Sociologie Des Organisations [PDF]

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Zitiervorschau

Stéphane Fouénard DESS Formation de formateurs : mutations et professionnalité Promotion 2002 - 2003 Module 1 : Contextes déterminants et évolution des situations de formation

Module 1 – Sociologie des organisations M. Boudesseul

« En quoi les différents courants de la sociologie des organisations vous paraissent-ils utiles dans une activité de formation de formateurs ? »

« Le danger pourrait être, pour demain, que l'organisation prenne le pas sur l'individu. Dès maintenant, on discerne un divorce entre l'idéologie du 18ème siècle, toujours proclamée, et la structure collective du machinisme, qu'insidieusement le 20ème siècle impose chaque jour davantage. » A. SIEGFRIED, L'âme des peuples, VII, V. « Le terme sociologie (...) n'a pas encore réussi à mériter, depuis le début de ce siècle, le sens général de corpus de l'ensemble des sciences sociales qu'avaient rêvé pour lui Durkheim et Simiand. Prise dans son acception (...) de réflexion sur les principes de la vie sociale et sur les idées que les hommes ont entretenues et entretiennent à ce sujet, la sociologie se ramène à la philosophie sociale (...) et si on voit en elle, comme c'est le cas dans les pays anglo-saxons, un ensemble de recherches positives portant sur l'organisation et le fonctionnement des sociétés du type le plus complexe, la sociologie devient une spécialité de l'ethnographie (...). » Cl. LÉVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, p. 4.

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Module 1 / Evaluation – M. Boudesseul

Introduction___________________________________________________ 3 1. Pourquoi la sociologie des organisations ? ________________________ 4 1. 1. A quoi sert la sociologie des organisations ? _____________________ 4 1. 2. Des approches différentielles _________________________________ 4 2. Approche sociologique de la formation : intérêts et limites ___________ 5 3. L’analyse stratégique _________________________________________ 7 3. 1. L’analyse stratégique _______________________________________ 7 3. 2. Une formation « stratégique » ? _______________________________ 7 4. L’approche en termes d’identité, de cultures, de règles_______________ 9 4. 1. Identité et culture __________________________________________ 9 4. 1. 1. L’analyse en termes d’identité _______________________________________________ 9 4. 1. 2. L’approche culturelle ______________________________________________________ 9

4. 2. Former des identités, respecter des cultures _____________________ 9 5. L’approche en terme de conventions ____________________________ 10 5. 1. L’école des conventions ____________________________________ 10 5. 2. Et dans le monde de la formation ? ___________________________ 11 6. L’analyse en terme de traduction et de réseaux____________________ 12 6. 1. Traduction et réseaux ______________________________________ 12 6. 2. Former, c’est traduire un peu…______________________________ 12 7. Sociologie des organisations et TIC _____________________________ 13 Conclusion___________________________________________________ 14

Introduction « En quoi les différents courants de la sociologie des organisations vous paraissent-ils utiles dans une activité de formation de formateurs ? ». D’emblée il nous a semblé que la question posée n’était pas à aborder sous un angle problématique mais plutôt d’un point de vue explicatif. Précisons que notre cursus de lettres classiques et que les diverses actions de formation que nous avons entreprises sont fortement constitutifs de cette remarque. En effet, étymologiquement le terme d’organisation a exactement la même racine qu’organe et, même si nous verrons plus bas que le terme est ici à définir d’un point de vue sociologique, il nous a semblé que cette « concordance » étymologique n’était pas à perdre de vue. On parle d’ailleurs communément d’organisme de formation. Ce premier constat semble proposer une métaphore riche de sens et qu’il convient d’exploiter ici : l’organisation serait à considérer comme un organisme vivant, constitué de multiples cellules qu’en seraient les acteurs. Dès lors, la sociologie des organisations, en tant qu’elle s’intéresse à l’analyse du fonctionnement de cet organisme dans des perspectives de changements, permettrait à toute action de formation un diagnostic fondamental et nécessaire. Par conséquent nous avons jugé qu’il était indéniable que la sociologie des organisations était fondamentalement « utile » dans une activité de formateur. Ce deuxième constat nous a finalement amené à aborder notre sujet de réflexion d’un point de vue plus restreint : celui de formateur d’enseignants au sein de l’Education Nationale. En quoi et comment la sociologie des organisations peut-elle permettre d’appréhender et de « diagnostiquer » de façon contextuelle la formation des enseignants ? Après avoir proposé une définition de l’approche organisationnelle en sociologie, nous verrons en quoi cette double perspective d’interprétation-compréhension des organisations est riche de sens. Nous détaillerons ensuite les « filtres de lecture » qu’offrent quatre théories majeures de la sociologie des organisations en focalisant notamment sur leur portée dans une activité de formation contextualisée.

1. Pourquoi la sociologie des organisations ? 1. 1. A quoi sert la sociologie des organisations ? Il convient, pour parvenir à une définition aussi précise que possible, de commencer par s’attarder sur l’objet sociologique qu’est l’organisation. Autrement dit, il s’agit de d’abord se demander ce que recouvre le terme d’organisation en sociologie avant de s’intéresser à la sociologie des organisations proprement dite. La sociologie des organisations a pour objet la compréhension des organisations dans le double objectif d’en produire des connaissances et d’en changer le fonctionnement. Cette définition reste vague sans explicitation de ce que les sociologues entendent par organisation. Même si la définition ne fait pas consensus, le terme organisation désigne en sociologie un ensemble de règles durables orientées vers une fin commune et plus ou moins matérialisée par un lieu. L’organisation est donc à comprendre comme une association d’individus construite pour structurer les coopérations et induisant par là-même une répartition des rôles de chacun des acteurs, un système de communication et une hiérarchie qui pose les rapports de pouvoir. L’analyse des systèmes organisationnels incite à prendre en compte les systèmes humains qui, avec les structures formelles, constituent une des dimensions essentielles de l’organisation. Elle permet donc d'analyser des situations ou d'établir des diagnostics sur les fonctionnements humains en organisation, afin d'aider à la définition de politiques nouvelles et de contribuer aux actions de développement des potentiels humains dans les organisations publiques ou privées, allant dans le sens d'une meilleure efficacité collective Il est donc clairement établi que l'analyse des organisations offre des pistes de réflexion pour penser la complexité des mécanismes de coopération humaine indispensables dans toute action de formation et ce, quel que soit le contexte. Le but est finalement de disposer d'une grille d'interprétation qui permette de prévenir et de guérir les dysfonctionnements de l'organisation, du fait de la présence d’une source d’incertitude majeure: le facteur humain. Il apparaît donc à présent nécessaire de s’attarder sur différentes approches théoriques qu’offre la sociologie des organisations afin de voir quelles seraient les pistes d’analyse les plus pertinentes dans notre activité contextualisée de formateur. 1. 2. Des approches différentielles Comme le précise Bernoux1, l’analyse sociologique organisationnelle donne une clé de compréhension et d’interprétation du milieu professionnel et permet une appropriation d’un mode d’approche de l’organisation. Nous traiterons des quatre modèles majeurs d’approche de l’organisation que sont : - L’analyse stratégique : pouvoir et autorité L’analyse stratégique considère toute organisation comme un système structuré autour des notions d’autorité et de pouvoir, composé d’acteurs, de leurs stratégies, de leurs jeux de pouvoir et de zones d’incertitude. 1

P. Bernoux, « A quoi sert la sociologie des organisations ? ». Revue Sciences Humaines, mars-avril 1998, HS n° 20, p°12-15.

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L’analyse en termes d’identité et de culture : identité au travail et culture d’entreprise Cette approche envisage l’organisation comme un lieu de socialisation, d’expression d’appartenances identitaires et de reconnaissance sociale. L’organisation est un groupe humain structuré par des valeurs propres et les formes d’identité au travail déterminent des modes de conduite collective et se cristallisent en modèles culturels ou « mondes sociaux ». - La théorie des conventions : les mondes et les accords C’est la manière dont les individus élaborent des compromis qui est le cœur de la théorie des conventions. Les comportements des acteurs sont étudiés en fonction des principes de légitimité selon lesquels ils agissent et argumentent. La compréhension du monde dans lequel chacun se situe permet de résoudre les controverses et de trouver des compromis. L’accord est alors envisagé comme une construction. - L’approche en termes de réseaux et de traduction : coopération et traduction Elle traite des conditions d’émergence des innovations et de la nécessité de traduire dans un langage partagé par tous pour obtenir une coopération. Il s’agira donc d'aborder ces théories et analyses fondamentales qui permettent de comprendre comment s’organise le fonctionnement des organisations afin de « donner des clés de compréhension et d’action aux acteurs engagés dans des situations organisationnelles » et de voir, pour chacune d’elles, quels sont les apports et les limites de la « grille de lecture » de l’organisation qu’elles proposent dans le cadre de notre action de formateurs d’enseignants en focalisant ponctuellement sur les domaines des TICE et particulièrement de l’ACAO (Apprentissage Collaboratif Assisté par Ordinateur) dans lesquels s’inscrivent nos activités.

2. Approche sociologique de la formation : intérêts et limites Il convient, pour commencer, de contextualiser précisément notre cadre d’intervention afin de mettre en lumière les intérêts et limites des diverses approches de la sociologie des organisations de façon précise. En tant que formateur d’enseignants au sein de l’Education Nationale, l’organisation dans laquelle s’inscrivent nos analyses occupe une place particulière du fait de sa complexité. Cette macro-organisation qu’est le système éducatif français est composée de micro-organisations que toute action de formation se doit de prendre en compte pour être cohérente. Car en effet un formateur d’enseignants ne peut pas se borner à une analyse organisationnelle de surface. En tant que « fonctionnaire de l’Etat », il appartient à une macro-organisation qui fixe institutionnellement les règles. Mais il appartient aussi à une Académie qui fixe les plans d’éducation, à un IUFM qui fixe et propose des plans de formation à des enseignants qui appartiennent eux aussi à la macro-organisation Education Nationale et à des microorganisations dont la plus concrète lui paraît bien souvent être la classe. Dès lors, comment établir un « diagnostic organisationnel » aussi riche et précis que possible sans se perdre ? Quel objet d’étude prendre pour impulser le changement ?

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Ainsi, schématiquement, on aurait :

L’ETAT « Le professeur exerçant en collège, en lycée d'enseignement général et technologique ou en lycée professionnel participe au service public d'éducation qui s'attache à transmettre les valeurs de la République, notamment l'idéal laïque qui exclut toute discrimination de sexe, de culture ou de religion. Le professeur, fonctionnaire de l'État, relève du statut général de la fonction publique et statut particulier de son corps d'appartenance qui définissent ses droits et obligations. » Mission de l’enseignant, Circulaire N°97-123 du 25-3-1997 - BOEN N°22 du 29-5-97

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1#

Le Ministère de l’Education Nationale

IUFM Organisme de formation

Académie / Rectorat Recteur,inspecteur

3#

L’Etablissement Chef d’établissement, communauté éducative, élèves, parents d’élèves La classe L’équipe pédagogique, les élèves, les parents d’élèves

1# : Sphère politique 2# : Sphère culturelle 3# : Sphère technologique Cette complexité particulière nous paraît fondamentalement devoir être prise en compte dans une analyse sociologique. Proposer et analyser des grilles d’interprétation organisationnelle, certes, mais à quel objet les appliquer ensuite ? A quel contexte d’analyse se limiter ? Quand les « frontières » de l’organisation sont mouvantes, faut-il privilégier une analyse micro, méso ou macro-sociologique ? Nous pensons qu’il s’agira pour le formateur d’enseignant d’être capable de focaliser son regard différemment selon les contextes de formation et donc de changer de grilles de lecture et d’objet d’analyse selon les cas. Peut-être s’agit-il là d’une nouvelle compétence, invisible, implicite, mais fondamentale qui viendrait professionnaliser davantage le métier de formateur.

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De plus, avec Ardoino2 (1980), nous pensons que « l’éducation est un objet qu’aucune science ne peut à elle seule rendre entièrement intelligible. » et qu’il convient donc « d’adopter une approche multiréférentielle. ». Ainsi il convient à présent de présenter les quatre théories les plus parlantes de la sociologie des organisation afin de mettre en lumière, pour chacune d’elles, les apports et les limites de leurs approches dans notre contexte particulier de formateur d’enseignants. Loin d’avoir un regard de spécialiste ou d’expert sociologue, nous apporterons donc ici les échos qu’amènent les analyses organisationnelles dans nos pratiques.

3. L’analyse stratégique 3. 1. L’analyse stratégique Promue par M. Crozier et E. Friedberg (19773) dans les années 80, l’analyse stratégique rejette l’idée d’un modèle universel de l’organisation. Cette théorie considère davantage l’organisation comme un système politique dans lequel les acteurs évoluent, ce qui n’est pas sans nous rappeler notre métaphore initiale. L’analyse stratégique repose sur quatre principes fondamentaux. Elle considère tout d’abord l’acteur en organisation comme un stratège – d’où le qualificatif d’analyse stratégique – disposant d’une marge d’action - ou zone d’autonomie - grâce à la maîtrise d’une zone d’incertitude. Cet acteur est aussi considéré comme rationnel même si sa rationalité est limitée du fait que les informations qu’il reçoit sont incomplètes et qu’il ne peut, par conséquent, explorer toutes les possibilités d’action et s’arrête à « la moins insatisfaisante ». De plus l’analyse stratégique comprend le pouvoir comme une relation d’échange qui se négocie. Enfin elle se fixe pour objectif de mettre au jour la constitution d’un système d’actions plus ou moins stable qui résulte des interactions entre les acteurs. L’idée fondamentale que l’analyse stratégique met en valeur est la place centrale de l’incertitude dans les organisations : dans toute organisation, aussi formelle et bureaucratique soit-elle, il existe une grande zone d’incertitude qui laisse une marge de manœuvre aux acteurs et au jeu des négociations informelles. La place du concept de pouvoir est aussi centrale dans l’analyse stratégique et notamment à travers les remarques de Friedberg (19934). Le pouvoir n’y est pas seulement analysé comme une capacité à « faire faire », mais bien comme élément constitutif de la structuration des relations dans l’organisation : le pouvoir est créateur de règles. Il permet de stabiliser les interactions qui résultent de toute action collective, soumise, de fait, à une marge d’incertitudes et donc de décisions à prendre. 3. 2. Une formation « stratégique » ? Un des apports fondamentaux de l’analyse stratégique réside, à notre sens, dans la prise en compte de l’implicite dans l’organisation. Le fait de reconnaître qu’il existe toujours un jeu entre le prescrit et l’effectif paraît fondamental dans l’approche préalable à toute compréhension. Ceci rejoint d’ailleurs les remarques que nous avons faites plus haut sur la complexité de l’organisation pour et dans laquelle nous travaillons. Dans notre activité de formateur d’enseignants, il apparaît nécessaire de tenir compte de cet écart qui existe entre le discours institutionnel qui porte l’organisation et les pratiques 2

Ardoino, Education et relations – Introduction à une analyse plurielle des situations éducatives, Paris, Gauthier-Villars, 1980. 3 Crozier et Friedberg, L’Acteur et le Système – Les contraintes de l’action collective, 1977. 4 Friedberg, Le Pouvoir et la Règle, 1993. S. Fouénard

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d’actions concrètes qui existent au sein des établissements et qui répondent à une cohérence interne. La nécessité d’une observation empirique du fonctionnement de l’organisation s’impose dans notre contexte : comment offrir une action de formation qui réponde aux attentes des enseignants en se contentant d’une connaissance institutionnelle de l’organisation ? De plus, l’influence des relations de pouvoir qui, en partie déterminent les stratégies des acteurs, même si elle est souvent niée ou tue dans le système éducatif, n’en reste pas moins réelle. En tenir compte sans pour autant réduire l’analyse organisationnelle à des comportements d’alliances, de négociations ou d’opposition est un autre des atouts de l’analyse stratégique, notamment lorsque force est de constater que cet état de fait influence fortement toute action de formation en lui opposant des résistances auxquelles tout formateur doit se préparer. Il nous apparaît enfin que le rôle de l’acteur au sein de l’organisation tel qu’il est abordé par l’analyse stratégique est particulièrement intéressant. La zone d’autonomie du sujet limitée par une rationalité limitée et qui oriente ses possibilités d’actions en fonction des informations incomplètes dont il dispose nous semble amener un regard nouveau sur l’acteur au sein de l’organisation. La formation, en tant qu’elle a à voir avec un savoir des pratiques là où l’apprentissage tiendrait plutôt à une pratique des savoirs, doit prendre en compte la zone d’autonomie limitée dont disposent les acteurs organisationnels pour proposer un parcours vers le changement qui soit plus aisément accessible. Cette notion de zone d’incertitude vient aussi étayer le fait que les négociations informelles existent et sont à prendre en compte. Loin de nous pourtant l’idée de proposer une « formation stratégique ». L’hypothèse qui pose l’acteur comme central à l’organisation, autonome, calculateur et donc forcément isolé et contraint aux alliances ne nous paraît pas évidente dans notre contexte de formation où les exigences réelles d’efficacité ne perturbent que très indirectement les interactions. L’analyse stratégique tendrait à réduire les relations inter-individuelles à des relations interfonctionnelles où les règlements vaudraient pour ce qu’ils sont. En conséquence, on s’attarderait davantage sur la fonction que sur la personne, ce qui nous semble à prohiber dans une action de formation où il s’agit d’ « accompagner l’autre sur son chemin d’autorisation5 ». Enfin la critique apportée par Crozier lui-même qui décrit le « cercle vicieux démocratique » met en exergue une limite certaine de l’analyse stratégique. Le cercle vicieux démocratique – notamment dans les grandes administrations, ce qui n’est pas sans nous concerner ! – consisterait en un processus où l’impersonnalité des règles, affaiblissant le pouvoir hiérarchique, redonnerait une certaine indépendance sécurisante aux acteurs, isolerait les différentes catégories hiérarchiques et, finalement, favoriserait la centralisation. Ainsi la « grille » de lecture que propose l’analyse stratégique nous paraît-elle particulièrement pertinente dans l’analyse d’une macro-organisation telle que le système éducatif français et, de fait, mérite d’être approfondie. Néanmoins, il nous semble, parallèlement, et peut-être paradoxalement, que cette approche ne propose pas des perspectives d’analyse claires dans le cadre d’une action de formateur d’enseignant, si ce n’est en « toile de fond » de la réflexion.

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Expression empruntée à A. Langlois

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4. L’approche en termes d’identité, de cultures, de règles 4. 1. Identité et culture 4. 1. 1. L’analyse en termes d’identité Développée par Sainsaulieu (19776), l’analyse en termes d’identité renvoie à un mode de structuration de l’organisation où l’expérience joue un rôle central. La socialisation rend compte de la création des règles (Reynaud, 1989) par intériorisation des situations de travail, des relations quotidiennes de pouvoir et d’expériences introduisant d’autres apprentissages collectifs. Les attitudes collectives des groupes permettent de définir des modèles relationnel et de comprendre leurs réactions. Cette approche envisage l’entreprise comme un lieu de socialisation, d’expression d’appartenances identitaires et de reconnaissance sociale. L’organisation est un groupe humain structuré par des valeurs propres. Les formes d’identités au travail déterminent des modes de conduite collective et se cristallisent en modèles culturels ou mondes sociaux (l’entreprise duale, bureaucratique, modernisée, en crise ou communautaire). Pour Sainsaulieu, les premiers modèles de l’identité au travail articulent le rapport à la tâche exécutée, la situation de travail avec les pairs, les rapports de pouvoir et la place laissée à l’ambition dans la possibilité de penser un projet professionnel. Il distingue ainsi : - le modèle fusionnel, caractérisé par une forte solidarité entre collègues, une opposition à la hiérarchie et peu d’intérêt à la tâche ; - le modèle de négociation, qui correspondrait à un construit hérité des corporations où la qualification suffirait à légitimer des demandes (marchander son salaire, ses conditions de travail, être élu…) ; - le modèle des affinités, où les connivences affectives sont plus personnalisées et où, de fait, on ne retrouve guère de grande solidarité ; - le modèle de retrait, enfin, peu engagé dans les rapports collectifs et qui définirait ses sources d’identifiaction ailleurs. 4. 1. 2. L’approche culturelle L’approche culturelle s’intéresse quant à elle aux formes du travail caractéristiques d’un pays, d’une tradition. La culture désigne à la fois un cadre de pensée et un système de valeurs d’une société, et un système de règles régissant les relations dans les groupes. Le terme de culture est ici à prendre au sens anthropologique : il désigne l’ensemble de comportements, valeurs, normes communs à un groupe d’individus. La culture a un rôle actif dans l’organisation car elle constitue des ressources d’actions pour les individus qui s’y reconnaissent. L’identité et la culture, dans ces modèles, sont des construits, sommes des apprentissages antérieurs et rejoués dans les situations d’action. 4. 2. Former des identités, respecter des cultures Même si l’approche culturelle amène un éclairage de type anthropologique intéressant sur le monde de la formation, il nous a paru ici, dans le cadre de notre champ d’activité, plus 6

R. Sainsaulieu, L’identité au travail, 1977.

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riche de porter principalement nos remarques sur les apports et les limites de l’approche en termes d’identité. Un des intérêts fondamentaux de cette approche nous paraît être la place laissée à l’expérience. Dans cette perspective, l’idée que l’apprentissage des normes serait le résultat d’une expérience inter-personnelle nous semble riche de sens et à prendre fondamentalement en compte en tant que formateur. La place donnée à la socialisation et l’approche collective, à travers des modèles relationnels, doivent permettre une meilleure appréhension de l’organisation. Dans le cadre de la formation, où il s’agit d’amener les acteurs à un savoir des pratiques, non sans rencontrer parfois quelques résistances « groupales », cette lecture en termes d’identités du fonctionnement de l’organisation doit permettre une approche plus stratégique des contenus de formation et des propositions de changement envisagées. De plus, la culture et les acteurs y sont vus comme des sources inépuisables de ressources, ce qui, à nos yeux, correspond à l’approche que doit envisager un formateur. Néanmoins, il peut sembler qu’une catégorisation des identités professionnelles, à travers les relations inter-personnelles au travail, ne puisse qu’offrir une vision limitée voire restrictives des acteurs de l’organisation. En d’autres termes, et pour aller à l’essentiel, : que faire des identités qui ne rentrent dans aucune « case » ? Le monde de la formation ne peut échapper aux identités personnelles des acteurs qui influent forcément sur les identités professionnelles. L’approche de Sainsaulieu bien qu’elle nous paraisse proposer une lecture particulièrement riche du fonctionnement de l’organisation, délaisse cette facette incontournable qui tient peut-être plus du domaine psycho-sociologique que sociologique, mais que le formateur ne peut ignorer.

5. L’approche en terme de conventions 5. 1. L’école des conventions L’école française des conventions est née à la fin des années 80. Elle regroupe des sociologues et des économistes (Boltanski, Thévenot ; Orléan, Salais) qui proposent un modèle général des relations sociales qui cherche à répondre à la question de la « coordination des actions individuelles afin de comprendre comment se constitue une logique collective et quelles ressources elle doit mobiliser pour se stabiliser. » (Orléan, 1994). Sur quelles bases peut se constituer un accord collectif lorsque les acteurs justifient leur action par des principes différents ? Les théoriciens des conventions rejettent l’opposition entre les explications par l’individuel et celles par le collectif mais cherchent les voies de construction du social dans le choix de la règle d’accord. La théorie des conventions renouvelle donc le regard porté sur l’organisation, entreprise ou non. En effet elle met au centre de l’analyse non les acteurs et leurs conflits, mais « ce qui fait tenir », les coordinations. Les situations ne peuvent se comprendre qu’à partir des représentations des personnes qui ont autant de compétences que l’analyste pour évaluer les situations. Cette approche propose ainsi d’étudier la manière dont les individus élaborent des compromis. Les comportements sont étudiés à travers les principes de légitimité – appelés « cités » ou « mondes » - en fonction desquels les individus agissent ou argumentent. On distingue six « mondes » :

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le monde inspiré (principe de créativité : l’action est guidée par un principe supérieur d’innovation, de nouveauté) ; - le monde domestique (appartenance à la lignée : l’action est guidée par le respect et l’attachement aux règles du groupe) ; - le monde de l’opinion (principe de la renommée : relations publiques, vedettariat, opinion) ; - le monde civique (intérêt général : l’action est justifiée en fonction de la recherche de l’intérêt général) ; - le monde marchand (principe commercial : l’action est justifiée par le donnantdonnant du contrat commercial) ; - le monde industriel (principe d’efficacité : où l’impératif est l’efficacité). Le concept de « mondes » et d’accords, central dans la théorie des conventions, est facilement accessible à des individus ayant des fonctions d’autorité dans une organisation. Ils y retrouvent leur univers professionnel et se situent facilement. Cette théorie permet de voir ce qui est facteur d’accord, de conventions entre les groupes et de comprendre ce par quoi un groupe humain « tient ». Elle permet, en outre, de mettre en lumière les principes de légitimité qui guident l’action des individus. Lorsque les « mondes » sont en contradiction, il est nécessaire, pour assurer la cohésion d’un groupe, de trouver des accords fondés sur des compromis. « La convention permet de coordonner les intérêts contradictoires qui relèvent de logiques opposées, mais qui ont besoin d’être ensemble pour pouvoir être satisfaits. »7 5. 2. Et dans le monde de la formation ? L’importance donnée aux coordinations, à ce « qui fait tenir » l’organisation, qui est au cœur de la théorie des conventions nous paraît apporter un éclairage particulièrement riche dans notre contexte d’activité. Dans le domaine de la formation à distance, et notamment l’ACAO8, dans lequel nous exerçons, la mise en place de charte d’activité renégociable au fur et à mesure des activités, tient de cette approche. De plus, les comportements des acteurs ,vus à travers le prisme des mondes, permet de se redonner des repères et de mieux appréhender et comprendre les réactions. Pourtant, le refus d’utiliser les notions de pouvoir et de conflit au profit de celles d’épreuve et de controverse, même s’il est intéressant, reste problématique. Il est vrai « qu’il est impossible de parler de conflits sans parler de coopération… On ne peut pas raisonner sérieusement sur le conflit sans isoler aussi ce sur quoi les gens sont d’accord… »9. On comprend les décisions des théoriciens des conventions de focaliser leur regard sur le concept d’accord. Pourtant l’accord n’exclut pas le fait que la controverse puisse se terminer (mutation, licenciement…) par l’élimination de l’acteur et de son projet. Le refus de la prise en compte du conflit et de l’exclusion qui peut s’ensuivre est une difficulté importante dans la présentation de la théorie des conventions. Dans un contexte de formation d’enseignants, et peut-être même encore davantage en ACAO, pour peu que l’on soit d’obédience socio-constructiviste, ce refus du conflit anihile toute possibilité de conflit socio-cognitif qui peut pourtant sembler fondamental lorsqu’on s’intéresse aux apprentissages !

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Salais, « Economie des conventions », Revue économique, 1989. Apprentissage Collaboratif Assisté par Ordinateur 9 O. Favereau dans P. Bernoux (dir.), « L’économie des conventions. Débat critique », Cahiers des relations professionnelles, n° 9, GRECO 41, 1993. 8

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De plus, la réduction des mondes à six natures peut sembler quelque peu arbitraire et fortement restrictive.

6. L’analyse en terme de traduction et de réseaux 6. 1. Traduction et réseaux La théorie de la traduction, initiée par Latour et Callon, est issue des recherches en sociologie des sciences et de l’innovation technique avant de devenir une référence incontournable pour la sociologie des organisations. On est passé du champ de la science à celui de l’organisation parce que la manière dont les auteurs ont traité la question de l’innovation scientifique répondait à un problème central dans l’organisation, celui des relations entre services aux logiques différentes et celui de la création de réseaux. Elle apparaît aujourd’hui particulièrement pertinente lors de l’implantation d’innovations et dans les situations de changement. Le cœur de la théorie de la traduction est constituée par l’idée qu’un fait n’a pas d’intérêt intrinsèque, qu’il ne porte de force que dans la mesure où il est mis en chaîne ou en réseau avec un ensemble, des acteurs, seuls capables de lui donner vie. L’essentiel est la relation entre ces actants. Cette théorie traite des conditions d’émergence des innovations. Elle montre que ces conditions ne sont réunies que lorsque des logiques ou des rationalités différentes sont « traduites » dans le langage les unes des autres, lorsqu’elles sont rassemblées par une question commune et mise en réseau. Dans les organisations, les logiques portées par les différents ensembles imposent des opérations de traduction pour obtenir une coopération. Il s’agit de faire comprendre aux membres de chaque service le langage des autres, leur en faire admettre la légitimité. La performance des organisations en dépend. Si le message n’a pas été traduit, c’est-à-dire s’il n’est pas devenu un enjeu pour les récepteurs, il n’a aucune chance de réception. On sait aujourd’hui que le dynamisme des organisations est lié à cette capacité de « traduction ». 6. 2. « Former, c’est traduire un peu… »10" Le grand intérêt de la théorie de la traduction est de proposer une solution au problème de l’accord des rationalités et des enjeux. Elle donne les outils de passage entre les mondes, focalise sur les interactions entre acteurs avec leurs conflits – stratégiques – de rationalités, et rend utilisables, en les mettant à plat, les différentes étapes soit d’une innovation, soit d’un changement dans une organisation. Cette approche met l’accent sur le fait que les difficultés relationnelles entre mondes se situent à un niveau plus profond que les jeux de pouvoir. De plus la théorie de la traduction traite des innovations, et ses objets d’étude sont des éléments dont la mise en réseau se fait entre des acteurs et des organisations qui n’appartiennent pas aux mêmes ensembles. Le passage au changement volontaire dans une organisation suppose de mettre en relation des acteurs présents au sein d’un même ensemble mais dont les mondes sont éloignés. Inscrivant nos actions de formation et notre travail de cette année de DESS sur la formation auix nouvelles technologies, cette approche en termes de réseaux et de traduction fait fortement écho à nos perspectives de recherche. 10

Voyez là un écho de notre cursus en langues anciennes qui nous hante encore du fameux « Traduire, c’est trahir un peu. » S. Fouénard

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La formation des enseignants et les nouvelles technologies nous semblent aujourd’hui face à un double problème. La formation continue, pas continuée, devient donc plutôt alternative. Les NTIC, en étant imposés par les textes qui prônent l’intégration là où il faudrait, à notre sens, plutôt parler d’insertion, se trouvent souvent assez mal abordées. L’approche en termes de traduction et de réseaux nous semble proposer une analayse et des perspectives de solutions pertinentes. Il faut qu’il y ait controverse pour que se mette en marche une opération de constitution de réseaux et de traduction. Pour mener une action commune, il n’est aujourd’hui plus nécessaire d’être en interaction directe ni dans un lieu physique commun. La formation est passée d’une société de solidarité mécanique à une société de solidarité organique, plus fonctionnelle. L’utilisation instrumentée des NTIC, traduite aux enseignants en termes de pratiques et non plus « intégrée » institutionnellement, pourrait permettre des usages asynchrones et collaboratifs qui permettrait à la formation de se continuer, d’être plus économique, et de créer des réseaux de travail et de pratiques post-formation. Le bémol à apporter semble à nos yeux résider dans les conditions de succès : il apparaît en effet très difficile de certifier que le changement proposé pourra s’inscrire dans la durée et l’efficacité.

7. Sociologie des organisations et TIC En tant que formateur associé de l’Education Nationale dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC), l’approche sociologique des organisations nous a paru être une prospection nécessaire et indispensable à nos actions de formation. Essayer de mettre en œuvre une nouvelle technologie dans une organisation, quelle qu’elle soit, c’est d’abord y introduire un objet étranger. Confrontée à cette « intrusion », que les textes officiels préfèrent nommer « intégration », toute organisation réagit, et l’une des réactions possibles – et fréquente ! – pourra être d’expulser le corps étranger. C’est, en partie ce qui s’est passé dans le système éducatif en 1985 lors du plan Informatique Pour Tous. C’est aussi, en partie, ce qui est advenu à la même époque lors de l’introduction de l’Enseignement Assisté par Ordianteur (EAO), dans les grandes entreprises. Il ne faut pas s’en étonner outre mesure. Regarder ces changements au travers du prisme des sociologie des organisations permet une meilleure compréhension de ces constats. En effet, cette approche nous apprend que toute organisation fonctionne grâce à un ensemble de « règles du jeu », formelles et implicites, acceptées par les différents acteurs, et qu’elle évolue selon une dynamique orchestrée par le jeu des rapports de pouvoir entre les acteurs11. L’évolution de l’organisation se traduit par la modification de ces règles du jeu, ce dont le formateur doit tenir compte. Introduire de nouvelles technologies - si tant est qu’elles soient encore nouvelles ! – dans une organisation, d’où qu’en vienne l’initiative (prescriptions officielles, demande académique…), donne forcément lieu à une remise en cause des règles du jeu en vigueur, et oblige à la négociation de nouvelles règles. Ce qui peut modifier les rôles, les fonctions et le pouvoir des uns et des autres par rapport à ce qu’ils étaient auparavant.

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voir à ce titre Amblard, Bernoux et alii, Les Nouvelles approches sociologiques des organisations, éd. Le Seuil, 1996.

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Il faudra retenir de l’introduction des TIC dans l’organisation qu’elles présentent une double caractéristique qui guidera les plans de formation : - d’une part, elles sont génératrices de changements profonds ; - d’autre part, elles permettent d’élaborer de nouveaux moyens d’accompagnement de ces changements. Les implications organisationnelles de l’introduction de nouvelles technologies et donc, avec elles, de nouvelles pratiques, sont donc à appréhender nécessairement au préalable pour aboutir, peut-être à de nouvelles organisations de la formation.

Conclusion Même si les résistances du monde enseignant à accepter les analyses sociologiques12 sont avérées, il nous semble pourtant que les approches sociologiques organisationnelles sont d’un intérêt non négligeable en formation. Avec Guir13 (2002) nous pensons que « quand on analyse les changements des scénarios d’enseignement et d’apprentissage ainsi que les exigences variées adressées aux apprenants, aux enseignants, aux formateurs, les changements ne concernent pas seulement l’apprenant, l’enseignant et le formateur à titre individuel mais concernent aussi l’organisation. ». L’Education Nationale est une macro-organisation où l’informel et l’imprévu ont une large place, où sans cesse autonomie et contrôle posent dilemme. C’est aussi une organisation qui induit une division du travail et des projets collectifs. L’enseignant, sans cesse investi dans l’interaction, y construit des stratégies d’adaptation et parfois de surinvestissement qui l’amènent à rechercher un équilibre entre la sphère privée et la sphère professionnelle. Le travail de formateur de l’Education Nationale, au même titre d’ailleurs que celui d’enseignant, oblige à être en même temps interprète, négociateur et décideur. Ce triple rôle, constitutif du métier, amène de fait le formateur à porter un regard multiréférenciel sur l’organisation dans laquelle s’inscrit son activité. A ce titre, il nous semble donc que chacune des approches que propose la sociologie des organisations amène un éclairage nouveau et pertinent, et que c’est le contenu de la formation, son contexte - selon qu’elle est sur site, en IUFM… - , son public - volontaire, désigné… - , au moins tout autant que ce qui fait la personnalité et l’identité professionnelle du formateur qui permettront d’apposer une grille de lecture pertinente dont la formation devra tenir compte.

12

Tardif, Le travail enseignant au quotidien. Guir, Pratiquer les TICE – Former les enseignants et les formateurs à de nouveaux usages, éd. De Boeck, 2002, p°61. 13

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