Politique Criminelle [PDF]

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Zitiervorschau

Caroline CAMBRON

POLITIQUE CRIMINELLE Prof : F. BRION

2003-2004

POLITIQUE CRIMINELLE Introduction : qu’est-ce que la politique criminelle ? La politique est l’ensemble des pratiques des institutions dans un Etat ou une société, mais aussi l’ensemble des manières d’exercer l’autorité dans cet Etat ou cette société. FOUCAULT dirait que c’est « la manière de conduire les conduites des individus qui forment la population d’un Etat » et ceci implique un certain nombre d’institutions, de programmes, etc. La politique criminelle est la politique qui, dans son entreprise de conduite des conduites, utilise l’instrument qu’est le droit pénal ou l’incrimination primaire et secondaire. Cette politique s’inscrit en complément d’autres politiques mais, comme tel, elle est déjà une notion éminemment complexe. C’est une notion chargée de présupposés :  Des présupposés relatifs au crime et au criminel : passage à l’acte ou construction sociale, déterminisme social ou psychologique,… La manière dont on voit cela va déterminer la manière de traiter les délinquants, de recourir exclusivement ou non à l’instrument pénal. Une question qui se pose fréquemment ici est le fait de savoir si l’homme délinquant peut être raisonné, est raisonnable.  Des présupposés relatifs à l’Etat : Etat de droit ou autoritaire, limites à son autorité, agenda et nonagenda (ce que l’Etat doit faire ou ne pas faire),… Ceci va déterminer des types de politiques criminelles énormément différentes.

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Des présupposés l’anthropologie.

quant

à

l’être

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humain

et

L’enjeu du cours sera le suivant : présenter 4 doctrines de politique criminelle avec leurs différents présupposés et conceptions, en les conséquences qui découlent du choix de telle ou telle politique. Les 4 doctrines abordées sont : -

La doctrine de BENTHAM qui s’est rattachée à l’utilitarisme et aux premières doctrines libérales pour conduire les conduites. C’est ce qu’on appelle la doctrine classique.

-

La doctrine de PRINS qui est la doctrine de la défense sociale. Elle a été développée à la fin du 19ème siècle, au moment des grands conflits sociaux à propos du suffrage universel. Ce sera une théorie de défense de la société au sens propre et elle est dite positiviste ou de l’école sociale du droit pénal.

-

La doctrine de Filippo GRAMATICA qui est une doctrine de défense sociale nouvelle. Elle reprendra un certain nombre de thèmes développés par PRINS après la 2ème guerre mondiale et en pleine conscience des dérives auxquelles peuvent mener les conduites autoritaires (ex : Nazisme). GRAMATICA va proposer une socialisation de la politique criminelle et sera le premier abolitionniste pénal.

La doctrine de Luke HULSMAN qui est une doctrine d’abolitionnisme pénal. Au lieu de crimes et de criminels, il va plutôt parler de situations problématiques. Ces 4 discours subsistent actuellement et sont pris en compte. Un 2ème objectif du cours sera dès lors de -

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montrer la traduction de ces conceptions dans la politique criminelle actuelle. La 2ème partie du cours partira des définitions suivantes : « La politique criminelle n’est pas une politique de lutte contre la criminalité. Elle n’est pas non plus une politique de gestion et de répartition équitable des conséquences négatives de la criminalité. » Ces 2 définitions reposent sur des définitions réalistes de la criminalité et ôtent donc du champ d’étude la criminalisation primaire, la politique de criminalisation. Or, dans le champ d’étude de la politique criminelle, il faut inclure le choix de criminaliser ou de décriminaliser certaines situations problèmes (ex : avortement, drogues douces, homosexualité). Concrètement, l’extension qu’on donne au champ de la politique criminelle varie selon les doctrines : dans un premier temps, avec BENTHAM, il se confondait avec celui de la loi pénale (répression et prévention). On aurait donc à la fois une science de la loi et des incriminations (délits) et aussi une science des peines. BENTHAM table sur la répression pour obtenir des outils de prévention. PRINS va doubler la loi pénale de politique d’hygiénisme social. On aura donc une science de la loi et des incriminations, une science des peines, une science des causes bio-psycho-sociologiques du crime (la criminologie) et un hygiénisme social. Chez les abolitionnistes, l’extension du champ de la politique criminelle devient très vaste au point qu’il se confond avec les limites du champ des politiques sociales chez certains auteurs. Il y a donc une déspécification de ce champ.

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Il faut tout de même noter que, le plus souvent, lorsqu’on parle de politique criminelle, on vise l’acception classique (de BENTHAM) et certaines autres politiques particulières. ANCEL parlera alors de la « nature de la politique criminelle comme discipline autonome ». Cette autonomisation date des années ’80 et est donc relativement récente. A partir de ce moment, on voit que la politique criminelle est prônée par certains experts qui vont la définir comme à la fois une science d’observation et un art d’intervention. Une science d’observation car elle observerait les politiques criminelles développées dans différents Etats  (politiques comparées sur un axe horizontal) et mènerait des recherches soit sur une institution de politique criminelle, soit sur un phénomène problématique particulier (axe vertical). C’est également un art d’intervention car il s’agit de programmer de nouvelles politiques criminelles grâce à des études horizontales et verticales et de mettre à jour un certain nombre de contraintes qui s’imposent à la politique criminelle (pression de l’opinion publique, pression médiatique, contraintes structurelles, contraintes budgétaires et de ressources financières et humaines, contraintes normatives internationales,…).

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I.

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La doctrine classique à partir de BENTHAM (1748-1832)

Introduction L’essentiel de l’effort de BENTHAM est tourné vers le droit et l’Etat. On le considère comme un penseur de la centralisation politique ou un ‘légiste constructeur de l’Etat’. Le législateur chez lui va prendre la figure d’un scientifique et technicien. Sa question sera: « Comment gouverner scientifiquement les être humains? » Le législateur est l’ensemble des citoyens ou des individus que la loi étatique oblige. Son objectif est de réaliser un code général des lois et surtout une réflexion très approfondie sur les principes de codification et les principes de gouvernement des être humains. Son oeuvre est basée sur les principes d’utilité et d’économie (maximisation). PRINCIPE D’UTILITE L’utilité d’une action selon BENTHAM, c’est pour chaque être humain le surcroît de jouissance que cette action procure, qu’il s’agisse de biens matériels ou de biens symboliques. Le principe d’utilité est un principe qui se pose, lui, au niveau social et il veut qu’on choisisse des actions susceptibles de créer un surcroît de jouissance pour le plus grand nombre d’individus. Le problème politique qui est posé selon BENTHAM, c’est comment on passe de l’utilité définie au niveau individuel à l’utilité définie au niveau de la société. Le législateur devra produire une organisation politique dans laquelle les citoyens choisissent de faire ce qui est utile non pas à eux-mêmes mais pour tous. Partant de 5

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l’idée que l’individu est un être égoïste et intéressé qui cherche à augmenter son propre plaisir, le législateur devra donc manipuler les intérêts des individus pour que, lorsque ceux-ci choisissent ce qui est utile pour eux, ils choisissent également ce qui est utile au plus grand nombre. La loi du gouvernement est donc une loi de manipulation. PRINCIPE D’ECONOMIE OU LOI DE MAXIMISATION: Cette loi veut que le législateur, pour atteindre l’alignement des intérêts individuels et des intérêts collectifs, recoure à la plus petite dépense (ex: choisir les peines juste assez lourdes et pas plus ou moins). Les instruments de manipulation auxquels le législateur peut avoir recours sont toutes sortes de moyens imaginables: des formes d’exercice du pouvoir de manière tyrannique (force et terreur) jusqu’à l’influence. L’influence serait plus économique que la force et la terreur et BENTHAM va la définir comme le fait de pouvoir convaincre des individus libres de choisir de faire ce qui est utile à tous. Cette influence, on va l’exercer par le biais de lois qui sont dérivées d’une science que BENTHAM appelle l’« endémonique » ou la science du bien et du mal, de ce qui nous fait du bien et de ce qui nous fait du mal. Le langage du bien et du mal serait le seul langage que l’être humain comprendrait. BENTHAM a une théorie du langage qui est directement héritée du sensualisme. Pour les sensualistes, ce qui effectivement fait sens, c’est ce que nous éprouvons par nos sens (senses make sens). Donc, le langage doit toujours avoir une approche corporelle, sensuelle. BENTHAM va y distinguer les entités réelles et les entités fictives. Les entités réelles peuvent être saisies 6

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par les sens et les entités fictives ne peuvent être éprouvées par les sens (ex: justice, droit, propriété, vol). Ce sont des mots qui n’ont pas de référence objective et ils sont en danger de ne rien signifier du tout. Pour qu’ils signifient quelque chose, il faut, selon BENTHAM, connecter les entités fictives aux entités réelles. Dans le langage pénal, on va alors connecter les mots de la loi aux maux de la peine (ex: peine de prison bien éprouvable). On peut donc manipuler les individus, entre autre, par le langage pénal en assortant à des peines des faits défavorables pour tous. Politique criminelle de BENTHAM A partir de cette façon de concevoir l’être humain et la manière de gouverner l’être humain, BENTHAM va développer sa politique criminelle. Les 3 composantes de base de cette dernière forment le TRIANGLE CRIMELOI-PEINE, c’est-à-dire le principe de la légalité (« pas de crime sans loi, pas de peine sans loi mais aussi, selon BENTHAM, pas de loi sans peine et pas de crime sans peine). Dans le triangle, la seule entité réelle est la peine et elle va donner un sens aux 2 autres entités. 1. a)

La peine: Définition de la peine:

La peine serait un mal qui est imposé selon des formes légales à un individu qui est convaincu d’avoir commis un acte interdit par la loi. b)

Fonctions de la peine:

La fonction de ce mal est triple: 7

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Fonction symbolique: faire consister les entités fictives que sont le crime et la loi. Il fait donc exister l’interdit.  Fonction d’éviter la répétition de cet acte interdit par la loi parce qu’il est nocif pour le plus grand nombre. Il s’agit donc d’une fonction de prévention (générale et spéciale: voir plus loin).  Fonction de réparation du mal commis. Cette fonction concerne l’intérêt particulier de la victime et intéresse donc peu le législateur pénal. C’est une fonction civile. La prévention spéciale est d’éviter la récidive de celui qui est condamné, qui subit la peine. Pour cela, on peut tabler sur 3 moyens: la peine peut incapaciter : mettre hors d’Etat de récidiver (ex: castration pour les délinquants sexuels). Ceci est à réserver aux infractions les plus lourdes et a un coût élevé. la peine peut intimider : ôter l’audace de commettre le fait en suscitant la crainte. la peine peut avoir une fonction de réformation morale : ôter le désir de récidiver. Ceci est difficilement atteignable. La prévention générale est le fait de dissuader l’ensemble des citoyens de passer à l’acte. Cette fonction est la fonction la plus importante. C’est elle qui détermine véritablement l’utilité de la peine et c’est aussi cette fonction-là qui légitime la peine. BENTHAM va dire que la différence entre le délit et la peine (maux de 1er ordre) est que, dans un 2ème ordre, le délit trouble le langage pénal alors qu’au contraire, la peine va y remettre de la clarté et prévenir le passage à l’acte. Si une peine ne produit pas cet effet, elle doit être éliminée.

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c)

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Détermination de la peine:

PRINCIPE D’UTILITE : La peine doit être suffisante pour produire des effets de prévention spéciale et surtout des effets de prévention générale. Le principe de base est qu’une force nous pousse à passer à l’acte à raison du surcroît de jouissance espéré. A cette force, il faut opposer une force juste supérieure de sorte qu’elle évite le passage à l’acte. BENTHAM va dire que la différence entre le surcroît de jouissance et la peine, c’est que le surcroît de jouissance est certain alors que la peine ne l’est pas. On va donc devoir compenser le défaut de certitude par un surcroît de sévérité. Par ailleurs, on a des délits qui sont répétés et habituels (ex : consommation de drogue) et, dans ces cas-là, la peine doit excéder le surcroît de jouissance tiré de la répétition de l’infraction. 

Plus le délit est nuisible pour le plus grand nombre, plus la peine doit être forte.  Etant donné que ce qui est douloureux pour l’un n’est pas nécessairement ce qui est douloureux pour l’autre, on va devoir prévoir une individualisation des peines (ex : peine infamante pour les aristocrates et peine de prison pour les classes plus basses). La peine sera donc fonction de l’appartenance à un groupe.  L’individualisation des peines ne doit pas nuire à la clarté de la loi. Le principe est de faire exister des interdits et pas affirmer une hiérarchie sociale. Il doit donc y avoir une proportionnalité entre le crime et la peine, avec toutes les nuances ci-dessus. PRINCIPE D’ECONOMIE : « L’homme condamné n’est pas un ennemi de la société mais bien un membre de celle-ci dont on ne peut pas totalement sacrifier 9

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l’intérêt particulier à l’intérêt général. » D’autant plus que cet infracteur est utile à la société puisqu’il est l’occasion de rappeler la loi pénale. BENTHAM va distinguer ici 2 valeurs dans la peine : la valeur réelle et la valeur apparente. Sa valeur réelle est la souffrance que le condamné endure réellement. La valeur apparente est la souffrance que les membres de la société imaginent que le condamné endure. Selon BENTHAM,, la meilleure peine est celle dont la valeur apparente est la plus grande alors que la valeur réelle est la plus faible. Il va même aller jusqu’à proposer de faire de fausses mises à mort. d)

Caractéristiques formelles de la peine :

Etant donné que la peine a une fonction symbolique, elle doit avoir certaines caractéristiques formelles. BENTHAM va dire qu’une peine produira d’autant mieux des effets de langage qu’il y a analogie (lien) entre peine (entité réelle) et infraction (entité fictive). Ce lien peut aussi se faire par la commensurabilité : il n’y a pas une totale disproportion entre la gravité du fait et la peine. La gradation des peines signifie la gradation des infractions. 2. a)

La loi : Caractéristiques de la loi :



La loi doit être précise : elle ne doit contenir aucune équivocité et aucune ambiguïté.  Elle doit être claire et aisément compréhensible.  La loi doit être exhaustive.  La loi doit être limitée : il ne peut pas y avoir d’inflation pénale de la loi car cela comporte une baisse d’influence de cette loi. 10

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Pour qu’elle puisse conduire les conduites, il faut que ces 4 conditions soient remplies. BENTHAM a créé ici la « nomologie » : la science des lois ou de leurs rédactions. Cette science étudie comment les lois doivent être rédigées et systématisées pour pouvoir effectivement influencer ou gouverner les conduites. La loi est donc conçue comme l’instrument qui va permettre l’alignement des intérêts individuels et de l’intérêt général. Pour cela, elle va promouvoir ou interdire certains comportements. La base de la loi est l’économie des sensations. Selon BENTHAM, la première valeur à promouvoir alors est la sécurité et tant qu’elle est la condition de la jouissance des biens (physiques, matériels et symboliques). La 2 ème valeur à protéger est la sécurité physique car le premier bien de l’individu qui conditionne tous les autres, c’est son corps que ce soit dans le cas de délits ou de peines. En ce qui concerne ces dernières, il faudra une peine plus forte pour une atteinte au corps par rapport aux atteintes aux biens. b)

BENTHAM :

Critique

de

la

common

law

par

 

Elle abolit toute forme de sécurité juridique. C’est un régime du pur rapport de force qui est travesti dans des formes légales : pour prendre sa décision, le juge va tenir compte de la position sociale des parties concernées.  Elle est une forme légale qui abolit la liberté et l’autonomie de l’individu : la loi ne réunit par les conditions d’un calcul clair du comportement (coûtsjouissance) et engage l’individu à se conduire non pas comme un être rationnel mais sous une forme de suivisme (sheep and goose principles). 11

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Sur le versant constructif, il va falloir imaginer une loi qui n’aurait pas ces défauts. c)

Elaboration de la loi :

La loi devrait donc être claire, univoque (permettre un calcul rationnel) et systématisée. Ceci implique un principe de codification pour hiérarchiser les valeurs et comportements. Pour atteindre ces objectifs, la loi va utiliser plusieurs moyens : Le couplage de l’entité fictive (la loi) à une entité réelle (la peine). Le principe d’investissement et de désinvestissement (ex : investir en donnant la citoyenneté, un pouvoir juridique, la qualité de ‘propriétaire’ ou de ‘locataire’, et désinvestir en donnant la qualité de ‘minorité’, de ‘mineur’). Ce sont des actes juridiques qui manipulent les identités des individus à des fins de gouvernement. Cela va correspondre, selon BENTHAM, à une sorte de « police des identités ». La condamnation d’un individu, par exemple, instituera l’individu d’une nouvelle identité sociale (il aura moins de droits que les citoyens). Le corps réel des individus n’est donc jamais qu’un lieu d’investissement et de désinvestissement. Selon BENTHAM, la première prison, la première prise, le premier outil pour gouverner un individu, c’est son identité. L’art du législateur consiste, notamment, en l’établissement des lignes qui séparent les individus (uniformes ou signifiants politiques). Selon BENTHAM, la loi est un acte qui soit promeut ou interdit, soit qui investit ou disvestit. Il disparaît alors dans la réalité qu’il crée et engendre une série d’illusions auxquelles les individus croient 12

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profondément (ex : être propriétaire d’une maison, posséder des droits). Ces illusions, ces droits sont quasi incorporés par les individus dont l’identité sociale va être manipulée par le législateur. Par cette politique des identités, le législateur va se donner les moyens de manipuler les intérêts (peines physiques et promesses de « mutilations imaginaires » comme la privation de la citoyenneté). Pour désabstraire la loi, il faut l’associer à des douleurs concrètes (douleurs physiques ou symboliques lorsqu’on manipule l’indenté sociale). La peine est alors conçue comme une force de direction opposée à celle qui pousse à passer à l’acte. Par exemple, la sanction pour un meurtre passionnel sera une peine particulièrement forte puisqu’il faut contrecarrer la passion. 3.

La responsabilité :

Ce qui va faire tenir les 3 pointes du triangle loi-crimepeine ensemble et former ainsi une pyramide, c’est la responsabilité. Elle désigne le fait qu’un individu a à répondre de son acte et est une conséquence de l’autonomie et de la liberté. La responsabilité est une capacité reconnue à la plupart des individus (l’« homo penalis »). La théorie de BENTHAM serait donc une anthropologie générale puisqu’elle concerne tous les individus considérés comme responsables. PRINS, lui, va développer une anthropologie spéciale (la criminologie) à propos de l’« homo criminalis ». Il va classer les individus en différentes catégories et, selon lui, certains individus ne peuvent être manipulés par le langage pénal. Ces individus font un calcul coûtbénéfice erroné ou pas de calcule du tout.

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II.

La doctrine de la défense sociale à partir de PRINS (fin du 19ème siècle)

A)

L’« homo criminalis » l’irresponsabilité :

La doctrine de la défense sociale se caractérise par l’émergence d’une figure nouvelle : l’« homo criminalis » (le criminel-né) qui apparaît non plus comme le produit d’un acte juridique, du travail pénal, d’une condamnation, mais plutôt comme une réalité naturelle. Il est un dégénéré, un non-évolué ressortissant des sciences naturelles. Cet homme criminel n’est absolument pas manipulable par la loi pénale. On ne peut lui parler par le biais du langage pénal et c’est tellement bien reconnu que ces hommes ont généralement été considérés IRRESPONSABLES. L’« homo criminalis » ne représente pas la totalité des infracteurs et les penseurs de la défense sociale vont dire que leur doctrine ne remplace pas celle de BENTHAM mais vient plutôt la compléter, la redoubler. L’homme criminel exigera d’autres outils que l’« homo penalis ». Il ne peut être considéré comme un élément du corps social. Certains théoriciens parleront même d’« excréments du corps social ». Mais, comment alors les gérer, en tenant exclusivement compte de leur dangerosité sociale ? Par rapport aux dangereux, il n’y a pas lieu de promouvoir une sorte de calcul des plaisirs et des peines. Il y aura à se défendre par des moyens plus ou moins violents. Les différents régimes iront de la rentabilité des déchets de l’organisation sociale à leur élimination (extermination ou stérilisation, par exemple). 14

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On voit qu’on passe ici de l’acte à l’acteur (nature mauvaise) et on définit certains individus non pas par leur faire mais par leur être. B)

La prévention :

La manière dont PRINS conçoit son Anthropologie spéciale, c’est-à-dire son savoir propre sur le délinquant de profession, est la suivante : par rapport aux délinquants de profession, la société a le devoir de se défendre et, en ce sens, dit-il, tout le débat sur le libre arbitre et le déterminisme est un débat inutile. L’élimination préventive veut dire qu’un bon nombre d’Etats vont se doter de législations qui vont les autoriser à stériliser des catégories de population considérées comme non-humaines. Dans la voie de la rentabilisation, on va tenter de trouver une utilité sociale à cette sous-espèce humaine. Il y aura donc 2 anthropologies qui se baseront sur 2 moyens :  la prévention générale et spéciale ;  et l’extermination ou le recyclage des déchets. On va voir apparaître un des dispositifs de prévention secondaire. Il y aura alors 3 niveaux à la prévention : la prévention primaire ou prévention générale chez BENTHAM la prévention tertiaire ou prévention spéciale chez BENTHAM et la prévention secondaire qui va viser la classe criminelle. Cette dernière prévention sera basée sur la science qui étudie l’homme criminel. C’est la criminologie qui est définie comme la science des causes du passage à l’acte (biologiques, sociales ou psychologiques). Dans un premier temps, on va surtout se concentrer sur les 15

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causes biologiques (ex : établissement d’une corrélation entre la délinquance et la tuberculose). On passe donc d’une prévention bi-polaire à une prévention tripolaire qui ira de pair avec l’apparition d’une série de professionnels d’encadrement du social. C)

Politique criminelle :

Introduction Pour PRINS, il s’agit de résoudre les problèmes liés à l’industrialisation et surtout du paupérisme. Le 19ème siècle est caractérisé par la naissance du prolétariat et la recherche de moyens d’encadrement de la population ouvrière, des classes dangereuses. Alors émergent aussi le socialisme, les mouvements ouvriers et la lutte pour le droit de vote pour la population masculine. Rappel historique : 1886 : grandes grèves très durement réprimées 1895-1896 : suffrage avec différentes valeurs dans les voix 1919 : suffrage universel PRINS sera un partisan du corporatisme et du suffrage censitaire. On retrouve ceci très clairement dans ses oeuvres. Les doctrines philosophiques qui l’inspirent sont le positivisme et l’évolutionnisme. Le positivisme est une philosophie qui admet sans critiques la valeur des sciences. Cette pensée vient de Auguste COMTE qui voulait créer une physique sociale. Son sujet d’étude serait les phénomènes sociaux et son objectif serait de réaliser l’achèvement du système des sciences et permettre ainsi à la société d’atteindre son positivisme, 16

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le bonheur par la science. L’évolutionnisme est une doctrine qui suppose que l’histoire des sociétés les fait avancer sans discontinuité vers le progrès. Le point de vue de départ de la réflexion de PRINS pour sa politique criminelle est une double insatisfaction: d’une part une insatisfaction par rapport à la manière dont la criminalité est pensée et, d’autre part, une insatisfaction par rapport à la manière dont la pénalité (la responsabilité) est pensée. 1.

Insatisfaction par rapport à la manière dont la criminalité est pensée :

On pense la criminalité sur un plan individuel. Selon PRINS, elle devrait plutôt s’analyser comme un phénomène social dont il est tout à fait possible d’analyser la distribution dans la société (cf. QUETELET). Dire que la criminalité est un phénomène social implique selon PRINS de changer aussi la manière dont on perçoit le criminel. Les théories classiques vont définir le criminel par l’infraction. PRINS le voit plus comme socialement déterminé par la position qu’il occupe ans la société. 2.

Insatisfaction par rapport à la manière dont la pénalité est pensée :

Dans le système classique, la responsabilité est la condition de la pénalisation, pour qu’une peine puisse être appliquée. Or, avec la naissance des sciences, on a modifié la définition qu’on donne à la responsabilité. Dans quelle mesure l’être humain est-il libre ou déterminé, puisqu’on peut y appliquer des modèles scientifiques ? Si l’homme est déterminé, doit-on considérer qu’il n’est pas responsable comme tel de sorte que le punir serait injuste? Avec cette pensée, une 17

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série d’individus vont progressivement échapper au système judiciaire et, selon PRINS, il s’agit justement des plus dangereux. Le résultat de cette mauvaise représentation de la pénalité est que l’on voit les taux de criminalité monter sans arrêt. Ceci montre un échec des théories classiques. Comment PRINS va-t-il penser le crime et la criminalité ? Selon lui, il faut distinguer 2 types de délinquants : les premiers sont les délinquants et les vagabonds de profession et les seconds sont les délinquants et les vagabonds d’accident, d’occasion. Donc, on ne caractérise pas par l’acte mais bien par l’auteur. Selon PRINS, les délinquants et les vagabonds de profession sont la majorité qui peuplent les prisons. Ce sont là des endurcis, des incorrigibles et des récidivistes. Les autres constituent une minorité par rapport à laquelle, généralement, on ne recourt pas à la prison. L’étiologie de la délinquance varie selon que l’on se trouve dans un des deux cas : chez le délinquant profession, le facteur qui prime, c’est le social. De l’autre côté, ce qui prédomine, c’est le facteur individuel. Dans le cas des délinquants de profession, la tendance au crime est définie comme permanente. Dans le cas des délinquants d’occasion, elle est passagère. Les délinquants de profession se recrutent surtout dans les couches profondes de la société alors que les délinquants occasionnels se recrutent dans les classes aisées, instruites et policées. C’est la nature même de la faute qui distingue les 2 classes : dans les cas de la délinquance d’occasion, la faute est individuelle et exceptionnelle alors que dans les classes profondes, la faute est la règle et surtout collective. Selon les cas, on 18

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ne gèrera pas le problème de la même manière, on aura besoin d’autres outils. La différence entre les 2 formes est acquise par les statistiques criminelles et peut être mobilisée pour des politiques criminelles diverses On verra apparaître l’idée de l’intervention de l’Etat ante-delictum. De la même manière dont il a dédoublé la manière de voir les délinquants, PRINS va dédoubler la politique criminelle. Pour les délinquants d’occasion, on peut, de manière générale, considérer que le dispositif classique peut rester d’application. La peine y est un instrument de prévention spéciale et de prévention générale. Il apporte tout de même une nuance : certaines peines, dont la prison, ont des effets désocialisant et déstructurants pour les délinquants d’occasion. Pour eux, il faudrait donc éviter le plus possible cette peine et développer un arsenal pénal d’amendes, de travail dans la communauté et d’emprisonnement cellulaire (pour éviter la contamination) et limité dans le temps. Pour les délinquants de profession, le dispositif classique se révèle inadéquats et il va falloir développer une diversification de la politique criminelle : 

Actions sur le vagabondage: procéder au dédoublement pour distinguer les malheureux (occasionnels) et les vicieux (professionnels). Les premiers relèvent de la charité et du secours, les seconds doivent être enfermés. PRINS va ainsi être à l’origine de la loi de 1891 sur l’enfermement des vagabonds. Cette mesure sera chaque fois d’une durée indéterminée. Cette loi a été abrogée en 1993.

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Actions pour les enfants de vicieux, de dégénérés: il s’agit ici de séparer le vice de la misère dès le premier âge et pour ceci procéder à un triage entre les enfants de malheureux et les enfants de vicieux. Pour les premiers, il faut prévoir des associations charitables et de bienfaisance. Les seconds doivent être pris en charge par l’Etat en bas âge car il est alors encore possible d’en faire des êtres utiles (soldats, marins, ouvriers). L’Etat doit donc effectuer un triage et une sélection de la population. On trouve déjà ce projet chez BENTHAM. Une limite à cela a été montrée dans la pratique: plusieurs pays vont faire un tri artificiel de la population par stérilisation des malades mentaux, par exemple. PRINS dénonce cet artificialisme: il ne faut pas supprimer mais bien faire avec.

Ces actions sont considérées comme des formes de prévention ciblée par rapport à des catégories de personnes « à risque ». C’est ce qu’on va appeler la prévention secondaire pour des populations nonmanipulables, non-raisonables par le langage légal et pour lesquelles il faut établir des dispositifs de surveillance. Pour la répression, l’intervention après que l’infraction a été commise, il s’agira d’appliquer des peines qui ne doivent pas être proportionnelles au plus jouir escompté de l’acte car les délinquants de profession ne sont pas des êtres rationnels, de calcul. La peine doit être proportionnelle à la dangerosité de l’individu. Pour apprécier cette dangerosité, il faut se baser sur 2 types de savoir : le savoir produit par les statistiques criminelles qui permet une première classification des condamnés en fonction de leurs caractéristiques sociales, et le savoir qui sera produit par leur

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observation en prison. Ce l’individualisation de la peine.

savoir

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va

servit

à

Chez BENTHAM, la peine résulte de l’application différentielle de la loi par le juge. Tel que PRINS l’imagine, l’individualisation de la peine prend forme lors de l’exécution de la peine. On peut citer comme exemple ici la loi sur la libération conditionnelle. Lorsque le terme de la peine intervient, que doit-on faire de la population délinquante professionnelle qui reste tout de même dangereuse ? Le débat sur les peines indéterminées, la mise en sûreté (mise à la disposition du gouvernement) sera alors ouvert. Le principe selon PRINS sera de dire que la loi est quelque chose mais certes accessoire. Elle ne peut en aucun cas mener à un asservissement du juge. Il s’agit ici également d’avoir une réflexion sur l’effectivité, l’efficacité de la peine. Pour les délinquants occasionnels, PRINS va plaider pour des formes d’enfermement collectives et avec éventuellement une mise au travail. Il s’agit alors de baisser les coûts de la défense de la société en mettant les détenus au travail. Le temps de détention doit être investi comme un temps de formation professionnelle (ateliers, colonies agricoles). La manière dont PRINS et BENTHAM investissent la prison est différente. BENTHAM parle du panoptique avec l’enfermement cellulaire. Il l’investit comme un instrument de prévention générale (bâtiment imposant construit dans la ville) et de prévention spéciale (intériorisation de l’œil). Pour PRINS, la prison n’intimide pas et ne peut pas discipliner les individus. Elle peut être un lieu d’observation et d’élaboration d’un savoir sur les détenus (cas par cas ou généralisé comme la 21

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criminologie). Elle peut être conçue comme d’autres dispositifs de surveillance, relié aux comités de patronage extra-muros (maillage de la surveillance). Lorsqu’on compare les 2 triangles, on a des montages très différents : Chez BENTHAM, il y a un investissement extrême de la loi alors que chez PRINS la loi existe (elle est un instrument qui permet de reproduire l’ordre social) mais, ce qui est valorisé, c’est cet ordre social. Dans les 2 triangles, un des angles est le délit. Chez PRINS, il aura une position mineure puisque ce qu’il importe de réprimer, c’est ce qui menace l’ordre social. Le délit est éventuellement un point d’entrée pour évaluer la dangerosité de l’individu. PRINS va également se donner la possibilité d’intervenir avant le délit (ex: pénalisation de la tentative). Du côté des peines, il y a aussi une relativisation. Il s’agit d’organiser une défense efficace contre les individus et les classes dangereuses. Les peines peuvent alors être redoublées de mesures de sûreté, avec les problématiques de l’individualisation et de l’indétermination de la surveillance dans le temps. Ce qui fait le lien entre ces 3 pôles, c’est la notion de dangerosité (attribut déterminé socialement) et plus la responsabilité. Remarque: selon PRINS, le triangle classique reste pertinent par rapport à la délinquance occasionnelle.

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III.

A)

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La doctrine de la défense sociale nouvelle à partir de GRAMMATICA (mi-20ème siècle)

Principes généraux :

Selon GRAMMATICA, l’Etat a un pouvoir d’intervention par rapport à la population.

limité

Pour développer son raisonnement, il va poser un certain nombre de principes généraux : 1. L’Etat doit assumer la fonction des causes du malaise de l’individu dans la société. Pour cela, il doit réaliser l’ordre voulu par la loi non en punissant mais en socialisant. Le processus de socialisation doit être réalisé par des mesures de défense sociale (préventives, curatives, etc.). 2. La mesure de défense sociale doit être adaptée à l’individu en fonction de sa personnalité et non du dommage causé. 3. En matière de défense sociale, l’intervention de l’Etat commence avec l’appréciation du degré et de la nature de l’antisocialité et prend fin lorsque l’antisocialité a disparue, ceci étant déterminé dans le cadre d’une procédure judiciaire.

B)

Le couple individu-Etat et la socialisation :

Toute la pensée de GRAMMATICA s’élabore à partir d’un couple : le couple individu-Etat. La question de départ sera : « Comment diminuer les droits de l’Etat par rapport à l’individu et comment diminuer les droits de l’individu par rapport à l’Etat ? » GRAMMATICA va poser 23

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une prééminence de l’individu qui est seul digne d’être protégé. L’Etat doit garantir les droits des individus et la coexistence harmonieuse des individus dans la société. GRAMMATICA reprend la question benthamienne de comment réaliser un alignement des intérêts particuliers et de l’intérêt général. La réponse qu’il va donner sera radicalement différente de celle de BENTHAM. En effet, il va élaborer une théorie de la socialisation des individus. L’édifice repose sur l’idée que l’homme est naturellement égoïste mais nécessairement sociable. Le processus de socialisation doit permettre d’harmoniser les tendances à l’égoïsme et la nécessité de vivre en société. La société est un rassemblement d’individus sur un territoire. C’est une réalité de fait non naturelle ou contractuelle.

C) 1.

Critiques : Critique de la notion de « délinquant » :

Cette critique est adressée à toutes les doctrines qui distinguent 2 catégories naturelles d’hommes : les délinquants et les non-délinquants. Selon GRAMMATICA, c’est la loi pénale qui va créer le délinquant. 2.

Critique de la peine :

D’une part, la peine est issue d’une conception purement autoritaire de l’Etat et des rapports entre l’individu et l’Etat. De plus, elle n’assume aucune fonction d’amélioration de l’individu ou de la société. Elle ne socialise pas l’individu, c’est-à-dire qu’elle ne 24

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réalise pas l’alignement des intérêts. Ceci est dû au fait que la peine est brutale et statique (déterminée dans sa nature et dans sa mesure lors du prononcé de la condamnation) alors que la socialisation est un processus dynamique. Si la peine a des effets de prévention générale, c’est par la peur et non par la socialisation. Ce n’est donc pas un moyen adéquat. GRAMMATICA voudrait que l’individu définisse vraiment le bien tel qu’est le bien social (alignement des intérêts). 3.

Critique de l’infraction :

L’infraction ne constitue pas un indicateur fiable de l’antisocialité de l’individu. Elle ne dit rien ou en tout cas trop peut pour soutenir l’intervention de l’Etat, sur le rapport qu’entretient l’individu à la société. Conclusion : Ces différentes critiques vont amener GRAMMATICA à dire que le système pénal doit être abolit. Il est le premier abolitionniste pénal. Il va proposer qu’en lieu et place du système pénal on instaure un système de défense sociale. D) Système de défense sociale : Dans ce système, la rationalité gouvernementale est différente. Dans les triangles, on maintient l’ORDRE JURIDIQUE ETATIQUE en tant qu’il doit harmoniser l’intérêt individuel et l’intérêt général. A la place du délit ou de la dangerosité, on va avoir un « INDICE D’ANTISOCIALITE ». A première vue, il s’agit d’un équivalent aux faits qualifiés infractions. Ce sont 25

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une série de comportements définis par la loi. Les indices d’antisocialité doivent être constatés par un juge. Leur seule et unique utilité est d’indiquer qu’il y a un problème de socialisation. Aux yeux de GRAMMATICA, ils constituent une garantie de l’individu contre l’Etat. Le constat qu’il existe ces indices ouvre le droit à une intervention de défense sociale par l’Etat. Le fait en tant que tel, qu’il signale qu’il existe va falloir déterminer la socialité. Ceci est fait psycho-sociaux qui scientifiques.

l’infraction ne vaut qu’en tant un problème chez l’individu. Il nature et la mesure de l’antipar des experts bio-médicoeffectuent des expertises

Les MESURES DE DEFENSE SOCIALE qui seront prises seront proportionnelles non pas aux faits qualifiés infraction mais bien à l’indice d’antisocialité. La question de la gravité des faits tombe donc chez GRAMMATICA. La mesure de défense sociale vise à resocialiser l’individu. On peut donc imaginer qu’elle évolue et que ce qui lui mette fin est le constat par des experts que la personne est resocialisée. Le juge peut alors décider que la mesure soit suspendue. Le juge sera donc la garant des droits de l’individu par rapport à l’Etat : il établit qu’il y a un indice d’antisocialité, il choisit la mesure, il demande des évaluations pour constater l’évolution ou la resocialisation, etc. Il y a un souci de proportionnalité entre la mesure (la peine) et l’antisocialité (pas la force qui pousse à passer à l’acte ni la dangerosité comme dans les autres modèles). Le rapport entre l’indice d’antisocialité et la 26

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mesure n’est pas un rapport causal mais bien un rapport casuel (détermination au cas par cas). CRITIQUE DE LA NOTION DE RESPONSABILITE : D’un part, GRAMMATICA va dire qu’il s’agit d’une notion de droit privé. L’individu a à répondre de son acte dans le civil, face à la victime. L’intervention de l’Etat ne se fait pas à partir de la considération que l’individu est responsable mais bien à partir du devoir de l’Etat de réaliser l’harmonie des individus à travers la socialisation. Néanmoins, la notion de responsabilité morale est quand-même importante dans l’évaluation de l’antisocialité. La notion de capacité n’est pas considérée comme une notion pertinente. Selon GRAMMATICA, l’Etat peut intervenir quel que soit l’âge de la personne, par exemple. La notion de dangerosité est évacuée sur base que dans certaines doctrines elle est utilisée pour définir des classes parmi les êtres humains. Selon GRAMMATICA, on ne peut pas parler d’une anthropologie spécifique pour les délinquants. A partir de ce raisonnement, on voit bien qu’on va vers une déspécification de la politique de défense sociale qui n’est jamais qu’une pièce dans un ensemble de politiques sociales. Ce qui va la différencier par rapport à ces autres politiques sociales, c’est son caractère contraignant : elle s’impose. Le droit à la socialisation est un droit auquel l’individu ne peut pas renoncer, de la même manière que l’Etat ne peut pas renoncer à son

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devoir de socialisation. Il s’agira donc éventuellement de faire le bonheur des gens contre leur gré. Pour réaliser l’adéquation entre l’individu et la société, GRAMMATICA va créer un catalogue de mesures de défense sociale. Ce qui va différencier ces pratiques des pratiques pénales, ce n’est pas la nature des mesures mais bien leur temporalité et leur possibilité de modification. GRAMMATICA va inventer des amendes, des formes d’enfermement et des processus de formation professionnelle et idéologique. Il y a un ensemble d’institutions, d’instances qui vont socialiser l’individu (ex : famille, école,…). L’indice d’antisocialité va indiquer qu’il y a une défaillance de ces instances. La défense sociale va alors intervenir en contraignant et, éventuellement, en retirant l’individu de son milieu de vie. Par ailleurs, on a une confiance assez forte dans l’expertise scientifique, la délinquance étant encore largement conçue sur le modèle de la maladie. E)

Critiques de la théorie de GRAMMATICA :

GRAMMATICA a été fortement critiqué comme trop radical par ANCEL et comme trop peu radical par HULSMAN. La critique d’ANCEL porte sur la notion d’indice d’antisocialité. Il la critique car, selon lui, la garantie offerte à l’individu serait insuffisante. La notion d’infraction (le droit pénal) caractérisant un acte offrirait bien plus de garanties. ANCEL a donc un souci d’objectivité dans la pratique de la défense sociale.

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ANCEL va postuler qu’on doit saisir l’occasion de la peine pour entamer un travail de resocialisation qui doit être borné dans le temps, les bornes étant déterminées par ce qu’exige la rétribution (autrement dit, par la gravité de l’infraction). Il y a donc une superposition entre une logique curative et une logique punitive. HULSMAN va dire que si on peut conclure avec GRAMMATICE et ANCEL qu’il faut abolir le système pénal, on ne peut en aucun cas promouvoir cette abolition et le remplacement du système pénal par un système de défense sociale. Dans les 2 cas, il s’agirait d’interventions autoritaires de l’Etat, d’une vision catascopique (visée du haut vers le bas) des situations problématiques. La détermination des infractions et des indices d’antisocialité se fait apriori. Cette légalité ressort même de la nature autoritaire de l’intervention de l’Etat. Selon HULSMAN, ni les infractions, ne les indices d’antisocialité protègent l’individu de l’Etat. Il faudrait substituer à la vision catascopique une vision anascopique (du bas vers le haut), les seules personnes habilitées à définir une situation comme problématique et à requérir l’intervention de l’Etat étant les personnes concernées. L’Etat ne doit donc pas réaliser l’alignement de l’intérêt individuel et de l’intérêt général. Selon HULSMAN, la société est une abstraction, elle n’existe pas. Il y a à réaliser l’alignement d’intérêts individuels et d’intérêts collectifs (de petits groupes restreints). Il faut laisser les individus négocier et, s’ils n’y arrivent pas ou s’ils n’arrivent pas à régler certaines situations problématiques, il sera toujours temps de faire appel aux services de l’autorité publique.

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Comme chez GRAMMATICA, chez HULSMAN on a un souci d’abolition du système pénal mais pas de substitution par un système de défense sociale. On va au contraire renverser la manière de voir les choses. Les 3 angles du triangle seront : la situation définie comme problématique par les personnes impliquées, les solutions négociées et les communautés concrètes dans lesquelles sont définies et résolues les situations problème (ex : école, famille, communauté restreinte). Rappel d’une notion importante : l’unique fonction de l’indice d’antisocialité est de pointer qu’il y a un problème dans la socialisation de l’individu. On a généralement présenté la doctrine de défense sociale nouvelle comme une forme de socialisation du pénal. Actuellement, on a plutôt un retour de la doctrine classique (pénalisation de social).

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IV.

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Doctrine abolitionniste à partir de HULSMAN

Contrairement aux autres auteurs, HULSMAN va exclusivement travailler sur le droit pénal et le système pénal. Il va parler du système de l’administration de la justice pénale. Pour lui, il s’agit d’un système qui dysfonctionne. Il comprend 3 instances :  le droit pénal (la loi pénale mais également la jurisprudence et la doctrine)  les organes officiellement chargés de mettre en œuvre la loi pénale, envisagés dans leurs relations mutuelles (police, Ministère public, maisons de justice, etc.)  le système des relations entre les organismes chargés de mettre en œuvre la loi pénale et les médias Il justifie cette dernière inclusion de la manière suivante : il faut distinguer 2 sortes de connaissances du système pénal : une connaissance littéraire (dramatique) et une connaissance littérale (qu’on acquiert à partir d’expériences pénales vécues en tant que justiciables. Il s’agit d’une représentation idéale et irréelle. Le plus souvent, dit HULSMAN, la politique criminelle est basée sur une connaissance littéraire du système pénal. Il va alors tenter de la développer à partir de la connaissance littérale, de ce que le système pénal produit pour les justiciables. Dans l’œuvre de HULSMAN, il y a un premier versant CRITIQUE DU SYSTEME PENAL : 31

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1.

Selon HULSMAN, le système pénal est un mal social pour les raisons suivantes :

-

Il est une machine démocratique dans laquelle il n’y a aucun responsable.

Pour déclarer ceci, il va se baser sur des études à propos des sous-systèmes (ex : police, Ministère public, judiciaire,…). Chacun de ces sous-systèmes est une unité démocratique qui a une logique propre, aux objectifs propres, avec une idéologie propre et qui a très peu à voir avec les autres sous-systèmes. -

Selon HULSMAN, le système pénal est incontrôlable ne serait-ce que parce qu’il est composé de différents sous-systèmes qui sont peu coordonnés entre-eux.

En effet, il n’y a ni contrôle par le bas (par la clientèle, les justiciables) ni contrôle par la haut (indépendance du pouvoir judiciaire et dépendance fonctionnelle de tous les sous-systèmes en aval par rapport aux soussystèmes situés en amont). Par exemple, le système policier est situé en amont de la prison, un juge d’instruction est situé en aval du système de police. Une illustration de ceci est le fait que les juges d’instruction ont besoin des policiers pour effectuer les enquêtes. -

Le système pénal procède via des mécanismes de réduction des problèmes humains.

En effet, on va construire une définition de la situation problématique qui est adéquate à l’intervention du système pénal. On réduit donc des pans entiers de la situation pour la rendre traitable par le pénal. Ceci aura comme conséquence qu’on va reprendre sous une 32

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même étiquette des situations qui n’ont rien à voir entre elles. On donnera l’appellation « coups et blessures », par exemple, autant à un cas de violence intra-familiale que pour une rixe dans la rue après une soirée bien arrosée. On ne peut donc pas imaginer que le système apporte des solutions nuancées et individualisées. HULSMAN va dire que le système méconnaît les vrais problèmes et crée des faux problèmes. -

Le système pénal vole leurs conflits aux personnes qui sont directement intéressées (l’auteur et la victime).

En effet, on leur vole leur conflit, leur définition de la situation, leur affaire. -

Le système pénal produit une seule chose : de la souffrance.

Il produit de la souffrance pour les personnes pénalisées, condamnées (cela apparaît à la limite le plus légitime), mais également pour la famille de la personne condamnée (déshonneur, séparation) et pour la victime (ex : femmes abusées sexuellement qui doivent raconter plusieurs fois leur histoire et qui sont à la limite suspectées de l’avoir provoquée). 2.

Le système pénal est un mal social qui n’est pas nécessaire pour les raisons suivantes :



Il n’a jamais été démontré que le système pénal provoquait des effets de prévention générale (dissuasion du crime). Une des seules choses qu’on a pu démontrer, c’est que les effets de prévention générale étaient d’autant plus grands que la peine 33

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est certaine et déterminée peu de temps après l’infraction (cf. loi sur la comparution immédiate). 

Il n’a jamais été déterminé que le système pénal provoquait des effets de prévention spéciale. Généralement, on peut montrer que la peine n’a pas vraiment d’effet de prévention de la récidive (ex : la prison ne prépare pas à la réinsertion).



La fonction d’incapacitation consiste à mettre des personnes hors d’état de nuire (ex : mettre une personne en prison pour qu’elle ne puisse plus agir). HULSMAN déclare que cette fonction n’est également pas remplie par le système pénal car, si on met quelqu’un hors d’état de nuire dans certaines formes de délinquance (ex : marché de la drogue), cette personne sera tout simplement remplacée par quelqu’un d’autre.



La seule fonction qui parait partiellement rencontrée par le système pénal, selon HULSMAN, c’est la rétribution (payer un mal par un mal). Mais, cette fonction ne lui parait gère justifiable dans notre société contemporaine.



Le système pénal ne rassure pas la population, ne produit pas de la sécurité dans la population. Le thème de l’insécurité prend d’ailleurs une place croissante. Le tout au pénal est selon HULSMAN une manière de jouer avec des représentations fantasmatiques de la population pour donner des solutions apparentes à des problèmes qu’on réalité on ne traite pas. Il a donc une fonction de diversion de la population par rapport à d’autres problèmes politiques plus fondamentaux. Cela ne réduit en rien l’insécurité.

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Les garanties selon ANCEL pour les personnes poursuivies sont des garanties tout à fait théoriques et ne protègent pas le citoyen du système.



Il n’y a pas d’effet de restauration pour la victime. Il ne remet pas son sentiment de dignité à la personne.



On voit qu’actuellement il est parfaitement dysfonctionnel et ineffectif (cf. arriéré judiciaire, affaires classées sans suite).

Tout ceci montre bien que le système pénal n’est pas nécessaire. Dans le deuxième volet de son œuvre, HULSMAN va tenter de reconstruire ce qu’il a critiqué. Il s’agit de sa POLITIQUE CRIMINELLE. Le système qu’il propose est basé sur plusieurs notions : la situation problème, la résolution ou solution de situation problème et la communauté concrète ou tribu moderne. La « situation problème » (à la place du crime, de l’infraction) implique de considérer les points de vue des personnes impliquées dans la situation. Une situation n’est jamais problématique en soi ; elle est problématique pour certaines personnes. Il est tout à fait probable que les définitions, les descriptions que les personnes impliquées donnent soient différentes. Il faut donc comparer les définitions de situations qu’elles proposent. On ne peut alors pas proposer un système de simplification. Pour HULSMAN, parler de situation problème implique de renoncer à dire savoir quelle est a priori la situation

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problème. La construction de la situation problème est bien à faire à partir d’une visée anascopique. Il va également parler de « résolution » ou « solution » de situation problème (à la place de peine ou de mesure de défense sociale). On ne dispose pas à priori d’un catalogue prédéterminé de solutions. On sait néanmoins que les différentes personnes impliquées ont des points de vue différents. Une partie de la solution consistera alors en le fait de tenter de trouver une définition commune, un point de vue commun sur la situation. La réduction de la complexité se fait donc par une négociation des parties. Ce que HULSMAN va situer à la troisième pointe du triangle, c’est la « communauté concrète » ou « tribu moderne ». Idéalement, il faut que la résolution de problème se passe dans cette communauté ou tribu moderne. Le critère de la communauté est qu’il s’agirait d’un groupe social dans lequel il y a une interdépendance effective et reconnue entre les membres. C’est ce qui fera que les parties seront intéressées à trouver une solution à la situation problématique. Dans un autre cas, si la personne n’est pas intéressée par la solution, il faudra manipuler son intérêt. Ceci est très difficile lorsqu’il n’y a pas de liens et lorsqu n’y a rien pour faire pression pour l’exécution de la décision. HULSMAN va tout de même réserver une place ici à l’Etat : sa responsabilité sera d’instaurer des lieux et agents de négociation de situation problème. L’Etat doit donc instaurer des procédures de médiation et des médiateurs, sans du tout imposer une solution qui est basée sur une définition a priori. 36

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Dans ses écrits plus tardifs, HULSMAN va développer son propos. Il va dire que la médiation n’est qu’un style parmi d’autres et qu’il faut développer d’autres styles en dehors du système pénal : Style éducatif : le manque d’éducation peut être à l’origine de la situation problématique (ex : population marginalisée, comportements qui témoignent du fait que la personne n’a pas incorporé un certain nombre de normes de la vie en commun). Style psycho-médical : l’Etat doit prévoir des systèmes de soins pour réagir à ces causes de situations problème (ex : problèmes psychiques et relationnels). Style compensatoire : l’Etat doit prévoir des fonds d’indemnisation des victimes au cas où on ne parvient pas à un accord sur la définition de la situation problème. L’Etat doit donc fournir un certain nombre de moyens d’agir de manière volontaire sur des situations problématiques. A partir de la théorie de HULSMAN, on a procédé à des réaménagements qui correspondent à un PHENOMENE DE RETRAIT :  décriminalisation primaire (supprimer un certain nombre d’incriminations) et secondaire  dépénalisation (suppression de la peine ou désescalade pénale par une réduction de la peine ou par substitutions de mesures de défense sociale ou de mesures pénales à certaines peines Il faut tout de même faire la distinction entre une dépénalisation réelle et une dépénalisation apparente (mesures de défense sociale qui sont tout de même vécues comme des peines par les personnes concernées).

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Les auteurs insistent qu’il s’agit de processus qu’il faut distinguer de la déjudicisation ou baisse de la puissance juridique. On ferait donc moins appel au droit et plus à d’autres formes de règlements de situations problématiques. On distingue la dépénalisation également de la déjuridictionalisation, déjuridiciarisation ou déjudictiarisation. Dans les résolutions de situations problématiques, on va privilégier des acteurs qui ne sont pas des acteurs judiciaires (ex : les matières du juge de la jeunesse sont devenues de compétences du conseiller à l’aide à la jeunesse). On pense chaque fois en termes de réduction ou de suppression de la pression juridique. Autrement dit, on pense sous forme de retrait du champ pénal. Certains auteurs vont dire qu’on a alors procédé à une diversification des formes d’intervention de l’Etat. La dépénalisation peut prendre un certain nombre de formes. On a ainsi distingué plusieurs dimensions : -

1ère dimension : distinction entre les formes de dépénalisation absolue et de dépénalisation relative :  dépénalisation absolue : pour certains comportements, faits ou pour certaines catégories d’auteurs, on supprime le recours au mode de conduite des conduites qu’est la sanction pénale  dépénalisation relative : déclassification des infractions (un crime devient un délit, un délit devient une contravention, etc.)

-

2ème dimension : distinction entre les formes de dépénalisation objective et les formes de dépénalisation subjective :

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 dépénalisation objective : on réduit la pression pénale par rapport à certains comportements  dépénalisation subjective : on réduit la pression pénale par rapport à certains auteurs d’infraction (au cas par cas ou pour certaines catégories d’auteurs) -

3ème dimension : distinction entre la dépénalisation de droit (de jure) et la dépénalisation de fait (de facto) ou jurisprudentielle :  dépénalisation de droit : réduction de la pression pénale prévue par la loi  dépénalisation de fait : les peines ne sont plus appliquées pour certains types d’auteurs ou certains types de faits alors que la loi considère qu’elles le sont toujours

-

4ème dimension : distinction entre dépénalisation facultative et dépénalisation automatique :  dépénalisation facultative : la possibilité est ouverte à un organe d’application de la loi d’apprécier l’opportunité de la poursuite ou non  dépénalisation automatique : il y a dépénalisation de plein droit et aucun pouvoir d’appréciation n’est laissé

-

5ème dimension : distinction entre dépénalisation conditionnelle et dépénalisation inconditionnelle :  dépénalisation conditionnelle : le caractère de dépénalisation est subordonné à certaines conditions qui doivent être jugées après qu’on ait déterminé l’opportunité de dépénaliser  dépénalisation inconditionnelle : dépénalisation définitivement acquise

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Illustration : art. 216 ter §1 et 2 du C.i.cr. sur la médiation pénale Par rapport au §1, il s’agit d’une dépénalisation : de jure relative (on prétend réduire la pression du pénal mais on ne sort pas du pénal car, si la mesure n’est pas réussie, il y aura des poursuites) objective (subordonnée à la commission de certains comportements avec une peine de maximum 2 ans) mais également subjective (subordonnée aux aveux de l’auteur et à son consentement) facultative (pouvoir d’appréciation confié au ministère public) Par rapport au §2, il s’agit d’une dépénalisation conditionnelle. Très généralement, ces phénomènes de retrait se sont accompagnés de PHENOMENES DE REAMENAGEMENT : 1.

Légitimation :

Un comportement ou une situation autrefois considéré comme problématique cesse de l’être. Il y a donc une pleine reconnaissance sociale et légale de certains comportements (ex : interruption de grossesse). 2.

Légalisation :

Il y aune reconnaissance légale. Certains comportements deviennent licites (ex : légalisation du cannabis). Il n’y a plus de prise en charge de ce comportement par la loi. 3.

Rééducation ou médicalisation : 40

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HULSMAN considère que le droit n’est pas la bonne manière de gérer une situation problématique. Selon lui, l’éducation et la médicalisation doivent se substituer à la pénalisation et doivent réorienter l’intervention de l’Etat vers la prévention et non la répression. Ces méthodes ne doivent pas être appliquées sous pression pénale. 4.

Sanctions administratives au lieu de sanctions pénales :

Ceci est encore discuté à cause de l’encombrement pénal. La visée de HULSMAN était de pouvoir signifier un interdit mais en dehors d’un système afflictif. 5.

Fiscalisation :

La fiscalisation doit, sans recours à la sanction pénale, atteindre des objectifs de dissuasion (ex : fiscalisation du tabac et de la consommation d’alcool). 6.

Disciplinarisation :

La disciplinarisation renvoie à la commission d’une infraction disciplinaire. On va alors prévoir que certaines situations problématiques seront gérées dans le cadre de l’institution où elles ont été commises (ex : ordre des avocats, ordre des médecins, direction d’une institution pénitentiaire,…). Ces institutions appartiennent à la communauté concrète dans laquelle l’infraction s’est produite. Ceci soulève la question de la protection des personnes qui sont soumises à ces procédures disciplinaires. 7.

Réglementation :

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La réglementation consiste à rendre un comportement licite si et seulement si ce comportement a lieu sous le contrôle de certaines personnes qui y sont habilitées par la loi (ex : distribution de la méthadone, interruption de grossesse). 8.

Conciliation :

La conciliation table sur une confrontation entre l’auteur et la victime à partir de laquelle il faut trouver une solution à une situation problématique. 9.

Compensation :

Instituer des mécanismes de compensation (financière) pour certaines parties à la situation problématique. Si on fait le point sur les TENDANCES RECENTES DE LA POLITIQUE CRIMINELLE, plusieurs constats sont faits par les auteurs : 

Il y a une distinction entre les champs de la prévention et les champs de la répression. Au niveau du champ de la prévention, on va réinvestir les techniques du travail social et de la politique sociale. Au niveau du champ de la répression, on va réinvestir les techniques de travail pénal et les politiques criminelles.



Transformation des politiques de prévention et de répression :

La prévention : -

Pour PRINS et GRAMMATICA, l’enjeu de la prévention était d’agir sur des causes de la

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criminalité et sur des populations cibles (à traiter ou socialiser). De plus en plus, on aura des traitements symptomatiques c’est-à-dire des politiques de technoprévention (appel à la technique pour surveiller l’espace et le rendre inviolable) ou des politiques de renforcement des cibles (les cibles de la délinquance sont plus protégées). On tente donc de rendre le passage à l’acte plus compliqué. On retourne à l’anthropologie benthamienne avec un homo economicus qui calcule les risques et les bénéfices de ses actes. On ne se propose plus de traiter la délinquance. Le traitement symptomatique va être défini au niveau local plutôt qu’au niveau de l’Etat. Ce dernier impulse les moyens mais ne programme plus. La répression : Il y a des mutations à partir d’un discours de décriminalisation. Il y aura donc une diversification des sanctions et des mesures pénales.  Il y a une tendance à l’indifférenciation des fonctions pénales (fonctions de poursuite, d’instruction, de jugement et d’exécution des peines). Une série de mesures pénales ou peines pourront être prononcées par les différents organes de l’entonnoir pénal (ex : travail pénal).  Il y a une transformation du sens de la sanction ou de la mesure pénale. Traditionnellement, elle était quelque chose qui venait dans une optique de rétribution et surtout de réhabilitation (traitement de la délinquance). De plus en plus, la sanction ou la mesure pénale est investie comme une épreuve, un test auquel la personne est soumise et qui permet d’évaluer le niveau de risque qu’elle présente : fonction de 

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probation, de documentation, de monitoring et d’évaluation de l’individu avec des possibilités d’adaptation constante de la sanction ou de la mesure qui serait adéquate. Il s’agirait donc d’un travail de surveillance dont il est impossible d’être quitte. 

Changement dans l’objet de la criminalisation  :

La criminalisation s’attache de plus en plus à des infractions dont le caractère constitutif est l’imprudence ou la mise en danger qu’elle comporte (ex : « usage problématique » dans la loi sur la dépénalisation du cannabis).

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LA CONSTRUCTION DE POLICTIQUES DE SECURITE DANS LES SOCIETES LIBERALES

Pour ce qui est des types de sociétés récentes, on distingue 3 formules : la formule libérale avec BENTHAM (18ème-19ème siècle), la formule sociale avec GRAMATICA et PRINS (19ème-20ème siècle) et la formule « libérale avancée » (à partir du 20ème siècle). On trouve HULSMAN à la jonction de la formule sociale avec la formule « libérale avancée ». Dans ces 3 formes de gouverner, il y a des dispositifs de sécurité différents, sachant que le libéralisme est défini comme un art de gestion des risques, de production de sécurité. 1)

Invariants et variations :

D’une forme à gouverner à l’autre, il y a tout de même des INVARIANTS : 

La finalité du gouvernement : l’Etat intervient pour sa puissance et sa postérité, c’est-à-dire pour ses intérêts politiques et économiques tels qu’ils sont définis par ceux qui, dans cet Etat, sont autorisés à participer à la définition de ce que serait l’intérêt de l’Etat (ex : doit de vote censitaire ou capacitaire au 19ème siècle vs. droit de vote pour l’ensemble des nationaux au 20ème siècle qui a permis de passer à un Etat social).



Les objets du gouvernement qui, dans les sociétés libérales, se déclinent sur 2 échelles : les niveaux micro et macro-sociologiques (tous et chacun, population et individu, régulation et discipline).

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L’activité des autorités gouvernementales et, son corollaire, l’artificialité des arrangements institutionnels : le libéralisme se présente comme une méthode de passivité des autorités gouvernementales (« la main invisible qui fait converger les intérêts »). En réalité, dans toute formule de libéralisme, il y a une activité des autorités gouvernementales qui prend la forme d’arrangements institutionnels : Les autorités gouvernementales se dotent d’une première forme d’emprise sur les individus qui est l’enregistrement de leur identité. Les lois positives permettent de répartir les individus en différentes catégories (ex : hommesfemmes, majeurs-mineurs, nationaux, citoyensétrangers, etc.) et d’attacher à ces différentes catégories un certain nombre de droits, un certain nombre de devoirs et un certain nombre d’habilitations.



Il y a dans toutes les formules du libéralisme une certaine propension à dénier l’activité des Etats, des autorités gouvernementales et l’artificialité des arrangements institutionnels. Le travail d’institution tente à disparaître dans ses produits.

D’une formule de gouvernement à l’autre, il y a aussi des VARIATIONS : Les répartitions des être humains et les arrangements institutionnels. Les formes de dépendance mutuelle et les rapports de force entre les différentes catégories distinguées dans la population. -

2)

La sécurité :

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Dans les 3 formules de gouvernement, la sécurité se déploie toujours au niveau macro-sociologique (régulation) et au niveau micro-sociologique (discipline) mais aussi selon une version soft et une version hard. On peut, en effet, avoir recours au droit ou à la force. Macro Micro

Soft 1 3

Hard 2 4

Chez BENTHAM, par exemple, en 4 on trouverait le panoptique (1791) qui est un mécanisme de sécurité qui tient à la pénalité (enfermement et architecture). En 1, on trouverait la citoyenneté, le droit de vote universel (19ème siècle) pour donner à tout le monde les moyens de participer à la formulation de la loi qui les oblige. Donc, pour BENTHAM, il y a 2 dispositifs qui peuvent créer de la sécurité. 3)

La formule sociale :

Si on tente de caractériser la formule sociale, si on tente de trouver le trait commun des dispositifs qui ont été mis en œuvre, on trouve que c’est le social. Selon DONZELOT, le social est une catégorie qui a été inventée à la fin du 19ème siècle. Il s’agirait d’un registre intermédiaire entre le civil et le politique. A la fin du 19ème siècle est également née une nouvelle science qu’est la sociologie. Celle-ci se donne pour mission de dégager les lois naturelles du social. Dans la formule sociale, on va investir le social comme à la fois la fin et le moyen du gouvernement. Les sociologues ont alors un rôle de « médecin du social ». Selon DONZELOT, on peut faire remonter l’invention du social à la question de la gestion des accidents de 47

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travail. L’idée est qu’il y a un certain nombre d’accidents, qu’il y a un certain risque (la probabilité des accidents). On peut gérer ces risques individuellement ou familialement ou on peut les distribuer sur l’ensemble de la population et gérer alors le risque collectivement. L’espace du social est l’espace d’une gestion collective des risques qui va être instituée à la fin du 19 ème siècle et qui va progressivement prendre des formes différentes :  mutualisation des risques  socialisation des risques, c’est-à-dire gestion collective des risques organisée à l’échelle de l’Etatnation et où la forme principale de sécurité va devenir la sécurité sociale (arrangement institutionnel particulier) Dans le tableau, le 1, la forme majeure de sécurité sera la sécurité sociale qui est liée au salaire (inscription dans un poste de travail). Cette méthode ne peut qu’émerger lorsque le suffrage universel est acquis. MARSCHALL dira que le citoyen idéal est un titulaire de liberté, de droits politiques et de droits sociaux et économiques. La formule sociale table sur la distinction entre les nationaux et les étrangers. Dans les missions du gouvernement (« agenda ») on aura la création de postes de travail et la mise au travail. Ce dispositif aura pour effet d’augmenter le coût du travail humain (les nationaux ayant des droits qu’il faut respecter et coûtant alors plus chers). Toute une série de dispositifs de sécurité seront mis à mal par l’internationalisation de l’économie puisqu’il faut alors s’aligner au coût le moins cher pour que les nationaux conservent leur emploi.

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Par ailleurs, l’Etat Providence a été contesté d’un point de vue idéologique : il reproduit les inégalités sociales il y a des effets de dépolitisation (satisfaire d’en haut les besoins de la population et donc faire qu’une dépendance s’installe) il y a des effets d’individualisation (parachute de solidarité qui permet de s’émanciper de la sphère familiale et communautaire) il y aurait des effets de démoralisation (certains individus vont profiter du système) On verra alors apparaître progressivement une nouvelle formule qui s’articulerait à partir du marché. 4)

Le marché :

Le marché sera pensé comme une réalité naturelle, régie par des lois naturelles. Tout comme le social, le marché est à la fois une invention et une production. Il sera diffusé dans la société par le droit (ex : justice pénale). L’hypothèse générale est qu’on aurait un glissement du social vers le marché et un changement territorial de l’Etat à l’Union Européenne. La sécurité devient une responsabilité privée et la gestion des risques est individualisée. On en fait une marchandise. Le citoyen marschallien va être mis en cause. Dans un premier temps, on assistera à un dédoublement avec l’illégal (une non-personne juridique qui ne peut pas être le support de droit, de revendication). Il peut être entièrement exploité mais bénéficie étalement d’une liberté absolue. Par ailleurs, on va voir un nonenregistrement pour certaines catégories de personnes.

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De plus, le fait qu’on ait des droits économiques et sociaux est de plus en plus mis en cause. A la case 3, la discipline (case 3) va être de produire des corps dociles et à la case 4, il s’agira de produire des individus capables de s’autogérer comme une « petite entreprise ». Il y a donc une redéfinition de la discipline. Si on prend le changement entre le social et le marché du versant hard, on a, dans le social, une intégration (marginale à l’Etat) et une politique criminelle de défense sociale qui consiste en des méthodes de sécurité subsidiaires à la sécurité sociale. 5) marché :

Transition entre le social et le

Le changement du social au marché sera causé par plusieurs crises :  Une crise dans la criminologie : il n’y a pas de causes bien identifiables à la délinquance et il ne faut pas chercher à supprimer la criminalité.  Une crise des interventions préventives : l’Etat va déléguer au secteur privé. Le marché sera considéré comme la meilleure façon de garantir un maximum de besoins, la meilleure façon pour produire de la sécurité.  Une crise de la pénalité : on gère des risques et des populations à risque à partir de la prison et à partir du droit de la nationalité (refoulement vers d’autres territoires comme la prison ou les pays étrangers). On ne va donc plus tenter d’améliorer les criminels. Il y a aura un maillage de la surveillance sur le territoire pénal où l’on cherchera à donner du sens au travail.  Une crise de la sécurité sociale et de la citoyenneté qui fait que, pour le moment, on se repose essentiellement pour produire la sécurité sur des dispositifs spéciaux de la sécurité (versant hard). Les 50

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prochaines luttes sociales à mener sont les luttes pour définir le législateur au niveau européen.

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2ème PARTIE DU COURS : INTERVENTIONS DE CHERCHEURS

Consignes : Dans ces interventions, il faut être particulièrement attentif : à la manière dont la recherche est conçue aux interactions entre le champ criminologique et le champ politique

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