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Zitiervorschau

QUELQUES ASPECTS DES RAPPORTS ENTRE LA FRANC-MAÇONNERIE ET LA SPHÈRE POLITIQUE EN HAÏTI AU XIXE SIÈCLE Lewis Ampidu Clorméus

© Société Française d'Histoire des Outre-Mers (S.F.H.O.M) | Téléchargé le 02/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.115.175.169) Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

2015/1 N° 386-387 | pages 183 à 204 ISSN 1631-0438 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-outre-mers-2015-1-page-183.htm --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Société Française d'Histoire des Outre-Mers (S.F.H.O.M) | « Outre-Mers »

Quelques aspects des rapports entre la franc-maçonnerie et la sphère politique en Haïti au XIXe siècle

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Résumé Très peu d’études scientifiques concernent l’histoire de la francmaçonnerie en Haïti. Pourtant, particulièrement au xixe siècle, cette association a eu une influence considérable sur la vie sociale et politique du pays. Par tradition, la plupart des hommes d’État haïtiens ont fréquenté des loges maçonniques qui, bien que se rejoignant autour de certains principes idéologiques, se sont souvent opposées sur le plan politique. En conséquence, la franc-maçonnerie peut être considérée comme un espace de sociabilité et de pouvoir pour les élites politiques d’Haïti. Abstract Very few scientific studies concern freemasonry’s history in Haiti. Nevertheless, particularly in the nineteenth century, this association had a considerable influence on the social and political life of the country. Traditionally, most of the Haitian Statesmen attended the Masonic lodges, which, although joining around certain ideological principles, were often politically opposed. Subsequently, the freemasonry can be considered as a space of sociability and power for the political elites of Haiti.

La franc-maçonnerie reste une association peu étudiée en Haïti. Pourtant, durant tout le xixe siècle, tout en jouissant de la sympathie de la plupart des chefs d’État, cette communauté regroupe une partie importante des générations de dirigeants et de lettrés du pays. Malheureusement, plusieurs incendies ont emporté l’essentiel des archives des loges maçonniques quand celles-ci n’ont pas disparu dans les vieilles malles d’anciens vénérables. Qu’on se rappelle l’incendie du 8 juillet 1832 qui a ravagé L’Étoile d’Haïti # 5 et L’Amitié des Frères * Lewis Ampidu Clorméus est docteur en sociologie. Ce travail a été réalisé au sein du Laboratoire d’Excellence Constitution de la Modernité (ANR-11-LABX-0041) de l’Université de Lyon, dans le cadre du programme « Investissements d’Avenir » de l’État français (ANR-11-IDEX-0007), géré par l’Agence Nationale de la Recherche.

Outre-Mers,T. 103, No 386-387 (2015)

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Lewis Ampidu CLORMÉUS *

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Réunis # 1 1. En 1878, les archives de la loge Le Mont Liban # 22 finissent dans les flammes. Il faut aussi noter que certaines loges maçonniques, ayant fermé leurs portes, ont vu leurs archives se disperser dans différentes collections privées ou, à la faveur de l’accentuation du phénomène migratoire, dans des fonds documentaires étrangers. De plus, certains catholiques francs-maçons convertis au protestantisme évangélique ont détruit toute trace de leur appartenance au mouvement. Haïti peut être considérée, tout au long du xixe siècle, comme un modèle de réussite de la franc-maçonnerie dans les Antilles. En 1836, le franc-maçon français Étienne-François Bazot déclare : « En Angleterre, en Prusse, en Suède, aux États-Unis, au Brésil, à Haïti, [la francmaçonnerie] est protégée par les rois ou par les chefs des États » 2. Après son indépendance, la communauté maçonnique haïtienne développe des liens avec ses homologues de la France, des États-Unis d’Amérique, de l’Angleterre et de la Suisse. C’est ainsi qu’en 1835, « la grande loge Nationale suisse a reçu les premières ouvertures du Grand Orient d’Haïti, qui ont eu pour résultat un échange de communications fraternelles entre ces deux autorités maçonniques » 3. Hauts lieux de sociabilité et espace de pouvoir, les loges maçonniques se multiplient à travers Haïti. En 1866, par exemple, Armand Neut constate que « les grandes Antilles, Cuba, Porto-Rico et la Jamaïque ont chacune quelques loges, et Haïti possède une Grande Loge de laquelle relèvent 18 ateliers. Des petites Antilles, il en est peu qui n’aient une ou plusieurs loges » 4. 1. Durant le xixe siècle, il est coutume que les loges se définissent par un titre distinctif, mais aussi un numéro d’ordre (#) dans la chronologie de l’obédience. 2. Étienne-François Bazot (F:.), Tableau historique, philosophique et moral de la franchemaçonnerie en France ; divisée en trois parties, Paris, Chez le F :. Michallet, 1836, p. 43. 3. Anonyme, « Supplément aux fragments pour une Histoire de la Franc-Maçonnerie en Suisse » Le Globe.Archives des Initiations anciennes et modernes, 5e livraison, mai 1841, p. 196. 4. Armand Neut, La franc-maçonnerie soumise au grand jour de la publicité à l’aide de documents authentiques, Deuxième édition, t. 1, Gand, Armand Neut/ Bruges, Edouard Neut, 1866, p. 317-318. Le développement de la franc-maçonnerie dominicaine a connu quelques difficultés. « Le Magasin de la franc-maçonnerie donne les détails suivants sur la franc-maçonnerie dans la république de Saint-Domingue : Il y a plusieurs années, surtout entre 1830 et 1844, plusieurs loges travaillaient ici sous le Grand-Orient de Haïti, à Port-au-Prince, ainsi qu’à Saint-Domingue, Anna (Santiago), Seybo (Plata), etc. Mais lorsque, en 1844, la partie espagnole opéra sa séparation, pour former une république indépendante, les loges tombèrent dans l’inaction, tous les travaux cessèrent : en 1847 seulement, le Suprême Conseil de Paris présida à la fondation de la loge Primatiale des Grand Élus écossais. Deux ans plus tard, cette loge, forcée par les circonstances politiques, dut suspendre ses travaux. En 1858, plusieurs frères de Saint-Domingue formèrent une grande loge, et firent part de cette fondation à toutes les grandes loges d’Europe, en les priant de la reconnaître. En 1859, une nouvelle loge naquit à Anna, et, depuis lors, la maçonnerie est rentrée dans la voie du progrès. Les membres de la confrérie sont entre autres : le Fr. Pedro Santana, président de la république, le Fr. Thomas Bobadilla, président du sénat, Léon, consul d’Angleterre, José Dios, fonctionnaire à la haute cour de justice, Man. Delmant, sénateur, etc. Naturellement, les hauts grades y sont aussi très en honneur ». Joseph Gabriel Findel, Histoire de la franc-maçonnerie depuis son origine jusqu’à nos jours, Traduit de l’Allemand par E. Tandel, t. 2, Paris/Bruxelles/Livournes/Leipzig, Librairie Internationale/ A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Éditeurs, 1866, p. 390.

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L’histoire de la franc-maçonnerie haïtienne, malgré de récents efforts notables, est aussi peu étudiée par nos contemporains. Les chercheurs se concentrent particulièrement sur la période coloniale et notamment sur le « complot maçonnique » durant la guerre de l’indépendance (1802-1803) 5. En effet, la plupart des signataires de l’Acte de l’Indépendance d’Haïti sont des initiés qui vont assurer la pérennisation de l’association dans le nouvel État. S’agit-il d’une simple coïncidence ? Dans l’état actuel des recherches, il est établi que de nombreuses loges existaient à Saint-Domingue 6. En raison de l’ancrage du préjugé de couleur dans la société, elles étaient fréquentées par des colons blancs français. Parallèlement, durant la seconde moitié du xviiie siècle, des affranchis ont reçu l’initiation à l’occasion de leur voyage en France. Ils furent parmi les premiers à remettre en question l’ordre colonial et raciste qui prévalait à Saint-Domingue. C’est à partir de 1793, après l’abolition de l’esclavage, que des officiers noirs et de couleur intègrent en grand nombre les loges. Aussi remarque-t-on, par exemple, que la plupart des dignitaires de l’entourage du général Toussaint Louverture sont francs-maçons 7. Il reste évidemment à produire sur l’évolution de la francmaçonnerie haïtienne au xixe siècle. Le présent article s’intéresse particulièrement à ses rapports avec le champ politique. Il s’agit de voir comment cette association a influencé le jeu politique haïtien et quels sont les courants idéologiques qui l’ont alimentée.

5. Tout le débat tourne précisément sur les possibles attaches maçonniques du général Toussaint Louverture. Voir Jacques de Cauna, Haïti. L’éternelle révolution. Histoire de sa décolonisation, Monein, Éditions Pyremonde/PRNG, 2009, p. 275-277. Voir aussi l’entrée « Toussaint Louverture », dans Marc de Jode, Monique Cara et Jean-Marc Cara, Dictionnaire universel de la Franc-Maçonnerie, Paris, Larousse, 2011 ; Gaétan Mentor, Les fils noirs de la veuve. Histoire de la franc-maçonnerie en Haïti, Port-au-Prince, Imprimerie Le Natal, 2003 ; Jacques de Cauna, « Autour de la thèse du complot : franc-maçonnerie, révolution et contre-révolution à Saint-Domingue, 1789-1791 », Lumières : Europe-Amérique, no 7, 2006, p. 289-310. 6. Jacques de Cauna, « Quelques Aperçus sur l’Histoire de la Franc-Maçonnerie en Haïti », Revue de la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie, vol. 52, no 189-190, septembre-décembre 1996, p. 20-33. Jacques de Cauna, « Jean-Baptiste Charlestéguy, fondateur de la Franc-Maçonnerie haïtienne », Bulletin du Centre Généalogique du PaysBasque et du Bas-Adour, no 12, 1992, p. 2-5. Jacques de Cauna, « Loges, réseaux et personnalités maçonniques, de Saint-Domingue à Haïti (xviiie-xxe s.) », in Jean-Paul Révauger (dir.), Villes de la Caraïbe. Réalités sociales et productions culturelles, Université de Bordeaux 3, Cahiers Caraïbe Plurielle 1, 2005, p. 37-54. James E. McClellan III, « L’historiographie d’une académie coloniale : le Cercle des Philadelphes (1784-1793) », Annales historiques de la Révolution française, no 320, avril-juin 2000, p. 77-88. Élisabeth Escalle et Mariel Gouyon Guillaume, Francs-maçons des loges françaises aux Amériques (1770-1850). Contribution à l’étude de la société créole, Paris, E. Escalle, 1993. Juan Blázquez Miguel, « La masonería en Haití. Esbozo histórico », in José Antonio Ferrer Benimeli, Masonería española y americana, Zaragoza, Centro de Estudios Históricos de la Masonería Española, 1993, vol. 1, p. 163-174. 7. Revue de la Société Haïtienne d’Histoire, de Géographie et de Géologie, no 122, avril 1979, p. 57-58.

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Il est possible de se faire une idée de la puissance du mouvement maçonnique dans la vie politique en Haïti. Il est généralement admis que le général Jean-Jacques Dessalines, premier chef d’État du pays (1804-1806), fut hostile au développement de la franc-maçonnerie. Selon l’historien Georges Corvington, Dessalines s’inquiétait de l’affiliation de ses collaborateurs à ces mystérieuses loges maçonniques qui, à l’instar des sanctuaires du vodou, pouvaient servir de foyers de conspiration contre son gouvernement. Toutefois, des réunions clandestines se tinrent régulièrement à Port-au-Prince, loin de l’influence politique de l’empereur, avec la complicité d’influents généraux dont Balthazar Inginac, Ignace Fresnel, Jean-Pierre Boyer, Jean-François Lespinasse, Auguste Nau, etc. 8. Le maçonnologue Gaétan Mentor a dressé une longue liste d’hommes d’État haïtiens initiés à la franc-maçonnerie, parmi lesquels on retrouve de nombreux présidents, des ministres et des généraux 9. C’est surtout à partir de la présidence de Jean-Pierre Boyer (1818-1843) que le mouvement maçonnique s’épanouit et s’impose désormais dans la vie politique haïtienne 10. Alexis-Beaubrun Ardouin mentionne aussi une anecdote très significative témoignant du poids politique de cette franc-maçonnerie. Il s’agit d’une accolade donnée par Lafargue, représentant de la ville des Cayes à la Chambre des députés dont il est le président, au chef de l’État pour sa conduite au moment de l’unification territoriale nationale. Ce baiser échangé entre les deux présidents tenait aussi aux usages entre francs-maçons. Boyer étant le Grand-Protecteur de l’Ordre maçonnique en Haïti, le président de la Chambre étant presque toujours franc-maçon comme lui, on agissait ainsi dans le but de rappeler ces relations fraternelles qui étaient propres à entretenir l’harmonie entre les deux pouvoirs 11. 8. Georges Corvington, Port-au-Prince au cours des ans. La Métropole Haïtienne du XIXe siècle, 1804-1888, t. 2, Port-au-Prince, Imprimerie Henri Deschamps, 1975, p. 11-12. 9. Citons, entre autres, les hommes d’État suivants : Bruno Blanchet, Jérôme Maximilien Borgella, Jean-Pierre Boyer, Jean Chrysostome Imbert, Jean-Baptiste Riché, Faustin Soulouque, Fabre Geffrard, Sylvain Salnave, Nissage Saget, Michel Domingue, Boisrond Canal, Lysius Salomon, François-Denis Légitime, Anténor Firmin, Florvil Hyppolite, Nord Alexis, Antoine Simon, Cincinnatus Leconte, Joseph Antoine, Tancrède Auguste, Michel Oreste, Joseph D. Théodore,Vilbrun Guillaume Sam, Sudre Dartiguenave, Louis Borno, Sténio Vincent, Élie Lescot, etc. Gaétan Mentor, Les fils noirs de la veuve, op. cit., p. 263-265. 10. Son prédécesseur Alexandre Pétion est, de l’avis général, un franc-maçon. On lui attribue une épée flamboyante maçonnique conservée dans la collection du Musée du Panthéon National Haïtien (MUPANAH) à Port-au-Prince. En voici les indications : « Épée maçonnique montée en argent, ayant appartenu à Pétion (Ca. 1815-1820), Métal et argent. H. 89,5 × l 14,5 × P. 2 cm. Do. 2005.2.366.1-3.Am., Coll. MUPANAH ». À Paris, le 25 novembre 2005, est fondée la Respectable Loge Alexandre Pétion par des francs-maçons haïtiens résidant en France. 11. Alexis-Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti, t. 9, Paris, Dézobry et Magdeleine et Cie, Libraires-Éditeurs, 1860, p. 77.

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1. De la complaisance des chefs d’État d’Haïti

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Par tradition, depuis la présidence de Jean-Pierre Boyer, la plupart de ses successeurs portent le titre de Grands Protecteurs de l’Ordre. Dans l’annuaire maçonnique de L’Étoile d’Haïti no 5 de 1828, par exemple, on voit figurer le nom de Boyer comme « protecteur de l’ordre » 12. On ignore, jusqu’à présent, quel rôle il a joué dans l’affranchissement de la franc-maçonnerie locale de l’influence de la Grande Loge Britannique en 1824 13. Le général Faustin Soulouque (1847-1859), réputé adepte du vodou 14, bénéficia aussi du titre de Grand Protecteur de l’Ordre en accédant à la présidence avant de se faire sacrer empereur 15. Il en est de même pour le président Pierre Nord Alexis (1902-1908) 16 ¢ connu aussi pour son affinité envers le vodou ¢ qui aurait prêté serment, en qualité de Grand Protecteur de l’Ordre, le dimanche 15 novembre 1903 17. Aussi, de manière ouverte, différents présidents haïtiens ont manifesté leur attachement à la franc-maçonnerie. Le cas le plus illustre est 12. L’Étoile d’Haïti, no 5, Tableau des Officiers et Membres de la R :. L :. de S :. J :. de J :., régulièrement constituée à l’O :. du Port-au-Prince, sous le titre distinctif de l’Étoile d’Haïti, no 5, à l’époque du 24e :. Jour du 4e :. Mois 5828, Port-au-Prince, 1828, p. 1. Cette loge comprenait, à l’époque, plusieurs grandes personnalités politiques, tels les sénateurs JacquesIgnace Fresnel et Jean Thézan, ainsi que de hauts fonctionnaires publics (juges, représentants communaux, haut-gradés militaires, etc.). C’est au sein de cette même loge qu’on rencontre également plusieurs personnalités intellectuelles et de la haute société haïtienne : le général de brigade Joseph-Balthazar Inginac, les sénateurs Alexis-Beaubrun Ardouin, Marie-Eustache Frémont et Charles Bazelais, les juges Jean-François Acloque et Jean-Michel Duval, le grand artiste Colbert Lochard, etc. 13. « En 1809, se creó otra Gran Logia Provincial pero esta vez dependiente de la Gran Logia de Inglaterra que contó con la protección del presidente de la República de Haití, Jean-Pierre Boyer, y que en 1823 se hizo independiente de Londres y se convirtió en el Gran Oriente de Haití, adoptando un específico y nacionalista rito haitiano. El Gran Oriente de Francia, mientras, intentó mantener su presencia en la isla con la creación en Nueva York de un Supremo Consejo para el Hemisferio Occidental, que emitió algunas patentes a logias haitianas en los años treinta del siglo XIX. En la parte hispana de Santo Domingo, la presencia masónica fue mucho más débil y apenas testimonial. Al igual que en la metrópoli la masonería seguía prohibida, y hasta 1853 se puede decir que no pudo organizarse bien. En esta ocasión los protagonistas fueron un grupo de masones procedentes de los Estados Unidos », José Antonio Ferrer Benimeli, « Vías de penetración de la masonería en el Caribe », Revista de Estudios Históricos de la Masonería, vol. 1, no 1, mai-novembre 2009, p. 6. 14. Paul Dhormoys, Une visite chez Soulouque. Souvenirs d’un voyage dans l’île d’Haïti, Paris, Librairie Nouvelle, 1859. Léon-François Hoffmann et Carl Hermann Middelanis, Faustin Soulouque d’Haïti dans l’histoire et la littérature, Paris, Éditions L’Harmattan, 2007. 15. L’Étoile d’Haïti, no 5, Tableau des Membres de la R :. L :. de St.-Jean de Jérus :. L’Étoile d’Haïti, régulièrement constituée sous le no 5, à l’O :. du Port-au-Prince (Empire d’Haïti), par le G :. O :. d’Haïti, no 5, Pour l’an de la V :. L :. 5857 (24 juin 1857), è :. v :., Port-au-Prince, 1857, p. 1. En 1855, un observateur fait savoir qu’« à la suite du traité conclu avec la France relativement à la dette haïtienne, l’empereur Faustin songea à se faire représenter régulièrement à Paris et à Londres. Il nomma pour son plénipotentiaire auprès du gouvernement anglais M. Jean-Paul, duc de Morin, lieutenant-général, grand chambellan, décoré des deux grands cordons des ordres haïtiens et grand-orient des loges maçonniques », Anonyme, « Haïti », in Annuaire des deux mondes. Histoire générale des divers États. 1854-1855, Paris, Bureau de la Revue des deux mondes, 1855, p. 853. 16. Lewis Ampidu Clorméus, « À propos de la seconde campagne antisuperstitieuse en Haïti (1911-1912). Contribution à une historiographie », Histoire et Missions Chrétiennes, no 24, décembre 1912, p. 108. 17. Anonyme, « Fête au Grand Orient », Le Nouvelliste, no 1563, samedi 7 novembre 1903, p. 3.

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peut-être celui de Louis Étienne Félicité-Lysius Salomon (1879-1888) qui, le 11 juillet 1880, offrit une fête mémorable au Grand Orient et à la Maçonnerie Haïtienne à l’occasion de sa proclamation comme Grand Protecteur de l’Ordre. La Fraternité, « organe officiel de la Maçonnerie Haïtienne », rapporte que :

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Le Grand Maître de l’Ordre prit la parole pour justifier la nécessité d’une relation très cordiale entre l’État et la franc-maçonnerie. Cette dernière, dans son discours, fut présentée comme un vecteur du « principe du bien moral et la sève de la prospérité matérielle » et « la véritable sauvegarde des nations après Dieu » 19. Ce qui expliquerait, d’après lui, son succès auprès de certaines puissances étatiques. Le président Salomon rappela, à son tour, la pertinence du principe de la fraternité sans laquelle persistera le dogme de la « la suprématie de l’homme sur l’homme » et déclara : « la maçonnerie est appelée à jouer un grand rôle dans le mouvement de l’esprit humain, et c’est parce que j’en ai l’intime conviction qu’après avoir accepté d’être le premier Magistrat de mon pays, j’ai consenti à être le grand Protecteur de notre Ordre » 20. En définitive, l’attribution de ce titre honorifique semble une forme de légitimation du pouvoir politique par la franc-maçonnerie haïtienne. Cette dernière, en contrepartie, s’assure de la protection de l’État haïtien qui appuie ses activités. 2. Solidarité maçonnique lors des crises politiques À l’occasion de l’annonce du rétablissement du président Boyer, une messe d’action de grâce fut chantée aux Gonaïves le 21 novembre 1841. Les institutions de la société exprimèrent ainsi leur soulagement vis-àvis de l’écartement d’une éventuelle crise de succession au plus au niveau de l’État. De son côté, par l’intermédiaire de la Respectable Loge L’Heureuse Indépendance, « la société Franc-Maçonnique voulut aussi donner un nouvel embellissement à cette fête, en donnant un

18. Blaise Clervaux Lavache, « Tenue extraordinaire et publique du G :. O :. d’Haïti » in La Fraternité, no 3-4, 1er juillet et 1er août 1880, p. 6-7. Dans ce contexte, le terme atelier équivaut à celui de loge. 19. Ibid., p. 10-12. 20. Ibid., p. 14.

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De nombreux groupes de visiteurs, maçons et profanes, et surtout des dames, circulaient dans les cours intérieures de nos quatre Loges brillamment illuminées. Les avenues, les parvis et le péristyle du Temple de la Resp :. Loge L’Amitié des Frères-Réunis No. 1er, siège de la Fête, attiraient principalement la foule curieuse et amie. Chacun contemplait avec satisfaction le spectacle magnifique qu’offraient les étendards des Ateliers de l’Orient, unis de toutes couleurs, placés de distance en distance 18.

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banquet, pour porter la joie et l’effusion dans les cœurs » 21.Y prit part notamment l’abbé Leloup (curé de Gros-Morne et de Plaisance), lui-même franc-maçon, aux côtés du vénérable Richard Dauphin. Ce dernier dédicaça l’événement à la gloire du chef de l’État. « À ce digne maçon, a-t-il dit, qu’il vive longtemps pour le bonheur de ses concitoyens et la prospérité de son pays » 22. Deux ans plus tard, Boyer prend le chemin de l’exil. Cet événement occasionne une crise politique qui génère une succession de gouvernements éphémères entre 1843 et 1847. Dans ces conditions, les groupes d’influence identifient leurs ennemis potentiels et les persécutent. Toutefois, plusieurs individus sont sauvés de la potence en raison de leur appartenance à une quelconque loge maçonnique. En témoigne le récit suivant : Lors de la révolution qui, il y a quelques mois, éclata dans la république d’Haïti, un créole espagnol, nommé Eugène-Marie Lagratia, était cité comme un des plus riches et des plus recommandables négociants du Portau-Prince. Bien que complètement étranger à toutes les agitations politiques, il devint suspect d’être révolutionnaire, et craignant les suites de cette suspicion, il songea à fuir ; mais il fut arrêté avant d’avoir pu y parvenir. Ce simple projet de fuite fut jugé digne d’être puni de mort, et on le condamna à être immédiatement exécuté. Le fatal piquet qui devait le fusiller était prêt. Le malheureux, à genoux auprès de son cercueil, priait avant d’avoir les yeux bandés. À ce moment suprême, hors celle du ciel, il sentit tout-à-coup des bras l’étreindre, et il s’évanouit. En revenant à lui, il se trouva dans un corps-de-garde, en face de l’officier haïtien chargé de commander le piquet d’exécution. Ce dernier avait reconnu dans l’infortuné patient, implorant le ciel à l’heure de son agonie, un frère qu’il se rappelait avoir vu naguère dans une loge maçonnique. En conséquence, il avait cru devoir prendre sur lui de suspendre le supplice 23.

Cet humanisme des « fils de la veuve » 24 est aussi relaté par l’historien Thomas Madiou fils, lui-même franc-maçon, lorsqu’il traite de l’épisode du massacre des Français sur l’ordre de Jean-Jacques Dessalines (1804). « On vit des Haïtiens, francs-maçons, sauver des Français de la même congrégation qu’eux. D’autres hommes également francsmaçons profitèrent de la confiance que leurs frères devaient naturellement avoir en eux, pour mieux les trahir. Il faut dire, à la gloire de l’institution toute philanthropique de la Franc-Maçonnerie, que 21. Feuille du Commerce, no 50, 12 décembre 1841, p. 3. 22. Ibid., p. 3. Parmi les assistants, citons : Jean P. A. Dauphin, Michel Corvoisier, B. Dumont, André Lapalanche, Joseph Denys, Roch Aigron, Benite Venture, Louis Sterling, Philémon Baron, A. Corvoisier, A. Saint Aude, J. B. Dupuy, J. Jauffret, J. Osler, Joseph Beaussé, Jean F. Gardel, L. P. A. Lagerois, Z. Jean, Sully Dubreuil, Jean Baptiste Simon, le colonel Cupidon, etc. 23. Anonyme, « Épisode de la dernière révolution d’Haïti », L’Orient, revue universelle de la franc-maçonnerie, 1844-1845, p. 118-119. L’information est tirée de la Freemason’s Quaterly Review. 24. Expression désignant la franc-maçonnerie et ses initiés.

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Un des devoirs principaux de la Franc-maçonnerie d’Haïti est de porter aide et secours à son Fr:. Combien de vies, notre Institution n’a-t-elle pas sauvées ? Vous savez comme les Révolutions y sont fréquentes : il n’y a que quelques semaines encore que nos Journaux nous racontaient les combats ensanglantant le Nord de l’île. Dans ces moments, la vie d’aucun Haïtien n’est sûre, car tous sont politiciens et une dénonciation vous a bien vite conduit à l’échafaud ou au gibet. C’est alors qu’un Fr:. aide son Fr:., en lui fournissant les moyens de fuir. Pendant mon séjour à Haïti, j’ai vu faire à plusieurs reprises le signe de détresse : « À moi, les enfants de la Veuve », qui n’est connu là que des Maîtres, et plusieurs ont été sauvés ! En ce qui concerne les secours financiers, il est très rare que la Loge, comme telle, y participe. La raison du procédé doit être cherchée peut-être dans le fait que les Haïtiens en général, qu’ils soient Maçons ou non, sont très hospitaliers, que les Indigènes ont très peu de besoins et que les blancs étrangers trouvent, le cas échéant, des secours financiers ou les moyens de se rapatrier soit chez leurs compatriotes, soit dans leurs consulats 26.

Cette solidarité, en d’autres termes, est présentée comme une caractéristique essentielle de cette franc-maçonnerie. En effet, dans toutes les circonstances, les frères servants sont appelés à faire montre d’humanisme à l’égard des autres initiés. L’historien Alexis-Beaubrun Ardouin (1796-1865), lui-même franc-maçon 27, lance ainsi des éloges discrets à l’égard de cette association. Il évoque comment le général Borgella, exposé à la mort, fut sauvé par un franc-maçon français avant l’indépendance (1804) : « Parmi les méchants se trouvent toujours des hommes bons. Borgella était franc-maçon, et connu pour tel par plusieurs des blancs des Cayes. L’un d’eux, nommé Desclaux, véritable frère et vénérable de la loge des francs-maçons de cette ville, le recommanda à toute la bienveillance de Pierret, franc-maçon lui-même » 28. 3. Tensions dans la franc-maçonnerie et crises politiques Au moment des épreuves politiques, cette solidarité maçonnique montre quelquefois ses limites. D’ailleurs, des recherches approfondies 25. Thomas Madiou fils, Histoire d’Haïti, t. 3, Port-au-Prince, Imprimerie Jh. Courtois, 1848, p. 126. 26. La Chaîne d’Union de Paris, 23e année, 18e volume de la troisième série, no 9, septembre 1889, p. 287. 27. Annuaire de la Resp :. Loge Les Cœurs-Unis no 24. Année 1880-1881, Port-au-Prince, Imprimerie du Peuple, 1881, p. 11. Tableau de la Resp :. Loge écossaise Le Mont-Liban constituée, sous le no 22, à l’O :. du Port-au-Prince, (République d’Haïti), par le G :. O :. d’Haïti, le 1er j :. de la lune de Thamouz, l’an de laV :. L :. 5838 (22 juin 1838, è :. v :.) pour l’an de laV:. L :. 5842, Port-au-Prince, Imprimé par le F :. Pinard, 1841, p. 3. 28. Alexis-Beaubrun Ardouin, Études sur l’histoire d’Haïti suivies de la Vie du général J.-M. Borgella, 1853, t. 4, Paris, Dézobry et E. Magdeleine Libraires-Éditeurs, p. 493.

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ces cas d’infâme trahison ont été rares, et ont excité alors une horreur générale » 25. De même, un franc-maçon français, ayant séjourné durant six années en Haïti, affirme être témoin de la solidarité maçonnique :

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Le 16 juillet 1838 dans la partie de l’Est et le 25 décembre 1842 à Jérémie, deux sociétés secrètes sont créées par deux francs-maçons, Juan Pablo Duarte et Honoré Féry, dans le but d’initier une révolution visant à renverser le gouvernement du F :. Jean Pierre Boyer, Président à vie de l’île. Le serment des « Trinitaires », nom de la société secrète, était fait au nom de la Très Sainte,Très Auguste et Indivisible Trinité du Dieu Tout Puissant, terminologie toute maçonnique et les paroles secrètes des adhérents étaient Dieu, Patrie et Liberté, qui deviendra la devise de la République Dominicaine. (...) Nous ignorons le mot de passe de la société secrète jérémienne composée, entre autres, des FF :. Honoré Féry, Antoine Laforest, François Élie Dubois, Sémexant Rouzier, Blanchet, Lhérisson, etc. Nous ignorons si Margon, Vice-Président de la société était franc-maçon. Nous croyons fort possible que Cadet Fouchard et Philibert Laraque furent membres de l’Institution 29.

Il faut aussi intégrer dans l’analyse de la conjoncture de la « crise de 1869 » ce qu’on pourrait appeler le « paramètre maçonnique », c’est-àdire le poids des loges maçonniques dans le jeu politique. L’arrestation en territoire dominicain du président haïtien Sylvain Salnave (18671869), reçu franc-maçon dans la loge capoise L’Haïtienne # 6 avant de devenir Président du Souverain Chapitre de Royale Arche Les Philadelphes # 7, aurait des causes beaucoup plus complexes. Le général dominicain José Maria Cabral, franc-maçon, décide d’arrêter Salnave dont la tête est mise à prix en Haïti. Le président déchu est remis aux autorités haïtiennes dont les figures de proue sont alors les francsmaçons Nissage Saget, Michel Domingue, Nord Alexis, Pierre Momplaisir Pierre, Paulémon Lorquet, Boisrond-Canal, etc. C’est ce dernier qui commanda le peloton d’exécution le 15 janvier 1870. En réaction, le général dominicain Gregorio Luperon (1839-1897), franc-maçon, déplora la réaction du général Cabral et lui adressa une protestation datée du 2 mars 1870 de laquelle nous extrayons ces termes : Une religion politique à laquelle je n’ai jamais renié, me place depuis longtemps en opposition à toutes les trahisons. Homme essentiellement national, j’ai combattu M. Baez dès sa réapparition sur la scène politique de mon pays, et je continuerai à le combattre tout autant que mon souffle me le permet. Comme conséquence de ce but, j’ai dû être et j’ai été en lutte ouverte contre le gouvernement de M. Sylvain Salnave, qui était l’appui le plus puissant du traitre qui aujourd’hui dirige les destinées du peuple dominicain. Ami par intérêt et par principes de la révolution qui a renversé le tyran d’Haïti, aujourd’hui, je ne peux moins d’être également ami loyal et conséquent du gouvernement qui représente cette même révolution actuellement terminée. Cependant, au milieu de ce triomphe splendide, et très utile à ma 29. Gaétan Mentor, Les fils noirs de la veuve, op. cit., p. 71.

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devraient vérifier la responsabilité de certaines loges dans les conjonctures de crise qui se succèdent au cours du xixe siècle. Selon Gaétan Mentor, la franc-maçonnerie a contribué activement au renversement du président Jean-Pierre Boyer :

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Pour mieux saisir l’esprit de cette protestation, il faut considérer que les faits reprochés à Cabral ne peuvent être considérés comme un acte de trahison que dans la seule mesure où Luperon, figure du nationalisme dominicain, laisse primer le principe de la solidarité maçonnique dans son raisonnement. On peut formuler l’hypothèse, en raison du fait que les principaux collaborateurs des présidents appartiennent souvent aux loges qu’ils fréquentent, que celles-ci ont abrité des réseaux d’acteurs luttant pour le contrôle du politique. Prenons le cas du conflit opposant le parti libéral au parti national durant les années 1880. D’après Jean Price-Mars, le général Jean-Pierre Boyer Bazelais (18331883) appartient à une famille doublement historique. « Il était le petit fils de Louis Laurent Bazelais, le Chef d’État Major de Jean Jacques Dessalines (...) et également le petit-fils de Jean Pierre Boyer, le Président de la République qui succéda à Pétion » 31. Il est le fils d’Azéma Boyer (fille du président Boyer) 32 et du sénateur Charles Bazelais, Grand Maître de l’Ordre 33. Ce dernier fut aide de camp du président Fabre Nicolas Geffrard (1859-1867) qui renversa l’Empire de Faustin 1er (1849-1859) 34. L’annuaire de la loge du Mont-Liban # 22, pour l’année 1857, comporte le nom de « S. G. Mgr Louis-Étienne-Félicité de Salomon jeune, duc de St.-Louis du Sud, ministre des finances et du commerce » 35 durant l’Empire de 30. Ibid., p. 25-26. 31. Jean Price-Mars, Jean-Pierre Boyer Bazelais et le drame de Miragoâne (à propos d’un lot d’autographes) 1883-1884, Port-au-Prince, Imprimerie de l’État, 1948, p. 15-16. 32. Pierre-Eugène de Lespinasse, Gens d’Autrefois...Vieux Souvenirs, Paris, Collection Haïtienne d’Expression Française, Édition de la Revue Mondiale, 1926, t. 1, p. 13. 33. Tableau de la Resp. Loge écossaise Le Mont-Liban constituée, sous le no 22, à l’O :. du Port-au-Prince, (République d’Haïti), par le G :. O :. d’Haïti, le 1er j :. de la lune de Thamouz, l’an de la V :. L :. 5838 (22 juin 1838, è :. v :.) pour l’an de la V:. L :. 5842, Port-au-Prince, Imprimé par le F :. Pinard, 1841, p. 3. D’après les registres de cette loge, en 1841, âgé de 47 ans, il était déjà chevalier du templier Kadosh et grade de 33e. 34. On retrouve le nom de « Fabre Nicolas Geffrard, ancien Président d’Haïti, né à l’Anse-à-Veau, âgé de 65 ans, Ch :. T :. K :., 33e » sur le tableau des membres honoraires de la loge Le Mont-Liban # 22. Annuaire de la Respectable Loge Le Mont-Liban, no 22. Pour l’an de laV :. L :. 5872, Port-au-Prince, Imprimerie du F :. E. Robin, 1874, p. 10. Notons que Geffrard meurt en exil à Kingston (Jamaïque) en 1878. 35. Tableau annuaire de la R :. Loge écossaise constituée à l’O :. du Port-au-Prince (Empire d’Haïti), sous le titre distinctif de Mont-Liban, no 22,, par le G :. O :. d’Haïti, le 1er jour lunaire du mois appelé Tammuz, l’an de la V :. L :. 5838 (22 juin 1838, st :. et è :. v :.) ; Époque de St-Jean Évang :. (27 déc :. 5856), Port-au-Prince, Imprimé par le F :. J. B. de Pinard, 1857, p. 2. Plus loin, cet annuaire informe qu’il était, à l’époque, un lieutenant-général de l’armée âgé de 41 ans et membre du Grand Orient d’Haïti (32e degré). Charles Bazelais fut aussi un membre actif de la loge maçonnique L’Amitié des Frères Réunis # 1. Son nom est ainsi signalé dans l’annuaire de 1832 de ladite loge : « Charles Bazelais, Chef de bataillon au Génie Militaire, né au Port-au-Prince, âgé de 38 ans, R :. A :. R :. +:. Ch :. T :. K :., Membre du G :. O :., ex-Vénérable ». Tableau des FF :. qui composent l’Atelier

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cause, au milieu de cette régénération si favorable aux intérêts et aux croyances du Parti National Dominicain, se dresse un fait qui souillerait mon honneur et celui de mes concitoyens, si une protestation énergique et catégorique ne s’élèverait pas contre lui (sic) 30.

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Faustin 1er 36. Charles Bazelais (1794-1866) et Lysius Salomon (1815-1888) se sont donc probablement croisés dans cette loge, regroupant des politiciens influents, où ils ont pu développer leurs propres réseaux de sympathisants. Pourtant, le président Lysius Salomon et Jean-Pierre Boyer Bazelais 37, chef de file du parti libéral, s’affronteront dans l’une des guerres civiles les plus violentes du xixe siècle en Haïti (1883). Les tensions entre francs-maçons haïtiens, à caractère politique, ne s’arrêtent pas là. Après la chute du président Salomon (1888), les conflits se multiplièrent entre les loges les plus influentes. Il faut étudier davantage cet aspect de l’histoire de la franc-maçonnerie haïtienne pour peser le poids du régionalisme et du charisme de généraux présidentiables sur la vie interne des loges. Ces aspects sont perceptibles dans une note publiée en 1889, dans La Fraternité, sur la « révolution de 1888 ». Rédigé par Fénelon Duplessis, Grand Maître de l’ordre maçonnique d’Haïti et adressé aux 35 respectables loges symboliques et 65 souverains chapitres supérieurs de son obédience, ce document souligne clairement que cette révolution est « une revendication politique et maçonnique » 38. Duplessis revient sur les crises internes à la franc-maçonnerie qu’il impute au président Salomon. Il fait aussi l’éloge du général franc-maçon Séide Thélémaque, une grande figure de l’insurrection, qui mobilisa les forces du nord du pays contre Salomon 39. Mais c’est un autre franc-maçon qui succède au président Salomon : le général François-Denis Légitime. Nous retrouvons son nom dans l’annuaire de la loge Les Cœurs-Unis # 24 40. Ancien ministre, puis sénateur de la république, Légitime incarne à l’époque l’intelligence au pouvoir. Mais son mandat présidentiel est perturbé par des conflits de la R :. L :. de S :. J :. de J :., régulièrement constituée par la G :. O :. d’Haïti, sous le titre distinctif de l’Amitié des FF :. Réunis, No 1er, à l’époque de St.-Jean Baptiste, 24 Juin 1832, A :. L :. 5832, Port-au-Prince, Imprimé par le F :. Pinard, 1832, p. 5. 36. Notons que Salomon connut l’exil à la chute de l’Empire de Faustin 1er (1859). 37. D’après des recherches de Gaétan Mentor, qui a bien voulu nous en informer, Charles Bazelais fut aussi un Vénérable de la loge de l’Amitié des Frères Réunis # 1 et un Grand Maître du Grand Orient. Jean-Pierre Boyer Bazelais fut, quant à lui, surveillant à la Respectable Loge L’Amitié des Frères Réunis # 1. Nous savons qu’Edmond Paul, une autre icône du Parti Libéral, fut aussi franc-maçon. Nous retrouvons son nom, ainsi que ceux d’autres hommes politiques comme Cadet Jérémie, Labbé Barbancourt, Alexis Pierre-André, etc. dans les registres de la loge maçonnique L’Étoile d’Haïti # 5. Annuaire de la Respectable Loge L’Étoile d’Haïti, no 5. Époques du 24 juin 1872 et 1873, E:. V:., Port-au-Prince, Imprimerie du Civilisateur, 1873, p. 12-13. 38. La Fraternité, no 1, 2e série, 1er octobre 1889, p. 6, 11-12. 39. Séide Thélémaque fut, en qualité de « général de division, commandant l’arrondissement de la Grande-Rivière du Nord, 32e », membre de la loge Les Cœurs-Unis # 24. Voir : Annuaire de la Resp :. Loge Les Cœurs-Unis no 24. Année 1880-1881, Port-au-Prince, Imprimerie du Peuple, 1881, p. 25. Je remercie Gaétan Mentor d’avoir attiré mon attention sur ce texte. 40. Annuaire de la Resp. Loge Les Cœurs-Unis no 24. Année 1880-1881, Port-au-Prince, Imprimerie du Peuple, 1881, p. 32. L’annuaire précise : « Déus LÉGITIME, âgé de 37 ans, ex-directeur de la douane de ce port [Port-au-Prince], Secrétaire d’État de l’Agriculture. T :. K :. »

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répétés avec l’opposition. C’est ainsi qu’un particulier anonyme adresse au journal maçonnique français, dans une lettre en date du 31 septembre 1889, le rapport suivant :

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Ces éléments laissent supposer que les hautes instances de la francmaçonnerie haïtienne n’ont pas toujours la capacité ou la volonté d’assurer la médiation lors des conflits politiques mettant aux prises des « fils de la veuve ». Leur neutralité et leur passivité seraient-elles, durant ces moments difficiles, la garantie de la pérennisation de l’institution maçonnique ? Des recherches complémentaires méritent d’approfondir cette question. 4. Une présence protestante dans la franc-maçonnerie ? Au xixe siècle, se faire initier dans une loge maçonnique était une affaire de prestige qui facilitait le contact avec les plus importants personnages des sphères politique, sociale et commerciale du pays. La franc-maçonnerie doit être considérée, dans l’histoire de cette période, comme un puissant acteur dans le jeu politique en Haïti. Disposant de plusieurs organes de presse, particulièrement L’Œil et La Fraternité qui soutiennent souvent les positions du pouvoir politique, ses influences sur l’opinion publique restent toutefois limitées à cause du nombre élevé d’analphabètes en Haïti à l’époque. Cette franc-maçonnerie est un lieu de distinction sociale où se croisent des membres des élites sans distinction de couleur et de religion 42. 41. La Chaîne d’Union de Paris, 23e année, 18e volume de la troisième série, no 9, septembre 1889, p. 259. Nous avons trouvé la trace d’un « journal politique, commercial et agricole » Le Peuple, fondé en 1871, dont le rédacteur est plutôt J. J. Audain (et non S. Audain). Y collaborèrent notamment Jh. William Audain, F. Jean Pierre, Edgar La Selve, etc. Il est probable que La Chaîne d’Union de Paris parle de Jean-Joseph Audain. 42. Selon l’arpenteur Justin Dominique Bouzon, la franc-maçonnerie « a rapproché les citoyens des différentes classes en atténuant leur antagonisme ». Ce propos est discutable dans la mesure où le dépouillement des listes d’adhérents aux différentes loges que nous avons consultées révèle qu’elles sont plutôt fréquentées par les élites politiques, commerciales et les notables de la classe moyenne que l’on retrouve dans l’armée et dans l’administration publique. Justin Bouzon, De l’esprit d’association en Haïti. Conférence faite au local de l’École Nationale de Droit par Justin Bouzon, Membre de la Société, le 15 novembre 1892, Société de Législation, Évreux, Imprimerie de Charles Hérissey, 1893,p. 8.

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Un Fr :. et un Confrère qui me fut, dès les premières relations Maçonniques, des plus sympathiques et qui m’inspira une sincère estime, vient d’échapper au plus grand des périls et d’être rendu à la liberté. C’est le Fr :. S. Audain, Directeur du journal le Peuple, de Port-au-Prince (Haïti). Traîné en prison et mis aux fers sous le Président Légitime, le 28 Mai, et son journal suspendu, il devait être exécuté le 7 Août, lorsqu’il fut sauvé par une imposante manifestation populaire. Mais il eût infailliblement péri sans la chute du Président Légitime, amené par la répulsion que Légitime inspirait à la majorité des Haïtiens et la victoire du général, Président intérimaire, Hyppolite (sic) 41.

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Si, aujourd’hui, certaines missions protestantes indigènes d’Haïti rejettent l’idée d’une compatibilité entre le protestantisme et la francmaçonnerie, il semble qu’au cours du xixe siècle et jusqu’aux années 1940, plusieurs leaders protestants se soient affichés comme des « fils de la veuve ». C’est le cas, par exemple, du poète et homme d’État Etzer Vilaire (1872-1951), secrétaire de la loge Réunion des Cœurs, bien connu comme l’une des principales figures du méthodisme du pays 43. On retrouve, dans l’annuaire maçonnique de la Respectable Loge L’Étoile d’Haïti, no 5 44, le nom de l’épiscopalien James-AugustinThéodore Holly (1829-1911), consul général du Libéria près de la République d’Haïti et grand représentant de la Grande Loge Nationale des États-Unis de l’Amérique du Nord près le GrandOrient d’Haïti 45. Dans l’annuaire de 1890 de cette même loge figure également le nom de Lusimon Hayson, directeur de l’école wesleyenne des Gonaïves. En Haïti, la franc-maçonnerie a attiré maints intellectuels et politiciens protestants désireux d’intégrer les réseaux de sociabilité et de pouvoir. Mais il ne fait aucun doute que les loges sont constituées majoritairement de catholiques. Il est difficile de déceler, à cause de l’indisponibilité des minutes des réunions maçonniques, un quelconque conflit inter-religieux dans le fonctionnement des loges. Toutefois, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, des protestants francsmaçons alimentent des polémiques avec le clergé catholique et réclament l’indigénisation de l’épiscopat et sa neutralité politique. Dans un livre publié en 1886, le diplomate britannique Spenser Saint-John estime que le protestantisme haïtien n’est pas assez puissant pour contrecarrer l’hégémonie catholique. Ce protestant franc-maçon confie avoir « émis l’opinion que le clergé protestant aurait dû s’entendre avec les loges des francs-maçons et accepter de se charger de toutes les cérémonies funèbres qu’on lui aurait demandées. Sa popularité et son influence y eussent beaucoup gagné : je crains que mes avis n’aient paru trop profanes » 46. Pourtant, Spenser Saint-John rapporte que lors des funérailles d’un franc-maçon, le président Michel Domingue (1874-1876) décide de participer à une importante procession maçonnique devant s’achever à la cathédrale de Port-au-Prince. Contre toute attente, le défilé est contrarié par un messager du vicaire qui tenait à annoncer que « le 43. L’historien Roger Gaillard a publié deux lettres signées d’Etzer Vilaire, signant comme membre d’une loge maçonnique, dans un livre intitulé : Etzer Vilaire. Témoin de nos malheurs, Port-au-Prince, Les Presses Nationales d’Haïti, 1972. 44. Loge maçonnique fondée par Jacques Ignace Fresnel, Joseph Fontaine, Louis Barabé, Charéron, Ferret, Bonnet, Juste Pijol, Lespès jeune, Marie-Louis Thézan, Milien et Grellier jeune. Le premier vénérable à présider à cette loge fut Louis Barabé en 1816. 45. L’Étoile d’Haïti, no 5, Annuaire de la Respectable Loge L’Étoile d’Haïti, no 5. Époque du 24 juin 1872 et 1873, E :.V :., Port-au-Prince, Imprimerie du Civilisateur, 1873, p. 11. 46. Spenser Saint-John, Haïti ou la République Noire, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, Imprimeurs-Éditeurs, 1886, p. 248.

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service ne se ferait pas tant que l’on n’aurait pas renoncé à la procession maçonnique. Le président devint furieux, et, comme il était extrêmement violent, il allait donner ordre à un bataillon de vaincre cette opposition » 47, mais un conseiller lui rappela que « les protestants ne sont pas opposés à la franc-maçonnerie » 48. C’est ainsi que la procession maçonnique fut réorientée vers la « cathédrale protestante » dirigée par l’évêque épiscopalien James-Augustin-Théodore Holly. « Presque toute l’assistance était catholique ; c’était probablement la première fois que le président, avec ses aides de camp et ses ministres, et toute leur suite, se trouvaient réunis dans un temple protestant » 49. Au plus fort des tensions entre la franc-maçonnerie haïtienne et le clergé concordataire, composé essentiellement de Bretons, les écrits de Louis-Joseph Janvier ont eu une réception favorable dans les milieux anticléricaux et maçonniques 50. Ce protestant, connu pour son dévouement patriotique et ses qualités intellectuelles, propose la « protestantisation » du pays pour finir avec les conséquences du concordat du 28 mars 1860 51. L’interprétation de ce traité, aux yeux de ses détracteurs, est la source des conflits entre le temporel et le spirituel. De plus, il constitue une base légale qui favorise le catholicisme au détriment des courants religieux concurrents. La position politique de Louis-Joseph Janvier rejoint-elle les aspirations des cultes réformés qui, à cette époque, ne regroupent qu’une infime minorité de la population haïtienne ? Il nous paraît plutôt la formulation d’un idéal politique porté par une minorité protestante en quête de visibilité et de reconnaissance au sein d’une franc-maçonnerie à dominante catholique. En fait, l’option de la « protestantisation » indique clairement une voie alternative aux décideurs politiques anticléricaux et nationalistes qui hésitent à laïciser l’espace public 52.

47. Ibid., p. 245. 48. Ibid.. 49. Ibid. 50. En 1883, Louis-Joseph Janvier écrivait : « Ah ! Si le Grand-Maître de l’ordre maçonnique voulait !... S’il ordonnait qu’on fît des conférences d’hygiène et d’économie politique dans toutes les Loges, conférences auxquelles les ouvriers seraient admis avec leurs parents ; s’il laissait tomber de ses lèvres le Sinite parvulos ; s’il disait à tous : ‘‘Venez à moi, venez à nous !...’’ Quel beau mouvement ce serait, et quelle belle œuvre !... Combien grande ! Combien généreuse et noble !... », Louis-Joseph Janvier, La république d’Haïti et ses visiteurs (1840-1882), réponse à M.Victor Cochinat (de La Petite Presse) et à quelques autres écrivains, Paris, Éd. Marpon et Flammarion, 1883, p. 95. On trouve le nom de Louis-Joseph Janvier, en qualité de « docteur en médecine, né en cette ville [Port-auPrince], âgé de 27 ans », dans les registres de la loge maçonnique L’Amitié des FrèresRéunis # 1.Tableau des membres de la Respectable Loge L’Amitié des Frères-Réunis, no 1, O :. de Port-au-Prince, Époque du 24 Juin 1881 (E :. V :.), Époque du 24 Juin 1882 (E :. V :.), Port-au-Prince, Imprimerie d’Énélus Robin, 1883, p. 19. 51. Louis-Joseph Janvier, Les Constitutions d’Haïti (1801-1885), Paris, C. Marpon et E. Flammarion Libraires-Éditeurs, 1886. 52. Lewis A. Clorméus, « Haïti et le conflit des deux ‘‘France’’ », Chrétiens et Sociétés, no 20, 2013, p. 63-84.

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Ces considérations nous portent à nous interroger sur la circulation de possibles idéologies politiques qui auraient alimenté la francmaçonnerie haïtienne. Cette dernière porte, en effet, la marque d’un ensemble de courants d’idées et de positionnements politiques qui ont traversé, selon des contextes historiques bien précis, les élites intellectuelles et gouvernantes du pays. Dans le contexte de la quête de reconnaissance de la souveraineté nationale, les discours politiques tendent particulièrement à combattre l’esclavage et à défaire les théories racistes. D’ailleurs, tout au cours du xixe siècle, l’État haïtien s’évertue à faire valoir sa position antiesclavagiste tandis que de nombreux intellectuels du pays développent et défendent des thèses anti-racistes dans des sociétés savantes françaises. En 1832, preuve que les élites haïtiennes réprouvent l’idée même de l’esclavage, le Grand Orient se fixe ainsi sur une affaire concernant l’esclavage. Voici le contenu de l’acte d’accusation reproduit dans le journal officiel de l’État haïtien : Le Grand-Orient des anciens, francs et acceptés Maçons d’Haïti, somme le nommé Louis Glandon, demeurant à l’Île Sainte Lucie, membre de la Respectable Loge, No. 11, séante à l’O :. de S.to-Domingo, de comparaître à la grande chambre symbolique, dans sa tenue du 29 janvier 1833, pour répondre à l’accusation portée contre lui, pour le fait d’avoir replongé dans l’esclavage, neuf infortunés, qui, s’étant échappés de Puerto-Rico, se dirigeaient à Haïti, et ont été pris en mer et remis à leur ancien maître par ledit Glandon ; et faute par ce maçon de se soumettre à la présente sommation, il sera jugé par contumace conformément aux statuts généraux de l’ordre. O :. du Port-au-Prince, 29 juillet 1832. Par décision de la G :. Cham :. Symbolique, C. Ardouin, Adj :. au Gd :. Sec :. 53

Dès la présidence de Jean-Pierre Boyer, la franc-maçonnerie se destine clairement à influencer le pouvoir politique. Elle ne se contente pas de recruter des autorités publiques. Bien plus tard, à partir de la présidence de Sylvain Salnave (1867-1869), elle devient aussi le fer de lance de l’anticléricalisme face au clergé concordataire dans le cadre d’un conflit qui devait durer plus de 30 ans (1867-1905) 54. D’ailleurs, la francophilie d’une frange importante des élites intellectuelles a certainement influencé leurs discours. Les francs-maçons haïtiens sont au courant des luttes menées en France pour laïciser la vie sociale et 53. Le Télégraphe, no XXIX, 12 août 1832, p. 3. Malheureusement, le journal ne fournit pas d’informations complémentaires sur le dénouement de l’affaire. 54. Lewis A. Clorméus, « La soutane contre le tablier. Au cœur des tensions entre le clergé breton et la franc-maçonnerie haïtienne au xixe siècle (1867-1900) », Histoire Monde et Cultures Religieuses, no 29, mars 2014, p. 33-56.

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5. Des idéologies politiques au sein de la communauté maçonnique ?

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La monarchie de droit divin n’avait-elle pas été sinistre et infâme avec l’inquisition, avec les oubliettes de la féodalité, les in pace du Clergé et les lettres de cachet ? Y a-t-il eu jamais rien d’aussi infâme, d’aussi anti-social, d’aussi anti-religieux que la conduite de rois faux-monnayeurs, incestueux et adultères, excommuniés et fauteurs de schismes et d’hérésies, faisant souffleter les papes, volant les trésors des églises et corrompant la foi et les mœurs publiques ? (...) Et parce que Haïti s’émancipant d’un affreux esclavage, a imité l’exemple de la France, vous Mr., vous appelez ses lois et ses institutions illégitimes, en opposition à l’esprit de la Législation haïtienne et inapplicables en Haïti : Nos pères ont été donc, selon vous, des imbéciles qui se sont fait des lois contraires à leurs vrais intérêts ? Et tous les Gouvernements qui, après eux, les ont défendues, ne sont pas plus intelligents ? Mais quel est, quel doit être l’esprit de la Législation haïtienne ? N’est-ce pas l’esprit de ces mêmes principes qui inspiraient les constituants français de 1791 ! Comme la France, Haïti, au jour où elle se créait des lois et des institutions ne sortaitelle pas, par un héroïque effort, des fers de l’esclavage physique et moral, sous le fouet du maître et sous l’enseignement du prêtre, son complice ? N’avait-elle pas, comme la France, à inaugurer un nouvel avenir (sic) ? 55

On sent aussi l’influence maçonnique française sur la plume de Louis-Joseph Janvier. En effet, en France, la condamnation officielle de la franc-maçonnerie par le Vatican donne lieu à l’intensification d’actions anticléricales qui touchent notamment le domaine politique. L’ultramontanisme est critiqué par les intellectuels et politiciens républicains qui remettent en question la légitimité du concordat de 1801. Par ailleurs, les protestants libres penseurs 56 et les francs-maçons 57 jouent un rôle important dans la lutte pour l’institutionnalisation de la laïcité. Le docteur Janvier, qui a vécu l’essentiel des années 1880 en France, écrit en 1883 : Il nous faut, en Haïti, vis-à-vis du catholicisme ultramontain qui monte et envahit tout, il nous faut un large courant de protestantisme qui puisse battre en brèche cette religion caduque ailleurs et qui croule définitivement en Belgique et en Italie à mesure que la lumière se répand dans ces pays européens. Il nous faut, au lieu d’un catholicisme qui tend au catholicisme épuré que j’appellerai l’haïtianisme, une espèce de religion où, à l’imitation de 55. L’Œil, no 48, 21 avril 1883, p. 3. 56. Mireille Gueissaz, « Protestants et laïques d’origine protestante dans la loi de 1905 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 78, no 78, 2005, p. 16-26. 57. Pierre-André Mailly, « Le poids de l’histoire : le Grand Orient de France et la question de la laïcité (1848-1905) », Cités, vol. 4, no 52, 2012, p. 27-50.

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politique. Nationalistes, la plupart d’entre eux s’insurgent contre ce qu’ils perçoivent comme une volonté de l’épiscopat de ne pas indigéniser le clergé catholique. D’autres, en revanche, s’attaquent aux manœuvres politiques des prêtres étrangers susceptibles d’influencer la gestion dela res publica. C’est ainsi qu’en 1883, s’adressant à l’archevêque de Port-au-Prince, le journal pro-maçonnique L’Œil publie un article dans lequel on lit :

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l’ancien gallicanisme, le clergé soit entièrement dans la main du gouvernement temporel, même au point de vue des doctrines ; il faut que les dogmes enseignés et pratiqués ne soient pas en désaccord avec cette donnée, à savoir que : l’État haïtien est tout, l’Église n’est rien que par l’État auquel elle doit obéissance absolue. Sans quoi, virilement et dès à présent, on pourrait s’arrêter à l’idée de séparer l’Église de l’État, d’empêcher aux enfants des écoles d’aller au catéchisme, d’interdire les processions, de défendre toute réunion de congrégations, quelles qu’elles soient, de supprimer le Budget des cultes ; et, sans s’arrêter à si peu, pour ne pas laisser les choses retourner à l’état où elles étaient avant la signature du Concordat, on pourrait demander des pasteurs protestants à l’Angleterre, à la France et aux États-Unis, tenter la Réformation en grand de la République haïtienne, ensemencer les cerveaux de croyances saines, vigoureuses, viriles, abolir toutes les fêtes ecclésiastiques et faire en sorte qu’Haïti soit sinon un pays absolument protestant, mais, à tout le moins, un pays où l’antagonisme des chapelles et des églises soit tel que, dans vingt ans, le rôle temporel soit prépondérant en tout partout et sur tout. S’il n’en était point ainsi, avant un demi-siècle et malgré la libre-pensée qui subsiste encore en Haïti grâce aux sociétés maçonniques, les gouvernants haïtiens seront complètement à la merci des prêtres étrangers et il n’y aura aucun gouvernement haïtien, aucun gouvernement national possible 58.

Le courant anticlérical qui traverse la franc-maçonnerie connaît le déclin quand l’Église catholique entreprend de lancer sa première campagne antisuperstitieuse (1896-1900). Par cette initiative, le clergé concordataire entend freiner les progrès du protestantisme et éradiquer le vodou dans les milieux populaires. Il enterre désormais son discours antimaçonnique même si, en réalité, il n’y a aucun rapprochement réel entre l’Église catholique et la franc-maçonnerie. Par ailleurs, si un semblant d’unité se construit entre les loges maçonniques au moment de défendre le tablier contre l’intransigeance de la soutane, la fin du xixe siècle marque ainsi un déficit idéologique dans une francmaçonnerie haïtienne occupée, dès 1905, à gérer des crises intestines. Conclusion Il est évident qu’on ne peut appréhender la franc-maçonnerie haïtienne comme un monolithe, c’est-à-dire un mouvement où les 58. Louis-Joseph Janvier, La république d’Haïti et ses visiteurs (1840-1882), op. cit., p. 374-375. Ce point de vue est à comparer à la réaction de l’anti-maçon français Oscar Harvard qui, en 1911, dresse un bilan politique chaotique de la société haïtienne après un siècle d’indépendance. C’est, d’après lui, le sort qui est réservé à toute société qui ne se fie qu’à « la seule Raison ». Cette affirmation est un détour qui permet de juger la France après les luttes pour imposer le principe de la laïcité de l’État en 1905 : « Vides de l’idée divine, les nations tombent dans le chaos. Si barbare qu’il soit, le nègre vaut encore mieux que le syndicaliste athée de nos grandes villes. Plusieurs corporations religieuses (les Pères du Saint-Esprit, les Religieuses de Cluny, etc.) veillent sur son hygiène morale et préservent Saint-Domingue de la dégradation et de la mort. Mais imaginons-nous ce que sera une France gouvernée par les agnostiques de la C. G. T », Oscar Harvard, o « Les premiers troubles de la Révolution en Bretagne », Revue anti-maçonnique, n 10, août 1911, p. 281.

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la franc-maçonnerie en haïti

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adhérents et les loges se rejoignent dans leurs intérêts politiques. Sur ce point, nous avons établi que des conflits entre des réseaux de francsmaçons ont eu des répercussions politiques sur la destinée du pays. La franc-maçonnerie a joué un rôle majeur dans plusieurs crises politiques en Haïti au xixe siècle. En effet, les loges peuvent être considérées comme des cellules associatives où se regroupent, en fonction de leur sensibilité idéologique, des acteurs de l’administration publique, de la société civile et du monde commercial susceptibles d’influencer le jeu politique. De ce fait, dans un contexte marqué par le timide développement de partis politiques, les loges n’ont pas toutes le même poids dans les conflits de pouvoir. Mais la franc-maçonnerie haïtienne a été aussi le principal vecteur d’une conception de la laïcité forgée à l’occasion des polémiques avec un clergé concordataire composé essentiellement de Français. Elle réclamait, de manière précise et avec l’appui ouvert de certains leaders protestants, un désengagement de ces prêtres étrangers à l’égard des affaires politiques du pays. En définitive, des investigations plus poussées doivent être menées pour mieux comprendre les rapports entre la franc-maçonnerie haïtienne et le domaine du politique au regard des pratiques régionales du xixe siècle 59. De même, quand on sait que les élites nationales étaient majoritairement francophiles, il convient aussi de développer des études approfondies pour mieux saisir les modalités de circulation et d’adaptation des idéaux importées de la franc-maçonnerie française dans les loges haïtiennes. Sources Annuaire de la Resp :. Loge Les Cœurs-Unis no 24. Année 1880-1881, Port-auPrince, Imprimerie du Peuple, 1881. Annuaire de la Respectable Loge L’Étoile d’Haïti, no 5. Époques du 24 juin 1872 et 1873, E:.V:., Port-au-Prince, Imprimerie du Civilisateur, 1873. Annuaire de la Respectable Loge Le Mont-Liban, no 22. Pour l’an de laV :. L :. 5872, Port-au-Prince, Imprimerie du F :., E. Robin, 1874. Anonyme, « Épisode de la dernière révolution d’Haïti », L’Orient, revue universelle de la franc-maçonnerie, 1844- 1845, p. 118- 119. Anonyme, « Fête au Grand Orient », Le Nouvelliste, no 1563, samedi 7 novembre 1903,p. 3. Anonyme, De la gérontocratie en Haïti, Paris, E. Dentu, Libraire-Éditeur, Imprimerie de E. Brière, 1860. 59. Plusieurs leaders latino-américains, à l’instar de Simon Bolivar, qui a séjourné en Haïti, étaient des francs-maçons. Le criminologue Alain Bauer déclare ainsi : « José Martí, Simón Bolívar eux-mêmes étaient francs-maçons, si bien que Fidel Castro n’a jamais osé l’interdire », Alain Bauer, « Relations internationales et franc-maçonnerie », Revue internationale et stratégique, vol. 2, no 54, été 2004, p. 26.Voir aussi Luc Nefontaine, La franc-maçonnerie, Paris, Éditions Cerf/Fides, 1990, p. 67.

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Anonyme, « Supplément aux fragments pour une Histoire de la FrancMaçonnerie en Suisse », Le Globe. Archives des Initiations anciennes et modernes, 5e livraison, mai 1841, p. 196- 210. Ardouin Beaubrun, Études sur l’histoire d’Haïti suivies de la Vie du général J.-M. Borgella, t. 4, Paris, Dézobry et E. Magdeleine, Libraires-Éditeurs, 1853. Ardouin Alexis-Beaubrun, Études sur l’histoire d’Haïti, t. 9, Paris, Dézobry et Magdeleine et Cie, Libraires-Éditeurs, 1860. Bazot Étienne-François (F:.), Tableau historique, philosophique et moral de la franche-maçonnerie en France ; divisée en trois parties, Paris, Chez le F :. Michallet, 1836. Bird M. B., The Black Man ; or, Haytian Independence Deduced from Historical Notes, and Dedicaded to the Government and People of Hayti, New York, The American News Company, 1869. Bouzon Justin, De l’esprit d’association en Haïti. Conférence faite au local de l’École Nationale de Droit par Justin Bouzon, Membre de la Société, le 15 novembre 1892, Société de Législation, Évreux, Imprimerie de Charles Hérissey, 1893. Dhormoys Paul, Une visite chez Soulouque. Souvenirs d’un voyage dans l’île d’Haïti, Paris, Librairie Nouvelle, 1859. Feuille du Commerce, no 50, 12 décembre 1841, p. 3. Findel Joseph Gabriel, Histoire de la franc-maçonnerie depuis son origine jusqu’à nos jours, traduit de l’Allemand par E.Tandel, t. 2, Paris/ Bruxelles/ Livourne/ Leipzig, Librairie Internationale/ A. Lacroix,Verboeckhoven et Cie, Éditeurs, 1866. Harvard Oscar, « Les premiers troubles de la Révolution en Bretagne », Revue anti-maçonnique, no 10, août 1911, p. 269- 283. Janvier Louis-Joseph, La république d’Haïti et ses visiteurs (1840-1882), réponse à M.Victor Cochinat (de La Petite Presse) et à quelques autres écrivains, Paris, Éd. Marpon et Flammarion, 1883. Janvier Louis-Joseph, Les Constitutions d’Haïti (1801- 1885), Paris, C. Marpon et E. Flammarion Libraires-Éditeurs, 1886. L’Étoile d’Haïti, no 5, Annuaire de la Respectable Loge L’Étoile d’Haïti, no 5. Époque du 24 juin 1872 et 1873, E :. V :., Port-au-Prince, Imprimerie du Civilisateur, 1873. L’Étoile d’Haïti, no 5, Annuaire de la Respectable Loge L’Étoile d’Haïti, no 5. Époque du 24 juin 1876 et 1877, E :.V :., Port-au-Prince, Imprimerie d’Énélus Robin, 1877. L’Étoile d’Haïti, no 5, Tableau des Membres de la R :. L :. de St.-Jean de Jérus :. L’Étoile d’Haïti, régulièrement constituée sous le no. 5, à l’O :. du Port-au-Prince (Empire d’Haïti), par le G :. O :. d’Haïti, no 5, Pour l’an de la V :. L :. 5857 (24 juin 1857), è :. v :., Port-au-Prince, 1857. L’Étoile d’Haïti, no 5, Tableau des Officiers et Membres de la R :. L :. de S :. J :. de J :., régulièrement constituée à l’O :. du Port-au-Prince, sous le titre distinctif Outre-Mers,T. 103, No 386-387 (2015)

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Anonyme, « Haïti », in Annuaire des deux mondes. Histoire générale des divers États. 1854- 1855, Paris, Bureau de la Revue des deux mondes, 1855, p. 849- 855.

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de l’Étoile d’Haïti, no 5, à l’époque du 24e :. Jour du 4e :. Mois 5828, Port-auPrince, 1828. o L’Œil, n 48, 21 avril 1883, p. 3- 4. La Chaîne d’Union de Paris, 23e année, 18e volume de la troisième série, no 9, septembre 1889. La Fraternité, no 1, 2e série, 1er octobre 1889, p. 6, 11-12.

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la franc-maçonnerie en haïti

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l. a. clorméus

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