De la Ve République à la Constitution de la Liberté [PDF]


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Table of contents :
Couverture ......Page 1
Du même auteur ......Page 3
Charles Coquelin (1802-1852)......Page 4
Introduction générale: Les institutions en crise......Page 12
I - LES GRANDS PRINCIPES LIBERAUX ......Page 14
Introduction : « superstructure » ou « infrastructure » ? ......Page 16
Le Pouvoir et les « pouvoirs » ......Page 17
La souveraineté......Page 24
Les droits de l'homme......Page 25
L'Etat de droit et l'état de Droit......Page 26
B - La liberté et la subsidiarité ......Page 28
La liberté......Page 29
La subsidiarité......Page 32
Conclusion : La « neutralité » de la constitution ......Page 39
II - LA Ve REPUBLIQUE ET LE LIBERALISME......Page 44
La loi constitutionnelle du 3 juin 1958......Page 46
Les idées des constituants......Page 49
Le texte de la Constitution......Page 52
Le biais originel ......Page 56
La continuité socialiste ......Page 58
Les fossoyeurs du libéralisme ......Page 59
Conclusion : L'échec de la Ve République ......Page 63
III - DE FAUX REMEDES......Page 64
A - Les réformes suggérées ......Page 66
La gauche et la VIe République ......Page 67
L'immobilisme revendiqué de la droite......Page 72
L'immobilisme larvé du centre......Page 77
Les comités de réforme de la Constitution......Page 78
L'inflation constitutionnelle......Page 87
Le désordre accru......Page 94
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008......Page 95
Conclusion: Des réformes par le bout de la lorgnette......Page 103
IV - UNE CONSTITUTION LIBERALE......Page 106
Introduction: Comment élaborer une bonne constitution......Page 108
Les droits et libertés de l'individu......Page 109
La sphère étatique......Page 110
La « séparation des pouvoirs » horizontale ......Page 111
La « séparation des pouvoirs » verticale ......Page 128
La constitution économique ......Page 132
Conclusion générale: Demain, la constitution libérale ......Page 138
Bibliographie choisie ......Page 140
Remerciements ......Page 152
Table des matières ......Page 154
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De la Ve République à la Constitution de la Liberté [PDF]

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Jean-Philippe FELDMAN

DE LA Ve REPUBLIQUE ALA CONSTITUTION DE LA LIBERTE

INSTITUT CHARLES COQUELIN PARIS

Du même auteur: Ouvrage:

La Bataille américaine du fédéralisme. John C. Calhoun et l'annulation (1828-1833), Paris, P.U.F., 2004. Édition: Thomas Jefferson, Écrits politiques, Paris, Les Belles Lettres, 2006. En collaboration: Joël Andriantsimbazovina et al. (dir.), Dictionnaire des droits de l 'homme, Paris, P.U.F., 2008.

Denis Alland & Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de culture juridique, Paris, Lamy/P.U.F., 2003. Elisabeth Zoller avec la collaboration des chercheurs du Centre de Droit américain, Grands Arrêts de la Cour suprême des ÉtatsUnis, Paris, P.U.F., 2000

Cet ouvrage est publié par les Editions Charles Coquelin Dépôt légal: 3ème trimestre 2008 I.S.B.N.: 2-915909-19-7

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Charles Coquelin (1802-1852) Surtout connu pour son fameux Dictionnaire de l'Economie Politique, Charles Coquelin a contribué de façon décisive au progrès de la science économique au 19ème siècle. Né à Dunkerque le 25 novembre 1802, il fait ses études au lycée de Douai et part terminer à Paris ses études de Droit. Avocat inscrit au barreau, il décide de se consacrer à l'Economie Politique. Il écrit deux livres sur l'industrie du lin dans laquelle, à l'instar de lB. Say, il a travaillé quelques années, Essai sur la filature mécanique du lin et du chanvre (1840) et Un nouveau traité complet de la filature du lin et du chanvre (1846). Il donne d'excellents articles économiques à une série de revues telles que Les Annales du Commerce, Le Temps, Le Monde, Le Droit, Le Libre Echange, Jacques Bonhomme, La Revue des Deux Mondes et le Journal des Economistes et publie deux autres ouvrages consacrés aux banques, Des banques en France (1840) et Du crédit et des banques (1848). Puis Gilbert Guillaumin lui confie la tâche difficile de diriger l'édition du Dictionnaire de l'Economie Politique. Sa contribution la plus originale et la plus durable concerne l'analyse de la conjoncture économique. Vingt-quatre ans avant Clément Juglar celui-ci lui succéda au Journal des Economistes, il constate l'aspect « récurrent» et « périodique» des crises commerciales. Il explique que ces crises à caractère industriel et périodique ne sont pas inhérentes au système du libre marché, mais au contraire qu'elles trouvent leur source dans l'intervention de l'Etat en matière monétaire. En attribuant des privilèges et des monopoles exclusifs à certaines banques, celui-ci perturbe les acteurs économiques par des fluctuations intempestives du crédit bancaire. De là provient le double défaut de la création d'injustices et de l'instabilité conjoncturelle. Fondé le 3 mars 1984, l'Institut Charles Coquelin a pour but de faire connaître non pas telle ou telle œuvre de cet auteur mais l'ensemble de ses contributions et l'influence considérable qu'elles eurent sur la théorie moderne de la monnaie, du crédit et de la conjoncture. Ses analyses l'amenèrent, dans sa recherche de la prospérité pour tous, à demander le libre-échange, une profonde réforme du droit des sociétés menant à l'extension des investissements, et donc à la croissance économique, ainsi que la suppression des privilèges et monopoles exclusifs freinant et perturbant l'industrie bancaire. Libre-échange, droit des sociétés et liberté d'établissement des banques, telles furent inlassablement ses demandes. Huit ans après sa mort, survenue brutalement le 12 août 1852, elles furent largement adoptées (1859-63) et ouvrirent à la France le progrès économique que la Grande Bretagne connaissait déjà depuis longtemps. L'Institut Charles Coquelin publiera les ouvrages des principaux économistes antérieurs ou contemporains de Charles Coquelin ainsi que les travaux modernes qui prolongent et complètent ses analyses. L'Institut remercie à l'avance ceux qui apporteront critiques, commentaires et suggestions. Site: www.freewebs.com/institutcharlescoquelinL E-mail: [email protected] (envoi de bons de commande par e-mail sur demande)

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Editions Charles Coquelin

Ouvrages déjà parus Collection Science économique et Liberté Ludwig von Mises, La Bureaucratie, 2003 Jacques de Guenin, Attac ou l'intoxication de personnes de bonne volonté, 2004 Gérard Minart, Jean-Baptiste SAY (J 767-1832) Maître et pédagogue de l'Ecole française d'économie politique libérale, 2005 Henry Hazlitt, L'économie politique en une leçon, 2006 Ludwig von Mises, Les problèmes fondamentaux de l'économie politique, 2006 Ludwig von Mises, Politique économique, 2006 Jacques de Guenin, Logique du libéralisme, 2006 Murray Rothbard, La Monnaie et le gouvernement, 2006 Ludwig von Mises, Le Libéralisme, 2006 Murray N. Rothbard, L 'Homme, l'Economie et l'Etat (en cinq tomes) Gérard Minart, Actualité de Jacques Rueff, Le Plan de redressement 1958 Jésus Huerta de Soto L'Ecole Autrichienne, marché et créativité entrepreneuriale, 2008 José Pidera, Le taureau par les cornes, 2008 Jean-Philippe Feldman De la Ve République à la Constitution de la Liberté, 2008

Collection Débats Jean-Luc Migué, Santé publique, santé en danger, (conçu par l'Institut Turgot), 2005 Florence Guernalec, Panorama de la pensée unique 2006

Ouvrages à paraître Ludwig von Mises, Le Fondement ultime de la science économique Ludwig von Mises, La théorie de la monnaie et du crédit Gustave de Molinari, Ultima verba Boris Brutzkus, U.R.S.S. terrain d'expériences économiques Charles Coquelin, Les Crises Commerciales Ludwig von Mises, Le Socialisme Ludwig von Mises, L'Action Humaine Gustave de Molinari, Economie de l 'Histoire, Théorie de l'Evolution Dictionnaire de l'économie politique Edité par Ch. Coquelin et G. Guillaumin IV

Les Œuvres complètes de Ludwig von Mises La Théorie de la Monnaie et du Crédit (1924, [1912)) Nation, Etat et Economie (1919) Le Socialisme (1938, [1922)) Le Libéralisme (1964, 1985 [1927]) Stabilisation monétaire et politique cyclique (1928) Critique de l'interventionnisme (1929) Les Problèmes fondamentaux de l'économie politique (2006, Les Illusions du protectionnisme et de l'autarcie (1938) Souvenirs d'Europe (1978, [1940)) L'Interventionnisme (1940) Le Gouvernement omnipotent (1947, [1944)) La Bureaucratie (2003, [1944]) Le Chaos du planisme (1947) Notes sur le mouvement coopératif(1947) L'Action humaine (1985, [1949]) Planifier la liberté et autres essais (1980, [1952]) La Mentalité anti-capitaliste (1956) Théorie et Histoire (1957)

[1933])

Les Débuts historiques de l'Ecole économique autrichienne (1962)

Le Fondement ultime de la science économique (1962) Le Choc des intérêts de groupe et autres essais (1978) Politique économique (2006, [1979]) Monnaie, méthode et marché (1990) Liberté économique et interventionnisme (1990) Les titres en gras indiquent les traductions déjà publiées par les Editions Charles Coquelin

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Jean-Philippe FELDMAN

DE LA Ve REPUBLIQUE ALA CONSTITUTION DE LA LIBERTE

INSTITUT CHARLES COQUELIN PARIS

« C'est en cherchant à instruire les hommes, que l'on peut pratiquer cette vertu générale qui comprend l'amour de tous» Montesquieu, De l'esprit des Lois l, Victor Goldschmidt (éd.), GF -Flammarion, 1981, préface, p.116.

« Avant d'instruire, il faut commencer par détromper» Ibid., II, VI, XXX, XVI, p.330.

« Les esprits, dites-vous, ne sont pas encore disposés à vous entendre, vous allez choquer beaucoup de monde? Ille faut ainsi: la vérité la plus utile à publier n'est pas celle dont on était déjà assez voisin, ce n'est pas celle que l'on était déjà prêt d'accueillir. Non, c'est précisément parce qu'elle va irriter plus de préjugés et plus d'intérêts personnels qu'il est plus nécessaire de la répandre » Emmanuel Sieyès, Qu'est que le Tiers-Etat ?, préf. Jean-Denis Bredin, Flammarion, 1988, p.183.

Introduction générale: Les institutions en crise

Longtemps confinées au cénacle plus ou moins confidentiel des constitutionnalistes, les institutions françaises font l'objet de débats de plus en plus nourris. Certes, lors de chaque élection présidentielle, tous les sept ou maintenant cinq ans, l'exercice obligé du candidat comprend la rénovation de la République. Chacun y va de son ordonnance, la potion est plus ou moins amère, mais les lieux communs s'accumulent: rénover le Parlement, élargir le champ du référendum, modifier ou supprimer le Sénat, changer le mode de scrutin... Ces propositions, parfois censées ou judicieuses, insistent sur le nécessaire rééquilibrage des « pouvoirs» en soulignant l'insuffisance des attributions réelles de la ou des chambres législatives. Mais le jeu est biaisé. Comment peut-on concevoir qu'un candidat au poste suprême lutte pour la diminution pour l'influence du Président de la République? Le hara-kiri n'est pas une tradition française. Trop souvent, les hommes prennent le pas sur les programmes, l'arrivisme sur la compétence, la victoire finale sur les idées. Quand bien même un candidat « désintéressé» ne manquerait-il pas de bon sens, quand bien même prônerait-il des réformes sporadiquement opportunes, il pourrait manquer lui aussi l'essentiel. C'est de cet « essentiel» qu'il sera ici question avant tout. Vie politique bloquée, abstentionnisme galopant, montée inquiétante des extrêmes, représentation déficiente, « harcèlement textuel»: la situation française fait penser, à tort ou à raison, à un pays qui se complaît dans l'immobilisme. De l'avis général, les institutions fonctionnent de plus en plus mal. Le plan adopté part de ce constat accablant: les institutions françaises sont en crise. C'est que les grands principes libéraux ont été oubliés, au premier rang desquels le constitutionnalisme dont le terme n'est plus guère compris, même et peut-être surtout par les juristes. Il n'y a évidemment pas de réforme ou de rénovation possible si l'on ne fait pas retour au préalable sur ces principes essentiels (1). Dès lors qu'on les confronte aux institutions actuelles, celles de la Ve République, on comprend pour quelles raisons la Constitution de 1958 est si profondément défectueuse. Elle s'analyse comme une constitution antilibérale. D'un antilibéralisme originel, foncier, consubstantiel aux rédacteurs du texte, mais plus encore accusé par une pratique délétère et constante dans ses errements (II). Le fait que les institutions de la Ve République soient en

crise n'est plus guère contesté, à quelques exceptions près. Au regard de ce constat, de multiples remèdes ont été concoctés depuis quelques années. Plusieurs furent effectivement appliqués, la plupart sont restés dans les limbes, mais dans tous les cas, ces remèdes apparaissent inadaptés, insuffisants, voire néfastes (III). On sait depuis Boileau que si la critique est aisée, l'art est difficile. Dénigrer pour dénigrer ne mène à rien. Mais Frédéric Bastiat n'hésitait pas à écrire: « Je pense que détruire une erreur, c'est édifier la vérité contraire. »' La critique ne devient légitime que lorsqu'elle s'insère dans un processus de découverte, lorsqu'elle a, diraient les plus précieux, une vertu heuristique. L'art constitutionnel est effectivement difficile, mais si l'on garde à l'esprit les grands principes, il est possible de dessiner le cadre d'une constitution authentiquement libérale, une constitution dont la mise en œuvre serait inédite dans l'histoire de France (IV).

l Frédéric Bastiat, Sophismes économiques. Paris, Les Belles Lettres, 2004, 1ère série, introduction, p. 43.

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1 - LES GRANDS PRINCIPES LIBERAUX

Introduction: « superstructure» ou « infrastructure» ? L'opposition construite par les marxistes entre «superstructure» et « infrastructure» est bien connue. En un mot, les forces productives, i.e. la puissance de l'homme sur la nature, engendrent des rapports de production, i.e. notamment la division du travail, la technique et les rapports de propriété. Forces productives et rapports de production constituent l' « infrastructure ». Celle-ci détermine la « superstructure », i.e. entre autre le Droit, les institutions, la morale, l'art, si bien que la politique n'est qu'un reflet des rapports de production. Marx et Engels furent pour cela accusés d' «économisme ». La même critique se retrouve à l'encontre de bon nombre de penseurs libéraux. Cela ne surprend pas. On sait que les fondateurs du marxisme furent nourris des lectures des « économistes », i.e. selon le vocabulaire de l'époque des penseurs libéraux de l'économie. La Vulgate libérale considère que la question institutionnelle est mineure, voire dérisoire, pour ne pas dire incongrue. Ce qui importerait uniquement, ce serait la libération de la sphère économique. Autrement dit, la question des institutions est traitée de manière négative, comme un exemple de « constructivisme)) - reprise hors de son contexte d'une formule rendue célèbre par Hayek, et selon laquelle toutes les institutions sociales sont et doivent être le produit d'un dessein délibéré- 2 • Toutefois, même au sein de la pensée dite libertarienne, l'idée s'est fait jour que la Constitution n'était pas un sujet anodin. Au minimum, elle est susceptible d'entraver la bonne marche de la sphère de l'échange, i.e. de la «catallaxie )). Une mauvaise constitution, des institutions défectueuses constituent un facteur de blocage des libres initiatives individuelles. Autrement dit, une bonne constitution ne garantit pas la prospérité d'un pays, mais une mauvaise l'interdit ou, à tout le moins, la contrecarre. Il n'est pas anodin de se souvenir que lorsque De Gaulle revint au pouvoir en 1958 pour résoudre la crise algérienne, la première réforme qu'il opéra fut la rénovation des institutions. Si les remèdf:s couramment proposés à la crise des institutions de la Ve République sont inefficaces, c'est que leurs concepteurs dédaignent, ou pis

2 Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d'économie politique, trad. Raoul Audouin, Paris, P.U.F., vol. l, 1980, p. 6.

ignorent, les grands principes libéraux: le constitutionnalisme, d'une part ; la liberté et la subsidiarité qui lui sont attachées, d'autre part. A - LE CONSTITUTIONNALISME

Le premier grand principe libéral est le constitutionnalisme. Ce concept se retrouve sous la plume de certains juristes, mais trop souvent sous une forme édulcorée et réductrice. Il ne se réduit pas au contrôle de constitutionnalité des lois, comme on le proclame si fréquemment, mais joue aussi et avant tout sur les rapports entre le Pouvoir et les « pouvoirs ». Une saine compréhension du constitutionnalisme suppose une triple clarification conceptuelle sous forme d'oppositions: souveraineté de l'individu contre souveraineté de l'Etat; droits de l'homme contre droits de l'Etat; enfin, état de Droit contre Etat de droit. - Le Pouvoir et les « pouvoirs»

User du terme «constitutionnalisme» provoque fréquemment des haussements de sourcils, même de juristes confirmés. Au-delà de l'incompréhension, ce mot suscite la mécompréhension. Les définitions du constitutionnalisme varient suivant que l'on adopte un point de vue classique ou moderne. Classiquement, le constitutionnalisme désigne un système de contrepoids à l'exercice du Pouvoir 3. De manière moderne, il renvoie à l'indispensable contrôle de constitutionnalité des lois 4 qui permet de limiter le législatif 5. Ces définitions ne sont pas satisfaisantes. Non pas qu'elles seraient fausses - chacun des points évoqués apparaît d'un indéniable intérêt -, mais elles sont parcellaires. Le constitutionnalisme est le plus souvent décrit comme le fait que les « pouvoirs» soient séparés. Selon une vieille tradition, quintessenciée par Howell A. Lloyd, « Le constitutionnalisme » in James Henderson Burns avec la collaboration de Mark Goldie (dir.), Histoire de la pensée politique moderne. 1450-1700, trad. Jacques Métrard & Claude Sutto, Paris, P.U.F., 1997, p.230. 4 Michel Troper, «Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit» in Terence Marshall (dir.), Théorie et pratique du gouvernement constitutionnel: la France et les Etats-Unis, La Garenne-Colombes, Ed. de l'Espace européen, 1992, p.35. 5 Philippe Raynaud, «Constitutionnalisme» in Denis Alland & Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de culture juridique, Paris, LamylP.U.F., 2003, p.266. 3

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Montesquieu, mais déjà développée entre autres par Aristote, il existe dans chaque cité ou Etat différents pouvoirs. Ceux-ci varient suivant les auteurs, mais ils sont depuis longtemps figés au chiffre de trois: exécutif, législatif et judiciaire. Pour que le Pouvoir ne puisse abuser du pouvoir, il faut que ces «pouvoirs» soient séparés, rigoureusement dit-on. Toujours selon la vulgate, la « séparation des pouvoirs» permet de distinguer les deux grands types de régime politique démocratique que sont les régimes dits parlementaire et présidentiel. Le régime parlementaire serait un régime de séparation souple des pouvoirs, i.e. de collaboration des pouvoirs. Chacun des pouvoirs détiendrait des armes puissantes à l'encontre des autres pouvoirs. Surtout, le droit de dissolution, qui appartient à l'exécutif, contrebalancerait la responsabilité du gouvernement devant les chambres. Le régime présidentiel, lui, serait un régime de séparation rigide des pouvoirs. L'exécutif ne pourrait empiéter sur le législatif, et inversement. Quel que soit le type de régime, les abus de pouvoirs se trouveraient jugulés par la bonne répartition des pouvoirs. Voilà synthétisée en quelques lignes la doctrine de la «séparation des pouvoirs» tirée, paraît-il, de l'œuvre de Montesquieu, doctrine qui se retrouve aujourd'hui chez certains constitutionnalistes et moult hommes politiques. De bons auteurs ont fait litière depuis bien longtemps de cette interprétation. Le travestissement de la pensée de Montesquieu est total. Celui-ci n'a pas usé de l'expression de « séparation des pouvoirs» ; il n'a jamais défendu une séparation rigide des puissances qu'il a mises en lumière. Lorsqu'il a fait le dithyrambe du régime anglais, il a pris soin des poids et contrepoids internes au Parlement, i.e. la réunion du monarque et des deux chambres. La «séparation des pouvoirs» se traduit plus exactement par la distribution des fonctions de l'Etat à des organes distincts, plus ou moins interdépendants suivant le type de régime. C'est pour ne l'avoir point compris que les Constituants français de 1848, imitateurs naïfs du système américain, se sont fourvoyés. Selon la Vulgate, un Etat est soumis à la règle dite de la spécialisation. Il exerce différentes fonctions: faire la loi, l'exécuter, trancher les litiges, et ces fonctions doivent être exercées par des organes, eux-mêmes spécialisés. Un Etat est aussi soumis à la règle de l'indépendance. Ces organes spécialisés doivent être indépendants afin que les «pouvoirs» se fassent équilibres, si bien que la liberté des citoyens sera sauvegardée. En réalité, ni l'indépendance, ni la spécialisation ne sont totales. La spécialisation des

Il

fonctions comme l'indépendance rigoureusement établies en pratique.

des

organes

ne

sont

jamais

De plus, dans un régime parlementaire, la séparation entre une fonction législative et une fonction exécutive devient l'Arlésienne. De nombreux auteurs, de Walter Bagehot dans les années 1860 au doyen Vedel en 1958, ont souligné que les deux fonctions fusionnaient en réalité dans une fonction gouvernante: la majorité parlementaire et le gouvernement sont étroitement liés. Dès lors, la fonction législative ne se distingue pas de la fonction exécutive. C'est la majorité qui fait face à l'opposition. Les constitutionnalistes de gauche en concluent que la « séparation des pouvoirs» est un mythe libéral et que le bébé doit être jeté avec l'eau du bain ... La « séparation des pouvoirs» bien entendu fait partie du constitutionnalisme. Mais il ne s'agit que de l'une de ses facettes qui, par surcroît, n'est pas la plus importante. Historiquement, le constitutionnalisme est ce vaste mouvement des Lumières qui entend briser l'arbitraire royal en substituant aux constitutions coutumières des constitutions écrites. La distinction, généralement présentée de manière tranchée, entre constitutions écrites et constitutions coutumières doit être nuancée. D'abord, une constitution coutumière comporte souvent de nombreux documents. Certes, des règles essentielles restent coutumières, mais ce qui sépare constitution écrite et constitution coutumière, c'est qu'une constitution écrite soit contenue dans un document unique - qui au demeurant peut renvoyer à d'autres textes ... - et non pas à un ensemble de textes épars. Ensuite, une constitution écrite ne peut tout prévoir, si bien que des règles coutumières ou la pratique politique viennent en combler ses lacunes. La lutte contre l'arbitraire signifiait que le souverain ne pouvait plus régner selon son bon plaisir, mais qu'il se trouvait dorénavant enserré par des règles claires, précises et connues de tous. Le gouvernement devait être régi « par les lois et non par les hommes »6, selon une idée déjà développée par Tite-Live. Entendu de manière moderne, le constitutionnalisme signifie que toute constitution, en tant que loi suprême et fondamentale, doit non seulement agencer les « pouvoirs », mais encore encadrer le Pouvoir. Il comporte donc deux caractéristiques principales. La 6 David Hume, «De la liberté civile» in Id., Essais moraux, politiques et littéraires, et autres essais, Gilles Robel (éd.), Paris, P.U.F., 2001. pp.234-235. V. Edouard Laboulaye, L'État et ses limites, Paris, Charpentier, 1863, p.86.

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première est rappelée à foison: les pouvoirs doivent être séparés, selon une formule aussi simpliste que convenue. Le constitutionnalisme américain a brillamment mis en pratique les freins et contrepoids nécessaires au bon fonctionnement des institutions. La seconde caractéristique est, elle, le plus souvent oubliée. Il ne suffit pas de répartir les «pouvoirs », encore faut-il encadrer le Pouvoir, quel qu'en soit son détenteur. La Liberté serait vaine si tous les «pouvoirs» se coalisaient. Il faut donc que la somme de leurs attributions ne permette pas de limiter, voire de détruire la Liberté. Telle est la seconde et fondamentale caractéristique du constitutionnalisme. Elle se fonde sur une méfiance envers les gouvernants, toujours susceptibles d'abuser de leurs prérogatives. Que les hommes soient bons ou mauvais, c'est le Pouvoir qui les corrompt. Le but profond du constitutionnalisme, c'est la limitation du Pouvoir. Il s'agit d'encadrer les gouvernants, d'enserrer leurs pratiques afin de les empêcher d'abuser de leurs fonctions. Qui dit constitutionnalisme dit constitution. Celle-ci, dans la dialectique entre le Pouvoir et la Liberté, manifeste une suspicion à l'égard du politique. Benjamin Constant exprimait cette idée à la fin du XVIIIe siècle: «une constitution est par elle-même un acte de défiance, puisqu'elle prescrit des limites à l'autorité, et qu'il serait inutile de lui prescrire des limites si vous la supposiez douée d'une infaillible sagesse et d'une éternelle modération.» 7Ainsi, une constitution joue-t-elle un rôle de garant: elle garantit l'exercice des droits et libertés des citoyens et des individus. Qu'est-ce qu'une constitution? « La garantie de la liberté d'un peuple », répondait Constant 8. Ce n'est pas par hasard si, au XI Xe siècle, des juristes utilisèrent la notion de «garantisme» pour définir une constitution digne de ce nom, c'est-à-dire un texte qui restreint le pouvoir arbitraire et qui assure un gouvernement limité 9. «Constitutionnalisme,

Benjamin Constant, discours au Tribunat, 15 Nivôse an VIII cité in Lucien Jaume, L'individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Paris, Fayard, 1997 p. 106. 8 Benjamin Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France, 1815 in Id., Ecrits politiques, Marcel Gauchet (éd.), Paris, Gallimard, 1997 p. 305. V. Luigi Lacchè, « Coppet et la percée de l'Etat libéral constitutionnel» in Lucien Jaume (dir.), Coppet, creuset de l'esprit libéral. Les idées politiques et constitutionnelles du groupe de Mme de Staël. Colloque de Coppet 15 et 16 mai 1998, Economica, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 2000 p. 141. 9 Giovanni Sartori, « Constitutionalism : A Preliminary Discussion », The American Political Science Review, vol. LVI, décembre 1962, n° 4, pp. 855-856. 7

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résume Hayek, veut dire gouvernement contenu dans des limites.» 10 En substance, la constitution n'est pas tant une organisation des pouvoirs qu'une protection contre le Pouvoir. Au même titre que le libéralisme dont il est l'une des facettes, le constitutionnalisme s'analyse comme une réaction contre l'arbitraire, d'où qu'il vienne 11. Cette notion d'arbitraire est centrale aux yeux des penseurs libéraux. Le constitutionnalisme apparaît comme l'antithèse de la règle arbitraire 12 Le gouvernement limité s'oppose au gouvernement despotique. Les constitutions modernes, écrit Yves Guyot, ont pour caractère commun de « soustraire les individus à l'arbitraire du pouvoir social, représenté soit par un homme, soit par des Assemblées.» 13 Le constitutionnalisme constitue une double protection. D'abord, il préserve la société civile de la société politique. Ensuite, au sein de la société politique, il assure l'équilibre de l'ordre institutionnel 14. La deuxième protection rétroagit d'ailleurs sur la première. L'équilibre interne des institutions a vocation à garantir extérieurement la société civile. Le constitutionnalisme n'est qu'un moyen: il n'a d'autre objet que de permettre aux individus de développer librement leurs virtualités et de devenir ce qu'ils sont. C'est la protection des minorités, à commencer par la plus petite d'entre elles: l'individu, contre les pouvoirs illimités de la majorité, si écrasante soit-elle. L'un des textes primordiaux du constitutionnalisme au XVIIIe siècle est la Déclaration américaine de l'Indépendance du 4 juillet 1776. Il permet de comprendre les points communs et les différences essentiels avec le constitutionalisme français postérieur de quelques années. La Déclaration de l'Indépendance débute par une ambition universaliste qui jure avec la tradition anglo-saxonne. Elle proclame comme conformes à la raison un certain nombre de vérités avant de glisser de manière rationnelle à la prudence historique. Il ne s'agit pas d'inventer ou de créer, mais de

Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté, op. cit., vol. I, p. 1. Michel Guénaire, « Le constitutionnalisme, expression de la politique libérale », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 1987, nOl, p, 107. 12 Charles H. McIlwain, Constitutionalism " Ancient and Modern, Ithaca & Londres, Cornell u.P., 1947, pp. 21-22. 13 Yves Guyot, Les principes de 1789 et le socialisme in Id., La Tyrannie collectiviste, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 172. 14 Loc. cil., p.128. 10

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déclarer, de déclarer quelque chose qui, par définition, préexiste. La Déclaration part de la loi naturelle. Instituée par Dieu, celle-ci dote les hommes de droits inaliénables, notamment la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Le Gouvernement n'a d'autre objet que leur protection. Malheureusement, les gouvernants, comme tous les hommes, sont taraudés par la corruption. Aussi les gouvernés détiennent-ils le droit de les contrôler pour vérifier qu'ils remplissent convenablement leur mandat. En dernier ressort, le peuple dispose d'un droit de résistance. Le Gouvernement a ainsi pour objet la défense des droits naturels, mais la Liberté constitue la limite de son action. « La fonction du Gouvernement, selon 1'heureuse expression d'Ayn Rand, passa du rôle de dirigeant à celui de serviteur» 15. La Déclaration est bâtie tel un syllogisme. Elle reconnaît d'abord la nécessité du Pouvoir - majeure -, avant de témoigner à son égard d'une indiscutable méfiance -mineure- et de consacrer le droit de résistance à l'oppression dans un monde inévitablement imparfait, mais de le consacrer de manière prudente à la manière de John Locke, le grand philosophe anglais de la fin du XVIIe siècle - conclusion _16. La thématique du Pouvoir et de la Liberté constitue effectivement l'un des points fondamentaux du texte. David Hume avait bien exprimé cette idée issue du républicanisme whig: « Tous les gouvernements sont le théâtre perpétuel d'une lutte intestine, ouverte ou cachée, entre l'autorité et la liberté, dont ni l'une ni l'autre ne peut sortir entièrement victorieuse »17. Édouard Laboulaye se récriait contre ceux qui voulaient affaiblir le Pouvoir ou, au contraire, le fortifier. Loin d'être des puissances ennemies, le Pouvoir et la Liberté sont, selon lui, deux éléments distincts d'un même organisme, l'un représentant les intérêts communs de la société, l'autre des intérêts individuels 1s . Le constitutionnalisme français, si brillant fût-il, n'a pas tiré toutes les leçons de la Révolution américaine. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 le prouve. Chef d'œuvre formel, elle consacre avec superbe les droits de l'homme, mais elle est minée par le légiscentrisme. La

15 Ayn Rand, « Les droits de l'homme» in Id., La vertu d'égoïsme, trad. Marc Meunier avec la collaboration d'Alain Laurent, Paris, Les Belles Lettres, 1993. p.143. 16 Jean-Philippe Feldman, « Thomas Jefferson et la liberté» préface in Thomas Jefferson, Écrits politiques, trad. Gérard Dréan, Paris, Les Belles Lettres, 2006, pp.lO-ll. 17 David Hume, « De l'origine du gouvernement» in Id., op. cit., p. 739. 18 ' Edouard Laboulaye, op. cit., p.V.

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thématique prudentielle de la Liberté est inconnue de la plupart des révolutionnaires français. Œuvre de réaction envers tous les abus de l'Ancien régime, la Déclaration magnifie la loi, expression de la volonté générale. La loi ne pouvant mal faire, il est inconcevable qu'elle puisse réduire les libertés ou consacrer l'arbitraire. Logiquement, la loi ne peut, ne doit être enserrée. Les législateurs sont garants de l'intérêt général et si le droit de résistance à l'oppression se trouve consacré -comment justifier autrement le passage de l'Ancien Régime à la Révolution ?-, il est permis de penser qu'il est plus rétrospectif que prospectif. L'oppression ne peut de toute façon venir que de l'exécutif, et non pas du législatif. Le constitutionnalisme est, comme il l'était au XVIIIe siècle, un mécanisme, agencé de telle manière qu'il produit des effets indépendants de la volonté des individus l9 . Mais il est plus que cela. Cette mécanique se distingue fondamentalement de celle du milieu du XVIIIe, comme du constitutionnalisme dit ancien. Il ne s'agit plus d'empêcher l'arbitraire de la cité ou du souverain par la loi, mais d'empêcher l'arbitraire, d'où qu'il vienne. Donc de garantir la Liberté contre les violations émanant aussi du Parlement par la présence d'une constitution écrite, loi fondamentale et suprême, par la supériorité du pouvoir constituant sur le pouvoir législatif, par le contrôle de constitutionnalité des lois. « Une assemblée est de toutes les puissances la plus aveugle dans ses mouvements, la plus incalculable, dans ses résultats, pour les membres mêmes qui la composent, celle par conséquent, qu'il est le plus indispensable de renfermer dans des limites précises et d'y contenir. »20. L'appréciation de Benjamin Constant apparaît d'autant plus remarquable que c'était un lieu commun au XIXe siècle et audelà en France de se méfier avant tout, pour ne pas dire exclusivement, de l'exécutif, siège des volontés particulières. Il faut également garantir la Liberté contre les violations émanant de la fonction gouvernante dans un régime parlementaire en enserrant la majorité dans la ou les chambres et le gouvernement. Entendre convenablement le constitutionnalisme ne veut

19 Michel Troper, « Le concept de constitutionnaIisme ... » in Terence Marshall (dir.), op. cit., pp.43 & 47. 20 Benjamin Constant, Fragments d'un ouvrage abandonné sur la possibilité d'une constitution républicaine dans un grand pays. Henri Grange (éd.), Paris. Aubier, 1991. p. 257. Constant ajoute: « S'il est essentiel pour la liberté qu'il y ait des assemblées représentatives, il n'est pas moins essentiel et pour la sûreté publique et privée, et pour la liberté même, que l'autorité de ces assemblées soient circonscrites» (p. 258).

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pas dire faire retour à la conception du siècle des Lumières, mais signifie que le simple agencement des « pouvoirs» et la création d'un contrôle de constitutionnalité n'en sont qu'une partie. La liberté ne peut être sauvegardée que si le système politique existant exclut tout pouvoir discrétionnaire; elle ne peut être préservée que si les droits, par définition individuels, ne dépendent pas de la bonne volonté d'une personne ou d'un groupe de personnes.

- La souveraineté

La construction de l'Etat en Europe est en même temps celle de la souveraineté. Ce sont les auteurs du Continent, avant tout des Allemands et des Français, qui ont porté au firmament le thème de l'Etat souverain. La tradition anglo-saxonne est autre. On n'a guère parlé de souveraineté de l'Etat des siècles durant. C'est au XVIe siècle que le terme de souveraineté fait son apparition en Angleterre. Plusieurs auteurs vont défendre la théorie de la souveraineté du Parlement pour juguler les abus royaux. Plus tard, en Amérique, puis aux Etats-Unis, la doctrine des droits des Etats sera construite pour s'opposer à la croissance des institutions communes, puis du gouvernement fédéral. Il n'en demeure pas moins que les penseurs libéraux anglo-saxons ont toujours gardé une prévention envers la notion de souveraineté. Suivant les cas, ils ont défendu corps et âme le rule of law, expression qu'il est délicat de traduire mais qui peut renvoyer au règne du Droit, ou bien ils ont jugé que le terme de souveraineté était un non-sens ou bien encore, ils ont estimé que la seule souveraineté qui valait était celle de l'individu. Voila encore une expression qui ne manque pas de faire sourire ou d'irriter les juristes continentaux, mais la souveraineté de l'individu est une expression courante aux Etats-Unis et pas seulement chez les libéraux de stricte obédience. L'individu, souverain, délègue, par définition librement, l'exercice d'une part de sa souveraineté. La délégation est toujours temporaire et révocable. Chaque individu dispose du droit de s'opposer aux abus du Pouvoir, constitutionnellement par la garantie de ses droits et libertés, extra-constitutionnellement par le droit de résistance qu'il conserve en dernier ressort.

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- Les droits de l'homme Qui ne défend les droits de l'homme? Même Marx et Engels ne les vitupéraient que parce qu'ils étaient en fait réservés à la seule « classe» bourgeoise et qu'ils revêtaient ainsi un caractère formel, et non pas réel. Aujourd'hui, l'affrontement nodal n'oppose pas des partisans et des adversaires des droits de l'homme, mais des adeptes des droits de l'homme aux conceptions différentes, On classe habituellement les droits de l'homme en générations, qui n'ont plus rien de spontanées, On n'entend plus guère les défenseurs de la « première génération» : les droits et libertés contre le Pouvoir, proclamés à la fin du XVIIIe siècle. Au contraire, les continuateurs des droits de la « seconde génération» -celle du préambule de la Constitution de 1946 : les droits économiques et sociaux- ont l'invention fertile, si bien que les auteurs ne s'accordent pas sur le nombre de générations successives et sur leur contenu. La « génération» actuelle est-elle encore la troisième ou estelle déjà la quatrième? Il existe, pour les penseurs libéraux, deux catégories de droits de l'homme, et seulement deux: les vrais et les faux. Les vrais droits de 1'homme sont effectivement ceux qui ont été déclarés. Il s'agit des droits que possède chaque individu, qu'il peut opposer au Pouvoir et que les gouvernants ont pour mission, et pour unique mission, de faire respecter. La liste des droits se ramène essentiellement à la trilogie lockienne incluse dans le concept de propriety : la vie, la liberté et la propriété, par définition privée. Quelques penseurs libéraux résument les droits de l 'homme dans la notion de propriété au sens large, puisqu'elle comprend la propriété de soi-même et la défense de la propriété par le truchement du droit de résistance à l'oppression. D'autres, tel Hayek, avancent qu'une liste limitative des droits de l'homme est inconcevable, ces derniers étant toujours ouverts et impossibles à énumérer exhaustivement. Quelle que soit leur conception « positive» des droits de l'homme, les libéraux se retrouvent dans leur conception « négative ». Les faux droits de l'homme, ce sont des droits qui ne sont plus proclamés comme faisant partie de la nature éternelle de l 'homme ou de l'évolution, mais des droits inventés de toutes pièces. Il ne s'agit plus de s'opposer à l'intervention de l'Etat au sens large, mais de recourir à lui pour les mettre en œuvre. Il ne s'agit plus de droits-libertés, mais de droits-créances. L'Etat a le devoir, idéalement l'obligation, de tout mettre en œuvre pour assurer à chaque individu ou à chaque groupe telle ou

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telle créance .. 11 ne s'agissait plus de «droits de », mais de «droits à». L'ingéniosité humaine est sans limite: droit au travail, aux loisirs, au logement, à la paix, à un environnement sain, à la culture, à l'université, à la protection sociale, etc .. Or, le mécanisme a été démonté par Bastiat dès le milieu du XIXe siècle, l'Etat ne peut rendre que ce qu'il a d'abord pris et, par surcroît, il n'en peut rendre qu'une partie. L'Etat prend aux uns pour donner aux autres. Traduisons: il viole les vrais droits de l 'homme pour tenter d'assurer les faux. Tenter, car les faux droits de l'homme sont un puit sans fond, et ce pour deux raisons. En premier lieu, l'Etat est incapable de les fournir. Quel Etat dans le monde a-t-il pu mettre en place le « droit au travail» ? En second lieu, les faux droits appellent les faux droits. A partir du moment où l'Etat tend à assurer un droit-créance, par définition arbitraire, il n'y a plus de limite à l'extension de l'Etat. Perpétuellement insatisfaits du fait de l'incapacité de l'Etat et du fait que certains individus ou catégories socio-professionnelles bénéficient de ses largesses, les autres ne manquent pas de venir clamer leur part de spoliation légale. Les faux droits de l'homme entraînent ainsi des conséquences perverses. Ils minent l'autorité de l'Etat qui, à force d'étendre ses limites, n'arrive plus à assumer ses fonctions originelles. L'Etat n'étant plus respectable, il en vient à n'être plus respecté. Surtout, les faux droits de l'homme chassent les bons, à l'image de la fausse monnaie qui fait disparaître la bonne. La difficultueuse mise en place des faux droits de l 'homme détruit les vrais droits. - L'Etat de droit et l'état de Droit

Créée à la fin du XVIIIe siècle et construite au siècle suivant par les juristes de droit public allemand, la notion d'Etat de droit a perdu son sens originel pour devenir un lieu commun à partir des années 1970. L' « Etat de droit» s'opposait à 1'« Etat de police ». Il s'agissait d'empêcher le monarque ou l'empereur d'utiliser des règles arbitraires dans les rapports des particuliers avec l'administration. L'expression va se retrouver en langue française par une traduction littérale à la fin du XI Xe siècle et au début du XXe. Plusieurs constitutionnalistes de renom vont se servir de l'expression pour démontrer en contrepoint la triste situation de la France sous la Ille République. Au lieu d'être un État de droit, la France serait un «État légal », i.e. un régime dans lequel de la souveraineté de la loi, on serait passé à la volonté souveraine du Parlement, en raison surtout de l'absence d'un contrôle de constitutionnalité.

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Au-delà de cet aspect polémique, l'expression va faire florès. Le succès va se traduire par son introduction en trois étapes dans les constitutions européennes et dans circonstances ô combien révélatrice! En premier lieu, la notion se retrouve dans les constitutions de certains Lander après la seconde Guerre mondiale, puis dans la loi fondamentale allemande de 1947. En second lieu, elle est introduite dans les constitutions portugaise et espagnole de 1976 et 1978, après la chute des dictatures. En dernier lieu, elle fait partie des clauses essentielles de la plupart des constitutions des anciens pays de l'Est après la chute du communisme, au début des années 1990. En France, la notion est redécouverte dans les années 1970 sous la plume d'anciens extrémistes de gauche revenus de leurs illusions. Elle est devenue un lieu commun synonyme de démocratie plus ou moins tempérée. Les positivistes, à la suite du juriste autrichien Hans Kelsen, ont rejeté une notion qui est, suivant les cas, soit un non-sens car le Droit ne saurait limiter l'Etat, soit un pléonasme car Droit et État sont synonymes. La critique des libéraux est tout autre. S'il s'agit de signifier par « État de droit », un État dans lequel les droits de l'homme sont garantis contre l'arbitraire, spécialement par le biais du contrôle de constitutionnalité, les libéraux y sont évidemment sensibles. En revanche, s'il s'agit d'un cachemisère à visée publicitaire, dès lors que la notion est utilisée par les courants idéologiques les plus divers et, entre autres, par ceux qui nient les droits de l 'homme, ils sont plus réservés. Les juristes soviétiques ne reprirent-ils pas la notion à leur compte au début des années 1980 en la transsubstantiant en «Etat socialiste de droit»? Aussi les libéraux préfèrent-ils utiliser la notion d'état de Droit, le changement de majuscule n'étant pas innocent. En termes hayékiens, le Droit est plus ancien que la législation. C'est son règne qui a permis à la civilisation de s'établir et de progresser. Hayek use d'une formule frappante: maintenir le terme de Droit dans son sens strict « est de la plus haute importance si nous voulons sauvegarder l'avenir d'une société libre» 21. Un état de Droit se caractérise par la présence d'un État soumis au Droit, lequel le précède et le surplombe.

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Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté .... op. cit., vol. 2, p. 127.

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B - LA LIBERTE ET LA SUBSIDIARITÉ

Deux grands principes libéraux sont attachés au constitutionnalisme. D'abord, la liberté: l'objet d'une constitution est de garantir la liberté de l'individu. Ensuite, la subsidiarité, un concept obscurci par les auteurs et hommes politiques antilibéraux depuis la fin des années 1980.

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- La liberté L'étymologie du libéralisme renvoie à la notion de liberté. Quel est le régime politique adéquat? L'évolution historique a consacré la démocratie. Mais les libéraux demeurent très méfiants envers celle-ci et consacrent un autre concept: la démocratie libérale. Il faut insister ici sur le fait que, aux yeux des libéraux, la forme du régime n'est qu'une question secondaire à partir du moment où ni le totalitarisme ni l'autoritarisme ne règne. Ainsi, les principes libéraux sont aussi bien solubles dans une démocratie que dans une monarchie limitée. La démocratie est aujourd'hui parée de toutes les vertus. Qui dit démocratie, dit ordre, stabilité, respect des droits de l 'homme et des libertés déclinés à l'infini, « État de droit », etc .. Il s'agit en fait d'une extension indue, à tout le moins contestable, d'un terme à la signification bien plus étroite. Etymologiquement, la démocratie, c'est le pouvoir du peuple. Elle ne signifie rien d'autre que la loi de la majorité. De manière moderne - car sous l'Antiquité, le véritable mécanisme démocratique était le tirage au sort -, elle exige des élections lors desquelles sont choisis les gouvernants selon la règle majoritaire. Partant, la démocratie suppose que les élections soient périodiques et qu'un changement de majorité puisse s'opérer: l'alternance. Elle n'est donc qu'une méthode, un moyen et non pas une fin. Elle n'est pas en elle-même la Liberté, mais l'une de ses plus importantes sauvegardes. « En tant que seule méthode connue jusqu'ici pour changer sans heurts de gouvernement, écrit Hayek de manière révélatrice, la démocratie fait partie des valeurs suprêmes encore que négatives; elle est comparable aux précautions sanitaires contre la peste ».22 Le Viennois ajoute plus bas que la véritable valeur de la démocratie est de constituer une « précaution sanitaire» qui protège des abus de pouvoir23 . La démocratie libérale est un saut qualitatif par rapport au concept démocratique. Pour Lord Acton, la démocratie doit être distinguée du libéralisme parce que les deux concepts répondent à deux questions différentes. La démocratie répond à la question: qui gouverne? Le libéralisme, lui, répond à la question: quels sont les pouvoirs des 22 23

Ibid., vol. 3. p.6. Ibid., p.164.

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gouvernants, quels qu'ils soient? Hayek explicite avec à propos la distinction. La démocratie présente le mérite de s'opposer aux gouvernements autoritaires. Mais elle ne laisse pas d'apparaître insuffisante, car la seule borne au gouvernement tient alors à l'opinion majoritaire. Le libéralisme s'oppose, lui, au totalitarisme. Aussi limite-t-il les pouvoirs coercitifs des gouvernement, quels qu'ils soient, démocratiques ou non24 • L'analyse du constitutionnalisme de Benjamin Constant est ICI indispensable. Dès le début du XIXe siècle, Constant avait compris les dangers d'une démocratie et ceux d'un constitutionnalisme parcellaire ou mal entendu. Ce qui importe, explique-t-il, ce n'est pas le détenteur du pouvoir. L'erreur des révolutionnaires français a été de croire qu'à partir du moment où la « souveraineté nationale» ou la « souveraineté populaire» se substituerait à la souveraineté absolue d'un monarque, la liberté s'en suivrait. Ce qui importe, en revanche, c'est l'étendue du pouvoir, qui que soit qui le détienne. Constant démontre que la « séparation des pouvoirs» est insuffisante. En effet, il suffit que les « pouvoirs» se liguent pour que la Liberté disparaisse. La question centrale et préalable n'est pas dès lors de partage le Pouvoir, mais de limiter: « C'est le degré de force, et non les dépositaires de cette force qu'il faut accuser. C'est contre l'arme et non contre le bras qu'il faut sévir. Il y a des masses trop pesantes pour la main des hommes. »25 La philosophie constitutionnelle de Constant se résume en une phrase: « Que l'autorité demeure neutre, que les lois se taisent, le nécessaire se fera de reste. Et en fait d'institutions, il n'y a de bon et durable que le nécessaire» 26. La liberté politique est indispensable, mais elle n'est pas suffisante. Loin d'être une fin, elle n'est qu'un moyen en tant qu'elle garantit la liberté, par définition individuelle. C'est dans sa célèbre comparaison entre la liberté des Anciens et celle des Modernes que Constant a consacré de fortes pages à cette question. Il faut d'autant plus y revenir que ses propos ont été fréquemment travestis. La liberté des Anciens, c'était la liberté au sens politique: il s'agissait de partager le

24 Id, La constitution de la liberté, trad., Raoul Audouin & Jacques Garello avec la collaboration de Guy Millère, Paris, Litec, 1994, p.l 0 1. 25 Benjamin Constant, Principes de politiques applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la Constitution actuelle de la France, 1815, in Id, op. cit., p.312. 26 Id, Commentaires sur l'ouvrage de Filangieri, Paris, Les Belles Lettres, 2004, XV, IV, p.317.

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« pouvoir social» entre les citoyens. La liberté des Anciens était collective et se résumait à la liberté politique. La liberté des Modernes est individuelle: c'est pour chacun le droit de n'être soumis qu'aux lois, de ne pouvoir ni être arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d'aucune manière, par l'effet de la volonté arbitraire d'un ou de plusieurs individus 27 . Contrairement à ce qui a été souvent écrit, Constant ne fait pas disparaître la liberté politique. Celle-ci est indispensable car elle garantit la liberté moderne, i.e. la liberté individuelle28 • Les conséquences en termes institutionnels sont capitales. Les institutions doivent respecter le droit individuel; en même temps, elles consacrent le droit de suffrage, l'alternance et permettent aux citoyens de contrôler le Pouvoir29 • La règle majoritaire prend, elle aussi, un sens tout particulier. La majorité n'a pas le droit d'asservir la minorité, mais seulement de la contraindre à respecter l'ordre30 . La longue lignée des auteurs libéraux a martelé qu'une Constitution était l'un des piliers de la Liberté. Constant écrit qu' «une Constitution est la garantie de la liberté d'un peuple »31; Bastiat précise qu'une Constitution est « un système de barrières» opposées aux usurpations 32 ; Yves Guyot confirme qu'elle soustrait les individus « à l'arbitraire du pouvoir social, représenté soit par un homme, soit par des assemblées »33. Le mérite des Américains à la fin du XVIIIe siècle tient, selon Hayek, au fait qu'ils conçurent la Constitution comme «une protection du peuple contre toute action arbitraire, qu'elle émane du législatif ou des autres organes du gouvernement» 34.

27 Id., De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes. Discours prononcé à l'Athénée Royal de Paris, 1819 in Id., Ecrits politiques, op. ci!. , p.593. 28 Ibid., p.612. 29 Ibid., p.619. 30 Id., Mélanges de littérature et de politique, 1829, in ibid., p.624. 31 Id., Des réactions politiques, 1797 in Id., De la/oree du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s 'y rallier. Des réactions politiques. Des effets de la Terreur, Philippe Raynaud (éd.), Paris, Flammarion, 1988, p.150. 32 Frédéric Bastiat, « De la réforme parlementaire (1846). AM. Lamac, député des Landes» in Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Paris, Guillaumin, t.I, 2éme éd., 1862, p.482. 33 Yves Guyot. Les principes de 1789 et le socialisme, 1894, in Id. , op. cÎt., p.I72. 34 Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté, op. cit., p.177.

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Autrement dit, une Constitution n'organise pas le Pouvoir, elle est préalablement rédigée contre lui. Limiter le Pouvoir ne signifie d'ailleurs pas l'affaiblir, au contraire. C'est lorsque le Pouvoir est restreint qu'il est puissant. Pour paraphraser Constant et contredire Paine, le gouvernement n'est pas un mal nécessaire. A partir du moment où le gouvernement s'avère indispensable, c'est un bien: dans sa sphère, l'Etat est un bien et ne saurait avoir trop de pouvoir; hors de sphère, il est un mal et ne saurait . . aV01r aucun pOUV01r. - La subsidiarité

La subsidiarité est un concept à la mode dont on use et abuse. Galvaudé, le mot verse dans le flou. Une entreprise de clarification s'impose d'autant plus qu'il s'agit de l'un des concepts fondamentaux du libéralisme. Étymologiquement, le mot « subsidiarité» vient du latin subsidiarus, de subsidium qui présente les quatre significations suivantes: une ligne de réserves dans l'ordre de batailles et des troupes de réserves; d'où le second sens de soutien, de renfort, de secours; au sens figuré, une aide, un appui, une assistance; enfin, un lieu de refuge, un asile. Le subsidium, c'est la réserve, i.e. l'apport en cas de besoin. Au sens militaire, ce sont des troupes dont on ne sert pas normalement: elles constituent un apport en cas de besoin, en cas de défaillance exceptionnelle et pour la durée de la défaillance; elles viennent à l'appui du principal, comme peut le faire une raison subsidiaire dans une argumentation ou une question subsidiaire dans un concours. L'étymologie permet immédiatement de comprendre qu'il existe une tension entre la non-ingérence et l'ingérence, entre la limitation de l'intervention d'une instance et sa volonté d'intervenir. Toute la difficulté sera de savoir comment résoudre la tension ou, du moins, comment restreindre les risques qu'ils lui sont attachés. Apparemment, l'idée de subsidiarité a une généalogie courte: celle du catholicisme social, favorisé par un retour en force du thomisme au XIXe siècle. A défaut d'en inventer la chose, l'Église en invente le mot. Plusieurs encycliques développent l'idée. Mais la doctrine sociale de l'Église a le plus souvent une vision hiérarchique de la subsidiarité : les questions les plus importantes sont attribuées aux communautés les plus vastes, alors que la conception libérale raisonne en termes de complémentarité. A vrai dire, les lettres encycliques ne sont pas toujours superposables. Dans Rerum novarum, Léon XIII part explicitement de l'individu et de la famille pour

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développer son idée de subsidiarité. 35 Il n'est guère étonnant que sa lettre représente une magnifique défense du droit de propriété et une critique au vitriol du socialisme. En revanche, dans Quadragesimo anno, Pie XI soutient explicitement une notion hiérarchique de la subsidiarité. Sous couvert d'une interprétation véridique de Rerum novarum, il défend en fait une conception sensiblement renouvelée de la subsidiarité. 36 Les définitions de la subsidiarité sont plutôt rares et elles n'apparaissent guère satisfaisantes. La subsidiarité est définie le plus souvent comme le caractère de ce qui est subsidiaire ... Lorsque le terme est défini, référence est faite presque automatiquement au droit communautaire. C'est alors la règle directive en vertu de laquelle la Communauté européenne n'agit, en dehors des domaines de sa compétence exclusive, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc être mieux réalisés au niveau communautaire. En réalité, le principe de subsidiarité met l'accent sur les impératifs de proximité et, ce qui est -normalement- synonyme, d'efficacité. Il veut que toute autorité ne s'exerce que pour pallier les manques d'un acteur, si bien qu'il se traduit comme la recherche constante d'un niveau de décision aussi proche que possible de l'individu. En première approximation, pour les libéraux, pratiquer la subsidiarité, c'est aider un individu ou un groupe d'individus à remplir ses attributions ou fonctions, c'est suppléer l'une de ses défaillances, ponctuellement, sans chercher à le détruire ou à l'absorber. Autrement dit, les communautés ne sont pas premières. Dans le débat de la poule et de l'œuf, l'individu est la prime valeur. Les communautés, qu'elles soient ordinaires ou organiques, ne se constituent qu'en complément de l'individu. Les libéraux disent encore que le bon niveau de compétence est celui qui est le plus «bas» possible, celui qui permet de traiter avec efficacité d'une question donnée. En fait, l'individu n'est pas le niveau le plus bas, mais le plus haut. Tout part de l'individu pour revenir vers lui. Pour user d'une métaphore bien connue des juristes, la pyramide a pour base l'individu, mais c'est une pyramide renversée. La base est en même temps le point le plus élevé ... A l'encontre des expressions malheureuses couramment utilisées, il faut prendre soin de remettre sur ses pieds une subsidiarité qui marchait sur la tête ... Pour ce faire, elle doit être soigneusement distinguée de notions proches ou similaires. 35 36

Léon XIII, lettre encyclique Rerum navarum, 15 mai 1891,52. Pie XI, Lettre encyclique Quadragesima anna, 15 mai 1931, 79-80.

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Si la subsidiarité est souvent mal entendue, c'est qu'elle est confondue avec des notions qui lui sont, à tort ou à raison, attachées. D'abord, la subsidiarité n'est pas la décentralisation. Avec la subsidiarité, le point de départ est l'individu et ce n'est qu'en cas d'incapacité de sa part qu'une délégation de compétence peut être envisagée. Le principe de subsidiarité ne concerne pas les compétences déléguées, mais les compétences propres. Ensuite, dans son idéal-type, tout système fédéral est subsidiaire, alors que l'inverse n'est pas vrai. Un système fédéral, il n'est pas inutile de le rappeler, se distingue d'un système unitaire. Dans un système unitaire, il existe un seul ordre juridique sur le même territoire; dans un système fédéral, il en existe deux. La doctrine classique pose que ces deux ordres juridiques sont superposés, le droit fédéral brisant le droit fédéré, ce qui assure la suprématie de l' « Etat fédéral ». Or, les deux ordres juridiques ne sont pas superposés, mais théoriquement indépendants et étanches. Cette indépendance et cette étanchéité se trouvent garanties par le contrôle, supposé objectif et impartial, d'une cour constitutionnelle. Le gouvernement fédéral, qui ne saurait être qualifié d'État, n'est pas situé audessus des gouvernements des États, car le droit fédéral s'applique directement et habilement aux individus sans passer par le filtre des États. Encore faut-il préciser que le droit fédéral brise le droit fédéré uniquement dans les matières qui ressortissent à la compétence du gouvernement fédéral, et ce sous le contrôle du judiciaire. Encore faut-il préciser que la compétence fédérale n'est pas une compétence de principe, mais d'attribution. Cela signifie que la sphère de compétence des autorités fédérées se trouve constitutionnellement garantie et que le principe de subsidiarité innerve le fédéralisme. En bref, le système fédéral ne se caractérise pas par une hiérarchie, un niveau commandant à l'autre, tel un système pyramidal. La figure géométrique la plus adaptée serait celle de deux cercles d'inégales circonférences -le plus petit ayant trait au domaine fédéral- qui se recouvrent pour une faible partie, zone grise de compétences disputées dont le règlement se trouve tranché par le judiciaire37 . Ainsi, le fédéralisme exprime le souci de ne laisser au gouvernement fédéral que les compétences consenties par les différentes sociétés et, en dernier ressort, par les individus. Les compétences des instances intermédiaires entre ce gouvernement et les individus sont garanties au moment de la création du gouvernement fédéral, i.e. dans un texte constitutionnel qui, au surplus, doit 37 Jean-Philippe Feldman, « Alexis de Tocqueville et le fédéralisme américain », Revue du droit public et de la science politique », n° 4, 2006, pp. 879-901.

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être suffisamment rigide, et non pas accordées -avec ce que cela suppose de précarité- par un État qui s'en dessaisirait, comme dans le cadre de la décentralisation. Alors que le fédéralisme est classiquement caractérisé, fûtce de manière réductrice, par les principes d'autonomie et de participation, la subsidiarité est une manifestation du simple principe dit d'autonomie, dont elle en constitue la mesure. Si elle se distingue du fédéralisme, la subsidiarité n'en est pas moins fortement liée à lui. En effet, plus le niveau de juridiction compétent pour adopter des décisions est « bas », plus grande est la probabilité que ces décisions soient bonnes parce que celles-ci seront plus facilement contestables et contestées. Comme la subsidiarité, le fédéralisme laisse sa chance à l'essai et à l'expérimentation, si bien qu'il développe la concurrence et l'incitation. Pour un libéral, le fédéralisme est constitué par une organisation politique fondée sur des pouvoirs localisés au maximum et centralisés au minimum. Encore faut-il qu'il remplisse les conditions de la concurrence et de la subsidiarité. Il doit y avoir une menace permanente de sécession sur les décisions de bas niveau. Or, cette menace est beaucoup plus réelle lorsqu'elle s'adresse au niveau « le plus bas» parce que le coût de la sécession est plus faible. La conception libérale de la subsidiarité s'oppose tant à la thèse socialedémocrate qu'à la thèse conservatrice. Contrairement à ce que laissent entendre les textes communautaires, la subsidiarité ne se limite pas à la bonne organisation des pouvoirs publics, mais elle porte avant tout sur des groupes librement constitués. Les textes communautaires partent du postulat selon lequel tout ce qui est public doit rester tel et seul peut être discuté l'échelon public auquel le problème sera traité. Pour le dire autrement, la Communauté européenne aurait un domaine de départ intangible, tout le reste étant négociable en fonction des circonstances. Cela fait penser à un joli proverbe polonais: « Ce qui est à toi, est à moi; ce qui est à moi, n'y touche pas » ... Surtout, les textes communautaires traduisent une conception descendante, et non pas remontante, de la subsidiarité : on ne part pas de l'individu, mais de l'Union. La subsidiarité est conçue à l'envers et limitée à un jeu comprenant deux acteurs: les institutions européennes et les États, tant au niveau central qu'au niveau régional et local. La conception libérale de la subsidiarité est tout autre. Elle consiste à partir de la souveraineté de l'individu et à remonter jusqu'aux différents pouvoirs. Toute autorité extérieure doit rester subsidiaire, i.e. n'être appelée qu'en renfort de l'autorité que chacun exerce sur lui-même. Avant d'être un principe de bonne gestion ou de répartition des compétences, la subsidiarité se conçoit comme un principe de philosophie politique, comme un principe

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moral qui vise à respecter les droits individuels. Si la décentralisation consiste à faire redescendre le possible au sein d'une structure hiérarchique, la subsidiarité consiste à faire remonter le nécessaire. Autrement dit, c'est un principe porteur d'une logique du recul du pouvoir politique sur la société civile. Pour les libéraux, la subsidiarité n'apparaît pas comme la répartition des compétences entre des États et un super-État, mais comme le libre épanouissement de la personnalité des individus et de la société civile. La subsidiarité, dans laquelle certains ont cru voir un principe hiérarchique allant des communautés les moins importantes vers les plus importantes, consiste en un principe d'organisation qui repose sur la primauté de l'individu et sur sa liberté d'action au nom de sa dignité. Le niveau le plus « élevé» vient parfois au secours de l'individu et il va lui permettre de briser le carcan qui l'enserrait, ce carcan mis en place par des niveaux «moins élevés ». Mais, cette dialectique peut se révéler périlleuse pour l'individu car le niveau le «plus élevé» peut lui aussi abuser de son pouvoir et il le peut d'autant plus -et d'autant plus dangereusement- qu'il est justement le niveau le «plus élevé ». De là, l'intérêt de savoir que la valeur tout à la fois première et finale est l'individu. C'est à son aune uniquement que l'on doit juger de la légitimité des mesures prises, quel que soit le niveau de l'autorité normative. Ce n'est pas ce qui «sert» le plus l'individu qui doit guider les choix -un tel critère utilitariste est pour le moins contestable-, c'est ce qui permet de préserver la souveraineté de l'individu ou, si elle est contestée, de la rétablir, voire de l'établir. La subsidiarité laisse chacun faire ce dont il est capable, librement, et elle ne réserve à l'Etat que les activités hors marché, soit peu de chose. A traiter de la bonne subsidiarité verticale, -le plus de pouvoir en bas, le moins en haut, il ne faut pas oublier pour autant la subsidiarité horizontale - le plus d'activités régies par l'échange, par définition volontaire, le moins par le . de coerCition . . -. 38 pouvOlr Au cœur de la subsidiarité se trouve la séparation société civile/État. C'est sans doute l'un des défauts des constitutionnalistes que de traiter de la «boîte noire» qu'est l'Etat, et de focaliser leur attention sur la « séparation des pouvoirs ». Cette dernière expression est cependant éclairante. Appliquée au fédéralisme, elle permet une distinction entre deux dimensions. D'une part, la « séparation des pouvoirs » horizontale est la plus connue. Traditionnellement mais superficiellement, on distingue trois 38 Id., « La subsidiarité et le libéralisme» in L 'homme libre. Mélanges en hommage à Pascal Salin, Paris, Les Belles Lettres, 2006, pp. 167-182 ..

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fonctions de l'Etat: législative, exécutive et judiciaire. D'autre part, la « séparation des pouvoirs» verticale s'ajoute à la précédente: elle concerne les relations entre le gouvernement fédéral et les Etats fédérés. On peut s'inspirer de cette distinction pour la subsidiarité. Il en existe deux sortes. La première est aussi la plus célèbre: la « subsidiarité verticale ». Telle qu'elle est traditionnellement présentée, elle part de l'Etat ou de l'Europe communautaire pour descendre jusqu'aux communes, voire aux individus. La seconde est la plus importante: la «subsidiarité horizontale ». Elle sépare l'Etat de la société civile, selon une césure capitale dans l'histoire du libéralisme qui remonte aux Lumières anglo-écossaises. La « subsidiarité horizontale» apparaît comme la plus importante car elle précède logiquement son homologue. Avant que de s'intéresser au bon niveau de compétence entre l'Etat au sens large et les individus, il convient de faire le départ entre la sphère de l'Etat et celle des individus. Le préalable est donc de s'interroger, comme le firent les libéraux de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe , sur les «limites de l'Etat ». Ainsi que l'exprime Constant, il y a des domaines dans lesquels l'Etat ne doit absolument pas intervenir. Toute la difficulté tient à savoir de quels domaines il s'agit... «N'attendez de moi que deux choses: Liberté, Sécurité et comprenez bien que vous ne pouvez, sans les perdre toutes deux, m'en demander une troisième », expliquait Bastiat de manière pédagogique au sujet de l'Etat. 39 La sphère de la société civile recouvre les sociétés naturelles -la famille- et les sociétés artificielles -les associations, les entreprises, etc.-. Mais lorsque l'Etat, au sens large, est autorisé à intervenir dans tel ou tel domaine, cette autorisation ne vaut pas obligation. L'Etat ne doit alors intervenir qu'en cas de défaillance des individus. La présentation de la « subsidiarité horizontale» gagne alors à être précisée. Le point le plus «bas» est en fait le plus « élevé ». Le paradoxe - déjà signalé - s'explique aisément. La subsidiarité bien entendue, la seule qui vaille, part de l'individu et remonte. En cas de défaillance individuelle, ce sont les communautés les plus proches qui doivent intervenir et ainsi de suite jusqu'à l'Etat, puis jusqu'à l'Europe communautaire. La « subsidiarité verticale» est donc remontante, et non pas descendante. Contrairement à la présentation traditionnelle de la « séparation des pouvoirs» verticale, elle comprend d'autant plus l'individu qu'elle part de lui.

39 Frédéric Bastiat, Harmonies économiques, IV, «Échanges» in Œuvres complètes de Frédéric Bastiat" op. cil., t.6. 4 ème éd., 1860, p.113.

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Les incidences de la notion de subsidiarité sur le constitutionnalisme sont profondes. Avant de s'interroger sur la mécanique de l'Etat, il faut déterminer sa sphère de compétence. La constitution dès lors n'aura d'autre objet que de garantir les individus contre les débordements des autorités hors de leur sphère et d'assurer l'efficacité de l'Etat dans sa sphère restreinte. Elle se définit à la fois comme une garantie et comme un outil: une garantie contre le Pouvoir, un outil au service de ce dernier. On comprend dès lors tout ce qu'il peut y avoir de réducteur dans la conception classique de la « séparation des pouvoirs ». Les constitutionnalistes et les hommes politiques ne conçoivent la constitution le plus souvent que comme un outil dans un sens très particulier. Cette conception est coupable, soit parce qu'elle restreint indûment la notion de constitution, soit, ce qui est pire, parce qu'elle fait de la constitution un outil pour l'accroissement des pouvoirs de l'Etat. Il est vrai qu'une constitution n'est pas une fin, mais un moyen. Au siècle des Lumières, elle était effectivement envisagée comme un outil, mais il faut préciser: un outil de lutte contre l'arbitraire. Aujourd'hui et au regard de la croissance de l'Etat, elle est devenue, elle doit devenir, un outil de mise en œuvre des réformes libérales. En substance, le principe de subsidiarité présente une double dimension. D'abord, une dimension horizontale: la subsidiarité est décrite comme la ligne de partage entre la puissance publique et la société civile; elle signifie qu'à chaque niveau de décision doit être établi ce clivage. Ensuite, verticale: la subsidiarité est effective au sein de la sphère publique. Il s'agit alors de placer la décision le plus proche possible des individus, aussi longtemps qu'il n'est pas nécessaire de passer un autre échelon. Ainsi, la privatisation doit bien entendu primer la centralisation, mais aussi la décentralisation. Il ne s'agit pas de transférer des activités à d'autres niveaux de compétence, mais d'interdire à toute collectivité l'exercice de ces compétences. Ce n'est que lorsque ce principe ne peut être respecté, ce n'est qu'en cas de défaillance de l'individu qu'une suppléance peut être organisée, suppléance toujours révocable dans le temps et qui doit être d'autant plus strictement entendue, qu'elle doit respecter un autre principe lié à la subsidiarité : la proportionnalité. 40

Jean-Philippe Feldman, « La subsidiarité et le libéralisme» in Mélanges Pascal Salin, op. cil..

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Conclusion: La « neutralité» de la constitution La notion de « constitution économique» est moderne, mais elle recouvre une idée déjà ancienne. Elle a trait aux rapports entre la constitution et l'économie, bien sûr. Plus précisément, elle concerne les relations entre le droit constitutionnel et l'économie politique. De la lecture d'une constitution s'infère l'idéologie qui animait ses principaux concepteurs. C'est justement ce qui déplait à maints constitutionnalistes. Le juge Holmes, antilibéral, l'écrivait dès 1905: «Une constitution n'est pas conçue pour incorporer une théorie économique particulière, qu'il s'agisse du paternalisme, de l'organicisme politique ou du laissez-faire. Une constitution est faite par des individus qui ont des opmlOns fondamentalement différentes ».41 De même, le très conservateur juge Black avançait en 1963 dans son opinion rédigée pour la Cour suprême des Etats-Unis: « Que le corps législatif prenne pour manuel Adam Smith, Herbert Spencer, Lord Keynes ou quelqu'un d'autre, ne nous regarde pas. » En effet, expliquait-il, la Cour suprême n'était pas un super-corps législatif qui aurait eu pour charge de peser la sagesse du corps législatif. 42 Au-delà d'une théorie économique, une constitution ne devrait donc pas être polluée par une quelconque idéologie. Les constitutions communistes seraient à cet égard un contre-exemple parfait. La loi fondamentale de l'u.R.S.S. du 31 janvier 1924 disposait ainsi, dans sa première partie, que le monde était divisé en deux camps: d'une part celui du capitalisme, i.e. haines nationales et inégalités, esclavage colonial et chauvinisme, oppression des nationalités et pogroms, atrocités impérialistes et guerres; d'autre part celui du socialisme, i.e. confiance mutuelle et paix, liberté nationale et égalité, coexistence pacifique et collaboration fraternelle des peuples. 43 Tout aussi idéologique était la Constitution de l'U.R.S.S. du 5 décembre 1936. 44 Quant à la Constitution du 7 octobre 1977, elle était une caricature d'idéologie marxiste. 45

41 Lochner v. N.Y., 198 U.SA5 (1905) in Elisabeth Zoller avec la collaboration des chercheurs du Centre de droit américain, Grands arrêts de la Cour suprême des États-unis. Paris, P.U.L 2000, n016, p.343. 4' - Fcrguson v. Skrupa, 372 U.S. 726 (1963). 43 Maurice Duverger, Constitutions et documents politiques, Paris, P.U.F., 9ème éd., 1981, pp.624-625. 44 Ibid., pp.638 s .. 45 Ibid.. pp.656 s ..

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L'illégitimité d'une «constitution économique» a été fréquemment soutenue lors du débat référendaire relatif au traité établissant une Constitution pour l'Europe en 2005. Pourtant, dès la première partie du traité, certains passages témoignaient de l'influence prégnante des idées social-démocrates. L'article 1-3 relatif aux objectifs de l'Union est à cet égard exemplaire. Il est prévu que celle-ci « offre à ses citoyens un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée », expression suffisamment vague pour appeler des interventions de la puissance publique. Le point 3 dispose que l'Union œuvre «pour une Europe du développement durable », notamment fondée, de manière toute germanique, sur «une économie sociale de marché ». Le paragraphe suivant poursuit dans la même veine: « Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre femmes et hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant ». Quant au point 4, il confirme que l'Union contribue « au développement durable de la planète ». La seconde partie est relative à la Charte des droits fondamentaux de l'Union, d'inspiration socialedémocrate elle aussi. La lecture de son préambule serait à elle seule suffisante pour s'en convaincre, qu'il s'agisse de la référence à la «solidarité », à 1'« identité nationale des États membres », à la recherche d' « un développement équilibré et durable », etc .. Le paragraphe suivant est à l'avenant: « La jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs tant à l'égard d'autrui qu'à l'égard de la communauté humaine et des générations futures ». Les «droits à », autrement dit les droitscréances, pullulent; droit à la vie, à l'intégrité de la personne, à l'éducation, etc .. Après un vague et bref article 11-76 relatif à la liberté d'entreprendre, l'article suivant sur le droit de propriété -l'antépénultième liberté seulement, ce qui est révélateur- ne paraît guère protecteur puisque « l'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général ». Enfin, dans le titre IV de cette Charte relatif à la « solidarité », se trouve un article 11-96 qui concerne l' « accès aux services d'intérêt économique général» par lequel l'Union reconnaît et respecte ledit accès «afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union » ... 46

Jean-Philippe Feldman, « Sur le "projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe" », Recueil Dalloz, 2004, n022, « Point de vue », pp.1531-1532.

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Le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 est du même tonneau, ce qui est d'autant plus normal qu'il reprend pour sa quasi-intégralité, mais dans le désordre, le traité de 2004. Un ancien ministres des Affaires étrangères a dit plaisamment que le « traité constitutionnel », c'était La Joconde peinte par Léonard de Vinci et que le traité de 2007, c'était La Joconde peinte par Picasso ... L'article 1 bis du traité sur l'Union européenne modifié dispose que l'Union est fondée sur un certain nombre de valeurs communes, dont la solidarité. L'article 2.3 énonce que l'Union œuvre pour le « développement durable» de l'Europe et «une économie sociale de marché hautement compétitive»; il ajoute que l'Union« combat l'exclusion sociale et les discriminations et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les Etats membres. » Selon l'article 2.5, l'Union contribue « au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable ». En vertu de l'article 6, l'Union reconnaît des droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000. Il est permis de n'être point convaincu par l'argumentation relative à l'illégitimité d'une « constitution économique ». D'abord, une constitution n'est jamais «neutre» par définition. Elle constitue le résultat d'une réflexion qui peut certes être inspirée par des sources fort diverses, mais qui peut aussi être marquée par une tonalité précise. Ensuite, une constitution moderne ou contemporaine, ne serait-ce que parce qu'elle inclut des dispositions relatives aux droits et libertés, traduit automatiquement un « choix de société ». Pour prendre derechef l'exemple du Traité établissant une Constitution pour l'Europe, plusieurs de ses dispositions manifestent une idéologie bien précise. Ainsi, référence explicite est faite à 1'« économie sociale de marché », phrase le plus souvent interprétée comme signifiant une société dans laquelle la concurrence joue, certes, mais se trouve régulée par l'Etat. A vrai dire, l'origine de l'expression plaide en faveur du libéralisme. Celle-ci fut utilisée par les libéraux allemands qui, pour faire passer l' «économie de marché» - expression peu heureuse car pléonastique -, décidèrent d'user du terme «social ». Dans leur esprit en effet, seule une économie libérale pouvait être sociale. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, « économie sociale de marché» renvoie à la social-démocratie allemande. Le traité de Lisbonne, comme le traité établissant une Constitution pour l'Europe, n'est pas miné par le

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libéralisme, à l'inverse de ce qu'ont prétendu moult journalistes, écrivains et hommes politiques avec une bonne foi sujette à caution. Enfin, on croit comprendre que l'argument de l'illégitimité de la «constitution économique» ne vise en réalité qu'une seule idéologie: le libéralisme. Un texte constitutionnel ne devrait pas, dit-on, le consacrer, sous peine de porter atteinte aux principes démocratiques. Il devrait être « neutre» pour permettre aussi bien aux socialistes qu'aux libéraux d'appliquer leurs programmes respectifs. Nous retomberions ici dans les travers déjà dénoncés qui font l'impasse sur la dimension essentielle du constitutionnalisme. Une constitution qui ne met pas de barrières à l'arbitraire des gouvernants, n'est pas même une mauvaise constitution, ce n'est pas une constitution du tout. En bref, une constitution qui permettrait à un socialiste ou à un extrémiste, à un étatiste de droite comme de gauche, d'appliquer librement son programme, ne serait pas une barrière, fût-elle de papier, mais un chiffon. Les Constituants l'ont malheureusement oublié en 1958.

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II - LA Ve REPUBLIQUE ET LE LIBERALISME

Introduction: La difficultueuse histoire constitutionnelle française

Ce n'est pas faire montre d'une insigne originalité que de proclamer que la France, oscillant entre l'omnipotence parlementaire et la dictature exécutive, n'a jamais trouvé d'équilibre institutionnel depuis la Révolution. Elle a été un 'v'éritable laboratoire constitutionnel. Cinq Républiques se sont succédé, entrelardées de coups d'Etat, de dictature, de régimes de transition. Même les spécialistes ne s'accordent pas sur le nombre de constitutions que les Français ont connues! Certes, la nr République a duré une soixantaine d'années et la Ve République existe depuis 1958. Mais les lois constitutionnelles de 1875 ont expiré dans la douleur et la honte, cependant que la Constitution actuelle paraît à bout de souffle. Les constituants français ont été impuissants à fonder un régime libéral à compter de la Révolution. La Ve République ne dépareille pas le lot. Antilibérale pour l'essentiel dans sa conception, elle a accusé son antilibéralisme par la pratique.

A - UNE CONSTITUTION ANTILIBERALE

Lorsque que la IVe République agonise, les libéraux se font discrets. Ils vont être incapables de peser sur la rédaction des nouvelles institutions. Le cadre prévu pour enserrer le gouvernement De Gaulle, i.e. la loi du 3 juin 1958, présente déjà un biais inquiétant. Les idées des constituants, à commencer par celles du général et, à un moindre degré, de Michel Debré, son fidèle d'entre les fidèles, jouent, il va de soi, un rôle essentiel dans l'antilibéralisme foncier de la nouvelle loi fondamentale. - La loi constitutionnelle du 3 juin 1958

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 « portant dérogation transitoire aux dispositions de l'article 90 de la Constitution de la IVe République» habilite le Gouvernement De Gaulle -et non pas le général lui-même pour éviter le fâcheux précédent de 1940- à réviser la Constitution de 1946. Elle sera en fait la première étape de sa fin. Des cinq conditions posées, les commentateurs de la loi mettent en exergue habituellement la « séparation des pouvoirs », le suffrage universel comme source de l'exécutif et du

législatif, enfin le régime parlementaire puisque le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement. Ils obombrent en revanche la condition relative à l' «autorité judiciaire », si ce n'est pour noter la singularité de l'expression. Or, la quatrième condition n'est pas la moindre: «L'autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d'assurer le respect des libertés essentielles définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration de 1789 ». Le préambule était explicitement à tonalité socialo-communiste, ce qui était normal puisque l'assemblée constituante était composée aux deux tiers d'hommes de gauche et d'extrême-gauche. Il est étrange que ce morceau d'archéologie constitutionnelle ne suscite qu'indifférence de la part des constitutionnalistes et des hommes politiques, comme s'il devait être gravé à tout jamais dans le marbre. Sa lecture est pourtant édifiante. «Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres»: l'inclusion implicite de l'Union soviétique parmi ces peuples participait de l'aura du stalinisme en France. Le reste du texte confirme les craintes initiales. Certes, la Déclaration de 1789 se trouve confirmée. Mais s 'y ajoutent des principes politiques, économiques et sociaux « particulièrement nécessaires à notre temps ». Il ne s'agit donc plus de droits de l'homme attachés à sa nature et « déclarés », mais des droits de l'homme inventés pour les besoins de la cause. Suit une liste à la Prévert -sans mauvais jeu de mots - : droit d'obtenir un emploi, participation des «travailleurs », par l'intermédiaire de délégués, à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu'à la gestion des entreprises, nationalisation, enseignement public gratuit et laïque, etc .. Dès le 3 juin 1958, le ver était dans le fruit. Il est indispensable ici de se référer sans délai aux débats constituants. La question des droits de l'homme a été réglée. expédiée même, lors de la séance du 13 août 1958 du Comité consultatif constitutionnel 47. Au-delà des termes contraignants de la loi du 3 juin, les constituants ont entendu faire oublier le caractère «autoritaire» du projet, pour reprendre

Comité consultatif constitutionnel, séance du 13 août 1958, matin in Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, Documents pour servir à l 'histoire de l'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, Paris, La Documcntation française, vol. II, 1988, pp. 447-452. V. Bruno Genevois, « Le préambule ct les droits fondamentaux» in Didier Maus, Louis Favoreu & Jean-Luc Parodi (dir.), L'écriture de la Constitution de 1958. Actes du colloque du XXXe anniversaire. Economica, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 1992. pp. 483-499. 47

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l'expression de Marcel Waline, en marquant leur fidélité aux « traditions républicaines et libérales (sic) ». Michel Debré confirmera plus exactement qu'en faisant référence à 1789 et à 1946, le préambule se coulait dans « la légitimité nationale et républicaine» 48. Les droits de l'homme n'ont pas suscité la controverse parce que les constituants, loin de rompre sur ce point avec les institutions précédentes, ont entendu inscrire la nouvelle loi fondamentale en continuité avec elles. Toutefois, plusieurs amendements furent proposés. L'un mêlait la chèvre et le chou. Après avoir rappelé que les droits de l'homme avaient été consacrés par la Déclaration de 1789, il ajoutait que le peuple confirmait « les principes politiques, économiques et sociaux énumérés par le préambule de la Constitution de 1946 ». La suite manifestait un anti -socialo-communisme indiscutable: « l'activité économique de la nation et l'action de l'Etat dans le domaine économique ne peuvent tendre qu'à l'épanouissement de l'homme et ne peuvent en aucun cas instaurer la servitude et l'oppression pour quelque motif que ce soit. La propriété personnelle, la liberté d'entreprise, la liberté de choix du métier, la liberté des contrats sont reconnues comme base fondamentale du régime économique et social de la France. L'Etat ne peut en aucun cas les abolir, ni en droit ni en fait.» Les dernières lignes, maladroitement rédigées, étaient inconciliables avec les précédentes: « Il ne peut porter atteinte par mesure particulière et de portée limitée que pour des motifs impérieux, lorsque le bien commun l'exige. Le rôle premier de l'Etat est d'assurer une juste répartition des richesses entre les différentes catégories qui participent à leur production. »49 Raymond Janot, commissaire du Gouvernement, s'opposa à l'adoption de cet amendement en raison du manque de temps et de l'incidence néfaste d'une proclamation de la liberté des contrats sur la réglementation du contrat de travail! 50 Une personne ira jusqu'à s'étrangler à l'idée d'une constitutionnalisation du « régime capitaliste» 51. Il est inutile de préciser que c'est le texte du préambule proposé par le Gouvernement qui fut adopté ... Entre-temps, Paul CosteFloret, avec le bruyant appui du président, Paul Reynaud, avait tenté en vain de faire adopter un amendement qui incluait dans le préambule une référence à la Déclaration universelle des droits de l 'homme, ce monument

Comité consultatif constitutionnel, séance du 13 août 1958, soir in ibid., p. 523. Amendement de Van Graefschepe, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, Comité consultatif constitutionnel, matin in ibid., p.448. 50 Raymond Janot in ibid., pp. 449-450. 51 Lavriol in ibid., p. 451.

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socialo-communiste de l'après deuxième Guerre mondiale 52. Enfin, l'amendement de Marcel Waline relatif au principe de l'habeas corpus procédure anglo-saxonne qui permet à un individu privé de sa liberté de saisir un juge pour vérifier la légalité de sa détention et qui empêche ainsi les détentions arbitraires 53 - suscita les réserves du commissaire du Gouvernement et du président en raison de la question algérienne 54. Autrement dit, par principe, les emprisonnements arbitraires étaient prohibés, mais, en pratique et compte-tenu de la brûlante situation sur le continent africain, ils devaient être tolérés. Les constituants avaient décidé de faire boire le calice jusqu'à la lie aux libéraux ... Sans surprise, la teneur des débats constituants ne jurait pas avec le texte définitif.

- Les idées des constituants Il s'agit ici de s'atteler à l'étude des pensées constitutionnelles du Général de Gaulle et de son garde des Sceaux, Michel Debré, les plus importantes parmi celles des constituants. De Gaulle était ignorant du droit constitutionnel jusqu'à la deuxième Guerre mondiale. Nécessité faisant loi, il va devenir, avec sa brillante intelligence et sous l'influence de René Capitant et de Michel Debré, un redoutable constitutionnaliste. Son premier grand discours en la matière sera celui de Bayeux, prononcé à une date symbolique: le 16 juin 1946. rI Y dévoile sa pensée constitutionnelle dans le contexte de la naissance aux forceps de la Constitution de la IVe République. Tout le discours est centré sur la restauration de l'Etat et de la nécessaire grandeur d'une nation libre groupée sous son égide. Un Etat légitime, souverain, sauvegardé dans ses droits, sa dignité et son autorité, capable de préserver l'ordre public, de faire rendre la justice et de commencer la reconstruction. 55 De Gaulle ne 52 Y. ibid., p. 450. Y. Jean-Philippe Feldman, « Hayek's Critique of the Universal Declaration of Human Rights », Journal des Economistes et des Etudes Humaines, vol. IX, n° 4, décembre 1999, pp. 529-539. 53 Y. Pierre Egéa, « Habeas corpus» in Michela Marzano (dir.), Dictionnaire du corps, Paris, P.U.F., 2007, p. 433. 54 Comité consultatif constitutionnel, séance du 13 août 1958, matin in Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ye République, op. cil., vol. Il, pp. 447-452. 55 Général de Gaulle, « Discours de Bayeux», 16 juin 1946 in Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la y e République, op. cit., vol. l, 1987, pp.3-7.

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fait jamais référence à l'individu, pas plus qu'au respect des droits et libertés. Les institutions doivent compenser les effets d'une perpétuelle effervescence politique. Les pouvoirs publics doivent être nettement séparés et fortement équilibrés; au-dessus des contingences politiques, doit être établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons: l'arbitrage du chef de l'Etat. De Gaulle ne saurait être accusé d'inconstance sur la question institutionnelle. Celle-ci lui apparaît cruciale lorsqu'il revient au pouvoir au milieu de l'année 1958. La réforme des institutions est son objectif premier. 56 L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle déposé le 1er juin 1958 précise qu'il est nécessaire de procéder d'urgence à une réforme de la Constitution «pour mettre la République à même d'assurer l'ordre dans l'Etat et le salut de la Nation ».57 Pas un mot sur la liberté! Enfin, dans son discours du 4 septembre 1958 place de la République, De Gaulle n'hésite pas à s'exclamer: « la Nation française refleurira ou périra suivant que l'Etat aura ou n'aura pas assez de force, de constance, de prestige pour la conduire là où elle doit aller. »58 Un point apparaît fort révélateur. L'avant-projet prévoyait que, «assisté du Gouvernement» comme sous Napoléon III !-, le Président de la République définissait l'orientation générale de la politique intérieure et extérieure du pays. Dans le texte définitif, c'est le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation. Du moins, en principe ... La pensée constitutionnelle de Michel Debré diffère sensiblement de celle de De Gaulle, mais l'inspiration reste identique. Les deux hommes sont des étatistes, mais l'étatisme de Debré se colore d'un vernis libéral qui ne se retrouve pas chez le Général. C'est ce vernis qui amène certains commentateurs, sans rire, à qualifier Debré de libéral. Pour scruter sa doctrine, il n'y pas de texte plus construit que son allocution devant le Conseil d'État du 27 août 1958, l'un des textes majeurs des débats constituants. L'objet de la réforme constitutionnelle « est d'abord, et avant

Jean Foyer, «Rédaction de la Constitution française du 4 octobre 1958» in Terence Marshall (dir.), op. cil., p.66; François Luchaire, «Commentaire du rapport de Jean Foyer» in ibid., p.137. 57 Jean Foyer, « Rédaction ... » in ibid., p.73. 58 Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la ye République, op. cit., vol. II, p.601. 56

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tout d'essayer de reconstruire le pouvoir ».59 Debré ajoute en conclusion qu' «une première condition est nécessaire: un pouvoir ».60 Il n'est dit mot sur la liberté, qui n'est ainsi pas le préalable du Pouvoir. Selon une expression célèbre, le Président de la République doit être «la clé de voûte ~~ du régime parlementaire enfin mis en place. Mais ce Président n'est pas le personnage effacé caractéristique des régimes parlementaires modernes et contemporains; il doit être «le juge supérieur de l'intérêt national ».61 Une telle conception est incompatible avec les principes libéraux. Il est vrai que l'article 64 de la Constitution, selon lequel « l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle », est qualifié d' habeas corpus à la française. Debré use de la même expression frappante: l'article 64 «est la clé de voûte de tout régime qui prétend respecter la liberté individuelle »62. Le Garde des Sceaux parle de la «légitimité libérale de la France », et d'une combinaison des «droits individuels» et des «droits de l'Etat ». Il ajoute: «Liberté des partis politiques (liberté essentielle de la démocratie), liberté d'interpeller le Gouvernement (liberté essentielle du régime parlementaire), liberté de chaque citoyen garantie par le pouvoir judiciaire (liberté essentielle de l'individu): le projet de Constitution est inspiré par le plus généreux respect de la liberté. »63 Malheureusement, une telle conception, discutable sur certains points au demeurant, ne laisse pas d'être insuffisante lorsque les textes fondamentaux ne suivent pas. Surtout, la conclusion de Debré laisse songeur: « une constitution ne peut rien faire d'autre que d'apporter des chances aux hommes politiques de bonne foi qui, pour la nation et la liberté, veulent un État, c'est-à-dire, avant tout autre chose, un Gouvernement. »64 Or, une constitution n'est pas faite pour apporter des chances, encore moins à des hommes de bonne foi! La dialectique Pouvoir/Liberté n'est pas bien comprise. Il est amusant de comparer aux termes maladroits de Debré les thèses de Karl Popper. Celui-ci écorne la pensée platonienne en ce qu'elle a mal formulé le problème politique fondamental. Celui-ci ne revient pas à se demander qui doit gouverner, mais comment on peut «concevoir des institutions politiques qui empêchent des dirigeants mauvais ou incompétents de causer trop de Ibid., Ibid., 61 Ibid., 62 Ibid.. 63 Ibid., 64 Ibid.. 59

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vol. III , p.255. p.269. p.264. p.268. p.269.

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dommages. »65 Sieyès écrivait déjà en 1789: « La constitution n'est pas un ramassis d'articles bien ou mal classés, bien ou mal rédigés, et mis ensuite sous la sauvegarde de la bonne volonté ».66 Une Constitution incapable de neutraliser les défauts de caractère des dirigeants est mauvaise, confirme Jean-François Reve1. 67 - Le texte de la Constitution

La Constitution du 4 octobre 1958 débute par un préambule ainsi libellé: « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l 'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils sont définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946». On mentionnera pour mémoire que la Déclaration de 1789, d'une tonalité « libérale» nonobstant un légicentrisme présent dans la moitié de ses dispositions, se voit adjoindre un texte à caractère socialo-communiste. Conforme à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, un tel attelage peut néanmoins surprendre. Il est vrai qu'aux yeux de moult constituants, les références textuelles ne présentaient que peu d'importance dans la mesure où le Conseil constitutionnel n'était pas censé contrôler la constitutionnalité des lois en se fondant sur le préambule, donc sur ses textes de référence. Dans sa grande décision sur les nationalisations du 16 janvier 1982, la Haute juridiction a dû s'interroger sur la signification des termes « confirmée et complétée ». Voulaient-ils dire que la Déclaration primait les textes ultérieurs ou bien que les textes les plus récents étaient dotés d'une dignité plus grande? Il s'infère de la décision prudente du Conseil que les documents avaient la même valeur et que, dès lors, il lui appartenait de concilier des principes éventuellement divergents. Sa jurisprudence ne s'est jamais démentie. Les droits et libertés « libéraux» se concilient donc ou doivent être conciliés avec les droits et libertés socialo-communistes. L' antilibéralisme du préambule se trouve accusé par l'ajout, sur objurgation présidentielle, de la référence à la Charte sur l'environnement en 2005.

Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis. Tome 1 l'ascendant de Platon, trad. Jacqueline Bernard & Philippe Monod, Paris, Seuil, 1979, p.104. 66 Cité in Pasquale Pasquino, Sieyès et l'invention de la Constitution en France, Paris, Odile Jacob, 1998, p.l79. 67 Jean-François Revel, L'absolutisme inefficace ou Contre le présidentialisme à la française, Paris, Plon, 1992, pp.82-83. 65

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La Constitution commence mal. Ses articles confirment l'antilibéralisme du préambule. Il faut les étudier rapidement en sélectionnant les dispositions les plus frappantes, modifiées au besoin par l'une des trop nombreuses lois constitutionnelles depuis 1958. L'article 1 dispose notamment que «la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Dans le débat sur les nationalisations, il a pu être soutenu que si la France était une république « sociale », elle n'était pas pour autant socialiste ... Au-delà de cette subtilité sémantique, il est incontestable que la France n'est pas non plus une « République libérale ». L'article 3, issu d'une réforme de 1999, consacre la « parité », en introduisant une distinction suivant les sexes qui avait été opportunément refusée par le Conseil constitutionnel aux termes d'une jurisprudence constante. Les constituants décidèrent que le Parlement ne siègerait pas toute l'année, mais lors de deux sessions ordinaires, respectivement de 80 et 90 jours, soit 170 jours. Depuis une réforme constitutionnelle de 1995, l'article 28 dispose que le Parlement se réunit en une seule session ordinaire, du mois d'octobre au mois de juin, durant 120 jours au maximum. .. à la demande des plus hautes autorités parlementaires! Compte tenu de la croissance des sessions extraordinaires, les présidents des chambres ont pu souhaiter une nouvelle révision de la Constitution pour accroître le nombre de jours de séances. L'article 34, relatif au domaine de la loi, dispose que celle-ci fixe les règles concernant « les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ». Voilà le type même de disposition « neutre» qui autorise non seulement les privatisations, mais aussi les nationalisations. La loi constitutionnelle du 22 février 1996 a introduit dans la Constitution un article 47-1 selon lequel « Les lois de financement de la Sécurité Sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». En effet, certains s'étonnaient que le Parlement ne vote pas le budget de la Sécurité Sociale alors même qu'il était plus important encore que le budget de l'Etat. La disposition n'en semble pas moins baroque. Il ne s'agit pas d'autoriser des ressources et des charges pour une année, mais de déterminer, de manière vague, les conditions générales d'un équilibre financier plus qu'hypothétique et de fixer ce qui est pudiquement appelé objectifs de dépenses compte tenu de ce qui est là encore pudiquement appelé prévisions de recettes. L'article 40, quant à lui, se présente comme le paradigme d'une réaction par rapport aux

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dérives des républiques précédentes. Il dispose que les propositions et amendements formulés par les parlementaires ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. Cette disposition, appliquée strictement, empêcherait toute initiative parlementaire. En effet, toute proposition a une incidence financière. Aussi l'article 40 se trouve-t-il interprété avec souplesse. En matière de ressources, la compensation réelle entre elles est admise du fait de l'utilisation du pluriel dans le texte. En revanche, les dépenses publiques ne peuvent être compensées. Même ainsi interprétée, cette disposition demeure indéfendable. L'article 64 dit, de manière fort étrange que le Président de la République est «garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire ». Certains auteurs ont pu relever que c'était introduire le loup dans la bergerie ... L'article 66 constitue l'une des rares dispositions libérales dans la Constitution, mais encore convient-il d'y apporter des réserves. Il dispose d'abord que «nul ne peut être arbitrairement détenu », ensuite que «l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Il a pu être critiqué en ce qu'il ne respectait pas les termes de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958. 68 Celle-ci prévoyait que l' «autorité judiciaire» devait être à même d'assurer le respect des libertés essentielles définies dans les textes de 1789 et 1946. Or, l'article 66 ne consacre qu'un habeas corpus, au surplus miné par légicentrisme. Les articles 69 à 71 créent un Conseil économique et social. Héritier d'un Conseil national économique créé en 1925 et d'un organisme de la IVe République, le Conseil économique et social comprend 230 membres nommés pour cinq ans. L'article 69 dispose qu'il donne son avis sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret, ainsi que sur les propositions de loi qui lui sont soumis. Il peut aussi être consulté par le Gouvernement sur tout problème de caractère économique ou social. Si quelques constitutionnalistes n'hésitent pas à louer la qualité de ses rapports, certains n'usent pas de la langue de bois. Sa composition -des personnes désignées discrétionnairement par l'exécutif, ce qui permet de« recaser» des amis ou des fidèles, des syndicalistes et des représentants du monde agricole en nombre, etc.- est l'objet d'un feu nourri de critiques. Sont dénoncés les débats médiocres, l'absentéisme galopant malgré une indemnité mensuelle

François Luchaire, « Commentaire du rapport de Jean Foyer» in Terence Marshall (dir.), op. cil., p.142.

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d'environ 3 000 € nets. 69 Enfin, le nouveau titre XII, issu d'une réforme de 2003, comporte plusieurs articles très longs. Le dernier alinéa de l'article 72-2 prévoit des «dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». C'est une application de l'égalitarisme à la décentralisation et une mécompréhension tant de la subsidiarité que de la concurrence fiscale. L'article 74 consacre la possibilité de «mesures justifiées par les nécessités locales» dans les collectivités d'Outre-mer en faveur de leur population, notamment en matière d'accès à l'emploi et de protection du patrimoine foncier. Autrement dit, le programme de préférence locale, heureusement interdit en métropole lorsqu'il est lancé par l'extrême-droite, se trouve consacré Outre-mer. Vérité en deçà d'un parallèle, erreur au-delà. Dans la même veine, le titre XIII concerne les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie introduite en 1998 et qui renvoient à l'accord de Nouméa. Or, celui-ci a été vertement critiqué par bien des juristes en raison de son caractère discriminatoire, tant en ce qui concerne l'organisation du futur scrutin sur l'accession à la souveraineté - dont les règles ont été confortées, à la suite de débats houleux, par la loi constitutionnelle du 19 février 2007, laquelle a modifié l'article 77 de la Constitution - qu'en ce qui concerne l'emploi. Il est fâcheux de trouver dans une loi fondamentale des articles qui fleurent bon la république bananière. Jusqu'à présent ont été mis à dessein de coté les dispositions relatives à l' « équilibre des pouvoirs» entre l'exécutif et le législatif, et il faut en dire quelques mots. Le plan d'un texte constitutionnel est souvent révélateur. Après un titre consacré à la souveraineté, le titre II a trait au Président de la République. C'est la première fois dans l'histoire de la République que l'exécutif -plus précisément le Président- prime le législatif. Le Président dispose de pouvoirs sans contreseing, énumérés dans l'article 19 à titre d'exceptions, et de pouvoirs soumis à contreseing. Ses pouvoirs sans contreseing concernent le plus souvent des périodes de crise, à tout le moins des circonstances particulières. Seul l'article 5 lui attribue un pouvoir d' «arbitrage », mais il est flou. L'article 16, rejeté avec horreur par les républicains, traduit les pouvoirs exceptionnels du Président en période exceptionnelle et il se présente comme la marque « décisionniste » de la Ve République. Le Gouvernement n'est traité que dans le titre III, mais avant le Parlement. Les articles sont cursifs. Toutefois, en peu de 69 V. Le Monde. « Les channes douillets du Palais d'Iéna »,5 janvier 2006, article au vitriol. ..

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mots, et contrairement à la première mouture de la Constitution, l'article 20 dit que le Gouvernement, et non pas le Président, « détermine et conduit la politique de la Nation ». Le Premier ministre est mentionné brièvement lui aussi, mais son statut est renforcé, au-delà de sa nouvelle dénomination à l'anglaise voulue par Debré. L'article 21 énonce que « le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement». Le Premier ministre est d'ailleurs le seul ministre qui soit mentionné dans le texte, à l'exception du garde des Sceaux, vice-président du Conseil supérieur de la Magistrature.

B - UN ANTILIBERALISME ACCUSE PAR LA PRATIQUE La Constitution du 4 octobre 1958 était d'inspiration antilibérale pour l'essentiel. Mais un texte est une chose, son interprétation une autre. Malheureusement, la pratique continue depuis l'origine a confirmé et accusé l' antilibéralisme originel. On a dit plaisamment que les premières années d'une constitution étaient à l'image de celles d'un enfant: décisives. Or, ce sont les antilibéraux qui, après avoir joué un rôle décisif dans la rédaction de la Constitution, ont été aussitôt chargés de l'appliquer. La pratique gaullienne a usé des institutions dans un sens antilibéral et nul ne saurait en être surpris. Ce qui est plus étonnant, c'est que les successeurs du Général, notamment ses adversaires les plus vindicatifs, se soient coulés dans le moule qu'il avait forgé. La conception présidentielle, biaisée dès l'origine, a pour particularité de contaminer tous les occupants de l'Élysée. Plus: les personnes en poste à Matignon ont fait de même et se sont soumises par flagornerie ou par intérêt. L' «exception française» s'est vérifiée puisque l'émergence d'un nouveau libéralisme en Occident, puis dans le monde, à partir de la fin des années 1970, n'a eu aucun impact réel sur la pratique et le devenir des institutions hexagonales.

- Le biais originel Dès les premières semaines d'application de la Constitution, De Gaulle, triomphalement élu au suffrage universel indirect comme Président au mois de décembre 1958, va marquer de son empreinte les institutions et tout particulièrement la présidence. Contrairement au texte de la Constitution et à l'interprétation «raisonnable» que l'on pouvait en faire, c'est le Président qui va déterminer et conduire la politique de la Nation. Il va s'arroger tous les pouvoirs en traitant directement de certaines questions:

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les affaires extérieures et la question algérienne. Il tranchera en dernier ressort toutes les autres questions de politique intérieure. Il nomme Michel Debré comme Premier ministre. Ce fidèle va le laisser interpréter la Constitution à sa guise. Le Général impose des techniciens comme ministres et il interdit les conseils de cabinets, i.e. les réunions des ministres hors la présence du Président. En mars 1960, il refuse de convoquer le Parlement en session extraordinaire malgré la demande d'une majorité de députés. A la suite d'une tentative de putsch en Algérie, il met en œuvre l'article 16 et le maintient en vigueur jusqu'au 29 septembre 1961, bien que le putsch ait été maté dès le 27 avril. Après avoir usé Michel Debré et lui avoir fait avaler des couleuvres -l'indépendance de l'Algérie surtout-, De Gaulle le remercie dans tous les sens du terme et pousse la provocation jusqu'à nommer son ancien directeur de cabinet, Georges Pompidou. C'était confirmer la subordination du Premier ministre et signifier que le règlement de la question algérienne n'aboutirait pas à réduire l'interventionnisme présidentiel. La décision fondamentale sera la réforme constitutionnelle de 1962 sur l'élection du Président au suffrage universel direct. La thèse selon laquelle De Gaulle aurait été convaincu de la nécessité de cette réforme à la suite de l'attentat du Petit-Clamart, ne tient pas. Ses entretiens avec Alain Peyrefitte le confirment. Le nouveau mode d'élection entend assurer, à défaut du prestige du Général, la stabilité de la fonction présidentielle. L'Assemblée nationale ne sera plus le seul organe à être directement élu par le « peuple» et le Président pourra concurrencer sa légitimité. Plus encore, il pourra en fait la surpasser parce qu'il sera l'élu unique d'une circonscription unique. Effectivement, le 28 octobre 1962, il fait adopter par référendum, en vertu de la procédure de l'article Il, donc d'une procédure irrégulière, une révision de la Constitution. Le Président sera dorénavant élu directement par le peuple. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 6 novembre 1962, refuse de se prononcer sur les lois adoptées directement par le peuple à la suite d'un référendum et qui constituent ainsi « l'expression directe de la souveraineté nationale ». L'interprétation de la Constitution comme « république sénatoriale », déjà inexacte en 1958, devenait indéfendable. Le Président va dès lors s'arroger tous les pouvoirs. La conférence de presse du Général le 31 janvier 1964 au Palais de J'Élysée sera à cet égard un morceau d'anthologie puisqu'il ira jusqu'à prétendre: « Il doit être évidemment entendu que l'autorité indivisible de l'Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l'a élu, qu'il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par

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lui» ! On comprend que, par delà les caricatures, la pratique gaullienne ait été interprétée par de nombreux observateurs américains comme une dictature et que le texte de 1958 n'ait pas été entendu comme une constitution digne de ce nom.

- La continuité socialiste La plupart des commentateurs en 1958-1959 étaient convaincus que les nouvelles institutions disparaîtraient avec leur fondateur. L'interprétation était soutenable puisque la Constitution avait été conçue par De Gaulle et ses proches pour De Gaulle. Le démenti de l'Histoire a été total. Les institutions ont survécu à la démission de leur fondateur, à l'alternance et à la « cohabitation ». Dans quel état, demanderaient les plus impertinents? La question la plus mystérieuse était sans doute de savoir si la Constitution demeurerait après l'accession à la Présidence de François Mitterrand, et ce pour deux raisons principales. D'abord, le programme commun du gouvernement se distinguait par son radicalisme et sa volonté de rupture avec l'ordre « capitaliste» existant. Ensuite, Mitterrand avait été l'un des opposants les plus résolus aux nouvelles institutions, car il rejetait les conditions douteuses dans lesquelles le changement de Constitution s'était opéré, et à leur interprétation, car il avait dénoncé avec talent le «coup d'État permanent ». En réalité, l'accession à la présidence du candidat socialiste n'a rien changé, si ce n'est, selon certains, qu'elle a aggravé les défauts congénitaux des institutions. Après le coup de force de 1958 et le coup d'État permanent, il n 'y a pas eu de coup de théâtre en 1981. Au demeurant, les 110 propositions du candidat Mitterrand étaient fort timides sur le plan institutionnel et elles n'ont même pas été appliquées pour certaines d'entre elles. C'est que, avec son intelligence coutumière, Mitterrand a parfaitement compris qu'il pourrait se servir des institutions, suffisamment malléables, pour mettre en place ou tenter de mettre en place, un ordre socialiste. Il va l'exprimer avec son cynisme non moins coutumier, le 2 juillet 1981 : «Les institutions n'étaient pas faites à mon intention, mai s elles sont faites pour moi ». Il reniait ainsi vingt-trois ans d'opposition. Les pratiques liberticides de la droite -médias aux ordres, restriction de la liberté de pensée, d'expression et d'opinion, scandales financiers, etc.auront été l'avant-coureur de celles de la gauche. Mitterrand croyait que les institutions n'étaient pas nocives tant qu'il en était le principal détenteur. De méchantes langues ont dit qu'il avait refusé pendant longtemps la

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réédition de son ouvrage de 1963, qui stigmatisait la quasi-dictature gaullienne, parce que ce livre, vingt ans après, constituait un réquisitoire implacable contre sa propre pratique. Il est révélateur en tout cas qu'il se soit présenté à l'élection présidentielle de 1988 sur le mode: «Moi ou le chaos », de la même manière que De Gaulle s'était présenté contre lui vingt-trois ans plus tôt... La dent toujours dure à l'égard de son persécuteur, Michel Rocard confiera plus tard dans un entretien: «Sa vision créatrice de l'éveil de la société civile ( ... ) était nulle. Il considérait même qu'il y avait danger politique à créer trop de choses qui pourraient devenir des contre-pouvoirs ».70 L'utilisation des institutions par la gauche fait penser au protectionnisme dénoncé par Bastiat au milieu au XIX ème siècle. Il suffisait aux socialocommunistes de se couler dans les institutions existantes pour en exploiter toutes les virtualités et faire régner la «fraternité légale ». Justement contestés par l'opposant Mitterrand, les abus de pouvoir vont s'accroître avec le Président Mitterrand. L'irresponsabilité du Président de la République, tant juridique que politique, va le mettre à l'abri des poursuites judiciaires et des risques de démission forcée. Il n'est pas exagéré de dire que dans aucun pays démocratique au monde, un chef de l'Etat ou de Gouvernement peut être aussi irresponsable que le Président de la République français. Ce n'est pas non plus forcer le trait que de prétendre, eu égard à l'ampleur des scandales financiers ou des atteintes aux libertés, qu'il n'y a pas un seul pays démocratique au monde dans lequel un chef de l'Etat ou de Gouvernement n'aurait pas été obligé de démissionner ou, à tout le moins, été poursuivi devant les tribunaux, ordinaires ou extraordinaires. Triste « exception française» qui témoigne d'un manque de maturité constitutionnelle. - Les fossoyeurs du libéralisme On eût pu penser que l'accession à la présidence ou la nomination à Matignon d'hommes politiques présentés ou se présentant comme libéraux, aurait pu changer la donne. Car encore une fois, les constitutions, comme tout texte, n'ont pas de sens clair et évident: elles dépendent de leur interprétation. C'était faire preuve de naïveté que de le penser et cinq dates permettent de s'en convaincre: 1974,1986,1993,1995 et 2002. Michel Rocard, « Entretien» in Revue du droit public et de la science politique. 1998, numéro spécial, p.1287.

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En 1974, accède à la présidence un jeune candidat qui s'autoproclame «libéral avancé ». Dans son ouvrage de 1976 intitulé Démocratie française, Yaléry Giscard d'Estaing met sur le même plan « libéralisme classique» et marxisme en ce qu'ils reposeraient sur une idée abstraite et partielle de l'homme. Or, le Président s'éloigne du «pur robot libéral» et de l'homo oeconomicus. 71 Il s'agit, selon lui, de réaliser« la synthèse entre le développement des libertés individuelles au niveau de l'homme et l'organisation rationnelle des fonctions collectives ».72 L'Etat ne saurait être enfermé dans ses seules fonctions régaliennes. En effet, toutes les grandes tâches sociales appelleraient, sous une forme ou sous une autre, une certaine intervention ou participation de l'Etat. 73 Certes, sous la présidence de Yaléry Giscard d'Estaing, quelques réformes libérales furent lancées. Le Conseil constitutionnel put être saisi par 60 députés ou 60 sénateurs pour contrôler la constitutionnalité d'une loi, alors que les autorités de saisine avaient été jusque-là fort restreintes et effectivement peu portées, du fait de leur couleur politique, à autoriser son intervention. Ce qui fut lucidement qualifié à gauche de «réformette» s'avéra en réalité une rénovation capitale des institutions. Pour le surplus, les atteintes aux libertés continuèrent de plus belle, sur fond de scandales financiers à répétition. Lors de la campagne présidentielle de 1981, le candidatprésident tint une réunion lors de laquelle lui furent lancées par des paysans mécontents -ce qui est un pléonasme- quelques unes de leurs productions pourries. Un hebdomadaire satirique dira que «Giscard» avait reçu les fruits de sa politique ... 1986 est peut-être l'année charnière dans l'histoire de la y e République. La « révolution conservatrice », en fait libérale, envahit comme une traînée de poudre les pays anglo-saxons. Déçus par l' « expérience» socialiste, les Français, se tournent logiquement et rapidement vers l'opposition de droite. Celle-ci surfe sur la vague libérale. Les ouvrages de vulgarisation écrits par des auteurs libéraux, par conviction ou par opportunisme, s'amoncellent. Une plate-forme RPR/UDF, à la tonalité libérale sur de nombreux aspects, est adoptée. Naguère zélateur du « travaillisme à la française », le dénonciateur du « parti de l'étranger », Jacques Chirac, appartient aux nouveaux convertis et c'est ainsi qu'il est nommé en 1986 à Matignon. Les 71 72 73

Valéry Giscard d'Estaing, Démocratiefrançaise, Fayard, 1976, pp.45-46. Ibid., p.48. Ibid., p.l47.

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éléments de réforme libérale sont mis en place, immédiatement après la victoire aux élections législatives de mars: privatisations, libération des prix, etc .. Mais la « pause» surviendra dès la fin de l'année et, au total, la rénovation demeurera modeste. Sur le plan institutionnel, la prééminence du Président de la République ne sera pas contestée, même si durant la « cohabitation» le Premier Ministre devient l'homme fort de l'exécutif. En effet, le renforcement de Matignon n'est que provisoire. Se réclamant de l'héritage de De Gaulle, bien qu'il fût avant tout pompidolien, Jacques Chirac pouvait difficilement contester les pouvoirs de François Mitterrand. Et ce d'autant plus qu'il aspirait à devenir calife à la place du calife deux ans plus tard ... La « révolution libérale» de 1986 était manquée et Jacques Chirac en porte la prime responsabilité. Nous n'avons pas fini d'expier ses erreurs. En 1993, Jacques Chirac décide opportunément de refuser le poste de Premier Ministre. Échaudé par l'expérience de 1988, il,Préfère laisser sa place à celui qu'il croit être alors son fidèle bras droit: Edouard 8alladur. La droite a les mains libres pour appliquer un programme authentiquement libéral: la gauche, minée par les scandales, a été châtiée lors des élections législatives; le Président, mourant, n'entend pas se présenter à une nouveau septennat. Édouard 8alladur, présenté comme un libéral, est en fait lui aussi un étatiste, nourri au lait de l'École nationale d'administration. Son « extrémisme du centre» se traduira pas un immobilisme foncier, et par un désastre économique et financier dont le point d'orgue est constitué par l'explosion continue de la dette publique. Les Français sanctionneront son échec et le fait qu'il ait osé se présenter à l'élection présidentielle, au mépris de ses promesses, contre son mentor. Deux années avaient été perdues.

1995 est l'année de l'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République, secondé par une équipe disparate d'hommes de droite, de centristes et de libéraux. Alain Juppé, le Premier ministre, appartient à sa frange la plus étatiste. Numéro 2 du Gouvernement, Alain Madelin, ministre libéral de l'Économie et des Finances, ne restera pas quatre mois en poste. La voie était ouverte à la gauche et à l'extrême-gauche deux ans plus tard. Enfin, à la suite de réélection en 2002, Jacques Chirac nomme Premier ministre un illustre inconnu: Jean-Pierre Raffarin. Celui-ci est présenté comme un «libéral» puisqu'il a appartenu au parti fondé par Alain

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Madelin, Démocratie libérale. Inféodé à un Président de la République de plus en plus antilibéral et qui n'hésitera pas à déclarer, sans rire, que le libéralisme est « pire que le communisme », il sombrera corps et bien après plusieurs années d'immobilisme. Son remplaçant, Dominique de Villepin, qui a l' « excuse» lui, de ne jamais avoir connu le secteur privé, se situe dans la lignée de son ancien chef, Alain Juppé. Mort-né en 1986, le libéralisme n'est même pas l'arlésienne, il est devenu repoussoir. Quant à la brillante élection de Nicolas Sarkozy en 2007, les libéraux n'attendaient pas grand chose d'un homme qui avait avoué toute honte bue durant la campagne présidentielle: « Je ne pense pas à Hayek en me rasant le matin » ...

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Conclusion: L'échec de la Ve République

Non seulement les institutions de la ye République n'ont pas empêché la croissance de l'Etat, mais elles l'ont favorisée. Une bonne constitution limite le Pouvoir; la Constitution de la ye République l'a étendu. Une bonne constitution organise harmonieusement les «pouvoirs»; la Constitution de la ye République n'a pas remédié à leur manque d'équilibre. Les marxismes poussaient des cris d'effraie en 1958: la nouvelle Constitution allait permettre de détruire tous les «acquis sociaux ». « La Constitution gaulliste (sic) autorise le " Prince-Président" à détruire toute la législation sociale. )/4 Or, jamais la socialisation n'a été aussi poussée en France que depuis lors! En triste condition au sortir de la Iye République, le libéralisme est aujourd'hui en déliquescence. La France est l'un des rares pays dans lequel le libéralisme ne soit pas l'un des courants essentiels de la vie politique, voire l'un des deux grands courants avec la social-démocratie. Peu importe de savoir si les institutions doivent être révisées dans certaines de ses dispositions ou si les modifications doivent être si profondes que l'on aboutisse à un changement de régime. La mise en place d'un ordre libéral pour la première fois dans l'histoire de France suppose entre autres des changements institutionnels majeurs et non pas des cautères sur des jambes de bois. Tout le reste n'est que littérature.

74 Georges Bouvard, L'Humanité, leT août 1958 in Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la ye République, op. cit., voI.IY, pp.366-367.

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III - DE FAUX REMEDES

Introduction: Une crise originelle et permanente La crise ne date pas d'aujourd'hui. Elle remonte aux origines de la Ve République. Plus encore, elle ne date pas de 1958: la Ve République a pu faire illusion, elle n'a pas résolu des problèmes ancestraux. La crise est plus aiguë aujourd'hui car beaucoup pensent que la Ve République l'a aggravée. Il existe un lien, sur ce point comme sur d'autres, malgré le paradoxe, entre la Ve République et les deux précédentes: une « réformite » permanente. C'est que, de 1875 à 1958, trois républiques sont nées dans des circonstances qui n'incitaient pas à la sérénité. Aucune n'a provoqué un quelconque enthousiasme. Les lois constitutionnelles de 1875 s'expliquent par le compromis intervenu entre les républicains, d'une part, et les monarchistes, d'autre part. Les monarchistes étaient eux-mêmes gravement divisés, ce qui causa à terme leur perte: aux légitimistes s'opposaient les orléanistes. La Constitution de 1946 naquit dans la douleur, après un premier échec référendaire et avec la défiance absolue des gaullistes. Enfin, la Constitution de 1958 fut certes « plébiscitée» par les Français lors du référendum, mais il s'agissait d'une confiance envers un homme bien plus qu'envers des institutions. Peu de constitutionnalistes pensaient alors que celles-ci survivraient à leur fondateur. Il n'est dès lors pas surprenant que sous le Ve République, comme depuis l'entre-deux guerre, de multiples réformes aient été suggérées. Il n'est pas plus étonnant que de multiples réformes soient intervenues.

A-LES REFORMES SUGGEREES Tout le spectre politique français y va de ses propositions de réforme. D'abord, la gauche, bien sûr. Car elle n'a jamais totalement accepté des institutions qui lui paraissaient illégitimes et dangereuses. Elle a développé depuis l'origine l'idée d'une Vie République, dont la caractéristique première est d'être sociale. Ensuite, la droite. Une droite divisée, mais réconciliée dans l'immobilisme. Une partie de la droite s'accommode des institutions et voit dans toute réforme de la Constitution un sacrilège. Cette position gaulliste tend à devenir de plus en plus minoritaire. Une autre partie entend certes adapter les institutions, dans la continuité des principes proclamés en 1958, mais l'immobilisme reste toujours aussi patent car les suggestions de réforme apparaissent timides ou déficientes. Enfin, le centre, fort critique ces dernières années sur le fonctionnement de la Ve

République, croit être réformiste quand il s'enfonce lui aussi dans l'immobilisme. Surtout, deux comités ont été mis en place dans les années 1990 et 2000 pour proposer des révisions de la Constitution. Les rapports rendus ont malheureusement déçu. - La gauche et la Vie République La VIe République n'est pas la chasse gardée de la gauche. Toutefois, le changement de numéro traduit, aux yeux des auteurs de cette mouvance, plus qu'un changement de république. La VIe République doit être « sociale» et non pas, comme pour les hommes de droite, conservatrice. Il s'agit d'instaurer la «justice sociale », de lutter contre les « discriminations» ou encore de « rétablir la force collective du politique, celle qui peut changer la vie» écrivent Arnaud Montebourg et Bastien François 75. Au sein du mouvement socialiste, cinq ouvrages parus entre 2002 et 2005 seront analysés, de même que les propositions de Laurent Fabius lancées dans des articles ou entretiens. Mais, quelles que soient les sensibilités des socialistes, les leitmotive sont les mêmes: démocratie et responsabilité. Une démocratie « citoyenne », i.e. qui permet au « peuple» de participer pleinement aux institutions. Une responsabilité attachée au politique, i.e. qui manifeste la prégnance du principe démocratique au sein des institutions. Les leitmotive sont ainsi liés et permettent à une troisième caractéristique de se manifester: l'efficacité. L'objectif n'est pas de paralyser ou d'affaiblir le pouvoir76 ; les institutions doivent allier démocratie et efficacité 77 . Selon Paul Allies, le dérèglement des institutions produit une confusion dans le mode de gouvernement, «le dépérissement du volontarisme politique », la dilution de la responsabilité des dirigeants, la perte de sens des clivages, la défection d'un nombre grandissant de citoyens 78 . Le but

Arnaud Montebourg & Bastien François, La Constitution de la 6e République. Réconcilier les Français avec la démocratie, Paris, Odile Jacob, 2005, p.46. 76 Arnaud Montebourg, «Entretien» in Revue du droit public et de la science politique, 2002, numéro spécial, « La VI ème République? », p.87. 77 Jack Lang, Changer, Paris, Plon, 2005, p.14. me République, Castelnau-le-Lez, 78 Paul Allies, Pourquoi et comment une Climats, 2002, p.6. 75

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essentiel est de retrouver une fonne démocratique à la distinction entre gouvernants et gouvernés 79 . Il s'agit de rechercher l'avènement d'une démocratie délibérative, qui restaure le principe d'autorité collective et de responsabilité, avec un Parlement actif et des contre-pouvoirs légitimes so . L'auteur se montre très réticent envers le Conseil constitutionnel, car l'idée d'une garantie constitutionnelle des libertés va avec celle d'une limitation du pouvoir des parlements 81 . Ce membre fondateur de la Convention pour la VIe République conclut, sans rire, que la France est « à la fois le pays de la politique et le pays de la loi, ce que le monde entier lui reconnaît ou lui envie »82. Olivier Duhamel, alors député européen élu sur la liste socialiste et professeur des Universités, explique que l'épuisement de la Ve République serait le résultat d'une décolonisation délicate, d'un pluralisme médiatique dégénéré, d'un « sondagisme » aigu, d'élites qui n'auraient pas su opérer une cure de jouvence 83. L'analyse apparaît fort sèche et fait l'impasse sur la question des libertés. L'auteur s'en tient au développement nécessaire de la démocratie, tant en France qu'en Europe 84. Arnaud Montebourg et Bastien François ont monopolisé les médias pendant de longs mois pour promouvoir une VIe République. Ils affirment que la Ve République est devenue « le gouvernement d'un seul, sans le peuple et contre le peuple» - référence implicite à la célèbre phrase de Lincoln, reprise comme principe dans l'article 2 de la Constitution -. L'héritage antidémocratique des institutions de 1958 conjuguerait paradoxalement autoritarisme et impuissance. Après bien d'autres, ces auteurs pensent qu'il est temps de changer de république. Le but est de reconstruire la démocratie et de réconcilier les Français avec leur système politique. Le moyen est de redécouvrir la «séparation des pouvoirs» au sein d'un «régime primoministériel à l'anglaise », un nouveau reglme « véritablement parlementaire» qui assure démocratie et stabilité. Ces auteurs entendent rééquilibrer les pouvoirs au profit du Premier Ministre, à l'image des autres démocraties parlementaires, et au détriment du Président de la République, Ibid., p.27. Ibid., p.29. 81 Ibid., p.46. 82 Ibid., p.59. 83 Olivier Duhamel, Vive la V/me République l, Paris, Seuil, 2002, p.9. 84 Ibid., pp.lO & 155.

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toujours élu au suffrage universel direct mais qui deviendrait un simple arbitre au-dessus des partis. Ainsi, le Gouvernement gouvernerait, cependant que le Président présiderait. Quant au Parlement, sa rénovation lui permettrait d'étendre son contrôle sur le gouvernement et de l'élargir à l'administration. Autrement dit, il s'agirait de passer d'un régime parlementaire dualiste à un régime parlementaire moniste, i. e. dans lequel le gouvernement ne serait responsable que devant le Parlement ou la première chambre, et non plus devant le Président de la République. Ces auteurs défendent un bicamérisme inégalitaire. Certes, le Sénat serait élu au suffrage universel direct, mais à la proportionnelle intégrale dans le cadre régional, et il ne possèderait plus de faculté d'empêcher. Surpuissant, politisé et antidémocratique, le Conseil constitutionnel se trouverait remplacé par une cour constitutionnelle élue, sur proposition du Président de la République, par l'Assemblée Nationale à la majorité qualifiée. Enfin, la responsabilité des membres du Gouvernement et du Président, chère à Arnaud Montebourg, serait mise en cause devant un organe unifié et rénové: la Cour de justice de la République. 85 Les critiques que l'on peut objecter à cette construction ne tiennent pas tant aux propositions qui sont faites qu'à leur inspiration première. Ces auteurs ont entièrement rédigé, avec l'aide de plusieurs juristes de qualité, une nouvelle constitution. Le travail est sérieux et s'il appelle d'inévitables réserves et réprobations, il ne manque pas de contenir maintes propositions censées. Certes, un esprit chagrin constaterait que les institutions de la Ve République seraient moins bouleversées qu'il n'y paraît. Ne serait-ce pas plutôt un retour à l'interprétation majoritaire des institutions de 1958, avant que celles-ci ne ploient sous le joug présidentialiste ? Les pouvoirs migrent du Président de la République vers le Premier Ministre, comme en 1946, et le Parlement recouvre une partie de ses prérogatives sans pour autant verser dans la « souveraineté parlementaire ». 86 L'ouvrage de Bastien François et Arnaud Montebourg gagne à être comparé à ceux de Jack Lang. Si les moyens apparaissent parfois divergents, les finalités sont identiques. Arnaud Montebourg et Bastien François donnent pour ambition à la VIe République la préservation de la démocratie, la restauration de l' « enthousiasme citoyen» et le Arnaud Montebourg & Bastien François, op. cil.. Jean-Philippe Feldman, «VIe République ou Ve bis? Sur le "constitutionnalisme de gauche" », Commentaire, n° 115, automne 2006, pp. 845847. 85

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rétablissement de la force collective du peuple. Il s'agit de réagir face à l'impuissance du politique et de retrouver le contrepoids démocratique face à la « toute-puissance de l'économie et du marché ». Jack Lang, lui aussi dans la lignée du mendésisme, entend lutter contre la «logique ultralibérale ». Lui aussi veut faire d'une réalité la « séparation des pouvoirs» pour redonner à la politique ses lettres de noblesse et faire vivre les valeurs « républicaines ». Mais, les idées d'Arnaud Montebourg n'ont guère convaincu Jack Lang. Celui-ci pointe à juste titre la question de la légitimité d'un Premier Ministre face à un Président qui demeurerait élu au suffrage universel direct. Au demeurant, dit-il, la réforme montebourgienne, conforme à la « lettre» des institutions, ne nécessiterait aucune réforme constitutionnelle. La solution résiderait donc dans une rupture avec le bicéphalisme. Théoriquement séduisante, mais pratiquement impossible, la « démocratie parlementaire» devrait normalement laisser place à une « démocratique présidentielle ». Mais Jack Lang estime, un an après la parution d'un précédent ouvrage, que celle-ci ne serait plus à l'ordre du jour et que devrait lui être substituée une « démocratie parlementaire présidentialisée»! Ce nouveau régime comporterait, au même titre que le précédent, un exécutif unique, directement élu par le peuple. Mais il s'en distinguerait car le gouvernement serait toujours responsable devant le Parlement. A l'évidence et explicitement, Jack Lang s'inspire de la théorie de Maurice Duverger et de la pratique israélienne pourtant peu convaincante - des années 1990. Le Parlement serait constitué d'une chambre délibérante et d'une chambre purement consultative constituée selon des critères territoriaux et socio-professionnels. Enfin, le Conseil constitutionnel serait remplacé par une Cour suprême élue par le Parlement à une large majorité qualifiée. Ce nouveau système est ainsi forgé en réponse aux critiques formulées à l'encontre du «régime présidentiel» prôné par l'auteur en 2004. L'ouvrage d'Arnaud Montebourg et de Bastien François, de manière révélatrice, est sous-intitulé: «Réconcilier les Français avec la démocratie ». Il s'agit simplement de changer le titulaire du principal pouvoir. Autrement dit, le Président est un dictateur irresponsable; le Premier Ministre deviendra un dictateur responsable. Sans qu'ils s'en rendent compte, ces auteurs s'inscrivent dans la continuité des errements originels de la Vème République. En 1958, il fallait combattre la «souveraineté parlementaire»: les pouvoirs du Parlement ont conséquemment été enserrés et ceux de l'exécutif puissamment renforcés. Ces auteurs, eux, entendent rééquilibrer les pouvoirs et, au sein de l'exécutif, faire prévaloir ceux du Premier Ministre. Or, si le gouvernement doit être efficace, il doit avant tout être limité.

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Arnaud Montebourg et Bastien François sont les dignes héritiers d'une tradition bien française. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si leur ouvrage, comme celui de Jack Lang, est quasi-muet sur la question des droits de l'homme. Déjà, dans La République moderne de 1962, il faut attendre la conclusion pour que Pierre Mendès France daigne s'intéresser à «la protection reconnue à la personne humaine et à ses libertés contre l'arbitraire» 87. Encore faut-il ajouter que la question est expédiée en un paragraphe. C'est que le but des socialistes n'est pas de garantir les droits de l'homme, mais de permettre au Pouvoir de s'exprimer. Il n'est pas d'empêcher l'action des hommes de l'Etat, mais de leur donner toute latitude pour agir afin de consolider un ordre construit. Lionel Jospin avance, lui, que la crise s'aggraverait en raison des institutions françaises. Celles-ci dénient le principe de responsabilité qui devrait, en démocratie, accompagner tout pouvoir politique 88. Le défaut d'unité et de responsabilité du pouvoir exécutif serait dû à sa composition même, si bien que l'ancien Premier Ministre se prononce en faveur d'un régime présidentiel et d'un bicamérisme rééquilibré par une réforme profonde du Sénat 89. Là encore, il est révélateur que dans le chapitre consacré au «mal institutionnel français », il n'y ait pas un mot sur les droits de l'homme et, bien sûr, sur la limitation du Pouvoir. Une nouvelle fois, il est démontré que, à gauche, le problème institutionnel est interprété comme une absence de responsabilité de l'exécutif bicéphale et que les propositions de réforme sont purement institutionnelles. Enfin, dans plusieurs entretiens et articles, Laurent Fabius a martelé que la démocratie impliquait la responsabilité. 90 La clé des réformes résiderait dans un meilleur équilibre des pouvoirs, un élargissement des droits des citoyens et une reconnaissance de la décentralisation, ainsi que de la « construction européenne 91 ». Cette référence aux droits des citoyens ne signifiait évidemment pas une protection de ces derniers contre l'arbitraire.

87 Pierre Mendès France, La République moderne. Propositions in Id, Œuvres complètes IV Pour une République moderne. 1955-1962, Paris, Gallimard, 1987, p. 884. 88 Lionel Jospin, Le monde comme je le vois, Paris, Gallimard, 2006, pp.l75 & 196. 89 Ibid., pp.200-201 & 206-207. 90 Laurent Fabius, « Changer la République sans changer de République », Revue du droit public et de la science politique, 2002, numéro spécial, pp.95-96. 91 Loc. cit., p.96.

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D'ailleurs, dans ses propositions les plus récentes, Laurent Fabius s'en tient à une rénovation purement institutionnelle: renforcement des rôles de l'Assemblée Nationale et du Premier Ministre, recentrage du rôle du Président sur l'arbitrage, « gouvernement paritaire », etc .. 92

- L'immobilisme revendiqué de la droite La droite - c'est d'ailleurs sa définition originelle - entend conserver. Pourquoi d'ailleurs supprimer ce qui fonctionne correctement? Certes, des aménagements pourront être opérés, mais il s'agira simplement de consolider des institutions qui ont fait leurs preuves. Trois hommes politiques de premier plan peuvent être cités: Nicolas Sarkozy, Édouard Balladur et Jean-Louis Debré. Nicolas Sarkozy a fait feu de tout bois, mais au total il entérine les dérives de la V ème République. A l'image des socialistes, il énonce dans son discours à la « Convention pour la France d'après », en 2006, qu'il faut réconcilier efficacité et responsabilité. Opposé au régime présidentiel, il souhaite voir consacrer le régime présidentialiste. En effet, la réalité de la prépondérance présidentielle doit être reconnue et assumée, sans que le président de l'U.M.P. explique quelle serait sa situation en cas de « cohabitation »... De manière peu originale, il annonce le renforcement des pouvoirs du Parlement. Enfin, il souhaite une démocratie plus ouverte avec la possibilité d'une saisine du Conseil constitutionnel par voie préjudicielle, l'amélioration de la représentativité des élus en accroissant la féminisation, l'instauration d'une proportionnelle partielle à l'Assemblée Nationale ou bien d'une proportionnelle totale au Sénat, une loi organique obligeant le Gouvernement à demander aux partenaires sociaux s'ils souhaitent négocier avant toute intervention d'un texte en matière sociale. Cette dernière proposition entérine une idée émise dans le rapport déposé en 2006 par Dominique-Jean Chertier selon laquelle toutes les réformes d'initiative gouvernementale passent par un cadre obligatoire de concertation sociale d'une durée de trois mois. Autant dire que cette réforme donnerait un poids prépondérant aux divers syndicats français dont le modernisme n'est pas la caractéristique première et que, ce qui est un comble, elle diminuerait les pouvoirs du Parlement que Nicolas Sarkozy

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Le Monde, 3 mai 2006.

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veut accroître ... 93 Ce dernier tombe ainsi dans le travers des hommes politiques de gauche qui conçoivent la Constitution comme une mécanique de « séparation des pouvoirs », et non pas de limitation du Pouvoir. Une Convention pour préserver les institutions a même été mise en place ... La lecture de Témoignage, paru en 2006, confirme ces impressions. Le chapitre consacré aux institutions ne pipe mot sur les droits de l'homme. Le diagnostic est erroné: la Constitution était « excellente en 1958» 94. Les propositions semblent bien timides - le Président gouverne 95, le Premier Ministre coordonne l'action gouvernementale 96 - d'autant que l'hypothèse de la «cohabitation» n'est pas envisagée. Nul ne s'étonnera que ce promoteur du « libéralisme régulé» repousse l' « ultra-libéralisme primaire et dogmatique. » 97 Tout autre en apparence est la position exprimée par Edouard Balladur qui plaide en faveur d'un régime présidentiel, au demeurant assez brumeux, mais qui focalise son attention sur la nature du régime sans poser les vraies questions. Edouard Balladur se prononce depuis plusieurs années en faveur d'un régime présidentiel. Il se prononce toutefois en faveur d'une échappatoire: la possibilité d'un maintien du droit de dissolution une fois durant le mandat du Président de la République et d'une fin de son mandat après les élections législatives. L'ancien Premier Ministre plaide lui aussi en faveur de l'accroissement du pouvoir du Parlement 98. «Quelle est la vocation première des institutions, lui demande-t-on : donner à un pays les moyens d'être dirigé avec rigueur et efficacité ou assurer la vie et l'approfondissement de la démocratie?» Sa réponse est fort révélatrice: les deux 99 . Il ne lui vient pas à l'idée qu'une Constitution puisse avoir un autre objet. .. Enfin, Jean-Louis Debré, alors Président de l'Assemblée Nationale, a déposé en octobre 2004 une loi constitutionnelle «tendant à renforcer l'autorité de la loi ». Dans l'exposé des motifs, il explique que l'inflation Nicolas Sarkozy, Convention pour la France d'après, « V ème République: réconcilier efficacité et responsabilité », Assemblée Nationale, 5 avril 2006. 94 Id., Témoignage, XO Editions, 2006, p. 155. 95 Ibid., p. 165. 96Ibid.,p.157. 97 Ibid., p. 235. 98 Edouard Balladur, « Pouvoirs à revoir », Le Monde, 5 avril 2006. 99 Edouard Balladur, « Entretien» in Revue du droit public et de la science politique. 2002, numéro spécial, p.53. 93

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législative mine l'autorité de la loi et que l'abandon progressif de la distinction entre le domaine de la loi et celui du règlement en est l'une des causes. Aussi propose-t-il un ajout à l'alinéa 1er de l'article 34 de la Constitution selon lequel la loi est «par nature de portée normative ». Il faut rappeler que cet article se trouve dans le titre consacré aux rapports entre le Parlement et le Gouvernement. Le long article 34 dispose tout d'abord que la loi est votée par le Parlement, donc qu'elle ne l'est pas par le gouvernement. Puis, il effectue une distinction suivant que la loi fixe les règles concernant plusieurs matières, telle la procédure pénale, ou qu'elle détermine seulement les principes fondamentaux dans d'autres matières, tel le droit du travail. Quant à l'article 37, il dispose que les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère règlementaire. La loi est une norme générale et impersonnelle posée par le Parlement. Le règlement présente un point commun et deux différences principales avec elle. Comme la loi, il s'agit d'une règle générale et impersonnelle. Contrairement à elle, le règlement est pris par une autorité administrative ou exécutive. De plus, il doit notamment respecter les lois. Jean-Louis Debré s'est plaint tout à la fois des caractères qualitatif et quantitatif des textes législatifs soumis au Parlement: ceux-ci apparaissent peu rigoureux et trop longs. Aussi entend-il faire respecter la frontière entre les articles 34 et 37. C'est par réaction aux dérives de la IVe République que les Constituants de 1958, au premier rang desquels son père, Michel Debré, ont entendu bouleverser le domaine et les critères de la loi. Sous la Ille République, la loi était considérée comme «l'expression de la volonté générale ». Le champ d'action du Parlement était sans bornes parce que la «volonté générale» ne pouvait être bornée. Sous la IVe République, au même titre que sous la République précédente, la loi se définissait par l'intervention de l'organe qui exprimait cette volonté: l'Assemblée Nationale. Comme le souligna en son temps le doyen Vedel, la matière de la loi pouvait être l'édiction d'une règle de droit générale et permanente, mais elle pouvait tout aussi bien être une disposition purement individuelle. Michel Debré entendit établir un «régime parlementaire assaini» qui devait notamment reposer, suivant son grand discours du 27 août 1958 devant le Conseil d'État, sur un effort pour définir le domaine de la loi. Les Constituants voulurent remettre en cause la hiérarchie traditionnelle des normes en séparant clairement le domaine de la loi et celui du règlement pour éviter la toute-puissance du Parlement. Michel Debré exposait l'absurdité provoquée par la confusion de la loi, du règlement, voire de la mesure individuelle. Il constatait que le Parlement était accablé de textes et qu'il multipliait les interventions de détails, tandis que le Gouvernement

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s'occupait sans aucune interférence parlementaire des problèmes les plus graves. Pourtant, à l'usage, il s'est avéré rapidement que la distinction entre loi et règlement était un trompe-l'œil. Dès ses premières décisions, le Conseil constitutionnel, qui était entre autres chargé d'éviter les empiètements de la loi sur le règlement, a donné une interprétation extensive de la notion de « principes fondamentaux ». L'article 34 distingue la fixation des règles de la simple détermination des principes fondamentaux dans telle ou telle matière. On pouvait donc s'attendre, dans le premier cas, à ce que l'autorité règlementaire dispose d'un pouvoir moins étendu, puisqu'elle aurait simplement précisé les dernières modalités d'application des règles. Le législateur, comme avant 1958, pouvait tout régler jusqu'au moindre détail, ou laisser une part ou la totalité des détails entre les mains du Gouvernement chargé d'agir par voie de règlements. Dans le second cas, en revanche, l'autorité réglementaire aurait organisé la mise en œuvre des principes fondamentaux et en aurait précisé les modalités d'application; seul le Gouvernement aurait eu le droit d'agir pour l'application de ces principes. La Constitution ne précise pas ce que sont les principes fondamentaux, si bien que la charge en est revenue au nouvel organe qu'elle instituait, le Conseil constitutionnel. Celui-ci a gommé la différence entre la fixation - large - des règles et la détermination - étroite - de ces principes. En clair, il permet au législateur d'aller aussi loin dans le détail pour ce qui concerne les principes fondamentaux que pour la fixation des règles. Il a accepté que la loi puisse statuer dans le domaine réglementaire sans être entachée d'inconstitutionnalité. On a pu dire que toute décision contraire du Conseil constitutionnel aurait paralysé l'action législative car toute loi comporte des dispositions de nature réglementaire. L'explication ne convainc guère car il appartient à la loi d'être impeccable. Jean-Louis Debré a proposé de compléter l'alinéa 1er de l'article 34. Après la phrase selon laquelle la loi est votée par le Parlement, il serait ajouté: « Sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, elle est par nature de portée normative ». A la définition organique de la loi, il serait ainsi confirmé qu'il faille adjoindre une définition matérielle. Il appartiendrait au Conseil constitutionnel d'interpréter les termes flous: «de portée normative ». Ille ferait avec d'autant plus de plaisir que l'ajout proposé ne ferait qu'entériner sa jurisprudence, ce que rappelle au demeurant l'exposé des motifs. Il est dès lors permis de s'interroger sur l'intérêt d'une nouvelle modification constitutionnelle pour y graver dans le

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marbre une jurisprudence. On peut voir là une regrettable tradition française qui tend à confirmer dans les textes, parfois maladroitement, ce qui existe du fait de la pratique. Surtout, une nouvelle fois, une proposition de réforme constitutionnelle frappe par son manque de hauteur de vue. En effet, la distinction entre loi et règlement présente aujourd'hui un intérêt réduit puisque la même autorité qui édicte les règlements se trouve en fait à l'origine des lois. Certes, l'intérêt, réduit, n'est pas nul. Un règlement doit être conforme aux lois et aux principes généraux du droit. Ceux-ci sont des principes que le Conseil d'Etat dégage de l'esprit de la législation républicaine, et dont il impose le respect au pouvoir règlementaire et à l'administration afin d'éviter tout arbitraire. Il n'est donc pas anodin qu'une norme soit législative plutôt que réglementaire. Mais, s'il existe une confusion pour partie des domaines de la loi et du règlement, c'est qu'il existe une confusion normative entre les mains de la fonction gouvernementale. La prépondérance présidentielle, hors période de « cohabitation », sur le Gouvernement et sur la majorité parlementaire a supprimé la dimension conflictuelle inhérente à la distinction entre les deux notions. Les textes « soumis au Parlement », dont Jean-Louis Debré s'est plaint, sont en réalité des textes gouvernementaux. La «séparation des pouvoirs» entre le législatif et l'exécutif n'existe plus au profit d'une séparation entre majorité et opposition. La réforme proposée par Jean-Louis Debré serait donc un cautère sur une jambe de bois. Le problème de la majesté de la loi est évidemment difficile, mais il ne sera pas résolu par une réformette. Le vice tient à la conception même de la Constitution de 1958. L'objet des articles 34 et 37 était de brider la compétence du Parlement du fait des abus commis sous les deux républiques précédentes. Si une telle « réaction» était compréhensible, elle prenait la question par le bout de la lorgnette. Il était fort utile, comme le voulait Michel Debré, que tout ce qui touchait aux libertés publiques et aux droits individuels, aux pouvoirs publics et aux structures fondamentales de l'Etat ne pût être réglementé que par la loi. Il était fort utile que, dans d'autres domaines, la loi fixât les principes. Mais, le problème n'est pas que l'inflation législative mine l'autorité de la loi, comme le précise la phrase liminaire de l'exposé des motifs, le problème est que le harcèlement textuel mine le Droit. Qu'importe que ce harcèlement soit législatif ou réglementaire, si le harcèlement est toujours possible! La question ne fut d'ailleurs pas explicitement abordée lors des travaux préparatoires à la Constitution 100. Il 100 Comité consultatif constitutionnel, séance du 31 juillet 1958, matin in Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la

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était acquis qu'aucun Gouvernement ne puisse exécuter son programme sans émettre des règles de droit et que, dans le contexte économique d'alors, la fonction gouvernementale comportait nécessairement la faculté de produire des règles générales dans un large domaine 101. Le dernier projet d'exposé des motifs du 29 juillet 1958 précise même que la véritable mission du Parlement est de contrôler la politique gouvernementale et de consentir les limitations nécessaires aux droits fondamentaux des citoyens ... 102 Le problème n'est pas avant tout de savoir quel organe, législatif ou exécutif, droit prendre tel type de norme, le problème est de savoir si le Pouvoir, quel que soit son organe, a le droit de le prendre. Autrement dit, la question n'est pas une question d'organe, mais de contenu 103

- L'immobilisme larvé du centre Le centre, c'est ce qui se trouve à égale distance de la droite et de la gauche, à plus ou moins égale distance suivant que les hommes politiques inclinent au centre droit ou au centre gauche. Les centristes croient pouvoir prendre ce qu'il y a de meilleur dans chaque camp: l'ordre et la stabilité à droite, le mouvement et la rénovation sociale à gauche. Dans son allocution de clôture lors d'un colloque intitulé « Quel Etat voulons-nous? », organisé en avril 2006, François Bayrou a plaidé en faveur d'une VIe République caractérisée par deux traits: le régime présidentiel et la représentation proportionnelle. Cela s'explique aisément: le Président de l'Union pour la Démocratie Française, déjà candidat à l'élection présidentielle en 2002, ne cachait ses ambitions pour 2007 ; l'U.D.F. bénéficierait d'un nouveau mode de scrutin qui lui permettrait d'espérer un jeu de bascule entre la droite et la gauche.

v ème République, op.

cif., vol. II, pp.71 & 102 ; séance du 7 août 1958, après midi, pp.254 s. ; Conseil d'État, 25-26 août 1958 in ibid., vol. III, 1991, pp.96 s. ; Conseil d'État, ass. gén., 27-28 août 1958, pp.394 s. & 439 s. 101 Compte-rendu de la réunion du groupe de travail du 1er juillet 1958 in ibid., vol. I, p.325 ; exposé des motifs de l'avant-projet de Constitution du 29 juillet 1958, p.519. 102 Ibid., p.524. 103 Jean-Philippe Feldman, « Sur la proposition de loi constitutionnelle "tendant à renforcer l'autorité de la loi" », Recueil Dalloz, 2005, n06, « Chronique », pp.399402.

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Là encore, ce qui frappe c'est la focalisation sur la nature du régime ou sur des aspects sans doute secondaires - ce qui ne veut pas dire dérisoires - en termes institutionnels. L'objectif est en fait d'assurer la puissance d'un homme face à un Parlement rénové et celle d'un parti modéré face à des formations aux idées trop tranchées. La seconde partie du programme laisse penser que le retour aux poisons et délices de la IVe République et au « régime exclusif des partis» n'est pas un vain mot aux yeux de quelques hommes politiques. - Les comités de réforme de la Constitution

Successivement en 1992 et en 2007, les présidents de la République ont mis en place deux comités pour réformer la Constitution. Les rapports rendus, qu'il est important d'analyser en détail, ont laissé l'observateur sur sa faim. Le 15 février 1993, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Vedel, a livré son rapport à François Mitterrand 104. En préambule, le rapport expose que ses membres n'ont pas voulu remettre en question les données fondamentales de la Ve République 105. Même s'il expose qu'il a sa philosophie, celle-ci apparaît étique 106. Le rapport est divisé en trois parties : un exécutif mieux défini, un parlement plus actif, un citoyen plus présent. Les droits de l'homme reçoivent la portion congrue. Certes, il est indiqué que le citoyen veut vire dans un Etat de droit, mais il est immédiatement ajouté que la protection des droits est déjà assurée par les textes constitutionnels de 1789, 1946 et 1958 107. Surtout, la philosophie des droits de l'homme, si tant est qu'il en existe une, inquiète. Le rapport prône « l'affirmation de certains droits nouveaux» 108. En effet la consécration constitutionnelle de ces derniers serait «très opportune eu égard aux conditions d'évolution de la société française» conception relativiste fort dangereuse -. Parmi ces droits, se trouve «la recherche d'une meilleure protection des droits de la personne» expression révélatrice puisque l'expression de «droits de l'homme» ne se

104 Rapport remis au Président de la République le 15 février 1993 par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, J.O., 16 février 1993, pp. 2537 s .. 105 Ibid., p. 2537. 106 Ibid., p. 2538. 107 Ibid. 108 Ibid., p. 2 547.

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retrouve pas _.109 Au total, l'introduction de droits nouveaux apparaît très limitée. Il s'agirait d'ajouter un alinéa à l'article 66 ainsi libellé: « Chacun a droit au (sic) respect de sa vie privée et de la dignité de sa personne (sic) ». L'autre ajout serait la constitutionnalisation d'une «autorité administrative indépendante» - malgré la légitime prudence du rapport sur de telles institutions - chargée de veiller au respect des libertés dans le domaine audiovisuel lequel obéirait «à des contraintes de rareté et de technicité particulières (sic) ». 110 Enfin, il est notable que le rapport prétende qu'il ne serait pas utile de prévoir que les collectivités territoriales seraient libres de lever l'impôt. En effet, il existerait un équilibre suffisant entre le pouvoir reconnu au législateur de déterminer les impôts nationaux et locaux, d'une part, et le principe de libre administration des collectivités territoriales qui veut que, à l'intérieur de certaines limites, celles-ci soient libres de voter le taux de leurs ressources fiscales. III Le rapport Vedel fait ainsi totalement l'impasse sur la question, pourtant fondamentale, de la subsidiarité. D'autres passages sont importants, mais ils seront traités en même temps que le rapport déposé quatorze ans plus tard. En substance, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, sans doute du fait d'une composition hétéroclite, apporte peu, car il ne traite pas des points essentiels qui innervent tout constitutionnalisme. Il faut traiter par le menu le rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République remis au mois d'octobre 2007. A l'origine se trouvent les propositions lancées par Nicolas Sarkozy, alors candidat à l'élection présidentielle, puis sa lettre en qualité de nouveau Président à l'ancien Premier Ministre, Edouard Balladur, en date du 18 juillet 2007. Celle-ci affirme que la démocratie française aurait besoin d'institutions modernisées et rééquilibrées, ce qui signifie a contrario qu'elles ne le seraient pas actuellement. La première mission du Comité sera de se pencher sur la nécessité de redéfinir les relations entre les différents membres de l'exécutif, d'une part, et aux moyens de rééquilibrer les rapports entre le Parlement et l'exécutif, d'autre part. L'objectif de Nicolas Sarkozy est de parvenir à une profonde modernisation du fonctionnement de la démocratie française. Le mandat du Comité ainsi mis en place apparaissait biaisé dès l'origine puisque la première mission d'une commission de réforme des 109

110 III

Ibid.. Ibid.. Ibid., p. 2550.

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institutions aurait dû être le champ d'extension des pouvoirs de l'Etat. Il est notable que l'expression de droits de l'homme ou le terme de liberté ne soit jamais cité dp,ns cette lettre; en revanche, il est fait mention une fois de l'expression «droits des citoyens ». Quant au terme «Etat », nul ne sera surpris de le voir en bonne place. L'exercice qui attendait les membres du «Comité Balladur» était périlleux. Intronisé par la volonté isolée d'un homme pour mettre en forme ses propositions, il était révélateur de la toute-puissance du Président de la République français. La marche de manœuvre du Comité semblait quasi nulle, même s'il lui était permis de débattre sur d'autres points que ceux qui étaient visés dans la lettre de «cadrage» du 18 juillet 2007. Le modus operandi était révélateur de l'hyper-présidentialisme français, fort inquiétant pour les libertés. En bref, si l'on n'attendais guère du Comité, nul n'aura été déçu ... Il s'agit d'une sorte de rapport Vedel deux septennats après, si l'on peut dire. La composition du Comité était elle aussi révélatrice. Quelle que soit la qualité, indiscutable, de certains de ses membres - et notamment de plusieurs constitutionnalistes de renom -, le Comité a été formé de manière tout à la fois diverse et monolithique. Diverse, car des hommes de droite, du centre et de gauche en faisaient partie. Monolithique, car le courant libéral n'a pas été représenté. Monolithique aussi, car les membres du Comité appartenaient tous à la haute fonction publique ou au monde politique, sans ouverture, au surplus tangible, avec le secteur privé. Ce défaut fut d'ailleurs accusé par la qualité des «personnalités auditionnées », elles aussi membres de la haute fonction publique ou du monde ·. 112 po1ltlque. De manière là encore révélatrice, le rapport d'octobre 2007 s'intitule « Une Ve République plus démocratique }}. Or, le fait que des institutions soient plus démocratiques ne garantit nullement qu'elles soient plus libérales ... L'introduction souligne qu'il existerait «un déséquilibre institutionnel préoccupant }}, dû à la présidentialisation, si bien qu'il serait nécessaire de rééquilibrer les institutions en accroissant les attributions et le rôle du

112 Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, rapport, « Une Ve République plus démocratique », octobre 2007, p. 162.

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Parlement 113. Il est cependant permis de se demander si les propositions pourtant nombreuses - du Comité permettraient de résoudre ce déséquilibre. Il est également indiqué en préambule que les institutions de la Ve République ne reconnaîtraient pas aux citoyens des droits suffisants, ni suffisamment garantis. 114 Il est notable que dès les premières lignes du rapport, il soit fait référence aux droits des citoyens et que les droits de l'homme ne soient jamais cités. ll5 Il est remarquable que le Rapport adopte un plan ternaire calqué sur celui du «Comité Vedel» : un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement renforcé, des droits nouveaux pour le citoyens. Dans la première partie, consacrée à «un pouvoir exécutif mieux contrôlé », les propositions de clarification viseraient à prendre acte de la prééminence que son élection au suffrage universel direct conférerait au chef de l'Etat. Celui-ci serait chargé - ainsi que le demandait, pour ne pas dire l'exigeait, Nicolas Sarkozy - de déterminer la politique de la nation. 1 16 En réalité, dans sa lettre au Premier Ministre en date du 12 novembre 2007, consécutive au dépôt du rapport, Nicolas Sarkozy est finalement revenu sur sa volonté de voir modifier la Constitution quant à la définition des compétences du chef de l'Etat. Le rapport fait aussi droit à la demande de Nicolas Sarkozy selon laquelle le chef de l'Etat pourrait venir s'exprimer en personne devant la représentation nationale. Le rapport expose que le Président de la République «rendrait compte» de son action et que cela renforcerait le rôle du parlement. En revanche, le parlement ne pourrait pas voter à la suite du discours du chef de l'Etat, mais il pourrait toujours mettre en cause la responsabilité du Gouvernement si les conditions en étaient réunies 117. Dans sa lettre au Premier Ministre du 12 novembre 2007, Nicolas Sarkozy reprend avec allégresse cette proposition, qu'il a \uimême suggérée. Le commentateur n'en est pas moins interloqué par ses termes. En effet, il est pour le moins surprenant de prévoir que le Président de la République « rend compte de son action» devant la représentation

Ibid., p. 3. Ibid.. p. 4. 115 Pour un premier commentaire, fort critique. du rapport v. Michel Verpeaux. « Moderniser et équilibrer les institutions de la Ve République. Premières réflexions sur 7 propositions », J.CP., éd. G, nO 46, 2007, I, 204. 116 Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, op. cil., pp. 10-12. 117 Ibid., p. 14-15. 113

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nationale. Si quelqu'un rend compte de son action, c'est qu'il en est responsable. Or, en l'occurrence, le Président de la République étant irresponsable devant le Parlement, c'est le Gouvernement qui pourrait voir sa responsabilité mise en jeu. De manière éclatante se trouve confirmée l'une des profondes faiblesses des institutions de la Ve République, à savoir la disjonction entre le pouvoir et la responsabilité! Une telle proposition contribuerait à la subordination du Premier Ministre envers le Président de la République et pourrait même affaiblir le Gouvernement devant l'Assemblée nationale! Par ailleurs, le rapport entend encadrer plusieurs pouvoirs du Président de la République, qu'il s'agisse de son pouvoir de nomination ou de son droit de grâce individuelle. 118 Si ce n'est que cet encadrement apparaît comme un faux-semblant: l'avis de la commission ad hoc des assemblées ne serait pas un avis conforme sur les nominations, pas plus que celui de l'instance consultative quant au droit de grâce. De plus, il est notable que le Comité n'ait pas souhaité revenir sur l'existence même de l'article 16, pourtant d'une grande dangerosité. Il a simplement souhaité l'aménager en permettant à soixante parlementaires, au terme d'un délai d'un mois après sa mise en œuvre, de saisir le Conseil constitutionnel aux fins de vérifier que les conditions en demeurent réunies, ou en habilitant le Conseil constitutionnel à le vérifier par lui-même. 119 Une telle proposition marque par sa timidité; elle n'empêche pas la mise en œuvre discrétionnaire de l'article 16 et son maintien durant un mois! La seconde partie du rapport, consacrée à «un Parlement renforcé », constitue, selon ses termes mêmes, une part essentielle des travaux. Les propositions fleurissent: amélioration de la fonction législative, pouvoir de contrôle et d'évaluation de l'action gouvernementale, revalorisation de la fonction parlementaire, renforcement des garanties reconnues à l'opposition, maîtrise des travaux parlementaires, etc.. 120 De nombreuses propositions apparaissent judicieuses. Elles marquent effectivement un renforcement du Parlement et transforment le rôle de l'opposition, qui doit être dotée d'un véritable statut. Il n'en demeure pas moins que le problème fondamental des institutions n'est pas de renforcer le Parlement au motif d'un déséquilibre des institutions, mais d'empêcher l'arbitraire par tout organe de l'Etat, Parlement compris. Plusieurs propositions retiennent Ibid., pp. 18-19. Ibid., p. 20. Jack Lang souhaite justement l'abrogation de l'article 16 dans ses « observations personnelles» annexées au rapport (p. 97). 120 Ibid., p. 30. 118

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l'attention. Premièrement, le mécanisme de l'irrecevabilité financière prévue par l'article 40 serait assoupli de telle sorte que les amendements et propositions parlementaires ne soient irrecevables que lorsqu'ils entraîneraient une aggravation des charges publiques, et non plus d'une seule charge publique. 121 Si ce n'est que le mécanisme même de l'article 40 est plus que contestable et limite indûment les pouvoirs des parlementaires, notamment pour diminuer le fiscalisme. Deuxièmement, la mission de contrôle serait expressément dévolue au Parlement; selon un nouvel alinéa ajouté à l'article 24, les assemblées parlementaires seraient assistées par la Cour des comptes dans leurs missions de contrôle et d'évaluation. Le rapport précise que cette mission d'assistance ne serait pas exclusive du recours à d'autres organismes d'audit et d'évaluation, tant publics que privés. 122 Ici, l'observateur est surpris car, si le Comité affirme expressément croire aux vertus du système britannique de contrôle et d'évaluation, il n'en tire aucune conséquence et il remet à la Cour des comptes, composée par définition de fonctionnaires, le soin de remplir un tel rôle. Troisièmement, le rapport cite une seule fois la notion de subsidiarité, et ce à propos des institutions communautaires. 123 En revanche, jamais le terme n'est cité à propos des collectivités territoriales, ce qui est d'autant plus logique que le rapport ne formule aucune proposition au sujet de ces dernières, et ce au motif que les articles 72 et suivants auraient été réformés très récemment, en 2002. Or, les dispositions constitutionnelles relatives aux collectivités territoriales sont si mauvaises qu'elles auraient justifié qu'on l'on s'y penchât ... Quatrièmement le Comité modifie l'article 44 relatif au droit d'amendement: « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement. Il (sic) s'exerce en séance ou en commission dans les conditions fixées par le règlement de chaque assemblée ». Sous un libellé anodin, il s'agirait en fait de « permettre l'examen approfondi de certains textes en commission avec simple ratification en séance publique après explications de vote ». Autrement dit, cette proposition irait dans le sens des parlementaires, et notamment des sénateurs, qui souhaitent l'instauration en France d'une législation directement votée en commission 124. Une telle réforme serait

Ibid., p. 43. Ibid" p. 53. 123 Ibid., p. 59. 124 V. Philippe Marini, « Pour modemiser notre législation », J.CP., G, 2007, « Libres propos », 431. 121

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pourtant néfaste et dangereuse. 125 Le remède serait en effet pire que le mal car les parlementaires seraient soumis à des pressions encore plus importantes de la part des intérêts organisés et l'inflation législative en serait accrue. La troisième partie du rapport a pour titre « Des droits nouveaux (sic) pour les citoyens ». L'œuvre de modernisation et de rééquilibrage des institutions impliquerait que « des droits nouveaux soient reconnus aux citoyens, seuls détenteurs de la souveraineté et, d'une manière plus générale, aux individus », selon une expression fort maladroite. Il a été confIrmé par ailleurs que l'orientation générale des travaux du Comité aurait été « de donner davantage d'outils aux citoyens pour garantir leurs droits ». 126 Le rapport explique que, après avoir étudié la possibilité d'une « mise à jour (sic)>> du Préambule, il a souhaité élargir cette protection et renforcer ces garanties en proposant une extension du contrôle de la conformité des lois à la Constitution. 127 En effet, la protection et la garantie des « droits fondamentaux de la personne (sic)>> seraient l'un des fondements les plus nobles de la tradition française, mais il faudrait qu'elle englobe progressivement des « droits nouveaux (sic) » nés des pratiques sociales et consacrés par la jurisprudence. Le Préambule de la Constitution aurait vocation à conférer à ces droits, dont chacun porte la marque de l'époque à laquelle ils ont été consacrés, une place éminente. Mais les termes du Préambule ne pourraient être regardés comme intangibles et le pouvoir constituant aurait le devoir de veiller à leur adaptation. Si ce n'est que le Comite a constaté qu'il n'était pas en mesure de trancher la question de l'éventuelle contrariété entre les dispositions des textes auxquels se réfère le Préambule. Seraient en cause de délicates questions de principe, « plus idéologiques que proprement juridiques ». 128 Ces passages du rapport sont marquants car ils démontrent, d'une part, que le Comité a été gêné du fait d'une composition hétéroclite, d'autre part, que de nombreuses confusions ont été opérées. En effet, l'expression de « droits de l'homme»

125 V. Jean-Philippe Feldman, « Moderniser notre législation ou défendre le Droit? », lac. cil., nO 43, « Libres propos», 480. 126 Bertrand Mathieu, entretien, « Clarifier la réparation des pouvoirs au sein de l'exécutif, renforcer le Parlement et donner des nouveaux droits aux citoyens », lac. cit., l, 201, p. Il. 127 Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, op. cit., p. 68. 128/bid., pp. 85-86.

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n'est jamais citée au profit des « droits des citoyens ». Cela fait immédiatement penser à ces phrases fondamentales de Stéphane Rials qui soulignait la tragique mécompréhension de la part des Révolutionnaires français par rapport à leurs devanciers américains: « ils veulent bâtir rationnellement un pouvoir parfait à partir des droits de l 'homme plus qu'ils ne se contentent de prémunir autant que possible les droits de l'homme contre un pouvoir nécessairement imparfait. Au sein d'une telle dynamique, la problématique de la garantie prudentielle des droits de l'homme face à la loi imparfaite est remplacée par celle de leur accomplissement, sous la forme de droits du citoyen, par la loi parfaite ». 129 En réalité, il n'y a pas de conception des droits de l'homme dans le « Rapport Balladur» ; celui-ci préfère ne pas se prononcer expressément sur ce point, peut-être pour éviter de consacrer les «faux droits de l'homme» souhaités par certains des membres du Comité. A cet égard, il est révélateur que dans les « observations personnelles », annexées au Rapport, seuls quatre membres du Comité sur treize aient pris la peine d'en formuler. Il est encore révélateur que deux membres seulement du Comité se soient référés à la question des droits et libertés, tout en témoignant d'une mécompréhension totale de ces derniers. Jack Lang a souhaité que la liste des droits nouveaux ouverts aux citoyens fût complétée: vote des résidents étrangers aux élections locales, égalité entre les hommes et les femmes, reconnaissance des langues et cultures de France, dignité humaine comme premier des « droits humains (sic) ». 130 D'autre part, Pierre Mazeaud a noté que les principes posés par le « bloc de constitutionnalité» et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « demain par la Charte européenne des droits fondamentaux (sic) », se recoupent très largement - sans avoir conscience du danger de ces recoupements! -. 131 Il est fort regrettable que certains membres du Comité n'aient pas utilisé la liberté qui leur était offerte de présenter des observations personnelles en annexe du rapport pour souligner les limites de ce dernier. .. Par ailleurs, il est notable que le rapport souhaite moderniser le Conseil économique et social 132. Or, il est permis de s'interroger sur la légitimité

129 Stéphane Rials, La Déclaration des droits de "homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988, p. 371. 130 Ibid., p. 97. 131 Ibid., p. 99. 132 Ibid. p. 73.

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de cette institution, que beaucoup considèrent comme inutile et néfaste. Pourtant, dans sa lettre au Premier Ministre en date du 12 novembre 2007, Nicolas Sarkozy a repris et même étendu la proposition, en prétendant que le Conseil économique et social jouerait un rôle essentiel et en proposant que sa composition soit modifiée pour être plus féminine, pour faire place aux jeunes, notamment aux étudiants, aux organisations non gouvernementales dans le domaine de l'environnement, ainsi qu'aux représentants des grands courants spirituels! Le «Rapport Balladur» souhaite par ailleurs l'instauration d'un droit d'initiative populaire, en renvoyant à la position du Comité Vedel 133. Malheureusement, la proposition apparaît frileuse et, en tout état de cause, il convient préalablement de s'interroger sur les droits et libertés consacrés constitutionnellement. Enfin, le Comité a souhaité l'instauration d'un «défenseur des droits fondamentaux », mais sans que l'on sache de quels droits il s'agit, et celle d'un «Conseil du pluralisme », qui fusionnerait notamment le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la Commission des sondages, sans se demander pour autant si ces dernières institutions étaient légitimes. 134 A la suite du dépôt du Rapport à la fin du mois d'octobre 2007, Nicolas Sarkozy a écrit à son Premier Ministre le 12 novembre 2007 une longue lettre afin que ce dernier lance une consultation auprès des différents partis et mouvements politiques. Il a repris la plupart des propositions du Comité, mais pas toutes. La même conception des «droits des citoyens» - le Président ne fait pas référence aux droits de l'homme - se retrouve: ceux-ci devraient évoluer au même rythme que la société. Il est regrettable que la plupart des hommes politiques français aient une conception relativiste des droits et libertés fondamentaux. Il est notable que Nicolas Sarkozy n'ait pas expressément repris la modification souhaitée par le «Rapport Balladur» des articles Il et 89. En effet, le Comité avait souhaité l'instauration d'un referendum d'initiative populaire, de manière il est vrai fort timide et très encadrée. Il avait aussi prôné la fin du droit de veto du Sénat sur la réforme des institutions. Enfin, le chef de l'Etat n'a pas plus repris la modification souhaitée de la composition du Conseil constitutionnel, et plus précisément la présence en tant que membre de droit des anciens présidents de la République. Il semble que Nicolas Sarkozy ait

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Ibid., p. 74. Ibid., pp. 92 & 94.

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fait le nécessaire pour ne pas s'aliéner tout à la fois ses prédécesseurs et les sénateurs ... B - LES REFORMES INTERVENUES

Les réformes se sont multipliées ces dernières années, après trois décennies plutôt calmes à cet égard, sauf exceptions parfois importantes. Hélas ! elles ont mis à mal la cohérence du texte originel et, loin d'avoir remédié aux maux existants, elles les ont finalement aggravés. - L'inflation constitutionnelle

La Constitution française est souvent mise en parallèle avec son homologue américaine. De 1791 à nos jours, celle-ci n'a été modifiée qu'à dix-sept reprises. Celle-là, qui n'existe que depuis 1958, l'a été le même nombre de fois de 1960 à 2004! A compter du début des années 1990, elle a été modifiée en moyenne une fois chaque année. La réforme du 21 juillet 2008, année du cinquantenaire de la Constitution, est la vingt-quatrième! Certes, plusieurs de ces révisions furent la conséquence directe de la signature des traités communautaires modificatifs du Traité de Rome. Mais de nombreuses réformes furent directement issues du « génie» français. Ainsi, en 2000, aux 92 articles originels, 10 avaient été ajoutés, 38 ayant été abrogés ou modifiés! Le Conseil d'Etat s'est lamenté de l'inflation législative. Soixante et une lois ont été adoptées en 2007-2008 sous la présidence Sarkozy. Le porteparole du gouvernement s'en est réjoui en juillet 2008: « C'est le plus grand nombre de textes adoptés depuis trente ans au cours d'une première année de mandature » ! Mais jusqu'aux années 1980, on ne touchait à la Constitution que d'une main tremblante. Le tabou n'existe plus. Deux réformes sont exemplaires d'un « harcèlement textuel» inédit au plus haut niveau normatif. La première ne mérite qu'une simple mention. En 1995, il fut décidé, sur pression de maints parlementaires, de modifier le régime des sessions parlementaires, i.e. la période de l'année durant laquelle le Parlement peut délibérer. En effet, la double session indispose ceux qui semblent plus à l'aise dans leurs circonscriptions respectives que dans l 'hémicycle. On décide alors de lui substituer la session unique, mais une session limitée - à la demande des parlementaires !- à 120 jours par an. Ce qui devait arriver, arriva. On se rendit rapidement compte que la drastique limitation des jours de séance était impraticable et qu'elle obligeait à des

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convocations répétées du Parlement en sessions extraordinaires, si bien que la présidence de l'Assemblée Nationale en est venue à évoquer une nouvelle réforme constitutionnelle! Il est difficile d'imaginer un mépris plus grand envers les institutions. La seconde réforme mérite, elle, de plus amples explications. Elle démontre combien les institutions françaises se trouvent minées par une nouvelle mouture du « monarchisme ». De sa propre initiative, Jacques Chirac va imposer à une majorité présidentielle réticente l'adoption d'une Charte de l'environnement. Celle-ci témoigne en la forme et au fond d'une inquiétante conception des libertés. En la forme, elle est représentative d'une dérive continue d'un régime qui, quel que soit son titulaire, appartient à l'étrange catégorie des « monarchies républicaines ». Au fond, elle est représentative d'une dérive accrue des droits de l'homme qui, pour n'être point confinée au territoire français, y manifeste ses effets les plus néfastes. Par la volonté d'un seul homme, le « peuple français» - en réalité ses représentants - a solennellement proclamé en 2005 son attachement « aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement» en vertu d'une modification du préambule de la Constitution. L'initiative en est revenue à Jacques Chirac qui, dans le contexte de la « cohabitation », puis de la campagne à l'élection présidentielle de 2002, a prononcé plusieurs discours en ce sens. Lors du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le 7 décembre 1998, le chef de l'Etat a défini le « droit à l'environnement» comme le « droit des générations futures à bénéficier de ressources naturelles préservées ». Dans son discours d'Orléans du 3 mai 2001, il a clamé qu'il revenait à l'Etat d'affirmer le principe du « droit à un environnement protégé et préservé, et d'en assurer la garantie ». Le Parlement devait l'inscrire dans une Charte de l'environnement « adossée» à la Constitution. Ce terme n'a pas manqué de susciter l'étonnement, car on pouvait en déduire que la Charte tournait le dos à la Constitution ... Dans son discours d' Avranches du 18 mars 2002, le Président de la République a martelé que la préoccupation et même la « contrainte» de l'environnement devaient être « installées» dans la durée. Enfin, dans sa déclaration au sommet mondial - et fort controversé - du « développement durable» à Johannesburg, toujours en 2002, il a plaidé pour la consécration d'un « droit à l'environnement» sous peine de « crime de 1'humanité contre la vie )) -proposition dépourvue de sens aux yeux de tout juriste -. La même idéologie s'est retrouvée dans le rapport fait au nom

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de la commission des lois constitutionnelles de rAssemblée Nationale le 19 mai 2004. Il est prétendu que l'écologie aurait révélé ces dernières années les limites du «modèle économique et social» français - on croit comprendre qu'il ne s'agirait pas de la social-démocratie ... -. La Charte de l'environnement serait indispensable depuis la prise de conscience de la gravité et de la globalité des menaces à l'environnement devenues planétaires, de la conscience d'un devenir commun de l'humanité et d'une forte « demande sociale» en ce sens. Le vocabulaire est holiste, i.e. antiindividualiste, l'équation simpliste. Par ailleurs, le terme de « charte» est révélateur. Certes, étymologiquement, il renvoie à la notion de feuille de papier. Certes, il signifie de manière moderne un document qui définit solennellement les droits et les devoirs. au sens large un document fondamental. Mais, au XIXème siècle, une charte était octroyée par le monarque éclairé à ses sujets ou bien elle était négociée avec les représentants de ces derniers ou certains d'entre eux. La commission des lois constitutionnelles de l'Assemblée Nationale a qualifié la Charte de l'environnement de « consécration solennelle d'un contrat de confiance ». Elle s'est trouvée dans l'obligation de justifier de l'emploi de ce terme qui ne renverrait pas à son sens monarchique, mais qualifierait un complément au « pacte républicain ». Pourtant, la méthode d'adoption de la Charte fait bien plus penser à son sens monarchique. Le texte est en réalité octroyé par le monarque républicain qu'est le chef de l'Etat à ses sujets. Octroyé, le terme est tout bien considéré inadéquat: l'octroi est une concession, le fait d'accorder quelque chose à titre de faveur ou de grâce. Ici, le Président de la République ne «concède» rien, il décide et oblige un «Parlement croupion» et un Gouvernement aux ordres à voter un texte dont il a dessiné les contours. Le rapport de la commission des lois met d'ailleurs l'accent sur le fait que le projet de loi constitutionnelle est la « traduction fidèle» de l'engagement pris devant les Français par Jacques Chirac. Il en est de même du Garde des Sceaux qui, lors de son audition devant l'Assemblée le 2 mars 2004, mentionnait que la réforme constitutionnelle répondait à un souhait présidentiel. Un esprit chagrin rappellerait les termes de l'article 89 de la Constitution: l'initiative d'une révision constitutionnelle provient soit du Parlement, soit du Président de la République, certes, mais «sur proposition du Premier Ministre ». Or, cette proposition n'a jamais existé. La grandiloquence n'a pas été absente des débats. Le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles a précisé que si la Déclaration de 1789 avait assuré aux citoyens français l'exercice des libertés et que le préambule de 1946, en garantissant les droits sociaux, avait mieux concilié

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la liberté et l'égalité, la Charte de l'environnement était un «texte de fraternité » - légale ?- qui défendait la responsabilité de chacun, la solidarité avec les autres habitants de la « terre-patrie» et la garantie des « droits des générations futures». De même, le ministre de l'Écologie et du «développement durable» s'est exclamé lors de son audition houleuse devant l'Assemblée du 4 mars 2004 que la Charte constituait une troisième étape par laquelle étaient prises en compte, dans le socle constitutionnel, les interactions entre les activités humaines et les milieux naturels «qui pouvaient influer sur la recherche du bonheur commune à tous les individus ». Le constat ne pose guère de difficultés: une nouvelle génération des droits de l'homme, mâtinée de devoirs, naît. Les conséquences semblent tout aussi claires : cette nouvelle génération va porter atteinte aux vrais droits de l'homme. Techniquement, la Charte de l'environnement ressemble à la Déclaration des droits de l 'homme et du citoyen. La réforme apparaît fondamentale puisqu'aux droits individuels de 1789 et aux droits sociaux de 1946, s'ajoutent des droits environnementaux d'une nouvelle « génération» qui n'a rien de spontanée. Il n'est pas inutile de noter qu'il s'agit de la première modification des droits en France alors même que le régime n'a pas changé. La promotion du «droit à l'environnement» peut s'appuyer sur de multiples précédents dans des textes et accords internationaux, mais également dans des textes internes. La promotion des devoirs en matière environnementale est corrélative le plus souvent avec celle des droits. En réalité, les droits et les devoirs de la Charte ne sont pas déclarés, ils sont créés, inventés de toutes pièces. Parler de « droit à » est absurde, car seul le prétendu titulaire de ce droit est connu et jamais celui sur qui pèserait l'obligation corrélative. Le titulaire du droit n'est d'ailleurs pas l'individu - terme qui n'est jamais cité dans la Charte - : celui sur qui pèse l'obligation ne peut être que l'Etat. Parler de «droit à» est au surplus dangereux, car les prétendus droits-créances aboutissent à miner les droitslibertés. Le rapport de la commission des lois constitutionnelles de l'Assemblée Nationale ne peut que confirmer le malaise. Lors de la discussion générale, il a été reconnu que le «droit à l'environnement» trouvait sa place dans les «droits-créances». Il précise que son débiteur sera le législateur. L'approche du garde des Sceaux est quelque peu différente, mais tout aussi inquiétante. Le constat des dommages irréparables que l'homme peut causer à l'environnement et des menaces qu'il fait peser sur la richesse biologique de la planète, implique qu'il soit «débiteur d'obligations à l'égard de l'environnement».

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L'anthropomorphisme aboutit à transsubstantuer l'environnement en un authentique sujet de droit! Ainsi, les droits ne sont pas déclarés ou proclamés. En ce sens, et en ce sens seulement, le terme de « charte )) est fort juste: il ne s'agit pas de déclarer quelque chose qui, par définition, préexiste. Les droits sont créés ou inventés selon les besoins de la cause et en fonction des lubies du temps. Des droits de l'homme, on passe aux droits de l'Etat. L'hérésie ne s'arrête pas là. La Charte consacre de faux devoirs. Certes, elle n'innove pas puisque des textes constitutionnels français ont pu y faire référence sous la Révolution. Mais ils étaient considérés comme paternalistes au mieux, folkloriques au pis. Le débat des devoirs de l'homme et du citoyen a bien existé lors de la rédaction de la Déclaration de 1789. Les conservateurs et les contre-révolutionnaires se sont étonnés de leur absence et ils souhaitèrent que les devoirs fissent contrepoids aux droits. Dans l'histoire, ce sont ainsi les contre-révolutionnaires - plus tard les déclarations des pays socialistes ... - qui ont prôné les devoirs. Héritage pour le moins encombrant, on en conviendra. Juridiquement, il est imparable que le pendant des droits n'est pas constitué par des devoirs, mais par des obligations. Lorsqu'autrui a un droit, l'individu a l'obligation de le respecter. Seul l'individu peut définir ses propres devoirs. Il n'appartient pas à l'Etat de les lui imposer, sauf à faire régner un ordre moral. Il est piquant de relever que ce moralisme, avant tout conservateur, voire ultra-conservateur, soit partagé des hommes qui se disent ou se veulent« progressistes )). Le problème n'est pas seulement symbolique. Pratiquement, la dérive accrue des droits de l 'homme provoquée par cette nouvelle génération des droits et des devoirs va porter atteinte aux vrais droits de l 'homme. En effet, après avoir proclamé de faux droits, les pouvoirs publics entendent faire peser sur leurs concitoyens des devoirs qui, pour être effectifs, devront être traduits en diverses réglementations, notamment fiscales. L'attribution forcée de droits aboutit paradoxalement à limiter la liberté qui caractérise les autres droits dont l'Etat est le - supposé - garant. Le but explicite de la Charte est de créer une troisième génération des droits de l'homme. En fait, celle-ci est moins une création qu'un prolongement de la seconde. Il s'agit, dans l'indifférence générale, de limiter les droits de la première. Le rapport de la commission des lois constitutionnelles de l'Assemblée Nationale le rappelle sans fard: le législateur pourra concilier les droits et libertés nouveaux avec notamment l'égalité, la propriété et la liberté d'entreprendre. A partir du moment où, en réalité, la protection de l'environnement est imposée par l'Etat au nom des « générations futures », il va lui appartenir arbitrairement de définir ce qui

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est bon pour ces absents. A l'inflation d'interdictions au nom des « générations futures », succèderont une inflation d'impôts et une instabilité juridique arbitrées par un Etat tutélaire. L'inflation normative accompagne en effet le droit de l'environnement comme son ombre portée. « Droit de l'environnement », l'expression est mal choisie au demeurant: « législation» ou « réglementation» de l'environnement serait mieux adaptée. Le rapport de Michel Barnier sur la politique de l'environnement du Il avril 1990 rappelait qu'il existait 143 lois et 817 décrets relatifs à l'environnement! Trente « grandes» lois relatives à l'environnement ont été dénombrées de 1975 à 2003! Lors de son adoption, le Code de l'environnement ne comportait pas moins de 975 articles pour sa seule partie législative! D'un certain point de vue, la Charte est en continuité avec la Déclaration de 1789 qui, par comparaison avec ses devancières, souffrait d'un coupable légicentrisme. Celui-ci a simplement changé de formule: aux atteintes portées à la loi s'ajoutent les atteintes portées au texte constitutionnel de 1958, lequel devient aussi immuable qu'une loi ordinaire ... Une nouvelle fois, l'impôt est le point central. L'un des buts, rarement avoué, de la Charte est de permettre la mise en place d'une vaste fiscalité écologique. Loin de laisser jouer les principes traditionnels du droit de la responsabilité qui ont en partie pour source le droit romain, l'Etat va, au mépris du principe d'égalité des droits, pouvoir faire peser sur des « innocents» la responsabilité de dommages écologiques ou la charge de leur prévention. Révélateur à cet égard est le fait que l'article 4 de la Charte soit entendu comme un « devoir de réparation» des dommages causés à l'environnement, alors qu'en toute logique il devrait s'agir d'une obligation. Al' égalité des droits va se substituer la notion tout aussi vague que dangereuse d'équité. Le but est clair: porter atteinte aux grands principes fondateurs, qu'il s'agisse de l'égalité des droits ou du droit de propriété. Le Droit va perdre sa fonction fondamentale de cohésion pour devenir un instrument de politisation généralisée de la société. Le Conseil constitutionnel, qui avait détruit dans l'œuf une première tentative de fiscalité écologique en censurant le projet de taxe générale sur les activités polluantes par sa décision du 28 décembre 2000, n'aura plus les coudées aussi franches. L'avenir du Conseil constitutionnel mérite que l'on s'y attache, au même titre que le rôle réservé au Parlement. Le Conseil avait refusé de constitutionnaliser un quelconque « droit à l'environnement ». Les principes non constitutionnels passaient donc sous les fourches caudines des droits et des principes qui faisaient, eux, partie du « bloc de

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constitutionnalité ~~. La constitutionnalisation. du « droit à l'environnement» entend brider tout à la fois le Conseil constitutionnel et le législateur. Le Conseil, car il devra concilier le «droit à l'environnement» avec les autres droits et libertés. Le législateur, car il devra respecter ce nouveau droit sans pouvoir modifier plus ou moins librement la législation comme il l' a souhaité jusqu'à présent. En réalité, la Charte va permettre au Conseil de brimer et de brider les droits de 1789 par une nouvelle « génération» de droits. Il lui appartiendra de trancher entre des droits contradictoires, en fait de les concilier puisque, selon sa jurisprudence, il n'existe pas de hiérarchie entre les droits de l'homme. Par principe, le droit fondamental de propriété ne sera pas supérieur au « droit à l'environnement ». La schizophrénie du constituant est patente. Il fallait se protéger du législateur, coupable à ses yeux de ne pas respecter le « droit à l'environnement» lorsqu'il agissait et de laisser une trop grande latitude aux juges lorsqu'il n'agissait pas. Il fallait se garder du Conseil constitutionnel coupable de ne pas l'avoir constitutionnalisé, donc d'avoir fait respecter le droit de propriété et de n'avoir point entériné le projet de fiscalité écologique. La Charte fait d'une pierre deux coups: elle entend à la fois accroître les pouvoirs du Conseil et ceux du législateur. Mais celui-ci a plus encore le devoir de mettre en œuvre les objectifs généreusement créés par la Charte et il a le devoir de les mettre en œuvre sous le contrôle du Conseil constitutionnel. C'est d'ailleurs pour accroître les pouvoirs du Parlement que, à la suite d'un amendement, l'article 3 de la loi constitutionnelle a inséré un alinéa à l'article 34 de la Constitution relatif au domaine de la loi. Le Parlement pourra dorénavant fixer les principes fondamentaux «de la préservation de l'environnement ». Jusqu'alors, en l'absence de précision, le Parlement pouvait en fait « fixer des règles» de la préservation de l'environnement. Loin d'étendre les compétences des deux chambres, la conjugaison de la modification constitutionnelle et de la jurisprudence du Conseil sera susceptible de les réduire au profit du pouvoir réglementaire. Quant au Conseil constitutionnel, il va pouvoir dessiner au niveau constitutionnel ce droit flou à l'environnement avec les trésors d'interprétation que recèle un texte qui, ô paradoxe !, appartient à la catégorie des «neutrons législatifs» dénoncés par le président de la vénérable institution. Alors même que beaucoup de parlementaires souhaitaient encadrer les pouvoirs du juge administratif, la Charte risque de les accroître et de laisser les tribunaux faire face à une redoutable hypothèque: la contrariété entre la Constitution et le droit européen. De manière surprenante, un texte à vocation explicitement universaliste a été présenté par les dirigeants de l'U.M.P. à une majorité récalcitrante comme

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une machine de guerre destinée à juguler l'approche bruxelloise de l'environnement 135. La Charte de l'environnement recèle encore un effet pervers que les parlementaires n'ont pas anticipé. Les faucheurs d'organismes génétiquement modifiées, dits «faucheurs d'OGM », plaident depuis de longues années devant les divers tribunaux de France et de Navarre un prétendu état de nécessité. Ils n'ont pas hésité à se réclamer de la Charte de l'environnement pour tenter d'assouplir les conditions drastiques de cet état de nécessité telles qu'elles sont posées par la jurisprudence. Cette stratégie a porté ses fruits devant plusieurs tribunaux correctionnels, mais les cours supérieures ne se sont pas laissé circonvenir 136. Quoi qu'il en soit, la Charte a trouvé un nouveau terrain d'élection: les juridictions pénales. - Le désordre accru

Écrire une constitution représente un exercice toujours délicat; la modifier n'est pas moins périlleux. Lorsque les réformes succèdent aux réformes, il est à craindre que la cohérence du texte originel - quand elle existe ... - soit mise à mal. Justement, le caractère impressionniste des réformes survenues ces dernières années laisse songeur. Toucher aux textes rédigés selon les vœux du Général de Gaulle tenait du sacrilège. Mais Jacques Chirac, certes bien plus pompidolien que gaulliste, n'a pas ces scrupules. En 2000, le quinquennat - première réforme conçue selon la procédure dite normale de l'article 89 de la Constitution, i.e. close par un référendum - est annoncée comme une réforme mineure, alors même que, associée à l'inversion du calendrier électoral, elle a renforcé plus encore la puissance du chef de l'Etat. D'autres projets restent dans les cartons: réforme du Conseil supérieur de la magistrature, régime des sessions parlementaires, etc .. Le mécanisme bien connu de la loi ordinaire a colonisé le domaine de la loi 135 Jean-Philippe Feldman, « La Charte de l'environnement et le constitutionnalisme sous la yème République », Cahiers administratifs et politistes du Ponant, Automne-hiver 2004, n °11, pp.ll-22; « Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement », Recueil Dalloz, 2004, n014, « Chronique », pp. 970-972. 136 Y. Id., « Les "faucheurs d'OGM" et la Charte de l'environnement. Sur le jugement du Tribunal correctionnel d'Orléans du 9 décembre 2005 », Recueil Dalloz, 2006, « Doctrine », pp. 814-819 ; « Les « faucheurs» fauchés par la Cour de cassation », n. sous Casso crim., 7 février 2007, Recueil Dalloz, 2007, n019, « Etudes et commentaires », pp. 1310-1313.

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fondamentale. Toute «question de société », tout problème médiatique doivent se résoudre incontinent par l'adoption d'une loi. Le mépris français pour les formes, consubstantielles à la Liberté, n'a jamais été aussi prégnant. Un fait, en apparence anodin, est caractéristique de ce mépris: la représentation de la justice par les médias. Les Américains mettent un point d'honneur à traduire fidèlement la réalité judiciaire sur les écrans; les Français la travestissent en donnant au juge des compétences qu'il ne possède pas, en relatant les relations incestueuses entre avocat et ministère public, en présentant le juge d'instruction comme un policier, etc .. Or, comme le disent les anglo-saxons, la justice « se donne à voir ». La symbolique judiciaire participe pleinement de l'acte de juger. Les formes garantissent la Liberté. Constant et Tocqueville l'ont exprimé avec brio. «Ce qui préserve de l'arbitraire, c'est l'observance des formes, écrit le premier. Les formes sont les divinités tutélaires des associations humaines ».137 «Les formes permettent aux hommes de se dégoûter passagèrement de la liberté sans la perdre », ajoute le second. 138 Il ne faut pas voir dans ces quelques lignes une défense forcenée des constitutions existantes, un éloge de l'immobilisme ou une preuve de pusillanimité. Mais on ne joue pas avec les institutions. Lorsqu'une réforme apparaît indispensable, encore convient-il de la mener avec cohérence et, autant que possible, avec sérénité, on n'ose ajouter: avec honnêteté intellectuelle.

- La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 Le Comité Balladur a émis 77 propositions; 37 articles de la Constitution se trouvaient concernés. Le projet de loi constitutionnelle du 23 avril 2008, qui contenait 34 dispositions, concernait, lui, 32 articles de la Constitution. Les nouveautés les plus importantes étaient la limitation du nombre de mandats présidentiels consécutifs à deux, la limitation du nombre des membres du Gouvernement et la saisine du Conseil économique et social par voie de pétition. En revanche, de nombreuses propositions du Comité Balladur ne se trouvaient pas reprises: sans viser à l'exhaustivité, les rôles respectifs du Président de la République et du Gouvernement, la possibilité

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Benjamin Constant, Principes de politique in Id., Écrits politiques, op. cit.,

pA87. 138 Alexis de Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, Françoise Mélonio (éd.), Paris, GF-Flammarion, 1988, pA83.

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pour une commission d'enquête parlementaire d'entendre le Président à la demande de ce dernier, l'encadrement de l'état d'urgence et l'état de siège, la sélection des candidats à l'élection présidentielle par la suppression du système de parrainage et la présélection des candidats par un collège d'élus, l'interdiction du cumul entre une fonction ministérielle et un mandat électif, l'assouplissement des règles de recevabilité financière des amendements parlementaires, l'interdiction par principe des lois rétroactives, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel, la création d'un Conseil du pluralisme regroupant les attributions du Conseil supérieur de l'audiovisuel et de la Commission des sondages. Dans la lettre de mission du 18 juillet 2007 adressée à Edouard Balladur, le Président Sarkozy avait fixé comme principale mission au futur comité de redéfinir les relations entre les différents membres de l'exécutif, et de rééquilibrer les rapports entre le Parlement et l'exécutif. La première partie de cette mission, effectivement remplie par le Comité, a donné lieu aux trois premières propositions du rapport, dont seule la troisième a été reprise dans le projet de loi constitutionnelle: la clarification du rôle du Premier Ministre en matière de défense nationale. Exeunt les «définitions plus exactes» des rôles respectifs des deux dirigeants de l'exécutif. Nicolas Sarkozy souhaitait aussi que le Comité réfléchisse à un véritable «statut de l'opposition », très édulcoré dans le projet de loi constitutionnelle, même s'il est pour beaucoup du domaine de la loi. L'article 4 de la Constitution modifié dispose que «la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Expression ambiguë qui pourrait bien mener à une modification de la loi ordinaire relative au mode de scrutin des assemblées et notamment à l'introduction d'une« dose» de proportionnelle pour l'élection des députés. L'article 511 énonce entre autres que le règlement de chaque assemblée « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires.» Il en est de même pour la volonté présidentielle d'instiller plus de démocratie directe, éventuellement sous la forme d'un droit d'initiative populaire. La proposition de modification de l'article Il n'a pas été reprise dans le projet de loi constitutionnelle. Mais, finalement, le Congrès a modifié l'article 11 de telle manière qu'elle témoigne des réticences parlementaires traditionnelles envers les instruments de démocratie directe ou semi-directe. L'initiative d'un

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referendum législatif n'est pas populaire, mais parlementaire - 1I5 ème des membres du parlement - avec le soutien de 1I10ème des électeurs inscrits sur les listes électorales, et ce sous le contrôle du Conseil constitutionnel. De plus, selon une rédaction inspirée par celle du Comité Vedel, la proposition n'est soumise à referendum que si la proposition de loi n'a pas été « examinée» par les deux assemblées dans un certain délai. Un simple examen suffira donc pour rejeter la proposition, éventuellement soumise par l'opposition au Parlement, et interdire subséquemment la tenue d'un referendum. Pourtant, dans sa lettre du 12 novembre 2007 au Premier Ministre, Nicolas Sarkozy indiquait que « la plupart» des propositions du Comité Balladur devait être reprise. Mais cette même lettre n'a pas entériné les suggestions présidentielles du 18 juillet et François Fillon a évidemment suivi avec fidélité les recommandations de Nicolas Sarkozy. Si celles-ci ont quelque peu évolué et si le projet de loi constitutionnelle est parfois sensiblement différent, c'est qu'il a été tenu compte des conditions d'adoption du texte devant le Congrès. La droite ne disposant pas, à quelques voix près, de la majorité des 3/5 ème au Congrès, le président a dû mettre de l'eau dans son vin, après avoir déjà mis en place un comité non partisan. Quoi qu'il en soit, depuis l'origine et même depuis le Comité Vedel de 1992-1993, la réflexion constitutionnelle est ordonnée autour de trois idées: un exécutif mieux défini ou mieux contrôlé; un Parlement plus actif ou renforcé; un citoyen plus présent ou des « droits nouveaux» pour les citoyens. Ces idées sont essentielles, mais le résultat est maigre. Il n'y a aucun bouleversement quant à l'exécutif, ce qui est d'autant moins surprenant qu'il n'a jamais été question de changer de régime et qu'ainsi la France conserve son régime baroque, unique au monde. L'idée de donner des « droits nouveaux» aux citoyens est d'autant plus étrange que la priorité était de garantir enfin des droits effectifs aux individus. La charrue a été mise avant les bœufs puisque le Comité Balladur n'a pas réfléchi à la question des droits de l'homme, confiée à un nouveau comité, présidé par Simone Veil. On élargit donc, au terme d'un mécanisme abstrus, la saisine du Conseil constitutionnel sans même s'interroger sur la teneur des droits garantis! La discussion sur les droits de l'homme s'est réduite à très peu de choses devant la commission des lois de l'Assemblée nationale: le rejet de l'amendement d'un député apparenté communiste qui proposait que l'indivisibilité et l'opposabilité des « droits fondamentaux» fussent inscrits dans le Préambule de la Constitution! Dans le texte définitif, l'article 1er de

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cette dernière a été modifié à la suite d'un amendement déposé par une députée U.M.P. aux fins d'étendre la parité: « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales.» La loi ne se contente plus de favoriser la parité en matière politique et électorale: elle favorise dorénavant la parité, au détriment de l'égalité des droits rigoureusement défendue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dans la sphère de la société civile. Le législateur pourra régenter la composition des conseils d'administration des entreprises privées par exemple. Belle avancée égalitariste dont on peut prédire qu'elle sera un tonneau des Danaïdes ! Quant à la saisine du Conseil constitutionnel, il ne s'agit pas, comme cela a été présenté par la presse et même par de nombreux constitutionnalistes, d'une « exception d'inconstitutionnalité », mais d'une question préjudicielle. Cela signifie que, contrairement au paradigme américain, les justiciables ne peuvent pas demander au juge de statuer sur la constitutionalité d'une loi, même pas au Conseil directement. Celui-ci ne peut être saisi d'une disposition législative qui porte atteinte aux droits et libertés que « sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation », qui exerceront un filtre - étrange - dans les conditions prévues par une loi organique. Mais c'est surtout la seconde idée qui a retenu l'attention du constituant: «renforcer le Parlement ». Ce qu'il manque, «ce sont des contrepouvoirs », allègue le rapport en première lecture pour la commission des lois de l'Assemblée nationale. 139 Derrière cette antienne, se cachent en réalité des faux-semblants: l'idée de «renforcer» le Parlement a fait l'objet de nombreuses propositions qui «renforcent» en fait la majorité parlementaire, plus précisément la majorité de députés qui soutient fidèlement le Gouvernement, lui-même soumis hors période de cohabitation au Président de la République. Le vrai renforcement des droits du Parlement ne peut s'effectuer que par la construction d'un statut de l'opposition. Certes, dès l'origine, le Président de la République avait 139 Jean-Luc Warsmann, Rapportfait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (nO 820) de modernisation des institutions de la Ve République, Assemblée nationale, n° 892, 13 ème législature, 15 mai 2008, p. 42.

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marqué son intérêt pour cette idée. Mais, faute de temps, le Comité Balladur s'était contenté, au titre de sa 61 e proposition, de mentionner pour mémoire l'élaboration d'une charte des droits de l'opposition. Le projet de loi constitutionnelle fait référence, de manière vague, à des «droits particuliers» qui pourraient être reconnus à l'opposition et insérés dans l'article 4 de la Constitution. Surtout, les deux chambres ne se trouvent pas dotées d'un office parlementaire d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Elles dépendent toujours de la Cour des comptes. D'ailleurs, contrairement à la 41e proposition du Comité Balladur, c'est la Cour des comptes, et non le Parlement, qui contribue à l'évaluation des politiques publiques. Contrairement aussi au contrat de législature 2007-2012 de l'D.M.P. qui entendait donner au Parlement les moyens de contrôler l'action de l'administration, notamment pas la création d'un organisme d'audit et de contrôle... Le rapport pour la Commission des lois de l'Assemblée nationale n'en pipe mot. 140 Pourtant, lors de la deuxième séance du 28 mai 2008, Louis Giscard d'Estaing avait proposé l'insertion dans la Constitution d'un article ainsi rédigé: « Le Parlement est doté d'un office parlementaire d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Une loi fixe les modalités de son fonctionnement ». En dépit de la mise en cause du « lobby de la Cour des comptes» par Jean-Michel Fourgous, l'amendement n'a pas été adopté. L'article 47-2 dispose finalement que la Cour des comptes « assiste le Parlement et le Gouvernement» notamment dans l'évaluation des politiques publiques. La Cour n'est donc pas attachée au seul Parlement, ce qui est logique au regard de son statut d'indépendance. Mais cela signifie bien que la Cour garde la mainmise - ce qui ne veut pas dire le monopole - sur cette évaluation. Il est par ailleurs notable que l'amendement proposé par Jean-Christophe Lagarde imposant au fonctionnaire détaché, réélu parlementaire, de démissionner de la fonction publique sous trente jours ou de renoncer à son mandat, ait été rejeté devant la commission des lois 141, puis lors de la deuxième séance du 22 mai 2008. Pierre Lelouche avait déjà déposé plusieurs propositions de lois visant à interdire qu'un élu pût demeurer fonctionnaire. La proposition Lagarde apparaissait toutefois pusillanime: l'incompatibilité ne jouait qu'après élection, et même réélection, du fonctionnaire.

140 141

Ibid., pp. 51 s.. Ibid.. pp. 104-105.

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Entre la volonté d'origine de Nicolas Sarkozy et le texte final de la réforme, domine l'impression que la Constitution a été révisée en Congrès le 21 juillet 2008 pour le principe et l'affichage publicitaire, sans que les questions de fond aient été abordées. Augmenter les pouvoirs du Parlement, pour quoi faire? C'est augmenter les pouvoirs de la fonction gouvernementale, puisque président/gouvernement/majorité à l'Assemblée nationale sont liés, hors période de cohabitation. Donner plus de pouvoir au Parlement, c'est donc donner plus de pouvoir au gouvernement, donc au Président. « Les entreprises de « renforcement des pouvoirs» du parlement, en particulier de sa compétence législative (que l'on imagine toujours comme une compétence autonome), présentent quelque chose d'illusoire: puisque le Parlement ne peut être considéré que très formellement comme organe indépendant de l'exécutif, l'exercice de chacune de ses compétences a vocation à être en partie conditionnée par le comportement du Gouvernement.» 142 Deux réserves peuvent être formulées. D'abord, en période de «cohabitation », donner plus de pouvoir au Parlement, c'est donner plus de pouvoir au Premier Ministre. Ensuite, dans tous les cas, lorsque la majorité est de gauche, c'est aussi donner plus de pouvoir au Sénat, traditionnellement de droite ou du centre, du moins jusqu'à présent. Une disposition potentiellement dangereuse et qui est presque passée inaperçue a été adoptée. L'article 44 de la Constitution prévoit que le droit d'amendement« s'exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ». Sans verser dans l'extrémisme des leggine italiennes, votées en commission, la réforme permet de limiter la discussion en séance publique, notamment afin d'éviter des débats interminables sur des dispositions techniques, et de renforcer l'intérêt des commissions concernées. Le risque est d'accroître l'inflation législative et les tentatives de corruption sur des parlementaires plus réceptifs, car moins nombreux, en commission qu'en séance publique. Surtout, la réforme constitutionnelle s'éloigne du constitutionnalisme. Il n'existe aucune volonté de donner enfin à la France une véritable constitution, c'est-à-dire une garantie à la Liberté. Les instruments de limitation de l'Etat au sens large sont absents. Notable à cet égard est le traitement qui a été réservé à la règle de l'équilibre budgétaire, dite « règle 142 Armel Le Divellec, Le gouvernement parlementaire en Allemagne. Contribution à une théorie générale, Paris, L.G.D.l, 2004, p. 571.

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d'or ». Le sujet était pourtant à la mode. Le 9 janvier 2008, François Sauvadet, Charles de Courson et les membres du groupe Nouveau Centre avaient déposé une proposition de loi constitutionnelle relative au retour à l'équilibre des finances publiques pour compléter l'article 47 : «Il est interdit de présenter et d'adopter une loi de finances dont la section de fonctionnement est en déficit ». l'article 47-1 était ainsi complété: «Il est interdit de présenter et d'adopter une loi de financement de la sécurité sociale dont l'ensemble des charges dépasse l'ensemble des recettes. » Les députés expliquaient que la situation présente était paradoxale puisque l'Etat s'exonérait des règles qu'il avait lui-même fixées au secteur privé et au secteur public local. Le 14 janvier suivant, une proposition de loi constitutionnelle déposée par des députés centristes et visant à garantir l'équilibre budgétaire de l'Etat entendait compléter l'article 34 de la manière suivante: «Les lois de finances de l'année garantissent l'équilibre budgétaire de l'Etat. Elles ne peuvent autoriser un déficit supérieur au montant des dépenses d'investissement. Elles déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. » Ces propositions apparaissaient très timides dans la mesure où un déficit d'investissement était considéré comme potentiellement légitime ou bien dans la mesure où le gouvernement gardait des marges de manœuvre du fait que la règle se limitait à la loi de finances initiale. Lors de la 2e séance du 27 mai 2008, Charles de Courson a défendu la «règle d'or », qui consistait à interdire de s'endetter pour financer, dans un cadre pluriannuel, des dépenses de fonctionnement. Le ministre du Budget a indiqué que la «règle d'or» était une merveilleuse invention .... absolument impraticable! L'amendement a été retiré au profit d'un second, adopté par la commission, ainsi libellé: «Les lois de programmation définissent des orientations lesquelles s'inscrivent dans un objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ». Après que le député socialiste Arnaud Montebourg eut souligné à juste titre qu'il ne s'agissait pas de la «règle d'or », un député communiste n'a pas hésité à parler de «loi d'airain pour les pauvres»! L'amendement n'a pas été adopté. Finalement, l'article 34 s'est trouvé modifié a minima: «les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques.» La règle dort ...

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En substance, la réfonne de la Constitution du 21 juillet 2008 se réduit à une tentative - partiellement réussie - d'agencer de manière optimale les «pouvoirs », sans concerner le point essentiel qu'est l'encadrement du Pouvoir. Dès lors, il n'est guère étonnant qu'un constitutionna1iste socialiste se soit réjoui «d'une «révision constitutionnelle progressiste ». 143

Beaucoup d'énergie a été consacrée ces dernières années pour modifier la Constitution. Les propositions se sont multipliées; les rapports se sont accumulés; les révisions ont vu leur rythme s'accélérer. Mais l'essentiel a été perdu de vue car rares aujourd'hui sont les personnes - à commencer par les hommes politiques ou, pis, les constitutionna1istes - qui ont à l'esprit les principes du constitutionna1isme.

143 Olivier Duhamel, « Ce n'est qu'un début », Le Nouvel Observateur, 24-30 juillet 2008, p. 31.

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Conclusion: Des réformes par le bout de la lorgnette Les réformes intervenues, comme les réformes suggérées, apparaissent comme des cautères sur des jambes de bois. Le manque de hauteur de vue apparaît surprenant, que les hommes politiques soient de droite, du centre ou de gauche. Ces derniers restent enfermés dans leur positivisme ou bien dans des conceptions surannées, voire des erreurs ancestrales. Le même constat peut être effectué en ce qui concerne moult constitutionnalistes ou personnalités chargées de rédiger des rapports. En novembre 1992, François Mitterrand rend publiques des propositions de réforme constitutionnelle. Un comité consultatif présidé par le doyen Vedel est mis en place et il rend, le 15 février 1993, un rapport intitulé « propositions pour une révision de la Constitution ». Le Gouvernement Bérégovoy déposa deux projets de lois constitutionnelles qui comportaient plus d'une cinquantaine de modifications à la Constitution. Mais il le fit quelques jours avant des élections législatives que les socialistes devaient perdre et lors desquelles effectivement ils subirent une déroute. L'objectif donné au Comité était d'assurer un meilleur équilibre des pouvoirs, de renforcer les droits des citoyens en leur permettant d'accéder au Conseil constitutionnel et d'améliorer les garanties de l'indépendance des magistrats judiciaires. Bref, les problèmes fondamentaux étaient évacués, si bien que les réformes proposées ne pouvaient qu'être timides et, compte tenu des circonstances politiques, vouées à l'échec. La Revue du droit public publia en 1998, puis en 2002, deux numéros spéciaux, consacrés respectivement aux quarante ans de la Ve République et à la question de la VIe République. Les meilleurs spécialistes et les hommes politiques les plus importants participèrent à ces deux livraisons. Or, dans le numéro spécial de 1998, il n 'y a pas un mot sur les libertés lors des débats constituants et dans le texte final; il n'existe qu'un article, très réducteur au surplus, sur les « libertés publiques» et aucune référence au constitutionnalisme, cela en plus de 650 pages! 144 Quatre ans après, cette vénérable revue publia un numéro particulièrement décevant sous le même angle du constitutionnalisme. Les rares passages consacrés aux contrepouvoirs sont convenus; le renforcement des droits de l 'homme aboutit à 144 Revue du droit public et de la science politique, numéro spécial, 1998, « Les 40 ans de la Cinquième République », pp.1253-1908.

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une consécration des faux droits à caractère socialiste; le pouvoir fiscal du Parlement est expédié en quelques paragraphes 145. Un retour aux grands principes libéraux apparaît d'autant plus nécessaire pour fonder enfin une Constitution de la liberté.

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Loc. cit., numéro spécial, 2002, « La Vl ème République? », pp.1-570.

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IV - UNE CONSTITUTION LIBERALE

Introduction: Comment élaborer une bonne constitution La rédaction d'une constitution est une œuvre ô combien périlleuse! Mais elle est facilitée lorsque son ou ses auteurs gardent à l'esprit quelques règles de base, celles qui ont été exposées dans le chapitre liminaire. La France ne souffre pas d'une absence d'État. Combien sont dangereux ceux qui appellent à un « retour du politique» ! Il faut trancher le nœud gordien de la politisation de la France. Bref, il faut dépolitiser la France. Toutes les précautions doivent être prises pour briser le « marché politique» qui règne en maître. Voilà pour l'inspiration. Quant à la forme, des dispositions longues et complexes, loin d'être indispensables, sont à proscrire. Une constitution doit être brève et obscure, disait-on plaisamment au XIXème siècle. Par-delà la boutade, la phrase n'est pas totalement fausse. Une constitution suppose une écriture nerveuse et percutante. Edgar Faure l'exprimait avec bonheur: « Une constitution doit être courte et claire. Elle doit insister sur les principes et laisser une large place à la coutume. »146 Dans tous les cas, il faut faire preuve d'humilité, une qualité rare chez les constituants français, et il ne faut pas oublier que les constitutions ne sont jamais que des «barrières de papier », selon la magnifique expression de Madison. 147 Des barrières de papier qui, au surplus, peuvent être emportées par le sens qu'on leur donne. A un ami qui lui disait, après la Convention de 1787: «Vous nous avez donné une bonne Constitution », Gouverneur Morris répondit: «Cela dépend de la manière dont elle est . , , 148 mterpretee » ... Il ne s'agit pas de livrer clés en main une constitution idéale. La perfection n'est pas de monde et l'uniformité n'est pas un concept libéral. En revanche, le libéralisme, s'il rejette l'harmonisation, promeut l'harmonie, par définition spontanée. La concurrence concerne également le droit constitutionnel et il n'est pas irréaliste d'imaginer une concurrence de constitutions libérales. L'objet du présent ouvrage est plus limité. Il s'agit

146 Edgar Faure, « Libres propos sur l'avant-projet. Quelques grands principes », Le Monde, 12 août 1958 in ibid., p.372. 147 Alexander Hamilton, John Jay & James Madison, Le Fédéraliste, trad. Gaston Jèze, Économica, 1988, nOXLVIII, pA09. 148 Cité in Alpheus Thomas Mason, The States Rights Debate: Anti-Fédéralism and the Constitution, Oxford & N.Y., Oxford U.P., 2ème éd., 1972, p.107.

de développer les dispositions essentielles d'une constitution libérale, dont certaines peuvent au demeurant être alternatives. Mais, quels que soient les choix effectués, il convient de les faire avec cohérence et en gardant constamment à l'esprit les grands principes libéraux: constitutionnalisme, liberté, subsidiarité. Une constitution libérale n'est jamais que la mise en pratique de ces quelques grands principes. Elle a deux objets. D'abord, le Pouvoir doit être limité; ensuite, les «pouvoirs )) doivent être organisés. Autrement dit, une constitution doit être doublement subsidiaire: horizontalement en premier lieu, verticalement en second.

A - LA LIMITATION DU POUVOIR

Le caractère horizontal de la subsidiarité permet de séparer la sphère de l'Etat de celle de la société civile. Le mur de séparation ne doit jamais être poreux, mais au contraire rigoureusement étanche, car il s'agit de respecter les droits et libertés de chacun des individus. - Les droits et libertés de l'individu

Aucune constitution moderne ou contemporaine ne peut faire l'impasse sur les droits de l'homme. Ceux-ci permettent d'ailleurs de jauger un texte constitutionnel et d'en pénétrer l'esprit. Si la proclamation des droits de l'homme est convenable, la constitution a des chances de l'être également. Si elle ne l'est pas, la constitution sera immanquablement défectueuse, voire détestable. Mais comment proclamer les droits de l'homme? C'est l'écueil du droit naturel. Schématiquement, deux écoles libérales peuvent être sériées. Pour l'une, une constitution doit, dans ses articles ou dans un préambule, rappeler solennellement le droit de propriété, la liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'entreprendre, la liberté des contrats, la liberté de la presse et de l'information, la liberté de l'enseignement, le consentement à l'impôt. Plus radicalement, une simple référence au droit de propriété, dans la lignée lockienne, pourrait suffire: vie, liberté, propriété. Pour l'autre, symbolisée par Hayek, il est impossible d'énumérer de manière exhaustive les droits de l'homme. 149 En effet, si l'on mentionne certains droits limitativement, cela implique a contrario que tous les autres domaines sont 149

Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté ... , op. cit., vol.3, p.l31.

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susceptibles de justifier une intervention étatique. Cette thèse ne manque pas de logique à partir du moment où l'on fait l'impasse sur le jusnaturalisme pour consacrer l'évolutionnisme. On pourrait cependant répliquer à Hayek que la Constitution des Etats-Unis, sous la plume originelle de James Madison, a rappelé que l'absence de proclamation d'un droit ne signifiait pas que l'on puisse le violer. Le 9ème amendement dispose en effet : « l'énumération dans la Constitution de certains droits ne sera pas interprétée de façon à dénier ou diminuer d'autres droits, retenus par le (s) peuple (s) ». Mais il est vrai qu'alors on laisse la porte plus ouverte encore à l'interprétation et que celle-ci risque de mener à la consécration de règles antilibérales. Quoi qu'il en soit, une protection de l'individu contre l'arbitraire, qu'il s'agisse de celui d'une majorité politique, par définition temporaire, ou des autres individus, est une nécessité et la principale raison d'être d'une constitution. En tout cas, un point fait l'unanimité: toute référence au préambule de la Constitution de 1946 doit être supprimée. Historiquement situé, ce monument du socialo-communisme fait tâche dans notre ordre juridique. La référence beaucoup plus récente à la Charte de l'environnement, introduite en 2005 sur pression présidentielle, mérite également l'oubli.

- La sphère étatique Du respect des droits de l'homme, on est directement conduit à la question de la sphère étatique. L'objet d'une constitution est de garantir les individus contre les empiètements d'autrui, et notamment de l'Etat. Les droits de l'homme doivent être protégés contre les intrusions des autres individus, qu'il s'agisse d'individus comme les autres ou d'individus revêtus d'une charge particulière. Le fait de se voir confier un mandat public ou de « servir l'Etat», ne donne aucun pouvoir pour violer les droits et libertés des citoyens. Au contraire, il oblige son titulaire à les protéger. Ce principe est limpide, son application délicate. Quelle est la sphère légitime de l'Etat, se demandent depuis l'origine les libéraux? Les réponses vari~nt suivant 9.ue les auteur~ sont plus con~ervateurs ou plus anarchistes : Etat garant, Etat minimal, Etat minimum, Etat optimum, etc .. Mais elles comportent des caractéristiques communes. L'Etat n'a d'autre fonction que celle d'être garant de l'ordre juridique. Pour cela, il doit empêcher les individus de violer les droits d'autrui: c'est une fonction de police intérieure, mais aussi extérieure. Il doit aussi empêcher l'Etat de

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violer les droits des individus: il s'agit alors de garantir que l'Etat ne sorte pas de sa mission de garant. La subsidiarité verticale vient compléter la subsidiarité horizontale. Les fonctions de l'Etat dit gendarme, plus théoriques qu'effectives au XIX ètne siècle et qui devraient mieux s'appeler fonctions de l'Etat garant, se limitent ainsi aux affaires étrangères, à la sécurité intérieure et extérieure, et à une organisation judiciaire de contrôle. Il faut ajouter que le fait que l'Etat assume une fonction particulière, ne veut pas dire pour autant que celle-ci doive l'être par des hommes de l'Etat. H est concevable qu'une fonction de l'Etat soit assurée par des particuliers, que ce soit par délégation ou par concurrence. Il est ainsi envisageable que la fonction de juger soit remplie par des arbitres, à tout le moins par des non-professionnels, comme elle est actuellement dans certaines branches du Droit.

B - L'ORGANISATION DES POUVOIRS La subsidiarité horizontale appelle la subsidiarité verticale. L'une ne va pas sans l'autre. La subsidiarité horizontale englobe alors la « séparation des pouvoirs », mais une « séparation des pouvoirs» qui n'est pas racornie comme elle l'est actuellement. Une double «séparation»: horizontale, mais aussi verticale. Contrairement à la question de la limitation du Pouvoir, dont les éléments essentiels ont déjà été développés dans le chapitre liminaire, celle de l'organisation des pouvoirs mérite d'amples explications. - La « séparation des pouvoirs» horizontale La « séparation des pouvoirs» signifie en réalité la division des fonctions de l'Etat -qui au demeurant peuvent théoriquement ne pas être limitées aux trois fonctions habituelles: exécutive, législative et judiciaire - entre différents organes plus ou moins interdépendants. La fonction «exécutive» est assumée par un homme ou par un groupe d 'hommes. La notion de pouvoir personnel est incompatible avec le libéralisme. Le fait qu'un homme soit élu au suffrage universel direct, ne l'est guère plus. Ce type d'élection est en effet la voie ouverte aux abus de pouvoirs et surtout à la croissance du Pouvoir. Une voie ouverte, mais pas une nécessité, il est vrai. Dans de nombreux pays, le chef de l'Etat est élu au suffrage universel direct sans pour autant bénéficier de pouvoirs

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importants. A l'inverse, être élu au suffrage indirect n'est pas un signe imparable d'affaiblissement. Mais nul doute que l'élection du Président de la République au suffrage universel direct depuis une réforme de 1962 n'ait entraîné des conséquences néfastes. Ce constat est habituellement partagé aujourd'hui. Les propositions de réforme frappent pourtant par leur pusillanimité. Il ne serait pas possible, dit-on, de revenir sur ce type d'élection au motif que les Français y seraient attachés. Ce conservatisme laisse pantois. Le fait que des sondages concluent, fût-ce de manière concordante, majoritairement à une position, ne signifie pas pour autant que cette position soit juste. La dualité effective de l' « exécutif» -Président de la République/Premier ministre- et, en raison du fait majoritaire, la possibilité et l'effectivité des « cohabitations» foct une nouvelle fois de la France une exception. De deux choses l'une. Soit le Président reste seul maître de la fonction exécutive, soit il doit être confiné à un rôle purement représentatif. Dans ce dernier cas, il n'y a aucune raison de conserver une élection au suffrage universel direct du« pouvoir neutre », selon l'expression de Benjamin Constant, et la question sensible de sa responsabilité n'est plus brûlante. Dans le premier cas en revanche, il est important de régler le cas de sa responsabilité. L'idée d'un chef de l'Etat tout à la fois pourvu d'attributions puissantes et irresponsable politiquement est inadmissible. La crise des institutions de la Ve République découle entre autres de ce fait. Une mise en jeu de la responsabilité du Président par destitution ou « empêchement» est une nécessité. Les constitutionnalistes se sont longuement penchés sur la question et la Commission présidée par Pierre Avril a rendu des propositions dignes d'intérêt qui ont été pour l'essentiel entérinées par la loi constitutionnelle de février 2007 sur la Haute Cour. Au même titre que celle des parlementaires et des ministres, la responsabilité du Président doit être effective. Est-il nécessaire, comme le fait Hayek par exemple, de prévoir des pouvoirs de crise? Celui-ci, de manière peu cohérente, s'inscrit dans la lignée du décisionnisme de Carl Schmitt, tout en croyant échapper à son emprise. Schmitt prétend qu'est souverain, celui qui décide de la situation exceptionnelle. Contrairement aux positivistes, il croit que c'est l'exception, et non pas la norme, qui est la plus importante. Hayek écrit qu'en cas de situation exceptionnelle, l'exécutif doit prendre les dispositions idoines de sauvegarde de l'ordre juridique, mais que le

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législatif doit pouvoir mettre fin à cette situation exceptionnelle. 150 En réalité, il n'est nul besoin de constitutionnaliser ce qui peut être résolu par la pratique. Il en a d'ailleurs toujours été ainsi dans les démocraties occidentales. En ce sens, l'article 16 de la Constitution -qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République- regretté depuis l'origine par les défenseurs des libertés et mis en œuvre en dépit du bon sens lors de son unique utilisation en 1961, doit être purement et simplement abrogé. La fonction « législative» est assurée par une ou plusieurs chambres. La structure actuelle Assemblée nationale/Sénat, i.e. la présence d'un bicamérisme, apparaît incontournable. Hayek propose de distinguer une assemblée législative d'une assemblée gouvernementale, suivant un intitulé qui peut surprendre. La première a pour objet de formuler de véritables règles juridiques, cependant que la seconde s'occupe des mesures particulières à prendre en respectant les règles posées par la première. 151 En matière budgétaire et fiscale, la première déciderait de la répartition des prélèvements entre les citoyens, tandis que la seconde déciderait du montant global des dépenses et de son affectation. 152 Ce schéma a pu être discuté dans la mesure où il serait inapte à briser le « marché politique ». Il est intéressant de noter toutefois que la structure de l'article 34 de la Constitution reprend la distinction entre les règles les plus importantes, qui ressortissent à la loi, et les autres, qui ressortissent au règlement selon l'article 37. Il n'est donc pas incongru, dans le cadre des institutions existantes, de penser que le Sénat puisse devenir, selon le schéma hayekien, l'assemblée législative et que l'Assemblée nationale se mue en assemblée gouvernementale. Le Parlement doit recouvrer, non pas des pouvoirs interventionnistes plus puissants comme il est fréquemment soutenu, mais des pouvoirs strictement législatifs. Il détient deux missions fondamentales: la surveillance de l'exécutif et le vote de la loi. Une loi, majestueuse et impersonnelle, et non pas une poussière de texte à la légitimité douteuse. Le Parlement doit jouer son rôle de contre-pouvoir: « une Constitution n'est bonne que tant qu'elle

Ibid., pp.147-148. Ibid., p.124. 152 Ibid., pp.149-150. Pour une variante v. Pascal Salin, L'arbitraire fiscal ou comment sortir de la crise, préf. Alain Madelin. Genève, Slatkine, 1996, pp.300301. ISO

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porte remède aux abus de l'administration », écrivait David Hume. 153 Contrôleurs de l'exécutif, les parlementaires ont pour mission « de circonscrire la sphère d'action du Gouvernement », ainsi que l'expose Bastiat. 154 Quant au nombre des parlementaires, soit environ 900, il apparaît très excessif. Si le nombre des sénateurs est acceptable, bien qu'il ait eu tendance à croître insensiblement, celui des députés semble disproportionné au regard de la population et de l'étendue du territoire. Un objectif de 300 parlementaires par chambre au maximum semble raisonnable. Le mode de scrutin est un thème qui revient inévitablement au centre du débat constitutionnel. Conformément à la tradition, les institutions françaises prévoient par une loi ordinaire l'élection des députés au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Deux grandes thèses s'affrontent. Pour les uns, le scrutin proportionnel consacre la justice au plan électoral et permet la représentation des minorités. On ajoute qu'elle évite un combat frontal entre deux blocs, droite et gauche, et qu'elle favorise les compromis à l'Assemblée. Elle permet également de faire élire des personnes moins dépendantes des mouvements de l'opinion et plus qualifiées intellectuellement. Pour les autres, le scrutin majoritaire assure avant tout, comme son nom l'indique, la présence d'une majorité à la chambre, si bien qu'elle évite la dispersion des voix et les tractations de couloir en permettant au Gouvernement de disposer d'un appui fort et stable. De plus, le scrutin proportionnel établit le « régime des partis» en déconnectant le choix des têtes de liste des mouvements d'opinion. Ces deux thèses reviennent à une opposition entre deux représentations: la représentationmiroir et la représentation-filtre. Elles doivent être affinées car le scrutin majoritaire peut être à deux tours ou, plus radicalement, à un seul tour, et car le scrutin proportionnel peut être décliné à l'infini et mêler des éléments majoritaires pour consacrer un type de scrutin mixte. La question est délicate, mais sa réponse dépend du type de régime politique. Dans le cas d'un régime présidentiel, où les organes législatif et exécutif ne disposent pas de moyen direct, en temps normal du moins, pour mettre en cause la responsabilité de l'autre, une majorité claire et stable n'est pas indispensable dans la ou les chambres. Dans un régime parlementaire, en 153 David Hume, « La politique peut-elle être réduite à une science? » in Id., op. cit., p.145. 154 Frédéric Bastiat, « De la réforme parlementaire (1846) ... » in Œuvres complètes, op. cit., t.I, pp.486-487 & 490.

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revanche, les chambres ou, en tout cas, la chambre la plus importante, doivent compter une majorité de gouvernement dont le futur Premier ministre sera le chef. Un scrutin proportionnel paraît alors difficilement concevable. Il est vrai que ce biais en faveur du scrutin majoritaire présenterait moins d'importance en cas de confinement drastique de l'Etat à ses fonctions. Il n'en demeure pas moins que la représentation proportionnelle favorise les compromis, donc les marchandages, et qu'elle est susceptible de mener à une extension de l'Etat par le truchement du « marché politique ». A l'inverse, une majorité forte et non fragmentée est de nature à réduire ce risque. La question du cumul des mandats fait, depuis de longues années, débat. Quelques-uns pensent que l'ancrage local, ne serait-ce que pour les sénateurs, est indispensable. D'autres martèlent que l'accumulation des mandats provoque de coupables confusions de compétences, qu'elle constitue une nouvelle exception française et qu'elle existe pour des raisons alimentaires au détriment de l'efficacité des « cumulards ». A vrai dire, la question est mal posée. La question préalable est une nouvelle fois celle des limites de l'Etat et de la subsidiarité. A partir du moment où l'Etat se trouve confiné dans sa sphère et où les divers niveaux infra- et supra- étatiques font jouer à plein le principe de subsidiarité, les défauts actuels du cumul des mandats ne sont plus aussi prégnants. L'intérêt de la question se réduit comme une peau de chagrin. Faut-il par ailleurs limiter le nombre des mandats? Cette interrogation vaut pour les parlementaires, mais aussi pour le Président de la République ou les titulaires des mandats locaux. Là encore, d'excellents arguments s'opposent. Quelques-uns font valoir qu'il serait dommageable de se priver de l'expérience et de la qualité de certains hommes politiques, particulièrement au niveau local et au Parlement. Ils peuvent ajouter que la fonction d'homme politique est un métier, contrairement aux lieux communs, et que comme tout métier il s'apprend lentement et n'est pas à la portée de tous. Ils avancent encore que les fins de mandats non renouvelables paralysent leurs détenteurs en limitant leur influence ou, au contraire, les rendent totalement irresponsables. D'autres argüent qu'il est dangereux de permettre à des hommes politiques d'en faire leur métier, a fortiori ou à tout le moins sur une longue durée. Ils ajoutent que la limitation du nombre des mandats favorise l'indépendance et l'esprit de responsabilité. Entre ces deux positions tranchées, une solution intermédiaire consisterait à limiter le nombre des mandats, mais en

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prévoyant une durée suffisante pour l'exercice de chacun d'eux. Qu'on le veuille ou non, être homme politique ne s'improvise pas et demande un investissement certain. A partir du moment où il sera impossible d'être fonctionnaire et homme politique, il est permis de penser que, comme souvent aux Etats-Unis, il faudra d'abord réussir dans le privé pour accéder à de hautes fonctions politiques nationales. Celles-ci constitueront alors le terme du cursus honorum. Il n'y aura dès lors aucune raison tangible pour empêcher une réélection. Le «statut de l'opposition» est à l'ordre du jour depuis les années 1970. Pour briser la chape de plomb de la majorité présidentielle, il s'est agi de renforcer les droits de la minorité. Les résultats, en dehors de la saisine du Conseil constitutionnel et, dans une moindre mesure, des questions au gouvernement, ont été maigres. Il est compréhensible que les constituants aient voulu réagir après les dérives des lue et IVe Républiques. Mais, d'un extrême on est passé à un autre. La suppression de l'article 40 relatif aux propositions et amendements des parlementaires s'impose; les commissions permanentes doivent pouvoir être créées librement; les pouvoirs des commissions doivent être accrus -ce qui ne signifie pas pour autant qu'elles aient le droit de voter des «petites lois» comme en Italie: ce serait la voie ouverte à la croissance de l'Etat !-, au besoin sous présidence ou vice-présidence d'un membre appartenant obligatoirement à l'opposition; la fixation de l'ordre du jour, monopolisée de fait ou de droit par le Gouvernement, doit être encore assouplie. La solution n'est donc pas de renforcer le Parlement, contrairement à une antienne. Car le danger ne vient pas de l'exécutif -ce serait si simple !-, il vient de l'Etat, Parlement inclus. Certes, le renforcement d'un « législatif» abaissé par rapport à un «exécutif» surpuissant peut équilibrer les « pouvoirs », mais il ne faut point perdre de vue que l'objectif ultime est de combattre l'Etat tentaculaire. C'est, ainsi que l'exprime Bastiat, qu'« il est dans la nature de tout corps constitué et organisé de tendre à s'agrandir, à absorber toutes les influences, tous les pouvoirs, toutes les richesses ».155 Il y a donc un double écueil à éviter: l'absence de contrôle réel et efficace de l'exécutif, la présence d'une ou de deux chambres aux pouvoirs illimités. Comment réduire l'étendue de la législation et conséquemment garantir le Droit? Plusieurs mécanismes sont concevables. A l'image des premiers amendements à la Constitution des Etats-Unis, une limite peut être fixée 155 Ibid, p.490.

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aux pouvoirs du Parlement: il lui est interdit de légiférer dans tel ou tel domaine, par exemple celui de la liberté d'expression. De manière alternative ou cumulative, au sein même de son champ de compétences, le Parlement ne pourrait adopter telle ou telle loi que par un vote à la majorité qualifiée. Pour prendre le même exemple, il ne pourrait encadrer une liberté précise qu'en vertu d'un vote aux deux tiers de ses membres 156. En termes de contrôle, les individus doivent jouer un rôle essentiel. De multiples mécanismes de démocratie semi-directe peuvent être utilisés. En plus de la révocation populaire qui peut concerner toutes les fonctions, les référendums, référendums d'initiative populaire, veto permettent la participation directe des citoyens à la procédure législative. Il en sera plus spécifiquement traité dans les paragraphes relatifs aux collectivités territoriales. Il faut enfin ajouter que le Conseil économique et social, qui depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 s'appelle le Conseil économique, social et environnemental, «prostate» de la Ve République, doit être purement et simplement supprimé. La fonction judiciaire est assurée par des juges et/ou des magistrats. Elle recouvre les affaires judiciaires, administratives, fiscales et constitutionnelles. Elle est traditionnellement attachée à l'Etat, mais elle n'est pas pour autant rendue par des fonctionnaires. L'actuelle existence de magistrats pose la question de leur responsabilité. Comment être responsable si l'on est fonctionnaire? Le problème est, croit-on, résolu par la présence d'organes spécifiques, tel le Conseil supérieur de la magistrature, ou par le mécanisme des élections, tel qu'il peut exister outreAtlantique au niveau local. Ces mécanismes sont défectueux et il est permis de penser que, ici encore, un système concurrentiel serait opportun. Car seule la concurrence est un aiguillon pour le perfectionnement et la responsabilité. En France, comme dans d'autres pays européens, la justice est éclatée entre différents ordres de juridictions. Il ne s'agit pas de concurrence, mais de cloisonnement. La querelle entre partisans d'une dualité des ordres de juridictions - administratif/judiciaire - et partisans d'un seul ordre ne date pas d'aujourd'hui. Il est toujours amusant de constater combien les administrativistes s'extasient devant les audaces du Conseil d'État, fussent156 Bruno Leoni, La liberté et le Droit, trad. Charlotte Philippe, préf. Carlo Lottieri, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 284, n. 5, se rallie à ce système prôné par James Buchanan.

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elles postérieurs de plusieurs décennies de celles de la Cour de Cassation. La dualité des ordres de juridiction s'explique par des raisons historiques et elle apparaît surannée. Rien ne vient justifier que par principe l'Etat bénéficie de règles qui lui soient propres. La question de la justice constitutionnelle est particulière. Les tribunaux de droit commun doivent-ils avoir compétence pour juger de la constitutionnalité d'une loi, sous le contrôle en dernier ressort d'une Cour suprême, ou bien le contrôle de constitutionnalité des lois doit-il être réservé à un organe unique? Le système français n'est pas satisfaisant. Il n'y a aucune garantie que les individus désignés au Conseil constitutionnel soient compétents. On pourrait objecter qu'une telle garantie est impossible. Néanmoins, la désignation discrétionnaire de juges par des autorités politiques et sans conditions particulières n'est guère satisfaisante. Il est vrai qu'au fil des années, les désignations ont été de meilleure qualité. D'aucuns proposent que les choix soient effectués par le Parlement, éventuellement à la majorité qualifiée. Cette proposition aboutirait en l'état à une politisation totale de l'organe. Il est certainement préférable, si l'on souhaite maintenir la désignation par l'exécutif, de prévoir un avis conforme de la part de l'une des chambres, certainement la seconde comme aux Etats-Unis. Ou bien, à l'inverse et de manière plus originale, de prévoir une désignation par une ou plusieurs chambres du Parlement, avec éventuellement un veto de la part de l'exécutif. Le contrôle de constitutionnalité des lois ne saurait être mis dans les mains d'un seul organe. La concurrence entre les juges apparaît ici encore nécessaire et tout individu doit pouvoir soulever devant tout juge une exception d'inconstitutionnalité. Il ne faut pas oublier cependant que la question de la saisine du Conseil constitutionnel ouverte, directement ou indirectement, aux citoyens, suppose au préalable que soit résolue la question du « bloc de constitutionnalité ». En effet, les projets de réforme et la révision du 23 juillet 2008 ont mis la charrue avant les bœufs. Ils instaurent une question préjudicielle ou un contrôle de constitutionnalité des lois sans même avoir à l'esprit qu'un organe juridictionnel, qui détient le pouvoir de censurer les lois en se fondant sur des textes à caractère socialo-communiste, ne peut qu'être un danger public. Loin de remédier à des maux, encore une fois, on les aggraverait. Il est certes indispensable que les justiciables puissent voir garantis leurs droits constitutionnels. Mais encore faut-il que les textes fondateurs protègent les « vrais» droits de l'homme, faute de quoi l'ordre juridique serait encore plus en péril qu'actuellement. En substance, la promotion des droits de l'homme précède leur garantie judiciaire. Il

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convient d'inverser ici la maxime anglo-saxonne traditionnelle: les droits précédent les recours. Enfin, le fonctionnement du Conseil constitutionnel mérite une rénovation. Les décisions sont aujourd'hui rendues au nom du Conseil tout entier. Même si la réforme est discutée, même s'il a été refusé par l'un de ses membres éminents, le doyen Vedel, il est difficilement concevable que les opinions individuelles, à l'image de la pratique américaine ou européenne, ne soient pas autorisées. Chaque juge aurait la possibilité d'émettre une opinion dissidente ou bien une opinion concourante, i.e. dans le sens de la décision majoritaire mais, au moins partiellement, pour d'autres raisons. Une telle réforme serait un facteur de liberté, de souplesse et de pédagogie dans l'évolution jurisprudentielle. Elle autoriserait un large débat ouvert et public devant le Conseil constitutionnel par l'intermédiaire d'avocats et de consultants, devant l'opinion publique et au sein des universités. Il faut revenir sur la fonction « exécutive» ou plus exactement gouvernante. Au-delà du mode d'élection du Président, on a justement souligné l' « exception française» constituée par un dualisme effectif à la tête de l'Etat. Il faudra bien résoudre le problème. Une grande option est envisageable: soit supprimer la fonction du Premier Ministre et instaurer un régime présidentiel; soit confiner le Président à des fonctions symboliques et représentatives, faire du Premier Ministre le chef réel de la majorité parlementaire et confirmer le régime parlementaire, mais un régime équilibré et non plus taraudé par la prépondérance à éclipses du chef de l'Etat. La question du régime politique apparaît nodale aux yeux des hommes politiques et des constitutionnalistes. Ceux-ci se battent à coup de « régime présidentiel» ou de « régime parlementaire », éventuellement en changeant d'avis plusieurs fois au cours de leur longue carrière, après s'être lamentés de l'horrible « régime mixte» ou « semi-présidentiel» à la française. Que de confusions! Il faut tout d'abord rappeler que personne n'a jamais déjeuné avec le régime parlementaire ou le régime présidentiel. Il s'agit de constructions de l'esprit, qui n'ont d'autre objet que de servir à la découverte, en termes scientifiques qui n'ont d'autre objet qu'heuristique. La notion de régime parlementaire s'est patiemment construite aux XVIIl ème et XIX ème siècles. Les auteurs ne s'accordent pas sur sa définition. Deux critères sont utilisés: la responsabilité politique du gouvernement et le droit de dissolution. Ce qui est sûr, c'est que le Gouvernement doit toujours disposer de la confiance du Parlement ou de la chambre directement représentative du « peuple ». Quant au régime présidentiel, contrairement aux poncifs, il n'est pas sorti tout casqué de la

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tête des constituants amencains. L'expression elle-même est tardive. Lorsque Woodrow Wilson, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Harvard et futur Président des Etats-Unis, entend décrire en 1883 le système politique américain, il parle de «gouvernement congressionnel ». C'est que, tant aux Etats-Unis qu'en Angleterre, l'organe « législatif» est considéré comme l'organe essentiel. Les Etats-Unis ont depuis le xx ème siècle un «régime congressionnel à présidence généralement forte ». Il n'y a plus dualité de l'exécutif, mais unité dans un Président. Chacun des organes est assuré de demeurer en fonction jusqu'à l'expiration de son mandat, sauf le cas exceptionnel de la mise en accusation du Président. La ou les chambres ne peuvent être dissoutes; le Président est assisté de personnes dont la responsabilité ne peut normalement être mise en cause devant elles. Il ne faut pas croire pour autant, à l'inverse de la présentation convenue qui en est donnée, que le régime présidentiel soit un régime de « séparation rigide des pouvoirs ». Les organes sont certes indépendants, mais les fonctions ne sont pas rigoureusement spécialisées. Par exemple, le Président n'est pas confiné à une fonction «exécutive ». Il intervient de deux manières principales et puissantes dans le domaine « législatif ». En amont, il influence le Congrès par ses discours et il n'hésite pas à lui proposer alors des textes de lois entièrement rédigés. C'est d'ailleurs, depuis le XXe siècle, l'administration qui rédige le projet de budget et qui le soumet aux deux chambres. En aval, le Président dispose d'un puissant droit de veto pour refuser les lois votées par le Congrès qui ne lui conviendraient pas. Les pays considérés comme libéraux à la fin du XX ème étaient tout aussi bien des régimes parlementaires qu'un régime présidentiel. Lorsque de grandes réformes sont entreprises, les pays peuvent être des pays unitaires hypercentralisés -le Royaume-Uni- ou des pays fédéraux par principe l'Australie, le Canada, les Etats-Unis, la Suisse, etc. -. Peut-on dire néanmoins qu'un type particulier de régime politique est susceptible de juguler le risque de l' antilibéralisme ? La réponse ne saurait être tranchée. Le «régime présidentiel» américain n'a pas empêché -mais il n'a pas conduit non plus à- la croissance exponentielle de l'interventionnisme. Le régime parlementaire anglais a «dégénéré» de l'entre-deux-Guerres aux années 1970. La variable essentielle en droit constitutionnel n'est donc pas le régime politique. Elle provient de garde-fous institutionnels et de leur interprétation. Nul ne doute que les huit premiers amendements à la Constitution des Etats-Unis de 1791 qui, au sens strict, forment la Déclaration des droits américaine, ont permis de freiner l'extension du

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Gouvernement fédéral. Mais là encore tout a dépendu de leur interprétation. La jurisprudence centralisatrice de la Cour Marshall des années 1800 aux années 1830 a eu somme toute des effets limités, hormis la confirmation de la Banque des Etats-Unis et l'interprétation large de la clause de commerce. En effet, l'article l section 8-3 dispose que le Congrès a le pouvoir de réglementer le commerce avec les nations étrangères, entre les divers Etats et avec les tribus indiennes. Or, telle qu'elle a été interprétée, cette clause est devenue l'une des principales sources de l'extension du pouvoir législatif du Gouvernement fédéral. Mais, jusqu'à la guerre de Sécession, celui -ci restait faible. De plus, l'impossibilité d'opposer les premiers amendements aux Gouvernements des Etats et ce, en vertu d'une jurisprudence de la Cour suprême, a autorisé ces derniers à violer impunément les droits de l'homme, à commencer par celui d'être libre. Surtout, la digue a finalement cédé aux coups de boutoir de l'interventionnisme rooseveltien dans les années 1930. Dire avec Arnaud Montebourg et Bastien François que les libéraux sont favorables au régime présidentiel à l'américaine car il aurait été conçu pour empêcher tout gouvernement d'agir, est une absurdité. 157 Et ce pour deux raisons. La première est que les libéraux, comme les autres familles idéologiques, sont partagés entre le fait de prôner le régime présidentiel et celui de défendre un régime parlementaire, un régime conventionnel à la Suisse, une monarchie limitée ou tout autre régime. La seconde est que les libéraux n'entendent pas édifier des institutions pour empêcher un gouvernement d'agir. Bien au contraire, chaque organe doit pouvoir remplir ses fonctions, mais il doit être stoppé dès qu'il les dépasse, et surtout la somme des fonctions de l'Etat doit être drastiquement limitée. Comme le disait Benjamin Constant, dans sa sphère un Etat ne saurait être trop puissant, hors de sa sphère il n'a aucune légitimité. Le danger ne vient pas d'un « exécutif» trop fort ou d'un « législatif» trop faible. Il provient de l'Etat. Le régime politique n'est qu'une variable qui dépend en premier lieu de la limitation de l'Etat. Ce point, fondamental, traverse toute la pensée libérale. Laboulaye a exprimé cette idée avec bonheur: « Ce qu'on accuse, ce n'est pas la forme du gouvernement, c'est le despotisme, qu'il vienne d'un homme ou d'une majorité; c'est la centralisation, ce sont les lois préventives, en deux mots, c'est tout ce qui gène le libre et complet développement de l'individu. »158 Constant l'avait déjà écrit: ce qui 157 158

Arnaud Montebourg & Bastien François, op. cil., pAS. Edouard Laboulaye, op. cif., ppA7-48.

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importe, ce n'est pas le titulaire du Pouvoir, c'est sa nature. En dernier ressort, l'opposition essentielle est celle qui met en présence le gouvernement limité et le gouvernement absolu. Lorsque le Pouvoir est absolu, le gouvernement est oppressif; lorsque le Pouvoir est limité, le gouvernement est libéral. l59 Hayek a ramassé sa pensée en quelques mots limpides. Le mal essentiel réside dans l'absence de limitation du Pouvoir, « le problème essentiel n'est pas de savoir qui gouverne, mais ce que le gouvernement a le droit de faire. »l60 Si l'on s'intéresse au régime politique en lui-même, il convient, au grand dam des conservateurs, de réformer ou de remplacer la ye République, sans faire retour aux IIIe et Iye, et sans se perdre dans les propositions centristes ou socialistes de la YI". Telle est la quadrature du cercle. La rénovation ne concerne pas seulement le texte constitutionnel au sens strict. Certaines lois adjacentes comme certaines pratiques exigent également une intervention correctrice. Deux exemples viennent incontinent à l'esprit: le financement des partis politiques et des campagnes électorales; le quasi-monopole des fonctionnaires sur la vie politique. D'autres surgissent: le statut de la fonction publique, le nombre des ministères. A la suite de multiples scandales financiers et sous l'impulsion de Mitterrand, une législation sur le financement des partis politiques et sur le plafonnement des dépenses électorales s'est mise en place à partir de 1988. Cette législation a été changeante en raison de l'ingéniosité humaine à frauder ces dispositions et a eu tendance à être -ou du moins à paraître- de plus en plus sévère. Pour ce qui concerne le financement des partis politiques, il existe une dotation de l'Etat en deux parts, l'une destinée aux groupements et partis qui ont présenté des candidats aux élections législatives dans un nombre minimal de circonscriptions, l'autre réservée à ceux qui sont représentés au

l59 Louis Rougier, L'erreur de la démocratie française, Paris, Ed. L'Esprit nouveau, 1963, p.257. l60 Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté, op. cit., annexe, « Pourquoi je ne suis pas un conservateur », p.399. V. Karl Popper, État paternaliste ou État minimal. Remarques théoriques et pratiques sur la gestion de l'État démocratique, trad. Corinne Verban-Moser, préf. André Verban, Vevey, Ed. De l'Aire, 1997, pp,41, 43 & 53.

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Parlement. Le financement par des personnes privées est autorisé avec un plafond individuel de 7.500 €, alors que, depuis 1995, il est interdit aux personnes morales de financer les partis politiques. En 2003, le financement portait sur 70 millions d'euros. Ainsi l'V.M.P. avait-il des recettes d'environ 43 millions d'euros dont 33 provenaient d'un financement public. Pour le Parti socialiste, le ratio était de 18 millions d'euros sur 43. En 2007, l'V.M.P. perçoit 32 millions d'euros et le Parti socialiste 20 ; en 2008, respectivement 34 et 22 millions. Pour ce qui concerne le plafonnement des dépenses électorales, les dépenses engagées par les partis lors de la campagne des élections législatives ne sont pas plafonnées. En revanche, les dépenses électorales sont plafonnées pour chaque candidat à 38.000 euros plus 15 euros par habitant de la circonscription. Le financement par une personne privée est limité à 4600 euros pour l'ensemble des candidats. L'Etat rembourse à chaque candidat une somme forfaitaire à hauteur de 50 % des dépenses électorales, à condition que celui-ci ait obtenu 5 % des suffrages exprimés au premier tour. L'élection du Président de la République mérite des développements particuliers. Le plafond des dépenses est fixé à 13,7 millions d'euros au premier tour et 18,3 millions au second. Le candidat qui obtient moins de 5 % des suffrages exprimés au premier tour a droit à un remboursement forfaitaire de 5 % du montant du plafond. Celui qui obtient au moins 5 % a droit à un remboursement de 50 % du montant du plafond, sans qu'il puisse excéder le montant des dépenses réelles effectuées. Comme pour les élections législatives, une personne privée peut financer la campagne dans la limite de 4 600 euros. Les dépenses globales des douze candidats à l'élection présidentielle de 2007 se sont élevées à plus de 75 millions d'Euros. Le remboursement forfaitaire de l'Etat a atteint plus de 44 millions d'Euros.1 61 Le financement des partis politiques et des campagnes électorales est décrit comme une mesure indispensable par la quasi-intégralité des commentateurs. Le lyrisme est de mise: la sphère du politique ne saurait être celle de l'argent fou et corrupteur; les citoyens doivent pouvoir se prononcer sur la base d'une concurrence pure et parfaite entre les divers programmes; la morale républicaine, dont on attend un sursaut comme on attend Godot, se fonde sur des valeurs et combat les anti-valeurs de l'affairisme, etc .. Pour lutter contre les effets délétères de la corruption, une 161

Le Figaro. 25 juin 2008.

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seule solution: réguler les élections, et confier la régulation à ce tiers impartial et incorruptible qu'est l'Etat. Quant aux entreprises privées, stipendiées pour leur absence de « citoyenneté », elles ne doivent pourtant sous aucun prétexte se mêler des élections. Est-il si vrai que le résultat n'importe guère aux chefs d'entreprises: nationalisation, réglementation abusive, entraves, spoliation, monopole? En réalité, la réglementation des partis et des campagnes s'explique par la peur des étatistes que les individus, les entreprises et l'étranger influent sur le résultat des élections. La Cour suprême des Etats-Unis, dont la jurisprudence est malheureusement beaucoup moins franche depuis lors, a rendu une décision remarquable à cet égard en 1976. Elle avance qu' « une limitation des dépenses qu'une personne ou un groupe peut faire pour communiquer des idées politiques au cours d'une campagne électorale a nécessairement pour effet de réduire le volume des idées exprimées en restreignant le nombre de sujets discutés, la profondeur de la discussion et l'ampleur du public atteint.» 162 La Cour se fonde sur le premier amendement selon lequel le Congrès ne fera notamment aucune loi restreignant la liberté de parole ou de la presse: « le premier amendement refuse au Gouvernement le pouvoir de dire que dépenser de l'argent pour promouvoir les opinions politiques d'une personne est un gâchis, une folie ou une bêtise. Dans la société libre établie par notre Constitution, ce n'est pas le Gouvernement mais le peuple -individuellement, en tant que citoyens et candidats, et collectivement en tant qu'associations et comités politiques- qui doit garder le contrôle sur l'ampleur et l'étendue du débat politique sur les questions d'intérêt public au cours des campagnes électorales. »163 Il est paradoxal de penser que De Gaulle s'étrangla à la simple évocation du « régime exclusif des partis» et que la V" République, depuis 1988, soit devenue le régime des partis, le premier de l 'histoire de France. Les effets pervers du financement des partis politiques et des campagnes sautent aux yeux. Les lois successives ont cristallisé la situation au profit des grands partis existants. Il est quasiment impossible de contester leur monopole, en tout cas de l'extérieur, la seule échappatoire étant le phagocytage interne. De plus, il est inadmissible que l'argent public soit destiné au fonctionnement de partis avec lesquels un individu n'a aucun atome crochu. Est-il satisfaisant par ailleurs de prévoir un financement public de partis extrémistes qui vomissent les règles démocratiques? Les partis politiques 162 Buckley v. Valleo, 424 US.l (1976) in Elizabeth ZoUer avec la collaboration des chercheurs du Centre de droit américain, op. cif, n051, p.843. 163 Ibid., pp.858~859.

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sont devenus des faux-nez de l'Etat qui se disputent dans l'indifférence générale des voix, des privilèges et des prébendes. La solution réside dans la suppression totale de tout financement public des partis politiques et des campagnes électorales. La vie politique française présente la particularité d'être menée pour l'essentiel par des fonctionnaires. Une caricature n'est pas de mise: les énarques ne trustent pas les postes. Cependant, force est de constater la place disproportionnée tenue par les hommes issus de la fonction publique. La moitié des membres de l'Assemblée nationale en est issue. L'accroissement du nombre des fonctionnaires est considérable depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale: de 1 député sur 7 en 1946 à plus de 1 sur 2 en 1981 ! Pour ce qui concerne les hauts fonctionnaires, la proportion est passée de 4 % en 1946 à 18 % en 1993 et pour ce qui concerne les enseignants de 8 à 26 % respectivement! 164 Les hommes politiques les plus importants, les chefs des partis les plus représentés au Parlement sont, pour la plupart, originaires de l'Ecole nationale d'administration. Lors de l'élection présidentielle de 2002, Jacques Chirac et Lionel Jospin étaient les candidats qui étaient passés par cette voie. Il en était de même lors de celle de 2007 pour Ségolène Royal. Parmi les derniers Premiers Ministres, en dehors de Lionel Jospin, Edouard Balladur. Alain Juppé et Dominique de Villepin sont diplômés de la même école. Ce n'est pas à dire que le fait de ne point être fonctionnaire garantisse une compétence en matière politique. Le Royaume-Uni, qui interdit à ses fonctionnaires même de se présenter à une élection, a été dirigé en dépit du bon sens de l'entre-deux-Guerres aux années 1970. Ce n'est pas à dire non plus que tous les fonctionnaires pensent de la même manière et que les hommes politiques issus de la fonction publique seraient interchangeables. Une telle opinion verserait dans le holisme et dans le marxisme le plus éculé. Il n'en demeure pas moins que la présence, au surplus massive, de fonctionnaires aux postes essentiels de la représentation n'est pas satisfaisante et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il est regrettable qu'un homme politique n'ait point l'expérience du «privé ». La quasi-intégralité de nos hommes politiques n'a jamais mis les pieds dans une entreprise privée, si ce n'est devant les caméras de télévision. De là une tendance, marquée, à penser que la « société» fonctionne comme un organisme rigoureusement hiérarchisé, comme une administration, qu'il suffit de commander comme on donne des 164 Olivier Costa & Eric Kerrouche, Qui sont les députés français? Enquête sur des élites inconnues, Paris, Presses de la F.N.S.P., 2007, p. 49.

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ordres à des subordonnés. Il manque à nos hommes politiques de sains réflexes au profit de tendances centralisatrices, organisationnelles, voire liberticides. Ensuite, il est choquant que des hommes formés pour obéir, commandent. Ce qui entraîne une autre conséquence, incompréhensible aux yeux d'un britannique: la politisation de la fonction publique. Inévitable si celle-ci est fréquemment renouvelée comme aux Etats-Unis par le spoils system -i.e. à chaque changement de majorité les fonctionnaires essentiels de l'administration changent eux aussi car leurs postes, plusieurs milliers, sont à la disposition de l' « exécutif »-, elle est inadmissible au regard du principe de la neutralité de l'administration. Or, le système français apparaît fort souple pour les fonctionnaires, libres de se présenter aux élections et, dès lors qu'ils sont élus, mis en disponibilité pour une durée indéfinie, tout en conservant pour moitié leur avancement. De là, la situation scandaleuse des ces hommes politiques professionnels qui perçoivent une retraite de la fonction publique sans avoir effectivement occupé leur poste administratif pendant des décennies! Ces avantages renforcent les dérives automatiquement parce qu'ils provoquent un appel d'air: aux fonctionnaires se succèdent des fonctionnaires. Ces règles sont exorbitantes du droit commun et créent un avantage indû au profit de la fonction publique. De plus, la médiocrité de notre personnel politique amène à s'interroger sur ses raisons. A tout le moins, le fait que des hommes aient le même profil, les mêmes stigmates, le même parcours, quelles que soient leurs prétendues opinions divergentes, entraîne une uniformisation des représentants et des gouvernants, accusée par un esprit de corps. Une uniformisation qui ne serait pas critiquable si la compétence la suivait comme son ombre portée, mais qui le devient dès lors que le bon sens n'est pas la qualité la plus commune dans les hautes sphères de l'Etat. Enfin, comment peut-on raisonnablement confier à un fonctionnaire de souche la tâche de contrôler le Gouvernement? Comment, plus avant, peuton demander à un membre de l'administration de limiter la sphère d'action et l'extension indue de cette dernière? Benjamin Constant écrivait déjà au début du XIXème siècle qu'il ne fallait pas confier la tâche de baisser les impôts à ceux qui les votent. Autant doit-il être possible, comme aux Etats-Unis, à un fonctionnaire de migrer vers le privé et inversement, même à de nombreuses reprises dans sa carrière, autant doit-il y avoir une cloison étanche entre l'administration et le monde politique. D'aucuns proposent qu'un fonctionnaire élu, éventuellement pour un second mandat de parlementaire, soit dans l'obligation de choisir entre ses fonctions et son mandat. C'est faire preuve

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de pusillanimité. Il doit être interdit à un fonctionnaire de se présenter à une élection. Au besoin, une telle candidature entraînerait la démission automatique de la fonction publique. On pourrait objecter que ce système a produit des effets pervers au Royaume-Uni où les militaires utilisaient ce stratagème pour fuir la fonction publique et trouver refuge dans le secteur privé. Or, cette fuite, loin d'être un handicap, doit être considérée comme un bienfait pour les finances publiques et elle n'a rien de choquant. Sur ce point, la légendaire lucidité de Frédéric Bastiat a été mise à mal. Il convient de rappeler le contexte pour bien comprendre sa position et ce qu'elle a de critiquable. La Monarchie de Juillet a vu la croissance des députés-fonctionnaires. Les membres de la fonction publique, soumis au pouvoir hiérarchique jusqu'au Roi, sont entrés en nombre à la Chambre des députés. Il n'existait en effet aucune incompatibilité entre ces qualités. Comme il était prévisible, un débat passionné se déroula lors des débats préparatoires à l'adoption de la Constitution de la ne République. L'article 28 de ce texte disposa que toute fonction publique rétribuée était incompatible avec le mandat de représentant du peuple. Bastiat, lui, ne plaida pas pour l'exclusion des fonctionnaires. 165 Il argüa qu'il était impossible que les fonctionnaires trustassent la chambre du fait de la concurrence entre de nombreux candidats et du fait que le députation ne serait pas pour eux un moyen de parvenir. 166 Hélas! il s'est fourvoyé. Hayek est bien plus radical que le Français et ses réticences envers la démocratie l'expliquent. Non seulement les fonctionnaires ne doivent-ils pas envahir le monde politique, mais encore leur est-il interdit d'être électeurs pour ce qui concerne l'assemblée gouvernementale. 167 Le Viennois entend empêcher toutes les personnes qui perçoivent des fonds publics, qu'il s'agisse des fonctionnaires mais aussi des chômeurs, de voter. Il ne s'agit évidemment pas d'en revenir à un vote de type censitaire, mais de prohiber la participation aux élections de certaines personnes en vertu de leur profession ou de leur situation professionnelle à un moment donné. Le statut de la fonction publique est un monument de rigidité mis en place depuis plusieurs décennies. Il limite les allers et retours des fonctionnaires vers le secteur privé, et il empêche le mouvement inverse, à l'encontre de 165 Frédéric Bastiat, « De la réforme parlementaire (1846) ... » in Œuvres complètes ... , op. cil., t.1, pA8!. 166 Id.,« Incompatibilités parlementaires »,1849 in ibid., 1.5, 2ème éd., 1863, p.523. 167 Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté ... , op. cil., vol.3, p.142.

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l'exemple amencam. Pour contourner sa rigidité, de multiples règles dérogatoires au droit commun ont été adoptées et recouvrent le statut telle une sédimentation. L'opacité de la rémunération des fonctionnaires, notamment le système des primes, est devenue proverbiale. Il aboutit à décourager les bonnes volontés des fonctionnaires et à encadrer autant que possible les promotions au mérite. L'expérience des pays occidentaux est douloureuse pour la France. La Suisse a supprimé le statut de sa fonction publique au profit d'engagements contractuels. La Nouvelle-Zélande a transformé ses ministères en autant d'agences. Le Canada a également mis en place une réforme profonde. Leur exemple doit être suivi, urgemment. La question des ministères n'est plus taboue. De nombreux auteurs et des hommes politiques, qui ne sont pas forcément libéraux, loin de là, proposent que le nombre des ministères soit limité et même que leur nombre maximal soit constitutionnalisé. Il est vrai que le caractère pléthorique des gouvernements et l'intitulé baroque de certains ministères n'ont pas laissé indifférent: secrétariat d'État chargé de l'extension du secteur public en 1981, chargé de la prévention des risques technologiques en 1984 - il est vrai que le Gouvernement était alors une catastrophe naturelle ... -, au patrimoine et à la décentralisation culturelle en 1987 ... Faut-il pour autant sévir, a fortiori de manière constitutionnelle? Il est permis de n'en point être convaincu. Un authentique gouvernement libéral limitera drastiquement le nombre de ses membres, certainement à une quinzaine - c'est le chiffre qui a d'ailleurs été retenu à la suite de l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances de 2001 -, par regroupement et suppression de ministères. Toutefois, ce qui importe, ce n'est pas tant le nombre de ministères que celui des administrations. S'il s'agit de regrouper des ministères sans toucher aux administrations sousjacentes, la réforme présente un intérêt réduit. Autant dire qu'elle doit s'insérer dans une rénovation autrement plus ambitieuse des structures de l'Etat, donc de ses missions. - La « séparation des pouvoirs» verticale Il n'y a pas de corrélation entre libéralisme et fédéralisme, même si cette affirmation doit être nuancée. Le libéralisme implique la subsidiarité et la subsidiarité suppose au minimum une puissante « décentralisation ». Si, en pratique, il n'~xiste pas de lien absolu entre libéralisme et fédéralisme, c'est parce que celui-ci est le plus souvent vicié et travesti par la centralisation.

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Cette question est d'une brûlante actualité au sein de l'Union européenne. Elle est mal posée. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut« plus d'Europe », une Europe plus « démocratique », un Parlement européen plus puissant, etc .. Il s'agit de savoir s'il faut une Europe de l'hannonie ou une Europe de l'hannonisation. L'Europe est un espace géographique qui laisse libre circulation aux individus, aux biens, aux capitaux et aux services. La concurrence bridée à l'intérieur des frontières nationales par certaines règles malthusiennes, brimée aux frontières de l'Europe dans certains secteurs, notamment agricole et culturel, doit prospérer dans tous les domaines, y compris le domaine institutionnel. Il ne s'agit pas de construire une «Constitution pour l'Europe », mais de reconnaître et protéger les droits des Européens. Il faut donc laisser jouer librement les constitutions des différents pays qui la composent. Le droit constitutionnel n'est pas une branche du droit qui serait à part, déconnectée de la réalité et exempte des règles concurrentielles. Les destinées de la France et de l'Europe sont d'ailleurs liées à cet égard. Il n'existe pas plus, dans l'Union européenne que dans l'hexagone, de constitutionnalisme. 168 L'intérêt du niveau communautaire n'est pas de construire un super-État qui vienne pallier les carences des États existants en adoptant force réglementations, malS d'instaurer une concurrence entre États dans tous les domaines. La « décentralisation» française a été menée en dépit du bon sens. Après des siècles de centralisation - Tocqueville a écrit des pages lumineuses sur ce sujet -, les Républiques ont poursuivi bien plus qu'elles n'ont rompu avec la tradition. La décentralisation, mise en place à partir de 1982, s'est traduite par un bilan peu enviable en terme de corruption, de fiscalisme, de dettes et d'atteintes à l'autonomie locale. La dette totale des collectivités d'Euros en 2007! territoriales dépassait les 100 milliards L'interventionnisme n'a pas migré, il s'est étendu. L'interventionnisme de l'Etat au sens strict demeure; l'interventionnisme local s'y est ajouté. Le socialisme municipal est devenu socialisme local. Les propositions de réfonne saisissent par leur pauvreté. Il faudrait supprimer un niveau d'administration locale, le plus souvent le département, pour mettre fin à une« exception française ». Il est à l'évidence soutenable de considérer que l'empilement de structures locales a atteint un niveau inquiétant, même si la division des collectivités territoriales est la nonne dans les démocraties occidentales. Mais c'est au jeu de la concurrence qu'il appartient de dire 168 V. Jean-Philippe Feldman, « Existe-t-il un constitutionnalisme européen? », Droits, n° 45, 2007, pp. 163-175.

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quel est le niveau optimal. Il faudrait, dit-on, réserver certains impôts à certaines collectivités territoriales. La fiscalité locale est, c'est exact, le point essentiel. Mais, là encore, la concurrence doit jouer à plein. Les règles fiscales doivent pouvoir être librement fixées par chacune des collectivités territoriales. La pression des individus, l'existence de concurrents amèneront chacune à un taux d'imposition optimal, si tant est que cela soit possible. La pression des individus existera par deux biais liés au vote, hormis le mécanisme bien imparfait des élections locales à terme régulier. Le vote existera avec des moyens de démocratie semi-directe, trop rares actuellement en France, voire inexistants. On peut penser à un mécanisme qui existe par exemple dans certains Etats Outre-Atlantique: le droit de révocation, i.e. la possibilité de mettre fin avant son terme à un mandat électif à la suite du dépôt d'une pétition qui donne lieu à un référendum. Le droit de révocation a trouvé une illustration éclatante en Californie: les électeurs ont d'abord révoqué le Gouverneur démocrate en place, avant de faire un triomphe à Arnold Schwartzeneger. On peut aussi penser au référendum, et s'inspirer des paradigmes américain et suisse. Les mécanismes référendaires se déclinent à l'infini ou presque. D'abord, ils peuvent être obligatoires ou facultatifs. On pourrait ainsi prévoir que les budgets des communes ou que tout accroissement des impôts soient obligatoirement soumis à référendum. Ensuite, les référendums peuvent être confirmatifs ou abrogatifs. Un nombre minimum de citoyens pourrait exiger la tenue d'une consultation sur une question ou sur un vote précis. Enfin, il ne faut pas oublier le droit traditionnel de pétition: les citoyens peuvent saisir leurs mandataires d'une question à débattre. Plusieurs objections viennent immédiatement à l'esprit. Les consultations répétées ne risquent-elles pas d'alimenter l'abstentionnisme, voire de l'accroître? Aux Etats-Unis et en Suisse, la participation aux opérations référendaires est parfois réduite. Il est exact que la multiplication des consultations produit un effet de découragement ou de lassitude propice à la pérennité d'un régime représentatif. Il n'est pas utopiste de penser que les moyens modernes de communication pourront faire évoluer les esprits. Audelà de cette objection de forme, une objection de fond surgit. N'est-il pas paradoxal de se proclamer libéral et de prôner une pratique référendaire? Car enfin, qui dit référendum dit consécration de la loi du nombre, sans parler des risques inhérents à un mécanisme qui peut provoquer, au choix, conservatisme, démagogie ou populisme. Les Suisses n'ont-ils pas attendu 1971, après plusieurs échecs, pour instaurer le droit de vote des femmes? Ces arguments ne sauraient être rejetés du revers de la main. Leur poids

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doit toutefois être doublement relativisé. D'une part, les référendums s'insèrent dans un ensemble institutionnel à la base duquel on trouve un individu garanti dans ses droits. D'autre part, si le libéralisme s'oppose à la loi de la majorité, il combat également et plus encore la loi des minorités. 169 L'avantage tout particulier d'une votation référendaire tient au fait qu'elle va porter sur une question précise, et non pas sur un candidat doté d'un programme complexe et plus ou moins flou. Or, on peut supposer que l'électeur sera mieux armé pour se prononcer sur une question, expliquée et commentée par les différents partis politiques et personnalités, que sur un ensemble de questions, dont la réponse, au surplus, doit être donnée en bloc. Justement, l'avantage du référendum local, surtout dans le domaine fiscal, est qu'il permet de combattre le « marché politique» - et c'est pour cela que nos représentants y sont le plus souvent réticents, voire opposés !-. Encore faut-il que les votants soient les payeurs, autrement dit que ceux qui sont consultés sur la fiscalité, soient aussi ceux qui la supportent. Le fait de rapprocher l'électeur, donc le contribuable, du votant est plus aisé au niveau local. Il existe un autre type de vote: le « vote par les pieds ». Les individus, écoeurés par le fiscalisme de certaines collectivités ou au contraire attirés par les attraits d'une fiscalité modérée, se déplacent. Ce droit de sécession individuel, qui n'existe actuellement qu'en pointillé, doit être consacré. Les auteurs libéraux, notamment amencains, proposent de l'instituer différemment. Il ne serait plus seulement attaché à la personne, mais au lieu. Un individu, membre d'une collectivité, pourrait choisir de la quitter, mais sans être obligé de se déplacer physiquement. Il se retirait de la collectivité ou bénéficierait d'un droit d'exclusion. Le droit de sécession est indissociablement attaché au libéralisme. Perverti par ceux qui le conçoivent comme le droit d'une collectivité de s'extraire d'une autre collectivité, le droit de sécession est en réalité un droit individuel. Ce droit, d'ailleurs, ne se trouve pas confiné au niveau local, mais concerne aussi le niveau étatique. 17O Tout homme aurait le « droit d'ignorer l'Etat », si bien que la structure étatique deviendrait purement volontaire et qu'il s'instaurerait une concurrence entre les Etats pour obtenir les libres

169 V. Pascal Salin, « Le recul sur le C.P.E affaiblit les institutions ». Le Figaro, 12 avril 2006. 170 V. Id., Libéralisme. Odile Jacob, Paris. 2000, pp.105-106.

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adhésions des individus. l7l Il ne faut jamais oublier que la «décentralisation» n'est pas une fin en elle-même, elle n'est qu'un moyen. Esclave de la subsidiarité verticale, elle suppose préalablement l'existence de la subsidiarité horizontale. Il ne s'agit pas de transférer les pouvoirs des hommes de l'Etat aux hommes des structures locales. Il s'agit d'abord de libérer l'espace de la société civile et, seulement dans un second temps, d'aménager celui de la société politique en garantissant la plus grande liberté aux citoyens et plus largement aux individus. Dans tous les cas, la structure fiscale doit être repensée, avec comme fil conducteur le principe de subsidiarité. Le véritable fédéralisme fiscal, qui n'est jamais mis en place, voit la fiscalité partir du « bas» et remonter. Les prélèvements s'effectuent au niveau le plus petit et ils sont transférés pour partie aux niveaux les plus grands. L'avantage de cette formule est que les individus qui supportent effectivement le poids de cette fiscalité, s'en rendent compte en toute clarté. Il n'y a plus d'enchevêtrement des structures fiscales, donc il n'y a plus d'opacité et d'anesthésie fiscales, hantises des libéraux. La fiscalité doit «faire mal », non pas par masochisme, mais afin que chaque individu prenne conscience de ce que l'Etat lui coûte et afin qu'il ne tente pas d'en reporter le poids sur autrui. - La constitution économique

La constitution économique comprend trois aspects: fiscal, monétaire et budgétaire, qui exigent chacun une explication. Le libéralisme se conçoit comme une lutte ancestrale contre l'arbitraire. Or, l'une des manifestations éclatantes de la «souveraineté» de l'Etat est l'arme fiscale et celle-ci est particulièrement susceptible de dégénérer en arbitraire. Aussi les libéraux ont-ils fait feu de tout bois pour juguler l'arbitraire fiscal et ils l'ont fait en élaborant une authentique constitution fiscale. Certains veulent limiter les dépenses publiques, et ce par deux moyens cumulatifs ou alternatifs. Le total des dépenses publiques pourrait être plafonné, par exemple à un pourcentage du produit intérieur brut -une notion qui ne fait pas l'unanimité parmi les libéraux ... -. Le taux des impôts 171 Jean-Philippe Feldman, « Sécession (droit de) }) in Joël Andriantsimbazovina et al. (dir.), Dictionnaire des droits de l'homme, Paris, P.U.F. ,2008.

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pourrait lui-même être plafonné. Hayek propose ainsi la fixation du taux marginal de l'impôt sur le revenu à un pourcentage du revenu national, et non pas une limite à la progressivité qui lui apparaît inefficace. l72 Le flat tax, i.e. le taux unique d'imposition, doit être introduit. Il s'agit de briser la progressivité de l'impôt et revenir à une saine conception de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon laquelle les contributions sont fixées à proportion des facultés contributives. Autrement dit, contrairement à l'interprétation erronée du texte par un Conseil constitutionnel alors à majorité socialiste, la Déclaration a consacré la proportionnalité de l'impôt. Un taux unique d'imposition pourrait ainsi concerner tant l'impôt sur le revenu que la taxe sur la valeur ajoutée, si tant est que l'on veuille conserver ces impôts dans le paysage fiscal français. Effectivement, certains impôts paraissent difficilement compatibles avec les principes libéraux. L'impôt sur les successions, qui permet à l'Etat de capter les efforts d'une vie, l'impôt sur la fortune, même paré du beau qualificatif de « solidarité », qui permet à l'Etat de niveler et d'égaliser les fortunes, du moins à titre publicitaire, et qui en fait frappe les fortunes moyennes et amène les « riches» à quitter l'hexagone -Incitation à Sortir de France ... doivent être supprimés. D'autres -ils sont nombreux- désirent prohiber tout déficit budgétaire. Il s'agit de lutter contre la spirale de l'endettement et de calibrer les dépenses de l'Etat à ses recettes selon un principe de saine gestion. Il n'est pas question de faire une exception en distinguant de manière improbable, et de toute façon impossible, entre des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'investissement, sous peine d'ouvrir les vannes à toutes les fraudes. Ces propositions sont rejetées par certains auteurs libéraux qui estiment que la constitution ne se contente pas alors d'empêcher certains actes de l'Etat, mais encore lui donne carte blanche, fût-ce à l'intérieur de certaines limites. De plus, l'enserrement de l'arbitraire fiscal ne suppose pas que soient imposées des limites arbitraires à l'action fiscale de l'Etat, mais il suppose que l'Etat soit soumis à des principes. 173 L'outil de la démocratie semi-directe apparaît fort bien adapté à la matière fiscale et à la lutte contre l'arbitraire fiscal. L'une des origines de la «révolution conservatrice» aux Etats-Unis est la fameuse «proposition 13 » par laquelle les Californiens ont plafonné un impôt local à la suite d'une procédure référendaire. De plus, une déclaration des droits des 172 173

Friedrich A. Hayek, La Constitution de la liberté, op. cit., p.321. Pascal Salin, L'arbitraire fiscal..., op. cit. ,p.312.

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contribuables a été intégrée à la Constitution du Colorado en 1992. Elle interdit toute augmentation d'un impôt, de la dette publique ou de la dépense publique sans référendum préalable. La dépense ne peut dépasser celle de l'année précédente, ajustée par un calcul qui inclut l'augmentation de la population et l'inflation locale. En cas de trop perçu des impôts et taxes, le surplus est reversé aux contribuables. La Constitution pourrait donc imposer un référendum à trois égards: l'augmentation ou la création d'un impôt, l'accroissement de la dette publique -si le déficit budgétaire est prohibé, cette hypothèse n'est guère concevable ... -, l'accroissement de la dépense publique. Milton Friedman souhaite que la Constitution oblige le législatif à équilibrer le budget national et qu'elle limite la part des prélèvements obligatoires. 174 Enfin, le principe de subsidiarité entraîne une concurrence entre les collectivités territoriales, donc une concurrence fiscale. Hayek parle de gouvernements locaux transformés en entreprises . d es h ab'Itants. 175 C ette concurrence concerne en qUI. 1uttent pour attIrer réalité l'ensemble des niveaux, du plus petit échelon local au niveau européen, en passant par l'Etat au sens strict. La fin du fiscalisme suppose le fédéralisme fiscal ou, à tout le moins, une large et véritable « décentralisation» fiscale. Le deuxième aspect de la constitution est la constitution monétaire. Milton Friedman prône la limitation à un taux fixe de la croissance du volume monétaire mis en circulation chaque année. 176 Il va de soi que cette suggestion n'est guère partagée par ceux qui ne portent le monétarisme en odeur de sainteté. Il est indiscutable qu'elle suppose une définition fine de la masse monétaire. Or, cette définition ne fait pas l'unanimité parmi les économistes libéraux. Ceux-ci ajoutent cauteleusement que Friedman tombe dans le constructivisme car il n'appartient pas à une constitution de mentionner le résultat d'une action publique, mais d'imposer seulement des règles générales d'action. 177 Plus radicalement, il ne s'agit pas de règlementer un monopole, mais de le supprimer en instituant la liberté bancaire. 178 Cette idée s'inscrit dans la lignée hayekienne. La constitution doit comporter une clause, formellement inspirée des amendements à la

174 Milton & Rose Friedman, La tyrannie du statut quo, trad. Patrice Hoffmann. préf. Alain Cotta, Paris, le. Lattès, 1984, p.259. 175 Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté ... , op. cil., vol.3. pp.174-175. 176 Milton & Rose Friedman, op. cil., p.260. 177 Pascal Salin, La vérité sur la monnaie, Paris, Odile Jacob, 1990, p.306. 178 Ibid., p.308.

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Constitution amencaine, selon laquelle l'individu détient le droit de « détenir, acheter, vendre ou prêter, contracter et faire exécuter les contrats, calculer et tenir ses comptes en n'importe quelle monnaie de son choix». I79 Il est amusant de relever que Hayek, pourtant réticent envers les déclarations de droits du fait de leur prétendue incomplétude, n'hésite pas à recommander la consécration constitutionnelle explicite de certains droits ... Le dernier aspect est la constitution budgétaire. Il n'est pas inutile de rappeler que le parlementarisme est originellement lié au consentement à l'impôt. Et le consentement à l'impôt ramène à la question de la frontière entre l'Etat et la société civile, et aux moyens de faire respecter cette frontière. 18o L'une des tâches essentielles d'un Parlement réside dans le vote annuel et le contrôle de l'impôt. Les remarques faites au titre de la procédure législative sont évidemment valables ici: accroissement des pouvoirs des commissions des finances du Parlement, suppression des restrictions aux propositions et amendements des parlementaires, etc .. Les « services votés» ont été heureusement supprimés. Sous le régime de l'ordonnance budgétaire de 1959, on distinguait les services votés, les crédits de l'année précédente modifiés par les mesures acquises en cours d'année, les mesures nouvelles positives ou négatives qui faisaient l'objet d'un vote par ministère ou par titre. Avec la loi organique relative aux lois de finances de 2001, dite « Lolf», les crédits sont votés par mission et examinés au premier euro, la distinction entre service voté et mesure nouvelle étant supprimée. La « Lolf» en est à ses balbutiements. Le contrôle de l'impôt reste délaissé faute de compétence technique suffisante de la part de nombre de parlementaires, faute de moyens et surtout de volonté. La Cour des comptes rend annuellement des rapports tant au niveau national que, par le truchement des chambres régionales, au niveau local. Nul ne contestera le fait que ses rapports aient une efficacité réduite. Les associations libérales réclament depuis longtemps une réforme profonde en termes d'audit et de contrôle. Il s'agit d'instaurer, à l'exemple du Royaume-Uni, un audit annuel sur l'efficacité de l'administration ou la création d'un organisme d'audit des performances rattaché au Parlement. Un sain contrôle est une nécessité car il est le préalable aux poursuites des responsables, hommes politiques et fonctionnaires, devant des tribunaux, par définition indépendants et responsables. Or, dans toute démocratie 179 180

Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté ... , op. cit., vol.3, pp. ln -178. Pascal Salin, L'arbitraire fiscal, op. cit., p.302.

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libérale, les agents de l'administration, comme les titulaires des mandats publics, doivent rendre compte.

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Conclusion générale: Demain, la constitution libérale Imaginer ce que serait une Constitution libérale est une chose, mettre en pratique un modèle en est une autre, autrement plus complexe. Une multitude d'obstacles se dresse sur la route des réformateurs, mais elle peut être franchie. Ces entraves sont de deux espèces: dans les esprits et dans les textes. Les obstacles aux réformes tiennent avant tout aux esprits. Les personnes qui ont vocation à dessiner les constitutions sont les juristes. Or, ceux-ci Hayek l'expliquait bien- sont essentiellement conservateurs, en ce sens qu'ils sont chargés de conserver l'ordre juridique existant, fût-il imparfait. De plus, les hommes politiques sont eux aussi rétifs à la rénovation des institutions. Il faut être plus précis: il leur arrive de lancer des propositions de réforme, mais il ne s'agit pas le plus souvent de résoudre les difficultés. Les réformes proposées apparaissent timides, voire inutiles, pour ne pas dire dangereuses. La notion de constitutionnalisme leur est souvent inconnue. Là encore, l' « intérêt» de l'homme politique ne le pousse pas à la réforme dynamique et ambitieuse. C'est que le «marché politique» règne et que les propositions soit font l'impasse sur son existence, soit n'ont pas pour objet ou pour effet de le briser. Les obstacles à la réforme des institutions gisent également dans les textes. L'article 89 de la Constitution de la ye République énonce que le projet ou la proposition de révision constitutionnelle doit dans tous les cas être voté par les deux assemblées. Le Sénat dispose ainsi d'une faculté d'empêcher, exceptionnelle par rapport au vote d'une loi ordinaire. La question se pose ainsi: comment briser l'éventuelle résistance de la seconde chambre? Les hommes de gauche ne cachent pas leur embarras. Ils ne peuvent compter sur le bienveillant appui du Sénat puisque celui-ci, « sociologiquement », n'est pas de gauche depuis 1958 et leurs propositions -suppression de la deuxième chambre ou changement radical dans sa composition- sont de nature à susciter son courroux. Il est piquant de relever que, au-delà d'une hypothétique assemblée constituante, la gauche se fourvoie alors en entérinant une pratique gaullienne qu'elle avait justement combattue pendant de longues années. Le débat est célèbre parmi les constitutionnalistes : la Constitution peut-elle être révisée par le truchement de l'article Il ou doit-elle l'être uniquement par celui de l'article 89 ? Pour contourner le veto du Sénat, De Gaulle utilisa l'arme directe du référendum prévu à l'article 11. Le détournement de procédure était manifeste, mais le

Conseil constitutionnel, qui ne voulait pas se suicider, refusa de le sanctionner, au motif, on l'a vu là aussi, qu'une loi directement votée par le « peuple» était l' « expression de la volonté générale ». Mitterrand avait à l'époque combattu le procédé, avant de prétendre dans un entretien en 1987 qu'il était admissible. Mises écrivait que les hommes politiques ne seraient jamais spontanément libéraux et qu'ils ne le deviendraient que lorsque les citoyens les y obligeraient, autrement dit lorsqu'ils y auraient intérêt. 181 Or, l'existence d'une seconde chambre -c'est un lieu commun- apparaît comme une nécessité. Lui attribuer une authentique charge législative transfigurerait l'habituel Sénat conservateur et serait de nature à rallier les intérêts jusqu'aux plus frileux. Simple révision -mais profonde- de la constitution existante ou changement de constitution, à vrai dire peu importe. Dans les deux cas, l' « utopie réaliste» d'une constitution libérale, inédite dans l'histoire de France, pourrait alors prendre corps. Demain, le marché contre le « marché politique ». Demain, le régime libéral contre la pure loi de la majorité ou celle des minorités agissantes. Demain, la constitution libérale ...

181 Ludwig Von Mises. L'action humaine. Traité d'économie. trad. Raoul Audouin, Paris, P.U.F., 1985, p.342.

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144

REMERCIEMENTS

Je suis redevable envers mon ami Mathieu Laine et mon père, Marcel-Marc Feldman, qui ont accepté de lire la première mouture du présent texte. Je remercie Mme Benoîte Taffin et M. Jacques Cohen, et bien sûr Mmes Brigitte Gey et Myriam Montanès. Enfin, je témoigne toute ma gratitude à M. Philippe Nataf qui a eu le courage, à moins que cela ne soit de l'inconscience, de publier mon oeuvre avec alacrité. Il va de soi que j'assume seul la responsabilité des opinions émises dans cet ouvrage.

TABLE DE MATIERES

Introduction générale: Les institutions en crise ............................... 5

1 - LES GRANDS PRINCIPES LIBERAUX ................................. 7 Introduction: « Superstructure» ou « infrastructure» ? ............................... 9 A - Le constitutionnalisme - Le Pouvoir et les « pouvoirs» - La souveraineté - Les droits de l'homme - L'Etat de droit et l'état de Droit B - La liberté et la subsidiarité - La liberté - La subsidiarité Conclusion: La « neutralité» de la constitution ? ...................................... 32

II - LA V' REPUBLIQUE ET LE LIBERALISME ....................... 37

Introduction: La difficultueuse histoire constitutionnelle française ........ 39 A - Une constitution antilibérale - La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 - Les idées des Constituants - Le texte de la Constitution B - Un antilibéralisme accusé par la pratique - Le biais originel - La continuité socialiste - Les fossoyeurs du libéralisme Conclusion: L'échec de la V e République ...................................... 56

III - DE FAUX REMEDES ..................................................... 57

Introduction: Une crise originelle et permanente ............................. 59 A - Les réformes suggérées - La gauche et la VIe République - L'immobilisme revendiqué de la droite - L'immobilisme larvé du centre

B - Les réformes intervenues - L'inflation constitutionnelle - Le désordre accru - La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008

Conclusion: Des réformes par le bout de la lorgnette ........................ 96

IV - UNE CONSTITUTION LIBERALE .................................... 99

Introduction: Comment élaborer une bonne constitution ....................... .1 0 1 A - La limitation du Pouvoir - Les droits et libertés de l'individu - La sphère étatique B - L'organisation des pouvoirs - La « séparation des pouvoirs» horizontale - La « séparation des pouvoirs» verticale - La constitution économique Conclusion générale : Demain, la constitution libérale ...................... 131 Bibliographie choisie ............................................................. 133 Remerciements ................................................................... 145 Table des matières ................................................................ 147

148

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