Quelle Place Pour Les TICe en Classe de FLE [PDF]

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Zitiervorschau

Quelle place pour les TICe en classe de FLE ? L’heure des bilans : présentation du dossier Jean-Marc DEFAYS Directeur de l’Institut Supérieur des Langues Vivantes, Université de Liège

et Audrey MATTIOLI-THONARD Institut Supérieur des Langues Vivantes, Université de Liège De la visite d’un site à la conception d’un cours « maison » en ligne, d’un simple partage de documents à la création d’un blog de la classe, les pratiques pédagogiques incluant les TICe sont indénombrables. Mais quelles sont celles qui ont fait leurs preuves ces dernières années ? Pour développer quelles macro-compétences ? Pour atteindre quels objectifs ? Pour former quel type de locuteurs ? Et comment pallier les difficultés liées à l’isolement physique de l’apprenant ? Et le rôle de ces apprenants, quel est-il à présent ? Comment motiver et impliquer sa classe dans les activités proposées en ligne ? Et comment les interactions en ligne sont-elles perçues par les apprenants ? Les douze articles qui composent ce numéro du Langage et l’Homme se proposent de répondre à ces questions en explorant les différents aspects de l’intégration des TICe en classe de français, relatifs principalement… à l’équipement technologique et au bon usage de l’ordinateur, des connexions, des logiciels, des tableaux blancs numériques ou interactifs, etc. ; au média numérique et à l’analyse et l’évaluation des (res) sources en ligne, dans deux perspectives : d’une part, celle de l’information, d’autre part, celle de la communication et des échanges ; aux pratiques pédagogiques induites par les nouvelles technologies, sur le plan mental, intellectuel, culturel, professionnel, qui déterminent à terme les conditions de la création, de la construction, de la transmission des connaissances à tous points de vue. Avant de céder la parole aux différents auteurs de ce dossier, arrêtons-nous brièvement sur deux questions que tout enseignant sensible aux TICe est en droit de se poser : quels sont les avantages et risques des TICe et quelle place faut-il leur accorder en classe de FLE ?

1. Quels avantages et limites des TICe en didactique des langues ? Aussi célébrés soient-ils, ces avantages restent relatifs, ne serait-ce qu’en fonction des objectifs et des personnes que l’on prend en compte : les enseignants, les apprenants, les

acteurs sociaux… ou les fabricants d’équipements informatiques, les concepteurs de logiciels et les fournisseurs de services Internet. Si l’on s’en tient aux apprenants, ces avantages se situent à différents niveaux : psychologique : l’utilisation des TICe peut attiser la motivation des jeunes étudiants à la faveur d’un transfert d’intérêt de l’outil vers l’objet de l’apprentissage ; elle donne aussi aux plus timides l’occasion de travailler en dehors des regards des autres et de la pression de la classe ; par contre, les apprenants plus âgés peuvent manifester une certaine résistance à l’égard de l’informatique avec laquelle ils sont moins familiarisés ; social : Internet permet la constitution de réseaux sociaux, de communautés cybernétiques qui élargissent les groupes de contact, multiplient les occasions d’échanges, diversifient les formes de collaborations ; cognitif : la lecture hypertextuelle que permet l’outil informatique correspondrait à des processus cognitifs spontanés, par arborescence et associations libres, et favoriserait ainsi « naturellement » l’apprentissage par rapport à la lecture ou à l’écoute linéaires plus contraignantes d’une leçon classique ; pédagogique : grâce aux TICe, l’enseignement peut être davantage adapté et différencié que dans une classe, car il laisse plus d’autonomie et partant plus de responsabilité aux étudiants, tout en leur ménageant plus d’interactivité avec le professeur et entre eux ; documentaire : il est inutile d’insister sur la mine d’informations diverses auxquelles Internet donne accès ; pratique : l’ordinateur et Internet sont en principe au service de l’utilisateur en tout lieu et à tout moment, alors que les cours donnés par un enseignant sont assujettis à un horaire, à une institution, et que l’accessibilité et les ressources de la bibliothèque sont limitées. Et qu’en est-il des risques liés aux TICe, de leurs limites ? Il est inutile de rappeler que ces dernières ne peuvent certainement pas répondre à toutes les questions, ni régler tous les problèmes posés par l’enseignement des langues, et que l’espérer aveuglément serait une grave erreur. Il faut bien prendre conscience que la technologie, aussi utile et stimulante soit-elle, dépendra toujours du plus ou moins bon usage qu’en feront les utilisateurs. L’illusion de la « méthode miracle », profitable partout et pour tout, risque en effet de causer quelques dommages. Si l’ordinateur, le logiciel, Internet, stimulent davantage la curiosité de l’apprenant et répondent plus facilement et rapidement à ses besoins et à ses intérêts, ils peuvent aussi créer des problèmes sur le plan de l’attention, de la compréhension, de la mémoire, et même empêcher les processus essentiels de synthèse et d’assimilation des connaissances ainsi acquises. Le zapping, auquel pourraient inciter les TICe, ne facilite en effet pas toujours la construction du sens, au point où d’aucuns craignent l’apparition d’une certaine paresse intellectuelle, voire d’une nouvelle forme d’illettrisme dans la génération exposée davantage à l’écran numérisé qu’à la page écrite. Les interactions virtuelles, malgré leurs

incontestables opportunités, peuvent entraîner, suivant la même logique, un repli de l’apprenant sur lui-même et lui causer ultérieurement des difficultés à mener des échanges en contexte et en présentiel. Enfin, d’un point de vue plus stratégique, le succès des TICe a aussi entraîné dans plusieurs cas un renversement de perspectives, et même de priorités. Alors que les TICe devraient rester un moyen au service des personnes concernées et des objectifs poursuivis, elles deviennent une fin en soi : « Que vais-je pouvoir faire – en viennent à se demander étudiants, enseignants, chercheurs – pour recourir à l’outil informatique que prévoient/imposent mon projet, mon budget, les autorités, et qui crédibilisera mon entreprise ? »

2. Quels rôles attribuer aux TICe en didactique des langues ? Cette question se pose par rapport à l’enseignement classique, qui a lieu en classe, en « présentiel ». Il ne faut plus craindre ou espérer, comme il y a une vingtaine d’années, que les TICe et l’enseignement en ligne remplaceront un jour le professeur et les activités en classe, mais il est évident que le rôle de ce professeur et la nature de ces activités doivent désormais tenir compte de ce nouvel outil pédagogique et se repositionner en conséquence pour en tirer le meilleur parti. On peut d’abord envisager les rapports entre enseignements présentiel et en ligne en termes de complémentarité : soit ces activités en ligne sont enchâssées parmi les diverses autres activités de la classe qui reste le cadre général de l’enseignement-apprentissage, soit, au contraire, ce sont les TICe qui assurent la cohérence et le déroulement du programme de l’enseignement-apprentissage où s’inscrivent à différents moments les différentes activités propres à la classe (ex : tutorat, tables de conversation, projets de groupe…). On préfèrera à ces rapports de subordination, dans un sens ou dans un autre, la mise en œuvre d’une réelle synergie entre les activités présentielles et les activités en ligne dans le cadre d’une pédagogie intégrée où, en fonction des différents paramètres de cet enseignement-apprentissage, on optera pour les répartitions et combinaisons les plus adaptées entre le présentiel et le télématique, en se posant chaque fois la question de savoir ce qu’il est possible, souhaitable de faire avec/sans les TICe : les différentes compétences langagières (CO-CE-EO-EE-interactions), linguistiques (grammaire, vocabulaire, prononciation), (inter) culture, communication,… Cette synergie doit aussi être créative et susciter des activités pédagogiques et des apprentissages qui n’auraient pas été possibles dans un enseignement uniquement en présentiel, ou rien que dans un enseignement en ligne. Bref, il faut donc prendre du recul par rapport à l’engouement dont les TICe font actuellement l’objet et le bouleversement que certains pensent qu’elles seraient en train de provoquer. Tout compte fait, les TICe mettent seulement de nouveaux outils à la disposition des acteurs de l’enseignement-apprentissage des langues, et leur grand succès représente seulement une phase à la suite de nombreuses autres innovations et mutations dans l’histoire de la didactique des langues. On peut à ce titre établir un parallèle avec l’époque des premières méthodes audio-orales et audio-visuelles, qui combinaient la

psychologie behavioriste et la linguistique structurale, et qui profitaient des progrès techniques des laboratoires de langues, pour développer une pédagogie par conditionnement, alors que nous sommes en train d’assister à l’essor d’une pédagogie actionnelle, qui associe quant à elle la psychologie cognitive, la linguistique pragmatique et le perfectionnement et le déploiement des TICe. Dans les deux cas, on a parlé de révolution didactique… En tout cas, il est indéniable que le recours intensif aux TICe en didactique des langues – qu’on ne peut plus ignorer – provoque des rééquilibrages des différents vecteurs de l’apprentissage par rapport à la langue, par rapport au monde (réel/virtuel ; dans/hors classe ; culture), par rapport aux sujets (enseignant/apprenant/condisciples/tiers/natifs ; cognitif/social/affectif), et oblige de nouvelles approches pédagogiques. Aussi, pour éviter les risques et réduire les inconvénients évoqués plus haut, nous pensons que les concepteurs et les utilisateurs, enseignants ou apprenants, ont de tout urgence besoin au cours de leur formation d’une éducation aux TICe et à ses outils, non seulement sur le plan technique, mais aussi et surtout discursif, sémiotique, éthique, idéologique… et finalement pédagogique. Car si les TICe représentent un outil comme un autre, vu son pouvoir de séduction, l’amplitude de son rayonnement, la multiplicité de ressources, la complexité de son fonctionnement, il faut certainement prendre davantage de précautions pour se mettre à l’abri d’un usage tendancieux, contraignant, aliénant. Ces questions seront explorées plus en avant tout au long de ce numéro par le biais de réflexions sur les nouveaux modes d’interaction et sur leurs impacts dans l’enseignement/apprentissage du FLE (les quatre premiers articles de ce numéro), d’analyses de pratiques visant au développement des compétences écrites (les trois articles suivants) et de présentations de dispositifs tout aussi riches que variés (les cinq derniers articles de ce numéro). Que la créativité et l’enthousiasme des auteurs gagnent les lecteurs ainsi sensibilisés aux potentialités si exaltantes que nous offrent les TICe…

Bons et mauvais usages de l’interaction en ligne. Les TICe, vecteur de motivation ou source d’ennui ? Sandrine BAUSSAN EF Centres Internationaux de Langues Parmi la myriade d’outils mis à disposition des apprenants de Français Langue Etrangère pour parfaire leur apprentissage de la langue-cible et parmi toutes les formes de matériel pédagogique auxquelles peuvent recourir les enseignants pour construire leurs activités et les insérer dans une progression pédagogique cohérente, raisonnée et ordonnancée, il semble que depuis quelques années les différents outils réunis sous l’appellation générique de Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation (TICE) fassent l’objet d’un intérêt grandissant et que leurs différents domaines d’activité ainsi que leurs champs d’application variés ne connaissent aucune forme de limite. De nos jours, les Technologies de l’Information et de la Communication sont très largement intégrées dans les usages et les pratiques de nombreux enseignants de Français Langue Etrangère de par le monde. Elles constituent une sorte de plus-value ajoutée à l’enseignement de la langue, de la culture et de la civilisation françaises. L’usage de la technologie pour enseigner et pour apprendre s’impose donc comme un nouvel eldorado pédagogique, comme une nouvelle forme de mythe technico-culturel paré de toutes les qualités et dont il s’agit à présent d’interroger la pertinence et la portée à la fois praxéologique et didactologique (amenant à réfléchir sur la discipline et son enseignement). Les TICE, en perpétuelle évolution, offrent une multitude de possibilités d’exploitation pédagogique, selon que l’enseignant recoure aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter), au multimédia ou aux cédéroms. L’enseignant de FLE peut donc puiser dans une « large gamme d’activités dans lesquelles interviennent les outils multimédia et où leur efficacité a été évaluée : la communication écrite, l’apprentissage collaboratif, la lecture, la recherche d’information dans les documents électroniques, la rédaction de textes, l’apprentissage des langues, la construction des connaissances scientifiques 1 ». Si les TICE occupent depuis une bonne dizaine d’années une place très importante non seulement dans l’imaginaire collectif et institutionnel de toute la communauté éducative du FLE, mais aussi dans les réflexions didactiques et les pratiques, aucune réflexion n’a été menée collectivement pour évaluer leur apport. Il serait donc intéressant de procéder à un bilan des réussites et des échecs liés à l’introduction des TICE (et de l’interaction en ligne) dans la classe de Français Langue Etrangère. Cet article se donne tout d’abord pour tâche de faire une analyse contrastive des avantages et des inconvénients relatifs à l’utilisation des TICE et de l’interaction en ligne. Puis il tentera de déterminer si l’usage des TICE dans les classes de langue a profondément révolutionné le processus d’apprentissage de la langue-cible ou si cela n’est resté qu’une illusion technologiste sans véritable fondement. Enfin, le présent article interrogera l’impact des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation sur la formation des enseignants de FLE sur la base d’un renouvellement de leurs pratiques et d’une refondation de leur conception didactique de leur métier et de son déroulement.

1. TICE et interactions en classes de langue : des apports contrastés ? Dans les classes de FLE, les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation sont très fréquemment utilisées par les enseignants et intégrées au cœur de leurs pratiques et de leurs projets didactiques sans que les conditions de leur utilisation n’aient fait l’objet d’une remise en question et sans qu’un examen minutieux de leurs apports et de leurs éventuelles contre-performances n’ait été mené. C’est cet examen que va tenter d’opérer la section ci-dessous. 1.1. Les TICE en classe de langue : tentative de bilan Comme le rappelle Jean-Marie de Ketele, « il serait vain de faire porter à l’ordinateur toute la richesse de la situation pédagogique, de résumer l’interaction des acteurs à l’interactivité de la machine 2 ». Effectivement, la pédagogie n’est en rien réductible à une simple procédure technique, elle est affaire de transmission entre un enseignant et des enseignés qui sont déterminés par leur corps, par leurs affects, et par la place que cela occupe dans leur apprentissage et dans leurs stratégies. Les TICE et le multimédia n’ont de sens que s’ils sont sans cesse replacés dans un contexte clairement identifié, celui de la communication humaine, interpersonnelle, intersubjective et interculturelle. Ces technologies introduites dans la didactique des langues il y a déjà dix ans appellent à présent un inventaire. Elles présentent un certain nombre d’avantages que nous allons essayer de recenser : Les TICE sont pour les apprenants de FLE un facteur d’évolution comportementale (l’utilisation de ces outils contribue à activer des opérations psychiques fondamentales). Cela implique d’avoir « la connaissance des bases cognitives de l’apprentissage et des effets des nouvelles technologies sur l’apprentissage 3 ». L’apprenant de classe de langue qui a recours aux TICE mobilise des connaissances, met en place une stratégie et manipule l’ordinateur. Il doit faire preuve de rigueur et appliquer une méthodologie scientifiquement éprouvée. L’introduction des TICE dans le FLE permet à chaque apprenant de progresser en fonction de ses besoins et de ses objectifs. Il y a donc respect du rythme de travail propre à chacun même au sein d’une classe hétérogène. En le confrontant à une série de tâches à réaliser, les TICE permettent à l’apprenant de devenir acteur de son processus d’apprentissage : « acteur désigne donc une personne qui joue un rôle actif dans l’acte d’ […] apprentissage. […] L’apprenant n’est plus seulement enseigné, passif, mais participe à son apprentissage 4 ». Un autre argument plaide en faveur de l’utilisation des TICE dans la classe de FLE, celui de l’interdisciplinarité5 qu’impliquent ces outils. L’informatique et le multimédia (à la fois science et technique) sont au confluent de la technologie et de la didactique du FLE. Afin de se situer dans une démarche de prospective, cet article va essayer de montrer de quelle manière les TICE vont induire un renouvellement à la fois de la didactique des

langues et de la pédagogie : Le multimédia en ligne autorise, par l’intermédiaire d’Internet, un contact direct avec la langue-cible la plus authentique qui soit, l’apprenant pouvant échanger avec des locuteurs français natifs. Les TICE font entrer l’intégralité du monde extérieur dans l’espace de la classe. Elles enrichissent ainsi l’univers de référence des apprenants et favorisent ainsi le dialogue interculturel. Les TICE sont implicantes pour les apprenants car elles leurs offrent la possibilité de fixer à la fois les objectifs de leur apprentissage et d’en déterminer le rythme et la progression. L’étude en classe de séquences filmiques s’avère judicieuse et motivante pour des apprenants qui vivent dans une société où l’image est prépondérante. Le choix des films (plus ou moins récents) est effectué en fonction du profil des apprenants, de leurs besoins et objectifs. L’analyse d’extraits de films exploite la multimodalité (son et image, transcription des dialogues) du multimédia puisqu’elle peut faire travailler toutes les compétences. Avec les TICE, la didactique du FLE peut mettre à profit de nouveaux dispositifs techniques intégrables au processus d’apprentissage : des outils d’échange (mails, forums de discussion, listes de diffusion, blogs, etc.) ; des outils d’information (bibliothèques et encyclopédies en ligne, « Foire Aux Questions », etc.) ; des outils de création de savoir (espace de travail commun ou Environnement Numérique de Travail (ENT), Bureau Virtuel, Tableau Interactif, etc.). Au terme de cette première section, il apparaît que les technologies réunies sous le sigle générique TICE fourmillent de pistes d’exploitation. Une tendance nette se dessine, parmi tous ces outils technologiques, celle qui consiste à fournir aux apprenants les moyens d’interagir entre eux et avec des locuteurs natifs par le biais d’Internet. C’est dans cette approche qu’une perspective interactionniste s’est développée dans le domaine de la didactique du FLE et continue de s’étendre et de se ramifier dans diverses directions. 1.2. L’interaction en ligne : enjeux et objectifs Les TICE recueillent de multiples manières d’inciter les apprenants à pratiquer le plus régulièrement possible l’interaction orale en langue française, ce qui se fait, dans le contexte de la classe de langue, soit par le biais d’activités dirigées par le professeur, soit par le biais de plateformes de formation en ligne. L’interaction constitue l’actualisation fondamentale de la langue. Dans le domaine de la didactique, « l’accent est mis sur les liens entre interaction, acquisition et apprentissage : acquisition du langage, […] développement des conduites interactives et des conduites conversationnelles, effet des interactions sur l’acquisition du langage et l’apprentissage d’une langue, […] rôle des interactions de tutelle ou entre pairs6 ». Les TICE favorisent l’interaction en ligne, comme l’écrit Thierry Lancien dans Le multimédia : « le réseau […] peut permettre des échanges de savoirs, de connaissances, d’informations 7 ». Elles favorisent aussi et surtout la communication authentique entre des apprenants de FLE ou même entre des apprenants et des locuteurs natifs. C’est ce qu’expose François Mangenot dans un article

intitulé « Classification des apports d’Internet à l’apprentissage des langues « paru dans la revue ALSIC en décembre 1998 : « il existe de nombreux canaux permettant de pratiquer le français sur Internet. On notera tout d’abord une distinction fondamentale quant au type de discours pratiqué selon que la discussion a lieu en temps réel ou en temps différé. […] Les salons de bavardage sont le moyen le plus simple de communiquer en temps réel avec d’autres personnes des quatre coins du monde. […] En ce qui concerne la discussion en temps différé, on dispose tout d’abord du simple courrier électronique 8 ». Grâce à ces deux médias, les apprenants ont la possibilité de pratiquer la langue en contexte. Les possibilités techniques ont facilité la mise en place d’une expérimentation relative à l’apprentissage des langues en tandem par courrier électronique (sur le site eTandem à l’adresse http://tandem.uni-trier.de). Cette expérimentation pédagogique a cependant rapidement montré ses limites. De nombreux tandems n’ont fonctionné que très peu de temps car les participants n’avaient plus aucun sujet de conversation et plus d’éléments à échanger. Les enseignantsanimateurs du Réseau international eTandem ont un rôle crucial à jouer en renouvelant sans cesse le panel des thématiques abordées lors des échanges avec les apprenants. Ils peuvent également soumettre aux enseignants des conseils sur la manière de corriger les messages du partenaire (l’apprenant) du tandem. L’un des développements récents de la didactique du FLE concerne plus particulièrement l’apprentissage coopératif en ligne où l’interaction est à la fois la finalité (acquérir une compétence de communication réelle) et le vecteur pour y parvenir. C’est sur ce plan précis que l’apport des TICE est le plus pertinent : « le développement des réseaux de communication rend de plus en plus fréquente la communication et / ou la collaboration entre des apprenants géographiquement distants 9 ». En effet, la communication médiatisée par ordinateur permet un échange écrit (à distance ou non) entre deux ou plusieurs êtres humains qui travaillent sur des ordinateurs différents. Cela fait de l’ordinateur un objet autour duquel les interactions s’organisent et s’actualisent : « l’ordinateur favorise les interactions dans la classe en donnant aux apprenants des points de «référence partagée» ; […] la communication acquiert de la «réalité» hors de la classe, avec différents partenaires, des experts du domaine 10 ». L’interaction en ligne (par le biais de l’apprentissage collaboratif) permet de faire travailler les apprenants en équipe et de développer des stratégies socioaffectives. Elle met à profit « la dimension «méta» (métalinguistique, métacognitive, méta-stratégique) des interactions qui se produisent dans les environnements informatiques 11 ». Si l’approche communicative a veillé à créer des situations de communication aussi vraisemblables que possible, force est de constater que bien souvent, cette communication demeure fictive. Or les TICE permettent d’aller à l’encontre de cette tendance à la fictionnalisation de l’échange : « c’est pourtant ce que pratique déjà, d’une certaine façon, l’enseignement en ligne, au moyen de forums qui permettent à des apprenants du monde entier de sortir de leur isolement et de partager, dans la langue de la formation, leurs inquiétudes et interrogations quant aux contenus et aux processus 12 ». C’est sur le plan de l’apprentissage coopératif (ou collaboratif) que la didactique du FLE a le plus à gagner à se renouveler au contact des TICE. C’est l’ensemble du processus d’apprentissage du français en tant que langue étrangère qui s’en trouve modifié.

2. Les TICE et le processus d’acquisition-apprentissage du français en

tant que langue étrangère : véritable révolution ou illusion technologiste ? Pour beaucoup d’observateurs, à la fois théoriciens et praticiens de l’enseignement du FLE, les TICE constituent une nouvelle mythologie (au sens de Roland Barthes) tant technologique que culturelle, porteuse de tous les espoirs et de toutes les illusions d’une discipline. Pour d’autres, au contraire, il s’agit d’une avancée sans précédents dans le domaine de la didactique des langues. La question des TICE est importante et son influence sur l’apprentissage du français mérite particulièrement d’être interrogée. 2.1. Les apprenants de Français Langue Etrangère et l’utilisation des TICE : vers l’émergence de nouvelles compétences et de nouvelles stratégies Faire changer des habitudes d’apprentissage, celles par exemple de langue maternelle, ne va pas de soi. Pour réussir la transposition de ces habitudes dans la langue étrangère, on doit en passer par une nécessaire médiation qui est à la fois celle de l’enseignant et celle du support d’apprentissage retenu. Au contact des TICE, les apprenants sont confrontés à des difficultés inédites (liées à la multi-modalité des supports multimédias en ligne ou hors ligne) ainsi qu’à une autre manière, résolument différente, d’envisager la situation d’apprentissage : « l’apparition de nouveaux supports entraîne le développement d’une nouvelle conception de la relation […] apprenant/apprentissage 13 ». Face à la somme de connaissances qu’Internet recèle, l’apprenant doit apprendre à effectuer des recherches ciblées sur le réseau pour ne pas voir sa recherche annihilée. Pour qu’elle soit pleinement efficace, la recherche d’informations doit être orientée et accompagnée par une tâche, comme l’écrit François Mangenot : « on considérera qu’une tâche linguistique réellement profitable est celle qui part de données riches et authentiques, qui propose des activités d’un bon niveau cognitif (liens données/activités pertinents, situations-problème, appel à la créativité), et qui prévoit des interactions variées […] pendant et après l’exécution de la tâche 14 ». Afin d’accomplir la tâche, l’apprenant a à sa disposition une somme « de connaissances (des conceptions) et de compétences avec lesquelles il va construire des connaissances nouvelles pour résoudre des problèmes que lui pose l’environnement 15 ». Les TICE s’appuient sur une démarche constructiviste, sommant les apprenants de développer de nouvelles aptitudes en réponse aux difficultés rencontrées lors de la manipulation de ces différents outils. Leur intérêt, en termes de développement des compétences, réside dans les situations-problème qu’il engendre : « le multimédia témoigne de potentialités favorables à […] la théorie du learning by doing 16 ». L’apprenant est ainsi obligé d’agir pour apprendre ; sa démarche est actionnelle. Dans cette approche, l’apprenant améliore sa maîtrise de la langue en accomplissant des tâches. Apprendre en agissant, telle est la philosophie du multimédia pour lequel « l’accent est mis sur l’action de l’utilisateur […. ] sur la possibilité d’effectuer des choix 17 ». C’est donc à des tâches à réaliser que l’apprenant est confronté au cours de son apprentissage créaTICe. Cela l’amène à : effectuer des exercices en ligne ; interagir entre apprenants et enseignants, et avec des locuteurs natifs par le biais d’échanges synchrones (messagerie instantanée) ou asynchrones (mails) ; pratiquer l’autocorrection (en s’affranchissant de tout jugement). Les TICE, en proposant des situations d’apprentissage inédites, forcent les apprenants à utiliser de nouvelles stratégies métacognitives (les

invitant à réfléchir sur la modification du processus d’apprentissage par l’hypertexte, le multimédia et Internet), cognitives (induisant une autre manière de rechercher et de traiter l’information par l’intermédiaire de l’outil informatique), et socioaffectives (multipliant les interactions avec les autres locuteurs par le biais des différents outils de communication que recèle le réseau). Une interrogation s’impose alors : ces technologies, en modifiant le rapport des étudiants à leur propre formation, contribuent-elles à déplacer et à renouveler leurs centres d’intérêt ou peut-on au contraire leur attribuer certaines formes de découragement et de démobilisation ? 2.2. Les TICE en cours de FLE : aiguillon motivationnel ou source de désaffection pour la langue-cible ? Si les TICE contribuent à renouveler considérablement le panel d’activités que l’on peut proposer aux apprenants, elles ne sont malgré tout pas une solution miracle, elles ne constituent pas la réponse parfaite à toutes les situations problématiques rencontrées en classe de FLE. Un facteur, et non des moindres, joue également un rôle dans le bon déroulement du processus d’apprentissage : il s’agit de la motivation de l’apprenant qui conditionne, pour une grande part, les chances de succès d’un dispositif d’apprentissage du FLE. Comme l’écrit Nathalie Hirschsprung dans Apprendre et enseigner avec le multimédia : « l’un des principaux facteurs susceptibles de favoriser l’apprentissage réside dans la motivation de l’apprenant, puisque le plaisir qu’il éprouve à apprendre est conditionné par l’intérêt et la variété des activités qui lui sont proposées, par la qualité des retours qu’il reçoit, ainsi que par les encouragements qui lui sont prodigués 18 ». La motivation détermine la réussite du processus d’apprentissage et, dans un contexte multimédia, cette réussite dépend essentiellement du type de supports et d’activités proposés. L’utilisation de webcams et de micros facilite le développement de liens sociaux entre des apprenants francophones d’origines géographiques diverses. Elle est une source incontestable de motivation pour celui qui désire pratiquer une communication sociale et authentique au moyen d’une langue française en prise directe avec le monde. Si les TICE manifestent un certain nombre d’intérêts pour les apprenants, elles peuvent néanmoins présenter certains inconvénients qui sont de deux types : Inconvénient d’ordre technique : Dans les écoles de langue où ils apprennent le français, les apprenants ne disposent pas toujours d’un accès à Internet suffisamment rapide et d’un nombre suffisant de postes pour l’ensemble des effectifs. Le réseau étant par nature complexe, certains apprenants ne savent ni s’y mouvoir ni s’y orienter. Inconvénient d’ordre psychologique : Certains apprenants sont très peu ou pas du tout familiarisés avec Internet et avec les TICE, même si l’évolution de notre société et la démocratisation de l’informatique et du multimédia tend à restreindre leur nombre. Ils peuvent donc, légitimement, être effrayés par le maniement de ces différents outils. La peur d’être confrontés à des pannes et à des dysfonctionnements

auxquels ils ne sauraient pas faire face entraîne des errements stratégiques et des inhibitions psychologiques. L’intérêt des activités qui exploitent les ressources interactives, hypertextuelles et multiréférentielles réside précisément dans le positionnement de l’apprenant vis-à-vis de son propre parcours d’apprentissage. Or, comme l’écrit fort à propos Nathalie Hirschsprung « les apprenants ne retirent un véritable bénéfice des atouts offerts par le multimédia que s’ils parviennent à insérer les supports dans un parcours d’apprentissage qu’ils ont eux-mêmes défini 19 ». Il est en effet essentiel que l’apprenant ait conscience de ce que lui apportent les TICE dans le cadre de son apprentissage de la langue française pour en exploiter toute la quintessence. Il est également très important que l’apprenant ne se sente pas totalement livré à lui-même lorsqu’il utilise ces technologies éducatives. Pour ce faire, l’enseignant doit le guider et lui fournir des clés concrètes et efficaces pour lui permettre de dépasser ses inhibitions et sa méfiance naturelle vis-à-vis des TICE.

3. La didacTICE : un nouvel enjeu pour la formation des enseignants de Français Langue Etrangère ? Les TICE s’inscrivent pleinement dans les niveaux de compétences définis par le Cadre Européen Commun de Référence pour l’Enseignement des Langues (CECRL) et n’ont de véritable sens que si elles s’insèrent – de manière cohérente – dans le projet pédagogique du professeur de FLE. Elles appellent, de la part de l’enseignant une certaine disponibilité d’esprit le prédisposant à accepter de renouveler tout ou partie de sa pédagogie en fonction des possibilités offertes par les outils technologiques, d’accepter de se séparer de certaines habitudes héritées de sa culture d’enseignement et de son expérience de terrain. 3.1. Les TICE et les enseignants de Français Langue Etrangère : à utilisations contrastées, postures ambivalentes ? Si les TICE connaissent une fortune diverse en fonction des aires géographiques et des écoles de langue où sont dispensés les enseignements de FLE, cela tient pour partie aux volontés étatiques et institutionnelles des différents pays où le français est enseigné en tant que langue étrangère, et pour partie aux enseignants eux-mêmes qui décident d’utiliser les TICE avec plus ou moins d’enthousiasme, plus ou moins de méfiance ou de réticence. Il existe donc des profils d’enseignants utilisateurs des TICE complètement différents, selon le rapport personnel qu’ils entretiennent chacun avec la technologie, et selon la façon dont ils l’intègrent dans leur progression pédagogique et dans leur pratique. Ces profils d’enseignants-utilisateurs des TICE sont au nombre de trois : Les enseignants-utilisateurs des TICE qui adhérent totalement à la richesse des outils technologico-éducatifs. Comme l’écrit François Mangenot dans « L’intégration pédagogique et institutionnelle des TIC », chapitre figurant dans l’ouvrage Psychologie des apprentissages et multimédia, « il s’agit d’enseignants qui intègrent les TICE à leur pratique 20 ». Les enseignants en question insèrent souvent, dans leur progression pédagogique, des activités sur supports multimédias. C’est devenu pour eux, non pas un effort, mais un réflexe. Cette catégorie d’enseignants est de nos jours (compte tenu de l’évolution de notre société qui a démocratisé l’informatique et

le multimédia) quasiment majoritaire. Une seconde catégorie existe, non moins intéressante, celle des enseignants de Français Langue Etrangère qui manifestent vis-à-vis des TICE un intérêt mitigé, une attention fluctuante. On peut alors définir cela comme une attitude d’adhésion séparée : « il s’agit d’enseignants qui utilisent éventuellement les outils technologiques 21 ». Pour ces enseignants, les TICE sont un outil comme un autre, au même titre que les méthodes, les précis de grammaire et de phonétique. Il n’y a donc pas pour eux de sacralisation de l’outil technologique mais une prise en compte, ponctuelle, de ses qualités et de ses atouts pédagogiques. Cela concerne une petite partie de la population des enseignants de FLE. La troisième et dernière catégorie d’enseignants demeure dans l’expectative quant à l’utilisation des TICE en classe de langue. Ils n’ont pas d’avis tranché, manifestent vis-à-vis des dispositifs technologiques appliqués à l’enseignement des réserves et s’interrogent sur le bien-fondé du recours en classe à de tels outils. Leur attitude peut être qualifiée d’ambivalente : « il s’agit d’enseignants qui s’interrogent et considèrent que les conditions ne sont pas réunies pour que les technologies puissent apporter une contribution efficace à l’enseignement ». Ces enseignants (assez peu nombreux, en définitive) ne rejettent pas en bloc les TICE, ils leur reconnaissent même de nombreuses qualités mais ne sont pas certains d’avoir les moyens, au quotidien, de les utiliser à bon escient. Les enseignants de cette catégorie pensent que l’Institution n’a pas su mettre en place la politique adéquate pour intégrer l’outil informatique aux activités de classe en FLE. Force est de constater que, si les TICE sont utilisées souvent et dans divers lieux, leur emploi pèche néanmoins par une absence de vision commune de leur utilité et de leur utilisation, et par une mauvaise connaissance de leurs fonctionnalités et de leurs potentialités de la part des enseignants. 22

Au terme de cette section, il apparaît qu’il y a autant de catégories d’utilisateurs des TICE qu’il y a d’enseignants de FLE et même autant de profils d’enseignants de FLE (aussi riches et diversifiés soient-ils) que d’outils technologiques adaptés à la classe de langue. Ces outils impliquent que les enseignants qui y ont recours mobilisent d’autres compétences que celles qu’ils utilisent lors d’un enseignement en présentiel (avec une méthode et des documents authentiques sur support papier). Les ouTICEs (si nous pouvons risquer le néologisme) contribuent à repenser le statut d’enseignant de FLE et sur son rôle au sein de la classe. 3.2. Des TICE à la redéfinition du rôle de l’enseignant de Français Langue Etrangère Comme l’écrit Nathalie Hirschsprung « le rôle de l’enseignant se trouve donc modifié par rapport à celui qu’il tient dans la classe en présentiel 23 ». Le rôle de l’enseignant change parce que la manière d’aborder le cours de FLE et parce que les outTICEs qui lui servent à élaborer son cours sont, sinon révolutionnaires, du moins innovants. Ce questionnement est éclairant et ses ramifications sont profondes parce qu’elles considèrent jusqu’à la formation continue des enseignants de FLE et même jusqu’à la formation initiale de ceux qui se destinent à exercer cette profession. En effet le rôle de l’enseignant de FLE est complètement redéfini par l’introduction des TICE au point qu’on est en droit de se demander ce qui a changé par rapport à un enseignement présentiel plus traditionnel.

Quels sont donc les évolutions les plus significatives du rôle de l’enseignant de FLE ? L’enseignant n’est plus le référent en matière de culture et de langue. Il devient un guide accompagnant l’apprentissage. L’enseignant est un médiateur qui fait entrer l’apprenant en contact avec la langue et la culture cibles, mais il n’en a pas une connaissance absolue. Il n’est pas détenteur de toute la culture universelle (contrairement à Internet qui permet d’y avoir accès). L’enseignant est un auxiliaire de l’apprentissage, un appui pour les apprenants. Il modère les activités collectives, mais ne les dirige pas. L’enseignant ne transmet plus des connaissances, il amène l’apprenant à acquérir des compétences en lui donnant les outils pour le faire. Il a donc pour fonction de faciliter l’apprentissage. Si le rôle de l’enseignant change avec le multimédia et les TICE, il n’est pas supprimé, bien au contraire : « l’enseignant conserve une place fondamentale et stratégique dans l’évolution des pratiques. […] C’est à lui qu’il appartient de sélectionner les outils, d’organiser les apprentissages, de s’installer dans son nouveau rôle de conseiller 24 ». En effet, en tant que spécialiste garant d’un contenu, l’enseignant créaTICE conseille et oriente l’apprenant dans son parcours et construit la progression pédagogique adéquate. L’enseignant manifeste de nouveaux savoir-faire : il doit ainsi savoir corriger des travaux en ligne, répondre à des courriers électroniques ciblés sur des points précis de langue, savoir manipuler les Environnements Numériques de Travail. L’enseignant apprend à encadrer les apprenants autrement : il doit apprendre à faire circuler la parole dans des groupes de discussion, encourager le travail collaboratif, organiser des travaux en binômes ou en groupes plus importants (en classe et à distance), maîtriser le temps de chacune des activités et avoir une connaissance fine des attentes des apprenants ; il doit aussi proposer des activités qui favorisent la réflexion interculturelle. C’est comme l’écrit Nathalie Hirschsprung « un autre rôle que l’enseignant doit apprendre à s’approprier dans le cadre d’un dispositif intégrant des phases de travail en autonomie guidée avec des outils multimédias : c’est celui d’«administrateur» de l’apprentissage 25 ». Administrer l’apprentissage, c’est accepter de ne plus être au centre du dispositif didactique et se mettre en retrait. C’est en définitive sur ce plan précis – l’importance de l’intervention de l’enseignant au sein de la classe – que la révolution créaTICE est en réalité la plus significative. L’enseignant renonce à un modèle d’enseignement frontal (l’enseignant à son bureau qui délivre son enseignement aux apprenants en face de lui) et vertical (l’enseignant n’est plus en hauteur, sur une chaire et ne fait plus cours à ses étudiants en contrebas). Avec le multimédia, grâce aux TICE, le professeur n’occupe plus la même place dans la salle. Il n’est plus devant le tableau ou derrière son bureau, mais plutôt aux côtés de l’apprenant devant l’écran d’ordinateur pour le guider lors de la réalisation de ses tâches et de ses

activités. Cela confronte l’enseignant à la nécessité de pratiquer l’autoformation tout au long de sa carrière et de savoir mettre à profit les outils technologiques qui sont à sa disposition pour développer de nouvelles activités et repenser en profondeur la didactique spécifique (et même la didacTICe) du FLE. À ce titre particulièrement, l’introduction des TICE m’apparaît comme symptomatique d’une discipline en perpétuelle évolution, en constante recherche de nouveaux outils pour mieux enseigner (dans une perspective toujours plus actionnelle et communicationnelle) le FLE. J’aimerais terminer cet article en rappelant que les TICE n’ont d’intérêt que si elles font travailler aux étudiants les quatre compétences ciblées par le CECRL : la compréhension orale, la compréhension écrite, la production (et l’interaction orale), ainsi que la production écrite. En consultant des sites, les apprenants pratiquent les compréhensions écrite et orale (certains sites proposant des documents sonores et audiovisuels). En rédigeant des mails, en créant des exposés et des présentations au groupe-classe sous la forme de documents réalisés à l’aide du logiciel Power Point, en commentant des images sur des blogs ou des réseaux sociaux, ils produisent de l’écrit. La production orale, est favorisée grâce au logiciel Skype permettant de converser avec ses interlocuteurs au moyen d’un micro ce qui, en classe, dans un laboratoire multimédia peut s’avérer très intéressant. Les conférences téléphoniques s’avèrent, elles aussi, d’un grand intérêt pour les apprenants car elles leur font travailler la communication authentique en actes. Si les TICE continuent de fasciner didacticiens des langues et enseignants de FLE, c’est entre autres parce qu’elles offrent à l’enseignant l’avantage d’une grande flexibilité d’utilisation. Celle-ci lui permet d’adapter ses différentes activités au niveau des apprenants tout en respectant les différences de leurs rythmes de travail. Les TICE contribuent à mettre au jour une nouvelle conception de la relation enseignant/apprenant/apprentissage. Si, comme l’écrit François Mangenot, aucun chercheur sérieux « n’envisage qu’une langue étrangère puisse être apprise au seul moyen de l’ordinateur, même connecté en réseau 26 », il reste à dire que l’enseignement fait appel à l’enthousiasme communicatif qui est celui de l’enseignant passionnant (parce que passionné) et donc vecteur de motivation. Celui-ci utilise les technologies éducatives et donne envie à ses apprenants de les exploiter, parce qu’il fait, chaque jour, preuve d’une « créaTICité » sans bornes.

Bibliographie Atlan Janet (2000), L’utilisation des stratégies d’apprentissage d’une langue dans un environnement des TICE, ALSIC, 3, 1, 109-123. Chanier Thierry et Pothier Maguy (dirs.) (1998), Hypermédias et apprentissage des langues, ELA 110. Charlier Bernadette et Peraya Daniel (2003), Technologie et innovation en pédagogie. Dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur. Bruxelles : De Boeck. Crinon Jacques et Gautellier Christian (dirs.) (2001), Apprendre avec le multimédia et Internet. Paris : Editions Retz. Cuq Jean-Pierre (2003), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. Paris : Clé International/ASDIFLE. Desmarais Lise (1998), Les technologies et l’enseignement des langues. Montréal : Éditions Logiques. Duquette Lise et Laurier Michel (dirs.) (2000), Apprendre une langue dans un environnement multimédia. Montréal : Éditions Logiques. Legros Denis et Crinon Jacques (dir.) (2002), Psychologie des apprentissages et multimédia. Paris : Armand Colin.

Pothier Maghy (2003), Multimédias, dispositifs d’apprentissage et acquisition des langues. Paris : Editions Ophrys.

Interagir et (dé) motiver ? Cas d’étudiants adultes dans une formation à distance et en ligne Sylviane BACHY CRIPEDIS/CEDILL/IPM Université catholique de Louvain et Laure DI MATTEO Université de Genève

Introduction Dans la société dans laquelle nous vivons, les technologies sont omniprésentes et ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, touchant depuis quelques années la formation à distance qui se transforme progressivement en formation en ligne. L’eformation semble répondre aux contraintes de temps, de lieu et de moyens financiers que la formation en face à face ne peut résoudre. Cependant, bien que nous ne réfutions aucun des avantages apportés par cette nouvelle façon de se former, nous souhaitons mieux comprendre les résistances qui perdurent face à ce procédé d’apprentissage. En tant que conseiller pédagogique, nous sommes en droit de nous demander si l’utilisation des technologies pour apprendre en ligne exerce réellement une influence favorable sur la motivation des apprenants, c’est-à-dire sur leur engagement et leur persévérance. La présente recherche a comme finalité de mieux comprendre l’impact que peuvent apporter les interactions, « entre apprenants », « entre enseignant et apprenant » et « entre interface et apprenant », sur la motivation de ce dernier en situation d’e-apprentissage. Pour ce faire, nous tenterons de déterminer si les interactions sont des éléments indispensables à mettre en place dans un processus de formation à distance pour soutenir la motivation du formé. Pour atteindre cet objectif, nous organiserons la structure de notre article comme suit : 27

Dans la première partie, nous proposerons un cadre théorique présentant les différents concepts mobilisés pour cette recherche : nous commencerons par définir le terme « motivation ». Nous mettrons en évidence les différents facteurs qui influencent la motivation. Ensuite, nous définirons ce que nous entendons par interactions. Nous identifierons les différents types d’interaction rencontrés dans un apprentissage et présenterons l’importance de ces échanges, au départ de la théorie de l’apprentissage social. Dans un troisième temps, nous expliquerons comment nous pouvons relier la motivation et les interactions dans les formations en ligne. Dans la seconde partie, nous préciserons la question de recherche et nous expliquerons brièvement le recueil de données. Enfin, pour la troisième partie nous présenterons les résultats de la recherche. Nous commencerons par exposer les caractéristiques de nos échantillons. Nous décrirons ensuite

les réponses des questionnés, en présentant les résumés des données vis-à-vis des informations concernant la motivation et celles concernant les interactions. Pour clore cette partie, nous tenterons de mettre en lien nos deux variables, au sein d’une même analyse qui sera discutée.

1. Cadre théorique 1.1. La motivation 1.1.1. Définition de la motivation « (…) s’il n’y a pas de motivation, il n’y a pas d’apprentissage, mais s’il n’y a pas d’apprentissage, il ne peut y avoir de motivation non plus » (Bourgeois & Chapelle, 2006, p. 230). Pour ces auteurs comme pour Lebrun (2007) la motivation semble être un élément indispensable pour réaliser un apprentissage. D’après Viau (2007), le mot « motivation » est devenu un terme vulgarisé qui recouvre un ensemble de significations plus diverses les unes que les autres. En effet, selon cet auteur et comme nous pourrons le confirmer par la suite, suivant le domaine ou l’approche théorique du chercheur, les définitions de ce terme ainsi que les facteurs reconnus comme l’influençant sont tout aussi divers. C’est pourquoi nous avons opté pour une définition générale de la motivation, telle qu’émise par Vallerand et Thill (1993 in Viau 2007), qui nous accompagnera tout au long de cette recherche. Selon ces deux auteurs, « le concept de motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement » (p. 27). Nous justifierons le choix de définition par rapport à la possibilité pour cette dernière d’être généralisable à tous les champs d’études appliquant le concept de motivation, quel que soit le courant du chercheur. Cependant, il conviendra d’ajouter que Viau (2007) insiste sur l’importance du phénomène « dynamique » de la motivation qui n’est pas mis en évidence dans cette définition. En effet, selon ce dernier, « la motivation n’est pas envisagée comme un phénomène humain stable, mais plutôt comme un phénomène qui varie sous l’influence de plusieurs facteurs » (p.28). Vianin (2006), lui, nous permet de mettre une image sur ce concept. Selon lui, la motivation serait en quelque sorte une énergie de départ qui va permettre à l’apprenant de se mettre en route pour un apprentissage et qui lui permettra d’atteindre son objectif, peu importe les embuches qu’il rencontrera en chemin. En d’autres mots, c’est l’étincelle nécessaire au démarrage du moteur. Sans cela, rien ne bouge. De plus, en accointance avec l’enseignement ou la formation, domaines qui nous intéressent dans cette recherche, cet auteur ajoutera que ce terme sera communément employé pour légitimer une situation d’échec. En effet, selon lui, de par la complexité du phénomène ainsi que des facteurs qui l’influencent, le mot motivation sera souvent un moyen efficace pour répondre à une situation sur laquelle nous n’avons pas de pouvoir d’action. Il est facile d’en comprendre les raisons : invoquer le manque de motivation pour expliquer un échec déculpabilise, déresponsabilise et rend légitime l’absence de réaction et d’action. Comme le souligne Carré (in Vianin, 2006), « la notion de motivation est donc souvent utilisée en désespoir de cause, comme une explication finale, inévitable et rédhibitoire de l’échec » (p.30). Pour mener à bien notre recherche, nous décidons de nous limiter au concept de la motivation dans une perspective sociocognitive. La théorie sociocognitive, considère

toujours la motivation comme une dynamique, mais celle-ci, tout en étant interne à l’individu, trouve sa source dans l’environnement. Les sociocognitivistes complètent ainsi leur conception de la motivation par l’existence d’une interdépendance entre les facteurs personnels, comportementaux et environnementaux. Des chercheurs tels que Viau, Bandura, Vallerand & Thill ainsi que Not appartiennent à ce courant. Nous retiendrons pour celui-ci la définition de la motivation apportée par Not (in Vianin, 2006) : « le concept de motivation englobe les motifs conscients et les mobiles inconscients, les besoins et les pulsions d’origine biologique, les réactions affectives aux stimulations issues du milieu ou du sujet lui-même » (p.25). Nonobstant l’apport incontestable des deux autres approches théoriques (cognitive et béhavioriste). Nous axerons notre analyse sur la base de la dynamique motivationnelle telle que définie par Viau. Selon Viau (2009), le but de ces recherches est d’exprimer comment la motivation se développe chez l’apprenant et comment elle joue sur l’apprentissage. Dès lors, de par le mot « dynamique », l’auteur souhaite nous sensibiliser au caractère non figé de ce concept. Selon cet auteur, la « dynamique motivationnelle » se définit comme suit : Un phénomène qui tire sa source dans des perceptions que l’élève a de lui-même et de son environnement et qui a pour conséquence qu’il choisit de s’engager à accomplir l’activité pédagogique qu’on lui propose et de persévérer dans son accomplissement, et ce, dans le but d’apprendre (Viau, 1999, 1994 in Viau 2009, p.12).

La dynamique motivationnelle prend principalement son origine dans les perceptions qu’a un élève de l’activité pédagogique qui lui est proposée. Trois perceptions se dégagent des nombreuses recherches menées durant ces deux dernières décennies : « la perception qu’a l’élève de la valeur de cette activité pédagogique, la perception qu’il a de sa compétence à l’accomplir et la perception qu’il a du contrôle qu’il exerce sur le déroulement de celle-ci » (Viau, 2004, p.2). 1.1.2. Les trois perceptions de la dynamique motivationnelle La perception de la valeur d’une activité est une approche assez courante dans le domaine de la motivation qui s’appuie sur de nombreuses recherches dont les plus importantes viennent d’Eccles & Wigfield (1989). Par ces termes, les chercheurs expriment la conscience qu’ont les apprenants de leur capacité à réussir une tâche et de leur perception des bénéfices qu’elle peut leur apporter. Ces deux déterminants importants de la motivation poussent un individu à s’engager ou non dans une tâche. Par conséquent selon Viau, nous avons tout avantage à ce qu’un apprenant trouve que l’activité qu’il est en train de réaliser lui est utile, bénéfique et qu’elle lui procure un intérêt, un plaisir en fonction du but qu’il s’est fixé. En effet, au plus un étudiant a une perception positive de ces différents facteurs, au plus il aura une dynamique motivationnelle positive. D’après Viau (2009), à l’Université, les formés retirent plus de bénéfices – et donc plus d’utilité lorsque le professeur leur propose des scénarios pédagogiques par projet ou des études de cas. Cet intérêt s’explique par le fait que ces activités « sont plus contextualisées et plus authentiques […] elles leur proposent un contexte de travail qui ressemble à celui auquel ils seront confrontés dans l’exercice de leur future profession » (p.33). La perception de sa compétence est un concept introduit par Bandura (2003) qui concerne le sentiment ressenti par un individu concernant sa capacité à réussir ou non une tâche. Cet auteur a étudié ce concept aussi nommé Sentiment d’Efficacité Personnelle (SEP) qu’il définit selon Grégoire, Bouffard, & Cardinal (2000) comme « le jugement que porte une personne sur sa capacité d’organiser et d’utiliser les différentes activités

inhérentes à la réalisation d’une tâche à exécuter » (p.98). En d’autres termes, il s’agit de la conviction qu’une personne peut se faire concernant sa capacité à atteindre un objectif avec succès. Selon Galand & Vanlede (2004), les objectifs, les efforts et la persévérance seront d’autant plus élevés pour un individu dans une situation d’apprentissage que sa perception de compétence sera importante. Dès lors, lorsqu’un apprenant se retrouve dans une situation d’apprentissage avec un sentiment de compétence faible, celui-ci aura tendance à éviter les activités qu’il perçoit comme difficiles et aura des objectifs moins élevés. Selon Viau (2009), un élève ne pourra juger de sa compétence à accomplir une tâche qu’en étant confronté à des situations qu’il n’est pas certain de réussir. C’est pourquoi il sera intéressant de proposer des activités pédagogiques que l’apprenant n’a pas l’habitude de réaliser facilement. Cependant, il sera important de veiller à ce que l’enseignant ne demande pas à l’apprenant de réaliser des tâches trop éloignées de ce qu’il sait faire, au risque de développer chez le formé un sentiment d’incapacité à rencontrer les attentes de l’enseignant. La perception de la contrôlabilité est l’ultime des trois perceptions qui agit sur la dynamique motivationnelle. Selon Viau (2009), plus l’élève se sentira capable d’une sorte d’autonomie face à ses apprentissages, plus il se sentira investi dans la tâche qu’il effectue. Par conséquent, un apprenant engagé dans un processus de formation le sera d’autant plus selon la possibilité que l’enseignant lui laisse pour faire des choix. Selon Wigfield et Wentzel (2007 in Viau, 2009), la définition de la perception de contrôlabilité chez les élèves consiste en leur croyance « qu’ils sont en charge et ont une autonomie sur au moins certains aspects de leur apprentissage » (p.44). Ainsi, plus l’apprenant aura l’impression d’avoir la possibilité de donner son avis sur la manière dont se déroule une activité pédagogique, plus la perception de contrôlabilité augmentera. Les trois sources que nous venons de développer ci-dessus devraient, d’après les divers auteurs consultés, permettre à l’apprenant de manifester ou non un certain degré d’engagement face à la situation qui lui est proposée, avec une certaine persévérance, qui vont ou non le conduire vers un apprentissage. L’engagement cognitif désigne selon Lebrun (2007) « les notions d’attention et de concentration et se définit comme l’utilisation par l’élève de stratégies d’apprentissage et d’autorégulation utilisées en cours d’apprentissage » (p.103). Selon cet auteur, il faut entendre ici par stratégies d’apprentissage et d’autorégulation, les moyens utilisés volontairement par les apprenants pour mener avec succès une activité pédagogique. La persévérance représente la deuxième manifestation de la dynamique de Viau et est, selon cet auteur, directement liée à la notion de temporalité. Par persévérance, nous devons donc entendre patience et longanimité pour réussir un apprentissage. En effet, dans ce modèle et selon Viau (2009), plus un élève acceptera d’accorder le temps qu’il considère comme indispensable pour conduire à bien son activité d’apprentissage, plus il aura une persévérance importante et plus il se rapprochera de la réussite. Ainsi, « la persévérance est un signe précurseur de la réussite » (p.63). Selon Pintrich et De Groot (1990 in Viau, 2009), « l’apprentissage est donc la manifestation finale de la dynamique motivationnelle, car un élève motivé persévérera et s’engagera plus dans une activité pédagogique qu’un élève non-motivé, et son apprentissage n’en sera que meilleur » (p.63). Pour terminer cette première approche théorique, nous reconnaissons des limites claires au modèle de la dynamique motivationnelle, reconnue par Viau, lui-même. Le modèle est

micro-contextualisé, il ne tient pas compte de facteurs émotionnels et de facteurs externes à l’exception des activités pédagogiques. Il ne tient pas non plus compte de l’importance des interactions pour soutenir la persévérance. C’est pourquoi, dans la partie qui suit, nous définirons et expliquerons les différents types d’interaction observables. 1.2. Les interactions Comme nous venons de l’exposer, la conception de motivation présentée par Viau ne met pas assez l’accent sur l’importance du contexte social et des relations avec autrui. Or, l’apprentissage n’est pas uniquement un processus cognitif, c’est également un processus social. Pour les sociocognitivistes, un apprentissage est considéré comme un phénomène social, car l’apprentissage se fait avec et sous l’influence d’autrui. Galand & Bourgeois (2006) appuient cette idée en affirmant que « les modalités des interactions sociales qui se déroulent au sein d’un groupe-classe constituent un facteur contextuel majeur influant sur la motivation » (p110). De plus, plusieurs recherches mettent en évidence le rôle primordial que jouent les interactions sur la qualité et l’engagement d’un apprenant impliqué dans un processus de formation. Selon Poellhuber (2007), de nombreuses recherches liées au domaine de l’éducation et de la formation à distance insistent sur l’importance des facteurs comme les interactions. En effet, ces dernières sembleraient être, sous certaines conditions, le remède contre l’une des causes d’abandon les plus fréquemment mentionnées par de nombreux chercheurs qu’est le sentiment d’isolement ressenti par les apprenants. 1.2.1. Définition des interactions Selon Wagner (1994 in Sutton, 1999), les interactions sont des évènements réciproques qui requièrent au minimum deux objets et deux actions et qui ont lieu lorsque ces objets et évènements s’influencent mutuellement. Selon cet auteur, dans le domaine de l’éducation, une interaction est un évènement qui a lieu entre un apprenant et son environnement. Son objectif est de changer le comportement de l’apprenant en vue de le conduire vers le but éducatif visé. Les interactions dans l’enseignement ont deux buts : changer les apprenants et les amener vers la réalisation de leurs buts d’apprentissage. 1.2.2. Types d’interaction D’après Moore (2003), il y aurait trois types d’interaction dans un processus de formation à distance : « les interactions entre apprenant et contenu », « les interactions entre apprenant et professeur/tuteur » et « les interactions entre les divers apprenants ». Cependant, selon Sutton (1999), un quatrième type d’interaction propre à l’enseignement à distance est à ajouter aux trois autres types d’interactions définis par Moore. Il s’agit des « interactions entre apprenant et interface » introduit par Hillman, Willis et Gunawardena (1994). Selon Moore (2003), le premier type d’interaction comporte les interactions unidirectionnelles entre l’apprenant et le contenu. Il s’agit d’une communication unidirectionnelle dans le sens où elle part d’un professeur sous forme de textes, de vidéos, etc. vers un sujet sans aucun autre échange en retour. Aucune autre expertise n’est fournie et l’apprentissage est fortement géré par l’apprenant. Le deuxième type d’interaction, selon Moore (1989 in Poellhuber, 2007), concerne les interactions entre apprenant et enseignant. Ce dernier est perçu comme un expert qui

stimule ou maintient la motivation de l’étudiant, en lui offrant des matériaux et un accompagnement qui lui permettront de l’aider à gérer son apprentissage et sa motivation. Ce type d’interaction est non indispensable, mais considéré par l’auteur et de nombreux chercheurs comme hautement souhaitable. Le troisième type d’interaction (apprenant/apprenant) n’a que très récemment été pris en considération dans les recherches en éducation. Il semblerait, selon Sutton (1999), que ce type d’interaction ne fut étudié qu’en même temps que le développement de la technologie de l’enseignement à distance. Moore (1989 in Poellhuber, 2007) confirmera les propos sus-cités et ajoutera même que ce type d’interaction entre apprenants sans la présence ni l’intervention d’un enseignant/tuteur est nécessaire pour maintenir et stimuler la motivation de ceux-ci. Cependant, il semblerait que ce type d’échange soit « moins important pour les adultes et les apprenants avancés qui ont tendance à se motiver euxmêmes » (p 80). Enfin, le quatrième type d’interaction se situe entre l’apprenant et la technologie (Hillman, Willis et Gunawardena 1994 in Sutton, 1999). En effet, pour mener à bien leur formation, les étudiants sont contraints d’utiliser la technologie à bon escient pour interagir tant avec le contenu qu’avec l’enseignant/tuteur ou avec les autres élèves. Ainsi, « la maîtrise de l’environnement technologique devient une condition essentielle au bon déroulement du processus de formation, tant pour les apprenants que pour les tuteurs » (Lee, 2002 in Poellhuber, 2007 : p.80). Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes particulièrement intéressées aux implications des interactions apprenant/apprenants, apprenant/formateur et apprenant/interface sur la motivation. 1.3. eLearning, motivation et interaction Selon Sidir (2008), après avoir longtemps négligé la place des interactions dans l’elearning, les abandons répétés de cette méthode de formation ont engendré un nombre considérable de recherches. D’après cet auteur et de nombreux chercheurs, les interactions ont été épinglées comme facteur essentiel pour un individu, tant sur le plan socio-affectif que sur le plan sociocognitif. Selon un second article du même auteur (2004), nous pouvons découvrir les conséquences positives que peuvent apporter les interactions. Celles-ci seraient de l’ordre de la performance, de la satisfaction ainsi que de la motivation et du bien-être des étudiants. Ceci nous permet de faire le lien avec ce que nous avons développé dans notre partie théorique : les interactions auraient donc bien un impact sur la motivation. Chouinard, Dridi, & Garon (2003) préciseront les propos de Sidir (2004, 2008) en attribuant les taux élevés d’échec et d’abandon « à l’éloignement social que vit l’étudiant dans le contexte de formation à distance » (p.179). En effet, ces auteurs l’expliquent par l’absence de pressions sociales. Selon ces chercheurs, la pression sociale venant des enseignants ou d’autres étudiants étant moindre dans ce type de formation, diminuerait l’engagement et la persévérance des formés. Par conséquent, prévoir des rencontres « physiques » entre les étudiants serait un bon remède pour pallier cette difficulté - « prévoir des rencontres physiques entre tous les participants afin de favoriser le développement d’un sentiment d’appartenance et maintenir la pression sociale » (p180). D’autres auteurs, tels que Lewandowski (2003), Henri & Ludgren-Cayrol (2003), Deaudelin & Nault (2003) conseillent également de favoriser les interactions entre les

apprenants. Celles-ci pourront aider ces derniers à créer un esprit de groupe qui sera source de stimulation et de motivation. Selon O’Regan (2003 in Blanchard & Frasson 2007b), il semblerait que « les activités d’apprentissage assisté par ordinateur entraineraient plus de réactions émotionnelles à caractère négatif que positif » (p.1). Ces dernières sont souvent liées au manque de motivation des apprenants (Eccles et Wigfield, 2002 in Blanchard & Frasson 2007b). Poellhuber, Chomienne & Karsenti (2008) relèveront également ce problème de motivation dans les formations en ligne, ainsi que Chouinard, Dridi & Garon (2003) dans leurs travaux sur la formation continue en ligne à l’Université. Ceux-ci insistent sur la difficulté de maintenir l’engagement et la persévérance du formé dans ce type d’apprentissage. En conséquence, les apprenants moins engagés dans leur formation pourront accumuler un retard et des échecs qui les conduiront vers l’abandon. Selon Rumble (1993 in Chouinard, Dridi & Garon 2003), les taux d’abandon sont plus importants en e-formation qu’en présentiel. Ceci nous permet de renforcer les propos concernant le taux d’abandon avancé de Depover & Marchand (2002) ainsi que de Part (2008). De plus, il semblerait que les étudiants les moins motivés ou les moins autonomes seraient les premiers à en payer les conséquences. En guise de conclusion et d’après les auteurs sur lesquels nous nous sommes appuyés, nous pourrons retenir que nombreuses sont les recherches qui ont mis en évidence l’importance primordiale des interactions et de la motivation. Ces deux derniers facteurs seraient étroitement liés à la performance et à la diminution du nombre d’abandons dans l’e-formation. Dès lors, comment ne pas remettre les questions de motivation et d’interactions au coeur des débats ? Comment comprendre que malgré l’importance des interactions, considérées comme indispensables pour la motivation et la persévérance des formés, les moyens mis à la disposition des apprenants ne soient pas plus exploités ? Sontils en adéquation avec le besoin des apprenants ? Dans le cadre de cette présente recherche, nous tenterons de mieux comprendre le ressenti des apprenants concernant l’importance qu’ils accordent aux interactions et nous tenterons d’évaluer leur degré de motivation. Ces deux facettes nous aideront à évaluer la cohérence entre les propos avancés dans notre cadre théorique et la réalité de terrain mieux perçue grâce à notre échantillon.

2. Méthodologie 2.1. Question de recherche et hypothèse Sur la base de notre approche théorique, nous nous demandons si les interactions diverses (entre étudiants, entre étudiant et enseignant et entre étudiant et interface) soutiendraient la motivation et la persévérance des étudiants engagés dans un processus de formation à distance et en ligne ? Nous pouvons formuler l’hypothèse que les interactions entre étudiants, entre étudiants et enseignant et entre étudiants et interface sont des éléments qui peuvent favoriser la motivation et la persévérance des formés en ligne et à distance et, dès lors cela diminuerait le taux d’abandon dans ce type de formation. Cette question nous semble fondamentale dans la mesure où nous conseillons et adaptons des dispositifs d’enseignement pour l’apprentissage en ligne. Faut-il solliciter

davantage et encourager les enseignants à concevoir des activités d’enseignement en ligne en intégrant des interactions sur forum, des travaux en groupe, des écritures collaboratives (wiki), pour limiter les risques d’abandon connus dans ce genre de formation ? 2.2. Recueil des données Nous avons élaboré un questionnaire électronique de 71 questions avec LimeSurvey. Il a été adressé à tous les étudiants (N=16) impliqués dans un cours du certificat en relations internationales et analyse des conflits de l’Université catholique de Louvain. Ce cours se donne entièrement à distance et en ligne via la plate-forme UCLine (Claroline). Nous avons choisi ce cours parce qu’il propose les divers types d’interaction cités préalablement : des travaux en groupe, forums et wiki pour les échanges apprenants/apprenants, des travaux, exercices et tutorat pour les relations apprenants/formateur et des outils technologiques pour les relations apprenants/interface. Le questionnaire proposait des items avec des degrés d’accord (échelle de Lickert graduée de 1 à 4) pour : - mesurer le degré de motivation (pour évaluer la perception de la valeur de l’activité (18 items), la perception de la compétence (4 items) et la perception de la contrôlabilité (6 items)), - mesurer l’encouragement, la satisfaction et l’importance des interactions à propos des trois types d’interaction : apprenant/interface (4 items), apprenant/enseignant (8 items), apprenant/apprenant (7 items).

3. Résultats et discussion 3.1. Caractéristique de l’échantillon Nous avons obtenu 13 réponses (sur 16 étudiants). Parmi eux nous relevons trois étudiants entre 20 et 29 ans, sept entre 30 et 39 ans et trois entre 40 et 49 ans. Il s’agit pour la majorité d’étudiants de sexe masculin (10 hommes, 3 femmes), de plusieurs nationalités : belge, canadienne, française, bolivienne, américaine, luxembourgeoise. Ces derniers résident en Belgique (8), Canada (2), Luxembourg (1) ou aux États Unis (2). Dans cet échantillon, nous pouvons également observer que neuf étudiants sont insérés dans un champ professionnel. Les quatre autres sont sans emploi. 3.2. Évaluation du degré de motivation et des interactions Pour évaluer le degré de motivation des apprenants et ainsi nous permettre de répondre en partie à notre premier objectif, nous avons posé plusieurs questions sur chaque composante de la dynamique motivationnelle de Viau. L’objectif de ce procédé était d’augmenter la fiabilité de nos mesures pour pouvoir déterminer le niveau de motivation général des apprenants. Nous avons donc commencé par regrouper les différents items relevant de l’évaluation de la « perception de la valeur d’une activité », de la « perception de la compétence » et de la « perception de la contrôlabilité ». Dès lors, afin de déterminer si les réponses obtenues étaient cohérentes, nous avons calculé, pour chacune de nos « sous-variables », « l’alpha de Cronbach ». En regard de nos seconds objectifs et pour évaluer l’encouragement, la satisfaction et l’importance des interactions, nous avons posé plusieurs questions sur chacun des trois

types d’interactions. Nous avons donc commencé par regrouper les différents items relevant de l’évaluation des interactions entre « apprenant et interface ». Ensuite, nous avons rassemblé ceux sur les interactions entre « apprenant et enseignant/tuteur » qui mesurent soit l’utilité, soit la satisfaction, soit la présence de régulation puis ceux entre « apprenants » qui mesurent soit la présence, soit l’intérêt, soit la satisfaction de ce type d’interactions. Ensuite, nous avons respecté le même procédé que pour la motivation. Ainsi, pour les variables mesurées par plusieurs items, nous avons déterminé l’« alpha de Cronbach », afin de pouvoir calculer la moyenne générale. En fonction du cadre théorique, nous nous attendions à trouver pour ce cours favorisant de nombreuses interactions, des liens entre la perception des apprenants sur la motivation et le niveau de satisfaction ou l’utilité des interactions. Les résultats nous ont très fortement étonnés. Au départ des résultats concernant les sources de la dynamique motivationnelle, nous découvrons que les étudiants présentent un niveau de motivation s’élevant à plus de 80 % d’accord (alpha, 0873). La conséquence positive de ce constat devrait amener les apprenants, comme explicité dans le cadre théorique vers un plus haut degré d’engagement et de persévérance. Toutefois, si nous examinons les raisons qui ont conduit les étudiants à suivre la formation, nous pouvons constater que ces derniers ont répondu au moins une fois favorablement aux items suivants : « ce certificat me donnerait accès à une promotion dans mon travail professionnel » (27 %), « ce certificat représente pour moi une possibilité d’évolution professionnelle » (81 %) ou « ce certificat représente pour moi une possibilité de réorientation professionnelle » (68 %). Par conséquent, sur la base des différents types de motivation (intrinsèque – extrinsèque) développés par Deci & Ryan (2002), nous pourrions supposer que la majorité des sondés manifesterait une motivation de type extrinsèque, c’est-à-dire une motivation alimentée par des bénéfices potentiels (promotion, évolution, réorientation) que les étudiants pourraient retirer. Concernant les interactions, grâce à un pourcentage supérieur à 90 %, il semblerait que les étudiants aient, pour la majorité, une assez bonne maîtrise des technologies. Nous pourrions donc supposer que ces derniers les utiliseraient à bon escient pour interagir, tant avec le contenu qu’avec l’enseignant, le tuteur ou avec les autres étudiants. Ces résultats sont plutôt encourageants. Cependant, si nous continuons à examiner nos résultats, nous constaterons que les résultats sondant l’encouragement, la satisfaction et l’utilité des deux autres types d’interactions sont assez étonnants. En effet, la majorité des apprenants n’estime pas les interactions entre apprenants comme utiles (40 % d’accord) et ne voit pas l’utilité des interactions apprenant/enseignant qui visent des régulations (34 % d’accord). Les formés se disent néanmoins satisfaits de ces interactions (69 % et 84 % d’accord). Interactions interface

Interactions apprenant/enseignant Favorisées par l’enseignant

% d’accord

94,23

69,23

Interactions apprenant/apprenant

satisfaction utilité régulation 84,62

65

34,62

Favorisées par l’enseignant 61,54

satisfaction utilité 69,23

40,38

α de Cronbach

, 696

-

-

,505

,914

,624

-

,868

Ces résultats étonnants nous ont amenés à croiser cette étude avec les recherches de Chouinard, Dridi & Garon (2003) qui rapportent que les adultes déjà engagés dans un travail professionnel ne considèreraient pas les interactions comme nécessaires pour la motivation, car ces derniers sont, dès le départ déjà fortement motivés par eux-mêmes. Nous confirmons cette hypothèse par une absence de corrélation entre la variable « perception de la valeur d’une activité » et « utilité des interactions ». Par contre, si nous analysons la relation entre « le contenu de la formation répond à mes attentes » et « les interactions entre l’enseignant (ou tuteur) et moi aident à maintenir ma motivation », nous pouvons remarquer que le résultat est significatif. Ainsi, l’analyse des données indique qu’il existe une relation proportionnelle faible, mais présente entre l’aide apportée par les interactions pour maintenir la motivation et le contenu de la formation (r =, 616 et p =, 033), Si nous revenons à nos questionnaires, au départ des commentaires déposés par les neuf étudiants insérés dans le champ professionnel et suivant le cours analysé, nous pouvons comptabiliser sept remarques qui mentionnent des difficultés liées aux contraintes de temps. Ces dernières mettent en évidence la complexité pour les étudiants d’allier leur vie professionnelle et les cours ou interactions. Quelques-unes sont reprises ci-après : « interactions peu importantes pour moi qui ai 44 ans, travaille depuis 20 ans et n’ai donc (malheureusement) pas de temps pour rencontrer les autres étudiants », « Vu les nombreuses opportunités de décrochage qui s’offrent aux étudiants de notre type (promotion professionnelle, changements dans la vie professionnelle ou familiale, etc.), peut-être est-il intéressant que les enseignants relancent les étudiants quand ils remarquent qu’ils décrochent, ou leur proposent des solutions de rechange compatibles avec leur nouvel emploi du temps », « Interaction et travail de groupe difficiles, car horaires différents », « Arriver à dynamiser encore davantage les interactions, même si les apprenants ne disposent pas toujours de beaucoup de temps pour cela ». Ces commentaires nous permettent donc de prendre conscience de la difficulté manifestée par certains étudiants pour tout réaliser dans la plage horaire qu’ils peuvent consacrer à leurs études. Au départ des commentaires déposés par les étudiants, nous pouvons relever que, parmi les neuf personnes au travail, quatre demanderaient plus d’interactions, que ce soit avec le professeur ou les élèves. Si nous regardons les commentaires des quatre individus « sans travail », nous pouvons remarquer que chacun a manifesté à plusieurs reprises son souhait d’augmenter le nombre d’interactions. Voici quelques-uns des commentaires déposés par les étudiants : « Plus de travaux écrits individuels, interactions sur des forums »,

« Renforcer les contacts », « Il faudrait un peu plus d’interactions », « Je n’ai pas senti de relation avec les autres étudiants. L’interaction dans les forums était artificielle. Chacun écrivait le minimum pour répondre à la consigne, mais aucune discussion n’émergeait », « La seule interaction avec l’enseignant était lors de la correction des travaux. Un court commentaire sur le travail rendu. Il est difficile de vraiment créer un lien », « Plus de modules interactifs ». Ainsi, les adultes en e-formation et insérés dans un champ professionnel auraient, malgré leur niveau élevé de motivation, besoin d’interactions, mais le fait d’en avoir trop les découragerait et les empêcherait de considérer ainsi ces dernières comme utiles. Il semblerait ainsi que les interactions ne soient pas perçues par tous les étudiants de la même manière et, qu’à ce stade, favoriser les interactions ne permettrait pas à tous les apprenants d’être plus motivés. Cette première étude va donc à l’encontre des prescrits habituels en matière de formation à distance. Il faut toutefois prendre ces premiers résultats avec la précaution qui s’impose. En effet, le modèle de Viau nous a permis dans un premier temps de dégager trois variables à analyser. Cela dit, au regard du public ciblé par notre formation, il nous semble que nous aurions dû utiliser le modèle de l’expectancy-value (Eccles & Wigfield, 1989) inspiré par Atkinson (1957). Ce modèle postule que la motivation résulte de la conjugaison de deux catégories de perception. En l’occurrence, ce sont, d’une part, les attentes de l’individu quant à sa capacité à réaliser une tâche avec succès et, d’autre part, la valeur qu’il attribue à sa réussite, qui déterminent son choix de s’engager dans l’activité, la mise en œuvre de comportements visant sa réalisation effective et la persévérance face aux difficultés éventuelles. Ce modèle semblerait mieux convenir pour expliquer les attitudes des étudiants en reprise d’études à l’université (Bourgeois, 2009) et pour mieux comprendre l’intention de persévérer et la performance des étudiants en BAC 1 (Neuville, 2009) en combinaison avec le modèle de l’intégration académique de Tinto (1997). Ensuite, nous aurions dû prévoir des paramètres pour mesurer le taux d’abandon de la formation ainsi que les raisons. Dans l’étude proposée ci-dessus, nous avons limité notre sondage dans le cadre d’un seul cours pour montrer des liens éventuels entre la motivation et les interactions. L’étude des interactions s’est limitée à l’analyse des échanges entre étudiants, entre étudiants/enseignant et entre étudiants/interface. Un prolongement possible serait d’analyser les types d’échanges (régulation de l’apprentissage, information, type de rétroaction, etc.) et leurs influences sur la motivation. Enfin, le petit nombre de répondants, ne permet pas de nuancer avec certitude, les théories actuelles. Tout au plus pouvons-nous remettre en question certains prescrits et solliciter de nouvelles recherches sur cette problématique.

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Quelles motivations pour quelles interactions en ligne ? Odile DUTERQUE Alliance française de Bruxelles-Europe (AFBE)

Introduction Recourir aux technologies de l’information et de la communication pour enseigner suppose par définition de prévoir une certaine forme de communication en ligne. Même si, dans les dispositifs d’apprentissage du français langue étrangère (partiellement) à distance, l’interaction en ligne n’est pas chose nouvelle , les outils disponibles sur Internet (notamment les forums) ont permis de banaliser ces échanges médiatisés dans un contexte d’enseignement. Mais ces échanges peuvent-ils favoriser l’apprentissage, notamment en motivant les apprenants ? L’objectif de cet article est de montrer quelles sont, dans le cadre d’un cours hybride de français langue étrangère, les conditions nécessaires pour que des interactions en ligne sur forum soient une source de motivation pour l’apprenant mais aussi pour l’enseignant-tuteur, dans un contexte d’enseignement-apprentissage du FLE. 28

Dans un premier temps, je présenterai le dispositif de cours partiellement à distance de niveau A2 proposé par l’AFBE à des publics spécifiques, dispositif qui prévoit des interactions écrites en ligne. J’évoquerai ensuite le cadre théorique dans lequel s’inscrit la réflexion à l’origine de la conception de ce dispositif hybride, qui s’efforce de mettre en œuvre une perspective actionnelle. Enfin, je tâcherai de dégager les conditions de succès des interactions en ligne dans un objectif d’apprentissage.

1. Contexte du dispositif 1.1. Session de cours de français pour personnels diplomatiques et journalistes Afin que les diplomates/délégués faisant partie des groupes de travail du Conseil de l’Union européenne puissent travailler en français, des sessions de cours de français leur sont proposées par l’AFBE. Ces sessions sont financées par l’Organisation Internationale de la Francophonie, dans le cadre du « Plan pluriannuel d’action pour le français dans les Institutions européennes ». Certains des personnels diplomatiques ressortissant des États membres de l’UE, des États membres de l’OIF et des États membres du Secrétariat du Groupe des ACP peuvent bénéficier de ces cours, ainsi que les journalistes strictement accrédités auprès des Institutions européennes. Les sessions sont articulées en modules de 30 heures, sur plusieurs niveaux correspondant aux niveaux du Cadre européen commun de référence pour les langues (désormais CECRL), eux-mêmes décomposés en sousniveaux. L’objectif des cours est notamment de permettre aux diplomates de s’exprimer en français dans leur milieu professionnel et de pouvoir interagir avec leurs collègues étrangers. 1.2. Du cours présentiel à un apprentissage mixte présentiel-distantiel Les cours en présence « traditionnels » ont lieu deux fois par semaine dans les locaux de l’Alliance française à Bruxelles, à raison de 90 minutes chacun. Cette fréquence bihebdomadaire est structurellement difficile à respecter pour ce public aux nombreuses

obligations professionnelles. Parallèlement, le besoin de regroupements réguliers est souligné par ce public ainsi que par l’équipe enseignante (besoin de rendez-vous fixes pour assurer la continuité de l’apprentissage et besoin d’interaction orale pour un public qui a peu d’occasions de parler le français au quotidien, l’anglais étant généralement la langue véhiculaire). La direction de l’AFBE a donc confié à une petite équipe de conceptrices la tâche de concevoir un dispositif d’apprentissage qui permettrait de répondre à la fois aux besoins et aux disponibilités de ce public. Le dispositif créé est une formation partiellement à distance et couvre la totalité du niveau A2, soit un total de 180 heures d’apprentissage. La progression linguistique est celle du manuel utilisé pour les cours uniquement présentiels, ce qui permet un passage aisé entre les cours traditionnels et le nouveau dispositif. Le découpage en modules de 30 heures persiste, mais l’un des deux cours hebdomadaires est remplacé par des activités asynchrones à distance sur une plateforme en ligne (Moodle), représentant environ 90 minutes d’apprentissage. Chaque groupe a son propre espace sur la plateforme, et la tutrice du cours en ligne est également l’enseignante du cours en présence (ce choix est déterminant lors des interactions écrites et fera l’objet d’un développement ultérieur). 1.3. Le dispositif mixte Les activités à distance sont présentées sous forme de scénarii proches de la vie réelle de ce public, basés uniquement sur des documents authentiques sélectionnés sur des sites Internet. Ces activités doivent être réalisées dans les cinq ou six jours suivant le cours en présence (l’enseignante-tutrice choisit le délai en fonction de différents paramètres et ne tutore plus le cours en ligne après l’échéance). Dans le délai imparti, l’apprenant travaille quand et où il le souhaite, et à son rythme (le temps d’apprentissage peut donc varier). Le rythme de 3 heures hebdomadaires est ainsi préservé, mais avec une plus grande souplesse pour l’apprenant. Le cours en présence et le cours à distance sont complémentaires : le regroupement désormais hebdomadaire est consacré essentiellement aux interactions orales, à l’expression orale et à la grammaire (sensibilisation, conceptualisation et réemploi, dans une logique spiralaire). Plusieurs compétences sont travaillées en ligne : la compréhension orale et écrite de documents authentiques accessibles sur des sites Internet, l’interaction écrite grâce à des échanges tutorés sur des forums intégrés à la plateforme d’apprentissage, ainsi que l’expression écrite grâce à des devoirs, corrigés par l’enseignante-tutrice et pouvant servir de base à une tâche ultérieure en présence. L’apprenant peut également lors de ce cours en ligne parfaire ses connaissances déclaratives en grammaire grâce à des exercices auto-correctifs sélectionnés sur des sites Internet pédagogiques. Ce dispositif utilise ainsi Internet dans sa dimension d’information et de communication.

2. Cadrage théorique 2.1. Hybridation D’un point de vue ingénierique, cette description succincte permet de parler d’une « formation hybride » telle que la définit Nissen (2006, 44-45), c’est-à-dire le « résultat d’une mise à distance partielle d’une formation présentielle ». Nissen note que ce « terme

de formation hybride ou dispositif hybride semble s’imposer dans le monde francophone comme équivalent de l’anglais blended-learning ». La notion d’hybridation, qui évoque l’idée d’un croisement entre deux variétés complémentaires, permet en effet de caractériser ce dispositif qui recourt aux TICE sans renoncer à la situation plus traditionnelle du présentiel. Ni formation traditionnelle, ni formation uniquement à distance, ce dispositif articule, selon la définition de Choplin (2002, 8) citant le Collectif de Chasseneuil, différentes « situations d’apprentissage complémentaires et plurielles en termes de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines et technologiques, et de ressources » (Chopin employait alors le terme de « formation ouverte »). C’est cette pluralité et cette complémentarité qui nous semble constituer la valeur ajoutée de cette formation, la communication médiatisée sur forums constituant l’une des situations d’apprentissage prévues. 2.2. Acquisition, apprentissage, enseignement D’un point de vue didactique, la conception de ce nouveau dispositif s’inspire en partie des théories dites constructivistes de Jean Piaget et Lev Vygotski. Dans ces théories, l’apprenant est vu comme le sujet de son apprentissage : Piaget met l’accent sur les facteurs psychiques internes, Vygotski sur les facteurs sociaux externes, mais dans les deux cas, il y a construction de son savoir par le sujet, dans un va-et-vient entre le monde et lui. Dans le domaine de la didactique des langues, Defays (2003, 15) définit l’acquisition d’une langue comme la finalité de tout apprentissage, et l’apprentissage comme « tout processus personnel visant l’appropriation de nouvelles connaissances, compétences et comportements ». Il précise que ce processus peut être conscient ou non. Il souligne que l’enseignement ne se réduit pas à l’intervention d’un professeur mais peut être caractérisé notamment par la programmation de la présentation, le recours à des exercices, etc. Ces définitions apportent un éclairage didactique à la notion d’hybridation évoquée précédemment : ce dispositif hybride d’enseignement n’est pas seulement dicté par des raisons organisationnelles, il met en place différents moyens d’apprentissage qui ont pour objectif de faciliter l’apprentissage du français. 2.3. La langue : quel usage ? 2.3.1. La perspective retenue Si la langue est apprise pour être utilisée, elle doit réciproquement être utilisée pour être apprise : Defays (2003, 23) rappelle qu’une « langue ne s’apprend que si l’on s’en sert ». Ce point de vue fait l’objet désormais d’un large consensus, la question qui se pose étant celle de l’usage visé. L’équipe de conception du dispositif hybride a adopté la perspective privilégiée par le CECRL (2000, 15), de type actionnel, qui « considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches ». Rosen (2006, 23) explicite ainsi la spécificité de la perspective actionnelle : « Avec la perspective actionnelle, on prépare les apprenants en classe, par une approche fondée sur la réalisation de tâches, à pouvoir s’intégrer dans les pays d’Europe qu’ils seront amenés à fréquenter pour une durée assez longue (pour effectuer une partie de leurs études à l’étranger, pour y effectuer une partie de leur carrière, etc.) ». Nos apprenants sont dans ce dernier cas : ils effectuent une partie de leur carrière à Bruxelles et ils sont amenés, dans le cadre professionnel mais également, à des degrés divers, dans un

cadre quotidien, à devenir des « utilisateurs de la langue ». 2.3.2. Les interactions écrites dans une perspective actionnelle Rosen (2006, 31) rappelle que pour apprendre la langue, « le CECRL distingue quatre types d’activités : la réception, la production, l’interaction et la médiation » et illustre au moyen d’un tableau synthétique la répartition de ces activités communicatives. Nous retiendrons ici que les activités d’interaction écrite consistent à « correspondre (aussi par courrier électronique), échanger des messages, participer à un forum en ligne ». Ceci apporte une justification pratique à l’utilisation de l’outil forum dans le cadre du dispositif hybride. On voit ici en quoi les deux modalités de cours, présentiel et distantiel, sont complémentaires puisque par définition la participation à un forum en ligne est une activité qui ne peut pas être réalisée en présence. Mais la décision d’ouvrir des forums n’est pas justifiée par un seul souci d’ordre pratique : Mangenot et Louveau (2006, 38) soulignent, dans une approche fondée sur les tâches, « l’importance de concevoir un scénario de communication, au cas où des interactions en ligne sont prévues ». Ainsi, de même qu’en classe l’enseignant prévoit des interactions orales selon un certain schéma, de même le concepteur d’un scénario planifie les échanges écrits, qui s’inscrivent au sein d’une série d’activités cohérentes entre elles. Le forum est alors aux interactions écrites ce que la salle de classe est aux interactions orales : un espace-temps pédagogique qui permet aux apprenants de s’entraîner à utiliser la langue avec un filet. Il serait peut-être préférable de parler de « forum pédagogique » à la différence d’un « forum de discussion » sur Internet, pour mettre en évidence la différence de nature entre les échanges qui ont lieu, dans un espace plus ou moins ouvert, entre des internautes au moyen d’une langue qu’ils maîtrisent, et ceux qui ont lieu au moyen d’une langue-cible, dans un espace plus ou moins protégé, au sein d’une communauté d’apprenants, c’est-à-dire littéralement de personnes en train d’apprendre cette langue. Dans la perspective actionnelle, l’apprenant est un acteur social : le « je » utilisé lors des interactions ne peut donc pas être un « je » simulé, mais doit être un « je » authentique, celui de l’apprenant dans le groupe, ou celui de la personne qu’est cet apprenant. Selon Ellis (2003, 3), « a ‘task’ requires the participants to function primarily as ‘language users’ in the sense that they must employ the same kinds of communicative processes as those involved in the real-world activities ». C’est ce comportement de l’apprenant-utilisateur de la langue « comme dans la vie réelle » que s’efforcent de susciter les activités d’interaction proposées. On peut objecter que dans la vie réelle, les échanges authentiques se déroulent plutôt à l’oral qu’à l’écrit. Mais c’est un contrat didactique tacite qui va amener les apprenants à utiliser cet outil, de même qu’ils se plient aux consignes de l’enseignant dans une salle de classe. L’utilisation du forum a d’ailleurs plusieurs avantages dans le processus d’apprentissage : d’une part, la modalité écrite donne aux apprenants le temps de « dire » des choses qu’ils n’auraient pas pu exprimer à l’oral (ils peuvent lire tranquillement les messages déjà postés, chercher un mot dans le dictionnaire, relire et corriger leur propre message avant de l’envoyer) ; d’autre part, la formulation écrite permet de solidifier des savoirs encore instables : avoir exprimé une idée à l’écrit peut encourager un apprenant à la formuler à l’oral plus tard, dans la vie réelle.

3. Les interactions en ligne : choix pédagogiques Les modalités des interactions en ligne sont expliquées aux participants en début de session (et réexpliquées en cours de session si nécessaire) : les apprenants communiquent au sein du groupe-classe de façon asynchrone dans les 5 à 6 jours suivant le cours en présence et l’enseignant intervient à deux ou trois reprises dans ce laps de temps. Il n’intervient plus une fois le délai passé (mais peut laisser le forum ouvert pour permettre aux apprenants de continuer à le consulter ou à l’utiliser). 3.1. Les interactions prévues29 Pour que l’apprenant emploie un « je » authentique, plusieurs possibilités s’offrent au concepteur. Les didacticiens anglo-saxons utilisent la notion de « gap » : « to find the gap », que l’on pourrait traduire approximativement par « trouver la brèche », consiste à donner aux apprenants une raison d’échanger (de colmater cette brèche, de combler un manque). Il y a plusieurs sortes de « gap » communicatifs que nous listons et illustrons cidessous. 30

3.1.1. Échanger des expériences L’apprenant peut être amené à parler de lui, de son expérience (y compris de son expérience d’apprenant), ce que les didacticiens anglo-saxons nomment « experience gap31 ». Cet échange d’expériences est particulièrement adapté à des apprenants installés pour une durée assez longue dans un pays étranger : il a lieu fréquemment dans la vie réelle car il facilite l’intégration dans le pays d’accueil. L’échange d’expériences peut se faire à différents niveaux d’apprentissage : dès le début du niveau A2, il est possible par exemple d’expliquer brièvement comment on se rend au travail (si on utilise le métro, la voiture, le vélo, si on vient à pied). Cet échange a potentiellement lieu dans la vie réelle des participants (ils peuvent avoir cette discussion avec des voisins, avec des personnes rencontrées dans une réception, etc.). Échanger des expériences dans une perspective actionnelle, c’est parler de ce que l’on vit. Forum

Le français et vous

Présentez-vous rapidement sur ce forum pour les personnes qui ne vous connaissent pas. Expliquez quand, où et avec qui vous utilisez la langue française : au travail, dans les magasins, avec vos voisins, etc. Expliquez quel est votre objectif en français, à la fin de cette session de 30 heures et dites quelles sont vos stratégies pour apprendre le français. Lisez les messages de tout le monde, répondez, faites des commentaires. N.B. Ce forum fait partie du premier cours en ligne d’une session donnée.

3.1.2. Échanger des opinions L’apprenant peut être amené à donner son opinion, ce que les didacticiens anglo-saxons nomment « opinion gap32 ». Donner son opinion est une activité-phare (à l’oral comme à l’écrit) des approches communicatives, encore très utilisée aussi bien en milieu scolaire et universitaire que dans la formation pour adultes. Dans une perspective actionnelle, il est essentiel de veiller à la plausibilité des débats : on peut par exemple imaginer un débat concernant le dimanche sans vélo à Bruxelles, ou bien un débat sur le nucléaire, thème

d’actualité, car le « je » authentique peut alors s’exprimer. En revanche, un débat sur la peine de mort par exemple, sans rapport direct ni avec la vie quotidienne des apprenants, ni avec un fait d’actualité, risque d’enlever à la discussion une partie de sa dimension authentique. Lorsqu’il formule la consigne du forum, le concepteur doit pouvoir répondre par l’affirmative à la question : est-ce que tout le monde a potentiellement une opinion sur cette thématique ? Forum

Que pensez-vous de ce reportage ?

Est-ce que vous étiez au courant de cette information ? Comment a-t-elle été traitée par les chaînes de télé de votre pays ? Est-ce que le reportage était intéressant ? Est-ce que vous êtes d’accord avec toutes les informations du reportage ? Ou bien avez-vous lu des infos différentes sur ce sujet ? Est-ce que vous voudriez des informations supplémentaires ? N.B. Ce forum s’inscrit dans un scénario pédagogique au cours duquel l’apprenant, dans un premier temps, visualise sur Internet un reportage d’actualité et répond à des questions de compréhension orale.

3.1.3. Échanger des connaissances L’apprenant peut être amené à fournir des informations sur le monde que ne connaissent pas forcément les autres participants du cours, ce que les didacticiens anglo-saxons nomment « knowledge gap33 ». Échanger des connaissances, c’est parler de ce que l’on sait en général (le fonctionnement des élections dans son pays d’origine, les destinations touristiques intéressantes dans un pays déjà visité, etc.). Cette sorte d’échanges est d’autant plus fructueuse que les participants viennent d’horizons géographiques ou professionnels différents. Il importe que le concepteur puisse répondre à l’affirmative à la question : est-ce que les participants du cours peuvent avoir, sur une thématique susceptible de susciter un certain intérêt, des connaissances que n’ont pas forcément les autres participants ? On comprend que la « brèche » ne doit pas être trop importante : un spécialiste de questions économiques ne va pas exposer des théories complexes qui n’intéresseraient pas les autres participants : il s’agit pour le concepteur de trouver un bon équilibre. Forum

Europe-Afrique

Votre pays a-t-il laissé des traces dans l’Histoire de l’Afrique ? Aujourd’hui est-ce qu’il y a des liens entre votre pays et certains pays africains ? Échangez vos connaissances sur le forum. Lisez les textes des autres participants, posez des questions, commentez. N.B. Ce forum, proposé à un groupe d’apprenants tous originaires de pays européens, s’inscrit dans un scénario pédagogique construit autour d’une thématique géopolitique abordée dans le manuel utilisé en classe : l’Union Africaine.

3.1.4. Échanger des informations L’apprenant peut être amené à échanger avec les autres participants du cours des informations complémentaires sur un même sujet, ce que les didacticiens anglo-saxons nomment « information gap34 ». Ce type d’activité, déjà utilisé dans les approches

communicatives, parfois sous forme de jeu, garde toute sa pertinence dans une perspective actionnelle engageant le « je » authentique, puisque ces échanges d’information font partie du quotidien professionnel réel des apprenants. Échanger des informations, c’est parler de ce que l’on vient d’apprendre lors d’une recherche d’information faisant partie du processus pédagogique. Forum

Rédigez une revue de presse

Ouvrez un fil de discussion et sur le modèle de cette revue de presse, faites une revue de presse des journaux de votre pays (avec 3 ou 4 « infos »). Puis, lisez les autres revues de presse et commentez-les. N.B. Ce forum s’inscrit dans un scénario pédagogique au cours duquel les apprenants ont visualisé une revue de presse sur Internet, lu le résumé de cette revue de presse sur le même site, et répondu à des questions de compréhension orale et écrite. Ils ont également fait un exercice de vocabulaire leur permettant de repérer les verbes introducteurs utilisés dans les supports authentiques et plus généralement dans ce genre de discours.

Dans ce dernier exemple, on constate une imbrication entre échange d’information (faire la revue de presse) et d’opinion (commenter les autres revues de presse) : dans la vie réelle, les fonctions du langage sont également imbriquées, car une personne qui utilise le langage peut avoir différents motifs pour le faire. Cette question du motif est essentielle : fournir à un participant, dans le cadre d’une situation d’apprentissage, un motif pour utiliser le langage est une condition indispensable pour l’amener à utiliser ce langage comme dans la vie réelle. 3.2. Le rôle de l’enseignant La question du rôle de l’enseignant se pose en amont, avant le début du cours. Dans le dispositif hybride évoqué ici, les enseignantes en charge des cours le sont pour les deux modalités (présence-distance). A l’instar de Mangenot et Louveau (2006, 60), nous estimons « crucial que les heures en autonomie soient liées à ce qui se fait en classe ». D’un point de vue organisationnel, plutôt que d’avoir deux personnes obligées de se coordonner entre elle, il est plus simple qu’une seule personne coordonne son propre enseignement (et soit donc à la fois enseignante et tutrice). Les enseignantes concernées connaissent le public d’apprenants et sont titulaires d’une maîtrise ou d’un master FLE et/ou ont une expérience dans l’utilisation des TICE en français langue étrangère. Ces connaissances et savoir-faire préalables sont essentiels, car il est ainsi possible de consacrer la formation interne aux spécificités du nouveau dispositif : les aspects techniques (utilisation de la plateforme en ligne) et pédagogiques (articulation entre présence et distance et rôle de l’enseignant dans le cours sur la plateforme). 3.2.1. La présence de l’enseignant Dans une salle de classe, l’enseignant gère l’espace et le temps. Il est « présent ». Est-il présent sur un forum, quand, à quelle fréquence, et avec quel(s) rôle(s) ? Autant de questions qui ont été posées aux enseignantes concernées avant le lancement du nouveau dispositif hybride, lors de la formation interne. Dans ce domaine encore très nouveau en pédagogie, il a paru plus judicieux de demander leur avis aux personnes concernées plutôt que de fournir des recettes toutes faites. Dans un objectif de co-construction des compétences, la réflexion s’est ensuite poursuivie entre les enseignantes concernées, de

façon formelle (réunions) et informelle (de vive voix et sur un forum enseignant). En effet, tout comme les façons de susciter des interactions orales en classe varient en fonction des enseignants mais aussi en fonction du groupe d’un même enseignant, l’attitude enseignante adoptée sur un forum varie. La possibilité laissée aux enseignantes de réfléchir à leurs pratiques et de les adapter est essentielle pour assurer le succès de l’enseignement. L’observation des messages envoyés par les enseignantes sur les forums pédagogiques illustre la diversité des attitudes possibles : on trouve des messages plus ou moins fréquents, très courts (d’une ou deux lignes) ou plus longs (de 6 ou 7 lignes), des messages mono-thématiques ou pluri-thématiques, des messages adressés à l’ensemble du groupe, d’autres adressés à un seul ou plusieurs destinataires (directement, en utilisant « vous », ou indirectement, en utilisant la troisième personne). Le contenu des messages varie aussi : il y a des résumés, des reformulations, des relances. L’enseignante peut utiliser, ou pas, le « je » authentique. Certains des messages peuvent être des injonctions à participer si la participation est faible (mais les enseignantes disent recourir parfois au courriel – collectif ou individuel – pour rappeler aux apprenants la nécessité de participer ou bien font le choix de ne pas adresser de rappel aux apprenants). Cette liste n’est pas exhaustive. Les deux exemples ci-dessous illustrent quelques-unes de ces modalités d’intervention des enseignantes sur les forums (résumé, reformulation, question pour relancer la discussion, annonce de l’articulation au cours en présence, utilisation du « je » authentique, etc.) Exemple 1 Re : Forum : Problèmes dans mon logement Chacun d’entre vous règle les problèmes à sa manière : cela dépend de la situation. Certains ont un syndic qui s’occupe des problèmes, d’autres ont un propriétaire à proximité… ou le fils du propriétaire. D’autres enfin réparent eux-mêmes… ou aimeraient pouvoir réparer eux-mêmes. Chacun donc « se débrouille ». Une question à vous tous : lorsque vous devez contacter une entreprise, est-ce que vous faites appel à des entreprises francophones ou néerlandophones ? Nous en parlerons en classe. NB. Ce message de l’enseignante a été écrit dans un forum consacré aux problèmes éventuels rencontrés par les participants dans leur logement à Bruxelles. Il intervient à la suite de plusieurs messages postés par les participants, et de deux réponses précédentes de l’enseignante.

Exemple 2 Re : Forum : Le guide à Bruxelles, c’est vous Bonjour, moi aussi, comme M…, j’adore la « Mer du Nord » et j’y amène tous les amis qui viennent me voir à Bruxelles… même en hiver, quand il pleut et qu’il fait froid ! Ensuite, pour nous réchauffer, nous allons prendre un café chez le chocolatier Frédéric Blondael,

c’est juste en face de la bouche de métro Sainte-Catherine. On peut aussi y manger des desserts (et du chocolat évidemment). J’adore marcher le week-end, comme I…, mais plutôt dans la forêt que dans le centreville. NB. Ce message de l’enseignante a été écrit dans un forum où les participants sont amenés à parler des endroits de Bruxelles qu’ils aiment faire visiter quand des amis viennent les voir. Il intervient à la suite de quelques messages postés par les participants.

Nous pensons que la liberté pédagogique de l’enseignant est la garantie de son implication dans les interactions écrites (à la fois comme enseignant et comme participant), implication dont dépend pour partie la motivation des étudiants. 3.2.2. L’enseignant : correcteur et/ou facilitateur ? L’une des questions systématiquement posées quand on évoque l’outil forum, est celle de l’attitude à adopter vis-à-vis des erreurs linguistiques. Il est intéressant de constater que cette question ne se pose plus dans ces termes depuis longtemps dans les approches communicatives (du moins en théorie, car de nombreux enseignants dans le monde entier estiment encore qu’un bon enseignant est celui qui corrige aussitôt). Il ne viendrait pas à l’esprit d’un enseignant, après une interaction orale, de corriger toutes les erreurs faites par les étudiants pendant cette interaction orale. La pédagogie de l’erreur montre qu’il est plus pertinent de repérer ces erreurs puis de faire une remédiation ciblée à un autre moment. Pourquoi devrait-il en être autrement dans le cas d’interactions écrites ? L’observation des messages des étudiants précédant les deux messages-réponses des enseignantes ci-dessus montre que l’enseignante a reformulé certains passages en les intégrant à son discours : dans son message sur Bruxelles, l’apprenant I. avait écrit en effet : *Il me plaît beaucoup de me promener dans Bruxelles, normalement dans printemps. C’est le meilleur temps de l’année puisque dans en hiver il fait beaucoup froid ou il pleut. On repère une hésitation et des erreurs dans l’usage de la préposition avant les noms de saisons (objectif linguistique de niveau A1). L’enseignante ne corrige pas explicitement mais reformule. Libre à l’apprenant de lire – ou pas- la réponse de l’enseignante et de noter – ou pas- la proposition correcte. Si l’enseignante constate que la même erreur est refaite par le même étudiant, ou par d’autres (ce qui fut le cas), elle peut alors choisir une remédiation à l’oral en classe, ce qui permet à l’ensemble de la classe, dans une logique spiralaire et sans stigmatisation, de prendre conscience de l’erreur et de revoir la règle. Nous faisons l’hypothèse que cette méthode de correction aide plus l’apprenant dans son apprentissage que des corrections ponctuelles sur forum, et qu’elle permet d’assurer une articulation entre distance et présence, ainsi qu’entre écrit et oral. Elle peut permettre aussi, à terme, une évolution des représentations de l’apprenant concernant le rôle de l’enseignant et son propre rôle, au sein des forums et plus généralement dans son apprentissage. 3.3. Le rôle de l’apprenant dans les interactions 3.3.1. L’avis des participants Est-ce que les interactions sur forum motivent ou ennuient les apprenants ? Les

enquêtes de satisfaction anonymes sur le nouveau dispositif hybride, menées auprès d’environ 50 participants à l’issue de la première et deuxième session de trente heures de cours permettent d’apporter un élément de réponse statistique à cette question posée dans ce numéro spécial : à l’issue de la première session, 78 % trouvaient les « échanges sur les forums » bien (55 %) ou même très bien (23 %). 16 % n’appréciaient pas beaucoup ou pas du tout ces échanges (2 % n’ont pas répondu). À l’issue de la deuxième session, le nombre de personnes satisfaites a encore augmenté : 86 % trouvent les échanges sur forum bien (48 %) voire très bien (38 %). Le nombre de personnes insatisfaites a diminué, 12 % n’appréciant pas beaucoup ces échanges. Personne n’a répondu ne pas aimer du tout ces échanges. Ce résultat examiné dans l’absolu montre qu’après un temps relativement court, l’activité pédagogique consistant à interagir par écrit est non seulement acceptée mais également appréciée voire très appréciée par les apprenants. Comparés toutefois aux autres activités proposées lors du cours en ligne, les échanges sur forum ont une moins bonne image : l’activité plébiscitée par les apprenants, à l’issue des deux sessions, est celle de compréhension orale et écrite (90 %, puis 95 % de retour positif, dont plus de 60 % très positif), suivie par les exercices auto-correctifs de grammaire et l’expression écrite corrigée : pour toutes ces activités, la proportion des étudiants très satisfaits après la deuxième session est légèrement plus élevée que la proportion des étudiants simplement satisfaits, ce qui est le contraire dans le cas des échanges sur forum. Afin d’essayer de comprendre cette différence, des entretiens informels ont été menés lors des cours en présence avec certains participants : ils expliquent qu’il est plus facile pour eux de faire des exercices que de produire (ils expliquent qu’ils sont « souvent fatigués après le travail » ou qu’ils trouvent « difficile d’écrire en français »). Certains regrettent aussi le manque de correction et ont « peur de faire des erreurs et de ne pas le savoir ». Plusieurs avouent qu’ils écrivent des messages plus courts s’ils ont peu de temps (au contraire des activités de compréhension qu’ils font toujours entièrement). Mais ils estiment parallèlement que c’est nécessaire. Leurs stratégies de travail individuelles varient (comme on peut le constater en partie sur la plateforme) : certains font toutes les activités en une fois, d’autres en plusieurs fois, repoussant le moment d’écrire sur le forum, puisque c’est le plus difficile, et faisant parfois l’impasse sur cette activité. 3.3.2. Les interactions En première analyse, les enseignantes des cours hybrides constatent en effet que les apprenants ne participent pas toujours aux échanges sur forum, et que, s’ils répondent à la question de départ, ils semblent répondre rarement aux messages des autres participants. Une observation des échanges nuance cette constatation. On observe tout d’abord des différences de participation d’un apprenant à l’autre, d’un cours à l’autre, d’un groupe à l’autre et d’une session à l’autre. Plusieurs paramètres sont à l’œuvre, qu’il serait nécessaire d’étudier dans le détail pour expliquer les modalités de la participation. Quant à l’absence de réponse aux messages des autres, elle ne signifie pas désintérêt ou ennui : interrogés lors d’entretiens informels, plusieurs étudiants ont dit lire tous les messages écrits avant le leur, mais ne pas s’y attarder. Nous faisons la supposition qu’ils prennent note de façon sélective des autres interventions et ne réagissent que s’ils le jugent nécessaire. Par exemple, sur le forum d’un groupe de niveau fin A2, consacré aux radios des pays des participants, un apprenant danois confirme les informations fournies deux jours auparavant sur le même forum par une apprenante danoise et il ajoute une

information (*K. a fait une bonne description de radio publique danoise. Je peux ajouter que le chaîne qui s’appele P1 est le chaîne sans musique). De la même façon, sur le forum d’un groupe de niveau début A2 consacré aux sports pratiqués à Bruxelles, un apprenant compare son expérience à celle d’une autre participante (*Bonjour ! Comme K., sport ne pas trés bien sujet pour moi aussi. À Zagreb, je n’ai pas fait de sport. Mais, à Bruxelles, j’ai décidé jouer au badminton). Souvent, quand il s’agit de partager une expérience, les apprenants à partir du milieu du A2 commencent leur phrase par « Moi, », « Moi aussi, » « Pour moi aussi », ce qui indique implicitement qu’ils se sentent faire partie d’un groupe et ont lu tout ou partie des autres messages, autrement dit qu’ils considèrent bien l’exercice comme une interaction et non comme une simple expression monologuée. Les entretiens informels apportent une précision supplémentaire : plusieurs apprenants disent lire « très, très attentivement » les messages de l’enseignante, parce qu’ils veulent « lire une langue correcte ». Ils font ainsi une distinction entre les messages des autres participants, qu’ils lisent de façon sélective pour en saisir le sens, et ceux de l’enseignante, qu’ils lisent en outre dans un processus actif d’apprentissage. Loin d’ennuyer les apprenants, les échanges sur forum constituent donc plutôt un défi qu’ils tentent de relever chaque semaine : celui d’utiliser le français pour s’exprimer de façon authentique dans le cadre d’une situation pédagogique, avec une motivation majeure : celle d’apprendre la langue.

Bibliographie Conseil de l’Europe (2000), Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris/Strasbourg : Didier/Conseil de l’Europe. Choplin Hugues (2002), Entre innovation et formation ouverte, les « nouveaux dispositifs de formation ». Éducation permanente, 152, 7-15. Defays Jean-Marc (2003), Le français langue étrangère et seconde. Sprimont : Mardaga. Ellis Rod (2003), Task-based Language Learning and Teaching. Oxford : University Press. Mangenot François (2006), Les échanges en ligne dans l’apprentissage et la formation : cadrage et présentation. Le français dans le monde/Recherches et applications, 40, 5-13. Mangenot François, Louveau Elisabeth (2006), Internet et la classe de langue. Paris : CLE International. Nissen Elke (2006), Scénarios de communication en ligne dans des formations hybrides. Le français dans le monde/Recherches et applications, 40, 44-57. Rosen Évelyne (2006), Le point sur le Cadre européen commun de référence pour les langues. Paris : CLE International.

De l’apprenant-communiquant à l’apprenant-analyste : quand les TICe font place à l’ingénierie linguistique Jean-Luc BERGEY, Nguyen VAN TOAN, Henri PORTINE Université Bordeaux 3

Introduction Les TICe ont été d’un grand apport à la didactique des langues en la faisant passer d’un processus fondé sur le conditionnement à un processus fondé sur la communication. Mais l’évolution du présentiel nous a conduit à repenser ce fondement : les approches sont de plus en plus « cognitives ». Comment traduire cette évolution en environnements informatisés d’apprentissage humain (EIAH) ? Il ne s’agit donc pas de renoncer aux TICe mais de les englober dans des dispositifs à orientation cognitive. Cet article repose sur des réflexions et des expérimentations. Il se subdivise en trois parties. Chaque auteur a été responsable de la partie dans laquelle il est plus particulièrement spécialisé (Henri Portine pour la première, Jean-Luc Bergey pour la deuxième et Nguyen Van Toan pour la dernière).

1. Quelle conception des apprentissages linguistiques ? 1.1. TIC et web 2 Les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont marqué une grande avancée par rapport à l’enseignement assisté par ordinateur (dorénavant EAO). Les langages auteurs de l’EAO étaient fondés sur des processus questions-réponses ou exercices à trous. De ce fait, le modèle d’apprentissage sous-jacent restait le modèle du conditionnement tel qu’il a été développé dans le courant behavioriste. 1.1.1. L’évolution des TIC À la base, les TIC étaient une reformulation de la bureautique (traitement de texte, tableur-grapheur, gestion de bases de données). Le passage de bureautique à TIC n’a apporté d’abord qu’un changement de point de vue : du lieu de travail (bureautique) aux fonctionnalités (TIC). L’évolution technologique mais aussi l’évolution des méthodes de travail ont conduit à un développement des TIC qui ont assez vite englobé les PréAO (présentations assistées par ordinateur comme PowerPoint®). On pouvait dès lors communiquer ses résultats et ses stratégies sous une forme attrayante et structurée (les polémiques récentes sur les PréAO n’ont jamais visé qu’une utilisation appauvrissante de ces PréAO par simple lecture des diapositives ou slides, alors que la diapositive est là pour structurer l’exposé et que la parole complète et illustre). Puis vinrent l’internet et les sites web. Grâce au WYSIWYG (what you see is what you get), on pouvait facilement rédiger des pages web et communiquer à une plus large échelle. Ces nouveaux moyens de communication ont rencontré l’évolution de la didactique des langues qui passait d’une approche centrée sur le conditionnement par l’exercice (notamment structural) à une approche centrée sur la communication, c’est-à-dire sur la

mise en usage des éléments appris. De plus, cela a correspondu au passage de travaux sur support (disque dur, CD) aux travaux en ligne, marquant l’appartenance à une communauté d’apprenants en constitution. L’aboutissement de cette évolution allait se concrétiser dans les plates-formes de formation (Learning Management System) qui mettaient à la disposition de l’apprenant l’ensemble des TIC et la possibilité de mettre en mouvement la langue au sein d’un réseau d’apprenants apprenant ensemble (aspect collaboratif). Techniquement, les forums et les blogs ne sont que des pages web structurées sur un mode particulier et ayant une fonctionnalité spécifique. C’est le langage HTML (HyperText Markup Language ou langage de balisage hypertexte) qui en assure le fonctionnement. Mais HTML n’est qu’un langage pour l’affichage. L’apprentissage est l’articulation de deux types d’opérations : des opérations de bas niveau qui gèrent l’ordre des mots, les flexions grammaticales, etc. ; des opérations de haut niveau qui gèrent les stratégies discursives, les rapports entre les mots et leurs connotations, etc. Les TIC permettaient ainsi de réaliser des opérations de haut niveau, des exercisers complétant cet apprentissage par le recours aux opérations de bas niveau. Toutefois, les blogs et les wikis sont à la charnière des TIC et de l’ingénierie linguistique (cf. ci-dessous) : ils permettent de co-construire des représentations ou du discours (aspect constructiviste). 1.1.2. Sur le web 2 L’apprentissage a besoin de se renouveler, d’où des effets de mode mais aussi des effets d’annonce. N’entend-on pas certains proclamer, et certainement de bonne foi, qu’il faut dépasser le web 2, voire en venir au web 3 ou au web 4 ? Il ne s’agit que de déclarations intempestives et leurs auteurs seraient sans doute bien ennuyés si on leur proposait de définir précisément ce que sont les web 1 et 2. Le web 1 est tout simplement l’appellation de l’architecture des premiers sites web qui se caractérisaient par une relation « client/serveur ». Cette architecture est encore d’actualité mais une nouvelle architecture est venue la compléter. Que signifie exactement « client/serveur » ? Dans ce type d’architecture, un pôle possède l’information (le serveur) et la fournit à celui qui la demande (le client). L’architecture client/serveur correspond donc à une relation hiérarchique entre celui qui possède l’information et celui qui la sollicite. Dans les forums et les blogs, la hiérarchie n’est plus que technique. Qu’est-ce alors que le web 2 ? Le web 2 correspond à une relation transversale et non plus hiérarchique. L’information est véritablement partagée et tout partenaire est potentiellement fournisseur d’information. Bien évidemment, le passage du web 1 au web 2 ne s’est pas fait brutalement. Tout un ensemble de systèmes de gestion de l’information en backstage s’est développé grâce à des scripts appelés passerelles CGI (common gateway interface) :

Le « client » consulte la base de données (par exemple de films) via le « serveur », et propose de la compléter ; la passerelle CGI complète la base de données à partir de cette proposition (dans un protocole d’apprentissage, la base de données sera, par exemple, une base lexicale). La relation transversale — que l’on appelle point à point ou peer to peer (pair à pair, P2P) — n’est plus hiérarchique. Cela a été rendu possible par le remplacement progressif de HTML par XML (eXtensible Markup Language). Alors que HTML n’est qu’un langage d’affichage, le langage XML permet de catégoriser l’information ; par exemple, on peut définir une séquence comme descriptive ou comme argumentative et l’on peut catégoriser grammaticalement les mots (nom, verbe, etc.). De ce fait, chaque apprenant a le pouvoir de catégoriser l’information qu’il délivre et il y a égalité entre tous les acteurs. Pour une conception analogue du web 2 mais moins centrée sur la cognition, voir Ollivier & Puren

(2011). 1.2. Processus informatisés et processus cognitifs d’apprentissage Nous avons vu plus haut que l’EAO avait pour corollaire des apprentissages par conditionnement. Nous avons vu aussi que les opérations de bas niveau (nécessaires pour l’apprentissage) étaient proches du conditionnement. Toutefois, l’accent s’est déplacé et l’on se focalise aujourd’hui sur l’automatisation de connaissances (et non sur le conditionnement). Certains outils des plates-formes de formation permettent de travailler cette automatisation. La question est alors : comment articuler le processus d’automatisation et les opérations de haut niveau (tout aussi nécessaires pour l’apprentissage) qui se réalisent sous la forme d’activités discursives ? Les TIC ont favorisé ces activités discursives. Qu’entend-on par « activités discursives » ? Ce sont des opérations de haut niveau ; elles consistent en la capacité de comprendre et de s’exprimer en fonction de la situation et des concepts mobilisés. Dans les faits, ces opérations de haut niveau sont principalement présentes dans les activités de résumé et de reformulation (paraphrase et ajustements), nécessaires à l’acquisition d’une compréhension et d’une expression fluides. Les activités discursives devront mettre en œuvre ces types de pratiques. Par exemple, lorsqu’on répond rapidement à une question on doit avoir saisi le sens global de la question plutôt que chaque mot l’un après l’autre. La communication — et les TIC permettent de mettre en œuvre des actes de communication — fait fonctionner ces activités discursives. L’apparition du blended learning (dont on ne mesure pas encore tous les effets) a provoqué le passage d’une approche centrée sur la communication (et donc concernant les TIC) à une approche centrée sur la cognition. Mais comment traduire blended learning en français ? On sait que l’on trouve généralement enseignement hybride. Première remarque : on est passé d’apprentissage à enseignement ; deuxième remarque : l’hybridation évoque le croisement de deux modalités d’enseignement-apprentissage. Or ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le blended learning consiste à proposer à l’apprenant non pas une progression à suivre mais des « blocs d’activités » : certains de ces blocs n’apporteront rien à certains apprenants alors qu’ils joueront un rôle clé pour d’autres. Recourir à un blended learning, c’est donc mettre ces blocs d’activité à la disposition de « l’appareillage cognitif » des apprenants afin qu’ils puissent sélectionner ceux qui leur conviennent et les exploiter en croisant les blocs d’activités retenus (mise en cohérence). Nous appelons « apprentissage composite » ce type d’apprentissage qui manifeste les propriétés cognitives et métacognitives des apprenants ; c’est pourquoi nous avons proposé de traduire blended learning par apprentissage composite . 35

1.3. Vers l’ingénierie linguistique La notion de communication recouvre aussi bien des routines que l’élaboration de stratégies discursives. Il faut donc dépasser (en l’englobant) l’approche communicative et recourir aussi à des activités cognitives sous la forme d’activités de socialisation active et de résolution de problèmes, en l’occurrence, de problèmes linguistiques. Corriger une erreur par application d’une stratégie de remédiation élaborée (semi -) collectivement, opérer des ajustements sur un texte en fonction d’un objectif précisé au préalable, mettre en réseau (semi-) collectivement des mots au sein d’un texte, etc. relèvent de la résolution

de problèmes. Cela n’est pas nouveau mais n’est véritablement pratiqué pour l’instant qu’en présentiel. Répondre à un blog, faire une proposition pour un wiki peuvent (ou non – cela dépend des conditions et des modalités) nécessiter la résolution d’un problème dans le cadre d’une véritable socialisation de l’apprenant. Mais cela n’est qu’une amorce (à l’interface entre approche communicative et approche cognitive) et il faut aller au-delà. Les résolutions de problème prennent alors place dans des réseaux de communication. Nous appellerons ces réseaux des « réseaux socio-cognitifs », tous les réseaux de communication n’étant pas des réseaux socio-cognitifs (voir ci-dessous, la section 2). Cependant, la pratique de réseaux socio-cognitifs ne suffira pas. Il faudra aussi proposer aux apprenants de véritables enjeux de résolution de problème sous la forme d’activités métacognitives contrôlées comme opérer des choix dans la rédaction ou la correction de textes en fonction de critères prédéfinis ou organiser ses propres champs lexicaux (voir cidessous, la section 3). Nous appellerons « ingénierie linguistique » ces pratiques lorsqu’elles recourront à des dispositifs informatisés. Elles permettent de compléter les TIC pour passer d’une approche communicative à une approche constructiviste et cognitive.

2. Des réseaux « hiérarchiques » aux réseaux « socio-cognitifs » 2.1. Un premier pas : du blog au wiki À l’origine le mot « blog » désigne un ensemble de pages internet personnelles gérées par un ou plusieurs blogueurs s’exprimant librement, selon une périodicité définie, sous la forme de billets ou d’articles, informatifs ou intimistes, datés à la manière d’un journal de bord, signés et classés par ordre antéchronologique. Au sein du foisonnement d’innovations de cette dernière décennie, les blogs sont devenus des outils offrant une certaine interactivité fondée sur des échanges d’information. Lors d’une exploitation didactique, un apprenant s’y trouve le plus souvent en position de « communicant », très rarement dans celle d’« analyste ». Cette production d’un individu pour une diffusion à la communauté relève d’une conception du réseau de type hiérarchique : un producteur d’information partage celle-ci avec le plus grand nombre, offrant en retour des possibilités d’interagir mais de n’interagir qu’en réponse. 36

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Bien qu’un rôle soit dominant, il existe une variété de rôles endossés par les participants dans un blog. Cela débouche sur une hiérarchie de rôles : (co -) auteur(s) (rôle dominant), modérateur (qui veille à la bonne tenue du blog), lecteurs, commentateurs, etc. n’ont pas le même statut ni les mêmes droits de publication. Dans un cadre pédagogique, l’organisation et la gestion de ces rôles n’est pas sans difficultés. Il en résulte des exploitations pédagogiques correspondant souvent à une transposition d’activités déjà connues dans des situations « en présentiel » (un apprenant présente un texte qu’il a produit devant la classe, par exemple). Elles impliquent souvent des productions axées sur un type de commentaires consistant à des propositions de reformulation, de correction ou à des ajouts. En revanche, le wiki se présente sous la forme cumulative de contributions ce qui

annule en partie l’aspect hiérarchisé du blog (notamment l’organisation antéchronodatée). Il y a égalité dans les contributions, même si dans la chronologie peuvent s’opérer des filtrages par un gestionnaire (en l’occurrence un pédagogue) avec d’éventuelles demandes de reformulation (et on sait que les reformulations jouent un rôle actif dans les apprentissages linguistiques). Les wikis suscitent ainsi des formes évidentes de transversalité des échanges et des constructions collectives de savoirs. L’univers professionnel s’est notamment emparé de ces caractéristiques du wiki : « […] ils ont en effet été perçus comme des dispositifs offrant des potentialités non seulement pour partager mais aussi pour créer collectivement des savoirs, des enjeux particulièrement importants pour les entreprises à un moment où les démarches de Knowledge Management avaient déjà donné lieu à un certain nombre de réflexions et d’expérimentations. » (Caby-Guillet et al., 2009 : 3). On parle dans ce cas d’intelligence collective. 38

Cet espace de co-construction d’un objet, élaboré au sein d’une collectivité, fait aussi du wiki un processus d’évaluation croisée : chaque contribution comporte explicitement ou implicitement une évaluation des contributions déjà produites ; chaque individu se constitue ainsi comme membre à part entière d’une communauté. À la différence du blog, le wiki favorise donc le « observer – corriger – modifier – réajuster » pour tous ; une visibilité pour la communauté entière est postulée et reflétée par l’organisation même des dispositifs. Cependant, comme dans les travaux en petit groupes dans les classes en présentiel, tous les supposés contributeurs ne s’impliquent pas au même niveau. Il en est de même bien évidemment dans les wikis. En anglais, on appelle lurking un comportement attentiste dans un wiki. Certains (notamment Takahashi et al., 2007) ont proposé des rôles d’observateurs actifs pour améliorer la qualité des échanges dans une communauté en ligne. Un comportement attentiste peut être une marque de désintérêt ou le signe d’une réflexion approfondie et en retrait. Élucider la raison de ce comportement est délicat, d’où le qualificatif actif pour cet observateur qui de ce fait devient un élément dynamisant : il cherche à comprendre un comportement de type lurker afin de proposer une implication si nécessaire ; il essaie d’équilibrer les participations, etc. On passe ainsi du blog au wiki, mais aussi — quant aux fonctionnalités du blog — d’une relation hiérarchique à une relation transversale mais néanmoins structurée. Les réseaux restent bien sûr des réseaux de communication mais ils s’enrichissent d’une composante socio-cognitive : il y a apprentissage ensemble non seulement comme une conséquence de la communication mais aussi comme résultat d’une architecture du réseau destinée à favoriser l’activité cognitive des apprenants. 2.2. La visio-conférence La visio-conférence est longtemps restée inutilisable dans des versions « grand public » . Le développement des réseaux numériques et les progrès dans les techniques de codage permettent désormais des transmissions fluides, des réseaux stables (réseau intranet, VPN, etc.) et un outil à la portée d’associations de centres de formation. 39

Le fait de pouvoir communiquer à distance peut apporter certains bénéfices à l’apprenant : libération de la parole, entrée dans un processus de communication avec

autrui, contextualisation de sa parole. Mais on peut aussi introduire le « socio-cognitif » en s’inspirant de la correspondance scolaire de Freinet qui avait deux caractéristiques : la correspondance est préparée (elle a donc une temporalité propre et n’est pas immédiate) collectivement (elle n’est pas une communication un-à-un). En suivant ce modèle, on peut adapter la visio-conférence à des processus de formation linguistique. Ceux-ci supposent toujours une préparation des échanges et il est moins important de se voir que de partager des ressources. De ce fait, un phasage des opérations est nécessaire (on prépare l’échange) et il faut la médiation d’un objet à partager (documents, tâches, outils de recherche en vue de la résolution d’une question). Par exemple, une tâche est donnée sous la forme de la production d’un document en cinq phases par deux classes A et B reliées par visio-conférence. Première phase : chaque classe réalise le résumé d’un film authentique inconnu des apprenants, résumé imaginé à partir de documents partagés grâce à la visio-conférence, ces documents partagés étant des extraits de la documentation disponible (biographies de personnages, extraits d’interviews d’acteurs, affiches du film, photos extraites du film, etc.) forment une mini-banque de données ; ce partage de documents s’accompagne de commentaires en direct. Deuxième phase : hors connexion, chaque classe construit son résumé. Troisième phase : une fois les résumés rédigés par chaque classe, les deux classes confrontent leur travail par visioconférence pour aboutir à un résumé unique. Quatrième phase : hors connexion, chaque classe visionne le film (ce qui n’avait pas encore été fait) et élabore des commentaires. Cinquième phase : en visio-conférence, les deux classes confrontent le résumé rédigé en commun à l’histoire racontée par le film. Les séquences de visio-conférence donnent lieu dans ce cas à des opérations cognitives et langagières (négociation linguistique orale, échange d’essai de rédaction, cohérence de la rédaction, articulation textes/images, etc.). Le dispositif européen e-Twinning va en ce sens. Il fournit une base de données pour mettre en relation des classes. Il est important qu’elle soit dotée de préconisations méthodologiques fournissant des séquences pédagogiques. 2.3. La baladodiffusion La baladodiffusion correspond à un mode de diffusion qui permet aux internautes, grâce à un abonnement à un fil RSS , d’automatiser le téléchargement de contenus (audio ou vidéo) sélectionnés par l’enseignant et mis à disposition des apprenants sur un site web ou sur une plate-forme. Ces contenus seront destinés à être transférés sur un baladeur numérique pour une écoute ou un visionnement ultérieurs. Les atouts de ce mode de diffusion sont identifiés : approche de la didactique différentiée et individualisée en compréhension et production ; distanciation et dédramatisation de l’élève par rapport à sa propre production. Une partie du contrôle de l’apprentissage revient à l’apprenant luimême par le choix de la temporalité, du rythme, du nombre de répétitions des écoutes, de son jugement concernant une production aboutie à évaluer, etc. 40

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Les « mallettes iPod » sont utilisées comme des laboratoires de langues nomades, comprenant un ordinateur pour l’enseignant et une quinzaine de baladeurs audio-vidéo Apple®, elles permettent une synchronisation des documents partagés par l’enseignant. Les activités utilisant les médias supportés par ces outils servent de support pour les

travaux en autonomie et en collaboration. Dans un réseau socio-cognitif, il y a partage d’information, de stratégies d’apprentissage et de contenus (objets multimédias divers) destinés à un usage individuel et collectif. Les fonctionnalités du web 2.0 permettent aux apprenants de s’emparer de contenus, de se les approprier, de les (re) catégoriser et de les partager avec la communauté. Donnons un exemple. L’enseignant constitue une banque de données comprenant des productions authentiques orales correspondant à un usage précis dans la langue cible (par exemple, acheter un billet de cinéma), auxquelles s’ajoutent les productions des apprenants réalisées à partir de leur iPod et qu’ils déposent eux-mêmes dans la banque de données. En se connectant par la suite à cette banque de données, les apprenants recensent à l’écrit les différentes façons d’effectuer un achat de billet et ajoutent ces recensements à la banque de données à partir de laquelle l’enseignant fera un travail terminal de négociation du sens en présentiel. La classe conserve ensuite les variantes d’usage les plus efficaces. Pas à pas, la communauté d’apprentissage constitue une banque de ressources utilisable tout au long de l’apprentissage. Dans ce dispositif l’iPod est principalement utilisé dans le sens « apprenants vers l’enseignant », contrairement au sens courant d’utilisation. 2.4. Les « réseaux sociaux » comme manifestation de co-apprentissages. L’appartenance à une communauté de type réseau social développe évidemment la fonction communication, mais n’implique pas automatiquement toutes les formes souhaitables d’apprentissage. Les réseaux sociaux forment un maillage de contributions plus ou moins égales, au sein duquel un pédagogue peut organiser des phasages contrôlés de co-apprentissages. En manipulant et en reformulant de l’information destinée à une communauté, un apprenant s’inscrit dans un processus socio-cognitif qui dépasse largement le cadre de la communication. Ce processus est socialisant par l’intégration à une communauté et individualisant en permettant à l’individu de construire ses savoirs et savoir faire. Dépasser une approche seulement communicative suppose donc, d’une part, des formes d’activités cognitives liées aux aspects socialisants des outils de communication exploités jusqu’alors, et, d’autre part, l’inscription de ces mêmes activités dans une logique de réseaux transversaux rendue possible par l’apport des technologies du web 2.0. Mettre en œuvre une ingénierie linguistique au service des processus d’apprentissage permet de favoriser la participation analytique des apprenants. Dans l’approche constructiviste et donc cognitive des réseaux sociaux que nous proposons, des opérations langagières soutenues par les TICe cherchent à faire émerger ce qui pourrait constituer un apprenant– analyste.

3. Ingénierie linguistique : vers l’utilisation réfléchie de logiciels 3.1. Des problèmes à résoudre Au début des années 1980, on se demandait quel impact pouvait avoir le traitement de texte sur l’apprentissage de l’écrit. À présent, les débats concernant les outils

informatiques de manière réfléchie et pédagogique dans l’enseignement semblent avoir pris le relais de ces premières interrogations. Difficile d’ignorer aujourd’hui l’existence d’outils comme les analyseurs (morphosyntaxiques) et les correcticiels (orthographiques ou grammaticaux). Une question se pose : quels sont leurs apports et comment les intégrer dans un environnement d’apprentissage selon une approche cognitive ? Nous appelons « correcticiel » tout type de logiciel de correction de texte. Distinguons les correcticiels intégrés aux traitements de texte et les correcticiels indépendants mais intégrables à un environnement d’apprentissage. L’efficacité des premiers étant visiblement limitée et difficilement modifiable en fonction du public d’apprenants, il nous semble souhaitable dans le cadre d’une exploitation pédagogique de choisir un correcticiel indépendant comme Cordial®, Antidote®, Correcteur 101®. En fonction de l’analyse des phrases entrées comme corpus de traitement, le correcticiel détecte des fautes, propose des corrections et des explications contextualisées. Il existe d’autres outils intéressants à la disposition des apprenants comme les dictionnaires (définitions, synonymes, antonymes), les conjugueurs et les grammaires interactives en ligne (des outils comme WordNet® seraient aussi à prendre en considération). 3.2. Pour une utilisation toujours bénéfique des outils On s’aperçoit facilement que les correcticiels actuels sont encore insuffisants. Un correcteur montre rapidement ses faiblesses lorsqu’on lui demande de traiter des textes d’apprenants en français langue étrangère de niveau débutant : les structures peu lisibles ou encore les propositions grammaticalement correctes mais sémantiquement ininterprétables risquent de perturber l’outil même si la présence d’un paramétrage plurioptionnel permet d’indiquer la compétence du scripteur et le niveau d’intervention du dispositif logiciel. Jusqu’à présent, on trouve dans la littérature très peu de recherches ou d’expériences menées concernant l’introduction des correcticiels dans un environnement d’apprentissage. On peut supposer que si les résultats obtenus dans la pratique de la classe semblent contradictoires, c’est que les activités proposées, le contexte d’utilisation, les compétences visées et surtout l’approche pédagogique forment des bases essentielles faisant de cet outil une aide instructive ou non. Desmarais (1994) a montré comment l’utilisation d’un correcticiel à condition d’être véritablement intégré dans une pédagogie appropriée, peut constituer une aide efficace à l’apprentissage de l’orthographe. Comme le précisent Cordier-Gauthier et Dion (2003) : cet outil demande « de la part de l’utilisateur une présence active (choix à opérer), intelligente (négociation du sens) et instruite (connaissance de l’outil et du métalangage grammatical) ». 3.3. Utilisation des correcticiels selon l’approche constructiviste et cognitive Nous commencerons par observer l’attitude de nos apprenants quant aux correcticiels. Tout comme nous chercherions à amener ces derniers à utiliser de bons dictionnaires, pourquoi ne les amènerions-nous pas à utiliser de façon raisonnée de bons logiciels ? Les correcticiels permettent souvent d’effectuer des applications linguistiques très variées :

correction orthographique ; analyse et correction grammaticale, syntaxique ; dictionnaires des synonymes et des antonymes ; étiquetage syntaxique et grammatical ; extraction de mots-clés et de noms propres. Les premières utilisations doivent permettre aux apprenants de se familiariser avec les fonctions et les différentes possibilités d’analyse du logiciel. On les amène surtout à mettre en doute systématiquement toute proposition de correction même s’il est évident que la capacité à évaluer correctement les signalements dépend des compétences de chacun et de la maîtrise du métalangage utilisé par le logiciel. Il s’agira donc de stimuler l’esprit critique de l’élève et sa compétence analytique tout en le convaincant de ne prendre en compte les explications de l’outil et ses solutions de correction que si elles sont comprises. Le but final n’est pas tant de corriger toutes les erreurs commises par l’apprenant que de lui apprendre à se servir des outils de façon raisonnée et réfléchie. Avec les analyses faites par l’outil, on pourra ainsi demander aux apprenants de repérer certaines erreurs récurrentes et les propositions de correction (orthographique, lexicale, syntaxique, sémantique ou stylistique, etc.) du correcticiel. Il faudra ensuite leur permettre de travailler certains problèmes qu’ils se posent soit en groupes, soit en groupe-classe. On distingue deux utilisations des outils informatiques au service de l’apprentissage : l’utilisation guidée par l’enseignant et celle en autonomie des apprenants. Il s’agit donc de montrer au cours des activités avec les logiciels supports, les différentes stratégies que l’élève peut utiliser pour développer au fur et à mesure sa maîtrise de la langue. Dans cet objectif, les élèves adoptent des réflexes de vérification et se familiarisent avec le métalangage utilisé par l’outil. La prise de conscience de certaines erreurs récurrentes, l’assimilation de formes, la clarification de certains points de grammaire, le fait d’évaluer les solutions offertes par le logiciel, tous ces éléments sont très importants pour l’apprentissage. L’enseignant pourra également proposer d’autres activités visant à amener les élèves à exploiter des fonctions intégrées comme le dictionnaire de définitions, le dictionnaire de synonymes, le module d’analyse syntaxique ou encore la grammaire hypertexte. Partant, cette pratique devrait faciliter et mobiliser des processus cognitifs de haut niveau afin de développer l’autonomie des apprenants. 3.5. Travail en collaboration et apprentissage assisté par ordinateur Afin d’optimiser l’impact que peut avoir l’exploitation de ces outils informatiques sur l’apprentissage, il est bénéfique de faire travailler les élèves en groupes. Grâce à cette collaboration, les apprenants partagent des connaissances et notamment cogèrent la mobilisation et la coordination d’un certain nombre de procédures cognitives. Ce travail de négociation en vue d’un consensus, d’explications des uns aux autres, facilite l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles stratégies de résolution de problème. L’utilisation des outils informatiques doit permettre aux apprenants de développer la capacité à réaliser des opérations cognitives de haut niveau, telles que catégoriser, analyser, évaluer et ajuster. À cette étape, on doit travailler sur les représentations que les apprenants ont à la fois de l’outil informatique et du travail de révision. Cependant, il faut éviter que les élèves l’utilisent de façon inconsciente et

automatique même si l’outil est performant. Pour l’apprentissage de l’écrit en langue étrangère par exemple, l’utilisation seule du correcticiel pour corriger les erreurs orthographiques, syntaxiques, ne peut suffire. Les apprenants doivent prendre en compte la textualité et les contenus du discours, la progression et la qualité de l’argumentation. Les outils d’ingénierie linguistique peuvent donc jouer un rôle distinct de celui de l’enseignant. Il ne nous semble pas pertinent de comparer la médiation informatique d’un outil avec le travail de correction manuelle que peut faire l’enseignant sur les productions des apprenants. L’outil informatique représente une aide efficace à condition d’être intégré dans une pédagogie appropriée. Une approche qui met en avant la collaboration, le partage de connaissances et qui, sur le plan didactique, propose des activités focalisées sur les processus cognitifs de haut niveau, contribuera à faire de l’outil une aide précieuse et permettra à l’apprenant d’atteindre un niveau d’autonomie cognitive souhaitable pour un apprentissage plus efficace.

Conclusion Nous avons repris et proposé certaines évolutions qui nous conduisent à passer des TICe à un environnement informatisé complétant les TICe par l’ingénierie linguistique et s’inscrivant dans le « web 2 ». Nous retrouvons ainsi certaines déclarations faites par Piaget dans les années 1960, mais portant sur le présentiel : « Le développement des opérations intellectuelles [ici à l’œuvre dans les opérations langagières, c’est nous les auteurs qui le précisons] procède de l’action effective […] [la] coordination générale des actions comporte nécessairement une dimension sociale » (Piaget, 1969 : 99). On retrouve aussi des préoccupations énoncées, toujours en présentiel, par le mouvement du Language awareness dans les années 1980 (cf. James & Garrett, 1991) qui liait remédiation des erreurs et résolution de problème. Nous pourrions résumer notre approche en disant qu’enseigner une langue étrangère c’est amener les apprenants à réaliser des opérations cognitives et langagières dans cette langue étrangère. Pour nous, l’ingénierie linguistique est le vecteur de la réalisation de ces opérations. Les deuxième et troisième parties de cet article sont encore appelées à se développer en ce sens : d’une part, nous devons mieux articuler les composantes d’un réseau socio-cognitif ; d’autre part, si nous avons commencé à inclure la dimension « résolution de problème », il nous reste à intégrer cartes conceptuelles, ontologies et représentation des connaissances.

Bibliographie Caby-Guillet L. et al. (2009), Wiki professionnel et coopération en réseaux : Une étude exploratoire. Réseaux, 154, 195227.

Cordier-Gauthier C. & Dion C. (2003), La correction et la révision de l’écrit en français langue seconde : médiation humaine, médiation informatique. Alsic, 6, 1. 29-43. [http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/00/18/31/HTML/] consulté le 26 avril 2011 Develotte C., Guichon N. & Kern R., (2008) “Allô Berkeley ? Ici Lyon… Vous nous voyez bien ? » Étude d’un dispositif de formation en ligne synchrone franco-américain à travers les discours de ses usagers. Alsic, 11, 2, mis en ligne le 09 décembre 2008. URL : http://alsic.revues.org/index892.html. Consulté le 29 avril 2011.

Desmarais L. (1994), Proposition d’une didactique de l’orthographe ayant recours au correcteur orthographique. Québec : CIRAL - Université Laval. Ellis R. (2010), Recherche sur l’enseignement et la pédagogie des langues, Le Français

dans le monde : recherches et applications, 48, 46-65. James C. & Garrett P. (1991), Language Awareness in the Classroom. Londres : Longman. Ollivier C. & Puren L. (2011), Le web 2.0 en classe de langue. Paris : Éditions Maison des Langues. Piaget J. (1969), Psychologie et pédagogie. Paris : Gallimard. Takahashi M., Fujimoto M. & Yamasaki N. (2007), Active lurking : Enhancing the value of in-house online communities through the related practices around the online communities. MIT Sloan School of Management Working Paper, 464607.

Nouvelles technologies, nouvelles pratiques d’écriture ? Le point de vue d’étudiants universitaires en FLE(S) Vicky POIRIER, Olivier DEZUTTER, Françoise BLEYS, Rodine EID Université de Sherbrooke, Canada Haydée S

ILVA

Université Nationale Autonome du Mexique, Mexique

Yvonne CANSIGNO Université Autonome Métropolitaine, Mexique Cynthia E

ID

Université Antonine, Liban

et Audrey MATTIOLI-THONARD Université de Liège, Belgique

Introduction Le développement exponentiel des nouvelles technologies offre désormais une source inépuisable d’informations et de nouveaux modes de communication en perpétuel renouvellement. Cette révolution numérique entraîne une révolution des pratiques d’expression écrite tant en langue maternelle qu’en langue seconde ou étrangère que les institutions de formation ne peuvent plus ignorer. C’est cette nouvelle réalité que quatre équipes d’enseignants-chercheurs provenant de Belgique, du Liban, du Mexique et du Québec tentent d’explorer dans le cadre d’une recherche internationale soutenue par l’Agence Universitaire de la Francophonie. Le présent article est le fruit de la première phase de cette recherche qui s’étend sur quatre ans, de 2011 à 2015, et qui a pour objectif de mieux cerner les leviers et les obstacles liés à l’intégration des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le développement de la compétence scripturale en langue seconde ou étrangère, en contexte universitaire . À terme, cette recherche devrait permettre, d’une part, de concevoir et de mettre en œuvre des activités visant au développement de l’écriture des étudiants et, d’autre part, d’élaborer un module de formation en didactique de l’écriture médiée par ordinateur. 42

La première étape de cette recherche a consisté à recueillir, via une enquête en ligne, des données sur les façons dont les étudiants universitaires utilisent les TIC dans le cadre de leurs études et plus particulièrement dans leur processus d’écriture, que ce soit dans leur langue maternelle ou en français langue seconde ou étrangère selon le contexte d’études de ces étudiants. 43

Un peu plus de deux cents étudiants inscrits à des cours de français dans des universités du Mexique, de Belgique et du Québec ont répondu à l’enquête . Ils sont majoritairement de niveau intermédiaire (B1 à B2) et de sexe féminin (plus ou moins 70 % des répondants). Quatre étudiants sur cinq ont moins de 27 ans (69 %) et sont inscrits en premier cycle (64 %). La moitié des répondants est en contexte d’immersion (55,4 %) ; les 44

autres apprennent dans un contexte allophone. Globalement, les étudiants interrogés affirment se sentir à l’aise avec les nouvelles technologies et les exploiter davantage dans leur langue maternelle qu’en français. Ils se connectent à Internet essentiellement pour envoyer des courriels, pour rechercher des informations et pour échanger à travers les réseaux sociaux (les femmes : environ 4 sur 5, – davantage que les hommes : environ 3 sur 5). Les répondants liégeois et sherbrookois indiquent avoir peu recours aux blogs et aux forums par rapport aux répondants mexicains. Seul un étudiant sur trois déclare prendre des notes sur son ordinateur pendant les cours ; l’écriture médiée par ordinateur semble s’effectuer plutôt en dehors de la classe. Environ 60 % des étudiants utilisent les TIC pour écrire en français à leurs enseignants ou à leurs condisciples (les échanges en français avec des experts s’effectuent, quant à eux, plutôt sans l’usage des nouvelles technologies). Penchons-nous à présent sur les rôles joués par les nouvelles technologies dans la rédaction de textes longs, qui ont été définis dans le cadre de cette recherche comme des textes de plus d’une page. Nous envisagerons dans un second temps quelles fonctions d’Internet les étudiants exploitent dans les différentes phases du processus d’écriture, selon ses trois phases de planification, de mise en texte et de révision (Hayes et Flower, 1980). Enfin, nous nous pencherons plus en détails sur le type d’outils que les étudiants déclarent utiliser lorsqu’ils écrivent en français langue étrangère ou seconde.

1. Les TIC comme aide à la rédaction de textes longs en français La première partie du questionnaire portait sur l’utilisation que les étudiants font des TIC dans la rédaction de textes longs en français et visait à déterminer les pratiques et les situations d’écriture en contexte universitaire. Les étudiants indiquent que, dans leur spécialité universitaire, ils sont amenés à écrire en français essentiellement des résumés (77,6 %) mais aussi des fiches de lecture, des essais, des dissertations, un mémoire ou d’autres travaux de fin d’études (environ 46 %). Certains d’entre eux doivent également préparer des rapports de stage (29,4 %). Les étudiants du 3 cycle (qui ne représentent que 4,3 % des répondants) sont, quant à eux, confrontés à la rédaction d’une thèse de doctorat en français (20,7 %). e

Les résultats de l’enquête montrent que la majorité des étudiants (79,9 %) déclarent utiliser les nouvelles technologies pour écrire leurs travaux en dehors de la classe. Ils y ont davantage recours pour la rédaction des textes les plus longs, comme un mémoire ou un rapport de fin d’étude ou de stage, qui constituent des textes à coefficients forts en termes d’évaluation et dont le résultat a un impact important sur la réussite de leur année ou de leur programme universitaire. Pour la réalisation de ces productions écrites longues, ces étudiants indiquent effectuer des recherches d’informations en ligne presqu’aussi souvent dans leur langue maternelle (73 %) qu’en français (84 %). Notons enfin que l’enquête ne permet pas de connaître comment les étudiants exploitent les fonctions « sociales » des TIC (réseaux sociaux, messages-textes sur téléphones portables, discussions par vidéoconférences) dans le cadre de leurs études universitaires et s’ils les intègrent dans leur processus de recherche d’informations. Il ressort cependant des résultats que la langue employée dans ce type d’échanges est principalement la langue maternelle de l’étudiant.

2. Les TIC comme sources de références La seconde partie du questionnaire portait spécifiquement sur les fonctions attribuées à l’usage d’Internet comme source de références lors de chaque étape de l’écriture, à savoir la planification, la mise en texte et la révision (Hayes et Flower, 1980). Trois fonctions d’Internet ont été explorées : Internet comme source de contenus scientifiques, source d’exemples de bonne formulation en français et enfin source de conseils concernant la correction de la langue (cf. Piolat, 1999) . 45

Les répondants déclarent consulter Internet en tant que source de contenus durant toutes les étapes du processus d’écriture, avec néanmoins une nette prédominance dans l’étape de la planification et dans celle de la mise en texte. En effet, alors que quatre répondants sur cinq utilisent Internet pendant les deux premières étapes, seul un étudiant sur trois l’utilise pour la révision. Ce constat met en lumière la faible importance souvent accordée par les scripteurs à la phase de révision. La recherche d’exemples de bonne formulation sur Internet est nettement plus présente pendant la phase de mise en texte (76,6 %), mais elle apparaît aussi avec force lors de la révision (53,1 %) et de la planification (50,6 %). Puisque, selon les étapes considérées, 3 répondants sur 4 – ou au moins 1 sur 2 – déclarent utiliser ce type de recherche, on peut considérer que cette fonction d’Internet est capitale. En effet, il y a quelques décennies, il était beaucoup plus difficile d’accéder rapidement à des exemples spécifiques de bonne formulation. Dans leur processus d’écriture, les étudiants soucieux de l’adaptation de leur niveau de langue à leurs destinataires ainsi que de la correction de la langue (environ 40 % des personnes interrogées) ont plus volontiers recours à Internet qu’à leurs pairs ou à leurs enseignants pour accéder à un corpus d’exemples librement et aisément accessibles en ligne. Précisons ici que trois étudiants sur cinq estiment par ailleurs que le rôle de l’enseignant ne change pas fondamentalement dans une classe d’écriture qui intègre les TIC. Cependant, à la lecture des données récoltées, il apparaît que l’enseignant n’est plus à leurs yeux la référence principale pour les règles du français mais bien un guide dans le choix des outils numériques qui leur permettront de mieux écrire en français (65,8 %). Enfin, les réponses relatives à la fonction d’Internet comme source de conseils sur la correction de la langue mettent en évidence que les répondants associent moins cet outil à cette fonction, même si son usage n’est pas négligeable. Si près d’un étudiant sur deux utilise Internet à cette fin pendant la mise en texte (49,5 %), un sur trois seulement y a recours au cours des deux autres phases (30,9 % pour la planification et 35,9 % pour la révision). Il faut néanmoins garder à l’esprit la formulation de l’item : il y était en effet question de recherche de conseils « sur des forums ou des sites pour les apprenants de français ». On pourrait alors se demander si ce ne sont pas la nature même du forum (outil rarement utilisé par les répondants à 61,9 %) et la spécificité des sites évoqués (« pour des apprenants de français ») qui justifient les faibles pourcentages obtenus. Les résultats auraient pu être différents si nous avions intégré parmi les réponses possibles les moteurs de recherche, dictionnaires en ligne ou autres sites généralistes, autant d’outils qui ont fait l’objet d’une section spécifique de l’enquête que nous présentons dans la troisième partie de cet article.

La variabilité d’exploitations des TIC dans les différentes phases de l’écriture est possiblement liée aux différentes cultures académiques des répondants et aux orientations des formations dans lesquelles ils sont engagés. Les étudiants de certaines institutions impliquées dans cette recherche semblent peu initiés à la rédaction de textes longs et souvent confrontés à des consignes universitaires d’écriture assez floues, surtout en ce qui concerne les activités d’écriture qui sont imposées en dehors des cours de français euxmêmes, comme c’est le cas pour la rédaction de rapport de stage, d’essai ou de mémoire. Ils sont peu sensibilisés à la « norme » du discours scientifique et aux genres pratiqués à l’université. Les entretiens avec les enseignants, qui auront lieu dans la seconde phase de cette recherche, vont nous permettre de cerner les pratiques d’enseignement de l’écrit dans les différents contextes et, ultérieurement, de calibrer adéquatement les activités visant à l’amélioration des compétences scripturales des étudiants.

3. Typologies des outils dans la rédaction de textes longs en FLE(S) La dernière partie de notre enquête était composée de questions ouvertes visant à recueillir des informations sur les aides en ligne et en version papier utilisées par les étudiants pour écrire en français. 3.1. L’usage des outils informatisés Les outils informatisés d’aides à l’écriture sont multiples et peuvent provenir de plusieurs sources (forums de discussion, correcteurs, dictionnaires, etc.). Afin de classifier les outils en ligne nommés par les étudiants dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes inspirés de la typologie de Gerbault (2010) qui a regroupé les outils et les dispositifs informatisés d’aide à l’écriture en neuf catégories qui nous ont semblé particulièrement pertinentes dans le cadre de notre propre recherche : les « logiciels de bureautique et correcteurs de traitements de texte (intégrés ou non aux précédents), les traducteurs, les logiciels d’apprentissage de langue et leurs « aides », les ouvrages de référence (grammaires, dictionnaires, etc.), les concordanciers et corpus, les logiciels spécifiques d’aide à l’écriture, les dispositifs ludiques ou collaboratifs, les outils de communication, les réseaux sociaux du Web 2.0. » (Gerbault, 2010 : 44). Au-delà de cette typologie, il faut prendre en compte le fait que plusieurs sites ou plateformes intègrent plusieurs de ces catégories d’outils. C’est le cas par exemple du site Word Reference. Les outils en ligne les plus plébiscités par les étudiants interrogés sont les ouvrages de référence tels que les dictionnaires bilingues (64 %) et unilingues (30 %), les outils de traduction (34 %), les logiciels de bureautique et les correcteurs de traitements de texte (28 %). Les apprenants déclarent utiliser principalement des dictionnaires bilingues (64 %) et dans une moindre mesure les dictionnaires unilingues (30 %) comme ressources électroniques. Parmi les outils cités, nous retrouvons les sites suivants : http://www.wordreference.com/fr/, http://www.le-dictionnaire.com/, http://dictionnaire.tv5.org/, http://dictionnaire.reverso.net/, http://www.leo.org/, http://www.lexilogos.com/, http://www.pons.eu/. Si tous ces sites comprennent des dictionnaires (multilingues et unilingues), ils se caractérisent aussi par le fait que plusieurs autres ressources y cohabitent. À titre d’exemple, le site de Word Reference, de loin le plus

populaire auprès des apprenants (21 %), comprend des dictionnaires mais aussi des outils pour la conjugaison de verbes et pour la recherche de synonymes. Les internautes y trouvent par ailleurs des forums de discussion où ils peuvent échanger sur des tournures de phrases, des règles de grammaire, des expressions, etc. Il en va de même pour les espaces numériques nommés plus haut où plusieurs fonctionnalités sont souvent regroupées dans un même site afin d’offrir un maximum d’outils aux apprenants. Parmi les autres ouvrages de référence en ligne cités, nous retrouvons également le site de conjugaison Le Conjugueur (http://www.leconjugueur. com/) qui comprend lui aussi plusieurs autres fonctionnalités ; l’outil « Dictionnaire des expressions », sans qu’aucun site ne soit toutefois spécifiquement mentionné, ainsi que le « Dictionnaire des synonymes et des antonymes en français », Synonymes.com (http://synonymes.com/). Il est intéressant de noter que le moteur de recherche Google est cité par quelques étudiants parmi les aides en ligne à l’écriture (7 %), dans la mesure où celui-ci donne accès à plusieurs ouvrages de référence et permet d’avoir accès rapidement à de l’information (par exemple, la graphie d’un mot) sans avoir à consulter de sites spécifiques. Un étudiant sur trois déclare aussi utiliser des outils de traduction sur la Toile. Et parmi les outils les plus appréciés, nous retrouvons le traducteur de Google (http://translate.google.fr/) et le site de traduction Reverso (http://www.reverso.net/text_translation.aspx?lang=FR). Ces deux sites offrent la possibilité de traduire aussi bien des chaînes de mots que de petites unités de texte. Si ces outils peuvent certes donner une idée générale du contenu d’un texte écrit en langue étrangère, ils demeurent toutefois perfectibles sous de nombreux aspects, la barrière de la sémantique étant difficile à franchir (Doll et Coulombe, 2004). Les logiciels de bureautique et correcteurs de traitements de texte (intégrés ou non aux précédents), toujours selon la classification de Gerbault (2010), sont aussi déclarés comme aides à l’écriture par les apprenants dans une proportion de 28 %. Le logiciel Word (http://office.microsoft.com/fr-fr/word/) est le plus utilisé, suivi de près par le correcteur commercial Antidote (http://www.druide.com/antidote.html) et le site Bon Patron (http://bonpatron. com/). Antidote est clairement majoritaire au regard d’autres correcteurs orthographiques et grammaticaux ; cela est très certainement lié au fait que l’Université de Sherbrooke - d’où proviennent un quart des répondants – a acheté une licence d’exploitation de ce logiciel et l’a installé sur tous les postes mis à la disposition des étudiants. Très peu d’apprenants semblent s’intéresser à l’aide apportée par la dimension communicative des TIC lors de la production d’écrits longs. Le forum de discussion apparaît comme étant l’outil de communication le plus utilisé mais par une très petite minorité d’apprenants soit 3 %. Wikipédia, dans la catégorie des dispositifs collaboratifs, est cité par une seule personne (0,6 %). Les réseaux sociaux, quant à eux, ne sont déclarés par personne comme source d’aide potentielle en ligne pour écrire en français, pas plus que les logiciels d’apprentissage de langue et leurs « aides », les concordanciers et les corpus ainsi que les logiciels spécifiques d’aide à l’écriture. On peut faire l’hypothèse que les apprenants ne citent pas ces outils parmi les aides potentielles soit par méconnaissance, soit du fait que leurs enseignants ne les intègrent pas ou guère dans leurs cours et/ou ne les

encouragent pas à y avoir recours . On peut penser que ces outils ne sont pas uniquement utilisés pour la rédaction de textes longs. Mais il faut aussi et surtout prendre en compte les conditions d’accès aux trois types d’outils suivants : logiciels d’apprentissage, logiciels d’aide à l’écriture et concordanciers, qui nécessitent le recours à des licences commerciales payantes. Les outils en ligne en accès libre ou dont une licence a été acquise par l’institution (comme c’est le cas pour Antidote) sont naturellement privilégiés par les étudiants. 46

3.2. L’usage des outils « papier » 47 L’enquête comportait également une question sur les aides en version papier utilisées par les apprenants. À l’instar des aides en ligne, les dictionnaires bilingues et unilingues sont les ouvrages de référence les plus consultés par les étudiants. Les dictionnaires bilingues (66 %) les plus utilisés varient selon la langue maternelle, bien entendu, et ce sont les maisons d’édition les plus présentes dans le secteur qui se retrouvent dans les réponses : Larousse, Harrap’s, Collins, Oxford, etc. Les dictionnaires unilingues sont aussi consultés en assez grande proportion par les étudiants (43 %), les plus populaires étant Le Robert, Le Petit Robert, Le Micro Robert et Le Larousse. Les manuels de conjugaison – comme le Bescherelle et l’ouvrage 365 French Verbs – sont majoritairement utilisés en version papier (39 % versus 8 % pour la version en ligne). Les manuels de grammaire sont aussi fréquemment consultés (34 %), dont le Grévisse48, la Grammaire française49 ainsi que la Grammaire progressive du français50. Il faut noter que certains de ces outils font partie du matériel didactique que les enseignants des institutions représentées recommandent ou imposent aux étudiants. Il est difficile de connaître le pourcentage d’étudiants consultant une grammaire en ligne, ces derniers n’ayant pas clairement nommé un outil informatisé à cet effet. Par contre, sachant que plusieurs ressources cohabitent dans certains sites, nous pouvons émettre l’hypothèse que les répondants consultent aussi certains outils informatisés de la section précédente pour des notions de grammaire. Outre les ouvrages en version papier cités plus haut, un faible nombre d’apprenants déclarent aussi utiliser des dictionnaires d’expressions (6 %), de synonymes (2 %), de prépositions (2 %) et de collocations (1 %). Par ailleurs, 5 % des répondants déclarent ne pas utiliser d’outil papier quand ils ont accès à Internet. La très grande majorité des étudiants ont donc actuellement encore recours aux deux types de ressources. Notons enfin que les aides en ligne et sur papier nommées dans cette étude sont sensiblement les mêmes que celles qui ont été identifiées dans une enquête antérieure auprès d’étudiants au Mexique et au Québec (Cansigno et al., 2010) . 51

Conclusion L’intégration des nouvelles technologies dans le processus d’écriture est une réalité tangible pour un grand nombre d’étudiants de français langue étrangère ou seconde qui ont participé à notre enquête, quel que soit leur pays d’origine et quel que soit le contexte immersif ou non dans lequel ils poursuivent leurs études. Ils considèrent ces outils comme un réel atout pour la réussite de leurs études et les utilisent dans leur langue maternelle et en français pour (s’) informer et pour communiquer avec leurs pairs et leurs enseignants. Grâce aux nouvelles technologies, la plupart d’entre eux se plongent dans le monde

francophone en parcourant des sites en français ou en utilisant des outils en français. Les technologies sont utilisées pour la rédaction de travaux longs en langue seconde ou étrangère mais beaucoup d’étudiants interrogés se disent parfois démunis lorsqu’ils doivent construire et structurer des travaux universitaires longs, aux exigences parfois méconnues et/ou peu explicitées par les enseignants. Les outils en ligne qu’ils choisissent d’utiliser ne les aident que partiellement à pallier ces difficultés de structuration et sont le plus souvent le pendant numérique des ouvrages en version papier traditionnellement consultés dans les tâches d’expression écrite.

Bibliographie Cansigno Y., Dezutter O., Silva H., Bleys F. (dir.) (2010), Défis d’écriture. Développer la compétence scripturale en français langue seconde ou étrangère à l’université. Mexico : UAM, Université de Sherbrooke, CONACYT. Doll F. et Coulombe C. (2004), L’avenir des correcteurs grammaticaux : Un point de vue industriel. Bulletin de Linguistique Appliquée et Générale, 29, 33-50. Eid C., Useille Ph. (2007), L’évolution des métiers du Génie logiciels : Usages des TIC et projet collaboratif de formation médiatisée : quelle dynamique pour écrire ensemble à distance ? Baabda : EUPA. Gerbault J. (2010), TIC : Panorama des espaces d’interaction et de rétroaction pour l’apprentissage de l’écriture en langue étrangère. Revue française de linguistique appliquée, XV (2), 37-52. Piolat A. (2006), Lire, écrire, communiquer et apprendre avec Internet. Marseille : Solal Editions.

La lecture littéraire et l’informatique : mode d’emploi d’une (r) évolution Martine CARTON Centre d’enseignement et de recherches des langues étrangères, Université Gakushûin, Tôkyô

Introduction L’apprenant étranger est plein d’espoir lorsqu’il a en poche son livre écrit dans la langue qu’il est en train d’apprendre, mais il se trouve vite dépourvu lorsqu’il ne lui reste que son dictionnaire bilingue pour comprendre l’extrait que l’enseignant lui a donné à lire comme travail à la maison. Son rôle se limite rapidement à écouter les explications du professeur, le cours de lecture devenant un cours d’explication de textes. L’étudiant se demande alors combien d’explications de textes il lui faudra écouter avant de pouvoir à son tour en faire une lui-même, ou avant de pouvoir seulement lire. Le problème est que l’enseignant, prenant le rôle de passeur obligé entre l’étudiant et le texte, par l’explication qu’il en fait, met l’étudiant à distance du texte, l’en dépossède. Or, la lecture d’un texte littéraire ne doit en aucun cas déboucher sur son explication, mais sur sa construction et le rôle de l’enseignant doit plutôt être celui de médiateur entre l’étudiant et le texte, afin que celui-ci puisse s’approprier le texte et en construire sa compréhension. Depuis les années 80, sous l’impulsion de Jean Peytard, une réflexion est menée sur l’enseignement de la littérature en FLE et les propositions pédagogiques se sont multipliées, mais aucune, à notre connaissance, n’a encore envisagé la lecture autrement que sur support papier. Or, à l’époque des médias électroniques, l’écrit sur support électronique continue de faire évoluer les pratiques de lecture, dont certaines pourraient être reprises pour l’enseignement de la lecture littéraire. Les TICe sont maintenant largement utilisées dans l’enseignement de la langue et ont participé à son renouvellement. Alors, pourquoi ne pas envisager de les introduire dans l’enseignement de la littérature qui s’en trouverait lui aussi renouvelé, modernisé. Cela redonnerait sa place au texte littéraire comme support à l’enseignement de la langue, mais aussi et surtout à celui de la littérature.

1. Enseignement de la littérature française en FLE En français langue étrangère, travailler sur une œuvre intégrale ne signifie pas en faire l’étude synthétique, et réciproquement, l’analyse intégrale est inconcevable pour des raisons de temps. Par conséquent, dans le cas d’une lecture/analyse sans traduction en langue maternelle, l’enseignant est amené à choisir des séquences significatives de l’œuvre qu’il analyse de manière plus précise en cours. Pour optimiser le travail de lecture, Mireille Naturel (1995) préconise une lecture transversale de l’œuvre, mais au vu du niveau linguistique des étudiants de FLE, elle paraît peu envisageable ou seulement sur la traduction en langue maternelle si elle existe. Or, c’est la lecture des œuvres intégrales qui est la plus à même de développer chez les élèves une démarche de lecture personnelle, où interviennent non seulement l’esprit d’analyse mais aussi la lecture “braconnage” (Dufays, Gemenne, Ledur, 2005, p.35).

En outre, en début d’apprentissage de la langue étrangère, la lecture est avant tout une lecture mot à mot, de déchiffrage et les étudiants entraînent souvent l’enseignant francophone vers l’explication linéaire de textes ou le cours de vocabulaire et l’enseignant autochtone dans la direction de la traduction. Même si ces exercices peuvent présenter un intérêt pour l’apprentissage linguistique, ils gomment ce qui fait la spécificité du texte littéraire, sa littérarité, dont l’étude peut s’avérer tout compte fait profitable à l’apprentissage de la langue étrangère.

2. Littérature et informatique 2.1. Le livre numérique et l’ordinateur C’est principalement pour des raisons matérielles et de temps que l’enseignant, qui connaît et apprécie l’œuvre dans son intégralité, se contente de la lecture d’extraits assortie de rares références au reste du texte, mais avec la numérisation des textes littéraires, l’accès à l’œuvre intégrale se trouve maintenant facilité et le livre numérisé, déplacé de la table à l’ordinateur, offre de nouvelles formes de lecture que le livre papier ne permet pas. En effet, le simple format PDF en mode texte permet de rechercher rapidement les occurrences d’un mot ou d’une forme dans l’intégralité de l’œuvre et d’en constituer le concordancier. Par ailleurs, un texte littéraire numérisé au format document peut être plus facilement manipulé que le texte-papier, par exemple le coupercopier/coller de Word permet d’extraire des parties d’un texte, de les recomposer afin d’obtenir un nouveau texte plus propice à l’analyse. La recherche de livres numériques s’effectue un peu comme celle des livres papier, dans des bibliothèques numériques comme Gallica, Projet Gutenberg, Europeana (la Bibliothèque numérique européenne) ou encore la Bibliothèque numérique mondiale (UNESCO et Bibliothèque du Congrès américain) et aussi dans des sites de recherches de livres numériques comme Wikisource ou Google livres. L’enseignant peut aussi numériser lui-même le texte qu’il veut étudier, en prenant garde de respecter les droits d’auteurs. D’un coût quasiment nul et d’un accès facile, le livre numérique augmente largement l’ouverture du champ littéraire aux étudiants tributaires jusqu’à présent de la photocopie d’extraits de textes que l’enseignant met à leur disposition. L’environnement informatique offre aussi l’avantage de pouvoir compléter la lecture du texte numérique par les ressources informatiques en ligne que l’enseignant consulte souvent pour la préparation de ses cours, mais qu’il utilise rarement telles quelles en cours. Citons par exemple les dictionnaires et encyclopédies en ligne , les sites Internet dédiés au texte étudié ou à son auteur qui associent souvent écrit, image et son, ou encore les bases de données littéraires qui permettent d’étendre les recherches à d’autres œuvres du même auteur ou du même genre. La liste est longue et doit faire l’objet d’un choix raisonné, mais l’utilisation de ces ressources en cours permet de proposer de nouvelles approches du texte littéraire et de réduire l’écart entre l’enseignement universitaire de la littérature et les nouveaux modes de communication dans lesquels baigne la génération actuelle des étudiants. 52

2.2. Informatique, l’ergonomie du partage Les salles informatiques offrent un nouvel environnement de travail et permettent de revoir complètement la physionomie du cours de littérature, conçu jusqu’à présent autour

du livre papier et du savoir de l’enseignant. Dans ces salles, chaque étudiant dispose d’un ordinateur, d’un espace disque dur personnel équipé des principales applications de Microsoft ou autres et d’une connexion Internet. L’enseignant, grâce à un logiciel de gestion de réseau de classe, garde un œil sur la navigation Web des étudiants et surveille leur utilisation de l’ordinateur. Il peut prendre aussi les commandes de l’ordinateur d’un étudiant pour y démarrer n’importe quelle application ou simplement guider l’étudiant dans son travail en cours. À partir du logiciel de gestion, l’enseignant peut montrer son ordinateur sur tous les postes de la classe, partager tous les écrans de la salle, les programmes de démarrage, ou visiter des sites Web. L’espace de travail est simplifié, l’objet ou le matériel du cours est contenu dans l’ordinateur sous forme informatique (document Word, PDF, image, document MP3, etc.), il est visible par tous les membres de la classe, ainsi que tout ce qui est fait par l’enseignant ou un étudiant à l’ordinateur. Ce matériel rend possible une totale interactivité entre l’étudiant, l’enseignant et l’objet du cours qui est, dans notre cas, la lecture d’un roman dont nous présentons ci-après la démarche.

3. Parcours de lecture à l’ordinateur L’approche informatique de la lecture littéraire que nous proposons n’est en rien un modèle qui serait applicable à tous les textes littéraires, il s’agit plutôt d’un programme de découvertes selon un système de séquences qui s’imbriquent les unes dans les autres (Yerlès, Lits, 1992, p.111) et qui se déclinent selon le texte littéraire que l’enseignant et ses étudiants/lecteurs pratiquent ensemble. Plutôt que de multiplier les exemples glanés judicieusement dans différents textes littéraires, nous avons pris comme unique référence la lecture de L’Aiguille creuse de Maurice Leblanc, dans un souci de clarté, mais aussi pour montrer que notre démarche convient parfaitement à la lecture d’une œuvre littéraire intégrale, exercice risqué avec un public étranger. 3.1. Le paratexte, auxiliaire du texte La première étape s’intéresse au paratexte qui est un auxiliaire […] un accessoire du texte. (Genette, 1987, pp.376-377). Souvent plus visible que celui de l’auteur lui-même, le nom d’Arsène Lupin est un élément constant des couvertures des 19 romans de la série. La première livraison des aventures d’Arsène Lupin commence le 15 juillet 1905 avec la publication, dans la revue Je sais tout, du premier feuilleton, L’Arrestation d’Arsène Lupin, qui constitue l’acte de naissance littéraire du personnage. La reproduction de l’original de la revue téléchargée en mode PDF sur Gallica est envoyée sur le poste de chaque étudiant. À la page 708, se trouve le début de la nouvelle, précédée d’un bandeau de présentation : 53

Le talent, le génie des malfaiteurs modernes semble prendre à notre époque, où tout se civilise, même le mal, des proportions grandioses. – Qui peut se vanter d’échapper aux criminelles entreprises d’un coquin de l’envergure de celui dont le récit que nous publions expose l’extraordinaire aventure !

La lecture de ce bandeau effectuée en classe renseigne sur les caractéristiques du héros : un malfaiteur de talent, génial, aux proportions grandioses, auquel chaque lecteur peut craindre d’avoir affaire puisqu’il sévit à l’époque de la publication du feuilleton. Le contexte historique et sociologique se situe au début des années 1900 qui marquent le développement de la presse quotidienne qui aura un rôle important dans le roman, de

l’industrie avec toutes sortes de nouvelles inventions que ne manquera pas d’utiliser Arsène Lupin, et de l’urbanisation qui entraîne le déplacement de la criminalité des campagnes vers la ville. Ces quelques éléments contemporains de la publication de L’Aiguille creuse donnent des indices sur le héros, l’époque et le genre du roman et restituent en partie l’horizon d’attente du lecteur de l’époque qui vient compléter celui des étudiants et qui les prépare à la lecture proprement dite du roman. Le roman de L’Aiguille creuse est d’abord sorti en feuilleton dans la revue Je sais tout, de novembre 1908 à mai 1909 , puis a été publié en livre par les Éditions Lafitte, en juin 1909. Ces deux modes de publication ont été présentés en classe et la version numérisée au format PDF a été déposée sur l’ordinateur de chaque étudiant. Visualiser à l’écran et distribuer sur l’ordinateur des étudiants les versions numérisées des romans au programme aide à faire prendre conscience aux étudiants qu’un livre n’est pas créé une fois pour toutes, puis gardé en l’état, mais qu’il subit des transformations au cours du temps. Ceci enlève un peu du caractère sacré que le livre rédigé en français revêt aux yeux des étudiants étrangers, les encourage à le manipuler et donc à le lire avec moins de craintes et de scrupules. 54

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3.2. Écouter silencieusement la lecture Après l’étude du paratexte vient la deuxième étape du parcours de lecture, celle de la lecture proprement dite du premier extrait étudié, l’incipit qui va de « Raymonde prêta l’oreille. » à « Sauf cela rien. » Ce découpage est justifié par la présence d’un blanc typographique et par le fait qu’il forme une unité de sens, [correspond] à une même concentration de l’intérêt [et forme] un tout cohérent dans le temps et dans l’espace. (Schmitt, Viala, 1982, p.27). Le centre d’intérêt est la mise en place des lieux, des principaux personnages et de l’énigme du crime qui a lieu dans la nuit, vers 4 heures du matin, au château d’Ambrumésy. Dans le cours de lecture, il est de coutume de faire lire l’extrait du livre à haute voix, mais dans le cas d’apprenants de FLE dont la lecture est encore ânonnante, il est préférable de la remplacer par l’écoute de l’enregistrement du texte, parce que cette lecture capte mieux [l’attention des auditeurs] et répond davantage à l’économie de “progression” ou d’élaboration progressive du sens, dimension fondamentale de la lecture littéraire souvent mise entre parenthèses par les démarches critiques. (Dufays, Gemenne, Ledur, 2005, p.200). 56

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Il est facile maintenant de télécharger sur Internet, gratuitement ou pour un prix modique, l’enregistrement d’œuvres lues soit par l’auteur lui-même, soit par une ou plusieurs voix. L’enseignant peut aussi enregistrer sa propre lecture sur ordinateur à l’aide d’un dictaphone ; la synthèse vocale d’un texte numérisé donne aussi aujourd’hui des résultats tout à fait audibles. Le fait qu’il existe un enregistrement de L’Aiguille creuse lue par 22 comédiens a été décisif dans le choix de cette œuvre. Les 6 CD mis au format MP3 peuvent être écoutés par portion à partir de l’ordinateur de l’enseignant avec le livre numérisé affiché sur l’écran de chaque étudiant. L’écoute répétée une ou deux fois de cet enregistrement de qualité, qui dramatise de manière juste le texte de Leblanc, guide l’étudiant dans sa première approche du texte. Elle peut être complétée ultérieurement par la production vocale par les étudiants. 58

Loin d’être un simple gadget, l’ordinateur réduit considérablement le travail proprement matériel de l’enseignant, qui peut s’avérer important dans le cas d’un cours de littérature :

transporter le lecteur de CD, rechercher la plage sonore avec une bonne ou mauvaise restitution du son, tourner les pages du livre, veiller à ce que chaque étudiant ait bien son livre, ouvert à la bonne page. Souvent les enseignants, lassés de perdre du temps dans des tâches trop matérielles, abandonnent à regret certaines activités. L’ordinateur facilite ces tâches et l’ergonomie est un élément important dans la lecture, le narrateur de Du côté de chez Swann aurait-il lu autant s’il ne l’avait pas fait par de beaux après-midi du dimanche sous le marronnier du jardin de Combray (Proust, 1913) ? 3.3. Lecture non-linéaire du texte numérique Après la lecture du texte, l’enseignant a l’habitude de donner le premier extrait du livre à lire aux étudiants comme travail à la maison. Sans consigne particulière de lecture, les étudiants lisent la traduction dans leur langue maternelle si elle existe ou alors [traduisent] d’une façon méthodique et méticuleuse, […] chaque mot dans son ordre d’apparition. (Coubard, Pauzet, 2002). Selon, Lehman (1980), cette lecture mot à mot, ou encore linéaire, est à rejeter parce qu’elle amène celui qui la pratique à considérer isolément et successivement chaque signe, en faisant appel à une compétence essentiellement lexicale, laquelle n’existe pas en début d’apprentissage. C’est là une double impasse, puisqu’en même temps la possibilité de développer des stratégies de compréhension se trouve bloquée. À la place de cette lecture linéaire, Jean Peytard (1988, p.16) invite à lire le texte dans sa tabularité, mais à l’époque où il écrit, la lecture du livre papier rend difficile une lecture tabulaire ou, autrement dit, verticale. Il est plus facile de l’envisager de nos jours grâce au livre numérique qui offre lui des modes de lecture beaucoup plus variés, comme justement la lecture tabulaire. La consigne de Peytard de lire le texte dans sa tabularité suivie au pied de la lettre consiste à transformer le texte en un tableau afin d’en faciliter la lecture, c’est la troisième étape de notre parcours de lecture. Nous avons déjà utilisé de manière ponctuelle la méthode de lecture globale initiée par Sophie Moirand (1979), pour la lecture de documents authentiques (Carton, 2003), mais utilisée de manière systématique, elle permet en effet de transformer tout texte en tableau et d’initier des stratégies de lecture autres que linéaires. Les entrées du tableau sont choisies parmi les questions dites de Quintilien , elles varient évidemment selon le contenu et le mode d’expression du texte et les aspects que l’enseignant veut mettre en relief. 59

Le texte de l’incipit de L’Aiguille creuse a été préalablement découpé en quatre séquences correspondant à l’articulation du discours : 1) Raymonde ~ des massifs 2) Et soudain, le même bruit. ~ répétait Suzanne. 3) Et, tout à coup ~ la pâleur de la mort. 4) Alors elle se leva. ~ Sauf cela, rien. Pour la première partie à dominante descriptive, un tableau vierge avec les entrées où, quand, quoi a été envoyé sur le poste des étudiants qui avaient comme consigne de le compléter en faisant des copier/coller. Le tableau repris et corrigé en cours est une sorte de réédition du texte papier, il permet une approche globale du sens par une lecture rapide et efficace. La disposition en tableau fait bien apparaître les principaux éléments du décor qui peuvent être mis en relief grâce à des couleurs ou des polices différentes, les commentaires sont inscrits en italiques . 60

Le document constitue le contenu du cours rédigé sur l’écran de l’enseignant au fur et à mesure des séances, il est visible par l’ensemble de la classe et sera envoyé à la fin de chaque cours sur le poste des étudiants qui ne prennent pas eux-mêmes le cours en notes.

Faire et rédiger le cours en direct à l’ordinateur est donc un gain de temps et de clarté, pour l’enseignant comme pour les étudiants, d’autant plus important si le cours est donné dans la langue enseignée.

Tableau 1 : lecture tabulaire de la 1ère séquence de l’incipit de L’Aiguille creuse

3.4. Vers les marques textuelles La réédition sous forme de tableau sert ensuite à initier une compréhension plus littéraire des spécificités textuelles et discursives de l’extrait en question. À partir des rubriques du tableau, il est facile de travailler par exemple sur la typologie des textes (narratif, descriptif, argumentatif, explicatif et dialogal). La 1 séquence est une séquence descriptive, le tableau fait bien apparaître les indicateurs de lieu et de temps, l’emploi des verbes d’état et/ou de mouvement. Le lexique de la perception auditive, Raymonde prêta ère

l’oreille et celui sous-entendu de la perception visuelle dans la phrase, elle écarta les battants de sa fenêtre, indiquent que c’est bien Raymonde qui entend et voit et elle aussi qui assume la voix narrative de cette séquence. La mise en tableau oriente la lecture, rassemble et met en relief des éléments disséminés dans le texte sur lesquels peuvent s’appuyer une compréhension et une analyse plus détaillées. Cette lecture critique, adaptée au public FLE, ne vise pas l’exhaustivité, mais grâce à une lente cristallisation du procédé, à rendre les étudiants plus autonomes face à d’autres textes. 3.5. Le texte, un organisme explosant L’approche globale, puis l’approche textuelle et discursive sont des étapes obligées du parcours de lecture de tout texte, mais le texte littéraire invite le lecteur vers une étape supplémentaire, afin de faire accéder au signifiant, au jeu du signifiant, à l’écriture, de faire accéder à la symbolisation. (Barthes, 1971, p.181). Barthes encore invite l’enseignant à se servir du texte comme d’un organisme explosant, c’est-à-dire d’y pointer le signifiant-détonateur, de déclencher l’explosion et d’en suivre les éclats dans le texte et à l’extérieur du texte. Concrètement pour Jean Peytard (1982, p.145), il s’agit par l’analyse de faire voir, de pointer l’endroit où l’effet polysémique a chance (possiblité) de se manifester ; de signaler les lieux du texte susceptibles de produire des pistes de lecture variables et différentes et nous ajoutons, de faire jouer entre elles les diverses significations qui s’en dégagent. La description de la 1 séquence assumée par la voix narrative de Raymonde comprend des expressions subjectives, et, par conséquent, polysémiques, comme l’expression silhouettes tragiques qui sert de comparant dans la phrase les ruines éparses de l’ancienne abbaye se découpaient en silhouettes tragiques. La difficulté avec un public étranger est de faire accéder au jeu du signifiant, sans dévoiler et encore moins sans expliquer. Là encore, nous rejoignons Roland Barthes lorsqu’il invite à revenir au dictionnaire : ère

Dans le dictionnaire, vous avez des signifiants, des mots vedettes, et en principe vous avez des signifiés, les définitions, mais ces signifiés sont eux-mêmes faits avec d’autres mots qu’il faudrait, à leur tour, considérer comme des signifiants d’autres signifiés – et cela, bien sûr, dans un procès infini. […] Mais sur le plan théorique, sur le plan de la vérité, le dictionnaire est un objet vertigineux. (Barthes, 1971, pp.182-183)

Justement, le dictionnaire, et évidemment le vocabulaire, est souvent ce qui manque aux étudiants étrangers pour dépasser leur première – et souvent seule – compréhension du signifié qu’ils obtiennent presque exclusivement en consultant leurs dictionnaires bilingues. Barthes nous invite à consulter le dictionnaire – unilingue – pour faire exploser le texte, mais si le dictionnaire est un objet vertigineux, il est aussi très volumineux et difficile à utiliser. Alors, c’est souvent le professeur qui fait office de dictionnaire (vivant) et qui explique les différentes significations d’une expression, les étudiants devenant des récepteurs [du] texte, mais nous pensons comme Barthes (1971, p.185) qu’il serait bon de […] tenter une sorte de ré-élaboration très profonde des idées, des pratiques du texte, de l’écriture de façon que lire soit vraiment en quelque sorte écrire et qu’on puisse au fond amener les adolescents à une espèce de pratique de l’écriture, une pratique du signifiant, une pratique symbolique, si vous voulez, qui soit un véritable travail. 61

4. Dictionnaire et texte numérisé

Sur le terrain, le véritable travail de cette pratique constructiviste consiste à déceler les endroits du texte susceptibles d’ouvrir sur des sens multiples et de les soumettre à l’examen du dictionnaire pour les faire exploser. La consultation en ligne et en direct du TLFI – plus commode que les 16 volumes de la version papier – indique que le mot silhouette s’applique aussi bien à une personne qu’à un objet. La définition de l’adjectif tragique donne les acceptions suivantes : 62

1) Qui appartient, qui est propre à la tragédie ; 2) Propre à la tragédie, à une situation conflictuelle, dramatique, douloureuse, dans laquelle une personne est prise comme dans un piège dont elle ne peut s’échapper, par analogie, une personne sur qui s’acharne le destin ; qui choisit un destin contraire à ses propres désirs ; 3) Qui est marqué par quelque événement effroyable, désastreux ; qui émeut, qui bouleverse par son caractère effroyable, désastreux et par métonymie, Forêt, mer, paysage, plaine, ville tragique ; date, lettre tragique ; 4) Qui exprime la terreur, l’angoisse, une émotion violente.

Tragique s’applique principalement aux personnes, sauf dans son emploi métonymique, par conséquent l’expression silhouettes tragiques tendrait plutôt à désigner des silhouettes de personnes – tragiques. Il est alors aisé de demander aux étudiants de faire des hypothèses, dans un premier temps, en croisant les différentes définitions, puis en les soumettant, non pas à la lecture cursive du texte puisqu’elle est impossible dans le cadre d’un cours de FLE, mais à la lecture des contextes des occurrences de silhouette et tragique. Les étudiants font eux-mêmes cette recherche dans l’édition PDF de L’Aiguille creuse, les occurrences du mot silhouette confirment que le mot s’applique aussi bien à une personne (4 occurrences) qu’à un objet (2 occurrences). C’est donc le mot tragique qui peut aider à lever l’ambiguïté, il compte 5 autres occurrences : Et il y avait quelque chose d’impressionnant et de tragique à savoir que, dans quelque refuge ténébreux, gisait à même le sol, sans secours, fiévreux, épuisé, le célèbre aventurier. (p.45) Un peu d’émotion tout de même les envahit à l’aspect de ce livre que la reine avait touché en des jours si tragiques, que ses yeux rougis de larmes avaient regardé… (p.140) Cette double signature, ces deux noms accouplés, découverts au fond du livre d’heures, cette relique où dormait, depuis plus d’un siècle, l’appel désespéré de la pauvre reine, cette date horrible, 16 octobre 1793, jour où tomba la tête royale, tout cela était d’un tragique morne et déconcertant. (p.141) – Allez-vous-en, murmura-t-il [Herlock Sholmès], on nous regarde… c’est dangereux… Mais rappelez-vous mes paroles : le jour où Lupin et moi nous serons l’un en face de l’autre, ce sera… ce sera tragique. (p.167) Spectacle pitoyable ! Beautrelet ne devait jamais en oublier l’horreur tragique, lui qui savait tout l’amour de Lupin pour Raymonde, et tout ce que le grand aventurier avait immolé de lui-même pour animer d’un sourire le visage de sa bien-aimée. (pp.216-217)

Le travail final est alors de vérifier la validité des hypothèses émises auparavant, ce qui permet aussi d’établir une sorte de résumé du roman : l’expression silhouettes tragiques de l’incipit annonce la fin tragique de l’histoire. L’Aiguille creuse, rangé dans la catégorie roman policier, est aussi une tragédie : le décor de la première scène est un décor de tragédie, où apparaissent des silhouettes d’acteurs tragiques qui viennent de l’ombre et y retournent à la fin du roman. Ils sont pris dans le piège de leur destinée, fatale pour Raymonde qui replonge dans le profond sommeil (n’a-t-elle pas rêvé toute cette histoire ?) dont l’avait tirée Lupin qui, lui, est condamné à la solitude fondamentale du voleur. La liste des interprétations n’est pas close et l’ambiguïté subsiste parce qu’elle est dans le texte : y sont encodées à la fois l’indication qu’un choix est possible entre plusieurs interprétations, et l’impossibilité de décider de ce choix. (Riffaterre, 1971, p.340). Les récits, même ceux qui ne semblent susciter aucun questionnement, aucune lecture diagonale, sont riches en expressions subjectives ou suggestives qui ouvrent la voie à la

lecture. L’expression silhouettes tragiques n’avait pas particulièrement retenu l’attention des étudiants qui avaient trouvé son équivalent dans leur langue grâce à leur dictionnaire ou dans différentes traductions. Mais son analyse a donné lieu à un véritable travail sur la polysémie, sur le jeu des signifiants, parce que, comme Peytard (1988, p.11), nous pensons que l’écriture [instaure] le texte comme un prodigieux et étonnant laboratoire langagier, où l’on a la chance d’observer et de comprendre ce que c’est qu’une langue. Concevoir la littérature [et son enseignement] comme le produit du langage au travail devrait permettre de [ré] concilier enseignement de la langue et littérature.

5. L’informatique, ouvroir de littérature Si l’incipit ouvre la voie à l’intégralité du roman, l’expression silhouettes tragiques est peut-être aussi une des clés qui ouvre la voie au vaste champ de la littérature. En effet, au terme de l’étude de cette expression devenue fameuse dans la classe, les étudiants ont posé la question : Maurice Leblanc est-il le seul à avoir utilisé l’expression silhouettes tragiques ? Il est certain qu’ils n’auraient pas osé poser cette question s’ils avaient seulement eu le livre sous sa forme papier, mais depuis plusieurs séances qu’ils maniaient les textes numériques et Internet, ils se demandaient si ceux-ci ne pouvaient pas aussi répondre à cette question. Depuis la mise en ligne des bibliothèques électroniques et des bases de données littéraires, il n’est plus insensé de poser ce genre de question, en se servant par exemple du moteur de recherche avancée de Google livres, qui indique en quelques secondes les 20 références dans lesquelles figurent cette expression. Parmi ces références, 18 sont des revues, deux seulement sont des œuvres littéraires, L’homme qui rit de Victor Hugo : Il ne voyait que l’éclair hideux de cette épée. Le reste, Josiane, la chambre des lords, était derrière, dans un monstrueux clair-obscur plein de silhouettes tragiques. (c’est nous qui soulignons) et L’Aiguille creuse de Maurice Leblanc ! La même recherche effectuée sur Frantext , base de données littéraires à laquelle de nombreuses universités sont maintenant abonnées, indique une seule référence, celle de L’Homme qui rit de Victor Hugo, en effet, les œuvres de Maurice Leblanc ne sont pas encore répertoriées dans la base. 63

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Cette découverte soulève une autre question : Maurice Leblanc s’est-il inspiré de Victor Hugo ? Comme source d’inspiration, on cite souvent Joseph Rouletabille, le héros de Gaston Leroux , mais jamais Gwynplaine, le héros tragique de L’Homme qui rit. Pourtant, les deux romans et leurs héros, Arsène Lupin et Gwynplaine, présentent de nombreuses similitudes qui invitent à relire L’Aiguille creuse sous un autre angle. Il est alors possible de comparer les deux romans en cherchant sur le Web des résumés de L’Homme qui rit, mais aussi en mettant les index hiérarchiques et alphabétiques des formes des deux romans en correspondance grâce à un logiciel de lexicométrie, comme Lexico3 . Ce travail réserve encore bien des surprises aux étudiants et ne manquera pas de leur donner envie de lire le roman de Victor Hugo, plus connu en général comme l’auteur des Misérables que de L’Homme qui rit. 65

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Ce travail final est un moyen de montrer que la littérature est un réseau de textes qui se répondent les uns aux autres et qu’un texte est toujours la réécriture d’autres textes et ainsi de suite, autrement dit un moyen pour l’étudiant étranger d’entrer dans le champ littéraire de la langue de l’autre.

Conclusion Nous pensons comme Seymour Papert, qu’« apprendre à communiquer avec un ordinateur a toutes les chances de modifier la façon dont se déroulent les autres apprentissages » (1981, p.16) et que, par conséquent, le dispositif informatique, fonctionnalités des salles informatiques, Internet et texte numérique, modifie le mode d’apprentissage de la lecture littéraire et la distribution des rôles que chacun, enseignant, apprenant et texte/savoir, joue. En effet, la salle de cours fonctionne comme une machinerie informatique où l’enseignant fait la même chose que les apprenants, au même endroit, avec les mêmes moyens et travaille en relation avec eux, et tout cela réciproquement. Grâce au texte numérique qui permet une lecture multiple et multidirectionnelle et aux ressources documentaires sur le Web, l’étudiant se trouve – ou se pense – doté quasiment des mêmes moyens que l’enseignant et peut participer activement au processus de lecture dans lequel l’enseignant joue alors le rôle de médiateur. Si le dispositif informatique nous paraît incontournable pour l’apprentissage de la lecture littéraire, il est d’abord un ensemble de matériaux et d’outils (Ibid., p.215) pour faire lire, libre à l’étudiant de l’abandonner lorsqu’il sait lire, ou de l’adopter.

Bibliographie Barthes R. (1971), Réflexions sur un manuel. In Doubrovsky S., Todorov T., L’Enseignement de la littérature : Centre culturel de Cerisy-la-Salle, 22 au 29 juillet 1969. Paris : Librairie Plon, 170-195. Carton M. (2003), Une autre façon de travailler l’écrit : la compréhension-production de documents authentiques, Enseignement du français au Japon, Société japonaise de didactique du français, 31, 39-49. Coubard F., Pauzet A. (2002), L’utilisation du dictionnaire en classe de langue : le Japon. In Habitudes culturelles d’apprentissage dans la classe de Français Langue Étrangère – FLE. Paris : Édition L’Harmattan, 125-142. Dufays J.-L., Gemenne L., Ledur D. (2005), Pour une lecture littéraire Histoire, théories, pistes pour la classe. Bruxelles : Éd. De Boeck Université. Freygnac V. (2002), Le culturel en question dans la prise de notes. In Habitudes culturelles d’apprentissage dans la classe de Français Langue Étrangère – FLE. Paris : Édition L’Harmattan, 59-78. Genette G. (1987), Seuils. Paris : Seuil. Leblanc M. (1964), L’Aiguille creuse. Paris : Le Livre de Poche. Lehmann D. (1980), Lecture fonctionnelle de textes de spécialité à propos de « Lire en français les sciences économiques et sociales ». Paris : Didier. Moirand S. (1979), Situations d’écrits : compréhension, production en langue étrangère. Paris : Cle International. Papert S. (1981), Jaillissement de l’esprit : Ordinateurs et apprentissage. Paris : Champs-Flammarion/210, trad. RoseMarie Vassallo-Villaneau. Peytard J. (1982), Littérature et classe de langue Français langue étrangère. Paris : Hatier-Crédif. Peytard J. (1988), Des usages de la littérature en classe de langue. Le français dans le monde, Littérature et enseignement, 7-17. Proust M. (1913), À la recherche du temps perdu. Du côté de chez Swann. Riffaterre M. (1971), L’explication des faits littéraires. In Doubrovsky S., Todorov T., L’Enseignement de la littérature : Centre culturel de Cerisy-la-Salle, 22 au 29 juillet 1969. Paris : Librairie Plon, 331-355. Schmitt M.-P., Viala A. (1982), Savoir-lire Précis de lecture critique. Paris : Didier. Yerlès P., Lits M. (1992), Pour une didactique de la littérature. Dialogues et cultures (Québec), 36 : 107-118.

Pour une pratique créaTICe de la lecture ou du bon usage des TIC en classe de français langue étrangère Alexandre EYRIES Université de Nice Sophia Antipolis L’histoire et le développement des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation (TICE) sont parallèles aux mutations profondes du système scolaire français dans son ensemble. Très tôt, l’école a caressé l’idée d’inclure les médias et les dispositifs techniques dans son projet pédagogique et éducatif, qu’il s’agisse de la radio à vocation scolaire dans les années 1930, de la télévision dans les années 1950, de l’informatique à partir de 1970, du magnétoscope (dans les années 1980) ou encore du multimédia à partir de 1990. Un imaginaire techniciste précoce sous-tendant les programmes et certaines orientations pédagogiques, la question des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) est rapidement devenue importante en France et en Europe : « l’acronyme TIC […] renvoie bien aux deux principales potentialités des systèmes informatiques : l’accès, de manière délocalisée, à une grande quantité d’informations […] sous forme numérique, et la communication à distance selon diverses modalités […], la plus populaire étant la toile mondiale67 ». À cette époque, on n’envisage pas encore les énormes potentialités d’exploitation pédagogique que recèlent Internet et les différents outils technologiques favorisant l’information et la communication. Il faudra attendre le milieu des années 1980 pour que l’institution commence à s’intéresser aux ressources des TIC et à leurs apports pédagogiques dans le contexte scolaire français. Le Plan Informatique pour tous présenté le 25 janvier 1985 par Laurent Fabius à la presse a constitué la première initiative étatique pour tenter d’initier les 11 millions d’élèves du pays à l’usage de l’outil informatique et d’assurer la formation de plus de cent mille enseignants pour leur permettre d’utiliser ce matériel. Malgré les vives critiques subies, ce plan a permis à de nombreux élèves et professeurs de s’initier à l’informatique. Vingt-quatre ans plus tard, le Plan de développement des usages du numérique à l’école dévoilé par Luc Chatel en novembre 2009 entend faciliter l’accès à des ressources numériques de qualité, former et accompagner les enseignants, généraliser les espaces numériques de travail et enfin former les élèves à l’usage des technologies de l’information et de la communication. Ces deux exemples montrent que, depuis plus de vingt ans, une préoccupation constante mobilise les milieux institutionnels : celle de donner aux apprenants des compétences techniques et des outils pour produire, traiter, classer des informations, lire des documents numériques dans une perspective d’apprentissage. La didactique des langues étrangères n’a pas échappé à cette révolution des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation qui a induit non seulement une révolution des pratiques pédagogiques, mais aussi une métamorphose profonde des stratégies d’apprentissage. C’est ce qu’on peut lire dans l’article « TIC-TICE » du Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde : « la didactique des langues, plus que d’autres disciplines, s’est toujours intéressée aux technologies, ne serait-ce que parce que celles-ci permettent de faire entrer le monde extérieur dans la salle de classe. À ce niveau aussi, il est classique de distinguer la fonction d’information […] et la fonction de communication, qui permet aux acteurs

(enseignants, apprenants) d’entrer en contact à distance […], de collaborer à des projets (apprentissages collaboratifs assistés par ordinateurs) 68 ». Les TICE ont induit de profonds changements dans les stratégies d’apprentissage, mais aussi dans les pratiques de lecture. Au contact des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation, l’acte de lecture s’est transformé en profondeur. Le présent article s’intéressera dans un premier temps à l’évolution et à la refondation du concept de lecture à l’aune du développement des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation. Il analysera ensuite la rencontre des textes littéraires et des TICE comme une révolution problématique.

1. La lecture (en ligne) : une pratique et un concept en évolution Le développement des outils informatiques et des systèmes multimédias, ainsi que l’essor des aides logicielles de toute sorte a engendré une si nette évolution du concept de lecture que je me propose de clarifier celui-ci et son acception dans le champs de la didactique des langues étrangères : « en didactique des langues, on aborde généralement la lecture par trois voies différentes : le choix des textes à lire, la nature des activités pédagogiques, et l’accès au sens des messages écrits 69 ». La lecture est une opération métalinguistique essentielle lorsque l’on apprend une langue étrangère. Quelles sont donc les principales différences existant entre la lecture traditionnelle et la lecture recourant à des aides logicielles, à des outils technologiques de facilitation de la compréhension écriture ? Y a-t-il une influence notable du support sur la définition de nouveaux objectifs de lecture et sur l’acquisition de compétences lectorales suffisantes ? C’est ce que je vais tenter d’aborder dans la section ci-dessous. 1.1. Du papier à l’écran : à nouveau support, nouveaux objectifs La lecture, selon qu’elle se déroule à partir d’un livre papier ou sur un support informatique ou numérique, s’appréhende selon des procédures radicalement différentes. Les livres numériques (e-books) modifient le rapport du lecteur au livre, le papier (son grain et son odeur) étant remplacé par l’écran tactile. Comme le disent Béatrice Pudelko, Jacques Crinon et Denis Legros dans le chapitre intitulé « Lecture et compréhension de textes » de l’ouvrage Psychologie des apprentissages et multimédia : « la présentation du texte sur écran est traditionnellement signalée comme un handicap pour la lecture 70 ». De nombreux didacticiens et enseignants ont accompagné de leurs réflexions l’introduction des TICE dans la classe de langue et fait part de leurs inquiétudes relatives à la question de la lecture en Français Langue Etrangère. Toute lecture véritable doit être située, assortie d’un paratexte et d’une situation de communication spécifique. Or, comme on le constate aisément, de nombreux logiciels de lecture se caractérisent par une absence totale de contextualisation ce qui en rend l’utilisation difficile pour les étudiants. Le propre de l’acte de lecture, selon les psychologues cognitivistes, est d’opérer, un constant allerretour entre le code et le sens et c’est bien ce que permettent les supports informatiques et les aides logicielles à la lecture : « la compréhension d’un texte est un double processus d’intégration d’informations et de confrontation de ces informations avec les connaissances générales du lecteur, qu’elle dépend donc autant de la cohérence du texte que de sa plausibilité par rapport à l’expérience préalable du sujet 71 ». Il n’est donc pas entièrement exact de relier certaines difficultés de lecture d’apprenants de FLE à la nature

particulière du document télématique. L’écran d’ordinateur formate par conséquent l’acte de lecture. Il fait appel aux « capacités d’inférence du lecteur, ses habitudes de localisation d’unités significatives (typographie, organisation textuelle, lexique, données grammaticales), [à] sa facilité à développer des formes de lecture différentes selon la nature des textes et ses intentions (lecture sélective, lecture de survol, lecture rapide, lecture approfondie accompagnée ou non de prise de notes, lecture savante […]) 72 ». Si une lecture classique fait intervenir la culture du lecteur et se situe à la conjonction de données conceptuelles, d’aptitudes comportementales et de capacités pragmatiques, la lecture « écranique » diffère par une faculté à mobiliser sans cesse des informations annexes permettant d’éclairer le texte. Comme l’écrit Thierry Lancien dans son ouvrage Le multimédia (Clé International, 1998) : « l’hypertexte permet de mettre en rapport un premier texte, présent à l’écran, avec d’autres textes qui sont appelés et apparaissent alors à leur tour sur un même écran 73 ». La dimension hypertextuelle transforme la lecture sur un écran en une activité d’exploration qui engendre de la signification par la mise en concordance d’opérations manuelles (cliquer sur des icônes, faire défiler des pages, mettre en relation des documents), visuelles (couleurs, image fixe ou animée) et auditives (sonorité produite par l’action des doigts sur les touches de l’ordinateur, sonorisation du document, insertion de divers documents audio). Cela induit une transformation significative de la posture du lecteur qui est simultanément spectateur, intervenant, auteur et explorateur. La lecture sur écran permet de réactiver certaines opérations cognitives qui ont été autrefois à l’origine de l’apparition de l’écriture : mise en relation d’éléments épars pour créer du sens, communication à distance avec des interlocuteurs physiquement absents, ramener l’inconnu au connu ou (pour mieux dire) rendre visible l’invisible. L’ordinateur permet ainsi de faire entrer en résonance le lecteur avec le monde extérieur au moyen de la multiréférentialité propre aux documents multimédias : « la multiréférentialité intra et intertextuelle […] permet sur un support multimédia de mettre en rapport une œuvre (littéraire, musicale ou plastique) avec ses sources, sa genèse, ses différentes versions 74 ». La transformation des habitudes de lecture par le multimédia constitue un enjeu didactique de premier plan et définit, pour l’enseignant, de nouveaux objectifs pédagogiques. Elle appelle aussi une nécessaire refondation de la didactique de la lecture (et pas seulement littéraire) en classe de langue. 1.2. Quels textes pour quel projet didactique ? Les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Education ont induit une véritable révolution copernicienne dans la manière de penser l’utilisation de documents authentiques de nature textuelle. Qu’il s’agisse ou non de lecture médiatisée par ordinateur, en didactique des langues, « les activités de lecture ont aussi pour fonction de restaurer, chez le lecteur rendu malhabile par la méconnaissance de la langue étrangère, des stratégies de lecture automatiques en langue maternelle, mais occultées 75 ». Lorsque l’enseignant de Français Langue Etrangère désire faire lire à ses étudiants des textes linguistiquement riches et syntaxiquement intéressants, il n’a que l’embarras du choix. Le premier choix à opérer réside dans la sélection d’un certain nombre de sites fonctionnant comme des bibliothèques numériques ou des catalogues d’œuvres en ligne. Je ne donnerais ci-dessous que quelques exemples de sites qui sont le résultat d’une rapide recherche. Cette brève navigation sur Internet a permis de trouver en

quelques minutes des textes et des œuvres littéraires sur Internet : Le professeur peut au choix exploiter les ressources du site ABU.cnam.fr (qui permet depuis 1993 l’accès libre au texte intégral de nombreuses œuvres françaises et francophones du domaine public disponibles sur Internet. Ce site se définit comme une bibliothèque universelle). Le site algérien Oasisfle.com propose une sélection d’œuvres littéraires françaises et francophones (en format Word ou PDF) utilisables en classe de Français Langue Etrangère. La Médiathèque Départementale du Haut-Rhin (à l’adresse suivante : http://www.mediatheque.cg68.fr/livrenum.html) fournit un accès à des livres numériques majoritairement de littérature de langue française mais aussi de littérature anglaise et même latine. Le site FLE.NET (rattaché à l’Université de Léon en Espagne) propose trente-sept textes littéraires lus accessibles en fichiers audio et faisant entendre non pas la voix de l’auteur, mais la voix du texte. Enfin et surtout, le site belge Internet Actuel (http://www.internetactuel.be/) offre une base de données dynamique de textes authentiques actuels exploitables dans le cadre de l’apprentissage du Français Langue Etrangère. Une fois repérées les pages web offrant un libre accès à de très nombreux textes (authentiques ou littéraires) écrits en langue française (ou même en francophonie), l’enseignant de FLE doit ensuite élaborer un projet didactique permettant d’exploiter les configurations techniques imposées par le développement de l’informatique dans la société contemporaine. Les œuvres littéraires intégrales présentent un incontestable intérêt pour les apprenants dans la mesure où elles leur imposent un effort soutenu de lecture et de concentration et les obligent à développer des stratégies à propos desquelles O’Malley et Chamot ont proposé le classement suivant : les stratégies métacognitives (amenant à réfléchir sur le processus d’apprentissage) ; les stratégies cognitives (correspondant au traitement de la matière à étudier, en l’occurrence la langue française) ; les stratégies socio-affectives (impliquant une interaction avec une autre personne, qu’il s’agisse d’un autre apprenant ou du professeur lui-même). Les œuvres intégrales peuvent constituer des ressources de choix mais, en fonction de la progression de l’enseignant, de la durée de chaque séance (qui est en générale édictée par l’institution au sein de laquelle il exerce), il sera plus judicieux d’avoir recours à des extraits choisis pour leurs qualités linguistiques, stylistiques et esthétiques. L’enseignant pourra donc puiser dans la banque d’extraits de textes littéraires disponibles sur les sites suivants :

AD LITTERAM (http://membres.multimania.fr/adlitteram/titres) propose de cours extraits de textes littéraires qui seront plus adaptés pour des apprenants débutants de niveau A0/A1. L’enseignant pourra également exploiter ces textes comme des embrayeurs d’activités de repérage d’unités de la langue ou de composants syntaxiques. CLICNET (http://clicnet.swarthmore.edu) met à disposition des enseignants de Français Langue Etrangère des textes littéraires classiques ou contemporains, des textes émanant de chercheurs en littérature ou en didactique. Ce site très riche offre de multiples possibilités d’exploitation en classe de langue. La lecture de documents littéraires et fonctionnels en classe de FLE permet d’initier les étudiants à la richesse de la langue française à travers ces textes qui sont de véritables réservoirs de structures, des banques de données recueillant des constituants essentiels de langue française. Un projet didactique intégrant la lecture de littérature (par l’intermédiaire de l’ordinateur) en classe de langue doit être dirigé vers un objectif futur : l’acquisition ou le renforcement de compétences lectorales en langue étrangère, en lien avec des compétences scripturales et une capacité à développer une réflexion cohérente vis-à-vis de la langue-cible. Il s’agira donc, pour l’enseignant, de familiariser ses apprenants avec la lecture en ligne et interactive telle qu’elle est mise en œuvre dans un certain nombre de sites cités dans cet article.

2. Textes littéraires et TICE : une révolution problématique ? L’introduction des TICE dans la didactique du Français Langue Etrangère et dans les pratiques pédagogiques qui en découlent a eu comme principale conséquence la transformation des habitudes de lecture des apprenants. Grâce aux fonctionnalités techniques des sites, l’apprenant aura la possibilité (qu’il n’avait jamais eu auparavant) d’« inscrire les traces de la lecture dans une activité d’écriture ». Cette possibilité constitue une véritable révolution car, si habituellement les enseignants de Français Langue Etrangère ont l’habitude de croiser les compétences et de les pratiquer l’une après l’autre, il n’était pas encore possible de faire passer ces activités d’une relation de successivité à un rapport de simultanéité. C’est ce que je vais tenter de mettre en lumière dans la section suivante. 76

2.1. La lecture et l’écriture littéraire à l’épreuve des TICE Les TICE ont fait évoluer, dans le cadre de la Didactique des Langues Etrangères, non seulement la lecture mais aussi la compréhension des textes. Comme l’écrit Jean-Marie de Ketele, le travail d’un didacticien mais aussi d’un enseignant de Français Langue Etrangère doit consister à « voir comment la technologie de l’éducation bien pensée peut faciliter le travail de l’apprenant dans la construction progressive de son savoir, savoirfaire, savoir-être et même savoir-devenir et peut être un outil remarquable au service de la formation et même de l’éducation 77 ». C’est à ce seul titre que toute la communauté éducative pourra retirer les réels bénéfices offerts par ces technologies. Un autre atout des documents hypertextuels réside dans le fait qu’ils confrontent les apprenants à de nouvelles difficultés interprétatives et lectorales, et les obligent à développer, comme l’écrivent Béatrice Pudelko, Jacques Crinon et Denis Legros, « de nouvelles

compétences 78 ». Comme le signale Thierry Lancien dans Le multimédia, certains éditeurs de cédéroms et de sites mettent les textes littéraires proposés à la lecture des apprenants en regard avec leur appareil critique qui est, lui, mis à disposition en hypertexte. De cette manière, c’est toute la pratique de la lecture qui s’en trouve métamorphosée en une sorte d’exploration tabulaire. C’est là toute la richesse de l’apport du multimédia dans la lecture de textes en classe de FLE : « la multiréférentialité contextuelle permet de son côté de mettre en rapport un sujet donné avec tous les éléments […] qui peuvent aider à mieux le comprendre 79 ». C’est donc, en même temps que la lecture, la recherche de données sémantiques et l’interprétation qui se voient profondément transformés. En même temps que les habitudes de lecture, ce sont les pratiques d’écriture qui évoluent considérablement puisque les documents multimédias contenant des textes littéraires autorisent d’autres manières de rentrer en interaction avec eux. Dans ce cadre-là, il sera particulièrement « important que la personne qui consulte le document puisse garder trace de son parcours, ajouter des notes, manipuler des documents hypermédias pour répondre à des tâches ou encore pénétrer dans des activités de simulation 80 ». C’est donc des tâches que l’enseignant de Français Langue Etrangère doit partir lorsqu’il construit une progression pédagogique, aussi bien pour des activités de lecture que d’écriture. Dans tous les cas il doit conjuguer une analyse fine du texte avec l’établissement d’objectifs (pensés en termes d’appropriation de la langue-cible) pour susciter des activités langagières riches. Ce qui change avec les TICE, c’est que l’apprenant a désormais la possibilité, en même temps que la lecture, de développer en parallèle diverses formes d’écritures fonctionnelles et méta-discursives. De nombreux lecteurs « éprouvent le besoin de gloser et de commenter les textes […], souligner, annoter un passage dans la marge81 ». L’écriture en marge, la glose des textes simultanément à la lecture elle-même sont donc des fonctionnalités nouvelles offertes aux apprenants dans leur processus d’acquisition-apprentissage. Il me faut donc souligner vivement « l’intérêt des espaces électroniques réservés à la prise de note [qui] est donc plutôt de fournir des environnements intégrés de lecture, d’annotation et éventuellement de travail collaboratif à distance 82 ». L’enseignant pourra ainsi, au sein d’un laboratoire multimédia, faire travailler ses apprenants sur le même texte littéraire, accéder à leurs annotations marginales (et les corriger si besoin est), initier une véritable dynamique d’apprentissage collaborative en offrant la possibilité aux étudiants de comparer leurs points de vue et leurs annotations et ainsi de mettre en perspective leurs hypothèses de lecture. Ce processus permettra de construire collectivement des axes de lecture et surtout de faire émerger, par le travail en équipe, la véritable signification du texte. Les TICE permettent de confronter les apprenants à un processus d’apprentissage beaucoup plus riche parce qu’il les confronte à des difficultés nouvelles, leur demande de mobiliser d’autres compétences et fait émerger une créativité (une créaTICité devrais-je dire) qui constitue un véritable apport, en termes de développement psycho-cognitif, à la didactique des langues. Les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation ouvrent une voie inédite car elles permettent d’élaborer, conjointement aux activités de lecture littéraire sur support hypermédia (et hypertextuel), des activités d’écriture innovantes faisant appel à la « créaTICité » des apprenants. 2.2. De la lecture littéraire hypertextuelle à l’écriture créative en classe de FLE

Les TICE contribuent à affermir certaines compétences lectorales acquises en langue maternelle et dont il s’agit d’assurer, par des procédures adaptées, le passage dans le champ de la langue étrangère. Ces compétences s’accompagnent d’un certain nombre d’étapes : « dans la perspective de la psychologie cognitive, l’activité de la compréhension de textes a trois composantes : la situation, les connaissances et la tâche ». La situation (contextualisation), les connaissances relatives à l’œuvre et à l’auteur et l’accomplissement d’une tâche spécifique (répondant à des objectifs précis) garantissent la bonne compréhension d’un texte littéraire. Ces éléments sont transférables en direction d’une activité d’écriture créative en FLE. Les supports multimédias favorisent des activités diversifiées qui aident les apprenants, dans un cadre ludique et convivial, à accroître leur maîtrise de l’écrit. L’atelier d’écriture dans la classe de FLE peut être mené de deux manières, l’une plutôt classique, et l’autre plus innovante. Je rappellerais brièvement la philosophie générale et le déroulement d’un atelier d’écriture traditionnel : 83

Atelier d’écriture traditionnel : À la base d’un atelier d’écriture, il y a un groupe de personnes qui partagent un même goût pour l’écriture et produisent des textes en fonction des consignes données par l’animateur. L’atelier a une connotation artisanale et implique une communauté restreinte, un espace clos et chaleureux et un maître d’œuvre en la personne de l’animateur. Au sein de l’atelier, la production de textes est le résultat des activités d’une communauté. Elle obéit à des règles strictes, clairement énoncées, dont l’animateur est le garant. C’est de la contrainte forte que naît la créativité. La contrainte temporelle est très importante dans la mesure où c’est dans un temps limité et dans le respect des consignes que le texte va être produit par l’apprenant. Le fait d’écrire dans un laps de temps court développe une inventivité et permet de passer outre certains blocages psychologiques antérieurs. Dans un atelier d’écriture classique, la dernière phase voit la publication des écrits des participants. Ces écrits sont rendus publics par l’intermédiaire de la lecture à voix haute qui permet de recueillir les réactions et les commentaires de l’assemblée sur le texte que l’on vient de lire. Atelier d’écriture utilisant les ressources des TICE : La principale différence entre un atelier d’écriture classique et un atelier d’écriture exploitant Internet et le multimédia réside précisément dans la publication des écrits des apprenants. En cours de Français Langue Etrangère, la publication peut se faire par le biais du courrier électronique, voire de pages diffusées sur Internet. Contrairement à l’atelier classique, la publication se fait in absentia, elle est différée et en dehors de tout jugement. Je vais maintenant présenter les avantages de mener un atelier d’écriture véritablement créaTICE : L’atelier d’écriture virtuel engendre une communauté (même si celle-ci n’est pas

physiquement présente) au sein de laquelle il y a toujours un espace de mise en commun et d’échange. Le support informatique facilite aussi bien l’accès à des textes sources (ou seconds par le biais des liens hypertexte) que leur manipulation. Internet permet une publication immédiate, que ce soit par l’intermédiaire du mél ou de la publication de pages sur un blog ou sur un forum. L’hypertexte favorise le maillage des productions écrites et leur réinvestissement dans de nouvelles productions. Un groupe de scripteurs (ou d’apprentis-scripteurs) peut convenir d’une séance de travail collective à distance par le biais d’Internet. La communauté de l’atelier d’écriture originel est ainsi recréée par l’intermédiaire des TICE. Pour mener à bien un atelier d’écriture recourant aux TICE en classe de Français Langue Etrangère, l’enseignant doit s’assurer préalablement qu’un certain nombre de prérequis sont réunis : L’écriture sera abordée dans une perspective communicative et interactionnelle. Les apprenants partageront ainsi leurs expériences réelles ou imaginaires et construiront des textes avec les connaissances et les compétences linguistiques qui sont les leurs Les activités d’écriture seront pratiquées en lien avec d’autres activités d’expression orale, de lecture et de compréhension orale qui créeront le contexte propice à la réalisation d’une tâche correspondant à des objectifs fonctionnels, grammaticaux, lexicaux ou socioculturels. Un extrait de film, une photographie, une série de mots ou un extrait de chanson serviront de déclencheurs de production écrite dans une perspective synesthésique faisant appel à tous les sens de l’apprenant. Les textes littéraires authentiques utilisés permettront aux apprenants d’entrer en contact avec la culture française et avec celle de chaque pays représenté dans la classe dans une perspective interculturelle. L’enseignant de FLE sera, en tant qu’animateur d’atelier d’écriture, une personne ressource. Les apprenants s’entraideront dans la phase de relecture et de correction des textes. Grâce aux TICE, cette phase de dialogue pourra recourir à la messagerie instantanée ou à l’e-mail, les apprenants renforçant ainsi leur apprentissage par l’interaction. Le principal intérêt d’un atelier d’écriture informatique réside dans la possibilité, pour l’apprenant, de travailler soit en autonomie devant son écran d’ordinateur, soit de manière collaborative. Dans ce cas précis, le texte de l’un des apprenants est proposé à tout le groupe par l’intermédiaire du vidéo-projecteur. Il est ensuite commenté oralement, amendé par le groupe, soit sur le fichier informatique lui-même qui est alors envoyé par mail à chaque participant ou mis à disposition sur un wiki. Ce système, qui sert à gérer le contenu d’un site web, permet de créer un espace de travail accessible à un groupe d’étudiants précis. Les étudiants peuvent accéder sur le wiki, qui leur est réservé par leur

professeur, à un texte produit par l’un d’entre eux qu’ils pourront amender, compléter, prolonger ou au contraire synthétiser. Le texte ainsi réécrit collectivement peut à son tour être mis à disposition sur le wiki collaboratif et suivre la même phase de réécriture. De cette manière, le résultat de la création d’un texte – même rédigé en autonomie – sera le produit d’un effort collectif. Cet aspect du wiki, particulièrement motivant pour les apprenants, permet à chacun d’être valorisé au sein même de la réussite collective d’une activité. Au terme de cet article, nous tenons à signaler que si les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation constituent un formidable vecteur de développement et de renouvellement de la didactique en général et de la didactique des langues étrangères en particulier, il faut tout de même se garder, soit de céder au chant des sirènes de l’illusion technologiste, soit de rejeter violemment une série d’outils qui peuvent être utiles aux apprenants dans leurs parcours d’apprentissage, et aux enseignants dans l’élaboration de leur projet didactique et de leur programmation pédagogique intégrant aussi bien des activités de compréhension orale et écrite, que des exercices de production orale et écrite. De nombreuses voix se font entendre qui clament « à juste titre, que l’enseignement n’est pas affaire de machines, mais d’hommes, et que la relation pédagogique est à réinventer à chaque instant, avec chaque élève 84 ». C’est d’ailleurs tout le propos de Jacques Crinon et de Denis Legros dans la présentation de leur ouvrage Psychologie des apprentissages et multimédia. Si effectivement la pédagogie est une relation qui se noue entre des êtres humains afin que le détenteur d’un savoir (le professeur) puisse le transmettre à ses apprenants au moyen d’une démarche adaptée à leur niveau, à leurs besoins langagiers et à leurs objectifs. Les TICE contribuent largement au développement de nouvelles compétences lectorales et scripturales et les apprenants, au premier chef, sont confrontés à ces évolutions et doivent, en retour, s’adapter et bâtir de nouvelles stratégies d’acquisition-apprentissage. Dans la perspective d’une tension vers toujours plus d’autonomie dans les apprentissages en Français Langue Etrangère, les aides logicielles à la lecture et à l’écriture (qu’il s’agisse du multimédia hors ligne ou en ligne, des cédéroms, ou des méthodes télévisées) intègrent une part non négligeable d’autodidaxie : « l’autodidaxie se caractérise par la responsabilité totale de la personne sur son apprentissage, depuis la conception du projet lui-même, en passant par la définition des objectifs, le choix des contenus et des ressources 85 ». Dans cet appel grandissant à la responsabilité et à l’autonomie, les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation jouent un rôle considérable car elles stimulent à la fois la sphère psycho-cognitive, mais aussi la créativité et l’inventivité des apprenants. Enfin, si trop d’analyses relatives aux rapports entre le multimédia et l’éducation relèvent d’une vision déterministe des effets de ces technologies (regroupées sous l’acronyme TICE), c’est parce qu’elles méconnaissent une dimension importante dans toute didactique (et plus particulièrement celle des langues étrangères) : la créaTICIté contribue à élaborer sans cesse de nouvelles manières d’enseigner le Français Langue Etrangère, de mettre au jour des relations inédites entre la langue-cible, la culture et la technique. C’est à cette seule condition qu’on peut être un enseignant créaTICE.

Bibliographie Barbot Marie-José et Pugibet Véronique (2002), Apprentissages des langues et technologies : usages en émergence. Le Français dans le monde, recherches et applications, numéro spécial.

Bouchard Robert et Mangenot François (2001), Interactivité, interactions et multimédia. Notions et questions, 5. Charlier Bernadette et Peraya Daniel (2003), Technologie et innovation en pédagogie. Dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur. Bruxelles : De Boeck. Cuq Jean-Pierre (2003), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. Paris : Clé International/ASDIFLE. Hirschprung Nathalie (2005), Apprendre et enseigner avec le multimédia. Paris : Hachette. Lancien Thierry (1998), Le multimédia. Paris : Clé International. Lebrun Marcel (1999), Des technologies pour enseigner et apprendre. Paris-Bruxelles : Editions De Boeck. Legros Denis et Crinon Jacques (dir.) (2002), Psychologie des apprentissages et multimédia. Paris, Armand Colin.

Le FLE et le potentiel de créativité des applications Google Jean-Marcel MORLAT Institut Graybridge-Malkam, Canada

Jérôme RAMBERT Institut français Milano, Italie

Introduction De nos jours, nombreux sont ceux et celles qui animent un site pédagogique lié au Français Langue Etrangère, le plus souvent sous la forme d’un blog. Ces blogs prennent en général différentes formes : le blog peut ainsi être pédagogique ou parfois il est lié à une formation universitaire, l’outil lui-même permettant un retour sur sa formation professionnelle. Plus rares sont les sites pédagogiques animés par des enseignants individuels. Sous une forme payante, les contraintes sont multiples et impliquent une logistique qu’un enseignant seul a du mal à assumer. Notre propos est de montrer qu’il est possible de mettre en place un site WEB gratuit, en utilisant les applications offertes par Google. En effet, ce géant de l’Internet propose depuis quelques années différentes applications qui nous semblent incontournables dans le cadre de l’enseignement du Français Langue Etrangère. Malheureusement, ces applications n’ont pour l’instant pas suffisamment retenu l’attention des acteurs du FLE, quels que soient leurs horizons et nous sommes convaincus qu’il serait regrettable de passer à côté d’un outil puissant et prometteur d’un point de vue pédagogique. Dans cet article, nous aimerions donc présenter les applications gratuites offertes par Google et montrer dans quelle mesure ces outils favorisent un certain renouveau pédagogique chez les enseignants qui décident de les utiliser. Il nous semble également intéressant d’interroger certains usages et pratiques pédagogiques : comment peut-on mettre en place un projet de création de sites, mutualiser les ressources disponibles et surtout dans quelle mesure la créativité des enseignants estelle encouragée ?

1. Présentation des applications principales « Communiquer, publier et partager » : telle est la devise de Google quant à ses applications. Pour y accéder, il suffit en fait de se créer un compte Google gratuitement à partir de la page d’accueil, ce qui permet ensuite d’avoir accès aux différentes applications. L’une d’entre elles, Google Documents, est une suite bureautique extrêmement riche et articulée, un véritable outil de travail collaboratif en ligne aux nombreux avantages. Les caractéristiques les plus pertinentes sont les suivantes : La création immédiate de 4 types de fichiers susceptibles de nous intéresser : Document (traitement de texte), Présentation (Publication Assistée sur Ordinateur), Feuille de calcul (tableur), Formulaire (de sondage) ; Le stockage en ligne (1024 Mo) des documents accessibles de manière sécurisée quel

que soit le lieu où l’on se trouve dans le monde, qui permet de stocker tous les types de documents (Word, PDF, JPG, etc.) ; L’importation et l’exportation de documents avec le support des formats de fichiers Microsoft Office, Open Office et PDF ; L’envoi direct d’un document par mél ; La possibilité de tchatter à plusieurs sur le même document ; La liberté qui vous est donnée d’inviter quelqu’un à partager et à gérer l’ensemble de ce travail collaboratif, en accordant des droits d’accès au projet. C’est sur ce dernier point que nous souhaiterions insister. En effet, chaque document créé peut être partagé avec un ou plusieurs utilisateurs, dans la mesure où le propriétaire du document peut inviter des collaborateurs, lesquels obtiennent un droit de consultation ou de modification. En effet, c’est à partir de cette dernière option qu’il est possible de développer un travail collaboratif, étant donné que tous les collaborateurs peuvent modifier le document. Enfin, il est possible de tout simplement partager le lien, afin que tout un chacun puisse le consulter, sans pour autant être autorisé à effectuer une quelconque modification. Afin d’illustrer notre propos, il est possible de consulter un document « Présentation » qui reprend les principales caractéristiques de Google Documents ainsi que des vidéos. 86

De même, Google met à disposition tout un panel complémentaire utile à la mise en place et à la coordination d’un travail collectif : Google Groups : cet outil propose de créer (ou de rejoindre) un groupe, en fonction de ses propres centres d’intérêt. Il est par exemple possible de créer des discussions pour garder le contact avec les autres membres du groupe, de mettre des pages en ligne, de personnaliser son groupe et de partager des fichiers. Google Groupe est donc bel et bien un Wiki que l’on peut personnaliser et partager, ce qui extrêmement utile pour mettre en place un travail collaboratif et en assurer son suivi ; Google Talk : il s’agit d’une messagerie instantanée audio et vidéo, qui est un outil idéal pour les rendez-vous synchrones ; Google Agenda : cette application permet de coordonner aisément son agenda en fonction de son groupe de travail ; Blogger : il s’agit d’un blog en évolution constante, que l’on peut personnaliser et partager et qui permet avant tout de publier en ligne. Sa prise en main est simple et les aides sont nombreuses. Cette plate-forme est très utilisée par les enseignants de FLE. 87

Enfin, Google Sites offre différentes fonctionnalités qui sont des plus intéressantes dans la mesure où elles permettent de créer un site WEB facilement. En effet, il est très facile de personnaliser l’interface de son site afin de lui donner l’identité voulue, selon le groupe que l’on souhaite atteindre ou le projet que l’on désire mettre en place, en ayant tout simplement recours à une gamme variée de modèles : il est facile de créer une sous-page, de choisir un modèle précis dans une liste de types de pages, l’offre déjà pléthorique

évoluant sans cesse (modèle vierge, projet Wiki, Site familial, Site de classe, etc.). Ces fonctionnalités permettent ainsi de créer, selon ses besoins, l’intranet d’une entreprise, le site d’un projet, des mini-sites destinés à des employés, le site d’une association, mais surtout le site d’une classe ou d’un groupe d’étudiants, ou encore un site qui permet à des apprenants de Français Langue Etrangère de suivre un programme ou d’avoir accès à des ressources en ligne. De même, il est possible d’avoir accès à un wiki (avec flux RSS) et l’on peut aussi intégrer des documents à partir de Google Documents (traitement de texte, tableur, calendrier, photos, vidéos tirées du site YouTube, etc.). De plus, il permet d’intégrer de nombreux gadgets iGoogle, de créer un blog, de gérer des fichiers en téléchargement et de faire des listings de produits. On peut ainsi rassembler un ensemble de documents, ajouter des pièces jointes et surtout autoriser leur accès ou leur modification à un groupe restreint ou encore l’ouvrir à tous. En ce qui concerne l’étape initiale de la création de site, il est regrettable de constater qu’il n’existe pas de version française de la vidéo de présentation officielle de Google Sites, tandis que la version francophone de ce site est vraiment pauvre : les traductions des commandes sont souvent remplies de coquilles et les copies d’écrans offertes aux novices sont tirées de la version anglaise, alors que les explications sont en français. De plus, lorsque l’on colle des textes à partir de certains documents, il est souvent malaisé de changer le format ou la police du texte. Sans nul doute, l’équipe de Google Sites améliorera son service très bientôt et planche déjà sur ces problèmes. Il faut tout de même préciser que les points positifs l’emportent sur les côtés négatifs, l’essentiel étant que Google offre aux enseignants qui veulent mieux intégrer les TIC dans leurs projets pédagogiques des outils dont la prise en main ne pose pas de difficulté majeure. Il nous semble important de souligner le fait que Google continue d’innover et que ses applications, susceptibles de s’améliorer et de s’adapter aux besoins des utilisateurs, sont en évolution permanente. Cette vérité est d’ailleurs illustrée par la création récente d’une nouvelle application, Google Shared Spaces, qui permet de créer très rapidement des espaces de collaboratifs jetables, cela à partir de gadgets (widgets), qui étaient déjà proposés par Google Wave. Ainsi, une cinquantaine de gadgets (Google Maps, dessins, sondages, jeux) sont mis à disposition des internautes, lesquels apparaissent sur une page où se trouvent le gadget ainsi qu’une messagerie instantanée, l’URL de votre espace et des liens vers Buzz et Twitter. 88

2. L’exemple du Français langue étrangère 2.1. Création d’un site : « Programme de FLE (B1 et B2) » De septembre 2009 à juin 2010, nous avons créé un site WEB dans le cadre du programme de français de langue B du Baccalauréat International, qui dure deux ans et qui est enseigné dans les écoles internationales du monde entier. L’objectif premier était d’offrir aux élèves et aux enseignants un ensemble de ressources en ligne, une sorte de boîte à outils permettant de collaborer et de mutualiser les ressources disponibles ici et là. D’un point de vue pédagogique, il s’agissait avant tout de remettre le document authentique à l’honneur, sous une forme déjà didactisée par d’autres, mais aussi de proposer des séquences créées spécialement pour ce programme. Nous voulions aussi montrer qu’il est possible de créer tout un cours sans avoir recours à un manuel. Outre les documents bruts que nous avons sélectionnés pour construire ce programme, nous avons 89

utilisé différents sites qui offrent déjà une richesse de documents (Rfi.fr ; Tv5.org ; Internet actuel ; Le point du FLE). Le défi était également de garder une trace tangible de cette création de par son accès numérique. Depuis, ce site a changé de nom et se nomme maintenant “Programme de FLE (B1 et B2)”. Il s’adresse désormais à celles et ceux qui enseignent les niveaux B1 et B2 du DELF et est en train d’évoluer et de se transformer en site pédagogique. 90

La manière de développer et de concevoir notre site a été (et est toujours) la suivante : tout comme avec un bloc-notes, les liens pertinents sont collés sur les pages concernées au fur et à mesure de nos recherches sur l’Internet et de la préparation de nos classes, ce qui permet de développer le site de manière progressive en créant des rubriques selon une approche thématique. C’est une approche au jour le jour, qui permet de tirer parti de ses erreurs et d’améliorer l’ensemble progressivement. L’architecture générale du site est maintenant plus ou moins en place, puisque les dossiers thématiques ont tous été créés : il est possible d’ajouter des sous-thèmes selon ses besoins pédagogiques ; pourtant, il ne s’agit pas encore d’un produit fini, dans la mesure où le temps imparti à la création de ce site est insuffisant. L’aspect chronophage de ce type d’entreprise est bien réel et le travail de l’enseignant en solitaire a beaucoup de limites ! Nous considérons qu’au stade actuel il est primordial de donner un nouveau souffle à ce projet et de trouver des collaborateurs pour : mieux remettre à plat le projet initial, le site étant actuellement en train d’évoluer et de devenir un site qui d’adresse exclusivement aux enseignants de FLE : nous pensons utiliser ce site un peu comme un blog en offrant des pages thématiques de manière régulière où seraient partagés idées, documents et manières de faire ; avoir recours à des personnes qui ont des compétences différentes d’un point de vue pédagogique et technique ; déléguer le travail et assurer un rôle de webmestre ; rendre le site plus homogène, le standardiser. D’un point de vue didactique et pédagogique, il reste beaucoup à faire : bien aligner les activités sur le Cadre Européen Commun de Référence pour les langues ; didactiser davantage de documents authentiques et offrir différents types de scénarisation pédagogique ; multiplier les aides et les corrections offertes aux apprenants ; systématiser la création de fiches pédagogiques ; mettre en place un forum pour les enseignants ; développer la partie langue et grammaire sous un aspect plus structuré. Nous pensons que la collaboration de quelques acteurs du FLE opérant dans différents pays et dans des structures variées (universités, Alliance Française ou Institut français à l’étranger ou encore dans les écoles secondaires en tous genres) serait intéressante. Des enseignants en formation initiale (Master de FLE) trouveraient dans un tel projet le moyen

d’acquérir une expérience de terrain en proposant des séquences pédagogiques. Nous pensons poursuivre dans cette direction : un noyau permanent de professeurscollaborateurs auxquels pourraient s’ajouter des collaborations ponctuelles dont la modalité reste à définir. Le projet n’en est finalement qu’à ses balbutiements. Depuis la mise en place de l’outil statistique Google Analytics, nous avons reçu pour une période qui s’étale du 12 février au 23 février 2010, la visite de 218 internautes de 41 pays différents, ce qui est très encourageant. Cet outil, qu’il nous reste à apprivoiser, devrait permettre d’en apprendre davantage sur les internautes qui fréquentent notre site et d’améliorer notre formule, tout en tirant des conclusions utiles à son amélioration. Il est intéressant de constater que, sur cette même période, 31, 73 % des personnes qui ont visité le site l’avaient déjà fait auparavant. Sachant que l’outil statistique n’est en place que depuis peu et que le site existe depuis bientôt un an et demi, on peut imaginer que le site a été visité de nombreuses fois. 2.2. Expériences pédagogiques à l’Institut français Milano Nous avons mené trois expériences, encore en cours aujourd’hui La première à partir du Formulaire Google, proposé dans Google Documents. Il s’agit de détourner l’utilisation usuelle du fichier Google Formulaire, notre intention n’étant pas d’obtenir des données dans le cadre d’un sondage, mais bien de proposer une didactisation de document, audio en l’occurrence. Il est possible de présenter un questionnaire en ligne décliné en items typiques d’une didactisation de documents audio : choix multiples, cases à cocher, sélection dans une liste, questions ouvertes. Les apprenants se préparant au niveau C1 (ou même au B2 comme au C2) peuvent ainsi se mettre en situation d’examen en gérant les deux écoutes. Le questionnaire peut être imprimé très facilement. L’autocorrection est proposée à la fin du billet sur un simple Google Document. Le feedback des apprenants en cours a été excellent dans la mesure où les futurs candidats du niveau C1 ont beaucoup apprécié cette mise en situation. Il faut tout de même signaler une limite : le questionnaire rempli et ses résultats ne doivent pas être envoyés car les informations sont alors perdues pour l’apprenant, il lui faut alors recommencer ou regarder directement les réponses. Cependant, l’offre de Google évolue en permanence et nous espérons que prochainement ils pourront offrir un fichier capable de proposer des exercices en ligne, en permettant par exemple de supprimer le bouton « Envoyer » qui serait remplacé par un bouton « Correction ». Dans le cadre d’un travail collaboratif, il est tout à fait envisageable de partager un document à plusieurs pour préparer une didactisation en échangeant un document audio ou bien un podcast comme nous l’avons montré dans nos exemples. 91

À la suite de cette première expérience, nous avons publié un site Google afin de diffuser notre expertise en préparation au Dalf et en TICE . L’utilisation concerne avant tout les apprenants de l’Institut français Milano qui bénéficient ainsi d’un site de référence pour leur préparation au Dalf, qui est très utile pour approfondir les sujets évoqués en cours ou la méthodologie. Le site a par ailleurs également connu une rapide diffusion internationale, comme le démontre Google Analytics, l’instrument qui permet d’évaluer la diffusion de son site (le 10/2/11, plus de 7200 visites dans 125 pays). 92

Enfin, la présentation Google permet de structurer rapidement et avec simplicité un cours sur Tableau Blanc Interactif. Il est en effet très aisé de préparer un cours sur une présentation Google en intégrant des vidéos, des écoutes, des chansons, des images pour

préparer par exemple un parcours thématique, ou bien un point grammatical, une préparation à la compréhension orale. En classe, grâce à un TBI relié à Internet, l’enseignant doit simplement se connecter à son compte et peut alors présenter son parcours sur une présentation Google, sans clef USB, car le compte Google est accessible de partout, tout le temps. 93

De fait, c’est à partir de telles expériences qu’il est possible d’imaginer un travail collaboratif, puisque sans exemples concrets de pratiques utiles pendant et après le cours, il est vraiment difficile de former puis d’impliquer une équipe pédagogique dans un projet. Les applications Google fournissent aux enseignants de FLE un outil simple, clair, exploitable immédiatement et surtout capable de soutenir leur progression professionnelle en matière de TICe. C’est uniquement à partir de cette prise en main technique que les enseignants pourront projeter leurs connaissances, leurs idées, leurs savoir-faire en classe de FLE. Et c’est seulement alors qu’interviendra la créativité, l’envie de créer pour partager des découvertes, des parcours, des images. Le cap technique à surmonter n’est jamais à négliger et représente souvent un véritable blocage, qu’il est aujourd’hui possible de dépasser grâce à la mise en place d’un plan de formation pour les enseignants, lequel implique un réel travail collaboratif sur les applications Google et une réflexion professionnelle de leur part : cette réflexion se fait dans une optique de formation professionnelle, autour d’un réel projet pédagogique. Il est toutefois certain, que les applications Google, de par leur flexibilité, permettent aux enseignants de prendre leur temps et de se les approprier.

3. Perspectives pédagogiques Mises à part les expériences que nous venons de présenter et l’exception notable de la plate-forme Blogger, il faut reconnaître que les outils proposés par Google sont encore peu utilisés dans le monde du Français Langue Etrangère. On notera quelques cas isolés qui illustrent le potentiel de l’outil. Ainsi, Carmen Véra propose un site intéressant aux enseignants de Français Langue Etrangère, Ressources pour les professeurs des DNL francophones, tandis que l’Institut français Milano propose un site dédié au DALF ; l’ambassade de France à Fidji a également mis en place un site pour le recrutement d’enseignants de FLE, tandis qu’une école de langues de la région d’Ottawa a créé un site par le biais de Google Sites. Toutes ces réalisations illustrent d’ailleurs les différentes potentialités des outils proposés par Google, puisque selon les besoins, l’on vise à informer et recruter des enseignants, à les former aux TIC, ou encore à offrir un service à des apprenants en les informant ou en les formant. L’on remarquera que d’un côté, l’on a une approche professionnelle et aboutie de la création de sites, tandis que de l’autre il s’agira d’une approche plutôt novice. Force est de constater que du côté de la création de sites aboutis se trouvent des praticiens, en contact direct et quotidien avec des apprenants et dont les créations font ressortir la passion et le dévouement au quotidien, et surtout le sens de la créativité. 94

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En effet, le maître-mot qui devrait nous guider dans notre compréhension du potentiel des outils Google et de leur utilisation est bien le mot “créativité”. Selon Le Trésor de la langue française, la “créativité” est la “capacité, [le] pouvoir qu’a un individu de créer, c’est-à-dire d’imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau.” Un enseignant qui intégrait autrefois la chanson dans son enseignement en créant toutes ses séquences de A à

Z pourra ainsi mettre à profit les fiches pédagogiques de TV5 Monde et utiliser YouTube pour créer une séquence en ligne. Une fois qu’il se sera aguerri, il pourra didactiser luimême des chansons et proposer ses propres séquences en les mettant sur son site créé par le biais de Google Sites. Ce n’est pas tant l’utilisation de la chanson en classe de langue qui a changé, mais la manière de l’intégrer dans une séquence pédagogique. Le problème est abordé sous un angle différent, en s’adaptant à des situations techniques nouvelles, mais surtout en décuplant les possibilités, tant pour l’enseignant que pour l’apprenant. Ainsi, cette créativité, c’est aussi cette “Capacité de découvrir une solution nouvelle, originale, à un problème donné.” La nouveauté réside aussi dans le fait que l’enseignant n’est pas le seul détenteur du savoir, dans la mesure où les apprenants sont tout à fait à même de suggérer des ressources en ligne à l’enseignant qui ne les aura peut-être pas repérées ! Par conséquent, Google Sites permet aux enseignants d’enseigner autrement et aux apprenants d’apprendre d’une autre manière, à leur rythme, seuls ou ensemble. On peut réellement parler en reprenant une partie de la définition du mot “créativité” d’une “Mise en œuvre collective de ce pouvoir par un ensemble d’individus.” Il s’agit en effet à ce stade de créer une communauté d’apprentissage en mutualisant les ressources, puisque les outils Google permettent d’ajouter des pièces jointes (documents de cours) que les élèves peuvent télécharger, de créer des documents sous différents formats (texte, présentation, etc.) et surtout d’utiliser le site comme une vitrine où l’on publie les travaux des apprenants, quelle que soit leur nature et dans un esprit de partage et de collaboration. 98

Conclusion Dans cet article, nous avons montré quelles sont les applications propres à Google et dans quelle mesure elles peuvent permettre aux enseignants de se renouveler et de s’initier à la création de sites WEB des plus simplement. Nos exemples montrent qu’il est possible de tirer parti de ces outils gratuits pour mettre en œuvre les TIC dans le cadre de projets réalistes et faisables. Il est évident que les applications Google, utilisables aisément par tous les enseignants de FLE, permettent de réaliser quelque chose de nouveau d’un point de vue pédagogique, en leur permettant d’apporter une solution nouvelle à un problème qui devrait les tarauder à l’aube du XXIème siècle : l’insertion des TIC dans leur enseignement quotidien. En effet, sommes-nous certains que nous sommes tous égaux face aux TIC et que celles-ci se sont imposées partout ? Que cela implique-t-il donc pour nous en tant qu’enseignants de Français Langue Etrangère ? Tout d’abord que le métier d’enseignant devrait se faire toujours plus de manière collaborative et que tous ces instruments de création et de diffusion ne remplacent pas la créativité de l’enseignant, mais qu’ils lui en donnent les moyens. Comme le dit si bien Michel Serres : “Les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents. Nous sommes devenus intelligents, c’est-à-dire comme nous avons le savoir devant nous, comme nous avons l’imagination devant nous, […] nous sommes à condamnés à devenir inventifs, à devenir intelligents, c’est-à-dire devenir transparents, c’est-à-dire nous sommes à distance du savoir, à distance de l’imagination, […] et il ne nous reste exactement que l’inventivité ; c’est une nouvelle catastrophique pour les grognons, mais une nouvelle enthousiasmante pour les nouvelles générations, c’est-à-dire que décidément aujourd’hui, le travail intellectuel est obligé d’être un travail intelligent, et non pas un travail répétitif comme il l’a été jusqu’à maintenant.” 99

Bibliographie Crowder David et Ronda Lopuck Lisa (2008), Concevoir et créer un site WEB pour les Nuls. Paris : First Interactive. Morlat Jean-Marcel, Rambert Jérôme (2010), Vers une application pédagogique des outils Google : le cas du Français Langue Etrangère. Edufle.net, TIC, multimédia et FLE, samedi 18 décembre 2010, . Rémon Joséphine (2009), TIC et créativité en didactique des langues. Synergies Europe, 4 (La créativité dans tous ses états : enjeux et potentialités en éducation, Gerflint, 121-132. Grosbois Muriel (2009), Entre créativité et contraintes : Apports et limites des TIC. Synergies Europe, 4, Gerflint, 133147. Millerand Florence, Martial Odile (2001), Guide pratique de conception et d’évaluation ergonomique de sites WEB, Centre de recherche informatique de Montréal, http://www.crim.ca/fr/r-d/documents/GuideErgonomique.pdf Vaufrey Christine (2011), Les meilleures pratiques de l’éducation 2.0. : dix années d’utilisation des TIC en éducation, études présentées lors des rencontres d’Autran 2001, 12-14 janvier 2011, Laboratoire d’Informatique de Grenoble, équipe MeTAH, http://www.cursus.edu/userImgs/documents/deneel/meilleurs-pratiques-complet2.pdf

@lter et la pl@teforme FLE de l’ULG : compte-rendu d’expériences et d’expérimentations Audrey MATTIOLI-THONARD Institut Supérieur des Langues Vivantes, Université de Liège Responsable des enseignements et formations en ligne

Véronique GUEURY Institut Supérieur des Langues Vivantes, Université de Liège Chargée d’enseignement et conceptrice en ligne

Introduction L’enseignement des langues en ligne a fait son apparition il y a un peu moins de dix ans à l’Université de Liège. Celle-ci a opté, dans un premier temps, pour un logiciel d’autoapprentissage commercialisé puis, après une phase d’expérimentation et diverses analyses, a chargé l’Institut Supérieur des Langues Vivantes de créer ses propres contenus, baptisés @LTER pour « Apprentissage des Langues Télématique, Encadré et Responsabilisé ». Fort de cette expérience, cet Institut a souhaité partager ses compétences avec les futurs professeurs de français langue étrangère et a mis en place à leur attention une plateforme visant à la publication, le partage et l’exploitation des scénarios pédagogiques conçus dans le cadre de leur cursus universitaire. La première partie de l’article traite du dispositif mis en place à l’attention des étudiants Erasmus « in » ; la seconde rapportera les réflexions, les observations et les expérimentations qui ont entraîné des révisions régulières du programme du cours intitulé « Les TICe pour l’apprentissage/enseignement du FLE », inscrit au programme du Master en Didactique du FLE à l’Université de Liège, et qui ont finalement donné le jour à la Pl@teforme FLE de l’ULg.

1. Des TICe pour former les étudiants étrangers 1.1. La genèse d’@LTER En 2005, les autorités de L’ULg ont émis le souhait de donner une nouvelle impulsion à l’apprentissage des langues vivantes dans le but de rendre bilingue chaque étudiant belge ou étranger au terme de ses études. Elles ont chargé l’Institut Supérieur des Langues Vivantes de sonder la communauté universitaire afin de recenser l’état des connaissances des principales langues, les besoins et les souhaits des différents membres en matière de langues étrangères. Cette enquête s’est soldée par l’achat de la licence d’un logiciel d’auto-apprentissage commercialisé et par la mise en route d’une phase expérimentale du dit-logiciel sur deux cents apprenants aux profils variés. Au cours de cette expérimentation, des experts de l’enseignement des langues et de l’enseignement en ligne ont analysé et évalué le logiciel sur les plans pédagogique, relationnel et technique. À la fin de cette expérimentation, les différents participants ont répondu à une enquête de satisfaction. Outre les points positifs propres à l’enseignement en ligne tels que la

liberté d’accès ou une ergonomie efficace, quelques faiblesses non-négligeables ont été dénombrées : l’absence d’objectifs explicites, des thématiques inadéquates pour un public universitaire, l’impossibilité pour l’étudiant de produire du contenu oral ou écrit, une communication limitée avec le tuteur et impossible avec les autres apprenants, des feedbacks insuffisants et enfin, le coût assez élevé de la licence du produit testé. Par conséquent, cette expérience a clairement souligné la nécessité de créer notre propre dispositif d’enseignement en ligne. Celui-ci devait reposer sur les postulats suivant : le renoncement à l’auto-apprentissage en ligne complet en faveur du blended learning, un encadrement en ligne pro-actif, des activités originales adaptées aux besoins et intérêts de la communauté universitaire. De plus, il était essentiel de déterminer des objectifs et des échéances appropriés et de permettre aux apprenants d’interagir et de collaborer (peer coaching). Le programme @LTER (acronyme d’Apprentissage des Langues Télématique Encadré et Responsabilisé) était né ! 1.2. L’organisation d’@LTER À l’heure actuelle, @LTER compte une équipe de 8 tuteurs-professeurs pour 6 langues enseignées : le français pour les étrangers, l’anglais, le néerlandais, l’espagnol, l’italien et l’allemand. Chaque cours a été créé en adéquation avec les objectifs du Cadre Européen Commun de Références pour les langues et tous les niveaux sont représentés (A1 au C1). Chaque cours de langue propose des dizaines de séquences en ligne, des activités en solo, avec un tuteur ou en peer coaching, des activités de compréhension, de production et d’interaction (écrites et orales). Ces séquences sont disponibles sur la plateforme Blackboard©, adoptée par l’Université de Liège. Concrètement, chaque séquence s’articule autour d’une thématique générale déclinée dans 5 modules : compréhension orale, compréhension écrite, lexique, grammaire et phonétique. Chacun de ces modules est traversé par des activités sur la culture belge et l’interculturel de manière plus globale. Chaque module propose en alternance des exercices non-mémorisés et mémorisés. Les exercices non-mémorisés sont auto-correctifs et n’ont aucune incidence sur la note reçue par l’étudiant. Ils servent simplement à s’entraîner et à assimiler la matière. Il peut s’agir de questions à choix multiple, questions à réponses multiples, vrai/faux, questions à réponse courte (ouverte), questions d’appariement, textes à compléter, etc. En fin de module, on propose à l’apprenant des exercices mémorisés. Ces exercices mémorisés que nous appelons « tâches » sont au nombre de cinq : forums écrits et oraux, productions écrites et orales et quizzes. Ils ne peuvent être effectués qu’une seule fois et sont évalués par les tuteurs. Quelle que soit la langue, les tuteurs remplissent des rôles similaires. Bien entendu, ils corrigent la langue et commentent le contenu. De plus, ils encouragent l’apprenant, notent ses productions et le renvoient vers d’autres pages en cas de besoin. Enfin, ils répondent aux messages oraux et écrits des apprenants, relancent les discussions et, dans la mesure du possible, instaurent un climat de « classe virtuelle ». Après ce bref aperçu sur l’organisation générale du programme @LTER, penchonsnous à présent sur le cas particulier des Erasmus « in ». 1.3. @LTER et les Erasmus « in » de l’ULg Chaque année, l’Université de Liège accueille environ 750 étudiants Erasmus, que nous

appelons Erasmus « in ». La plupart d’entre eux sont obligés de suivre un cours de français. Ce cours est facultaire, comporte 60 heures de cours et peut mener à l’obtention de 5 crédits ECTS. En octobre 2009, pour des raisons d’ordre logistique, nous avons décidé de rendre les cours en ligne obligatoires pour tous les étudiants Erasmus « in » de l’Université de Liège. Nous avons donc opté pour une division du cours : 45 heures en présentiel et 15 heures en ligne avec @LTER. Cette nouvelle approche hybride reposant sur l’association « cours en classe traditionnel » et « cours en ligne » nous semblait plus complète car elle combinait les avantages de chaque forme d’apprentissage et réduisait les carences de l’e-learning (telles que l’impression de solitude ou l’absence d’émulation liée à un groupe…). En pratique, le travail en ligne doit être effectué pour la fin du cours en classe. Elles correspondent grosso modo à la réalisation d’une séquence complète. Pour chaque niveau, nous proposons 3 séquences : l’une obligatoire et les deux autres facultatives. L’apprenant gère ses heures de travail comme il le souhaite mais à la fin du cycle, il doit avoir travaillé 15 heures sur @LTER et réalisé au moins la séquence obligatoire. Dans le cas où il la réaliserait en moins de 15 heures, il peut alors travailler sur les séquences facultatives dont les productions seront corrigées mais pas notées, contrairement à celles de la séquence obligatoire. Le sujet des séquences est déterminé sur base de fonctions langagières précises (déterminées par le CECR) associé à une thématique en adéquation avec notre public Erasmus. Par exemple, si le thème est « À la découverte de la ville de Liège », les fonctions langagières à acquérir seront « se déplacer », « demander à quelqu’un de faire quelque chose », « faire des achats ». Dans la mesure du possible, nous essayons au maximum, pour chaque séquence, d’introduire des documents authentiques et des activités transversales liées à la culture belge, francophone et européenne afin de maximiser l’apprentissage de nos étudiants durant leur séjour Erasmus. Nous accordons également une grande importance à la variété et au type de supports utilisés pour les activités : vidéos, publicités, podcasts, enregistrements « maison », documents authentiques, photos, images, chansons, articles de journaux spécialisés ou non, littérature classique et contemporaine, sketchs… Cela fait maintenant deux ans que nous avons rendu @LTER obligatoire pour les Erasmus « in ». À la fin de chaque semestre, nous invitons nos apprenants à participer à une enquête de satisfaction. En majorité, les activités préférées des apprenants sont les forums écrits (qui s’approchent le plus d’un échange en classe virtuelle et qui permettent une grande communication) et productions orales (qui leur permettent de s’écouter parler en français, d’écouter la prononciation des autres et du tuteur autant de fois qu’ils le veulent) ainsi que les exercices auto-correctifs qu’ils peuvent effectuer à leur rythme et recommencer à l’infini. Parallèlement, les étudiants sont friands des feedbacks de leur tuteur, qui sont personnalisés, complets et permanents. L’absence d’un « réel » professeur pour les consignes et les explications grammaticales ne semblent pas les contrarier. En règle générale, ils les trouvent claires et suffisantes. Concernant l’organisation cours en classe/cours en ligne, les avis sont partagés. Certains aiment l’idée d’alternance : l’encadrement dans une classe et l’indépendance en ligne. D’autres voient @LTER comme un complément du cours donné en classe et non pas comme un apprentissage en soi. Au niveau des critiques, d’aucuns regrettent de ne pas recevoir une signalisation

marquant la réalisation d’une tâche ou la fin d’une séquence. En effet, ils éprouvent parfois des difficultés à se remémorer seuls l’endroit où ils sont arrivés. Les autres déplorent quelques petits problèmes techniques (lecture de documents vidéo par exemple) qui peuvent venir parasiter l’apprentissage. Enfin, de manière générale, les niveaux faibles (A1-A2) n’apprécient pas l’autonomie offerte par l’e-learning au contraire des niveaux élevés (B2-C1) qui sont favorables au confort et à la liberté de l’apprentissage en ligne. Penchons-nous à présent sur un autre public d’étudiants, qui seront les professeurs de FLE de demain.

2. Des TICe pour former les (futurs) formateurs Dans le cadre du Master en Didactique du Français Langue Etrangère et du Certificat en Français Langue Etrangère organisés à l’Université de Liège, les futurs professeurs de français suivent un cours visant à les sensibiliser à l’intégration des nouvelles technologies de l’information et de la communication en classe de FLE. Dans un premier temps, les étudiants sont amenés à réfléchir aux avantages et aux inconvénients de tels outils, à leurs potentialités et à leurs limites sur le plan linguistique et cognitif, leurs enjeux et leurs implications sur le plan des objectifs et des méthodes d’enseignement des langues. Ils sont ensuite amenés à analyser des ressources numériques brutes et didactisées et à les évaluer en fonction de différents critères tels que la validité des sources, le degré de pertinence de l’outil pour l’apprentissage de la langue, la validité des contenus, les qualités formelles de l’outil (Hirschsprung, 2005). 100

Dans la seconde partie du cours, qui se veut plus pratique, les participants sont invités à construire un scénario pédagogique intégrant les TICe autour d’un sujet imposé. Les consignes de ce travail de conception ont connu de nombreuses modifications depuis 2007, date à laquelle nous avons pris en charge ce cours. C’est cette évolution de pratiques que nous souhaitons aborder dans cette deuxième partie d’article. 2.1. Sur les pas d’@LTER… En 2007-2008, les étudiants du Master en didactique du FLE inscrits au cours « Éducation par et aux médias » ont été invités à créer par groupe de deux une séquence thématique complète sur le modèle d’@LTER. Pour rappel, nous entendons par séquence un ensemble de 5 ou de 6 modules, chacun d’entre eux représentant environ deux heures de travail et étant axé sur une macro-compétence. Pour ce faire, ils ont été formés à l’application Course Genie© (actuellement Wimba Create©), outil sous licence adopté par les concepteurs d’@LTER , qui est assez intuitif et limite les complications techniques. Ce travail de conception était considérable pour des apprentis concepteurs et nous avons donc décidé de leur alléger la tâche l’année suivante. 101

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En 2008-2009, c’est collectivement que les étudiants ont conçu leur séquence thématique (toujours sur le modèle d’@LTER). Seul ou par groupe de deux, ils ont créé un module d’apprentissage interactif (un groupe allait se concentrer sur la compréhension orale, un autre sur la grammaire, un autre sur la prononciation, etc.), en utilisant toujours la même application que les concepteurs d’@LTER. Les inconvénients de cette formule étaient divers. Sur le plan pédagogique, la formule choisie n’était pas pleinement satisfaisante puisque les étudiants n’exploraient qu’une

seule facette de la langue. Les étudiants qui se consacraient uniquement à des activités de prononciation étaient les plus contrariés… Par ailleurs, en les formant à notre outil de conception payant, nous offrions à nos étudiants un cadeau empoisonné. Certes, l’outil en question était très simple à utiliser et donnait un rendu extrêmement clair et ergonomique mais il était uniquement accessible aux membres de l’ULg, ce que nos étudiants cessaient d’être une fois leur diplôme en poche. Nous les initiions donc à un outil qu’ils ne pourraient (probablement) plus utiliser dans leur carrière d’enseignant et nous ne pouvions donc pas poursuivre dans cette voie. Ajoutons à cela que les travaux des étudiants étaient remis aux évaluateurs sur des DVD. A moins qu’ils n’en fassent la demande, les étudiants n’avaient donc pas accès aux préparations de leurs condisciples et ne pouvaient donc pas espérer utiliser ces ressources dans leurs futures classes. Il fallait donc opter pour d’autres outils afin d’assurer un travail de conception prolongé dans le temps et un partage aisé des séquences pédagogiques élaborées. 2.2. L’expérimentation d’outils open source En 2009, nous avons décidé de tester une dernière fois la formule de « séquence collective » en abandonnant cette fois le logiciel de conception sous licence. Guidés par le LabSET, nous avons étudié quelques logiciels open source et nous nous sommes arrêtés sur le logiciel Hot Potatoes© . Une fois initiés à l’outil, les étudiants ont pu le télécharger sur leur ordinateur gratuitement et pour longtemps… 103

Une fois ces modules de cours transmis, évalués et corrigés, ils ont été importés par les formateurs sur une plateforme qui venait d’être mise en place à cet effet et que nous avons baptisée « Pl@teforme FLE de l’ULg » . Au vu des nombreuses révisions des noms de fichiers et/ou de leur organisation qui se sont avérées nécessaires pour une bonne accessibilité aux modules, nous avons pris conscience qu’il était nécessaire de demander aux étudiants des années futures de prendre intégralement en charge le processus de mise en ligne de leurs cours interactifs, de leur conception à leur importation sur la plateforme, afin de les rendre autonome pour les importations à venir. 104

L’année suivante, nous avons définitivement abandonné l’idée de travail collectif en grands groupes pour donner aux participants l’occasion d’exploiter plusieurs macrocompétences en utilisant les documents authentiques de leur choix (avec au moins un texte, une image et une vidéo), seul ou à deux, avec Hot Potatoes©. Comme l’année précédente, la manipulation de cet outil s’est avérée assez compliquée tant au niveau de l’encodage des questions et des feed-backs que de l’insertion de médias et de la gestion des différents fichiers. L’utilisation de ce logiciel demande en effet une extrême rigueur dans l’organisation et l’enregistrement des sources. Un média classé au mauvais endroit et/ou mal intitulé et votre questionnaire n’est pas généré… Cette difficulté technique s’est accrue au moment où les étudiants ont importé – ou tenté d’importer – pour la première fois leurs modules « mashés » . Certains d’entre eux ont finalement dû faire appel à un informaticien et ont passé plus de temps à régler des problèmes techniques qu’à peaufiner leur parcours pédagogique. Cet agacement face aux problèmes techniques s’est ressenti dans le questionnaire de satisfaction mis en ligne à la fin de l’année puisque 60 % des répondants ont affirmé qu’ils ne souhaitaient pas 105

réexploiter ce logiciel à l’avenir. Nous devions admettre que, bien qu’ils aient été formés aux outils choisis, informés et guidés tout au long de la conception de leur module, les étudiants sortaient de ce cours avec un petit goût de frustration, voire de méfiance par rapport aux TICe… Nous devions donc remettre en question nos pratiques et proposer une alternative plus simple mais tout aussi « créaTICe »…

3. Vers une meilleure exploitation de la plateforme Ces quatre années d’expériences et d’expérimentations ont ouvert la voie d’une nouvelle intégration des TICe dans l’enseignement/apprentissage du FLE dans le cadre de nos enseignements. Au cours de ces années, nous avons dû admettre qu’il était peu réaliste de demander à des professeurs inexpérimentés de concevoir non seulement une leçon ou une séquence complète (ce à quoi ils n’avaient, pour la plupart, jamais été confrontés) avec de surcroît de lourdes contraintes techniques supplémentaires. C’est pourquoi, pour l’année 2011-2012, nous avons décidé d’opter pour une utilisation des TICe davantage tournée vers la pédagogie et les échanges entre enseignants et enseignants/apprenants. Ainsi, la partie pratique du cours fraîchement rebaptisé « Les TICe pour l’enseignement/apprentissage du FLE » portera sur l’élaboration d’un scénario d’exploitation pédagogique tel que l’entendent François Mangenot et Élisabeth Louveau et sur la conception d’un court questionnaire auto-correctif créé avec un outil de conception open source différent, plus intuitif et plus ergonomique, NetquizPro©. Ces parcours seront mis en ligne sur la Pl@teforme FLE de l’ULg et organisés en sections qui chacune comporteront des liens vers des documents authentiques de tout type, des sites didactisés, des fiches pédagogiques et des questionnaires (auto-correctifs ou non) visant à l’exploitation et à la bonne compréhension des ressources choisies. À la fin de chaque section figurera un espace dédié à la production et l’interaction écrite et/ou orale (via des forums écrits et oraux, des wikis, des blogs, etc.). 106

Nous avions d’abord pensé à demander aux apprentis concepteurs de proposer leurs scénarios pédagogiques à des apprenants étrangers, dans le cadre de leurs stages en classe de FLE, dans une salle multimédia et/ou dans une classe, avec un tableau blanc interactif. Mais il apparaît que la mise en place de cette démarche soit difficilement réalisable pour des raisons d’ordre logistique. L’alternative serait alors de demander à d’autres participants du cours de se glisser dans la peau d’un apprenant étranger et de tester les séquences conçues. Notre objectif à terme est bien entendu que ces professeurs aient recours à ces ressources pédagogiques en classe et que se constitue de la sorte une communauté d’apprenants provenant du monde entier.

Bibliographie Conseil de l’Europe (2001), Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris : Didier. Defays Jean-Marc (2003), Le français langue étrangère et seconde. Sprimont : Mardaga. Depover Christian, Karsenti Thierry et Komis Vassilis (2007), Enseigner avec les technologies. Favoriser les apprentissages, développer des compétences. Québec : Presses de l’Université du Québec. Hirschsprung Nathalie (2005), Apprendre et enseigner avec le multimédia. Paris : Hachette-FLE.

Lebrun Marcel (2007), Des technologies pour enseigner et apprendre. Bruxelles : De Boeck. Mangenot François & Louveau Elisabeth (2006), Internet et la classe de langue. Paris : Clé International. Pothier Maghy (2003), Multimédias, dispositifs d’apprentissage et acquisition des langues. Paris, Editions Ophrys.

Intérêts et limites de la mise en œuvre d’un dispositif hybride pour le développement de la compétence langagière chez les étudiants scientifiques Nadia CHAFIQ, Assia BENABID, Mohammed TALBI, Mohammed BERGADI Université Hassan II Mohammedia-Casablanca

et Laurent LIMA Université Pierre Mendès France, Grenoble

Introduction Blended formation ou formation mixte, correspond à un système de formation hybride qui combine des modalités pédagogiques diversifiées, alternant formation à distance et formation en présentiel. La mise en œuvre d’une formation hybride dans la faculté des Sciences Ben M’sik est motivée d’une part, par la mise à disposition de ressources supplémentaires en ligne en complément d’un cours en présentiel, d’autre part par l’individualisation de la formation et le dépassement des contraintes du présentiel (en termes d’horaires, lieux, effectifs…) au niveau de la faculté. Cette formation à distance s’est étalée sur quatre mois, début 2009, à la Faculté des Sciences Ben M’sik. En effet, des cours de remédiation linguistique ont été mis en ligne via la plate forme ACOLAD©. Cette formation s’adresse à des étudiants scientifiques ayant un niveau A2 en langue française. L’apprentissage des langues est certainement un des domaines pour lesquels il existe le plus grand nombre de logiciels, didacticiels ou cédéroms permettant de soutenir l’enseignant. En outre, tout dispositif s’inscrit dans un contexte particulier d’enseignement et est réalisé pour un public spécifique par des spécialistes (de la langue et / ou des TICE). Il est crucial de garder à l’esprit ces spécificités pour ne pas se tromper d’objectifs et proposer un parcours d’apprentissage médiatisé qui a du sens tout en offrant une valeur ajoutée à l’enseignement. Le dispositif que nous proposons d’analyser concerne un enseignement de français langue étrangère pour les étudiants scientifiques à l’Université de Hassan II Mohammedia -Casablanca. L’article propose d’analyser un dispositif d’apprentissage hybride que les enseignants de langues et communication ont réussi à mettre en place pour l’année 2009 pour des étudiants de niveau A2 en français. Il s’agissait de notre première expérience dans l’utilisation et la conception d’un dispositif alliant à la fois un cours en présentiel et le recours à une plateforme d’apprentissage. Cette nouvelle orientation a cependant fait naître une crainte. En effet, comment s’assurer de l’efficacité et l’apport de la plateforme ACOLAD© comme soutien à l’apprentissage ? Le dispositif hybride est-il de nature à permettre aux étudiants scientifiques de remédier à leurs difficultés linguistiques ?

La première partie de l’article sera consacrée à la présentation de la formation analysée. Nous préciserons ensuite dans la deuxième partie la planification et articulation des tâches avant d’entreprendre l’évaluation du dispositif. Cette recherche, de nature exploratoire, se donne donc pour objectif de mieux connaître l’apport de la plateforme ACOLAD© dans le développement de la compétence langagière chez les étudiants scientifiques.

1. Présentation de la formation analysée 1.1. Contexte de mise en place du dispositif L’ORDIPU (Observatoire de recherche en didactique et pédagogie universitaire) de l’Université Hassan II Mohammedia - Casablanca et les enseignants du département langues et communication ont décidé de promouvoir les formations à distance en langue via la plateforme ACOLAD© au sein de la Faculté des Sciences Ben M’sik. L’enseignement de la langue française dans les universités marocaines adopte l’esprit du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) dont l’existence est motivée par la nécessité : d’une base commune pour l’élaboration des programmes de langues, la conception d’examens et de manuels ; d’un cadre descriptif pour fixer les objectifs d’apprentissage d’une langue afin de l’utiliser dans le but de communiquer ; de fixer les connaissances et habiletés à acquérir afin d’avoir un comportement langagier efficace. (CECR, 2001, p. 9) . 107

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1.2. Supports d’enseignement Les cours en ligne seront construits sur la base des dossiers du manuel de français « cap université » qui s’adressent aux étudiants de niveau A2, selon la classification du cadre européen commun de référence pour les langues CECRL, inscrits aux semestres 1 et 2 de la filière Sciences de la Matière Physique (SMP) et vise à les amener au niveau B1, à titre d’exemple, le dossier 1 qui a pour intitulé Mon avenir ; ce dossier se constitue à base de documents scientifiques ayant des supports divers : audio et écrit. L’idée sous-jacente est évidemment d’exploiter les supports de ce manuel pour mettre en place une formation en ligne, le dossier le plus riche et le plus complexe du manuel serait traité de façon aussi exhaustive que possible dans le cadre de la classe et au niveau de la plateforme ACOLAD©, de façon à ce que l’apprenant puisse faire des exercices de langue via la plateforme. Le manuel se base sur l’approche par tâches. En outre, les thèmes du manuel sont inspirés du contexte marocain, sont en rapport avec les champs disciplinaires des étudiants et sont axés sur l’acquisition de quatre compétences : la compréhension orale, la compréhension écrite, la production orale et la production écrite. Les tâches proposées mettent les apprenants en situation de communication authentique. Un intérêt particulier est accordé à la révision et au réemploi de points de grammaire et de lexique en relation avec le discours de spécialité des filières. Nous avions donc choisi « Cap Université » pour son iconographie, le choix de ses documents « authentiques » et l’intérêt des thèmes du manuel (incluant un CD pour l’étudiant). En nous penchant sur le déroulement type d’une leçon, les documents révèlent cependant leurs limites. Les leçons présentent une structure identique et débutent par une double page « paroles en liberté » qui propose un ou plusieurs documents choisis pour leur pouvoir déclencheur d’expression orale ou écrite. Bien que richement illustrée, on regrette

toutefois la page suivante, « Je m’entraîne », propose deux ou trois points de langue accompagnés d’exercices de systématisation. Les exercices de langue proposés ne sont pas compatibles pour un public adulte. Pour la troisième double page « paroles de spécialistes », les activités proposées vont leur permettre d’en comprendre les termes ainsi que la structure et de se familiariser au français de leur spécialité. La quatrième double page, « Ici et ailleurs », permet d’aborder une thématique d’un point de vue interculturel. La cinquième page « projet », donne aux étudiants scientifiques l’occasion de réinvestir les connaissances et les compétences qu’ils ont acquises au cours du dossier. Donc, Chaque leçon par souci de visibilité conserve la même structure : l’intitulé de la leçon, un dossier grammatical et des documents divers en relation avec la spécialité des étudiants, un espace projet, et le dossier se clôt sur une autoévaluation permettant aux étudiants de se situer dans leur apprentissage. 1.3. Présentation de la plateforme ACOLAD© ACOLAD© est une plateforme d’origine française distribuée gratuitement aux organismes publics de formation. Elle se présente comme un système informatique conçu pour optimiser, sur un réseau Internet, la gestion de l’ensemble des activités de formation, depuis l’inscription des participants, la distribution des ressources, l’organisation de parcours individualisés, le suivi par le tuteur et l’animation de communautés d’apprentissage. ACOLAD© est une interface graphique fondée sur une métaphore spatiale qui met en scène les lieux habituels d’enseignement collaboratif à distance. Elle permet aussi bien la mise à disposition de cours, que l’apprentissage en petits groupes. Elle est conçue de telle manière à ce que les enseignants - tuteurs puissent prescrire les contenus des apprentissages, individualisés ou de groupe, incorporer des ressources pédagogiques multimédias et effectuer un suivi des activités des étudiants. Par ailleurs, ce support offre de nombreuses fonctionnalités permettant ainsi d’apporter une réelle plusvalue à un cours, de la simple base de dépôt de documents au développement de tests en ligne. Nous reviendrons plus loin dans ce travail sur les activités testées avec nos étudiants. ACOLAD© est plus qu’un ordonnancement de lieux. C’est une architecture virtuelle transposant idéalement un espace réel de travail. Les enseignants de langue ont tenté d’intégrer cet outil dans leur dispositif d’enseignement afin de favoriser l’acquisition par les étudiants de nouvelles connaissances et compétences linguistiques en dehors de l’espace-classe. Ainsi, ils ont mis en place une formation de remédiation linguistique qui s’adresse aux étudiants scientifiques de niveau A2. Elle concerne donc un public d’étudiants qui ne peuvent pas assister aux séances de langue régulièrement et ce, pour des causes variées (des étudiants ayant un problème de chevauchement de cours sur deux semestres ; des étudiants entamant une autre formation dans d’autres établissements, etc.). Il s’agit d’une plateforme destinée aux étudiants scientifiques de la matière physique (SMP). Le nombre de participants est de 40 apprenants, pour une durée prévue de 40h à distance, à raison de 3 heures par semaine sur la plateforme, et 40h en présentiel soit 80h en 4 mois minimum. Les objectifs de ces cours en ligne permettent d’aider ces étudiants à remédier à leurs difficultés linguistiques en les aidant à prendre conscience de leurs manques, d’y remédier et de favoriser l’autonomie dans l’apprentissage d’une langue étrangère.

D’un point de vue pédagogique, la plateforme permet un suivi à distance des étudiants scientifiques par leurs enseignants de langue avec des moyens de communication synchrones ou asynchrones. Ces moyens de communication (courriel, forum et chat) constituent des outils incontournables pour l’apprentissage en ligne. Par ailleurs, la première séance du semestre a été consacrée à la présentation des outils, des activités et des ressources de la plateforme ACOLAD©. Pour permettre à chacun de travailler et de découvrir ce support à son rythme, nous avions alors présenté la plateforme et ces outils aux étudiants, la séance a eu lieu au centre de L’ORDIPU. Le repérage des étudiants peu à l’aise avec les technologies a ainsi été facilité et nous avons pu leur apporter un soutien personnalisé. L’Étudiant trouvera des documents-ressources déposés en format PDF ou Word contenant des guides grammaticaux, des fiches de vocabulaire, des liens vers des exercices en ligne de systématisation à l’écrit. En fonction de ses besoins, l’étudiant approfondira ou révisera les thèmes abordés en classe. À l’issue de chaque leçon, un bilan autocorrectif est proposé aux étudiants sur ACOLAD© (démarche auto évaluative par l’étudiant de son apprentissage). À la fin de la formation, nous avions proposé un questionnaire d’évaluation de la plateforme ACOLAD© afin de connaître les premières réactions des étudiants sur ce support à l’enseignement que nous présentions pour la première fois. Le questionnaire distribué aux étudiants permet de dégager plusieurs représentations récurrentes concernant les apports et les limites du dispositif hybride pour les étudiants scientifiques universitaires. Le questionnaire comportait trois parties : Les données générales sur la formation en ligne : plateforme, nombre d’étudiants, heures en présentiel et à distance et description du contenu de la formation. Évaluation des activités proposées au niveau de la plateforme. L’évaluation du dispositif hybride (présentiel/distance) Les réponses obtenues ont également fait l’objet d’une analyse qualitative visant, à partir des réponses aux questions ouvertes et grâce aux commentaires faits en parallèle aux réponses aux questions fermées, à évaluer le dispositif hybride.

2. Planification et articulation des tâches Les tâches sont généralement conçues par des enseignants dans le cadre d’un établissement éducatif et elles peuvent être réalisées par les étudiants soit en présentiel, soit à distance (communication entre enseignant ou tuteur et étudiants via chat et forum), soit en hybride (accompagnement en présentiel et à distance). Selon les contraintes institutionnelles, la liberté donnée aux enseignants de langue au Maroc dans la conception des tâches a varié : lorsque les enseignants utilisent le manuel « Cap Université », les étudiants scientifiques sont amenés à se conformer aux thèmes de ce manuel réduisant donc l’ouverture des sujets potentiellement intéressants. L’organisation des contenus est un préalable à la planification des activités. Comme le

souligne DEMAIZIERE F., DUBUISSON C. (1992) . « Il convient d’abord dans une première étape d’examiner avec soin le domaine que l’on va couvrir, et également, en corollaire, ce que l’on ne va pas introduire ». Le tableau ci-dessous et les commentaires qui suivent explicitent une description d’une macro tâche. 109

Compétence langagière

Utilisation de l’approche par tâche Mise en situation, l’analyse d’un texte scientifique : effet de serre

Composante socio linguistique

Macro-tâche : production d’un tract/mener une campagne de sensibilisation pour inciter les étudiants scientifiques et les citoyens de la région à protéger l’environnement. Lire et se documenter (fiche de lecture).

Composante linguistique

Micro-tâche (exercices de remédiation linguistique/phrase simple et phrase complexe, utilisation de la plateforme Acolad).

Composante pragmatique

Adapter le message au destinataire/culturel : Faire appel à des stratégies discursives pour réaliser le tract.

Notons que la macro tâche vise une pratique de la langue en situation. Les exercices structuraux ou les enseignements théoriques doivent offrir des clés d’accès à l’univers socioculturel véhiculé par la langue. Étant donné le nombre important d’étudiants au niveau de la formation, les activités orales sont privilégiées en classe et les activités écrites (exercices et productions) à distance. Ainsi, en présentiel, l’enseignant de langue commence par la présentation d’un document témoin. L’étudiant à travers une série de questions portant sur l’observation du texte est amené à identifier la thématique ou le type de texte. Les deux étapes suivantes se concentrent sur la découverte et l’analyse des éléments linguistiques nouveaux. A travers une activité de repérage des éléments contextualisés et à l’aide de ses connaissances antérieures, l’étudiant doit expliciter les règles (méta-apprentissage) de fonctionnement de la langue. Les exercices « Je m’entraîne », permettent à l’étudiant de fixer les structures grâce à des exercices structuraux (principalement oraux). Par exemple : remettre dans l’ordre un dialogue, associer questions et réponses. La production demandée est ensuite de moins en moins guidée pour terminer la séquence pédagogique par un projet à présenter oralement, permettant le réinvestissement et une appropriation des éléments du dossier. En effet, certaines activités orales se déroulent face au groupe-classe et font l’objet d’une évaluation formative à laquelle le groupe-classe est amené à participer. Ainsi pour l’activité décrite ci-dessus, les étudiants devront être attentifs au respect de la consigne et veiller à la bonne utilisation du lexique. Ils donneront ensuite leur feedback que l’enseignant de langue complètera ou ajustera. Par ailleurs, selon la manière de présenter la tâche, les apprenants s’investissent plus ou moins dans la tâche proposée. Des exercices de réflexion et de conceptualisation seront prévus pour chaque point important du dossier du manuel et la rubrique évaluation présentera des quizz vérifiant l’acquisition des connaissances. En présentiel ou à distance, l’étudiant doit donc à la fois collaborer avec ses pairs, négocier avec un collègue ou se pencher sur ses pratiques d’apprentissage. La variété des

méthodes d’enseignement (individualiste, collaborative, transmissive) maintient l’intérêt et la motivation des étudiants. Nous avons signalé que les activités de systématisation (c.à-d s’exercer davantage sur les composantes linguistiques nécessaires à la réalisation de la tâche ciblée) sont principalement réalisées à distance pour permettre une plus grande interaction en présentiel. Il convient toutefois de varier les types d’exercices à distance afin d’impliquer les apprenants dans leur apprentissage et de favoriser ainsi un climat propice au développement de l’auto-apprentissage. Car, « les apprenants ont assez souvent une réaction de résistance vis-à-vis de l’auto-apprentissage parce que c’est une nouveauté un peu traumatisante et qu’il est beaucoup plus sécurisant d’être pris en charge » (Pothier, p. 114) . 110

3. Évaluation du dispositif hybride L’évaluation de l’enseignement est une étape importante car elle permet d’améliorer la qualité d’un cours mais aussi de recueillir le degré de satisfaction des étudiants et d’avoir accès à leurs représentations de la situation pédagogique. Elle permet alors d’ouvrir un dialogue et de clarifier certaines attitudes ou performances. À la fin du semestre, nous avions distribué un questionnaire d’évaluation de la plateforme Acolad afin de connaître les premières réactions des étudiants sur ce support à l’enseignement que nous présentions pour la première fois. Le graphique ci-dessous rend compte des évaluations de l’enseignement pour le semestre 2009. L’évaluation du dispositif a montré l’utilité de la plateforme, le questionnaire a révélé également qu’un meilleur guidage des étudiants est nécessaire. Par ailleurs, la prise en compte de leur contexte technique d’apprentissage est révélatrice. Se demander si l’étudiant possède son propre ordinateur ou quel est son degré de familiarité avec les outils informatiques peut expliquer ce qui apparaissait souvent à tort comme un manque d’assiduité. L’encadrement des étudiants ne doit pas se borner aux explications « techniques » initiales, mais un véritable guidage de l’étudiant tout au long de son parcours d’apprentissage hybride se révèle primordial. L’enseignement à distance médiatisé garantit à l’étudiant un rythme de travail personnel pour autant qu’il dispose de ses propres outils informatiques. Sinon, et c’est encore le cas pour bon nombre d’entre eux, l’apprenant sera dépendant des salles informatiques et des contraintes liées à leur environnement (bruit, etc.). Cette dimension est à considérer. Dans notre scénario, nous avons privilégié les activités orales en présentiel et celles écrites à distance. Cependant, dans la pratique de notre cours, cette relation entre présentiel et distance devra être mieux communiquée en classe aux étudiants. Les exercices mécaniques, QCM ou appariement (association d’éléments), que nous proposons dans les bilans relèvent d’une pédagogie behavioriste qui vise l’appropriation des structures de la langue par des drills. En effet, le traitement de l’erreur est ici problématique car ces exercices (QCM, à trous.. ) que nous proposons en ligne n’offrent pas de feedbacks suffisants qui permettraient à l’étudiant de comprendre son erreur. La phase exploratoire et d’analyse en classe révèle ici toute son importance. Il importe donc de signaler clairement en classe aux étudiants la nature des documents qu’ils peuvent trouver sur ACOLAD© et de signaler les ressources à consulter au niveau de la plateforme. Il ressort en effet que les étudiants ne se réfèrent pas ou peu aux documents mis à leur disposition. Initier les apprenants à recourir à des ressources médiatisées hors de l’espace

classe. Ainsi pour habituer les apprenants à se référer à ces documents-ressources, nous pourrions, à l’issue de la séance et par le biais du forum, rappeler quelles sont celles à consulter en les présentant brièvement. Pour les activités à distance, nous nous sommes heurtés au problème de l’organisation des devoirs et de leur correction. Si cet outil facilite pour les acteurs le suivi de l’activité (en termes de devoirs rendus ou non), il ne permet pas le feedback aux étudiants sous forme de copies commentées (par le soulignement des erreurs notamment). Nous pensons proposer une autre activité médiatisée d’écriture collaborative en nous appuyant sur les wikis. Il s’agirait d’une activité en sous-groupes. Enfin, à l’état actuel de notre dispositif, il est difficile de suivre les étudiants dans la progression de leur apprentissage à distance. Nous pourrions y remédier par la création d’un portfolio fixant les objectifs d’auto apprentissage pour chaque séquence en regard du contenu du Cahier personnel d’apprentissage et des exercices proposés sur ACOLAD©.

Conclusion On a pu montrer à travers cette analyse la dynamique de l’intégration des plateformes de formation en ligne dans le contexte universitaire dans le domaine de l’enseignement des langues au Maroc. Mettre en place un programme d’apprentissage hybride permet le développement de nombreuses compétences mais impose aussi, au préalable une réflexion approfondie du cadre d’enseignement et une redéfinition du rôle des acteurs. En effet, le recours à une telle formation en ligne ne peut être que bénéfique pour aider les étudiants à remédier à leurs difficultés linguistiques. Grâce à un tel dispositif, qui accompagne le module « Langue et communication » les étudiants apprendront à leur rythme en utilisant à bon escient les technologies d’information et de communication. Cependant, certains dysfonctionnements ont été rapidement révélés (meilleur choix de tâches différenciées), dépôt et correction des devoirs. Il ressort toutefois de l’évaluation de notre dispositif, toute l’importance de l’encadrement des étudiants à distance et la nécessité d’accompagner les enseignants, pour un travail notamment axé sur le tutorat. Pour mener à bien un projet de cette envergure, la plateforme devra proposer un choix plus vaste d’exercices ou de liens permettant à l’apprenant de trouver des réponses à ses besoins déterminés avec l’aide de l’enseignant. A toutes fins utiles, ce travail nous a permis d’être plus attentifs à nos pratiques d’enseignants de façon à pouvoir si nécessaire de rajouter, de nuancer, d’anticiper les réactions, de s’ajuster voire de compléter des notions par souci d’efficacité afin que le résultat escompté soit efficient et au bénéfice des étudiants. Donc, ce champ pluridisciplinaire nous invite constamment à s’interroger sur notre enseignement et le rôle de ses acteurs.

Bibliographie Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer (2001). Strasbourg : Conseil de l’Europe, division des politiques linguistiques. Demaiziere F., Dubuisson C. (1992), De l’EAO aux NTF, utiliser l’ordinateur pour la formation. Paris : Ophrys. Guichon N. (2006), Langues et TICE : méthodologie de conception multimédia. Paris : Ophrys. My-M’hammed Drissi, Mohammed Talbi (2009), Dispositif de la formation à distance pour préparer les étudiants universitaires marocains à suivre des cours scientifiques en français – FOSEL (français sur objectifs spécifiques en

ligne), http://www.radisma. info/document.php?id=687 My M’hammed Drissi, Talbi Mohammed, Kabbaj Mohamed (2006), La formation à distance un système complexe et compliqué (Du triangle au tétraèdre pédagogique), http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0609b.htm. Peraya D. (2009), Un regard critique sur les concepts de médiatisation et médiation. Nouvelles pratiques, nouvelle médiatisation, http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2008-supplement/ Peraya/index.php Pothier M. (2003), Multimédias, dispositifs d’apprentissage et acquisition des langues. Paris : Ophrys.

Kit pédagogique informatique pour apprendre le français Irina ARTEMIEVA Institut bancaire international de St-Petersbourg (Russie) Les nouvelles technologies d’enseignement numériques sont très répandues et très développées à tous les niveaux de l’enseignement en Russie. Les nouvelles tendances, les recherches pour l’amélioration de l’apprentissage, la fascination des TICEs, la curiosité des enseignants et des apprenants, tout y a joué son rôle. Afin d’améliorer la qualité de l’apprentissage et de déployer des technologies modernes d’enseignement, nous avons commencé en septembre 2005 au sein de l’Institut Bancaire International (St-Petersbourg, Russie) l’élaboration de kits pédagogiques informatiques pour plus de 160 disciplines enseignées, y compris pour le français langue étrangère. La réalisation de ce projet a nécessité, d’un côté, d’assurer à tous les apprenants l’accès aux ressources électroniques d’enseignement. À la première étape on utilisait l’espace numérique d’apprentissage « Complexe d’enseignement virtuel de St-Petersbourg » (ВУОКСА). Dès 2007 on a mis en service MOODLE (Modular Object Oriented Dinamic Learning Environment) qui est une plate-forme d’apprentissage en ligne sous licence open source servant à créer des communautés d’apprenants autour de contenus et d’activités pédagogiques. MOODLE donne un accès autorisé aux professeurs et aux étudiants à l’espace numérique d’apprentissage créé pour chaque discipline enseignée. C’est une application permettant d’installer, par l’intermédiaire du réseau, des interactions entre des professeurs, des apprenants et des ressources multimédia didactiques. Ce logiciel est fourni gratuitement, et est connu dans le monde entier. MOODLE est utilisé dans plus de 200 pays et possède des versions locales dans beaucoup de langues (en russe depuis 2006). Il est plus complexe pour les utilisateurs que le « Complexe d’enseignement virtuel de StPetersbourg » (ВУОКСА), mais il offre beaucoup plus d’options. D’un autre côté, le Centre d’édition de l’Institut a élaboré la structure et les règles appliquées aux Kits pédagogiques informatiques communes pour toutes les disciplines . Cette structure comprend des éléments suivants : le programme d’enseignement, la matrice des éléments de la discipline, le manuel numérique (le contenu des thèmes), les travaux pratiques, la chrestomathie (recueil des textes supplémentaires), les tests, les « tutoriels » (exerciseurs), les recommandations didactiques et le glossaire. 112

Actuellement le cursus de langue française (langue étrangère, LV2) dans notre institut comprend 244 heures, 4 semestres pour toutes les spécialités et 360 heures, 6 semestres pour l’économie mondiale. Il est destiné aux débutants complets ainsi qu’aux étudiants possédant déjà un niveau avancé du français. L’objectif du cursus pour les débutants complets est d’atteindre le Niveau Seuil (B1) d’après la classification du Cadre européen commun de référence pour les langues. Ce Niveau prévoit que l’étudiant peut comprendre les points essentiels quand un langage clair et standard est utilisé et s’il s’agit de choses familières dans le travail, à l’école, les loisirs… Il peut se débrouiller dans la plupart des situations rencontrées en voyage dans une région où la langue française est parlée. Il peut produire un discours simple et cohérent sur des sujets familiers et dans ses domaines d’intérêt. Il peut raconter un événement, une expérience ou un rêve, décrire un espoir ou

un but et exposer brièvement des raisons ou explications pour un projet ou une idée. L’accent est mis sur le français des affaires et le français de l’économie . �

La matrice du « Kit pédagogique informatique de français » contient 92 thèmes dont 38 sont grammaticaux. Les contenus de grammaire comprennent l’explication détaillée en langue russe du sujet de grammaire avec de nombreux exemples en français ainsi que des questions d’auto-évaluation et la bibliographie. Les contenus lexicaux incluent des textes, des dialogues, des ressources multimédia didactisées, des listes de lexique de base, des exercices de toutes sortes, des exercices d’auto-évaluation et la bibliographie. Le vocabulaire correspond en général à celui des méthodes utilisées dans le cursus. En fonction du niveau des étudiants on a prévu des devoirs plus et moins difficiles. La chrestomathie possède plus de 1000 pages de textes tirés des articles de presse (L’Expansion, L’Entreprise, Ça m’intéresse, etc.) consacrés aux problèmes économiques, financiers, à l’interculturel, à la France d’aujourd’hui et son patrimoine culturel. La chrestomathie est complétée systématiquement afin de présenter les sujets économiques les plus actuels. En outre, parallèlement, sont donnés des textes à lire pour les débutants, beaucoup plus faciles correspondant à leur niveau linguistique. Tous les textes sont dotés de vocabulaire et de questions de contrôle. Une partie de ces matériaux est disponible également sur support papier. Ces matériaux sont utilisés par les étudiants pour la lecture à domicile, mais aussi pour préparer des communications aux conférences scientifiques pour étudiants. Ces derniers utilisent toujours les présentations numériques pour illustrer et commenter leurs communications scientifiques et le font avec brio. Certains thèmes sont accompagnés de présentations numériques consacrées notamment à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP), à l’activité de quelques entreprises françaises, à l’Internet, etc. Les tutoriels constituent l’un des éléments essentiels du Kit, c’est-à-dire des tests interactifs permettant de maintenir le dialogue en langue naturelle entre l’enseignant et l’apprenant. Leur particularité consiste en feedback : chaque réponse de l’étudiant quelle qu’elle soit, correcte ou erronée, reçoit une réponse avec une version exacte de la réponse et un commentaire expliquant la règle et la faute éventuelle de l’étudiant. En pratique, c’est un professeur électronique qui dirige le travail de l’étudiant, met en évidence les lacunes, lui donne des conseils personnels. Le kit contient plus de 1350 questions de ce type. Les devoirs proposés sont souvent traditionnels : des réponses aux questions, des substitutions, des questionnaires à choix multiples, des transformations différentes, des traductions du russe, etc. La majorité des tests est consacrée aux sujets de grammaire tels que la conjugaison des verbes à des temps différents, l’utilisation des formes différentes des pronoms, les formes de l’article, les degrés de comparaison des adjectifs et des adverbes etc. Cependant de nombreux tutoriels servent à mémoriser et à apprendre à utiliser la terminologie de la correspondance commerciale, certains clichés des lettres d’affaires. Le cursus de la correspondance commerciale (près de 30 heures) est destiné aux étudiants possédant déjà un niveau avancé de français. Les devoirs proposés dans ces tests lexicaux sont à peu près les mêmes. Après la lecture d’une lettre d’affaire dans le Manuel électronique, l’étudiant travaillant avec le tutoriel doit soit répondre aux questions d’après la lettre étudiée, soit trouver un équivalent français d’un terme commercial russe, soit traduire une phrase, soit déchiffrer une abréviation commerciale, etc.

Les critères d’évaluation des réponses des étudiants sont les suivants : 100 à 90 % de réponses correctes – la note « très bien », 89 à 70 % de réponses correctes – la note « bien », 69 à 50 % de réponses correctes – la note « satisfaisant », moins de 49 % de réponses correctes – la note « mauvais, à refaire ». Ces critères tiennent compte de l’échelle d’évaluation existant en Russie. La dactylographie en français présente une certaine difficulté pour les étudiants russes car le clavier des ordinateurs russes correspond à la langue anglaise. En outre le logiciel considère comme erreur même l’absence d’un signe diacritique ou d’un signe de ponctuation, même si toute la réponse est tout à fait correcte. Cela nous a fait prévoir une marge de 10 % d’erreurs pour la meilleure note. La note finale est formée automatiquement par le logiciel. Si l’étudiant n’est pas satisfait du commentaire du logiciel et/ou de la note, il peut demander au professeur de lui faire des commentaires et/ou changer la note si nécessaire. Chaque test contient de 25 à 30 questions, régénérées à chaque nouvelle connexion de l’étudiant, puisque la banque de questions comporte un nombre suffisant pour chaque nouvelle présentation. Si l’étudiant fait la même question plusieurs fois, le logiciel prévoit un système d’amendes (des fractions décimales de la note peuvent en effet jouer sur la note finale). En 2008 les éléments principaux du Kit de langue française ont été terminés, ce qui a permis d’entrer dans la phase d’expérimentation globale. Y ont participé pendant cinq semestres des étudiants de 2 , 3 et 4 année parmi lesquels des débutants, mais aussi des étudiants d’un niveau avancé. Les étudiants étaient tenus de faire des tutoriels en régime d’entraînement ou de contrôle. Pour les faire correctement, ils étaient souvent obligés de consulter les « contenus » respectifs du manuel électronique ; ce qui leur était recommandé par les professeurs et ce qui leur donnait la possibilité de comprendre plus profondément le sujet mais aussi grâce aux nombreuses répétitions des exercices (à chaque tentative l’étudiant recevait de nouvelles questions), et au développement des compétences écrites. C’était surtout important non seulement pour l’apprentissage de la grammaire, mais aussi pour l’orthographe française qui est particulièrement difficile pour les étudiants russes. ème

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Comme le travail avec les tutoriels se faisait en régime de contrôle hors classe, leur utilisation a permis d’économiser le temps d’étude et de consacrer plus de temps en classe à la communication orale, à la compréhension orale etc. Malgré tout, l’ordinateur peut compléter le cours donné en classe, assurer l’entraînement des étudiants à la maison, leur proposer des itinéraires de travail individuel (autonomie), mais il ne doit pas et ne peut pas remplacer le professeur et l’interaction intellectuelle entre l’enseignant et l’apprenant. Un avantage évident de l’utilisation du télé-enseignement consiste en ce que même les étudiants qui ont manqué les cours sont en mesure d’étudier le sujet, de s’entraîner sous le contrôle du « professeur électronique » et d’atteindre un niveau nécessaire des savoir-faire écrits et théoriques. En outre, l’utilisation du « Kit pédagogique informatique du français » assure une validation de connaissances et évaluation plus objectives. D’autre part, l’utilisation du « Kit pédagogique informatique du français » montre les perspectives de son perfectionnement : dans sa forme actuelle ce logiciel interactif est destiné plutôt à l’apprentissage de savoirs sur un thème ou un domaine donné que de savoir-faire (surtout à l’oral). Il serait intéressant d’y introduire davantage de supports

audio. Certains problèmes de son utilisation sont dus à l’orthographe française spécifique avec ses signes diacritiques qui ne sont pas tout à fait adaptés aux logiciels russes. Et enfin on pourrait proposer aux étudiants des devoirs plus créatifs, de faire dans MOODLE des mémoires, des versions etc.. , mais les étudiants manifestent déjà une certaine lassitude de travailler trop de temps dans l’espace virtuel. Cette expérience de la mise en pratique des TICE assistées par ordinateur en mode elearning tutoré à l’apprentissage du français prouve sans aucun doute qu’elles permettent de dispenser un enseignement plus efficace, d’intensifier le processus d’études et d’organiser d’une manière plus rationnelle le travail des étudiants hors classe grâce aux outils et pratiques innovants et performants. Ce qui est très important vu le nombre limité des heures de classe octroyées pour l’apprentissage d’une langue étrangère par les programmes des instituts économiques en Russie.

Les TICe et le public peu qualifié Dao MERCIER Université de Fribourg

Introduction La présence de l’outil informatique dans notre vie quotidienne est devenue incontestable, et ce, dans toutes les sphères : personnelle, professionnelle ou plus encore (il suffit de penser à l’utilisation des TIC – Technologies de l’information et de la communication - dans les récents événements en Tunisie et en Égypte). Et c’est presqu’une évidence aussi de signaler la présence des TICe dans les cours de langues (langue première, langue seconde ou langue étrangère, dans le cadre d’une salle de cours ou en auto-apprentissage), surtout dans les pays développés ou dans les grandes villes des pays en voie de développement. En ce qui nous concerne (les enseignants de français langue étrangère – désormais FLE), les TICe font partie intégrante de l’enseignement du français – effet de mode ou pas - même si leur utilisation n’est pas toujours reconnue comme une « évidence » par tous les acteurs impliqués dans cet enseignement, pour des raisons administratives, financières ou encore didactiques. Le domaine du FLE tel que nous le comprenons, implique aussi bien le public avec une scolarité dite « normale » : cursus scolaire ou universitaire que des adultes migrants y compris des apprenants souvent qualifiés de « faible niveau », de « peu scolarisés/qualifiés ». Si pour les publics scolarisés, la question n’est plus au stade de l’utilité des TICe mais se situe plutôt au niveau de « comment » les utiliser pour les rendre vraiment efficaces, il en est tout autre pour la deuxième catégorie. Nous pouvons constater le problème en faisant une recherche sur Internet : la littérature concernant ce public (peu ou pas qualifié) reste encore peu abondante par rapport à celle concernant les autres types de public tant dans l’enseignement obligatoire que dans la formation professionnelle. Les TICe, utilisées dans ces cours, sont appliquées de quelle manière, pour quel(s) objectif(s) et avec quel(s) résultat(s) ? Comment réagissent ces apprenants face à une double difficulté, langagière et informatique ? Cette question se retrouve bien évidemment au cœur du débat sur la pertinence de l’utilisation des TICe avec ce public que beaucoup de formateurs considèrent comme peu ou pas du tout autonome dans l’apprentissage. Et dans ce cas, que devient le formateur ? Quel rôle assure-t-il ? 113

Si la France comme la Belgique s’intéresse depuis plus d’une décennie à la formation ouverte et à distance (FOAD) pour le public peu ou pas scolarisé et que le Québec, pionnier dans le domaine, parle d’approche hybride dans la formation en alphabétisation , la Suisse ne semble pas pour l’instant s’investir dans des recherches d’envergure pour l’intégration des TICe auprès de ce même public malgré des prises de conscience au niveau fédéral . Le pays se situe pourtant au 4e rang mondial dans le développement des technologies de l’information, selon le rapport annuel (2010) du Forum économique mondial, juste après la Suède, le Singapour et le Danemark . 114

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Certes, l’utilisation des TICe s’est généralisée dans l’enseignement obligatoire et, dans une moindre mesure, au niveau de la formation professionnelle ; elle figure parmi les premières préoccupations des instances publiques responsables. Cette pratique reste

néanmoins peu exploitée dans le domaine de la formation continue qui relève pour l’instant de la responsabilité des cantons. On pourrait espérer une prise en compte plus importante de cette démarche TICe une fois la loi sur la formation continue adoptée par le Conseil Fédéral (prévue en 2013, après consultations et validation des projets de loi). 118

Les cantons adoptent pour la formation des migrants allophones en situation d’insertion sociale et professionnelle un chemin linéaire, long donc coûteux. Avant de pouvoir commencer un cours en technique de recherche d’emploi qui requiert la maîtrise des outils informatiques ou en bureautique afin d’augmenter leur chance de (re) trouver un emploi, les participants dont le niveau en langue n’atteint pas le B1 (du CECR : cadre européen commun de référence pour les langues) doivent passer tout d’abord par la formation linguistique. Avec les équipements informatiques dont dispose la Suisse, nous pouvons raisonnablement nous poser la question de savoir si nous ne devons pas profiter des moyens existant pour créer un « raccourci » afin d’économiser du temps et de l’argent ? C’est pour toutes les raisons évoquées ci-dessus que nous ne nous intéresserons ici qu’à l’intégration des TICe dans des cours de français pour le public faiblement qualifié , en phase de test dans un centre de formation continue du canton de Neuchâtel. Ces cours de français sont réservés aux demandeurs d’emploi migrants dans une démarche de réinsertion sur le marché du travail . Pour pouvoir bénéficier de cette formation d’une durée maximale de 360 heures, tous les apprenants ont cotisé à l’assurance chômage, c’est-à-dire qu’ils ont travaillé en moyenne 18 mois sur une période de 2 ans. 119

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1. État des lieux de l’utilisation des TICe dans les classes de français L’utilisation des TICe (telles que nous le concevons aujourd’hui, à savoir des outils multimédia avec une connexion Internet) est assez récente dans l’ensemble des cours de français. Pendant la période de 1990 à 2005, l’EAO gardait une place prépondérante : la collaboration entre formateurs en bureautique et en français a donné naissance à un logiciel basé sur MS-DOS, le ProfExpert qui visait l’amélioration du français et des mathématiques . 121

En dehors de ces cours de remise à niveau français-maths, les salles informatiques du secteur de la formation continue (avec une douzaine d’ordinateurs) étaient sous-exploitées, seuls les cours de bureautique s’y déroulaient. Toutes les salles de cours « théoriques » sont équipées elles aussi de deux ordinateurs au moins, cependant les apprenants y avaient rarement accès. Le seul utilisateur, à cette époque pas si lointaine, restait le formateur (cette dénomination s’entend au masculin et au féminin) pour ses usages personnels : courrier électronique, recherches d’informations pour préparer les cours, etc. La situation était tout à fait normale aux yeux des formateurs : les personnes fréquentant ces cours de français, étant dans la plupart des cas faiblement scolarisées, donc peu autonomes. Les conséquences directes de cette situation (une certaine discrimination « numérique ») se fait encore sentir aujourd’hui : alors que les apprenants des cours de bureautique (6 semaines de formation en moyenne) possèdent un compte personnel, les 60 personnes qui suivent les cours de français (pour une durée de 6 mois) partagent un seul compte commun : on peut imaginer les difficultés rencontrées par tous, formateurs et apprenants, pendant la navigation et dans la gestion des dossiers ! À l’heure actuelle, l’option TICe (en salle informatique avec ordinateur individuel pour

chaque apprenant) figure dans l’emploi du temps de presque tous les cours, même si elle reste facultative et dépend de la disponibilité des salles. Chaque formateur est libre d’introduire ou non une séance hebdomadaire dans le programme modulaire pour son groupe d’apprenants, à côté d’une utilisation libre des outils multimédia « ambulants » : projecteur, enceintes reliées à l’ordinateur ou lecteur de CD. L’organisation et le déroulement de cette séance restent sous la responsabilité de chaque formateur et « échappent » à toute supervision, car aucune formation spécifique n’a été proposée par la direction. Si la présence des TICe dans les cours de FLE est devenue une évidence, la fracture numérique pose un problème d’une toute autre ampleur ! Image évocatrice, la fracture numérique décrit l’écart existant entre les différentes « communautés » vis-à-vis des TIC : celle entre pays industrialisés et ceux en voie de développement, mais aussi le fossé au sein d’un même pays, entre riches et pauvres, entre citadins et habitants des zones non desservies par le « haut débit » ou les « larges bandes », entre les personnes « normalement » scolarisées et celles qui sont en échec scolaire ou faiblement qualifiées… La littératie est devenue un critère de définition pour des « onliners ». Cette fracture numérique existe à tous les niveaux, même dans le milieu très restreint des demandeurs d’emploi migrants en formation dans ce centre de formation. Cette même fracture va servir de base à l’observation de l’utilisation des TICe dans les cours de français pour les deux types de public différents, et surtout pour le public dit « peu qualifié ».

2. Les publics Les apprenants des cours de français sont « partagés » en deux groupes distincts : les cours de français pour les non francophones et le cours de (re) mise à niveau (français et maths). 2.1. Le public des cours de (re) mise à niveau du français écrit Les participants de ces cours sont à l’aise à l’oral (le niveau B2 – acquis ou en cours figure dans les pré-requis en ce qui concerne les participants de langue première étrangère) et possèdent au moins le niveau A2 à l’écrit. C’est un dispositif hybride : des participants issus d’une scolarité partielle ou complète en français se retrouvent dans la même salle que des apprenants allophones mais avec le même objectif : améliorer leur français écrit en vue d’une entrée à une formation qualifiante ou d’une reconversion professionnelle. Autonomes pour la plupart dans leur apprentissage, ils utilisent l’ordinateur quand le besoin se fait sentir : des informations à trouver pour une tâche spécifique, des vérifications lexicales, grammaticales ou syntaxiques, la création et mise en page du dossier de candidature, etc. Nous pourrions affirmer que ce sont des apprenants « normaux » qui ne constituent pas le centre d’intérêt de cet article mais servent néanmoins de repères à notre observation. La maîtrise de l’outil et une certaine autonomie dans l’apprentissage de ces apprenants ont des influences aussi bien sur les démarches pédagogiques que sur le rôle du formateur. 2.2. Le public des cours de Français pour Non-Francophones (désormais FNF) L’objectif de l’apprentissage du français de ces participants est clairement défini par le

financeur (l’office des mesures du marché de travail) : un retour vers l’emploi. Ils sont orientés après un test diagnostique dans des groupes de niveau (notion toute relative comme nous le savons bien) : du niveau très débutant (A0 à l’oral et/ou à l’écrit pour certaines personnes) jusqu’à B1 à l’oral. L’observation se fait donc avec le premier niveau de tous ces groupes, le FNF1, sur une durée de 3 mois. Le contenu de ce niveau concorde avec la première partie des objectifs du niveau A1. Même avec le test diagnostique, les groupes de niveau demeurent hétérogènes. Il arrive quelquefois que des débutants avec un parcours universitaire se retrouvent dans le même cours que ceux « faiblement qualifiés ». Il est important de rappeler que seuls ces derniers (une vingtaine de personnes) seront concernés par cet article. D’origine et de parcours migratoire divers, ces participants présentent le même profil : la non- maîtrise de la langue française. À cela s’ajoute une scolarité parfois non achevée (45 % des apprenants participants ont un niveau primaire, 35 % le niveau secondaire 1) et rares sont ceux qui ont reçu une formation professionnelle (10 %) dans le pays d’origine. La plupart d’entre eux viennent du Portugal, des pays de l’ex-Yougoslavie mais aussi des pays dont l’écriture est très lointaine de celle du français comme l’Iran, l’Irak, le Pakistan ou la Thaïlande. Cette situation inconfortable les a conduits à accepter des places de travail dans des branches professionnelles où le français n’est pas un critère d’embauche : le nettoyage (30 %), le bâtiment (35 %) ou encore la restauration (25 %). D’un autre côté, le regroupement de certaines communautés linguistiques (des Portugais dans le secteur du bâtiment ou du nettoyage par exemple) explique en partie ce « désintéressement » des employeurs suisses pour la maîtrise du français de leurs employés. Il est aussi clair que l’usage de l’outil informatique n’est pas non plus exigé, surtout pour des postes peu « qualifiés » comme manœuvre, maçon, ou encore plongeur, aide de cuisine. Cet état de fait explique d’une manière littérale l’étiquette de « peu qualifiés » qui colle à leur profil et satisfait ainsi l’envie de catégorisation si chère aux dirigeants ou aux décideurs institutionnels. Ces apprenants sont donc confrontés à une double difficulté, langagière et informatique. Il s’agit ici essentiellement de l’ordinateur, des bornes numériques et non du téléphone portable, même si ce dernier est évidemment un outil numérique par excellence (à l’exclusion des Smartphones). On remarque qu’il est utilisé par tous les apprenants, y compris par ceux qui fréquentent les cours d’alphabétisation, c’est-à-dire des non-lecteurs. Il est à noter que le clavier des téléphones mobiles simples (natel en Suisse) ne constitue pas un obstacle à surmonter pour ces apprenants, il suffit de savoir appuyer sur quelques touches pour pouvoir téléphoner, les autres fonctions (les menus ou les SMS) sont tout simplement ignorées.

3. Démarches pédagogiques Le but de cette séance TICe hebdomadaire sera double : initier ou familiariser les apprenants à l’outil informatique, considéré comme une des compétences de base du monde du travail (outil d’insertion sociale et professionnelle) et fournir une aide à l’autoapprentissage du français aux apprenants une fois leur période de formation terminée (outil d’apprentissage). L’initiation à l’ordinateur vise :

l’utilisation du site Le point du FLE pour des exercices ponctuels entrant dans le parcours défini et présenté au début du module l’utilisation de la messagerie électronique la création d’un texte simple avec le traitement de texte Word (en vue d’un futur dossier de candidature) l’utilisation simple du moteur de recherche Google (informations et traduction) Ces quatre points sont classés par ordre de priorité, même si les deux premiers sont abordés presque en parallèle. Face à des adultes peu à l’aise en formation pour diverses causes (échec scolaire, situation précaire, intégration difficile, etc.), toute démarche doit être explicitée selon Guichon (2006, p.16) sur la base de la construction des connaissances dans le cadre du constructivisme. C’est la raison pour laquelle les objectifs de la séance TICe sont exposés et parfois même négociés avec les apprenants à chaque début de module (une fois par mois) en tenant compte du brassage ; en effet, l’arrivée de nouveaux apprenants change la constitution du groupe et demande une nouvelle analyse des besoins. Pour ces apprenants débutants aussi bien en langue qu’en informatique, les explications se font grâce aux tutoriels en image créés par le formateur : de la mise en marche de l’ordinateur (avec session et mot de passe) à la création de l’adresse électronique en passant par l’accès au site d’apprentissage du français. Si apprendre le français avec des exercices sur le site Le point du FLE semble une évidence à tous les apprenants, utiliser la messagerie ou faire des recherches sur Internet leur demandent un travail d’abstraction bien plus compliqué. Des situations concrètes de la vie quotidienne sont mobilisées pour faire le lien avec ce monde virtuel : l’image d’un immeuble collectif avec des appartements pour introduire la notion des sessions et du mot de passe est l’exemple le plus parlant. En plus, l’application des TICe doit être concrète, les apprenants peuvent demander pourquoi créer une adresse électronique alors qu’ils ont une vraie adresse et un numéro de téléphone. Le fait de constater que la messagerie raccourcit l’attente quand il s’agit du contact classique avec leur conseiller de l’ORP (Office Régional de Placement) est en général un premier pas vers le nouveau statut d’usager numérique (Merzeau, 2010), même s’ils sont seulement au stade de récepteur (de messages) et d’utilisateur (de sites). La séance TICe est placée en milieu de semaine, ce qui permet de travailler les points grammaticaux ou lexicaux introduits en début de semaine. Elle peut aussi servir d’évaluation formative qui exigerait, si nécessaire, un réajustement du contenu du programme. Par ailleurs, l’hétérogénéité du groupe peut se transformer en avantage. En effet les personnes ayant suivi une scolarité « normale » ou les « anciens » deviennent rapidement des personnes-ressources pendant ces séances TICe. La durée maximale de 360 heures exige une rigueur certaine dans la construction du programme et la séance TICe peut devenir une perte de temps si elle est utilisée comme simple occupation (certains apprenants du niveau le plus avancé de ces groupes trouvent

qu’ils peuvent faire des exercices de compréhension écrite et orale à la maison ou ne voient pas l’utilité d’écrire un texte sur Word…).

4. Le rôle du formateur Pour se sentir relativement à l’aise avec les TICe, le formateur se doit, en premier lieu, d’avoir des connaissances de base dans l’utilisation technique des ces outils (du simple magnétophone ou lecteur de disque au vidéoprojecteur relié à un ordinateur), sans compter une aisance dans la navigation sur le réseau interne (Intranet). Si la mise en marche d’un ordinateur personnel pose peu de problème aux utilisateurs novices, l’utilisation d’un ordinateur relié en réseau peut relever parfois du parcours de combattant. Le deuxième point, le plus important aux yeux de tous, réside dans ses « compétences andragogiques » pour introduire ces TICe dans le cours sans trahir ou dévier de la ligne des objectifs tracée. Les questions « pourquoi ? », « pour quoi ? » et « comment ? » reviennent souvent, tout comme celle de l’évaluation, tant de la démarche que du contenu. C’est souvent cette difficulté que redoutent les formateurs débutants peu désireux de se frotter aux nouvelles technologies. Le formateur, face aux différents publics de ce centre de formation, assure deux rôles différents. 4.1. Avec le public des cours de (re) mise à niveau Il peut proposer des tâches spécifiques à réaliser (un dossier sur le projet professionnel avec une présentation détaillée de la profession choisie : fiche de poste, compétences requises, formation, débouché ou encore un tableau récapitulatif des homophones usuels) comme laisser l’apprenant choisir librement le sujet d’actualité qui l’intéresse et établir un dossier pour tout le groupe. Certes, la partie préparation de ces parcours individualisés et parfois différenciés exige une plus grande énergie de la part du formateur que l’animation en elle-même, mais ce dernier se retrouve rarement devant des questionnements d’ordre didactique. Le traitement de texte (Word, dans notre cas) apporte peu d’assistance : de nombreux apprenants préfèrent écrire leur texte à la main pour ne pas être corrigés et perturbés par les propositions de correction du logiciel. L’autocorrection prend une part importante : même les exercices à trous (qui, en général, contribuent peu à améliorer l’auto-apprentissage) procurent l’occasion de vérification systématique des règles sur Internet. Avec ces apprenants « normalement » scolarisés et qualifiés, l’ordinateur multimédia joue pleinement son rôle d’outil dans le processus d’apprentissage. De plus, les informations sont toujours croisées : entre apprenants, avec le formateur et sur la Toile. Le formateur ne détient plus le statut omniscient, mais garde toujours le rôle de guide et parfois de balises par rapport aux « égarements » possibles. 4.2. Avec le public « faiblement » qualifié Si un enseignant du secondaire peut avoir des inquiétudes face à des jeunes férus d’informatique, le formateur face à des apprenants peu scolarisés peut être rassuré : la plupart d’entre eux n’ont jamais touché un ordinateur. Dans le cas contraire, ils le

pratiquent dans leur langue première et plutôt pour communiquer avec la famille (même dans ce cas, on ne peut parler de maîtrise de l’outil informatique, car une seule application de cet outil est exploitée). Pourtant, cette assurance ne constitue pas une motivation assez forte pour inciter les formateurs à se lancer dans l’introduction des TICe auprès de ce public. La tâche est rude car initier des (quasi) -novices à l’informatique dans une langue non maîtrisée peut s’avérer périlleux, sans compter que l’enseignement/l’apprentissage du français peut toujours se faire d’une manière plus « traditionnelle », c’est-à-dire sans TICe. La première barrière à surmonter est celle des explications : le vocabulaire et les tutoriels utilisés pour guider les apprenants doivent être simples, imagés (session, utilisateur, mot de passe, messagerie, etc.) et surtout reliés au concret de la vie quotidienne. L’organisation logistique devient aussi une étape primordiale : les places sont assignées suivant une certaine logique pour laisser fonctionner les binômes (les « connaisseurs » en informatique avec les débutants) tout en évitant la même langue première au sein du groupe. Par rapport aux cours de (re) mise à niveau, avec ces apprenants, le formateur joue à la fois le rôle du détenteur ou transmetteur des savoirs (linguistique et informatique) mais aussi celui de la personne-ressources, de l’accompagnateur dont l’aide est sollicitée à tout moment, de l’entraîneur qui doit motiver sans arrêt « ses troupes » et parfois même du médiateur (corrélation entre le langage de l’ordinateur, du clavier et du français). En résumé, la présence du formateur (afin de guider, encourager, commenter, développer, évaluer, etc., Gerbault, 2008) est pleinement exigée de la préparation des tutoriels, des parcours individualisés jusqu’à l’animation des séances. C’est un travail chronophage et harassant qui demande un investissement complet de la part du formateur. Certes, un formateur n’appliquant pas les TICe jouent aussi les mêmes rôles face à ce public, mais, de nouveau, le but ultime de cette expérience reste celui d’offrir aux personnes en situation d’insertion professionnelle, dans un temps relativement court, les deux compétences de base : langagière et informatique.

5. Les apports des TICe Introduire les TICe auprès des apprenants peu qualifiés peut sembler prématuré car ils sont confrontés comme nous l’avons précisé, à la double difficulté langagière et informatique. Cette observation nous a néanmoins permis de dresser un premier bilan qui nous paraît encourageant. 5.1. Au niveau de l’apprentissage L’informatique annule le problème posé par l’écriture liée (attachée) que rencontrent beaucoup d’apprenants venant des pays comme l’Iran, l’Irak, ou l’Afghanistan qui tracent des traits et des courbes pour former les lettres et négligent souvent les lignes et la ponctuation. Les gestes d’animation, d’information (Tellier, 2008, 40-41) ou d’explication passent aussi par le canal numérique : clavier, souris, vidéo projecteur. L’apprenant devient acteur, il participe à l’explication ou à l’animation du cours (à tour de rôle, les apprenants prennent l’ordinateur du formateur qui est relié au projecteur).

Pourrait-on dire que cette séance TICe contribue au développement de la compétence à écrire (Bédard, 2005) ? Avec des apprenants qui découvrent le français écrit en même temps que le clavier, la réponse est plus proche du « non, mais.. ». Le correcteur automatique de Word est inutilisable à ce niveau, aussi bien dans le choix du mot que dans l’application des règles grammaticales ou de la ponctuation. Nous dirions que la séance TICe participe plutôt à une prise de conscience des problèmes liés à l’écrit (les majuscules et la ponctuation par exemple) et au français écrit (le « ne » elliptique). L’appropriation du vocabulaire se fait en général de deux manières, les exercices QCM ou à trous, suivis d’une reproduction à la main dans le cahier. La séance TICe permet aussi des parcours individualisés tout en respectant les mêmes objectifs, ce qui n’est pas facile à appliquer en salle de cours normale pour ce public « peu qualifié ». 5.2. Au niveau des apprenants La totalité des apprenants participant à la phase de test ont approuvé la séance TICe. 80 % d’entre eux ont découvert l’informatique même si les apprenants-parents en possèdent un à la maison (l’outil est le domaine réservé ou des enfants ou du mari…). L’utilisation des TICe favorise incontestablement une certaine autonomie, même guidée (grâce aux tutoriels) mais aussi le travail en équipe, elle stimule l’initiative et développe parallèlement une prise de confiance (« Je me débrouille bien, pour quelqu’un qui n’a jamais touché un ordinateur ! J’ai dit à mes filles que je vais aller sur Facebook, elles sont restées sans voix ! »). A côté du français, ce sont des qualités-clés qui pourront augmenter les chances des apprenants à retrouver un emploi. En passant du statut de « non-initiés » à celui d’usagers, les apprenants se sentent valorisés, on peut dans ce cas parler de la plus-value des TIC dans le processus d’apprentissage, surtout avec ce public. La plus grande difficulté pour ces apprenants semble se concentrer dans l’utilisation de la messagerie. Comme nous a fait remarquer Verdier (2008), ce n’est pas le logiciel de messagerie (Yahoo dans notre cas) qui invente le correspondant. La mise en pratique par des petits messages entre apprenants (qui se trouvent dans le même espace) rend plus difficile la compréhension de l’utilité immédiate de cet outil. Par contre, la réponse des conseillers de l’ORP (Office Régional de Placement) à leur message de vœux à l’occasion des fêtes de fin d’année a été le déclic salutaire, tout comme le rajout de l’adresse électronique sur leur CV. Ils sont d’ailleurs nombreux à estimer qu’ils peuvent améliorer leur français avec l’aide de l’ordinateur mais préfèrent quand même le support papier pour l’écrit (ce qui est tout à fait compréhensible).

Conclusion Les TIC ont apporté un changement indéniable dans l’enseignement/l’apprentissage du FLE comme dans tous les domaines de la vie quotidienne. D’un outil technique d’accompagnement à l’enseignement au début de son introduction dans les salles de cours, l’ordinateur multimédia fait maintenant partie intégrante de la panoplie « didactique » du formateur/enseignant. « L’outil ne fait pas naître l’artisan, il ne peut que servir son talent »

(Bibeau, 2006). Il est évident que le formateur doit être formé (en formation initiale) et continuer à se former (une mise à jour en informatique mais aussi en didactique est indispensable). Certes, les multiples recherches sur le sujet concernent principalement les enseignants comme celles de Charlier, Daele, Deshryver (2002), ou d’autres auteurs qui ont collaboré à l’ouvrage « Pratiquer les TICE, Former les enseignants et les formateurs à des nouveaux usages » (Guir, 2002). Nous pouvons néanmoins mettre à profit une grande partie de ces recherches, en gardant à l’esprit les caractéristiques de notre public : des adultes « faiblement qualifiés ». Il s’agit, bien entendu, de donner à chaque forme d’apprentissage un sens, car « dans une perspective socioconstructiviste, faire apprendre signifie faire construire ou faire réaliser des apprentissages de « contenus ». L’adulte est l’acteur central de sa formation et il est en interaction avec son environnement » . 122

Comme dans toute expérience, la question à poser sera « Et après ? ». Si tous sont d’accord sur l’importance de l’utilisation des outils informatiques, combien parmi les participants à cette phase de test vont continuer à l’utiliser après la fin de leur formation (80 % ont répondu oui) ? Cette observation avec les mêmes participants devrait être poursuivie au-delà de ce groupe (ou même au-delà de la période de formation) afin de mesurer l’impact de cette introduction qui peut être jugée de « trop hâtive » donc peu efficace. Une suite de parcours est à envisager (avec des financements à trouver) qui demande l’implication de tous les acteurs (apprenants, formateurs, l’institution et les financeurs et, à un autre niveau non moins important, les employeurs) pour que ces personnes faiblement qualifiées puissent un jour se débarrasser de cette étiquette peu glorieuse et discriminatoire.

Bibliographie Bedard Denis, Brelisle Marilou (2005), Contribution des TIC au développement de la compétence à écrire. Québec français, 137, 67-69. Bibeau Robert (2006), La vie avec les TIC, la vie après les TIC. Revue de l’association EPI. Charlier Bernadette, Daele Armaury, Deschryver Nathalie (2002), Vers une approche intégrée des technologies de l’information et de la communication dans les pratiques d’enseignement. Revue des sciences de l’éducation, 28/2, 345-365. Depover Christian, Marchand Louise (2002), E-learning et formation des adultes en contexte professionnel. Bruxelles : Éditions De Boeck Université. De Serre Linda (2004), Le multimédia en classe de langue : un effet de mode ? Québec français, 132, 62-65. Ferone Georges (2008), Mettre les TICE au service des apprentissages. Paris : Delagrave Edition. Gerbault Jeanine (2008), Interaction et aides : potentiel, pertinence et personnalisation. In Anne-Laure Foucher, Maguy Pothier, Christine Rofrigues, Véronique Quanquin, TICE et Didactique des langues étrangères et maternelles : la problématique des aides à l’apprentissage. Clermont-Ferrand : Presse Universitaires Blaise-Pascal, 53-69. Guichon Nicolas (2006), Langues et TICE – Méthodologie de conception multimédia. Paris : Editions Ophrys. Guir Roger (2002), Pratiquer les TICE – Former les enseignants et les formateurs à de nouveaux usages. Bruxelles : Éditions De Boeck Université. Magenot François, Louveau Elisabeth (2006). Paris : CLE International. Merzeau Louise (2010), L’intelligence de l’usager. In Lisette Calderan, Bernard Hidoine, Jacques Millet, L’Usager numérique - Séminaire INRIA. Paris : ADBS Editions, 9-37.

Tardif Jacques (1998), Intégrer les nouvelles technologies de l’information – Quel cadre pédagogique ? Issy-lesMoulineaux : ESF Editeur. Tellier Marion (2008), Dire avec des gestes, Du discours de l’enseignant aux pratiques de l’apprenant. Le français dans le monde, 44, 40-50. Verdier Pascale (2008), Utiliser un logiciel d’orthographe : quel étayage, quelle régulation des tâches ? In Anne-Laure Foucher, Maguy Pothier, Christine Rofrigues, Véronique Quanquin, TICE et Didactique des langues étrangères et maternelles : la problématique des aides à l’apprentissage. Clermont-Ferrand : Presse Universitaires Blaise-Pascal, 385-402.

Sitographie http://www.va-savoirs.org/malin/ http://www.crfc.ch/fileadmin/Documents/Atelier5-FC-Insertion-Compte_rendu.pdf http://doc.rero.ch/lm.php?url=1000, 41,2, 20081112093526YE/MemoireLicence_MarieLambert_juin2007.pdf http://alpha-et-ntic.over-blog.net/ http://www.febisp.be/ressource/static/files/PeriodiqueInsertion/Insertion_73.pdf http://recit.qc.ca/ http://www.robertbibeau.ca/

Varia Nouvelle perspective de l’enseignement littéraire en philologie romane en Pologne Beata KĘDZIA-KLEBEKO Université de Szczecin Sous l’inspiration de la pensée du philosophe américain Charles Sander Peirce, et en opposition aux théories définissant l’acte de lecture comme un acte de communication entre le texte et le lecteur, les chercheurs du Groupe de recherche sur la lecture au Québec ont abordé la lecture comme processus dynamique, « comme une activité mettant en présence un lecteur singulier et un texte singulier » . Selon Bertrand Gervais et Rachel Bouvet, la lecture met en jeu un ensemble de processus et doit toujours viser à un certain équilibre négocié entre « ses diverses composantes, qu’elles tiennent à la manipulation, à la compréhension ou à l’interprétation des textes » . 123

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La lecture est un acte singulier, individualisé, certes. Pourtant, les résultats de la lecture peuvent donner lieu à un travail collectif, se construire progressivement durant les activités en classe. Il est important de souligner que les recherches sur la lecture ne cessent de se développer depuis les années 1970. De nombreuses théories sont loin de fournir un aperçu homogène sur l’acte de lire, à part une certaine vision du texte qui « demeure une pure virtualité, actualisée lors de la lecture, acte par lequel il acquiert une signification » . Les années suivantes ont vu un déplacement de l’intérêt des théoriciens du texte vers le lecteur et la relation qu’il maintient avec le texte. 125

L’ouverture vers le lecteur s’est opérée avec le post-structuralisme qui prenait en compte les situations de production et de réception, d’écriture et de lecture. La théorie du langage, les effets de la langue sur l’interlocuteur ont renoué avec l’herméneutique écartée par le structuralisme. Ce qui devient important, c’est non seulement l’interprétation du texte ayant une structure, mais aussi la transmission du sens et sa concrétisation. Le texte devient par le lecteur. Les théories de la lecture cherchent à décrire la façon dont l’acte de lecture se déroule, elles prennent l’allure sémiotique (saussurienne mais aussi peircéenne). Voient le jour les concepts de narrataire (Gerald Prince), d’archilecteur (Michel Riffaterre), de lecteur implicite (Wayne Booth), de plaisir (Roland Barthes), de lecteur modèle (Umberto Eco). On peut constater cependant que la perspective d’analyse de ces théories reste orientée vers le texte et non sur la situation de la lecture. Un important courant de la critique littéraire qui porte sur le lecteur seul et non sur le lecteur et ses lectures est connu sous l’appellation reader–oriented criticism américain. L’objet de l’analyse – un texte littéraire – est considéré dans la perspective d’un point de vue. « C’est ce type de pratique que recouvre l’expression : poétique de la lecture ; or la poétique est d’abord une affaire de production, une discipline liée à des propriétés textuelles, soit à des modes de production. Associée à la lecture, elle actualise le postulat d’une équivalence

simple entre les exigences du texte et les réactions du lecteur qui permet de définir l’acte de lecture selon l’idéal représenté dans le texte. » Les chercheurs susmentionnés proposent une théorie de la lecture qui ne prend pas en considération uniquement les propositions du texte mais aussi le mode d’intervention d’un lecteur sur le texte. Les processus de lecture qui agissent sur le lecteur sont d’ordre neuropsychologique, cognitif, argumentatif, affectif et symbolique. 126

Dans la même perspective, les textes littéraires constituent l’objectif d’un intérêt particulier des didacticiens du français langue étrangère (FLE) en tant que source des savoirs linguistiques et culturels. Le vaste mouvement de centrage sur l’apprenant et de l’accent mis sur le développement de la compréhension du texte est observé dès les années soixante-dix, et fait aussi « amorcer la réflexion sur le rôle de l’écrit » . La littérature constitue un mode de communication privilégié des êtres humains depuis l’aube de la civilisation « littératienne », pour utiliser le terme proposé par Jack Goody . Les avantages que l’univers de la littérature apporte à l’apprenant sont bien connus, malgré les discussions que l’objet littérature suscite en général. Les didacticiens contemporains ont aussi constaté que le mouvement communicatif littéraire devient unidirectionnel, à cause d’autres médias jouant sur l’image et le son et plus aisément accessibles. Le message littéraire est transmis au lecteur passif qui, dans la plupart des cas, ressent des difficultés réelles pour découvrir le sens sacralisé de l’œuvre littéraire. Celui-ci demeure accessible à un petit nombre d’initiés. Le côté techniciste des analyses littéraires pratiquées durant l’apprentissage de la littérature est-il suffisant pour inciter l’apprenant à prendre goût au dialogue avec le texte et, par le biais de celui-ci, avec la culture de sa propre nation et celle d’un autre pays ? Comment enseigner la littérature en philologie romane pour satisfaire à un double besoin de la formation spécialisée au niveau des études supérieures et de l’éveil du plaisir de lire, qui seul constitue une garantie de volonté de découvrir plus, de créer des liens entre différentes cultures, dans l’esprit de respect et de compréhension mutuels ? 127

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La réalisation des projets des ateliers littéraires paraît répondre à ces exigences. Les étudiants deviennent lecteurs attentifs aux « communiqués » des auteurs et y répondent en créant leurs propres textes. Ils lisent pour écrire. L’importance de l’écrit a été soulignée par de nombreux chercheurs préoccupés par le développement des fonctions psychiques supérieures, caractérisées par la conscience, l’intentionnalité et la systématisation. Lew Vygotsky précise à ce sujet : « Le langage écrit est une fonction verbale tout à fait particulière qui, dans sa structure et son mode de fonctionnement, ne se distingue pas moins du langage oral que le langage intérieur ne se distingue du langage extériorisé… […] C’est l’algèbre du langage, la forme la plus difficile et la plus complexe de l’activité verbale intentionnelle et consciente. » 129

L’écriture constitue alors un outil, un médium privilégié de la communication humaine, grâce auquel se fonde une culture symbolique. C’est à travers l’écrit que l’apprenant développe les opérations discursives et cognitives de mise à distance ou d’autoréflexivité. Le travail de l’écriture est simultanément « travail du dit et du dire » . L’expression littéraire écrite de l’apprenant favorise une construction des savoirs qui exploite des composantes structurelles de l’écrit telles que : fixer/inscrire, abstraire et rendre visible. Ces usages fondamentaux s’incarnent dans la pratique qu’en cas d’apprentissage scolaire constituent les micro-pratiques de l’écriture . 130

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L’analyse explicative des textes littéraires pratiquée habituellement pendant les études philologiques pourrait être accompagnée d’activités créatives qui encouragent les étudiants à entreprendre un effort d’écriture littéraire menant ainsi au dialogisme dont Bachtin écrivait qu’il constitue « une propriété la plus importante de l’œuvre littéraire. Chaque œuvre étant une réplique dans un dialogue linguistique qui dure depuis longtemps annonce une nouvelle expression » . 132

Les étudiants des philologies étrangères — il s’agit dans notre cas des étudiants de philologie romane — se trouvent généralement au moins embarrassés au moment où l’enseignant leur pose la question du style d’expression littéraire de tel ou tel auteur, c’està-dire lorsqu’il s’intéresse à la manière dont l’auteur arrive à faire comprendre au lecteur sa part du sens voulu, « ce sens qui, selon Michel Mougenot, n’est pas une donnée mais une fonction à deux arguments : le signifiant d’une part et les compétences du récepteur d’autre part » . 133

Les compétences du lecteur sont bien connues, et l’on distingue la compétence linguistique qui englobe les signifiants textuels, cotextuels et prosodiques, la compétence encyclopédique portant sur le contexte tels que savoir, croyances, système de représentations, interprétation et évaluation de l’univers référentiel, la compétence logique qui permet d’effectuer un certain nombre d’opérations logiques et formelles et qui sont spécifiques à la logique naturelle, et la compétence rhétorico-pragmatique qui fait manifester des principes d’un lien social et de la parole. Malgré cela, dans le cadre universitaire, pendant les travaux pratiques de lecture de textes littéraires, les enseignants se concentrent spécifiquement sur l’importance de la compétence encyclopédique, la compétence linguistique étant plus généralement limitée à l’explication du vocabulaire pour éviter l’incompréhension totale du texte. Pourtant, il serait intéressant de viser la spécificité de l’œuvre littéraire, non seulement au niveau sémantico-lexical, mais aussi aux niveaux phonologique, morphologique, syntaxique et prosodique. La matière linguistique de l’œuvre littéraire exigerait alors, de la part des étudiants, la compréhension approfondie du texte pour accéder aux différentes strates de l’œuvre littéraire. Roland Barthes écrit : « la langue est donc en deçà de la littérature. Le style est presque au-delà : des images, un débit, un lexique naissent du corps du passé de l’écrivain et deviennent peu à peu les automatismes de son art. » Si, selon Barthes, la parole a une « structure horizontale » et si ses « secrets sont sur la même ligne que ses mots » où « tout est offert, destiné à une usure immédiate » , [….] l’expression au contraire n’a qu’une dimension verticale, qui plonge dans le souvenir clos de la personne, compose son opacité à partir d’une certaine expérience de la matière ; dont [….] « le style n’est jamais que métaphore » et son secret est « enfermé dans le corps de l’écrivain » . 134

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L’analyse seule de cette définition fait de l’enseignement et de l’apprentissage des textes d’un auteur un pari difficile. Et cela n’est pas seulement propre à notre époque. Chez les anciens, la culture littéraire renvoyait à l’érudition dans les domaines des connaissances humaines. L’imitation de grands auteurs reconnus et uniques faisait déjà l’honneur des écoliers. À l’école française du 19 siècle encore, la question des finalités de l’enseignement littéraire, présentée dans les textes officiels, est explicite et d’une grande e

constance. C’est ainsi que les instructions de 1890 affirment que le fond même de l’éducation, c’est « fréquenter les grands écrivains de tous les temps, apprendre d’eux d’abord ce que l’esprit humain a pensé, senti, voulu aux siècles passés, ensuite apprendre l’art de penser, de sentir, de vouloir soi-même, à leur exemple, avec toute la raison, toute la vertu dont on est capable ». 137

Cela explique la popularité de l’explication de texte, fameuse méthode d’analyse de textes pratiquée au lycée français, celle qui devient « le centre de gravité et une pièce maîtresse de l’enseignement littéraire ». C’est en fait dès 1840 que l’explication de texte entre officiellement dans l’enseignement secondaire, comme épreuve orale du baccalauréat ès lettres. Les textes du 17 siècle français demandent eux aussi à être « expliqués », c’est-à-dire « traduits » selon le sens qui est donné au mot « explication » dans le Littré. Ainsi, une épreuve orale de français est introduite au concours de l’agrégation de grammaire en 1843, « épreuve spéciale sur des auteurs français ». En 1854, le ministre Fortoul précise comment le professeur doit procéder : « il faut qu’il détermine la valeur des mots et la propriété des termes, leurs rapports, leurs acceptions diverses ; qu’il rende sensible la liaison des idées ; qu’il distingue les idées principales et les idées accessoires ; qu’il montre dans quel ordre elles sont disposées, quelle forme leur donne le raisonnement ou l’imagination, quels sentiments elles éveillent, quelle physionomie leur prête le génie particulier de l’écrivain. » e

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On voit comment cette première définition officielle de l’explication française s’inspire du protocole de l’ancienne praelectio, en prenant en compte la traduction des mots qui posent problème (explanatio), la mise en valeur de l’idée principale (argumentum), et l’intérêt esthétique qui devait faire ressortir les qualités de la langue et la dimension morale. Sous l’influence de l’idée d’individualisme croissant, vers la fin du 20 siècle, l’idée d’universalité culturelle se heurte à la conception de la culture qui n’est plus présentée comme un monolithe : « il n’y a pas un modèle unique de culture », affirme le texte de 1981 : on craint à présent la dimension idéologique d’une culture présentée jusque-là comme universelle et consensuelle. Le clivage du beau et du bien résulte du fait que le beau est devenu relatif. Ainsi, l’enseignement du français ne se définit plus par un corpus de beaux textes porteurs de valeurs à la fois esthétiques et universelles. La notion d’individu englobe à présent les contacts avec les arts et avec le monde. On accentue la diversité des langages qui sont utilisés par les différents modes de communication. La littérature est perçue en lien avec la peinture, la musique ou le cinéma. On prend en considération l’expérience personnelle et la vision de l’art par le public. On parle de visites et d’enquêtes, on fait appel à l’expérience des élèves. Pendant les cours de français, on propage l’idée de communication et on initie les élèves à toutes les formes de langage. e

Malheureusement, l’œuvre intégrale, la question de l’auteur et du style commencent à se perdre face au polymorphisme et l’individualisation croissante du style d’expression. La conséquence en est que les élèves et les étudiants se trouvent souvent immobilisés et sans idées à la vue d’une page blanche qu’ils sont incapables de remplir du texte de leur création. Dans le contexte des années soixante-dix et quatre-vingt du siècle passé, à l’époque où la formation du moi individuel prime sur la dimension collective de la culture, Jean Ricardou essaie de savoir s’il est possible d’apprendre la littérature

seulement pendant les cours magistraux, en assistant à de beaux discours. Facilement, on présume sa réponse : c’est impossible, tout comme il n’est pas possible d’apprendre à jouer du piano en écoutant le professeur en faire l’éloge. Selon Jean Ricardou, pour apprendre la littérature, il faut la pratiquer. Ce leitmotiv va être pris en compte pendant l’apprentissage de la lecture et de la pratique littéraire sous forme d’ateliers littéraires. Le projet d’atelier littéraire prévoit que la littérature n’est plus alors appréhendée comme savoir, mais aussi comme savoir-faire. Elle suppose des méthodes qui « fortifient des comportements qui donnent à la personnalité une armature ». Par ce biais, on retrouve une conception de la culture perçue comme transformation de l’individu et non comme seul savoir. Les ateliers d’écriture s’inscrivent dans cette perspective : celle d’une didactique conçue comme accompagnement et aide au travail de l’élève pour l’apprentissage de formes d’écriture de plus en plus variées et inventives. Nous essayons de travailler dans cette voie en proposant aux étudiants de philologie romane de lire et d’écrire des textes littéraires afin d’approfondir leurs connaissances dans le domaine de la littérature et de la culture françaises. Pendant les ateliers littéraires, les étudiants lisent les textes d’auteurs et écrivent leurs textes selon les contraintes proposées et établies en classe, « les référentiels d’évaluation, en matière d’écriture, ne sont pas tant des contenus restitués que des compétences manifestées. La connaissance de l’importance de ces compétences en actes et la prise en compte croissante des pratiques sociales de référence conduit à donner une plus grande place aux activités d’écriture accompagnées et guidées, durant le temps scolaire » . 139

Les ateliers littéraires deviennent des lieux de « travail » et de « façonnage » de l’écriture. Cela permet à l’enseignant de mener l’observation du texte au niveau des normes et des conventions, au niveau du lexique, de la syntaxe, du type de discours utilisé, des points de vue, des procédés rhétoriques, et enfin d’essayer de constituer chez les étudiants la notion générale de ce qu’on appelle le style d’un auteur. C’est Claire Boniface qui constitue la typologie relative à toutes les formes d’ateliers. Selon elle, il est nécessaire de prendre en compte : la situation d’écriture (dite populairement les ateliers : contraintes, exercices, motivation, proposition, inducteur, starter, rappel, ouverture, provocation de l’imaginaire) le temps d’écriture des textes ou des écrits la lecture des textes (publication, communication, socialisation) La réaction au texte (retour, réaction, commentaire, correction, impression, résonance). À ces quatre données correspondent quatre types d’action :

motivation, production, communication, réaction. Puisque l’objet de cette recherche est l’approfondissement des connaissances des étudiants en matière de littérature, la mise en pratique des savoirs acquis, et l’initiation à l’écriture, on s’appuie sur les textes de nouvelles qui sont très intéressants du point de vue didactique. Au niveau de la forme, ce sont des textes complets et brefs (authentiques œuvres intégrales) qui permettent la mise en pratique de structures et de procédés narratifs. Au niveau du contenu, les sujets et les thèmes présentent dans la majorité des cas un intérêt humain perceptible pour les étudiants, et toujours d’actualité. Plus précisément, l’exploitation didactique porte alors sur les principales caractéristiques du genre de la nouvelle qui ont été définies par Henri Bénac : action simple et brève centrée autour d’un seul événement personnages peu nombreux et ayant une réalité décor aux détails nécessaires, sans renseignement superflu style descriptif : les êtres et les choses apparaissent à partir de leur extérieur appel à l’intelligence du lecteur, c’est-à-dire à sa participation active pour percevoir des effets rapides, des ellipses intention réaliste possibilité d’ouverture sur la conscience profonde des personnages. L’analyse des œuvres littéraires mène ainsi à une activité créatrice de l’étudiant en cours et constitue une motivation pour entreprendre un effort d’écriture. Comme exemple, on peut citer les ateliers littéraires durant lesquels les étudiants écrivent des nouvelles criminelles. Le genre du roman et de la nouvelle criminelle vit un renouveau d’intérêt de nombreux lecteurs et des écrivains de grande renommée. À partir des années 70 du 20 siècle, une nouvelle génération d’écrivains français – parmi lesquels Hervé Jean, Bernard Pouy, Thiery Jonquet, Didier Daeninckx, Jean-Michel Naudy, Daniel Pennac et d’autres – contribue à la popularisation de la nouvelle criminelle. e

Elle devient alors de plus en plus souvent le terrain où se croisent des tendances traditionnelles et plus novatrices, à partir de la description d’une enquête classique jusqu’à l’expression des contestations sociales ou politiques. La nouvelle criminelle est alors un genre engagé, et le lecteur peut y trouver, outre les éléments littéraires et culturels, ceux qui sont de nature philosophique, sociologique ou scientifique. Reste toujours une énigme – fascinante, changeante, manipulatrice – qui inspire les étudiants à entreprendre des efforts de lecture et d’écriture durant les ateliers. C’est donc dans cet esprit de prise de conscience, de lecture et d’analyse que voient le jour les écrits des étudiants, des nouvelles qui suivent les contraintes du genre. Le travail d’écriture permet aux étudiants d’approfondir leurs connaissances sur la théorie du genre,

du mode de construction des significations, d’effets explicites et implicites, des règles qui gouvernent la structure linguistique et littéraire de l’expression écrite. La nouvelle criminelle se caractérise par une unité de lieu d’action. La brièveté de la nouvelle est destinée à permettre qu’elle soit lue en une seule fois. Cette brièveté impose la concentration de la part du lecteur qui ne peut pas être distrait. Elle vise aussi une perfection de récit. C’est pourquoi le genre paraît tellement prisé par les écrivains. Dans le texte de la nouvelle, les personnages sont facilement reconnaissables : coupable, victime, un ou deux suspects, un détective. Dès la première page, l’auteur sait attirer l’attention du lecteur sur les événements qui se déroulent dans le monde imaginaire du crime. Le dénouement est surprenant – « c’est une rupture ». Le texte propose la concentration de temps et de lieu. L’action se passe en une journée à l’endroit vibrant de tension, dans une superficie close qui peut se changer en piège. De plus, le genre de la nouvelle criminelle emprunte quelques caractéristiques au cinéma : une intense dynamique des événements, des effets d’ellipse ou de flash-back ; un titre suggestif, des dialogues amusants ou un style accompagnent ce jeu intellectuel que sont les récits mystérieux à clé. L’art d’écrire consiste à garder en éveil l’attention et la curiosité qui devient le moteur de l’acte de lecture. Ce phénomène est visible tout particulièrement dans le cas de nouvelles criminelles. En voulant écrire des nouvelles, il est nécessaire de prime abord de bien connaître leur fonctionnement et leur structure formelle. Selon Christian Poslaniec, « généralement, dans le récit criminel c’est le crime » qui ouvre le récit : le cadavre est retrouvé. Si on arrive à identifier la victime, une enquête commence. En examinant la vie privée de la victime, le détective essaie de trouver des motifs valides du crime. Il devrait prendre en considération : heure, temps, lieu, alibi des personnes suspectes, arme utilisée, rapport d’expertise du médecin légiste etc. L’enquêteur essaie définitivement de cibler un meurtrier potentiel parmi les suspects. Le dénouement final consiste à reconstruire les événements et les relations existant entre la victime et le meurtrier. On peut aussi préparer les descriptions de comportements typiques pour différents métiers, par exemple dentiste, médecin, chimiste, pilote, cuisinier etc. Tous ces préparatifs aident les étudiants à recueillir les informations-outils qui s’avéreront très utiles durant la création du texte de la nouvelle. En résultat des démarches entreprises et qui prennent en considération les textes de nouvelles existant, les étudiants savent définir les traits caractéristiques du genre de la nouvelle, qui par sa forme courte se distingue du roman et par l’application de la narration des autres textes dits fonctionnels, tels qu’articles de presse, instruction ou autres. La brièveté de la forme et l’ellipse pratiquée de façon systématique ont pour objectif de créer chez le lecteur l’impression d’un univers représenté aussi riche en événements que dans le texte du roman. Comme nous le savons, le nombre de personnages dans la nouvelle est limité. Les lieux d’action de deuxième plan : hôtel, maison, tribunal sont présentés de façon référentielle, le lecteur doit reconstruire leur image dans son imaginaire. Les lieux de l’action du point culminant : cabinet, salle de théâtre – sont

présentés plus précisément. Les péripéties sont désignées de façon allusive. Comme on voit, la lecture de la nouvelle exige une forme de coopération de la part du lecteur. Pour mieux comprendre la spécificité de la nouvelle, l’enseignant peut proposer aux étudiants d’élaborer des éléments qui transformeront la nouvelle en roman : il s’agirait alors de personnages plus nombreux, de descriptions de lieux et de personnages, d’explications etc. L’écriture commence par le tirage au sort de deux cartes de visite des personnages. L’objectif premier est la construction de l’intrigue entre les personnages de façon logique, cohérente et prenant en compte les caractéristiques des personnages. Il ne faut pas oublier le motif ni le mode d’action. Le travail sur le texte narratif est lié au perfectionnement du style d’expression littéraire. Les étudiants analysent les effets stylistiques et sémantiques et la lisibilité du texte. On peut leur soumettre à l’analyse les règles d’écriture proposées par Georges Orwell : utilise le mot le plus court plutôt que le plus long si tu peux rayer un mot, fais-le utilise plutôt la forme active que passive évite les clichés, utilise tes propres expressions évite les mots savants, les emprunts tu peux briser les conventions, mais uniquement dans l’intérêt du lecteur. Finalement les versions des nouvelles sont lues devant le groupe et ensuite affichées au bénéfice des lecteurs francophones. Les étudiants apprennent ainsi à prendre en considération le lecteur, ses goûts, ses intérêts et ses expériences culturelles. Si la nouvelle est trop longue, le lecteur fatigué abandonnera la lecture, si elle est trop courte, elle devient incompréhensible et illisible ; trop ornée, elle devient prétentieuse, trop simple – facile et inintéressante. Le texte écrit existe dans une relation constante avec le lecteur et en tant que compromis entre tradition, nouveauté, information et divertissement, entre simplicité et complexité, entre lisibilité et style individuel, unification et diversification. Réaliser ce compromis devient dès lors un vrai enjeu pour les étudiants écrivant.

Fanta Regina Nacro : une écriture filmique au féminin singulier Georges SAWADOGO Université de Koudougou L’image, des peintres rupestres aux vignettes des bandes dessinées est pour l’homme un précieux moyen d’expression artistique. Elle a aussi été, bien avant l’écriture et demeure encore un moyen visuel de communiquer du sens, ainsi que le montre Odin (1991). Parmi les formes de langages, le cinéma apparaît comme l’une des plus importantes de notre temps. Son langage n’a rien de naturel, ni a fortiori d’éternel. Il a une histoire et en est même le produit, ainsi que le démontre Noël Burch (1990). Le propre du langage cinématographique n’est-il pas de transformer l’agencement des signes linguistiques, visuels et sonores en une série d’énoncés signifiants, tels qu’analysés par Metz (1973) ? Cinéma documentaire, cinéma vérité, film de fiction, tout film est une forme parmi d’autres de communication. Il met en relation un émetteur et un récepteur et transmet une information au moyen de messages codés, puis transférés par un canal tel que décrit par Roman Jakobson (1963) dans son schéma général relatif à l’acte de communication. Tout discours cinématographique, dans sa totalité, s’adresse donc au public et fonctionne sur le mode de ce que Kerbrat-Orecchioni (1981) désigne sous le concept de « trope communicationnel ». A l’instar des autres moyens de communication, le cinéma sera utilisé, en tant que langage spécifique, dans la lutte des peuples africains pour leur émancipation politique, culturelle et économique. Dans le cadre de la lutte des femmes pour leur émancipation, trois principaux éléments pourraient expliquer et légitimer le recours au septième art, notamment par les femmes, comme l’une des formes d’expression les plus efficaces. D’abord, au regard des travaux de Clerc (1985 et 1993), le cinéma apparaît aujourd’hui, à côté de la littérature et des autres moyens de communication, comme un des outils les plus précieux et les plus efficaces dans la conscientisation des peuples. De plus, les images cinématographiques imprègnent notre imaginaire et constituent de sérieux supports dans la perspective d’une meilleure sensibilisation de nos populations. Enfin, comme l’estime Françoise Demougin (1996), le cinéma constitue un objet didactique (au sens de Rollet 1996) de première importance, au regard de la richesse des codes culturels qu’il contient. C’est un fait, l’art cinématographique apparaît comme la synthèse de tous les autres arts, en raison de son caractère polyphonique dans la mesure où, au code linguistique se superposent les codes de l’image tels que décrits par Barthes (1964), de la scénographie, de la musique, etc. Le Burkina Faso, du fait de sa position centrale en Afrique de l’Ouest et en dépit de son enclavement, est devenu au fil des années, grâce au cinéma et notamment par le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), le carrefour des cultures et des peuples du monde. Cet intérêt pour le cinéma et plus généralement pour la culture s’explique d’abord par la reconnaissance de leur rôle dans la sauvegarde de l’identité nationale et le renforcement de la cohésion sociale. Elle se fonde ensuite sur leur intérêt dans le développement endogène et intégral du pays, dans un contexte international largement marqué par la mondialisation et par une prise de conscience de la part de la

femme, de ses droits inaliénables. Parmi les grandes figures du cinéma africain, émergent de plus en plus des artistes femmes parmi lesquelles, la scénariste et réalisatrice Burkinabè Fanta Regina Nacro. Elle pourrait être considérée pour diverses raisons, comme la représentante, à l’échelle continentale, de la « nouvelle vague » des cinéastes femmes, d’où notre thème de réflexion autour de sa double originalité : thématique et esthétique.

1. Problématique Notre réflexion part de quelques constats bien décevants : les sociétés africaines dans leur ensemble, restent encore très largement dominées par des conceptions rétrogrades, notamment à l’endroit des femmes qui en sont les premières victimes. De plus, dans le cercle très fermé des artistes et notamment des cinéastes, les femmes, seulement tolérées, sont de loin les moins nombreuses. Partant de là, les questions suivantes pourraient aider à la formulation de notre problématique : comment, dans une société africaine dont la mentalité du point de vue du statut et du rôle de la femme reste encore marquée par une approche féodale du concept « genre », la femme et particulièrement la femme artiste peuvent-elles affirmer sereinement leur identité féminine et assumer pleinement leur rôle d’artiste ? Dans un milieu comme celui du cinéma, encore très fortement dominé par les hommes, la femme peut-elle exercer librement son métier dans une société burkinabè et africaine aux pesanteurs socioculturelles toujours vivaces ? On pourrait le noter, notre propos voudrait s’interroger de façon plus large, sur le statut et le rôle des femmes artistes dans nos sociétés en pleine mutation et singulièrement ceux des femmes cinéastes, au regard de la spécificité de ce métier. Il tentera donc de dire d’une part, si l’on peut, dans nos sociétés, être femme et artiste et particulièrement être femme et cinéaste et d’autre part, s’il existe une spécificité féminine qui influe sur l’esthétique et / ou la thématique des œuvres artistiques, notamment cinématographiques, faites par des femmes. C’est à cette question centrale qu’il voudrait répondre en prenant appui sur la scénariste et réalisatrice Burkinabè Fanta Regina Nacro, une des figures montantes de la jeune génération des cinéastes femmes au plan national et continental.

2. Fanta Regina Nacro, femme et cinéaste La scénariste et réalisatrice Burkinabè Fanta Regina Nacro est née en 1962 à Tenkodogo. A l’instar de plusieurs des grands noms de la cinématographie africaine, elle fréquente la grande école africaine des métiers du cinéma de Ouagadougou à savoir, l’Institut Africain d’Études Cinématographiques (INAFEC). Quelques années plus tard, elle fait une entrée remarquée dans le monde très fermé du septième art en effectuant, dès 1986, un stage en tant que scripte, auprès d’un des géants du cinéma africain, Idrissa Ouédraogo, à l’occasion de la réalisation de son film Yam Daabo (« Le Choix »). Fanta Regina Nacro est titulaire d’une licence en Sciences et techniques de l’audiovisuel, d’une maîtrise et d’un Diplôme d’Études Approfondies obtenus en 1986 à Paris IV, ainsi que d’une licence de cinéma de l’Université de Paris I Sorbonne, obtenue en 1989. En 1993, elle crée sa propre maison de production, Les Films du Défi dont le siège social est à Ouagadougou. Femme, cinéaste et intellectuelle engagée, Fanta Regina Nacro s’est lancé un autre défi qu’elle est en passe de remporter : un Doctorat en Sciences de l’éducation. Sa filmographie se compose de plusieurs courts métrages auxquels s’est ajouté depuis

2004, « La nuit de la vérité », son premier long métrage. Parmi les courts métrages, on pourrait retenir de façon chronologique, « Un certain matin », première fiction dirigée par une femme au pays des Hommes intègres. Réalisé en 1992, ce court métrage remporta un Tanit d’argent à Carthage et constitua par la même occasion, une consécration pour sa réalisatrice. Cette reconnaissance internationale s’accentua et s’accéléra avec la sortie de « Puk nini » en 1995. Avec ce court métrage, Fanta Regina Nacro fut propulsée dans la cour des grands du cinéma africain. En 1998, un autre court métrage, « Le truc de Konaté » vint renforcer ce palmarès, avec notamment l’obtention de plusieurs prix dans de nombreux festivals internationaux dont le prestigieux Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) en 1999 et le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. Pour cette réalisatrice engagée, convaincue et surtout convaincante, ce coup d’essai fut un coup de maître, ce qui se confirma quelques années plus tard avec un moyen métrage de fiction, « Bintou », réalisé dans le cadre de la série Mama Africa et qui remporta plus de vingt prix spéciaux. Consécration suprême, le film fut sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2001 et remporta le prix du meilleur court métrage au FESPACO de la même année. Enfin, avec « Vivre positivement », réalisé en 2003, Nacro confirme ses talents d’artiste et de femme engagée. Son premier long métrage, « La nuit de la vérité » qui vient d’être présenté au dernier FESPACO, est le lieu d’une révolution dans le milieu du cinéma burkinabè. Déjà reconnue comme l’une des premières femmes africaines cinéastes et comme la plus prolifique des réalisatrices Burkinabè, Nacro signe ici le premier long métrage réalisé par une femme au Burkina Faso, donnant par la même occasion, un tournant décisif à sa carrière cinématographique déjà exceptionnelle au regard de la spécificité du métier et surtout de ses exigences. Fanta Regina Nacro s’affirme de plus en plus dans ce milieu, non seulement comme l’une des valeurs sures du cinéma burkinabè et africain, mais surtout comme une femme cinéaste dont l’originalité thématique et esthétique n’a rien à envier à celle de ses collègues hommes ou femmes qu’ils soient originaires du Burkina ou du reste de l’Afrique.

3. Une cinématographie doublement originale Tout comme la littérature négro-africaine, le cinéma africain, depuis sa naissance, a toujours privilégié, au nom d’une certaine originalité et / ou « africanité », une thématique et une écriture proches des réalités socioculturelles du monde noir. Cette particularité lui a été, tantôt reprochée, tantôt reconnue. Avec les nouvelles mutations que subissent les sociétés africaines et avec surtout le phénomène de la mondialisation, les artistes africains, notamment les cinéastes, jetteront tout leur dévolu dans la lutte contre les maux qui entravent le développement endogène, intégral et durable des jeunes États africains. Au regard des guerres et des conflits qui rythment la vie quotidienne de la plupart des populations africaines, Nacro, la femme et la cinéaste engagée, aurait-elle pu rester insensible face à ces réalités du continent ? Certainement pas et c’est pourquoi elle s’est résolument inscrite dans une lutte pour une véritable émancipation de la femme Burkinabè et Africaine, en affichant son engagement, ce qui n’entache en rien l’originalité thématique et esthétique de ses films. 3.1. Originalité de la thématique filmique de Nacro

Fidèle à ses principes et à ses engagements, Fanta Regina Nacro aborde dans la thématique de ses films, des sujets aussi complexes que sensibles. Il en est ainsi de la thématique de la famille, notamment dans « Un certain matin » et dans « Puk nini » où il est question de la tranquillité et de la stabilité des familles africaines et particulièrement des couples africains. Des sous-thèmes comme ceux de la violence conjugale et de l’infidélité sont abordés. En dénonçant dans « Puk nini » l’infidélité conjugale, Fanta Nacro milite pour la stabilité familiale, socle de base de toute société. Dans la plupart de ses courts métrages, elle interroge les traditions africaines dont elle décrit les relations complexes avec la modernité. Le poids de ces traditions sur la société et les hommes modernes constitue aussi un des foyers thématiques les plus importants dans sa cinématographie. Ces traditions sont tour à tour épinglées dans « Le truc de Konaté » puis dans « Bintou ». Dans « Le truc de Konaté », le pari de Fanta Regina Nacro a été de traiter d’un sujet aussi grave comme celui de la problématique du port du préservatif. Pari osé, dans le cadre global de la lutte contre le sida, surtout dans un contexte africain dominé par certaines conceptions culturelles et religieuses encore vivaces pour lesquelles cette problématique relève encore du tabou. Dans « Bintou » où Fanta Nacro avoue avoir été inspirée par la lutte de sa propre mère, il est particulièrement question de l’émancipation de la femme Africaine par rapport à des sociétés qui nient son statut et son rôle en leur sein. Plaidoyer techniquement appuyé et thématiquement argumenté, ce film appelle à une émancipation totale de la femme Africaine. Le rôle de « Bintou », taillé sur mesure pour l’excellente Alimata Salouka Koné, donne à voir une femme au cœur d’or et à la volonté d’acier qui, malgré les réticences de son macho de mari, veut mettre sa fille à l’école. Pour cela, elle doit gagner de l’argent, même au détriment de la stabilité de son couple. Dans ce film particulièrement poignant, la réalisatrice Burkinabè met en scène l’itinéraire d’une mère combative et intrépide qui, seule contre tous, se bat pour l’émancipation de sa fille. Il s’agit en fait d’un clin d’œil à toutes les femmes Africaines qui, jour et nuit, se battent pour leur émancipation sociale, culturelle, politique et économique. En tant que mère, femme Burkinabè et Africaine, Fanta Regina Nacro rend ici un vibrant hommage à toutes ses sœurs du continent et du monde qui, avec courage et abnégation luttent, même au prix de leur vie, contre les pesanteurs socioculturelles en vue de la reconnaissance de leurs droits fondamentaux. La plupart des thèmes sociaux prennent dans la filmographie de Nacro une connotation hautement politique au sens noble du terme, même si de façon générale, la réalisatrice se préoccupe du quotidien des populations. Comme dans « Le truc de Konaté », Nacro aborde dans « Vivre positivement » la prévention du sida et d’une manière plus globale, la lutte contre ce fléau dans les pays africains. Dans ce film, Nacro dénonce la discrimination et le rejet dont les personnes vivant avec le VIH font l’objet. Elle en appelle à plus de tolérance et d’humanité à leur endroit, tout en insistant sur la responsabilité des gouvernants dans leur prise en charge et dans leur insertion dans la société. Il s’agit véritablement d’un émouvant manifeste contre le rejet et pour l’affirmation de soi. Ce film franchit le pas ultime du vécu pour lutter contre l’exclusion des sidéens sous toutes ses formes. L’appel à la tolérance du leader religieux qui ouvre le film donne le ton. En centrant son film sur le droit de vivre et de procréer, Nacro développe une vision positive, dépouillée de tout misérabilisme et de tout pessimisme.

Mais contrairement à cet ensemble de films où la famille, les traditions et la lutte contre le sida occupent une place prépondérante, dans son tout dernier film, « La nuit de la vérité », les conflits et les guerres fratricides en Afrique constituent l’une des thématiques les plus développées. Ce premier long métrage de Fanta Nacro épouse les réalités d’une Afrique déchirée par une cruelle guerre à l’issue de laquelle on songe enfin à la réconciliation sur fond de méfiance et d’intrigues. Complots, vengeance et haine constituent la toile de fond de ce film. C’est dans cette atmosphère que le chef rebelle Théo, issu du clan des Bonandé, va proposer l’Armistice au président qui, lui, appartient à l’ethnie des Nayaks. Une réception est organisée et les deux camps ennemis y prennent part avec pour objectif, la recherche d’une paix véritable et durable, mais visiblement, les plaies ont du mal à se cicatriser ainsi que le montre la réticence de la première dame qui répugne à serrer les mains qui ont assassiné son fils. Ainsi se construit la douloureuse expérience de la paix entre frères ennemis. Pour Fanta Nacro, « La nuit de la vérité » est un film qui dénonce les atrocités, les conflits ethniques, la cruauté et la haine de l’Homme. Au regard de ce qui précède, Fanta Nacro s’inscrit en droite ligne des préoccupations des autres artistes Africains, musiciens, littéraires, peintres, etc., qui veulent faire de leur art, un viatique pour une dénonciation et une critique constructives en vue d’un meilleur devenir des sociétés africaines. Dans cette perspective, sa cinématographie sera consacrée pour l’essentiel, à faire du septième art, un moyen privilégié de lutte contre la pauvreté, les maladies, la mauvaise gouvernance, l’analphabétisme, les injustices, les guerres ethniques, etc. À cet effet, elle accordera dans l’ensemble de son œuvre cinématographique, une place de choix à l’information et à la sensibilisation des populations. Nacro veut ainsi briser les clichés tabous et faire des propositions concrètes et réalistes pour un monde plus juste et empreint d’humanisme. En définitive, l’originalité thématique de Nacro réside moins dans les thèmes abordés (ceux-ci sont le plus souvent des lieux communs pour la plupart des artistes Burkinabè et Africains) que dans la manière très particulière de les traiter, c’est-à-dire de les porter à l’écran. Toutefois, dans son ensemble, cette thématique semble privilégier les questions relatives à la famille (infidélité conjugale, émancipation de la femme, lutte contre la propagation du sida, etc.) et par conséquent, relatives à la femme, à la mère et à l’épouse qu’est Fanta Regina Nacro. Même si son statut de femme et de mère ainsi que son origine burkinabè et / ou africaine semblent influencer consciemment ou inconsciemment ses choix thématiques et esthétiques, Fanta Nacro se veut avant tout une artiste et une cinéaste au sens plein des termes. Elle veut titiller les consciences et susciter la réflexion autour des thématiques abordées, mais elle reste avant tout une cinéaste, c’est-à-dire une artiste exploitant les ressources esthétiques du langage filmique, telles que décrites par Lotman (1977). 3.2. Une esthétique filmique originale L’originalité de l’esthétique filmique de Fanta Regina Nacro pourrait être envisagée en fonction de la catégorie des films (court ou long métrage). Il est bien entendu qu’une telle classification n’obéit pas à une règle absolue dont les frontières seraient étanches. Elle permet tout simplement, à l’aide d’une vision globale, de dessiner les grands traits caractéristiques de l’esthétique filmique de la réalisatrice Burkinabè. Ainsi par exemple, au niveau des courts métrages, on peut noter une prédominance de l’humour, même dans

l’évocation de certains sujets à la gravité reconnue. On peut donc dire que l’humour fait partie de l’originalité des films de Nacro qui s’inspire de la parole traditionnelle orale, bien connue dans nos sociétés. L’exploitation de l’oralité au cinéma est une des stratégies de communication chez Nacro et plus particulièrement dans son film « Un certain matin ». Dans « Le truc de Konaté », fiction superbement menée, Nacro joue sur l’humour pour faire passer un message (celui du port du préservatif) dans une société burkinabè et africaine où ce sujet est encore tabou, en dépit du démantèlement du tissu social et économique dû au sida. Comme dans « Le truc de Konaté », dans « Bintou », la réalisatrice récidive avec le recours presque systématique à l’humour et à l’ironie, comme en atteste la manière dont le personnage principal est filmé : délicatesse et humour. L’humour est encore présent dans « Vivre positivement » où la maîtrise du cadrage et des techniques d’éclairage permet de magnifier et d’humaniser les personnages, d’autant plus que dans ce court métrage, la parole, libérée, est donnée à de simples citoyens. Cette simplicité du scénario et du montage donne à voir un film proche des préoccupations quotidiennes des populations, mais surtout un film qui restitue la parole première. Le spectateur suit sans ennui et avec une réelle émotion, les témoignages de personnes qui lui sont proches et auxquelles il s’identifie. Si l’ironie et la liberté de ton et de parole parcourent les films de Nacro, il est établi que l’humour constitue l’une des principales caractéristiques de son esthétique filmique, notamment pour ce qui est des courts métrages. Il permet de mieux communiquer avec le spectateur. Une telle communion entre personnages et spectateurs ne peut s’instaurer sans une certaine maîtrise de l’esthétique filmique qui se conjugue ici avec une certaine dose d’humour dont Nacro seule a le secret et qu’elle a depuis longtemps et à plusieurs reprises, largement démontrée. Cependant, contrairement à la prédominance de l’humour dans ses courts métrages, dans son dernier film, « La nuit de la vérité », Nacro joue, du point de vue de l’esthétique filmique, sur un autre registre, celui du suspens à couper le souffle. En effet, dans ce long métrage, plus que l’humour auquel elle nous avait habitué, ce qui frappe, ce sont les images poignantes et déchirantes causées par la guerre. En phase avec l’actualité du continent qui charrie cadavres, blessés et déplacés de guerre, ce film voudrait interpeller les hommes politiques sur l’urgence et la nécessité de promouvoir la paix au sein de nos populations pour un meilleur développement de nos États. Forte de cette conviction, Fanta Nacro aboutit à une conclusion : les guerres ethniques avec leurs cortèges de désolations, de rancœurs et de privations, n’apportent rien, ni à l’Afrique ni aux Africains. Mieux vaut s’atteler à cultiver dans les esprits et les cœurs de nos populations, des valeurs plus humanistes et plus responsables. Pour Nacro, accepter la haine comme composante intrinsèque de tout homme, c’est commencer à pouvoir s’en défaire. C’est seulement à ce prix et par cette thérapie collective que les populations africaines pourraient désormais envisager l’avenir avec plus de sérénité. On comprend alors que dans un tel contexte et au regard de la thématique développée dans ce premier long métrage, les suspenses, les temps d’angoisse, les silences évocateurs, le recours aux symboles, etc., contribuent à asseoir une esthétique filmique au service d’une thématique aussi grave que celle des conflits armés qui minent le continent. L’atmosphère du film est alourdie par la thématique et le contexte, tandis que l’angoisse

va crescendo. D’un point de vue esthétique, ce film témoigne d’une plus grande professionnalisation. Il en est ainsi selon les terminologies de Bessalel et Gardiès (1992), du jeu des acteurs, du cadrage, du décor, du montage, du son, etc. Le scénario quant à lui, est l’un des plus réussis de toute la cinématographie de Nacro. Quoi d’étonnant alors qu’il ait obtenu, lors du dernier FESPACO, le « Prix du meilleur scénario ». Pour qui connaît l’importance du scénario dans la réalisation d’un film, ce prix vient consolider une carrière déjà riche et c’est tant mieux pour cette réalisatrice engagée. En dehors de ces grandes tendances du point de vue de l’esthétique des films de Nacro (prédominance de l’humour dans les courts métrages et priorité au suspens et à l’angoisse dans son long métrage), on note chez elle, une certaine liberté de parole et de ton qu’on lui reconnaît dans sa vie personnelle. Pour elle, la parole libère parce qu’elle est libre. Dans « Vivre positivement » par exemple, cette liberté du ton et de la parole permet, avec un grand respect pour les personnages, de réaliser un émouvant manifeste contre l’exclusion et pour une meilleure affirmation de la dignité humaine. À cela s’ajoute un meilleur traitement des dialogues, devenus plus incisifs. Certes, en fonction de la thématique, du contexte, des objectifs visés et de bien d’autres critères, certains traits esthétiques sont plus ou moins privilégiés par rapport à d’autres. Tout ceci atteste de la maturité et de la professionnalisation du cinéma de Nacro qui, en signant son premier long métrage, signe du même coup, son entrée dans la cour des grands, celle de l’histoire du cinéma burkinabè et africain.

4. Le cinéma, instrument de lutte pour une artiste engagée L’histoire littéraire négro-africaine a été marquée par la lutte des « épigones », selon le terme consacré de Chevrier (1984). Ceux-ci ont, à travers l’historique mouvement négritudien mené par ses chantres comme Senghor, Damas et Césaire, fait de la poésie une arme de combat en vue de l’affirmation de l’identité noire. À leur suite, des artistes Africains de tous bords, musiciens, peintres, cinéastes, etc., feront de leurs différents arts, des instruments de lutte contre les maux qui entravent le développement économique, politique et culturel du continent. C’est le cas parmi tant d’autres, de Med Hondo, de Sembene Ousmane, de C. Oumar Sissoko, avec respectivement « Lumière noire », « La noire de… » et « Guimba ». Parmi les cinéastes qui considèrent que la lutte contre le sousdéveloppement de nos pays n’est pas seulement une affaire d’hommes, figure Fanta Regina Nacro. Pour elle, cette lutte incombe aussi et pour diverses raisons, aux femmes Africaines, notamment aux intellectuelles et aux artistes. Celles-ci doivent, du fait de la spécificité de leur combat, mettre l’accent sur la lutte pour la quête voire la reconquête de leur dignité bafouée au sein d’une société africaine sinon misogyne, du moins rétrograde dans ces conceptions liées à la question du genre. C’est entre autres dans la perspective de cette lutte contre toutes les pesanteurs socioculturelles que voudrait s’inscrire Fanta Regina Nacro, artiste, cinéaste, militante et femme engagée. Dans ce sens, le cinéma pour elle est non seulement un moyen d’expression mais surtout un précieux instrument de lutte. Elle s’inscrit de ce fait en droite ligne du combat pour une véritable émancipation de la femme Burkinabè et Africaine. Au Burkina Faso, ce combat prend la forme d’une lutte permanente contre l’hostilité de la nature et les pesanteurs socioculturelles. Mère, éducatrice, épouse, la femme Burkinabè, à

l’instar de ses sœurs du continent, est au gré de certaines vicissitudes. Sa place dans la société, elle la doit à son propre combat et elle en est consciente. À l’heure de la mondialisation, cette lutte prend une autre tournure et une autre envergure, du fait de la tendance à l’effacement des frontières et surtout du fait de la mondialisation de l’économie. La femme Africaine qui vivait déjà dans sa chair les conséquences d’une pauvreté jamais égalée, devrait encore aujourd’hui plus que hier, se montrer à la hauteur des nouveaux défis imposés par la mondialisation.

Conclusion Notre question de départ était de savoir si, dans les sociétés africaines en pleine mutation certes, mais encore dominées par des pesanteurs socioculturelles dignes d’un autre âge, l’artiste et particulièrement la femme artiste pouvaient encore affirmer sereinement leur identité tout en évoluant dans un contexte généralement peu favorable. Pour répondre à une telle question, nous sommes parti de quelques constats relatifs d’une part à la présence dans la société africaine, de conceptions rétrogrades encore très vivaces et d’autre part à la spécificité du milieu des artistes, notamment celui des cinéastes où la présence de la femme relève encore d’un fait exceptionnel. Tous ces constats conduisent à la même conclusion : la femme Africaine a encore du chemin à parcourir, afin que son combat quotidien contre l’adversité de la nature et surtout contre certains préjugés, aboutisse à une véritable reconnaissance de sa place et de son rôle dans une société où la tendance générale est à la négation de sa dignité. Face à ce constat, Fanta Regina Nacro a voulu faire de son art cinématographique, un des meilleurs instruments dans sa lutte contre l’injustice, la discrimination et les pratiques dégradantes exercées à l’encontre de la femme Burkinabè et Africaine. À cet effet, elle s’appuie sur une thématique et une esthétique filmiques des plus originales pour informer, sensibiliser et conscientiser ses contemporains sur les risques de dérapages qui guettent nos sociétés, si rien n’est fait pour semer et entretenir la paix dans les cœurs. Avec abnégation et détermination, Fanta Regina Nacro qui en est à son premier long métrage, compte prendre appui sur le septième art pour mener un combat qui est non seulement le sien, mais aussi celui de toutes les femmes du monde, victimes de toutes sortes de discriminations. Elle en a la volonté et les talents nécessaires, il lui manque sans doute des moyens qui soient à la hauteur de ce combat.

Bibliographie Barthes Roland (1964), Rhétorique de l’image. In Recherches sémiologiques, Communication, 4. Bessalel J. et Gardies André (1992), 200 mots-clés de la théorie du cinéma. Paris : Cerf. Burch N.(1990), La lucarne de l’infini : naissance du langage cinématographique. Paris : Nathan. Chevrier Jacques (1984), Littérature nègre. Paris : A. Colin. Clerc J.M. (1985), Écrivain et cinéma. Metz : P.U. Metz. Clerc J.M. (1993), Littérature et cinéma. Paris : Nathan. Demougin F. (1996), Adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires. Paris : CRDP /Midi-Pyrénées. Gardies André (1993), L’espace au cinéma. Paris : Méridiens Klincksieck. Jakobson Roman (1963), Essais de linguistique générale. Paris : Minuit.

Kerbrat-Orecchioni Catherine (1981), Décrire la conversation. Lyon : P.U.L.. Lotman I. (1977), Esthétique et sémiotique du cinéma. Paris : Éditions sociales. Metz Christian (1973), Essais sur la signification au cinéma. Paris : Klincksieck. Odin R. (1991), Cinéma et production du sens. Paris : A. Colin. Rollet S. (1996), Enseigner la littérature avec le cinéma, Nathan pédagogie,. Vanoye Francis (1992) et Goliot-Lete A., Précis d’analyse filmique. Paris : Nathan.

L’enseignement du français par compétences : la culture de l’effort Hortensia LÓPEZ LORCA Universidad de Murcia

Introduction La valeur est quelque chose qui vaut, qui a une valeur. Les valeurs sont l’ensemble de croyances, la charpente qui donne sens et cohérence à notre conduite (Ortega y Gasset, 1973). La valeur se réfère à une perfection, par exemple, dire la vérité, être honnête, travailleur. Les valeurs ne sont pas créées par l’homme mais elles ont besoin de sa collaboration pour devenir une expression. Elles sont au-dessus de l’opinion, elles ne laissent que peu ou pas de place au doute (Bourassa, Serre et Ross, 2000). Les personnes donnent une valeur quand elles préfèrent, estiment, choisissent une chose au lieu d’autres, quand elles fixent des buts et font des projets personnels. Quand les valeurs sont pratiquées, elles deviennent une habitude. Quand elles ne le sont pas, elles s’affaiblissent. Nous nous trouvons avec ce paradoxe : ce qui est le plus valable n’occupe pas le premier rang dans notre société. Il cède la place à d’autres valeurs moins fondamentales mais, sans doute, plus effectives et gratifiantes pour l’individu. Ce sont les valeurs économiques, esthétiques ou ludiques : gagner de l’argent est plus important que travailler, avoir du succès coûte que coûte, ne pas souffrir. Par contre, le don solidaire, l’amitié, la compréhension, la courtoisie, la poursuite de l’excellence dans le travail, etc. ne rapportent aucun résultat quantifiable (López Lorca, 2005). Díaz et Rodríguez (2008) affirment que la qualité de l’éducation est déterminée par la dignité, la profondeur et l’extension des valeurs que nous avons été capables de susciter et d’actualiser chez eux qui se trouvent dans un processus de maturation personnelle, du point de vue cognitif, volitif et émotionnel. Il s’agit de créer des conditions adéquates pour que les personnes soient capables d’assimiler des valeurs de façon singulière dans des situations d’interaction sociale. La plupart de nos élections se forgent dans la famille, grâce à l’exemple de nos parents, à des comportements acquis depuis l’enfance, à l’entourage personnel, à l’école. À côté de l’exemple, le dialogue, l’affection et l’autorité sont des éléments indispensables pour que la transmission des valeurs soit efficace. Il est également vrai que cette acquisition des valeurs devient plus profonde si elle reçoit un appui complémentaire dans le cadre scolaire et universitaire par le moyen des recours didactiques. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’effectuer une recherche au cours de français langue étrangère sur la hiérarchie des valeurs des jeunes universitaires et en spécial de la culture de l’effort.

À travers un travail comparatif, les étudiants de première année de Traduction et Interprétation (Français) de l’Université de Murcia devaient atteindre ces objectifs dans la matière Lengua BI (Français) : atteindre les compétences orales et écrites en français correspondantes au Niveau BI du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (en utilisant les technologies de l’information et de la communication) et approfondir dans la culture de l’effort : étude, travail, rapports humains, solidarité, austérité.

1. La valeur de l’effort C’est dans la famille que les enfants découvrent en premier lieu les valeurs. Les modèles des parents -père et mère- et ceux qui apparaissent dans les moyens de communication exercent une grande influence dans l’apprentissage des styles de vie et dans la façon d’assumer les conséquences des comportements personnels. La plupart des personnages adolescents des films, des séries télévisées, etc. ne sont pas de modèles d’esprit de dépassement et de recherche de l’excellence professionnelle. Ils transmettent une primauté des sentiments sur la raison, un manque de respect de la dignité de la vie humaine (violence, emploi d’un vocabulaire grossier, fausse liberté, sarcasme ou absence totale de transcendance, etc.). Nous pouvons dire que les jeunes atteignent la maturité plus tard qu’avant. Des facteurs qui expliquent ce fait peuvent être la permissivité dans l’éducation et dans la société, le manque d’intérêt pour tout ce qui suppose un effort, l’incorporation tardive au travail, etc. Selon Camps et Giner (2000), les jeunes d’aujourd’hui sont habitués à obtenir de façon immédiate ce qu’ils demandent et croient avoir tous les droits. Il est nécessaire de d’éduquer les enfants dans l’importance de l’accomplissement de leurs devoirs plutôt que dans la revendication de leurs droits (Flaquer, 2001). Bruckner (1995) appelle innocence à la maladie qui consiste à essayer d’échapper aux conséquences des propres actes, à jouir des bénéfices de la liberté sans subir aucun de ses inconvénients. Une étude réalisée avec des parents et élèves d’un centre scolaire montre que certains parents ont une conception erronée de leur tâche éducative : ils pensent qu’ils doivent éviter des souffrances à leurs enfants, assouvir leurs besoins le plus vite possible ; ils sont plus préoccupés de leurs résultats académiques que des connaissances réelles des enfants et de leur comportement en classe, de sorte qu’ils agissent comme des clients exigeants envers les professeurs. Ils leur reprochent de ne pas savoir éduquer leurs enfants (Cervera et Alcázar, 1995). Mais, par contre, ces parents ne sont pas capables de s’occuper de façon constante de l’étude de leurs enfants à la maison, de s’intéresser pour l’emploi de leur temps libre, des programmes (films, publicités, etc.) qu’ils regardent à la télé quand ils sont seuls (Landwerlin, 2006). Pour ce qui fait référence à l’excellence dans le travail, avant d’arriver à l’exercice d’une profession, une formation devrait être donnée concernant la capacité d’apprendre, la façon de réaliser le travail en général, la promotion de la responsabilité et des habiletés sociales. À travers le travail, nous mettons en jeu des valeurs telles que la justice, la constance, le service aux autres, etc., perfectionnant ainsi la personne qui le réalise.

D’après Ruiz (1999), le système est injuste envers les élèves qui étudient et qui travaillent. Il leur apprend que l’étude et l’effort n’ont aucune valeur puisqu’ils obtiennent le même objectif que leurs collègues sans rien faire (passer dans la classe supérieure). Cela fait tomber les bons étudiants dans l’ennui, la routine, le manque de motivation et provoque l’arrogance de l’ignorant face à l’humilité du travailleur. À côté de cela, dit González-Pienda (2002), l’absence de discipline dans notre système scolaire laisse ses traces dans les classes. La discipline et l’ordre garantissent l’efficience scolaire et favorise l’estime de soi. Il faut apprendre les élèves à attribuer leur succès ou échec à leur effort dans le travail et pas au professeur. L’important ce n’est pas l’intelligence de l’élève mais comment il l’utilise. Ce que l’on fait est important, mais surtout la façon dont on le fait. Nous devenons heureux ou malheureux plutôt que par l’effort que nous y mettons pour l’attitude que nous adoptons face à ces obligations (Fernández Aguado, 2002). Pour que le goût du travail devienne attirant, Altarejos, Buxarrais et Bernal (2004) conseillent d’éduquer les enfants dans la contrariété. Dans une société qui montre des modèles de vie fondés sur la loi du moindre effort, il est indispensable que dans la famille et à l’école on prête une attention spéciale à l’éducation de la volonté. Le manque de volonté peut être conséquence de l’absence d’entraînement (manque de force) caractéristique des personnes paresseuses qui évitent systématiquement ce qui exige un effort. Ce qui est le plus important c’est de bien travailler, indépendamment des résultats. Agir avec liberté, sans peur d’échouer, accomplir nos obligations avec un désir de perfection et en même temps assumer les petites erreurs, les limitations sans se fâcher et sans se décourager (Sarráis, 2011). Et Kolf (1996) ajoute que les résultats scolaires sont habituellement meilleurs chez les jeunes dont les parents s’efforcent d’enseigner des valeurs : respecter un horaire pour aller au lit, pour se réveiller, pour manger, jouer, étudier, etc., réaliser des tâches dans le foyer (mettre la table, faire la vaisselle, ranger les affaires, etc.), une action solidaire, un sport en équipe, etc.

2. Objectifs Étant donné que le progrès dans l’apprentissage d’une langue apparaît le mieux dans la capacité de l’apprenant à s’engager dans une activité langagière observable et à mettre en œuvre des stratégies de communication (CECRL, 2005), il était très important de fixer avec les étudiants de Traduction et Interprétation les objectifs de ce travail et les bénéfices qu’ils allaient retirer de leurs efforts. Objectifs généraux de cette pratique pédagogique : a) Acquérir des compétences communicatives linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques. b) Promouvoir des compétences générales (savoir, aptitudes, savoir-faire, savoir-être, savoir-apprendre). c) Apprendre à exécuter des tâches (TIC, recherche, travail en équipe). Avec les objectifs particuliers nous poursuivions :

a) Développer l’expression écrite et l’expression orale des étudiants (travail écrit, exposé oral et débat final). Assimiler le vocabulaire précis appartenant au domaine des valeurs. b) « Utiliser simultanément une information auditive et une information visuelle » (CECRL, 2005, p. 59) pour mettre en pratique la tâche de réception et de compréhension d’un texte oral en français (documentaires, informations, films, etc.). c) Réaliser une synthèse des textes écrits en français sur la thématique du travail. d) Approfondir et réfléchir sur la culture de l’effort et les valeurs s’y rapportant. e) Promouvoir les compétences de recherche et de travail en équipe. Ces objectifs coïncident avec les directives de l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur (1998) en ce qui concerne l’apprentissage de compétences telles que la maîtrise des langues vivantes, les technologies de l’information et de la communication et l’engagement éthique (les valeurs).

3. Méthodologie En suivant Sawadogo (2010 : 175) « L’apprenant doit être associé et responsabilisé dans tout le processus avec des méthodes plus dynamiques et plus participatives », nous avons établi les phases suivantes pour la réalisation de ce travail : 1. Utilisation en classe des textes en français en rapport avec les valeurs : lecture, traduction, débat (López Lorca, 2011). 2. Exposé des objectifs (linguistiques et des valeurs), correspondants au Niveau BI du CECRL, à atteindre avec ce travail. 3. Remise d’un formulaire avec les points à inclure dans le document à rédiger en français : a) Fondements théoriques en relation avec la culture de l’effort dans ses différentes manifestations. b) Développement pratique : documents audiovisuels à l’appui (en langue française). c) Réalisation d’un questionnaire personnel anonyme. d) Ce test ferait l’objet d’une étude comparative sur la hiérarchie des valeurs des membres du groupe concernant la thématique de la culture de l’effort. QUESTIONNAIRE ANONYME

OUI

NON

1- La culture de l’effort est-elle bien considérée aujourd’hui ? 2- L’effort est-il bien orienté (culte du corps, travail excessif, nuits sans dormir pour obtenir des entrées pour un concert, etc.) ?

Indiquer 2 valeurs minimum

3- Nous mettons plus d’effort :

4- Nous rejetons l’effort :

5- Valeurs les plus pratiquées malgré l’effort qu’elles supposent :

Étude, travail, créativité, responsabilité, motivation, désir de progrès, travail en équipe. Dialogue, communication, respect, tolérance. Famille (temps, service, tâches dans le foyer). Normes : horaire, ponctualité, ordre, propreté, savoir-être. Emploi du temps libre, savoir se reposer (excès dans le travail). Solidarité, générosité, loyauté. Épargne, austérité.

CAUSES DE CES RÉSULTATS :

a) Bonne perception et équilibre dans l’application de l’effort.

b) Manque d’une hiérarchie de valeurs dans l’application de la culture de l’effort.

1. Importance du travail bien fait. 2. Exemple (famille, amis, collègues). 3. Moyens de communication (informations, films, publicités, modes, tendances). 4. Système éducatif (exigence, discipline en classe, etc.). CONCLUSIONS OBSERVATIONS

4. Exposé oral des travaux réalisés en se servant des technologies de l’information et de la communication. 5. Débat des différents points de vue des étudiants à propos de la culture de l’effort.

4. Résultats Les résultats obtenus avec la réalisation de ce travail ont été productifs dès ces points de vue : a) Amélioration de la compétence linguistique. Nous avons pu apprécier un avancement

significatif dans l’acquisition d’un vocabulaire spécifique des valeurs, une meilleure rédaction et un emploi correct à l’oral des structures grammaticales des phrases. b) Créativité dans l’utilisation des TIC (audiovisuels à l’appui des arguments de leurs travaux : films, contes, documentaires, blogs). c) Exécution des tâches en équipe : Ils ont eu la possibilité d’exercer des valeurs telles que l’engagement, la confiance, les objectifs, la communication, une méthode de travail (Wellins, Byham & Wilson, 1991). d) Réflexion personnelle sur la culture de l’effort. Dans leurs observations personnelles, les étudiants ont commenté que la réalisation de ce travail leur avait apporté, d’une part, un encouragement vis-à-vis des moyens plus effectifs qu’ils devaient employer pour accroître leur motivation et, d’autre part, une compréhension plus profonde de la signification de bien se préparer pour la réalisation, dans un futur très proche, de leur profession. L’analyse comparative des résultats de leurs tests nous montre que les jeunes universitaires ayant participé à cette recherche croient que : Les valeurs les moins pratiquées par les jeunes sont : l’accomplissement des normes (ponctualité, ordre, profit du temps, savoir-être, tâches ménagères), l’austérité, la persévérance dans les engagements, l’excellence dans le travail, la solidarité ou service désintéressé, la tolérance et la transcendance. Ils considèrent que les jeunes perdent beaucoup de temps avec les jeux vidéo, Internet, les réseaux sociaux, etc. Ils fournissent un effort dans ce qu’ils aiment ou dans ce qu’ils ont envie de faire puisque le bénéfice est immédiat. Les valeurs qu’ils cultivent plus facilement sont : la famille et le dialogue. Les valeurs qu’ils pratiquent, malgré l’effort qu’elles supposent, sont : l’étude et le travail. Mais ils spécifient ce qui suit : l’effort dans les études est justifié en tant que moyen pour obtenir de l’argent, et pas comme réalisation de la personne ou comme mise en pratique d’une vocation professionnelle. Ce manque d’une hiérarchie de valeurs dans l’application de la culture de l’effort répondrait, d’après eux, à ces trois causes : 1. Les parents protègent en excès leurs enfants et résolvent tous leurs problèmes. De cette façon, les enfants grandissent dans une ambiance d’absence d’effort et de lutte positive pour atteindre ce qui va les rendre meilleurs. 2. Les moyens de communication exercent une influence assez négative sur les enfants. La télévision montre le bien-être que produit le fait d’être riche ou quelqu’un d’important mais elle ne montre pas les moyens employés pour y parvenir. Les étudiants regrettent que les personnages de la télévision soient parfois des gens ayant accédé à un poste de travail grâce à leur excentricité. Selon les étudiants, certains programmes manquent à la vérité, favorisent l’égoïsme, la discrimination sexuelle, la consommation et le vocabulaire grossier. 3. Le système éducatif. Ils ajoutent que l’effort dans les études n’est pas récompensé (en secondaire, un élève passe dans la classe supérieure très facilement). Par conséquent,

beaucoup d’élèves cèdent la place à la paresse et ne cherchent pas l’excellence dans leurs devoirs ou dans leurs tâches.

Conclusion Nous pensons, comme Sawadogo (2010) qu’il est nécessaire de renouveler les pratiques si nous voulons véritablement former nos élèves à l’esprit critique et développer leur compétence en expression (objectif premier de l’enseignement de langue). Cela suppose une variation dans les méthodes et les stratégies. Nous avons pu vérifier avec cette expérience pédagogique que l’emploi des technologies audiovisuelles est un grand allié dans l’apprentissage des langues étrangères. À travers ce travail, les étudiants ont acquis non seulement des compétences dans le domaine linguistique (richesse de vocabulaire, une plus grande fluidité et maîtrise de l’expression orale et écrite) et des compétences personnelles (motivation, persévérance, conscience du travail bien fait, apprendre à réfléchir, etc.) mais aussi des compétences sociales (service aux autres, respect des opinions d’autrui, etc.). Les arguments des étudiants nous amènent à ces conclusions : Conscients du rôle primordial de la famille dans la transmission des valeurs, nous estimons nécessaire d’appuyer davantage (du point de vue social, professionnel, formatif, etc.) cette institution, ainsi que le travail dans ce sens des professionnels de l’enseignement (école, formation supérieure, etc.). Nous finissons avec ces paroles d’Houdremont, qui nous encouragent à placer dans un lieu prioritaire de l’enseignement la transmission des valeurs humaines « Depuis souvent on m’a posé cette question : mais que te reste-t-il ? Il me reste sans doute l’essentiel, qui fait qu’aujourd’hui je me sens bien dans mon travail, dans mes relations, dans mes engagements. Il me reste des valeurs, que je crois universelles ».

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La reconnaissance d’intentions communicatives de l’enfant : questions et impasse dans le domaine de l’acquisition du langage140 Glória CARVALHO Université Fédérale de Pernambouc - UFPE (Brésil)

Introduction Dans le domaine de l’Acquisition du Langage, les chercheurs assument en général, de façon explicite ou non, un compromis avec la singularité du discours de l’enfant ; ce compromis implique à son tour le besoin de reconnaître dans ce discours un caractère imprévisible, lequel est spécialement mis en valeur dans certains types de productions verbales infantiles. On peut dire alors que cet acte de reconnaissance possède le statut de surprise, tel que conçu par Wittgenstein (1980). Notre hypothèse est dès lors que cet acte, en vertu de sa propre nature, oppose un obstacle à la possibilité de représentation, ou plutôt, offre une résistance à toute forme de représentation qui tenterait de l’englober. Sortons dabord du domaine de l’acquisition du langage et faisons apel a Wittgenstein (1984). La reconnaissance, conçue comme une notion rattachée à la signification, a été discutée par cet auteur, dans la perspective de qui la signification d’un mot ou d’un énoncé est intrinsèquement en rapport avec la compréhension, laquelle se rapproche du phénomène de la reconnaissance. Pour rendre plus visible ce rapprochement, on peut se servir d’une analogie avec la musique. Ainsi, pourrait dire Wittgenstein (1980), comprendre consiste à apprendre, soudainement, une configuration ou une organisation, par exemple dans une musique que l’on entend. Dans cette reconnaissance, un morceau musical jusque là sans forme s’organise pour nous d’une certaine manière et, à partir de ce moment, nous le comprenons comme rythme déterminé. Pour le même auteur (Wittgenstein, 1980) cependant, l’acte de reconnaître possède un caractère imprévisible, ou plutôt, ne s’épuise pas dans une comparaison avec un modèle a priori. Dans cet abordage, l’acte en question est caractérisé par un mouvement rétroactif qui produit une illusion rétrospective. Et l’auteur d’expliquer que la reconnaissance authentifie un mot déterminé comme quelque chose de trouvé, et donc de recherché, et l’on peut dire dans ce cas qu’on ne sait ce que l’on cherchait que quand on l’a déjà trouvé. Comme conséquence de cette rétroactivité, le phénomène de la reconnaissance possède le statut de surprise. Par exemple, quand nous écoutons un morceau musical pourtant connu par coeur, nous pouvons parfaitement, tout en sachant ce qui va suivre, retrouver à chaque fois la surprise. Remarquons que le rôle de la reconnaissance, dans son lien avec la signification, a été souligné par plusieurs auteurs dans l’abordage pragmatique du langage, bien qu’avec les nuances théoriques les plus variées. Parmi ces auteurs, nous détacherons Grice (1975), pour qui, dans la communication, nous parvenons à produire chez l’auditeur l’effet souhaité, en lui faisant reconnaître l’intention de produire cet effet spécifique. Sous cet

angle, il y a donc une mise en valeur de l’approximation entre reconnaissance, effet et intention. Cette approximation devient plus visible lorsque Grice (1975) distingue le signifié non naturel (nnm) du signifié naturel (nm). La notion de signifié naturel comprend le transfert incidentel d’information. Par contre, le signifié non naturel équivaut à la communication intentionnelle et serait le centre d’intérêt de la pragmatique. Ici, le parlant a l’intention non seulement de produire un effet chez l’auditeur, mais aussi de faire reconnaître cette intention par l’auditeur. De la sorte, la signification requiert nécessairement de la part des interlocuteurs l’acte mutuel de reconnaître l’intention de produire effet. Il convient de remarquer que, selon les termes de Levinson (1983), produire effet signifie invoquer, chez l’auditeur, une croyance ou une volonté. Comme on peut le remarquer, la relation indissociable entre les notions d’intention communicative, d’effet et de reconnaissance occupe une place centrale dans la formulation gricéenne du Principe de coopération et, par conséquent, des diverses maximes qui découlent de ce principe. Notre intention est ici de mettre l’accent plus spécifiquement sur la maxime de type soyez clair, qui entraîne des sous-maximes comme évitez l’obscurité ou évitez les ambiguïtés. Dans sa discussion sur l’effet d’ambiguïté, Grice (1975) conçoit à cet effet un sens non littéral, en s’appuyant sur la notion d’implicature conversationnelle. Ce sens est dérivable d’une rupture délibérée d’avec des maximes déterminées qui gouvernent la conversation. Il s’agit donc d’un effet dérivable d’ambiguïtés délibérées, dont le parlant espère qu’elles seront reconnues par l’auditeur. Cependant, en mettant en discussion l’effet d’ambiguïté, Grice lui-même (1975) se retrouve dans une impasse, étant donné que cet effet met à jour, simultanément, une multiplicité de sens, même au cas où l’ambiguïté est délibérée de la part du parlant. Une pareille simultanéité peut conduire à l’impossibilité de contrôler le sens. Et l’auteur, illustrant cette impasse dans le domaine de la traduction, cite l’exemple du général qui a capturé une ville du nom de Sind et envoie au quartier-général ce message en latin : Peccavi, ce qui veut dire aussi bien J’ai conquis Sind que J’ai commis un péché. Essayons de dégager l’une ou l’autre conséquence de cette impasse : a) L’effet d’ambiguïté (même l’ambiguïté délibérée) indique un effet d’opacité de sens. Par opacité, nous entendons ici (d’après De Lemos, C., 2000 ; 2006) l’impossibilité de décider, avec un minimum de sécurité, sur le sens d’un mot ou d’un énoncé. Il s’agirait donc de l’impossibilité de décider, de façon sûre, sur le sens que le parlant a l’intention de communiquer à l’auditeur. b) L’opacité de sens remettrait en question la relation intrinsèque entre reconnaissance, intention communicative et effet. L’ambiguïté (délibérée) se définit donc par un effet de sens, ou plutôt par un effet de multiplicité simultanée de sens, encore que, à certains moments, on ne puisse pas reconnaître clairement, chez le parlant, l’intention de communiquer un seul ou plusieurs sens déterminés. c) Cette opacité de sens n’est pas naturelle, ou incidentelle, dans la mesure où elle est englobée par les propres maximes conversationnelles. Il convient de rappeler que, à partir de la notion d’implicatures conversationnelles, l’ambiguïté délibérée (et par conséquent,

un effet d’opacité) est prévue, dans les maximes gricéennes, comme une rupture (délibérée) de ces maximes. À partir de ces points, on peut inférer que la reconnaissance d’intentions communicatives entre les interlocuteurs ne serait pas une condition pour qu’ait lieu la signification.

1. La singularité et l’impasse de la représentation : le statut problématique de l’investigation du discours de l’enfant Nous venons de voir que certaines conséquences découlant de maximes gricéennes attribueraient aux interlocuteurs, dans leur activité de signification, le statut de sujet auquel manque un contrôle sur le sens. Il n’est pas superflu de souligner que le chercheur de l’acquisition du langage, en recoupant le discours de l’enfant dans sa dimension singulière, se trouverait face à un acte de discours qui l’affecterait d’une manière spéciale. Il s’agit d’un acte de discours dont l’effet (de surprise) serait reconnu indépendamment de la reconnaissance d’une intention communicative, ce qui permettrait sans doute de le voir comme un acte de discours non communicatif (dans la conception de Sperber & Wilson, 1986). D’autre part, la nature de l’effet de surprise, ou de singularité, provoqué chez celui qui entend ou écoute cet acte de discours, et sa conséquente résistance à la représentation, ajoutent un autre problème à la recherche. En effet, par sa condition de chercheur de la trajectoire linguistique de l’enfant, le sujet est inévitablement confronté à un type de représentation, c’est-à-dire, il prend en général contact avec ce qu’il est convenu d’appeler des données de discours de l’enfant, obtenues grâce à différents moyens ou conditions de recueil, et traditionnellement nommées corpus (ou corpora, au pluriel). Selon De Lemos (2003), ces mots latins servent à désigner, dans le domaine de l’acquisition du langage, « l’ensemble des enregistrements ou des transcriptions qui servent de référence à l’expression discours de l’enfant, ou à ce qui a survécu de ce discours après son filtrage par les oreilles de la machine et du chercheur » (p. 21). Mais l’auteure se refuse dès lors à admettre qu’un ensemble de données recueillies et transcrites équivaudrait à l’enfant dans la singularité de son venir-àêtre parlant. De Lemos (2003) constate qu’il ne subsiste que quelques épisodes du corpus antérieur, ceux-là, suggère-t-elle, dans lesquels « un enfant fait irruption au moyen d’un discours inattendu » (p. 28), et invoque à ce sujet une série de travaux sur l’erreur (Peters, 1983 ; Bowerman, 1982 ; Karmiloff Smith, 1986 ; entre autres). Il convient de remarquer que ces données de discours constituent une façon de représenter, ou plutôt une tentative de représenter l’enfant, dans son état de mutation d’une condition d’infans vers une condition d’être parlant. Il serait donc nécessaire de déceler dans les enregistrements (qu’il s’agisse du corpus ou du recoupement d’épisodes) certaines propriétés communes, c’est-à-dire d’y reconnaître une certaine homogénéité, afin de concevoir ces recueils comme appartenant à une classe dénommée discours de l’enfant. Mais nous sommes d’accord avec Lier-De Vitto (2007) – et son group – et pensons comme elle que les manifestations verbales d’un enfant, dans toute la dimension de singularité de son venir-à-être parlant, constituent un acte de discours qui résiste ou échappe aux tentatives de représentation ou de classification. Comme on peut le souligner,

cette résistance soulève des problèmes théoriques-méthodologiques et fait naître des défis auxquels le chercheur de l’acquisition du langage devra inévitablement répondre, dans la mesure où il a décidé de ne pas abandonner son engagement envers la singularité dont nous parlons. En ce qui concerne cette résistance, le chercheur se trouverait placé non seulement devant un problème, mais devant une impasse – l’impasse de la représentation –, que l’on pourrait résumer dans une question : comment serait-il possible de représenter la singularité du discours de l’enfant si cette singularité suspend, défait la représentation ? Nous ferons ici l’hypothèse que le chemin théorique-méthodologique du chercheur est tracé par la manière dont il aborde l’impasse en question. Dans ce sens et comme point de départ, nous entrerons dans la discussion lancée par De Lemos (2000, 2006), en faisant ressortir un épisode où cette auteure parle d’un enfant qui fait irruption par un discours inattendu. Et nous chercherons finalement à traiter ce discours inattendu comme résonance (selon Novaes, 2005) de l’effet de surprise dans l’enregistrement des discours d’enfants ou, en d’autres mots, à mettre en discussion les formes dont le chercheur de l’acquisition du langage dispose pour aborder cet effet de surprise. Cet effet, dans le domaine de l’acquisition du langage, nous essaierons de le capter à un moment initial de la trajectoire linguistique de l’enfant. À ce moment, un effet d’opacité provoqué par le discours de l’enfant, devient particulièrement visible pour l’interprète de ce discours (dans le cas du présent travail, l’investigateur). Il s’agit dans ce cas d’une tentative de mettre en lumière la conception de sujet déjà mentionnée. On ne peut pas supposer, cependant, qu’il y ait équivalence entre l’effet d’opacité dérivable des ambiguïtés discutées par Grice et le présent type d’effet, provoqué chez l’investigateur par le discours de l’enfant, dans l’étude du parcours linguistique de l’enfant. On peut remarquer que De Lemos, C. (2000 ; 2006) avait déjà attiré l’attention sur cet effet d’opacité, dans son analyse de l’épisode suivant : (E = enfant ; M = mère) (1) (E - 1 ; 2.15 remet à M une revue genre L’Express) 141 E : Oh, bébé/oh, wawaw. M : Wawaw ? On va chercher le wawaw ? Oh, la fille qui prend son bain. E : Ava ? Eva ? M : Oui. Elle se lave les cheveux. Je crois qu’il n’y a aucun wawaw dans cette revue. E : Wawaw. M : Il y a seulement une fille, une auto, un téléphone. E : Allô ? M : Allô, qui est là ? C’est Marianne ? (De Lemos, 2000)

Selon l’analyse réalisée par De Lemos, C. (2000 ; 2006), on retient du discours de M qu’il n’y a ni bébé ni wawaw dans la revue. Dans ce sens, ce qui retourne du discours de la mère vers celui de l’enfant sont des signifiants dont le signifié serait une interrogation. L’opacité indiquerait alors une non-coïncidence entre le discours de la mère et celui de l’enfant. Comme on peut le remarquer, l’appréhension de cette non-coïncidence n’a été possible que par un mouvement rétroactif de son interprète. Dès lors, face aux paroles de la mère

Je crois qu’il n’y a aucun waw-waw dans cette revue et Il y a seulement une fille, une auto, un téléphone, l’investigateur serait retourné aux productions infantiles Oh, bébé/oh, wawaw. Il aurait alors lancé un soupçon sur l’attribution d’un sens prédéterminé à de telles productions. Comme conséquence de cette analyse, l’interprétation de l’investigateur ne retomberait pas seulement sur le fragment de dialogue en question, dans lequel la discordance est d’une certaine façon visible, mais rétroagirait à des moments antérieurs. En d’autres mots, on convoquerait dans cette rétroaction des situations antérieures dans lesquelles mère et enfant ont produit bébé et wawaw de manière apparemment identique et coïncidante, ou plutôt sans qu’aucune discordance ne se manifeste visiblement, tout en mettant cette coïncidence en question (voir à ce sujet Lier-De Vitto & Carvalho, 2008). Il convient de prendre également pour référence, dans l’épisode suivant, la production d’un garçon, Adam, recueillie par Bellugi et citée par Lemos, M.T. (2002) : (2) Il me semblait que les trois enfants, Adam, Eva et Sarah, étaient bien en avance sur nous et faisaient de tels progrès qu’ils dépassaient de loin notre capacité de catalogation et d’analyse […]. Au milieu d’une session, Adam ouvrait grand ses yeux et me pourvoyait de dialogues spéciaux. À une certaine occasion, il venait de déclarer qu’il avait une montre, mais en réalité il n’en avait jamais eu et de plus ne pouvait pas me dire l’heure : Moi : Je pensais que tu m’avais dit que tu avais une montre. Adam : Mais oui, j’en ai une, (avec une dignité offensée) qu’est-ce que vous pensez que je suis, un pas-garçon avec pas une montre ? (a no boy with no watch, dans l’original) Moi : Un garçon comment ? Adam : (Prononçant bien clairement) Un pas-garçon avec pas une montre.

Des exemples comme celui-là nous donnent la sensation d’être au commencement d’une merveilleuse découverte ; » (Bellugi, 1982, p. 55, apud Lemos, M.T., 2002) Dans cet épisode, Lemos M.T. (2000 et 2006) perçoit un effet d’énigme que la production infantile (un pas-garçon avec pas une montre, a no boy with no watch) provoque chez son interprète. De son côté, l’énigme présentée par le discours de l’enfant questionne l’interprétation de l’investigateur, dans la mesure où il met en cause une décision sur le sens. Dans cette perspective, l’auteure citée attire spécialement notre attention sur l’étonnement (la surprise) de Bellugi devant cette production inattendue d’Adam. À partir de la mise en valeur des deux épisodes cités, on peut affirmer que les interprètes (les investigateurs) ont reconnu un effet de sens – ou un effet de multiples sens – provoqué par les productions verbales inattendues de l’enfant, qui se trouve à un moment initial de son parcours linguistique. C’est-à-dire qu’ils ont reconnu que, à coup sûr, ils ne pourraient pas attribuer un sens déterminé aux types de production verbale infantile repris par eux, ce qui signifie admettre la possibilité d’attribuer plusieurs sens simultanés à ces énoncés. En d’autres mots, pour rappeler la discussion de Guerra et Carvalho (2006), l’interprète du discours de l’enfant, lorsqu’il reconnaît un effet d’opacité provoqué par ce discours, admettrait, comme conséquence, qu’il ne peut pas reconnaître, chez l’enfant, une intention de communiquer un ou plusieurs sens déterminés.

2. Le mystère de l’indétermination référentielle : une question théorique- méthodologique Comme on peut le voir, l’opacité – ou l’indétermination du signifié – est un exemple de

problème que la singularité du discours infantil soulève. Faisons appel – une fois encore – à Wittgenstein (1945/1989) et à l’abordage qu’il fait de l’activité linguistique nécessaire à la compréhension. En discutant plusieurs exemples, le philosophe met l’accent sur l’extrême complexité que représente la compréhension des mots, et dénonce par la même occasion une tendance à la substantialisation, ou plutôt une tendance à imaginer qu’il existe une relation occulte entre le nom et la chose nommée. Dans cette perspective, même une définition ostensive, celle où le sujet montre un objet et prononce le mot qui le nomme, apparemment un cas très simple, même cette définition est insuffisante pour produire la compréhension du mot, c’est-à-dire qu’il ne détermine pas son signifié, étant donné que cette compréhension dépendrait de l’emploi du mot, lequel, de son côté, « n’est pas tellement clair pour nous » (1945/1989, p. 14). Cette insuffisance, selon l’auteur, devient plus visible dans les cas, par exemple, où l’on cherche à définir ostensiblement des mots qui nomment des couleurs ou des numéros. De la sorte, l’indétermination référentielle, c’est-à-dire l’impossibilité d’établir de façon univoque le rapport entre un mot et un état du monde (ou sa représentation), même s’il s’agit de l’apparente simplicité d’un terme singulier (dans la conception de Quine, 1960), indique que l’acte de fixer (ou de représenter) des signifiés dans la compréhension de mots, ne serait ni simple ni pacifique, bien qu’on l’imagine comme un acte naturel. À partir de cette proposition, l’indétermination du signifié serait un effet provoqué chez celui qui écoute ou lit un mot ou un énoncé. De son côté, cet effet équivaudrait à l’impossibilité de fixer (ou de représenter) le signifié (ou les signifiés) d’un mot (ou d’un énoncé), comme l’épisode (1) nous l’a montré, quelle que soit la nature de l’activité impliquée dans la signification. Tomasello (2001) amène le problème wittgensténien vers le domaine de l’acquisition du langage, et le nomme le mystère de l’indétermination référentielle. Il suggère que ce mystère recouvre la question de savoir comment l’enfant conceptualise les référents d’expressions et éléments linguistiques spécifiques, et affirme que toute tentative de réponse exigerait un abordage sócio-pragmatique. Selon cet abordage – et sur la base d’une planification expérimentale – son étude arrive à la conclusion générale que l’acquisition du langage est fondée sur la compréhension par l’enfant du fait que les autres personnes possèdent des intentions dirigées vers ses intentions à lui. Cependant, malgré cette conclusion, l’auteur se demande (en se reportant à Levinson, 1995) : « comment l’enfant comprend-il les intentions des autres alors que ces intentions peuvent être interprétées de plusieurs manières ? » (2001, p.152). Dans le même sens, il souligne la persistance du mystère de l’indétermination référentielle en acquisition du langage, même si elle a été déplacée vers le terrain des intentions communicatives. À tout le moins, dit Tomasello, ce mystère est situé correctement, de telle sorte que de futurs chercheurs sauront où chercher les réponses les plus justes, étant donné que « personne n’a encore fourni d’explication satisfaisante, en dehors de la proposition de Macnamara selon qui la référence est une donnée ontogénétique » (Tomasello, 2001, p. 153). Le problème wittgensténien gagne donc une importance spéciale quand il s’agit du discours de l’enfant dans son état de mutation, qui remet en question les tentatives de représenter ce discours, c’est-à-dire qui suspend les propositions d’explication de la mutation. En d’autres mots, la persistance du mystère de l’indétermination référentielle,

dans la recherche de la trajectoire linguistique de l’enfant, indiquerait le statut de singularité des productions verbales infantiles, manifeste dans la résistance que cette singularité offre à la représentation. Il n’est pas superflu de souligner que cette résistance s’est traduite par la suspension des propositions qui cherchent à expliquer l’acquisition de la référence. Dans ce cas, le chercheur se heurterait surtout à l’impasse de la représentation. Nous avons la conviction, à partir de la discussion antérieure, que cette impasse ne constitue pas un défaut ou une insuffisance théorique-méthodologique, mais est avant tout une condition de la recherche, spécialement dans le domaine de l’acquisition du langage, et qu’il appartient donc au chercheur de tenir compte de cette situation. Nous suggérons dès lors que l’impasse en question puisse être incluse dans l’abordage – ou dans l’écoute ou lecture – du discours infantile, dans le but de délimiter en quelque sorte sa dimension singulière. Pour nous rapprocher de ce but, faisons appel à Milner (1983), notamment en ce qui concerne les points discutés ici. Si nous prenons comme base la position de l’auteur, nous pouvons dire qu’une classe, dans le sens aristotélicien, définie par un ensemble de propriétés communes à ses membres, ne pourrait pas représenter la multiplicité ou hétérogénéité du réel, et celle-ci échapperait donc, ou serait recouverte par la représentation. L’attribut de solidarité (et de complémentarité) qui caractérise les membres d’une classe gagnerait alors, par rapport à la multiplicité du réel, le statut d’apparence et, en vertu de ce statut, la solidarité serait dispersée par cette multiplicité. En d’autres mots, la multiplicité occultée, soi-disant représentée dans une classe, serait mise à jour, ce qui suspendrait ou disperserait cette représentation. Selon cette proposition, une classe – ou un type de représentation du discours de l’enfant – dans laquelle on tenterait de s’approcher de l’hétérogénéité ou de la singularité des manifestations verbales infantiles, aurait son axe déplacé de l’attribut de solidarité ou communauté (apparente) de ces manifestations, vers leur dispersion, sans que, à la suite de ce déplacement, soit diminué le rôle que la classe en question jouerait dans la recherche. Pour illustrer la dispersion conçue comme axe, dans l’abordage du caractère singulier du discours infantile, nous emprunterons un épisode fourni par la banque de données du Projet d’acquisition de langage de l’IEL-Université de Campinas-Brésil : E=enfant M=mère (3) (E - 2.0.8 – Est prête à se rendre à la fête d’anniversaire d’un petit ami) 142 M : Ça, c’est la clé de quoi ? E : Fon fon M : De la voiture ? Jolies, les clés de Cécile, toutes vertes. E : Ici, l’enfant répond par une production énigmatique ou étrange : Laisse moi, vu’ér. Cette production peut avoir un rapport avec le mot vertes, que la mère vient de prononcer, mais pourrait signifier aussi : Laisse-moi voir. Et l’enfant enchaîne : Pas vrai, c’est brun. M : C’est brun ? E : Oui M : Non, c’est vert.

Le chercheur, mis en présence de la production infantile vu’ér, qui fait partie de la chaîne laisse moi, v’uér – au lieu du terme attendu voir –, hésiterait entre les signifiés des mots voir et verte sans pouvoir se décider pour l’un ou pour l’autre. On peut donc dire que cette impossibilité d’interprétation univoque consiste en un effet, produit par la manifestation singulière d’un enfant, comme les exemples antérieurs (1 et 2) nous l’ont montré. De son côté, l’effet provoqué par cette chaîne (laisse moi, v’uér) a une résonance sur d’autres productions de l’enfant (de supposés noms de couleurs), même sur celles qui ne laissaient pas de marques visibles d’opacité, comme, par exemple Couvercle jaune et Voiture jaune, dans les épisodes ci-dessous : (4) (E – 1.10.8 et M parlent de la couleur des couvercles) E : Quelle couleur ? M : Le couvercle ? E : Couverc. M : Le couvercle bleu. E : Couverc’ haune. M : Le couvercle n’est pas jaune. Il est bleu. (…) E : Ici c’est bleu, ici c’est bleu. M : Oui. Ça, c’est un couvercle bleu, et ça, un tout blanc.

(5) (E – 2.0.8 est prête à se rendre à la fête du petit ami) M : Tu as une auto ? E : Oui. M : C’est quelle couleur, ton auto ? E : aune. M : Hum ! Jolie, hein ?

Il faut remarquer que, même dans le cas de l’épisode 4, où jaune aurait été employé incorrectement par l’enfant, ce terme avait été conçu – ou écouté – par le chercheur comme étant un nom de couleur, c’est-à-dire, comme un mot qui ferait référence à la couleur des objets, bien qu’il s’agisse d’une erreur dans cette relation référentielle. Le chercheur, a ce moment, suspend le signifié de couleur qu’il avait attribué aux signifiants vert, bleu, blanc, jaune, etc, produits par l’enfant, à différents moments de l’enregistrement du discours avec la mère. Autrement dit, le chercheur commence à se douter que, à plusieurs moments, ces termes n’étaient pas employés par la fillette comme des noms de couleurs, comme il l’avait d’abord supposé ou écouté. Nous pouvons par conséquent suggérer que le doute du chercheur a remis en question certains points de la classe (ou de la représentation) dénommée discours de l’enfant. Autrement dit, le soupçon en question aurait dispersé ou dilué, dans cette classe, la représentation ou la sous-classe des noms de couleurs conçue par le chercheur, au moment où il a écouté les données du discours d’une enfant. De la sorte, la singularité ou hétérogénéité des manifestations verbales infantiles, dans l’état de changement, aurait été perçue grâce à une suspension de l’apparente solidarité entre ces manifestations, c’est-à-dire grâce à une dispersion ou dilution de leur représentation en ce qui concerne spécifiquement ce que l’on appelle noms de couleurs.

3. Considérations finales Soulignons que les épisodes analisés ne cherchent qu’à montrer une possibilité de changement dans la classe constituée par les dites données de discours de l’enfant. Il ne semble pas inutile de répéter que, dans la proposition adoptée, cette classe aurait son axe déplacé de l’attribut (apparent) de solidarité ou communauté de ces données vers leur dispersion ou dilution. Cette proposition de déplacement n’aurait cependant pas la prétension de dévoiler le mystère qui entoure l’investigation de l’enfant, dans la singularité de son venir-à-être parlant. En ce qui concerne cette singularité, reste alors la question suivante : quels changements théoriques-méthodologiques pourraient-ils survenir, dans la recherche de l’acquisition du langage, comme conséquences du déplacement proposé ? Et à son tour, cette question nous indique peut-être un long chemin, qui exigera pour commencer que l’on mette en discussion la naturalité avec laquelle le chercheur a conçu sa relation avec les manifestations verbales infantiles – ou la naturalité avec laquelle le chercheur a conçu la reconaissance des intentions communicatives –, dans les études de la trajectoire linguistique de l’enfant. À partir de la discussion antérieure, dans le cadre de l’étude du parcours de l’acquisition du langage, on attribuerait donc à l’interprète (dans ce cas-ci l’investigateur) le statut d’un sujet qui n’a pas de contrôle sur l’effet de sens provoqué par le discours de l’enfant. Il faut rappeler que le manque de contrôle sur le sens devient plus évident quand il s’agit d’un effet d’opacité, provoqué notamment par certains énoncés infantiles. D’autre part, la constatation de ce manque lance rétroactivement un soupçon sur la sécurité avec laquelle un sens déterminé est attribué au discours infantile, même quand il s’agit de productions verbales qui ne laissent pas de traces visibles d’opacité. Pour terminer, nous reprendrons la proposition de Grice (1975), en nous souvenant que cet auteur s’est retrouvé dans une impasse, créée par l’effet d’ambiguïté sous-tendu par son Principe élémentaire de coopération. En nous fondant sur les discussions qui précèdent, nous pouvons déduire que s’il avait tiré la leçon de cette confrontation, il aurait dû raisonnablement remettre en question la conception de sujet auquel est attribué, comme noyau, la reconnaissance d’intentions communicatives. Les conséquences de cette confrontation nous montreraient alors un sujet dont le statut de manque de contrôle sur le sens, sur le terrain de l’investigation de la trajectoire linguistique de l’enfant, a été imaginé par De Lemos à partir de la lecture de Saussure (1916/1972), Jakobson (1963) et Lacan (1966, notamment), et entériné par le groupe d’investigateurs, dans la ligne de recherche produite par cette auteure (par exemple, Andrade, 2003 ; Figueira, 2005 ; Lier-De Vitto, 2005 ; Pereira de Castro, 2005 ; Fonseca, 2005 ; Arantes, 2006). Il convient de souligner que, chez ce type de sujet, la reconnaissance occupe une position fondamentale. Mais il s’agit d’une reconnaissance qui surprend, selon la colocation wittgensténienne. Enfin, le caractère de surprise a mis en cause la prévisibilité de l’acte de reconnaître, ou plutôt la reconnaissance de l’intention communicative comme condition pour que survienne la signification. De sorte que, dans le domaine de l’Aquisition du Langage, le sujet de la signification serait un sujet de reconnaissance auquel on attribue le statut de

surprise qui met en question – du point de vue théorique-épistémologique aussi bien que du point de vue empirique – un type de représentation, c’est à dire, un corpus.

Bibliographie Andrade L. (2003), Ouvir e escutar na constituição da clínica da linguagem. Tese de Doutorado. São Paulo : LAELPUC. Arantes L. (2006), Impasses e distinções entre produções desviantes sintomáticas e não sintomáticas. In M.F. Lier-De Vitto & L. Arantes (Orgs.) Aquisição, patologias e clínica de linguagem. São Paulo : Educ, Fapesp; 219-226. De Lemos C. (2000), Questioning the notion of development: The case of language acquisition. Culture & Psychology 6 (2), 169-182. De Lemos C. (2003), Corpo & Corpus. In N.V.A. Leite (Org.) Corpolinguagem: gestos e afetos. Campinas SP: Mercado de Letras. 21-29. De Lemos C. (2006), Uma crítica (radical) à noção de desenvolvimento na Aquisição de Linguagem. In M.F. Lier-De Vitto & L. Arantes (Orgs.) Aquisição, patologias e clínica de linguagem. São Paulo : Educ, Fapesp : 21-32. De Saussure F. (1916/1972), Cours de linguistique générale. Édition critique préparée par Tullio de Mauro. Paris : Payot. Fonseca S.C. (2005), Interacionismo, afasia e clínica de linguagem. Cadernos de Estudos Linguísticos, 47 1 et 2, 331339. Figueira R.A. (2000), L’acquisition du paradigme verbal du portugais : les multiples directions des fautes. CALAP, 20, 45-64. Guerra A. G. et Carvalho G. M. M. (2006), A Singularidade como efeito da fala na relação: Um lugar de equívoco. Rio de Janeiro : Garamond. Grice H. P. Logic and conversation (1975).In P. Cole et J. Morgan (eds.) Syntax and semantics. New York : Academic Press. Jakobson R. (1963), Essais de linguistique générale. Paris : Minuit. Lacan J. (1966), Écrits. Paris : Éditions du Seuil. Lemos M.T. (2002), A Língua que me falta : Uma análise dos estudos em aquisição de linguagem. Campinas: Mercado de Letras. Lemos M.T. (2006), O sujeito imprevisto. In M.F. Lier-De Vitto and L. Arantes (Orgs.) Aquisição, patologias e clínica de linguagem. São Paulo : Educ, Fapesp : 57-62. Levinson S. C. (1983), Pragmatics. Cambridge : Cambridge University Press. Lier-De Vitto (2007, julho), On the interval between speech and speech data: theoretical-methodological issues. 9e International Pragmatics Conference da International Pragmatics Association – IprA, Riva Del Garda, Itália. Lier-De Vitto et Carvalho, G. (2008), O interacionismo : uma teorização sobre a aquisição da linguagem. In : I. Finger, I. & R.M. Quadros, (Orgs.), Teorias de aquisição da linguagem. Florianópolis: Editora da UFSC, 115-146. Milner J.C. (1983), Les noms indistincts. Paris : Seuil. Novaes M. (2005), As múltiplas ressonâncias linguísticas dos dizeres nas psicoses. Cadernos de Estudos Linguísticos, 47 1 et 2, 129-141. Pereira de Castro M.F. (2005), Passado, presente e questões para o futuro da argumentação na fala da criança. Cadernos de Estudos Linguísticos, 47 1 et 2, 49-59. Quine W.V.O. (1960), Word and object. Cambridge, MA : MIT Press. Tomasello M. (2001), Perceiving intentions and learning words in the second year life. In S.C. Levinson et M. Bowerman (Orgs.), Language acquisition and conceptual development. Cambridge : Cambridge University Press, 132-158. Sperber D. et Wilson D. (1986), Relevance : communication and cognition. Cambridge, MA : Harvard University Press.

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La bande dessinée/œuvre littéraire en classe de français langue étrangère : étude de cas en Grèce Marianna MISSIOU Enseignante de FLE

et Diamanti ANAGNOSTOPOULOU Université de l’Egée, Rhodes, Grèce Les œuvres théoriques sur l’apport de la bande dessinée à l’éducation sont abondantes et datent déjà de plusieurs années. Caractérisée de langage libératoire (Baron-Carvais, 1994 : 79), à la fois support et objet d’apprentissage, la bande dessinée a aujourd’hui sa place dans les principales finalités de l’enseignement des langues (Les Langues Modernes 2006). En outre, de nos jours, on souligne les atouts du littéraire en didactique des langues étrangères (Cuq & Gruca 2005). Le travail sur lequel s’appuie cet article est le résultat d’une expérimentation conduite dans une classe de FLE en Grèce. La problématique sur laquelle il repose est centrée sur la possibilité de relier la familiarisation de la langue étrangère, en occurrence la langue française, avec la lecture littéraire, par le biais de la bande dessinée. L’élève qui apprend le français ne maîtrise pas suffisamment la langue, ce qui fait obstacle à sa compréhension. Or, les théories de la réception postulent que chaque texte n’est pas un objet fini, ayant le sens voulu par l’auteur, mais qu’il est composé de l’ensemble des lectures proposées. C’est le lecteur actif qui dynamise la lecture et construit du sens, toujours pluriel. Découlant de ces théories, les dernières tendances de la didactique de la littérature postulent la formation à la lecture littéraire , qui stimule la créativité et les démarches interprétatives (Rouxel 1996, Tauveron 2006, Dufays 2005). Notre hypothèse de départ est d’envisager la bande dessinée comme une possibilité pour mettre en relation les entraves des élèves qui sont en situation d’apprentissage d’une langue étrangère avec les entraves d’une lecture littéraire . Les élèves seraient conduits alors à faire leurs premiers pas vers leur autonomie en lecture, en langue étrangère, c’est-à-dire vers leur capacité à lire et leur envie de lire seuls une œuvre en français. La lecture d’une œuvre intégrale en français constitue donc à la fois l’objectif général et le dispositif pédagogique. L’intérêt didactique devrait permettre de répondre à la question de savoir comment se met en place la lecture littéraire dans la classe de FLE et devrait conduire à expliciter le rôle de la lecture littéraire dans la familiarisation de la langue française. 143

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Les variables didactiques, susceptibles de modifier les rapports des élèves à la lecture d’une œuvre authentique et intégrale en langue étrangère, puisent dans les pratiques de la didactique de la littérature. Notre hypothèse s’inscrit dans un cadre théorique constitué autour des pôles suivants : Le sens d’une BD, comme chaque texte littéraire, n’est jamais complètement donné. Il laisse une place à l’interprétation personnelle du lecteur/spectateur qui doit avancer

en vertu de ses propres inférences. D’autant plus que la BD est caractérisée par des ellipses narratives et des laconismes. En classe, pour aider les élèves à aller au-delà de la compréhension littérale et les conduire vers une attitude interprétative, il faut privilégier l’aptitude au questionnement et à la problématisation (Tauveron 1999, Rouxel 1996). Le texte littéraire est un espace privilégié où « la langue travaille et est travaillée ». Dans la perspective de l’exploitation du littéraire dans une classe de langue, les stratégies de compréhension devraient faciliter la construction d’un sens pluriel et induire des interprétations, en proposant des entrées dans le texte et en favorisant des retours sur le texte (Cuq & Gruca, 2005 : 420-421). Ce travail a tenu compte de la spécificité de la BD œuvre complète et cohérente, conçue pour être lue. Pour inviter l’élève, en situation d’apprentissage d’une langue étrangère, à lire, à analyser, à produire, nous avons mis en scène l’association texte-image, les codes (ellipses, dialogues, mises en page, plans, couleurs, pictogrammes), ainsi que l’histoire et les personnages, composants essentiels des genres narratifs. Ainsi, ce travail consiste à inciter les élèves : à questionner le « texte » à participer à un débat sur l’interprétation littéraire en étant susceptible de vérifier dans le texte et/ou l’image ce qui bloque ou permet l’interprétation argumentée à reformuler dans leurs propos une lecture lue à parler des personnages et de l’histoire en termes littéraires 145

D’une durée de 40 minutes, les séances ont été réalisées au long du premier trimestre, dans un collège public de Rhodes (Grèce). La classe comprend 5 filles et 3 garçons, âgés de 14-15 ans, ayant un niveau de compétences élémentaire (A1-A2) . Chaque séance se divise en trois phases : premièrement, lire silencieusement des pages photocopiées et fragmentées, deuxièmement, se poser des questions et en débattre et troisièmement, compléter par écrit une fiche de travail. Les entretiens des élèves sont semi-dirigés, avec la consigne d’échanger entre eux ce qu’ils ont compris et comment ils ont compris . Le questionnement et le débat oral constituent l’axe principal de travail. Or, un débat oral en langue étrangère exige des compétences de niveau avancé. Le but principal étant de promouvoir la posture de lecteur, la phase du questionnement et du débat a donc souvent eu recours à la langue maternelle . Ce qui importe c’est l’engagement dans des hypothèses, des questions, des doutes, outre l’entretien de l’intérêt et du suspens, qui éveille aux élèves-lecteurs la lecture active. Nous n’intervenons que pour lancer ou relancer la discussion, demander des précisions, en évitant d’influencer la compréhension des élèves, mais en proposant des points de repère qui « émanent du texte et qui emmènent au texte » (Anagnostopoulou, 2006 : 10). Les fragments lus et le débat oral sont suivis de fiches de travail que les élèves doivent compléter. Ces activités écrites sont conçues pour faire émerger les éléments de compréhension et/ou d’interprétation . Il s’agit d’un travail individuel, mais qui souvent exige la coopération des élèves entre eux pour pouvoir s’exprimer en français, aussi bien qu’une aide minimale de la part de l’enseignante. Faute 146

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d’espace, nous nous limiterons à donner les points les plus représentatifs de ce projet. En amont du projet, nous avons annoncé aux élèves qu’ils auraient l’occasion de lire un livre entier en français. Pour cette raison, nous avons établi un protocole de lecture , pour régler les interventions. Nous nous sommes mis d’accord pour que chacun soit l‘interprète du « texte » et pour que chacun ait le droit d’exprimer son opinion, tant que celle-ci est justifiée par les mots et/ou les images. Par le protocole nous avons essayé de contribuer à ce que la classe change d’état pour passer de l’élève/apprenant passif au lecteur actif et producteur de sens. 150

Le choix de la BD à lire a été laissé aux élèves. Cette pratique présente certains avantages majeurs. Ils puisent dans leur expérience non scolaire, ce qui permet d’établir des ponts entre la vie dans et en dehors de l’école . Leurs expériences lectorales sont ainsi exonérées. En plus, choisir c’est être actif, c’est être responsable, c’est un acte de prise de décision qui conduit à l’implication . Enfin, l’élève trouve le livre qui puisse l’inciter et l’accompagner dans son mouvement intérieur (Anagnostopoulou, 2007 : 175). Entre les BD citées, la classe a décidé de lire Tintin. Cependant, les élèves ont dû procéder à un deuxième choix, celui de l’aventure qui serait lue, en approchant simultanément de la notion et de l’importance du péritexte. Les élèves observent la couverture, face et dos, échangent des opinions, puisent dans leurs connaissances hors texte. L’album Les bijoux de la Castafiore a été retenu. Il parait que la présence d’une star et de ses bijoux a offert aux yeux des élèves l’attente d’une aventure intéressante. 151

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L’histoire est présentée selon la technique du dévoilement progressif, c’est-à-dire le texte est présenté en livraisons successives. Dans la BD, les vignettes à la fin des pages de droite doivent inciter le lecteur à tourner la page (Grœnsteen, 1999 : 44). Donc les coupures provoquées par ces vignettes forment un découpage stratégique et une pause notée comme telle, qui permet de fragmenter la lecture en classe d’une manière naturelle au « texte ». A partir de chaque fragment, les élèves exposent oralement ou par écrit leurs attentes. Cette technique permet de faire émerger les interprétations spontanément. Simultanément, le découpage a permis aux élèves d’appréhender les étapes du récit. L’album dans les mains, tous les éléments du péritexte ont été observés, puisque chaque détail s’avère important à la lecture d’une BD, les titres des albums de BD étant parfois très suggestifs. Ainsi, les élèves découvrent l’auteur Hergé. Ils se posent la question sur la substance du créateur. Ils décident correctement que le dessinateur et le scénariste sont la même personne, abordant ainsi la notion d’« auteur complet » et s’étendant sur les différentes formes du créateur de BD (Peeters, 2003 : 155-178). La deuxième de couverture qui comprend les pays de circulation de Tintin révèle aux élèves le sentiment d’appartenir à une communauté lectorale mondiale. Les noms des éditeurs leur fait prendre conscience du rôle des éditions dans la circulation d’une bande dessinée, dans son succès et même dans sa production, car souvent sa dimension commerciale entraîne des lois éditoriales sévères (p.ex. exigences formelles particulières, thèmes privilégiés, coûts disproportionnés). Les élèves forment l’horizon de leurs perspectives, émettent des hypothèses, s’introduisent dans le genre de l’histoire, dans les caractères, ils forment déjà des prévisions sur leur classification typologique et leurs relations. Par exemple, ils ont supposé que les bijoux appartiennent à Bianca Castafiore, qui est une chanteuse très célèbre et très riche, et qu’ils vont être volés par les figures restées dans l’ombre. Quant à

la typologie des personnages (Bal, 1999 : 132, Nikolajeva, 2002 : 112), ils ont pensé correctement que Tintin est le protagoniste, en arrivant à justifier leurs arguments en termes littéraires. Selon eux, Tintin figure au premier rang et son nom est inscrit sur le titre de la série. À l’opposé, Bianca Castafiore, dont le nom est aussi indiqué sur le titre de l’album, tient un rôle primordial mais pas celui de protagoniste, puisque sur l’image elle se trouve sur un deuxième plan. Ils ont pu ainsi évaluer le rôle du plan. Une élève a même relevé l’importance du rôle déterminant de Tintin dans l’histoire, anticipant ainsi la suite et fortifiant les idées de ses camarades en ce qui concerne la typologie. Cette activité prouve que les enfants peuvent détecter le rôle et les fonctions des personnages dans une histoire et qu’ils peuvent en parler. La face de la couverture s’ouvre aussi sur l’intericonicité. La plupart des élèves croient connaître le nom du chien de Tintin (Milou), qu’ils appellent Idéfix. Ce fait montre à quel point les bandes dessinées sont passées dans la mémoire collective. Suit le passage au texte. Les entraves lexicales d’un texte authentique a quelque peu déstabilisé les élèves au départ. Le seul phylactère qu’ils prétendent comprendre est celui qui comporte les paroles d’une tzigane. Pour rendre l’altérité, la langue française est déformée. Ainsi, la tzigane utilise de façon erronée les verbes à l’infinitif. Son langage d’étrangère devient alors un élément de démarcation entre le moi et l’autre, les élèves s’identifiant à l’autre. Ils se posent des questions qui dérivent, naturellement, du vocabulaire non connu, aussi bien que des questions qui concernent l’histoire, les personnages, leurs relations. Nous essayons de maintenir cette ambiance de questionnement continu et les incitons à échanger leurs idées et à rechercher des éléments signifiants pouvant les aider à décoder le texte. Nous donnons cependant la traduction d’un minimum de mots, ceux qui sont vraiment indispensables à la compréhension. La discussion se fait mi-français mi-grec, et les élèves les plus avancés expliquent ce qu’ils ont compris à leurs condisciples. Nous les laissons faire car le plus important à nos yeux, c’est la participation, l’intérêt des élèves, les échanges collectifs. Peu à peu, ils entrent dans l’ouvrage à l’aide des indices de l’image, des bulles, des récitatifs qui sont à leur portée. Il a fallu trois séances pour qu’ils prennent conscience que la compréhension de chaque mot n’est pas une nécessité et que le repérage de mots clés permet d’obtenir une compréhension globale du texte. D’autant plus que le support visuel peut dévoiler de nombreux indices qu’on ne détecte pas au premier regard. En outre, ils ont été conduits à faire confiance à leur culture littéraire, qui suppose la capacité à retrouver des motifs plus ou moins familiers, puisés dans leur « répertoire d’histoires » (Nodelman, 1992 : 64). Par la suite, nous présenterons quelques uns des points représentatifs de notre expérimentation didactique. Dès la lecture des premières pages, la relation du Capitaine Haddock et de Castafiore a mobilisé l’intérêt des élèves. L’attitude ambivalente du Capitaine envers la diva, mise en valeur par l’image et par les mots, a déclenché des questions. La plupart des élèves y ont vu une histoire d’amour en progression. Plus tard, ils ont pu revoir et reformuler leur première idée, ce qui leur a permis de tracer la trame de cette relation, tout en devenant attentifs aux indices du texte. Les caractéristiques des personnages ont aussi formé un champ de débat. Par exemple, le physique, le caractère, les habitudes de Castafiore ont été mis en scène, chaque élève exprimant sa propre idée, en se basant sur l’image et les dialogues. Ils ont tracé la personnalité des figures en écrivant

librement leur avis ou en choisissant et en associant des qualificatifs donnés aux personnages. Le travail sur le vocabulaire, qui d’habitude constitue une tâche ingrate et stérile, est ainsi abordé d’une manière intéressante pour les enfants, s’inscrivant beaucoup plus facilement dans leur mémoire, comme le montrent d’ailleurs leurs écrits. Une activité traditionnelle d’un travail sur une bande dessinée consiste à retrouver le fil de la narration en remettant toutes les vignettes dans l’ordre séquentiel afin de rétablir la cohésion textuelle. Ce travail a été repris avec notre classe sur les pages qui constituent le point culminant de l’histoire : Bianca Castafiore est en train de chanter pour une émission à la télévision, quand a lieu une coupure d’électricité, qui provoquera un nouveau rebondissement dans l’histoire. Les élèves sont incités à faire un travail de réflexion pour envisager la suite de l’histoire. À la difficulté de mettre les morceaux du puzzle ensemble, il faudrait ajouter les contraintes du vocabulaire. Les élèves ont proposé des réassemblages selon leur propre interprétation, différents de l’original mais assez raisonnables. Ce qui est important, ce n’est pas de trouver l’ordre correct, mais de leur faire prendre conscience de leur pouvoir de producteur de sens, vivant ainsi une première sensation du statut d’écrivain. D’autres techniques caractéristiques de la BD, comme les ellipses narratives et les ruptures temporelles ont aussi offert l’opportunité de contribuer à la formation d’une posture d’auteur, tout en travaillant sur la langue. Par exemple, le blanc inter-iconique de deux vignettes a inspiré l’imagination des élèves qui ont inventé des actions dans leur intervalle. 153

Au fil de leur lecture les élèves ont été préoccupés par le thème de l’altérité. Les premières vignettes représentant les tziganes ont stimulé leurs sentiments anti-racistes. Ils ont supposé correctement que les romanichels seraient suspects du vol des bijoux. Nous avons donc suivi cette piste, bénéficiant de l’implication des élèves, pour déclencher un débat sur les stéréotypes culturels et simultanément pour parler du rôle des personnagestypes en littérature et en bande dessinée (Masson, 1985 : 97). La bande dessinée, l’art de la schématisation et du stylisme, utilise des types facilement identifiables pour transmettre leur message, et offre un champ propice pour l’émergence des stéréotypes. Les élèves ont ainsi abordé une des techniques fondamentales de la narration des bandes dessinées et un thème récurrent dans tous les genres littéraires. La couleur a joué un rôle important dans l’interprétation. Les photocopies étant en noir et blanc, les élèves ressentaient souvent le besoin de recourir au prototype, se sentant démunis d’informations. Ainsi, la présence d’une pie au premier plan de la vignette (p. 16) n’a été notée que par les élèves qui ont vu l’image en couleur. Ils ont même avancé l’hypothèse correcte que la pie s’emparera des bijoux, supposition vite oubliée, manque d’indices. Ce n’est seulement qu’à la fin de l’histoire qu’ils s’en sont souvenus, heureux d’avoir fait une observation aussi perspicace. Un autre exemple de notre travail consiste à repérer les étapes de l’histoire. La technique narrative du retardement a retenu l’attention des élèves. Cette technique est ici exprimée par le thème récurrent des bijoux perdus mais toujours retrouvés et le thème d’une marche cassée contre laquelle butent les personnages de l’histoire. Arrivant à la fin et anticipant le rôle important que ces motifs joueraient dans l’histoire, les élèves ont été déçus par leur importance minimale dans l’intrigue. Nous avons profité de leur déception pour leur lancer un défi, celui d’imaginer une autre fin, tâche à laquelle les élèves ont

répondu d’une manière satisfaisante. Dans leurs histoires imaginées, de 8 à 10 lignes, ils valorisent le thème des bijoux et de la marche cassée, ils accordent d’autres fonctions aux personnages : ils vont même jusqu’à inventer un meurtre.

Evaluation - conclusion Bien qu’il soit difficile d’évaluer un travail sur la littérature (Sève, 2002), quelques indices permettent d’établir un certain barème. Ainsi la participation des élèves au cours des échanges collectifs, la production écrite sur les fiches de travail et l’établissement d’une fiche d’évaluation de la part des élèves ont permis d’apprécier le projet positivement. Conformément à l’hypothèse principale, l’amélioration des performances des élèves a été clairement notée. Les enfants ont été conduits à lire davantage, plus soigneusement : ils sont devenus plus attentifs aux mots et aux images. Ils ont participé positivement, faisant des efforts considérables pour s’exprimer en français et en reprenant souvent le vocabulaire de la BD. C’est avec surprise que l’on a constaté que l’ampleur des difficultés lexicales a été fortement réduite par l’envie de lire et de savoir la suite de l’histoire. Les questions visaient à relever les difficultés linguistiques et herméneutiques et à apprendre à les résoudre par les échanges verbaux. La recherche de solutions par le débat, la confrontation de leurs réponses, les retours aux indices du texte verbal et iconique, ont été fructueux. Malgré les nombreuses entraves lexicales, les élèves ont pu saisir le sens global et même l’approfondir. Une confiance a été créée, qui a permis aux élèves non seulement d’oser s’exprimer en français, mais aussi d’oser formuler des interprétations. De même, ils se sont reconnus en tant que participants à une communauté de lecteurs. La phrase d’une des élèves, « je ne lirais plus jamais seule », quoique spontanée et exagérée, en est la preuve. Cette expérience de lecture d’une œuvre intégrale en classe de FLE nous a conduit à conclure que la bande dessinée, par l’apport de l’association image/texte et de ses codes, permet de donner suffisamment d’indices aux élèves pour la compréhension globale d’un texte. En outre le questionnement, le débat et les interactions verbales entre élèves sont utiles pour faire avancer la compréhension de chacun, en particulier des élèves en difficulté, qui parviennent ainsi à participer et même à partager la compréhension de ceux qui ont compris avant eux. Malgré les difficultés et les contraintes, les élèves ont apprécié de pouvoir lire une histoire en langue étrangère jusqu’au bout. Notre travail voudrait être un modeste exemple des inépuisables potentialités de la BD. Nos élèves ont fait leurs premiers pas vers leur autonomie lectorale en langue française. Comme ils ont noté dans leurs appréciations, ils ont pris du plaisir à cette lecture, qui loin d’être ressentie comme une corvée, les a initiés à un français de niveau élevé d’une manière agréable. Enfin, la classe de FLE est devenue un lieu où les élèves ont vécu « des évènements de lecture » (Louichon, 2007 : 161), susceptibles de nourrir leur mémoire et d’assembler des souvenirs de lecture, qui, nous l’espérons, motiveront une prochaine lecture ou relecture.

Bibliographie Anstey M., Bull G. (2006), Teaching and Learning Multiliteracies. Neward, DE : International Reading Association. Anagnostopoulou D. (2006), La place du texte littéraire et du lecteur/enseignant-élève dans l’acte éducatif. In Parler, lire, écrire dans la classe de littérature : l’activité de l’élève/le travail de l’enseignant/la place de l’œuvre, 7e rencontre des chercheurs en Didactique de la Littérature, IUFM de Montpellier, 6-8 avril 2006. Anagnostopoulou D. (2007), Littérature et école : contraires qui s’attirent ou semblables qui se repoussent ? In J.-L.

Dufays (ed.), Enseigner et apprendre la littérature aujourd’hui, pour quoi faire ? Sens, utilité, évaluation. Louvain-laNeuve : Presses Universitaires de Louvain, 171-177. Bal M. (19 992), Narratology - Introduction to the Theory of Narrative. Toronto-Buffalo-London : University of Toronto Press Inc. Baron-Carvais A. (1994), La bande dessinée. Paris : Presses Universitaires de France (Que sais-je ?). Calame-Gippet F., Marcoin D. (1999), Des dispositifs didactiques et pédagogiques pour construire la lecture littéraire à l’école. In F. Grossmann & C. Tauveron (coord.), Repères - Comprendre et interpréter les textes à l’école, 19. Paris : INRP, 61-102. Castelloti V. (2001), La langue maternelle en classe de langue étrangère. Paris : Clé International. Cope Β., Kalantzis Μ. (eds.) (2000), Multiliteracies : Literacy learning and the design of social futures. London-New York : Routledge. Cuq J.-P., Gruca I. (2005), Cours de didactique du français langue étrangère et seconde. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble. Dufays J.-L., Gemenne L., Ledur D. (2005), Pour une lecture littéraire. Bruxelles : De Boeck. Grœnsteen Th. (1999), Système de la bande dessinée. Paris : Puf. Grœnsteen Th. (2006), Un objet culturel non identifié. Paris : Éditions de l’An 2. Grossmann F., Tauveron C. (coord.) (1999), Repères - Comprendre et interpréter les textes à l’école, no. 19. Paris : INRP. Les Langues Modernes (2006), Dossier : La Bande dessinée, 4. Louichon B. (2009), La littérature après coup : contribution à une théorisation du sujet lecteur. (Paideia). Rennes : Presses universitaires de Rennes. Masson P. (1985), Lire la bande dessinée. Lyon : Presses Universitaires de Lyon. Nikolajeva M. (2005), The aesthetic approach to children’s literature. Lanham, Scarecrow Press. Peeters B. (2003), Lire la bande dessinée. Paris : Flammarion. Rouxel A. (1996), Enseigner la lecture littéraire. Rennes : Presses universitaires de Rennes. Seve P. (2002), Peut-on évaluer la lecture littéraire ? In C. Tauveron (ed.), La lecture et la culture littéraire au cycle des approfondissements. Actes de l’Université d’automne Clermont-Ferrand, Royat 28-31 octobre 2002. Sur le site http://eduscol.education.fr. Tauveron C. (1999), Comprendre et interpréter les textes à l’école : du texte réticent au texte proliférant. In F. Grossmann et C. Tauveron (coord.), Repères - Comprendre et interpréter les textes à l’école, 19. Paris : INRP, 9-37. Tauveron C. (2006), Literature in the French primary school - From didactic research to official programmes. In Aikakauskirja, Aidinkielen opetustiede - Journal of Mother Tongue Education, 35, 3-37. Versaci R. (2007), This Book contains Graphic Language - Comics as Literature. New York – London : Continuum.

Vivre la poésie à l’école : une expérience éducative Olga María DÍAZ Université Métropolitaine des Sciences de l’Éducation (Santiago) L’éducation d’un enfant commence cent ans avant sa naissance. (Napoléon, I)

0. Dans le cadre du Projet « Antología Poética y Musicale de la Obra de Ermelinda Díaz » 154, cette présentation part des documents recueillis sur le terrain, où vidéos, photos, dessins, enregistrements et travaux d’élèves montrent comment dès les premiers cycles d’apprentissage, on peut réaliser des expériences enrichissantes qui permettent de développer une expression artistique intégrale, c’est-à-dire linguistique, mais aussi musicale, visuelle ou corporelle. Ici, une authentique motivation jointe à une compréhension interprétative des textes, parviennent, dans la profondeur prolifique du sens poétique, à donner naissance à de nouvelles créations artistiques. 1. Les grands référents du projet que nous présentons sont donc directement associés à la sélection d’une série de textes poétiques qui nous ont servi de base pour aller à la rencontre d’une œuvre littéraire, en mettant en pratique une pédagogie de la communication qui, avec les moyens actuels et en particulier du multimédia, nous ont aidés à développer des processus d’apprentissage de la langue en partant d’une approche interdisciplinaire. En effet à l’exercice langagier s’est associée une autre perspective qui cherche une manière significative d’arriver à inclure pédagogiquement les réalités propres d’une culture locale mais certainement aussi les principes d’une culture plus universelle. La poésie d’Ermelinda Díaz nous fait d’abord découvrir un « grand cœur qui s’ignore », lorsqu’elle nous plonge dans les eaux profondes de l’amour qu’elle éprouve pour sa patrie et la solidarité qu’elle manifeste avec son peuple (voir en annexe l’exploitation didactique de ce poème) : En chantant dans le vent (Adaptation française) Tout se perd dans le néant tout est oubli dans le temps, toi seule, ma patrie bien aimée structure de mon peuple gazelle sacrifiée dans les cimes de ton royaume, toi ma reine millénaire, sous le manteau de ton ciel avec tes montagnes enneigées, avec tes volcans brasiers de feu,

dans les nuits étoilées tu continues à chanter dans le vent !

Photo : Marco Antonio Readi Cerda (Voir le DVD lectures d’illustration en français)

Soulignons tout d’abord que si cette œuvre a été considérée comme un apport à la littérature nationale, -et plus spécialement aux activités du Bicentenaire de l’Indépendance du Chili (2010)- c’est sans doute parce qu’elle met singulièrement en évidence une sagesse ancestrale, celle qui rend (littéralement) « capable de transformer en visage humain le cœur du prochain ». Et à la lumière des écrits de cette auteure, on sait que cela veut dire : « l’éducation doit nous servir à apprendre à être plus humains ». Une chanson (Adaptation française, extrait) Comme il n’y a pas de nuit sans aube, Il n’y a pas de cœur sans amour, Je sais qu’un matin revient Et luira dans le ciel le soleil. Le soir commence à mourir Le soleil se couche déjà. Et au chapelet du souvenir La même prière reviendra.

Photo : Raúl Oberreuter Morales

Il convient maintenant de nous interroger : Comment le genre poétique en général nous aidera-t-il à rendre à l’école ses propres valeurs et ses propres principes ? Vers quelle didactique de la littérature nous conduit plus spécifiquement cette poésie ? Quelles stratégies pédagogiques y trouvons-nous, et en particulier quel apprentissage de la langue ? Ce sont quelques-unes des questions que nous nous sommes posées au fur et à mesure que nous avancions de façon expérimentale dans ce projet de diffusion de la poésie nationale chilienne dans les milieux scolaires de la région centrale du pays. 2. De manière extrêmement synthétique, on pourrait dire que derrière certains « codex »

ou types de représentations propres aux formes littéraires, tout nous invite ici à ne pas dissocier nos réalités de ce que pourraient être d’autres états d’abstractions, pour découvrir des vérités parfois cachées à nos yeux, Saint-Exupéry nous l’ayant d’ailleurs bien rappelé dans le Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». Mais pour ce faire, il est indispensable de se (dé) placer sur un chemin qui mène à un apprentissage différent. Comme le montrent les documents d’accompagnement, la communication linguistique s’est d’abord manifestée en partant de l’expérience personnelle des apprenants, avec leur langage particulier, leurs visions et approches originales des textes et finalement leurs productions créatives, en vers ou en prose. Mais on a aussi trouvé toute une série de transpositions dans les plus diverses formes d’expression et sur lesquelles on reviendra : expression corporelle, interprétations musicales, arts plastiques, peintures, chansons, danses, chorégraphies… Et tout cela nous semble important, car peuvent ainsi être conçus dans la salle de classe des « exercices » au sens plein du terme, aptes en sorte à prendre en compte l’intérieur et l’extérieur d’une même discipline, c’est-à-dire le monde qui nous entoure, le vaste territoire imaginaire intérieur du « Je-lecteur-scripteur », et surtout, cette essence primordiale appelée plaisir de lire, écrire et chanter. Nous sommes de fait dans un domaine qui, s’il met en jeu des compétences, des capacités et des stratégies linguistiques, n’exclut jamais l’agrément que procure l’œuvre poétique. Cela est absolument essentiel, parce qu’il est alors impossible de ne pas incorporer des éléments intra et extra textuels, qui permettront d’apprécier l’œuvre littéraire comme une œuvre d’art. Nous entrons aussi dans une didactique de la littérature qui, comme l’aurait probablement souligné André Malraux, rejoint sensiblement certains idéaux en termes d’éducation, et où se reflètera par exemple, un esprit d’unité et de paix : Rêves de lune, III (Adaptation française) Point du jour Mon rêve était d’argent comme un astre brillant avec un collier d’étoiles se promenait la pleine lune. Il était d’argent mon rêve, nuit de voûte constellée, et dans les sphères célestes l’aube s’annonçait. Je rêvais que les étoiles dans le ciel s’embrassaient : et sur terre, c’était une fête tous les hommes s’aimaient !

Oh suzeraineté du ciel Où le jour pointait !

En somme l´écriture poétique, vécue comme une expérience plus personnelle, tend d’abord vers un apprentissage idiomatique à travers la construction de la propre vision de l’apprenant, qui naturellement expérimente une satisfaction qu’il désire exprimer. C’est pourquoi l’apprentissage peut s’organiser sans surcharger la mémoire qui cependant trouve facilement une forme de mémorisation (par la répétition normale d’une chanson par exemple). Nous avons également noté que les stratégies de verbalisation contextualisées autour des textes poétiques dans les classes du primaire, se rapportent principalement à trois types de situations : celles directement ancrées dans la vie des enfants, celles de type plus académique, et celles qui sollicitent l’imaginaire . À ce sujet, on notera que les travaux de lecture et d’écriture qui ont habituellement fait l’objet d’une mise en commun, ont pu devenir des « lieux » de mutuelle compréhension à travers un apprentissage qui présente sa propre logique. Le fait de partager socialement la lecture/écriture est toujours apparu comme un moment privilégié dans le sens où cela rend favorable l’acquisition de nouveaux savoirs. L’ensemble de ces exercices trouve, à la source, un désir implicite qui bientôt se transformera en un certain « réveil » : ce qui était enfermé dans un monde de rêves entre dans la réalité d’une vérité commune… 155

3. Relevons à présent quelques impressions sur le travail interdisciplinaire dont on a parlé au début. Si nous sommes d’accord pour dire que c’est une rencontre vivante qui doit caractériser la présence de la poésie en classe de langue, alors nous ne serons pas surpris de voir, (cf les documents joints) qu’il faut qu’elle soit non seulement lue, et expliquée, mais aussi illustrée, peinte, imprimée, travaillée en affiches, théâtralisée, musicalisée, enfin, il faut qu’elle circule constamment d’une forme ou l’autre dans la salle de classe.

C’est ce que Jean-Pierre Siméon résume parfaitement lorsqu’il affirme : « Pour moi, la poésie devrait être au cœur de toutes les classes, quotidiennement. J’ai proposé que les enseignants commencent la journée par la lecture d’un poème… » . 156

Quelles autres conclusions peut-on tirer du contact personnel avec Ermelinda, et la longue familiarisation avec son écriture poétique ? À la base, nous trouvons une évidence qui tient à la logique même des choses : pour qu’il y ait « amour de l’écriture », il faut qu’il y ait d’abord « amour de la langue ». Et c’est peut-être là que l’on trouvera certaines réponses aux questions qui nous intéressent… celles qui, mettant en œuvre une dynamique aussi passionnante que complexe, nous

invitent à avoir au moins présents à l’esprit quelques données que, pour l’instant, nous avons seulement identifiées et regroupées autour de trois grands axes de recherche en DLC (Didactique des Langues et des Cultures) : 1º) Caractéristiques didactiques transmises par l’esthétique de l’écriture poétique, la poésie étant depuis toujours « la part incandescente de la littérature… celle qui concentre dans une extrême intensité tous les enjeux esthétiques de la littérature… » 157 2º) Caractéristiques didactiques transmises par l’èthos158 de l’écrivain lui-même : le poète a des attributs propres qui rendent manifestes non seulement son tempérament, ses états d’âme, sa disposition psychique mais encore sa relation avec la perception qu’il a du monde qui l’entoure. Cette image que le poète donne de lui-même à travers son discours et la relation qu’il cherche à faire sentir souvent à travers ses passions (amour, colère, pitié…), intéresse le « pathos » du lecteur, et dans ce sens, est aussi révélateur que formateur . 159

3°) Caractéristiques didactiques transmises par l’éthique de l’enseignement du genre poétique : « Promouvoir dès la maternelle la littérature découle d’une philosophie de l’éducation qui considère qu’instruire des consciences est l’une des missions de l’enseignement » 160. Tout en remerciant ceux qui, dans le cadre de ce projet, ont permis le bon déroulement des activités de terrain autant que les travaux de réflexion, il reste à formuler le vœu de voir la poésie, à l’école, dans les années à venir, occuper la place, qui de fait, lui revient.

Sous la direction de Brunilda Merea, élèves du secondaire, faisant le portrait d’Ermelinda Díaz, nov.2009

(cf. site : http://youtu.be/ihjjpTV_GK4?a)

Recensions J-L. Dufays et al., Théorie de la littérature. Une introduction, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2009. Il s’agit d’un outil à la disposition des étudiants en lettres mais aussi des enseignants de littérature ; son propos est à la fois pertinent et concis (200 pages). Alliant l’exposé des notions et des illustrations variées puisées dans la diversité des productions littéraires françaises mais aussi mondiales, l’ouvrage offre une introduction aux principaux concepts, références et outils contemporains de la théorie de la littérature. Les trois premiers chapitres présentent les grandes approches qui ont entrepris de définir le sens et la valeur des textes littéraires (des approches internes, qui privilégient les procédés formels ou le jeu des références, aux approches externes centrées sur la diversité des contextes, ou sur la lecture et la réception) et de cerner la problématique des types et des genres littéraires. Les trois chapitres suivants traitent des trois types littéraires majeurs que sont le texte dramatique, le texte poétique et le texte narratif. Après avoir envisagé les genres narratifs du point de vue des formes et des modes d’énonciation qu’ils mobilisent, on considère ceux-ci du point de vue de leurs contenus thématiques, des univers de référence qu’ils mettent en scène. On s’intéresse ainsi aux récits réalistes, aux récits policiers, aux récits de l’étrange (merveilleux, fantastique, science-fiction) et aux récits de vie (biographie et autobiographie). On regrettera l’absence du récit de voyage et de toute référence à la pédagogie interculturelle. Pourtant, aujourd’hui, une telle pédagogie est indispensable pour aider à construire ou à déconstruire certaines représentations d’une société ou d’une culture autres. C’est à partir de la confrontation du Moi et de l’Autre que les élèves peuvent réfléchir à leur propre identité. Le texte littéraire est aussi l’expression esthétique de représentations partagées par les membres d’une même communauté. D’où la nécessité de croiser les regards (de multiplier les textes sur un même thème) si l’on veut atteindre le modèle culturel dont le texte littéraire se réclame, peu ou prou. Un dernier chapitre montre enfin comment les différentes notions exposées dans le livre permettent de mener concrètement l’analyse d’un texte littéraire en se centrant prioritairement sur le processus de lecture qu’il suscite. Cette analyse d’un conte de Villiers de l’Isle-Adam est exemplaire à plus d’un titre. Elle permet au lecteur de percevoir le symbolique derrière l’apparent. Elle montre que, lorsqu’il aborde un texte littéraire, le lecteur opère un va-et-vient entre participation et distanciation, entre soumission à l’autorité de référents et réflexion sur leurs effets esthétiques et idéologiques.

Luc COLLÈS Ucl B. Thiry, Terminología y Derecho. La responsabilidad civil extracontractual. Contribución a su tratamiento terminográfico y a la Teoría de la Terminología, Granada, Editorial Atrio, 2009, 346 pp. (colección « Traducción en el Atrio », 18).

Après avoir publié en 2005 son Diccionario jurídico : terminología de la Responsabilidad civil (español-francés y francés-español) (Granada, Comares, 2005, 424 pp.), le Professeur B. Thiry, spécialiste reconnu en matière de traduction/terminologie juridique, nous présente aujourd’hui le volet plus spécifiquement méthodologique de sa réflexion et de sa recherche. Il s’agit d’abord et avant tout d’un véritable manuel de terminologie/terminographie où l’auteur nous présente d’une façon claire et distincte les définitions de référence de l’ensemble de sa démarche méthodologique. Comment définir la terminologie ? En quoi consiste la spécificité du terme par rapport au mot (et de la lexicologie par rapport à la terminologie) ? Comment fonctionnent les langues de spécialité et la normalisation ? Dictionnaire ou vocabulaire (Felber) ? Quelles sont les différentes étapes du travail terminographique ? Or, la terminologie du Prof. Thiry se définit essentiellement comme une terminologie intelligente basée sur la compréhension/structuration du domaine étudié/« terminographié ». Ce que notre auteur qualifie de « terminología-análisis ». Et il a raison de dire que sa réflexion est fondamentalement « critique ». Mais, bien entendu, c’est dans le domaine de l’application juridique que porte l’essentiel de la démonstration critique. Terminologue avéré, le Prof. Thiry analyse son domaine d’un double point de vue. D’abord, que peut nous apporter la terminologie dans la réalisation, la systématisation et, surtout, dans la formulation « exacte » (la nomenclature) du droit ? En d’autres mots, la terminologie peut-elle faire avancer le droit en tant que tel ? Et, par la même occasion, quel sera l’impact de la spécificité des structures du droit, en l’occurrence la problématique de la Responsabilité civile extracontractuelle sur le fonctionnement global de la discipline terminologique ? Et c’est ici que le travail de notre auteur prend toute son ampleur. D’une part, une analyse terminologique notionnelle particulièrement fouillée qui débouche sur une réflexion systématisée d’équivalences de droit. Et, d’autre part, une étude existentielle du domaine faisant l’objet de la présente étude en rapport avec la terminologie comme ensemble de termes constitutifs du domaine choisi. Mariage parfaitement réussi. Pour preuve : le traitement de la documentation (1.2.1.3) avec ses experts et en y incluant la jurisprudence (p. 56) ; la flexibilité (« dilatation »/« instabilité ») (p. 188) organique des concepts de sistema de nociones, corpus, área, lengua de especialidad, lenguaje jurídico et lengua común et, enfin, la définition du concept de traducción jurídica (p. 181-2). Partout on sent que la terminologie y est pour quelque chose… Mais on perçoit également une connaissance doctrinale approfondie et parfaitement documentée. Il est clair qu’une telle réflexion se traduit naturellement, en amont ou en aval de la méthodologie appliquée, par la réalisation pratique d’un « dictionnaire » spécialisé. Ce dictionnaire existe, mais dans la présente publication, l’auteur (Anexos) nous laisse entrevoir en quelque sorte toute la gestion notionnelle du dictionnaire réalisé. Plus concrètement, il s’agit d’une réflexion particulièrement fouillée sur les différents problèmes « techniques » posés par la polysémie, la synonymie, le statut linguistique, l’équivalence, la contextualité, la complexité structurelle… des termes-clés du dossier. En fait, on peut parler d’une véritable synthèse opérationnelle où notre auteur construit son domaine terminologique/terminographique à partir d’un certain nombre de (sous -)

structures bien délimitées/définies plutôt que de se lancer dans des utopies de structuration globale voire même universelle… En conclusion, le principal mérite du Prof. Thiry est d’avoir démontré non seulement que la terminologie est une discipline à part entière qui mérite pleinement d’être considérée comme telle, mais aussi et surtout d’avoir mis en exergue la pertinence réciproque de la terminologie pour la réalité du droit (science humaine ?) comme phénomène structurellement social, culturel et linguistique (le droit comme langage et comme langue de spécialité). À notre avis, le travail a atteint pleinement les objectifs qu’il s’était fixés au départ.

Hugo MARQUANT Ilmh

(Endnotes) 1 Richard Jean-Pierre (2002), « Préface » dans Legros Denis et Crinon Jacques (dir.), Psychologie des apprentissages et multimédia, Paris, Armand Colin : collection U, p 7-8. 2 De Ketele Jean-Marie (1999), « Préface » dans Lebrun Marcel, Des technologies pour enseigner et apprendre, ParisBruxelles, Éditions De Boeck : collection « Perspectives en éducation », p 10. 3 Legros Denis, Maître de Pembroke Emmanuelle et Talbi Assia, (2002), « Les théories de l’apprentissage et les systèmes multimédias » dans Psychologie des apprentissages et multimédia, op.cit., p 24. 4 Cuq Jean-Pierre (dir.) (2003), Article « Acteur » dans Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris, Clé International/ASDIFLE, p 14. 5 « L’interdisciplinarité désigne les échanges et les interactions entre disciplines permettant un enrichissement et une fécondation mutuelle » (2003), Article « Interdisciplinarité » dans Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, op.cit., p 138. 6 Cuq Jean-Pierre (dir.) (2003), Article « Interaction » dans Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, op.cit., p 134. 7 Lancien Thierry (1998), Le multimédia, Paris, Clé International : collection « Didactique des langues étrangères », p 97. 8 Mangenot François (1998), « Classification des apports d’Internet à l’apprentissage des langues « dans Revue ALSIC, Vol.1, numéro 2, p 137. 9 Crinon Jacques, Mangenot François et Georget Patrice (2002), « Communication écrite, collaboration et apprentissages » dans Psychologie des apprentissages et multimédia, op.cit., p 63. 10 Ibid., p 67. 11 Ibid., p 83. 12 Hirschsprung Nathalie (2005), Apprendre et enseigner avec le multimédia, Paris, Hachette-Français Langue Etrangère : collection F, p 121. 13 Ibid., p 96. 14 Mangenot François (1998), op.cit., p 133. 15 Lebrun Marcel (1999), Des technologies pour enseigner et apprendre, Paris-Bruxelles, Éditions De Boeck : collection « Perspectives en éducation », p 159. 16 Hirschsprung Nathalie (2005), op.cit., p 36. 17 Ibid., p 13. 18 Ibid., p 23. 19 Ibid., p 79. 20 Mangenot François « L’intégration pédagogique et institutionnelle des TIC » dans Psychologie des apprentissages et multimédia, op.cit., p 176. 21 Ibid., p 176. 22 Ibid., p 176. 23 Hirschsprung Nathalie (2005), Apprendre et enseigner avec le multimédia, op.cit., p 93. 24 Ibid., p 119-120. 25 Ibid., p 95. 26 Mangenot François (2002), « L’apprentissage des langues » dans Psychologie des apprentissages et multimédia, op.cit., p 153. 27 Recherche issue du mémoire de Laure Di Matteo : « Les interactions diverses soutiennent-elles la motivation et la persévérance des étudiants engagés dans un processus de formation à distance ? » Promoteur : Marcel Lebrun,

Accompagnateurs : Sylviane Bachy et Jacques Gillardin. Mémoire présenté pour l’obtention du grade de Master en sciences de l’éducation. Université Catholique de Louvain. 2010 28 Mangenot (2006, 5) fait un bref rappel historique des différentes modalités des échanges en ligne en français langue étrangère depuis le début des années 80. 29 Tous les exemples montrés ici concernent des apprenants de niveau A2, mais certains apprenants sont au début, d’autres à la fin de ce niveau, ce qui explique les variations dans la formulation des consignes et les réponses attendues. 30 Sur les différentes sortes de « gaps » permettant de susciter des interactions, voir notamment l’article de Gareth Rees, enseignant et concepteur à la London Metropolitan University, sur le site Internet destiné aux enseignants d’anglais langue étrangère et conçu par le British Council en collaboration avec la BBC à l’adresse : http://www.teachingenglish.org.uk/think/articles/find-gap-increasing-speaking-class. 31 Id. 32 Id. 33 Id. 34 Id. 35 Cet apprentissage composite – notamment par ce qu’il mobilise du point de vue méta-cognitif – est à l’opposé de l’enseignement éclectique. Mais ce n’est pas le lieu de le montrer. 36 Le terme anglais weblog est la contraction de web et de log, journal de bord. 37 La notion d’« information » est à interpréter ici lato sensu. 38 Le Knowledge Management, traduit souvent par « gestion des connaissances » est l’ensemble des méthodes et des techniques permettant de percevoir, d’identifier, d’analyser, d’organiser, de mémoriser, des connaissances entre les membres des organisations en vue d’un partage. Les savoirs créés par les entreprises en recherche et développement visent à atteindre les objectifs de l’organisation (on parle souvent d’« intelligence économique »). 39 Dès 1958, une démonstration de visio-téléphonie était présentée à l’exposition universelle de Bruxelles. 40 Le terme anglo-saxon Podcast est le plus souvent utilisé, y compris en France. 41 RSS désigne une famille de formats XML utilisés pour l’abonnement à des contenus du web. Ce sigle désigne des évolutions du format : Rich Site Summary (RSS 0.91) - RDF Site Summary (RSS 0.90 et 1.0) ou encore Really Simple Syndication (RSS 2.0). 42 Ce projet de recherche fait suite à deux autres projets, soutenus par le Ministère des relations internationales du Gouvernement du Québec et menés par les partenaires québécois et mexicains déjà cités, intitulés « Les facteurs d’engagement des étudiants universitaires dans les activités d’écriture en FLE » (2007-2009) et « Développer les compétences d’écriture en FLE/S en contexte universitaire à l’aide des TIC » (2009-2011). 43 Les principales technologies de l’information et de la communication considérées dans cette recherche sont les courriels, les forums, les blogues, les réseaux sociaux, les messageries instantanées, les textos et les vidéoconférences. 44 L’Université Autonome Métropolitaine de Mexico, campus Azcapotzalco, l’Université Nationale Autonome du Mexique, l’Université de Liège et l’Université de Sherbrooke. Une collecte de données a également été réalisée à l’Université Antonine de Beyrouth mais des problèmes techniques ont empêché le traitement de ces données pour le présent article. 45 À ce stade de la recherche, nous n’avons pas évoqué l’étape de la diffusion de ces écrits assistés par ordinateur, dans le cadre de laquelle les étudiants pourraient mettre leurs textes académiques en ligne. 46 Dans la seconde étape de ce projet de recherche, les formateurs répondront à leur tour à un questionnaire qui nous permettra alors de confronter les réponses des apprenants avec les pratiques déclarées par les enseignants. 47 Afin de ne pas alourdir les notes de bas de page, nous ne fournissons ici que les références complètes des outils les moins connus cités par les répondants de l’enquête. 48 Grévisse, M., Goosse, A. (1994), Le Bon Usage (13e édition), Bruxelles : DeBoeck-Duculot. 49 Bayol, M.-C., Vavencoffe, M.-J. (2010), La grammaire française, Paris : Nathan.

50 Grégoire M., Thièvenaz, O. (2003), Grammaire progressive du français, Paris : Clé International 51 L’ouvrage de Cansigno et al. (2010) présente les résultats d’un des deux projets de recherche ayant précédé celui que nous menons actuellement. 52 Lexilogos/dictionnaire français : , le 6 septembre 2010 ou Wikipédia dans sa version française ou autre. 53 , le 6 septembre 2010. 54 Originaux des revues sur Gallica, début du feuilleton :

fin du feuilleton : , le 6 septembre 2010. 55 Ebooks Libres & Gratuits : , le 6 septembre 2010. 56 Édition de référence du livre-papier : Le Livre de Poche, 1964, 217 p. 57 Ibid., p.10 58 Éditions Livraphone, 6 CD 59 Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando : Qui, quoi, où, avec quels moyens, pourquoi, comment, quand ? 60 Pour des raisons éditoriales, les couleurs ont été remplacées par différents soulignements. 61 Le Robert, même dans sa version Micro Poche, compte 1530 pages et pèse 1730 grammes. 62 Trésor de la Langue Française Informatisé : ou , le 6 septembre 2010. 63 Paris : Librairie Internationale, 1869, p.345 64 (consultation sur abonnement), le 6 septembre 2010. 65 Le Mystère de la chambre jaune, le Parfum de la dame en noir 66 http://www.cavi.univ-paris3.fr/Ilpga/ilpga/tal/lexicoWWW/ 67 Cuq Jean-Pierre (dir.), (2003), Article « TIC-TICE » dans Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris, Clé International/ASDIFLE, p 238. 68 Cuq Jean-Pierre (dir.), (2003), Article « TIC-TICE » dans Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, op.cit., p 238. 69 Cuq Jean-Pierre (dir.), (2003), Article « Lecture » dans Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, op.cit., p 153-154. 70 Pudelko Béatrice, Crinon Jacques, Legros Denis, (2002), « Lecture et compréhension de textes » dans Psychologie des apprentissages et multimédia, Paris, Armand Colin : collection U, p 90. 71 Cuq Jean-Pierre (dir.), (2003), Article « Lecture », op.cit., p 154. 72 Ibid., p 154-155. 73 Lancien Thierry, (1998), Le multimédia, Paris, Clé International : collection « Didactique des langues étrangères », p 20. 74 Lancien Thierry, Le multimédia, op.cit., p 27. 75 Cuq Jean-Pierre (dir.), Article « Lecture », op.cit., p 154-155. 76 Lancien Thierry, Le multimédia, op.cit., p 22. 77 De Ketele Jean-Marie, « Préface » dans Lebrun Marcel, (1999), Des technologies pour enseigner et apprendre, ParisBruxelles, Éditions De Boeck : collection « Perspectives en éducation », p 8.

78 Pudelko Béatrice, Crinon Jacques, Legros Denis, « Lecture et compréhension de textes », op.cit., p 106. 79 Lancien Thierry, Le multimédia, op.cit., p 27. 80 Ibid., p 32. 81 Pudelko Béatrice, Crinon Jacques, Legros Denis, « Lecture et compréhension de textes », op.cit., p 93. 82 Ibid., p 93. 83 Ibid., p 93. 84 Legros Denis, Crinon Jacques, « Présentation » dans Psychologie des apprentissages et multimédia, op.cit., p 9-10. 85 Hirschsprung Nathalie, (2005), Apprendre et enseigner avec le multimédia, Paris, Hachette – Français Langue Etrangère : collection F, p 54. 86 Voir http://docs.google.com/present/edit?id=0AWVSNzwCJvFRZGNtOTdzNXpfMTVm OXdueHJjOA& hl=fr. 87 Quelques exemples : http://ticsenfle.blogspot.com ; http://bibliothequefledefanny. blogspot.com 88 Voir http://sharedspaces.googlelabs.com/. 89 Notre précédent article revient sur la manière dont nous nous sommes pris pour créer le site d’un point de vue technique. Les vidéos suivantes présentent d’une manière très claire l’aspect technique de la création d’un site avec Google Sites : - Créer un site avec Google Sites, http://www.YouTube.com/watch?v=-kpWB9asFS8 ; - Présentation Google Sites, http://www.YouTube.com/watch?v=StS_ZUWqKJs&feature=related ; - Créer un site avec Google Sites, http://www.YouTube.com/watch?v=3t5TM3DXP jA & feature=related ; - Faire connaître son site Google, http://www.YouTube.com/watch?v=9C_WZQ2WB no & feature=related. 90 Voir https://sites.google.com/site/programmedefledubilangueb. 91 Voir Chez Jérôme, http://chezjerome.over-blog.com/article-niveau-c1-comprehension-de-l-oral-40672189.html. 92 Voir Passe ton Dalf !, http://sites.google.com/site/passetondalf/.

93 Voici un exemple proposé lors d’un atelier présenté à Varèse : http://www.google.com/url? q=https%3A%2F%2Fdocs.google.com%2Fpresent%2Fedit%3Fid%3D0AWVSNzwCJvFRZGNtOTdzNXpfNTFnaHFyazVoYw 94 Voir Ressources pour les professeurs des DNL francophones, http://sites.google.com/site/dnlfrancophones/. 95 Voir Passe ton DALF !, https://sites.google.com/site/passetondalf/. 96 Voir Recrutement FLE FIDJI, http://sites.google.com/site/ recrutementflefidji/. 97 Voir Groupe Professionnel de Services Linguistiques – GPSL, http://sites.google.com/ site/danielpautetgpsl/home-ofGPSL. 98 Voir Le Trésor de la Langue Française Informatisé, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/ tlfiv5/advanced.exe?8 ; s=1921861050;. 99 Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive. Conférence de Michel Serres, prononcée le 20 décembre 2007 à l’INRIA, http://www.YouTube.com/watch?v= FJYaeprwV70&feature=related. 100 Nous reprenons ici la nomenclature proposée par François Mangenot et Elisabeth Louveau dans leur ouvrage Internet et la classe de langue (2006). 101 Cette application permet de transformer un document Word en pages html et d’associer des contenus de tout type à des questionnaires interactifs et auto-correctifs. 102 Eux-mêmes avaient été formés à cet outil par le Laboratoire de Soutien à l’Enseignement Télématique de l’Université de Liège (cf. http://www.labset.ulg.ac.be). 103 Est-il encore nécessaire de présenter ce logiciel conçu par l’Université de Victoria au Canada ? Pour plus d’informations : http://hotpot.uvic.ca. 104 Nous avons choisi le système e-learning Moodle pour son ergonomie et sa fiabilité. Cette Pl@teforme FLE

(www.islv-moodle.be) centralise toutes les leçons, séquences et autres parcours pédagogiques réalisées par les étudiants du Master en didactique du FLE et du Certificat en Français Langue Etrangère mais aussi par des futurs professeurs et des professeurs confirmés étrangers qui ont participé aux stages d’été organisés par l’ISLV. Actuellement, la plateforme n’est consultée que par des enseignants-concepteurs et sert plutôt d’espace de dépôt et de partage. 105 Le « Masher » est l’outil d’Hot Potatoes© qui permet de rassembler les différentes questions créées en un seul questionnaire. 106 Mangenot François et Louveau Elisabeth, op. cit., p. 71. 107 La plateforme est accessible à l’adresse suivante : http://desa-pesup-tecform.u-strasbg.fr/ 108 Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Strasbourg : Conseil de l’Europe, division des politiques linguistiques, 2001. http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/cadre_FR.asp 109 Demaiziere F., Dubuisson C. (1992), De l’EAO aux NTF, utiliser l’ordinateur pour la formation. Paris : Ophrys. 110 Pothier M. (2003), Multimédias, dispositifs d’apprentissage et acquisition des langues. Paris : Ophrys. 111 З.О.Джалиашвили, Т.С.Карпова, Н.В.Карпухин, Б.И.Рыпин, Н.Е.Соколов, А.И.Стригун. Электронное обучение (организация, методика, технология и практика применения в МБИ). СПб.,Издательство МБИ, 2008. 112 Le cursus prévoit l’enseignement du français des affaires avec des éléments de la langue professionnelle économique et financière. En classe on utilise les méthodes suivantes : S. Truscott, M. Mitchell, B. Tauzin Le français à grande vitesse. P., Hachette, 1994, J. Bruchet. Objectif entreprise. P., Hachette, 1994, A. Monnerie. Bienvenue en France. P., Hatier/Didier, 1993, И.Н.Артемьева. La lecture à domicile au niveau avancé. СПб, МБИ, 2002, И.Н.Артемьева. Manuel de français. СПб, МБИ, 2004, И.Н.Артемьева. La correspondance des affaires en français. СПб, МБИ, 2005, И.Н.Артемьева. La lecture à domicile pour les débutants. СПб, МБИ, 2007. 113 Cf. Sitographie. 114 http://www.anlci.gouv.fr/fileadmin/Medias/PDF/ACCUEIL/Autres_experiences_TIC_-_RN-14mai08.pdf 115 http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/publications/publications/FPT_FC/Educ_adultes_action_ communautaire/alpha_approche_hybride_docinfo.pdf 116 « L’utilisation compétente des nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) fait partie des exigences du monde du travail, mais pour de nombreux/euses collaborateurs/collaboratrices peu qualifié(e) s et pour les personnes à la recherche d’un emploi l’utilisation des TIC n’est pas une évidence ». Conférence « TIC Compétences de base dans le monde du travail », Berne, 2010. 117 http://www.hebdo.ch/la_suisse_au_rang_pour_les_technologies_de_44316_.html 118 Recommandations pour la formation de base des adultes – Conférence romande de la formation continue – Etats généraux, 24 septembre 2010 119 Cette observation est issue d’une recherche doctorale (qui en est à ses débuts) sous la supervision de Mme GohardRadenkovic (Responsable du cursus en didactique du FLE /FLS, Domaine du Plurilinguisme et de la didactique des langues étrangères, Université de Fribourg, Suisse) dans le cadre du Centre Professionnel du Littoral Neuchâtelois. 120 Les objectifs de formation destinés à des publics migrants allophones ou publics suisses en difficultés de langue, et dans la plupart des cas, peu qualifiés, s’inscrivent dans la « mission » de (ré) insertion socio-professionnelle confiée par le Conseil Fédéral à ce réseau de centres de formation professionnelle des cantons. 121 http://www.projet-ermitage.org/prof-expert.html 122 Un curriculum renouvelé à l’intention des adultes : http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/ formationbase/index.asp? page=curriculum 123 Gervais Bertrand et Bouvet Rachel, Théories et pratiques de la lecture littéraire, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007. 124 Ibidem. 125 Ibidem. 126 Ibidem.

127 Cornaire Claudette, Germain Claude (1999), Le point sur la lecture. Paris, Clé International. 128 Goody Jack, « Les conséquences de la littératie », Pratique, n° 131-132, 2006, p. 31-69. 129 Vygotsky Lew, « Pensée et langage », In : Ives Reuter (2006) « À propos des usages de Goody en didactique. Éléments d’analyse et de discussion », Pratique, n° 131-132, 1977, p. 131-155. 130 Bautier E., Rochex J. Y., L’expérience scolaire des nouveaux lycéens. Démocratisation ou massification ? In : Ives Reuter, (2006) « À propos des usages de Goody en didactique. Éléments d’analyse et de discussion », Pratique, n ° 131-132, 1998, p. 131-155. 131 Lahire Jean, Ibidem, p. 131-155. 132 Burzyńska Anna, Markowski Michał Paweł, Teorie Literatury XX wieku, Cracovie, Edition Znak, 2006. 133 Mougenot Michel (1986), Supplément au n° 76 du Français aujourd’hui. In : Gérard Langlade et Marie-José Fourtanier (dir. 2000), Enseigner la littérature. Paris : Éd. Delagrave CDRP Midi-Pyrénées. 134 Barthes Roland (2002), Le Degré zéro de l’écriture, in Oeuvres complètes, Paris, Seuil. 135 Ibidem. 136 Houdart-Merot Violaine, La culture littéraire au lycée depuis 1880, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1998. 137 Ibidem. 138 Chartier Anne-Marie, Hebrard Jean, Discours sur la lecture (1880-2000). Paris, Fayard, 1989. 139 Barre de Miniac Christine, Poslaniec Christian, Écrire en ateliers. Observation, analyse, interprétation de quatre ateliers d’écriture, Paris, INRP, 1999. 140 Cette recherche a bénéficié de l’appui du Conseil national brésilien de développement scientifique et technologique (Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico - CNPq) 141 Le discours original est en portugais 142 Par rapport aux épisodes 3, 4 et 5, le discours original est en portugais. 143 Il est difficile de définir précisément la notion de la lecture littéraire. Pour Rouxel, la lecture littéraire est une posture de lecture qui comprend distance, complexité et plaisir. Elle vise « l’élaboration d’hypothèses interprétatives et requiert l’activité créatrice du lecteur ». (Rouxel, 1996 : 44). Tauveron définit la lecture comme un jeu interactif entre le texte et le lecteur (Tauveron, 2006 : 8-9). 144 Bien que la BD soit encore à la recherche de sa légitimation (Groensteen, 2006), l’envisager en tant qu’œuvre littéraire est aujourd’hui largement accepté (Versaci, 2007). 145 Le mot « texte » ici se réfère au verbal et à l’iconique. 146 Pour la présentation des niveaux voir Conseil de l’Europe (2001), Cadre européen commun de référence pour les langues, Paris : Didier. 147 Rouxel soutient que la présence du groupe et les échanges sont plutôt ressentis comme une aide (Rouxel, 1996 : 61). 148 Il est d’ailleurs acceptable que l’apprentissage d’une langue étrangère passe par le filtre de la langue maternelle (Castelloti, 2001). 149 Pour une liste exhaustive des activités écrites qui exploitent la fonction d’objectivation de l’écriture voir CalameGippet & Marcoin, 1999 : 85. 150 Ce protocole fait écho à celui de C.Tauveron (Tauveron, 1999 : 24). 151 Entre autres, Cope & Kalantzis soutiennent que les expériences vécues dans et en dehors de l’école doivent être reliées (Cope & Kalantzis, 2000). 152 Selon les nouvelles tendances pédagogiques, dans le cadre des multilittératies, le lecteur contemporain doit être conscient de sa force en tant que « consommateur », « producteur » de texte et « constructeur » de sens (Anstey & Bull, 2006). 153 Peeters Benoît écrit que « la véritable magie de la bande dessinée, c’est entre les images qu’elle opère, dans la tension qui les relie ». Selon lui, chez Hergé, les blancs inter-iconiques sont mémorables. Il les qualifie d’intervalles « prodigieux de justesse et d’audace » (Peeters, 2003 : 27).

154 Poésie chilienne qui a donné lieu au Projet Nº 2009/C-09-1 du Département de « Extensión » de l’Université Métropolitaine des Sciences de l’Éducation, Santiago du Chili, décembre 2009, « Anthologie poétique et musicale de l’œuvre d’Ermelinda Díaz » (Création musicale pour matériel didactique multimedia) 155 En annexe, une fiche pédagogique non traduite en français illustre ces propos. 156 In Revue La Classe, 157, mars 2005, p.67. 157 Ibid. 158 Ibid. 159 http://dictionnaire.sensagent.com/%C3%A9thos/fr-fr et http://membres.lycos.fr/alis/epl.htm. Roland Barthes liait l’èthos à l’émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message. Si ce dernier représente l’esprit rationnel de l’interlocuteur, son raisonnement, la logique dans la construction de l’argumentation, il est sans doute vrai que l’èthos et le pathos se retrouvent dans tous les arts (musique, danse, arts visuels, tragédie, comédie…). Cependant, dans la poésie, cela est particulièrement visible, comme l’explique Aristote dans sa Poétique et Politique, Livre III. 160 Ibid.

Directeur : Luc Collès (Université Catholique de Louvain - UCL) Comité de rédaction : Michel Berré (Université de Mons-Hainaut), Luc Collès (directeur,

Université Catholique de Louvain - UCL), Lorenzo Campolini et Olivier Hambursin (rédacteurs en chef, Institut Libre Marie Haps - ILMH), Anne-Rosine Delbart (Université libre de Bruxelles - ULB), Jean-Marc Defays (Université de Liège - ULg), Vincent Louis (Institut de Traducteurs Interprètes de la Communauté française - ISTI) et Aphrodite Maravelaki (HENALLUX - Haute École de Liège - Namur - Luxembourg). Collaboratrice : Colette de Pierpont

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Table of Contents Quelle place pour les TICe en classe de FLE ? L’heure des bilans : présentation du dossier 1. Quels avantages et limites des TICe en didactique des langues ? 2. Quels rôles attribuer aux TICe en didactique des langues ? Bons et mauvais usages de l’interaction en ligne. Les TICe, vecteur de motivation ou source d’ennui ? 1. TICE et interactions en classes de langue : des apports contrastés ? 2. Les TICE et le processus d’acquisition-apprentissage du français en tant que langue étrangère :véritable révolution ou illusion technologiste ? 3. La didacTICE : un nouvel enjeu pour la formation des enseignants de Français Langue Etrangère ? Bibliographie Interagir et (dé) motiver ? Cas d’étudiants adultes dans une formation à distance et en ligne Introduction 1. Cadre théorique 2. Méthodologie 3. Résultats et discussion Bibliographie Quelles motivations pour quelles interactions en ligne ? Introduction 1. Contexte du dispositif 2. Cadrage théorique 3. Les interactions en ligne : choix pédagogiques Bibliographie De l’apprenant-communiquant à l’apprenant-analyste : quand les TICe font place à l’ingénierie linguistique Introduction 1. Quelle conception des apprentissages linguistiques ? 2. Des réseaux « hiérarchiques » aux réseaux « socio-cognitifs » 3. Ingénierie linguistique : vers l’utilisation réfléchie de logiciels Conclusion Bibliographie Nouvelles technologies, nouvelles pratiques d’écriture ? Le point de vue d’étudiants universitaires en fle(s) Introduction 1. Les TIC comme aide à la rédaction de textes longs en français 2. Les TIC comme sources de références 3. Typologies des outils dans la rédaction de textes longs en FLE(S) Conclusion

Bibliographie La lecture littéraire et l’informatique : mode d’emploi d’une (r) évolution Introduction 1. Enseignement de la littérature française en FLE 2. Littérature et informatique 3. Parcours de lecture à l’ordinateur 4. Dictionnaire et texte numérisé 5. L’informatique, ouvroir de littérature Conclusion Bibliographie Pour une pratique créaTICe de la lecture ou du bon usage des TIC en classe de français langue étrangère 1. La lecture (en ligne) : une pratique et un concept en évolution 2. Textes littéraires et TICE : une révolution problématique ? Bibliographie Le Fle et le potentiel de créativité des applications Google Introduction 1. Présentation des applications principales 2. L’exemple du Français langue étrangère 3. Perspectives pédagogiques Conclusion Bibliographie @lter et la pl@teforme fle de l’Ulg : compte-rendu d’expériences et d’expérimentations Introduction 1. Des TICe pour former les étudiants étrangers 2. Des TICe pour former les (futurs) formateurs 3. Vers une meilleure exploitation de la plateforme Bibliographie Intérêts et limites de la mise en œuvre d’un dispositif hybride pour le développement de la compétence langagièrechez les étudiants scientifiques Introduction 1. Présentation de la formation analysée 2. Planification et articulation des tâches 3. Évaluation du dispositif hybride Conclusion Bibliographie Kit pédagogique informatique pour apprendre le français Les TICe et le public peu qualifié Introduction 1. État des lieux de l’utilisation des TICe dans les classes de français

2. Les publics 3. Démarches pédagogiques 4. Le rôle du formateur 5. Les apports des TICe Conclusion Bibliographie Varia Nouvelle perspective de l’enseignement littéraire en philologie romane en Pologne Fanta Regina Nacro : une écriture filmique au féminin singulier 1. Problématique 2. Fanta Regina Nacro, femme et cinéaste 3. Une cinématographie doublement originale 4. Le cinéma, instrument de lutte pour une artiste engagée Conclusion Bibliographie L’enseignement du français par compétences : la culture de l’effort Introduction 1. La valeur de l’effort 2. Objectifs 3. Méthodologie 4. Résultats Conclusion Bibliographie La reconnaissance d’intentions communicatives de l’enfant : questions et impasse dans le domaine de l’acquisition du langage140 Introduction 1. La singularité et l’impasse de la représentation : le statut problématique de l’investigation du discours de l’enfant 2. Le mystère de l’indétermination référentielle : une question théoriqueméthodologique 3. Considérations finales Bibliographie La bande dessinée/œuvre littéraire en classe de français langue étrangère : étude de cas en Grèce Evaluation - conclusion Bibliographie Vivre la poésie à l’école : une expérience éducative Recensions (Endnotes)