Les Institutions de la Ve République 2011455928, 9782011455925 [PDF]


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Les Institutions de la Ve République
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Les institutions

de la Ve Républiqu e

Philippe Ardant

9eédition H

HACHETTE

Supérieur

el'i ces po nt,9'4 4+ La bibliothèque de

l'étudiant -

ler et

2e

cycles

Adapté à l'initiation comme à la révision des examens, ce manue l sente sous une forme synthétique le cours d'institutions politique s gné en première année de DEUG des facultés de droit et dans les Plan de l'ouvrag e 1 - L'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 2 - L'évolution du contenu de la Constitution 3 - L'État 4 - Le président de la République : désignation et statut 5 - Le président de la République : attributions 6 - Le gouvernement : composantes, statut, formation 7 - Le gouvernement : attribution s 8 - Le Parlement 9 - La lo i 10 - Le contrôle du gouvernement par le Parlement 11 - Le Conseil constitutionnel et le contrôle de constitutionnalit é 12 - La hiérarchie des normes juridique s 13 - Les autres organes constitutionnels Philippe Ardant est professeur émérite de l'université Paris II-Panthéon Assas, et président honoraire de l'université

www .hachette-education .co m

14/5592/2

9

Le photocopillage, c'est l'usage abusif et collecti f de la photocopie sans autorisation des éditeurs . Largement répandu dans les établissement s d'enseignement, le photocopillage menac e l'avenir du livre, car il met en danger son équilibr e économique et prive les auteurs d'une just e rémunération . En dehors de l'usage privé du copiste, tout e reproduction totale ou partielle de cet ouvrage es t interdite .

LES FONDAMENTAU X

Sommair e

LA BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉTUDIANT Collection créée et dirigée par Caroline Benoist-Lucy Introduction

Dans la même collection :

1

Droit, Politiqu e 9 La fiscalité en France (P. Beltrame ) 11 L'héritage institutionnel français — 1789-1958 (F. de La Saussay) 12 Introduction à la science politique (J .-M . Denquin ) 16 Introduction à l'étude du droit (J .-C . Ricci) 17 La Constitution commentée, article par article (S .-L . Formery) 18 Finances publiques / Le budget de l'État (J . Mekhantar) 34 Philosophie politique / 1 . Individu et société (M . Terestchenko ) 35 Philosophie politique / 2 . Éthique, science et droit (M . Terestchenko ) 45 Le Conseil constitutionnel / Son rôle, sa jurisprudence (D . Turpin ) 46 Droit administratif (J .-C . Ricci ) 47 Mémento de la jurisprudence administrative (J .-C. Ricci ) 48 Les grands textes constitutionnels de la France (S .-L . Formery) 57 Introduction au droit de l'Union européenne (J . Dutheil de la Rochère) 75 Mémento des institutions politiques françaises (E . Vital-Durand) 85 Droit des relations internationales (G . Agniel ) 86 Libertés publiques (J .-M . Pontier) 91 Les relations internationales depuis 1945 (P. Boni ace) 95 Mémento de la jurisprudence du Conseil constitu 110 Histoire des grands courants de la pensée politi q 115 Les politiques sociales en France (R. Valtriani ) 121 Droit des sociétés (J . Bonnard ) 124 Mémento des grandes oeuvres politiques (B . Rav . 127 Droit civil / Droit de la famille (M . Le Bihan-Gué n 131 Mémento de la jurisprudence du droit internati o 132 Droit pénal général (P. Canin ) 143 Droit communautaire matériel (J . Dutheil de la R i 144 Droit commercial (P. Canin ) 146 Méthodes de travail de l'étudiant en droit (J . B o

L'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 1 . Des sources d'inspiration variées A. Les idées du général de Gaulle B. Les propositions issues du débat sur les institutions

2 . La procédure : les techniciens, les politiques et le peuple

A. Conseils et commissions : le dialogue des techniciens et des politiques B. Le référendum du 28 septembre 1958 : une large approbation populaire

2

L'évolution du contenu de la Constitution 1 . Comment réviser ? Un choix entre plusieurs possibilités A. Les procédures normales de l'article 89 B. La procédure contestée de l'article 11

2. Les révisions : échecs, demi-succès, réussites A. Les échecs B. Les demi-succès C. Les réussites

3 . La Constitution A l'épreuve de la pratique

A. Le renforcement de l'exécutif par le fait majoritaire B. Le retour à la lettre de la Constitution avec les « cohabitations »

HACHETTE LIVRE, 1991, 2004 43 quai de Grenelle, 75905 Paris cedex 15 . www. h achette-education . co m

CHAPITRE

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays . Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes des articles L .122-4 et L .122-5, d'une part, que les « copie s ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d'autr e part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite u . Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, sans autorisation de l'éditeur ou du Centre françai s de l'exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal . I.S .B .N . 2 .01 .14 .5592 .8

13 14 14 16 17

17 18

21 21

21 23 25 25 26 26 27 28 29

3

L'État

Couverture : Daniela Bak .

8

1 . Un État unitaire décentralisé A. L'État souverain et unitaire B. L'État décentralisé

2 . Un État de droit A. La soumission au droit B. Le respect des libertés des citoyens

33 33 33 35 35 36 36



SOMMAIRE

SOMMAIRE

3 . Un Etat démocratique

A. Les élections et le régime représentatif B. Le référendum C. Le pluralisme partisan

CHAPITRE

A. Le Premier ministre B. Les ministres C. Le gouvernement

67 70 71

2 . Le statut des membres du gouvernement A. Les incompatibilités B. La responsabilité

4

Le président de la République : désignation et statut 1 . L'élu du suffrage universel direct A. Le moment de l'élection B. Les candidats C. L'élection

2 . Un statut de chef d'État parlementaire A. Le quinquennat B. L'organisation de la présidence

3 . Les ambiguïtés de la responsabilité A. Le principe de l'irresponsabilité B. Une irresponsabilité contestable

CHAPITR E

37 37 38 41

3 . Les formations gouvernementales 45 45 46 46 48 49 50 51 52 52 53

A. Le Conseil des ministres : la décision B. Les autres formations : la préparation

CHAPITR E

Le président de la République : attributions 1 . Le rôle du Président justifie l'attribution de pouvoirs propres A. Des missions qui en font un véritable chef de l'État B. Des pouvoirs propres étendus mais ne permettant pas de gouverner

2 . Les pouvoirs partagés et leur captation par le Président A. Les relations extérieures et la défense B. Les rapportsavec le Parlement C. Les relations avec le gouvernement et avec l'administration D. Les relations avec la justice

Le gouvernement : attributions 1 . Les attributions propres au gouvernement A. La conception de la fonction gouvernementale B. Les moyens d'action du gouvernement

2 . Les attributions propres du Premier ministre A. Les multiples rôles du Premier ministre B. Les moyens d'action du Premier ministre

A. Les périodes de fait majoritaire B. Les périodes de cohabitation 55 56 57 61 61 63 64 65

CHAPITRE

6

41

77 77 78 81 82 83 84 84 87

8

Le Parlement

89

1 . Le bicaméralisme

89 89 91 92

A. L'Assemblée nationale B. Le Sénat C. Le caractère inégalitaire du bicaméralisme

94 94 95

A. Les obligations du parlementaire B. Les immunités parlementaires

Le gouvernement : composantes, statut, formation 1 . Les composantes du gouvernement : nomination et fin des fonctions

77

55

2 . Les parlementaires CHAPITRE

75 75 75

7

3 . L'évolution du partage des compétences au sein de l'exécutif

5

72 73 74

67

67

3 . L ' organisation du travail parlementaire A. Les organes des Assemblées B. Les sessions C. Les débats

E

96 97 98 99



SOMMAIR E

SOMMAIRE

CHAPITR E

9

La loi

10 1

1 . Le domaine de la loi A. La limitation apportée au domaine de la loi B. Les moyens d'empêcher le législateur de sortir de son domaine C. L'absence de limitation réelle au domaine de la loi

2 . La procédure législative

10 1 102 10 2 103 10 4 10 5 11 0

A. Les lois ordinaires B. Les lois spéciales

C. Les normes de référence D. La procédure du contrôle E. La décision du Conseil et ses effets F.La nature du Conseil constitutionnel G. L'avenir du Conseil constitutionnel

CHAPITRE

129 13 1 132 134 13 5

12

La hiérarchie des normes juridiques

13 7

1 . Les normes supra-législatives nationales

13 7 13 7 13 8

A. La primauté de la Constitution B. La garantie de la primauté de la Constitution CHAPITR E

10

Le contrôle du gouvernement par le Parlement 1 . Les questions

11 3 11 3 11 4

A. Les questions écrites B. Les questions orales

2. Les commissions d'enquête

11 5 11 6 11 6

A. Missions et organisation B. Fonctionnement

3. La mise en jeu de la responsabilité du gouvernement

A. La question de confiance (art . 49, al . l er) B. La motion de censure spontanée (art . 49, al . 2) C. L'engagement de la responsabilité sur le vote d'un texte (art . 49, al . 3)

4. Le contrôle de la politique européenne

CHAPITRE

11 3

11 7 11 7 11 8 11 9 12 0

11

Le Conseil constitutionne l et le contrôle de constitutionnalité

12 1 12 1 12 3

2 . Les attributions extérieures au contrôle de constitutionnalité

12 3

3. Le contrôle de constitutionnalité

12 5 12 5 12 6

A. Les actes contrôlés B. Le déclenchement du contrôle : la saisine 61

13 9 14 0 14 1

3 . Les normes infra-législatives 4 . Les normes internationales et européennes

14 1

A. Les différents actes à valeur législative B. Le respect du principe de légalité

A. Le principe B. La place des normes internationales dans la hiérarchie des normes

CHAPITRE

14 2 14 3 14 3

13

Les autres organes constitutionnels 1. Le Conseil économique et social 2. Le Conseil supérieur de la magistrature 3. La Haute Cour de justice et la Cour de justice de la République

147 147

148

A. La Haute Cour de justice B. La Cour de justice de la République

15 0 15 1 15 1

Conclusion — Sur la nature du système politique français

15 3

Conseils bibliographiques Index alphabétique

15 8 15 9

12 1

1 . Les membres du Conseil constitutionnel A. La désignation des membres B. Le statut des membres

2 . Les normes législatives

7

INTRODUCTIO N

Introduction ■

Au début du printemps 1958, la Iv e République est dans sa douzième année, elle n'a plus que quelques semaines à vivre : en quinze jours, en mai, elle va s'effondrer pour laisser la place à un nouveau régime dont les fondement s seront posés, très vite, au cours de l'été . Pourquoi une ve République, alors que la réforme des institutions est à l'ordre du jour, qu'une révision constitutionnelle est en cours avec des chance s sérieuses de modifier en profondeur le fonctionnement du système, tout e n restant dans le cadre de la Constitution de 1946? Les institutions sont-elles à ce point inefficaces ou usées qu'on ne puisse les aménager? Pourquoi l e recours au général de Gaulle va-t-il s'imposer? Pourquoi va-t-on rompre su r tant de points avec l'héritage des constitutions précédentes ? Les institutions de la IV e République en 1958 : — Un Parlement composé de deux chambres . Ce bicaméralisme est très inégalitaire . L'Assemblée nationale est élue à la représentation proportionnelle, son poin t de vue prévaut en matière législative et elle seule peut renverser le gouvernement . Le Conseil de la République, élu au suffrage indirect, dispose lui aussi de l'initiative des lois, mais doit s'incliner devant l'Assemblée en cas de désaccord . —Un Conseil des ministres ayant à sa tête un président du Conseil, qui, désign é par le président de la République, constitue son gouvernement et sollicite l'investiture, à la majorité relative au besoin, de l'Assemblée nationale . Le président d u Conseil est le véritable chef de l'exécutif, il a l'initiative des lois, dispose du pouvoi r réglementaire et du droit de dissolution (très difficile à mettre en oeuvre) . —Un Président (René Coty) élu par les deux chambres réunies en Congrès . Se s pouvoirs nominaux, assez nombreux, sont rendus très formels par l'exigence d u contreseing d'un ministre attestant l'accord du gouvernement . Il joue un rôle effacé .

PEUT-ON PARLER D'UN ÉCHEC DE LA IV E RÉPUBLIQUE ?

La chute de la ive République serait la sanction naturelle de son échec, de s institutions inefficaces auraient engendré un immobilisme laissant sans solu 8~

tion les problèmes de la vie nationale . Ce genre de constat en forme de réquisitoire est très répandu, est-il pour autant fondé ? ■ Des institutions inefficaces ? L'impression d'inefficacité des institutions tient avant tout à l'instabilité qu i caractérise l'exécutif : les gouvernements se succèdent sur un rythme accéléré , celui de Félix Gaillard est, en mars 1958, au moment où le régime vacille, l e vingtième depuis la mise en application de la Constitution de 1946 ; la Franc e reste parfois plus d'un mois sans gouvernement — en moyenne leur durée d e vie est de six mois. Mais l'instabilité gouvernementale ne signifie pas l'impuissance devan t les problèmes . Dans bien des domaines, et des plus importants, le bilan de l a ive République est largement positif . Qu'il suffise d'évoquer la reconstructio n du pays et la modernisation de son économie, le développement de la sécurité sociale, l'amélioration constante du niveau de vie, la réussite technique d e beaucoup de nationalisations, le début de la construction de l'Europe et de l a réconciliation avec l'Allemagne . . . Certes, les gouvernements changent sou vent, mais cela n'entraîne pas nécessairement des réorientations brutales d e la politique ; la permanence de l'administration, l'action de grands commi s comme Jean Monnet, Louis Armand, Paul Delouvrier, assurent une continuit é dont le pays recueille les fruits . Les Français n'en sont pas conscients ; le régime ne dispose pas d'un soutien populaire, il n'est ni aimé ni compris. Les citoyens sont sensibles avan t tout à la succession des gouvernements qui ne rencontrent que l'indifférenc e — à l'exception notable de celui de Pierre Mendès France en 1954 . Les raison s d'être des crises leur échappent, ils condamnent « les jeux, les poisons, le s délices » de ce que de Gaulle baptisera « le système » . S'il y a crise, il s'agi t moins d'une crise d'efficacité que d'une crise de confiance . ■ La responsabilité du système de parti s En réalité d'ailleurs, l'instabilité gouvernementale tient moins à un défaut d e conception des institutions qu'à l'impossibilité de dégager une majorité poli tique cohérente, disposée à soutenir durablement un gouvernement. L'Assemblée nationale, dont la confiance était nécessaire au gouverne ment, était élue à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne . Le résultat était la multiplication des partis politiques représentés à l a Chambre basse, aucun n'obtenant à lui seul la majorité, et un émiettemen t des formations du centre, où, en l'absence de parti majoritaire, un appu i devait être recherché pour gouverner . Le centre, partout dans le monde, a vocation à être au pouvoir. Ici, s'il ne pouvait s'y porter seul, ses composante s

INTRODUCTIO N

INTRODUCTION

n'aimaient guère non plus se retrouver ensemble aux côtés des grandes for mations de droite ou de gauche ; soucieuse d'affirmer son identité, chacun e était prête à déclencher une crise pouvant lui ouvrir (ou élargir) une place a u sein du nouveau gouvernement. Le système des partis était responsable de l'instabilité gouvernementale . Mais encore une fois, les institutions n'avaient pas empêché que s e règlent – et souvent de façon heureuse – la plupart des grands problème s posés au pays . Mieux peut-être que sous la Ill e République entre les deu x guerres ; pas plus mal que, par la suite, sous la Ve République. ■ L'Algéri e Toutefois, depuis 1954, le régime se trouvait confronté à un drame qui l e dépassait : celui de l'Algérie . Certes, et c'était là encore l'un de ses actifs, l a décolonisation avait été largement amorcée : le Vietnam, dans le sang pui s par la négociation (accords de Genève, 1954) ; la Tunisie (1955) et le Maro c (1956), sans trop d'affrontements ; un début d'émancipation de l'Afriqu e noire avait été entrepris avec la loi-cadre de 1956. L'« affaire algérienne » était beaucoup plus grave et compliquée . Aucun e solution acceptable par le pays ne se dégageait . Des raisons affectives trè s fortes – une présence remontant à 1830, un million d'Européens installés su r place, une certaine nostalgie de l'Empire colonial – s'opposaient à tout ce qu i pouvait apparaître comme une remise en cause du statu quo, interprétée comme un « abandon » . Au surplus, les institutions ne donnaient peut-êtr e pas assez d'autorité aux gouvernants pour imposer une solution . En eût-il été autrement, aurait-on trouvé dans le personnel politique un homme capabl e d'user de cette autorité ? Déjà, depuis des années, faute d'une ligne politique clairement définie, l e pouvoir central avait perdu le contrôle de la situation de l'autre côté de l a Méditerranée . La politique algérienne se décidait à Alger sous la pression de s milieux « pieds-noirs » appuyés par l'armée, et non à Paris dans les réunion s gouvernementales. Les circonstances allaient offrir le pouvoir à de Gaulle ; avec lui on avai t l'homme capable de régler le problème algérien .

LA PRISE DU POUVOIR PAR LE GÉNÉRAL DE GAULL E

Le 13 mai 1958, de Gaulle est dans une semi-retraite à Colombey-les-deux Églises. Le 2 juin, investi par l'Assemblée nationale à la tête du gouvernement , il devient le dernier président du Conseil de la Ive République . Pourquoi ? Comment s'est opéré ce retour au pouvoir?

■ La crise du 13 ma i Le gouvernement de Félix Gaillard n'avait pas résisté à l'émotion suscitée dan s le monde par le bombardement meurtrier, effectué par l'aviation française , d'un village tunisien où étaient installés des rebelles algériens . La perspectiv e de son remplacement par Pierre Pflimlin, suspect aux yeux des Français d'Algérie d'être favorable à des négociations avec le Front de Libération Nationale algérien (FLN), entraîne, le 13 mai 1958, des émeutes à Alger . Sous l'oeil passif de l'armée, et même avec sa complicité, la foule, composée en majorité d'Européens, prend d'assaut le Gouvernement général, sièg e de l'autorité de la République . Les émeutiers sont un peu embarrassés de leu r succès : ils savent ce qu'ils ne veulent pas, mais ils n'ont rien de très construc tif à proposer. En réalité, ils observent ce qui se passe en métropole et espèrent que le mouvement va s'y étendre . Espoir déçu : elle ne bouge pas e t Pflimlin est investi . Il faut sortir d'une situation bloquée, il faut trouver un e solution . S'ils ont servi de détonateur, les insurgés d'Alger ne jouent à pe u près aucun rôle dans le dénouement de la crise . ■ L'irrésistible marche du général de Gaulle vers le pouvoi r De Gaulle n'ignorait pas que des événements se préparaient à Alger, mais i l hésitait sur l'attitude à prendre . Ses amis vont canaliser le mouvement vers lui . Dès le 13 mai au soir, le général Massu, placé à Alger à la tête d'u n Comité de salut public, appelle à la formation d'un Gouvernement de salu t public présidé par le général de Gaulle . Celui-ci n'apprécie guère la façon dont se présente la situation : peut-il envisager de revenir au pouvoir par l a grâce d'une émeute? Pourtant, il va faire taire ses scrupules, réagir très rapidement et, en trois temps, en dehors de toutes les procédures établies, s e retrouver à la présidence du Conseil . – Le 15 mai, dans un communiqué de presse, il se déclare « prêt à assumer le s pouvoirs de la République D . –

Le 27 mai, après une conférence de presse où il prend ses distances avec le s émeutiers et aussi après de nombreux ralliements à sa personne, il déclar e « avoir entamé le processus régulier nécessaire à l'établissement d'un gouver nement républicain » .

– Le 29 mai – après la démission, la veille, de Pierre Pflimlin – le président de l a République, René Coty, dans un message aux Chambres, leur propose d'inves tir le général de Gaulle comme président du Conseil, faute de quoi il démissionnera . De Gaulle, reçu par Coty, accepte de solliciter l'investiture, qu'i l obtient par 329 voix contre 224 (comprenant les communistes, la moitié de s 1

11



INTRODUCTION

socialistes et des personnalités comme François Mitterrand et Pierre Mendè s France) . De Gaulle retrouve donc le pouvoir quitté douze ans auparavant . Peut-o n dire que c'est à l'issue d'un coup d'État ? Ce terme est trop fort : de Gaulle a joué avec habileté de circonstances qu'il n'a pas provoquées, même si ses ami s ne sont pas restés inactifs et ont joué un rôle déterminant à partir du débu t mai . Il est apparu comme le « recours » dans une situation échappant a u contrôle des autorités en place . Il a su les persuader qu'aucune solution à l a crise n'existait en dehors de lui et c'est avec leur assentiment – ou même su r leur initiative (René Coty) – qu'il est appelé à former le gouvernement . Son retour est moins la sanction de la faillite des institutions que celle de s hommes . De Gaulle est porté au pouvoir pour régler l'affaire algérienne, il lui fau t maintenant se donner les moyens de remplir sa mission et même de la pour suivre au-delà . . . La réforme des institutions est une priorité .

1 L'élaboration de la Constitutio n du 4 octobre 1958

Dès son investiture, de Gaulle va solliciter et obtenir le vote de deux textes : – une loi accordant les pleins pouvoirs à son gouvernement pour une durée de six mois, c'est-à-dire l'autorisant à prendre par décrets des mesure s relevant normalement de la loi (à l'exception expresse du domaine des libertés publiques) . Le Parlement se met d'autre part en congé jusqu'à la sessio n d'automne (en fait, il ne se réunira plus) ; – une loi constitutionnelle, datée du 3 juin, qui, écartant la procédure d e révision prévue par la Constitution de 1946, habilite le gouvernement d u général de Gaulle à réviser cette Constitution . Disposant des pleins pouvoirs, mandaté pour réviser la Constitution, délivré du contrôle du Parlement et soutenu par l'opinion publique, de Gaulle a les mains libres . Pas tout à fait cependant : le temps lui est mesuré, et surtou t la délégation du pouvoir constituant n'est pas totale . La loi constitutionnell e du 3 août fixe un certain nombre de principes : les cinq bases, auxquelles l a révision ne pourra toucher ; elle précise en outre la procédure à suivre pou r modifier la Constitution . Les cinq bases de la loi du 3 juin 1958 : 1) Le suffrage universel, seule source du pouvoir, le législatif et l'exécutif dérivent d e lui, il donne leur légitimité au Parlement et au gouvernement . 2) La séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif . 3) La responsabilité du gouvernement devant le Parlement . 4) L' indépendance de l'autorité judiciaire, proclamée gardienne des libertés essentielles . 5) L' organisation de nouveaux rapports entre la France et les peuples qui lui son t associés .

121

1

13



L'ÉLABORATION DE LA CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

En réalité, sur le fond, ce sont les principes issus de la tradition républicaine française dont le Parlement impose le respect à de Gaulle : le suffrag e universel, la séparation des pouvoirs et le régime parlementaire, auxquels le s circonstances ajoutent l'élaboration d'un statut liant la métropole à ses possessions coloniales . Un autre principe, lui aussi classique, s'imposera : le bicé phalisme de l'exécutif, c'est-à-dire la distinction d'un président de la République et d'un Premier ministre . Sur cette trame s'enchevêtrent les idée s constitutionnelles chères à Charles de Gaulle et celles issues d'une réflexio n réformatrice qui n'a pas cessé depuis 1946 . Le résultat sera une Constitution à mi-chemin entre la continuité et la rupture .

1 . Des sources

d'inspiration variée s

L'intéressant, ce sont, bien sûr, les innovations . D'où viennent-elles ?

A. Les idées du général de Gaull e Issu d'une famille de juristes, de Gaulle n'a pas lui-même de formation juridique . Cependant, les circonstances depuis sa captivité pendant la Premièr e Guerre mondiale, ses relations avec des hommes politiques entre les deu x guerres, son passage au gouvernement en 1940, jusqu'à son rôle de chef de l a France libre, l'ont amené à réfléchir sur les institutions et lui ont donné l'expérience de leur fonctionnement .

BAYEU X

S'étant placé à l'écart du pouvoir en janvier 1946, il avait mis en forme se s idées dans un discours prononcé à Bayeux le 16 juin 1946 . Le discours de Bayeux : Les Français avaient repoussé le 5 mai 1946 le projet de Constitution qui leur étai t proposé par voie de référendum . De Gaulle, retiré à Colombey, décide alors d'expose r sa conception de ce que devrait contenir la Constitution . II profite d'une invitation à Bayeux, première sous-préfecture libérée deux ans plus tôt, pour prononcer un dis cours, longuement médité, sur les institutions . Cette leçon de droit constitutionnel n e 141

L'ÉLABORATION DE LA CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 195 8

restera pas sans influence sur l'élaboration en cours de la nouvelle Constitution, mai s elle ne bouleversera pas le système dans le sens du renforcement de l'exécutif souhaité par le Général . Les grands thèmes qui seront repris finalement en 1958 s'y trou vent développés ; à ce titre on pourra qualifier le discours de Bayeux de « brouillon » de la Constitution de 1958 .

LES THÈME S

La préoccupation maîtresse est que les institutions assurent au pouvoir un e stabilité que notre tempérament effervescent et querelleur met constammen t en danger. II faut préserver la cohésion des gouvernements, l'efficacité d e l'administration, le prestige et l'autorité de l'État . À partir de là, de Gaull e développe plusieurs thèmes : • une exaltation de l'État, maintenu, puis restauré par lui en 1944 ; • la séparation et l'équilibre des pouvoirs ; • un Parlement bicaméral . La seconde Chambre, complémentaire de la première, et disposant comme elle de l'initiative des lois, serait partiellemen t composée de représentants des organisations économiques, familiales e t intellectuelles . Cette ouverture, non retenue en 1958, inspirera le projet d e révision de 1969 ; • surtout, un chef de l'État fort, pour un État lui-même fort : —placé au-dessus des partis et donc élu non pas par le Parlement, mai s par un collège électoral englobant ce dernier mais beaucoup plus large (formule en outre plus respectueuse de la séparation des pouvoirs) ; —ayant pour mission de choisir les ministres, et d'abord le « Premier », e n accord avec la majorité du Parlement ; de présider les conseils du gouverne ment, de promulguer les lois et de prendre les décrets ; —chargé d'assurer la continuité de la vie nationale ; —appelé à servir d'arbitre « par le conseil » (et non par la décision) e t pouvant au besoin en appeler au peuple par la dissolution (il n'est pas question de référendum) ; —en cas de péril, destiné à être le garant de l'indépendance nationale et du respect des traités . De tous ces thèmes, c'est sur le dernier — le chef de l'État — que de Gaull e insiste le plus . On les retrouvera dans la Constitution de 1958, et la pratiqu e gaullienne amplifiera ensuite leurs virtualités au-delà des prévisions . 1 15



L'ÉLABORATION DE LA CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

B. Les propositions issues du débat sur les institution s Le débat constitutionnel n'était retombé à aucun moment depuis 1946 .

LES IDÉES NOVATRICES DE MICHEL DEBRÉ ET DES HAUTS FONCTIONNAIRES

Au coeur de la réflexion constitutionnelle, on trouve Michel Debré . Gaulliste fidèle, juriste formé au Conseil d'État, auteur d'ouvrages remarqués, il allai t jouer — entouré de jeunes collègues — un rôle déterminant dans l'élaboratio n de la Constitution . Michel Debré partage le souci du général de Gaulle de restaurer l'autorit é de l'État et d'instituer un exécutif fort . De lui viennent les dispositions d e « rationalisation du parlementarisme » confortant la situation du gouverne ment en face du Parlement ; il impose aussi la règle du non-cumul d'un porte feuille ministériel et d'un mandat parlementaire, destinée à distendre les lien s des ministres avec leur parti et à souder la cohésion de l'équipe gouverne mentale . II échouera en revanche à faire accepter, pour provoquer la naissance d'un bipartisme, le système électoral britannique du scrutin uninomina l à un tour qu'il n'a cessé de défendre ensuite . Autour de lui, les jeunes maîtres des requêtes au Conseil d'État réussiren t à faire adopter un certain nombre d'idées hardies, telles la limitation d u domaine de la loi .

L'APPORT DES HOMMES POLITIQUE S

La volonté de renouvellement s'est combinée avec l'influence modératrice — moins conservatrice qu'on n'aurait pu s'y attendre — des hommes politique s qui, à des titres divers, ont été associés à l'élaboration du projet . Si, pa r exemple, ils se sont efforcés d'étendre le domaine de la loi, ils n'ont pas ét é opposés à toutes les innovations et en ont même introduit quelques-unes inspirées pour la plupart du projet de révision constitutionnelle en cours devan t le Parlement : constitutionnalisation de la délégation législative, procédure s de la motion de censure de l'article 49 alinéas 2 et 3 . En définitive, il existait un consensus général sur la réforme des institutions. Les réflexions et les travaux antérieurs ont largement contribué à l'élaboration de la nouvelle Constitution ; beaucoup d'idées étaient dans l'air, i l n'est pas toujours facile d'en attribuer avec certitude la paternité . Mais le grand débat de fond qui opposait partisans du régime présidentiel à ceux d u régime parlementaire devait vite tourner en faveur des seconds : le système serait parlementaire ; en droit, ce débat était tranché dès la loi du 3 juin . 16

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2 . La procédure : les techniciens, les politiques et le peupl e La loi du 3 juin posait aussi un certain nombre de contraintes de forme destinées à associer, au moins de façon minimum, le Parlement à la rédaction d u texte et à imposer sa ratification par le peuple .

A . Conseils et commissions : le dialogue des techniciens et des politique s Deux constatations : — Brisant avec la tradition française, la nouvelle Constitution ne sera pas l'oeuvre d'une assemblée constituante . — En conséquence, elle ne sera pas élaborée dans un débat au grand jou r par des représentants élus de la Nation, mais dans le secret de conseils et de commissions dont les travaux, restés longtemps confidentiels, ne seront révélés officiellement dans leur intégralité que trente ans plus tard . Dans la pratique, un dialogue, direct ou indirect, s'est établi entre des experts en droit public et des élus cautionnant par leur participation le caractère démocratique de la procédure . Quelles en furent les étapes ? • Une première phase gouvernementale tout d'abord . Un groupe de travail, présidé par Michel Debré, réunit de jeunes membres du Conseil d'État , en même temps que se tient à Matignon, sous la présidence du généra l de Gaulle, un conseil interministériel où siègent les ministres d'État qui assurent au sein du gouvernement la représentation des partis de la majorité . Des projets font la navette, les échanges de vues enrichissent le schéma initial . Le résultat de ces travaux est transmis au Conseil des ministres, il es t approuvé par lui et publié le 29 juillet . • Entre alors en scène le Comité consultatif constitutionnel (CCC) et commence une phase quasi parlementaire . Prévu par la loi du 3 juin, le Comité es t composé de 39 membres dont 26 parlementaires élus par leur assemblé e (Assemblée nationale : 16 ; Conseil de la République : 10) et de 13 personnali tes choisies par le gouvernement . Son intervention est destinée à assurer l a p résence du Parlement dans la procédure . De façon plutôt restrictive : il sièg e a titre consultatif, au Palais-Royal et non à l'Assemblée ou au Palais du Luxembourg, et il dispose de quinze jours pour se prononcer . II consacrera un e 1 17

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bonne part de ses travaux aux problèmes de l'outre-mer et à la défense des prérogatives traditionnelles du Parlement . Il achève sa tâche le 14 août . • Une nouvelle phase gouvernementale s'ouvre ensuite . Le texte adopté par le CCC est transmis au groupe de travail, au conseil interministériel et a u gouvernement ; plusieurs propositions du Comité sont intégrées au projet . Ainsi modifié, celui-ci est soumis à l'examen du Conseil d'État, le 28 août , après un très important discours de présentation de Michel Debré . Le 3 septembre, le Conseil des ministres, retenant certaines observations du Consei l d'État, adopte le projet définitif sur lequel le peuple sera invité à se prononcer par référendum . En définitive, ce n'est pas une Constitution révisée qui est proposée au x Français, mais un texte entièrement nouveau à l'établissement duquel leur s représentants n'ont pris qu'une part modeste .

B . Le référendum du 28 septembre 1958 : une large approbation populair e Une procédure aussi peu démocratique appelait une ratification populaire . Les Français sont donc conviés à se prononcer sur le texte. En réalité ils von t prendre position pour ou contre le général de Gaulle dans ce qui va apparaître comme un plébiscite spontané .

L' ÉLABORATION DE LA CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 195 8

petites formations d'extrême gauche et de gauche comme le Parti socialist e autonome, issu d'une scission du parti socialiste SFIO . LES RÉSULTATS DU RÉFÉRENDUM : UN SUCCÈS ÉCLATANT POUR DE GAULL E

Une participation massive et un succès du « oui », inattendu par ses proportions, telles sont les deux principales leçons du scrutin . En métropole, 83,84 % des électeurs inscrits ont pris part au vote, et 79,20 % d'entre eux ont approuvé le projet (soit 66,4 % du corps électoral, contre 36,1 % e n 1946) . Outre-mer, le succès est plus considérable encore : en Algérie, avec une participation de 80 %, les « oui » sont 96,5 %, et en Afrique 94,5 % . Seule la Guinée, à l'initiative du président Sekou Touré, répond « non », refusant par là même d'entrer dan s la Communauté instituée par la Constitution .

Le texte devait être promulgué le 4 octobre . Un certain délai était encor e nécessaire pour qu'il soit applicable dans son intégralité . Sur certains points , en effet, la Constitution prévoyait elle-même qu'elle devrait être complétée par des lois organiques (v. p. 110), ce qui fut fait sur la base de son article 92 , par une série d'ordonnances adoptées jusqu'en février 1959 . Restait d'autre part à mettre en place les nouvelles institutions, c'est-à-dire essentiellement à élire le président de la République, les députés et les sénateurs, à composer l e gouvernement et à nommer les membres du Conseil constitutionnel . C'es t seulement à partir de mars 1959 que la V e République a été en état de fonctionner (juillet pour la Communauté) .

LA CAMPAGNE DU RÉFÉRENDUM : LE P.C . À PEU PRÈS SEUL CONTRE TOU S

De Gaulle, bien sûr, invite à approuver le texte, sans toutefois mettre très clairement son départ dans la balance en cas de rejet et en évitant de donner un e description apocalyptique de ce qui s'ensuivrait . II mène une campagn e active en Afrique et à travers la France jusqu'à la veille de la consultation , usant déjà avec art de la radio et de la télévision . Du côté des partis politiques, les prises de position en faveur du « oui » sont les plus nombreuses . La droite et les gaullistes sans hésitation, le centr e avec un enthousiasme mesuré, les socialistes et les radicaux de façon plus par tagée . Des personnalités pourtant restent à l'écart de cette adhésion : à droite, des fidèles du maréchal Pétain restés hostiles à de Gaulle ; à gauche , Pierre Mendès France et François Mitterrand car ils désapprouvent les conditions du retour au pouvoir du Général et craignent – ou feignent de craindr e – l'instauration d'un pouvoir personnel . Seul des grands partis, le Parti communiste manifeste une opposition résolue au projet . Il y retrouve certaines 181

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19

2 L'évolution du conten u de la Constitutio n

La Constitution de 1958 n'est pas un texte figé une fois pour toutes dans l a forme donnée par ses auteurs . Le milieu où elle s'applique a changé, il évolu e toujours, il vit ; la Constitution contribue à l'organiser en même temps qu'i l pèse sur elle . Des adaptations sont donc nécessaires . Le constituant le savait e t a prévu des procédures destinées à les apporter. Plus de quarante ans ont passé et la Constitution d'aujourd'hui n'est plu s tout à fait celle des origines . Elle a changé, pas toujours dans les règles .

1 . Comment réviser ? Un choix entre plusieurs possibilité s Plusieurs voies se proposent pour entreprendre une révision . La Constitutio n consacre son titre XVI, composé d'un article unique (89), à « la révision » , mais, dans la pratique, le général de Gaulle a fait appel à deux reprises, d e façon contestée, à l'article 11 pour modifier la Constitution .

A. Les procédures normales de l'article 8 9 La procédure varie selon l'autorité à l'origine de la révision . RÉV ISION A L'INITIATIVE DES PARLEMENTAIRE S Les deux chambres, l'Assemblée nationale et le Sénat, sont ici sur un pie d dé galité, aussi bien en ce qui concerne l'initiative que le vote de la révision . 21

L'ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTIO N

En effet, tout député ou tout sénateur peut prendre l'initiative d'une révisio n constitutionnelle . Si sa proposition est adoptée par son assemblée, elle ser a transmise à l'autre chambre, qui en débattra à son tour. Au besoin, un e navette – c'est-à-dire des allers et retours d'une assemblée à l'autre – s'organisera pour parvenir à un accord sur un texte identique . En effet, la proposition doit être approuvée dans les mêmes termes par les deux chambres : l'As semblée nationale ne peut faire prévaloir son point de vue . Autrement dit , l'opposition d'une seule chambre suffit à faire échouer la réforme, ce qu i donne – il faut le souligner – une sorte de droit de veto au Sénat . Le vote est acquis à la majorité simple des suffrages exprimés. La procédure ne s'arrête pas là . Après son adoption par les chambres, l a proposition doit être soumise au référendum : les citoyens sont appelés à confirmer le vote de leurs représentants . Tout se déroule en dehors de l'exécutif . Absent de la procédure, il ne peu t qu'en observer le déroulement ; en particulier il ne pourrait refuser d'organiser le référendum . Pourtant, il n'est pas entièrement sans défense contre un e initiative qu'il désapprouve . En effet, pour être débattue, une proposition d e révision doit être inscrite à l'ordre du jour des assemblées . Or, comme on l e verra en étudiant le Parlement, dans la pratique le gouvernement peut freiner l'inscription à l'ordre du jour des textes qui ne lui plaisent pas . Cel a explique qu'aucune des nombreuses propositions de révision n'ait jamais ét é discutée – à l'Assemblée tout au moins . Aucune révision n'est intervenue pa r cette voie .

RÉVISION À L'INITIATIVE DE L'EXÉCUTI F

Elle suppose l'accord du président de la République et du Premier ministre : l e second la propose au Président qui décide de l'entreprendre ou non . En principe, l'initiative vient donc du Premier ministre ; l'expérience montre qu e celui-ci se contente souvent de suggérer a posteriori, pour respecter le s formes, une révision déjà annoncée par le Président . Mais il ne peut en êtr e ainsi qu'en dehors des périodes de cohabitation (v . p . 87) . Le Président a le choix entre deux voies : – soit celle suivie en cas d'initiative parlementaire : accord des chambre s sur un texte identique suivi d'un référendum ; – soit, après le vote des chambres, il convoque le » Congrès » formé pa r la réunion à Versailles des deux chambres en séance commune . Aucun amen dement ne peut être apporté au texte par le Congrès, qui vote à la majorit é des 3/5 e des suffrages exprimés . II n'y a pas lieu alors à référendum . 22

L' ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTIO N

REMARQUES SUR CES PROCÉDURES

Quelle que soit la voie retenue, l'accord des deux chambres est indispensable. Pourquoi alors recourir dans certains cas au référendum et dan s d'autres au Congrès pour clore la procédure? Le référendum se justifie dan s l'hypothèse de l'initiative parlementaire pour éviter que, l'exécutif étant excl u de la procédure, la révision soit l'oeuvre des seuls parlementaires . Le gouvernement pourra, au cours de la campagne du référendum, demander a u peuple de manifester par un vote négatif qu'il partage son opposition a u texte . La même raison ne joue plus lorsque le Président est à l'origine de l a révision ; en outre, l'intervention du Congrès évite la lourde procédure d u référendum pour de simples modifications techniques ou de détail de l a Constitution ; le référendum sera réservé à des décisions importantes . D'autre part, tout dans la Constitution n'est pas révisable, et la procédure ne peut être engagée à tout moment : – la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'un e révision . La porte est fermée à une restauration monarchique ; – la révision est exclue au cas où une partie du territoire est occupée pa r des forces étrangères (souvenir de 1940), pendant la suppléance du présiden t de la République (v. p . 51), ou lorsque l'article 16 est en vigueur (v . p . 59) . La Constitution ne doit pas pouvoir être modifiée pendant des crises graves alor s que les parlementaires et le peuple ne jouissent peut-être pas d'une entièr e liberté .

B . La procédure contestée de l'article 1 1 En 1962 et en 1969, le général de Gaulle a entrepris une révision en utilisan t l'article 11 de la Constitution . Cette initiative a été vivement contestée . POURQUOI DE GAULLE A-T-IL EU RECOURS À L'ARTICLE 11

?

La vertu première de l'article 11 est de permettre, comme on va le voir, de s e passer du Parlement . Le peuple est consulté directement par référendum san s que le texte soit soumis aux assemblées . À supposer qu'elles ne le rejettent pas, elles risquent de le remanier, de le retoucher, de façon à faire disparaîtr e ce qui ne plaît pas aux parlementaires – et à quoi, peut-être, l'exécutif atta chait le plus de prix . Quel avantage pour ce dernier par rapport à l'article 89 ! Or, en 1962, comme en 1969, de Gaulle connaissait à l'avance l'hostilité du Parlement à l'égard de ses projets de réforme, vouant ceux-ci à l'échec . 1 7 .a

L'ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTION

L'ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTION

Que le recours à l'article 11 soit contestable sur un plan juridique l'émouvai t peu ; au reste, le peuple est resté indifférent à la querelle des experts, qui n' a pas influencé son vote .

L'ARTICLE 11 PERMET-IL DE RÉVISER LA CONSTITUTION ?

Que trouvait-on à l'époque — il a été révisé en 1995 — dans l'article 11 ? « Le président de la République, sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions, ou sur proposition conjointe des deux assemblées , (. . .), peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics ( . . .) ou tendant à autoriser la ratification d'un trait é qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. » Le pouvoir du Président d'organiser un référendum sur « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics » peut-il être interprété e n droit comme ouvrant une autre procédure de révision ? On en a beaucoup débattu en 1962, et, encore, en 1969 . Certains se sont efforcés de démontrer la régularité du recours à l'article 11 . Pourquoi l e peuple ne pourrait-il modifier seul ce qu'il a approuvé seul en 1958 (le Parle ment n'avait pas été consulté alors) ? D'autre part, l'article 11 ne fait pas d e distinction entre les différentes sortes de lois, pourquoi ne s'appliquerait-il pas aux lois constitutionnelles ? La plupart des acteurs et des observateurs ont adopté la position inverse . Pour eux, le titre XVI de la Constitution, intitulé « De la révision », règle tou t ce qui concerne cette révision . II organise deux, et même trois, procédures e t ne fait mention d'aucune autre voie pour réviser. Il faut s'en tenir à lui .

QUEL AVENIR POUR L'ARTICLE 11 ?

Si le débat est à peu près retombé aujourd'hui, il n'est peut-être pas entière ment clos. Par exemple, François Mitterrand, en 1988, justifiait l'utilisation d e l'article 11 sur « des textes peu nombreux et simples dans leur rédaction » . C'est admettre le recours à l'article 11 à condition de ne pas en abuser . II faut bien voir que l'article 11 peut avoir son utilité lorsque l'oppositio n des parlementaires, ou d'une chambre, bloque une révision alors qu'un e réforme s'impose . D'autant que ces oppositions seront souvent dirigées moin s contre le fond de la réforme que contre le président de la République qui l a propose ; l'exécutif pourrait alors s'adresser au peuple en passant par-dessu s la tête des Assemblées. 24

1

2. Les révisions : échecs, demi-succès, réussite s À vingt reprises depuis l'origine de la V e République, la procédure de révisio n a été engagée, avec des sorts variés . Un inventaire rapide en sera donné ic i pour y revenir au besoin de façon développée plus loin . Toutes, sauf celles d e 1960, de 1962 et de 1969, ont été entreprises par la voie de l'article 89, avec l a réunion du Congrès, sauf en 2000 où un référendum fut organisé .

A . Les échec s Trois tentatives ont échoué : • En 1969, le général de Gaulle entreprit de réviser les dispositions concernan t le Sénat et l'organisation régionale . En réalité, il voyait avant tout dans le référendum l'occasion de retremper, par le suffrage populaire, une légitimit é mise à mal par les événements de mai 1968 . Abandonné d'une partie de se s soutiens habituels (Valéry Giscard d'Estaing), il devait perdre la question d e confiance implicite posée au pays, la révision obtenait 10 500 000 voix contr e 11 900 000 . Conséquence : le lendemain du scrutin, le 28 avril, de Gaull e démissionnait . • En 1984, François Mitterrand proposait une révision de l'article 11 pour élargir « aux garanties des libertés publiques » les domaines où les Français peu vent être consultés par référendum . II annonçait qu'après le vote de s chambres, il choisirait la voie du référendum et non celle du Congrès . On a parlé alors du « référendum sur le référendum » . Celui-ci n'a pas eu lieu, l e Sénat ayant repoussé le projet. • En 1990, François Mitterrand tentait à nouveau une révision, portant sur l a saisine du Conseil constitutionnel (v. p . 128) et l'ouvrant indirectement au x particuliers (contrôle par voie d'exception) . Une affaire aurait pu être trans mise au Conseil constitutionnel, qui aurait statué sur la conformité de la loi à la Constitution . Comme en 1984, l'opposition du Sénat — mettant à son accor d des conditions inacceptables par le Président — fit échouer la réforme . En ce qui concerne ces trois tentatives, il faut admettre qu'à chaque fois , les intentions du Président n'étaient pas entièrement pures . A des degré s divers, il se souciait davantage du bénéfice personnel qu'il pouvait en tire r que de l'amélioration apportée aux institutions . 25



L'ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTION

B . Les demi-succè s Deux révisions ont franchi avec succès l'étape de l'approbation par les chambres sans que la procédure soit ensuite menée à son terme . • En 1973, Georges Pompidou avait souhaité ramener à cinq ans la durée du mandat présidentiel (v. p . 50) . Son projet obtint dans les deux chambres un e majorité trop faible pour que l'épreuve du Congrès soit sans risque (exigenc e des 3/5 e ) . La procédure en resta là . La question fut reprise en 2000 (v. p . 28) . • En 1974, Valéry Giscard d'Estaing projeta de réformer le statut des suppléants des députés et des sénateurs (v . p . 90) . Adopté de justesse par l'As semblée nationale, le texte le fut plus facilement par le Sénat ; mais là encore, la marge était trop étroite pour garantir une majorité des 3/5 e au Congrès . Le Président préféra laisser son projet en suspens .

C. Les réussite s Seize révisions ont réussi à ce jour. D'importance variable . Plutôt que d'e n donner une énumération chronologique qui serait fastidieuse — on les retrouvera d'ailleurs à leur place, plus loin, dans l'étude des institutions —, il est préférable de se demander pourquoi il a fallu ainsi, assez souvent, modifier l a Constitution . • Nécessité d'adaptation à l'évolution des relations internationales . La construction de l'Europe oblige ainsi à réviser certaines dispositions, qu'i l s'agisse par exemple de tenir compte du traité de Maastricht du 7 février 199 2 (25 juin 1992) ou de celui d'Amsterdam de 1997 (25 janvier 1999), ou encore de l'élaboration de règles concernant le droit d'asile (25 novembre 1993) ou l e mandat d'arrêt européen (25 mars 2003) . . . • Nécessité d'apporter des aménagements techniques . —Ceux-ci seront parfois minimes : régime des sessions parlementaires (30 décembre 1963 et 4 août 1995), extension du champ du référendu m (4 août 1995), financement de la sécurité sociale (22 février 1996) . — Mais ils peuvent être relativement importants : statut du Conseil supé rieur de la magistrature (27 juillet 1993), parité hommes-femmes dans l'accès aux mandats électoraux et fonctions électives (8 juillet 1999) . . . • Enfin, la révision peut correspondre à une modification profonde des institutions : élection du président de la République au suffrage universel direct (6 novembre 1962), extension de la saisine du Conseil constitutionnel 26

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(29 octobre 1974), adoption du quinquennat (2 octobre 2000), organisation de la décentralisation (28 mars 2003) . . . Les révisions en suspens ou projetées : - Modification du statut du Conseil supérieur de la magistrature . Adoptée e n 1998 par les deux chambres, non transmise au Congrès . - Modification du statut de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie . Idem e n 1999 . - Modification du statut de la responsabilité pénale du chef de l'État . - Constitutionnalisation d'une charte de l'environnement .

Depuis une dizaine d'années, les révisions se sont multipliées . Ce réformisme est condamnable ; il remet en cause l'une des qualités premières d'un e Constitution : la stabilité . S'il y a là une part d'usure du texte de 1958, celle-c i n'est pas la cause principale du phénomène, qui tient d'abord à ce que l a société française et le monde changent . Il faut donc adapter les institutions . Certains proposent d'instaurer une vie République . Cela n'est pas la solution , d'autant qu'aucun accord ne s'esquisse sur le contenu d'une nouvelle Constitution . Aussi est-il préférable de s'accommoder des institutions existantes , quitte à les adapter quand il le faut.

3 . La Constitutio n à l'épreuve de la pratique Les transformations les plus profondes de la Constitution doivent moins au x procédures des articles 11 et 89 qu'à des influences indirectes : —celle du Conseil constitutionnel : à travers ses interprétations de l a Constitution, il a été amené à préciser, ou même à infléchir, le sens de certaines dispositions . On y reviendra plus loin (v . p . 129) ; —celle surtout de la pratique : les règles et les procédures ont joué dan s des circonstances changeantes, sous l'impulsion de personnalités plus o u moins fortes et décidées, dans des rapports de force variés entre les acteurs d u jeu politique . Une Constitution réelle s'est mise en place, détachée de l a Constitution formelle, s'en éloignant parfois beaucoup pour s'en rapprocher à nouveau plus tard . Cette pratique fluctuante formera la trame de la présentation des institutions ; il faut cependant en schématiser dès maintenant les ten 27



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dominantes, autour de deux configurations qui scandent l'histoire de la Ve République : le fait majoritaire et la cohabitation . dances

A. Le renforcement de l'exécutif par le fait majoritair e (1962-1986, 1995-1997, depuis mai-juin 2002 ) Le souci des auteurs de la Constitution de renforcer l'exécutif a connu u n développement inattendu grâce à la simplification des forces politiques . La Constitution de 1958 a été élaborée dans la hantise de l'instabilit é gouvernementale, caractéristique du régime précédent . Par là, elle est un e Constitution-contre, elle se veut Constitution rupture, sans trop d'illusions e n réalité, tant paraissaient ancrées les données de la vie parlementaire française . Et, dans un premier temps d'ailleurs, la plupart des acteurs du jeu poli tique conserveront les réflexes acquis sous la I V e République ; il leur faudra d u recul pour prendre conscience du changement du contexte politique, sou s l'effet de l'apparition du fait majoritaire : un parti, ou le plus souvent un e coalition de partis, s'engage à soutenir le gouvernement à l'Assemblée jusqu'aux élections législatives suivantes ; le gouvernement dispose d'une majorité stable . Cette situation donne à l'exécutif des facilités nouvelles dans se s relations avec le Parlement ; elle permet au Président, lorsqu'il est en accor d avec fa majorité, d'affirmer sa primauté au sein du système . Les prévisions pessimistes du constituant sont démenties et la stabilit é devient la règle, les dispositions du texte de 1958 doivent alors être lues e t sont appliquées dans une nouvelle perspective . L'APPARITION DU FAIT MAJORITAIRE

Les élections de 1958 à l'Assemblée nationale avaient donné naissance à une majorité hétéroclite, rassemblée autour du soutien apporté au généra l de Gaulle pour la solution du problème algérien . La fin de la guerre allai t mettre un terme à sa cohésion et le conflit éclater lors de la présentation pa r le Général, fin septembre 1962, de son projet de révision du mode d'électio n du président de la République . Le gouvernement Pompidou est renversé, de Gaulle dissout l'Assemblé e nationale, et les élections législatives, intervenues sur la lancée du succès d u référendum constitutionnel du 28 octobre, voient une large victoire des parti s ayant soutenu de Gaulle dans son entreprise . L'UNR – la formation gaulliste – et ses alliés obtiennent une majorité de 27 sièges dans la nouvelle Assemblée . Le fait majoritaire est né : de ces élections à celles de 1986, puis de 1995 à 28 1

1997 et enfin, depuis juin 2002, une équipe formée par le Président autour de lui, trouvera un appui constant – plus ou moins large et discipliné – à l'As semblée nationale en faveur de sa politique. À partir de là, les élections législatives se jouent pour ou contre le Président et le gouvernement . Les électeur s se déterminent dans cet esprit, ils donnent mandat à leurs élus soit de soutenir, soit de combattre l'exécutif. Un clivage tranché, une bipolarisation de l a vie politique, mettant en présence une majorité et une opposition stables, s e substituent aux coalitions composites et passagères des Il l e et I V e Républiques. Cette situation, à peu près inédite depuis 1875, va modifier en profondeur les équilibres du régime établis par le constituant . LE RENFORCEMENT DE L'EXÉCUTIF

L'apparition du fait majoritaire entraîne deux conséquences majeures : • Les relations du gouvernement et du Parlement sont transformées . Sû r de l'appui de la majorité, la menace d'un vote de défiance écartée, le premie r est plus libre pour définir sa politique ; les occasions d'user des procédures d e rationalisation du parlementarisme, c'est-à-dire des mécanismes anti-crise, mi s à sa disposition par le constituant, sont rares . Le gouvernement dispose enfi n de temps pour mettre en oeuvre une politique, pour l'imposer au besoin . • Au sein de l'exécutif, lorsque le Président peut s'appuyer sur la majorité, sa primauté s'affirme avec force, très au-delà des intentions du constituant, c'est lui le chef. Le Premier ministre et le gouvernement sont les acteur s consentants ou les témoins passifs de l'amenuisement de leur rôle . Dès avant son élection au suffrage direct en 1965, de Gaulle proclam e sans détour sa primauté dans une conférence de presse célèbre, donnée l e 31 janvier 1964 . Il n'y a pas de dyarchie – de système répartissant le pouvoi r entre deux chefs égaux – à la tête de l'État, le Président domine l'exécutif e t l ' ensemble des institutions . Tel n'est pas le schéma tracé par la Constitution ; l e bouleversement est considérable .

B . Le retour à la lettre de la Constitutio n avec les « cohabitations » (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002 ) LA P REMIÈRE COHABITATION (1986-1988)

Les élections législatives de 1986 allaient faire disparaître le facteur essentie l de la primauté présidentielle : la nouvelle majorité n'est plus favorable au 129



L' ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTION

L'ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTION

Président . La France entre dans la « cohabitation » (ou « coexistence »), carac térisée par l'obligation pour le Président de travailler avec un gouvernemen t (celui de Jacques Chirac) issu d'une majorité qui lui est hostile . Toutes les facilités d'action offertes au Président par le soutien de l a majorité disparaissent . F. Mitterrand doit se replier sur ses attributions constitutionnelles, les défendre ; même s'il s'efforce à chaque occasion de les élargir, son domaine s'en trouve très réduit . En contrepartie, le gouvernement, pour la première fois dans l'histoire de la République, définit et conduit, comm e le prévoit la Constitution (article 20), la politique de la Nation . Le Président , privé de possibilités d'initiative, devient le pôle faible de l'exécutif : il peu t encore empêcher, il ne peut guère agir . Le texte de 1958 reçoit une application conforme à sa lettre (v . pp . 87-88) . COMMENT GOUVERNER AVEC UNE MAJORITÉ RELATIVE ? (1988-1993 )

La première cohabitation s'est terminée avec la réélection de F. Mitterrand e n avril 1988, la dissolution de l'Assemblée qui a suivi et le retour d'une majorit é de gauche, simplement relative, dans la nouvelle chambre . Les Premier s ministres Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy n'ont pas disposé , à la différence de leurs prédécesseurs, d'une majorité automatique : ils ont d ü rechercher selon les dossiers un appui sur leur droite ou sur leur gauche, e t user des procédés de contrainte inscrits dans la Constitution pour permettr e au gouvernement de faire adopter ses projets . Le retour au texte de 1958 est confirmé . De son côté, François Mitterrand est resté assez discret sur les problème s de politique intérieure, comme il l'avait fait avec Jacques Chirac : il a laissé « l e gouvernement gouverner », quitte à fixer de temps à autre des orientation s ponctuelles . Dans ces conditions, la situation du Premier ministre était plu s proche de celle de Jacques Chirac entre 1986 et 1988 que de celle de tous le s autres Premiers ministres de la V e République . Il est cependant deux domaines où le Président n'a jamais abandonné se s prérogatives, ni pendant les cohabitations ni en dehors : celui de la politiqu e extérieure et celui de la défense . Lorsque les événements le sollicitent (cris e irakienne en 2003, par exemple), sa prééminence s'affirme et il se retrouv e tout naturellement en première position sur le devant de la scène (v . p. 86) . LA DEUXIÈME COHABITATION (1993-1995)

La deuxième cohabitation a été plus paisible que la première . François Mitterrand n'avait pas à préparer une nouvelle candidature à la présidence , 30

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Édouard Balladur, lui, était candidat et disposait à l'Assemblée d'une majorit é écrasante, mais il n'avait rien à gagner à adopter une attitude conflictuelle . I I y eut bien quelques heurts (querelle du contrat d'insertion professionnell e [CIP] ; tentative de révision de la loi Falloux), mais dans l'ensemble la cohabitation s'est déroulée dans les formes définies entre 1986 et 1988 . LA TROISIÈME COHABITATION (1997-2002 )

En 1995, Jacques Chirac a été élu président de la République, contre Lione l Jospin, et Alain Juppé a succédé à Édouard Balladur à la tête du gouverne ment. La France se retrouve dans une situation de fait majoritaire classique . Le président Chirac a adopté un style plus simple que celui de son prédécesseur mais il n'a pas toujours résisté – contrairement à ses intentions déclarées – à la tentation d'intervenir dans la politique du gouvernement, quitte à le laisser faire face seul, à l'occasion, à des mouvements sociaux importants . La dissolution, maladroitement provoquée, du 21 avril 1997 devait entraîner la victoire de la gauche aux élections législatives et l'entrée dans une troisième cohabitation . Celle-ci diffère des précédentes par plusieurs aspects : – elle a duré cinq ans et non deux ; – elle a mis en présence un Président de droite et une majorité de gauche ; – à l'origine, le Président était affaibli par l'échec aux élections législatives des partis qui le soutenaient ; il en est apparu comme responsable . En revanche, comme dans la première cohabitation, le Président et le Premier ministre étaient candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle . Pendant la période 1997-2002, Jacques Chirac s'est efforcé de rétablir so n image et son autorité, en usant d'une grande liberté de parole, faisan t connaître ses désaccords, mettant en garde, multipliant voyages et apparitions publiques sous l'oeil de la télévision . Mais il ne pouvait s'opposer concrè tement à la politique gouvernementale . Lionel Jospin, tout en s'efforçant d e maintenir la cohésion de la « majorité plurielle », a réussi à mettre en oeuvr e les grandes lignes de son programme : loi sur les trente-cinq heures, couverture maladie universelle (CMU), pacte civil de solidarité (PACS), parité, etc . Ainsi a-t-il été démontré, une nouvelle fois, que la cohabitation n'empêche pas la majorité et le gouvernement d'atteindre leurs objectifs ; le pays n'es t pas paralysé par la concurrence au sommet de l'exécutif, il est gouverné . La troisième cohabitation s'est achevée avec les élections de juin 2002 . 31

L'ÉVOLUTION DU CONTENU DE LA CONSTITUTIO N

LE RETOUR A LA PRIMAUTÉ DU PRÉSIDENT (2002- . . . )

Depuis juin 2002, le pouvoir est dans son intégralité entre les mains du mêm e parti, l'UMP : la présidence, le gouvernement, le Parlement dans ses deux chambres (il contrôle en pratique le Sénat) et, éventuellement, le Congrès (i l peut réviser la Constitution) . Pour la première fois depuis les débuts de l a République . Le Président retrouve donc sa primauté, mais il en use avec mesure . Le Premier ministre, tout en réaffirmant à chaque occasion son allégeance à J . Chirac, mène une politique parfois courageuse (réforme des retraites) e n accord avec lui mais sans interventions directes du chef de l'État. Celui-ci est souvent absent sur les dossiers de politique intérieure, tout en exerçant se s prérogatives habituelles dans le domaine des relations extérieures et de l a défense .

3 L'État

L'État français présente des caractères qui lui sont communs avec la plupar t des États, mais leur aménagement a pris des formes spécifiques lui conféran t son originalité . Tous ne méritent pas un long commentaire : ainsi, l'État français est républicain, ce qui exclut toute dévolution héréditaire du pouvoir ; i l est aussi laïque, caractère qui implique sa neutralité à l'égard du phénomèn e religieux . D'autres, en revanche, doivent être développés .

1 . Un État unitaire décentralisé « La République est une et indivisible . » La formule révolutionnaire est toujours actuelle, elle est reprise sous une forme voisine à l'article 2 de la Constitution de 1958. Mais s'il est unitaire, l'État fait une place toujours plus large à une administration décentralisée .

A . L' État souverain et unitaire DES PRINCIPES ÉTABLIS DEPUIS LONGTEMPS

La forme fédérale est écartée . Aussi la France n'est-elle pas une composant e d'une entité plus large – la construction européenne changera peut-être u n jour cette situation, des pas importants ont été faits en ce sens ces dernière s a nnées . Pourtant, en 1958, une tentative a été entreprise d'une Communaut é fr ançaise, regroupant la République et les peuples d'outre-mer au sein d e str uctures inspirées du fédéralisme, où la métropole jouait les premiers rôles . 32

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L'expérience a été éphémère : dès 1960 il y fut mis un terme ; les disposition s la concernant ont été effacées de la Constitution par la révision de 1995, o n n'y reviendra pas dans la suite de cet ouvrage . D'autre part, la France ne se subdivise pas non plus en entités autonome s à l'image des lànder allemands ou des cantons suisses . Il n'empêche que, pou r tenir compte de l'histoire et de leur situation particulière, des statuts propre s ont été consentis aux départements et territoires d'outre-mer, et que Paris , comme Lyon et Marseille, ainsi que la Corse, bénéficient d'aménagements ins titutionnels spécifiques, en cours de renforcement pour cette dernière . En même temps, les principes de souveraineté, d'unité et d'indivisibilit é de la République, solidement établis depuis longtemps, sont aujourd'hu i remis en cause . DES

PRINCIPES AUJOURD'HUI REMIS

EN CAUS E

• La souveraineté connaît certaines limitations du fait de l'évolution de l a société internationale, du phénomène de mondialisation, de la création d'institutions comme la Cour pénale internationale, qui pourra juger des citoyen s français . . . Mais c'est surtout l'édification de l'Europe qui met en cause le principe . L'Europe ne peut se construire sans sacrifices de souveraineté (suppression des contrôles aux frontières, création de l'euro, droit de vote des étrangers . . .) ; jusqu'où peut-on aller sans que la France cesse d'être un État indépendant ? La souveraineté que l'article 3 de la Constitution confie au peupl e peut-elle être exercée par les institutions dont se dote l'Europe ? . . . et dans quels domaines ? Les traités européens ont prévu des abandons de souveraineté ; le Conseil constitutionnel, interrogé, a considéré qu'ils n'étaient pa s conformes à la Constitution, il a donc fallu réviser celle-ci (v . p . 28) pour auto riser les « transferts » de souveraineté qu'ils prévoyaient . Le mouvement va nécessairement se poursuivre . • L'unité et l'indivisibilité ont elles aussi été menacées ces dernières années . À propos de la Corse tout d'abord : une loi de 1991 ayant évoqué « le peupl e corse », le Conseil constitutionnel a rappelé le principe de l'unité du peupl e français et refusé la reconnaissance de « minorités » . En 1999, c'est la Charte européenne des langues régionales qui a été jugée contraire à la Constitution, dans certaines de ses dispositions, par le Conseil constitutionnel, car n e peuvent être reconnus des droits collectifs à des groupes définis « par un e communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » ; la Charte n e peut donc pas être ratifiée et le Conseil a rappelé le principe de « l'unicité » du peuple français . Enfin, le statut accordé à la Nouvelle-Calédonie en 199 8 porte, lui, atteinte directement à l'indivisibilité de la République, en faisan t 34 1

une distinction en matière de droit de vote et d'emploi entre les citoyens installés dans l'île . L'indivisibilité pourra-t-elle résister durablement aux revendication s identitaires de groupes minoritaires ?

B . L'État décentralisé La décentralisation a été en France au coeur d'une longue bataille commencé e à la Révolution dans l'affrontement des Girondins et des Jacobins . L'aspiratio n des citoyens à la prise en main de la gestion des affaires locales a fini pa r l'emporter. Elle a été consacrée et renforcée sous la Ve République par un e série de textes, en particulier par la révision du 28 mars 2003 qui en fait l'u n des fondements de la République et détaille son organisation . Hormis les collectivités à statut particulier, les collectivités territoriale s entrent aujourd'hui dans quatre catégories : la commune, le département, l a région et les collectivités d'outre-mer. Sauf pour ces dernières, à l'intérieur d e chaque catégorie, leur statut est à peu près identique (pour les communes, o n tient compte de leur population) et elles disposent de la personnalité morale . Leurs organes, conseils et exécutifs, sont élus . Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales . La Constitution pose le principe de leur libre administration . Elles bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement et ont vocation à décider sur le s affaires qui peuvent être réglées plus efficacement à leur échelon (principe d e subsidiarité) . De façon schématique : la commune satisfait aux besoins de l a vie quotidienne ; le département est chargé d'assurer une certaine solidarit é entre ville et campagne ; la région – ensemble plus vaste – élabore et réalis e des plans plus ambitieux tournés vers l'avenir ; elle devrait bénéficier progressivement de compétences accrues . Il dépend en définitive de l'État que la décentralisation soit une réalité . I l est maître de son étendue et, par son contrôle sur les collectivités décentralisées, il évite la mise en cause des intérêts de la communauté nationale et protege les individus contre les abus éventuels des autorités locales .

2. Un État de droi t L'État français se range au nombre des États de droit . Cela signifie que l'État n'est pas au-dessus des lois : son comportement n'est pas arbitraire, les gou 35



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vernants en tant que gouvernants sont soumis au droit . L'État français accept e d'agir en respectant des règles et reconnaît les libertés des citoyens comm e limites à sa propre liberté .

A. La soumission au droi t Gouvernants et fonctionnaires ne peuvent prendre des décisions ou user de l a force qu'en vertu d'une habilitation juridique et dans les formes prévues pa r elle . L'action de l'État doit trouver sa justification et sa manière dans un texte . Conséquences : – Une règle n'est valide que si elle est conforme aux autres normes considérées comme supérieures. Le droit adopte une structure hiérarchisée (su r laquelle on reviendra, voir chapitre 12) où les normes sont subordonnées le s unes aux autres : un arrêté préfectoral doit respecter la loi ; celle-ci ne peu t aller à l'encontre de la Constitution, etc . – Les citoyens ont droit au respect des règles par les autorités de l'État , aussi l'action des pouvoirs publics doit-elle être transparente . La transparenc e s'oppose au secret . Elle implique, par exemple, la motivation et la publicit é des décisions administratives pour permettre au citoyen d'en être informé e t d'en vérifier le bien-fondé ; elle justifie aussi la communication éventuelle au x particuliers des documents administratifs les concernant ou susceptibles de le s intéresser. – Il existe des moyens d'imposer à l'État le respect du droit. Par des procédures spéciales, on peut soumettre à un organe de contrôle les décisions de s pouvoirs publics contestées comme irrégulières, pour tenter d'obtenir leu r non-application ou même leur annulation . La Constitution de 1958 a ains i créé un Conseil constitutionnel chargé de vérifier la conformité de la loi à l a Constitution (v. p . 121) : s'il ne peut être directement saisi par les citoyens, i l peut l'être par leurs représentants (60 députés ou 60 sénateurs) . De leur côté , les tribunaux administratifs – depuis le xI xe siècle – peuvent être appelés à statuer (par la procédure, simple et efficace, du recours pour excès de pouvoir) sur les décisions administratives estimées contraires à la légalité . Et si l'actio n de l'État a causé un dommage, d'autres procédures l'obligeront à le réparer .

B. Le respect des libertés des citoyen s Dans un vaste domaine, celui des libertés des citoyens, les interventions d e l'État sont soumises à des limites très strictes : 36

• principe . La Constitution de 1958 s'est insérée dans la tradition française de s textes protecteurs des libertés . Mais elle n'a pas jugé nécessaire de leur donner une nouvelle formulation ; elle s'est contentée de rappeler, dans son préambule, que « le peuple français proclame solennellement son attachemen t aux droits de l'homme ( . .) tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » . • Portée . On s'est interrogé sur la portée de cette réaffirmation jusqu'à ce qu e le Conseil constitutionnel, dans une décision célèbre du 10 juillet 1971, estim e que les textes de 1789 et de 1946 avaient la même valeur que les disposition s de la Constitution de 1958 : ils ont « valeur constitutionnelle D . Si donc le s libertés proclamées peuvent être mises en oeuvre par le législateur, leur suppression ou leur limitation relève du constituant et ne peuvent être réalisée s que par l'une des procédures de révision de la Constitution . Exemple : le législateur ne pourrait restreindre la liberté de la presse ; seu l le constituant le peut . Autant dire que les libertés sont maintenant profondément inscrites dans notre ordre juridique, elles sont à peu près hors de porté e des entreprises d'une majorité aux velléités oppressives .

3 . Un État démocratique L'État français est démocratique, il s'inspire des principes de la démocrati e libérale . L'article 3 de la Constitution de 1958 rappelle que la souveraineté nationale appartient au peuple, les citoyens sont donc appelés à participer a u pouvoir. Qui sont ces citoyens? Comment s'expriment-ils? Comment peuvent ils s ' organiser pour peser sur les décisions ?

A . Les élections et le régime représentati f La Participation des citoyens passe par l'élection . Qui est admis à voter ? D epuis 1974, il suffit d'avoir 18 ans (et non plus 21), d'être citoyen français e t de jouir de ses droits civils et politiques – ce qui exclut certains individus n e di sposant pas de toutes leurs facultés mentales ou ayant fait l'objet de certaines condamnations pénales . L'électorat est ainsi très largement accordé ; l e seul point faisant encore l'objet d'un véritable débat est celui de l'admissio n des étrangers à certaines élections, municipales par exemple . La révisio n consti tutionnelle de 1992 l'a accordée, pour ces dernières, aux résidents étrangers, citoyens de l'Union européenne . 137



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Les élections sont organisées périodiquement, sur un rythme variabl e selon la nature de la consultation : présidentielles, législatives, sénatoriales , régionales, municipales, etc . • La campagne est réglementée ainsi que le déroulement du scrutin . En particulier, plusieurs lois sont intervenues pour tenter d'organiser et de moraliser le financement des campagnes (lois du 11 mars 1988, 10 mai 1990, 29 janvie r 1993) ; elles prévoient une participation de l'État aux dépenses engagées pa r les candidats . D'autres mesures ont été prévues pour assurer l'égalité des candidats devant la radio et la télévision ou pour interdire la veille du vote l a publication des sondages, considérés comme susceptibles d'influencer les élec teurs . • Le système électoral a été dominé depuis le début de la ve République par l e scrutin majoritaire à deux tours, rompant ainsi avec la pratique de l a Ive République — favorable à la représentation proportionnelle — pou r renouer avec celle de la ni e République . Exception notable : les législatives d e 1986 ont eu lieu au scrutin proportionnel . On notera que le système électora l relevant de la loi, la majorité du Parlement est portée à le modifier dans u n sens favorisant ses intérêts, c'est-à-dire sa réélection . • Les élections servent à désigner des représentants : les citoyens ne se gouvernent pas eux-mêmes mais par l'intermédiaire de leurs élus . Le choix d u régime représentatif date de la Révolution, il reste une constante de notr e histoire politique .

B . Le référendu m L'option pour le régime représentatif a concordé avec une réticence — sau f sous les Empires — à l'égard du référendum, suspecté d'être porteur d'un e dangereuse dérive plébiscitaire . La Constitution de la ve République a un pe u entrebâillé (et la révision de 1995 l'a, de son côté, encore un peu élargie) l a porte au référendum, et celui-ci n'est pas resté sans emploi . DES POSSIBILITÉS D'UTILISATION ÉLARGIE S Trois usages du référendum national sont autorisés : ■ Le référendum constituan t Le référendum constituant est prévu par l'article 89 . II en a été question plu s haut (p. 22) . 38 1

■ Le référendum législati f • Objet. Le référendum législatif est prévu par l'article 11 . On peut se demander (p . 23) s'il peut servir à réviser la Constitution, mais son objet même est d e permettre d'adopter une loi . L'introduction du référendum législatif est une innovation dans notre histoire constitutionnelle . Ce référendum peut porter sur un texte concernant l'organisation de s pouvoirs publics ou la ratification d'un traité ayant des incidences sur le fonctionnement des institutions sans toutefois être contraire à la Constitution . L a révision de 1995 a ajouté à ces domaines les réformes relatives à la politiqu e économique ou sociale ainsi qu'aux services publics qui y concourent (EDF, SNCF, Sécurité sociale . . .) . Le champ, quoique flou, reste étroit puisqu'il exclu t les problèmes de société ou, en dépit de ce qu'avait souhaité F. Mitterrand, le s garanties des libertés publiques. C'est assez sage, l'utilisation démagogiqu e ou plébiscitaire du référendum étant une réelle menace . • Procédure . La procédure du référendum législatif s'ouvre par une proposition du gouvernement, ou des assemblées se prononçant de façon conjointe . Et le Président décide d'organiser — ou de ne pas organiser — le référendu m demandé . II dispose donc d'un pouvoir discrétionnaire d'appréciation de l'opportunité du référendum . Deux contraintes viennent limiter les pouvoirs, l'une de l'exécutif, l'autr e du Parlement . Le gouvernement, en effet, ne peut provoquer un référendu m que pendant la durée des sessions parlementaires et, depuis la révision d e 1995, il devra faire devant chaque assemblée une déclaration, suivie d'u n débat (et non d'un vote) : la procédure dessaisit les représentants de leu r attribution normale de faire la loi, il est naturel de leur donner la facult é d'ouvrir un débat, de prendre position dans la campagne du référendum ; il s le feront au sein de leur assemblée et non pas dispersés dans leurs circonscrip tions . D'autre part, la consultation portera sur un « projet de loi », c'est-à-dir e sur un texte d'initiative gouvernementale . Les parlementaires, de leur côté , ne peuvent faire soumettre à la consultation populaire une de leurs « propositions de loi » ; on conçoit, dans ces conditions, qu'ils ne soient guère portés à d emander un référendum : d'accord avec un projet gouvernemental, ils l'approuvent, opposés, ils le repoussent, quel besoin d'un référendum? Ce n'es t pas eux qui le demanderont . La régularité des opérations du référendum est placée sous le Contrôl e du Conseil constitutionnel, qui en proclame les résultats . ■ Le r éférendum de consultatio n Le référendum de consultation est prévu par l'article 53 . Toute cession , échange, adjonction de territoire requiert le consentement des population s 139



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intéressées . Celui-ci sera recherché par la voie du référendum . La Constitutio n fait écho ici au principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes . La consultation ne sera pas nationale, elle s'adressera à la seule populatio n concernée, on est en présence d'un référendum local. La révision du 28 mars 2003 a ouvert la possibilité de référendums décisionnels ou consultatifs dans les collectivités territoriales, en particulie r d'outre-mer (art. 72-1 et 72-4) . UNE UTILISATION ÉPISODIQU E

Huit référendums nationaux ont été organisés sur la base des disposition s constitutionnelles. Leur objet diffère mais une classification fondée sur lu i fausserait la compréhension de son utilisation . En effet, le référendum a reç u bien souvent une destination tout autre que celle prévue par le texte . II a moins servi comme moyen de faire trancher par les citoyens un problème déli cat ou controversé que comme substitut à la question de confiance employ é par le président de la République . Il apparaît comme une forme d'appel a u peuple, – non plébiscitaire (quoi qu'on en ait dit), car l'opposition est libre d e se manifester, de mener sa campagne comme elle l'entend et de mettre en échec (1969) les considérables moyens de persuasion dont dispose le pouvoir . Lorsque sa légitimité décline du fait de l'éloignement de son élection , lorsqu'une crise grave a mis en cause son autorité, lorsque l'accumulation de s difficultés a érodé son image de chef ou d'arbitre, le chef de l'État trouv e dans le référendum l'instrument d'une nouvelle onction populaire le régénérant, le projet de loi n'est alors qu'un support circonstanciel, un prétexte . C e caractère a été plus ou moins marqué selon les cas : • Référendum du 8 janvier 1961 (article 11, de Gaulle) sur la politique algérienne. Au moment de négocier avec les représentants algériens, le chef d e l'État a besoin du soutien des Français en faveur de sa politique . • Référendum du 8 avril 1962 (article 11, de Gaulle) . Sa ratification est demandée au pays pour les accords d'Évian accordant à l'Algérie son indépendance . L'affaire est grave, de Gaulle a-t-il bien rempli son mandat ? • Référendum du 28 octobre 1962 (article 11, de Gaulle) . Approbation par l e peuple de la révision constitutionnelle instituant l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Conflit ouvert avec les milieux poli tiques, les Français donnent raison au général de Gaulle . • Référendum du 27 avril 1969 (article 11, de Gaulle) . Demande d'approbatio n d'une révision portant sur la création de régions et la rénovation du Sénat. Échec (le seul sous la V e République) . De Gaulle démissionne . 4.01

• Référendum du 23 avril 1972 (article 11, Pompidou) . Élargissement de la CEE à la Grande-Bretagne et à d'autres États. Marqué par une abstention élevée : 40 % . Demi-succès pour le Président . • Référendum du 6 novembre 1988 (article 11, F. Mitterrand) . Approbation d u statut de la Nouvelle-Calédonie . Le président de la République s'est très pe u engagé dans la consultation, en laissant à Michel Rocard la direction de l a campagne . L'abstention a été considérable : 14 millions de votants pou r 38 millions d'électeurs. Ce référendum est pourtant le plus conforme, dan s son principe et dans sa mise en oeuvre, à l'esprit des institutions . • Référendum du 20 septembre 1992 (article 11, F. Mitterrand) . Approbatio n du traité de Maastricht sur l'Union européenne . Le « oui » ne recueille qu e 51 % des suffrages ; une partie de l'opposition s'est efforcée, avec un certai n succès, de transformer la consultation en plébiscite à l'envers pour tenter d'acculer à la démission le chef de l'État, considéré comme usé par un pouvoi r exercé depuis onze ans. Comme quoi, qu'il le veuille ou non, le Président a d u mal à rester extérieur à la procédure référendaire . • Référendum du 24 septembre 2000 (article 89, J . Chirac) . Adoption du quinquennat . Caractérisé par une abstention considérable : 69,81 % . Le ou i recueille 84 % des suffrages mais seulement 18,55 % des inscrits . En outre, six référendums territoriaux de l'article 53 se sont déroulés ave c succès depuis 1958 (Algérie, Comores, Djibouti, Nouvelle-Calédonie . . .) . Le référendum n'est pas devenu une procédure courante dans notre vi e politique . Son utilisation a été trop souvent dénaturée, son organisatio n même est devenue un enjeu (comme on l'a vu en 1984, v. p . 26) et le peupl e s'en détourne lorsqu'il se dépersonnalise (1972, 1988, 2000) . Pourtant certain s persistent à réclamer son extension aux problèmes de société .

C. Le pluralisme partisa n La démocratie libérale implique le pluralisme . Celui de la presse, de l'école , des religions, des syndicats comme des associations, et tout naturellemen t donc celui des partis politiques . LA CONS ÉCRATION CONSTITUTIONNELL E C harles de Gaulle, le contempteur acharné du régime des partis, aura donn é

aux partis politiques une consécration constitutionnelle . Ce qu'aucun de s IAi



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régimes précédents n'avait fait, l'article 4 de la Constitution de 1958 le réalise . Il évoque les partis pour poser le principe qu'ils se forment librement, et sou met leur action à deux limitations : ils concourent à l'expression du suffrage – on ne pouvait guère être plus restrictif – et à la réalisation de l'égalit é hommes-femmes, ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie . Sont donc prohibés les partis au service de l'étrange r ou d'inspiration fasciste, sans que cela ait entraîné d'interdiction et qu'on s e soit interrogé sur la forme de démocratie envisagée (existe-t-il une « démocratie )> marxiste?) et sur l'exigence d'une démocratie au sein des partis . L'ÉVOLUTION DU PLURALISME PARTISA N Le fonctionnement du régime et, en particulier, l'apparition du fait majoritaire (v. p. 29) allaient entraîner une simplification progressive du système partisan . Non pas que le nombre de partis ait décru, mais par la réductio n durable à quatre – deux à droite, deux à gauche – des partis susceptibles d e tenir un rôle dans le jeu politique . Les rapports de force bougeront de part e t d'autre : la stabilité du parti communiste autour de 20 % de l'électorat sera rompue en 1981 avec le triomphe du PS ; les centristes, incapables de jouer u n rôle autonome, se rallieront à l'un des grands partis ou entreront dans l'un e des coalitions ; les formations extrémistes, très divisées, pourront moins qu e jamais participer au pouvoir, seul le Front national, à partir de 1984, a p u nourrir cette ambition . Les Verts l'ont réalisée en 1997 . Aujourd'hui, la vie politique est largement bipolarisée . De façon schématique, les étapes de cette évolution ont été les suivantes : • À ses débuts, le régime trouva l'émiettement partisan hérité de la IV e République : 14 groupes à l'Assemblée nationale en mai 1958! Dès le lendemain des élections de 1958, ce nombre est réduit à 6 ; le règlement de l'As semblée exigeant alors trente membres pour constituer un groupe parlementaire met à mal les liens partisans et oblige à des rapprochements qui préfigurent des ralliements . 27 députés restent isolés, dont les 10 communistes . À droite, le parti gaulliste, LUNR, avec ses 218 membres (en comptant les apparentés) sur 576 députés, fait figure de parti dominant . • Les élections de novembre 1962, faisant suite à la dissolution du 5 octobre , voient le succès d'une Association pour la Ve République, alliance de ceux qu i soutiennent la politique du général de Gaulle et qui vont aux élections sou s ce label ajouté à leur étiquette partisane . C'est un tournant dans l'histoire d e la Ve République : une majorité s'est dégagée, disposée à soutenir l'action du gouvernement pendant la durée de la législature . L'UN R A7

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compte 233 députés, et les républicains indépendants (RI), 36 : les deux pôles autour desquels la droite va s'organiser sont en place . Au centre, le Centre Démocratique est fort de 55 membres dont certains apporteront un soutie n intermittent à la majorité . À gauche, on trouve 41 communistes, 66 socialiste s SFIO et 39 Rassemblement Démocratique (dont François Mitterrand) . • Aux élections législatives de 1967, les deux principaux partis soutenant le gouvernement (gaullistes et RI) s'allient et désignent un candidat unique dans l a plupart des circonscriptions . À gauche, PC et PS s'efforcent de pratique r l'union et de passer des accords de désistement pour le second tour ; les radicaux du MRG tentent de préserver leur identité, leur rôle est marginal et localisé . En 1968, la victoire de la droite est éclatante : les gaullistes de l'UD R obtiennent 293 députés, et les RI, 62 . En face, le PC a 34 élus et la FGDS (socia listes et radicaux), 57 . Le Centre compte 33 députés ; pour lui, c'est le début d e la fin, les adhésions à la majorité se multiplient ; en 1974, le mouvement es t achevé, le Centre n'existe plus en tant que force politique autonome . La bipolarisation de la vie politique est réalisée, ou plutôt est apparu l e « quadrille bipolaire » constitué à droite par les gaullistes et les RI, à gauch e par le PS et le PC . • Cette configuration bipolaire allait se retrouver à toutes les élections, alor s même que les rapports évoluent entre ses composantes . En 1981, l'alternance se réalise, les socialistes obtiennent à eux seuls la majorit é absolue à l'Assemblée (285 sièges), le pouvoir passe à gauche, d'au tant que l'appui des 44 communistes est acquis au PS . En 1986, nouvelle alternance et revanche de la droite traditionnelle, qui l'emporte de 3 sièges, mai s elle est battue à nouveau en 1988, avant de reconquérir le pouvoir en 1993 , grâce à un succès encore plus écrasant que celui des socialistes douze ans plu s tôt : elle obtient 485 sièges, le PS, 67, le PC, 24 ; la bipolarisation subsiste, mai s elle est déséquilibrée comme elle ne l'avait jamais été . • Une exception cependant à la configuration bipolaire : les élections de 1988 ont créé une situation inédite sous la V e République, aucun des deux camp s n' atteint à lui seul la majorité à l'Assemblée . Certes, le PS dispose d'un e légère avance sur la droite (277 sièges contre 272), mais les communistes refu sent d'entrer avec lui dans une majorité de gouvernement . Les Premier s ministres socialistes doivent négocier au coup par coup leur soutien et, à d éfaut, se tourner vers des députés du centre-droit qui acceptent de faço n P o nctuelle d'approuver certains de leurs projets . On perçoit comme un parfum de IVe République, mais le système parvient à fonctionner . • Les élections de 1997, faisant suite à la dissolution décidée par J . Chirac, réalisent une nouvelle alternance . La gauche l'emporte largement – les socia I

Al

L'ÉTAT

listes et leurs alliés (radicaux, Mouvement des citoyens) sont 274, les communistes 38 – et s'associe avec les 7 élus Verts pour constituer un gouvernemen t de « gauche plurielle » . Celui-ci, malgré quelques tensions et les contraintes de la cohabitation avec un Président de droite, travaille efficacement pendan t cinq ans . La droite est démoralisée par son échec, dû en partie à de nombreuses triangulaires où la présence d'un candidat du Front national a troubl é le jeu bipolaire et permis à la gauche de l'emporter . Elle a du mal à surmonte r les querelles entre ses chefs, mais J . Chirac parvient peu à peu à s'impose r comme son leader naturel . • Les élections de 2002 prolongent la suite régulière d'alternances entamée en 1981 . L'élection de J . Chirac à la présidence pour un nouvea u mandat, le retrait de la vie politique de L . Jospin, fédérateur jusqu'alors de l a gauche, placent cette dernière dans une situation difficile . En même temps, l a droite refait avec succès son unité autour de l'« Union pour la majorité présidentielle » (UMP) . Le nouveau parti obtient 369 sièges, alors que les socialiste s n'ont que 141 élus . À droite, les centristes (24 sièges) restent en dehors d e l'UMP ; à gauche, les communistes, avec leurs 21 sièges, s'interrogent sur l'opportunité de leur alliance avec le PS, question que se posent aussi les Verts (avec 3 élus, au lieu de 7 dans l'Assemblée précédente) . On revient ainsi à u n schéma de bipolarisation . Quelques remarques : – La multiplicité des candidats à la présidentielle de 2002 (seize) a correspondu à une érosion considérable des deux grands partis (RPR et PS), dont le s candidats n'ont obtenu à eux deux, lors de l'élection, que 36 % des voix . – Cette érosion n'a pas été entièrement confirmée aux élections législatives de juin 2002 ; les forces et les formations dont les candidats avaient réalisé des scores honorables ou importants au premier tour de la présidentiell e (extrême gauche, écologistes, Mouvement des citoyens, parti des chasseurs , Front national) n'ont pas retrouvé leurs électeurs . Ceux-ci sont largement revenus vers les grands partis traditionnels . – Le Front national, dont le candidat, J .-M . Le Pen, avait créé la surprise en se qualifiant pour le second tour de la présidentielle (16,86 % des voix) , perd une bonne partie de ses électeurs lors des législatives et n'a aucun repré sentant à l'Assemblée . En dehors de toute appréciation sur le programme d e ce parti, on peut se demander s'il est normal qu'une formation qui obtien t régulièrement autour de 15 % des suffrages (cinq ou six millions) ne soit pa s représentée au Parlement. – Les élections régionales et cantonales de mars 2004, sanctionnant sévèrement les partis de la majorité, annoncent peut-être, à leur tour, une nouvelle alternance . 44

1

4 Le président de la République Désignation et statut

Le Président vient au premier rang dans l'ordre de présentation des organe s constitutionnels . Tout de suite après les dispositions concernant l'État, l a démocratie et les partis, la Constitution lui consacre son titre II . Cette pré séance symbolise une prééminence qui se traduit dans son mode de désigna tion et son statut .

1 . L'élu du suffrage universel direc t Tous les systèmes de désignation du chef de l'État républicain ont à choisi r entre l'élection directe par le peuple et l'élection par ses représentants . E n France, en 1958, une solution de compromis avait été retenue car le généra l de Gaulle, à l'époque, ne s'était pas senti assez fort pour imposer le suffrag e direct . Le Président était élu par un collège électoral dont faisaient parti e députés et sénateurs, mais où ils étaient noyés dans la masse des conseiller s généraux et, surtout, des représentants des conseils municipaux (en nombr e variable selon la population de la commune) . En tout, environ 80 000 per sonnes qui désignaient pour sept ans un Président indéfiniment rééligible . Le 21 décembre 1958, ce collège élisait, à près de 80 % des voix, Charles de Gaull e c omme premier président de la V e République . La révision constitutionnelle de 1962 (v. p . 27) allait abandonner ce systerne et instituer l'élection du Président au suffrage universel direct . Son bu t était de conférer au titulaire de la charge suprême une légitimité et une autorité accrues . 1

nc



LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - DÉSIGNATION ET STATUT

A . Le moment de l'élection Deux situations peuvent se présenter : —Le Président parvient au terme normal de son mandat. L'élection es t alors organisée vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant la fi n de son mandat . La continuité de la fonction présidentielle est ainsi assurée e n même temps qu'est limitée la situation désagréable et fâcheuse due à l'existence simultanée de deux présidents : le nouvel élu, en droit sans pouvoir, et le sortant, sans grands pouvoirs en fait . —Le Président cesse ses fonctions de façon prématurée : décès, démission, empêchement définitif de remplir sa mission (v. p . 51) . Le scrutin aura lieu alors de vingt à trente-cinq jours après la cessation de ses fonctions par l e Président sortant, ou après la constatation du caractère définitif de l'empêchement . II faut le temps d'organiser l'élection sans toutefois laisser la présidence trop longtemps sans titulaire . Dans les deux cas, la date exacte de l'élection est fixée par le gouverne ment . Elle a toujours lieu un dimanche .

B . Les candidat s

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - DÉSIGNATION ET STATU T

taires requis . Chaque présentateur ne peut patroner qu'un seul candidat et l a liste des parrains est publiée au Journal officiel pour permettre aux citoyen s de savoir à quel candidat leurs élus apportent leur caution . Efficaces en 1981 (10 candidats) et en 1988 et 1995 (9 candidats), ces limitations n'ont pas empêché la présence de 16 candidats en 2002, ce qui a per turbé les électeurs et pesé très fortement sur le premier tour de l'élection e t sur la désignation des deux candidats en lice pour le second . ■ Le contrôle des candidature s Un contrôle de ces préliminaires est indispensable . Le Conseil constitutionne l en est chargé . II vérifie en particulier la régularité des présentations (nombre , authenticité des signatures), qui doivent lui être adressées au plus tard le dix neuvième jour avant l'élection . Comme il n'y a pas, à proprement parler, d'acte de candidature (l'envoi des présentations en tient lieu), le Consei l recueille ensuite le consentement des candidats . Ceux-ci doivent déposer u n état de leur patrimoine (afin de pouvoir vérifier, à la fin du mandat, qu'ils n e se sont pas enrichis en utilisant leurs fonctions) . La liste des candidats admis à se présenter est arrêtée par le Consei l constitutionnel et publiée par le gouvernement le seizième jour au plus tar d avant l'élection . ■ Le décès ou l'empêchement d'un candidat

Une multiplication incontrôlée des candidatures risque d'avoir pour effet d e fausser peut-être et de rabaisser sûrement l'élection ; les citoyens auront d u mal à choisir entre trop de candidats, la plupart sans grande audience et sou cieux avant tout de faire parler d'eux . Aussi, tout en conservant le princip e selon lequel tout Français jouissant de ses droits civils et politiques peut êtr e candidat, a-t-on imposé des conditions de « parrainage » pour éliminer ceu x qui n'auraient pas une dimension nationale .

CANDIDATURES POUR LE PREMIER TOUR

■ Le parrainag e Le candidat doit obtenir le patronage de 500 élus nationaux ou locaux : parlementaires, conseillers régionaux ou généraux, maires . . ., mais non le s conseillers municipaux ; soit, au total, plus de 40 000 présentateurs possibles . Deux conditions supplémentaires garantissent l'audience nationale du candidat : les « parrains » doivent venir de 30 départements différents au moins, et ceux d'un même département ne doivent pas dépasser 10 % des 500 signa 46 1

Si rien n'était prévu, le décès ou l'empêchement d'un candidat peu de temp s avant le scrutin serait très embarrassant et pourrait vicier l'élection . Qu'o n imagine la disparition accidentelle du candidat du PS ou de l'UMP pendant l a campagne, trop tard pour qu'il soit possible de le remplacer ! Aussi la révision de 1976 a-t-elle posé les règles suivantes : — Si une personne, après avoir fait connaître dans les 30 jours avant la fi n du délai de dépôt des présentations son intention d'être candidate, décèd e ou est empêchée dans les 7 jours précédant l'expiration de ce délai, le Consei l con stitutionnel peut décider le report de l'élection . Le Conseil dispose d'u n Pouvoir d'appréciation selon qu'il s'agit d'une candidature fantaisiste ou d'u n c andidat sérieux que son parti n'a plus le temps de remplacer . — Si le décès ou l'empêchement survient après la clôture du délai, l'élection doit être renvoyée dans tous les cas . CANDID ATURES POUR LE SECOND TOU R Si le premier tour est infructueux, aucun des candidats n'ayant obtenu l a m ajorité des suffrages exprimés, un second tour est organisé le quatorzième 1 47



LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - DÉSIGNATION ET STATUT

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - DÉSIGNATION ET STATUT

jour suivant . Le choix est alors simplifié à l'extrême : seuls ont le droit de se présenter les deux candidats arrivés en tête au premier tour . L'élu est ainsi certain d'obtenir la majorité absolue des voix : sa légitimité sera incontestable . Deux précisions : – si l'un des deux candidats arrivés en tête se retire, il sera remplacé pa r celui arrivé en troisième position ; – si l'un des candidats restés en présence décède, ou est empêché, entr e les deux tours, la procédure électorale sera reprise dans sa totalité à son poin t de départ.

LES RÉSULTATS ET LES RECOUR S

• Le Conseil constitutionnel proclame les résultats : avant 20 heures l e mercredi suivant le premier tour ; dans les dix jours pour le second . Ils sont dif fusés, en fait, bien avant par les médias. • Tout candidat ou tout électeur peut contester le résultat de l'élection . Ic i encore, le Conseil constitutionnel est compétent . Les élections présidentielles sous la V e République (résultats du second tour) : % des suffrage s exprimés

Voix

C. L'électio n LA CAMPAGNE

La campagne officielle est brève : 15 jours pour le premier tour, 8 jours pour l e second . Cela n'a pas grande signification ; dans les faits, elle s'ouvre des mois , ou même des années avant . Le bon déroulement de la campagne et l'égalité entre les candidats son t placés sous la surveillance du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur d e l'audiovisuel (CSA), de la Commission des sondages (fiabilité de ceux-ci) e t d'une Commission nationale de contrôle composée de 5 hauts magistrats . • Le financement de la campagne est réglementé : – Pour chaque candidat, les dépenses sont plafonnées à 14,8 million s d'euros, somme portée à 19,75 millions d'euros pour chacun des deux candidats présents au second tour. – L'État verse à tout candidat une avance de 153 000 euros et d'autr e part, ensuite, une participation variable selon les suffrages recueillis : 50 % d u montant du plafond pour les candidats ayant obtenu plus de 5 % des suffrages, et 5 % pour les autres, sans pouvoir dépasser le montant des somme s engagées. Les comptes de campagne des candidats sont adressés au Conseil consti tutionnel et publiés au Journal officiel . • Les émissions à la radio et à la télévision sont, elles aussi, réglementée s sous le contrôle du CSA . Chaque candidat dispose du même nombre d'émissions et du même temps d'antenne que ses concurrents (en 2002, 48 minute s sur France 2) . Mais ces règles ne concernent que la campagne officielle, et l e contrôle des chaînes privées est plus lâche que celui des chaînes publiques . 481

• 19 décembre 1965

de Gaulle Mitterrand

13 088 699 10 619 735

55,2 0 44,8 0

• 15 juin 1969

Pompidou Poher

11 064 371 7 943 118

58,2 1 41,7 9

• 19 mai 1974

Giscard d'Estaing Mitterrand

13 396 203 12 971 604

50,8 1 49,1 9

• 10 mai 1981

Mitterrand Giscard d'Estaing

15 708 262 14 642 306

51,76 48,24

• 8 mai 1988

Mitterrand Chirac

16 704 279 14 218 970

54,02 45,98

• 7 mai 1995

Chirac Jospin

15 763 027 14 180 644

52,64 47,3 6

• 5 mai 2002

Chirac Le Pen

25 537 956 5 525 032

82,2 1 17,79

2. Un statut de chef d'État parlementair e Le Président de la Ve République dispose d'un statut de chef d'État parlementaire, qui n'est plus adapté à l'élargissement de ses attributions et à la plac e qu'il a prise dans la vie politique . 49

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE — DÉSIGNATION ET STATUT

A. Le quinquenna t L'INSTAURATION DU QUINQUENNAT

La révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 a rompu avec la traditio n républicaine, née en 1875, et confirmée en 1946 et 1958, du mandat présidentiel de sept ans (le septennat) . Au cours de la V e République, cette durée est progressivement apparue à certains trop longue et inadaptée au rôle d'u n Président qui n'exerçait plus, comme sous les républiques précédentes, un e magistrature d'influence, mais était devenu (hors cohabitation) un acteu r majeur du jeu politique tout en restant irresponsable . Déjà en 1973, G . Pompidou avait entrepris, sans succès, d'instituer le quinquennat (v. p . 26) . Le corps électoral a ratifié sans enthousiasme, à l'automne 2000, l'adoption du quinquennat indéfiniment renouvelable (référendum du 24 septembre 2000, v. p . 41), approuvée par le Parlement à l'initiative (réticente) d e J . Chirac et (convaincue) de L . Jospin . Plusieurs raisons expliquent cette réforme : — le souci de faire intervenir plus régulièrement le peuple dans le choi x du président ; — l'espoir de faire disparaître les situations de cohabitation, considérée s comme néfastes pour la conduite des affaires de la Nation . Dans ce but, un e loi organique du 15 mai 2001 a aligné le mandat présidentiel sur celui de s députés . L'élection présidentielle de 2002 a été organisée avant les législatives — contrairement au calendrier antérieur —, les citoyens étant invités à donne r au Président, quelques semaines plus tard, la majorité parlementaire dont il a besoin pour gouverner (ce qui fut réalisé avec succès en juin 2002) ; —la volonté de consacrer la prééminence du Président au sein de l'exécutif et dans le système institutionnel, née de la pratique de la V e Républiqu e dans les périodes de coïncidence des majorités . Le quinquennat n'est pas sans soulever une série de problèmes : — il bouleverse au profit du Président les équilibres prévus par la Constitution ; — il n'est pas certain que, lors des élections législatives, les électeur s confirmeront toujours leur choix de l'élection présidentielle, en donnant un e majorité aux partis soutenant le Président ; la cohabitation ne disparaîtra donc pas nécessairement ; — l'alignement du mandat présidentiel sur celui de l'Assemblée est fragile : le Président peut cesser ses fonctions en cours de mandat (décès, démis sion), la chambre peut être dissoute, la coïncidence des rythmes serait alor s rompue . 50

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE — DÉSIGNATION ET STATUT

En définitive, on peut se demander si un mandat de sept ans non renouvelable ne serait pas la meilleure formule . Délivré de toute préoccupation d e réélection, le Président pourrait prendre de la hauteur, s'inspirer du seul intérêt de la Nation, s'imposer comme un arbitre incontesté . Et ce serait bien l e diable si en France on ne pouvait trouver tous les sept ans une personnalit é digne de ce rôle 1 L'INTERRUPTION DU MANDA T

Au cours de ces cinq années, il pourra arriver que le Président soit empêch é d'exercer ses fonctions . Or, on ne peut accepter un tel vide à la tête de l'État : • Si l'empêchement est temporaire et concerne des activités déterminée s (présidence du Conseil des ministres, par exemple), une délégation peut êtr e organisée. Elle sera confiée, dans des limites précises, par le chef de l'État a u Premier ministre ou à un ministre . • Lorsque la vacance est durable ou définitive (décès, démission, empêchement constaté par le Conseil constitutionnel à la demande du gouvernement — maladie, enlèvement . . .), le président du Sénat assure la suppléance du Président ; s'il est lui-même empêché, la charge revient au gouvernement . Le suppléant dispose de tous les pouvoirs du Président, sauf le référendum et la dissolution . Pendant la durée de la suppléance, les procédures de mise en cause de la responsabilité du gouvernement sont gelées, en outre aucun e révision ne peut être entreprise .

B . L'organisation de la présidenc e Premier personnage de l'État, le Président doit se consacrer à sa fonction : i l ne peut avoir d'autres activités publiques ou privées . S'il dispose de résidence s à l'extérieur de la capitale (Rambouillet, Brégançon . . .), ses services sont instal lés au Palais de l'Élysée . Le Président est entouré d'une équipe de collaborateurs assez réduite s i on la compare, par exemple, à celle du président des États-Unis . • Le Secrétariat général s'occupe des relations avec les ministères et les admin istrations, les milieux politiques, économiques et syndicaux, ainsi qu'avec l a Presse . Il joue un rôle d'information, de préparation des dossiers et de suiv i de l'exécution des décisions . À sa tête, un secrétaire général qui est le plu s Proche collaborateur du Président . Il est entouré d'une vingtaine d e c onseillers techniques et de chargés de mission . 1 51



LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - DÉSIGNATION ET STATUT

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - DÉSIGNATION ET STATUT

• Le Cabinet. Placé sous l'autorité d'un directeur, son rôle est moins politique . II s'occupe de la vie intérieure de l'Élysée, du courrier, des audiences, réceptions, déplacements .

férentes, consacrent le principe de la responsabilité du Président pour le s actes accomplis en dehors de l'exercice de sa fonction . Pour le Conseil constitutionnel, le Président est bien responsable de ses actes mais il bénéficie d'un privilège de juridiction pendant la durée de so n mandat : il ne peut être poursuivi que devant la Haute Cour de justice, ce qu i laisse ouverte la possibilité de poursuites au terme de ses fonctions . En pratique, cela aboutit à une irresponsabilité durant le mandat, en raison des difficultés à mettre en mouvement la Haute Cour (v . p . 150) . La Cour de cassation estime au contraire que si le Président est bien responsable, il relève, pour ses actes extérieurs à la fonction, des tribunaux ordinaires, mais que les poursuites (mise en examen, convocation comme témoin ) ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel . La Cou r apporte deux précisions : ce privilège s'explique par le fait que le Président est chargé d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'État, missions que compromettraient des procédures judiciaires limi tant sa liberté ; par ailleurs, la prescription des infractions éventuelles reprochées au Président est suspendue pendant la durée du mandat . Pour les deux institutions, le Président bénéficie donc d'une immunit é limitée à la durée de son mandat, après quoi il redevient un simple citoye n responsable de ses actes devant les juges ordinaires . Solution raisonnable et pourtant contestée . Aussi, à la demande de J . Chirac, une commission présidée par Pierre Avril a proposé, fin 2002, une réforme qui devrait débouche r sur une révision de la Constitution .

• L'état-major particulier assiste le Président dans ses attributions de chef de s Armées .

3 . Les ambiguïtés de la responsabilité Le Président est irresponsable, c'est-à-dire que si sa politique, ou certains d e ses actes, lèsent ou déplaisent, il n'existe pas en principe de moyens de l e sanctionner ou de le relever de ses fonctions .

A . Une irresponsabilité limité e Sous la monarchie, le principe : « le Roi ne peut mal faire » excluait toute responsabilité du souverain car le droit ne connaissait que la responsabilité fondée sur la faute . Le régime parlementaire a confirmé ce privilège, en faisan t peser la responsabilité non sur le chef de l'État mais sur le gouvernement . D'où le contreseing par lequel les ministres, en apposant leur signature à côt é de celle du Président, endossent la responsabilité de ses actes . En France, sous la Ve République, cette irresponsabilité prend deux aspects : pénal et politique . • La responsabilité pénale. Le problème se pose différemment selon que le s actes ont été commis dans l'exercice des fonctions présidentielles ou e n dehors d'elles . – Dans l'exercice des fonctions : l'article 68 de la Constitution exclu t toute responsabilité, l'irresponsabilité est absolue et perpétuelle (sauf devan t la Haute Cour de justice en cas de haute trahison, v . p . 150) . – En dehors de l'exercice des fonctions : la question suscite aujourd'hu i un vif débat autour des actes accomplis par le Président avant sa prise d e fonctions (ou pour ses actes privés) . Elle ne s'est pas posée dans l'abstrait mai s de façon concrète, le nom de J . Chirac étant apparu dans plusieurs procédure s à propos de certains de ses actes comme maire de Paris avant 1995 . Le Prési dent peut-il, dans ce cas, être poursuivi ? Devant les tribunaux ordinaires ? L a réponse a été apportée par deux décisions du Conseil constitutionnel (5 jan vier 1999) et de la Cour de cassation (10 octobre 2001), qui, par des voies dif 521

• La responsabilité politique . Si le Parlement est mécontent du comporte ment du Président ou désapprouve un de ses actes, il ne dispose d'aucun e procédure pour le révoquer ou le contraindre à démissionner . Ainsi, en 1962 , l 'Assemblée nationale, en désaccord complet avec la révision engagée par l e général de Gaulle, dut se contenter, faute de pouvoir révoquer ce dernier, d e renverser le gouvernement de Georges Pompidou . Un tel privilège connaît, bien sûr, des limites . On ne saurait admettre qu e le Président viole gravement les devoirs de sa charge sans encourir de sanction . Aussi la Constitution de 1958, comme ses devancières, autorise-t-elle l a mise en accusation du Président devant la Haute Cour (v . p . 150) pour haute trahiso n .

B.

Une irresponsabilité contestabl e

• L'ir responsabilité politique convenait à la situation des président s sans initiative ni réels pouvoirs des Ill e et IV e Républiques . Le chef d e 153

LE PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE — DÉSIGNATION ET STATUT

l'État de la V e est d'une tout autre trempe . La Constitution lui confère un e série d'attributions qu'il exerce sans contreseing et ce qu'elle ne lui donn e pas, il l'a conquis en quelques années au point de devenir, le plus souven t depuis 1958, le premier acteur du jeu politique . Est-il normal que, doté d e pouvoirs étendus, il reste néanmoins irresponsable? La règle en démocrati e est d'allier le pouvoir à la responsabilité . • Au surplus, l'irresponsabilité, loin d'être toujours un avantage, peut devenir une gêne pour le chef de l'État . Élu directement par le peuple sur u n programme qu'il s'emploie à réaliser, il lui serait souvent précieux de dispose r de procédures lui permettant de vérifier si le peuple est toujours derrière lui , ou d'obtenir de son soutien une autorité renouvelée avant d'entreprendr e des réformes décisives . Certes, il peut utiliser les messages au Parlement, le s conférences de presse, les interventions à la télévision et tenter, à travers leurs échos dans les médias et aussi par les sondages, de mesurer son audience . Mais il s'agit de palliatifs peu satisfaisants pour apprécier véritablement l a confiance de la nation . Aussi les présidents ont-ils eu recours à d'autres moyens, en les détournant de leur destination normale, pour poser au pays la question de confianc e et engager en pratique leur responsabilité sur leur politique . L'usage qui a ét é fait du référendum (v. p . 40), va dans ce sens . D'autre part, lorsque le Président était élu pour sept ans, des élections législatives intervenaient nécessairement une fois au moins pendant son mandat, et il était tentant d'interpréter leurs résultats comme un test de confiance ou de défiance à l'égard d u Président . Surtout s'il s'était engagé dans la campagne, en soutenant les candidats de sa majorité . Mais, dans la pratique, rien n'obligeait le chef de l'Éta t à démissionner en cas de résultat défavorable, comme l'ont montré F. Mitterrand en 1986 et 1993 et J . Chirac en 1997 (alors pourtant que ce dernier avai t provoqué les élections par la dissolution) . À une autre occasion, le Président semble solliciter du peuple une approbation de sa gestion passée : lorsqu'il se présente, au terme d'un premier sep tennat, pour un nouveau mandat . Engage-t-il alors vraiment sa responsabilité? Beaucoup d'auteurs le pensent . Pourtant, on peut en douter . Le peupl e le jugera certes sur ce que son action passée renferme de promesses pou r l'avenir, mais il tiendra compte aussi de son programme et comparera l'en semble avec la personnalité, les plans, les engagements de ses concurrents . Les citoyens votent pour le candidat le meilleur à leurs yeux, pour l'espoir qu'i l sait faire naître ; ils peuvent écarter le Président sortant sans que leur gest e soit pour autant une désapprobation de son bilan, sans vouloir sanctionne r par là une quelconque responsabilité . 54 1

5 Le président de la Républiqu e Attribution s

La règle en régime parlementaire aujourd'hui est que l'exécutif est bicéphale : chef de l'État et chef du gouvernement . Le premier n'y dispose e n général que d'attributions limitées et lorsqu'il en est autrement, le chef d e l'État n'est jamais que le titulaire nominal de ses compétences, la réalité d u pouvoir appartenant au gouvernement et à son chef . Si la structure bicéphal e se retrouve en France, le partage des attributions, lui, est différent . Le Président possède des pouvoirs qui lui sont propres, c'est-à-dire qu'il exerce en dehors de tout droit de regard du gouvernement . Ce privilège tient au rôl e que lui trace la Constitution, à son souci de donner à l'État un véritable chef . Mais l'existence de ces pouvoirs propres n'explique pas à elle seule, on l e verra, la place prise par le Président dans le fonctionnement du système institutionnel . C'est plus par la captation à son profit de pouvoirs en principe partagés avec le gouvernement qu'il a réussi souvent à assurer sa primauté .

1 . Le rôle du Président justifie l'existenc e de pouvoirs propre s La Constitution de 1958 innove doublement : en définissant les missions d u chef de l'État et en lui accordant des pouvoirs propres dispensés de contre seing . 1 55



LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTIONS

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTIONS

A. Des missions qui en font un véritable chef de l'Éta t Sans lui conférer d'attributions précises, l'article 5 de la Constitution définit l a fonction du Président autour de trois missions : LE GARDIEN DE LA CONSTITUTION

Le Président doit veiller au respect de la Constitution . Certes, il partage cett e tâche avec les pouvoirs publics dans leur ensemble, les juges et le Consei l constitutionnel en particulier. Mais son rôle ici est éminent : il devra rappeler, au besoin, leurs devoirs aux autorités publiques, interpréter parfois la Constitution, user de ses pouvoirs pour la faire respecter.

Le constituant n'a pas entendu attacher à ces missions un simple caractèr e symbolique . Ce ne sont pas des charges honorifiques confiées à une entit é lointaine et abstraite, confinée dans des obligations protocolaires . Le Président en est, au contraire, réellement investi et il doit pouvoir décider seul san s interférence du gouvernement, agir vite et fort en certaines circonstances . I l n'est pas simplement un rouage de l'exécutif, fût-ce le premier, il dispose d'un rôle autonome qui en fait un chef d'État au-dessus de toutes les autres autorités . La Constitution met, en conséquence, à sa disposition des pouvoirs e t des procédures dont le gouvernement n'assume pas la responsabilité par l'intermédiaire du contreseing .

B . Des pouvoirs propres étendus mais ne permettant pa s de gouverne r

L'ARBITR E

Le Président doit, par son arbitrage, « assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État » . Un but est attaché à sa mission : il ne dispose pas d'un pouvoir général d'arbitrage, il doit en user pou r la réalisation des deux objectifs qui lui sont fixés . L'arbitrage présidentiel donne lieu, depuis 1958, à un vaste débat sur sa nature et son étendue . Fait-il du chef de l'État une autorité impartiale, placé e au-dessus de la mêlée, un conciliateur ou encore un juge? Doit-on, a u contraire, mettre l'accent sur le caractère souverain de son autorité, sur l a faculté d'influencer, voire d'orienter le jeu? L'arbitre, en définitive, ne dispose-t-il pas de tous les pouvoirs? Le débat est académique puisque, dans l a pratique, les présidents ont donné à l'arbitrage, lorsqu'ils le peuvent (hor s cohabitation), l'extension la plus large que leur permettait le rapport de s forces politiques, sans se soucier des objectifs arrêtés par le constituant .

Les pouvoirs propres du Président se définissent comme ceux qu'il peut exercer sans contreseing. La liste en est donnée à l'article 19 de la Constitution . Certains sont utilisables sans aucune condition, de façon discrétionnaire, alor s que l'usage des autres passe par le respect de formalités . Dans tous les cas, i l s'agira de décisions importantes, voire graves, et peu courantes ; elles intéressent tous les domaines d'action du chef de l'État . LES RELATIONS AVEC LE GOUVERNEMENT : LA NOMINATIO N DU PREMIER MINISTR E

Le Président choisit comme il l'entend le Premier ministre . Il n'est obligé d e prendre l'avis de quiconque ; il est libre sous la réserve que, en pratique, il lu i faut bien nommer quelqu'un qui puisse obtenir la confiance de l'Assemblé e nationale (v. p . 68) .

LE GARAN T

Le Président est le garant de l'indépendance de la nation, de l'intégrité d u territoire et du respect, par la France et par ses partenaires, des accords internationaux . C'est le volet de la fonction présidentielle tourné vers l'extérieur. Et il ne s'agit pas seulement de formuler des mises en garde devant de s menaces étrangères : la Constitution donne au chef de l'État les moyen s concrets de préserver les intérêts supérieurs de la nation . Il faut ajouter que l'article 64 attribue une autre mission au Président : celle de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire . 56

1

LES R ELATIONS AVEC LE PARLEMENT : LE DROIT DE MESSAG E ET LA DISSOLUTIO N

■ Le droit de message (article 18 ) Le Président, dans la tradition des régimes parlementaires, n'a pas le droi t d' entrée dans les Chambres . Mais il peut s'adresser à elles par un message, pa r exemple lors d'une crise grave ou pour annoncer une mesure importante . Le m essage sera lu par un ministre ou par le président de l'assemblée ; il ne peu t 1 S7



LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTIONS

donner lieu à un débat afin d'éviter toute critique contre le Président . Depui s 1958, les présidents se sont adressés dix-huit fois sous cette forme au Parle ment (par exemple, le 2 juillet 2003, Jacques Chirac lors de sa prise de fonctions) . La procédure a vieilli . Le chef de l'État préfère parler directement a u pays à la télévision . ■ La dissolution (article 12)

LE PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTION S

LES RELATIONS AVEC LA NATION : LE RÉFÉRENDUM ET L'ARTICLE 1 6

■ Le référendu m Comme on l'a vu (p . 39), l'article 11 autorise le président de la République à décider l'organisation d'un référendum, à condition que celui-ci lui ait ét é demandé par le Premier ministre ou par les Assemblées .

Le Président peut mettre fin de façon anticipée au mandat de l'Assemblé e nationale . Aucune condition de fond n'est exigée, le Président est maître d e ses raisons, c'est donc un pouvoir discrétionnaire, le plus important de tous . Cependant, existent :

■ L'article 1 6 La Constitution confère, en certaines circonstances, au Président une sorte d e dictature de salut public. La décision d'instaurer ce régime lui appartient e n propre et les mesures qu'il prend alors échappent à tout contreseing .

• une condition de forme : le Président doit recueillir, au préalable, l'avis du Premier ministre et des présidents des Assemblées . Ces avis ne le lient pas : i l peut dissoudre même s'ils sont défavorables .

• II s'agit d'un pouvoir conditionné : — Le Président ne peut mettre en vigueur l'article 16 que lorsque certaines circonstances sont réunies : il faut qu'une menace « grave et imédiate » pèse sur les institutions, l'indépendance de la nation, l'intégrité du territoir e ou l'exécution par la France de ses engagements internationaux . Les souvenirs du désastre de juin 1940 ont inspiré l'article 16 au général de Gaulle : en ca s de crise grave, le pays a besoin d'un vrai chef . Un large pouvoir d'appréciatio n de lat nature et de la gravité de la crise est, en pratique, laissé au chef d e l'État . — D'autre part, le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » doit être interrompu . On voit transparaître l'idée de continuité de l'État chère à de Gaulle . La formule laisse, elle aussi, une part à l'interprétation : quels sont les « pouvoirs publics constitutionnels » et quand leu r « fonctionnement régulier » est-il véritablement interrompu ? Ces deux conditions sont cumulatives.

• des limitations de temps : la dissolution est impossible : — lorsque l'article 16 est en vigueur (v . p . 59) , — pendant la suppléance du président de la République (v . p . 51) , —pendant l'année suivant les élections provoquées par une dissolutio n précédente (application de la règle « dissolution sur dissolution ne vaut ») . Ces restrictions tendent à empêcher que l'exécutif (Président et gouver nement), resté seul, puisse agir sans contrôle dans des périodes délicates, o u qu'il remette en cause à répétition le verdict du corps électoral . Les nouvelles élections sont organisées dans un délai de 20 à 40 jours e t l'Assemblée élue se réunit de plein droit le deuxième jeudi après la consultation . La vacance du pouvoir législatif est ainsi limitée . Les dissolutions de la V e République : • 9 octobre 1962

De Gaulle demande au pays d'arbitrer le conflit avec le Parle ment. Avec succès.

• 30 mai 1968

De Gaulle essaie de reprendre le contrôle de la situation créé e par la crise . Avec succès .

• 22 mai 1981

F. Mitterrand demande au pays de lui donner une majorité à l'Assemblée nationale . Il obtient cette majorité .

• 14 mai 1988

Idem . Les élections ne dégagent pas de majorité .

• 21 avril 1997

Estimant la conjoncture favorable et souhaitant que la campagn e ne se focalise pas pendant un an sur l'Europe, J . Chirac provoqu e des élections anticipées . Échec : la gauche l'emporte .

58

• En outre, avant de prendre la décision de mettre en vigueur l'article 16, l e P résident doit consulter le Premier ministre, les présidents des Assemblée s et le Conseil constitutionnel, mais il n'est pas lié par leurs avis . Cependant , l'avis du Conseil constitutionnel doit être publié. S'il était négatif (considérant, par exemple, que les pouvoirs publics fonctionnent sans défaillance), i l serait politiquement très délicat pour le Président de passer outre, car il s'ex Poserait à être accusé de haute trahison . Enfin, le chef de l'État doit informe r la nation par un message des raisons de sa décision . • Le Président est investi de pouvoirs très larges puisqu'il peut prendre toutes « les mesures exigées par les circonstances », qu'elles relèvent normalement du gouvernement ou du Parlement . Cependant, sa liberté n'est total e ni dans la forme ni dans le fond : il doit d'une part consulter le Conseil constitu tionnel sur chacune d'elles (consultation de pure forme, l'avis n'est pa s 159

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTIONS

publié), il doit d'autre part les utiliser dans le but de rétablir le fonctionne ment régulier des pouvoirs publics, enfin il ne peut s'en servir pour réviser l a Constitution et n'a pas le droit de dissoudre l'Assemblée . Le Parlement, d'ailleurs, se réunit de plein droit. Car on a estimé qu'i l n'était pas souhaitable que le Président use de tels pouvoirs en dehors de tou t contrôle des élus de la Nation . L'intention est heureuse mais, si le fonctionne ment des pouvoirs publics est véritablement interrompu, on ne voit pas comment les élus pourraient se retrouver et siéger . Il est probable qu'ils sont dispersés, que le pays est désorganisé et que les transports sont arrêtés . De tout e façon, il est interdit à l'Assemblée de renverser le gouvernement, et elle n e peut non plus démettre le Président ; elle pourrait seulement le déférer à l a Haute Cour si elle considérait qu'il commet une haute trahison . Ce contrôl e est, en définitive, assez théorique ; la seule limite réelle aux pouvoirs du Prési dent tient à son attachement à la démocratie . Le recours à l'article 16 en 1961 : L'article 16 a été utilisé une seule fois, par Charles de Gaulle, du 23 avril au 30 septembre 1961, à la suite d'un soulèvement militaire à Alger . On a contesté, à just e titre, l'existence d'une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs constitutionnels, et surtout que celle-ci ait duré aussi longtemps . De Gaulle prit vingt-six mesures dérogatoires au droit commun, la plupart pou r limiter l'exercice de certaines libertés publiques .

LES RELATIONS AVEC LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL : NOMINATIONS ET SAISINE S

— Le Président nomme trois membres du Conseil constitutionnel (arti-

cle 56) ; il les choisit librement . Il désigne son président (v. p . 122) .

— Le Président peut déférer au Conseil une loi (article 61) ou un traité (article 54) qu'il estime contraire à la Constitution . Il agit alors en gardien d e la Constitution et n'a à solliciter l'accord de personne . Le chef de l'État n'a usé que six fois de cette attribution (pour des traités) . Exemples : en 1985 su r l'abolition de la peine de mort, en 1992 et 1997 sur les traités de Maastricht et d'Amsterdam, et en 1999 sur la Cour pénale internationale . Certes, les pouvoirs propres du Président ne sont pas négligeables, la dis solution, la nomination du Premier ministre, le référendum, l'article 16, e n particulier constituent des instruments puissants dans les mains du chef d e l'État . Est-ce à dire qu'ils peuvent lui permettre de jouer le premier rôle ? Certainement pas. Des années peuvent s'écouler sans que le Président ait à utili 60

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTION S

ser un de ces pouvoirs ; le seul à jouer à intervalles réguliers est la nominatio n tous les trois ans d'un membre du Conseil constitutionnel, attribution don t l'influence sur la vie politique n'est pas, on en conviendra, déterminante . Le s pouvoirs propres font du Président un acteur qui compte dans le jeu politique, peut-être plus à cause du fait que l'éventualité de leur utilisation doi t être prise en considération que par l'emploi qu'il en fait . Ils ne lui permetten t pas de gouverner.

2 . Les pouvoirs partagés et leur captation par le Présiden t Les pouvoirs propres sont l'exception, le principe est celui des pouvoirs partagés, c'est-à-dire exercés par le Président avec l'accord du gouvernement, symbolisé parle contreseing : les décisions sont signées à la fois par le Président et par le Premier ministre, elles demandent l'accord des deux . Les pouvoirs partagés ont constitué l'enjeu des relations au sein de l'exécutif . Lorsque le Président est assuré du soutien de l'Assemblée nationale, i l les capte à son profit : à chaque fois qu'il le souhaite, c'est lui qui décide, l e Premier ministre se contentant de signer. Il apparaît alors comme le véritabl e chef de l'exécutif. Au contraire, dans les périodes de cohabitation, le Premie r ministre, fort de l'appui de l'Assemblée, est seul maître de l'utilisation de s pouvoirs partagés ; le Président n'est pas en situation de s'opposer à lui, et l e plus souvent il ne peut qu'apposer sa signature sur des décisions que peut être il réprouve . Dans la présentation des pouvoirs partagés qui suit, il faut constammen t envisager les deux hypothèses : la situation hors cohabitation ou la cohabita tion .

Les pouvoirs partagés s'exercent dans des domaines très divers .

A. Les relations extérieures et la défens e Le Président joue un rôle prééminent dans les relations extérieures et l a defense ; conjonction logique si l'on veut bien admettre que la guerre sanctionne l'échec de la diplomatie . En outre, on est au coeur de la mission du Pré sident comme garant de l'indépendance de la nation, de l'intégrité du territoire et du respect des traités . La tradition et la pratique contemporain e su nissent pour situer ici le terrain d'action privilégié des chefs de l'État : 61

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE — ATTRIBUTION S

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE — ATTRIBUTIONS

réduits ou larges, leurs pouvoirs s'y exercent en priorité . Le président de l a

g, Les rapports avec le Parlemen t

Ve République ne fait pas exception .

La séparation des pouvoirs n'exclut pas toute collaboration entre le chef d e l'exécutif et le Parlement : plusieurs décisions concernant celui-ci relèvent d u Président .

LA CONDUITE DES RELATIONS EXTÉRIEURE S

Le chef de l'État accrédite les ambassadeurs envoyés à l'étranger et reçoit le s lettres de créances des ambassadeurs étrangers en France (article 14) . Là n'es t pas l'essentiel . La Constitution lui confie en effet la tâche de négocier et ratifier les traités (article 52) ; elle oblige aussi le gouvernement à l'informer d e l'état d'avancement de la négociation des autres accords internationaux . Dan s la pratique, le Président définit les orientations de la politique étrangère , annonce lui-même les décisions importantes, représente en personne l a France dans les sommets diplomatiques (européens en particulier), rencontr e en tête-à-tête les chefs d'État et de gouvernement étrangers, participe à l a négociation des traités les plus vitaux pour la nation . Une limite à son pou voir : il lui faut l'accord du Parlement pour ratifier les traités les plus importants (énumérés à l'article 53 : traités de paix, de commerce, traités ou accord s relatifs à l'organisation internationale, engageant les finances de l'État, modifiant des dispositions de nature législative, relatifs à l'état des personnes o u encore comportant cession, échange ou adjonction de territoire) .

LA CONVOCATION DES SESSIONS EXTRAORDINAIRES ET LEUR CLÔTUR E

En dehors du rythme normal de ses sessions, la Constitution prévoit que l e Parlement peut se réunir en session extraordinaire, sur un ordre du jour déter miné . L'initiative vient du Premier ministre ou de la majorité des député s (article 29), la décision appartient au président de la République (article 30 ) [v. p . 98] . LA DEMANDE D'UNE NOUVELLE DÉLIBÉRATION DE LA LO I

Il s'agit d'une sorte de veto suspensif : le Parlement doit procéder à un nouve l examen du texte que lui renvoie le Président . La demande de ce dernier repo sera sur des raisons techniques (erreur matérielle dans la rédaction, annulation de certaines dispositions par le Conseil constitutionnel . . .), ou manifester a un désaccord politique sur le fond : le Président est opposé à la loi (ce dernie r cas ne s'est encore jamais produit) .

Même en période de cohabitation, la primauté du Président sur le gouvernement est restée forte ici, comme en matière de défense nationale .

LA PROMULGATIO N

LE CHEF DES ARMÉES (article 15)

Une fois votée, la loi doit être mise en application . Sa promulgation par l e Président est la formalité qui permet sa mise en vigueur, c'est le dernier act e de la procédure législative . Le Président dispose d'un délai de 15 jours après tr ansmission au gouvernement du texte adopté par le Parlement (article 10 ) ou par le peuple (référendum) [article 11] ; la promulgation se fait par décret .

La formule n'est pas de pur style . Le Président veille à ce que l'Armée dispos e des moyens nécessaires à sa mission et lui donne des instructions . Il l'engag e dans des opérations extérieures, comme il l'a fait dans le passé pour l e Katanga, le Tchad, le Liban, ou encore pour le Koweit en 1990-1991, le Cong o en 1991 et la Bosnie en 1995 . Aussi en 1999 pour le Kosovo, en accord ave c L . Jospin . Si seul le Parlement peut déclarer la guerre, un décret du 12 juin 1996 a donné au Président le pouvoir d'engager « seul « les forces nucléaires . Il es t donc autorisé à déclencher la guerre atomique . Redoutable responsabilité , assumée en conscience de façon solitaire, car il est improbable que le temp s soit laissé au Président de recueillir le contreseing du Premier ministre, pour tant indispensable en droit . D'autre part, le Président nomme les officiers généraux et préside le s Conseils de défense nationale où sont définies les grandes options de la poli tique de défense . 62

Dans la pratique, hors cohabitation, le Président ne s'est pas contenté d e ces interventions, somme toute assez limitées et formelles, dans l'élaboratio n de la loi . Profitant de l'accord, au moins implicite, de l'Assemblée nationale, i l a pris l'initiative de certaines lois et demandé parfois au gouvernement d'ap Porter des amendements à ses projets ou de retirer un texte . De même, i l arrive qu'il annonce avant tout débat parlementaire des mesures qui relèven t des assemblées (annulation des créances de l'État français sur certains État s af ricains par le président Mitterrand en 1989) . Aussi a-t-on pu parler de « prés ident législateur D . L

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LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTIONS

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTIONS

signer des textes qui ne lui conviendraient pas et a refusé de signer certaine s ordonnances . Le gouvernement peut ainsi voir ses projets mis en échec par lui . Cette pratique a donné lieu à un vif débat, à la fois politique et juridique , autour de l'attitude du président : était-il en droit de refuser sa signature ? La réponse n'est pas évidente et les juristes de gauche ont répondu oui, ceux d e droite, non . Une solution intermédiaire acceptable consiste à dire que le Président peut refuser sa signature, mais seulement lorsque le texte port e atteinte à l'un des intérêts dont il a la charge en vertu des articles 5 et 64 d e la Constitution . D'autre part, la Constitution ne définissant pas les décrets qui doiven t être délibérés en Conseil des ministres, le Président — puisqu'il en fixe l'ordr e du jour — peut faire venir en Conseil (hors cohabitation) tous les décrets qu i l'intéressent, de façon à pouvoir les signer. Et il est même allé jusqu'à signe r des décrets pris en dehors du Conseil et relevant normalement de la signatur e du seul Premier ministre . Lorsqu'il s'entend avec le Premier ministre, il s e donne, par là, les moyens de contrôler toute l'activité du gouvernement . Dan s la pratique, il signe alors tous les décrets importants .

C. Les relations avec le gouvernemen t et avec l'administration Le Président est au moins associé aux décisions concernant le gouvernemen t et les administrations . NOMINATION ET DÉMISSION DES MEMBRE DU GOUVERNEMEN T

Le Président, sur proposition du Premier ministre, nomme les membres d u gouvernement et met fin à leurs fonctions . Au moment de la formation d u gouvernement, il impose ses candidats comme ses exclusives et ne se content e pas d'entériner les choix du Premier ministre . De même, il arrive qu'il suggèr e au chef du gouvernement de lui demander de mettre fin aux fonctions d'u n ministre qui a cessé de lui plaire ou qui se révèle incompétent . Cela hors les temps de cohabitation, bien entendu (v. p . 71) . LA PRÉSIDENCE DU CONSEIL DES MINISTRE S

Le gouvernement se réunit une fois par semaine, en principe le mercred i matin, à l'Élysée, sous la présidence du chef de l'État . Cette prérogative est exceptionnelle dans les régimes parlementaires . On ne la trouve ni e n Grande-Bretagne, ni en Allemagne, ni en Italie par exemple . Elle permet a u Président de contrôler l'action du gouvernement . Non seulement car il est ainsi informé de ses projets, mais surtout parce qu'il a réussi à imposer le principe que le Conseil se tient sur un ordre du jour approuvé au préalable par lui. Cette pratique lui permet de faire venir devant le Conseil les dossiers sur les quels aucun dissentiment ne l'oppose au gouvernement et, en période d e cohabitation, de retarder les autres, jusqu'à ce qu'un compromis soit trouvé . Cette prérogative, formelle en apparence, est en réalité capitale .

LA

Le Président dispose du pouvoir de nomination aux emplois civils et militaire s de l'État . Sa compétence est générale, c'est-à-dire qu'elle concerne tous le s emplois. En période de cohabitation, le Président peut ainsi dire son mot su r les nominations qui l'intéressent et « marchander » son accord . Concrète ment, le Président nomme par décret en Conseil des ministres les titulaires de s plus hautes fonctions : conseillers d'État, préfets, recteurs . . . ; pour les emploi s i mportants (magistrats, officiers, professeurs d'université . . .), il prend des décrets simples (c'est-à-dire sans passer par le Conseil des ministres) ; pour les autres, il peut déléguer son pouvoir au Premier ministre . Pourtant, depui s 1958, jamais un Président ne s'est dessaisi de son pouvoir en le déléguant . Mais, la charge étant écrasante, des lois ou des décrets de simplification et d e décentralisation ont remis une partie de ce pouvoir de nomination au x m inistres ou aux autorités subordonnées .

LA SIGNATURE DES DÉCRETS ET DES ORDONNANCE S

Le pouvoir réglementaire appartient au Premier ministre (v . p . 83), mais l e Président y est associé dans la mesure où il doit signer les ordonnances (v. p . 80) et les décrets pris en Conseil des ministres . Encore un pouvoir d'aspect anodin dont les présidents ont habilement joué pour imposer leur pré éminence au gouvernement . Dans la tradition parlementaire, la signature d u chef de l'État est une pure convention . Or la période de la cohabitation a montré en France qu'elle pouvait devenir une arme entre les mains du président . F. Mitterrand a estimé, en effet, qu'il n'avait aucunement l'obligation d e 641

NOMINATION DES HAUTS FONCTIONNAIRES

0.

Les relations avec la justic e Le Pr ésident, « garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire » (article 64) , dispose de certaines prérogatives . 1

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LE PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE - ATTRIBUTION S

LA PRÉSIDENCE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE (v . p. 148)

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Le Président peut présider les réunions du Conseil supérieur de la magistrature, mais il se fait souvent remplacer par le garde des Sceaux . L'EXERCICE DU DROIT DE GRÂC E

Le gouvernement

Le Président a hérité de la monarchie le droit de remettre aux condamnés, e n totalité ou en partie, leurs peines. Ce droit a perdu le caractère discrétionnaire régalien qui était autrefois le sien, puisque la grâce doit être contresignée par le garde des Sceaux . Celui-ci pourrait donc, en théorie, s'opposer à l a décision du Président car la grâce n'est pas seulement un problème d e conscience, mais peut avoir des implications politiques, que son usage soi t considéré dans l'opinion et au Parlement comme laxiste ou partisan . En pratique, le contreseing est donné automatiquement .

Composantes, statut, formation

Qu'est-ce que « le gouvernement » ? Pour bizarre que cela puisse paraître , aucune réponse certaine ne s'impose à une question si élémentaire . Que le s ministres et les secrétaires d'État en fassent partie, cela n'est pas contesté . E n revanche, on peut se demander si le président de la République n'appartien t pas lui-même aussi au gouvernement . La Constitution n'est pas claire là-des sus et les présidents ont souvent affecté de se considérer comme chefs d u gouvernement, en en tirant les conséquences concernant l'étendue de leurs pouvoirs . Sans entrer dans le débat, on dira qu'il paraît logique d'exclure l e président de la République du gouvernement puisque, en particulier, l a Constitution prévoit la démission du « gouvernement » après un vote d e défiance de l'Assemblée nationale sans que cela entraîne aussi le départ d u P résident . Quelles sont donc, en définitive, les composantes du gouvernement (o n parle aussi de « cabinet »), quel est leur statut, comment travaille l'équip e go uvernementale ?

LA NOMINATION DES MAGISTRATS

Les plus hauts magistrats sont nommés en Conseil des ministres sur proposition ou avec avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, et le Président dispose donc de la faculté d'intervenir dans leur choix . Enfin, il faut rappeler qu'à l'issue du procès d'Alain Juppé devant le tribunal de Nanterre en janvier 2004, J . Chirac a lancé une enquête administrativ e sur les pressions dont les juges auraient fait l'objet . Cette initiative a ét é contestée . Pourtant, il faut admettre que l'article 64 donne un tel pouvoir a u Président sans qu'il ait besoin de passer par le Conseil supérieur de la magistrature . * *

*

Il faut souligner, encore une fois, que l'extension des pouvoirs présidentiels ne se réalise que lorsque le Président dispose d'une majorité fidèle à l'As semblée . En période de cohabitation, ses pouvoirs se réduisent à ceux que l a Constitution lui accorde expressément .

1 . Les composantes du gouvernement : nomination et fin des fonction s A.

Le Premier ministre Il est l'héritier des présidents du Conseil des Ill e et Ive Républiques . Dès s a nomination, il apparaît comme plus indépendant du Parlement et moin s autonome à l'égard du Président que ses prédécesseurs .

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LE GOUVERNEMENT - COMPOSANTES, STATUT, FORMATION

NOMINATIO N

Le Premier ministre est nommé par décret du président de la République, san s contreseing . II s'agit d'un pouvoir propre (v. p . 57) . Le Président dispose d'une grande liberté dans la désignation du Premie r ministre . II n'a l'obligation de consulter personne (partis ou leaders politiques ) et peut choisir un non-parlementaire . En pratique, il doit veiller à l'existence à l'Assemblée d'une majorité disposée à soutenir durablement celui qu'i l choisit ; ainsi François Mitterrand a-t-il dû désigner Jacques Chirac après le s élections législatives de 1986 et Édouard Balladur après celles de 1993 — u n Premier ministre de gauche aurait été renversé sans délai par l'Assemblée . De même Jacques Chirac a-t-il dû nommer Lionel Jospin en 1997 . C'est que la liberté du Président disparaît lorsque s'ouvre une cohabitation : celui qui apparaît comme le leader naturel de la nouvelle majorité lu i est en quelque sorte imposé .

FIN DES FONCTIONS

Elle peut intervenir de plusieurs façons ; dans tous les cas, le départ du Premie r ministre entraîne celui du gouvernement . ■ La démissio n • Le Premier ministre peut présenter spontanément sa démission au présiden t de la République, pour des motifs personnels ou en raison d'un désaccor d politique . L'exemple type est la démission de Jacques Chirac en août 1976 . Dans une certaine mesure, le départ de Pierre Mauroy en 1984 entre dans l a même catégorie . Ce sont les deux seuls exemples . • La démission peut aussi intervenir en accord avec le Président pour faciliter u n remaniement du cabinet . Le Premier ministre est ensuite reconduit dans se s fonctions à la tête de la nouvelle équipe ; cela a été le cas, par exemple, pou r Alain Juppé, le 7 novembre 1995 . • Enfin, une pratique s'est établie suivant laquelle le Premier ministre remet l a démission de son gouvernement au lendemain des élections législatives e t des élections présidentielles. Dans le premier cas, cette « démission de cou rtoisie » permet au Président de donner éventuellement un nouvel interlocu teur à l'Assemblée renouvelée ; dans le second cas, elle témoigne de ce que l e Premier ministre tient ses pouvoirs du Président et souligne, en conséquence , qu'ils se terminent avec son mandat . 68

LE GOUVERNEMENT - COMPOSANTES, STATUT, FORMATIO N

▪ La perte de confiance de l'Assemblée national e Si l'Assemblée refuse sa confiance au gouvernement, ou approuve un e motion de censure, le Premier ministre doit présenter au chef de l'État l a démission du gouvernement (v . p . 118) . C'est la règle des régimes parlementaires . Sa seule application depuis 1958 concerne le gouvernement Pompido u en octobre 1962 . ■ La révocation par le Présiden t • En théorie, le Président ne peut révoquer le Premier ministre . Lors de l'élaboration de la Constitution, le général de Gaulle avait été catégorique : tan t qu'il ne se retire pas de lui-même, ou tant qu'il n'a pas été renversé par l'As semblée, le Premier ministre reste en fonction . C'est là une exception au principe de la correspondance des formes : le pouvoir de révocation n'appartien t pas, ici, au titulaire du pouvoir de nomination . • La réalité est autre. Le Président, hors cohabitation, s'est attribué un pou voir de révocation de fait du Premier ministre . II demande en privé à celui-c i de bien vouloir se retirer et accepte ensuite la démission qui lui est officielle ment présentée . Ce subterfuge suppose, bien sûr, l'accord, ou au moins l a neutralité, de la majorité de l'Assemblée. Un Premier ministre fort de l'appu i de celle-ci pourrait ne pas se plier à cette mise en scène et rester en fonctio n contre la volonté du Président : par exemple, François Mitterrand n'aurait p u se séparer ainsi de Jacques Chirac entre 1986 et 1988, pas plus que ce dernie r n 'aurait pu révoquer Lionel Jospin entre 1997 et 2002 . Ce procédé affirme de façon éclatante la primauté, hors cohabitation, d u

P résident sur le Premier ministre : lorsqu'il a cessé de plaire, ou d'être utile, l e P résident le congédie . Tous les Premiers ministres (sauf Georges Pompidou e n

1962, Jacques Chirac en 1976 et Pierre Mauroy en 1984) qui ont démissionn é en dehors des échéances électorales l'ont fait à la demande du Président . Le départ de Jacques Chaban-Delmas : La meilleure illustration du pouvoir de révocation de fait du Premier ministre par l e Président est fournie par la démission de Jacques Chaban-Delmas le 5 juillet 1972 . Des divergences existaient depuis longtemps entre ses conceptions politiques (l a « nouvelle société ») et celles de Georges Pompidou . Mais ce dernier choisit l e m oment où le gouvernement venait d'obtenir un vote de confiance massif de l'As s emblée (368 voix contre 96), le 24 mai, pour demander au Premier ministre sa démiss ion, le 27 juin .

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LE GOUVERNEMENT - COMPOSANTES, STATUT, FORMATION

B . Les ministres

LE GOUVERNEMENT - COMPOSANTES, STATUT, FORMATIO N

LA

La composition du gouvernement n'est pas déterminée de façon immuable . D'une équipe à l'autre le nombre de ses membres change — après avoir aug menté jusqu'en 1988, il a tendance à décroître depuis lors . De moins d'un e trentaine de membres dans le gouvernement Debré en 1959 (26), l'effectif d u cabinet est passé à plus de 40 ministres et secrétaires d'État dans le gouverne ment Chirac en 1976 (43), pour approcher la cinquantaine avec les cabinet s Rocard II en 1988 (49) et Cresson en 1991 (47) . Il est redescendu à 41 ave c Pierre Bérégovoy, 29 avec Édouard Balladur, 32 pour Alain Juppé en novembre 1995, 33 pour Lionel Jospin, et à 43 pour J .-P. Raffarin en 2004 . En même temps, les attributions varient . Leur répartition entre les ministres est fixée par décret du président de la République (contresigné du Premier ministre) . Entre les secrétaires d'État, elle est définie par le Premie r ministre . Ce découpage suscite souvent jalousies et tensions . Si tous les membres du gouvernement sont nommés et révoqués de l a même façon, il existe entre eux une hiérarchie officielle .

NOMINATION ET LA FIN DES FONCTION S

Les ministres sont nommés par le président de la République sur propositio n et avec le contreseing du Premier ministre . Les ayant choisis, ce dernie r devient naturellement leur chef. Ici encore, la pratique n'a pas correspondu à l'intention du constituant . Le Président ne reste pas étranger à la composition du gouvernement . Il intervient sous des formes diverses : fixant le nombre des ministres, imposant se s candidats, s'opposant à d'autres . En réalité, le gouvernement est constitu é d'un commun accord entre les deux hommes, même au temps de la cohabitation, on l'a bien vu en 1986 . Lorsqu'un ministre démissionne, l'équipe continue sans lui . S'il n'est pa s volontaire, son départ lui sera imposé, à la suite d'un désaccord ou pour incapacité, à la demande du Premier ministre sur décision du Président . Il s'est produit que la révocation intervienne, hors cohabitation, en fait à l'initiativ e du Président lui-même . Celui-ci conserve ainsi un droit de regard sur la composition du gouvernement pendant toute son existence .

C. Le gouvernemen t

LA HIÉRARCHIE DES MINISTRE S

On distingue, dans un ordre décroissant, les catégories suivantes (chacune d e ces catégories ne se retrouvant pas nécessairement dans tous les cabinets) : • Les ministres d'État. Le titre est honorifique et correspond à une prééminence protocolaire . Il sera attribué à des personnalités politiques de premie r plan et/ou aux titulaires de portefeuilles importants . • Les ministres « ordinaires » . Ils sont aussi appelés « ministres à porte feuille » . Ils forment la catégorie la plus nombreuse . • Les ministres délégués. Placés auprès du Premier ministre ou des ministres , ils les assistent dans leur tâche . • Les secrétaires d'État autonomes . Affectés souvent à un domaine tech nique, ils disposent d'un budget et de services propres . • Les secrétaires d'État rattachés . Placés sous l'autorité d'un ministre qu i leur délègue à son gré des attributions, ils n'ont ni budget ni services propres . Les jeunes hommes politiques y font leurs preuves avant d'être appelés à de s fonctions plus importantes . Les secrétaires d'État n'assistent au Conseil des ministres que lorsqu'un e affaire de leur compétence est inscrite à l'ordre du jour. 70

L'ensemble des ministres et des secrétaires d'État constitue le gouvernement . Celui-ci tient-il ses pouvoirs de la seule nomination de ses membres par le chef de l'État? Ne doit-il pas se soumettre à une autre formalité avant son entré e en fonction? Le Parlement n'a-t-il pas son mot à dire ? L' ENTRÉE EN FONCTION Du temps des Républiques précédentes, le gouvernement devait obtenir l'investiture de la Chambre basse : Chambre des députés ou Assemblée nationale . Là encore, la Constitution de 1958 innove : le gouvernement est investi de la totalité de ses pouvoirs dès sa nomination par le Président . L'article 4 9 alinéa 1er prévoit seulement : « Le Premier ministre, après délibération d u Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilit é du gouvernement sur son programme . . . D . Aucun délai n'est fixé au gouvernement pour solliciter la confiance de l'Assemblée . À l'origine cependant, encore marquée par la pratique de la ive République, la nouvelle équipe s e pr ésentait sans tarder devant l'Assemblée nationale pour faire approuver s a composition et son programme . Mais au bout de quelques années, les Premiers ministres firent moins diligence, attendant parfois des mois avant d e 1

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LE GOUVERNEMENT - COMPOSANTES, STATUT, FORMATION

provoquer un scrutin sur la confiance — ils y étaient d'autant plus portés que l e changement de gouvernement intervenait souvent à un moment où le Parle ment était en vacances — ; ou encore ils se contentèrent de présenter un e déclaration de politique générale (v. p . 113), laissant à l'opposition le soin d e déposer, si elle le souhaitait, une motion de censure (v. p . 118) . Cette attitud e soulignait la disparition de l'obligation de l'investiture par l'Assemblée et, pa r contrecoup, la dépendance du gouvernement à l'égard du Président : répétons-le, hors cohabitation, le cabinet tient ses pouvoirs uniquement du che f de l'État. Depuis la fin de la présidence de Georges Pompidou, on a eu tendance à revenir à la pratique traditionnelle : la plupart des gouvernements se son t présentés sans attendre devant l'Assemblée . Mais ni Michel Rocard, ni Édit h Cresson, ni Pierre Bérégovoy n'ont fait approuver leur programme par un e Assemblée où ils ne disposaient pas d'une majorité absolue . En revanche , Édouard Balladur, Alain Juppé et Lionel Jospin ont sollicité un vote de l'As semblée ; et Jean-Pierre Raffarin, à son tour, le 3 juillet 2002 . LA FIN DES FONCTIONS

La démission du Premier ministre entraîne la fin des fonctions du gouvernement . Le gouvernement est une équipe solidaire : ses décisions engagent tou s ses membres, les actes d'un ministre engagent tout le gouvernement . Si l'o n n'est pas d'accord, on démissionne, règle que J .-P. Chevènement résumai t ainsi : « On ferme sa gueule, ou on s'en va . » Dans les faits, si la cohésion d e l'équipe gouvernementale n'est pas parfaite, elle est beaucoup plus grand e qu'avant 1958 . Le gouvernement et le Premier ministre suivent le même sort : qu'elle soi t spontanée, provoquée (refus de confiance ou censure), ou qu'elle résult e d'une révocation par le Président, la démission du second met un terme au x pouvoirs du premier.

2. Le statut des membres du gouvernement Ministres et secrétaires d'État bénéficient d'un statut spécial destiné à leu r permettre de se consacrer à leurs fonctions avec le minimum de contrainte s extérieures et un maximum d'efficacité . 72

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LE GOUVERNEMENT - COMPOSANTES, STATUT, FORMATIO N

A, Les incompatibilités Les fonctions ministérielles s'exercent à plein temps, d'où l'impossibilité de le s cumuler avec d'autres activités professionnelles . • Fonctions privées. La détention d'un portefeuille ministériel est incompatible avec des fonctions privées quelles qu'elles soient : salarié, avocat, représentant de commerce . . . On veut préserver la dignité du ministre et assure r son indépendance à l'égard des intérêts privés, éviter les conflits d'intérêts e t les tentations . • Fonctions publiques non électives . La règle est la même : le fonctionnaire qui devient ministre doit se faire mettre en congé . Il ne peut être soumis a u pouvoir hiérarchique d'un de ses collègues du gouvernement. • Fonctions publiques électives . C'est l'exception à la règle . Le cumul est possible (et fréquent) avec des mandats locaux (maire, conseiller général . . .) . En revanche, il est interdit avec les mandats nationaux : président de la Répu blique, membre de l'Assemblée européenne, parlementaire . . . La prohibition du cumul d'un portefeuille ministériel et d'un mandat parlementaire est une innovation de la Constitution de 1958 . De Gaulle y voyai t un moyen de resserrer l'unité et l'efficacité de l'équipe gouvernementale e t de rendre les ministres plus dépendants du Président . Coupés de leur group e parlementaire et de leur circonscription électorale, les ministres ne seraien t plus incités à prendre les consignes de leur parti et à se laisser accaparer par l a défense d'intérêts locaux . Surtout, dans la mesure où les ministres « remerciés» ne retrouveraient pas leur siège au Parlement, on pouvait penser que l a stabilité du gouvernement y gagnerait . En effet, les députés seraient moin s tentés de le renverser pour ouvrir « la course aux portefeuilles », car devenu s p eut-être ministres, grâce à la formation d'un nouveau cabinet, ils s'expose raient à perdre à leur tour leur portefeuille sans pour autant pouvoir eux no n plus revenir siéger au Parlement. En droit, un parlementaire nommé ministre dispose d'un délai d'un mois Pour opter entre les deux fonctions . À l'issue de ce délai, il est réputé avoi r renoncé à son mandat parlementaire . Il sera remplacé dans son Assemblé e par son suppléant (v. p . 90) . Cette règle est mal supportée par les parlementaires . Aussi a-t-on imaginé de lui apporter des aménagements par la voie de la révision constitutio nnelle (1974) ou de la loi organique (1977) . Sans succès. Pourtant, son utilité est contestable . La stabilité gouvernementale s'est établie en dehors d'ell e et les ministres se sont bien gardés de négliger la circonscription dont la fidé 1

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LE GOUVERNEMENT — COMPOSANTES, STATUT, FORMATION

lité commande la suite de leur carrière politique . Le non-cumul pourrait donc , sans inconvénient, être limité à la période de présence au gouvernement , l'ancien ministre retrouvant son siège lorsqu'il quitterait ses fonctions ministérielles .

B. La responsabilit é Pour protéger les ministres contre les poursuites abusives et aussi pour évite r de voir l'autorité judiciaire appelée à se prononcer sur des actes prétendu ment délictueux accomplis par des ministres (ce qui constituerait une atteint e à la séparation des pouvoirs), la responsabilité pénale de ceux-ci est régie pa r des règles spéciales . • Les actes des ministres dans l'exercice de leurs fonctions relèvent de la Cour de justice de la République créée par la révision du 27 juillet 199 3 (v. p . 151) . Si celle-ci les considère comme constitutifs de crimes ou de délit s définis par le code pénal, elle leur appliquera les peines prévues par la lo i pour ces infractions . On fera ici trois remarques : - les pouvoirs d'appréciation de la Cour de justice de la République sont moins importants lorsqu'il s'agit des ministres que ceux de la Haute Cour lors qu'elle juge le président de la République ; - les particuliers peuvent maintenant déclencher des poursuites contr e les actes accomplis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions ; - l'affaire du sang contaminé a montré, en 1999, le caractère peu satisfaisant de la procédure devant la Cour de justice (v . p . 152) . • Les poursuites sont libres, devant les tribunaux ordinaires, pour les actes n e relevant pas de l'exercice des fonctions, ou commis seulement « à l'occasion » de celles-ci . Enfin, il faut mentionner l'obligation faite aux ministres par la loi d u 11 mars 1988 de déposer, à leur entrée en charge, une estimation chiffré e détaillée de la valeur de leur patrimoine . La même déclaration devra êtr e renouvelée à leur départ . Mais rien n'est prévu au cas où cette obligation n e serait pas respectée, et il ne semble pas que des poursuites soient nécessaire ment déclenchées si la comparaison des deux documents fait apparaître u n enrichissement suspect .

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LE GOUVERNEMENT — COMPOSANTES, STATUT, FORMATIO N

3 . Les formations

gouvernementales

Les membres de l'équipe gouvernementale ne se réunissent pas toujours tou s ensemble . La solidarité ministérielle impose la prise en commun des décisions , mais l'exigence de l'efficacité du travail gouvernemental conduit à la tenue de réunions restreintes .

A. Le Conseil des

ministres : la décision

Le gouvernement se réunit régulièrement en Conseil des ministres ; c'est e n cette formation qu'il exerce son pouvoir de décision . Présidé par le chef d e l'État, le Conseil des ministres regroupe l'ensemble des ministres et les seul s secrétaires d'État dont l'ordre du jour justifie la présence . Il se tient à l'Élysée , traditionnellement le mercredi matin . L'ordre du jour est arrêté par le président de la République . Ce n'est pa s là un pouvoir formel et de peu d'importance . Ne viennent devant le Consei l que les dossiers acceptés par le Président ; celui-ci peut, par cette voie, s'opposer à des projets de lois ou de décrets ainsi qu'à des nominations de haut s fonctionnaires . François Mitterrand a fait de ce pouvoir un usage limité mai s efficace pendant les premières cohabitations, et Jacques Chirac l'a parfoi s imité entre 1997 et 2002 . Dans la pratique, il n'y a pas de véritable débat : un accord s'est fait avant le Conseil sur les mesures qui lui seront proposées . Sa réunion permet de le s entériner et de les officialiser. Un communiqué est publié à l'issue du Conseil , où sont exposées les questions évoquées et les décisions prises . En période d e cohabitation, le Président fait parfois, par l'intermédiaire de son porte-parole , une déclaration où il prend ses distances avec le gouvernement .

B. Les autres formations : la préparation ■ C onseils de cabinet et réunions de ministre s Il a pu arriver, au début de la V e République, que, suivant encore en cel a l' usage précédent, le gouvernement se réunisse en Conseil de cabinet, e n dehors de la présence du chef de l'État, sous la présidence du Premie r ministre . Le général de Gaulle devait rapidement mettre un terme à une pratique où le gouvernement échappait à son contrôle . Jacques Chirac devait l a ressusciter à plusieurs reprises pendant la cohabitation, pour des raison s



LE GOUVERNEMENT - COMPOSANTES, STATUT, FORMATIO N

faciles à comprendre, sous le nom de « réunions de ministres », et Lionel Jos pin a repris cette pratique . Dans tous ces cas, ces formations ne disposen t d'aucun pouvoir de décision : le seul organe de décision est le Conseil de s ministres . ■ Conseils interministériel s L'examen de bien des dossiers ne nécessite pas la présence de tout le gouver nement . Aussi se réunissent à l'Élysée, de façon régulière pour certains, intermittente pour d'autres, des conseils interministériels présidés par le présiden t de la République, où ne siègent que les ministres intéressés et, en général, l e Premier ministre . ■ Comités interministériels et comités restreint s Les premiers sont permanents – créés par décret, ils se réunissent à intervalle s réguliers –, les seconds sont ponctuels . Ils réunissent, sous la présidence d u Premier ministre, des membres du gouvernement, assistés de leurs collaborateurs et de hauts fonctionnaires, pour coordonner l'action gouvernemental e sur un objet déterminé, ou pour préparer des décisions ou un dossier pour l e Conseil des ministres . Les membres du cabinet du Premier ministre tiennen t aussi à Matignon de très nombreuses réunions interministérielles (de trois à cinq chaque jour), avec les conseillers des ministres et des fonctionnaires d e leurs services, dans un but, ici encore, de préparation et de coordination d e l'action gouvernementale . Mais, rappelons-le, ces formations ne décident pas, elles préparent : l a décision appartient au Conseil des ministres .

7 Le gouvernement Attributions

Le gouvernement, lui aussi, a bénéficié de la volonté de rehausser l'exécutif – il est significatif, à cet égard, qu'il précède dans la Constitution le Parlemen t dans l'ordre de présentation des institutions . Le texte lui taille un rôle et lu i accorde des moyens d'action considérables . Pourtant, dès le début du nouveau régime, le gouvernement allait êtr e au centre de toutes les incertitudes concernant la répartition des compétence s entre les autorités de l'État . Placé par nature à la charnière entre le Présiden t et le Parlement, il a vu son rôle se définir largement en dehors de lui, san s souci des prescriptions constitutionnelles, comme celui que ces autorités voulaient bien lui voir jouer. Il n'a pas toujours été la pièce maîtresse du dispositi f de l'exécutif, pour se trouver au contraire placé souvent dans une positio n subordonnée vis-à-vis du Président ; ses pouvoirs n'en ont pas été pour autant , à aucun moment, négligeables .

1 . Les attributions propres au gouvernemen t La Constitution définit la fonction du gouvernement et met à sa dispositio n les moyens qui lui permettent de la remplir.

A . La conception de la fonction gouvernemental e Pa r volonté de symétrie avec l'article 5 et sa définition de la fonction préside ntielle, l'article 20 précise : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation . » 7h

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LE GOUVERNEMENT — ATTRIBUTION S

LE GOUVERNEMENT — ATTRIBUTIONS

Dans l'esprit du constituant, il s'agissait surtout de rompre avec la pratique des Ill e et IVe Républiques, où le Parlement était sorti de son rôle d e législateur et de contrôleur de l'action gouvernementale pour réduire le gouvernement à une tâche d'exécutant sans initiative ni autonomie . Réagissant contre une dérive vers le régime d'assemblée, la Constitution de 1958 restitu e au gouvernement son rôle de définition des grandes options politiques ; il e n fait un vrai gouvernement par un retour à une conception plus rigoureuse d e la séparation des pouvoirs . Ce gouvernement ne peut, certes, agir sans le sou tien de l'Assemblée, mais celle-ci ne peut lui dicter sa conduite . Cette répartition des rôles est respectée depuis le début de la V e République . En même temps, l'article 20 confirme le partage des attributions au sei n de l'exécutif . Au Président la défense des intérêts essentiels du pays, au gouvernement l'action quotidienne, les projets à moyen terme, la « détermination » des orientations à longue échéance . Le gouvernement trace la route , l'infléchit en cas de nécessité et s'efforce d'y maintenir la nation . En réalité , c'est une dyarchie — c'est-à-dire un système de gouvernement avec, à sa tête , deux autorités égales et spécialisées — qu'institue la Constitution . Alors qu e l'une est constamment active, omniprésente, au coeur des problèmes de l a société et des luttes politiques, l'autre observe, rappelle les règles et peut saisir les commandes dans la tempête . Le système est cohérent, mais les frontières sont floues ; longtemps, on a moins cherché à les préciser qu'on ne les a volontairement ignorées — pour l e plus grand profit, hors périodes de cohabitation, du Président .

évoquée ici car elle est capitale : le Conseil adopte les projets de loi qui seron t déposés au nom du gouvernement devant l'une des assemblées . Une politique s'inscrit dans des lois : si le gouvernement veut modifier les règles d e l'immigration, de la délivrance du permis de construire, de l'impôt sur les sociétés, de l'organisation de l'audiovisuel . . ., il fera préparer un projet de lo i et la délibération du Conseil témoignera de la volonté collective de réform e du gouvernement . D'autres textes, ou décisions, s'inscrivent dans le processus normatif e t «viennent » devant le Conseil ; ils concourent eux aussi à la mise en oeuvre d e la politique gouvernementale : —des projets de décrets ; —les ordonnances prises par le gouvernement dans l'exercice de la délégation du pouvoir législatif après une loi d'habilitation (v. p . 80) ; — la décision de demander au Président de faire approuver directemen t par le peuple, par voie de référendum, une loi dans le domaine de l'article 1 1 (v . p . 39) . De même, comme on l'a vu (p . 65), bon nombre de nominations de fonctionnaires sont décidées par décrets pris en Conseil des ministres. Enfin, il appartient au Conseil d'autoriser le Premier ministre à engager l a responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale : toute l'équipe gouvernementale est associée à une décision qui met son existenc e en jeu . L'ADMINISTRATION ET LA FORCE ARMÉ E

B . Les moyens d'action du gouvernemen t Gouverner, aujourd'hui, c'est s'intéresser et toucher un peu à tout . Commen t le gouvernement va-t-il agir? Autorité collégiale, il prend ses décisions e n Conseil des ministres et dispose, pour les exécuter, de l'administration et de l a force armée (article 20) . LES DÉLIBÉRATIONS EN CONSEIL DES MINISTRE S

Même si ces délibérations symbolisent avant tout la solidarité gouvernemen tale — elles ne donnent pas lieu, en général, à un véritable débat et sont don c très formelles —, elles constituent le point de départ de toute action . Beaucoup concernent la procédure législative (v . p . 105) ; une seule ser a 78 1

Il ne saurait exister de pouvoirs autonomes et concurrents au sein de l'exécutif : l'administration est donc subordonnée au gouvernement, et l'armée es t soumise au pouvoir civil . Au-delà de l'affirmation de ces principes, dans la ligne de la théori e d émocratique et de notre tradition républicaine, la référence de l'article 2 0 signifie aussi que le gouvernement s'appuie sur ces deux institutions . L'admin istration l'informe et le conseille, elle met en oeuvre ses décisions, elle es t l'I nstrument nécessaire de toute action . La force armée assurera au besoi n l'a pplication de certaines décisions, maintiendra l'ordre et la sécurité, défendra le territoire national . Sa seule existence garantit l'effectivité de l'actio n go uvernementale : le gouvernement peut utiliser la force . En outre, si les circo nstances l'exigent, un décret pris en Conseil des ministres pourra proclame r I état de siège ou l'état d'urgence ; dans le premier cas, il y a transfert à l'au 79

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTIONS

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTION S

torité militaire des pouvoirs exercés en temps normal par les autorités civiles ; dans le second, il y a un renforcement important des attributions répressive s de l'administration . LA DÉLÉGATION DU POUVOIR LÉGISLATIF : LES ORDONNANCE S

Contestable sur le plan des principes (atteinte à la séparation des pouvoirs) , pratiquée à la fin de la Ill e République, interdite mais utilisée à nouveau sou s la Ive , la délégation du pouvoir législatif se révèle parfois une nécessité . C'est pourquoi le constituant de 1958 lui a donné une existence constitutionnell e par l'article 38 . ■ Règles de form e Par une loi d'habilitation, élaborée dans les mêmes conditions qu'une loi ordinaire, le Parlement se dessaisit, pour une durée limitée, de son pouvoir législatif au profit du gouvernement. Les actes élaborés par le gouvernement su r la base de cette habilitation s'appellent des ordonnances . Elles sont prises e n Conseil des ministres, après avis du Conseil d'État, et portent la signature d u président de la République . Sur le plan juridique, elles ont la nature d'actes administratifs et non de lois . Ce sont des actes réglementaires pris dans l e domaine législatif (v. p . 102) . Les ordonnances doivent être transmises au Parlement, à fin de ratification, dans un délai fixé par la loi d'habilitation (différent du délai de l'habili-

tation) . Trois situations principales peuvent se présenter : 1°) Le gouvernement ne dépose pas de projet de loi de ratification dan s le délai ; les ordonnances sont alors caduques, elles n'ont plus d'existence juridique, elles ne peuvent plus être appliquées . 2°) Le projet de loi est bien déposé mais il n'est pas inscrit à l'ordre d u jour du Parlement — par faute de temps ou, le plus souvent, parce que le gouvernement, qui contrôle l'ordre du jour, n'en voit pas la nécessité . C'est le ca s le plus fréquent . On considère que l'ordonnance est ratifiée implicitement, mais sa nature est mixte : elle ne peut être modifiée que par une loi, mais ell e conserve un caractère réglementaire, d'acte administratif, permettant a u Conseil d'État de la contrôler. 3°) Le Parlement examine le projet de loi : — soit il le ratifie explicitement, éventuellement avec des modifications ; le texte acquiert alors valeur législative : le Conseil d'État ne peut plus l e contrôler ; le Conseil constitutionnel peut, lui, être appelé à contrôler la loi d e ratification ; 80



soit il rejette le projet de loi et l'ordonnance cesse de s'appliquer .

■ Règles de fond Le recours à la procédure des ordonnances n'est pas soumis à des condition s strictes : nul besoin d'évoquer l'urgence ou des circonstances de crise, pa r exemple . Cette procédure se caractérise par sa souplesse . L'article 38 indique : « L e gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances ( . . .) des mesures qui son t normalement du domaine de la loi . » La notion de programme est vague ; ell e ne se réfère pas au « programme » que le Premier ministre expose parfoi s devant l'Assemblée après la constitution de son équipe, mais elle couvre tou t ensemble de réformes que le gouvernement juge utile pour, par exemple , améliorer la situation de l'emploi et la condition des salariés, réaliser un nouveau découpage électoral . . . Cependant, le Conseil constitutionnel procède à un contrôle particulièrement rigoureux de la loi d'habilitation, pour éviter, en particulier, qu'un e délégation trop générale et imprécise ne constitue une abdication totale d u pouvoir législatif . Depuis le début de la Ve République, l'article 38 a été utilisé une trentain e de fois .

2 . Les attributions propres du Premier ministre Parmi les membres du gouvernement, seul le Premier ministre dispose d'attributions particulières qui méritent quelques développements . Les autres ministres sont les chefs du département ministériel à la tête duquel ils son t Placés : ils ont autorité sur ses fonctionnaires, fixent par arrêtés ses règles d'organisation et de fonctionnement, ordonnent la réalisation de se s d épenses (rôle « d'ordonnateur »), et contresignent les actes du Président lorsqu'ils sont responsables de leur préparation et de leur application, ou le s actes du Premier ministre s'ils sont chargés de leur exécution . Le Premier ministre a des attributions d'une tout autre importance, met tant en oeuvre des moyens d'action propres . 81

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTION S

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTIONS

A . Les multiples rôles du Premier ministre LA DIRECTION DE L ' ACTION GOUVERNEMENTALE ET DE L' ADMINISTRATION

Le Premier ministre est un personnage considérable — le deuxième de l'Éta t dans l'ordre protocolaire — auquel la Constitution confie (article 21) le soin d e diriger « l'action du gouvernement » . Il n'est donc pas simplement « le premier des ministres », situation où il s e trouverait peut-être en avant, mais sur le même plan que ses collègues ; e n réalité, il est au-dessus d'eux, il a autorité sur eux . En témoignent, en particulier, sa participation à leur nomination et à leur révocation, son rôle d'interlocuteur privilégié du Président (dont il contresigne les actes) et, enfin, le fai t que ce soit lui qui présente au chef de l'État la démission du gouvernement. I l est à la fois le chef de l'équipe gouvernementale et le chef de l'administratio n française puisque celle-ci est au service du gouvernement . Le Premier ministre adresse donc des instructions aux ministres, leur fix e des objectifs, arbitre entre eux — par exemple, au moment de l'élaboration d u budget —, coordonne leur travail, les rencontre, réunit certains d'entre eu x dans des comités interministériels . . . Mais diriger l'action du gouvernemen t ne veut pas dire se substituer à un ministre : il doit laisser les ministres exerce r leurs compétences, et, on l'a vu, ses décisions sont contresignées par l e ministre chargé de leur exécution .

g . Les moyens d'action du Premier ministr e LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE APPARTIENT AU PREMIER MINISTR E

L'article 21 de la Constitution indique en effet qu'« il assure l'exécution des lois », formule habituelle pour désigner le titulaire du pouvoir réglementaire . Ce pouvoir réglementaire général doit se combiner, d'une part, avec celu i confié au Président par l'article 13 à l'égard des décrets — et ils sont importants — pris en Conseil des ministres, et, d'autre part, avec celui, très limité , appartenant aux ministres (v. p . 81) . Comme on le verra, le pouvoir réglemen taire ne se borne pas à la mise en application de la loi ; il est aussi autonom e par rapport à celle-ci (v. p . 102) .

LE PREMIER

MINISTRE,

CHEF DE

L'ADMINISTRATIO N

■ Le pouvoir de nominatio n

Le Premier ministre nomme aux emplois autres que ceux réservés à la signature du Président . Dans la pratique, ce sont les ministres qui disposent — plu s que lui — d'un large pouvoir de nomination . ■ Le pouvoir de propositio n

LE RASSEMBLEMENT DE LA MAJORITÉ PARLEMENTAIR E

Au surplus, la tâche va bien au-delà . Le Premier ministre joue, en effet, u n rôle d'intermédiaire entre le gouvernement et le Parlement ou sa majorité . I l expose devant les Chambres la politique du gouvernement, il dispose de l'initiative des lois et c'est lui qui signe les projets de lois (et non le Président), i l réunit les commissions mixtes paritaires (v . p . 109), et lui seul peut engage r devant l'Assemblée la responsabilité du gouvernement . On peut en déduire qu'il lui appartient de souder la majorité autour du gouvernement et qu'il es t tout naturellement porté à devenir le chef de cette majorité . LA RESPONSABILITÉ DE LA DÉFENSE NATIONAL E

Enfin, toujours en vertu de l'article 21, le Premier ministre est responsable de la défense nationale — rôle qui doit se concilier avec celui de chef des armée s dévolu au Président par l'article 15 . En théorie, cette attribution recouvr e toute l'organisation de la défense nationale, tâche en comparaison d e laquelle celle du chef de l'État apparaît plus ponctuelle et intermittente . 82

Le Premier ministre dispose d'un pouvoir de proposition en matière de : —révision constitutionnelle (article 89) ; —convocation d'une session extraordinaire du Parlement (article 29) . Si la décision définitive appartient au Président, celui-ci ne peut agir, en ces matières, de sa propre initiative . ■ Les avi s

Des avis doivent être demandés par le Président, qui n'est pas lié par eux, a u Premier ministre : —avant la mise en oeuvre de l'article 16 ; —avant une dissolution (article 12) . ■ La faculté de saisir le Conseil constitutionne l

Enfin, le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel de la conformité d'une loi (article 61, alinéa 2) ou d'un traité (article 54) à la Constitution . Ces pouvoirs théoriques, très larges, rencontrent nécessairement ceux d u Président . Comment s'est opérée leur conciliation ? i Rq

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTIONS

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTION S

3 . L'évolution du partage des compétence s au sein de l'exécuti f Préséances protocolaires mises à part, le Premier ministre trouvait dans l a Constitution les instruments pour devenir l'homme fort du système . La dyarchie penchait en sa faveur ; elle aurait pu disparaître, entraînant le retour à l a situation observée de 1877 à 1958, où le Président était réduit à un rôle d e « facteur » (Auriol), de « mutilé constitutionnel » (Poincaré) ou de prépos é à « l'inauguration des chrysanthèmes » (de Gaulle) . Ce fut le contraire qu i arriva . Pendant longtemps, le Président a réduit le Premier ministre à un rôl e subordonné et, dans ces conditions, a pu contester à bon droit l'existenc e d'une dyarchie . Mais cette situation était rendue possible par l'existence d u fait majoritaire, où le Président bénéficie dans son entreprise de l'appu i constant de la majorité de l'Assemblée . Pendant les périodes de cohabitatio n au contraire, le Premier ministre devient le véritable chef de l'exécutif, l a dyarchie est alors une réalité .

A. Les périodes de fait majoritair e De 1958 à 1986, puis, dans une moindre mesure on le verra, de 1988 à 1993 e t de 1995 à 1997, le Président est apparu, avec des nuances, comme le véritabl e chef de l'exécutif . Il l'est à nouveau depuis juin 2002 . LA THÉORIE DU DOMAINE RÉSERVÉ : LES EMPIÉTEMENTS DU PRÉSIDEN T SUR LES COMPÉTENCES DU GOUVERNEMEN T

Très tôt, le Président est sorti du domaine où la Constitution l'autorisait à intervenir. On l'a vu traiter, avec un parfait naturel, les problèmes par-dessu s la tête du gouvernement et décider lui-même . On a alors tenté de théoriser c e comportement autour de l'idée de « domaine réservé » . En 1959, Jacques Chaban-Delmas distingua un secteur présidentiel (ou u n domaine réservé au Président) où le gouvernement se contenterait d'exécu ter, et un secteur « ouvert » (ou domaine ordinaire) où le gouvernement met trait en oeuvre un réel pouvoir de conception . Dans le premier, on aurai t trouvé tout ce qui concernait l'Algérie, la Communauté, les Affaires étran gères et la défense ; le reste (considérable, il suffit de penser à l'économie e t aux affaires sociales) relèverait du seul gouvernement . 84 1

La notion de domaine réservé, qui mettait à mal la formule de l'article 2 0 selon laquelle le gouvernement détermine et conduit la politique de l a Nation et qui, de surcroît, ne repose sur aucun fondement constitutionnel, a été abandonnée par son auteur et récusée par le général de Gaulle . Pourtant, elle correspond bien à une réalité ; mais celle-ci est plus complexe et moin s rigide . La politique extérieure est, certes, le domaine privilégié des interventions directes du Président, de tous les Présidents, mais il n'est pas le seul . Dans la pratique, le Président — lorsque joue le fait majoritaire — peut se saisi r ostensiblement de tout dossier important ou qui l'intéresse . Il n'y a, pas, à proprement parler, de domaine réservé car tous lui sont ouverts . D'un Président à l'autre, suivant les circonstances et selon ses goûts, il interviendra pe u ou beaucoup, sur des questions d'urbanisme, d'autoroutes, d'oeuvres d'art ou d'architecture, etc ., mais toujours de façon ponctuelle et sans se réserver l'ex clusivité de toutes les décisions dans ces domaines . QUI, EN PRATIQUE, DÉTERMINE ET CONDUIT LA POLITIQUE DE LA NATION ?

Les Présidents ont pris soin, la plupart du temps, de ne pas qualifier leur Premier ministre de « chef du gouvernement » . Le chef du gouvernement, c'est eux, et l'on comprend alors que, tout naturellement, ils aient repris à leu r compte la formule de l'article 20 pour déterminer et conduire eux-mêmes l a politique de la nation . Le Premier ministre leur doit alors allégeance et, e n bonne logique, ils peuvent le contraindre à démissionner . Le Premier ministre devient un simple chef d'état-major préposé à la mise en oeuvre du programme du Président . La part d'initiative qui lui est laissée est variable selon les hommes, et ce ne sont pas toujours les Présidents qu i affirment le plus fortement leur primauté (de Gaulle, 1964) qui se révèlent le s plus interventionnistes dans la pratique . Les Premiers ministres doivent cepen dant s'effacer et ne pas paraître concurrencer le Président sur la définition de s axes de la politique générale . Jacques Chaban-Delmas, pour ne pas l'avoi r compris en prononçant, sans l'avoir soumis au préalable au chef de l'État, e n 1969, un discours programme sur la « nouvelle société », devait susciter l'ire e t la méfiance durable de Georges Pompidou (v . p . 69) . Et il arrivera que le Prési dent (V. Giscard d'Estaing) trace un programme semestriel au gouvernement , a dresse des directives aux ministres, s'immisce dans la direction de la politiqu e éc onomique et refuse à son Premier ministre un accroissement de ses pouvoirs, l'amenant à la démission (J . Chirac, 1976) . De même, François Mitterrand attendait de ses Premiers ministres qu'il s exécutent le programme exposé lors de son élection à la présidence . De so n côté, Jacques Chirac, en dépit de ses intentions affichées, a été très directi f ~





LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTION S

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTIONS

dans les affaires du gouvernement . S'il a joué un rôle d'aiguillon, s'il a ét é attentif aux aspirations et aux mécontentements qui montaient du pays e n leur manifestant parfois sa compréhension, il est resté beaucoup plus extérieur par rapport à l'action gouvernementale . Les Premiers ministres - surtou t Michel Rocard - ont été assez libres de définir leur politique ; leur subordination à l'égard du Président était cependant maintenue par la faculté de c e dernier de mettre fin lorsqu'il l'entendait à leurs fonctions . C'est ainsi qu e François Mitterrand a corrigé rapidement l'erreur qu'il avait faite en choisissant Edith Cresson . Un Premier ministre qui échoue est aussi dangereux pou r le Président qu'un Premier ministre qui réussit trop bien .

entre 1995 et 1997 (annonce de la reprise des essais nucléaires ou de la sup pression du service militaire . . .), permettant peu d'initiatives à son Premie r ministre Alain Juppé, le laissant parfois faire face, seul, aux difficultés de l a mise en oeuvre de la politique . En définitive, en période de fait majoritaire, le Premier ministre met e n forme la politique définie par le Président et veille à son exécution . En cas d e désaccord entre eux, une règle non écrite s'est fixée : le Premier ministr e quitte ses fonctions . Qu'en est-il depuis juin 2002 ? On aurait pu penser qu'un Président qu i avait rongé son frein pendant les cinq années de cohabitation avec L . Jospi n serait très interventionniste. Ce n'est pas exactement le cas . Si le Présiden t fixe, assez discrètement, des orientations, s'il est très présent en politiqu e extérieure (crise irakienne) et de défense, il est peu visible dans le domaine d e la politique intérieure, laissant agir le Premier ministre et le gouvernement . Car le Premier ministre sert aussi de bouclier au Président . Trop présen t dans le jeu politique, le Président risque d'y user son autorité ; aussi s'efforcet-il de ne pas trop apparaître au premier plan, laissant le Premier ministre s'ex poser aux critiques et aux coups, dans un rôle que Raymond Barre considérait comme plein « d'abnégation D . Si le Président définit la politique, le Premie r ministre doit en assumer l'impopularité éventuelle . Les Présidents n'ont jamais voulu reconnaître ce partage des rôles . Et, courageusement parfois, ils ont revendiqué des décisions mal comprise s jusque dans les rangs de leurs partisans (de Gaulle sur l'Algérie, Mitterrand su r la politique de rigueur en 1982-1983) . Il a même pu arriver que le Présiden t apparaisse comme le bouclier du Premier ministre : François Mitterrand pou r Laurent Fabius en 1985 . Mais, le plus souvent, le Premier ministre joue bien c e rôle protecteur et catalyse les mécontentements . À ce jeu il s'use, le « fusibl e » saute et le Président le change . Au bout de trois ans en général .

Au total, de 1988 à 1993, les trois Premiers ministres n'ont pas été d e simples exécutants, des chefs d'état-major du Président . Cette observation entraîne cependant deux correctifs : - la guerre du Golfe en 1990 a montré à l'évidence la primauté conservé e du Président en temps de crise extérieure grave ; - les raisons de la plus grande réserve du chef de l'État sont incertaines . On ne peut exclure, tout d'abord, que le type de relations établies entre François Mitterrand et Jacques Chirac pendant la première cohabitation ait laissé des traces . En revanche, il n'est pas avéré que l'existence d'une majorité relative à l'Assemblée ait joué un rôle déterminant ; si, cependant, le Président s'était beaucoup engagé dans l'action politique, il aurait couru le risque d'un e mise en minorité fâcheuse pour son autorité . Peut-être, en définitive, faut-i l voir dans ce moindre interventionnisme un changement d'attitude de François Mitterrand pour son second septennat . Satisfait des réalisations de so n premier mandat, comblé par sa réélection, diminué par la maladie, il a pu préférer prendre ses distances avec l'action gouvernementale .

B. Les périodes de cohabitation QU'EN EST-IL LORSQUE LA MAJORITÉ N'EST QUE RELATIVE ?

On pouvait se demander si la subordination du Premier ministre au Présiden t se confirmerait lorsque la majorité dont les deux hommes disposeraient à l'As semblée serait seulement relative . L'hypothèse s'est réalisée au lendemain de s élections législatives de 1988 . Les socialistes n'atteignent pas en effet alors à eux seuls la majorité, et les Premiers ministres doivent rechercher des appui s soit sur leur gauche, soit au centre . On a pu constater dans cette situation que les rapports entre les deu x têtes de l'exécutif n'ont pas été identiques à ce qu'ils étaient jusqu'en 1986 . François Mitterrand est beaucoup moins intervenu directement au grand jou r Rr1

La V e République a connu trois périodes de cohabitation : 1986-1988, F. Mitterrand et J . Chirac ; 1993-1995, F. Mitterrand et E . Balladur ; 1997-2002, J . Chirac et L . Jospin . Comment se définissent alors les relations au sein de l'exécutif ? LE PREMIER MINISTRE, VÉRITABLE CHEF DU GOUVERNEMEN T

L

Avec la cohabitation, la subordination du Premier ministre au chef de l'Éta t di sparaît . Le gouvernement définit librement la politique de la Nation et l a met en application, le Premier ministre dirige pleinement l'action du gouver 187

LE GOUVERNEMENT - ATTRIBUTION S

nement . La Constitution est respectée, d'ailleurs François Mitterrand caractérisait la situation par la formule : « La Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution . » La dyarchie découlant de la lettre du texte de 195 8 devient une réalité, elle est déséquilibrée au profit du Premier ministre . QUELS POUVOIRS LE PRÉSIDENT CONSERVE-T-IL ? S'il y a dyarchie, cela signifie aussi que le Président dispose d'un certain nombre d'attributions. Ses pouvoirs propres, tout d'abord, ne sont pas touchés, en particulier le droit de dissolution . L'expérience a montré aussi qu'i l conservait son rôle traditionnel en matière de relations extérieures et d e défense nationale . D'autre part, au fil de ses face-à-face avec le Premie r ministre, le Président a réussi à se faire reconnaître certains pouvoirs . La fixation de l'ordre du jour du Conseil des ministres n'est pas le moins important. Il permet en effet de négocier les nominations pour lesquelles l a signature du Président est obligatoire . Il pourrait en être de même pour les décrets. François Mitterrand pour sa part avait refusé de signer des ordonnances et de convoquer le Parlement en session extraordinaire (v . pp . 64 et 63) . De son côté, Jacques Chirac a refusé en juillet 1999 de réunir le Congrès, et en février 2001 il a retardé l'inscription à l'ordre du jour du Conseil des ministres d'un projet de loi sur la Corse . Tout cela cependant est assez illusoire . Même le pouvoir de dissolution , qui apparaît comme son arme majeure, se révèle à peu près inutile lorsque l a cohabitation doit durer deux ans, et son utilisation sera très aléatoire si ell e est plus longue . Il reste que le Président peut mettre fin à la cohabitatio n quand il veut en démissionnant, pour se représenter éventuellement à l'élection présidentielle qui suivra . Le recours à cet artifice ferait penser aux fausse s sorties du théâtre de guignol . . . Le Président dispose enfin d'une grande liberté de propos, d'une sorte d e « ministère de la parole » . François Mitterrand l'avait bien compris qui s'étai t proclamé le défenseur de certains intérêts généraux de la Nation (l'unit é nationale, la solidarité, les acquis sociaux . . .), et Jacques Chirac l'a suivi dan s cette voie . Le Président donne, et se donne, l'illusion du pouvoir en occupan t les médias . Mais ses déclarations à ce titre risquent de le faire apparaîtr e comme le chef de l'opposition en face du Premier ministre, chef de la majo rité . Cela pèsera sur son image : il ne peut plus prétendre être le Président d e tous les Français, et cela pourrait le gêner s'il brigue un nouveau mandat quoique J . Chirac, en 2002 . . .

8 Le Parlement

Dans la Constitution de 1958, le Parlement paie la dérive vers le régime d'as semblée qui avait caractérisé la m e et la Iv e Républiques. En réaction contre elle, la rationalisation du parlementarisme - se traduisant, aux dépens de l a liberté du Parlement, par des procédures protectrices du gouvernement - es t en effet renforcée . Si l'on y ajoute l'apparition imprévue - et courante - d u fait majoritaire, on est amené à s'interroger, aujourd'hui, sur le rôle exact d u Parlement dans la société française . Mais les questions sur la place du Parlement dans nos institutions n'affec tent pas sa structure, son statut et l'organisation de son travail, qui ont finale ment peu changé par rapport au passé .

1 . Le bicaméralisme Le Parlement est composé de deux chambres, l'Assemblée nationale et l e Sénat. Le bicaméralisme est confirmé et les Français ont eu, en 1969, l'occasion de lui manifester leur attachement lors de la révision constitutionnell e tentée par le général de Gaulle . Celle-ci aurait transformé le Sénat en un e assemblée consultative où des personnalités désignées auraient siégé à côté d'élus représentant les collectivités locales . Le projet, soumis au référendum , fut repoussé par le peuple (v. p . 40) .

A. L'A ssemblée national e D epuis 1986, l'Assemblée nationale est composée de 577 députés . Elle est installée à Paris, au Palais-Bourbon .

88

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LE PARLEMENT

LE PARLEMENT

LES RÈGLES DE L'ÉLECTIO N ■ Les circonscription s

La France est découpée en 577 circonscriptions ; chacune élit un député pou r 5 ans . Chaque département a droit à deux députés au moins, quelle que soi t sa population, ce qui favorise les moins peuplés et crée des inégalités entre le s circonscriptions . Ainsi une des circonscriptions de la Lozère est-elle trois o u quatre fois moins peuplée qu'une autre des Hauts-de-Seine, par exemple . À l'intérieur d'un même département, l'écart acceptable entre la population d'une circonscription et la population moyenne des circonscriptions du département a été fixé par le Conseil constitutionnel à plus ou moins 20 % . Ainsi , dans un département de 400 000 habitants désignant 4 députés, chaque circonscription devra compter entre 80 000 et 120 000 habitants .

Est déclaré élu au premier tour le candidat qui obtient la majorité absolue des suffrages, représentant au moins le quart des électeurs inscrits. À défaut, un second tour sera organisé huit jours plus tard où la majorité relative suffira . Seuls auront le droit de s'y présenter les candidats ayant obten u au premier tour les suffrages d'au moins 12,5 % des électeurs inscrits . Les électeurs sont ainsi contraints de concentrer leurs suffrages sur les candidats de s grands partis.

Composition de l'Assemblée nationale après les élections de 2002 : PS UDF + DL UMP

141 siège s 24 siège s 369 sièges

Parti communiste Radicaux, Verts

21 siège s

Divers

12 siège s

10 siège s

■ L'éligibilit é

Sont éligibles les Français âgés de 23 ans au moins (sauf si une décision de justice leur a retiré le droit de vote) qui ne sont pas frappés d'une inéligibilité d u fait de leur fonctions (comme, par exemple, le préfet dans son département) . ■ Le suppléan t

Les candidats se présentent avec un suppléant destiné à les remplacer s'il s décèdent en cours de mandat ou s'ils sont appelés à des fonctions ministérielles (v. p . 73), mais non s'ils démissionnent . Introduite en 1958, cette règl e vise à limiter le nombre des élections partielles — qui pourraient se transformer en tests de popularité traumatisants pour la majorité, incitant alors cett e dernière à adopter un comportement électoraliste dans les mois précédant l a consultation . Si le suppléant est amené, à son tour, à cesser d'exercer so n mandat, le titulaire initial du siège ne le retrouve pas de plein droit, il y a lie u à élection . En tout état de cause, le suppléant qui a remplacé un ministre n e peut se présenter contre lui lors du renouvellement de l'Assemblée : on évite ainsi un affrontement déplaisant .

LES CONTESTATION S

L'élection d'un député peut donner lieu à contestation de la part d'un candidat malheureux ou d'un simple électeur. La contestation sera portée devant l e Conseil constitutionnel dans les 10 jours de la proclamation des résultats . S'il estime que des irrégularités ont vicié le scrutin, le Conseil peut annuler l'élection (52 fois depuis 1958) ou même modifier son résultat, en proclamant élu, par exemple, un candidat dont le total des voix avait été calculé d e façon erronée et qui avait été déclaré battu (cela ne s'est jamais produit) . C'est une innovation . Jusqu'en 1958, une tradition, antérieure à la Révolution, voulait que les Assemblées soient juges de la régularité de l'élection d e leurs membres. Elles procédaient donc elles-mêmes à la « vérification de s mandats » . Mais leur appréciation était plus politique que juridique, et l a majorité n'invalidait jamais l'un des siens . Pour avoir confié ce contrôle à u n organe indépendant, la réforme doit être approuvée .

B . Le Séna t

LE MODE DE SCRUTI N

En 1958, on avait adopté le scrutin majoritaire uninominal à deux tours qu i était déjà celui de la Ill e République . En 1985, la gauche, pour limiter so n échec prévisible aux élections de 1986, lui avait substitué la répartition proportionnelle à la plus forte moyenne . La droite est revenue au scrutin majori taire par la loi du 11 juillet 1986 . 901

La Chambre haute retrouve son nom de Sénat, abandonné en 1946 au profi t de celui de « Conseil de la République » . Son effectif est actuellement d e 321 sénateurs, il sera porté en 2010 à 246 membres, dont douze représenten t les Français établis à l'étranger. Le Sénat siège à Paris, au Palais du Luxembourg . 91

LE PARLEMENT

LE PARLEMEN T

LES RÈGLES DE L'ÉLECTIO N

Depuis une loi organique du 30 juillet 2003, les sénateurs sont élus pour six an s et se renouvellent par moitié ; dans ce but, les départements ont été réparti s par ordre alphabétique en deux séries : tous les trois ans, l'une d'elles es t renouvelée . Pour être candidat, il faut être âgé de 30 ans au moins ; les autre s règles d'éligibilité, ainsi que celles de suppléance, sont identiques à celles de s députés . Le Conseil constitutionnel est compétent ici aussi pour se prononce r sur les contestations éventuelles (quatre annulations seulement depuis 1959) . LE MODE DE SCRUTI N

L'élection a lieu au scrutin indirect dans chaque département. Sont électeurs : les députés, les conseillers régionaux, les conseillers généraux et des délégué s des conseils municipaux en nombre variable selon la population de la commune — ce sont ces derniers qui forment la grande masse du collège électoral . La composition de ce collège électoral reflète la vocation du Sénat d'assure r « la représentation des collectivités territoriales de la République » (article 24) . Les zones rurales y sont très favorisées par rapport aux agglomération s urbaines et la formule de Gambetta au xix e siècle est toujours vraie : « L e Sénat est le grand conseil des communes de France . » Le nombre des sénateurs par département varie de un à douze selon leu r population . Le mode de scrutin change en fonction du nombre de sénateur s à élire : moins de quatre, scrutin majoritaire à deux tours ; à partir de quatre, répartition proportionnelle . Dans tous les cas — disposition exceptionnell e dans notre droit — le vote est obligatoire . Composition du Sénat après les élections de 2001 : RPR

96

Union centriste

53

PS

83

Rassemblement démocratiqu e et social européen PC

RI (Républicains indépendants) . . 40

Non inscrits

19 23 6

C . Le caractère inégalitaire du bicaméralism e Les deux chambres ne sont pas placées sur un pied d'égalité . Déjà, leur mod e de désignation donne l'avantage à l'Assemblée, élue directe du peuple, sur l e Sénat qui ne dispose que de la légitimité plus lointaine conférée par le suf 92

frage indirect . À intervalles irréguliers, au lendemain de votes contestés d u Sénat (par exemple, après qu'il eut mis en échec, en 1984, la révision constitu tionnelle proposée par le président Mitterrand), sa nature démocratique es t mise en cause, et sa suppression ou la modification de son mode d'élection e t de ses pouvoirs sont évoqués . La gauche a relancé cette offensive, avec beau coup de vigueur, en 1998 . La réforme de juillet 2003 l'a atténuée en répondant à certaines des critiques qui la fondaient . Il est vrai que les deux chambres n'ont pas le même rôle et que la Constitution en a tiré les conséquences en refusant à l'une des attributions accordées à l'autre . La dissymétrie ainsi instituée penche en faveur de l'Assemblé e nationale. En dehors de son rôle de représentation des collectivités territoriales, le Sénat est conçu comme une chambre de réflexion en matière législative . II améliore la qualité des textes, parfois examinés et amendés de faço n hâtive par l'Assemblée nationale . D'autre part, le rythme plus lent et fractionné de renouvellement de ses membres amortit les mouvements brutaux , et peut-être passagers, de l'opinion, qui se répercutent à chaque électio n générale sur la composition de l'Assemblée . Le Sénat rappellera la traditio n républicaine et défendra les valeurs et les intérêts permanents de la société , mais il freinera plus qu'il n'empêchera . Sur le plan juridique, la situation particulière du Sénat se traduit de plu sieurs façons, qu'on se contente ici d'énumérer (on les retrouvera plus loin) : —la durée du mandat de ses membres et l'impossibilité de le dissoudr e confèrent au Sénat une grande stabilité ; —son président assure la suppléance du président de la République ; —en matière législative, ses pouvoirs sont identiques à ceux de l'Assemblée jusqu'au moment où, un désaccord s'étant élevé entre les deux chambres, le gouvernement décide de donner le dernier mot à l'Assemblée : celleci tranche alors le différend ; — lors de la discussion du budget, le Sénat dispose d'un délai plus bre f (20 jours) que l'Assemblée nationale (40 jours) pour se prononcer en premièr e l ecture ; en outre, le budget est examiné en premier par l'Assemblée, d e même que la loi de financement de la sécurité sociale ; — les projets de loi concernant l'organisation des collectivités territoriales , mais non leur « libre administration » ou leurs « ressources », lui sont soumi s en premier. — le Sénat ne peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement, qu'il ne peut donc renverser ; — il ne peut demander la convocation d'une session extraordinaire . Au total, si le bicaméralisme est inégalitaire, il n'en est pas moins un vra i bic améralisme, et le Sénat constitue un rouage essentiel des institutions . 93

LE PARLEMEN T

2 . Les parlementaires La fonction des représentants, élus de la nation, justifie leur soumission à u n statut particulier . Celui-ci vise à protéger leur indépendance contre les tentations auxquelles ils pourraient s'exposer et contre les pressions qui pourraien t être exercées sur eux de l'extérieur . À leurs obligations correspondent certain s privilèges .

A . Les obligations du parlementair e Dans l'exercice de son mandat, le parlementaire est astreint à quelques obligations, en réalité guère respectées . On sait ce qu'il en est de l'assiduité au x travaux des Assemblées : l'absentéisme est un mal général . Le caractère personnel du vote – qui est pourtant un principe constitutionnel – est constamment violé grâce au vote électronique ; la prohibition du mandat impératif est bafouée par la discipline de vote imposée par les partis ; les règles imposant un comportement correct pendant les débats sont à peine sanctionnées pa r l'application éventuelle des peines les plus légères prévues par le règlement . Seules les dispositions concernant les incompatibilités s'appliquent dans toute leur rigueur. L'incompatibilité interdit le cumul du mandat parlementaire ave c certaines autres activités . Il faut éviter que l'élu ait à choisir entre son rôl e d'interprète de la volonté générale et des intérêts particuliers liés à l'exercic e d'une profession extérieure à son mandat . L'incompatibilité présente deux aspects : L'INCOMPATIBILITÉ AVEC UNE FONCTION PUBLIQU E

• Les fonctions publiques non électives ne sont pas compatibles avec un mandat parlementaire, sauf rares exceptions (professeurs d'université) ; le fonctionnaire élu député ou sénateur doit demander sa mise en position de détachement. Le cumul est aussi prohibé avec des fonctions de direction dans un e entreprise nationale ou un établissement public, ainsi qu'avec un siège a u Conseil constitutionnel ou au Conseil économique et social . Surtout, le cumul d'un mandat parlementaire est interdit avec un porte feuille ministériel . Aussi les candidats aux élections législatives et sénatoriale s se présentent-ils avec un suppléant (v . p . 90) . • En revanche, le cumul avec des fonctions publiques électives est permis. II est toutefois limité : 94

– le cumul horizontal des mandats est impossible, aussi bien pour le s mandats nationaux (on ne peut être à la fois député et sénateur, par exemple) que locaux (on ne peut être membre de plusieurs conseils municipaux) ; – le cumul vertical est limité (loi organique du 5 avril 2000) à deux mandats : député + maire, ou conseiller régional, etc ., ou à trois si l'un de ces man dats s'exerce dans une commune de moins de 3 500 habitants . L'objectif est d'obliger les parlementaires à ne pas se disperser entre des fonctions électives qui sont très astreignantes si l'on veut les exercer toutes correctement . Ces règles sont encore insuffisantes, il faudrait arriver à interdire tout cumul, comme c'est le cas à l'étranger. L'INCOMPATIBILITÉ AVEC UNE FONCTION PRIVÉ E

La règle inverse prévaut ici : le cumul est possible, sauf exceptions – fonctions de direction dans des entreprises faisant appel au crédit public, subvention nées par l'État, travaillant principalement pour les personnes publiques, ayan t pour objet la promotion immobilière . . . La collaboration d'un parlementair e serait de nature à faciliter les affaires de l'entreprise ; aussi cherche-t-on à évi ter que certaines sociétés ne tentent de s'attacher, moyennant une rémunéra tion confortable, une telle collaboration . Le parlementaire qui se trouverait dans un cas d'incompatibilité dispos e d'un délai de quinze jours pour choisir entre son mandat et son autre activité , faute de quoi il serait démis d'office de son mandat par le Conseil constitutionnel à l'initiative du bureau de son Assemblée ou du garde des Sceaux .

B. Les immunités parlementaire s Les parlementaires sont protégés contre les poursuites qui pourraient porte r atteinte à leur disponibilité et à leur indépendance . L'IRRESPONSABILITÉ Les actes accomplis par un parlementaire dans l'exercice de son mandat (votes, rapports, discours à la chambre . . .) ne sont pas susceptibles d'engage r sa responsabilité ; ils ne peuvent entraîner sa condamnation à une amende, à une peine de prison, à des dommages et intérêts . Ni pendant son mandat, n i après : l'irresponsabilité est perpétuelle . Cependant elle ne couvre pas les actes du parlementaire en dehors de ses fonctions, c'est-à-dire lorsqu'il agi t c omme personne privée ou en dehors du Parlement : accidents causés par so n 1

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véhicule, propos tenus dans une réunion publique . . . L'irresponsabilité ne protège pas la personne mais garantit au parlementaire l'exercice de sa fonctio n dans les conditions d'indépendance et de sérénité indispensables . L'INVIOLABILIT É

Elle concerne les poursuites pénales qui pourraient être exercées contre le s parlementaires pour des faits étrangers à leur fonction - lesquels ne sont pa s couverts par l'irresponsabilité . Son objectif est d'éviter l'arrestation abusive o u vexatoire d'un parlementaire, à l'instigation de ses adversaires, pour l'empêcher de participer aux travaux de son assemblée ; elle écarte aussi la simpl e menace d'arrestation destinée à l'intimider . La portée de l'inviolabilité es t moins générale que celle de l'irresponsabilité . La révision constitutionnelle de 1995 a restreint la protection dont bénéficiait le parlementaire . Désormais, il peut être poursuivi sans forme particulière mais il ne peut être privé de sa liberté (arrêté) sans une autorisation don née par le bureau de son assemblée. Deux nuances : le flagrant délit dispense d'autorisation ; d'autre part, la détention du parlementaire peut être suspendue par son assemblée pour la durée de la session, afin de lui permettre d e siéger. Cette réforme se justifie par les abus auxquels avaient donné lieu, ces der nières années, certaines des nombreuses affaires, de corruption en particulier , où des parlementaires avaient été mis en cause .

3 . L'organisation du travail parlementair e L'organisation du travail parlementaire découle dans une large mesure d u règlement que s'est donné chaque assemblée . En effet, si la Constitution a bien fixé ici certaines règles, elle est restée dans les généralités . L'Assemblé e et le Sénat sont donc venus préciser par des « résolutions » ce que la Constitution ne dit pas . Le danger - auquel, dans le passé, les parlementaires on t parfois succombé - était que ces « règlements » prennent des libertés avec le s prescriptions constitutionnelles . Aussi, fort sagement, la Constitution de 195 8 a-t-elle prévu que le Conseil constitutionnel serait obligatoirement appelé à vérifier, avant leur mise en vigueur, la conformité à la Constitution des dispositions des règlements des assemblées . Précaution utile puisque, à plusieur s reprises, le Conseil, en s'opposant à leurs propositions, a dû rappeler les parl ementaires au respect de la Constitution . 96

A. Les

organes

des

Assemblées

LA PRÉSIDENCE DES ASSEMBLÉES

Chaque chambre élit son président : à l'Assemblée, pour la durée de la législature ; au Sénat, pour les trois ans séparant chaque renouvellement partiel . Les présidents disposent de certaines attributions constitutionnelles : cha cun d'eux nomme trois membres du Conseil constitutionnel et peut demande r à celui-ci de vérifier la conformité d'une loi ou d'un traité à la Constitution ; chacun également donne son avis au président de la République avant un e dissolution et avant la mise en oeuvre de l'article 16 ; enfin, le président d u Sénat assure la suppléance du président de la République . Surtout, ils assurent la direction des travaux - et en particulier des débat s - de leur assemblée, cela d'une manière très active : donnant la parole au x orateurs et la leur retirant ou les invitant à conclure, réglant les incidents d e séance . Ils peuvent faire appel, au besoin, pour défendre leur assemblée, à une unité militaire attachée à chaque chambre . La fonction demande beau coup d'indépendance et d'impartialité, de diplomatie et d'autorité . LE BUREA U

Élu par chaque assemblée et présidé par son président, il est composé de vice présidents, de questeurs et de secrétaires qui remplissent des attributions spé cifiques . Le bureau organise et dirige les services de l'assemblée . Il intervient dan s la procédure législative (il tranche sur la recevabilité financière d'une proposition de loi) et règle certaines questions concernant les parlementaires (levé e de leur immunité . . .) . Il apparaît comme le recours pour la plupart des problèmes mineurs d'organisation matérielle, d'interprétation juridique, de foncti onnement quotidien de la chambre . LA CO NFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

C onstituée dans chaque chambre, elle est chargée de la fixation de son ordr e du jour. Dans la pratique, les pouvoirs du gouvernement dans ce domain e sont tels qu'elle se limite à organiser la discussion (nombre des orateurs , durée du débat . . .) . Siègent à la conférence : le président et les vice-présidents de la chambre, les présidents des commissions permanentes, les présidents de s g roupes politiques, ainsi que - à l'Assemblée nationale, et non au Sénat - l e rap porteur général de la commission des Finances . Le gouvernement y est 97

Tir

LE PARLEMEN T

LE PARLEMENT

Lorsque l'initiative revient au Premier ministre, la durée de la session n'est pas limitée et le Premier ministre peut provoquer une nouvelle session extra ordinaire dès la clôture de la précédente . En revanche, si les députés sont à l'origine de la session, sa durée ne peut dépasser 12 jours ; elle est close avant si l'ordre du jour est épuisé et il faudra aux membres de l'Assemblée national e attendre un mois pour en solliciter une autre . Comme on le voit, l'exécutif es t beaucoup mieux traité que les députés ; c'est logique si l'on admet que l e gouvernement peut avoir besoin d'une session extraordinaire pour fair e approuver sa politique .

représenté par un de ses membres, qui sera souvent le ministre charg é des relations avec le Parlement. LES GROUPE S

À l'intérieur de chaque chambre, les élus d'un même parti se réunissent dan s un « groupe » . Celui-ci doit réunir un minimum de 20 députés ou de 15 sénateurs. Les parlementaires peuvent, sans y adhérer, s'« apparenter » à u n groupe, comme ils peuvent rester « non-inscrits » . Les groupes disposent d e facilités matérielles (locaux . . .) et, surtout, participent à la désignation de s organes des assemblées : bureau, conférence des présidents, commission s législatives, commissions d'enquête . . . Les groupes traduisent les clivages partisans dans l'univers parlementaire ; ils sont des rouages essentiels de l'organisation du travail des assemblées.

La Constitution laissait en suspens une question : le Président peut-il, refuser de convoquer la session qui lui est demandée? Dès 1960, de Gaulle, estimant qu'il disposait là d'un pouvoir discrétionnaire, répondit par l'affirmative en refusant la session sollicitée par les députés . Par des voies différentes, V. Giscard d'Estaing et F . Mitterrand ont confirmé cette interprétation, l e second l'étendant à l'hypothèse où la session est demandée par le Premie r ministre et, en 1993, acceptant de convoquer le Parlement mais en retirant d e son ordre du jour un des points proposés par le Premier ministre . Cette solution paraît pourtant contestable, dans la mesure, en particulier, où le refu s présidentiel peut empêcher le gouvernement d'obtenir du Parlement le vot e des lois ou de la confiance nécessaires à la conduite de sa politique .

B . Les session s Le Parlement ne siège pas en permanence . Il tient des sessions . On distingue la session ordinaire, les sessions extraordinaires et les sessions de plein droit .

LES SESSIONS DE PLEIN DROI T

LA SESSION ORDINAIR E

Dans deux hypothèses, le Parlement se réunit de plein droit, c'est-à-dire san s qu'il soit besoin d'une convocation formelle : – lorsque le président de la République décide la mise en vigueur de l'article 16 (pour la durée de l'application de cet article) ; – après une dissolution, si l'on est en dehors de la période de la sessio n ordinaire ; l'Assemblée se réunit alors pour une durée de 15 jours, le deuxième jeudi suivant son élection .

Le Parlement tient une session ordinaire unique, d'une durée de neuf moi s environ : elle commence le premier jour ouvrable d'octobre pour se clore l e dernier jour ouvrable de juin . Pendant cette période, les chambres peuvent s e réunir en séance, à leur convenance, dans la limite de 120 jours de séance ; elles peuvent décider de séances supplémentaires (au-delà de la limite), l e Premier ministre ayant aussi ce pouvoir. Cette réforme a pour but de faciliter l'organisation du travail du Parle ment et d'améliorer son contrôle sur le gouvernement . LES SESSIONS EXTRAORDINAIRE S

C.

Le Premier ministre ou la majorité des députés (et non des sénateurs) peu t demander au président de la République l'organisation d'une session extraor dinaire . La demande doit préciser l'ordre du jour de cette réunion, c'est-à-di r e indiquer la ou les questions sur lesquelles le Parlement serait appelé a débattre . Ces sessions ont été très nombreuses depuis 1981 . 98

Les débat s Sauf hypothétique réunion en comité secret (la dernière remonte à 1940), le s d ébats des assemblées sont publics et font l'objet d'une publication au Journal officiel. Mais avant d'ouvrir les discussions, il faut fixer un programme d e tr avail : celui-ci prend la forme de l'ordre du jour . 99

LA FIXATION DE

L'ORDRE

DU JOU R

La conférence des présidents arrête l'ordre des travaux de la chambre, ave c une distinction capitale, symbolique du renforcement des pouvoirs du gouvernement, entre l'ordre du jour prioritaire et l'ordre du jour complémentaire. • L'ordre du jour prioritaire . Fixé par le gouvernement, il comprend les pro jets de lois et les propositions (v. p . 105) acceptées par lui ; la conférence de s présidents en est informée sans pouvoir le modifier, et la discussion a lieu su r les textes et dans l'ordre imposés par le gouvernement .

9 La loi

• L'ordre du jour complémentaire . Si le programme de travail défini par l e gouvernement laisse du temps libre, la conférence des présidents pourra inviter l'Assemblée à débattre de propositions de lois choisies par elle . Dans la pratique, les choses se passent un peu différemment : la majorité peut contraindre le gouvernement (qui ne peut toujours braver sa mauvais e humeur) à modifier l'ordre du jour prioritaire, de même qu'en sens inverse l e gouvernement contrôle l'élaboration de l'ordre du jour complémentaire . Depuis 1995, le système a été un peu assoupli : une séance par mois est réservée à un ordre du jour fixé par la chambre . Mais le gouvernement contrôle l'usage de cette faculté en incitant sa majorité à ne pas y inscrire d e propositions gênantes ou inopportunes . LE DÉROULEMENT DES SÉANCE S La séance est présidée par le président de l'Assemblée, ou l'un des vice-prési dents, qui dirige les débats et assure la discipline . Prennent la parole les orateurs inscrits par leur président de groupe et, à tout moment, s'ils le désirent , les membres du gouvernement et les présidents de commission . LE VOTE PERSONNE L

Le vote est personnel (article 27 de la Constitution) : un parlementaire ne peut le déléguer à un de ses collègues . Cette règle est constamment tourn ée avec la bénédiction du Conseil constitutionnel (qui ne sanctionne pas cett e violation en déclarant la loi adoptée dans des conditions irrégulières) et grâc e aux facilités du vote électronique : les présents tournent la clé du « boîtier » de leurs collègues absents . En principe, le quorum (c'est-à-dire la proportio n des votants par rapport au total des membres de la chambre) requis est de l a majorité des membres de la chambre, mais il n'en est pas tenu compte, a moins qu'un parlementaire ne l'exige . Ce laxisme explique l'absentéisme qu i caractérise le fonctionnement de nos assemblées . 100

Le Parlement fait la loi . Telle est sa raison d'être première, celle dont il tire so n origine historique : la nation se donne ses lois par l'intermédiaire de ses élus . Il n'était pas question, en 1958, de revenir là-dessus . Cependant, l'entre prise de restauration de l'exécutif ne pouvait se réaliser sans remise en caus e des pouvoirs du Parlement jusque dans le domaine législatif . Ce dernier a sub i une série de bouleversements théoriques considérables : alors que le domain e de la loi était illimité, un partage avec le gouvernement du pouvoir normati f primaire est effectué, le Parlement se voyant réserver certaines matières , toutes les autres relevant de l'exécutif ; ensuite, le gouvernement, qui jusqu e alors restait largement extérieur à la procédure législative, va en devenir u n acteur à part entière ; enfin, la souveraineté de la loi disparaît, l'oeuvre du Par lement doit être conforme à la Constitution et le Conseil constitutionnel es t chargé d'y veiller. La pratique allait réduire le caractère tranché de certaines de ces innovations ; en particulier, il reste peu de chose aujourd'hui du principe d'u n domaine réservé à la loi . Il n'en demeure pas moins, comme on va le voir ici – et plus loin, à propos du contrôle de constitutionnalité – que le mythe de l a loi, expression privilégiée de la volonté nationale, a perdu de son éclat .

1 . Le domaine de la lo i Le constituant de 1958 a cherché à restreindre le domaine où le Parlemen t peut légiférer. Mais, en définitive, aucun des acteurs intéressés ne s'est attaché à faire respecter sa volonté . 101



LA LOI

LA LO I

A. La limitation apportée au domaine de la lo i On trouve dans la Constitution des dispositions isolées attribuant au législateur compétence pour prendre certaines décisions (articles 3, 53, 66, 72, 74 . . .), mais c'est surtout l'article 34 qui délimite un domaine ouvert au Parlement . I I énumère les matières législatives autour d'une division liée à leur importance - En ce qui concerne les matières les plus « nobles » - droits et libertés des citoyens ainsi que leur protection, état des personnes (nationalité, mariage, successions . . .) ; définition des infractions pénales et des peines, statu t de l'impôt, régime électoral des assemblées, nationalisations . . . - il est prév u que le Parlement « fixe les règles », c'est-à-dire descend dans les détails, rédui sant à peu de chose l'intervention du pouvoir réglementaire (gouvernement) chargé de l'exécution de la loi . - Quant aux matières d'essence moins haute mais encore importantes organisation des collectivités locales, de l'enseignement, de la défense nationale ; droit de propriété, droit du travail, droit syndical et droit de la sécurit é sociale - le législateur doit se contenter d'y déterminer « les principes fonda mentaux », c'est-à-dire rester dans des généralités dont l'exécutif précisera l a portée pour permettre leur mise en oeuvre . Quel que soit le degré de son intervention - fixer des règles ou déterminer des principes - le domaine du législateur est ainsi clairement limité, et l e constituant l'a verrouillé par l'article 37, alinéa le", ainsi libellé : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire . » Avec cependant une ouverture qui n'a jamais servi : une loi organique pourrait transférer une matière de la compétence du règlement à celle d u législateur. Une observation s'impose ici . Alors que la loi avait toujours connu un e définition formelle (la loi étant une règle posée par le Parlement), la Constitution de 1958 lui apporte une précision matérielle : la loi est une règle posé e par le Parlement dans l'un des domaines fixés par la Constitution .

L'IRRECEVABILITÉ DE L'ARTICLE 4 1

Le gouvernement peut, à tout moment de la procédure, opposer une exception d'irrecevabilité à une proposition de loi (ou à un amendement) empiétant sur sa compétence, c'est-à-dire n'entrant pas dans le domaine de la loi . I l s'agit d'un contrôle préventif destiné à empêcher, ou arrêter, la discussion d u texte contesté . L'irrecevabilité est portée devant le président de l'Assemblée concernée ; s'il ne l'admet pas, lui-même ou le gouvernement peut saisir le Conseil constitutionnel qui doit statuer dans les huit jours . Dans la pratique, l'article 41 n'est plus utilisé depuis 1980, à l'Assemblée nationale au moins, le gouvernemen t préférant faire repousser la proposition ou l'amendement par la majorité . LA PROCÉDURE DE L'ARTICLE 37, ALINÉA 2

Les empiétements éventuels du législateur sur le domaine réglementaire n e s'imposent pas définitivement au gouvernement : - Lorsqu'une loi antérieure à 1958 est intervenue dans un domaine relevant maintenant du règlement, le gouvernement pourra la modifier par u n décret après avoir obtenu l'accord du Conseil d'État . - S'agissant d'une loi postérieure à 1958, le gouvernement pourra, avec l'accord du Conseil constitutionnel, modifier par décret les dispositions d e nature réglementaire sur lesquelles, lors des débats, il avait fermé les yeux o u qu'il avait laissé passer par inadvertance . L'intervention du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État est destiné e à vérifier que les dispositions en cause sont bien de nature réglementaire . L'article 37, alinéa 2 est assez souvent utilisé, non pas dans un clima t conflictuel, mais pour permettre au gouvernement de clarifier, en les regroupant et les harmonisant dans un texte unique, les dispositions réglementaire s régissant un domaine déterminé, disséminées dans des textes élaborés a u cours du temps .

C. L'absence de limitation réelle au domaine de la lo i B. Les moyens d'empêcher le législateur de sorti r de son domain e Comment faire respecter par le Parlement une frontière si contraire à la tradi tion? Le constituant a mis entre les mains du gouvernement deux moyens d e défense du domaine réglementaire . 102

L' innovation de 1958 s'est révélée plus spectaculaire dans son principe que pa r sa portée réelle . Les limitations instituées ne traduisaient pas une volonté systématique de rabaisser le Parlement, mais la recherche d'une plus grande efficacité gouvernementale . On souhaitait affranchir l'exécutif de l'obligation d e Passer par les procédures parlementaires, compliquées, longues et périlleuses , où son projet pouvait être retardé et défiguré . On voulait que le gouverne 103



LA LOI

LA LO I

ment puisse élaborer, dans certains domaines, lui-même et vite les règles aux quelles il tenait . La pratique a dissipé quelques illusions : – On s'est aperçu que la procédure législative n'était pas nécessairemen t plus longue que l'élaboration d'un décret, avec les nombreux accords, avis e t compromis inévitables entre administrations . Elle présentait en outre l'avantage d'un débat au grand jour, associant les parlementaires à des mesure s peut-être impopulaires, qui auraient été plus difficilement acceptées par le s intéressés si elles étaient apparues comme élaborées sans concertation dans l e secret des bureaux . – En outre l'usage a montré, d'une part, que les domaines confiés au Par lement étaient si largement définis qu'ils ne laissaient guère de place pour u n domaine propre au gouvernement, et, d'autre part, que la distinction entre le s règles et les principes (commandant l'intensité de l'intervention du législateur) était à peu près inutilisable comme ne reposant sur aucune base objective . II faut reconnaître au surplus que le gouvernement ne s'est pas beaucou p battu pour défendre son domaine par l'usage de l'article 41 . Il dispose d'autres armes, simples et efficaces, découlant du fait majoritaire : – Les propositions de lois qui empiéteraient sur ce domaine n'ont guèr e de chance d'être inscrites à l'ordre du jour et, en tout état de cause, la majorité les repoussera – ainsi que les amendements – si le Premier ministre le sou haite . Quant aux projets de lois, le gouvernement n'hésite pas à y inscrire lui même des dispositions de nature réglementaire, estimant plus simple et plu s clair de les faire approuver par le Parlement plutôt que d'en faire l'objet d e décrets distincts de la loi . – Surtout, le Conseil constitutionnel a estimé qu'une disposition d e nature réglementaire insérée dans une loi n'était pas inconstitutionnelle e n elle-même . La Constitution ouvre au gouvernement, par la procédure de l'article 41, la possibilité de défendre son domaine et il appartient à lui seul de l e faire ; s'il ne le fait pas, il est présumé avoir accepté l'intervention du Parle ment, et les parlementaires ne pourront, sur la base de l'article 61, alinéa 2 , saisir le Conseil constitutionnel à sa place .

2 . La procédure législative La procédure d'élaboration de la loi change selon la nature de celle-ci . À côté des lois ordinaires, qui représentent l'essentiel de l'activité législative, il en es t d'autres dont l'adoption suit des règles particulières . 104

1

A. Les lois ordinaires Le gouvernement est très présent à tous les stades de la procédure législative . C'est là l'une des innovations marquantes de la Constitution de 1958 . L'INITIATIVE DE LA LO I Le Premier ministre comme les parlementaires ont l'initiative des lois . ■ L'initiative du Premier ministre Sauf pour les lois de finances, où priorité est donnée à l'Assemblée, et les loi s concernant l'organisation territoriale, où elle est donnée au Sénat, l'initiativ e du Premier ministre s'exerce devant l'une ou l'autre chambre . Elle prend l a forme de projets de lois. Ceux-ci sont examinés au préalable par le Consei l d'État, qui émet un avis juridique portant en particulier sur leur conformité à la Constitution et leur cohérence avec le système juridique (soulignant pa r exemple une contradiction avec un autre texte qu'il faudrait adapter) ; cet avis ne lie pas le gouvernement, c'est-à-dire qu'il ne l'oblige pas à modifier l e projet avant de le faire approuver par le Conseil des ministres . L'approbatio n de ce dernier est nécessaire car les projets engagent l'ensemble du gouverne ment : ils sont les instruments privilégiés de la mise en oeuvre de sa politique . ■ L'initiative des parlementaire s Députés et sénateurs peuvent déposer des propositions de lois . Leur initiative est cependant limitée par deux irrecevabilités : – celle tenant à l'obligation de rester dans un des domaines ouverts à la loi par la Constitution (article 34 et autres) . En théorie, le gouvernemen t pourrait recourir à l'irrecevabilité de l'article 41 (v . p . 103) pour s'opposer à une proposition hors de ce domaine ; – de son côté, la prohibition de l'article 40 interdit aux parlementaires de proposer une augmentation de dépenses ou une diminution de recettes . Traditionnelle en Grande-Bretagne et déjà consacrée par la Constitution de 1946 , elle limite fortement l'initiative parlementaire car, d'une part, il est peu d e réformes qui n'entraînent de dépenses nouvelles et, d'autre part, elle s'applique aussi aux amendements présentés en cours de débats . De toute façon, la grande majorité des lois adoptées sont d'origine gouvernementale . Ce phénomène, qui n'est pas propre à la France, traduit la primauté de l'exécutif dans les États contemporains . L'exécutif est le moteur d u système politique, les projets de lois constituent l'un des instruments privilégiés de son action sur la société . II n'empêche que les parlementaires se plai 1

105

LA LOI

gnent amèrement de la situation, sans bien toujours réaliser qu'il est inutil e de faire perdre son temps au Parlement avec des propositions qui n'on t aucune chance d'être adoptées, faute de soutien du gouvernement et don c de majorité . Depuis quelques années, la part des lois d'origine parlementair e a cependant tendance à augmenter : plus d'un tiers entre 1997 et 2003 . L'EXAMEN

DE LA COMMISSIO N

Tout projet ou proposition doit être examiné en commission avant d'êtr e débattu par la chambre – des assemblées aux effectifs si nombreux ne pour raient faire un travail utile si les textes leur étaient directement soumis . Auss i une commission procède-t-elle à une étude au fond de la loi, préparant ains i la discussion générale . Ses délibérations se concluent par un rapport rédig é par un de ses membres, rapport qui retrace les débats de la commission, fai t connaître son sentiment sur la réforme envisagée et suggère des amendements . Mais, différence capitale qui souligne la place nouvelle faite au gouvernement dans la procédure : s'il s'agit d'un projet de loi, la discussio n devant la chambre s'engagera sur le texte du gouvernement – le rapporteu r de la commission faisant connaître ensuite seulement ses observations – alor s que s'il s'agit d'une proposition, le débat s'ouvrira sur le rapport de la commission .

On distingue deux sortes de commissions législatives : les commission s spéciales et les commissions permanentes . ■ Les commissions spéciale s D'après la Constitution, l'intervention d'une commission spéciale aurait d û être la règle pour tous les textes . Formée au cas par cas à l'occasion de l'examen de chaque texte, temporaire, elle disparaît une fois sa tâche accomplie . Mais la création de commissions spéciales est restée exceptionnelle, le gouver nement et les chambres – qui, chacun, disposent de l'initiative de leur constitution – ayant manifesté peu d'empressement à y recourir. La procédure es t compliquée et le gouvernement craint sans doute de se trouver en présenc e des spécialistes de la question, par définition peu malléables . ■ Les commissions permanentes Elles sont spécialisées dans un domaine d'activité des pouvoirs publics (affair e s étrangères, défense, culture, production et échanges . . .) et les assemblées n e sont pas libres de les créer comme elles l'entendent . En rupture avec la pra tique parlementaire précédente – où les assemblées étaient libres – la Consti 1

cI

tution en prévoit six dans chaque chambre ; il est régulièrement questio n d'augmenter leur nombre . Elles sont constituées pour un an (Assemblée) o u pour trois ans (Sénat) et leur composition reflète l'importance de chaqu e groupe ; chaque parlementaire est membre d'une de ces commissions et d'une seule . La commission élit son président, et elle désigne, en fonction de so n objet, un rapporteur pour chaque texte qui lui est soumis . La quasi-totalité des projets et propositions sont examinés par les commissions permanentes e t non par des commissions spéciales, contrairement au voeu du constituant . LA DISCUSSION PAR

LES CHAMBRE S

Les débats se déroulent en suivant l'ordre du jour fixé par la conférence de s présidents. Le renforcement des pouvoirs de l'exécutif se manifeste ici encore . Un ordre du jour prioritaire est en effet imposé par le gouvernement . II comprend les projets de lois choisis par lui et les propositions de lois acceptées pa r lui . Une fois épuisé le programme ainsi fixé, s'il reste du temps libre – ce sera peu fréquent – la chambre pourra aborder un autre ordre du jour, complémentaire, où figurent d'autres propositions de lois ; on tient là l'une des rai sons pour lesquelles les initiatives parlementaires aboutissent peu souvent : les chambres ne sont pas toujours invitées à en débattre (v . p . 100) . ■ La séance devant la chambre

• Les tentatives pour empêcher la discussion du texte . Dès l'ouverture des débats, des parlementaires ou le gouvernement peuven t s'efforcer d'empêcher la discussion du texte, le mettant en échec d'entrée . Il s disposent de trois procédures : – L'irrecevabilité : elle soulève un problème juridique . Le gouvernement , s ' appuyant sur l'article 40 ou l'article 41, défendra l'incompétence du Parle ment pour délibérer sur la proposition ; les parlementaires, quant à eux , feront valoir qu'un texte est contraire à la Constitution . – La question préalable : elle traduit plutôt un désaccord politique . Réservée aux parlementaires, elle leur permet de faire décider par la chambr e que, pour des raisons d'opportunité, il n'y a pas lieu de délibérer . Le succès de l'une de ces procédures entraîne le rejet du texte sans autr e débat . Le plus souvent, les parlementaires provoquent ces incidents sans illusion sur leurs chances, mais pour gagner du temps ou manifester san s ambages leur vive opposition au texte . – Le renvoi en commission : pour manifester son mécontentement, un e 1

1 n7

LA LO I

LA LOI

chambre peut demander à la commission compétente de rédiger un nouvea u rapport . Le gouvernement dispose de moyens pour empêcher que le recours à cette procédure ne se transforme en obstruction au déroulement normal d u débat . Son utilisation est rare . • La discussion . Placée sous la direction du président ou d'un vice-président, la discussion s e déroule article par article . Des retouches au texte débattu seront présentée s sous forme d'amendements par le gouvernement, la commission saisie d u texte ou les parlementaires . Ces derniers trouvent ainsi la possibilité de participer à l'élaboration du contenu de la loi, dont l'obstacle de l'inscription à l'ordre du jour les prive trop souvent lorsqu'ils exercent leur droit d'initiative par une proposition de loi . Des milliers d'amendements peuvent être ains i déposés et discutés au cours des débats d'adoption d'une loi ; les parlementaires se soucient souvent alors moins d'améliorer le texte que d'effectuer un e manoeuvre d'obstruction incitant le gouvernement à des concessions ou, à défaut, retardant au maximum le vote du projet . Le gouvernement pourrai t se défendre en exigeant que les amendements soient au préalable examiné s par la commission législative compétente ; il s'y décide rarement, préféran t faire repousser par la majorité les propositions de modification qui le gênent . D'ailleurs, le gouvernement, lui aussi, détourne parfois son droit d'amen dement de sa destination régulière en cherchant à introduire dans le texte pour éviter d'avoir à élaborer une loi particulière et ainsi gagner du temps des dispositions sans rapport avec son objet. Fréquents lors du vote des lois d e finances, les amendements nés de cette pratique prennent alors le nom d e « cavaliers budgétaires D . Le Conseil constitutionnel tente de s'opposer à c e détournement de procédure en soulignant que pour être recevable l'amende ment doit avoir un lien avec le texte en discussion . • Le vote . - Les votes intervenant sur chaque amendement et sur chaque article . En principe, le vote est personnel : ne peuvent voter que les parlementaire s physiquement présents lors du scrutin . Dans la pratique, cette exigenc e constitutionnelle n'est à peu près jamais respectée ; les présents votent pou r les absents et le Conseil constitutionnel, de façon fort contestable, a refusé d e sanctionner cette violation de la Constitution . Aussi certaines séances s e déroulent-elles avec la participation d'une poignée d'élus . - Le vote bloqué. D'autre part, le gouvernement dispose d'une impo rtante prérogative : le vote bloqué, prévu par l'article 44, alinéa 3, de la Consti tution . Au lieu de laisser la chambre voter sur chaque amendement et su r InQI

chaque article, le gouvernement peut lui demander de se prononcer par u n vote unique sur partie ou totalité du texte en discussion, modifié des seuls amendements proposés ou acceptés par lui ; le choix est donné aux parlementaires entre tout et rien . Cette procédure laisse subsister la discussion d e chaque article et de chaque amendement, les parlementaires ne sont pas privés de ce droit, mais elle rend vaine toute tentative de retouche du texte qu i n'ait pas l'aval du gouvernement . En réalité, elle est davantage dirigée contr e une majorité peu convaincue des vertus du texte et désireuse de le remodele r - afin de la contraindre à accepter le texte dans sa version gouvernementale que contre l'opposition. Son utilisation est donc fréquente lorsque la majorit é est étroite et d'humeur contestataire . Elle soulève régulièrement les protestations des intéressés . Les votes, sauf exceptions, sont acquis à la majorité des suffrages exprimés . ■ Le dialogue avec l'autre assemblé e La loi doit être examinée successivement par chaque assemblée pour arriver à l'adoption d'un texte identique . Les allers et retours du texte d'une assemblé e à l'autre constituent la « navette D . Celle-ci se prolonge tant qu'aucun accor d global n'est intervenu, et aussi longtemps que le gouvernement n'en aura pa s décidé autrement. Celui-ci peut en effet empêcher cette situation de s'éterniser. Après deu x lectures par chaque assemblée, ou une seule s'il y a urgence, le Premie r ministre peut proposer aux assemblées de créer une commission mixte paritaire (CMP, prévue par l'article 45 de la Constitution), composée de 7 député s et de 7 sénateurs, et chargée d'élaborer un texte susceptible de convenir à l a fois à l'Assemblée, au Sénat et au gouvernement . Ce dernier, en effet, peut décider de ne pas soumettre aux chambres le texte de la CMP et laisser l a navette se poursuivre, s'il préfère prendre le risque d'enterrer la réforme plu tôt que de faire approuver une loi non conforme à ses souhaits . De toute façon, le gouvernement peut interrompre le dialogue entre le s deux assemblées . Après l'intervention de la CMP, que celle-ci ait échoué à éla borer un compromis qui obtienne l'accord des deux chambres ou que ce com promis ne lui convienne pas, le gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement. En cas de conflit entre l'Assemblée nationale et le Sénat, il donne à la première le dernier mot ; il peut passer outre à l' opposition du Sénat et mettre son programme législatif en oeuvre avec l e seul appui de l'Assemblée . Le caractère inégalitaire du bicaméralisme se mani feste ici avec éclat . En 2000, alors que l'Assemblée et le Sénat avaient de s majorités différentes, la procédure a été utilisée pour 19 lois, sur 50 adoptées . 1 109

LES LOIS DE FINANCE S

B . Les lois spéciale s

Les lois de finances organisent les recettes et les dépenses de l'État . La plus importante est votée chaque année en décembre et constitue le budget d e l'exercice qui s'ouvre le ler janvier. Elle autorise l'État à recouvrer les impôts dont il a besoin et à engager ses dépenses . Les lois de finances tiennent un e place à part dans la législation, en particulier parce qu'elles symbolisent l e consentement du peuple à l'impôt, d'où sont nés les régimes démocratique s modernes, et aussi par l'obligation où se trouve le gouvernement d'obtenir l e vote du budget avant le début de l'année, pour disposer en temps utile de s moyens financiers nécessaires à son action . La première particularité des lois de finances est la priorité donnée à l'As semblée nationale dans leur discussion . Le projet de budget doit lui être présenté au plus tard le premier mardi d'octobre . La seconde particularité est l a limitation de la durée de son examen par les chambres : l'Assemblée dispose de 40 jours après le dépôt du projet pour une première lecture, le Sénat doi t ensuite se prononcer dans les 20 jours . S'il y a lieu à navette, tout doit être terminé dans les 70 jours, au besoin par un vote en « dernier mot » de l'Assemblée, comme pour les lois ordinaires . Si le budget n'est pas voté au bout de 70 jours, ses dispositions peuven t être mises en vigueur par le gouvernement par voie d'ordonnance . Quell e que soit la raison de ce retard (mauvaise volonté des parlementaires, change ment de gouvernement au cours de la procédure . . .), le cabinet a ainsi le s moyens de disposer pour le 1er janvier des autorisations de dépenses et d e recettes indispensables . Depuis 1958, le gouvernement n'a eu à recouri r qu'une seule fois à une solution aussi radicale (en 1979) . C'est bien la preuve qu'a été atteint l'objectif recherché par le constituant : permettre à l'exécutif d'obtenir en temps utile, à la différence des Républiques précédentes, le s moyens financiers de sa politique .

Le schéma retracé connaît quelques variantes à propos de lois dont l'objet es t spécifique . LES LOIS ORGANIQUE S

Le constituant n'a pas pu, ou n'a pas voulu, régler lui-même tous les problèmes posés par l'organisation et le fonctionnement des institutions : l a Constitution aurait été trop longue, elle serait descendue dans des détail s incompatibles avec la solennité du texte, elle ne pouvait pas, enfin, prétendr e répondre à toutes les situations imprévues que pouvait ménager l'avenir . Aussi a-t-elle renvoyé au législateur, c'est-à-dire aux élus de la nation, le soi n de prendre les dispositions nécessaires à son application, dans quinze domaines limitativement définis par elle et tous importants (modalités d'élection du président de la République, organisation du Conseil constitutionnel , statut des magistrats . . .) . La nature de la tâche ainsi attribuée au Parlemen t justifie que ces lois, appelées organiques, soient élaborées suivant une procédure spéciale, plus contraignante que celle de la loi ordinaire . Si l'initiative de la loi peut venir du gouvernement ou de parlementaires , si le projet ou la proposition peut être déposé devant le Sénat aussi bien qu e devant l'Assemblée, la discussion ne peut commencer que quinze jours aprè s son dépôt . On évite ainsi les débats précipités : députés et sénateurs pourron t s'informer, réfléchir, se concerter, préparer des amendements, et l'opinio n publique, de son côté, pourra se mobiliser et exprimer son sentiment . En cas de désaccord entre les deux chambres, l'Assemblée national e pourra être appelée à décider, mais avec une majorité aggravée : non pas celle des suffrages exprimés, mais celle de ses membres . Cependant, l'accord du Sénat est obligatoire lorsqu'il est concerné par la loi organique . Cela pou r éviter que son statut, ou ses attributions, ne soient modifiés contre sa volonté par le gouvernement et l'Assemblée . Depuis la révision constitutionnelle d e 1992, l'accord des deux chambres est aussi nécessaire pour la loi organiqu e concernant le droit de vote et l'éligibilité aux élections municipales de s citoyens de l'Union européenne (article 88, alinéa 2 de la Constitution) . C e sont les deux seules exceptions, en matière de loi organique, à la primauté d e l'Assemblée . Enfin, le Conseil constitutionnel devra obligatoirement se prononcer su r la constitutionnalité de la loi avant sa promulgation : dans des domaines auss i importants, on préfère imposer un contrôle préalable de constitutionnalité . 110 1

LES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIAL E

t

II s'agit là d'une innovation apportée par la révision constitutionnelle d u 22 février 1996 (introduction d'un article 47-1 dans le texte de la Constitution), qui a créé une nouvelle catégorie de lois destinées à associer plus étroi tement le Parlement à la recherche de l'équilibre, à la définition et a u contrôle de la politique de la sécurité sociale . Elles n'ont pas de contenu normatif. Le régime de la loi de financement de la sécurité sociale est très proch e de celui de la loi de finances annuelle, les délais étant toutefois plus brefs.

LA LOI

La loi est votée tous les ans à partir d'un projet gouvernemental dépos é en priorité devant l'Assemblée nationale . Celle-ci dispose de 20 jours pour e n débattre, puis le Sénat doit se prononcer dans les 15 jours . La navette qu i s'instaure éventuellement alors doit aboutir dans un délai de 50 jours après l e dépôt du projet gouvernemental . Sinon, les dispositions du projet peuven t être mises en vigueur par ordonnance .

10 Le contrôle du gouvernemen t par le Parlement

LES LOIS AUTORISANT LA RATIFICATION DES TRAITE S

L'article 53 de la Constitution énumère les différentes catégories d'engagements internationaux dont la ratification (traités) ou l'approbation (accords) est soumise à une loi d'autorisation votée par le Parlement . Ainsi, aucun trait é important, ou modifiant des dispositions de nature législative, ne peut entre r en vigueur sans l'accord du Parlement (v . p. 62) . Ce type de loi est adopté selon la procédure législative ordinaire . Si on lu i consacre ici une mention spéciale, c'est que 60 % des lois environ interviennent pour permettre la ratification d'un traité ou d'un accord . En régime parlementaire, le gouvernement agit sous le contrôle du Parle ment ; il définit et applique sa politique en accord avec lui ; s'il vient à perdre sa confiance, il démissionne . L'expérience a suscité une gamme de procédure s de contrôle parlementaire, depuis celles qui permettent au Parlement de s'informer de l'action gouvernementale jusqu'à celles qui l'autorisent à mettre e n jeu l'existence du gouvernement . L'organisation du contrôle parlementaire dans la V e République s'inscri t dans cette ligne . Le gouvernement contribue de lui-même au contrôle en fournissan t spontanément aux parlementaires des informations sur les buts et les moyen s de sa politique ou sur les objectifs poursuivis à travers un projet de loi . Ainsi , lors de son entrée en fonctions, le Premier ministre se présente souven t devant les chambres pour leur exposer son programme, ou pour faire un e déclaration de politique générale, qu'il renouvellera par la suite de temps à autre, pour expliquer les grandes lignes de la politique du gouvernement . D e façon moins solennelle, la présence des ministres aux séances des assemblée s leur donne l'occasion d'intervenir pour préciser le point de vue de l'exécuti f sur les objectifs des textes en discussion ou le sens de certaines de leurs dispo-

LES LOIS A CARACTÈRE EXPÉRIMENTA L

Désireux de tester, ou de roder, une réforme, le gouvernement peut fair e adopter une loi ayant un objet et une durée limités. À terme, l'expérienc e ainsi menée fera l'objet d'une évaluation et si celle-ci est satisfaisante, ell e pourra être étendue et rendue permanente . La procédure est celle de la loi ordinaire (révision du 28 mars 2003) .

sitions .

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1

Existent en outre des procédures spécifiques de contrôle . Dans la logiqu e du bicaméralisme inégalitaire, l'Assemblée nationale a le monopole de celle s qui peuvent entraîner la chute du gouvernement. 113

LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT PAR LE PARLEMEN T

LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT PAR LE PARLEMEN T

1 . Les questions

mardi matin à l'Assemblée ainsi qu'au Sénat, ne donne guère satisfaction e n raison du faible intérêt des questions et de l'absentéisme des parlementaires .

Comment contrôler si l'on n'est pas informé? La meilleure façon d'être renseigné consiste à poser des questions . Aussi les parlementaires disposent-ils d e plusieurs procédures pour interroger les membres du gouvernement .

LES QUESTIONS ORALES AVEC DÉBA T

Ici, un véritable débat s'ouvre, avec la participation de parlementaires autre s que l'auteur de la question . Mais il ne peut se clore par un vote, cela afin d e ne pas ressusciter les « interpellations » des Ill e et Ive Républiques où le gouvernement pouvait être renversé à l'issue d'un débat ouvert à partir d'un e simple question orale . Le Sénat recourt de temps en temps à cette procédure ; elle est tombée en désuétude à l'Assemblée nationale .

A. Les questions écrites Les députés et les sénateurs peuvent interroger par écrit un ministre sur u n problème relevant de son administration . Le ministre doit répondre dans l e mois qui suit . Si la question est complexe, il peut demander un délai supplémentaire d'un mois ; si elle concerne des aspects confidentiels de l'action gouvernementale (diplomatie, défense), le ministre peut se retrancher derrièr e l'intérêt public pour ne pas répondre . Les parlementaires usent abondamment de cette procédure, moins, e n pratique, pour s'informer sur des aspects obscurs de la politique gouverne mentale que pour obtenir des renseignements administratifs à l'intentio n d'un électeur ou d'un groupe d'électeurs . Pendant la m e législature (1997 2002), 73 256 questions écrites ont été posées à l'Assemblée, soit près d e 15 000 questions en moyenne par an . Les ministres sont attentifs à entreteni r par ce moyen de bonnes relations avec les parlementaires, mais toutes le s questions ne reçoivent pas de réponse .

LES QUESTIONS AU GOUVERNEMEN T

Ce sont les plus utilisées et les plus intéressantes . Elles sont nées en 1974 d'u n accord entre l'Assemblée et le gouvernement, accord étendu en 1982 a u Sénat. Elles sont ainsi d'origine conventionnelle, afin de tourner l'article 48 d e la Constitution et sa limitation à une séance de questions par semaine . L a révision de 19951es a régularisées, en précisant : une séance par semaine « a u moins » . La procédure est la suivante : à l'Assemblée, le début de la séance d u mardi et du mercredi après-midi est réservé à des questions posées spontané ment (au Sénat, le jeudi matin deux fois par mois) . La majorité et l'oppositio n disposent d'un temps proportionnel à leur représentation . Après la répons e du ministre, l'auteur de la question peut répliquer en deux minutes trente . Les ministres sont nombreux ce jour-là sur les bancs du gouvernement, et l a présence de la télévision (France 3) explique qu'il n'y ait jamais autant de par lementaires qu'à cette séance . Cette procédure permet d'interroger le gouvernement « à chaud » su r des problèmes d'actualité et offre en même temps à celui-ci l'occasion – pa r l'intermédiaire de questions de parlementaires amis – d'expliciter des décisions prises en Conseil des ministres le mercredi matin .

B. Les questions orale s Les questions orales sont adressées par écrit au président de la chambre pou r être inscrites à l'ordre du jour . À l'origine, et jusqu'à la révision de 1995, l a Constitution (article 48) prévoyait qu'une séance par semaine (et pas davantage, autre barrière protectrice du gouvernement) serait consacrée aux questions orales. LES QUESTIONS ORALES SANS DÉBAT

Elles permettent un dialogue entre un parlementaire et un ministre san s intervention extérieure . Après l'exposé, en deux minutes, de la question, l e ministre répond en cinq minutes au maximum, et l'auteur de la question peu t ensuite reprendre brièvement la parole . Cette procédure, qui se déroule l e 1141

I

2. Les commissions d'enquête Pour ne pas être tributaires des informations que le gouvernement veut bie n leur communiquer, les assemblées peuvent créer des commissions qui, pa r leurs investigations, leur apportent les éléments indispensables à l'exercice d e

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LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT PAR LE PARLEMEN T

leur contrôle . Une loi du 20 juillet 1991 a supprimé la distinction précédent e entre des commissions d'enquête et des commissions de contrôle : il n'y a plu s désormais que des commissions d'enquête .

A. Missions et organisation La commission a pour mission de recueillir des informations soit sur des fait s déterminés (la situation de l'industrie automobile française, les sectes, l'utilisation des farines animales), soit sur la gestion d'un service public ou d'un e entreprise nationale (la transfusion sanguine, le fonctionnement de la justic e administrative ; en 2003 : la canicule . . .) . Créée par une résolution adoptée à la majorité, ses effectifs sont limités à 30 députés ou à 21 sénateurs, désignés à la représentation proportionnell e des groupes ; l'opposition, au sein de la chambre, y est donc toujours représentée sans pouvoir être majoritaire . Le mandat de la commission est limité : elle doit achever sa mission en six mois au maximum .

B. Fonctionnemen t À l'exemple de ce qui se passe à l'étranger, depuis 1991 les réunions des com missions sont publiques . Leurs rapporteurs se font communiquer les pièce s dont ils ont besoin et peuvent se rendre sur place ; toute personne dont l e témoignage paraît utile peut être citée à comparaître devant la commissio n et contrainte à se présenter, au besoin par la force . Deux facteurs viennent limiter les pouvoirs des commissions : – Une commission d'enquête ne peut être créée au sujet de faits ayan t donné lieu à des poursuites judiciaires . Cette restriction, justifiée par le souc i de garantir le respect de la séparation des pouvoirs, pourrait permettre a u gouvernement de faire dissoudre, en engageant une procédure judiciaire , une commission dont les travaux se révéleraient gênants . – Le rapport où les commissions retracent leurs conclusions n'est pa s publié si la chambre en décide ainsi . Les commissions d'enquête n'ont pas l'efficacité qu'on pouvait attendre . La majorité, et donc le gouvernement – à l'Assemblée au moins –, décide e n effet de leur création, de leur composition, des modalités de leurs investigations, et peut s'opposer à la publication de leur rapport . Cependant, la pres sion de l'opinion pourra empêcher la majorité de refuser leur constitution, e t 1161

LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT PAR LE PARLEMENT

le Sénat, lorsqu'il est dans l'opposition, a toujours la possibilité d'y recouri r contre la volonté du gouvernement . Aussi les travaux de certaines commissions ont-ils obtenu un certain retentissement, par exemple ceux sur le s écoutes téléphoniques en 1973 ou, en 1999, sur la sécurité en Corse, en 2000 sur les prisons . Au total, une cinquantaine de commissions ont été créée s depuis 1958 . Le Sénat a été ces dernières années beaucoup plus actif ici qu e l'Assemblée . En pratique, la constitution d'une commission d'enquête correspond moins à un souci de s'informer qu'à un procédé destiné à gêner l'adversaire politique – et de préférence le gouvernement – en exploitant une situation, voire un scandale, qui agite l'opinion .

Les délégations parlementaires : Non prévues par la Constitution, les délégations parlementaires sont apparues e n 1972 . La première concernait la radio-télévision française ; jusqu'à présent, le législateur en a créé cinq, dans des domaines variés : Union européenne, planification , office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques . . . Composées de parlementaires — des deux chambres ou d'une seule —, elles informent le Parlement à partir de documents que leur communique le gouvernement ou de leurs propre s investigations, et le conseillent dans ses choix . Leur constitutionnalité est asse z contestable car elles esquissent un contrôle parlementaire non prévu par la Constitution .

3. La mise en jeu de la responsabilité du gouvernement La confiance de l'Assemblée est indispensable, vitale même pour le gouverne ment . Comment la mesurer, comment permettre à partisans et adversaires d e se compter ?

A . La question de confiance (article 49, alinéa 1 er) Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engage r devant l'Assemblée la responsabilité du gouvernement sur son programm e ou, le plus souvent, sur une déclaration de politique générale . Bien que l'ex 111 7

LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT PAR LE PARLEMEN T

LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT PAR LE PARLEMEN T

ner par un vote à la simple majorité relative . Dans la pratique, seuls ceux qu i approuvent la motion prennent part au vote ; il n'est pas demandé aux autre s de manifester au grand jour leur soutien au gouvernement, ce qui dans certains cas arrange bien celui-ci car il est des soutiens compromettants . La rationalisation du parlementarisme joue ici dans un sens pleinemen t favorable au gouvernement. La procédure de la motion de censure sponta1er née est beaucoup moins périlleuse pour lui que celle de l'article 49, alinéa où il s'expose, lorsqu'il y recourt, à être renversé à la majorité relative . On comprend qu'il préfère attendre une motion de censure plutôt que de pose r lui-même la question de confiance : c'est à l'opposition de faire la preuve qu'i l n'a pas de majorité .

pression ne figure pas dans la Constitution, on est en présence de la procédure classique de la question de confiance . Elle suscite plusieurs observations : —L'initiative venant du gouvernement, celui-ci prend le risque d'être renversé . —Le gouvernement n'est jamais obligé de solliciter la confiance ; on sai t en particulier (voir p . 71) qu'il n'est pas formellement obligé de demande r l'investiture de l'Assemblée lors de sa constitution . — L'autorisation de poser la question de confiance est donnée collective ment par le gouvernement ; le Premier ministre n'engage pas de sa seule initiative la responsabilité du gouvernement . Exigence logique puisque l'existence de l'équipe gouvernementale dans son ensemble est mise en jeu . — La confiance est accordée ou refusée à la majorité des suffrages exprimés ; le gouvernement peut donc être battu à la majorité relative des député s composant l'Assemblée . —Un vote négatif entraîne la démission du gouvernement . Celui-ci s e contente, jusqu'à la nomination de son successeur, d'expédier les affaires courantes .

Les motions de censure ont été relativement nombreuses depuis 1958, u n peu plus d'une par an en moyenne, avec un succès très relatif puisque seul l e gouvernement Pompidou a été renversé en 1962 . Mais il n'est pas nécessair e d'espérer pour entreprendre . L'opposition y trouve une possibilité de s e compter et de manifester avec une certaine solennité son désaccord avec u n texte ou avec la politique du gouvernement, se présentant en même temp s comme une force prête à assurer demain la relève .

Dans la pratique, le recours à cette procédure est exceptionnel .

B . La motion de censure spontanée (article 49, alinéa 2 ) De leur côté, les députés peuvent prendre l'initiative d'un scrutin sur l a confiance en déposant une motion de censure . La motion doit être signée par 10 % au moins des membres de l'Assemblée nationale . Ses signataires ne peuvent s'associer à plus de trois motions a u cours de la même session ordinaire . On a voulu éviter que le gouvernemen t ne soit harcelé par une poignée de parlementaires vindicatifs, perturbant e n même temps le déroulement régulier du travail de la chambre . Un délai de réflexion de 48 heures sépare le dépôt de la motion de son vote ; l'activité d e l'Assemblée n'est pas interrompue, mais le gouvernement dispose d'un déla i pour organiser sa défense et motiver ses troupes ; les parlementaires, de leu r côté, peuvent se concerter. La motion de censure est adoptée si elle obtient au moins la majorité de s voix des membres composant l'Assemblée, soit 289 voix, et non la majorit é des suffrages exprimés . C'est là une règle essentielle, qui implique que tou s ceux qui n'ont pas voté contre le gouvernement (absents, abstentionniste s, votes blancs ou nuls) sont considérés comme ayant voté pour lui . Les députe s ne peuvent, avec cette procédure, contraindre le gouvernement à démission -

C.

r

L'engagement de responsabilité sur le vote d'un text e (article 49, alinéa 3) La Constitution de 1958 ajoute une procédure inédite en France à la gamm e des moyens de contrôle du Parlement : l'engagement de responsabilité sur l e vote d'un texte, aussi appelé motion de censure provoquée ; question d e confiance et motion de censure s'y combinent . L'article 49, alinéa 3 prévoit en effet que le Premier ministre peut, ic i encore après en avoir obtenu l'autorisation en Conseil des ministres, engage r la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée sur le vote d'un texte . Ce texte est considéré comme adopté si aucune motion de censure, déposé e dans les 24 heures, n'est approuvée par les députés . Les règles habituelles d e la motion de censure s'appliquent (nombre de signataires, majorité) sauf l'interdiction faite aux députés de signer plusieurs motions au cours de la mêm e session . Une arme précieuse est mise ainsi à la disposition du gouvernement . Devant les hésitations, les scrupules, le perfectionnisme de sa majorité, so n étroitesse parfois, il peut brusquer les choses, faire adopter sans perte d e temps une loi conforme à ses vues – et suffisamment importante pour qu'il

LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT PAR LE PARLEMEN T

vaille la peine de mettre en jeu à son sujet l'existence du gouvernement – san s pour autant sommer ses partisans indécis ou troublés de se rallier à son texte , puisqu'ils pourront se contenter d'une commode abstention . Procédure contestée dans son principe par les oppositions successives e t éveillant des mauvaises humeurs au sein même des majorités, la motion d e censure provoquée a été employée par les divers gouvernements de gauch e comme de droite (exception : Lionel Jospin) . Son utilisation s'est aujourd'hu i banalisée malgré les déclarations plus ou moins solennelles sur la nécessité d e lui conserver un caractère exceptionnel . Comment gouverner sans elle avec le s majorités incertaines sorties des élections de 1986 et de 1988? Son efficacit é est vérifiée, souvent l'opposition renonce à déposer une motion de censure e t lorsqu'elle y parvient, celle-ci échoue régulièrement . On se trouve donc parfois en présence de lois adoptées sans avoir fait l'objet d'un vote en dernièr e lecture par l'Assemblée! En dépit de cette situation, pour le moins surprenante, la procédure de l'article 49, alinéa 3 doit être conservée . Elle garantit l a continuité et l'efficacité de l'action de l'exécutif en face d'une majorité troublée, fragile, en proie à une mauvaise humeur passagère .

4 . Le contrôle de la politique européenn e L'édification de l'Union européenne a des incidences considérables sur les insfrançaises . Les traités de Maastricht (1992) et d'Amsterdam (1997), tout d'abord, on t nécessité des révisions de la Constitution (v . pp . 28 et 34) pour pouvoir être ratifiés et appliqués en France . D'autre part, les institutions européennes élaborent des normes qui s'appliquent, directement parfois, en France, se substituant ainsi au Parlemen t dans l'exercice de son pouvoir législatif . Les chambres ont obtenu d'être associées dans une certaine mesure à l'élaboration de ces normes (v . p . 146) . Enfin, la France contribue largement au budget des Communautés européennes ; le Parlement a ici aussi obtenu que le gouvernement lui fourniss e des informations détaillées sur cette participation et sur le budget des Communautés . titutions

11 Le Conseil constitutionne l et le contrôle de constitutionnalité

L'idée d'une institution indépendante chargée de veiller à l'application régulière de la Constitution, par le législateur surtout, n'est pas nouvelle . Envisagée lors de la Révolution française, expérimentée aux États-Unis dès le débu t du xi xe siècle, sa mise en oeuvre en France fut tentée de façon timide avec l e Comité constitutionnel de la Constitution de 1946 . En 1958, les Français on t franchi un pas supplémentaire et créé un Conseil constitutionnel qui, dépassant les ambitions somme toute mesurées de ses inventeurs, est devenu u n rouage essentiel du fonctionnement des institutions constitutionnelles et, au delà, du système juridique dans son ensemble . Par son recrutement, il appartient à la catégorie des organes politiques , mais le statut de ses membres et ses procédures le rapprochent d'une juridic tion .

1 . Les membres du Conseil constitutionne l A . La désignation des membre s Existent deux catégories de membres . • La première est constituée par les anciens présidents de la République . Il s ne sont pas nommés au Conseil, ils en sont membres automatiquement à l a

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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

fin de leur mandat – en étant dispensés du serment traditionnel demandé au x autres membres lors de leur prise de fonctions – et ils en sont membres à vie . Pourquoi leur avoir confié cette charge? Le constituant de 1958 avait à l'es prit la situation des anciens présidents sous les Républiques précédentes et a voulu confier aux ex-chefs de l'État une attribution importante et honorabl e où l'expérience acquise lors de leur mandat pouvait être précieuse . L'initiativ e était intéressante, elle est devenue contestable avec la transformation de l a fonction présidentielle : des hommes qui ont été aussi profondément engagé s dans la vie politique présentent-ils l'impartialité souhaitable pour siéger a u Conseil ? Jusqu'à ce que, en avril 2004, V . Giscard d'Estaing annonce son intention d'y siéger, aucun Président de la V e n'avait jamais pris séance . • La seconde catégorie est celle des membres nommés . Ils sont au nombre de neuf ; aucune condition d'âge, de diplôme ou d'expérience n'est exigée . – Trois de ces membres sont nommés par le président de la République , – trois par le président de l'Assemblée nationale , – trois par le président du Sénat . Leur mandat est de 9 ans ; ils sont renouvelables par tiers, c'est-à-dire qu e tous les trois ans, chacune des autorités disposant du pouvoir de nominatio n désigne un nouveau membre . Ils ne peuvent accomplir qu'un seul mandat, sauf si, ayant succédé à un membre démissionnaire ou décédé pour termine r son mandat, ils ont pris leurs fonctions dans les deux dernières années d u mandat de leur prédécesseur : ils pourront dans ce cas être nommés à nouveau, et siégeront alors jusqu'à 11 ans au Conseil . Le président de la République désigne, parmi les membres du Conseil, u n président, qui a voix prépondérante en cas de partage . Le principe de la désignation des membres du Conseil par des autorité s politiques a fait l'objet de vives critiques . On a craint que les nominations ne viennent récompenser des amitiés ou des fidélités partisanes plus que couron ner la compétence et le caractère, au détriment de l'indispensable indépendance de l'institution . Dans la pratique, si l'on s'est interrogé parfois sur le s mérites ou les compétences qui pouvaient bien valoir à tel ou tel une si flatteuse désignation, il n'y a pas eu de nomination politiquement choquante, e t le Conseil a rendu des décisions qui ont déplu à tout le monde tour à tour , preuve qu'il n'était inféodé à personne . Au reste, un bilan des expériences d e contrôle de constitutionnalité à travers le monde démontre qu'il n'est pas d e système parfait de sélection des membres de l'organe de contrôle ; celu i adopté en France est sans doute l'un des moins mauvais . 122

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

B . Le

statut des

membre s

L'objectif recherché est l'indépendance des membres du Conseil . La prohibition de tout renouvellement est déjà une assurance contre les tentation s que pourrait susciter l'envie de briguer une nouvelle désignation . Mais il est d'autres garanties : – Limitation des activités extérieures . Les fonctions de membre d u Conseil sont incompatibles avec tout mandat électoral, avec un portefeuill e ministériel ou avec la direction d'un parti politique . Mais les fonctionnaires peuvent rester dans le service public et les activités privées sont autorisées , avec les mêmes incompatibilités que pour les parlementaires (v . p . 95) . – Obligation de secret. Les membres du Conseil s'engagent à ne pa s divulguer la teneur de ses délibérations et à ne pas lever le secret du vote . – Obligation de réserve. Les prises de position publiques sur des questions relevant de la compétence du Conseil sont interdites . Ce statut, en définitive très peu contraignant, date beaucoup . Lorsqu'il a été conçu, on n'imaginait pas que le Conseil puisse avoir le rôle qui est le sie n aujourd'hui . Il fallait permettre à ses membres de s'occuper, d'avoir des activités en dehors des séances épisodiques du Conseil . Aujourd'hui, nombre d'observateurs estiment qu'il faudrait, en particulier, durcir le régime des incompatibilités et faire mieux respecter les obligations de secret et de réserve . L'affaire Dumas . À la fin des années 1990, le président du Conseil constitutionnel , M . Roland Dumas, fut mis en examen à propos des difficultés judiciaires de la sociét é ELF. Après beaucoup d'hésitations, Roland Dumas décida de se mettre en congé, pui s de démissionner le ler mars 2000 . Ces péripéties, fâcheuses pour l'image du Conseil , ont fait apparaître une lacune dans le statut des membres du Conseil, qui n'offre pa s de solution pour régler de telles situations .

2. Les attributions extérieures au contrôle de constitutionnalité Le Conseil a été créé pour assurer un contrôle de constitutionnalité des lois . Puis, le principe étant acquis, on s'est avisé qu'il était tout naturellement indiqué pour exercer d'autres fonctions demandant une certaine connaissance à la fois de la vie politique et du droit, et qui ne pourraient être conférées qu' à un organe indépendant . D'où une série d'attributions, d'importance inégale , qui en font, aux côtés du président de la République, un des gardiens de la Constitution .

123

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

Mais le Conseil n'a pas d'autres pouvoirs que ceux qui lui sont confiés pa r la Constitution ou par les lois organiques . En particulier – la question s'es t posée et a été résolue par la négative – il ne peut donner des avis en dehor s des cas prévus par ces textes . On dit que le Conseil a une « compétence d'attribution » . Quelles sont ces attributions ? • Le Conseil peut avoir à constater, à la demande du gouvernement, que l e président de la République est empêché, pour cause de maladie, disparition, captivité . . ., de façon provisoire ou définitive, de remplir ses fonctions . La démarche demandée au gouvernement pourra se révéler bien délicate e n cas de maladie du Président ; la question aurait pu se poser pour George s Pompidou ou pour François Mitterrand qui, très éprouvés physiquement, on t conservé jusqu'au bout cependant toutes leurs facultés intellectuelles. • Le Conseil peut être appelé à se prononcer sur la compatibilité du mandat parlementaire avec une fonction extérieure (voir p . 95) . • Des avis doivent être demandés au Conseil à l'occasion de la mise e n vigueur de l'article 16 ; ils sont purement consultatifs et ne lient donc pas l e Président (v . p . 59) . • Le Conseil exerce enfin – et surtout, car ce sont les plus courantes – des attributions électorales. Elles portent sur : – Le référendum. Le Conseil veille sur la régularité de la procédure en ce sens qu'il est consulté sur l'organisation des opérations référendaires ; il e n centralise les résultats, les proclame et se prononce sur les contestations éven tuelle les concernant . – L'élection présidentielle . Son rôle est le même qu'en matière de référendum : consultation sur l'organisation, dépouillement, proclamation des résultats, jugement des contestations éventuelles . Mais il prend en outre de s décisions de procédure importantes : établissement de la liste des candidats , report éventuel de l'élection en cas de décès de l'un de ceux-ci (v . pp . 47-49) . . . – L'élection des députés et des sénateurs. On sait (voir pp . 91-92) que depuis 1958, le Conseil est compétent pour statuer sur le contentieux des élec tions législatives et sénatoriales . Alors qu'auparavant les assemblées procédaient elles-mêmes à la « vérification des mandats » de tous leurs membres, l e Conseil ne se prononce que sur les élections dont la régularité est contestée par un candidat ou par un électeur . Un contrôle juridictionnel a été substitu é à un contrôle politique, marquant ainsi un progrès de l'État de droit . Les décisions du Conseil sur les contestations électorales sont rendues à l'issue d'une procédure contradictoire, c'est-à-dire dans laquelle les intéressés 124

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALIT É

peuvent exposer leur point de vue ; elles sont définitives, ce qui signifie qu'aucun recours ne peut être formé contre elles devant quelque autre autorit é que ce soit .

3 . Le contrôle de constitutionnalité Peut-être l'institution d'un véritable contrôle de la constitutionnalité des loi s est-elle l'innovation à la portée symbolique la plus forte de la Constitution d e 1958. Elle détruit le mythe de la loi, de sa souveraineté, sur lequel on vivai t depuis la Révolution, pour lui substituer le principe de la suprématie de l a Constitution, et donc de la soumission du Parlement-législateur au constituant . Conscients de leur audace, les rédacteurs du texte en avaient circonscri t la portée : la procédure, celle d'un contrôle préventif par voie d'action, étai t difficile à mettre en oeuvre, et l'étendue du contrôle limitée. En deux étapes (en 1971 et 1974), à l'initiative du Conseil lui-même, puis à celle du constituant, ces barrières devaient être emportées et le Conseil s'affirmer comme u n interlocuteur à part entière du gouvernement et du Parlement .

A . Les actes contrôlé s Si les actes de l'exécutif lui échappent, le Conseil dispose d'un pouvoir d e contrôle assez large . • Les règlements des assemblées lui sont soumis avant d'être mis en application (voir p . 96) . II s'agit d'un contrôle obligatoire et le Conseil s'est à plu sieurs reprises opposé à des dispositions non conformes à la Constitution . • Les traités internationaux peuvent être portés devant lui (article 54) pou r un contrôle de leur conformité à la Constitution . La compétence pour le saisi r n'appartient pas aux citoyens, mais : – au président de la République, – au Premier ministre, – au président de l'Assemblée et à celui du Sénat , – à soixante députés ou à soixante sénateurs (depuis la révision de 1992) . Si le Conseil estime que le traité est contraire à la Constitution, il n e pourra être ratifié, à moins que la Constitution ne soit modifiée dans un sen s rendant le traité compatible avec elle (exemples : Maastricht, Amsterdam) . 125

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Cette procédure de contrôle n'a été utilisée que huit fois (quatre fois par l e Président, une fois par le Premier ministre, une fois par soixante députés e n 1992, deux fois conjointement par le Président et le Premier ministre en 199 7 – traité d'Amsterdam – et 1998 – traité de Rome) . Exemple de recours dirigé contre un traité : Désireux d'empêcher qu'une nouvelle majorité n'abroge, dans l'avenir, la loi de 198 1 supprimant la peine de mort, François Mitterrand a soumis au Conseil, en 1985, avan t de le ratifier, le protocole n° 6 de la Convention européenne des droits de l'homm e concernant l'abolition de la peine de mort . Dans sa décision du 22 mai 1985, l e Conseil a estimé que ce protocole n'était pas contraire à la Constitution et pouvai t donc être ratifié . On notera le caractère original du recours à l'article 54 de la Constitution : F. Mitterrand ne recherchait pas une décision de non-conformité ; il souhaitai t au contraire que le Conseil, en autorisant la ratification du protocole, permit que l a France soit liée par lui et non seulement par la loi de 1981, empêchant ainsi d'abroger cette loi sans violer par là même le protocole .

• Les lois relèvent du contrôle du Conseil, mais uniquement celles votées pa r le Parlement et non encore promulguées . Cette réserve exclut les lois approuvées parle peuple à l'issue d'un référendum . Le Conseil en a jugé ains i en 1962, à propos de la loi référendaire (fondée sur l'article 11) instituan t l'élection du président de la République au suffrage universel direct, estimant qu'il n'avait pas à contrôler « l'expression directe de la souveraineté nationale » . Le peuple décidant en corps n'est donc pas soumis au respect de l a Constitution . Même solution, en 2003, pour la loi constitutionnelle sur la dé centralisation, fondée, elle, sur l'article 89 et adoptée parle Congrès. Les développements qui suivent seront consacrés exclusivement a u contrôle de la loi parlementaire (et non des traités), qui est le plus courant .

B . Le déclenchement du contrôle : la saisine Le contrôle de la constitutionnalité de la loi est obligatoire ou facultatif . L'étendue du contrôle obligatoire est réduite : seules en effet, on l'a v u (v. p . 110), les lois organiques sont automatiquement soumises au Consei l avant leur promulgation . Pour toutes les autres, le contrôle est facultatif, mai s il peut se situer à des stades différents de la procédure . On notera que l e Conseil ne peut jamais se saisir lui-même d'une loi : l'auto-saisine est impossible ; il faut que la loi soit déférée au Conseil, dans des conditions variable s selon la nature des recours .

1 26 l

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QUAND PEUT-ON SAISIR LE CONSEIL ?

■ Au cours de la discussion de la loi par le Parlement (article 41 ) La procédure de l'article 41 permet au gouvernement et au Président d'un e assemblée, lorsqu'ils sont en désaccord sur l'appartenance au domaine législa tif d'une proposition de loi ou d'un amendement d'origine parlementaire, d e faire trancher, à la demande de l'un d'eux, leur différend par le Conseil constitutionnel (voir p . 103) . Remarques : - Le Conseil ne peut pas être saisi directement : il ne peut l'être qu'à l'issue d'u n premier examen de l'irrecevabilité par le président de l'assemblée . - La procédure est destinée uniquement à faire respecter le partage des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, et non la violatio n d'une autre règle constitutionnelle . - Les simples parlementaires (ou le président de la République) ne peuvent saisi r le Conseil sur la base de l'article 41 . - Cette procédure est en pratique inutile : le gouvernement se contente de fair e repousser par sa majorité le texte avec lequel il est en désaccord .

■ Après l'entrée en vigueur de la loi (article 37, alinéa 2 ) Le gouvernement peut demander au Conseil de constater qu'une loi voté e depuis 1958 est intervenue (en totalité ou en partie) dans un domaine n'appartenant pas au législateur et de l'autoriser à la modifier par décre t (v. p . 103) . ■ Après le vote de la loi mais avant la promulgatio n (article 61, alinéa 1 e ') L'hypothèse normale est celle où la loi est soumise au Conseil dans le délai qu i sépare l'adoption de la loi par le Parlement de sa promulgation par le président de la République . Rien n'empêche le Président de précipiter la promulgation pour tenter d e s'opposer à la saisine du Conseil ; mais la France est une démocratie : un chef de l'État n'y recourt pas à de tels procédés . QUI PEUT SAISIR LE CONSEIL ?

■ Les règles posées par la Constitution de 195 8 A l'origine, la Constitution avait accordé la saisine : – au président de la République,

1127



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au Premier ministre, —au président de l'Assemblée nationale, —au président du Sénat. —

Ce n'était pas très généreux et, surtout, on n'avait pas prévu que ce s autorités pouvaient appartenir simultanément à la majorité (« la bande de s quatre »), aucune n'ayant alors intérêt à saisir le Conseil d'une loi adoptée pa r cette majorité . De fait, jusqu'en 1974, l'article 61 ne devait être utilisé qu e neuf fois . ■ La révision constitutionnelle de 1974 : l'élargissement de la saisine La révision constitutionnelle de 1974 a élargi la saisine à 60 députés o u 60 sénateurs . La signification essentielle de cette réforme est d'ouvrir à l'opposition l e contrôle de la constitutionnalité . Si une loi viole la Constitution, on peut espérer qu'il se trouvera toujours 60 parlementaires dans une assemblée pou r déclencher le contrôle. Le premier effet de la révision de 1974 a été de multiplier les recours ; leu r grande majorité émane à présent de l'opposition . ■ Les particuliers, exclus du droit de saisin e Les particuliers ne peuvent saisir le Conseil. Une révision constitutionnelle a été entreprise en 1990 pour leur accorder le droit de saisine ; elle s'est heurté e à la mauvaise volonté du Sénat dont l'accord, on le sait (v . p . 22), est indispensable au succès de la révision . La réforme peut, semble-t-il, être considéré e comme abandonnée (v. p . 26) . ■ Un régime particulie r Les autorités d'une collectivité d'outre-mer peuvent saisir le Conseil d'une lo i promulguée qu'elles estiment intervenue dans le domaine de compétence d e cette collectivité (révision du 28 mars 2003) . Le projet de révision de 1990 : La procédure proposée était celle d'un contrôle par voie d'exception . Au cours d'un e instance devant un juge, un particulier aurait pu soulever une exception d'inconstitutionnalité en soutenant que la loi — quelle que soit sa date — dont on voulait lui fair e application était contraire à un de ses droits fondamentaux (référence assez restrictive : toute violation de la Constitution ne pourrait être invoquée) . Le juge aurai t procédé à un premier examen de l'exception ; si celle-ci lui semblait sérieuse, il aurai t transmis le dossier à la Cour de cassation ou au Conseil d'État selon les cas, pour qu'il s effectuent un nouvel examen du bien-fondé de l'argumentation . Si cette dernière

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leur était apparue suffisamment convaincante, ils auraient saisi le Conseil constitutionnel qui aurait pu abroger la loi .

C . Les

normes

de

référence

Sur quoi porte le contrôle? De quelles règles le Conseil impose-t-il le respec t au législateur, quelles sont les « normes de référence » ? Répondre que la loi doit être conforme à la Constitution est insuffisant. Le Conseil en effet a élargi le champ de son contrôle et par là même trans formé son propre rôle .

L'ÉLARGISSEMENT DU CONTRÔLE : LE BLOC DE CONSTITUTIONNALIT É

L'une des caractéristiques de la Constitution de 1958 est son caractère procédural et, en conséquence, la faible place qu'y tiennent les règles de fond . Ell e indique aux autorités de l'État — au législateur en particulier — comment elle s doivent agir, sans guère s'attarder à préciser pourquoi elles doivent le faire . E t l'absence de toute Déclaration des droits renforce ce caractère . Les individu s n'y trouvent guère de règles protectrices contre les entreprises du législateur , et le Conseil constitutionnel, de son côté, ne peut donc s'appuyer sur de telle s dispositions pour les défendre . Un contrôle limité de la constitutionnalité de s procédures et qui ne permet pas en même temps de protéger les citoyen s apparaît incomplet et bien peu satisfaisant . Conscient de cette insuffisance, le Conseil, dans une décision du 16 juillet 1971, a estimé qu'au-delà du texte de la Constitution de 1958, il devait auss i imposer au législateur le respect de la Déclaration de 1789 et du Préambul e de la Constitution de 1946 . Par une interprétation audacieuse, il a estimé que la formule du Préambule de la Constitution de 1958 proclamant l'« attachement » du peuple français à ces deux textes, avait pour effet de leur conférer valeur constitutionnelle. En outre, le Préambule de 1946 se référant lui-même aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », ceux-ci, en dépit d e leur fréquente imprécision, s'imposent aussi au législateur. Cet effet de « ricochet » a élargi considérablement l'étendue du « bloc de constitutionnalité » , c'est-à-dire des normes auxquelles le législateur se trouve soumis : le Consei l assure aujourd'hui le respect d'un ensemble de normes très disparates dépassant largement la Constitution au sens strict . 1129

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La décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d'association : Le gouvernement avait tenté d'empêcher la constitution d'une « Association de s Amis de la cause du peuple », animée en particulier par Simone de Beauvoir . Le tribunal administratif saisi de l'affaire avait donné tort au gouvernement . Celui-c i décida donc de faire modifier la loi de 1901 sur les associations pour obtenir le s moyens de s'opposer à la création d'associations qui lui déplaisaient . À son initiative , le Parlement vota une loi que le président du Sénat déféra au Conseil constitutionnel . Celui-ci, et c'est là l'innovation capitale, dès le début de sa décision – dans les visas – se référa au Préambule : « Vu la Constitution, et notamment son Préambule » et, relevant ensuite que le Préambule réaffirmait solennellement « les principes fonda mentaux reconnus par les lois de la République » (en réalité indirectement à traver s la référence au Préambule de 1946), estima que la liberté d'association figurait a u nombre de ces principes et que les conditions mises par la loi à l'exercice de ce droi t supprimaient le principe de la libre constitution des associations, et étaient don c inconstitutionnelles .

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l'homme, l'individu, le citoyen . À partir du moment où il est amené à précise r leurs droits constitutionnels, le Conseil dégage donc en même temps les fondements constitutionnels de ces branches du droit : les principes de base d u droit civil, du droit pénal, du droit social, du droit commercial . . ., qui s'imposent au législateur. À travers ses décisions, la Constitution irrigue l'ensembl e du droit, lui donne son homogénéité . Exemple de décision précisant les pouvoirs du législateur en matière pénale : « Considérant que, si, en vertu de l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homm e et du citoyen de 1789 et de l'article 34 de la Constitution, les règles de la procédur e pénale sont fixées par la loi, il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelle s elles s'appliquent, pourvu que les différences ne procèdent pas de discrimination s injustifiées et que soient assurées des garanties légales aux justiciables . . . (décision de s 19-20 janvier 1981, Sécurité et liberté) .

CONSÉQUENCE : LE CHANGEMENT DE NATURE DU CONTRÔL E

À l'origine, le rôle du Conseil avait été compris comme celui d'un gardien de la frontière séparant la loi du règlement, et avant tout d'un défenseur d u gouvernement contre les empiétements du Parlement sur son domaine . La distinction des matières législatives et réglementaires représentait une tell e rupture avec la tradition qu'il était nécessaire de faire assurer sa protection . Jusqu'en 1971, le Conseil, les rares fois où il a été saisi, a rempli cett e tâche sans complaisance particulière à l'égard du gouvernement et en adoptant même par la suite une conception extensive du domaine législati f (v. p . 104). À partir de 1971, le rôle du Conseil s'est diversifié . ■ Le Conseil constitutionnel, protecteur des liberté s La décision de 1971 donne au contrôle une nouvelle dimension : le Consei l apparaît comme le défenseur des citoyens contre le Parlement et non plu s seulement comme un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics . La plupart des normes qu'il fait alors entrer dans le bloc de constitutionnalité concernent en effet les libertés publiques, l'égalité et les droits fondamentaux. Ses interventions dans le domaine des libertés se multiplient, son rôl e devient beaucoup plus spectaculaire, les citoyens se sentent plus concerné s par son action, et son image dans l'opinion se précise et s'améliore . ■ L'unification du système juridiqu e Toutes les branches du droit ont plus ou moins directement pour finalit é

D . La procédure du contrôl e Le Conseil dispose d'un délai d'un mois pour statuer . Son interventio n empêche la promulgation de la loi, aussi a-t-on voulu éviter par ce bref déla i que la loi ne reste trop longtemps en suspens . En cas d'urgence, le gouvernement peut demander au Conseil de se prononcer dans les huit jours ; i l n'abuse pas de cette faculté . La procédure est écrite et, si le Conseil s'efforce de lui donner un caractère juridictionnel, elle n'en reste pas moins non contradictoire et secrète : i l n'y a pas d'avocat, le Conseil n'a pas l'obligation de solliciter les observation s du gouvernement, les parlementaires qui ont voté la loi ne sont pas invités à exposer leur point de vue pour la défendre, le public n'est pas admis au x audiences . Tout cela est regrettable, mais il faut rappeler que le Conseil dispose de fort peu de temps . D'autre part, il accepte aujourd'hui de prendre e n compte les mémoires, notes, documents qui lui sont adressés de façon informelle, en particulier par le Secrétariat général du gouvernement . Dans l'examen auquel procède le Conseil, trois particularités doivent être signalées : • Le contrôle porte sur toute la loi . Même si la saisine ne met en cause qu e certaines dispositions de la loi, le Conseil estime qu'elle ne délimite pas l e débat et il fait porter son examen sur l'ensemble du texte . Fondée sur un e

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interprétation littérale de l'article 61 alinéa 2 (« les lois peuvent être déférées . . . »), cette pratique correspond en fait à une forme d'auto-saisine . • Le Conseil peut soulever des moyens nouveaux . Le Conseil n'est pas li é non plus par l'argumentation des auteurs de la saisine (rien d'ailleurs n'oblig e à motiver celle-ci) . II lui est loisible de s'appuyer sur des éléments qui leu r auraient échappé pour en conclure à la non-conformité à la Constitution d e certaines dispositions de la loi . • Le Conseil se refuse à apprécier l'opportunité de la loi . Pour reprendre une de ses expressions : « l'appréciation de l'intérêt général appartient a u législateur » ; le Conseil s'interroge uniquement sur la conformité de la loi a u « bloc de constitutionnalité », il ne se demande pas si la loi est bonne ou pas . Cependant, il lui arrive de contrôler que le législateur n'a pas commis un e erreur manifeste – c'est-à-dire une erreur grossière – d'appréciation ; il s e demande si telle disposition de la loi n'est pas déraisonnable ou disproportionnée au but poursuivi . On se rapproche alors beaucoup d'un contrôle d e l'opportunité, aussi le Conseil use-t-il avec précaution de la notion d'erreu r manifeste .

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peut préférer rédiger un nouveau projet complet et le soumettre au Parle ment . Enfin, il arrive que le Conseil recoure à la « déclaration de conformité avec réserve D . En présence de dispositions législatives susceptibles de plu sieurs interprétations, il donne celle qu'il estime conforme à la Constitution , et précise parfois : « Toute autre interprétation serait contraire à la Constitution . » Il explique au législateur : « si la loi signifie bien telle chose, alors ell e est conforme à la Constitution » ; sous-entendu : « si vous avez voulu dir e autre chose, alors la loi est contraire à la Constitution » . L'intérêt de cett e méthode est de contraindre le gouvernement et l'administration, lorsqu'il s auront à appliquer la loi, à le faire dans le sens indiqué par le Conseil, faut e de quoi les particuliers pourraient faire annuler leurs décisions par le jug e administratif. Là encore, la démarche du Conseil est particulièrement audacieuse : il participe lui-même à la création du droit ; ce n'était pas prév u en 1958 et cela conduit certains à dénoncer parfois un « gouvernement de s juges D . EXÉCUTION, PORTÉE ET AUTORITÉ DES DÉCISIONS DU CONSEI L

E . La décision du Conseil et ses effets Le Conseil constitutionnel dispose d'une gamme de solutions auxquelles es t attachée une très forte autorité . LES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉCISIO N

Le plus fréquemment, deux fois sur trois en moyenne, le Conseil déclarera qu e la loi est conforme à la Constitution . Si l'on considère que toutes les lois, loi n de là, ne lui sont pas déférées, cette proportion est assez rassurante sur le respect par le Parlement de notre charte fondamentale, et confirme en mêm e temps l'utilité et l'efficacité de cette procédure . Lorsque le Conseil estime que la loi viole la Constitution, il ne l'annule pas : il rend une décision de nonconformité et la loi ne pourra être promulguée. Que se passe-t-il si le Conseil relève la non-conformité à la Constitutio n d'une ou plusieurs dispositions seulement de la loi? Celle-ci est-elle inconstitutionnelle dans son ensemble? Le Conseil apporte ici une réponse nuancée : il considère parfois que les dispositions non conformes sont inséparables de l'ensemble du texte, et la loi ne peut être promulguée ; en revanche, s'i l n'établit pas de façon expresse de liens entre ces dispositions et les autres , rien ne s'oppose à la promulgation partielle de la loi – mais le gouvernement 132 1

Les décisions du Conseil s'imposent aux pouvoirs publics (Président, Parlement, gouvernement) comme aux juges et aux administrations . S'agissan t d'un contrôle préventif, leur exécution soulève beaucoup moins de problème s que si la loi était déjà en application . Heureusement car le Conseil ne dispos e d'aucun moyen pour faire respecter ses décisions . En même temps, celles-ci n e sont justiciables d'aucun recours . Les décisions de non-conformité s'opposent à la promulgation, totale o u partielle, de la loi, mais elles n'entraînent pas nécessairement l'abandon de l a réforme . Celle-ci pourra être reprise dans un texte différent présenté au Par lement, ou encore le président de la République demandera une nouvell e délibération de la loi, laissant aux parlementaires le soin d'apporter à la loi , par des amendements, les adaptations nécessaires pour la rendre conforme à la Constitution . Dans tous les cas la nouvelle loi pourra à son tour être déféré e au Conseil : on parle alors de « contrôle à double détente » L'autorité des décisions du Conseil n'est pas contestée ; l'expérienc e montre que les pouvoirs publics s'inclinent . Le Conseil d'État, longtemps réticent pour reconnaître cette autorité, se plie maintenant à ses décisions . Si véritablement le gouvernement et sa majorité persistent à vouloir un e réforme dans des conditions que le Conseil juge inconstitutionnelles, il es t toujours possible de réviser la Constitution . Cela s'est produit (par exemple su r 1133



LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

la parité homme-femme en 1999) . Le Conseil n'a donc pas toujours le dernier mot, celui-ci peut revenir au constituant, c'est-à-dire au peuple . En réalité, la portée des décisions du Conseil dépasse de beaucoup la solution des problèmes qui lui sont soumis . L'existence du contrôle joue un rôle dissuasif considérable, à l'égard surtout du gouvernement – qui est à l'origine, on le sait, de la plupart des lois . Les projets de loi sont mieux préparés , les mises en garde du Conseil d'État dans ses avis sur leur constitutionnalit é sont étudiées avec attention, et les doutes émis par les parlementaires sur l a régularité de certaines dispositions amènent l'exécutif à les amender . Le gouvernement pratique une sorte d'auto-censure pour éviter que le Conseil n e soit saisi et rende une décision de non-conformité dont l'effet serait fâcheu x dans l'opinion publique .

F. La nature du Conseil constitutionne l Le recours au Conseil constitutionnel est entré dans les moeurs . L'oppositio n ne se prive pas d'en user comme arme ultime contre un texte qu'elle désapprouve et, si les déclarations de non-conformité totale sont rares, elle obtiendra assez souvent la satisfaction, d'amour-propre au moins, d'un succès partiel . La saisine du Conseil s'est donc banalisée, sans pour autant devenir systé matique car les partis se sont aperçus qu'ils provoquaient la découverte par l e Conseil de règles qui leur enlevaient une part de leur liberté et dont, en particulier, l'opposition pourrait pâtir lorsqu'elle reprendrait le pouvoir . Le Conseil est donc devenu un acteur essentiel du jeu politique, ce qu i amène à s'interroger sur sa nature . La classification traditionnelle des systèmes de contrôle de la constitutionnalité distingue le contrôle par un organe juridictionnel du contrôle par u n organe politique . Dans quelle catégorie classer le Conseil constitutionnel français? La grande majorité des auteurs rangent le Conseil au nombre des juridictions : la recherche de l'indépendance des neuf sages, l'autorité de se s décisions, sa démarche procédurale, les emprunts faits à la jurisprudence d u Conseil d'État . . ., tous ces éléments traduisent la volonté du constituant, e t celle de l'institution elle-même, de considérer le Conseil comme un juge . D'autres spécialistes, minoritaires dans le débat passionné soulevé par c e problème, soutiennent la thèse inverse : le Conseil est un organe politique. Ils relèvent les conditions de désignation de ses membres et surtout, en matièr e de contrôle de constitutionnalité, l'absence de débat contradictoire, le fai t que le Conseil ne statue pas sur un litige, et le caractère non public de la pro 134

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cédure . Le volontarisme du Conseil ne suffit pas en outre à en faire une juridiction . La controverse est d'ailleurs gratuite . Sur le plan juridique, la solutio n adoptée, quelle qu'elle soit, n'entraîne aucune conséquence particulière . E n revanche, il est vrai que pour l'image de l'institution, il est sans doute préférable qu'elle trouve place parmi les juridictions .

G . L'avenir du Conseil constitutionne l Le Conseil a pris dans nos institutions une place sans commune mesure ave c celle envisagée par le constituant . Cela à la satisfaction générale, exceptio n faite des protestations inévitables de ceux, à droite comme à gauche, dont le s initiatives législatives sont un jour condamnées par lui comme contraires à l a Constitution . Ce large consensus suscite régulièrement des propositions tendant à lui conférer de nouvelles compétences ou à ouvrir son contrôle . Pourtant il faut bien formuler quelques réserves : – Le Conseil est compétent pour imposer le respect de la Constitution a u seul Parlement ; il n'est pas le gardien de la Constitution, en particulier il n e peut contrôler les actes du président de la République . Il est vrai que pe u nombreuses sont les décisions présidentielles pour lesquelles le contrôle serai t utile : refus de signer une ordonnance ou un décret, refus de convoquer l e Parlement en session extraordinaire . . . ; il n'empêche que le déséquilibre s'aggrave entre un Parlement de plus en plus enserré dans des règles posées pa r le Conseil et un Président libre d'interpréter à sa guise la Constitution . – L'essentiel est ailleurs . Depuis vingt ans le Conseil a employé beaucou p d'intelligence et d'énergie pour perfectionner son contrôle ; c'est de lui-mêm e qu'il s'est hissé à la place qu'il occupe aujourd'hui . Tout organe politique ten d à développer sa fonction et à accroître par là son pouvoir ; dans le cas d u Conseil, jusqu'où peut aller cette dynamique ? La question ne met pas en cause l'utilité du Conseil – elle est incontestable – ni son impartialité – elle est satisfaisante – ni encore sa compétence – elle est convenable –, elle concerne son intervention dans l'interprétation d e la Constitution . Sa démarche ne s'opère pas en suivant des règles juridique s précises sur lesquelles un accord unanime se ferait . Ses appréciations sont largement subjectives, ses membres, en toute bonne foi, font prévaloir certain s éléments, arbitrent chacun selon son système de valeurs entre les règles et le s intérêts à concilier, ils sont a priori favorables ou opposés aux effets des dispositions soumises à leur examen . La composition du Conseil influe donc su r ses décisions, le sentiment se fait jour qu'avec d'autres juges la solution aurai t 135

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALIT É

pu être différente . Quelques exemples simples et chiffrés, tirés de la jurisprudence, illustrent ce propos : le Conseil estime qu'au-delà de 20 % de différence entre la population de deux circonscriptions par rapport à la moyenn e des circonscriptions, un découpage électoral est inconstitutionnel ; u n contrôle policier effectué à 40 kilomètres des frontières n'est pas conforme à la Constitution, il le serait à 20 kilomètres ; une rétention administrative de di x jours viole la Constitution alors qu'elle est régulière jusqu'à sept jours . Est-ce bien au Conseil constitutionnel qu'il appartient de fixer ces limites, d'une façon qu'il faut bien qualifier d'arbitraire? N'est-ce pas plutôt aux élus de l a nation siégeant au Parlement d'un pays démocratique de le faire san s contrôle? Est-ce au Conseil de tracer à 20 %, 20 kilomètres, sept jours, le seui l de l'inconstitutionnalité, n'y a-t-il pas là plutôt une appréciation discrétionnaire des représentants responsables devant le peuple? La limite entr e le contrôle de la constitutionnalité et celui de l'opportunité n'est-elle pa s franchie? N'est-on pas en présence d'une amorce de « gouvernement de s juges » ? D'autres exemples pourraient être relevés ; tous amènent à se demande r si le Conseil va en rester là, s'il n'est pas inévitablement poussé à se forger d e nouveaux instruments pour instituer un contrôle toujours plus contraignant , imposant au législateur élu sa propre conception du sens de la Constitution , de ce qu'elle impose, de ce qu'elle interdit? Le Conseil deviendrait alors u n constituant subsidiaire, soit qu'il définisse le contenu de la Constitution, soi t qu'il assume un rôle d'initiative obligeant le gouvernement et le Parlement à entreprendre des révisions constitutionnelles . Peut-être une façon d'éviter que le Conseil ne fasse trop aisément prévaloir une interprétation de la Constitution opposée à celle des élus serait-ell e d'exiger une majorité qualifiée : six voix, voire sept, pour que l'inconstitutionnalité soit déclarée? Lorsque, par exemple, il y a lors du vote au sein d u Conseil un partage cinq voix contre quatre, c'est bien la preuve que l'hésitation est possible et la constitutionnalité très défendable . Est-il convenable d e désavouer les élus du peuple souverain à une voix de majorité? Cette solutio n demanderait, bien entendu, une révision constitutionnelle .

12 La hiérarchie des normes juridique s Les développements précédents ont mis en présence de règles juridiques, d e normes, édictées ou contrôlées par les différentes institutions étudiées . Ces normes commandent des situations, établissent des procédures, accordent de s droits et imposent des devoirs . On ne peut concevoir qu'elles s'appliquen t dans le désordre ; il est nécessaire que des relations s'établissent entre elles . Aussi certaines sont-elles dotées d'une autorité plus grande que d'autres, qu i leur sont donc subordonnées . Leur ensemble forme le système juridique . C e système est organisé autour d'un classement des normes selon leur degr é d'autorité : il existe une hiérarchie des normes, qu'il faut essayer maintenan t de préciser, en exposant parallèlement les contrôles qui assurent la cohésio n du système et garantissent le respect de l'État de droit . Faute d'organes d e contrôle, la hiérarchie resterait théorique . On retrouvera ici, pour les synthétiser, beaucoup de données déjà étudiées . On sera alors très schématique, se réservant de s'appesantir sur les aspects non encore rencontrés . On partira des normes les plus élevées – c e sont les moins nombreuses et les plus abstraites – pour décrire ensuite le s échelons intermédiaires et la base de la hiérarchie . Pour finir, on traitera d u délicat problème de l'insertion, dans la structure pyramidale ainsi tracée, de s normes internationales, européennes en particulier.

1 . Les normes supra-législatives nationales A. La primauté de la Constitutio n Le système juridique français est subordonné en totalité à la Constitution : elle est l'acte dont la force juridique est la plus grande, la norme suprême . Le

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12'7

LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUE S

LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

sanctionnant les violations de la Constitution par abstention . Les textes sur le s droits de l'homme, le Préambule de 1946 en particulier, prévoient parfois de s interventions positives de l'État (création de services publics sociaux, protection sociale, par exemple) qui supposent une intervention du législateur . Le s particuliers ne disposent d'aucun moyen pour le forcer à agir .

principe n'est pas récent : il date de la Révolution française et de nos premières Constitutions . Mais à l'époque, faisant preuve d'un illogisme certain , d'une part on la rendait particulièrement rigide — façon de la protéger contr e des révisions abusives — et, d'autre part, on rejetait avec force toute forme d e contrôle de la constitutionnalité — façon de lui refuser une protection contr e le législateur. En particulier, il n'a jamais été admis que le juge puisse écarte r dans un litige l'application d'une loi qu'il considérerait comme contraire à l a Constitution (contrôle par voie d'exception, v. p . 128) . En conséquence, l a suprématie de la Constitution était toute théorique . Depuis 1958, avec la création du Conseil constitutionnel, le principe est devenu réalité, et l'action du Conseil a élargi, on l'a vu (v . p . 129), bien au-del à de la Constitution au sens formel, le « bloc de constitutionnalité » . Tout en haut de la hiérarchie, on trouve à ses côtés, sur le même plan, la Déclaratio n des droits de l'homme de 1789, les droits et libertés contenus dans le Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République . À cet élargissement, qui témoigne a u demeurant du souci de protéger le mieux possible les droits civils et politique s des citoyens, on peut voir deux inconvénients : —Les droits ne sont pas toujours énoncés dans les mêmes termes en 178 9 et en 1946 — ainsi le droit de propriété : absolu en 1789, en 1946 il peut fair e l'objet de limitations . D'où des occasions de conflits — en 1982, par exemple, à propos de la nationalisation d'entreprises propriétés privées . Faut-il, pour les régler, établir une hiérarchie entre ces textes, voire reconnaître une supra constitutionnalité ? — Incertitude fâcheuse : il n'existe aucune liste des principes fondamentaux. Est « principe fondamental » ce que le Conseil constitutionnel déclare tel . N'est-ce pas reconnaître à celui-ci un pouvoir insolite, ressemblant fort à un pouvoir constituant? Le Conseil a compris le caractère contestable du rôl e qu'il était amené à jouer et semble avoir renoncé à découvrir de nouvea u « principes fondamentaux » .

B . La garantie de la primauté de la Constitution

LA GARANTIE CONTRE LE GOUVERNEMENT ET LES ADMINISTRATIONS

;tr

Il peut arriver que des décisions réglementaires ou administratives individuelles violent directement la Constitution . Les citoyens peuvent alors forme r devant la juridiction administrative un recours pour excès de pouvoir . II s'agi t d'une procédure simple et efficace dont l'étude relève du droit administratif . Mais il pourra se produire que la violation de la Constitution soit simple ment indirecte, les actes administratifs critiqués étant intervenus en application d'une loi dont l'inconstitutionnalité, bien que réelle, n'a pas été sanctionnée : cette loi s'applique, elle est définitive ; après sa promulgation, l e Conseil constitutionnel ne peut être appelé à la contrôler. Le juge administra tif n'a pas alors le pouvoir de mettre en cause la constitutionnalité de la loi — c'est la théorie de la « loi écran » — et, en conséquence, les décisions adminis tratives inconstitutionnelles ne seront pas annulées . La création d'un contrôl e de la loi par voie d'exception — c'est-à-dire déclenché par la personne à qui o n veut appliquer la loi, pour la faire écarter dans ce litige précis — supprimerai t cette lacune de notre système de protection de la Constitution (v . p . 128) . LA GARANTIE CONTRE LES PARTICULIERS

Les particuliers eux-mêmes peuvent ne pas respecter la Constitution — généra lement en portant atteinte à des droits constitutionnellement protégés . Le juge judiciaire, agissant en sa qualité de « gardien de la liberté individuelle » (article 66) pourra, en se fondant sur la Constitution, sanctionner ces atteintes .

2. Les normes législatives

LA GARANTIE CONTRE LE LÉGISLATEU R

Elle passe par le Conseil constitutionnel et le contrôle de constitutionnalité . On n'y reviendra pas ici . Cependant, il faut souligner que le droit français n e connaît pas de procédure pour contraindre le législateur à agir, c'est-à-dire

La loi se situe, dans la hiérarchie des normes de droit interne, au premie r niveau après la Constitution . Sa protection doit être assurée pour que soit respectée la « légalité » . 1 139



LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUE S

A. Les différents actes à valeur législativ e Toutes les lois sont soumises à la Constitution, mais toutes n'ont pas la mêm e autorité : une hiérarchie s'établit entre elles ; en outre, toutes les normes à valeur législative ne prennent pas nécessairement la forme d'une loi . • La loi organique (v. p . 110) . Le Conseil constitutionnel impose au législateu r ordinaire le respect des lois organiques . Ces dernières forment un échelo n intermédiaire entre la Constitution et la loi ordinaire . Leur supériorité pa r rapport à la loi ordinaire est justifiée par leur procédure d'élaboration, spéciale et relativement contraignante . • La loi référendaire. La loi référendaire se situe sur le même plan que la lo i ordinaire . Le Conseil constitutionnel a confirmé, en 1990, cette assimilatio n contestable – on aurait en effet très bien pu concevoir que la loi votée directement par le peuple l'emporte sur celle approuvée par ses représentants . Aussi le Parlement peut-il abroger ou modifier sans conditions particulière s une loi adoptée par référendum (sauf en matière constitutionnelle car cel a reviendrait à réviser la Constitution en dehors des procédures prévues) . • Les lois de finances (budget), d'habilitation, de ratification d'u n traité . De leur côté, ces lois, même si parfois elles sont élaborées suivant un e procédure spéciale, sont traitées comme des lois ordinaires . Il en est de mêm e des ordonnances après leur ratification explicite par le Parlement .

B. Le respect du

principe de légalité

PAR LE GOUVERNEMENT ET LES ADMINISTRATION S

Pour faire respecter la loi par le gouvernement, ou l'administration, les particuliers, comme les personnes morales, peuvent utiliser le recours pour excès de pouvoir. Et si le délai, relativement bref (deux mois), au cours duquel il es t ouvert, est expiré, ils disposent d'une exception d'illégalité pour s'opposer à l'application qui leur serait faite de l'acte administratif illégal . PAR LES PERSONNES PRIVÉE S

Elles aussi peuvent, dans leur comportement personnel, ne pas respecter l a légalité : le droit met à la disposition de ceux qui seraient lésés les moyens d e rappeler les personnes fautives au respect de la loi . Les litiges entre personnes privées relèvent de la juridiction judiciaire .

3 . Les normes infra-législatives

• Les principes généraux du droit . Enfin, le juge administratif consacr e l'existence de principes généraux du droit, règles non écrites à valeur législative, dont le respect s'impose au pouvoir réglementaire alors que le législateur peut y déroger comme à n'importe quelle loi (ils n'ont donc pas valeu r constitutionnelle comme les principes fondamentaux reconnus par les lois d e la République) . Parmi ces principes, on peut citer le principe de non-rétroactivité des règlements en matière non répressive .

Les normes infra-législatives sont d'origine très diverses et leur nombre est illimité . Les personnes privées élaborant des actes de société, rédigeant des sta tuts d'association, passant des contrats . . . créent ainsi des normes – dans le respect des normes supérieures dans la hiérarchie – s'imposant à leurs auteurs e t parfois même aux tiers (exemples : heures d'ouverture d'un musée privé, fixation du prix des places dans un cinéma) . Le contrôle de la régularité de leu r application appartient aux juges judiciaires . II ne sera pas question d'elles ici ; les cours de droit privé leur sont consacrés . De leur côté, les autorités administratives prennent des mesures réglementaires, à portée générale, qui doivent être en conformité avec la loi et l a Constitution, et sur la base desquelles seront prises des décisions individuelles dont les intéressés peuvent contester la régularité par les voies de droit habituelles : recours pour excès de pouvoir et exception d'illégalité (v. ci-dessus) .

Pour être complet, il faut rappeler que les dispositions matériellement réglementaires contenues dans une loi ne peuvent être modifiées ou abrogées que par une loi, sauf recours aux procédures de l'article 37, alinéa 2 (v. p . 103) .

Si l'on fait l'inventaire des mesures réglementaires, on rencontre : – les ordonnances, du moment où elles sont prises jusqu'à leur ratification explicite . Comme on le sait, si la ratification est implicite, leur nature est mixte : elles ne peuvent être modifiées que par une loi (et sont donc au-des -

• Les mesures prises dans le domaine législatif par le président de l a République sur la base de l'article 16 . Ont valeur législative, quoiqu e n'étant pas formellement des lois, les décisions prises dans le domaine législatif par le président de la République en application de l'article 16 .

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LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

sus des règlements), mais elles sont susceptibles de recours pour excès de pou voir comme les actes administratifs (v . p . 80) ; – les mesures de nature réglementaire prises par le président de la République en application de l'article 16 ; – les décrets délibérés en Conseil des ministres et signés par le Président ; – les décrets pris par le Président en dehors du Conseil des ministres ; – les décrets du Premier ministre ; – les arrêtés interministériels ; – les arrêtés des ministres ; – les arrêtés des autres autorités administratives (préfets, maires, recteurs, etc .) . Là encore, une classification s'opère entre ces actes : ainsi, les décrets que

prend le Premier ministre dans l'exercice de son pouvoir réglementaire autonome ne sont pas, en principe, soumis à la loi, à l'inverse des décrets pris pou r l'exécution des lois . On n'entrera pas ici dans les détails, si ce n'est pour indiquer qu'en règle générale la hiérarchie des normes correspond à la hiérarchie des organes auteurs de ces normes : les arrêtés ministériels, par exemple, n e peuvent déroger aux décrets .

4 . Les normes internationales et européenne s Les normes applicables sur le territoire français ne sont pas toutes d'origin e nationale . Le développement des relations entre États, l'édification de l'Europe entraînent l'établissement, le plus souvent sous une forme conventionnelle – c'est-à-dire avec l'accord des États – de règles juridiques contraignante s pour les pouvoirs publics comme pour les personnes privées . Comment s'insè rent-elles dans le système juridique? La complexité du problème est aggravé e par la diversité des normes en cause : les traités internationaux et les accord s en forme simplifiée d'une part, et, d'autre part, les règles posées de façon uni latérale par les institutions européennes : règlements, directives, décisions, qu i forment le droit communautaire dérivé (par opposition au droit communautaire originaire que constituent les traités fondateurs des Communautés) , obligatoire pour les États membres de l'Union européenne, et qui, par u n mouvement continu, déterminent des aspects toujours plus nombreux de l a vie quotidienne . À quel niveau de la hiérarchie des normes se situent-elles? L a solution de principe est claire et vaut aussi bien pour les traités que pour l e 142

1

droit communautaire dérivé, mais sa mise en oeuvre soulève de nombreuse s difficultés .

A. Le principe La Constitution de 1958 s'inscrit dans la ligne de sa devancière de 1946 e n posant le principe de la soumission du droit interne au droit internationa l conventionnel : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie » (article 55 de la Constitution) . Trois conditions sont mises par l'article 55 à l'application du traité ou d e l'accord sur le territoire national : – leur ratification ou leur approbation régulière . L'article 53 impose l'autorisation du Parlement avant que soient ratifiés ou approuvés certains traité s ou accords (traités de paix, traités de commerce, traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, engageant les finances de l'État, modifiant de s dispositions de nature législative – c'est-à-dire portant sur des matières qu e l'article 34 réserve à la loi –, relatifs à l'état des personnes, comportant cession, échange ou adjonction de territoire) . Tous les engagements internationaux n'ont donc pas à être soumis au Parlement – en particulier, le droit communautaire dérivé lui échappe puisqu'il ne s'agit pas de « traités » ; – leur publication au Journal officiel ; – la réciprocité dans leur application . Lorsque ces conditions sont remplies, le traité a « une autorité supérieure à celle de la loi D . L'énonciation de cette règle ne suffit pas, cependant, à l e situer dans la hiérarchie des normes . Pour les actes émanant des organes de la CEE, leur publication au Journa l officiel des Communautés suffit à les intégrer dans l'ordre juridique français . Mais, ici aussi, il faut se demander à quel niveau .

B. La place des normes internationale s dans la hiérarchie des normes Trois questions se posent : comment situer le traité par rapport à la Constitution? Comment assurer la suprématie du traité sur la loi? Quelle est la plac e des normes communautaires? 1143

LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUE S

LES RAPPORTS DU TRAITÉ AVEC LA CONSTITUTIO N

Reconnaître que le traité est supérieur à la loi laisse entier le problème de s a place par rapport à la Constitution : supérieure, égale, inférieure ? L'existence d'une procédure (article 54 de la Constitution) permettant d e faire vérifier par le Conseil constitutionnel la conformité d'un traité à l a Constitution n'apporte pas d'élément de solution décisif . Un traité contraire à la Constitution n'est pas annulé ; il est en quelque sorte gelé puisqu'il ne peu t être ratifié qu'après révision de la Constitution . On peut cependant e n déduire que le traité n'est pas au-dessus de la Constitution, et même, dans l a mesure où celle-ci continue à s'appliquer – puisque la révision n'est pas automatique – il faut admettre que le traité constitue un échelon intermédiaire entre la Constitution et la loi. De toute façon, le problème est resté jusqu'à présent théorique . Mais i l présente un intérêt crucial – et ne pourra rester indéfiniment sans solutio n concrète – en ce qui concerne les règlements et directives communautaires , qui produisent des effets en France sans exigence de ratification : que faire s i l'une de ces normes viole la Constitution ? LA SOUMISSION DE LA LOI AU TRAIT É

Comment peut-on assurer le respect par le législateur de la supériorité d u traité ? • Tout recours direct contre la loi devant le Conseil constitutionnel es t exclu . Le Conseil, par une décision du 15 février 1975, a estimé qu'il n'étai t pas compétent pour contrôler la conformité d'une loi avec un traité, ses attributions se limitant au contrôle de constitutionnalité. • Le problème peut se poser devant un tribunal de façon indirecte dan s un litige auquel une loi et un traité donnent des solutions différentes . S'il y a contradiction entre la loi et le traité, laquelle de ces normes doit prévaloir ? – Lorsque le traité est postérieur à la loi, il n'est plus contesté depui s longtemps que le premier doit l'emporter . Les juges appliquent sans hésitation l'article 55 (v. p. 143), car ils estiment que la ratification du traité a insér é ce dernier dans l'ordre juridique français et a donc eu pour effet d'abroger l a législation antérieure contraire . – Lorsque c'est la loi qui est postérieure au traité, la situation est plu s délicate et a donné lieu à de vives controverses . En effet, dans ce cas le jug e est invité non pas à appliquer une loi, mais à la censurer, à désavouer le législateur, à déclarer que ce dernier s'est trompé en ne tenant pas compte d u traité . Le juge peut-il contrôler ainsi le Parlement sans violer la séparation des 144 1

pouvoirs? Au surplus, que devient la souveraineté de l'État si le Parlement , expression de ce pouvoir souverain, est lié par les traités? Après bien des hési tations, les deux Cours suprêmes dans l'ordre judiciaire et dans l'ordre administratif – la Cour de cassation et le Conseil d'État – ont fini par admettre l a suprématie, dans ce cas aussi, du traité sur la loi : en 1975 pour la Cour de cas sation (24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre) et, après une résistance plus longue, en 1989 pour le Conseil d'État par le célèbre arrêt Nicolo (20 octobre 1989) . Le principe de supériorité du traité sur la loi est donc main tenant bien établi en droit français . LA PLACE DES NORMES COMMUNAUTAIRE S

Les règlements communautaires ont la même valeur que les traités internationaux et sont directement applicables sur le territoire français dès leu r publication ; le Conseil d'État annule les mesures prises par l'administratio n sur le fondement d'une loi qui leur serait contraire (CE, 24 septembre 1990 , eoisdet, Rec. p . 250) . Ils se situent donc au-dessus de la loi . Quant aux directives et décisions, leur mise en application en France suppose des mesure s d'exécution à la charge des autorités françaises : elles ne sont pas – en général – directement applicables . La nature juridique de ces mesures d'exécutio n variera selon les cas : elle sera soit législative, soit réglementaire . Depuis 1992, le Parlement exerce un contrôle préalable sur les actes com munautaires . En effet, alors que les directives émanant de Bruxelles doivent être introduites dans le droit français, par la loi si elles concernent un e matière législative, les règlements sont, eux, directement applicables e n France sans que le législateur intervienne ; le Parlement est dessaisi . Il l'est d'autant plus que c'est le gouvernement qui négocie avec les institution s européennes en dehors de toute participation des chambres . En face de cette situation, la révision constitutionnelle de 1992 (article 88-4) a prévu que le gouvernement doit soumettre aux assemblées les pro positions d'actes communautaires comportant des dispositions de natur e législative . On redonne ainsi au Parlement une place dans la procédure . La révision du 25 janvier 1999 a encore étendu le droit de regard du Parlemen t puisque le gouvernement peut lui communiquer tout projet, acte ou document émanant de l'Union européenne . Concrètement, dans le premier cas, dès que le Conseil de l'Union est sais i d'une proposition, le gouvernement, après avoir obtenu du Conseil d'État u n avis confirmant la nature législative de l'acte, en informe le Parlement . Le dossier est instruit dans chaque chambre par la Délégation pour l'Union européenne (v. p . 117), laquelle peut proposer le dépôt d'une proposition de réso 1145

LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

lution, faisant connaître son point de vue sur l'acte communautaire, qui ser a examinée par la commission compétente au fond . Celle-ci pourra : soit la rejeter ; soit l'adopter elle-même (ce qui est tout à fait extraordinaire en droi t parlementaire) ; soit la transmettre pour être débattue à l'assemblée e n séance plénière .

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Plusieurs observations : – Ce contrôle a priori – c'est-à-dire avant l'adoption définitive du text e par le Conseil de l'Union – fait l'objet d'une « résolution », c'est-à-dire d'u n voeu qui laisse le gouvernement libre d'en tenir compte ou non, dans se s négociations à Bruxelles . Par principe, le Parlement ne peut donner d'instructions au gouvernement . Cette procédure renforce, certes, l'association du Parlement à l'élaboration des normes européennes, mais les résolutions n'ont pas de force juridique et constituent seulement un moyen de pression politique sur le gouvernement . – La procédure est longue, alors que l'instruction du dossier se poursuit à Bruxelles . Le Parlement n'est pas toujours en session, il peut y avoir urgence ; c'est pourquoi la résolution peut être adoptée en commission . Il existe auss i depuis 1994 une possibilité de « réserve d'examen parlementaire » permet tant de faire suspendre pour un mois à Bruxelles, à la demande du gouvernement, l'examen du texte, afin de donner un délai de réflexion supplémentaire à nos assemblées. – Dans la pratique, les parlementaires usent assez peu du pouvoir d e contrôle a priori dont ils disposent . Pendant la me législature (1997-2002), à l'Assemblée nationale, les commissions ont adopté 34 résolutions et seule ment 8 ont été approuvées par l'Assemblée elle-même en séance publique . Cela s'explique par le fait que les parlementaires sont conscients de ce qu e leurs résolutions n'ont pas de caractère impératif ; aussi, ils laissent le gouvernement libre de négocier à Bruxelles des règles qui seront peut-être contraire s à la législation française . – Par ailleurs, le Parlement a du mal à transcrire dans les lois françaises le s directives européennes ; la France prend beaucoup de retard dans ce domain e et peut être condamnée de ce fait par la Cour de justice des Communauté s européennes (Cour de Luxembourg) . Aussi les assemblées sont-elles conduite s à déléguer leur pouvoir au gouvernement, qui opérera la transcription pa r voie d'ordonnances de l'article 38 (cf. loi du 3 janvier 2001) .

Les autres organe s constitutionnel s

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La Constitution de 1958 évoque aussi le Conseil d'État et la Cour des comptes, leur donnant une existence constitutionnelle . Si on souhaitait un jour supprimer l'un d'eux – idée qui, dit-on, aurait traversé l'esprit du général de Gaull e en 1962 après une décision du Conseil d'État qui avait provoqué sa colère – i l faudrait réviser la Constitution . Surtout, la Constitution crée quatre autres institutions, qui parfoi s conseillent, décident ou jugent .

1 . Le Conseil économique et social Le Conseil économique et social a pour ancêtre le Conseil national économique, créé par un décret de 1925, auquel la Constitution de 1946 devait donner une reconnaissance constitutionnelle . II s'agit d'un organe consultatif dans les domaines économique et social, qui n'est pas une assemblée parlementaire . Un titre de la Constitution, le titre XI, lui est consacré . COMPOSITIO N

Le Conseil est composé de 230 membres désignés pour cinq ans par le gouvernement et par les différentes catégories professionnelles . – Parle gouvernement : il s'agit, en particulier, de 40 personnalités qualifiées dans les domaines économique, social, culturel ou scientifique . Leur dési gnation se fait, à l'occasion, en fonction de critères où la compétence n' a 147

LES AUTRES ORGANES CONSTITUTIONNEL S

LES AUTRES ORGANES CONSTITUTIONNEL S

guère de place : amis politiques en panne de mandat électoral, artistes d e variétés ou leur veuve . . . – Par les différentes catégories professionnelles : salariés, représentant s des entreprises publiques, privées et des professions libérales, organisation s mutualistes, associations familiales . . . Le gouvernement choisit les organisations qui seront représentées et fixe le nombre de leurs sièges, ce qui ne v a pas sans conflits. Les salariés et les agriculteurs apparaissent favorisés . ORGANISATIO N Le Conseil est divisé en neuf sections . Leurs nombre et spécialité ont été fixé s par décret . Ces sections peuvent être complétées par des personnalités extérieures nommées par le gouvernement . Les sections jouent un rôle d'instruction, les avis sont ensuite rendus en assemblée générale. Le Conseil élit so n président et établit son règlement qui doit être approuvé par décret .

des magistrats à la plus haute institution judiciaire, c'est-à-dire à la Cour d e cassation, siégeant, toutes chambres réunies, en Conseil supérieur de l a magistrature . Puis elle a essayé d'associer les magistrats aux procédures d e nomination . La IVe République est allée plus loin en donnant une existence constitutionnelle à un Conseil supérieur de la magistrature . Ses membres étaient élu s par l'Assemblée nationale (6) ou par les magistrats (4) ou désignés par le pré sident de la République (2) . Le Conseil était doté de larges pouvoirs d'administration sur les magistrats et les tribunaux . Mais la présence majoritaire des membres élus par l'Assemblée nationale ou désignés par le président de l a République devait donner à l'institution une fâcheuse coloration politique . La Constitution de 1958 a repris le principe d'un Conseil supérieur de l a magistrature . Mais celui-ci marquait un net retour en arrière par rapport à son devancier, tant en ce qui concerne la procédure de désignation de se s membres que l'étendue de ses pouvoirs . La révision constitutionnelle de juillet 1993 a corrigé un certain nombre d'imperfections .

ATTRIBUTION S Le Conseil ne prend pas de décisions ; ses attributions sont consultatives et ses avis s'adressent au seul gouvernement . La saisine est, selon les cas, obligatoire ou facultative : – le Conseil est obligatoirement consulté sur « tout plan ou tout proje t de loi de programme à caractère économique ou social » ; – il peut être saisi par le gouvernement d'un projet ou d'une propositio n de loi, d'un projet d'ordonnance ou de décret ; – il peut se saisir lui-même pour conseiller le gouvernement sur tout e réforme qui lui paraît utile dans son domaine . L'activité du Conseil est faible. II siège deux jours de suite deux fois pa r mois et rend une vingtaine d'avis tous les ans .

2. Le Conseil supérieur de la magistrature Comment assurer l'indépendance de la justice, la soustraire à l'influence d u pouvoir politique, lui donner un minimum d'autonomie organique? Depuis l a Révolution et pendant tout le xlx e siècle, la soumission de la magistrature a u pouvoir exécutif a été une tradition bien établie . La Ill e République s'est efforcée à plusieurs reprises de réagir . Elle a d'abord confié, en 1883, la disciplin e 148

1

COMPOSITIO N Le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'un e compétente pour les magistrats du siège (ceux qui jugent), l'autre pour le s magistrats du parquet (qui invitent les premiers à décider dans tel sens) . – Pour les magistrats du siège, les 10 membres du Conseil, sont – outre l e président de la République (qui est son président) et le ministre de la Justic e (qui peut le suppléer à sa présidence) – 5 magistrats du siège, un magistrat d u parquet, un conseiller d'État et trois personnalités (ni parlementaires, n i juges) désignées chacune respectivement par le président de la République, l e président de l'Assemblée et le président du Sénat . Les magistrats sont élus pa r leurs collègues . La durée des mandats est de quatre ans . – Pour les magistrats du parquet, la seule différence est l'inversion d e proportions : 5 magistrats du parquet et 1 du siège . ATTRIBUTION S Le Conseil est plus étroitement associé aujourd'hui qu'avant 1993 aux décisions concernant la carrière des magistrats . • La formation compétente du Conseil intervient tout d'abord pour la nomination des magistrats : – Pour les magistrats du siège, il fait des propositions pour les nominations à la Cour de cassation et pour les postes de premier président de Cou r 1 149

LES AUTRES ORGANES CONSTITUTIONNELS

LES AUTRES ORGANES CONSTITUTIONNEL S

d'appel et de président de tribunal de grande instance ; son avis conforme est nécessaire pour les autres nominations (mais ce n'est plus lui qui « propose ») ; en définitive, aucune nomination au siège n'est possible sans son accord . – Pour les magistrats du parquet, le Conseil donne un avis – c'est là l'in novation à leur égard – qui ne lie pas le gouvernement, et il n'est pas consult é sur les postes les plus importants, qui sont attribués en Conseil des ministres .

A . La Haute

La Haute Cour est composée de 24 juges titulaires et de 12 juges suppléants . Les juges sont élus à parts égales en leur sein par l'Assemblée nationale et l e Sénat ; ils désignent leur président et deux vice-présidents . Dans la pratique, il est parfois difficile de constituer la Haute Cour, du fai t de la mauvaise volonté des parlementaires à désigner leurs représentants . Ainsi, en 1989-1990, l'Assemblée nationale a procédé à trois tours de scruti n sans résultat . Comportement condamnable dans la mesure où il permet d e retarder le jugement d'amis politiques, voire de le rendre impossible, jusqu' à ce qu'intervienne une loi d'amnistie dont ils bénéficieront .

Ce statut est, semble-t-il, en sursis . Une révision a en effet été approuvée par le s chambres à la fin de 1998 ; elle n'a toujours pas été soumise au Congrès. Divisé e n deux sections, le Conseil serait composé d'une majorité de personnes sans lien avec l a magistrature et verrait ses pouvoirs renforcés à l'égard du parquet (v . p . 27) .

ATTRIBUTIO N

La Haute Cour juge le président de la République pour haute trahiso n (v. p . 53) . La notion est très floue, ce qui n'est pas sans danger . 1

La tradition française est favorable à la création d'une institution spécial e chargée d'exercer la justice politique, c'est-à-dire de juger les infractions qu i seraient commises par le président de la République et les ministres . On consi dère qu'il n'est pas sûr, en effet, que les juges ordinaires aient la sérénité e t l'indépendance nécessaires pour statuer, il serait préférable, pour eux comm e pour les accusés, de les laisser étrangers à ce genre d'affaires . Au surplus, n'y aurait-il pas quelque chose de choquant au regard de la séparation des pouvoirs à confier à des juges, relevant du « pouvoir » judiciaire, la sanctio n d'actes accomplis par des autorités exécutives ? Le principe a été repris dans la Constitution de 1958, mais la révisio n constitutionnelle de 1993 a dissocié le régime des poursuites contre le Président, qui continuent à relever de la Haute Cour, de celui des poursuites contr e les ministres, qui sont maintenant de la compétence d'une Cour de justice d e la République . 150

1

de justic e

COMPOSITION

• Le Conseil intervient aussi en matière disciplinaire : – Sous la présidence du Premier président de la Cour de cassation, la formation propre aux magistrats du siège joue le rôle d'un conseil de disciplin e à l'égard de ces derniers . – Sous la présidence du procureur général de la Cour de cassation, la formation propre aux magistrats du parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant ceux-ci .

3. La Haute Cour de justice et la Cour de justice de la Républiqu e

Cour

FONCTIONNEMEN T

La Haute Cour est saisie par un vote émis par chacune des Chambres au scru tin public et à la majorité absolue de leurs membres . L'instruction est confiée à une commission d'instruction composée d e membres de la Cour de cassation (magistrats du siège) désignés par so n bureau . Le procureur général de la Cour de cassation est en même temps procureur général de la Haute Cour . La commission décide du non-lieu ou du ren voi à la Haute Cour. Les juges se prononcent ensuite à la majorité absolue . Leur décision es t insusceptible de recours . Ils sont libres de la détermination de la peine . Aucun président de la République n'a jamais été déféré pour trahiso n devant la Haute Cour.

B . La Cour de justice de la Républiqu e Créée par la révision de 1993, elle concerne les ministres, qui relevaient aupa ravant de la Haute Cour (v. p . 74) . 1 ici

LES AUTRES ORGANES CONSTITUTIONNEL S

Conclusion

COMPOSITIO N Les quinze juges de la Cour de justice sont : – 6 députés et 6 sénateurs, élus en son sein par chaque assemblée aprè s chaque renouvellement total ou partiel ; – 3 magistrats du siège de la Cour de cassation, dont l'un assure la présidence de la Cour de justice .

Sur la nature du

système politique françai s ■

Composition mixte donc, avec une forte prédominance des parlementaires. ATTRIBUTION La Cour est compétente pour connaître des crimes et délits commis par u n membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions . FONCTIONNEMENT

La Cour peut être saisie : – soit à l'initiative d'une personne physique (c'est là l'innovation essentielle) ; la plainte est alors adressée à une commission des requêtes qui l a transmet, si elle l'estime sérieuse, au procureur général de la Cour de cassation, lequel pourra saisir la Cour de justice ; il existe donc un double filtre contre les poursuites abusives ; – soit à l'initiative du procureur général de la Cour de cassation lui même, d'office (c'est-à-dire sans plainte d'un particulier) mais après avoi r obtenu un avis conforme de la Commission des requêtes . Cette nouvelle institution marque un progrès en ce sens que les particuliers peuvent maintenant saisir la Cour. Mais, en 1999, l'affaire du sang conta miné, premier dossier sur lequel elle se soit prononcée, a montré les faiblesse s du système : les victimes ne peuvent se porter partie civile, elles n'ont don c pas accès au dossier et ne peuvent se faire représenter par des avocats n i obtenir d'indemnité (il leur faudra aller pour cela devant les tribunaux ordinaires) ; si d'autres personnes sont impliquées (conseillers des ministres), elle s relèvent aussi des tribunaux ordinaires . Enfin, la procédure est longue e t risque de soulever les passions, retirant toute sérénité aux juges . Ne serait-i l pas préférable de confier l'affaire à une formation spéciale de la Cour de cas sation ? Ces règles de responsabilité, et particulièrement la responsabilité du président de l a République, risquent d'être bouleversées, en fonction des suites données aux propositions de la commission Avril (v. p . 53) . 1S7I

Le système constitutionnel de la Ve République rompt avec la tradition républicaine française des régimes dominés par leurs assemblées . Et la pratique a renforcé, ô combien, ce que la Constitution de 1958 contenait en germe : o n souhaitait un exécutif puissant dans un État fort ; en période de fait majoritaire, un exécutif dominateur s'est mis en place sans que l'État ait toujours ét é aussi fort qu'on l'avait souhaité . La transformation progressive de nos institutions a été décrite dans le s pages précédentes . II reste à s'interroger sur la nature du régime français, à s e demander comment le classer par rapport aux systèmes étrangers . Si l'on se réfère à la classification traditionnelle des régimes politiques, i l apparaît d'évidence que la V e République n'entre pas dans la catégorie de s régimes d'assemblée ; en revanche, on peut hésiter à lui reconnaître un carac tère parlementaire ou un caractère présidentiel . En réalité, elle emprunte à l'un et à l'autre : au premier, le bicéphalisme de l'exécutif, la collaboration d u gouvernement et du Parlement, la responsabilité politique de l'exécuti f devant le législatif, la dissolution – le schéma initial est sans conteste d'allur e parlementaire – ; au second se rattachent la prééminence fréquente du Président, son élection au suffrage universel direct, ses pouvoirs propres, sa domination sur le cabinet (hors cohabitation), la quasi-absence de responsabilit é de celui-ci devant l'Assemblée nationale ; il arrive même – mais ne sort-on pa s alors du régime présidentiel? – qu'à certaines périodes, le Président écras e de tout son poids le système et qu'on ait pu parler (F . Mitterrand) de « cou p d'État permanent » ou, de façon moins polémique, de « pouvoir personnel » . En réalité, le débat est sans issue : la ve République est à la fois parlementaire – c'est même son caractère dominant – et présidentielle . C'est pour quoi on a proposé de la rattacher au présidentialisme, au sein duquel elle voisinerait avec nombre d'États africains – ce qui n'est pas déshonorant mais fai t douter de la pertinence du classement : la France reste un régime démocratique, ce qui n'est que rarement le cas des États présidentialistes africains – o u de constituer autour d'elle la catégorie des régimes semi-présidentiels o ù 15 3



LES AUTRES ORGANES CONSTITUTIONNEL S

entreraient aussi la Finlande, l'Autriche, l'Islande, etc ., ce qui n'est que l a simple constatation d'une série de situations intermédiaires entre régime s parlementaires et régimes présidentiels, à partir de laquelle aucune théorisation n'est vraiment convaincante . Au reste, ces efforts de théorisation, pou r estimables qu'ils soient, n'en apparaissent pas moins singulièrement vains . L a classification des régimes politiques, tout le monde en convient, n'a d'intérê t que pédagogique . Les archétypes sont rares et souvent contestés en mêm e temps que, de l'un à l'autre, les frontières sont franchies insensiblement . A u surplus, est-il beaucoup de situations où l'on se soit référé à la nature supposée du régime afin de trancher une difficulté dans le sens imposé par celle-ci ? L'exercice est donc gratuit. Dans le cas français, il est compliqué par le bouleversement de l'équilibr e des forces en présence au gré des variations de la majorité parlementaire . L e pouvoir réel passe des mains du Président à celles du Premier ministre et peut être un jour, renouant avec la pratique des Républiques précédentes, à celle s de la majorité de l'Assemblée nationale . Les cohabitations l'ont montré ave c éclat qui ont ramené le Président tout-puissant de la veille au rôle — finale ment limité à des facultés d'empêcher — à lui fixé par la Constitution . Aussi, en définitive, s'il faut attribuer une étiquette au système de l a Ve République, la meilleure serait peut-être celle de la monarchie républicaine . Les Français confient à leur Président une monarchie élective tempo raire . Ils lui remettent pour cinq ans la charge de défendre les intérêts vitau x permanents de la nation, en l'invitant à se défaire de ses attaches partisane s antérieures pour être incontesté dans ses arbitrages et ses décisions . Ils son t tout disposés en outre à le voir dépasser ces attributions prestigieuses, mai s somme toute étroites, pour indiquer le chemin et prendre la barre lui-même , et pas seulement aux temps de crise — a-t-on assez souligné le goût de no s présidents pour la métaphore maritime . L'arbitre devient alors guide . Mai s rien ne dit que les électeurs veulent lui voir jouer ce rôle et que, malgré le s ajustements institutionnels de 2000-2001 et les résultats des élections de 2002 , ils lui donneront toujours lors des législatives la majorité dont il a besoin pou r le remplir. Le régime serait alors purement parlementaire .

154

Conseils bibliographiques ■ SUR LES RÉGIMES ANTÉRIEURS A 1958

SUR LA CONSTITUTION

Duhamel (Olivier), Histoire constitutionnelle de la France, Le Seuil, 1995 .

Avril (Pierre) et Conac (Gérard), La Constitution de la République française, Textes et révisions, Montchrestien, éd . 1999 . Emeri (Cl .), Bidegaray (Ch .), La Constitutio n en France de 1789 à nos jours, Arman d Colin, 1997 . Carcassonne (Guy), La Constitution, Le Seuil , 6e éd ., 2004. Duhamel (Olivier) et Mény (Yves) [éd .] , Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992 . Formery (Simon-Louis), La Constitutio n commentée, article par article, 8' éd ., 2004 . Luchaire (François) et Conac (Gérard), La Constitution de la République française, Economica, 2 e éd ., 1987 .

Guillenchmidt (Michel de), Histoire constitu tionnelle de la France depuis 1789, Econo mica, 2000 . La Saussay (François de), L'héritage institu tionnel français, 1789-1958, Hachette , coll . "Les Fondamentaux", 2 e éd ., 2002 . Morabito (Marcel), Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Montchrestien , Précis Domat, 7 e éd ., 2002 . SUR LES ORIGINES ET L ' HISTOIRE DE LA V` RÉPUBLIQUE

Avril (Pierre), La Ve République. Histoire politique et institutionnelle, PUF, 1994. Chantebout (Bernard), Brève histoire politique et institutionnelle de la Ve République , Armand Colin, 2004 . Chevallier (J .-J .), Carcassonne (G .), Duhamel (O .), La Ve République, 1958-2002 , Armand Colin, 2002 . Donegani (J .-M .), Sadoun (M .), La Ve République, naissance et mort, Calmann-Lévy, 1998 . Pouvoirs, N° 50, 1789-1989, Histoire constitutionnelle, 1989. Rouvillois (F.), Les origines de la Ve République, 1998 . Travaux préparatoires des institutions de la Ve République, La Documentation française (3 vol ., 1987, 1988, 1991) . Tricot (Bernard), Hadas-Lebel (Raphaël) , Kessler (Marie-Christine), Les institutions politiques françaises, Dalloz-Presses d e Sciences Po, 3' éd ., 1997 .

SUR L'EXÉCUTIF

Ardant (Philippe), Le Premier ministre en France, Montchrestien, coll . "Clefs", 1991 . Massot (Jean), La présidence de la République en France, La Documentation fran çaise, 1986 . Massot (Jean), Chef de l'État et chef du gouvernement, La Documentation française , 1993 . Morabito (Marcel), Le chef de l'État e n France, Montchrestien, coll . "Clefs", 1995 . Pouvoirs, N° 83, Le Premier ministre, 1997 . SUR LE PARLEMENT

Avril (Pierre) et Gicquel (Jean), Droit parlementaire, Montchrestien, Précis Domat , 2e éd ., 1996. Camby (Jean-Pierre), Servent (Pierre), Le travail parlementaire sous la V e République, LGDJ, 4e éd ., 2000 . 1

15 5



CONSEILS BIBLIOGRAPHIQUES

Jan (Pascal), Le Parlement de la Ve Répu blique, Ellipses-Marketing, 2000 . Maus (Didier), Le Parlement sous la 1/e Répu blique, PUF, coll . "Que sais-je ?", 1996 . Pouvoirs, N° 34, L'Assemblée, 1985 . Pouvoirs, N° 44, Le Sénat, 1988. Pouvoirs, N° 63, Le Parlement, 1993 .

Chagnollaud (Dominique) et Quermonne (Jean-Louis), La Ve République, 4 volumes , Flammarion, Champs, 2001 . Duhamel (Olivier), Le pouvoir politique e n France, Seuil, 5e 6d ., 2003 . Lavroff (Dmitri-Georges), Le droit constitutionnel de la Ve République, Dalloz, 3e éd . , 1999 . Mény (Yves), Le système politique français, Montchrestien, éd . 2000 .

SUR LES PARTIS

Ysmal (Colette), Les partis politiques sous la Ile République, Montchrestien, 1990 .

SUR L'ACTUALITÉ

Cohendet (Anne-Marie), La cohabitation : leçons d'une expérience, PUF, 1993 . Gouaud (Christiane), La cohabitation , Ellipses Marketing, 1996. Maus (Didier), La pratique constitutionnelle de la Ve République, La Documentation française, 1998 . Pouvoirs, N° 91, La cohabitation, 1999. Pouvoirs, N° 99, La nouvelle Ve République , 2001 . Quermonne (Jean-Louis), L'alternance , Montchrestien, 2003 . Revue du droit public et de la science politique, N° spécial, La Vie République, LGDJ , 2002 .

SUR LE CONSEIL CONSTITUTIONNE L

Avril (Pierre) et Gicquel (Jean), Le Conseil constitutionnel, Montchrestien, 4e éd .,

1998 . Camby (Jean-Pierre), Le Conseil constitutionnel, juge électoral, Dalloz Études,

2004 . Drago (Guillaume), Contentieux constitutionnel français, PUF, 1998 . Favoreu (Louis), Le Conseil constitutionnel, PUF, coll . "Que sais-je ?" . Favoreu (Louis), Recueil de jurisprudence constitutionnelle, Litec, 1994 (avec mises à jour) . Favoreu (Louis) et Philip (Loïc), Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 12e éd ., 2003 . Genevois (Bruno), La jurisprudence du Conseil constitutionnel, 5TH, 1988 . Luchaire (François), Le Conseil constitutionnel, Economica, 3 tomes, 2 e éd ., 1998 ; tome IV : mise à jour des trois volumes,

On se référera aussi avec profit aux études e t rubriques spécialisées de : - les Cahiers du Conseil constitutionnel , Dalloz (depuis 1997) , - la Revue du droit public et de la science politique, - Pouvoirs, revue française d'études poli tiques et constitutionnelles (depuis 1977), - la Revue française de droit constitutionne l (depuis 1990) ;

2002 . Pouvoirs, N°' 13 et 105, Le Conseil constitutionnel, 1991 et 2003 . Rousseau (Dominique), Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien , 6e éd ., 2001 . Roussillon (Henri), Le Conseil constitutionnel, Dalloz, 4 e éd ., 2000 . Turpin (Dominique), Le Conseil constitutionnel. Son rôle, sa jurisprudence, Hachette, coll . "Les Fondamentaux", 2 e éd ., 2000 .

156

Index alphabétique

SUR LES INSTITUTIONS DANS LEUR ENSEMBLE

ainsi qu'au Code constitutionnel de Thierry Renoux et Michel de Villiers, Litec, 1994, ave c mises à jour.

Nota : les numéros renvoient aux pages.

Algérie, 10-11, 19, 40, 84 . alternance, 43, 87. amendement, 108-109 . Amsterdam, 27, 60, 126 . arbitrage : - du Président, 56 . - du Premier ministre, 82 . Armées, 62, 82 .

Bayeux (discours de), 14-15 . bicaméralisme, 8, 15, 89-93 . bipolarisation, 30, 42-43 . bloc de constitutionnalité , 129-130 . bureau des Assemblées, 97 . cabinet, 75, 77-88 . campagne électorale, 38, 48 . chef des Armées, 62 . cohabitation, 29-32, 69, 86-

88.

collectivités territoriales, 35, 40, 93 . Comité consultatif constitutionnel, 17 . commission mixte paritaire (CMP), 109 . commissions parlementaires : - législatives, 106-107 . - d'enquête, 115-117 . Communauté française, 33 -

34 . conférence des Présidents, 97-98 . 1

Congrès, 22 . Conseil constitutionnel, 26, 28, 36, 47, 49, 60, 83, 103104, 121, 136, 138-139 . Conseil des ministres, 64, 75 , 78 . Conseil économique et social, 147-148 . conseils interministériels , 76 . Conseil supérieur de la magistrature, 27, 66, 148-

150. contreseing, 52, 57, 61, 81 , 82 . Cour de justice de la République, 28, 74, 152 . cumul des mandats, 16, 73, 94. décentralisation, 35 . déclaration de politiqu e générale, 113 . défense nationale, 61-62 , 79, 82 . délégation législative, 80 -

81 . délégations parlementaires, 117 . dissolution, 8, 51, 58, 88 . domaine réservé, 84-85 . droit de grâce, 66 . dyarchie, 30, 78, 88 . erreur manifeste, 132 . État de droit, 35-37 . état de siège, 79 . Europe, 34, 41, 120, 145 , 146 . 1

15 7

fait majoritaire, 29-30, 42 , 85-87 . fonction présidentielle, 56-

57.

gouvernement des juges , 135-136 . groupes parlementaires, 98 .

Haute Cour de justice, 53, 151 . haute trahison, 53, 151 . hiérarchie des normes, 137 145 . immunités parlementaires, 95-96 . incompatibilités, 73, 94-95, 124 . inéligibilités, 90 . intérim, 51 . investiture, 71 . irrecevabilité, 103, 107 .

justice, 56, 65, 66, 148-150 . libertés publiques, 13, 26, 36, 129-131, 138 . loi, 101-112 . loi de financement de la sécurité sociale, 111 . loi de finances, 111, 140. loi d'habilitation, 80 . loi expérimentale, 112 . loi organique, 110, 140 .

Maastricht (traité de), 27 , 41, 120, 145. message (droit de), 57 .

INDEX ALPHABÉTIQU E

ministres, 70-71, 72-74, 81 . motion de censure, 118-120 .

navette, 22, 109 . normes de référence, 129 . nouvelle délibération de l a loi, 63 . ordonnance, 64-65, 79-81 , 111 . ordre du jour : - du Conseil des ministres, 75, 88 . - du Parlement, 100, 107 . - des sessions extraordinaires, 98.

parlementaires : 105 . - élection, 90-92, 124. - statut, 94-96 . partis politiques, 41-44 . politique étrangère, 62, 120. pouvoir judiciaire, 56, 65, 148 . pouvoir réglementaire, 6465, 83, 141-142 . pouvoirs de crise, 59-60, 79, 124, 140 . Préambule : - de la Constitution de 1946, 129-130. - de la Constitution de 1958, 129 .

Premier ministre, 57, 64, 67 69, 81-88, 105 . présidence des Assemblées , 97 . président de la République , 26, 28, 45-66, 121, 122 , 127 . principes à valeur constitutionnelle, 129 . promulgation de la loi, 63 . Quatrième République, 8 11, 42, 59 . question de confiance, 117 118 .

questions parlementaires, 114-115 . question préalable, 107 . quinquennat, 26, 50-51 . rationalisation du parlementarisme, 16 . référendum, 18-19, 38-41 , 54, 59, 124, 140 . règlement des Assemblées, 125 . relations extérieures, 61-62 . renvoi en commission, 107 . représentation proportion nelle, 92 . réserves d'interprétation , 133 . résolutions, 96, 146 .

158

1

responsabilité politique : 53 54, 69, 72, 79, 93 ; - du Président, 52-54 . - du gouvernement, 117120 .

révision de la Constitution, 13-14, 16, 21-28 . Sénat, 22, 26, 35, 40, 91-93, 109 . septennat, 50 . sessions parlementaires, 27, 63, 98-99. sondages électoraux, 48. souveraineté, 34 . stabilité gouvernementale, 9. suppléant parlementaire, 27, 73, 90 . traités internationaux, 126 , 142-146 . Union européenne, v. Europe. vacance, 51 . veto, 63. vote bloqué, 108 . vote personnel, 100 .