Romanie byzantine et pays de Rûm Turc : histoire d'un espace d'imbrication gréco-turque
 9754280622, 9789754280623 [PDF]

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Zitiervorschau

ROMANIE BYZANTINE ET PAYS DE RÙM TURC

LES CAHIERS DU BOSPHORE X

ROMANIE BYZANTINE ET PA YS DE RÛM TURC

• HISTOIRE D'UN ESPACE D'IMBRICATION GRÉCO-TURQUE

Michel BALIVET

LES ÉDITIONS ISIS ISTANBUL

ERRATA

Sommaire, ligne 12. lire ... ROm p. 14, noie 12, ligne 6, lire ... Apollonio, p. 19, noie 18, ligne Il. lile ... prohibens bellum p. 21, noie 22, ligne 2. lire ... par exemple' p. 30, noie 14, lignes 1 cl 3, lire ... Turcoples p. 35, ligne 6, lire. Lalinos noslros p. 40, noie 67, ligne '. lire ... veul bien; cl ligne 6 ... peul-êlre p. 42, ligne l, lire. caléchumènes p. 49, noie 108, ligne 5, lire ... Cheynel p. 56, ligne ID, lire controversistes p. 69, ligne 6, lire. Ahdull"h p. 71, ligne 18, lire . Behmen le Géorgien; cl ligne 26 ... Ispir p. 93, ligne 6, lire. Mourtaloi p. 103, ligne 24, lire . empire p. 134, ligne 27, lire . en 1453 p. 158, noIe 75, lire . l'iloli p. 182, lilre de la panic 4-, ligne 2, lire ... impérialisme légilimé p. 183, ligne 18, li,,· .. Sépulcre p. 184, noIe 9, ligne 4. lire ... Seder p. 201, ligne 2, lire . musulmans he lié no phones de Crèle; el ligne 10. lire ... Hahalllba~1

p. p. p. p. p. p.

202, ligne 3, lire Martol07JArmalole ; cl dernière ligne ... al-Sakhrah 205. ligne 21, lire .. scriptorcs Illcùiac ct inlimae ; el ligne 28 .. Tabulnc 210, ligne Il, lire . Laonici Chaleocandylae 211, ligne 25, li", .. ef. Kourou,is, 5., MWlOuil C"b"l"s, Alhènes. 1972. 214, ligne 23, lire .. Chu vin 228, Ange. Manuel : les pages indi'luées concernenl aussi Manuel lcr Comnène el Manuel Il Paléologue.

©Éditions Isis

Puhlifpar

Les Editions Isis ~emsibey Sokak 10 Beylerbeyi, 81210 Istanbul

ISBN 975-428-062-2

Première impression 1994

A la mémoire de Fevvye Hamm el Ulvi Bey

SOMMAIRE

SYSTEME DE TRANSCRIPTION ........ .......... ......... ............ ............ CARTES.......................................................................................

IX Xl

AVANT-PROPOS ......................................................................... . CHAPITRE PREMIER ORBIS CHRISTlANUS ET DÂR AL-ISLÂM AU-DELA DES CONFLITS: UNE IMBRICATION ARABO-CHRÉTIENNE MÉDIÉVALE ................................................................................

7

CHAPITRE DEUXIÈME RHÔMANIA BYZANTINE ET DIY ÂR-I RÛM TURC: UN CREUSET POLmQUE ET CULTUREL (XIe_xve siècles) .... .......... .....................

27

CHAPITRE TROISIÈME RHÔMANIA BYZANTINE ET DIYÂR-I RUM TURC: UNE AIRE DE CONCILIATION RELIGIEUSE (XIe-xve siècles) ................................ III

CHAPITRE QUATRIÈME DEVLET-I OSMÂNÎYE : UN ESPACE OTTOMAN D'OSMOSE ISLAMO-CHRÉTIENNE (xve-XIX· siècles) .............. ................ ......... 179

GLOSSAIRE .......................................... ........... ...................... ...... 199 BIBLIOGRAPHIE ...... ........ ... ..... ........ .... ....... ........... .... ................... 205 INDEX ......................................................................................... 227

SYSTÈME DE TRANSCRIPTION

Nous avons respecté le plus souvent possible le système turc moderne, en

ce qui concerne les noms. notions ou personnalités lurcs (ou ayant un rapport étroit avec le monde turc) à l'exception des mots passés en français dans une orthographe consacrée par l'usage: Bajazet, Soliman, cadi, cheikh etc. Nous en rappelons les différences par rapport au français: i sans point (1), se prononce avec l'extrémité de la langue ramenée franchement en arrière vers le milieu du palais; ô=eu ; u=ou ; ü=u ; c=dj ; ç=tch ; e=è très ouvert; g=g dur; yumuiak g ou g doux = 1· après e, i, Ô, Ü, se prononce comme y, 2· après " i

sans point, o. u. se prononce par une brève suspension de la voix, comme entre les deux a du français !lahanner", 30 après a, i sans point, 0, u, s'il suit ces voyelles dans la première syllabe du mot, il provoque l'allongement de la voyelle qui le précède: aga "agha" se prononce ô'a ; dal! "montagne" se prononce dâ ; h=h avec une nelte aspiration; s avec cédille (§) = ch. Cf. L. Bazin, Introduction à l'étude pratique de la langue turque, Paris, 1968,9-12. Pour l'arabe et le persan, nous utilisons souplement les principaux systèmes en vigueur, selon leur emploi par les auteurs que nous citons, tout en renonçant généralement, pour des raisons typographiques, aux points diacritiques, hamza, ayn etc. Pour les ouvrages grecs modernes, noms de lieux etc .. nous simplifions

au maximum les transcriptions, selon l'usage et la prononciation modernes, ne tenant pas systématiquement compte des "esprits rudes" ni de la prononciation "érasmienne" du êta (usage érasmien n=è ; grec moderne n=i), ni de la graphie archaïsante de cenains noms géographiques (Véria et non "Berrhoia").

CARTES

LES TROIS ESPACES DE L'AIRE BYZANTINO-TURQUE DÉSIGNÉS COMME "ROMAINS"

Cane 1: La Romanie byzantine au début du XIe siècle (d'après G. Ostrogorsky, Histoire de l'État byzantin, Éd. Payot, Paris 1969).



... oc

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~

Carte III: La Roumélie ottomane (XVne-Xvme siècles) (d'après l'Histoire de l'Empire al/oman sous la direction de R. Mantran, Éd. Fayard, Paris. 1989).

Avant-Propos

Byzantins et Turcs: peuples de tout temps ennemis, irrEductiblement opposés par la langue, la religion, la culture. D'une part une ancienne chn!tientl!, sédentaire et méditerranéenne; de l'autre, des clans nomades de la steppe centreasiatique tard venus à l'islam. État byzantin et Sultanat turc : deux ordres politiques violemment concurrents, se disputant par les armes l'aire anatolienne puis balkanique pendant les quatre derniers siècles du moyen-âge. Quatre-cents ans de conflits guerriers, d'invasions brutales et de contre-attaques destructrices qui finirent par transformer les plus vieilles provinces chrétiennes de l'ancien empire romain en terre d'islam, les zones les plus urbanisées, les terroirs agricoles les plus prospères, en . territoire de parcours pour les troupeaux des pasteurs turcomans. Un empire, grec et chrétien depuis le IV" siècle, devient un sultanat, turc et musulman jusqu'au début du XX". Ce conflit entre deux civilisations et cette substitution d'un ordre politique impérial à l'autre ont été longuement analysés par les historiens et n'ont pas fini d'être matière d'étude, tant les détails du processus sont complexes et les conséquences politiques et culturelles du phénomène perceptibles jusqu'à nos jours. Le travail ici présenté qui aimerait lui aussi apporter une modeste contribution à l'étude des relations byzantino-turques n'entend pas le faire en s'occupant de la partie conflictuelle de cette histoire, bien connue, et très souvent analysée par ailleurs. Mais persuadé du fait que deux peuples, deux cultures, deux civilisations, amenés par les circonstances historiques à vivre étroitement mêlés pendant de nombreux siècles, ne peuvent pas rester totalement imperméables les uns aux autres, ni éviter de s'interpénétrer en quelque manière, nous avons essayé de capter des courants d'idées iréniques et des comportements conciliateurs, plus discrets, plus quotidiens et moins fréquemment mis en valeur que les oppositions frontales et les conflits armés. C'est l'histoire des contacts et des échanges imposés par la cohabitation géographique que nous avons abordée ici, histoire sans laquelle sont mal compréhensibles des phénomènes aussi importants que le recul et la fin de Byzance, l'essor du sultanat seldjoukide et la rapide mise en place de l'État ottoman. C'est également l'histoire d'un espace médiéval trop exclusivement décrit comme une zone d'affrontements et de guerres mais qui fut aussi, et à égalité, - ce qu'il avait d'ailleurs été dès l'antiquité - creuset de traditions

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ROMANIE BYZANTINE ET PAYS DE RÛM TURC

multiples, aire d'imbrication ethnique, terre de tous les syncrétismes et des fusions interculturelles les plus audacieuses_ Cet espace avait fondé l'identité culturelle et la légitimité politique des Byzantins depuis les tout débuts du moyen-âge. Il eut curieusememt le même rôle chez les Turcs dès leur installation dans la zone à partir du XIe siècle. De même que, on le sait, les Byzantins se considéraient eux-mêmes comme les seuls "Romains" légitimes, et leur territoire comme l'unique et véritable "Romanie", dernier sanctuaire non-violé de l'imperium antique, les Turcs, d'une façon étonnante, se reconnurent très vite, une fois l'espace micrasiatique en partie occupé, comme "Romains" (Rûmî), leur territoire comme "Pays Romain" (Diy{Jr-l Rûm), et leur souverain comme "Sultan Romain" (al-Rllmî)l. Dans certains textes musulmans du bas moyen-âge, le mot ROmÎ est tellement ambigu que seul le contexte peut dire s'il désigne un Grec ou un Turc 2. Et si l'Égypte put parfois être désignée à cause de son oligarchie militaire d'origine turque comme Daw/a al-Etrtîk (l'État des Turcs), le sultanat médiéval seldjoukide puis oltoman, fut essentiellement connu, senti et affirmé dans son originalité, comme le sultanat "Romain" aussi bien dans son assise anatolienne (désignée comme Diy{Jr-l Rûm, parfois même comme Diy{Jr-l Yûnân, le "Pays Grec") que dans son glacis balkanique lequel d'ailleurs finira par monopoliser l'appellation "romaine" dans le terme de Roumélie (Rûmeli, la "Province Romaine" autant dire les anciennes possessions européennes de Byzance)3. De plus, dans celte RomanielPays de Rûm, les aléas politiques ni les affrontements mililaires mulli-séculaires qui dressèrent l'une contre l'autre deux civilisations impériales concurrenles, la gréco-byzantine et la turco-ottomane (ou antérieurement la turco-seldjoukide), n'entraînèrent la disparition totale de l'une au profit de l'autre. S'il y eut substitution politique et remplacement d'une élite dirig~ante par une autre, il ne faut pas pour aulant considérer que cette substitutIOn se fit en un mode d'absolue discontinuité et de fracture nelle. Au contact du monde musul.man arahe, persan ct turc (comme à celui de l'occident latin d'ailleurs), Byzance s'était depuis le haut moyen-âge, lentement, discrètement mais sûrement transformée, de même que les Turcs, à force de vivre en pays "romain", avaient eux-même évolué. Ce double "transformisme" ~tait allé dans le sens d'une certaine érosion des divergences les plus flagrantes entre les deux mondes et de la constitution d'un plus petit dénominateur commun. De 1Diyt!r-l Rûm. par ex. Ibn Ke~l. ~. T~ran. Il. 233. Al-Rûm;, par ex. Ibn Nazif aJ.Hamawi qui œscrve ce ~nne au sultan seldJouku.Je. 1empereur byzantin élanl appelé al-Ashlcari (Laskaris) cf. Cahen. Vanorum. X. 148. •

2~.& les ~rces mameloukes. le terme Rûmi désigne aussi bien les Turcs d'Asie-Mineure (Pelry C~vllian Elut, 72) que les Grecs (la femme grecque d'un sultan mamelouk. par ex Ibn Taghr: Blld1, NUÎûm, Il, l, 108). ., •

3Dawla ai-Eira", par ex. tbn tyi., Budd'i ul-ZuhOr. l, 99, 257. DiyIJr-. YOndn ROm-eli Ibn KemAl loc. cu. . . .

AVANT-PROPOS

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cette manière, Byzance avait su anciennement utiliser le potentie1 humain. militaire ou culturel que pouvait représenter le voisin musulman et turc, comme ce dernier n'hésita jamais à adopter de la part de l'hellénisme roman-byzantin tout patrimoine utile et assimilable.

C'est dire qu'il ne faut jamais confondre le rythme haché et saccadé des successions brutales d'hégémonies politiques et celui, plus lent et plus progressif des osmoses culturelles entre sociétés et civilisations forcées par la conjanclure au voisinage el au côloiement. C'est au second de ces rythmes que l'étude qui suit lenle de se consacrer en s'atlachant à l'analyse des couranls concilialeurs qui circulenl nécessairemenl enlre Ioules les civilisations voisines quelle que soit l'importance des rivalilés et dissemblances qui les séparent. Ces courants sont plus discrels, plus soulerrains mais non moins fondamentaux pour la compréhension des dynamiques hisloriques que les chocs guerriers des impérialismes concurrents. Quelques exemples rapides tirés de l'espace gréco-turc, éclaireront ce propos: si l'histoire militaire peut expliquer d'une manière satisfaisante -du moins partiellement-, la rapidité de l'invasion turque en Analolie elles succès quasi-constants sur le terrain, des armées seldjoukides, des cavaliers lUrcomans ou des troupes d'élite ottomanes, l'histoire des conflits suffit-elle, à elie-seule, à expliquer la durée considérable de la domination turque en des zones anatoliennes et balkaniques où les conquérants furent souvent minoritaires? Comment comprendre que non seulement beaucoup de chrétiens indigènes résistèrenl très mollement aux envahisseurs mais qu'ils passèrent même par collectivités entières à l'ennemi, collaborant avec ce dernier, s'intégrant activement à la société des vainqueurs et leur manifestant même parfois une fidélité sans faille à des moments de crise politique turque où il leur aurait été facile de se libérer de leur domination? Comment saisir en termes d'analyse purement conflictuelle que, en tant de siècles d'une sujétion turque supposée par l'Europe chrétienne particulièrement contraignante. certains groupes (circassiens, crétois, al~~ais?u bosniaques) adoptèrent l'islam sans perdre pour aUlant leur ongmahté linguistique, tandis que d'autres (chrétiens de Karaman, Gagaouzes) restèrent ou devinrent turcophones 10UI en gardant leur identité religieuse 1" C'est là que doit intervenir l'histoire des rapprochements, ~es ~ontacts, des modus-vivendi inter-ethniques. ainsi que l'étude des mollvatlons de ces , cOlnportements conciliateurs. Une enquête systémalique en ~es domaines peut seule fournir les indispensables compléments aux mformallons peu n.uancées Tivrées par l'histoire conflictuelle, et i>"rmettre ainsi une c~mp~henslOn plus satisfaisante de processus historiques aussi fondamentaux en histOIre byzanune et ottomB/le que ceux de la décadence el de la chute de Byzance, ou encore que ceux 4Lcs phénomènes de pérennité culturelle sonl étudiés pour les G~co-onhodoxcs devenu.'!i sujets turcs par Sp. Vryonis, Decline. chop ~ et 7.

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ROMANIS BYZANTINS ST PAYS OS RÙM TURC

de la long~vité de l'occupation twque en pays c/uétien et du relatif équilibre inter_ communautaire qui pennit pendant plusieurs siècles aux' rouages de l'empire ottoman de fonctionner sans empêchement majeur. f' Une telle enquête compone deux exigences: la première, "behavioriste" si l'on veut, qui consistera en la mise en exergue des types de comportements conciliateurs, normatifs ou exceptionnels selon les cas ; la seconde plus "psychanalytique" et prolongement naturel de la première, cherchera il exhumer motivations secrètes et mobiles occultés de ces altitudes de rapprochement intercommunautaire, la plupan du temps non conformes aux normes et aux canons officiels des sociétés impliquées malgré elles dans ces contacts. Enregistrement de comportements et décryptage de mobiles doivent certes se baser rigoureusement sur les sources du temps mais le chercheur en ces domaines doit éviter certains écueils: celui par exemple de prendre au pied de la lettre les pétitions de principes affirmées par les écrits officiels plus soucieux de sauver les apparences que de décrire la conjoncture réelle, et de laisser par contre échapper les nombreux cas de componements pragmatiques que décrivent çà et là sans commentaire paniculier les auteurs, comportements qui collent, eux, très exactement aux réalités contemporaines. Affirmation rigide de principes quasi-intemporels et souplesse extrême du componement quotidien cohabitent non seulement à l'intérieur d'un groupe social mais souvent aussi chez un même individu, avec une propension bien naturel.'e ~ ~ettre en v~leur la première au détriment de la seconde: tel prélat ou grand dlgmtalre byzantlO aura tendance à passer sous silence ses relations étro!tes, adm!nistratives, militai~s ou autres avec un pouvoir "infidèle" qu'il fustige par aIlleurs dans ses écnts théologiques ou politiques. De la même manière, tel chroniqueur turc vantant les exploits des héros gaz; contre les "mécréants" minimisera au maximum la portée des alliances et rapports d'amitié entretenus entre les dits héros et les dits mécréants. De plus si tel ou tel ~nnage, tel ou tel groupe est accusé par une rumeur persistante d'entretenir de c?rdlales ,relations ~vec l'enn~m!, il peut cenes s'agir de ragots ou de propos d adversaIres malveIllants, maIs Il est rare qU'il n'y ait pas un fond de véracité L dans les faits imputéss. , , Tr~vail donc pour l'historien de collation, mais aussi de lecture tnterbnéaire et,de rééval~atio~ de~ témoignages. Souci enfin de ne pas abonder dan~ le sens d u~e ce~lOe ~Istonographie contemporaine, volontairement ou atavlquement natIonalIste, qUI a tendance, en une vision faussement rétrospective 'Les IllilUdes met l ' 'd'It cie ' , l'cm b ~ nga 1 pnOÇJpe cl SOUplC5,;e polilique $Ont par exemple au XIVe celles de

d'A:::: 1'!cZ:~~~:U ~I a~anl~cuùne. et d~ ses contemporains ct amis. J't!mir turc Umur LemOlle dan. son introd:on l :o~~ Palamas, .nfra chop, 3, Sc,lon la I~. ju,.e "".II"!ue de P. façade • une venu loute ..~. /lyr.anc~. les ByzantinS cachent sous une rigidil~ de d'Iboni l';';i ll'ppc>K cie t'h:::':qU~ ~d~·PI~liO~- : :L'Driginalilt de Byzance ( .. ,) con,is.a pmb~mes toujoun nouveaux l ,1 e"i.I Il qu DR Imagine ( ... ) dans une imagination qui,"à des jamais n!volulionnaires.,

. UI a Cali IlOUyer de" solutions toujours nouvelles encore que

AVANT-PROPOS

s

et véritablement anachronique, il plaquer sur un passé lointain des rivalités "nationales", des exclusivismes "ethniques", religieux ou culturels, des idéologies étatiques et économiques, et des appétits hégémoniques propres aux deux derniers siècles6. Il sera donc souvent question dans ce travail de "conciliation", d' "entente" entre des peuples supposés "ennemis héréditaires", comme on parlera aussi d' "universalisme" voire de "supraconfessionnalisme" il propos d'id~ologies "impériales" et de systèmes religieux présumés rigoureusement incompatibles. Il ne s'agit ici en aucun cas de jouer du paradoxe ni de chercher il rouvrir inutilement des dossiers historiques classés mais de compléter et d'élargir l'angle d'approche des relations gréco-turques médiévales et post-médiévales, en attirant l'auention, un peu plus qu'on ne le fait d'ordinaire en ces matières, sur les comportements quotidiens peu belliqueux de groupes humains condamnés à vivre en paix dans des sociétés cosmopolites où seule une entente intercommunautaire minimale pouvait permettre le fonctionnement normal des activités professionnelles et de l'ordre civil. Cette majorité silencieuse et pacifique est une réalité d'étude objective et elle fut un groupe de pression aussi déterminant que les élites politiques, militaires et religieuses. Avec un peu d'attention on la retrouve remarquablement égale à elle-même au travers de texteS chronologiquement très éloignés les uns des autres : ".. , chrétiens ou musulmans, Grecs ou Turcs, nous étions tous pareils. Seul le ça"af nous séparait", dit un texte populaire islamo-crétois de la fin de l'empire ottoman. Ce que confirme le témoignage d'un chretien de Karaman de la même époque : "JI ne se passait pas un jour sans que les Turcs des villages voisins ne viennent au marché chez nous. Après leurs courses, ils rentraient dans leurs villages, mais certains d'entre eux restaient comme hôtes dans des maisons amies. Jls panageaient le pain et le gite avec nous. Ils nous invitaient pareillement lorsque nous allions dans leurs villages acheter des chevaux. Lorsque nous nous rencontrions dans la montagne, nous nous souhaitions le bonjour ou le bonsoir en nous inclinant: sabah/ar/mz hay" o/sun ! ... alqamkmmz Myl' o/sun ! Pour la fête de Saint Démètre, le village se remplissait de Turcs qui arrivaient de très loin et même de la région de Konya. Jls assistaient aux f&tes chrétiennes tout comme nous. C'était pour eux une occasion de manger à satiétt. Il n'y avait pas une maison grecque (cnrlTl ptù#l.IIKo, "maison romaine" dit le texte) qui ne leur offn"! ce qu'elle avait de meilleur".

600 ne doit pas perdre de vue que, mame dans des langues curop6ennes aussi innovatrices quant lIa terminologie politique. que le françaiS et l'anglais, si des mots comme -parrie-. ne sont plus ressentis comme des néologismes à partir du XVI~. -nationalit6- ou -nalionalisme- par exemple ne da.enl que de l'e'llIlme fin du XVIII' el du c1fbul XIX' : 0, Bloch el W. von Wanb"'8, Diclionna;rt Irym%gjqyt!. 468. 427. En turc: comme dans d'autres lanpes islamiques. l'emploi de termes comme vulan au sens occidental de "patrie-. apparatt au plus tftt .. l~poque do 11 Rtvolution française, B, Lewis, Lt lunRaR' poli/iq•• dt /'idum. 67.

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ROMANIE BYZANTINE ET PAYS DE ROM TURC

Ces descriptions, pour nous quasi-contemporaines, sont comme un lointain écho de la remarque suggestive d'un chroniqueur du siècle: " ... a1gré la guerre, l'allée et venue des marchands chrétiens et musulmans n'est pas :terrompue. L'accord règne entre eux. Les militaires s'occupent de leur guerre, les populations restent en paix; tel est l'usage des gens de ce pays quand ils sont en guerre"7.

xme

Chapitre Premier

ORBI$ CHRISTIANUS ET DÂR AL-ISLÂM AU-DELA DES CONFLITS : UNE IMBRICATION ARABO-CHRÉTIENNE MÉDIÉVALE

1- AIRE ARABO-MUSULMANE ET CHRÉTIENTÉS MÉDIÉV ALES : UNE TRADITION NON NÉGLIGEABLE DE CONCILIATION POLITIQUE ET D'ÉCHANGES CULTURELS Pour aborder le plus justement possible le thème des rappons nonconflictuels qui ont pu s'établir entre Byzantins et Turcs, on ne doit jamais perdre de vue que l'on ne touche là qu'à un chapitre paniculier des relations islamochrétiennes au Moyen-Âge. Que, pour des raisons évidentes de complexité, ce domaine d'étude soit companimenté à l'extrême ne doit pas cependant faire oublier qu'en cette matière tous les champs d'investigation, aussi diversifiés et régionalement originaux soient-ils, communiquent entre eux, fonnant un territoire d'un seul tenant dans lequel les limites de chaque lopin n'empêchent pas la continuité du domaine. Ainsi, étudier Byzantins chrétiens et Turcs musulmans dans leur rencontre historique, appelle une indispensable référence aux rappons entretenus antérieurement et parallèlement entre chrétienté du Proche-Orient et islam araho-persan. En tout, politique, culture ou religion, les différentes zones, même les plus éloignées, communiquent et échangent: de telle manière que, par exemple, l'islam espagnol et maghrébin, comme le christianisme latin, sont présents au cœur de l'Orient byzantin et turc, véhiculés par le lettré, le pèlerin, le mercenaire ou le croisé. Il est donc difficile de saisir dans leur complexité les contacts byzantinoturcs, anatoliens ou balkaniques, en laissant totalement dans l'ombre l'arrièrepays araho-persan, le rôle de l'Arménien ou du jacobite, l'interférence franque ou l'appon hispano-maghrébin, sans oublier la présence de communautés juives dont la dispersion géographique et les contacts étroits de centre à centre, fussent-ils très éloignés, pennirent bien des échanges J•

7Le texte i.Jame·cutois est dans K A b E ~_L trad' . . ' vz ayn er . .c..u.hos·Papazakhariou "Documents de est =~~de~ ~~: d'o:;:inccUIOise"; Turcie. VIII/J (1976), 72. Le tém:.ignage klll1l';'anli C. Cahen. Varioru'"., p. 3~. utômena Choma'a. La demlbre remarque est d'Jbn Djubayr. cil~ par

lÉchanges et circulation des œuvres philosophiques ou autres, en particulier pour la zone araboa hispanique. par le biais de traductions Ml qualte maimt juirs arabophones traduisant en IlIlp vulgaire et clercs retraduisanc en latin. cf, Lt livre de l'/chelle dt Maltt'NMt. 19. M



ROMANIE BYZANTINE ET PAYS DE ROM TURC ORBIS CHRISTIANUS ET DÂR AL-ISLÂM

Ainsi, l'islam anatolien doit énormément à l'Andalou Ibn Arabi et à Mevlân! originaire du Khorassan. L'influence des intellectuels d'occident, de Jean l'Italien à Barlaam le Calabrais, est loin d'être minime à Byzance; le séjour d'un Raymond Lull à Chypre, d'un Aboulafia au Péloponnèse, les voyages missionnaires des derviches hurûjf d'Iran vers l'Asie-Mineure, montrent à l'envi, que l'on. ne doit pas sous-estimer les influences extérieures exercées sur la zone qui va nous occuper.

De même notre étude qui porte sur les rencontres et échanges de deux sociétés aussi radicalement opposées que le monde turc musulman, nomade et tribal, et le monde byzantin, chrétien et sédentaire, pourrait aisément se prolonger en aval de nos préoccupations, dans un travail portant sur les échanges multiples entre Russes, issus de Byzance à bien des égards, et Turco-Mongols d'Eurasie, confrontés depuis les temps de la Horde d'Or jusqu'à la conquête russe du Turkestan et au-delà. C'est au nom de cette continuité certaine dans l'histoire relationnelle des chrétiens et des musulmans médiévaux, qu'il nous faut, en guise de prologue, effectuer une rapide présentation de l'ensemble des régions de cohabitation islamo-chrétienne qui interférèrent à divers degrés en pays byzantin et turc, des origines de l'islam à la fin du Moyen-Âge.

Les tentatives de rapprochements turco-byzantins ne peuvent, en effet, se comprendre tout à fait sans référence aux démarches semblables menées antérieurement ou parallèlement en d'autres zones de contacts interconfessionnels telles que le Proche-Orient des Abbâsides et des Omeyyades, l'Espagne d'alAndalûs et des taifas, l'Italie et la Sicile des Normands et des Hohenstaufen ou la Pale~tine des croisés. C'est dans ce cadre général et souvent par rapport à lui, que se. s~tue.nt les rapprochements turco-byzantins, et que peut être évaluée leur onglnahté éventuelle2.

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échel.le qu'avec les petits groupes chrétiens qu'ils connaissaient antérieurement en Arable. Av,:c ces masse~ chrétiennes de Syrie, de Mésopotamie ou d'Égypte: m~nophysl\es ou nestonennes, hostiles depuis longtemps à un pouvoir byzantin qUI les persécute pour des raisons doctrinales, l'entente politique avec les mnsulmans s'établit rapidement, favorisée par des affinités culturelles et linguistiques. Pour beaucoup, l'invasion arabe apparaît comme une délivrance providentielle: "Le Dieu des Vengeances, s'écrie un auteur chrétien du ProcheOrient, nous délivra de la main des Romains par les Ismaélites"3. Contre les Grecs, les chrétiens dissidents s'engagent souvent dans une collaboration ouverte avec les nouveaux venus. Des villes comme Damas sont livrées par leurs habitants, le ralliement aux envahisseurs étant souvent présenté dans les sources comme voulu par Dieu dont un ange, dit par exemple, la rumeur populaire aurait apporté les clefs de Jérusalem aux conquérants arabes 4 . Celte bonne volonté des chrétiens indigènes, outre d'autres raisons, leur permet d'acquérir dans la société nouvelle qui se met en place, un statut beaucoup plus supportable que celui que leur réservait Byzance, melkites mis à part bien entendu. Certains groupes chrétiens auront même une influence politique et culturelle de première importance, de par leurs cadres intellectuels utilisés par les califes: scribes et clercs nestoriens, Syriens jacobites ou même melkites, Coptes ou Arméniens. Le gouvernement des califes traite en général avec modération ses chrétiens dhimmî, à la mesure du besoin qu'il a de leur fidélité contre Byzance, et pour fournir les cadres manquant dans un premier temps à la nouvelle société. Et il parvient la plupart du temps à se gagner l'attachement de ses sujets chrétiens par une politique globalement équitable à leur égardS.

2- ARABES ET CHRÉTlEN'ffis IMPÉRtALES 1- ARABES ET CHRÉTIENTÉS NON IMPÉRIALES

Pour une l.arge part, l'attitude des Turcs envers les chrétiens est un com,~rtement hénté du monde araba-iranien où s'est mis en place dès les débuts de 1Islam un systè,?e de relations spécifiques avec les non-musulmans. Sans entrer d~ns les détails d'une vaste question qui outrepasse notre sujet, on peut néanmolDS relever quelques exemples de conciliation arabo-chrétienne Dès la c~nq~ête, l~~ Arabes ont à régler leur comportement légal et affectif ~vec les c réllens qu Ils rencontrent dans les pays soumis, et cela à une bien plus grande

2sur lb. Arabi el MevU1n1 li: 1 • J 1'1 l' Molin., 36; AbuiDli. au ptlopo·"n' :'seClUlr''''Alebn et tr.BarlaaHm:"infru Ch.p. 3 ; Lull il Chypre, SalaIIÇ • C. ... u a lait: ululi. E. 1.

Avec les chrétiens de tradition impériale, Latins et Grecs, les relations politiques ne purent être au début que conflictuelles et concurrentielles. Mais par la suite, une certaine stabilisation du front en Espagne comme en Anatolie, et

3Bar Hebraeus. ChrVIIÎCOII Eccfesiaslicum, 1. col. 269·274. 40. Khodre. "Chrislianisme, Islam, Arnbilé", Conlaels 110 (1980), 102. Ducellier-Miroir, 44-56. Khilrowo, Itinéraires, 181. J. Muyldermnnll. La dominal;on arobe en Arménie. 103. 5Un évêque neslorien déclare ; "(les musulmans) non seulement n'allnquent pas la religion chrélienne, mais recommandenl notre foi. honorenl les prèlres et les saints du Seigneur et sont les bienfaileurs des églises el des monnslères lsoyahb m. Liber epislularum. ~. Rubens Duval. danll C/Jrpus Scriplorum Chri.flianorum Orielilalium. ScriplOres 5yri, ser. Il, 1. LXIV, Paris 1905. 123. Sur les chrétiens d'orienl el leur accueil à l'islam. infra. M

,

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PAYS DB ROM TURC ROMANIB BYZANTINE BT

• 'è reconnues d. facto par les rivaux, finirent par l'établissement de .ronlt ~es , modifier les rapports arabo-.mpénaux, Entre Arabes et chrétiens de tradition latine, les échanges se n~uent dans 'lé iées en Espagne et en Palestine, selon un rapport Inverse où deux zones P?v. g e' sont les musulmans qui sont ressentis comme intrus et dans le prem.er cas, c d ré' tr ' 'è dans le second, les Francs, On peut joindre à ces eux g~ons comme o.s. me lieu d'échanges particulièrement riche car situé à I~ charmère d,es m~ndes g,:,,", latin et arabe, l'Italie du sud et la Sicile, où l'obé-lurque, telle qu'elle se manifeste au bas Moyen-Âge, la prise de Constantinople en 1204, est bien entendu l'événement majeur qui, non seulement est ressenti par les contemporains comme le véritable début des malheurs de Byzance l99 , mais qui cristallise les oppositions et précipite les nouvelles alliances Jusqu'en 1204, l'empire byzantin est perçu par tous comme le légitime propriétaire de la zone et comme un partenaire fondamental, les Turcs étant seulement les occupants d'une partie du pays de ROm. Les Francs, quant à eux, ne font que passer par la Romanie, leur champ de conquête ne commençant qu'au delà d'Antioche. Après 1204, l'empire "romain" unitaire disparaît et est remplacé par des pouvoirs aux légitimités discutables et effectivement Aprement discutées : Francs et épigones grecs d'Europe, Turcs et épigones grecs d'Asie s'affrontent mais vont aussi entamer des expériences de cohabitation plus étroite que par le passé, gréco-franque dans l'Archipel et en Grèce continentale, gréco-turque en Asie-Mineure. 1204 est donc bien un tournant capital dans l'histoire des rapports

198Bréhier-Mondt byz.. 1,2&4 : Gabrieli. Chroniques arabts, 235 ,; Choni~. ~.H.~. H?", grtes. 1. 366-367 ; Innocent III : «Quin etiam lsakius im~rator ob grau~ Sal~ml fie~ r~clt ID wbe Constantinopolitana Meskitam», ibid., 560 ; sur l'Idole de Saladm. Mathieu Paris '. c~n SU~ etiam et idem SaJadiDUS misi' idolum suurn ConsliUltinopolim imperaloris assensu, ut Ibl pubbee coletur», ibid., loc. cil. Alexis III et Kay-Khusraw tt f , Acropolitc-Heisenbe1'g, 1. 14 ; AkSl:"'yt-

Oençosman. 128 ; tbn Bibi-Duda, 37-38, 43. 330-331. Sur le bapteme du sulllnl!"' AleXIS ~I. Duire Acropolite, loc cil. Th~odore Sk.outariot~s-Salhas, 454. Sur la ba~8Ine d AD~OChe u M~andre en 1211. qui oppose Kay~Khusraw et Alexis III i\ TWod~re L.ascans. Acropobte, 1. 1417 ; Grtgoras, Bonn, l, \7-2\ ; tbn Bibi-Duda. 50-57 : Ibn aI-AI?I,r-Tomberg, I~ 154-155: ) 99 Au XVe si~le encore, 1'on fait partir le débul de!' maux de 1emplIe ~mlm de la pnse de By:unce par les Latins, i\ panir de laquelle" ... La puisS8~ce des Romams fut compl~ement

terras... et humi1i6e. el l'empire ne fui plus en mesure de rtslsler .. , AIOB 1~ Barbues ~~ ~~' profitant de l'absence totale d'obstacle, sc ru~renl, peu de tC!f1P! &pm la ?"" de la ,?I~. sB! u portions de l'orient qui ~Iaicnt restEes soumises aux Ronuun!' • P. Oauuer, lIIIUn mât IMdn d si~ge de ConSlanlinople par tes Turcs (1394-1402) •. R.E.B. 23 (1965). 103.

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de force entre Grecs, Turcs et Francs. A.ux XI et ~e. siècles, il y avait un empire b zantin occupé partiellement et, pensaIt-on, proVIsOIrement par des Turcs et des F~ncs (ainsi que des Arméniens en Cilicie). Au XliIe, il n'y a plus d'empire reconnu par tous mais une Anatolie gréco-tureo-mongole et des Balkans grécolatino-slaves. Les XN et XVe siècles seront des siècles où une dominante turque régit des sujets ou des vassaux, grecs, slaves, francs, arméniens ou autres. L'événement de 1204 révèle des réflexes de solidarité et des affinités psychologiques qui n'avaient j~ais eu l'occasion de se ,,:,ani~ester avec autant de foree : l'épisode de l'incendIe de ConstantIDople qUI VOl! les Grecs et les musulmans unis pour défendre la mosquée de la ville contre les attaques des Italiens et des Flamands, est hautement significatif du sentiment populaire byzantin qui manifeste une islamophilie étroitement générée par un antilatinisme de plus en plus marqué jusqu'à la fin de l'empire et au delà. Les élites ne réagissent pas autrement en comparant les violences des croisés à la magnanimité musulmane2OO. De même, les ragots populaires qui, de plus en plus à partir de 1204, se .colportent en chrétienté occidentale sur les Grecs, sont significatifs d'une certaine conscience latine du rapprochement toujoùrs plus étroit entre Grecs et musulmans. Selon Pachymère, les Byzantins sont considérés par les Occidentaux comme des sortes de "musulmans ,,-uroJléen~"201. Pour l'opinion populaire liiiiiQue.ies-Grecs ne sont pas loin de partager les mêmes croyances idolâtres que les Sarrazins. li a été question de cette idole adorée, selon les croisés, par Saladin et par Isaac Ange202 . Avec les Turcs les rapports ont au moins l'avantage d'être clairs. Ce sont des ennemis, tandis que les Grecs sont pires que des ennemis, ce sont des schismatiques. Ainsi raisonneront Pétrarque au XIve comme Bertrandon de la 200L'~pisode de 1204 où les Byzantins aident les musulmans à défendre la mosquée de 1

Constantinople contre les attaques des Italiens el des f1amands. R.H.e.. His' .. grecs. 1. 366-367. Le discours de Choniate contre les croists. est une illustration quasi normative pour les derniers

r si~cles de Byzance, d'un antilatinisme farouche. générant, chez les Grecs. une attitude plus ouverte et plus souple envers les musulmans: "Vous qui pdtendez l'emporter sur nous dans la foi du Christ. avec la croix sur l'épaule, vous saccagez les pays chréliens. Vous détruisez la croix 1avec la croix. vous détruisez le symbole même que vous avez sur l'épaule. Cc n'est pas ainsi que ftrent les Ismaëliles quand ils prirent Jérusalem. mais ils traitèrent les populations avec clémence et humanitt. Ils ne violèrent pas les femmes latines. fis n'ouvrirent pas les tombeaux chrétiens. " Jls permirent à chacun de se racheter contre une faible somme d'argent. Avec les gens d'une autre religion, ils n'~rent ni du fer. ni du feu. ni de la pe~cution. Mais c'est ainsi que firent les Latins avec DOUS qui sommes des chrétiens", P.G. 139,958-959. cf. aussi TModore Balsamon, P.G. ,1

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, 137-320. 201Pachymtre, Bonn. l, 367 : des "Agartnes blancs" ("' ....0.:.- 'Ayap~""iJs .l"", ypaurol>s), dit le texte, faisant une sorte de jeu de mots déprt:ciatif, du genre n ~gre blanc", l'Agadne étant normalement perçu comme "Maure" (mavros), c'est-à-dire noir; cf. aussi en turc l'emploi du mot arap, noir.

202Supra nI. 198.

RHOMANIA BYZANTINE ET DIYÂR-I RÛM TURC

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Brocquière au XVe siècle, en constatant que les Grecs font beaucoup d'honneur' aux Turcs mais qu'ils détestent les chrétiens obéissant à Rome, ajoutant qu'à tout i choisir, les Turcs sont plus dignes de confiance que les Grecs203. ) Le déplacement vers l'Asie-Mineure des principaux centres de résistance byzantine à la progression latine, contribue à faire entrer plus profondément dans les mœurs les alliances politiques et matrimoniales anatoliennes, les échanges de cadres militaires et administratifs ou les interpénétrations culturelles entre les États micrasiatiques, le Seldjoukide et le Laskaride (sans oublier le Grand Comnène dont nous reparlerons). Ces États se sentent beaucoup plus menacés par des dangers extra-anatoliens que par eux-mêmes, et ont ainsi tendance à se tolérer mutuellement et pacifiquement, et à créer même à l'occasion un véritable "axe Konya-Nicée". Il est symptomatique que, pour les Arabes, qui voient cela de plus loin, le Seldjoukide est désigné comme le "ROmî", et le Byzantin comme "AI-Asker"204. Les souverains des deux États, même en temps de guerre, se ménagent et poussent rarement leur avantage à fond, soucieux de préserver un équilibre anatolien et une alliance potentielle contre un éventuel agresseur extérieur, désireux aussi de juguler les nomades, danger intérieur commun20S . Bien que Laskaris ait vaincu et peut-être tué de ses propres mains Khay-Khusraw 1er en 1211, le fils de ce dernier, Kaykâûs 1er, signa avec Théodore Laskaris une paix qui devint quasi-définitive. Le sultan agit avec modération envers Alexis 1er de Trébizonde qu'il fait prisonnier en 1214, et reçoit royalement, organisant banquets sur banquets et le comblant de cadeaux206 . Prétendants malheureux, cadres mililaires, ou haulS fonctionnaires grecs conlinuenl, comme par le passé, à considérer l'autre Anatolie, la lurque, comme un lieu de refuge ou de fortune préférable à loul autre exil: le cousin de Jean Vatalzès qui a essayé de le renverser en 1225, se réfugie à Konya. Même d'Épire, en 1237, Manuel Ange en fuile, passe par le sullanat de ROm 207 . Mais le plus célèbre de ces transfuges esl Michel Paléologue qui, se sentanl en danger à la cour

203Pétrarque, utlert Senili. éd. Fracasseni. 422-424 ; Brocqui~re. 6;1. Schefer. 148 sqq. : • Autant que j'ai eu affaire aux. Grecs, j'ai plus trouv~ d'amîtl~ aux. Turcs et je m'y fie~s pl~ qu'aux. di~ Grecs" ; pour Gerson aussi," Les Grecs p~~rent les Turcs aux Lalins·, Sermon III/drr.~. Gahmn.

29.

204par exemple,dans la chronique syrienne de Ibn Nazif al-Hamawi : "En cette ann6c ~24112~7, arriva la nou ...elle que le RDmf (Kay-Qubldh 1er) avait pris une grande fonCfCSSC ; milS eD$ulle revint al-Ashkari (Jean UI) qui le repoussa", cit. par Cahen, Variol1lM. X. 148.

205 Aluweiler, Variorum, 111,228·229. 206Seu l Grtgoras di, que TModore La.«aris a 'u6 lui-meme Khay-Khusraw • .BoM••1: 211-21. L'accord entre Kay-KAOs et "J'hrodore "... marque en fait le d~bul d'une pa1x qua5l-d6fiDiuvc entre: los deux étals", C8hen-Prl·otr.. 70. 207Nestongos, cousin de Valalùs, à Konya, Acropolite. BOlln, 1. 37 : MaDuel Anse chez les Turcs, ibid .. 61.

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ROMANIE BYZANTINE ET PAYS DE ROM TURC RHOMANIA BYZANTINE ET DIYÂR-I ROM TURC

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de Nic6=. passe en territoire turc, occupe un poste important dans l'arm6e oiI il estlRs admi~ de ses compagnons d'arme musulmans_ De plus, il a de l'influence sur le sultan et est désigné par un nom islamique, Sirim a1-Dtn. n donne ainsi un ton ~ personnalisé aux relations de prince à prince, processus qui s'amplifie sous la dynastie que Michel va c~r208.

reste .Iongtemps .en partie byzantine, ainsi que les mesures2\3. Le commerce contrIbue parfOIS même à renforcer les unions matrimoniales témoin ce march~t turc devenu c~tien pour épouser une grecque, scénari~ qui dut se re~~ulre suffisamment souvent pour devenir, à l'occasion un thœte l"tténir ulihsé encore au xve siècle2t4. 1 e,

De leur côté, les Turcs, princes en exil ou soldats en quête de solde, n'hésitent pas à passer la frontière de Nic6e : "Turcs alliés et sujets de l'empire" installés en territoire byzantin, Tourkopouloi (fils de Turcs) de l'année de Nicée, souvent christianisés, "Pronoïaires sur la terre des Romains", occupant d'importantes charges209. Ces installations réciproques sont consolidées par des mariages entre les musulmans et les ch~tiens d'Anatolie comme pour banaliser ! une pratique matrimoniale envisagée mais rarement mise à exécution aux siècles p~ents. Les mariages mixtes se systématiseront aux XlVe et xve siècles2tO.

. Si l'on conmu'"t à l'oc~asion la langue du voisin, l'inter-influence appanI\ Jusq.ue dans les noms: un pnnce turc se nomme "César-Chah" (KaylflTC/tIIh). Un _Bastie Hoca se révolte contre Laskaris. La princesse Ain al-Hayat, d'origine g~gienne,. s'appelle ainsi probablement par ~férence aux cultes de la Zoodot:hos P~~I. Certains Grecs portent des titres et des costumes de la cour seldjoukide. L Influence des fas~ de la cour byzantine est sensible jusque dans le vocabulaire, sans. ~arler du rôle Joué à Konya par des artistes, architectes, techniciens ou musIcIens grecslt5.

Dans l'Anatolie du XIIIe siècle, l'interpénétration culturelle, complément logique des échanges politiques, se renforce et les sociétés de Konya, de Nicée, ou de T~bizonde, deviennent plus composites que jadis car les États anatoliens, par leur relatif isolement de leur hinterland iranien ou balkanique, et par leurs faibles dimensions territoriales, voient se multiplier les occasions de contacts. Nous avons vu que l'argument de la proximité géographique pouvait favoriser bien des échanges et faire même naitre des fidélités politiques "contre nature"211. Les voies de communications au XITI" siècle sontlRs au point et l'axe Konya-Nicée est bien jalonné par des caravansérails, fondés à l'occasion par des chrétiens et ob tous sont très bien accueillis212. Installés sur place ou bien voyageant entre les deux zones; Turcs de Nicée ou Grecs de Konya contribuent à faire circuler marchandises, idées, institutions, techniques et arts, entre l'État musulman et l'État chrétien, créant ainsi un patrimoine anatolien et un niveau de vie commun en bien des domaines. D'accès moins facile qu'elles ne l'étaient à la fin du XIIe siècle, les voies commerciales de Byzance à Konya, sont néanmoins toujours f~uentées. Elles se renforcent même sur leur trajet proprement anatolien. Comme par le passé, les Turcs sont présents dans les grandes foires d'Asie-Mineure comme Chonai. Jean Vatatzès est obligé de promulguer une loi contre l'afflux des produits turcs. La monnaie qui circule 208~ surnom mutulman de Michel Paltologue dan. Baybars aI-MansOrt, cil. par Cahen,

V",..,,..... VIII, 146. Sur los relations ·penonnalistes· des dention baileis avec les sultans infra

~.3.

2 . Abrweiler-Smym.. 26-27 ; sur les contingonts tu"" de l'annte de Niœe, te -Skythikon", ibId .. 22. 2IOyryoni&_D../i••, 227, 221; id .• B.K.M., III, 142, 145. 2115_ Dt. 88. 2.12"Q.uicoDQue vic.ne dans les caravansbails. de quelque religion qu'il soit, esl reçu avec bieD~lIan!"" .Doum

et. d"",ltn!". selon 1. ptlorin russe Builo. Khitrowo-Ili./",/,.,. 244. Un clWlien quI rail conllllllre un khi., Calten-P"'-./I.• 126 nt. 63.

B) Paléologue" émin turcoman.s et chrétiens d'Asie-Mineure du milieu du Xll~ siècle au milieu du XN° siicle La ~installation des Byzantins à Constantinople en 1261, la politique ~olument occidentale du premier des Paléologue et le lent effondrement de l'État sel~jo~!de, vont avoir po~r effet de transformer la péninsule anatolienne, qui

abntalt Jusque là deux épIcentres autonomes de civilisation byzantine et de irano-turque-sans parler de la Cilicie et de Trébizonde-, en deux provlDces excentrées d'empire non-anatolien : Michel VIII comme l'ilkhan mongol s'intéressent peu à l'administration, la mise en valeur et le maintien de l'o~re de la ~gion, favorisant la reprise en main de l'Asie-Mineure par ceux qui aV81ent été considé~ par Byzantins et Seldjoukides comme les ennemis les plus dangereux : les Turcomans nomades ou semi-nomades que ni l'ilkhan ni le basileus ne désirent ou ne peuvent affronter énergiquement. C'est, dès lors, la gaza qui va reprendre. avec une double action : propagation guerrière et civil~sation

213Choniate. BOlln. 653-654, sur les relations commerciales r68uli~RI eatre KODya ct: Constantinople, AflAk:t-Dt'",ichtl' tou,neurs, l, 105-106. R!!seau serr6 des titan lur le ~t anatolion au XII' sikl., 1. Utor, ra,ihl Turt H.,.Ia", 79 sqq. Turcs prâeOI5 l la ponde foin: (IJ".III/YIIP"/panaYIr) de Chonai/Honaz, Michet Acomina'os. ~. Lampro., l, Sfi. Sur la loi somptuaire de Vatalùs, Lebeau XXI. 434-435, Ostrolonky-E/al 467. Monnaies et meswa.

b,...

Cahen-P,/-oll. 127-t30. 214Le marchand musulman ot la chn!lionne, M~likoff-Danil.. 168; Bombaci, Uni"',. ... "'q." 292. 215Le 1"'" connu de ROmlot de Sultan Volod. Bu ...ui~re-Man_, Byvuolion 22 ; voir aussi le alra,Ibntl... de Allkpap. Bombeei, op. oit. 246, 247 ; Kay.arc/ulh. Cahen-Pn-UlI.. S6, 59,61. 65, 2t2 ; Basile Hoc.. SavvieRs. Byvuoli.... 60 ; Ain aI-HaYal, Anlkt-D