Histoire de La Littérature Française [PDF]

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Zitiervorschau

Histoire

de

la

G.

DE PLINVAL

E.

RICHER

Littérature

française

G. de

PLINVAL

^

Histoire la

Littérature

française Édition remaniée et mise à jour par Edmond RICHER ancien élève de l'École Normale supérieure agrégé des Lettres

m

FAIRE LE POINT

%

Références

HACHETTE

TABLE DES MATIÈRES Préface

3

Le Moyen âge

5

Les époques de la littérature au Moyen Age

Le

19

xvi^ siècle

Les grandes dates de

Le

la littérature

au xvi®

43

XVII® siècle siècle ....

la littérature

au xviii®

siècle

XI x^ siècle

10

154 155

Les grandes dates de

Le xx®

1

m

xviiie siècle

Les grandes dates de

Le

42

siècle

Les grandes dates de la littérature au xvii®

Le

i8

la littérature

au xix®

siècle

236

237

siècle

Les grandes dates de

la littérature

au xx®

siècle

Index alphabétique

Photo de couverture:

300 301

ENGUERAND

La loi du 1 1 mars 1 957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41 d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite. » (Alinéa 1 de l'Article 40.) Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du

Code

Pénal.

ISBN 2-01-009999-0

©

Hachette, 1984

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

Préface L'Histoire de la littérature française de G. de Plinval a été publiée en 1930 et constamment mise à jour par son le succès qu'elle a rencontré auteur jusqu'à sa mort depuis 50 ans, signe du besoin auquel elle répondait, un nous conduit à en proposer une édition nouvelle abrégé de Littérature française apparaissant, aujourd'hui plus encore qu'hier, indispensable. :



Le succès de l'ouvrage tenait aux éminentes qualités de critique littéraire et de pédagogue de G. de Plinval, mais aussi à sa clarté, à sa consultation aisée et, malgré son format modeste, à la quantité d'informations qu'il La formule en a donc été conservée une présentation claire et concise de notre littérature. contenait.

:

Toutefois, ces cinquante années avaient çà et là donné quelques rides à l'ouvrage certains auteurs du xix® et du début du xx® siècle n'avaient pas encore acquis la place à laquelle on convient aujourd'hui de les ranger ; les plus récents mouvements littéraires échappaient également, par la force des choses, à l'ouvrage. Tout cela a été revu, et cette édition nouvelle est à jour de la critique et de la création récentes. :

l'enseignement aujourd'hui met à juste titre sur les œuvres dans lesquelles le lecteur du XX® siècle entre aisément celles des deux derniers siècles, et ne s'attache plus de façon approfondie aux auteurs du xvi®, voire du xvii®, comme c'était le cas lorsque G. de Plinval écrivait son ouvrage. Ici aussi, acte a été pris de cette évolution le lecteur trouvera encore l'essentiel pour les siècles précédents, mais les plus proches de nous ont été volontairement privilégiés. Enfin,

l'accent



:

A un moment où l'enseignement du français s'attache, dans les grandes classes, à se frayer des voies nouvelles, à mettre en œuvre les approches les plus diverses de notre littérature, un ouvrage de référence simple et commode, propre à structurer les connaissances, devrait rendre aux grands élèves et aux jeunes étudiants quelques services c'est le vœu que nous formulons en leur présentant cette :

édition nouvelle.

L'Éditeur

1

Le

Moyen Age

6

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Origines de la langue et

de

la littérature françaises Malgré ses origines presque exclusivement latines, la langue indigène française a, dans la constitution de son vocabulaire et de sa syntaxe, affecté assez vite un caractère analytique et

moderne.

Le français appartient à

la famille

des langues

romanes. L'ensemble du vocabulaire français actuel provient de l'altération des mots du latin populaire (formation populaire). Ce fonds primitif s'est développé, surtout depuis les xv^ et xvi^ siècles, par l'adoption de mots étrangers et l'adjonction de mots latins calqués sur leur forme antique (formation savante) de là résultèrent des doublets, aspects différents d'un même mot ancien hôtel (forme populaire) / hôpital (forme savante) ; requête / réquisition ; armure / armature. :

:

Le français médiéval par son vocabulaire

et

du français moderne par sa grammaire.

différait

La langue était constituée exclusivement de mots d'origine populaire et était soumise à une grammaire spéciale c'était une langue romane, divisée en plusieurs dialectes français (d'Ile-de-France), normand, picard, etc., qui étaient langues d'oïl ; limousin, provençal, qui étaient :

:

langues d'oc.

DÉCLINAISONS. Le suivant

qu'il

était

nom sujet

prenait une forme particulière, ou complément (cas régime).

Très souple et très claire dans la syntaxe, autorisant les inversions, cette langue se prêtait aisément aux besoins et aux caprices de la pensée. D'ailleurs, les mots pouvaient se multipher à volonté, car il suffisait de joindre un suffixe quelconque au radical ; on disait indifféremment blancheur / blancheté ; richesse / richeté, etc. Une telle diversité dans les désinences facihtait l'emploi des rimes et donnait au discours des sonorités plus nettes et plus variées que dans le français actuel. :

Le

Moyen Age

Les premiers

/

7

textes.

Les textes les plus anciens, écrits, il est vrai, dans une langue rude et uniforme, sont Les Serments de Strasbourg (842) et la Cantilène de sainte Eulalie (x^ siècle). Ils n'offrent pas d'intérêt littéraire. :

La

poésie épique au

Moyen Age

(xr et xir siècles) La Chanson de Roland Notre

débuté sous la forme grandiose des « Chanune vaste production épique signale la civilisation

littérature a

sons de Geste

»

;

féodale.

La Chanson de Roland est la plus illustre de ces chansons de geste; elle a conféré une gloire universelle à des personnages légendaires, les pairs de Charlemagne.

Notre poésie épique

est

Vœuvre

des

trouvères

du XI^ aucune trace authentique des prétendues où l'on a cru voir le germe et la forme première de nos légendes. C'est au xi^ siècle, quand les Capétiens étaient seulement les rois de Paris et d'Orléans, qu'un travail immense se produisit dans le monde occidental les expéditions d'Espagne et de Sicile préludaient aux Croisades ; de grands pèlerinages s'échelonnaient sur les routes de Cologne, de Saint-Pierre de Rome et de Saint- Jacques-de-Compostelle ; de riches abbayes, comme Saint-Denis, aux reliques vénérées, attiraient les marchands «

Il n'existe cantilènes »

:

à des foires universellement célèbres. Des trouvères de profession, recueillant et arrangeant les traditions locales, les transmettaient à la foule, dont ils faisaient vibrer les sentiments.

siècle.

8

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Des sentiments simples

et puissants

inspirent ces

vieux poèmes.

Ce

sont

La

foi.

le

foi,

la

patriotisme et

la

loyauté féodale

:

Une

croyance naïve à des miracles continuels, un culte fervent des reliques animaient également les

marchands,

le peuple. prestige de Charlemagne, entretenu par les clercs, ne faisait que grandir ; la destruction des Sarrasins était le but de guerre de toute âme généreuse ; un sentiment très vif de l'unité française était comme une protestation contre le morcellement réel du pays. La loyauté féodale. Le respect du serment prêté au suzerain, l'horreur du parjure et de la trahison sont couramment exprimés dans la littérature épique.

chevaliers, les

Le patriotisme. Le

La Chanson de Roland et

retrace la mort d'Olivier

de Roland au val de Roncevaux.

Le poème comprend, dans

sa

forme

actuelle, 4 000 vers Il a été achevé

décasyllabiques, distribués en laisses. vers la fin du xi« siècle, avant 1098.

Il a pour auteur présumé Thurold, poète normand. Le manuscrit le plus

ancien a été retrouvé à Oxford, en 1837.

Point de départ historique. Destruction de Tarrièregarde franque, surprise au col de Roncevaux par les Basques en 778 un « préfet » de Bretagne, Roland, :

périt dans la mêlée.

Ce

longtemps oublié,

a été exploité avec génie par plus soucieux de la grandeur que de la vérité, ils ne se sont guère inquiétés de l'histoire et ont conçu une magnifique légende. Analyse Marsile, émir vaincu de Saragosse, délègue par perfidie un de ses fidèles, Blancandrin, vers Charlemagne. Choix du négociateur français la mission est dangereuse. Ganelon est proposé sur l'avis de Roland, son beau-fils de là, son ressentiment, sa trahison ; il pactise avec l'ennemi. Roland commande l'arrièregarde au miheu des défilés de Roncevaux, lui et sa troupe se trouvent assaillis par les Sarrasins. Héroïque résistance et mort successive des défenseurs. Retour de Charlemagne il prend une revanche éclatante mais tardive sur l'émir et ses alliés. les

fait,

trouvères

du

xi^ siècle

:

:



:

:



:



:

Le

Moyen Age

/

9

Le PLAN est majestueux et clair dans l'ensemble. L'auteur, négligeant les descriptions qu'il remplace par une indication sommaire (« hauts sont les puys et les vais ténébreux »), ne met au premier plan qu'une élite de combattants, qui émergent de la foule. Par ce défaut de perspective, qui est aussi un procédé de simplification à la fois primitif et classique, s'accroissent le relief des scènes et la grandeur surhumaine des héros.

L'épopée romanesque (Xir siècle) Au cours de la seconde moitié du XII® siècle, on voit se développer une littérature appelée « courtoise » parce qu'elle a fleuri à l'origine dans des cours raffinées comme celle d'Éléonore d'Aquitaine ou celle des comtes de Champagne.

Deux

traits

peuvent la caractériser.

Le merveilleux féerique. Les chevaliers circulent et guerroient à travers une nature enchantée, où des êtres surnaturels font agir des forces inconnues ; il faut triompher d'animaux féroces, d'ennemis invisibles, d'épreuves dangereuses. La peinture de l'amour courtois. C'est le culte passionné que le chevalier porte à la dame de ses pensées. Il lui doit une fidélité inviolable, un dévouement absolu à ses désirs, à ses caprices.

Les

sujets

comptent parmi

les

plus belles légendes connues.

• Tristan et Yseult, roman célèbre, dont l'action se passe en Cornouailles, décrivant l'amour irrésistible et malheureux de deux cœurs que rien ne peut détacher l'un de l'autre. • Les exploits des Chevaliers de la Table-Ronde, pairs du roi légendaire de Bretagne Arthur, notamment de Lancelot Lancelot à la Charette, œuvre de Chrestien :

10

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

de Troyes. Le Chevalier au Lion décrit les aventures d'Yvain qui, pour la consoler, épousa la dame qu'il avait rendue veuve.

Le

style.

Ces « romans » sont très longs, écrits en vers de 8 syllabes rimant deux à deux. Le style en est prolixe, mais gracieux. Remplis d'épisodes fantastiques, ils exercèrent un très vif attrait ; les sujets qu'ils traitent se sont ajoutés

au patrimoine des légendes symboliques du monde, et Wagner, dans des opéras célèbres, en a dégagé et enrichi l'inspiration mystique l'âme humaine en quête de l'Idéal (Parsifal, opéra, adaptation de Perceval le Gallois). :

La littérature récréative Le Roman de Renan (xir Les fabliaux (xilf

siècle)

siècle)

A

côté des œuvres d'inspiration chevaleresque, une littérature savoureuse s'est plu à retracer la geste héroï-comique de « Goupil » le renard, au milieu d'animaux familiers.

très

Le Roman de Renart Ésope

et

est

un souvenir des fables

une parodie des épopées chevaleresques. Les personnages. Les acteurs principaux sont Renart, le fripon ingénieux par excellence ; Ysengrin, le loup, lourdaud et glouton ; Primaut, le frère d'Ysengrin, encore plus goinfre et stupide que son aîné ; Tibert, le chat, allié défiant, qui tient tête à Renart ; Chantecler, le vaillant petit coq ; Puis de grands personnages Bernard, :

:

l'archiprêtre (l'âne), Brun, l'ours, etc. se

l'entourage de Noble,

le roi (le lion).

meuvent dans

Le

Moyen Age

/

11

Les principaux épisodes sont des chefs-d'œuvre DE BELLE HUMEUR. Ce SOIlt une nuit de Noël, le loup naïf, • La pêche d'Ysengrin un seau attaché à la queue, demeure pris dans la glace ; Renart l'avait persuadé • L'enlèvement de Chantecler de chanter, les yeux clos ; • Les vêpres de Tibert après s'être grisé dans la cave d'un presbytère, il voulut annoncer l'office, et, par la malice de Renart, resta pendu aux cordes de la cloche. :

:

:

:

La production des fabliaux révèle l'incorrigible instinct « gaubonne humeur, à la moquerie, souvent à la licence.

lois » à la

Les fabliaux représentent surtout des scènes de la vie populaire.

On

ou fableaux environ 150 histoires, unes des autres, assez courtes, en vers octosyllabiques, composées en Picardie, Champagne et appelle fabliaux

indépendantes

les

Ile-de-France.

Les personnages. Gens du peuple, bourgeois crédules

ou

avares, clercs dévergondés, vilains disgraciés et stupides, sont les personnages représentés. Les sujets. Ce sont des narrations burlesques de « du prêtre qui mangea les mûres », monté maladresses

tels

:

sur une mule qui soudain s'emballa ; du voleur qui voulut descendre sur un rayon de soleil, etc. ; des récits de vols, de peurs et des quiproquos ; des histoires de coups de bâton.

La poésie allégorique Le Roman de la Rose (Xllf siècle) Le Roman de

la Rose devait être la « Somme des principes de la courtoisie : un « Art d^ Aimer

Il

comprend deux

parties, très différentes d'esprit et

d'étendue, composées à quarante ans

de distance par

» ».

12

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Guillaume de Lorris (vers 1200-1210, deux auteurs mort après 1240) et Jean de Meung (vers 1240, mort peu avant 1305). • L'œuvre de Guillaume de Lorris est pleine d'allégories :

gracieuses.

L'œuvre est entièrement symbolique, aussi le style, souvent délicat et subtil, manque d'animation. • L'œuvre de Jean de Meung est remplie d'idées hardies

ou subversives. Loin de la courtoisie

à la royauté, à la religion (et

au mariage

capitale de la

deux

et

à la justice, à la propriété,

:

non seulement aux moines),

non seulement aux femmes), etc. la Rose devint promptement l'œuvre littérature du Moyen Age et inspira toute la

(et

Le Roman poésie

de son prédécesseur, tumultueux, s'en prend

raffinée

Jean de Meung, agressif directement aux institutions

de

allégorique

et

siècles, jusqu'à la

qui Renaissance.

abstraite

a

prévalu

pendant

Les chroniqueurs des xir et Xllf siècles Villehardouin

et Joinville

Ce sont des hommes d'action, barons et guerriers, qui ont inauguré la prose au Moyen Age; ils lui ont donné d'emblée les qualités militaires

:

brièveté, clarté, énergie.

maréchal de Champagne^ est un mémorialiste sévère et précis (env. 11 50-1213)

Villehardouin^

Il joua un rôle considérable dans la IV^ Croisade. Cette expédition, destinée à déhvrer la Terre Sainte, fut détournée de son but et aboutit à la fondation d'un empire franc à Constantinople. Son œuvre: ses Chroniques (i 198-1207) sont un rapport militaire et justificatif, où Villehardouin, négligeant les

Le

Moyen Age

/

13

ne rapporte que les grandes lignes des événements. en somme (« Geoffroy le Maréchal, qui onques ne mentit »), mais non impartial.

détails,

Son

récit est sincère

Joinville ( env, 1224-131'/) est le biographe aimable et fidèle de saint Louis (1214-12J0), Joinville, sénéchal de Champagne, fut l'ami et le confident de saint Louis. Son livre {Vie de saint Louis) nous fournit un tableau spontané de la société féodale au XIII® siècle, moins raide et plus mondaine qu'au temps de Villehardouin, éprise de fêtes, de belles étoffes et de beaux coups d'épée, « pour qu'on en parle dans les chambres des dames ». Les portraits. Deux caractères bien vivants, très sympathiques, sont peints dans cet ouvrage • Saint Louisy avec sa piété inaltérable, sa fermeté héroïque jusque dans la captivité, sa justice impartiale, et aussi son grand bon sens et sa familiarité joviale. • Joinville, le plus dévoué des serviteurs, bon chrétien et brave sans exagération, sensible et curieux, aimant ses aises et parlant comme un étourdi, préférant franchement être chargé de trente péchés mortels plutôt que de devenir lépreux. :

Les chroniqueurs des XIV Froissard

et

XV' siècles

et

Commines

Froissart ( 1337-1410 env.) est le peintre excellent des scènes militaires et de la vie des princes. Froissart rapporte avec

des

altercations,

la

une

vérité

tristesse

des

dramatique incidents

la vivacité

tragiques

(capitulation des bourgeois de Calais, meurtre du jeune fils de Gaston Phœbus), le fracas épique et confus des pillages (sac de Limoges) ou des grandes batailles (défense désespérée du roi Jean le Bon à Poitiers).

14

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Il fait revivre son époque. C'est d'abord la société chevaleresque, qu'il nous peint avec ses fêtes brillantes, ses luttes tour à tour courtoises et barbares, son élégance et ses brutalités (Gaston de Foix) ; puis, à propos d'elle et incidemment, Froissart décrit toutes les autres classes les mercenaires, les brigands, les bourgeois et le peuple avec ses séditions furieuses, etc. Le luxe de la noblesse paraît plus grand qu'au siècle précédent et les conditions de la vie matérielle se sont perfectionnées, mais il y a moins d'élévation morale et :

de générosité.

Le

Le style de Froissart est inégal et confus, doit son animation et sa couleur à la fidélité avec laquelle l'historien rapporte les récits exaltés qu'on lui son style a conservé la vie du discours immédiat a faits fait par les acteurs. mais

style.

il

:

Commines est

( 1445 ?-isii)^ biographe de Louis XI, un psychologue plutôt qu'un écrivain. Philippe de Commines, né à Hazebrouck, fut le serviteur de Charles le Téméraire, puis passa au service de Louis XI ; il joua, au cours du règne, un rôle diplomatique considérable, mais fut disgracié par Charles VIII. Son but, en décrivant les négociations dont il a été le témoin, est de faire part au lecteur de son expérience pohtique il n'est intéressant que par ses jugements et par ses idées. Les portraits. Avec une sûreté psychologique étonnante, il nous fait connaître la faculté maîtresse de ses grands contemporains la présomption de Charles le Téméraire, l'habileté patiente et ambitieuse de Louis XL Les idées. Très positif d'esprit, nullement chimérique ou chevaleresque, il pense que la fin justifie les moyens et conseille l'emploi des agissements les plus sûrs, non les plus brillants peu scrupuleux mais sensé, il reconnaît d'ailleurs qu'un prince a tout profit à gouverner sagement son État. Le style. Instructif par ses idées seulement, Commines est un écrivain médiocre ses phrases enchevêtrées et sans éclat le rendent difficile à lire. :

:

:

:

Le

Le Le Le

théâtre

théâtre a joui au

Moyen Age

/

15

Moyen Age

théâtre au

sérieux

Moyen Age

destiné à illustrer les scènes de V Histoire Sainte,

était

d'une vogue persistante.

Ses origines (xii^ siècle) datent de la figuration des grands épisodes dont l'Église faisait la commémoration liturgique la Nativité, la Résurrection. :

Miracles et Mystères, Les Miracles sont la mise en scène d'un fait édifiant où se manifeste presque toujours l'intercession de la Vierge Miracles de Notre-Dame (xiii® et xiv^ siècles). Citons également le Jeu de saint Nicolas (xii® siècle) et le célèbre miracle de Rutebœuf le Miracle de Théophile. Les Mystères consistent en un long défilé de personnages bibliques. Au xv^ siècle surtout, d'immenses compositions :

:

représentent tout

F Ancien Testament

un ensemble d'événements (50 000 vers)

;

Mystère de

:

Cycle de

la Passion

(35 000 vers). Établis à grand luxe et représentés en plusieurs « journées » dans un décor conventionnel, ces spectacles ne s'adressaient qu'aux yeux. Les Confrères de la Passion en étaient à Paris les acteurs attitrés. Le texte rimé (vers de 8 syllabes) qui accompagnait les tableaux est dans son ensemble de faible valeur.

Le

théâtre comique a été souvent réaliste ou allégorique à V excès.

Les épisodes édifiants des mystères étaient fréquemment coupés d'intermèdes burlesques que remplissaient des diables, bourreaux, voleurs, etc. Mais le théâtre comique eut aussi son existence indépendante.

Moralités et Soties Les revues montées par

(XV^

corporations d'Écoliers (les Enfants sans Souci) et les clercs de la Basoche (étudiants en droit) sont des Moralités^ exhibitions pédantes à fond allégorique, ou des Soties, grosses plaisanteries, dont la satire est inintelligible maintenant. les

siècle).

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

16

/

La

Farce.

La farce est le seul genre dramatique échappant à la médiocrité générale. Elle est la mise en scène d'un fabliau. Nous en possédons un répertoire nombreux. Le fond des sujets, l'intention et l'esprit sont les mêmes que dans les fabliaux avec les mêmes qualités d'à-propos et d'entrain (Farce du Cuvier). Il en est resté un chef-d'œuvre, alliage excellent de naturel et de bouffonnerie La Farce de Maître Pathelin (env. 1464)5 l'avocat malhonnête qui escamota les draps de Maître Guillaume et défendit Thibaut l'Agnelet. :

La

poésie au XV^ siècle Villon, Charles d'Orléans qui fut sincère, au milieu d'une production poétique l'allégorie, a laissé le premier exemple de lyrisme personnel. Villon,

desséchée par

Villon ( 1431-146S env.) est

le

plus expressif des

poètes populaires. François Villon, né à Paris, « près de Pontoise », fut « Écolier » turbulent banni à la suite d'une rixe, il se trouva dévoyé, frôla la potence et passa en prison ou dans les pires compagnies une existence dont nous connaissons encore mal les vicissitudes.

un

:

Son œuvre. • Le Lais ou Petit Testament (1456), énumération de legs burlesques. Ainsi il lègue à son barbier « la gornure de ses

cheveux

».

• Le Grand Testament (1461), sorte d'autobiographie où il a inséré des ballades célèbres Ballade de Notre-Dame ; Ballade des Dames du Temps jadis ; Ballade des Pendus. :

Le

Moyen Age

/

17

Les sentiments. Des sentiments douloureux ressortent de son œuvre • Le regret d'avoir gâché sa vie, d'avoir « fait le mauvais :

enfant

»

:

Ah Dieu! Au temps

si

de Et a bomies

j'eusse étudié

ma

jeimesse folle. dédié. J'eusse maison et couche molle! (Le

mœurs

Grand Testament.)

mort. Il a exprimé cette horreur avec une rare intensité, songeant à ses amis « déjà morts ou roidis », à sa pauvre femme de mère, aux pendus que les corbeaux dépècent sur le gibet de Montfaucon, aux transes de l'agonie, aux grandes dames du temps jadis, aux preux de la légende. L'accent tour à tour ironique, macabre ou éloquent et la sincérité pénétrante de ces pensées, jaiUissant d'un fond souvent trivial, en ont fait la valeur classique. Le style. Villon écrit dans une langue ferme et pittoresque ; ses rimes entrecroisées se combinent sans effort, et il a ponctué ses ballades de refrains inoubliables

• L'appréhension de

la

:

En

cette foi, je

veux vivre

et mourir. (Ballade de Notre-

Dame.) Mais priez Dieu que tous nous

veuille absoudre. ( Ballade

des Pendus.)

Mais où sont les neiges d'antan ? Temps jadis.)

( Ballade

des

Dames du

Charles d'Orléans (1391-146^)

est le dernier

des poètes courtois.

Ce prince de la famille royale, capturé à Azincourt par les Anglais qui le tinrent prisonnier, n'a pas la sincérité vigoureuse de Villon. Dans des rondeaux gracieux, il a enchâssé des motifs délicats empruntés à la littérature allégorique. Il est maniéré, mais clair et élégant.

18

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les époques de au Moyen Age

la littérature

Société féodale

;

formation de l'unité

française.

Poésie épique

ET XII^ SIÈCLES.

:

Chanson de Roland

Poésie romanesque Romans de la Table-Ronde. Roman de Renan, Chroniques de Villehardouin. :

Règnes de Philippe Auguste

et

de

saint Louis.

Épopées du cycle féodal

et poésie

courtoise.

• Xni^ SIÈCLE.

Ménestrels et fabliaux Roman Poésie allégorique :

de

la

Rose.

Miracles et Comédies. Mémoires de Joinville.

Guerre de Cent Ans. à forme fixe. Chroniques de Froissart.

• XIV^ SIÈCLE.

Poèmes

• XV^ SIECLE.

Fin de la guerre Louis XL Mystères et farces.

de

Cent Ans.

Charles d'Orléans et Villon. Mémoires de Commines.

XVrsiècle

20

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La Renaissance Dans

la grande effervescence artistique et morale qui signale XVI® siècle, la littérature appauvrie fut l'objet d'une rénovation profonde due à l'imitation des littératures classique et italienne.

le

U acceptation est le

enthousiaste de la culture classique intellectuel de la Renaissance,

grand fait

Jusqu'alors on avait connu les écrivains antiques (surtout Ovide et Virgile), mais sans essayer de s'approprier leurs qualités artistiques, simplement pour leur intérêt narratii,

moral ou symbolique

:

pour

la

première

fois,

grâce aux leçons des humanistes, on s'inspira directement de leur style et de leur pensée ; ils furent des modèles. Aux classiques latins, des imprimeurs illustres (H. Estienne) ajoutèrent les grands poètes et philosophes grecs, vulgaL'idéal artistique de l'Antiquité, le souci de la perfection du style ont depuis lors dominé notre littérature. Même, dans l'engouement de la première heure, on crut trouver chez les anciens l'expression définitive de l'art, de la philosophie (Platon), de la science, l'exemple parfait des vertus civiques et morales (Plutarque) ; leurs langues, riches et savantes, parurent seules destinées à l'immortahté beaucoup d'érudits, de poètes et d'historiens ont ainsi, au détriment du français, confié au latin des œuvres importantes. risant l'hellénisme.

:

Le goût de

la culture italienne plus

coïncidé avec

V assimilation

moderne a

des idées antiques.

D'autre part, les événements politiques (guerres et de Charles VII et de François ; régence de Catherine de Médicis), ainsi q^ue le prestige des arts en plein épanouissement imposèrent l'ascendant de la culture italienne. Les gentilshommes français s'initièrent au-delà des Alpes à toutes les commodités d'un luxe raffiné, tandis que des artistes, des gens d'Éghse, des diplomates et des aventuriers de toute sorte, voire des astrologues, apportaient en France des manières de penser alliances

Le

des jusqu'à

et la

XVh

siècle / 21

mœurs nouvelles. Le xvi^ siècle français peut, un certain point, être considéré comme l'élève de

Renaissance italienne

:

c'est la

première

fois

qu'une

influence étrangère modifie la littérature nationale.

Les

initiateurs.

Les maîtres humanistes ou italiens, sous l'action desquels s'exerça cette double influence, méritent d'être connus. Ce sont ÉRASME (1467-1536), des Pays-Bas, philosophe et théologien, auteur de dialogues érudits ou burlesques (écrits en latin), précurseur de Rabelais ; PÉTRARQUE (1304-1374), qui écrivit des sonnets d'une sentimentahté subtile, modèle de du Bellay ; BoccACE (1313-1375)5 prosateur italien, conteur d'aven:

tures galantes.

Uesprit de la Renaissance fut avant tout un amour passionné de la vie et de Part,

Un

esprit de fougue et d'individuaUsme a marqué époque où des natures violentes, avec une ardeur toute florentine et souvent une mentalité païenne, se sont précipitées, suivant leur goût, soit vers les arts ou les lettres, soit vers le plaisir ou les intrigues. Cette fièvre cette

explique chez bien des auteurs l'irrégularité de conduite, fécondité des productions, la puissance de travail et d'enthousiasme, la « gaillardise » des propos.

la

La

Réforme.

La Réforme marque une

réaction contre l'esprit de Renaissance l'agitation théologique qu'elle a soulevée achève cependant de donner à cette époque un caractère de confusion et de hardiesse intellectuelle. la

:

Les époques de

la Renaissance,

• La première génération est marquée par l'enthousiasme avec lequel elle se précipite vers le nouvel idéal. Si Marot se rattache encore par certains côtés au Moyen Age, l'amour effréné de la vie et du savoir éclate dans l'œuvre de Rabelais.

22

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

le milieu du siècle. Réforme et Renaissance, qui avaient eu en commun, à l'origine, le souci du retour aux textes (bibliques ou antiques) se dissocient Calvin prêche une doctrine austère où la toute-puissance de Dieu éclipse la liberté de l'homme prédestiné, anxieux de son salut, tandis que les poètes de la Pléiade chantent l'amour épicurien dans des vers qui cherchent à rivahser avec la perfection formelle des modèles antiques. • Dans le dernier tiers du siècle, les guerres de religion tempèrent l'optimisme des débuts et inspirent contradictoirement le fanatisme visionnaire de d'Aubigné et la sagesse un peu sceptique de Montaigne.

• Vers

:

Clément Marot (1496

?

-1544)

« gentil Marot », le premier en date des poètes du XVI® siècle, un amuseur, d'ailleurs exquis, plutôt qu'un grand artiste.

Le est

Marot, poète de CouVy plaît encore par Và-propos et

r enjouement de

ses vers badins,

La

poésie a été lente à recevoir l'impulsion de la Renais; Marot se distingue du groupe des rimeurs laborieux de son temps moins par les idées que par sa virtuosité et le naturel de son esprit.

sance

«Sa vie.

Clément Marot, né

à Cahors,

mais normand d'origine,

entré vers 15 19 au service de Marguerite de Navarre et de François pr, rencontra de grandes difficultés par suite de ses sympathies pour le protestantisme naissant ; emprisonné à diverses reprises, il fut banni deux fois et mourut en exil à Turin.

Son œuvre. Les pièces de circonstance. Marot a été le poète de la Cour ; il a, à ce titre, produit un grand nombre de ballades, rondeaux, « étrennes » ou épigrammes, etc. officiel

Le XVI« siècle

/

23

Le fond

est insignifiant, mais le tour est souvent élégant. Les Épures. Ses Épîtres au Roi et à divers personnages où il raconte certains incidents de sa vie sont classiques par la fertilité des moyens comiques qu'il emploie pour s'attirer la sympathie amusée de ses protecteurs. Il a im talent particulier pour raconter drôlement ses propres mésaventures • Comment il fut incarcéré par « trois grands pendards » ; • « Dérobé » par son valet de Gascogne ; • La mine qu'il fait en exil, etc. Cet « élégant badinage » admiré par Boileau est renforcé à tout propos de synonymes, de réitérations de syllabes et de rimes ou de calembours, procédés puérils dont il use constamment et non, d'ailleurs, sans ingéniosité. Mais son inspiration manque de profondeur. :

Rabelais (1494 ? -1553) Rabelais, dans ses compilations bouffonnes de Gargantua et de Pantagruel, a associé à une verve populaire et gauloise un des aspects primitifs de la Renaissance l'érudition. :

mena de front la vie d'un savant et d'un épicurien.

Rabelaisy moine^ médecin et romancier^

François Rabelais (maître Alcofribas Nasier) successivement cordelier, bénédictin, docteur en médecine, finalement curé titxilaire de Meudon, mena à Montpellier, à Lyon, en Italie, en Lorraine une existence aventureuse de moine, de voyageur et de savant. D'une érudition supérieure (« le très profond abîme de l'encyclopédie »), il avait étudié spécialement les langues anciennes et orientales et les sciences naturelles.

Son œuvre au premier

aspect est bouffonne.

Il publia en cinq livres, en 1532- 1535 et 1546, les vies de Gargantua et de Pantagruel c'est dans l'ensemble une épopée bouffonne, farcie de détails comiques et de réminiscences érudites. :

24

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE



Le Gargantua

est

une

sorte d'IUiade grotesque contant

de Picrochole, suivie de

la fondation de l'abbaye de Thélème, sorte d'Académie studieuse et tolérante « Fay ce que vouldras. » dont la devise est • Pantagruel. Le principal personnage en réalité n'est pas Pantagruel, mais Panurge, son inséparable et subtil compagnon. Panurge veut se marier et, après maintes aventures, dont la plus célèbre est celle où il noie les moutons de Dindenault, finit par consulter l'oracle de « Trinch! » (c'est-à-dire la Dive Bouteille qui lui répond

la défaite

:

:

«

Bois!

»).

Les personnages. Gargantua est, aussi bien que son père Grandgousier, un excellent prince, débonnaire et paisible ; Pantagruel, son fils, un colosse optimiste et « jamais ne se tourmentait, jamais ne se insouciant scandalisait » ; Panurge est un joyeux gaillard, filou mais poltron, grand joueur de mauvais tours. Les procédés comiques. Rabelais a mis en œuvre tous les procédés comiques taille surhumaine des personnages ; disproportion entre les « prouesses gigantales » de ses héros et les résultats obtenus ; réalisation effective de locutions proverbiales (Gargantua dérobe les cloches de Notre-Dame, Panurge « mange son blé en herbe » et a littéralement « la puce à l'oreille ») ; parodie d'épisodes classiques (descente d'Epistémon aux enfers) ; narrations burlesques ou étranges (les moutons de Dindenault ; apparition des aéroplanes au soir de la bataille des Andouilles) ; développement à l'infini d'une idée fantastique à propos de l'herbe pantagruélion qui est le chanvre, Rabelais, dans un éloge éperdu, en vient à prophétiser les inventions futures du génie humain. :

:

:

Uépicurisme

est le fond

de la morale rabelaisienne.

Par plaisanterie Rabelais s'était engagé à révéler « de sacrements et mystères horrifiques ». En fait, ses inventions ne sont pas exclusivement bouffonnes. Science et philosophie. En plus d'une masse de connaissances, de nomenclatures relatives aux sciences naturelles ou à l'histoire ancienne, l'œuvre exprime bien la philosophie indifférentiste et la morale joyeuse de très hauts

Ne jamais s'affliger des choses accidentelles ni des extravagances d'autrui, ne se tracasser pour aucun résultat; d'autre part, s'amuser sans réserve, boire et rire. l'auteur.

Le

XVh

siècle / 25

parce que rire est le propre de l'homme », une gaieté sans mesure servant de détente à une érudition effrénée, telle est « la substantificque moelle » du pantagruélisme. Satire et idées politiques. Rabelais attaque très vivement certaines classes sociales, surtout les théologiens «

intolérants de la Sorbonne et les gens de justice, humbles Chicanons ou cruels Chats -fourrés. Il bafoue d'ailleurs

femmes,

moines, les gens de guerre, les « cagots » et Ses idées pohtiques manquent de précision la royauté patriarcale et pacifique de Gargantua semble son idéal ; il rêve d'un régime qui assurerait aux savants le plus parfait confort en les exemptant de toute inquiétude

les

les

les hérétiques.

:

(Abbaye de Thélème). PÉDAGOGIE. Enfin Rabelais avait en aversion l'éducation scholastique bornée à des théories abstraites de théologie, de logique et de droit. Il a tracé à deux reprises le programme d'éducation de ses héros • Éducation du jeune Gargantua par Ponocrates ; c'est surtout une éducation physique et scientifique, • Lettre du vieux Gargantua à Pantagruel étudiant à Paris. L'auteur vise davantage la formation littéraire (éloge de l'imprimerie) et morale « parce que science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». D'une manière générale, Rabelais fait la part belle aux sciences de mémoire (histoire naturelle, langues mortes et vivantes) et il attache une importance égale aux exercices physiques et à l'érudition. Ce programme immense représente plutôt l'idéal scientifique d'une époque qu'un projet pratique de pédagogie. matérielle

:

Le

style

de Rabelais^ réaliste et copieux^

est

d^une

richesse verbale étonnante.

L'imagination hardie et joyeuse de Rabelais, servie par

une mémoire admirablement informée, a abouti à la création d'un style extrêmement complexe et original un réalisme vigoureux ou trivial en est le trait dominant. Sa langue est hétéroclite et confuse, mais très abondante ; il use de mots de toute provenance, multiplie sans arrêt les synonymes, emploie de très nombreuses locutions populaires et construit fréquemment ses phrases suivant :

syntaxe latine, avec inversions et propositions infinitives ; de nombreux calembours accentuent le caractère burlesque de son œuvre.

la

26

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Mais, malgré

verve et Texcellence de certains passages, pédantisme des énumérations et références techniques et par la grossièreté cynique des le

la

style est gâté par le

plaisanteries.

Rabelais a partagé l'ardeur encyclopédique de la Renaissance ; il possédait toute la culture philologique de son époque, mais il n'a connu encore ni le sens de la mesure ni le sentiment classique de l'art.

La Pléiade La poésie s'est renouvelée sur l'initiative d'une élite savante et distinguée, la Pléiade, qui entreprit de relever à la fois la dignité de la langue et celle de l'inspiration le héraut du groupe fut Joachim du Bellay, le véritable chef, Ronsard^. ;

La

Pléiade^ dirigée par Ronsard et du Bellay^ a inauguré la grande poésie dHnspiraîion classique.

Un enthousiasme commun caractérisait siutout l'esprit de la nouvelle école. Ayant pour la plupart une coimaissance approfondie des lettres antiques et italieimes, les sept membres de la Pléiade voulaient fonder chez nous un art neuf et grandiose ; malgré la différence des tempéraments individuels, ils partageaient tous un ardent amour de la langue française, l'intention d'aborder les grands genres classiques et un vif désir de s'immortaliser. Leur programme fut rédigé en 1549 par Joachim du Bellay

:

Défense

et

Illustration

de

la

langue française.

Après avoir accusé vivement l'insouciance des poètes français et l'orgueil des latinistes, du Bellay, pour illustrer notre langue et la porter au niveau du grec et du latin, recommande de l'enrichir et de renouveler les sujets.

I. Les autres membres du groupe furent Tyard, Baif, Belleau, Jodelle.

:

Daihiat, Pontus de

Le

«

XVh

siècle / 27

Enrichissement de la langue. Attentif à la rendre du Bellay propose les procédés »,

copieuse et riche

suivants

:

• Invention et dérivation (par provignement, c'est-à-dire par « bouturage ») de termes nouveaux myrteux, floride, odoreux, fardeur, adj. (colorant), ailer (donner des ailes), :

déliber (goûter )j

• Formation de mots composés porte-crinière, portecouronne, (le vent) irrite-mer, haut-célébrer ; • Restauration de termes vieillis isnel (léger), ains, los :

:

(gloire)

;

• Emploi de mots techniques et rares ; termes de métiers (calfeutrer), de chasse (pantois), de guerre (morion, gorgerin)

;

• Tournures grammaticales et syntaxiques plus libres ex. adjectif nom adverbe (léger, légèrement) ; infinitif (le dormir, le sommeil, etc.). Ronsard dira dans La Franciade :

=

=

:

Oyant l'effroi du

sifflant

de l'épée

(le

sifflement effroyable).

Du

RÉNOVATION DE LA moins assuré quand il

Bellay s'est montré POÉSIE. a esquissé l'idéal de la nouvelle poésie. On voit seulement qu'elle devra être classiquey c'est-à-dire inspirée aveuglément des « exemplaires » grecs et latins ; savante, c'est-à-dire inaccessible au vulgaire ; et enfin laborieuse, acquise par le travail intense et personnel des auteurs.

Les paragraphes relatifs aux genres ne donnent que des indications sommaires du Bellay définit l'épigramme, l'ode, la satire, le sonnet, « docte et plaisante invention italienne », l'églogue, la tragédie, le poème épique ; il montre que tous, sauf le sonnet, seront renouvelés de l'antique et désigne l'auteur qui a porté le genre à sa perfection. Il conclut d'ime façon belHqueuse :

:

«

Là donc.

Français, marchez courageusement vers cette cité romaine, et des serves dépouilles d'elle

superbe ornez vos temples et autels... Donnez en cette Grèce menteresse. Pillez-moi sans conscience les sacrés trésors de ce temple delphique! »

Écrite sous l'inspiration de Ronsard, la Défense est un manifeste collectif constituant le programme général de la Pléiade ; il ne doit pas être considéré comme une préface de l'œuvre personnelle de du Bellay.

28

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Joachim du Bellay (1524- 1560) Joachim du Bellay^ poète mélancolique^ est

r auteur

de sonnets remarquables.

Jeune gentilhomme angevin, recruté par Ronsard sur route de Poitiers en 1548, du Bellay remplit d'ennuyeuses fonctions diplomatiques à Rome et mourut à l'âge de 35 ans. Excellent latiniste, il était aussi très au courant de la littérature italienne. Ses propres aveux, sa brève carrière donnent l'impression d'un esprit généreux, mais indécis et vite découragé.

la

Son œuvre. Trop faible pour assurer la réalisation du programme écrasant de la Pléiade, du Bellay échoua dans l'ode et dut se restreindre dans des genres secondaires. Il a laissé trois recueils de sonnets^ et a définitivement popularisé cette forme poétique en France • Olive (1549), œuvre galante et maniérée, imitée :

U

de Pétrarque et ornée de comparaisons compliquées ; • Les Regrets (1557) où, en notant famiUèrement les ennuis qu'il éprouve à Rome, il exprime sa nostalgie du pays natal :

Quand Fumer

reverrai-je, hélas! la

de

mon

petit village

cheminée...

• Les Antiquités de Rome (1558), œuvre de parade, où évoque la majesté des ruines de la Ville Éternelle, Celle qui

Sa puissance à

La style,

sincérité

la terre et

fit

il

égale

son courage aux cieux.

émouvante du sentiment, la limpidité du la langue ont rendu classiques les

pureté de

la

du

plaintes de

Bellay.

Tempérament

à la fois élégiaque et

une nuance de sensibiUté à une ironie fine et mordante, du Bellay aurait peut-être excellé dans la satire on connaît son portrait du Poète courtisan où il raille la paresse et l'ignorance des successeurs de Marot. spirituel, unissant

:

I.

Le sonnet

(4

-|-

4

+

3

est

+

une pièce

3) à

à

forme régulière sans refrain de 14 vers

rimes embrassées.

Le

XVh

siècle / 29

Ronsard (1524- 1585) Ronsard est

le «

maître de

chœur

»

de

la

Pléiade,

le

véritable

fondateur de notre poésie; malgré des défaillances et des erreurs, il a au moins créé le grand style lyrique et oratoire.

La

vie de

Ronsard a

été vouée

à V étude,

Vendômois en 1524 ; d'interrompre une carrière brillamment commencée dans les cours et la diplomatie. La gloire rapide et presque fabuleuse qu'il avait acquise de son vivant lui a été par la suite violemment contestée. Pierre de Ronsard naquit dans le

la surdité l'obligea

Son œuvre. Après une solide préparation de sept années au collège de Coqueret où il étudia sous la direction de Daurat, Ronsard se consacra, au prix d'un labeur immense, à son œuvre d'initiateur, attaquant de prime abord l'ode et se réservant l'épopée.

La Franciade, sont les principales de Ronsard en tant que chef d^école.

Les Odes, puis manifestations

Les Odes (1550). Dans de grandes odes imitées de Pindare, avec des divisions compliquées et des rythmes différents (strophes, antistrophes, épodes), Ronsard a accumulé en longues strophes tumultueuses, mais sonores, des images mythologiques, des pensées morales^ et des expressions brillantes (Ode à Michel de l'Hôpital). Érudites et factices, ces compositions sont gâtées par « le faste pédantesque » que Boileau reprocha plus tard à leur auteur. Toutefois, dans des poèmes d'un genre plus délicat, imités d'Anacréon ou d'Horace, Ronsard a chanté le plaisir et la nature (Odelette à la Rose). La Franciade (1572). Sujet établissement des Troyens en Gaule sous la conduite de Francus, fils d'Hector. Cette épopée, aussi artificielle dans sa facture que dans son inspiration, est aujourd'hui bien oubhée. :

30

/

Les

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

œuvres

élégiaques

Ronsard sont d^une

de

inspiration plus authentique et d'un goût plus

touchant.

Ce sont Les

les

sonnets, églogues et élégies.

Amours

Cassandre

de

sincérité médiocre,



le

Œuvre d*une

(1552).

poète multiplie

comparaisons

les

savantes.

Les Amours de Marie. Inspirés par un sentiment franc et ardent, ils sont écrits dans une langue ingénieuse et souple. Les dernières pièces sont attristées par la mort prématurée de Marie

Comme on

:

voit sur la branche,

au mois de mai,

Les Sonnets pour Hélène (1574). par ridée déjà familière à Ronsard de

Quand vous

serez bien

Ils

la rose...

sont assombris

la fuite

du temps

:

vieille...

Les autres pièces de Ronsard sont surtout remarquables par le sentiment de la nature (Élégie contre les bûcherons de la forêt de Gastine). Les Hymnes (1555-155 6) sont des pièces étendues où les fragments descriptifs et légendaires (Hymne de l'Or), les considérations morales (Hymne de la Mort) ou politiques sont développés en un style oratoire ferme. Les poèmes politiques de Ronsard sont d'une grande VIGUEUR. Enfin, en vivifiant son art par le sentiment direct des événements contemporains, Ronsard a atteint mieux que jamais à la haute poésie. Les Discours des Misères de ce temps (publiés de 1560 à 1569) sont une œuvre partiale mais ardente et patriotique. Ronsard y accuse avec violence les protestants et les poursuit de sa fureur et de son ironie, mais il éprouve une émotion sincère en exposant la détresse du pays.

U œuvre de Ronsard^ dans son ensemble^ représente un

effort

vigoureux de lyrisme joint à

F érudition.

Ses productions embrassent tous les genres, sauf une masse considérable

théâtre, et représentent «

Entre tous

Imagination et niste et

un poète

:

les

Français,

j'ai

seul le plus écrit.

»

en Ronsard un humapédantisme de l'un a souvent nui au

idées. Il y avait le

le

:

Le

XVh

siècle / 31

lyrisme de Tautre. Toxir à tour Térudition, l'inspiration mythologique, l'amour du plaisir et le sentiment de la nature se reflètent dans ses vers. Cependant, même dans les sujets mythologiques, son imagination féconde a parfois dominé avec succès son érudition. Quant au sentiment de la nature, Ronsard l'a exprimé sur des tons très divers, parfois trop mignards (Bel aubépin verdissant), souvent mythologiques (nymphes et déesses de la forêt de Gastine tuées par les bûcherons), mais parfois directement dans des descriptions originales et intéressantes (Églogues.) Ce

goût

était

du

reste sincère

:

J'aime fort les jardins qui sentent le sauvage. J'aime le flot de l'eau qui gazouille au rivage.

La langue et le style. La langue est brillante et sonore, émaillée d'un vocabulaire riche et pittoresque, mais il use sinon de mots composés (peu nombreux), du moins d'apou latines (Neptune, de diminutifs puérils (rossignolet, herbelette). Cherchant à assouplir la syntaxe, il emploie très librement l'adjectif (« l'épais d'un nuage », cf. le frais de l'ombrage), l'infinitif (le dormir, l'oser = pellations inaccoutumées grecques

la

mer; Cérès,

le blé, etc.), et

audace).

Le style est inégal. Les pièces, riches en passages d'une belle envergure, sont mal composées, prolixes, embarrassées de digressions, mais elles sont remarquables déjà par l'accent oratoire, et pleines d'un souffle grandiose dans les

Hymnes

et

dans

les

Discours.

Malgré des reproches injustes^ la gloire restera à Ronsard d'avoir transformé et ennobli la largue et

L'œuvre de Ronsard

est restée

fondé

la poésie classique.

partiellement méconnue

jusqu'à la moitié du xix^ siècle. Boileau a discrédité l'auteur des Odes et de La Franciade et les Romantiques n'ont apprécié que l'auteur des sonnets et de quelques pièces élégiaques. Malgré le charme de ces ouvrages, on ne peut oublier qu'il y a aussi dans Ronsard des poèmes d'une inspiration plus large. En tout cas, son action d'initiateur reste considérable réformateur du style, il a le premier éprouvé la capacité de la langue française en y transcrivant les passages excellents des anciens, mettant ainsi à la disposition des modernes un vaste répertoire :

32

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

de lieux communs; il a assoupli et affermi la langue, « une langue rebelle », a dit Sainte-Beuve; versificateur, il a essayé tous les rythmes possibles et a établi définitivement l'alexandrin. Son influence lointaine et durable s'est étendue en réalité l'école classique du xvii® siècle a pu le renier très loin par la voix de Malherbe et de Boileau, mais elle a vécu l'imitation des Anciens. sur le principe qu'il avait posé :

:

La prose au XVf Calvin et Amyot

siècle

Tandis que Ronsard

illustrait la poésie, Calvin et Amyot, sans affermissaient la prose et abordaient en langue commune les questions les plus sérieuses ou les plus variées de la vie religieuse ou de la morale.

rechercher

l'éclat,

L'Institution de la Religion chrétienne de Calvin été le livre fondamental du protestantisme

a

français. Introducteur en France de la religion protestante, réformateur de Genève, Jean Calvin (1509- 1564), après avoir donné en latin L'Institution chrétienne, traduisit luimême l'ouvrage en 1541 afin de rendre sa doctrine plus accessible

:

Je voulais par ce mien labeur servir à nos Français, desquels j'en voyais plusieurs avoir faim et soif de JésusChrist et bien peu qui en eussent reçu droite connaissance. » «

Une

logique, de la morale agrément externe, à assurer la valeur imposante de ce Hvre ; on n'avait encore jamais rédigé en français courant un travail d'une telle importance, d'un style aussi soHde, sans bouffonnerie ni

préoccupation soutenue de

la

et des saintes Écritures suffit, sans

artifice,

dans une langue

étonnamment pure, tout armée ».

«

triste,

sobre et forte, a dit Michelet, amère, mais robuste et déjà

Le XVI « siècle

/

33

Amyoty en traduisant Plutarque^ a popularisé

les

exemples de Vhéroïsme antique. Helléniste distingué, précepteur de Charles IX, Amyot (1513-1593) a été Tun des éducateurs les plus influents de la pensée française. Traducteur de Plutarque, historien et philosophe grec, il a donné les Vies des Hommes illustres (1559) et les Œuvres morales (1572) de cet auteur. Il a ainsi popularisé chez nous les faits mémorables de l'histoire ancienne et les observations curieuses ou profondes de la morale antique. Il a fourni aux écrivains à venir (Montaigne) un recueil précieux d'exemples ou de réflexions. Grâce à lui, Thémistocle, Alcibiade, etc. redevinrent comme des personnages contemporains ; l'imagination de ses lecteurs fut toute nourrie d'épisodes classiques ; la réputation de grandeur d'âme du « héros antique » a été en partie créée par les Vies de Plutarque. A côté de ces deux écrivains, si différents d'ailleurs, se placent au xvi^ siècle d'autres prosateurs d'un mérite inégal des conteurs ou chroniqueurs, comme Marguerite DE Navarre (1492-1549), auteur de VHeptaméron (1559), recueil d'histoires galantes, souvent osées ; Brantôme (1535-1614) ; MoNTLUC (1501-1577), maréchal de France, qui écrivit des Commentaires (1592) sur ses campagnes, :

notamment pour en

justifier la brutalité.

Montaigne (1533- 1592) Moraliste pénétrant, l'une des intelligences les plus ouvertes de son époque, Montaigne a fondé avec les Essais la littérature personnelle, l'observation psychologique et l'esprit critique c'est en même temps un écrivain artiste et spontané, extrêmement :

séduisant.

Montaigne, gentilhomme et ancien magistrat, unit r expérience du monde à une vaste culture littéraire et morale,

Michel Eyquem de Montaigne (1533- 1592) avait reçu dès sa première jeunesse une éducation choisie. Devenu

34

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

il démissionna en 1570 et se retira dans son château de Montaigne en Périgord, sans pour cela rompre il écrit alors les Essais, fait commerce avec le monde un grand voyage à travers la France, l'Europe centrale et l'Italie, et accepte en 1581 la charge de maire de Bordeaux. Il s'occupa sans zèle mais sans négligence de ses devoirs civiques et familiaux, connut malgré les troubles et la maladie une vieillesse paisible et mourut avec sérénité. Ce fut un caractère enjoué et heureux qui n'eut guère d'autre chagrin que la perte d'un ami très cher, Étienne de la Boétie.

magistrat,

:

Les Essais sont

Montaigne

le

résumé des lectures de de ses idées.

et le tableau

Ce ne

Mémoires ; Montaigne nous donne, de sa vie, celle de ses opinions. Les Essais (publiés en 1580) sont en quelque sorte un recueil d'articles où l'auteur parle de tout sans méthode, des épisodes de l'histoire ancienne, de l'ambition, de la peur, de l'amitié, des événements contemporains, de la découverte de l'Amérique, de l'inteUigence des animaux, des accidents qui lui sont arrivés, de ses goûts particuliers, etc. Cependant, la substance de la plupart des chapitres sont pas des

au

lieu de l'histoire

est

empruntée

à l'histoire

ou

à la morale, et

largement de deux auteurs anciens

Le

scepticisme

la doctrine de

et

:

Plutarque

il

s'inspire

et

Sénèque.

Vépicurisme sont au fond

Montaigne.

Il est impossible d'analyser le livre de Montaigne, mais sa doctrine peut se résumer dans la formule suivante « apprendre à se connaître soiqu'il a laissée lui-même :

même,

à bien

mourir

et à bien vivre

».

L'ÉTUDE DE l'homme SE CONNAITRE SOI-MÊME. • L'auteur. C'est là l'originaHté essentielle du livre des « Je suis moi-même la matière de mon livre. » Essais Montaigne, exposant ses idées et ses goûts, nous montre sa « nonçhalance », ses contradictions apparentes, et proclame avec complaisance un égoïsme systématique et aimable pourtant « se prêter à autrui et ne se donner à :

:

:

-

personne. » • Le monde. Mais puisque « chaque homme porte en soi la forme entière de l'humaine condition », Montaigne a

Le

XVh

siècle / 35

il été amené à étudier la nature humaine en général trouve l'homme « ondoyant, inconstant et divers » ; il a été surtout frappé de la diversité des coutumes et de la fragilité de nos opinions, que suffit à prouver par exemple le désaccord des philosophes. Il a la plus piètre opinion de la raison humaine ; aussi il garde sur toutes les questions d'ordre intellectuel une extrême réserve, un scepticisme discret mais profond qu'il a développé abondamment dans V Apologie de Raymond Sebonde (ii, 12). Ce n'est pas un incrédule, mais, se tenant à égale distance de l'affirmation et de la négation, il prend pour devise « Que sais-je? » L'idée de la mort « Que philosopher c'est apprendre A MOURIR. » La pensée de la mort avait toujours vivement inquiété Montaigne et il a eu du mal à s'accoutumer à cette éventualité. Cependant, fort des leçons de Lucrèce et Sénèque, il s'est « exercité » à en supporter l'idée ; une syncope consécutive à une chute de cheval lui a même appris qu'on ne devait pas trop souffrir en mourant et il a conclu que « la mort est moins à craindre que rien, s'il y avait moins que rien ». Il a de parti pris laissé de côté la possibilité d'une existence future, heureuse ou malheureuse. Une fois écartée la seule pensée qui pût gâter la joie de l'existence, il ne s'agissait plus que de bien vivre. :

:

La morale Bien vivre. Le précepte « Bien vivre » peut s'entendre de deux manières et comprend simultanément les règles de la morale et l'art d'être heureux • Envers les autres^ « la grande règle des règles » sera pour chacun de se conformer aveuglément à la coutume de son pays, si peu raisonnable qu'elle soit au fond ; un tel principe évite l'incertitude, sauvegarde l'ordre public et Montaigne a la « nouvelté » en horreur. D'ailleurs il admire la vertu, les actes de stoïcisme, fait l'éloge de :

:

:

l'amitié, déteste le

mensonge,

l'opiniâtreté et l'intolérance

:

C'est mettre nos opinions à bien haut prix que d'en faire cuire un homme tout vif. » • Envers soi-même^ la grande affaire sera de « jouir loya«

lement de son être ». Montaigne entend par là que l'on doit, en vivant avec confort et modération, sans se passionner pour rien, tirer le meilleur parti possible de la possession de ses amis, de ses livres et de sa santé. S'il est stoïcien d'imagination, «

Pour moi, j'aime

il

est épicurien par ses goûts

la vie et la culture.

»

:

36

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les Essais sont une mine inépuisable et de renseignements. Les raisons qui ont

d''

observations

des Essais sont surtout peint « de bonne foi », dans une pose sympathique et originale, avec sa mobilité de caractère, très vif, très curieux, son humeur expansive et bavarde de méridional. « Le charmant projet qu'il a eu de se peindre! » disait Voltaire. La fertilité des idées. Sur toutes sortes de questions d'intérêt pratique ou moral, sur les sciences, la justice, l'art mihtaire, la pohtique, Montaigne a formulé d'ingénieuses réflexions. En littérature, il affectionne les historiens et les morahstes, c'est-à-dire Plutarque et Sénèque « leur instruction est la crème de la philosophie. » « V Institution des Il a écrit un chapitre célèbre sur Enfants » (i, 26). L'éducation qu'il conçoit est fondée sur un développement physique et moral bien équiUbré ; il condamne la barbarie des collèges et s'inquiète moins de la quantité de science que de la justesse du jugement. Montaigne, qui vise à développer l'initiative de l'élève, voudrait susciter la bonne volonté de ce dernier par une méthode attrayante ; il conseille la pratique du monde et des voyages pour nous obhger à « frotter et limer notre cervelle contre celle d'autrui ». En somme, Montaigne ne cherche pas à faire un savant, mais plutôt à former un homme intelligent, de culture moyenne et capable de faire fait l'attrait

La personnalité de

l'auteur.

:

Il s'est

:

bonne figure dans la société. L'abondance des anecdotes. Montaigne collectionne de courage, les événements étrangers, les anecdotes plaisantes ou tragiques empruntées à l'histoire de conjuration de Cinna, aventure d'Androtous les temps clès, etc. Son livre donne des renseignements directs sur la vie au xvi^ siècle, sur les classes de la société, sur les questions intellectuelles et religieuses, les guerres civiles. les traits

:

Le et

style de Montaigne est remarquable d'entrain de mobilité.

Loin

d'affecter l'éloquence, le style de

comme un

Montaigne

est

bavardage familier, rempli de faits et d'images. Les réflexions qu'il ajoutait continuellement aux éditions

Le XVI « siècle

/

37

successives des Essais ont malheureusement encombré les chapitres et alourdi les phrases. L'originalité pittoresque de style est due à l'emploi presque continuel de mots expressifs qui font image « L'amitié a les bras assez longs pour se tenir et joindre d'un bout du monde à l'autre ». « que c'est un doux et mol chevet et sain que l'ignorance et l'incuriosité à reposer une tête bien faite ». :

O

La phrase souple et subtantielle, mais surchargée de réflexions incidentes, et fatigante par cela même, se prolonge indéfiniment au gré de

la

pensée.

Montaigne a surtout

à ses successeurs le goût de la psychologie.

inspiré

Les idées de Montaigne eurent une prompte diffusion, car il enseignait le prix de la paix et le bonheur de vivre. Puis, grâce à sa morale, purement naturelle, et à sa philosophie sceptique, il devint pour un temps le guide des libertins (libres penseurs). Plus tard, amis et adversaires se sont instruits dans son livre et la documentation unique qu'il avait réunie a servi de base à toute la littérature morale du xvii^ siècle. Pascal surtout, La Rochefoucauld et La Bruyère se rattachent à Montaigne, et l'ont étudié de très près ; c'est lui qui a orienté vers l'observation de l'âme humaine la littérature classique.

Les genres poétiques dans la seconde moitié du XVf siècle Après le brillant effort de la Pléiade, la poésie enregistre encore des tentatives importantes dans le poème épique, au théâtre et dans le genre satirique d'Aubigné est une personnalité puissante, mais le théâtre en reste à la période des ébauches. :

Agrippa d'Aubigné (i 552-1630)

homme

d^épée qu'un

est

homme

Après de solides études à Genève, il a participé activement, du côté des huguenots, aux guerres de religion.

autant un de plume.

38

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

s'est attaché longtemps à Henri de Navarre, le futur Henri IV, auquel il ne pardonnera pourtant jamais son

Il

abjuration. Tempérament passionné, excessif, fanatique, il s'est toujours refusé aux moindres compromis, et lorsqu'une grave blessure a mis fin à sa carrière proprement militaire, il a continué à être le champion véhément et intransigeant de la cause protestante et à mettre à son service, à défaut de son bras, son puissant génie poétique. œuvre polémique et somme Les Tragiques (i6i6) POÉTIQUE. D'Aubigné est l'auteur de plusieurs œuvres en prose, chroniques ou histoires, et d'un recueil de vers. Le Printemps (1570), où il chante l'amour non sans démesure et au gré d'un imagination parfois inquiétante. Mais c'est surtout dans son épopée des Tragiques, œuvre de maturité, que s'exprime totalement sa personnalité. Cette œuvre un peu touffue, où l'on trouve le meilleur et le pire, comprend plus de 9000 vers, divisés en sept chants. Les Misères :

(chant I) sont un panorama dramatique de la France déchirée. Dans Les Princes (chant II) se développe une violente satire des princes catholiques corrompus, comme Henri III et ses mignons, ou diaboliques, comme Catherine de Médicis. La Chambre dorée fait le violent procès de la justice et des juges. Feux et Fers (chants IV et V) passent en revue, sous la forme de tableaux saisissants, toutes les horreurs de la guerre. Dans l'avant-dernier chant, Vengeances, d'Aubigné admoneste ses ennemis et appelle sur eux le châtiment de Dieu. Enfin Le Jugement, (chant VII), c'est-à-dire le jugement dernier, marque le triomphe des bons et la confusion définitive des méchants. Les Tragiques sont une somme l'histoire contemporaine s'y enrichit de constants rappels de l'histoire bibhque, le réalisme le plus outré y côtoie le symbohsme. Les bons et les méchants. Dieu et les démons y sont en quelque sorte brassés avec une magistrale puissance. C'est sans doute dans le registre de la vigueur, de la violence que d'Aubigné est le meilleur. Son Caïn criminel fuyant Dieu et les hommes est inoubliable :

:

Il avait

peur de tout, tout avait peur de

lui.

ne peut qu'admirer le souffle grandiose qui anime résurrection de la chair ou l'évocation de l'enfer, im enfer dont il ne sort et l'on

la

Que

l'étemelle soif de l'impossible mort.

Le

Mais d'Aubigné, disciple de Ronsard, délicatement la Nature

sait aussi

XVh

siècle / 39

chanter

:

Une

rose d'automne est plus qu'une autre exquise.

En dépit de ses outrances, marque d'un siècle violent et d'imperfections évidentes, Les Tragiques constituent globalement une réussite. Loin de la médiocrité de La Franciade de Ronsard, et plus tard de La Henriade de Voltaire, en passant par tous les essais ratés qui ont jalonné quatre siècles de littérature, on peut dire que d'Aubigné a doté les lettres françaises d'une épopée moderne authentique, avant Hugo, et peut-être mieux que Hugo. Destin des Tragiques. Commencés en 1577, Les Tragiques furent publiés seulement en 161 6, à une époque où le goût, en voie de devenir classique sous la férule de Malherbe, ne pouvait plus comprendre les farouches beautés d'une autre époque. Aussi l'œuvre passa- t-elle inaperçue et ne commença-t-elle à être appréciée qu'après sa réhabilitation par Sainte-Beuve. Après lui, les modernes la placent très haut.

Le

théâtre voit naître avec Jodelle

genre classique de la Tragédie.

le

Le Parlement ayant prohibé en 1548 la représentation des sujets religieux, la réapparition du théâtre antique, dont la Pléiade allait justement proposer l'imitation à ses adeptes, se trouva en quelque sorte rendue nécessaire par les circonstances et la Tragédie se substitua aux Mystères. Les principaux auteurs furent avec jodelle, (1532-1573) l'initiateur du genre (Cléopâtre captive, 1552), Théodore de Bèze, Jean de la Taille, et surtout Jacques Grévin (1537-1570) et Robert Garnier (1534-1590). Ce dernier, écrivain remarquable, a composé sept tragédies d'un mérite réel ; son chef-d'œuvre. Les Juives (1583), est un tableau pathétique de la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor. La tragédie est alors une composition dialoguée, mais faite

en vue de

la

lecture et très rarement jouée.

Deux caractères La diversité des

sont particulièrement remarquables sujets,

:

fréquemment à (1552), de Th. de

empruntés

l'Histoire sainte (Abraham sacrifiant Bèze) et à l'histoire contemporaine (L'Écossaise (1605),

de

40

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Mont CHRÉTIEN, a pour sujet la mort de Marie Stuart) et non exclusivement aux sources grecques et romaines. La STRUCTURE LYRIQUE ET ORATOIRE des pièces. L'œuvre dans l'ensemble n'est qu'une suite de discours ou de monologues interrompus par des chants que déclame le chœur à l'imitation du théâtre grec. Les unités de lieu et de temps ne sont pas observées ; l'intrigue, c'est-à-dire la succession émouvante des péripéties, et l'intérêt moral, c'est-à-dire la peinture des passions, sont des éléments tout à fait négligés. Ces insuffisances proviennent du caractère artificiel de ce théâtre auquel manque le souci des conditions imposées par la représentation effective des scènes. En outre, les auteurs, sauf Garnier, sont d'assez faibles écrivains.

La

satire

a été

traitée

avec une verve gauloise

par Mathurin Régnier, Nombreuses sont au

xvi® siècle les œuvres d'invectives, Discours de RONSARD ou Les Tragiques de d'aubigné, mais la satire, au sens classique du mot, n'a

telles

que

les

guère été traitée que par Mathurin Régnier (i 573-1613). Poète débraillé, ses vers peignent bien son humeur dans des satires inégales et grossières, il a tracé quelques silhouettes pittoresques et a trouvé des vers d'une touche :

triviale et vigoureuse. Réfractaire à toute discipline, écri-

vant d'un style dru et incorrect, contre les théories de Malherbe.

Conclusion sur Uhéritage du

le

XVf

il

a

regimbé violemment

siècle

Moyen Age,

Dans les dernières années du Moyen Age, la littérature populaire gardait des qualités de réalisme et de pittoresque (Farce de PatheUn, Villon), tandis que la haute poésie était rendue stérile par l'abstraction et l'allégorie. Les auteurs du xvi^ siècle, en conservant avec Marot et Rabelais les qualités réahstes de l'ancienne langue, ont reconquis le sentiment du grand art en s'imposant l'exemple des modèles antiques.

Le

Le

retour à

XVh

siècle / 41

V antique fut un motif puissant d'' inspiration

L'adaptation

des

un moyen d'exprimer

œuvres anciennes apparut

nouvelle.

comme

beauté. Toutefois, dans le zèle exagéré de l'humanisme, la culture française la tradition chrétienne et chevaleresque faillit disparaître la vie, la vérité, la

:

du Moyen Age

se trouva effacée

au

profit

d'un idéal

purement classique et mythologique. Si regrettable que soit cet abandon, il faut noter que les qualités natives du tempérament national n'ont pas cessé de subsister sous une enveloppe étrangère. Du Bellay, Ronsard, Montaigne, auxquels on a reproché parfois l'imitation aveugle des anciens, ont marqué en leur temps une réaction courageuse contre la suprématie intellectuelle de l'humanisme ; ils ont sauvé et émancipé la langue et la culture nationales.

Les œuvres de la Renaissance offrent ce caractère^ propre à toutes les innovations^ d'hêtre à la fois imparfaites en elles-mêmes^ mais fécondes en résultats. Sans doute les défauts sont nombreux imitation servile, érudition mythologique et pédantisme dans les idées ; absence des qualités de composition et défaillances de style ; caractère hétéroclite du langage. Celui-ci surtout, manié par des écrivains trop divers ou par des novateurs maladroits, restait confus, encombré de synonymes et de termes latins, étrangers ou provinciaux. Mais si la plupart des auteurs, à l'exception de Montaigne, ont été éclipsés par le prestige supérieur des écrivains du règne de Louis XIV, il convient de rappeler la liste nombreuse des améliorations qu'ils ont réahsées Extension du domaine littéraire. La haute poésie, l'expression éloquente des sentiments, les discussions théologiques et politiques, l'observation morale, finalement les formes dramatiques furent autant de conquêtes successives et durables. Affirmation des théories artistiques. Le principe de l'imitation des anciens a été posé d'une manière solennelle ; les principaux genres dans lesquels devait se mouler :

:

42

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

notre littérature classique ont été indiqués. Montaigne avait même montré la vraie méthode à suivre, celle de l'imitation personnelle, c'est-à-dire la libre discussion et le contrôle original des pensées fournies par les anciens.

Perfectionnement de la versification et du langage. L'alexandrin fut consacré comme la forme métrique par excellence du vers français. La langue enfin, grâce aux efforts d'Amyot, tendait à s'unifier, à se débarrasser des tournures dialectales. Indépendamment de ces mérites dont le bénéfice devait se transmettre au siècle suivant, le xvi^ siècle présentait encore des qualités précieuses de lyrisme (Ronsard) ou de réalisme (Rabelais), et, dans la langue, des dons de couleur dont on devait plus tard regretter la disparition.

Les grandes dates de la littérature au XVf

• • • •

siècle

1525-1535 Marot, ^/)£rre5. 1532 Rabelais, Pantagruel. 1534 Rabelais, Gargantua. 1541 Calvin, Institution de la en

religion chrétienne (édition

français).

• 1549

J.

DU Bellay, Défense

et illustration

de la langue

Formation de la Pléiade. • 1552-1555 Ronsard, Les A mours. • 1553-1557 J. DU Bellay, Les Antiquités de Rome, Les française.

Regrets.

• 1577 D'AuBiGNÉ commence à écrire Les Tragiques. • 1580 Montaigne, les Essais (i^^ édition).

Le XVirsiècle

44

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Introduction

Le XVII^

siècle est

V époque

classique de la

littérature française.

Reposant essentiellement sur Timitation des anciens et l'observation morale, la littérature s'est alors développée dans des conditions qui étaient plus favorables pour accueillir les idées directrices et les qualités d'unité et de goût qui avaient fait défaut au siècle précédent.

La

soumission de tous aux

et littéraires contraste

mêmes

avec

principes

moraux

V individualisme du

siècle précédent.

Trois grands principes s'imposent alors à l'esprit public Les croyances religieuses. Le xvii^ siècle, pris dans l'ensemble, est un siècle chrétien après une période de désarroi et de libertinage, consécutive aux guerres de religion, un puissant mouvement de restauration catholique s'effectue grâce à l'apostolat des ordres rehgieux, à l'influence des Jésuites, à l'action des prédicateurs et des théologiens. L'intérêt qui s'attache à des controverses subtiles ou ardues sur la grâce, l'amour de Dieu, etc., montre combien l'on est pénétré de culture religieuse. Enfin la polémique contre les Protestants reprend avec une assurance plus grande du côté catholique ; victorieuse de fait, l'Éghse veut établir en droit la supériorité et la stabihté de sa croyance. Le respect de l'ordre. Lassés d'un demi-siècle de guerres civiles, les esprit aspirent à l'étabhssement d'une autorité forte et incontestée ; tandis que disparaissent les derniers symptômes de résistance féodale ou protestante, la majorité des individus se soumettent docilement à la tradition et respectent les puissances qui semblent l'incarner le Roi, l'Éghse. :

:

:

Le XVI|e siècle

/

45

En littérature, la création de I'académie française (1635) et la déférence dont elle est l'objet sont le fruit d'une disposition semblable à la règle et à la discipline. Le respect de la Raison. Au point de vue intellectuel, un principe supérieur est universellement reconnu la Raison. Expression de la pensée collective et impartiale, du sens commun, la Raison n'est spéciale à aucun temps et à aucun pays ; elle doit représenter l'opinion moyenne et permanente de l'humanité. Le respect de la Raison suppose en matière littéraire la vérité des idées exprimées et la suite logique des compositions. :

Les milieux

mœurs

et les

favorisent la suprématie de r opinion collective.

Ces idées, proclamées par les philosophes et les écrivains (Descartes, Boileau), ont régné dans les milieux qui constituaient alors presque tout le public de marque les salons et la cour. Dans les salons où se rencontrent familièrement beaux esprits et gens de qualité, le public, perdant son particularisme de province ou de profession, se restreint à une élite de gens cultivés et d'opinions semblables. A l'avènement de Louis XIV, la cour apparaît comme l'endroit le plus distingué de toute l'Europe le roi. Madame, les ministres (Fouquet, Colbert) protègent et encouragent avec intelligence les auteurs. Dans cette aristocratie se fait jour un idéal très caractéristique celui de l'honnêteté mondaine. L'honnête homme n'est ni savant, ni guerrier, ni spécialiste ; « l'honnête homme ne se pique de rien », mais par l'ouverture de son esprit il sait se plier avec aisance à toutes les éventualités ; un sentiment délicat de l'honneur, sa galanterie envers les dames, sa distinction dans les manières font reconnaître en lui l'homme du monde accompli poli, aimable, généreux, parfois impertinent. :

:

:

:

Les écrivains concilient

le culte

des auteurs anciens

avec

le

goût français.

Pour plaire à ce public, les écrivains devront se défaire du pédantisme et de la grossièreté le pubUc, suffisamment :

46

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

pour s'intéresser à des sujets élevés, est trop pour tolérer l'érudition ou l'imitation servile.

instruit

raffiné

Aussi s'appliquera-t-on à imiter les anciens qui ont les premiers représenté la nature, mais, substituant un choix réfléchi à l'imitation indistincte qui avait gâché certaines œuvres de la Renaissance, on ne s'adressa qu'aux modèles dont l'œuvre a une valeur humaine et éternelle, aux Tragiques grecs (Euripide), à Virgile et Horace. Un père de l'ÉgHse, saint Augustin, a été aussi l'une des sources capitales de la Httérature religieuse. La formation d'un idéal purement français fit évincer les influences étrangères cependant l'Espagne a fourni des :

inspirations précieuses à Corneille et l'Italie à ainsi qu'à

Les

Mohère

La Fontaine.

sujets traités

concernent presque exclusivement

les

questions les plus hautes de la philosophie ou de la religion et l'étude des sentiments de l'âme (morale ou théâtre). Le xvii^ siècle n'étudie ainsi que des idées ou passions d'intérêt général (amour, ambition, amour-propre) et se borne souvent aux seules perspectives de la vie sociale ou mondaine.

Le règne de Louis

XIV

marque Vapogée du goût

classique.

Les caractères qui viennent d'être définis ne se sont réaHsés pleinement que dans la seconde partie du siècle, à la majorité de Louis XIV, après deux périodes d'aspect assez différent • De 1600 à 1625 environ (règne de Henri IV, régence de Marie de Médicis), une nouvelle invasion du goût itaUen se traduit par une sentimentalité affectée, la mollesse et les enjolivements du style ; • De 1625 à 1660, le règne de Louis XIII et la Fronde sont marqués par une httérature brillante et superficielle, très indépendante, avec une tendance à l'emphase et dominée :

par le goût espagnol ; • A partir de 1660 commence enfin la période classique tandis que Louis XIV, achevant l'œuvre de Richeheu, impose en matière politique l'ordre et l'unité, une littérature disciphnée, sereine et forte, qui semble modelée à l'image de la monarchie, ajoute son éclat au prestige diplomatique et militaire du règne le roi protège les écrivains et reçoit en échange l'hommage de leurs louanges. :

:

Le XVI |e siècle / 47

du style Malherbe

L'élaboration

classique

Balzac

et

La poésie et la prose ont acquis au cours d'une évolution d'environ trente années (1605-1635) une forme régulière et solennelle, une dignité de style qui allaient devenir nécessaires à l'expression des grands sujets.

La

littérature de

Vépoque de Henri

IV

est

une

littérature de transition.

Dans

marquée par une certaine mollesse saint François de sales {Introduction à la vie dévote, 1608) s'était efforcé de concilier les exigences de l'idéal chrétien avec celles de l'honnêteté mondaine d'Urfé (1567-1625)5 dans le cadre de son roman mythologique et pastoral, UAstrée (1610), avait décrit les différentes formes de la galanterie. En poésie. Desportes, et Bertaut, poètes de cour, avaient eu le mérite de conserver à leurs vers un caractère oratoire et tempéré sans tomber dans le désordre fougueux de DU Bartas; Malherbe, leur concurrent et leur détracteur, ne leur est supérieur que par son application au style. de

cette littérature

style,

Malherbe a pratiqué

le

lyrisme oratoire,

Malherbe (15 55- 1628), poète aux gages de Henri IV, puis de Louis XIII, n'a laissé qu'une œuvre assez restreinte des Odes officielles sur les événements poHtiques du temps {Prière pour le roi Henri le Grand allant en Limousin', Ode à Louis XIII allant châtier les Rochelois) et des paraphrases de psaumes. Il développe à l'aide de réminiscences mythologiques des pensées communes l'horreur des troubles, la nécessité de la mort, etc. :

:

Malherbe a contribué à

régulariser la langue,

A l'aide de tels exemples rares, mais excellents, contenant des modèles de strophes presque parfaites, Malherbe a exercé une action efficace. Toutefois, c'est exagérer son rôle que de parler d'une réforme Malherbe n'a eu ni l'activité féconde de Ronsard :

48

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

ni l'esprit doctrinal de Boileau et s'est borné à des corrections de détail : il fut « le tyran des mots et des syllabes ».

Malherbe eut pour disciple Racan (1589-1670), un descriptif aimable; pour adversaires Mathurin Régnier, (1573-1613)5 puis Théophile de Viau (1590-1626). Ce dernier, poète facile et gracieux, mais très indépendant, a eu à un degré rare dans son siècle le sentiment de la nature.

Avec Guez de Balzac^

la prose évolua

à Punisson

de la poésie.

Guez de Balzac

(i 597-1654), se spécialisant dans rédaction de Lettres cérémonieuses ou de Dissertations morales ou politiques, s'est exercé vers 1624- 1630 à construire systématiquement des périodes savantes, c'est-àdire de longues phrases aux éléments bien équilibrés, d'un rythme grave, où il faisait entrer à défaut d'idées neuves les diverses figures de la rhétorique comparaisons, métaphores, hyperboles, antithèses, prétéritions, etc. C'est grâce à Malherbe et Balzac que la langue a pu acquérir deux qualités indispensables pour de plus grands sujets la fermeté du style et la correction grammaticale.

la

:

:

La et

haute société se prend de goût pour la littérature tombe dans la préciosité,

A

l'action purement livresque de Malherbe et Balzac s'ajoute l'influence vivante de la société au lieu de vivre isolés dans leurs châteaux, les « honnêtes gens » se réunissent dans les salons et se défont de leur arrogance ou de leur rusticité; ils apprennent la politesse et, dans ces groupes :

la préséance est reconnue aux dames, la conversation devient un plaisir délicat. L'esprit, l'élégance du langage sont des qualités mondaines qui ont compensé l'influence qu'aurait pu avoir le style trop guindé de Balzac. L'hôtel de Rambouillet (1620- 1648), créé par la marquise de ce nom (« l'incomparable Arthénice »), assistée de ses filles, fut le premier et le plus réputé de ces salons, voiture (1598-1648) en était l'homme d'esprit attitré ses lettres et poésies badines, malgré le succès qu'elles ont eu, sont d'un esprit extrêmement factice. Un autre cercle d'écrivains, groupés par conrart (1603- 1675), ayant reçu de RicheHeu une investiture offi-



:

Le XVI |e siècle

/

49

(1635), devint I'académie française et entreprit du Dictionnaire (publié seulement en 1694). Une mode assez frivole la préciosité faillit malheureusement gâter le sentiment du naturel par des raffinements ridicules dans les manières et les expressions; cependant elle fit introduire des locutions nouvelles dont quelques-unes ont persisté et qui eurent peut-être pour effet d'assouplir la langue et de la rendre plus imagée; perdre son sérieux, s'embarquer dans on dit encore une aventure, laisser mourir la conversation... Mais le fin du fin consistait à poursuivre la métaphore le plus longtemps possible. Le public, s'appUquant à bien parler, se passionnait cielle

la

rédaction

:

pour de minutieuses questions de grammaire et la conservation du mot « car » fut vivement discutée. Corneille lui-même corrigea ses vers pour les rendre conformes aux décisions du grammairien Vaugelas (1585-1650) dans ses Remarques sur la langue française. C'est ainsi qu'un courant général entraîne et affine la langue et les mœurs. En dépit d'écarts individuels, le public et les auteurs se montrent disposés en tout à se soumettre à la coutume ou à la règle. Mais, faute d'expérience, on risque d'abandonner le naturel et l'on s'égare dans la bizarrerie.

Corneille (1606- 1684) Dans

genre de la tragédie définitivement constitué. Corneille une forme saisissante pour présenter dans des situations pathétiques des âmes d'une trempe admirable. le

a trouvé

Le

théâtre avant Corneille manquait de principes et

Les tragiques du xvi^ siècle n'avaient pas réussi à une tradition le grand fait de l'histoire du théâtre dans les premières années du xvii^ siècle est que l'œuvre dramatique devient un spectacle réel, présenté sur la créer

scène.

:

de modèles.

50

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Les principaux auteurs avant Corneille furent Hardy, Racan, Théophile de Viau et Mairet. Hardy (1570-1632), improvisateur fécond, a laissé un grand nombre de pièces mouvementées et confuses; Racan a transporté sur la scène les bergers des romans; Théophile de Viau a écrit une tragi-comédie émouvante,

Pyrame

et

Thisbé;

Mairet (1602- 1686)

a

composé

la

première tragédie régulière Sophonisbe (1634). Les pièces représentées entre 1610 et 1634 peuvent le drame qui se rattacher à trois genres principaux comporte la figuration d'épisodes innombrables et impres:

:

sionnants; la pastorale, présentant des scènes d'églogues; tragi-comédie, caractérisée par le tour romanesque de l'action, la multitude des aventures et par le dénouement heureux. L'irrégularité de la forme et la comphcation de l'intrigue sont les traits les plus marquants de ce théâtre cependant vers 1634 la forme proprement de transition classique de la tragédie finit par se déterminer et on la conçoit désormais comme une pièce à cinq actes et en vers, soumise à l'observation des trois unités (temps, lieu, action) et consacrée à la représentation d'un sujet la

:

pathétique emprunté à l'histoire. Ces conditions plus sévères de la forme furent imposées surtout après la publication des Sentiments de V Académie sur Le Cid. Cependant les premières pièces de Corneille conservent des vestiges de l'état antérieur ce sont, outre la tendance à la complication de l'intrigue, une survivance de l'élément lyrique (stances) et le caractère oratoire du style. En ce sens, les pièces de Corneille se rattachent aux tragédies du xvi^ siècle. :

La

carrière de Corneille offre^ après d^éclatants

succès^ Vhistoire d'aune décadence graduelle. Corneille (1606- 1684), né à Rouen, avocat, existence obscure et parfois gênée; dans sa vieillesse, il s'obstina à écrire malgré l'abandon du pubhc qui se tournait vers Racine. Ce fut dans la vie pratique un homme timide et simple, ayant en imagination le goût des grandes choses, des caractères forts et des paroles superbes. On peut distinguer cinq époques dans la carrière de Corneille. Pierre

mena une

Le XVI h siècle

/ 51

Les débuts. Ce sont des comédies d'intrigue consacrées mœurs contemporaines et à la bonne société Mélite (1629), La Galerie du Palais^ La place Royale. MÉDÉE ET Le Cid (1636). Ce sont les premiers essais de Corneille dans le genre tragique avec Le Cid, adapté de Guilhem de Castro, il affirme toute la supériorité de son génie; la pièce abonde en scènes brillantes et héroïques roulant autour d'un sujet passionnant, l'amour de Rodrigue et de Chimène. Le succès inouï de la pièce déchaîna les invectives de Scudéry, provoqua la jalousie de Richelieu ce fut la Querelle du Cid. Le docte Chapelain (1595- 1674) rédigea les Sentiments de V Académie sur le Cid, œuvre de critique maladroite et inintelligente. Corneille méaus

:

:

:

content se tint trois ans à l'écart du théâtre. Les tragédies romaines (1640- 1643). Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée. Ce sont des pièces historiques et oratoires, au style solennel, où les règles sont plus strictement observées.

MÉLODRAMES TRAGIQUES (Rodogune, HérocUus) et coméou sans héroïsme (1645 -165 2). Le trait commun

dies avec

de ces pièces est la complication de l'intrigue. Le Menteur, comédie, raconte les aventures galantes d'un étudiant en droit. Dans Nicomède, comédie héroïque, un jeune prince oriental, vaillant et spirituel, fils d'un roi imbécile, déjoue la diplomatie romaine et sauvegarde son indépendance. Après l'échec de Pertharite (1652), Corneille se retire du théâtre pendant sept ans. PIÈCES DE DÉCADENCE (1659-1674). Ce sout des tragédies politiques, aux sujets invraisemblables et d'intérêt médiocre

:

Agésilas, Attila,

Suréna.

semble que deux courants se fassent jour dans le théâtre de Corneille l'un plein de jeunesse et d'animaIl

:

tion qui lui a dicté les scènes généreuses ou alertes du Cid, du Menteur et des comédies héroïques ; l'autre imbu d'une majesté sévère et grandiloquente que l'on trouve dans ses tragédies Cinna, Pompée, Rodogune. :

Uimagination de Corneille s'est déployée dans la comédie comme dans le genre héroïque. Comédies. L'originalité des comédies de Corneille fut de peindre des caractères naturels, des « honnêtes gens » « On n'avait jamais sans forcer dans le sens burlesque :

52

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

vu jusque-là que ridicules, tels que

la

comédie

sans personnages

rire

fît

valets bouifons,

les parasites, les capitans, les docteurs... » (Examen de Mélite,) Dans les situations les plus embrouillées les personnages se tirent d'affaire non par un acte de volonté, mais par leur adresse tel est du moins le cas de Dorante, le Menteur. Le style, plein de verve dans les narrations et les descriptions fantaisistes, s'élève parfois et prend un accent presque tra« Êtes-vous gentilgique. (Reproches de Géronte les

:

:

homme?... ») Tragi-comédies. Le Cid, Don Sanche d'Aragon et Nicomède présentent un autre aspect du théâtre de Corneille celui où il interprète le plus vivement l'imagination ardente et romanesque de ses contemporains, épris d'agitation, de :

aventures, de sentiments fiers, de héros galants, souriants et intrépides belles

:

«

Paraissez, Navarrais,

Maures

et Castillans!...

»

Une pointe de persiflage qui n'est pas dans Le Cid apparaît dans les comédies héroïques de la maturité de Corneille ; le style est spirituel, fougueux. Tragédies. Les tragédies, auxquelles on a tort de réduire presque exclusivement

la

production dramatique de Cor-

consacrées à des débats oratoires sur des questions de poUtique et de morale et à la peinture conventionnelle d'événements historiques. Corneille trace en de larges fresques les époques mémorables du peuple romain, dont il excelle à rendre le génie austère et impérieux « Il peint les Romains, ils sont plus grands et plus romains dans ses vers que dans leur histoire » (La Bruyère). L'action, pathétique et grave dans Cinna, Horace, devient d'une confusion inextricable dans les dernières pièces. neille, sont

:

Corneille se propose F extraordinaire dans des sujets et le sublime dans les sentiments.

Les sujets

le

choix

Corneille recherche les situations « hors de » (intrigues politiques), les actions « implexes », obscures, fertiles en événements et en surprises ; il peint des âmes supérieures, porte à l'extrême leurs qualités ou leurs défauts, et leur prête une volonté inflexible, bonne ou mauvaise, souvent indifférente à l'idée du devoir (Cléopâtre, dans Rodoguné).

l'ordre

:

commun

Le XVI h siècle

Cependant, dans ses pièces aujourd'hui classiques, Corneille a atténué ce qu'il y avait de faux et de violent dans cette tendance. Les sujets, si on les dégage des embellissements légendaires, redeviennent vraisemblables, possibles ; des situations comparables à celles de Chimène, Curiace, Pauline peuvent se présenter même dans la vie réelle. A défaut d'un respect absolu des faits historiques, l'évocation des mœurs et des institutions apporte une certaine garantie de vérité. Les personnages, au lieu d'être des monstres d'énergie, connaissent l'hésitation, la souffrance, la pitié (stances de Rodrigue ; mélancolie d'Auguste ; douleurs de Curiace, de Polyeucte) ; par là, ils redeviennent proches de nous, humains et sympathiques. En tout cas, les rôles de leur entourage ont les traits et les défaillances de l'humanité moyenne Cinna, Félix. La structure des pièces. L'observation des trois unités a obligé Corneille à se contraindre au lieu de s'abandonner à son imagination romanesque, il lui a fallu « contracter » le sujet de ses pièces (cf. Le Cid avec le drame de Guilhem de Castro). Il en résulte un certain tassement des péripéties en vingt-quatre heures, une application insuffisante ou pénible des unités, l'élimination des scènes d'action (meurtre de Camille, assemblées du peuple dans Horace, réunion des conjurés dans Cinna). Des récits remplacent la figuration matérielle des événements ; de là vient que les scènes psychologiques, les conflits d'idées ont la prépondérance sur les scènes d'action (duels, combats). Le théâtre de Corneille y a gagné en profondeur morale. Les sentiments. L'intrigue se ramène donc à une crise de conscience (lutte entre le devoir et la passion Le Cid, Cinna) ou se résout en combat de volontés adverses (Cléopâtre contre Rodogune). Corneille se plaît à développer « quelque passion noble et mâle, telles que sont l'ambition et la vengeance » ; il dédaigne l'amour « trop chargé de faiblesses », oubliant qu'il lui doit les scènes émouvantes du Cid et de Polyeucte. Ses personnages, du moins ceux du premier plan, se distinguent par leur force de volonté, leur « libre arbitre » :

:

:

:

Je suis maître de dans Cinna.)

moi comme de

l'Univers. (Auguste

Même les femmes affichent une fermeté intransigeante qui ne fléchit et ne se trouble jamais (fierté de Cornélie en présence de César, dans La Mort de Pompée) et l'im-

/

53

54

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

pression dernière qui se dégage de tous ces dialogues, des plaidoyers où les antagonistes exposent méthodiquement leurs principes (scène entre Horace et Curiace, acte II), des monologues où se détermine leur pensée (monologue d'Auguste, acte IV), est, en fin de compte, une grande idée morale Le Cid exalte l'honneur, Horace le patriotisme, Cinna la clémence, Polyeucte la foi. En tout cas, le spectacle même de la volonté cornélienne est déjà une éducation du caractère il nous apprend à subordonner en toute circonstance les impulsions du cœur aux lois de la raison (cf. dignité du rôle de Pauline) et lorsque à la noblesse du sentiment s'ajoutent la jeunesse et l'ardeur généreuse d'un héros sympathique (Rodrigue), alors sa grandeur d'âme devient entraînante et communicative elle provoque l'admiration, et Corneille se glorifiait d'avoir ajouté un nouveau pathétique aux deux « ressorts » traditionnels des Anciens la terreur et la pitié. :

:

:

:

Le

style

de

Corneille^

oratoire

et

sentencieux^

recherche la grandeur.

Le style de Corneille est très inégal parfois emphatique ou précieux, lyrique dans certains passages du Cid, il est plus souvent oratoire (délibération de Cinna, Horace, acte V), ou épique dans le récit de la victoire de Rodrigue et dans le tableau des guerres civiles, inspiré de Lucain :

:

Où Rome Où l'aigle Nos

par ses mains déchirait ses emrailles, abattait l'aigle et de chaque côté légions s'armaient contre leur liberté. (Cinnay L)

L'ordonnance logique des discussions, le souffle un peu déclamatoire de « ces tirades qui font frissonner » (Mme de Sévigné), la vigueur superbe de certains vers sont les quahtés les plus apparentes du style cornélien. Il est excellent de simphcité et de brièveté puissante dans l'énoncé des maximes et idées générales :

La

valeur n'attend pas

le

nombre des années. (Le Cid.)

mourir pour son prince est un illustre sort Quand on meurt pour son Dieu quelle sera

Si

la

mort?

(Polyeucte.)

et

dans

les

répliques instantanées

Es-tu

si las

de vivre

?

du dialogue

— As-tu peur de mourir

:

?

(Le Cid.)

Le XVI h siècle

/

55

Albe vous a nommé, je ne vous connais plus. Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue!



(Horace.)

Ce

style à la fois sévère et éclatant, plus fertile

en raisons

qu'en images, ayant plus de rudesse que d'harmonie, offre surtout des beautés morales.

Les écrivains scientifiques et philosophiques

Descartes Travailleur indépendant et penseur vigoureux, fondateur de la géométrie analytique et de la philosophie moderne. Descartes a été l'interprète le plus original des principes intellectuels de son temps.

Descartes

mena en Hollande une

existence retirée et studieuse.

René Descartes (1596- 1650), né en Touraine, après avoir des études très complètes à La Flèche, eut une jeunesse

fait

au cours de laquelle il prit part en Allemagne à diverses opérations de la guerre de Trente Ans. Ayant eu en 1619 l'intuition brusque de sa Méthode^ il se consacra exclusivement à partir de 1629 à la réaliser. Pendant vingt ans, il travailla solitaire en Hollande, menant simultanément ses méditations, ses recherches mathématiques et ses études de la nature. Appelé en Suède par la reine Christine, il mourut en 1650.

fort active

Son œuvre. L'œuvre française de Descartes comprend le Discours de la Méthode (d'abord rédigé en latin, puis traduit en français, 1637) et le Traité des Passions^ esquisse de psychologie théorique. Le Discours de la Méthode est un essai de biographie intellectuelle. Descartes y fait dans un style sobre et sub:

56

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

stantiel l'histoire

de ses raisonnements du moins, toutes procéda par le raisonnement

de ses idées

et

:

s'étant décidé à rejeter, provisoirement

connaissances acquises, il seul à la reconstruction totale des sciences.

les

la Méthode renferme de la philosophie moderne.

Le Discours de essentiels

les

principes

Ses règles essentielles se ramènent à quatre • N'admettre que l'évidence (ce qui implique le rejet des arguments d'autorité). • Diviser chaque difficulté ; c'est-à-dire l'analyser. • Conduire par ordre ses pensées en commençant par :

les

objets les plus simples.

• Faire partout des dénombrements entiers, c'est-à-dire récapituler. D'une simplicité surprenante dans leur énoncé, les règles de Descartes tirent leur valeur de l'application systématique et permanente qu'en a faite leur auteur.

Les résultats de la méthode cartésienne.

Dans

les sciences, des découvertees importantes furent de la patience et du génie de Descartes En mathématiques application de l'algèbre à la géométrie ; représentation graphique des fonctions (géométrie analytique) ; En physique découverte des principes de l'optique ; théorie de la réfraction de la lumière. En cosmographie, hypothèse des tourbillons, sorte de phénomènes de pression qui, dans l'espace, détermineraient le mouvement des. astres. En biologie et physiologie^ théorie de l'automatisme des bêtes et de la circulation des « esprits animaux » (sorte d'influx nerveux). De si vastes hypothèses étaient prématurées ; il est à remarquer d'ailleurs que Descartes a plutôt réussi dans les sciences abstraites ; en effet, sa méthode toute rationnelle pouvait s'y appliquer, tandis qu'elle n'était pas assez expérimentale pour atteindre des résultats certains dans les sciences de la nature. En philosophie, l'originalité de Descartes est d'avoir trouvé la base, l'axiome fondamental de notre raisonnement « Je pense, donc je suis. » De l'âme, il remonte le fruit

:

:

:

:

Le XVI h siècle

/

57

par là, il a déplacé le à Dieu, et de Dieu à l'Univers centre même des considérations de la philosophie, leur donnant pour principe le Moi, au lieu du monde. C'est le caractère propre de la philosophie moderne. :

Influence, L'influence de Descartes a été très profonde et contradictoire. Il a soustrait la métaphysique à la théologie ; il a reconquis la certitude, ébranlée par les attaques des sceptiques et de Montaigne ; il a imposé dans les esprits l'ordre au nom suprême de la Raison, une et universelle. Plus tard, cependant, par une conséquence involontaire de sa doctrine, le doute qu'il n'avait accepté qu'à titre provisoire a servi aux critiques du xviii^ siècle à discuter toute croyance dogmatique. Quoi qu'il en soit. Descartes a rénové et vulgarisé la philosophie il a donné, au lieu des traités scolastiques, un exposé complet et clair de métaphysique et de science. En Descartes, à la fois phi« Descartes, ce morlosophe, mathématicien, physicien tel dont on eût fait un dieu chez les païens... » (La Fontaine) ses contemporains avaient l'impression de saluer l'homme qui leur avait apporté le mot de la science :





universelle.

Avant Locke et Newton, rien ne vint infirmer sérieusement les données de la science cartésienne.

Pascal (1623- 1662) Biaise Pascal, savant, homme du monde, philosophe et chrédes esprits les plus complets de l'humanité. Il a cherché passionnément la vérité dans les sciences, la morale et la religion ses Pensées ont gardé l'empreinte de son « effrayant

tien, a été l'un

:

génie

».

La

science et la religion se sont partagé la vie de

Biaise Pascal Biaise Pascal (1623-1662), né à Clermont-Ferrand, avait reçu de son père une instruction exceptionnellement forte. Mathématicien dans l'âme et physicien déjà renommé

58

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

(indépendamment de l'expérience du Puy-de-Dôme sur l'existence du vide et la pression atmosphérique, il a trouvé les théories fondamentales de « l'équilibre des liqueurs », c'est-à-dire de l'hydrostatique), Pascal, après une brève période d'agitation mondaine, s'attacha étroitement à la propagande janséniste qui avait pour centre l'abbaye de Port-Royal. Il mourut accablé d'infirmités à l'âge de 39 ans.

Son

caractère.

Quelques

là la

personnalité de Pascal. esprit insatiable est inces-

traits caractérisent la

L'amour de la vérité. Son samment en quête de preuves son penchant pour

les

et de démonstrations ; de mathématiques dont il admire

rigueur.

La puissance de

l'intelligence. D'une seule vue juste découvre le nœud d'une question, approfondit, explique, conclut, ramène un problème à quelques données essentielles. De là la simpHcité et la fécondité de ses théorèmes (sur les coniques, la règle des partis, le « triangle arithmétique ») ; des inventions pratiques comme la machine à calculer montrent également la souplesse du génie de Pascal. L'impétuosité. Pascal est un esprit impatient, fiévreux, avide de résultats décisifs dans les sciences, il poursuit indéfiniment les conséquences d'un principe ; en morale, en religion, il adopte les opinions extrêmes et catégoriques ; dans la discussion, il veut dominer, écraser l'adversaire. La piété. La charité ardente qu'il a manifestée par ses mortifications et son désir des sacrements s'exprime aussi dans l'humilité de la Prière sur le bon usage des maladies et dans les effusions de tristesse du Mystère de Jésus où il médite sur l'agonie et l'isolement du Christ. Au point de vue philosophique, deux lectures ont suffi presque seules à doter d'idées cette intelligence remarquable la Bible et Montaigne.

et pénétrante,

il

:

:

Ses

écrits scientifiques.

Les traités didactiques de Pascal ont été rédigés en latin, mais quelques textes écrits en français ont une grande valeur.

Dans

le

fragment d'un Traité sur

les sciences positives les

le Vide, il établit dans prérogatives de l'expérience sur

Le XVI h siècle

la

/

59

tradition des Anciens, les conditions du progrès, la une science plus sûre

possibilité d'accéder à

:

des hommes, pendam le cours de tant de siècles, doit être considérée conmie un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement...

Toute

la suite

U

Essai sur F Esprit Géométrique est un aperçu très étudié de logique scientifique et de psychologie générale ; le Discours sur les passions de V amour est une étude théorique « A mesure que Ton a plus des sentiments d'esprit, les passions sont plus grandes. Qu'une vie est heureuse quand elle commence par l'amour et qu'elle finit par :

l'ambition!

»

Toutes ces considérations furent subordonnées bientôt à l'étude des questions religieuses.

Pascal adopte

les

principes de Jansénius.

Déjà influencé par l'exemple de sa sœur Jacqueline, Pascal, après sa vision du 23 novembre 1654, se rangea à l'observation d'une vie purement chrétienne et se soumit à la direction spirituelle des « Messieurs de Port-Royal ». Sous l'ascendant d'un prêtre, du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, les religieuses de Port-Royal, à l'exemple de leur supérieure, la Mère Angélique, et tous les personnages qui se rattachaient à la famille Arnauld, avaient accepté, malgré les censures de l'Église, la doctrine de Jansénius sur la Grâce, c'est-à-dire sur les rapports de l'homme avec Dieu. Pratiquement on peut la résumer l'humanité est irrémédiablement corrompue par le péché originel, seuls, quelques « élus » seront sauvés par un secours tout exceptionnel de la Grâce. Cette doctrine pessimiste et fataliste s'accompagnait d'une morale

ainsi

:

extrêmement rigoureuse.

Dans le conflit qui opposait les Jansénistes aux Jésuites, Pascal prêta à ses amis de Port-Royal le concours d'une conviction ardente. Provinciales, Pascal défend la théologie janséniste et critique la morale des Jésuites,

Dans Les

principale autorité morale du Jansénisme, d'être exclu de la Sor bonne, Pascal la charge d'éclairer l'opinion (janvier 1656).

Arnauld,

se trouvant

assuma

la

menacé

60

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

En i8 lettres variées, mordantes, agressives, publiées à différents intervalles pendant quinze mois, Pascal, sous le nom de Louis de Montalte, écrivant « à un provincial de ses amis », mena la lutte contre la Société des Jésuites. « Vous vous sentez frappés par une main invisible qui rend vos égarements visibles à toute la terre... »

Changeant de point de vue suivant la fluctuation des circonstances, Pascal, dans les quatre premières lettres, discute la question de la Grâce ; dans les suivantes, il prend l'offensive et porte le débat sur la morale. Les casuistes, dans des sortes de répertoires spéciaux sur les « cas de conscience », s'étaient appliqués à définir la gravité relative des péchés et, à force de discerner des circonstances atténuantes, ils avaient paru les autoriser tous.

Discutant les thèses de Bauny, Escobar, etc., Pascal réfute avec énergie et habileté les excuses que ces nouveaux docteurs avaient imaginées sur le mensonge (restrictions mentales), le vol, l'homicide (duel), et flétrit sans réserve leur « morale obligeante et accommodante ». « Toutes les sortes d'éloquence », a dit Voltaire, sont renfermées dans Les Provinciales. Toujours puissantes par la vigueur du raisonnement (quelle que soit la partialité inévitable de la polémique), étayées sur des textes certains, elles sont remarquables par l'éloquence ironique ou indignée voir la conclusion superbe de la IP, ou de la XI sur le triomphe de la vérité, les réflexions véhémentes sur l'homicide dans la XIV^ et, par contraste, la raillerie amère de la XI^. Dans les premières discussions de morale (à partir de la V^), Pascal, par un procédé plus comique que loyal peut-être, met en scène un bon Père jésuite qui très inconsciemment développe des théories déconcer:

tantes.

Les Pensées de Pascal sont les fragments d^une Apologie de la Religion^ fondée sur la connaissance de la misère humaine. Pascal, ému par la guérison soudaine d'une de ses nièces (Miracle de la Sainte Épine, 1656), voulut prouver sa foi et sa reconnaissance en employant ses facultés d'intelligence et de force convaincante à établir la vérité du Christianisme contre les Libertins. Les notes prises par l'auteur

Le XVI |e siècle /

61

en vue de ce travail furent mises en ordre et publiées, non sans quelques corrections, par ses amis et son neveu, Étienne Périer (Éd. de Port- Royal, 1670). Les éditeurs modernes se sont occupés de reclasser et de publier intégralement le texte de Pascal (Éd. Brunschvicg).

Le plan, Pascal est mort sans avoir fixé la disposition définitive

de son ouvrage, mais on peut en entrevoir lignes

les

grandes

:

L'ÉNIGME DE l'homme. • Ignorance et misère. Au point de vue physique, l'homme est perdu dans l'infini au milieu des espaces sans bornes qu'il imagine ; il est logé « dans un petit cachot de l'Univers » ; son corps est infime, souvent malade. Au point de vue moral, l'homme est malheureux par sa pensée qui pose des problèmes sans les résoudre ; il ne sait rien de certain et sa destinée est inconnaissable ; son imagination le leurre et le tourmente ; il a besoin d'être toujours «diverti » par son métier, ses affaires ou le jeu ; la pire infortune qui piiisse lui arriver, c'est d'être seul, sans avoir rien à faire « et de penser à son état ». Au point de vue social, toutes les formes de gouvernement, de propriété sont fausses ou arbitraires ; la justice n'est qu'un nom qui déguise la force. Enfin, l'homme est malheureux parce qu'il sait qu'il «

meurt

• Grandeur. Mais

la

les pires «

misères

L'homme

mais

c'est

n'est

le ciel,

conscience

l'instinct indestructible

dans

menacé de

et qu'il est

Entre nous et l'enfer ou

il

n'y a que

même

l'éternité la vie.

de notre nature,

du bonheur prouvent

de

la vérité et

la

dignité de notre être.

qu'un roseau,

un roseau pensant.

:

»

plus faible de la nature, ne faut pas que l'univers

le

Il

pour l'écraser. Une vapeur, une goutte pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt et l'avantage que l'univers entier s'arme

d'eau

suffit

a sur Im, l'imivers n'en

sait rien.

»

La solution chrétienne. Après avoir confronté les philosophies opposées d'Épictète, avec son orgueilleuse sagesse, et de Montaigne, avec son épicurisme humiHant qui n'a voulu voir que la faiblesse de l'homme dont il

62

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

flatte

M.

penchants (Entretien avec

les

s'être livré à

de Saci\ après

un examen sommaire des diverses Pascal aborde l'étude du dogme

religions chrétien. La religion chrétienne se présente d'abord comme vraisemblable, « parce qu'elle a bien connu l'homme » avec l'instinct de bonheur qui est en lui, et qu'elle expHque par une chute originelle la déchéance actuelle

(islamisme),

:

L'œil de l'homme voyait alors la majesté de Dieu... Il n'était pas alors dans les ténèbres qui l'aveuglent ni dans la mortalité et les misères qui l'affligent. Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. » {Pensée 430. Édit. Brunschvicg.) «

La rehgion apparaît ensuite comme avantageuse dans un argument audacieux, Pascal montre qu'il y a intérêt ;

« parier » pour Dieu. Enfin, elle est vraie, et Pascal s'appuyant sur l'histoire songeait à en établir la vérité par l'accomphssement des prophéties et des miracles.

à

Les idées de Pascal

se distinguent

par

leur originalité

et leur portée philosophique.

Au cours de cet ouvrage qui eût été une immense enquête de philosophie, d'histoire et d'exégèse (étude de l'Écriture Sainte), Pascal devait aborder une infinité de questions.

Psychologie. Après Montaigne, et avec plus de pénéil sonde les facultés de l'âme humaine, marque la fragilité de notre jugement en révélant ce que peuvent sur lui « les puissances trompeuses » l'imagination, l'opinion, la coutume. Il analyse en nous le désir du bonheur, le besoin de « divertissement », les sources de la mélancolie, et dénonce l'égoïsme latent et haïssable du Moi. tration,

:

En philosophie, prenant le contrepied des maximes cartésiennes, il proclame l'insuffisance des principes rationnels pour se conduire dans la vie. Les démonstrations ne suffisent pas pour la persuasion ; il faut encore que l'individu veuille croire, veuille agir :

«

-

Le cœur

a ses raisons

que

la

raison ne connaît point.

»

En morale, il enseigne la gravité, la nécessité du problème religieux qu'il faut bien résoudre par l'affirmative ou par la négative « Il faut parier. Cela n'est pas volon:

taire,

vous êtes embarqué...

»

Le XVII« siècle

/

63

On est libre de ne pas admettre les idées de Pascal, mais, vraies ou fausses, elles s'imposent à la discussion par leur netteté et leur énergie ; de plus, elles émeuvent, car on trouve en elles Técho immédiat des souffrances et des aspirations de l'auteur dont la personnalité, en s'exprimant spontanément, ajoute l'émotion du lyrisme à la force des raisonnements.

Le

style de

Pascal unit la logique à Fimagination.

Dialectique. Dans

les fragments développés, on est mécanisme rigoureux des idées, par l'art invincible d'inculquer une conviction, grâce à une suite

frappé par

le

de déductions précises « géométrie et passion, voilà tout de Pascal » (Havet). Force des termes. L'ampleur de l'exposé est égal à la majesté des idées (passage sur les deux Infinis). Même là où il demeure inachevé et incorrect au point de vue grammatical, le style, visant tout à la propriété des termes, est remarquable de plénitude et de force. :

l'esprit

«

Le dernier

acte est sanglant, quelque belle que soit la jette enfin de la terre sur la

comédie en tout le reste ; on tête, et en voilà pour jamais.

La

»

littérature

au début du règne Boileau

Boileau prit une part active au triomphe du goût classique poète correct et moraliste banal, mais critique judicieux, il a laissé dans L'Art Poétique un monument qui fut longtemps considéré comme un code intangible. :

Une

crise

de préciosité^ de burlesque et d^ emphase a précédé Véclosion du goût classique.

L'époque de Mazarin avait été caractérisée par le mauvais goût et la confusion un certain amour du « clin:

64

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

quant » dans les sentiments ou dans la forme tenait lieu d'inspiration profonde. Deux courants, très fâcheux, d'origine italienne, étouffaient tout sentiment naturel. La préciosité. Recherche futile de la distinction, subtilité ridicule des sentiments jointe à un style fat et contourné. Le badinage de Voiture et Benserade, les pièces galantes de Tabbé cotin (1604- 1682) (« Votre prudence est endormie ») relèvent de ce goût.

Le burlesque. Parodie des sujets héroïques il s'agit de prêter aux dieux et aux personnages une attitude et un langage vulgaires, scarron (1610-1660), le maître du genre, a donné VÉnéide travestie ; d'Assoucy a mis Ovide en belle humeur. Les genres les plus élevés (prose et vers) n'échappaient :

point à

la

médiocrité. C'étaient

:

Le roman héroïque. Interminables récits d'aventures, sans vraisemblance historique, donnant à travers des complications fictives (guerres, enlèvements) la peinture conventionnelle et fade de sentiments modernes (galanterie). Romans de Mlle de Scudéry (i 607-1 701) Le Grand Cyrus, 10 volumes.





:

La

poésie épique. Genre très en faveur. Malgré des pour illustrer les grands sujets de l'Histoire sainte ou de l'histoire nationale, ces épopées emphatiques et Alaric fastidieuses n'ont abouti qu'à d'éclatants échecs ou Rome vaincue, de G. de Scudéry (1601-1667) ; La Pucelle de chapelain (1595-1674), célèbre par son style rocailleux et prosaïque. essais

:

Au théâtre, la comédie extravagante avec Scarron, Desmarets de Saint-Sorlin (1596- 1676) et Cyrano de Bergerac (1619-1655) ; la tragédie galante avec QuiNAULT (1635- 1688) toute remplie de sentiments doucereux et romanesques :

Et jusqu'à je vous hais tout

En

résumé, manque de goût

s'y dit

et

tendrement.

manque de

vérité étaient

défauts de cette littérature du temps de la Fronde. Seul dominait la médiocrité générale le grand nom de Corneille entouré de quelques imitateurs Rotrou, du

les

:

Ryer.

Le XVI h siècle

La Cour rCa pas subi autant

que

les

salons

/

65

V atteinte

de la Préciosité, le désir d'une littérature plus neuve et plus manifeste un peu avant 1660. Le Roi vient d'atteindre sa majorité ; à défaut d'instruction étendue il a le sentiment des belles choses ; près de lui, sa bellesœur. Madame, l'exquise et douce Henriette d'Angleterre, discerne et encourage les vrais artistes. Des courtisans instruits accueillent avec faveur les premières œuvres où brille le naturel, les comédies de Molière. Un jeune critique indépendant, Boileau, paraît à point pour soutenir, d'accord avec la plus saine partie du public, la cause du bon

Cependant

solide

se

goût.

Boileau^ défenseur des idées classiques. Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711), fils d'un greffier de Paris, mena la vie sédentaire et honnête d'un bourgeois cultivé. Par ses attaques contre le mauvais goût contemporain, il assura le triomphe de l'école classique il défendit le mérite de Molière et de La Fontaine et fut pour Racine :

un conseiller assidu et un ami fidèle. Son œuvre critique achevée, il se constitua théoricien et composa UArt Poétique, puis devint historiographe du Roi et académicien. Dans ses dernières années, il soutint une vive polémique contre Perrault, lors de la Querelle des Anciens et des Modernes. Ses œuvres principales sont les Satires, les Épîtres, Le Lutrin et UArt Poétique. Satires (1660-1667) représentent V œuvre polémique de Boileau,

Ce

sont les premières manifestations de son talent

;

on

grouper en deux catégories Les satires morales ou descriptives satire sur l'homme (VIII). Faites surtout de passages adaptés d'Horace et de Mathurin Régnier, elles flétrissent en termes très généraux l'ambition, l'avarice, « les folies humaines », ou essaient de définir « la véritable noblesse », « l'honneur », etc. Cependant, dans la satire sur les Embarras de Paris (VI) et le Repas Ridicule (III), sujets bourgeois et pittoresques, Boileau fait preuve d'un réalisme savoureux et goguenard. peut

les

:

:

66

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

sachant fixer d'un tiques

trait

des détails bien vus et humoris-

:

On Où

a porté partout des verres à la ronde, les doigts des laquais, dans la crasse tracés. Témoignaient par écrit qu'on les avait rincés.

Les mêmes qualités mêlées à plus de fantaisie reparaissent dans le plaisant poème héroï-comique du Lutrin où sont racontées en style quasi épique les discussions et les bagarres des chantres de la Sainte- Chapelle prélats, sacristains, gens d'église sont caricaturés avec une irrévérence amusante. satire sur la Rime ; Les satires littéraires mon Esprit. Avec un entrain juvénile et spontané, Boileau harcelle et couvre de ridicule tous les poètes en vogue Cotin, Chapelain, Scudéry, Quinault, leur mauvais goût, la nulhté de leurs productions. Sa critique s'attaque à des écrivains alors puissants et réputés (Chapelain, « le mieux renté de tous les beaux esprits ») ; sûr de traduire tout haut l'opinion générale, Boileau respecte la personne, mais discrédite l'auteur. La verve impétueuse et spirituelle, l'ironie piquante de certaines réflexions (« Et qui saurait sans moi que Cotin a prêché? »), la justesse évidente des critiques font de la Neuvième Satire un ouvrage excellent. :

A

:

:

Les Épîtres ( 1669-1695) sont des œuvres de la maturité ou de la vieillesse de Boileau, Avec moins de vivacité que dans les satires, les Épitres comportent les mêmes développements sentencieux, les mêmes principes d'une philosophie confortable et superficielle il dit « les Avantages de la paix » (dialogue entre Pyrrhus et Cinéas) ou « les Plaisirs des champs ». L'Épître sur le Passage du Rhin contient un modèle de ce style pompeux que l'on considérait comme propre à l'épopée. L'Épître VII à Racine (1677), écrite après l'échec de Phèdre^ est peut-être le chef-d'œuvre de Boileau avec une éloquence affectueuse et élevée, il explique à son ami le rôle salutaire des envieux de même que l'œuvre de Mohère a survécu aux critiques de ses détracteurs, les pièces de Racine connaîtront dans l'avenir im :

:

:

légitime triomphe.

Que

tu sais bien. Racine, à l'aide d'un acteur. ravir un spectateur!

Émouvoir, étonner,

Le XVI h siècle

L'Art Poétique Vexposé

(1674) officiel

Désireux d'accomplir la même carrière que le poète Horace, son modèle, et surtout pour résumer sa doctrine dans un monument définitif et complet, Boileau composa un poème didactique en 4 chants, UArt Poétique ; Préceptes de style ; aperçu historique sur la poésie I. II.

IV.

;

idylle, ode, sonnet, satire ; Les petits genres Les grands genres tragédie, épopée, comédie ; Idéal poétique et moral ; dignité personnelle de l'écri:

III.

:

vain.

C'est à la fois un programme» de l'école classique et un code des règles constantes de la littérature et du style. Le programme classique. Boileau donne la description

des genres cultivés au xvii^ siècle (sauf

longuement •

la fable)

;

il

étudie

:

tragédie qui, fondée sur la vraisemblance historique conforme à la règle des trois unités, se propose de produire l'émotion, « une douce la

et sur la peinture des passions,

une

terreur,

charmante

pitié

»

;

• l'épopée, qui sera majestueuse sans emphase, ornée de tous les artifices du merveilleux païen ; • la comédie, enfin, qui doit être naturelle sans bouffonnerie.

Correspondant aux principes qu'affirmaient La FonMolière, Racine, UArt poétique nous fournit un exposé pour ainsi dire complet de la doctrine classique. On pourrait la résumer en trois maximes • Obéir à la raison et peindre la nature

taine,

:

:

Aimez donc Empruntent

Cf

Épître

IX

la

raison

les

Homère

surtout

que toujours vos

écrits

d'elle seule et leur lustre et leur prix.

:

Rien n'est beau que

• Imiter

;

Anciens

:

le vrai, le vrai

seul est aimable.

TibuUe, Sophocle, Virgile, Térence,

:

C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

• Plaire et instruire en observant

les règles

67

quelque sorte de la doctrine classique fondée sur la raison.

latin

française

/

du bon goût

:

68

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Le

secret est d'abord de plaire et de toucher...

Qu'en savantes leçons votre Muse fertile Partout joigne au plaisant le solide et l'utile. xvii^ siècle ont professé le même ni l'expression du moi (lyrisme romantique), ni la peinture objective du monde extérieur (Parnassiens) ni le culte frivole de « l'art pour l'art » (Théophile Gautier) c'est la vérité morale, la peinture des caractères

Tous

les

auteurs

idéal. L'objet

de

du

l'art

pour Boileau n'est donc

:

:

Que la nature donc soit votre étude unique. Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique. Boileau offre dans ses vers toutes les qualités d'un bon précision, sobriété et fermeté du style ; ses prosateur conseils ont une netteté impérieuse et sohde. Mais c'est par ses idées qu'il s'est imposé à la postérité, en tant que théoricien et non comme poète. Grâce à son autorité personnelle et à la convenance de ses idées avec les aspirations de ses contemporains instruits, il a donné l'exposé d'une doctrine que partageaient tous les esprits formés à l'école des anciens et du bon :

sens.

Au

xviii^ siècle, il devient « le législateur du Parnasse » ; respect étroit s'attache aux moindres prescriptions de VArt Poétique c'est contre ce joug que se révoltèrent

un

:

les

Romantiques.

Molière (1622- 1673) plus profond de nos poètes comiques, vif tableau des hautes classes et de la bourgeoisie du XVI h siècle par la vérité intense et ridicule des portraits, il a élevé certains caractères à la hauteur de types immortels. Grand écrivain, animateur génial de ses personnages, il professe une morale large, mais sensée et honnête. Molière,

a

le

plus varié et

le

donné dans ses chefs-d'oeuvre un

;

Molière fut à la fois auteur et comédien, Jean-Baptiste Poquelin (1622- 1673), qui prit dès ses débuts le nom de Molière, accomplit comme membre puis directeur d'une troupe dramatique, d'abord intitulée VIllus-

Le

XVIh

siècle / 69

tre-Théâtre, plusieurs tournées dans le Midi de la France ; étant revenu se fixer à Paris (1658) il fut protégé par le

Roi

et

fonda

la

maison qui

est

devenue

la

Comédie-Fran-

Mort en jouant Le Malade

imaginaire. Les difficultés matérielles, les chagrins, les cabales, la maladie enfin expliquent l'accent d'amertume qui transpire cependant, à l'ordinaire, nourri parfois de ses ouvrages de la tradition des auteurs du xvi^ siècle, de Rabelais et de Régnier, entraîné dans la vie agitée des comédiens, il couvre d'une gaieté un peu grosse un fond de bonté simple et de loyauté.

çaise.

:

Molière tendy bien plus que

ses prédécesseurs^

peindre la vie Depuis rencontré

le

début du

un grand

siècle

succès

le

théâtre

comique

avait

:

Farces burlesques, accompagnées de pantomimes grossières

(Scaramouche).

Comédies d'intrigues, souvent invraisemblables, mais écrites avec verve pièces de Scarron^ de Cyrano de Ber:

gerac. Les meilleures étaient celles de Corneille. l'inverse de ses prédécesseurs, Molière, dont le théâtre repose sur l'observation, néglige l'intrigue, serre de plus près la vie réelle (comédie de mœurs) et crée la comédie de caractère. L'ensemble de son répertoire comprend plus d'une trentaine de pièces qu'on ne peut astreindre à ime classification précise. Nous distinguerons principa-

A

lement Les farces. Pièces bouffonnes, simples prétextes à scènes de rire, qui se développent parfois en comédies d'intrigues Étourdi^ Les Fourberies de Scapin, Le Médecin malgré lui. Les pièces de fantaisie, à grand spectacle, avec multiplicité de Ueux et changements de décor œuvres d'allure irrégulière avec des épisodes merveilleux Dom Juan, Amphitryon. Les comédies de mœurs, mettant en scène les gens et les professions de l'époque ; elles sont accompagnées souvent de ballets et d'intermèdes burlesques. L'action est vive, très amusante Les Précieuses ridicules. Le Bour:

:

V

:

:

:

geois gentilhomme,

Le Malade

imaginaire.

,

\

\

i

I

Les comédies de caractère. Pièces d'un genre plus élevé où l'observation morale est à la fois plus profonde et

à

réelle.

70

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

plus délicate. L'action semble moins vivante, mais le style ; toutes sont écrites en vers, sauf L'Avare ; les trois unités sont observées (sauf dans L'École des L'École des Femmes (1662) ; Tartuffe Femmes). Ce sont (1664- 1667) ; Le Misanthrope (1666) ; L'Avare (en prose, 1668) ; Les Femmes Savantes (1672). est plus soigné

:

Molière a exposé dans

Femmes

ses principes

La Critique de l'École des dramatiques.

L'observation. Les pièces de Molière, toutes différentes entre elles et qui vont de la farce à la grande comédie littéraire, ne se ramènent pas à un type déterminé le but de l'auteur était de plaire, non de se conformer aux règles. Mais, par inclination personnelle et d'accord avec les principes de l'art classique, Molière a voulu peindre la nature tout en déterminant un effet plaisant. Il relève avec une vérité profonde tous les traits expressifs de la vie humaine, d'une manie, d'une profession. Chez lui la caricature n'est qu'une exagération de la vérité ses comédies ont pour but de reproduire fidèlement les ridicules :

:

de l'existence.

Le mouvement et l'action. Cette représentation de avec un sens très sûr des nécessités dra-

la vie est réalisé

matiques. Molière puise sans scrupules dans l'expérience de ses devanciers (Plante^, Térence^, les auteurs italiens^) la donnée générale et les procédés techniques de ses pièces surprises, ruses de valets, intervention de comparses, mots caractéristiques (« Sans dot »). Il ménage les incidents, les contretemps, la répétition de scènes identiques ou contraires, de façon à mettre en rehef le caractère d'un personnage et, à mesure que celui-ci s'obstine dans ses errements, la situation devient pour lui plus embarrassante. Mais ces procédés servent seulement à accentuer l'intérêt psychologique ; par elle-même l'intrigue n'est qu'un accessoire, un moyen de liaison, et Molière, qui prépare avec force l'exposition de ses comédies, néglige le sujet réel (thème d'un amour contrarié) et s'accommode d'un dénouement factice ou indéterminé. :

1.

2. 3.

U

Avare. L'École des Femmes. L'Étourdi.

Le XVI h siècle

Le vrai

/ 71

Molière est la peinture des classes et des caractères,

sujet des pièces de

Molière ne représente le peuple (paysans, servantes) que d'une manière incidente ; il est au contraire le peintre de la haute société et de la bourgeoisie. La noblesse. Molière flétrit son inconduite en la personne de Dom Juan, le « grand seigneur méchant homme », fier, séduisant, impie, qui parjure tous ses serments d'amour et demeure cynique devant les ravages moraux qu'il détermine ; il s'en prend à la fatuité des « petits marquis » en la personne d'Acaste, Clitandre, Oronte, les jeunes mondains du Misanthrope, présomptueux et bavards, vains de leur costume ou de leur esprit. La bourgeoisie. Molière raille la naïveté dévote ou vaniteuse de cette classe dans Tartujft et dans Le Bourgeois gentilhomme^ montrant les erreurs auxquelles aboutissaient parfois dans des milieux mal préparés soit des élans de piété mal comprise, soit le désir avide des enrichis d'accéder aux honneurs des « gens de qualité ». Les Femmes Savantes étudient un cercle plus relevé la Ville, c'est-àdire la haute bourgeoisie où l'on imite les manières de la Cour, où fleurissent dans des groupes trop cultivés des prétentions au féminisme (Philaminte) et au bel esprit (Trissotin). Les médecins. Mohère les crible de sarcasmes, tournant en dérision leur jargon latin, leur costume, l'empirisme de leurs méthodes qui couvre leur ignorance (rôle de Diafoirus dans Le Malade Imaginaire). C'est une erreur d'opposer systématiquement les comédies de caractères aux comédies de mœurs : dans toutes ses pièces, Molière « fait reconnaître les gens de son siècle ». :

Le Misanthrope par exemple

est avant tout la peinture des salons de l'époque, avec leurs entretiens spirituels, leurs analyses morales (scènes de portraits), leurs intrigues galantes. Mais il est exact que, dans ses chefs-d'œuvre, Molière a subordonné les contingences d'actuahté à la mise en évidence d'un caractère donné il a peint, dans Tartuffe, l'imposteur, l'hypocrite sensuel et cupide sous « Laurent, serrez l'affectation des maximes pénitentes ma haire avec ma discipline » ; dans Harpagon, l'Avare qui a perdu toute dignité, toute affection paternelle et n'a plus de cœur que pour sa cassette. :

:

72

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans Célimène, il personnifie la légèreté d'une femme coquette et insouciante qui se joue de ceux qui la courtisent, et, dans Alceste, l'homme généreux, d'ailleurs brusque, qui se heurte aux conventions d'une vie raffinée. De tels caractères sont mis en plein reUef leur humeur, l'idée qui les obsède se traduisent spontanément dans les :

et les moindres paroles (Harpagon fouillant les poches de ses domestiques. Tartuffe jetant un mouchoir sur le sein de Dorine) ; d'ailleurs Molière ne craint pas, en exagérant, de grossir un peu l'effet dramatique pour laisser ime impression plus forte aussi ses créations s'imposent comme les types classiques d'un travers, d'une passion. Leur vérité profonde dépasse l'intérêt purement actuel et nous pouvons transposer dans nos conditions modernes de vie Orgon, Chrysale, Philaminte, M. Jourdain, Philinte, etc., bien qu'ils n'aient rien d'allégorique en soi et que Mohère les ait toujours situés dans le milieu concret qu'il avait sous les yeux la société du xvii^ siècle.

gestes

:

:

La le

peinture des caractères est toujours relevée par

comique des situations ou des personnages. Tandis que la richesse d'observation du théâtre de Molière paraît plutôt à la lecture, ses quahtés de comique frappent surtout à la scène. Chez lui la psychologie n'est jamais terne ni insipide, et il abonde en moyens d'égayer le spectacle depuis les plus matériels jusqu'aux plus déli« trucs » traditionnels, maladresse, pitrerie ou imcats pertinence d'un valet, bousculades et soufilets ; répétition plaisante d'un jeu de scène, rencontres imprévues ou contretemps qui impatientent un personnage ou le mettent en position de dupe ; réitération de propos ridicules ou embarrassés («Le pauvre homme! », « Je ne dis



:

pas cela!

»).

Mais Molière préfère

le comique qui est révélateur d'un caractère, résultant soit des discussions contradictoires où s'engagent les acteurs (Alceste et Philinthe ; Alceste et Oronte ; Vadius et Trissotin), soit de l'affirmation inconsciente de leur manie :

Ce

sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter Mais pour vingt mille francs j'aurai droit de pester Contre l'iniquité de la nature himiaine Et de nourrir pour elle ime immortelle haine!

déclare Alceste.

Le XVI h siècle

Mais, Frosine, explique Harpagon, as-tu entretenu

/

73

la

mère touchant le bien qu'elle peut donner à sa fille? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle-ci? Car encore n'épouse-t-on point une fille,

sans qu'elle apporte quelque chose.

Même

dans les situations les plus tendues, un trait d'esprit vient dissiper l'impression trop lourde produite par la gravité des circonstances (dénouement de Tartuffe) ; à plus forte raison, dans les pièces où « nous nous laissons aller

de bonne

entrailles

»,

foi

aux choses qui nous prennent par les spontanée et presque conti-

la gaieté est-elle

nuelle.

Le trioriy

discours tenu par Sosie à sa lanterne dans Amphycertaines situations de L'École des Femmes, les scènes

du Bourgeois gentilhomme, du Malade Imaginaire déchaînent irrésistiblement le rire posture et accoutrement des personnages, discussions et brocards, danses, musique, bastonnades, épisodes burlesques, tels que la « turquerie » finale du Bourgeois gentilhomme (investiture du Mamamouchi) venant après des traits ridicules de caractère (scène du garçon tailleur), réunissent dans une charge poussée jusqu'au grotesque tous les éléments du comique. Mais ce maître du rire n'est pas un simple amuseur ; tandis que Regnard après lui ne songera qu'à distraire, Molière veut instruire et corriger, et parfois des idées sévères assombrissent la franche gaieté de ses créations. :

La

morale de Molière^ essentiellement bourgeoise^ repose sur la franchise et le bon sens,

Molière, esprit indépendant, abhorre

la

contrainte et

pour la liberté, la nature, l'emploi normal et joyeux de l'existence ; il ne peut souffrir les faux dévots, les pédants, les médecins. Mais il est loin d'encourager pour cela la fantaisie et la licence des pasl'hypocrisie

;

il

est

ce n'est pas un individualiste, il a flétri les libertins Juan) et respecte les bases traditionnelles de la morale, le mariage, la famille. Pour mieux définir sa pensée, il a souvent introduit des raisonneurs qui exposent son point de vue (Cléante, Clitandre). Sa morale, peu élevée, bourgeoise, mais saine et pratique, peut se résumer en quelques principes sions

:

(Dom

:

74

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans la conduite privée, éviter toute exagération. L'excès des meilleures qualités (du savoir, de la piété, de la franchise, de Tesprit d'économie, de Tamour, etc.) afflige l'intéressé, compromet la destinée de ceux qui l'entourent, le rend ridicule et devient un vice :

Les hommes

plupart sont étrangement faits! Dans la juste nature on ne les voit jamais En chaque caractère, ils passent les limites Et la plus noble chose ils la gâtent souvent Pour la vouloir outrer et pousser trop avant. {Tartine, la

I, 5.)

C'est la peinture trop réelle de ces conséquences d'un travers qui prête à certains moments aux pièces de Molière un accent si pénible « qu'on devrait en pleurer » (A. de

Musset).

Dans la

où les mariages seront assortis cœur (Molière trouve ridicule un vieillard amoureux), où la jeune fille doit être libre d'épouser qui elle aime, la femme, instruite mais non pédante vie familiale,

par l'âge et par



le



Je consens qu'une femme ait des clartés de tout »), devra être sage en conduite et bonne ménagère {Les Femmes Savantes). Molière, proteste contre une éducation de cloître où la jeune fille, ignorant tout de la vie, ne peut acquérir le sentiment de sa responsabilité {U École des Femmes) ; il n'admet pas davantage que l'affectation de délicatesse ou de culture intellectuelle vienne étouffer en elle la notion de ses devoirs naturels (Cathos, Armande). Henriette comme jeune fille, Elmire comme femme représentent bien l'idéal féminin de Molière. Dans la vie sociale, où les gens resteront dans l'esprit de leur condition {Le Bourgeois gentilhomme) ; prendront garde à ne pas être dupes de moins scrupuleux (Orgon, M. Dimanche, Sganarelle) les relations ne seront empreintes ni d'une brusquerie incommode (Alceste) ni d'un («



pédantisme fatigant (Trissotin). C'est ainsi, par une morale de modération et de savoirvivre, que Molière est devenu « le législateur des bienséances

Le

»

(Voltaire).

style de Molière^ expressif et variée offre souvent

les licences et la

verdeur de la largue parlée.

Le style de Molière, en vers comme en prose, parfois incorrect et hâtif, est cependant remarquable en général

Le XVIh siècle

/

75

par l'accent robuste et logique des propos, la franchise de la verve et la netteté savoureuse de Télocution. Les premières scènes du Tartuffe et du Misanthrope^ par exemple, sont d'excellents modèles d'un style simple, dru, sans mièvrerie, rarement gâté par le « jargon » que lui ont reproché Fénelon et La Bruyère. La langue de Molière, riche en tournures « orales », prend avec facilité le ton et le vocabulaire de tous ses personnages depuis les vivacités du parler populaire (Dorine, Pernelle) jusqu'à la phraséologie mystique de Tartuffe et aux métaphores prolongées de Trissotin (« Pour cette grande faim qu'à mes yeux on expose ») ; mais elle abonde en trouvailles d'un réalisme vif qui viennent de l'auteur même

Mme

:

Dans

le

monde, à

Elle grouille aussi

vrai dire,

il

se barbouille fort...

peu qu'une pièce de

bois.

{Misanthrope^

II, 5.)

La Fontaine (1621-1695) La Fontaine est le plus indépendant et le plus souple des poètes classiques narrateur excellent, moraliste ingénieux, il a prodigué dans le cadre restreint de ses Fables des dons incomparables de naturel, d'élégance et d'harmonie. :

La

Fontaine mena une vie insouciante

épicurien et d'artiste,

Jean de la Fontaine (1621-1695), né à Château-Thierry, en Champagne, mena une vie insouciante et paresseuse de poète il fut protégé par le surintendant Fouquet, à qui il demeura toujours fidèle, puis par Mme de la :

Sablière. plaisir et la variété des goûts furent, comme confessait lui-même, les traits les plus marquants

L'amour du il

le

de sa nature

:

Je suis c^iose légère et vole à tout sujet ; Je vais de fleur en fleur et d'objet en objet... Il

fut d'ailleurs sincère, obligeant et dévoué.

76

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Son génie

s^est

formé sous des

influences complexes

et variées.

D'abord bel

esprit et poète précieux, il comprit bien « Horace et de la simplicité par bonheur me dessilla les yeux. » Sa formation intellectuelle est le fruit de lectures nombreuses et dispersées (Platon, Boccace, VAstrée)

vite la beauté

du naturel

:

:

J'en

Mais

il

lis

qui sont du

sauvegarda

Mon

Nord

et qui sont

l'originalité

imitation n'est pas

un

du Midi.

de son inspiration

:

esclavage.

Une double influence se résume en lui celle de la tradition gauloise par laquelle il se rattache à Rabelais, Marot et aux auteurs de fabliaux ; celle de la tradition classique (Horace, Virgile) par son goût de la mesure, de la vérité et de l'harmonie. reste, on ne saurait le considérer comme un isolé dans notre mouvement littéraire « plus égal que Marot, plus poète que Voiture », a dit La Bruyère, il se rattache à tout un groupe de poètes rustiques et galants Racan (Bergeries), Théophile de Viau (Élégies), Voiture dans ses :

Du

:

:

Épîtres, Benserade, auteur de chansons badines et de rondeaux. Cette poésie enjouée et facile est oubhée maintenant, mais c'est à ce courant qu'appartient La Fontaine.

Son œuvre. Les compositions de La Fontaine s'étendent à des genres récit de voyage en Limousin, roman en prose

très divers

:

(Les Amours de Psyché), ballades, élégies, « poèmes » (Adonis), comédies (Clymène), contes et fables. Les Contes sont surtout des adaptations de Boccace où il décrit plus ou moins finement des sujets licencieux. Ses Fables représentent la partie classique et immortelle

de son œuvre.

Les Fables. Les Fables de La Fontaine réparties en douze livres parurent en deux recueils (1668- 1678). Les sujets sont de très anciens apologues empruntés d'abord à Ésope et à Phèdre (auteur latin), puis à des conteurs orientaux :

Le XVII« siècle

/

77

Pilpay. La Fontaine n'a suivi ni la sécheresse de ses modèles anciens, ni la prolixité des narrations arabes ou hindoues il prend ces textes comme simple canevas de développement, servant d'occasion à des histoires à la fois '

:

agréables et morales

Le conte

La

fait

:

passer

le

précepte avec

lui.

structure des Fables évoque celle d'un drame en miniature.

L'auteur lui-même a défini son œuvre

Une ample comédie

:

à cent actes divers.

Le décor est habituellement la campagne c'est le paysage de la province française, observé selon le cours des saisons ou des différentes heures du jour, les prairies, :

les

blés,

les

chènevières,

les

ruisseaux,

étangs,

les

les

chemins. La Fontaine n'a pas dépeint les aspects sauvages et forts de la nature, la forêt, la montagne, mais il y a de la couleur locale dans le réalisme discret de ses tableaux « le thym et la rosée » dans les champs au matin, joncs et roseaux des marais, poussière des grandes routes. La matière du récit est parfois un portrait « un lièvre en son gîte songeait... » ; il nous montre l'animal inquiet, :

:

« un souffle, une ombre, haletant, toujours prêt à la fuite un rien, tout lui donnait la fièvre... » ; en quelques lignes pittoresques, il esquisse la silhouette du héron, maigre :

dédaigneux, « le héron au long bec emmanché d'un long cou ». Parfois il y a contraste le loup affamé est mis en présence du chien robuste et repu, « aussi puissant que beau, gras, poH... » ; le chêne majestueux interpelle orgueilleusement le roseau et

:

:

Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de l'eau oblige à baisser la tête.

Vous

Généralement il y a un conflit et la forme dramatique du récit est encore plus frappante le conflit est comique si le sot est dupé par un malin {Le Renard et le Corbeau Le Renard et le Bouc Le Singe et le Chat) il devient tragique, et c'est le cas ordinaire, quand le plus faible est victime du plus fort {Le Loup et V Agneau Le Milan :

;

;

;

;

et

le

Rossignol).

78

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dans

V Aigle

VEscarbot, l'inégalité des adversaires, faible qui supplée à la force par la ruse, la cruauté, puis la détresse de l'aigle enfin châtiée « (Elle gémit en vain, sa plainte au vent se perd ») font qu'un souffle de représailles et de haine semble planer sur l'action. Souvent le récit se développe en multiples épisodes Hirondelle et les petits Oiseaux, nous suivons de dans saison en saison avec une appréhension croissante la levée de l'herbe funeste ; même aggravation de l'intérêt pathéAlouette et ses petits. tique dans Ce partage du récit en actes successifs est surtout fréquent dans les longues narrations du second recueil Le Chat, la Belette et le Petit Lapin ; L'Homme et la Coula ténacité

et

du plus

:

U

U

:

leuvre.

Les

animaux

La

Fontaine,

sont

les

acteurs

préférés

de

L'homme est le héros de quelques-unes des fables les plus connues et les plus belles de La Fontaine La Mort et le Bûcheron, Le Paysan du Danube. Des croquis réalistes extrêmement pittoresques nous font voir les petites gens du peuple La Vieille et les deux servantes ; La Laitière et le pot au lait ; Le Savetier et le Financier. Cependant les acteurs ordinaires sont des animaux. L'auteur n'a pas eu l'idée de les présenter dans la liberté de leur existence farouche, avec leurs instincts, leurs appétits réels ; il n'y a rien ici qui ressemble aux essais de psychologie animale qu'ont tentés Leconte de Lisle ou Kipling. Bertrand et Raton sont en domesticité ; le chat, le chien, le coq vivent à proximité de l'homme ; le rat, le renard, le loup subsistent à ses dépens. Quant aux autres, La Fontaine les situe dans une société conventionnelle et hiérarchisée dont le Lion est le roi. Mais, cette fiction uie fois admise, La Fontaine décrit à merveille l'allure, la belette " au nez le pelage, le maintien de chaque être pointu », le chat velouté, à l'humble contenance, au modeste regard « et pourtant l'œil luisant ». Ingénieusement, « une tortue il passe du détail physique au détail moral était à la tête légère... » ; tout dans la posture du lièvre « Cette crainte maudite m'empêche dénote la frayeur de dormir, sinon les yeux ouverts » ; La Fontaine rendra :

:

:

:

:

Le XVI h siècle

de

même

la sottise

riquois, la tristesse

/

79

du bouc, l'étourderie du peuple soudu hibou, etc.

C'est une induction gratuite mais qui repose sur une « Les proassociation d'idées depuis longtemps admise priétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimés ; par conséquent les nôtres aussi... » La fourmi symbolise la prévoyance, le renard la ruse, le loup la violence et la voracité. L'observation s'efface alors devant :

l'allégorie.

Sous

la

forme commode de V apologue^ La Fontaine décrit en réalité les mœurs de V homme.

Taine, interprétant rigoureusement cette tendance, a prétendu que La Fontaine n'aurait fait que peindre strictement « les caractères » de son temps ainsi Les Animaux malades de la peste. Les Obsèques de la Lionne sont des tableaux de la Cour ; le Lion représente parfois Louis XIV, :

Renard incarne le courtisan, etc. Mais l'intention satirique est beaucoup plus générale qu'actuelle ; les comédies de Molière sont à cet égard bien plus précises (cf Le Renard et le Corbeau, et, dans Molière, les scènes entre Dorante et M. Jourdain). La Fontaine critique en passant les grands, les magistrats, les moines, les bourgeois, mais il s'en prend aux travers communs de l'humanité (avarice, orgueil, hypocrisie, sottise, etc.), sans spécifier plus direcle

tement

les fautes

de ses contemporains.

La morale

de

La

Fontaine enseigne surtout la prudence.

Cette morale n'a rien d'héroïque ; elle n'inspire jamais borne à nous mettre en garde contre les défauts elle donne bien quelques préceptes de charité, dictés par l'intérêt, car « on a souvent besoin d'un plus petit que soi », mais les maximes de solidarité sont plutôt « Ne t'attends qu'à toi seul... » Pourtant La Fonrares « Qu'un ami taine a chanté l'amitié en termes délicats véritable est une douce chose! » Ce que l'auteur énonce avant tout ce sont des leçons de prudence pratique discernement dans le choix des « il ne faut point juger des gens sur l'apparence » amis (cf L'Ours et l'Amateur des jardins) ; défiance envers le sacrifice et se :

:

:

:

:

:

80

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

ennemis {Le Chat et un vieux Rat) ; prévoyance et sagesse dans toutes nos entreprises {Le Renard et le Bouc ; La Tortue et les deux Canards). Ce sont là des leçons d'expérience, dénuées d'optimisme, qui nous enseignent quelles sont les exigences et les réalités les

la vie ; elles nous apprennent ainsi que la d'ordmaire exploitée par la ruse {Le Renard et le Corbeau) et que la force n'est pas toujours au service du droit {Le Loup et V Agneau) ; mais cela ne veut pas dire que La Fontaine approuve la fourberie ou l'injustice « Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres. » Au contraire, il est persuadé que la perfidie, la violence finissent par rencontrer une punition {Le Rat et la Gre-

de

cruelles sottise

est

:

nouille

La contre

L'Oiseleur^ F Autour et l'Alouette). ; critique paradoxale formulée par J.-J. la

Rousseau morale de La Fontaine repose sur une impression

sommaire

Le

et inexacte.

talent poétique

offrent

et

de La Fontaine dons de variété et

style

le

au suprême degré

les

de souplesse.

La Fontaine est un des poètes les plus accomplis de notre langue. Les vers de VÉlégie aux Nymphes de Vaux ont une pureté, une noblesse déjà raciniennes, qui font de ce texte un des plus beaux passages de toute la poésie française

:

Lorsque sur cene mer on vogue à pleines Qu'on croit avoir pour soi les vents et les

bien malaisé de régler ses désirs plus sage s'endort sur la foi des zéphirs.

Il est

Le

Mais on

voiles. étoiles,

:

souvent contesté dans

les Fables l'agrément boiteux, disloqués, inégaux », qui rebutaient Lamartine, présentent cependant les plus rares

littéraire

:

a

ces vers

"

qualités de style.

Le trait dominant en est la variété variété dans le ton du recueil où se rencontrent toutes sortes de sujets plaisants, dramatiques, élégiaques {Les Deux Pigeons)^ philosophiques {Les Deux Rats, Le Renard et Pœuf), solennels {Les Animaux malades de la Peste), épiques même {Le :

et le Moucheron) ; variété exquise dans le cours d'un seul récit où s'élèvent au milieu d'une narration naïve une réflexion mahcieuse ou émue, une bouffée de lyrisme

Lion

Le XVI |e siècle

/

81

{Le Songe d'un habitant du Mogol), un mouvement d'éloquence. On peut voir dans L'Alouette et ses Petits avec quelle aisance La Fontaine, après avoir décrit en termes inspirés de Lucrèce « le temps que tout aime et que tout pullule dans le monde », redescend au tableau minuscule

de

la petite

alouette

et fait éclore...

:

«

Elle bâtit son nid, pond, couve

»

D'ordinaire le ton est celui d'une narration simple et légèrement ironique, contée avec une bonne foi puérile qui crée tout de suite une atmosphère de vraisemblance. Les allusions, les détails sont adaptés au sujet il semble même que les sentiments, les façons de juger soient, aussi bien que le cadre, plaisamment réduits aux proportions et à la dignité des personnages

alerte,

:

:

J'avais franchi les

monts qui bornent

cet État...

Le Chat et un vieux Rat Le Cochet, le Souriceau sont des modèles de ce style naturel. à propos du plus humble sujet, il arrive à La Fontaine de prendre sans effort le style ample qui convient à de nobles pensées Le Chêne et le Roseau, Le Paysan du Danube, sont des exemples de ce qu'on appelait alors le « style sublime ». Nul n'a mieux parlé des grandes questions qui concernent la destinée des êtres et du monde (La Mort et le Mourant) ; dans le sujet très simple du Vieillard et les trois Jeunes Hommes, il montre en vers magnifiques le sort inégal qui attend les humains et l'emdit le souriceau.

Chat et Mais

le

:

ploi

qu'on doit faire de la vie Nos termes sont pareils par

:

Qui de nous des Doit jouir

clartés

de

leur courte durée.

la

voûte azurée

le dernier?...

arrière-neveux me devront cet ombrage. bien! Défendez- vous au sage se donner des soins pour le plaisir d'autrui?

Mes

Eh

De

Un

La Fontaine pour évoquer un de Sévigné. Il Cela est peint! » disait montre le roseau courbé sous le poids d'un roitelet, un milan « qui dans l'air planait, faisait la ronde », une carpe qui bondit hors de l'eau. trait parfois suffit à

tableau

:

Mme

«

Langue Le

et versification.

vocabulaire, très riche et pittoresque, est assez for-

tement marqué d'archaïsme « Tel cuide engeigner Merlin qui souvent s'engeigne soi-même! » La versification est :

82

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

une des créations les plus originales de La Fontaine use du vers libre, combinaison extrêmement souple où l'inégalité de la structure métrique (agencement variable :

il

d'alexandrins et d'octosyllabes) se prête à toutes les nuances de la pensée, vive, languissante, énergique, grandiose,

épousant pour ainsi dire

la

Le quadrupède écume Il

courbe

même

de l'action

:

son œil étincelle ; rugit ; on se cache, on tremble à l'environ ; Et cette alarme universelle Est l'ouvrage d'un moucheron. (Le Lion et le Moucheron.) et

la finesse du récit et le sentiment exact des rythmes, Fables sont peut-être les productions les plus délicates et les plus complexes de l'art classique.

Par

les

Racine (1639- 1699) les anciens et par son amour du naturel. Racine a genre tragique à l'étude des forces passionnelles; l'intérêt des situations, la vérité psychologique, la fidélité des tableaux historiques, l'harmonie du style concourent également à la beauté de ses pièces.

Guidé par

consacré

le

La carrière littéraire et mondaine de Racine a duré dix ans, du succès J'Andromaque (lôôj) à r échec de Phèdre ( i6jj) .

Né à La Ferté-Milon, Jean Racine (1639- 1699) fit trois années d'études aux Petites Écoles de Port-Royal où il acquit, en même temps qu'une forte éducation religieuse, une connaissance directe des lettres grecques. S'étant tourné vers la poésie dramatique, il connut une carrière mêlée de succès brillants et d'échecs très pénibles. Après le désastre de Phèdre (1677), le découragement, des scrupules moraux, des raisons de famille le font renoncer au théâtre. Il est nommé historiographe du roi et ne compose plus que douze ans après ses deux tragédies

Le XVI h siècle

Mme

pieuses Esther et Athalie, écrites à la prière de de Il a laissé en prose un Abrégé de VHistoire de Port-Royal. La nouveauté de son art et la vivacité de son caractère lui firent de nombreux ennemis, mais il eut d'illustres protecteurs (Colbert, Henriette d'Angleterre), posséda l'estime personnelle de Louis XIV et trouva en Boileau un ami judicieux et fidèle. Racine offre l'exemple très rare d'un tempérament extrêmement nerveux dominé par une intelligence sereine et lumineuse ; son génie respire l'équilibre. Ses chefs-d'œuvre, sauf les deux derniers, s'échelonnent sur une courte période

Maintenon.

:

• Andromaque (1667). Épisode consécutif à la guerre de Troie Andromaque, veuve d'Hector, captive de Pyrrhus, veut sauver la vie de son enfant Astyanax. • Les Plaideurs, comédie (1668). Imitation libre des Guêpes d'Aristophane. Amusante parodie des mœurs judiciaires le plaideur Chicaneau, la comtesse de Pimbesche, l'avocat Petit- Jean, le juge Perrin Dandin. • Britannicus (1669). Premiers crimes de Néron et disgrâce d'Agrippine enlèvement de Junie, empoisonnement de Britannicus. • Bérénice (1670). Reine de Judée répudiée par l'empereur Titus, invitus invitam (malgré lui, malgré elle). • Bajazet (1672). Une « grande tuerie » dans un sérail au xvii^ siècle ; rôle impétueux et passionné de la sultane :

:

:

Roxane

;

caractère

du

vizir

Acomat.

• Mithridate (1673). Jalousie et guerres d'un vieux monarque oriental vaincu par les Romains ; rôle touchant de Monime. • Iphigénie en Aulide (1674). Fille d'Agamemnon et de Clytemnestre sacrifiée avant le départ des Grecs pour Troie.

• Phèdre (1677). Aventure légendaire de la femme de Thésée, amante incestueuse de son beau-fils Hippolyte. • Esther (1689). DéHvrance du peuple Juif, grâce à l'intervention de la reine près d'Assuérus. • Athalie (1691). Révolution dynastique et théocratique à Jérusalem ; mort de l'usurpatrice étrangère et procla-

mation du

roi Joas.

Plusieurs sujets {Andromaque, Iphigénie, Phèdre) sont empruntés à Euripide, poète grec, et à Sénèque le Tragique.

/

83

84

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Le système dramatique de Racine

consiste à porter au maximum Vintensité des passions dans des sujets relativement simples.

Venant après le théâtre de Corneille, chargé d'événements extérieurs, après le théâtre de Quinault, affadi par des sentiments tendres,

le

théâtre de Racine se distingue la simplicité et par sa

nettement par ses tendances à psychologie.

Simplicité des situations. Le point de départ est une détresse d'une veuve en pays ennemi ; vengeance d'une femme délaissée ; émancipation brutale d'un enfant vicieux, séparation douloureuse mais librement consentie de deux fiancés ; égoïsme d'un père assujettissant à son ambition la destinée de sa fille, etc. situation assez ordinaire

:

C'est la dignité des personnages, leur condition royale, qui confère d'abord de la grandeur au sujet. Réactions morales. Une fois la situation indiquée (les expositions de Racine sont parfaites de naturel et de clarté) et l'action déclenchée par un événement quelconque (arrivée d'Oreste, enlèvement de Junie, nouvelle fausse de la mort de Thésée), aucun fait extérieur au drame ne vient modifier les péripéties (sauf dans Mithrdiate et Phèdre). Cela ne veut pas dire que l'action soit pauvre pour autant au fond, les pièces de Racine sont aussi complexes que celles de Corneille, mais leur complexité est d'ordre psychologique ; elles se développent par le jeu normal et réciproque des passions qui se précisent, s'accélèrent et se heurtent. Tout est suspendu à la détermination passagère ou décisive d'un personnage principal, à ses sautes d'humeur, à son amour, à sa rancune. VÉHÉMENCE des PASSIONS. Cependant ces personnages n'agissent pas librement Corneille qui voulait faire de la morale exposait les démarches de la volonté ; Racine qui fait de la psychologie observe les mouvements du cœur, les impulsions aveugles de la nature. C'est la véhémence des passions qui est la marque spéciale de son théâtre. Alors qu'en soi l'intrigue d'Andromaque, ou de Mithridate pourrait constituer le thème d'un vaudeville, ce qui différencie et élève le genre de Racine, c'est l'intensité des passions étudiées au lieu de présenter, pour ainsi dire, « au ralenti » les réflexes anodins des caractères dans la vie courante. Racine les porte au paroxysme. Poussés aux dernières limites, ils :

:

:

Le XVI |e siècle

/

85

donnent lieu à des conséquences extrêmes et tragiques. L'application des règles et le développement de l'intrigue. Au point de vue technique, et précisément parce qu'il subordonne tout à l'expression morale, Racine est l'auteur qui s'est le mieux accommodé de la régularité

du genre tragique

observation précise de la loi des trois nombre de personnages. L'heureux emploi des confidents, l'apparition et la succession opportune des acteurs, l'art de ménager les situations tragiques et les moments d'espoir, la gradation de la terreur et de la pitié, souvent la soudaineté et l'horreur du dénouement montrent dans Racine une véritable maîtrise de dramaturge. A cet égard les intrigues d'Andromaque (actes II et IV) et de Britannicus, la « pièce des connaisseurs » (avec les scènes violentes de l'acte III et les péripéties morales de l'acte IV), sont particulièrement remarquables. :

unités, absence des décors, petit

Les

tragédies

passionnelles de Racine peignent surtout r amour furieux et jaloux.

Racine a donc surtout placé

l'intérêt de ses pièces dans peinture des mouvements de l'âme. Si l'on excepte Athalie pièce d'intérêt politique et religieux la passion prédominante qu'il a représentée est l'amour, qui est d'ailleurs la plus mobile et la plus impétueuse des passions. Parfois il l'a montrée sous forme élégiaque teintée de galanterie moderne avec Junie, Atalide, Monime, Iphigénie, Aricie, ou avec les soupirants courtois que sont Britannicus, Xipharès, etc. Mais il a su également la représenter avec puissance et l'a peinte, incarnée de préférence dans des personnages féminins et portée à un degré d'impulsion violente, affranchie d'hésitations, souvent surexitée par la jalousie et capable même de crime. Dans Andromaque, à côté de la veuve d'Hector, symbole émouvant d'affection conjugale et maternelle, nous voyons Hermione, l'amoureuse déçue, arrogante, égoïste, aux sentiments agités et fougueux la





:

S'il

ne meurt aujourd'hui,

je

puis l'aimer demain.

Dans Bérénice, au contraire, c'est l'image de l'amour mélancolique et tendre qui ne peut se résigner sans une surprise douloureuse à prononcer « pour jamais » l'adieu de séparation :

86

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Pour jamais! Ah! seigneur, songez- vous en vous-même Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?

Dans Phèdre enfin, « c'est Vénus tout entière à sa proie attachée », c'est dans une femme malade, victime d'une hérédité funeste, une véritable « flamme » qui dévore les sens et annihile la conscience, et qui, par une suite fatale, surmontant le devoir, les convenances, l'honneur (« Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare »), en arrive au parjure et à l'homicide sans pouvoir étouffer les angoisses du remords :

Hélas du crime affreux dont la honte me suit Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit. !

A

côté de ces héroïnes, les personnages virils semblent tracés avec moins de relief. Mais il y a une psychologie profonde et sympathique dans l'étude d'Oreste, cet être sans volonté, amoindri par la souff'rance morale, sombre « neurasthénique Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne. » Il y a une vérité effrayante dans la description des mauvais instincts de Néron, le « monstre naissant », despote sensuel, cruel et peureux. Racine a peint également l'amour maternel, plaintif chez

et

:

Andromaque, farouche chez Clytemnestre

(« Venez, si vous mère! »), l'ambition féminine avec Agrippine, l'ambition masculine avec Agamemnon, l'énergie appuyée sur la foi chez Joad

l'osez,

la

ravir à sa

:

Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte!

Le décor historique que la psychologie.

est traité

avec la

même fidélité

Contrairement aux objections des amis de Corneille, Racine a été un grand peintre d'histoire. S 'inspirant heureusement d'Homère, de Tacite ou de la Bible pour projeter sur ses personnages le reflet d'une époque fameuse. Racine ajoute ainsi à leur prestige et à leur vérité. Si l'on excepte Bajazet, dont l'action réelle s'était passée à Constantinople en 1635, Racine a choisi tous ses sujets dans l'Antiquité. Soutenu par Euripide et surtout par les souvenirs de nous nous rapVlîiade, il explore les temps légendaires pelons avec lui Iphigénie « en Aulide immolée », les adieux :

Le XVI l« siècle

d'Hector et d'Andromaque, la ruine de Troie et le sort des captifs après la victoire des Grecs les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie ». Phèdre est la restitution mythologique la plus hardie qu'on ait jamais tentée. A l'aube des temps historiques, les personnages sont encore mêlés aux héros et aux dieux :

eau (18621921) qui excelle à embrouiller et à débrouiller sur un

)

252

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

rythme endiablé

les multiples fils d'une intrigue bouffonne compliquée. Courteline (1858-1929) poursuit de son côté avec ses farces, dont les tracasseries administratives sont souvent le sujet, une carrière dont les principaux succès sont antérieurs à 1900 {Boubouroche, 1893 j Gaietés de V escadron, 1895 ; Le Gendarme est sans pitié, Article 330, 1899 ; Le Commissaire est bon enfant, 1899 ;

et

U

1901).

Edmond Rostand (1868-1918). eu

de ressusciter le théâtre en vers. pièce d'allure chevaleresque Cyrano de Bergerac (1897), il a campé la figure originale d'un cadet de Gascogne du xvii® siècle, crâne, généreux, spirituel, amoureux du panache. Il donna ensuite L'Aiglon (duc de Reichstadt), et Chantecler, évocation lyrique du poète épris d'idéal, de beauté et de soleil. Rostand est un virtuose de l'alexandrin, mais il y a beaucoup d'artifice, de jonglerie et dans son art et dans Il

a

l'originalité

Dans une

:

son inspiration.

Alfred Jarry

( 18 j 3-1907 Si

.

Edmond Rostand

était plutôt

un homme du

passé,

d'un certain aspect du romantisme, Jarry sera salué comme un précurseur notamment par les surréalistes. Jarry a écrit des vers, des romans, mais c'est son théâtre qui reste célèbre. Dans ses pièces, dont la plus réussie est Ubu Roi (1896), il met en scène le personnage du père Ubu ce n'est pas un caractère mais une caricature aux traits grossis qui évoque à la fois la farce et l'épopée et auquel son langage déformé (oneilles, phynances, merdre, pataphysique), ses jurons (de par ma chandelle verte) ont contribué à donner une sorte de grandeur absurde. Ubu Roi était à l'origine un divertissement de lycéens (Jarry élevé au lycée de Rennes n'avait que quinze ans lors de la première ébauche collective de sa pièce) ; mais, à tort ou à raison, l'œuvre s'est chargée d'une signification symbolique Ubu, avec sa vulgarité, sa cruauté^ est une image de la nature humaine, et aussi de la condition humaine dans la mesure où il représente la tyrannie aveugle, impitoyable et inintelligible qui écrase souvent les hommes. héritier

:

;

Le XX« siècle

/

253

Les romanciers de l'entre-deux guerres Confirmant une évolution amorcée au siècle précédent, le à devenir le genre majeur de la littérature française et rares sont les écrivains qui ne le pratiquent pas. La diversité des tempéraments des créateurs, la souplesse presque infinie du genre, que ne régit aucune règle, ont entraîné une extrême variété de production qui décourage tout essai de classement.

roman tend

Marcel Proust

(i 871 -1922)

L'œuvre de Proust apparaît monumentale, non seulement par sa dimension, mais par sa richesse et sa nouveauté. A la fois roman et réflexion sur le roman, elle a ouvert des perspectives immenses que les contemporains n'ont pas encore fini d'explorer.

Marcel Proust,

Un mondain

devenu

Marcel Proust, hostile aux tendances érudites de la critique littéraire inspirée par Lanson (cf. p. 246) ne souhaitait pas qu'on cherchât dans la vie d'un auteur le secret de son œuvre. De fait, il y a peu à retenir de la sienne, sinon l'expérience qu'il a acquise et dont il a nourri parfois son roman. Issu d'une famille bourgeoise (son père, le docteur Adrien Proust, avait épousé en 1870 Jeanne Weil, fille d'un agent de change israéhte), Marcel Proust eut une enfance choyée, aussi heureuse que pouvait le permettre sa nature anxieuse, émotive, pour qui la séparation d'avec sa mère, au moment du coucher, était un supplice quotidien. Ensuite Proust fréquente les salons, avec moins de brio que son héros Charles Swann, mais suffisamment pour y goûter les plaisirs du monde, puis pour en mesurer la vanité. La mort de sa mère (1905) hâte sa transformation miné par la maladie et soucieux de se consacrer tout entier à son vaste dessein d'artiste, il quitte le monde, entre en littérature, selon le mot d'A. Maurois, comme d'autres entrent en rehgion et écrit, corrige, enrichit jusqu'à sa :

ascète.

254

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

mort en 1922 un long manuscrit, dont sera

A

la recherche

du temps perdu

et

définitif avait publié

le titre

dont

il

le début, notamment Du côté de chez Swann V ombre des jeunes filles (1913)5 sans aucun succès ; en fleurs (19 19), qui obtint le prix Goncourt ; Du côté de Guermantes (1921), Sodome et Gomorrhe (1922). La suite comprend La Prisonnière (1923), La Fugitive (ou Albertine disparue, 1925), Le Temps retrouvé (1927).

de son vivant

A

A la recherche du temps perdu, un roman qui à lui-même son propre sujet.

est

pas sûr que cette longue œuvre soit un présence continue du narrateur qui lui donne son unité n'autorise pas pour autant à y voir une sorte de somme autobiographique. Ce narrateur, du reste, ne coïncide pas absolument avec Marcel Proust. D'autre part, s'il est vrai que l'œuvre se présente en partie comme un récit, celui-ci, loin de se concentrer dans le raccourci d'une intrigue, se prolonge indéfiniment, s'enrichit et se complète par retouches successives qui correspondent au cours des événements et surtout au jeu capricieux des souvenirs et des dispositions subjectives du narrateur. Si nous en croyons Proust, c'est la saveur d'une petite madeleine trempée dans une tasse de thé, qui, en rappelant la même saveur goûtée des années auparavant, a déclenché un mécanisme psychologique complexe et provoqué le retour, dans toute leur richesse, de mille souvenirs du passé. Du côté de chez C'est tout d'abord l'enfance à Combray Swann celui-ci, ami de la famille, riche bourgeois introduit dans la plus haute société aristocratique mais qui a fait une mésalUance en épousant Odette, une denîimondaine. Leur fille Gilberte, inspirera au narrateur son premier amour d'adolescent. A Vombre des jeunes filles en fleurs transporte le décor à Balbec, plage normande, où, grâce au peintre Elstir, le narrateur fait la connaissance d' Albertine, une des jeunes filles. Le Côté de Guermantes, distingué dès le début de celui de chez Swann, est le heu mystérieux et longtemps inaccessible où régnent le duc et la duchesse de Guermantes. Enfin le narrateur parvient à y pénétrer. Sodome et Gomorrhe s'attache à évoquer un aspect particuher de ce milieu ; la peinture est centrée autour de M. de Charlus, prestigieux et extravagant, tiraillé entre sa noblesse (il est le frère du duc de Il

n*est

roman

:

la





Le XX® siècle

/

255

Guermantes) et ses mœurs spéciales (on sait que Proust lui-même était homosexuel). Mais bientôt Albertine revient La Prisonnière, La Fugitive racontent au premier plan l'histoire de sa liaison tourmentée avec le narrateur, de sa disparition, de sa mort. Le Temps retrouvé évoque d'abord la guerre de 1914, les bouleversements de tous ordres qu'elle opère, notamment dans la société. Enfin, méditant longtemps après sur l'expérience de la madeleine qui ouvrait son œuvre, le narrateur en mesure enfin tout le sens. Comme écrivain, il en retient l'invitation irrésistible à créer une œuvre qui soit justement celle qu'il achève et qui, transcendant en quelque sorte la durée, transforme le temps perdu en temps retrouvé. Il a donc fallu attendre la fm de la Recherche du temps perdu pour en découvrir le sujet et le but. C'est la première fois dans l'histoire de la littérature française qu'un roman a pour sujet l'histoire de sa conception et de son élaboration. :

Une

conception originale de Part.

Pour mesurer dans sa totalité l'ambition de Proust, il donc Ure les dernières pages de son roman. On y découvre que l'expérience de la madeleine n'a pas été unique, qu'il en a fait d'autres toutes semblables et que c'est seulement devant leur répétition que lui-même en a compris toute la portée. Il ne s'agit pas pour Proust de sauver de l'oubU la vie qu'on a vécue, mais, en éprouvant en quelque sorte à la fois dans le passé et dans le présent une certaine impression, de jouir de l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps. Encore cette

faut

expérience privilégiée, ce plaisir total sont-ils par définimomentanés. L'art aura précisément pour fonction de prolonger indéfiniment cette extase et de faire accéder à la vraie vie. Aussi l'ambition d'écrire, qui est évoquée dès le début de l'œuvre comme une velléité et qui conclut l'œuvre comme une résolution, n'apparaît-elle pas comme l'ambition mondaine d'un jeune httérateur avide de gloire mais comme un acte de connaissance, c'est-à-dire une démarche proprement métaphysique. De là vient la place privilégiée des personnages d'artistes dans le roman de Proust Vinteuil le musicien, Elstir le peintre, Bergotte l'écrivain sont, par leur personne ou par leur œuvre, les maîtres spirituels du narrateur. Il arrive même que la méditation sur l'art ouvre les portes de l'immortalité. tion

:

256

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

lorsqu'on contemple

les

chefs-d'œuvre

«

ces

captives

que l'on songe que la mort avec elles a « quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être même de moins probable ». divines

Proust

»

et

et la psychologie

dans

le

temps,

comme il y a une géométrie Proust aimait à déclarer dans l'espace, il y a une psychologie dans le temps. Ses analyses psychologiques sont en effet inséparables d'un sentiment très aigu de la durée. Contemporain et disciple de Bergson, Proust a tenté de saisir la richesse proprement infinie que les réseaux de sensations, de souvenirs, de réminiscences créent dans un présent encore tout imprégné de passé. Il retrouve et enregistre jusque dans les plus fins détails la moindre nuance de pensée, l'esquisse d'un geste, la velléité ou l'impression la plus fugace. Il fait en quelque sorte de la psychologie infinitésimale. Mais ces souvenirs conservent toujours l'entourage de sensations physiques qui les ont escortés lors de la première perception :

:

C'est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l'odeur de renfermé d'une chambre ou dans l'odeur d'vme première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence, n'en ayant pas l'emploi, avait dédaigné... Hors de nous? En nous pour mieux dire, mais dérobé à nos propres regards par un oubli plus ou moins prolongé. ( A V ombre des Jeunes Filles en fleurs.)

De

vertu évocatrice d'un détail insignifiant par saveur d'une madeleine trempée dans une tasse de thé, le parfum des lilas par un soir d'orage ; de là, le déroulement presque automatique des sensations, rêves ou affections qui furent une fois associées dans la conscience au reflet d'un rayon de soleil sur un clocher d'église, à une « bande de ciel rose » vue à l'horizon, à l'image d'une jeune fille devant une haie d'épines, à ime « phrase » musicale. Cette disposition à noter les plus subtils phénomènes de conscience devait conférer à Proust une supériorité rare dans l'analyse des sentiments les plus simples comme les plus raffinés somnolence et rêverie du réveil ; impression désagréable de la solitude, d'un changement d'habitude ou de demeure ; malaise et contradictions inhérents à là,

lui-même

la :

la

:

Le XX« siècle

/

257

l'absence, à Tattente, aux inquiétudes de l'amour. Proust le a fait le diagnostic de tous les sentiments humains dédain, l'envie, le désir de paraître, d'autant plus tenaces :

qu'ils sont

comprimés par

les

convenances

et

ne peuvent

étudié avec pénétration « les intermittences du cœur », la part d'autosuggestion qui entre dans tout amour, le « désaccordement » qui se produit souvent entre deux âmes. Il confronte à diverses époques de l'existence l'idée que nous nous faisons d'une chose ou d'une personne, marque l'évolution de nos désirs et de nos aversions ; il montre en quelques années la transformation, parfois le renversement des situations sociales. La précision méticuleuse et pour ainsi dire exhaustive des analyses de Proust impliquait un certain style, lent, minutieux, surchargé de réflexions accessoires et de déterminations complémentaires ; les phrases tassées, toujours rallongées de nouvelles incidentes, paraissent interminables et le sont souvent en effet. Mais ce style, qui peut rebuter au début celui que Montaigne, lointain ancêtre de Proust, appelait l'indjUgent lecteur, constitue la chair de l'œuvre et en exprime la qualité la plus précieuse. s'afficher. Il a

j

La

Recherche..., chronique sociale.

Proust a nourri son œuvre de sa propre expérience. C'est lui qu'il a pu fixer toutes les nuances de ses sentiments. Mais c'est en regardant autour de lui qu'il a pu constituer toute une galerie de portraits qui sont un des attraits de son œuvre. On sait que Proust n'a pas toujours été un ermite. Il avait au contraire, dès son adolescence, le désir et le goût de pénétrer dans le monde et d'y faire bonne figure. Il n'est pas douteux que les personnes qu'il a côtoyées et observées pendant de longues années lui ont donné tous les matériaux nécessaires à la création des personnages hauts en couleur et plus vrais que nature qui évoluent dans son œuvre. On y retrouve un échantillonnage assez complet de la haute société de l'époque. Les Guermantes sont au sommet de la

en regardant en

hiérarchie sociale leur fortune, leur noblesse, leur esprit leur confèrent aux yeux du narrateur une manière de :

royauté et ils ne perdront leur prestige que lorsqu'il aura constaté leur corruption (M. de Charlus), leur cruauté (comme lorsque les Guermantes se soucient plus d'un

258

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

dîner que de la santé de leur ami Swann, pourtant promis une mort prochaine), la vanité de leur morgue sociale (puisque le prince de Guermantes épouse finalement la ridicule bourgeoise qu'est Verdurin). La bourgeoisie, elle non plus n'est pas épargnée, qu'il s'agisse du snobisme qui règne dans le salon Verdurin, de la bêtise du P"" Cottard, ou d'autres vices criants et odieux sur lesquels Proust attarde volontiers son œil critique. Proust, qui était lui-même d'un rang social élevé, a privilégié dans son enquête la haute société, sinon par la complaisance de ses jugements, du moins par la place qu'il lui a accordée. à

Mme

Mais on ne

saurait

oubUer

le

musicien Vinteuil, dont

l'extérieur très modeste cache un génie novateur, et quelques figures de gens simples, dont la plus justement célèbre est Françoise, la vieille servante de la famille.



qu'il récusait fermeLoin de toute ambition réaliste Proust a su animer un monde, même si ce souci n'était pas au centre de son ambition d'écrivain.

ment



André Gide

(i 869-1 951)

Contemporain de Proust au moins par sa date de naissance, Gide a écrit plusieurs romans mais n'est pas essentiellement un romancier. a exprimé sa personnalité diverse dans des genres Il

littéraires très différents et

c'est

Gide

malaisés à classer.

On

peut dire que

un moraliste au sens classique du terme.

s^est vite révolté

contre la morale puritaine.



dans une famille de bourgeoisie protestante très André Gide a tout d'abord été profondément marqué par son éducation dont le précoce veuvage de sa mère (1880) avait encore renforcé l'austérité. Il en gardera toute sa vie l'empreinte connaissance de la Bible, intérêt porté aux mystères du cœur par la pratique de l'examen de conscience, sens hypertrophié du scrupule. Mais après une brève apparition dans le monde des lettres dont Paludes (1895) fera la satire, il découvre à l'occasion d'un voyage en Afrique du Nord nécessité par son état de santé la joie de vivre dans une heureuse Uberté, fût-ce en satisfaisant des goûts homosexuels. Les Nourritures terrestres aisée,

:

Le XX® siècle

expriment avec un enthousiasme bonheurs de l'évasion et de la déhvrance. (1897)

lyrique

/

259

les

Je m'attends à vous, nourritures!... Satisfactions! je vous cherche. Vous êtes belles comme les aurores d'été Sources plus délicates au soir, délicieuses à midi ; eaux du petit matin glacées ; souffles au bord des flots ; golfes

encombrés de mâtures

;

tiédeur des rives cadencées...

», comme l'appellera son auteur, se propose d'enseigner la ferveur, une façon de brûler ardemment, d'être docile à ses désirs et attentif à tout ce qui peut les aviver. Cet hédonisme, malgré la violence de son affirmation, n'est pas vulgaire. Son but

Ce

«

manuel de déhvrance

ultime est de permettre l'épanouissement total d'un individu dans sa spécificité. Gide adresse à son disciple cette dernière injonction :

Ne

en toi qu'à ce que tu sens qui n'est nulle part ailleurs qu'en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah! le plus irremplaçable des êtres. t'attache

C'est dans la même perspective d'émancipation qu'il faut situer Immoraliste (1902), le premier roman de Gide, en partie autobiographique, qui raconte non sans cynisme l'aventure d'un personnage qui finit par sacrifier la santé de sa femme à son égoïsme. peu plus tard la

U

Un

parabole du Retour de V enfant prodigue (1907) exprimera sous une affabulation évangélique la même volonté d'aviver sa soif pour la satisfaire plus déhcieusement.

Les œuvres de la maturité. Par souci de contraste et surtout parce que les deux tendances coexistaient en lui, Gide, après VImmoraliste, pubhe La Porte étroite (1909), roman dominé par la figure d'Alissa qui par souci de sainteté refuse les satisfactions même légitimes de l'amour humain. C'est une œuvre austère et prenante, d'un classicisme empreint de sobriété, tout comme La Symphonie pastorale (19 19) roman de la sincérité scrupuleuse, victime de ses propres illusions. Mais l'œuvre la plus intéressante, la plus originale de Gide, Les Faux-Monnayeurs (1926) s'engage dans d'autres chemins. Un des personnages principaux du roman est un romancier, Édouard, qui écrit lui-même un roman et dont le journal commente à l'intérieur du roman dont il est un personnage, le roman dont il est l'auteur, et qui

260

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

porte le même titre. Gide de son côté ajoute à son roman des Faux-Monnayeurs un Journal des Faux-Monnayeurs, où lui aussi se regarde écrire. Ce jeu de glaces vertigineux, cette « mise en abîme », issu en partie de l'œuvre de Proust, sera très prisé et pratiqué par les modernes. A côté de ses romans, Gide a écrit des soties, contes bouffons et symboliques dont le plus célèbre. Les Caves du Vatican (19 14), fait la théorie de l'acte gratuit. Les intempérances de la jeunesse de Gide s'estompent ; la société plus libérale issue de la Grande Guerre ne s'émeut pas outre mesure de la tardive apologie de l'homosexualité développée par Corydon (1924). Par son souci de lucidité, son honnêteté intellectuelle qui lui fart dénoncer

du communisme dont il partageait l'idéal, son esprit lui fait pubUer de violentes critiques du colonialisme, Gide s'impose de plus en plus au cours de l'entre-

la réalité

de justice qui

deux-guerres comme une manière de sage. « Être de dialogue » comme il se définit lui-même, préférant l'amour de la vérité au besoin de certitude, d'une curiosité inépuisable, il a toujours tenté « d'assumer le plus possible d'humanité ». C'est sa personne attachante qui fait le prix de son Journal, peut-être sa plus grande œuvre, en qui on a voulu voir les Essais du xx^ siècle. Ainsi l'ancien immorahste est devenu une référence morale, cautionnée par le Prix Nobel en 1947.

André Malraux

(

190 1- 1976)

L'œuvre de Malraux est aussi diverse que sa vie tour à tour archéologue, aventurier témoignant d'une sympathie active aux mouvements révolutionnaires, prophète tourmenté du temps du mépris, puis militant gaulliste, ministre, philosophe de l'art enfin, a s'est exorimé avant tout dans le genre du roman, auquel communiqué le frémissement de sa personnalité pathétique. :

il

il

Un

aventurier de

A

V intelligence.

la ressemblance de beaucoup de ses héros, Malraux lui-même, au moins au début de sa vie, un aventurier. Après des études à l'École des langues orientales, une mission archéologique au Laos (1923) consacrée à des

est

Le XX^ siècle

/

261

recherches sur l'art khmer lui fait connaître directement un milieu haut en couleurs, travaillé en profondeur par le conflit des civilisations, orient et occident, et des idéologies, colonialisme et mouvements révolutionnaires. La Tentation de r Occident (1926) se fait l'écho de ces problèmes sous la forme d'un échange de lettres fictif entre un jeune Français et un jeune Chinois. Mais si son séjour en ExtrêmeOrient a fourni à Malraux le cadre de ses premiers romans {Les Conquérants, 1928 ; La Voie royale, 1930), les personnages qu'il met en scène, même lorsqu'ils participent comme le Garine des Conquérants à l'action révolutionnaire, cherchent plutôt dans une vie dangereuse un accompUssement individuel qui leur permette de vaincre le destin et la mort. On peut en dire autant de La Condition humaine (1930), le chef-d'œuvre de Malraux qui obtint le Prix Concourt. Toutefois ce roman est plus profondém.ent incarné dans la réaUté historique et politique avec le triple conflit qui oppose dans la Chine de 1927 les provinces du nord d'obédience capitaliste, le Kuomintang, mouvement révolutionnaire à l'origine mais dont le chef ChanKaï-Chek va faire un instrument de répression contre la troisième force en présence, les communistes qui essaient de soulever Shanghaï, cadre du roman. Les foules, la masse dont le destin se joue, sont à peu près absentes de cette œuvre qui présente en revanche une incomparable galerie de portraits, on pourrait presque dire un échantillonnage des difi'érentes motivations individuelles qui poussent les protagonistes à la lutte révolutionnaire. Sous une forme ou sous une autre, Tchen le terroriste, Kyo, tête plus politique, ou au contraire Katow, qui a plus de passé que de doctrine, laissent entendre la même interrogation angoissée sur la condition humaine. La révolution, en créant les conditions d'une fraternité virile, dont Malraux dira qu'elle est « le contraire de l'humiliation », est un aspect de la quête, plus individuelle que collective et plus métaphysique que politique, de cet humanisme tragique qui est au centre de la pensée de Malraux.

Du Temps du

mépris à

la Libération.

Le Prix Concourt décerné à la Condition humaine a contribué à faire connaître Malraux qui n'est cependant pas encore célèbre. Bien que le livre soit exactement

262

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

contemporain de la prise du pouvoir par Hitler (1933), il y a un trop sensible décalage entre les romans tourmentés de Malraux, leurs évocations d'apocalypses et l'aprèsguerre relativement sereine au cours de laquelle la France discerne mal les menaces qui pèsent sur son bonheur. En 1935, Le Temps du mépris évoque les prisons hitlériennes, encore peu connues, tandis que V Espoir (1938) présenté d'abord sous forme de film, est une sorte de reportage romancé, bouleversant et frénétique, sur la guerre civile d'Espagne, à laquelle Malraux a participé dans les rangs des républicains, et qui lui donne l'occasion de développer les mêmes thèmes que dans La Condition humaine et de témoigner la même sympathie pour la première phase de la révolution, « l'illusion lyrique ». De 1939 à 1945, Malraux tour à tour mobihsé, blessé, prisonnier, évadé, résistant, mène une vie tourmentée. En 1945, il pubhe Les Noyers de FAltenbourg, roman composite, sans autre unité que la personnahté de son auteur et les problèmes métaphysiques qui le tourmentent, mais dont certaines pages constituent peut-être les sommets de toute l'œuvre. En tout cas, Malraux n'y évoque aucune époque plus récente que la défaite de juin 1940 ; et c'est son dernier roman. Politique et philosophie de Fart. C'est au cours de la

Deuxième Guerre mondiale que

se

situe sa rencontre avec le général de Gaulle. Il est probable que les deux hommes furent séduits l'un par l'autre.

Ministre de l'Information en 1945, il accompagna le général dans sa retraite de 1946 pour redevenir son ministre des Affaires culturelles en 1958 et quitter définitivement la scène poU tique en 1969. Bien que le gaullisme ne fût pas exempt dans son principe (le 18 juin 1940) d'un certain esprit d'aventure, l'engagement de Malraux a parfois troublé ses admirateurs et constitue indiscutablement une rupture avec ses sympathies antérieures. Sur ce point, Malraux ne s'est jamais complètement exphqué. Il s'est absorbé dans de concises et profondes réflexions sur l'art, dont l'essentiel fut pubhé en 1951 sous le titre Les Voix du silence. Il ne s'agit pas là d'une espèce d'appendice au reste de l'œuvre sans rapport avec elle. Face aux interrogations angoissées que Malraux s'est toujours posées sur le destin de l'homme, et après avoir éprouvé

Le XX« siècle

/

263

que pouvaient y apporter coude à coude révolutionnaire, Malraux, qui est agnostique, demande à l'art d'être, pour reprendre sa formule, « une Monnaie de l'absolu » et de permettre à l'homme, en dominant son destin, de fonder l'insuffisance

des

l'aventure solitaire

réponses

ou

le

sa dignité.

Malraux est une des figures éminentes des lettres modernes. L'étendue incommensurable de sa culture n'a d'égale que la vivacité et la profondeur de la réflexion qu'elle nourrit. Malraux n'est pas un artiste du style, mais justement son art abrupt, ses formules inoubliables, lui ont assuré et lui conservent une des audiences les plus grandes parmi les écrivains de son temps.

Saint-Exupéry

est

comme Malraux un homme

d'action qui a réfléchi sur Faction.

Au cours de sa brève existence (1900- 1944), il a vécu les principales expériences du métier d'aviateur, depuis son service militaire à Strasbourg jusqu'aux premières grandes liaisons aéropostales et aux raids intercontinentaux, dont la réussite le plaça parmi les pionniers de l'aviation et lui valut auprès du grand public un succès mérité. Dire que Saint-Exupéry fut aussi un homme de lettres serait méconnaître la profonde unité autour de laquelle s'ordonna sa vie à part le charmant et profond conte pour enfants qu'est Le Petit Prince (1941), l'œuvre de Saint:

Exupéry

est une constante méditation sur son expérience personnelle de pilote. Mais, par une rencontre heureuse, il s'est trouvé que cet ami du risque était aussi un authentique humaniste, qui retrouvait sans effort les grands problèmes de la Terre des hommes et savait les exprimer

dans un style d'une poignante sobriété. Il a ainsi écrit trois chefs-d'œuvre Vol de nuit (1931), qui retrace les premières luttes pour établir une liaison aéropostale avec l'Amérique du Sud, Terre des hommes (1939), le plus riche peut-être de ses Uvres, et Pilote de guerre (publié en 1941 aux ÉtatsUnis), qui évoque l'héroïsme désespéré d'un aviateur français lui-même en pleine défaite de juin 1940. Saint-Exupéry n'avait en effet ménagé aucun effort pour participer activement à la Seconde Guerre mondiale, malgré son âge. En 1944, il pilotait encore un avion de reconnaissance des forces alhées en mission sur la France occupée lorsque, le 31 juillet, il ne revint pas. :





264

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

François Mauriac^ bourgeois^ chrétien, romancier impitoyable et polémiste ardent, Mauriac (1885-1970) est le type même de l'écrivain profondément enraciné dans la terre qui l'a vu naître, la région bordelaise en l'occurrence, avec ses vignobles et les forêts qui couvrent les Landes. C'est le décor à peu près constant de ses livres, et il s'établit parfois d'étranges et poétiques correspondances entre les orages qui menacent et grondent sur le terroir et les passions qui déchirent l'âme des personnages. Jusqu'à la fin de sa vie Mauriac restera fidèle à sa province d'origine, passant le plus clair de son temps dans sa propriété de Malagar. Une autre caractéristique essentielle de Mauriac est son origine bourgeoise qui a facilité sa vie d'homme en le délivrant de tout souci matériel et marqué son inspiration d'écrivain. Non qu'il se fasse le chantre complaisant de la classe sociale dont il est issu, bien au contraire. Il est certes sensible à ce qui constitue l'unité, la spécificité, peut-être la grandeur, d'une famille bourgeoise et il l'a montré dans le Mystère Frontenac (1933). Mais ce roman, qu'il avait songé à intituler le nid de colombes, ne saurait faire oublier le roman précédent. Le Nœud de vipères (1932) dont le titre symbolique évoque les conflits parfois sordides qui opposent et déchirent sans merci les membres d'une famille de haute bourgeoisie et qui prennent souvent la forme vulgaire de compétitions d'intérêts. Le troisième élément fondamental de l'héritage de Mauriac est un catholicisme fervent qu'il a lui-même approfondi en le nourrissant de la lecture de Pascal et qui sous-tend les analyses du romancier comme il fonde et justifie les prises de position du journaliste politique.

LE ROMANCIER. Malgré n'a pas

connu d'emblée

{V Enfant

le

patronage de Barrés, Mauriac Dès ses premiers romans

le succès.

; La Robe prétexte, 191 3 ; Le Fleuve de feu, 1923 ; Le Désert de V amour, 1926) on remarque pourtant les quaUtés

chargé de chaînes^ 19 12

Le Baiser au

lépreux, 1922

;

d'un réaliste qui sait noter avec justesse les traits d'un paysage ou d'un intérieur, exprimer l'atmosphère d'une journée, d'une saison, d'une salle, d'un bar ; on remarque surtout son aptitude à scruter les âmes, à dépeindre les insurrections physiques et morales de l'adolescence, à suivre les cheminements du péché sous toutes ses formes.

Le XXe siècle

la noirceur de ses peintures et l'acide qui en étaient inséparables eurent tôt fait d'alarmer les milieux catholiques de l'époque, auxquels Mauriac avait beau jeu d'objecter le précédent de Pascal dont la profonde enquête sur la misère de l'homme avait déjà pour but de sauver, fût-ce en désespérant. Genitrix (1923) qui oppose dans un huis clos saisissant une mère abusive à son fils, à sa bru, puis au souvenir de sa bru, était déjà, dans la sobriété puissante de son art, une manière de chef-d'œuvre. Le roman le plus célèbre devait sorte de pourtant Thérèse Desqueyroux (1926) être Bovary moderne, victime de l'incompréhension de son mari et, plus généralement, d'une bourgeoisie sans chaleur, féroce, uniquement préoccupée de bienséances, et qui est la principale responsable du crime où elle a en quelque sorte acculé la malheureuse Thérèse. Le Nœud de vipères (1932) est peut-être le sommet d'une production nombreuse, relativement variée, que Mauriac maintiendra à un très haut niveau jusqu'à ses dernières œuvres Le Sagouin (195 1), Galigaî (ig^2),V Agneau (1954). Sans renier sa prédilection pour les âmes noires dont il suit l'aventure tragique, Mauriac les conduit parfois au bord de la rédemption l'avocat du Nœud de vipères est touché par la grâce tout à la fin, et Thérèse Desqueyroux aura en 1935 une suite au titre significatif La Fin de la nuit.

Mais justement

critique

sociale

Mme

:

LE JOURNALISTE. été

Homme

un homme de cabinet

de

lettres,

Mauriac n'a pas

et n'est jamais resté indifférent

devant les grands tourments qui ont marqué son époque malgré ses convictions religieuses il s'est élevé, au moment de la guerre civile d'Espagne, contre l'entreprise du général Franco ; il fut de même un résistant de la première heure et écrivit à ce titre Le Cahier noir (1943) sous le pseudonyme de Forez, avant de dénoncer les excès du coloniaUsme dans son fameux bloc-notes du journal L'Express. Il a soutenu dans ses dernières années la politique du général de Gaulle. Mauriac est un écrivain de premier plan. L'expression trop galvaudée de magie du style est pour lui exacte et explique le halo poétique qui entoure ses meilleurs romans. Comme son modèle Pascal, il était capable, et maint homme politique en a fait les frais d'exceller également dans la polémique et de trouver la formule inoubliable, le trait vengeur dont la blessure ne guérit pas.

ni silencieux

:





/

265

266

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Georges Bernanos ( 1888-1^48) fougueux et passionné.

est

un tempérament

Il trouva son accomplissement dans un catholicisme exigeant et tourmenté et dans des activités politiques extrémistes. Ses études à la faculté de Droit et à l'Institut Catholique (1906- 191 3) coïncident avec les luttes reUgieuses sous Combes ; c'est aussi l'époque où, dans le prolongement de l'affaire Dreyfus, le poète Déroulède, Barrés, Drumont, théoricien de l'antisémitisme, entretiennent un nationalisme chauvin et raciste. Bernanos a pour maître Maurras et il participe à toutes les turbulences du Quartier latin. La guerre de 19 14 où il est blessé et cité ahmente sa rancœur contre les impuretés et les scandales du monde moderne. Pamphlétaire-né, il s'en prend tout d'abord au conformisme bourgeois dans sa Grande peur des bien-pensants (1931) d'inspiration encore monarchiste. Mais c'est la guerre civile espagnole, dont il fut le témoin direct dans sa résidence de Majorque, qui devait lui arracher les accents les plus authentiques malgré ses convictions rehgieuses, il attaque vivement les excès du soulèvement du général Franco ainsi que le clergé espagnol, son complice, dans Les Grands Cimetières sous la lune (1938), chef-d'œuvre du genre, qui eut un grand retentissement et qui marque une étape décisive dans l'évolution de sa pensée poUtique. Mais ce lutteur toujours sur la brèche, qui devait encore tonner contre les accords de Munich (1938), la pohtique du gouvernement de Vichy, puis la médiocrité de la IV^ République, était aussi un grand romancier. Déjà L'Imposture (1927) et La Joie (1929) présentaient de façon saisissante les figures antithétiques de l'abbé Cénabre qui :

a perdu la foi et de Chantai de Clergerie, rayonnante d'une sainteté dont la lumière finira par atteindre Cénabre. Mais le sommet de l'œuvre de Bernanos est constitué par le Journal d'un curé de campagne (1936) dans le décor cher à son enfance du pays d'Artois, Bernanos met en scène un jeune prêtre qui, comme Chantai de Clergerie, ramène à Dieu des âmes égarées qui semblaient perdues. L'esprit de sainteté et l'esprit d'enfance chers à Bernanos sont unis dans la figure de ce prêtre et expliquent son rayonnement sur les autres personnages qui sont tous à leur façon, dans le bien ou le mal, des âmes d'éhte. :

Le XX« siècle

Bernanos

/

267

dans ce polémiste, ou bien il rêvait d'un monde chrétien total, réconcilié avec luimême et avec Dieu, comme aux plus beaux jours d'une chevalerie idéale dont les hommes ont désespérément

monde.

perdu

Ou

n'était pas à l'aise, spirituellement,

bien

il

le fustigeait

comme

le secret.

Colette^ une écriture sensuelle et colorée. Colette (1873- 1954) ^st née à Saint- Sauveur, aux confins la Bourgogne, et le souvenir de cette campagne boisée où s'éveillèrent son instinct et son âme d'enfant sera le thème d'inspiration le plus constant et le plus heureux de toute son œuvre. Ses débuts Uttéraires suivirent de peu son mariage avec Willy, un médiocre homme de lettres qui signa les premiers romans de sa femme, non sans les avoir corrigés pour mieux les mettre au goût du pubhc, qui n'est pas toujours le bon goût. En tout cas la série des Claudine fut un des grands succès des années 1900. Peu après, Colette divorce, fait du music-hall pour vivre, tout en évoquant des aspirations contradictoires à la Uberté et

de

à l'amour

dans deux romans aux

titres

symboUques

:

(1910) tiVEntrave (1913). Comme l'héroïne de ce dernier Hvre, Colette opte finalement pour l'entrave ; du moins aura-t-elle de ce second mariage une fille. Bel Gazou dont la figure ira rejoindre, dans l'œuvre de l'écrivain, celle de Sido, la mère de Colette. C'est entte les deux guerres que le talent de Colette atteint son plein épanouissement, que sa manière se précise et se diversifie. Les souvenirs de l'occupation, dans Paris de ma fenêtre Étoile Vesper (1944), les confidences de vieillesse, dans (1947), ajoutent encore, s'il en était besoin, une note d'émotion à cette œuvre qui doit sa richesse aux fines et profondes vibrations d'une âme originale et à un style frémissant, aux images imprévues, nerveux et rapide comme la démarche d'un féUn.

La Vagabonde

V

Jean Giono, un conteur

agreste et panthéiste.

Comme maint autre romancier de sa génération, Giono (1895- 1970) est inséparable du terroir où il est né et où il a vécu, la Haute Provence et plus précisément Manosque.

268

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

C'est la montagne qui sert de cadre à son premier roman Colline (1929), bientôt suivi de Regain (1930) qui lui donne un début de célébrité. Pacifiste jusqu'à l'antimilitarisme, inquiet devant la civilisation industrielle moderne, Giono s'est fait le chantre du retour à la terre, de la rusticité

libératrice,

notamment dans Le Chant du Monde demeure (1935),

joie

(1934)5

romans, Les

Vraies

le

plus célèbre de ses

(1936). Compromis sous a continué à publier après la guerre.

Richesses

Giono Mais il avait beaucoup perdu de son audience lui-même n'avait plus le même éclat. l'occupation,

Céline^

le

et

son

art

langage du blasphème et du refus. Céline (i 894-1 961) de son vrai nom Louis- Ferdinand Destouches est à sa manière un aventurier qui après avoir tâté de divers métiers modestes, après avoir participé à la guerre de 1914, après avoir parcouru l'Afrique, trouve le moyen de faire des études de médecine et de s'installer comme praticien dans la banUeue parisienne. A cette personnahté d'exception va correspondre une œuvre d'exception elle aussi, dont le coup d'essai est un coup de maître Le Voyage au bout de la nuit (1932). Rompant violemment avec la rhétorique de son époque, CéHne donne ses lettres de noblesse à l'injure, au cri, et dans une invention toujours renouvelée, fait subir aux mots du langage commun de telles violences inattendues qu'on peut estimer qu'il a créé un nouveau style dont le paroxysme est le trait le plus frappant et le plus continu. Ces quaUtés seront précieuses au polémiste engagé de Mort à crédit (1936), Bagatelle pour un massacre (1938), Les Beaux draps (1940). A la Libération on lui a vivement reproché son antisémi:

tisme

(il

moderne

Louis Aragon^

fut

même

emprisonné).

De

nos jours,

la critique

s'intéresse à l'écriture si originale de ses œuvres.

le grand

maître du réalisme

socialiste.

C'est à la poésie qu'Aragon doit sa célébrité, mais il a aussi pratiqué avec bonheur le roman. Après les fulgurantes lueurs surréalistes du Paysan de Paris (1926),

Aragon (né en 1897), ^l^i ^ adhéré au communisme staUnien et aux théories esthétiques qu'il professait alors, le réalisme socialiste, donne Les Cloches de Bâle (1934), Les Beaux Quartiers (1936), Les Voyageurs de VlmpériaJe (1943),

)

Le XX« siècle

/

269

chroniques parfois imaginaires, mais qui se proposent d'influer sur la transformation du monde réel, au nom de l'idéologie communiste, en dénonçant les bassesses de ses adversaires. Le long cycle des Communistes est aussi un roman à thèse, avec les défauts que cela comporte. La Semaine Sainte (1958) est une des dernières réussites du romancier.

Le roman- cycle Romain Rolland

avait été avec Jean-Christophe (1904-1912), du roman-fleuve ou roman-cycle. Cette forme qui pouvait s'autoriser aussi de l'œuvre de Proust, voire de celle de Zola ou de Balzac, connut un vif succès au cours des années trente. Jules Romain, Roger Martin du Gard et George Duhamel s'y sont l'initiateur

illustrés particulièrement.

Jules Romains (188S-19J2). Il

avait déjà

mis en pratique sa théorie de l'Unanimisme p. 246) aborda assez rapidement le roman.

en poésie (cf. Si Les Copains (19 13) sont le récit des différents canulars auxquels s'adonnent joyeusement une bande de copains, précisément, le récit de la Mort de quelqu'un (191 1), au titre révélateur, tente déjà de dépasser le cadre étroit de l'aventure individuelle. Mais c'est avec la longue série des Hommes de bonne volonté (1932- 1947) que s'affirment le talent et les ambitions de Jules Romains. Refusant de limiter son enquête à un seul personnage, comme Romain

ou à une Romains récuse aussi Rolland,

seule

famille,

comme

Zola,

Jules

Comédie humaine de Balzac dont l'unité lui apparaît composée après coup, donc artificielle. Il va donc, en bon unanimiste, omettre de rapporter l'intrigue à un seul individu mais en faisant apparaître et disparaître divers personnages engagés dans des actions multiples qui ne se croisent pas toujours, tenter d'évoquer dans son ensemble la vie d'une société ; les titres de la plupart de ses vingt-sept volumes sont caractéristiques de cette volonté (Le 6 octobre. Les Humbles, Les Superbes, Montée des périls. Prélude à Verdun, Verdun Il est indéniable que dans les meilleures parties de son œuvre, Jules Romains a réussi à faire vivre de façon le

patronage de

la

.

270

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

moderne et notamment la plus plus révélatrice de ses aventures collectives la guerre, qu'il s'agisse de l'implacable médiocrité des combats ou des sordides intrigues des profiteurs. Mais en dépit de la défiance de Jules Romains pour le héros de roman individualisé qui supporte et unifie l'œuvre, ce sont peut-être les figures fortement typées de quelques-uns de saisissante

la

société

meurtrière mais

la

:

ses personnages,

notamment Jerphanion

et Jallez,

norma-

comme

leur créateur, qui a mis en eux beaucoup de lui-même, qui contribuent à donner son tonus à l'œuvre et s'imposent le plus au lecteur. Malheureusement la qualité des premiers volumes ne s'est pas maintenue jusqu'aux derniers. Aussi, malgré la noblesse morale du plaidoyer pour la bonne volonté, la gloire de Jules Romains connaît-elle de nos jours une certaine éclipse. liens

Roger Martin du Gard (1881-195J). Auteur d'un roman d'idées, Jean Bar ois (191 3), histoire d'un intellectuel tourmenté, et d'une remarquable nouvelle, La Confidence africaine, chargée de sensuahté trouble et de mystère, Roger Martin du Gard doit sa notoriété aux huit volumes des Thibault dont la publication s'est échelonnée de 1922 à 1940 et qui racontent des événements ayant Heu de 1900 à 19 14. Les Thibault sont une famille de grands bourgeois cathoHques et conservateurs, au moins dans la première génération représentée par le père. Oscar Thibault. Mais assez vite, l'intérêt du Hvre s'ordonne autour des figures, sinon antithétiques, du moins diversifiées et complémentaires des deux fils d'Oscar Antoine, traditionaliste, médecin dont le métier est une raison de vivre mais qui a perdu la foi au contact :

du positivisme

scientiste

Jacques, adolescent fiévreux et

;

admirateur des Nourritures terrestres de Gide, qui s'engage dans l'action révolutionnaire et pacifiste. Martin du Gard à qui sa formation d'archiviste avait donné le goût du document, de la vérité scientifique, a tout naturellement écrit une œuvre relativement objective dont il n'a pas voulu faire pour lui-même un miroir. On lui a reproché trop d'impassibihté, mais son récit sobre, qui a mieux résisté au temps que bien d'autres, est riche en scènes émouvantes et laisse apparaître dans l'épilogue son inquiétude et son amertume devant l'invincible absurdité Antoine Thibault, le médecin des tragédies de l'époque rebelle, fervent

:

Le XX® siècle

homme

d'action

lutte contre le

apôtre de les balles

la

est

/

271

brutalement interrompu dans sa la guerre et la mort ; Jacques,

mal par

réconciliation entre les peuples, finit sous le prenait pour un espion.

d'un soldat français qui

Georges Duhamel (1884- 1966), Bien qu'il ait été influencé à ses débuts par l'Unanimisme cher à Jules Romains, Duhamel a Hmité ses perspectives romanesques à la peinture d'un individu qui traîne sa médiocrité en cinq volumes (vie et aventures de salavin) pubUés de 1920 à 1932. Avec le cycle des Pasquier (1932- 1945) l'horizon s'élargit à toute une famille. Duhamel, qui a fait des études de médecine, s'attache avec une conscience digne d'un naturaUste à la peinture de ces bourgeois moyens, qui lui ressemblent, et dont il tente de restituer la diversité. L'art et la pensée de Duhamel sont d'une sérénité parfois un peu plate. Aucun drame ne vient donner du relief à ce qui reste une chronique, avec ce que le mot comporte de linéaire et de superficiel. Témoin, comme médecin, des atrocités de la guerre de 19 14, il a voulu promouvoir un humanisme tempéré où s'épanouiraient liberté et dignité. Mais sa voix, trop faible, n'a pas tardé à se perdre dans les grands fracas de la Deuxième Guerre mondiale.

La

poésie entre les deux guerres

La poésie, dans cette période, est marquée par deux grands courants un courant intellectualiste, néo-classique, attaché à la forme et à ses rigueurs et par ailleurs un mouvement turbu:

lent,

visant à

l'intuition,

la

libérer

l'imagination,

privilégiant

la

spontanéité,

révolte.

Paul Valéry^ un poète

néo-classique.

Paul Valéry (i 871- 1945), qui chantera plus tard les inspirations méditerranéennes, est en effet un méridional ; né à Sète, il fait ses études au lycée puis à la Faculté de

272

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Droit de Montpellier. Au cours de son service militaire, rencontre l'écrivain Pierre Louys, directeur d'une revue littéraire, la Conque^ où Valéry écrira ses premiers poèmes, connus aujourd'hui sous le titre d'Album de vers anciens^ publié en 1920. Mais surtout Pierre Louys lui fera connaître Mallarmé, dont la rencontre est l'événement le plus marquant de la vie de Valéry, et André Gide qui sera pour lui un ami inlassablement fidèle et un admirateur éclairé. Mais la poésie n'est pas pour Valéry le but unique ni même essentiel de l'activité intellectuelle. Ainsi, malgré des débuts prometteurs, s'absorbe-t-il, dès sa vingtième année, dans d'arides méditations qui sont la substance de V Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895) de la Soirée avec Monsieur Teste (1896). C'est seulement en 19 17 que, sur les instances de Gide, il revient à la poésie et publie un assez long poème, La Jeune Parque, puis d'autres pièces groupées sous le nom de Charmes (1922). C'est le début de la gloire. Malgré un art d'accès difficile, Valéry est célèbre il entre à l'Académie Française (1925), professe au Collège de France (1937), compose les pensées qui ornent en lettres d'or le nouveau Palais de Chaillot, prononce des discours aux distributions de prix qu'il préside, mais n'écrit plus que des œuvres de circonstance. Du moins n'est-il pas dupe de ces futiles honneurs (il y a en Valéry un fonds de scepticisme) et il faut reconnaître que, manié par un tel maître, le genre le plus minime prend des lettres de noblesse et se prête à l'expression des plus fortes idées. Valéry meurt en juillet 1945 et le gouvernement lui décerne des funérailles

il

:

nationales.

VALÉRY MORALISTE. Valéry n'est ni exclusivement, ni peut-être essentiellement un poète. La poésie ne l'intéresse qu'à titre d'exercice, comme il dit lui-même à propos de sa Jeune Parque, d'un pouvoir plus général de l'esprit. C'est pourquoi il s'est mis, dès 1890, en quête d'une méthode universelle capable de définir et de fonder ce pouvoir. Dans cette perspective, il a brossé le portrait d'un Léonard de Vinci idéalisé, expert en toutes sciences, et de Monsieur Teste, héros imaginaire, qui passe son temps à témoin) de lui-même, être le témoin (en latin, testis et qui, possesseur d'un pouvoir universel sur les hommes et sur les choses, se refuse indéfiniment à l'exercer pour mieux en sonder le principe. En un sens lorsqu'il s'est remis à écrire, en 191 7, Valéry a un peu dévié de la voie

=

Le XX^ siècle

rigoureuse que traçait Monsieur Teste. Mais il a toujours gardé les mêmes préoccupations, et il s'est livré dans de courts opuscules, pensées ou « fragments » divers à Texamen le plus subtil et à la plus instructive enquête sur comment les les conditions créatrices de Tintelligence pensées, les possibles innombrables se succèdent vertigi:

neusement en nous génie de extérieur

(VÂme

et la

Danse); comment

le

l'homme est arrivé à constituer dans le vide une sorte d'espace moral, une atmosphère de

mythes

et de principes qui sont aujourd'hui le milieu nécessaire et, en quelque sorte, l'éther dans lequel vibre sa pensée (Lettre sur les Mythes ) ; comment dans le monde de l'activité artistique (architecture, musique) et même dans nos jeux (danse), nous effectuons la traduction dans la matière d'une logique supérieure, l'incarnation d'un

rythme idéal ( Eupalinos ) Tel dialogue comme VAme et la Danse donne l'impression d'une restitution exquise, unique en notre langue, des pages les plus captivantes .

de Platon.

VALÉRY POÈTE DE l'intellect. Valéry a violemment attaqué la conception romantique du poète, qui n'avait qu'à obéir paresseusement à une inspiration le plus souvent sentimentale. Pour lui au contraire un poème doit être « une fête de l'intellect », à deux niveaux pourrait-on dire d'abord le poète crée en pleine clarté intellectuelle, c'est un artiste lucide qui prend conscience des mille problèmes que posent le langage, l'expression, le rjrthme, la rime... et qui les résout la tête froide. C'est en ce sens que Valéry a pris pour symbole de l'artiste parfait l'architecte (dans son dialogue à Eupalinos) car l'architecte voit son imagination heureusement limitée par tous les problèmes concrets que posent par exemple les lois de l'équilibre ou la résistance des matériaux. Tout artiste, lorsqu'il crée, et même le poète, doit être à sa manière un architecte. En second lieu, au moment de sa rencontre avec le lecteur, le poème doit encore s'adresser à l'intellect de celui-ci, refuser les facihtés du lyrisme et de l'éloquence, et contribuer, par les difficultés qu'il lui propose, à relever la condition du lecteur. On retrouve le même classicisme dans l'éloge constant que Valéry a fait des règles, fussent-elles arbitraires, qui :

une partie de la littérature du xvii^ siècle dont revendique l'héritage et qu'il oppose, une fois de plus, à la paresseuse faciUté de l'art romantique. Ces « gênes

régissaient il

/

273

.

274

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

exquises », il s'en est lui-même accommodé en écrivant plus souvent des alexandrins très réguliers que Malherbe ou Boileau n'auraient pas reniés et qui, parfois, ont retrouvé le secret des simples et mystérieuses beautés raciniennes

le

:

Sans vous, belles fontaines,

Ma

beauté, ma douleur, me seraient incertaines. Je chercherais en vain ce que j'ai de plus cher. Sa tendresse confuse étonnerait ma chair Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes, d'autres que moi-même adresseraient leurs larmes.

A

Les termes du langage sont pour lui les signes d'une algèbre compliquée et profonde, si bien que dans ses poèmes où. les images concrètes et instantanées s'associent hardiment aux tours les plus abstraits, la superposition ou de deux ou trois thèmes fondamentaux composent un ensemble tout chargé de signification et dont

l'interférence

complexité a fait le désespoir des interprètes de La Jeune Parque et du Cimetière marin. Plus accessibles parce que d'une idéologie moins savante, seraient le fragment du Narcisse^ l'Ode de La Pythie^ V Ébauche d^un Serpent. Avide de précision extrême, Paul Valéry s'appUque de préférence aux sujets qui permettent de déterminer le seuil et les Umites de la vie consciente, la domination de l'inteUigence sur la matière, la prise de possession du corps par l'esprit au moment du réveil

la

:

toi-même! dit l'Aurore, O grande âme, il est temps que tu formes un corps! ... Remonte aux vrais regards! Tire-toi de tes ombres. Et comme du nageur, dans le plein de la mer. Le talon tout-puissant l'expulse des eaux sombres. Toi, frappe au fond de l'être! Interpelle ta chair!... Je réponds!... Je surgis de ma profonde absence! Mon cœur m'arrache aux morts que frôlait mon sommeil... Existe!... Sois enfin



( Sémiramis.)

Le Moi

comme une

perdue au sein de l'inconnaissable ; il veut faire concevoir l'opposition de la personnaHté et du non-être environnant, le désaccord de l'existence éphémère avec l'immuable durée (Le Cimetière marin ) Un tel art, tendu vers l'expression des idées et déhvré volontairement de tout élément descriptif ou oratoire, lui apparaît

« île »

nécessairement abstrait, si le poète n'avait évité la sécheresse par la beauté des vers et l'inclusion de trouvailles heureuses qui jettent la lueur de la vie sur la texture serait

Le XX« siècle

rationnelle

que chez

du fond. La forme chez Valéry

/

275

est aussi parfaite

la virtuosité parnassiens les plus sévères des allitérations, la magnificence précise et neuve du vocabulaire, l'indépendance audacieuse de la syntaxe, la fougue du mouvement dans les strophes lyriques s'unissent pour enserrer la pensée dans ime enveloppe aussi dense les

:

que précieuse.

Le mouvement Dada, Fondé en 191 6 à Zurich par un jeune poète roumain, Tristan Tzara, il peut être considéré comme le précurseur direct du Surréalisme. Dada prône une négation totale volontiers agressive. Malgré des relations souvent orageuses jusqu'à leur rupture en 1922, Tzara a confirmé les tendances de ceux qui allaient en 1924 fonder le mouvement surréaliste, c'est-à-dire essentiellement André Breton, Paul Éluard, Louis Aragon, Benjamin Péret et Phihppe Soupault.

Le Surréalisme Plus nettement encore que d'autres mouvements, le Surréahsme est inséparable de son époque et notamment de la Grande Guerre qui l'a marqué. Lorsque l'armistice de 191 8 est signé, on mesure l'énormité des ravages et la minceur des résultats. Ceux qui allaient être les surréahstes sont particuUèrement sensibles à ce décalage tragique, dont ils s'autorisent pour proclamer la faiUite de la civiUsation, avec son droit, son art, sa morale, sa science et sa rehgion, également compromises dans le désastre. Les surréahstes vont donc s'intéresser à tout ce qui est irrationnel (physique d'Einstein, intuitionnisme bergsonien, psychanalyse freudienne) et, quoiqu'ils se soient toujours défendus de cette démarche, se chercher des ancêtres parmi ceux qui, à un titre ou à un autre, sont animés d'un certain nihiihsme envers les valeurs traditionnelles, qu'il s'agisse du marquis

de Sade, de Lautréamont, de Rimbaud ou de Jarry. • L'essentiel de la doctrine est rassemblé dans le Manifeste Surréaliste (1924) qui souUgne son caractère d'automatisme psychique, l'absence de tout contrôle exercé par la

276

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

raison

comme

de toute préoccupation esthétique

Le Surréalisme

refuse d'être considéré

et morale.

comme une

école

succédant à bien d'autres. Son ambition n'est pas de définir une nouvelle esthétique, encore moins de créer des œuvres d'art achevées, mais d'ouvrir des champs inconnus à l'investigation humaine, celui du rêve, de la folie, du mythe, de l'inconscient. Si Valéry proclame que le poème doit être une fête de l'intellect, Breton affirme qu'il doit en être la débâcle et qu'une hallucination est plus intéressante qu'un raisonnement. • Pour atteindre ce but, les surréalistes ont pratiqué l'écriture automatique, qui consiste à transcrire tel quel, dans son désordre et son incohérence, tout ce qui se présente à l'esprit en dehors de tout contrôle rationnel. La sincérité, l'authenticité absolue, permettent alors d'atteindre une sorte de monde surréel où, pour reprendre quelques expressions célèbres, les poissons sont solubles, les cadavres exquis, et où les revolvers peuvent avoir des littéraire

cheveux blancs.

André Breton (1896-1966) a dire le chef^ mais

on

dit le

été Vâme^ on n^ose pape^ du mouvement

surréaliste.

dominé

que tout autre il a contribué à le en a jalousement gardé l'orthodoxie. Ses études de médecine, puis son affectation pendant la guerre de 1914-1918 à un hôpital psychiatrique lui donnèrent l'occasion de connaître les théories de Freud sur l'inconscient. Et bien vite il s'intéressa aux mouvements d'avant-garde, comme celui de Dada, auxquels il reprocha pourtant assez vite d'être trop exclusivement négateurs. De même après avoir eu, comme tout son groupe, des sympathies pour le nouveau système politique que la révolution d'octobre 1917 avait installé en U.R.S.S., il prit rapidement ses distances par rapport aux communistes qu'il accusa de méconnaître la spécificité de l'expérience surréaUste, irréductible à l'économique et au social. Breton a été le principal artisan des ouvrages théoriques du surréalisme ; il a écrit aussi en collaboration avec Soupault, Éluard. En poésie comme en prose, Breton a le secret des images frappantes, insolites. Son chefd'œuvre est peut-être le court récit de Nadja (1928), du nom de l'héroïne, jeune femme mystérieuse aux « yeux de Il l'a

et plus

définir, à l'orienter, et

Le XX« siècle

/

277

» qui est pour le narrateur moins la partenaire d'une histoire d'amour qu'une initiatrice plus familière que lui-même au monde surréel.

fougères

Louis Aragon^ du Surréalisme au communisme. Aragon

fut,

avec Breton, un des fondateurs du Surréa-

lisme. Après avoir participé à toutes les premières batailles, s'éloigne de l'orthodoxie surréaHste, représentée par il Breton, pour adhérer à l'orthodoxie communiste. Après

un voyage en U.R.S.S. (1930), la rupture a éclaté. Dans Hourra V Oural (1934), Aragon se fait le chantre de la révolution russe. Alors s'ouvre pour lui une période féconde de production romanesque (cf. p. 268). La défaite de juin 1940, l'occupation et la Résistance réveillent son inspiration poétique. Dans d'admirables recueils {Le Crève-Cœur y 1940 ; Les Yeux d'Eisa, 1942 ; La Diane Française, 1944), le thème de l'amour se mêle subtilement à celui de la patrie. Le Roman inachevé (1956), Le Fou d'Eisa (1963) complètent cette œuvre riche et variée. Virtuose admirablement maître de son archet, Aragon arrive à faire vibrer, à côté des mots trop neufs, prosaïques et qui « détonnent » volontairement (« J'ai retiré ce radium de la pechblende »), des vers d'une ampleur et d'une sonorité raciniennes :

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer... (Les Yeux d'Eisa.)

Habile à déchiffrer le jeu savant des symbolistes de la Renaissance, il sait aussi retrouver le secret des « ballades » populaires :

J'ai traversé les

C'est



ponts de



que tout a commencé

pu introduire, dans telle émouvante description des paysages français d'une pureté presque classique, l'écho vif et vengeur des chansons d'autrefois et a

:

Les

lauriers sont coupés,

Compagnons de

la

Qu'importe que

je

Le

Ma patrie

mon

est la

il

est d'autres luttes,

Marjolaine...

meure avant que s'il doit renaître un

visage sacré,

Dansons, ô

mais

se dessine

jour.

enfant, dansons la capucine! faim, la misère et l'amour. (Plus belle que les Larmes.)

278

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Paul Éluardy poète limpide

et

généreux.

Co-fondateur du Surréalisme, Éluard (1895-1952) apporta aux nouvelles recherches de ses amis la contribution d'un tempérament poétique incomparable. Capitale

U

de la douleur (1926), Amour la poésie (1929), La Vie immédiate (1932) illustrent magistralement une poésie qui se meut aux confins du réel et du surréel. Comme pour Aragon, les épreuves de l'occupation allemande sont pour Éluard l'occasion d'un renouvellement de son inspiration. Poésie et vérité (1942), Au rendez-vous allemand (1944)

chantent

les

drames de

un monde de

la patrie

meurtrie et l'aspiration

Moins entier que habile peut-être qu'Aragon, Éluard a composé des poésies au charme simple, malgré de surprenantes images, où les mots de tous les jours prennent un reUef et une charge poétique étonnants. Son hymne à la liberté est resté justement célèbre à

Breton,

fraternité et d'amour.

moins

:

Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris

ton

Sur toutes Sur toutes

nom

pages lues pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'écris ton nom. les

les

(Poésie et vérité.)

En

dehors du Surréalisme, Bien que le SurréaUsme ait profondément marqué la production poétique de son époque, certains poètes, soit par doctrine, soit par tempérament, soit par le jeu des circonstances, ont à peu près complètement échappé à son influence. Jules Supervielle (1884- 1960) a partagé son cœur et sa vie entre l'Uruguay, sa terre natale, et la France, sa patrie d'adoption. Il s'est complu à des visions à demi chimériques, à la description de spectacles changeants :

Faisant bouger le jour de votre pas tranquille Vous hâlez bellement les coteaux étalés, Et savez retenir les lointains indociles ; Les arbres d'alentour fréquentent vos vallées.

)

Le XX^ siècle

n'est pas de

Il

parfum, d'herbe ni de feuillage

Qui ne connaisse en vous Et

En

l'ivresse

du

passage.

nuées vos gestes vivants volent se transmuer.

les rivières, les collines, les

Cette peinture d'une promeneuse s'apparente aux toiles impressionnistes de Matisse. Évocateur d'images indécises qui se font et se défont comme des nuages ou des gestes, il dit le contour flottant des rêves et des choses, l'émergence des formes et des êtres dans la nature immense aussi bien que dans les nappes de la subconscience ( La Fable du Monde Une inspiration plus sévère, plus douloureuse, dicte les poèmes de Patrice de La Tour du Pin (né en 1911), dispensateur d'images tourmentées et confuses, évocateur des temps maussades de l'automne. Dans sa Quête de Joie, l'élément descriptif et l'élément philosophique se corroborent et concourent à créer une atmosphère de mysticisme anxieux et passionné .

:

Longtemps

avait soufflé ce vent

du Nord où passent

Les Enfants sauvages, fuyant vers d'autres cieux Par grands voiliers, le soir et très haut dans l'espace J'avais senti siffler leurs ailes dans la nuit.

;

Par la distinction de leur langage, par l'harmonie douce de leurs vers. Supervielle et La Tour du Pin expriment en quelque sorte un idéal de poésie purement artistique et désintéressé.

Jean Cocteau (1892- 1963), dont le souple talent s'adapte à tous les genres, très doué, trop doué peut-être, Pierre- Jean Jouve (1887- 1977) et Pierre Emmanuel (né en 1916), poètes d'inspiration chrétienne, ont aussi contribué à assurer la vitalité de la poésie. 7>lais il faut faire une place à part à Saint-John Perse (1889- 1875), pseudonyme d'un diplomate de haut rang, Alexis Léger. Son premier grand recueil, Anabase, date de 1924 ; ses autres poèmes ne furent publiés qu'après la Seconde Guerre mondiale Exil (1944), Vents (1947), Amers (1957). En i960 il a obtenu le Prix Nobel de Littérature. Saint-John Perse a écrit une œuvre puissante, que sa richesse, son foisonnement rendent parfois un peu difficile. Comme Claudel, il a refusé le cadre trop étroit de la métrique traditionnelle pour s'exprimer en phrases longues, dont l'ample respiration s'accorde à la volonté de dilater le langage aux dimensions du cosmos. :

/

279

280

Le

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

/

théâtre entre les

deux guerres

• La mise en scène. Quelques metteurs en scène, passionnés de théâtre, refusent de se laisser enfermer dans leur rôle de techniciens pour jouer de plus en plus, tant auprès du public que des acteurs, voire des auteurs, le rôle d'animateurs.

LuGNÉ-PoE (1869- 1940) au théâtre de l'Œuvre puis Jacques Copeau (1879- 1949) furent à ce propos des Copeau

insiste sur la rigueur, le dépouilstyhsation du décor, le tout au service du texte. Le temple de ce nouveau culte théâtral est le théâtre du Vieux Colombier, où Copeau présente non seulement les œuvres classiques (Shakespeare, MoUère) mais aussi les pièces de ses contemporains (Gide, Claudel). Son influence a été considérable et lorsqu'il a quitté le Vieux Colombier, en 1924, la relève était assurée par quatre hommes qui, dans la diversité de leur tempérament, partageaient son idéal et dont certains avaient même été initiateurs.

lement, et

même

en quelque sorte

la

ses disciples.

• Le Cartel des Quatre. On appelle ainsi l'espèce d'association que formèrent en 1926 pour mieux soutenir une même cause, celle du théâtre, Pitoefif, Dullin, Jouvet et Baty.

Georges Pitoeff (1884- 1939). d'origine russe, s'est surtout employé à faire connaître les œuvres d'auteurs étrangers. Oscar Wilde, Bernard Shaw et surtout Pirandello, Tchékhov, Ibsen, Strindberg. Il trouva dans sa femme Ludmilla une auxihaire dévouée et pleine de talent.

Charles Dullin (1885-1949) a attaché son nom au théâtre de l'Atelier. Metteur en scène, acteur, professeur d'art dramatique, il a exercé une grande influence et beaucoup de jeunes interprètes se sont réclamés de lui. Gaston Baty (i 885-1952) s'est illustré au Studio des Champs-Élysées puis au Théâtre Montparnasse, qui porte aujourd'hui son nom, dans les comédies de Musset. On lui monté la première œuvre de Brecht en France, L'Opéra de quaf sous, en 1930. Louis Jouvet (1887-195 i) a joué à la Comédie des Champs-Élysées puis à l'Athénée. Il s'est illustré aussi doit d'avoir

Le XX^ siècle

/

281

U

Annonce le Knock de Jules Romains que dans Marie de Claudel. Mais le sommet de sa carrière coïncidé avec sa rencontre de l'œuvre de Giraudoux dont

bien dans faite à a

devint l'interprète régulier et privilégié et dont il aida École des Femmes de Molière, succès. La création de dans un décor de Christian Bérard, fut une de ses grandes

il

le

U

réussites.

Le comique à Sacha Guitry (1885-1957) fils du célèbre acteur Lucien Guitry, fut un auteur d'une rare fécondité. Il connut un des plus vifs succès de son époque, mais ses pièces, bourrées de mots d'auteur, habiles mais minces, sont aujourd'hui démodées et oubUées. Édouard Bourdet (i 887-1944) a montré plus de profondeur et de vigueur dans la satire. Les Temps difficiles (1934) fustigent la rapacité de la grande bourgeoisie et ne manquent pas d'accent. Il eut en outre une activité heureuse à la Comédie Française, dont il fut administrateur et dont il ouvrit largement les portes aux mises en scène du Cartel des Quatre. Marcel Pagnol (1895-1974). Pagnol a conquis sa première gloire avec Topaze (1928) qui raconte l'ascension, puis le triomphe d'un médiocre et honnête professeur de cours privé devenu un cynique et malhonnête homme d'affaires. On pourrait trouver dans la pièce l'amorce d'une critique de la société qui permet pareille métamorphose. Mais l'aimable talent de Pagnol n'a pas tenté d'acérer ses traits et ce Provençal de naissance a préféré mettre en scène sans méchanceté, sinon sans malice, les types savoureux d'une région qu'il connaît bien, et rendre populaire ces caricatures pittoresques et bon enfant. MariuSi Fanny et César constituent autour des années 1930 une trilogie marseillaise dont l'adaptation au cinéma a encore élargi l'audience. Marcel Achard (1899- 1974) dont les œuvres les plus connues sont Voulez-vous jouer avec moâ ? (1923), Malbrough s'en va-t-en guerre (1924), La Vie est belle (1928) et surtout Jean de la Lune (1929), fait évoluer ses personnages dans un monde où le rêve et la réalité s'entrelacent et dont les demi-teintes ne sont pas sans charme. Jules Romains qui est plus un romancier (cf. p. 269) qu'un dramaturge, a cependant connu un premier succès avec sa farce de M. Le Trouhadec saisi par la débauche (1923)

la scène.

282

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

dont

personnage principal reparaîtra dans Donogoo Mais son œuvre la plus célèbre reste Knock (1923). Knock est un charlatan dont la compétence médicale est des plus sommaires mais qui a assez d*audace pour acheter la médiocre cUentèle d'un brave médecin de campagne, le

(1930).

Parpalaid, à qui des décennies d'activité sont loin d'avoir apporté la richesse. Le Knock entreprend de retourner cette situation et y réussit plus préoccupé d'assurer le triomphe de la médecine (c'est le sous-titre de la pièce) que de la guérison des malades, il finit par persuader à peu près toute la population d'avoir recours à ses services, grâce à un certain nombre de procédés d'une honnêteté douteuse, dont le plus efficace est l'aphorisme célèbre les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent. Knock, riche et respecté, connaît un ultime triomphe celui de voir son prédécesseur, le Parpalaid, aspirer à devenir son patient. Jules Romains a les quahtés d'un homme de théâtre son style est vigoureux, riche en formules qui passent bien, et il a le sens des situations le

:

:

:

:

dramatiques. Knock est une satire de la médecine qui dans une tradition illustrée par Mohère et par les fabUaux. Mais par-delà les médecins et leurs travers éternels, c'est la nature humaine, dont la sottise rend possible l'imposture, qui fait les frais de la comédie. Armand Salacrou (né en 1899) est l'auteur d'une s'inscrit

œuvre

très diverse et difficile à classer.

A

la fois écrivain

proche du surxéaUsme, censeur de la classe bourgeoise et lui-même grand bourgeois, s'inspirant de la tradition de la farce tout en confiant à son œuvre une inquiétude métaphysique, il doit l'essentiel de son succès à quelques pièces aux quahtés indiscutables comme V Inconnue d'Arras (1935), La Terre est ronde (1938), L'Archipel Lenoir (1947), sa meilleure pièce, au comique grinçant qui s'exerce aux dépens d'une grande famille de distillateurs.

engagé

Le

sens

du

et

tragique^ sa problématique.

François Mauriac est, comme Jules Romains, un romancier qui a été attiré par le théâtre, mais, à sa différence, son œuvre de romancier est dans l'ensemble très antérieure à son œuvre de dramaturge. Celle-ci se réduit à deux pièces Asmodée (1937) et Les Mal Aimés (écrite en 1939, jouée en 1945). Asmodée nous fait pénétrer dans une riche famille landaise ; la maîtresse de maison, Mme de Barthas, :

~

Le XX« siècle

qui est veuve, est aimée en secret par le précepteur de ses enfants, qui la domine faute de pouvoir la posséder ; quant à elle, elle est troublée par le jeune adolescent anglais, contemporain de son fils, qui vient passer les vacances chez elle et qui sera aimé de sa fille. Cet entrecroisement de passions n'entraînera pas de fin sanglante, mais les personnages paieront cher en résignation et en le calme revenu. Les Mal Aimés sont de la même encore une famille de bourgeoisie landaise, avec un homme seul cette fois, entouré d'une fille aînée, Élisabeth, qu'il tyrannise et d'une cadette, Marianne, qu'il ignore. La présence d'un jeune homme qui désire épouser Elisabeth est pour le père l'occasion d'un jeu cruel et égoïste entre les deux sœurs pour empêcher le bonheur de l'aînée qui consacrerait sa solitude. La pièce est l'histoire de tous ces déchirements. Le décor des pièces de Mauriac est le même que celui de ses romans région du sud-ouest, haute bourgeoisie, et ses personnages y sont agités des mêmes passions brûlantes où l'amour et la haine, l'égoïsme et la générosité, voisinent, et en quelque sorte, pactisent étrangement. Ce sont encore, comme les romans, des tragédies du péché. Jean Giraudoux (1882- 1944). Giraudoux est né à Bellac, au cœur du Limousin, dont il donnera souvent, dans son œuvre, une image poétique. Au lycée de Châteauroux non seulement il fut bon élève, mais il ne devait jamais rougir de l'avoir été. De brillantes études marquées par son entrée à l'École Normale Supérieure l'amenèrent finalement, après quelques détours, à la carrière diplomatique qu'il quitta en 1939 pour devenir un éphémère ministre de l'Information. Les premières œuvres de Giraudoux sont des recueils de nouvelles. Provinciales École des indijférents (191 1), Arnica America (1909). (19 19) et des romans comme Simon le pathétique (19 18), Siegfried et le Limousin (1922), Juliette au pays des hommes, Bella (1925), Aventures de Jérôme Bardini (1930). On pourrait aussi bien appeler contes ses nouvelles et ses romans, car Giraudoux, qui n'a aucun souci réaliste, emmène volontiers ses personnages et son lecteur dans une aventure en partie irréelle dans un monde à la fois abstrait et féerique qui donne plutôt les plaisirs de l'évasion que ceux de l'analyse. Un pubUc restreint était séduit par ces premiers essais d'autant qu'ils s'exprimaient en un style d'un raffinement extrême, précieux, recherché et cependant coulant. Les

amertume

encre

:

:

U

/

283

284

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

mêmes qualités se retrouveront dans les deux derniers romans Combat avec F Ange (1934) et Choix des élues (1939). Mais c'est au théâtre que Giraudoux a donné ses plus grandes œuvres. Il est possible que son style un peu foisonnant lorsqu'il n'était soumis à aucune règle ait parti:

culièrement bénéficié des astreintes imposées par le genre du théâtre. Lorsqu'on écrit pour la scène, les exigences de communication immédiate imposent la sobriété, l'efficacité, la simplicité. Giraudoux en prit tout de suite conscience d'autant mieux que Jouvet était bien placé à ses côtés pour les lui rappeler et pour aider ce précieux à devenir un classique. Sa première pièce, Siegfried (1928) tirée du roman du même nom glose sur le thème de l'amnésie, et de la nécessaire réconciliation entre la France et l'Allemagne. Les mythologies antique {Amphitryon 38, 1929 ; La Guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935 ; Électre, 1937)5 bibhque (Judith, 193 1 ; Sodome et Gomorrhe, 1943), germanique (Ondine, 1939)5 parfois la fantaisie pure (Intermezzo, 1933 ; La Folle de Chaillot, 1945) vont tour à tour nourrir cette œuvre qui vaut sans doute moins par sa substance que par son style, bien qu'en un sens l'un et l'autre soient inséparables. Giraudoux ne se désintéresse pas

dont

absolument du monde

préoccupations se retrouvent dans son œuvre sa première pièce, Siegfried, était inséparable de son contexte historique, les lendemains du conflit de la Première Guerre mondiale, tandis que sa pièce la plus célèbre et la plus réussie, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, fait largement écho aux préoccupations de tous ceux qui sentaient monter les périls d'une seconde guerre mondiale. Derrière l'affabulation antique qui reprend le vieux mythe grec du rapt d'Hélène et de la Guerre de Troie, c'est à l'affrontement franco-allemand que Giraudoux pense et nous invite à penser. Quand le destin, depuis des années, a surélevé deux peuples, quand il leur a ouvert le même avenir d'invention et d'omnipotence..., quand par leurs architectes, leurs poètes, leurs teinturiers, il leur a donné à chacun un royaume opposé de volumes, de sons et de nuances..., réel

les

:

aux de couleur et d'épanouissement, mais de ménager son festival, le déchaînement de cette brutalité et de cette folie humaine qui seules rassurent l'univers sait bien qu'il n'entend pas préparer ainsi

hommes deux chemins

les dieux.

(La Guerre de Troie rCaura pas

lieu.)

Le XX« siècle

On

que la guerre est présentée en termes de destin, que la pièce de Giraudoux, en dépit de scènes où domine l'humour, est une tragédie. Les bonnes voit

c'est-à-dire

volontés conjuguées d'Ulysse, d'Hector et de quelques autres ne prévaudront pas contre la fatalité. Le tragique de La Guerre de Troie n'aura pas lieu s'exprime par le décalage entre son titre et son dénouement. Puisque le monde réel, en dépit de tous les efforts, est décidément le lieu des malheurs et des catastrophes, Giraudoux nous convie à le suivre dans un univers idéal, d'où les grands sentiments et les grandes passions, sources « C'était de mésentente et d'affrontement, sont exclus magnifique, c'était sans amour! » Sodome et Gomorrhe. Aux passions de l'amour on préférera une tendresse élégante, compatible avec la fantaisie et l'émerveillement, une sorte de « politesse envers la création », une « certaine manière d'offrir, au lieu de votre bouche à une autre bouche, votre langage à un autre langage. » Précisément cet univers giralducien, la sagesse qu'on doit pratiquer pour y goûter pleinement le bonheur, impliquent, dans tous les sens du terme, un style. Au niveau des mots, Giraudoux est un maître dans le maniement de leurs nuances les plus ténues, parfois les plus artificielles. Comme son héroïne Alcmène, dans Amphitryon 38, on peut dire qu'il préfère aux franches couleurs :

de l'arc-en-ciel le mordoré, le pourpre et le vert-lézard. La gloire de Giraudoux, très brillante de son vivant, connaît actuellement une certaine éclipse la quête individuelle de bonheur que poursuit ce « sourcier de l'Éden », sa relative indifférence à la pohtique, son culte de la forme et du beau langage sont peu en accord avec les tendances de l'époque présente. Mais il reste un grand maître du théâtre qui a constitué avec son ami et interprète Louis Jouvet une équipe irremplaçable. Et dire que son esthétique, où classicisme et préciosité se conjuguent en un alliage délicat, est en effet assez spéciale, c'est lui reconnaître une grande originalité. :

Jean Anouilh et j'en suis très

(19 10- 1987). « Je n'ai pas de biographie, content », déclara un jour Anouilh pour

décourager les indiscrétions d'un journaliste. Il faut savoir seulement qu'il est né à Bordeaux, qu'il est venu très jeune poursuivre ses études à Paris, qu'il n'a jamais fait de journalisme, enfin qu'il vit du et pour le théâtre.

/

285

286

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Sa carrière s*est épanouie sous roccupation et après la Seconde Guerre mondiale, mais elle avait commencé bien avant avec Hermine (1932), suivie du Voyageur sans bagage (1937) et de La Sauvage (1938). Avec cette dernière pièce, on voit déjà se dessiner les grands traits de l'univers dramatique d'Anouilh, un univers manichéen où le Bien et le Mal se combattent en un affrontement qui oppose la race d'Abel et la race de Caïn, comme Anouilh dira plus tard en employant une terminologie biblique déjà utihsée par Baudelaire. Le personnage qui donne son nom à La Sauvage est une jeune fille, Thérèse, que la veulerie de sa famille a exposée dès l'enfance aux atteintes du Mal. Elle partage l'existence minable d'un père et d'une mère sans honneur jusqu'au jour où elle rencontre un compositeur de musique. Celui-ci appartient à la race bénie jeune, riche, génial, amoureux, il a reçu tous les dons. Le bonheur sera impossible entre lui et Thérèse qui, à la fin de la pièce, « part toute menue, dure et lucide, pour se cogner partout dans le monde. » On retrouve la même opposition des deux races dans Antigone (1944) reprise du mythe antique où Antigone incame la pureté absolue devant Créon, le pohtique réaliste qui va la faire tuer. Mais alors que chez Sophocle Antigone représentait la révolte de la conscience morale, fidèle aux lois non écrites, contre les injustes obUgations des lois de la cité, Anouilh a fait en sorte que dans la pièce le combat soit dépouillé de son sens Antigone ne sait plus trop pourquoi elle meurt et le grand vainqueur de l'affrontement est finalement l'Absurde. Anouilh a contribué à exploiter cette idée après la guerre, c'est-à-dire à une époque particuhèrement bien faite pour la comprendre. La plupart de ses pièces furent-elles aussi de grands succès Roméo et Jeannette (1946), Invitation au château (1947), Ardèle ou la Marguerite (1948), La Répétition ou V amour

V

:

:

:

U

/)Mm (1951).

Anouilh est un écrivain de théâtre ; son évocation de la noirceur, même lorsque la pièce est dite « rose » ou « brillante », s'exprime en un style vigoureux qui passe la rampe. Certains de ses mots, qui sont moins des mots d'auteur que des formules résumant une situation de manière saisissante, sont en passe de devenir classiques. Ce style grinçant et fort, cette maîtrise du dialogue, ce sens très sûr des exigences scéniques, comportent parfois ime certaine complaisance.

Le XX^ siècle

Du

/

287

côté des critiques.

Aux frontières de la littérature et de la philosophie, les Propos d' Alain (1868-1961) d'inspiration rationaUste, connurent un vif succès entre les deux guerres. Dans de courts entretiens, d'une démarche sinueuse et imprévue, empruntés comme ceux de Montaigne aux occasions courantes de la vie, Alain remonte aux phénomènes les plus simples, aux réflexes antiques de l'animal humain, à ses besoins et rites immémoriaux pour expHquer encore, dans notre existence compliquée par le macfdnisme, les besoins primordiaux et éternels de l'homme, sa soumission (qu'il voudrait réduire aux plus justes limites) aux lois de la vie sociale et la contrainte que les saisons, la nuit, la fatigue physique, tous les obstacles salutaires de la réaUté opposent à l'eflfort ambitieux de son esprit {Les Idées et les Ages, 1927). richesse d'analyse, mais plus curieusement tournée vers la vie intime de l'âme, se révèle dans les Carnets de Captivité de Jacques Rivière (1886-1928),

Même

jeune romancier mort prématurément en 1925 dont, en exil, l'inquiétude se tournait, pressante et candide, vers les choses spirituelles, À la trace de Dieu. Tout ce surcroît de renseignements et cet enrichissement de « l'esprit de finesse » que la philosophie bergsonienne et la psychologie moderne ont apportés devaient naturellement élargir et avantager la critique Uttéraire. Aussi, au lieu de vouloir définir une œuvre d'après ses sources et son objet, un écrivain d'après les relations extérieures de race, niiUeu et moment, on voit les critiques contemporains chercher, par sympathie intuitive, à retrouver l'inspiration même qui a guidé l'auteur, à recomposer avec lui son œuvre par le dedans en vertu des lois propres et du dynamisme intérieur qui lui en ont imposé la production. Méthode délicate souvent hypothétique, mais d'un vif intérêt et qui donne leur originaUté aux études d' Albert Thibaudet (1874-1936), de Pierre Quint et de Ramon Fernande z de Molière^ 1929) ; qui a permis à Mauriac de mettre à nu l'âme secrète, l'ambition, les scrupules, les angoisses d'un Racine et d'un Biaise Pascal. André Maurois (1885-1967), disciple d'Alain, a écrit des biographies très appréciées de George Sand, Shelley, Hugo, Balzac, Proust. Charles Du Bos (1882- 1939) d'inspiration chrétienne, Julien Benda (1867- 1956),

288

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

André Suarès

(1868- 1948) témoignent de la richesse de à celle de la création littéraire. Il faut mentionner tout spécialement la Nouvelle Revue Française fondée en 1909 par Gide, Schlumberger (18771968) et Copeau. A la fois revue, maison d'édition et cercle amical, elle exerça une grande influence et sur les auteurs et sur le public entre les deux guerres. la critique parallèle

La

littérature après

1945

une production

est contemporaine, plus il est d'en apercevoir, à plus forte raison, d'en hiérarchiser les valeurs. L'époque présente est marquée par un éclatement des genres encore plus net qu'au siècle précédent, voire par leur remise en question radicale. Tout au plus est-il possible de distinguer quelques personnalités de premier plan qui se sont imposées dans le ou les genres qu'elles ont pratiqués et qui dominent l'immédiate aprèsguerre. La guerre elle-même et l'occupation avaient contribué à renouveler l'inspiration des poètes issus du surréalisme comme Éluard et Aragon mais il y a peu de grandes œuvres de prose parmi toutes celles qu'elles ont directement suscitées. Citons cependant Drôle de Jeu, de Roger Vaillant et surtout Le Silence de la Mer, de Ver CORS (né en 1902), nouvelle d'une pathétique sobriété.

Plus

difficile

Romanciers

et essayistes

L'Existentialisme Sartre a résumé et vulgarisé en 1947 les thèses principales de l'existentiahsme dans un court essai intitulé Existentialisme est un humanisme. Après avoir critiqué les philosophies spirituaUstes selon lesquelles le concept d'homme est dans l'entendement divin antérieur à l'existence des hommes, il ajoute

U

:

L'existentialisme athée déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède

Le XX« siècle

/

289

un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'honrune. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde et qu'il se définit après. L'homme, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu l'essence,

pour

la

concevoir,

Sartre^ témoin des contradictions de son temps. Bien qu'il ait commencé à écrire un peu avant la Seconde Guerre mondiale, Sartre (1905- 1980) est un des écrivains les plus représentatifs de la littérature et de la pensée française d'après-guerre. Son premier roman La Nausée (1938) et un recueil de nouvelles Le Mur (1939) laissaient déjà pressentir les grandes lignes de son système. Mais il ne Ta vraiment exposé de façon cohérente que dans VÊtre et le Néant (1943), ouvrage philosophique dont la relative difficulté d'accès ne gêna nullement la vogue de l'existentiaUsme athée. A la nouveauté même de ce système, né de la méditation sur certains philosophes allemands, notamment Hegel et Heidegger, venaient s'ajouter quelques éléments pittoresques, comme les fréquentes apparitions de Sartre ainsi que de son amie et disciple Simone de Beauvoir, elle-même écrivain de talent, au café de Flore, au cœur de Saint- Germain des Prés, si bien que TexistentiaUsme sartrien, pendant les premières années de l'après-guerre, disputa au marxisme les faveurs de la jeunesse du Quartier latin. La fécondité de Sartre, son aptitude à réussir brillamment dans les genres httéraires qu'il abordait, surtout au théâtre, (cf. p. 293) ont fait rapidement de lui le plus éminent des écrivains de sa génération, et même un maître à penser. Il dispose en outre, avec la Revue des Temps Modernes^ dont il est le directeur, d'une tribune où il commente avec âpreté et de brillants dons de polémiste l'actuahté poUtique et intellectuelle. Par ses positions pratiques, sinon par ses convictions idéologiques, Sartre a été parfois très proche des communistes qui ont souvent fait preuve envers lui d'une réelle hostihté. Il s'est séparé d'eux à la suite de la répression soviétique en Hongrie (oct.-nov. 1956) et s'est rapproché récemment de divers groupes gauchistes d'inspiration maoïste.

290

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

L'Existentialisme, qui n'a jamais été vraiment une école, à peine un groupe d'amis, exprime ime conception désespérée de la vie humaine, insérée par l'effet du hasard dans un monde extérieur hostile et odieux c'est à l'individu de se frayer sa voie, s'il peut, dans ce cloaque et, en forgeant pour son compte des valeurs nouvelles, de retrouver les chemins de la hberté. :

Sartre romancier. Cette théorie s'incarne dans ime production de choc et de scandale qui insiste sur les aspects les plus écœurants de la nature humaine, sur les scènes de crapiUerie et d'horreur, qui cherche ses effets diamétralement à l'opposé de l'art classique par l'exhibition de la laideur et de l'ordure dans les choses, de la vulgarité et de la veulerie dans les caractères autant que dans le style. C'est le cas de La Nausée, son roman le plus célèbre et le plus réussi, où Sartre met en scène Antoine Roquentin qui poursuit mollement à Bouville (Le Havre) des travaux historiques et traîne de café en café une existence morne jusqu'au jour où il éprouve pour de bon la nausée. La nausée est un sentiment complexe qui n'est pas hé à des éléments psychologiques il est la prise de conscience d'une angoisse métaphysique. Rien de ce qui existe n'a sa raison d'être, telle est l'évidence longtemps cachée dont la découverte bouleverse Roquentin. Sa propre existence « Moi aussi, constate-t-il, j'étais n'est pas mieux fondée de trop pour l'éternité. » Du moins La Nausée s'achevait-elle sur un fragile espoir, celui de vaincre l'obsédante contingence des choses en donnant un sens à la vie par la création artistique. Mathieu, héros veule des Chemins de la Liberté n'apercevra même pas cette lueur. De même les nouvelles du Mur présentent-elles des personnages et des situations :

:

sans espoir.

Sartre et la littérature. Sartre s'est souvent interrogé sur la littérature. Attaquant violemment les esthétiques ou les courants de pensée qui prônaient plus ou moins directement l'irresponsabilité de l'artiste, il a lancé en 1947 l'idée et la formule de la littérature engagée : l'artiste doit utiUser son art, le prestige et l'audience qu'il lui vaut, pour intervenir dans les

Le XX^ siècle

/ 291

promotion des déshérités. étude sur Baudelaire (1947), une sur Flaubert (1972) témoignent de la curiosité de cet essayiste qui est souvent un pamphlétaire. Cependant, depuis son rapprochement récent avec certains mouvements d'extrême gauche, Sartre semble faire le procès de toute la httérature, y compris la sienne l'aspect terroriste de sa pensée et de sa personnaUté est celui qui appafaît le plus actuellement. conflits politiques et soutenir la

Une

:

Simone de Beauvoir^

la femme et

rengagement.

Amie et disciple de Sartre, Simone de Beauvoir (19081986) a publié plusieurs romans dont VInvitée, Le Sang des Autres, Les Mandarins, chronique des années d'aprèsguerre et de leurs grands débats intellectuels, avant de s'intéresser aux questions féministes (Le Deuxième Sexe), et de faire le point des expériences de sa vie (Mémoires d'une jeune fille rangée, La Force de Vâge, La Force des choses).

Albert Camus; la Révolte contre

Né à Alger, en 191 3, Camus allait s'engager dans la carrière universitaire lorsqu'une maladie interrompit ses études. Dès lors, il voyagea et fit du journahsme. Après la défaite de 1940, il prit ime part active à la Résistance dans le groupe Combat et il fut quelque temps, au journal du même nom im des plus grands éditorialistes de la presse française de l'immédiat après-guerre. En 1942 il avait publié un court roman, L'Étranger, d'inspiration et de style tout à fait originaux. L'étranger, Meursault, le héros du livre, mène l'existence sans intérêt d'un petit employé dans im monde qui lui apparaît absurde. jour, sur une plage algérienne, éblouie de soleil, il a tué un Arabe sans trop savoir pourquoi. Arrêté, accablé par des témoignages qui semblent prouver son indifférence radicale, il est condamné à mort. UÉtranger symboUse l'homme écrasé par un enchaînement de forces que non seulement il ne domine pas mais qu'il ne comprend même pas. Pour en souUgner l'absurdité. Camus a employé un certain ton, un certain style dépouillé à l'extrême, d'une objectivité parfaite, qui ont fait date dans l'histoire du roman français et qui donnent à son court récit une étonnante force sugges-

Un

tive.

V Absurde,

292

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

La même année. Camus posait la théorie de TAbsurde avec Le Mythe de Sisyphe, essai philosophique qui prenait cette fois pour héros Sisyphe, personnage de la mjrthologie grecque condamné à rouler jusqu'au sommet d'une montagne une grosse pierre qui en retombait sans cesse. Mais cette expression particuhèrement vigoureuse de l'absurde indiquait aussi la voie d'une solution. Alors que Étranger était ballotté par des événele Meursault de ments ininteUigibles, Sisyphe est conscient de l'absurde et accepte de l'affronter. Il n'y a de salut pour l'homme que dans un effort soHtaire et une attitude de révolte qui lui permet de témoigner de sa seule vérité qui est le défi. Les derniers mots du Mythe de Sisyphe sont à cet égard

U

« La lutte elle-même rempUr un cœur d'homme. Il

significatifs

à

vers les sommets suffit faut imaginer Sisyphe Ces idées seront reprises et développées en :

heureux. » Homme révolté. 1951 dans Mais auparavant Camus avait pubhé La Peste (1947) son second grand roman. L'histoire imaginaire d'une épidémie de peste à Oran lui permet d'incarner une nouvelle fois ses idées dans des personnages attachants devant cette peste qui symbolise le mal, chacun réagit selon son tempérament et ses idées. Alors que la résignation chrétienne apparaît paresseuse et inadaptée. Camus a accordé toute sa sympathie à un petit groupe d'hommes qui luttent de leur mieux avec les moyens du bord contre le fléau, comme Tarrou, qui voudrait « être un saint sans Dieu », et surtout le D'" Rieux, porte-parole de l'auteur, dont l'ambition a la sobre grandeur de vouloir être un homme. Telle est la leçon de ce Uvre qui souhgne la nécessité d'affronter le Mal non pas dans l'ordre dispersé d'un individuahsme anarchique, qui pourrait tout juste permettre d'être heureux tout seul, mais dans le cadre d'une soHdarité chaleureuse. Camus est une des figures les plus importantes de l'après-guerre. Peut-être est-il un penseur moins vigoureux que Sartre, mais c'est un grand artiste chez qui la sobriété n'exclut ni l'émotion devant le malheur des hommes ni la sensibilité au pittoresque méditerranéen, chanté à l'occasion de petits essais comme Noces ou UÉté. Il a obtenu le Prix Nobel en 1957. Sa vie, comme pour donner une dernière illustration à sa pensée, s'est achevée dans le tragique absurde d'un accident de la route

U

:

en i960.

Le XX« siècle

/

293

En dehors de ces romanciers inspirés par Texistentialisme ou la philosophie de Tabsurde, on peut citer Roger Vailland (1907-1965), dont la carrière commencée avec Drôle de Jeu (1945) s'est poursuivie avec Les Mauvais Coups, La Loi, La Fête; Julien Gracq (né en 1909) épigone du Surréahsme, dont Le Rivage des Syrtes (1951), son chef-d'œuvre, évoque dans un style somptueux un pays imaginaire, lieu d'une fascinante tragédie.

Dramaturges Seconde Guerre mondiale,

le théâtre connaît Cartel des Quatre est assurée par Jean- Louis Barrault, fondateur avec sa femme de la Compagnie Madeleine Renaud- Jean- Louis Barrault qui s'installa au Théâtre Marigny et s'illustra dans des répertoires variés. Plus originale est la tentative de Jean Vilar, fondateur du Théâtre National Populaire, qui a tenté de faire accéder au théâtre le plus vaste pubUc possible, dans la grande salle du Palais de Chaillot ou à l'occasion du Festival d'Avignon, au Palais des Papes. Parallèlement, les écrivains par ailleurs les plus illustres, comme Sartre et Camus, viennent au théâtre, jugeant cette tribune particuhèrement efficace pour diffuser leurs idées. Leurs pièces s'ordonnent en effet autour des mêmes thèmes que leurs autres œuvres avaient déjà fait connaître. côté d'eux, Montherlant, lui aussi romancier, connut

Après

la

un renouveau

:

la relève

du

A

de

vifs succès.

Les pièces de Sartre s'articulent sur une idée. • Dans Les Mouches (1943), reprenant le vieux mythe grec d'Oreste vengeur de son père, il affirme très haut que l'homme s'accomplit et en quelque sorte se crée lui-même par l'exercice de sa Uberté dans l'action. • Huis Clos (1944) a été un grand succès. Sans comporter d'innovations techniques révolutionnaires, la pièce, réduite à une seule scène, avait frappé par sa vigueur, sa concision et la nouveauté de son sujet dans un salon démodé censé représenter l'au-delà, trois personnages médiocres ou criminels, un homme et deux femmes, tentent d'échapper aux actes de leur passé. En vain les couples successifs qu'ils voudraient former ne peuvent échapper au regard du troisième qui rend impossible la comédie. « L'enfer, :

:

c'est les autres.

»

294

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

• Morts sans sépulture (1946), pièce de circonstance faisant écho à la Résistance et à sa répression, pose le problème de la torture. • Plus politique encore, le drame des Mains Sales (1948) pose celui de la fin et des moyens dans l'action politique. Dans un pays imaginaire d'Europe, un jeune intellectuel

communiste d'abattre un des chefs partisan d'une alliance provisoire avec les conservateurs. Lorsqu'il a accompU son acte, le parti a changé sa ligne et adopté précisément celle de sa victime. Devenu « non récupérable », le héros est abattu par ceux est chargé par le parti

de ce

parti,

qu'il avait cru servir. et le Bon Dieu (195 1), vaste fresque un peu touffue. Les Séquestrés d^Altona (1959), illustrent à des titres divers le thème de la morale de l'action. Sartre est un dramaturge habile, qui a eu le souci de se renouveler. Ses pièces ont une composition soUde et la

• Le Diable

langue, vigoureuse, s'impose aisément.

Camus a transposé au théâtre les idées de son SYSTÈME. • Caligula (1942), sa meilleure pièce, met en scène l'empereur romain fou, mais, transformant radicalement le personnage historique, fait de lui le héros de la révolte contre l'impossible. Toutefois sa sohtude vouait d'avance sa tentative à l'échec.

• Le Malentendu évoque le tragique et l'absurde. • UÉtat de Siège est une transposition de La Peste. • Le drame des Justes (1949) clôt cette œuvre théâtrale de quahté, mais qui ne fait pas oubUer les romans.

Henry de Montherlant,

le langage de la grandeur.



à Paris dans une famille aristocratique, Montherlant (1896- 1972) est attiré de bonne heure par des expériences d'action violente. Qu'il soit torero, joueur de football, coureur à pied ou volontaire grièvement blessé pendant la

Première Guerre mondiale,

il

recherche pour lui-même

un accompUssement

individuel avec ce qu'il y entre alternativement de volupté, de sacrifice et de cynisme. L'expérience de la guerre inspire La Relève du matin (1920), Le Songe (1922), celle du sport les Olympiques (1924). Après une période de voyages, Montherlant

pubUe

ses romans majeurs Les Célibataires (1934) et les quatre volumes des Jeunes Filles (1936-39) dont les facihtés d'une insolence Ubertine gâchent quelque peu les quaUtés :

Le XX^ siècle

/

295

de style et d'observation. Quand approche la Seconde Guerre mondiale et notamment après la Conférence de

Munich

Montherlant vitupère violemment les français dans VÉquinoxe de Septembre au nom d'un certain idéal Spartiate puis il exprime sa sympathie pour les régimes forts dans le Solstice de Juin (1941). Mais c'est au théâtre qu'il doit sa gloire la plus durable. En 1942, La Reine Morte est saluée faiblesses

(1938),

du régime répubUcain

comme un chef-d'œuvre. Ferrante, roi du Portugal, voudrait voir son fils Pedro conclure im mariage politique avec l'Infante de Navarre. Mais Pedro est épris d'une jeune fille, Inès, avec laquelle il s'est marié secrètement et dont il attend un enfant. Il refuse donc la proposition de son père sans lui en dévoiler la raison. Lorsque son père l'apprendra, il fera mettre à mort Inès avant d'expirer lui-même. La pièce est dominée par la figure hautaine du roi Ferrante, champion d'un héroïsme dont on distingue toutefois assez mal le contenu. Montherlant aura toujours une prédilection marquée pour ce type de personnages, nobles et purs dans leur langage, mais souvent sceptiques et désespérés au fond d'eux-mêmes, qu'il s'agisse du grand maître d'un ordre chrétien dans le Maître de Santiago (1948) ou d'im condottiere itaUen qui prétend tuer le pape dans Malatesta (1950). Dans la plupart de ses pièces, Montherlant a été soucieux de restaurer la tragédie bien qu'il plante des décors hauts en couleurs que n'auraient pas renié les romantiques il met l'accent sur l'analyse intérieure, dont la complexité n'exclut pas la netteté des traits, et il a un sens aigu de la cérémonie tragique. Toutefois, certaines de ses pièces traitent des mêmes thèmes avec un décor et des personnages de drame bourgeois. :

Même

Montherlant est un écrivain de race. si sa pensée n'a ni la profondeur ni la cohérence qui entraînent l'adhésion, il apparaît comme un maître en matière de style.

Poètes Si l'on excepte les poésies d'Aragon et d'Éluard que la Résistance avait inspirées et qui trouvèrent une audience relativement large à la Libération, le poète le plus populaire de l'après-guerre est Jacques Prévert.

296

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Prévert (1900- 1977) n'a connu le succès qu'en 1946 lorsque furent réunis et publiés sous le titre de Paroles des poèmes dont certains remontaient à plus de quinze ans. Auparavant il avait acquis une légitime réputation de scénariste dans sa collaboration aux grands films de Marcel Pagnol. Histoires, Spectacle (1951), La Pluie et le

Beau Temps (1955) complètent cette œuvre peu volumineuse mais incontestablement originale. Prévert, qui a subi l'influence du surréalisme, s'amuse avec la matière verbale, recherchant le saugrenu, l'insolite, parfois le calembour. Ses thèmes essentiels se rattachent à un anarchisme souriant, mais il est capable aussi de hausser le ton pour dénoncer avec âpreté les tragédies qui ensanglantent l'histoire humaine. En apparence spontané, l'art de Prévert, dont le registre est très large, est très délicat et très conscient.

Henri Michaux

(1899- 1984) avait écrit bien avant la s'est surtout fait connaître par sa propre anthologie, V Espace du Dedans (1944- 1946). FamÛier du surréel et du rêve, Michaux exprime sa vision dans un style qui tire sa vigueur d'une étrangeté singuHère.

Deuxième Guerre (Plume, 1930) mais

René Char

(1903 -1989) a été d'abord surréaUste, ce qui la difficulté de son lyrisme lors même qu'il désire déUvrer aux autres hommes im message de fraternité. Le Poème Pulvérisé (1947), La Parole en Archipel (1962) sont œuvres d'un poète exigeant, mais d'un abord malaisé.

expUque peut-être

et des réussites diverses, Francis 899-1989) auteur du Parti pris des Choses (1942), Raymond Queneau (1903 -1976), Aimé Césaire (né en 191 3), originaire de la Martinique, témoignent de la vitalité d'un genre qui a du mal à trouver un pubUc.

Avec des ambitions

Ponge

La

(i

littérature

en question

Un peu après 1950, sans qu'on puisse en fixer plus précisément la date, on a assisté non pas à la naissance d'une nouvelle école critiquant ses devancières pour substituer sa propre esthétique aux esthétiques du passé, mais à un

Le XX^ siècle

/

297

courant d'idées assez général qui n'a pas instruit le procès de telle ou telle forme de la littérature mais qui a remis la littérature

elle-même en question. Des influences très œuvré dans le même

variées, parfois contradictoires, ont sens.

• le marxisme, à force de dénoncer les injustices de la société dite bourgeoise a fini par rendre suspecte la littérature qualifiée de bourgeoise elle aussi dans son essence lors même qu'elle critiquait la bourgeoisie ;

• une

sorte de néo-surréalisme anarchisant, dont les effervences de mai 1968 ont fait apparaître quelques aspects, s'en prend systématiquement à toutes les valeurs et à toutes les formes d'autorité de la société contemporaine, renouant avec les violences tapageuses des premiers

compagnons d'André Breton dans • dans

le



même

sens, les écoles

les

années 1920 ; dit souvent sémi-

— on

de psychanalyse, dont la vogue et la vitalité sont grandes, tendent à dévaluer l'œuvre et l'art de l'homme conscient, réputé hypocrite ou du moins superficiel, au profit des différents fantasmes que fournit en abondance l'investigation de l'inconscient ; • la vogue de la linguistique invite enfin à s'intéresser au matériel verbal en tant que tel, dût cette préoccupation faire éclater le langage et disqualifier d'avance le message qu'un écrivain aurait d'aventure songé à lui confier. Telles sont quelques-unes des causes les plus importantes de ce changement capital, le premier peut-être dans l'histoire de nos lettres à mériter pleinement d'être appelé une révolution. naires

Le Nouveau Roman Robbe-Grillet (né en 1922) n'est ni le plus ancien, ni peut-être le meilleur représentant de ce qu'il est convenu d'appeler le Nouveau Roman, mais il est le premier à en avoir codifié la théorie précisément sous le titre de Pour un Nouveau Roman (1963), recueil d'articles où il dénonce quelques notions jugées périmées qui avaient fait les beaux jours

du roman

classique

:

• le personnage dont l'étude des états d'âme substance des romans psychologiques ;

faisait la

298

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

• l'histoire, c'est-à-dire l'intrigue racontée ; • V engagement, c'est-à-dire l'idéologie véhiculée ; • la forme et le contenu dont la distinction est un comble d'arbitraire. Reconnaissant sa dette envers quelques prédécesseurs comme Georges Bataille (1897- 1962), Michel Leiris (né en 1901), Samuel Beckett, Maurice Blanchot (né en 1907), Robbe-Grillet s'est efforcé d'illustrer ses théories avec Les Gommes (1953), Le Voyeur (1955). Dans Le Labyrinthe (1959), où une certaine façon de voir les objets, les choses, a remplacé le jeu d'interaction des personnages.

Michel Butor (né en 1926) impose la même présence lancinante des choses grâce à la minutie extrême apportée à la description d'objets dérisoires, un compartiment de chemin de fer, par exemple, décor de La Modification obtint un vif succès. Mais par-delà quelques (1957) artifices rhétoriques (le personnage principal est désigné à la deuxième personne du pluriel), La Modification est im roman d'analyse psychologique très classique. Depuis cette date. Butor a évolué et sa recherche l'a entraîné sur d'autres chemins. Représentant talentueux de l'École du Regard, comme Marguerite Duras

il

est l'auteur

de

plusieurs fiims.

Nathalie Sarraute (née en 1902) avec

le

Planétarium

(1959), Marguerite Duras (née en 19 14) avec Moderato Cantabile (1958), Claude Simon (né en 191 3) avec La Route des Flandres (i960). Histoire (1967), peuvent être, en dépit de la diversité de leur talent et de leur écriture, rattachés à la même école.

Le Nouveau Théâtre L'évolution est ici parallèle à celle du roman le personnage, l'intrigue, le langage sont aussi en accusation. Ionesco (né en 1912) a connu de vifs succès avec La Cantatrice chauve (1950), La Leçon (1951), Les Chaises (1952) où les personnages n'ont d'autre épaisseur que celle d'un langage dérisoire, dont la seule signification est l'Absurde. Le Rhinocéros (1959) marque peut-être une rupture encore que le sens de la pièce soit fort ambigu. Le Roi se meurt (1962) est ime puissante parodie de Shakespeare. Beckett (né en 1906) doit sa gloire à En attendant :

Le XX^ siècle

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299

Godot (1953), pièce insolite, sans action, où deux personnages dans une solitude qui ressemble au néant et que ne rompt guère l'apparition de deux autres figures grotesques, attendent un certain Godot, dont la vacuité est également totale puisque nous ne savons, tout comme eux, ni qui il est ni qui il représente.

Genêt (19 10-1986), lui-même sans famille, ancien délinquant, se juge solidaire de tous les déshérités, et ce sont eux que, de préférence, il met en scène, depuis Les Bonnes (1947) qui finissent par s'entre- tuer alors qu'elles voudraient tuer leur patronne, jusqu'aux Nègres (1959) en passant par les prostituées du Balcon (1957). La révolte de Genêt, qu'il a vécue dans sa chair, est plus authentique que beaucoup d'autres, mais au niveau de la forme, son théâtre est en fait moins révolutionnaire, avec ses personnages bien constitués et l'éclat de son verbe. Citons encore Adamov (1908- 1970), Boris Vian (19201959) avec ses Bâtisseurs d'empire (1959), bien qu'il soit connu surtout par quelques romans Écume des jours Arrache-cœur (1953), où le jeu avec les mots, (1947), notamment les expressions toutes faites, ne va ni sans quelque faciUté ni sans quelque monotonie. :

U

La

U

poésie

et la critique

La poésie est le lieu de continuelles recherches que leur complexité coupe de plus en plus du public. Aucune œuvre ne semble encore se détacher de façon incontestable. La critique brille d'un vif éclat et bénéficie, en un sens, de 'la révolution signalée dans la littérature. Le critique n'apparaît plus au second plan par rapport au créateur. Toute

distinction entre l'un et l'autre est

même

sans objet

puisque tous deux ont pour souci commun l'étude du langage. La psychanalyse inspire l'œuvre de Charles Mauron (1899- 1966), fondateur de la psychocritique, la pensée marxiste et un certain structuraUsme celle de Lucien Goldmann (19 13- 1970), le philosophe Bachelard (18 84- 1962), spéciaUste de l'étude des rêveries et de leurs formes imaginaires, celle de J.-P. Richard (né en 1922), le plus brillant représentant d'une critique thématique assez impressionniste. L'œuvre de Roland Barthes (191 5-

300

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HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

1980), souvent qualifiée de structuraliste, fait aussi leur place aux techniques modernes de la linguistique et de la psychanalyse. JeanStarobinski (né en 1920), Georges Poulet (né en 1902), Gérard Genette (né en 1930), bien d'autres encore, illustrent la diversité des recherches de notre temps.

Les grandes dates de la littérature au XX^ • • • • • •

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1912 1913 1913 1919 1922 1922 1924 1927 1930 1932 1932 1935 1936 1938 1939 1939 1942 1942 1944 1946 1947 1947 1950 1951 1953 1957 1957 1958 1959 1961 1963 1968 1971 1975 1978 1983

Claudel

siècle

L'Annonce faite à Marie. Apollinaire Alcools. Barrés La colline inspirée. :

:

:

Proust A l'ombre des jeunes filles en fleur. Roger Martin du Gard Les Thibault (début Valéry Charmes. :

:

de parution).

:

Breton Mauriac

Manifeste du surréalisme. Thérèse Desqueyroux. Malraux La Condition humaine. Céline Voyage au bout de la nuit. Romains Les Hommes de bonne volonté (début). Giraudoux La guerre de Troie n'aura pas lieu. Bernanos Journal d'un curé de campagne. :

:

:

:

:

:

:

Sartre

La

:

Arthaud Gide

:

nausée.

Le

:

théâtre et son double.

Journal (1889-1939).

Camus L'étranger. Montherlant La Anouilh Antigone. :

:

reine morte.

:

Prévert

Genêt

Vian Ionesco :

:

Paroles.

Les Bonnes. L'écume des jours. :

La cantatrice chauve. Le rivage des Syrtes. Gracq Beckett En attendant Godot. Butor La modification. St John Perse Amers. Duras Moderato cantabile. :

;

:

:

:

:

:

Sarraute Le Planétarium. Le grand recueil. Robbe-Grillet Pour un nouveau roman. :

Ponge

:

:

YouRCENAR L'œuvre au noir. TouRNiER Le roi des Aulnes. Modiano Villa triste. Perec La vie mode d'emploi. :

:

:

:

Sollers

:

Femmes.

INDEX ALPHABÉTIQUE Achard (Marcel) 281

Adamov 299 Alain 287 Alembert (d') 132, 133 Anouilh 285, 286 Apollinaire 247, 248 Aragon 248, 266, 268 Arbauld 59 Assoucy (d') 64 Aubigné (Agrippa d') 37, 38

Bacon 113 Bachelard 299 Baïf 266 Balzac (Guez de) 48 Balzac (Honoré de) 194, 195 Barbusse (Henri) 229 Bartas (du) 47 Barthes (Roland) 300 Bataille (Georges) 298 Baudelaire (Charles) 216-219 Bayle 116 Beaumarchais 144 Beauvoir (Simone de) 291 Beckett (Samuel) 298 Belleau 26 Bellay (Joachim du) 26, 28 Benda (Julien) 287 Benserade 64 Bergerac (Cyrano de) 64 Bergson (Henri) 245 Bernanos (Georges) 266 Bernard (Claude) 215 Bernard (Tristan) 251 Berruyer 231 Bertaut 47 Berthelot (Marcelin) 234

Béze (Théodore de) 39 Blanc (Louis) 232 Blanchot (Maurice) 298

Boccace 21 Boileau 65-68 Bossuet 94^99 Bourdet (Edouard) 281 Bourget (Paul) 234, 242 Breton (André) 276 Briand (Aristide) 233 Brunetière 215, 246 Buffon II 9- 120 Butor (Michel) 298 Cailla vet 251 Calvin (Jean) 32, 33 Camus (Albert) 291, 292 Céline 268 Césaire (Aimé) 296 Chamfort 134 Chapelain 51, 64, 66 Char (René) 296 Charles d'Orléans 17

Chateaubriand (René de) 160166, 231 Chénier (André) 145-147 Choiseul (Dsse de) 134 Chrestien de Troyes 10 Claudel (Paul) 249, 250 Clemenceau (Georges) 233 Cocteau (Jean) 279 Colette 267

Commines 14 Comte (Auguste)

211, 215 Condorcet 133 Confrères de la Passion 15 Conrart 49 Corneille (Pierre) 50-54 Cotin 64, 66

Courier (Paul-Louis) 231 Courteline 252 Crébillon 143 Curel (François de) 251

302

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HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Cuvier (Farce du) i6 Galiani 134 Cycle de l'Ancien Testament Gambetta 232 Garnier (Robert) 39 Gautier (Théophile) 214 Danton 151 Genêt (Jean) 299 Daudet (Alphonse) 229 Genette (Gérard) 300 Daurat 26 Geoffrin (Mme) 134 Deffand (Mse du) 134 Ghil (René) 219 Delille 145 Gide (André) 258-260 Desmarets de Saint-SorUn 64 Giono (Jean) 267, 268 Desmoulins (Camille) 151 Giraudoux (Jean) 283-285 Desportes 47 Goldmann (Lucien) 299 Diderot 131, 132 Concourt (Edmond et Jules) Dorgelès (Roland) 229 227 Du Bos (Charles) 287 Gracq (Julien) 293 Ducis 143 Gregh (Fernand) 223 Duhamel (Georges) 271 Grevin (Jacques) 39 Dumas (Alexandre), père 190, Grimm 134 193 Guillaume (Maître) 16 Duras (Marguerite) 298 Guitry (Sacha) 281

Egmont (Mme

d')

134

Guizot 206, 231

Eluard (Paul) 278

Hardy 50 (Pierre) 279 Hérédia (José- Maria de) 216 Enfants sans souci 15 Hugo (Viaor) 177-186 Epinay (Mme d') 134 théâtre 190, 191 Erasme 21 romans 193 Eulalie (Cantilène de Sainte) 7

Emmanuel

Faguet 246 Fénelon 105-107

Femandez (Ramon) 287 Ferry (Jules) 232 Feydeau (Georges) 251 Flaubert (Gustave) 200, 201, 215 Fiers (de) 251 Fontaine (Jean de La) 75-82 Fontenelle 115 Fort (Paul) 246 Foumier (Alain) 243 France (Aiiatole) 240 François de Sales 47

Ionesco 298 Isnard 151

Jammes

(Francis) 246

Jansenius 59 Jarry (Alfred) 252 Jaurès (Jean) 233, 245 Jeu de Saint Nicolas 15 Jodelle 26, 39 Joinville 12

Jouve (Gustave) 219 Joinville 12

Jouve (Pierre- Jean) 279

Fïroissart 13

Fustel de Coulanges 202, 215

Kahn

(Gustave) 219

Index alphabétique / 303

La Bruyère 100-103

Mérimée 193

Lacépède 119

Meung

Laclos (Cholderos de) 149 Lacordaire 232 Lafayette (Mme de) 92

Michaux (Henri) 296

(Jean de) 12

Michelet (Jules) 204, 205, 232 Mirabeau 150 Laforgue (Jules) 220 Miracle de Théophile 15 Lamartine (Alphonse de) 168- Miracles de Notre-Dame 15 Mohère 69-74 170, 231 Lamenais 232 Montaigne 33-37 Lanson (Gustave) 246 Montalembert 231 La Rochefoucauld 91 Montesqueiu 116-118 La Tour du Pin (Patrice de) Montherland 294-295 Moréas (Jean) 219 270 Lautréamont 224 Mun (Albert de) 233 Lebrun 145 Musset (Alfred de) 171- 173 Leconte de Lisle 214, 215 Leibnitz 116 Napoléon 231 Leiris (Michel) 298 Necker (Mme) 134 Lemîdtre (Jules) 246 Nerval (Gérard de) 187-189 Le Sage 144, 148 Newton 113 Lespinasse (Mlle de) 134 Nisard 209 Locke 113 Nivelle de la Chaussée 144 Lorris (Guillaume de) 12 Noailles (Csse de) 222-223 Loti (Pierre) 229, 230 Nolhac (Pierre de) 223 Maeterlinck (Maurice) 234

Maintenon (Mme de) 94 Pagnol (Marcel) 281 Mairet 50 Pascal (Biaise) 57-63 Maîstre (Joseph de) 231 Pathebn (Farce de Maître) 16 Malherbe 47 Péguy (Charles) 243, 244 Mallarmé 225 Pétrarque 21 Malraux (André) 260-262 Poincaré (Raymond) 233 Marivaux 144, 148 Ponge (Francis) 296 Marmontel 134 Pontus de Tyard 26 Marot (Qément) 23 Poulet (Georges) 300 Marsile 8 Prévert (Jacques) 296 Martin du Gard (Roger) 270 Prévost (Abbé) 148 Maupassant (Guy de) 229 Proust (Marcel) 253-257 Mauriac (François) 264, 265, Porto- Riche (Georges de) 251 282, 283, 287 Maurois (André) 287 Mauron (Charles) 299 Queneau (Raymond) 296 Maurras (Charles) 245 Quinault 64, 66 Méré (Chevalier de) 94 Quinet (Edgar) 232

304

/

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

Scudéry (Mlle de) 64

Rabelais 23

Racan 49, 50 Racine (Jean) 82-90 Racine (Louis) 145 Régnard 144 Régnier (Henri de) 223 Régnier (Mathurin) 40 Renan (Ernest) 206, 207 Renart (Roman de) 10 Retz (Cardinal de) 91 Richard (J.-P.) 299 Rimbaud (Arthur) 223 Rivarol 135 Rivière (Jacques) 287

Robbe-Grillet 297 Robespierre 151 Rodenbach 223

Roland (Chanson de) 7, 8 Rolland (Romain) 241 Romains (Jules) 246, 264, 281-282 Ronsard (Pierre de) 29-31 Roucher 145 Rousseau (Jean-Baptiste) 145 Rousseau (Jean- Jacques) 135 Rotrou 64 Royer-Collard 231 Ryer (du) 64

Sade (Marquis de) 150 Saint-Evremont 94 Saint-Exupéry 263 Saint-John Perse 279 Saint-Pierre (Bernardin de) 149

Saint-Simon 103-105 Sainte-Beuve 209 Salacrou (A.) 282 Samain (Albert) 223 Sand (George) 199 Sarraute (Nathalie) 298

Sévigné

(Mme

de) 94

Simon (Claude) 298 Staël (Mme de) 158, 159 Starobinski 300

Stendhal 196-199 Strasbourg (Serment de) 6 Stuart Merril 219 Suarès (André) 287

Table Ronde (Chevaliers de) 9 Taille (Jean de la) 39 Taine 210-212 Thibaudet 287 Thibaut l'Agnelet 16 Thierry (Augustin) 202, 203 Thiers 206, 231

Thurold

8

Tocqueville (Alexis de) 206 Tristan et Yseult 9

Urfé (Honoré

d')

47

Vaillant (Roger) 288 Valéry (Paul) 271-274

Vaugelas 49

Vauvenargues 143 Vercors 288 Vergniaud 151 Verhaeren 222 Verlaine (Paul) 220, 221 Veuillot (Louis) 232

Vian (Boris) 299 Viau (Théophile de) 48, 50 Viélé-Griffin 219 Vigny (Alfred de) 174-175, 193 ViUehardouin 12 Villemain 209 Villon (François) 16, 17 Voiture 48, 64 Voltaire 121-130

Sartre (J.-P.) 288-290, 293, 294 Waldeck- Rousseau 233 Scarron 64 Scudéry (G. de) 51, 64, 66 Zola (Émile) 227, 228

(Eure) — N° 47929 — Édition N° 06

Imprimé en France, par l'Imprimerie Hérissey, Évreux Dépôt légal N° 2740-04-1989 Collection N° 16 :



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Cette collection a pour objectif de donner une vision synthétique, mais précise, des principaux thèmes culturels. Diversifiée dans sa démarche et dans le choix de ses thèmes, Faire le Point/Références est aussi bien destinée aux élèves des lycées qu'aux étudiants et à tous ceux qui désirent acquérir ou renouveler des connaissances.

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