Rabelais Corpus [PDF]

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Zitiervorschau

Rabelais, Gargantua (1542) Séquence de première : la littérature d’idées du 16 e s. à nos jours • •

Séries générales : Rire et savoir Séries technologique (chap. 11-24) : la bonne éducation

Edition de référence : translation par M. MARRACHE-GOURAUD, GF / Librio

Table des matières Problématisation : la bonne éducation ............................................................................................................. 2 Groupement préparatoire : la bonne éducation ............................................................................................... 2 Texte 1. RABELAIS, Pantagruel, chap. VIII (trad. M.-M. FRAGONARD) (1532) .............................................. 2 Texte 2. MONTAIGNE, Essais, I, 26, « De l’institution des enfants » (1580), trad. André LANLY pour Champion (1989) rééd. Gallimard, coll. Quarto (2009). ........................................................................... 3 Texte 3. Jonathan SWIFT, Les Voyages de Gulliver, « Voyage à Lilliput », chapitre VI (1726)....................... 4 Texte 4. Jean-Jacques ROUSSEAU. Emile ou de l’Education (1762), livre II. .................................................. 5 Extraits étudiés en vue de l’oral ........................................................................................................................ 6 [Série générale] Chap. 8. Comment on vêtit Gargantua. .............................................................................. 6 [Séries générale ET technologique] Chap. 19. La harangue que fit Janotus de Bragmardo à Gargantua pour récupérer les cloches. ........................................................................................................................... 7 [Série technologique] – Chap. 23. Comment Gargantua fut éduqué par Ponocrates de telle sorte qu’il ne perdait nulle heure de sa journée. ................................................................................................................ 8 [Série générale] Chapitre 45. Comment le moine amena les pèlerins et les bonnes paroles que leur dit Grandgousier. ................................................................................................................................................ 9 Parcours associé .............................................................................................................................................. 10 Série générale (Rire et savoir) ..................................................................................................................... 10 Série technologique (La bonne éducation) ................................................................................................. 10 Groupement complémentaire : l’éducation rabelaisienne, rire et savoir....................................................... 11 Texte 1. MAROT, « la mort de Jehan Serre », in « Epitaphes », L’adolescence clémentine (1532)............. 11 Texte 2. MONTAIGNE, Essais I, 50 (1580). Trad. André LANLY.................................................................... 11 Texte 3. MOLIERE, Le malade imaginaire (1673), acte III, sc.10 ................................................................. 12 Texte 4. Jean de LA FONTAINE, « Le Pouvoir des fables », Fables VIII, 4 (1678) ......................................... 15 Texte 5. VOLTAIRE, Candide ou l’optimisme, chap. IV (1759), .................................................................... 16 Evaluations ...................................................................................................................................................... 17 Série générale : COMMENTAIRE & DISSERTATION sur œuvre .................................................................... 17 Commentaire. .......................................................................................................................................... 17 Dissertation sur œuvre (série générale) .................................................................................................. 18 Série technologique. CONTRACTION + ESSAI .............................................................................................. 18

Contraction. ALAIN, Propos sur l’éducation (1932). ................................................................................ 19 Essai. ........................................................................................................................................................ 19 HidA ........................................................................................................................... Erreur ! Signet non défini.

Problématisation : la bonne éducation A partir de cinq extraits de films : qu’est-ce qu’une bonne éducation ? Qui décide qu’une éducation est « bonne » ? A quoi sert-elle ? Est-elle utile ? Rend-elle la vie meilleure ?Quelles conditions pour l’obtenir ? Tout le monde peut-il y prétendre ? 1. 2. 3. 4.

JP. BACRI, A. JAOUI, Ph. MUYL, Cuisine et Dépendances (1992) : le retard Fr. BEGAUDEAU, L. CANTET, Entre les murs (Haut et court, 2008) : l’entrée en classe Fr. BEGAUDEAU, L. CANTET, Entre les murs (Haut et court, 2008) : l’imparfait du subjonctif A. TRAGHA, « Le coq et le renard » (Les films qui causent, CLG Lavoisier de Pantin, 2019) : le coq et le renard 5. K. LOACH, Sorry, we missed you (Sixteen films, 2019) : l’affrontement père/fils

Groupement préparatoire : la bonne éducation Texte 1. RABELAIS, Pantagruel, chap. VIII (trad. M.-M. FRAGONARD) (1532) Maintenant toutes les disciplines sont restituées, les langues établies. Le grec, sans lequel c'est une honte de se dire savant, l'hébreu, le chaldéen, le latin. Des impressions si élégantes et si correctes sont en usage, elles qui ont été inventées de mon temps par inspiration divine, comme, à l'inverse, l'artillerie l'a été par suggestion diabolique. Le monde entier est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de bibliothèques très amples, si bien que je crois que ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de Papinien, il n'était aussi facile d'étudier que maintenant. Et dorénavant, celui qui ne sera pas bien poli en l'officine3 de Minerve ne pourra plus se trouver nulle part en société. Je vois les brigands, bourreaux, aventuriers, palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prédicateurs mon temps. [ ... ] Mon fils, je t'admoneste d'employer ta jeunesse à bien profiter de tes études. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Épistémon : l'un peut te donner de la doctrine par ses instructions vivantes et vocales, l'autre par des exemples louables. J'entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement : d'abord la grecque, comme le veut Quintilien. Puis la latine. Puis l'hébraïque pour l'Écriture sainte, ainsi que la chaldaïque et l'arabe. Et que tu formes ton style, pour la grecque à l'imitation de Platon, et pour la latine, de Cicéron. Qu'il n'y ait d'histoire que tu n'aies présente à la mémoire, à quoi t'aidera la cosmographie. Les arts libéraux, géométrie, arithmétique, musique, je t'en ai donné quelque goût quand tu étais encore petit, vers tes cinq six ans. Continue le reste ; et sache tous les canons d’astronomie ; laisse l'astrologie divinatrice et l'art de Lulle, abus et vanités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes, et que tu les rapproches de la philosophie. Quant à la connaissance des sciences naturelles, je veux que tu t’y adonnes avec zèle ; qu'il n'y ait mer, rivière, ni fontaine dont tu ne connaisses les poissons ; tous les oiseaux de l'air ; tous les arbres,

arbustes, et fruitiers des forêts, toutes les herbes de la terre ; tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de l'Orient et de l'Afrique : que rien ne te soit inconnu. Puis avec soin, relis les livres des médecins : grecs, arabes, latins, sans mépriser les talmudistes et cabalistes ; et, par des fréquentes dissections, acquiers la parfaite connaissance de ce second monde qu'est l'homme. Et, pendant quelques heures chaque jour, commence à apprendre les Saintes Écritures : d'abord le Nouveau Testament en grec, les Épîtres des apôtres, puis en hébreu l'Ancien Testament. En somme, que je voie un abîme de science. Car maintenant que tu te fais grand, et que tu deviens un homme, il te faudra sortir de cette tranquillité et de ce repos consacré aux études, et apprendre la chevalerie et les armes, pour défendre ma maison, et secourir nos amis dans leurs débats contre les assauts des malfaisants. Et je veux que rapidement tu essaies de tester combien tu as profité : ce que tu ne saurais mieux faire qu'en soutenant des thèses publiquement sur toutes choses, envers et contre tous, et en fréquentant les gens lettrés qui sont à Paris et ailleurs. Mais parce que, selon le sage Salomon, sagesse n'entre dans une âme mauvaise, et que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et mettre en lui toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi orientée par la charité, lui être uni au point que tu n'en sois jamais séparé par le péché. [... ] Mon fils, la paix et grâce du Seigneur soient avec toi. Amen. D'Utopie, 17 mars, ton père, Gargantua.

Texte 2. MONTAIGNE, Essais, I, 26, « De l’institution des enfants » (1580), trad. André LANLY pour Champion (1989) rééd. Gallimard, coll. Quarto (2009). […] moi, ayant plutôt envie de faire de lui un homme habile qu'un homme savant, je voudrais aussi qu'on fût soucieux de lui choisir un guide qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine et qu'on exigeât chez celui-ci les deux qualités, mais plus la valeur morale et l'intelligence que la science, et je souhaiterais qu'il se comportât dans l'exercice de sa charge d'une manière nouvelle. On ne cesse de criailler à nos oreilles d'enfants, comme si l'on versait dans un entonnoir, et notre rôle, ce n'est que de redire ce qu'on nous a dit. Je voudrais que le précepteur corrigeât ce point de la méthode usuelle et que, d'entrée, selon la portée de l'âme qu'il a en main, il commençât à la mettre sur la piste, en lui faisant goûter les choses, les choisir et les discerner d'elle- même, en lui ouvrant quelquefois le chemin, quelquefois en le lui faisant ouvrir. Je ne veux pas qu'il invente et parle seul, je veux qu'il écoute son disciple parler à son tour. Socrate et, depuis, Arcésilas faisaient d'abord parler leurs disciples, et puis ils leur parlaient. « Obest plerumque iis qui discere volunt auctoritas eorum qui docent. » [L’autorité de ceux qui ensegnent nuit la plupart du temps à ceux qui veulent apprendre.] Il est bon qu'il le fasse trotter devant lui pour juger de son allure, juger aussi jusqu'à quel point il doit se rabaisser pour s'adapter à sa force. Faute d'apprécier ce rapport, nous gâtons tout : savoir le discerner, puis y conformer sa conduite avec une juste mesure, c'est l'une des tâches

les plus ardues que je connaisse ; savoir descendre au niveau des allures puériles du disciple et les guider est l'effet d'une âme élevée et bien forte. Je marche de manière plus sûre et plus ferme en montant qu'endescendant. Quant aux maîtres qui, comme le comporte notre usage, entreprennent, avec une même façon d'enseigner et une pareille sorte de conduite, de diriger beaucoup d'esprits de tailles et formes si différentes, il n'est pas extraordinaire si, dans tout unpeuple d'enfants, ils en rencontrent à peine deux ou trois qui récoltent quelque véritable profit de leur enseignement. Qu'il ne demande pas seulement à son élève de lui répéter les mots de la leçon qu'il lui a faite, mais de lui dire leur sens et leur substance, et qu'il juge du profit qu'il en aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais par celui de sa vie. Ce que l'élève viendra apprendre, qu'il le lui fasse mettre en cent formes et adaptées à autant de sujets différents pour voir s'il l'adès lors bien compris et bien fait sien, en réglant l'allure de sa progression d'après les conseils pédagogiques de Platon. Regorger la nourriture comme on l'a avalée est une preuve qu'elle est restée crue et non assimilée. L’estomac n'a pas fait son œuvre s'il n'a pas fait changer la façon d'être et la forme de ce qu'on lui avait donné à digérer.

Texte 3. Jonathan SWIFT, Les Voyages de Gulliver, « Voyage à Lilliput », chapitre VI (1726) Les Lilliputiens sont persuadés, autrement que nous ne le sommes en Europe, que rien ne demande plus de soin et d’application que l’éducation des enfants. Ils disent qu’il en est de cela comme de conserver certaines plantes, de les faire croître heureusement, de les défendre contre les rigueurs de l’hiver, contre les ardeurs et les orages de l’été, contre les attaques des insectes, de leur faire enfin porter des fruits en abondance, ce qui est l’effet de l’attention et des peines d’un jardinier habile. Ils prennent garde que le maître ait plutôt un esprit bien fait qu’un esprit sublime, plutôt des mœurs que de la science ; ils ne peuvent souffrir ces maîtres qui étourdissent sans cesse les oreilles de leurs disciples de combinaisons grammaticales, de discussions frivoles, de remarques puériles, et qui, pour leur apprendre l’ancienne langue de leur pays, qui n’a que peu de rapport à celle qu’on y parle aujourd’hui, accablent leur esprit de règles et d’exceptions, et laissent là l’usage et l’exercice, pour farcir leur mémoire de principes superflus et de préceptes épineux : ils veulent que le maître se familiarise avec dignité, rien n’étant plus contraire à la bonne éducation que le pédantisme et le sérieux affecté ; il doit, selon eux, plutôt s’abaisser que s’élever devant son disciple, et ils jugent l’un plus difficile que l’autre, parce qu’il faut souvent plus d’effort et de vigueur, et toujours plus d’attention pour descendre sûrement que pour monter. Ils prétendent que les maîtres doivent bien plus s’appliquer à former l’esprit des jeunes gens pour la conduite de la vie qu’à l’enrichir de connaissances curieuses, presque toujours inutiles. On leur apprend donc de bonne heure à être sages et philosophes, afin que, dans la saison même des plaisirs, ils sachent les goûter philosophiquement. N’est-il pas ridicule, disent-ils, de n’en connaître la nature et le vrai usage que lorsqu’on y est devenu inhabile, d’apprendre à vivre quand la vie est presque passée, et de commencer à être homme lorsqu’on va cesser de l’être ?

(...) On leur propose des récompenses pour l’aveu ingénu et sincère de leurs fautes, et ceux qui savent mieux raisonner sur leurs propres défauts obtiennent des grâces et des honneurs. On veut qu’ils soient curieux et qu’ils fassent souvent des questions sur tout ce qu’ils voient et sur tout ce qu’ils entendent, et l’on punit très sévèrement ceux qui, à la vue d’une chose extraordinaire et remarquable, témoignent peu d’étonnement et de curiosité. Les maîtres d’histoire se mettent moins en peine d’apprendre à leurs élèves la date de tel ou tel événement, que de leur peindre le caractère, les bonnes et les mauvaises qualités des rois, des généraux d’armée et des ministres ; ils croient qu’il leur importe assez peu de savoir qu’en telle année et en tel mois telle bataille a été donnée ; mais qu’il leur importe de considérer combien les hommes, dans tous les siècles, sont barbares, brutaux, injustes, sanguinaires, toujours prêts à prodiguer leur propre vie sans nécessité et à attenter sur celle des autres sans raison ; combien les combats déshonorent l’humanité et combien les motifs doivent être puissants pour en venir à cette extrémité funeste ; ils regardent l’histoire de l’esprit humain comme la meilleure de toutes, et ils apprennent moins aux jeunes gens à retenir les faits qu’à en juger. Ils veulent que l’amour des sciences soit borné et que chacun choisisse le genre d’étude qui convient le plus à son inclination et à son talent ; ils font aussi peu de cas d’un homme qui étudie trop que d’un homme qui mange trop, persuadés que l’esprit a ses indigestions comme le corps. Il n’y a que l’empereur seul qui ait une vaste et nombreuse bibliothèque. À l’égard de quelques particuliers qui en ont de trop grandes, on les regarde comme des ânes chargés de livres. (...) Ces peuples n’estiment la physique et les mathématiques qu’autant que ces sciences sont avantageuses à la vie et aux progrès des arts utiles. En général, ils se mettent peu en peine de connaître toutes les parties de l’univers, et aiment moins à raisonner sur l’ordre et le mouvement des corps physiques qu’à jouir de la nature sans l’examiner.

Texte 4. Jean-Jacques ROUSSEAU. Emile ou de l’Education (1762), livre II. Jeunes maîtres, pensez, je vous prie, à cet exemple, et souvenez-vous qu’en toute chose vos leçons doivent être plus en actions qu’en discours ; car les enfants oublient aisément ce qu’ils ont dit et ce qu’on leur a dit, mais non pas ce qu’ils ont fait et ce qu’on leur a fait. De pareilles instructions se doivent donner, comme je l’ai dit, plus tôt ou plus tard, selon que le naturel paisible ou turbulent de l’Élève en accélère ou retarde le besoin ; leur usage est d’une évidence qui saute aux yeux : mais, pour ne rien omettre d’important dans les choses difficiles, donnons encore un exemple. Votre enfant dyscole gâte tout ce qu’il touche : ne vous fâchez point ; mettez hors de sa portée ce qu’il peut gâter. Il brise les meubles dont il se sert : ne vous hâtez point de lui en donner d’autres ; laissez-lui sentir le préjudice de la privation. Il casse les fenêtres de sa chambre : laissez le vent souffler sur lui nuit et jour sans vous soucier des rhumes ; car il vaut mieux qu’il soit enrhumé que fou. Ne vous plaignez jamais des incommodités qu’il vous cause, mais faites qu’il les sente le premier. À la fin vous faites raccommoder les vitres, toujours sans rien dire : il les casse encore ; changez alors de méthode ; dites-lui sèchement, mais sans colère ; les fenêtres sont à moi, elles ont été mises là par mes soins, je veux les garantir, puis vous l’enfermerez à l’obscurité dans un lieu sans fenêtre. À ce procédé si nouveau il commence par crier, tempêter ; personne ne l’écoute. Bientôt il

se lasse et change de ton. Il se plaint, il gémit : un domestique se présente, le mutin le prie de le délivrer. Sans chercher de prétexte pour n’en rien faire, le domestique répond : j’ai aussi des vitres à conserver, et s’en va. Enfin, après que l’enfant aura demeuré là plusieurs heures, assez longtemps pour s’y ennuyer et s’en souvenir, quelqu’un lui suggérera de vous proposer un accord au moyen duquel vous lui rendriez la liberté, et il ne casserait plus de vitres : il ne demandera pas mieux. Il vous fera prier de le venir voir, vous viendrez ; il vous fera sa proposition, et vous l’accepterez à l’instant en lui disant : c’est très bien pensé, nous y gagnerons tous deux : que n’avez-vous eu plus tôt cette bonne idée ? Et puis, sans lui demander ni protestation ni confirmation de sa promesse, vous l’embrasserez avec joie et l’emmènerez sur-le-champ dans sa chambre, regardant cet accord comme sacré et inviolable autant que si le serment y avait passé. Quelle idée pensez-vous qu’il prendra, sur ce procédé, de la foi des engagements et de leur utilité ? Je suis trompé s’il y a sur la terre un seul enfant, non déjà gâté, à l’épreuve de cette conduite, et qui s’avise après cela de casser une fenêtre à dessein.

Extraits étudiés en vue de l’oral [Série générale] Chap. 8. Comment on vêtit Gargantua. Grâce aux archives anciennes qui sont en la chambre des comptes à Montsoreau, je sais qu’il fut vêtu de la façon suivante : Pour sa chemise furent levées neuf cents aunes 2 de toile de Châtellerault, et deux cents pour les goussets en forme de carreaux, que l’on mit sous les aisselles. Et elle n’était point froncée, car la fronce des chemises n’a été inventée que depuis que les lingères, lorsque la pointe de leur aiguille était rompue, ont commencé à besogner du cul. Pour son pourpoint furent levées huit cent treize aunes de satin blanc et pour les aiguillettes quinze cent neuf peaux et demie de chiens. Alors tout le monde commença à attacher ses chausses au pourpoint, et non le pourpoint aux chausses, car la chose est contre nature, comme l’a amplement déclaré Olkam dans Les Exponibles de Maître Hautechaussade. Pour ses chausses furent levées onze cent cinq aunes et un tiers de laine blanche, et elles furent découpées en forme de colonnes striées et crénelées par-derrière, afin de ne pas échauffer les reins. Et au-dedans des crevés, bouffait autant de damas bleu qu’il en fallait. Notez qu’il avait de très belles jambes, bien proportionnées au reste de sa stature. Pour la braguette furent levées seize aunes un quart du même drap, et sa forme fut celle d’un arcboutant attaché bien plaisamment à deux belles boucles d’or que prenaient deux agrafes d’émail, avec pour chacune une grosse émeraude enchâssée, de la grosseur d’une belle orange. Car, ainsi que le disent Orphée dans le Livre des pierres, et Pline dans le dernier livre de l’Histoire naturelle, cette pierre a une vertu érective et roborative pour le membre viril. L’ouverture de la braguette était de la longueur d’une canne, découpée comme les chausses, avec le damas bleu flottant comme il a été dit précédemment. Mais en voyant la belle broderie de fil d’or, et les plaisants entrelacs d’orfèvrerie garnis de fins diamants, fins rubis, fines turquoises, fines émeraudes, et grosses perles de Perse, vous l’auriez comparée à une belle corne d’abondance, telle que vous en voyez sur les

monuments antiques, et telle que Rhéa en donna aux deux nymphes Adrastée et Ida, les nourrices de Jupiter – toujours galante, succulente, perlante, toujours verdoyante, toujours florissante, toujours fructifiante, pleine de liqueurs, pleine de fleurs, pleine de fruits, pleine de tous délices. Je vous avoue, par Dieu, qu’il la faisait bon voir. Mais je vous en exposerai bien davantage au livre que j’ai écrit, De la dignité des braguettes. Je vous avertis toutefois d’une chose, c’est que si elle était bien longue et bien ample, elle était tout aussi bien garnie au-dedans et bien remplie, ne ressemblant en rien aux hypocrites braguettes qu’on voit à un tas de galants, qui ne sont pleines que de vent, au grand dam du sexe féminin. Pour ses souliers furent levées quatre cent six aunes de velours bleu tirant sur le pourpre, qui furent découpées mignonnement en lignes parallèles rassemblées en cylindres égaux. Pour leur semelle furent employées onze cents peaux de vache brune, fendues en queue de morue. Pour son manteau furent levées dix huit cents aunes de velours bleu d’une teinte violacée, brodé tout autour de belles petites vignes et de pintes en fil d’argent par le milieu, enchevêtrées de verges d’or avec force perles, montrant par là qu’il serait un bon caresseur de pintes en son temps. Sa ceinture fut faite de trois cents aunes et demie de serge de soie, moitié blanche et moitié bleue, si je ne me suis pas trompé.

[Séries générale ET technologique] Chap. 19. La harangue que fit Janotus de Bragmardo à Gargantua pour récupérer les cloches. […] « Si vous nous les rendez sur ma requête, j’y gagnerai six chapelets de saucisses et une bonne paire de chausses qui me feront grand bien aux jambes, où elles me seront plus qu’une promesse de chaleur. Ho par Dieu, Seigneur, que c’est bon une paire de chausses. Et l’homme sage ne la méprisera pas. Ha ! Ha ! N’a pas paire de chausses qui veut ! Je le sais bien quant à moi. Avisez, Seigneur, il y a dix-huit jours que je me suis mis à ruminationner cette belle harangue. Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Là gît le lièvre. « Par ma foi, Seigneur, si vous voulez souper avec moi, dans ma chambre, par le corps Dieu, de charité, nous ferons bonne chère, chérubins ! Moi j’ai tué un porc, et moi avoir du vin bueno. Mais de bon vin on ne peut faire mauvais latin. « Allez, tope là, de la part de Dieu, donnez-nous nos cloches. Tenez, je vous donne de par la faculté un sermon d’Udine, pour que du diable vous nous rendiez nos cloches. Voulez-vous aussi des pardons ? Parbleu vous les aurez, et sans rien en monnayationner. « Oh, monsieur Seigneur, clochidonnaminez-nous. Vraiment c’est le bien de la ville. Tout le monde s’en sert. Si votre jument s’en trouve bien, notre Faculté aussi, laquelle a été justement comparée aux juments ignorantes, et rendue pareille à celles-ci, dans ce psaume (je ne sais plus lequel), pourtant je l’avais bien noté sur mon papelard, et c’est un argument invincible (c’est mon meilleur Achille), hen, hen, huhum, harch ! « Là, je vais vous prouver que vous devez me les rendre. Ainsi, voici ma thèse :

« Toute cloche sachant clocher devant clocher dans un clocher, fait clocher, clochant clochativement, les clochants clochabilitants. Le Parisien a des cloches. CQFD. Ha, ha, ha ! Voilà qui est parlé ! C’est ce qu’il y a dans le troisième mode de la première figure, chez Darius (ou ailleurs). Par mon âme, j’ai passé l’âge où je faisais des miracles en discours. Aujourd’hui je ne fais plus que délirer. Et il ne me faut plus, dorénavant, que du bon vin, un bon lit, le dos au feu, le ventre à table, et une assiette bien remplie. « Hé, Seigneur, je vous prie, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, amen, de nous rendre nos cloches. Et que Dieu vous garde du mal, et Notre Dame vous garde en santé, qui vit et règne dans tous les siècles des siècles, amen, hen, hen, harch, eharch, grenhenharch ! « À la vérité, en effet, en vérité, attendu que sans doute, ma foi, puisque, ainsi, certes, par Dieu qui préside à la bonne foi, une ville sans cloches est comme un aveugle sans bâton, un âne sans croupière, et une vache sans clarine. Jusqu’à ce que vous nous les ayez rendues, nous ne cesserons de crier après vous comme un aveugle qui a perdu son bâton, de brailler comme un âne sans croupière, et de bramer comme une vache sans clarine. « Un quidam latinisateur demeurant près de l’Hôtel-Dieu dit un jour, alléguant l’autorité d’un Bouchonnus (je me trompe, c’était Pontanus le poète séculier), qu’il désirait qu’elles fussent faites de plume, et leur battant d’une queue de renard, car elles lui engendraient la chronicolique aux tripes du cerveau quand il composait ses vers versiformes. Mais taratata, tac, pif et paf, il fut déclaré hérétique. De cette espèce, nous en faisons tout ce que nous voulons, comme de la cire. Et le plaignant n’eut plus rien à dire ! Adieu, et applaudissez ! Moi, Calepin, j’ai fini mon rapport. »

[Série technologique] – Chap. 23. Comment Gargantua fut éduqué par Ponocrates de telle sorte qu’il ne perdait nulle heure de sa journée. Gargantua s’éveillait donc environ à quatre heures du matin. Cependant qu’on le frictionnait, il lui était lue quelque page de la divine écriture, à voix haute et claire, avec une diction parfaitement appropriée au sens : tâche dévolue à un jeune page natif de Basché, nommé Anagnostes. Souvent le propos et le sens de cette leçon l’amenaient à prier, révérant, adorant, et suppliant le bon Dieu, dont la lecture avait démontré la majesté et le jugement merveilleux. Puis il se retirait en des lieux privés pour faire excrétion des digestions naturelles. Là, son précepteur lui répétait ce qui avait été lu, lui en expliquant les points les plus obscurs et les plus difficiles. Pendant qu’ils s’en revenaient, ils considéraient l’état du ciel, le comparaient avec ce qu’ils avaient remarqué la veille au soir, se demandant en quels signes entrait le Soleil, et aussi la Lune pour cette nouvelle journée. Cela fait, il était habillé, peigné, coiffé, arrangé avec élégance, parfumé, et l’on profitait du temps de ces préparatifs pour lui répéter les leçons du jour d’avant. Lui-même les récitait par cœur, et en tirait quelques cas pratiques concernant la nature humaine, qu’ils développaient parfois pendant deux ou trois heures, mais ordinairement ils s’interrompaient lorsqu’il était entièrement habillé. Puis pendant trois bonnes heures on lui faisait la lecture. Cela fait, ils sortaient, conférant toujours du propos qui avait été lu ; et ils se dirigeaient vers le jeu de paume du grand Bracque, ou vers les

prés, où ils jouaient à la balle, à la paume, à la pile trigone, exerçant leur corps avec autant d’élégance qu’ils avaient auparavant exercé leurs âmes. Le jeu se faisait en toute liberté, car ils abandonnaient la partie selon leur bon plaisir, et cessaient généralement quand leur corps était en sueur, ou autrement quand ils étaient las. Ils étaient alors très bien essuyés et frottés, ils changeaient de chemise. Et en se promenant paisiblement, ils allaient voir si le déjeuner était prêt. En attendant, ils récitaient d’une voix claire et éloquente quelques sentences retenues de la leçon. Cependant, monsieur l’appétit venait, et ils s’asseyaient à table fort opportunément. Au commencement du repas, était lue quelque histoire plaisante des anciennes prouesses de chevalerie, jusqu’à ce que Gargantua eût pris son vin. Alors, si bon leur semblait, on continuait la lecture ; ou bien ils commençaient à deviser joyeusement tous ensemble, parlant, les premiers mois, de la vertu, des propriétés, qualités et nature de tout ce qui leur était servi à table : du pain, du vin, de l’eau, du sel, des viandes, poissons, fruits, herbes, légumes, et des façons de les cuisiner. Ce faisant, il apprit en peu de temps tous les passages utiles sur ces sujets chez Pline, Athénée, Dioscoride, Julius Pollux, Galien, Porphyre, Oppien, Polybe, Héliodore, Aristote, Elien, et d’autres. Ces propos échangés, ils faisaient souvent, pour vérifier leurs connaissances, apporter à table les livres en question.

[Série générale] Chapitre 45. Comment le moine amena les pèlerins et les bonnes paroles que leur dit Grandgousier. Puis ils se mirent à festoyer joyeusement tous ensemble. Cependant Grandgousier interrogeait les pèlerins, pour savoir de quel pays ils étaient, d’où ils venaient, et où ils allaient. Lasdaller, en leur nom à tous, répondit : « Seigneur je suis de Saint-Genou en Berry, celui-ci est de Palluau, celui-ci est d’Argy, et celui-ci est de Villebernin. Nous venons de Saint-Sébastien près de Nantes, et nous nous en retournons jour après jour, étape par étape. – Certes, dit Grandgousier, mais qu’alliez-vous faire à Saint-Sébastien ? – Nous allions, dit Lasdaller, lui offrir nos voeux contre la peste. – Oh, dit Grandgousier, pauvres gens, estimez-vous que la peste vienne de saint Sébastien ? – Oui, vraiment, répondit Lasdaller, nos prêcheurs nous l’affirment. – Ah oui ? dit Grandgousier, les faux prophètes vous annoncent-ils de telles sornettes ? Blasphèment-ils ainsi contre les justes et les saints de Dieu, de façon à les rendre semblables à des diables qui ne répandent que le mal parmi les humains ? C’est comme Homère qui écrit que la peste fut mise dans le camp des Grecs par Apollon, et comme les poètes encore, qui imaginent un grand tas de Jupiters démoniaques et de dieux malfaisants. Ainsi, à Cinais, un cafard prêchait que saint Antoine mettait le feu aux jambes, que saint Eutrope faisait les hydropiques, saint Gildas les fous, saint Genou les goutteux. Mais je l’ai puni de ce mauvais exemple, quoiqu’il m’appelât hérétique,

et plus aucun cafard de son espèce n’osa depuis entrer sur mes terres. Et je m’étonne fort que votre roi les laisse prêcher des inepties aussi scandaleuses dans son royaume. Car ils sont bien plus répréhensibles que ceux qui par la magie ou par tout autre sortilège auraient répandu la peste dans le pays. La peste ne tue que le corps, mais de tels imposteurs empoisonnent les âmes. » Pendant qu’il prononçait ces paroles, le moine entra plein d’entrain dans la conversation et leur demanda : « D’où êtes-vous, vous autres, pauvres hères ? – De Saint-Genou, dirent-ils. – Et comment se porte l’abbé Tranchelion, ce bon buveur ? dit le moine. Et les moines, quel régime font-ils ? Corps de Dieu, ils titillent vos femmes, cependant que vous êtes en pèlerinage. – Hin, hin ! dit Lasdaller, je n’ai pas peur pour la mienne. Car celui qui la verra de jour ne se rompra jamais le cou pour aller la visiter la nuit. – Mauvaise pioche, dit le moine. Elle pourrait être aussi laide que Proserpine, cela ne l’empêcherait pas d’avoir, pardieu, la saccade, puisqu’il y a des moines alentour. Car un bon ouvrier met indifféremment toute pièce en œuvre. Que j’aie la vérole, si vous ne les retrouvez celui-ci est d’Onzay, pas engrossées à votre retour. Car l’ombre même du clocher d’une abbaye est fécondante. – C’est, dit Gargantua, comme l’eau du Nil en Égypte, si vous en croyez Strabon ; et Pline (au livre VII, chapitre III) raconte qu’elle est fertile pour le pain, les habits et les corps. »

Parcours associé Série générale (Rire et savoir) Texte A –

Texte B –

Série technologique (La bonne éducation) TEXTE A –

Groupement complémentaire : l’éducation rabelaisienne, rire1 et savoir Texte 1. MAROT, « la mort de Jehan Serre », in « Epitaphes », L’adolescence clémentine (1532). Ci-dessous gît et loge en serre, Ce très gentil fallot Jean Serre, Qui tout plaisir allait suivant ; Et grand joueur de son vivant, Non pas joueur de dés, ni quilles, Mais de belles farces gentilles, Auquel jeu jamais ne perdit, Mais y gagna bruit et crédit, Amour et populaire estime, Plus que d'écus, comme j'estime. Il fut en son jeu si adestre Qu'à le voir on le pensait être Ivrogne quand il se y prenait, Ou badin, s'il l'entreprenait ; Et n'eût su faire en sa puissance Le sage ; car à sa naissance Nature ne lui fit la trogne Que d'un badin ou d'un ivrogne. Toutefois je crois fermement Qu'il ne fit onc si vivement Le badin qui se rit ou mord Comme il fait maintenant le mort. Sa science n'était point vile, Mais bonne ; car en cette ville Des tristes tristeur détournait Et l'homme aise en aise tenait.

Or bref, quand il entrait en salle, Avec une chemise sale, Le front, la joue et la narine Toute couverte de farine, Et coiffé d'un béguin d'enfant Et d'un haut bonnet triomphant Garni de plumes de chapons, Avec tout cela je réponds Qu'en voyant sa grâce niaise, On n'était pas moins gai ni aise Qu'on est aux Champs Elysiens. Ô vous, humains Parisiens ! De le pleurer, pour récompense, Impossible est ; car, quand on pense A ce qu'il soulait2 faire et dire, On ne peut se tenir de rire. Que dis-je, on ne le pleure point ? Si fait-on ; et voici le point : On en rit si fort, en maints lieux, Que les larmes viennent aux yeux ; Ainsi en riant on le pleure, Et en pleurant on rit à l'heure. Or pleurez, riez votre soûl, Tout cela ne lui sert d'un sou ; Vous feriez beaucoup mieux en somme De prier Dieu pour le pauvre homme.

Texte 2. MONTAIGNE, Essais I, 50 (1580). Trad. André LANLY. Démocrite et Héraclite sont deux philosophes dont le premier, trouvant la condition humaine vaine et ridicule et vaine, ne sortait en public qu’avec un visage moqueur et souriant ; Héraclite, éprouvant pitié et compassion pour cette même condition qui est la nôtre, portait pour cela un visage continuellement attristé, et avait les yeux pleins de larmes. Dès qu’ils avaient mis le pied en dehors de la maison, L’un riait, et l’autre au contraire pleurait.

1

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/le-rire-34-rabelais-rire-est-lepropre-de-lhomme 2 De soloir, souloir (ancien français, du latin soleo, déjà vieilli selon le Dictionnaire de l’Académie Fr. en 1694) : avoir l’habitude de.

[Juvénal, X, 28] J’aime mieux la première forme de caractère, non parce qu’il est plus agréable de rire que de pleurer, mais parce qu’elle est plus dédaigneuse, et qu’elle nous condamne plus que l’autre. Il me semble, en effet, que nous ne pouvons jamais être méprisés selon ce que nous méritons. La plainte et la commisération sont mêlées de quelque estime que l’on a pour l’objet que l’on plaint : les choses dont on se moque, on estime qu’elles n’ont aucune valeur. Je ne pense pas qu’il y ait en nous autant de malheur que de frivolité, autant de méchanceté que de sottise ; nous ne sommes pas aussi pleins de mal que d’inanité, nous ne sommes pas aussi malheureux que nous sommes vils. Ainsi Diogène, lui qui baguenaudait1 seul, roulant son tonneau, et témoignant [un jour] du mépris au grand Alexandre, quand il considérait que nous sommes des mouches ou des vessies pleines de vent, était un juge plus sévère et plus piquant, et par conséquent, plus juste à mon goût que Timon, celui qui fut surnommé le haïsseur des hommes. Ce que l’on hait, on le prend en effet à cœur. Celui-ci nous voulait du mal, désirait passionnément notre ruine, fuyait notre société comme dangereuse, considérant qu’elle était celle d’hommes méchants et de nature dépravée. L’autre nous estimait si peu [qu’il pensait] nous ne pourrions le troubler ni le gâter par notre contagion, et évitait notre compagnie, non par la crainte mais par le dédain de notre fréquentation : il ne nous estimait capables de faire ni du bien ni du mal. De même caractère fut la réponse de Statilius, auquel Brutus parla pour l’associer à la conspiration contre César. Il trouva que l’entreprise juste, mais il ne trouva pas que les hommes dignes que l’on mît en peine pour eux, conformément à l’enseignement d’Hégésias qui disait que le sage ne doit agir que pour lui ; conformément aussi à l’enseignement de Théodore selon lequel il est injuste que le sage hasarde sa vie pour le bien de son pays et qu’il mette en péril la sagesse des fous. Notre condition propre et particulière est aussi risible2 qu’elle est capable de rire.

Texte 3. MOLIERE, Le malade imaginaire (1673), acte III, sc.10 TOINETTE, en médecin, ARGAN, BÉRALDE. TOINETTE, en médecin.— Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur. ARGAN.— Cela est admirable! TOINETTE.— Vous ne trouverez pas mauvaise, s'il vous plaît, la curiosité que j'ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes, et votre réputation qui s'étend partout, peut excuser la liberté que j'ai prise. ARGAN.— Monsieur, je suis votre serviteur. TOINETTE.— Je vois, Monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j'aie? ARGAN.— Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six, ou vingt-sept ans. TOINETTE.— Ah, ah, ah, ah, ah! J'en ai quatre-vingt-dix. ARGAN.— Quatre-vingt-dix? TOINETTE.— Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux. ARGAN.— Par ma foi voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans. TOINETTE.— Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer les

1 2

S’amuser en choses futiles. La trad. De LANLY préfère « ridicule » mais le texte original préférait l’adjectif « risible » (à prendre littéralement), ici rétabli.

grands, et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies, avec des inflammations de poitrine, c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes, et l'envie que j'aurais de vous rendre service. ARGAN.— Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi. TOINETTE.— Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy, ce pouls-là fait l'impertinent ; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ? ARGAN.— Monsieur Purgon. TOINETTE.— Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi, dit-il, que vous êtes malade? ARGAN.— Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate. TOINETTE.— Ce sont tous des ignorants, c'est du poumon que vous êtes malade. ARGAN.— Du poumon? TOINETTE.— Oui. Que sentez-vous? ARGAN.— Je sens de temps en temps des douleurs de tête. TOINETTE.— Justement, le poumon. ARGAN.— Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux. TOINETTE.— Le poumon. ARGAN.— J'ai quelquefois des maux de cœur. TOINETTE.— Le poumon. ARGAN.— Je sens parfois des lassitudes par tous les membres. TOINETTE.— Le poumon. ARGAN.— Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'était des coliques. TOINETTE.— Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ? ARGAN.— Oui, Monsieur. TOINETTE.— Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ? ARGAN.— Oui, Monsieur. TOINETTE.— Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir? ARGAN.— Oui, Monsieur. TOINETTE.— Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture? ARGAN.— Il m'ordonne du potage. TOINETTE.— Ignorant. ARGAN.— De la volaille. TOINETTE.— Ignorant.

ARGAN.— Du veau. TOINETTE.— Ignorant. ARGAN.— Des bouillons. TOINETTE.— Ignorant. ARGAN.— Des œufs frais. TOINETTE.— Ignorant. ARGAN.— Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre. TOINETTE.— Ignorant. ARGAN.— Et surtout de boire mon vin fort trempé. TOINETTE.— Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville. ARGAN.— Vous m'obligez beaucoup. TOINETTE.— Que diantre faites-vous de ce bras-là? ARGAN.— Comment? TOINETTE.— Voilà un bras que je me ferais couper tout à l'heure, si j'étais que de vous. ARGAN.— Et pourquoi? TOINETTE.— Ne voyez-vous pas qu'il tire à soi toute la nourriture, et qu'il empêche ce côté-là de profiter? ARGAN.— Oui, mais j'ai besoin de mon bras. TOINETTE.— Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j'étais en votre place. ARGAN.— Crever un œil? TOINETTE.— Ne voyez-vous pas qu'il incommode l'autre, et lui dérobe sa nourriture? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l'œil gauche. ARGAN.— Cela n'est pas pressé. TOINETTE.— Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt, mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se doit faire, pour un homme qui mourut hier. ARGAN.— Pour un homme qui mourut hier? TOINETTE.— Oui, pour aviser, et voir ce qu'il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu'au revoir. ARGAN.— Vous savez que les malades ne reconduisent point. BÉRALDE.— Voilà un médecin vraiment, qui paraît fort habile. ARGAN.— Oui, mais il va un peu bien vite. BÉRALDE.— Tous les grands médecins sont comme cela. ARGAN.— Me couper un bras, et me crever un œil, afin que l'autre se porte mieux? J'aime bien mieux qu'il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot !

Texte 4. Jean de LA FONTAINE, « Le Pouvoir des fables », Fables VIII, 4 (1678) A M. de BARILLON1

La qualité d'Ambassadeur

Prenez en gré3 mes vœux ardents,

Peut-elle s'abaisser à des contes vulgaires ?

Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.

Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?

Son sujet vous convient ; je n'en dirai pas plus :

S'ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,

Sur les éloges que l'envie

Seront-ils point traités par vous de téméraires ?

Doit avouer qui vous sont dus,

Vous avez bien d'autres affaires

Vous ne voulez pas qu'on appuie.

A démêler que les débats Du Lapin et de la Belette :

Dans Athène4 autrefois peuple vain et léger,

Lisez-les, ne les lisez pas ;

Un Orateur voyant sa patrie en danger,

Mais empêchez qu'on ne nous mette

Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique,

Toute l'Europe sur les bras.

Voulant forcer les cœurs dans une république,

Que de mille endroits de la terre

Il parla fortement sur le commun salut.

Il nous vienne des ennemis,

On ne l'écoutait pas : l'Orateur recourut

J'y consens ; mais que l'Angleterre Veuille que nos deux Rois se lassent d'être amis, J'ai peine à digérer la chose. N'est-il point encor temps que Louis se repose ? Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las

A ces figures violentes Qui savent exciter les âmes les plus lentes. Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put. Le vent emporta tout ; personne ne s'émut. L'animal aux têtes frivoles

De combattre cette Hydre2? et faut-il qu'elle oppose

Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter.

Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?

Tous regardaient ailleurs : il en vit s'arrêter

Si votre esprit plein de souplesse,

A des combats d'enfants, et point à ses paroles.

Par éloquence, et par adresse,

Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.

Peut adoucir les cœurs, et détourner ce coup,

Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour

Je vous sacrifierai cent moutons ; c'est beaucoup Pour un habitant du Parnasse.

Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant,

Cependant faites-moi la grâce

Comme l'Hirondelle en volant,

De prendre en don ce peu d'encens.

1

Avec l'Anguille et l'Hirondelle :

Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant

Diplomate, ambassadeur de Louis XIV en Angleterre qui l’y envoya nouer des alliances. Selon la mythologie grecque, l’hydre est un monstre aquatique dont la terre repousse après avoir été coupée et en venir à bout est un des douze travaux d’Heraclès. 3 Savourez. 4 L’élision du -s- final permet de gagner une syllabe. 2

Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle ? Ce qu'elle fit ? un prompt courroux L'anima d'abord contre vous. Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !

Un trait de fable en eut l'honneur. Nous sommes tous d'Athène en ce point ; et moimême, Au moment que je fais cette moralité, Si Peau d'âne1m'était conté,

Et du péril qui le menace

J'y prendrais un plaisir extrême,

Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet ! Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? A ce reproche l'assemblée,

Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant Il le faut amuser encor comme un enfant.

Par l'apologue réveillée, Se donne entière à l'Orateur :

Texte 5. VOLTAIRE, Candide ou l’optimisme, chap. IV (1759), […] À ce discours, Candide s’évanouit encore ; mais revenu à soi, et ayant dit tout ce qu’il devait dire, il s’enquit de la cause et de l’effet, et de la raison suffisante qui avait mis Pangloss2 dans un si piteux état. « Hélas ! dit l’autre, c’est l’amour : l’amour, le consolateur du genre humain, le conservateur de l’univers, l’âme de tous les êtres sensibles, le tendre amour. — Hélas ! dit Candide, je l’ai connu cet amour, ce souverain des cœurs, cette âme de notre âme ; il ne m’a jamais valu qu’un baiser et vingt coups de pied au cul. Comment cette belle cause a-t-elle pu produire en vous un effet si abominable ? » Pangloss répondit en ces termes : « Ô mon cher Candide ! vous avez connu Paquette, cette jolie suivante de notre auguste baronne ; j’ai goûté dans ses bras les délices du paradis, qui ont produit ces tourments d’enfer dont vous me voyez dévoré ; elle en était infectée, elle en est peut-être morte. Paquette tenait ce présent d’un cordelier très-savant qui avait remonté à la source, car il l’avait eu d’une vieille comtesse, qui l’avait reçu d’un capitaine de cavalerie, qui le devait à une marquise, qui le tenait d’un page, qui l’avait reçu d’un jésuite qui, étant novice, l’avait eu en droite ligne d’un des compagnons de Christophe Colomb. Pour moi, je ne le donnerai à personne, car je me meurs. — Ô Pangloss ! s’écria Candide, voilà une étrange généalogie ! n’est-ce pas le diable qui en fut la souche ? — Point du tout, répliqua ce grand homme ; c’était une chose indispensable dans le meilleur des mondes, un ingrédient nécessaire ; car si Colomb n’avait pas attrapé dans une île de l’Amérique cette maladie qui empoisonne la source de la génération, qui souvent même empêche la génération, et qui est évidemment 1

Conte populaire (que PERRAULT popularisa plus tard) et dont on dit que Louis XIV, enfant, aimait à se le faire lire par sa nourrice. 2

On avait fait connaissance avec le philosophe et précepteur de Candide au chap. premier : « Pangloss enseignait la métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles. Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est

nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avonsnous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées et pour en faire des châteaux ; aussi monseigneur a un très-beau château : le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année. Par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise : il fallait dire que tout est au mieux. »

l’opposé du grand but de la nature, nous n’aurions ni le chocolat ni la cochenille ; il faut encore observer que jusqu’aujourd’hui, dans notre continent, cette maladie nous est particulière, comme la controverse. Les Turcs, les Indiens, les Persans, les Chinois, les Siamois, les Japonais, ne la connaissent pas encore ; mais il y a une raison suffisante pour qu’ils la connaissent à leur tour dans quelques siècles. En attendant, elle a fait un merveilleux progrès parmi nous, et surtout dans ces grandes armées composées d’honnêtes stipendiaires bien élevés, qui décident du destin des États ; on peut assurer que, quand trente mille hommes combattent en bataille rangée contre des troupes égales en nombre, il y a environ vingt mille vérolés de chaque côté. — Voilà qui est admirable, dit Candide ; mais il faut vous faire guérir. — Et comment le puis-je ? dit Pangloss ; je n’ai pas le sou, mon ami, et dans toute l’étendue de ce globe on ne peut ni se faire saigner, ni prendre un lavement sans payer, ou sans qu’il y ait quelqu’un qui paie pour nous. » Ce dernier discours détermina Candide ; il alla se jeter aux pieds de son charitable anabaptiste Jacques, et lui fit une peinture si touchante de l’état où son ami était réduit, que le bon-homme n’hésita pas à recueillir le docteur Pangloss ; il le fit guérir à ses dépens. Pangloss, dans la cure, ne perdit qu’un œil et une oreille. Il écrivait bien, et savait parfaitement l’arithmétique. L’anabaptiste Jacques en fit son teneur de livres. Au bout de deux mois, étant obligé d’aller à Lisbonne pour les affaires de son commerce, il mena dans son vaisseau ses deux philosophes. Pangloss lui expliqua comment tout était on ne peut mieux. Jacques n’était pas de cet avis. « Il faut bien, disait-il, que les hommes aient un peu corrompu la nature, car ils ne sont point nés loups, et ils sont devenus loups. Dieu ne leur a donné ni canons de vingt-quatre, ni baïonnettes ; et ils se sont fait des baïonnettes et des canons pour se détruire. Je pourrais mettre en ligne de compte les banqueroutes, et la justice qui s’empare des biens des banqueroutiers pour en frustrer les créanciers. — Tout cela était indispensable, répliquait le docteur borgne, et les malheurs particuliers font le bien général ; de sorte que plus il y a de malheurs particuliers, et plus tout est bien. » Tandis qu’il raisonnait, l’air s’obscurcit, les vents soufflèrent des quatre coins du monde, et le vaisseau fut assailli de la plus horrible tempête, à la vue du port de Lisbonne.

Evaluations Série générale : COMMENTAIRE & DISSERTATION sur œuvre Commentaire. Bouvard et Pécuchet, deux fonctionnaires, vivent en colocation et ont en commun le goût de la nouveauté, des collections et de la connaissance. Ils ont demandé à leur médecin, M. Vaucorbeil, de leur fournil, un mannequin, pour apprendre l’anatomie, et des livres de chirurgie.

Ils prirent en note dans le Dictionnaire des sciences médicales, les exemples d’accouchement, de longévité, d’obésité et de constipation extraordinaires. Que n’avaient-ils connu le fameux Canadien de Beaumont, les polyphages Tarare et Bijoux, la femme hydropique du département de l’Eure, le Piémontais qui allait à la garde-robe tous les vingt jours, Simorre de Mirepoix mort ossifié, et cet ancien maire d’Angoulême, dont le nez pesait trois livres ! Le cerveau leur inspira des réflexions philosophiques. Ils distinguaient fort bien dans l’intérieur, le septum lucidum composé de deux lamelles et la glande pinéale, qui ressemble à un petit pois rouge. Mais il y avait des pédoncules et des ventricules, des arcs, des piliers, des étages, des ganglions, et des fibres de toutes les sortes, et le foramen de Pacchioni, et le corps de Pacini, bref un amas inextricable, de quoi user leur existence.

Quelquefois dans un vertige, ils démontaient complètement le cadavre, puis se trouvaient embarrassés pour remettre en place les morceaux. Cette besogne était rude, après le déjeuner surtout ! Et ils ne tardaient pas à s’endormir, Bouvard le menton baissé, l’abdomen en avant, Pécuchet la tête dans les mains, avec ses deux coudes sur la table. Souvent à ce moment-là, M. Vaucorbeil, qui terminait ses premières visites, entrouvrait la porte. — « Eh bien, les confrères, comment va l’anatomie ? » — « Parfaitement ! » répondaient-ils. Alors il posait des questions pour le plaisir de les confondre. Quand ils étaient las d’un organe, ils passaient à un autre – abordant ainsi et délaissant tour à tour le cœur, l’estomac, l’oreille, les intestins. – Car le bonhomme de carton les assommait, malgré leurs efforts pour s’y intéresser. Enfin le docteur les surprit comme ils le reclouaient dans sa boîte. — « Bravo ! Je m’y attendais. » On ne pouvait à leur âge entreprendre ces études ; – et le sourire accompagnant ses paroles les blessa profondément. De quel droit les juger incapables ? Est-ce que la science appartenait à ce monsieur ! Comme s’il était lui-même un personnage bien supérieur ! Donc acceptant son défi, ils allèrent jusqu’à Bayeux pour y acheter des livres. Ce qui leur manquait, c’était la physiologie ; – et un bouquiniste leur procura les traités de Richerand et d’Adelon, célèbres à l’époque. Tous les lieux communs sur les âges, les sexes et les tempéraments leur semblèrent de la plus haute importance. Ils furent bien aises de savoir qu’il y a dans le tartre des dents trois espèces d’animalcules, que le siège du goût est sur la langue, et la sensation de la faim dans l’estomac. Pour en saisir mieux les fonctions, ils regrettaient de n’avoir pas la faculté de ruminer, comme l’avaient eue Montègre, M. Gosse, et le frère de Bérard ; – et ils mâchaient avec lenteur, trituraient, insalivaient, accompagnant de la pensée le bol alimentaire dans leurs entrailles, le suivaient même jusqu’à ses dernières conséquences, pleins d’un scrupule méthodique, d’une attention presque religieuse. Afin de produire artificiellement des digestions, ils tassèrent de la viande dans une fiole, où était le suc gastrique d’un canard – et ils la portèrent sous leurs aisselles durant quinze jours, sans autre résultat que d’infecter leurs personnes. On les vit courir le long de la grande route, revêtus d’habits mouillés et à l’ardeur du soleil. C’était pour vérifier si la soif s’apaise par l’application de l’eau sur l’épiderme. Ils rentrèrent haletants, et tous les deux avec un rhume. Gustave FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet (1881) : extrait du chap.3.

Dissertation sur œuvre (série générale) Dans quelle mesure le rire est-il, dans Gargantua, une affaire sérieuse ?

Série technologique. CONTRACTION + ESSAI

Contraction1. ALAIN, Propos sur l’éducation (1932). Il est arrivé à tout homme d'entendre une suite de leçons. Celui qui veut s'instruire par ce moyen, et qui n'espère pas trouver ailleurs les notions qui lui sont ainsi exposées, prend un parti héroïque ; il se fait sténographe pendant une heure. Il note tout, attentif seulement à bien entendre et à transcrire par des signes suffisants. Ensuite il met au net tout le discours, non sans peine ; et il faut reconnaître que ce travail de reconstitution exerce le jugement plus qu'aucun autre. Les signes nous attendent et nous ramènent ; ainsi l'imagination ne nous égare point ; la pensée, dans son ensemble, nous est assez familière ; entre cette pensée présupposée et les signes qui la détermineront mieux, notre réflexion s'exerce à coup sûr ; nous inventons sans avoir à créer. J'ajoute que, même dans le travail sténographique, par ces mouvements réglés et faciles, le corps se trouve délié et l'attention court en avant, mouvement d'esprit libre et juste. Et c'est assez pour que la leçon magistrale soit toujours bonne à entendre. Mais il y faut deux conditions, la course de la plume pendant le discours, et la mise en forme ensuite. À quels élèves peut convenir la leçon magistrale, c'est ce que l'on comprend sans peine. L'enseignement primaire procède volontiers par leçons magistrales ; du moins c'est ainsi que le futur instituteur est formé, par d'ambitieux pédagogues qui ignorent le métier. L'instituteur se forme tout à fait autrement par sa propre expérience, comme on pense bien ; mais il ne peut mépriser tout à fait la leçon magistrale, parce qu'il existe un délégué de la pédagogie abstraite, qui est l'inspecteur. Et l'inspecteur a charge de voir non pas si les enfants apprennent quelque chose, mais si l'instituteur travaille. Si l'instituteur, sous l'œil du pédagogue délégué, occupait une heure à faire écrire, et plus d'une fois, les mots usuels et les exemples simples, comme il doit, le pédagogue jugerait que le métier d'instituteur est un peu trop facile. Ainsi subsistent les niaises leçons d'histoire et de morale, et les leçons de choses, encore plus niaises, devant des enfants qui ignorent le sens des mots. Il est impossible, on le comprend bien, qu'un écolier rédige ; ce ne serait pas un mauvais exercice si on lui proposait de reconstituer par écrit une seule phrase qu'il vient d'entendre ; mais, avec trente élèves seulement, il faudrait une demi-heure pour une phrase. Le pédagogue jugerait qu'on n'avance guère, et il ne le cacherait pas. Au reste l'écolier est incapable de prendre des notes à la volée. Ils seront donc tous, les bras croisés, les yeux attachés sur le visage du maître, attentifs comme on est devant un faiseur de tours. Cette expression du visage est bien trompeuse ; il n'y a point de plus sot personnage que l'écouteur qui boit les paroles et fait oui de la tête. Seulement le pédagogue inspecteur ignore tout cela ; c'est un gendarme qui vient s'assurer que l'instituteur a préparé sa leçon. Le métier de surveiller rend stupide et ignorant ; cela est sans exception. Je sais que beaucoup d'inspecteurs courent les chemins par tous les temps, et font voir un zèle admirable ; très bien ; mais cela ne leur donne point d'esprit. Je regrette de le dire, et d'attrister ces braves gendarmes ; mais il faut le dire. Il faut dire que toute leçon où le bambin ne lit pas ou n'écrit pas est une leçon perdue. Il faut dire que ces pédagogues bavards finiront par rendre impossible un métier déjà difficile, et qu'au surplus ils ne connaissent point.2

Essai. Au second livre de son traité pédagogique Emile ou l’éducation, le philosophe JJ ROUSSEAU avertit : « Souvenez-vous qu’avant d’oser entreprendre de former un homme, il faut s’être fait homme soi-même ; il

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Il faut faire figurer, à la fin du résumé, le nombre exact de mots utilisés (ce total sera vérifié et toute erreur sévèrement sanctionnée). On dispose d’une marge de plus ou moins 10 %. Pour faciliter le recomptage, on place une barre tous les 10 mots. Un mot est une unité typographique isolée par deux blancs. Tous les mots élidés (: c’, d’, j’, l’, m’, n’, s’, t’) comptent donc pour un mot. Cependant les mots composés comptent le plus souvent pour un seul mot. 2

597 mots.

faut trouver en soi l’exemple qu’il se doit proposer. » Selon vous, donner le bon exemple suffit-il à bien éduquer ?

Parcours artistique ➢ Fernando BOTERO, désacraliser pour railler ou réinventer ? Les originaux ▪ ▪

Léonard de VINCI, Mona Lisa v. 1503 CRANACH, Judith et la tête d’Holoferne (v. 1525)

Les réécritures par F. BOTERO ▪ ▪

Mona Lisa, age 12 (1959) D’après Cranach (2016), coll. privée.