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French Pages 319 [321] Year 1996
Collection "Etudes d'Economie Politique" dirigée par D. Desjeux et M. Flandreau
Gilles
Jacoud
Le billet de banque en France (1796-1803) De la diversité au monopole
Editions L'Harmattan 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique 75005 PARIS
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Du même auteur:
La monnaie dans l'économie, Paris, Nathan, 1994
© L'Harmattan 1996 ISBN: 2-7384-4175-0
Collection Etudes d'Economie Politique dirigée par Dominique Desjeux et Marc Flandreau Depuis quelques années, les profondes mutations économiques et sociales qui bouleversent le monde ont mis en évidence le rôle central des institutions car elles sont tout à la fois les véhicules et les produits du changement: tout naturellement, l'étude des institutions occupe une place croissante dans l'analyse économique, tant dans les courants dominants que chez les "hétérodoxes" . Si les méthodes d'approche ou l'angle d'analyse varient d'une "école" à l'autre, ces courants ont aujourd'hui en commun le souci de faire une place plus grande aux sciences sociales, à l'histoire ou aux sciences politiques. L'objet de la collection Etudes d'Economie Politique est de servir de forum à un ensemble de monographies scientifiques qui participent de cette démarche, et qui s'attachent, au travers d'une réflexion tout à la fois théorique et empirique, à explorer les liens entre économie et institutions. Parus dans la même collection: Marc Flandreau, L'or du monde: la France et la stabilité du système monétaire international 1848-1873, 1995 Cécile Daubrée, Marchés parallèles et équilibres économique: les cas des pays d'Afrique sub-saharienne, 1995
INTRODUCTION La nécessité, pour l'économiste, de s'intéresser à l'histoire a été maintes fois soulignée. Les économistes les plus renommés ne se sont d'ailleurs pas contentés de reconnaître l'importance de l'histoire. Une partie de leur oeuvre est constituée de recherches à caractère historique!. L'intérêt des économistes contemporains pour l'histoire est aussi très vif. L'attribution en 1993 du prix de sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel à Douglass C. North et Robert W. Fogel, architectes d'une nouvelle histoire économique, ne fait que le confirmer. En France, les liens entre historiens et économistes sont particulièrement étroits et la réflexion sur la liaison entre économie et histoire ne manque pas de se développer2. Il n'est dès lors guère surprenant qu'un économiste puisse entreprendre un travail sur des événements qui se sont déroulés au cours d'une période particulière.
"Pas plus que l'interprétation des mécanismes économiques n'appartient aux seuls économistes, le temps passé n'est le monopole des seuls historiens."3 La présente recherche, qui correspond à la version allégée d'une thèse de sciences économiques 4, est centrée sur une période bien délimitée: le Directoire et le Consulat. La Révolution française a déjà donné lieu à de nombreux écrits, mais tous les événements qui ont marqué cette époque n'ont pas attiré avec le même éclat l'attention des chercheurs. Certains aspects de la vie politique, économique ou sociale ont encore été laissés dans l'ombre. C'est le cas de l'histoire financière qui, comme le relève Michel Bruguière, "ne semble guère intéresser les
1. Michel Beaud, qùi évoque ces "maîtres selon lesquels l'économie politique ne pouvait qu'avoir une dimension historique", souligne l'intérêt de la démarche adoptée par "ces grands fondateurs - Turgot, Smith, Mill, Marx, Schumpeter, Keynes, Perroux, ... - dont la réflexion théorique était nourrie d'un long travail sur l'histoire" (M. Beaud, "Economie, théorie, histoire: essai de clarification", Revue économique, nO 2, mars 1991, p. 157). 2. Voir notamment le numéro spécial de la Revue économique précité. La question des rapports entre économie et histoire est abordée, outre Michel Beaud, par Immanuel Wallerstein ("A Theory of Economic History in Place of Economic Theory ?", p. 173-180) ainsi que par Pierre Dockès et Bernard Rosier ("Histoire 'raisonnée' et économie historique", p. 181-208). L'histoire du débat économie-histoire est d'autre part étudiée dans ce même numéro par Philippe Gilles et Jean-Pierre Berlan ("Economie, Histoire et genèse de l'économie politique", p. 367-393), Richard Arena ("De l'usage de l'histoire dans la formulation des hypothèses de la théorie économique", p. 395-409), ainsi que par Alain Arnaud, Michel Barillon et Mohammed Benredouane ("Esquisse d'un tableau historique de la neutralisation de l'histoire dans l'économie politique libérale", p. 411-436). Voir aussi les actes du colloque d'économie historique, organisé à Paris Oussieu) par les Universités de Paris II, Paris VIII et Paris XI les 1-2 décembre 1994, à paraître dans Economies et sociétés. 3. J.-M. Servet, Idées économiques sous la Révolution. 1789-1794, Lyon: Presses Universitaires de Lyon, 1989, p. 30-31. 4. G. Jacoud, La monnaie fiduciaire: d'une émission libérée ail privilège de la Banque de France (26 octobre 1795 - 14 avril 1803), Thèse pour le doctorat en Sciences économiques soutenue le 5 novembre 1990, Université Lyon 2, 646 p.
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Introduction spécialistes de la Révolution et de l'Empire"s. Alain Plessis dresse un constat identique po~r l'histoire bancairé en notant que "la plupart des historiens n'ont évoqué les banquiers qu'en reproduisant les diatribes des sa~s-culottes les accusant d'être à la solde de Pitt[71"s. Une recherche sur ce thème est donc non seulement possible, mais souhaitable. Aborder les questions financières et monétaires au cours de la Révolution française, c'est évoquer inévitablement les assignats, cette nouvelle monnaie que l'on associe aux événements les plus prestigieux des années qui suivent la fin de l'Ancien Régime, mais à qui l'on attribue aussi les pires maux. L'écho que rencontre encore aujourd'hui l'évocation des assignats a cependant éclipsé une autre réalité. On oublie que c'est dans ce contexte que le billet de banque fait son apparition en France. Le pays avait certes déjà tenté des essais pour faire jouer un rôle monétaire au papier, avec le système de Law au début du XVIlle siècle puis avec les billets de la Caisse d'escompte un demi-siècle plus tard. Mais ces expériences se soldent par la disparition tragique des institutions émettrices. A la fin du XVIlle siècle, le billet de banque fait une nouvelle apparition qui est cette fois définitive. Il participe depuis deux siècles à la circulation monétaire. La nature du billet de banque diffère fondamentalement de celle de l'assignat. Celui-ci constitue un véritable papier-monnaie, c'est-à-dire un papier auquel l'Etat donne une valeur nominale afin d'en imposer l'usage dans les paiements9. 5. M. Bruguière, Gestionnaires et profiteurs de la Révolution, Paris: Olivier Orban, 1986, p.195. 6. Herbert Lüthy établit une distinction entre financiers, qui s'occupent des impôts et de la monnaie, et banquiers, dont l'activité porte sur le crédit gagé sur des lettres de change et autres papiers. (H. Lüthy, La banque protestante en France, de la révocation de l'édit de Nantes à la Révolution, Paris: SEVPEN, 1959, t. l, p. 111.) Il reprend la spécificité de la finance et de la banque dans le second tome de l'ouvrage (1961). La finance "est liée corps et ame au régime établi, l'autre lui est étrangère". La banque "est une profession libre et ouverte à tous". (Ibid., t. 2, p. 774.) Jean Bouvier reprend cette distinction en notant que la banque "était profession
libre relevant des activités du négoce national et international. Ce statut la distinguait de la Hfinance H(et rks "financiers H), qui avait trait à la trésorerie de l'Etat et à l'administration fiscale." a. Bouvier, Un siècle de banque française, Paris: Hachette littérature, 1973, p. 78.) Il avance que la Révolution amène la perte d'influence des financiers au profit des banquiers, ce que notre travail contribue aussi à montrer en analysant le développement des activités bancaires à partir du Directoire. Charles P. Kindleberger consacre une partie de son Histoire financière de l'Europe occidentale (Paris: Economica, 1986,610 p.) à la banque (p. 83-177) et une autre à la finance (p. 179-335). 7. Premier ministre britannique, William Pitt est supposé animer toutes les coalitions nouées contre la France révolutionnaire. 8. A. Plessis, "La Révolution et les banques en France: de la Caisse d'escompte à la Banque de France", Revue économique, nO 6, vol. 40, novembre 1989, p. 1001. Cet article reprend une contribution au colloque organisé organisé à Bercy les 12-13-14 octobre 1989 par le Comité pour l'Histoire Economique et Financière de la France: "Finances et Economie
pendant la Révolution: un Etat qui s'organise". 9. "Le papier-monnaie, véritable monnaie du fait du Prince, monnaie par décret (Fiat money), inconvertible, doit etre nettement distingué du billet de banque classique, fondé sur le crédit et la confiance en la banque d'émission, institution privée." (B. Courbis, "Comment l'Etat confère
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Diffusé autoritilirement, il n'est pas remboursable en métal. L'utilisation du billet de banque repose sur ùoe autre logique. Dans un système où les règlements sont assurés par la monnaie métallique, il s'agit d'un papier représentatif d'une somme et dont le porteur peut à tout instant exiger le paiement en or ou en argent auprès de l'institut d'émission. C'est donc une monnaie fiduciaire 1o, c'est-à-dire fondée sur la confiance de son détenteur dans la capacité de la banque à assurer la conversion en métal. Alors que le papier-monnaie tire sa légitimité de la monétisation de la dette publique, le billet de banque est une véritable promesse de métal. La distinction entre les deux types de monnaie n'est pas toujours clairement perçue. Bernard Courbis rejette l'analogie que semblent faire Boris P. Pesek et Thomas R. Savingl l entre billet de banque et ''fiat money"12. Plus récemment, Serge Chassagne note que l'action des banques créées sous le Directoire a "réhabitué le milieu des affaires de la fin du XVIIIe siècle à l'usage du papiermonnaie"13. La confusion est ici manifeste. Si les billets de banque sont bien acceptés par les hommes d'affaires, c'est justement parce qu'ils ne sont pas du papier-monnaie, mais la représentation d'une quantité de métal qu'il est possible d'obtenir immédiatement sur demande aux guichets de la banque émettrice. Cette faculté à être converti en or ou en argent sur simple présentation justifie pleinement l'appellation de monnaie fiduciaire pour le billet de banque. Bernard Schmitt parle même d"'or fiduciaire"14 à propos des billets convertibles. Le sens dans lequel nous utilisons l'expression mérite toutefois d'être précisé. Peut-on qualifier une monnaie de fiduciaire dès l'instant où elle bénéficie de la confiance de l'utilisateur? Répondre par l'affirmative, c'est lui donner une définition large pouvant même s'appliquer à toute monnaie, comme le souligne Michel Aglietta. "Quelle est donc la source de l'acceptation générale de la monnaie? Rien d'autre que la confiance. [... ] Ainsi, toute monnaie est-elle, en dernière instance,
la qualité monétaire à un avoir? De la notion de cours à la notion de pouvoir libératoire légal", in : Droit et monnaie, Etats et espace monétaire transnational, Dijon: CREDIMI, 1988, p.37.) 10. Du latinfidllcia : confiance. 11. B. P. Pesek, T. R. Saving, Money, wealth and economic theory, London: Macmillan Company, 1967, p. 78. 12. B. Courbis, La production dans le domaine monétaire et financier : effet de richesse ou effet de répartition ?, Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, nO 1, avril 1975, p.24-26. "Rappelons que le mon latin "fiat" signifie "qu'il soit fait" ; le terme est utilisé par la
langue anglaise pour qualifier l'ordre donné par le pouvoir (décret) ; "fiat money" signifierait alors "monnaie par décret"." (Ibid., p. 57.) 13. S. Chassagne, "Le négoce et la banque", in: M. Vovelle, L'état de la France pendant la Révolution (1789-1799), Paris: La Découverte, 1988, p. 313. 14. B. Schmitt, "Nature de la monnaie: une approche économique", in : Droit et monnaie, op. cit., p. 66.
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Introduction fiduciaire. "15 Nous devons toutefois retenir une définition plus restrictive de la monnaie fiduciaire pour dégager la spécificité d'une monnaie acceptée librement, par opposition à une monnaie imposée par le pouvoir politique. Toute monnaie acceptée sans contrainte ne se ramène cependant pas nécessairement aux billets. "Il n'est pas exclu, contrairement à une idée largement répandue qui veut que la
monnaie fiduciaire soit une invention du XIXe siècle, que cette forme de monnaie ait existé depuis l'aube des civilisations."16 Quant à la monnaie contemporaine, elle est constituée en partie par cette monnaie dont la définition est parfois étendue aux pièces. Cette expression appliquée à nos moyens de paiement contemporains, qu'elle soit limitée aux billets ou étendue aux pièces, peut apparaître comme paradoxale depuis l'inconvertibilité des billets. "La monnaie fiduciaire était une dette (ou
une créance) au sens courant du terme : engagement de livrer un bien précisé par contrat (ou droit d'obtenir cette livraison)."17 Plus précisément, le billet est au départ un engagement de la banque à fournir du métal au porteur sul' simple présentation. En ce sens, c'est plutôt la monnaie scriptural~ qui mériterait aujourd'hui d'être qualifiée de monnaie fiduciaire, puisque le titulaire d'un compte est censé pouvoir transformer sans difficulté son solde créditeur en espèces, de même qu'auparavant le détenteur de billets pouvait les convertir à vue en métal 18. Il nous faut toutefois cerner avec précision ce que nous englobons sous cette appellation dans un système où les échanges sont largement assurés par la monnaie métallique. Les billets de banque sont incontestablement de la monnaie fiduciaire au sens étymologique du terme dès lors que leur circulation repose sur une libre acceptation favorisée par la convertibilité. Cela ne signifie pas que l'émetteur soit à même de transformer en métal à tout moment l'intégralité du papier en circulation. L'octroi de crédits amène les banques à créer des billets pour un montant supérieur à leur encaisse métallique19. Elles n'assurent pas une simple "gestion de vestiaire"20 qui consisterait à émettre du papier pour un montant strictement équivalent à l'encaisse métallique, ce qui reviendrait à assimiler 15. M. Aglietta, "L'ambivalence de l'argent", Revlle française d'économie, vol. 3, été 1988, p.99. 16. J.-L. Herrenschmidt, "Histoire de la monnaie", in : Droit et monnaie, op. cit., p. 17. 17. J. Bichot, "La monnaie-dette : un choix entre deux interprétations", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, nO 7, octobre 1978, p. 31. 18. Courbis estime toutefois que malgré son inconvertibilité, la monnaie émise par la banque centrale se rapproche plus d'une monnaie de banque que d'une monnaie d'Etat. (Courbis, "La production dans le domaine monétaire....., op. cit., p. 21.) 19. L'extension du crédit est à la base de la création d'une monnaie qui se détache du métal. On verra sur ce point B. Courbis, "L'antinomie paiement-crédit et la formation de la monnaie moderne", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, nO 15, juin 1985, p.113-142. 20. R. Harrod, La monnaie, Paris: Dunod, 1971, p. 22.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 chaque billet à un ticket représentatif d'une somme stockée en caisse. Tant que cette émission n'est pas exagérée, c'est-à-dire tant que la banque peut continuer à faire face aux demandes de remboursement malgré un montant de papier en circulation supérieur à la valeur de l'encaisse, la confiance est maintenue. Mais si l'émetteur, à la suite d'une diffusion de papier inconsidérée, s'avère incapable de satisfaire les demandes de paiement, cette confiance peut s'estomper. De nouvelles demandes de remboursement se manifestent, et si les actifs détenus par la banque sont insuffisamment liquides pour lui permettre d'assurer les conversions, elle se trouve contrainte de cesser ses paiements. Ce phénomène de panique bancaire, dans lequel les acteurs adoptent un comportement de mimétisme, amène, par un effet boule de neige, l'effondrement de la confiance sur laquelle reposait la circulation des billets21 . L'Etat a la possibilité d'éviter la liquidation de la banque en la dispensant d'assurer les remboursements en métal. La circulation des billets peut être maintenue. Le client de la banque conserve son billet non pas parce qu'il le considère comme un substitut pratique à un métal qu'il peut exiger à tout moment, mais parce qu'il lui est désormais impossible de le transformer en monnaie métallique. La suppression de la convertibilité porte en elle le risque d'une paralysie des paiements. Quel commerçant prendra le risque d'accepter en paiement un billet s'il sait qu'il ne peut plus obtenir en contrepartie l'or ou l'argent qu'il considère comme la véritable monnaie, et s'il craint d'avoir du mal à s'en défaire? Cette menace est supprimée par l'institution du cours légal qui accompagne l'inconvertibilité et qui dote le billet d'un pouvoir libératoire 22 . Un créancier est tenu de l'accepter en paiement. L'inconvertibilité devient ainsi un moindre mal. Les billets ne donnent plus automatiquement droit à un montant équivalent de monnaie métallique, mais ils peuvent servir à règler des dettes. Dans la mesure où leur circulation est imposée par l'autorité politique, on peut considérer que leur caractère de monnaie fiduciaire s'est atténué.
21. Le danger de panique bancaire persiste dans les économies contemporaines. Tout comme au siècle précédent un mouvement de défiance pouvait provoquer un afflux de demandes de conversion des billets en métal, la panique peut amener de nos jours les clients d'une banque à retirer leurs dépôts. Dans le schéma le plus simple, il s'agit alors d'une conversion massive de monnaie scripturale en monnaie fiduciaire, laquelle justifie dans ce cas pleinement son appellation. Le concept de panique bancaire fait désormais l'objet d'une modélisation. On pourra sur ce thème se reporter à un article de François Marini, "Les fondements microéconomiques du concept de panique bancaire: une introduction", article présenté aux Septièmes journées internationales d'économie monétaire et bancaire organisées à Caen les 11-12 juin 1990 par le Laboratoire d'Etudes et de Recherches Economiques et le G. D. R. "Monnaie et Financement", 23 p. 22. Le recours à l'inconvertibilité pour les billets de la Banque d'Angleterre en 1797 ne s'accompagne toutefois pas de l'attribution du cours légal. Mais le risque lié à l'acceptation d'un tel papier est alors limité du fait d'un engagement collectif des marchands londoniens à continuer à les accepter en paiement.
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Introduction Le billet convertible constitue donc la véritable monnaie fiduciaire circulant en complément de la monnaie métallique23• Le billet inconvertible reçoit déjà l'un des attributs du papier-monnaie, bien que les conditions de son émission ne permettent pas de l'assimiler entièrement à celui-ci24 . La circulation monétaire ne se ramène toutefois pas uniquement à la monnaie métallique et au papier. Les paiements courants sont réalisés à l'aide de pièces dont la valeur intrinsèque est inférieure à la valeur légale. C'est essentiellement le cas de pièces .constituées d'alliages de cuivre. Bichot retient l'idée d"'un monnayage "semi-fiduciaire",
c'est-à-dire un monnayage dans lequel la quantité de cuivre utilisée, sans être absolument sans importance, n'a pas une importance exclusive par rapport au chiffre gravé sur le flan"25. Pour cette monnaie qui peut être comparée à notre monnaie divisionnaire moderne26, nous reprendrons plutôt l'expression monnaie de billon couramment utilisée. Nous réserverons l'appellation monnaie fiduciaire aux billets de banque. La réalité de ce qu'est la banque à la fin de la période révolutionnaire mérite aussi d'être précisée. Sous le Directoire comme sous le Consulat, les établissements bancaires sont habituellement divisés en deux catégories : les banques de dépôts et les banques de circulation. Les premières gèrent les comptescourants de leur clientèle et accordent des prêts sur nantissement27• Les secondes, outre ces opérations qu'elles peuvent aussi réaliser, mettent en circulation des billets de banque à l'occasion de l'escompte d'effets de commerce. C'est seulement à cette seconde catégorie que nous ferons référence en parlant des banques d'émission ou plus simplement des émetteurs. Dans le langage courant de l'époque, le mot banque tend à s'appliquer essentiellement aux banques d'émission. Ainsi, au début du Directoire, lorsque les milieux d'affaires ou le pouvoir politique plaident pour la libre constitution de banques, il s'agit en fait des banques de circulation. De même, sous le Consulat, la remise en question de la liberté des banques est une contestation de la pluralité des banques d'émission. Nous conserverons cette approche tendant à assimiler une banque à une banque d'émission dans la mesure où notre étude est centrée sur les émetteurs de billets et non sur tous les établissements qui réalisent des opérations à caractère bancaire. Nous ne devons toutefois pas ignorer leur existence. A la fin de la Convention, 23. Le billet n'est alors pas véritablement considéré comme de la monnaie, mais plutôt comme un droit d'obtenir de la monnaie. A la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, dans l'esprit du public, la "vraie" monnaie est le métal. 24. Les billets de la Banque d'Angleterre, rendus inconvertibles à partir de 1797, ne sont pas véritablement considérés comme du papier-monnaie. Cf infra, p. 206. 25. J. Bichot, "Les monnaies métalliques comme support d'une information numérique", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, n° 13, mars 1983, p. 54. 26. De même que le pouvoir libératoire de notre monnaie divisionnaire est limité, nous verrons que l'utilisation de la monnaie de billon dans les paiements est plafonnée par l'Etat. Cf infra, p. 94-95. 27. L'emprunteur cède au banquier un bien qui lui sert de gage jusqu'au remboursement.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
dans un contexte où les banques d'émission sont prohibées, des banquiers exercent néanmoins leur activité et des maisons de banque accordent des prêts 28 . L'interdiètion d'émission de billets de banque imposée par le gouvernement révolutionnaire a pénalisé le développement de la monnaie fiduciaire en France. Sous le Consulat, la circulation de cette monnaie bancaire est encore particulièrement réduite en comparaison avec le niveau qu'elle atteint en Angleterre 29 • On est alors tenté d'établir un parallèle entre le développement économique de ce pays qui s'industrialise et devient la première puissance économique mondiale, et l'extension de l'usage de la monnaie bancaire qui le caractérise. Doit-on pour autant expliquer la réussite économique par le développement des banques? Maurice Lévy-Leboyer a soulevé le problème30 . Il s'appuie sur des comparaisons statistiques31 et relève qu'en Angleterre et en Ecosse, la pénurie de numéraire a entraîné l'apparition et la multiplication des banques. Mais leur impact sur le développement industriel est peut-être limité. "Les banques ont-elles matériellement aidé l'industrie par leurs cash credits et leurs escomptes ? Certains exemples le donnent à penser, mais l'analyse globale laisse place à un doute. En 1801, les country banks étaient d'autant moins denses
que les régions étaient plus industrialisées: on en trouvait 29 dans le LancashireCheshire et dans le pays de Galles, soit 0,19 et 0,22 par 10 000 habitants, contre 383 (0,48 pour 10 000 habitants) dans l'ensemble du pays."32 Cette constatation conduit Lévy-Leboyer à contester l'impact du développement bancaire sur l'industrialisation 33 . Les banques écossaises, qui ont très tôt su étendre la circulation de leurs billets, comme les banques anglaises, paraissent avoir beaucoup plus placé leurs disponibilités dans des fonds publics qu'investi dans l'industrie. L'industrialisation plus tardive des autres pays confirme cette constatation. "Le même fait (absence de liens entre la croissance et la "monnaie de
28. L'absence d'émission de billets constitue toutefois un frein à la distribution du crédit. 29. Les billets représentent alors 5 % de la masse monétaire en France contre 50 % en Angleterre et au Pays de Galles. Cf infra, p. 34-35.
30. "Il est probable que la présence d'institutions financières, celle des banques en particulier facilite la collecte et le placement de l'épargne disponible et qu'elle constitue de ce fait un facteur important de la croissance. Mais s'agit-il d'un moteur de l'industrialisation ou d'une résultante? Le banquier est-il un initiateur indispensable, ou bien apparaft-il quand certaines transformations sont déjà en cours ou m€me lorsqu'une économie a dépassé le stade de la maturité ?" (M. Lévy-Leboyer, "Le rôle historique de la monnaie de banque", Annales: Economies, Sociétés, Civilisations, janvier-février 1968, p. 1.) 31. R. Cameron, O. Crisp. H.-T. Patrick et R. Tilly, Banking in the early stages of industrialisation. A study in comparative economic history, New-York: Oxford University Press, 1967, 349 p. 32. Lévy-Leboyer, op. cit., p. 2.
33. "Peut-on conclure à l'utilité des billets et des dépOts pendant la phase d'industrialisation active? Il ne le semble pas. D'abord, l'emploi de ces instruments monétaires s'est généralisé, certes, mais à une date tardive: une fois terminée la période dite du take-off." (Ibid.)
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Introduction banque") se retrouve dans les pays voisins. [... ] L'expansion économique se serait donc accélérée bien avant que le système bancaire ne prenne une forme moderne."34 Lévy-Leboyer est donc sceptique quant à l'impact de la monnaie de banque sur le processus d'industrialisation. Il pose en fait la question de savoir si les institutions peuvent expliquer la réussite économique. La simultanéïté du développement bancaire et de l'industrialisation, lorsqu'elle peut être repérée, n'implique pas que l'un soit à l'origine de l'autre. L'auteur en veut pour preuve le Japon où l'industrialisation s'est faite sans recours aux crédits bancaires. "Ici et en
Angleterre, le développement de la monnaie de banque a donc coïncidé avec celui des industries, mais pour des raisons étrangères à l'industrialisation et sans que son caractère bénéfique ait été démontré. "35 Sa conclusion est sans appel. "Ceci prouve, s'il en est encore besoin, que les banques, au sens strict, et la monnaie de banque ne sont que des instruments accessoires de la croissance économique. "36 Les banques accompagneraient la croissance économique mais n'en seraient pas nécessairement à l'origine. Adolphe Thiers laissait même entendre que c'était la croissance qui appelait la création des banques, lesquelles contribuaient à leur tour à asseoir la croissance. "Les banques doivent s'établir; elles résultent d'une
prospérité antérieure, servent puissamment à l'accroître, mais ne la précèdent pas; car la création des produits doit précéder leur circulation. "37 Le raisonnement de Thiers laisse toutefois croire que les banques sont sans effet sur le niveau de la production, ce qui est contestable dans la mesure où la distribution des crédits aux entrepreneurs peut contribuer à accroître l'offre des produits. Plus près de nous, dans un ouvrage réalisé sous la direction de Jean Bouvier, Patrick Fridenson et André Straus contestent l'incidence de l'activité bancaire sur l'essor économique. "Les banques ne conduisent pas à la croissance. [... ] Elles ne peuvent
être qu'accompagnatrices. "38 L'idée selon laquelle l'industrialisation ne devrait rien au système bancaire peut être remise en question. Etudiant la formation du capital en GrandeBretagne pendant la Révolution industrielle, François Crouzet en vient à rejeter cette hypothèse d'une neutralité des banques dans le processus de croissance39 . Il y 34. Ibid., p.3. 35. Ibid., p. 6. 36. Ibid., p. 8. 37. A. Thiers, Histoire de Law, Paris: Hetzel, 1858, p. 17. 38. P. Fridenson, A. Straus, Le capitalisme français. X/Xe-XXe siècle. Blocages et dynamismes d'une croissance, Paris: Fayard, 1987, p. 197. 39. F. Crouzet, De la supériorité de l'Angleterre sur la France, Paris : Librairie Académique Perrin, 1985, pp 120-167. "On a admis longtemps que le système bancaire anglais, malgré son précoce développement, n'avait joué aUClln rôle direct dans le financement de la Révolutioll industrielle; les travaux récents Ollt I1Itancé cet/e opillion, ell montrant ql/e les banques ont appuyé assez sOI/vent l'expansion des entreprises existantes, comme on le verra plus loill." (Ibid., p. 144.) "D'ailleurs, le développement du crédit dans son ensemble et celui du système bancaire, qui accompagllèrent la Révolution industrielle, facilitèrent indirectement la
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 a certainement des relations de cause à effet entre l'extension des activités de banque et la croissance économique. Le développement des affaires appelle le crédit que les banques accordent par l'émission de billets, et cette distribution de crédit contribue à la croissance40 . Cette absence d'unanimité des contemporains à propos des effets de l'activité des banques sur l'économie laisse deviner qu'il y a deux siècles la question était déjà débattue. Les circonstances de l'apparition des premières banques conduisant à l'utilisation des billets ont paradoxalement été jusqu'ici laissées dans l'obscurité41 . On tend à attribuer à Bonaparte la création d'une Banque de France qui se serait mise à assurer la diffusion des billets dans un cadre où toute polémique paraît exclue. L'établissement serait, comme bien d'autres institutions, le fruit du génie du Premier Consul. Cette mise en place par un gouvernement autoritaire présente alors la commodité d'éviter de s'interroger sur les conflits qui auraient pu l'amener ou lui faire suite. La réalité des débuts de l'utilisation du billet de banque en France est beaucoup plus complexe et nécessite une étude détaillée des faits et débats qui accompagnent son apparition. C'est elle qui fait l'objet de notre recherche. Etudier les conditions de la mise en circulation des premiers billets de banque, c'est d'abord remettre en question un certain nombre d'idées reçues sur le rôle de la monnaie de papier. On tend ainsi à expliquer cette forme dématérialisée de monnaie par le besoin de trouver un substitut commode au métal. Le billet éviterait le transport d'un métal lourd et encombrant, éliminerait les phénomènes d'usure volontaire ou involontaire des pièces qui en réduisent la valeur intrinsèque, et se révélerait ainsi un outil plus approprié pour réaliser les paiements. Si cette dimension n'est pas absente dans les raisons qui amènent le remplacement du métal par le papier, il ne faut pas oublier que c'est une raison beaucoup plus profonde qui, à un moment donné de l'histoire, pousse à adjoindre à
formation du capital. Que les industriels aient été à même, d'un côté d'acheter à crédit leurs matières premières, de l'autre d'obtenir des avances de la part des facteurs et négociants par lesquels ou auxquels ils vendaient leurs marchandises, leur permettait de se procurer une partie de leur capital circulant et d'investir en capital fixe une plus grande partie de leurs ressources propres." (Ibid., p. 151.) 40. Les arguments qui plaident en faveur de la constitution de banques au début du Directoire visent à les présenter comme sources de richesses pour le pays. D'autre part, la suppression des concurrents de la Banque de France en 1803 semble nuire à l'activité économique. (Cf infra, p. 284-285.) 41. Cette constatation tend à confirmer la remarque de Charles de Croisset. "On connaît plutôt mieux l'histoire de la monnaie que celle de la banque." ("Si les banques venaient à disparaître quelles seraient les raisons de les réinventer", Banque, janvier 1983, p. 7.) 11 serait toutefois plus judicieux de considérer que l'histoire bancaire est une composante de l'histoire monétaire au lieu de les présenter comme deux ensembles séparés.
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Introduction
la monnaie métallique en vigueur une monnaie additionnellé2 . Et pour mettre en évidence cette raison, il faut observer les circonstances de l'émission des billets. C'est au moment où elle escompte des effets de commerce que la banque d'émission met en circulation des billets. Bien qu'étant une promesse de recevoir du métal sur simple présentation aux guichets de la banque, le billet ne peut néanmoins plus être considéré comme l'équivalent d'une quantité de métal qui aurait circulé à sa place. Car si les détenteurs de ces billets se gardent de les présenter au remboursement, la banque peut alors en émettre pour un montant supérieur à celui de son encaisse métallique. On voit dès lors l'intérêt fondamental que procure l'usage d'une monnaie de papier. Loin de se contenter de remplacer une forme de monnaie par une autre, elle permet d'en accroître la masse. Le facteur essentiel qui pousse à l'utilisation d'une monnaie plus dématérialisée, c'est le besoin de crédit. S'il n'est pas possible d'accroître la masse de monnaie en circulation du fait d'un stock de métal limité, l'introduction progressive du papier dans cette circulation permet de l'étendre. Le billet est donc un instrument que créent les banques d'émission pour distribuer le crédit. Remplacer le métal par le papier n'est pas une fin en soi. Le papier n'est qu'un moyen d'accorder des crédits supplémentaires en augmentant la masse monétaire. Dès l'instant où la création de billets est intimement associée à l'octroi de crédits, son existence devient un enjeu. Divers acteurs ont intérêt, dans un système métallique, à voir se constituer une banque d'émission. Ce sont tout d'abord les banquiers eux-mêmes qui peuvent étendre leur activité par l'intermédiaire d'un établissement qui facilitera l'accès au crédit, et donc multipliera les opérations de prêts et les perspectives de bénéfices qui leur sont associées. Ce sont aussi les bénéficiaires potentiels du crédit, producteurs et commerçants, qui pourront trouver des possibilités de financement avantageuses dans un système où le recours des particuliers au crédit n'est pas organisé autrement que de manière très archaïque. C'est enfin l'Etat qui, dans une situation où les obligations de dépenses se font toujours plus pressantes alors que les recettes sont de plus en plus difficilement assurées, peut rechercher l'aide d'une institution susceptible de lui procurer des avances. Les exigences de ces différentes catégories d'agents expliquent qu'à l'automne 1795 le Directoire en vienne à abroger l'interdiction des banques d'émission
42. Expliquer l'apparition du billet de banque par la commodité du papier dans les paiements par rapport au métal, c'est méconnaître la réalité historique. Les pressions les plus fortes en faveur de la constitution de banques d'émission s'exercent au début du Directoire, c'est-à-dire à un moment où la circulation monétaire est déjà assurée par des papiers, en l'occurrence les 'Jssignats (remplacés en 1796 par les mandats territoriaux). L'histoire nous amène donc à considérer avec réserve ce type d'explication traditionnelle. Si l'utilisation du billet est envisagée, c'est qu'il remplit d'autres fonctions que l'assignat et peut le remplacer avantageusement.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 imposée par la Convention43 • Des banques peuvent être librement constituées et le monde des affaires commence à recueillir les fruits de la liberté d'émission avec l'ouverture en juin 1796 de la Caisse des comptes courants. L'établissement est de dimension modeste si on le compare au projet, développé pendant l'hiver 17951796, d'un grand institut d'émission destiné à assurer la circulation de la monnaie de papier à l'échelle nationale. Il répond néanmoins aux attentes des banquiers auxquels il permet de faire escompter des effets de commerce à un taux avantageux. Cet établissement aujourd'hui méconnu se transforme en 1800 en une institution au nom plus prestigieux : la Banque de France. La naissance de cette première banque, son fonctionnement et sa transformation feront l'objet du premier chapitre (De la Caisse des comptes courants à la Banque de France). La liberté d'émission implique que la porte est ouverte à la création non pas d'un mais de plusieurs émetteurs. En cette période de transition entre deux siècles, ce sont en effet plusieurs établissements qui assurent la circulation de la monnaie de papier à Paris. La capitale compte ainsi divers organismes qui émettent des billets aux caractéristiques spécifiques, selon une logique qui leur est propre, destinés à des clientèles différentes. Un deuxième chapitre (Une distribution du crédit à partir de logiques d'émission différentes) étudiera les trois principaux établissements qui assurent une circulation fiduciaire et dont la conception du billet s'éloigne de celle la Banque de France. La circulation fiduciaire ne se limite pas à Paris, même s'il est vrai qu'elle concerne surtout la capitale, et les billets utilisés ne sont pas uniquement des papiers convertibles en or ou en argent. Des banques émettent des billets convertibles en monnaie de billon, à Paris comme en province. En outre, à Rouen, une banque met en circulation des billets convertibles en monnaie métallique à partir de modalités comparables à celle de la Caisse des comptes courants puis de la Banque de France sur Paris. La circulation de ces différents papiers, comme celle des établissements évoqués précédemment, ne vient pas simplement se juxtaposer avec celle de la Banque de France. Ces banques ont établi des relations avec la Banque de France qu'il conviendra de développer dans un troisième chapitre sur les autres émetteurs (Les établissements complémentaires et les liens avec la Banque de France). Les circonstances qui amènent l'octroi d'un monopole à la Banque de France n'ont, jusqu'à ce jour, fait l'objet d'aucune étude approfondie. Elles sont d'autant plus ignorées que les établissements qui font les frais de l'attribution de ce privilège d'émission sont encore largement méconnus. Et lorsque exceptionnellement l'événement est évoqué, c'est de manière brève et la plupart
43. Sur ce point, cf G. Jacoud, "Du papier· monnaie au billet de banque: les difficultés d'une transition", Etl/des et docl/ments, n° 7, Ministère de l'économie - Ministère du budget, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 1995, p. 101-170.
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Introduction
du temps erronée44 • Le quatrième chapitre (La remise en question de la liberté d'émission) a pour objet d'éclairer les circonstances qui amènent à incriminer un système caractérisé par la coexistence de plusieurs émetteurs. Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, ce n'est pas la puissance publique qui prend l'initiative de mettre en cause l'existence de diverses institutions. C'est la Banque de France qui entreprend les premières démarches. Nous expliquerons cette hostilité des dirigeants de la Banque de France à la pluralité des émetteurs et les réactions contre ses propositions. Cette contestation de la Banque de France trouve un écho favorable auprès du pouvoir, ce qui explique que ces revendications aboutissent à un projet de loi. Mais l'Etat lui-même ne doit pas être considéré comme une entité uniforme. Bonaparte ne prend pas ses décisions sans recueillir l'avis de conseillers dont les positions ne sont pas forcément convergentes. Un cinquième chapitre (Vers un projet de loi sur l'unité d'émission) étudiera donc les analyses du chef de l'Etat et des membres de son entourage qui jouent un rôle dans l'élaboration d'un projet de loi destiné à conférer à la Banque de France le privilège d'émission. Organiser le privilège n'est pas une opération simple dans la mesure où de nombreux intérêts sont en jeu. Les intérêts de la Banque de France ne se confondent pas nécessairement avec ceux de l'Etat, et l'élaboration du projet donne lieu à de multiples pressions. Les modifications apportées au texte de ce projet reflètent l'évolution des rapports de force et la prise en considération de diverses revendications. Les conditions qui entourent l'octroi du privilège sont d'ailleurs loin d'entraîner l'adhésion des dirigeants et actionnaires de la Banque de France. C'est en fait à un établissement en situation difficile que la loi du 24 germinal An XI (14 avril 1803) attribue le privilège d'émission sur Paris, ce que nous verrons dans un sixième chapitre (Le privilège d'émission attribué à un établissement en crise).
44. En une seule phrase, Florin Aftalion accumule par exemple plusieurs contre-vérités.
"En 1799, lorsqlle fllt créée SOIIS le Conslliat la Banqlle de France, les pills importantes d'entre el/es [les banques), la Caisse d'amortissement, la Caisse d'escompte et le Comptoir commercial, fllsionnèrent avec elle." (F. Aftalion, L'économie de la Révollltion française, Paris: Hachette, 1987, p. 235.) Si le Consulat se met effectivement en place en 1799, nous verrons que la Banque de France n'est pas fondée à cette date. D'autre part, la Caisse d'amortissement, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir, n'est en rien une banque d'émission et, à ce titre, une fusion avec la Banque de France n'est pas envisageable. Quant à la Caisse d'escompte, c'est un établissement qui fonctionnait avant la Révolution et qui est supprimé en 1793. S'il est vrai qu'il existe bien une Caisse d'escompte du commerce, celle-ci ne peut pas fusionner avec une Banquéde France qui en 1799 n'existe pas encore sous cette appellation. Enfin, pour ce qui est de l'idée selon laquelle les principales banques ont fini par fusionner avec la Banque de France, nous verrons dans quelle mesure elle doit être corrigée.
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CHAPITRE 1 De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Une banque d'émission, la Caisse des comptes courants, ouvre ses portes au cours de l'été 1796 et diffuse ses billets en escomptant des effets de commerce (1). Moins de quatre ans plus tard, elle se fond dans la Banque de France qui vient officiellement de se constituer. Il nous faut nous demander ce qu'est alors susceptible d'apporter cette Banque de France (II) avant de nous arrêter sur les circonstances de sa création (III).
I. La Caisse des comptes courants Alors que le Directoire avait renoncé à mettre en place une banque d'envergure nationale 1, un établissement aux ambitions plus modestes voit le jour à Paris. L'émission de ses premiers billets marque le début d'un développement de l'usage de la monnaie fiduciaire qui se poursuivra sans interruption jusqu'à nos jours. Cet établissement, la Caisse des comptes courants, est constitué le 11 messidor An IV (29 juin 1796), à l'initiative de deux négociants parisiens : Augustin Monneron et Jean Godard. Le premier est la véritable âme de l'établissement. Il appartient à une famille particulièrement impliquée dans les opérations commerciales de grande envergure2• Elu député d'Annonay aux Etats-Généraux, il avait ensuite suivi de près les opérations financières de la Révolution. Il avait même obtenu en 1791 le droit de frapper avec ses frères une monnaie de cuivre qui portait leur nom: les monnerons3 . Il était de ceux qui avaient tenté de constituer une banque d'émission pour organiser le retrait des assignats.
1. Le 13 pluviôse An IV (8 février 1796), des banquiers et hommes d'affaires, dont plusieurs étaient administrateurs de l'ancienne Caisse d'escompte créée en 1776, avaient arrêté les statuts d'une banque dont l'objectif affirmé était d'assurer le remplacement des assignats par des billets de banque. L'opposition des parlementaires et de la presse avaient entraîné l'abandon du projet de création d'un institut d'émission de dimension nationale. Sur cette tentative, cf. G. Jacoud, "Du papier-monnaie au billet de banque: les difficultés d'une transition", op. cit. 2. "Un volume tIItier serait nécessaire (et fort utile aux historiens 1) pour tracer la saga des Monneron dans le dernier tiers du XVIIIe siècle: sur les vingt enfants du receveur général du grenier à sel d'Annonay, et de son épouse, cousine des Dupleix, quatre au moins ont en effet joué 11/1 rôle déterminant. Trois siégèrent à la Constituante, un à la Législative. De Pondichéry à l'ile de France, des Antilles au Sénégal, ils étaient liés à /'ensemble des transactions coloniales, par là, ils devinrent des spécialistes redoutables du mouvement des papiers commerciaux, et de son corollaire obligato&e, celui des métaux précieux ." (Bruguière, op. cit., p. 86-87.) 3. J. Bouchary, Les compagnies financières à Paris à la fin du XVIIIe siècle, Paris: M. Rivière, 1941, t. 2, p. 152-156.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Le rôle de ce premier institut d'émission, fondamental pour expliquer la diffusion du billet de banque en France, a été largement occulté et très peu d'écrits lui sont consacrés. Dans un ouvrage où il défend la cause de la liberté des banques4, l'économiste Paul Coq signale son existence sans apporter d'informations sur son histoire et sur son fonctionnement. Alphonse Courtois lui consacre seulement quelques lignes dans son Histoire de la Banque de France5. Six ans plus tard, l'Histoire des banques en Francé n'apporte aucune information complémentaire. Clément Juglar, dans la partie du Dictionnaire des finances 7 de Léon Say traitant des banques, cite l'établissement en reprenant simplement les informations fournies par Courtois. André Liesse, qui étudie en 1909 l'histoire des banques en France, se contente de la mentionner comme établissement ayant précédé la Banque de FranceB. Il faut attendre 1915 avec un article de Charles Ballot dans la Revue des études napoléoniennes9 pour qu'un auteur consacre plus d'une demi-page à la Caisse des comptes courants. Encore Ballot reconnaît-il l'insuffisance de ses informations pour n'avoir pas eu accès aux archives de la Banque de FrancelO• Les autres auteurs qui s'interrogent sur les origines de la Banque de France, comme Robert Bigo ll ou Gabriel Ramon12 n'apportent curieusement aucun complément d'information par rapport à la brève présentation de Courtois. Ils semblent même ignorer l'apport de Ballot. C'est Louis Bergeron qui, dans sa thèse soutenue en 1974, a effectué la recherche la plus complète à ce jour sur la Caisse des comptes courants 13. Si la logique de sa thèse le conduit surtout à privilégier la présentation des hommes 4. P. Coq, Le sol et la haute banque, ou les intérêts de la classe moyenne, Paris: Librairie démocratique, 1850, t. 1, p. 140. 5. A. Courtois, Histoire de la Banque de France et des principales institutions françaises de crédit depuis 1716, Paris: Guillaumin, 1875, p. 92 6. A. Courtois, Histoire des banques en France, Paris : Guillaumin, 1881, p. 109. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser supposer, ce second ouvrage n'a pas un contenu différent du premier. Bien que le titre diverge, l'Histoire des banques en France n'est qu'une réédition du premier livre. 7. C. Juglar, "Banques", in : L. Say, Dictionnaire des finances, Nancy, Impr. de BergerLevrault, 1889, t. 1, p. 301. 8. A. Liesse, Evolution of credit and banks in France from the founding of the Bank of France to the present time, Washington: Govemment printing office, 1909, p. 18. 9. C. Ballot, "Les banques d'émission sous le Consulat", Revl/e des étl/des napoléoniennes, t. VIII, 1915, p. 289-323. Dans cet article, l'auteur consacre près de cinq pages à présenter l'histoire de la Caisse des comptes courants. 10. Ibid., p. 296 11. R. Bigo, La Caisse d'Ecompte (1776-1793) et les origines de la Banql/e de. France, Paris: PUF, 1927,314 p. 12. G. Ramon, Histoire de la Banque de France d'après les sOl/rces originales, Paris: Grasset, 1929,503 p. 13. L. Bergeron, Banquiers, négociants et manufacturiers parisiens du Directoire à l'Empire, Thèse présentée devant l'université de Paris IV le 16 mars 1974, Paris: Champion, 1975, p. 220-249.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 liés à la vie de l'établissement, il n'en décrit pas moins la Caisse d'une manière beaucoup plus complète que tous ses prédécesseurs; Quant aux historiens et économistes qui se sont plus récemment penchés sur cette banque, ils se sont surtout appuyés sur les auteurs précédents14. La mise en évidence du rôle joué par la Caisse des comptes courants dans l'histoire de l'émission de la monnaie fiduciaire est surtout rendue possible par l'existence de documents liés à la vie de la Caisse. Les registres des délibérations des administrateurs de la Caisse des comptes courants, ainsi qu'un certain nombre d'autres pièces manuscrites, ont été conservés dans les archives de la Banque de France15. Leur utilisation nous a permis de reconstituer le fonctionnement de cet institut d'émission et de connaître les difficultés qu'il a dû surmonter.
Le fonctionnement de la Caisse des comptes courants L'organisation de la Caisse Le capital de la Caisse, d'un montant de cinq millions de francs, est divisé en mille actions de cinq mille francs. Ces actions ne sont toutefois pas souscrites dès sa constitution. Monneron et Godard, qui en acquièrent respectivement huit et quarante, sont suivis par onze autres souscripteurs qui, jusqu'au début de fructidor (août), achètent huit actions chacun. On compte parmi ces premiers actionnaires Jean-Barthélémy Lecouteulx-Canteleu, le banquier pressenti quelques mois plus tôt pour assurer la présidence de l'institution qui aurait mis en circulation des billets à la place des assignats si le projet avait été mené à bien16 . Si Augustin Monneron est directeur général, les premiers actionnaires sont presque tous administrateurs. Dans le registre des délibérations de la Caisse des comptes courants, le premier compte-rendu date du 14 vendémiaire An V (5 octobre 1796). Ce registre révèle que les administrateurs présents sont
14. François Crouzet, qui la présente dans son ouvrage sur la monnaie en France au cours de la période révolutionnaire, reconnaît que son travail "ne repose sur aucune recherche d'archives" (La grande inflation, Paris: Fayard, 1993, p. 12). Eugen N. White ("Free banking during the French Revolution", Explorations in Economic History, vol. 27, nO 3, July 1990, p. 451-463) et Philippe Nataf ("Le système bancaire français au XIXe siècle", Marchés et techniques financières, nO 20-21, juillet-août 1990, p. 51-54 ; "Free banking in France (17961803)", in : K. Dowd (ed.), The experience of free banking, London, Routledge, 1991) se réfèrent eux aussi aux auteurs cités. 15. Un dossier des archives de la Banque de France intitulé "Caisse des Comptes Courants" regroupe divers documents relatifs à cet établissement. 16. Banquier à Rouen, Jean-Barthélémy Lecouteulx-Canteleu est un noble que la Révolution prive de la particule. Elu député aux Etats-Généraux le 21 avril 1789, il s'occupe principalement des questions financières. Il s'installe à Paris et est élu le 21 octobre 1795 député de la Sèine au Conseil des Anciens. Il est, avec l'ancien directeur de la Caisse d'escompte André-Daniel Laffon-Ladébat, au coeur des opérations visant à constituer une grande banque d'émission après la mise en place du Directoire.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France
Devaines, Doyen, Folloppe, Godard, Hainguerlot, Jubié, Magon Gervaisais, Monneron, Récamier et Fulchiron 17. Ce dernier était aussi au nombre des administrateurs prévus pour la grande banque dont le projet avait été abandonné. Sa présence aux côtés de Lecouteulx-Canteleu et Monneron montre bien que la création de la Caisse des comptes courants n'est pas un point de départ pour ces hommes. C'est l'idée de la fondation d'un institut d'émission, mettant en circulation des billets grâce à l'escompte d'effets de commerce, qui trouve une application concrète à travers l'ouverture de la Caisse des comptes courants. Il ne nous a pas été possible de retrouver les statuts primitifs de la Caisse. En revanche, le règlement intérieur et le registre des délibérations nous fournissent d'amples renseignements sur son activité. L'activité de la Caisse L'émission de billets Comme son nom l'indique, la Caisse rend possible l'ouverture de comptescourants alimentés par des dépôts en monnaie métallique. Elle va même, dans les mois qui suivent sa mise en place, jusqu'à créditer les comptes des commerçants qui lui remettent des effets de commerce dont le remboursement est prévu dans un délai n'excédant pas cinq jours, au même titre que s'il s'agissait d'une remise de fonds. Les ordres de paiement sont réglés en métal. Mais la Caisse des comptes courants est avant tout une banque d'émission. Le règlement de la Caisse prévoit que "les billets seront fabriqués en vertu d'une délibération des Administrateurs qui en déterminera la forme, le montant, les séries et les numéros, une autre délibération fixera l'époque de l'émission"18. Chaque billet émis doit être signé par un administrateur. Un registre est établi pour comptabiliser les billets émis. Sur ce registre sont précisés pour chaque billet le nom de l'administrateur qui l'a signé, la date de rentrée et la date de son annulation. C'est aussi une délibération des administrateurs qui fixe la quantité de billets à annuler. Ces billets annulés sont ensuite brûlés. Lors de la séance du 17 brumaire An V (7 novembre 1796), le Conseil d'administration arrête le projet d'une création de billets payables à vue. Le 2 nivôse (22 décembre), le montant retenu pour la coupure est de 500 francs 19 . Des
17. Ces différents actionnaires sont des personnalités du monde des affaires à Paris. Pour une présentation des principaux acteurs du commerce et de la banque, on pourra se référer aux trois premiers chapitres de l'étude de Bergeron (op. cit., p. 1-214). 18. Règlemellt i/ltérieur de la Caisse des Comptes Courallts, p. 14. (Archives de la Banque de France.) 19. Il est malaisé d·apprécier le pouvoir d·achat de cette somme fin 1796 du fait d'importants mouvements qui affectent les prix. On retiendra, à titre de comparaison, que le prix moyen de l'hectolitre de froment est inférieur à 20 francs en 1797. (E. Labrousse,
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 billets sont fabriqués pour une somme de deux millions de francs et le 12 nivôse An V (1er janvier 1797), les administrateurs décident d'en mettre pour 500 000 francs en circulation. Le succès de ces billets nécessite de nouvelles fabrications pour satisfaire les besoins de l'émission. Le 16 ventôse An V (6 mars 1797), le Conseil décide la fabrication de quatre mille billets de 500 francs pour un nouveau montant de deux millions de francs. Le rythme de création des billets s'accélère ensuite. Le 2 floréal (21 avril), la Caisse arrête la décision de fabriquer douze mille billets supplémentaires, soit un montant de six millions de francs, puis un nouveau montant de deux millions de francs le 16 messidor (4 juin). Aux billets de 500 francs émis jusque là, la Caisse décide d'adjoindre des coupures de 1 000 francs. Le 16 pluviôse An VI (4 février 1798), la Caisse lance la fabrication de six mille billets de 1 000 francs. Une autre création pour un nouveau montant de six millions de francs est autorisée le 22 germinal An VI (11 avril 1798). Les billets émis par la Caisse des comptes courants bénéficient d'un succès incontestable. L'établissement jouit d'une confiance qui favorise la diffusion du papier dans la circulation 20 . Des bons destinés à l'usage interne de la Caisse finissent même par être utilisés comme moyens de paiement par le public21 . Si les billets de la Caisse des comptes courants sont admis aussi facilement dans la circulation, c'est qu'ils représentent une véritable monnaie de papier. Le détenteur d'un billet, dès l'instant où il peut utiliser celui-ci pour un paiement, lui reconnaît la même fonction qu'à l'or ou à l'argent. Le papier lui confère le même pouvoir d'achat que le stock de métal qu'il représente. Le remboursement à vue du billet garantit à son détenteur qu'il ne subira aucune décote par rapport au métal. Le porteur a la certitude qu'il peut acquérir à tout moment la contre-valeur en métal du montant imprimé sur le billet. Ce billet, plus aisément transportable que le métal, finit même par être préféré à ce dernier. Cette capacité de la Caisse à assurer le remboursement est importante, mais parfois difficile à préserver. Les demandes de remboursements sont sensibles aux aléas politiques et aux rumeurs qui peuvent parfois circuler sur la situation de l'institut d'émission. C'est ainsi qu'en fructidor An V (septembre 1797), la crise politique suscitée par l'élimination des royalistes est accompagnée de la
R. Romano, F.-G. Dreyfus, Le prix du froment en France au temps de la monnaie stable (1726-
1913), Paris: Impr. nationale, 1970, p. 9.) . 20. La Décade philosophique (20 nivôse An V, t. 12, nivôse-pluviôse-ventôse, p. 127) fait ainsi état de la confiance dans la Caisse des comptes courants et relève les perspectives de développement de rétablissement. 21. Cest notamment ce que révèle une lettre du 22 messidor An VI (10 juillet 1798) que le directeur de renregistrement Gentil envoie aux administrateurs de la Caisse (Archives de la Banque de France).
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France propagation d'un bruit sur la dissolution de la société. Les détenteurs de billets affluent aux guichets et la Caisse doit assurer le paiement de cinq millions de francs en quelques jours. Une protection militaire est même accordée à la Caisse pour réduire le désordre provoqué par les attroupements. Les paiements en métal sont aussi gênés par la surabondance de la monnaie divisionnaire22• Le public se débarrasse de sa monnaie de billon lors de ses dépôts à la Caisse, monnaie que celle-ci évite de refuser pour des raisons commerciales. Mais cet excès de billon encombre la Caisse qui en vient à édicter une règle imposant que les paiements qu'elle effectue soient réalisés pour 1/40 en billon 23 • La mesure a toutefois un impact limité puisque cette monnaie divisionnaire rendue autoritairement au public a tendance à revenir dans les caisses. L'escompte La diffusion des billets a surtout lieu grâce aux opérations d'escompte des effets de commerce. La Caisse escompte des billets à ordre et des lettres de change dont l'échéance peut thé,oriquement aller jusqu'à quatre-vingt-dix jours. Mais il peut être dangereux pour la Caisse d'échanger des billets remboursables immédiatement à vue contre des effets qui sont une promesse de recevoir du métal au bout d'un délai de trois mois. En cas d'importantes demandes de conversion de billets, la Caisse risque de ne pas pouvoir faire face à ses engagements si le papier qu'elle détient ne peut être transformé en or ou en argent qu'après un aussi long délai. Elle a donc intérêt à n'accepter que des titres dont l'échéance est réduite, afin de pouvoir en obtenir rapidement le remboursement. Bergeron affirme: "on ne prit à ['escompte que du papier très court, à 30 jours au maximum et dont le cédant était domicilié à Paris"24. Le registre des délibérations de la compagnie témoigne de ce souci. Dès la première réunion des administrateurs du 14 vendémiaire An V (5 octobre 1796), ceux-ci arrêtent "que le papier dont l'échéance excédera 30 jours ne sera point admis à l'escompte"25. En revanche, contrairement à ce qu'écrit Bergeron, la Caisse a vraisemblablement été amenée à escompter par la suite des effets à un peu plus longue échéance. Au
22. Sur les raisons de cet excès de monnaie divisionnaire et ses inconvénients, on se rep()rtera au développement consacré aux banques de sols. Cf. infra, p. 93-102. 23. Un arrêté du Directoire exécutif du 14 nivôse An IV (4 janvier 1796), imposait déjà cette proportion comme un maximum pour les paiements en monnaie métallique réalisés auprès des caisses publiques. 24. Bergeron, op. cit., p. 224. 25. Registre "des délibérations de la Compagnie établie à Paris le onze Messidor, an IV, 501/5 le nom de Caisse des Comptes COl/rans. Du 14 vendémiaire an 5 au 9 nivôse an 7. (Archives de la Banque de France.)
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
cours de la réunion du 2 ventôse An VII (20 février 1798), les administrateurs décident ainsi que "le papier à 45 jours sera admis"26. Les effets escomptés doivent être revêtus de trois signatures. Outre celles du débiteur et du créancier, ils doivent comporter celle d'un banquier. Cette mesure vise à éviter que deux particuliers s'entendent en établissant mutuellement des reconnaissances de dettes sans qu'aucun mouvement réel de marchandises ne soit à la source de ces titres. Cette règle des trois signatures a souffert des exceptions. Le 23 frimaire An VII (13 décembre 1798), un rapport est fait à l'assemblée générale des actionnaires sur l'escompte extraordinaire. Il s'agit de porter secours à des négociants en difficulté qui détiennent des effets ne présentant pas toutes les garanties qu'exige la règle des trois signatures. Ces négociants voient leurs effets acceptés à l'escompte par la Caisse des comptes courants, à un taux toutefois supérieur à celui couramment pratiqué. L'opération, si elle pouvait être considérée comme risquée, n'en a pas moins procuré un bénéfice de 210 573 francs à la Caisse, pour un montant de plus de vingt-cinq millions de francs d'effets escomptés. La Caisse a aussi eu l'occasion d'accorder des crédits au cours d'opérations non liées à l'escompte. Des crédits ont été accordés contre le dépôt de valeurs en garantie. Ces opérations semblent toutefois avoir revêtu un caractère exceptionnel. Les effets sont sélectionnés par un comité d'escompte composé d'administrateurs appelés à se réunir régulièrement en vue de cette tâche. Le taux d'escompte est fixé à 0,5 % par mois. La modicité de ce taux explique sans doute l'attrait qu'a pu exercer la Caisse des comptes courants sur les détenteurs d'effets de commerce, et par là-même, la rapidité de la diffusion des billets de banque. En fait, l'escompte a précédé l'émission de billets. Lorsqu'en janvier 1797 les premiers billets sont émis, l'escompte existe déjà. La contrepartie des effets est . alors versée en métal. Elle donne peut-être aussi lieu à des soldes créditeurs sur des comptes courants. Mais le total des effets escomptés par décade se limite à 600 000 francs. Le paiement des titres en billets marque l'envolée des opérations d'escompte. Un mois après la mise en circulation des premiers billets, les titres escomptés se montent à un million de francs par décade. Début germinal, c'est-àdire un peu plus d'un mois plus tard, ce montant double. Quatre mois après, l'escompte atteint cinq millions de francs par décade. Cette extension du volume des effets escomptés, comme celle de la mise en circulation des billets qui l'accompagne, n'est cependant pas le fruit de la politique d'un établissement prêt à prendre tous les risques. Dès le début du fonctionnement de la Caisse, un lien fixe est institué entre le montant de 26. Registre~des délibérations de l'administration de la société établie le dix nivôse an sept, sous la raison de Caisse des comptes courants. Du 10 nivôse an 7 au 30 pluviôse an 8. (Archives de la Banque de France.)
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France l'escompte et le solde créditeur des comptes courants. Le 14 vendémiaire An V (5 octobre 1796), au cours de la première réunion des administrateurs mentionnée dans le registre des délibérations, le volume de l'escompte est fixé au quart de ce solde. A partir du moment où les premiers billets sont émis, le montant de ceux qui sont en circulation est aussi pris en compte pour déterminer le volume de l'escompte. La proportion des effets escomptés par rapport aux billets et soldes créditeurs passe alors de 1/4 à 3/8. Cette part s'élève ensuite à la moitié, puis 9/16, avant d'être ramenée à la moitié en thermidor An V. L'accroissement du volume de l'escompte est donc rendu possible parce que, à l'origine, les dépôts s'élèvent. Le nombre de déposants augmente, ce qui accroît le montant des fonds que la Caisse peut détenir en réserve. Le 2 brumaire An V (23 octobre 1796), la réserve de métal se monte à 364 000 francs. Le 17 nivôse An V (6 janvier 1797), ce stock de numéraire est porté à deux millions de francs. Il atteint quatre millions le 6 prairial (25 mai). C'est un enchaînement vertueux qui permet de développer l'activité de la Caisse. Les dépôts supplémentaires lui permettent d'accorder des escomptes pour un montant supérieur. Ces escomptes engendrent de nouveaux dépôts qui donnent une marge de manoeuvre plus importante à la Caisse pour étendre ses opérations de crédit. Si l'accroissement du volume des effets escomptés et de celui des billets émis laisse envisager une longue période de prospérité pour la Caisse, un événement imprévu vient brutalement remettre en question son existence.
La crise Dans les quelques lignes qu'il consacre à la Caisse des comptes courants, Courtois écrit: "Elle eut cependant des moments difficiles. Un voleur lui enleva
une fois 2 millions 1/2. C'était en brumaire an VI (novembre 1797)."27 Ainsi se trouve présenté comme un simple fait divers, d'une manière inexacte et avec une date erronée, un événement qui hypothéquera la survie de l'établissement et qui aboutira à la dissolution de la société, suivie d'un nouveau départ avec des statuts modifiés. La Caisse des comptes courants mise en difficulté C'est en fait le 27 brumaire An VII (17 novembre 1798), et non au cours de l'An VI, que survient l'événement. Le registre des délibérations du conseil d'administration rapporte qu"'aujourd'llIIi vingt sept brumaire an sept, plusieurs
administrateurs de la caisse des comptes tourants informés qu'Augustin Monneron directeur général ne s'était pas rendu à ses fonctions et qu'il n'avait laissé aucune information, ont appelé les autres administrateurs"28. Dès que ceux-ci sont réunis, 27. Courtois, Histoire de la Banque de France ... , op. cil., p. 92. 28. Registre des délibérations de la compagnie... , op. cil.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 un comité est formé et reçoit la charge de vérifier les portefeuilles et la situation des caisses. Le même jour, les administrateurs reçoivent une déclaration signée de Monneron dans laquelle il reconnaît devoir 2 500 000 francs. Le voleur dont parle Courtois est en réalité le premier responsable de la Caisse des comptes courants. Des mesures sont prises sans attendre. L'assemblée générale des actionnaires est convoquée pour le lendemain. Il est décidé "que le public
serait prévenu par affiche qu'on ne payerait à la Caisse des remboursements que de 300 mille en écus dans la matinée" et "enfin qu'on demanderait au ministre de la police une force armée distribuée' tant dans l'intérieur que dans les postes environnants"29. Cette dernière mesure n'est pas superflue. Dès que la nouvelle est connue, la foule afflue aux guichets pour exiger le remboursement des billets. Pour limiter ces remboursements, la Caisse n'autorise le paiement que d'un seul billet de 500 francs par personne. Des informations données au conseil d'administration du 6 frimaire (26 novembre) apportent quelques précisions sur les procédés utilisés. "Devaines fils a instruit l'administration que de concert
avec les agens[30) de police il avait fait distribuer aux porteurs de billets venant au remboursement, des numéros; que ces numéros étaient refusés par les agens de la police aux personnes bien connues par eux pour faire le métier[31) de venir chaque jour au remboursement. "32 Les administrateurs de la Caisse s'empressent de rendre public le bilan de celle-ci pour rassurer la population33 . L'actif s'élève alors à 22145487 francs 29. Ibid. 30. Dans une citation, le mot "sic" suit traditionnellement les termes mal orthographiés pour indiquer que J'erreur existait dans le texte d'origine. Les documents d'époque, manuscrits ou imprimés, que nous avons été amenés à consulter utilisent fréquemment une écriture approximative (orthographe fantaisiste ou simplement différente de la nôtre, ponctuation parfois inexistante, abus des majuscules, etc.). Dans la mesure où nous reproduisons les extraits cités tels qu'ils apparaissent dans le texte original, nous renonçons à faire suivre chaque incorrection du mot "sic". Son utilisation répétée dans une même citation rendrait la lecture malaisée. 31. Des commerçants et banquiers détenteurs de billets de la Caisse envoyaient sans doute régulièrement des membres de leur personnel demander le remboursement de ces billets. Il est aussi possible que des spéculateurs aient racheté des billets avec une décote à leurs détenteurs momentanément paniqués, pour les présenter ensuite jour après jour au remboursement. Dupont de Nemours résume les raisons d'être de la décote des billets en cas de crise de l'émetteur. "Aussi longtemps que ce remboursement ne peut pas être fait à bureaux ouverts, à tout venant, et qu'on voit la Banque obligée d'y mettre de la lenteur, il devient inét,itable qu'il y ait un cours entre l'argent et les billets. Ce cours, ou la préférence qu'on donne à l'argent, ne s'exprime d'abord que par la foule aux portes de la Ballque ; la peine, la fatigue, la dépellse de cette foule, se traduisellt ensuite ell une prime calculée. 011 ac/tète l'argent, 011 plutôt on vend le billet à perte, car l'argellt a gardé son prix, ce SOllt les billets qui ont cessé d'avoir le leur: et cela était inévitable." (P.-S. Dupont de Nemours, Sur ln Banque de France, Paris: Delance, 1806, p. 25.)
32. Registre odes délibérations de la compagnie... , op. cit. 33. Ce bilan est publié dans le Moniteur ulliversel du 1er frimaire An VII (21 novembre 1798).
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France alors que le passif est limité à 19736492 francs. L'excédent de l'actif cache néanmoins un déséquilibre lié aux échéances des titres de l'actif et du passif. Les engagements du passif représentent en effet pour l'essentiel les billets émis, billets dont la Caisse doit assurer le remboursement sur simple présentation. Or, si le montant de l'actif est rassurant, sa composition l'est beaucoup moins. Ce sont les titres escomptés qui y figurent, et ce n'est qu'à l'échéance qu'ils seront transformables en moyens de paiement permettant le remboursement des billets. L'indélicatesse de Monneron a privé les caisses d'espèces, ce qui interdit à l'établissement d'assurer la conversion de tous les billets présentés. Si l'actif excède bien le passif, il n'est cependant pas immédiatement réalisable pour satisfaire les demandes de conversion. La limitation autoritaire du montant des remboursements quotidiens est donc impérative pour que l'établissement ait le temps de renflouer ses caisses, bien que la mesure engendre des effets pervers. Cette limitation détruit la confiance des porteurs de billets qui veulent alors obtenir la contre-valeur en métal. Dans cette période de crise, la Caisse reçoit des aides appréciables qui réduisent les demandes de conversion. Le registre des délibérations fait état de la première de ces aides à la date du 1er frimaire (21 novembre). "Le Ministre des
finances ayant annoncé que l'ambassadeur d'Espagne lui avait écrit que plein de la confiance dans la solidité de la Caisse des Comptes Courants, il avait défendu à son trésorier de demander le remboursement d'aucun de ses billets montant au total à un million cinq cents mille francs. "34 Le lendemain, c'est la Caisse d'escompte du commerce35 qui arrête qu'elle acceptera de recevoir en paiement les billets de la Caisse des comptes courants. Le 14 frimaire (4 décembre), la Trésorerie nationale accepte d'échanger 550000 francs de billets qu'elle détient contre des titres, au lieu d'en demander le remboursement en espèces. Deux jours plus tard, le ministre des Finances intervient à son tour en autorisant les acquéreurs de biens nationaux à payer avec les billets de la Caisse. Ces différents appuis ne vont pas jusqu'à transformer le papier de la Caisse en un papier ayant le cours légal, c'est-à-dire apte à satisfaire tous les paiements, mais ils permettent d'étendre ses possibilités d'utilisation, ce qui tend à restreindre les présentations au remboursement. Pour enrayer l'afflux de demandes de remboursement, les administrateurs s'engagent aussi solidairement à assurer le remboursement de tous les billets en circulation36. Cette mesure vise à calmer l'inquiétude des détenteurs de billets en leur assurant que leur papier finira bien par être remboursé à sa valeur nominale. 34. Registre des délibérations de la compagnie... , op. cit. 35. Cf. infra, p. 57-67. 36. Il semble que cette mesure ait produit un effet salutaire. La Décade philosophique (10 frimaire An'VII, t. 19, vendémiaire-brumaire-frimaire, p. 446) indique ainsi qu"'e/le a sllr le champ calmé les inquiétudes" et qu"'ii l'instant, les billets ont repris tout leur crédit, et Ollt été dO/l/lés et reçlls comme arge/lt comptant dans tOlites les caisses".
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Elle vise aussi à contrer la spéculation. Les porteurs de billets ne seront pas incités à chercher à les liquider immédiatement au risque d'accepter une décote s'ils savent que les associés de la Caisse s'engagent à les rembourser à leur valeur d'émission. La Caisse cherche toutefois à améliorer ses capacités de remboursement en augmentant son encaisse métallique. Elle reçoit des dépôts en numéraire, dépôts qu'elle a vraisemblablement sollicités auprès des établissements qui ont eu recours à ses services. Elle charge l'un des administrateurs, Perregaux37, d'acheter des piastres qu'elle fait convertir en écus qui viennent alimenter ses caisses. Un établissement bordelais, la maison "Les fils de Rodrigue", s'occupe ainsi d'acquérir un grand nombre de piastres, les fait convertir en monnaie française, et les expédie à Paris par diligence. Il se rembourse en présentant à la Caisse des reconnaissances de dettes qui incorporent une commission de 1/4 % pour l'opération. Celle-ci, bien que coûteuse pour la Caisse, lui permet de reconstituer rapidement son stock de métal. Cette tentative d'accroître l'actif immédiatement réalisable se double d'une volonté de diminuer le nombre de billets en circulation. Si la banque ne met pas fin à ses opérations courantes d'escompte, elle décide de supprimer l'escompte extraordinaire le 21 frimaire (11 décembre). Sans qu'il nous soit possible de connaître avec précision la nature de ce type d'escompte, les documents relatifs aux opérations de la Caisse nous permettent de savoir qu'il s'agissait de prêts accordés à des négociants provisoirement en difficulté, prêts dont ils n'auraient pas pu obtenir le bénéfice si la Caisse s'était strictement conformée aux conditions de prêts prévues par ses statuts. Il s'agissait vraisemblablement d'escompter des effets qui ne présentaient pas toutes les garanties souhaitées, et notamment les trois signatures. L'opération était intéressante pour les débiteurs qui trouvaient là une possibilité de financement, et pour la Caisse qui se prémunissait du risque plus important en escomptant à un taux supérieur au 0,5 % mensuel couramment pratiqué38 . L'escompte extraordinaire s'est d'ailleurs traduit par un bénéfice pour la Caisse39 .La suppression de ces prêts a sans doute été accompagnée d'une plus grande rigueur dans la sélection des effets couramment escomptés. Réduire l'escompte, c'est réduire la mise en circulation des billets dans une période où ceux-ci ont tendance à revenir rapidement aux guichets pour remboursement. Les comptes-rendus de la Caisse n'indiquent pas qu'elle ait été amenée à suivre une
37. Pour une présentation plus complète, cf infra, p. 41-43. 38. Si les documents consultés nous permettent de savoir que le taux pratiqué lors de l'escompte extl'llordinaire était supérieur à 0,5 % par mois, nous n'avons pas retrouvé de données chiffrées permettant de connaître avec certitude ce taux. 39, Cf supra, p. 23.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France politique d'escompte plus restrictive, mais la presse de l'époque fait état des difficultés provoquées par la crise de la Caisséo. Ce qui est particulièrement surprenant dans cette crise, c'est l'incapacité des administrateurs à apprécier la véritable situation de la Caisse après la disparition de son directeur général. On pourrait croire que l'établissement obéit à des règles de gestion rigoureuses permettant de connaître à tout moment l'état des comptes. Or les comptes-rendus du conseil d'administration donnent à penser que seul Monneron avait une vue globale des activités de la Caisse. Lorsque celuici n'est plus là, les administrateurs ont du mal à reprendre en mains un établissement dont le contrôle paraît leur échapper. Les faits sont édifiants. Dès le 27 brumaire (17 novembre), un comité permanent constitué de trois administrateurs reçoit pour mission la vérification des portefeuilles et des caisses. Deux jours plus tard, un comité de direction de trois membres est nommé pour suppléer la fonction de directeur général qu'assurait Monneron. Le 4 frimaire (24 novembre), les administrateurs décident d'établir d'une manière plus exacte la situation de l'établissement, ce qui revient à reconnaître qu'ils l'ignorent. Ils avouent d'ailleurs sans ambiguïté leur manque d'information dans le compte-rendu du 7 frimaire (27 novembre)41. C'est seulement le 9 nivôse (29 décembre), soit un mois et demi après le début de la crise, que l'administration est en mesure de faire un rapport complet sur l'état exact de la situation de l'actif. On pourrait presque affirmer, aussi paradoxal que cela puisse paraître, que si Monneron ne s'était pas lui-même reconnu débiteur d'une somme de 2,5 millions de francs, les autres dirigeants n'auraient pas eu connaissance de ce détournement avant longtemps42. 40. On peut ainsi lire dans La Décade philosophique (30 frimaire An VII, t. 19, vendémiaire-brumaire-frimaire, p. 576) : "Le contre-coup de l'événement arrivé à la Caisse des Comptes Courans, s'est fait cruellement sentir dans la banque et dans le commerce. Il y a eu plusieurs banqueroutes de maisons très fortes." On notera à ce sujet l'ambiguïté avec laquelle cette revue a relaté l'événement. Alors que dans le numéro du 10 frimaire An VII (30 novembre 1798), un article qui se voulait rassurant relatait les faits comme un simple incident sans conséquence, l'article du 30 frimaire (20 décembre) fait état de graves répercussions de cette crise sur le monde du commerce. Cette prudence dans la présentation des faits immédiatement après la disparition de Monneron n'est toutefois pas propre à La Décade philosophique. La presse cherche manifestement à minimiser l'incident afin d'éviter d'aggraver la situation en inquiétant l'opinion. Un rapport de police du 28 brumaire An VII (18 novembre 1798) fait état de cette attitude de la presse tentant de rassurer le public (F.-A. Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, Paris: Quantin, 1892-1902, t. S, p. 212). 41. "Un commissaire ayant demandé si l'on avait commencé le registre qui établissait l'état sommaire du portefeuille des effets pris à l'escompte de manière à pouvoir connaître à chaque instant la quantité de papier que la caisse avait sur chaque maison, 011 lui a observé que ce travail ne pourrait être entamé que dans les premiers jours de la décade prochaine." (Registre des délibérations de la compagnie ... , op. cit.) 42. On peut-dèS lors s'interroger sur les raisons qui ont poussé Monneron à fuir avant que le trou de 2,5 millions de francs ne soit découvert. J. Bouchary qui établit une présentation de la famille Monneron (Les manieurs d'argent à Paris à la fin du XVlIle siècle, Paris: M. Rivière, 1943, t. 3, p. 181-247) consacre plusieurs pages à cet épisode (p. 231-247).
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 L'attitude de ces dirigeants envers le principal responsable de la Caisse est d'ailleurs significative. Après la disparition de Monneron et l'information par celui-ci de l'existence d'un trou de 2,5 millions, les administrateurs se refusent à porter plainte. Le motif invoqué est qu'une plainte risquerait d'écarter toute possibilité de voir jamais réapparaître Monneron43 . On peut aussi supposer que s'ils hésitent à porter plainte, c'est que la procédure risque de se retourner contre eux. En tant qu'administrateurs, ils portent une part de responsabilité puisqu'ils n'ont pas été à même de suivre l'activité réelle de la Caisse. Deux raisons supplémentaires peuvent encore expliquer cet attentisme. Malgré sa disparition, Monneron établit une correspondance avec l'administration de la Caisse, dans laquelle il tente de se justifier. Ces informations sont précieuses pour les administrateurs qui ont du mal à apprécier la situation exacte de l'établissement. D'autre part, les possibilités de remboursement ne semblent pas exclues. Louis Monneron, le frère du directeur en fuite, se propose d'essayer de trouver un arrangement avec la Caisse pour rembourser les dettes de son frère. Des contacts sont aussi pris avec un citoyen qui se reconnaît débiteur d'Augustin Monneron pour 500 000 francs, ce qui laisse à la Caisse la possibilité de retrouver une partie de ses fonds si ce remboursement peut être effectif. C'est seulement le 23 frimaire An VII (13 décembre 1798), presque un mois après le début des événements, que
"l'administration de la Caisse des Comptes-Courants arrête qu'il sera rendu plainte au criminel contre Augustin Monneron"44. Cette crise n'est pas un épisode sans conséquence de la vie de la Caisse des Comptes Courants. Elle aboutit à la disparition de la société dans sa forme juridique initiale et à la constitution d'une nouvelle société. Vers un nouveau départ
Le 10 nivôse An VII (30 décembre 1798), la dissolution de la société constituée le 11 messidor An IV (29 juin 1796) est prononcée. Il ne s'agit pas d'une disparition définitive de la Caisse, mais d'une volonté de faire repartir celle-ci avec de nouveaux statuts permettant de pallier les faiblesses que la crise venait de révéler : contrôle insuffisant des avoirs en caisse, insuffisance des fonds disponibles, pouvoir excessif du directeur général... En même temps que la
Il avance qu'une enquête sur un réseau de fabrication de faux-billets de la Caisse risquait d'amener un contrôle de ses comptes. Or Monneron ayant accordé de son propre chef des prêts de manière inconsidérée, il se serait trouvé face à des débiteurs incapables de le rembourser. Il aurait alors fui en avouant sa dette envers la Caisse avant que cette conséquence de la légèreté de sa gestion ne soit établie au cours d'une enquête. 43. Monneron était parti à la Guadeloupe. Dans un premier temps, il sera condamné, mais les poursuites contre lui finiront par être abandonnées. Après un retour dans la métropole en 1802 (il sera arrêté puis libéré), il quittera définitivement la France pour l'Amérique.
44. Registre des délibérations de la compagnie... , op. cit.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France première société est dissoute, une nouvelle Caisse des comptes courants est constituée. Le capital, qui était de cinq millions de francs dans la première société, est porté à huit millions, non pas par augmentation du nombre d'actions, mais par une revalorisation de chaque action qui passe ainsi de 5 000 francs à 8 000 francs. Chaque actionnaire de l'ancienne société peut donc devenir actionnaire de la nouvelle en échangeant ses anciens titres de propriété contre des nouveaux et en ajoutant 3 000 francs en espèces, payables en douze mensualités égales. Le directeur général est flanqué d'un contrôleur général élu par une majorité absolue lors de l'assemblée générale des actionnaires, sur présentation d'au moins trois candidats par les administrateurs. Au sein de l'administration, un comité est chargé de l'examen et de la surveillance du portefeuille. Un autre comité a pour tâche la vérification des caisses. Ces comités sont renouvelés partiellement chaque décade et un administrateur ne peut pas être membre de deux comités en même temps. En dehors de ce contrôle des administrateurs, les statuts prévoient la constitution par l'assemblée générale des actionnaires d'un comité de vérification, composé de trois actionnaires. Ce comité est renouvelé deux fois par an. Ses membres ont pour mission "la vérification des livres, des porte-feuilles et des caisses"45. Ils peuvent convoquer immédiatement l'assemblée générale en cas d'anomalie constatée. Cette recherche de la sécurité se retrouve jusque dans l'utilisation du bénéfice. Seule la moitié des bénéfices peut donner lieu à distribution d'un dividende. L'autre moitié est mise en réserve, "ainsi que les fractions au-dessous de 5 francs par action"46. Les anciens actionnaires confient à la nouvelle société la liquidation des affaires de la première. L'actif de la Caisse se monte alors à 22 572 208,52 francs dont 11 103 260,62 francs en caisse, la moitié de la caisse étant constituée de billets, l'autre moitié d'espèces. Lors du dernier conseil d'administration de l'ancienne société, le 9 nivôse An VII (29 décembre 1798), la masse des billets en circulation était estimée à un peu plus de huit millions de francs. La Caisse, grâce à la réduction du volume des billets et à l'accroissement de son encaisse métallique, avait ainsi éliminé les risques d'insolvabilité. La dernière proposition de l'ancienne société avait donc été la reprise des paiements à bureau ouvert. C'est un total de 26,5 millions de francs en billets qui avait été émis sous l'ancienne société, dont 14,5 millions en billets de 500 francs et 12 millions en billets de 1 000 francs47.
45. Règlement général de la liaI/velle société de comptes courants, p. 11. (Archives de la Banque de France.) 46. Ibid., p. 1-2. 47. Ces chiffres sont ceux qui ont été présentés lors du conseil d'administration du 12 frimaire An VII (2 décembre 1798). Il n'est pas fait état de nouvelles émissions entre cette date et la dissolution de la première société.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
L'émission de nouveaux billets de 500 francs et 1 000 francs est décidée. Le 10 nivôse An VII (30 décembre 1798), le jour même de la constitution de la nouvelle société, les administrateurs s'engagent à créer des billets de 500 francs pour un montant de six millions de francs. Le 26 nivôse An VII (15 janvier 1799), ce sont de nouveaux billets de 1000 francs qui sont émis. Ces billets continuent à être émis lors d'opérations d'escompte. Le coût de celui-ci est précisé dans un arrêté du 12 pluviôse (31 janvier). "L'escompte est fixé pour les actionnaires à 1/2 % pour le papier jusqu'à 30 jours et à 3/4 % celui de 31 à 45 jours."48 Pour les nonactionnaires, le papier est escompté pour des échéances allant de 10 à 45 jours, mais le taux est invariablement fixé à 3/4 %, quelle que soit la date d'échéance. La Caisse privilégie donc ses actionnaires en leur accordant des crédits à un coût plus avantageux49 . Privilégiés par le coût du crédit qui leur est consenti, les actionnaires le sont aussi par le volume des effets réservé à l'escompte à leur profit. Dans l'ancienne société, les administrateurs avaient arrêté, le 12 germinal An V (1er avril 1796), que dans le montant des sommes destinées à l'escompte, la part des actionnaires serait deux fois plus importante que celle des nonactionnaires. Les deux tiers des opérations d'escompte étaient donc réservés à l'usage exclusif des actionnaires. La deuxième société ne fait que poursuivre les opérations de la première et la moitié de l'escompte est encore réalisée au profit des actionnaires. La discrimination par le coût de l'escompte entre actionnaires et non-actionnaires n'est toutefois pas maintenue. Un arrêté du 2 ventôse An VII (20 février 1799) rapporte celui du 12 pluviôse. "Le prix de l'escompte est fixé à
1/2 p. cent par mois pour tout le monde. "50 La nouvelle Caisse des comptes courants joue son rôle d'institut d'émission en mettant en circulation des quantités de plus en plus importantes de billets qui témoignent du développement de ses activités et des aides qu'elle apporte au monde des affaires. Au 2 floréal An VII (21 avril 1799), soit moins de cinq mois après sa constitution, elle a émis pour 20,5 millions de francs, dont 7,5 millions en billets de 500 francs et 13 millions en billets de 1 000 francs. La diffusion de la monnaie de papier vient de commencer avec les billets de la Caisse des comptes courants. Elle prend son essor avec le passage de la Caisse des comptes courants à la Banque de France.
48. Registre des délibérations de l'administration ... , op. cit. 49. La question de savoir qui sont réellement les bénéficiaires des opérations de la Caisse n'est pas secondaire. C'est un argument qui sera utilisé pour expliquer la création et pour justifier le maintien en activité d'autres banques d'émission censées s'adresser à un autre public. Cf infra.
50. Registre des délibérations de l'administration ... , op. cit.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France
II. Pourquoi la Banque de France? La Banque de France est officiellement créée début 1800, mais on ne peut pas pour autant considérer que cette création correspond à la formation soudaine d'une institution née subitement avec le Consulat. La nécessité d'une grande banque d'émission, déjà établie dans les premiers temps du Directoire, se fait plus pressante en 1799. S'il est vrai que le Consulat assure les conditions favorables à sa constitution, la Banque de France est néanmoins l'aboutissement d'un long processus et non une oeuvre spontanée du nouveau pouvoir.
La nécessité d'un grand institut d'émission Un nouveau contexte en 1799
La réussite de la Caisse des comptes courants est incontestable si l'on considère qu'elle accorde une aide précieuse en procurant des crédits à ses actionnaires et, d'une manière plus large, au monde des affaires. C'est aussi le succès d'une banque qui réussit à faire accepter ses billets dans une période où l'utilisation du papier dans les paiements suscite la plus grande méfiance du fait des souvenirs récents de la douloureuse expérience des assignats. Mais son activité reste limitée eu égard aux besoins de financement de l'industrie, du commerce, et surtout de l'Etaf)1. L'émission des billets se trouve donc freinée par le fait que les crédits accordés par la Caisse sont réduits à un champ restreint. Il manque en fait le grand institut d'émission qu'un groupe de banquiers avait tenté de constituer en 1795~1796. Dans la contradiction entre la nécessité d'un tel établissement et les forces qui s'opposent à sa constitution, c'est le premier élément qui l'a jusque là emporté. A l'automne 1796, le ministre des Finances voulait ainsi faciliter la circulation monétaire grâce à la collaboration d'une banque qu'il souhaitait voir se constituer. Il avait convoqué pour en conférer les hommes d'affaires les plus importants du pays52. Mais ceux-ci n'avaient pas cru que l'opération puisse être possible. Un article de La Décade philosophique du 10 pluviôse An V (29 janvier 1797) expose parfaitement le problème. "Ils [les représentants du commerce] ne pensent pas que l'on puisse établir dans ce moment,
en France, une grande banque nationale, parce que la confiance, l'élément le plus 51. Contrairement à l'émission de papier-monnaie qui procure des fonds à l'Etat, l'émission de billets par un établissement privé ne lui fournit aucune ressource. 52. Journal d'économie publique, de morale et de politique, n° 11, 20 frimaire An V (10 décembre 1796), p. 95. La revue publie par la suite un "Mémoire présenté par les envoyés extraordinaires du commerce au ministre des Finances, concernant les monnoies", daté du 5 ventôse An V (24 février 1797) (nO 35, 20 thermidor An V (7 août 1797), p. 356-378). Il donne lieu à une réponse de Camille Saint-Aubin dans le même journal: "Observations sur le mémoire des envoyés extraordinaires du commerce, concernant les monnoies" (n° 36, 30 thermidor An V (17 août 1797), p. 398-413).
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 nécessaire à son existence, lui manquerait. La confiance publique a reçu des chocs trop violens et trop précipités par la cllûte de la caisse d'escompte, de la compagnie des Indes, de celle des assurances, des assignats, des rescriptions, des mandats, pour qu'elle consente à s'attacher de nouveau à aucun grand établissement que le gouvernement tiendrait sous son influence. La Caisse des comptes courans dont nous avons déjà parlé, est d'un genre différent; l'activité de cette caisse, la circulation de son papier, ne s'étend pas au-delà du cercle de ceux qui en connaissent les administrateurs et les actionnaires; son crédit n'est encore que celui des signataires de ses billets, et c'est plutôt une association privée qu'une caisse publique. "53 Or, deux ans plus tard, les arguments en faveur d'une grande banque d'émission semblent l'emporter. Mais si c'est en 1799 que les pressions en faveur d'une grande banque sont les plus fortes, l'idée n'en revient pas moins à plusieurs reprises depuis 1796, comme en témoignent les rapports de police établis sous le Directoire. On lit notamment dans un rapport du 28 messidor An IV (16 juillet 1796) que "tous les individus désirent l'instant où il n 'y aura plus de papier, ou bien celui où il
n'en existera qU'lm seul invariable, comme l'était celui de la Caisse d'escompte; car on est convaincu que les grandes opérations de commerce ne peuvent se faire sans papier, vu l'insuffisance du numéraire, même dans les temps d'abondance"54. Ce papier souhaité par le peuple au point que les rapports de police en rendent compte est bien le billet de banque. Un rapport du 4 fructidor An IV (21 août 1796) précise que le public attend "des effets de banque qui sont comme chez les peuples
qui nous avoisinent, et l'on désire l'établissement d'une banque particulière et indépendante du gouvernement, et qui, modelée sur la Caisse d'escompte, payerait les effets à bureau ouvert"55. En 1799, le contexte monétaire est différent de celui de 1796. Bien que le métal soit encore loin d'être abondant, l'ère du papier-monnaie est révolue. C'est donc un obstacle à l'établissement d'une grande banque d'émission qui a été écarté. En effet, ceux qui au début du Directoire s'opposaient à la constitution d'une banque pour préserver l'usage du papier-monnaie n'ont plus de raison de contester ce type de projet. L'attachement aux assignats n'est plus un motif de condamnation des banques puisque les assignats ont cessé d'exister. Les oppositions purement politiques à l'idée d'assurer la circulation monétaire par des billets ont donc disparu. Ceux-là même qui proclamaient la nécessité de défendre l'assignat sont parfois les premiers à réclamer la constitution d'une banque. Jacques-Charles
53. La Décade philosophique, 10 pluviôse An V, t. 12, nivôse-pluviôse-ventôse, p. 253-254. La confiance est présentée ici comme la condition impérative à la création d'une grande banque d'émission. Adolphe Thiers considère d'ailleurs la Banque de France comme "une sorte de merveille cODlmerciale, due à l/Il gouvernement qui avait surtout le don d'inspirer la confiance" (A. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, Paris: Paulin, 1847, t. 2, p. 157). 54. Aulard, op. cit., t. 3, p. 320. 55. Ibid., p. 403.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Bailleul, qui plaidait en faveur de l'assignat en février 179656, réclame trois ans plus tard la constitution d'une banque devant le Conseil des Cinq-Cents57 . Contrairement à ce qu'écrit Adam Smith dont les idées sont alors largement diffusées en France58 , il prétend que la quantité de monnaie nécessaire à l'économie n'est pas donnée, mais qu'il y a une interaction entre ce qu'on pourrait appeler la sphère du réel et la sphère monétaire. "La somme des signes
nécessaires au besoin des nations ne saurait se déterminer. La demande en augmente à mesure que les manufactures et le commerce font des progrès, et réciproquement les progrès des manufactures et du commerce d'une nation industrieuse s'étendent à mesure que la circulation des signes devient plus considérable. "59 Le développement de l'activité économique entraîne un besoin supplémentaire de monnaie, et une offre additionnelle de monnaie favorise la croissance. Le billet de banque apparaît donc à la fois comme une conséquence du développement des affaires et comme une condition à la poursuite de ce développement60. La première partie du raisonnement de Bailleul laisse donc supposer que la croissance économique appelle un supplément de monnaie. Dans un contexte où le stock métallique est restreint et le papier-monnaie éliminé, l'accroissement de la masse monétaire nécessite une émission de monnaie fiduciaire. Il y a donc un véritable besoin de billets de banque. Cette nécessité économique du billet pour la France apparaît clairement si l'on compare sa circulation monétaire avec celle de l'Angleterre. Alors qu'au début du XIXe siècle les billets représentent la moitié des disponibilités monétaires en Angleterre et au Pays de Galles, ils n'en représentent que 5 % en Francé1.
56. Moniteur universel, n° 159, 9 ventôse An IV (28 février 1796), p. 547. 57. "Au premier rang des mesures qui peuvent produire d 'heureux résultats, et dlanger /lotre situation vraiment déplorable, est l'établissement d'une banque." O.-c. Bailleul, Corps législatif - Conseil des Cinq-Cents. Motion d'ordre pourla proposition d'une banque, par J.-Ch. Bailleul, représentant du peuple, séance du 29 pluviôse an 7, Paris : Impr. nationale, An VII, p.3.) 58. Cf. G. Jacoud, "L'influence de l'analyse de la monnaie de papier par Adam Smith sur la théorie et les pratiques monétaires françaises", Economies et Sociétés, A. F. n° 18, 3/1993, p.41-67. 59. Bailleul, op. cit., p. 4.
60. "Il résultera de la discussion que le système des banques réunit tous les avantages propres à rendre cette circulation active, qu'il donne en un instant le mouvement et la vie à toutes les opérations commerciales, en créant des capitaux, qui, par leur nature, passent dans toutes les mains avec la rapidité de l'éclair." (Ibid.) 61. Cameron, Crisp, Patrick, Tilly, op. cit., p. 42, p. 116. Ces données sont reprises par B. Courbis ("L'Origine de la 'monnaie banque centrale' : étude comparée des expériences française et anglaise à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle", Cahier Monnaie et Financement, Université Lyon 2, n° 15, juin 1985, p. 9) qui montre l'avance de l'Angleterre sur la France en matière de dématérialisation de la monnaie.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Bailleul ne peut donc que plaider en faveur des banques. Il est conscient des avantages que procurent les établissements bancaires de grande envergure à l'étranger. En Hollande, la banque a fait diminuer le taux d'intérêt, ce qui a favorisé le commerce. Et l'histoire montre que la prospérité de certains Etats leur est liéé 2 . C'est pourquoi il "espère que la discussion relative à l'établissement d'une banque, prouvera à l'Europe entière que la France cannait ses véritables
in térêts"63. Les anciens inconditionnels des assignats ne se sont certes pas tous convertis à la monnaie de banque. Charles-César Robin, qui avait ardemment défendu le papier-monnaié4, se plaint de la rareté des espèces métalliques, ou plutôt il constate que c'est un problème permanent en France. Il propose alors de réduire l'usage du métal, en distribuant aux salariés de l'Etat non pas des espèces, mais des bons convertibles en grains 65 ; "Ces bons deviendraient dans les mains des
salariés ruraux comme un papier de banque qui prendrait un cours volontaire et d'autant plus avantageux qu'il se réaliserait en grain qui ne sera pas si on le veut susceptible de diminuer de prix. "66 Il souhaite en étendre l'usage aux pensionnés de la République en partant du fait que dans l'Antiquité des Etats réglaient, comme à Athènes, les pensions en nature. L'Etat qui payait en huile, figues ou denrées alimentaires diverses n'accumulait pas de dettes. Robin estime que le gouvernement français, en versant les pensions en argent, est obligé de demander beaucoup aux contribuables qui peuvent difficilement se procur~r du métal. Les bons seraient préférables. Ils pourraient être étendus aux transactions entre particuliers. Le système présenté pose un problème en cas d'éloignement des stocks de grains et de variation de leur prix. Mais l'auteur du projet propose la création de greniers publics pour en réguler le cours67 . Ceux qui y déposeront le grain 62. "En Ecosse, à Venise, à Gênes, enfin dans presque tOIlS les états commercans nous voyons s'établir des banqlles depuis le seizième siècle, et l'histoire nOlis atteste que cellx qlli les premiers ont senti la beauté de ce mécanisme, dont l'effet est de multiplier les signes sans altérer les espèces, ont également les premiers allgmtmté lellrs richesses." (Bailleul, Corps législatif... Motion d'ordre ... , op. cit., p.6.) 63. Ibid., p. 8. Bailleul trouve dans l'exemple des Etats-Unis des arguments pour montrer l'intérêt d'une banque. "La banqlle fut arrêtée [sa création fut décidée] ; à l'instant même les capitaux circulèrent librement, l'intérêt baissa, le commerce reprit son activité, tOIlS les biens furent en/ployés, les terrres incllites devinrent fertiles, les villes se pellplèrent, les ateliers se mliitiplièrent ; le paiement des impôts fut toujollrs assuré, ceilli des relltes et de tOliS les services le fut à SOli tOllr, et cette nation moderne est arrivée dans le COllrt espace de vingt ans à 1/11 point de richesse el de splendellr qll'elle n'allroit pli atteindre dans l'espace de dellx siècles sans ce puissant auxiliaire."(Ibid.) 64. Salivons les assigllats, la République et Paris seront saullés, Paris: impr. de la citoyenne Gorsas, s. d., 7 p. ; Les billets de banqlle vont ruiner les assignats et feront pis, s. 1. n. d., 8 p. 65. c.-c. Robin, De la rareté de l'argent en France et des moyens d'y suppléer 011 principes de l'économie ~e nos finances et de notre commerce, Paris: Bertrand-Quinquet, An VIII, p. 4. 66. Ibid., p. 5. 67. "C'est dans ces greniers publics que les propriétaires pourront faire entreposer, vendre ou retirer à volonté leurs grains. Les reconnaissances de ces grains qu'ils auront 35
De la Caisse des comptes courants à la Banque de France recevront les bons qui circuleront ensuite et feront oublier la pénurie de métal. La France ne sera plus à la merci des événements extérieurs qui peuvent la conduire à être privée d'argent. Le plan de Robin vise donc à mettre en circulation un papier convertible. Cette convertibilité n'est cependant pas assurée en un métal qui s'est raréfié dans le pays, mais en une production qu'on peut assurer régulièrement. En dépit de cette différence, l'auteur du plan ne s'écarte pas complètement de la logique des billets de banque. Puisque les nations commerçantes savent faire escompter des effets de commerce et émettre des billets en contrepartie, la France peut mobiliser les richesses de son agriculture. Le projet, calqué sur des usages en vigueur dans les sociétés antiques, pêche par son archaïsme dans une nation moderne. L'idée de billets gagés sur des produits agricoles n'est toutefois pas sans évoquer les divers projets de banques destinés à mobiliser la richesse foncière qui voient le jour à la même périodé8. La proposition de Robin n'est qu'une réponse au besoin de papier qui se fait alors ressentir. Le papier-monnaie qui circulait sur l'ensemble du territoire n'a pas été remplacé. Une banque comme la Caisse des comptes courants n'a encore qu'une activité limitée sur Paris et assure une circulation qui se réduit comme le préconisait Smith aux relations entre commerçants. Une diffusion généralisée des billets de banque ne serait donc pas malvenue. Un banquier marseillais, Jules Gautier, avance des idées dans ce sens. Il propose la fondation à Paris, et dans la ville la plus peuplée de chaque département, d'une banque nationalé 9 . Chacune escompterait des effets de commerce au même taux qu'à Paris, ce qui éliminerait les inégalités possibles entre régions et fournirait au commerce la possibilité de se développer. L'auteur ne manque d'ailleurs pas de s'appuyer sur Smith pour montrer l'impact positif des banques sur l'activité économique70 . Elles escompteraient des lettres de change et des billets à ordre revêtus de trois signatures, dont l'échéance n'excéderait pas trois mois. Ces banques présenteraient en outre l'avantage de constituer une "pépinière de compagnies financières"71 susceptibles de fournir des ressources à l'Etat. Elles pourraient par exemple faire des avances au gouvernement qui se désendetterait en leur affectant les revenus des forêts nationales ou des contributions publiques. La création de ces établissements devrait se faire sous
déposés, deviendront une espèce de papier de banque qui s'échangera avec avantage, puisque les grains sont susceptibles d'augmenter de prix." (Ibid., p. 8-9.) 68. Cf infra, p. 38, p. 81-83. 69. J. Gautier, Essai sur la restauration des Finances de la France, Marseille: impr. de Bertrand, An VII - 1799, p. 32. 70. Ibid., p. 36. 71. Ibid., p. 34.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 l'impulsion et le contrôle du gouvernement, mais ils seraient administrés par des actionnaires privés. Les billets, convertibles en monnaie métallique à vue et au porteur, seraient tous calqués sur le même modèle. Chaque établissement se contenterait d'apposer son nom et la signature de ses administrateurs sur des titres uniformes. Le vingtième des bénéfices de chaque banque serait destiné à "une loterie. Tous les ans, chaque banque effectuerait un tirage au sort parmi les billets qu'elle aurait mis en circulation. Les détenteurs des billets dont le numéro serait gagnant recevraient alors des lots en espèces. Un timbre en couleur serait appliqué sur les billets gagnants, à titre publicitaire, pour montrer que le porteur du billet a été primé au moment du tirage. Cette opération pourrait inciter le public à recevoir des billets en paiement72 . Le besoin de monnaie entraîne donc en cette dernière année du Directoire un regain d'intérêt pour les banques. Gautier résume la situation en une phrase. "L'utilité des Banques est reconnue, la raison les indique, la prospérité publique les réclame. "73 Les plans de banque, renfermant les propositions les plus diverses, se multiplient74 . 72. Le projet de recourir à une loterie n'est pas propre à Gautier. Un système de banque liée à une loterie avait été développé par Vincent-Jean OIlivault-Duplessis (Plan de Banque nationale, ou nouveau système de finance, Paris: impr. du magasin encyclopédique, (prairial An V), 71 p.). 73. Gautier, op. dt., p. l. 74. Un certain nombre de ces plans sont regroupés aux Archives nationales sous la référence AD/XI/58. Parmi ceux-ci, on peut retenir: - Projet de Caisse des propriétaires par le citoyen Gabiou, Notaire à Paris, Paris: impr. de Porthmann, 3 pluviôse An VII, 33 p. Ce plan est accompagné d'une lettre au Conseil des CinqCents, datée du 24 pluviôse An VII (12 février 1799), destinée à présenter le projet aux parlementaires. - Prospect ilS d'une Caisse hypothécaire [An IV], [par Mengin], 20 p. L'auteur, agent principal de la Conservation des hypothèques, élabore plusieurs plans de finances avant 1799. - Banque territoriale, de l'imprimerie de l'administration d'assurance contre les incendies [par les notaires Bevière, Laroche, Gaillard, Demautort, Silly, Edon, Raguideau, Mathieu], 16 p. L'un des auteurs, Demautort, participera à la création de la Banque de France dont il deviendra régent. - Contrat de la Banque générale de bienfaisance et de circulation commerciale, impr. de Quiber-Palissaux [vendémiaire An VIII], 31 p. Le document est accompagné de l'imprimé suivant: - Banqlle générale de bienfaisance et de circulation commerciale, de l'imprimerie de QuiberPalissaux, [brumaire AnVIII], 6 p. - Plan d'une banque générale du commerce de France ... par François Chamoulaud, Paris: impr. de Millet, [vendémiaire An VIII], 16 p. Ce plan prévoit la mise en place d'un réseau d'établissemenJs bancaires sur tout le territoire. - Projet d'établissement d'Ilne banqlle française, présenté ail Corps législatif, et au Directoire exécutif de la Répllblique, par Marc Richard, de Vellay, négociant à Lyon, et ,. F. PETITE, impr. de Radaut, ventôse An VII, 16 p.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Le rapport de Lecointe-Puyraveau Bon nombre de ces plans sont adressés aux assemblées législatives accompagnés de pétitions pour exiger la constitution d'une grande banque d'escompte. Le Conseil des Cinq-Cents en vient à nommer une commission pour les examiner. Le 12 germinal An VII (1er avril 1799), le rapporteur de cette commission, MichelMatthieu Lecointe-Puyraveau75, présente ses conclusions sur les différents plans de banques qui ont été proposés. Ces plans comportent plusieurs points communs. Dans plusieurs cas, ces banques devraient émettre des billets gagés sur la terre. Si les modalités diffèrent d'un projet à l'autre, tous envisagent la constitution d'un capital par l'apport de propriétaires d'immeubles. L'inspiration physiocrate, l'idée selon laquelle les richesses trouvent leur origine dans la terre, et le souvenir d'un lien étroit entre les assignats et les biens nationaux ne sont sans doute pas étrangers à ces projets. Ceux-ci ont un autre point commun. Toutes les présentations qui sont faites visent à obtenir des privilèges ou des aides de l'Etat: demandes de prêts, d'obtention du cours légal pour les billets émis, régimes de faveur, etc. Ce point commun s'explique assez facilement. Dans un contexte où la création d'un institut d'émission est désormais autorisée, il n'est pas nécessaire d'obtenir l'accord des pouvoirs publics pour mettre en place ce type d'établissement. La constitution de la Caisse des comptes courants ne résultait pas de l'obtention d'un droit particulier. Des personnes privées n'ont pas à faire appel au Corps législatif pour créer une banque. Si elles prennent la peine de s'adresser aux députés, ce n'est donc pas pour obtenir une autorisation, mais pour montrer que leur projet mérite de recevoir l'appui de l'Etat et tenter de bénéficier d'une aide.
- Banque d'union du Commerce, par Bout y, [vendémiaire An VIII), 8 p. - Société financière ... , par Payot, impr. J. Gratiot, 15 p. - Banque de crédit public et universel, propre a devenir la premiere Banque de l'Ellrope, et à ce titre digne de la grande Nation; 011 pétition présentée ail Conseil des 500 et renvoyé à la Commission des Banques, le 3 ventôse an VII, par le citoyen Monier aîné, homme de Loi à Paris, impr. de T. Carel, 14 p. D'autres plans manuscrits ou imprimés sont conservés aux Archives nationales avec les documents du ministère de \'Intérieur sous la cote F/12/971. Parmi ceux-là, on peut citer; - Projet de Commerce et de Banque avec Emission de billets à illtérêt, par Thomas Marshall [An VII), manuscrit envoyé au citoyen François de Neufchâteau, ministre de l'intérieur. - Précis pOlir IIne Banqlle nationale à Paris, par Alexandre Dllrand, Paris: Glidau, nivôse An VIII, 24 p. - Projet de banqlle nationale envoyé le 12 pillviôse an 8, par le Cen Pointeall, ail citoyen Lucien Bonaparte, ministre de l'intérieur. Comme le précédent, ce projet est contemporain à la formation de la Banque de France. D'autres projets continuent d'ailleurs à être élaborés après la mise en pl,!ce de la Banque de France. 75. Représentant des Deux-Sèvres, Lecointe-Puyraveau avait été élu à deux reprises à la présidence du Conseil des Cinq-Cents.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Cette demande d'un soutien financier est rejetée par Lecointe-Puyraveau quelle que soit sa forme. Des privilèges, bien que réclamés sous le prétexte d'utilité publique, n'ont pas à être accordés. Ainsi, quoiqu'il puisse être intéressant pour l'Etat de recevoir des billets en paiement, il ne doit pas s'obliger à les accepter dans ses caisses. "Ordonnerez-vous de recevoir leurs billets en
paiement des contributions? L'on sent que s'il existait une banque solidement établie, dont les billets, par la confiance générale, fussent au pair de l'argent, l'Etat pourrait sans inconvénient, & même avec avantage, les recevoir; mais il ne faudrait pas qu'une loi l'ordonnât, parce que, d'un jour à l'autre, la confiance pourrait s'altérer, même sans raison, & que, la valeur d'opinion baissant, les caisses seraient encombrées de cette monnaie avant qu'on pût rapporter la loi, & l'on perdrait immensément."76 Lecointe-Puyraveau en déduit "que toute loi qui permettrait formellement des paiemens en billets aurait les plus funestes conséquences"77. Et de même que l'Etat n'a pas à s'imposer de recevoir de paiements en billets, les particuliers doivent aussi être libres de les accepter ou de les refuser. Quant à une éventuelle participation de l'Etat pour aider la Banque à constituer son capital, Lecointe-Puyraveau la rejette. Une banque peut fonctionner avec des fonds privés, quitte à ce que ce soit avec un capital de départ réduit. Lecointe-Puyraveau estime "que la banque, pour réussir, ne doit point tout-
à-coup émettre des billets pour une grande somme, ce serait le moyen de tout submerger ; qu'elle doit commencer avec des fonds modiques, avancer peu à peu, parce que la confiance ne peut croître que par degré"78. L'Etat n'a pas à apporter de fonds alors qu'il n'arrive même pas à équilibrer son budget. La Banque d'Angleterre n'a pas vu le jour grâce à un apport de fonds publics. Loin de recevoir des versements de l'Etat, c'est au contraire elle qui a été amenée à lui prêter dès ses premières années. C'est aussi vrai pour la grande banque qui pourrait se constituer en France. "Nous ne sommes donc pas en état de prêter, & nous serions
heureux de trouver à faire des emprunts. "79 S'il est hostile à l'aide de l'Etat pour favoriser la constitution d'un grand institut d'émission, Lecointe-Puyraveau n'en est pas moins favorable à ce type d'établissement. Il voit parfaitement les avantages que peut procurer cette banque "augmentative des signes"80. Si des capitalistes créent une banque en réunissant une somme de 10 millions, il leur est possible d'émettre pour 30 millions de billets. Lecointe-Puyraveau est non seulement conscient de la réalité de la création monétaire, mais il en analyse les effets. Il reconnaît l'impact bénéfique que la diffusion des billets peut avoir sur l'activité économique, mais il n'en 76. Lecointe-Puyraveau, Rapport fait par Lecointe-PlIyraveall sllr les projets de Banqlles, Paris: Impr. nationale, An VII, p. 22. 77. Ibid., p. 23. 78. Ibid., p. ~O. 79. Ibid. 80. Ibid., p. 31.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France déduit pas pour autant que la simple augmentation de la quantité de monnaie est assimilable à un supplément de richesses. C'est une véritable illustration de l'approche quantitative de la monnaie. Il affirme que "si tout-à-coup le
numéraire de la France étoit augmenté de moitié, nous n'en serions pas plus riches, parce qu'on n'est riche que d'une manière relative, & que l'augmentation étant la même pour tous, tout resterait dans les mêmes proportions: l'effet unique & réel qui en résulteroit serait qu'en peu de temps les productions de la terre & les objets de commerce augmenteraient de moitié"81. Lecointe-Puyraveau ne se laisse toutefois pas enfermer dans un raisonnement aussi simplificateur. Il voit parfaitement que l'augmentation de la quantité de monnaie, si elle amène une élévation du niveau général des prix, entraînera aussi une modification des prix relatifs. Tous les citoyens ne recevront pas en quantité égale ce supplément de monnaie et son utilisation, non répartie équitablement sur tous les produits, entraînera des distorsions de prix. Ce rejet de la neutralité de la monnaie dans la sphère économique incite Lecointe-Puyraveau à accepter la création de banques d'émission pour que le pays puisse bénéficier de leurs bienfaits, mais il faut prendre garde aux risques qu'elles peuvent faire courir aux citoyens. C'est alors la question de l'indépendance de la banque vis-à-vis de l'Etat qui se pose. Les banques seront indépendantes dans la mesure où elles devront se constituer en dehors de toute contribution financière de l'Etat, mais elles sont soumises aux lois qui organisent l'activité économique du pays. Lecointe-Puyraveau, qui se réfère à la Hollande, à Venise, à Londres et à l'Ecosse, pense qu'une ou plusieurs banques d'émission peuvent être utiles à la France, si leur activité est réglementée pour éviter les effets néfastes que pourraient provoquer des émissions abusives. A la suite de ce rapport, le Conseil des Cinq-Cents invite le Directoire exécutif à employer "tous les moyens en son pouvoir pour assurer & favoriser l'établissement & l'indépendance des banques particulières, propres à répandre dans tous les départemens les figures monétaires, à éviter à la République des transports d'argent, à fournir au commerce & à l'agriculture les signes d'échanges dont ils pourraient avoir besoin"82. Cette invitation, bien qu'elle présente les banques comme un moyen de favoriser l'activité économique tout en se passant de la monnaie métallique, ne fait nullement mention de la nécessité de constituer un établissement de grande envergure, alors que c'était cette éventualité qui avait provoqué la nomination d'une commission. Ramon, dans son ouvrage consacré à la Banque de France, affirme que "les conditions de stabilité gouvernementale et la confiance indispensable à la 81. Ibid., p. 41. 82. Ibid., p. 50. L'invitation rappelle, en la complétant, celle que le Conseil avait formulée le 3 nivôse An IV (24 décembre 1795) lorsqu'il annonçait: "le Directoire exécutif provoquera et recet'ra les offres des associations et compagnies de commerce" (Moniteur universel, nO 98, 8 nivôse An IV (29 décembre 1795), p. 60).
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 réalisation d'une aussi grande entreprise firent défaut pendant tout le cours de l'été et de l'automne 1799 et ne se trouvèrent réunies qu'après le 18 Brumaire"83. C'est seulement après le coup d'Etat de Bonaparte que la Banque de France verra le jour. "Le Premier Consul [... ] prit-il l'initiative des pourparlers dont sortit la Banque de France ? Les historiens l'ont constamment admis."84 C'est pourtant cette vision traditionnelle que nous n'hésiterons pas à réfuter.
La Banque de France, aboutissement d'un long processus et non création spontanée L'idée que la création de la Banque de France est l'oeuvre de Bonaparte est encore répandue aujourd'hui. Ce sont en réalité les hommes d'affaires qui fondent la Banque de France. Deux d'entre eux jouent les premiers rôles: Jean-Barthélémy Lecouteulx-Canteleu et Jean-Frédéric Perregaux. Le rôle primordial des hommes d'affaires Lecouteulx-Canteleu et Perregaux Nous avons vu que Lecouteulx-Canteleu, qui était particulièrement intéressé par la création d'une grande banque d'émission et s'était largement engagé quatre ans auparavant dans la création de la banque qui devait aboutir à remplacer les assignats par les billets de banque dans la circulation monétaire, avait rejoint Augustin Monneron lors de la création de la Caisse des comptes courants. Il s'était même évertué à faire bénéficier la province des expériences parisiennes 85 . Lecouteulx-Canteleu ne tenait pas à s'arrêter en si bon chemin et souhaitait étendre l'influence des banques, convaincu qu'elles pouvaient largement contribuer au développement de l'activité économique. Il avait signé une pétition adressée aux pouvoirs publics dans laquelle il proposait l'établissement d'une banque susceptible de favoriser la prospérité publique. Mais il prétendait qu'un capital de 10 millions de francs réuni par des particuliers ne pouvait pas être suffisant et limiterait l'activité de la banque. Il invitait le Directoire à encourager la constitution d'une grande banque en proposant que le Trésor public prête une somme de 10 millions de francs pour 15 ans et sans intérêt, somme qui réunie à l'apport des associés permettrait la constitution d'un capital important favorisant un large développement des activités de la banque. Perregaux est un banquier d'origine suisse installé à Paris. Dès juillet 1789, il accompagne la vague révolutionnaire en exerçant plusieurs fonctions civiles et militaires. Après l'émission des assignats, il est chargé par le gouvernement de 83. Ramon, qp. cit., p. 15. 84. Ibid., p. 17. 85. Cf infra, p. 103-106.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France rechercher des faussaires en France et à l'étranger. Il fournit également des dons patriotiques importants qui visent sans doute à montrer son attachement à la Révolution. Mais Perregaux est certainement plus opportuniste que fervent révolutionnaire. Il est dénoncé à plusieurs reprises pour des activités douteuses et arrêté, mais il est systématiquement relâché faute de preuves. Et lorsqu'il est enfin prouvé que Perregaux joue un double jeu en servant d'intermédiaire au gouvernement anglais qui verse des sommes destinées à semer l'agitation en France 86 , il a su se rendre indispensable à la Révolution au point que son arrestation devient impensable. En collaboration avec Robert Lindet, alors membre du Comité de salut public, il vient de monter une opération destinée à mettre à la disposition de la Trésorerie les créances des banquiers sur l'étranger. Arrêter Perregaux, c'est priver la Révolution des fonds que le gouvernement souhaite faire rentrer. Perregaux est bien entendu partie prenante dans les tentatives visant à mettre en place des banques d'émission. Pendant l'hiver 1795-1796, il est nommé administrateur, aux côtés de Laffon-LadébatB7, Lecouteulx-Canteleu et Monneron, de l'institut d'émission que tentent de constituer les banquiers au moment où le Directoire voit dans les billets une solution au remplacement des assignats. Il devient ensuite actionnaire de la Caisse des comptes courants et prend part à son administration. Il fait partie des commissaires chargés de vérifier l'état de la caisse après la disparition d'Augustin Monneron. Une fois encore, son rôle demeure mystérieux, comme le montre Albert Mathiez qui relève que "sa signature manque à l'engagement solidaire qu'avaient souscrit les principaux actionnaires"88. Le ministre de la police, qui le suspecte de vouloir nuire à la Caisse, fait même mettre sa banque sous surveillance. Perregaux cherchait-il à se retirer d'une entreprise en situation délicate? Un élément à charge contre lui est signalé dans les archives de la Caisse. L'un des porteurs de billets qui s'étaient présentés au remboursement pendant la période de crise avait été reconnu comme un employé de Perregaux. Cette demande de remboursement était certes malvenue de la part d'une personne travaillant pour un administrateur de la Caisse, mais Perregaux
86. A. Mathiez, "Le banquier Perregaux ", Allnales révolutiollllaires, t. 11, 1919, p. 252. 87, Fils de Jacques-Alexandre Laffon, annobli par Louis XV pour services rendus au commerce (d'où le nom de Laffon de Ladébat avant que la Révolution ne supprime la particule), André-Daniel Laffon-Ladébat est élu député de la Gironde à l'Assemblée législative en 1791. Il préside le comité des finances et est élu le 23 juillet 1792 président de l'Assemblée. En décembre 1792, il est nommé directeur de la Caisse d'escompte dont il surveille la liquidation. En octobre 1795, le département de la Gironde l'envoie siéger au Conseil des Anciens dont il assure la présidence le 18 août 1797. Partisan de la constitution d'une grande banque d'émission, il est nommé directeur de celle qu'un groupe de banquiers tente de constituer dans les premiers mois du Directoire et dont l'ouverture finit par être repoussée. 88. A. Mathiez, "Encore le banquier Perregaux ", Annales révolutionnaires, t. 12, 1920, p.241.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
lui-même n'avait pas véritablement été mis en cause, et il était ensuite intervenu pour qu'aucune demande de conversion ne provienne de sa propre maison. 89 Les liens avec Bonaparte Ces deux hommes d'affaires prêts à s'engager dans la constitution d'établissements bancaires n'ont pas attendu le 18 brumaire pour faire la connaissance de Bonaparte. Lecouteulx-Canteleu reconnaît dans ses mémoires que sa première rencontre avec Bonaparte remonte à janvier 1796. Celui-ci lui avait fait part à cette occasion de son souhait de voir disparaître les assignats à une époque où il était encore risqué de remettre en question ce symbole de la Révolution 90 . Lecouteulx-Canteleu devait rapidement devenir un intime de Bonaparte91 . Il est difficile de dire à quelle date remontent les relations entre Perregaux et Bonaparte. Contrairement à Lecouteulx-Canteleu qui nous a laissé des écrits, Perregaux a fait brûler devant lui tous ses papiers personnels avant sa mort. Les historiens admettent néanmoins qu'il ait pu avoir des contacts avec Bonaparte avant le coup d'Etat. Certains auteurs, comme Bigo, affirment que "Perregaux l'avait peut-être même commandité"92. Il nous est impossible de prouver que Perregaux ait apporté des fonds à Bonaparte avant le 18 brumaire. Les sommes que le banquier avait allouées aux révolutionnaires dans les périodes précédentes montrent seulement qu'il pouvait saisir ce type d'opportunité. Mathiez, qui
89. Le même incident semble s'être reproduit le 5 vendémiaire An XIV (27 septembre 1805) alors que la Banque de France traversait une période difficile, ainsi qu'en témoigne un rapport du préfet de police. "La foule a été ce matin beaucoup plus considérable qu 'hier, à la porte de la Banque de france. Je m 'y suis transporté et j'ai donné des ordres pour que des Officiers de Police, placés dans l'Intérieur et à l'extérieur demandassent les cartes de Citoyen, ou les Passeports aux Individus qui se présentaient pour échanger des billets contre du numéraire. Cette mesure a produit le meilleur effet et a éloigné mille à 1 200 individus sans aveu, employés par la Cupidité et la Malveillance et qui craignant d'être découverts ont pris la fuite. Quelques uns des plus marquants ont été arrêtés; parmi ceux-ci se sont trouvés deux individus porteurs chacun d'un billet de 1000 fr., qui ont déclaré avoir été envoyés par le Caissier de M. Perrégaux pour le compte duquel ils ont dit vouloir échanger ces Billets. Je suis retourné une seconde fois à la Banque, et j'y ai fait connaftre mon étonnement, que sous le nom d'un des Régents de la Banque on se permit un pareil manège qui, s'il était connu dans Paris, jeterait l'Allarme et amenerait à la Banque tous les Propriétaires de Billets. Le sieur Laffite, Associé de M. Perrégaux est venu se disculper devant moi, et me dire que c'était une erreur du Caissier et que M. Perrégaux en était aussi affligé que moi-même. Cette mesure a encore contribué à diminuer l'afJIuence, en rendant circonspects les autres affidés de la Banque. " (Préfecture de Police. Rapport du 5 vendémiaire an 14. Archives nationales, F /7 /3834.) 90. J.-B. Lecouteulx-Canteleu, "Souvenirs du sénateur comte Le Couteulx de Canteleu", in: A.-M. Lescure, 'Mémoires sur les journées révolutionnaires et les coups d'Etat, avec introduction, m}tices et notes par M. de Lescure, Paris: Firmin-Didot, 1875, t. 2, p. 206-207. 91. Ibid., p. 209. 92. Bigo, op. cit., p. 222.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France consacre des écrits à Perregaux, est néanmoins catégorique. "Il fut un des commanditaires du coup d'Etat du 19 brumaire."93 Lecouteulx-Canteleu, quant à lui, reconnaît sans ambiguïté dans ses mémoires qu'il était informé "de cette révolution du 18 brumaire qui se préparait plusieurs mois avant l'arrivée en France du général Bonaparte, mais à laquelle il manquait un chef militaire"94. Il fait d'ailleurs référence à ses discussions avec Bonaparte sur la préparation du coup d'Etat. Le 18 brumaire, il est aux côtés du général qui lui propose même le ministère des Finances95 . Financer le coup d'Etat, c'est peut-être apporter des fonds avant la prise de pouvoir, mais c'est surtout fournir des ressources au nouveau gouvernement. Quinze jours après le coup d'Etat, le 3 frimaire An VIII (24 novembre 1799), un groupe de banquiers et négociants se réunit chez Bonaparte. Celui-ci leur demande les fonds indispensables au fonctionnement de son gouvernement96 . L'un d'eux, Germain, fait valoir que les négociants et banquiers sont insuffisamment structurés pour garantir le succès d'un emprunt important, mais il fait appel à la coopération de l'ensemble du monde des affaire. Dès le départ de Bonaparte, les banquiers et négociants se concertent sous la présidence de Lecouteulx-Canteleu en vue de l'ouverture immédiate d'une souscription pour un montant de douze millions de francs. Deux négociants, Sabatier et Perrier, et un banquier, Delessert, organisent aussitôt l'élection de sept commissaires chargés d'assurer la rentrée de l'emprunt.
93. Mathiez, "Le banquier Perregaux", op. cit., p. 242. 94. Lecouteulx-Canteleu, op. cit. , p. 213. Affirmer que le coup d'Etat se préparait avant l'arrivée de Bonaparte, c'est reconnaître que celui-ci n'en a pas été l'instigateur, mais le simple exécutant. Les historiens semblent convenir que le coup d'Etat a été préparé par Sieyès, avec l'aide de Talleyrand et de Fouché. Sieyès avait toutefois besoin d'un militaire pour ce coup de force. Son choix s'était tout d'abord porté sur Joubert mais celui-ci fut tué à Novi en combattant l'armée austro-russe. Sieyès proposa alors l'opération à Moreau qui se désista mais conseilla de choisir Bonaparte. Pierre Miquel note que Talleyrand favorisa le contact avec le général (P. Miquel, La grande Révolution, Paris: Plon, 1988, p.586). Dans ses mémoires, Lecouteulx-Canteleu relate d'ailleurs ses conversations avec Sieyès, Talleyrand et Fouché lors de la préparation du coup d'Etat. 95. Lecouteulx-Canteleu, op. cit., p. 225. Achille Dauphin-Meunier affirme sans ambiguïté que les banquiers, inquiétés par.la volonté du Directoire d'établir un impôt sur le capital, sont les véritables instigateurs du coup d·Etat. Ils "envisagèrent de renverser le gouvernement, avec l'aide des militaires. Le Couteulx et Perrégaltx songèrent aussitôt à BO,Japarte qui guerroyait en Egypte. Ils lui dépêchèrent un émissaire, le grec Bourbaki. Bourbaki informa Bonaparte que deux millions de francs, recueillis ell prévisioll. d'un coup d'Etat, étaient à sa dispositioll. Désertant son armée, sans oser même prévellir de son départ son chef d'état-major, Kléber, Bonaparte revint à Paris." (A. Dauphin-Meunier, La Ballque de France, Paris: Gallimard, 1936, p. 19.) Ce qui est certain, c'est que l'arrivée de Bonaparte écartait la menace que l'impôt prévu faisait peser sur certains financiers. "Quand Bonaparte reviendra d'Egypte, les capitaux l'acClleilleront en libérateur." (A. Vanda l, L'avènement de BOllaparte, t. 1, La Genèse dit Consulat. Brumaire, La constitutioll de l'an VIII, Paris: Plon, Nourrit et Cie, 1902, p. 203.) 96. Procès-verbal de la séance des banquiers et négocians convoqués chez le Consul Bonaparte le 3 Frimaire ail VIII, s.l.n.d., p. 1-2.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 Fulchiron, Mallet, Perregaux, Germain, Sévenne, Doyen et Récamier, banquiers à Paris, sont désignés. En dehors de Mallet, tous sont actionnaires de la Caisse des comptes courants. Fulchiron, Perregaux, Germain et Récamier participent même directement à son administration. Tous s'impliqueront dans la création de la Banque de France et entreront dans le Conseil de régence97 . Perregaux et Delessert se retrouveront aussi régents de la Banque de France et Sabatier occupera le poste de censeur98. C'est un condensé du Conseil de régence de la Banque de France qui se charge de recouvrer l'emprunt99 . Est-ce à dire que la question de la Banque de France a été abordée au cours de la réunion? Le compte-rendu de celle-ci n'en fait pas mention. La reprise d'un projet ancien C'est par une lettre du 16 nivôse An VII (6 janvier 1800) que LecouteulxCanteleu, Perregaux et quelques autres personnalités des affaires rappellent au ministre des Finances Gaudin qu'il a "déjà été instruit par l'envoi d'un projet de
statuts généraux d'une Banque, que des Citoyens s'occupaient de former cet établissement important "100 et annoncent "aujourd'hui la réalisation de ce projet"lOl. La lettre fait donc référence à une information préalable fournie à Gaudin, lequel en a vraisemblablement informé Bonaparte. Mais le projet est présenté comme venant des banquiers eux-mêmes, et non pas du Premier Consul. D'ailleurs, si l'on tient compte du fait que le Consulat est définitivement installé le 25 décembre 1799, il est difficile de croire que Bonaparte ait eu le temps d'entreprendre la rédaction des statuts de la Banque de France entre le 25 décembre et le 6 janvierl02 . Cette opinion va dans le sens d'une remarque de Pierre Bougerol, auteur d'une thèse sur une crise que traversera la Banque en 1805.
"Même si l'on tient compte de l'énorme puissance de travail de Bonaparte, il est bien difficile de soutenir que parmi la foule de problèmes majeurs qui étaient à 97. A l'exception de Fulchiron. Celui-ci avait été nommé administrateur de la banque qui avait commencé à se constituer en pluviôse An IV, puis administrateur de la Caisse des comptes courants. Il devait devenir actionnaire de la Banque de France sans toutefois entrer au Conseil de régence. 98. Sur le contenu de ces fonctions, cf infra, p. 49. 99. En fait, sur les douze millions prévus, les banquiers réussissent à en rassembler seulement trois. (R. Stourm, Les financcs du Consulat, Paris: Guillaumin, 1902, p. 53-61.) 100. Archives nationales, AF 11V 16. 101. Ibid. 102. Ces statuts ont en fait été rédigés avec l'aide de l'avocat d'affaires Pierre-Nicolas Berryer qui le reconnaît dans ses mémoires. "Ainsi, en l'an 8, avec MM. Lecouteulx et compagnie, Perregaux, Laffon-Ladébat, j'ai élaboré les statuts de la Banque de France" (P.-N. Berryer, SOlwellirs de M. Berryer, doyen des avocats de Paris de 1774 à 1838, Paris: Dupont, 1839, t. 2, p. 399). Albert Vandal note que "Bonaparte n'eut rien à inventer, se trouvunt en présence d'idées étudiées et mlÎries". (Op. cit., p. 269.)
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France
résoudre Bonaparte ait pu de lui-même, et durant cette période, s'occuper de la fondation de l'Institut d'Emission, s'il n'avait trouvé un dossier déjà prêt."103 Il est donc tout à fait vraisemblable que Lecouteulx-Canteleu et Perregaux aient pu préparer un projet de création d'un grand institut d'émission. Ou plus exactement, ils n'ont fait qu'aménager le projet élaboré pendant l'hiver 17951796. Les objectifs sont les mêmes: favoriser les activités commerciales tout en diffusant les billets de banque dans la circulation monétaire. La volonté d'indépendance de la Banque est maintenue bien que la nécessité d'une aide de l'Etat soit toujours reconnue. Seuls les moyens à mettre en oeuvre divergent. Il est vrai que le contexte de l'An VIII n'est plus celui de l'An IV : le délicat problème du retrait des assignats n'est plus à l'ordre du jour et les conditions d'intervention de la Banque s'en trouvent modifiées. L'appellation même "Banque de France" provient vraisemblablement des hommes d'affaires et non pas du pouvoir politique104 . Il était sans doute question de donner le titre de Banque de France à l'établissement qui avait failli voir le jour quatre ans auparavant. 105 Si la volonté de constitution d'une grande banque d'émission nous paraît incontestablement antérieure à l'arrivée au pouvoir de Bonaparte, il reste à expliquer pourquoi celle-ci a effectivement pu ouvrir ses portes avec le Consulat. La réunion des banquiers et négociants chez Bonaparte pourrait laisser supposer que la création de la Banque a pu être négociée contre l'octroi du prêt demandé. L'aide de l'Etat était en effet impérative, comme l'avait expliqué LecouteulxCanteleu 106, pour que l'établissement puisse atteindre une dimension respectable. Mais à aucun moment la question de la Banque de France n'est abordée dans le compte-rendu de la réunion. Si l'engagement à favoriser la création de la Banque de France a servi de préalable au financement du coup d'Etat, il est possible que celui-ci ait été négocié avec Sieyès, qui était le véritable organisateur du coup d'Etat et l'ami personnel de Lecouteulx-Canteleu. Après la réussite du coup d'Etat, ou peut-être avant, Sieyès a pu obtenir l'assentiment de Bonaparte.
103. P. Bougerol, La Banque de France et la crise de 1805, Thèse pour le doctorat de Sciences économiques, Paris, Faculté de droit et de sciences économiques, 1969, p. 17-18. 104. L'idée de créer une Banque de France est ancienne. En 1608, un avocat, Pierre de Fontenu, avait soumis au roi le plan d'une Banque de France. Le roi ravait approuvé mais le projet n'avait toutefois pas été appliqué. (G. Fagniez, Une Banque de France en 1608, Nogentle-Rotrou : impr. de Daupeley-Gouvemeur, s. d., 8 p.) 105. Par un courrier du 20 août 1832, un libraire, Dabin, avertit la régence de la Banque de France qu'il a fait l'acquisition des procès-verbaux manuscrits des séances au cours desquelles les banquiers avaient rédigé les statuts d'un grand institut d'émission début 1796. Dabin demande à la régence rautorisation de vendre ces documents à un acheteur étranger. Son courrier et la réponse de la Banque de France (qui ne juge pas digne d'intérêt racquisition des ces documents) laissent entendre que le nom de "Banque de France" avait alors été choisi pour l'établissement. (Archives de la Banque de France.) 106. Cf supra, p. 41-42.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
Celui-ci n'est certes pas le fondateur de la Banque de France, mais nous n'irons pas jusqu'à dire que cette création lui a été imposée107 . Elle résulte plutôt d'une communauté d'intérêts: intérêts économiques des hommes d'affaires qui tentent ·de mettre sur pied un grand établissement de crédit, et intérêts politiques d'un chef d'Etat qui ne peut qu'approuver une mesure susceptible d'améliorer la distribution du crédit et donc de relancer l'activité du pays en le dotant d'un instrument qu'il pourra mettre à son service108. Cette convergence d'intérêts a de plus l'avantage d'aller dans le sens de ce que souhaite la population. Un rapport de police du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800) reconnaîtra "qu'on ne voit de
ressources que dans l'existence d'une banque formée par une association de particuliers et hors de la dépendance du Gouvernement, [... ] les opérations de cette banque, en doublant le numéraire en circulation, faciliteraient toutes les rentrées et donneraient du mouvement au commerce"109.
III. La constitution de la Banque de France En dépit d'un nom qui pourrait évoquer une institution créée par l'Etat en vue d'une mission nationale, la Banque de France est en 1800 un établissement indépendant qui poursuit les opérations de la Caisse des comptes courants.
La Banque de France, un établissement indépendant La fondation de la Banque de France repose sur un pari paradoxal: créer un institut d'émission qui puisse exister grâce à la bonne volonté de l'Etat mais dont le fonctionnement soit indépendant des exigences de l'Etat. L'aide initiale de l'Etat
Dans la lettre qu'ils adressent le 16 nivôse An VIII (6 janvier 1800) au ministre des Finances, Lecouteulx-Canteleu, Mallet, Perregaux, Mautort, Perrier et 107. François Hincker suggère que "Bonaparte ne pouvait que donner le feu vert à l'initiative des banquiers qui avaient financé le coup d'Etat" (F. Hincker, La Révolution française et l'économie, Paris: Nathan, 1989, p. 203). 108. Alain Prate, auteur d'un ouvrage sur les liens entre la Banque de France et le gouvernement, avance une interprétation voisine. Il ne prête toutefois pas à Bonaparte la volonté de contrôler l'établissement. "La création de la Banque de France résulta de la rencontre de financiers expérimentés, qui projetaient l'établissement d'une banque d'émission privée, et d'un pouvoir politique fort, qui avait compris la nécessité de doter la France d'un système financier solide." (A. Prate, La France et sa monnaie. Essai sur les relations entre la Banque de France et les gouvenzements, Paris: Julliard, 1987, p. 46.) Louis Pommier souligne qu"'il fallait une nouvelle banque, qui put présenter un capital suffisant pour, outre ses affaires avec les particuliers, faire des opérations avec le Trésor. Il y avait là pour elle autant de bénéfices à recueillir que df services à rendre." (L. Pommier, La Banque de France et l'Etat depuis sa création jusqu'à nos jours, Paris: Rousseau, 1904, p. 45.) 109. F.-A. Aulard, Paris sous le Consulat, Paris: Cerf, 1903, t. 1, p. 95.
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France Perrée llO annoncent qu'ils ont été élus régents. Sans tarder, ils "exposent les points généraux de protection et d'accession qu'ils demandent au gouvernement"lll. Reprenant l'idée déjà exposée par Lecouteulx-Canteleu, ils avancent que le capital de 30 millions de francs prévu pour la Banque ne pourra pas être rapidement réuni si l'on s'en tient aux seuls apports des particuliers, ce qui risque de compromettre le succès de l'établissement. L'aide du gouvernement s'impose donc pour permettre à la Banque de recevoir rapidement des fonds en quantité suffisante. Les régents proposent que la Banque reçoive les cautionnements versés par les receveurs généraux. Ces receveurs généraux sont des officiers chargés de récolter l'impôt dans chaque département. Le ministre des Finances venait d'exiger qu'ils versent un cautionnement, c'est-à-dire une somme de monnaie métallique que l'Etat pourrait conserver en cas de pertes de fonds qui leur seraient imputables. C'est une Caisse d'amortissement, créée le 6 frimaire An VIII (27 novembre 1799) et confiée à la direction de Mollien 112 qui recevait ces cautionnements dont la première moitié se montait à plus de 10 millions de francs. Les régents souhaitent donc que la Caisse d'amortissement reverse à la Banque de France les fonds qu'elle a ainsi perçus. La moitié serait placée sur un comptecourant que la Caisse pourrait utiliser au gré de ses besoins. L'autre moitié resterait à la Banque et serait convertie en actions dont la Caisse d'amortissement deviendrait propriétaire. En contrepartie, la Banque s'engage à rembourser les obligations1l3 des receveurs généraux impayées à l'échéance et ce jusqu'à concurrence des fonds qu'elle aura ainsi reçus. Ce rôle de remboursement était à l'origine dévolu à la Caisse d'amortissement. Un arrêté des consuls du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800) exauce le voeu des régents en leur fournissant
110. Mautort est notaire à Paris, Perrée est négociant. On trouvera une présentation détaillée des différents régents dans l'ouvrage de Romuald Szramkiewick, Les régents et censeurs de la Banque de France, nOnlmés sous le Consulat et l'Empire, Genève: Droz, 1974, 422 p. 111. Archives nationales, AF/IV /6. 112. François-Nicolas Mollien est un fils de commerçant rouennais. Après des études à Paris, il entre au ministère des Finances. Lecteur assidu d'Adam Smith, il est partisan de la liberté commerciale. Dès 1786, il estime que les progrès de l'industrie française doivent lui permettre d'entrer en concurrence avec les pays voisins. Avec la Révolution, Mollien cherche à s'éloigner de Paris et devient directeur de l'administration générale des domaines nationaux et de l'enregistrement dans le département de l'Eure. Il perd son poste en 1792 et entre dans une manufacture de coton nouvellement créée. En février 1794, il est inquiété par le comité révolutionnaire d'Evreux. Libéré, puis arrêté de nouveau comme complice des fermiers généraux parmi lesquels figure Lavoisier, il est incarcéré avec eux. Relâché, il part en Angleterre où il étudie l'organisation financière du pays et a· notamment J:occasion de s'intéresser à la crise de la Banque d'Angleterre contrainte de suspendre le remboursement de ses billets. 113. Il s'agit vraisemblablement des billets émis par les particuliers pour leur faciliter le paiement de l'emprunt forcé, billets qui étaient reçus par le percepteur de la commune puis envoyés au receveur du département. A l'échéance, ces billets devaient être remboursés en métal par l'émette'ur.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803 les sources de financement réclamées. Les régents sollicitent aussi l'autorisation d'installer la Banque dans des locaux appartenant à l'Etat à la maison dite de l'Oratoire, rues Honoré et de l'Oratoire. Ils obtiennent là encore satisfaction. Un second décret du 28 nivôse met cette maison à la disposition de la Banque. La volonté d'indépendance Les statuts initiaux prévoient qu'il "sera établi une Banque publique, sous la dénomination de BANQUE DE FRANCE"114. L'appellation ne signifie alors pas que la Banque est propriété d'Etat, mais qu'elle fait appel à l'apport de fonds du public. Son capital est divisé en 30 000 actions de 1 000 francs. L'assemblée générale sera constituée par la réunion des deux cents plus forts actionnaires. On voit le danger que peut représenter le fait que l'Etat soit le principal actionnaire. La Caisse d'amortissement, lorsqu'elle verse à la Banque les cautionnements des receveurs généraux, reçoit des actions de la Banque pour moitié de ses versements. Elle sera donc de loin le plus fort actionnaire, d'où le risque que ce soit l'Etat, par l'intermédiaire de la Caisse d'amortissement, qui contrôle la Banque si une voix est attribuée à chaque action. L'article IX des statuts écarte la mainmise de l'Etat sur la Banque en prévoyant que "chaque votant aura autant de voix qu'il réunit de
masses de cinq Actions, toutefois jusqu'à la concurrence de quatre voix au plus"1l5. La direction de la Banque n'échappe pas aux actionnaires. Elle est
"administrée par quinze Régents, et surveillée par trois Censeurs choisis par l'Assemblée Générale"116. Les régents sont répartis dans différents comités, chaque comité étant chargé de l'administration d'une activité particulière. Quant aux censeurs, ils surveillent la conformité des opérations de la Banque. Ils ont donc accès aux caisses, aux portefeuilles et aux différents dossiers relatifs à la marche de l'établissement. Si la Banque, dans ses diverses opérations, est appelée à traiter avec l'Etat, les statuts font néanmoins clairement ressortir que celui-ci est mis sur le même pied que les particuliers. Ces statuts répartissent les opérations de la Banque en cinq séries d'activités: -l'escompte d'effets de commerce revêtus de trois signatures; - le recouvrement d'effets qui lui auront été remis, contre des avances, par des particuliers ou des établissements publics. Les statuts n'apportent pas de précisions sur ces activités. Il s'agit manifestement d'opérations assimilables à l'escompte mais ne concernant pas la sphère traditionnelle du commerce; - la gestion des comptes-courants des particuliers ou des établissements publics;
114. Statuts fondamentaux de la Ballque de France, 24 et 27 pluviôse An VIII (13 et 16 février 1800), p. 1. (Archives de la Banque de France.) 115. Ibid., p. 5 116. Ibid. \
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De la Caisse des comptes courants à la Banque de France - l'émission de billets. "Ces billets seront émis dans des proportions telles, qu'au
moyen du numéraire réservé dans les Caisses de la Banque et des échéances du papier de son portefeuille, elle ne puisse dans aucun temps être exposée à différer le payement de ses engagements au moment où ils lui seront présentés. "117 - l'ouverture d'une caisse d'épargne permettant des placements avec intérêt, remboursables à des périodes déterminées. La volonté d'indépendance de la Banque n'exclut pas l'engagement personnel du Premier Consul pour assurer son succès. Non seulement il satisfait les demandes de la Banque concernant l'apport de fonds publics et la location de l'établissement souhaité, mais il donne l'exemple en s'inscrivant personnellement en tête des souscripteurs d'actions en achetant trente titres. Il est aussitôt suivi par son entourage. Cette implication de Bonaparte est toutefois mal perçue par le public qui, malgré les garanties offertes par les statuts de la Banque, craint la mainmise de l'Etat sur l'émetteur118. Le souvenir du papier-monnaie est encore trop récent pour que le risque d'une compromission entre la Banque et l'Etat ne provoque pas la méfiance 119 . Un rapport de police du 3 pluviôse An VIII (20 janvier 1800) relève que les négociants "insinuent qu'elle [la Banque] ne peut inspirer de confiance, puisqu'elle tiendra au gouvernement"120. Trois jours plus tard, un autre rapport fait à nouveau état de ces "doutes sérieux sur le succès de la Banque "121. Une note est publiée dans le Moniteur du 7 pluviôse An VIII (27 janvier 1800) pour rassurer la population. Elle établit une comparaison entre l'Angleterre, où la Banque paraît liée au gouvernement à qui elle procure des ressources, et la France où la nouvelle Banque se veut indépendante. Il s'agit surtout de montrer que la Banque de France n'est pas sous la coupe de l'Etat et qu'elle ne risque pas d'émettre des billets qui seraient représentatifs de la dette publique. Dans un contexte où la puissante Banque d'Angleterre a dû recourir à l'inconvertibilité, l'assimilation à cet établissement n'est pas propre à susciter la confiance. Il convient donc d'insister sur le fait que les débiteurs de la Banque sont non pas le gouvernement
117. Ibid., p. 3. 118. Les auteurs d'un ouvrage sur I"activité de la Banque de France notent qu'il était "indispensable, pour que les nouveaux billets pussent bénéficier de la confiance du public, que l'organisme chargé de les émettre, fat tout à fait indépendant de l'autorité gouvernementale" (F. Aubert, F. De Juvigny, A. Messin, Charriau et al., La Banque de France, Paris: BergerLevrault, 1975, p. 13). 119. On note ainsi des réserves dans la Gazette de France. "L'établissement d'une banque sllppose tOlljollrs rareté dll nllméraire et crédit pllblic. La rareté du nllméraire existe bien réelleme/lt ; on ne pellt pas en dire alltant dll crédit pllblic, mais il dépend beaucollp du gOllverneme/lt de le faire /laître." (Gazette de Fra/lce, n° 774, 6 pluviôse An VIJI (26 janvier 1800), p. 503.) 120. Aulard, Paris SOIlS le Consulat, op. cit., p. 118. 121. Ibid., p. 1'21.
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Le billet de banque en France de 1796 à 1803
mais des particuliers solvables auprès de qui la Banque sera assurée de se faire rembourser grâce aux effets qu'elle détient.
L'intégration de la Caisse des comptes courants à la Banque de France La volonté de réunion des deux établissements En janvier 1800, on est donc en présence d'une banque d'émission parisienne, la Caisse des comptes courants, qui fonctionne depuis plusieurs années en ayant su obtenir la confiance du public 122 , et d'une Banque de France qui n'a pas encore ouvert ses portes et dont on se méfie. La volonté des dirigeants de l'un et l'autre établissement, dirigeants parfois communs aux deux, est de favoriser le développement des affaires en facilitant l'octroi des crédits et en diffusant les billets de banque dans la circulation monétaire 123 . Cette similitude des objectifs des deux établissements conduit les dirigeants de la Banque de France, dès que les arrêtés des consuls du 28 nivôse An VIII (18 janvier 1800) lui donnent satisfaction, à rechercher l'appui de la Caisse des comptes courants. Celle-ci bénéficie d'un crédit solide auprès des commerçants et d'une organisation bien rôdée qui lui permettent d'assurer une diffusion des billets sans soubresaut depuis l'affaire Monneron. Le 29 nivôse An VIII (19 janvier 1800), les régents informent les administrateurs de la Caisse du fait que "la Banque va incessamment s'organiser et commercer ses opérations"124 et les invitent à une concertation en vue d'examiner la possibilité d'une réunion des deux établissements. L'administration de la Caisse arrête aussitôt la convocation d'une assemblée générale des actionnaires pour le 3 pluviôse (23 janvier) afin d'étudier la proposition. Le 9 pluviôse An VIII (29 janvier 1800), un actionnaire de la Caisse, Léon Basterrèche 125, expose les arguments qui doivent pousser les actionnaires à opter pour la réunion à la Banque de France. Avant de montrer que cette réunion peut être profitable aux intérêts des actionnaires, il s'emploie à montrer que la Banque de France est indispensable à l'intérêt du pays. Il explique que les banques de Venise, Amsterdam, Hambourg et Londres ont été profitables au développement du commerce et à la stabilité des gouvernements et rappelle les succès de la Banque de Law avant que celle-ci ne sombre dans les excès. S'arrêtant sur 122. La Décade philosophique écrit dès le printemps 1797 que "cette caisse jouit du plus grand crédit, ses billets, qu'elle émet avec beaucoup de prudence, sont recherchés" (La Décade philosophique, 10 floréal An V, t. 13, germinal-floréal-prairial, p. 253). Ces appréciations ét