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La coordination des politiques budgétaire et monétaire
Le policy mix a d’abord été envisagé comme un problème d’affectation optimale des instruments aux objectifs à partir de l’article fondateur de Mundell de 1962 qui préconise l’affectation de la politique monétaire à l’équilibre externe et l’affectation de la politique budgétaire à l’équilibre interne. Néanmoins, comme le soulignent Kydland et Prescott en 1977, la politique économique est un jeu contre des agents rationnels et non contre la nature. Dans cette optique, les multiplicateurs statiques deviennent instables et les politiques de stabilisation se conçoivent dès lors mieux dans le cadre d’un jeu stratégique que dans le cadre d’un problème de contrôle optimal. En conséquence, les interrogations sur le policy mix se sont transformées : l’analyse s’est déplacée du problème de l’affectation des instruments aux objectifs vers celui de la coordination entre les autorités de politique économique. Pour qu’une politique économique soit efficace, on doit disposer d’autant d’instruments indépendants que d’objectifs à atteindre, énonce la règle de Tinbergen (1952). Toutefois, si cela se trouve être une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante. Le mode de financement des dépenses publiques est en effet le lieu d’une interdépendance entre instruments non prise en compte par les premières analyses du policy-mix pouvant conduire à un conflit entre stabilité des prix et croissance du fait de leurs effets croisés. Comment dès lors prendre en ligne de compte cette influence réciproque ? Trois objectifs sont assignés à la coordination : exercer un suivi permanent des stratégies nationales mises en oeuvre pour assurer une croissance non inflationniste et soutenue à même de stimuler la création d’emplois ; assurer un dosage approprié des politiques économiques, ce qui suppose la prise en compte des effets de contagion ou d’éventuelles externalités négatives pouvant se produire en cas de décisions non coordonnées ; proscrire les comportements de passagers clandestins, id est éviter les situations sous-optimales dans lesquelles certains décideurs politiques refusant d’assumer leur responsabilités adoptent une attitude d’attentisme dans l’espoir de pouvoir bénéficier des résultats obtenus par leurs pairs. La création de la monnaie unique a profondément modifié la question de la coordination des politiques macroéconomiques. Au niveau national, le dialogue formel et informel entre gouvernement et banque centrale offrait le cadre nécessaire pour coordonner les politiques budgétaire et monétaire. Le transfert au niveau européen des compétences en matière monétaire limite les relations entre gouvernement et banque centrale nationale à un échange d’informations utile certes mais très en retrait d’une véritable coordination qui implique négociation et compromis. C’est donc au niveau européen seulement que peut prendre place le policy-mix. Mais la situation se complique considérablement du fait qu’elle implique désormais plusieurs gouvernements. Impératif d’optimum social, la coopération des autorités monétaire et budgétaire doit être activement recherchée afin de minimiser les situations d’équilibre sous-optimal. Si la difficulté de la tâche à accomplir est réelle, il n’en reste pas moins que des efforts soutenus ont déjà été engagés, même si le paradigme coopératif doit encore être perfectionné. I.
Loin d’évoluer dans des univers hermétiques, les politiques budgétaire et monétaire relèvent d’un phénomène d’interaction réciproque A. Si le monétarisme isole sphère réelle et sphère monétaire, la politique monétaire influence la politique budgétaire selon l’approche keynésienne
a. Selon l’approche monétariste, renouveau de l’analyse quantitative, sphère monétaire et sphère réelle sont distinctes Pour les classiques, la monnaie est un voile, dans la mesure où elle ne peut modifier les conditions de l’échange des biens et services. « Le besoin de monnaie que l’on éprouve n’est pas autre chose que le besoin de biens que l’on achètera avec cette monnaie » (Walras). Selon la relation entre masse monétaire et prix développée par l’équation de Fischer, l’inflation n’est due qu’à un excès de
monnaie et l’émission de monnaie n’a d’influence que sur le niveau des prix. La référence quantitative néglige la demande de monnaie. Dès lors, la régulation de la masse monétaire permet de juguler l’inflation sans conséquences sur les grandeurs réelles de l’économie. Cette approche est radicalement remise en question par l’analyse keynésienne, ce qui donnera une justification aux politiques monétaires accommodantes. A l’opposé des recommandations keynésiennes de politique monétaire discrétionnaire, les monétaristes (Friedman, Hayek) relayés par la nouvelle économie classique (Sargent, Wallace, Lucas) vont proposer à partir des années 60 d’encadrer la politique monétaire dans des règles strictes. Pour les monétaristes, la demande de monnaie est en effet une fonction stable et l’inflation trouve sa source dans la création de monnaie. Les variations de la quantité de monnaie n’ont d’effets que sur la hausse générale des prix sans modifier le niveau de production, d’emploi et les taux d’intérêt réels, qui par définition à l’équilibre, sont déterminés par le jeu du marché. Les politiques monétaires n’ont d’influence que sur le taux d’inflation. Dès lors, la politique monétaire n’a pas pour objet de fixer ni le niveau d’emploi ni le niveau des taux d’intérêt réels mais elle contribue à stabiliser le système économique. La politique monétaire doit engendrer un niveau des prix stable ou croissant à un rythme faible connu à l’avance. Pour les théoriciens de la nouvelle économie classique, les agents économiques sont capables d’anticiper les effets des décisions de politique économique. Ces anticipations rationnelles (au sens où elles utilisent toute l’information disponible et l’intègrent dans un modèle économique cohérent) rendent vaines les décisions de politique économique. Ainsi, une politique monétaire accommodante n’aura aucun effet sur la consommation car les ménages augmenteront leur épargne en prévision d’une augmentation de l’inflation. Par conséquent, il n’y a plus à proprement parler de politique monétaire mais la simple gestion d’un agrégat déterminé par l’environnement économique. Concernant les modes d’action, les monétaristes préconisent l’adoption de la masse monétaire comme cible et l’indépendance de la banque centrale par rapport aux prescriptions des autorités politiques. L’existence de délais de réaction nombreux et mal connus justifie le recours à une politique monétaire automatique plutôt que discrétionnaire. Les effets d’une politique discrétionnaire perturbent la réalisation du retour naturel de l’économie à l’équilibre. La masse monétaire doit croître d’un taux fixé à l’avance et proche du taux de croissance de l’économie. Les orientations doivent être définies à moyen terme et ne doivent pas varier en fonction de la conjoncture. La politique monétaire doit être neutre. b. La remise en cause keynésienne de la dichotomie : le spillover d’une politique monétaire accommodante sur les variables réelles de l’économie L’approche keynésienne prend pour hypothèse la fixité des prix et arrive à la conclusion qu’une politique monétaire active peut avoir pour effet d’améliorer les niveaux de production et l’emploi. La remise en cause par Keynes de la dichotomie classique sert de fondement à la construction ISLM, élaborée à l’origine par Hicks en 1937 et par Hansen en 1953. Deux hypothèses de l’analyse classique sont ainsi remises en cause. D’une part, l’économie peut ne pas être au plein emploi et le niveau de production, fonction de la demande anticipée, n’est pas une donnée exclusivement définie dans la sphère réelle. D’autre part, l’hypothèse de vitesse de circulation de la monnaie constante est abandonnée. La demande de monnaie peut se justifier par elle-même. Keynes met en évidence trois motifs spécifiques pour cette demande : - un motif de transaction (besoin d’encaisses nécessaires à la réalisation des échanges) ; - un motif de précaution (souci de disposer des réserves permettant de faire face à un événement imprévu) ; - un motif de spéculation qui est une fonction décroissante du taux d’intérêt : les agents constituent des encaisses liquides d’autant plus importantes que les taux d’intérêts sont faibles. En effet, la propension des agents à placer leur épargne dans des titres plutôt que de détenir des liquidités est faible, car le risque qu’ils prennent serait peu rémunéré. Plus fondamentalement, le cours des titres est directement corrélé au taux d’intérêt : lorsqu’ils sont élevés, les cours des obligations sont bas et les agents anticipent une
hausse des cours et donc des plus values. Les agents préfèrent les titres à la monnaie. Inversement, si les taux d’intérêts sont faibles, les agents appréhendent des moins values et préfèrent s’en prémunir en détenant des liquidités plutôt que des titres. Pour Keynes, la demande de monnaie est donc instable, ce qui remet en question la formule de Fischer, et le taux d’intérêt affecte la demande de monnaie. B. La politique budgétaire influe sur la politique monétaire à travers les effets d’éviction a. L’éviction par l’inflation fait interagir politique budgétaire et politique monétaire Les économistes monétaristes, comme Milton Friedman, estiment qu’à terme le processus de relance budgétaire est voué à l’échec : son seul effet serait de favoriser l’inflation. Dans un premier temps de la relance budgétaire, les ménages, victimes de l’illusion monétaire, estimeront que leur revenu permanent est amené à croître et réviseront à la hausse leur consommation. Cependant, les entreprises n’augmentant pas leurs investissements, la carence de l’offre de produits favorisera une hausse des prix, qui à son tour incitera les travailleurs à négocier une progression de salaire. La montée des prix et des coûts salariaux déclenchera alors un processus inflationniste qui montrera aux ménages que la relance n’avait en fait touché que leur revenu transitoire. Par conséquent, ils modifieront à nouveau leur niveau de consommation, mais dans un sens restrictif, ce qui annulera l’effet réel de la relance : seul un niveau d’inflation plus élevé restera. Pour les économistes de la nouvelle école classique et notamment ceux qui s’appuient sur la théorie des anticipations rationnelles (Lucas et Sargent, 1972), la relance budgétaire ne peut avoir de conséquences sur le niveau effectif d’activité. En effet, l’économie étant par construction en situation d’équilibre pour les tenants de cette école, toute injection d’une demande étatique supplémentaire va se traduire par une tension sur les facteurs de production qui viendra perturber l’équilibre initial. Il va en découler une tension sur les prix, d’autant plus forte qu’elle sera anticipée par tous les agents économiques. L’augmentation du revenu des agents sera donc purement nominative et non réelle : l’inflation créée par le déficit absorbera tout le supplément nominal de revenu distribué. La pertinence du processus inflationniste décrit dépend en fait de plusieurs facteurs, qui reposent principalement sur la formation des anticipations des agents. L’inflation peut en effet être accélérée lors des périodes de déficit par les anticipations des ménages et des entreprises, s’ils estiment que l’Etat laissera les prix dériver afin de diminuer le coût de remboursement de la dette qu’il a accumulé. Surtout, l’apparition de phénomènes inflationnistes est subordonnée à la pratique d’une politique monétaire plus laxiste. Si les agents anticipent que l’Etat laissera la masse monétaire croître de manière trop rapide pour accompagner une relance budgétaire (afin de limiter l’éviction par les taux d’intérêt), les tensions inflationnistes seront fortes. A l’inverse, lorsque l’évolution de la masse monétaire est strictement encadrée, et que l’influence de l’Etat sur sa croissance est restreinte par l’indépendance de la banque centrale, les risques de dérapage des prix sont beaucoup plus limités. b. L’éviction par les taux d’intérêt plaide pour un jeu coopératif Pour financer le déficit public, l’Etat a deux voies : le financement par emprunt (bons et obligations du Trésor) ou par la création monétaire. S’il choisit de faire appel à l’épargne, il introduira une demande supplémentaire sur les marchés des capitaux d’où une concurrence entre le besoin de financement de ses investissements par le secteur privé et celui de la puissance publique. Cette hausse du taux d’intérêt découragera une partie des achats des consommateurs financés par emprunt et donc sensibles aux taux d’intérêt (logement, biens d’équipement durables). Un mécanisme similaire se produira pour les investissements des entreprises dont la rentabilité sera devenue insuffisante par rapport à leur coût de financement. L’impact de la relance budgétaire risque dès lors d’être diminué sans intervention concertée de la politique monétaire. Mundell et Fleming se sont attachés à souligner la différence de situation selon le régime des changes :
- en changes fixes, le financement par emprunt entraîne une augmentation du taux d’intérêt, qui attire des capitaux étrangers, mieux rémunérés. Cette entrée permet de ramener le taux d’intérêt à son niveau initial, l’offre d’épargne ayant été accrue. - en changes flottants, l’augmentation du taux d’intérêt n’a pas le même effet : les investisseurs étrangers estiment qu’elle traduit une faiblesse intrinsèque de la monnaie et qu’ils devraient supporter un risque de change s’ils apportaient leurs capitaux pour financer le déficit. Par conséquent, le taux d’intérêt reste élevé et freine la croissance. La règle de l’affectation de Mundell impliquant que chaque instrument doit être affecté à l’objectif sur lequel il a l’influence la plus directe (politique budgétaire plus efficace que la politique monétaire en régime de changes fixes) sous-tend un trade-off entre autorités compétentes en matière de politique économique en changes flexibles. Pour apprécier l’impact de l’effet d’éviction par l’augmentation des taux d’intérêt, deux facteurs principaux doivent être pris en compte. D’une part, la hausse de la rémunération des placements peut libérer une épargne supplémentaire qui était auparavant détenue sous forme d’encaisses oisives, id est de fonds non disponibles sur le marché des fonds prêtables, sans pour autant qu’ils soient consacrés à la consommation. L’apport de ces fonds peut alors limiter la tension sur le taux d’intérêt. La portée de ce phénomène d’encaisses oisives est toutefois faible aujourd’hui compte tenu du taux de bancarisation de l’économie et de l’attrait des produits offerts, tant aux entreprises qu’aux ménages, pour maximiser le rendement de leurs placements financiers. La sensibilité des dépenses des agents au taux d’intérêt est un deuxième élément d’appréciation. Si l’investissement des entreprises diminue en théorie lorsque le coût auquel elles peuvent emprunter s’accroît, l’élasticité de l’investissement au taux d’intérêt est finalement réduite dans la pratique. L’investissement dépend aussi de la demande effective dans la théorie keynésienne et de nombreux autres facteurs tels que l’endettement ou la rentabilité des entreprises. Ce constat tend à relativiser l’impact de l’effet d’éviction par l’augmentation du taux d’intérêt sur les dépenses privées. D’un autre côté, le déficit peut être financé par une création monétaire plus importante, id est des facilités de découvert plus importantes accordées par la banque centrale à l’Etat. Dans ce cas, il n’y a plus de substitution entre les besoins de financement public et privé : le surcroît de dépenses est absorbé par une masse de liquidités accrue. Cette formule de coopération optimise le policy mix. Lorsque la politique monétaire est expansive, la courbe LM se déplace vers la droite avec les enchaînements suivants : la politique monétaire expansionniste fait baisser le taux d’intérêt, ce qui entraîne une hausse de l’investissement et par voie de conséquence un accroissement du niveau de production. Cet effet bénéfique comporte cependant une limitation : l’augmentation de la masse monétaire doit se traduire par une baisse effective du taux d’intérêt. Or si le taux d’intérêt est très bas, la demande d’encaisses spéculatives est forte car le coût d’opportunité est faible par rapport à un placement et en revanche le risque de perte en capital est grand (en raison d’une probabilité forte de remontée ultérieure des taux d’intérêts). Il s’agit du phénomène de trappe à liquidités. La politique monétaire est alors inefficace. La courbe ISLM est une grille de lecture des politiques économiques et particulièrement de la cohérence du policy-mix, combinaison de la politique monétaire et budgétaire. Ainsi, la critique keynésienne de la politique économique menée en France de 1992 à 1995 a prétendu que la relance budgétaire, plus subie que volontaire, n’a pu avoir d’effet sur l’économie car la politique monétaire était trop restrictive. C. Une action simultanée sur les leviers monétaire et budgétaire apparaît nécessaire pour pallier ces effets croisés L’article 3 du TUE met en ligne de mire des Etats membres « l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des Etats membres ». La liaison entre politique budgétaire et politique monétaire doit permettre de maximiser les effets d’une stabilisation conjoncturelle : en période de récession, l’Etat relâche sa politique monétaire et augmente ses dépenses sans les couvrir par des prélèvements supplémentaires. A l’inverse, en période de surchauffe de l’économie génératrice d’inflation, la création monétaire est freinée et le budget est mis en excédent par une augmentation des prélèvements ou une réduction des dépenses publiques. Eu
égard à leurs effets croisés, budget et monnaie doivent être associés mais encore faut-il que le fine tuning soit de mise au risque d’effets indésirables. La littérature économique identifie traditionnellement deux grandes raisons d’être pour la coordination des politiques économiques (Thygesen, 1992 et Jacquet, 1998 sur la distinction entre règles et discrétion). La première vise à fournir les biens publics qu’une action décentralisée sera en général incapable de produire, la seconde se focalise sur l’interdépendance entre pays, en prenant en compte les effets externes des différents instruments de la politique économique, ce qui implique de concevoir les politiques économiques nationales de façon coopérative, même lorsque les buts poursuivis sont avant tout nationaux. Le pacte de stabilité vise ainsi à préserver le bien public international que représente une union monétaire stable et non inflationniste en introduisant des règles en matière de politique budgétaire. On parle alors de « coordination-bien public ». Ce premier type de coordination a souvent pour objet la préservation du régime existant selon la distinction de Peter Kenen entre regime preserving coordination et policy optimising coordination. Le second argument résulte de l’existence d’effets externes et dépend de l’ampleur de ces derniers. Il faut donc déterminer quels sont les nouveaux effets externes induits par l’euro et c’est ce qui fait dire à certains (De Grauwe et Polen, 2000) qu’on peut se passer de coordination. En théorie, en effet, le passage à l’euro entraîne pour la politique budgétaire deux types d’effets externes : le premier, positif, passant par le marché des biens et résultant de l’effet revenu et des importations, peut être accru par les progrès de l’intégration ; le second, négatif, passe par le marché des capitaux (une expansion budgétaire dans un pays membre conduit à une hausse des taux d’intérêt de la zone euro). Le Pacte de stabilité s’est essentiellement concentré sur cet effet de transmission négatif et en a tiré l’argument qu’il fallait introduire des normes de déficit. Mais les deux effets sont présents. L’euro introduit de nouveaux effets externes qu’il est essentiel de prendre en compte et qui relèvent de la mise en commun de la politique monétaire. Les pays membres partagent dorénavant un certain nombre de variables économiques (« biens de club », c’est-à-dire biens publics dont l’usage est limité aux membres du club, ici la zone euro), qui agissent comme autant de vecteurs de l’interdépendance entre eux : l’inflation moyenne, le taux de change de l’euro, la balance des paiements de la zone, ou même la politique monétaire commune, dont les canaux de transmission diffèrent entre pays, et qui peut de ce fait entraîner des réponses par le biais des politiques budgétaires. Dans la mesure où ces variables sont, soit des objectifs de la politique monétaire – comme la stabilité des prix –, soit des facteurs susceptibles d’influencer la psychologie et le comportement des investisseurs et la crédibilité de la zone, la coordination se trouve être nécessaire. Les politiques budgétaires nationales, ou les politiques structurelles, affectent en effet les prix nationaux et donc l’inflation moyenne dans la zone euro. Toute politique inflationniste (ou désinflationniste) dans un pays est susceptible d’avoir un impact sur la politique monétaire commune, notamment lorsque ce pays est l’un des grands de la zone. Particulièrement importante lorsque des divergences cycliques sont présentes dans la zone, entre des pays connaissant la surchauffe et d’autres un ralentissement économique, la coordination a pour but de maximiser le bien-être collectif (« coordination stratégique »). Elle repose sur la capacité des gouvernements à exercer leur politique discrétionnaire de façon conjointement organisée, ce qui nécessite une volonté commune d’aboutir à maintenir dans la durée. Enfin, on peut trouver en faveur de la coordination des arguments d’économie politique. Entre gouvernements, elle agit comme un mécanisme de soutien aux politiques nationales suivant trois dimensions, la conception à travers l’information mutuelle et le débat, l’engagement multilatéral à travers des programmes nationaux qui deviennent partie prenante d’un programme global, et la pression des pairs (principe du « peer review and peer pressure ») qui, par la surveillance, contribue à faciliter l’exécution des programmes nationaux. Parallèlement, la coordination entre les gouvernements leur confère une certaine responsabilité collective qui décharge la banque centrale du risque d’apparaître face à l’opinion comme seule responsable de la politique économique au sein de la zone euro. II.
Loin d’être innée, la coordination ne prend forme que progressivement, le mouvement d’optimisation du policy-mix restant encore inachevé
A. La coopération des autorités concernées n’est pas la panacée La relation entre les deux instruments de la politique macroéconomique peut être abordée sous trois angles différents : - à long terme, la politique monétaire affecte uniquement le taux d’inflation (et l’ensemble des variables nominales), alors que la politique budgétaire détermine le niveau de l’endettement de l’Etat, le rôle et l’importance du secteur public et le poids et la structure de la fiscalité et par là les variables réelles ; - à court terme, si la banque centrale contrôle complètement le taux d’intérêt du marché monétaire, les autres variables qui assurent la transmission de la politique monétaire, telles que le taux de change et les taux longs, sont également affectées par les choix de politique budgétaire ; - à moyen terme, le niveau de l’activité économique et le taux d’inflation résultent du mix budgétairemonétaire. Alors qu’il y a dichotomie à long terme, les interférences sont nombreuses dans le court (moins d’un an) et moyen (de un à trois ans) termes. Ces interférences se révèlent d’autant plus importantes que l’eurosystème repose sur l’unicité de la politique monétaire et la multiplicité des politiques budgétaires. On se trouve en présence en UEM d’une politique monétaire centralisée mais à l’action nécessairement indifférenciée. Or, la réaction des économies nationales à une variation des taux d’intérêt dépend notamment des structures bancaires et financières. Des réactions fortement différenciées à une variation du taux d’intérêt entraînent une perte d’efficacité du policy mix et appellent une réponse en termes budgétaires pour la compenser. D’autres facteurs interviennent également dans la transmission de la politique monétaire comme l’organisation du marché du travail et la relation prix-salaires. On ne peut donc pas écarter l’hypothèse d’effets différenciés entre les économies nationales d’une politique monétaire unique, même si la tendance est à l’harmonisation des structures productives. Une politique monétaire unique adéquate pour l’ensemble des pays de la zone euro peut donc ne pas l’être pour chacun des pays où le taux d’inflation s’écarte plus ou moins de la moyenne communautaire. L’indifférenciation liée à la nécessaire centralisation de la politique monétaire constitue un obstacle. Dans certains cas, les conditions monétaires peuvent être trop restrictives et conduire à des difficultés récessionnistes. Dans d’autres cas, les conditions au contraire peuvent être trop expansionnistes. Il en est ainsi lorsque à la suite d’un taux d’inflation national supérieur au taux moyen de la zone euro, les taux d’intérêt réels deviennent plus élevés que ceux des pays à faible inflation. Une telle situation peut poser des problèmes d’ajustement surtout si le niveau élevé du taux d’inflation coïncide avec une phase plus avancée du cycle économique. Il y donc lieu de recourir à d’autres politiques économiques qui tout en restant nationales sont cependant contraintes à une coordination étroite. En cas de chocs symétriques, la politique monétaire peut les traiter à la condition que l’objectif de stabilité des prix soit respecté. En revanche, pour les chocs asymétriques, deux réponses sont possibles : la première joue sur la mobilité des facteurs de production et/ou une plus grande flexibilité des salaires si on se trouve dans une zone monétaire optimale, la seconde joue sur l’intervention des pouvoirs publics. Face à des chocs d’offre asymétrique, la réponse optimale suppose une coordination encore plus forte car des politiques budgétaires non concertées dans ce cas peuvent déboucher sur un biais expansionniste, chacun cherchant à neutraliser l’impact du choc ce qui implique des effets inflationnistes chez le partenaire. Cela dit, l’intégration européenne tendrait à favoriser une spécialisation intra-branche (Franckel et Rose 1998) ; autrement dit la fréquence des chocs asymétriques diminuerait de manière endogène. Une étroite coordination aussi désirable soit-elle soulève à la fois des questions techniques et politiques. Tant les délais d’action diachroniques que les divergences d’objectifs avec la potentielle émergence d’une stratégie non coopérative font obstacle à l’instauration d’une politique d’accompagnement poussée. La politique monétaire agit rapidement et de manière relativement prévisible et peut être conduite à haute fréquence puisqu’une banque centrale peut agir aussi souvent qu’elle le veut. La politique budgétaire agit relativement lentement mais ses effets sont souvent
incertains. De plus, la politique budgétaire ne peut être menée qu’à relativement basse fréquence, puisqu’elle dépend d’un lourd processus de contrôle démocratique qui requiert l’assentiment du Parlement. Le contraste entre les rapidités d’action illustre une difficulté fondamentale de la coordination entre politique budgétaire et politique monétaire. Alors que la politique monétaire peut réagir en temps réel à un retournement de conjoncture, le délai de réaction de la politique budgétaire est lent, de quelques mois à un an. Pour ces raisons, il est généralement admis à présent que l’essentiel de l’action de stabilisation conjoncturelle doit être mené au moyen de la politique monétaire, la politique budgétaire n’intervenant (hors jeu des stabilisateurs automatiques) qu’en appui lorsque les marges de manœuvre de la politique monétaire apparaissent épuisées. Toutefois, si la politique monétaire semble le meilleur moyen pour lutter contre l’inflation et l’autonomie des banques centrales (article 108 TCE dans le cas de la BCE : la crédibilité de leur action est ainsi renforcée : une banque centrale indépendante n’est pas soumise à l’aléa de pressions externes qui pourraient avoir pour objet d’utiliser la politique monétaire à des fins de relance conjoncturelle.) l’outil le mieux adapté à la mise en oeuvre de la politique monétaire, deux limites peuvent cependant exister à ce double postulat : si les entreprises indexent leurs prix sur leurs coûts financiers, cet enchaînement n’est plus vérifié. L’inflation devient au contraire une fonction croissante des taux d’intérêt réels. Il vaut mieux dans ce cas affecter la politique monétaire au maintien de l’activité et la politique budgétaire à la lutte contre l’inflation via la réduction des dépenses publiques. De plus, une interaction non coordonnée entre la banque centrale et les autorités budgétaires peut aboutir à une situation de blocage de l’économie dans un équilibre sous-optimal (appelé équilibre de Nash). Il existe ainsi une possibilité de « policy mix indésirable », conséquence de l’indépendance de la banque centrale (Nordhaus, 1994). Même si les institutions budgétaires ne sont pas indifférentes l’une à l’autre, un jeu non coopératif peut émerger et notamment celui de la « pouille mouillée » pour reprendre l’expression de Jean-Paul Fitoussi. En effet, la BCE contrôle la politique monétaire et a pour principal objectif la stabilité des prix. Les gouvernements conduisent la politique économique avec pour instrument essentiel la politique budgétaire et ont pour objectif principal la croissance économique. Par l’objectif qui lui a été assigné, la BCE aura une préférence marquée pour une politique restrictive via une hausse des taux d’intérêt afin de prévenir toute tension inflationniste et préserver la valeur de l’euro. Les gouvernements auront une préférence pour une politique expansionniste qui entraîne une relance de l’activité et une baisse du chômage. La politique budgétaire assure en effet de nombreuses fonctions microéconomiques (redistribution et allocation des ressources pour reprendre la classification de Musgrave). Un gouvernement se trouve souvent confronté à divers arbitrages notamment entre ses actions micro et macroéconomiques. Même si en principe il perçoit bien l’intérêt qu’il y aurait à coordonner sa politique budgétaire avec la politique monétaire, ses choix sont souvent complexes, en partie motivés par de légitimes considérations politiques. La discipline budgétaire, l’un des grands équilibres fondamentaux, est en effet une notion intertemporelle : ce n’est pas l’équilibre budgétaire d’une année particulière qui compte mais la succession d’excédents et de déficits sur longue période qui détermine l’évolution de la dette publique. Or, les banques centrales voient toujours une dette publique élevée, conséquence à long terme des actions du gouvernement, comme une source de difficultés car elle affecte la stabilité des marchés financiers et donc le taux d’intérêt à long terme ainsi que le taux de change qui sont des canaux de transmission de la politique monétaire. Alors qu’à court terme, il est naturel pour un gouvernement de se préoccuper de l’activité économique et de l’emploi et de prêter peu d’importance à la dette à long terme qui sera assumée par les futures équipes gouvernementales. La politique monétaire menée par la BCE ne conviendra pas aux gouvernements et réciproquement. Le risque de la surenchère est réel (hausse des taux d’intérêts, approfondissement des déficits publics), chacun cherchant à compenser le coût de la politique menée par l’autre. C’est un « jeu destructeur » (Nordhaus) a l’instar de l’expérience américaine menée dans la première moitié des années 80 (Volcker-Reagan). Devant l’inefficacité de ce policy mix, chaque entité a intérêt au compromis. Deux équilibres coordonnés sont dès lors possibles : l’un conservateur (les gouvernement se calquent sur l’approche restrictive de la BCE au risque de porter préjudice à la croissance et à
l’emploi) et l’autre social (les deux autorités mènent des politiques expansionnistes potentiellement préjudiciables à la crédibilité de l’euro en cas de retard avéré du nécessaire ajustement budgétaire et par voie de conséquence à la lutte contre l’inflation). Le processus est instable puisqu’il suffit qu’un des deux partenaires soupçonne l’autre de ne pas tenir ses engagements pour qu’on revienne à un équilibre sous-optimal (dilemme du prisonnier). « Tranquilliser » la banque centrale implique dès lors de mettre l’accent sur la transparence de l’information statistique fournie en lieu et place d’une stratégie d’information asymétrique. Le risque de conflit entre la BCE et les gouvernements porte non seulement sur les objectifs mais aussi sur le diagnostic et la représentation de l’économie. Ainsi, la BCE estime que les rigidités du travail sont fortes alors qu’elles sont considérées comme plus faibles par les gouvernements. Le taux de chômage non inflationniste ou taux de chômage d’équilibre est plus élevé pour la BCE que pour les gouvernements, ce qui laisserait peu de marges à une politique macroéconomique contracyclique. B. Des efforts indéniables ont été accomplis à ce jour à la fois de facto et de jure a. Le pragmatisme de la BCE Les contraintes de financement des déficits publics créent une interdépendance entre les deux grands volets de la politique macro-économique. Ceci crée une situation de jeu qui fonde l’utilité d’une coopération entre les autorités monétaire et budgétaire. L’expression la plus topique se trouve dans le Federal Reserve Act amendé en 1978 : les objectifs finals y sont présentés comme « le plein emploi, la stabilité des prix et la modération des taux d’intérêt à LT ». Dans le contexte d’un jeu répété, chacun des acteurs apprend à connaître les limites de ses probabilités d’action ; chacun finit par comprendre que la crédibilité de ses décisions dépend de la pertinence de la politique d’ensemble. L’indépendance de la banque centrale peut ainsi conduire à un « conflit constructeur » plus qu’à un « jeu destructeur » entre les deux autorités (Thygessen, 1993). La BCE a ainsi à ses débuts bien pris en compte les programmes de réduction des déficits publics annoncés par les pays de la zone euro lorsqu’elle a fixé à un niveau relativement faible de 3 % son premier taux directeur en janvier 1999. Un policy mix actif en échange de réformes structurelles peut s’engager avec profit pour d’aucuns (Dornbusch et Jacquet, 2000). Ils proposent de combiner une stimulation des politiques monétaire et budgétaire avec un engagement sur le calendrier des profondes réformes structurelles concernant l’offre, qui doivent permettre d’éliminer les goulets d’étranglement et de limiter le risque inflationniste lié à une forte croissance. Les estimations empiriques des fonctions de réaction des banques centrales montrent qu’elles fixent leur politique monétaire en fonction de l’inflation mais également de la croissance potentielle. La BCE a montré à cet égard un certain pragmatisme. De décembre 1998 à avril 1999, la BCE pour soutenir la croissance face aux retombées des crises asiatique, russe et brésilienne a baissé les taux d’intérêt (certains y étaient d’ailleurs hostiles en raison des craintes inflationnistes). Le résultat de l’étude du Center for Economic Policy Research selon lequel l’inflation a excédé l’objectif de 2 % 32 mois durant depuis 1999 renforce cette impression. Une fois la stabilité des prix assurée, énonce l’article 105, « le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales ». Si « l’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix » (la stratégie de la BCE, définie en octobre 1998, repose sur 2 piliers : - une définition quantifiée de l’objectif principal, ie de la stabilité des prix (l’indice des prix à la consommation harmonisé en zone euro doit progresser de moins de 2 % par an) ; - le rôle essentiel de la monnaie pour assurer cette stabilité : un agrégat large M3 a été choisi pour servir d’instrument de mesure de référence avec pour objectif de limiter sa croissance à 4,5 % par an), il n’est pas exclusif. Les études portant sur le comportement des Banques centrales mettent en évidence que ces dernières, même lorsqu’elles ont reçu mandat exclusif de préserver la stabilité des prix, s’intéressent de près à la croissance, jouent un rôle de stabilisation de l’économie et, de fait, font un arbitrage entre croissance et inflation. Les recherches récentes confirment que tant la Réserve fédérale américaine que la Bundesbank ont suivi une règle « à la Taylor » (elle pose que le taux directeur est modulé par la banque centrale en fonction de deux écarts : la distance par rapport à la norme d’inflation, l’écart entre la croissance effective et la croissance potentielle) au gré de laquelle la Banque centrale réagit à la fois à l’inflation observée et à la croissance (Clarida, Gali et Gertler, 2000).
b. Supports institutionnels et procédures mis en place : « le dilemme des 1+12+2 prisonniers (BCE, Etats, Commission et Conseil) » (Prager) Depuis 1993, des grandes orientations de politique économique sont définies : elles constituent l’élément central du système de coordination. Elles offrent en effet un ensemble intégré de lignes directrices, de recommandations en matière macro-économique et structurelle en même temps qu’un support indispensable d’évaluation dans le système de surveillance multilatéral. La Commission peut ainsi recourir à l’article 99 paragraphe 4 du traité pour que soit adressé publiquement une recommandation à l’Etat membre contrevenant et lui rappeler la nécessité d’assurer la cohérence entre sa politique et les GOPE. La surveillance s’est étendue ex post depuis 2000 avec la publication par la Commission d’un rapport de mise en œuvre. Le besoin d’une coordination entre les politiques budgétaires des États et la Banque centrale se fait sentir lorsqu’existe une incertitude sur l’orientation du policy mix. Par exemple, un choc de demande négatif (un ralentissement de la croissance mondiale) peut appeler soit un assouplissement de la politique monétaire, soit un soutien budgétaire de l’activité. Or pour faire leurs choix budgétaires, les États doivent anticiper l’action de la Banque centrale européenne, et pour décider si elle peut prendre en charge le soutien de l’activité, celle-ci doit être capable d’évaluer l’orientation, tant des politiques économiques nationales que de l’effet résultant concernant le policy mix global. Les décisions du Conseil économique et financier, habilité à formuler les grandes orientations des politiques économiques sur la base des programmes pluriannuels de finances publiques déposés annuellement par les Etats membres, sont ainsi préparées par le comité économique et financier constitué des directeurs du Trésor des 15, des gouverneurs des banques centrales nationales et du président de la BCE. Ce dialogue entre autorités monétaires et budgétaires est renforcé par le fait que le président en exercice de l’ECOFIN peut participer aux réunions de la BCE (sans voix délibérative). Donner une perspective d’ensemble de la zone euro était fondamental, comme l’a reconnu le Sommet de Lisbonne en décidant de tenir au printemps de chaque année un Conseil européen sur l’état économique et social de l’Union. Quant à l’Eurogroup (l’euro 11 lors de sa création), il a été mis sur pied lors du conseil européen de Luxembourg en décembre 1997. Ce forum réunit les ministres des finances de la zone euro et constitue l’embryon de gouvernement économique souhaité par la France pour être l’interlocuteur de la BCE. Ce forum de dialogue a trois objectifs : permettre la concertation entre gouvernements sur la politique économique à mener (par l’article 99 § 1, chaque Etat membre est tenu de considérer sa politique économique comme une « question d’intérêt commun ») ; définir une position homogène sur les sujets relatifs à l’euro ; assurer une conduite du policy mix avec les autorités monétaires. L’Eurogroup a valeur de caisse résonante : il s’agit de contribuer à modifier les anticipations des autorités monétaires et de les convaincre que la situation budgétaire est sous contrôle. Si il a montré son utilité, il a aussi atteint ses limites dans le cadre actuel. Il doit se doter de méthodes de travail structurées, acquérir une visibilité externe et disposer d’un pouvoir de décision. Sans autorité budgétaire commune identifiable, la BCE aurait tendance à faire prévaloir ses préférences propres et pourrait surtout être conduite à assumer seule la responsabilité du policy mix de l’Union. L’évolution des programmes annuels de stabilité des Etats membres constitue le principal instrument de coordination et de contrôle budgétaire. Cet indicateur vient épauler la politique monétaire dans sa recherche de la stabilité des prix et permet ainsi d’éviter que les pays partenaires au sein de la zone euro fassent les frais de politiques budgétaires trop laxistes. En se plaçant dans le cadre de l’UEM, le surendettement d’un ou plusieurs Etats membres de la zone euro susciterait l’émergence de primes de risque sur les taux d’intérêt de la zone et une surcharge de la politique monétaire unique de nature à réduire ses marges de manœuvre et donc son efficacité. Deux critères de convergence avaient été définis par le traité de Maastricht relativement à la politique budgétaire : le besoin de financement des administrations publiques doit être limité à 3 % du PIB et leur endettement inférieur à 60 %. Pour éviter qu’une relance budgétaire dans un pays ne mette en péril la stabilité de l’euro et l’évolution des taux d’intérêt dans l’ensemble de la zone monétaire, un pacte de stabilité a été proposé
en 1996 par l’Allemagne à ses partenaires et adopté définitivement en décembre 1996 au sommet de Dublin. Mécanisme de sanction prévu : des dépôts obligatoires non rémunérés seraient constitués pour un montant de 0,2 % du PIB au minimum, auquel s’ajouterait une partie proportionnelle par tranche, au-delà de 3 % du PIB de déficit. Si l’Etat parvient à revenir en dessous du seuil dans un délai de 2 ans, les fonds lui seraient restitués ; dans le cas contraire, ils seraient conservés par la BCE. Seules des circonstances exceptionnelles pourraient autoriser un Etat à s’affranchir de ce mécanisme et ce automatiquement si la récession excède les 2 % de PIB ou sur vote à la majorité qualifiée du Conseil entre – 0,75 et – 2 %. Si le PSC est là pour limiter et sanctionner tout déficit excessif, la sanction doit toutefois recueillir l’approbation d’une majorité qualifiée des membres de l’UE, ce qui de facto libère une marge de manœuvre supplémentaire aux impénitents : on peut ainsi penser que le souvenir de déficits excessifs français et allemands non sanctionnés influera sur l’attitude future de la BCE en basse conjoncture. Des taux d’intérêt trop élevés conduisent à une augmentation cumulative de la dette publique qui peut s’avérer intenable. De sorte qu’une politique monétaire trop rigoureuse perd également sa crédibilité selon l’ « arithmétique déplaisante » de Sargent et Wallace. L’étroitesse de la marge de manœuvre (la marge est de 2 points puisque le déficit structurel est estimé à – 1 % du PIB) a d’ailleurs été implicitement reconnue. Pour que les politiques budgétaires nationales par le biais du financement de leur déficit ne remettent pas en cause la politique monétaire unique tout en servant davantage la croissance et l’emploi, la Commission avait dans ce cadre proposé en novembre 2002 d’améliorer la mise en œuvre du PSC (définition d’objectifs budgétaires tenant compte de la conjoncture économique). C. L’instauration d’une véritable culture de la coordination en zone euro nécessite la prise de mesures supplémentaires En dépit des progrès réalisés, les procédures existantes ne permettent pas de répondre de façon satisfaisante à ce besoin de coordination. Ceux qui défendaient encore il y a peu la thèse que la qualité des institutions (statut de la Banque centrale, procédures budgétaires...) et des règles communes ( no bail out, limites fixées au déficit...) suffisait à produire une bonne politique économique ont dû revoir leur position depuis les récentes entorses au PSC. Si la politique monétaire a été déléguée à la BCE, aucun pas n’a été fait en direction de la création d’un budget fédéral. Au contraire, il a été explicitement décidé de ne pas accroître la taille du budget communautaire, contrairement à ce qui avait été envisagé dans les années soixante-dix lorsque le projet d’Union monétaire a commencé d’être discuté. Le rapport MacDougall (Commission des Communautés Européennes, 1977) préconisait par exemple d’accroître la taille du budget communautaire à 7 % du PIB au moins (à comparer au plafonnement à 1,27 % du PIB). L’euro implique donc d’expérimenter une nouvelle approche, plus intergouvernementale que communautaire : une politique économique commune ne peut émerger que de la coordination des actions d’acteurs indépendants – les douze gouvernements et la Banque centrale. Pierre Jacquet Jean Pisany-Ferry dans un rapport du CAE de 2000 préconisent dès lors un renforcement substantiel de la coordination des politiques économiques dans la zone euro pour que le policy mix soit en permanence adapté à un objectif de maintien durable de la croissance européenne. La coordination peut s’opérer selon deux grands types de méthodes : par la fixation de règles et par le dialogue et l’engagement mutuel. La première méthode est mise en œuvre avec le pacte de stabilité. Elle a de grands avantages (ne pas impliquer de renégociations périodiques, permettre une vérification aisée du respect des engagements) mais aussi de grands inconvénients (introduire trop de rigidité dans la détermination des choix de politique économique). La seconde est à l’œuvre au sein de l’Eurogroup : elle a les avantages et les défauts symétriques : une plus grande flexibilité, mais des coûts de négociation élevés et un problème permanent d’engagement des participants. Les mérites respectifs des deux modèles dépendent du contexte institutionnel dans lequel ils sont mis en œuvre. Entre le secrétaire américain au Trésor et le président de la Fed, une rencontre régulière et discrète peut suffire. Mais en Europe, où les acteurs sont nombreux et divers (les ministres des finances n’ont pas tous les mêmes responsabilités), la coordination discrétionnaire induit rapidement des coûts élevés. Leur sentiment est donc qu’il faut s’attacher à tirer tout le parti possible de la coordination par la définition d’éléments de référence communs, mais en se fondant largement sur le principe de
subsidiarité, c’est-à-dire en laissant aux acteurs eux-mêmes la responsabilité de définir leurs règles de comportement, sous réserve bien entendu qu’elles soient jugées compatibles avec les impératifs de la coordination. Clarifier les principes et les règles de conduite est un impératif. Une charte de politique économique pourrait définir les principes de réponse aux chocs économiques : expliciter que les chocs symétriques relèvent de la politique monétaire commune tandis que les chocs asymétriques ne peuvent être correctement traités que par les politiques budgétaires nationales. En spécifiant leurs principes de mise en œuvre en matière tant d’assainissement que de stabilisation, serait dissipée la perplexité sur les orientations de la politique monétaire et des pol. budgétaires, guidant les décisions des acteurs publics et les anticipations des marchés. La coordination ne requiert pas nécessairement que les acteurs infléchissent leurs décisions en fonction du bien collectif. La qualité du policy mix peut déjà être grandement améliorée par une plus grande transparence et une plus grande prévisibilité de leurs décisions individuelles. Chacun des acteurs – gouvernements et BCE – pourra alors prévoir les orientations des autres et anticiper leurs réactions face à des chocs. Cela suppose de progresser dans quatre domaines selon les propositions du gouvernement français à Dresde en avril 1999 : tout d’abord, la qualité et l’homogénéité de l’information statistique doivent être substantiellement améliorées, notamment sur les aspects les moins biens couverts (salaires, comptes trimestriels, finances publiques...) ; il faut accroître les efforts de gestion comptable des États de façon à pouvoir suivre l’exécution des budgets sur une base trimestrielle ; ceci requiert un progrès qualitatif de l’information infra-annuelle sur les finances publiques ; la politique de la BCE mérite enfin clarification. L’incertitude quantitative sur l’objectif final (flou sur la cible d’inflation) et l’utilisation par la Banque centrale d’une double référence (stratégie du « double pilier » : agrégat monétaire et prévision d’inflation) nuisent à la lisibilité et à la transparence de la politique monétaire. Cette clarification devrait comporter l’abandon du contrôle quantitatif de l’agrégat monétaire, dont le contenu informatif est particulièrement faible et qui ne donne aucune clé de lecture de la politique monétaire. Pour des raisons de crédibilité et d’efficacité, la mise en œuvre d’une politique économique coordonnée au niveau européen ne peut pas être laissée à une organisation informelle qui ne serait au mieux que le dépositaire de déclarations d’intentions. Le besoin d’une telle fonction exécutive fournit l’occasion de consolider et de développer l’Eurogroup. Jacquet et Pisani-Ferry estiment qu’il doit devenir le Conseil de politique économique de la zone euro, c’est-à-dire le lieu où les responsables (ministres et, en tant qu’invité régulier mais pas systématique, président de la BCE) s’accordent sur des stratégies de réponse aux problèmes structurels ou aux aléas économiques et financiers, fixent les orientations correspondantes et les déclinent de manière opérationnelle. Cela nécessite que l’Eurogroup acquière de la visibilité. Que ce soit lors de la chute de l’euro du premier semestre 2000 ou de la forte appréciation actuelle face au dollar, les atermoiements des gouvernements et la lutte d’influence entre l’Eurogroup et la BCE ont montré ce qu’on pouvait soupçonner : les dispositions du traité, qui organisent la politique de change et le compromis conclu au début 1999 sur la représentation externe ne sont pas opératoires. Il faut donc les amender pour doter l’Euroland d’une capacité de décision effective en matière de politique de change et d’une représentation externe crédible. Sans doute la zone euro doitelle aujourd’hui attacher au taux de change moins d’importance que chacun des pays membres avant l’Union monétaire et admettre sans ambiguïté que le choix d’une intégration monétaire régionale induit nécessairement l’acceptation d’une plus grande volatilité du change à l’égard des monnaies tierces, mais une politique de « benign neglect » est à éviter absolument. Jacquet et Pisani-Ferry plaident pour une politique de « clever neglect »,qui ne fait pas de la stabilité du taux de change un objectif de même rang que les objectifs internes, mais qui reconnaît son importance et s’attache à prévenir une instabilité dommageable. Face à ces besoins, quelle est la situation? La politique de change est en principe régie par l’article 111(2) qui prévoit la possibilité d’orientations générales de politique de change. Ces orientations sont implicitement adressées à la BCE – ce qui est contestable car la politique de change peut aussi bien nécessiter des inflexions de politique budgétaire ou structurelle. Leur portée a été considérablement réduite dans le but de protéger la Banque centrale,
d’abord par le traité qui stipule qu’elles « n’affectent pas la stabilité des prix », puis par la résolution de Luxembourg qui restreint leur usage à des « circonstances exceptionnelles, par exemple en cas de clair misalignment ». Face à une situation marquée par l’incertitude sur la répartition des responsabilités certains, comme Charles Wyplosz (2000), proposent que la politique de change soit confiée à la seule BCE. Ce ne serait pas une solution. Car la baisse de l’euro a bien montré que des situations de misalignment mettent en jeu bien plus que la seule politique monétaire : l’organisation d’ensemble de la politique économique, les réformes structurelles, les politiques budgétaires, etc. Il ne faut donc pas rechercher un partage strict des rôles, mais construire un mode opératoire pour la coopération entre gouvernements et Banque centrale dans ce domaine qui relève de leur responsabilité partagée. Ceci implique, selon Jacquet et Pisani-Ferry, une procédure de surveillance permanente et méthodique du taux de change doit être instaurée au sein de l’Eurogroup, sur la base des analyses de la Commission et de la BCE. Pour l’Euroland, une telle procédure aurait l’avantage de nourrir la discussion sur la politique économique de la zone dans son ensemble, et donc de favoriser la coordination des politiques économiques au sein de la zone.
La théorie économique plaide en faveur d’un accroissement de la coopération entre autorités monétaire et budgétaire. Le sentier d’optimisation du policy mix met toutefois du temps à se faire jour, une véritable coordination impliquant une réflexion sur l’architecture institutionnelle et l’identité politique de l’Union. La récente suggestion d’Yves-Thibaut de Silguy à propos de l’émission d’un avis préalable de la part de l’ECOFIN sur la conformité des lois de finances nationales avec les grandes orientations de politique économique fait état de l’écho grandissant que rencontre le principe d’une coordination accrue des relations entre la monnaie et le budget à l’échelle communautaire.
Bibliographie : BAREL Etienne, Politique économique contemporaine, Bréal, 2000 « Le policy-mix », Revue d’économie financière, n° 45, 1998 Rapports du Conseil d’Analyse économique consultés : - Coordination européenne des politiques économiques, n° 5, 1998 - Questions européennes, n° 27, 2000 - La BCE, Charles Wyplosz et Patrick Artus, n° 38, 2002