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LE REGIME JURIDIQUE DES FUSIONS DANS L’ESPACE OHADA
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INTRODUCTION : Le développement du commerce et l’évolution des marchés nationaux et internationaux ont amené les entreprises à adapter leurs structures. Devant l’augmentation de la concurrence internationale, les entreprises sont amenées, d’une manière constante, à rechercher les moyens de faire croître leur productivité et leur compétitivité. Elles doivent le faire d’autant plus qu’aux contraintes nées d’une concurrence plus âpre, s’ajoutent des charges accrues. Ainsi le développement de l’innovation technologique qui, dans des secteurs de plus en plus nombreux de la vie économique, tend à remettre constamment en cause les positions acquises par les entreprises, conditionne leur place sur les marchés à venir. De plus, les marchés de fourniture ou les projets clés en main dont la réalisation est envisagée, portent sur des montants parfois considérables qui excèdent la capacité d’une seule entreprise. De la sorte, les entreprises, à défaut de trouver en elles-mêmes les ressources nécessaires à une réorganisation en vue d’adapter leur potentiel de production ou de commercialisation aux exigences d’une concurrence de plus en plus vive dans un marché élargi, sont amenés à rechercher des alliances. A cette fin, elles utilisent essentiellement deux techniques différentes : la concentration et la coopération. Elles visent à renforcer la capacité concurrentielle des entreprises qui y ont recours. Elles facilitent également le progrès technique, en permettant la mise en commun des efforts de recherche et de développement. Tout en ayant des finalités économiques identiques, la concentration et la coopération se distinguent cependant en raison de la nature différentielle des liens qu’elles établissent entre les sociétés concernées. La concentration constitue un regroupement, pouvant prendre plusieurs formes. Actuellement, les sociétés utilisent couramment la technique de la fusion de deux ou de plusieurs sociétés, en constituant une direction unique. La coopération est la deuxième technique auxquelles les entreprises ont recours. Mais elle a des effets limités par rapport à ceux engendrés par la concentration : d’abord en ce qui concerne la nature des opérations sur laquelle porte la coopération, ensuite, la durée de la coopération, souvent limitée dans le temps ; d’où le recours aux opérations de fusion. La mondialisation a entraîné l’apparition d’entreprises mettant en œuvre des stratégies de dimension transnationale, voire mondiale1. Dans cadre, les regroupements de sociétés constituent la stratégie de croissance permettant d’atteindre une dimension à même de stimuler 1
HATEM Fabrice, Quel cadre juridique pour l’activité des firmes multinationales ? Revue Economie Internationale, n° 65, 1995, p. 71.
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leur développement. Ainsi les groupes de sociétés sont devenues la pierre angulaire de l’économie mondiale. Ils veulent se renforcer pour faire face à la concurrence2. Il faut souligner « qu’il est en effet nécessaire aujourd’hui d’atteindre un certain seuil de chiffre d’affaires pour dégager des bénéfices permettant les investissements indispensables à l’équipement, à la rationalisation de la production, à la recherche de nouveaux produits ou à l’amélioration des produits existants »3. Le regroupement de sociétés étant inhérent à l’activité économique actuelle, l’existence d’une réglementation la favorisant constitue un atout non négligeable pour les Etats ou les ensembles régionaux soucieux d’attirer les investisseurs. L’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) est une organisation internationale qui a pour objet l’uniformisation4de toutes les règles de droit qui peuvent, d’une part se rapporter aux affaires et, d’autre part, permettre un développement de l’activité économique la région. A l’heure actuelle, plusieurs actes uniformes ont été adoptés5. Elle a été créée dans un premier temps afin de mettre fin à la diversité des lois nationales, considérée comme un obstacle économique à l’intégration économique des Etats. Ensuite, le projet est devenu plus ambitieux pour donner lieu à une véritable uniformisation6. Pour M. Kéba MBAYE7 « l‘OHADA est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance ». L’ambition de l’OHADA couplée à l’importance des regroupements de sociétés, il était souhaitable et prévisible que les fusions de sociétés fassent l’objet d’une attention accrue justifiant l’adoption d’une réglementation uniforme les concernant. Dans ce cadre, l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE ne pouvait laisser de côté les fusions, du fait de leur rôle déterminant dans la croissance des sociétés. La mise en place d’un
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ANOUKAHA François, CISSE Abdoullah, DIOUF Ndiaw, NGUEBOU TOUKAM, POUGOUE Paul-Gérard et SAMB Moussa, OHADA Sociétés commerciales et G.I.E., Bruylant Bruxelles 2002, pages 198. 3 Barthélémy MERCADAL et Philippe JANIN, Droit des affaires, Mémento Pratique Francis Lefebvre, 1998, n° 3430. 4 Bénin ; Burkina Faso ; Cameroun ; Centrafrique ; Comores ; Congo ; Côte d’Ivoire ; Gabon ; Guinée ; Guinée Bissau ; Guinée Equatoriale ; Mali ; Niger ; Sénégal ; Tchad ; Togo. 5 Il s’agit de : l’acte uniforme sur le droit commercial général, l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et les GIE, l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, l’acte uniforme sur les sûretés, l’acte uniforme sur les procédures collectives d’apurement du passif, l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, l’acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, l’acte uniforme relatif aux contrats de transport des marchandises par route. 6 ISSA-SAYEGH Joseph, L’OHADA, instrument d’intégration juridique en Afrique, www.ohada.com. 7 Ancien président du conseil constitutionnel du Sénégal, ancien vice-président de la Cour Internationale de Justice de la Haye et ancien vice-président du comité international olympique (CIO), ancien président de l’association pour l’intégration du droit africain (UNIDA), l’un des précurseurs de l’intégration juridique en Afrique.
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outil juridique devant servir l’intégration économique et la croissance suppose une réglementation uniforme sur ces opérations économiques essentielles aux sociétés pour soutenir leur développement. L’Acte Uniforme relatif au droit des Sociétés Commerciales et du GIE constitue le droit communautaire des sociétés applicable dans tous les Etats membres de l’OHADA directement et de façon uniforme. Cette réglementation communautaire des sociétés constitue une avancée juridique non négligeable. En effet, la portée de la solution apportée par l’unification du droit des sociétés et donc la création d’un droit communautaire des sociétés est sans équivoque8. La réalisation des opérations de fusion est uniforme aussi bien pour les opérations internes qu’intracommunautaires. L’article 189 de l’AUSC (Acte Uniforme sur les Sociétés Commerciales) définit la fusion comme « l’opération par laquelle deux sociétés se réunissent pour n’en former qu’une seule soit par création d’une société nouvelle soit par absorption de l’une par l’autre ». Cette définition fait la distinction classique entre la création d’une société nouvelle par plusieurs sociétés existantes (fusion par création d’une société nouvelle) et l’absorption d’une société par une autre (fusion-absorption). Dans le premier type de fusion, deux sociétés s’unissent pour en faire naître une troisième, ainsi « les initiatrices disparaissent et de leur décès naît une troisième société »9. Dans le second type de fusion, l’absorbée disparaît et l’absorbante s’enrichit de sa valeur ; il y a transmission universelle du patrimoine de la première à la seconde. La fusion est considérée comme une opération économique à conséquences juridiques et fiscales. L’AUSC offre un cadre juridique aux fusions internes et intracommunautaires des pays membres de l’OHADA. Dans le même ordre d’idées, on s’interroge sur l’existence d’un cadre juridique uniforme pour les fusions. C’est tout l’intérêt de notre étude sur le régime juridique et fiscal des fusions dans les pays membres de l’OHADA. Il s’agit de savoir quelle est la réglementation juridique et fiscale applicable aux fusions de sociétés dans les pays membres de l’OHADA ? La réponse à cette question est importante dans la mesure où il y a un lien étroit entre les conséquences juridiques et fiscales en matière de fusion. La prise en considération de l’une au détriment de l’autre risque de rendre le régime de la fusion moins attractif. Dans un
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Mayatta NDIAYE MBAYE, Fusions, scissions et apports partiels d’actifs transfrontaliers en Afrique, Thèse de Doctorat d’Etat soutenue le 29 Mars 2006, Paris X Nanterre, p.7. 9 Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, 21e édition 2008, p.598.
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tel cadre l’absence d’une législation fiscale uniforme peut constituer une limite à la législation OHADA des fusions de sociétés. En effet, « cette disparité des législations fiscales en matière de fusions des sociétés commerciales constitue un réel obstacle à la réalisation des opérations intracommunautaires de concentration »10. Les opérations de fusion dans l’espace OHADA méritent une attention particulière. D’abord, les études dans ce domaine ne sont pas nombreuses, où se limitent à un Etat. Ensuite, les concentrations d’entreprises sont devenues incontournables dans l’économie mondiale. L’OHADA ayant vocation à être un espace juridique attractif pour les investisseurs, il s’avère indispensable de réfléchir sur les atouts et faiblesses de sa réglementation des fusions, afin d’y remédier. Ainsi le régime juridique et fiscal des fusions dans l’espace OHADA constitue un sujet actuel et plein d’enjeux économiques pour les Etats parties. Les opérations de fusion entraînent d’importantes conséquences juridiques et fiscales. Notre approche ne va pas privilégier une étude exhaustive du sujet. Mais elle va plutôt mettre en lumière certains aspects essentiels. Aussi, les conséquences des opérations de fusion sur les salariés ne seront pas abordées dans notre développement malgré leur importance. En effet, les concentrations des entreprises entraînent généralement une modification de la configuration sociale des sociétés : des mutations, voire des licenciements. Pourtant l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique n’a rien prévu sur les salariés de la société apporteuse. Donc il convient de se reporter aux dispositions du droit du travail de chacun des Etats en attendant l’adoption de l’acte uniforme sur le droit du travail. Ces difficultés relatives au droit social ne seront pas abordées. L’uniformité du régime juridique des fusions dans les pays de l’OHADA est une manifestation du phénomène de régionalisation du droit. C’est la consécration de l’objectif suprême d’unification du droit11. Celle-ci est présentée comme « une forme plus brutale mais aussi plus achevée d’intégration juridique que l’harmonisation »12 du droit. En termes d’efficacité l’unification est préférée à l’harmonisation qui bénéficie des faveurs en termes de méthode. En effet, l’unification en permettant la mise en place d’une législation
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Mayatta NDIAYE MBAYE, référence précitée, p.275. Référence précitée p.13. 12 Joseph Issa SAYEGH et Jacqueline LOHOUE-OBLE, OHADA, harmonisation du droit des affaires, collection droit uniforme africain, BRUYLANT et AUF, 2002, n°137. 11
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unique apparaît pour les Etats comme une confiscation de pans de leur souveraineté. Par opposition, l’harmonisation est plus consensuelle parce qu’elle permet de ménager les droits nationaux. Cependant du point de vue de l’efficacité, l’unification est sans aucun doute préférable à l’harmonisation. Elle permet d’écarter tous les problèmes liés à la diversité des législations en matière de fusion et opérations assimilées et c’est la solution idéale13. Surtout elle correspond mieux à l’objectif de sécurisation des affaires. La réglementation du droit des sociétés par les Etats parties de l’OHADA permet une unification de cette branche du droit. Celle-ci fait disparaître les lois nationales et, par ricochet, tout conflit de lois14. Ainsi un droit unique régit les fusions entre sociétés ayant leur siège social dans les Etats parties différents. C’est la consécration d’un droit communautaire des sociétés se substituant aux législations nationales. Elle permet à toutes les entreprises dont le siège social est situé dans l’espace OHADA de se voir appliquer les mêmes règles peu importe les différences de pays. Les dispositions communautaires s’appliquent à toute société ayant son siège social sur le territoire d’un Etat partie. En réglementant les fusions, l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique permet l’application d’un régime unique aux opérations de concentration dans l’espace OHADA. La fiscalité des fusions n’a pas fait l’objet d’une réglementation uniforme. Les Etats soucieux de préserver leur souveraineté appliquent leur propre législation fiscale aux opérations de concentration des entreprises. Systématiquement, ils créent un cadre attractif pour les regroupements d’entreprises dont le siège social est sur leur territoire par l’octroi d’un régime de faveur. Par contre, un régime de droit commun très dissuasif pour les fusions d’entreprises est appliqué lorsque la société absorbante est localisée hors de l’Etat partie. Ainsi dans l’espace OHADA, les entreprises voient coexister lors des opérations de fusion, un régime juridique uniforme et un régime fiscal disparate. Il serait alors tentant de voir dans la disparité du régime fiscal des fusions dans les pays de l’OHADA une source d’insécurité juridique remettant partiellement en cause tous les bienfaits de l’uniformité du régime juridique. Cette affirmation mériterait d’être nuancée, les législations fiscales d’Afrique francophone ayant en héritage en commun le système français. Par 13
G. BEITZKE « Les conflits de lois en matière de fusion de sociétés (droit communautaire et droit international privé) », Rev. Crit. DIP 1967, p.3. 14 Mayatta Ndiaye MBAYE, Thèse précitée, p.120.
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conséquent, leur diversité n’en renferme pas moins des caractères communs découlant de cette source unique. PARTIE UNIQUE : L’UNIFORMITE DU REGIME JURIDIQUE APPLICABLE AUX OPERATIONS DE FUSION DANS L’ESPACE OHADA L’article 199 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales permet l’applicabilité du régime des fusions « aux sociétés dont le siège social n’est pas situé sur le territoire d’un même Etat partie. Dans ce cas, chaque société est soumise aux dispositions de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales dans l’Etat partie de son siège social ». L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique permet l’uniformisation du régime juridique des fusions dans l’espace OHADA (A) qui a des conséquences sur la faisabilité des opérations de concentration dans l’espace OHADA (B). A- L’uniformité du régime juridique des fusions : L’uniformité du régime des fusions suppose que les conditions d’admission (1) et d’application (2) soient identiques pour les opérations de concentration d’entreprises. 1- L’uniformité des conditions d’admission au régime des fusions : L’admission au régime des fusions suppose que les sociétés revêtissent certaines formes sociales (a). Mais ces formes sociales ne sauraient suffire en l’absence d’un lien de rattachement principal des sociétés à l’espace OHADA (b). a- Les formes sociales requises pour l’admission au régime juridique des fusions : L’Acte uniforme sur les sociétés commerciales autorise expressément les sociétés de capitaux à effectuer des opérations de fusion. Les sociétés de capitaux dans l’espace OHADA sont constituées par les SARL et les SA. En effet, l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales n’a pas prévu parmi les formes sociales la société en commandite par actions et la société par actions simplifiées. Ainsi il prévoit expressément dans ses articles 382 et 383 pour les SARL et ses articles 670 à 689 pour les SA, la possibilité de participer aux opérations de fusion. En ce qui concerne les SA, le capital apporté comptant plus que la personne de celui qui apporte15, tous les droits admettent leur participation aux opérations de fusion internationales.
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Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des Sociétés, Litec 21e édition, p.234.
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L’Acte uniforme sur les sociétés commerciales ne fait pas exception en permettant aux SA de participer aux opérations domestiques et transfrontalières de fusion. Dans l’espace communautaire OHADA, les SARL comme les SA sont autorisées expressément à participer à des opérations intracommunautaires de fusion. Aucune disposition contraire n’est décelée dans l’acte uniforme pouvant empêcher la fusion de sociétés de forme différente16, la possibilité pour les sociétés de capitaux de fusionner avec des personnes morales d’une autre forme n’est pas remise en cause. L’Acte uniforme sur les sociétés commerciales a prévu des formes de sociétés autres que les sociétés de capitaux : la société en nom collectif (SNC), la société en commandite simple (SCS), la société en participation, la société de fait et le Groupement d’Intérêt Economique (GIE). Les SNC et SCS peuvent opérer une fusion avec une SARL ou une SA si elles sont autorisées à effectuer de telles opérations. En effet, l’opération de fusion sera subordonnée à l’autorisation des associés. La société en participation ne peut pas participer à une opération de fusion avec une société anonyme ou une société à responsabilité limitée. C’est une société dans laquelle les associés conviennent qu’elles ne seront pas immatriculées au Registre du commerce et du crédit mobilier et qu’elles n’auront pas la personnalité morale17. Cette interdiction de participer à une opération de concentration avec une société à responsabilité limitée ou anonyme vise également les sociétés de fait. Ainsi seules certaines sociétés de personnes sont admises au régime juridique des fusions. Si les sociétés de personnes présentent certaines caractéristiques communes, il n’en demeure pas moins indispensable de faire la distinction entre les sociétés immatriculées et les sociétés non immatriculées. Ainsi les sociétés immatriculées sont dotées de la personnalité morale alors que les sociétés non immatriculées en sont dépourvues. Or, pour qu’une société puisse participer à la réalisation des opérations de fusion deux critères sont essentiels : la personnalité juridique distincte de celle de ses associés et un capital social propre à la société. Les seules sociétés de personnes dotées de la personnalité juridique distincte de leurs associés et disposant d’un capital social propre sont autorisées à réaliser des fusions. Ce sont les sociétés 16
L’article 196 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales stipule que « sauf disposition contraire de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et les GIE, les opérations de fusion,…peuvent intervenir entre des sociétés de forme différente ». 17 Article 854 alinéa 1 Acte uniforme sur les sociétés commerciales.
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en nom collectif et les sociétés en commandite simple18. Les autres sociétés de personnes sont exclues du champ d’application des fusions. Il ne suffit pas aux sociétés de personnes, de capitaux de correspondre aux formes sociales admises au régime des fusions, elles doivent remplir une seconde condition. En effet, l’admission au régime des fusions suppose le rattachement des sociétés à l’espace OHADA. b- Les critères de rattachement à l’espace OHADA pour l’admission au régime des fusions : L’acte uniforme désigne le siège social comme le lien de rattachement d’une société à l’ordre juridique communautaire OHADA19. Le siège social constitue le critère essentiel de rattachement à l’espace OHADA. L’acte uniforme consacre le l’importance du siège social statutaire tout en prenant en considération le siège social réel. La notion de siège social d’une entreprise est d’abord une notion statutaire : toute société doit, pour pouvoir être immatriculée, préciser dans ses statuts la mention de son siège. L’inscription dans les statuts de la mention du siège implique que dans la majorité des cas, la décision du transfert du siège doit être prise par l’assemblée générale. Le siège social est le lieu du principal établissement de la personne morale. Le qualificatif de siège statutaire est lié à sa mention dans les statuts20. Les articles 24 et 25 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique lient le siège social soit au choix des associés, soit au lieu du principal établissement de la société, soit à son centre de direction administrative et financière, tout en excluant avec l’article 25 du même acte uniforme rajoute qu’il soit constitué uniquement par une domiciliation à une boîte postale. Il doit être localisé par une adresse ou une indication géographique suffisamment précise Le rôle essentiel du siège statutaire dans l’immatriculation de la société est mis en lumière par l’article 98 de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales21. Or, l’Article 27 de l’acte
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Ces deux formes sociales imposent une immatriculation au Registre du commerce et du crédit mobilier leur conférant une personnalité juridique à même de leur permettre de disposer d’un capital social constituant leur patrimoine. 19
L’article 1 alinéa 1 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales prévoit qu’il s’applique à « toute société commerciale, y compris celle dans laquelle un Etat ou une personne morale de droit public est associé, dont le siège social est situé sur le territoire de l’un des Etats parties au Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ». 20 Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, référence précitée p.103. 21 L’article 98 de l’AUSC dispose que « toute société jouit de la personnalité juridique à compter de son immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier… ».
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uniforme sur le droit commercial stipule que les sociétés et les autres personnes morales visées à l’Acte Uniforme relatif au Droit des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique, doivent requérir leur immatriculation, dans le mois de leur constitution, auprès du Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de la Juridiction dans le ressort de laquelle est situé leur siège social. Et l’article 907 du droit commercial prévoit son applicabilité aux sociétés et groupements d’intérêt économique constitués sur le territoire de l’un des Etats parties. L’ensemble de ces dispositions font, du siège social figurant dans les statuts de la société et choisi par les fondateurs de la société, le facteur de rattachement22. Dans l’espace OHADA, le siège statutaire même s’il est privilégié comme critère de rattachement, peut donc être écarté lorsqu'il n'est pas réel et sérieux et ne correspond pas au centre effectif de direction des affaires du débiteur. Pour établir la localisation du siège réel, le critère le plus fiable est la détermination du lieu où se prennent les décisions, défini à partir d’indices tels que le lieu de réunion des assemblées générales et du conseil d’administration de la société, de la localisation de la signature des principaux contrats, de l’émission des commandes. L’article 26 autorise que le siège social puisse se situer en un lieu autre que celui mentionné dans les statuts. Et dans ce cas, les tiers ont une option entre le siège statutaire et le siège réel, mais que la société ne peut pas leur opposer le siège statutaire si le siège réel est situé dans un autre lieu. Lorsque les conditions d’admission au régime des fusions sont réunies, la procédure de fusion régie par l’AUSC peut être mise en œuvre. 2- L’uniformité de l’application de la fusion dans l’espace OHADA : Cette application uniforme apparaît au niveau des procédures (a) et des effets de la fusion (b). a- L’uniformité des procédures de fusion : L’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique a prévu deux types de procédure. Une procédure simplifiée de fusion est réglementée par l’article 676 de l’AUSC à côté d’une procédure ordinaire. Cette procédure nécessite d’abord l’élaboration d’un projet et d’un rapport de fusion et l’intervention du 22
Thèse de Mayatta Ndiaye MBAYE, référence précitée.
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commissaire à la fusion. Les articles 193 et suivants de l’AUSC constituent le droit commun des fusions sous réserves des dispositions propres à certains types de sociétés. Le projet de fusion marque le début de l’opération. Son élaboration est expressément prévue par l’article 193 de l’AUSC qui précise les mentions devant y figurer. C’est sur ce projet que les actionnaires ou les associés se prononcent, sans lui aucune décision ne peut être prise23. C’est ainsi que l’article 671-3 de l’AUSC, prévoit pour le cas des sociétés anonymes, l’élaboration d’un rapport de fusion par le conseil d’administration de chacune des sociétés participantes à l’opération. Selon les autres cas, le projet est arrêté par le ou les gérants pour les SARL, les SNC, les sociétés en commandite simple et les GIE24. Le projet de fusion doit être porté à la connaissance des actionnaires et associés d’une part, et à toutes les personnes intéressées d’autre part. Afin d’informer les associés ou actionnaires, il est exigé des dirigeants sociaux, non seulement l’établissement du projet de fusion, mais aussi l’établissement d’un rapport sur l’opération envisagée qui est mis à la disposition des associés et actionnaires dans les mêmes conditions que le projet. Le rapport de fusion informe sur les modalités de l’opération. En effet, il permet d’apprécier l’opportunité de l’opération. C’est une justification du contenu du projet de fusion. Il doit être mis à la disposition des actionnaires quinze jours avant la tenue de l’assemblée chargée de l’approbation de la fusion afin de les informer. Le rapport de fusion permet de compléter les informations contenues dans le projet de fusion. C’est pourquoi, il doit mentionner les mentions relatives aux motifs de l’opération, aux conditions de sa réalisation mais également aux méthodes d’évaluation choisies ainsi que les motifs qui ont présidé à leur choix. L’information sur le projet de fusion ne doit pas se limiter aux actionnaires. Afin d’informer les personnes extérieures à l’entreprise, l’article 194 de l’AUSC prévoit deux formalités supplémentaires : le dépôt au greffe du projet de fusion et son insertion dans un journal d’annonces légales. Le dépôt au greffe du tribunal chargé des affaires commerciales du siège des sociétés participant à l’opération doit intervenir au moins un mois avant la date de la première assemblée générale appelée à statuer dessus25. Il constitue une garantie contre les éventuelles modifications. L’insertion dans un journal d’annonces légales permet d’informer
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Maurice COZIAN Alain VIANDIER Florence DEBOISSY, référence précitée p.601. Article 193 alinéa 1 de l’Acte Uniforme relatif aux droit des sociétés commerciales et du GIE. 25 Article 194 alinéa 4 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE. 24
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les créanciers de la société absorbée. Chacune des sociétés participant à l’opération de fusion doit insérer un avis dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans les mêmes conditions de délai que le dépôt au greffe du tribunal26. Dans le cas d’une fusion transfrontalière, les sociétés n’ayant pas leur siège social dans le même Etat partie et doivent donc, séparément insérer un avis portant sur l’opération dans un journal habilité à recevoir les annonces légales de l’Etat partie de leur siège social27. L’intervention du commissaire à la fusion constitue une garantie supplémentaire dans la qualité de l’information fournie sur l’opération. Le commissaire à la fusion contrôle l’établissement du projet. L’article 672 de l’AUSC prévoit l’intervention du commissaire à la fusion. Son intervention est obligatoire à la différence du commissaire aux apports. Cette obligation existe dans trois cas : les fusions entre SA28, les fusions entre SARL29 et les fusions entre SA et SARL30. Ainsi le principe d’une désignation obligatoire d’un ou plusieurs commissaires à la fusion doit être respecté dès lors que toutes les sociétés participantes sont des sociétés de capitaux31. Après sa désignation par le président de la juridiction chargée des affaires commerciales, il est chargé d’établir un rapport écrit sur les modalités de la fusion. Dans le cadre de sa mission, le(s) commissaire(s) à la fusion doit se prononcer d’abord sur la valeur des apports en nature et les avantages donnés, ensuite sur le caractère équitable du rapport d’échange des titres et enfin, vérifier aussi la réalité du passif exigible pris en charge par la société absorbante32. La combinaison des articles 620, 672, 673 et 698 de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales permet de conclure à la compatibilité de la mission de commissaire aux apports et celle de commissaire à la fusion33. Mais il existe une procédure simplifiée permettant de ne pas recourir à l’intervention du commissaire à la fusion.
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Article 257 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE. Mayatta Ndiaye MBAYE, référence précitée, p.173. 28 Article672 alinéa 1 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE. 29 L’article 382 alinéa 1 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE rend applicable les dispositions de l’article 672 de l’acte uniforme sont applicables aux fusions. 30 Article 676 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE. 31 Mayatta Ndiaye MBAYE, référence précitée. 32 L’article 621 permet au commissaire à la fusion de se faire assister dans l’exercice de sa mission par un ou plusieurs experts de son choix dont les honoraires sont à la charge des sociétés participant à l’opération. 33 La mission du commissaire aux apports se limitera à l’appréciation sous sa responsabilité de la valeur des apports en nature transmis et des avantages particuliers stipulés dans le cadre de la réalisation de l’opération. 27
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La fusion peut aller plus vite lorsque la société absorbante possède la totalité du capital de l’absorbée puisqu’il n’y a pas dans ce cas à se préoccuper de la protection des minoritaires. En effet, l’article 679 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE précise que lorsque, depuis le dépôt du projet de fusion jusqu’à la réalisation de l’opération, la société absorbante détient en permanence la totalité du capital de la ou les sociétés absorbées, une procédure simplifiée de fusion pour les sociétés anonymes ou les SARL peut être mise en œuvre. Cette procédure simplifiée s’applique donc dans le cas de l’absorption d’une filiale dont le capital est détenu à 100% par la société absorbante. D’abord, cette procédure simplifiée n’exige pas la nomination d’un commissaire à la fusion et aucune rédaction d’un rapport par le conseil d’administration, l’administrateur général ou les gérants. Ensuite, la simplification permet de se passer de l’intervention des organes de la société absorbée : pas de réunion de l’assemblée générale, pas de rapport du conseil d’administration, pas de désignation d’un commissaire à la fusion. Et la fusion doit seulement être approuvée par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires ou des associés de la société absorbante sans qu’il soit alors nécessaire de désigner un commissaire aux apports. b- L’uniformité des effets de la fusion : Lorsque les conditions sont réunies, les conséquences de la fusion doivent prendre en compte la date d’effet de la fusion. Pour déterminer la date de la fusion, il faut rechercher le moment où s’accomplit l’union entre les sociétés concernées, où se confondent leurs actifs et leurs passifs, leurs salariés, leurs associés et leurs dirigeants34. Les opérations de fusion doivent être décidées pour chacune des sociétés y participant selon les conditions prévues pour la modification des statuts et selon les procédures prévues en matière d’augmentation de capital et de dissolution de la société. Ainsi pour les SA, la décision de fusion appartient exclusivement à l’Assemblée générale de chacune des sociétés35. En ce qui concerne les SARL, la convocation d’une assemblée générale s’impose afin de prendre des décisions collectives extraordinaires. Selon l’Acte Uniforme, la
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Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Florence DEBOISSY, référence précitée, p.608. Des exceptions sont prévues par l’article 197 en cas d’augmentation des engagements des associés ou des actionnaires de l’une des sociétés concernées et par l’article 671-2 soumettant à la ratification d’une assemblée spéciale pour les SA dans les cas où elle a pour effet de faire disparaître des droits particuliers reconnus à une catégorie d’actionnaires déterminés. 35
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modification des statuts devra alors, être décidée par les associés représentant au moins les trois quarts du capital social36. L’unanimité des associés est requise pour les sociétés en nom collectif37. Pour les sociétés en commandite simple, l’unanimité des commandités et la majorité du capital des commanditaires est requise38. La date d’effet de l’opération de fusion dépend du type de fusion opéré39. En effet, il faut distinguer selon qu’il s’agit d’une absorption ou création d’une société nouvelle. En cas de création d’une ou plusieurs sociétés nouvelles, la fusion prend effet à la date d’immatriculation au Registre du commerce et des sociétés (RCCM) de la société créée ou de la dernière d’entre elles. Pour la fusion absorption, la fusion prend effet au jour de la dernière assemblée générale qui a approuvé l’opération. Cependant, le contrat de fusion peut prévoir une autre date qui ne peut toutefois être ni postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la ou des sociétés bénéficiaires, ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la ou des sociétés qui opèrent une transmission de leur patrimoine. Pour les associés, la fusion entraîne l’acquisition de la qualité d’associés de la société absorbante ou de la société nouvelle par les associés de la société absorbée et l’attribution des actions de cette nouvelle société40. Dans ce cadre, l’établissement d’une parité d’échange est nécessaire entre actions de la société absorbée et de la société absorbante d’où le rôle déterminant des commissaires à la fusion afin de certifier la valorisation effectuée pour chacune des sociétés participant à l’opération. Pour les créanciers, leur droit varie selon qu’il agit de créanciers obligataires ou de créanciers non obligataires. Les créanciers non obligataires des sociétés participant à la fusion, dont la créance est antérieure à la publicité du projet, bénéficient d’un droit d’opposition à cette opération dans un délai de
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Articles 215 et 358 Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. 37 Articles 215 et 274 Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. 38 Articles 215 et 296 Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. 39 L’article 192 organise la date d’effet de la fusion. 40 L’article 192-1 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
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trente jours à compter de cette publicité insérée dans un journal d’annonces légales41. Cette opposition ne permet pas d’interdire la poursuite de la fusion d’autant plus qu’elle est autant valable pour les créanciers de la société absorbée qui cherchent à se prémunir d’un changement de débiteur que pour les créanciers de la société absorbante. Pour les créanciers obligataires de sociétés absorbées, l’article 678 fait obligation de soumettre à leur assemblée le projet de fusion. Une telle procédure n’est pas prévue pour la société absorbante. En cas de demande de remboursement de leurs titres par les créanciers obligataires de la société absorbée, la réunion de l’assemblée n’est pas nécessaire. B- Les conséquences de l’uniformité du régime des fusions : Les conséquences de l’uniformité du régime juridique des fusions sont doubles et distinctes. Dans un premier temps, certes elle rend plus faciles les fusions transfrontalières (1). Mais elle introduit une difficulté dans le contrôle des opérations de concentration, dans un second temps (2). 1- La facilitation des opérations de fusion transfrontalières : L’uniformité du régime des fusions facilite les opérations transfrontalières parce que d’une part elle assimile les fusions internes aux fusions transfrontalières (a), et d’autre part elle crée un cadre attractif pour les fusions transfrontalières (b). a- L’assimilation des fusions internes aux fusions transfrontalières : La fusion frontalière se manifeste à travers deux aspects. D’abord, elle va intéresser des entités relevant de législations différentes. Ensuite, elle va produire des effets tant internes que transfrontaliers. Ainsi la fusion transfrontalière est une opération au terme de laquelle, par suite d’une dissolution sans liquidation, le patrimoine de la société apporteuse est transféré activement et passivement, à une ou plusieurs autres sociétés bénéficiaires, et les actionnaires ou associés deviennent actionnaires ou associés des sociétés bénéficiaires, et dans lesquelles au moins une des sociétés concernées relève d’une lex societatis différente de celle des autres42.
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Article 679-2 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. 42 Thierry THILQUIN, Fusions et scissions aspects frontaliers, Joly sociétés, Mars 1995 p.1.
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Auparavant, dans la plupart des droits, la doctrine considérait qu’il n’était pas possible au regard des règles de droit, de procéder à une fusion transfrontalière, ou, à tout le moins que ces opérations sont pratiquement irréalisables43. Cependant, outre le développement de ces modes de coopération, les diverses disciplines auxquelles touchent le fusions transfrontalières ont connu une évolution marquante. Et, l’un des aspects les plus délicats, qui rendait difficile l’application concrète des règles de droit international privé44 résultait d’un manque d’harmonisation des règles matérielles de ces opérations45. Désormais les divers Etats de l’OHADA ont mis en place un droit communautaire des sociétés rendant possible les fusions transfrontalières. L’uniformité du régime juridique des fusions dans les Etats partie constitue une avancée non négligeable rendant possible les fusions de sociétés en supprimant la différence de législations. Elle « contribue à placer les sociétés qui en relèvent dans une situation comparable quant à la réalisation des concentrations économiques »46. L’assimilation des régimes des opérations intracommunautaires à celui des opérations internes constitue une aubaine pour la réalisation des fusions dans le cadre de l’OHADA ; d’où la facilité de la réalisation des fusions intracommunautaires. Elle apporte des avantages techniques et juridiques considérables et simplifie la réalisation des fusions transfrontalières par l’application uniforme des mêmes dispositions aux sociétés participantes. La possibilité de réaliser des fusions est une opportunité offerte aux sociétés de continuer leur croissance par une concentration. Dans le cadre de l’Union européenne, il est prévu que les fusions transfrontalières soient régies par les règles harmonisées découlant de la directive fusions transfrontalières47 et, pour les sujets non traités par cette réglementation, par les dispositions applicables aux fusions nationales. L’OHADA a simplifié le régime juridique des fusions en mettant en place des règles applicables aux concentrations dans tous les Etats parties. Par l’uniformité du régime des fusions, elle procède à une assimilation des fusions internes et des fusions transfrontalières.
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B. GOLDMAN, Rapport sur les obstacles tenant au droit interne des sociétés : in Coopérations, concentrations, fusions d’entreprises dans la CEE : Revue du Marché commun, 1968, p.300 et 301 ; W. GARCIN, Rapport sur les obstacles tenant au droit interne des sociétés, Revue du marché commun, 1968, p.369 soulignant que la fusion internationale est juridiquement impossibe. 44 Y. LOUSSOUARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce international, p.337. 45 B. GOLDMAN, Cahier de droit européen, 1981, p.6, il souligne l’importance de ces différences dans le ralentissement des travaux relatifs au traité sur les fusions transfrontalières. 46 B. GOLDMAN et A. LYON-CAEN, Droit commercial européen, précis Dalloz, 4e édition, 1983, p.245. 47 Directive 2005/56 /CE sur les fusions transfrontalières.
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L’application uniforme du régime juridique des fusions supprime les insurmontables obstacles juridiques à la fusion transfrontalière. Avec l’assimilation des fusions internes aux fusions transfrontalières permet d’éviter des montages juridiques compliqués découlant de législations fiscales nationales différentes. Un obstacle juridique majeur est contourné par cette assimilation. Une fusion transfrontalière mettant en jeu par définition au moins deux systèmes juridiques, il convenait de s’assurer de leur compatibilité pour toutes questions « communes » aux sociétés parties à une telle opération, tandis que pour les questions « spécifiques », seul le droit concerné était applicable48. Les règles introduites par le régime uniforme des fusions apportent incontestablement une solution pour surmonter cet obstacle. Le principe retenu par l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique est que les fusions transfrontalières se voient appliquer les mêmes règles que les fusions internes auxquelles elles sont assimilées. b- L’uniformité du régime des fusions crée un cadre attractif pour les opérations de fusion transfrontalière : Les fusions transfrontalières constituent le meilleur moyen pour les sociétés indépendantes d’atteindre grâce à une concentration très poussée une dimension nécessaire pour faire face à la mondialisation des affaires et aurait, par rapport à l’offre publique d’acquisition (OPA), l’avantage de permettre un contrôle total de la société absorbée sans se soucier des droits financiers minoritaires et sans versement de fonds aux actionnaires de la société acquise. Elles sont apparues également comme un moyen utile de restructuration des groupes. Les marchés africains sont caractérisés par leur étroitesse et leur faiblesse. Le regroupement des sociétés n’intéresse pas dans la plupart des cas un seul Etat partie. En effet, les sociétés ne peuvent pas procéder à une opération de croissance interne d’où un recours à la croissance externe. Ainsi l’existence de régimes juridiques différents applicables aux fusions et propres à chaque Etat, aurait constitué un obstacle insurmontable pour les sociétés des Etats parties de l’OHADA. C’est à cette situation que, dans le cadre de l’espace communautaire OHADA, l’uniformité du régime des fusions tente de remédier en facilitant d’abord, en favorisant ensuite, le regroupement des entreprises pour la constitution de grandes unités, susceptibles de trouver
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En vertu du principe d’application distributive pour, notamment, les publicités devant être réalisées par chacune des sociétés conformément à leur législation respective.
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leur place dans le marché concurrentiel africain, voire international. C’est la solution permise par la création d’un régime juridique uniforme des fusions dans l’espace OHADA. L’avènement d’un régime juridique uniforme des fusions assure la mobilité et la libre circulation des entreprises en permettant à celles-ci de s’implanter dans d’autres Etats parties en transférant leur siège social dans l’espace communautaire. Il garantit aussi une certaine croissance économique en facilitant les fusions intracommunautaires dans le but de réaliser un socle économique africain49. L’existence d’un régime juridique des fusions uniforme constitue un outil apte à favoriser la réalisation de concentrations d’entreprises dans l’espace communautaire. Les contraintes dans la réalisation des opérations ne sont plus d’ordre juridique dans l’espace OHADA avec cette uniformité de régime. En outre, dans certains secteurs comme le domaine bancaire, la réglementation50 en imposant le relèvement conséquent du capital des établissements de crédit va favoriser les opérations de concentration. La plupart des Etats concernés par la réglementation étant parties de l’OHADA, les établissements de crédit disposent d’un cadre juridique propice à ces regroupements. L’existence d’un cadre juridique uniforme pour les fusions ne suffit pas à entraîner l’augmentation des opérations de regroupements d’entreprises, les entreprises africaines ayant dans l’ensemble des capacités financières assez limitées. Néanmoins, on assiste à un accroissement relativement intéressant du nombre des opérations de fusion. Aussi l’existence d’un cadre juridique facilitateur est un atout considérable pour les entreprises ayant leur siège social dans l’espace OHADA. Cependant l’existence d’un régime juridique uniforme pour les fusions met en lumière les difficultés en découlant dans le cadre du contrôle des opérations de concentration.
49
Mayatta Ndiaye MBAYE, référence précitée, p.122. L’avis de la BCEAO n°01/2007/RB du 2 novembre 2007, pris en application des décisions du conseil des ministres de l’UMOA du 17 septembre 2007, le fixe à cinq milliards pour les banques et un milliards pour les établissements financiers. Cette mesure s’applique immédiatement aux nouveaux établissements et les anciens doivent prendre toute disposition pour s’y conformer au plus tard pour le 31 décembre 2010. Après cette date, il est prévu un second relèvement de ce minimum pour le porter à dix milliards pour les banques et trois milliards pour les établissements financiers. Cette disposition devrait favoriser un regroupement des établissements de crédit. 50
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2- La subsistance de difficultés dans la mise en œuvre des fusions transfrontalières : La création d’un régime uniforme des fusions assimilant les opérations de regroupement interne et transfrontalier laisse subsister des difficultés dans le cadre du contrôle des concentrations (a), et aussi dans l’exigence de filialisation aux sociétés étrangères (b). a- Les difficultés dans le contrôle des opérations de concentration : L’uniformité du régime juridique des fusions dans l’espace OHADA est une avancée importante. Mais elle ne résout pas tous les problèmes susceptibles de se poser en cas d’irrespect des règles communes de concurrence. Les Etats parties de l’OHADA ont élaboré des règles interdisant les accords, associations et pratiques concertées entre entreprises ayant pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, toute pratique d’un ou plusieurs entreprises constituant un abus de position dominante et les aides publiques susceptibles de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Pourtant les règles encadrant le contrôle des concentrations posent de véritables conflits de lois. Les Etats parties de l’OHADA appartiennent à deux groupes différents 51: les Etats de l’Afrique de l’Ouest qui ont créé l’UEMOA et les Etats de l’Afrique Centrale qui ont créé la CEMAC. Or les deux communautés économiques ont élaboré séparément un corps de règles spécifiques52qui prévoient et encadrent le contrôle des concentrations entre autres. Ces deux corps de règles s’appliquent dans l’espace OHADA dans la limite de leur champ d’application. En effet, l’obstacle sur le contrôle des concentrations n’intervient pas lorsque l’opération communautaire intervient exclusivement dans l’espace UEMOA ou dans l’espace CEMAC. Par contre, en présence d’un contrôle de concentration mettant en présence des sociétés dont le siège social ne situe pas dans la même région économique, naît un conflit résultant de la coexistence de deux corps de règles de concurrence différents qui peuvent avoir compétence à s’appliquer à l’opération en question. La CEMAC et l’UEMOA ont mis en place des organes de contrôle différents. Cette différence est renforcée par une absence de coordination, de coopération entre les organes compétents. 51
Cette division en deux groupes exclut les Comores et la Guinée qui ne font d’aucune des deux régions économiques de l’OHADA. 52 Le Règlement n°02/2002/CMUEMOA du 23 mai 2002 relatif aux pratiques anticoncurrentielles à l’intérieur de l’UEMOA pour les Etats membres de l’UEMOA et le règlement n°1/99/UEAC-CM-689 du 31 mars 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles pour les Etats membres de la CEMAC.
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C’est la principale source de difficultés qui « participent,.., au dressage d’obstacles à la réalisation des fusions et opérations assimilées intracommunautaires dans l’espace OHADA dès lors que les sociétés participantes n’ont pas leur siège social dans la même région économique »53. La solution à ce conflit de règles de contrôle des concentrations réside dans la mise en place d’un organe communautaire OHADA de contrôle de la concurrence. b- Les difficultés relatives à l’exigence de filialisation aux sociétés étrangères : Les difficultés techniques relatives aux fusions transfrontalières sont liées à l’exigence de filialisation aux sociétés étrangères. Les fusions transfrontalières constituent un moyen utile de restructuration des groupes en permettant aux sociétés mères d’obtenir sans frais, la liquidation de leurs filiales dans les divers Etats membres et de faire ainsi des économies d’échelle en les remplaçant par des agences ou succursales dont les frais de fonctionnement sont réduits. Or, l’article 120 de l’acte uniforme limite l’utilisation de cette technique en stipulant que « quand elle appartient à une personne étrangère, la succursale doit être apportée à une société de droit, préexistante ou à créer, de l’un des Etats parties, deux ans au plus tard après sa création, à moins qu’elle soit dispensée de cette obligation par un arrêté du ministre chargé du commerce de l’Etat partie dans lequel la succursale est située ». En limitant l’utilisation de cette technique juridique aux sociétés étrangères à l’espace OHADA, l’acte uniforme prive celles-ci d’un avantage considérable. En effet, il est plus intéressant d’agir sur les marchés par le biais des succursales que des filiales. L’exercice d’une activité par le biais des succursales est moins coûteux et plus souple. Car l’exercice de leurs activités par une de leurs filiales serait subordonné à la réunion des conditions exigées pour la filiale elle-même. Ainsi les conditions sont directement exigées non pas à la société étrangère mais à sa filiale, celle-ci ayant sa propre personnalité morale. Cette exigence de filialisation ne peut être écartée que par une autorisation du ministre du commerce donnée à la société étrangère de continuer son activité par voie de succursale au-delà du délai de deux ans. A défaut d’autorisation administrative, la succursale ne peut pas exercer ses activités à l’expiration du délai. Elle a le choix entre soit être apportée à une société de droit, soit être dissoute. Cette exigence du législateur OHADA marque une préférence pour la constitution de sociétés.
53
Mayatta Ndiaye MBAYE, référence précitée p.258.
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Les Etats parties souhaitent que les investisseurs étrangers s’installent sur leur territoire. Dans cadre, ils considèrent l’exercice de leurs activités par voie de succursales comme moins avantageux. En effet, l’implantation par voie de filiale permet la situation sur leur territoire. Il existe des motivations juridiques et fiscales à cette exigence de filialisation. C’est la situation d’un siège social sur le territoire d’un Etat partie entraînant la soumission au droit OHADA, mais aussi permet à l’Etat partie du lieu de situation du siège social d’avoir un nouveau assujetti fiscal. Les conséquences fiscales de la création d’une filiale ou d’une succursale sont totalement différentes. Vis-à-vis de l'impôt sur les sociétés (IS), une succursale n'est pas imposable séparément de sa maison mère. Ses bénéfices sont donc inclus dans le résultat général de l'entreprise et imposés au nom de cette dernière. A la différence d'une succursale, une filiale est fiscalement autonome. Elle paie l'impôt sur les bénéfices qu'elle réalise et est personnellement assujettie à la TVA sur ses ventes. Donc cette exigence de filialisation rend le régime juridique uniforme des fusions dans l’espace OHADA moins attractif pour les sociétés étrangères.
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