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French Pages 320 Year 2000
MARABOUTS OU MARCHANDS DU DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE?
@ L'Harmattan, 2000 ISBN: 2-7384-9219-3
Mbaya KANKWENDA
MARABOUTS OU MARCHANDS DU DÉVEWPPEMENT EN AFRIQUE ?
Préface de Samir AMIN
Éditions L'Harmattan 5-7, rue de l'École Polytechnique 75005 Paris, France
L'Harmattan INC. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc), Canada H2Y IK9
Collection Économie et Innovation dirigée par Sophie Boutillier et Dimitri Uzunidis
Dans cette collection sont publiés des ouvrages d'économie et/ou de sociologie industrielles et du travail mettant l'accent 'sur les transformations économiques et sociales suite à l'introduction des nouvelles techniques et méthodes de production. Ces ouvrages s'adressent aux étudiants de troisième cycle, aux chercheurs et enseignants chercheurs. Les séries K.risis et Clichés font partie de la collection. La série Krisis a été créée pour faciliter la lecture historique des problèmes économiques et sociaux d'aujourd'hui liés aux métamorphoses de l'organisation industrielle et du travail. Elle comprend la réédition d'ouvrages anciens et de compilations de textes autour des mêmes questions.
La série Clichés a été créée pour fixer les impressions du monde économique. Les ouvrages contiennent photos et texte pour faire ressortir les caractéristiques d'une situation donnée. Le thème directeur est: mémoire et actualité du travail et de l'industrie.
À mon Épouse Christine, Et à nos enfants: Ima, Bobo, Kajus, Nicole, Cino, Mudo, Kala, Maguy, Kadi et Mwika, Qui, comme l'ensemble de la jeunesse africaine, Rêvent sans doute d'une Afrique maîtresse De ses destinées, prospère et où ilfait bon vivre.
NB : Les idées exprimées dans ce livre sont celles de l'auteur. Elles n'engagent pas du tout l'organisation pour laquelle il travaille, pas plus qu'elles ne reflètent nécessairement la pensée du PNUD.
LISTE DES ABRÉVIATIONS
ACBF:
Fondation pour le développement des capacités en Afrique ACP : Afrique-Caraïbes-Pacifique AERC: Consortium africain de recherche économique AFD : Agence française de développement APD : Aide publique au développement ARCEDEM: African Regional Center for Development Management ASS: Afrique subsaharienne CARP AS: Cadre africain de référence pour les programmes d'ajustement structurel en vue du redressement et de la transformation socio-économiques CCCE: Caisse centrale de coopération française CDF : Comprehensive Development Framework ou Cadre global de développ,ement CEA : Communauté des Etats africains CEDEAO : Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest CMA: Coalition mondiale pour l'Afrique CRAT: Centre régional africain de technologie CT : Coopération technique FAC: Fonds d'aide et de coopération FED: Fonds européen de développement FMI: Fonds monétaire international G7 : Groupe des sept pays les plus industrialisés GATT: Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce IBW: Institutions de Bretton Woods IDA: Institut de développement de l'Afrique de l'Est IDE: Investissements directs étrangers IPPTE: Initiative en faveur des pays pauvres très endettés NatCAP : National Capacity Analysis and Programming OCDE: Organisation pour la coopération et le développement économiques OMC: Organisation mondiale du commerce ONG: Organisation non gouvernementale PAS: Programme d'ajustement structurel PNUD: Programme des Nations Unies pour le développement Programme de troisième cycle interuniversitaire PTCI: Système marchand du développement SMD: SPA: Programme spécial pour l'Afrique UE: Union européenne
PRÉFACE Dans cet ouvrage Mbaya Kankwenda décrit, analyse et critique avec autant de sévérité méritée que d'humour rafraîchissant, les pratiques des "experts" chargés de la conception et de la mise en œuvre du "développement" de l'Afrique subsaharienne de 1960 à nos jours. Ayant occupé de hautes fonctions tant dans l'administration de son pays que dans les organisations internationales, ayant vu défiler beaucoup de ces "experts" de la Banque mondiale, du FMI, comme des institutions de l'aide bilatérale, il en a apprécié toute l'arrogance, à la mesure de leur ignorance et de leur inconsistance, marquée par la succession des modes passagères que leur dictent leurs patrons, sans toujours même comprendre les intérêts immédiats dominants qui se profilent derrière ces choix. L'analyse conçerne les deux périodes successives par lesquelles sont passés les Etats africains, celle des "décennies du développement" (les années 1960 et 1970) qui s'inscrivait dans le moment d'essor général qui faisait suite à la seconde guerre mondiale, puis celle des décennies 1980 et 1990, caractérisée par un redéploiement du capitalisme associé à une forme nouvelle de la mondialisation libérale. Les réflexions que je développerai dans cette préface se proposent tout d'abord de situer les expériences de "développement" puis de "réajustement structurel" de la région concernée dans le tableau plus vaste de l'expansion capitaliste mondiale au cours de la seconde moitié du XXème siècle, permettant ainsi de comparer les stratégies mises en œuvre et les résultats obtenus dans les différentes régions de la périphérie du système global. L'examen du legs du XXème siècle et l'analyse de ce que le redéploiement du capitalisme en cours comporte de contraintes nouvelles durables (ou passagères) nous permettra alors de placer l'accent sur la nouvelle question du développement telle qu'elle me paraît devoir être posée à l'aube du XXIème siècle. 7
Le capitalisme a développé les forces productives à un rythme et avec une ampleur sans pareils dans toute l'histoire antérieure. Mais il a simultanément creusé l'écart entre ce que ce développement permettrait potentiellement et l'usage qui en a été fait, comme aucun système antérieur n'en avait connu. Potentiellement le niveau des connaissances scientifiques et techniques atteint aujourd'hui permettrait de résoudre tous les problèmes matériels de l'humanité entière. Mais la logique transformant le moyen (la loi du profit, l'accumulation) en fin pour elle-même a produit à la fois un gaspillage gigantesque de ce potentiel et une inégalité dans l'accès aux bienfaits qu'il a permis sans pareils dans l'histoire. Jusqu'au XIXème siècle l'écart entre le potentiel de développement que les connaissances permettaient et le niveau de développement produit était négligeable. Non que cette réflexion nourrisse en nous une quelconque nostalgie passéiste: le capitalisme était un préalable nécessaire pour réaliser le potentiel de développement atteint aujourd'hui. Mais il a désormais fait son temps dans ce sens que la poursuite de sa logique ne produit plus que gaspillage et inégalité. Dans ce sens la "loi de la paupérisation" que l'accumulation capitaliste produit, formulée par Marx, est vérifiée - à l'échelle mondiale - chaque jour d'une manière plus éclatante depuis deux siècles. On ne devrait donc pas s'étonner qu'au moment même où le capitalisme paraît victorieux sur toute la ligne, la "lutte contre la pauvreté" soit devenue une obligation incontournable dans la rhétorique des appareils dominants. Ma lecture du XXème siècle est celle d'une première tentative de répondre à ce défi du développement, plus exactement du sousdéveloppement, expression vulgaire désignant une réalité: le contraste grandissant centres/périphéries immanent à l'expansion mondiale du capitalisme. Des réponses qui se situent dans un éventail large allant du timide au radical. Sans outrageusement simplifier leur variété j'oserai dire qu'elles s'inscrivaient toutes dans une perspective définie en termes de "rattrapage" c'est-à-dire de reproduction à la périphérie de ce qui avait été réalisé au centre. Dans ce sens les objectifs poursuivis et les stratégies mises en œuvre au XXème siècle ne remettraient pas en cause le capitalisme dans son essence même. La page de ces tentatives de résoudre le problème du développement est aujourd'hui tournée. Les limites historiques de ce qu'elles pouvaient produire atteintes, elles n'ont pas su se dépasser elles-mêmes pour aller plus loin. Elles se sont donc effondrées en permettant une restauration provisoire mais dévastatrice des illusions libérales. De ce fait l'humanité est confrontée aujourd'hui à des problèmes de développement encore plus gigantesques qu'ils ne l'étaient il y a cinquante ou cent ans. Il lui faudra donc être, au 8
cours du XXIème siècle, plus radicale encore qu'elle ne l'a été au XXème siècle. C'est-à-dire qu'il lui faudra associer les objectifs d'un certain développement des forces productives dans les périphéries du système à ceux du dépassement des logiques d'ensemble de la gestion capitaliste de la société avec encore plus de vigueur et de rigueur. Elle devra de surcroît le faire dans un monde qui est nouveau par certains de ses aspects. Le XXIème siècle ne peut pas être un XIXème restauré, il doit aller au-delà du XXème siècle. Dans ce sens la question du développement occupera au XXIème siècle une place encore plus centrale que celle qui fut la sienne au XXème siècle. Le XXème siècle se clôt dans une atmosphère qui rappelle d'une manière étonnante celle qui présidait à son ouverture - "la belle époque" (qui fut effectivement belle pour le capital). Les bourgeoi~ies de la triade déjà constituée (les puissances européennes, les Etats-Unis, le Japon) entonnaient un hymne à la gloire de leur triomphe définitif. Les classes ouvrières des centres cessaient d'être les "classes dangereuses" qu'elles avaient été au XIXème siècle et les peuples du reste du monde étaient appelés à accepter la "mission civilisatrice" des Occidentaux. La globalisation célébrée en 1900 comme déjà la "fin de l'histoire" était néanmoins un fait récent, qui n'a été effectivement réalisé que progressivement au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, après l'ouverture de la Chine et de l'Empire ottoman (1840), la répression des Cipayes en Inde (1857) et finalement le partage de l'Afrique (à partir de 1885). Cette première globalisation, loin d'entraîner une accélération de l'accumulation du capital, allait au contraire s'ouvrir sur une crise structurelle de 1873 à 1896 comme presque exactement un siècle plus tard. La crise s'accompagnait pourtant par une nouvelle révolution industrielle (l'électricité, le pétrole, l'automobile, l'avion) dont on attendait qu'elle parvienne jusqu'à transformer l'espèce humaine, comme on le dit aujourd'hui de l'électronique. Parallèlement se constituaient les premiers oligopoles industriels et fi)Janciers - les transnationales de l'époque. La globalisation financière paraissait s'installer définitivement sous la forme de l'étalon or-sterling et on parlait de l'internationalisation des transactions que les nouvelles Bourses de valeur permettaient avec autant d'enthousiasme qu'on parle aujourd'hui de la globalisation financière. Jules Verne faisait faire le tour du monde en 80 jours à son héros (anglais bien entendu) : le "village mondial" était déjà là, pour lui. Le triomphe de la "belle époque" ne dura pas deux décennies. En fait les trois quarts du XXème siècle seront marqués par la gestion de projets de rattrapage et de transformations plus ou moins radicales des périphéries, rendus possibles par la dislocation de la 9
globalisation libérale utopique de la "belle époque." La seconde guerre mondiale inaugure une nouvelle étape du système mondial. L'essor de l'après-guerre (1945-1975) a été fondé sur la complémentarité des trois projets sociétaires de l'époque, à savoir (i) en Occident le projet de l'Etat de bien être de la socialdémocratie nationale, asseyant son action sur l'efficacité de systèmes productifs nationaux interdépendants; (ii) le "projet de Bandung" de la construction nationale bourgeoise à la périphérie du système (l'idéologie du développement); (iii) enfin le projet soviétiste d'un "capitalisme sans capitalistes," relativement autonomisé par rapport au système mondial dominant. Il s'agissait, pour chacun d'eux à sa manière, d'un projet sociétaire de développement. La double défaite du fascisme et du vieux colonialisme avait en effet créé une conjoncture qui permettait aux classes populaires et aux peuples victimes de l'expansion capitaliste d'imposer des formes de régulation de l'accumulation du capital auxquelles le capital lui-même a été contraint de s'ajuster - qui ont été à la base de cet essor. La crise qui a suivi (à partir de 1968-1975) est celle de l'érosion puis de l'effondrement des systèmes sur lesquels reposait l'essor antérieur. La période, qui n'est pas close, n'est donc pas celle de la mise en place d'un nouvel ordre mondial, comme on se plaît à le dire trop souvent, mais celle d'un chaos qui est loin d'être surmonté. Les politiques mises en œuvre dans ces conditions ne répondent pas à une stratégie positive d'expansion du capital, mais cherchent seulement à en gérer la crise. Elles n'y parviendront pas, parce que le projet "spontané" produit par la domination immédiate du capital, en l'absence de cadres que lui imposeraient les forces de la société par des réactions cohérentes et efficaces, reste une utopie, celle de la gestion du monde par ce qu'on appelle "le marché," c'est-à-dire les intérêts immédiats, à court terme, des forces dominantes du capital. En attendant la préoccupation de développement est, elle, passée à la trappe. La période d'essor et les visions sociétaires de développement de l'après-guerre ont permis des transformations économiques, politiques et sociales gigantesques dans toutes les régions du monde. Ces transformations ont été le produit des régulations sociales imposées au capital par les classes travailleuses et les peuples et non pas, comme l'idéologie libérale le prétend, celui de la logique de l'expansion des marchés. Mais ces transformations ont été d'une ampleur telle qu'elles définissent un cadre nouveau aux défis auxquels les peuples sont désormais confrontés au tournant du XXIème siècle. Pendant longtemps - de la révolution industrielle au début du XIXème siècle jusqu'aux années 1930 de ce siècle (pour ce qui est 10
de l'Union soviétique) puis 1950 (en ce qui concerne le tiers monde) - le contraste centres/périphéries du système mondial moderne était pratiquement synonyme de l'opposition pays industrialisés/non industrialisés. Les révoltes des périphéries prenant la forme de révolutions socialistes (Russie, Chine) ou de libération nationale - ont remis en cause cette forme ancienne de la polarisation en engageant leurs sociétés dans le processus de modernisation/industrialisation. Graduellement l'axe autour duquel se réorganise le système capitaliste mondial, celui qui définira les formes d'avenir de la polarisation, s'est constitué autour de ce que j'appelle les "cinq nouveaux monopoles" dont bénéficient les pays de la triade dominante, et qui concernent le domaine de la technologie, le contrôle des flux financiers d'envergure mondiale (opéré par les grandes banques, assurances et fonds de pension des pays du centre), l'accès aux ressources naturelles de la planète, le domaine de la communication et des médias, celui des armements de destruction massive. Pendant la "période de Bandung" (1955-1975) les États du tiers monde avaient mis en œuvre des politiques de développement à vocation autocentrée en vue de réduire la polarisation mondiale (de "rattraper"). Cela impliquait à la fois des systèmes de régulation nationale et la négociation permanente, y compris collective (NordSud), de systèmes de régulations internationales (rôle de la CNUCED important dans ce cadre, etc.). Cela visait également à réduire les "réserves de travail à faible productivité" par leur transfert aux activités modernes à plus haute productivité (fussentelles "non compétitives" sur des marchés mondiaux ouverts). Les résultats inégaux de l'industrialisation imposée au capital dominant par les forces sociales issues des victoires de la libération nationale permettent aujourd'hui de distinguer des périphéries de premier rang, parvenues à construire des systèmes productifs nationaux dont les industries sont potentiellement compétitives dans le cadre du capitalisme globalisé, et des périphéries marginalisées qui n'y sont pas parvenues. La page de la période d'essor des projets de développement du XXème siècle est tournée. L'effondrement des trois modèles d'accumulation régulée de l'après-guerre a ouvert, à partir de 19681971, une crise structurelle du système qui rappelle fort celle de la fin du XIXème siècle. Les taux d'investissement et de croissance tombent brutalement à la moitié de ce qu'ils avaient été, le chômage s'envole, la paupérisation s'accentue. Le rapport qui mesure les inégalités du monde capitaliste passé de 1 à 20 vers 1900 à 1 à 30 en 1945-1948 puis 1 à 60 au terme de la croissance de l'après-guerre, s'envole et la part des 20% des individus les plus riches de la Planète passe de 60% à 80% du produit mondial au 11
cours des deux décennies qui clôturent le siècle. C'est la mondialisation heureuse pour quelques-uns. Pour la grande majorité notamment les peuples du Sud soumis aux politiques d'ajustement structurel unilatéral et ceux de l'Est enfermés dans des involutions dramatiques - c'est le désastre. Le développement est passé à la trappe. Mais cette crise structurelle, comme la précédente, est également le moment d'une troisième révolution technologique qui transforme profondément les modes d'organisation du travail et, de ce fait, fait perdre leur efficacité et par delà leur légitimité aux fonnes antérieures de lutte et d'organisation des travailleurs et des peuples. Le mouvement social émietté n'a pas encore trouvé les formules de cristallisations fortes à la hauteur des défis. Mais il a fait des percées remarquables dans des directions qui en enrichiront la portée. Je place au centre de celles-ci l'irruption des femmes dans la vie sociale, la prise de conscience des destructions de l'environnement portées à un niveau qui, pour la première fois dans l'histoire, menace la planète entière. La gestion économique de la crise vise systématiquement à "déréguler," affaiblir les "rigidités" syndicales, les démanteler si possible, libéraliser les prix et les salaires, réduire les dépenses publiques (notamment les subventions et les services sociaux), privatiser, libéraliser les rapports avec l'extérieur etc. "Déréguler" est d'ailleurs un terme trompeur. Car il n'y a pas de marchés dérégulés, sauf dans l'économie imaginaire des économistes "purs." Tous les marchés sont régulés, et ne fonctionnent qu'à cette condition. La seule question est de savoir par qui et comment ils sont régulés. Derrière l'expression de dérégulation se cache une réalité inavouable: la régulation unilatérale des marchés par le capital dominant. Bien entendu le fait que la libéralisation en question enferme l'économie dans une spirale involutive de stagnation et s'avère ingérable au plan mondial, multipliant les conflits qu'elle ne peut pas régler, est gommée au bénéfice de la répétition incantatoire que le libéralisme préparerait un développement (à venir) dit "sain." Si la gestion de la crise a été catastrophique pour les classes travailleuses et les peuples des périphéries elle ne l'a pas été pour tous. Cette gestion a été fort juteuse pour le capital dominant. On nous avait présenté pendant des années le retour à un "capitalisme pur et dur" comme constituant la "fin de l'histoire." Or voilà que la gestion de ce système -frappé d'une crise permanente - dans le cadre néo-libéral mondialisé prétendu "sans alternative" est entrée dans la phase de son effondrement. C'est à la lumière de cette crise qu'il faut examiner le contre-feu ouvert par le G7. Voici donc que, du jour au lendemain, le G7 12
change de langage. Le terme !le régulation, jusqu'alors interdit, retrouve une place dans les résolutions de cette instance: il faut "réguler les flux financiers internationaux!" L'économiste en chef de la Banque mondiale, Stiglitz, propose d'ouvrir un débat en vue de définir un nouveau "post Washington consensus." Le spéculateur Georges Soros publie un ouvrage au titre éloquent: "La crise du capitalisme mondial- L'intégrisme des marchés," qui équivaut à un plaidoyer pour "sauver le capitalisme du néo-libéralisme." Nous ne sommes pas dupes: il s'agit là d'une stratégie qui poursuit les mêmes objectifs, c'est-à-dire permettre au capital dominant des transnationales de rester maitre du jeu. Mais ne sousestimons pas le danger que ce contre-feu peut représenter. Beaucoup d'âmes bien intentionnées en sont et en seront les dupes. La Banque mondiale s'emploie déjà depuis plusieurs années à instrumentaliser les ONG pour les mettre au service de son discours de "lutte contre la pauvreté." l'fli rappelé que pendant la "période de Bandung" (1955-1975) les Etats du tiers monde avaient mis en œuvre des politiques de développement à vocation autocentrée (réelle ou potentielle), à l'échelle nationale presque exclusivement, précisément en vue de réduire la polarisation mondiale (de "rattraper"). Le résultat du succès inégal de ces politiques a été de produire un tiers monde contemporain fortement différencié. On doit distinguer aujourd'hui: (i) Les pays capitalistes de l'Asie orientale (Corée, Taiwan) mais également derrière eux d'autres pays du Sud-Est asiatique (la Malaisie et la Thaïlande), comme la Chine, qui ont enregistré des taux de croissance qui se sont accélérés alors qu'ils s'affaissaient dans presque tout le reste du monde. Au-delà de la crise qui les frappe depuis 1997 ces pays comptent désormais parmi les compétiteurs actifs sur les marchés mondiaux de produits industriels. Ce dynamisme économique s'est généralement accompagné d'une moins grande aggravation des distorsions sociales (point à nuancer et à discuter au cas par cas), d'une moins grande vulnérabilité (du fait de l'intensification des rapports intra-régionl}ux propres à l'Asie de l'Est) et d'une intervention efficace de l'Etat qui conserve un rôle déterminant dans la mise en œuvre de stratégies nationales de développement, fussent-elles ouvertes sur l'extérieur. (ii) Les pays d'Amérique latine et l'Inde disposent de capacités industrielles tout aussi importantes. Mais l'intégration régionale y est m,oins marquée (20% pour l'Amérique latine). Les interventions de l'Etat sont moins cohérentes. L'aggravation des inégalités, déjà gigantesques dans ces régions, est d'autant plus dramatique que les taux de croissance demeurent modestes. 13
(iii) Les pays d'Afrique et des mondes arabe et islamique sont dans l'ensemble demeurés enfermés dans une division internationale du travail dépassée. Ils restent des exportateurs de produits primaires, soit qu'ils ne soient pas entrés dans l'ère. industrielle, soit que leurs industries soient fragiles, vulnérables, non compétitives. Ici les distorsions sociales prennent la forme principale de gonflement des masses paupérisées et exclues. Pas le moindre signe de progrès de l'intégration régionale (intra-africaine ou intraarabe). Croissance quasi-nulle. Bien que le groupe compte des pays "riches" (les exportateurs de pétrole peu peuplés) et des pays pauvres ou très pauvres, il ne compte aucun pays qui se comporte en agent actif participant au façonnement du système mondial. Dans ce sens ils sont bel et bien marginalisés. Pour ces pays on pourrait proposer une analyse dans les termes de trois prétendus modèles de développement (agro-exportateur, minier, rentier pétrolier) et la renforcer par celle de la nature des différentes hégémonies sociales issues de la libération nationale. On verrait alors bien que "le développement" en question ici n'était guère qu'une tentative de s'inscrire dans l'expansion mondiale du capitalisme de l'époque et que, dans ces conditions, la qualification reste pour le moins qu'on puisse dire douteuse. Le critère de la différence qui sépare les périphéries actives de celles qui sont marginalisées n'est pas seulement celui de la compétitivité de leurs productions industrielles; il est aussi un critère politique. Les pouvoirs politiques dans les périphéries actives et derrière eux la société dans son ensemble (sans que cela n'exclut les contradictions sociales à l'intérieur de celle-ci) ont un projet et une stratégie pour la mettre en œuvre. C'est le cas d'évidence pour la Chine, la Corée et à un degré moindre pour certains pays d'Asie du Sud-Est, l'Inde, quelques pays d'Amérique latine. Ces projets nationaux se confrontent avec ceux de l'impérialisme dominant mondialement et le résultat de cette confrontation façonnera le monde de demain. Par contre les périphéries marginalisé~s n'ont ni projet (même lorsqu'une rhétorique comme celle de l'Islam politique le prétend) ni stratégie propres. Ce sont alors les cercles impérialistes qui "pensent pour elles" et ont l'initiative exclusive des "projets" concernant ces régiops (comme l'association CEE-ACP, le projet "Moyen Orient" des Etats-Unis et d'Israël, les vagues projets méditerranéens de l'Europe), auxquels ne s'oppose en fait aucun projet d'origine locale. Ces pays sont donc des sujets passifs de la mondialisation. La différenciation croissante entre ces groupes de pays a fait éclater le concept de "Tiers Monde" et mis un terme aux stratégies de front commun de l'ère de Bandung (1955-1975). Les appréciations concernant la nature et les perspectives de 14
l'expansion capitaliste dans les pays de l'ex tiers monde sont loin de faire l'unanimité. Pour certains les pays émergents les plus dynamiques sont sur la voie du "rattrapage" et ne sont plus des "périphéries" même si dans la hiérarchie mondiale ils se situent encore à des niveaux intermédiaires. Pour d'autres (dont moimême) ces pays constituent la périphérie véritable de demain. Le contraste centres/périphéries qui avait été de 1800 à 1950 synonyme de l'opposition économies industrialisées/économies non industrialisées, est aujourd'hui fondé sur des critères nouveaux et différents qu'on peut préciser à partir de l'analyse du contrôle des cinq monopoles exercés par la triade. Quid des régions marginalisées? S'agit-il d'un phénomène sans antécédent historique? Ou au contraire de l'expression d'une tendance permanente de l'expansion capitaliste, un moment contrariée, dans l'après-seconde guerre, par un rapport de force moins défavorable aux périphéries dans leur ensemble? Une telle situation exceptionnelle qui avait fondé la "solidarité" du tiers monde (dans ses luttes anti-coloniales, ses revendications concernant les produits primaires, sa volonté politique d'imposer sa modernisation - industrialisation que les puissances occidentales tentaient de contrarier), en dépit de la variété des pays qui le composaient. C'est précisément parce que les succès remportés sur ces fronts ont été inégaux que la cohérence du tiers monde et sa solidarité ont été érodées. En tout état de cause, même là où les progrès de l'industrialisation ont été les plus marqués, les périphéries contiennent toujours de gigantesques "réserves," entendant par là que des proportions variables mais toujours très importantes de leur force de travail sont employées (quand elles le sont) dans des activités à faible productivité. La raison en est que les politiques de modernisation - c'est-à-dire les tentatives de "rattrapage" imposent des choix technologiques eux-mêmes modernes (pour être efficaces, voire compétitifs), lesquels sont extrêmement coûteux en termes d'utilisation des ressources rares (capitaux et main-d'œuvre qualifiée). Cette distorsion systématique est encore aggravée chaque fois que la modernisation en question est assortie d'une inégalité grandissante dans la répartition du revenu. Dans ces conditions le contraste entre les centres et les périphéries demeure violent. Dans les premiers cette réserve passive, qui existe, demeure minoritaire (variable selon les moments conjoncturels, mais sans doute presque toujours inférieure à 20 %) ; dans les seconds elle est toujours majoritaire. Les seules exceptions étant ici la Corée et Taiwan qui, pour des raisons diverses, sans oublier le facteur géostratégique qui leur a été favorable à l'extrême (il fallait les aider à faire face au danger de la "contamination" du 15
communisme chinois), ont bénéficié d'une croissance sans pareille ailleurs. On a beaucoup écrit sur ce sujet et sur ce qu'il implique de révisions profondes concernant tant le concept même de travail que celui d'homogénéité relative produite par un système productif national et même de contraste centres/périphéries. La "fin du travail" annoncée dans cet esprit, et la "nouvelle société (dite) de réseaux" comme le projet sociétaire d'une recomposition de la vie sociale par et autour de l'interaction de "projets" (ce que certains appellent la "société de projets" par opposition à la société industrielle fordiste) constituent quelques-uns des problèmes mis à l'ordre du jour par la futurologie. Dans toutes les formes de leur expression ces thèses n'envisagent plus la possibilité que les sociétés demeurent homogénéisées, fût-ce relativement, par la généralisation d'une forme dominante de rapports sociaux. Economies et sociétés à plusieurs vitesses s'imposeraient partout, tant dans les centres que dans les périphéries. On retrouverait ici et là un "premier monde" de riches et d'aisés, bénéficiant du confort de la nouvelle société de projets, un "second" monde de travailleurs durement exploités et un "tiers" (ou "quart") monde d'exclus. Peut-on identifier d'une manière convaincante ce qui est durable dans le "nouveau" et aura des effets qui continueront à se déployer dans la longue durée de ce qui n'est que passager, c'est-à-dire en rapport avec la crise de l'accumulation qUi caractérise la phase de transition actuelle? Au titre des transformations durables certaines, à mon avis, je signalerai au moins celles qui concernent le sur-développement des forces productives et destructives d'une part et celles qui concernent tant la révolution scientifique et technologique en cours que ses "effets de civilisation" (l'organisation du travail et de la vie sociale, le mouvement social et ses formes d'expression etc.). Par opposition aux éléments de transformation durable, à portée longue à mon avis, il me semble que d'autres ne méritent pas d'être considérées comme telles. Je situerai la financiarisation en tête de liste de ces transformations moins solides qu'on ne le dit. La financiarisation est à mon avis un phénomène purement conjoncturel. Elle est le produit de la crise. L'excédent de capitaux qui dans les structures en vigueur - ne peut pas trouver de débouchés dans l'expansion des systèmes productifs, constitue une menace grave pour la classe dominante - celle d'une dévalorisation massive du capital. La gestion de la crise impose donc que soient offerts des débouchés financiers qui permettent d'éviter le pire. Mais à son tour la fuite en avant dans la financiarisation ne permet pas de "sortir" de la crise, au contraire elle enferme dans une spirale stagnationiste parce qu'elle aggrave l'inégalité dans la répartition et 16
contraint les firmes à jouer le jeu financier. Dans ce sens la financiarisation n'est pas synonyme de domination des firmes financières (banques, assurances, fonds de pension) sur les autres; elle est aussi domination des logiques financières dans la gestion de toutes les firmes. Si l'on passe maintenant au plan de la mondialisation nous nous heurtons encore une fois à des évolutions qui ne sont peut-être que des apparences trompeuses, sans lendemain certain. Je pense ici tout particulièrement à l'essor, d'apparence fulgurant, de "l'Asie." Le "miracle asiatique" avait fait couler beaucoup d'encre. L'Asie, ou l'Asie-Pacifique, centre de l'avenir en construction, ravissant à l'Europe-Amérique du Nord sa domination sur la Planète, la Chine superpuissance du futur, que n'a-t-on écrit sur ces thèmes! Dans une gamme plus sobre on a tiré parfois du phénomène asiatique quelques conclusions qui même si elles me paraissent hâtives méritent davantage d'être l'objet de discussions sérieuses. On y a vu la remise en cause de la théorie de la polarisation inhérente à l'expansion capitaliste mondiale, comme des stratégies de déconnexion préconisées en réponse au défi de la polarisation. La preuve serait apportée que le "rattrapage" est possible, et qu'il est mieux servi par une insertion active dans la mondialisation (à la limite, dans la version vulgaire de cette proposition par une stratégie export-oriented) que par une déconnexion illusoire (responsable dit-on de la catastrophe soviétique). Les facteurs internes - entre autres le facteur "culturel" - seraient donc à l'origine du succès des uns, parvenant à s'imposer comme agents actifs dans le façonnement du monde, et de l'échec des autres, marginalisés et "déconnectés malgré eux." Pour avancer réellement dans la discussion de ces questions complexes il faudrait prendre le soin de distinguer clairement les différents plans de l'analyse concernant les structures sociales internes et les forces agissant au niveau du système mondial. Celles-ci et celles-là s'articulent les unes aux autres d'une manière qu'il est souhaitable d'expliciter si l'on veut précisément aller audelà de la polémique facile mais futile. Une insertion active et contrôlée dans la mondialisation est une option fort différente de la stratégie économique fondée sur la priorité aux exportations; l'une et l'autre se fondent sur des blocs sociaux hégémoniques internes différents. Les pays de l'Asie de l'Est ont enregistré des succès dans la mesure où précisément ils ont soumis leurs rapports extérieurs aux exigences de leur développement interne, c'est-à-dire ont refusé de "s'ajuster" aux tendances dominantes à l'échelle mondiale. C'est la définition même de la déconnexion, confondue par des lecteurs trop rapides - avec l'autarcie... La polarisation n'est, pas plus que tout autre aspect de la société 17
capitaliste, définie une fois pour toutes dans une forme immuable. Ce qui est certainement dépassé, c'est la forme par laquelle elle s'était exprimée pendant un siècle et demi, dans le contraste pays industrialisés/pays non industrialisés, cette forme qui a été précisément remise en cause par le mouvement de libération nationale des périphéries imposant au centre de s'ajuster, lui, aux transformations entraînées par l'industrialisation (fût-elle inégale) des périphéries. Peut-on, à partir de ce constat, conclure que l'Asie de l'Est est en passe de "rattraper" les centres de la triade? Pour le dire il faut aller vite. La thèse que je propose ici conduit à une conclusion fort différente: à travers l'exercIce des cinq monopoles de la triade, la loi de la valeur mondialisée produit une polarisation dans des formes nouvelles, subalternisant l'industrie des périphéries dynamiques. Dans le cadre du capitalisme mondialisé les compétitivités comparées des systèmes productifs au sein de la triade, de l'Union européenne, des mondes périphériques et les tendances majeures de leur évolution, constituent certes une donnée lourde dans la perspective du moyen long terme. Considérés dans leur ensemble, ces facteurs entraînent presque partout un fonctionnement des économies à plusieurs vitesses: certains secteurs, régions, entreprises (notamment parmi les transnationales géantes) enregistrent des taux de croissance forts et réalisent des profits élevés; d'autres sont stagnants, en régression ou en décomposition. Les marchés du travail sont segmentés pour être ajustés à cette situation. Encore une fois s'agit-il là d'un phénomène réellement nouveau? Ou bien au contraire le fonctionnement à plusieurs vitesses constitue-t-il la norme dans l'histoire du capitalisme? Ce phénomène aurait seulement été exceptionnellement atténué durant la phase de l'après-guerre (1945-1980) parce que les rapports sqciaux avaient alors impos~ des interventions ~ystématiques de l'Etat (du Welfare State, de l'Etat soviétique, de l'Etat national dans le tiers monde de Bandung) qui facilitaient la croissance et la modernisation des forces productives en organisant les transferts régionaux et sectoriels qui la conditionnent. Nous sommes donc confrontés à une "nouvelle question du développement" qui impose plus que jamais de sortir de la vision limitée du "rattrapage" qui a dominé au XXème siècle. La nouvelle question du développement comporte certes une dimension sinon de "rattrapage" tout au moins de développement des forces productives. Et dans ce sens certaines des leçons du passé restent valables pour l'avenir. Mais elle impose également d'emblée de donner une importance bien plus grande que par le passé aux exigences de la construction d'une autre société à l'échelle mondiale. 18
L'impérialisme n'est pas un stade - fût-il suprême - du capitalisme. Il est, dès l'origine, immanent à son expansion. La conquête impérialiste de la planète par les Européens et leurs enfants nord-américains s'est déployée en deux temps et en amorce peut-être un troisième. Le premier moment de ce déploiement dévastateur de l'impérialisme s'est organisé autour de la conquête des Amériques, dans le cadre du système mercantiliste de l'Europe atlantique de l'époque. Le second moment de la dévastation impérialiste s'est construit sur la base de la révolution industrielle et s'est manifesté par la soumission coloniale de l'Asie et de l'Afrique. "Ouvrir les marchés" - comme celui de la consommation d'opium imposée aux Chinois par les puritains d'Angleterre-, s'emparer des ressources naturelles du globe, en constituaient les motivations réelles, comme chacun le sait aujourd'hui. Nous sommes aujourd'hui confrontés à l'amorce du déploiement d'une troisième vague de dévastation du monde par l'expansion impérialiste, encouragée par l'effondrement du système soviétique et des régimes du nationalisme populiste du tiers monde. Les objectifs du capital dominant sont toujours les mêmes -le contrôle de l'expansion des marchés, le pillage des ressources naturelles de la planète, la surexploitation des réserves de main-d'œuvre de la périphérie - bien qu'ils opèrent dans des conditions nouvelles et par certains aspects fort différentes de celles qui caractérisaient la phase précédante de l'impérialisme. Le discours idéologique destiné à rallier les opinions des peuples de la triade centrale a été rénové et se fonde désormais sur un "devoir d'intervention" que légitimerait la défense de la "démocratie," des "droits des peuples," "l'humanitaire." Mais si l'instrumentalisation cynique de ce discours paraît évidente aux Asiatiques et aux Africains, tant les exemples de "deux poids - deux mesures" sont flagrants, l'opinion occidentale s'y est ralliée avec autant d'enthousiasme qu'elle s'était ralliée aux discours des phases antérieures de l'impérialisme. Ce "grand" projet, en tout cas, est déjà formulé en termes de régionalisations néo-impérialistes (selon le principe de sharing the burden), articulant, derrière chacune des puissances c. ...
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Ce qui revient à dire que pour l'Afrique ou pour un pays africain donné, la maîtrise de l'aide au développement passe par la maîtrise de ses stratégies de développement, l'aide n'en étant qu'un instrument d'ailleurs externe. De ce fait, l'aide doit nécessairement être maîtrisée, c'est-à-dire mise au pas des politiques de développement, à l'inverse de ce que l'Afrique vit aujourd'hui. Je me permettrai d'ouvrir une parenthèse ici pour montrer l'importance du politique dans la formulation et la gestion de l'aide extérieure et sans doute aussi dans son efficacité. Je prendrai pour cela l'exemple de la situation des pays africains en crise. Les conflits sont devenus un nouveau domaine d'intervention des politiques d'aide et des programmes de coopération. La crise politique peut être pacifique ou se développer en affrontement violent de type conflit armé et même en guerre civile. Elle peut être passagère ou durable, larvée et rampante ou d'une escalade brusque et brutale. Lorsque la crise éclate avec incidents violents ou se développe en conflit armé, les bailleurs de fonds, familiarisés plutôt avec les programmes et projets classiques d'aide au développement, sont relativement désarmés devant la nouvelle situation. Leùr réaction normale consiste d'une part à stopper toute aide au développement et fermer boutique, ou geler leurs programmes de coopération en gardant juste une présence symbolique minimale, et de l'autre, à mettre l'accent sur l'aide humanitaire souvent sans autre perspective que celle des besoins immédiats: nourriture, médicaments, habillement, logement... Les quelques effets parfois négatifs de cette généreuse assistance ne sont pas toujours analysés ni encore moins pris en compte. Pendant une période qui peut être longue, la question fondamentale du développement est reléguée à l'arrière plan, sinon oubliée. La littérature qui devient de plus en plus abondante sur les problèmes de gestion et de résolution des conflits et de gestion postconflits s'intéresse plus aux questions de médiation, de diplomatie préventive, de réconciliation et plus tard de démobilisation, et d'enlèvement des mines. Dans la perspective des principaux partenaires extérieurs, ces questions sont souvent considérées comme problèmes spécifiques aux ministères des affaires étrangères et des services de sécurité ou de maintien de la paix, plutôt qu'exigences et préconditions pour le développement, et dans ce sens, pouvant faire partie des programmes de coopération au développement. Une autre littérature encore plus prolifique est celle qui concerne la gestion post-crise, avec notamment le concept de continuum, c'està-dire de l'aide humanitaire à la réhabilitation, la reconstruction, la réinsertion, et au développement humain durable, appelé aussi développement curatif. Même au sein du PNUD, des travaux se développent de plus en plus pour traiter de la gestion des situations post-crise. 131
Cette perception, et la réaction des partenaires en situation de crise relèvent en fait d'une perception de la problématique du développement et de la coopération au développement qui me semble erronée. En effet, le développement est d'essence politique dans la mesure où il concerne les conditions de vie et le devenir des peuples, des nations et des pays et les engage. Les techniques de conduite et de gestion des programmes de coopération ont tendance à privilégier la dimension technique du développement et perdre complèt~ment de vue la dimension politique qui pourtant est primordiale. A chaque phase ou étape du processus politique de développement, il faut savoir trouver les techniques ou les combinaisons techniques appropriées. Les processus politique et technique de développement sont liés et le premier est déterminant pour le second. Les causes d'une crise politique, qu'elle soit violente ou pas, préexistent à la phase d'éclatement du conflit. Ces causes et leurs premières conséquences évoluent et se nourrissent mutuellement. La situation dégénère et certains signes avant-coureurs de la crise se font de plus en plus visibles jusqu'à ce que la crise éclate et se transforme en conflit armé. Durant toute cette période de maturation de la crise, les responsables des programmes de coopération sont dans le pays, assistent à cette évolution sans souvent en voir les implications sur leurs programmes de coopération, qu'ils continuent d'ailleurs normalement, et semblent être surpris par l'éclatement de la crise. Et leur réaction est celle que l'on connaît, fermer boutique et attendre que les conditions de sécurité leur soient de nouveau assurées pour qu'ils reprennent leurs programmes de coopération, afin qu'ils reconstruisent ce qui a été détruit: capacité de gestion du développement, inftastructures économiques et sociales, industries, plantations, etc., en fait pour refaire ce qu'ils avaient fait pendant des dizaines d'années avant la crise. C'est là une réaction des personnes qui n'ont pas su à chaque étape du développement, et à chaque phase de maturation de la crise, lier le processus politique de développement (qu'ils ont négligé par myopie ou naïveté complice) au processus technique de développement dans lequel ils se veulent experts. Or précisément le développement est un, c'est-à-dire un processus entier bien qu'ayant des multiples dimensions. Tout ceci revient à dire que, le seul continuum est celui de développement, ou si l'on veut, de développement humain durable, avec sa connotation sécurité humaine, qui est une composante intégrante de ce concept. Ce développement peut passer par des phases de crise plus ou moins ouverte, plus ou moins violente, mais c'est d'abord le développement qui doit rester à l'avant-plan, quitte à lui fixer à chaque étape les priorités appropriées, et les programmes de coopération conséquents. 132
Il se pose alors pour l'ensemble des bailleurs de fonds un double problème: (i) Comment créer, développer ou renforcer d'abord sur le terrain et ensuite au siège, la capacité de l'agence de coopération de lire politiquement la réalité du pays et l'intégrer dans les programmes de coopération? Une telle capacité d'analyse manque souvent chez les experts et techniciens, habitués qu'ils sont aux conditions "normales" de travail de la coopération au développement. Au~delà de quelques brefs rapports sur la situation (politique ou sécuritaire), destinés plutôt à informer sur la menace éventuelle que la situation peut représenter pour la poursuite des activités de coopération et la présence des coopérants, il n'y a pas vraiment d'intégration de cette analyse dans une défmition innovante des programmes de coopération. CH)Commentfaire du programme de coopération au développement, un instrument de politique de prévention, de gestion/solution et de sortie des crises? En d'autres termes comment maintenir le continuum développement humain durable en intégrant aussi bien les périodes "normales" de vol que celles des secousses et des turbulences? Car il n'y a que le développement qui permet de prévenir et de résoudre les crises. Et quand il y a crise politique, en réalité c'est qu'il y a crise de développement, ou mieux crise du processus politique de développement. Il n'y a donc pas de raison pour que la coopération au développement ne se préoccupe pas de la prévention des crises et de la consolidation de la paix. Par ailleurs, il est évident et reconnu aujourd'hui sans doute plus qu'hier, que la paix et la démocratie font partie intégrante du processus de développement humain durable, et que ce dernier est impossible sans la paix et la démocratie au sens de participation et partage de pouvoir politique certes, mais aussi de partage équitable du pouvoir économique et autres avantages du progrès social. Il va donc de soi que la coopération au développement se sente concernée et se trouve impliquée dans les composantes paix, prévention et résolution des conflits, et dans les politiques et programmes visant directement le progrès économique et social. Le rôle des partenaires au développement est dès lors très important aussi bien dans les activités de développement en situations "normales" que dans la prévention et la résolution des conflits, ou la consolidation de la paix en situations de turbulence ou conditions "spéciales" de développement. Ce rôle consiste à : - ne pas séparer artificiellement le processus politique du processus technique du développement du moins au niveau de l'analyse et de la défmition des stratégies d'intervention; - maintenir le cap et l'idée de l'unicité du "continuum développement" qui seul devrait commander la nature et les modalités d'intervention à chacune de ses péripéties; 133
- faire de leurs politiques et programmes de coopération un instrument efficace de développement, c'est-à-dire de sécurité humaine et sociale, contribuant aussi bien à la prévention des crises, leur solution/gestion, la réhabilitation et la relance post-crise, et bien sûr le progrès économique et social en conformité avec les exigences et priorités de chaque phase du continuum développement;
- se considérer
comme acteurs de seconde zone, mais dont la mission
est très importante, et consiste à : faciliter la tâche aux acteurs nationaux, utiliser les ressources et moyens dont on dispose pour consolider les forces de stabilisation et en particulier dans le renforcement de la société civile, plaider pour la cause de la paix au besoin en utilisant une certaine pression de la communauté internationale, en commençant par les organisations sous-régionales et régionales, et enfm harmoniser leurs discours, partager leurs analyses et coordonner leurs interventions pour augmenter les chances de succès de leurs actions; - lancer des actions prioritaires conjuguées en direction des causes profondes et immédiates du conflit et de leurs conséquences les plus nocives telles qu'elles découlent de l'analyse; - distinguer certes entre les actions directes prioritaires de court et moyen termes (actions humanitaires et d'urgence), et celles de moyen et long termes (dialogue, réhabilitation, reconstruction, relance et développement), mais sans faire une déconnexion complète entre les deux perspectives (M. Kankwenda, 1996). Cette longue parenthèse veut simplement réaffirmer l'unicité de la problématique du développement bien qu'ayant un double processus politique et technique, mais aussi la primauté du politique sur le technique. Une aide au développement qui volontairement ou par myopie ne se préoccupe pas de l'adéquation de ses instruments et mécanismes techniques avec une politique de développement acceptée et validée ou légitimée au niveau national du pays assisté, court de manière inévitable au devant du risque d'échec ou de fuite dès qu'elle est mise en cause par le truchement de la remise en cause des politiques qu'elle soutient. Le donneur est alors désillusionné et désemparé. Si le processus politique de développement est malade ou en panne, il n'y a pas d'aide au développement qui soit fructueuse ni encore moins de manière durable, quels que soient la perfection de ses instruments et le volume de ses interventions. Au terme de cette analyse, la question que les analystes et décideurs se posent est celle de savoir "quelle aide alors pour le développement de l'Afrique au XXlème siècle ?" Des propositions de réformes du système d'aide qui sont en cours ou envisagées à cet effet portent essentiellement sur: 134
- le choix de secteurs ou domaines prioritaires, et en particulier ceux en faveur de la croissance par la diversification économique pour l'exportation et la compétitivité commerciale, la gestion de l'environnement et la pauvreté, sans pour cela perdre de vue la réalisation des projets d'infrastructures; - la réaffirmation de valeurs et principes philosophiques de l'aide comme l'humanitarisme, la solidarité et le partenariat; - la réforme des instruments de gestion de l'aide pour améliorer l'efficacité de celle-ci; - et enfin quelques réformes d'amélioration des mécanismes opérationnels : de l'approche projet à l'approche programme, accent sur le renforcement de capacités, élargissement de la base de la coopération pour y associer la société civile notamment, réduction des coûts de gestion de l'aide, partenariat et partage de responsabilités, mise des gouvernements sur le siège du çonducteur, cadre global de développement, etc. (Commission Economique et Sociale, 1997; OCDE, 1996) Comme on peut s'en rendre compte, les réformes proposées pour le système d'aide au développement de l'Afrique au prochain siècle se concentrent en réalité sur l'arsenal technique de mise en œuvre des politiques et programmes d'aide. La question fondamentale évoquée ci-dessus est ignorée; de fait il est continuellement réaffirmé que pour que cette aide puisse porter ses fruits - je ne sais plus très bien lesquels -, l'Afrique doit continuer assidûment à mettre en œuvre les politiques de réformes économiquesmacroéconomiques et sectorielles - définies ou co-définies avec les bailleurs de fonds, c'est-à-dire en fait avec le SMD. C'est dire que, les politiques actuelles d'insertion de l'Afrique dans le processus de mondialisation au bénéfice du SMD sont celles qui conviennent et qu'elles ne doivent pas être questionnées par l'Afrique. Il appartient à cette dernière de les appliquer correctement et de manière musclée au besoin, et aux bailleurs de fonds d'appuyer les pays qui montrent qu'ils sont décidés à les appliquer fermement. Il est de plus en plus conseillé aux donneurs, de concentrer l'aide sur les pays qui sont bons élèves dans l'application des réformes, et de laisser tomber les autres parce que dit-on l'aide accordée à ces derniers est une perte (Banque mondiale, 1999). En d'autres termes l'aide n'est utile à la dynamique en cours dominée par les donneurs que quand le pays suit la voie du développement définie avec le SMD. Dans le titre de ce livre, j'ai emprunté à l'islam le terme marabout non pas dans son sens originel, mais plutôt dans celui déformé, couramment utilisé en Afrique et particulièrement en Afrique de l'Ouest, pour rendre correctement l'image du système marchand de développement en Afrique, qui se donne les allures 135
de marabout du développement. La conclusion de ce chapitre me donne l'occasion d'une référence au christianisme: par lui, avec lui et en lui. Les choses en effet sont faites de sorte que l'Afrique comprenne qu'elle n'a de salut que par l'Occident, avec l'Occident et en Occident. L'Occident est et doit être sa référence et son modèle, le fournisseur indispensable de la grâce et de l'énergie dont l'Afrique a besoin et enfin le dépositaire et le garant du salut du continent. C'est cette philosophie qu'il faut remettre en cause pour l'Afrique de demain. Il faut pour cela revenir au point de départ : quelle voie de développement pour l'Afrique du prochain siècle et quelle aide alors? En remettant la question politique au centre de la problématique du développement et de l'aide, on se rend compte alors que le leadership politique du développement est lui-même en panne en Afrique (voir plus loin). L'Afrique a besoin de construire et renforcer ce leadership dans le sens de la capacité et de la volonté politiques continuellement affirmées, de se définir et mettre en œuvre la dynamique du développement humain. Ces capacité et volonté politiques orientent la politique d'aide au développement et s'imposent à elle et doivent l'être. Et de ce fait elles sont le cadre intégrateur des programmes d'aide des bailleurs. Les donneurs, s'ils sont réellement des donneurs de l'aide au développement, devraient s'intégrer et considérer les politiques et programmes de développement définis sur cette base comme des données dont ils doivent tenir compte. Ils ne devraient donc pas exiger, qu'ils définissent eux-mêmes ou participent à la définition de ces politiques, en donnent le feu vert et décident alors de l'accord de leur aide! Or, si ce leadership politique du développement est pour l'essentiel en panne en Afrique, les donneurs d'aide n'ont pas intérêt à le renforcer, vu les risques de "dérapage en politiques de développement." C'est pourquoi l'attention et l'énergie se portent plutôt sur les rouages de la dimension technique de la gestion de l'aide, dimension pour laquelle on imagine des réformes, des innovations et autres raffinements, mais limités seulement à cette sphère.
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CHAPITRE IV : LA CONDITIONNALITÉ DES RÉFORMES ÉCONOMIQIIES DANS LE DISPOSITIF DU SYSTEME MARCHAND DU DÉVELOPPEMENT Depuis le début de la décennie 1980, les programmes de stabilisation et d'ajustement dit structurel formulés par ou avec les institutions de Bretton Woods sont en application partout en Afrique. Après deux décennies - 1960-70 - marquées par la vente des apparences du développement, ce commerce s'est essoufflé, la crise des économies africaines s'est avérée plus sévère qu'on ne le soupçonnait auparavant, la crise de l'endettement s'annonçait et les indicateurs économiques et sociaux semblaient presque tous être au rouge. Il a fallu diagnostiquer le mal et imaginer d'autres stratégies de réponse - résolution ou gestion - à la crise des pays du continent. Les partenaires de l'Afrique s'y sont mis individuellement ou surtout de manière concertée, et les institutions de Bretton Woods ont pris la tête des équipes de médecins venues au chevet des malades de développement africains. Dix ans de traitement de choc n'ont pas permis au malade de quitter le lit d'hôpital. Nombreux sont ceux qui ont considéré que les années 1980 ont été une "décennie perdue" pour le continent. Ce qui n'est ni de l'avis ni du goût du médecin, d'ailleurs plus marabout que médecin. Et de ce fait, il s'est entêté. Il est convaincu dans son autorité professionnelle, que ses prescriptions sont les meilleures qu'on puisse trouver, la faute revient aux malades qui n'ont pas eu le courage de les suivre conformément au mode d'emploi qu'il a indiqué. Il faut donc les continuer parce que c'est la seule porte de salut pour les pays du continent. Depuis deux décennies donc l'Afrique est sous ajustement ou mieux sous la conditionnalité des politiques de réformes économiques prescrites par 137
le grand marabout et soutenues par tous les grands acteurs du système marchand du développement. C'est pourquoi il faut s'arrêter sur cette composante capitale de la stratégie du SMD en Afrique. En effet, dans le dispositif stratégique du SMD, les réformes économiques et financières occupent une place de choix, et ce à différents titres. Il est donc nécessaire de les examiner ici dans cette perspective. Les programmes d'ajustement structurel sont apparus comme la composante essentielle des politiques de réformes préconisées pour l'Afrique, et qui sont devenues la "politique africaine de développement" soutenue par le SMD au cours des deux dernières décennies. Bien qu'ayant connu des adaptations conjoncturelles de pensée, ou de réponse mitigée aux critiques conceptuelles et aux résistances opérationnelles, les politiques de réformes et les PAS sont restés fondamentalement les mêmes, parce que reposant sur un immuable paradigme. Le fait qu'on parle aujourd'hui plus de réformes économiques que de programmes d'ajustement structurel ne change donc pas le fond de la pensée, car de toutes façons la stabilisation et l'ajustement sont au cœur de ce qui s'appelle politiques de réformes économiques en Afrique. J'utiliserai donc parfois indifféremment réformes économiques et PAS dans ce cadre. Il y a déjà eu énormément d'écrits, de réunions et de débats sur les réformes et les programmes de stabilisation et d'ajustement en Afrique. Il y a déjà eu énormément de polémiques entre les tendances apologétiques dans leurs multiples versions et les tendances critiques de ces politiques. Il n'est donc pas dans mon intention de me prononcer encore sur ces questions, ni de rentrer dans cette polémique devenue classique. Mon intention est plutôt d'examiner les réformes économiques en tant que composante de la stratégie du SMD ou du moins de son grand marabout dans le contexte actuel de la mondialisation. 1. La raison d'être des politiques
de réformes
Dans sa littérature, le SMD présente les programmes de stabilisation et d'ajustement comme la seule réponse viable à la crise économique et sociale du continent. L'ambition légitime avouée de ces politiques est non pas d'aider les pays africains à gérer la crise, mais plutôt de les mettre sur le sentier de résolution de la crise. Ils doivent donc être analysés comme stratégie de sortie de crise. La littérature conventionnelle du SMD présente la crise ellemême comme principalement la chute de la croissance économique, se manifestant en particulier dans les déséquilibres macrofinanciers internes et externes, ainsi que dans les distorsiolfs du jeu "normal" des règles du marché par les interventions de l'Etat dans 138
ce qui doit être la vie "marchande" de la société. Le contenu stabilisation des politiques de réformes cherche à résoudre les problèmes de la première catégorie - déséquilibres financiers internes et externes -, tandis que la composante ajustement structurel de ces politiques ambitionne de corriger les distorsions signalées en deuxième catégorie. Le terme structurel dans la littérature du SMD sur les pplitiques de réforme se réfère donc à l'Intervention et au rôle de l'Etat qui sont considérés comme créant des distorsions intolérables pour les règles de jeu de l'économie libérale, entendue comme gage de la croissance, et non à l'ajustement des structures économiques entrées en crise. Les remèdes proposés pour la composante stabilisation et dont la mise en œuvre est continuellement surveillée, portent sur les restrictions de la demande, notamment à travers la réduction des dépenses publiques et des importations, mais aussi de la dévaluation de la monnaie en vue du rétablissement de l'équilibre budgétaire et de la balance des paiements. Pour la composante ajustement structurel, les remèdes comprennent principalement les mesures de libéralisation du commerce, de la production des biens et services marchands et même d'une bonne partie des services non marchands (bref la "marchandisation" de la vie sociale et économique), ainsi que la limitation des formalités et droits de douane. Pour apprécier aussi bien la pertinence conceptuelle de l'analyse et des mesures ou remèdes préconisés que leurs réalisme, cohérence et opérationnalité sur le terrain, il faut en faire une analyse critique qui combine les approches interne et externe (M.F. L'Hériteau, 1986). Dans une approche interne où on se situe dans la logique des politiques de réforme et en accepte le cadre de référence, on peut questionner le réalisme et la cohérence des objectifs et des mesures préconisées, des moyens mis en œuvre et des résultats escomptés ou atteints. On peut aussi rechercher les solutions complémentaires aux dérapages et effets secondaires non voulus, et envisager des adaptations des politiques de réformes elles-mêmes tout en restant dans leur cadre de référence de base. C'est ce qui a conduit notamment à des "générations des programmes d'ajustement," et dans ce cadre à la "révision" du fameux consensus de Washington par exemple. Cette forme de critique interne - des politiques de réformes peut être faite aussi bien par leurs défenseurs que par leurs pourfendeurs. Alors que les défenseurs s'y arrêtent, les pourfendeurs vont généralement plus loin en intégrant à leurs arguments une approche externe des politiques de réformes. L'approche externe questionne le cadre de référence et la logique des politiques de réformes, remet en cause le bien-fondé des objectifs déclarés, de l'approche, des mesures et des moyens 139
mis en œuvre. Une telle approche remet en cause aussi bien la pertinence de l'analyse de la crise, que celle des politiques proposées, ainsi que leur adéquation par rapport au problème du développement du continent. La première tentative critique dans cette direction a été historiquement celle formulée par la CEA en 1989 avec la publication du "Cadre Africain de Référence pour les Programmes d'Ajustement Structurel en vue du Redressement et de la Transformation Socio-Economiques," dit CARPAS. Mais d'autres cercles ont vite emboîté le pas à la CEA et le SMD a finalement compris qu'il avait intérêt à rectifier le tir même s'il ne changeait pas le fusil d'épaule. C'est donc un vieux débat bien que continuant encore sous différentes formes dans la mesure où la réalité a montré les limites sinon les échecs des politiques de réformes comme réponse à la crise des pays africains. Par ailleurs la crise du continent dure depuis plus de vingt-cinq ans, et elle est toujours là, narguant aussi bien le grand marabout et tout le SMD que leurs disciples africains, et bien sûr, les populations du continent. La continuation du débat même sous d'autres formes s'explique par le poids important des pesanteurs du paradigme à la base des politiques de réformes aussi bien du côté du SMD que du côté des pauvres pays africains et leurs appareils politiques. Mais elle s'explique aussi par la crise en matière de pensée de développement dans le chef du SMD. Depuis quelques années, il n'y a ni innovation conceptuelle significative, ni adaptation conjoncturelle qui soit porteuse, mais simplement une répétition incantatoire des différents versets du même dogme auquel le SMD tient fermement. Le souci restant avant tout de continuellement chercher des preuves et pièces à conviction remodelées au besoin, pour convaincre les dirigeants et chercheurs africains, et s'assurer de leur il}1plication active dans la mise en œuvre des politiques de réformes, quitte à accepter des critiques et propositions correctives dans le cadre de leur logique interne. Sans rentrer encore dans cette double discussion, où plein de choses ont déjà été dites, je voudrais cependant souligner quelques faits qui me paraissent importants dans la perspective de cette étude. Le refus du "grand marabout" et avec lui de tout le SMD d'analyser la nature de la crise socio-économique du continent en termes de crise d'un modèle d'accumulation essoufflé, mais plutôt en termes de ralentissement de la croissance, ou même de la décroissance des économies africaines n'est pas Ull"exercice neutre. Il est intentionnel parce qu'apologétique. En effet, poser le problème de la nature de la crise de l'Afrique en termes de modèle d'accumulation essoufflé revient à se référer aux structures économiques de l'Afrique dans leur histoire et leur fonctionnement actuel. Cela revient à les remettre en cause, ou du 140
moins à ouvrir un débat sur leur changement qualitatif. En d'autres termes cela revient à remettre à l'ordre du jour la question de la nature et de la voie du développement du continent. Or les structures économiques actuelles en Afrique ne dérangent pas le SMD, bien au contraire. Ce n'est donc pas sans raison que le discours du SMD sur les politiques de réforme ne se réfère pas au concept de développement. La valeur centrale prêchée du SMD, la croissance, reste l'objectif primordial à réaliser par le plein jeu des règles du marché. Les autres desiderata et plaintes des Africains trouveront leurs satisfactions dans l'accomplissement du paradigme et de sa valeur centrale. Il n'est donc pas question de remettre en cause la logique fondamentale des structures en place, qui sont celles que les pères fondateurs du SMD ont mises en place. Par ailleurs une telle analyse permet de disculper le SMD et ses pères fondateurs, et de renvoyer la responsabilité de la crise aux gouvernements africains dont on dit que les politiques monétaires, de change, directives et interventionnistes - sont à la base de la crise de leurs pays. Silence donc sur le fait que ces politiques ont été inspirées sinon dictées en grande partie et financées d'une manière ou d'une autre par le SMD ! Silence sur la composante la plus importante de ces politiques, celle portant sur les structures de production qui ont amené à la crise et qui ont été très soutenues par le SMD, aussi bien durant les décennies de commerce des apparences du développement, que durant les décennies de vente de cadres des politiques de relance du commerce des mêmes apparences, vente qui s'essoufflait avec la crise. Silence enfin sur le fait que si ces politiques aujourd'hui condamnées ont contribué à la crise ou plutôt à son amplification, durant tout ce temps ces politiques ont été bénéfiques à quelqu'un d'autre de l'autre côté, c'est-à-dire aux principaux acteurs du SMD. Les 1flbleaux 4.1 et 4.2 montrent clairement à partir de l'exemple des Etats-Unis que la part de l'Afrique dans les investissements directs étrangers américains dans le monde est ridicule, et en baisse constante. Elle est tombée de 2,0% en 1982 à 0,8% en 1993, donc en pleine période des programmes de réformes économiques. Cependant le revenu tiré de ce montant représente en pourcentage bon an mal an deux à trois fois supérieurs en termes de part de l'Afrique dans le revenu total de l'IDE américain dans le monde.
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