La sécurité et la sûreté des transports aériens
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La sécurité et la sûreté des transports aériens

Collection Droit de la Sécurité et de la Défense La sécurité, sous toutes ses fonnes, est une préoccupation quotidienne en plein développement et encore mal cernée juridiquement. Cette collection a pour vocation de publier des travaux juridiques relatifs aux divers aspects du droit de la sécurité et de la défense: des travaux originaux (tels des actes de colloques ou des thèses) mais aussi des travaux plus classiques (tels des manuels, des études plus brèves ou encore des recueils de documents).

Série Droit de la sécurité Dirigée par Jacques BUISSON et Xavier CABANNES Professeur et Maître de conférences à l'Université de Paris V

- Michel

BAZEX et alii, La sécurité financière

et l'Etat, 2004.

- Bertrand PAUVERT (dir.), La sécurité des spectacles, 2005. Le présent ouvrage constitue le troisième titre publié dans la série Droit de la sécurité.

Série Droit de la défense Dirigée par Matthieu CONAN et Xavier LATOUR Maîtres de conférences à l'Université de Paris V

- Christophe

SINNASSAMY,

Finances publiques de la défense, 2004.

Sous la direction de Xavier Latour

La sécurité et la sûreté des transports aériens

L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE

L'HarmattanHongrie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest

L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino ITALIE

Du même auteur aux éditions L'Harmattan:

La responsabilité des services de police et de secours, colI. Lajustice au quotidien, 2003, 80 pages.

www.librairieharmattan.com e-mail: [email protected] @L'Ha~ttan,2005 ISBN: 2-7475-8723-1 EAN : 9782747587235

Les articles publiés dans cet ouvrage sont issus des communications qui ont été présentées lors du colloque du 18 janvier 2005 organisé à la Faculté de Droit de l'Université de Paris V par le Centre Sécurité et Défense. Cette manifestation avait obtenu le soutien de la Société Française de Droit Aérien et Spatial et de l'Ecole doctorale de la Faculté de Droit.

Colloque du 18janvier 2005 organisé par le Centre Sécurité et Défense De l'Université de Paris V (René Descartes) LA SÉCURITÉ ET LA SÛRETÉ DES TRANSPORTS AÉRIENS

Les enjeux de la sécurité et de la sûreté dans les transports aériens au regard du droit communautaire, par Xavier LATOUR, Maître de conférences à l'Université de Paris V

LA PREVENTION EN MATIERE DE SECURITE ET DE SURETE DES TRANSPORTS AERIENS (Présidence de séance: Jacques BUISSON, Professeur à l'Université de Paris V, Directeur du Centre Sécurité et Défense) L'effectivité du droit de la sécurité aérienne, par Patrice REMBAUVILLE-NICOLLE, Avocat à la Cour, Président de la Société française de droit aérien et spatial La sûreté des transports aériens: éléments de problématique, par Bernard BOUBE, Préfet, Directeur de « Protection et Sécurité de l'Etat» au SGDN Table ronde: Comment concilier la sûreté aérienne et le respect des libertés? Bertrand PAUVERT, Maître de conférences à l'Université de Haute Alsace, CERDACC Michel NESTERENKO, Consultant Colonel Pierre EDER Y, Chargé de mission « sûreté aérienne» Bernard BOUBE

LES DEFAILLANCES DE LA SECURITE ET DE LA SURETE DES TRANSPORTS AERIENS (Présidence de séance: Huguette MEAU-LAUTOUR, Professeur à l'Université de Paris V, Doyen honoraire) Les objectifs et les moyens de l'enquête FERRANTE, BEA

technique, par Olivier

Quels pouvoirs d'investigation judiciaire ?,par le Lieutenant-colonel Raymond H.A. CARTER, Officier adjoint au Commandant de la Gendarmerie des Transports aériens Quel rôle pour l'expert judiciaire ?, par Claude GUIBERT, Expert Aéronautique agréé par la Cour de Cassation La défense des droits des victimes, réparation, indemnisation, rôle des associations de défense des victimes, par Claude LIENHARD, Professeur à l'Université de Haute Alsace, Avocat à la Cour, Directeur du CERDACC Le particularisme de l'action en responsabilité contre le transporteur aérien, par Christophe AUBERTIN, Assistant à l'Université de Paris V Assurances et transport aérien, par Marie-France STEINLEFEUERBACH, Maître de conférences à l'Université de Haute Alsace, co-directeur du CERDACC Quelle responsabilité des Etats?, par Gérard MONTIGNY, Avocat à la Cour Rapport de synthèse, par Loïc GRARD, Professeur à l'Université de Bordeaux IV

Avant-propos par Michel de GUILLENCHMIDT, Doyen de la faculté de droit

Mesdames, Mesdemoiselles,

Messieurs,

Il est parfois des coïncidences heureuses. Aujourd'hui se déroule à Toulouse, en présence du Président de la République et de plusieurs chefs de gouvernement et responsables ministériels de l'Union Européenne, une grande manifestation du transport aérien: l'inauguration de l'immense AIRBUS 380, le porteur aérien géant des prochaines décennies. Mais aujourd'hui aussi se tient votre colloque, sur un sujet d'une extrême importance pour le transport aérien précisément, celui de « la sécurité et de la sûreté» qu'il faut pouvoir garantir aux voyageurs. Je me réjouis de l'initiative de Xavier LATOUR et de ceux qui l'ont aidé à organiser cette journée d'études et de réflexions pour au moins trois raisons. 1) La première est qu'elle a lieu sous l'égide d'une structure très active de notre faculté, le centre de recherche « Sécurité et Défense », dirigé par le professeur Jacques BUISSON. Ce centre, loin de rester académique, sait s' intéresser, comme vous le constatez, aux sujets d'actualité: non pas ceux qui « amusent» le public, mais ceux qui soulèvent réellement des problèmes délicats, aux aspects divers et enchevêtrés, comme l'est la sécurité du transport aérien. Cet intérêt dépasse évidemment une simple discussion intellectuelle sur ce que doit être le contour et le contenu des notions de sécurité et de sûreté: elle concerne concrètement tous ceux qui, au plan pratique, sont en droit d'exiger que les garanties en la matière se rapprochent de la perfection et notamment les professionnels et les usagers du tourisme. Rappelons que nous formons chaque année, ici même dans cette faculté, par la licence professionnelle de tourisme, des cadres de cette activité: je remercie tous les étudiants de la promotion actuelle qui ont participé activement à l'organisation de ce colloque. 2)

La deuxième raison est bien entendu que le sujet traité, par ses nombreux aspects, est extrêmement important. 1,6 milliard de

passagers sont transportés chaque année sur la planète (le quart de la population mondiale) ; 100 millions le sont, chaque année aussi, en France. Il s'agit donc d'un domaine économique, social, technologique, mais aussi bien sûr humain plus que considérable. D'autant que nous pouvons observer un phénomène quelque peu paradoxal: alors que le transport aérien représente, sur le plan statistique, l'un des modes de déplacement les plus sûrs du monde, les accidents et les défaillances prennent, dès qu'ils surviennent une ampleur extrême: sans doute - mais ce n'est pas la seule

explication - parce que les accidents frappent en même temps un nombre élevé de victimes, sans que celles-ci -- qu'elles soient

célèbres ou non

aient des chances autres que minimes

-

d'échapper. Ce phénomène a une conséquence: il conduit à une multiplication des normes, des contraintes et des contrôles. Le

juriste - et pas seulementl'ingénieur et le technicien- doit prendre une part active à leur élaboration, pour veiller en particulier à ce qu'elles soient efficaces et accessibles. 3)

La troisième raison de l'utilité de cette journée est qu'elle concourt à réfléchir à une question également importante, relative à l'organisation de notre société: quelle doit être la place de

l'autorité publique

-

celle de l'Etat, celle des collectivités

décentralisée - dans ce domaine alors que le transport aérien constitue, simultanément, une activité de service relevant du monde concurrentiel, soumise comme telle aux lois du marché et aux affrontements de l'initiative privée, mais qui s'adresse aussi à des

consommateursqui ne doiventpas en faire - du moins en termes de sécuritéphysique- les frais. Je laisse maintenant la place aux orateurs et aux animateurs de ce colloque, en les remerciant d'avance de leur contribution, comme je vous remercie, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, de votre participation.

Paris, le 18janvier 2005

10

Introduction

Les enjeux de la sécurité et de la sûreté des transports aériens au regard du droit communautaire par Xavier LATOUR Maître de conférences à l'Université de Paris V Centre « Sécurité et Défense»

Discrètement mais inéluctablement, le droit communautaire appréhende les principaux aspects du droit de la sécurité et de la sûreté des transports aériens. D'une certaine façon, la déesse Europe, enlevée par un taureau ailé, insuffle au transport aérien une dynamique croissante. En effet, l'Union européenne ne s'est pas contentée d'ouvrir le ciel européen à la concurrence au nom de la réalisation du marché intérieur, elle œuvre également à la prévention et à l'éradication des risques en la matière. Sous l'angle de la sécurité l, le droit communautaire s'intéresse à la fiabilité technique des aéronefs et à la compétence du personnel, tandis que sous l'angle de la sûreté, il aborde la protection des aéroports et des appareils contre les interventions illicites. En dépit de la multiplication récente des normes, l'émergence d'un droit communautaire du transport aérien axé sur les questions de sécurité et de sûreté n'a pas été aisée. D'une part, la gestion du transport aérien a longtemps fait partie des

compétences exclusives des Etats conformément à l'article 1er de la

Convention de Chicago du 7 décembre 1944 ayant donné naissance à l'Organisation de I' Aviation Civile Internationale (OACI). La maîtrise du ciel et l'édiction d'un droit du transport aérien relevaient de la souveraineté étatique2, d'ailleurs symbolisée par l'existence du « pavillon» national. Dans ce contexte, la seule coopération envisageable ne pouvait être qu' interétatique. La préservation de la souveraineté exigeait une coopération peu contraignante, très décentralisée et éloignée des impératifs d'une politique d'intégration. Dès lors, l'Union européenne a longtemps subi la concurrence d'organes de coopération fonctionnant sur le fondement du droit international public dans le prolongement de la Convention de Chicago. Le droit mou des Joint Aviation Authorities (JAA) associées à la I

Sur ce thème, voy. AN, « La sécurité du transport

aérien de voyageurs

», 2004, n° 1717,

2 tomes. 2

P. M. Dupont,

RFDAS

2004,

« L'espace

p. 11-22.

aérien entre souveraineté

et liberté au seuil du 21è siècle »,

Conférence Européenne de 1'Aviation Civile (CEAC) était préféré aux contraintes communautaires. D'autre part, l'Europe communautaire avait fait le choix pragmatique d'appréhender le transport aérien sous un angle économique, celui de l'ouverture à la concurrence. Les questions de sécurité et de sûreté, considérées comme étant trop politiques et techniques, étaient par voie de conséquence, laissées aux Etats. Plusieurs raisons expliquent une nette évolution amorcée dans les années 80 et accentuée au début des années 2000 comme en témoigne la création d'une Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA). Une première explication est évidemment économique et structurelle: le transport aérien ne cesse de croître3 grâce aux compagnies régulières, à celles à bas coûts ou aux charters. Il est vrai qu'il ne peut y avoir d'échanges, d'activités économiques sans transport en général et transport aérien en particulier. Or, dans ce domaine, les Etats membres de l'Union européenne sont des acteurs importants aussi bien en tant qu'Etats d'immatriculation que constructeurs d'appareils notamment par l'intermédiaire d'Airbus. Une autre raison est conjoncturelle. Le transport aérien a dû faire face à la fois à des accidents graves et à des menaces nouvelles. Si ce mode de transport demeure statistiquement le plus sûr, l'accident est impossible à éradiquer totalement. Par ailleurs, alors que l'on croyait la piraterie aérienne sur le déclin, la recrudescence d'actes de terrorisme a rappelé avec force que le transport aérien est une victime de choix. Face à ces risques, les Etats admettent de plus en plus leur incapacité à agir isolément. Plus grave, ils constatent souvent une disparité selon les Etats et les types de vols en raison de difficultés tant à édicter des normes qu'à contrôler leur application. Les instances internationales ayant atteint leurs limites, l'efficacité dépend de plus en plus des moyens de pression à la disposition d'Etats (ex. Etats-Unis) ou d'ensembles régionaux (à l'image de l'Union européenne) assez puissants pour imposer leur vision des choses. Enfin, juridiquement, les normes adoptées par l'Union européenne en matière de transport aérien s'appuient sur des fondements solides. Dès l'article 3 du traité instituant la Communauté européenne (TCE), le principe d'une politique commune dans le domaine des transports est posé. C'est le Titre V du traité qui la concrétise et constitue le fondement juridique des actions dans le domaine des airs, ce dernier étant soumis au droit commun du traité comme a dû le préciser la Cour 3

1,7 milliard de passagers en 2003,2,5

prévus en 2015.

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de justice (ClCE) face aux réticences des Etats4. Par ailleurs, l'article 71 ~2 TCE5 concerne l'amélioration de la sécurité des transports, sans préciser néanmoins si cela englobe la sûreté. L'article 80 TCE sert quant à lui à l'adoption des normes de droit dérivé, facilitée par la substitution de la majorité qualifiée à l'unanimité. De plus, la politique des transports n'est pas isolée. Au contraire, elle entretient des liens étroits avec la libre circulation des personnes, celle des marchandises et celle des services, conçues dès l'origine comme des libertés fondamentales de la CEE et essentielles à la constitution d'un marché intérieur dépourvu d'obstacles. Le Titre VI consacré à la coopération policière et judiciaire n'est pas non plus dépourvu d'intérêt en matière de sûreté. Dans un environnement très favorable à l'affirmation de l'Union européenne, celle-ci a répondu aux attentes des Etats et des citoyens logiquement demandeurs de davantage de sécurité et guidés par le principe de subsidiarité. Afin, par exemple, d'améliorer l'effectivité des mesures et d'éviter leur contournement (mais sans faire disparaître les formes de coopération interétatique traditionnelles), l'Union s'est placée dans leur continuité en n'hésitant à faire sienne une partie de l'acquis existant. Tout en élaborant ses propres normes, elle a ainsi rendu obligatoires ce qui n'était bien souvent que de simples recommandations. Comprenant qu'il ne peut y avoir de concurrence saine sans sécurité, l'Union a engagé une double action d'intégration positive (politiques communes) et négative (suppression des barrières au marché intérieur)6. Il découle de tout cela un ensemble de normes couvrant un large spectre d'activités et apparemment assez efficace puisque avec un tiers du trafic aérien, l'Union ne subit qu'un dixième des accidents7. Cela incite à dresser le bilan des actions entreprises et à s'interroger sur leur contenu. Parallèlement, en accentuant son intervention en matière de sûreté, l'Union européenne confirme son approche globale du transport aérien. Mais ce faisant n'atteint-elle pas les limites de sa compétence juridique en utilisant le Titre V pour légiférer dans des domaines proches des compétences de police? Plus globalement, c'est la question d'une fédéralisation de la sécurité et de la sûreté du

4

5

CJCE 30 avril 1996, Asjès, affs. 209 à 213/48, rec. 1457.

Ajouté par le traité de Maastricht pour aller au-delà des aspects rigoureusement

économiques. 6 L. Dubouis et C. Blumann, Droit communautaire 7 RMUE 2000, p. 916.

15

matériel, Montchrestien,

1999, p. 297.

transport aérien qui mérite d'être posée et au-delà celle de la convergence des normes entre deux blocs majeurs, les Etats-Unis et l'Union européenne. En effet, le droit communautaire est caractérisé par un développement des règles préventives en matière de sécurité et de sûreté (I) ainsi que par un encadrement des conséquences d'une défaillance en la matière (II). I. Le développement de règles préventives en matière de sécurité et de sûreté Dans le contexte des transports en général et du transport aérien en particulier, les dangers sont réciproques. Du bon état de l'aéronef dépend la survie du passager, tandis que de l'attitude des personnes (équipage, passagers ou tiers) dépend la sécurité de l'ensemble. Dès lors, le droit communautaire se doit d'appréhender toutes les composantes en élaborant, non sans difficultés, des règles préventives relatives, d'une part, aux aéronefs (A) et, d'autre part, aux individus (B). A. Les règles relatives aux aéronefs Conformément aux objectifs fixés par le traité instituant la CEE, le législateur communautaire s'est d'abord intéressé aux normes techniques. Par la suite, le besoin d'une gestion communautaire de la sécurité aérienne étant de plus en plus net, le droit a traduit un réaménagement des compétences étatiques grâce à la création de l'AESA et à une nouvelle approche du contrôle aérien. D'abord réticente à s'engager dans des domaines très techniques qu'elle laissait à d'autres, la Commission est pourtant à l'origine de nombreux textes devant stimuler le marché intérieur par une amélioration de la sécurité. Ainsi, en 1991, le Conseil a adopté sur le fondement de l'exarticle 8492 TCE, le règlement 3922/91 sur l 'harmonisation des règles techniques et des procédures administratives dans le domaine de l'aviation civile. En rendant obligatoires les recommandations techniques (JAR) établies par les JAA, ce texte consolide des standards communs de sécurité devant être respectés par un transporteur communautaire pour être reconnu techniquement apte. Ce faisant, il relève sans ambiguïté le niveau d'exigence pour tous les Etats

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membres, tout en transposant au transport aérien le principe de confiance mutuelle8 déjà utilisé pour la libre circulation des marchandises. Autre avantage, en modifiant régulièrement le texte, la Communauté est en mesure d'adapter rapidement et unifonnément les exigences de sécurité aux évolutions techniques. Dans un même ordre d'idées, le règlement 2407/929 relatif aux licences des transporteurs aériens prend logiquement en considération la capacité technique (ou, en d'autres tennes, la confonnité aux règles de sécurité) de l'opérateur établi dans la Communauté pour autoriser l'exploitation. Parallèlement, la Commission a pris conscience de l'impérieuse nécessité de vérifier le respect des standards de sécurité par les avions immatriculés dans des Etats tiers à la CE comme elle a œuvré à une amélioration du contrôle des bâtiments après la catastrophe de l'Erika. S'intéressant à l'un des problèmes majeurs de la sécurité des transports aériens, elle a proposé une directive visant à communautariser des pratiques intergouvernementales peu contraignantes tout en s'inspirant de l'expérience américaine ID.Un temps assez lentes, les discussions ont été accélérées après l'accident de Sharm-El-Sheikh, au point de permettre l'adoption d'une directivell. Celle-ci tend à faciliter la collecte et l'échange d'infonnations, les inspections au sol et va jusqu'à autoriser un Etat à immobiliser un appareil dangereux. De plus, la Commission publiera un rapport annuel reprenant le nom des compagnies dont les avions ne répondent pas aux normes sécuritaires requises et désignera les compagnies qui devraient être exclues de l'espace européen ou de celui d'un seul Etat membrel2. Dans un secteur aussi concurrentiel, ces mesures devraient constituer une incitation forte pour les compagnies à respecter les règles de sécurité. Elle implique aussi pour les Etats de se doter des instruments efficaces de contrôle et d'accepter le risque d'un dialogue délicat avec l'Etat d'immatriculation. Parallèlement, en s'inspirant des clauses de respect des droits de 8

En vertu de l'article 6~1 : « Les États membres reconnaissent les produits conçus,

fabriqués, exploités et entretenus conformément aux règles techniques et procédures administratives communes sans imposer d'autres exigences techniques Ollprocéder à une nouvelle évaluation, dès lors que ces produits ont été certifiés par un autre État membre» . 9

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JOCE

24 août

1992,

n° L 240/1.

COM(2002) 8 et COM(2002) 664, concernant la sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports communautaires. llDirective 2004/36 concernant la sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aéroports communautaires, JOUE 30 avri12004, n° L 143/76. 12 Un comité de représentants des Etats de l'Union et de la Commission prendra la décision d'exclusion.

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1'homme dans les accords de coopération avec des Etats tiers, la Commission pourrait intégrer des clauses de sécurité dans les accords bilatéraux conclus pour la reconnaissance de droits de trafic. Enfin, la Communauté pourrait améliorer l'idée française de labellisation des compagnies respectueuses d'exigences précises en matière de services et, surtout, de sécurité. De la sorte, les compagnies seraient économiquement incitées à suivre un programme demeurant à leur charge. La création du marché intérieur oblige les Etats à repenser leur présence dans divers secteurs économiques. Le principe étant celui de la séparation des opérateurs et des régulateurs, l'Etat n'est plus en mesure d'apparaître dans les deux domaines. Parallèlement, le marché intérieur n'est pas synonyme de désordre, en particulier dans des secteurs mettant en cause la sécurité. La disparition du monopole étatique n'a pas débouché sur l'ère du vide. Au contraire, des règles sont à élaborer et à appliquer en recourant à de nouvelles logiques. S'inscrivant également dans le prolongement d'une bonne gouvernance, ces logiques répondent au besoin de nouveaux processus normatifs, fondés sur l'expertise et, parfois, le dialogue avec les acteurs du secteur concerné. Dès lors, en se dotant de nouveaux modes de régulation, la Communauté recherche une meilleure cohésion sans pour autant faire disparaître toutes les compétences étatiques. La création de l'AESA répond de toute évidence à ces impératifs 13en s'inspirant d'ailleurs de la Federal Aviation Authority -F AA-, preuve supplémentaire que les logiques d'intégration sont convergentes. L'Agence est opérationnelle depuis septembre 2003 et est dotée de la personnalité juridique14. Elle a pour objectif de mettre fin aux pratiques intergouvernementales prévalant jusqu'alors en matière de sécurité des produits aéronautiques. En effet, comme l'illustrent les JAA, l'élaboration de règles en matière de sécurité est souvent paralysée par l'égalité souveraine des Etats et la recherche du consensus. Par ailleurs, elle épargne à une Commission européenne déjà surchargée15, la tâche de gérer un domaine d'une très grande technicité et pour lequel des garanties d'indépendance et d'expertise sont indispensables. Globalement, l'AESA contribue à l'harmonisation de certaines règles 13

L. Grard, « Nouvelles régulations et nouveaux régulateurs dans le domaine des

transports en Europe », RMC 2001, pp. 258-266 ; « Sécurité et transport dans l'Union européenne, le recours aux agences de régulation », Europe 2003, pp. 4-7. 14 Règlement 1592/2002, lOCE 7 septembre 2002, n° L 240/1. 15 X. Latour, « Les autorités indépendantes au sein de l'Union européenne », Mélanges Paul Sabourin, Bruylant, 2001, pp. 199-224.

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(avis afin d'éclairer le travail législatif) et au contrôle de leur respect (inspections dans les Etats et enquêtes dans les entreprises). En pratique, c'est l'Agence qui délivre les permis de voler des nouveaux types d'avions (certificats de type) et l'agrément des ateliers de conception, de production ou d'entretien. C'est également elle qui rédigera éventuellement des codes de navigabilité, théoriquement non obligatoires mais que les Etats auront du mal à ne pas reprendre à leur compte. Enfin, l'AESA traitera avec les autorités d'Etats tiers afin de promouvoir les normes européennes. Il est assez vraisemblable que l' AESA est appelée à se développer. Comme elle l'a compris en revendiquant un accroissement de ses compétences, la communautarisation des normes d'un côté et, de l'autre, les exigences du transport aérien appellent une meilleure coordination. En étant relayée par les autorités nationales, l' AESA pourrait ainsi gérer les licences d'exploitation, celles de pilotes ou encore la surveillance des aéronefs, en particulier d'Etats tiers. Le réaménagement du contrôle aérien est l'une des principales expressions de l'évolution du rôle de l'Etat en matière de sécurité aérienne en direction d'une approche d'essence fédérale. Traditionnellement, le contrôle de l'espace aérien est une mission relevant des compétences régaliennes. Or, en raison d'une fragmentation excessive, la juxtaposition de contrôles nationaux n'est plus jugée efficace. Aux conséquences économiques d'une mauvaise gestion des flux (indemnisation des retards notamment), s'ajoute le risque de dysfonctionnements dangereux. Par voie de conséquence, la Communauté européenne a d'abord voulu imposer une harmonisation des équipements de contrôle16 en rendant obligatoires les normes édictées par Eurocontrol. Puis, elle a défendu une autre approche plus contraignante. L'idée est de séparer l'auteur des règles du prestataire de services lequel ne serait pas obligatoirement un prestataire étatique. Malgré la sensibilité de la question, les choses évoluent à un rythme soutenu. Le rapprochement entre l'Union européenne et Eurocontrol17 résulte de la signature du protocole organisant l'adhésion de l'Union européenne, le 8 octobre 200218et l'adoption des règlements de mise en œuvre19.Eu 16Règlement 17

65/93, lOCE 29 juillet 1993, n° L 187/52.

R. Van Dam,« Eurocontrol, Quo Vadis? », RFDAS2000, pp. 159-179. 18 COM(2003) 555 concernant la conclusion par la Communauté européenne du Protocole d'adhésion de la Communauté européenne la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol).

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à l'Organisation

européenne

pour

égard au nombre d'Etats membres de la CE et à celui d'Eurocontrol (34), il s'agit quasiment d'une absorption de la seconde par la première. Par ailleurs, la Commission incite à la réorganisation des prestataires nationaux tout en les préservant de la concurrence en raison du caractère de puissance publique de la mission20. Par exemple, la Direction générale de l'aviation civile connaît une nouvelle organisation

er depuis le 1 janvier 200521.

L'examen des règles relatives aux aéronefs fait apparaître un net élargissement des champs d'intervention de la CE. Or, la tendance est identique lorsqu'il s'agit des règles relatives aux individus. B. Les règles relatives aux individus L'avion et le personnel navigant formant un ensemble indissociable, l'application du droit communautaire aux professionnels est pleinement justifiée. En outre, sous la pression du terrorisme, la Communauté a été amenée à légiférer non plus seulement dans le domaine de la sécurité mais aussi dans celui de la sûreté. Enfin, l'Union collabore avec des autorités étrangères, en particulier celles des Etats-Unis. Dans un secteur économique concurrentiel, les opérateurs sont tentés d'utiliser le facteur humain comme élément de conquêtes des marchés en tirant les coûts vers le bas. Les risques pour la sécurité sont d'autant plus grands que l'erreur humaine est l'une des principales causes d'accident aérien22. C'est donc avant tout pour éviter des distorsions de concurrence (durée de vols, temps de repos...) aux conséquences funestes que la Communauté tente d'harmoniser quelques règles. Après l'acceptation mutuelle des licences du personnel, le temps de travail des équipages a été l'autre domaine abordé, mais avec de sérieuses difficultés à cause des liens entre les objectifs de sécurité et les aspects sociaux du sujet. Cela a débouché sur plusieurs directives encadrant les temps de vol et de repos23 tandis que le règlement 19 Règlements 549, 550, 551, 552/2004, JOUE 31 mars 2004, n° L 96 et décision du Conseil du 29 avril 2004 approuvant le protocole d'adhésion à Euroncontrol (JOUE 30 septembre 2004, n° L 304). 20 Sur ce point voir, CJCE 19 janvier 1994, Eurocontrol, aff 364/92, Rec. 43. 21 Il s'agit de mieux distinguer l'organisation de la navigation aérienne et la surveillance

de l'Etat.

22 75 à 80% des accidents. 23 Directive 93/104, JOCE 13 décembre L 195.

1993, n° L 307 ; 2000/34, JOCE 1er août 2000, n°

20

3922/91 avait déjà apporté certaines limites. Par ailleurs, sur le fondement de l'article 139~2 TCE (issu du traité d'Amsterdam), la

directive 2000/7924 reprend un accord conclu entre partenaires sociaux et encadrant l'activité du personnel navigant. Ces avancées méritent cependant d'être approfondies. D'une part, les professionnels s'accordent à constater des différences substantielles dans la formation des pilotes qu'une licence communautaire définie par l' AESA comblerait. D'autre part, comme l'a compris la Commission qui souhaite progresser sur ce point25, les normes sociales demeurent insuffisantes soit en raison des dérogations accordées par les autorités nationales, soit en raison de la rédaction même des textes communautaires raisonnant en termes de volumes annuels (et donc flexibles) ou étant moins sévères que certaines dispositions nationales. En matière de sûreté, dans un premier temps, les mesures prises par la CE ont traduit une volonté d'assouplir les contrôles exercés sur les passagers. Ainsi, le droit communautaire et le droit de l'espace Schengen26 ont allégé les contrôles de bagages27 et les contrôles de police pour des vols intracommunautaires. Toutefois, après l'attentat de Lockerbie et plus encore depuis ceux du Il septembre, la tendance est à l'accentuation des mesures de sûreté. Face aux menaces, l'action de l'Union européenne est sans doute facilitée par une prise de conscience des Etats de leur incapacité d'y répondre nationalement. Pour agir, elle dispose d'une diversité de moyens sur le fondement tant du premier pilier que du troisième (Titre VI du TUE) consacré à la coopération policière et pénale. Grâce à cette combinaison, l'Union confère une force juridique obligatoire à des

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Directive concernant la mise en oeuvre de l'accord européen relatif à l'aménagement du temps de travail du personnel mobile dans l'aviation civile, conclu par l'Association des compagnies européennes de navigation aérienne (AEA), la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF), l'Association européenne des personnels navigants techniques (ECA), l'Association européenne des compagnies d'aviation des régions er d'Europe (ERA) et l'Association internationale des charters aériens (AlCA) (JOCE 1

décembre 2000, n° L 302/5). Journal Officiel du 14 juillet 2004, de l'Ordonnance n° 2004-691 du 12 juillet 2004, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports. 25

COM(2004) 73. Forme de coopération intergouvernementale entre 1990 et 1997 (reprise de l'acquis Schengen par l'Union européenne). 27 Règlement 3925/91 relatif à la suppression des contrôles et formalités applicables aux bagages à main et de soute sur les vols intraconlmunautaires (JOCE 31 décembre 1991, 26

n° L 374/4).

21

principes fixés préalablement par la CEAC ou l'DACI, ou elle en élabore de nouveaux. La Communauté a rapidement compris l'utilité de rétablir la confiance des passagers en améliorant la qualité des contrôles de sûreté sans pour autant porter atteinte aux droits fondamentaux. Dans le prolongement des demandes formulées par le Conseil européen du 21 septembre 2001 et par application du principe de subsidiarité, la Commission a initié plusieurs règlements, les effets de ce type de norme se concrétisant plus rapidement que ceux d'une directive. Dès 2002, sur le fondement de l' article 80~2 TCE, le règlement 2320/0228 a imposé à tous et de manière incontestable des recommandations déjà formulées par la CEAC (Document 30). En pratique et conformément aux exigences contenues dans de longues et détaillées annexes au texte, les Etats sont tenus de renforcer les mesures de sécurité dans les aéroports sans toutefois être empêchés de prendre des dispositions plus sévères. En outre, la Commission a adopté des règlements d'application dont les annexes sont classifiées comme document « EU restreint »29, sauf lorsqu'il s'agit d'informer les passagers sur les objets interdits dans les zones de sûreté30. Naturellement, le règlement 2320/02 affirme ne pas remettre en cause les compétences étatiques en matière de sécurité nationale. Néanmoins, la frontière est ténue, les mesures imposées relevant aussi et en tout état de cause de l'ordre public national, ce qui étend le champ d'application de la politique des transports et confirme le réaménagement des souverainetés. Cela est d'autant plus vrai que le respect des règles est garanti par une autorité nationale chargée de mettre en application le programme national de sûreté mais aussi, de manière originale, par l'organisation d'un contrôle de qualité. Ce dernier s'appuie sur les autorités nationales3} et surtout sur des inspections gérées directement

28 Règlement

2320/2002 relatif à l'instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation (JOCE 30 décembre 2002 n° L 355), modifié par le règlement 849/2004 (JOUE 30 avril 2004, n° L 158) et mis en œuvre par le règlement 1138/2004 du 21 juin 2004 établissant une définition commune des parties critiques des zones de sûreté à accès réglementé dans les aéroports (JOUE 22 juin 2004 n° L 221). 29 Règlement 622/2003 de la Commission fixant des mesures pour la mise en œuvre des règles communes dans le domaine de la sûreté aérienne (JOUE 5 avri12003, n° L 89). 30 Règlement 68/2004 de la Commission modifiant le règlement (CE) n° 622/2003 fixant des mesures pour la mise en œuvre des règles communes dans le domaine de la sûreté aérienne (JOUE 16 janvier 2004, n° L 10). 31 Règlement 1217/2003 de la Commission arrêtant les spécifications communes des programmes nationaux de contrôle de la qualité en matière de sûreté de l'aviation civile (JOUE 8 juillet 2003, n° L 169/44).

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par la Commission32. Ce type de mécanisme a été très peu employé jusqu'à présent. Il n'est toutefois pas sans rappeler les dispositions Euratom fondées sur le principe de l'immédiateté administrative et qui s'expliquaient par les risques inhérents au nucléaire. Aussi utiles soient-elles, toutes ces mesures ont néanmoins un coût pour les opérateurs (compagnies et aéroports). Or, en la matière, force est de constater que l'approche est beaucoup moins fédérale qu'aux EtatsUnis. Dans la CE, les Etats rechignent parfois à assumer une partie des dépenses au point de remettre en cause l'efficacité des décisions ou de provoquer des distorsions de concurrence. Il n'est dès lors pas surprenant que la Commission et le Parlement européen incitent les Etats à prendre leur responsabilité en finançant des actions relevant aussi de la sûreté publique33. A deux reprises, la Communauté a été confrontée à la légalité de pratiques américaines en matière de sûreté et à une politique plutôt unilatéraliste à l'égard de laquelle il est difficile de faire contrepoids. Il s'agit d'une part, des transferts de données personnelles aux services américains de sécurité et, d'autre part, de la présence de « sky marshals» sur certains vols. Le transfert des données nominatives suscite un vif débat au sein même des institutions communautaires. Alors que les Etats-Unis ont négocié34 avec la CE un accord autorisant l'accès de leurs services aux données détenues par les compagnies (identité, carte de crédit, préférences alimentaires. ..) pour donner un fondement juridique à une pratique fondée, depuis 2003, sur la pression politique et économique35, les institutions n'ont pas appréhendé la question de manière identique. D'un côté, le Parlement européen36 s'est érigé en défenseur des libertés individuelles en s'appuyant sur l'incompatibilité du transfert à la 32 Règlement

1486/2003 de la Commission définissant les modalités effectuées par la Commission dans le domaine de la sûreté de l'aviation août 2003, n° L 213). 33

des inspections civile (JOUE 23

Sur ce point voir, M. Ayral «La Communauté européenne et le transport aérien », LPA

2003, n022, p. 33. 34 Décision du Conseil 2004/496 du 17 mai 2004 (JOUE 20 mai 2004, n° L 183/83) concernant la conclusion d'un accord entre la CE et les Etats-Unis; décision 2004/535 relative à la protection des données (JOUE 6 juillet 2004, n° L 235/11). 35 Les autorités américaines se sont arrogées le droit d'infliger des amendes et d'interdire l'atterrissage des compagnies récalcitrantes. 36 B5 0156/2004, Résolution du Parlement européen sur le projet de décision de la Commission constatant le niveau de protection adéquat des données à caractère personnel contenues dans les dossiers des passagers aériens (PNR) transférés au Bureau des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis.

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directive 95/46 relative à la protection des données à caractère personnee7 et à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de I'homme. De plus, selon les députés européens, la Commission et le Conseil ne pourraient pas, par voie d'accord, modifier les standards de protection offerts par la directive. La position compréhensible des parlementaires ad' ailleurs été relayée au niveau européen par le groupe des responsables des autorités nationales de contrôle (G 29) et au niveau national par les autorités de contrôle ellesmêmes, à l'instar de la CNIL. A l'opposé et au risque de ne pas respecter leur obligation de coopération loyale avec le Parlement, mais peut-être aussi plus ouverts aux enjeux économiques, la Commission et le Conseil se sont montrés plus favorables à l'argumentation américaine. Ils sont alors passés outre les remarques du Parlement européen et n'ont pas attendu la position de la CJCE demandée par les députés, en avril 2004, sur le fondement de l'article 30096 TCE38. En septembre 2004, le Parlement européen a finalement déféré les décisions du Conseil à la CJCE39. Autre illustration des rapports avec les Etats-Unis, en janvier 2004, l'Union européenne a commencé de délicates négociations avec cet Etat à propos de la présence d'hommes armés dans certains avions. Assez rapidement, plusieurs Etats membres ont exprimé leur réticence à l'égard de cette pratique jugée trop dangereuse. Aucune action préventive n'empêchant jamais complètement les incidents ou catastrophes, le droit communautaire s'intéresse aussi à leurs conséquences. II. L'encadrement des conséquences d'une défaillance de la sécurité et de la sûreté La politique commune des transports est aussi très riche de dispositions liées à des défaillances plus ou moins graves de la sécurité ou de la sûreté. Comme en matière préventive, il est possible de remarquer un élargissement des préoccupations du législateur communautaire. Celuici est intervenu pour mieux encadrer les enquêtes techniques (A) et consolider les régimes de responsabilité (B).

37 Directive 95/46, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JOCE 23 novembre 1995, n° L 381/31). 38 39

JOUE 30 avril 2004, n° C 118/1. Aff C 317/04 et 318/04, JOUE Il septembre 2004, n° C 228/31.

24

A. L'encadrement

des enquêtes techniques

La coopération et l'assistance mutuelle des Etats membres dans les enquêtes sur les accidents sont au centre de l'un des premiers textes adoptés par la Communauté. Depuis, le système a été perfectionné en direction d'un traitement à finalité préventive des incidents ou accidents mineurs. En 1980, la Communauté a adopté la directive 80/1266 relative aux enquêtes40. L'objectif est alors non seulement de faciliter les investigations mais aussi de favoriser les échanges d'informations entre les Etats afin de prévenir tout nouvel accident. Dès cette époque, la Communauté comprend tout l'intérêt de rendre impératives des dispositions internationales, au besoin en étendant leur champ d'application. Malgré ces bonnes intentions et sans doute parce que la politique communautaire n'en est qu'à ses débuts, le texte est assez vague et peu contraignant, ce qui a fortement obéré son utilité41. L'échec était d'ailleurs prévisible en raison des difficultés à faire coopérer des administrations n'ayant pas forcément les mêmes préoccupations ou les mêmes priorités. Une étape plus significative a été franchie grâce à l'adoption de la directive 94/56 établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents et incidents dans l'aviation civile42. Ce texte ne concerne que les enquêtes techniques et, en aucun cas, les enquêtes judiciaires. Si les secondes sont indispensables à l'identification des responsabilités, les premières jouent un rôle préventif évident. A cette fin, la directive insiste d'abord sur le caractère obligatoire de l'enquête, ce qui constitue une reprise des recommandations de l'annexe 13 à la Convention relative à l'aviation civile dont la valeur contraignante a été discutée par de nombreux Etats. Ensuite, elle souligne la nécessité de confier l'enquête à un organisme permanent et indépendant. La permanence est assimilée à un gage d'efficacité; l'indépendance étant, quant à elle, appréciée sous un angle essentiellement fonctionnel (recrutement des enquêteurs, moyens suffisants, rapports objectifs, possibilité éventuelle d'un appel). Si cette approche est pragmatique, elle semble cependant être en décalage avec

40

lOCE 31 décembre 1980, n° L 375/32. Voir E. Estienne-Henrotte, « Transports aériens », Jel Europe, Fasc. 1131, p. 4 ; L. Grard, Transports aériens, op. cité, p. 65. 42 lOCE 12 décembre 1994, n° L 319/1 ; L. Rapp, « Politique de libéralisation et sécurité aérienne en Europe », RAE 1997, pp. 74-85. 41

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les évolutions récentes consistant dans les Etats comme dans l'Union européenne à créer des organismes dont l'indépendance s'appuie avant tout sur une personnalité juridique. De plus et surtout, même si cela remettrait en cause les compétences nationales, l'existence de l' AESA implique de s'interroger sur le transfert ou au moins le partage des compétences en matière d'investigations43. Enfin, les conclusions de l'enquête sont logiquement mises à la disposition des autres Etats, sans normalement pouvoir être utilisées à des fins judiciaires. En pratique cependant, les enquêtes techniques sont fréquemment versées au débat devant le juge alors que cela ne correspond pas à leur finalité. La directive de 1994 n'a pas imposé l'obligation de faire état des incidents autres que graves dont les contours sont eux-mêmes imprécis. En constituant, sur ce point précis, une simple incitation la directive ne présente qu'un intérêt limité alors que précisément, il semble préférable d'anticiper au maximum la survenue d'un accident sans attendre les enseignements d'incidents graves ou d'un précédent accident. Dans un contexte de développement du transport aérien, c'est donc pour pallier ce manque que la Commission a proposé, en 2000, une directive concernant les comptes-rendus d'événements dans l'aviation civile44. Une telle démarche traduit, une fois encore, la volonté de rendre contraignantes certaines dispositions de l'annexe 13 à la Convention de Chicago. Par ailleurs, la Commission s'est inspirée du dispositif américain garantissant l'anonymat des informateurs voire leur immunité, ce qui constitue une incitation très forte à alimenter les rapports d'incident. La proposition de la Commission a abouti à l'adoption de la directive 2003/4245 sur le fondement de l' article 80~2 TCE. Ainsi, pèse désormais sur les personnels une obligation d'information compensée par des garanties de confidentialité. Par ailleurs, chaque État membre participe à un échange d'informations en mettant à disposition des autorités compétentes des autres États membres et de la Commission toutes les informations stockées dans sa base de données. Les informations recueillies peuvent donc être consultées par chaque autorité nationale de l'aviation civile et par les bureaux d'enquête sur les accidents de l'aviation civile. D'autres parties intéressées ont également accès aux informations qui leur seront utiles. Quant au public, il sera 43

L' AESA a certes des pouvoirs d'enquête mais étrangers aux accidents ou incidents

graves. 44 COM(2000) 847. 45 lOCE 4 juillet 2003, n° L 167/23.

26

informé par l'intermédiaire d'un rapport annuel rédigé par l'Etat et, si nécessaire, par des extraits de comptes-rendus respectant l'anonymat des personnels concernés. Toutefois, l'anonymat soulève aussi de sérieuses questions pratiques et juridiques. Concrètement, un anonymat absolu est sans doute impossible, voire n'est pas souhaitable. En effet, l'examen des incidents peut exiger de rencontrer les témoins et les acteurs. Juridiquement, ne serait-il pas préférable de substituer à l'anonymat une immunité sans pour autant inciter à l'irresponsabilité? Une meilleure compréhension des incidents ou accidents est indispensable au même titre que la juste indemnisation des victimes ou de leurs ayants droits, domaine dans lequel le droit communautaire est également intervenu. B. L'encadrement

de la responsabilité

De manière classique, le droit communautaire a d'abord encadré les conséquences d'accidents pour les passagers. Par la suite, les attentats du Il septembre l'ont orienté en direction des conséquences d'actes terroristes. La Communauté ayant succédé aux Etats en matière de politique des transports, c'est à elle qu'est revenu le soin de signer la convention de Montréa146(28 mai 1999) relative à la responsabilité des transporteurs en cas d'accident et complétant celle de Varsovie (1929). En 1997, la Communauté avait adopté un règlement ouvrant la voie à une harmonisation des conditions d'indemnisation pour les vols intracommunautaires47. Dans le prolongement de la convention de Montréal et sans attendre la fin des procédures de ratification, des modifications substantielles ont été apportées au texte48. Concrètement, le règlement est désormais applicable aux liaisons à l'intérieur d'un seul Etat membre. De plus, chaque transporteur doit s'assurer afin d'être en mesure de couvrir l' indemnisation (dont aucune limite n'est fixée en cas de décès ou de blessure) à laquelle la victime a droit. Par ailleurs, les transporteurs ont une obligation d'information par écrit des passagers. 46

Décision 2001/539, laCE vigueur le 28 juin 2004. 47

18 juillet

2001, n° L 194. La convention

Règlement 2027/97 relatif à la responsabilité

en

des transporteurs aériens en cas

d'accident (laCE 17 octobre 1997, n° L 285). 48 Règlement 889/2002 relatif à la responsabilité des transporteurs concerne le transport aérien de passagers et de leurs bagages (JaCE 140).

27

est entrée

aériens en ce qui 30 mai 2002, n° L

Une approche commune des principes d'indemnisation est intéressante. En effet, le rappel d'une absence de plafond d'indemnisation incitera peut-être les juges à apprécier différemment les préjudices alors qu'ils sont parfois enclins à les évaluer avec parcimonie, au point de se demander si l'indemnisation n'est pas moins coûteuse qu'un suivi efficace de la sécurité des aéronefs. En revanche, le droit comm unautaire n'est d'aucun secours face à d'autres difficultés rencontrées par les ayants droits. Par exemple, l'éparpillement des victimes peut éventuellement se retourner contre elles faute d'opposer au responsable un front uni. En outre, les dommages subis revêtent souvent une forme propre aux accidents dans lesquels les corps sont introuvables, ce qui rend le deuil d'autant plus difficile à faire et confère au préjudice moral un relief particulier. Les attentats du Il septembre ont plongé le transport aérien dans une crise grave. L'une des expressions de cette crise a été la suppression par les assureurs de leur couverture des risques liés aux actes de guerre ou de terrorisme. Se pose alors un problème pratique, juridique et économique. En effet, faute d'une approche harmonisée, l'insécurité juridique et de possibles distorsions de concurrence pourraient obérer le développement du transport aérien. A ce titre, la Commission a souligné le cas particulier des opérateurs d'Etats tiers à la Communauté et pour lesquels il convient d'exiger un niveau suffisant d'assurance 49. Or sur ce point, rien en droit communautaire n'imposait de règle précise, seul le droit international public régissant en partie le domaine. Ainsi, la convention de Rome de 1933 pour l'unification de certaines règles relatives aux dommages causés aux tiers à la surface par des aéronefs étrangers (amendée notamment par le protocole de Montréal du 23 septembre 1978) constitue une référence. Sur ce fondement, la CEAC a adopté, en décembre 2000, une résolution prévoyant des niveaux d'assurance minimaux pour couvrir la responsabilité vis-à-vis des voyageurs et des tiers. Sur un sujet aussi délicat, le texte communautaire ne peut être que d'application large. Il couvre, en effet, tous les opérateurs (communautaires ou non), tous les vols (charters ou réguliers, commerciaux...) et qu'il y ait mouvement au sol ou simple survol.

49 Règlement exigences exploitants

785/2004 en matière d'aéronefs.

du 21 avril 2004 (JOUE 30 avril 2004, n° L138/l), relatif aux d'assurance applicables awe transporteurs aériens et aux

28

Toutes les conséquences pour les passagers et les marchandises (bagages, courrier...) sont appréhendées par l'intermédiaire d'un minimum d'indemnisation. Pour être efficace, le dispositif exige des contrôles efficaces des opérateurs avec, en cas de besoin, des sanctions d'un défaut d'assurance passant par une interdiction d'atterrissage, de décollage ou de survol. L' ensemble pourrait enfin aboutir à la création d'un fonds mutuel offrant aux compagnies des assurances à un prix raisonnable. En posant le principe d'assurance de tous les dommages, y compris ceux qui résultent d'un acte de guerre ou de terrorisme et en l'imposant aux tiers, la Communauté protège avant tout les intérêts des passagers. Elle fixe aussi un standard international élevé apparemment contraignant pour les compagnies. Néanmoins, ce texte ne peut pas régler la délicate question des responsabilités étatiques et des négociations diplomatiques qui les accompagnent. Parfois en matière de terrorisme et en tout état de cause en matière d'actes de guerre, si les victimes se retournent dans un premier temps contre la compagnie, c'est un Etat qui se trouve impliqué dans le fait générateur. Or, le droit n'est pas nécessairement d'un grand secours dès lors qu'il s'agit de négocier d'Etat à Etat, domaine par excellence des contingences politiques.

En définitive, peu d'aspects du droit aérien échappent désormais au droit communautaire. Ce dernier s'est emparé de nombreux sujets, y compris proches de compétences de souveraineté. Certes, certains font l'objet d'un traitement plus ou moins intégré, mais la tendance est indéniable. En outre, on ne peut s'empêcher de noter un parallèle entre l'atténuation des spécificités juridiques nationales et le rapprochement, parfois même, la fusion des pavillons nationaux. En droit et dans les faits, c'est bien une Europe du transport aérien qui se construit. Paris, le 20 janvier 2005

29

Première partie La prévention en matière de sécurité et de sûreté des transports aériens

L'effectivité du droit de la sécurité aérienne par ~ Patrice REMBAUVILLE-NICOLLE* Président de la Société Française de Droit Aérien et Spatial Secrétaire Général adjoint de l'Association Française du Droit Maritime

I. Introduction 1.1. 1.1.1

Précisions terminologiques Distinction sécurité/sûreté

Selon le Vocabulaire juridique du Professeur Cornu Sécurité: Situation de celui ou de ce qui est à l'abri des risques (s'agissant de risques concrets: agressions, accidents, atteintes matérielles. Prévention de tels risques, mesures et moyens de protection tendant à prévenir la réalisation de ces risques, ensemble de précautions incombant à certaines personnes envers d'autres). Dans le domaine aéronautique, la sécurité vise les règles de construction et d'utilisation des avions. Sûreté: Garantie de la liberté individuelle qui consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de sa propriété. Désigne, par extension dans diverses expressions, la protection dont l'Etat se couvre (sûreté de l'Etat), celle qu'il organise (sûreté publique) ou même, naguère, l'organe chargé d'une telle protection (sûreté nationale). Dans le domaine aéronautique, la sûreté vise la prévention de tout acte illégal volontaire. 1.1.2 Distinction safety/security

La sécurité (ou safety en anglais) renvoie à une législation ainsi qu'au domaine de la prévention des secours contre les défaillances

* Avec le concours Kali fa, Avocat.

de ~

Florent Vigny, Avocat au Cabinet RBM2L et de Melle Audrey

mécaniques, structurelles ou météorologiques. La sécurité est liée aussi aux événements involontaires en général. La sûreté (security en anglais) renvoie quant à elle aux domaines de prévention et de protection contre les actes volontaires et malveillants. Ce sont deux termes à différencier dans le domaine aéronautique. Mais il s'agit de ne pas oublier que la sécurité correspond aussi à la protection générale des biens et des personnes et qu'elle englobe la sûreté à ce niveau-là. La sûreté ne représente donc qu'un élément de la sécurité dans sa définition générale. 1.1.3

Les dislJositions de la Convention de Chicago

* Annexe 171 à la Convention relative à l'aviation civile internationale Sûreté: « combinaison des mesures ainsi que des moyens humains et matériels visant à protéger l'aviation civile internationale contre les actes d'intervention illicites ». On entend par acte d'intervention illicite la « capture illicite d'aéronef, acte de sabotage ou attaque armée dirigée contre des aéronefs utilisés pour le transport aérien, leurs passagers, l'équipage, le personnel au sol, les aérodromes civils, et autres installations aéroportuaires utilisées pour le transport aérien, ou la communication d'informations de nature à compromettre la sécurité d'un aéronef ou d'une installation aéroportuaire ». Une simple tentative est aussi considérée comme un acte d'intervention illicite. * Statistiques de l'OACI sur la sécurité et la sûreté du transport aérien en 2003. 1.2.

Typologie des atteintes à la sûreté aérienne

- Détournement d'avion: consiste à s'emparer d'un aéronef par la violence ou la menace de la violence en vue de le détourner de sa destination. Trois mobiles: la fuite, l'extorsion, le terrorisme. Essor à cause de la sécurité défaillante des aéroports: Boeing 727 ou DC 9 1

Signée en 1981 par 184 Etats définissant

les règles en matière de sûreté.

34

réputés comme les plus appropriés pour une action de piraterie aérienne. Attentats à la bombe: soit à l'aide d'engins explosifs ou par un usage d'un aéronef comme bombe volante. Estimés à près de 80 % des actes de terrorisme. Attaque contre les avions au sol dans les aéroports. Attaque contre les installations aéroportuaires et les passagers. Ouelaues exemoles Septembre 1969 (détournement) Détournement simultané de 3 avions: 2 en vol pour la Jordanie et 1 pour l'Egypte. ~ Explosion devant les caméras de télévision. 30 mai 1972 (attaque aéroport/passagers) Aéroport de Lod, Tel Aviv. Attaque à l'arme automatique FPLP et ARJ (Armée Rouge japonaise). ~ 26 morts, 70 blessés. Juillet 1973 (détournement) Avion de ligne japonais en route vers la Libye ~ Détournement et ex losion. 27 juin 1976 (détournement)

Ligne Tel-Aviv/Paris

-

Airbus A300 Air

France Détournement vers la Libye par 4 terroristes du FPLP pour ravitaillement en kérosène, puis vers Entebbe, Ouganda - Exigence de libération de 53 prisonniers politiques ~ Terroristes et trois ota es tués. 4 décembre 1977 (détournement)

Malaisie, Joho Bahrain

-

Boeing B 737

Malaysia Airline System. Crash à la suite d'une prise d'otage. ~ Mort des 100 assa ers. 23 juin 1985 (bombe)

Océan Atlantique

-

Boeing B747 Air

India Ex losion lors du vol reliant Toronto à

35

Bombay. ~ 329 morts. 21 décembre 1988 (bombe) Lockerbie - Boeing B747 de PanAm. Explosion en vol (bombe artisanale cachée dans une radio). ~ Mort des 259 passagers et de Il habitants de Lockerbie. 19 septembre 1989 (bombe) Désertdu Ténéré - DC-I0 UTA Explosion d'une charge explosive audessus du Niger, crash dans le désert. ~ 171 morts. Décembre 1994 (détournement)

Alger/Paris- AirbusAir France

Détourné pour qu'il s'écrase sur la ville de Paris. ~ Pris d'assaut par des troupes d'élite sur l'aéroport de Marignane, lors d'un ravitaillement. Il septembre 2001 (détournement) Détournement et crash de 4 avions de ligne sur le sol américain (notamment World Trade Center et Pentagone). 28 novembre 2002 (attaque avion au sol) Aéroport de Mombasa - Boeing 757 Arkia (Israël) 2 roquettes tirées juste après le décollage. ~ Ne touchent pas l'avion. 4 mars 2003 (attaque aéroport/passagers) Aéroport international de Davao, Philippines. Explosion d'une bombe. Jamais revendiqué. ~ 20 morts, 146 blessés.

36

1.3.

Evolutions possibles des atteintes à la sûreté aérienne

1.3.1

Cvber-terrorisme

La cyber-terreur pourrait être définie comme l'usage ou la menace de cyber-attaques pour susciter la peur, avec l'intention de contraindre ou d'intimider des gouvernements ou des sociétés, en poursuivant des objectifs qui sont généralement politiques, religieux ou idéologiques. Cette forme d'atteinte reste, pour le moment, virtuelle. Diverses formes de cyber-attaques : prise de contrôle clandestine d'un système, dénis de service, destruction ou vol de données sensibles, hacking (piratage de réseau de télécommunications), cracking (craquage de protections logicielles des programmes ), phreaking (sabotage, prise de contrôle de centraux téléphoniques.

Cibles potentielles: infrastructures critiques essentielles au bon fonctionnement d'une société (énergie, eau, transports, logistique alimentaire, télécommunications, banque et finance, services médicaux, fonctions gouvernementales). Vulnérabilité accrue des systèmes de production et de distribution d' électricité (conditionne le fonctionnement de la plupart des autres infrastructures). Facilité d'accès aux informations permettant la réalisation de cyberattaques: recrudescence de scans (tests de systèmes informatiques pour découvrir leurs vulnérabilités afin de pouvoir les pénétrer ultérieurement) dirigés sur les ordinateurs d'organisations gérant des infrastructures dites critiques, sites web proposant des outils permettant de déclencher à distance ces attaques. La transposition au secteur aérien pourrait être le détournement d'un aéronef et son crash à partir de la simple prise de contrôle des outils informatiques de la tour de contrôle ou du centre en route de

37

navigation aérienne (manipulation des informations communiquées au cockpit, dérèglement d'appareils de mesure). 1.3.2

Menaces biolof!iques. chimiques et nucléaires

Menace biologique Utilisation ou menace d'utilisation de virus, bactéries, champignons ou toxines de micro-organismes dans le but de provoquer une maladie ou le décès d'être humains, d'animaux ou de plantes. Avantages: forte capacité létale de certains agents, quantités nécessaires réduites, facteur de terreur psychologique, armes indétectables par les procédés classiques en vigueur. Inconvénients: très difficile à manipuler, efficacité imprévisible, prise de risques par les terroristes eux-mêmes.

La transposition au secteur aérien pourrait être mise en œuvre en utilisant l'avion comme vecteur de diffusion dans un grand aéroport international, d'un agent pathogène dont la période d'incubation, de quelques heures à quelques jours, permettrait de contaminer toutes les régions du monde. Menace chimique Substances gazeuses, liquides ou solides qui peuvent être utilisées pour leurs effets toxiques directs sur I'homme, les animaux et les plantes. Contrairement aux armes biologiques, elles ne sont pas fabriquées à partir d'organismes vivants. Les armes chimiques peuvent avoir un effet incapacitant sur l'être humain et même, dans certains cas, être mortelles (action incapacitante, asphyxiante ou neurotoxique ). Avantages: fabrication relativement simple, coût peu élevé, détection très difficile de certaines substances. Inconvénients: l'utilisateur

peut être la première victime de son arme,

38

difficulté d'atteindre un effet maximal par diffusion, l'utilisateur risque de provoquer une vive réaction chez les pouvoirs publics et au sein de la population. Comme pour l'arme biologique, l'avion pourrait être utilisé comme un mode de dissémination de l'attaque. Mais l'arme chimique se heurte à des problèmes de diffusion dans l'air et contrairement aux armes biologiques, une quantité relativement élevée de produit est nécessaire pour la réussite de la mission. Menace nucléaire En vue de disséminer des matières radioactives et l'eau. Elle est potentiellement la plus destructrice.

pour contaminer l'air

L'avion pourrait être utilisé soit comme une arme (largage d'une bombe créée de toute pièce) soit comme un moyen de diffusion dans le cas d'une attaque nucléaire (bélier face à une installation nucléaire ). Face à ces menaces potentielles, une réflexion était lancée depuis plusieurs années en vue d'améliorer la sûreté aérienne. Les événements du Il septembre 2001 ont marqué le début d'une phase d'action (édiction de nombreuses normes, tant en droit interne qu'international) de travaux en gestation depuis plusieurs années. Les attentats de 2001 ont davantage joué le rôle de révélation que de moteur.

II. Mise en œuvre au plan juridique Les acteurs du transport aérien ont su rapidement réagir ou adapter la législation aux événements en appliquant la même méthode que pour la sécurité qui exclut l'élément intentionnel: un accident, une enquête administrative qui se traduit dans les meilleurs délais par une recommandation de l'OACI. 2.1. Droit international L'Annexe 17 de la convention de Chicago (en application de son article 37) établit les normes et les pratiques recommandées pour la protection de l'aviation civile internationale.

39

Mais il s'agit de simples recommandations qui doivent être retranscrites en droit interne. Elle a toutefois été rendue obligatoire par 1'DACI en août 1997, notamment concernant la mise ne place d'une procédure de sécurisation du fret aérien. Le« Document 30 » de la Conférence européenne de 1' Aviation civile (CEAC : 38 Etats-membres) met en place un groupe de travail chargé des questions de sûreté à la CEAC. La structure du groupe de travail permet d'inclure un grand nombre de participants (Etats non membres, représentants du secteur de l'industrie du transport aérien), mais il n'émet que des recommandations devant être retranscrites en droit interne. 2.2. Droit communautaire Il s'agit du : - Règlement (CE) n° 1138/2004 de la Commission du 21 Juin 2004 établissant une définition commune des parties des zones de sûreté à accès réglementé dans les aéroports; - Règlement cadre n° (CE) 2320/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2002, modifié par le Règlement (CE) n° 849/2004 du 29 Avril 2004, relatif à l'instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile. Il fait suite aux attentats du Il septembre 2001 en permettant la révision de l'ensemble des normes en matière de sûreté aérienne et en rendant obligatoires au sein de l'DE les mesures de sécurité définies par la CEAC. Il met en place un système de contrôle inopiné des accès dans les aéroports, inspections sur les voyageurs, les bagages et sur les membres du personnel. Le règlement cadre (CE) n° 2320/2002 est applicable depuis le 19 Janvier 2003 et le règlement (CE) n° 849/2004 du 29 Avril 2004 depuis le 20 Mai 2004. - Règlement (CE) n° 622/2003 de la Commission du 4 Avril 2003 fixant des mesures pour la mise en œuvre des règles communes dans le domaine de sûreté aérienne. Il s'agit d'un règlement d'application du règlement n° 2320/2002 contenant des mesures détaillées pour l'amélioration de la sûreté aérienne et exposées dans une annexe classifiée « EU restreint». - Règlement (CE) n° 68/2004 de la Commission du 15 janvier 2004 modifiant le règlement (CE) n° 622/2003 fixant des mesures pour la mise en œuvre des règles communes dans le domaine de la sûreté aérienne. Il précise la liste d'objets interdits à bord et dans les soutes à bagages des avions transportant des passagers. Son objectif

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est d'indiquer aux passagers embarquant dans des aéroports de l'DE les objets qui seront confisqués aux points de contrôle de sûreté. La liste des objets interdits n'est pas exhaustive puisqu'il est toujours possible de concevoir de nouveaux types d'armes potentiellement dangereuses. Les autorités nationales seront obligées d'informer les passagers sur le contenu de cette liste avant l'enregistrement. Il est interdit aux passagers d'introduire les articles suivants dans la zone de sûreté et dans la cabine d'un aéronef: . revolvers, armes à feu et armes: armes à feu de toutes sortes, copies et imitations d'armes à feu, pistolets et carabines à air comprimé.. . armes pointues/tranchantes et les obj ets coupants: les articles pointus ou équipés d'une lame capables d'occasionner des blessures, tels que les haches, les hachettes, les flèches, les crampons, les harpons... instruments contondants: battes de base-ball, battes de cricket, clubs de golf, cannes à pêche. ..

. . .

substances explosives et inflammables: munitions,

.

amorces, détonateurs, explosifs, grenades de tous types... substances chimiques toxiques: substances corrosives, acides et alcaloïdes, poisons, matières radioactives. . . Les articles suivants sont interdits dans les bagages de soute: explosifs, gaz propane/butane, liquides inflammables, oxydants, substances toxiques ou infectieuses, substances corrosives, solides inflammables...

.

- Règlement (CE) n° 1486/2003 de la Commission du 22 août 2003 définissant les modalités des inspections effectuées par la Commission dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile. 2.3.

Droit interne

De nombreuses dispositions ont été insérées dans le Code de l'aviation civile, postérieurement aux événements du Il septembre 2001 : - loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne (complétant le Code de l' aviation civile) ; - loi du 3 janvier 2002 relative à la sécurité des infrastructures et systèmes de transport ;

41

- décret

du 3 janvier 2002 relatif à la police de l'exploitation des aérodromes (modifiant le Code de l'aviation civile) : - délègue aux ministres intéressés la compétence pour définir les mesures de sûreté générales que les acteurs du transport aérien sont tenus de mettre en œuvre sur les aérodromes et d'établir les conditions techniques relatives aux infrastructure ainsi qu'aux matériels et l'établissement des procédures de sûreté, - établit de nouvelles règles pour l'accès à la zone réservée (habilitation nationale et titre de circulation), - met sur les employeurs une obligation de formation à la sûreté du personnel qui concourt à la mise en œuvre des mesures de sûreté, - établit un mécanisme de sanctions administratives pour nonrespect des obligations en matière de sûreté. - arrêté du 10 octobre 2000 fixant les conditions techniques des visites de sûreté des personnes et des bagages à main. DisDositif ré!!lementaire Darticulier Dour Ie fret Il s'agit de : - la loi n° 96-151 du 26 février 1996 (insérée dans le Code de l'aviation civile) : obligation d'embarquement de fret sécurisé et recours aux « expéditeurs connus» pour cette tâche; - le décret n° 97-1315 du 29 décembre 1997 relatif à la sûreté du fret aérien; - l'arrêté du 17 décembre 1998 relatif aux dispositifs techniques autorisés pour les contrôles de sûreté sur le fret aérien; - l'arrêté du 22 décembre 1998 fixant les dispositions

relatives aux

formations dans le cadre du dispositif réglementaire concernant la sûreté du fret aérien; - les arrêtés du Il février 1999 et 30 décembre 1999 fixant les modalités techniques de certains contrôles effectués par les expéditeurs connus ou les transporteurs aériens afin d'assurer la sûreté du fret aérien; - l'arrêté du Il mai 2000 fixant les conditions et les modalités d'agrément d'une entreprise ou d'un organisme en qualité d'expéditeur connu; - la circulaire du 15 février 2002 relative à l'introduction des demandes d'agrément en qualité d'expéditeur connu et au suivi des établissements titulaires de cet agrément.

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III. Mise en œuvre concrète des normes juridiques renforcement de la sûreté aérienne

visant au

Cette mise en œuvre tient compte des spécificités du transport aérien si on le compare, par exemple, au transport maritime: - Transport d'une grande partie du fret en avion mixte, c'est-à-dire combinant le transport de passagers et de fret (contrairement à l' exploitation maritime). - Absence de lignes de passagers en maritime. - Les actes illicites perpétrés à l'encontre des transports aériens ont un impact médiatique plus important du fait de l'atteinte portée à un transport de passagers d'une part, et de la banalisation de ce mode de transport au profit de tout un chacun d'autre part. - La proximité entre plateformes aéroportuaires et centres urbains rend la population plus sensible aux risques encourus. - La nature même de ce mode de transport, qui implique le survol d'un territoire, le rend par nature plus dangereux en ce qu'il permet d'attaquer n'importe où et n'importe quand. - L'organisation en hubb des plateformes portuaires (rapatriement des passagers grâce à des lignes secondaires pour massifier les lignes principales) permet-elle de garantir un transport plus sûr? Contrôles des oassaf!ers et des baf!af!es à main Tous les aérodromes sont équipés d'appareils de contrôle conformément aux dispositions d'un arrêté du 10 octobre 2000 fixant les conditions techniques des visites de sûreté des personnes et des bagages à main. Suite aux attentats du Il septembre 2001, sur proposition du groupe interministériel des vols sensibles (GIVS) qui réunit des représentants de tous les ministères concernés par les questions de sûreté du transport aérien, le gouvernement a donné aux aéroports des consignes de renforcement des procédures de contrôle comprenant notamment: l'interdiction de tous les objets contondants en cabine; l'accroissement de la sensibilité des portiques de détection; l'utilisation systématique de magnétomètres pour lever tout doute suite à un déclenchement d'alarme au portique; le renforcement de l'inspection visuelle des bagages à main; la palpation des personnes et la fouille manuelle des bagages à main à un taux aussi élevé que possible (seuil de 50 %

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minimum) par les agents de sûreté et les forces de police disponibles (L. 15.11.01 qui modifie l'article L. 282-8 du code de l'aviation civile) ; la vérification stricte pour chaque passager au moment de l'enregistrement d'abord, puis de l'embarquement ensuite, de l'adéquation de son document d'identité avec le nom porté sur le billet d'avion; la stricte séparation des flux de passagers à l'arrivée et de ceux au départ.

Contrôle des ba2a2es de soute Sur recommandation forte des instances internationales de l'aviation civile, il a été élaboré un programme pluriannuel de mise en oeuvre sur les aéroports de dispositifs permettant de contrôler tous les bagages de soute (en priorité les 36 aéroports dont le trafic annuel dépasse 200.000 passagers) : ces aéroports ont été progressivement dotés des appareils de détection les plus performants (appareils à rayons X classiques, Explosive Detector System, tomographes) avec une accélération de l'équipement après le Il septembre 2001, des dispositifs plus simples ont été déployés sur les autres aéroports (mis en service 2èmesemestre de 2002), dans toute la mesure du possible, l'ensemble des contrôles de sûreté concernant le passager (personnes, bagages à main, bagages de soute) y est regroupé en un point unique en amont de la phase d'enregistrement, déploiement par ADP d ' é qui pes cynotechniques spécialisées dans la détection des explosifs dans les bagages. Grâce à ce déploiement de moyens, l'objectif d'inspectionfiltrage des bagages de soute à 100% est atteint. Par ailleurs, certaines procédures ont été renforcées suite aux attentats du Il septembre: la vérification par les services de l'Etat que les compagnies aériennes appliquent avec rigueur la procédure fondamentale de « rapprochement}) des bagages embarqués dans les soutes et des passagers effectivement montés à bord; la surveillance renforcée des bagages jusqu'à l'embarquement.

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Contrôle d'accès aux zones réservées Pour contrôler et limiter les flux de personnes dans les zones sensibles des aéroports, la DGAC a lancé un plan d'équipement des 34 principaux aéroports de province et d'outre-mer en systèmes automatiques de contrôle des accès: un système de badges, définis en partenariat avec les autres administrations présentes sur les aéroports (police, gendarmerie et douanes). Ces badges: -tiennent compte des besoins des personnes amenées à travailler dans la partie non librement accessible des aéroports, -sont délivrés après une enquête d'antécédents réalisée par la police nationale ou la gendannerie, -sont gérés par une base de données centrale et des serveurs locaux permettant des contrôles en tern ps réel. Consécutivement aux attentats du Il septembre, le contrôle de l'accès aux zones réservées a été sensiblement renforcé par : -la fermeture des accès les plus sensibles; -la mise en place d'une inspection filtrage de tous les personnels et véhicules; -la limitation des points d'accès en zone réservée; -le rappel des consignes de vigilance aux personnels aéroportuaires; -la revalidation, après une nouvelle enquête de police, des autorisations d'accès délivrées pour les aéroports franciliens (habilitation pour l'accès en zone réservée). Pour renforcer ces contrôles, la mise en place d'un contrôle biornétrique est en cours de développement. Surveillance et accès aux aéronefs Les mesures de sûreté ci-après qui relèvent des compagnies aériennes ont été r e n for c é e s suite aux instructions du gouvernement après les attentats du Il septembre: la vérification de l'identité des équipages; la vérification du titre d'accès de tous les personnels présents autour de l'aéronef pendant son exploitation;

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la surveillance de l'avion pendant ses périodes de stationnement prolongé ou le contrôle de son intégrité lors de la remise en exploitation.

Sécurisation du fret et du caterin!! Le fret destiné à être embarqué à bord des aéronefs est sécurisé par les compagnies aériennes et les agents de fret dans le cadre des dispositions de l'article L. 321-7 du code de l'aviation civile (complété par la loi du 3 janvier 2002). Conformément à ce que prévoit la réglementation en cas d'aggravation de la menace terroriste potentielle pesant sur l'activité du transport aérien, le gouvernement a décidé, après le 11 septembre, la généralisation du contrôle physique pour les marchandises et les colis postaux embarqués sur des avions transportant des passagers. notions d'agent habilité, d'expéditeur connu ou de chargeur connu; obligation pour les transporteurs n'y ayant pas recours de mettre en œuvre leurs propres visites de sûreté (selon les modalités définies à l'art. L. 282-8 du CAC) ; obligation d'expédier le fret par un « chargeur connu» pour les marchandises qui ne passent pas à la détection (problèmes de taille ou de masse) ; obligation pour les entreprises de catering implantées en dehors de la zone réservée d'obtenir un agrément « établissement connu ».

Mesures comolémentaires Suite à la demande des autorités américaines, des mesures spécifiques ont été prises pour les vols à destination des EtatsUnis. Elles concernent: le questionnement des passagers et l'inspection visuelle de certains bagages de soute en fonction du résultat du questionnement réalisé; l'inspection aléatoire complémentaire des passagers à l'aide d'un magnétomètre et l'inspection visuelle de

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leurs bagages à main, juste avant leur embarquement; l'inspection des personnels qui montent

à

bord. D'autres mesures sont progressivement mises en œuvre: résistance des cockpits et renforcement de leurs portes; vidéosurveiUance des passagers; compartimentation des cabines passagers; maintien du système de transpondeur opérationnel dans la cabine, même en cas d'urgence; mise en place d'agents de sûreté embarqués (sky marshals). Leur nombre est actuellement confidentiel, on les estime en 2003 à environ 2000, entraînés et armés, pour 35000 vols quotidiens; armement des pilotes de ligne. L'DACI et la CEAC envisagent d'autres recommandations: fermeture des cockpits et blindage de la porte; blocage éventuel des transpondeurs; suivi de qualité, par des audits des mesures de sûreté mises en place par les aéroports; profIling des passagers; mise en œuvre de technologies permettant une reconnaissance rapide de passagers.

L'arsenal juridique désormais en place permet de mettre en œuvre un niveau de protection élevé dans le transport aérien. Mais les acteurs du transport aérien ont-i1les moyens matériels, financiers, humains de les appliquer? Exemples: difficultés à trouver du personnel de sécurité (qualifications, formation...), ADP annonce, le 24 juin 2004, la mise en application de la reconnaissance biométrique (digitale) pour tous ses personnels (coût total: 3 millions d'euros). v. Conclusion: Quid des libertés DubIiQues ? A la suite du « Homeland Security Act» adopté par le Congrès américain le Il novembre 2002, diverses mesures permettant de

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parer aux attaques terroristes sont prises, notamment un volet informatique en réseau qui contient des dispositions particulièrement importantes concernant les opérateurs (compagnies aériennes) et la transmission spontanée aux autorités américaines d'informations sur initiatives des prestataires de services Internet sans que leur responsabilité ne soit engagée. Ainsi, chacune des opérations de réservation dans le transport aérien fait l'objet de l'établissement du PNR (Passenger Name Record), informations collectées et échangées entre les entreprises intervenantes dans le cadre du transport.

Il peut contenir, en fonction des prestations offertes par les compagnies et demandées par le client: - les renseignements sur l'agence de voyage auprès de laquelle la réservation est effectuée, - l'itinéraire du déplacement qui peut comporter plusieurs étapes, - les indications des vols concernés (numéro des vols successifs, date, heures, classe économique, business...), le groupe de personnes pour lesquelles une même réservation est faite, - le contact à terre du passager (numéro de téléphone au domicile, professionnel. ..), - les tarifs accordés, l'état du paiement effectué et ses modalités par carte bancaire, - les réservations d'hôtels ou de voitures à l'arrivée, - les services demandés à bord tels que le numéro de place affecté à l'avance, les repas (végétarien, asiatique, cascher...) et les services liés à la santé (diabétique, aveugle, sourd, assistance médicale...). Dans ce contexte, l'Union européenne a manifesté son inquiétude dans un rapport de la Commission européenne du 16 mai 2003 tandis que le Parlement européen a saisi la CJCE. Les craintes portent sur: - le problème posé par l'adéquation entre la nature des informations susceptibles d'être transmises et le niveau de protection des données personnelles garanties au sein de l'DE ; - le problème également posé par l'indétermination de la durée de conservation des données personnelles des voyageurs, qui pourront être transmises à la CIA et à la NSA ; - le risque d'interdiction d'embarquement pour toute personne à destination des Etats-Unis;

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- le risque de renversement de la présomption recrudescence des pratiques d'espionnage.

d'innocence,

de

Position de la CNIL Selon la CNIL, la transmission des données du PNR constitue un détournement de finalité du traitement informatique car elles sont collectées à des fins commerciales et non pour des raisons de sécurité. Par ailleurs, il existerait un risque de révélation à un tiers de données susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes. En outre, la transmission ne pourrait se faire que si le pays qui reçoit les informations garantit un niveau de protection adéquat. Par conséquent, la transmission est illégale au regard des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'information, aux fichiers et aux libertés et à la législation européenne en matière de protection des données personnelles. Décision de la Commission euroDéenne constatant le niveau adéquat de Drotection des données et accord international DEroSA (28 mai 2004) L'Union européenne est parvenue à obtenir différentes garanties: - un nombre plus réduit de données collectées et conservées par les autorités américaines (34 catégories de données sont transférées), -les données sensibles permettant de révéler des indications sur la religion ou la santé ne seront plus transmises ou si elles le sont, seront filtrées et supprimées ultérieurement, - les données ne pourront être utilisées que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, - les données seront effacées après un délai maximal de trois ans et six mois, sauf pour les données consultées dans le cadre d'investigations spécifiques ou bien manuellement, - les autorités américaines informent notamment les passagers sur la finalité du transfert et des traitements et sur l'identité du responsable du traitement, - les personnes concernées disposent d'un droit d'accès et de rectification, - les autorités chargées de la protection des données dans l'Union européenne ont compétence pour assister les personnes dans le cadre d'une plainte auprès des autorités américaines, - le tri des données ne pourra être effectué par les autorités américaines qu'au cas par cas et pour des objectifs convenus,

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- le transfert

des données vers d'autres autorités gouvernementales américaines ou étrangères se fera au cas par cas et après notification à une autorité désignée de l'Union européenne, - la Commission et des représentants des autorités de protection des données effectueront chaque année un bilan sur le respect de leurs engagements par les Etats-Unis. Cependant, alors que les mesures restrictives ou privatives de liberté augmentent, notamment par application de standards conformes aux exigences des Etats-Unis, paradoxalement, le recours à l'autorité judiciaire, gardienne des libertés, ne s'est pas accru. Bien que portant atteinte aux libertés publiques, ces mesures, globalement, sont plutôt bien accueillies par l'opinion publique. La priorité est donnée, à court terme, à la préservation de l'intégrité de la population face à un péril incontrôlable et imprévisible plutôt qu'au maintien de garanties individuelles substantielles. Enfin, la CEAC, lors de sa 3èmeréunion des Directeurs généraux de l'Aviation Civile des 33 Etats membres de la CEAC à Istanbul, a chargé Monsieur Wachenheim d'établir une équipe de travail spéciale afin d'étudier un certain nombre de « questions stratégiques relatives à la sûreté ».

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La sûreté des transports aériens: éléments de problématique par Bernard BOUBE Préfet, Directeur de « Protection et Sécurité de l'Etat », SGDN

L'avion est une arme très efficace pour le terrorisme: - la circulation aérienne est extraordinairement dense: les opportunités sont nombreuses; en France, carrefour international, 8000 avions commerciaux en vol chaque jour ;

- l'introduction

d'armes et d'explosifs

est rendue plus difficile,

mais elle reste touj ours possible, malgré les progrès des contrôles;

- les

techniques

- la maîtrise

de prise de contrôle

en vol sont éprouvées;

d'un grand nombre d'otages permet un chantage

redoutable; - l'impact d'un gros porteur sur certaines cibles permet des dommages immenses; - les scénarios et les vecteurs d'attaque sont très variés: petits avions, épandage toxiques, aérodromes secondaires; - un secteur où la dynamique de l'arme et du bouclier joue à

plein: il existe toujours des failles, qu'il est impossible de combler en permanence, en raison des conséquences que peuvent avoir les mesures de prévention et de protection sur les libertés des passagers et sur les performances des acteurs économiques. D'où une pression très forte des Etats sur les activités aériennes pour limiter les vulnérabilités de ce secteur économique. La sûreté du transport aérien est une bonne illustration de la méthode d'adaptation de la sûreté aux menaces réelles, en s'appuyant sur une posture permanente de sécurité. I. Les principes de la graduation des contraintes de sécurité Le transport par voie aérienne est sûr et rapide, il est devenu la voie normale du transport sur distances moyennes ou longues, grâce aux efforts de l'industrie, des compagnies, des autorités internationales et nationales de contrôle de la navigation aérienne. Les utilisateurs ont confiance dans la qualité de ce socle de sécurité que constituent les règles applicables aux opérateurs. Les accidents sont rares et les erreurs se payent.

La malveillance introduit un élément différent, qui justifie de nouvelles règles pour la prévenir ou la neutraliser. Depuis une trentaine d'années, la piraterie aérienne a conduit à renforcer la sûreté dans les aéroports et dans les avions. Cette « posture permanente de sécurité» a été fortement durcie depuis le Il septembre. Et des mesures spécifiques s'y ajoutent selon les menaces identifiées sur certains vols ou sur certaines périodes, selon des mécanismes conçus en France pour la protection de l'ensemble des activités à risques. a) la posture permanente de sécurité Elle consiste à élever le niveau de base de la sécurité:

- les règlements

et plans de sûreté des aéroports ont été revus; des sécurités sont installées dans les avions (portes d'accès au poste de pilotage. ..) ; - les sources: les Etats (Etats-Unis, France, notamment par la DGAC, ADP), organisations internationales telles que l' OACI, l'DE, les compagnies, les pilotes... ; - les mesures d'organisation ont permis de rendre plus cohérentes, plus homogènes et plus efficaces ces mesures: créations de directions de sûreté, augmentation et coordination des moyens des services (sous-préfet coordinateur à Roissy et Orly) ; - recherche d'une politique de qualité Etat-opérateurs appuyée sur des indicateurs de résultat.

b) l'évaluation de la menace repose sur un travail plus intense et mieux coordonné des services:

-

renseignements,

synthèse,

d'alerte et d'information; - les divers niveaux:

0

analyses:

les réseaux

le Comité interministériel du

renseignement est en charge des évaluations les plus élaborées qui fondent les décisions de niveau gouvernemental; o

l'unité de coordination de la

lutte anti-terroriste UCLA T est chargée de la synthèse et de l'évaluation opérationnelle; o

le groupe interministérieldes

vols sensibles GIS, sur les grands hubs, analyse les risques liés à certaines destinations en fonction des circonstances; ces analyses ont conduit à une catégorisation des

-

vols selon la menace: les vols sensibles justifient des mesures durables de précaution, les vols « signalés» par des informations sur la menace, des mesures spécifiques.

52

c) les niveaux d'alerte de Vigipirate Le plan Vigipirate a été complètement refondu en 2003, pour devenir un dispositif intégré de mise en vigilance, de prévention des risques terroristes et de protection des activités de la nation susceptibles d'être ciblées par des attaques terroristes. Il repose sur un socle: la posture permanente de sécurité; sur une évaluation actualisée de la menace faite autour du SODN ; sur le choix effectué par le gouvernement entre quatre niveaux d'alerte; sur des listes de mesures adaptées à chaque domaine de risques. - le choix du niveau d'alerte est un message global pour le pays: j aune, orange, rouge, écarlate définissent les états de vigilance que le gouvernement recommande au pays; - les mesures sont attachées aux divers niveaux: selon la menace, on peut ainsi graduer les actions de vigilance, de prévention et de protection en couvrant les risques identifiés; - l'efficacité du plan repose sur la qualité de l'anticipation, de l'adaptation des mesures, de la réactivité entre information, décision et de l'application déconcentrée et décentralisée sur le terrain. d) le plan d'intervention Piratair-intrusair C'est le plan dit « d'intervention» en cas de menace imminente ou d'événement terroriste ou de piraterie affectant un vecteur aérien. Il comporte des mesures dites de pré-alerte, puis d'alerte, selon le niveau d'anticipation possible de l'événement. Les principes de gestion de crise sont classiques: description des rôles des acteurs dans la remontée de l'information, l'analyse de la situation, la prise de décisions et leur application par les services concernés. Le plan distingue les crises à cinétique rapide (action en vol) et à cinétique plus lente (action au sol). Les déclinaisons par les aéroports: les plans Piratair d'aéroport permettent l'organisation locale de la gestion de crise.

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II. Quelques aspects particuliers

a) la sûretéaux aéroports

- la définition des zones réservées et le contrôle des accès - le filtrage des passagers - le contrôle des bagages - les particularités du risque « MANP ADS », missiles sol-air. b) la sûreté des vols - le « criblage» des passagers et des navigants: la « no fly list»

- l'accès

au poste de pilotage

- le contrôle des circulations à bord - le signalement des incidents en vol - la présence de gardes armés. c) la défense aérienne - la surveillance du ciel et de l'espace à Taverny - la coordination des réseaux civils et militaires - les zones d'interdiction de vol, temporaires ou permanentes, les mesures d'urgence - assistance aux aéronefs et levée de doute sur les vols suspects

-

la dissuasion

et le déroutement

sur des aéroports

de

dégagement

d) les exercices

- la nouvelle

doctrine d'exercice et la notion d'exercice maj eur

- l'entraînement

et la coordination des équipes militaires et

civiles.

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Les accidents de sûreté et le rôle de la prévention dans le transport aérien par Nicolas LOUKAKOS* Ex-Commandant de bord Juriste spécialisé en droit aérien

Lorsqu'en février 1913, le Tribunal civil de Compiègne statuait dans l'affaire Clément-Bayard contre Coquerel, le débat principal pour les juristes de l'époque, consistait à déterminer la nature juridique de l'air et les limites qu'il convenait de fixer à la jouissance de la propriété privée. Le débat juridique, concentré essentiellement sur le terrain de la propriété, et plus spécifiquement sur l'interprétation des articles 552 et 544 du Code civil, fut tellement passionné, qu'il fit passer au second rang un aspect fondamental de cette affaire, c'est-à-dire, l'entrave à la circulation aérienne. Les faits sont connus de tous les juristes: Coquerel, propriétaire d'un petit terrain situé en face d'un hangar pour dirigeables construit par Clément-Bayard, vivait en relative mésentente avec son voisin aviateur. Pour délimiter sa propriété, rendre difficiles les manœuvres des dirigeables au décollage et à l'atterrissage et, par la même occasion, augmenter l'intérêt de son voisin à acquérir son terrain, Coquerel planta en face de la porte du hangar, deux carcasses en bois, d'une hauteur de 10 à Il mètres, surmontées de quatre piquets en fer de 2 à 3 mètres de hauteur. Durant l'année 1912, lors d'une manœuvre près du sol, l'un des dirigeables de Clément-Bayard heurta ces obstacles ce qui provoqua des déchirures sur son enveloppe en tissu. Estimant qu'il y avait abus de droit et une intention visiblement malveillante, Clément-Bayard décida d'agir en justice contre Coquere!. Le 19 février 1913, le Tribunal civil de Compiègne,

- condamna

par son jugement célèbre

- confirmé

par la Cour d'appel

Coquerel et adopta de ce fait, l'interprétation relativiste de l'article 552 du Code civil1. Ce fut, à notre connaissance, le premier cas d'intervention illicite dirigé contre l'aviation civile en France et probablement dans le monde. Plus près de nous, vers les années cinquante, un autre cas d'intervention illicite, resté fort heureusement en l'état de projet, fut la célèbre affaire du Capucin Gourmand. Excédé de voir sa clientèle fuir son

. Communication 1

Cf. L. Josserand,

écrite rédigée à l'occasion du colloque. Dalloz 1913, tome 2, pp 177-183 et GP 1913, pp 591-592.

établissement à cause du bruit des avions, le gérant du Capucin Gounnand (hôtel situé à la frontière franco-suisse près de l'aéroport de Genève), avait écrit à la direction de cet aéroport pour avertir qu'il avait l'intention de placer au-dessus de son hôtel, des ballonnets, gonflés au gaz d'éclairage et retenus au sol par des câbles d'acier. S'agissant bien d'un acte d'intervention illicite (sans implication politique), dirigé contre le transport aérien civil, l'hôtelier fut aussitôt poursuivi et condamné pour « menace écrite de mort» par le Tribunal correctionnel de Nantua, le 12 février 19542. La Cour d'Appel de Lyon, statuant le 9 juillet 1954, infirma, à juste titre, le jugement3. En effet, le délit de menaces de mort par écrit n'était pas réalisé, car la lettre écrite par l'hôtelier ne comportait pas la volonté exprimée d'exécuter un attentat contre les personnes. Comme le souligna la Cour, il y avait « menaces d'entraver la circulation aérienne» ce qui ne constituait pas, dans les années cinquante, une infraction pénale dans le système juridique français4. A l'exception de ces deux affaires quelque peu pittoresques, et de deux ou trois cas d'espèce, les premiers actes d'intervention illicite dirigés contre la sûreté du transport aérien de passagers ont eu lieu en Europe, par des personnes voulant fuir le bloc socialiste pour se réfugier à l'Ouest. Effectuées, le plus souvent, sans violence physique, ces interventions illicites ont malheureusement bénéficié de la discrète bienveillance des gouvernements de l'Ouest, voyant là l'occasion de prouver - à ceux qui en doutaient encore - de quel côté se trouvait la vraie liberté. Cette attitude apparemment neutre a servi - les médias aidant - à brosser un portrait plutôt sympathique et positif du fugitif,

devenu... pirate. De 1954 à 1957, aucune intervention illicite n'a pu être relevée. Il faudra attendre 1958, pour que le phénomène réapparaisse, sur le continent américain cette fois, en relation directe avec les événements de Cubas. Il connaîtra, dès lors, une ampleur grandissante ainsi qu'une mutation. Jusqu'alors, l'aéronef capturé représentait, pour l'auteur de l'infraction, essentiellement un moyen de transport rapide vers d'autres cieux. Avec la période américaine du phénomène, l'aéronef devient peu 2

Voir

1969,

à ce sujet, E. du Pontavice,

« La piraterie

Cf note de E. Georiades, RFDA 1954, p. 433.

4

Voir Delmas-Saint-Hilaire,

1965, 5

aérienne:

Notion

et effets », RGAE,

p. 327.

3

« Réflexions

sur le Droit pénal aérien et de l'espace », RGAE

pp. 87-88.

Voir à ce sujet, G. Guillaume,

Le terrorisme aérien, Paris, A. Pedone, 1977, pp. 5-10.

56

à peu un moyen d'affirmation et d'extorsion. Le 1er novembre 1958, un avion des lignes aériennes cubaines capturé en vol par des partisans de Fidel Castro, s'écrase à l'atterrissage. 17 personnes trouvèrent la mort dans cet accident et l'affaire fit à l'époque la {( Une» de tous les journaux. Compte tenu de l'importance que les médias commencent à consacrer à ce genre d'événement, les passagers, l'équipage et l'aéronef se transforment graduellement en monnaie d'échange et un formidable moyen de pression politique. Le 23 juillet 1968, un Boeing d'El-Al est détourné par un commando de palestiniens. Le copilote est blessé. L'équipage et les passagers sont détenus à Alger plus d'un mois. C'est alors que le Président du Syndicat National des Pilotes de Ligne - le Commandant Jean BELOTTI - décide d'engager une action en vue de boycotter l'Algérie.

Malgré le succès ponctuel de son intervention, l'action internationale n'a malheureusement pas abouti. Les interventions illicites s'intensifièrent, tant par les commandos que par les paranoïaques désirant faire parler d'eux6. C'est ainsi qu'à partir de 1968, le phénomène, devenu « terrorisme aérien », regagne l'Europe, conséquence directe du conflit entre Israël et les Pays Arabes. Aujourd'hui, dit McGUIRE, « il n'y a plus d'incidents impliquant des Cubains désireux de rentrer chez eux, ou des tentatives d'extorsion de fonds. Les détournements sont maintenant des actes politiques prémédités commis par des terroristes prêts à tuer pour s'assurer une audience mondiale grâce aux satellites de télévision. La plupart du temps la responsabilité d'un Etat est engagée })7. Lorsqu'un événement d'actualité propulse sur le devant de la scène un acte d'intervention illicite avec son lot de massacres et d'horreur, comme toutes les affaires de terrorisme, il est - et ce à plusieurs titres très difficile de faire à chaud une analyse objective et précise. Une telle analyse n'est par ailleurs souhaitée par personne sur le moment. La demande d'information - aussi bien au niveau du public que celui de la presse - concerne le direct; l'émotion l'emportant toujours sur la raison, ce qui compte le plus, à ce stade, est la forme et non le fond. Les véritables spécialistes et les analystes en matière de sûreté connaissant parfaitement la complexité des affaires liées au terrorisme international

6 7

1. Belotti, L'Economie du Transport Aérien 1975, p. 614-616. F. McGuire, La sÛreté du transport aérien, INTERA VIA 10/87, p. 1083.

57

et les pièges de l'affirmation facile et péremptoire, sont conscients des dangers de la sunnédiatisation. Au sein des gouvernements concernés, les états-maj ors de crise distribuent rapidement les rôles; les pouvoirs publics devront gérer la crise de façon polychrone et sur deux plans simultanément à savoir, temporisation, inertie et attente d'une part, action déterminée, brève et violente d'autre part. Par un subtil dosage de douceur et de fermeté, il s'agit - quel qu'en soit le passif - de nouer le dialogue avec les preneurs d'otages, leurs éventuels commanditaires et/ou organisations et sympathisants, et parallèlement agir concrètement en étudiant divers scénarios et possibilités d'intervention, parfois même en marge du droit. Lorsqu'en 1954, il a fallu adopter dans le cadre des Nations Unies un projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité ainsi qu'un projet de statut pour une Cour criminelle internationale, les travaux ont été suspendus durant plusieurs années, dans l'attente d'une résolution concernant la définition de l'agression. Le texte n'a finalement été adopté par l'Assemblée Générale que le 14 décembre 1974 soit, vingt ans plus tard8. En matière de terrorisme, il semble bien que l'obstacle fut, durant un certain temps, ce même problème de défmition. Il y eut, on s'en souvient, plusieurs tentatives de défmition, dont celle de la Convention de Genève (du 16 novembre 1937), pour la prévention et la répression du terrorisme. Cette Convention n'est, à ce jour, ratifiée que par un seul Etat, l'Inde. L'obstacle principal à la définition du terrorisme est la différence que les Etats, ayant des systèmes politiques différents, font eux-mêmes entre un terroriste et un combattant de la liberté ou un résistant. Cette divergence fait que, bien souvent, celui qui est regardé comme un terroriste par un Etat peut être considéré comme un combattant de la liberté par un autre, tout en étant, pour un Etat tiers, un criminel de droit commun.Pour les victimes d'une intervention illicite, cela ne fait vraiment aucune différence si l'engin explosif qui désintégra l'avion en vol fût posé à bord de l'aéronef par un résistant, un combattant de la liberté, un terroriste ou bien un criminel de droit commun.

8

Cf. Grebing,

RIDP,

1974,

« La création

d'une Cour pénale internationale,

p. 435 et s.

58

bilan et perspectives

»,

Dans ce contexte, il faut éviter les appréciations subjectives, rester très prudent et définir ce qui peut l'être, avec des termes compréhensibles et admis par tous. Nous espérons que cette démarche permettra de voir ce qui n'est pas toujours apparent à première vue et d'avoir quelques éléments de réponse sur les raisons qui poussent ceux que nous appellerons « les teIToristes»9 à choisir, pour s'exprimer, les transports, et plus spécifiquement le transport aérien international, et aussi sur les avantages qu'ils y trouvent.

I. Défmitions et difficulté de définir Le Manuel de sûreté pour la protection de l'aviation civile contre les actes d'intervention illicite de l'DACI dénombre certains actes sans toutefois les définir: « Capture illicite d'aéronef acte de sabotage ou attaque armée, dirigée contre les aéronefs utilisés dans le transport aérien, leurs passagers et leurs équipages, le personnel au sol, les aérodromes civils et autres installations aéroportuaires utilisées pour le transport aérien». L'article Il de la Convention de Tokyo du 14 septembre 1963 définit plus précisément les infractions: « Lorsque, illicite ment, et par violence, ou menace de violence, une personne à bord a gêné l'exploitation d'un aéronef en vol, s'en est emparé ou en a exercé le contrôle, ou lorsqu'elle est sur le point d'accomplir un tel acte (..) ». Il est à noter qu'il est possible d'exercer le contrôle d'un aéronef à l'aide d'une arme et sans manipuler directement les commandes de vol. La capture illicite Elle est définie par l'article 1er de la Convention de La Haye: « Commet une infraction pénale (ci-après dénommée « infraction ») toute personne qui, à bord d'un aéronef en VOIIO:

9

Cf. Rapport du Sénateur Paul Masson n° 322 du 21 mai 1984 annexé au P.V. de la

séance du 17 mai 1984 « ceux qui auront commis un attentat ou un acte de terrorisme ayant pour but ou pour effet, de porter le massacre ou la dévastation... ». 10 Pour l'ensemble des définitions, voir LEX AERO Guide de droit aérien, Librairie de l'Université d'Aix-en Provence Editeur, 1999.

-

59

a) illicitement et par violence ou menace de violence s'empare de cet aéronef ou en exerce le contrôle ou tente de commettre l'un de ces actes, ou b) est le complice d'une personne qui commet ou tente de commettre l'un de ces actes ».

Le détournement Le fait de détourner un aéronef de son itinéraire pour des raisons de sécurité et avec l'accord du contrôle de la circulation aérienne est un déroutement. Le détournement peut s'opérer par radio du sol ou d'un autre aéronef en vol avec ou sans menace de violence Il. La piraterie Ce terme est très souvent utilisé par les médias, mais à la lumière de la défmition donnée par la Convention de Genève sur la Haute Mer du 29 avril 1958 il semble totalement inapplicable: « 1) Tout acte illégitime de violence, de détention, ou toute déprédation commis pour des buts personnels par l'équipage ou les passagers d'un navire privé ou d'un aéronef privé, et dirigés: a) En haute mer, contre un autre navire ou aéronef, ou des personnes

ou des biens à leur bord

,.

b) Contre un navire ou aéronef des personnes ou des biens dans un lieu ne relevant de lajuridiction d'aucun Etat ,. 2) Tous actes de participation volontaire à l'utilisation d'un navire ou d'un aéronef, lorsque celui qui les commet a connaissance de faits conférant à ce navire ou à cet aéronef le caractère d'un navire ou d'un aéronef pirate ,. 3) Toute action ayant pour but d'inciter à commettre des actes définis aux alinéas 1 ou 2 du présent article, ou entreprise avec l'intention de les faciliter ».

Il s'agit, pour résumer, du vol ou de la déprédation des choses et des personnes, par violence ou menace de violence, pratiqué par un navire ou un aéronef privé en haute mer, contre un autre navire ou aéronef privé.

11

Voir l'affaire du F-OABV, AFDI, 1958, p. 691.

60

Le passager En matière de transport aérien, l'exécution du contrat de transport, pour ce qui est des dommages corporels subis par le voyageur, ne commence qu'à partir du moment où sont entreprises les opérations d'embarquement et cesse avec les opérations de débarquement dès que le passager n'est plus convoyé par un préposé du transporteur et se trouve en un lieu utilisé en commun par plusieurs transporteurs différents

12.

Le candidat au voyage sera considéré comme passager (application de la Convention de Varsovie) lorsque:

- il aura accompli la majorité des opérations d'embarquement; - il sera pris en charge par le transporteur et se trouvera dans d'embarquement soumise à la garde du transporteur, l'aérogare par un portillon;

- il se trouvera

la salle séparée du hall de

à bord de l'aéronef;

-

pour les opérations de débarquement, il sera convoyé par un préposé du transporteur et ce, jusqu'à son arrivée dans le hall, commun aux voyageurs de plusieurs compagnies différentes 13.

La sûreté L'Annexe 17 à la Convention relative à l'aviation civile internationale la définit comme étant une « Combinaison des mesures ainsi que des moyens humains et matériels visant à protéger l'aviation civile internationale contre les actes d'intervention illicite ». Le transport aérien L'article L. 310-1 du code de l'aviation civile le définit: « Le transport aérien consiste à acheminer par aéronef d'un point d'origine à un point de destination des passagers, des marchandises ou de la poste» L'article R. 421-1 (2°) du même code précise: « Le transport aérien se définit: Toute opération aérienne effectuée en vue ou pendant

12 Voir l-P. Tosi, Responsabilité aérienne, Paris, Litec, 1978, pp. 66-77. 13 Arrêt de la 1reChambre de la Cour de Cassation du 18 janvier 1966 dans l'affaire Maché c. Air France, « l'obligation de sécurité du transporteur aérien subsistait lorsque le passager subissait son dommage en un lieu qui se trouvait exposé aux risques inhérents à la navigation et à l'exploitation aériennes », RGA 1966, 32 et RFDA 1966, 226.

61

l'accomplissement du transport, contre rémunération de passagers, de poste ou de marchandises ».

ou contre salaire,

Si on s'en tient stricto sensu à ces définitions officielles du transport aérien, il nous est difficile de comprendre pour quelles raisons il constitue une cible privilégiée pour les actes d'intervention illicite.

Il est possible d'affirmer que le transport aérien est un symbole. Il est l'affirmation de la souveraineté de son Etat d'immatriculation. En effet, lorsqu'un transporteur aérien est victime d'un acte d'intervention illicite, dans la majorité des cas, la cible réelle est son Etat d'immatriculation. Typologie et modalités Les actes d'intervention illicite peuvent être analysés de trois façons. Il s'agit en premier lieu de séparer les individus agissant pour leur compte personnel de ceux agissant pour le compte d'un tiers (commanditaire). L'autre méthode consiste à différencier les auteurs isolés de ceux faisant partie d'une organisation politique (au sens large) structurée. La dernière manière est celle qui consiste à examiner les actes commis en fonction de la motivation des auteurs et par rapport à leur gravité. Ce qui caractérise l'ensemble des actes d'intervention illicite dirigés contre la sûreté du transport aérien de passagers, est cette relation triangulaire : auteur, victime, cible, commune à la criminalité avec prise d'otages et tous les actes de terrorisme 14. Il est en effet rarissime, en matière d'aviation civile, que la victime, soit elle-même la cible visée par l'action. Un auteur souligne que « les auteurs isolés appartiennent généralement à cette catégorie psycho-pathologique décrite par deux psychiatres un peu oubliés aujourd'hui, Dide et Guirault, sous le nom d'idéalistes passionnés. Il s'agit de sujets à forte composante paranoïaque, c'est-àdire orgueilleux, psychorigides, interprétants, inadaptés »15. Pour ce qui est des groupes, il a été possible d'observer que toutes les combinaisons et alliances imaginables étaient possibles, y compris la sous-traitance. Cet état de fait - observé plus spécifiquement dans le 14

Voir à ce sujet, A. Galia-Beauchesne, 1. Lafon, Les aspects psychologiques l'lCP, Néret, 1975. 15

Les prises d'otages, Thèse, Paris II, 1978. de la criminalité avec prise d'otages, Travaux de

62

contexte Moyen-Oriental - a rendu durant plusieurs années toute analyse logique extrêmement difficile (n'est-il pas vrai que l'ennemi de mon ennemi est mon ami ?). En ce qui concerne les victimes, elles peuvent être des personnes physiques, des aéronefs ou bien des aéroports et installations à usage aéronautique. Les cibles, quant à elles, sont toujours des personnes morales de droit public, quelquefois - mais assez rarement - de droit privé. Que les auteurs de l'infraction agissent seuls ou en groupe organisé, il existe deux grandes catégories d'actions: celles qui visent une personne morale (a) et celles, plus rares, visant une personne physique (b). a) Les actions visant une personne morale peuvent être de six types: 1) Actions décidées par des Etats, exécutées directement par eux ou par des groupuscules terroristes à leur service et destinées à faire pression sur un autre Etat; 2) Actions prenant pour cadre un Etat, afin de régler des comptes qui lui sont parfaitement étrangers; 3) Actions qui visent à faire perdre la crédibilité morale, politique ou économique d'un Etat ou destinées à le déstabiliser; 4) Actions qui ont pour but de tester la capacité à réagir d'un Etat; 5) Actions visant une personne morale de droit privé et exécutées par des criminels de droit commun (chantage, extorsion... ) ; 6) Actions personnelles d'individus irresponsables mentaux (vengeance, solidarité envers une cause. ..).

ou malades

b) Les actions visant une personne physique peuvent être de quatre ~: 1) Actions dirigées contre des personnes physiques occupant une fonction précise ou exerçant un métier précis, sans qu'une institution ou un Etat soit visé Goumaliste, enseignant, artiste, écrivain... ) ; 2) Actions ayant pour cible une institution ou un Etat et visant des personnes physiques du fait de leur ethnie, religion, opinions politiques ou nationalité et/ou fonctions (employé d'ambassade, militant...) ; 3) Actions exécutées par des criminels de droit commun;

63

4) Actions individuelles d'individus irresponsables ou malades mentaux. Hormis un ou deux cas d'espèce sans valeur statistique, depuis l'effondrement du bloc socialiste, il est possible d'affirmer que les mesures actuelles de sûreté sont suffisantes pour décourager les amateurs qu'ils soient demandeurs d'asile, idéalistes passionnés ou maîtres chanteurs. Actuellement, la motivation des auteurs suit, ou parfois précède, avec un léger décalage, la courbe des crises politiques mondiales. La gravité des actes suit, quant à elle, une courbe croissante. Les auteurs d'actes récents d'intervention illicite ont cherché davantage à se faire une réputation, à faire connaître leur organisation et détermination, par de nombreuses exécutions sommaires, qu'à obtenir - comme dans cette nouvelle forme de prise d'otages que constitue la capture illicite - une contrepartie réelle. Trois catégories de motifs peuvent se présenter:

- La

volonté de fuir un pays et son régime;

- La volonté - Le

de combattre un pays et son régime;

paiement d'une rançon ou l'extorsion;

La capture illicite se caractérise touj ours, comme toute criminalité avec prise d'otages, par cette relation triangulaire entre le délinquant, la victime et la ou les cibles réelles du chantage. X s'empare de Y afin d'obtenir de Z une prestation sous forme de fait ou d'abstention. Dans tous les cas, la victime est innocente et étrangère au différend qui oppose l'auteur à l'institution cible. Qualifiée de piraterie parfois même et à tort de détournement d'avion, la capture illicite d'aéronef est une infraction pénale complexe qui peut être décomposée en :

- Une intervention

illicite avant ou pendant le vol;

- Le détournement

de l'aéronef de sa destination initiale;

- Une appropriation frauduleuse d'un bien - Une prise d'otages avec extorsion; - Violences et menaces; - Un ou plusieurs homicides volontaires;

64

d'autrui;

- Une

ou plusieurs atteintes à l'intégrité de la personne;

- Une

mise en danger de la sécurité des personnes et des biens.

Si l'on s'attache à la finalité de l'action, elle est souvent constituée d'un amalgame de pression, de chantage et de concessions pouvant êtres politiques et/ou économiques. Dans la réalité, la capture illicite d'aéronef n'est rien d'autre qu'une nouvelle forme de prise d'otages avec extorsion. Le mot « otage» provient de l'ancien français (h)ostage, c'est-à-dire logement car dans l'ancien temps, les otages logeaient généralement chez celui à qui ils étaient livrés. Le recours aux otages est une technique très ancienne, réutilisée après un temps d'abandon.L' otage est un tiers, généralement étranger au différend, que l'on tient en son pouvoir par la force comme moyen de pression et comme bouclier et destiné après un temps donné à être échangé contre des personnes, des biens, des avantages ou des concessions. Les otages ainsi que l'aéronef sont normalement pour les criminels une garantie et une monnaie d'échange. Le criminologue MOSER nous éclaire sur le choix opéré par les criminels de s'exprimer en attaquant l'aviation civilel6. « La réaction agressive est spontanément dirigée vers l'agent frustre ur lui-même17.Si, pour l'agresseur, il est impossible d'attaquer l'agent frustreur directement, en raison par exemple d'une importante menace de punition, l'agression est sujette à déplacement. Dans le cas d'un déplacement, le choix de la victime serait déterminé par troisfacteurs: - l'intensité de la disposition à agresser, - l'intensité de l'inhibition de l'agression,

- la similitude

de chaque victime potentielle

avec l'agent frustre ur ».

La logique des preneurs d'otages veut que si un passager utilise telle compagnie pour se déplacer plutôt qu'une autre, soit il s'identifie au mode de vie, soit il est en accord avec la politique menée par l'Etat d'immatriculation. De ce fait, il cesse d'être une victime innocente (existe-t-il des victimes coupables ?). Il a été démontré que le terrorisme constitue une criminalité spécifique se manifestant davantage par le but et les effets, que par la nature des 16

G. Maser, L'agression, PUF, 1987. 17 Un Etat ou une institution en règle générale.

65

actes commis. Il s'agirait, pour résumer, d'une forme de criminalité spectaculaire et triangulaire. McGUIRE affirme que le terrorisme a toujours eu un aspect théâtral; il vise grâce aux moyens de diffusion mondiale de l'information, à créer un choc dans le public pour contraindre les gouvernements à changer leur politique18.

II. Information ou publicité? La presse écrite et audiovisuelle est en partie responsable de la perception qu'a le public des problèmes de sécurité et de sûreté dans le transport aérien. Certains m é di as, par leur manière de traiter l'information, contribuent par une amplification systématique à dramatiser de tels actes. Il s'ensuit que dix morts dans un accident d'avion ont davantage d'impact que mille, dans des véhicules de tourisme sur la route.!l est malheureux de constater que dix victimes du terrorisme en occident, provoquent bien plus d'effet, que cent mille dans un génocide ethnique en Afrique. Si nous suivons ce raisonnement, quel poids auraient 200 passagers, morts presque en direct à la suite d'une intervention illicite, dans l'aéronef d'une grande compagnie occidentale? Ceux qui utilisent ou pratiquent le terrorisme le savent. « Entrant pour la première fois dans le poste de pilotage d'un avion moderne, et extrapolant à partir de là sur la machine occidentale tout entière, les terroristes ont vu que plus un système était complexe et plus il était vulnérable... »19. Ils ont vite découvert, à l'occasion des premières interventions illicites, le talon d'Achille des démocraties occidentales à savoir: l'importance attachée à la vie humaine, une certaine presse avide de spectacles et d'informations macabres, ainsi que le poids de l'opinion publique sur les institutions politiques presque toujours en campagne électorale. Avec le temps, entre le terrorisme et cette presse dite à sensation, s'est établie une relation, interactive et assez trouble. WIEVORKA et WOL TON le soulignent très bien, dans leur ouvrage consacré aux relations ambiguës qu'entretient le terrorisme avec la presse: « Le choix du moment d'une opération est parfois retenu en fonction des rythmes

18

F. Mc Guire, op. cité. p. 1083. 19 X. Raufer, Terrorisme et violence, Moyen-Orient, Fayard,1987.

Carrère,

66

1984 et La nébuleuse:

Le terrorisme

du

propres à la presse... »20.Ceci est exact du point de vue statistique. Il est aujourd'hui prouvé que les interventions illicites ne sont plus commises au hasard ou de façon impulsive. Il s'agit de plus en plus d'actes prémédités, organisés et calculés minutieusement, dans leurs moindres détails. Chaque intervention illicite fait l'objet d'une étude préalable, assimilable en tout point à une étude de rentabilité, voire une étude de marché. Pour essayer de comprendre - au risque même de choquer - il faut procéder à une analyse, sous la forme d'une approche marketing in concreto, le marché, rencontre de l'offre et de la demande, les producteurs, les consommateurs et finalement le produit qu'est l'intervention illicite. En science criminelle, il existe une théorie économique du crime21. Selon cette théorie, la transgression de la loi résulterait d'un choix par lequel, le délinquant cherche à maximiser son espérance de profit et à minimiser le risque de punition. Dans la théorie du marketing, l'existence d'un produit qu'il faut lancer dans un marché existant et aux meilleures conditions possibles, nécessite le respect d'une procédure par étapes, permettant une diminution des risques et une optimisation des bénéfices. Après l'adoption d'une stratégie globale de marketing, deux tactiques parfois complémentaires sont à considérer. L'une, empirique, consistant en une action test; dans notre modèle il s'agirait d'une intervention illicite conduite de façon à évaluer la détermination et la capacité de riposte de la cible ou des cibles avec précision. L'autre, plus classique, passe par une étude de rentabilité qui permet - par une analyse économique et une estimation des coûts et des bénéfices, à l'aide de quelques ratios significatifs - de quantifier le degré de maximisation ou de productivité du projet d'intervention illicite, en fonction de l'effet produit ou du gain réalisé, par rapport aux moyens mis en oeuvre et/ou investissements engagés:

- Bénéfice

net / Capitaux Propres.

- Biens résultants / Biens mis en œuvre.

Compte tenu du mauvais rapport qualité/prix d'une guerre conventionnelle et du ratio, souvent négatif, d'une action diplomatique 20 Voir à ce propos, Wievorka et Wolton, Terrorisme 21 Georges Becker.

67

à la Une, Gallimard,

1987.

classique, pour certains groupes d'opposition voire des Etats souverains, le recours au terrorisme constitue une opération qui, bien menée, ne peut qu'être rentable. En 1983, il a suffi de deux attentats, dont nous connaissons aujourd'hui les commanditaires, pour faire partir du Liban la totalité des troupes américaines et françaises. Combien aurait coûté à l'Etat commanditaire une guerre conventionnelle pour obtenir le même résultat? Vis-à-vis de leurs organisations, les exécutants sont, eux-mêmes, soumis aux lois économiques générales concernant les amortissements. En effet, l'investissement que représente un terroriste confirmé, en fonction du coût et de la durée de sa formation, est amortissable, sauf accident sur plusieurs actions.Les organisations terroristes et leurs commanditaires ont été, depuis quelques années, encore plus loin dans cette voie en consacrant des budgets importants à la formation, la stratégie, ainsi qu'à la tactique psychologique. Etude de marché Choix du couple cible / victime Avant toute chose, la préparation d'une action nécessite le choix d'une cible, lorsque celle-ci n'est pas imposée par les options politiques ou religieuses du mouvement ou la volonté du commanditaire. Ensuite, il faudra choisir une compagnie aérienne représentative ou un aéroport international, devant servir de théâtre à l'action. Il est à noter que, statistiquement, dans le cadre d'actions et d'interventions illicites dirigées contre la sûreté du transport aérien, les segments ciblés sont généralement: a) Les transporteurs aériens et en particulier:

- Les

compagnies aériennes nationales propriété d'un Etat,

-

aériennes

- Les vols passagers

(le fret ne parle pas et ne fait jamais parler de

Les compagnies international important,

représentatives

ayant

un réseau

lui),

-Les vols réguliers plutôt que les vols charter. b) Les aéroports. - Seules les plates-formes internationales (perturbation du trafic plus importante).

68

sont jugées intéressantes

Après le choix de la cible et de la victime, il faudra effectuer une étude économique prévisionnelle. Fonction directement du couple cible / victime, l'étude économique prévisionnelle doit tenir compte des résultats de l'étude de rentabilité ainsi que des moyens disponibles. Compte tenu des éléments nouveaux, les deux ratios les plus significatifs seront adaptés à la (aux) ciblees). a) Effets espérés / Risques encourus b) Résultat / Moyens mis en œuvre c) Etablissement

du compte d'exploitation

prévisionnel

d) Etude de faisabilité et élaboration du produit. L'étude faisabilité permet - par des simulations et des tests de marché d'élaborer le produit final avant son lancement sur le marché. Cette étude, complétée parfois par une première action test, devra être composée entre autres choses: a) D'une étude technique permettant de déterminer:

-Le choix d'un type d'aéronef précis ; - Le choix d'un aéroport d'embarquement en fonction des mesures de sûreté, des complicités locales ainsi que des possibilités logistiques. Dans le cas d'un acte illicite de violence dans un aéroport, une étude minutieuse des plans de cet aéroport devra être entreprise. b ) D'une étude psychologique de l'impact permettant de :

- Déterminer le jour et l'heure de l'action, en fonction du calendrier ou de l'actualité, (si, par exemple, l'actualité est chargée d'événements plus importants, l'intervention illicite risquerait de passer au deuxième rang) ; - Evaluer l'impact direct et indirect de l'action en fonction de la mise en scène choisie (au début de l'intervention illicite, plus l'action est violente et atroce, plus elle a des chances de passer rapidement à la télévision et l'impact au niveau des esprits ne sera que plus important) ; - Etablir un plan média ainsi qu'une stratégie de communication (viser le prime-time, choix des médias en fonction de leur indice 69

d'audience, choix d'une dénomination, rédaction du message de revendication et éventuellement des communiqués de presse). c ) D'une étude juridique complète afm de choisir:

- Un ou plusieurs Etats pour des escales;

- Un Etat de destination finale n'ayant pas ratifié les Conventions pénales de l'D.A.C.I. ou ne les appliquant pas. A cette occasion, les traités d'extradition de l'Etat de destination, de l'Etat cible ainsi que de l'Etat de la victime (Etat d'immatriculation de l'avion) seront étudiés avec une attention toute particulière. S'il s'agit d'actes illicites de violence perpétrés dans un aéroport, seront choisis en priorité, les Etats ayant aboli la peine de mort, les Etats peu répressifs et ceux n'ayant pas une politique d'extradition systématique. Dans le cas d'une intervention illicite effectuée par un commando sacrifié (ou se sacrifiant par fanatisme) après l'action, toute étude qu'elle soit juridique ou économique devient superflue. Impact et résultats Ainsi qu'il a été démontré, dans leur grande majorité, les actes d'intervention illicite supposent une relation triangulaire occulte et complexe entre l'auteur, la victime et la cible. Dans cette relation, l'impact des actions constitue une dimension supplémentaire et subliminale. Ainsi, la relation de triangulaire devient pyramidale par l'adjonction d'un quatrième intervenant: LA PRESSE. Les actes d'intervention illicite n'ont d'impact, que si les médias acceptent de transformer une infraction pénale en événement. RAUFER remarque, à juste titre, que « le terrorisme est un moyen d'accès inégalé aux médias (..) et profite enfin, indirectement, de l'intense brouillage propagandiste et médiatique qui le dramatise et rend l'analyse froide plus difficile ». L'événement - un scoop, pour employer le terme consacré - provoque fatalement un grossissement et une survalorisation des informations liées aux victimes de l'infraction, garantissant aux preneurs d'otages une publicité importante et gratuite, sans la moindre investigation dangereuse. McGUIRE souligne, pertinemment, que « l'explosion en vol de l'appareil d'Air India a moins marqué l'opinion que l'assaut malheureux du Boeing 737 d'Egyptair à Malte, car ce dernier eut lieu sous le regard de la télévision ».

70

Exploitant au maximum le coté sensationnel afin d'augmenter leur audience, les médias agissent souvent en simples publicitaires du terrorisme et ne peuvent, de ce fait, assurer leur mission principale qu'est l'information. Peu à peu, ils sont pris au piège et deviennent, en même temps que ceux qu'ils sont supposés informer, les véritables otages de l'intervention illicite. Il convient de souligner que le terrorisme, dans ses rapports avec les médias, n'aime que la publicité puisque celle-ci amplifie l'impact de ses actes. En revanche, il redoute, plus que tout, l'information et l'analyse objective de l'événement a posteriori. Il est possible d'affirmer que le seul et véritable ennemi du terrorisme est le temps et comme le souligne bien un adage ancien: « le temps ne respecte jamais ce qui a été construit sans lui ». Pour appuyer cette affirmation, essayons de nous remémorer l'occurrence et le dénouement à Alger de la capture illicite, le 5 avril 1988, du Boeing 747 de Koweït Airways, vol KU 422, effectuant la liaison Bangkog-Koweït. Attribuée initialement à l'Iran, cette intervention illicite ne peut - avec le recul du temps

-

être dissociée

de la Guerre du Golfe. En effet, la

politique pétrolière du Koweït à l'époque, liée à son endettement, avait entraîné la chute des cours du brut. Cette intervention illicite était un avertissement qui - n'ayant pas été considéré alors comme tel provoqua l'invasion du Koweït quelque temps après par l'Irak et entraîna la guerre du Golfe. Cette situation globale force à reconsidérer dans son ensemble l'analyse faite hâtivement et « à chaud », sous le feu des projecteurs, par les soi-disant spécialistes habitués des buvettes d'Aéroclub.. .

III. Prévention passive et active En règle générale, la prévention consiste en un ensemble de mesures de sûreté ante delictum appliquées à l'aérodrome, au passager ainsi qu'à l'avion. L'Annexe 17 à la Convention de Chicago est un rappel des normes et pratiques recommandées contre les actes d'intervention illicite. Il s'agit de l'Annexe « Sûreté ».

71

Adoptée par le Conseil de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (O.A.C.I.) le 22 mars 1974, elle est devenue applicable le 27 février 1975. L'Annexe 17 comporte un certain nombre de recommandations dont certaines concernent l'organisation générale de la sûreté, d'autres sont destinées plus spécifiquement aux aérodromes ainsi qu'aux exploitants d'aéronefs. A la version initiale, plusieurs amendements furent ajoutés au fil des années et surtout des événements - pour donner un texte extrêmement complet et précis. L'efficacité des mesures dépend essentiellement de la qualité et de la quantité des moyens humains et matériels affectés à la prévention. Ces mesures - pouvant être aussi bien actives que passives - se traduisent par du personnel qualifié, des structures, des règlements, des programmes, des procédures et des équipements technologiquement avancés. L'O.A.C.I. a également élaboré un « Manuel de sûreté» afin d'aider les Etats membres à mettre en application les mesures de sûreté recommandées et mis en place le programme AVSEC, comportant, entre autres, les plans détaillés de sûreté pour chaque pays et chaque aéroport. Lorsque, malgré toutes les mesures prises, survient un acte d'intervention illicite, il ne faut pas déduire hâtivement que la sûreté s'est dégradée. Les anglo-saxons appellent cela, à juste titre, «un accident de sûreté ». Mes collègues experts en matière d'enquêtes-accidents ne me contrediront pas. En matière de sûreté - comme de sécurité d'ailleurs rien n'est jamais acquis et il existe à ce sujet certaines similitudes dans l'occurrence des interventions illicites et des accidents d'aéronef Les mesures et les moyens doivent pouvoir s'adapter très rapidement aux risques et aux menaces qui, tels de nouveaux virus, sont imprévisibles dans leur évolution aussi bien dans l'espace que dans le temps. Prenons à titre d'exemple l'Airbus A-320. Les bureaux d'études, comme les Administrations de l'aviation civile, craignaient énormément les effets que la foudre pourrait avoir sur les commandes électriques de l'avion. On imposa, à ce sujet, de nombreux essais au sol, comme en vol. A ce jour, on ne déplore aucun accident d'Airbus A-320 ayant comme origine la foudre. Les problèmes que rencontra l'avion

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ultérieurement furent, et de façon imprévisible, de nature bien différente, dont en particulier l'interface homme/machine et un certain nombre de bugs informatiques. Pour ce qui est de la sûreté, il nous faut admettre, qu'après la période artisanale des détournements de l'après-guerre - commis essentiellement pour fuir les régimes communistes - et la période cubaine de la fin des années 50, les actes d'intervention illicite ont subi, et ce depuis les années 70, une certaine mutation. Ils sont depuis vingt ans numériquement moins nombreux, mais de plus en plus meurtriers22. Leur occurrence obéit, dans la grande majorité des cas, à certaines constantes comme par exemple:

- L'existence - La réaction

d'un foyer de tension politique ou religieux ; à des événements politiques déterminés;

- Les prises de position politiques de la part d'un Etat (Etat d'immatriculation, de provenance ou de destination) ;

- L'existence d'un Etat commanditaire ou d'un groupe de pression ayant un but précis (libération de prisonniers, reconnaissance, pressions...) ; - Le rythme propre de l'actualité et de la presse (fêtes, vacances, disponibilité de la « Une », période préélectorale...). Pour une compagnie aérienne majeure, le risque en matière de sûreté se gère comme n'importe quel autre risque conjoncturel (conflit social, change...). Pour appréhender ce risque - outre les spécialistes qu'il faut recruter - il convient d'utiliser les mêmes données et calculs que ceux qui commettent ou tentent de commettre les actes d'intervention

illicite.

Par une étude - inversement comparable à l'étude marketing et avec l'assistance

de spécialistes

de l'analyse et de la gestion des risques

- il

sera possible de déterminer quotidiennement la tendance internationale ou régionale, ainsi que la disponibilité des médias pour couvrir ce type d'événement. Avec quelque souplesse et en intégrant certaines constantes statistiques disponibles, les transporteurs sont, s'ils le souhaitent, en mesure de calculer la probabilité et la région possible

22

En moins de douze mois, des explosions à bord de trois aéronefs ont fait 557 victimes:

- 21.12.88, PANAM, explosifs dans un bagage en correspondance, 279 victimes; - 19.09.89, UTA, explosifs dans un bagage enregistré, 171 victimes; - 27.11.89, A VIANCA, explosifs sous un siège passager, 107 victimes.

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d'occurrence d'un acte d'intervention appropriés, il sera possible d'éviter.

illicite, qu'avec des moyens

La compagnie Air France, touchée à plusieurs reprises par ce fléau, s'est attachée les services de véritables spécialistes de la lutte contre le terrorisme, s'est équipée et n'hésite pas à annuler des vols voire à exclure de son réseau des pays présentant des risques pour la sûreté. En plus des mesures, l'analyse opérationnelle et quotidienne du risque en matière de sûreté s'effectue dans les mêmes conditions qu'une analyse économique classique destinée à la prise de décision. Les interventions illicites dans le contexte actuel de « ciel ouvert» n'ont pas seulement un aspect politique. Pour le transporteur aérien victime, il existe aussi un aspect économique non négligeable et à terme facilement quantifiable en surveillant les réservations, les annulations, les ventes de billets et les coefficients de remplissage des avions. Comme en matière d'accident, les dirigeants, assureurs et experts sont unanimes: prévenir, coûte à long terme, moins cher qu'indemniser. Pour cette raison, et quel qu'en soit le prix des moyens humains et de la technologie de pointe, tous les dirigeants du transport aérien doivent avoir une stratégie en matière de sûreté et de sécurité à long terme et investir, de façon durable, dans toutes les formes de prévention. Dans le transport aérien, la tâche la plus difficile n'est pas la mise en place de nouvelles mesures ou procédures. Le travail le plus difficile consiste à modifier les habitudes et surtout à changer d'état d'esprit. Plusieurs actes d'intervention minimisés ou même évités:

illicite et accidents auraient pu être

si, à tous les niveaux de la hiérarchie du transport aérien, il y avait une politique cohérente, si la routine n'avait diminué la vigilance et si le manque de motivation n'avait supplanté la conscience professionnelle. Il sera vital pour l'entreprise de transport aérien du XXIe siècle de former et d'entraîner efficacement son personnel à la sûreté et à la sécurité car, aujourd'hui, l'ensemble des intervenants de cette industrie de pointe, a pris conscience que la sûreté, comme la sécurité, ne sont pas seulement l'affaire de quelques spécialistes, mais bien l'affaire de tous ou oIutôt de chacun.

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Comment concilier la sûreté aérienne et le respect des libertés? par PieITeEDERY Colonel, Année de l'Air

I. Une problématique ancienne Concilier sûreté et liberté représente une problématique de nature philosophique et même juridique qui n'est pas nouvelle. D'ailleurs, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de 1789, accorde aux valeurs de liberté et de sûreté une égale pondération, comme droits naturels et imprescriptibles de l'homme, aux côtés de la propriété et de la résistance à l'oppression. L'application de cette problématique au domaine aérien est, bien entendu, plus récente. Il a fallu attendre l'invention, bien sûr, mais aussi la fiabilisation technique et la démocratisation de l'aviation. Malgré sa relative jeunesse, le sujet est toutefois bien formalisé en droit international et encadré par une succession de textes éprouvés, au premier rang desquels la Convention de Chicago de 1948 relative à l'aviation civile internationale. II. Un équilibre réussi ... Pour ce qui concerne la France, force est de constater que l'équilibre entre les deux aspirations antagonistes à la sûreté et à la liberté des vols est plutôt réussi: plus de 70% de l'espace aérien inférieur, qui s'étend du sol à l'altitude confortable de 6000 mètres, est dépourvu, par beau temps, de toute réglementation. Le ciel de France est ainsi, fort heureusement, un espace de liberté sans conteste supérieur à ce qu'offrent nos voisins européens à leurs aviateurs. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater l'afflux à nos frontières, dès les beaux jours, des pratiquants étrangers de l'aviation de loisir, en particulier les vélivoles. III. ... mais une vision longtemps figée de la menace aérienne Il est à noter toutefois que les facteurs qui ont amené en France à une certaine restriction, même minime, on l'a vu, de la liberté de circulation par la voie des airs, relèvent davantage de la sécurité des vols que de la sûreté aérienne à proprement parler.

Comme chacun sait, la première s'oppose à l'accident, la seconde à la malveillance. Or ce sont principalement des considérations relatives à l'anti-abordage, donc à la sécurité des vols, qui conduisent, par exemple, à canaliser les avions sur des routes prédéfinies et rigides en espace supérieur (au-dessus de 6000 mètres d ' altitude), ou encore à leur

imposer une coordination autour des aérodromes, par le recours au contrôle aérien. Si les considérations de sûreté n'ont que peu contraint l'activité aérienne, c'est que l'on s'est longtemps imaginé que la menace en matière aérienne était essentiellement de nature militaire. L ' OTAN, France comprise, s'est ainsi configurée pour affronter des bombardiers du bloc de Varsovie, en actions individuelles de test de nos défenses ou en attaque massive. Cette analyse a conduit à la mise en place d'un système de sûreté aérienne collective, fondé sur le partage des détections radars au-dessus de l'Europe et la mise en commun des moyens d'intervention, sauf pour la France qui, sur ce dernier point, constitue une exception. Rappelons en effet à ce sujet que la France, sortie en 1966 de l'organisation militaire intégrée de l'alliance pour des raisons ayant trait à la dissuasion, a dû à ce titre développer une organisation propre, pleinement autonome, pour faire respecter sa souveraineté dans son espace aérien. Ainsi, si nous partageons notre détection avec nos alliés pour gagner du préavis, nous intervenons toutefois avec nos moyens propres et sur une chaîne nationale de décision et d'engagement. La menace terroriste, quant à elle, a longtemps été perçue, ici comme ailleurs, comme faible. Pour se limiter à la perception française en la matière, les occurrences effectives d'une atteinte à nos ressortissants étaient en effet douloureuses mais heureusement rares: principalement l'attentat suivi de l'explosion en plein vol du DC 10 d'UT A, faisant 170 morts au Niger en 1989, et la prise d'otages de l'Airbus de Marignane en 1994, réglée sans victimes innocentes grâce à l'intervention du GIGN: Le volet aérien du terrorisme était donc ressenti comme étant peu probable au regard des autres modalités envisageables : attentats contre des édifices architecturaux symboliques, attaques contre les moyens de transport de surface, métro, train ou bateau. Il était de plus attendu sous la forme classique du chantage, que celui-ci soit de nature idéologique, religieuse ou pseudo politique. Face à une menace militaire ayant donné le préavis important d'une traversée des espaces aériens de nos voisins, ou pour contrer une très

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hypothétique prise d'otages, il n'y avait guère lieu de développer un arsenal de mesures de sûreté aérienne qui se révèle par trop contraignant pour l'usager du ciel. IV. La rupture du Il septembre 2004 Les événements tragiques du Il septembre ont constitué une rupture totale dans le mode d'action terroriste. De l'acte isolé, on passait à la manoeuvre coordonnée. De la prise d'otages à l'objectif identifié, on passait au meurtre massif et aveugle, sans finalité précise, en dehors de la déstabilisation par le choc d'une médiatisation maximale. Enfin, pour la première fois, un avion civil était utilisé comme une arme, qui plus est, une arme aux capacités ravageuses: près de 3000 morts à NewYork. On a donc radicalement changé de nature et d'échelle. Pourtant, avec l'effondrement du bloc soviétique, le risque aérien militaire à nos frontières s'était considérablement émoussé et ne pouvait logiquement qu'amener, à terme, à un assouplissement prévisible de notre défense aérienne. Il n'en sera donc rien. Les événements du Il septembre ont conduit à un renversement des priorités de la sûreté aérienne au profit de la lutte anti-terroriste. En raison de leur virulence, ils ont même entraîné un renforcement notable de notre dispositif civil et militaire, non exempt d'impact sur les usagers du ciel. v. Des contrôles renforcés Au premier rang de ces impacts figure le renforcement des contrôles. La sûreté aérienne présente de nombreux volets civils dont sont en charge le ministère de l'Equipement, des Transports du Logement, du Tourisme et de la Mer, par l'intermédiaire de la Direction Générale de 1'Aviation Civile, le ministère de l'Intérieur pour ce qui relève de la police ou des forces de gendarmerie (pour emploi), ou encore l'administration des douanes. On se limitera à citer parmi les actions de sûreté aérienne de nature civile, les divers contrôles des personnes et des bagages qui permettent d'identifier à coup sûr les passagers d'un vol et de s'assurer de la nature de leurs objets personnels. Les forces armées apportent d'ailleurs elles aussi leur concours à cette mission particuli ère. Si ces contrôles existaient évidemment avant le Il septembre, ils ont été renforcés et peuvent être considérés objectivement comme une

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forme de gêne pour les passagers des vols commerciaux, même si l' 0bjectif est de les protéger. Il vaut mieux par exemple ne pas oublier aujourd'hui ses bagages dans un couloir d'aéroport patrouillé par des militaires des équipes Vigipirate, encadrés par un officier de police judiciaire! VI. Des interdictions de survol... Un grand nombre de zones interdites de survol ont fleuri autour de certaines installations industrielles, réserves d'hydrocarbures ou sites nucléaires. Tout contrevenant surpris à les pénétrer se voit aujourd'hui soumis à des poursuites judiciaires et administratives l'exposant au minimum à des sanctions professionnelles ou des amendes. De plus, lors d'événements particuliers, des dispositifs militaires particuliers de sûreté aérienne peuvent être mis en place pour renforcer localement nos capacités permanentes de détection et d'intervention aérienne. De nombreuses « bulles de protection» de cette nature ont ainsi été montées en 2004 : le 14 juillet, lors des cérémonies commémoratives des débarquements de Normandie et de Provence, à l'occasion de la venue du Pape à Lourdes, pour le Il novembre, ou encore dans le cadre d'un lancement satellitaire sensible en Guyane. Ces dispositifs restreignent la liberté d'évolution dans les zones aériennes considérées. Ils imposent même dans certains cas l'interdiction pure et simple de l'activité aérienne de terrains d'aviation avoisinant les lieux de l'événement protégé. VII. ... Mais surtout des mesures de prévention et d'intervention Même si le paradoxe de la sûreté aérienne veut qu'elle soit maximale quand l'activité aérienne est nulle, il n'est guère concevable de suspendre le trafic aérien autrement que temporairement et pour de bonnes raisons. Il convient alors de développer un dispositif de sûreté qui assure plus de prévention que de contrainte, mais qui puisse également pallier en un dernier rempart les éventuelles failles dans les contrôles évoqués précédemment. Ce volet de la sûreté aérienne est plus spécifiquement confié aux militaires. Il repose sur la détection, l'identification et l'intervention en vol. Renseignement, anticipation et flexibilité sont ici les principaux objectifs recherchés. Le recueil du renseignement relatif au terrorisme aérien s'appuie, depuis le Il septembre, sur une coopération interministérielle

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véritablement renforcée. Grâce à cette fluidité accrue du renseignement, des mesures peuvent être anticipées, car la flexibilité apparaît comme la clé de l'efficacité de tout dispositif de sûreté. On s'épuiserait en effet à vouloir tout défendre au mieux de ses capacités. Il est préférable d'agir par créneaux d'efforts, en mobilisant momentanément des ressources accrues en protection des vulnérabilités identifiées par les services de renseignement. En outre, quand aucune menace particulière n'est pas décelée, il convient également d'être capable de s'adapter aux enjeux, cette fois-ci dans une logique d'intérêt national et plus dans une logique de menace. A titre d'illustration, il est sage de prendre quelques précautions, même dans un environnement normal et calme, quand on transporte avec soi des biens précieux. Il s'agit donc, sur la base des informations obtenues, de redéployer ou de renforcer les moyens d'intervention aérienne. Ces derniers, avions de chasse pour intercepter les avions rapides, et hélicoptères pour les aéronefs lents, sont en permanence en alerte sur différentes bases aériennes. Ils peuvent voir leur nombre doublé à la demande ou être redéployés là où la situation l'exige. Des moyens additionnels, missiles sol-air, radars mobiles, radars volants, avions et hélicoptères peuvent même compléter localement ceux du dispositif national permanent, lors des « bulles)} de protection. Enfin, des négociations bilatérales de défense aérienne sont actuellement en cours entre la France et l'ensemble de ses voisins, pour éviter toute prise au dépourvu de l'un ou l'autre des partenaires face à une menace terroriste. Les espaces aériens européens sont exigus et les avions ont souvent un rayon d'action leur permettant de franchir plusieurs frontières au cours du même vol, dans des délais courts que permet leur vitesse d'évolution. Il ne faut que huit minutes à un Airbus pour franchir la distance Berne - Lyon ou encore Milan - Nice. Ce préavis est bien court pour faire décoller un Mirage et l'amener en position d'escorte. Les accords en cours de négociation permettront bientôt, comme c'est déjà le cas avec l'Espagne, à l'une des nations de prendre le contrôle du chasseur de l'autre afin de poursuivre dans son espace aérien des mesures initiées chez le voisin. Toutes ces dispositions relatives à la défense aérienne ne restreignent pas à proprement parler la liberté du vol. Si l'on parle volontiers de « police du ciel)} à l'endroit des chasseurs en alerte, la mission de ces derniers relèverait davantage de la police de prévention que de la police de répression. Il n'empêche que leur présence « policière)} est bien

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réelle, car elle est nécessaire. Personne ne peut négliger aujourd 'hui le risque terroriste aérien et ses conséquences sur les populations.

L'époque semble lointaine d'un Santos Dumont prenant sa Demoiselle comme d'autres à l'époque, prenaient leur bicyclette. Les exploits des aviateurs à Bagatelle ou sous la Tour Eiffel ne provoqueraient guère d'admiration chez nos contemporains qui redoutent un nouveau « baron noir ». De nos jours, un pilote privé volant de nuit à Coulommiers à deux heures du matin peut être intercepté par un hélicoptère pour une mesure de contrôle. Un parapentiste à moteur survolant le site de Tricastin de trop près connaît le même sort. Un avion de ligne ne répondant plus à la radio durant quelques minutes sera systématiquement intercepté. Le doute sur le comportement d'un aéronef n'est plus toléré. La liberté chère à Saint-Exupéry et inscrite dans le coeur de tous les aviateurs en souffre-t-elle vraiment? Pas encore. Mais l'équilibre actuel entre liberté et sûreté aérienne, bien balancé aujourd'hui en dépit du Il septembre, ne survivra sans doute pas à l'énorme expansion du trafic aérien commercial mondial attendue prochainement. Une densité trop forte de ce trafic devrait inexorablement conduire à recourir à plus de contraintes pour assurer la sûreté des transports aériens.

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La difficile conciliation de la sûreté aérienne et du respect des libertés individuelles? par Bertrand PAUVERT Maître de conférences à l'Université de Haute Alsace CERDACC Centre Européen de Recherches sur le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes

« Est-il possible de préserver les libertés civiles tout en luttant efficacement contre le terrorisme?» 1. De fait, cette interrogation formulée devant l'Assemblée parlementaire de 1'OTAN par Petre Roman, l'ancien Premier ministre roumain, figure au cœur des débats, lorsque l'on envisage la question des transports aériens et celle de leur sûreté. L'avion, en effet, ne saurait constituer un moyen de transport comme les autres et sa différence se manifeste à divers égards. Il s'agit d'abord et c'est sans doute la différence essentielle au regard des autres moyens de transport, d'un moyen de transport aérien; au-delà du pléonasme, cette réalité entraîne un certain nombre de conséquences. Tout d'abord, en cas d'accident, la possibilité de retrouver des survivants est extrêmement faible. Ensuite, ce transport se caractérise par sa dimension technologique extraordinairement poussée et donc par sa relative fragilité. La conjonction de ces deux éléments rendant l'usage de ce moyen de transport assez périlleux... en cas d'accidenr. Une autre caractéristique doit aussi être envisagée, celle de l'autonomie de l'aéronef; celui-ci, à la différence d'un train notamment, ne se déplace que sur des lignes de circulation virtuelles, qu'il est à même de quitter de sa propre initiative, sans qu'il soit possible de le contrôler à distance3. 1

P. Roman, rapport devant l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, avri12004. Cette réalité ne doit pourtant pas faire oublier qu'il s'agit aussi d'un moyen de transport très fiable, puisque l'on y dénombre bien moins d'accidents que dans les transports ferroviaires ou routiers. 3 Il existe, bien entendu, des moyens de contrôle et de guidage des aéronefs à distance, mais ceux-ci peuvent faire l'objet de contre-mesures. Une fois en vol, l'appareil est pleinement autonome et cette réalité peut être remarquée dès les débuts de l'aventure aérienne: le 19 janvier 1919, Jules Védrines atterrit sur le toit des Galeries Lafayette (2 8x 12) à Paris; tandis que le 7 août 1919 le sergent Charles Godefroy passe en avion à 2

150 km/h sous l'Arc de Triomphe

(largeur:

16,4m envergure

de l'appareil:

8,22m).

Ces caractéristiques de l'aéronef comme moyen de transport le rendent très sensible aux dispositions de sûreté et de sécurité. L'avion est fragile d'un point de vue technique, il l'est plus encore au regard de la sûreté. Si la criminalité n'apparut que récemment sur les appareils aériens, elle connut un fort développement au cours des années 1970 ; essor qui contribua à l'extension progressive des normes de sûreté, ainsi qu'à leur nécessaire harmonisation internationale. Toutefois, deux éléments donnent une acuité accrue à cette question de la sûreté des transports aériens. C'est tout d'abord l'extension exceptionnelle du volume des transports aériens du point de vue du fret ou de celui des passagers4 ; c'est par ailleurs et chacun conserve cet événement en mémoire, les attentats qui touchèrent Manhattan au mois de septembre 2001. Extension démesurée de la circulation aérienne d'une part, montée en puissance des dangers d'autre part, ce double mouvement devait nécessairement conduire à développer une réflexion - et une action - accrue sur les mesures propres à assurer une sûreté maximale de la navigation aérienne. Si cette dimension ne remonte assurément pas au mois de septembre 2001, force est de constater que les événements alors survenus ont conduit à une extension multiforme des procédés visant à assurer la sécurisation des transports aériens. Au-delà de la seule question des transports aériens, il est tout d'abord possible de noter que des mesures destinées à augmenter les pouvoirs des services de police dans leur lutte contre les mouvements terroristes ont été adoptées dans l'ensemble des pays soumis à un tel risque. En ce qui concerne la question plus spécifique des transports aériens, l'extension des dispositions visant à assurer leur sécurité se produit à chacune des phases d'un tel transport. Avant même que le vol ne se produise, ce sont les mesures visant à assurer la sécurité des aérogares et des aérodromes qui se sont vues étendues, par un meilleur contrôle de l'accès à ces zones. Ce sont ensuite les mesures de vérification des passagers qui ont été accrues, ainsi que l'internationalisation de l'échange des données relatives à ceux-ci. Ce sont encore les mesures visant à assurer la sûreté du vol 4

Quelques chiffres: la France, qui constitue la première destination touristique au monde, accueille chaque année plusieurs dizaines de millions de personnes (128 millions de passagers en 2003). Au total, le nombre de passagers transportés dépasse le milliard, tandis que le volume total du fret se chiffre en dizaines de milliers de tonnes.

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stricto sensu qui ont été prises, par le recours à une présence policière au sein des appareils ou par une accentuation des mesures de défense aérienne susceptibles d'être mises en œuvre. L'extension de ces dispositions ne va pas sans soulever un certain nombre de difficultés au regard du respect, si ce n'est des libertés fondamentales des passagers tout au moins de leur vie privée. En effet, si les rapports entre la sûreté et la liberté doivent sans doute nécessairement s'envisager sous la forme d'une conciliation entre les impératifs de l'une et les exigences de l'autre, les dispositions actuellement applicables en la matière semblent toutes marquées à l'aune d'une volonté de sécurisation accrue des transports, laquelle induit inévitablement une diminution sensible de la sphère de la liberté individuelle. L'exigence de sûreté passe aujourd'hui par une extension des contrôles opérés (I), laquelle induit naturellement des atteintes au respect de la vie privée des personnes transportées (II).

I. L'exigence de sûreté par l'extension des contrôles Assurer la sûreté des transports aériens suppose que chaque phase d'un vol fasse l'objet d'une surveillance vigilante. Pour être atteint, cet objectif suppose que se trouvent étendus aussi bien les contrôles au sol, avant l'embarquement du fret et des passagers, que les contrôles opérés au cours du vol lui-même. Ces deux aspects seront envisagés successivement.

A. Les contrôles au sol La sécurité dans l'aérogare et dans les zones de fret, ainsi que la fouille des personnes et le contrôle de l'accès aux appareils constitue une mission primordiale que se partage de très (trop ?) nombreux services. L'ampleur de cette mission justifie en outre une participation accrue d'agents de sécurité privés à cette mission de police. La multitude des services concernés. Les grands aérogares internationaux sont aujourd 'hui devenus de véritables lieux de vie et sont extrêmement fréquentés: à titre d' exem pIe, Roissy accueille désonnais près de 50 millions de passagers par an. Le contrôle de cette

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véritable marée humaine a donc été intensifié et nécessite la collaboration de très nombreux services de sécurité. La sécurité des infrastructures aéroportuaires est tout d'abord assurée par la police aux frontières qui est chargée de l'inspection et du filtrage des passagers ainsi que des bagages à main, avec l'aide des services de la Direction de la défense et de la sécurité civile5. Le contrôle des pistes relève, lui, de la gendarmerie des transports aériens, tandis que celui des marchandises (fret) et des bagages de soute ressort de la compétence des services des douanes. Enfin, la coordination des différents services et l'élaboration de la réglementation ressort des services de la direction générale de l'aviation civile. L'intervention d'une multitude de services est rendue nécessaire par l'ampleur de la tâche, laquelle a également justifié un recours étendu à des agents de sécurité privés. Le recours à des agents de sécurité privés. Afin d'assurer une plus grande sûreté de l'accès aux zones aéroportuaires et portuaires, les contrôles (dont le nombre et l'ampleur ont été étendus) peuvent être effectués par des agents de sécurité agréés, sous le contrôle des officiers de police judiciaire et avec le consentement préalable des personnes concernées. Cette possibilité qui constitue pourtant une remise en cause d'un principe essentiel du droit français voulant que la sécurité soit une prérogative régalienne a été largement étendue depuis quelques années, sans qu'elle ne soulève beaucoup de bruit6. Désormais, la visite des personnes, des bagages, du fret, des marchandises, des aéronefs, navires et véhicules dans les ports et aéroports, peut être effectuée par les agents de sûreté agréés, sous le contrôle des officiers de police 5

Ceux-ci sont compétents pour les interventions des aides-artificiers à l'occasion d'alertes à la bombe. 6 Une telle orientation trouve sa source dans la loi n° 89-467 du 10 juil. 1989 sur la sécurité des transports aériens qui engageait, pour la première fois, une privatisation partielle des modalités de contrôle préventif des personnes, des bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des véhicules accédant aux zones non-ouvertes au public des aéroports. Elle ne fut jamais démentie par la suite, notamment avec la loi n° 95-73 du 21 janv. 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité ou la loi 96-151 du 26 fév. 1996 (qui élargira aux ports maritimes les dispositions de la loi de 1989). Par la suite, les lois n° 2001-1062 du 15 novo 2001 relative à la sécurité quotidienne, 2002-3 du 3 janv. 2002 sur la sécurité des infrastructures et systèmes de transport, n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LaPS!) et n° 2003239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure s'inscriront dans un développement de cette logique. L'Etat s'étant ainsi nettement retiré de l'exécution des mesures de prévention. La réglementation précise depuis peu à peu les obligations des opérateurs: V. not. les décrets 2002-24 et 2002-1026, ainsi que les arrêtés du 1er sept. et du 12 novo 2003.

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judiciaire, pour assurer préventivement la sûreté des transports aériens et maritimes. Enfin et en tant que de besoin: « en cas de circonstances particulières liées à l'existence de menaces graves pour la sécurité publique », les fouilles de bagages et les palpations de sécurité peuvent aussi être effectuées par les personnels agréés des entreprises de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds. Ces mesures ont été prolongées pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2005 et paraissent devoir être encore étendues à l'avenir au vu des dispositions figurant dans le projet de loi relatif aux aéroports actuellement en cours de discussion devant le Parlement7. Visant à assurer une sûreté maximale des infrastructures aéroportuaires, ces mesures s'inscrivent en outre indubitablement dans la perspective, si ce n'est d'une privatisation des missions de police, tout au moins d'une extension de la participation des personnes privées à celles-ci. Les mesures de sûreté intervenant au sol ne sont toutefois que l'un des aspects de l'extension des contrôles, l'autre volet de celle-ci se vérifie au cours des vols eux-mêmes. B. Les contrôles en vol L'exigence de sûreté des transports aériens s'étend également au déroulement du vol lui-même. Si le commandant de bord est en principe chargé de la sûreté à bord8, il a paru nécessaire d'améliorer 7

L'article Il du projet de loi n° 452 relatif aux aéroports (Sénat, 30 juil. 2004) prévoit d'ajouter au Code de l'aviation civile, un art. L. 213-2-1 en vertu duquel « Les agents civils et militaires de l'Etat, ainsi que les personnels des entreprises agissant pour le compte et sous le contrôle de l'administration et habilités à cet effet par l'autorité administrative, vérifient que les entreprises ou organismes installés sur les aérodromes respectent les mesures de prévention en matière de sécurité du transport aérien et de sûreté ». Cette extension des missions de sécurité privée doit être envisagée à l'aune de l'art. 29 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, qui autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance « les mesures nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du livre Il du code de l'aviation civile pour ce qui concerne la sûreté des vols et la sécurité de l'exploitation des aérodronzes ». Cette formulation vague pourrait permettre de « transférer aux gestionnaires d'aéroport la responsabilité de la mission de sûreté, qu'ils ne font actuellement que mettre en œuvre» ce qui poserait « une question de principe extrêmement grave, celui du caractère régalien de ces missions qu'il revient à l'Etat d'assumer », relève Mme Odile Saugues, avis n° 1865, rendu le 13 oct. 2004 au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur le projet de loi de finances pour 2005 (nO 1800), Tome XIII, Equipement, transports, aménagement du territoire, tourisme et mer, transports aériens. 8 Bernard Pestel, « Le commandant de bord et la sûreté », www.ifurta.droit. u3mrs. fr/PDF

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cette sûreté en mettant en place ou étendant différentes mesures. Les unes visent à assurer une sûreté maximale du vol par la présence de gardes armés au sein des vols, les autres visent à répondre à la menace résultant de la prise de contrôle d'un aéronef par des individus hostiles. La présence de « sky marshals» sur certains vols. Afin d'assurer une sécurité toujours accrue des personnels et des aéronefs, un certain nombre d'Etats ont cherché à rendre les aéronefs moins vulnérables à l'intrusion d'individus hostiles. Dans un premier temps, cet objectif a conduit à mettre en place des dispositifs visant à empêcher ou contrôler l'accès au poste de pilotage9. Au-delà, c'est 1'hypothèse née outreatlantique du recours aux « sky marshals» qui tend à être développée. Ces personnels sont armés, présents le plus souvent de manière anonyme parmi les passagers et sont chargés d'assurer la sécurité de l'appareil durant le vol. Le recours à des personnels armés au sein des aéronefs civils est de plus en plus étendu; il parait même devenir une norme pour certains Etats; les Etats-Unis, mais aussi l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas disposent d'unités spécialisées de ce type. En France, le recours à de tels gardes armés intervient de manière limitée et ponctuelle, sur certains vols spécifiques et en fonction de renseignements précis le justifiantl0. Depuis le Il septembre 2001, ce sont également les mesures visant à assurer le contrôle du ciel qui ont été étendues. La prise de contrôle et l'élimination des appareils considérés comme hostiles. A la suite des attentats de septembre 2001, la réglementation a été renforcée et c'est ainsi que les vols IFR, en avion et en hélicoptère, ont été soumis à restriction dans l'espace aérien des agglomérations de Paris, Lyon et Marseille. L'année suivante, en décembre 2002, suite au renforcement du plan Vigipirate, ces mesures furent étendues à d'autres agglomérations, ainsi qu'à un certain nombre de sites industriels considérés comme sensiblesl1. Il paraît nécessaire de rappeler qu'au 9

De tels dispositifs sont obligatoires depuis 2003 pour les vols à destination des Etats-Unis. 10 Quel que soit l'apport de ces personnels en matière de sûreté des vols, on ne peut manquer de constater l'extrême dangerosité de leur intervention au cours d'un vol. En particulier, l'échange de tirs dans l'appareil apparaît susceptible de produire des conséquences catastrophiques lesquelles ne pourront manquer de soulever des difficultés en matière d'assurance ou de responsabilité... 11 La détermination de ces mesures résulte d'une action coordonnée par le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) ; autour de ces sites sont interdites aux vols IFR, des zones de cinq kilomètres de rayon, jusqu'à mille mètres de hauteur.

86

cours du vol, un aéronef dont le comportement en vol serait anormal est susceptible d'être intercepté, contrôlé et le cas échéant éliminé par les forces de défense aérienne. En ce qui concerne la France, les moyens affectés à la défense aérienne ont été renforcés12, ainsi que la coopération avec nos voisins et alliés. Ce sont enfin les techniques visant à assurer une prise de contrôle à distance des appareils qui sont encore renforcées. L'essor de ces moyens techniques est sans doute satisfaisant mais leur mise en œuvre concrète n'est pas sans soulever certaines interrogations elles aussi fort concrètes13. Cette extension des contrôles opérés, qu'ils interviennent au sol ou visent l'aéronef au cours de son traj et ne s'opèrent toutefois pas sans que soit porté atteinte au respect de la vie privée des passagers. Si les libertés individuelles ne paraissent pas sortir réellement affaiblies des mesures déjà envisagées on ne peut pas en dire autant du respect de la vie privée tant celui-ci semble faire les frais de l'exigence d'une sûreté accrue.

II. L'atteinte au respect de la vie privée par l'extension contrôles

des

La présence de terroristes embarqués sur les vols aériens a conduit à renforcer le contrôle préventif des listes de passagers, ce qui met la question de l'accès aux données personnelles fournies par les clients des compagnies aériennes au cœur des impératifs liés à la sûreté des transports aériens. Un tel accès n'est assurément pas sans porter atteinte au respect de la vie privée des passagers, d'autant plus que ces données personnelles font l'objet de transferts significatifs vers des tiers. La question du contrôle extensif des passagers par l'accès à leurs données personnelles se double en effet de celle de leur transfert.

12

Ce sont actuellement dix appareils de chasse qui se trouvent en alerte de décollage

immédiat 13

(contre quatre auparavant)

répartis sur cinq bases aériennes.

La première porte sur l'autorité compétente pour agir: s'agit-il du pays survolé, du

pays de destination,

du pays de pavillon de l'appareil

aérien?

S'il s'agit du pays survolé,

cela rend nécessaire une coordination extrêmement efficace entre aviations des différents Etats, notamment en Europe où les frontières aériennes sont innombrables; ce qui pose la question des délais d'intervention. Le problème pourrait encore se poser si la cible d'éventuels terroristes était une ville frontière... La dernière question porte enfin sur la fiabilité des moyens de sécurité dits « soft» et notamment la communication visuelle ou phonique avec l'aéronef. En cas d'interférence de ces moyens et si l'appareil venait à modifier brusquement sa trajectoire de vol, comment prendre la décision d'interception...

87

A. Le contrôle des passagers et l'accès aux données personnelles Suite aux attentats intervenus en septembre 2001, les Etats-Unis ont exigé la transmission d'informations personnelles relatives aux passagers de vols à direction de (ou transitant par) leur territoirel4. « Cette législation prévoyait qu'à compter du 5 mars 2003 les compagnies aériennes devaient transmettre certaines informations concernant leurs passagers sous peine de contrôle renforcé voire de sanction (amendes, remise en cause du droit d'atterrir) de la part des autorités américaines. Cette collecte d'informations personnelles a pour but d'alimenter une base de données fichant les passagers» 15.Il convient donc de rappeler la nature des données personnelles relatives aux passagers avant que d'envisager les principales dispositions régissant l'accès aux données en droit français et américain. Les données personnelles des passagers. Lorsqu'une personne procède à l'achat ou à la réservation d'un titre de transport aérien, elle est amenée à donner à la compagnie auprès de laquelle elle effectue cette opération un certain nombre de données personnelles qui se verront conservées par ladite compagnie; données appelées « P.N.R. »16.Ainsi, « le PNR est le nom générique des fichiers créés pour chaque voyage réservé par un passager. Ces fichiers sont stockés sur les bases de données de réservation et de contrôle des départs des compagnies aériennes, et permettent à tous les intervenants du secteur aérien (depuis l'agence de voyage jusqu'aux agents d'assistance en escale dans les aéroports en passant par les systèmes informatisés de réservation (SIR) et les compagnies aériennes) de reconnaître chaque passager et d'avoir accès à toutes les informations pertinentes concernant son voyage: vols d'aller et de retour, vols de correspondance (le cas échéant) services spéciaux requis à bord, contacts à terre des passagers, tarifs accordés, paiement, réservations d'hôtel et de voiture, types de repas pris, santé, etc. »17. 14

Cette exigence résulte de la loi sur la sécurité de l'aviation et du transport (Aviation and Transportation Security Act) du 19 nov. 2001 et de la loi du 5 mai 2002 renforçant les conditions d'entrée sur le territoire américain (Enchanced Border Security and Visa Entry Refonn Act). 15 Emilie Perrier et Audrey Beillerault, « La collecte et la transmission des données des voyageurs », www.60gp.ovh.net/-ejuriste. 16Passenger Name Record. 17 Etienne Wery, « Les personnes allant aux USA seront bel et bien fichées: l'Europe et les Etats-Unis proches d'un accord », www.droit-technologie.org, 18 déco 2003. Parmi les données figurant dans le PNR figurent les noms, les numéros de téléphone et de carte de crédit (avec date d'expiration), les adresses (e-mail et physique, ainsi que celles de la

88

L'accès à de telles données est de fait en mesure de donner des indications considérables à tout service de police les utilisant, mais aussi à toute personne qui y aurait accès; il est non moins certain que l'accès à ces données apparaît susceptible de porter atteinte au respect de la vie privée des passagers. Cette situation explique que l'accès à ces données soit de prime abord sévèrement réglementé. L'accès aux données, éléments de droit français et américain. En France, d'après les dispositions de la loi Informatique et Liberté18, la collecte d'informations nominatives doit être effectuée en toute transparence, ainsi que leur conservation, qui ne peut dépasser la « durée nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées »19. De plus, le transfert d'informations nominatives ne peut intervenir qu'au bénéfice de destinataires préalablement mentionnés dans l'arrêté autorisant la constitution dudit fichier d'informations nominatives. Les dispositions européennes assurent sous cet angle un standard de protection équivalent; l'article 25 de la directive 95/46 organise la protection des données20 et « le transfert vers un pays tiers de données à caractère personnel faisant l'objet d'un traitement, ou destinées à faire l'objet d'un traitement après leur transfert, ne peut avoir lieu que si (...) le pays tiers en question assure un niveau de protection adéquat ». Dès lors, « le transfert de données personnelles est donc en principe interdit, sauf à démontrer le caractère adéquat de la protection garantie par le pays tiers »21 ; toutefois, si tel n'est pas le cas, la directive réserve la possibilité de certains transferts22. Du côté américain, il convient de noter que s'il Y existe bien un concept de « Privacy» qui prend en

famille, des proches ou de I ' employeur), les dates et lieux de naissance, les préférences alimentaires (casher, halla!...), les personnes avec lesquelles le voyage intervient (si elles ont été enregistrées dans un même dossier), les éventuels problèmes médicaux, l'itinéraire du vol, l'historique des voyages antérieurs ainsi que toute autre donnée d'intérêt général (comportements suspects, apparence physique. . . ). 18 Loi n° 78-17 du 6 janv. 1978 relative à l'Informatique, aux fichiers et aux libertés. 19 Art. 28 de la loi du 6 janv. 1978 ; au-delà, cette conservation des informations ne peut intervenir sous une forme nominative « qu'en vue de leur traitement à des fins historiques, statistiques ou scientifiques ». 20 Directive 95/46 CE du Parlement et du Conseil, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 24 octobre 1995, JOCE L 281, 23 novo 1995, p. 31. 21 Julien Le Clainche, « Données personnelles des passagers aériens: le Parlement européen et la Commission en profond désaccord », www.droit-tic.com. 22 Notamment lorsque la protection des données est aménagée par voie contractuelle (art. 26.2) ou pour certaines catégories de traitement (art. 26.1).

89

particulier appui sur le quatrième amendement de la Constitution, cette notion n'y possède pas rang de droit fondamental23. Dès lors, au vu de ces différents éléments, il semble bien que le transfert des PNR aux Douanes américaines (ainsi que leur conservation par celles-ci) contrevienne aux dispositions de la loi de 1978 et de la directive de 1995. Or, après un court bras de fer transatlantique, les compagnies aériennes européennes ont accepté, en contradiction avec la réglementation européenne et les dispositions internes, de transmettre ces PNR aux services fédéraux américains, en mai 2003. La Commission européenne devait ensuite finalement accepter la transmission de ces données24, non sans faire l'objet de vives critiques de la part du Parlement européen25. B. Le transfert des données personnelles Si les passagers sont réputés accepter ce transfert d'informations vers les Etats-Unis, ils ne sont toutefois en mesure que de le faire... ou de ne pas monter dans un avion à destination de ce pays26. L'accord donné 23

Cela signifie que seul le droit commun permet d'assurer cette notion;

convient

de noter qu'aux

USA, seuls les citoyens des Etats-Unis

protection se fondant sur le « Privacy

24

de plus il

peuvent prétendre

à une

Act» de 1974 contre les traitements de l'administration.

Décision de la Commission du 14 mai 2004, relative au niveau de protection adéquat des données à caractère personnel contenues dans les dossiers des passagers aériens transférés au Bureau des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis, C (2004)

1914.

25

Le Parlement européen adoptait dès le 31 mars 2004 une résolution invitant la Commission à revenir sur sa décision et à renégocier un accord plus important avec les Etats-Unis. Par la suite, le Parlement décidait le 21 avril, de saisir la CJCE, afin de se prononcer sur la question de savoir si l'accord international n'aurait pas dû être soumis au Parlement pour accord en raison du fait qu'il modifie la directive sur la protection des données. Enfin, le 25 juin 2004, la CJCE était saisie afin qu'elle se prononce sur la légalité de la décision d'adéquation adoptée par la Commission et de l'accord international autorisant le transfert des données passagers aux autorités américaines. Dès le 24 oct. 2002, le groupe des commissaires européens G29 en charge de la protection des données avait rendu un avis faisant état de la nécessité d'engager des négociations sur cette question: www.europaeu.intlcommlinternal_marketJprivacy/docslwpdocsl2002/wp66_fr.pelf 26 Voici la clause qui figure dans les contrats de vol fournis par la société Air France: « Dispositions relatives aux vols à destination des Etats-Unis Pour assurer la sûreté aérienne et protéger leur sécurité Nationale, les Etats-Unis ont adopté le 25 juin 2002 une réglementation obligeant toutes les compagnies aériennes internationales effectuant des vols vers les Etats-Unis à donner aux douanes américaines, un accès à l'intégralité des informations détenues sur leurs passagers dans leurs systèmes de réservation Le fait de ne pas se sOlonettre à ces obligations de la loi américaine entraîne, de la part des autorités US, de lourdes sanctions pour les Compagnies.

90

par la Commission européenne le 24 mai 2004 au transfert de données s'est efforcé d'encadrer celui-ci, mais l'atteinte au respect de la vie privée n'en est pas moins certain au regard de l'ampleur des projets américains de fichage des passagers. L'ampleur et les modalités des transferts autorisés. Aux termes de l'accord intervenu entre la Commission et les Etats-Unis, c'est un nombre finalement plus réduit de données que ce qu'exigeaient initialement les autorités américaines qui se trouve transmis27. En outre, les Etats-Unis se sont engagés à ce que ces données ne servent qu'à la prévention du terrorisme, de la criminalité liée au terrorisme et de la grande criminalité y compris la criminalité organisée de nature transnationale et non pas à une application beaucoup plus large de dispositions répressives, comme cela était souhaité au départ?8. Les modalités pratiques de ce transfert doivent encore être évoquées, car deux méthodes sont susceptibles d'être employées, celle du «push}) et la seconde qualifiée de « pull ». Parler de « push» signifie que les données sont sélectionnées, puis transférées par les compagnies aériennes aux diverses administrations américaines, ce qui permet donc à l'auteur du transfert de filtrer les données qu'il souhaite faire parvenir à son interlocuteur. A l'inverse la méthode du « pull» consiste à permettre à une autorité extérieure de bénéficier d'un accès en ligne Air France informe donc, qu'à conlpter du 5 Mars 2003 l'intégralité des informations personnelles que ses clients lui communiquent au moment de la réservation sera directement accessible aux autorités américaines. AIR FRANCE qui s'attache, dans le cadre légal français et européen, à sécuriser et à protéger les données personnelles de ses clients, leur rappelle qu'un certain nombre de données sont obligatoires pour permettre leurs réservations et établir le contrat de transport, et que le droit d'opposition dont ils disposent en vertu de l'article 26 de la loi n078-17du 6janvier 1978 relative à l'informatique aux fichiers et aux libertés, conduirait à annuler leur voyage ou certaines des prestations demandées. ». 27 Une liste visant 34 catégories de données a été circonscrite (les PNR de certaines compagnies aériennes contiennent plus de 60 champs), tandis que les données les plus personnellement identifiantes ne seront pas fournies (commandes de repas ou exigences spéciales de passagers susceptibles d'indiquer leur race, religion ou état de santé personnel) ou, si elles le sont, doivent être filtrées et supprimées par l'US CBP (Bureau des douanes et de la protection des frontières des Etats-unis). 28 Les Etats-Unis se sont encore engagés à ce que ces données ne soient pas partagées avec d'autres agences fédérales (le partage n'intervenant qu'au cas par cas) ; si un transfert d'informations en dehors des Etats-Unis devait toutefois avoir lieu, ceux-ci en préviendraient une autorité de l'Union européenne. Ces données n'étant finalement conservées qu'une douzaine d'années (contre un temps initialement envisagé comme illimité) ; sur cette question, v. Etienne Wery, « Données personnelles des passagers aériens voyageant vers les USA: la Commission impose l'accord qu'elle a négocié », www.droit-technologie.org, 2 juin 2004.

91

directe sur l'ensemble des systèmes de réservation et des bases de données des compagnies aériennes. La décision de la Commission du 14 mai 2004 a entériné la méthode du «pull », au bénéfice des Douanes américaines au moins jusqu'à ce que les compagnies aériennes puissent satisfaire aux demandes américaines29. Cette importante latitude d'action laissée à la discrétion des autorités américaines ne lasse pas d'inquiéter au regard de la généralisation du fichage des individus qui y est autorisé. Les projets américains de fichage des individus. Au moment de l'accord donné par la Commission européenne au transfert des données personnelles des passagers, les autorités américaines s'efforçaient de mettre au point un système appelé CAPPS 113°.Ce programme visait à agréger les informations sur tous les passagers aériens voyageant vers ou depuis les Etats-Unis pour les analyser à l'aide d'un logiciel et attribuer à chacun un code couleur en fonction de son degré de dangerosité potentielle3! ; le projet a toutefois été abandonné en juillet 2004 par les autorités américaines du fait de la trop grande marge d'erreurs qu'il connaissait32. L'idée d'un large fichage n'est toutefois 29

«Le CBP "extraira" les informations relatives aux passagers des systèmes de réservation des compagnies aériennes jusqu'à ce que celles-ci soient en mesure de mettre en œuvre un système «exportant» les données concernées vers le CBP », Déclaration d'engagement du Bureau des douanes et de la protection des frontières du ministère de la sécurité intérieure, Il mai 2004, point 13. Il convient d'ailleurs de noter que c'est de toute manière bel et bien ce que la pratique avait entériné, au minimum depuis le mois de mai 2003. Enfin, il est convenu que ce transfert de données s'effectue au plus tard dans le quart d'heure suivant le décollage de l'aéronef 30 Computer Assisted Passenger Pre-screening system ou système assisté par ordinateur de pré-contrôle des passagers. 31 Le code couleur (rouge, jaune ou vert) était attribué à chaque passager avant l'embarquement et résultait de « la collecte de différentes données, à savoir le dossier classique de chaque passager (destination, adresse, date de naissance, numéro de carte de crédit, choix d'un repas spécial etc.) ainsi que des données relatives aux comptes bancaires, au casier judiciaire ainsi qu'au niveau d'endettement », rappellent Emilie Perrier et Audrey BeillerauIt, op. cit. Les passagers munis d'un code jaune faisaient l'objet de contrôles et de surveillance accrus, ceux étant affectés du rouge n'étaient pas autorisés à monter dans l'appareil. 32 Les multiples tests réalisés de CAPPS II ont notamment révélé trop de combinaisons

d'erreurs probables pour que le système se trouve utilisé de manière fiable; v. www.airinfos.com. 19 juil. 2004. Les différentes sources évoquant le nombre de passagers fichés sur ces « listes noires» varient profondément quant à leur appréciation. Si certaines évoquent une dizaine de milliers de noms, certaines organisations américaines de défense des droits de l'homme en comptent près de 100.000 quant d'autres font encore état de 5 millions! ...

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pas abandonnée, le projet CAPPS II ayant été remplacé par deux autres programmes. D'une part, le système VPRS33,qui permet aux personnes se rendant fréquemment aux USA de soumettre volontairement toutes les informations nécessaires quant à la sécurité aux autorités américaines34. D'autre part et pour les seuls vols intérieurs américains, a été annoncée au mois d'août 2004 la mise en place d'un système « Secure Flight », par lequel le gouvernement américain va prendre en charge la vérification des listes de passagers des vols intérieurs et leur comparaison avec les listes de terroristes présumés; activité qui relevait jusqu'à présent des compagnies aériennes35. De plus, tout visiteur se rendant aux Etats-Unis sous couvert d'un visa doit présenter une photo numérisée et ses empreintes digitales sont scannées lorsqu'il passe la douane aux aéroports et dans quatorze des principaux ports maritimes36 ; ici, c'est bien entendu la conservation de ces données et leur stockage qui suscitent l'interrogation. Enfm, outre le fichage des individus, les atteintes au respect de la vie privée effectuées au nom de l'impératif de sûreté des transports aériens se vérifient encore au regard de la nature et de l'intensité des fouilles réalisées sur les passagers aux Etats-Unis, lesquelles ont assurément de quoi surprendre3?

.

Le dernier type de mesure actuellement mis en œuvre afin d'assurer une sûreté adéquate des transports aériens réside dans l'extension du 33 Voluntary passagers. 34

Registered

Passenger

System,

ou système

d'enregistrement

volontaire

des

Les passagers satisfaisant à ce contrôle disposent d'un dossier permanent les concernant

et un passe avec leur identité biométrique, ce qui leur permet de franchir les contrôles dans les aéroports sans être retardés ou interrogés. Ces passagers gagneraient alors du temps, tandis que les services de sécurité pourraient se consacrer aux autres passagers. 35 La mise en place de ce système résulte d'une déclaration de l'administration chargée de la sécurité dans les transports (TSA) ; une recommandation en ce sens figurait dans le rapport final de la Commission d'enquête sur le Il septembre. Il s'agit ainsi de comparer les identités des passagers des vols intérieurs avec les listes de suspects contenues dans les banques de données du gouvernement, afin d'éviter les contrôles inutiles et de consacrer la recherche de renseignements sur les personnes suspectes. 36 Les ressortissants de 27 pays « amis» et « sûrs» peuvent être autorisés à entrer sans visa s'ils restent moins de 90 jours aux Etats-Unis. 37

Il n'est pas rare que des fouilles au corps se produisent, éventuellementmême en

présence des autres passagers, y compris entre les sous-vêtements et la peau (les consignes précisent alors que la paume de celui qui effectue la fouille doit être tournée vers l'extérieur et non vers le corps de la personne fouillée... ) ; tout cela sans qu'il puisse être garanti que la fouille soit effectuée par une personne de même sexe... v. not. www.membres.lycos.fr/returnliberty/cappsii.htm

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recours à des processus d'identification biométrique. Sans qu'il existe à ce jour de définition juridiquement valide de la biométrie, celle-ci peut être présentée comme la science qui « permet l'identification d'une personne sur la base de caractères physiologiques ou de traits comportementaux automatiquement reconnaissables et vérifiables »38. De tels procédés d'identification, appliqués aux personnes physiques doivent pennettre de réaliser cette opération avec une marge d'erreur extrêmement faible39.

La mise en œuvre de dispositions visant à assurer une sûreté maximale des transports aériens induit corrélativement une nette restriction de la sphère des libertés individuelles, ne serait-ce que sous l'angle des atteintes portées au respect de la vie privée. Or, si une conciliation doit nécessairement se voir réalisée entre ces deux impératifs fondamentaux, il semble bien qu'actuellement l'impératif de sûreté ait très nettement prévalu. Cette situation est notamment visible en matière de transports aériens. Toutefois, il y a peut-être lieu de s'interroger sur la pertinence des solutions choisies afin d'assurer une sécurité toujours plus étendue des transports aériens; le contrôle chaque jour plus étoffé de l'identité et du passé des personnes voyageant en avion est-il réellement en mesure d'assurer une sûreté adéquate?

En effet, si l'essentiel des contrôles porte actuellement sur l'identité des passagers empruntant les aéronefs, il semble pourtant que le danger le plus important qui pèse à ce jour sur les transports aériens réside ailleurs. Si les membres du G8 continuent à considérer que « les

38

Claudine

Guerrier,

« Les aspects juridiques

evry. frlbiometrics/ downloads/proReports/rep4072e2adb7 39

de la biométrie

», www.int-

d5a.doc.

C'est ainsi qu'a été décidée la mise en place d'un passeport, a priori infalsifiable,

comportant certaines caractéristiques corporelles du titulaire afin de pouvoir authentifier son identité. Ce passeport comportera une puce électronique dans laquelle seront enregistrées deux types de données biométriques : la photo numérisée du titulaire du passeport d'une part, une seconde caractéristique physique d'autre part (iris, rétine ou empreintes digitales; aucun consensus n'a encore été dégagé à ce jour). De tels documents peuvent être contrôlés très rapidement: avec le système automatisé de contrôle COY ADIS permettant l'analyse des documents présentés aux départs et aux arrivées, les personnels de la PAF peuvent en quelques secondes, contrôler si le document présenté appartient à une personne dont le nom figure parmi le fichier des personnes recherchées. En outre, d'autres techniques d'identification biométrique sont actuellement utilisées afin d'effectuer le contrôle des accès aux zones réservées des aéroports.

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attaques terroristes contre les moyens de transport demeurent une menace sérieuse pour nos concitoyens et pour le commerce mondial »40,il semble, aux dires des experts en matière de sécurité des transports, que les lance-missiles portables constituent aujourd'hui l'une des menaces les plus sérieuses pour la sûreté du transport aérien; danger qui ne diminuera certainement pas avec un contrôle toujours plus poussé des voyageurs... Si un tel événement advenait serait une fois de plus vérifiée l'éternelle avance du glaive face au bouclier.

Mulhouse, le 22 février 2005

40

Le G8 identifie en outre de nombreux autres dangers affectant les transports: initiative pour la facilité et la sécurité des voyages internationaux (SAFII), Sea Island, 4 juin 2004. www.elysee.fr/magazine! actualite! sommaire. php? doc=/ documents/ discours/2004/0406G 8

03.html.

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La recherche de l'équilibre entre la sûreté et les droits des citoyens par Michel NESTERENKO Consultant

Jusque vers la fin des années 60 voyager en avion était considéré comme une expérience exceptionnelle. Les compagnies aériennes rivalisaient pour offrir la meilleure qualité de service. Aiguillonnées par les autorités de certification, les compagnies ont développé une vraie science de la sécurité du vol qui fait que ce moyen de transport est devenu l'un des moins dangereux. Avec l'arrivée des avions grosporteurs dans les années 70, le « transport de masses» s'est développé grâce aux char te rs. La qualité du service a laissé la place à la productivité. Cependant, pour attirer ces nouveaux voyageurs, il fallait descendre dans la pyramide des moyens économiques donc serrer les marges et les profits. La tendance à rogner sur la sécurité « qui coûte cher» s'est accrue. Depuis le début du millénaire, les low-cost ont remplacé les charters et poussent à la faillite les grandes compagnies d'antan. La « qualité du service» est remplacée par « pas de service» et une sécurité réduite au minim urn réglementaire. Voici que surviennent les excès sécuritaires de la bureaucratie américaine qui freinent les flux de déplacements et suscitent de l'inquiétude, voire de la peur, chez le passager. À quelle évolution du transport aérien avonsnous à faire face? C'est la question que nous serons amenés à nous poser en analysant l'impact de la politique sécuritaire non seulement sur la psychologie du passager mais aussi sur ses libertés fondamentales en tant que citoyen. Après les attentats du Il septembre 2001, les Etats-Unis ont déclaré la guerre au terrorisme. Les néo-conservateurs du gouvernement américain ont alors immédiatement fait approuver par le Congrès, et mis en œuvre, une loi liberticide : le « Patriot Act ». Elle suspend un grand nombre de droits civiques garantis par la Constitution et soulève une question fondamentale: comment un grand pays qui se prétend protecteur des Droits de I'Homme peut-il si facilement abroger certaines parties essentielles de sa Constitution? La réponse se trouve dans l'analyse de la dynamique sécuritaire face à la menace terroriste. En recadrant cette menace dans son contexte de globalisation à la fois économique et sécuritaire, nous avons été amenés à constater un certain nombre de contraintes principalement imposées

au citoyen. Celles-ci semblent engendrées par la technologie dont nous avons cherché à mesurer l'impact. Ce qui nous a conduits à poser la question de la privatisation des prérogatives régaliennes de l'Etat, à propos desquelles le débat ne fait que commencer. I. Un marché de la sécurité globalisé La réaction américaine au terrorisme a créé un nouveau marché de la technologie et des services de la sécurité. Ce marché inclut non seulement la sécurité physique mais aussi le développement de la sécurité informatique ainsi que la mise au point de nouveaux systèmes de surveillance. Les attaques terroristes d'Al Qaeda sont dirigées à la fois contre I'hégémonie américaine et occidentale, et contre la globalisation du matérialisme. La guerre contre la terreur est donc une guerre globale. Cette guerre a induit un nouveau marché économique de la sécurité qui dépasse déjà les € 50 Milliards. Cela n'inclut pas les dépenses militaires qui se chiffrent à plus de $ 100 Milliards, auxquels il faut ajouter le coût des mercenaires travaillant pour le compte des armées américaines (Plus de 20 000 hommes en Irak) et des entreprises multinationales. La concrétisation des menaces et des risques a permis de focaliser l'attention sur la nécessité de sécuriser les réseaux informatiques omniprésents. La sécurisation de la chaîne de fret depuis le départ de l'usine jusqu'à l'achat par le consommateur représente une opportunité de services de sécurité pour les années à venir. C'est dans la chaîne de transport internationale que réside notre plus grande vulnérabilité aux bombes sales et autres armes de destruction massive. Sur ce nouveau marché mondial, les Etats-Unis imposent I'hégémonie de leurs règles et de leurs standards techniques car il faut reconnaître que, pour l'instant, ils sont les premiers consommateurs. En plus de la guerre contre les terroristes, nos entreprises sont en pleine guerre commerciale sur un arrière-fond de sécurité nationale américaine donc de protectionnisme larvé. II. La peur du citoyen Les guerres historiques étaient avant tout des guerres entre professionnels dans lesquelles les civils ne représentaient que des dommages collatéraux. Dans la guerre contre le terrorisme, la population est devenue une cible stratégique. L'attitude du citoyenélecteur doit donc être prise en compte car c'est elle qui à terme influera

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sur le politique. Contrairement à certaines idées préconçues dans la communauté des juristes, il semblerait que le citoyen, apeuré, soit prédisposé à accepter la suspension de certaines libertés constitutionnelles. Devant cette menace de société, certains diraient de civilisation, les représentants politiques sont en première ligne. Pour mesurer leurs champs d'action disponible, il faut analyser la psychologie du citoyenélecteur. Face au terrorisme, le citoyen a peur. Cette peur fait que le dialogue ne se passe pas dans un univers rationnel. Dans notre société de consommation hypermédiatisée, le temps d'attention est en décroissance et la tendance à généraliser se développe. Le risque est perçu comme un ({tout ou rien» avec une focalisation sur le pire. Le citoyen a peur de ce qu'il ne contrôle pas. Il préfère conduire sa voiture dont il se sent le maître alors que le transport par avion est statistiquement moins dangereux. Les médias ont compris que les informations compliquées sont peu ou pas perçues. « L'image est simple» d'où un format de journal télévisé ou de communication grand public par image choc. La simplification entraîne la stigmatisation et la recherche de « l'émotion qui vend ». Les terroristes l'ont bien compris quand ils ont filmé la totalité de l'attentat de la cantine de l'armée américaine à Mosul en Irak. Cette peur du citoyen peut entraîner un risque d'exagération et de manipulation par les politiques et le gouvernement, comme c'est le cas aux Etats-Unis. Face à cette peur, le citoyen cherche avant tout la sensation de sécurité même si celle-ci n'est qu'une illusion. Le blindage des portes de cockpit des avions en est l'exemple le plus flagrant. Le gouvernement outre-atlantique dans sa course en avant orwellienne se propose de « fliquer » tous les citoyens. Ceux-ci, dans leur majorité, sont pressés de se dévoiler pour prouver qu'ils n'ont rien à cacher, pensant qu'ils bénéficient ainsi d'une sécurité totale. III. La sûreté liberticide Historiquement, la sécurité a surtout été une affaire d'hommes et non de machines. C'est l'expansion effrénée et tous azimuts de l'espionnage américain (par exemple le réseau Echelon) avec l'informatique qui a amorcé une mutation certaine. La conjonction des réseaux informatiques tentaculaires et l'utilisation des logiciels experts confisquent le facteur décisionnel au point où I'homme devient soumis à l'arbitraire des machines. Le bon sens et la logique s'évaporent,

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comme le montrent les pratiques généralement inefficaces (des autorités américaines) dans les aéroports. Les Anglo..saxons sont connus pour privilégier une approche sécuritaire reposant sur la technologie. Près de 4 millions de caméras vidéo surveillent les lieux publics en Grande-Bretagne. Chaque citoyen britannique est photographié 300 fois par jour par trente réseaux. 700 caméras enregistrent les plaques minéralogiques des voitures entrant dans la City de Londres pour vérifier le payement de la taxe. Aux EtatsUnis, tous les visiteurs sont photographiés et les empreintes digitales sont enregistrées à la frontière. Pourtant, l'efficacité de ce contrôle tatillon des citoyens n'a pas permis l'arrestation de terroristes ou de criminels notoires. Seules les arrestations des petits criminels sont en augmentation. Le citoyen britannique semble, pour sa part, se sentir en sécurité sous l'œil des caméras. Dans les aéroports américains, les autorités américaines ont amélioré la palpation en passant la main entre le soutien-gorge et la peau et entre le slip et la peau. De plus une « machine à déshabiller» est en cours de mise au point. Cette machine similaire aux rayons X du médecin, mais beaucoup plus précise, donnera une image très détaillée du corps où même les poils pubiques pourront être distingués. L'approche technologique américaine repose sur l'utilisation de banques de données informatiques. Le gouvernement américain en utilise déjà 22, dont la majorité, appartenant à la CIA ou au renseignement militaire, sont soumises au secret défense. À cela, il faut bien sûr ajouter la consultation de la multitude des banques de données commerciales, financières ou autres. C'est cette approche qui, pour l'instant, est la plus critiquée non seulement pour ses aspects liberticides, mais en plus pour son inefficacité. Tout d'abord, le taux d'erreurs se révèle totalement impraticable. Les taux de faux positifs et de faux négatifs sont excessifs. En cas de doute, le citoyen est interdit d'embarquement dans l'avion. Le sénateur Kennedy, ainsi que d'autres personnalités politiques, ont été refoulées aux aéroports, sans explication. Le secret défense rend impossible toute rectification d'erreur, même patente. Il a fallu près de 3 semaines pour que le sénateur Kennedy, avec l'aide du ministre de la Sécurité (Department of Homeland Security) Tom Ridge en personne, puisse de nouveau prendre l'avion! Dans cette folie de « flicage », les minorités sont les premières à pâtir du profilage inhérent au système. De plus la finalité de ce système technologique est douteuse car les terroristes, qui testent nos

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défenses constamment, utilisent des attaquants qui ne sont pas connus, et donc non fichés. IV. Des solutions alternatives Il existe des solutions aussi bien techniques qu'humaines. En 2004, l'Union européenne a financé un vaste programme de recherche pluriannuel pour sécuriser les avions (SAFEE). Au Canada, le « Pr ivacy » (protection des données privées) est un argument commercial. En France, la CNIL, les juges et le législateur tentent de canaliser les excès du gouvernement. Mais le plus grand danger semble venir de l'utilisation abusive du secret étatique sous toutes ses formes. En décembre 2004, la TSA (Transport Security Administration) a émis une réglementation exigeant de chaque voyageur qui prend l'avion, le train ou le bus qu'il fournisse une pièce d'identité avec photo, ce qui n'était pas le cas auparavant. Cette réglementation étant secrète, il est pourtant impossible d'en informer le citoyen! La biométrie peut protéger l'intégrité des données, dans un contexte où l'utilisation des banques de données permet la vérification de l'identité. Cependant en termes de libertés individuelles, la question se pose de savoir si l'Etat doit être le détenteur du détail de la vie de chaque citoyen? Face à ce risque, il existe une solution technique qui consiste à stocker les données personnelles sur une carte à puce qui reste en possession du citoyen. Le système de vérification se contente donc de vérifier l'égalité des données mesurées par la borne avec celles qui sont stockées dans la mémoire de la carte à puce. Cette approche offre l'avantage de diminuer le taux d'erreurs très élevé quand les données sont comparées à celles d'une très grande banque de données centralisée. Une deuxième solution technique consiste à anonymiser les éléments individuels jusqu'à ce que le système ait identifié un risque raisonnable et documenté. Il n'est pas nécessaire non plus de rassembler toutes les données dans d'immenses banques de données étatiques. Les éléments peuvent rester stockés dans le réseau de chaque collecteur, le système se chargeant ponctuellement de la vérification sans déplacement des données. Cette dernière particularité permet de conserver les règles établies et acceptées en matière de protection des données.

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v. L'exemple israélienl L'Etat d'Israël a réussi à trouver un équilibre acceptable pour ses citoyens entre les contraintes imposées par la sûreté et les libertés individuelles qui ne peuvent librement s'exprimer que dans un contexte de sécurité. Depuis plus de 50 ans, l'Etat israélien combat le terrorisme. La compagnie aérienne nationale EL AL est une cible privilégiée et pourtant elle est considérée comme l'une des compagnies les plus sûres du monde. Le contraste entre le brouhaha frémissant des rues commerçantes de l'antique Jérusalem avec l'efficacité technologique de l'aéroport Ben Gurion montre qu'il est possible de maintenir un niveau de sécurité élevé sans pour cela renier ses traditions historiques, et cela même en conditions extrêmes. L'approche israélienne privilégie le facteur humain et utilise la technologie pour son effet démultiplicateur de productivité. Cette approche est aux antipodes de la vision américaine où l'homme n'est considéré que comme un appoint à la machine. Partant du principe qu'il n'est pas réaliste de songer inspecter dans le détail 100 % des voyageurs, les autorités israéliennes cherchent à focaliser leurs efforts sur les 15 ou 20 % des passagers qui représentent le plus grand risque. C'est la règle des 80/20. L'enregistrement est facilité pour 80 % des passagers. Les passagers qui voyagent fréquemment peuvent se soumettre à des enquêtes préalables. En 2002, plus de 80 000 personnes s'étaient enregistrées de cette manière, ce qui leur a permis de raccourcir le temps de cheminement aéroportuaire de 2 heures à 15 minutes en moyenne. L'identification du groupe des 20 % se fait par une recherche des agents assermentés de l'Etat. Les agents de l'Etat consultent toutes les banques de données étatiques et commerciales disponibles augmentées par des enquêtes sur le terrain si nécessaire. Le résultat des recherches est stocké en toute confidentialité et seule l'appartenance au groupe des 20 % est notifiée à l'inspecteur de l'aéroport. Contrairement aux EtatsUnis où une telle découverte empêcherait le voyageur de prendre son vol, en Israël les droits civiques ne sont pas abrogés moyennant une fouille plus tatillonne. Confronté à un passager « 20 % », l'inspecteur 1

Information

Israel

collectées

auprès de Offer Einav Directeur

Airlines.

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(ret.) de la sécurité pour EL AL

israélien agrémente sa fouille d'un profilage psychologique très complexe. La journée de travail débute par une mise à niveau suivie d'un questionnaire. Puis, chaque inspecteur est soumis à 150 tests par an, pendant lesquels des agents des services tentent de passer en appliquant les tout derniers scénarios des terroristes. Se pose alors une question: est-il possible d'utiliser une telle approche pour gérer des flux très largement supérieurs? Il est certain que la gestion de la formation et de la qualité du travail humain à grande échelle peut poser quelques difficultés. Mais ce système a prouvé son efficacité en conditions extrêmes et nous devons donc nous en inspirer. Il appartient à l'Europe de définir un équilibre conforme à ses traditions humanistes et de résister à 1'hégémonie de la technologie américaine qui n'offrirait qu'une illusion de sécurité pour un coût d'investissement élevé. VI. Les risques à venir Les menaces terroristes sont en constante évolution et innovation. Il faut donc intégrer l'analyse des facteurs systémiques de demain et non pas se limiter aux scénarios d'attaques déjà utilisés. Les services secrets du monde occidental sortent de 40 ans de guerre froide; une « guerre propre », entre professionnels avec des règles et un code d'honneur. Le citoyen s'est rarement rendu compte que les services se livraient un véritable conflit, bien que secret, avec captures, emprisonnement, échanges et liquidations. Aujourd'hui, la guerre contre le terrorisme implique directement le citoyen, il en est le plus souvent l'agneau sacrificiel. Les terroristes eux-mêmes sont souvent nos propres concitoyens. Un tel contexte a conduit le gouvernement américain, qui a pourtant prêté serment de protéger les Droits de l'Homme, à sombrer dans l'arbitraire. Guantanamo et ses secrets est devenu l'emblème d'un gouvernement fonctionnant hors la loi après la condamnation par la Cour Suprême des Etats-Unis. Par ailleurs, nous assistons à une coopération accrue entre les groupes terroristes et le crime organisé international. Cette coopération crée de nouvelles vulnérabilités dans le système de défense sécuritaire. Le développement d'Internet a permis l'ubiquité des réseaux informatiques et l'expansion du commerce et des transactions financières en ligne. La qualité déplorable du logiciel Windows et la puissance du monopole Microsoft ont favorisé le développement du vol d'identité qui est un

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fléau national aux Etats-Unis et est en voie de se répandre en Europe. En terme de sécurité, cela signifie que les criminels et les terroristes pourront voyager en empruntant les documents falsifiés des citoyens de meilleur aloi. L'addition d'informations biométriques n'est pas suffisante, elle ne fera que rendre plus chère la fabrication des documents falsifiés. Nous avons vu aussi que l'utilisation de banques de données centralisées, aux Etats-Unis, n'est pas fonctionnelle. En effet, il devient rapidement impossible de purger les erreurs d'un processus complexifié par la confidentialité et l'application d'un « secret défense» parfois abusif. À terme, tous les citoyens atypiques, les minorités et même les élus ne pourront plus voyager. Il est impératif pour l'Europe de ne pas se laisser entraîner à briser le pacte de confiance entre les citoyens et leur gouvernement. Cela s'avérera d'autant plus difficile que la confiance, dans un climat de peur, n'est pas nécessairement une attitude rationnelle. VII. La privatisation de la sécurité L'expansion subite du marché des services de la sécurité n'a pas permis aux bureaucraties de répondre aux besoins dans les délais impartis. Même aux Etats-Unis avec des budgets pratiquement illimités, les agences comme la TSA ne réussissent pas à assurer un service de qualité, efficace, assorti d'une formation appropriée. Le temps manque à une réflexion approfondie! Les lois n'ont pas encore été adaptées aux besoins spécifiques et 1'harmonisation internationale fait totalement défaut. Dans un contexte de risques nouveaux avec des compensations sans commune mesure avec l'expérience historique l'industrie de l'assurance semble dépassée. Tout d'abord, le plus grand défi réside sans doute dans le phénomène de privatisation de la sécurité. Confronté à une menace en mutation rapide et sans doute dans un souci d'efficacité, le gouvernement français tente de transférer des prérogatives régaliennes vers des opérateurs privés. Cela risque de fragiliser les entreprises françaises face à la concurrence internationale. Le risque juridique inhérent au transport aérien, par exemple, est avant tout un risque international impliquant un choix de forums et un choix de lois pour les victimes. On parle souvent de « Forum shopping» pour décrire cette recherche des conditions d'indemnisations les plus favorables, qui est courante suite aux

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accidents de transport aérien. Les cibles de cette stratégie des victimes de l'attentat seront comme de coutume: le constructeur de l'avion, les équipementiers (technologie de détection), la compagnie aérienne, l'autorité de gestion de l'aéroport (si celle-ci est privatisée), les transitaires de fret, et tous leurs sous-traitants. La privatisation de la sécurité a donc accru le nombre de poches profondes pouvant contribuer au fonds d'indemnisation. Ensuite, le droit civil français utilise les concepts d'obligation de résultat et d'obligation de moyens, tandis que la jurisprudence anglosaxonne utilise le concept de négligence qui permet de surcroît de s'affranchir des limitations des conventions internationales. Si un juge américain venait à appliquer le concept de négligence dans un contexte d'obligation de résultat de sûreté cela rendrait toute défense de l'entreprise française aléatoire devant la juridiction américaine. La possibilité offerte, en droit français, aux associations de victimes de se constituer partie civile au pénal ouvre une vulnérabilité supplémentaire pour les opérateurs de sécurité-sûreté en France. Dans un contexte strictement américain, les entreprises seront seulement exposées au risque civil. On constate là une disparité des risques dans la concurrence économique. Si une discussion des différents scénarios et stratégies ne semble pas appropriée au travers d'un ouvrage public. Une réflexion globale s'impose. Puis, le phénomène de privatisation entraîne dans son sillage une préoccupation d' assurabilité. Face à l'explosion du coût des attentats terroristes, les grandes compagnies d'assurance sont en train d'annuler leurs clauses de risque de guerre. Deux des plus grands réassureurs Swiss Re et Munich Re sont en voie de se retirer de ce marché. Pour aider leurs entreprises, certains gouvernements, de façon louable, se proposent de donner leur garantie. Compte tenu de la globalisation des risques et des marchés, il n'est pas réaliste de songer résoudre ce problème localement. La question ne se pose pas nécessairement dans un contexte strictement national. En effet, un avion décollant d'un pays où la négligence (le fait de n'avoir pas pu arrêter le chargement d'une bombe sale) a eu lieu, peut être l'objet d'un attentat dans un deuxième pays. Un certain nombre d'études indiquent que les dommages, pour les personnes et entreprises du deuxième pays, pourraient s'élever à € 50 Milliards. Hors du contexte d'un traité international, qui n'existe pas aujourd'hui, il n'est pas réaliste de penser qu'un Etat souverain pourra se substituer à sa, ou ses, compagnie(s) nationale(s). Seule une stratégie européenne en hannonie avec des accords et traités internationaux peut

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résoudre la question d' assurabilité. Il faut aussi que les associations de compagnies d'assurance investissent pour mettre au point de nouveaux algorithmes d'analyse de risques permettant de mieux cerner les enjeux économiques de la sécurité-sûreté. Dans ce secteur, tout reste à faire. Il s'agit d'un nouveau marché avec de nouvelles opportunités pour nos entreprises. La privatisation de la sûreté nous conduit à nous poser la question de son acceptation par le citoyen-voyageur. L'Etat sous-traite le filtrage et la palpation aux aéroports à de grands opérateurs, qui eux-mêmes soustraitent à des PME au personnel plus ou moins bien qualifié et / ou payé. L'Etat se portant garant du contrôle qualité des prestations, ces dernières seront globalement à la norme, mais il suffira d'une compromission pour créer l'opportunité d'un attentat catastrophique. Il est probable que le citoyen-voyageur accepte de se dévoiler aux agents assermentés de l'Etat (comme en Israël et aux Etats-Unis). Il est moins vraisemblable que le citoyen accepte de confier les secrets de sa vie à un petit sous-traitant (privé) inconnu qui ne peut lui donner aucune garantie sur la pérennité de la confidentialité qu'il est en mesure d'exiger. Dans un tel contexte, la privatisation peut mettre à mal le pacte de confiance entre le citoyen et l'Etat.

L'impact psychologique du terrorisme sur le citoyen-électeur et l'énormité des dégâts occasionnés par les attentats ont suscité une réaction très rapide des autorités occidentales. La réaction initiale s'est faite suivant des schémas de sûreté et de contrôle régalien classiques. Le gouvernement américain en quelques semaines a promulgué des lois abrogeant un grand nombre des libertés fondamentales du citoyen. L'Europe grâce à une plus grande maturité politique et une expérience récente du terrorisme se doit de rechercher un équilibre acceptable entre la sécurité du citoyen et ses droits constitutionnels. La réaction brutale du gouvernement américain entraînant des' investissements démesurés a créé en quelques mois un nouveau marché d'équipements, de technologie et de services. Cependant, les lois nationales et internationales nécessaires au bon fonctionnement de ce marché ne sont pas encore parfaitement harmonisées. La mise en place de l'outillage judiciaire pour encadrer le marché produira probablement des effets induits sur les libertés individuelles.

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Pour rendre les entreprises et les opérateurs français compétitifs sur ce nouveau marché mondial, il sera nécessaire d'harmoniser les lois françaises avec les règlements européens et de donner à ces derniers un impact international. Le débat devra impérativement inclure l'industrie des assurances ainsi que les divers participants du marché de la sécurité. Au-delà du débat économique le transport aérien semble se trouver face à un phénomène de mutation pour une période assez longue. Le temps nécessaire aux filtrages et aux vérifications va accroître les coûts de façon durable ($ 3 milliards par an pour les Etats-Unis seulement). Il faudra ajouter, suivant les pays, l'impact d'une inquiétude grandissante du passager. Aux Etats-Unis, près de 20 % des passagers annulent leurs vols à cause de la sécurité « post 9/11 ». Le métier de gestionnaire aéroportuaire devra s'adapter pour gérer cette nouvelle dynamique de flux, de technologie et de disponibilité accrue des passagers. Les gagnants dans ce nouvel environnement du transport aérien seront les compagnies qui sauront accroître le facteur de confiance de leurs clients et passagers dans un contexte de qualité du service. L'Âge d'Or des low-cost touche peut-être à sa fin. Cette nouvelle concurrence ne pourra pas se développer sans une politique nationale elle-même cherchant à accroître la confiance de ses citoyens et de ses visiteurs. L'Etat devra se garder d'adopter la solution de facilité qui consiste à dire au citoyen: « Dormez, l'Etat veille ». Aucun Etat ne peut garantir une sécurité à 100 %, sinon la déception est certaine. Le risque politique de la déception est énorme, le cas de l'attentat ferroviaire de Madrid en est un exemple. Une véritable sécurité viendra seulement d'un partenariat informé et assumé entre l'Etat et ses citoyens. Pour cela l'Etat devra traiter ses

citoyens en adultes qui assument leur part de responsabilité. Dans ce nouveau contexte, le citoyen pourra faire confiance à son gouvernement et à ses élus. Une telle cohésion rendra la nation compétitive sur le plan international.

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Seconde partie Les défaillances de la sécurité et de la sûreté des transports aériens

Les objectifs et les moyens de l'enquête technique par Olivier FERRANTE* BEA

Mode de transport jeune, le transport aérien a connu en un siècle un développement extraordinaire. Parallèlement, cette activité est devenue extrêmement sûre, même si quelques rares catastrophes, à l'instar de celle du Concorde, viennent rappeler que la sécurité est fragile et se dégrade très vite si on ne lutte pas sans cesse pour la maintenir ou l'améliorer(l). On sait que tous les aspects de l'aviation civile, aussi bien techniques qu'économiques, sont normalisés, réglementés et contrôlés de la conception des aéronefs à la gestion de leur circulation. Très tôt, la nécessité d'un bouclage permanent a été reconnue pour rechercher l'efficacité maximale de cette organisation. Ceci impliquait l'exploitation systématique des événements inhabituels, accidents et incidents, et le retour organisé des enseignements vers le savoir-faire collectif. Parce qu'elles permettaient cette utilisation de l'expérience, les enquêtes sont ainsi devenues un outil indispensable et central pour la sécurité de l'aviation. On ignore quand et où se produira la prochaine catastrophe aérienne, mais elle aura lieu. Et un jour, une telle catastrophe nous touchera de nouveau. Parce qu'elle se produira sur notre territoire ou parce qu'elle concernera une de nos compagnies aériennes. Et, dans tous les cas, ce sera un choc pour tous, aussi bien parmi les professionnels que dans la population. Et une nouvelle fois, chacun s'écriera « plus jamais ça ». Et une nouvelle fois, on demandera à l'enquête d'expliquer et de proposer.

*Ce texte se base sur une présentation de M. Arslanian, Directeur du BEA, effectuée auprès de l'Ecole nationale de la magistrature en novembre 2003. 1. A titre indicatif, voici quelques ordres de grandeur: vingt-cinq accidents mortels pour quinze millions de départs annuels en service aérien régulier, hors CEI ; mille tués en transport public pour un milliard et demi de passagers annuels.

I. Organisation des enquêtes Au fil des ans, une organisation complexe, à l'échelle du monde, a été mise en place sous l'égide de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI) pour promouvoir la sécurité de l'aviation civile. En effet, en matière de sécurité aérienne, les aspects internationaux sont incontournables. Un incident aujourd'hui au Mexique peut annoncer et aider à prévenir un accident demain en Inde, et vice-versa. Cohérence et coopération internationales sont donc essentielles. C'est pourquoi les dispositions de base relatives aux enquêtes sont partout les mêmes, elles découlent de l'article 26 de la Convention relative à l'aviation civile internationale et de l'Annexe 13 à cette Convention. A. Les textes Dans ce cadre, les Etats ont l'obligation d'ouvrir une enquête lorsqu'un accident ou un incident grave d'aviation civile survient sur leur territoire. L'organisation générale des enquêtes est codifiée, de même que les règles de notification des événements, de présentation et de diffusion des résultats. Il est spécifié dans l'Annexe 13 que « l'enquête sur un accident ou un incident a pour seul objectif la prévention de futurs accidents ou incidents» et que « cette activité ne vise nullement à la détermination des fautes ou des responsabilités ». L'Annexe 13 prévoit l'association étroite des représentants des Etats d'immatriculation et de construction de l'aéronef pour apporter à l'Etat qui mène l'enquête les compétences et informations utiles et permettre (2) un bouclage en retour aussi rapide et complet que possible. En Europe, une directive de 1994 a précisé le cadre juridique des enquêtes (dites enquêtes techniques) dans le droit-fil des règles cidessus. Elle précise que l'enquête, systématique en cas d'accident ou d'incident grave, doit être conduite par un organisme spécialisé permanent ou sous son contrôle, que cet organisme doit avoir accès sans restriction aux éléments de l'enquête et être fonctionnellement indépendant des autorités responsables de la navigabilité, du contrôle de

2. L'OACI gère aussi l'importante banque de données ADREP où les informations accidents, transmises par les services d'enquête nationaux, sont par l'entremise mêmes services à la disposition de tous ceux qui sont concernés par la sécurité.

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sur les de ces

la navigation aérienne, etc. ainsi que de toute partie intéressée, enfin que le rapport doit être rendu public. Cette directive a été transposée en droit français par la loi 99-243 du 29 mars 1999 et le décret 2001-1043 du 8 novembre 2001, constituant le livre VII du Code de l'Aviation Civile. Elle a été complétée par des dispositions relatives à la communication et aux aspects internationaux.

B. Les organismes

Il existe plusieurs modèles d'organisation des enquêtes. Cette mission est parfois l'une des tâches d'un service de l'administration aéronautique nationale, avec généralement pour les accidents maj eurs la possibilité d'institution d'une commission ad hoc. Souvent, l'enquête est confiée à un organisme spécialisé permanent qui peut prendre diverses formes. Pour simplifier, on peut distinguer le service rattaché à la Direction de l'Aviation Civile, le service autonome et la commission permanente (board), qu'elle soit aéronautique ou multimodale. En fait, il n'y a pas de modèle parfait. Chacun a ses avantages et ses faiblesses, à apprécier dans le contexte socioculturel du pays. En France, l'organisme responsable des enquêtes techniques - depuis 1946 - est le B.E.A. (naguère bureau enquêtes accidents, maintenant bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l' aviation civile). Structure spécialisée légère (un peu plus de cent personnes aujourd'hui) dotée de moyens puissants, le BEA est totalement indépendant dans le cadre de ses missions (3).Bien intégré au monde de l'aviation, il conduit les enquêtes sur les accidents, les incidents graves et, de façon sélective, sur certains autres incidents(4)puis établit et rend publics ses rapports et ses recommandations de sécurité. Les résultats des enquêtes et les recommandations du BEA sont systématiquement transmis à l'administration compétente, en général la DGAC, ainsi qu'aux exploitants et constructeurs concernés, la mise en œuvre des actions correctrices étant du ressort de ces organismes dans le cadre de leur responsabilité générale en matière de sécurité.

3. La loi précise qu'il ne reçoit ni ne sollicite d'instructions de quiconque. 4. Parallèlement, tous les incidents font l'objet d'une analyse systématique compagnies aériennes et les constructeurs.

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par la OOAC, les

Conformément aux règles internationales, le BEA participe aussi aux enquêtes à l'étranger lorsqu'elles concernent un aéronef de conception « française» (Airbus, ATR, Super Puma, etc.), un exploitant ou des ressortissants français. Il apporte son assistance technique aux administrations étrangères qui le demandent. Enfin, il participe activement à la coordination entre les différents services d'enquête européens dans le cadre de la CEAC. Cette coordination porte sur les méthodes et pratiques de l'enquête, notamment dans l'objectif d'une meilleure intégration des Etats d'Europe orientale, sur la coopération et l'échange d'informations en cas d'accident et sur l'assistance aux victimes et à leurs familles.

II. Conduite de l'enquête technique L'enquête sur un accident ou un incident comprend cinq facettes largement imbriquées:

La notification de l'événement: il s'agit d'informer le BEA qu'un événement intéressant la sécurité s'est produit et, accessoirement, de préserver les données pertinentes en vue de leur exploitation éventuelle. Quand l'événement se produit sur le territoire national, la notification est faite par le pilote commandant de bord à l'autorité de l'aviation civile la plus proche, laquelle prend les premières mesures de protection des données et informe le BEA. Quand l'événement se produit à l'étranger, l'Annexe 13 prévoit que l'autorité d'enquête compétente informe le BEA, mais l'exploitant ou le propriétaire de l'aéronef doit également l'informer directement. Les constatations: avant toute interprétation, il faut rassembler les faits pertinents pour la compréhension de l'événement. Ces constatations seront d'autant plus utiles et complètes qu'elles auront été faites rapidement par des professionnels qualifiés, ce qui suppose que l'événement a bien été identifié et immédiatement signalé. Les enquêteurs examinent l'éventuelle épave et le site, ils prélèvent des pièces pour examen, ils demandent communication des dossiers de l'équipage et de l'avion, des données de circulation aérienne, recueillent les témoignages, etc. Dans le cas d'un événement de transport public, ils prélèvent également les enregistreurs de vol. Les expertises et recherches: il convient ensuite d'exploiter les éléments recueillis, c'est-à-dire de procéder à l'exploitation des

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enregistrements, à l'examen des ruptures ou de certains équipements, aux reconstructions, autopsies, simulations, etc. Il faut procéder également à la synchronisation des différentes informations disponibles (par exemple rapprocher les enregistrements de bord des enregistrements radar ou des éventuelles déformations de la structure), à l'examen de la réglementation applicable ou des structures de l'entreprise, etc. Il s'agit de compléter les faits rassemblés et de les comprendre, aussi précisément que possible. L'analyse et les conclusions: après la reconstruction du scénario de l'événement, ou parfois des divers scénarios possibles, la dernière phase de l'enquête comporte l'identification et la compréhension des diverses imperfections ou défaillances du système au sens large qui ont contribué à l'événement, l'ont favorisé ou ne l'ont pas empêché. Elle doit permettre d'en tirer des enseignements pour l'amélioration de la sécurité, notamment au travers des recommandations de sécurité. Avec l'élévation du niveau de sécurité de l'aviation et la complexification des systèmes embarqués, il devient de plus en plus difficile de se satisfaire d'une cause unique, « immédiate », cause qu'en caricaturant un peu on qualifierait d'anecdotique pour la sécurité. L'accident résulte souvent d'un faisceau de causes diverses dont l'enchaînement, très peu probable, s'est pourtant matérialisé. Corrélativement, pour progresser et prévenir, il faut comprendre comment cet enchaînement a pu se développer, il faut aller aux causes profondes. Et de ce point de vue, même si l'enquête n'a pas pu déterminer avec certitude les causes de l'accident, chaque scénario ou chaque hypothèse est porteur de messages de sécurité. La diffusion de l'information: l'enquête n'a de sens que dans la mesure où elle est étroitement liée à la transmission de l'information acquise. Longtemps, il a suffi d'informer rapidement les responsables et les entreprises concernées, de façon à leur permettre de prendre les mesures qui s'imposaient. Ceci reste bien sûr une exigence forte. Progressivement cependant, il est apparu nécessaire d'aller au-delà, d'informer clairement et régulièrement le public, ne serait-ce que pour éviter une crise de confiance. De plus, nul ne peut ignorer aujourd'hui l'attente forte des victimes et de leurs familles pour une information rapide et précise. C'est pourquoi le BEA fait des points réguliers au cours des grandes enquêtes, diffuse largement ses rapports et les met en ligne sur son site Internet www.bea.aero.

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III. Relations avec la justice Ce court texte serait incomplet s'il n'évoquait également les relations du BEA avec l'autorité judiciaire. En effet, on ne peut feindre d'ignorer qu'un accident apporte souffrances et préjudices et que, pour les réparer, il est fondamental que les fautes éventuelles ou les responsabilités soient déterminées. C'est le rôle des tribunaux et pour cela, ils ont aussi besoin de comprendre ce qui s'est passé et pourquoi. Plus précisément en France, dans le cadre pénal, une enquête parallèle à l'enquête technique sera en général conduite sous l'autorité du procureur de la République ou d'un juge d'instruction, d'ordinaire par les gendarmes des transports aériens. Le juge nomme parfois aussi un ou plusieurs experts judiciaires pour lui faire rapport. Les enquêtes technique et judiciaire ont des objectifs différents et des approches souvent contradictoires. Elles correspondent à deux démarches distinctes, conformément à leur objectif respectif, la sécurité de l'aviation civile pour l'une, la sanction/réparation pour l'autre. Pour l'enquête technique, l'important est d'identifier les dysfonctionnements possibles, par la recherche des circonstances et des causes probables (tant mieux lorsqu'elles sont certaines, mais ce n'est pas fondamental). Pour l'enquête judiciaire, l'important est de déterminer, de façon aussi irréfutable que possible, les responsabilités en présence, les fautes commises. Il en résulte des structures différentes pour l'enquête, collégiale et supposant la confiance et la communication permanente de l'information acquise pour l'une, individuelle et fondée sur le respect de la procédure et le secret des travaux pour l'autre. L'une est souvent pressée, de crainte d'un nouvel accident avant que ses travaux n'aient pu être exploités, l'autre a figé le temps à la date de l'événement. Ce n'est donc pas une situation simple. En revanche, l'existence de deux enquêtes distinctes présente un avantage rarement évoqué: il n'y a pas de confusion des genres. L'enquêteur aéronautique n'a pas à justifier l'indépendance de sa démarche ni à établir un dossier juridiquement recevable, il n'a pas non plus à s'interroger sur l'interprétation pénale de certains faits. Le juge, constitutionnellement indépendant, dirige sa propre enquête, dit le droit et c'est lui qui garantira la protection des intérêts des parties. Quoi qu'il en soit, les deux enquêtes ne peuvent s'ignorer et doivent bénéficier l'une de l'autre. Elles travaillent sur des matériaux communs,

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l'épave en particulier, et s'appuient sur des compétences et des moyens complémentaires. Ainsi, du côté de la justice les autopsies, les descriptions minutieuses, la protection des indices, du côté des enquêteurs techniques l'expérience, les moyens de dépouillement des enregistreurs, d'examen des épaves, d'expertise des composants. Des instructions, renforcées par la loi, coordonnent et organisent l'action des enquêteurs techniques et judiciaires et l'expérience montre qu'entre personnes responsables et de bonne volonté, il est toujours possible de trouver une solution aux éventuelles difficultés. Il reste à améliorer les synergies et à optimiser les coûts pour la collectivité. Une voie pourrait être la reconnaissance du rôle central maintenant donné par la loi au BEA pour la détermination des faits, pour la constitution du « socle technique» sur lequel les deux analyses pourraient se développer. Il convient de noter qu'il existe une certaine tendance des deux démarches à s'influencer réciproquement, à se « polluer ». Ainsi, du fait de certaines contestations, l'accentuation de l'aspect procédurier des enquêtes techniques, de la démonstration à tout prix (à tous coûts!) de toute conclusion. Et, pour la justice, le glissement vers les causes de contexte, la démonstration fondée sur les facteurs humains, tout ceci est particulièrement préoccupant du fait de l'importance aujourd'hui du principe de précaution.

REFERENCES OACI - Annexe 13 : Enquêtes sur les accidents et incidents d'aviation Directive 94/56/CE du 21 novembre 1994 Livre VII du Code de l'Aviation Civile.

117

Les défaillances de la sécurité et de la sûreté des transports aériens: quels pouvoirs d'investigations? par Le Lieutenant-colonel Raymond H.A. CARTER Officier adjoint au commandant de la gendarmerie des transports aériens Docteur en droit.

Après avoir vu le jour dans les années 1930/31, la Piraterie aérienne connaît un pic spectaculaire le Il septembre 2001 avec près de 3300 morts consécutivement aux détournements simultanés de quatre appareils américains, suscitant l'effroi de la communauté internationale. Ce dramatique épisode du terrorisme international provoque des réactions en chaîne afin de pallier l'adaptation constante de la piraterie aérienne aux évolutions technologiques. Comme tous les autres pays, la France s'implique plus largement afin de mieux couvrir le spectre des risques potentiels liés aux actions terroristes pour renforcer la sécurité et la sûreté des transports aériens et diminuer les risques de défaillance des dispositifs mis en place, notamment sur les zones aéroportuaires et aérodromes importants. Avant 2002, les infractions à la sûreté aérienne restaient du domaine de la police judiciaire. Des infractions étaient constatées et relevées à l'encontre de personnes physiques puis les procès-verbaux (PV) transmis au parquet. Après janvier 20021, les mêmes faits intègrent celui de la police administrative: les «manquements» à la sûreté aérienne peuvent être relevés à l'encontre des personnes physiques et morales. D'où l'émergence d'une certaine «bipolarisation» issue de la convergence, l'interpénétration, la complémentarité entre les actions de polices administrative et judiciaire. Qui dit complémentaire dit indissociable; qui dit indissociable dit nécessité de coordination. C'est dans le cadre de cette problématique que s'inscrivent les actions de police administrative et de police judiciaire et se développe un «droit mixte» chargé de concilier sûreté et sécurité à la recherche d'un équilibre entre «liberté et sûreté», réglementation et mise en œuvre, le tout sur un arrière-plan commercial de plus en plus puissant.

1

Décret n02002 -24 du 3 janvier 2002 relatif à la police de l'exploitation des aérodromes

et modifiant le code de l'aviation civile et décret n02002-1 026 du 31 juillet 2002 relatif à certaines mesures de sûreté et de sécurité du transport aérien et modifiant le code de l'aviation civile.

C'est à partir de ce «droit mixte» que va s'exercer la «police spéciale du code de l'aviation civile» et ses pouvoirs d'investigations à la fois administratifs et judiciaires qui vont permettre soit de travailler en mode préventif, en amont de tout incident ou accident, soit en mode répressif après constatations des faits. I. Pouvoirs d'investigation en matière d'infractions à la sûreté Il convient tout d'abord de différencier «sécurité» de «sûreté ». La sécurité a pour objet d'assurer la prévention et les secours contre les sinistres; elle concerne en priorité les accidents, faits ou actes nonintentionnels ou involontaires dus à la malfaçon, le hasard ou l'imprudence. La sûreté a pour objet d'assurer, au sens de l'ordre public du terme, la protection contre les actes de malveillance, d'éviter toute atteinte à l'aviation civile; elle vise à relever des infractions (contre des actes criminels, de destruction, terroristes...) et des «manquements»2 (non port de badge...), en fait des faits ou actes intentionnels comportant une volonté de nuire. Au sens de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (O.A.C.I.), la sûreté est la «combinaison de mesures ainsi que de moyens humains et matériels visant à protéger l'aviation civile contre les actes illicites »3.Par «actes d'intervention illicite», il faut entendre «tous actes ou tentatives d'actes de nature à compromettre la sécurité de l'aviation civile et du transport aérien, c'est-à-dire la capture illicite d'un aéronef en vol ou au sol, la prise d'otage à bord d'un aéronef ou dans un aéroport, l'intrusion par la force à bord d'un aéronef dans un aéroport ou dans l'enceinte d'une installation aéronautique, l'introduction à bord d'un aéronef ou dans un aéroport d'une arme, d'un engin dangereux ou d'une matière dangereuse, à des fins criminelles, la communication d'informations fausses de nature à compromettre la sécurité d'un aéronef en vol ou au sol, de passagers, de navigant, de personnel au sol ou du public, dans un aéroport ou dans l'enceinte d'une installation de l'aviation civile»4.

Au plan pratique, il s'agit pour le représentantde l'ordre - la police de l'air et des frontières (PAF) pour la zone publique (ZP), la gendarmerie des transports aériens (GTA) pour la zone réservée (ZR), et parfois la ZP ainsi que la Douane - de concilier sûreté et sécurité sans pour cela 2

Pour tout contrevenant aux dispositions réglementaires (Art.R.217-1 du Code de

I ' Aviation 3 Définition

4

Civile

(CAC).

de l'annexe

Définition

recommandations

7 de l'G.A.C.I.

du «manuel prévues

de sûreté dans

l'annexe

de l'G.A.C.I.» 17 de l'G.A.C.I.

120

donnant

le détail

des mesures

et

perdre de vue les réalités commerciales qui s'y rattachent. Sécurité et sûreté sont parfois très étroitement liées, comme dans le cas d'un vol d'uniforme de pilote: il peut intéresser à la fois la sûreté et la sécurité (l'uniforme permettant d'accéder à la zone réservée avec un badge tout en se substituant à une fonction par un port illégal). Notre propos vise principalement les actions de police menées au niveau de l'aviation civile ;, mais des dérogations sont possibles parfois lors d'accidents entre aéronefs civils et militaires. La «procédure pénale policière»5 reste adaptée à l'aviation civile et en priorité réservée aux aéroports6 et aérodromes7. Suivant l'article R.213-2 du Code de l'Aviation Civile (CAC), il existe la ZP, dont l'accès à certaines parties peut être réglementée et la zone réservée ZR, divisée en secteurs. L'accès à la zone réservée, non librement accessible au public, est soumis à la possession de titres spéciaux8 sur les aérodromes et aéroports ainsi qu'en dehors de cette zone, dans les «lieux à usage exclusifs» attenant à ceux-ci9. Notons que la notion de «partie critique», zone regroupant une partie de la ZP, où les passagers se présentent pour prendre l'avion et de la ZR, regroupant la zone de stationnement de l'aéronef concerné et l'axe emprunté par les bagages de soute, qui nécessiterait un renforcement du contrôle de la sûreté, est actuellement en cours d'étude. Au sein de ce «droit mixte», le volet police administrative prend en compte à la fois prévention et répression. La présence des représentants de l'ordre et autres agents habilités 10sur les lieux permet de prévenir toute défaillance de la sécurité et de la sûreté. Une parfaite connaissance des textes prévoyant la police de conservation, la police d'exploitation, les infractions aéronautiques ainsi que les infractions pénales permet ainsi un balayage large et complet sur les zones de compétence respectives des représentants de l'Etat et autres personnels civils autorisésll à travers des pouvoirs spécifiques de police administrative. 5 Voir infra. 6 Aéroport: Notion commerciale (passagers et fret) dont le directeur est généralement un représentant de la chambre de commerce (Exemple: l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle ). 7 Aérodrome: Notion juridique dont le directeur est un représentant de l'Etat (Direction générale de l'aviation civile) qui veille à l'application des lois et règlements. 8 Possession d'une habilitation valable sur l'ensemble du territoire national et un titre de circulation (art.R.213-4 du CAC). 9 Voir les articles R.213-2 et R.213-4 du CAC. 10 Des agents habilités d'entreprises privées sont employés pour garantir la sécurité et la sûreté dans la zone aéroportuaire à travers des dispositifs de contrôle spécifiques. 11 Voir l'article L.282-8 du CAC.

121

Il. Les pouvoirs des ministres chargés de l'Intérieur, des Douanes, de la Défense et des Transports ainsi que des préfets en matière de sûreté des transports aériens civils III. Bases juridiques Suivant l'article R.213 du CAC, le ministre chargé des Transports prend des arrêtés pour tout ce qui touche aux conditions techniques relatives aux infrastructures et matériels alors que les arrêtés conjoints des ministres des Transports/Défense/lntérieur et Douanes concernent les autres dispositions. Suivant les termes des articles L.213-2 et R.213-1 du CAC, les préfets peuvent prendre des arrêtés dans le cadre de la police des aérodromes et installations aéronautiques12. Il y exerce les pouvoirs impartis aux maires par l'article L.2212 du code général des collectivités territoriales. Un décret en Conseil d'Etat en détermine les modalités d'application. 112. Compétences Les préfets exercent leur compétence sur leur circonscription habituelle (département ou zone aéroportuaire spécifique pour Roissy). Leurs pouvoirs de police, déterminés par l'article R.213-3 du CAC sont liés aux limites des zones publiques et privées, aux accès à la ZR, aux conditions d'accès et circulation en Z.P. (PAF - Douanes - GTA), aux conditions d'accès et circulation en Z.R.(Douanes - GTA), aux zones accessibles au stationnement et à la circulation des aéronefs, aux dispositions des aires de stationnement des aéronefs, aux dispositions des aires de stationnement des aéronefs, aux mesures générales de protection des incendies et sauvegarde des personnes et des biens, aux prescriptions sanitaires et aux dispositions applicables à la garde des aéronefs. 12. Les pouvoirs des représentants de l'ordre 121. Bases juridiques Les articles L.282-8 et R.213-3 du CAC déterminent les mêmes pouvoirs qu' en ~.112 pour les représentants de l' ordre (PAF, Douanes, GTA). Les Officiers de police judiciaire13 (OPJ), les agents de police judiciaires14 (APl) et agents de police judiciaire adjoints15 (APJA) assurent préventivement la sûreté des vols, tant en régime national 12 C'est un sous-préfet Charles de Gaulle. 13

14 15

Article

qui est chargé de ces mesures sur l'aéroport

16 et 19 du CPP.

Article 20 du CPP. Article 21 du CPP.

122

international

de Roissy

qu'international avec des pouvoirs spécifiques 16.Pour les militaires de la GTA, ce sont les dispositions du décret organique du 20 mai 1903 qui régissent leur action en ce domaine I7. 122. Compétences Nous pouvons tenter une définition d'approche concernant la compétence «ratione loci» qui se réalise en zone réservée suivant les termes de l'article R.213-2 du CAC, dans les «lieux à usage exclusif» 18 et les autres lieux dans le cadre des dispositions de l'article 18 du Code de Procédure Pénale (CPP). En ce qui concerne la compétence «ratione materiae», ce sont essentiellement les crimes et délits (dégradation, destruction...) prévus à l'article L.282-1 du CAC.19, le «bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité» des zones aéroportuaires prévus à l'article R.213-3 du CAC., voire des infractions purement aéronautiques (survol d'une zone interdite...) prévues soit par le code pénal (CP), le CAC ou certains arrêtés ministériels spécifiques20. La compétence «ratione personae» s'exerce sur des personnes non habilitées à accéder dans la ZR conformément aux articles R.213-1-1 et R.213-4 du CAC. 13. Les pouvoirs des «agents habilités» 131. Bases Juridiques L'article R.282-5 du CAC détermine les conditions d'agrément des agents de sûreté qui contrôlent et interviennent en cas de «manquements». Quant aux employeurs, ils ont également des obligations envers les agents de sûreté suivant les termes de l'article R.282-6 du CAC. Le travail de ces agents de sûreté est placé sous le contrôle des représentants de l'ordre (PAF, Douanes, GTA). 132. Compétences L'article L.282-8 du CAC prévoit les pouvoirs des agents de sûreté. Ils ont certaines obligations pour la réception des expéditions suivant les dispositions de l'article R.321-6 du CAC et pour la sécurisation des expéditions conformément à l'article R.321-7 du même code. Ils agissent sous le contrôle des OPJ, APJ et APJA suivant des pouvoirs de contrôle relevant essentiellement du domaine de la sûreté aérienne (contrôle de badge.. .).

16

Voir infra. 17 Articles 51, 59,292,294,298 18 Voir l'arrêté du 12/11/2003, 19 Voir infra.

et 309 du décret du 20 mai 1903. Titre V -Exploitation des lieux à usage

20

exclusif

A.M. du 17/11/1958 (survol d'une agglomération sans respect des règle fixant l'altitude), du 31/07/1981 (conduite d'un aéronef sans brevet ni licence), du 24/07/1991 (transport de passager sans expérience requise).

123

14. La Police des Transports aériens 141. La police de la conservation. Elle concerne essentiellement la protection des bâtiments, infrastructures et installations aéronautiques. 141.1. «Infractions )} Il s'agit essentiellement de crimes et de délits prévus par les articles L.282-5 et R.213-1-1 du CAC: dégradations d'immeubles ou d'installations destinés à la circulation des aéronefs; fonctionnement des installations (trouble) ; destruction ou dégradation d'aéronefs sur l'emprise d'un aérodrome; entrave à la navigation ou la circulation des aéronefs; interruption de ces activités par dispositif matériel, substance et/ou arme. Ce domaine d'action rejoint celui de la lutte contre le terrorisme. Ces infractions sont réprimées par les articles 322-1 à 322Il et 322-15 du CPo 141.2. Procédures établies et destinations Bien que prévues par le CAC, ces infractions seront relevées par procès-verbaux soit en enquête préliminaire (art. 75 à 78 du CPP), soit en flagrant délit (art.53 du CPP), soit sur commission rogatoire (art. 151 à 155 du CPP). Ces procédures sont adressées au Procureur de la République. 141.3. Saisine du ministère public Suivant les dispositions de l'article L.282-6 du CAC, le directeur général de l'Aéroport de Paris (ADP), les directeurs des régions aéronautiques, les directeurs d'aéroport principal (aérodrome et installation aéroportuaire principale), ingénieurs en chef des services des bases aériennes (aérodrome et installation de leur circonscription) et les commandants des bases aériennes militaires reçoivent copie des procès-verbaux dressés pour constater les infractions à la police de la conservation des installations et ouvrages du domaine aéronautique et peuvent adresser au ministère public leur avis sur la gravité des faits relevés et présenter des observations devant la juridiction saisie des poursuites. 142. La police de l'exploitation 142.1. «Manquements)} Les manquements sont des infractions aux dispositions réglementaires qui peuvent faire l'objet de sanctions administratives prévues par l'article R.217 -1 du CAC. 142.2. Pouvoirs spécifiques. La GTA retient quatre modèles de procès-verbaux de renseignements administratifs pour les manquements à la sûreté. Le premier pour les manquements constatés en ZR, relevés à l'encontre des transporteurs aériens, des exploitants d'aérodrome ou des personnes morales

124

autorisées à occuper ou utiliser la ZR21. Le deuxième pour les manquements à la sûreté aéroportuaire susceptible de faire l'objet d'une procédure simplifiée, pour l'un des cinq cas prévus à l'article R.217-2-1 du CAC. Le troisième pour tout manquement relatif aux titres d'accompagnement conformément au CAC22 . Enfin, le quatrième relatif à l'inobservation des règles d'exploitation d'un aérodrome, utilisé pour les manquements constatés dans une zone non accessible au public (liste non exhaustive). Ces procédures sont adressées au préfet territorialement compétent. Il peut y avoir également «montée en puissance» de l'action des agents de l'Etat, voire interpénétration d'actions de police administrative et de police judiciaire. Par exemple, un contrôle et le constat d'un manquement peuvent amener à l'interpellation d'un individu présent en zone de sûreté à accès réglementé et ne portant pas en évidence une pièce d'identité valable par les représentants de l'ordre suivant certaines dispositions européennes23. Une «vérification de concordance» s'ensuit entre le porteur du badge et le titulaire réalisé par le biais d'un rapprochement documentaire en demandant au porteur de présenter simultanément son titre de circulation et un document attestant de son identité, muni d'une photographie. Un contrôle d'identité au sens du CP peut s'ensuivre avec toutes les conséquences qui en découlent. La fouille sûreté prévue par le CAC (contrôle par agents habilités puis action des représentants de l'ordre peuvent également précéder une interpellation pour port d'arme prohibé (infraction pénale). La vérification de sûreté d'un aéronef est également prévue par un règlement européen applicable en France24. IS.Sanctions Les sanctions entrant dans le cadre de la lutte contre les défaillances à la sécurité et la sûreté aérienne peuvent être administratives ou pénales. Dans le premier cas, ce sont les personnes physiques qui peuvent être punies d'une amende allant jusqu'à 750 euros et même la suspension du titre de circulation conformément aux dispositions de l'article R.2I7-1-1 du CAC. Un défaut de port de badge ne pourra être sanctionné par plus de 150 euros d'amende et six jours de suspension. Les personnes morales peuvent être sanctionnées par des amendes pouvant aller, pour 21

Prévus par l'arrêté interministériel leurs annexes.

22 23

du 12/11/2003

et les règlements

CE n02320 et 622 et

Voir les articles R.213-3; R213-4, R.213-7; R.217-1 ; R.217-2 et R217-3 du CAC. Cf. au ~ 2.2.1.1. b de l'annexe du règlement (Communauté Européenne [CE])

622/2003. 24 Cf. au ~ 3.1.2.1. de l'annexe

du règlement

(C.E.) 622/2003.

125

chacune d'elles, jusqu'à 7500 euros suivant les termes de l'article R.21 7-1-11 du CAC. Les sanctions pénales varient suivant les infractions. Pour les infractions concernant la police de la conservation25 prévues à l'article L.282-5 du CAC, les peines peuvent aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 250000 fr d'amende. Si une blessure ou maladie en résulte, la réclusion criminelle à temps de 5 à 10 ans peut être prononcée. S'il y a eu mort d'une ou plusieurs personnes, la réclusion criminelle à perpétuité pourra être retenue à l'encontre du ou des coupables. Il existe également d'autres cas particuliers26. Notons enfin que le CAC anticipe en quelque sorte sur la loi dite « PERBEN II>>en retenant la notion de « bande »27. Quant aux cas particuliers, nous pouvons retenir la situation des stades d'alerte «Vigipirate» ; notons qu'un manquement à «Vigipirate» n'est pas directement sanctionné. La société ou l'entreprise contrôlée peut refuser le contrôle obligatoire en zone réglementée, mais le préfet ou le sous-préfet compétent peut lui en interdire l'accès (sanctions administratives) et retenir une ou plusieurs infractions pénales le cas échéant (outrage, rébellion, coups et blessures.. .). Un second exemple intéressant concernant l'agrément d'une entreprise sur la Z.R. : le nonport d'un badge constitue un manquement puni par une sanction administrative (défaut de port ou non-présentation) pouvant se muer ensuite en infraction pénale (si usage de faux ou usurpation d'identité). 152. Suivant l'origine du texte prévoyant l'infraction ou le manquement Le CAC et le code pénal peuvent prévoir des infractions dans le cadre de la police de conservation ou de l'exploitation, suivant les circonstances. Les manquements sont principalement prévus par les arrêtés préfectoraux et autres textes conformément aux dispositions de l'article R.217.1.1 du CAC et de l'article R.217.1.1I du CAC comme nous l'avons indiqué. Le «droit mixte» au sein duquel s'exerce la police spéciale de l'aviation civile nécessite de la part des enquêteurs une parfaite connaissance des textes légaux et réglementaires relatifs à l'exercice de la police administrative et de la police judiciaire ainsi que les textes européens, de plus en plus présents et appliqués au niveau national. Cependant, l'action en amont des défaillances à la sécurité et à la sûreté peut présenter des failles et amener les représentants de l'ordre

25 26

Articles 322-1 à 322-11 et 322-15 du CPo Attaque ou résistance avec viol et voie de fait envers les agents ou préposés à la garde,

assimilées à une rébellion, 27 Voir infra.

prévues

et réprimées

126

par les articles

433-7

et 433-8

du CPo

compétents à exercer leurs prérogatives en aval de l'incident ou de l'accident aérien, sous le contrôle de l'autorité judiciaire. II. Pouvoirs d'investigation en matière d'infraction pénale 21. Les dispositions du Code de procédure pénale 211. Enquête préliminaire Il s'agit de la procédure la plus couramment utilisée au sein de la GTA, que ce soit dans le domaine des enquêtes criminelles que dans celui des accidents aéronautiques. 212. Enquête deflagrant délit Il s'agit d'une procédure utilisée dans des cas bien précis pour des enquêtes criminelles d'urgence ou des accidents mortels d'aviation importants, traités généralement en homicides involontaires et blessures involontairescomme dans le cas du Concorde, le 25 juillet 2000. Cette enquête donne une idée des capacités de la GTA dans ce domaine spécialisé, travaillant de concert avec le Bureau Enquête Analyse (BEA)28, voire en rapport avec les experts mandatés par le parquet. Il s'agit de «constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte»29. Les opérations de transport, constatations, mesures prises, de police technique (quadrillage des lieux de 1' accident), planches photographiques, de saisie et placement sous scellés (objet, documents, carburant...), réquisition à personnes qualifiées, d'investigation et saisie de bandes audio, de bris de scellés et remise, de réquisition de prestation de service (pompiers...), de relevage de corps, d'audition de témoins, de renseignement et d'inventaire sont rapportées dans un procès-verbal comportant un PV de synthèse partielle, un PV d'investigations (saisine), des dossiers «réglementation équipage », «historique du Concorde », «préparation du vol », «témoignages », «visites, inspection, entretien », «actes de malveillance/suggestions », « réquisitions» et «plaintes diverses ». Il s'agit de couvrir l'ensemble des faits entourant l'accident de façon à donner au juge la vision la plus objective. 213. Enquête sur Commission rogatoire Diligentée sous le contrôle du juge d'instruction, cette procédure succède généralement à l'une des deux précédentes.

28

Parfois également avec le Bureau militaire est concerné. 29 Art. 14 du CPP.

Enquête

127

Accident

Défense

(BEAD)

si un aéronef

22. La Loi du 9 mars 2004 dite loi