Réserve muséale de la capitale nationale du Québec
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Zitiervorschau

Couv. Réserve muséale

07/04/04

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conservation préventive et la fonctionnalité. Il aura fallu presque vingt années de patience, de discussions et de planification pour en arriver à ce résultat. Et pendant cette période, les orientations du développement des collections faisaient elles-mêmes l’objet de réflexions fondamentales.

Le présent ouvrage rappelle les analyses et les stratégies qui ont soutenu le vaste chantier de la nouvelle réserve, et décrit une partie des gestes qui ont favorisé le déménagement et l’aménagement des collections dans ses nouveaux espaces, hautement performants et sécuritaires. Les images témoignent de l’ampleur et de la spécificité de ces nouveaux espaces comme des soins dont ont été entourés les artefacts des collections nationales pendant leur transport. Ce sont de compétences multiples qu’il est question ici. Administrateurs, conservateurs, restaurateurs, ingénieurs, designers, architectes, techniciens en muséologie ont uni leur expertise et leur détermination dans un objectif commun. L’heure du bilan a sonné. Inspirée et conseillée par les diverses institutions et les collègues qu’elle a consultés pour éclairer ses gestes, et reconnaissante envers ceux-ci, l’équipe de réalisation de la nouvelle réserve rend publique, dans ces pages, sa propre expérience alors qu’elle se sent envahie enfin par la satisfaction de l’ouvrage accompli et réussi.

ISBN 2-89544-061-1

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LA RÉSERVE MUSÉALE DE LA CAPITALE NATIONALE

muséale de la capitale nationale a vu le jour. L aElleréserve répond aux règles de l’art en ce qui regarde la

COLLECTION M U S É 0

LA RÉSERVE MUSÉALE DE LA CAPITALE NATIONALE Pour une conservation moderne et sécuritaire Sous la direction d’Andrée Gendreau et Marie-Charlotte De Koninck

LA RÉSERVE MUSÉALE DE LA CAPITALE NATIONALE Pour une conservation moderne et sécuritaire

Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du Canada Vedette principale au titre : La réserve muséale de la Capitale nationale : pour une conservation moderne et sécuritaire (Collection Muséo) Comprend des réf. bibliogr. Publ. en collab. avec : Musée de la civilisation. ISBN 2-89544-061-1 1. Musées – Réserves – Québec (Province) – Québec. 2. Musées – Méthodes de conservation – Québec (Province) – Québec. 3. Musées – Gestion des collections – Québec (Province) – Québec. 4. Objets de collection – Conservation et restauration. 5. Musée de la civilisation (Québec). I. Gendreau, Andrée, 1943. II. Musée de la civilisation (Québec). III. Collection : Collection Muséo. Français. AM145.R47 2004 069’.53 C2004-940586-1

LA RÉSERVE MUSÉALE DE LA CAPITALE NATIONALE Pour une conservation moderne et sécuritaire Sous la direction d’Andrée Gendreau et Marie-Charlotte De Koninck

Sous la direction de Andrée Gendreau, directrice, Service des collections, Musée de la civilisation Marie-Charlotte De Koninck, chargée de recherche, Service de la recherche et de l’évaluation, Musée de la civilisation Rédaction Andrée Gendreau, directrice, Service des collections Marie Dufour, rédactrice, Parabole inc. Danielle Rompré, responsable des collections France Rémillard, restauratrice Collaboration De l’externe : Claude Belleau, restaurateur, Musée national des beaux-arts du Québec Pierre Thibault, architecte Du Musée de la civilisation : Marie Barnard, secrétaire, Service des collections Claude Camirand, directeur, Service des technologies Christian Denis, conservateur Georges Élie, directeur, Service des ressources matérielles Nicole Grenier, conservatrice Thérèse La Tour, conservatrice Michel Laurent, conservateur Jeanne d’Arc Ouellet, responsable de la coordination du déménagement, Service des ressources matérielles Danielle Poiré, directrice, Direction de la conservation et de l’administration Marie-Paule Robitaille, conservatrice Mario Roy, responsable de l’aménagement des espaces, Service des ressources matérielles Danielle Roy, secrétaire, Service de la recherche et de l’évaluation Sylvie Toupin, conservatrice Katherine Tremblay, conservatrice Guy Toupin, conservateur Révision de l’édition française : Dominique Johnson Traduction anglaise : Traduction Tandem Révision de l’édition anglaise : Nancy Kingsbury Impression : Transcontinental Impression IMPRIMÉ AU CANADA/PRINTED IN CANADA

Le Musée de la civilisation est subventionné par le ministère de la Culture et des Communications du Québec. © Éditions MultiMondes et Musée de la civilisation, 2004 Éditions MultiMondes 930, rue Pouliot Sainte-Foy (Québec) G1V 3N9 Téléphone : (418) 651-3885 Téléphone sans frais depuis l’Amérique du Nord: 1 800 840-3029 Télécopie : (418) 651-6822 Télécopie sans frais depuis l’Amérique du Nord : 1 888 303-5931 [email protected] http://www.multim.com

Musée de la civilisation de Québec 85, rue Dalhousie Québec (Québec) K1K 7A6 Téléphone : (418) 643-2158 Télécopie : (418) 646-9705 [email protected] http://www.mcq.org

ISBN 2-89544-061-1– Éditions MultiMondes Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 2004 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 2004

Avant-propos

Il faut se réjouir de l’inauguration de la réserve muséale qui accueille et protège les collections nationales, mais on ne peut le faire sans songer d’abord aux instigateurs qui ont rêvé, imaginé et mis en place les conditions permettant la mise en œuvre de cet important chantier. Il aura fallu presque vingt années de patience, de discussions et de démonstrations pour en arriver à ce résultat. Aujourd’hui, je tiens à manifester ma gratitude envers l’équipe de visionnaires qui a lancé ce projet, je suis fière d’avoir connu et fréquenté de près toutes ces personnes. J’exprime également ma gratitude aux artisans de ce projet. Ceux qui, dans l’ombre de leur bureau, avec les outils classiques et modernes, ont réussi à donner forme à nos rêves et répondre à nos besoins. Ils font partie de la famille élargie qui a donné naissance à la réserve muséale de la capitale nationale. Je n’oublie pas l’équipe de direction qui, par la qualité de ses rapports de travail, son enthousiasme et sa participation généreuse, a donné lieu à une réserve intégrée, unissant la performance technique et technologique à l’expertise en conservation et le souci du bien-être des employés. Ces trois priorités ont guidé la réalisation du projet. Et il en va ainsi de l’œuvre architecturale de Pierre Thibault qui séduit par la sobriété de ses volumes, sa grande fonctionnalité et la luminosité dont jouissent les espaces communs. Que dire encore de la compréhension et de l’appui des professionnels et des cadres du gouvernement du Québec qui ont su porter et défendre notre projet jusqu’au bout ? Sans une volonté politique et une réelle compréhension des objectifs visés ix

La réserve muséale de la capitale nationale

ainsi que de la valeur sociale et culturelle des collections dont nous avons la gestion, nous n’aurions pu atteindre la qualité que présente ce centre de conservation des collections nationales. On me permettra enfin d’ajouter quelques mots sur notre collection qui, d’une vision strictement ethnographique et historique, s’est ouverte à une perspective plus sociologique, englobante et contemporaine. Aujourd’hui, nous n’hésitons pas à qualifier cette collection de « sociétale ». Cette nouvelle orientation a bien sûr modifié notre façon de collecter les objets, de les interpréter et de les exposer. Elle est non seulement plus globale, mais elle répond à une épistémologie contemporaine qui établit des rapports entre les disciplines et les modes de vie. On se plaît à la qualifier d’« écologique »… Enfin, cet ouvrage est sans prétention. Nous l’offrons à nos collègues des autres musées pour témoigner de certains éléments d’expérience, bien nécessaires dans les cas, rares il faut le dire, de construction de réserves ou de centres de conservation. Ce transfert des connaissances acquises au cours de la réalisation du projet n’est pas un geste gratuit. Il vise plutôt à perpétuer la chaîne de transmission en offrant notre expérience à la communauté, tout comme les collègues qui nous ont précédés dans de telles aventures ont eu la générosité de le faire. Nous leur en sommes très reconnaissants.

Claire SIMARD Directrice générale Musée de la civilisation

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Table des matières

AVANT-PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ix Claire Simard CHAPITRE 1 DE LA CRÉATION D’UNE COLLECTION AU CONCEPT DE RÉSERVE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Andrée Gendreau Apercu des collections et des fonds importants acquis depuis 1987 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 CHAPITRE 2 ENTRE LA RÉSERVE OUVERTE ET LE COFFRE-FORT . . . 19 Marie Dufour Prévoir le rangement et l’équipement mobilier . . . . . . . 30 Un concept en trois volumes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Le Musée national des beaux-arts du Québec et la réserve muséale de la capitale nationale . . . . . . . . . 38 CHAPITRE 3 QUAND DÉMÉNAGEMENT RIME AVEC DÉFI . . . . . . . . . 41 Danielle Rompré Collections aux petits soins. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Le recyclage : à quel prix ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

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CHAPITRE 4 À PROPOS DE CONSERVATION PRÉVENTIVE . . . . . . . . . 57 France Rémillard Stratégie de traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Collection des animaux naturalisés et en bocaux . . . 65 Stratégie appliquée à l’argenterie. . . . . . . . . . . . . . . . 68 Stratégie appliquée aux armes à feu . . . . . . . . . . . . . 69 Stratégie appliquée aux chaussures . . . . . . . . . . . . . . 71 Stratégie appliquée aux éventails. . . . . . . . . . . . . . . . 73 Stratégie appliquée aux horloges. . . . . . . . . . . . . . . . 73 Stratégie appliquée aux instruments scientifiques . . . 74 Stratégie appliquée à la collection de poupées. . . . . . 76 Spécifications pour les cabinets vitrés, l’argenterie et les stéatites instables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Spécifications pour le cabinet surdimensionné de rangement à plat des textiles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 CHAPITRE 5 PENSER LES COLLECTIONS ET PROTÉGER LES OBJETS . . 83 Andrée Gendreau CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 Andrée Gendreau BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

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Chapitre 1

DE LA CRÉATION D’UNE COLLECTION AU CONCEPT DE RÉSERVE

Andrée GENDREAU

Le Musée de la civilisation de Québec : son mandat, sa mission Dernier-né des musées d’État, le Musée de la civilisation a été créé en 1986. La Loi sur les musées nationaux mettait ainsi fin à de longs et houleux débats entre les tenants d’un musée d’histoire et d’ethnologie, le «Musée de l’homme d’ici», et un musée futuriste, demeuré longtemps sans vocable, mais qui devait être résolument tourné vers la modernité, ouvert aux débats sociaux contemporains, à vocation éducative et culturelle. Plutôt que de s’adresser à l’«homme d’ici» dans sa singularité, le Musée de la civilisation se destinait au citoyen, dans ce qu’il a de particulier et d’universel. Alors que le premier fondait ses assises sur la recherche et sur les collections, le second s’imaginait plutôt comme un centre de diffusion et visait à développer la conscience sociale et culturelle des Québécois par des débats de société, des expositions, des activités culturelles et éducatives. Ainsi, au lieu d’opter pour un musée traditionnel fondé sur l’histoire et l’ethnicité dont les collections constitueraient l’épicentre, on a privilégié la création d’un musée moderne, attentif aux enjeux contemporains, ouvert à l’ensemble des citoyens du Québec et du monde, mais sans collections propres. 1

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Entendu dans un sens inclusif, le Musée de la civilisation devait s’ouvrir aux problématiques contemporaines, développer l’interdisciplinarité et interpeller l’homme dans ce qu’il partage avec les autres. Pour ce dernier, la culture était vivante, mouvante et sans frontières définies. Cependant, dans sa sagesse, l’État a ajouté à cette orientation, toute nouvelle pour un musée, des droits, des obligations et des devoirs plus traditionnels. Ainsi, le Musée devrait également « assurer la conservation et la mise en valeur de la collection ethnographique et des autres collections représentatives de notre civilisation1 ». On a donc fait une place à la collection. D’abord avec réticence, avouons-le, puis avec intérêt au gré de l’apparition des occasions de développement et de diffusion. Une réflexion sur les orientations à donner à la collection au Musée est vite devenue indispensable. Quelle devait être la fonction de l’objet dans le concept du Musée de la civilisation? Comment y adapter la collection actuelle et quel type de collection devait-on privilégier ? L’heure d’adapter la collection nationale à la situation contemporaine du Québec et aux avancées des sciences humaines et sociales était ainsi venue. D’ethnographique, la collection allait devenir sociétale, l’objet témoignant des grandes problématiques historiques, sociales et philosophiques de la fin du XXe siècle.

Garder pour mieux partager Avant d’agir, il fallait saisir les enjeux et les implications d’une collection : pourquoi et pour qui conserver ? Qu’est-ce qui légitime une institution, voire l’État, de retirer des biens du système de circulation sociale (don, marché, transmission familiale, etc.) pour s’en emparer ? Nul besoin de réinventer la roue. On a déjà réfléchi à cette question. Si la pratique britannique a depuis fort longtemps tracé la voie avec une exemplarité manifeste, les textes de la Révolution française demeurent fondateurs. 1. Loi sur les musées nationaux, L. R. Q., chapitre M-44 (paragraphe 24.1, 2e alinéa), Québec, Éditeur officiel du Québec, 1998.

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De la création d’une collection au concept de réserve

D’entrée de jeu, la législation révolutionnaire des arts, qui marque la création du musée public en France le 27 juillet 1793, inscrit dans la loi les droits et les devoirs qui rendent légitimes les privilèges accordés aux musées. Les collections d’État appartiennent à la collectivité. Elles sont essentiellement vouées à la protection du patrimoine et à l’« instruction » du citoyen. Plus de deux siècles se sont écoulés sans que cette mission éducative soit modifiée. La loi constitutive du Musée de la civilisation est explicite à cet égard. La mission de conservation s’ajoute à l’obligation de «faire connaître l’histoire et les diverses composantes de notre civilisation, notamment les cultures matérielle et sociale des occupants du territoire québécois et celles qui les ont enrichies2 ». Dans un ouvrage intitulé Mission, concept et orientations, le Musée indique comment il entend utiliser sa collection à des fins de diffusion et d’éducation. Le Musée de la civilisation a pour mandat de conserver, de compléter et d’augmenter les collections représentatives de l’histoire et de la culture du Québec. Il a aussi le mandat de s’assurer que ses collections soient accessibles à ses usagers et à ses partenaires. Le Musée est également responsable de la présentation et du développement de collections reflétant la culture matérielle du Québec. Les activités de conservation contribuent donc à la réalisation du programme de diffusion et l’objet, dans l’activité du Musée, est à la fois point de référence, déclencheur, prétexte, complément et support à la thématique, mais aussi témoin d’une époque et d’une manière de vivre3.

C’est donc dire l’importance de la collection. Pour le Musée, il devenait ainsi primordial d’articuler la collection ethnographique à sa mission en lui donnant des orientations de développement. Les défis étaient grands. Créer et maintenir une 2. Ibid., 1er alinéa. 3. Mission, concept et orientations, Québec, Musée de la civilisation, 1996, p. 15.

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mémoire vivante qui puisse nourrir une identité québécoise contemporaine deviendrait le leitmotiv des actions qui allaient suivre. Sans être amnésique, la collection devait présenter l’image d’une société québécoise vivante et actuelle, c’est-à-dire inclusive, plurielle, mixte. Les citoyens de toutes origines et de toutes conditions devaient pouvoir s’y reconnaître ou y retrouver les éléments d’une expérience partagée. Au regard ethnologique de ses prédécesseurs, le Musée de la civilisation souhaitait ajouter une vision plus sociologique et répondre à son mandat de conservation en adjoignant au premier noyau reçu en héritage d’autres collections représentatives du Québec. Sans abandonner complètement la méthode sérielle qui a donné lieu aux grandes collections du siècle dernier, le Musée privilégie désormais une pratique qui articule le collectionnement et l’interprétation des objets autour de leur valeur de témoignage. Désireux d’innover en s’inscrivant dans une pensée contemporaine, il examine les acquisitions dans une perspective globale qui tient compte des collections comme ensembles éclairant des phénomènes culturels, faisant foi d’idéologies, de pratiques, de groupes sociaux, etc. Ici, l’objet tient sa signification du rapport qu’il entretient avec un ou des éléments de l’ensemble social dont il devient une manifestation, une trace, un indice, voire une preuve. Par ailleurs, il fallait conjuguer deux dimensions étroitement liées : la consolidation d’un patrimoine reçu et son actualisation dans une collection à mettre en valeur dans les expositions du Musée et à partager. À peine un an après son ouverture, soit en 1989, le Musée détermine des axes de développement de la collection4 destinés à orienter les acquisitions pour créer un ensemble significatif qui témoigne de la vie et de l’évolution d’une société complexe et diversifiée. Quelques grands secteurs comme la santé, les loisirs, les nouveaux métiers, les communications, 4. «Les axes de développement de la collection», Québec, Musée de la civilisation, 1989.

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les communautés culturelles et les communautés francophones hors Québec sont désignés pour commencer l’opération. On veut également tenir compte des différentes classes sociales présentes au Québec, des ruptures observables dans la trame sociale, ce qui implique encore une fois la remise en question du mode de collectionnement. L’ère de la quête du bel objet, de l’objet unique, rare ou premier tire à sa fin. On souhaite plutôt créer une collection représentative de l’ensemble des classes sociales.

D’une collection ethnographique vers une collection sociétale Forte de ces orientations, la collection du Musée s’est donc enrichie de façon extraordinaire, passant de 50 000 objets en 1985 à environ 95 000 en 1995, et à 125 000 en 2003. Si l’on ajoute à cela les collections de philatélie, de numismatique, d’images saintes ainsi que les œuvres sur papier et les cartes déposées au Musée par les prêtres du Séminaire de Québec en 1995, le nombre d’objets rassemblés dans les diverses collections du Musée de la civilisation atteint près du quart de million, sans tenir compte de la bibliothèque et des archives. Aujourd’hui, le rattrapage étant fait, le développement de la collection est orienté par des axes révisés. Avant de présenter le projet de la réserve muséale de la capitale nationale, il convient de jeter un regard qualitatif sur ce développement.

Un premier noyau La collection ethnographique du Québec, prise en charge par le Musée de la civilisation en 1985, s’est élaborée sur une période d’environ 60 ans. Divers organismes et collectionneurs privés en ont marqué la facture et l’intérêt, mais l’ensemble conserve une forte cohérence. En effet, la grande majorité des quelque 50 000 objets qui en font partie illustrent surtout les modes de vie autochtones et « canadiens-français » au XIXe siècle et durant la première partie du XXe siècle.

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Si l’année 1927 marque les débuts de la collection ethnographique du Québec, son démarrage est relativement lent. Une compilation d’ensemble précise que quelque 20 années plus tard, soit en 1941, au départ de Pierre-Georges Roy, premier conservateur du Musée de la Province de Québec (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts de Québec), la collection des « choses canadiennes », comme elle est nommée alors, dépasse à peine la centaine d’objets. Au cours du mandat de Paul Rainville, de 1941 à 1952, le nombre passe à près de 550. Lorsque Gérard Morrisset assume la direction du Musée en 1953, la collection s’accroît en moyenne de plus d’une centaine d’objets par année, pour atteindre son rythme de croisière vers 1965 alors qu’elle dépasse les 1 000 pièces. Mais il faudra attendre l’arrivée de grandes collections privées pour que cet embryon prenne véritablement l’allure d’une collection nationale.

La collection Coverdale L’année 1968 marque une étape importante dans le développement des collections ethnographiques. Le gouvernement du Québec se porte alors acquéreur de l’illustre collection Coverdale, aussi appelée « Tadoussac » ou « Canada Steamship Lines ». Cette collection de près de 2500 pièces comporte un volet autochtone5 et un volet canadien-français. Les objets qui composent le volet amérindien proviennent de l’Amérique du Nord. Cependant, des quelque 75 groupes culturels représentés par les 800 objets qui font partie de cette collection, la majorité sont localisés au Québec. Vêtements et parures, armes, raquettes, porte-bébés, étuis, contenants, jeux, instruments de musique, objets rituels et estampes informent sur divers aspects de la vie traditionnelle des autochtones

5. Précisons que le terme « amérindien » exclut les Inuits, tandis que le vocable « autochtone » est inclusif de l’ensemble des peuples indigènes.

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d’Amérique : habitudes alimentaires et vestimentaires, techniques de chasse et de pêche, modes de transport, divertissements, croyances, etc. Autre fleuron de la collection, le mobilier ancien du Québec forme un ensemble des plus représentatifs des diverses fonctions aussi bien que des principaux caractères techniques, stylistiques et régionaux du mobilier traditionnel québécois. D’ailleurs, pas moins de 75 objets sont présentés dans l’ouvrage de Jean Palardy, sous la mention « Canada Steamship Lines »6. Cette collection comprend aussi plusieurs autres ensembles d’objets tout aussi remarquables : de la vaisselle d’étain, de faïence, de terre cuite et de porcelaine, des luminaires, de la chaudronnerie, de la serrurerie, de la ferronnerie, des armes, sans oublier des objets du patrimoine autochtone ainsi que d’anciennes pièces de provenance nord-américaine.

La maison Chapais et la collection Lucie-Vary Presque au même moment, Québec conclut une transaction amorcée en 1950 et devient propriétaire de la maison Chapais, de Saint-Denis-de-la-Bouteillerie, et de ses biens. L’univers d’une famille bourgeoise, dont l’histoire est intimement liée à celle du Québec, entre alors dans les collections d’État. En 1969, une collection privée, celle de Lucie-Vary, vient enrichir la collection nationale. Dans un rapport signé par PaulLouis Martin, alors à la section ethnographique de l’Institut national de la civilisation, et contresigné par Robert-Lionel Séguin, cette importante collection, à la fois par la qualité et la diversité du contenu, est recommandée « sans réserve ». Elle totalise plus de 600 pièces comprenant des ensembles de meubles, de jouets, de girouettes, de moules à sucre et d’autres objets uniques comme des moules à cuillers en cuivre, un chauffe-pieds en fer-blanc, une lampe de pêche à l’anguille… 6. Jean Palardy, Les meubles anciens du Canada français, Paris, Arts et métiers graphiques, 1963, 411 p.

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La réserve muséale de la capitale nationale

La collection du ministère de l’Agriculture On ne peut passer sous silence la très intéressante collection du ministère de l’Agriculture, déposée au Musée du Québec en 1983. Celle-ci est principalement constituée de tapis, de couvertures et d’autres textiles à usage domestique, recueillis par le ministère de l’Agriculture à l’occasion de concours ou d’expositions provinciales. S’ajoutent à cela des céramiques de Beauce, ainsi que d’autres pièces de référence, à la fois des textiles et des céramiques, acquises à l’étranger (notamment en Iran, en Inde et en Chine) par Oscar Bériau, alors directeur de l’École des arts domestiques. Cette collection comprend 1 352 pièces. Enrichie en 2000 par 124 pièces, elle est finalement entièrement offerte en don au Musée de la civilisation. Les collections autochtones Les Archives nationales recueillent les premiers objets autochtones vers les années 1930, mais la collection acquiert véritablement ses lettres de noblesse en 1960, lorsque le ministère des Affaires culturelles confie au géographe Michel Brochu « le soin de repérer sur le terrain des objets témoins représentatifs de la production inuite et crie du Nouveau-Québec7 ». Acquises par le ministère des Affaires culturelles en 1965-1966, les 800 sculptures qui composent la collection Brochu sont d’une inestimable richesse pour la collection nationale ethnographique. Dans les années 1970, plusieurs autres projets de recherche permettent d’enrichir les collections autochtones. Mentionnons les 54 objets usuels recueillis par les anthropologues de l’Association Inuksiutiit Katimajiit en 1971-1972, ainsi que les 230 objets en écorce de bouleau de fabrication attikamek et algonquine, rassemblés par l’anthropologue Alika Podolinski Webber en 1974-1975, enfin les 85 pièces d’artisanat récent et les 45 pièces ethnologiques rapportées de la Baie-James par Carole Lévesque 7. Céline Saucier, « Les axes de développement des collections (Bilan de la collection) », Québec, Musée de la civilisation, 1987, ms, 120 p.

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De la création d’une collection au concept de réserve

et James Chism de 1975 à 1977. Par ailleurs, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec devient un important pourvoyeur d’œuvres d’art inuites pour le ministère des Affaires culturelles qui en acquiert environ 800 pièces. Transférées par le Ministère au Musée du Québec, ces œuvres s’ajoutent à la collection ethnographique. Ainsi, l’ensemble de la collection autochtone, incluant le volet amérindien de la collection Coverdale, regroupe environ 4 000 objets ethnologiques, historiques et artistiques.

Une ère de consolidation et de développement En plus de ce noyau dur qui, avouons-le, constitue encore le cœur de la collection, plusieurs autres fonds et collections sont venus consolider des secteurs. Pensons au mobilier, à l’art populaire, aux textiles, aux métiers, aux instruments de musique et aux accessoires de cuisine. D’autres collections ou objets, plus rares et plus tardifs, ouvrent des perspectives nouvelles qui répondent aux orientations de développement de la collection en comblant des secteurs non représentés ou sous-représentés. Songeons au secteur de la santé (fonds Lucien-Pouliot et Abraham-Shulman), aux métiers, en particulier les métiers d’art, celui de boulanger, d’avocat ou encore certains métiers de la communication. Par exemple, la collection Joseph-Cardin illustre admirablement la naissance au Québec de métiers liés à la radiodiffusion, au cinéma et à la photographie, bien que cette dernière collection déborde largement sur le loisir. Les communautés culturelles anglophones trouvent également leur place avec l’acquisition du fonds Milne. Celui-ci témoigne de plusieurs éléments de la vie d’une famille anglo-saxonne et loyaliste à Québec et dans les Cantons-de-l’Est. On trouvera par ailleurs en annexe quelques-unes des collections acquises depuis la création du Musée.

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La réserve muséale de la capitale nationale

Aux collections du Musée de la civilisation se sont également ajoutés les principaux prêts à usage et les dépôts, dont celui des prêtres du Séminaire de Québec et celui du fonds de la Sécurité publique.

Les collections des prêtres du Séminaire de Québec En 1995, le prêt à usage des fonds d’archives, de la bibliothèque des livres rares et anciens ainsi que des collections des prêtres du Séminaire de Québec est venu enrichir de façon admirable les collections du Musée. Pendant plus de trois siècles, en effet, le Séminaire de Québec a servi la cause de l’éducation par l’enseignement secondaire et universitaire, et a réuni des collections d’une valeur inestimable pour comprendre et illustrer l’implantation européenne en Amérique. Les collections d’objets des prêtres du Séminaire de Québec sont divisées en 5 grands secteurs pour un total impressionnant d’environ 110 000 objets. On y trouve des collections scientifiques (instruments scientifiques et spécimens naturalisés), des collections anthropologiques qui témoignent tant de l’exercice des fonctions des prêtres sur le territoire que des relations internationales (objets amérindiens et inuits, égyptiens, chypriotes, asiatiques et africains, armes et armures, reliquaires), de beauxarts (peintures, sculptures) ainsi que des collections d’arts décoratifs (orfèvrerie, mobilier, cristal, porcelaine, textile) et, enfin, des objets usuels. Soulignons qu’au prêt à usage du Séminaire de Québec se sont ajoutés une centaine d’objets ethnologiques provenant des nations amérindiennes et inuite. Des manuscrits et des livres en langue autochtone ou traitant des peuples autochtones composent également une partie non négligeable de la bibliothèque. Par ailleurs, l’arrivée des collections des prêtres du Séminaire de Québec imposait des expertises et des traitements particuliers. Ainsi, les archives historiques, la bibliothèque, la philatélie 10

De la création d’une collection au concept de réserve

et les collections d’œuvres sur papier ont été attribuées à un service particulier et deux conservateurs se sont joints aux rangs du personnel du Musée de la civilisation. Au-delà de ces aspects, la mise en commun des collections ouvre des perspectives exceptionnelles de diffusion, d’étude et d’analyse.

Le fonds de la Sécurité publique Comme le décrit Richard Dubé, directeur des collections du Musée de la civilisation de 1987 à 1997, c’est en 1997 que le «[…] laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du ministère de la Sécurité publique connu autrefois sous le nom de « Laboratoire de recherches médico-légales », a confié au Musée l’important dépôt d’objets et de preuves judiciaires qu’il avait amassés au cours du XXe siècle. Ce fonds comprend des centaines d’objets de toute nature rattachés à des causes notoires comme à des procès ordinaires. Témoignant d’une histoire sociale et de l’évolution de l’administration de la justice, il contient des pièces à conviction présentées à des procès qui ont défrayé la manchette et demeurent célèbres, notamment l’affaire du Sault-au-Cochon, l’affaire Coffin, le hold-up de la Banque Hochelaga à Montréal et la crise d’Octobre en 1970. Ce fonds comprend aussi des objets qui retracent, par des procès et preuves judiciaires, des éléments significatifs liés à l’histoire urbaine au temps de la crise économique et aux années d’avant et d’après-guerre. Pensons ici aux pièces et documents relatifs au suicide, à l’avortement ou aux «faiseurs d’anges», aux nombreux types d’empoisonnement et aux fumeries d’opium. Certains objets conservent pour le profane un caractère insolite, sinon macabre. La présence des cordes de pendaison montées sur des plaques de bois et formant le nom du condamné montre l’évolution d’une société vis-à-vis de la peine de mort et le chemin parcouru au cours des dernières décennies. […] Le Musée gère ce fonds en dépôt dans une perspective de protection, de recherche et de mise en valeur. Les collections des organismes et institutions qui font partie de la collection 11

La réserve muséale de la capitale nationale

nationale du Québec, et certains biens à cause de leur signification, de la cohésion de leur ensemble, de leur potentiel de recherche et de diffusion et, surtout, à cause de la valeur de l’héritage qu’ils représentent, doivent être protégés de façon particulière8. »

Pourquoi une nouvelle réserve ? La décision de construire une nouvelle réserve pour le Musée de la civilisation faisait suite à une longue réflexion concernant la sécurité de la collection nationale. Rappelons brièvement que celle-ci logeait principalement à la réserve Vanier (3 500 mètres carrés), dans un parc industriel situé à une dizaine de kilomètres du Musée, et au Musée de l’Amérique française9 (400 mètres carrés). Bien que les locaux situés à ce dernier endroit fussent appropriés, ils ne répondaient plus aux besoins du Musée de la civilisation. Par ailleurs, les espaces occupés à Vanier étaient loués et la construction du bâtiment datait de plus de 20 ans. Celui-ci nécessitait d’importants travaux de rénovation pour répondre à l’actualisation des normes muséologiques. Également, il n’était plus possible d’en accroître l’espace d’entreposage. Enfin, la proximité d’entrepôts voisins répondant à des fonctions diverses et parfois dangereuses s’ajoutait aux inquiétudes soulevées par l’obsolescence des bâtiments. La nécessité d’assurer la sécurité de la collection nationale, de la conserver dans de meilleures conditions et de lui permettre un potentiel d’accroissement a donc eu raison des arguments en la défaveur d’une construction. L’entreposage d’une collection muséologique exige un investissement majeur. L’analyse des facteurs qui ont contribué à la prise de décisions concernant la localisation, les critères 8. Richard Dubé, Trésors de société, les collections du Musée de la civilisation, Montréal, Fides, 1998, p. 226-227. 9. Le Musée de l’Amérique française a été intégré au Musée de la civilisation en 1995.

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De la création d’une collection au concept de réserve

environnementaux, les conditions ambiantes, la sécurité et l’accessibilité de la réserve devait donc tenir compte du rapport entre le coût, le mandat et la mission de l’établissement. Or, est-il nécessaire de le mentionner, ces choix sont inextricablement liés à la valeur accordée à la collection, tant du point de vue symbolique que monétaire, à l’usage qu’on entend en faire, aux contingences matérielles des objets (types de collections, quantité, volume, matériaux, état de conservation, etc.) et aux moyens techniques disponibles. Ainsi, ces décisions, en apparence neutres, sont socialement, politiquement et idéologiquement chargées. Elles font foi du rapport qu’entretient une société à l’objet et en particulier à l’objet de collection. Le concept de la nouvelle réserve doit donner lieu à un ensemble cohérent. Il doit définir les objectifs généraux et tracer les lignes directrices de la planification. C’est lui qui éveille l’intérêt, cristallise les volontés et canalise les énergies. Il permet de garder les orientations tout au long du projet et de ramener les initiatives diverses vers un but commun, s’il y a lieu. Pour le Musée de la civilisation, la réserve devait articuler la valeur de garantie et celle de circulation. Comme c’est le cas pour les réserves fédérales qui conservent l’or à l’abri de toute incursion, une réserve muséologique devait assurer une sécurité maximale aux objets de la collection nationale. Par ailleurs, la mission du Musée étant nettement orientée vers la diffusion, la collection devait participer à cette vocation. Les objectifs de sécurité se conjugueraient donc avec ceux de la circulation des objets. Entre une réserve tombeau et une réserve ouverte, le choix n’était pas nécessaire.

Garder pour mieux partager La finalité d’une collection, on l’a dit, est double : au premier objectif visant la protection du patrimoine se greffe celui d’éducation du citoyen. Une fois les objets acquis, classés, protégés et entretenus, ceux-ci servent à des fins d’étude, de 13

La réserve muséale de la capitale nationale

contemplation et d’éducation du citoyen. Autrement dit, la mise en réserve des objets ne consiste pas à thésauriser. Au contraire, elle doit permettre leur remise en circulation symbolique et concrète. Parmi les rôles essentiels d’une réserve, celui de fournir les conditions nécessaires à l’étude des objets et à leur diffusion n’est pas le moindre. C’est même lui qui légitime la collection. Si les fonctions d’une réserve se situent en amont de la diffusion, la rendant possible, sa structure matérielle et organisationnelle doit en tenir compte. Les fonctions liées à la réception, à la protection, à la classification, à la préparation de la diffusion (restauration, photographie, enregistrement), à l’étude et à l’éducation ainsi qu’à la distribution doivent trouver place en ce lieu. Plus qu’un tombeau des rois, un espace sacré, la réserve contemporaine ressemble à un centre de préparation et de distribution, car, bien qu’une partie de la diffusion en émane, la plus grande part d’interprétation et de diffusion relève des expositions.

Conserver, étudier, éduquer et distribuer C’est à l’étape de conceptualisation de la réserve que l’on définit les fonctions qu’elle assumera. On tiendra compte de critères et d’activités aussi disparates que ceux de la sécurité, de la stabilité climatique, de la qualité de l’air, des espaces d’accueil, d’entreposage, de traitement, d’étude, etc. Lieu de travail manuel et intellectuel, la réserve du Musée offrira des locaux spécialisés et des locaux adaptables aux divers besoins. Même si elles sont sévères, les mesures de sécurité visant à protéger les collections devront permettre la réalisation de l’ensemble des fonctions d’une réserve, comme l’étude des objets et des collections et la tenue de certaines activités éducatives. Par ailleurs, ces dernières ne devront jamais perturber la sécurité ni le travail lié au classement, à l’entretien et à la préparation d’objets en vue d’une diffusion (sélection des objets, validation par le restaurateur, ententes, nettoyage, restauration, emballage…).

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De la création d’une collection au concept de réserve

L’apparente opposition entre la fonction de sécurité maximale et celle d’étude et d’éducation est longuement apparue comme insurmontable. Entre les tenants d’une réserve ouverte (n’était-ce pas là le véritable mandat du Musée?) et d’une réserve coffre-fort, n’y avait-il pas un juste milieu ? Pouvait-on adopter ou créer un autre modèle que celui de la réserve fédérale ou de la réserve vitrine ? Comme les banques à la fois accessibles et protégées, à la fois ouvertes et interdites au public, la nouvelle réserve du Musée de la civilisation allait concilier sécurité maximale et accessibilité, protection et diffusion.

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La réserve muséale de la capitale nationale

APERÇU DES COLLECTIONS ET DES FONDS IMPORTANTS ACQUIS DEPUIS 1987 Collections et fonds

Nombre d’objets

Fonds de la famille Milne

200

Collection Joseph-Cardin

407

Fonds En Abraham-Shulman traitement Fonds JeanClaude-Poitras Collection Louisette-Giroux Collection du ministère de l’Agriculture

140 75

124

Description Biens d’une famille anglophone de Magog, d’environ 1820 à 1975, représentatifs des peuples constitutifs anglo-saxons et loyalistes.

Instruments d’un cabinet de médecin d’origine juive établi à Outremont. Le fonds comprend des objets datant de la fin des années 1930 jusqu’à 1985.

2003

Créations du designer, vêtements et accessoires, de 1973 à 2000.

2001

Sculptures, murales et costumes inuits des années 1970, recueillis au Nunavik par la donatrice.

2001

Ajout au dépôt de 1983 et transformation du dépôt en don. Objets artisanaux produits entre 1935 et 1955 par des artisans comme Vallières, Bourgault et autres.

2000

Biens d’une famille de juristes de deux générations d’avocats, 1875-1950.

2000 2000

321

Collection Jean-Marie-Roy

147

Céramiques québécoises, 1850-1915.

Collection 1032 Johanne-Pilon-Valléeet-Michel-Pilon 1214

Vêtements d’enfant datant du début du XXe siècle jusqu’aux années 1970. Costumes et accessoires féminins de 1880 à 1995.

271

Fonds de la famille Kelly

139

2003

Équipement de radiodiffusion et de communication visuelle datant de 1940 à 2000, rassemblé par Joseph Cardin, pionnier du son et de l’image. 2003

Fonds de la famille Mathieu

Collection Olive-Wilson

Date d’acquisition

2000 1994

Verre canadien, principalement québécois, env. 1860-1925.

1999

Biens d’une famille de notables de Plessisville, vêtements surtout masculins, datant du début du XXe siècle jusqu’aux années 1960.

1998

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De la création d’une collection au concept de réserve

Collections et fonds

Nombre d’objets

Collection Aimé-Desautels

605 254

Collection Henri-Dorion10 Fonds des ZouavesPontificaux-deQuébec11

200

550

Fonds de la famille 1145 Jourdain-Fiset

Collection Claude-Davis

2200

Description

Date d’acquisition

Outils traditionnels pour l’exercice des métiers du bois principalement. Poupées de cire, de porcelaine en matériaux composites et en matière plastique de 1880 à 1960.

1996 1992

Instruments de musique venant d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique et datant de la seconde partie du XXe siècle.

1994

Objets témoins de l’Association des Zouaves de Québec, env. 1920-1950.

19931994

Meubles et accessoires domestiques provenant d’une maison de la rue Saint-Louis, à Québec, où la famille Jourdain-Fiset logeait depuis le début des années 1930. Cette famille vit à Québec et dans les environs depuis le XVIIe siècle.

1993

Ornements de Noël datant de 1880 à 1980.

19922003

Fonds DominionCorset

125

Sous-vêtements féminins datant de 1880 à 1965. 1992

Fonds de la boulangerie Paquet

170

Fonds de commerce d’une boulangerie familiale, 1927-1983.

1992

Collection acquise par les missionnaires jésuites en Chine à la fin du XIXe et début du XXe siècle.

1990

Cabinet du dentiste Lucien Pouliot, de Sainte-Croix de Lotbinière, datant des années 1930.

1990

Sculptures d’art populaire réalisées par Rosario Gauthier, datant de la seconde moitié du XXe siècle.

1988

Personnages et éléments de décor du Musée de cire fondé à la fin du XIXe siècle et fermé en 1988.

1988

Collection chinoise des Jésuites Fonds Lucien-Pouliot Collection Rosario-Gauthier Fonds Muséehistorique canadien

Plus de 2000 350

295

341

10. Collection acquise par le Musée de l’Amérique française avant son intégration au Musée de la civilisation. 11. Idem.

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La réserve muséale de la capitale nationale

Collections et fonds Collection Serge-Joyal Fonds d’atelier Prévost

Nombre d’objets 3887 244

Description Costumes et accessoires féminins datant de 1810 à 1960.

Date d’acquisition 1987

Fonds d’atelier de la maison A.D. Prévost inc., fondée en 1912 par Alyre Prévost, sculpteur sur bois et statuaire qui fournissait en statues de toutes sortes, crucifix, chemins de croix, crèches, chapiteaux, etc., la plupart des paroisses de Québec et des comtés environnants. La maison Prévost était une entreprise familiale exploitant de façon artisanale. Elle ferma ses portes en 1968. 1987

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Chapitre 2

ENTRE LA RÉSERVE OUVERTE ET LE COFFRE-FORT

Marie DUFOUR

Le principe de la succursale bancaire ou de la caisse populaire ne pouvait mieux convenir au concept d’une réserve à la fois accessible et hautement protégée. En effet, ce lieu privé et semipublic fait d’abord place à l’entreposage à sécurité maximale, comme c’est le cas pour les voûtes des institutions financières. On y trouve aussi des lieux de travail sécurisés comparables à ceux des employés des banques ou des caisses. Enfin, parallèlement aux zones accessibles à la clientèle de ces institutions, la réserve compte des zones d’accueil, de détente, d’étude, d’enseignement et de préparation pour la diffusion. Ces derniers espaces, tout en répondant à des critères de haute sécurité, demeurent ouverts aux chercheurs ainsi qu’aux étudiants du collégial et de l’université. Dédiée à la conservation, à l’étude et à la distribution, la nouvelle réserve est le fruit d’une longue réflexion qui a conduit à une mise en espace fonctionnelle, conviviale et tout à fait sécuritaire. Sa construction a constitué un défi de taille autant pour les concepteurs et les ingénieurs que pour les acteurs muséaux qui, en exprimant leurs besoins, ont contribué à façonner l’allure de l’édifice. Au fil des prochaines pages, suivons cette équipe multidisciplinaire dans les diverses étapes de cette 19

La réserve muséale de la capitale nationale

aventure architecturale, depuis la demande adressée au ministère de la Culture et des Communications jusqu’à la construction de l’édifice, en passant par la définition des besoins. Une fois ce survol achevé, il ne restera plus qu’à entreprendre la tournée des lieux.

Quand nécessité fait loi Le projet d’une nouvelle réserve n’est pas tombé des nues. Dès 1997, un comité travaillait déjà à sa planification. Des recherches avaient aussi conclu à la nécessité d’un nouveau lieu de conservation. Parmi les nombreuses études qui ont été réalisées, notons le mémoire de Louise Lalonger, intitulé «Évaluation des conditions de conservation au Musée de la civilisation: le cas de la réserve Vanier ». D’autres études menées par des firmes d’ingénieurs et d’architectes concernaient davantage la qualité et la sécurité de cette réserve. Les constats d’engorgement mais, surtout, de danger pour les collections ont convaincu les autorités du Musée de l’urgence d’agir. Une demande de subvention a aussitôt été adressée au ministère de la Culture et des Communications pour la construction d’un édifice qui pourrait abriter de façon sécuritaire cet héritage collectif. Chiffres à l’appui Les demandes présentées au ministère de la Culture et des Communications n’avaient rien de l’improvisation. Elles ont pris en compte toutes les variables inhérentes à la réalisation d’une construction et d’un déménagement. Elles traitaient bien sûr en détail des considérations budgétaires. Par exemple, à l’égard du déménagement, chaque étape a fait l’objet d’un calcul minutieux : depuis les ressources humaines au mobilier de rangement, en passant par l’emballage et l’installation finale. Rigoureuses, étoffées et raisonnables, les demandes ont été entendues.

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Entre la réserve ouverte et le coffre-fort

Une fois que l’on a obtenu l’aval du Ministère, le projet s’est peu à peu concrétisé. La construction de la nouvelle réserve serait confiée à un autre organisme paragouvernemental, la Société immobilière du Québec. Le Musée de la civilisation deviendrait propriétaire du bâtiment, et le Musée national des beaux-arts du Québec occuperait un espace de réserve à titre de locataire. Mais, en amont de la première pelletée de terre, le Musée de la civilisation devait d’abord dresser la liste de ses besoins au regard de cet édifice aux fonctions singulières. Trop-plein de trésors En l’absence d’une nouvelle réserve, il aurait été impossible de démonter l’exposition de l’ouverture du Musée en 1988, Mémoires, tellement on était à l’étroit à Vanier. Pour mesurer l’importance du volume des collections, imaginons que l’on rapatrie tous les objets prêtés. Conséquence de ce scénario improbable : la nouvelle réserve serait pleine à craquer.

À ce moment, on mesurait déjà le défi d’une telle construction. En premier lieu, il fallait garantir l’étanchéité de l’enveloppe de l’édifice. Toits, murs et planchers devaient en effet être conçus de manière à offrir un maximum de sécurité. À cette coquille protectrice devait s’ajouter un système contre les incendies et les pénétrations par effraction. Le projet constituait aussi un défi mécanique. Il fallait respecter les normes muséologiques en matière de conservation en ce qui a trait à la régulation de la température et de l’humidité. Puis, il s’avérait essentiel d’envisager de possibles agrandissements. Dans un contexte d’expansion, il ne faudrait pas toucher à l’intégrité des cloisons des voûtes existantes ni doubler certains équipements nécessaires comme le débarcadère, le monte-charge et les espaces de sécurité. Enfin, au-delà de ces considérations à propos de l’étanchéité, de la mécanique et des agrandissements potentiels, il y avait tous ces besoins liés à l’organisation interne. C’est ici que l’on a mis à profit l’expertise de plusieurs acteurs des 21

La réserve muséale de la capitale nationale

domaines de la conservation et des ressources matérielles. Soulignons aussi l’apport de l’équipe du Musée du Québec qui a participé à la mise sur pied du programme des besoins. De concert, toutes ces personnes ont ainsi convenu de ce qui devait figurer parmi les incontournables de la nouvelle réserve.

Des besoins tournés vers demain Dans un esprit de collégialité, les employés du Service des collections et ceux du Service des ressources matérielles ont d’abord déterminé l’expansion prévue par type de collection pour les dix prochaines années. Ils ont également défini leurs besoins au regard d’une nouvelle réserve répondant aux normes muséologiques, aux objectifs de sécurité et aux besoins d’espace. Ainsi, c’est à partir de la croissance potentielle des collections qu’ont été définis les espaces pour les différentes voûtes à atmosphère régulée. Cette croissance en pourcentage devait être établie de la façon la plus réaliste possible, puisque le résultat se traduirait en mètres carrés multipliés par des coûts de construction et de fonctionnement. Outre qu’il préviendrait l’encombrement au sol, cet exercice allait favoriser en quelque sorte la conservation préventive. Rappelons qu’à la réserve Vanier, certains secteurs des collections subissaient l’exiguïté des lieux. C’était le cas des textiles. Une seule boîte, par exemple, pouvait contenir jusqu’à une dizaine de pièces de vêtements. Elle était ensuite empilée sur d’autres boîtes, ce qui rendait la consultation et l’accès difficiles. Également, plus on manipulait, plus on risquait d’endommager les objets. Le manque d’espace faisait aussi en sorte que, dès qu’il se libérait une tablette à la suite d’un prêt, celle-ci était aussitôt récupérée pour d’autres pièces sans égard à la logique de classement. À ce propos, il est apparu pertinent d’opter pour un classement des collections par matériau dans la nouvelle réserve. On pourrait ainsi garantir de bonnes conditions de conservation et assurer à tous ces témoins précieux une meilleure sécurité. 22

Entre la réserve ouverte et le coffre-fort

La compartimentation en plusieurs salles limiterait en effet les dégâts en cas d’incendie. Elle permettrait un meilleur suivi des allées et venues, tous les conservateurs n’ayant pas accès à l’ensemble des salles. Enfin, la climatisation se régulerait plus facilement dans de petits espaces.

Un programme de construction en béton Les besoins des acteurs muséaux clairement définis ont ensuite été acheminés à une équipe du service technique de la Société immobilière du Québec. Le défi de ces personnes consistait à traduire le programme des besoins en programme de construction. Cet exercice allait notamment permettre de vérifier la faisabilité du projet architectural. À quoi donc ressemblerait le nouvel édifice ? C’est à cette étape qu’ont été effectués, entre autres choses, les choix de matériaux, de types de finition, de genres d’équipements et de systèmes. À cet égard, il a fallu s’assurer que les éléments retenus respectaient le budget et les exigences de départ au regard de l’étanchéité de l’enveloppe, de la mécanique et des possibilités d’expansion. Il est fréquent que cette étape du programme de construction oblige à des compromis, en raison de contraintes budgétaires ou d’autres impératifs. Dans le présent cas, on n’a rien sacrifié par rapport à la sécurité. On tenait par exemple mordicus à une structure en béton, même si ce choix de matériau pouvait se traduire par des coûts plus élevés. Fort heureusement, le prix du béton s’est avéré plus bas que prévu au moment de la construction. Cette économie a même permis de maintenir d’autres choix comme les systèmes de rangement sur rails et la peinture époxy pour les sols.

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La réserve muséale de la capitale nationale

Tout béton La nouvelle réserve a fait du béton son matériau de prédilection. Combien de mètres cubes de cette matière grise compte l’édifice ? Assez pour construire un trottoir d’environ 1 mètre de largeur et de 7,5 centimètres d’épaisseur, qui s’étendrait sur quelque 70 kilomètres.

Des plans et devis inspirés Le programme de construction pouvait maintenant être transformé en plans et devis. Pour ce faire, la Société immobilière du Québec a invité des architectes à répondre à un appel d’offres. En parallèle, une équipe formée de gens du Musée et de la Société immobilière du Québec a effectué la visite des trois principales réserves du Canada : Musée canadien des civilisations, Musée canadien de la Nature et les Archives nationales du Canada. Cette tournée s’est révélée fort inspirante. Elle a en effet permis de confirmer des intuitions, de valider des choix et d’éviter des écueils. C’est au Musée canadien des civilisations, par exemple, qu’on a retenu l’idée de la vue sur le débarcadère depuis le poste de contrôle. C’est aussi à l’occasion de cette tournée que l’équipe de la Société immobilière du Québec a véritablement pris conscience de la distinction entre une réserve et un simple entrepôt. La balle était maintenant dans le camp de l’architecte concepteur. Son défi consistait à démontrer que la configuration proposée s’avérait la meilleure. D’une première proposition présentant un édifice à un seul étage, on est enfin passé à un édifice de trois étages couvrant une superficie totale de 8546 m2. Un chantier bien orchestré Les plans et devis achevés, la Société immobilière du Québec a désigné un gérant de construction pour coordonner les opérations du chantier. En parallèle, on a procédé au choix des entrepreneurs. Pour la réalisation de ce projet de construction, 24

Entre la réserve ouverte et le coffre-fort

on a privilégié une gestion par lots. En clair, un lot correspond à un élément de l’ensemble : la structure, l’électricité, etc. Dans le présent cas, une vingtaine de lots ont été attribués à des entrepreneurs supervisés par le gérant de construction. Cette manière de faire permet un meilleur contrôle des opérations, un meilleur suivi du budget et du calendrier, une garantie quant à la qualité de la construction. Pendant toute la durée du chantier, soit de mai 2002 à juin 2003, les différents acteurs du Musée de la civilisation et de la Société immobilière du Québec se sont rencontrés pour faire le point sur l’avancement des travaux. Quand des modifications étaient proposées, elles étaient automatiquement soumises aux spécialistes qui jugeaient de leur pertinence. Certains aspects du chantier s’avéraient plus délicats. Pensons à la complexité du système mécanique, par exemple. Ici, la restauratrice a pu discuter avec les ingénieurs et les architectes des effets des systèmes sur les objets qui pourraient subir des transformations physiques et chimiques. Au terme de cette aventure architecturale, de cet imposant chantier, il reste le souvenir d’une collaboration efficace entre les diverses instances engagées, d’une volonté d’agir avec célérité, de discussions animées entre spécialistes qui n’ont jamais remis en question le fait de travailler en multidisciplinarité. Le résultat se révèle des plus concluants. L’édifice répond aux besoins exprimés à l’origine, sans compter que l’on a su respecter le budget et l’échéancier. Cette fois, ça y est ! La nouvelle réserve a pignon sur rue dans le parc industriel Duberger. Sans attendre, cédons à la tentation d’en faire la tournée.

Coup d’œil au-dehors Propriété du gouvernement du Québec, le terrain sur lequel on a bâti la réserve comporte plusieurs avantages. Il est d’abord situé à proximité du Musée de la civilisation et du Musée du 25

La réserve muséale de la capitale nationale

Québec. De là, on accède facilement aux grands axes routiers. De même, les dimensions du terrain sont suffisamment importantes pour accueillir un éventuel projet d’agrandissement. Autre intérêt du site : une guérite déjà existante permet un certain contrôle des allées et venues. Toujours sur le plan de la sécurité, on trouve des équipements (bornes-fontaines) et des services d’urgence (police, pompiers) tout près. L’environnement est également libre de végétation, ce qui favorise la surveillance par caméra. D’autres critères ont mené au choix de ce terrain. Comme on souhaitait limiter les risques d’avaries au minimum, le sol devait faciliter le drainage des eaux de surface tout en réduisant les effets de secousses. De plus, l’environnement physique devait être exempt de pollution industrielle intense pouvant affecter la qualité de l’air intérieur et occasionner des dépenses additionnelles pour la filtration. Puis, pour favoriser l’étanchéité du bâtiment, il convenait d’opter pour un site offrant une exposition limitée aux vents dominants. Enfin, il fallait que les camions de type semi-remorque puissent aisément circuler aux alentours de la réserve, et plus particulièrement aux abords du débarcadère. Ainsi, le terrain du parc industriel Duberger répondait à l’ensemble de ces préoccupations. Ajoutons que le gouvernement du Québec songe à dédier ce secteur industriel léger à l’archivage, fonction tout à fait compatible avec celle de la réserve.

Vue sur la réserve En s’approchant de l’édifice, on constate sur-le-champ qu’il ne s’agit pas d’un entrepôt comme les autres. Bien que ce soit un lieu hautement sécurisé, les fenêtres figurent en bon nombre. Sur l’un des côtés du bâtiment, certaines ouvertures forment une saillie. En plus du relief qu’elle donne au mur, cette astuce architecturale n’est pas gratuite. Dans la perspective d’un 26

Entre la réserve ouverte et le coffre-fort

agrandissement de la réserve, on ne toucherait pas à l’organisation actuelle des lieux. Toutefois, ces fenêtres permettraient de relier les deux parties au moyen d’une passerelle. Autre trait particulier de l’édifice vu de l’extérieur, une terrasse domine l’un des toits de la structure.

Accès libre : lieu propice à la recherche Pour pouvoir pénétrer dans la réserve, il faut signaler sa présence au personnel de la sécurité. Sinon, la porte demeurera verrouillée. Entrons une première fois dans ce lieu si singulier, à la manière d’un visiteur chercheur. Rappelons que ce rôle nous permettra d’accéder à des espaces semi-publics (vestiaire, pièces utilitaires, salle de consultation, salle de photographie). Vu la nature de l’édifice, on aurait pu s’attendre à trouver une zone d’accueil faiblement éclairée, à l’ambiance feutrée. Dès le seuil franchi, l’effet est tout autre. La lumière naturelle est abondante, en raison d’une généreuse fenestration. Nous voici au cœur de la sécurité de la réserve. Une zone névralgique, un passage obligé pour quiconque souhaite fréquenter les lieux. C’est ici en effet que sont effectués toutes les vérifications et tous les contrôles concernant les personnes, les objets (réception et expédition), la gestion des systèmes de mesure d’énergie, de régulation de l’environnement pour les voûtes, de l’éclairage, etc. Cette pièce est occupée en tout temps, jour et nuit, par le personnel de la sécurité. Toute personne qui entre dans l’édifice est tenue de signer un registre où sont consignées les allées et venues. De son côté, l’agent de sécurité demeure en contact permanent avec le personnel du Musée de la civilisation. Il est ainsi informé des visites et de la circulation des objets. De son poste, par ailleurs, il voit aisément l’entrée extérieure ainsi que la zone du débarcadère. Une fois que nous avons signé le registre et précisé le but de notre visite, nous pouvons laisser certains effets au vestiaire. La zone d’accueil comprend également un espace d’attente d’où 27

La réserve muséale de la capitale nationale

l’on peut apprécier la sobriété du décor: murs en blocs de béton, sols peints à l’époxy pour couper l’humidité et éviter la dégradation du ciment. Un escalier aux lignes épurées et à claire-voie mène à l’étage. Un coup d’œil suffit pour comprendre que l’intervention architecturale a été centrée sur la fonctionnalité des lieux. Si l’on n’a pas lésiné sur la qualité des matériaux, on a éliminé de l’aménagement de l’espace tout artifice et tout accessoire superflu. En revanche, certains détails montrent bien que les lieux n’ont rien d’un entrepôt classique. L’un des murs de la zone d’accueil arbore en effet deux immenses vitraux. Restaurées par un maître verrier, ces pièces provenant d’une église de Québec livrent en quelque sorte un indice quant à la fonction de l’édifice. À l’étage, nous accédons à une salle de consultation pouvant accueillir une quinzaine de personnes, lieu de prédilection pour les chercheurs, les professeurs et les étudiants. Ici, nous pouvons demander aux préposés d’examiner divers objets venant de l’une ou l’autre des collections. Recourant à un mobilier sur rail, ces employés se chargent de récupérer les pièces dans les voûtes à atmosphère contrôlée et de les mettre à la disposition des chercheurs dans la salle de consultation. Il nous faudra plus d’une journée pour terminer l’examen des pièces ? Muni d’un système de verrouillage, le mobilier sur rail contenant les objets pourra demeurer dans la salle de consultation jusqu’au lendemain. Malgré son caractère accessible, cet espace garantit la sécurité des pièces de collection.

Accès contrôlé : espace adapté au travail muséal Imaginons maintenant que nous sommes employés du Musée de la civilisation. En plus des espaces d’accès libre dont il a déjà été question, nous pouvons circuler dans d’autres pièces à vocation particulière. Au rez-de-chaussée, par exemple, se trouve le débarcadère. Commun aux deux musées, cet équipement est en relation directe avec le sas de manutention et le poste de contrôle de la sécurité. Il est muni d’un quai niveleur auquel 28

Entre la réserve ouverte et le coffre-fort

les camions peuvent accéder. Depuis le poste de garde, on assure l’ouverture de la grande porte. Le débarcadère compte enfin une ouverture plus modeste par où pourront d’ailleurs circuler environ 80 % des pièces, la plateforme étant réservée aux gros chargements. Attenant à cet espace de distribution, un sas assez vaste pour permettre la manutention d’imposants objets favorise l’acclimatation de ces derniers. Cet espace sert par ailleurs à éviter que les pièces des collections subissent un choc thermique. D’autre part, il sert à assurer la stabilité des conditions atmosphériques des espaces adjacents. Tout près du débarcadère, une salle de quarantaine abrite les objets qui pourraient être infestés. Suffisamment spacieuse, cette pièce permet l’inspection et le traitement des artefacts qui nécessitent une intervention d’urgence. À l’étage, les espaces administratifs témoignent du souci des concepteurs de créer un milieu de travail fonctionnel et convivial. Pourvue d’une cuisinette, la salle de repos peut être convertie en salle de réunion. Juste à côté, les conservateurs disposent de bureaux offrant une bonne fenestration et d’une salle de documentation. Bureaux avec balcon Sur le toit abritant la génératrice s’étend une terrasse pour les employés qui souhaiteraient prendre l’air sans avoir à repasser par la sécurité. Autre atout, la proximité de la cuisinette incite à casser la croûte au-dehors.

Cœur de la gestion des collections, deux salles multifonctionnelles prennent l’allure d’un véritable centre de travail. Ici, on procède à l’emballage, au déballage, à l’entreposage temporaire et au transit des objets. Côté équipement et mobilier, on y trouve des rangements fixes pour le matériel, des établis mobiles de grandes dimensions, des postes et des tables de travail, des équipements de manutention et des chariots. 29

La réserve muséale de la capitale nationale

PRÉVOIR LE RANGEMENT ET L’ÉQUIPEMENT MOBILIER

Les consultations auprès des conservateurs pour déterminer les besoins du programme architectural et de l’aménagement intérieur ont été tenues simultanément. On a donc tenté dès le départ de prévoir quel serait le volume des objets de la collection dans les années à venir. On a prévu que les collections connaîtraient une expansion variant entre 10 % et 30 % en 10 ans selon le secteur de collection visé. On a aussi prévu attribuer aux collections un espace de rangement supplémentaire pour améliorer la conservation préventive des objets. Dans plusieurs cas, le ratio était de 40%. Ensuite, il a été convenu de privilégier les systèmes de rangement mobiles en tenant compte des rapports rangement-circulation et du type d’artefacts à ranger. Par exemple, pour le gros mobilier, entre espace de circulation et espace de rangement, le rapport est de 55% de rangement pour 45 % de circulation. Pour les matériaux composites, le rapport est de 76 % de rangement pour 24 % de circulation. Après ces calculs, une surface pour chacune des collections déterminées au préalable a été convenue. C’est ainsi qu’on a calculé la surface des espaces de rangement nécessaires. Dans le même ordre d’idées, on a opté pour un bâtiment efficace. Autrement dit, après avoir décidé de tout mettre sur du rangement mobile, on a privilégié des réserves de forme rectangulaire pour optimiser le rangement. On a aussi fait le choix de voûtes avec une trame structurale de plus ou moins sept mètres de large pour éviter que des poutres ne les traversent et ne réduisent d’autant les possibilités de profiter de la hauteur des étagères mobiles. Marie-Charlotte De Koninck Musée de la civilisation

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Jouxtant la salle de consultation des chercheurs, le laboratoire de photographie montre que l’on a optimisé l’utilisation de l’espace. Munie d’un mur mobile, cette pièce peut en effet être adaptée aux besoins du photographe. Si la prise de photos nécessite du recul, on ouvre le laboratoire sur la salle de consultation pour donner de la profondeur. Cette pièce dispose par ailleurs d’un système de rails au plafond pour accrocher des rideaux de scène ainsi que d’un système d’accrochage au mur. Une pièce attenante abrite, pour sa part, l’atelier de conservation préventive. Cette pièce située du côté nord profite d’une lumière naturelle qui varie peu au cours de la journée. Son équipement a de quoi étonner les non-initiés à la restauration : trompe de ventilation, four à micro-ondes, douche pour les yeux, hotte, congélateur… Autre zone à vocation particulière qui ne manque pas de singularité : la salle de mécanique. Conduits interminables, échelle en métal, bruits sourds… on se croirait au beau milieu d’un sous-marin. Situé au cœur de l’édifice, cet espace de 222 m2 regroupe les équipements de mécanique, d’électricité et de ventilation nécessaires au fonctionnement du bâtiment. Il est fractionné en plusieurs pièces et doit assurer la régulation de la température et de l’humidité à l’intérieur de chaque voûte, selon les exigences de la conservation. Ici, la plus grande stabilité est souhaitable. En fonction du type de collection, le taux d’humidité par exemple peut varier de 38 à 55 %. Plus gros et plus complexe que celui de la Grande Bibliothèque du Québec, pourtant plus grande, le système mécanique installé ici limite les fluctuations dans les conditions climatiques, ce qui place les objets à l’abri de toute pression. En tout temps, un employé s’assure que les conditions sont maintenues dans chacune des voûtes.

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Énergie garantie Panne électrique à l’horizon ? La réserve peut compter sur les services d’une puissante génératrice qui assure les conditions ambiantes de conservation dans les voûtes. Cette dernière pourrait en effet alimenter une soixantaine de maisons unifamiliales durant toute une journée.

Accès restreint : des voûtes peu fréquentées À l’image des coffres-forts bien gardés des banques, les salles abritant les collections des deux musées sont peu accessibles. Seuls quelques conservateurs et restaurateurs peuvent y pénétrer. Devenons l’un de ces spécialistes le temps d’une visite et voyons de plus près ce que recèlent ces pièces aux mille trésors. Soulignons d’abord que le Musée national des beaux-arts du Québec dispose de deux voûtes ou salles de mise en réserve. Les collections du Musée de la civilisation sont réparties, pour leur part, dans neuf salles désignées selon les matériaux de base qui composent les pièces à entreposer : animaux naturalisés, peintures, bois (petits objets), bois (gros mobilier), chambre froide, matériaux composites (petits objets), matériaux composites (objets volumineux), métaux et textiles. Ces différentes voûtes offrent ainsi des conditions de conservation requises pour leur collection respective et qui varient selon le type d’équipement nécessaire pour leur entreposage. Chaque pièce contenant une collection est donc indépendante des autres en ce qui a trait à son accès, à son traitement climatique et à sa compartimentation. De plus, elle demeure étanche à l’air, à l’humidité et à l’eau. Ici, aucune fenêtre ni ouverture ne donne sur l’extérieur. Visitons-les tour à tour. Plus que centenaire, la collection des animaux naturalisés est exclusivement composée de matériaux organiques. La taxidermie a été réalisée selon des méthodes de conservation du XIXe siècle. Comme les autres voûtes à atmosphère contrôlée,

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cette pièce est en béton. Elle est équipée d’un système de rangement sur rails encastrés dans la dalle. Dans la salle dédiée aux peintures, on trouve la collection des peintures du Musée de l’Amérique française à laquelle s’ajoutent des pièces de collections entreposées à la réserve Vanier. Outre le système de rangement sur rails, cette voûte est pourvue de porte-tableaux de grandes dimensions. Pour le mobilier en bois, on a dû regrouper dans un même espace la collection des pièces de petit format. Les meubles plus imposants, eux, sont entreposés dans une autre voûte. Le système de rangement est codifié, facilitant le repérage des objets. Placés temporairement sous des housses de coton écru, les meubles bien emballés semblent à l’abri de toute détérioration. Tout près du débarcadère, on a situé la chambre froide pour faciliter le passage de gros objets comme les embarcations. Dans cette immense salle à basse température contrôlée, on entrepose les matériaux organiques dont la détérioration est accélérée par les chutes de température, soit les cuirs non traités (vêtements, fourrures et accessoires) et toutes les pièces autochtones revêtues de peau tendue (canots, kayaks, tambours, hochets). Comme c’est le cas pour le mobilier en bois, les matériaux composites nécessitent deux espaces distincts: une salle pour les petites pièces, une autre pour les objets plus imposants (meubles, objets industriels, etc.). La voûte abritant les petites pièces est d’ailleurs la plus grande des salles. Elle pourra accueillir au moins 100000 artefacts. Quant à la salle contenant les gros objets, elle est située au rez-de-chaussée pour des raisons utilitaires. Bien qu’il soit spacieux, le monte-charge n’aurait pu servir au déplacement de certaines pièces. Pensons au char allégorique de l’agriculture daté de juin 1880, de Louis Jobin. Autre espace particulier, la voûte abritant le métal regroupe des outils liés aux métiers, des armes, de l’argenterie, de l’étain, des jouets, des appareils domestiques, etc. Ici, le taux d’humidité

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est faible par rapport à celui que l’on maintient dans les autres salles. Un système de rangement fermé et verrouillé est utilisé pour les armes à feu. Enfin, la salle de mise en réserve abritant les textiles est munie de cinq types de systèmes de rangement : des rouleaux pour les textiles plats, des cintres pour les vêtements, des boîtes pour les chapeaux, des tablettes et des classeurs pour les pièces délicates ou fragiles. Certains de ces systèmes sont plus imposants que d’autres. Il faut par exemple des tiroirs d’environ 1,5 mètre sur 3 pour ranger les vêtements religieux. Ainsi s’achève la visite de cette zone de la réserve à accès restreint. Soulignons que l’on compte sur les doigts d’une main le nombre de personnes qui pourront fréquenter toutes les aires limitées de la réserve. Les autres conservateurs accéderont seulement à certaines voûtes, selon leur spécialité. Telle est la condition pour assurer toute la sécurité nécessaire à ces trésors qui constituent notre héritage collectif. Lieu hautement protégé tout en demeurant accessible, la nouvelle réserve de la capitale nationale a défié l’imagination des concepteurs. Elle a été pensée en fonction de la sécurité des collections, mais aussi des personnes qui y travailleront ou qui y mèneront des recherches ponctuelles. Enfin, cette construction d’avant-garde n’aurait pu voir le jour sans l’engagement et la passion d’une équipe multidisciplinaire constituée de gens des musées, de la Société immobilière du Québec et de firmes privées. Tous ont contribué à la réalisation de ce singulier ensemble architectural qui se situe quelque part entre la réserve ouverte et le coffre-fort.

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UN CONCEPT EN TROIS VOLUMES

Projet Réserve muséale de la capitale nationale Site La réserve muséale de la capitale nationale est située dans le parc Duberger, à Québec. Client Société immobilière du Québec Programme Le programme consiste en la conception et la construction de réserves d’une superficie de 8 500 m2 pour le Musée de la civilisation et le Musée national des beaux-arts du Québec. Il comprend les réserves, les ateliers, les espaces administratifs, un hall, la mécanique, un débarcadère et un stationnement avec d’importantes contraintes sur le plan de la sécurité et de la conservation des œuvres. Complexité La configuration des espaces et les stratégies techniques ont fait l’objet d’une attention soutenue pour répondre aux besoins particuliers d’exposition et de conservation ainsi qu’aux conditions de sécurité et de contrôle. Architectes Pierre Thibault, architecte, et Les Consultants DMG Inc. (De Montigny, Métivier, Hébert, Fortin, Martin, architectes). Chargé de projet Pierre Thibault

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Équipe Austin Métivier, architecte Hélène Fortin, architecte Vadim Siegel, architecte André Limoges, technicien Katerine Mc Kinnon, bachelière en architecture Charles Ferland, bachelier en architecture Stéphane Landry, technicien Coût 8,5 millions de dollars Livraison du bâtiment : 2003 Forme du bâtiment et orientation Le bâtiment est orienté est-ouest afin d’offrir un meilleur accès au site et de protéger l’entrée et la terrasse des vents dominants. Conservation de l’énergie Le projet demande un important contrôle climatique afin de protéger les œuvres. Le fenêtrage a donc été concentré aux endroits où le personnel travaille, généreux à l’est et en bande au sud afin d’éviter la surchauffe du bâtiment. Matériaux L’ensemble de la structure du bâtiment est en béton. Les murs et les cloisons sont composés de blocs de béton. Le parement est essentiellement constitué de revêtement métallique. Concept Pour répondre aux besoins d’espace, de fonctionnement, de sécurité, de possibilité d’agrandissement, d’étanchéité de l’enveloppe et de performance énergétique, l’ensemble des fonctions a été organisé en deux blocs distincts de hauteurs différentes qui sont séparés par un troisième volume où sont concentrés les espaces de circulation et la mécanique.

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Le glissement du petit volume par rapport à l’autre permet de positionner l’entrée des usagers, le débarcadère et le montecharge de façon qu’ils puissent desservir de part et d’autre les réserves de chacun des musées, ces dernières étant situées aux deux extrémités des couloirs de circulation. Cela permet également de libérer les vues pour les espaces administratifs et la réception qui se répartissent sur deux niveaux à l’extrémité du petit volume. La configuration du bâtiment et son organisation interne permettent d’envisager un agrandissement éventuel par la création d’un nouvel axe de circulation, perpendiculaire au premier et dans le prolongement de l’axe du débarcadère. Pierre Thibault, architecte

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LE MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC ET LA RÉSERVE MUSÉALE DE LA CAPITALE NATIONALE

Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) a pour mandat de faire connaître, de promouvoir et de conserver l’art québécois de toutes les périodes, de l’art ancien à l’art actuel, et d’assurer une présence de l’art international. Le Musée dispose d’une collection de plus de 22 000 œuvres comprenant peintures, sculptures, œuvres sur papier, photographies, arts décoratifs et installations en art contemporain. À l’occasion de son agrandissement en 1991, le Musée du Québec (devenu en 2002 le Musée national des beaux-arts du Québec) était doté de nouvelles réserves intégrées au bâtiment et qui pouvaient accueillir la presque totalité de la collection. À l’époque, l’espace prévu devait satisfaire les besoins de croissance de la collection du Musée jusqu’en 2001. Ces réserves, aménagées au sous-sol du complexe muséologique, répondent aux normes couramment acceptées en matière de conservation par le maintien d’un milieu ambiant optimal pour la température, l’humidité relative, l’éclairement et les polluants atmosphériques. Malgré cet ajout d’équipements de pointe pour la mise en réserve de sa collection, le Musée continuait cependant à occuper un espace dans un entrepôt à Vanier, sous le même toit que les collections du Musée de la civilisation. Cette réserve externe abritait principalement des œuvres ne pouvant être placées au Musée même, et ce, en raison de leurs trop grandes dimensions. Par ailleurs, le Musée choisissait de n’y loger que des collections qui ne présentaient pas de sensibilité particulière à un milieu ambiant moins favorable à une conservation optimale. Au fil des ans, la croissance de la collection permanente, de même que la création de nouveaux champs de collection (arts décoratifs et design) a rapidement amené le Musée à recourir de plus en plus à cet entrepôt. De fait, après neuf années 38

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d’acquisitions, les réserves du MNBAQ présentaient déjà des signes d’engorgement dans certains secteurs, par exemple la peinture, le mobilier et les installations en art contemporain. L’annonce, en 1999, du projet de construction d’une nouvelle réserve muséale dans la capitale nationale arrivait donc à point et donnait espoir de résoudre à court et à moyen terme les problèmes d’espaces au Musée. Dès lors, il a été évoqué que le scénario de conception de cette réserve devrait prévoir des locaux à l’usage exclusif de notre établissement, au sein même d’un édifice géré par le Musée de la civilisation. Bien que le MNBAQ soit locataire des espaces qu’il occupe dans la réserve muséale de la capitale nationale, il n’en demeure pas moins qu’il a joué un rôle actif dans la mise sur pied du programme de construction du bâtiment. En effet, grâce à une étroite collaboration des divers intervenants au dossier, les besoins spécifiques à nos collections ont pu être intégrés au projet. La fonction particulière de cette nouvelle réserve consiste essentiellement à pallier le manque d’espace dans la réserve principale du Musée, et ce, tout en maintenant les mêmes critères de sécurité et de conservation que cette dernière. Elle abrite désormais des œuvres tridimensionnelles de moyens et de grands formats, mais aussi certaines peintures et tapisseries. Les installations en art contemporain y trouvent notamment tout l’espace nécessaire, ce type de collection présentant souvent des défis particuliers en matière de rangement. Puisque le personnel technique du MNBAQ est essentiellement maintenu aux installations principales des plaines d’Abraham, le Musée a choisi d’abriter dans la nouvelle réserve des œuvres qui ont une fréquence d’exposition ou de consultation moins élevée. Les espaces attitrés au Musée, qui occupent environ 20 % des aires d’entreposage du nouveau bâtiment, consistent d’abord en deux salles de réserve d’une superficie totale de près de 1200 mètres carrés. La première, au rez-de-chaussée, est destinée à recevoir, entre autres, des œuvres monumentales dont le poids 39

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requiert une capacité portante élevée. Les équipements qu’on y trouve comprennent des rayonnages mobiles sur rails de type industriel ainsi que des rayonnages pour tapisseries. La seconde, à l’étage, avec ses porte-tableaux et rayonnages sur rails, est aménagée pour abriter des peintures et des sculptures de moyennes dimensions. En plus de ces deux espaces de réserve, le Musée dispose d’une salle polyvalente, d’une superficie d’environ 100 mètres carrés, destinée à des opérations diverses, tels la manutention des œuvres (emballage et déballage), l’examen, voire des restaurations mineures. De plus, l’entente avec le Musée de la civilisation prévoit que nous partagions avec ce dernier l’usage de certaines aires de circulation et de transit dont le débarcadère et le monte-charge. Nul doute que les aménagements de la nouvelle réserve externe du Musée national des beaux-arts du Québec sauront répondre aux besoins d’accroissement de la collection permanente pour les dix prochaines années. Le concept architectural du bâtiment prévoit d’ailleurs la possibilité d’agrandissements futurs qui pourront offrir des espaces additionnels, assurant de ce fait la mission de conservation de notre établissement pour le XXIe siècle. Claude Belleau Restaurateur, Musée national des beaux-arts du Québec

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Chapitre 3

QUAND DÉMÉNAGEMENT RIME AVEC DÉFI

Danielle ROMPRÉ

Déménager une collection nationale se révèle une opération d’envergure. Pensons au caractère précieux et à la fragilité des artefacts, de même qu’à l’imposant volume d’objets à transporter d’un lieu à l’autre. À ces motifs, ajoutons la singularité de l’entreprise. Qui peut prétendre se fier à son expérience personnelle pour mener à bien un tel déménagement ? Comment procéder ? Par où commencer ? Précisons qu’avant de donner le coup d’envoi au déménagement, il a fallu consacrer quelques années à la planification de cette opération. Au cours de cette période charnière, on a procédé au recensement des objets, évalué les besoins sur le plan des ressources humaines, matérielles et technologiques. Il a aussi fallu prévoir et modifier l’organisation du travail au sein du Service des collections pendant la période précédant celle du déménagement afin d’assurer la présence du personnel requis au moment opportun. Une fois cette étape franchie, on s’est attaqué de manière plus concrète à la préparation du déménagement : établir un mode de fonctionnement entre les équipes de travail, gérer l’espace, aménager les nouvelles voûtes, choisir le mobilier de rangement, procéder au préentreposage et à l’emballage. 41

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Ce long et complexe cheminement a enfin permis d’effectuer le véritable déménagement, soit transporter, déballer et mettre en tablette la collection nationale. Tel est le parcours proposé ici. Au fil des prochaines pages, retrouvons-nous aux temps forts de cette opération inusitée.

D’abord, la planification Choisir les acteurs et distribuer les rôles Parallèlement à la préparation des documents voués à convaincre nos interlocuteurs du bien-fondé d’une nouvelle réserve, on optait pour une conservation préventive afin d’assurer la pérennité de la collection, et la réflexion sur l’infrastructure humaine battait son train. Quelles compétences particulières s’avéraientelles nécessaires pour relever ce formidable défi ? Combien de personnes seraient requises et quand commencerait-on à les embaucher ? Selon le modèle interdisciplinaire cher au Musée de la civilisation, l’équipe de base devait bénéficier de plusieurs expertises: conservation, technologie de pointe, architecture et design. Bien que la gestion du personnel pour chaque expertise relève d’un service particulier et indépendant (par exemple : le Service des technologies pour le technicien en informatique, le Service des ressources matérielles pour le designer, etc.), il appartenait au Service des collections de coordonner le personnel et l’ensemble des actions en vue de la réalisation du projet de déménagement de la collection, de sa planification jusqu’à la mise en tablette dans les nouveaux locaux. Le Service des ressources matérielles avait pour mandat de rendre le bâtiment opérationnel et de gérer le transport des collections. C’est ainsi qu’une conservatrice fut chargée de superviser l’ensemble du processus, appuyée par une équipe de base constituée de conservateurs, d’une restauratrice et de personnel technique. Pour leur part, les conservateurs, qui avaient déjà évalué leur collection du point de vue de la quantité, du volume 42

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et de l’état des objets, furent appelés à valider les stratégies définies en conservation préventive. Quant à la restauratrice, son rôle consistait à évaluer l’état des objets et leur besoin de protection, à fournir les spécifications pour les équipements spécialisés ainsi qu’à assurer la formation du nouveau personnel pour tout ce qui concerne la conservation préventive. Outre cette infrastructure professionnelle, deux fonctions techniques sont apparues essentielles : un technicien spécialisé en documentation et en classification des artefacts pouvant suivre aisément le processus de recensement des objets et établir la nouvelle répartition des collections, ainsi qu’un technicien habile à concevoir l’aménagement de l’espace et habitué au langage et aux outils technologiques. On n’insistera jamais assez sur l’importance d’une communication constante entre les usagers de la réserve et l’équipe de construction et d’aménagement du bâtiment. Une véritable osmose entre les différents corps d’emploi s’est avérée essentielle à la réalisation du programme des besoins conçu par l’équipe de conservation. Par ailleurs, des techniciens d’expérience en muséologie ont travaillé de concert avec la chargée de projet et avec la restauratrice en conservation préventive. Au fil de l’avancement du projet, des techniciens récemment diplômés se sont également joints à l’équipe. Issus des cégeps, déjà formés à la conservation préventive, aux techniques d’emballage, d’enregistrement et autres, ils ne demandaient qu’à prendre de l’expérience à leur tour. À ce corps d’emploi qui constituait de loin le contingent le plus important se sont ajoutés des manutentionnaires et des opérateurs en informatique qui ont assisté professionnels et techniciens dans la réalisation de leurs mandats respectifs. Enfin, d’autres personnes issues de différents services ont contribué au succès de l’entreprise. Pensons au personnel administratif et aux agents de sécurité qui ont notamment veillé au 43

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mouvement du matériel et au transfert des collections. Soulignons également l’apport d’une compagnie de déménagement expérimentée dans le transport de collections muséales.

Recourir à la technologie MUSIM, codes à barres et traçabilité… Ces vocables peu évocateurs pour les non-initiés ont pourtant donné lieu à d’importantes manœuvres technologiques durant la phase de planification du déménagement. En clair, on a modifié MUSIM, le catalogue informatisé déjà existant, poussé l’exploitation du système de lecture des codes à barres et ajouté des zones à la base de données pour mieux suivre la trace des objets au cours de leur transfert. MUSIM en version améliorée

Créée par le Service des technologies, la base de données informatiques MUSIM fournit aux utilisateurs (conservateurs, visiteurs et chercheurs) l’information la plus pertinente et la plus complète possible sur les collections pour les fins de gestion, d’éducation et de recherche. Un comité de travail permanent composé du personnel des services des collections et des technologies se réunissait régulièrement pour faire le point sur cet outil de gestion, définir les nouveaux besoins et cibler les améliorations à apporter. Il va de soi que l’approche du déménagement a accéléré l’évaluation des travaux de perfectionnement à réaliser, l’efficacité de la base de données étant reconnue dans des conditions normales d’utilisation, mais des doutes persistaient quant à son efficacité dans des conditions accélérées de production de l’information. Il fallait en effet hâter le processus d’enregistrement des renseignements sur l’objet, intégrer les nouvelles images numérisées des artefacts, valider la classification et ajouter des catégories informatiques manquantes. Il était évident pour tous que, malgré la très grande qualité de l’outil actuel, des ajustements étaient nécessaires pour fonctionner efficacement dans le contexte d’un déménagement 44

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nécessitant un volume important d’opérations complexes et de nature variée. Aussi a-t-on pris la décision d’apporter des améliorations technologiques à la précieuse base de données. Parmi les modifications effectuées, soulignons l’augmentation du débit de transfert d’information, la mise au point de modules permettant d’obtenir des données plus précises sur les collections et la révision de la méthode de calcul pour comptabiliser plus facilement les éléments d’un ensemble (par exemple: les 54 pièces d’un service de vaisselle). De plus, on a accéléré le processus de numérisation des objets de la collection afin que chacun d’entre eux soit accompagné d’au moins une image et qu’elle réponde aux plus récentes exigences technologiques. Recenser les collections

Mené en amont des opérations relatives au déménagement, le recensement des collections a commencé en octobre 1998 pour se terminer à la fin de 2002. Ce travail long et minutieux comprenait l’identification des objets, la photographie numérique et la validation des principales données de catalogage (dimensions des objets, vérification de la numérotation, uniformisation des données). Dans le contexte de l’aménagement de la nouvelle réserve, cet exercice de recensement s’est avéré crucial, puisqu’il a permis de poursuivre la normalisation des zones décrivant les objets. Une équipe a validé et normalisé les noms des artefacts et la sous-catégorie qui leur était attribuée de façon à s’assurer que tous les objets d’une même catégorie portaient bien le même nom et correspondaient à la même classification. Soulignons enfin que cette tâche ambitieuse a mobilisé plusieurs ressources du Service des collections. Il a donc fallu ralentir la cadence des activités régulières au sein de cette équipe.

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Des codes à barres plus adaptés

Déjà existant, le système de lecture de codes à barres permettait de produire des étiquettes contenant différents renseignements, dont le numéro d’acquisition de l’objet, son nom, son emplacement, etc. Dans le contexte du déménagement, il a été modifié pour ajouter l’emplacement permanent et pour permettre notamment l’impression en lots. Cette fonction devenait incontournable vu la masse d’information à traiter et le nombre d’objets en transit. Le processus de documentation a aussi été accéléré (listes d’objets, changements d’emplacement) et la production d’outils d’identification informatisée (étiquetage des objets, du mobilier de rangement, des emballages, etc.). Objets à la trace

Grâce à l’ajout de nouvelles zones d’information à la base de données, on a pu suivre pas à pas le circuit d’un objet, depuis son point d’origine jusqu’à son emplacement dans la nouvelle réserve, en passant par son séjour dans un entrepôt temporaire. La traçabilité a ainsi constitué un mode de contrôle fort utile lorsque les déplacements se sont intensifiés. Pendant un déménagement de cette envergure, il importe que tous les mouvements d’objets soient consignés de façon précise pour des raisons de planification des opérations et de sécurité des artefacts.

Décréter des moratoires Pour que le personnel du Service des collections puisse jouer pleinement son rôle dans l’aventure du déménagement de la collection nationale, il a fallu limiter le temps de travail consacré aux nouvelles acquisitions et aux prêts d’objets. Un premier moratoire touchait les acquisitions. Le Musée se réservait toutefois la possibilité d’analyser des offres pour des collections et des objets jugés incontournables, dont la sauvegarde aurait été mise en péril à cause d’un délai d’intervention trop long. Un autre moratoire concernait les prêts d’objets pour les

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musées partenaires, car les opérations de prêt pour les expositions courantes du Musée de la civilisation n’ont pas été touchées. L’objectif de réduction du mouvement d’artefacts entrant ou sortant de la réserve n’a donc été que partiellement réalisé, environ 3000 objets ayant circulé pendant cette période cruciale.

Puis, la préparation Maintenant qu’étaient réunies les conditions permettant de planifier le déménagement, l’heure était venue de préparer cette grande opération. Dans cette perspective, il fallait établir un mode de fonctionnement efficace entre les différents acteurs, convenir d’un scénario pour guider les multiples interventions, s’assurer de disposer de l’espace nécessaire pour travailler et entreposer les collections, aménager l’intérieur de chaque voûte à température contrôlée, décider du mode de rangement des objets et emballer ces derniers.

Créer des cellules de travail Pour faciliter la gestion de l’équipe affectée au déménagement, on a opté pour la formation d’une dizaine de cellules de travail. Cette compartimentation avait l’avantage de faciliter la segmentation du travail au regard d’une immense collection. Elle a favorisé l’attribution de mandats précis à certaines cellules en fonction de besoins particuliers. Elle a aussi permis de déployer, selon les étapes, des équipes dans les trois lieux de travail. La souplesse nécessaire pour s’adapter à la complexité, à la diversité et au volume d’artefacts à traiter fut ainsi obtenue. Concrètement, chaque cellule comptant trois ou quatre personnes se voyait confier le mandat de suivre toutes les étapes d’un processus complexe visant à assurer la pérennité des objets, la sécurité des collections à déménager et l’entreposage selon de nouvelles conditions.

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Préparer une procédure Étant donné l’importance d’un cheminement uniforme pour chaque objet et la complexité du processus, on a dressé une procédure détaillée destinée aux diverses cellules de travail. Cette procédure présentait, dans un ordre chronologique, les étapes à suivre pour chaque tâche et les résultats attendus, incluant les mises en garde. Outre qu’il servait d’aide-mémoire, cet outil a permis aux employés de se familiariser plus rapidement avec la méthodologie préconisée et avec les grands principes qui guidaient les interventions. Gérer l’espace Déménager autant d’artefacts représente un défi de taille en matière d’espace. Il faut notamment des lieux pour entreposer, travailler et circuler. À Vanier, par exemple, on a d’abord récupéré un local adjacent à la réserve devenue exiguë au regard des espaces d’entreposage. Cette salle occupée jusqu’ici par le Musée national des beaux-arts du Québec a ainsi servi de réserve de transit. Entre-temps, les collections emballées ont vite débordé des aires de rangement disponibles. On a donc entrepris de déménager une partie de la collection de gros mobilier en bois (armoires, tables, buffets, etc.) dans un entrepôt temporaire. Le choix de déplacer cette collection n’était pas fortuit, car il permettait de libérer rapidement de grandes superficies immédiatement récupérées comme espaces d’entreposage et de travail pour les équipes supplémentaires. Une fois la phase de maturation du bâtiment de la nouvelle réserve terminée, on a commencé à y installer progressivement des artefacts. En marge des problèmes d’entreposage, un autre casse-tête s’est ajouté avec l’augmentation du personnel affecté au déménagement. Il fallait installer convenablement ces nouveaux venus pour rendre les cellules de travail opérationnelles. À cet égard, on a dû mettre à profit créativité et ingéniosité pour 48

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surmonter les contraintes d’espace vécues par les employés et pour aménager des aires de travail fonctionnelles abritant les équipements bureautiques nécessaires. Pièces en transit En attente d’espaces complètement aménagés, les premiers objets acheminés à la nouvelle réserve ont été entreposés dans certaines voûtes transformées temporairement en entrepôts ou en aires de transit. Ainsi, les ouvriers ont monté et assemblé le mobilier de rangement dans les salles en l’absence des pièces de collection.

Répartir les collections selon un nouvel aménagement Comme les collections au sein de la nouvelle réserve allaient être réparties par matériau, il fallait repenser la répartition des collections et revoir l’aménagement de l’espace ainsi que le choix du mobilier de rangement. L’objectif était le suivant : viser une organisation logique et une répartition jumelant fonctionnalité et esthétisme. C’est ainsi que chaque voûte compte de grandes sections abritant des catégories d’objets apparentées. Par exemple, on a entreposé ensemble les artefacts appartenant à la catégorie « Communication visuelle » et ceux de la catégorie « Photographie ». À l’intérieur des sections, on a aussi groupé par modules certains secteurs de collection. Enfin, on a prévu des emplacements stratégiques pour les ensembles répondant à des critères esthétiques ou éducatifs. Par ailleurs, chaque subdivision à l’intérieur des voûtes nécessitait un type de mobilier de rangement particulier. Des plans d’occupation détaillés ont été réalisés pour valider les types et la quantité de mobilier requis. Rappelons que l’équipe de conservateurs avait déjà choisi les mobiliers de rangement pour chacune des voûtes. Cependant, il convenait à cette étape de 49

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l’aménagement de vérifier la pertinence de ces choix et d’apporter des correctifs, le cas échéant. En somme, cette opération visait essentiellement à donner un sens à l’organisation spatiale pour faciliter notamment le repérage des collections.

Préentreposer les trésors Pierre angulaire d’une série d’interventions visant la sécurisation et la pérennité de la collection, le préentreposage s’inscrit dans le cheminement global pour suivre le mouvement de tous les objets, depuis leur collecte sur une étagère de la réserve Vanier jusqu’à leur installation permanente dans le nouveau bâtiment. Comment s’est déroulée cette étape préparatoire ? Les membres d’une cellule de travail recevaient d’abord une liste d’artefacts à rassembler dans l’un des modules d’une voûte. Ils procédaient à la collecte de ces objets et les déposaient sur des étagères montées spécialement pour le travail à venir. Ici, ils effectuaient le tri en vue d’un groupement typologique ou par dimensions. Puis, ils privilégiaient un type d’intervention en particulier pour garantir la sécurité de chaque objet dans la nouvelle réserve. Ils pouvaient par exemple évaluer l’impact d’une voûte dotée d’un mobilier de rangement sur rail (compte tenu des possibilités de vibrations pendant le déplacement du module). Ils choisissaient aussi le type de rangement approprié (étagère, tiroir, cabinet, porte-tableau, grillage, etc.). Ensuite avait lieu l’examen de chaque objet pour déterminer ses particularités (fragilité, bris, instabilité, poids, présence de matières dangereuses, etc.). Suivaient différentes interventions en conservation préventive. Ces dernières pouvaient aller du dépoussiérage à la fabrication d’un support en passant par la stabilisation de parties mobiles, le retrait d’éléments flottants, etc. L’étape suivante s’avérait décisive. Un exercice de mise en tablette était entrepris pour décider du mode de rangement de l’objet (dégagement en hauteur, espacement entre les objets, poids, etc.) et pour tester la conception des supports d’artefacts. 50

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Afin de minimiser les risques d’erreur, on a monté dans les aires de travail des modules de rangement identiques à ceux des voûtes ; d’où l’expression « préentreposage ». Enfin parvenait-on à l’étape ultime de l’opération : la création des emplacements permanents dans la base de données ainsi que la production des étiquettes d’objets et des étiquettes de rangement produites à l’aide du système de lecture de codes à barres. Notons que le préentreposage garantit le bon déroulement des étapes subséquentes d’emballage, de transport, de déballage et de mise en tablette dans la nouvelle réserve.

Emballer les objets À cette étape, quatre grands objectifs liés à la récupération et au recyclage des matériaux ont guidé les interventions : • concevoir un emballage basé sur l’utilisation des supports d’artefacts, puisque ceux-ci ont été fabriqués pour faciliter la manipulation des objets et leur entreposage sécuritaire ; • recourir à des techniques d’emballage favorisant le recyclage du matériel au moment du déballage ; • fabriquer des emballages semi-permanents pour les objets complexes, fragiles ou qui circulent souvent ; • utiliser des équipements mobiles réutilisables pour les transports. Opération complexe, l’emballage supposait d’établir des stratégies, de choisir des matériaux adéquats et d’élaborer des techniques particulières. Les stratégies, par exemple, devaient tenir compte de la fragilité des artefacts, de leurs dimensions, du type d’entreposage et du nombre d’emballages à gérer. Elles sont allées d’une intervention minimale sur l’objet à la fabrication d’emballages spécifiques complexes, en passant par un rassemblement d’unités d’emballage.

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Étant donné la nature diversifiée de la collection, les emballages spécifiques, fabriqués sur mesure, se sont avérés les plus nombreux. Ils étaient en général associés aux artefacts fragiles, lesquels ont fait l’objet d’un traitement particulier en conservation préventive. Par ailleurs, certains emballages ont été conçus pour être en partie ou en totalité conservés à l’étape de la mise en tablettes. Des indications sur le contenu ainsi que des commentaires sur le mode de déballage accompagnaient chacun des emballages. Vu le volume imposant d’emballages et le problème récurrent d’espace, il a fallu adopter une méthode pour densifier l’occupation des superficies disponibles dans la réserve. Ainsi, pour faciliter l’entreposage temporaire et le transport des emballages vers la nouvelle réserve, on a opté pour un groupement de boîtes sur palette industrielle. Soulignons ici qu’il a fallu recourir à des emballages assez solides pour supporter un empilement prolongé. Le deuxième type d’intervention concernait des artefacts déjà protégés par un élément de rangement comme les textiles enroulés et les objets placés en tiroirs. Alliant dextérité et créativité, les techniciens ont conçu différents équipements de transport mobiles de fabrication économique, réutilisables, souples, faciles à manipuler et à déplacer. Pour les artefacts volumineux, enfin, on a privilégié un système de palette, sur mesure cette fois-ci, auquel on a ajouté une protection supplémentaire comme des couvertures matelassées. Évidemment, chaque emballage comportait une étiquette autocollante dont le code découle de l’emplacement permanent de l’objet. Cette dernière allait permettre d’enregistrer l’objet au moment du chargement pour le transport, de suivre son parcours et de l’acheminer à son emplacement définitif dans la nouvelle réserve.

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Quand déménagement rime avec défi

Collections aux petits soins C’est une entreprise de déménagement expérimentée qui a effectué le transfert des objets d’un débarcadère à l’autre. Cette firme est spécialisée dans le transport d’objets de collection pour les musées. Dans le présent contexte, les déménageurs ont emporté des emballages entièrement préparés par l’équipe du Musée et les ont livrés avec tous les soins voulus au débarcadère de la nouvelle réserve. Le système de lecture des codes à barres a permis aux employés de la réserve d’enregistrer les départs et les arrivées. À la réception à la nouvelle réserve, un lecteur vérifiait si les arrivages étaient complets. Rappelons que chaque code à barres indiquait le lieu d’entreposage, c’est-à-dire le nom de la voûte, la désignation de l’étagère et la tablette précise de rangement.

Enfin, le déménagement Emballer selon les règles de l’art était une chose. Déménager la collection nationale en était une autre et supposait de surcroît une logistique impressionnante. On a donc établi dès les premières réflexions des priorités d’intervention. Plusieurs facteurs ont été considérés ici, dont le besoin d’espace, le mode d’entreposage et la protection des objets fragiles. Ainsi, par souci d’efficacité, une équipe a d’abord concentré ses efforts sur le déménagement du gros mobilier. On gagnerait ainsi de l’espace. En parallèle, une autre équipe s’est attaquée à la collection de textiles enroulés. D’autres ont travaillé, pour leur part, à la préparation de collections fragiles comme la verrerie, la vaisselle et les instruments scientifiques. Le fait d’aborder cette ultime et cruciale étape par le transport des pièces les plus vulnérables s’inscrivait parmi les nombreuses mesures de sécurité destinées à protéger la collection.

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La réserve muséale de la capitale nationale

Transporter les artefacts Concevoir un plan de chargement, convenir d’une manœuvre à effectuer, déterminer un choix d’équipement spécialisé… autant de tâches qui impliquent expérience et fiabilité. Voilà pourquoi l’équipe du Musée a fait appel aux services d’un transporteur reconnu. Déballer et mettre en tablettes Une certaine fébrilité régnait dans l’air au moment de ranger les objets dans la nouvelle réserve. C’était en quelque sorte le moment de vérité: la hauteur des tablettes était-elle appropriée? Les objets étaient-ils intacts ? Trouveraient-ils tous leur place à l’emplacement désigné ? Les pièces fragiles étaient-elles en sécurité sur le mobilier sur rail? Dans le présent cas, ce moment d’angoisse a rapidement fait place à la satisfaction d’arriver au bout d’un long processus. De fait, l’étape du déballage et de la mise en tablette s’est avérée aisée et rapide. Déballer demandait surtout une bonne méthode de travail afin que la circulation dans la réserve soit fluide et que les opérations s’effectuent en toute sécurité pour les objets déjà placés en tablette. Mais le plus grand défi consistait ici à gérer la masse et la variété de matériel recyclable. Comme on disposait en effet de plus de 1 000 boîtes en attente de déballage, la masse de matériaux recyclés est vite devenue énorme. Par ailleurs, tous les matériaux n’étaient pas recyclables. Dans quels contenants allaiton les placer? Où pourrait-on les entreposer? Bien qu’elle fût fort rentable, cette opération a demandé un suivi serré et presque quotidien pour ne pas surcharger les aires de circulation dans la nouvelle réserve. Ajoutons que l’on a bien sûr favorisé la réutilisation du matériel d’emballage, quand cela s’avérait possible.

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Quand déménagement rime avec défi

Le recyclage : à quel prix ? Le recyclage ajoute au coefficient de difficulté dans l’établissement des priorités, car il suppose des interventions supplémentaires dans le processus. Force est de constater qu’en contrepartie d’économies réalisées pour l’achat d’équipement neuf, on doit tenir compte des coûts entraînés par : – une logistique plus complexe ; – l’affectation de ressources humaines additionnelles ; – les risques plus élevés de bris pendant les manipulations.

Mission accomplie Ainsi s’est déroulée cette imposante opération visant à déplacer de façon sécuritaire les milliers de trésors constituant la collection nationale. Un voyage de quelques kilomètres, certes, mais qui a nécessité d’infinies précautions pour garantir le succès de l’entreprise. Mission accomplie pour les acteurs qui ont participé à la manœuvre. Car, au-delà de la logistique bien rodée, de la méthodologie rigoureuse, on a pu compter sur l’engagement de personnes sensibles aux principes de la conservation préventive. Autant de ressources qui ont tout mis en œuvre pour garantir la sécurité de l’objet et l’intégrité de la collection.

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Chapitre 4

À PROPOS DE CONSERVATION PRÉVENTIVE

France RÉMILLARD

Aujourd’hui, dans les musées, les restaurateurs, les conservateurs, les agents de sécurité, les ingénieurs, les architectes et les designers partagent la responsabilité de la conservation préventive des collections. Tous ces acteurs connaissent en effet ce concept. Et presque tous peuvent même énumérer les neuf agents responsables de la dégradation des objets dans les collections. Pourquoi parler de conservation préventive ici? Parce que l’application de ses principes a mobilisé beaucoup d’énergie au cours de l’exercice de réaménagement des collections du Musée de la civilisation. Dans le contexte de ce projet, les tâches liées à la conservation préventive étaient en effet importantes et variées : • vérifier tous les matériaux utilisés pour la conservation et l’emballage des objets ; • superviser et améliorer, au besoin, les techniques de soclage, d’entreposage et d’emballage ; • définir à l’avance les stratégies de traitement de chacune des collections ; • fournir les spécifications pour les équipements plus spécialisés; 57

La réserve muséale de la capitale nationale

• veiller au traitement sécuritaire des objets et des matières dangereuses ; • consigner les données entourant les accidents ; • vérifier l’évolution des conditions climatiques à l’intérieur de chaque voûte de la nouvelle réserve. Ce sont ces gestes qui vont alimenter le propos des pages suivantes.

Des matériaux sous investigation Au départ, il a fallu passer en revue l’ensemble des matériaux utilisés pour le déménagement : papiers, bourres, mousses, cartons, etc. La restauratrice a testé le pH des papiers et fourni aux techniciens les crayons leur permettant de les reconnaître. Papier journal non encré, papier de soie ordinaire, papier sans acide, tamponné ou papier non tamponné, carton quatre plis et deux plis sans acide, carton cannelé de type kraft, carton cannelé sans acide, tamponné ou encore sans acide, sans lignine et tamponné… chaque type de papier ou de carton correspond en effet à un usage particulier. Ainsi, les textiles et les costumes en fibres d’origine animale (soie, laine, fourrure, plumes) ont été emballés dans des papiers de soie sans acide et sans tampon. En revanche, on a réservé les papiers de soie sans acide et tamponné aux matériaux d’origine végétale, soit les cotons et les lins. En plus de ces matières à base de papier, le plastique cannelé de différentes épaisseurs, la bourre de polyester avec et sans adhésif, la pellicule de polyéthylène et de nylon, les pépites de polystyrène, le plastique à bulles, les mousses d’éther de polyuréthane et de polyéthylène, et la feutrine synthétique ont aussi servi à l’emballage des objets. Pour assurer un contrôle de qualité au regard de ces produits, on a vu de près aux sources d’approvisionnement. On a également procédé à des tests ponctuels d’identification des matériaux. On a notamment vérifié la présence de chlore (test de Beilstein), de soufre (test à l’acétate de plomb) ou de 58

À propos de conservation préventive

formaldéhyde (test de formaldéhyde Merkoquant) dans les matériaux utilisés. La restauratrice a également proposé le recours à de nouveaux matériaux tout en expliquant leurs propriétés et en suggérant les techniques de mise en œuvre. Pensons, par exemple, à ce produit de la construction qui sert à bourrer les joints entre les pierres : un boudin de mousse de polyéthylène qui vient en divers diamètres. Une fois ses extrémités taillées en biseau, il peut être collé au pistolet à air chaud et servir alors de support à des contenants à fond rond. Ce produit a rapidement trouvé de multiples autres usages pour le préentreposage de certains objets. On a également procédé à des tests et des consultations pour s’assurer de l’inocuité des peintures utilisées pour les étagères métalliques.

Conserver, emballer et transporter Former et informer Une trentaine de personnes furent affectées au soclage, à l’entreposage et à l’emballage des objets des diverses collections. Pour ce faire, le Musée avait embauché plusieurs diplômés du programme de Techniques de muséologie du collège Montmorency. L’exercice du déménagement des collections a donc permis d’apprécier l’efficacité de ce programme. L’organisation des équipes associant techniciens formés et expérimentés à d’autres, plus néophytes, se faisait autour de la préparation de collections particulières. Dans le but d’assurer une certaine uniformité dans le choix des techniques et des matériaux utilisés, mais aussi pour mettre à profit les trucs et découvertes expérimentés par les différentes équipes, une session hebdomadaire de formation et d’information a été organisée. Ces sessions ont permis de présenter à l’ensemble les stratégies retenues pour chaque collection. Elles ont fourni l’occasion de transmettre une formation plus pointue sur la conservation, l’emballage et la mise en transit des biens culturels, de communiquer de l’information technique concernant les matériaux et de faire état des règles de sécurité et 59

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des consignes de travail. Au cours de ces sessions, tous les membres des équipes étaient invités à communiquer les difficultés éprouvées quotidiennement au travail mais également les façons de faire expérimentées au cours de la semaine. Ce fut une véritable plate-forme d’échange et d’enrichissement des connaissances qui a permis d’accroître l’efficacité du personnel affecté à l’emballage. Par ailleurs, il a fallu s’assurer que seuls des matériaux stables et inertes étaient utilisés pour la conservation à long terme des artefacts. Les objets nécessitant des socles ou des supports, les costumes réclamant d’être bourrés, les tablettes à tapisser, les tiroirs à compartimenter, les boîtes de mise en réserve, tous appelaient le recours à des matériaux de longue conservation, n’engendrant pas de produits dommageables pour les collections. En ce qui a trait à l’emballage, on a voulu opter pour des matériaux efficients, c’est-à-dire offrant un bon rapport qualitéprix. A-t-on une petite idée de la quantité de matériaux nécessaires pour déménager des milliers d’objets ? Comment offrir à chacun la protection juste suffisante pour prévenir un bris pendant le transport et les manipulations associées à un tel déplacement ? Quel matériau peut offrir cette protection à un coût raisonnable ? Comment choisir le matériau de matelassage approprié à la forme, au poids et à la fragilité de l’objet ? À titre d’exemple, le papier journal chiffonné non encré représente un matériau très peu onéreux, capable d’offrir une protection efficace à des objets légers. On l’a donc utilisé abondamment. Mais, pour en faciliter l’insertion et le retrait dans les boîtes et pour des raisons de sécurité, on a confectionné des coussins en papier : une feuille pliée et agrafée formant un sac et remplie de papier grossièrement chiffonné. Cette approche opposant une surface lisse aux objets qu’elle protège réduit les risques d’arrachement de petites pièces en saillie au moment du déballage. Ce dernier s’en trouve accéléré par le fait que l’absorbeur de choc est circonscrit dans une enveloppe et que chaque 60

À propos de conservation préventive

enveloppe porte un symbole de vide qui diminue les risques de perte de pièces parmi les matériaux d’emballage. On a également utilisé les pépites de polystyrène que l’on a enfermées dans des sacs à déchets en l’occurrence. Un sachet de pépites dont on a retiré l’air avant de le fermer est suffisamment résistant aux déchirures et se conforme facilement à la géométrie complexe que présentent certains objets, notamment les sculptures. Il est très peu onéreux, facile à mettre en œuvre et permet donc de bien répartir les charges de façon à offrir la protection souhaitée pendant le déplacement. Comme le déballage a débuté avant la fin des travaux d’emballage, certains articles comme les coussins et les sachets ont pu être réutilisés. Beaucoup d’objets ont par ailleurs été emballés dans des boîtes en carton et transportés en palettes. Ce type de contenant est convenable à la condition que le fond, le dessus, les arêtes et les parois soient suffisamment forts. À cet effet, on a d’ailleurs étayé les arêtes, doublé les fonds et consolidé, au besoin, ces contenants. Des étais en mousse de polyéthylène ou en carton servaient à stabiliser l’objet dans sa boîte tout en rigidifiant les parois des cartons d’emballage. Quand il a également fallu concevoir une technique de transport simple, rapide et efficace pour les grandes sculptures fragiles comme les bois polychromes et les plâtres, on a fait usage d’étagères métalliques de récupération. Une fois qu’on a renforcé les fonds avec des contreplaqués, on les a utilisés comme des caisses à claire-voie en se servant des montants molletonnés de mousse de polyéthylène pour bloquer les sculptures. Les montants étant perforés à espaces réguliers, des écrous à oreilles ont permis le démontage rapide des étais et la réutilisation des caisses à claire-voie pour le transport d’autres objets fragiles et de grande dimension et de sculptures de toutes formes.

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Un traitement spécifique adapté à chaque collection Par ailleurs, la restauratrice a veillé à diriger les objets vers les salles appropriées et à prescrire les techniques de préentreposage propres à chaque ensemble. Toutes les voûtes de la nouvelle réserve sont à température et humidité contrôlées, mais les consignes varient de l’une à l’autre. Ainsi, la réserve est pourvue d’une salle plus sèche (38 % d’humidité), d’une autre plus fraîche (18 °C) avec une évacuation d’air séparée et d’une chambre froide (12 °C). Les objets en caoutchouc ont été mis en anoxie, c’est-à-dire qu’ils ont été emballés sous pellicule étanche à l’oxygène en présence de sachets absorbeurs d’oxygène (Ageless®). Les objets constitués de nitrate de cellulose ont été testés pour leur stabilité avec un papier indicateur à base de créosol. Ceux qui se sont révélés instables ont été emballés et mis au congélateur. Des protocoles ont été préparés pour guider les opérations de préentreposage. Ce fut le cas pour les horloges, les éventails, l’argenterie, les chapeaux, les poupées, les armes à feu, les chaussures, les animaux naturalisés, les collections scientifiques, etc. Les stratégies de traitement présentées en encadré montrent la teneur de ces protocoles. Ajoutons que certains cabinets avaient des besoins particuliers dont la restauratrice a tenu compte dans la rédaction des spécifications de construction. Ce fut le cas des chapiers destinés à loger plusieurs vêtements liturgiques richement brodés du XVIIIe siècle, ainsi que des cabinets vitrés abritant l’orfèvrerie religieuse et l’argenterie domestique.

Attention aux matières dangereuses ! Très tôt dans cette opération de déménagement, il a fallu repérer les objets et les produits dangereux présents dans la collection, afin de former et d’informer adéquatement les techniciens affectés à la manipulation de ces collections. Ainsi, des contenants 62

À propos de conservation préventive

dont le contenu liquide ou solide inconnu portait la mention «Dangereux» étaient associés aux instruments scientifiques. Les analyses et la recherche de même que certaines consultations auprès d’experts ont permis d’identifier les instruments et les produits, de dissiper les craintes non fondées, d’éliminer les mentions vagues et de circonscrire les risques. Les liquides inflammables ou toxiques ont été transportés comme des solvants avec le matériel du laboratoire de restauration. Les instruments contenant des liquides ont été dotés de contenants ou de sachets d’épanchement et leur emballage clairement identifié. On a enfin vu à la vidange des bouteilles de gaz sous pression.

Tirer des leçons Tout incident survenu au cours du déménagement a fait l’objet d’un constat accompagné de photographies. Chaque fois, on a cherché des solutions pour éviter la récidive. C’est ainsi qu’une barre de protection a été installée sur le guide de la table de coupe et que des gants à l’épreuve des coupures ont permis de prévenir des blessures aux mains avec les couteaux à lames rétractables. De plus, après qu’un poêle à trois ponts s’est effondré pendant une manœuvre de déplacement, ne causant heureusement que bris et blessures mineurs, on a convenu de sangler verticalement et horizontalement chacun des ponts de tous les poêles. Ceux-ci conserveront leurs courroies de sécurité même en entreposage.

Un climat à contrôler Avec cet équipement neuf et son système mécanique des plus complexes, la nouvelle réserve a nécessité un certain rodage avant de répondre de façon précise et constante à toutes les attentes. Un délai de trois mois de maturation s’est ainsi écoulé avant l’arrivée des collections. Cette période a permis d’ajuster le climat ambiant dans chacune des voûtes. C’est la salle réfrigérée qui a demandé le plus de temps.

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Par ailleurs, par mesure de sécurité, il a été convenu de couvrir les étagères de certaines voûtes, dont celle du mobilier en bois, avec une pellicule transparente appelée « Dartek ». De cette manière, on offre aux objets une protection de microclimat en cas de dysfonctionnement des systèmes pendant le rôdage des systèmes. C’est ainsi que sont arrivés à bon port les objets des différentes collections. Rappelons que la volonté des acteurs muséaux de respecter les principes de la conservation préventive a largement contribué au succès de ce déménagement. Il reste à souhaiter que cette expérience concluante puisse inspirer d’autres professionnels appelés à gérer pareille entreprise.

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À propos de conservation préventive

STRATÉGIE DE TRAITEMENT

■ Collection des animaux naturalisés et en bocaux (4 000 spécimens) ■ Principes généraux Le travail sur les animaux naturalisés et en bocaux exige le port du masque, des gants et de la blouse de laboratoire. Un masque à poussière est suffisant, mais il serait préférable que celui-ci soit doté d’un filtre HEPA. Étant donné que le masque devra être porté en permanence, le modèle le plus confortable sera privilégié. Les blouses devront être changées tous les jours et les gants, en latex ou en vinyle, sans talc, seront remplacés au moins deux fois par jour. Il faudra se laver fréquemment les mains. Autant que possible, les spécimens devront être manipulés par leur socle plutôt que par leur corps. Le déménagement de cette collection ne pourra être entrepris par des femmes enceintes ou par des personnes souffrant de maladies cutanées ou de troubles respiratoires. Par mesure de précaution, les individus affectés à ce déménagement pourront, à la fin de l’exercice, avoir accès à des dosages sanguins. Les collections ont été groupées selon leur parenté biologique et toute modification dans l’organisation actuelle devra être approuvée. La conservation de l’information liée aux étiquettes est cruciale pour le maintien de la valeur historique et scientifique des collections. Les étiquettes détachées devront être recueillies et mises de côté, à moins que l’on ait l’assurance de l’appariement au spécimen de provenance. La mise en tablettes devra tenir compte de l’emplacement de ces étiquettes afin de leur conserver un accès visuel. Les spécimens en bocaux Ces spécimens devront être placés dans des bacs en plastique costauds, du type bac à lait, à trouver avant d’être envoyés à 65

La réserve muséale de la capitale nationale

l’Université Laval, où un spécialiste fera le plein des liquides de conservation. Ces bacs pourront être chargés sur les étagères à roulettes fournies par le transporteur. Sur ces étagères, tout espace de tablette non comblé par des bacs devra être étayé avec de la mousse ou un autre matériau rigide de façon à éviter tout mouvement des bacs sur les tablettes pendant le transport. Des panneaux de contreplaqué sanglés aux étagères permettront leur déplacement sécuritaire. Nettoyage Ce traitement sera effectué à l’aide d’un aspirateur muni d’un embout d’acrylique perforé fourni par la restauratrice. Les aspirateurs seront dotés de filtres HEPA. Les socles en bois seront dépoussiérés avec les chiffons à poussière en «microfibres», sans produit chimique. Ces chiffons seront lavés tous les jours. Les spécimens accrochés au mur Les spécimens montés sur panneaux de bois vernis, principalement des poissons et des reptiles, qui sont actuellement accrochés sur grillage métallique, seront désormais entreposés en tablettes sur les modules de 24 po (60,96 cm) de profondeur. La double profondeur de ces modules permettra de loger tous les spécimens adéquatement (modules dos à dos). Les petits spécimens aviaires Certains petits oiseaux sont actuellement logés sur des tablettes basses. Avec l’accord de la conservatrice, ils devraient être déplacés vers des tablettes situées à hauteur médiane de façon à en faciliter l’accès visuel. Ces petits oiseaux seront mis sur des plateaux. Des plastiques cannelés de 1/8 po (0,316 cm) précoupés à 18 po (45,72 cm) au banc de scie (à contre-cannelure) seront retaillés sur place (dans le sens de la cannelure) de façon à loger des ensembles. Ces panneaux de plastique ne devraient pas excéder 12 po (30,48 cm) de largeur, au risque d’être mécaniquement instables. Ils seront doublés de mousse d’Ethafoam de 1/4 po 66

À propos de conservation préventive

(0,635 cm) d’épaisseur taillée aux dimensions du panneau. Cette mousse servira à loger les socles en bois des oiseaux. On veillera à pourvoir ces cavités d’une entaille pour insérer convenablement l’étiquette épinglée sur chaque socle. Une fois les trous de logement pratiqués, la mousse pourra adhérer au panneau de plastique avec de la colle chaude. Dès que le préentreposage sera au point, les spécimens seront transportés sur leur plateau dans les étagères roulantes fermées fournies par le transporteur. Les oiseaux de dimension intermédiaire Ces oiseaux, dont les hiboux et les autres rapaces, sont plus lourds et leur centre de gravité est élevé. Ils devront être fixés sur des plastiques cannelés plus épais: 1/4 po (0,635 cm). Ceuxci auront également été précoupés, à contre-cannelure, au banc de scie, en longueurs de 18 po (45,72 cm). Ils pourront loger tout au plus deux spécimens, probablement posés en diagonale, par panneau. Les socles de ces oiseaux seront logés dans des mousses Ethafoam de 1/2 po (1,27 cm). Une fois le préentreposage au point, les spécimens seront transportés sur leur plateau dans les étagères roulantes fermées fournies par le transporteur. Les grands spécimens aviaires Ces oiseaux seront fixés par leur socle sur des planches perforées avec la quincaillerie prévue à cet effet. On pourra stabiliser la posture des échassiers en piquant des broches en U dans les mousses sur lesquelles on immobilisera l’oiseau par le bec de façon temporaire pour le transport. Ces spécimens seront logés dans les étagères roulantes, sauf les paons dont la longueur (72 po [182,88 cm], 69 po [175,26 cm], 65 po [165,1 cm]) excède les étagères de transport. Ces derniers voyageront sur des platesformes roulantes fermées par des édicules renversés en carton.

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Les autres animaux et les poissons Les animaux sur pattes de grande taille comme le buffle (80 po [203,2 cm]), le caribou (80 po [203,2 cm]) et le cerf (54 po [137,16 cm]) pourront être suspendus dans des hamacs de Tyvek accrochés aux parois de caisses à claire-voie. Ces caisses pourront probablement être confectionnées dans du matériel d’étagères métalliques de récupération. Le kangourou (68 po [172,72 cm]) sera retenu avec des étais matelassés d’Ethafoam recouvert de Tyvek pour éviter le frottement sur le poil de l’animal. Les poissons comme l’esturgeon (82 po [208,28 cm]), le requin (8 pi [2,438 m]) et le baleineau en bois (5 pi [1,524 m]) voyageront sur des plates-formes à roulettes. Les dioramas La collection compte sept de ces dioramas vitrés. Les vitres seront protégées de plastique cannelé 1/4 po (0,635 cm) appliqués contre les moulures en bois de la vitrine. Ces pièces seront déposées sur des mousses d’éther de polyuréthane, sur une plate-forme roulante et retenues avec des sangles de nylon en protégeant de mousse les contacts des sangles avec la vitrine.

■ Stratégie appliquée à l’argenterie ■ Généralités Il est nécessaire de porter des gants pour manipuler les pièces d’argenterie. Les couverts d’argent sont déjà dans des tiroirs, étiquetés et montés dans des fentes individuelles taillées dans la mousse de polyéthylène. On glissera dans le fond de chaque tiroir des bandes d’un tissu absorbeur, le Pacific Silver Cloth®. Dans l’attente du transfert de ces composantes dans des cabinets plus étanches, après l’installation de l’absorbeur, on recouvrira chaque tiroir d’une pellicule de nylon transparente, le Dartek®. La pellicule tendue sera coincée sur le périmètre intérieur du tiroir entre la mousse et la paroi métallique. Auparavant, on aura pris soin d’apposer les étiquettes de chaque couvert en position de lecture des codes à barres. 68

À propos de conservation préventive

Argenterie de table Toutes les pièces d’argenterie de table seront ensachées. Des sachets à glissière de toutes les tailles sont disponibles. Dans le sachet, on glissera une pièce d’absorbeur Pacific Silver Cloth® de la taille du sachet, qu’on aura au préalable mise dans un papier de soie sans acide et tamponné afin que l’absorbeur ne soit pas en contact direct avec l’argent. Orfèvrerie religieuse Des cabinets vitrés sous verrou ont été commandés pour loger ces pièces qui sont, pour la plupart, actuellement en exposition. Comme les cabinets seront tapissés avec une mousse recouverte de Pacific Silver Cloth®, la préparation se résumera à un emballage dans du papier de soie tamponné, suivi d’une pellicule de nylon transparente de Dartek® et d’une mise en boîte sous étais et absorbeurs de chocs.

■ Stratégie appliquée aux armes à feu ■ Généralités Des législations sévères encadrent la manipulation et le déplacement de ces collections. Toutes les armes à feu doivent être gardées sous scellé, et les personnes qui manipulent les armes dites « actives » (excluant les armes historiques) doivent détenir les permis nécessaires (permis d’armes à feu ou autorisation d’acquisition d’armes à feu [AAAF] valide). Toutes les armes à feu ont en principe été vérifiées ; elles ne contiennent pas de munition et certaines ont même été désactivées : du plomb a été coulé dans le canon. Comme les armes à feu dites « actives », celles pour lesquelles des munitions sont encore vendues sur le marché devront voyager sous scellé et avec un permis de transport délivré par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et valide pour 18 jours de même que sous escorte policière. Pour cette raison, on rassemblera les armes de façon à n’effectuer qu’un seul transport sous escorte. 69

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Armes à long canon Les mousquets, les fusils de traite ou de chasse, les carabines et les autres armes à feu à canon long seront transportés dans des caisses à rainures conçues à cet effet. En préentreposage, il faudra aménager des râteliers puisque ces pièces seront rangées verticalement, crosse vers le bas, sur les étagères peu profondes (15 po [38,1 cm]), dotées de barrures. Les râteliers seront taillés dans des blocs de mousse de polyéthylène retenus par de la colle chaude aux traverses métalliques des étagères. Dans ces mousses, des rainures seront pratiquées pour recevoir les canons. Des mousses de polyéthylène de 1 po (2,54 cm) d’épaisseur tapisseront la tablette inférieure des étagères. Elles seront doublées de mousse de 1/2 po (1,27 cm) d’épaisseur dans lesquelles des cavités au contour de chaque crosse auront été taillées. D’autres rainures pratiquées dans les mousses tapissant les étagères recevront les crosses des fusils. Des butées de mousses insérées dans ces rainures achèveront de stabiliser les armes. Armes de poing Les revolvers, les pistolets de duel et les autres armes de poing, qu’ils soient historiques ou à autorisation restreinte, voyageront dans leur boîtier lorsqu’ils en sont pourvus. Les autres seront emballés dans du papier de soie et du plastique à bulles, avant d’être mis en boîte dans des cartons, lesquels seront emmagasinés dans des caisses à verrou ou à scellé. Ces armes reposeront dans des tiroirs devant être verrouillés. Les fonds de tiroirs compartimentés seront matelassés de mousse. Les armes en boîtier seront sorties et rangées dans les tiroirs à verrou. Cornes à poudre Avant d’emballer ces pièces, il faudra s’assurer que celles-ci ne contiennent pas de poudre.

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■ Stratégie appliquée aux chaussures ■ Généralités Les chaussures, les bottes et les couvre-chaussures seront entreposés en chambre froide. Toutes les chaussures souples, à l’exception des chaussures anciennes avec empeigne de soie, seront bourrées avec du papier de soie de façon à prévenir leur déformation. Elles seront emballées dans un papier de soie et un plastique à bulles et voyageront dans des boîtes de carton. Fines chaussures anciennes Les chaussures anciennes avec empeigne de soie seront bourrées avec de la bourre de polyester. Cette bourre aura été enroulée dans une pièce de Tyvek® afin de faciliter son insertion en douceur dans la chaussure. Ces chaussures seront mises en tiroir. Bottes et chaussures modernes Certains cuirs vernis contemporains sont à base de vinyle, d’uréthane ou de nitrate de cellulose. Toutes les paires seront groupées sur une ou plusieurs tablettes afin de faciliter le repérage. Après le déménagement, ces ensembles devront être traités de façon particulière suivant la nature et l’état des matériaux constitutifs. Escarpins à hauts talons Ceux-ci seront rangés côte à côte dans la direction de roulement des étagères, et leur stabilité sera assurée par un support en mousse. Pour ce support, on utilisera la lisière de mousse de 1 po (2,54 cm) percée de trous pour recevoir l’extrémité des talons. Le diamètre des trous devrait être plus grand que le volume du talon pour permettre une circulation d’air et éviter toute friction. Chaussures lacées Il faudra vérifier qu’il n’y ait trop de tension sur les lacets de ce type de chaussures. Les rubans de ballerines seront enroulés sur

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des boudins de mousse de polyéthylène retenus par des rubans de coton écrus. Bottes Les bottes souples comme les bottes sauvages devront avoir le pied bourré. Le papier de soie sans acide et sans tampon servira à cet effet. La jambe et la cheville pourront être soutenues au moyen d’une pièce de mousse Ethafoam 1/4 po (0,635 cm) enroulée dans un papier de soie et insérée dans la botte. Certaines bottes sauvages sont déjà doublées de chaussons de laine. Les chaussons demeureront en place à l’intérieur des bottes. Dans les cas où les chaussons ont été retirés, ceux-ci devront être réinsérés à la condition que la souplesse du cuir le permette. Les bottes lacées n’ayant plus de lacets seront refermées avec du ruban de coton enfilé dans les œillets ou les crochets de la botte. Les bottes contemporaines seront regroupées. Elles peuvent être constituées de matériaux parfois instables tels que vinyle et polyuréthane. Leur regroupement facilitera le repérage en réserve de même que la surveillance et, ultérieurement, la mise au point de traitements spécifiques à leur état. Mocassins perlés Ces mocassins seront mis dans des sachets de polythène à fermeture à glissière afin de prévenir la perte des perles pendant le transport. Ils pourront demeurer ensachés en chambre froide. Couvre-chaussures La collection compte des couvre-chaussures en caoutchouc et d’autres en vinyle. Ceux-ci devront être séparés du reste de la collection et regroupés. Ils devront être portés à l’attention de la restauratrice qui mettra les uns en anoxie et les autres dans des boîtes en plastique cannelé avec couvercle en polyester transparent.

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À propos de conservation préventive

■ Stratégie appliquée aux éventails ■ Les éventails pliants de type plié ou brisé sont des accessoires très fragiles. Cette fragilité est exacerbée par la diversité des matériaux qui entrent dans leur confection. Depuis quelques années, on avait entrepris de les déployer sur des supports molletonnés faits sur mesure. Après examen des objets sur leur support et après consultation, il a été convenu que les éventails seraient mieux conservés s’ils étaient fermés. Comme leur consultation sera moins aisée après la fermeture, un catalogue de photos numériques à haute définition a été constitué. De plus, la description et le constat d’état de chacun ont été intégrés à la base MUSIM. Les éventails ont ensuite été retirés de leur support et fermés, sauf certains spécimens trop déformés. Ceuxci nécessitent une attention particulière qui leur sera portée ultérieurement. Les éventails seront donc rangés fermés en tiroir, dans des compartiments individuels. Les spécimens qui n’auront pas été fermés seront conservés sur leur support molletonné. Les tiroirs contenant ces spécimens de même que ceux logeant les éventails rigides seront stabilisés pendant le transport avec des coussins de Tyvek remplis de bourre de polyester.

■ Stratégie appliquée aux horloges ■ Les horloges de parquet Ces horloges nécessitent une certaine préparation avant leur déplacement. Il faut d’abord immobiliser les pièces mobiles. Il est préférable de stabiliser ces divers éléments en place plutôt que de les retirer. Ainsi, on bloquera le déplacement du pendule et des poids en les fixant avec du ruban en coton sur des panneaux de mousse de polyéthylène 1/2 po (1,27 cm), panneaux qu’on aura au préalable glissés dans la caisse sous le pendule et les poids. On vérifiera la stabilité des aiguilles de même que celle des autres composantes du mécanisme. Les éléments ne pouvant être stabilisés en place seront retirés, ensachés et mis 73

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en boîte. Les boîtes seront rangées et immobilisées dans la caisse de l’horloge. On indiquera au dossier de l’œuvre les pièces retirées. On protégera les corniches ouvrées par des panneaux de plastique cannelé. Le verre du cadran et celui de la caisse de l’horloge, le cas échéant, seront également protégés des bris au moyen de panneaux en plastique cannelé épais (1/4 po [0,635 cm]), appliqués contre les moulures et retenus au corps de l’horloge avec de la pellicule moulante autoadhésive. Pendant le transport, les horloges de parquet devront être protégées par des couvertures molletonnées. Les couvertures ne devront pas être déposées sur les corniches, celles-ci pouvant être fragiles, mais plutôt enroulées autour de la caisse de l’horloge. Avant de déplacer chacune des horloges, il faudra sonder les assemblages entre les parties et stabiliser par des sangles passées verticalement les assemblages qui ne sont qu’emboîtés. En étagère, il faudra encore immobiliser ces horloges en les fixant au moyen de sangles au contreventement des étagères. Les horloges au mur Les horloges électriques pourront être mises à plat sur les tablettes. Cependant, toutes les horloges dotées de mouvements mécaniques devront être entreposées à la verticale. Comme elles sont hautes et étroites, elles devront être retenues à des supports en plastique cannelé adoptant une forme en A. Deux horloges s’appuieront dos à dos sur chaque patte du A et y seront retenues par des sangles ou des rubans.

■ Stratégie appliquée aux instruments scientifiques ■ Plusieurs de ces instruments sont appelés à voyager. Ceux-là seront dotés d’un emballage permanent exclusivement constitué de matériaux stables et inertes comme le plastique cannelé et l’Ethafoam. Le couvercle des boîtiers de conservation sera remisé 74

À propos de conservation préventive

au dos de la boîte de façon à maintenir l’accès visuel au contenu. Les autres instruments seront calés dans des cartons avec des mousses, des coussins remplis de papier journal non encré ou des sachets de pépites de polystyrène ou encore d’Ethafoam, selon le poids et la forme de l’objet. L’emballage se fera en veillant à isoler complètement l’objet des parois du carton et à renforcer le carton (fond, dessus, parois verticales), de façon à prévenir les affaissements. Toutes les pièces mobiles des instruments auront d’abord été immobilisées. Idéalement, elles auront été bloquées en place. Dans le cas où il sera nécessaire de retirer des pièces, une note sera mise au dossier, assortie de photos numériques. Les pièces et les photos voyageront par ailleurs avec l’objet. Instruments contenant des liquides Certains instruments contiennent des huiles ou d’autres liquides inconnus. Ceux-ci seront portés à l’attention de la conservatrice qui procédera à l’identification des produits. Ces liquides seront retirés ou, à défaut, les instruments seront pourvus d’un bac d’épanchement des liquides. Une note bien en évidence sera apposée sur la boîte d’emballage indiquant la présence du liquide à l’intérieur. Les baromètres et les autres instruments contenant du mercure Les baromètres, les thermomètres et les autres instruments contenant du mercure seront enfermés dans des sachets à fermeture à glissière avant d’être emballés. Une attention particulière sera portée à l’emballage de ces pièces, de façon à prévenir tout bris des réservoirs. La présence de mercure sera clairement indiquée sur les boîtes contenant ces instruments afin de susciter une intervention d’urgence si l’une de ces boîtes était endommagée pendant le transport. Une trousse de traitement des déversements de mercure demeurera disponible à l’emballage

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comme au déballage. En cas de déversement, d’accident ou de fuite, il faudra agir promptement pour recueillir le métal liquide. Les balances Plusieurs balances sont munies de plateaux détachables. Ceuxci seront retirés et emballés dans du papier de soie et du plastique à bulles. Les plateaux des balances à fléau, simple ou de précision, seront retirés de leur crochet, mis dans des sacs à bulles et emballés avec l’objet ou rangés temporairement dans la cage vitrée de la balance selon le cas. Les cages vitrées seront protégées des bris avec des panneaux en plastique cannelé appliqués contre les cadres du verre. Pour les balances de Roberval n’ayant pas de mécanisme de blocage du fléau intégré, on glissera des cales d’Ethafoam sous chacun des piliers. Gaz sous pression Les bouteilles de gaz sous pression (acétylène, oxygène ou autre) devront être portées à l’attention de la restauratrice qui veillera à leur vidange dans le respect des normes environnementales, avant de les retourner dans les collections.

■ Stratégie appliquée à la collection de poupées ■ Préentreposage et transport Poupées habillées Toutes les poupées habillées devront être mises en tiroir pour prévenir l’empoussièrement des textiles et limiter leur exposition à la lumière. Les jupes seront légèrement bourrées avec du papier de soie, afin de prévenir la formation de crêtes dans les tissus. Pour faciliter leur consultation, toutes les poupées souples ou pourvues de membres articulés seront immobilisées au moyen de rubans en coton non blanchi fixés sur un support en plastique cannelé.

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À propos de conservation préventive

Les membres en matériau dit « en composition » sont très fragiles. Afin d’éviter l’entrechoquement, on retiendra les jambes au panneau de support avec des rubans. Les poupées munies d’yeux dormeurs seront couchées face en bas afin d’annuler la traction sur les globes oculaires causée par le contrepoids en plomb responsable du mouvement des yeux. Dans cette position, le front devra reposer sur une bourre afin d’éviter l’abrasion du nez. Poupées en « composition » Plusieurs poupées de la collection sont en « composition » (matériau dur et brillant) et présentent des polychromies fissurées et soulevées. Il faudra sonder la stabilité de celles-ci avant de commencer à les manipuler. Les poupées dont les soulèvements sont instables ou qui ont des parties de polychromie détachées devront faire l’objet d’une restauration. Dans les cas où la polychromie n’aura pu être stabilisée avant le départ, on glissera la partie endommagée dans un sachet de polyéthylène de façon à éviter les pertes de matière et à protéger les surfaces écaillées. Poupées en caoutchouc Les poupées en caoutchouc devront être ensachées en anoxie, dans des sachets qui ne laissent pas passer l’oxygène et en présence d’absorbeur Ageless®. Poupées en vinyle Certaines poupées en polyvinyle (plastique souple parfois bourré, comme les poupées de bain) sont poisseuses ou décolorées, c’est un symptôme de dégradation du plastique. Toutes ces poupées devront être mises en boîte afin de ralentir la migration des agents plastifiants présents dans les vinyles. On les entreposera en chambre froide. Celles-ci seront rangées dans des contenants en plastique cannelé avec un couvercle transparent fait de polyester épais (Mylar). Avant la mise en boîte, on aura retiré à ces poupées leurs vêtements, qui seront rangés 77

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séparément afin d’éviter que l’agent plastifiant du vinyle ne tache les textiles et en solubilise les colorants. Poupées en nitrate de cellulose Les poupées en nitrate de cellulose (aspect plus rigide, marques de moule apparentes), comme les poupées de foire, seront regroupées. On testera leur stabilité chimique en les exposant durant une heure environ à du papier traité au créosol. Celles qui sont stables n’auront pas modifié le papier indicateur. Elles seront mises dans des boîtes ouvertes plutôt qu’en tiroir. Celles qui se seront révélées instables, colorant en rose le papier indicateur, seront rangées au congélateur. Poupées sans vêtements Certaines poupées sont nues, d’autres portent des vêtements moulés dans le plastique. Celles-ci pourront être mises en tablettes.

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À propos de conservation préventive

SPÉCIFICATIONS POUR LES CABINETS VITRÉS, L’ARGENTERIE ET LES STÉATITES INSTABLES

Cabinets en acier Étagères fixes et non sur rangements mobiles de type compactus Revêtement Peinture émail cuit (p. ex. : polyester TGIC) Profondeur Pour ces pièces, des étagères peu profondes sont souhaitables afin de permettre l’accès visuel et de faciliter la manipulation. Le Musée national des beaux-arts du Québec dispose de tablettes de 22 1⁄2 po (57,15 cm) pour l’argenterie et de 26 3⁄4 po (67,95 cm) pour les bronzes. Le Musée de la civilisation pourrait utiliser des tablettes de 24 po (60,96 cm). Étanchéité Étant donné que les étagères seront dans des réserves sèches et que l’air y sera filtré (poussières et gaz étant exclus), les cabinets ne seront pas étanches. Les ouvertures pratiquées au dos des cabinets, en triple rangée, ont une géométrie en U inversé, limitant ainsi l’accès à la poussière. Devant Le devant du cabinet devrait être vitré de façon à donner un accès visuel au contenu et à prévenir l’ouverture fréquente et les renouvellements d’air. Un rebord métallique de 3 po environ (7 cm) autour de la vitre n’entrave pas la vue du contenu. Comme il est souhaitable que les portes se rabattent complètement sur l’étagère suivante (ouverture à 180°), le devant ne devrait pas présenter de parties en saillie. La poignée est fabriquée en creux dans le cadre de la porte. La serrure à clé est encastrée. Le mécanisme de fermeture est à aimants.

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Fond des étagères Le fond des étagères et des tiroirs devrait être tapissé de mousse (Nalgène ou autre) et recouvert avec du tissu antiternissure tel que le Pacific Silver Cloth®. Ouverture Pour les tiroirs, l’ouverture devrait pouvoir se faire complètement de façon à permettre directement l’examen du contenu. De plus, ici aussi, la quincaillerie d’ouverture devrait permettre l’ouverture des portes à 180°. Peinture L’enduit appliqué sur toutes les surfaces, incluant les fonds de tiroir, devrait être à poudre sèche cuite au four et ne comporter aucun composé carbonylé volatil. Collections Ces cabinets serviront à loger l’argenterie religieuse et les autres pièces de grande valeur. Ils pourront également accueillir les stéatites instables provenant de Maricourt Weakam. Les collections d’argenterie de table seront ensachées en présence d’absorbeur Pacific Silver Cloth® et logées dans les compactus de la réserve des métaux. Les couverts de tables ont déjà été mis en tiroirs (voir Stratégie appliquée à l’argenterie). Ces tiroirs seront logés dans la partie inférieure des cabinets vitrés. Cette partie (non vitrée) sera fermée par des portes en métal.

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À propos de conservation préventive

SPÉCIFICATIONS POUR LE CABINET SURDIMENSIONNÉ DE RANGEMENT À PLAT DES TEXTILES

Dessous Le dessous du cabinet est constitué d’un socle indépendant, avec panneau amovible sur le devant pour permettre le déplacement par transpalette. Parois Les côtés verticaux, le dessus et le dos du cabinet devraient être fabriqués à partir d’une seule et même feuille de métal renforcée aux arêtes par des soudures, à l’intérieur du cabinet. Interstices À l’arête de pliage extérieure des feuilles de métal, l’interstice devrait être inférieur à 1 mm. De la silicone sans odeur pourrait être utilisée pour sceller cet assemblage. Devant Le devant du cabinet devrait être conçu de façon que l’eau tombant éventuellement sur le cabinet soit dirigée vers l’arrière ou sur les côtés, prévenant de la sorte toute infiltration par le devant des tiroirs. Fond des tiroirs Le fond des tiroirs devrait être constitué d’une seule feuille de métal perforé. Ouverture Pour les tiroirs, l’ouverture devrait pouvoir se faire complètement de façon à permettre directement l’examen du contenu. De plus, la quincaillerie d’ouverture devrait permettre la manœuvre de ces tiroirs de grande dimension par une seule personne, ce que ne permet pas un mécanisme du type normal

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à extension. Le mécanisme du type à chariots avec des roulements à billes de grande qualité (quatre unités de roulements sur chaque côté) conçu par la firme Lista offre cette possibilité tout en proposant une grande flexibilité quant à la profondeur du tiroir: les mécanismes peuvent être mis en place sur des tiroirs d’une profondeur de 1 po (2,54 cm), contrairement aux autres mécanismes dont la profondeur minimale est de 4 po (10 cm). Peinture L’enduit appliqué sur toutes les surfaces, incluant les fonds de tiroir, devrait être à poudre sèche cuite au four et ne comporter aucun composé carbonylé volatil.

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Chapitre 5

PENSER LES COLLECTIONS ET PROTÉGER LES OBJETS

Andrée GENDREAU

Le virtuel et la matière : un mariage gagnant En cette ère de technologie avancée, la construction d’une réserve a soulevé une question auparavant inconcevable : de la collection ou de l’objet, que devait-on privilégier ? Ce dilemme s’est transformé ici en un simple choix. L’organisation d’une réserve offrait en effet deux possibilités. La première respectait les principes de classification de l’ensemble et disposait les artefacts dans des salles selon des principes guidés par les types de collections. C’est l’organisation classique des réserves qui favorise la convivialité des objets et permet une appréhension immédiate de l’ensemble, facilitant les rapprochements, les liens et les comparaisons entre artefacts et collections. La seconde possibilité d’organisation dépendait des récents développements technologiques en énergie et en génie. Elle proposait plutôt un regroupement en fonction des matériaux constitutifs des objets. Sans rejeter totalement l’idée des ensembles selon les collections ou les fonds, elle privilégiait un allotissement qui permettait d’offrir des conditions environnementales optimales pour chaque objet, selon ses matériaux, assurant la meilleure performance possible en conservation préventive. 83

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Bien qu’à l’évidence la perfection n’existe pas et que l’on devait s’attendre à vivre avec un système mixte, il convenait, dans un premier temps, de décider du mode principal d’entreposage. D’importantes conséquences allaient découler de cette décision, surtout dans les lieux qui affichent des températures extrêmes comme en Amérique. Cette décision constituait en effet le premier maillon d’une chaîne qui retenait l’ensemble du processus de construction et d’aménagement d’une réserve, du programme des besoins au budget de construction et au déménagement, en passant par la formation des équipes et du personnel. Insistons cependant sur la présence nécessaire des technologies de pointe, tant en construction et en énergie qu’en informatique. Les premières allaient assurer des conditions environnementales stables mais variées selon les besoins et les voûtes, et l’informatique permettrait aux conservateurs de poursuivre des études à distance et de reconstituer virtuellement des ensembles dispersés. Sans les spectaculaires avancées des technologies de l’information, peu de conservateurs se seraient résolus à abandonner l’organisation par collection. La qualité des images, la facilité avec laquelle on compose aujourd’hui avec les systèmes informatisés, la rapidité de l’accessibilité aux données et les multiples possibilités de reconstitution virtuelle des ensembles ont remplacé le dilemme des précédentes années entre la conservation préventive optimale et les études sur les collections, par un simple choix. Au risque de se répéter, ce choix a été subordonné au rapport entre des conditions institutionnelles, sociales et environnementales particulières. Ainsi, pour le Musée de la civilisation, les expériences positives dans l’application des technologies de l’information et la familiarité des conservateurs avec le système de classification et de repérage des artefacts ont permis d’opter pour la protection de ceux-ci dans des voûtes conçues pour recevoir des objets de mêmes matériaux, profitant ainsi de conditions climatiques adaptées et créant un heureux 84

Penser les collections et protéger les objets

mariage entre le virtuel et la matière. Voyons maintenant une partie des trésors que recèlent ces salles à atmosphère contrôlée. On compte neuf voûtes : la voûte qui abrite les animaux naturalisés ; celle des peintures ; les deux voûtes du bois ; la chambre froide ; les deux voûtes des matériaux composites ; celle des métaux et, enfin, celle des textiles.

Une voûte pour mettre la nature à l’abri La collection de sciences naturelles est constituée pour une large part des spécimens naturalisés, lesquels ont été rassemblés surtout au XIXe siècle. Elle présente, outre une grande fragilité, une certaine dangerosité liée au traitement : insecticide à l’arsenic largement utilisé par les taxidermistes à cette époque. L’isolement de cette collection de même qu’une atmosphère légèrement plus fraîche et un système d’extraction d’air séparé étaient donc nécessaires à la conservation des artefacts et à la sécurité des employés. C’est entre 1863 et 1910, alors que la passion pour les musées de sciences naturelles se manifeste à l’Université Laval, que le collectionnement de sciences naturelles connaît son âge d’or. On observe une nette décroissance dans les années subséquentes, qui ira jusqu’au désintérêt et même à l’abandon de la collecte, à partir des années 1950. Les spécimens qui composent cette collection témoignent d’un intérêt marqué pour l’exploration du Nouveau Monde, de même que d’une passion pour la faune et la flore des contrées exotiques. Cet ensemble de quelque 3 000 animaux naturalisés (poissons, reptiles, oiseaux et mammifères) servait aussi d’outil pour la recherche en taxonomie ou classification des êtres vivants, activité à laquelle s’adonnaient certains prêtres enseignants. Ces collections de spécimens de la nature auraient constitué les cabinets de sciences naturelles au Séminaire de Québec dans le dernier quart du XIXe siècle. Témoins de l’évolution de la pensée scientifique et des modes d’organisation que l’homme 85

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se faisait de la nature, elles offrent aujourd’hui un potentiel d’interprétation historique, écologique et pédagogique d’une grande richesse. Les concepts bien contemporains de conservation de la nature, d’écologie et d’environnement y trouveraient appui, notamment lorsqu’il s’agit d’illustrer le phénomène des espèces menacées ou disparues.

Une voûte dédiée aux peintures Environ 1 000 peintures sur toile ou sur tout autre support excluant le papier et le carton sont localisées dans une voûte particulière, dont le mobilier a été en partie recyclé de l’ancienne réserve de peintures. La majorité de ces œuvres font partie du dépôt des prêtres du Séminaire de Québec, et environ la moitié provient d’Europe. La première œuvre européenne, acquise en 1752 et destinée à la chapelle du Séminaire au-dessus du maître-autel, représentait une Sainte Famille attribuée à Jean-Baptiste ou Carl Van Loo. Cette œuvre, qui a miraculeusement échappé aux incendies, se trouve toujours dans la collection. Entre 1817 et 1820, l’arrivée au pays de tableaux provenant d’églises de France dépouillées de leurs trésors lors de la Révolution française contribue de façon notable au développement de la collection d’œuvres européennes du Séminaire de Québec. Cet ensemble, dont subsistent une trentaine d’œuvres, porte le nom des deux frères auxquels on doit cette initiative : les abbés Desjardins. Il faut souligner que les peintures de ce dépôt étaient en majorité à vocation pédagogique et religieuse. Elles étaient utilisées comme modèles et servaient à orner les églises. Par la suite, la collection s’est enrichie d’œuvres canadiennes, en particulier des peintres Joseph Légaré et MarcAurèle de Foy Suzor-Côté. Trouveront également place dans cette salle les œuvres peintes de la collection d’art populaire.

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Penser les collections et protéger les objets

Deux voûtes pour le bois Nombreux sont les objets fabriqués en bois au Québec où l’environnement abonde de matière ligneuse. Ces derniers constituent donc une part importante des collections liées notamment à l’alimentation, aux jeux et aux jouets, aux outils, au mobilier et à l’art populaire. Le volume est tel qu’il faut deux voûtes de différentes dimensions pour accueillir le gros mobilier et les petits objets en bois. Soulignons que cette matière demande des conditions particulières, surtout lorsqu’elle est peinte ou vernie. Le bois est très sensible par exemple aux brusques variations d’humidité. Cœur de la collection, le gros mobilier est abrité dans une voûte de 829 m2 qui accueille quelque 1 000 pièces. Ce sont principalement des meubles de rangement comme des armoires, des buffets, des vaisseliers, des cabinets, des commodes et des secrétaires. Y sont rassemblés aussi les tables, les bancs, les bancslits, les lits, les portes, les boiseries, les grands miroirs, les portemanteaux, les chevalets, les horloges et les lampes de parquet en bois. Ce mobilier représente toutes les périodes de l’histoire du Québec, du XVIIe siècle aux productions plus récentes des années 1950-1960, en passant par la période victorienne qui s’étend sur plus d’un demi-siècle (1835-1900). Ces meubles font partie d’ensembles et de fonds divers qui se sont constitués autour de la grande collection Coverdale, sans doute la collection la plus riche de mobilier canadien-français et québécois. Pour leur part, les petits artefacts en bois sont disposés dans une voûte de 565 m2 qui regroupe plus de 3000 objets appartenant à plusieurs collections. On y trouve une collection d’enseignes, de grand intérêt pour la collection nationale. Celles-ci offrent en effet une lecture de l’histoire sociale, des modes de vie et des métiers en cours à différentes époques. Du XVIIe au XIXe siècle, les enseignes de boutiques et de lieux de service ont joué un rôle capital dans les techniques de communication. Bien 87

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qu’elles perdent de l’importance au XXe siècle, leur présence continue à témoigner de la gamme des métiers et des services offerts dans une communauté, comme des groupes culturels à qui elles s’adressent. Pour un musée, les enseignes constituent une mine d’information précieuse au regard du symbolisme, du style, de la langue employée et des créateurs. La présente collection comprend 250 pièces s’étendant de 1850 jusqu’aux années 1960. Les types de mobilier d’entreposage sont ici diversifiés : des simples étagères aux cabinets, en passant par les grillages et les porte-tableaux pour les enseignes. Outre qu’elle respecte le principe d’économie d’espace, la répartition des artefacts selon leur catégorie et leurs dimensions permet une meilleure appréhension visuelle des objets et facilite la comparaison.

La voûte de la chambre froide La chambre froide protège les objets qui présentent des risques d’infestation ou qui sont fabriqués dans des matières sujettes à une dégradation chimique. Aux matériaux comme la peau brute, le cuir, la fourrure, le nerf animal, la babiche, les plumes et les piquants de porc-épic s’ajoutent les caoutchoucs et les plastiques. Ainsi, une partie importante des collections autochtones se retrouve dans cette voûte, soit plus du tiers des 4 000 objets qui les composent. Bien que la disposition par matériau empêche de respecter l’intégrité des collections, le tri nécessaire à ce processus de réorganisation des collections a permis de raffiner le classement par ensemble. Ainsi, après avoir été groupés par matériau et par sous-catégorie (désignation, taille), les objets ont été reclassés, chaque fois que c’était possible, par nation ou culture. Outre les objets contemporains en cuir et en matière synthétique, on trouve donc dans cette voûte une partie importante 88

Penser les collections et protéger les objets

du bloc autochtone de la collection Coverdale (vêtements en peau de cerf, de wapiti et de caribou, accessoires comme les sacs et les étuis), ainsi que la majorité des pièces ethnographiques de la collection Brochu (kayaks, peaux de castor, vêtements inuits et cris en peau de caribou, de chien et de phoque). À celles-ci se joignent des objets usuels recueillis par les anthropologues de l’Association Inuksiutit Katimajiit en 1971-1972, ainsi que les canots en écorce de bouleau de fabrication attikamek et algonquine, acquis par l’anthropologue Alika Podolinski-Webber en 1974-1975, et plusieurs pièces ethnologiques rapportées de la Baie-James par Carole Lévesque et James Chism de 1975 à 1977. On compte aussi quelques objets (sacs, mocassins et poupées) provenant de la collection Joyal. De plus, 150 objets confectionnés avec des plumes d’ara et de toucan de la collection amazonienne, acquise par le Musée en 1996, sont logés dans cette voûte. Soulignons enfin que trois tuniques naskapies peintes de motifs traditionnels à doubles courbes et quelques vêtements en peau d’eider y sont également conservés.

Deux voûtes pour les mille et un objets de matériaux composites C’est un secret de Polichinelle, les artefacts composés de matériaux divers figurent en très grand nombre dans la collection du Musée. Aussi nécessitent-ils deux espaces distincts. La voûte accueillant les gros objets de matériaux mixtes fait place à environ 4000 pièces de mobilier, des instruments d’imprimerie comme une presse et une linotype, un corbillard, des métiers à tisser et des objets de facture industrielle. Par ailleurs, environ 75000 objets se trouvent dans la salle des petits composites. Pour respecter la nature des collections et les exigences de sécurité, cette voûte est divisée en espaces réservés. Ainsi, la collection d’armes et celle de la Sécurité publique sont respectivement isolées et mises sous grillage. Soulignons toutefois que les spécimens en stéatite contenant de la pyrite de fer sont extraits de la collection de sculpture inuite et rangés dans la voûte sèche des métaux. Outre 89

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ces trois ensembles, on trouve dans cette salle des collections liées à des thèmes aussi disparates que l’alimentation, les instruments scientifiques, la statuaire, les instruments de métiers et de professions, les jeux et les jouets, les fêtes, les techniques de communication, ainsi que la collection d’art populaire. Faute de présenter systématiquement tous ces ensembles, mentionnons brièvement certaines des collections qui s’y trouvent.

Au sujet des instruments scientifiques Cette collection comprend 2627 pièces d’instrumentation scientifique (objets et éléments d’objets) ainsi que 3280 diapositives, négatifs et transparents sur verre inventoriés à ce jour. La mécanique, l’acoustique, l’astronomie, l’électricité, la physique des fluides et toutes les disciplines de la physique classique s’y trouvent représentées. Les appareils servent à mesurer, à observer, à comprendre ou à mettre en évidence certains modèles ou certaines lois de la physique. La présence des instruments scientifiques témoigne de l’évolution de l’enseignement de la physique au XIXe siècle. Au Séminaire de Québec, l’enseignement livresque de cette discipline se met à l’heure des nouvelles tendances européennes. Sous l’impulsion de Jérôme Demers, une physique expérimentale se développe et les démonstrations sont de plus en plus présentes dans les cours. Un cabinet de physique se constitue et s’enrichit selon les dernières découvertes scientifiques. Cette collection d’instruments présente un fort potentiel d’interprétation historique, scientifique et pédagogique. Témoins des différentes méthodes pour diffuser la science et des façons d’appréhender le monde, ces objets, lorsqu’ils sont mis en scène, ont le pouvoir de raconter une partie passionnante de l’histoire de notre société. Ils possèdent également un potentiel d’animation des plus intéressants pour les démonstrations pédagogiques. Utilisés à des fins muséales, plusieurs constituent un moyen attrayant et dynamique pour capter l’attention du public du Musée et faire comprendre des concepts scientifiques de base. 90

Penser les collections et protéger les objets

Tant par l’homogénéité du processus de constitution de cette collection que par la qualité des pièces et des artisans qui les ont fabriquées ainsi que par le nombre et la diversité des instruments, la collection des prêtres du Séminaire de Québec est exceptionnelle. Elle témoigne de l’enseignement des sciences et de l’évolution de certaines pratiques scientifiques dans le développement de la culture française en Amérique.

L’alimentation : préparation et service L’alimentation constitue un vecteur important de la collection nationale. Elle permet de suivre l’évolution des habitudes alimentaires à travers les mets, les méthodes et les outils de fabrication des produits, et la vente et la consommation de ceux-ci. Les objets en étain, en cuivre, en verre, en céramique ou en porcelaine datant du XVIIe au XXe siècle témoignent de l’évolution des mœurs, de l’influence des marchés et des économies, et de tant d’autres choses. Les arts de la table font en effet partie de la fête dans toutes les classes sociales de notre culture. Ils exigent un rituel de présentation des aliments et des plats qui varie selon les situations, de l’agriculteur au bourgeois, selon l’origine canadienne-française ou canadienne-anglaise. Mais chez les uns comme chez les autres, le goût de la présentation des aliments suscite l’intérêt. On peut y suivre l’évolution des mentalités, celle des influences et des cultures. Cette collection interpelle de bien des manières, tant par la qualité des ustensiles d’âtre consacrés à la préparation des aliments que par le raffinement du service de la table comprenant celui des boissons comme le thé et, plus tard, le café. On y trouve également une section consacrée à la conservation des aliments, autant de précautions prises par nos ancêtres pour transformer leur récolte en conserves et pour protéger cette nourriture d’éventuelles contaminations. L’ensemble du secteur de l’alimentation représente 6541 objets et provient de plus de 21 pays. Plus du quart des artefacts sont d’origine canadienne. Le secteur est constitué par des acquisitions 91

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provenant de plus de 325 sources. On y trouve 23 collections ou fonds importants, dont la collection Coverdale acquise en 1968, la collection Hélène-Gagné et la collection de verrerie canadienne de Jean-Marie T. Du Sault en 1988, le fonds de la famille JourdainFiset en 1993, la collection Olive-Wilson en 1999, ainsi que la collection de céramiques québécoises de Jean-Marie Roy en 2000.

Témoins de la fête Cette collection compte environ 4 500 pièces. Pour le seul secteur des objets de Noël, on dénombre 4213 ornements, dont 20% d’achats et 75% d’objets venant des généreuses donations de M. Claude Davis. Naturellement, les ornements de verre se révèlent les plus importants en nombre. Parmi ceux-ci, une exceptionnelle boule de type Kugel venant d’Allemagne. À l’origine, ces boules étaient appelées « boules des sorciers ». Elles étaient accrochées au plafond des maisons et devaient protéger la maisonnée contre les démons et les mauvais esprits dont le reflet n’apparaissait pas sur la boule. Ces traditions d’ornements de Noël ont suivi les chemins de la colonisation, mais aussi ceux du christianisme. Au fil des ans, les décors ont gagné de l’importance jusqu’à ce que la fête du Nouvel An cède la place à la fête de Noël. Alors que le verre, la cire, le bois, le papier et les rubans de soie étaient utilisés dans la fabrication des premiers ornements, les modes et les aléas de l’histoire et du développement technologique ont peu à peu modifié les matériaux et les types de décoration. La grande majorité des objets de cette collection sont de production industrielle. Ceux-ci viennent d’Europe, du Japon et des États-Unis. Ces collections couvrent plus d’un siècle de production, s’échelonnant de 1850 à 1990. Parmi ces collections figurent des sapins de plume d’oie, des ornements en coton battu, des crèches de Noël, des cartes de souhaits, des jésus de cire et bien d’autres objets.

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Penser les collections et protéger les objets

Les collections de Pâques, du Nouvel An et de la SaintValentin comptent respectivement 98, 91 et 21 pièces. S’y trouvent surtout des papiers, dont des cartes de vœux.

Jeux et jouets La collection de jouets comprend 3 500 pièces. La production manufacturière et industrielle domine, bien sûr, mais les produits de facture domestique figurent également. Tous les grands groupes de jouets y sont représentés: jouets de la petite enfance, de fille et de garçon, jouets musicaux, jouets liés au monde du spectacle, etc. Cependant, ils le sont de manière inégale selon les périodes. Certains classiques comme la maison de poupée de l’époque victorienne, l’armée de soldats de plomb, l’arche de Noé, la Barbie des débuts avec son trousseau manquent à l’appel. De même, des types de jouets, comme les animaux de peluche ainsi que les automates et les autres jouets mécaniques, sont sousreprésentés. Notons enfin que les objets de cette collection ne remontent guère avant les années 1950. En revanche, la collection de jeux se révèle très variée : jeux d’imitation, d’adresse, de hasard, de société, etc. Mais, est-ce attribuable à leur encombrement, les équipements volumineux comme les tables de billard et de ping-pong, les machines à boules brillent par leur absence. On trouve 643 jeux dans cette collection. Au chapitre des équipements sportifs, la représentation des sports d’hiver domine nettement, ce qui s’explique en ce pays de neige. On dénombre en effet plusieurs paires de patins, de skis et de raquettes, des luges, des toboggans (« traînes sauvages »), des costumes de raquetteur et de glisseur. La collection de maillots de bain mérite également une mention particulière. Au total, on dénombre 4 548 objets dans cette collection. Tous ne sont pas mis en réserve dans cette voûte, en raison du principe de l’organisation par matériau.

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La réserve muséale de la capitale nationale

Radiodiffusion et communication visuelle Autre ensemble faisant partie des matériaux composites, la collection de Joseph Cardin fait état de l’histoire radiophonique du Québec, ainsi que de la diffusion d’un intérêt et d’une pratique généralisée pour la photographie. Pionnier de la radiodiffusion, Joseph Cardin a recueilli un ensemble de 150 objets, pour la plupart des instruments et des appareils de production et de transmission des sons, dont la majorité ont appartenu à une station de radio qui a diffusé de 1945 à 1987. Sa formation et ses connaissances lui ont également permis de préserver des outils et des équipements de contrôle et de réparation utilisés dans l’exercice de ses fonctions à la radio, d’abord comme technicien et, par la suite, comme opérateur en chef. Ces outils complètent les appareils de transmission sonore qui comprennent notamment des récepteurs, des microphones, des consoles de diffusion, des testeurs-analyseurs de circuits alternatifs et des ampèremètres. Parallèlement à cette première collection, Joseph Cardin a aussi constitué une collection d’appareils photographiques et de projection qui témoignent de l’évolution des métiers liés à cette technique: 257 objets rigoureusement sélectionnés traitent de la communication visuelle. On y trouve des appareils photographiques et de projection, des cinécaméras et des accessoires associés à l’univers de la photographie et de la projection d’images. Art populaire, porte d’entrée du cœur La collection d’art populaire du Musée de la civilisation comprend quelque 800 œuvres réalisées par plus d’une centaine d’artistes, qui représentent le style et les sujets chers aux diverses régions du Québec. À ces œuvres signées s’ajoutent plus de 200 pièces anonymes.

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Penser les collections et protéger les objets

La collection des enseignes de boutiques et de lieux de service fait partie de l’art populaire mais elle est conservée dans la voûte du petit bois.

Une voûte pour les métaux Appareils d’éclairage, objets de la ferronnerie et de divers métiers et professions, éléments architecturaux, artefacts provenant de la collection alimentaire et de la collection d’orfèvrerie cohabitent dans cette voûte peu humide. Sans vouloir négliger les autres ensembles, la collection d’orfèvrerie mérite que l’on s’y attarde.

Orfèvrerie religieuse L’orfèvrerie religieuse recouvre deux grands secteurs : le premier dédié à l’orfèvrerie cérémoniale comme les ciboires et les calices et le second, plus personnel, comprenant les parures comme les croix pectorales, les anneaux, etc. Ce secteur de 194 pièces doit sa représentativité historique au dépôt des prêtres du Séminaire de Québec qui compte des pièces historiques fort importantes de même que plusieurs objets signés d’illustres orfèvres dont Nicolas Dolin, François Ranvoyzé, Laurent Amiot, Guillaume Loir, Robert Hendry, Pierre Lespérance, Ambroise Lafrance et Paul Morand. Outre cette collection, signalons le calice de l’orfèvre Maurice Brault ainsi qu’un ostensoir Art déco provenant de la Compagnie de Jésus. Cette collection est conservée dans du mobilier vitré et verrouillé. Orfèvrerie profane Ce secteur comprend l’orfèvrerie de tous les jours. On la trouve dans différents secteurs, dont l’alimentation et les objets domestiques. Les plus courants sont les couverts, les couteaux, les fourchettes, les cuillers et les plats de service. Orfèvrerie de traite Lorsque les premiers Européens sont arrivés au pays, ils ont apporté avec eux des marmites en cuivre, des fers de hache et des 95

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couteaux. Les marchands ont vite compris que les bijoux et tout ce qui brillait étaient prisés des autochtones. Ils ont alors fait fabriquer des broches, des boutons, des bracelets et des couronnes par des orfèvres et ont répandu, à partir du XVIIIe siècle, ces objets sur le continent nord-américain. La collection nationale compte quelques éléments représentant ce type d’objets. Mentionnons le fonds Picard, dont les ornements vestimentaires agrémentaient la redingote d’apparat du chef huron-wendat Tahourenché (François-Xavier Picard) au XIXe siècle. Deux médaillons de traite en métal argenté fabriqués par l’orfèvre Pierre Huguet dit Latour enrichissent aussi cet ensemble. L’orfèvrerie de traite est également présente dans les collections du Séminaire de Québec où figurent des colliers dont certaines perles ont été fabriquées avec du cuivre provenant de la région des Grands Lacs.

Une voûte pour les textiles Extrêmement sensibles aux conditions d’humidité et de lumière, les textiles disposent d’une voûte particulière et d’un mobilier spécialisé. Cette collection comprend des textiles plats, des costumes et des vêtements religieux. Les textiles plats sont généralement enroulés. Les vêtements légers et sains sont entreposés en vestiaire, sous housse de coton non blanchi et montés sur des supports rembourrés. Les costumes lourds ou fragiles sont bourrés et rangés à plat dans de grands tiroirs métalliques. Les textiles religieux exigent une attention particulière en raison de leur fragilité et de leur rareté. Aussi a-t-on acquis un chapier de 48 tiroirs dessiné sur mesure pour abriter ces trésors.

Tissus religieux La collection de textiles religieux comprend le vestiaire liturgique et tous les textiles utilisés pour les cérémonies : chapes, chasubles, dalmatiques, soutanes, rideaux, bannières et nappes d’autel. Cette collection comprend plus de 800 pièces réparties dans deux collections principales : celle du Musée de la 96

Penser les collections et protéger les objets

civilisation et celle du Séminaire de Québec, déposée au Musée et gérée par ce dernier. Ces pièces anciennes et prestigieuses ont été fabriquées en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Parmi ce riche patrimoine figurent l’exceptionnelle mitre de Mgr François de Laval et la magnifique chapelle de Mgr de Saint-Vallier, don de sa majesté le roi Louis XIV à la Nouvelle-France. Mentionnons que cette collection compte pas moins de 44 pièces antérieures au XIXe siècle, 150 du XIXe siècle et près de 600 du XXe siècle.

Costumes et accessoires La collection de costumes et d’accessoires du Musée comprend environ 12 000 pièces. Deuxième en importance au Québec, elle prend sa source bien avant la création de l’établissement. L’acquisition la plus ancienne remonte à 1934. C’est une paire de chaussures pour femme en chevreau blanc datant de la fin du XIXe siècle. Au cours des années, des vêtements et des accessoires se sont ajoutés, mais la collection a connu son véritable essor avec la donation de l’honorable Serge Joyal (3300 costumes et accessoires) pour l’inauguration du Musée de la civilisation. Soulignons aussi des acquisitions plus récentes : la collection de sous-vêtements de la Dominion Corset, les collections et les archives de designers québécois ainsi que la collection Pillon-Vallée qui a grandement enrichi les secteurs des enfants. Dans le temps, cette collection s’échelonne du XVIIIe siècle à 2001, avec un noyau central plus important allant du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1970. Prolongement du corps, le costume constitue l’expression personnelle de chacun, l’image que l’on souhaite présenter aux autres. Comme une grande fresque, la collection de costumes et d’accessoires offre ainsi à sa façon un tableau de la société québécoise. Sur le plan quantitatif, cet ensemble compte 3022 vêtements de dessus, 549 vêtements de dessous, 1864 accessoires vestimentaires, incluant 300 paires de gants, des centaines d’épingles à chapeaux, des plumes de modiste, 97

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des boutons, des agrafes, des rubans, 1544 chaussures, 1458 accessoires personnels, 870 objets de toilette, 1239 parures, ainsi que 2233 coiffures, incluant 1500 chapeaux de toutes sortes. À quelques exceptions près, signalons les chaussures qui se retrouvent dans la chambre froide; la majeure partie de cette collection est mise en réserve ici.

Textiles plats Cette catégorie rassemble 1 539 objets : literie (494 pièces), recouvrements de plancher (313 pièces), nappes et napperons (257 pièces), murales et pièces décoratives (223 pièces), encadrements de portes et de fenêtres (197 pièces), bannières religieuses et civiles (54 pièces). Ceux-ci datent en majorité du XIXe et du XXe siècle.

Clin d’œil sur les voûtes et les collections Cet aperçu des collections permet tout de même de constater que l’organisation des artefacts par voûtes adaptées aux matériaux respecte généralement les grands ensembles. Bien sûr, certaines collections, telles la collection de costumes et celle d’art populaire (si l’on inclut les enseignes), sont disposées dans des voûtes indépendantes et séparées, mais les regroupements, comme les chaussures et les sacs à main, sont préservés ensemble ainsi que ceux des sculptures, des tableaux et des enseignes, les objets de même type étant fréquemment fabriqués dans des matériaux similaires. Autrement dit, la plupart du temps, les collections se redivisent en grands sous-ensembles plutôt qu’en parties hétéroclites. De plus, il faut insister sur la très large proportion d’artefacts fabriqués de matériaux mixtes. La majorité des collections répondent à ce critère de mixité. En dernière instance, la recommandation de localiser des objets, groupes ou ensembles, selon les matériaux ou les regroupements sémantiques, relevait donc des conservateurs et de la restauratrice. Toute proportion gardée, la décision d’organiser la réserve par voûtes adaptées aux matériaux, plutôt que par voûtes 98

Penser les collections et protéger les objets

réservées aux collections, infère donc relativement peu sur les ensembles et beaucoup moins que prévu sur les collections. Par contre, elle est manifestement bénéfique à la protection des objets nécessitant des conditions de conservation particulières, comme les spécimens naturalisés, le bois, les métaux et les textiles. Enfin, deux voûtes ou salles de mise en réserve supplémentaires sont utilisées pour le Musée national des beaux-arts du Québec1.

1. Voir encadré au chapitre 2.

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CONCLUSION

Andrée GENDREAU

La fin de projets d’envergure s’accompagne souvent de sentiments et de sensations mixtes et ambiguës : la fierté de la tâche accomplie voisine avec le regret de quitter des collaborateurs appréciés; l’énergie et la force engendrées par les dernières mises au point cohabitent avec la fatigue; la sécurité apportée par une focalisation intense sur un objectif défini et partagé fait place à une réflexion sur les suites à donner au projet et sur les objectifs recherchés à plus long terme. Nous en sommes là. Le bilan de l’opération de déménagement de nos collections est positif. Il a donné lieu à un recensement complet des objets, à leur numérisation, à la normalisation de plusieurs catégories, à des mesures permanentes de conservation préventive et à la construction d’une réserve moderne, adaptée à nos conditions climatiques et en mesure d’offrir la meilleure protection aux artefacts. Mais la réalisation du projet d’une réserve moderne a apporté bien d’autres choses encore. En replaçant la collection au cœur des préoccupations du Musée de la civilisation, elle a d’abord permis à l’ensemble des employés d’en redécouvrir l’importance ; de nouvelles solidarités entre le personnel de divers services du Musée et avec des partenaires externes ont également été créées; enfin, l’ouverture démontrée par le Musée face aux besoins de nos partenaires du réseau universitaire et muséal participe à l’ancrage de notre établissement dans son environnement socioculturel. 101

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Les collections, la clé de voûte du Musée Au-delà de la création d’une nouvelle solidarité au sein de l’équipe interdisciplinaire qui a dirigé et réalisé le projet, la construction de la réserve a suscité un enthousiasme inattendu auprès du personnel du Musée. Sans doute que l’information régulière sur la progression des travaux en cours, les visites aux réserves (l’ancienne et la nouvelle), les comptes rendus diffusés dans le journal interne exposant le rôle des différents membres de l’équipe, les articles de la presse écrite et la nouvelle télédiffusée ont contribué à marquer l’envergure du projet en cours et, par conséquent, celle de nos collections. L’importance de celles-ci pour l’État, les médias et le public n’étant plus à démontrer, les collections ont acquis, au sein même du Musée, une légitimité renouvelée qui tardait à venir. Il va de soi que la trentaine de personnes qui ont participé directement à la préparation des artefacts et à leur déménagement a bénéficié plus largement de cette période d’intimité avec les objets. Surprises, coups de cœur et émotions les ont accompagnées tout au long de leur séjour à la réserve.

Le tout est plus que la somme de ses parties On ne répétera jamais assez que le tout dépasse la somme de ses parties. On aura eu beau l’intellectualiser, c’est souvent avec un projet concret comme celui qui nous occupe que la révélation se fait. Jamais aucun d’entre nous n’aurait pu réaliser ce projet seul. Plus encore, l’alignement des idées et des compétences des administrateurs, des conservateurs, des ingénieurs, des architectes ou des techniciens, aurait été bien insuffisant à faire émerger le concept qui nous a guidés tout au long de la réalisation du projet. Celui-ci provient du rapport entre chacune des disciplines, des intérêts et des positions, chacun de ces éléments nourrissant l’idée, l’expertise et l’imagination des autres membres de l’équipe. On ne saurait quitter ce sujet sans souligner que le projet, élaboré par une équipe forte et diversifiée, s’est abreuvé

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Conclusion

aux sources des réflexions de collègues ayant déjà participé à de récentes expériences de construction de réserve et de déménagement de collections. Enfin, sans la confiance des élus et la collaboration des fonctionnaires de l’État, il n’aurait pas été possible.

Un musée à l’écoute L’ouverture de la réserve à la communauté muséale et éducative marque également l’ensemble de la démarche, à partir du concept de base incluant la recherche et l’enseignement, en passant par la construction d’espaces de location pour répondre aux besoins du Musée national des beaux-arts du Québec, jusqu’à la planification d’agrandissements en vue d’espaces dévolus aux autres collections régionales. Le coût d’un tel investissement et l’expertise qu’il a permis d’acquérir ne sauraient se répéter trop souvent. Aussi avonsnous tenu compte des besoins actuels de l’autre musée d’État ayant pied dans la ville de Québec et planifié un agrandissement pour les futurs besoins des musées locaux et régionaux. Inspirée et conseillée par les diverses institutions consultées pour éclairer ses gestes devant son vaste projet de création d’une nouvelle réserve, l’équipe du Musée de la civilisation a jugé, qu’à son tour, il convenait qu’elle rende publique sa propre expérience. Elle le fait dans un double espoir, celui de participer à la réflexion sur la constitution des patrimoines collectifs et celui de partager, avec les institutions de conservation, les expertises qu’elle a appliquées et élaborées afin de protéger le patrimoine national dont la sauvegarde et la mise en valeur lui sont confiées.

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