Epouses et Concubines de chefs d'Etat africains : Quand Cendrillon épouse Barbe-Bleue
 2296063918, 9782296063914 [PDF]

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Zitiervorschau

ÉPOUSES ET CONCUBINES DE CHEFS D'ÉTAT

AFRICAINS

iÇ) L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique;

75005

http://www.librairieharmattan.com diffusion. harmattan(cl;wan adoo. fr harmattan [email protected]

ISBN: 978-2-296-06391-4 EAN : 978229606391-4

Paris

Adjo Saabie

/

EpOUSES ET CONCUBINES /

DE CHEFS D'ETAT Quand Cendrillon

AFRICAINS

épouse Barbe-Bleue

L'HARMATTAN

Points de vue Collection dirigée par Denis Pryen

Déjà parus Francine 2008.

BITEE,

Gérard Bossolasco,

La transition

démocratique

au Cameroun,

L 'Ethiopie des voyageurs, 2008.

Roland Ahouelete Yaovi HOLOU, La Faillite intellectuels C?lricains, 2008. Pierre Mithra TANG d'échec: les promesses Jean-Claude pas !, 2008.

SHANDA

LIKUND, Cameroun: manquées, 2008. TONME.

Avancez,

des cadres et vingt-cinq

ne nous a//endez

Jean-Claude SHANDA TONME. Droits de l'homme des peuples dans les relations internationales, 2008. Jean-Claude l'universalisme. Jean-Claude 2008.

SHANDA 200S. 2008.

TONME,

ans

et droits

Réjlexions

SHANDA TONME, Repenser la diplomatie.

Jean-Claude SHANDA TONME. Ces dinosaures politiques bouchent l 'horizon de l'AfÎ-ique. 2003, 2008.

sur 2004, qui

Jean-Claude SHANDA de guerre. 2002, 2008.

TONME, Pensée unique et diplomatie

Jean-Claude 2001. 2008.

TONME. L'Orée d'un nouveau siècle.

SHANDA

Jean-Claude SHANDA TONME, Le Crépuscule fin d'un siècle tourmenté. 1999-2000, 2008. Jean-Pierre MARA Oser les changements Centrafrique, 2008.

sombre de la

en Afhque.

Cas de la

René NGANOU KOUTOUZI (sous la direction), Problématiques énergétiques et protection de l'environnement en Afrique, 2008.

Cet ouvrage est avant tout dédié à tous les pauvres de Kinshasa, Abidjan, Lomé ou Douala. Il est aussi pour toutes les filles, petites ou grandes qui, en voyant les Premières Dames passer, les envient, à tous les bailleurs de fonds qui financent les fondations des Premières Dames. Il est aussi dédié à mes amis et à ma famille: mes enfants, ma meilleure amie, B., et mon meilleur ami, J. Mon cher L. J., qui a été si patient lors de mes longues recherches, et m'a aidé à trouver le livre rare, en dépit de son emploi du temps chargé. Enfin, mes chères 2 M., et F. pour leur aide de tous les instants dont la mise en page, S. pour la traduction en anglais et tous ceux qu'il serait impossible de nommer ici. Ma famille en Afrique qui sera sûrement sous pression devant ce qui pourra être perçu comme un crime de lèse-majesté.

A V ANT-PROPOS

Il était une fois une jeune fille qui vivait dans les quartiers pauvres de la ville. Elle regardait avec envie les belles dames de la haute société, qui avaient tout: bijoux magnifiques, somptueuses toilettes, etc. Elle savait qu'un jour, son prince viendrait la chercher, et que même s'il ressemblait à un crapaud et le resterait irrémédiablement malgré tous les baisers du monde, il serait très riche et très puissant. Pas loin de là, une jeune fille pauvre, intelligente, poursuivait ses études. Révoltée par l'injustice dans son pays, elle s'était juré de changer un jour les choses. Froidement déterminée, sa très grande foi religieuse la confortait dans toutes ses certitudes; tous les autres (au choix: l'autre ethnie, les riches, les étrangers) étaient méchants et périraient par le feu de Dieu; le jour où elle rencontra son prince, elle sut qu'enfin Dieu lui-même avait voulu qu'un grand destin s'accomplisse. Même si le prince était Barbe-Bleue ou s'il allait le devenir. Ou si elle devait elle-même revêtir les habits de Barbe-Bleue. Comment peut-on associer son destin à des Sékou Touré, Idi Amine, Bokassa, Mobutu, Eyadema, Macias Nguema, Theodore Obiang, Charles Taylor ou Mugabe? Contexte historique ou faut-il que ces femmes aient été si pauvres, faibles ou assoiffées de pouvoir? Les versions moins brutales, mais non moins redoutables comme Blaise Compaoré ou Paul Biya seraient-elles alors plus acceptables? Que dire du couple Gbagbo ou Museweni ? En choisissant de ne parler que des épouses de dictateurs - à l'exception de Lucy Kibaki, tyran de journalistes - nous avons essayé de comprendre comment ces femmes ont pu partager la vie de chefs d'Etat cruels, arbitraires et même sanguinaires.

Comment ont-elles pu, dans certains cas, encourager les dérives de leurs dictateurs d'époux? Pourquoi parler des Premières Dames alors qu'elles ne sont pas élues? Tout simplement parce qu'elles prétendent jouer un rôle public, voire politique. Elles ont envahi le devant de la scène politique, et investissent l'humanitaire et le caritatif, monopolisant les médias et parfois captant les ressources des bailleurs de fonds internationaux. On est mal à l'aise devant leur acharnement à paraître si bonnes et essayer de traiter de dossiers qui souvent dépassent leur compétence. Une fois les projecteurs éteints, combien se soucient de faire changer la politique sociale de leur illustre époux? Leur activité ne se résume qu'à du saupoudrage, avec un gala de bienfaisance pat°-ci, une inauguration de clinique pat°-Ià, un don épisodique de médicaments à des populations souvent appauvries du fait de la politique de leurs époux. C'est comme si elles venaient, à coup de sparadrap en satin rose, essayer de plâtrer des fractures de jambes ou de bras brisés par les coups de matraque de leurs époux. Certains mouvements de femmes commencent à penser que les Premières Dames nuisent plus à la cause de la Femme qu'elles ne la servent car «certaines questions sont trop importantes pour être confiées à des épouses, il y a des femmes compétentes qui peuvent très bien s'en occuper. Les Premières Dames ne sont pas élues, leurs époux le sont... quelquefois? Elles n'ont d'autorité que parce qu'elles sont des épouses!. » Nous espérons avoir traité du sujet sans tomber dans le piège de la caricature, de la petite littérature ou petite histoire en dessous de la ceinture. L'encyclopédie Wikipedia fournit une liste de leaders communément considérés comme des dictateurs des temps modernes. Ce terme est en général péjoratif et se réfère à un dirigeant qui:

- est

un leader

absolu

d'un Etat souverain;

- dirige en dehors de ce que l'on appelle état de droit ;

1 Ferial Ajaffee, Flame, 25 novembre

1999

8

- en général (mais pas obligatoirement) est arrivé au pouvoir par la fraude ou un coup d'Etat; - peut développer un culte de la personnalité; - peut être un autocrate, répressif, despote ou tyrannique. Parmi ces dictateurs, Sékou Touré, Houphouët-Boigny, Siad Barré, Modibo Kéita, Omar Bongo, Kwamé Nkruma, Francisco Nguema, Teodoro Obiang, Hailé Maryam d'Ethiopie, Nasser, David Dacko, François Tombalbaye, Charles Taylor, Boumediene, Banda du Malawi, Mugabe, Kadhafi, Eyadema, Bokassa, Mobutu, Idi Amin, Abacha, Sadate, Nimeiry, Albert René, Habyarimana, Ben Ali, etc. Nous avons choisi seulement certaines épouses, celles qui prétendent soigner les plaies de leurs peuples, et celles dont l'action, d'une manière ou d'une autre, comme par exemple rester aux côtés de Barbe-Bleue et le défendre même après sa mort, laisse pantois.

9

PREMIÈRE PARTIE LES MÈRES DE LA PATRIE

De Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, l'icône absolue, à ses pâles copies

2

M

arie-Thérèse Houphouët-Boigny, la magnifique, ne pouvait se trouver quelque part sans attirer tous les regards. Dans la Côte d'Ivoire d'après les indépendances, elle était le modèle à copier pour tout, sa coiffure, ses somptueuses toilettes, ses manières. Combien de pagnes portent le nom de cette superbe femme qui incarnait la modernité de la Côte d'Ivoire? Par exemple, ces pagnes aux motifs géométriques et aux dénominations imagées, tels que ongles de Madame Thérèse, en référence à la beauté et à la richesse de Mme Thérèse. Combien de petites 2

Le président

et Mme Kennedy avec le président

Ie 22 Mai 1962 (Photo de Robert Knudsen Library and Museum, Boston).

-

et Mme Houphouët-Boigny

John F. Kennedy Presidential

filles nées dans les années 1960 ont été nommées MarieThérèse, comme Elle? En 1962, elle fit sensation aux États-Unis, où, invitée avec son mari par le président John Kennedy, elle fut baptisée par une presse en adoration, pendant les 10 jours de sa visite d'Etat, « la Jackie africaine », véritable reconnaissance de sa grâce qui transcendait les barrières raciales d'une Amérique encore en proie aux ségrégations. En effet, en 1963, des manifestations conduites par Martin Luther King dans l'Alabama étaient encore durement réprimées. Que n'a-t-on pas dit sur Thérèse? Qu'elle était étudiante en France et fiancée au fils d'Houphouët, futur président de Côte d'Ivoire qui, lorsqu'il la vit, en devint amoureux fou et l'arracha à son fils, lequel ne le lui pardonna jamais. Écoutons un témoin: «Parmi les 150 premiers boursiers ivoiriens envoyés en France en 1946, se distingue une adolescente, issue d'une famille amie de Houphouët- Boigny, Marie-Thérèse Brou au beau teint clair, grande, élancée et mince, une des plus belles filles de sa génération. Houphouët-Boigny l'épouse en secondes noces en 1952 quand elle a vingtdeux ans, alors que lui-même en compte plus du double [...]. Pour expliquer ce mariage, [il] confie à un intime: "Pas avant longtemps, nous aurons la charge de nos propres affaires. Cette fille m'accompagnera dans mes 3 Kouakou Bowoulan Francis, photo non-datée: au centre, le président Houphouët-Boigny en costume clair, Thérèse à l'extrême-gauche. A sa droite, le deuxième président Konan-Bédié et son épouse Henriette. Reproduit avec

J'aimable autorisation de M. Kouakou Bowoulan Francis Fondation Houphouët-Boigny pour la Paix. http://membres.Jvcos.fr/fkouakou/yakro. htm.

14

-

Photo de la

voyages et sera pour beaucoup dans la considération qui sera accordée à notre pays411»... Bien que déjà uni à Mamie Kadi, qui lui donnera quatre enfants, il épousa Thérèse en 1952. Il ne croyait pas si bien dire, Thérèse incarna avec beaucoup d'éclat toute la beauté et les promesses du pays, et fut pour beaucoup dans la considération accordée à la Côte d'Ivoire.. .du moins jusqu'au milieu des années 1980. Dans la Côte d'Ivoire d'après les indépendances, on se voulait civilisé, c'est-à-dire occidental à tout prix, en costumecravate sous la canicule tropicale. Thérèse, c'était bien entendu la référence en savoir-vivre pour des populations ayant peutêtre un peu perdu leurs repères africains au lendemain des indépendances et pas toujours sûres de l' étiquette occidentale. C'est ainsi qu'en 1965, Marie-Thérèse Houphouët-Boigny s'occupera du trousseau de mariage de Suzanne de Monaco, une jeune métisse ivoirienne, avec le président de Haute-Volta Maurice Yaméogo. Houphouët et Hamani Diori (président du Niger) sont témoins de mariage5. Dans les années 1960, les Occidentaux vantaient, à travers la beauté de la capitale, celle de la Première Dame. En 1964, aucune capitale africaine n'était aussi élégante qu'Abidjan. Le

président et son épouse vivaient alors dans un palace de « 12 millions de dollars, resplendissant, avec 52 qualités différentes de marbre et une cave climatisée »6. Au milieu des années 1960, c'était le «sixième sillon» creusé par le laboureur Houphouët, « benna wassi, grand Nana Boigny, 6 ans d'indépendance vous contemplent» de l'Abbé Pango. Dans les années 1970, la croissance économique battait son plein, avec Il % par an, le taux le plus élevé en Afrique. C'était la Côte d'Ivoire du café (3ème producteur mondial) et

ensuite, du cacao (1er producteur). Amédée Pierre, star locale, faisait danser le pays sur « Bon Café de Côte d'Ivoire... que tu t'appelles Aoulou, Kouamé, Tagro ou Akissi, que tu sois 4

S. Diarra, préface des Faux Complots d'Houphouët-Boigny,

http://vvvvw.anthroglobe.ca!docs/esthetique--poetiq 5 Jean-Pierre Bejot, La Dépêche diplomatique, 6 Times Magazine, 24 avril 1964.

15

ue.htm. 16 octobre 2002.

cité dans

richard ou pauvre type, bois du bon café... ». C'était la Côte d'Ivoire multiethnique qui se construisait. Renault, Esso, Union Carbide, Uni lever, Shell et d'autres multinationales venaient en rangs serrés, grâce aux avantages fiscaux qu'on leur offrait ainsi que la possibilité de rapatriement des revenus. Le président français Georges Pompidou, en visite, en admiration devant le réseau d'autoroutes, les boulevards ombragés, les cafés à la française, déclara la Côte d' Ivoire «un modèle pour toute l'Afrique. » C'était l'époque où pas moins de 20 000 Français (contre le quart en 2006) habitaient en Côte d'Ivoire, où quatre cadres moyens et supérieurs sur cinq étaient des étrangers (essentiellement des Français), les quatre-cinquièmes des 360 entreprises que comptait alors le pays étaient aux mains de Français et des assistants techniques hérités de la colonisation. Il n'y avait alors ni opposition déclarée, ni mutins, même si les étudiants commençaient à développer un esprit critique, malgré la bourse qui était accordée à la majorité d'entre eux. La France dépensait alors 50 millions de dollars par an pour son ancienne colonie et Abidjan était devenue sa vitrine et celle de l'Occident. Les années 1960, c'est aussi l'époque où la Côte d'Ivoire a été le théâtre de complots, réels ou imaginaires. En 1963, le fameux complot du «Chat Noir» a vu la disparition mystérieuse en prison d'Ernest Boka, président de la Cour Suprême et troisième dans la succession d'Houphouët, de même que l'emprisonnement de hautes personnalités. Devant des diplomates et membres du gouvernement, « le Président révéla qu'il avait été à deux doigts d'être assassiné par... des fétiches. Il fit sortir d'une valise deux cercueils miniatures contenant une photo de lui, des bouteilles suspectes, et d'autres outils du domaine de la magie noire. Pour un Occidental, dit-il, tout ceci al' air enfantin mais nous sommes au cœur d'un drame en Afrique Noire. Ces fétiches sont à la source du problème, car derrière chacun d'entre eux il y a du poison? ».

7lbid. 16

Car l'homme croyait aux fétiches. Samba Diarra rapporte8 également qu'en 1958, pour faire revenir de Rome une Thérèse fugueuse, un ami d'Houphouët, Ladji Sidibé, alla consulter un marabout au Mali... et Thérèse revint. Comme beaucoup d'Africains, Houphouët pratiquait et le catholicisme et l'animisme. L'homme adorait le crocodile, animal qu'il considérait comme sacré, qu'il élevait dans son palais de Yamoussoukro, et consultait régulièrement. Plusieurs bruits couraient également, sur des sacrifices de malheureux albinos, offerts aux crocodiles du Bélier, autre animal fétiche auquel il avait choisi de s'identifier. Thérèse, loin de se comporter en douce brebis du Bélier, était plutôt chèvre, cassant sa corde et gambadant allègrement vers d'autres prés plus verts dès qu'elle le pouvait. La Côte d'Ivoire ne lui en tint jamais rigueur, considérant comme un juste retour des choses qu'elle se procure ailleurs ce que ne pouvait lui donner le « Vieux ». Vers la fin des années 1960, la Côte d'Ivoire connut de nouveau des heures tragiques avec la «crise du Guébié », opposant les Bétés aux Baoulés, suivie de celle du Sanwi (menace de sécession), opposant deux courants au sein du groupe ethnique Agni. Les sanglantes répressions ordonnées par le pouvoir tranchent avec l'image de bonté et de paternité qu'a voulu laisser le couple présidentiel. Et même si l'on se doute que la Première Dame ne put pas faire grand-chose contre des violations de droits de l'homme de la part de son cher époux, on peut se sentir déçu qu'elle ne semble pas s'en être émue. En effet, l'image qu'elle laissera au peuple ivoirien est celle d'une belle dame insouciante, avec une impressionnante garde-robe et une interminable cour de parents et amis pas toujours désintéressés. Que dire du rôle joué par Houphouët dans la guerre du Biafra, et plus tard, en Angola? L'homme était également un grand collectionneur d'art, « souhaitant entrer dans le club des cinq9 » personnes possédant quatre Renoir, au lieu d'être dans 8 Samba Diarr~ Lesfaux complots d'Houphouët-Boigny. 9 Pierre Joxe, Pourquoi Mitterrand?, p. 57.

17

celui des onze possédant trois Renoir. Quand on connaît les problèmes économiques du pays, certes pas à cause des Renoir, on ne peut s'empêcher de penser que la vente de ces trois tableaux aurait peut-être permis de construire quelques dispensaires ou de scolariser quelques enfants défavorisés. Vers 1970, on parle franchement du «pays du miracle », ou du miracle ivoirien, avec une urbanisation accrue, combinée à des programmes destinés à contenir l'exode rural. Dans les années 1975, 10rsqu'Houphouët commença l'ivoirisation des cadres, les Français dans les professions libérales (médecins, pharmaciens, avocats) n'avaient plus le droit d'ouvrir de nouveaux cabinets, et les importations françaises baissèrent d'un cinquième. Cependant, Thérèse et sa cour avaient toujours leurs produits français leur permettant de maintenir leur chic parisien, devenu un modèle pour l'ensemble de la population. Thérèse, c'est le beau monde, la vie internationale, moderne, la Côte d'Ivoire indépendante et prospère, les talons aiguilles, la taille de guêpe, le faste. C'est le coiffeur visagiste d'origine arméno-libanaise Garo, qui, de ses doigts experts et par la magie de son coup de peigne, a transformé plus d'un laideron de la haute société en femme présentable et sortable à défaut de désirable. C'est aussi l'époque des sociétés d'Etat, avec tous leurs excès, le champagne, l'arrogance et la suffisance des parvenus, proches du pouvoir, sans oublier le phénomène des grattas, vieux tontons ventrus et cossus entretenant des petites lycéennes en uniforme «bleu et blanc », souvent avec la bénédiction des parents de ces dernières. On assiste à une inéluctable dégradation des mœurs, au nom de l'argent facile. La construction de la Riviera africaine, d'un coût de 2 milliards de dollars, au début des années 1980, avec les greens de golf et les piscines de luxe, a paradoxalement rapproché Thérèse de son peuple, sa résidence de la Riviera étant rapidement entourée (certains diront cernée) de logements de fonction de professeurs bientôt contestataires et futurs membres du Front populaire ivoirien. C'est là qu'accompagnée de ses suiveurs serviles, courtisans et courtisanes, du haut de sa colline surplombant la lagune Ebrié, elle se défoulait, badinait au bord 18

de sa piscine hollywoodienne, assistait à des défilés de mode privés, et où son époux, déjà fatigué par le poids des années et presque prostré dans son fauteuil, faisait passer en revue des parures de Van Cleef & Arpels toutes aussi éblouissantes les unes que les autres. C'était également l'époque où Abidjan bruissait de vilaines rumeurs lorsque apparurent les premiers parcmètres, horodateurs «argento-phages» (ou mange-mil billets) au Plateau, quartier des affaires... attribuant à Thérèse leur propriété. Le milieu, puis la fin des années 1980 ont marqué le déclin du pays, avec la chute des prix du cacao et du café, principales sources de revenus du pays. C'est l'époque qu'Houphouët choisit pour construire la Basilique Notre-Dame de la Paix à Yamoussoukro, commencée en 1985 et achevée en 1989, pour 200 millions de dollars. La Côte d'Ivoire est alors frappée par la crise économique, et ne connaît plus que la déconfiture des sociétés d'Etat, la «conjoncture », les «compressages », les délestages avec coupures d'électricité pouvant durer 10 heures. Les grandes familles qui résistent à la crise se comptent sur les doigts. Les contestations d'étudiants et de professeurs se multiplient. En 1990, le pape Jean-Paul II a consacré la plus grande église du continent africain, ce qui a provoqué bien des critiques, les détracteurs du monument assimilant la bénédiction par le pape à une validation «de l'extravagance monumentale d'Houphouët-BoignylO» qui persistait à dire que le financement provenait de sa cagnotte personnelle. De style postRenaissance, la Basilique est l'une des plus grandes églises au monde. Bâtie sur 130 hectares, elle a deux longs bras formés par 128 colonnes doriques, le sol est en granit et marbre. Construite en moins de quatre ans (contre 100 ans pour SaintPierre de Rome) par 1500 travailleurs, la Basilique ne fait pas l'unanimité. Par exemple, le fait que « tous les personnages des vitraux soient blancs à l'exception d'un pèlerin solitaire qui ressemble fortement à Houphouët» est sujet à polémique. Le 10

Times

Magazine, 17 Septembre 1990. 19

Président « voulait faire [de la Basilique] une commémoration de lui-même et, à cette fin, commanda un vitrail le représentant à côté d'une galerie des vitraux représentant Jésus et les apôtres, le dépeignant comme le treizième apôtre» 11.Misogyne, il n'a pas daigné faire une petite place à son épouse sur les fresques, contrairement aux images bibliques où Marie ou MarieMadeleine (éplorées, il est vrai) sont présentes. Comme la basilique Saint-Pierre qui avait été méprisée par les protestants du 16ème siècle comme une scandaleuse extravagance, Notre-Dame de la Paix est critiquée car elle est perçue comme une dépense incongrue dans un pays où le PIB par tête était de 650 dollars US. Comme l'indique un Ivoirien: «pourquoi construire une église pour Dieu alors qu'il y a tant de chômeurs et de personnes qui meurent presque de faim12 ? ». Les défenseurs du président diront que la Basilique était un symbole pour contrer l'avancée de l'islam vers le sud du pays. A quel prix? C'est l'époque où Thérèse, peut être aussi à cause de l'âge (la cinquantaine) a transformé aussi son image et devient la maman à temps complet. Finies les robes vaporeuses en organza ou en soie, Thérèse passe au pagne africain qui arrive à la cheville, mais de haute couture, sous les mains expertes du styliste malien de talent aujourd'hui disparu Chris Seydou, dont les splendides vêtements métamorphosent leurs heureuses bénéficiaires en créatures de rêve. Toute la Côte d'Ivoire l'imite et s'habille alors en pagne baoulé, en Bogolan, revalorise avec fierté les étoffes locales. Tradition rime avec bonheur avec crise. Il est de bon ton de consommer local. C'est l'époque où Thérèse introduit le concept de charité pour la première fois en Côte d'Ivoire, et peut-être en Afrique de l'Ouest. Déjà appelée « Maman Thérèse », elle avait dans le passé préfacé des ouvrages relatifs à la mère et à l'enfant (dont La mère dans l'art baoulé). En 1987, elle créa la Fondation N'Daya International, une organisation charitable pour Il Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_NotreDame de la Paix de Yamoussoukro. 12

Tim-;s Maiazine~

3 Juillet

1989.

20

l'amélioration de la santé, le bien-être et l'éducation des enfants pauvres d'Afrique. Ndaya était connue pour ses dames patronnesses richement vêtues, ses opportunistes, ses galas, défilés de mode où se bousculait le tout-Abidjan qui se maintenait malgré la crise, ou par les dessins animés Kimbo, « le messager de l'espoir », ambassadeur des petits Africains13, qui ont donné une certaine notoriété à la Côte d'Ivoire. Ndaya, qui signifie jumeau en baoulé, c'est aussi la demi-bourse estudiantine versée par l'Etat sur laquelle les étudiants ironisaient, disant que l'on attendait en vain l'autre jumeau, car elle était insuffisante. A peu près à la même période, se jouait une tragédie au Liberia, qui aurait des répercussions incalculables dans la sousrégion. En effet, au début des années 1980, Adolphus Tolbert, l'époux de Daisy Delafosse, filleule d' Houphouët-Boigny, et fils du président libérien Tolbert était exécuté avec son père lors d'un coup d'Etat qui porta Samuel Doe au pouvoir. Selon plusieurs sources14, malgré l'intervention personnelle d'Houphouët en faveur d'Adolphus et la promesse qu'il serait épargné, il fut quand même exécuté. Houphouët, qui ne pardonna jamais à Doe cet acte odieux, soutint Charles Taylor (Cf. dernier chapitre) et ses rebelles en 1989 en leur permettant d'attaquer le Liberia à partir du territoire ivoirien. Daisy se serait par la suite réfugiée chez son amie Chantal Compaoré, épouse du président burkinabé, qui soutint aussi Charles Taylor. Quelques années plus tard Houphouët organisait des conférences de la paix en Côte d'Ivoire pour résoudre le conflit. Thérèse n'aurait pas toujours été sage, avec, hormis sa fugue italienne, deux amants qui ont disparu dans des circonstances mystérieuses. Paul Barril raconte qu'en octobre 1993, peu avant sa mort, «Le Vieux» lui avait demandé d'enquêter sur les relations de sa femme, dont un Italien, Ugo Brunini ou Bonini, qui était en train de s'emparer du monopole des jeux en Côte d'Ivoire. Thérèse venait de perdre 15 millions de francs français 13 Ebony

-

Johnson Publishing Co. (\J Gale Group 2004 14 John Peter Pham, Liberia, Portrait of a Failed State

Côte d'Ivoire et le boomerang libérien, juillet 2003. 21

- François

Barrot, La

lors d'une virée sur les tables des casinos de la Côte d'Azur, accompagnée d'Ugo, Napolitain qui était devenu le conseiller le plus écouté de la présidente. Le tandem s'est assuré le monopole des jeux en Côte d'Ivoire. Après enquête, Ugo aurait été condamné à quinze ans de prison par la cour d'assises de Paris pour avoir participé, le 31 décembre 1975, au rapt du PDG de Phonogram (disques Philips), Louis Hazan 15. Thérèse, beaucoup plus jeune que son époux, était-elle en mesure de donner son avis? Etait-elle écoutée par cet homme si puissant, d'autant plus qu'il a eu d'autres femmes à diverses époques de sa vie? On se souvient encore de la très jeune métisse togolaise «La Paix », compagne vers la fin de sa vie dont la mère, chef d'une secte religieuse dit-on, fit qu'Houphouët s'habillait beaucoup en blanc sur le tard. Est-il jamais venu à l'esprit de Thérèse de demander à son époux de désigner clairement un successeur? On aime le croire. Le manque de successeur clairement désigné a contribué à plonger la Côte d'Ivoire dans la crise qu'elle a connue par la suite. On est reconnaissant à Thérèse d'avoir été plutôt discrète et effacée depuis la disparition de son époux, malgré les tentatives de récupération des différents politiciens ivoiriens cherchant à s'approprier l'héritage politique du «Vieux ». On l'a dite proche du groupe des houphouëtistes. Plus récemment, on l'a dite plutôt du côté de Gbagbo, ancien opposant à son mari et président actuel qui, poursuivant les « chantiers du 3ème Millénaire d' Houphouët à Yamoussoukro, fait vraiment

honneur à la Côte d'Ivoire et à l'âme de mon maril6. » Pourtant, dans les premiers temps après la mort de son époux, Madame Thérèse n'avait plus droit au salon d'honneur, les crocodiles du lac n'étaient plus nourris. Lui succéda Henriette Bédié, qui tout naturellement créa sa propre fondation, Servir. Les activités de Ndaya International cessèrent bien entendu presque sur le champ. Une recherche de Ndaya International sur le moteur de recherche Google ne fournit que

15 16

Paul Barril, l'Enquête Fraternité

Matin

I

er

explosive. Septembre 2006.

22

des bribes d'information, montrant le manque de coordination et de pérennité des activités caritatives des Premières Dames. Henriette Bédié, plus accessible que Madame Thérèse, était aussi une Première Dame moins glamour (certains diront plutôt ordinaire, pouvant tirer sur le vulgaire), tout en n'en étant pas

moins vorace. Henri Konan Bédié, son mari, se souvenant des circonstances de leur rencontre: « Henriette Bomo Koizan, que j'ai donc rencontrée en 1953, avait quinze ans, elle était timide mais jolie comme une biche royale. Sa beauté m'a captivé dès le premier jour, la gentillesse de sa famille aussil7. » Henriette a fréquenté le collège moderne de jeunes filles de Bingerville, «pépinière de l'élite ivoirienne» selon ses propres termes, avant de rejoindre à Poitiers en 1957 son fiancé qu'elle connaissait depuis 1953. Là, ils se marièrent le 3 avril 1957 et elle y a poursuivi des études de secrétaire de direction18. Son époux, le président Henri Konan Bédié (HKB), signa en février 1999 le décret portant reconnaissance d'utilité publique de la Fondation Servir d'Henriette qui, après trois années d'existence, pouvait désormais recevoir des dons et des legs et bénéficier d'exemptions fiscales. 17 Henri Konan Bédié. Les Chemins de Ma Vie. 18www.rdl.com.lbfl997fl956/protil.htm.

23

Si l'on ne saurait dire que Bédié fut un président sanguinaire et bestial, son mandat a été loin d'être exemplaire, avec emprisonnements arbitraires, détournements de fonds et gabegie, prébendes payées à des fidèles, pour la plupart issus d'un même clan. Selon l'encyclopédie Wikipedia, Bédié « encourage la stabilité nationale mais est accusé de répression politique et de corruption. Afin de contrer son opposant Alassane Ouattara, il met en place le concept d'ivoirité, selon lequel une personne est ivoirienne si ses quatre grands-parents sont nés en Côte d'Ivoire. En 1995, il est élu avec 96,44 % des suffrages (atteignant presque les scores d'Houphouët), tous les autres candidats sauf Francis Wodié (Parti ivoirien des travailleurs) ayant boycotté l'élection à cause de la réforme du code électoral ». Henriette Bédié, dont le teint s'éclaircit au fil des ans et les cheveux deviennent de plus en plus lisses, peut-être sous l'effet de l'âge, c'est Thérèse en moins grand, dans tous les sens du terme. Tout l'argent du monde n'aurait pu lui donner la moindre grâce, telle Anastasie et Javotte, les sœurs de Cendrillon, comme on pourrait dire que son mari Henri (Konan Bédié) est une mauvaise copie d'Houphouët, l'une des plus mauvaises qui aient existé, moins généreuse, avec tous ses excès et gaspillages, le népotisme et la corruption, même s'il a amélioré son image depuis. Le régime est associé à tout ce qui est parvenu, bouffi, arriviste et malhonnête. Née en 1938 à Bouaflé dans, selon ses propos, «cette zone de rupture et d'union, au paysage tramé, largement ouverte entre ciel et terre» où son père était directeur d'école, Henriette est «deuxième d'une famille solidement unie de douze enfants, équitablement répartis (six garçons et six filles) », et aurait été spéciale dès sa naissance. En effet, « ma mère me porta douze mois au lieu des neuf réglementaires et comme pour rattraper les trois mois supplémentaires passés en son sein, je fis mes premiers pas à six mois »... Était-ce le signe d'un grand destin? On est surpris du grand écart que firent la science et la biologie juste pour elle. 24

Les galas de Servir pouvaient coûter 1 000 00019 de francs CFA à chacun des heureux «invités» des entreprises de la place, qui grommelaient en silence. Impossible d'échapper à ces ponctions en règle, le pouvoir prélevant sa dîme tranquillement. Quelques semaines avant la chute du régime, le 14 novembre 1999, un grand gala de Servir avait pour invitée de marque la princesse Irénée de Grèce. La Fondation Servir avait aussi ses locaux dans le quartier cossu des Deux Plateaux, avec membres « bénévoles» indemnisés. Le pays vit une crise profonde et s'africanise, d'autant plus qu'en 1994, un an après l'arrivée au pouvoir d'HKB, c'est la dévaluation du franc CFA, qui est durement vécue par les populations habituées aux produits importés. Les années 1990 sont aussi celles du style musical «zouglou », au son duquel Henriette, soignant son image de femme simple, n'hésitait pas, en jeans et casquette, à venir danser: « Avec elle, les rendezvous qu'elle prenait, avec ses enfants les handicapés, au Palais des Sports de Treichville, étaient de grandes parades. Elle y venait avec le look approprié. Pantalon, paire de tennis, chemise-relax, l'atour est trouvé pour la bringue. Les danses locales n'ont pas de secret pour elle: Mapouka présidentiel, le reggae, le lôgôbi, Henriette s'y connaissait. Alors justement, les journaux ne rataient jamais l'occasion de la mettre à la une tant ses pas de danse étaient révélateurs d'un talent sûr »20... La presse dithyrambique encensait la nouvelle mère de la nation qui, en préparation des élections présidentielles de 2000, commença dès 1998-1999 à sillonner le pays, courtisant l'électorat de l'Ouest, du Nord et de l'Est, présentant les dons des bailleurs de fonds comme provenant de sa propre cassette. Henriette a régulièrement imposé sa présence au journal télévisé par de longs reportages sur ses tournées à l'intérieur du pays, allant jusqu'au Haut-Sassandra à quelques mois de la chute de son mari, où les habitants « en masse, autant à Daloa, Issia ou Gonaté et Boguédia, sont venus applaudir la Dame au ]9

] 500 Euros. Douze-Jeudi, 200]. 20

"Pourquoi

nos Premières

25

Dames

aiment

danser",

JO mai

cœur d'or. » Par des chants et des danses, par des discours et des cadeaux, les cadres suivis de tous les habitants de la cité des Antilopes se sont mobilisés pour dire ANISRE à la Première Dame de Côte d'Ivoire21... Les multiples scandales, tels l'affaire Roger Nasra portant sur le détournement d'un milliard de francs CFA, le trésor, les constructions à Koukourandoumi (son village) et Daoukro (village de son mari), l'affairisme de sa famille, rien ne semblait entamer les activités d'Henriette. Pensait-elle que tout cela lui était dû, ou, comme la plupart de tous ceux qui sont trop loin du peuple, pensait-elle que tout ce qui se racontait sur son époux n'était qu'affabulation dans le but de déstabiliser le pouvoir? Pour beaucoup, tout cela lui était bien égal. Dans les années 1970, Henri Kanan Bédié, HKB, Ministre de l'Economie, aurait surfacturé les complexes sucriers du Nord de la Côte d'Ivoire et aurait même fêté à cette époque, avec cigare et champagne bardés de son effigie, ses premiers 7 milliards en francs CFA. Jamais il n'aurait pu, avec son salaire de ministre, fils d'un pauvre paysan, amasser autant d'argent en si peu de temps. Pendant ce temps, Madame «Monsieur 5 % », surnom de M. Bédié, allait de sa démarche un peu comique sur les Champs-Elysées ou avenue Montaigne s'acheter de belles toilettes, financées par les dividendes occultes de son mari dans les sociétés d'Etat qu'il était chargé de faire naître et d'organiser dans les services, le café et le cacao. C'est le milieu des années 1970, la Côte d'Ivoire du miracle économique, de la culture à grande échelle de la banane, de l'ananas et de l'hévéa qui vient soutenir et renforcer celle du café-cacao dont le pays devient très vite premier producteur mondial. Sur le plan national, les partisans de Bédié disent qu'il a encouragé la «création des PME-PMI afin de valoriser les productions locales et de fournir un revenu conséquent aux paysans et agriculteurs ivoiriens. Pour ce faire, il crée la chaîne de distribution, DISTRIPAC, dont les magasins Pac, disséminés à travers tout le pays, concurrencent la SCOA-Chaîne Avion, chaîne française du temps des colonies. Mieux encore, ces 21 Fraternité

Matin, Télévision Nationale,

26

diverses éditions.

magasins sont gérés par de jeunes Ivoiriens ayant reçu une formation ad hoc »22. Le barrage de Kossou, l'électrification des villages, le bitumage des routes, l'urbanisation, le dynamisme ivoirien: ses partisans veulent qu'il en soit l'auteuf... en omettant de dire que le pays s'endette dangereusement pour financer des programmes de plus en plus ambitieux dont l'impact économique n'est jusqu'à ce jour pas évident. Des complexes sucriers, les populations locales diront qu'elles ont fort peu bénéficié. Les ressortissants du Bafing déclaraient: «il est inutile de rappeler les expériences malheureuses des projets soja et pomme de terre qui ont eu leur gestion uniquement pour assurer le profit des encadreurs au détriment des populations laborieuses. Par exemple, dans le projet SOJA, sur 600 exploitants, pas un seul ne réalise un résultat excédentaire, mieux, nos paysans sont criblés de dettes à la fin de chaque campagne agricole. L'installation du Complexe sucrier de Borotou-Koro n'a pas profité aux villages environnants. Il n'a permis d'offrir ni écoles, ni centres de santé, ni eau potable, ni électricité aux villages de Bontou et de Morifinso, alors que le complexe sucrier qui est dans le périmètre de ces dits villages est alimenté en eau courante et en électricité23. » En juillet 1977, HKB est limogé du gouvernement et l'on perd un peu sa trace. La famille va aux Etats-Unis, où Bédié travaillera à la Société financière internationale, branche de la Banque mondiale pour le secteur privé. En 1980, c'est le retour. Aux élections politiques de 1980 au cours desquelles la multicandidature fut admise pour la première fois depuis l'indépendance au sein d'un même collège électoral, il est élu député de Daoukro, son fief natal. Puis Bédié devient Président

22Lettre ouverte No 8157 du 30 mai 2004 - « Henri Konan Bédié, un homme exceptionnel, la force tranquille» Vincent Depaul K. http://www.abidjan.net/lettreouverte/lettre.asp?1D=8I57 . 23 Forum de la réconciliation nationale, Contribution des populations du Bafing, Touba, 17 octobre 2001. 27

de l'Assemblée nationale, gère le budget à sa guise comme si c'était son bien personnel. Mais écoutons B. Contamin et B. Losch: «Les autorités ivoiriennes cherchaient à faire croire que c'est à la conduite éclairée du président Bédié que l'on devait le retour de la prospérité observé vers 1993 avec la remontée des cours des matières premières. Vers la fin des années 1990, le pays ne pouvait plus assurer le paiement de la dette publique, et la dépendance de l'économie ivoirienne à l'égard du marché international, surtout celui du cacao, devint flagrante. Le marché du cacao s'est retourné dès le début 1999 et l'an I de la libéralisation de cette filière stratégique pour l'économie ivoirienne est salué par un effondrement des cours (de 901 £/tonne en février 1999 à 545 en décembre). On assista donc à une rapide détérioration de l'environnement local. Parmi les facteurs ayant favorisé cette nouvelle récession, il faut souligner la poursuite et l'accélération tous azimuts des pratiques clientélistes, attestées par un certain nombre de scandales financiers de grande ampleur (notamment sur les fonds européens destinés au secteur de la santé) et par la forte croissance des dépenses hors-budget, dont l'encours est passé de 100 milliards fin 1998 à 131 milliards de francs CFA un an plus tard. Ces dépassements traduisent la persistance de logiques rentières qui handicapent lourdement les perspectives d'une relance par l'investissement productif. Les douze travaux de l'éléphant d'Afrique se limitaient à des projets d'infrastructures nécessitant un large recours soit à l'endettement public, générant de lourdes charges, soit au système de la concession de longue durée à des entreprises étrangères. Le redressement durable de la situation financière du pays était donc hypothéqué par la persistance de comportements prédateurs et par une politique de grands projets aux retombées très incertaines pour l'économie nationale» 24.Et feu Balla Keita, ancien ministre de la Recherche Scientifique avait aussi raillé: « l'éléphant d'Afrique que devait être la Côte 24 Bernard Contamin, Voie Etroite.

Bruno Losh pour Politique

28

Africaine,

Côte d'Ivoire,

la

d'Ivoire est devenu le margouillat de Daoukro qui grimpe sur tous les murs.25

»

Le 7 décembre 1993, à la mort d'Houphouët-Boigny, Bédié se proclame président de la République, ce qui est confirmé par la Cour Suprême le 10 décembre. Le 22 octobre 1995, il est élu président de la République. Lors de ces élections, les talents de supporter d'Henriette éclatent; elle sillonne le pays en jean ou en pagne, danse s'il le faut « en toute simplicité ». Présidente-fondatrice de Servir, Henriette s'est rendue à Daloa, communiant «avec ses frères et sœurs du pays profond»... Sur pratiquement 18 kilomètres, depuis l'aéroport de Daloa où Mme la Présidente et sa délégation sont arrivées, jusqu'au centre-ville, lieu de la première des manifestations ouvrant ces deux journées symbole, du monde, du monde... Un monde fou! Formant une haie humaine absolument compacte, ces milliers de gens, par cette image, ont réussi sans peine à traduire leur attachement profond à la Première Dame, ainsi que leur adhésion totale à l' œuvre sociale que, continuellement, elle bâtit à travers son association de bienfaisance. Dans d'autres localités, «la Présidente a offert décortiqueuses, vélos, lits, compresses, gants, médicaments divers, machines à coudre, cantines de livres, etc. à chacune des étapes effectuées dans ces départements pour une valeur cumulée de plus de cent quinze millions de francs »26. Ce genre de visites illustre parfaitement le mélange entre politique et charité, où la frontière se fait floue entre le rôle de la Première Dame en tant que présidente de sa fondation et celui de la représentante de son époux ou personnalité politique.

A Daloa, Servir, avec l'ONG Winrock International, J2B (Jeanne Berthe Bra Foundation - épouse du maire) et le ministère de l'Education nationale et de la formation de base ont procédé à la pose de la première pierre du centre d'hébergement des jeunes filles scolarisées, un ouvrage étalé 25 L'Inter 1274 http://www.presseci.com/linter/articles/6243-127 26Dominique Mobio, Fraternité Matin. 29

4.html.

sur 4400m2, conçu par l'architecte César Dilolo et dont la remise des clés était prévue pour le début de l'an 2000 (contrariée par les événements qui survinrent par la suite). A Issia, après s'être arrêtée en chemin à Boguédia pour faire des dons, Servir, à travers sa présidente, a inauguré le centre de santé. Or, à la même époque, l'Union européenne déplorait le détournement de 180 millions de francs (français) versés par Bruxelles pour la santé et la préparation des élections, qui ont disparu entre 1992 et 1997. Ce scandale était d'autant plus choquant qu'il portait sur des fonds qui devaient alimenter la lutte contre le SIDA et la mortalité infantile ou encore participer à l'amélioration du système hospitalier. Une autre partie des subventions, prévue pour accompagner l'organisation d'élections démocratiques en 1995, a, elle aussi, mystérieusement disparu... Un rapport confidentiel de l'Inspection générale des finances ivoirienne, remis au ministre de l'Economie le 19 novembre 1999, détaille ce pillage des subventions de Bruxelles. Pour effectuer cette enquête, des équipes de contrôleurs ont sillonné la Côte d'Ivoire et visité hôpitaux, dispensaires, orphelinats et pouponnières. Plus de 500 dossiers ont été examinés. Les principaux détournements proviennent de surfacturations de matériel médical: ainsi, un pèse-bébé d'une valeur de 202 FF27 est facturé 4 900 francs; une « boîte d'accouchement» vendue normalement 500 francs apparaît sur les comptes pour la somme de 4 850 francs; une boîte à suture à 247 francs revient, elle, à 6 885 francs; un tensiomètre à 87 francs est facturé 1 960 francs; enfin, un stéthoscope évalué à 85 francs est payé 2 885 francs! Au total, ces surfacturations se sont élevées à 4,9 millions de francs28. Fondée en 1996, Servir aurait bénéficié de fonds détournés. On est loin des valeurs qu'Henriette dit avoir reçu de sa famille: «Fervent croyant et homme à la conscience professionnelle sans limite, mon père nous initie très tôt aux valeurs du travail, du respect de l'autre, d'amitié, de fraternité. 27100 francs CFA = 1 FF 28 L'Express, 6 avril 2000.

30

Quant à ma mère, elle nous indique la voie du partage; cette éducation humaniste, fondée sur l'entente et la solidarité familiale, résiste au temps et aux hommes29 ». A la suite d'une plainte de l'Union européenne concernant la surfacturation d'un montant total de 18 milliards de francs CFA, destinés à la santé et à la décentralisation, le gouvernement du Général Robert Guéï, qui devait renverser Bédié en décembre 1999, a délivré en janvier 2000 un mandat d'arrêt international contre Henri Konan Bédié. Henriette avait fait construire des bâtiments somptueux dans son village natal, Koukourandoumi : une villa, une discothèque, un centre d'apprentissage et un hôtel. Sa famille aurait aussi bénéficié d'avantages considérables lors de la privatisation d'entreprises publiques. Mais Henriette et Henri, malgré le verrouillage de l'appareil de l'Etat (leurs gens étaient partout dans les ministères et sociétés parapubliques, la presse, muselée à part celle des partis d'opposition FPI et RDR, qui faisaient de la résistance) et la corruption, étaient des doux comparés à ce que la Côte d'Ivoire allait connaître sous le régime militaire, puis civil de Guéï, puis de Gbagbo. Avec le changement de régime apporté par les militaires de Guéï, Servir disparut tout naturellement. La procédure engagée par le gouvernement Guéï contre l'ancien président Konan Bédié, accusé d'avoir détourné 24,8 millions de dollars d'aide médicale européenne vers des banques étrangères, n'a pas abouti. En effet, « accuser ne suffit pas, il faut prouver: l'Office fédéral de la police (OFP) a jugé les informations fournies à l'époque par Abidjan insuffisantes. Certaines banques mentionnées dans les rapports envoyés n'existent pas... Un audit des comptes de Konan Bédié n'a révélé l'existence que de 3 à 4 millions de dollars. Du reste, les dirigeants qui en réclamaient la restitution ont, depuis, été déchus30.» En 2005 cependant, peut-être par remords, mais sûrement en préparation du retour en politique de son mari, Henriette a offert des médicaments au centre de santé portant 29 Interview lors de la visite officielle au Liban. 30 RFll6 mai 2002

31

son nom de Yopougon Toits Rouges (inauguré il y a 10 ans par l'ex-Première Dame). Ce don, de 2,7 millions de Francs CFA, a été effectué par le Ministère de la Santé du Dr Albert Mabri Toikeusse « sur un coup de fil d'Henriette Bédié. Après le mot de bienvenue du président du comité d'organisation, la jeunesse du PDCI (parti de HKB, au pouvoir pendant 40 ans), la génération Bomo (du nom de jeune fille de l'épouse d'Henri Konan Bédié) et la jeunesse Atchan ont été investies3l.» Alors que, dès 1999, le taux de croissance estimé autour de 3,8 % se tassait, il était estimé à la baisse pour l'année 2000, certaines prévisions avançant des taux négatifs, entre -1 % et 0 %. C'est là, vers Noël, que Robert Guéï prit le pouvoir, ce qui lui valut le surnom affectueux de «Papa Noël ». Venu pour «balayer la maison ivoirienne », Robert Guéï tenta de rester plus longtemps, troquant ses habits militaires pour des costumes civils. Ses hommes torturèrent des putschistes présumés et ceux qui étaient soupçonnés d'enrichissement illicite. Qui ne se souvient des contrôles arbitraires de « corps habillés» devenus soudainement tout-puissants, arrêtant qui ils voulaient, arrachant voitures, maisons, femmes, réglant des comptes personnels? Combien d'hommes d'affaires n'ont-ils pas tremblé lorsque, sur simple dénonciation d'un employé mécontent, ils voyaient débarquer dans leur bureau des commandos surexcités, les yeux rougis par des substances illicites, demandant à voir des comptes que de toute façon ils n'étaient pas en mesure de comprendre? Qui peut oublier les matelas de barbelés dans lesquels une certaine unité dirigée par Boka Yapi enroulait ses victimes avant de les bastonner, le fer déchirant les chairs des malheureux? Robert Guéï, c'est aussi la répression brutale de révoltes d'étudiants en juin 1991, où des étudiantes ont été violées en toute impunité par des militaires, notamment des éléments des FIRPAC32, un corps d'élite qu'il avait créé. En octobre 2000, les

3i Le Front 30 juin 2005 32 Forces d'intervention rapide-para

commandos.

32

Ivoiriens se mordaient les doigts d'avoir acclamé en décembre 1999 le premier putsch depuis l'indépendance. Qui était celle qui, assassinée en 2002 avec son mari, a été enterrée presque dans l'indifférence, avec seulement trois couronnes de fleurs33 et un petit groupe de proches et politiciens, comble dans un pays où honorer les morts fait partie intégrante de la culture et où les funérailles sont une opportunité d'effacer toutes les rancœurs, d'oublier tous les péchés? La Côte d'Ivoire a-t-elle tant changé? En quelques mois de règne, aucune Première Dame n'a été autant haie que feue Rose Doudou Guéï, accusée d'être le mauvais génie de son général de mari, le poussant à tous les excès que le pays a connus pendant cette période noire de répression, lui dictant sa conduite et rabrouant ses collègues de la junte militaire qui dirigeait le pays. Membre du Cabinet politique du président Robert Guéï, Rose entendait bien jouer son rôle et se faire entendre. Déjà en 1980, Robert Guéï avait affecté à son épouse, en campagne pour des élections municipales, des véhicules des sapeurs-pompiers dont il était le patron, ce qui lui avait valu la sanction d'être nommé commandant de la 4èmerégion militaire à Korhogo, dans le nord du pays. Alors que son mari prétend toujours ne pas être intéressé par le pouvoir et n'être venu que pour «balayer la maison », Rose Guéï parcourt le pays pour une véritable campagne électorale déguisée. En avril 2000, soit seulement quatre mois après l'arrivée au pouvoir de son mari, Rose était en campagne contre les étrangers; en visite à Adzopé, elle déclara: «Il faut que les Ivoiriens cessent d'être des étrangers sur leur propre terre. Durant quarante ans, nous avons hébergé des frères venus d'ailleurs. Nous avons cédé notre lit pour qu'ils se sentent à l'aise. Aujourd'hui, ils prennent ce lit pour eux, nous obligeant à dormir par terre. Il est temps, grand temps que nous récupérions notre lit ». Cette partie de l'intervention de

33

offertes par Seydou Diarra. ex-Premier ministre, Mabri Toikeusse du général Guei) et Roger Abinader, industriel ivoiro-libanais.

33

(du parti

Mme Rose Doudou Guéï, l'épouse du Général-président Robert Guéï, a soulevé un tonnerre d'a laudissements 34. Et de se désoler de « les voir à la traîne» dans le concert des activités de développement. «l'ai vu des femmes ivoiriennes aller acheter des pagnes fabriqués en Côte d'Ivoire au Togo. Elles dédouanent ces pagnes avant de les revendre ici. A Sassandra, il n'y a qu'un seul boucher qui, pour avoir une cuisse Rose Guéï Doudou de bœuf à commercialiser, sue sang et eau. Tout cela parce que les circuits sont détenus par les étrangers qui ne font pas de cadeau aux Ivoiriens. Il faut que tout cela s'arrête et que les Ivoiriennes et les Ivoiriens cessent d'être des étrangers sur leur propre terre35», a martelé la Première Dame de Côte d'Ivoire. Pour Mme Guéï, cette situation inconfortable peut trouver sa solution dans le fait que les femmes ivoiriennes se mobilisent, lisent et prennent conscience qu'elles peuvent aisément réussir dans des projets de développement. Aussi, dira Madame la Présidente, sa série de tournées à travers tout le pays n'a d'autre objectif que de «sensibiJjser les femmes, ses sœurs, pour qu'enfin elles s'insèrent dans le tissu économique ivoirien par des projets de développement qui garantissent leur indépendance , . 36 economlque

».

La presse vendue, comme d'habitude, au plus fort, chantait ses éloges en ces termes:« Mme Rose Doudou Guéï s'est imposée en quelques mois comme une Première Dame légitime. Teint plus reluisant, vêtements et bijoux de qualité, voyages à l'extérieur, tout a été rassemblé pour que Mme Guéï soit Mme 34 Notre Voie n° 590, 27 avril 2000. 35 Ibid 36 Ibid

34

la présidente3?» Car la chenille était devenue papillon, métamorphosée, sans que personne ne s'inquiète de l'origine de la fée qui avait ainsi transformé la femme du balayeur de la maison Côte d'Ivoire et lui avait donné carosse et laquais. Plus tard, le pays se rendrait compte qu'il n'y avait de fée que l'argent rapidement acquis. Mais minuit n'avait pas encore sonné pour Cendrillon. Dès les premiers mois, certains journalistes mettaient déjà le bémol. « Ses premiers pas ont été appréciés par tous. Ils ont fait l'unanimité, mais de plus en plus, des gens s'interrogent sur l'activisme de l'épouse du Général-président. L'on rapporte que l'adhésion nationale à sa personne est liée au fait qu'elle représente toutes les sensibilités politiques. Ce qui signifie que si Mme Guéï devient l'instrument d'une partie de l'opinion et de la nation, il sera bien difficile aux commentateurs et aux observateurs d'accepter qu'on dise qu'elle est la mère de tous les Ivoiriens. A noter que Mme Bédié n'avait jamais été présentée avec autant d'emphase. Ce qui se passe sous nos yeux doit inciter les contempteurs à relativiser leurs analyses. On peut dire que Mmes Thérèse Houphouët et Henriette Bédié ont .., . 38 ete " cntIquees pour nen ». Comme plusieurs autres Premières Dames, elle a investi le domaine de la finance en milieu rural, préconisant la création d'une banque des femmes (reprise par Mme Gbagbo, qui lui a succédé). «Cette banque des femmes verra bientôt le jour. Ainsi, les femmes ivoiriennes auront de l'argent pour investir et être de vrais agents de développemene9. » Elle a, par son « intervention parfois auprès de son époux, chef d'Etat, permis à des personnes d'être bombardées ambassadeurs ou d'être nommées ministres ou à des emplois supérieurs de la Nation (ESN) » nous dit Le Nouveau Réveil40.

37 38

Op. Cit. C. Kouassi.

http://national-mag.ifrance.comlnumero 390p.CÎt. 40 Le Nouveau Réveil. 6 mai 2006

0 llfirstIadv .htm.

...,~ .))

Rose Doudou était une femme forte, ne mâchant pas ses mots. La Côte d'Ivoire ne l'a pas accepté. Lors de la remise en liberté provisoire du capitaine Fabien Coulibaly, aide de camp du général de brigade Guéï Robert, en octobre 2001, Rose a fait

les déclarations suivantes en « lieu et place du capitaine, astreint à un devoir de réserve en raison de son statut de militaire »... Après avoir remercié la population de Biankouma, les élus UDPCI qui se sont mobilisés comme un seul homme pour obtenir la libération du capitaine, elle a indiqué que c'est une insulte de penser que l'aide de camp de son époux entend fomenter un coup d'État. «Fabien, qui a travaillé pendant longtemps dans le bataillon blindé, le connaît non seulement

très bien, mais y a des amis41.» Le capitaine Fabien Coulibaly avait été arrêté avec d'autres militaires et inculpé pour« atteinte à la sûreté de l'État» et « incitation de militaires à violer le devoir que leur impose leur statut ». Rose n'avait pas hésité non plus à prendre position sur la gestion du parti de son mari, l'UDPCI, comme le rapporte la presse: « Vendredi dernier, au cours du dîner dit de convivialité et d'honneur offert par les cadres du parti aux élus, ministres et autres responsables du parti, Mme Rose Guéï a lâché une véritable tarte à la face des dirigeants de l'UDPCI. "J'ai l'impression qu'au sein de l'UDPCI, on aime les coups bas", at-elle fait remarquer en guise d'introduction à son intervention. Une intervention qu'elle a voulue d'ailleurs moralisatrice. C'est pourquoi elle s'est gardée de mettre à l'index qui que ce soit, tout le monde, à ses yeux, ayant une part de responsabilité dans la dégradation de la situation au sein du parti qui a abouti à la démission du secrétaire général la veille même de la rencontre: "Quand on veut diriger les hommes, on doit accepter l'humiliation, les injures, la contradiction, l'humilité et 42 l'acceptation de la différence." » A la chute de son époux, ce dernier l'a envoyée tâter le terrain en 2001 où elle a fait sa « première apparition publique après 7 mois. Cette présence à Abidjan n'est pas fortuite. Elle 41 Soir Info, 7 novembre 2001. 42 Soir Info, 27 aout 2001.

36

constitue un ballon d'essai important avant un éventuel retour de l'homme du 24 décembre 1999 dans la capitale. Mieux, elle constitue une étape importante vers la réintégration dans la République du général Robert Guéï. En fait, Mme Rose Doudou Guéï a séjourné à Abidjan pour baliser le terrain. N'étant sous le coup d'aucune inculpation ni poursuite judiciaire et n'ayant commis pour tout crime que d'être une épouse de chef d'État, Mme Rose Guéï ne pouvait être inquiétée pendant son séjour abidjanais. Or, il se trouve, en vérité, qu'hormis les événements des 24 et 25 octobre 2000 (troubles pendant les élections), l'on ne peut faire incomber au général Robert Guéï la responsabilité d'un quelconque bain de sang. La responsabilité tant du point de vue des consignes que de l'exécution d'une stratégie de répression des marcheurs n'est pas confirmée. Et même si cette responsabilité était confirmée, aucune inculpation ni poursuite judiciaire n'ont été engagées contre lui. Alors, pourquoi ne peutil pas retourner tranquillement à Abidjan? »43 En 2001, certains journaux ivoiriens44 faisaient état de «l'or volé de Bédié », qui avait disparu de façon rocambolesque du ministère de la Défense. Ces bijoux et d'autres objets de grande valeur (estimés à un milliard de francs CFA) avaient été récupérés à la résidence Bédié du cossu Cocody-Corniche après la perquisition des mutins pendant le coup d'Etat du 24 décembre 1999. «De cette expédition, ils reviennent avec un coffre-fort contenant des bijoux et cinquante millions de francs CFA en espèces. Le Général Guéï aurait utilisé les espèces pour rémunérer l'expert serrurier français commandité pour ouvrir le coffre-fort récalcitrant d'une part, et dédommager les soldats, sous-officiers et officiers qui avaient vu leur solde suspendue sous Bédié, pour avoir été impliqués dans le vrai-faux coup d'Etat d'octobre 1995, d'autre part. Quant au coffre à bijoux de Mme Bédié, le Général Guéï l'a fait transférer au ministère de la Défense... Il est resté là depuis lors jusqu'au cambriolage de décembre.

»

43

L'Inter n092I, http://www.pressecLcom/linter/articles/3632-92l.html. juin 200 I. 44Actuel, Le Patriote.

37

1er

Une « parente» de la famille Bédié, Mme Kouakou Bah, ou Amouin Kouakou Eugène née Wassa ou Ouassa Monique45, a pour sa part évoqué des objets d'art et des véhicules volés: «Le 21/03/2000, je me suis rendue à l'Indénié au domicile du général Guéï pour voir Mme Doudou Rose, son épouse avec laquelle j'entretenais de très bonnes relations d'amitié avant mon mariage, pour lui demander d'intercéder auprès du général Guéï, son époux, en vue d'obtenir la restitution des véhicules de mes beaux-parents (la famille Bédié) qui ont été arrachés de force par les militaires lors de leur descente punitive à

Daoukro. » On voit bien là aussi le rôle importantjoué par Rose auprès de son époux. Professeur des lycées, Rose était au lycée de Jeunes filles de Bouaké dans les années 1960. Celle qui, après un premier

mariage avec un M. Soumahoro, a épousé le Capitaine Guéï, a été assassinée avec lui lors de la tentative de coup d'Etat contre le régime du Président Gbagbo. Etait-ce une sorte de «rançon de la gloire », étant reconnue comme ayant réellement un pouvoir? En effet, dans les années 1960, «Aïcha Hamani Diori, épouse du président du Niger Hamani Diori, avait la réputation d'être encore plus puissante que son mari, qu'elle aurait contrôlé comme une marionnette. Ses pouvoirs légendaires pour manipuler l'élite du pays et dicter ses règles concernant le rythme et le contenu des aspects socioculturels de la vie du pays ont fait l'objet de chansons et de poèmes (en haoussa, langue locale). Lorsque les putschistes firent le coup d'Etat en 1966, ils épargnèrent la vie du Président Hamani Diori, mais assassinèrent sa femme, qu'ils considéraient comme la personnification d'un pouvoir ilIégitime.46 »

45 L'Inter, 29 novembre 2001. 46 Dr Yaha Abdulahi, Conseiller Spécial à la Chambre Nigeria 27 juin 2004 http://www .personal. psu. edu/ users/jlmljmj 24 3/F eminism%20in%20Africa.htm.

38

des Représentants

du

D'Andrée

Touré aux deux Mme Conté (Henriette et Kadiatou)

L

e nom d'Andrée Kourouma Touré est évocateur de la période des indépendances, des grands Africains, du non de Sékou Touré à la France, et de grands lendemains pleins de promesses pour l'Afrique. La dernière épouse de Sékou Touré, «jeune métisse timide et mignonne» 47, était, avant son mariage en 1953, secrétaire politique. Au début des années 1960, Andrée élargit ses activités, représentant son époux lors de meetings et réceptions en Guinée. Arrêtée en 1985 avec son fils Mohamed pour tentative de coup d'Etat, Andrée a été relâchée à la fin des années 1990 et depuis invitée à des cérémonies publiques, notamment en 2004 lors de la célébration de la fête anniversaire de l'indépendance de la Guinée. Récemment, au cours d'une cérémonie solennelle, le pouvoir du Général Lansana Conté a reconnu les droits de l'ancien président et livré des véhicules à la désormais Hadja48 (Andrée) Touré. Sékou Touré, né en 1922, d'une famille modeste malinké, était le petit-fils du grand guerrier Samory Touré, qui s'est illustré dans sa lutte contre la colonisation. Venu au pouvoir en 1959, Sékou Touré a régné jusqu'en 1984, date de sa mort aux États-Unis. Une quinzaine de complots ont ainsi été officiellement dénoncés de 1958 à 1984, dont certains furent réels (1965). Des milliers d'arrestations, des centaines de victimes49, c'est le souvenir qu'a laissé Sékou Touré qui a imposé durant près d'un quart de siècle une folie sanguinaire sans pareille en Afrique: on enterrait les gens vivants; on en

47 L'Intelligent 48 Femme ayant fait le pèlerinage de La Mecque. 49 www.radio-kankan.comINouvelles.48.0.htm\.

fusillait d'autres sur les places publiques. Sékou Touré avait le droit de vie et de mort sur chaque Guinéen. Andrée, qui a joué un rôle important auprès de son mari, a vu ses parents nommés à des postes officiels (Ambassadeur à Paris, etc.). Elle défend toujours les actions de Sékou Touré, et il faut lui reconnaître que le bilan n'est pas à cent pour cent négatif, du moins en ce qui concerne la lutte contre l'apartheid. C'est ainsi que Nelson Mandela a décidé de décorer Sékou Touré à titre posthume le 29 octobre 2004 à Johannesburg. Le Camp Kwamé Nkrumah, à l'entrée de Conakry, offrait des formations militaires aux Noirs sud-africains. Les activistes noirs des États-Unis et d'ailleurs, tels que la chanteuse Myriam Makéba (Marna Africa) et son époux Kwamé Touré (anciennement Carmichael), ont été les bienvenus à Conakry et devinrent proches d'Andrée et Sékou Touré. Sékou Touré fit beaucoup pour la promotion de la musique africaine. La musique était une affaire d'Etat. Jusqu'aux indépendances, il n'y avait pas d'orchestre africain à Conakry, et pour célébrer sa victoire à la mairie de Conakry, Sékou Touré avait dû faire venir un orchestre de Dakar. Il aimait s'asseoir avec Andrée dans son jardin, pour écouter les tam-tams des candidats à la Quinzaine Artistique - un concours national de danse et timpani pour exprimer l'âme guinéenne. Il encouragea l'émergence de groupes africains, dont l'excellent «Bembeya Jazz National» et «Les Amazones de Guinée ». Le chanteur malien Salif Kéita a chanté les louanges de Sékou et d'Andrée Touré dans MandjouSO, des milliers de Guinéens ont dansé sur la musique de Bembeya Jazz National, « véritable légende de l'Ouest africain [...] issu des groupes régionaux désirés par Sékou Touré lors de l'indépendance de la Guinée en 1958. Il est rapidement devenu le groupe favori des Guinéens dans les années '60 et '7051». Sékou Touré aurait assisté en personne aux compétitions de sélection à Conakry pendant une semaine, 50 Working Papers Nr. 48 Evelyn Batt Salif Keita, Les belles choses derrière

le mur Mainz. 51TV5.

~

von Marginalisierungzu Weltruhm 2004 Johannes Gutenberg/Uni.

40

en qualité de membre du jury. Mais malgré cette sensibilité artistique, entre 1958 et 1971, neuf des 71 membres du gouvernement furent exécutés, huit moururent en détention, 18 furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité, 20 remis en liberté provisoire, cinq se réfugièrent à l'étranger. En 1967, la musique européenne est bannie des ondes de la radio guinéenne. Comment des merveilles comme Waraba ou Whisky-Soda de Bembeya, qui transportaient immédiatement les pieds des jeunes vers la piste de danse, ont-elles pu être engendrées par le fruit de la peur, dans la terreur ambiante? Après avoir dit non à de Gaulle, Sékou Touré s'est alors tourné vers le bloc socialiste et a transformé son pays en «goulag tropical ». L'homme dont Senghor, le président sénégalais, aurait dit «pauvre Sékou, jamais plus il ne se promènera sur les Champs Elyséess2» (ce qui lui était probablement égal), avait pourtant bien commencé. Il disait qu'un homme d'Etat africain «n'est pas un garçon nu mendiant auprès des riches capitalistes» et symbolisait la fierté de tout un continent. Madame Andrée défend aujourd'hui encore le bilan de son mari. Interviewée par le journal sénégalais Le Soleils3, elle se place sur l'imparable terrain de l'indépendance et de la libération du joug colonial: « D'abord, je crois que son premier combat, c'était pour la réhabilitation de l'Afrique. Son rêve était que l'Afrique soit libérée de la domination étrangère. C'est pourquoi quand, en 1958, le choix s'est posé, à travers le référendum où la France demandait aux pays africains d'adhérer à la communauté franco-africaine, alors qu'il avait été désigné pour rencontrer le général de Gaulle, il posait le problème de la communauté en termes de porte ouverte sur l'indépendance. Ce qui n'a pas été accepté. Pour de Gaulle, c'était plutôt «vous venez à la Communauté ou vous prenez

l'indépendance avec ses conséquences ». Le président Sékou Touré avait alors dit: «on ne peut pas dire que l'opportunité a été donnée à l'Afrique d'aller à l'indépendance et qu'elle a été 52 Times Magazine, 16 février 1959. 53 24 novembre 2004.

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rejetée par tous les pays africains ». Donc, il a choisi la voie de l'indépendance, qui était certainement très difficile, mais il fallait qu'il le fasse, parce que c'était sa conviction [...] Ce vote qui a été très mal perçu par les puissances coloniales, parce que d'abord c'était une brèche ouverte par laquelle tous les pays africains se sont engouffrés. Ce qui montre que les peuples souhaitaient l'indépendance. Aucun peuple n'aime la domination. Et en ce qui concerne le peuple guinéen, il percevait la colonisation comme l'esclavage. Le Guinéen pense que quand on meurt esclave, dans l'au-delà, on est encore esclave. [...] Et tout au long de sa vie, Sékou Touré s'est battu pour la libération de tous les pays africains. D'ailleurs, il avait proposé que chaque pays donne 1/100e de son budget aux mouvements de libération nationale. Lui-même y consacrait 1OIlOOe du budget de la Guinée. Tous les mouvements de libération africains étaient les bienvenus en Guinée ». Il affectionnait ce genre de pensées: «l'argent et le pouvoir d'achat ne changent pas la conscience ou ne peuvent construire des nations ». Dès les premières années d'indépendance pourtant, plusieurs responsables du gouvernement étaient propriétaires de somptueuses villas et voitures, «adoraient la nourriture française, les cigarettes américaines et le whisky (à 18 dollars de 1963 la bouteille) ». Après cinq ans d'indépendance, la Guinée, 3 millions d'habitants et l'un des pays les plus riches d'Afrique avec du diamant, du fer, de l'or, de la bauxite et des ressources naturelles abondantes, était devenu l'un des plus pauvres. A l'époque, se rappelle un retraité, «on disait que nous étions assez riches pour que chaque Guinéen roule en Mercedes. Mais évidemment il n'en fut rien. Les seules limousines allemandes que l'on vit dans les rues de Conakry étaient celles de Sékou Touré. Le peuple n'avait droit qu'à la misère et au silence des sans-voix. Les bidonvilles s'ajoutaient aux cloaques. Conakry n'était plus qu'une poubelle où les sympathisants de passage cherchaient en vain les « charmes» d'une capitale tant vantée dans les « pays frères54». 54

Le Nouvel Observateur

n01815, 19 août 1999.

42

Cela n'empêche pas Andrée de dire, au sujet de Sékou Touré: «C'était un homme très simple. Il n'a jamais voulu vivre au-dessus de son peuple. C'est pourquoi, il menait une vie très, très simple. C'était presque un ascète. Et il disait souvent: on ne gagne que ce que ['on donne. Ou encore: ce que ['on a mangé on l'a déjà perdu. Sékou Touré était un homme qui avait foi en ce qu'il faisait, un fervent croyant. Il avait voulu que ses enfants soient éduqués comme tous les enfants guinéens. Il n'a jamais laissé ses enfants partir à l'extérieur. Pendant leurs études primaires, ils étaient confiés aux parents. Un seul a vécu avec nous55.» Comment un pays aussi richement doté en ressources naturelles, également considéré comme le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest grâce à ses fleuves, a-t-il pu sombrer ainsi? Un mélange de xénophobie et de socialisme avait scellé le sort du pays, avec pénuries alimentaires, déficits budgétaires et inflation. Le pays exportait ses ananas, bananes et autres produits à Moscou qui «en échange envoyait des bêches à neige, des kits de maison préfabriquées que les ouvriers locaux ne pouvaient assembler, et une usine à fabriquer de la glace qui fondait instantanément dans la fournaise de Conakry56.» Après que Sékou Touré eut introduit sa propre monnaie à son effigie suite au divorce avec la France et la zone monétaire d'Afrique de l'Ouest-CFA, les Guinéens n'eurent guère d'autre choix que de faire sortir leurs marchandises - café, bananes et aide alimentaire - vers les pays limitrophes en échange de devises. Sékou Touré avait bien entendu nationalisé toutes les entreprises et bientôt toutes les marchandises, de l'eau courante aux bouteilles de bière, furent rares. Dans la capitale, Conakry, les rayons de Printania, nationalisée, étaient quasiment vides, à l'exception de produits d'Europe de l'Est (goulasch, porc et haricots) et des camions jouets chinois à 8 dollars la pièce. Les vitrines étaient cassées, laissant entrer la poussière. Les femmes faisaient la queue pour du savon en poudre, des seaux métalliques et des sandalettes fabriquées avec des anciens pneus 55 Le Soleil, ibid. 56 Times Magazine,

13 décembre

1963.

43

de vélo. Bien entendu, les coupures de courant étaient la norme. L'abattoir de Conakry, d'une capacité de 40 tonnes de bœuf par jour, ne tuait pas plus d'un bœuf par mois. C'était l'époque où le pays recevait 250 millions de dollars par an de la Russie, de la Chine et des États-Unis. Andrée n'aurait rien pu faire évidemment pour enrichir la Guinée, mais on lui en veut d'être restée, d'avoir bien vécu, elle et sa parentèle, contrairement à la majorité de ses compatriotes. On lui en veut de défendre encore aujourd'hui ce paranoïaque, dont les sbires exécutaient parfois à la hache les opposants qu'il avait désignés comme de dangereux espions. Mme Loffo Camara, secrétaire aux Affaires Sociales de 1961 à 1968, a été exécutée (fusillée ou enterrée vivante selon les versions) en 1971 pour trahison. Comment Andrée s'est-elle sentie ce jourlà ? Car elle connaissait bien sûr Loffo Camara. Peut-être même étaient-elles amies, à moins que, comme le veulent certaines rumeurs, elles n'aient été rivales? Comment était-ce de vivre avec l'homme pour lequel avoir droit de vie et de mort sur ses semblables n'était pas un vain mot? Femme intelligente avec une conscience politique aiguë, Andrée a partagé la vie de Sékou Touré, qui a tué des milliers de Guinéens et conduit des millions d'autres à la fuite puis à l'exil. La diaspora guinéenne est estimée à 3 millions de personnes. Qu'en pensait-elle? On est déconcerté par ses positions sur la diaspora et les raisons à l'origine de l'exil de tant de ses compatriotes: «Je pense qu'ils peuvent avoir plusieurs raisons. Mais pendant la période révolutionnaire, beaucoup de Guinéens, dès qu'ils sortaient, ils disaient qu'ils étaient des opposants et ils étaient bien accueillis dans certains pays qui les favorisaient. En particulier la France. Mais la plupart partaient pour leurs propres intérêts. Ils y trouvaient beaucoup de facilité. Mais j'avoue aussi que le Guinéen a toujours aimé sortir. Je me rappelle qu'après l'indépendance de la Guinée, lors de notre premier voyage à travers le monde, nous avons visité les États-Unis, l'Allemagne fédérale et l'Angleterre, partout où nous sommes passés, nous avons rencontré des Guinéens. Mais actuellement, je crois qu'il y a

44

aussi

des

essentiellement

problèmes

économiques

qUI

expliquent

les départs 57. »

Comment se sentait-elle lorsque Sékou Touré fit mourir à petit feu Diallo Telli et ses opposants? Andrée croyait-elle vraiment au programme socialo-communiste de Sékou Touré, qui a tant appauvri et retardé le pays? Au sujet du programme éducatif, elle pense que l'enseignement donné en langue nationale « était une très bonne chose, parce que les enfants ont pu ainsi garder de solides amitiés ». Or, malgré tout le mérite des langues nationales, des milliers d'enfants guinéens, qui se sont retrouvés par la suite dans un système scolaire de type occidental, se seraient bien passés d'amitiés pour un peu plus de savoir universel, les dialectes guinéens n'ayant que rarement traversé les frontières nationales. En 1966, il déjouait un énième complot, celui de son cousin « petit» Touré, ancien directeur d'une usine de textiles. En 1969, l'année terrible, commence l'extermination de milliers d'opposants au Camp Boiro, où disparaîtront en cinq ans entre 10 000 et 30 000 personnes. Pendant ce temps, la Côte d'Ivoire d'Houphouët atteignait un PIB par habitant de 186 dollars par an - trois fois celui de la Guinée - et un excédent commercial de 45 millions de dollars, équivalant à la totalité des exportations de la Guinée. Les aventuriers ou les « Guinéens de l'extérieur », sont quelque deux millions à avoir fui leur pays sur une population de six millions... Il suffisait parfois de donner un peu d'argent à des militaires pour qu'ils aident à franchir la frontière. Beaucoup de gens sont alors partis pour la Sierra Leone voisine -« c'était notre Amérique à nous », se souvient avec émotion un chauffeur de taxi - ainsi que le Liberia, la Côte-d'Ivoire - en plein boum depuis la séparation franco-guinéenne -, le Sénégal et l'Europe... Et pourtant, à en croire Andrée, le peuple ne devait pas trop en tenir rigueur à Sékou Touré, qui entretenait avec celui-ci des relations de père à fils: «Sa porte était ouverte pour tout le monde et chacun pouvait venir à n'importe quelle heure. Sa ligne de téléphone était directe; tout le monde connaissait le 57

Le Solei!,

24 novembre

2004.

45

numéro et il n'avait pas de standard. Quand on appelait, même la nuit, c'est lui qui répondait. » Combien de personnes avaientelles le téléphone en Guinée à l'époque? Un tout petit cercle de privilégiés de la révolution sans doute. Et Andrée de poursuivre: « Je me rappelle combien de fois nous avons été dérangés à une heure très tardive par des gens qui avaient perdu un être cher, qui aussitôt pensaient à lui. Alors quand je disais qu'ils pouvaient au moins attendre qu'il fasse jour, il me disait non, c'est la confiance ». On imagine les pauvres Guinéens ayant perdu des proches, venir tout tremblants voir Sékou Touré. Pour lui demander des comptes? Il faut reconnaître que son nom pouvait tout naturellement venir à l'esprit en cas de disparition mystérieuse de proches. .. Sékou Touré, selon elle, était un homme bon, humain: « ...très disponible. Imaginez qu'il avait créé une cité pour les handicapés qu'il finançait de sa poche. De temps en temps il me disait: « va voir à la cité. Eux, ce sont mes vrais parents ». Et les habitants de la cité appelaient Papa quand leur poste de télévision était en panne. Ils y vivaient à l'aise avec tout le nécessaire. Les célibataires d'un côté, les mariés d'un autre; les enfants allaient à l'école normalement pour qu'ils ne grandissent

pas avec le complexe de leur handicap58.

»

On a dit que la Guinée avait souffert du divorce avec Paris, mais les pays d'Europe de l'Est sont venus à son chevet et n'ont eu de cesse d'envoyer leurs experts. N'étant pas formé en économie moderne, Touré rechercha l'industrialisation instantanée. Malgré une aide de 92 millions de dollars en crédits soviétiques et celle de 1200 conseillers russes, il n'y parvint pas. A l'instar du bloc soviétique prônant la joie de vivre à tout instant, la vie politique guinéenne était constamment animée par des fêtes servant à réchauffer l'atmosphère publique: fête des femmes en l'honneur de Mbalia Camara, militante du parti assassinée au cours des luttes politiques; anniversaire de la création de la monnaie guinéenne, de la création du mouvement de la jeunesse, JRDA, de la création du PDG, Parti 58

Le Soleil, ibid.

46

Démocratique de Guinée, du déclenchement de la révolution culturelle socialiste, du référendum du non à de Gaulle; fête de l'école guinéenne, de l'indépendance; fête de l'armée guinéenne, anniversaire de l'échec du débarquement des mercenaires. A ces nombreuses fêtes nationales s'ajoutent les fêtes religieuses, le jour de l'an et autres fêtes internationales (1er mai, fête internationale du travail, 25 mai, anniversaire de la création de l'OUA) et les visites officielles. Ces différentes cérémonies qui faisaient l'objet de la mobilisation de tout le peuple plongeaient le pays dans une constante atmosphère de fête, comme si tout était en ébullition et que le pays tout entier vibrait au rythme d'un militantisme révolutionnaire. Jacques Vignes souligne que ces festivités quotidiennes visaient à: « [...] faire du peuple une sorte de bloc homogène à diriger

sans à-coup

[.oo]

Et l'on ne peut s'empêcher de penser que,

sous le régime de Sékou Touré, la Guinée tout entière était devenue une sorte d'immense théâtre où les acteurs inconscients interprétaient une pièce à laquelle ils ne comprenaient rien. C'était un monde du spectacle, réglé à la manière de ces ballets où les Africains sont maîtres. Au baisser des rideaux, si l'on ose dire, chacun applaudissait la performance, sans bien voir que l 'histoire qui venait d'être racontée n'avait aucun rapport avec le foisonnement du réel. Sans s'apercevoir en fin de compte qu'on lui jouait toujours la même pièce, avec prière d'applaudir à tous les tableaux, puisque c'était le PDG qui tout à la fois dirigeait l'orchestre, assurait la mise en scène, réglait les danses et les chœurs, et avait écrit le scénario59. » Andrée bien entendu jouait un rôle important, encadrant les populations comme lors de la visite du directeur de l'UNESCO en mars 1979, où la population, sous son patronage, fut invitée à participer à cette occasion à une grande fête sur l'île de Los en face de Conakrlo. Mais une autre femme, Mafory Bangoura, leader des femmes du parti RDA, « une teinturière et couturière 59 Vignes Jacques (1984), Un seul parti, un seul état: Sékou Touré, in Jeune Afrique-Plus, n° 8, pp 10-17. 60 www.capitainedepeche.comlescale%20conakry.htm.

47

sans diplômes et membre important du comité des femmes du RDA », ajoué un rôle important. Celui d'Andrée Touré n'aurait été que secondaire, même si elles figurent toutes les deux sur un disque ou sont chantées leurs louanges. Pour rapprocher les gens et renforcer leur sens d'identité collective, l'idée d'uniformes fit son chemin. «Les membres du parti étaient en général originaires des classes pauvres et ne pouvaient pas acheter de tissu cher. Il n'y avait pas d'argent, les tissus coûtaient cher, les femmes du RDA - femmes du marché portaient des étoffes bon marché, tandis que nos adversaires étaient revêtus de grands boubous faits de tissus de luxe, tels que la soie. Andrée Touré et Mafary Bangoura confectionnèrent des blouses qui descendaient jusqu'à la taille, appelées temuray. Ces blouses étaient faites en percale, une étoffe bon marché. Le pagne était teint à la mode du pays, avec de l'indigo... Ce sont les femmes qui décidèrent que les blouses devaient être blanches. Lorsque les hommes virent que les femmes avaient adopté le blanc, alors ils commencèrent à porter du blanc eux aussi, et par la suite, cela devint la couleur nationale du RDA. »61

D'autres femmes ont compté pour Sékou Touré: il eut officiellement une relation extraconjugale avec Marguerite Cole, qui lui donna une fille, Aminata. Jeanne Martin Cissé, nommée ambassadrice à New Yark et représentante permanente de Guinée auprès des Nations Unies à New York, puis coordinatrice de l'union des anciennes normaliennes de Rufisque, aurait également compté pour lui. A Andrée, a succédé Henriette Conté, née Bangoura, épouse, en secondes noces, du président Lansana Conté, président depuis le 3 avril 1984, date de la disparition de Sékou Touré. Elle a deux ou trois coépouses, peut-être quatre. Le site officiel de l'Assemblée Nationale de Guinée dit d'ailleurs que le Président est marié à «Henriette, chrétienne, et Kadiatou

61 Top Down or Bottom Up? Nationalist Mobilization Special Reference to Guinea (French West Africa)

48

Reconsidered,

with

Camara (musulmane)62.» En effet, «après avoir rompu un premier mariage qui lui a donné cinq enfants, [le président Conté] est aujourd'hui marié à trois femmes. » Le pouvoir se décide dans les cercles des épouses et courtisans, autour de quelques figures de proue (les femmes du président, les intimes et la famille) et de personnalités issues du monde économique ou du PUP (les hommes d'affaires, les caciques du parti). Ces clans sont composés d'un grand nombre de Soussous, l'ethnie du président. Cependant, le critère principal d'appartenance repose sur la capacité à intégrer l'entourage présidentiel, qui se fonde lui-même sur des critères familiaux - les épouses, les frères, les neveux -, sur des critères ethniques, mais aussi sur l'appartenance aux réseaux d'officiers qui ont soutenu Conté lors de sa prise de pouvoir initiale ou à des réseaux d'affaires qui s'articulent autour de la présidence. Dans un article décapant intitulé Un chef de village à la présidence, Cheick Yerim Seck décrit Lansana Conté comme le phénotype même du Soussou, avec un tempérament d'un francparler indifférent aux convenances et considéré comme un important homme d'affaires, avec une forte propension à en découdre. Marié à trois femmes, il n'aime vivre qu'en Guinée, et ne se nourrit que de plats traditionnels guinéens tels que le baandé (riz gros grain - sauce arachide), même à l'étranger, et qu'il adore manger avec la main. Les ambassades de Guinée s'organisent pour s'assurer que ces vivres ne manquent pas lors de voyages officiels du président.63 Lansana Conté, Sous sou resté paysan dans l'âme, n'utiliserait que décoctions et autres philtres magiques élaborés par des guérisseurs et autres apprentis sorciers recrutés aux quatre coins du pays et de la sous-région. Tout ce que Boké et Siguiri en Guinée, Koulikoro au Mali et la Casamance au Sénégal comptent de karamokos (marabouts) réputés se succède au chevet du malade de Wawa. Rongé depuis longtemps par la 62www.assemblee.gov.gnlLoi%20Fondamentale/ PRG/Pr%E9sident%20de%20Ia%20R%E9publiqueLansana%20Cont%E9.htm - l4k. 63 Jeune Afrique, 2 septembre 2002.

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maladie, Lansana Conté s'accroche et refuse de céder la moindre parcelle de ses prérogatives... Henriette se serait effondrée lorsqu'il ne l'aurait pas reconnue suite à un de ses comas prolongés. Les proches du chef de l'État ne reculent devant aucune dépense pour l'aider à se rétablir. Des dizaines de bœufs, de moutons, de chèvres, des cérémonies répétées de « bénédiction », des lectures à n'en plus finir du Coran... Wawa vit au rythme de sacrifices, offrandes, rituels et autres prescriptions maraboutiques visant à infléchir la courbe déclinante de la santé du patient64. L'ONG International Crisis Group fait état de clans, «divisés autour de quelques figures de proue (les femmes du président, les intimes et la famille) et des figures de second plan (les hommes d'affaires, les caciques du PUP).» Le critère d'appartenance à ces clans est plus fondé sur la capacité à faire partie de l'entourage présidentiel que sur un simple critère ethnique. Ceci dit, il semble bien qu'une grande partie de ces clans soit originaire de la Basse Côte (soussou) même s'ils n'excluent pas en leur sein des membres originaires d'autres régions de Guinée. Henriette, la première épouse, est à la tête d'une fondation d'oeuvres sociales qui verserait, dit-on, dans les affaires. Un temps éclipsée par la seconde épouse, elle est récemment revenue sur le devant de la scène. La seconde épouse, musulmane, longtemps considérée comme la favorite et la marraine des musulmans de Guinée65, est une femme d'affaires avertie. Elle est la mère de la plupart des enfants du président. Sa récente disgrâce, à la suite de la maladie de son mari, ne l'empêche pas de demeurer encore très influente. Elle exercerait ses talents de femme d'affaires dans des domaines aussi variés que la téléphonie, la distribution, les mines, etc.66.Il existe enfin une troisième épouse, non officielle, d'origine peule, dont l'influence serait grandissante, et une quatrième, quasi-

64 leune Afrique-lAI, Cheikh Y érim Seck, 27 avril 2005. 65 Politique Africaine 2003 Guinée. 66 La Lettre du Continent, n° 430, I I septembre 2003.

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inconnue. À côté des épouses, les proches parents de Lansana Conté sont également très présents dans son entourage. Ronde et joviale, a priori sympathique, Henriette n'a pas eu d'enfant, mais assiste ceux des autres dans le cadre de son organisation humanitaire, la Fondation Maman Henriette Conté, «dans le but d'aider à apporter des solutions par des actions socio-économiques visant à améliorer la condition de la mère et de l'enfant ». Henriette est la compagne «des heures difficiles, celle des années d'errance dans les camps militaires du pays, au fil des affectations.67 ». La Fondation Maman Henriette Conté est active sur le front de la lutte contre le SIDA, avec notamment une assistance à cent personnes atteintes par le virus en janvier 2003 et des campagnes de sensibilisation aux militaires. Ce portrait affable est confirmé par Galbert68 : « Renommée agréable, l'armée la considère comme LA femme et non UNE femme du Général-président. Elle est très proche à la fois des amis du 3 avril (1984, date de la prise de pouvoir) et des officiers de la nouvelle génération. Depuis la prise du pouvoir par l'armée, elle a élu domicile au camp Samory, lieu de résidence officielle du Président. A son avantage, elle était l'unique épouse du Colonel Lansana Conté lorsque celui-ci accéda à la magistrature suprême ».

67 Jeune Afrique, 2 septembre 2002. 68 kibarou.com, M'Bemba Galbert.

51

Henriette Conté, au centre

Pour mesurer l'importance d'Henriette, il faut savoir qu'en 1984 elle et son jeune frère Jean-Claude Bangoura auraient été approchés par les épouses des putschistes pour « supplier son mari de prendre le pouvoir »69, reconnaissance de son rôle d'épouse influente dans un pays musulman, où l'homme a le droit d'avoir plusieurs épouses. Plus récemment, lors de la crise qui a secoué la Guinée en janvier 2007, c'est Henriette qui est venue démentir la rumeur « faisant état d'un éventuel refus du président Conté de signer le protocole d'accord sur la nomination d'un premier ministre ». «Aujourd'hui, c'est la dame de cœur du général, Henriette Conté, qui rassure les syndicalistes en démentant cette rumeur70 ». Sur le front politique national: «.. .les listes électorales ne sont pas seulement incomplètes, elles fourmillent aussi d'incohérences et d'anomalies. Ainsi, à Boké, bastion du parti au pouvoir et ville natale d'Henriette Conté, l'épouse du chef de l'État, le corps électoral s'est enrichi de cent mille 69 L'Indépendant N°220 du 3/4/97, Abdoulaye 70 http://www.guineenew3.comI0/02/2007.

52

Condé.

nouveaux électeurs entre 1998 et 2003. À l'inverse, Siguiri, l'un des fiefs d'Alpha Condé en Haute Guinée, a perdu vingt mille électeurs pendant la même période7l ! » Henriette Conté a été très visible lors de la campagne du parti de l'unité et du Progrès (PUP) qui détient la majorité parlementaire, pour les élections municipales, et a «ravi la vedette au Premier ministre d'alors (Cellou Dalein Diallo), avec la radio et la télévision nationale ne cessant de vendre son image... Désormais, pour apparaître à la télé c'est facile, il suffit de se faire une place dans la délégation de la Première Dame et tout est acquis. C'est ce que les femmes ministres du gouvernement ont compris. A chaque déplacement de la Première Dame, elles font le plein dans sa délégation. Dernier exemple en date, la visite de la Première Dame dans un district de Boké, où elle possède un vaste domaine cultivable... Toutes les femmes ministres (comme Hadja Koumba Diakité et Hadja Aissatouta Bella Diallo), la directrice exécutive du programme national de lutte contre le SIDA, les épouses des officiers supérieurs de l'armée nationale. De quoi faire rêver debout ces villageois qui s'en souviendront toute leur vien! » Henriette Conté, comme ses collègues épouses de chefs d'Etat, reçoit les membres du Rotary, d'organisations humanitaires, passe de l'éradication de la poliomyélite à la traite des enfants, aux mutilations génitales féminines et à la prostitution. Mais au-delà de ses activités caritatives, Henriette la débonnaire représente son époux, comme lorsqu'elle a rencontré Kadhafi en janvier 2006 à Syrte, pour lui transmettre un message de son mari louant le lancement du « projet Kadhafi stratégique de la jeunesse, de la femme et de l'enfant africain ». La Première Dame de la Guinée était accompagnée d'une délégation dont le ministre de l'Economie, Amadou Camara73, ce qui ne laisse aucun doute sur le caractère officiel de la visite, 71 L'intelligent Guinée, 6 octobre 2003. 72 Kabanews 23/05/2005 correspondant Fassou D Junior. 73http://www.africatime.comlgu inee/nouvelle.asp? no

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5217 &no

_categorie=. 53

au nom de l'Etat guinéen. Henriette serait aussi la femme des basses manœuvres, notamment lorsqu'il s'agit de soutenir le régime ivoirien. Elle fit une visite très remarquée en septembre 2004 à Abidjan où, reçue par Mme Gbagbo et le leader des Jeunes Patriotes Charles Blé Goudé, elle était accompagnée de quatre individus d'origine européenne, des mercenaires74. Henriette et sa famille auraient des intérêts immobiliers à Conakry, où ils achètent des quartiers entiers. Certains de ses amis au gouvernement se font construire des palais; d'autres placent leurs intérêts à l'étranger. Les enfants du président étudient en Suisse, loin des problèmes guinéens. Quand Conté a pris le pouvoir, «il a fait revenir des Guinéens de l'extérieur pour mettre de l'ordre dans la Constitution et organiser le passage au libéralisme. Avec quelques-uns, on a donc essayé de leur inculquer le sens de l'Etat, de l'intérêt général. Aujourd'hui nous passons pour des extraterrestres. Aujourd'hui la règle est moi-je-profite, et si tu ne participes pas au racket national tu es maudit. Lansana Conté, on ne le reconnaît plus, il a tellement changé depuis 1984 », regrette un ancien ministre75. Lansana Conté, à sa prise de pouvoir en 1984, avait formulé de belles promesses, annonçant le « redressement national» et prenant des engagements devant ses compatriotes: «Nous les militaires sommes tous venus au pouvoir pauvres, le jour où vous verrez l'un d'entre nous construire une villa, c'est qu'il aura volé. » Quinze ans plus tard, le Général-président Lansana Conté était déjà considéré comme un important homme d'affaires et propriétaire immobilier. Lors des élections présidentielles de décembre 1998, Conté a fait tout simplement enfermer l'opposant le plus en vue, Alpha Condé. En 2004, ce despote indifférent aux déchirements de sa majorité et à la dégradation de la situation économique, miné par la maladie, s'est représenté aux élections et les a gagnées. Il aurait déclaré à ses partisans qui venaient de l'adouber candidat officiel de son parti, le PUP : 74http://www.unregardmoderne.comlspi date=20051011&id mot=328. 75 Nouvel Observat;;ur, 19 août 1999.

«

Je ne peux pas faire campagne, p/viewvoir. php3?

54

j'ai mal aux pieds. C'est vous qui m'avez désigné, alors débrouillez-vous ». Il reste président malgré son évident manque de capacité physique de gouverner. En mars 2006, Conté a été évacué d'urgence en Suisse, avec Henriette à ses côtés. Le pays a retenu son souffle, espérant une démission, à défaut de la disparition définitive du chef de l'Etat. En vain. Pendant ce temps, les Guinéens connaissent des pénuries de riz, base de l'alimentation, des augmentations de prix généralisées, souffrent d'un système scolaire et sanitaire déficient et de tous les maux des pays pauvres. Pays potentiellement très riche, la Guinée produit 40% de la bauxite mondiale, a des réserves d'or, de diamant et un très bon climat permettant de développer l'agriculture. La Guinée est le pays ou deux jeunes, Yaguine et Fodé, de 14 et 15 ans, se sont accrochés au train d'atterrissage d'un Airbus de la SABENA un jour de 1999, pour fuir leur quotidien misérable et espérer trouver un avenir meilleur en Europe. En Guinée, l'analphabétisme reste très élevé, et les adolescents ne tardent pas à rejoindre les cohortes de gueux condamnés à survivre avec 5 francs français 76par jour. Yaguine et Fodé sont les enfants des années Conté. Ils ont grandi sous son règne. Vivants, ils ne représentaient rien. Henriette, en compétition avec deux ou trois autres femmes, est-elle capable de convaincre son époux malade de se retirer de la scène politique? Et surtout, le souhaite-t-elle simplement? Personne ne le saura. La situation polygame de son foyer ne l'a nullement gênée lorsqu'elle a participé à la première Conférence de l'Union Africaine des ministres chargés de la Femme et du Genre à Dakar, du 12 au 16 octobre 2005, prônant ni plus ni moins l'équité et l'égalité des chances entre hommes et femmes! Pendant les troubles de janvier et février 2007 qui ont eu pour résultat une centaine de morts, Henriette a été beaucoup vue, servant d'intermédiaire entre son mari et les syndicats. La société civile a exprimé son indignation dans une lettre au

7676 centimes d'euros. 55

Premier ministre qui la félicitait pour son «implication personnelle» dans la résolution de la crise77 : «Monsieur le Premier ministre, l'heure n'est pas à rendre hommage à Lansana Conte et à sa femme Henriette Conte. D'ailleurs pourquoi rendre hommage à Henriette Conte qui a laissé son mari Général Lansana Conte massacrer l'économie guinéenne pendant ses 23 ans de règne sans partage? Le premier conseiller d'un homme n'est-il pas son épouse? Pourquoi Henriette n'a-t-elle pas conseillé son mari pendant qu'il était encore temps? "Mieux vaut prévenir que guérir" a dit Hippocrate. Maintenant que tout est au rouge, les populations n'en veulent plus... Pour les Sans Voix, Madame Henriette Conte ne mérite aucune attention particulière, elle est aussi responsable que son mari Général Lansana Conte dans la

débâcle guinéenne. » La deuxième femme, Hadja Kadiatou Seth Camara, que les médias publics appellent « l'épouse du chef de l'État », est une ancienne Miss Guinée (présentée, certains Guinéens en frémissent encore d'horreur, « en slip» - maillot de bain - à la TV nationale pendant le concours de beauté, un acte choquant pour les Guinéens traditionnels), que Conté arrachera à son fiancé. Elle est la mère de huit enfants du général, dont le dernier, une fille, est né en octobre 200178. Kadiatou serait la personne qui exerce la plus forte influence sur le président; en effet, pour le traditionnel discours du 31 décembre 2005, le secrétaire général de la présidence Fodé Bangoura l'aurait mise à contribution79 et « le chef de l'Etat a fini par lire, laborieusement, un texte rédigé par Bangoura luimême» qui voulait empêcher le Premier Ministre (limogé quelques mois après) de le prononcer. Après le départ de Ceillou Dalein Diallo, Premier Ministre, « tous les ministres du gouvernement sont venus faire allégeance chez Kadiatou Seth Camara pour la fête du Maouloud80 ». 77Aminata.com du Il mars 2007 publié le 12 mars 2007. 78Jeune Afrique, 2 septembre 2002. 79Jeune Aji-ique - L'Intelligent N° 2350 du 22 au 28 Janvier 2006. 80La Lettre du Continent Ier juin 2006. 56

Après la Suisse où elle s'était installée pour l'éducation de ses enfants, puis le Maroc où elle s'était repliée - elle possède une somptueuse maison, laissant ainsi sa coquette résidence de Camayenne inoccupée les trois quarts du temps -, Kadiatou est revenue à Conakry devant la dégradation de l'état de son mari. En 2002, elle tomba en disgrâce faute d'avoir suffisamment soutenu son mari lors de sa maladie alors que les rumeurs concernant sa mort se multipliaient. Kadiatou Seth serait associée, outre à Guido Santullo, entrepreneur italien omniprésent en Guinée, à des hommes d'affaires libanais spécialisés dans le trafic d'armes et de pierres précieuses, et détiendrait le monopole d'attribution de terrains à Conakry. Kadiatou a elle aussi représenté la Guinée à l'extérieur, comme en juin 2000, où elle a visité Kansas City, aux EtatsUnis d'Amérique, «en sa capacité de First Lady et d'ambassadrice de bonne volonté », pour rencontrer le gouvernement, la communauté des affaires, et tisser des liens et des partenariats, en apportant un message progressif de liberté économique, de progrès technologique et de responsabilité sociale vis-à-vis des femmes, des enfants et des pauvres. Bien entendu, il lui fallait sa fondation. FONDIS (Fondation pour la solidarité internationale) est logée dans un siège luxueux tranchant cruellement avec la pauvreté ambiante à Conakry, capitale de la Guinée, pays, soit dit en passant, classé « PMA » (Pays les Moins Avancés) et au bas de l'échelle des pays les plus pauvres de la planète (l60èmesur 177 dans le Rapport 2004 sur le Développement Humain)... Que dira Lansana Conté à son peuple concernant ses efforts pour réduire la pauvreté? Il est tout de même au pouvoir depuis 1984... Créée en 2000, FONDIS prétend occuper le terrain des «œuvres sociales sans but lucratif et/ou des activités saines facilitant et impulsant la mise en route de la lutte contre la pauvreté, contre l'exclusion sociale, l'analphabétisme et la précarité et pour l'accès aux biens essentiels ». FONDIS a également un service traiteur. FONDIS se veut une maison de bienfaisance qui pérennise la générosité, l'aide et l'assistance. FONDIS entend aussi jouer un rôle dans la résolution de 57

conflits. Comme on s'en doute, à l'exception de sa curieuse activité de service traiteur, la plupart des activités sont ponctuelles et de faible envergure, fortement médiatisées, à l'attention de quelques populations défavorisées (quelques écoles ici et là), de cours de couture et coiffure pour les jeunes filles, d'inaugurations d'édifices religieux et de collecte de fonds. Par exemple, comme ailleurs, les institutions de la République sont mises à contribution (ministère de la Communication qui donne 40 sacs de riz, 12 cartons de sucre, le ministère des Affaires Étrangères qui lui donne 4 sacs de riz de 25 kg, 25 kg de sucre, un bidon de 10 litres d'huile, Direction nationale des impôts). Le secteur privé, les représentations diplomatiques - telles que l'Ambassade du Nigeria et celle d'Arabie Saoudite - y vont aussi de leur poche. Nullement embarrassés par de telles accointances, deux organismes internationaux, le Conseil Scientifique du Comité Islamique du Croissant International dont le siège se trouve à Tripoli et le Comité Islamique du Croissant International dont le siège est au Qatar ont, début 2006, décoré Kadiatou Seth Conté, pour les cinq ans de FONDIS, des plus hautes distinctions des deux grandes institutions arabes81. La chanteuse ivoirienne vieillissante Aïcha Koné, en concert à Conakry en février 2005, a entonné de sa voix nasillarde une dédicace à Hadja Kadiatou Seth Conté, comme elle en avait l'habitude en Côte d'Ivoire pour Houphouët-Boigny. Pour revenir au service traiteur, Kabinet Camara, ancien directeur de la compagnie d'électricité EDG82,aurait été nommé grâce à la «deuxième Première Dame », Hadja Kadiatou Seth, en échange de quoi il attribua tous les marchés de restauration à la FONDIS. Séminaires, ateliers, colloques, soliloques, tout ce que EDG organisait se déroulait dans le cadre pittoresque de la Fondation à Donka. L'auteur de ces lignes souligne cependant que Kabinet Kamara «fut néanmoins évincé faute de n'avoir pu 81

Nouvelle Tribune, avril 2006, www.nouvelIe-tribune.comlindex.php?id=1 0 1& back PID=12&begin_at=40&tt_news=18 - 23k-. 82 Electricité de Guinée.

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donner régulièrement le courant au moment où la population en avait plus que besoin, notamment dans la seconde moitié de l'année 2002 coïncidant avec la coupe du monde de football ». En 2005, FONDIS avait abrité le dîner d'amitié offert par le président de l'Assemblée Nationale, Elhadj Aboubacar Somparé, à la Délégation médicale française, à l'occasion des deuxièmes Journées médicales franco-guinéennes. Le grand couturier Pierre Cardin, Ambassadeur honoraire de l'UNESCO, a été élevé au rang honorifique de «Membre d'Honneur de la Fondation Radja Kadiatou Seth Conté lors de sa visite en Guinée le 15 février 200683. Epousée en 1990, celle qui était « La Batè » dans les années 90 est tombée en disgrâce depuis l'arrivée de la troisième épouse, Hadja Hasmaou Baldé... Des quatre épouses de Lansana Conté, Hadja Kadiatou Seth est sans doute celle qui a le plus investi dans les affaires pour, dit-on, préparer l'avenir de ses nombreux enfants. Ses investissements sont à la fois en Guinée et à l'étranger, particulièrement au Maroc... Jugée dans le passé arrogante et envahissante envers les médias d'Etat, Hadja Kadiatou Seth agace plus qu'elle n'attire la sympathie des Guinéens. L'âge aidant et la fin du régime pointant du nez, l'ancienne miss se fait de plus en plus sage. Peut-être pense-telle à sa situation de l'après-Conté4 ? Elle fait bien, quand on sait que la population en colère a brûlé un de ses biens immobiliers lors des émeutes de février 2007... Hadja Hasmaou Conté née Baldé, la troisième épouse du président, non officielle, est d'origine peule. Arafan Camara, adjoint du chef d'État-Major, est Malinké de Faranah ; El Hadj Guinée, l'ex-homme fort du patronat guinéen, était également peul - avant d'être remplacé par Mamadou Sylla, originaire de la Basse Côte85. Mme Hasmaou, révélée au public aux lendemains de la nomination de Cellou Dalein à la Primature, en décembre 2006, « fait et défait actuellement les hommes au 83www.guineeconakry.info/index. php? action=read&item=1140151976. 84 Ga1bert, ibid. 85 International Crisis Group Guinée, 19 décembre 2003.

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sommet de l'Etat, et veille comme au lait sur le feu sur son

poulain, Mouctar Barrl6. » Méconnue du grand public, elle est considérée comme la confidente du président car apparemment très versée dans les sciences occultes. Elle est souvent à l'origine des nominations difficiles. Son expérience de la polygamie fait d'elle le chouchou des parents du président. Généreuse et très attentive aux besoins de la famille de son mari, la troisième épouse a conquis le cœur des frères et sœurs du chef de l'Etat par ses cadeaux spontanés aux plus nécessiteux des Conté, de Conakry à Gbantama. Joueuse de cauris, les rumeurs disent qu'elle indique à son mari ce que ce dernier doit faire lorsqu'il s'agit de prendre des décisions importantes. Elle a fait un enfant pour le président87. Lors des émeutes de février 2007, elle a offert aux «médecins du CHU de Donka qui s'occupent des blessés de la barbarie du 22 janvier 2007, une enveloppe financière d'encouragement de 51 millions de francs guinéens (environ 6500 dollars)88 »... Enfin, il existerait une quatrième épouse: Mme Mamadie Conté née Touré; fille de Mamadouba Touré, ami personnel du

Président, elle continue à appeler son mari « Papa ». On est en plein délire œdipien. Très peu connue des Guinéens, elle délimite volontairement son rayon d'influence sur Dubréka avec à la clé la création d'une ONG locale qui porte le nom de sa mère. Malgré les difficultés économiques de la Guinée, Lansana Conté n'hésite pas, depuis les années 1990, à s'impliquer dangereusement dans les conflits de la sous-région. La Guinée forestière notamment est devenue une plaque tournante des armes et des combattants, abritant des groupes armés qui ont contribué à la détérioration du climat politique local et à la 86Kababachir. com/po litiquedetails. asp? offset=5 30& identification=1601 - 24k Supplemental. 87 Kibarou.com, M'bemba - Galbert. 88www.guineeconakry.info/index. php? action=read&item=1171004762.&

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montée des tensions intercommunautaires89. Entre novembre 2002 et juin 2003, Conakry a connu des coupures d'eau et d'électricité, donnant lieu à plusieurs manifestations spontanées en février-mars 2003. «Les prix des produits de base ont également flambé à partir du milieu de l'année 2003 : le sac de riz est ainsi passé de 24 000 francs guinéens (FG) à plus de 240 000 FG en 2007, et le salaire d'un fonctionnaire se situe entre 200000 et 300 000 FG (35 euros environ en 2006). Depuis l'été 2003, la presse indépendante se fait l'écho de la difficulté de la population guinéenne à affronter une telle hausse du prix des denrées de base. En juillet, un camion chargé de riz a même été pillé en plein jour par la population dans une commune de Conakry. »90 Mais c'était sans compter avec les pillages de janvier 2007 par une population excédée par les privations. En juillet 2004, la flambée des prix des denrées de première nécessité sur le marché, et en particulier du riz, a provoqué une crise socio-économique sans précédent pendant plusieurs semaines, avec des dizaines de magasins appartenant à de gros commerçants attaqués pendant la nuit et saccagés. Des jeunes gens affamés ont pillé des camions-remorques sortant du port de Conakry en direction des grands marchés de la capitale. Les ménagères ont lancé quelques slogans, dont « saré Khorokho » ( que «Maman» Biya a reçus en la personne de Jany Le Pen et de ses camarades. Toujours selon Le Messager, plusieurs membres du gouvernement, fragilisés, en seraient réduits à envoyer leurs épouses faire la cour à Chantal Biya, en espérant ainsi consolider leur pouvoir. La députée-maire et femme d'affaires Françoise Foning qui a amené les femmes à baptiser Chantal 116 Le Monde Diplomatique, 117 Le Messager. 118 Le Messager, wagne.net.

Janvier

2000.

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Biya (33 ans en 2003) «la Mère» s'est imposée dans ce dispositif avec une pléthore d'associations plus ou moins opérationnelles pour justifier son accès auprès de l'épouse du chef de l'Etat. Foning doit l'essentiel de sa survie politique à cette dame. Tout un pouvoir formel et informel s'est structuré, efficace et fragile. [...] Jacques Fame Ndongo qui a contribué à développer son visage humanitaire avec l'idée de la Fondation est l'un des produits du « système Chantoux. » Est-ce une raison suffisante pour se voir louée dans des chansons? Très active, Chantal Biya a assis son pouvoir sur un réseau d'ONG et d'associations dont le CERAC (Cercle des amis du Cameroun), création de la première Mme Biya, Jeanne (défunte), et repris en 1995 par Chantal Biya. Accueillant à l'origine les femmes de diplomates, il a ensuite ouvert ses portes aux épouses des ministres. Pour le mensuel La Cité, c'est un shadow-cabinet, une sorte de second gouvernement aussi convoité que le gouvernement rée\. Chantal Biya dérange d'autant plus que le CERAC est en train de se transformer « en baromètre de la cote de ses excellences auprès de Dieu le Père ». L'initiative a, semble-t-il, semé la zizanie dans les ménages des ministres. Mieux vaut réfléchir à deux fois avant de refuser de prêter sa voiture à madame son épouse si celle-ci doit se rendre à une réunion du CERAC. Les ministres ne sont

pas très à l'aise avec le sujet. Les uns estiment que c'est « un cercle sans influence réelle, même s'il est mal vu de ne pas en faire partie ». D'autres s'insurgent: «Lors de la dernière réunion du CERAC, tous les services publics étaient bloqués, c'était une catastrophe! On ponctionne le budget de l'Etat afin d'entretenir un réseau de provocation qui compte beaucoup et qui est totalement improductif. » Pour certains, cela relève tout simplement de la «terreur ». La belle, qui accompagne le président dans tous ses voyages, a la réputation de pouvoir, d'un regard de travers, ruiner une carrière. Sa cour ne se limite pas aux hautes sphères de l'Etat: en novembre 2003, de petits

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groupes de femmes sillonnaient la capitale en chantant: « Si je suis émancipée, c'est grâce à Chantal Biya.1I9» Au terme d'un gala de charité organisé en faveur de la femme rurale camerounaise en mai 1999, 130 millions de francs CFA ont été récoltés. Au cours de l'année 2000, le programme Femmes rurales du CERAC a permis à plus de 200 groupes féminins et mouvements associatifs répartis sur les dix provinces du pays de bénéficier de matériel agricole. D'après l'opposition SDFI20, «aujourd'hui il a été transformé en une association fourre-tout qui permet aux caciques du RDPC de battre à travers le pays une campagne subtile pour le parti au . 121 . . pouvOIr », et Ies amIS d u C ameroun qUI +Jont des d ons a' cette association ne sont pas connus. Les montants suivants auraient été engagés: Littoral 23 millions de francs CFA, Sud 14 millions FCFA, Nord-Ouest 12 millions FCFA, Ouest 15 millions, etc. D'où sont venus ces fonds? Selon Le Messager122,il ne fait aucun doute que « l'épouse du président de la République participe de plus en plus au pouvoir, selon les règles non écrites du trafic d'influence ». Sa , mere,« M ama R osette P3-. », et son man. «papa E rnest» sont aujourd'hui au centre d'une cour assidue. Fortement sollicité, ce couple bénéficie des attentions les plus insoupçonnées de la part de ceux qui veulent accéder au chef de l'Etat en empruntant la

voie de son épouse. « Marna Rosette» a vu se constituer autour d'elle un véritable foyer de trafic d'influence. C'est un canal, paraît-il, efficace pour toucher la Première Dame qui peut directement résoudre certains problèmes en appelant tel membre du gouvernement ou tel directeur général. «Marna Rosette» n'hésite pas elle-même à le faire quand la conjoncture l'impose.

119 Virginie Gomez, Christine Holzbauer, Les Fractures de l'Afrique Epouses Terribles, L'Express 12 avri12004. 120 Social DemocratifFund. _ 121www.sdfparty.org/french/communiques/202.php 16k. 122Wagne.net na 1473,02/2003. 123 Rosette Mboutchouang.

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- Les

L'équipe de la Première Dame Chantal Biya124est de plus en plus présente, à commencer par sa «Maman Rosette» et la grande famille Yebekanga de Nanga-Eboko, ainsi que le colonel extrême-nordiste Etienne Honlon affecté à la sécurité de Chantal Biya. Gravitent également autour de la Première Dame: Jean-Stéphane Biatcha, secrétaire général de l'association Synergies africaines de lutte contre le VIH/SIDA et les souffrances, un homme du verbe, et Yaou Aïssatou, secrétaire générale de la Fondation Chantal Biya. Cette ancienne ministre est également désormais la DG de la SNI (Société nationale d'investissement)... Jean-Stéphane Biatcha, devenu spécialiste du fundraising joue « bien son rôle de relais entre Chantal et les mécènes. Le flou concernant les statuts s'étend jusqu'au niveau des personnels, avec Jean-Stéphane Biatcha, fonctionnaire de son état, mais travaillant pour la Première Dame. La distribution des rôles autour de l'épouse du chef de l'Etat obéirait à une géographie du pouvoir qui obéit elle-même à une constellation de centres d'intérêts qui se complètent et se neutralisent. » Personnalité politique, Chantal serait, avec le mystérieux homme d'affaires Ongbwa Damase, « la principale inspiratrice du gouvernement de 2005. C'est ce qui expliquerait l'explosion du nombre de portefeuilles, et la promotion ou le maintien de personnalités dont certaines ont trempé dans nombre de scandales. Au choix: l'acquisition controversée d'un vieil avion présidentiel, la tentative manquée de reprise de la gestion de la compagnie aérienne Camair, la promotion d'une thérapie douteuse (triomune) contre le SIDA et le détournement des crédits internationaux destinés à la lutte contre cette pandémie...125 » et l'argent des programmes sociaux internationaux tels que l'initiative PPTE (dette) et pour la lutte contre le VIH/SIDA aurait été détourné dans des campagnes visant à renforcer la popularité de Chantal Biya, «tout en donnant l'impression que ces fonds proviennent de sa propre

124 La Lettre du Continent, 12/2004. 125http://www.lesamisdugrigri.comlj oumal/no25/no25pg3

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cassette ». D'où tient-elle ses fonds? Que fait-elle pour avoir tant d'argent à elle-même? Pour ce qui est de sa présence sur le front politique, ses détracteurs s'inquiètent du fait que des journalistes (Mutations) aient pu être arrêtés lorsqu'ils dénoncèrent les «tenues très colorées» de la nouvelle Mme Biya et sa tendance à « exercer pleinement le pouvoir ». Chantal serait en campagne permanente par le biais du CERAC ou de la FCB, qui lui permet de refiler la manne étatique à ses amis. «Son Excellence, madame la présidente, Chantal Biya », dit Mutations, «prend encore plus de temps télé que M. Biya. Elle exerce un pouvoir réel. » Les dames patronnesses du CERAC ne seraient que des rapaces qui, par exemple à l'ouest du pays où elles étaient allées faire des dons aux « femmes rurales », se seraient copieusement servies. Distribuant des dons s'inscrivant dans une logique de reproduction des inégalités sociales - machines à coudre, moulins, brouettes, riz, sel, machettes -, ces belles citadines «aux tenues et voitures de luxe, les ongles soigneusement Il taillés et traités, parfums de classe enivrants, les nouveaux Il riches se payent une conduite, en jouant aux Pères Noël du dimanche au village. La générosité tapageuse des femmes du CERAC, avec remise de dons par Françoise Foning, qui Il n'hésitent pas à manger leur part ". Le préfet de la Mifi, M. David Njilié, a dû frapper du poing sur la table à travers un communiqué musclé pour que ce qui n'était que rumeur et supputation se confirme: certains dons remis par le CERAC ont été détournés par des grandes dames de la ville. Et le Préfet les a sommées de venir les restituer illico presto; ce qu'elles ont fait... Mais on se gardera de tirer trop vite sur ces pauvres femmes, prises elles-mêmes dans une mécanique qui les entraîne plus qu'elles ne se guidene26. » A l'instar de son époux, Mme Biya a imprimé ses effigies sur les tissus, les calendriers, pour ne citer que ceux-là. Ceci montre un culte de la personnalité certain [...] ! Lorsque les membres du CERAC se déplacent, les grosses cylindrées qui les 126http://www.wagne.net/ouestechos/regional/region09c.

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transportent, les frais de missions, les frais d'hôtels des fonctionnaires, des membres du gouvernement et des autres personnalités sont payés par le Trésor public. Le SDF s'interroge toujours sur l'origine des fonds, en ces termes: «Qu'est-ce que prouve que les cadeaux du CERAC ne sont pas eux-aussi achetés par l'argent du contribuable? Cette interrogation que nous nous posons sur le CERAC est valable également pour Presby (une association de jeunes pour soutenir le président). Il en va de même pour le FORUM, une instance que le ministère des Affaires sociales est en train de mettre en place dans les départements pour encadrer les associations féminines et que le RDPC fait des pieds et des mains pour récupérer ». Très connue sur le plan international, Chantal Biya a été distinguée «International Sister of the Year» en 2005 par Ie « MarieLynn Group Inc. », entreprise qui produit et commercialise la marque de cosmétiques américaine Makeup4Sister, pour son action sociale. La société aurait étudié l'impact de la Fondation Chantal Biya au Cameroun et conclu que, grâce à son courage et à sa détermination, elle a pu rallier les autres Premières Dames d'Afrique à la lutte contre le fléau du sida. Chantal Biya a «volé au secours d'une mère de triplés à Douala. Yonta Eulalie et ses trois enfants ont été installés dans un appartement de la cité des Palmiers à l'issue d'une cérémonie présidée par Habissou Bidoung Mkpatt, secrétaire générale de la Fondation et représentante personnelle de Madame Chantal Biya, présidente fondatrice de la Fondation et épouse du président de la République. Il y a quelques semaines, la Première Dame a été émue par l' histoire de cette jeune femme à laquelle une télévision de la place avait consacré un reportage. Eulalie Yonta était alors en difficulté et n'avait pas les moyens de payer les frais d'accouchement dans un centre de santé de la ville. Ne pouvant, explique le secrétariat général de la Fondation, admettre une telle situation qui remet en cause la dignité de la maternité, Madame Chantal Biya décidera, à travers sa fondation, de voler au secours de cette mère bénie par 86

la naissance de triplés. SaJle à manger, un salon artisanal, un réfrigérateur, une cuisinière à gaz, de la vaisseJle, des rideaux, quatre valises équipées dont une pour la mère et trois pour les bébés, trois berceaux avec moustiquaires, trois petites couvertures, des denrées alimentaires: riz, lait, sucre, tomates, haricot, pâtes alimentaires... »

Voilà résumée l'action de Chantal Biya, comme celle de tant de ses congénères, épouses de chefs d'Etat. Soignant son image de Mère Térésa, elle privilégie les actions ponctuelles et médiatisées; selon un scénario maîtrisé, Chantal fait du spectaculaire, du sensationnel, du court terme. Combien de femmes dans la situation de Yonta Eulalie, ou dans des cas plus graves, sont oubliées des pouvoirs publics et de sa fondation? Combien meurent en couches? Quelle action de prévention Chantal Biya engage-t-elle pour éviter que des personnes telles que y onta Eulalie ne se retrouvent dans des situations si extrêmes? Essaie-t-eJle au moins de faire respecter les objectifs des programmes sociaux? Chantal Biya essaie-t-elle de pousser son époux à en faire plus sur le plan social, à construire plus d'hôpitaux, d'écoles primaires, à encourager l'alphabétisation des adultes à grande échelle par exemple? Il est bien entendu moins coûteux d'installer, à grand renfort de médias, une personne dans un appartement pour une période de relative courte durée que d'engager des politiques réelles à moyen ou long terme. L'opposition fustige l'absence d'un« véritable programme» de lutte contre la pauvreté qui intègre des prévisions budgétaires spécifiques pour aider les couches défavorisées, aussi bien en ville que dans les zones rurales, l'encadrement du secteur informel, la facilitation de l'accès aux crédits des couches défavorisées, la relance des investissements et le rétablissement immédiat d'un climat de confiance susceptible de favoriser une croissance économique forte et durable. Certains diront que ce n'est tout de même pas si mal de la part des Premières Dames d'essayer de soulager, à leur niveau, les peines de ceux qui souffrent. Ce que ces personnes oublient c'est que les

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souffrances sont souvent du fait des chefs d'Etat, ou de leur inaction. Chantal Biya a fini par formaliser la construction d'un pouvoir féminin en rapprochant les épouses des membres du gouvernement des corps constitués. L'épouse de l'ancien Premier ministre Anne Mujoko Musongè est ainsi sortie de l'ombre grâce au rôle de représentation que lui avait confié l'épouse du président de la République, une délégation de « pouvoir» qui laisse prospérer les batailles les plus épiques entre les épouses des membres du gouvernement avec de fortes incidences sur la carrière gouvernementale de leurs époux. Malgré ses origines modestes et sa grande simplicité, Chantal n'est pas héroïque. Cendrillon fuit désormais les taudis, qui lui rappellent trop de mauvais souvenirs. « L'Ambassade du Cameroun à Paris était très mal entretenue. Il y a quelques années, après y avoir séjourné à la suite de la naissance de son deuxième enfant, elle avait décidé de ne plus occuper à l'avenir l'appartement réservé aux personnalités, réservé au couple présidentiel dans l'hôtel particulier qui abrite l'ambassade, car il était mal entretenu. Elle n'avait pas trouvé mieux que de déloger l'ambassadeur, Pascal Biloa Tang, de sa résidence officielle à Neuilly. Le pauvre homme, pensant que c'était pour une courte période, était allé s'installer avec sa famille dans un hôtel. Il y est encore car sa résidence s'est transformée en appartements privés de la famille présidentielle, une résidence utilisée très sporadiquement, car le président Biya prend ses quartiers généralement dans l'un ou l'autre hôtel de luxe de Paris quand il séjourne dans la capitale française127. Pour conclure, Chantal a eu aussi des chansons dédiées à sa personne, dont celle du très dévot professeur Gervais Mendo Zé, alors patron des médias audiovisuels d'Etat depuis 1988. «Homme de foi, Gervais Mendo Ze, après celui en l'honneur de la vierge Marie, a consacré un autre cantique à succès à la célébration du culte Chantal Biya. Celle-ci va jouer à fond la carte de la religiosité. A la veille des fêtes religieuses et même 127 Frédéric Fenkam, Correspondance 18 août 2004

particulière,

88

Le Messager,

pendant, Gervais Mendo Ze se fait recevoir par les journalistesvedettes de la maison. Pour parler de Dieu. Et de Marie. Il devient maître dans une science que les Camerounais découvrent: la Mariologie. La création d'associations en l'honneur de Chantal telles que l'imprononçable Jacchaby, sa présence débordante dans les microsillons etc., selon la formule désormais consacrée, pour «au moins vingt ans la chantoumania (pour ChantaI) présage de beaux jours devant ellel28. » En 2002, le PNUD a fait don de matériel à Synergies Africaines. En outre, il met à sa disposition deux spécialistes des Nations unies, qui aideront Synergies dans ses missions de sensibilisation du public sur la question du VIH/SIDA, mais surtout ils accompagneront l'ONG dans ses actions de plaidoyer pour la mobilisation des ressources nécessaires pour son fonctionnement. On s'étonne que Chantal et son homonyme l'ayant précédée à la tête de Synergies n'aient même pas pu financer au moins les équipements, à peine l'équivalent d'un petit shopping à Paris: 1 serveur, 2 micro-ordinateurs multimédia, 1 système de téléphone complet, 1 vidéo projecteur et 17 postes de téléphone.

128

www.cameroon-info.netlcmi_show_news.php?id=14804

89

_

55k.

TROISIÈME PARTIE LES INFRÉQUENTABLES

Maryam

Abacha

elon The Economist, «de toutes les grandes dames d'Afrique, à l'instar de tous les excès du continent, aucune ne surpasse celle du Nigeria ». Arrêtée en juillet 1998, avant d'être relâchée, alors qu'elle cherchait à quitter le Nigeria avec 38 valises remplies de dollars et de livres sterling, Maryam Abacha a été emprisonnée et libérée. Depuis, elle n'arrête pas de réclamer le respect de ses droits. Décédé en 1998, le général Abacha est soupçonné d'avoir détourné, alors qu'il était au pouvoir entre novembre 1993 et juin 1998, au moins 2,2 milliards de dollars, dont une partie avait été déposée en Suisse. Cette belle femme au teint clair originaire du Nord du Nigeria a rencontré son époux pendant sa tendre enfance. Née à Kaduna le 4 mars 1947, elle est la fille d'une princesse Kanuri du Bornou dont le père était d'origine allemande. Elle a fait ses études secondaires à l'école des femmes de DaIa Kano où on a remarqué son aura et sa sportivité: elle a été championne de tennis de table129.Au départ, la famille de Maryam ne voulait pas d'Abacha, trouvant qu'il n'était« pas assez bien pour elle », et décida de la marier à un oncle de Yar Adua (un prince de Katsina, au Nord du pays, multimillionnaire et leader d'un coup d'Etat - Murtala Mohammed - en 1975). Ils divorcèrent plus tard, et Maryam retrouva son amour d'enfance, Abacha, qu'elle épousa en 1965, après ses études secondaires. «Les tensions familiales demeurèrent vives avec beaucoup de rumeurs sur la paternité du premier fils du couple, Ibrahim, qui périt dans des circonstances mystérieuses lors d'un crash aérien à ce jour

S

129

Amina

n0446,

juin

2007.

inexpliqué à Kano en janvier 1996130 ». Maryam donnera dix enfants à Abacha. Au milieu des années 1980, le rôle de la Première Dame a été défini par Maryam Babangida, l'épouse du dictateur militaire lbrahima Babangida, qui avait précédé l'époux de Maryam Abacha. En 1994, la nouvelle First Lady Maryam Abacha changea le programme et en fit un programme de soutien à la famille «Family Support Programme ». Ces initiatives n'ont pas abouti à l'adoption d'une politique notable permettant aux femmes de participer au processus de prise de décision; elles ont plutôt créé un poste pour la « First Lady», avec de l'argent à gogo. Le FSP - Family Support Programme and Family Economic Advancement Programme - devint rapidement une mine d'or pour la famille Abacha. D'après le magazine nigérian Tell du 3 août 1998, « FSP engloutit plus de 10 milliards de Naira de l'argent des contribuables au moment où Sani Abacha était en train de réduire les effectifs des malheureux fonctionnaires dans le pays13].» Selon The Economist, «Madame Babangida ouvrit un bureau à la présidence pour mieux gérer son programme caritatif Better Life for Rural Women (une vie meilleure pour les femmes rurales), méchamment rebaptisé« une vie meilleure pour les femmes au pouvoir» par les Nigérians. Le projet avait 10 000 coopératives, 1793 petites industries, 2397 fermes, 470 centres pour la Femme et 233 centres de santé. En 1993, Sani Abacha prit le pouvoir, imposant sa femme, Maryam, à la nation. Mme Abacha lança un autre programme ambitieux pour les femmes, Ie « Family Economic Advancement Programme ». L'aînée des enfants du couple entre temps ouvrit le Bureau de la « Première Fille» - Office of the First Daughter. La mort d'Abacha [survint] en 1998 - dans les bras de deux prostituées indiennes 132... » ]30 Karl Maier, This House hasfallen - Nigeria in crisis, Westview Press. ]31 Anthony Maduagwu, Growing up in Oguta (The Economics of Rural Poverty in Nigeria) www.atricaeconomicanalysis.org/articles/gen/ alleviatingpovertyhtm. html. 132The Economist, janvier 2005.

94

Le programme Maryam Babangida, BLP passa sous la coupe de Maryam Abacha et devint l'otage des rivalités et jalousies entre épouses des différents régimes. [...] Le 17 mai 1994, Maryam Abacha a procédé officiellement au démantèlement du programme BLP en ces termes: «Suite à l'examen critique et à l'analyse prudente du programme BLP de même qu'aux plaintes du public concernant ce programme élitiste, théorique et voyant, étant donné le besoin de redéfinir le programme pour le rendre plus conforme aux besoins de la nation et aux réalités politiques, par conséquent, son Excellence Maryam Abacha, la Première Dame, a approuvé le changement de dénomination du programme BLP en un programme intitulé Family Support133». Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, Maryam Abacha a rebaptisé le «Maryam Babangida International Centre» en « Maryam Abacha Centre », opération totalement illégale. En effet, le projet, d'intérêt public, était situé sur un terrain privé, enregistré sous le nom de MIE (Maryam Babangida). En novembre 1994, Maryam Babangida lança son fonds de 500 millions de nairas, et la cérémonie de lancement coûta à elle seule 150 millions de nairas. Tous les hôtels, avions étaient pleins à craquer. En effet, tous les représentants de villes, régions, états fédéraux, chefs traditionnels étaient dans l'obligation d'y assister. Maryam Babangida a demandé des contributions au public afin de construire un centre moderne pour l'enfance équipé d'un gymnase, salle de spectacles de 600 places, hôpital de 200 places, etc... Seuls les dons de plus de 100000 nairas étaient applaudis... Sous Abacha, Maryam, à l'instar de son époux, était la mère de tous ceux qui occupaient un emploi public, «y compris les ministres, le gouverneur de la Banque Centrale, les directeurs de sociétés étatiques telles que NNPC. Elle était également la mère de tous les membres du conseil provisoire de gouvernement ainsi que des administrateurs militaires et de leurs épouses. Les bureaux du Premier Fils et de la Première Fille étaient à l'image de ceux de leurs parents. [...] Tous ces 133

Ifi Arnadiume, Daughters of the Goddess... Daughters of Imperialism. 95

gens avaient plus de pouvoir que n'importe lequel des fonctionnaires sous Abacha, et c'est la raison pour laquelle le fils Mohammed pouvait se permettre de contacter n'importe quel ministre sans se voir refuser quoi que ce soit. Tout fonctionnaire qui essayait de le faire risquait de perdre son emploi, et plus grave encore, d'être harcelé par les agents du SSS, DMI, et NIA car sa loyauté était considérée comme douteuse. »134

Il n'y a pas un Nigérian - hormis la famille du dictateur qui n'ait pas souffert sous Abacha. La liste de ses ennemis réels ou supposés est longue. Dictateur brutal, Abacha avait bâillonné la presse, jeté un nombre incalculable de journalistes en prison sans jugement. Les journalistes George Mbah de l'hebdomadaire Tell, Kunle Ajibade de The News et Chris Anyanwu, journaliste très connue, ont été torturés en prison. Cette dernière interpelle135 Maryam en ces termes: « Maryam a pleuré aujourd'hui à Lagos. Dans son hystérie, elle a fait et a dit l'inimaginable: elle a rampé. Elle a supplié. Elle a évoqué des idéaux qu'elle ne comprenait ni ne respectait: les droits de l'homme, la justice sociale, la sympathie du public, et le pardon. Ces notions étaient inconnues de cette femme. Qu'elle soit en train de jouer la comédie ne compte pas pour le moment. Le fait est que la véritable Maryam, même des profondeurs de l'enfer, ne descendrait pas à des niveaux d'humilité si bas. Mais elle avait des problèmes, et s'accrochait désespérément à des idéaux qu'elle méprisait ». En 1995, Abacha annonça avoir déjoué un coup d'Etat impliquant deux anciens généraux à la retraite, Olusegun Obasanjo, et son vice- président, Shehu Musa Yar Adua, membre d'une famille noble du Nord, dont le sort fut scellé lorsque, à la conférence constitutionnelle, il demanda que le pouvoir soit rendu aux civils et se déclara en faveur de restrictions des pouvoirs du président. Le 17 novembre 1993, quarante-huit heures après la prise de pouvoir d'Abacha, un

avion vint chercher Yar Adua pour un rendez-vous avec Abacha 134

kwenu.comlpublications/nwanganga/abacha

135Chris Anyanwu, The days ofterror. 96

_history.htm.

à « Flagstaff House ». Yar Adua, qui était venu à la rencontre pour avoir des indications sur la direction que prenait le régime, avait pris la décision de ne pas participer à un gouvernement où il n'y avait aucun programme. [...] Yar Adua mourut en détention le 6 décembre 1997, et d'après les organisations de droits de l'homme, il n'eut pas accès à des soins médicauxl36. Selon la presse nigériane, Abacha voulait la mort de Yar Adua, celui qu'il considérait comme son rival depuis longtemps, et selon certaines indications, le général Yar Adua aurait été tué suite à l'animosité qui existait entre Abacha et lui, au sujet de la paternité du premier fils d'Abacha, Ibrahim137,qui aurait été le fils du beau-père de Yar Adua. En effet, Ibrahim aurait été âgé de presque un an lorsque sa mère, Maryam, épousa Abacha.138 La corruption était très répandue et « à grande échelle sous le règne d'Abacha, avec pour effet d'entraver la croissance économique. L'économiste en chef (Chief Philip Asiodu) a reconnu que la mise à sac du trésor public pendant les années Abacha se chiffrait autour de 5,5 milliards de dollars, dont 2,2 milliards de dollars pour Abacha 139.[...] Ceci a été possible car la banque centrale du Nigeria était sous la supervision et le contrôle directs du président [...] ; il était inconcevable que le gouverneur de la banque centrale ne cède pas aux demandes du Président ». Maryam Abacha avait à ses ordres une armée. Abacha avait un service de sécurité de 2000 hommes qui opéraient en parallèle à l'armée et semaient la terreur. Vivant reclus dans « Aso Rock» à Abuja, la calme capitale au centre du pays, il se

souciait peu de la bouillonnante et exubérante Lagos. Maryam ne pouvait ignorer que des centaines de personnes ont été tuées, certaines de sang-froid, à leur domicile de Lagos. Alhaja Suliat Adedeji, une femme politique du CNC, un parti 136Howard W. French, Nigeria a Proud Nation in a free Fall Seethes Under a General's Grip, New York Times, 4 avril 1998. 137 Joseph Ushigiale, citant l'ouvrage Shehu Musa Yar 'Adua - A Life of Service, Foundation Y ar' Adua. 138 Human Rights Watch/Africa. 139Africa Development, Vol. XXVI, Nos. 3&4, 2001.

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de l'opposition, a été assassinée à son domicile d'Ibadan. Avant d'être tuée, elle a été déshabillée et les tueurs demandèrent à son chauffeur de coucher avec elle, ce qu'il refusa. Ils lui ont tiré dans les parties génitales. Suliat était une amie de la famille d'Abacha du temps où Abacha était à Ibadanl4o, et en tant qu'infirmière, elle avait soigné la famille Abacha et aurait détenu des secrets sur l'état de santé d'Abacha. La première épouse d'Abiola, milliardaire et principal opposant à Abacha, Kudirat, une grande critique du régime Abacha, a été exécutée dans les rues de Lagos en juin 1996 en toute impunité. Le fils d'Abacha, Mohamed, a été inculpé du meurtre à la chute de son père. Ken Saro- Wiwa, écrivain de renommée internationale et activiste pour les droits des habitants du Delta nigérian (production de pétrole) a été exécuté la même année. Marna Tejuoso, mère d'Oba Dapo Karunwi, âgée de 80 ans, a elle été tuée peu avant son anniversaire, parce que son fils était impliqué dans la tentative de libération conditionnelle d'Abiola. Le plan était de faire sortir Abiola de prison et du pays. Le docteur Olu Onagoruwa perdit aussi son fils Toyin parce qu'il avait joué un rôle dans la remise de peine d'une personne peu appréciée du pouvoir. A quoi Maryam pensait-elle lorsque les slogans «Abacha is the answer» commencèrent à fleurir dans toutes les villes? La mise en place de groupes à la botte du pouvoir tels que «La Jeunesse-Demande-Sérieusement-Abacha» (Youths Earnestly Ask for Abacha) avait bien essayé de donner l'illusion d'une popularité, mais l'une de leurs marches en 1998 est restée dans les mémoires lorsque, au lieu des deux millions de personnes annoncées avec l'aide de bus de location, moins de cent mille manifestants marchèrent à Abuja pour Abacha. Les tentatives de protestation de l'opposition furent bien entendu écrasées dans l' œuf lorsque, «à Lagos, le gouvernement interdit les rassemblements politiques non autorisés et lança ses unités de police rapide connues sous le nom d'escadrons Kill and G0141» à leurs trousses. Et pourtant, Maryam n'a pas hésité, un an après 140Division GOC 2nd MECH. 141 Howard W. French, ibid., New York Times.

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la mort du général Abacha, à prendre sa défense en disant que bien «qu'il n'ait pas été un ange, elle en appelait aux Nigérians d'oublier le passé parce que personne n'est parfaie42 ». Et de poursuivre en confiant au journaliste qu'elle «devait endurer des critiques difficiles et douloureuses sur son mari », ce qui s'avérait une expérience proche de l'agonie. « Son nom et son testament ont fait l'objet d'attaques les plus méchantes et de campagnes de dénigrement jamais perpétrées à l'encontre d'un ancien chef d'Etat nigérian. [00'] Quel que soit ce que l'on peut dire de mon mari, je sais que le général Abacha aimait vraiment

143 son pays ». Aujourd'hui encore, Maryam dresse ce portrait flatteur de son regretté mari: «Il était naturellement aimable et il aimait les enfants... Mon mari était un homme aux qualités irréprochables. Je ne pense pas avoir dans ce monde un homme qui puisse valablement le remplacer. De fort caractère, il n'a jamais failli à ses mots. Il était bon musulman qui aimait . 144

traval 11er pour son pays. » Comment ne pas comprendre l'exaspération des Nigérians et les tentatives de déstabilisation du régime Abacha ? Le 31 mai 1995 une bombe explosa pendant la cérémonie d'inauguration du programme Family Support Program de Maryam Abacha à Ilorin, capitale de Kwara State dans la partie nord-ouest du Nigeria. La police arrêta et interrogea des membres de la National Democratie Coalition (NADECO), formation politique qui soutenait alors l'opposant Abiola. Sur le plan international, le couple maudit avait également de grandes ambitions. Pendant que des millions d'enfants nigérians souffraient de la malnutrition, Maryam faisait livrer des tonnes de nourriture au Liberia et à la Sierra Leone pour jouer un rôle dans la politique étrangère du Nigeria et donner l'image d'une personne compatissantel45. Peut- être pour 142

BBC,Abacha widow breaksher silence. 20 mai 1999.

143Ibid. 144 Amina n0446, ibid. 145 Chido Nwangu in US Africa online, http://www.usafhcaonline.comlnews/nigeria_cry.htm1.

99

8 Juin 1998.

adoucir l'image de son tyran de mari? En effet, elle fit don de 10 cargaisons d'avion d'assistance humanitaire, d'une valeur de 5 millions de dollars (nourriture, couvertures, médicaments). Elle déclara au peuple sierra-Iéonais en mai 1998 « faire ce don en sa capacité de leader de la mission des Premières Dames africaines pour la paix (African First Ladies Peace Mission) », et souligna l'importance de se concentrer sur les besoins des femmes et des enfants pour atteindre les objectifs de paix et de réconciliationl46. Ne craignant pas le ridicule, Maryam Abacha avait déjà osé, en juillet 1996, en marge du sommet de l'OUA, organiser le premier sommet autonome des Premières Dames, First Ladies Summit, censé contribuer à la paix en Afrique! Maryam Abacha, gourmande, goulue même, ne semblait intéressée que par l'argent, même si certains de ses programmes comme par exemple le FEAP-Family Economic Advancement Programme auraient permis de toucher les jeunes, les femmes et les hommes par des prêts aux coopératives pour la création de petites industries. En outre, son cabinet ou Office of the First Lady, était impliqué dans plusieurs projets et « usurpa même les fonctions du ministre fédéral de la Santé et du ministre d'Etat de la Santé. Dans le cadre de l'un de ces programmes, pour la vaccination-EPI, des vaccins étaient nécessaires pour le programme d'immunisation des enfants contre six maladies mortelles. Selon certaines allégations, les contrats d'achat de . , , . . 147 ces vaCCInSont ete gon fi es .» E n e f ~let, Ie 1ab oratOIre françals ' Pasteur-Mérieux était dans le collimateur de la justice suisse « qui enquête sur des détournements concernant le secteur de la santé. En 1995 et 1997, Maryam Abacha, [H.J présidente du programme de soutien familial, a attribué un marché de vaccins à la société Morgan Procurements pour 111 millions de dollars. Le problème est que ces vaccins ont été acquis auprès de Pasteur-Mérieux - rebaptisé depuis Aventis Pasteur - pour seulement 45 millions de dollars. La différence est allée dans les poches du clan Abacha, à qui appartient, en fait, Morgan 146Sierra Leone News Archive. www.sierra-Ieone.org/slnews0598.html. 147Africa Development, ibid.

28 mai 1998.

100

Procurements. Mais le juge genevois Georges Zecchin, chargé de l'instruction, a retrouvé la trace de deux commissions de 1,8 million de dollars versées par le laboratoire français à une société de l'entourage Abacha pour l'obtention de ce contrat...148: une goutte d'eau dans les milliards saisis à Genève. Pas moins de 150 comptes bancaires sont en effet passés au crible par le magistrat genevois. «Ce sera long; pour chaque opération bancaire, il faut prouver l'origine criminelle des fonds avant d'espérer restituer l'argent au Nigeria ». La Conférence des femmes de Beijing en 1995 a été l'occasion pour Maryam de légitimer son pouvoir. En effet, elle convoqua une conférence nationale au cours de laquelle elle «prononça le discours d'ouverture et définit les bases d'une participation nationale. Pour contrôler les événements autour de Beijing, elle se devait de prendre contrôle des structures administratives mises en place par Maryam Babanguida.. .et la presse locale fit des choux gras de la bataille que se livrèrent des femmes pour avoir une place sur l'avion présidentiel qui se rendait à Beijing pour la conférence des femmes, tout simplement parce que Maryam Abacha avait tripatouillé la liste des invitées pour y ajouter les femmes qu'elle avait choisi. La délégation nigériane finit par atteindre 450 personnes, de loin la plus grande représentation officielle à la conférence149. » En novembre 2005, la Suisse a versé au Nigeria une dernière tranche de 180 millions de dollars au titre du remboursement des fonds détournés, après avoir versé 490 millions de dollars en 2005 sur les quelque 700 millions de dollars bloqués sur des comptes helvétiques depuis 1999. Mais le traçage du reste du "trésor" continue. Hajiya Maryam Abacha a été jugée pour détournement de fonds et violations de droits de l'Homme. Plus de 2 milliards de dollars en nairas et en devises ont été saisis sur la famille, de même que 34 maisons de luxe et 54 voitures de luxe; 645 millions de dollars sur les comptes bancaires de la famille Abacha ont été gelés en Suisse, et des centaines de millions au 148L'Expansion, 149 Ibid.

6 juillet 2000.

101

Luxembourg et au Liechtenstein. Maryam soutient que son mari n'a pas volé d'argent, qu'il a seulement «mis de côté les fonds

dans des comptes à l'étranger par mesure de sécurité. » Pour sa défense, sa famille avait recruté les meilleurs avocats occidentaux, dont Johnnie Cochran, l'avocat (décédé en 2005) d'OJ. Simpson. Maryam, en résidence surveillée 24 heures sur 24, n'a pas le droit de quitter le pays. Elle se repose donc dans sa belle résidence au toit de tuiles rouges (importées) qui s'étale dans son parc où s'ébattent des paons. Pour conclure, en apprenant que Maryam réclamait justice et indulgence à la mort de son époux, un Nigérian lui a écrit la lettre suivante: « Chère Maryam, comment as tu été capable de vivre aussi bien au moment où ton mari faisait cuire dans leur jus la majorité des Nigérians en les maintenant dans la soumission et en détruisant notre économie? Il est trop tard pour toi [... J Les méfaits de ton mari ont provoqué la chute de votre famille, et vous ne pouvez que vous en prendre à vous mêmes de ne pas l'en avoir empêché alors que vous en aviez les moyens. Tu as choisi de ne pas conseiller ton mari, d'être vile et méchante envers ses compatriotes nigérians. Tu as choisi une autre voie, celle d'enrichir ta famille [... J au détriment de millions de Nigérians qui ont connu d'atroces souffrances, désormais figés dans la léthargie de l'économie et dans le besoin. Je ne crois pas que tu aies le droit de montrer ton manque de pudeur en public, osant même assigner en justice le gouvernement fédéral du Nigeria et quelques individus. Tu devrais aller te couvrir d'infamie et commencer à te vautrer dans l'humiliation et le manque de dignité que la cupidité a jeté sur ta famille. 150»

150

Hilary

Evbayiro,

http://www.urhobo-world.org/MoreNews02.htm.

102

Lucy

L

Kibaki

ucy Kibaki, la plus célèbre des deux épouses du président Kibaki, du Kenya, qui n'est pas un dictateur, mérite le détour par ses excès. Timide à ses débuts de Première Dame, elle était également appréciée pour sa lutte contre les mutilations génitales sur les femmes et contre le SIDA. Son combat pour plus d'égalité entre l'homme et la femme, contre les mariages précoces et les pratiques nuisibles à la femme est noble. Membre de l'OFL - Organisation of First Ladies against AIDS, association des Premières Dames contre le SIDA -, elle a participé en juin 2005 à une réunion de cette association au Rwanda pour l'avancement de la femme. Il est intéressant de noter que la reine du Swaziland, épouse du polygame le plus célèbre du continent qui prend régulièrement une nouvelle vierge pour femme, avait également pris part à cette réunion. Depuis 2003 cependant, Lucy a régulièrement défrayé la chronique avec ses agressions verbales et physiques contre des journalistes et tous ceux qui osent s'attaquer à son mari. Le soir du « World Press Freedom Day», Ie 2 mai 2005, Lucy Kibaky a battu un cameraman du «Nation Media Group », le plus grand groupe de presse du Kenya, «peu avant minuit [. H] avec six gardes du corps et le chef de la Police de Nairobi Kingori Mwangi et passa cinq heures dans les bureaux du quotidien The Nation à se plaindre d'articles injustes selon elle, parus le weekend précédent. Proférant des injures, elle fit confisquer les caméras, bloc-notes et téléphones mobiles et jura de ne les rendre que si les auteurs des articles étaient arrêtés. Elle se jeta aussi sur Clifford Derrick, le cameraman de la Kenya Television Network qui avait filmé la scène, le frappa et essaya sans succès de lui arracher sa caméra. Plusieurs journaux de la place y compris The Nation et The Standard avaient dans leur édition

de ce jour rapporté que Lucy Kibaki avait essayé d'interrompre la fête d'adieu dans la nuit du 29 avril pour le départ de Makhtar Diop, le représentant de la Banque mondiale au Kenya, trop bruyante à son goût; elle se serait rendue personnellement au poste de police de Muthaiga pour porter plainte contre Diop, 151 en tenue legere» ... " « Si vous croyez que les Kényans sont aveugles, qu'ils ne sont pas intelligents, vous vous trompez », aurait-elle déclaré. « Ils savent qui sont les gens que vous soutenez dans ce pays, mais vous n'avez pas à détruire la vie des autres en étant si mauvais. » Au moment même où le Kenya essayait de se rabibocher avec la Banque mondiale qui le critiquait pour corruption, Lucy avait trouvé le moyen de se fâcher avec son représentant, par ailleurs locataire de sa propriété, en essayant de débrancher la sono dans sa résidence. La plainte déposée par le cameraman fut classée sans suites par le procureur de la République Amos Wako. Ceci fit dire à plusieurs Kényans que si la Première Dame avait osé s'attaquer à ce cameraman, elle avait déjà dû le faire avec son illustre mari. Lucy avait déjà aligné les gaffes; par exemple, elle avait invité les Premières Dames africaines pour discuter du SIDA, sans en informer la ministre de la Santé qui, par la suite, a mené

Lors

du raid

de la

presse en mai 2005

des campagnes anti-SIDA avec l'autre Mme Kibaki. Car il y en a une autre.

151Reporters

sans frontiers, The Nation, The Standard,

104

Ifex.

La polygamie de Kibaki a été révélée au monde lors de sa visite aux Etats-Unis en 2003. Lucy, ancienne institutrice, a épousé Kibaki alors enseignant à l'Université de Makerere, dans les années 1960, et, précision importante, elle vit avec lui. Cinq enfants naquirent de cette union. Elle est celle que l'on voit avec le président et qui se comporte comme la Première Dame. Née dans les années 1940, fille d'un Pasteur (Eglise du Presbytère) de la région de Mount Kenya, Lucy était réservée. Elle resta dans l'ombre de Kibaki toutes ces années, du temps où il fut député, puis ministre et vice-président sous Daniel Arap Moi (ancien président du Kenya). J'ai été élevée par des parents chrétiens humbles et stricts, dit-elle. Mon père était pasteur et ma mère infirmière. A l'âge de trois ans, j'allais déjà à l'église et disais mes prières. Notre maison était toujours pleine d'invités. Nous avons été éduqués dans l'esprit d'accueillir tous au nom de Jésus. Nous partagions le peu que nous avions. Je peux donc me mêler à n'importe qui facilement. Gauche et empruntée, Lucy Kibaki ressemble à une gouvernante endimanchée dans ses longs tailleurs satinés genre polyester souvent bleu ciel ou beige brillant avec le chapeau assorti, que l'on imagine sentir la naphtaline. Ses perruques sont célèbres: toujours une masse semi-frisée de cheveux synthétiques, ce qui lui donne un air échevelé. Elle a l'air d'une péquenaude avec des cardigans moulant ses fesses et surchargés de broderies, ses chaussures en cuir avec la panoplie complète de nœuds amovibles. Elle se rase les sourcils complètement et les retrace, deux fois plus épais, au crayon noir. Le spécialiste du pagne Kanga, le styliste Farouque Adbela, s'est déclaré « absolument horrifié récemment par l'aspect de Lucy Kibaki lorsqu'elle arriva à Zanzibar dans une robe sans manches en nylon qui me fit me demander s'il n'y avait pas de créateurs au Kenya pour bien présenter leur Première Dame... 152». Lucy confond aussi les « L » et les « R », ce qui fait souvent rire toute la nation.

152

http://www.artmatters.info/fashion/unitvofafrica.htm.

105

Pas étonnant qu'elle déteste la publicité: Même lorsqu'on n'appelle pas les médias, ils s'arrangent pour apparaître avec leurs gadgets. Encore une fois, quand j'accompagne Mzee (le président) aux réceptions, ils y sont, bien avant nous... Je suis une fille très timide. Avec mon éducation, je n'ai jamais été exposee" a tant d e pu bl lclle,153 . "

Wambui Kibaki, l'autre épouse, femme d'affaires connue, est rarement loin, comme au cours de la célébration du 40ème anniversaire du Kenya. Wambui, également institutrice avant de rencontrer le Président dans les années 1970, est plus connue des partenaires de golf de son mari que Lucy. Elle occupe le ranch présidentiel et s'est déclarée satisfaite de «l' arrangement », ne se sentant pas entravée, ayant accès au président comme elle veut. Dans une campagne anti-SIDA, le président Kibaki encourage les Kényans à être fidèles, évitant la question épineuse de la fidélité des hommes kényans à la polygamiel54. Tout avait pourtant bien commencé en 2002, lorsque, en tenue africaine bleue et blanche, Lucy avait participé à la cérémonie d'investiture de son mari. Dans un Kenya qui n'avait pas eu de Première Dame depuis 1978, Lucy était en train de remplacer Ngima Kenyatta. Le Kenya avait commencé à l'appeler Mama Lucy. Dès 2004, une série de scandales et d'esclandres nocturnes devait ternir son image, la faisant apparaître comme une véritable harpie. Lucy n'a pas arrêté de s'en prendre aux diplomates, journalistes, policiers qui, d'après .. e Ile, ne Ia traitaient pas avec assez de respect. 155 Elle s'est débarrassée de tous ceux qui ont osé croiser le fer avec elle, comme l'ancien secrétaire personnel du président, le tout-puissant comptroller of State House, Matere Keriri. Selon le Standard156, Keriri était si proche de Mary Wambui, sa rivale, que c'est la femme de Keriri qui avait accompagné Mary à l'église autour de Noël 2003 quand tout allait mal pour cette dernière. Ayant eu vent de l'affaire, la haine de Lucy pour 153 The Nation, interview, 2004. 154 www.polygamyinfo.comlplygmedia%2003%20217nytimes.htm. 155 Gray Phombeah, BBC News Nairobi. 156 East African Standard, 2 janvier 2005.

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Keriri s'accrut et il devint la victime d'un vaste complot visant à neutraliser le camp de Wambui. D'après la presse, Lucy demanda la démission de Matere Keriri, confident de longue date du président qu'elle accusait de favoriser sa coépouse157. Quelques mois après que son mari fut devenu président, Lucy fit fermer un bar de la présidence, lieu de rencontre des ministres et proches alliés du président. En 2003, elle évita de se rendre à la fête du nouvel an après que le vice-président Awori l'eut appelée «second lady». En décembre 2004, elle annonça, lors d'une cérémonie officielle où elle n'était pas censée prendre la parole, que son rôle était de servir d'intermédiaire entre son mari et les politiciens, et de tenir son agenda158.Elle a aussi déclaré, au cours d'un meeting politique dans l'Ouest du pays, que son mari se représenterait aux élections de 2007, un sujet tabou en raison des rivalités entre diverses factions gouvernementales. Ceci lui avait valu de se faire vertement remettre en place par le député Sammy Weya qui l'avait accusée de se comporter comme si elle était le président, lui demandant de s'en tenir à ce que les Premières Dames font, en ces termes: Je me demande si c'est Lucy ou Kibaki qui dirige le pays. La personne que nous avons élue joue un rôle secondaire pendant que sa femme prend des décisions sensibles affectant le pays159... Sa rivale Wambui, pour sa part, se serait rendue à Othaya pour faire une contribution au développement d'un hôpital local, sans révéler que cette contribution provenait d'une ONG néerlandaise 160.Le président Kibaki a épousé Mary Wambui "coutumièrement" en 1972. Lorsque le parti NARC - National Rainbow Coalition - arriva au pouvoir, Mary Wambui suivit tout naturellement son mari dans la capitale. Elle quitta sa maison de la campagne pour une coûteuse résidence dans la 157 www.boston.comlnews/world/africa/ articles/2004/0 1/23/ controversy_over _second_lady_follows _ kenyas -president?mode=PF. 158 East African Standard, ibid. 159 The Standard, 18 avril 2005 http://www.eastandard.net/archi ves/ cllprint/news. php?articleid= 18269 160 bulletsandhoney.blogspot.com/2005/05/ Iucy-kibaki -shoul d -be-thanked.html.

107

ville, gardée par des agents de sécurité de l'Etat - apparemment aux frais du contribuable. Mais des tensions se firent jour avec Lucy Kibaki, qui était déjà au courant de la relation. La Première Dame prit des mesures pour affirmer sa suprématie. Ceci causa un certain malaise, puis une crise ouverte pendant la période de Noël 2003. Wambui souffrit quelque temps, le président déclarant publiquement n'avoir qu'une seule épouse, Lucy, et les petits déjeuners avec le président se firent rares un temps. Mais en 2006, Mary a repris semble-t-il du poil de la bête, étant vue à la télévision nationale KBC - Kenya Broadcasting Corporation. En mars 2006, elle a été vue dans un hélicoptère de Kenya Wildlife Service avec des agents de sécurité comme gardes du corps... Ses hommes au pouvoir sont, outre Keriri, le ministre de la Défense Njenga Karume, de la Sécurité Intérieure John Michuki, l'ex-secrétaire d'Etat John Githongo, Stanley Murage, Eddy Njoroge de Ken Gen, George Muhoho de Kenya Airports Authority, entre autres. Ce clan est puissant, comme le prouve la nomination de l'ancien ministre de la Terre Amos Kimunya au Trésor Public... Lucie et sa rivale Wambui, comme la plupart des Premières Dames africaines, ont des gardes du corps payés par l'Etat ainsi qu'un véhicule officiell61 ; Lucie a été distinguée par son époux qui lui a décerné un «presidential award» le jour de la fête Jamhuri, alors que les Kényans ont élu Mwai Kibaki précisément parce qu'ils ne voulaient plus de gaspillage, de corruption, qu'il avait promis de débarrasser le pays de ces maux et d'approuver une nouvelle constitution pendant ses 100 premiers joursl62. Lucy a sauté sur l'occasion pour déclarer que le gouvernement NARC était propre, mais les Kényans auraient préféré que ces déclarations soient faites par un membre du

gouvernement, d'autant plus que « le vice-président, l'assistant de (son) époux, et certains ministres avaient reconnu qu'il existait des personnes corrompues au sommet de l'Etat... sa 161www.eastandard.net/archives/c1/hm_news/news.php? articleid=19568. 162www.pscottcummins.com/bl og/200 5/05/kenya-govemmentcorruption-dashes.html.

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déclaration que le Gouvernement avait quarante dossiers sur la corruption sur lesquels il commencerait des instructions aurait été bien accueillie si elle venait de la Kenya Anti-Corruption Commission, du Procureur de la République ou du ministre de la Justice» 163.La corruption est si répandue au Kenya que le chef de la lutte contre ce fléau, John Githongo, a démissionné en février 2005 et les gouvernements américain et allemand on suspendu une aide de près de 10 millions de dollars. En 2006, les Etats-Unis ont refusé des visas à des proches du président, pour protester contre la corruption.

Lucy Kibaki salue lors de la course de JOkm à Nairobi (des Femmes Internationales contre le SIDA), premier hommage aux femmes contre le SIDA 164.

163 East African Standard, 164 Panapress. 165 statehousekenya.go.ke.

16 février

2005.

109

Femme forte, Lucy fait régulièrement des déclarations à caractère politique sur son site Office of the First Lad/65. C'est ainsi qu'elle a attaqué un opposant de son mari en ces termes: «En tant que Kenyanne attachée à une politique respectant certains principes de base, je souhaiterais protester de manière solennelle contre les leaders qui insultent et accusent de manière malhonnête notre chef de l'Etat. Je parle des attaques persistantes et sans fondement de l'Honorable Kalongo Musyioka, MP de

Mwingi North contre le président ». On n'en revient pas! Où at-on vu une femme de Président oser s'exprimer ainsi? N'ayant pas la langue dans sa poche, Lucy Kibaki a renouvelé des attaques contre l'équipe Orange, lors de disputes opposant en 2005 les partisans de la révision de la Constitution et ses opposants. Lucy a qualifié les Orange de clowns et de menteurs auxquels on ne pourra jamais confier le pays166. Elle a aussi déclaré que l'on ne devrait pas s'attendre à ce que le président fasse des commentaires sur la violence à Kisumu car les politiciens qui l'avaient organisée devraient prendre leurs responsabilités, et le président n'avait incité personne à aller jeter des pierres sur le lieu de réunion. Elle a aussi pris la défense de la police qui avait été accusée de faire un usage excessif de la force pour contenir le désordre à Kisumu, ajoutant que ses actions se justifiaient car ceux qui avaient désorganisé la réunion avaient l'intention d'utiliser la force. Cessez d'accuser la police pour ce qui s'est passé à Kisumu car ceux qui avaient incité les jeunes à organiser le meeting utilisaient aussi la force pour empêcher la tenue d'un meeting du gouvernement. Celle qui en avril 2006 recevait 5 millions de shillings de la Première Dame chinoise167 pour la lutte contre le SIDA s'est attiré moins d'un mois plus tard les foudres des organismes de lutte contre ce fléau, en déclarant que les jeunes ne devraient pas utiliser les préservatifs, mais plutôt pratiquer l'abstinence : Ceux qui vont à l'école n'ont rien à faire avec les préservatifs... Je ne suis pas pour les préservatifs... Le sexe n'est pas pour les jeunes, a-t-elle déclaré sur le site., Internet , du . 168 gouvernement kenyan. A u cours de ces d IX d ernleres annees, ' le taux d'infection par le virus du VIR est passé de 10% à 7% en 2003, ce que beaucoup d'experts attribuent à l'utilisation accrue du préservatif. Pendant ce temps, l'Eglise catholique -le président est catholique - a gardé le silence. La polygamie est 166

http://www.timesnews.co.ke/04 nov05/nwsstorv /news2 167 fr. allafrica.comlstories/200604 280809. htmI. 168 www.cnn.com/2006/WORLD/africal051l9/Kenya.condoms.reut/

110

7 .html

hors-la-loi au Kenya mais a de beaux jours devant elle grâce à un vide juridique selon lequel les deuxièmes mariages sont permis par la loi traditionnelle.

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Grace Mugabe

Lors de leur mariage en août 1996. Elle a 40 ans de moins que lui.

(Marufu)

A droite, allure princière pour elle, et efforts pour faire jeune pour lui, avec sa casquette de base-ball169.

L

a désormais quelconque et dodue Grace, qui cache ses kilos dans des robes avantageuses de grands couturiers, est parmi les plus exécrées des Premières Dames d'Afrique, n'étant distancée que d'une courte tête par Maryam Abacha. Dépensière, frivole et superficielle, Grace a été baptisée «Disgrace» dès 1999 à cause de son goût pour le luxe. Deux ans avant la mort de son épouse ghanéenne Sally en 1992, Mugabe épousait «coutumièrement» (à l'africaine) son ancienne secrétaire Grace Marufu, de 40 ans sa cadette et mère de ses deux enfants, bientôt trois. Mugabe, qui s'était ainsi attiré les foudres de l'Eglise catholique 170,déclara sans vergogne que les coutumes africaines l'autorisaient à avoir une femme plus jeune. Le 17 août 1996, il convolait avec Grace à l'église catholique de Katuma College. Plus de 6.000 personnes ont

assisté aux festivités de ce mariage, qualifié de « mariage du 169

170

El Mundo, 3 mars 2002. http://www.cwnews.comlnews/viewstorv.cfm?recnum=1305.

sièclel?l ». Le président sud-africain Nelson Mandela assista à la cérémonie où le président mozambicain Chissano servit de témoin. Ceux qui ont vu la cérémonie à la télé se souviennent d'une jeune mariée à la longue traîne et à la taille épaisse - le troisième enfant était en route - jetant des regards inquiets dans chaque coin, comme si elle craignait que quelqu'un ne vienne faire s'écrouler son château de cartes, que son rêve ne se brise. Ou alors voulait-elle qu'on vienne la sauver? La liaison avait commencé quand Grace, âgée d'une vingtaine d'années et mère d'un enfant en bas âge, commença à travailler pour Mugabe, marié à Sally, malade des reins. Le couple adultérin eut deux enfants, dont l'aîné est âgé de 17 ou 18 ans aujourd'hui. Mugabe s'explique ainsi: Je voulais des enfants, et c'est la manière que j'ai trouvée pour en avoir... Sally était au courant de l'arrangement... Elle n'a peut être pas apprécié, mais elle était au courant172.Grace était légalement mariée à Stanley Goreraza, un cadre des forces armées du Zimbabwe. Ils divorcèrent et Mugabe plaça son ancien rival à l'ambassade du Zimbabwe en. .. Chine, loin, bien loin. Piètre étudiante, Grace a été recalée à ses examens de l'Université de Londres où elle faisait une licence d'anglais après avoir lamentablement échoué à la plupart de ses examens... huit ans après son inscription. Son précepteur ou répétiteur pour ses cours (par correspondance) était le président Robert Mugabe en personne173. On est en plein fantasme du maître à élève: Mugabe devient Pygmalion. Ayant réussi dans seulement deux matières, elle pourrait battre le record de la pire étudiante de tous les temps, avec des notes comme 7 sur 20 dans une matière174. Aujourd'hui, Grace représente tout ce qu'il y a de plus détestable dans le régime Mugabe, célèbre pour avoir ruiné 171 hUp:/ /www.nationsencvclopedia.com/W

orld- Leaders-

Zirnbabwe-PERSONAL-BACKGROUND.htrnl. 172 Martin Meredith. Power and plunder 173 Zirndaily.com. 174 [email protected].

114

in Zimbabwe.

2003/

l'économie de son pays en essayant d'imposer brutalement sa réforme agraire controversée et chassé les fermiers blancs. La journaliste Claire DonneIlyl75 décrit Grace ainsi: « Derrière ses lunettes Dior à 180 livres sterling (LS) et sa montre Rolex incrustée de diamants de 25 000 LS, la Première Dame du Zimbabwe passe la journée à faire du shopping, ce qu'elle fait le mieux. Après un dîner de 150 LS par personne, eIle et son mari se sont retirés dans leur suite de 33 pièces à 10 000 LS la nuit au Plaza-Athénée, pendant qu'au pays, les familles noires font la queue pour les maigres rations de pain et d'huile ». Les priorités de Mugabe ont «changé depuis sa rencontre avec Grace, il est en train de mettre en place sa dynastie176. Sally était une femme forte, intellectuelle, qui le soutint pendant toutes ses années de lutte et jouait le rôle de frein sur son superego. Personne d'autre ne pouvait lui dire «non, ne fais pas l'idiot ». En effet, Sally aurait eu un effet «calmant» sur Robert. Il faut cependant dire que déjà Sally « était incluse dans la glorification. Mugabe avait instruit la presse de l'appeler Amai, ce qui signifie Mère de la Nation. IlIa nomma à la tête de la section féminine du parti ZANU-PF et lui fit une place au Politburo, ce qui fit dire à Tekere (ancien compagnon des années de lutte) que le règne de Mugabe était une dictature personnelle de chambre à coucher. Sally utilisa sa position pour faire fructifier ses affaires. Mais elle servit également d'ancre à . . , certams moments cruCiaUXa M uga be 177 .» Déjà avant son mariage, Grace avait soulevé des controverses après avoir utilisé 500.000 LS de fonds publics pour se construire une propriété de 30 chambres à Harare, appelée Graceland, en son propre honneur et celui de son héros, Elvis Presley. La Cour Suprême déclara l'acquisition illégale, mais lorsqu'en 2000 Grace vendit le domaine au gouvernement libyen pour 3 millions de dollars, elle garda la plus-value par devers elle. Un an après, Grace exigea que son mari commence 175 New Zimbabwe, Hanging out with Zimbabwe 's first shopper, 20 juin 2003 www.newzimbabwe.com/pages/shopper.1156.html ]76 Robert Rotberg. 177 Martin Meredith, Power and Plunder in Zimbabwe

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à lui construire un nouveau domaine de 6 millions de LS en dehors de Harare, puis se lança dans des courses effrénées pour l'équiper. Des baignoires inclinées italiennes aux tapis d'Orient, rien n'a été trop beau pour elle. La résidence des Mugabe est , . . 178 constrUIte, d e I aveu meme d u pres! , avec d u bOIS " d ent ~

importé de Malaisie, «cadeau de l'ancien président malais ». Tout ceci s'est produit à une époque où le pays avait des problèmes de devises. Grace Mugabe a acheté le terrain pour sa propriété sur ses «économies en tant que dactylo ». Elle a bénéficié d'une réduction de 80% sur le coût d'achat. Robert Mugabe aurait détourné les fonds d'un programme social de construction ou d'un fonds de retraite pour lui construire Graceland dans le quartier chic de Borrowdale. Elle a par la suite construit un domaine luxueux à Chvhu, sa ville natale, à 160 kilomètres de Harare: deux étages, avec trois salons, deux salles à manger et six salles de bain. Le matériel de construction a pour sa part été fourni en grande partie par le ministère de la Construction et des travaux publics et livré dans des camions portant des plaques minéralogiques du gouvernement. Grace possède au moins cinq autres propriétés et a offert celle de Leopard Vlei à son frère, du nom de Reward (littéralement Récompense) Marufu; cette ferme avait été arrachée par Mugabe à un fermier blanc. 179

Le domaine de Graceland, 3 étages, 30 chambres, a été par la suite vendu au Colonel Muammar Kadhafi pour £3 millions, et la plusvalue de £2,5 millions a été empochée par Grace. 178Sky News 2002. 179 The Namibian http://66. J02.7. J04/search?q=cache:i5iShFE2ewsJ an. com.na/webx%3 F230%4048. 7DSta2PRkTv. +mugabe&hl=en.

116

:communitV.namibi 0%40.308707 ca+grace

La propriété des Mugabe a été construite en cinq ans, avec des matériaux importés pour l'essentiel, alors que le pauvre Zimbabwéen des quartiers populaires de la banlieue comme à Mbare vit dans des taudis insalubres et surpeuplés, construits à l'origine pour des célibataires. La plupart des habitants ont remplacé les fenêtres cassées avec du plastique, du carton ou des lames de fer. Son domaine Graceland et son jet privé ayant appartenu dans le passé au playboy Hugh Hefner, ses shoppings à l'étranger sont aussi célèbres que son illustre époux. Lorsqu'on lui demanda un jour comment elle justifiait les milliers de dollars dépensés par exemple en chaussures Ferragamo pendant que son peuple mourait de faim, elle répondit tout simplement: J'ai des pieds très étroits, alors je ne peux porter que des Ferragamo. Peu après son mariage, Grace commença à voyager régulièrement à bord d'avions d'Air Zimbabwe pour faire ses courses, enlevant même des sièges au retour pour faire entrer les nombreux colis. La facture en kérosène était estimée à environ 200 millions de LS en 2002. A Londres, Grace insiste pour prendre une suite à l'hôtel de luxe Claridge's, puis avec ses gardes du corps, elle passe par Harrod's faire ses emplettes, allant jusqu'à dépenser 40 000 LS en un seul après-midi. C'est ainsi que le 8 décembre 2001, un Boeing d'Air Zimbabwe qui devait atterrir à l'aéroport de Gatwick a été dérouté sur Barcelone, abandonnant une centaine de passagers auxquels il a fallu payer des chambres à 200 LS (327 euros) par tête. Le détour avait essentiellement pour but l'achat de carreaux et sanitaires pour la demeure présidentielle en 117

construction. Grace avait déclaré: «Nous nous construisons une maison et mon conjoint veut acheter des carreaux espagnols... Ils sont également vendus en Afrique du Sud, mais en Espagne ils sont meilleur marché. » Mugabe avait déjà visité Barcelone le 5 septembre 2001 pour aller au Centre Ophtalmologique Barraquer. .. en prenant le « temps d'effectuer une première visite au commerce Expo Bain de la compagnie Roche ». Au cours de la décennie 1990, le président s'est rendu dans plus de 150 pays et a dépensé plus de 295 millions d'euros en kérosène 180.

Pendant ce même voyage de décembre 2001, Grace s'est distraite en allant voir les toilettes, lavabos et carreaux, retournant plusieurs fois au magasin Roche, hésitante et indécise. Une fois, elle était avec Mugabe lui-même, accompagné d'une forte délégation: «Il emmenait une suite très nombreuse, quelque quinze ou vingt personnes », a indiqué une des hôtesses du magasin. L'ambassade espagnole avait délivré 26 visas pour l'occasion. Le périple rocambolesque ne s'est pas arrêté là. A son retour au Zimbabwe, Grace a essayé de faire intervenir l'Ambassade pour aplanir les «différences» qu'elle avait avec Roche au sujet de la couleur des toilettes qu'elle avait achetéesl81. Les sanitaires étaient pour la construction de la prestigieuse propriété située à Borrowdale, de trois étages avec un toit de style pagode, à trois kilomètres seulement de Graceland. En 2002, l'Union Européenne ajouta Grace Mugabe sur la liste des personnes indésirables sur son territoire (tout le cabinet et l'élite du parti)182, pour «éviter qu'elle ne continue ses courses alors que son pays souffre de la pauvreté, à des niveaux catastrophiques» selon les propos de Glenys Kinnock, député travailliste britannique. La Banque d'Angleterre a gelé les biens de Mugabe, qui n'a que 30.000 LS officiels de revenus. Les avoirs de Grace furent également gelés. Mais cela ne l'a pas pour autant gênée: Grace n'a pas hésité à aller au Proche, 180 El Mundo No. 333, 3 mars 2002. 181 El Mundo 3 mars 2002. 18222 July, 2002.

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Moyen et Extrême-Orient pour faire ses courses. Elle a été photographiée à l'aéroport international de Singapour avec son mari, une demi-douzaine de serviteurs et 15 chariots de marchandises dans le salon de première classe. Alors que l'Union Européenne avait interdit l'accès de son territoire à Mugabe et à sa suite après l'expulsion d'un observateur des élections présidentielles, Mugabe réussit cependant à contourner l'interdiction en se rendant à une conférence des Nations Unies (FAO), qui bénéficie de l'extraterritorialité. L'hebdomadaire Standard a été poursuivi par le gouvernement pour avoir écrit «Grace rejoint Oussama ben Laden sur la liste des sanctions ». Pour le gouvernement, c'est une « volonté délibérée de diffamer, salir et tuer le personnage de la Première Dame », de la part d'individus à l'extrême bord du journalisme de terreur et de mauvaise foi, et ne cache « ni la main blanche derrière les masques noirs ni ne fait honneur aux machinations britanniques qui motivent le journal diabolique ». Avec les gardes du corps, Grace a connu quelques problèmes. L'ancien garde de son époux, Winston Changara, a été démis de ses fonctions en juillet 2005183.M. Changara a déclaré à la police que Grace avait menti pour le faire renvoyer, dans le seul but de cacher ses aventures extraconjugales184 avec l' homme d'affaires James Makamba et un ministre. Quelques semaines auparavant, Grace s'était plainte d'avances et de propositions indécentes que lui auraient faites Changara. Un second aide de camp, Moses Chihuri, a été rétrogradé quelques mois seulement après le premier, en 2005185. Qu'en est-il vraiment? Grace aurait eu des rendez-vous fréquents et suspects avec James Makamba, la cinquantaine, l'un des hommes d'affaires les plus riches du Zimbabwe, à une « fréquence inhabituellement suspecte », selon la presse locale. Makamba aurait eu des relations avec Grace bien avant le 18366.102. 7.1 04/search?q=cache:cblxn30ktOJ:www.gozimbabwe.com/changar a 051007 .html+grace+mugabe&hl=en 184www.opendemocracv.net/content/articles/PDF/2401.pdf. 2 novembre 2005 185

Lebo Nkatazo,

1

er

mai 2006

119

mariage de cette dernière avec Robert Mugabe. Les agents secrets

de

la

CIO

-

Central

Intelligence

Organization

-

rattachés à la sécurité de Grace auraient rapporté à Mugabe que sa femme avait rencontré un peu trop souvent Makamba, dans

des endroits « privés ». Makamba se serait aussi trop exposé en faisant livrer des fleurs et des présents à Grace par des intermédiaires. Grace se serait expliquée en disant que ses rencontres avec Makamba concernaient des affaires professionnelles et agricoles. On l'imagine mal pourtant avec des bottes en caoutchouc et un râteau. Grace, qui s'est souvent rendue en Afrique du Sud au cours de ces dernières années, était-elle allée voir Makamba qui possède une propriété à Sandton ? Zim Online a en tous cas confirmé qu'au moins en une occasion Makamba a rendu visite à Mme Mugabe dans un hôtel de Johannesburg pour une longue durée une certaine nuit. L'officier chargé de sa sécurité a enregistré «l'incident» et ensuite informé son époux. Makamba, qui était bien placé en 1998 pour remporter les élections primaires de la mairie de Harare, a vu celles-ci annulées et l'ami de Mugabe, Salomon Tawengwa, a été imposé à sa place186. Makamba a été emprisonné quelque temps pour avoir fait sortir de manière frauduleuse plusieurs millions de livres sterling et environ un million de dollars, et pour avoir acheté illégalement des biens en contravention de la réglementation sur les devises. Après s'être vu refuser le droit à la liberté conditionnelle plus de 13 fois, il est enfin sorti en 2005. Mugabe a créé une « Loi Makamba », du nom de son rival réel ou présumé, après l'arrestation de ce dernier. Cette loi autorise la police à détenir une personne pendant un mois sans jugement. Ceci s'est produit pendant l'une des pires crises de devises qu'ait connues le Zimbabwe. Makamba a été forcé de fermer son supermarché de 9,5 milliards de dollars zimbabwéens de Blue Ridge Sweet Valley. Depuis, il aurait fui en Angleterre et demandé l'asile politique, après avoir été acquitté par la Cour Suprême en août 2005. Ce cas n'était pas sans rappeler le cas 186www.zwnews.comlprint.cfm?

ArticleID=9663

120

d'un autre homme d'affaires, Peter Pamire, qui mourut dans un mystérieux accident d'automobile en 1997 après avoir eu des relations avec Grace. Cette dernière aurait elle-même eu recours au marché noir pendant la même période, par l'intermédiaire de Gideon Gono, actuellement gouverneur de la Reserve Bank of Zimbabwe, et, dit-on, son beau-frère. Plus connue pour ses coûteuses descentes à Paris, Londres ou Johannesburg pour faire du shopping que pour aider le peuple, Grace essaie cependant d'occuper aussi le terrain de l'humanitaire, mais plutôt en dilettante. S'essayant à la lutte contre le SIDA, elle a participé à divers séminaires dont celui de Maputo en 2000 et a déclaré qu'il « était grand temps que les Premières Dames disent au monde que le SIDA est une maladie comme les autres »187. Avec son beau-frère Gideon Gono, gouverneur de la Banque Centrale du Zimbabwe, elle s'occupe également d'une fondation créée en 1997 pour « la réadaptation des Enfants de Zimbabwe188». Dans le même souci d'améliorer son image, en février 2002, Grace, imitant Sally comme « bienfaitrice des classes les plus défavorisées », a fait don de 200000 dollars zimbabwéens (784 euros en 2007) à une école de la région sud du Matabeleland189. Grace est également haïe pour son rôle dans les expropriations de fermiers blancs. Elle s'est installée sans gêne à « Iron Mark Estate », une ferme de 1011 hectares, saisie à une famille de vieux fermiers blancs, John et Eva Matthews, ce qui déchaîna encore plus les passions, surtout dans la presse anglosaxonne. Escortée d'un convoi de limousines noires, elle aurait dit aux propriétaires: «Je prends votre ferme ». Le vieux couple de fermiers, âgés de 78 et 74 ans, n'aurait eu que 48 heures pour faire ses valises et les employés noirs se seraient entendu dire «d'aller vivre près du fleuve ». Les activités agricoles de la ferme auraient complètement cessé 190.Grace, qui n'a aucun revenu officiel, a donc repris le domaine des 187Agence France-Presse, 20 août 2000 188Africa Confidential, www.swradioafrica.com/pages/thislandisourland.htm. 189El Munda. 3 mars 2002 190Daily Mir~or (Royaume-Uni)

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Matthews, cinq chambres, plusieurs salles de bain, une bibliothèque, une salle de billard, deux piscines et deux chalets. La ferme, qui produisait, est bien entendu à l'abandon. A travers le pays, les réformes agraires de Mugabe ont mis sur le carreau plus de 350 000 ouvriers agricoles. La population totale du Zimbabwe est de 12,5 millions d'habitants, dont 70 000 Blancs, moins d' 1%. De ce total, 4000 fermiers possédaient Il millions d'hectares de terre de premier choix. Lorsque le Zimbabwe accéda à l'indépendance en 1980, 70% des meilleures terres étaient entre les mains des Blancs. Un million de Noirs possédaient 16 millions d'hectares - souvent dans des zones arides. Mugabe, l'ancien héros de plusieurs Africains, a un bilan de plus en plus controversé. En effet, la redistribution de terres a surtout profité à ses amis du parti ZANU-PF au lieu d'aider les 162 000 familles noires (programme annoncé depuis le milieu des années 1990). En 1998, seulement 71 000 ménages noirs avaient été installés sur les terres, faute de volonté réelle du gouvernement, de capacité administrative et de fonds pour réaliser la redistribution des terres. Les hommes politiques loyaux à Robert Mugabe détiennent à présent des centaines d'hectares de terres fertiles tandis que les pauvres Noirs sont abandonnés sur des bandes stériles sans eau ni aménagement sanitaire. D'après les données du syndicat des fermiers (Commercial Farmers' Union) et du ministère de l'Agriculture et des Affaires Agraires, presque 200 hommes politiques importants, hommes d'affaires et membres des forces armées ont reçu des terres et des fermes. Parmi les bénéficiaires, on compte deux sœurs du président, son beaufrère et le neveu de sa femme. Le frère de Grace, Reward Marufu, a fait arrêter pour la première fois en 1989 Morgan Tsvangirai, leader de l'opposition, pour avoir osé critiquer ZANU-PF. Marufu, qui a prétendu être un ex-guérillero contre le régime raciste de Rhodésie, a obtenu une indemnisation de 21 311 euros. Nommé numéro deux de l'ambassade du Zimbabwe au Canada, il aurait évoqué son immunité diplomatique en 1999 quand il a été accusé d'abus sexuels sur la personne d'une adolescente de 14 ans. 122

Les vice-présidents Joseph Msika et Simon Muzenda ont également reçu des fermes, deux pour Muzenda à lui seul. Elisha Muzonzini, le redouté chef de la CIO (services secrets), a, lui, obtenu la ferme du législateur de l'opposition, Roy Bennet. Au moins 16 ministres et membres du bureau politique ont également été bénéficiaires de réformes. D'après The Telegraph, les Etats-Unis auraient, suite à l'éviction des fermiers blancs dont Matthews, pour la première fois violemment attaqué Mugabe, le décrivant comme un leader illégitime qui avait obtenu le pouvoir par la fraude; les Américains annonçaient également qu'ils encourageraient le peuple zimbabwéenà « remédier à cette situation ». Christopher Chingosho, le chef des terres provinciales, a reçu six fermes, et c'est ce genre d'allocations qui a énervé Andrew Natsios, le directeur de l'agence américaine du développement, qui aurait déclaré: «Ils ne rendent pas vraiment les fermes aux pauvres, c'est faire main basse de manière dégoûtante », d'après le Telegraph. L'opposition pense que la « violente réforme agraire ne sert à rien d'autre que d'assoir son pouvoir politique et récompenser ses amis; il ne s'agit pas de régler les injustices historiques », d'après Tendai Biti, membre du parti d'opposition Mc.191 Pour revenir à Grace Mugabe, la pénurie de devises ne l'a jamais gênée dans ses courses, car elle a dépensé entre 2000 et 2002 presque 2,1 millions de LS en Afrique du Sud, à Paris, Londres et en Malaisie (environ 21 milliards de Zim-dollars). Le Gouverneur de la Banque Centrale, Gideon Gono, aurait personnellement trouvé les fonds permettant à Grace de financer ses fringales lorsqu'il était patron de la Jwel Bank du Zimbabwe. Gono a eu recours à des tours de passe-passe sur le marché parallèle, achetant des dollars bon marché et les revendant bien au-dessus des taux du marché192.Sur une liste de 1250 transactions pendant une période de cinq mois, on retrouve celle du Il janvier 2002 en faveur de «Mrs G. M. (Cash PX)>> qui serait, d'après un responsable de la banque 191 http://www.nathanieltumer.com!gracemugabedefamed.htm ]92 Guardian Newspapers, 23 juillet 2002

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CBZ, l'une des six transactions du marché parallèle en faveur des Mugabe pendant la période concernée. Gono aurait personnellement autorisé la mise à disposition de 100 000 dollars en faveur de Grace le Il janvier 2002 : les fonds étaient « invariablement collectés par l'un des aides de Mugabé dans une serviette en cuir », et ont été utilisés pour financer un ., voyage a' L on dres quatre semames apres 193. A tort ou à raison, les Zimbabwéens pensent que c'est Grace qui encourage les vues extrêmes de son mari et qu'elle l'aurait complètement ensorcelé depuis le début de leur aventure extraconjugale. Selon certaines sources, «Mugabe, déjà en 1992, parlait de prendre sa retraite et au sein du gouvernement, les gens se préparaient à un changement. Tout cela a changé avec l'arrivée de Grace» sans l'avis de laquelle il ne prendrait aucune décision. Pendant la première année de leur mariage, Mugabe emmena sa femme en voyage de noces pendant 10 mois, alors que le pays connaissait des difficultés économiques. Ils «visitèrent l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Autriche, le Ghana et la Jamaïque. Les choses se détérioraient au pays, mais Mugabe semblait être retombé dans son adolescence, tombant amoureux de Grace et l'emmenant faire le tour du monde en lui disant: Laisse-moi te montrer Rome194 »... On se doute qu'elle n'a pas essayé de dissuader son cher époux de faire cotiser la population pour rassembler les 1,2 million de dollars qu'auraient coûté les célébrations de son 83èmeanniversaire, le 21 février 2007. Aux dernières nouvelles cependant, selon la presse zimbabwéenne195 disant le tenir de la tante de Grace, cette dernière envisagerait de quitter Robert. En effet, Cendrillon ne supporterait plus sa cage dorée: «elle étouffe avec la sécurité autour d'elle, est fortement troublée par la crise socioéconomique et le souhait de Mugabe de se représenter aux élections en 2008 ». 193 New Zimbabwe, Bonny Schoonakker, 6 juin 2004 194Lifestyle 30 mai 1999 www.nationaudio.com/N ews/Dailv N ation/3 005 99/F eatures/SE3 .html 195 Zimdaily.com 5 avril2007.

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Fidèle à elle-même jusqu'à la fin, elle n'est pas de celles qui se sacrifient pour un homme, même s'il leur a tout donné. Comme les rats, Cendrillon quitte le navire qui coule.

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Les épouses

Nguema

(oncle et neveu)

Les premiers timbres de Guinée Equatoriale à l'effigie de Macias Nguemal96

en 1968,

A

Monica, vraie garce comme il en existe dans les films noirs des années 1960 ou certains westerns avant qu'au nom du féminisme et du politiquement correct, peu à peu, les traits de ce genre de personnages ne s'estompent, il faut tirer son chapeau; on verra pourquoi. Même si, jusqu'à une période récente, Monica vivait de sa pension de veuve, sa jeunesse fut un roman, avec richesses, bijoux, multiples unions, gloire, trahisons, argent volé, batailles pour gagner ses faveurs, meurtres, insurrections armées, mercenaires, etc. D'ailleurs, un témoin dit qu'à l'époque «voir Monica, l'épouse de Macias

Nguema, c'était comme voir une star d'Hollywood. » Son époux, Macias Nguema Biyogo, fut élu en 1964 à la vice-présidence du gouvernement autonome de Guinée Equatoriale, après avoir été plusieurs années fonctionnaire de l'administration coloniale espagnole. II devient président en octobre 1968 après l'indépendance du pays et met en place presque immédiatement un régime autocratique. En 1972, il se 196

http://laguineaecuatorial.iespana.es/galeriafotogr%Elfica.htm

proclame président à vie, Premier ministre, ministre de la Justice et des Finances. Peu après son accession au pouvoir, le premier ministre Bonifacio Ondo Edo est incarcéré et exécuté. D'autres membres du gouvernement se «suicideront» après leur arrestation et leur incarcération. Durant son «règne de la terreur », un tiers de la population meurt ou choisit l'exil (Cameroun, Espagne, Gabon, France). Le régime est inspiré du modèle nord-coréen; il faut appeler le président «Miracle Unique de la Guinée Equatoriale» ; il décide qui a le droit de porter des chaussures, interdit les produits occidentaux tels que le pain et l' huile d'olive même s'il en consomme en cachette; tous les noms à consonance espagnole sont africanisés, le chemin de fer démonté, les hôpitaux et les écoles démantelés; il est interdit aux habitants de pêcher sur l'île; une base secrète de sous-marins russes est installée à Luba, et la culture du cacao, alors considéré comme le meilleur du monde, est sur le déclin. Nguema fait tout pour se débarrasser de l'étiquette d'indigène. Lui qui déteste ses compatriotes « émancipés» s'emploiera, avec succès, à obtenir le même statut, n'hésitant pas à hispaniser son nom (Macfas, au lieu de Msié)197. Au nom de 1'« authenticité» africaine et de la peur du complot, Francisco Macfas Nguema isole son pays du reste du monde et fait assassiner en dix ans entre cinq mille et dix mille personnes sur une population de moins de quatre cent mille habitants. Cent mille Equato-Guinéens s'enfuient. La communauté internationale reste silencieuse. La GuinéeEquatoriale, qui produisait 38000 tonnes par an de l'un des meilleurs cacaos du monde, parvient à peine à en fournir 5 000 tonnesl98. En 1969, lorsque le pays devint le 126ème membre des Nations-Unies, des tensions demeuraient entre les Fang (60.000) de Rio Muni et les Bubi (8.000) de la prospère île de Fernando Poo. Atanasio Ndongo, ministre des Affaires

197Jeune Afrique, Macias Nguema Parana à Malabo. 25 juillet 2000. 198 Muriel Pomponne, Le Monde Diplomatique. jui]]et 1994.

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étrangères, essaya de faire un "golpe" (COUp)199 qui échoua. Il fut défenestré, puis emprisonné. D'après Macias, Ndongo se donna la mort par poison en prison, même si certains Espagnols affirment qu'il a été battu à mort dans sa cellule. Les troubles politiques ainsi que l'attitude anti-espagnole de Macias conduisirent au départ de 2000 Espagnols du pays. Pour contenir le flux de candidats à l'exil, Macias fit détruire tous les bateaux. Lorsque la main-d'œuvre vint à manquer dans ses plantations de cacao, il força 20 000 de ses compatriotes à travailler comme des esclaves sous la menace des armes. Ses opposants, un groupe de 150 prisonniers politiques, furent alignés dans un stade le soir de Noël et tués par balles alors que les haut-parleurs jouaient« Those were the days, my friend »200. Certaines des victimes de Macias furent crucifiées sur la route menant à l'aéroport. Il a perpétré l'un des génocides les plus brutaux du 20ème siècle, en toute impunité et dans l'indifférence internationale la plus totale. Selon l'hebdomadaire Jeune Afrique, « dans la Guinée de la terreur, on assassine à tour de bras et à coups de gourdin. Car, aux dires du despote, le pays est trop pauvre pour s'offrir le luxe de fusillades: comprenez, les munitions coûtent trop cher. Mais la bastonnade n'est pas le seul mode d'assassinat légal: la noyade en mer, la défenestration, le coulage dans le béton ou l'écorchement vif sont des méthodes d'élimination tout aussi économiques. Personne n'est à l'abri de sa folie meurtrière, pas même les anciens amants de sa femme Monica, qu'il s'acharne à éliminer l'un après l'autre 201».Les conditions de vie seront si difficiles que Monica Bindang, sa propre épouse (la troisième) prend la fuite202! Macias Nguema a maintenu des relations stables, plus ou moins longues, avec cinq femmes. Après avoir abandonné dans la misère sa première épouse, une jeune Bujeba de la province de Rfo Benito avec laquelle il s'était marié à l'église et avec ]99 Times, 21 mars 1969. 200 Times, 20 août 1979. 201 Jeune Afrique, Macias Nguema. 202 fr.wikipedia.org/wiki/Francisco

Parano Macias

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de Malabo. Nguema.

laquelle il eut plusieurs enfants, il se rendit compte qu'elle l'avait trompé. Sa haine de l'Espagnol et du Blanc en général pourrait venir de cette histoire d'adultère. Un certain M. Roman, fils d'un commerçant espagnol installé à Mongomo (sa ville) depuis longtemps, le fit cocu. Macias, alors maire de la ville, ne considéra pas cela comme un péché charnel mais comme une offense préméditée du Blanc afin de démontrer sa supériorité et sa puissance sur le Noir... Le fils Roman fut expulsé du pays et, quand Macias prit le pouvoir, les autres membres de la famille Roman ne demandèrent pas leur reste et prirent tous la fuite. Son mariage avec la mulâtresse Monica aurait été motivé par ce complexe, le souci de montrer que lui aussi pouvait «se faire» une sang-mêlé, en avoir une chez lui. Ses invectives: « El blanco no es nadie, es hombre coma nosotros, siempre nos quiere engaiiar » (