Symbolique Du Renoncement [PDF]

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Zitiervorschau

Professeure : M. BELHABIB ASSIA Etudiant : BERRI OUSSAMA

SYMBOLIQUE DU RENONCEMENT

INTRODUCTION

Azza Filali romancière, philosophe et médecin tunisienne, auteure de nombreux livres devenus références dans la littérature tunisienne d’aujourd’hui fictionnalise à son tour la religiosité naissante prenant acte des corps des femmes de plus en plus voilées dans une Tunisie postrévolutionnaire. Bien que présente, l’islamisation de la société, impulsée par la régénérescence du mouvement islamiste Ennahdha, longtemps opprimé sous l’Ancien Régime de Ben Ali, fait partie d’un malaise sociétal plus large. Mis à part l’oppression religieuse, le citoyen tunisien tel que décrit dans le roman est aux prises avec des politiques économiques néolibérales, et lutte contre une dictature qui peine à se dissoudre. Les intranquilles dresse le portrait désabusé de la Tunisie, de février à octobre 2011, soit de la chute du régime de Ben Ali aux premières élections démocratiques. Il s’agit d’une période sensible de l’histoire du pays au cours de laquelle les Tunisiens avancent à tâtons. Les personnages tentent de trouver de nouveaux repères et de se créer un chemin dans un quotidien chaotique. Il ne s’agit pas d’une histoire à proprement parler avec un commencement et une fin, mais d’une tranche de vie, d’une galerie de personnages tunisiens se décomposant et se composant au rythme de l’Histoire. Dans ce travail, nous allons en premier lieu définir le concept du renoncement du

point de vue philososphique, spirituel et psychanalytique et, en second lieu nous allons mettre l'accent sur les personnages qui en ont fait l'expérience.

Le plan de ce travail est comme suivant :

I LE RENONCEMENT EN PHILOSOPHIE

2 SELON LE BOUDDHISME 3 SELON LE STOÏCISME ET L'EPICURISME 4 EN PSYCHANALYSE

II LE RENONCEMENT DANS LES INTRANQUILLES

1 ZEINEB : INDIFFERENCE, ABNEGATION ET TRANQUILITE 2 HECHMI : ROMPRE C'EST SE LIBERER 3 HAMZA : AU MILIEU DU CHAOS SE TROUVE LA PAIX

CONCLUSION

EN PHILOSOSPHIE

Le renoncement d’un point de vu philosophique, est considéré comme étant un outil de la sagesse, qui doit être un acte volontaire pour tendre vers plus de sérénité. La philosophie du renoncement consiste à éloigner de ce qui nous met en souffrance; pensées ou émotions perturbatrices, en les chassant par divers moyens, comme par exemple la méditation, ce peut être aussi par des préceptes moraux ou autres. Cet état d’esprit dû au non-attachement, procurerait une sérénité et un sentiment de paix intérieure. Depuis tout temps, certains hommes célèbres dans leurs écrits abordent le renoncement, comme par exemple le poète Vietnamien Nguyen : « Le renoncement est la racine de la joie, les passions sont les chaînes des souffrances », ou Christian Bodin : « le renoncement est le fruit de tout apprentissage », ou encore Albert Camus : « l’œuvre d’art naît du renoncement de l’intelligence à raisonner le concret».

SELON LE BOUDDHISME

Selon le bouddhisme, le renoncement est un état d’esprit ou une forme de sagesse, où se cultive le lâcher-prise ayant pour effet de se sentir apaisé et en paix avec soimême. L’enseignement du bouddhisme est basé sur la mise en évidence des notions d’impersonnalité de soi, de l’impermanence de la vie et de l’insatisfaction face au désir insatiable, qui doivent conduire au renoncement, afin d’aller vers une réalité ultime pour atteindre le Nirvana (perfectionnement). Le terme de Nirvana désigne des êtres humains ou divins, ayant atteint l'état d'éveil et qui devraient, normalement porter le nom de bouddha et être libérés à jamais de ce qui entrave leur éveil.

SELON LE STOÏCISME ET L'EPICURISME

Selon Epicure, il y a trois sortes de désirs. Les désirs naturels nécessaires à la vie qui doivent être satisfaits, les désirs naturels et non nécessaires dont on peu se passer, mais qui peuvent être satisfaits en s’assurant qu’ils n’engendrent aucune souffrance. Pour finir, les désirs non naturels et non nécessaires, source de contrariété que sont, les honneurs, le pouvoir, les richesses, l’ambition, la gloire, le luxe, qui ne sont jamais assouvis malgré leur satisfaction et qui de fait, engendre toujours plus de souffrance. Epicure utilisait le renoncement de ces désirs vains, pour parvenir à la sérénité. Voici pour exemple quelques-unes de ses citations : « celui qui ne sait pas se contenter de peu ne sera jamais content de rien. », « quand on se suffit à soi-même, on arrive à posséder ce bien inestimable qu’est la liberté ». Le philosophe stoïcien Epictète qui est à l’origine de l’expression « rester stoïque à la douleur » parle lui aussi de renoncement, voici une de ses citations : « il n’y a qu’une route vers le bonheur … c’est de renoncer aux choses qui ne dépendent pas de notre volonté ». Cette philosophie encourage à la pratique d'exercices de méditation conduisant à vivre en accord avec la nature et la raison pour atteindre la sagesse et le bonheur envisagés comme principe du bonheur. L’absence de passions prend la forme, d'absence de souffrances.

EN PSYCHANALYSE

dans L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939), Freud relève que le renoncement pulsionnel pour des raisons internes, c'est-à-dire pour obéir au surmoi apporte au moi une grande satisfaction narcissique. La religion monothéiste, écrit-il, « qui a commencé par l’interdiction de se faire une image de Dieu se développe de plus en plus au cours des siècles pour devenir

une religion des renoncements pulsionnels. » A l’appui de son propos, relevons le renoncement fondamental à l’œuvre chez chacune des figures centrales de la religion monothéiste en ses trois occurrences : Abraham renonçant à égorger son fils, Moïse renonçant à la sensorialité pour la spiritualité (et aussi, selon l’interprétation de Freud du Moïse de Michel-Ange, renonçant à briser les Tables de la Loi), Jésus renonçant à sa divinité pour devenir homme, enfin Muhammad renonçant à toute anthropomorphisation du divin. Freud considère les dogmes religieux comme des "survivances névrotiques" qu'il est temps de remplacer par "les résultats du travail mental rationnel". Selon cette conception, il faut, pour continuer son processus de croissance, se détourner de la religion, au profit de la raison. Car " l'être humain ne peut pas rester éternellement enfant, il faut qu'il finisse par sortir à la rencontre de la "vie hostile".

II LE RENONCEMENT DANS LES INTRANQUILLES

1 ZEYNEB : INDIFFERENCE, ABNEGATION ET TRANQUILITE

Zeineb sera incapable tout au long du roman de dire ses propres émotions. Il revient au narrateur de révéler ses pensées. Indifférente au tumulte extérieur. Les échanges dialogiques entre elle et son époux Jaafar ne permettent pas de prendre connaissance de l’intériorité des personnages. Leurs émotions et leur vie intérieure demeurent méconnues. Zeineb ne fait pas part de ses aspirations. L’impassibilité et

le refus de l’épanchement sont les traits propres de sa personnalité. Pour Zeineb, il est normal que Jaafar ne prête aucune attention à ses propos : Elle saisit un tube sur une étagère, le tendit à son mari . . . Tête baissée, elle annonça : « J’ai engagé un jardinier. Comment sais-tu qu’il n’est pas périmé ? » Jaafar contemplait sa main sur laquelle un liquide rosâtre avait coulé du tube dévissé… « Je l’ai acheté le mois dernier. » . . . « Il est originaire de Redeyef ; vieux, mais énergique. —Hein ? Qui ? —Le jardinier. » Aucun rapport de correspondance ne peut être établi entre les énoncés de Zeineb et ceux de Jaafar. Alors qu’elle répond promptement à ses questionnements, lui, distrait, l’ignore. Zeineb reste impassible face aux remontrances, se contente de recevoir des ordres, d’acquiescer, « Zeineb ne posait pas de questions. Souci et compassion lui étaient étrangers ; elle se contentait de répéter les doléances qu’on lui confiait, les renforçant par un assentiment, seule forme de solidarité dont elle fut capable. » Si elle rompt les liens avec la phratrie et choisit de vivre comme une recluse, il arrive à Zeineb d’envisager la fuite, « Zeineb ne partit jamais, mais au fil des ans, ses matins s’en allèrent. La vie les chargea de tâches stériles et ils se fondirent dans l’anonymat des heures ouvrables. » Les conventions sociales l’empêchent de partir, lui interdisent de répondre aux semonces de Jaafar et prohibent tout acte susceptible d’être interprété comme une objection. Zeineb fuit aussi les relations sociales, « J’aime les histoires dans les livres, comme les gens n’existent pas, on est tranquilles, ils ne risquent pas de demander votre aide. » Elle est « dévisagée » par Jaafar comme si elle complotait. Zeineb ne l’informe pas non plus qu’elle souffre de troubles de l’odorat, « Avec cet homme, comme avec elle-même, elle n’éprouva jamais de réelle intimité . . . elle en était incapable. » Lors des huis-clos entre Zeineb et Jaafar, il est possible de mettre en contraste la furie de l’époux et la retenue de l’épouse. Zeineb est imperturbable alors que Jaafar « aboie. » Il récrimine et « grommèle » alors qu’elle s’esquive pour éviter sa mauvaise humeur. Il « renifle bruyamment » l’odeur du nouveau parfum qui l’incommode alors que Zeineb lui répond « doucement » et d’un « air léger » malgré son « écœurement », « Et l’idée ne t’est pas venue d’essayer cette

pourriture ailleurs. . . Je retourne au salon, le temps d’aérer la pièce, tu devrais venir aussi. J’arrive. » Le conditionnel n’implique pas une proposition ou un choix mais un ordre auquel elle doit se soumettre. Zeineb est contrainte d’imiter Jaafar et de le suivre. Elle n’envisage pas de se confier à lui, n’éprouve pas la nécessité de se justifier. Elle ne réagit de manière « violente » qu’à la suite de cet épisode, « elle se dirigea vers sa commode, saisit le flacon acheté le jour même et, d’un geste preste, le balança par la fenêtre. » Sa réaction diffère de son comportement habituel qui se caractérise par l’imperturbabilité. Loin de connoter l’insouciance et la frivolité, la tranquillité de Zeineb exprime une exaspération qu’elle garde pour elle. Zeineb ne se confie à personne. La familiarité et l’épanchement lui sont étrangers. Elle ne s’exprime à la première personne que pour se soumettre à un ordre. Elle doit seulement se conformer aux rôles qui lui ont été assignés. Zeineb, en essayant de concilier les attentes des autres et ses propres aspirations finit par être honnie de tous. Son isolement exprime aussi un parti pris. Elle se retire et renonce à émettre son point de vue, à commenter quoique ce soit d’autre que ses lectures. Zeineb s’enferme pour préserver ce qui lui reste de liberté. Elle mène le mode de vie qui lui convient, quitte à décevoir ses proches.

HECHMI : ROMPRE C'EST SE LIBERER

Le mouvement impose à ses adhérents une ligne de conduite et confisque leur libre-arbitre. Il leur est impossible de prendre une quelconque décision de façon individuelle. Il est nécessaire de consulter le groupe pour toute affaire même d’ordre privé. Les partisans ne se distinguent les uns des autres que par l’ardeur. Or la Cause est aussi adoptée par anticonformisme dans la mesure où les normes sociales qui dominent la société sont rejetées. Hechmi s’insurge au début contre l’ordre économique mais le mouvement finit par reproduire le « mécanisme institutionnelle. » Des réseaux se constituent à son insu. Les représentants de

l’ancien ordre se joignent à ceux du nouveau. De nouveaux groupes d’intérêts se forment sans partager les mêmes aspirations. Les conflits sont dissous. L’affrontement final entre le mouvement et l’ancien ordre est évité, certes, mais les conflits ne sont pas résolus. Il « se sentait pris au piège », « Tous voulaient qu’il redevienne comme avant, sans aspérités ni incidents, qu’il se plie, docile, à une vie fournie avec mode d’emploi ; lui ne voulait plus rien, depuis longtemps. » Aussi remet-il en question les procédés douteux du chef pour parvenir à ses fins. L’annonce de son licenciement le libère de toute obligation envers le mouvement qui promettait aux laissés pour compte de leur rendre justice. Si Larbi lui avait procuré du travail en échange de son allégeance. Celle-ci disparue, le travail s’évaporait, quoi de plus logique ! . . . Hechmi redressa la tête ; une vigueur, venue d’on ne sait où, l’avait envahi : que faisait-il donc à Tunis ? Ces combats de pacotille n’étaient pas pour lui ; d’autre tâches l’attendaient, gravées au creux de son âme : rentrer à Redeyef, dans la maison maternelle, retrouver le phosphate et ses hommes, taciturnes, à jamais guéris des mirages. Un « nouveau commencement » est envisagé, « j’ai fait fausse route. » Hechmi n’attend plus réparation de la part du mouvement et encore moins de la capitale. Comme les mineurs, il n’espère plus rien du centre. Le retour à Redeyef, à l’origine, aux mines, correspond au recouvrement de l’identité sociale par Hechmi. À l’instar de Hamza, il réintègre la société. L’avenir ne devient envisageable que lorsqu’il retourne à la périphérie et rompt avec le mouvement clandestin.

HAMZA : AU MILIEU DU CHAOS SE TROUVE LA PAIX

Longtemps séduit par l’appât de l’argent facile sous l’ancien régime, Hamza, le jeune comptable, est profondément ébranlé par les changements politiques. Il se trouve menacé de prison et brutalement confronté à sa mauvaise conscience. Il est

de ce fait, prêt à tout pour expier sa faute et avoir enfin l’esprit tranquille : Un soir, Hamza, interrogea son mentor à brûle-pourpoint : « Sidi Haj, croyez-vous que Dieu pardonne à ceux qui l’implorent ? _ Dieu est miséricordieux, toutes les erreurs peuvent être rachetées par un comportement adéquat, il suffit d’offrir au Seigneur des preuves d’amour et d’abnégation. » Il baissa la voix : « Raconte-moi ce qui te ronge », et Hamza lui confia ce qu’il pensait ne jamais révéler : « J’ai falsifié les comptes de la banque où je travaillais, avec la complicité de mon directeur. Je prélevais systématiquement des sommes importantes dans les comptes dormants. Le directeur me laissait vingt pour cent sur chaque opération et empochait le reste. Le jeune homme se trouve récupéré par un groupe extrémiste et piégé par sa force d’attraction irrésistible. Il est intéressant de considérer que le texte ne se limite pas à une condamnation stérile du fanatisme, mais qu’en transmettant l’intensité du bonheur enivrant que le fanatique néophyte peut ressentir, arrive à mieux faire saisir l’omnipotence du discours religieux et sa capacité d’embrigadement : « Nous allons répéter cent fois les noms du Seigneur », dit l’homme. Il ferma les yeux et entama sa litanie : les invocations s’accompagnaient de mouvements du tronc, d’avant en arrière, d’abord lents, puis de plus en plus rapides. Bientôt Hamza sentit son cerveau se brouiller, un vertige le saisit, les murs de la pièce se mirent à tanguer et il s’adossa au mur : son seul point d’ancrage demeurait la bouche de l’hôte articulant harmonieusement chaque mot. La séance prit fin à l’aube. Le jeune homme alla au lit tête vide, regard absent, et anormalement léger ; la chape qui lui pesait sur ses épaules avait disparu. Dès lors, il attendit avec impatience les séances nocturnes pour retrouver cette curieuse ivresse où l’esprit embué avec l’impression de flotter hors du monde et de lui-même, de n’être plus qu’une voix reprenant à l’infini des mots, toujours les mêmes. Hamza vit réellement un état d’ivresse mystique, c’est-à-dire un moment d’annihilation de l’ego, la dépossession de son moi narcissique pour parvenir à la conscience heureuse de la présence de Dieu : « la séance d’incantations nocturnes se déroula comme à l’accoutumée ; la mélopée de louanges et d’invocations produisit son habituelle léthargie bienfaisante, qui tel un cocon, enveloppait les hommes et les séparait du monde. »

Ce n'est qu'après que Hamza va se ressaisir grâce à un rêve suite auquel il a vu sa propre mor. Ce rêve est un signe d'éveil mental et une forme de lucidité qui a permis au personnage de tout remettre en question et de se retrouver soi-même finalement.

CONCLUSION

En guise de conclusion, nous pouvons dire que Azza Filali voulait véhiculer, à travers ces personnages cités ci-dessus, que le renoncement est d'abord un choix qui ressort du fin fond de nous-même. Un choix délibéré puisque nous vivons aujourd'hui dans une société de consommation qui nous pousse à réaliser nos désirs individuels et à réussir socialement. Pour vivre psychologiquement de manière équilibrée, il nous faut parfois renoncer, car la vie nous y oblige, que ce soit à travers les êtres ou les situations. Le seul moyen d’être en paix avec soi-même, c’est d’accepter de ne pouvoir se satisfaire de tout, de renoncer à nos pulsions et à notre besoin de maîtrise. Il est impossible de tout prévoir et de tout maîtriser. En acceptant la réalité telle qu’elle se présente, nous pouvons ainsi mieux appréhender la vie dans l’accueil de tout ce qui nous arrive.