitation des richesses naturelles du sol, des cours d’eau et des lacs qui s’y trouvent, sont nuls et non avenus, ne produisant aucun effet légal, exception faite de ce qui concerne l’intérêt public de l’Union, selon ce que disposera une loi complémentaire, l’annulation et l’extinction de ces actes n’engendrant aucun droit à l’indemnisation ou à un recours contre l’Union, excepté, selon les termes de la loi, les investissements découlant d’une occupation de bonne foi.

Chapitre III – De l’éducation, de la culture et des sports Section I – De l’éducation § 7° - Les dispositions de l’article 174 § 3° et 4° ne Art. 210, § 2° - L’enseignement fondamental régulie r sera s’appliquent pas aux terres indigènes *. effectué en langue portugaise, étant garantis aux communautés indigènes l’usage de leurs langues maternelles et de Acte des dispositions constitutionnelles transitoires leurs propres processus d’apprentissage. Art. 67 – L’Union conclura les actes de démarcation des terres indigènes dans un délai de cinq ans à partir de la promulgation de la Constitution. * Il est fait allusion ici à la préséance donnée aux coopératives d’orpailleurs pour l’obtention de concessions minières dans les zones qu’ils exploitaient avant la promulgation de la Constitution.

Source : Ethnies, vol.5, n°11-12, 1990, p.15.

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Annexe 5 Convention 169 de l’O.I.T. (1989) [Extraits]

Partie VI. Education et moyens de communication Rz|qktm -1 K Um{ um{}zm{ lwq~mv| @|zm xzq{m{ xw}z i{{}zmz i}! umujzm{ lm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{ ti xw{{qjqtq|> lNiky}>zqz }vm >l}ki|qwv : |w}{ tm{ vq~mi}! i} uwqv{ {}z }v xqml lN>oitq|> i~m tm zm{|m lm ti kwuu}vi}|> vi|qwvitm) Rz|qktm -2 K ,) ]m{ xzwoziuum{ m| tm{ {mz~qkm{ lN>l}ki|qwv xw}z tm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{ lwq~mv| @|zm l>~mtwxx>{ m| uq{ mv J}~zm mv kwwx>zi|qwv i~mk km}!(kq xw}z z>xwvlzm : tm}z{ jm{wqv{ xiz|qk}tqmz{ m| lwq~mv| kw}~zqz tm}z pq{|wqzm' tm}z{ kwv( viq{{ivkm{ m| tm}z{ |mkpvqy}m{' tm}z{ {"{|?um{ lm ~itm}z{ m| tm}z{ i}|zm{ i{xqzi|qwv{ {wkqitm{' >kwvwuqy}m{ m| k}t|}zmttm{) K -) ]Ni}|wzq|> kwux>|mv|m lwq| niqzm mv {wz|m y}m ti nwzui|qwv lm{ umujzm{ lm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{ m| tm}z xiz|qkqxi( |qwv : ti nwzu}ti|qwv m| : tNm!>k}|qwv lm{ xzwoziuum{ lN>l}ki|qwv {wqmv| i{{}z>m{ inqv y}m ti zm{xwv{ijqtq|> lm ti kwv( l}q|m lm{lq|{ xzwoziuum{ x}q{{m @|zm xzwozm{{q~mumv| |ziv{n>z>m : km{ xm}xtm{ {Nqt " i tqm}) K .) Um xt}{' tm{ ow}~mz( vmumv|{ lwq~mv| zmkwvviB|zm tm lzwq| lm km{ xm}xtm{ lm kz>mz tm}z{ xzwxzm{ qv{|q|}|qwv{ m| uw"mv{ lN>l}ki|qwv' : kwvlq( |qwv y}m km{ qv{|q|}|qwv{ z>xwvlmv| i}! vwzum{ uqvquitm{ >|ijtqm{ xiz tNi}|wzq|> kwux>|mv|m mv kwv{}t|i|qwv i~mk km{ xm}xtm{) Um{ zm{{w}zkm{ ixxzwxzq>m{ lwq~mv| tm}z @|zm nw}zvqm{ : km||m nqv) Rz|qktm -3 K ,) ]wz{y}m kmti m{| z>itq{ijtm' }v mv{mqovmumv| lwq| @|zm lwvv> i}! mvniv|{ lm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{ xw}z tm}z ixxzmvlzm : tqzm m| : >kzqzm liv{ tm}z xzwxzm tivo}m qvlqo?vm w} liv{ ti tivo}m y}q m{| tm xt}{ kwuu}v>umv| }|qtq{>m xiz tm ozw}xm i}y}mt qt{ ixxiz|qmvvmv|) ]wz{y}m kmti vNm{| xi{ z>itq{ijtm' tm{ i}|wzq|>{ kwux>|mv|m{ lwq~mv| mv|zmxzmvlzm lm{ kwv{}t|i|qwv{ i~mk km{ xm}xtm{ mv ~}m lm tNilwx|qwv lm um{}zm{ xmzum||iv| lNi||mqvlzm km| wjrmk|qn) - K Um{ um( {}zm{ il>y}i|m{ lwq~mv| @|zm xzq{m{ xw}z i{{}zmz y}m km{ xm}xtm{ iqmv| ti xw{{qjqtq|> lNi||mqvlzm ti uiB|zq{m lm ti tivo}m vi|qwvitm w} lm tN}vm lm{ tivo}m{ wnnqkqmttm{ l} xi"{) . K Um{ lq{xw{q|qwv{ lwq~mv| @|zm xzq{m{ xw}z {i}~moizlmz tm{ tivo}m{ qvlqo?vm{ lm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{ m| mv xzwuw}~wqz tm l>~mtwxxmumv| m| ti xzi|qy}m) Rz|qktm -4 K ]N>l}ki|qwv lwq| ~q{mz : lwvvmz i}! mvniv|{ lm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{ lm{ kwvviq{{ivkm{ o>v>zitm{ m| lm{ ix|q|}lm{ y}q tm{ iqlmv| : xiz|qkqxmz xtmqvmumv| m| {}z }v xqml lN>oitq|> : ti ~qm lm tm}z xzwxzm kwuu}vi}|> iqv{q y}N: kmttm lm ti kwuu}vi}|> vi|qwvitm) Rz|qktm .+ K ,) ]m{ ow}~mzvmumv|{ lwq~mv| xzmvlzm lm{ um{}zm{ ilix|>m{ i}! |zilq|qwv{ m| i}! k}t|}zm{ lm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{' mv ~}m lm tm}z niqzm kwvviB|zm tm}z{ lzwq|{ m| wjtqoi|qwv{' vw|iuumv| mv km y}q kwvkmzvm tm |zi~iqt' tm{ xw{{q( jqtq|>{ >kwvwuqy}m{' tm{ y}m{|qwv{ lN>l}ki|qwv m| lm {iv|>' tm{ {mz~qkm{ {wkqi}! m| tm{ lzwq|{ z>{}t|iv|{ lm ti xz>{mv|m kwv~mv|qwv) K -) R km||m nqv' wv i}zi zmkw}z{' {q v>km{{iqzm' : lm{ |zil}k|qwv{ >kzq|m{ m| : tN}|qtq{i|qwv lm{ uw"mv{ lm kwuu}vqki|qwv lm ui{{m liv{ tm{ tivo}m{ lm{lq|{ xm}xtm{) Rz|qktm ., K Um{ um{}zm{ lm kizik|?zm >l}ki|qn lwq~mv| @|zm xzq{m{ liv{ |w}{ tm{ {mk|m}z{ lm ti kwuu}vi}|> vi|qwvitm' m| xiz|qk}tq?zmumv| liv{ km}! y}q {wv| tm{ xt}{ lqzmk|mumv| mv kwv|ik| i~mk tm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{' inqv lN>tquqvmz tm{ xz>( r}o>{ y}Nqt{ xw}zziqmv| vw}zzqz : tN>oizl lm km{ xm}xtm{) R km||m nqv' lm{ mnnwz|{ lwq~mv| @|zm niq|{ xw}z i{{}zmz y}m tm{ tq~zm{ lNpq{|wqzm m| i}|zm{ ui|>zqmt{ x>liowoqy}m{ nw}zvq{{mv| }vm lm{kzqx|qwv >y}q|ijtm' m!ik|m m| lwk}umv|>m lm{ {wkq>( |>{ m| k}t|}zm{ lm{ xm}xtm{ qv|>zm{{>{)

Source : Christian GROS, « Le multiculturalisme à l’école », Recherches Amérindiennes au Québec, Montréal, vol. XXXI, n° 3, 2001, p.62.

174

Annexe 6 Fonds alloués à la politique indigéniste sous les mandats de F.H.C.

Source: INESC, A era FHC e o Governo Lula: transição?, Brasilia, 2004, p. 303.

175

Source: INESC, A era FHC e o Governo Lula: transição?, Brasilia, 2004, p. 303.

176

Source: INESC, A era FHC e o Governo Lula: transição?, Brasilia, 2004, n° 4-5, p. 303.

177

Annexe 7 Manifestó de repúdio contra a política indigenista do Governo Lula 04/08/2004 R Twwzlmvi={ lm {}i{ tqlmziv=i{ m wzoivq#i=Em{ zmxzm{mv|i|q~i{' |@u {m lq{xwvqjqtq#ilw i lqitwoiz kwu w Xw~mzvw Wmlmzit m kwv|zqj}qz vi nwzu}ti=