Maléfices - Le Jeu Qui Sent Le Souffre [PDF]

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Zitiervorschau

$ Crédits Directeur de publication Mathieu Saintout Secrétaire d’édition Fabien Marteau

Illustrations intérieures Ruslan Arbuzov, Johann Blais, The Blue Chest, Gabriel Bulik, George Doutsiopoulos, Goodname Studio, Lukas Lancko, Yvan Villeneuve, Laura Guglielmo & Mirko Failoni

Directeur Artistique Christopher Guénard

Plans et cartes Olivier Sanfilippo

Office Manager Sabrina Beaufils

Design The Blue Chest

Moyens généraux Raphaël Crouzat

Maquette Stéphanie Lairet

Auteurs Dominique Chanavas, Michel Fagherazzi, Christophe Genoud, Jean-Philippe Palanchini, Sanne Stijve Scénarios Michel Fagherazzi, Jean-Philippe Palanchini

Maléfices © Arkhane Asylum Publishing 2022, tous droits réservés.

Relecture Audrey Briclot, Sébastien Mintoff Illustration de couverture Goodname Studio

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Live Fast Play Hard WWW.ARKHANE-ASYLuM.fR

Ce livre est dédié à Michel Gaudo.

Remerciements Les auteurs de cet ouvrage tiennent à remercier : Mathieu Saintout et Arkhane Asylum Publishing, pour nous avoir confié ce beau bébé qu’est Maléfices, et nous avoir fait laissé une grande liberté pour cette édition. Nos épouses et compagnes, qui, connaissant notre passion déraisonnable pour Maléfices, ont eu la patience de nous laisser débattre, créer et rédiger, supportant nos délires les plus soufrés. Le Club Pythagore de Provins, qui a su maintenir la flamme maléficieuse pendant toutes ces années. Et surtout, sans qui les co-auteurs de cette nouvelle édition ne se seraient jamais rencontrés ! Les autrices et auteurs des précédentes éditions, Descartes et les Éditions du Club Pythagore, ainsi que les créatrices et créateurs de scénarios de ces gammes.

Catherine Palanchini, Julien "Narbeuh" Clément, Fabrice Lesage et Sébastien Genoud pour leurs amicales contributions. Les nombreux rôlistes qui ont participé aux parties de tests, que ce soit aux Rencontres et au Carrousel à Provins, à Strasbourg, ou en Suisse. Les autrices et auteurs qui, par leurs écrits littéraires, leurs œuvres graphiques ou cinématographiques, ont nourri notre imaginaire et notre soif de fantastique. Avec une mention amicale particulière pour Claude Seignolle, grand connaisseur du fantastique campagnard. Avec une pensée amicale et soufrée à toutes celles et ceux que Michel Gaudo a fait jouer, écrire, rêver et… frissonner avec Maléfices. Christophe, Dominique, Jean-Philippe, Michel et Sanne.

$ Préface Maléfices paraît à nouveau ! Oui, votre âme, chers membres du Club Pythagore, nous intéresse toujours, plus que jamais ! Quel brillant oracle aurait pu prédire, en cette froide soirée d’automne de l’année 1982, que le petit groupe de passionnés rassemblé autour d’une table inaugurait-là une aventure qui durerait encore en 2022. Personne, vraiment ? Mon père, Michel Gaudo, sûrement, tant il voyait en ce nouveau genre de narration ludique une formidable terre d’opportunités scénaristiques. Voilà enfin, écrivait-il dans l’un de ses éditoriaux préfaçant l’une des premières publications de Maléfices, la possibilité pour un joueur, confondu avec son personnage, de vivre pleinement une histoire fantastique, d’être acteur du récit mis en scène par un maître du jeu facétieux, un Julien Sorel tournant le dos à son créateur et n’en faisant qu’à sa tête ! Cela l’amusait beaucoup. Et, pour notre plus grand plaisir, cette joie a été communicative. Mais attention, il ne fallait pas alors proposer un décor de carton-pâte, peuplé de héros surdimensionnés se laissant aller à une utilisation paresseuse et prolixe de leurs superpouvoirs. Non, il s’agissait simplement de faire vivre à des gens ordinaires, des aventures extraordinaires. Le contexte choisi, celui de la France de la Belle-Époque, s’est imposé immédiatement comme le plus propice à accueillir les scénarios de Maléfices, « le jeu de rôle qui

sent le soufre ». Affirmation d’un esprit scientifique résolument conquérant et résurgence de nombreux courants ésotériques et diaboliques, patrie des personnages de romans populaires à l’imagination débridée, naissance des villes modernes cohabitant avec des campagnes aux légendes ancestrales, tous les ingrédients étaient réunis pour proposer des histoires originales et inquiétantes aux joueurs. Le pari a, je crois, été pleinement réussi. Et pour son quarantième anniversaire, cette quatrième édition de Maléfices a pour ambition non seulement de renouer avec l’esprit du passé, mais également de faire peau neuve. Oui, le jeu de rôle existe toujours et l’attente des joueurs a évolué. Voilà, en résumé, les propos tenus par Mathieu Saintout, notre éditeur, lorsqu’il y a quelques années déjà, il poussait les portes du domicile familial. Voilà comment est née l’idée un peu folle de rallumer la flamme Maléfices. Et voilà comment, surtout, Mathieu, à l’argumentation passionnée, a su nous convaincre, nous replonger dans l’enthousiasme initial de l’aventure Maléfices. Je n’ai personnellement qu’un seul regret, celui de ne pas tourner les pages de cette nouvelle édition au côté de mon père, créateur historique de ce qui a toujours été pour nous plus qu’un jeu, mais bien plutôt des moments uniques partagés.

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Pascal Gaudo

Table des Matières Introduction....................................................................5 Contexte historique......................................................10 Les progrès de la science...............................................67 Le genre fantastique......................................................85 Introduction au système de jeu...................................123 La création de personnages.........................................124 Les Archétypes...........................................................154 Les règles de Maléfices............................................... 2 22 La gestion du fantastique............................................234 La narration partagée..................................................258

Mener une partie de Maléfices.................................... 2 68 Les aides de jeu...........................................................271 Le Club Pythagore.....................................................280 Scénarios....................................................................286 Le marchand de jouets................................................288 Rêveurs éveillés...........................................................305 Chronologie des scénarios...........................................339 PNJ et lieux des scénarios...........................................341 Bibliographie succincte...............................................348 Index..........................................................................351

$ Introduction à Maléfices Bienvenue dans Maléfices, le jeu de rôle qui sent le soufre.

600 000 Français s’adonnaient aux joies du spiritisme et de la chasse aux fantômes. Vous trouverez dans ce livre de base de Maléfices des chapitres portant sur la Belle Époque, y compris sur les croyances et idées qui avaient cours. Nous espérons que cet ensemble de renseignements vous aidera à vous immerger facilement dans le cadre du jeu. Certains scénarios seront assortis de compléments d’informations permettant au meneur de jeu de planter le décor. Ce contexte historique ne doit pas vous rebuter. Maléfices est là pour vous amuser et il appartient à chaque groupe de joueurs de choisir jusqu’où coller au réalisme

Jouer une aventure Cinéma, théâtre et littérature permettent à chacun de rêver, de s’évader, de partager les émotions des personnages ou acteurs et même parfois de nous identifier à eux. Il nous arrive ainsi de pleurer avec Margot, d’avoir pour Rodrigue les yeux de Chimène, ou pour sauver les ferrets de la reine, de chevaucher botte à botte sur les routes de France avec d’Artagnan et ses compagnons. Cependant, en aucun cas, nous ne pouvons intervenir dans le récit et quoi que nous fassions, c’est impuissant que nous assistons à la mort de la Dame aux Camélias et le comte de Monte-Cristo est bien obligé de se débrouiller tout seul pour s’évader du Château d’If. Dans les jeux de rôle, il en va différemment. Si ceux-ci présentent des similitudes avec le théâtre, le cinéma ou la littérature, ils permettent en revanche aux participants d’agir directement dans la trame du récit et de modifier sans cesse le comportement des personnages. Car ces personnages seront interprétés par des joueurs, tandis qu’un « meneur de jeu » va proposer une aventure ainsi qu’un décor constituant le cadre du jeu. C’est par une suite de dialogues que le meneur de jeu et les joueurs entrent dans cet univers imaginaire, où les personnages pourront évoluer librement. Vous en apprendrez davantage un peu plus tard. Tout le secret du jeu de rôle est là… ou presque. C’est simple, mais il fallait y penser.

MALÉFICES ET SON CONTEXTE

Le cadre La France de la Belle Époque sert de toile de fond aux aventures de Maléfices, ce qui bien entendu n’exclut pas quelques escapades dans d’autres pays. La Belle Époque est une période très riche en bouleversements, et ce à presque tous les niveaux. En quarante-quatre ans seulement, de 1870 à 1914, la France assista notamment à la chute de l’empereur Napoléon III, à la Commune, à la proclamation de la IIIe République, au boulangisme ainsi qu’à moult affaires, dont celles de Dreyfus et de Fachoda, et du scandale de Panama. C’est aussi l’époque de la projection du premier film par les frères Lumière, de l’incendie du Bazar de la Charité, de l’Exposition universelle de 1900, de la traversée de la Manche par Blériot, de la course aux Pôles, sans oublier bien entendu le naufrage du Titanic et la Bande à Bonnot. Les arts, notamment la littérature et la peinture, ne sont pas en reste. Alors que Pasteur, les Curie, Branly et Edison devaient à leur façon transformer le monde, que la science et les techniques progressent à pas de géant,

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Maléfices, dans l’esprit de ses créateurs, accordait une bien plus large place à l’interprétation des personnages qu’aux règles de simulation. Ce parti pris de l’interprétation poussée des personnages, du « roleplay », est l’une des spécificités de Maléfices que nous avons tenu à préserver. On prendra donc plaisir à incarner au mieux son personnage, et l’on se délectera d’« interpréter » une empoignade entre un spirite et un rationaliste, ou la discussion enflammée de deux personnes qui s’opposent sur l’avenir de l’aviation ou l’art moderne. Pour autant, l’époque de Maléfices présente des caractéristiques et est traversée par des idéologies qui ne sont pas celles de notre modernité. La Belle Époque réservait aux femmes, par exemple, une place secondaire, parfois peu enviable et qui n’est pas défendable. On est toujours saisi par la violence de certains articles ou caricatures de presse, évoquant les femmes et leurs combats pour l’égalité des droits, notamment le droit de vote. Maléfices est un jeu qui repose sur un contexte historique qui n’est plus le nôtre (colonialisme, antisémitisme, etc.). Cet ouvrage vise à le présenter dans toute sa réalité et sa diversité. Cela n’implique bien évidemment pas que les auteurs – pas plus que les meneurs ou les joueurs – cautionnent les idéologies ou les positions nauséabondes parfois largement véhiculées à l’époque, que celles-ci portent sur les croyances religieuses, l’orientation sexuelle ou l’origine. Les auteurs ont conçu ce jeu et la présentation de son contexte en misant sur le discernement des meneurs et des joueurs pour saisir l’écart entre la période historique dans laquelle Maléfices s’inscrit – et ce qu’elle peut avoir de plus désagréable ou de choquant – et le jeu, qui est une simulation, et dans lequel chacune et chacun est appelé à jouer un rôle. Le jeu de rôle est avant tout un plaisir ludique. Pour qu’il le reste, les meneurs et les joueurs sont invités à tenir compte de cet écart et à adopter, même dans l’interprétation des personnages, une attitude propice à une atmosphère conviviale et respectueuse autour de la table. En agissant ainsi, meneurs et joueurs traverseront cette époque, ses contradictions, ses mystères, ses beautés et ses laideurs entre plaisir et frissons. Que demander de plus ?

historique. Après tout, Maléfices va vous faire vivre une fiction. Ce soir, vous êtes la comtesse Dumoutier ou Anna la lingère, le colonel d’Alambert ou Pierrot Les-

Belles-Mirettes et, en compagnie de quelques amis, vous allez pénétrer dans l’univers de Maléfices.

Maléfices Maléfices vous propose de vivre des aventures dans la peau de gens de la Belle Époque confrontés à des événements, souvent fantastiques, qui les dépassent. Le cadre principal est celui de la France entre 1870 et 1914, une période toute en oppositions, où les progrès de la science et des techniques côtoient l’ésotérisme et le spiritisme des salons feutrés ainsi que les superstitions campagnardes. Dans Maléfices, le surnaturel et le fantastique peuvent apparaître sous différentes formes. Des forces occultes, voire sataniques, sont-elles à l’œuvre ? Les tourneurs de guéridons ont-ils déclenché quelque chose ? Quels sont au juste les pouvoirs des magiciens et des illusionnistes, s’ils en ont vraiment ? D’ailleurs, les héros interprétés par les joueurs vont-ils réellement avoir affaire au surnaturel ? Les aventures de Maléfices conservent longtemps cette part d’ambiguïté et d’incertitude qui fait tout le charme du fantastique. Le fantastique de Maléfices s’inspire d’auteurs très divers, allant de Maupassant à Claude Seignolle en passant par Jean Ray. Il ne dédaigne pas de lorgner à l’occasion du côté des romans-feuilletons à la Rocambole, des aventures « scientifiques » ou anticipatrices de Jules Verne, des enquêtes policières de Gaston Leroux, ou des récits énigmatiques d’Arsène Lupin… Lors de vos sessions de jeu, nous voulons que la part belle soit laissée à l’interprétation, à l’ambiance, à l’aventure. C’est pourquoi le système de règles de Maléfices prend une place minimale. Simple, fluide et discret, il n’est là que pour faciliter le déroulement de vos histoires. Le hasard ne sera jamais très loin et viendra influencer la vie de vos personnages et les épisodes de vos aventures, notamment sous la forme du Grand Jeu de la Connaissance.

peur : les caractéristiques qui font du jeu qui sent le soufre ce qu’il est demeurent. Maléfices est toujours un jeu centré sur l’ambiance, où les règles s’effacent pour laisser la place à l’interprétation et à l’aventure. Les principales modifications apportées par cette 4e édition sont les suivantes : • Moins de hasard lors de la création de votre personnage : ainsi, celui-ci correspondra mieux à l’alter ego qu’il vous plaît d’interpréter. • Simplification des règles grâce à la suppression de la table des paliers. • Ajout d’éléments d’interprétation sur la feuille du personnage. Vous pourrez donc déterminer son passé, ses opinions, ses passe-temps, établir un historique de ses tribulations, etc., qui auront une influence lors des aventures. • Plus grand accent placé sur le fantastique dans toutes ses formes et ses manifestations. • Le Grand Jeu de la Connaissance est plus présent au cours de la partie et aura une considérable incidence sur de nombreux événements et actions des personnages. • Ajouts de mécanismes optionnels permettant de partager la narration lors de certains épisodes, afin d’accroître la participation de chacun à l’ambiance et aux décisions concernant la poursuite de l’aventure.

Matériel nécessaire

Les nouveautés de la 4e édition de Maléfices Maléfices est un classique du jeu de rôle francophone qui, en plus de trente ans, a troublé maintes âmes. Il fut l’un des premiers à porter cet autre regard sur le jeu de rôle, mettant l’accent sur l’ambiance et l’interprétation (ou roleplay). Bon nombre de scénarios ont été créés pour ce jeu, ce qui promet des heures et des heures d’aventures palpitantes pour le meneur et ses joueurs. Certains de ces suppléments seront d’ailleurs réédités afin de les rendre à nouveau disponibles. La pratique du jeu de rôle ayant évolué, il nous a paru important de moderniser certains aspects de Maléfices. Oh ! il est inutile que les « vieux de la vieille » prennent

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Ce livre de base contient les éléments essentiels pour jouer des parties de Maléfices endiablées. Les joueurs auront chacun besoin d’une feuille de personnage : vous la trouverez en téléchargement sur le site www.arkhane-asylum.fr. Chaque joueur aura aussi besoin d’un dé à vingt faces (ou « d20 »), disponible dans les boutiques de jeu. Vous pouvez vous bricoler un Grand Jeu de la Connaissance (également téléchargeable sur notre site www.arkhane-asylum.fr), mais nous vous conseillons vivement d’en acquérir un exemplaire. Le meneur de jeu pourra grandement bénéficier d’un paravent lui permettant de cacher ses notes et d’avoir un récapitulatif des règles sous les yeux. Quant aux aventures à faire jouer, ce livre en contient deux. Une série de suppléments va compléter la gamme Maléfices. Échappez à l’enfer du quotidien, rejoignez plutôt celui de Maléfices !

$ Contexte historique Introduction Pourquoi jouer en 1900 ?

des personnages, et l’interprétation des joueurs qui les incarneront.

Pourquoi situer un jeu de rôle à la « Belle Époque » ? En d’autres termes, quel intérêt l’époque de Maléfices présentet-elle sur le plan ludique ? Beaucoup, répondons-nous de concert. Un mot d’abord sur cette dénomination de « Belle Époque ». Elle est certes passée dans le langage commun, et de fait couramment admise. Et quand jaillissent dans une conversation les termes de « Belle Époque » arrivent souvent en rafale un certain nombre d’images (de clichés ?) : Paris, « la ville lumière » ; les fêtes mondaines ; la multitude des spectacles des théâtres ; des cafés-concerts, où se pressent dames en toilettes et ombrelle ; messieurs très élégants ; nœud papillon ou lavallière ; haut-deforme ; gilets moirés sur lesquels tranchent les chaînes dorées des montres à gousset. Ou encore le claquement sec des sabots des chevaux des fiacres ou des calèches frappant le pavé des rues chichement éclairées… Oui, quelle « belle » époque ! Il est cependant facile de montrer que, comme toute époque de l’histoire, les fantasmes, rôlistes ou pas, l’ont idéalisée. La période n’est pas « belle » pour tout le monde ! Quelques exemples parlants suffiront : les communards anonymes ou plus connus qui ont survécu à la semaine sanglante ou à la déportation ; les successeurs des ouvriers haveurs de Germinal, accompagnés au fond des mines par les pousseurs de wagonnets de neuf ou dix ans ; les femmes réduites par la misère à se vendre ; les petits « biffins des fortifs » vivent eux aussi à la « Belle Époque ». Notons cependant qu’entre 1897 et 1914, les salaires ouvriers ont augmenté assez nettement (3 Frs/jour, ce qui permet de se loger, de manger, et de s’offrir quelques petits à-côtés). On n’est plus vraiment dans la misère noire des romans de Zola, qui décrivait la société du Second Empire… Et les enfants de moins de douze ans sont scolarisés, ils ne participent aux travaux des adultes que pendant les « grandes vacances », qui d’ailleurs ont été créées pour ça !

OPPOSITION GÉOGRAPHIQUE ET DÉMOGRAPHIQUE, d’abord : à l’aube du XXe siècle, la France est encore un pays très rural. La plus grande partie de la population française vit dans les campagnes, mais c’est tout un monde qui change sous la double influence de la révolution industrielle et de la révolution des transports. La petite propriété agraire demeure familiale, les ouvriers agricoles, sans terre, sont nombreux. En 1900, près d’un Français sur deux travaille dans les champs. Il y a donc une coupure entre ruraux et citadins, entre « la province » et les « grandes villes », Paris étant évidemment LA grande ville par excellence, occupant aussi une place de choix en Europe. OPPOSITION SOCIALE entre des riches de plus en plus riches, et des pauvres qui ont bien du mal à échapper à leurs difficiles conditions de vie. C’est l’émergence criante des milieux d’affaires, des grandes banques, d’une certaine « bourgeoisie » et celle, tout aussi manifeste, d’une misère qui s’exprime souvent avec une grande violence, de façon individuelle (attentats anarchistes, criminalité…) et parfois collective (luttes syndicales, grèves longues, très durement réprimées). Rural ou urbain, le peuple français est extrêmement politisé : grâce à Jules Ferry, on lit massivement les journaux, on fait la grève, on manifeste, on ne s’abstient pas aux élections, on signe des pétitions, on débat, on se querelle, on s’étripe publiquement… très souvent au bistrot, lieu privilégié de sociabilité. OPPOSITION INTELLECTUELLE sur nombre de plans : on oppose raison et croyance, science et foi, on appartient à un groupe de rationalistes scientifiques ou à des « sociétés plus ou moins secrètes », selon que l’on est porté vers la science, ou vers l’ésotérique et le surnaturel.

Une période toute en oppositions En effet, s’il est une notion qui colle parfaitement à la Belle Époque, c’est bien celle d’une période d’antagonismes. Une période où l’on découvre, en creusant un peu, que les confrontations sont nombreuses et variées, ce qui la rend si foisonnante et si intéressante. Penchons-nous un moment sur ces contrastes et ces affrontements : ils vont être la toile de fond des aventures que vous proposerez, meneur, ils vont nourrir le « vécu »

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OPPOSITION ENTRE LE PROGRÈS, LE MODERNISME, ET LA TRADITION : certains croient aux machines qui vont révolutionner l’avenir, d’autres les redoutent. Après avoir refusé les trains qui rouleraient trop vite et seraient un danger pour la santé, on refuse parfois l’automobile, considérée comme un « engin de mort » ; et que dire de ces machines volantes dont certains fabriquent et testent déjà les premiers prototypes ? Cette méfiance se retrouve aussi entre les tenants des progrès de la médecine et les adeptes d’une « médecine » paysanne souvent encore proche du magique, voire de la sorcellerie campagnarde.

On pourra aussi penser aux terribles querelles artistiques qui parcourent la période, entre partisans d’une peinture, d’une musique, d’une sculpture « modernes » et les birbes radoteurs de la critique officielle, ceux-là même qui refusèrent si longtemps les impressionnistes au sein des salons de peinture parisiens, puis leurs successeurs. Ce mouvement pictural, et ceux qui le suivirent, marquèrent la rupture de l’art moderne avec la peinture académique. Pensez tout de même qu’un certain Picasso peint Les demoiselles d’Avignon en 1907 ! OPPOSITIONS POLITIQUES : elles sont nettement plus tranchées à l’époque. Les échanges à la Chambre sont souvent plus que vifs, les débats houleux, les camps très affirmés. Pour s’en convaincre, il suffit de penser par exemple à l’affaire Dreyfus (1894-1906), qui divisa la France entre « dreyfusards » et « antidreyfusards », ou à la loi de séparation de 1905 et les violents affrontements qu’elle déclencha. La situation intérieure est aussi très complexe. Même si les républicains « progressistes » (c’est-à-dire modérés) au pouvoir entre 1877 et 1899 semblent disposer d’une majorité solide, ils sont vivement attaqués à gauche par les « radicaux » et à droite par des royalistes et autres bonapartistes encore très actifs. Et en 1898-1899, l’affaire

Dreyfus fait exploser la majorité « progressiste » ; désormais, et jusqu’en 1914, la IIIe République est gouvernée par une coalition de gauche hétéroclite, rassemblant des progressistes dreyfusards, des radicaux et des socialistes, autrement dit des partisans de l’ordre et des partageux, des nationalistes et des internationalistes… C’est tout sauf facile ! Ces idées fortement assumées, ces débats plus que passionnés, se retrouvent évidemment dans la presse d’opinion, foisonnante à l’époque, et affichant très souvent ces mêmes opinions tranchées. On s’affronte à coups d’éditoriaux, de billets d’humeur, de caricatures féroces, de courriers vengeurs, et nombre d’articles ou publications de l’époque seraient strictement impensables aujourd’hui, à cause de leur violence expressive. OPPOSITIONS SUR LE PLAN INTERNATIONAL : la période est agitée, les alliances vacillent, ou changent du tout au tout. À cette époque, la Russie est le grand allié de la France ; on déclare en 1905 une « entente cordiale » avec notre ancien ennemi historique, l’Angleterre. Après la défaite de 1870, la haine nationaliste et revancharde « anti-Boches » prend de plus en plus de force. Tout ceci est complexe et sera développé plus loin dans ce chapitre.

OPPOSITIONS AU SEIN DU MONDE DU SPECTACLE : plus de bataille d’Hernani, certes, mais bien des affrontements, des cabales et des débats tout aussi hauts en couleur ! Aux côtés de superbes opéras, de pièces sublimes telles Cyrano de Bergerac avec Coquelin, du répertoire classique ou contemporain joué par la grande Sarah Bernhardt, on se presse aussi pour assister à d’autres spectacles moins exigeants, plus populaires, comme les grands mélodrames du « Boulevard du crime » ; on « s’encanaille » dans les music-halls ou les cafés-concerts où se succèdent les chansons réalistes, les « goualantes » populaires, les numéros visuels, les danses plus ou moins dénudées. Citons aussi d’autres numéros d’un goût que l’on pourrait souvent qualifier de contestable, tels les comiques troupiers, les chanteurs « comiques », les sketchs humoristiques, et même le fameux pétomane ! On fronce le sourcil devant La Goulue et les danseuses du cancan du Moulin Rouge, mais on s’y précipite ! Curieux mélange d’exigence et de « mauvais goût », ici encore, qui transcende souvent les classes sociales. Même le théâtre de boulevard, si cher au public de l’époque, n’échappe pas à un certain jeu d’oppositions : certes, les auteurs refusent de s’inscrire dans une logique d’affrontement, particulièrement sur le plan politique. Mais les comédies de mœurs de la Belle Époque, par l’usage du comique grinçant comme par les thématiques abordées, relèvent à plus d’un titre de la provocation, notamment en matière d’opposition à la morale bourgeoise. Et que dire du théâtre du Grand Guignol qui, à grands coups d’effets spéciaux très réalistes, se faisait un point d’honneur de choquer ses spectateurs en donnant à voir les pires turpitudes, celles que l’on ne veut généralement pas représenter au théâtre : pièces se déroulant dans des asiles d’aliénés, scènes de démence, de meurtres, de vitriolages, de tortures, bref, tout ce qui allait contre la bien-pensance affichée par certaines classes sociales.

suffragettes, qui revendiquent l’obtention du droit de vote pour les femmes, suscitant des réactions très négatives de la part de la gent masculine. Face à une liberté des mœurs qui commence à poindre (premiers établissements « réservés » aux homosexuel(le)s, spectacles jugés « licencieux »), face à certains romans « naturalistes », un mouvement de puritanisme s’exprime parfois avec vigueur : les ligues antialcooliques manifestent devant certains débits de boissons, exigeant leur fermeture. Les ligues de vertu cherchent à faire fermer des maisons pourtant closes et les « bordels de renom » où se précipite pourtant une bonne part de ces bourgeois « irréprochables » et soucieux de préserver la morale ; on traque les prostituées, on censure certaines œuvres artistiques… Ainsi donc, pour certains, le Bien et le Mal, Dieu et le Diable sont à l’œuvre en cette Belle Époque, au sein de la société, mais aussi jusque dans la veine feuilletonesque qui envahit les journaux puis les librairies : génies du mal (le plus bel exemple est évidemment Fantômas), savants fous, créatures hybrides ou maléfiques y opèrent.

En guise de conclusion

OPPOSITIONS DE MŒURS, enfin : les revendications ouvrières face à une bourgeoisie dont l’opulence souvent affichée est ressentie comme insupportable, voire injurieuse par certains, la « criminalité galopante » mise en avant par certains journaux, ont déjà été évoqués. Mais le concept de droit des femmes se fait jour, les plus connues de ces militantes étant les fameuses

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Bien évidemment, quelques-unes (la plupart ?) de ses contradictions, de ces thèses antinomiques pourront se voir jouées à l’occasion de scènes où l’interprétation prendra toute sa place. Mais celle qui nous intéresse au plus haut point, celle qui est le fondement même de Maléfices, c’est clairement l’opposition entre le rationnel scientifique et l’irrationnel, ou la croyance au surnaturel, de quelque nature qu’il soit ou se prétende. Cette opposition, ce mouvement de balancier entre le rationnel et le surnaturel, le doute induit par ces deux façons d’appréhender les faits, c’est sans conteste l’ADN même du « jeu qui sent le soufre ». Dans nombre de scénarios de Maléfices, les personnages ne savent jamais (en tout cas durant un bon moment) si le fantastique est présent ou pas. Ils finiront évidemment le plus souvent par « trancher », le scénario basculant à un moment donné d’un côté ou de l’autre pour trouver un dénouement. Et c’est bien là que réside, en grande partie, ce qui fait le sel de ce jeu vraiment pas comme les autres.

$ Belle Époque, vous avez dit Belle Époque ? Éblouissante, cosmopolite et très optimiste assurément. En 1900, le XIXe siècle s’achevait sans regret et la France célébrait avec enthousiasme l’entrée dans une ère nouvelle, où règneraient forcément le progrès et la paix. Paris accueillait l’Exposition universelle et les Jeux olympiques, et inaugurait pour l’occasion sa première ligne de métro. L’Art nouveau décorait les stations. Des millions de provinciaux venus dans la capitale pour visiter l’Exposition dodelinaient de la tête et ne savaient que penser de cette esthétique surprenante. De vieux artistes respectés, comme Cézanne et Monet, achevaient leur carrière bâtie sur l’impressionnisme, alors qu’une nouvelle génération prometteuse s’imposait : Braque et Picasso traçaient des formes cylindriques ou cubiques. Gauguin, plus inspiré par les couleurs fauves, avait déjà quitté la France pour les îles Marquises. Pas de nostalgie ! Une génération de jeunes peintres, jeunes musiciens, jeunes chercheurs venait de toute l’Europe pour faire carrière à Paris : au début du XXe siècle, abandonnant un instant son laboratoire pour se détendre, Marie Sklodowska-Curie pouvait croiser Manuel de Falla au Moulin-Rouge ; Igor Stravinsky, de même, pouvait s’asseoir près d’Alphonse Mucha dans l’obscurité d’une des premières salles du cinéma Lumière. Loisirs populaires, en un temps où la condition ouvrière s’améliorait doucement, où tout un peuple passé par l’École de Jules Ferry lisait la presse chaque jour, et se passionnait pour les nouveautés. La bourgeoisie préférait fréquenter les salons de vieilles aristocrates plus ou moins ralliées à la République, où l’on polémiquait sur le Pelléas et Mélisande de Debussy, enfin présenté en 1902. Dans un coin, en toute discrétion, Marcel Proust notait dans son carnet tout ce qu’il entendait. Mais on évitait d’inviter le même soir messieurs Anatole France et Maurice Barrès : l’affaire Dreyfus avait définitivement brouillé les deux écrivains. Bien avant la mort de sa mère Victoria le 22 janvier 1901, le roi d’Angleterre Édouard VII avait pris l’habitude de s’encanailler à Paris, suivi par une nuée de journalistes. Cependant, l’establishment britannique préférait la fréquentation de la Riviera française, entre Cannes et Menton. On signalait parfois sur cette « Côte d’Azur » la présence d’anarchistes russes ou italiens en mal d’attentats, mais la police veillait à neutraliser les gêneurs. En revanche, les touristes allemands se faisaient rares : ils étaient souvent mal accueillis dans un pays qui n’avait pas refermé la blessure occasionnée par la perte de l’AlsaceLorraine en 1871. Un jour peut-être éclaterait une nouvelle guerre en Europe, mais d’un type totalement inédit : le tsar Nicolas II, allié de la France, n’avait-il pas réuni en 1899 à

La Haye une conférence internationale pour imaginer un droit humanitaire et adoucir les « lois et coutumes de la guerre sur terre » ? Nous proposons ici quelques repères utiles pour comprendre la Belle Époque, le contexte historique de Maléfices, sans vouloir imposer le moins du monde un cours d’histoire ennuyeux, ni prétendre contraindre les joueurs de Maléfices dans la création de leurs personnages ! Il ne s’agit que de leur éviter des anachronismes trop invraisemblables, et peut-être aussi de stimuler leur imagination, en soulignant quelques éléments propres à cette époque fascinante. Les spécialistes de l’Histoire économique réservent l’expression « Belle Époque » à la période 1897-1914 en Europe. Après une longue « Grande Dépression », qui frappa tous les pays industrialisés entre 1873 et 1896, le retour de la croissance survint de façon spectaculaire, en lien avec la découverte de gisements d’or considérables au Canada et au Transvaal, capables de soutenir les besoins d’émission monétaire et la mise sur le marché de procédés et produits nouveaux.

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La Dame aux camélias (représentation de 1896), pièce d’Alexandre Dumas Fils (1824-1895), affiche par Alfons Mucha (1860-1939)

NOUVEAUTÉS DE LA BELLE ÉPOQUE AVANCÉES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

EXPLORATIONS, TRANSPORTS, COMMUNICATIONS

PRODUITS COURANTS

1882 : ampoule électrique à incandescence

1898 : premiers tests de TSF à partir de la tour Eiffel

1891 : Michelin produit le premier pneumatique démontable

1884 : premier transformateur électrique

1900 : première ligne de métro à Paris

1899 : la société Bayer dépose une demande de brevet pour l’aspirine

1888 : inauguration de l’Institut Pasteur

1909 : Louis Blériot traverse la Manche en avion en 27 minutes

1908 : les usines de Detroit débutent la production en série de la Ford T, première automobile destinée à un large public

1895 : Röntgen découvre les rayons X en utilisant du baryum

1911 : l’expédition Amundsen atteint le pôle Sud

1896 : Alfred Nobel, inventeur de la dynamite, tente de se racheter en créant le Prix qui porte son nom

1912 : première rotative offset

1898 : Marie Curie découvre le radium et le polonium

1914 : ouverture du canal de Panama 1916 : achèvement du Transsibérien

la Culture, des Arts et de la Science, illuminait le monde. En était-il bien ainsi ? Nous présenterons successivement le cadre politique français, dans lequel les personnages de Maléfices vont vivre leurs aventures, puis un parcours dans la « grande France » de 1900 et nous terminerons par des notions utiles sur la vie quotidienne.

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On comprendra aisément que tous ceux qui traversèrent les horreurs de la Première Guerre mondiale aient pu développer une vision nostalgique, et sans doute très embellie, du « temps d’avant » : la Belle Époque fut considérée dès les années 1920 comme un temps merveilleux, mais révolu, de paix, de prospérité, de progrès et de triomphe de la civilisation. Un temps où Paris, capitale de

$ Première partie :

la République triomphante Comment fonctionne la IIIe  République ? Fondée le 4 septembre 1870 sur les décombres du Second Empire, la IIIe République a mis du temps à trouver ses marques, se donner une Constitution, et en fixer les usages. Trois lois constitutionnelles votées en 1875, à peine modifiées ensuite, établissent les règles : le pouvoir législatif est confié à deux chambres, la Chambre des députés (élue tous les quatre ans par les citoyens de sexe masculin et de plus de vingt-et-un ans) et le Sénat, élu au suffrage indirect par les maires et conseillers généraux des départements (ce qui accorde une surreprésentation aux nombreuses communes rurales) ; les deux assemblées réunies en Congrès désignent un Président de la République élu pour sept ans, qui lui-même nomme des ministres en charge du pouvoir exécutif. Le schéma semble équilibré, mais ce n’est qu’une apparence : le Président, sans être forcément une marionnette des assemblées, est toujours un parlementaire et souvent un ancien sénateur chevronné ; depuis 1877, il a renoncé au droit constitutionnel de dissoudre la Chambre des députés ; de même, la direction effective du gouvernement est passée à l’un des ministres, le « président du Conseil des ministres » ; de fait, le Président de la République exerce une influence certaine, mais discrète, sur la bonne marche des affaires, mais les Français le voient surtout en représentation, cantonné à des fonctions honorifiques (défilés militaires, voyages à l’étranger, inaugurations et distributions de médailles). On lui demande surtout d’avoir de l’allure ! Durant la Belle Époque, trois Présidents se succédèrent à la tête de la France : d’abord Félix Faure (1895-1899), personnage fier et vigoureux dont la carrière se brisa le 16 février 1899 dans les bras de sa maîtresse ; la France lui réserva d’impressionnantes obsèques nationales. Après lui, s’installèrent successivement à l’Élysée deux beaux vieillards fort respectables, Émile Loubet (18991906) puis Armand Fallières (1906-1913), même si les Français désapprouvaient sévèrement l’indulgence coupable du Président Fallières, qui accordait sa grâce à tous les condamnés à mort. La réalité du pouvoir appartenait donc aux assemblées, devant lesquelles les ministres étaient « responsables » ; cela signifie que députés et sénateurs passaient beaucoup de temps à interpeller le gouvernement et à voter des ordres du jour souvent insignifiants, mais qui, s’ils étaient rejetés, entraînaient aussitôt la démission de l’ensemble de l’équipe gouvernementale ; à charge ensuite au Président de la République de former un nouveau ministère qui saurait s’appuyer sur une majorité.

Émile Loubet (1838-1929), président de 1899 à 1906 – photo par l’atelier Nadar

Une république, mais quelle République ? Toutes les élections depuis 1876 donnèrent la victoire aux républicains, même si subsistaient dans les Chambres des groupes parlementaires d’opposition, royalistes et bonapartistes, assez bruyants pour faire penser que rien n’était jamais acquis. Mais si la nature du régime n’était plus vraiment en cause, une question centrale se posait : comment gouverner en républicains ? Pendant plus de vingt ans, jusqu’à 1899, toute une génération de républicains « progressistes » (leurs adversaires les qualifiaient volontiers d’« opportunistes ») ont considéré qu’il fallait ancrer la République en rassurant l’électorat, c’est à dire en menant une politique très conservatrice au plan social : « Nous sommes des républicains modérés, mais non modérément républicains », pour reprendre une formule célèbre. Au moment où commençait la Belle Époque, cette prudence finit pourtant par trouver ses limites, comme nous le verrons par la suite.

L ’héritage des progressistes demeure cependant impressionnant

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La liberté de la presse fut acquise en 1881, puis en 1884 vinrent l’élection des maires, l’autorisation du divorce et la légalisation des syndicats (seules associations autorisées jusqu’en 1901 !) ; leur œuvre majeure restant les lois

scolaires que fit voter Jules Ferry, quatre fois ministre et deux fois président du Conseil dans les années 1879-1885. UNE ÉCOLE…

Nous en résumons les principes et les effets dans le tableau suivant :

LA LÉGISLATION DE JULES FERRY

EFFETS ET LIMITES

… laïque

Des milliers d’instituteurs et institutrices, les « hussards noirs de la République » seront formés dans les écoles normales (une par département) pour dispenser un enseignement laïc, sans contenu religieux. La République lance dans la foulée un programme de construction de bâtiments publics, écoles de filles et écoles de garçons jouxtant souvent la mairie.

Les écoles religieuses (et payantes) ne sont pas interdites, mais de nombreuses congrégations enseignantes masculines sont expulsées de France (les Jésuites, etc.).

… primaire et gratuite

Pour les enfants de six à treize ans, sept années de scolarité sont prévues, cinq ans en réalité, car l’obtention du certificat d’études primaires à la fin du CM2 leur permet de quitter l’école dès l’âge de onze ans, leur épargnant les deux années de « cours supérieur », de fait facultatif. Les instructions officielles du 2 août 1882 imposent les méthodes à suivre et précisent le contenu des programmes prévus par la loi : « L’instruction morale et civique ; la lecture et l’écriture ; la langue et les éléments de la littérature française ; la géographie, particulièrement celle de la France ; l’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours ; quelques notions usuelles de droit et d’économie politique ; les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques ; leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ; les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; la gymnastique ; pour les garçons, les exercices militaires ; pour les filles, les travaux à l’aiguille. »

L’enseignement secondaire en lycée, de la 6e à la terminale, reste onéreux et donc réservé aux enfants de familles aisées, il n’accueille que 68 000 élèves (1 % de bacheliers à la fin du XIXe). Depuis 1886, les plus méritants peuvent cependant poursuivre des études secondaires gratuites (jusqu’à cinq ans) dans des écoles primaires supérieures. (40 000 garçons et 20 000 filles en 1900), débouchant sur un brevet supérieur. Disparition de l’analphabétisme (en 1880, encore 600 000 enfants n’étaient jamais scolarisés).

… obligatoire

Cours obligatoires du lundi matin au samedi soir ; le jeudi libre permet de suivre un enseignement religieux facultatif (dispensé hors de l’école). Durant les grandes vacances d’été (trois mois !), les enfants peuvent participer avec leurs parents aux travaux des champs : moissons, vendanges.

Malgré la loi de 1874 interdisant de faire travailler les enfants de moins de douze ans, l’absentéisme reste considérable à l’école.

affaiblissement et son isolement durables, malgré aussi plusieurs « mains tendues » par l’Allemagne, toujours rejetées, la France n’avait de cesse de préparer une « Revanche » ; personne ne doutait une seconde que la population d’Alsace-Lorraine continuât à attendre sa délivrance. Pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire retrouver son rang, sortir de son isolement et rendre possible la Revanche, la diplomatie de la République française dut se montrer particulièrement active, bien renseignée et opportuniste. Elle fut enfin récompensée de ses efforts en 1891, en se trouvant un allié inattendu, mais de poids : l’Empire de Russie. L’alliance franco-russe scellée en 1894 bouleversa alors les rapports de force en Europe. Schématiquement, le « concert des nations » s’organisait à la fin du XIXe siècle autour d’un équilibre fragile entre six puissances. Le « renversement des alliances » que constitua l’alliance franco-russe de 1891 surprit toutes les chancelleries et fut d’abord considéré comme le « mariage de la carpe et du lapin » : quels intérêts communs pouvaient donc rapprocher la France et la Russie, deux pays si différents par leurs ambitions, leur niveau de développement et leurs mentalités ? Cette alliance n’était-elle pas condamnée à se dissoudre aussi rapidement qu’elle s’était nouée ? Elle s’avéra durable, chacun des partenaires s’attachant sans cesse à la consolider, parce qu’il y trouvait chaque jour de nouveaux avantages. Du côté français, après avoir souffert pendant vingt ans d’un isolement diplomatique complet, on ne faisait pas la fine bouche sur le régime absolutiste de la Russie et avec ses milliers de prisonniers

La Revanche, une obsession républicaine « N’en parler jamais, y penser toujours. » Gambetta, encore lui, faisait alors référence à un tout autre adversaire, l’ennemi extérieur vite qualifié d’ennemi « héréditaire » : l’Empire allemand. Force est de constater que la France ne fit jamais le deuil de l’humiliation infligée le 10 mai 1871 par le traité de Francfort, à la suite de la désastreuse guerre franco-prussienne de 1870-1871. L’amertume et la douleur se cristallisèrent sur la perte de trois départements annexés par l’Allemagne (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle) sous le nom de « Reichsland Elsaß-Lothringen » (« Territoire impérial d’Alsace-Lorraine »). Dans une Europe chauffée à blanc par les nationalismes, malgré son

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Clairement, la noble mission que ses fondateurs ont donnée à l’École républicaine, « tirer tout un peuple de l’ignorance », ne peut être distinguée d’un objectif politique fondamental, jusqu’à devenir obsédant : affaiblir l’ennemi intérieur désigné, l’Église catholique qui selon la classe politique, s’opposait alors de toutes ses forces aux idées de progrès, de tolérance ou de souveraineté nationale. Les positions réactionnaires des papes de l’époque, notamment Pie IX (1846-1878) et Pie X (1903-1914), relayées par les évêques français et la puissante presse catholique qu’ils contrôlaient, ont largement contribué à l’enracinement de la IIIe République. « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! », s’écriait déjà le 4 mai 1877 le grand orateur républicain Léon Gambetta.

L’OMBRE DE L’ANNÉE TERRIBLE J’entreprends de conter l’année épouvantable, Et voilà que j’hésite, accoudé sur ma table. Faut-il aller plus loin ? dois-je continuer ? France ! ô deuil ! voir un astre aux cieux diminuer ! Je sens l’ascension lugubre de la honte. Morne angoisse ! Un fléau descend, un autre monte. (Victor Hugo, 1872)

de paix définitif, Bismarck exigea de signer avec un interlocuteur fiable ; des élections eurent donc lieu dès le 8 février, sans campagne électorale et dans un pays à moitié occupé. Le résultat fut sans appel : les royalistes obtenaient 58 % des voix et 416 sièges sur les 638 députés élus à l’Assemblée nationale ; les républicains étaient laminés et le vieil Adolphe Thiers, Premier ministre du roi Louis-Philippe trente ans auparavant, devenait chef de l’exécutif. À Paris cependant, on avait voté très majoritairement pour des républicains. Les négociations entamées entre Thiers et Bismarck aboutirent à des préliminaires de paix signés le 26 février, aux conditions particulièrement sévères : la France devrait céder trois départements à l’Empire allemand, et resterait occupée jusqu’au paiement d’une indemnité de guerre de 5 milliards de francs. Le 17 mars, Thiers ordonnait le démantèlement des canons encore installés en haut de la butte Montmartre. Le lendemain commençait le soulèvement de Paris, à la fois contre la défaite et contre le nouveau gouvernement royaliste qui semblait l’incarner.

Désastre militaire, paix humiliante, révolution, bain de sang, en quelques mois de 1870-1871 un monde s’écroule, la France se retrouve exsangue, durablement traumatisée et il faudra une génération pour surmonter cette épreuve. Rappelons brièvement les faits :

La guerre franco-prussienne

En juillet 1870 l’empereur Napoléon III, qui croyait régenter l’Europe comme son oncle, sans en avoir les moyens, déclara la guerre à la Prusse, royaume d’Allemagne du Nord puissant et redouté dont le chancelier, le prince de Bismarck, avait multiplié les provocations au cours des mois précédents ; le but de Bismarck était de pousser la France à l’agression, ce qui permettrait de souder autour de la Prusse tous les États allemands, et de ressusciter l’Empire allemand disparu en 1806. La France tomba dans le piège, une fièvre nationaliste déferla dans le pays à l’été 1870 et étouffa les critiques envers le régime du Second Empire. De fait, l’armée française était surclassée dès le début du conflit, tant du point de vue des effectifs que de l’armement, alors même que l’état-major était truffé de médiocrités ; l’Empereur lui-même, usé par la maladie, se porta à la tête des troupes, ce qui ne fit qu’amplifier le désastre qui s’annonçait. Les maréchaux Bazaine, Canrobert et Mac-Mahon subirent en Alsace et en Lorraine une série de défaites cuisantes et meurtrières dès le mois d’août 1870 : Bazaine assiégé dans Metz à partir du 20 août, il ne resta plus à Mac-Mahon et Napoléon III qu’à se faire battre et capturer à Sedan le 2 septembre. Le 4 septembre, des manifestants rassemblés à Paris devant le Palais-Bourbon proclamèrent la IIIe République.

L’écrasement de la Commune de Paris

Du 18 mars au 28 mai 1871, Paris cessa de reconnaître l’autorité du gouvernement, qui s’était prudemment réfugié à Versailles. Les élections municipales du 26 mars 1871 portèrent au pouvoir une autorité sécessionniste, la Commission exécutive de la Commune, qui prit des décisions démocratiques très avancées pour l’époque ; les théoriciens marxistes ont vite considéré la Commune de Paris comme le premier régime socialiste de l’Histoire, les historiens actuels pensent plutôt qu’il s’agit du dernier soulèvement parisien d’une longue série commencée en juillet 1789. De fait, le gouvernement de Thiers était bien décidé à écraser définitivement une opposition révolutionnaire qu’il avait affrontée plusieurs fois au cours des décennies précédentes. Les communards disposaient d’une force militaire citoyenne, la Garde nationale fondée en juillet 1789 ; de son côté, Thiers pouvait compter sur les restes de l’armée officielle qui venait d’être vaincue. Tous les ingrédients d’une guerre civile étaient réunis. L’armée versaillaise reprit finalement le contrôle de Paris après une « Semaine sanglante » de combats féroces, qui du 21 au 28 mai 1871 touchèrent successivement tous les arrondissements parisiens, d’ouest en est. Quand l’ordre fut rétabli, de nombreux bâtiments publics étaient en feu (le palais des Tuileries, l’Hôtel de Ville, la gare de Lyon, le Palais de justice, la Préfecture de police) et des milliers de cadavres gisaient dans les rues (entre 5 000 et 10 000 communards, morts au combat ou victimes d’exécutions sommaires). Les survivants furent jugés pendant les mois suivants (47 000 dossiers aboutirent à 10 000 condamnations, la moitié d’entre elles consistant en une déportation à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Calédonie). Au terme de l’Année terrible, l’extrême gauche républicaine était éliminée du paysage politique, les rescapés bénéficiant cependant d’une amnistie en 1880. La République ne survivrait qu’au prix d’une très grande modération, sans que ne s’effacent jamais les souvenirs si douloureux de sa naissance.

Le siège de Paris

Le gouvernement provisoire de Défense nationale crut que la proclamation de la République pourrait provoquer un sursaut patriotique sur le modèle de Valmy en 1792 et choisit de poursuivre la guerre. Ce choix s’avéra vite désastreux : malgré des combats désespérés, les derniers lambeaux de l’armée française furent submergés par les armées ennemies dans toute la moitié nord du territoire français et le gouvernement dut se replier sur Tours, tandis que Paris subissait un siège de quatre mois (du 17 septembre 1870 au 26 janvier 1871). À Paris, privé de nourriture (on mangeait les chiens et les rats !) mais aussi de bois de chauffage au cours d’un hiver particulièrement froid ainsi que de gaz pour l’éclairage public, l’agitation grandissait rapidement dans un climat de patriotisme fébrile et désespéré. Pendant ce temps-là, Bismarck s’était installé confortablement à Versailles en octobre et faisait proclamer le 18 janvier le roi de Prusse « empereur d’Allemagne » dans la galerie des Glaces du château. Le nationalisme allemand triomphait.

Une paix humiliante

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Le 20 janvier 1871, le gouvernement français demanda enfin un armistice, qui fut signé le 26. Avant de conclure un traité

La Commune (1871), barricade rue de Castiglione (Paris, 1er) – photo de Auguste Braquehais

politiques ou ses minorités nationales opprimées. Au contraire, on ne cessait de favoriser contacts militaires et visites officielles, tout en se concentrant sur des objectifs diplomatiques de plus en plus convergents. Pour garder un allié si précieux, la France était également décidée à l’aider dans son développement économique : plus du tiers de l’épargne des ménages français fut

consacré à l’industrialisation de la Russie à travers le succès des fameux « emprunts russes », capitaux français investis principalement dans les chemins de fer, l’extraction de matières premières et la constitution d’un réseau bancaire. Par ailleurs, plusieurs milliers de Français, artisans, commerçants et ingénieurs, allèrent s’établir dans les grandes villes russes. La Russie réclamait des instructeurs

OBJECTIFS

ALLIÉS

ENNEMIS ET RIVAUX

Aucun allié avant 1891, puis la Russie.

Principalement l’Allemagne + rivalités coloniales avec la Grande-Bretagne et l’Italie.

Allemagne

Préserver une hégémonie politique, économique et culturelle en Europe + ambitions mondiales après 1890.

Autriche-Hongrie, Italie, Russie (jusqu’en 1890) + influence économique et politique dans l’Empire ottoman.

La France, qui refuse tout apaisement + rivalité avec la Grande-Bretagne.

Russie

Détruire l’Empire ottoman, en faisant exploser la « poudrière balkanique » + ambitions en Asie centrale et orientale.

L’Allemagne jusqu’en 1890, la France à partir de 1891.

L’Empire ottoman + rivalités avec l’Autriche-Hongrie dans les Balkans, et avec la GrandeBretagne en Asie centrale.

AutricheHongrie

Renforcer son influence dans les Balkans.

Allemagne, Italie.

Tensions avec la Russie.

Italie

Ambitions coloniales en Afrique du Nord.

Allemagne, Autriche-Hongrie.

Rivalités coloniales avec la France.

GrandeBretagne

Dominer les mers et les océans + maintenir l’équilibre en Europe (et assurer la survie de l’Empire ottoman).

Aucun !

Rivalités coloniales avec la France et la Russie + inquiétude devant la montée en puissance de l’Allemagne.

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France

Besoin d’allié(s) pour envisager la Revanche sur l’Allemagne + ambitions coloniales en Afrique et Asie du Sud-Est.

MAI 1902 : voyage du Président Émile Loubet en Russie.

militaires, de l’armement et des transferts de technologie. Les échanges étaient facilités par l’emploi de la langue française, obligatoire dans le système d’enseignement secondaire russe de l’époque. L’alliance franco-russe se révéla donc solide et profitable à chacun.

JUILLET 1909 : Nicolas II est accueilli à Cherbourg par le Président Armand Fallières.

Étapes de l’alliance franco-russe

Les encadrés À l’aventure !, disséminés tout au long de ce chapitre, vous proposent des accroches de scénarios en lien avec le contexte historique de Maléfices.

1890 : après la démission du chancelier Bismarck, le Kaiser Guillaume II ne renouvelle pas le « traité de réassurance » qui liait Allemagne et Russie. Une délégation française est aussitôt invitée à assister à des manœuvres militaires en Russie. Des négociations débutent et qui vont aboutir au renversement des alliances.

À L’AVENTURE ! Dans le cadre du rapprochement de la France et de la Russie, vos personnages vont aller s’installer quelque temps dans le pays des tsars afin d’y promouvoir la culture française. En effet, ils sont recrutés par une association qui leur demande de venir passer une année à Saint-Pétersbourg où ils donneront, en français, des cours concernant leurs spécialités respectives. Ces cours peuvent avoir lieu dans les locaux de l’association sur la perspective Nevski ou chez de riches particuliers, pour la plupart membres fondateurs de ladite association. Ce séjour est l’occasion de multiples aventures et nous vous encourageons à vous inspirer des romans de Boris Akounine (éditions 10-18) pour assurer à vos histoires une couleur locale inimitable. Intrigues amoureuses, sorcières et politiques peuvent se mêler tout à loisir. Les anarchistes vont-ils tenter de manipuler les personnages pour commettre un attentat ? Une belle princesse russe rendra-t-elle fou d’amour l’un de vos personnages ? Vont-ils croiser la famille impériale au Palais d’hiver, et peut-être porter secours au malheureux et malade petit tsarévitch ? Ou bien vont-ils rencontrer le troublant Raspoutine ? Vont-ils découvrir un inquiétant mystère dans la forteresse Pierre-et-Paul ? Par amour ou par intérêt, leur séjour pourrait bien se prolonger et, si vous avez envie de déborder un peu du cadre, peut-être vos personnages seront-ils encore là en février 1917 pour assister à la fin d’un monde…

1891 : le tsar Alexandre III confère l’ordre de Saint-André au Président Sadi Carnot en remerciement de l’arrestation d’anarchistes russes à Paris. Visite d’une escadre française à Cronstadt en juillet. Lors d’un dîner officiel donné en son honneur, le tsar fait jouer la Marseillaise, hymne jusqu’alors interdit en Russie. Échange de lettres entre les ministres des Affaires étrangères français et russe, fixant le cadre d’une alliance. 17 AOÛT 1892 : une convention militaire secrète est signée par les chefs d’état-major à l’issue de plusieurs mois de négociations. Cette alliance anti-allemande se voulait « défensive » : la France engagerait « en toute diligence » 1 300 000 hommes si l’Allemagne attaquait la Russie, la Russie en engagerait 800 000 en cas d’offensive allemande contre la France. OCTOBRE 1893 : une escadre russe en visite à Toulon. La convention de 1892 est ratifiée par le tsar Alexandre III le 27 décembre 1893, et par Sadi Carnot le 4 janvier 1894. 1896 : le nouveau tsar Nicolas II et son épouse font un voyage officiel en France. Le couple visite Compiègne et Paris, assiste à une parade navale à Cherbourg et à des manœuvres militaires au camp de Châlons. Nicolas II pose la première pierre du pont Alexandre-III, nommé ainsi en hommage à son père décédé en 1894 et symbolisant l’amitié franco-russe. Le pont sera inauguré lors de l’Exposition universelle de 1900.

U ne prétendue Entente cordiale avec l’Angleterre

1897 : le Président Félix Faure se rend en visite officielle en Russie et pose la première pierre du pont de la Trinité à Saint-Pétersbourg, en l’honneur de l’alliance. AOÛT  1899 : l’alliance est renforcée grâce à un accord précisant les objectifs de chacun. Désormais, la France soutiendrait la Russie dans sa politique balkanique si la Russie soutenait la France dans la question de l’Alsace-Lorraine. SEPTEMBRE 1901 : Nicolas II, en visite officielle en France, assiste avec le Président de la République Émile Loubet à des manœuvres militaires près de Reims, entraînant la participation de 120 000 hommes.

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En 1905-1906, quand le régime tsariste faillit être emporté par une première révolution, la France se retrouva provisoirement dépourvue d’alliés. Ce que l’Allemagne tenta évidemment d’exploiter, en se prenant d’un intérêt soudain pour le Maroc, que la France convoitait également ; pure démonstration de force devant laquelle la France seule ne pouvait que s’incliner, déclenchant la fureur des nationalistes français. Cependant, un rebondissement imprévu permit d’éviter le pire : à la conférence internationale d’Algésiras de 1906 consacrée au Maroc, la GrandeBretagne exprima fermement qu’à tout prendre, elle préférait voir l’Empire chérifien tomber sous l’influence de la France, plutôt que de l’Allemagne. Ainsi la France put s’installer dans les ports marocains. Soyons clairs : la France et le Royaume-Uni ne conclurent jamais de réelle alliance – les vieilles

rancœurs n’étaient pas surmontées –, les ombres de Jeanne d’Arc et de Napoléon y veillaient. Les deux pays étaient même passés tout près de la guerre à l’été 1898, à propos du minuscule village de Fachoda, situé sur le cours supérieur du Nil, mais les deux puissances avaient alors considéré que leurs nombreuses rivalités coloniales ne méritaient pas un affrontement majeur. La visite officielle du vieux roi Édouard VII en mai 1903, sous les huées du public, mais à la grande joie des cocottes parisiennes que « Dirty Bertie » appréciait beaucoup, permit d’aboutir en avril 1904 à un accord qui déminait la plupart des conflits coloniaux ; les diplomates nommèrent rapidement ce compromis « Entente cordiale ».

Un empire colonial, pour quoi faire ? La conquête, entre 1880 et 1910, d’un empire colonial de 4 millions de km2 – le deuxième au monde par la superficie, mais avec seulement 38 millions d’habitants, alors que la France en comptait 41 – n’allait pas de soi ; elle provoqua de nombreux débats très polémiques entre les dirigeants politiques. Jules Ferry, chaud partisan de la scolarisation autant que de l’impérialisme, vantait l’intérêt stratégique d’une présence massive en Afrique et en Indochine ; il évoquait aussi des avantages économiques et financiers, ainsi qu’une prétendue œuvre civilisatrice que la République avait le devoir d’accomplir auprès des indigènes « de race inférieure » (sic). Ses adversaires, républicains plus radicaux comme Georges Clemenceau, lui opposaient l’égalité des hommes proclamée en 1789, mais dénonçaient surtout le coût financier et humain exorbitant de ces opérations militaires à l’autre bout du monde.

« Aux armes, citoyens ! » De fait, tous étaient d’accord : la conquête coloniale ne saurait être qu’un dérivatif à la mission prioritaire que la France s’était donnée, récupérer l’Alsace-Lorraine ! La France vivait ainsi autour de la chose militaire, et célébrait chaque jour son armée, très coûteuse (car elle bénéficiait des armements les plus modernes) et particulièrement nombreuse : • La loi Freycinet de 1889 porta la durée du service militaire obligatoire à trois ans, avec cependant des exemptions (mais pas pour les prêtres !). • La loi Berteaux de 1905 supprima les exemptions, mais ramena la durée du service à deux ans ; le service obligatoire de trois ans fut pourtant rétabli en 1913. Précisons que les programmes de l’école républicaine, déjà évoqués et qui visaient à fabriquer des citoyens républicains complets, n’avaient omis pour les écoliers ni les cours de patriotisme ni la formation militaire.

La République au tournant de la Belle Époque Un cataclysme politique : l’affaire Dreyfus Au sens strict, purement judiciaire, l’affaire Dreyfus s’étend de décembre 1894 à juillet 1906, de la condamnation

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sans preuve du capitaine Alfred Dreyfus par la justice militaire à l’arrêt définitif de la Cour de cassation affirmant qu’il a été condamné à tort. Nous en donnerons en encadré les étapes et rebondissements. D’un point de vue philosophique, l’affaire illustre le combat entre des défenseurs de la justice, de la vérité et de la tolérance – un groupe éclairé, mais toujours minoritaire (les dreyfusards) –, et un conglomérat de défenseurs de la chose jugée, de militaires qui se pensent au-dessus des lois, de nationalistes haineux et de catholiques aveuglés par l’intolérance et le fanatisme (les antidreyfusards). L’affaire Dreyfus présente également un intérêt politique majeur : elle va précipiter l’éclatement de la majorité progressiste (voir page suivante) au pouvoir depuis vingt ans, et conduire à une recomposition complète des forces politiques, donnant un nouveau souffle à l’idéal républicain, un élan qui durera jusqu’en 1914. Le résultat des élections de 1893 avait déjà montré l’affaiblissement des républicains modérés, combattus sur leur droite (c’était traditionnel) et désormais aussi sur leur gauche, avec la percée de groupes parlementaires d’opposition : quelques socialistes, inspirés par un rêve de révolution sociale, et surtout des « radicaux », qui ne se

À L’AVENTURE ! Vous pouvez mettre en scène l’affaire Dreyfus de deux manières dans vos parties : soit en imaginant une intrigue qui y est directement liée, soit sous forme de toile de fond. Dans le cadre d’un scénario n’ayant aucun rapport avec elle, il peut être utile de rappeler que le sujet occupe tous les esprits. Alors que les personnages, comme il est fréquent, se retrouvent pour faire le point sur leur enquête dans une brasserie parisienne, une discussion sur l’affaire éclate à la table voisine. Inspirez-vous largement de la caricature de Caran d’Ache pour mettre en scène la bagarre générale qui va s’ensuivre. Bien entendu, comme cela se passe à la table voisine, nos personnages vont être impliqués dans l’échauffourée, soit parce qu’une carafe atterrit sur la tête de l’un d’eux, soit parce qu’ils sont directement pris à partie sur le mode du : « Et vous, vous en pensez quoi ? ». Sauver un dreyfusard d’un quasi-lynchage peut être, par ailleurs, une bonne manière de rentrer en contact avec un PNJ important de votre scénario. Et après tout, si vous avez envie de constituer votre groupe de personnages sur un coup d’éclat, une telle altercation peut être l’occasion de leur première rencontre. Il est également possible de prendre l’affaire Dreyfus comme toile de fond d’un de vos scénarios. Comme vous le savez, tout au long de l’affaire, l’état-major n’a eu de cesse de fabriquer un « dossier secret » rempli de fausses

pièces à conviction, dossier qui n’était d’ailleurs pas communiqué à la défense. Ce « dossier » pourrait être la pierre angulaire d’une aventure. Ainsi, vous pouvez mettre en scène un faussaire recruté secrètement par l’armée pour produire des pièces incriminant Dreyfus. Ledit faussaire peut être retrouvé mort, et les personnages amenés à enquêter sur cette mort ; ou encore, il peut être l’auteur d’un cambriolage dans une librairie ésotérique et avoir volé un ouvrage qui explique comment s’approprier « toutes les qualités et vertus de l’écriture d’autrui » – mais rien ne dit que cet ouvrage n’est pas une supercherie ! ; il peut aussi s’agir d’un proche des personnages, voire des personnages eux-mêmes, que l’on a tenté d’impliquer, à un titre ou à un autre, dans la production des pièces du dossier et qui, ayant refusé, se retrouvent en butte aux pires difficultés. Enfin, pourquoi ne pas mettre en scène une page ignorée de notre Histoire : la disparition du fameux dossier dans des circonstances étranges ? Les personnages pourraient, par hasard, récupérer ce dossier explosif, être amenés à enquêter sur sa disparition ou embarqués dans une opération de cambriole visant à prendre connaissance des pièces du dossier. Si l’affaire Dreyfus n’est pas un moment de l’Histoire comme un autre, rien ne vous empêche d’en faire un support à intrigues, dans un but purement ludique.

retrouvaient plus dans le conservatisme ronronnant des progressistes. Pour gouverner, les républicains modérés devaient dorénavant composer en permanence soit avec quelques radicaux sans conviction, soit avec des royalistes « ralliés ».

Gouvernance faible, hésitant entre deux options, et incapable de trancher. L’affaire Dreyfus (cf. Chronologie) va donc emporter ce système à bout de souffle.

C hronologie de l’Affaire Dreyfus, de 1894 à 1906 Note : les soubresauts proprement politiques ont été figurés en gras. 1894 Fin septembre : Mme Bastian, femme de ménage à l’ambassade d’Allemagne et agent de la Section de Statistiques (le contre-espionnage français), met la main sur le « bordereau », lettre anonyme adressée au colonel Maximilian von Schwartzkoppen, l’attaché militaire allemand en poste à Paris. 6 octobre : une enquête interne, menée par le chef de brigade Armand du Paty de Clam, affirme que l’auteur du bordereau serait un officier stagiaire d’état-major, un artilleur. Ses soupçons se portent précisément sur le capitaine Alfred Dreyfus, officier juif d’origine alsacienne, sur la base d’une ressemblance d’écritures établie par le fondateur de l’anthropométrie – mais non graphologue ! – Alphonse Bertillon. 15 octobre : le capitaine Dreyfus est interrogé au ministère de la Guerre et immédiatement placé aux arrêts.

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Caricature de Caran d’Ache sur l’affaire Dreyfus

28 novembre : le général Mercier, ministre de la Guerre, proclame dans Le Figaro sa certitude de la culpabilité de Dreyfus. Les journaux de la presse nationaliste et antisémite, L’Éclair et La Libre Parole, se déchaînent contre le « traître » Dreyfus. 19 au 21 décembre : procès à huis clos du capitaine Dreyfus devant le Conseil de guerre. L’état-major informe les juges qu’il dispose de certaines pièces secrètes « accablantes », mais qui ne peuvent leur être communiquées. 22 décembre : l’accusé est condamné pour haute trahison à la dégradation et à la déportation à perpétuité.

est ouverte par le général de Pellieux, qui disculpe rapidement Esterhazy. 28 novembre : Le Figaro imprime des lettres francophobes d’Esterhazy, communiquées par une ancienne maîtresse, Mme de Boulancy. 4 décembre : Jules Méline, Président du Conseil, déclare : « Il n’y a pas d’affaire Dreyfus. »

1895 5 janvier : le capitaine Dreyfus est dégradé en public dans la cour de l’École militaire de Paris. 12 mars : Alfred Dreyfus accoste en Guyane, il est transféré le 14 avril sur l’île du Diable. 22 juin : le colonel Marie-Georges Picquart devient chef de la Section de Statistiques. 1896 Mars : la Section de Statistiques récupère le petit bleu (brouillon de télégramme) adressé par von Schwartzkoppen au commandant Esterhazy. 28 avril : Jules Méline est élu président du Conseil, avec l’appui des progressistes et des royalistes. 1er septembre : après plusieurs mois d’enquête, Picquart constate que l’écriture sur le bordereau de 1894 est la même que celle d’Esterhazy, et en informe le général de Boisdeffre, chef d’état-major. 14 septembre : le journal L’Éclair révèle que des pièces secrètes « accablantes » auraient convaincu les juges du Conseil de guerre en décembre 1894. Début novembre : le commandant Henry complète le dossier Dreyfus par un faux, dans lequel le nom « Dreyfus » apparaît en toutes lettres. 14 novembre : Picquart est démis de son poste à la Section de Statistiques et envoyé en mission en Tunisie. 1897 Janvier : le commandant Henry est nommé chef de la Section de Statistiques. Fin juin : craignant pour sa vie, Picquart fait part de sa découverte de l’innocence de Dreyfus à son ami d’enfance, l’avocat Louis Leblois. 13 juillet : Me Leblois se confie à Auguste ScheurerKestner, vice-président du Sénat ; il le convainc de l’innocence de Dreyfus. Une campagne en faveur de la révision du procès débute, menée par Mathieu Dreyfus, frère du condamné. 16 octobre : le général Gonse, sous-chef d’état-major, prévient Esterhazy des accusations dont il pourrait faire l’objet. Esterhazy écrit au Président de la République Félix Faure. 16 novembre : Mathieu Dreyfus publie dans la presse une lettre au ministre de la Guerre, dans laquelle il dénonce Esterhazy comme l’auteur du bordereau. Une enquête

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1898 1er janvier : sur les conseils de l’état-major, Esterhazy demande à être jugé, afin de démontrer son innocence. 11 janvier : le Conseil de guerre acquitte Esterhazy à l’unanimité, et ferme ainsi tout recours pénal contre le coupable. 13 janvier : Émile Zola publie J’Accuse… ! dans L’Aurore, quatre pages où il dénonce les manigances de l’armée. 18 janvier : le général Billot, ministre de la Guerre, porte plainte contre Zola et L’Aurore. 23 février : Émile Zola est condamné pour diffamation à une peine d’un an de prison ferme et 3 000 F d’amende. 26 février : le colonel Picquart, venu témoigner en faveur de Zola, est « mis en réforme », c’est à dire licencié de l’armée. 2 avril : la Cour condamne à nouveau Zola, qui s’exile en Angleterre. Printemps-été : la presse catholique à grand tirage des Assomptionnistes (Le Pèlerin et La Croix) se déchaîne contre le « syndicat juif ». Mai 1898 : élections législatives, nouveau recul des progressistes. 28 juin : Jules Méline est renversé par la nouvelle Chambre des députés. Henri Brisson, radical, forme un gouvernement. 7 juillet : le ministre de la Guerre, le général Cavaignac, affirme détenir les preuves de la culpabilité de Dreyfus et lit devant les députés trois documents extraits du « dossier secret ». 9 juillet : dans une lettre adressée au président du Conseil, Picquart accuse Cavaignac d’avoir cité deux lettres qui ne concernent pas Alfred Dreyfus, et lu un faux. 13 août : la nature frauduleuse du « faux Henry » est découverte. 30 août : convoqué par le ministre Cavaignac, Henry (devenu colonel entre-temps) passe aux aveux ; il est arrêté et conduit au Mont Valérien. Il se suicide le lendemain dans sa cellule. 2 septembre : démission du général de Boisdeffre, chef d’état-major. Esterhazy s’enfuit en Belgique, puis en Angleterre. 3 septembre : le général Cavaignac démissionne de son poste de ministre de la Guerre. 17 septembre : démission du général Zurlinden, ministre de la Guerre, successeur de Cavaignac. 26 octobre : démission du général Chanoine, ministre de la Guerre, successeur de Zurlinden ; démission dans la foulée du gouvernement Brisson. Charles Dupuy, progressiste, lui succède.

27 octobre : la chambre criminelle de la Cour de cassation déclare recevable la demande en révision du procès de 1894 et décide de procéder à une enquête.

13 juillet 1906 : loi réintégrant dans l’armée Dreyfus (avec le grade de chef d’escadron) ainsi que Picquart (avec le grade de général de brigade). Au-delà des souffrances endurées par Alfred Dreyfus, des risques pris par ses défenseurs et de l’agitation extrême que provoqua l’affaire dans tout le pays (surtout en 1898-1899), le bouleversement politique fut considérable. Le 22 juin 1899, 296 députés (contre 159) renversèrent le gouvernement Dupuy en votant un ordre du jour où ils se déclaraient résolus « à ne soutenir qu’un gouvernement décidé à défendre avec énergie les institutions républicaines ». Ces députés n’avaient pas tous été dreyfusards, loin de là, mais les rebondissements de l’affaire les avaient convaincus de réagir. La formation du gouvernement Waldeck-Rousseau en juin 1899 doit donc être interprétée comme un sursaut opéré par des personnalités républicaines aux options très diverses, mais d’accord pour considérer que la République était gravement menacée par ses ennemis, qu’elle méritait d’être sauvée et définitivement consolidée.

1899 16 février : mort de Félix Faure, Émile Loubet est élu Président de la République. 23 février : obsèques de Félix Faure, le leader nationaliste Paul Déroulède tente un coup d’État militaire. 1er mars : loi de dessaisissement de la Chambre criminelle (jugée trop dreyfusarde), au profit des trois chambres réunies. 3 juin : la Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule le jugement de 1894 ; l’affaire est renvoyée devant un nouveau Conseil de guerre. 4 juin : le baron de Christiani, bonapartiste, agresse le Président Loubet à l’hippodrome d’Auteuil. 9 juin : Alfred Dreyfus quitte l’île du Diable. 22 juin : Charles Dupuy est renversé. Pierre WaldeckRousseau forme un gouvernement de « Défense républicaine », avec l’appui des socialistes, des radicaux et d’une partie des progressistes. 18 juillet : Le Matin publie un récit d’Esterhazy, dans lequel il reconnaît être l’auteur du bordereau, mais il l’aurait écrit « sous la dictée » de ses chefs. 7 août : à Rennes, début du second procès Dreyfus devant le Conseil de guerre. 9 septembre : Dreyfus est condamné à dix ans de prison, avec circonstances atténuantes. 19 septembre : Alfred Dreyfus est gracié par le Président Émile Loubet.

ÊTRE PROGRESSISTE, C’EST…

1900 à 1906 Janvier-mars 1900 : procès des Assomptionnistes, à la demande du gouvernement ; la congrégation est dissoute et expulsée de France. 24 décembre 1900 : loi d’amnistie, concernant tous les responsables civils et militaires de l’affaire. 1er juillet 1901 : loi autorisant toutes les associations, sauf religieuses. 26 novembre 1903 : Dreyfus dépose une demande en révision du procès de Rennes. 1904-1906 : La Cour de cassation initie une nouvelle série d’enquêtes. Juillet 1904 : rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. 9 décembre 1905 : loi codifiant la séparation de l’Église et de l’État, et autorisant des associations cultuelles. 12 juillet 1906 : la Cour de cassation annule sans renvoi le jugement du Conseil de guerre de Rennes, et conclut que la condamnation à l’encontre d’Alfred Dreyfus a été prononcée à tort en 1899.

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Vouloir incarner le visage rassurant de la République. Clairement défenseurs de l’ordre et de la propriété, ces républicains modérés veulent en finir avec les mythes révolutionnaires. Ayant posé les fondations de la IIIe République, ils prétendent incarner une gouvernance politique sérieuse et réparatrice, disposée à des compromis, loin des excès auxquels pourraient conduire leurs nombreux opposants de droite ou de gauche. Souvent critiqués pour leur opportunisme, leur cynisme et leur proximité avec les milieux d’affaires, ils ne manquent pourtant pas de convictions : les protestants Jules Ferry et Pierre Waldeck-Rousseau sont les deux figures austères, mais les plus respectées, du mouvement progressiste. D’autres personnalités plus ternes se sont révélées incapables de garder un cap précis au moment de l’affaire Dreyfus. Car les progressistes se divisent définitivement en 1899 ; d’un côté ceux, tels Raymond Poincaré ou Louis Barthou, qui acceptent de s’allier aux radicaux et aux socialistes nonobstant leurs nombreuses divergences, comme s’il s’agissait de refonder la République et donc de revenir aux sources du parti progressiste. D’un autre côté, des républicains d’opposition, acceptant pour la première fois d’être placés à droite de l’échiquier politique, avec leurs vieux adversaires royalistes. En effet, malgré leur modération et leur conservatisme, les progressistes s’étaient toujours présentés officiellement comme une force de gauche.

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L’Aurore du 13 janvier 1898

Deux lois majeures vont incarner cette volonté de refonder la République La loi de 1901 sur les associations, fondant les partis politiques modernes

Pierre Waldeck-Rousseau (Alliance démocratique) fut président du Conseil de juin 1899 à juin 1902 ; Émile Combes (parti radical) de juin 1902 à janvier 1905 ; Georges Clemenceau (radical non encarté) d’octobre 1906 à juillet 1909.

Cette loi sur les associations à but non lucratif comble un vide impressionnant, puisque toutes les associations (sauf les syndicats ouvriers, autorisés en 1884) demeuraient interdites en France depuis 1791 ! Désormais, leur création est possible, dans les domaines les plus divers (sauf religieux, on y reviendra). Vont ainsi fleurir des milliers d’associations sportives ou culturelles, à rayonnement local, régional ou national ; le législateur leur imposant seulement un fonctionnement démocratique : statuts déposés en préfecture, élection des dirigeants par les adhérents, comptes financiers transparents. Très vite furent fondés, dans ce cadre légal, les premiers partis politiques. Pendant l’affaire Dreyfus, différentes « ligues », des mouvements non autorisés, avaient vu le jour, pour canaliser les groupes dreyfusards et antidreyfusards : la Ligue des patriotes du tribun nationaliste Paul Déroulède, la Ligue des droits de l’Homme, proche des socialistes, la Ligue antisémitique d’Édouard Drumont… La loi de juillet 1901 brisa le cadre étroit de ces partis politiques embryonnaires, en leur substituant des partis de masse, avec des adhérents qui payaient leur cotisation, élisaient les dirigeants et réunissaient des congrès réguliers fixant la ligne à suivre.

ÊTRE SOCIALISTE, C’EST… Rêver d’une redistribution des richesses, en commençant par les moyens de production. Les socialistes français imaginent davantage une collectivisation des entreprises qu’une nationalisation. La forme coopérative a leur préférence. Se déclarer pacifiste et internationaliste. Comme son nom l’indique, la SFIO n’est qu’une section d’un mouvement international, l’Internationale ouvrière, qui a des adhérents dans plus de vingt pays, et dont les délégués se réunissent tous les deux ou trois ans pour coordonner leurs actions. Comme le précise le Congrès de Copenhague en 1910 : « Les guerres ne sont actuellement causées que par le capitalisme […]. La chute du capitalisme signifie la paix universelle. » Combattre toutes les formes d’« aliénation ». Les socialistes sont donc féministes, anticléricaux, et anticolonialistes. Ils demeurent très divisés sur les moyens d’accéder au pouvoir – par une révolution violente ? Par une victoire électorale ? Par une alliance avec d’autres partis ? – et d’établir la société de leurs vœux – « grand soir » ou évolution progressive ?

TABLEAU DES PRINCIPAUX PARTIS POLITIQUES AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE NOM DU PARTI

ORIENTATION

1901

Parti républicain radical Gauche modérée et radical-socialiste

1901

Alliance républicaine démocratique

Centre

1903

Fédération républicaine

Droite d’opposition

1905

Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO)

Socialiste, extrême gauche

1905

Action française

Royaliste, extrême droite

ÊTRE RADICAL, C’EST… Être viscéralement attaché à la République, à ses symboles et à ses valeurs, et au souvenir de la Révolution de 1789. Par là même, les radicaux sont le fer de lance d’un anticléricalisme virulent, hérité des Lumières. Ils manifestent aussi un vif attachement au service militaire et à toutes les formes d’un patriotisme populaire : « Aux armes, citoyens ! ». Ils passent beaucoup de temps à critiquer la modération des républicains progressistes, mais sont disposés à gouverner avec eux. Au plan social, les radicaux se veulent les représentants des petits paysans propriétaires et des classes moyennes. Ils considèrent les revendications socialistes comme des utopies dangereuses, mais dénoncent également l’égoïsme des plus fortunés. Le parti radical s’est engagé résolument en faveur de la création d’un impôt sur le revenu.

Précisons que dans la configuration particulière des années 1899-1914, dite de Défense républicaine, le parti radical, l’Alliance démocratique et une bonne partie des socialistes se sentaient une vocation à gouverner ensemble, malgré leurs sensibilités différentes. Beaucoup de militants de la SFIO reprochaient pourtant à leurs partenaires la défense de l’ordre « bourgeois » et un chauvinisme belliqueux. Notons cependant que cette majorité improbable, issue de la « génération Dreyfus », donna trois gouvernements qui furent les plus longs de la IIIe République :

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CRÉATION

La loi de 1905, retour aux fondamentaux de la République

Article 16. Toute congrégation formée sans autorisation sera déclarée illicite. Article 18. Les congrégations existantes qui n’auraient pas été antérieurement autorisées ou reconnues devront, dans un délai de trois mois, justifier qu’elles ont fait les diligences nécessaires pour se conformer à ces prescriptions. À défaut de cette justification, elles seront réputées dissoutes de plein droit ; il en sera de même des congrégations auxquelles l’autorisation aura été refusée.

Le camp antidreyfusard ne comptait pas, tant s’en faut, que des adversaires de la République. Mais les vieux ennemis de la « Gueuse » avaient profité de l’affaire Dreyfus pour s’offrir une nouvelle jeunesse. Royalistes et bonapartistes, nationalistes à la recherche d’un sabre, simples aventuriers, avaient donné de la voix. Un des aspects les plus ordinaires, mais aussi les plus fédérateurs des mouvements nationalistes européens de ce temps, s’était étalé sans honte dans des manifestations de rue ou des articles de presse : l’antisémitisme.

Elle fut vite complétée par la loi du 4 décembre 1902, stipulant que serait frappé d’amende ou de prison : « Quiconque ouvrirait sans autorisation un établissement scolaire congréganiste ; toute personne qui, après ordonnance de fermeture, continuerait les activités de l’établissement ou en favoriserait l’organisation ou le fonctionnement. » En quelques mois, 3 000 écoles religieuses furent donc fermées, et des milliers de religieux relevant de divers ordres ou congrégations non autorisés furent expulsés de France.

ÊTRE ROYALISTE, C’EST… Se poser en adversaire irréductible du régime, au nom de la « France éternelle » bâtie par ses rois. Opposants permanents, les royalistes utilisent l’essentiel de leur temps et de leur énergie à dénoncer la médiocrité ou la corruption des républicains. Les royalistes portent en réalité des valeurs très diverses. Sans parler des « ralliés », qui seraient prêts à gouverner avec les républicains, beaucoup de royalistes se contenteraient d’une monarchie constitutionnelle « à l’anglaise ». Cependant, la frange la plus réactionnaire du mouvement ne cesse de s’affirmer avec les années. Plus bruyante et visible que les royalistes modérés, l’Action française se définit comme un mouvement nationaliste, antisémite et antiparlementaire. Elle bénéficie de l’appui déclaré d’une bonne partie de la hiérarchie catholique et du prétendant au trône. En effet, tous les royalistes se réclament d’un souverain potentiel et providentiel, mais vivant à l’étranger, car chassé de France en 1886 : Louis-PhilippeRobert d’Orléans (alias Philippe VIII), chef de la Maison royale de 1894 à sa mort en 1926.

La loi du 9 décembre 1905, portant séparation de l’Église et de l’État, constitua l’aboutissement de cette poussée anticléricale, en mettant fin au système concordataire : Article 1. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. Article 2. La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. À charge pour les fidèles de créer des associations cultuelles, afin de subvenir aux besoins des prêtres, s’ils le souhaitent. Restait cependant la question des lieux de culte, dont la République se déclarait propriétaire, acceptant de les mettre gratuitement à disposition des prêtres. Une sorte de contrat à bail d’un local meublé, dont il fallait désormais fixer précisément, et devant huissier, tous les détails. L’année 1906 fut donc consacrée à établir dans chaque église l’inventaire exhaustif des bâtiments, et objets que la République consentait à laisser en libre usage au clergé. Dans les départements de l’Ouest, très religieux, les inventaires provoquèrent des affrontements armés, faisant quelques victimes et créant une agitation durable. La République triomphait ainsi de ses adversaires, en les neutralisant par la loi, dans un climat qui pouvait garder, localement, un parfum de guerre civile.

L’Église catholique, adversaire résolu de la République, mais aussi vecteur séculaire de délires hallucinants contre les juifs, qualifiés de « peuple déicide », s’était également engouffrée dans la brèche ; on a du mal aujourd’hui à imaginer la virulence des journaux catholiques contre Dreyfus et ses partisans, mais elle fut sans limites et finalement d’une grande imprudence. Car le sursaut républicain fut aussi l’heure des comptes à régler, et l’anticléricalisme devint le ciment de la Défense républicaine. Dans l’esprit des républicains, il n’était plus question que la République se compromette avec ses pires ennemis, encore moins qu’elle leur verse un salaire, comme l’avait établi le Concordat napoléonien de 1801. La loi du 1er juillet 1901, déjà évoquée, ouvrit joyeusement le bal : Article 13. Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement. Article 14. Les membres d’une congrégation non autorisée sont interdits d’enseigner ou de diriger un établissement d’enseignement.

R épublique ou démocratie ? La question qui fâche

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Les deux termes appartiennent au même registre sémantique, on les confond souvent, mais ils ne sont pas

synonymes. On l’a compris, avec ses enjeux propres et un débat de fond sur les valeurs qu’il est censé porter, le mot « république » était beaucoup plus utilisé à la Belle Époque

que le terme « démocratie », qui allait devenir cependant une référence majeure au XXe siècle, avec tous les dévoiements que permit le « siècle des masses ».

LES CLASSES POPULAIRES DANS MALÉFICES Dans quelle mesure est-il possible de jouer des personnages issus des classes populaires dans Maléfices ? Certes, ces hommes et ces femmes sont souvent enchaînés à un labeur éreintant qui leur laisse peu de temps pour partir à l’aventure. N’oubliez toutefois pas que Maléfices est un jeu et qu’il vous est permis à cet égard de prendre quelques libertés. Par ailleurs, vous pouvez concentrer votre action

sur le repos dominical, lors de fêtes religieuses qui s’étalent sur plusieurs jours (Pâques par exemple), ou lors de grèves. Le plus satisfaisant reste sans doute, si vous souhaitez jouer des personnages des classes populaires proches de la réalité historique, de faire des scénarios 100 % ouvriers ou paysans avec des personnages prétirés.

Les classes populaires : ouvriers et paysans Malgré un exode rural déjà entamé, 23 millions de Français vivent à la campagne en 1900 (59 % de la population). 70 % d’entre eux, 16 millions (42 % de la population française) sont recensés comme agriculteurs. Le progrès touche les communautés rurales : l’utilisation d’engrais se répand, davantage que celle de machines agricoles. Cependant, l’enseignement agricole reste inexistant. La production est commercialisée pour une grande part et commence à se spécialiser, l’autoconsommation diminue donc et les villages, pas dépeuplés du tout, sortent d’un mode de vie presque autarcique. Précisons que la plupart des exploitants français sont propriétaires de leurs terres, une exploitation familiale souvent modeste, mais qui permet

de vivre, sans luxe et au prix d’un dur labeur quotidien. Afin de ne pas disperser les biens lors d’une succession, on fait peu d’enfants et on dépense le moins possible, dans le but de constituer une épargne, pour les descendants ou les mauvais jours. Les ouvriers d’industrie (6 millions en 1910, dont un tiers de femmes) sont de plus en plus nombreux, mais le processus d’industrialisation français demeure lent et archaïque si on le compare à la Grande-Bretagne ou à l’Allemagne. Urbain en général, le tissu industriel est aussi très varié, comme les conditions de travail : beaucoup de petites entreprises proches de l’artisanat, peu d’entreprises

À L’AVENTURE ! Paysans…

… et ouvriers

Comme chaque soir, vos personnages se retrouvent au café, en face des forges où ils travaillent. Ils sont exténués de leur journée passée dans les flammes, la chaleur, le métal en fusion qui éclaire la pénombre des ateliers, le bruit assourdissant des lourds marteaux qui retombent sur l’acier, les vapeurs et les fumées de toutes sortes. Comme chaque soir, la cloche de l’usine a retenti et l’on a quitté le travail. Mais ce soir, personne ne parle. Mathieu, un fier ouvrier et bon camarade, s’est fait broyer la main par un marteau. Puis les verres défilent, les langues se délient. On discute, on s’échauffe : Mathieu était syndicaliste, ce n’est pas un accident ! D’autres évoquent des silhouettes « pas très humaines » entraperçues dans le rougeoiement du métal. Mais est-ce qu’on n’a pas tous des airs de bêtes, parfois, dans ce métier ? Et si cet accident avait à voir avec la visite des forges par les militaires, la semaine passée ? Que voulaient-ils ? Et Mathieu, il n’en aurait pas trop entendu, par hasard ? Alors, accident ? Tentative de meurtre ? Les forges ne sont-elles pas aussi le théâtre idéal pour des pratiques sorcières liées à l’antique culte de Vulcain ? Ce malheur va-t-il déboucher sur une grève ? Et nos personnages n’auraient-ils pas intérêt à pousser à la grève pour avoir le temps de mener leur petite enquête ?

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Nous sommes en décembre dans une communauté rurale de votre choix. Les personnages sont des gens du village de L… et chacun a son histoire bien implantée dans la communauté, avec ses secrets et ses non-dits. En cette période de l’année, l’activité est au ralenti et la nuit tombe tôt. On se retrouve chez les uns et les autres ou au bistrot en face de l’église. On s’affaire pour préparer les festivités de Noël autour de monsieur le curé. Les enfants font de longues marches dans la neige depuis les fermes alentour pour venir à l’école, chacun avec une bûche sous le bras pour alimenter le poêle de la salle de classe. Les quelques chanceux qui ont pu aller au collège de la ville voisine en internat vont bientôt rentrer pour les fêtes. Mais voici que chaque soir, à la tombée de la nuit, des hurlements sinistres se font entendre à la lisière de la forêt toute proche. Derrière les volets à demi fermés, on voit d’étranges créatures se faufiler la nuit dans les rues. Tous les matins, un bouquet de fleurs malodorantes est retrouvé aux pieds de la statue de la vierge qui orne la fontaine du village. Une mystérieuse maladie se répand… Le village est-il maudit en cette veille de Noël ? Tout cela a-t-il un rapport avec le passé des personnages ? Le Meneux serait-il de retour ?

géantes et modernes, comme les mines de charbon, les arsenaux. La durée du travail reste éprouvante : la loi du 2 novembre 1892 limite cependant la durée du travail quotidien à 10 heures pour les enfants de treize à seize ans, 11 heures pour les femmes et les jeunes de seize à dixhuit ans ; mais la loi Millerand du 30 mars 1900 (du nom d’un ministre socialiste dans le gouvernement WaldeckRousseau) prévoit de la porter à 10 heures pour tous en 1904. Le repos dominical est instauré par la loi du 13 juillet 1906, très tard par rapport aux autres pays européens. On s’éloigne peu à peu du monde ouvrier que décrivait Zola, analysant la société du Second Empire. Les salaires ont progressé depuis quelques décennies, mais ils demeurent faibles : 4,80 F par jour en 1910, ce n’est

qu’une moyenne, les hommes étant mieux payés que les femmes et les enfants, et les salaires parisiens étant plus élevés qu’en province. Les premières assurances vieillesse, par capitalisation, ne furent instaurées qu’en 1910, dans un pays où l’espérance de vie à la naissance ne dépassait pas quarante-cinq ans en 1900. On comprend ainsi pourquoi les ouvriers avaient très tôt éprouvé le besoin de former leurs propres mutuelles et syndicats : avant de devenir des structures revendicatives, ces associations étaient (et restaient) des caisses de solidarité. La 1re confédération syndicale à l’échelle nationale, la CGT, ne fut fondée qu’en 1895 et son programme (journée de 8 heures, salaire de 5 F/jour) semblait alors complètement utopique.

Le peuple et la République, marginalisation ou intégration ? De fait, pour l’époque qui nous intéresse, la politique est une passion française et les classes populaires ne restent pas à l’écart des débats que nous avons évoqués précédemment. LA PARTICIPATION ÉLECTORALE EST TOUJOURS CONSIDÉRABLE, malgré l’absence quasi totale de candidats issus du peuple aux élections législatives – c’est un peu moins vrai pour les élections locales (municipales et cantonales). Le suffrage universel masculin est ressenti comme une conquête sacrée, peu importe que les procédures de vote ne connaissent ni enveloppe ni isoloir avant 1913, pourvu qu’on vote ! De même, les réunions électorales sont extrêmement suivies, on apprécie les discours enflammés que les candidats adressent à la foule, ce qui n’empêche pas de poser des questions dérangeantes, voire d’organiser parfois des chahuts. LA PRESSE, PRINCIPAL MOYEN D’INFORMATION, EST MASSIVEMENT LUE : quelques grands quotidiens parisiens (tirant à 6 millions d’exemplaires avant 1914 !), souvent très engagés, mais aussi une presse régionale pléthorique et plus neutre, sans oublier tous les titres de la presse catholique, déjà évoqués. Le prix des journaux (5 centimes) est très bas, inférieur à leur coût de revient, grâce aux annonces payantes et aux premières « réclames ». On peut également les consulter dans un des 485 000 bistrots, ce qui permet d’entamer des débats passionnés avec les autres clients. Les premiers partis politiques, autorisés à partir de 1901, se constituent souvent dans un estaminet dédié, le « cercle », mélange curieux de débit de boissons et de local politique.

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Affiche par Jules Chéret (1836-1932)

LA PRESSE NATIONALE DE LA BELLE ÉPOQUE Les journaux de référence : Le Journal des Débats, Le Temps, Le Figaro (dreyfusards). Les grands tirages : Le Petit Journal et L’Intransigeant (antidreyfusards), Le Matin (dreyfusard), Le Petit Parisien (neutre), Le Journal (littéraire et conservateur). Les journaux engagés : La Libre Parole (antisémite, antidreyfusard), L’Éclair (radical, antidreyfusard), L’Aurore (radical, dreyfusard), Le Gaulois (royaliste, antidreyfusard), L’Action française (royaliste – fondé en 1908), L’Humanité (socialiste – fondé en 1904), L’Écho de Paris (droite, antidreyfusard).

La scolarisation de masse et le service militaire contribuent évidemment à socialiser les citoyens de la République française, sans distinction des origines sociales de chacun. Mais la République a d’autres cordes à son arc, comme les fêtes patriotiques ; ainsi le 14 juillet, institué fête nationale en 1880, permet à chacun de danser à volonté, mais aussi d’admirer l’armée républicaine déployant sa puissance lors de défilés impressionnants et très suivis. Pensons également aux Expositions universelles, celle de 1889 et celle de 1900, qui accueillit 51 millions de visiteurs !

Un kiosque à journaux, square du Bon Marché (vers 1913), photo par Eugène Atget (1857-1927)

La République des élites, un milieu conservateur et fermé Bacheliers ayant généralement suivi des études de droit, maîtrisant donc la langue et l’art oratoire, les députés et sénateurs formaient un milieu privilégié et fermé, peu soucieux de sortir de cet entre-soi. De beaux mariages, une sociabilité commune (par exemple l’adhésion à la franc-maçonnerie) et un mode de vie très confortable caractérisaient cette élite qui tenait les rênes de la République, et affichait sans discrétion sa réussite sociale. Les classes laborieuses restaient considérées comme des classes dangereuses, en tout cas peu fréquentables (en dehors des campagnes électorales), et incapables de participer à la conduite des affaires. Pour autant, la grande bourgeoisie d’affaires (banquiers et industriels) se tenait prudemment à l’écart des responsabilités politiques. Mais elle savait se faire entendre des élites républicaines, au besoin en versant quelques potsde-vin bien utiles, comme les chèques prodigués en 1888 par la Compagnie du canal de Panama à plusieurs dizaines de députés et journalistes pour les dissuader de se pencher de trop près sur les comptes de la Société. De son côté, la petite et moyenne bourgeoisie – comprenant les membres des professions libérales, des fonctionnaires satisfaits de leur sort, comme les officiers et les juges, auxquels on peut associer les représentants du clergé (salariés de la République jusqu’en 1905) – fournissaient tout un réseau de notables qui manifestaient volontiers, dans les villes de province et les communes rurales,

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Jusqu’aux années 1910, la République manqua singulièrement d’ambitions sociales. Ces questions ne semblaient pas la concerner. Ainsi, alors que les républicains radicaux proposaient depuis les années 1880 un impôt sur le revenu, il ne fut instauré, nécessité faisant loi, qu’au moment de la Première Guerre mondiale. Nous l’avons déjà mentionné, les lois « sociales » visant à améliorer la condition ouvrière furent mises en place en France bien plus tard que dans les autres pays européens. À l’inverse, la République se montrait implacable envers qui semblait menacer l’ordre public et la propriété privée. Bref, elle avait la Révolution en horreur, quoi qu’elle en dise. « La Révolution française est un bloc, dont on ne peut rien distraire », proclamait cependant Clemenceau en 1891. Mais il est frappant de constater comment son gouvernement réagit en janvier 1906 à la catastrophe de Courrières (qui emporta 1 099 mineurs), en envoyant 20 000 soldats forcer les survivants à reprendre le travail. Un ministère du Travail fut bien créé quelques mois plus tard, mais au printemps 1907, le même Clemenceau mobilisa à nouveau trente-quatre régiments contre les vignerons du Languedoc qui manifestaient après l’effondrement des prix… Dans son ensemble, le personnel politique était issu de la bourgeoisie et demeurait résolument insensible aux difficultés d’existence des plus défavorisés.

En 1804, le Code civil napoléonien avait fixé « dans le marbre » les principes de la domination masculine dans la famille : Article 213. Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. Article 214. La femme est obligée d’habiter avec le mari, et de le suivre partout où il juge à propos de résider : le mari est obligé de la recevoir, et de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état. Article 229. Le mari pourra demander le divorce pour cause d’adultère de sa femme. Article 230. La femme pourra demander le divorce pour cause d’adultère de son mari, lorsqu’il aura tenu sa concubine dans la maison commune.

leur attachement aux valeurs traditionnelles : le travail, la patrie, le maintien de l’ordre, etc.

Les femmes, des citoyennes mineures La place des femmes à la Belle Époque est une question généralement abordée d’un point de vue social, mais elle est déjà au centre des débats politiques. Les femmes participent massivement à la vie économique, et ceci avant 1914, où on leur demandera de remplacer les hommes partis à la guerre. Elles sont présentes dans la plupart des secteurs d’activité : commerce, services, agriculture, industrie et toujours moins payées que les hommes ! Cependant, la législation accorde aux ouvrières, considérées plus fragiles, les mêmes avantages qu’aux jeunes gens de seize à dix-huit ans. La loi leur donne plein accès à l’éducation, mais dans des structures réservées aux jeunes filles : écoles primaires (avec un enseignement spécifique, comprenant des matières réputées féminines comme la couture…), écoles supérieures et aussi lycées de jeunes filles pour les plus fortunées. Mais certaines professions de prestige, considérées comme viriles, restèrent longtemps interdites aux femmes, même diplômées. En 1900, Jeanne Chauvin ne fut autorisée à exercer la profession d’avocate qu’après de vifs débats à la Chambre des députés. Marie Curie fut la première femme à devenir professeur d’université en 1906. De fait, le statut des femmes demeurait largement tributaire des mentalités traditionnelles et d’un cadre juridique qui refusait aux femmes l’égalité de droits avec les hommes, auxquels elles étaient prétendues inférieures.

Les mentalités allaient dans le même sens, ressassant sans la moindre honte, tout au long du XIXe siècle, un grand nombre de préjugés misogynes : en premier lieu, une femme « honnête » devait être mariée, afin de jouer le rôle d’épouse et de mère qui lui était dévolu. Dans les classes aisées, il était très mal vu qu’une femme exerce un métier. Ainsi, une femme de la bourgeoisie sortait peu et toujours accompagnée, elle pouvait recevoir des visites un jour par semaine, mais uniquement en présence de son époux. À l’inverse, une femme célibataire était forcément considérée avec mépris ou suspicion ; la société observait, narquoise, les « vieilles filles » et les religieuses. Seules les veuves inspiraient un certain respect, à condition qu’elles jouent le rôle éploré qu’on attendait d’elles.

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Étalages extérieurs d’un grand magasin (photo de Paul Géniaux)

On tolérait en revanche, mais avec un regard scandalisé et en les surveillant de près, les femmes « de petite vertu » : les nombreuses « gourgandines » de conditions très diverses, « cocottes » de luxe animant la vie mondaine, grisettes ou prostituées travaillant dans des « maisons de tolérance » plus ou moins confortables. Mais le racolage dans l’espace public était interdit et sévèrement réprimé par la loi. Dans ces conditions, la naissance d’un mouvement féministe d’ampleur fut d’autant plus remarquable. En 1897 parut le premier numéro du journal La Fronde, dirigé par l’actrice Marguerite Durand et l’écrivaine Séverine, qui posaient la question du droit de vote des femmes, à l’instar du mouvement « suffragiste » qui se développait à la même époque au Royaume-Uni et aux États-Unis.

On n’était plus dans un féminisme embryonnaire, tel qu’il avait pu être formulé précédemment par quelques personnalités très marginales de la mouvance socialiste. Le féminisme de la Belle Époque s’inscrivait dans un courant général de démocratisation, auquel la société française devenait sensible. En 1906, le député du Pas-de-Calais Paul Dussaussoy déposa une proposition de loi qui demandait que les femmes puissent s’exprimer « dans les élections aux conseils municipaux, aux conseils d’arrondissement et aux conseils généraux ». En 1909, la Commission du suffrage universel de la Chambre des députés donna un avis favorable à cette proposition. Elle fut même votée par les députés en 1919, mais le Sénat s’y opposa, bloquant toute évolution du droit de vote pendant les vingt-cinq années suivantes.

Délinquance et maintien de l’ordre Sans vouloir gommer le moins du monde une réputation aussi lamentable que bien établie, on tentera de répondre ici à quelques questions simples : – Dans quel cadre juridique l’État gère-t-il le maintien de l’ordre avant 1914 ? – Quels sont les instruments les plus spectaculaires de la répression ? – Peut-on définir une typologie des criminels et délinquants ?

de notables locaux, aux compétences limitées, mal payés et réputés inamovibles, mais chaque nouveau régime se charge de suspendre l’inamovibilité pour les remplacer… Enfin, toute une batterie de juges de paix assiste les juges du siège et peut intervenir au niveau local dans des procédures d’arbitrage. La procédure est accusatoire pour beaucoup d’affaires civiles (celui qui porte plainte doit fournir la preuve), mais inquisitoire dans la plupart des procès : le procureur de la République (ou royal, ou impérial selon les temps), ses substituts et les juges d’instruction (le Parquet) ouvrent et mènent l’enquête au nom de l’État, mobilisant les gendarmes à la campagne, les policiers en ville. Il faut aussi dire un mot de la justice militaire, qui fonctionne à part, avec des juges spécifiques, et vise les affaires propres au ministère de la Guerre (mutineries, espionnage), mais peut parfois déborder, si l’État se sent menacé par une situation troublée et déclare l’état de siège (comme durant la période 1871-1874).

Le cadre légal L’organisation des tribunaux remonte à la Révolution : dans chaque département, une Cour d’assises où un jury de citoyens, tirés au sort, rend la justice criminelle au nom du peuple français, sans appel. Dans chaque arrondissement, un tribunal d’instance (civil et correctionnel) juge la plupart des affaires. Il est animé par des juges du siège, nommés par le gouvernement dans des conditions souvent critiquées, au moins jusqu’aux années 1880 : il s’agit

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Palais de justice de Paris, salle des assises, banc des accusés et de la défense – agence Rol, fondée en 1904

Une justice sans tendresse particulière

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LE CODE PÉNAL NAPOLÉONIEN DU 3 JUIN 1810 constitue le cadre définissant toutes les peines et contraventions qui sanctionnent les crimes et délits « contre la chose publique » (sûreté de l’État et paix publique) et « contre les particuliers » (les personnes et les propriétés). On reviendra ici sur trois aspects ordinaires de cette justice : • « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » en exceptant bien sûr les personnes condamnées par les tribunaux militaires, qui bénéficient d’une exécution par fusillade. La machine du docteur Guillotin, surnommée aussi parfois aimablement « la lucarne », « la mirabelle » ou « la louisette », est présente dans chaque département ; cependant, on décida en 1870 qu’un seul bourreau suffirait pour l’ensemble du territoire national. Les exécutions étaient publiques et ce spectacle attirait toujours une foule nombreuse, même si la suppression de l’échafaud en novembre 1870 compliqua un peu les choses pour les personnes mal placées. On compte en moyenne une dizaine d’exécutions capitales par an entre 1870 et 1939, les abolitionnistes restaient largement minoritaires et le pauvre Président Armand Fallières devint très impopulaire quand il résolut de gracier tous les condamnés à mort entre 1906 et 1908… • « Les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus pénibles ; ils traîneront à leurs pieds un boulet, ou seront attachés deux à deux avec une chaîne, lorsque la nature du travail auquel ils seront employés le permettra ». Des dizaines de milliers de condamnés sont passés par le bagne entre 1810 et 1945 ; leur situation fut légèrement améliorée en 1832, quand fut abolie la flétrissure (marque au fer rouge), puis en 1848, avec la fin de l’exposition publique. Héritiers des galériens de l’Ancien Régime, les forçats furent longtemps cantonnés dans les ports de guerre : le bagne de Toulon pouvait accueillir 4 000 détenus, celui de Brest 3 700, mais ils furent fermés respectivement en 1873 et 1858, car on considérait que les forçats prenaient le travail des gens honnêtes et l’on préféra les installer dans les colonies, principalement en Guyane et en NouvelleCalédonie. Le mot « forçat » est alors officiellement remplacé par « déplacé de 1re classe » ; la plupart étaient condamnés à de très longues peines, mais mouraient bien avant d’épuisement ou de maladie. Notons qu’il existait en Corse un bagne pour mineurs de moins de seize ans. Il y avait à Belle-Île-en-Mer une autre colonie pénitentiaire pour mineurs. La justice militaire administrait ses propres bagnes en Algérie et en Tunisie. • « Le jugement ou l’arrêt prononcera la relégation en même temps que la peine principale ». La loi du 27 mai 1885 ciblait les récidivistes, auteurs de crimes ou de délits, déjà condamnés à de longues ou courtes peines et visait à les installer dans les colonies à la fin de leur période de détention, en leur interdisant définitivement le retour en métropole.

parfois à la peine capitale et pourtant le nombre de récidives ne diminuait pas. Les fondateurs de la sociologie criminelle s’arrachaient les cheveux, certains tentaient même de définir la morphologie du criminel type – petite pensée pour le regretté professeur Cesare Lombroso qui évoquait en 1876 un « criminel né » commettant ses forfaits par nécessité biologique… Cependant, une étude plus fine fait apparaître des évolutions inespérées. En 1903, le Journal de la Société statistique de Paris montre que les condamnations pour crimes et délits baissent de manière significative depuis une vingtaine d’années : « Les diverses accusations de crime [viols, bigamie, attentats à la pudeur, meurtres, empoisonnements, parricides, vols, abus de confiance, faux en écriture] ont diminué, à l’exception de trois : avortement, coups et blessures, émission de fausse monnaie. Le nombre de crimes politiques demeure très peu élevé. » On ne peut que s’interroger sur les facteurs de cette amélioration : application sévère de la loi sur la relégation ou bien à l’inverse, indulgence des tribunaux qui ne considèrent plus le vagabondage comme un acte de récidive ? Exemplarité de la guillotine ? Adoucissement des mœurs ? Diminution de l’extrême pauvreté ? De fait, le nombre de détenus dans les maisons d’arrêt était passé de 120 pour 100 000 habitants en 1876 à 60 trente ans plus tard. À l’aube du XXe siècle, la délinquance restait élevée et la société française inquiète, mais on semblait malgré tout entrer dans une Belle Époque… Pour terminer utilement, et informer les joueurs de Maléfices qui pourraient être tentés de commettre des actions illégales au cours de leurs aventures, voici ce qu’ils risquent :

Le Petit Journal (supplément illustré) du 16 avril 1892

Une délinquance sauvage et massive ?

Extraits du Code pénal

Le « palmarès des exécutions capitales de 1871 à 1977 », que chacun peut consulter sur internet, n’épargne aucun détail scabreux sur les criminels que l’on conduisait à la guillotine, notamment avant 1945. On est frappé par le nombre de crimes commis, autant que par la violence bestiale de leurs auteurs, isolés ou en bande, qui figurent dans cette curieuse et si choquante collection. L’usage de l’arme blanche est dominant et les motivations des assassins se répartissent équitablement : on tue pour voler quelques francs ou pour assouvir un « besoin sexuel urgent » ! En général, au pied de la guillotine, les meurtriers ne manifestent aucun remords. L’origine sociale des condamnés est également claire : la plupart sont issus de milieux misérables et 60 % sont analphabètes. Cette sauvagerie permet de comprendre à quel point la société pouvait se sentir effrayée par une violence endémique qui semblait incontrôlable, en dépit d’une législation particulièrement sévère et répressive. Les victimes appartenant rarement à des catégories très aisées, il apparaît que cette criminalité ne peut être appréhendée comme l’expression mécanique du conflit de classe bourgeois/prolétaires, qui imprègne cette époque, mais plutôt comme une menace diffuse pesant sur l’ensemble du corps social. Chaque année, les cours d’assises et les tribunaux d’instance condamnaient lourdement des milliers de personnes à la prison, aux travaux forcés,

ARTICLE 381. Seront punis de la peine de mort, les individus coupables de vols commis avec la réunion des cinq circonstances suivantes : 1° Si le vol a été commis la nuit ; 2° S’il a été commis par deux ou plusieurs personnes ; 3° Si les coupables ou l’un d’eux étaient porteurs d’armes apparentes ou cachées ; 4° S’ils ont commis le crime soit à l’aide d’effraction extérieure ou d’escalade ou de fausses clés, dans une maison, appartement, chambre ou logement habités ou servant à l’habitation, ou leurs dépendances, soit en prenant le titre d’un fonctionnaire public ou d’un officier civil ou militaire, ou après s’être revêtus de l’uniforme ou du costume du fonctionnaire ou de l’officier, ou en alléguant un faux ordre de l’autorité civile ou militaire. 5° S’ils ont commis le crime avec violence ou menace de faire usage de leurs armes.

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ARTICLE 382. Sera puni de la peine des travaux forcés à perpétuité, tout individu coupable de vol commis à l’aide de violence et, de plus, avec deux des quatre premières circonstances prévues par le précédent article. Si même la violence, à

ARTICLE 395. Les effractions extérieures sont celles à l’aide desquelles on peut s’introduire dans les maisons, cours, basses-cours, enclos ou dépendances, ou dans les appartements ou logements particuliers.

l’aide de laquelle le vol a été commis, a laissé des traces de blessures ou de contusions, cette circonstance seule suffira pour que la peine des travaux forcés à perpétuité soit prononcée. ARTICLE 384. Sera puni de la peine des travaux forcés à temps, tout individu coupable de vol commis à l’aide d’un des moyens énoncés dans le n° 4 de l’article 381, même quoique l’effraction, l’escalade et l’usage des fausses clés aient eu lieu dans des édifices, parcs ou enclos non servant à l’habitation et non dépendant des maisons habitées, et lors même que l’effraction n’aurait été qu’intérieure.

ARTICLE 396. Les effractions intérieures sont celles qui, après l’introduction dans les lieux mentionnés en l’article précédent, sont faites aux portes ou clôtures du dedans, ainsi qu’aux armoires ou autres meubles fermés. Est compris dans la classe des effractions intérieures le simple enlèvement des caisses, boîtes, ballots sous toile et corde, et autres meubles fermés, qui contiennent des effets quelconques, bien que l’effraction n’ait pas été faite sur le lieu.

ARTICLE 385. Sera également puni de la peine des travaux forcés à temps tout individu coupable de vol commis, soit avec violence, lorsqu’elle n’aura laissé aucune trace de blessure ou de contusion et qu’elle ne sera accompagnée d’aucune autre circonstance, soit sans violence, mais avec la réunion des trois circonstances suivantes : 1° Si le vol a été commis la nuit ; 2° S’il a été commis par deux ou plusieurs personnes ; 3° Si le coupable, ou l’un des coupables, était porteur d’armes apparentes ou cachées.

ARTICLE 397. Est qualifiée escalade, toute entrée dans les maisons, bâtiments, cours, basses-cours, édifices quelconques, jardins, parcs et enclos, exécutée par-dessus les murs, portes, toitures ou toute autre clôture. L’entrée par une ouverture souterraine, autre que celle qui a été établie pour servir d’entrée, est une circonstance de même gravité que l’escalade.

ARTICLE 393. Est qualifié effraction tout forcement, rupture, dégradation, démolition, enlèvement de murs, toits, planchers, portes, fenêtres, serrures, cadenas, ou autres ustensiles ou instruments servant à fermer ou à empêcher le passage, et de toute espèce de clôture, quelle qu’elle soit.

ARTICLE 398. Sont qualifiés fausses clés, tous crochets, rossignols, passe-partout, clés imitées, contrefaites, altérées, ou qui n’ont pas été destinées par le propriétaire, locataire, aubergiste ou logeur, aux serrures, cadenas, ou aux fermetures quelconques auxquelles le coupable les aura employées.

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ARTICLE 394. Les effractions sont extérieures ou intérieures.

$ Deuxième partie :

la grande France : célébration des territoires à la Belle Époque Il ne s’agit pas ici de faire une description géographique des territoires français, mais plutôt d’expliquer leur rôle dans l’imaginaire collectif de la République. Nous essaierons de montrer d’abord comment est perçu le territoire

national, avant de nous attarder sur la fonction symbolique de la capitale, Ville-Lumière ; et nous terminerons par une évocation de l’empire colonial.

Représentation du territoire national : la France vue par les Français Nous nous appuierons sur la représentation officielle, diffusée par l’école de la République et instillée dans la tête de tous les jeunes Français grâce à un manuel scolaire exceptionnel, qui était utilisé dans les deux années du cours moyen : Le Tour de la France par deux enfants. L’œuvre de G. Bruno (pseudonyme d’une femme, Augustine Fouillée) connut dès sa parution en 1877 un succès considérable. Sans cesse rééditée, elle dépassa en 1914 les 7,4 millions d’exemplaires vendus !

Le propos : un récit patriotique édifiant Le Tour de la France tient du roman initiatique : il retrace l’itinéraire de deux frères, deux orphelins, André Volden (quatorze ans au départ), ouvrier serrurier et son cadet Julien (sept ans), qui quittent l’Alsace-Lorraine en 1871 pour devenir Français. Il leur faudra deux ans pour retrouver leur oncle Frantz, qui vit en France et finalement s’installer ensemble dans une ferme de la Beauce. Tout au long de leurs pérégrinations, ils découvrent le territoire français, ses paysages et son économie, mais surtout les qualités de son peuple ; chacun des 127 chapitres est une expérience de la vie, en général positive, accompagnée d’une leçon de morale. L’édition de 1905 actualisa les données et ajouta un épilogue qui permit de retrouver les deux héros devenus adultes et chargés de famille. L’édition de 1906 opéra une correction majeure, faisant disparaître toute référence à Dieu dans les conversations.

Hippomobile de type Laudaulet (1907) – photographie par l’agence Rol, fondée en 1904

L’itinéraire Quittant leur ville natale de Phalsbourg de nuit, en franchissant la « porte de France », les deux enfants traversent la frontière des Vosges clandestinement et parviennent à pied jusqu’à Épinal. Puis ils entament un long voyage vers le Sud, espérant retrouver leur oncle Frantz à Marseille.

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André ayant été embauché par un sympathique colporteur, M. Gertal, les deux frères accomplissent en sa compagnie un lent parcours en voiture (hippomobile) jusqu’à Valence. Après une maladie de Julien, ils choisissent de voyager en train jusqu’à la Méditerranée. Hélas, à Marseille, on leur apprend que leur oncle est parti régler des affaires à Bordeaux. La quête reprend donc, les enfants se déplacent désormais en bateau, cabotage le long de la côte jusqu’à Sète, puis navigation jusqu’à Toulouse sur le canal du Midi, sur la Garonne ensuite. À Bordeaux, retrouvailles avec l’oncle Frantz, homme ruiné, mais droit, qui leur propose de les raccompagner à Phalsbourg afin de régulariser leur situation auprès des autorités allemandes et d’officialiser leur choix de devenir Français. La suite du périple aura lieu en mer, de Bordeaux jusqu’à Dunkerque, sur le navire Le Poitou, qui fait naufrage au large de Cherbourg ; les trois personnages en sortent heureusement sains et saufs. De Dunkerque à Phalsbourg, ils se déplacent sur une péniche. Officiellement devenus Français, ils se rendent

L iste des villes mentionnées par Le Tour de la France

ensuite à Paris en train, pour s’installer finalement dans une ferme à restaurer, près de Chartres.

Des ambitions pédagogiques multiples

VILLES TRAVERSÉES : Phalsbourg, Épinal, Vesoul, Besançon, Lons-le-Saunier, Gex, Bourg, Mâcon, Le Creusot, Clermont-Ferrand, Thiers, Lyon, SaintÉtienne, Valence, Avignon, Arles, Marseille, Sète, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Toulouse, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Brest, Cherbourg, Dunkerque, Lille, Reims, Phalsbourg, Paris, Chartres.

Ce manuel scolaire unique se veut d’abord livre de lecture et de morale pour les deux années du cours moyen. Il offre cependant un large échantillon d’enseignements dans bien d’autres domaines : • La géographie physique de la France (principaux reliefs, fleuves, climats) comme la géographie humaine (productions des différentes régions traversées, réseau de transports) sont traitées en détail. • L’histoire est abordée régulièrement par une évocation des grands hommes nés dans telle ou telle ville : Le Tour de la France s’attache à célébrer les héros traditionnels et consensuels du roman national (du Guesclin, Jeanne d’Arc), mais aussi une foule de personnalités moins connues qui illustrent le « génie » français : inventeurs, écrivains, artistes, etc. • Les sciences naturelles sont également objets d’étude à travers l’observation du ciel, la découverte des minéraux, des animaux et des plantes. • L’économie domestique n’est pas négligée, avec plusieurs chapitres montrant comment tenir une ferme propre et rentable ou traitant des vertus de l’épargne et de l’avantage des assurances. • Les sciences technologiques occupent aussi une bonne place, l’auteur semblant fasciné par les machines qui stimulent l’industrialisation, la croissance et le progrès.

VILLES ÉVOQUÉES ASSEZ PRÉCISÉMENT : Nancy, Vichy, Aurillac, Limoges, Grenoble, Toulon, Nice, Nîmes, Montpellier, Nantes, Tours. Note au meneur de jeu : le livre contient une foule de détails caractéristiques sur ces villes, au cas où les joueurs viendraient à y passer…

Célébration du monde rural

E ntre tradition et modernité, le réseau urbain qui fait la France Le tissu des villes de province forme la trame du territoire français parcouru par les deux enfants, il est présenté dans sa diversité (petites villes, villes moyennes ou métropoles), même si parfois ces villes paraissent semblables : la ville est toujours lieu de contact et d’échange, de découverte et de modernité. L’auteur s’attarde volontiers sur les villes nouvelles, images de l’avancée industrielle, que sont par exemple Le Creusot et Saint-Étienne. Pour les autres villes traversées, il n’oublie jamais de rappeler leur ancienneté, à travers une évocation de leurs monuments. Comme si, ancrés dans le passé glorieux du pays, les monuments urbains en constituaient, en quelque sorte, l’armature symbolique. Relisons ensemble les toutes premières lignes de l’ouvrage : « Rien ne soutient mieux notre courage que la pensée d’un devoir à remplir. Par un épais brouillard du mois de septembre, deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu’on appelle porte de France. »

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Dans une France encore majoritairement rurale, il n’est pas question d’omettre le cadre de vie habituel des petits lecteurs du Tour de la France. La diversité des campagnes françaises sera donc largement évoquée, comme une mosaïque parfaite, dont l’assemblage forme le socle de la République une et indivisible. Les grandes cultures des terroirs français sont mentionnées, mais curieusement, les trois fermes présentées en détail (une ferme lorraine, une ferme auvergnate, et une ferme beauceronne où les deux frères vont finalement se fixer) se ressemblent beaucoup ; des exploitations plutôt modestes, mais qui permettent de vivre dignement, si l’on veut s’en donner la peine. On ne s’attarde pas trop sur le travail des champs, en revanche, l’élevage est largement étudié, objet de tous les soins. La traversée des campagnes permet surtout de célébrer des valeurs centrales et partagées : éloge du travail physique (un dur labeur est toujours récompensé), de la patience et de l’hygiène. Louis Pasteur est passé par là…

Les Halles (Paris, 1er) – photo de Paul Géniaux

Paris, lumière du monde Le Tour de la France aborde la capitale par deux entrées successives, à la fin du périple : les chapitres 111 à 117 permettent aux deux enfants d’effectuer un voyage à Paris, comme une récompense après tous leurs efforts. L’auteur a cru nécessaire de mentionner à nouveau Paris dans l’épilogue, ajouté en 1905, car un événement majeur - l’Exposition universelle de 1900 - s’y était produit depuis la première édition (chapitre 125). En 1900, Paris compte parmi les grandes métropoles européennes avec 3,9 millions d’habitants (dont 1 million de banlieusards), une taille un peu supérieure à Berlin, Vienne ou Saint-Pétersbourg, mais largement inférieure à Londres. Pour 90 % des Français, qui sont des provinciaux, c’est un monde à part, fascinant, et quelque peu effrayant, mêlant à leurs yeux modernité absolue et gigantisme écrasant.

GARE PARISIENNE

RÉSEAU

Orléans-Austerlitz

Compagnie d’Orléans (jusqu’à Bordeaux et Toulouse)

Lyon

Compagnie PLM

Est

Compagnie de l’Est

Nord

Compagnie du Nord (jusqu’à Liège en Belgique)

Saint-Lazare

Compagnie de l’Ouest

Montparnasse

Compagnie de l’Ouest

L e regard inquiet des provinciaux sur le gigantisme On s’habille pour aller à Paris ! L’arrivée à la capitale s’effectue en général en train et de façon impressionnante : les six Compagnies (privées) de chemin de fer, qui se sont partagé le réseau français au milieu du XIXe siècle, disposent chacune d’une gare monumentale, sauf la Compagnie du Midi, qui administre le réseau entre Garonne et Pyrénées. La Compagnie de l’Ouest exploite deux gares.

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L’urbanisme parisien est largement marqué par les réalisations effectuées pendant le Second Empire, sous l’égide du préfet Haussmann. Plusieurs éléments épatent particulièrement André et Julien Volden : la largeur des rues, l’éclairage urbain (au gaz), les magasins, la foule qui se déplace à pied ou en omnibus (tractés par des chevaux) et les Halles centrales. Ce qui amène le petit Julien à exprimer un avis assez malveillant : « Que de monde est occupé en France à nourrir Paris ! », que son grand frère corrige aussitôt : « Paris ne reste pas à rien faire, car c’est la ville la plus industrieuse du monde. Ses ouvriers travaillent pour la France à leur tour, et leur travail est d’un fini, d’un goût tels qu’ils n’ont guère de rivaux en Europe. » Cet échange nous conduit à rappeler que la majorité des Parisiens appartiennent aux catégories populaires : artisans, ouvriers, domestiques et nombreux déclassés, vivant dans des conditions modestes, souvent précaires. Derrière les majestueuses façades des immeubles de style Napoléon III se cachent beaucoup de cours mal éclairées, de taudis surpeuplés et de logements insalubres, sans

eau courante ni électricité. On s’éclaire généralement à la bougie et à la lampe à pétrole, et les fosses d’aisances ne disparaissent que très progressivement, une loi de 1894 imposant aux Parisiens l’écoulement des eaux ménagères dans le nouveau réseau des égouts. Les plus déshérités essaient de se loger dans des constructions de fortune sur la fameuse « zone » de 250 mètres inconstructibles située au-delà des fortifications d’enceinte (qui ne seront désaffectées qu’en 1919, et détruites ensuite). Les salaires sont plus élevés à Paris qu’en province, mais les prix également, et il n’est donc pas certain que tous les provinciaux attirés par le mirage de la capitale, des charbonniers auvergnats aux femmes de chambre bretonnes, y trouvent leur bonheur. D’un point de vue politique, le peuple de Paris est nettement plus agité qu’en province, penchant facilement vers les partis extrémistes, nationalistes ou révolutionnaires. D’ailleurs, la capitale est la seule commune de France privée du droit d’élire un maire, depuis 1871. Les manifestations violentes y sont habituelles et durement réprimées par les agents spécialisés de la préfecture de police.

Le Petit Journal (supplément illustré) du 10 octobre 1891

«  J’aime Paris de tout mon cœur parce que c’est la capitale de la France » À la différence des autres villes traversées, Le Tour de la France présente les monuments parisiens de 1872 d’une façon originale et révélatrice : description très rapide du centre ancien, par ailleurs bien raboté à l’époque du baron Haussmann, puis par l’écrasement de la Commune en 1871 ; l’histoire de Paris se résume presque au rappel pathétique du siège subi par la capitale pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Cependant, quelques monuments très particuliers suscitent l’admiration sincère des frères Volden : la Sorbonne, l’Institut de France, l’École de médecine, l’École polytechnique, la Bibliothèque nationale, avec évocation de Dupuytren et Monge. Bien davantage que pour sa splendeur architecturale ou sa richesse, la VilleLumière est donc d’abord célébrée comme la ville de l’intelligence et du savoir français rayonnant sur le monde. La visite au Jardin des Plantes fournit aux provinciaux un magnifique cours de zoologie et de botanique exotiques, chargé de sens : « Nous empruntons aux pays étrangers leurs richesses, pour en embellir la patrie ». Pour clore un séjour touristique dans la capitale, on n’oubliera pas de jeter aussi un coup d’œil ému sur les sièges des pouvoirs républicains, Élysée, Palais-Bourbon, etc.

Fontaine Wallace à Paris (vers 1910) – photo par l’agence Rol, fondée en 1904

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Le moment 1900 : Paris se transforme et se met en scène

À L’AVENTURE ! Afin de tirer le plus grand parti possible de l’Exposition de 1900, nous vous suggérons un scénario sur la base d’un MacGuffin qui amènera les personnages à parcourir les différents lieux de l’Exposition universelle. Rappelons qu’un MacGuffin est un élément scénaristique qui permet le développement d’une histoire, mais qui, bien que les personnages soient persuadés du contraire, n’a pas d’importance réelle en soi. Le plus simple est de prendre la très classique valise, mais il peut s’agir de n’importe quoi d’autre. Par exemple, vos personnages accompagnent un ami, muni d’une valise, à l’Exposition universelle. Lors d’une bousculade, la valise disparaît et on suppose qu’elle a été volée. Leur ami leur révèle que cette valise contient des documents de la plus grande importance et les enjoint à agir immédiatement pour la retrouver, avant que les voleurs présumés n’aient le temps de la faire sortir de l’Expo. Une rapide enquête auprès des témoins de la scène laisse présager plusieurs suspects qui sont partis dans des directions opposées. Construisez votre scénario de telle sorte que les personnages aient un choix dans l’ordre dans lequel ils vont parcourir les différents lieux de l’Exposition et laissez-les traverser le pont Alexandre-III, visiter la gare d’Orsay, le Grand et le Petit Palais, le Métropolitain et surtout les pavillons des diverses nations. À chaque endroit, ils trouveront des informations plus ou moins contradictoires qui les mèneront vers d’autres lieux de l’Expo. Chemin faisant, ils pourraient bien découvrir une affaire qui n’a rien à voir et d’une ampleur nouvelle (la préparation d’un attentat par exemple). Ainsi, pendant tout votre scénario, ils vont courir après la « valise » sans jamais mettre la main dessus, mais de ce fait se retrouver confrontés à une ou plusieurs intrigues différentes qu’ils pourront dénouer. Pour finir, ils pourraient bien ne jamais revoir la valise en question, à moins que son propriétaire ne l’ait récupérée entre temps et ait omis de les en informer… Vous l’aurez compris, ici, tout n’est que prétexte à mettre en scène l’Exposition universelle et ses différents pavillons. Vos descriptions seront essentielles et les pérégrinations de vos personnages devraient leur avoir donné l’impression d’avoir fait le tour du monde sans quitter les berges de la Seine. N’oubliez pas non plus la foule omniprésente qui entrave sans cesse leurs actions.

Sur un laps de temps assez court, deux Expositions universelles (1889 et 1900) vont considérablement modifier l’image de Paris et amplifier son rayonnement sur la province, comme sur le reste de l’Europe. Une Expo s’était tenue en 1878, mais n’avait pas marqué les esprits, ne laissant derrière elle que l’affreux palais du Trocadéro. L’Exposition de 1889 (32 millions de visiteurs) répondit avec succès à deux ambitions : d’une part, montrer au reste de l’Europe que la puissance française était de retour après un long effacement de dix-huit ans ; beaucoup de Français revanchards se perdirent cette année-là dans une adoration éphémère et déraisonnable pour le belliqueux général Boulanger, ex-ministre de la Guerre, qui avait si bien défilé à cheval en 1886 à la tête des troupes, à l’hippodrome de Longchamp… D’autre part, les organisateurs de l’Expo de 1889 voulaient aussi célébrer le centenaire de la Révolution, car la République avait besoin d’exprimer ses valeurs et de s’offrir en spectacle. L’Expo une fois démontée, il en resta la tour Eiffel. L’Exposition de 1900 fut encore plus réussie. Pour célébrer le changement de siècle, Paris se prépara dès 1892 à un lifting coûteux, mais efficace. Les chiffres demeurent impressionnants : 51 millions de visiteurs, 40 pays invités, 83 000 exposants, dont une moitié de Français. L’Exposition s’étendait principalement au centre de Paris, sur les deux rives de la Seine, rive droite de la place de la Concorde à la colline de Chaillot, rive gauche de l’esplanade des Invalides jusqu’au Champ-de-Mars,

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112 hectares que les visiteurs pouvaient parcourir sur un trottoir roulant. Les « pavillons des Nations » s’alignaient sur les quais, en rang d’oignon. Par ailleurs, une annexe de 104 hectares avait été aménagée au bois de Vincennes, où se déroulaient en même temps les deuxièmes Jeux olympiques de l’ère moderne. De nombreux monuments furent construits pour l’occasion, qui n’étaient pas destinés à être démontés ensuite ; citons le pont Alexandre-III célébrant l’alliance franco-russe, la gare d’Orsay, unique grande gare au centre de la capitale, mais aussi le Petit Palais, ainsi que le Grand Palais, avec son immense verrière portée par des poutrelles d’acier de 9 000 tonnes (la tour Eiffel n’en pèse que 7 300).

L’aménagement le plus important fut celui du Métropolitain, dont la première ligne, Porte de Vincennes-Porte Maillot, fut réalisée en deux ans, un temps record, et ouverte à la circulation en juillet 1900 pour permettre aux voyageurs de se rendre sur les installations sportives des J.O. pour un prix modique de 15 centimes en seconde classe (le prix d’un journal de référence, mais Le Petit Journal, déjà évoqué, ne coûtait que 5 centimes). D’autres lignes de métro furent aménagées dans les années suivantes, la ligne Montmartre-Porte de Versailles,

perpendiculaire à la précédente, étant inaugurée en novembre 1910. Cette année-là, Paris avait subi en janvier une crue mémorable de la Seine, qui compliqua sérieusement les travaux réalisés dans le sous-sol parisien. La Belle Époque constitua donc un moment-clé pour l’urbanisme parisien, elle offrit surtout à la capitale de la France un saut qualitatif majeur, qui la hissa au niveau des plus prestigieuses métropoles mondiales et très loin des autres villes françaises qui se modernisaient à un rythme beaucoup plus lent.

L’empire colonial pour faire rêver La constitution d’un empire colonial immense – 10,5 millions de km2 et 44 millions d’habitants en 1914 (le deuxième par la taille après l’Empire britannique) – est la principale fierté de la IIIe République sur la scène internationale, du moins avant 1914. Nous verrons les motifs de cet expansionnisme spectaculaire, avant d’en décrire l’organisation et les limites.

Écartons assez vite la volonté de constituer des colonies de peuplement ; la démographie française était terne, et seule l’Algérie accueillit un nombre de colons relativement important, même s’ils y furent toujours très minoritaires. À l’inverse, la France malthusienne pouvait être tentée d’attirer en métropole une main-d’œuvre coloniale bon marché, ou de l’utiliser comme force militaire d’appoint. Mais ces problématiques restèrent en germe jusqu’en 1914. Cependant, l’aventure coloniale offrait de nombreux avantages à quelques Français mus par le goût du voyage ou d’un enrichissement rapide. L’histoire de la colonisation fourmille d’exemples d’individus plus ou moins louches, perdus de réputation ou simplement marginaux, qui disparurent à l’autre bout du monde pour commencer une nouvelle vie, à l’abri des règles, mœurs et lois qui les étouffaient en métropole. Pensons à Arthur Rimbaud, cessant d’écrire des poèmes pour entamer à Djibouti une carrière de trafiquant d’armes ; à Paul Gauguin s’installant en Polynésie au milieu de très jeunes adolescentes soumises à sa créativité ; à Alexandre Yersin, parti explorer l’Annam en solitaire et identifiant soudainement le bacille de la peste bubonique en 1894… Au total, peu de gens se rendaient dans les colonies, en dehors du cortège obligé des militaires, administrateurs ou missionnaires, qui livraient souvent à leur retour des récits de voyages longs et compliqués, sous des conditions climatiques éprouvantes et au milieu de populations hostiles. Pour la plupart des Français, le monde étrange et lointain de l’empire colonial ne servit finalement, et ce ne fut pas la moindre de ses fonctions, qu’à stimuler des rêves et fantasmer l’altérité.

Définir le projet colonial Lors d’un débat parlementaire célèbre, en juillet 1885, Jules Ferry énonça les buts officiels de la colonisation : UNE DIMENSION ÉCONOMIQUE. Dans un temps de crise économique mondiale, marqué par des poussées protectionnistes, la France souhaitait se réserver un débouché financier plus que commercial, car le pouvoir d’achat des indigènes était des plus limités. Mais l’aménagement de ports outre-mer, la construction de voies ferrées, l’investissement dans des mines ou des plantations, pouvaient intéresser les banques, et de nombreux spéculateurs. Les adversaires de la colonisation ne manquèrent jamais de dénoncer un parfum d’affairisme dans les initiatives coloniales décidées par les gouvernements successifs. UNE DÉMONSTRATION DE PUISSANCE. On retrouve ici le complexe français, soucieux d’effacer l’image d’une puissance terrassée en 1871, et qui revendique le droit d’intervenir au niveau mondial. Loin derrière la Royal Navy, la flotte française put bénéficier de mouillages sur tous les océans, le plus stratégique étant Djibouti, au débouché Sud de la mer Rouge. À défaut de combattre en Europe, l’armée de terre ne cessa, de son côté, de mener des opérations militaires, parfois compliquées, dans les territoires lointains qu’on l’avait chargée de conquérir.

Conquête et organisation

UNE MISSION CIVILISATRICE REVENDIQUÉE. C’est évidemment le point le plus controversé de l’impérialisme français. La France, porteuse des valeurs des Lumières, s’attribuait non seulement le droit, mais aussi le devoir de civiliser les indigènes, qui n’en demandaient pas tant. Le conquérant promettait aux populations qu’il soumettait de les élever progressivement à un niveau qui leur permettrait de devenir citoyens français. Cette promesse d’assimilation ne fut jamais tenue, et Clemenceau avait beau jeu de démontrer qu’au nom de l’égalité naturelle des hommes (article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), la République mettait en place un système de domination profondément inégalitaire. On peut aussi se demander si les promoteurs de la colonisation n’étaient pas mus par d’autres intentions, moins affichées.

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La conquête coloniale résulta toujours d’un rapport de forces imposé par la France à des populations indigènes, quels que fussent les moyens employés : quelques territoires furent achetés (Djibouti), d’autres se trouvèrent contraints sous la menace de se placer sous le protectorat français (Maroc, Tunisie), la plupart furent soumis par la force, après de longues et complexes opérations militaires. La supériorité des armements donnait en général un net avantage aux troupes françaises, mais les territoires soumis se révoltaient fréquemment par la suite, ce qui conduisait à devoir mener de nouvelles opérations. Les colonies n’étaient jamais complètement sécurisées et il fallait en permanence conserver sur place des troupes capables d’assurer le maintien de l’ordre. Parfois, les expéditions punitives dérapaient et commettaient sur leur chemin une série de massacres. Un exemple bien documenté : l’expédition commandée par les capitaines Voulet et Chanoine (celui-là fils d’un ministre de la Guerre) au Niger en 1899 : semant la terreur sur leur passage, ils tuèrent aussi le colonel Klobb envoyé

Mahé), les îles morutières de Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guyane – réservée aux bagnards et relégués –, et surtout les trois « îles à sucre » (Martinique, Guadeloupe et Réunion). L’abolition de l’esclavage en 1848 a favorisé la ruine des planteurs de canne et engendré un casse-tête juridique : si les anciens esclaves sont officiellement devenus citoyens français, il ne fut jamais question d’assimiler les trois îles au territoire national du point de vue administratif ou fiscal, elles demeurèrent donc des colonies.

À L’AVENTURE ! Voyage, voyage…

« Je crains malheureusement qu’il ne vous faille vous faire oublier quelque temps… » C’est par ces mots que Caton, président du Club Pythagore (voir chapitre Le Club Pythagore), conclut leur entretien, en leur tendant des billets pour l’Indochine à bord du premier paquebot en partance… Vos personnages ont fait preuve d’indélicatesse lors de leur dernière aventure et ont un peu trop librement interprété la loi, ce qui leur vaut quelques ennuis avec les autorités. Caton peut les tirer d’affaire grâce à ses relations, mais s’ils ne veulent pas finir en prison, on leur conseille vivement d’aller se faire oublier quelques années dans les colonies et pourquoi pas en Indochine, après tout ! C’est beau, l’Indochine, c’est exotique et surtout c’est loin, très loin ! Vous pouvez utiliser ce subterfuge à la suite de n’importe quel scénario au cours duquel les personnages auraient un peu trop « poussé le bouchon »… Après tout, ils ont beau être les héros de l’aventure, ils ne bénéficient pas de l’impunité pour autant ! Probablement fort penauds, ils n’auront donc guère d’autre choix que de s’embarquer vers une destination lointaine. Le voyage en lui-même peut déjà être la source d’intrigues intéressantes : rien de tel qu’un huis clos en pleine mer pour mettre en scène un bon whodunit. Inspirez-vous ici de n’importe quel Agatha Christie qui vous fournira une brochette de personnages inimitables. Avec un peu d’astuce, le capitaine leur devra une fière chandelle à leur débarquement à Hanoï. Une fois sur place, n’oubliez pas l’omniprésence des militaires et l’originalité de la magie locale. Une bonne intrigue sorcière devrait avoir un rapport avec le culte des ancêtres. Probablement, étant nouvellement arrivés, vos personnages vont-ils faire un impair involontaire qui va attirer sur une famille la colère d’ancêtres mal intentionnés… Aux personnages de voir ce qu’ils peuvent faire pour « réparer les dégâts ».

LE GOUVERNEMENT GÉNÉRAL D’INDOCHINE – près de 15 millions d’habitants en 1900 – fut constitué en 1887 pour couronner une conquête militaire qui avait commencé trente ans plus tôt ; il regroupait la colonie de Cochinchine et quatre protectorats (Tonkin, Annam, Cambodge et Laos), auxquels se joignit le territoire à bail de Guangzhou Wan, arraché à la Chine en 1898. LE GOUVERNEMENT GÉNÉRAL D’AFRIQUEOCCIDENTALE FRANÇAISE (A.-O.F.) – 9 millions d’habitants répartis sur 4 millions de km2 – fut fondé en 1895. Il comprenait, dans le schéma d’organisation de 1904, les colonies du Sénégal, du Soudan français (actuel Mali), du Haut-Sénégal-et-Niger, du Dahomey, de Guinée et de Côte d’Ivoire (dont la Haute-Volta ne fut détachée qu’en 1919), auxquelles s’ajoutait le « territoire civil » de Mauritanie. LE GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE MADAGAS­ CAR, créé en 1897 quand la France mit fin à son protectorat sur la Grande Île pour l’annexer officiellement, comptait à peine plus de 2 millions d’habitants et gérait aussi une série de dépendances, comme l’archipel des Comores, et des terres australes désertes pour la plupart. LE GOUVERNEMENT GÉNÉRAL D’AFRIQUEÉQUATORIALE FRANÇAISE (A.-E.F.) fut constitué en 1910, pour mettre un peu d’ordre sur les territoires du Congo français, jusque-là concédés à des compagnies privées. Il réunit les trois colonies du Moyen-Congo, du Gabon et d’Oubangui-Chari (actuelle Centrafrique), auxquelles fut rattaché le district militaire du Tchad. Cet ensemble de 1,7 million de km2 ne comptait alors qu’une population limitée, estimée à 2,5 millions d’habitants.

de Tombouctou pour les arrêter, et finirent abattus par leurs propres tirailleurs. Juste derrière les militaires arrivaient les administrateurs. La diversité des situations explique un certain pragmatisme dans l’organisation des territoires conquis, du moins dans un premier temps. Peu à peu, on tendit à homogénéiser les statuts, selon un modèle défini par le ministère des Colonies (ministère spécifique, séparé de la Marine, à partir de 1894).

Territoires relevant du ministère des Colonies Les « VIEILLES COLONIES » sont les vestiges dispersés du premier empire colonial français, largement démantelé au profit de la Grande-Bretagne par le traité de Paris de 1763, puis les défaites napoléoniennes. Elles comptent les quatre « communes de plein exercice » du Sénégal (SaintLouis, Rufisque, Gorée et Dakar), les cinq comptoirs de l’Inde (Pondichéry, Karikal, Yanaon, Chandernagor et

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LES ÉTABLISSEMENTS FRANÇAIS DE L’OCÉANIE regroupaient depuis 1880 divers archipels du Pacifique, très dispersés et couverts par des statuts divers : des protectorats (Wallis-et-Futuna), d’anciens protectorats annexés et réduits au statut colonial (Tahiti). Papeete fut érigée en « commune de plein exercice » à partir de 1890. La Nouvelle-Calédonie demeurait détachée de cet ensemble, avec le statut peu enviable de « colonie pénitentiaire » depuis 1864. La célèbre institutrice et militante Louise Michel, qui avait participé à la Commune de Paris, y vécut comme déportée de 1873 à 1879.

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Exposition coloniale, Paris (1906) – illustration Cezar A.

T erritoires relevant du ministère de l’Intérieur

autorisée, ce qui suffisait à interdire tout accès à la citoyenneté française. Par ailleurs, la notion de propriété privée n’étant guère connue dans les colonies, l’administration française réquisitionna bon nombre de terrains réputés collectifs ou d’usage coutumier, pour les redistribuer à des colons ou à des sociétés privées. • En matière fiscale, les indigènes ne furent pas considérés comme des individus contribuables ; la charge de l’impôt était due par la communauté (village, tribu) à laquelle ils appartenaient, qui devait s’arranger pour récupérer les sommes exigées. Cela put aller de la production collective d’une culture commerciale, dont le produit permettrait d’acquitter l’impôt, jusqu’à un régime de corvée : tel village fournissait une main d’œuvre gratuite, qui entretiendrait les routes chaque année ou construirait des voies ferrées. • Quant à la représentation politique, elle fut totalement refusée aux indigènes. Seuls les citoyens français (fonctionnaires de passage et colons) bénéficiaient du droit de vote et pouvaient élire leurs représentants dans les assemblées coloniales, ou à la Chambre des députés qui ne comptait d’ailleurs que seize députés censés représenter l’ensemble de l’empire colonial : six pour l’Algérie, deux pour la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion, un pour le Sénégal, la Guyane, l’Inde et la Cochinchine.

LE GOUVERNEMENT GÉNÉRAL D’ALGÉRIE, institué dès 1834, en pleine guerre de conquête, fut longtemps administré par les militaires. Cependant, la pacification progressive du territoire amena la France à considérer l’Algérie comme une potentielle colonie de peuplement. Dans ce but, afin d’inciter les Français de métropole à s’installer au sud de la Méditerranée, un statut mixte fut établi en 1848 : les provinces pacifiées du Nord constitueraient trois départements (Oran, Alger et Constantine), tandis que les territoires du Sud resteraient sous administration militaire. Il va de soi que l’assimilation, induite par la départementalisation, ne concernait que les colons français, la situation des indigènes dans les trois départements d’Algérie demeurant comparable à celle des autres colonies. Avec une exception de taille cependant : en 1871 (décret Crémieux), les juifs d’Algérie passèrent en bloc du statut d’indigènes à celui de citoyens français. Dans les départements d’Algérie, le recensement de 1906 dénombrait 4 millions de « musulmans » – c’est-à-dire indigènes – pour 680 000 « non-musulmans ». Pour ces derniers, en paraphrasant une formule célèbre, « l’Algérie, c’était la France ».

T erritoires relevant du ministère des Affaires étrangères

Quel bilan ? Un développement très limité

Deux autres États du Maghreb furent placés sous protectorat français, la Tunisie par le traité du Bardo de mai 1881, le Maroc par le traité de Fès de mars 1912. Ils conservaient officiellement leur souveraineté, leurs législations et leurs gouvernements respectifs, même si l’observation des faits montre qu’ils avaient bel et bien perdu leur indépendance.

A ssimilation promise, indigénat imposé : au cœur du problème colonial Peu pressée d’accorder la citoyenneté française à 40 millions d’indigènes, la IIIe République fixa rapidement leurs devoirs et obligations propres : le 1er Code de l’indigénat, publié par décret entre 1874 et 1888, se rapportait à l’Algérie ; des textes similaires concernèrent l’Indochine en 1881 et l’Afrique noire en 1885. Prétendant tenir compte des spécificités des colonies (religion, mœurs, coutumes), le régime de l’indigénat établissait de fait légalement un régime discriminatoire : • En matière de police et de justice, les indigènes ne furent pas soumis au même droit que les citoyens français. La tendance générale visait à régler les litiges en respectant les usages traditionnels, et en confiant la gestion des délits les plus graves aux administrateurs locaux, dotés d’un pouvoir exorbitant. • De même, la France ne généralisa pas dans ses colonies l’application du Code civil : la polygamie fut ainsi

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Une légende très répandue en France rapporte que la colonisation aurait propagé le progrès, par la construction d’écoles, hôpitaux, routes, infrastructures portuaires, etc. La réalité est beaucoup plus nuancée : de grands équipements furent effectivement réalisés (ports de Casablanca, Abidjan, Haiphong, ainsi que de nombreuses voies ferrées), mais le taux de scolarisation des enfants indigènes (notamment des jeunes filles) resta toujours ridiculement bas et les conditions de santé ne s’améliorèrent que très lentement, en partie à cause des maladies tropicales, que les services de santé durent apprendre à combattre, en partie aussi par la faute d’un sous-équipement médical chronique. Le développement des colonies devait forcément générer des dépenses considérables, mais la France avait établi dès le départ que l’aventure coloniale ne coûterait rien aux contribuables de métropole. Les colonies étaient donc censées financer elles-mêmes leurs investissements, par l’impôt, ou éventuellement par des emprunts. Les assemblées coloniales étant tenues, nous l’avons dit, par les colons, eux-mêmes contribuables, elles s’arrangeaient en général pour limiter au maximum leurs dépenses… Prenons l’exemple éclairant de l’exercice budgétaire 1908. Le total des budgets locaux atteignait cette année-là 244 millions de Francs, alors que le montant global des subventions métropolitaines qui leur étaient consenties n’était que de 2 millions de Francs. En revanche, toutes les dépenses des services militaires aux colonies et celles de l’administration centrale à Paris, étaient financées par la fraction du budget de l’État

R eprésentation des colonies et des indigènes en métropole

À L’AVENTURE ! Voyageur immobile

Pourquoi ne pas prendre le contre-pied du thème de l’exotisme en proposant un scénario… où l’on ne voyagerait pas ! En fait, un scénario où l’on bougerait même le moins possible : tout se passerait dans le Club Pythagore ! C’est alors l’exotisme qui viendrait aux personnages sous la forme d’une conférence, bien entendu ! Phileas Bief, de retour de voyage, vient présenter des films tournés aux colonies, ainsi que des objets de culte provenant de divers coins de l’Empire. Franc succès pour la conférence, évidemment. La météo s’étant complètement détraquée pendant la conférence, tout le monde est invité à dormir sur place. Un personnage qui voudrait rentrer chez lui s’égarerait d’ailleurs sous la pluie et finirait par revenir au Club Pythagore. Chacun va plonger dans un sommeil agité, peuplé d’images entrevues lors de la conférence. Mais au beau milieu de la nuit, un cri atroce s’échappe de la chambre de Phileas Bief. Tout le monde se précipite. À partir de là, que va-t-on trouver ? Phileas Bief a-t-il été sauvagement assassiné ? Ou bien est-il en parfaite santé dans son lit, un autre cri retentissant alors dans une autre chambre ? Est-il un imposteur qui cherche à mettre en scène une pseudo malédiction exotique pour se faire remarquer, et finalement accepter, au sein du Club Pythagore ? Est-il au contraire un ennemi juré du Club qui a trouvé ce moyen pour s’introduire en son sein et abattre sur ses membres une terrible malédiction ? Est-il seulement le véritable Phileas Bief ?

connue sous le nom de « budget colonial » et gérées par le ministère des Colonies. En 1908, ce budget se voyait attribuer 98 millions de Francs de crédits, dont près de 8 millions destinés à abonder les services pénitentiaires de Nouvelle-Calédonie et de Guyane. Cerise sur le gâteau, depuis 1900, les colonies versaient au budget de l’État, en atténuation des dépenses militaires qu’il faisait chez elles, une contribution qui s’éleva, pour 1908, à 14 millions de Francs, dont 13,6 millions pour la seule Indochine. La France de la Belle Époque faisait donc très peu d’efforts pour développer ses colonies. À l’inverse, la recherche historique a montré que l’empire colonial rapportait assez peu à l’économie française, sauf quelques rares exceptions comme les mines de charbon du Tonkin ou les plantations d’hévéa de Cochinchine, aux mains de sociétés privées. Somme nulle ou presque, par conséquent !

PRINCIPALES EXPORTATIONS DES COLONIES VERS LA FRANCE Algérie : vin, blé, agrumes. Indochine : charbon, latex, riz, thé. A.-O.F. : coton, cacao, café, arachides. A.-E.F. : bois. Madagascar : vanille, raphia.

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Les colonies continuaient, de loin, à exciter l’imagination des Français, ignorants de réalités moins sublimes que ne le prétendait la propagande officielle. Le succès de l’exposition coloniale de Marseille, en 1906, illustre bien cette passion. Entre avril et novembre 1906, elle accueillit 1 800 000 visiteurs au nouveau parc Chanot, spécialement aménagé pour l’occasion. Le Président Fallières fit même le déplacement, ainsi que le général Gallieni, vainqueur de Madagascar. L’exposition comportait une cinquantaine de pavillons, représentant par leur architecture les diverses composantes de l’empire colonial, mais aussi les entreprises marseillaises travaillant avec les colonies : savonneries, producteurs de pâtes alimentaires, marchands de vin, etc. Le clou de l’exposition était un ensemble de serres abritant des plantes et arbres exotiques, palmiers, orchidées et autres caféiers. L’imaginaire colonial donna également naissance à une esthétique particulière, dite souvent « orientalisante », dont on retrouve la trace dans la peinture comme l’architecture, la musique ou la mode. Précurseur, l’écrivain et marin Pierre Loti exprimait depuis les années 1880 sa fascination pour l’Indochine voluptueuse ou le hiératique Japon. En 1906, l’inégalable peintre Louis Dumoulin fonda la Société coloniale des artistes français, dont la devise était : « L’expansion coloniale par l’Art, au profit de la France et de l’Art. » Elle exposa dès 1908 dans une galerie parisienne une série d’œuvres inspirées, sur le thème L’Algérie, la Tunisie et les Indes. L’année précédente, sur la lancée de la manifestation marseillaise, un arrêté du gouvernement avait instauré un prix afin d’encourager ce courant artistique ; sur le modèle de la Villa Médicis, les lauréats seraient hébergés un à deux ans à la villa Abd-el-Tif, près d’Alger. Les premiers pensionnaires furent les peintres Paul Jouve et Léon Cauvy. L’exposition de Marseille n’avait pas eu le mauvais goût d’exhiber derrière des grillages un « zoo humain », mais elle eut son lot inévitable de danseuses orientales langoureuses, laotiennes ou algériennes joyeusement confondues, que le public apprécia beaucoup. De quoi peut-être renforcer la vocation de la future Mata-Hari, « danseuse exotique » à succès dans le Paris de la Belle Époque, et promise à un destin funeste… C’est à Marseille, précisément, que Le Tour de la France par deux enfants, qui forma tant d’écoliers, aborde la question coloniale. On ne peut que constater l’évidence : le regard sur les indigènes est empreint d’un racisme ordinaire, plutôt paternaliste et bienveillant, mais s’appuyant sur des clichés morphologiques assez stupéfiants. La colonisation avait aussi produit ce mélange de fantasme et d’ignorance.

$ Troisième partie : la vie quotidienne Salaires, prix, pouvoir d’achat La croissance retrouvée s’accompagnant, comme on l’a dit, d’une augmentation des stocks d’or des banques centrales, la Banque de France put accroître la masse monétaire en circulation, ce qui provoqua une certaine hausse des prix et des salaires (+14 % entre 1896 et 1911) – rappelons que les monnaies des pays industrialisés reposaient sur le principe de la convertibilité des billets en métal précieux. La moyenne du salaire quotidien masculin à Paris, qui était de 6,37 F en 1896, monta à 7,19 F en 1906 et à 7,24 F en 1911. Mais bien sûr, tout dépendait de la profession exercée : le salaire quotidien pouvait atteindre 11 ou 12 F pour des professions très qualifiées (par exemple les sculpteurs ornemanistes). Un ouvrier charpentier touchait 80 centimes de l’heure à Paris. Nettement plus bas, le salaire journalier d’une couturière à Paris stagnait à 3,50 F en 1906. En province, les salaires restaient à la traîne : la moyenne passa de 3,85 F en 1896, à 4,10 F en 1906 et 4,22 F en 1911. Un mineur de Carmaux touchait déjà 4,39 F/jour en 1900, mais les ouvriers agricoles (nourris par leur employeur) ne touchaient, en 1911, que 400 à 600 F par an. Les fonctionnaires de base ne gagnaient guère plus, un facteur touchant moins de 2 F par jour soit 600 F par an. Le salaire annuel d’un directeur d’école dans la Beauce s’élevait à 1 800 F, plus une gratification de 300 F pour le secrétariat de mairie. Les femmes étaient toujours moins payées : 1,50 F par jour pour une femme de chambre par exemple. Le pouvoir d’achat des Français à la Belle Époque restait donc très contrasté, l’alimentation demeurant le premier poste de dépense des catégories populaires. En 1910 à Paris, le kilo de pain est à 0,23 F, le kilo de viande à 1,67 F, le litre de lait à 0,22 F, le kilo de beurre à 2,58 F, l’œuf à 0,09 F, le kilo de fromage à 1,22 F, les 100 kg de pommes de terre à 7 F, le litre de vin à 0,24 F, le kilo de sucre à 0,63 F. Les prix des produits alimentaires sont moins élevés en province, mais ils varient beaucoup selon les localités.

fruits. Alimentation basique, très riche en glucides, mais dépourvue de matières grasses. La consommation journalière de viande se situait autour de 100 g par jour en 1900, celle de sucre se limitait à 16 kg par personne et par an. À la campagne, l’autoconsommation dominait, variant en fonction des terroirs ; ainsi le menu quotidien d’un paysan breton vers 1900-1910 restait traditionnel : soupe à l’oignon chaque matin, puis à midi soupe aux légumes, casse-croûte vers 17 h avec de grosses tartines de pain de seigle au lard, bouillie de seigle le soir. En Dauphiné, le petit-déjeuner se composait d’une « soupe de légumes mélangée avec du lait et de grandes tranches de pain très rarement beurrées. La soupe était faite avec des pommes de terre auxquelles on ajoutait du chou ou des légumes secs. Puis les hommes partaient au champ ou à la mine avec leur repas dans un sac, une salade de pommes de terre avec des lardons, de l’oignon, des œufs. Les jours de fête, on tuait une poule. La poule était bouillie avec des pommes de terre, carottes, poireaux. »

Autres dépenses Pour le logement, on classait officiellement les loyers parisiens en quatre catégories : • Loyers annuels de moins de 100 F : une pièce. • Loyers de 101 F à 250 F (les plus répandus) : deux pièces avec coin poêle ; en 1909, dans un rapport de la Société de Statistiques, l’expert Bertillon dénonça le surpeuplement de ces petits logements, qui abritaient souvent des familles de plus de six personnes ; il évalua à 184 000 le nombre de ces mal-logés, exposés à « la promiscuité, l’alcoolisme et la tuberculose ». • Loyers de 251 F à 500 F : deux à cinq pièces avec vestibule et cuisine. • Loyers de 501 F à 1 000 F (considérés comme bourgeois) : cinq à six pièces avec vestibule et cuisine.

Mais que mangeait-on ? En ville, beaucoup de pain (500 g par jour environ), des pommes de terre (300 g par jour environ), des légumes secs, un peu de viande, du fromage, des légumes et peu de

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Par comparaison, un phonographe coûtait 100 F et le prix des vélos dépassait les 300 F pour les plus performants. Curieusement, les automobiles vendues par la soixantaine de constructeurs français restaient presque « bon marché » : on trouvait des voiturettes autour de 1 000 F. Mais la plupart des modèles montaient bien au-delà : une 8 CV Panhard valait 6 000 F en 1909.

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Immeuble au 6 rue de Sèvres (Paris, 6e) – photo Union Photographique Française

Comment s’habiller ? « Les vêtements révèlent l’esprit d’une époque. Ils habillent le corps, mais ils sont également le reflet de la société de leur temps. » L’habillement expose publiquement et de façon spectaculaire les contrastes de la Belle Époque : d’une part, les couches populaires – urbaines ou rurales – semblent ne porter immuablement que des vêtements de travail ; d’autre part, les classes aisées, friandes de nouveautés, affichent des goûts vestimentaires raffinés et variés.

consistait en une chemise de lin ou de coton. À la campagne, on ignorait le port de la culotte, la chemise de corps étant suffisamment longue pour couvrir au moins jusqu’à mi-cuisse. Sur cette chemise était portée la « robe », comprenant deux pièces : au-dessus de la taille le surcot ou corselet, un corsage qui s’attachait devant par un jeu de laçage, de boutons ou d’agrafes fermant à ras du cou et en dessous de la taille la longue jupe ample, souvent noire, qui arrivait aux chevilles. Enfin sur la jupe, un tablier. L’hiver, les femmes portaient des vêtements de laine et des châles qu’elles tricotaient elles-mêmes, et de gros bas de laine, pouvant monter à mi-cuisse. Les femmes restaient souvent tête nue, cheveux attachés. Parfois, lorsqu’elles allaient à la fête ou à l’église, une sorte de petite charlotte en dentelle (très rarement une coiffe) emprisonnait les cheveux. Comme les hommes, les femmes se chaussaient de sabots pour les travaux des champs, mais elles portaient des bottines pour les cérémonies ou pour se rendre au marché.

Tenues ordinaires et populaires Des reconstructions régionalistes ont insisté sur la richesse et la diversité des vêtements folkloriques portés traditionnellement. S’il ne s’agit pas d’inventions, cette vision est pour le moins exagérée : ces tenues n’étaient de mise que pour les fêtes, ou quand on voulait se faire beau pour aller à la messe. On gardera plutôt l’impression d’une grande monotonie. Des mineurs du Pas-de-Calais aux bergers des Pyrénées, l’habillement populaire répondait aux mêmes besoins (simplicité et robustesse), respectant les mêmes codes, évoluant selon les mêmes tendances : Pour les hommes, une longue chemise blanche (avec fonction de sous-vêtement) était glissée dans un pantalon de serge, généralement noir ou bleu. On recouvrait le tout d’une blouse ordinaire (ou blaude) en coutil. Souvent, la blouse était tenue par une ceinture ; une solide veste de bure, ou un simple gilet pouvaient remplacer la blouse. C’étaient les vêtements de travail. Peu d’hommes portent des cravates, plutôt réservées aux cérémonies ; en général, c’est un foulard noué. Les vêtements de protection étaient rares : gilets de peau de mouton préservant du froid et de l’humidité, tabliers de cuir portés par les bourreliers et les forgerons. L’hiver, les hommes de la campagne pouvaient endosser en plus de grands manteaux de laine à capuchons et à larges cols rabattus. Au pied, des galoches (renforcées par des guêtres), ou des sabots pour le travail des champs. Une nouveauté s’est répandue depuis le milieu du XIXe  siècle : tous les ouvriers et paysans portent désormais un couvre-chef : chapeau, béret, mais le plus souvent une casquette, que beaucoup n’enlèvent que pour dormir. Pour les femmes, jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’unique sous-vêtement

La mode, un privilège des classes aisées

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La mode est un domaine que les hommes de la bonne société prétendaient hypocritement réserver aux femmes. Un homme qui porte trop d’intérêt à la mode est considéré comme efféminé. Les couleurs sombres, censées convenir au monde sérieux et viril des affaires et de la politique, dominent la garde-robe masculine. Trop de couleurs ou d’ornements exposent à des accusations de dandysme ou de mauvais goût. Le costume masculin se caractérise donc par sa rigidité et sa sobriété. Le costume trois-pièces (veste, gilet et pantalon assortis) était de rigueur, complété d’une chemise blanche, d’une cravate pouvant être légèrement colorée. Un homme distingué ne se montrait jamais en manches de chemise et ne sortait jamais à pied sans sa canne et son chapeau. Pour ce qui concerne la tenue de ville, on assiste à un recul lent, mais inexorable, de la redingote mi-longue, au profit de la jaquette, et surtout du veston ; la redingote, désormais réservée aux cérémonies, demeurait une composante de l’habit de soirée, dont le haut-de-forme en soie était un complément obligatoire. Néanmoins, depuis les années 1890, le smoking pouvait se substituer à l’habit de soirée. Les principales nouveautés de l’habillement masculin sont à chercher dans les sous-vêtements, avec la généralisation, sous la chemise, d’une

Extrait du magazine Les modes, juin 1901

combinaison longue venue d’Angleterre, qui se voulait élégante autant qu’hygiénique. À la même époque et sur le même modèle, les hommes se mettent à porter de longs maillots en jersey pour le bain. Jusqu’alors, il était d’usage que les hommes se baignent nus en compagnie d’autres hommes. La mode de la baignade mixte a conduit à inventer des « costumes de bain ».

Au cours des années 1908-1910, elle monte encore plus haut sous la poitrine grâce à un corset plus long. La silhouette devient plus droite, on semble revenir au style de l’Empire et du Directoire. Dans les années 1911-1914, les vêtements s’enrichissent d’une touche orientalisante, sous l’influence des ballets russes ; les robes sont en « tonneau » de la taille aux chevilles, les femmes portent des turbans sur la tête. Au printemps 1911, la première collection Parry, maison du couturier Jean Patou, crée le scandale en présentant des pantalons de harem, une masculinisation des femmes jugée insupportable.

Mode féminine : changer de silhouette tous les trois ans ! Ici aussi, la clé est dans les sous-vêtements. La longue chemise de corps traditionnelle a laissé la place à deux éléments jusque-là réservés à l’aristocratie, et vite devenus aussi indispensables que complémentaires : en dessous de la taille, un « pantalon » fendu et au-dessus l’inévitable corset, qu’on lace par-derrière, et qui dessine la silhouette selon l’effet recherché. Tous les habits qu’on posera dessus devront être adaptés au type de corset utilisé. Dans les années 1898-1904, l’Art nouveau s’étend à la mode : grâce à un corset très rigide, qui impose une forte cambrure en propulsant le buste en avant et le bassin en arrière, le corps de la femme est tordu en S. La grande nouveauté est le tailleur-jupe composé d’une veste de tailleur, d’une jupe longue et d’un corsage. À partir des années 1905-1908, les toilettes commencent à se relâcher. La taille se desserre et remonte légèrement.

Les transports

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Selon ses revenus, selon la distance à parcourir, selon que l’on est pressé ou pas, on utilisera des moyens de transport très divers. Pour les trajets de proximité, les Français se déplacent de préférence à pied ou à vélo ; chaque bicyclette porte une plaque de contrôle attestant que son propriétaire s’est acquitté de la « taxe sur les vélocipèdes », établie en 1900. Cette fiscalisation permet de connaître précisément le nombre de vélos en circulation, il augmente fortement à la Belle Époque, passant de 900 000 en 1900 à 3,6 millions en 1914 ; cependant, le prix d’un tel véhicule reste relativement élevé (350 F en moyenne, ce qui correspond à plus de deux mois de travail pour un directeur d’école), on

De son côté, la Compagnie générale des omnibus (à trente places et tirés par deux chevaux) exploite à Paris à la fin du XIXe siècle une cinquantaine de lignes hippomobiles, mais aussi vingt-six lignes de tramways hippomobiles, dix lignes de tramways à vapeur et neuf lignes de tramways à air comprimé. L’électrification des tramways ne commença qu’en 1906, mais l’affaire fut rondement menée : on imagine mal aujourd’hui l’ampleur du débat autour du crottin de cheval qui agitait Paris à cette époque ; les médecins dénonçaient « l’empoisonnement de l’atmosphère » et les « dangers pour la respiration » quand les citoyens contribuables s’alarmaient du coût induit par ces animaux : en effet, 3 200 balayeurs et 600 balayeuses étaient employés à nettoyer les rues quotidiennement et à faire disparaître les déjections des 80 000 chevaux qui y circulaient. Signe des temps, certains beaux esprits rêvent de rues qu’on rendrait plus propres en les réservant au trafic automobile. En février 1907, le préfet de Paris tente une expérience et impose de nouvelles règles de circulation sur les Champs-Élysées : les voitures à chevaux et les cyclistes seront astreints à n’emprunter que les bas-côtés de la chaussée, la partie médiane restant affectée aux voitures à moteur. L’automobile devient brusquement le mode de transport à la mode en ville, un privilège, il est vrai, réservé à une élite fortunée.

passe donc doucement d’un loisir bourgeois à un mode de transport populaire. L’État participe aussi à cette diffusion en équipant les bureaux de poste et les gendarmeries. Retenons que la marche à pied demeure le moyen le plus habituel pour se déplacer, notamment dans les campagnes, d’un village à l’autre. On utilise encore les vieilles carrioles à cheval pour se rendre au marché hebdomadaire du bourg local, mais la médecine hygiéniste, en guerre contre la tuberculose et l’air vicié, recommande fortement les déplacements à pied. Notons qu’en Alsace-Lorraine se développe ainsi une forme de tourisme pédestre, populaire et germanique, organisé autour de saines randonnées dans les Vosges et les vignobles alsaciens ; on fait étape dans un réseau bien constitué d’auberges, le camping étant encore réservé à une poignée d’initiés. La ville offre cependant des moyens de transport qui lui sont propres : au-dessus des premières lignes du métro parisien, ouvertes à partir de 1900, les rues sont parcourues par une nuée d’attelages appartenant à des particuliers aisés, et surtout de plusieurs milliers de fiacres de louage tirés par deux chevaux ; la plupart des cochers travaillent pour la Compagnie générale des petites voitures, officiellement en situation de monopole depuis 1898, même si l’on signale des cochers indépendants travaillant en toute illégalité… Le prix moyen d’une course est de 2 F de l’heure, tarif souvent jugé abusif et dénoncé par les clients, mais les taximètres se généralisent à la Belle Époque.

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Dans l’Omnibus (Maurice Delondre, vers 1885)

Boulevard des Capucines, le soir, devant le Café Napolitain (Jean Béraud)

Mais personne n’envisage encore qu’on puisse un jour utiliser l’automobile pour se déplacer sur de longues distances. Le marquis Jules-Albert de Dion, vainqueur en juillet 1894 de la première course de voitures sans chevaux, sur le trajet Paris-Rouen, n’avait atteint qu’une vitesse moyenne de 22 km/h, quand l’Orient-Express reliait Paris à Constantinople à une vitesse moyenne de 48 km/h ! À l’échelle nationale, les déplacements des voyageurs se font en train pour l’essentiel : 430 millions de voyageurs en 1900 ! Les marchandises profitent aussi de ce mode de transport, en concurrence avec la batellerie, plus lente, qui parcourt le territoire français sur les nombreux canaux qui le sillonnent, sauf bien sûr dans les régions montagneuses. Le premier réseau ferroviaire, tracé à partir des années 1840, a été considérablement étendu par le plan Freycinet de juillet 1879 (pratiquement achevé en 1914) qui le porta de 21 000 km à 38 000 km de voies ferrées ; par comparaison, rappelons que le réseau en exploitation en 2019 ne compte plus que 29 000 km, de nombreuses lignes jugées peu rentables ayant été fermées au cours du XXe siècle. On doit considérer qu’en 1900, la plupart des villes moyennes qui constituent le tissu urbain français étaient équipées d’une gare. Le plan de 1879 prévoyait expressément que toutes les sous-préfectures soient desservies par le train. Pour joindre les bourgs les plus isolés subsistaient des éléments d’un vieux réseau de diligences plutôt lent (11 km/h) et peu confortable.

Six compagnies de chemin de fer privées s’étaient partagé le territoire français, cinq réseaux convergeant vers Paris, le sixième (Compagnie du Midi) se limitant au sudouest du pays. Cependant, dès 1876, l’État procéda au rachat de plusieurs lignes de l’Ouest en faillite, l’ensemble de la Compagnie de l’Ouest étant nationalisé en 1909 ; on parle alors du « réseau de l’État », à côté des cinq réseaux qui demeurent privés.

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« Enterrement du dernier omnibus », Paris, 11 janvier 1913 (photographie de presse par l’agence Rol, fondée en 1904)

LES SIX RÉSEAUX FERROVIAIRES EN 1900

HORAIRES DE L’ORIENT-EXPRESS EN FÉVRIER 1900

COMPAGNIE

DOUBLE VOIE

VOIE UNIQUE

TOTAL

Paris-Orléans

2 019 km

4 717 km

6 736 km

Paris Est

0

19 h 10

Nord

1 936 km

1 750 km

3 686 km

Épernay

142

20 h 53

Est

3 744 km

994 km

4 738 km

Châlons-sur-Marne

172

21 h 22

PLM

4 155 km

4 820 km

8 975 km

Bar-le-Duc

254

22 h 26

État (= Ouest) 1 628 km Midi 990 km

3 887 km 2 324 km

5 615 km 3 314 km

Nancy

353

23 h 50

Lunéville

386

0 h 23

Igney-Avricourt

411

0 h 52

Deutsch-Avricourt (HEC)

411

1 h 58 (1 h 03)

Strasbourg

504

3 h 35 (2 h 40)

Baden-Oos (Baden-Baden)

557

4 h 30 (3 h 35)

Karlsruhe

588

5 h 01 (4 h 06)

Pforzheim

614

5 h 41 (4 h 46)

Mühlacker

627

5 h 58 (4 h 58)

Stuttgart

674

Gislingue

735

7 h 59 (7 h 04)

Ulm

768

8 h 44 (7 h 49)

Augsbourg

854

10 h 07 (9 h 12)

Munich

916

Salzbourg

1 069

13 h 43 (12 h 48)

Wels

1 169

15 h 31 (14 h 36)

Linz

1 194

15 h 55 (15 h 00)

Amstetten

1 256

16 h 55 (16 h 00)

Sankt Pölten

1 316

17 h 50 (16 h 55)

Vienne (Westbahnhof)

1 377

18 h 52 (17 h 57)

19 h 00 (18 h 05)

Vienne (Staatsbahnhof)

1 389

19 h 31 (18 h 36)

19 h 36 (18 h 41)

Pozsony (Presburg/ Bratislava)

1 412

Budapest

1 649

0 h 10 (23 h 15)

0 h 20 (23 h 25)

Szabadka (Subotica)

1 822

GARE

Quelques horaires de 1910 montreront la vitesse relative des trains « rapides » qui sillonnaient la France : PLM : départ de Paris Gare de Lyon à 7 h 45, arrivée à Lyon à 17 h 20, à Marseille à 0 h 20. Départ de Paris à 20 h 05 (train postal de nuit, avec couchettes et wagonslits), arrivée à Lyon 3 h 55, à Marseille 9 h 44, à Nice 16 h 04. Midi : départ de Bordeaux à 7 h 10, arrivée à Marseille à 22 h 45. Ouest : départ de Paris Montparnasse à 9 h 25, arrivée à Rennes à 14 h 59, à Brest à 19 h 42. Les chemins de fer assuraient aussi l’essentiel des transports de marchandises et de voyageurs à l’échelle continentale. En juin 1889 fut mis en place, entre la Serbie et la Bulgarie, le dernier tronçon de la ligne ParisConstantinople, le fameux Orient-Express, qui parcourait six pays et permettait de rejoindre le Bosphore en moins de soixante-trois heures. Depuis 1899, le Nord-Express (quatre wagons-lits, un wagon-restaurant et un wagon pour les bagages) assurait chaque jour la ligne Paris – Saint-Pétersbourg par Bruxelles, Cologne et Berlin en cinquante-deux heures. L’écartement des voies étant plus large en Russie, les voyageurs changeaient de train à Eydtkuhnen (frontière allemande). À partir de juillet 1900, le Sud-Express de la Compagnie internationale des wagons-lits relia quotidiennement Paris à Madrid en vingt-cinq heures. Trois fois par semaine, le train comportait également une tranche de voitures à destination de Lisbonne. Un Rome-Express reliait aussi Calais à Rome en trente-trois heures deux fois par semaine, par le tunnel du Mont-Cenis.

Voyages outre-mer La Compagnie des messageries maritimes, qui est aussi propriétaire des chantiers navals de La Ciotat, gère les principales lignes qui desservent les colonies d’Afrique et d’Extrême-Orient à partir de Marseille, ainsi que les transports maritimes à partir de Bordeaux vers l’Amérique du Sud. Il s’agit à la fois de lignes commerciales pour le transport des passagers et des marchandises, et de lignes subventionnées, assurant le service postal et le transport des troupes et fonctionnaires. Dans les années 1890-1910, elle arme une centaine de navires pour ce trafic. On doit compter en 1900 un bon mois pour parcourir le trajet de Marseille à Saïgon et vingt-deux jours pour faire la traversée de Bordeaux à Buenos Aires.

KM

ARRIVÉE

6 h 50 (5 h 55)

11 h 00 (10 h 05)

DÉPART

6 h 54 (5 h 59)

11 h 10 (10 h 15)

3 h 21 (2 h 26)

Temps : 62 h 40 Moyenne (km/h) : 48,25 HEC : heure de l’Europe centrale, GMT +1 HEO : heure de l’Europe orientale, GMT +2

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De son côté, la Compagnie générale transatlantique, propriétaire des chantiers de Saint-Nazaire, gère la ligne Le Havre-New York et dessert également le

Mexique et les Antilles françaises. Soumise à une forte concurrence internationale, elle possède moins de navires que la CMM, mais d’une technologie plus avancée. Cependant, le naufrage du paquebot La Bourgogne le 5 juillet 1898 (568 victimes et 164 survivants) lui fait énormément de tort ; elle tente de surmonter ces difficultés en reprenant le service postal et en lançant une nouvelle gamme de navires : les paquebots La Lorraine, mis en service en 1900, La Savoie (1901) et La Provence (1906) dépassent la vitesse de vingt nœuds, ce qui leur permet d’approcher les records de leurs concurrents anglais ou allemands, qui décrochent régulièrement le fameux « ruban bleu » (une récompense décernée au navire le plus rapide voguant sur l’Atlantique nord) ; rappelons que la traversée de l’Atlantique s’effectue en un peu plus de cinq jours au début du XXe siècle, le premier navire à passer sous la barre de cinq jours est le Lusitania, de la Cunard Line, en octobre 1907. Mais la compagnie havraise n’a pas dit son dernier mot et annonce pour 1912 le lancement d’un tout nouveau paquebot, baptisé France, et qui serait le « Versailles des mers »…

GARE

KM

ARRIVÉE

DÉPART 6 h 12 (5 h 17)

Zimony (Zemun)

1990

Belgrade

1 998

Nicha (Niš)

2 242

12 h 16 (11 h 21)

Tzaribrod (Dimitrovgrad) (HEO)

2 340

15 h 41 (13 h 46)

Sofia

2 403

Philippopoli (Plovdiv)

2 559

22 h 55 (21 h 00)

Mustafapaşa (Svilengrad)

2 702

2 h 42 (0 h 47)

Andrinople (Edirne)

2 741

3 h 40 (1 h 45)

Constantinople (Istanbul) (arrivée)

3 024

6 h 20 (5 h 25)

17 h 40 (15 h 45)

11 h 45 (9 h 50)

6 h 40 (5 h 45)

17 h 55 (16 h 00)

11 h 45 (9 h 50)

À côté de ces paquebots de luxe, la CGT acquiert à la même époque une série de navires plus petits et plus accessibles, destinés au transport des migrants européens.

À L’AVENTURE ! « Chers amis, le Club Pythagore, de par sa vocation, se doit de s’intéresser à toutes les formes de phénomènes inexpliqués, mais aussi d’essayer d’en faire le recensement et de trier le vrai du faux. Vos dernières aventures ont grandement impressionné le Club et vous nous avez paru les plus à même de mener à bien ce projet de Tour de France des phénomènes inexpliqués qui nous ont été signalés, d’en faire l’inventaire et éventuellement de comprendre de quoi il retourne. De plus, je suis persuadé que ce petit voyage aux frais du Club vous fournira des vacances reposantes et distrayantes, que vous avez bien méritées. À votre retour, nous comptons sur vous pour rédiger sur la question un petit ouvrage, que nous publierons en faible quantité pour les bibliothèques des Clubs Pythagore d’Europe. » C’est ainsi que Caton offre aux personnages de participer à une aventure éditoriale interne au Club Pythagore. Voici l’occasion pour vos personnages d’utiliser tous les modes de transports décrits dans cette section ! N’oubliez d’ailleurs pas, à cette occasion, les transports maritimes et fluviaux. Pour ce qui est des différents points à visiter, pourquoi ne pas vous inspirer du Tour de France de deux enfants ? Il ne vous sera pas difficile de trouver pour chaque lieu une légende ou un phénomène étrange à mettre en scène. Variez les intrigues sorcières, les scénarios rationnels et les phénomènes qui resteront inexpliqués. Mais surtout, mettez en scène les trajets, et pour vous aider

reportez-vous éventuellement à la partie sur la narration partagée. Évidemment, tout ne va pas aller sans mal ! Qui sont ces personnages persuadés que nos joueurs sillonnent la France à la recherche d’un secret ésotérique ou du trésor des Templiers ? Ils pourraient bien tenter de s’approprier les notes de nos héros, voire de s’en prendre à eux. Et comme dans Le Tour du monde en quatre-vingts jours, un policier les suit, convaincu qu’ils ont commis un vol et circulent de département en département pour ne pas se faire arrêter (rappelons à cet égard que les brigades mobiles ne sont créées qu’en 1907 et qu’il était facile d’échapper à la police en changeant de juridiction… Le train pouvait par ailleurs être utilisé par certains monte-en-l’air pour commettre un forfait à Lille et être à nouveau quelques heures après à Paris). Et si ce n’était que cela, ils ont bien pu, lors d’une de leurs étapes, emporter sans y prendre garde un petit souvenir « maudit » ; un réseau de trafiquants peut profiter de leur voyage pour leur faire transporter de la drogue à leur insu ; etc. Autant d’éléments qui promettent un beau « Tour de France » à nos personnages. Auront-ils envie de réitérer l’expérience pour d’autres Clubs Pythagore d’Europe ? Note : un prochain supplément consacré aux lieux maudits vous aidera à mettre en scène ces aventures si vous le souhaitez.

Petit guide de Paris au début du XXe siècle Il est impensable de présenter ici de façon détaillée et complète la vie parisienne à la Belle Époque. On trouvera ces renseignements en consultant les ouvrages d’époque, notamment le précieux guide Baedeker : Paris et ses environs. Il en paraissait un tous les ans, ce qui fait qu’on le déniche encore sans trop de peine chez les bouquinistes. Nous tenons cependant à fournir aux joueurs de Maléfices des éléments qui nous semblent indispensables pour appréhender correctement des lieux aujourd’hui bien transformés et des usages qui auront l’air désuets, mais qui ne manquaient pas de charme. Commençons par rappeler aux visiteurs que le paysage urbain de Paris en 1900 est récent : la plupart des places et des boulevards qui les relient, tout comme les parcs et squares (jardins publics) et les immeubles qui les encadrent ont été aménagés dans la seconde moitié du XIXe siècle ; de nombreux monuments anciens ont aussi

été endommagés lors de la Commune de Paris et certains n’ont jamais été reconstruits. L’enceinte fortifiée de 33 km ne date que de 1844. L’extension administrative de Paris jusqu’à l’enceinte et le découpage en vingt arrondissements remontent à la loi du 16 juin 1859. Les fonctions métropolitaines sont concentrées dans les arrondissements centraux : Palais de Justice dans le 1er arrondissement ; Hôtel de Ville dans le 2e ; ministères, Chambre des députés, ambassades dans le 7e, Sénat dans le 6e ; présidence de la République dans le 8e ; le 5e conserve des fonctions universitaires ; le long des grands boulevards, les théâtres (10e) succèdent sans rupture aux grands magasins qui animent le 9e. Les dix autres arrondissements parisiens forment surtout des quartiers résidentiels, les classes aisées à l’Ouest (14e, 15e, 16e, 17e), les milieux populaires à l’Est (11e, 12e, 13e ; 18e, 19e, 20e).

Renseignements pratiques Se loger à Paris Paris offre aux visiteurs de nombreuses possibilités d’hébergement, ils pourront se loger sans peine, selon leurs moyens, à l’hôtel ou dans une simple pension de famille.

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La vérité nous oblige cependant à dire que la plupart de ces maisons ne fournissent qu’un confort sommaire, tant pour l’éclairage que pour l’hygiène. Aux voyageurs qui cherchent un service moderne et de grande qualité (éclairage électrique, ascenseurs, salle

MÉTROPOLITAIN. La ligne 1, en fonctionnement depuis 1900, relie la porte Maillot à la porte de Vincennes en vingt-sept minutes. La ligne 2 (Montmartre – Porte de Versailles) est inaugurée en novembre 1910. Une ligne « circulaire », mais encore inachevée, court au nord entre la place de la Nation et la place de l’Étoile, et au sud de la place de l’Étoile à la place d’Italie. Prix : 0,25 F en 1re classe, 0,15 F en 2e. La rapidité de la circulation surprendra l’étranger. Précision importante : le malaise qu’éprouvent parfois certaines personnes délicates n’est pas dû au manque d’air, mais à la cohue et l’odeur des désinfectants.

de bain dans chaque chambre), nous recommandons les hôtels dits « de tout premier ordre ». On les trouvera aux alentours de la place Vendôme, jusqu’à la place de l’Opéra et au jardin des Tuileries, dans la liste suivante : • L’hôtel Ritz, place Vendôme, inauguré en 1898, disposant de 159 chambres (avec salle de bain privée, à partir de 26,50 F). • L’hôtel Meurice, rue de Rivoli, complètement rénové en 1907, lorsqu’il s’est agrandi de l’ancien hôtel Métropole (chambre à partir de 8 F). • L’hôtel Regina, place des Pyramides, ouvert en 1900 (6 F). • L’hôtel Élysée Palace, avenue des Champs-Élysées (8 F). • Sur la rive gauche, l’hôtel Lutetia, rue de Sèvres, construit à l’initiative des propriétaires du Bon Marché tout proche, et inauguré en 1910.

BATEAUX À VAPEUR. Une ligne de bateaux-omnibus relie le pont d’Austerlitz à Auteuil de 6 h à 21 h. Tarif : 0,10 F en semaine. Le service est interrompu quand le niveau des eaux atteint 4,75 m en amont du pont Royal, ainsi qu’en cas de brouillard intense, ou lorsque la Seine charrie des glaçons.

Si l’on arrive le soir, se faire conduire de préférence à l’un des grands hôtels du centre ; ces maisons « de premier ordre » ont des centaines de chambres, à partir de 5 F par nuit et l’on est sûr de pouvoir s’y loger : le Grand Hôtel Terminus, gare Saint-Lazare (500 chambres), l’hôtel Continental, rue de Castiglione (500 chambres), le Grand Hôtel, boulevard des Capucines (800 chambres), le Grand Hôtel du Louvre, rue de Rivoli (400 chambres). Parmi les hôtels « de second ordre », nous recommanderons spécialement l’hôtel Violet, rue du FaubourgPoissonnière (beaucoup d’Allemands) et sur la rive gauche l’hôtel des Saints-Pères, rue du même nom, surtout fréquenté par des membres du clergé, ainsi que l’hôtel du Danube, rue Jacob (clientèle d’Europe centrale).

Prendre un verre, se restaurer Les personnages de Maléfices n’auront aucun mal à se nourrir « sur le pouce » au comptoir des multiples estaminets qui ont surgi un peu partout, tout en sirotant un verre d’absinthe. Rappelons cependant que la Société française de tempérance (rebaptisée en 1905 Ligue nationale contre l’alcoolisme) déconseille vivement la consommation de cette boisson « qui rend fou » et demande son interdiction pure et simple. Les pouvoirs publics semblent enfin déterminés à réduire la production d’absinthe (360 000 hl par an), avec l’accord des viticulteurs, si l’on en croit le slogan à la mode : « Tous pour le vin, contre l’absinthe ! ». Pour faire un vrai repas, de nombreux restaurants offrent une cuisine variée : Les classes supérieures apprécieront sans doute le luxe du célèbre Maxim’s, rue Royale, complètement rénové pour l’Exposition universelle de 1900, fréquenté par toutes les personnalités de la vie artistique, mais aussi les grandes fortunes et les têtes couronnées. On y entre en habit, et les dames non accompagnées ne sont pas acceptées.

Se déplacer à Paris LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES PETITES VOITURES gère la plupart des 10 870 fiacres hippomobiles à deux places qui circulent en 1900. Préférer les cochers à chapeau blanc, leurs véhicules ont des roues garnies de caoutchouc et une galerie sur le toit pour les bagages. La CGPV fait évoluer son parc rapidement : en 1907, le rapport passe à 9 410 fiacres hippomobiles contre 2 360 véhicules à essence, la tentative de généraliser les fiacres électriques s’étant révélée un complet fiasco. Les cochers ne sont pas toujours empressés ni aimables, mais ils doivent marcher à toute réquisition et ne sont donc pas autorisés à refuser une course. Service à 2 F de l’heure, mais depuis 1904 beaucoup de voitures s’équipent de taximètres, ce qui évite toute discussion sur le prix. LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES OMNIBUS contrôle le trafic des omnibus et tramways (hippomobiles, à vapeur ou électriques). Ils circulent de 6 h à 0 h 30 et l’on n’attend habituellement pas plus de cinq minutes ; on paie dans la voiture, le tarif est de 0,30 F à l’intérieur, 0,15 F sur l’impériale. On aperçoit quelques omnibus automobiles depuis 1906, la CGO annonce l’acquisition de 627 modèles Schneider PB2 en 1911.

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Les Amants (1895), pièce de Maurice Donnay (1859-1945)

Sur les Grands Boulevards, on trouve plusieurs établissements très renommés, comme le Café de la Paix, le Café anglais, le Café Riche. Plus accessibles, les brasseries offrent cependant une cuisine à la carte, très copieuse, dans un cadre chaleureux et confortable. Les plus fréquentées sont : • LA BRASSERIE BOFINGER, rue de la Bastille, propose de la bière à la pompe depuis 1864 et est devenue le point de ralliement de tous les Alsaciens et amis de l’Alsace à Paris. • LE TRAIN BLEU, juste au-dessus des quais de la gare de Lyon, construit dans le cadre de l’Exposition universelle en 1900 par l’architecte Marius Toudoire. • LA BRASSERIE GALLOPIN, fondée en 1876, rendue fameuse pour son bar « à l’américaine » où l’on sert des cocktails aux amateurs de ces mélanges exotiques. Rue Notre-Dame des Victoires, dans le 2e arrondissement. • LA BRASSERIE LIPP accueille depuis son ouverture en 1880 des personnalités de la vie artistique, culturelle ou politique du pays, boulevard Saint-Germain, 6e arrondissement. Pour une cuisine plus populaire et à des tarifs très raisonnables, les voyageurs pourront s’installer agréablement dans un des nombreux « établissements de bouillon », idée originale du boucher Duval, copiée ensuite par les familles Boulant, Bastide, Julien et les Frères Chartier, etc. En entrant, le client reçoit une fiche donnant les prix ordinaires et où s’inscrit au fur et à mesure ce qu’il a

commandé. On se présente à la caisse en sortant, avec la fiche. Lorsqu’elle est acquittée, on la remet au contrôleur avant de franchir la porte. Compter 2,50 F par repas. Les bouillons Chartier sont plus modestes et moins chers.

Se distraire à Paris LES GRANDS BOULEVARDS. Une file de sept avenues qui relient la place de la Madeleine à celle de la République offre non seulement un cadre de promenade agréable, mais aussi une foule de divertissements, de jour comme de nuit : restaurants renommés, boutiques de qualité et surtout de nombreux lieux de spectacle. La plupart des vingt grands théâtres de la scène parisienne y sont installés. Les programmes ainsi que les heures d’ouverture sont affichés sur les 225 colonnes Morris érigées sur les trottoirs de la capitale. Pour réserver sa place, on passe aux bureaux de location des théâtres, ouverts de 10 h à 19 h. Le parterre est réservé aux hommes, l’orchestre est interdit aux dames avec chapeau et coiffure. Dans presque tous les théâtres, il y a une troupe de claqueurs payés, placés généralement en parterre, qui applaudissent sur un signe du chef de la claque. Il serait inutile de protester contre cette vieille organisation. LES CHAMPS DE COURSES PARISIENS. Deux hippodromes au Bois de Boulogne (Longchamp et Auteuil), un troisième au Bois de Vincennes.

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Les belles de nuit (détail) – Jean Béraud

LES THÉÂTRES-CONCERTS. Trois lieux très fréquentés au pied de la butte Montmartre : les Folies Bergère, le Moulin-Rouge, le Casino de Paris. Moitié théâtre, moitié café-concert, on y fume, on y consomme, on s’y promène dans le pourtour. Compter 8 F pour une place assise, 3 F pour le promenoir. LES CAFÉS-CONCERTS. Nombreux sur les ChampsÉlysées, les Grands Boulevards et à Montmartre. Entrée gratuite le plus souvent, mais ce n’est qu’une ruse, car on est obligé de prendre une consommation, généralement coûteuse et médiocre. LES CABARETS. Pour s’amuser le soir et la nuit, la plupart sont à Montmartre : La Boîte à Fursy (chansons politiques), La Lune Rousse, le Mirliton (cabaret d’Aristide Bruant où l’on est reçu par des farces et des injures), etc. LES BALS PUBLICS. Une particularité de Paris. Les plus fréquentés sont le bal Tabarin, rue Pigalle, et le Moulin de la Galette, rue Lepic. Au Quartier latin, le bal Bullier, rue de l’Observatoire, séduit beaucoup d’étudiants. DEUX SALLES EXPÉRIMENTALES. Le Phonographe Pathé, boulevard des Italiens, et le Photorama Lumière, rue de Clichy, attirent une clientèle de curieux. Affiche de Georges Meunier (1869-1942)

Faire du shopping à Paris

Affiche par Émile Levy (1826-1890)

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LES GRANDS MAGASINS, CATHÉDRALES DU COMMERCE. Ces établissements récents bénéficient d’un engouement certain auprès de la clientèle parisienne, ou des étrangers de passage. Ils séduisent le public par leur architecture industrielle audacieuse ; ils développent surtout des méthodes commerciales innovantes : promotions, soldes, et ils offrent un énorme choix de marchandises, ce qui leur permet de baisser leur marge bénéficiaire et de proposer des produits à prix très concurrentiels. Le plus ancien de ces établissements se situe sur la rive gauche : « Au Bon Marché » fut fondé par Aristide Boucicaut en 1852, mais il a pris son allure actuelle après des agrandissements effectués de 1869 à 1887. Les grandes baies vitrées en fer et verre furent réalisées par Gustave Eiffel. Dans le 9e arrondissement, proche de la gare SaintLazare, le « Printemps » connaît un grand succès depuis sa fondation en 1865 par Jules Jaluzot, l’inventeur des soldes annuelles. Il n’a cessé de s’agrandir depuis, en construisant des étages supplémentaires et en annexant les immeubles voisins. En 1894, Théophile Bader a ouvert un concurrent sérieux, les « Galeries Lafayette » qui prévoient pour 1912 l’inauguration d’une immense coupole de 43 m qui sera soutenue par des piliers en béton. Trois autres établissements de ce genre donnent sur la rue de Rivoli. Le « Bazar de l’Hôtel de Ville » (ex-Bazar Napoléon) et « Les Grands Magasins du Louvre » (ex-Galeries du Louvre) datent du Second Empire. Un

peu plus loin vers l’ouest, « La Samaritaine », inaugurée en 1900 par Ernest Cognacq, est le plus grand magasin de Paris, avec 48 000 m2 de surface de vente sur dix étages. Deux autres grands magasins se sont ouverts dans des quartiers moins prestigieux, visant précisément une clientèle plus populaire que leurs devanciers : « Aux classes

laborieuses », rue du Faubourg Saint-Martin, dans une structure très originale, toute en béton armé ; « Grands Magasins Dufayel », rue de Clignancourt, autour d’un vaste dôme surmonté d’un phare éclairant Paris. Georges Dufayel se flatte aussi d’avoir inventé un nouveau concept commercial : le crédit à la consommation.

VIE PARISIENNE : QUELS PERSONNAGES CÉLÈBRES PEUT-ON CROISER À PARIS EN 1900 ? LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE

BEAUX-ARTS

MUSIQUE ET SPECTACLE

Déjà célèbres

Frédéric Mistral (1830-1914), Victorien Sardou (1831-1908), Émile Zola (1840-1902), Anatole France (1844-1924), Octave Mirbeau (1848-1917), Paul Bourget (1852-1935), Pierre Loti (1850-1923), Henri Bergson (1859-1941), Maurice Barrès (1862-1923), Georges Feydeau (1862-1921), Jules Renard (1864-1910), Maurice Leblanc (1864-1941), Romain Rolland (1866-1944), Edmond Rostand (1868-1918), Gaston Leroux (1868-1927), Alain (1868-1951), Paul Claudel (1868-1955), André Gide (1869-1951), Paul Valéry (1871-1945), Colette (1873-1954), Charles Péguy (1873-1914)

Camille Pissarro (1830-1903), Edgar Degas (1834-1917), Paul Cézanne (1839-1906), Claude Monet (1840-1926), Auguste Rodin (1840-1917), Auguste Renoir (1841-1919), Alphonse Mucha (1860-1939), Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Camille Claudel (1864-1943), Vassily Kandinsky (1866-1944), Henri Matisse (1869-1954)

Camille Saint-Saëns (1835-1921), Thérésa (1837-1913), Sarah Bernhardt (1844-1923), Gabriel Fauré (1845-1924), Aristide Bruant (1851-1925), Vincent d’Indy (1851-1931), Giacomo Puccini (1858-1924), Gustav Mahler (1860-1911), Lucien Guitry (1860-1925), Claude Debussy (1862-1918), Yvette Guilbert (1865-1944), Caroline Otero (1868-1965), Dranem (1869-1935), Liane de Pougy (1869-1950), Mistinguett (1875-1956), Cléo de Mérode (1875-1966)

Encore méconnus

Marcel Proust (1871-1922), Léon-Paul Fargue (1876-1947), Victor Segalen (1878-1919), Guillaume Apollinaire (1880-1918)

Pablo Picasso (1881-1973), Georges Braque (1882-1963), Amedeo Modigliani (1884-1920)

Maurice Ravel (1875-1937), Manuel de Falla (1876-1946)

Que visiter ? À voir absolument

Pour visiter les souterrains, il faut une carte qu’on demande par écrit au secrétariat des Musées nationaux (cour du Louvre), avec un timbre pour la réponse. Après la visite, on peut faire une promenade dans le jardin des Tuileries, où l’on jouit d’une magnifique perspective sur la place de la Concorde et sur les Champs-Élysées.

LE LOUVRE. L’ancienne résidence royale, amputée en 1871 du Palais des Tuileries, reste le plus vaste bâtiment de Paris. Sur près de 200 000 m2, il abrite d’une part (rue de Rivoli) le ministère des Finances (qui ne se visite pas), d’autre part le plus grand musée du monde. En 1907, le ministère des Colonies quitte le pavillon de Flore, qui est attribué au musée pour son extension. La quantité de salles est si importante qu’il faut deux heures rien que pour les parcourir. Si l’on a peu de temps, on fera bien de commencer par les collections de marbres antiques et de peinture. Pour éviter d’être pressé par la foule, on conseille de visiter le musée le matin, et l’été. En hiver, de trop nombreux vagabonds viennent se chauffer au Louvre, le « calorifère national ». Trois w.-c. ont été aménagés dans la galerie Mollien, la salle VII (primitifs italiens) et la salle IX (école française) – pour y accéder, demandez les clés aux gardiens.

Les monuments à la gloire de la France

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LE PANTHÉON, bâti à l’endroit le plus élevé de la rive gauche, où la tradition place le tombeau de SainteGeneviève, patronne de Paris. Le bâtiment, achevé en 1790 sur des plans de Soufflot, fut voué en 1791 à la sépulture des grands hommes, mais rendu au culte catholique de 1806 à 1830 et de 1851 à 1885. Le fronton, sculpté par David d’Angers, arbore l’inscription : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. » Les caveaux se visitent par groupes sous la conduite d’un gardien. Nombreuses tombes de personnages illustres, dont celles de Rousseau, Voltaire et Victor Hugo.

L’ARC DE TRIOMPHE, inauguré en 1836, en haut des Champs-Élysées, à la convergence de douze avenues (place de l’Étoile), célèbre les victoires de la Révolution et du Premier Empire ; nombreuses sculptures, avec les noms de 172 batailles et 386 généraux. Haut de 49,50 m, on accède au sommet par un escalier de 273 marches. Très belle vue sur Paris, on le fera de préférence le soir, après la pluie et par vent d’ouest.

gothique, qui n’a pas été touché par l’incendie du palais en 1871. Achevé en 1248 pour abriter les Grandes Reliques du roi Saint Louis (la couronne d’épines, un clou et un morceau de la Sainte Croix), le sanctuaire comprend deux chapelles superposées ; les remarquables vitraux de la chapelle-haute ont été restaurés. Note : à quelques pas de la cathédrale, à l’extrémité de l’île de la Cité, se trouve LA MORGUE, où sont exposés les morts inconnus ; chaque année, 700 à 800 cadavres, maintenus à -4 °C, y sont conservés au besoin pendant trois mois. Entrée libre.

L’HÔTEL DES INVALIDES, au bout de l’esplanade du même nom, ancien hôpital militaire qui pouvait loger 7 000 pensionnaires (à l’aube de la Première Guerre mondiale, il n’y a plus qu’une quarantaine d’invalides), abrite depuis 1896 le musée de l’armée. De nombreux maréchaux de France reposent dans les caveaux de l’église Saint-Louis, qui a vocation à servir de panthéon militaire. Sous le dôme, annexe de l’église, tombeau de Napoléon Bonaparte, mort à Sainte-Hélène en 1821, rapatrié en 1840 et placé en 1861 dans un sarcophage de porphyre.

LA BASILIQUE DU SACRÉ-CŒUR, en construction depuis 1875, à la suite d’un « vœu national », sur les hauteurs de Montmartre, point culminant de Paris où commencèrent les troubles de la Commune le 18 mars 1871, n’est pas encore achevée. Financés uniquement par des quêtes et des souscriptions, les travaux avancent lentement ; le culte catholique s’y tient néanmoins depuis 1891 – le Saint-Sacrement y étant exposé sur l’autel en permanence, on évitera d’y parler à haute voix. À l’extérieur, une statue du chevalier de La Barre, décapité et brûlé en 1766 à l’âge de vingt ans pour impiété, a été placée en 1905. Depuis juillet 1900, un funiculaire permet de s’affranchir de l’escalier de 160 marches reliant la rue Lamarck au sommet de la Butte.

LA TOUR EIFFEL fut édifiée pour l’Exposition universelle de 1889 sur le Champ-de-Mars, ancien champ de manœuvre de l’École militaire où se tint, le 14 juillet 1790, la Fête de la Fédération (premier anniversaire de la prise de la Bastille). Haute de 300 m, c’est le monument le plus élevé au monde pendant presque quarante ans. Ascension par des escaliers ou des ascenseurs, conseillée seulement par temps clair, sans froid ni vent. 3 F l’entrée. Au 1er étage (à 58 m), un restaurant et un théâtre ; 2e étage à 116 m ; 3e étage à 276 m, au pied d’une lanterne de 24 m (phare électrique de 70 km de portée).

Autres lieux dignes d’intérêt LE PALAIS DU TROCADÉRO. Construit pour l’Exposition de 1878, cet édifice de style oriental est composé d’une rotonde, de deux tours de 70 m et de deux ailes en retour. Il renferme le musée de sculpture comparée, le musée cambodgien et le musée d’ethnographie.

Sur le Champ-de-Mars est également conservée, jusqu’à l’été 1907, l’impressionnante GALERIE DES MACHINES de 420 m de long, 150 m de large et 48 m de haut, où brilla le génie français lors de l’Exposition universelle de 1900.

GRAND PALAIS, PETIT PALAIS ET PONT ALEXANDRE-III. Reliant le rond-point des ChampsÉlysées à l’esplanade des Invalides, cet ensemble remarquable a été réalisé pour l’Expo de 1900. « Le plus beau pont de Paris » est formé d’une arche unique en acier moulé, longue de 108 m. Le Petit Palais, aussi nommé Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris, abrite les chefsd’œuvre de la peinture française moderne. En face, le Grand Palais est destiné aux Salons annuels, artistiques ou technologiques.

B âtiments du culte catholique valant le détour NOTRE-DAME, église dont les archevêques, Mgr Richard de La Vergne (qui officia de 1886 à 1908) comme son successeur Mgr Amette, ont fait un bastion de l’opposition au régime républicain. Consacré en 1182, mais jamais achevé, le bâtiment a souffert des outrages de la Révolution et subi diverses restaurations depuis 1845. La flèche du transept, conçue par l’architecte Violletle-Duc, a été posée en 1859. Le trésor de la cathédrale présente des objets sans grande valeur artistique, comme le manteau du sacre de Napoléon Bonaparte. Les tours, hautes de 68 m, offrent une belle vue sur Paris, accessible par un escalier de 387 marches – si l’on n’est pas sujet au vertige, on pourra, en se penchant en avant, admirer quelques effrayantes gargouilles fourchues qui inspirèrent les auteurs de Maléfices… À proximité, dans une des cours du Palais de Justice, est située LA SAINTE-CHAPELLE, bijou de l’art

LE JARDIN DES PLANTES. Sur plus de trente hectares, il comprend des galeries pour les collections, des salles de cours, mais aussi une ménagerie (14 000 animaux vivants) et surtout un vaste jardin botanique (19 200 plantes marquées d’étiquettes de couleur – rouge pour les plantes médicinales, verte pour les plantes alimentaires, bleue quand on les emploie dans les arts figuratifs (colorants, pigments, etc.), jaune si ce sont des plantes d’ornement, noire pour les vénéneuses).

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PLACE DENFERT-ROCHEREAU. Jadis « barrière d’Enfer », rebaptisée en l’honneur du célèbre défenseur de Belfort pendant la guerre de 1870-71. Décorée d’un lion

colossal en cuivre, par Bartholdi, reproduction de celui de Belfort. Là se tient l’entrée des Catacombes, que l’on visite le samedi avec une autorisation – prévoir des vêtements chauds et une bougie. Anciennes carrières qui s’étendent sous une bonne partie de la rive gauche et où l’on transporta les ossements exhumés des cimetières supprimés au XVIIIe siècle.

Un peu plus au nord, il ne reste rien de l’Enclos du Temple ; le fameux donjon templier, où fut retenu Louis XVI, a été détruit en 1811. Mais tout près de là, l’ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs est devenu à la Révolution le Conservatoire des arts et métiers, où les cours sont publics et gratuits ; on y trouve aussi une bibliothèque de 60 000 volumes, installée dans le réfectoire désaffecté, et une collection de machines et d’outils qui constituent un joli musée des techniques et de l’industrie. On remarquera en sortant, en face de l’église SaintNicolas, l’entrée des égouts de Paris ; les visites, en wagon et bateau, se font avec une autorisation qu’on demandera par écrit au préfet de la Seine. En continuant la rue Réaumur vers l’ouest, le promeneur curieux parviendra rapidement à l’ancien palais Mazarin, rue Richelieu, qui abrite les départements de la Bibliothèque nationale (3 millions de volumes en 1907), avec des salles de lecture et des salles d’exposition ouvertes au public.

Curiosités de la rive droite Le Marais et ses alentours, ayant échappé aux destructions haussmanniennes, conservent de nombreux hôtels particuliers qui peuvent receler quelques merveilles. Nous recommanderons l’Hôtel de Soubise, siège des Archives nationales, qui abrite un musée des Archives, méconnu mais fort riche. À l’Hôtel Carnavalet sont réunies les précieuses collections du musée historique de la Ville de Paris et place des Vosges, un musée Victor Hugo a été aménagé en 1903 sur trois étages, dans la demeure où vécut le grand homme de 1833 à 1848.

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Théâtre du Vaudeville (Jean Béraud)

$ Les progrès de la science

Attitude face à la science à la Belle Époque La Belle Époque, période d’intense développement technologique et industriel La Belle Époque coïncide avec un nouveau souffle, celui de la Seconde Révolution industrielle : la maîtrise des nouvelles énergies que sont l’électricité et le pétrole, ainsi que les grandes innovations qui en découlent, notamment pour la mécanisation, les moyens de transport et de communication, vont permettre une croissance économique et des gains de productivité sans précédent.

Aérodrome de Pont-Levoy, Loir et Cher. Affiche par Maurice Auzolle

C’est une période très optimiste, une partie de la population croyant même vivre une sorte d’âge idéal. Une vision positive de l’apport de la science, des techniques et de l’essor industriel se développe. La Belle Époque croit en un progrès sans limites. Puisqu’une invention en

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La Science Illustrée du 6 décembre 1902

entraîne très souvent une autre, tous les problèmes seront bientôt résolus : c’est l’enchantement du futur. Le développement scientifique et sa diffusion se font principalement au travers des sociétés savantes. Il y en a plus de cinq cents en 1885, dont bon nombre en province. La diffusion de la culture scientifique et technique passe aussi par les nombreuses revues publiées, telles que : La Science illustrée (1875), L’Électricité (1876), L’Astronomie (1882), La Science et la Vie (1913). Des conférences sont données, notamment au Conservatoire national des arts et métiers. D’importantes expositions sont organisées dans les capitales européennes afin de présenter les avancées de l’industrie au grand public. C’est l’âge d’or des Expositions universelles et Paris n’en accueille pas moins de cinq entre 1855 et 1900. Ce progrès, tellement désiré, influence aussi la littérature. Jules Verne, grand amateur de magazines et de revues scientifiques, publie une collection de romans, les Voyages extraordinaires, qui célèbrent le progrès sous tous ses aspects : glorification de la science, machines extraordinaires et exploration des confins de la terre et même de la Lune.

véhéments entre conservateurs et progressistes, ceci d’autant plus qu’au XIXe siècle, science et morale sont encore intimement liées. Savants et idéalistes sont persuadés que la somme des connaissances apportées par la science permettra un jour une entière compréhension du monde et, à terme, une meilleure organisation de la société. Il y a, pour ces penseurs, glissement de la foi vers le savoir. Les récentes découvertes en contradiction avec la religion remettent en cause chez certains l’existence même de Dieu. Les courants de pensée suivants se développent : • LA LIBRE-PENSÉE veut se débarrasser des dogmes religieux et idéologiques afin de ne se fier qu’à l’expérience, la logique et la raison. Les mouvements libres-penseurs sont le plus souvent constitués d’athées prônant la laïcisation de la société. Dans les faits, bon nombre ont une attitude contestataire, voire provocatrice, tenant des discours davantage anticléricaux que scientifiques. • LE POSITIVISME, fondé dans la première moitié du XIXe siècle par Auguste Comte, renonce à chercher les causes afin de se concentrer sur l’explication de la réalité des faits. En d’autres mots : refuser de répondre à la question « pourquoi ? » et se limiter à celle du « comment ? » Le Positivisme scientifique construit une philosophie des sciences prônant davantage de rationalité, remplaçant croyances théologiques et explications métaphysiques. Certains vont même jusqu’à considérer le Positivisme comme une religion naturelle.

Attitude face à la science La foi dans le progrès est telle que certains espèrent voir les sciences expliquer tous les mystères de la Création. D’ailleurs, les vérités révélées de la Genèse ne sontelles pas remises en question par les travaux récents de Lamarck et de Darwin sur les origines de la vie ? La Belle Époque est donc le théâtre d’affrontements idéologiques

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Un générateur à gaz, parc aérostatique de campagne (1911). Agence Rol

• LE SCIENTISME affirme que la science expérimentale a priorité sur les révélations religieuses, les superstitions et les traditions pour décrire et interpréter le monde. Le Scientisme préconise l’application des principes et méthodes scientifiques dans tous les domaines, allant même jusqu’à déclarer que tous les problèmes de l’humanité pourraient être résolus. La Science est ainsi appelée à jouer le rôle social jusque-là dévolu à la religion. Mais le vent commence à tourner vers la fin du XIXe déjà, lorsque de plus en plus d’objections quant à l’infaillibilité de la science se font entendre. La Grande Guerre révélera que les développements techniques conduisent aussi à concevoir de nouvelles armes, plus meurtrières que ce que l’humanité avait connu jusque-là, et mettra un terme à cette euphorie du « Progrès ».

L’IMPORTANTE PRÉSENCE DES SCIENCES LORS DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889 Le mot d’introduction du Guide Bleu du Figaro et du Petit Journal de l’Exposition de 1889 annonce tout de suite la couleur : l’Exposition « est pour tout le monde, pour tous les âges, pour tous les savants comme pour les moins instruits, une incomparable « leçon de choses ». L’industriel y trouve des modèles dont rien ne lui échappe et dont il saura profiter. Le simple passant y prend une idée générale et suffisante des merveilles, toujours en progrès, de l’industrie moderne ». Si l’Expo est marquée par l’édification de la fameuse tour de M. Eiffel, elle offre, comme chaque fois, un panorama des prouesses techniques, industrielles et scientifiques de l’époque. La tour elle-même est conçue comme un instrument de science et d’expériences. Son campanile, au sommet, ne regroupe pas qu’un « petit appartement que M. Eiffel se propose d’habiter quelques fois », mais également trois laboratoires : un consacré à l’astronomie, le second à la météorologie et à la physique, le dernier à la biologie et aux « études micrographiques de l’air » : tout un programme ! Pour la première fois, un « palais » est dédié au pétrole « qui constitue une des plus intéressantes découvertes de notre siècle ». On trouve présentés les usages de cette ressource et les techniques de son extraction. Mais c’est incontestablement le « Palais des Machines » qui impressionne le plus le visiteur, tant par sa taille – le plus grand bâtiment de l’Exposition – que par ce qu’il offre à voir, notamment les « ponts roulants » électriques qui permettent aux visiteurs de se déplacer dans le palais en hauteur et sans effort. À n’en pas douter, la fée électricité démontre ici sa puissance et la diversité de ses usages : mobilité, éclairage, télécommunications, etc.

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$ Où rencontrer scientifiques, ingénieurs et savants ?

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On les trouve tout d’abord dans les écoles et les universités. Le nombre d’établissements décernant des diplômes d’ingénieur en France va fortement augmenter, menant à une diversité de titres et de spécialisations. Il y a l’École polytechnique et l’École centrale des arts et manufactures, qui offrent des formations généralistes – encyclopédiques, disait-on. Les étudiants de ces deux écoles prestigieuses, souvent issus de milieux aisés et sélectionnés à la suite d’examens d’entrée redoutés, sont destinés à occuper des postes à haute responsabilité tant dans l’administration qu’au sein des grandes entreprises. Pour satisfaire les besoins de l’industrie en plein développement, des établissements existants ajoutent à leurs enseignements des cursus pour ingénieurs. C’est notamment le cas de certaines universités qui ouvrent des instituts des sciences appliquées. Citons la faculté des sciences de Paris (célèbre pour son laboratoire de recherche physique où travaillèrent Pierre et Marie Curie) qui, à partir de 1900, commence à former des ingénieurs. Beaucoup de nouvelles écoles d’ingénieurs sont créées. L’archétype « Ingénieurs et scientifiques » (cf. page 188) mentionne quelques exemples. N’oublions pas les autodidactes, dont le nombre n’était pas négligeable, et qui ont à leur disposition une importante documentation. Les ingénieurs, partenaires indispensables des entrepreneurs, se retrouvent dans les grandes entreprises industrielles : sidérurgie, automobile, chemin de fer, chimie, ponts et chaussées, électromécanique, etc. Les sections suivantes en donnent moult exemples. Quant aux savants et chercheurs se vouant à faire progresser les connaissances scientifiques, on les trouve en majeure partie dans les instituts des universités.

$ État des technologies Un aperçu des développements de la science et de la technologie dans différents domaines est présenté ci-dessous. Les dates des inventions peuvent par exemple servir à camper des personnages ingénieurs ou inventeurs travaillant sur des sujets crédibles. Quant à décrire une Belle Époque sans trop d’anachronismes, il faudra souvent tenir compte du fait qu’un certain temps s’écoule entre l’invention, sa mise sur le marché et le moment où celle-ci se démocratise.

repasser électrique apparaît en 1893, suivi peu après par les radiateurs et les grille-pains. Les cuisines électrifiées comprenant cafetière, grill, réchaud électrique et même machine à laver la vaisselle, sont disponibles dès 1900. La diffusion de ces appareils ne s’effectue cependant que très lentement dans les maisons françaises.

L’électricité La première application à large échelle de l’électricité est le télégraphe. Puis viennent les moteurs et les générateurs. L’Exposition d’électricité de Vienne, en 1873, révèle aux visiteurs qu’il est envisageable, avec cette énergie, d’accomplir du travail ayant de la valeur. Une nuée d’ingénieurs et d’inventeurs se mettent alors à en développer les usages possibles. Avant la création de la lampe à filament en 1878, la seule lumière électrique était l’aveuglante lampe à arc, utilisée de façon très occasionnelle pour éclairer quelques parcs publics et pour équiper les phares le long des côtes. Les lampes à piles électriques apparaissent vers 1898 et se démocratisent assez rapidement. Le tramway électrique fait son apparition vers 1885. On commence par électrifier les rails, ce qui n’est pas une bonne idée : les flaques d’eau produisent des courts-circuits et les chevaux prennent des décharges. La caténaire et le pantographe viennent résoudre ces débuts difficiles. Encore faut-il rendre l’électricité disponible. La production et la distribution de cette énergie croissent rapidement et à grande échelle à partir de 1880, grâce à l’utilisation du courant alternatif. La première grande usine hydroélectrique, installée aux chutes du Niagara, date de 1896. L’électricité peut ainsi atteindre les foyers : le fer à

Le Petit Journal (supplément illustré) du 22 octobre 1899

Les moyens de communication Le télégraphe et le téléphone Le télégraphe apparaît avant l’époque qui nous concerne. Les lignes télégraphiques sont déployées à un rythme effarant, et vers le milieu du XIXe siècle, la plupart des pays européens sont reliés par ces nouveaux réseaux de fils. Pour le téléphone, il reste à trouver le moyen de transformer les ondes sonores en ondes électriques pour que la parole puisse être transmise par fil. Alexander Graham Bell et Elisha Gray déposent chacun une demande de brevet en 1876. Le développement du téléphone est rapide, atteignant en quelques années les proportions d’un vaste réseau de communications. En France, les tout premiers abonnés

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au téléphone sont reliés au réseau en 1881. Les premiers bottins téléphoniques sont imprimés. Des cabines sont installées au sein des bureaux de poste et télégraphe. Les premières lignes interurbaines sont déployées en 1884. Le pays compte environ 180 000 abonnés en 1908, ce qui est peu comparé aux USA, au Royaume-Uni et à l’Allemagne. À l’époque, l’usage du téléphone est avant tout professionnel : il apparaît dans les usines, les bureaux et dans les maisons et villas des hommes d’affaires. On le trouve aussi dans des lieux publics comme certains cafés, restaurants ou hôtels, par exemple. Les cabines publiques sont fort rares avant 1914.

Service du téléphone à la Poste de Mulhouse, bureau central de réception vers 1900

démonstration de 1901, quand les trois impulsions du « s » morse sont transmises avec succès entre l’Angleterre et Terre-Neuve. Après ça, tous les bateaux sont équipés d’un opérateur Marconi, chargé des communications radio. C’est à l’Américano-Canadien Fessenden que l’on doit, en 1900, la première transmission sans fil d’une voix. La première émission radio, captée sur toute la façade atlantique des États-Unis, date de 1906. Il n’y aura pas d’équivalent en France avant la Première Guerre mondiale.

LES DEMOISELLES DU TÉLÉPHONE – DES PERSONNAGES NON JOUEURS À MALÉFICES ? Les téléphones ne disposent pas de cadran, mais d’une manivelle pour appeler une téléphoniste qui va ensuite établir la communication. Les centraux téléphoniques emploient un personnel nombreux et exclusivement féminin : les « demoiselles du téléphone » sont de jeunes célibataires ayant une éducation et une morale irréprochables. Assise devant un immense tableau de fiches et de prises de type Jack, équipée d’un casque et d’un micro, chacune gère une centaine d’abonnés. Elles doivent subir les remarques des clients mécontents de la lenteur du service, mais une complicité avec certains abonnés naît parfois du fait que chaque opératrice administre un secteur géographique particulier. C’est là que cela devient intéressant pour vos aventures, car les téléphonistes peuvent être interrogées sur les coups de fil passés, voire être des espionnes à la solde de quelqu’un.

La poste pneumatique

La radio C’est en 1887 qu’Heinrich Hertz démontre expérimentalement l’existence d’ondes électromagnétiques non visibles, les ondes radio, ouvrant ainsi la voie à la transmission sans fil. C’est néanmoins à Guglielmo Marconi que l’on doit le développement d’un système de communication par ondes hertziennes. En 1895, Marconi fait ses premières expériences en toute discrétion près de la station climatérique suisse de Salvan, éloignant l’émetteur et le récepteur jusqu’à atteindre une distance d’émission de plus d’un kilomètre. Il perfectionne les éléments de transmission et de réception jusqu’à l’impressionnante

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La poste pneumatique, aussi appelée « télégraphe atmosphérique », est un système permettant l’acheminement rapide du courrier grâce à un réseau de tubes pressurisés reliant les bureaux de poste et les stations télégraphiques d’une grande ville. Grâce à de l’air comprimé, télégrammes et autres plis urgents filent à 40 km/h dans des boîtes cylindriques en fer-blanc, les « curseurs ». Après avoir transité par des stations intermédiaires, la missive atteint alors le bureau concerné où un « facteur du pneumatique » ou « tubiste » l’apporte à son destinataire, le plus souvent à pied ou à bicyclette. La dépêche est ainsi transmise en moins d’une heure. Les débuts du « pneu » à Paris remontent à 1866, où il est d’abord réservé aux administrations. Sa fonction première est de distribuer les télégrammes – les lignes télégraphiques de la capitale sont surchargées et la circulation parisienne, déjà très dense, rend les coursiers peu performants. Le réseau est ouvert au public en 1879. Des formulaires postaux pré-affranchis, surnommés « petits bleus » du fait de leur couleur, et coûtant trois à cinq fois le prix d’une lettre standard, sont utilisés pour rédiger les missives.

Carte du réseau pneumatique à Paris en 1910

Cette poste pneumatique connaît alors une vraie démocratisation et le réseau est progressivement étendu à toute la capitale ainsi qu’à Neuilly, comptant plus de

260 km de tubes au tournant du siècle. 1910 vit l’apparition d’un réseau pneumatique à Marseille ainsi qu’à Alger. Nul doute que ce sera le moyen de communication favori de vos personnages pressés.

Les moyens de transport L’automobile Trois modes de propulsion sont en concurrence. Ce sont tout d’abord les véhicules à vapeur qui font leur apparition dans les années 1870 et 1880. Le tout premier véhicule collectif, L’Obéissante, construit par Bollée, pouvant transporter douze personnes à une vitesse de pointe de 40 km/h, est commercialisé à partir de 1873. Même si pendant un temps les automobiles à vapeur sont les plus performantes, leur poids leur confère un énorme désavantage. La première voiture automobile électrique française, la Tilbury, sort en 1881. Autre voiture électrique, la Jamais contente est la première automobile à franchir les 100 km/h en 1899. Mais l’absence de progrès dans la technique des batteries freine le développement de ce moyen de propulsion.

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C’est le moteur à explosion qui finit par être le plus adopté, grâce à son encombrement limité. Le fameux Tricycle 1 de Carl Benz, mû par un tel moteur alimenté en pétrole et équipé d’une boîte à vitesses, est présenté en 1886. De nombreux constructeurs, dont certains noms existent toujours, voient le jour : la famille Peugeot réoriente son industrie vers l’automobile en 1891 et Renault se lance en 1898. La France ne compte pas moins de trente constructeurs automobiles en 1900, chiffre qui sera multiplié par cinq avant la Grande Guerre. En 1900, on recense déjà plus de 3 000 automobiles en France, qui restent des objets de luxe réservés aux plus fortunés. Renault adopte le taylorisme entre 1908 et 1912, faisant exploser le nombre de voitures fabriquées.

L’infrastructure doit encore suivre : les routes, sans revêtement, sont inadaptées, difficilement praticables, voire dangereuses. Conducteur et passagers ne sont protégés ni des intempéries ni de la poussière, le démarrage est fastidieux, on doit se ravitailler en essence chez les pharmaciens, les pompes à essence tardant à se déployer. Les ratés et les pannes sont alors très fréquents, et le bon mot à l’époque c’est de dire que l’on est plus souvent sous son auto que dessus… Un début de réglementation routière apparaît en 1902. Les maires ont le pouvoir de réglementer la circulation dans leur ville. Les premiers panneaux de signalisation indiquent des limitations de vitesse qui nous semblent aujourd’hui excessivement faibles (20 km/h en agglomération et 30 km/h en rase campagne selon le décret du 10 mars 1899).

L’automobile devient aussi un sport. La toute première compétition, celle de Paris-Rouen, date de 1894 et voit s’affronter vingt-et-un véhicules, dont sept à vapeur. La voiture s’expose également : le premier salon automobile a lieu au jardin des Tuileries en 1898. Vos personnages pas assez riches pour posséder une automobile bénéficieront du taximètre, inventé en 1891, qui permet de mesurer temps et distance d’un trajet et ainsi d’établir le coût d’une course. Les taximètres sont d’abord adaptés aux fiacres, on parle en 1900 de « fiacre à taximètre » et, en 1905, Paris connaît ses premiers taxis automobiles.

Le métro parisien

devient populaire vers la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque des ascensions sont proposées pendant les attractions et les foires. De gigantesques ballons captifs, dont certains peuvent emmener cinquante personnes à la fois, permettent le baptême de l’air de milliers de passagers. En 1875, lors d’une tentative pour battre le record d’altitude, le manque d’oxygène cause le décès de l’aéronaute Albert Tissandier. Son frère Gaston survit, marqué à jamais par des problèmes d’ouïe. Le dirigeable fait ses débuts juste avant le tournant du siècle, avec le comte von Zeppelin en Allemagne et Alberto Santos-Dumont en France. Celui-ci expérimente dès 1898 une quinzaine de petits dirigeables souples, équipés de moteurs à combustion. Ses nombreux vols au-dessus des toits parisiens, ses accidents fréquents, mais généralement bénins, et son courage lui font gagner la sympathie du public. L’ère des transports aériens pour passagers ne commence qu’à partir de 1910, date à laquelle de magnifiques dirigeables avec cabines confortables, luxueuses et spacieuses traversent le ciel silencieusement à des vitesses approchant les 60 km/h. La France a aussi une industrie de dirigeables prospère.

La première ligne du métropolitain, reliant la porte Maillot à la porte de Vincennes (traversant Paris d’est en ouest), est mise en service le 19 juillet 1900, trois mois après l’ouverture de l’Exposition universelle, et plus de trente-cinq ans après la première ligne inaugurée au monde à Londres. Elle dessert aussi les Jeux olympiques d’été de 1900 qui se déroulent au bois de Vincennes. Vu le confort et les gains de temps substantiels offerts par le métro, le succès est immédiat, à tel point que le réseau va vite se densifier. Les travaux pour les lignes 2 à 5 sont rapidement initiés. Des chantiers impressionnants vont parsemer la capitale : certaines avenues sont éventrées, des viaducs sont construits, des tonnes de gravats sont évacuées par péniches ou par wagons empruntant les voies du tramway. C’est l’univers de la mine en pleine capitale. On va même jusqu’à congeler le sol sous la Seine (et une partie de la Seine avec), car il est impossible de creuser dans ce terrain gorgé d’eau, trop meuble. Ces travaux, générant bruits assourdissants et moult désordres, sont détestés par les Parisiens, qui, de plus, se méfient des ouvriers. Mais l’ouverture des lignes est toujours attendue avec impatience. À la veille de la Grande Guerre, 90 km de lignes sont déjà construits, toutes dans Paris intra-muros.

L’aéronautique : Les plus légers que l’air Quand commence la période de Maléfices, les débuts du ballon à air chaud sont déjà lointains. L’aérostation

Les frères Wright (1909) - agence Meurisse

Les aéroplanes

Dirigeable Lieutenant Selle de Beauchamp, premier vol le 29 octobre 1911 (ici vers 1913) – agence Meurisse

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Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est d’abord l’hélicoptère qui fait l’objet d’expérimentations par de nombreux inventeurs, et notamment l’Italien Enrico Forlanini, dont l’engin, propulsé à la vapeur, atteint la hauteur de treize mètres en 1877. Le dernier quart du XIXe siècle voit un nombre conséquent d’aéroplanes de tous types tenter de décoller, mais sans jamais accomplir rien d’autre que des bonds très courts et incontrôlés. C’est sur une plage de Caroline du Nord que les frères Wright réussissent le tout premier vol sur un engin plus lourd que l’air, en 1903. Il faut attendre 1906 pour qu’un Français, Santos-Dumont – oui, à nouveau lui –, parvienne à faire quelques bonds à bord de son 14-bis. Les pilotes français rattrapent bien vite leur retard : en janvier 1908, Farman décroche le prix récompensant le premier vol de plus d’un kilomètre, et en octobre de la même année,

il parcourt quarante kilomètres. Lors de son voyage en France, Wilbur Wright se met à remporter record sur record, stupéfiant les Français. La première traversée de la Manche par Blériot en 1909 passionne le monde entier. Trente-huit aéroplanes de tous types participent au premier meeting aérien qui se déroule en août 1909 à Reims. Farman parcourt 189 kilomètres et Latham emporte le record d’altitude à 166 mètres. De petites industries apparaissent un peu partout. Chaque constructeur tient à participer aux concours et meetings aériens afin de se faire connaître, pour le prestige et aussi pour vendre ses modèles. Issy-les-Moulineaux, 1908 - Léon Delagrange (18721910) et Thérèse Peltier (1873-1926), première femme pilote – agence Rol

Les progrès de la médecine Ce survol des progrès de la médecine vous donnera une meilleure idée des chances de survie des personnages quand ils sont gravement blessés. Mais n’oubliez jamais qu’à Maléfices, beaucoup de maladies relèvent de bien autre chose que de la médecine…

Établir un diagnostic En 1870, le médecin palpe le ventre, écoute le cœur et les poumons au stéthoscope, prend la température grâce au thermomètre tout juste devenu courant d’emploi en médecine et examine la gorge à l’aide d’un laryngoscope. Les ophtalmologues utilisent un ophtalmoscope pour regarder à l’intérieur de l’œil, dont la pupille aura préalablement été dilatée avec de la belladone. Les examens de sang et d’urine sont encore très limités : comptage des globules rouges, dosage du sucre dans le sang et les urines du diabétique, diagnostic du paludisme en observant les parasites dans le sang. Quant à l’endoscopie, elle se pratiquait déjà au début du XIXe siècle, si vous voulez vraiment tout savoir. L’électrocardiographie est réalisée pour la première fois en 1887 et devient une pratique médicale courante à partir de 1903.

Au dispensaire (photo de Paul Géniaux)

Combattre les infections

Médicaments Comprimés, gélules et seringues pour injections en intraveineuse ou sous-cutanées sont déjà répandus en 1870. Par ces moyens, on donne de la digitale aux cardiaques, de l’iode aux goitreux, du fer aux anémiques, et même de l’arsenic contre le cancer. La syphilis, une des maladies sexuellement transmissibles les plus virulentes et graves de l’époque, est aussi traitée, notamment, par l’arsenic et le mercure dès le début du XXe siècle. L’acide acétylsalicylique – l’aspirine ! – est utilisé à partir de 1875 comme anti-inflammatoire. Mais l’essor de la pharmacologie ne se fera qu’après la Première Guerre mondiale.

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La lutte contre les maladies commence dès la naissance avec l’apparition de l’antisepsie dans les maternités, diminuant les infections puerpérales, qui étaient quasiment toujours mortelles. Alors que 14 % des enfants qui naissent en 1900 meurent dans leur première année, l’antisepsie va faire chuter la mortalité des nouveau-nés à 1 %. Le seul vaccin existant en 1870 est le vaccin antivariolique, généralisé dès 1800. Pasteur effectue la première vaccination contre la rage en 1885. En 1896, c’est au tour de la vaccination contre la fièvre typhoïde. Autre solution pour traiter des maladies, l’injection d’anticorps : c’est la sérothérapie, créée en 1890 contre la diphtérie et le tétanos et en 1894 contre la peste. C’est grâce à ses travaux concernant les microbes, les infections et leur traitement de base – et sa découverte notamment du staphylocoque et du streptocoque – que Pasteur, fervent défenseur d’une hygiène irréprochable,

fait reculer certaines maladies endémiques à l’époque, dont la fièvre puerpérale déjà citée. L’Institut qui porte son nom, et dont il prend la direction, est créé en 1888. Contre les infections déclarées, seuls les antibiotiques permettent de sauver des cas souvent désespérés, mais ils n’arriveront que bien après la Grande Guerre. Il y a donc, pour un personnage de Maléfices, de forts risques d’infection en cas de blessure, complication que l’on ne sait pas bien enrayer.

Une infection particulière : la tuberculose La tuberculose est, à l’époque de Maléfices, un fléau difficile à combattre. Sa contagiosité n’a été affirmée que peu avant 1870 et confirmée en 1897 avec la découverte du bacille de Koch dans les particules rejetées par la toux. On envoie les tuberculeux prendre l’air dans les sanatoriums, installés dans les stations climatériques en montagne ou en bord de mer – un excellent cadre de jeu pour des scénarios de Maléfices ! Pour traiter la maladie, on propose de mettre un poumon « au repos » en insufflant de l’air dans la plèvre. À un stade grave, l’inhalation d’oxygène soulage les malades, mais l’efficacité est très modérée. En 1898, on classe la tuberculose en stades, et l’on s’aperçoit que la maladie peut rester latente des années après l’infection avant de se révéler par « une bonne vieille phtisie », galopante ou non ! Le diagnostic est aidé en 1907 par les cuti-réactions à la tuberculine puis, en 1910, par les intradermo-réactions. L’apparition de la radiologie (cf. ci-après) a été un progrès essentiel pour l’établissement du diagnostic, et a permis le dépistage de ce fléau. Il faudra attendre 1922 pour voir un vaccin contre la tuberculose : le BCG.

Chirurgie Quelques opérations se pratiquaient déjà avant 1800 : cataracte, appendicite, vésicule biliaire, hernie… La chirurgie va connaître un grand essor grâce au progrès de l’anesthésie à l’éther, réalisé au milieu du XIXe siècle, même si celle-ci n’est pas sans danger. Aux alentours de 1870 on sait enlever la rate, les reins, l’intestin, les glandes surrénales, la thyroïde, le larynx, les ovaires et l’utérus. On commence même à guérir certaines péritonites, à faire des greffes de peau, et à faire des opérations neurochirurgicales. Mais si tout cela est déjà possible, c’est loin d’être généralisé, et bien des interventions demeurent très risquées pour les patients – des moments de tension extrême pour vos personnages de Maléfices si, d’aventure, ils doivent subir un acte chirurgical. Les plaies sont systématiquement désinfectées ; pour cela, on emploie des chlorures d’oxyde de sodium et de chaux. Un procédé nouveau est le galvanocautère : il permet de détruire de petites lésions grâce à la chaleur. La réduction de la mortalité opératoire est en grande partie due à l’asepsie pasteurienne mentionnée plus haut, prônée dès la fin du XIXe siècle. Quant à faire des transfusions sanguines, sachez que les groupes A, B et O sont découverts en 1901 et le groupe AB une année plus tard. Les Rhésus arriveront bien après, en 1940.

Neurologie, psychiatrie et psychologie En neurologie, on commence à traiter l’épilepsie. On tente d’utiliser l’électrothérapie contre les paralysies faciales. La fin du XIXe siècle voit se développer la neurologie clinique, qui permet de faire un bilan très précis des atteintes en fonction des symptômes observés et des multiples petits signes recherchés, de grands progrès en matière de diagnostics sont donc réalisés. En neuropsychiatrie, le Pr Jean-Martin Charcot avance en 1875 l’idée des localisations cérébrales : à chaque circonvolution du cerveau correspond une fonction particulière (motricité, langage, etc.). Bien que ses théories soient combattues, l’avenir lui donnera raison… La psychiatrie fait aussi des progrès considérables grâce à l’approche expérimentale prônée par Charcot, qui permet l’essor de l’hypnose et de la psychanalyse. C’est sans conteste Sigmund Freud qui montrera l’importance de l’inconscient et développera le traitement par la psychanalyse , inventée en 1896 et développée dans la décennie suivante. Notons que le Pr Charcot est même une vedette de l’époque, puisque ses cours, sur l’hystérie notamment, sont devenus une sorte de spectacle mondain.

N’oublions pas le dentiste !

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Le XIXe a été riche en apports, avec l’apparition de la fraiseuse, des dents en or et en porcelaine, de méthodes pour corriger la position de la dentition, l’arrachage des dents sous anesthésie, et, enfin et surtout, le début de l’hygiène quotidienne des dents et des gencives. Rappelons que

dans les campagnes, les extractions se passaient généralement en plein air, pratiquées par des « dentistes » qui opéraient sur les foires, souvent par surprise plus que sous anesthésie !

des maladies osseuses, des fractures, des luxations, de la tuberculose osseuse, voire des corps étrangers. En 1899, on guérit certains cancers cutanés grâce à la radiothérapie et, dès 1902, on tente de traiter les cancers du sein et des ganglions. Toujours en 1902, on fait de la propagande pour les radios collectives des poumons afin de dépister la tuberculose.

La radiothérapie Les rayons X, découverts par l’Allemand Wilhelm Röntgen en 1895, sont très vite utilisés pour diagnostiquer

La photographie, le phonographe et le cinéma La photographie Les débuts de la photographie, que l’on doit surtout à Joseph Niepce et Louis Daguerre, remontent au deuxième quart du XIXe siècle. L’invention du négatif translucide, utilisant du papier huilé et permettant de produire plusieurs copies positives, date de 1841 déjà. Un nouveau procédé d’obtention d’un négatif sur plaque de verre au collodion humide remplace progressivement les techniques précédentes, et devient le plus employé entre 1855 et 1880. Quoique nécessitant du matériel lourd et encombrant, ce procédé est rapide et permet de nombreux tirages sur papier, offrant un large panel de tonalités et une grande finesse de détails. Des centaines d’ateliers photographiques ouvrent à partir de 1860, tirant le portrait des Français friands de photocartes, un tirage papier de faible dimension collé sur un carton au format de la carte de visite de l’époque. Grâce à ça, les personnages de vos joueurs n’auront que peu de difficultés à trouver des portraits des hommes et des femmes dont ils sont à la recherche. C’est à l’Américain Georges Eastman, fondateur de Kodak, que l’on doit la commercialisation de la première pellicule souple en ruban (1888). Ce film en celluloïd, permettant de stocker plusieurs images dans l’appareil photographique, supplante les plaques de verre, encombrantes, lourdes et fragiles. Ce procédé à sec et au développement effectué après renvoi de l’appareil ou du film en usine, encourage la démocratisation de la photographie : en effet, les appareils sont maintenant de plus petite taille et il n’y a plus besoin de manipulations chimiques. Manque encore la couleur. Les premières tentatives, datant des années 1840, sont très laborieuses. Un procédé basé sur la décomposition de la lumière en trois couleurs primaires est présenté en 1869. Il nécessite l’exposition de trois images qui doivent ensuite être exactement superposées lors du visionnage. On doit aux frères Lumière le premier procédé pratique de photographie en couleurs, appelé « autochrome » et commercialisé à partir de 1907. Mais nous voilà de retour aux poses de plusieurs secondes, aux plaques et à l’impossibilité de faire plusieurs tirages.

Le Voyage dans la Lune (1902), par Georges Méliès (1861-1938)

L’enregistrement du son et de la musique Le phonographe, développé par l’Américain Thomas Edison en 1877, permet d’enregistrer et de réécouter jusqu’à deux minutes de son sur un cylindre de cire. Dérivé du phonographe, le graphophone sert à enregistrer des textes devant être dactylographiés par la suite. Le cylindre peut être réutilisé près d’une centaine de fois : pour cela, il faut raboter sa surface en cire entre deux utilisations afin d’effacer ce qu’on y a gravé auparavant. Nul doute que ce système donnera des idées aux personnages voulant « faire entendre des voix ». Les disques phonographiques apparaissent en 1887 avec le gramophone inventé par Émile Berliner. L’appareil consiste en un plateau tournant sur lequel vient se

Un phonographe

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Réclame pour le gramophone (vers 1902), affiche par Louis Bombled (1862-1907)

poser le disque, un moteur à ressort remonté grâce à une manivelle ainsi qu’un bras pivotant comprenant une tête de lecture à une extrémité et un pavillon à l’autre. Les disques de trente centimètres sont mis sur le marché en 1903, contenant jusqu’à… trois minutes et demie de musique ! Il est à noter qu’il était impossible de lire n’importe quel disque sur n’importe quel gramophone : la façon de graver, la vitesse de rotation, la taille, le sens du sillon et la tête de lecture n’étaient alors pas standardisés.

En France, Pathé se lance dans l’enregistrement sonore sur cylindre en 1896 et sur disque en 1905. Les deux formats (cylindre et disque) coexistent jusqu’en 1908, date à laquelle les disques double-face font leur apparition.

Le cinéma

La musique est très utile pour porter une ambiance dans une partie de jeu de rôle et ainsi accroître l’immersion des joueurs (cf. Mener une partie de Maléfices, page 268). Lorsque les personnages arrivent dans une belle demeure où trône un gramophone ou dans un café équipé d’un « instrument de musique à monnayeur », pourquoi ne pas leur diffuser l’une des chansons à la mode ? Heureusement, les enregistrements de ce temps-là ont été numérisés et se trouvent assez facilement sur Internet. Ces fichiers audio rendent parfaitement le son nasillard si caractéristique de l’époque, avec des basses et des aigus très estompés. Romantique, patriotique, engagé ou alors comique, ingénu ou encore idiot, n’oubliez pas de choisir le style de la chanson qui convient à la scène. Voici une liste de titres très populaires à la Belle Époque, dont beaucoup sont restés célèbres jusqu’à nos jours : Belleville-Ménilmontant (1885), L’Internationale (1888), Frou-Frou (1897), Les Amours fragiles (1899), Ah ! Je l’attends (1902), Viens, Poupoule ! (1902), La Matchiche (1905), La petite Tonkinoise (1906), La Jambe en Bois (1908), Reviens ! (1910), Sous les Ponts de Paris (1913), Ah ! C’qu’on s’aimait ! (1913).

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Le film 35 mm en celluloïd entraîné par roues dentées grâce à des rangées de perforations est mis au point aux États-Unis par Thomas Edison et William Dickson, qui inventent aussi un appareil de prise de vue et un de visionnement. L’apparition du cinéma en France est due aux frères Auguste et Louis Lumière. Le 28 décembre 1895, la première projection publique et payante a lieu dans le salon indien du Grand Café, à Paris. Pas moins de dix séquences sont au programme, dont La sortie des usines Lumière à Lyon, L’arrivée du train en gare de La Ciotat et L’arroseur arrosé. Les frères Lumière sillonnent ensuite les grandes villes avec leur Cinématographe jusqu’en 1905. Ils enverront des opérateurs filmer dans le monde entier. George Méliès, ancien prestidigitateur et directeur de théâtre, monte le premier studio de cinéma à Montreuil. Entre six cents et huit cents films y sont tournés. Méliès y réalise les premiers films utilisant des effets spéciaux et des trucages. Son film le plus célèbre, Le Voyage dans la Lune (1902), est considéré par beaucoup comme le premier film de science-fiction. D’abord itinérante et foraine, l’exploitation du cinéma perd son côté artisanal avec Charles Pathé pour devenir une industrie. Au lieu de vendre les pellicules à des forains, les films sont, dès 1907, loués à des exploitants. Pathé se lance dans la production de masse et réalise, cette même année, trois cent cinquante et un films.

Suggestion : bon nombre de ces tout premiers films sont actuellement disponibles sur des plateformes de partage de vidéos comme YouTube. N’hésitez pas à vous en servir pendant les parties.

Émile Cohl sort son premier dessin animé, Fantasmagorie, en 1908. Le premier genre cinématographique à s’imposer est le comique burlesque, avec Max Linder, Charlie Chaplin, Buster Keaton et Harold Lloyd.

MAIS ENCORE ? QUELQUES OBJETS DE LA VIE COURANTE • La machine à écrire, en service à partir de 1850, est perfectionnée et d’usage beaucoup plus fréquent ensuite. • Le stylo plume rechargeable ou stylo-réservoir se développe après 1884. • La carte postale photographique apparaît en 1891. • Le « rasoir de sûreté » est mis au point vers 1880 par les frères Kampfe aux USA. Il est amélioré par Gillette qui invente la lame interchangeable en 1895. Ce produit se répand assez vite. • La bicyclette se perfectionne et connaît une production industrielle à partir de 1890, ce qui permet une baisse de son prix et sa démocratisation. • La rustine pour pneu date de 1903. • Le bracelet-montre se popularise vers 1904 et remplace peu à peu la montre à gousset, aussi appelée « savonnette » ou « demi-savonnette ».

Paris-Trouville, 1912 – essor de la motocyclette – agence Rol

Sciences médico-légales et criminalistique Loin de nous l’idée de transformer les personnages en policiers ou en enquêteurs – au contraire. Ces informations vous seront utiles soit afin de construire vos intrigues, soit… afin de voir quelles sont les chances que les personnages incarnés par les joueurs s’en tirent s’ils ont eux-mêmes commis des crimes.

anatomiques particulières, ce qui démontre selon lui la nature innée de certains comportements.

Obtenir des preuves Tout d’abord, ce qui n’est plus censé exister : la torture est abolie en France depuis le XVIIIe siècle. Les premiers balbutiements de la toxicologie, soit l’étude des poisons, se font dans la première moitié du XIXe. On dispose notamment d’un test permettant de détecter l’arsenic, poison utilisé plus souvent qu’à son tour à l’époque. La balistique fait ses débuts grâce à Lacassagne, qui observe en 1889 que les balles tirées par la même arme ont les mêmes stries sur les côtés. Le premier crime dont la résolution a pu bénéficier de cette méthode date cependant de 1898. Quant à analyser les taches de sang, il faut attendre les travaux de Karl Landsteiner, qui découvre les différents groupes sanguins en 1901. Et encore : l’analyse de sang séché ne sera possible qu’à partir de 1915. Un dernier conseil pour les détectives en herbe : à l’époque, on peut identifier quelqu’un d’aisé en montrant ses habits à son tailleur, son chemisier, son bottier, son chapelier, etc.

Identification des criminels L’anthropométrie, inventée par Alphonse Bertillon en 1880, précède l’utilisation des empreintes digitales dans l’identification des criminels. Cette technique est basée sur différentes mesures du corps, telles les dimensions du crâne, de l’oreille et du pied. Très vite, un nombre conséquent de fiches anthropométriques sont rassemblées à l’Identité Judiciaire. Cela a notamment permis de confondre des criminels recourant à plusieurs identités. Huit ans plus tard, ces fiches s’améliorent grâce à l’ajout de descriptions du physique des personnes et, dans certains cas, de portraits photo. Quatre empreintes digitales de la main droite viennent compléter ces fiches en 1895. C’est en utilisant son système que Bertillon réussit, en comparant visuellement des empreintes trouvées sur une scène de crime avec celles enregistrées dans le fichier central, à confondre un coupable lors d’une affaire en 1902, une première qui a marqué l’opinion publique. Une autre théorie en vogue à l’époque, nullement scientifique, est celle du « criminel né ». Son auteur, Cesare Lombroso, prétend qu’il est possible de repérer certains criminels, car ils sont porteurs de caractéristiques

Les nouvelles institutions

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Afin d’étudier ces méthodes d’investigation modernes et de s’assurer qu’elles soient bien utilisées, la France se dote de nouvelles institutions.

Les Archives d’Anthropologie Criminelle sont créées en 1886, l’Institut de médecine légale de Paris en 1868 et la première salle d’autopsie en 1881. En 1912, Edmond Locard, que la presse surnomme le « Sherlock Holmes français », fonde le premier laboratoire de police scientifique de France. Mais l’institution à laquelle tout le monde fait référence est bien sûr la police judiciaire, établie en 1907 par Georges Clemenceau. Les douze Brigades Mobiles de cette police

criminelle prennent rapidement le surnom de « Brigades du Tigre ». Équipées de voitures, formées aux méthodes scientifiques décrites ci-dessus et pouvant agir sur le plan national contrairement aux autres polices cantonnées au niveau local, ces unités s’illustrent notamment par l’arrestation de la Bande à Bonnot. Il est possible que ces Brigades du Tigre inspirent un supplément de jeu pour Maléfices à venir.

Et si Jules Verne avait vu juste ? Dans une aventure de Maléfices, on ne sait jamais sous quelle forme le fantastique va apparaître, ni même s’il sera véritablement présent. Comme le dit l’auteur de science-fiction Arthur C. Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » Cette ambiguïté entre technique et fantastique est un bon moteur pour nombre d’aventures : les phénomènes étonnants ou incompréhensibles dans Maléfices ne sont pas exclusivement le fait de machinations sorcières ou d’interventions démoniaques, elles peuvent aussi être le fruit de l’action d’une machine extraordinaire, comme dans le scénario Le Dompteur de Volcans, publié en 1986. Il faut dire également que l’époque est riche en machines abracadabrantesques et en théories farfelues. Saviez-vous par exemple qu’en 1884 les docteurs Laborde et Love ont tenté de réanimer la tête d’un condamné conduit à la guillotine avec du sang de chien, afin de lui faire avouer sa véritable identité ? Que Thomas Edison, l’ingénieur aux mille brevets et inventeur notamment de la lampe à incandescence, du phonographe, de la pile alcaline et de la chaise électrique, révèle dans le dernier chapitre de ses mémoires qu’il a eu le projet de créer un appareil capable d’entrer en communication avec les morts ? Selon Edison, grand passionné d’occultisme et de spiritisme, son « nécrophone » était censé pouvoir détecter les dernières paroles des particules de vie constituant l’âme du défunt avant qu’elles ne rejoignent l’éther ou l’au-delà. Les scénarios de Maléfices peuvent aussi envisager que l’un des protagonistes ait inventé une machine quelques années avant ce que les historiens affirment. Par exemple, le premier envoi de photographies par fax date de 1902 et les premiers essais de transmissions de documents par le télégraphe sont même antérieurs d’une cinquantaine d’années environ. La vue à distance ne fait-elle pas également partie de la panoplie des pouvoirs d’une voyante ? La littérature, notamment celle du « merveilleux scientifique » – la future science-fiction –, peut être source d’inspiration. Rien de plus inquiétant, par exemple, qu’un « savant fou » qui bricole dans un laboratoire secret des choses que les joueurs pensent que celui-ci pourra réussir… ou faire déraper ! Ce genre de personnage est un bon moteur d’aventures et peut être adapté à toutes les sauces, du Frankenstein de Mary Shelley aux Aventures Extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec de Jacques Tardi, en passant par L’Ève future de Villiers de L’Isle-Adam.

Dans ce cadre, il nous a paru intéressant de nous pencher sur les inventions de Jules Verne. Nous vous donnons ci-dessous quelques synopsis inspirés des romans d’aventures du célèbre écrivain.

Léviathan ? À tout seigneur tout honneur, commençons par ce qui est peut-être la plus connue des inventions de Jules Verne : le Nautilus. Après deux ou trois intrigues de sorcières, embarquez vos joueurs pour une chasse au Léviathan : des survivants du Titanic racontent des choses étranges sur le naufrage de ce bateau pourtant insubmersible (à la mi-avril 1912). Cette référence au Titanic vous servira à « noyer le poisson » : ainsi vos joueurs ne feront pas immédiatement le lien avec le fameux submersible. Pour le mettre en scène, gardez certains éléments à l’esprit : il fonctionne à l’électricité ; il a été construit en secret ; son équipage est constitué de parias ; son commandant voue une haine féroce au genre humain ; il est vaste et confortable, comprenant un salon, un orgue, d’immenses verrières grâce auxquelles on peut admirer les profondeurs ; il permet de faire des découvertes quant aux espèces incroyables qui vivent dans l’océan ; on peut en sortir à l’aide d’un scaphandre pour explorer le fond des mers. À vous d’introduire des variantes. Par exemple, tout ne fonctionne pas très bien dans le Nautilus et son capitaine a parfois du mal à le contrôler. C’est par inadvertance qu’il a coulé le Titanic et nos joueurs se trouvent embarqués à bord d’une arche folle qui échappe au contrôle de son créateur. Ou encore il s’agit d’une mission scientifique secrète franco-britannique qui là aussi a malencontreusement éperonné le Titanic. Autant dire que les agents des gouvernements vont mettre des bâtons dans les roues des personnages. On peut également imaginer que les personnages ont été recrutés pour participer à une expérience qui doit rester secrète. Mais hélas, le submersible a été repéré par le Titanic. Dans ce cas les ordres sont formels : il faut le couler. Que vont faire vos personnages ?

Monstre sorti des enfers ?

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Quelle est cette bête qui terrifie les habitants du Jura ? Elle est énorme, marche avec un bruit de tonnerre, rougeoie dans la nuit, et de ses narines s’échappent des vapeurs infernales. Il s’agit en réalité d’une version locale de la

« maison à vapeur » décrite dans le roman éponyme de Jules Verne. L’action originale se situe en Inde et c’est à bord d’un immense éléphant à vapeur tirant deux wagons que le colonel Munro va faire un voyage d’agrément. Fonctionnant au charbon, le gigantesque animal mécanique projette flammes et fumées, ce qui lui donne un aspect terrifiant. Il peut éventuellement traîner des wagons tout terrain derrière lui et même être amphibie. N’oubliez pas de penser luxe pour l’intérieur : boiserie, salon, salle de musique, de billard, bar, bibliothèque, etc. Il comporte sûrement le nécessaire pour partir à la chasse. Il doit bien également avoir un repaire pour son entretien et sa dissimulation. Qui possède un tel engin ? Ici aussi surgit la figure du savant fou, de l’expérience mystérieuse, du secret d’État et, pourquoi pas, d’une expérience soutenue discrètement par le Club Pythagore (cf. page 280). Quelles sont les motivations de l’inventeur ? Créer une armée monstrueuse ? Faire un cadeau insensé afin de conquérir le cœur d’une dame ? Construire un véhicule immense pour un parent paralytique ? Exercer une vengeance sur toute une région ? L’action peut parfaitement débuter à Paris puis se déplacer en province. Inspirez-vous ici du Dompteur de Volcans pour le développement de la trame.

pour le voyage inaugural de l’appareil. Bien entendu, il y a un saboteur à bord, un pickpocket, une femme fatale, quelques espions, un gigolo, des diplomates, etc. Et si le tout fait trop science-fiction à votre goût, les personnages pourraient bien découvrir à la fin de l’aventure qu’ils ont été bernés par un habile scientifique : en réalité, ils n’ont jamais quitté un immense hangar et la technologie réside surtout dans l’énorme appareillage qui tout au long du scénario leur a donné la sensation qu’ils voyageaient dans un engin extraordinaire ! Mais certaines de ces inventions ne fonctionnent-elles pas réellement ?

Maison hantée ? Les personnages sont amenés à enquêter sur une maison hantée en bord de mer. Ils découvrent que les phénomènes terrifiants ne sont qu’une mise en scène pour éloigner la population. Mais pourquoi cette pièce où l’on peut visionner une copie du film de Méliès Le Voyage dans la Lune ? Leurs explorations les conduisent dans une grotte sous la maison, ouverte sur la mer et au centre de laquelle se dresse, comme dans De la Terre à la Lune un immense canon. C’est le moment de se souvenir de ce qu’on leur a dit en entrant au Club Pythagore : le manque de curiosité est impardonnable ! Tandis qu’ils explorent l’obus aménagé censé emmener des passagers autour de la Lune, les portes se ferment et le canon se met en route… Rien à faire, les personnages sont propulsés pour un voyage autour de la Lune (que vous pouvez jouer en narration partagée). Suite à un retour forcément dramatique, les personnages se réveillent à l’hôpital : on les a extirpés de justesse de l’incendie du manoir. Quand ils se rendent sur place, tout a brûlé, la grotte s’est effondrée… Ont-ils rêvé ? Tout cela n’était-il dû qu’aux vapeurs nocives de l’incendie ?

Balais volants ? Vous pourriez de la même manière mettre en scène l’aérocar de La journée d’un journaliste américain. Cet immense avion, vaste et spacieux, est capable de voler à quelque 600 km/h à une altitude vertigineuse. L’engin peut être rempli selon votre envie d’inventions extraordinaires : depuis l’appareil, on peut projeter des publicités dans les nuages ; grâce au téléphote, on peut converser avec une personne sur terre en voyant son image ; on observe des populations martiennes avec des télescopes embarqués ; l’appareil est entièrement piloté grâce à une sorte de machine à calculer géante qui occupe le tiers avant de l’engin. Les personnages peuvent avoir été invités

Le pays des morts

Vingt Mille Lieues sous les mers, Jules Verne – Illustration par Alphonse de Neuville et Édouard Riou

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Au large de la Bretagne, chaque année à la même époque une île disparaît mystérieusement dans le brouillard pour un voyage « au pays des morts ». Les personnages, probablement grâce au Club Pythagore, sont amenés à aller enquêter de visu. Effectivement, à la date indiquée, l’île se perd dans les brumes et des fantômes viennent hanter le village. Mais quels sont ces spectres bien étranges qui semblent profiter de l’occasion pour piller toutes les réserves du lieu ? En réalité, les personnages s’apercevront qu’ils sont sur une île à hélice (voir le roman éponyme de Jules Verne). Une fois par an, les proscrits réfugiés au centre de l’île la font s’éloigner dans les embruns et prennent l’apparence de fantômes pour se ravitailler auprès de la population locale. Et quand vous décrivez l’intérieur de l’île, n’oubliez pas les miracles de la fée électricité ! Pour plus de frissons, croisez ce thème avec celui du Chien des Baskerville d’Arthur Conan Doyle. Vous trouverez facilement d’autres exemples en parcourant les romans de Jules Verne. Le plus efficace scénaristiquement parlant pour un jeu comme Maléfices est de maintenir une explication irrationnelle le plus longtemps possible.

$ Le genre fantastique :

de la littérature à nos tables de jeu Du fantastique en littérature… Ces récits réalistes ne laissent pas de place au doute. Les événements décrits sont crédibles, pour ne pas dire « reconnaissables comme vrais ». Les récits fantastiques, qui vont remporter un succès certain, s’appuient sur des techniques d’écriture empruntées aux deux « écoles », pour mieux s’en détacher : aux romantiques, ils prennent essentiellement des éléments descriptifs. Les métaphores et personnifications qu’ils y ajoutent rendent leurs descriptions bien plus inquiétantes que la simple et minutieuse restitution d’une « chose vue » : « Regardez, monsieur, ce trou d’eau : ne vous approchez pas de cet infect chaudron à pourriture où croupit la soupe du diable… » – C. Seignolle, Le venin de l’arbre. Aux naturalistes, ils empruntent cette façon objective de présenter les choses, le monde, les personnages, traquant à la fois une réalité psychologique, incarnée par des gens « vrais » ou crédibles, et une réalité sociale, historique, ancrée dans le réel. Sur ce décor de fond des plus vraisemblables, la rupture fantastique n’en sera que plus saisissante et déstabilisante. Car, quelle que soit la source à laquelle on puise (cf. Bibliographie, page 348), on finit toujours, quand on tente de cerner le fait fantastique, par aboutir à cette notion de « choc », de « faille » ou de « rupture » induisant le doute. En effet, le « héros » d’un récit fantastique est souvent un homme banal, qui mène une vie ordinaire et – trop ? – raisonnable. Ce personnage, de manière progressive ou au contraire très soudaine, voire violente, va se trouver confronté à des événements ou des phénomènes tellement « étranges » et « surnaturels » que sa raison ne peut pas les analyser, pas les comprendre, et donc pas les accepter… Il ne peut pas davantage les nier, puisqu’il les a vus, constatés, subis. Il SAIT ce qu’il a vécu, mais il hésite même à en parler, de crainte qu’on n’aille le prendre pour un malade, un dément, un fou, enfin ! Il affronte souvent seul des sentiments contradictoires : certitude des phénomènes d’une part – je jure que j’ai vu ! – et doute puissant d’autre part – suis-je en train de devenir fou ? Il tente de toutes ses forces de se raccrocher à sa raison, laquelle est bien évidemment incapable de lui fournir les explications qui le rassureraient et le ramèneraient à la normalité des choses. Il ne sait plus que croire… Contrairement à ce qui a été dit des récits réalistes, le doute règne toujours au cœur du récit fantastique.

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On peut avancer sans grand risque d’être démenti qu’il n’est pas insolite d’appliquer au fantastique la superbe phrase de l’écrivain américain E. B. White concernant l’humour : « Analyser l’humour c’est comme disséquer une grenouille, cela n’intéresse pas grand monde et à la fin la grenouille meurt. » Pourquoi vouloir alors se lancer dans cette tentative aussi vaine que désespérée ? Tout simplement parce que « le fantastique » fait partie intégrante de l’ADN de Maléfices. Il convient donc d’examiner succinctement ce qui fonde le fantastique et quels sont les ressorts et les thèmes favoris de ce genre qui nourrit le « jeu qui sent le soufre »… Les exemples resteront littéraires, mais les éléments qui seront présentés dans la suite sont majoritairement applicables aussi au cinéma, à la BD, aux fictions radio… On constatera ainsi qu’il existe plusieurs façons d’appréhender le fantastique, de l’utiliser, de jouer avec ses codes pour l’écriture d’un scénario, ou uniquement pour générer un délectable frisson lors d’une partie de Maléfices… Et nous serons alors passés de l’œuvre de fiction au jeu de rôle… On trouve dès l’Antiquité des récits comportant des thèmes ou des créatures qui appartiennent avant l’heure au genre fantastique (revenants, lycanthropes) ; le lai médiéval Bisclavret de Marie de France raconte bel et bien une histoire de loup-garou. Mais ce qui va devenir « le genre fantastique » apparaît, de manière paradoxale, au moment où les philosophes des Lumières luttent pour promouvoir le pragmatisme et faire triompher la raison. C’est Le Diable amoureux de Cazotte (1772), qui est souvent présenté comme « le premier roman fantastique français ». Ne s’y demande-t-on pas si la jolie Biondetta ne serait pas… le diable lui-même ? Mais c’est surtout au début du XIXe siècle, sous la forme privilégiée de contes ou de nouvelles, que s’est développé le genre fantastique. Après le romantisme qui sublimait la nature, vinrent le réalisme et le naturalisme, qui visent tous deux à représenter sans embellissements le monde et « les hommes tels qu’ils sont ». Les auteurs ont le profond souci de « coller au vrai » en montrant des situations concrètes, proches du lecteur.

fantastique lorsque le narrateur se trouve soudain face à une « apparition » fantomatique. La seconde présente, à partir d’une promenade nocturne dans Paris, une montée très saisissante de l’angoisse du narrateur, qui le mène jusqu’au fatalisme désespéré de la phrase finale. Le journal intime qui compose Le Horla (version 1887) offre quasiment tout l’éventail de l’expression du doute et des incessants va-et-vient entre l’appel à la raison et l’installation d’une terreur grandissante. Quant au dernier récit, il comporte certains passages délirants – au sens propre du terme ! – qui pourraient presque tirer au lecteur un sourire… si la chose ne se terminait pas par l’internement volontaire du narrateur. Chez Seignolle, le fantastique parisien de La nuit des Halles ou de La brume ne se lèvera plus, récits situés en plein cœur de la capitale, est apparemment très éloigné du fantastique paysan du Diable en sabots ou de La Malvenue, par exemple. L’ambiance n’y est évidemment pas identique, les réalités abordées et les sources du fantastique non plus. On retrouve dans la première veine le fantastique d’imagination, et dans la seconde le fantastique hérité dont nous avons parlé plus haut. Seignolle a su à merveille toucher à l’un comme à l’autre, et avec un égal bonheur. C’est à n’en pas douter pour cela qu’il est toujours considéré par beaucoup de spécialistes du monde entier comme un des grands « maîtres » du genre. En conclusion, quand on lit des textes fantastiques, cette variété et ce mélange de ressorts dramatiques font partie de la délectation que nous y prenons. Il en va de même quand on joue à Maléfices : il existe toute une palette de fantastiques ? Profitons-en ! C’est en variant les plaisirs, en alternant des scénarios au fantastique « classique » et affleurant avec d’autres où il l’est moins, puis avec d’autres encore où il ne sera que mascarade, pour revenir ensuite à une aventure où l’on s’y trouvera rudement confronté, que le meneur de jeu offrira à ses joueurs le cocktail – que dis-je ? le philtre maléficieux – le plus savoureux ! Mais revenons maintenant au fantastique tel qu’on le concevait et le « vivait » la période dans laquelle se situent les aventures de Maléfices…

Doit-on parler de fantastiques au pluriel ? Ce ne serait pas totalement insolite, tant il est clair qu’à lire des récits fantastiques, on arrive assez vite à cette conclusion qu’il existe autant de fantastiques que de « fantastiqueurs » selon le joli mot forgé par Théophile Gautier… L’écrivain belge Hubert Juin avance une distinction intéressante, reprise ici parce qu’elle pourra être utile aux meneurs qui créent des scénarios : « Nous voyons [en lisant/étudiant Seignolle] qu’il y a deux grandes catégories dans le fantastique : l’une est dédiée à un fantastique d’imagination – cette lampe de bureau, devant moi, voici soudainement qu’elle se modifie, qu’elle lance une lumière bleue comme un regard, et aussitôt je bascule dans l’insolite, et le monde entier avec moi. [Ce fantastique] s’hallucine à ce point qu’il nous communique son angoisse, il se jette tout entier dans le vertige du réel, et nous basculons à sa suite. La seconde catégorie doit être nommé fantastique hérité. Il est témoignage et survivance de la pensée sauvage. Il n’est pas imaginaire, il est ressenti. […] Il raconte les vieilles peurs des campagnes lorsque le vent soufflait en tempête, ou lorsque la peste emportait par à-coups des villages entiers ». De plus, si bien sûr chaque auteur explore à son gré les thèmes chers au fantastique (voir plus bas) et possède sa propre vision du genre, au sein des nouvelles fantastiques d’un même auteur (Maupassant ou Seignolle, pour prendre deux exemples parlants) il est facile de trouver des thèmes très variés, des ambiances fort différentes, et des ressorts narratifs très divers… Chez Maupassant, la tonalité fantastique de Apparition est bien différente de celle de La nuit, de celle du Horla, ou encore de celle de Qui sait ? La première nouvelle propose un récit au début proche d’un roman sentimental, avec une bascule dans le

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De là naît le malaise inhérent à toute histoire fantastique, qui engendre rapidement une sorte « d’engrenage infernal », qui mène le héros de la peur à l’angoisse, parfois même de la terreur à l’épouvante, et jusqu’aux frontières de la folie.

LES THÈMES FAVORIS DU FANTASTIQUE • LA MÉTAMORPHOSE (qui peut parfois rejoindre le thème du « double ») : - la créature la plus célèbre est sans conteste le loupgarou (rappelons que c’est à la base une « malédiction » que l’on subit) ; - mais on peut aussi se transformer en « monstre » de façon métaphorique, sans devenir un animal – le mot « monstre » possède plusieurs sens ! ; - la métamorphose peut être imposée par un « savant fou » pour des expériences, ou par une malédiction familiale, etc. ; - elle peut être consentie (la victime souhaite devenir « autre »).

Ces thèmes sont susceptibles de nourrir l’imagination des meneurs, et particulièrement de ceux qui se lanceront dans le passionnant exercice qu’est l’écriture de scénarios maléficieux. • LA MORT sous toutes ses déclinaisons : - les « non-morts » (revenants, vampires…) ; - l’immortalité « imposée » ou recherchée (personnes « qui ne meurent pas » ou qui au contraire tentent par tous les moyens de ne pas mourir…) ; - l’utilisation des morts pour des expériences (Frankenstein…) ou (partie de) corps animés (la main d’écorché, la main intelligente de la famille Addams, zombies et morts-vivants…).

• LE PACTE AVEC LE DIABLE (OU UN DÉMON MOINS PUISSANT) : - en général, on passe un tel pacte pour obtenir quelque chose (richesse, jeunesse éternelle, « beauté du diable » ou pire encore !) ; - ce genre de pacte est toujours biaisé, le diable étant retors et pervers par nature (méfiez-vous des tentateurs !) ; - le diable est communément lié à la sorcellerie, qui est aussi un thème annexe. Nous parlons ici, bien entendu, des sorcières « historiques », et non pas des pâles utilisations qu’en ont trop souvent fait les contes de fées, la fantasy et le cinéma. Restons dans l’approche purement fantastique (grimoire sorcier aux effets incontrôlés, sorcière revenue du passé pour une quelconque raison, etc.).

• LA FOLIE sous toutes ses formes : - personnage qui se sent devenir fou ou qui se pose des questions à ce sujet ; - fous divers et variés (« savant fou », événements qui rendent un personnage fou, mais attention ! pas d’histoire de psychopathes purement criminels, cela est plutôt réservé au roman policier ou au thriller…). • LE THÈME DU « DOUBLE » (et/ou du miroir) : - personnage qui se « dédouble », qu’il en ait conscience ou non (ce qu’on nomme aujourd’hui la schizophrénie, mais qui n’est pas identifiée à l’époque) ; - sensation de la présence d’un « autre » (peut rejoindre la folie) ; - miroir qui ne reflète pas totalement la réalité (mais alors qui me regarde ?) - savant ou scientifique qui tente des expériences sur lui-même, et subit des transformations physiques et/ ou mentales. • LES OBJETS « MAUDITS » OU POSSÉDANT UN POUVOIR « PERVERS » (avec des effets indésirables pour l’utilisateur, pas forcément sensibles tout de suite) : - l’objet porteur d’une malédiction ; - l’objet qui permet d’obtenir un « pouvoir » quelconque ; - l’objet qui vieillit/s’abîme/etc. ? à la place de son détenteur ; - l’objet insolite (« magique » ou « sorcier » ?) qui fascine un personnage au point qu’il fera tout pour l’obtenir ; - les livres et autres grimoires jouent souvent un rôle dans les récits fantastiques (livres de sorcellerie, d’alchimie, ou de « sciences occultes », ils représentent moult dangers…).

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On constate que la transgression (le franchissement des limites du possible ou de l’acceptable) est bien au centre des thèmes abordés par le genre fantastique : la plupart ne sont pas « politiquement corrects », traitant de réalités jugées choquantes ou dérangeantes, de sujets que l’on occulte la plupart du temps… De là naît aussi une forme de « malaise » propre au fantastique. On retiendra également que le DOUTE est omniprésent dans ce genre : le lecteur est souvent incapable de trancher entre une explication rationnelle et une autre, irrationnelle, qui ferait appel au « surnaturel ». Cela aussi crée un malaise certain… Ce qui se peut résumer d’une phrase empruntée à Marc Michel, pensée pour la littérature, mais totalement applicable au jeu de rôle : « Le [conte] scénario fantastique, c’est d’abord cela : un jeu apeuré sur le réel. Il s’agit de mêler intimement «naturel» et «surnaturel», possible et impossible, et d’embrouiller si bien les cartes que le [lecteur] joueur accepte de se laisser duper. »

$ … au fantastique de Maléfices : de savoureux paradoxes… Nos aïeux citadins qui vivent en 1900, qu’ils fassent tourner les tables, qu’ils cherchent à communiquer avec les esprits, qu’ils jouent avec leur « Oracle des dames et des demoiselles », qu’ils adhèrent à une « société secrète » ou à une secte ésotérique, nos aïeux, donc, n’ont pas forcément conscience d’entrer dans le « fantastique ». Il en va de même des paysans qui consultent un guérisseur, rendent secrètement visite à un « j’teux d’sorts », recourent à un « désenvoûteur », ou investissent quelques sous auprès d’un colporteur dans un exemplaire du Dragon rouge ou des Conjurations du pape Honorius avec l’espoir de se prémunir des mauvaisetés… voire de s’en servir un jour pour nouer l’aiguillette au père Mathurin ! Les uns et les autres agissent simplement en fonction de leurs inclinations, de leur tournure intellectuelle, de leur attrait pour « l’étrange », de leurs croyances à cette « magie » dont on ne parle guère, de leur connaissance éventuelle de ces « sorts » et autres pratiques « sorcières »… Et cette variété d’approches va fournir différentes façons d’appréhender le fantastique dans Maléfices, toutes choses qui vont être développées dans la suite… • LES CITADINS PLUTÔT AISÉS, par curiosité intellectuelle, par réel intérêt, par conviction, par désœuvrement, par ambition ou par pur snobisme parfois, pensent participer à des expériences occultes ou adhérer à un mouvement plus ou moins secret et/ou philosophique. Ils lisent nombre d’ouvrages ou de revues sur des thèmes qui mêlent science et surnaturel : spiritisme, maisons hantées, hypnose ou pouvoirs magnétiques… Cela met du piquant dans leur vie, leur fait éprouver ce frisson qu’ils cherchent dans ces expériences, voire les valorise à leurs propres yeux ou à ceux de leurs amis et connaissances.

L’Œil de la Police, n°85 (1910)

• LES CITADINS PLUS MODESTES fréquentent rarement les « cercles » et autres sociétés occultes. Ils côtoient cependant une certaine sorte de mystère et de fantastique, qui vient à eux par le biais bien réel des articles de la presse populaire, à grands coups d’affaires criminelles, de comptes rendus d’audience, de faits divers sanglants, ou d’événements totalement étranges que les journaux de l’époque décrivent avec une multitude de détails et d’interventions de « spécialistes ». Des faits renforcés aussi de manière très marquante par ces couvertures illustrées tellement évocatrices. Alors on lit ces faits divers, on en parle, on les commente ouvertement au bistrot Chez Paul devant un ballon de rouge, on les évoque à mots couverts à la veillée, et on en cauchemarde bien des fois…

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• LES RURAUX, VIVANT AU CŒUR DU MONDE PAYSAN, au plus profond des campagnes françaises, se savent entourés des mystères de la nature, une nature souvent hostile, peuplée d’animaux et de gens qui ne le sont pas forcément moins… Ils côtoient chaque jour ou presque le poids de ce que Lévi-Strauss a nommé « un état sauvage de la pensée », une peur ancestrale de l’inconnu et des créatures tapies au fond de chacune de nos terreurs anciennes. Une peur fréquemment rencontrée dès l’enfance… Ce pouvait être au cours d’une veillée, alors même qu’on aurait dû dormir, mais que la curiosité de « ce que racontaient les grands » était plus forte que la crainte d’une solide taloche… Ce pouvait être aussi au cours de la traversée d’un chemin forestier au crépuscule, à cette époque enfantine où l’on sentait, où l’on croyait – que dis-je, où l’on croyait ? Où l’on savait bien, pour les avoir entendus ! –, que « les animaux usaient d’un langage à demi compréhensible, que le vent disait des choses, et que les arbres euxmêmes étaient riches de leçons », selon les mots d’Hubert Juin. Ce pouvait être enfin dans la vie de tous les jours, au détour d’une maladie, d’un accident, d’une blessure…

• ENTRE CHIEN ET LOUP… Et si les choses n’étaient pas aussi simples ? Et si la séparation ville/campagne créée plus haut pour des raisons purement « pratiques » n’était rien moins qu’artificielle, voire faussée ? En effet, l’agriculture à l’époque fait travailler 17 millions de Français, plus de 45 % de la population active, et l’exode rural est massif… On ne s’étonnera donc pas que bon nombre de citadins soient issus de familles rurales, ou aient des attaches dans ce milieu paysan. À ce titre, selon leur âge et leur parcours, ils ont sans grand doute eut à connaître des superstitions, des histoires, voire des pratiques de « magie » ou de sorcellerie campagnarde… Les biais sont nombreux : pour celui-ci, c’est une grand-mère qui lui racontait des histoires à faire peur ; chez celle-là, c’est une villageoise qui lui a « effacé les verrues » ; pour cet autre encore, c’est un oncle qui l’emmenait avec lui aux bois et qui lui parlait des plantes au fil des chemins forestiers… Cette magie des campagnes, ils ne la vivent évidemment plus en ville, mais le souvenir de ces pratiques est ancré au plus profond d’eux…

On notera cependant, de manière un peu réductrice, que le fantastique paysan puise essentiellement aux sources anciennes et historiques – rites païens, sorcellerie médiévale, grimoires, pratiques ancestrales, légendes, formules « magiques » et superstitions transmises… faisant la part belle à l’oralité – tandis que le fantastique urbain s’appuie davantage sur des sources plus récentes, plus intellectuelles qu’opératoires – curiosité et pratiques mondaines au départ, puis « étude » de revues et d’ouvrages spécialisés… privilégiant donc l’écrit. Il y a bien sûr une « frange indéterminée » où les deux aspects peuvent à l’occasion se mêler. Une chose est sûre : chacun d’eux, d’une manière ou d’une autre, de façon académique ou empirique, a examiné la question des pratiques surnaturelles ou en tout cas échappant à la stricte raison. Chacun d’entre eux, citadin ou paysan, riche ou pauvre, avait sa manière de se frotter à l’étrange, au mystérieux, à l’inconnu, à l’effrayant… Ce faisant, aucun n’avait conscience de bâtir les fondements de ce fantastique qui nous intéresse tant quand nous jouons à Maléfices, et que nous cherchons sans cesse à évoquer pour en « réactiver » les délicieux frissons. Un « Fantastique 1900 très divers dans ses manifestations, et dont il est temps maintenant de parler plus précisément…

RÉCIT… et blanc cotonneux sur le revers… C’est de l’armoise, une plante aux multiples propriétés… Souviens-toi aussi de l’odeur forte, parfois désagréable, de ses petites fleurs jaunes ou rougeâtres. Ces feuilles et ces fleurs, c’est ça qu’on cueille et qu’on utilise… Avec elles, on peut soigner bien des choses : en frictions, elle relâche les muscles raidis des jambes et les reins douloureux quand on a trop travaillé aux champs, à la vigne ou aux bois… On l’utilise aussi contre les varices, tu sais, ces vilaines veines violacées et saillantes qu’on voit parfois aux jambes des vieilles gens… Et même, avec elle tu soulageras et apaiseras la douleur des mauvais jours des femmes. En pommade ou en fumigations, elle a aussi la grande vertu de soigner le «haut-mal 4 », quand le malade se roule à terre, l’écume aux lèvres et les mains tordues… » « Eh bien, mon cher Claude… Vous rêvassez ? Voilà plus de cinq minutes que vous êtes abîmé devant cette touffe d’armoise… Si je n’étais pas là, à coup sûr vous restiez dans cette serre et manquiez l’heure d’ouverture de votre magasin ! Vous allez devoir courir… » L’homme en costume gris eut une sorte de frisson, prit congé et quitta le jardin botanique en toute hâte… Il eut tôt fait d’arriver devant une boutique, dont il ouvrit la porte. Au-dessus de celle-ci se balançait une enseigne : « Claude Chaudier, herboriste ». 1– fossé, en patois lorrain ; 2– Accroupi ; 3– mon garçon, mon « p’tiot » (pas forcément de rapport filial) ; 4– l’épilepsie.

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J’aimais beaucoup les jours où mon « nonon Batisse » me demandait, comme ça, si je voulais bien l’accompagner au bois… Il en connaissait le plus petit chemin, le moindre soyot 1, il savait reconnaître la trace si discrète du passage d’un chevreuil, d’une belette, ou repérer les terriers de blaireaux ou de garennes… Et il en savait, sur les habitants de la forêt, et il m’en racontait, des histoires ! Et pourquoi ce plateau s’appelait « La Venette », et comment on avait fini par se débarrasser de la « peûte bête »… Mais surtout, surtout, il connaissait la moindre des plantes sauvages de cette forêt. D’un coup d’œil, là où je ne voyais que « des herbes », moi qui ne repérais que les orties – et pour cause ! –, lui identifiait chacune d’elles… Et il était alors d’une érudition absolue. Je n’ai compris que bien plus tard que ces promenades sylvestres étaient sa façon de me transmettre son savoir, si rare, si précieux. Sur le moment, je l’écoutais comme on écoute un conteur à la veillée… Et j’ai encore dans les oreilles, trente ans après, sa voix un peu rude, son accent traînant, et ce savoir ancestral qu’il me dispensait sans en avoir l’air… À cripoto 2 devant une touffe de ces herbes folles, lui souvent taiseux, il se lançait dans de longues phrases, parsemées de mots inconnus pour moi, si poétiques et si étranges : « Celle-ci, mon fi 3, rappelle-toi bien ses tiges élancées, un peu velues et striées. Ses feuilles oblongues, fines et découpées en segments de couleur vert foncé sur la face

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L’Œil de la Police, n° 149 (1911)

$ Le fantastique très divers de 1900 Le fantastique citadin et « intellectuel » La ville n’est évidemment pas le terrain de prédilection de « la magie opératoire », c’est-à-dire des pratiques magiques ou sorcières probables ou avérées, et assumées comme telles. Pour autant, un simple coup d’œil aux journaux d’époque montre la profusion, parmi les diverses annonces, des « réclames » et des placards concernant le spiritisme, la voyance, ou les remèdes « miraculeux »… Un second regard sur Gallica met en lumière une autre abondance : celle des revues et ouvrages consacrés au spiritisme ou à l’ésotérisme. C’est donc bien un fait de société, et il peut nourrir à l’occasion les scénarios de Maléfices… Les citadins ne dédaignent pas, fût-ce par simple curiosité, de se livrer à l’occasion à telle ou telle opération « occulte » qui se présenterait à eux. Voyons ensemble celles qui ont le plus de chances de leur être proposées…

dans un local du Palais Royal (pas de raccourcis hâtifs, nous ne sommes qu’en 1858 !). Kardec a une influence majeure sur ce mouvement. Il est celui qui a créé, introduit et diffusé le spiritisme dans l’élite intellectuelle en France, puis dans le monde entier. Avec lui, le spiritisme moderne est né !

Le spiritisme, la folle vague des « tables tournantes » Venue des États-Unis grâce aux sœurs Fox, une croyance ancestrale revient à la mode en 1848, celle de « la communication avec les défunts ». La pratique des tables tournantes séduit les milieux intellectuels, littéraires et savants (1853-1854). La chose est bien connue, Victor Hugo, exilé à Jersey, affirme communiquer avec Léopoldine, sa fille décédée, avant de mettre une fin définitive aux séances en 1855, suite à l’accès de folie d’un participant. Alexandre Dumas, George Sand, Théophile Gautier, Victorien Sardou (acteur et dramaturge), Eugène Pottier (futur auteur de L’Internationale), l’astronome Camille Flammarion, et jusqu’à l’impératrice Eugénie… participeront à des séances de tables tournantes. On passe très vite aux « tables parlantes ». Le phénomène provoque un regain d’intérêt, car si les tables ont la possibilité de « révéler des choses » sur le passé et le présent, on va pouvoir les interroger !

Portrait d’Hippolyte Léon Denizard Rivail, dit Allan Kardec (1804-1869)

LE TOURNANT SPIRITE : entre 1857 et 1860, Léon Hippolyte Denizard Rivail, instituteur lyonnais, invente, sous le pseudonyme celtisant d’Allan Kardec, les mots et les notions de « spiritisme » et de « médium ». Dans deux « best-sellers », Le livre des esprits et Le livre des médiums, il théorise et codifie ces pratiques. Il tient clairement à se distinguer des « tables dansantes, pratique frivole et mondaine », en créant une doctrine qui se rapproche d’une religion. Il fonde aussi la Revue spirite – qui existe encore de nos jours ! – et la Société parisienne des études spirites, sise

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La grande époque des tables tournantes se résume à ces deux années (1853-1854) de véritable frénésie, qui va en s’amenuisant durant une quinzaine d’années encore (jusqu’aux alentours de 1869, à la mort de Kardec). Cet engouement constitue un vrai phénomène de société, ce qui n’est plus le cas sous la IIIe République. Mais le spiritisme ne disparaît pas pour autant ! Il continue à exister, à susciter études, articles, vives polémiques idéologiques, scientifiques ou religieuses. Il va au contraire se développer, se métamorphoser, s’adapter, perdurant jusqu’en 1914, et connaissant même un renouveau d’intérêt après les « morts de masse » de la Première Guerre, et jusque dans les années 30.

(les médiums) auraient davantage de facilités à établir cette communication avec « l’autre monde » (cf. encadré Quelques modes opératoires du spiritisme, ci-contre). Sitôt la doctrine spirite proposée, conférences, revues et ouvrages consacrés au spiritisme connaissent une croissance extraordinaire.

QUELQUES MODES OPÉRATOIRES DU SPIRITISME • Ce sont d’abord de simples coups frappés par un guéridon, le bien connu : « Un coup pour OUI, deux coups pour NON ». Mais ces questions fermées sont frustrantes – cependant, nous vous les recommandons en jeu pour vos « séquences spirites » ; elles sont faciles à mettre en scène et ludiquement fortes. • On passe donc à des messages épelés, un coup pour A, deux coups pour B, etc. Le processus, lent et lassant, impose vite d’autres moyens de communication. • Ce sera d’abord la « table Girardin », du nom de sa créatrice et utilisatrice. C’est un cadran alphabétique à aiguille monté sur une table. L’aiguille tourne et s’arrête devant une lettre, puis une autre, épelant ainsi un message. • Viendra ensuite le « ouija », plaquette alphanumérique avec une « larme » de cristal ou de bois sur laquelle les participants posent un doigt, et qui se déplace vers les lettres du message à délivrer. • Sur le même principe, on usera aussi d’un jeu de cartes alphabétiques et d’un verre en cristal. • Apparaîtra enfin – procédure pratique, mais davantage sujette à caution ! – « le crayon magique et la planchette », ou « écriture automatique ». Le médium, en transe, tient un crayon et « écrit sous la dictée des esprits » un message qui est à décrypter dans les « gribouillis » obtenus. • Dans certains cas rares, on peut assister à une matérialisation : le médium devient passif et tombe dans un état de sommeil profond. L’esprit utilise son énergie pour se manifester directement, généralement en s’exprimant par la voix du médium, qui n’est plus alors qu’un transmetteur (supposé) neutre.

L es diverses réactions au spiritisme (1852 à 1900) Allant de la séduction à la répulsion, elles ont été nombreuses et variées, sources d’empoignades homériques qui firent les choux gras de la presse et des imprimeurs d’opuscules – de quoi nourrir le « roleplay » à l’occasion ! On est une fois de plus étonné de la violence verbale des uns et des autres dans cette époque où, sur ce sujet comme sur d’autres, on s’exprime vraiment sans retenue. Les convaincus de la première heure apportent à qui veut les entendre – et les publier ! – des témoignages enthousiastes sur la réalité des phénomènes. Ils continueront à défendre le spiritisme même après que de nombreuses fraudes auront été prouvées et condamnées. Face à eux, on trouve les sceptiques qui traitent le phénomène avec mépris ou ironie ; les rationalistes militants : « On est tout étonné de la quantité de gens dont le cerveau travaille à vide sur ces idées creuses », Pierre Larousse, article « Spiritisme » de son dictionnaire. Le grand public, moins nuancé, parle de « dérangement mental », et certains préconisent carrément un séjour express à l’asile de Charenton.

Une variante très rare consiste à voir l’esprit se matérialiser sous forme d’un brouillard éthéré sortant de la bouche du médium. Il est quasiment présent « physiquement ». La matérialisation, par sa rareté et sa « violence », est un événement frappant pour ceux qui y assistent. Cette fois, nous y sommes ! Tous les personnages et tous les outils spirites sont à disposition des joueurs de Maléfices… Pour utiliser ces pratiques durant une partie, le meneur de jeu se reportera aux Conditions matérielles du chapitre Communiquer avec un esprit, page 250.

Les scientifiques sont très discrets au début : la « grande presse » leur reproche même d’être coupables de « non-assistance à personne en danger (de perdre la raison) » ! Les psychologues (Janet, Charcot, etc.) et leur science toute récente considèrent que les médiums sont atteints d’une pathologie de « dédoublement de personnalité » . Les libres-penseurs et les athées, après une période de flottement, feront vite du spiritisme une cible privilégiée.

La doctrine spirite Elle repose sur la croyance que la mort n’est pas une fin, que les entités de l’au-delà, appelées « esprits », non seulement sont une réalité, mais cherchent parfois à communiquer avec notre monde, et que certains phénomènes surnaturels seraient le moyen employé par ces entités pour nous contacter. Inversement, les vivants pourraient eux aussi entrer en contact avec ces esprits, souvent des personnes décédées… Certains sujets plus réceptifs que d’autres

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Quant à L’ÉGLISE, espérant sans doute que le soufflé spirite retombe rapidement, elle a d’abord laissé le phénomène se développer. Beaucoup d’ecclésiastiques ont même participé à des séances de tables tournantes… Elle change d’attitude dans les années 1860 et parle « d’insulte au bon sens chrétien » puis de « superstitions dans lesquelles le démon ne serait peut-être pas absent ». Devant les excès des « spirites », le Vatican envisage, en 1892, de condamner définitivement le spiritisme… Il y renonce, mais des ecclésiastiques continueront à mener le combat anti-spirite, souvent en publiant ouvrages et articles.

LE PROCÈS DES SPIRITES (JUIN 1875) Le commerce de « photos spirites », venu d’Amérique, est repris en 1870 par le photographe parisien Édouard Buguet. Pierre-Gaëtan Leymarie, successeur de Kardec à la rédaction de La Revue spirite, y publie des clichés présentés comme « des photos d’esprits posant à côté des membres de leur famille » en faisant de la publicité à « un médium du nom de Buguet, qui est susceptible de fournir à ses clients des clichés similaires ». Une campagne de presse décrit ces photos comme une supercherie. S’ensuit un débat houleux qui se terminera au tribunal pour « fraude et mystification » à l’encontre de Leymarie, Buguet et un certain Firman, qui se prétendait médium. Coup de théâtre ! Au cours du procès, Buguet avoue : « Je ne suis ni spirite ni médium, j’ai juste des «trucs» d’une grande simplicité » (double exposition de ses plaques). Les prévenus sont condamnés (un an ferme et une amende de cinq cents francs). Le procès fait grand bruit et relance le débat entre les anti-spirites qui se gaussent, et les partisans du spiritisme qui crient à la machination, affirmant sous serment « reconnaître les fantômes » sur les photos. Buguet va finalement se déclarer « photographe anti-spirite » continuant de proposer les mêmes clichés, mais, cette fois, sous forme de canulars revendiqués. Ce « procès des spirites » de 1875 offre un cadre original et intéressant pour y placer un scénario. Les enjeux sont multiples, les diverses parties s’étripent joyeusement, les PNJ pittoresques ne manquent pas… On passe de scènes de théâtre en tribunal, on hésite entre illusion et escroquerie, tout ce qu’on aime ! Sans parler de ceux qui veulent défendre les accusés « à tout prix » !

Spiritisme, pièce de Victorien Sardou (1831-1908), interprétée par Sarah Bernhardt (1844-1923) en 1897

Le déclin du spiritisme… Violemment attaqué dès ses débuts, le spiritisme avait résisté et même pris de l’ampleur. En un quart de siècle, quatre événements vont cependant le mettre à mal : • les premières prestations des frères Davenport (18641865) voient le public soupçonner des trucages, hurlant à la supercherie et l’escroquerie. À Londres comme à Paris, les « expériences spirites » de ces Américains virent aux violences verbales et physiques, leur « cabinet spirite » est cassé… La police doit intervenir, les spectacles sont interrompus. Ces incidents font le bonheur des gazettes et de tous les adversaires du spiritisme, rieurs en tête ; • suite à ces premiers « vrais » soupçons à l’encontre du spiritisme, d’autres investigations ont lieu un peu partout : des scientifiques et des illusionnistes professionnels entreprennent de confondre les spirites, accusés d’être des mystificateurs. Aux États-Unis, leur plus célèbre pourfendeur est Harry Houdini. Ces « contre-expériences » révèlent des fraudes quasi généralisées, où les « spirites » usaient soit de procédés de prestidigitation, soit de trucages techniques. Le spiritisme y perd beaucoup de sa crédibilité ; • le troisième événement sera judiciaire (cf. encadré) ; • en 1888, Kate Fox avoue publiquement que « tout cela n’était qu’une plaisanterie d’enfants, une fumisterie », avant de se rétracter, mais le mal est fait…

L e spiritisme à l’époque de Maléfices (même pas mort !) 1870, 1888, 1892, 1900, nous voici cette fois en pleine époque de Maléfices, et les temps deviennent difficiles pour le spiritisme, d’autant plus attaqué par les courants matérialistes qu’il est en grande partie discrédité par ces nombreuses fraudes. Ses adversaires pensent en avoir fini avec lui, mais contre toute attente, des spirites zélés continuent inlassablement à défendre la doctrine de Kardec, qui se développe dans nombre de pays étrangers : Angleterre, États-Unis, Brésil… et subsiste aussi en France, notamment à Paris et Lyon. De nouveaux médiums se font connaître, de nouvelles expériences, de nouveaux témoignages sont publiés. Des sociétés sont créées, comme la Society for Psychical Research en 1882 en Angleterre, sa filiale américaine en 1885, afin d’« étudier les phénomènes décrits comme paranormaux d’un point de vue scientifique ». La parution d’articles ou d’ouvrages dans les deux camps relance les débats et les empoignades.

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Définitions

L’idée du Vatican de condamner solennellement les pratiques spirites en 1892, avant d’y renoncer, excite les positivistes et autres rationalistes, auxquels se joignent les athées et les libres-penseurs… « C’est reparti ! », pourrait-on dire ! Nourri de ces polémiques et attaques abondamment relayées par la presse de la Belle Époque, le spiritisme va pouvoir continuer à y jouer tout son rôle. Ces débats virulents n’empêcheront nullement la tenue en 1889 et 1900 de deux congrès spirites internationaux à Paris, déjà évoqués plus haut, preuve s’il en était besoin que la croyance au spiritisme perdure dans une large frange de la population, et que les pratiques spirites ont encore cours à l’occasion.

La voyance serait « une capacité divinatoire permettant de voir ou pressentir un événement avant qu’il ne se produise, en dehors de l’usage des cinq sens ». La personne qui possède cette capacité est communément appelée « voyant(e) » et propose des consultations payantes à des clients en attente de révélations sur leur avenir. Les synonymes sont devin, prophète et, plus littéraires, sibylle ou pythonisse… On distingue généralement deux types de divination : • La voyance est dite « naturelle », même si on prête au voyant des capacités surnaturelles lui procurant des « visions », « illuminations » ou « flashs » spontanés, et sans artefacts. Le voyant a des intuitions fulgurantes concernant un événement à venir (ou parfois passé) et les exprime. On peut aussi l’appeler médium, même si le terme prête à confusion avec les spirites.

Quels types de personnages peut-on rencontrer ou croiser dans les milieux spirites ? Le meneur se reportera avec profit au paragraphe Que puis-je jouer ? de l’Archétype Médiums et autres métiers de l’étrange, page 204, qui lui donnera quelques idées sur le sujet…

• La mantique est soumise à l’observation et au décryptage de divers « signes », à des techniques (usage d’artefacts ou d’objets courants, par exemple), pratiques d’où l’on déduit ce qui va arriver.

Divination et voyance

Les démarches sont donc différentes, mais les deux types de voyance cohabitent.

Une préoccupation immémoriale

Les diverses « mancies »

La multiplicité des termes exprimant l’idée de « lire l’avenir » est impressionnante : augure, clairvoyance, divination, horoscope, intersigne, mantique, oracle, prédiction, présage, prévision, pronostication, prophétie, révélation, vaticination… auxquels on peut ajouter toutes ces « divinations naturelles », non liées à un « don » surnaturel : intuition, prémonition, pressentiment, prescience… Il en manque, sans doute. Ce vocabulaire abondant montre que l’idée de connaître l’avenir occupe les Hommes depuis les tout premiers temps de leur (pré)histoire… « Décrypter les signes » pour connaître un peu d’un futur bien souvent menaçant, voire compromis par des conditions de vie difficiles, auxquelles on pense par ce biais pouvoir échapper totalement ou en partie, est particulièrement important dans les campagnes. Ce qui ne signifie pas que les citadins ne puissent se montrer curieux de leur avenir, tant s’en faut ! Mais les moyens de s’en préoccuper diffèrent… L’exercice de la voyance, comme toutes les pratiques jugées superstitieuses ou magiques, est un délit qui fut très longtemps pourchassé et puni par la loi pour finir par être toléré, malgré de violentes attaques, à l’époque de Maléfices. La voyance a donc toujours une place de choix dans la vie et l’esprit des gens de la Belle Époque.

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Le mot « mancie » vient du grec ancien μαντεία, manteía (« divination »). En occultisme, il désigne une technique divinatoire. La plupart des noms de mancies sont des termes savants, formés d’éléments grecs, et notés comme « rares ». Ils sont aussi très étranges : ainsi, la céphaléonomancie consiste à faire rôtir une tête d’âne et à prédire l’avenir en observant les volutes de la fumée ! Mais ils désignent souvent des moyens de divination simples, parfois très connus sous un nom plus courant. On a dénombré plus de cent trente mancies. C’est dire si les « voyants » se sont montrés inventifs ! Nous laissons le meneur curieux et exhaustif se reporter à la page Wikipédia qui les recense… Nous en listons seulement quelques-unes ici, retenues parce que ce sont les plus susceptibles d’être rencontrées par nos joueurs (et utilisées par les meneurs). Nous mettrons l’accent sur trois des plus courantes en 1900, à savoir l’astrologie, la cartomancie, la chiromancie. La « nécromancie » – terme plus qu’ambigu – a été rapidement évoquée avec le spiritisme. Depuis les origines, l’homme « lit » des signes et voit des présages partout et dans tout : les animaux et leur comportement, certaines parties du corps humain, les objets courants, les éléments naturels, des choses très particulières (Bible, tarots, boule de cristal, pendule, songes…).

RÉCIT… « On dirait que l’Hermite accolé à la Lune, c’est l’homme sage, habitué aux esprits nocturnes, qui pourrait peut-être permettre d’aider cette jeune femme… Avezvous déjà songé… au spiritisme ? – J… Jamais, bredouilla le tout jeune veuf. Vous pensez que je pourrais lui… », il n’exprima pas jusqu’au bout son fol espoir. – Sans doute, cela peut parfois être long, mais je connais un spirite confirmé, un peu cher, mais sérieux… – L’argent n’est pas un souci, coupa Clérimond. Si vous me le recommandez, je vous fais confiance ! – Je peux lui demander s’il est libre pour une séance privée jeudi, si cela vous convient ? – Parfaitement. » Le jeune homme paya sans sourciller la coquette somme convenue à la cartomancienne et prit congé avec effusion, encore sous le coup de l’émotion. Un homme élégant sortit alors de la pièce voisine et rejoignit la cartomancienne au salon. « J’ai tout entendu, ma chérie, tu as été parfaite ! Tout en finesse et en subtilité… – Oui, je pense l’avoir bien ferré, il est mûr pour le Grand Jeu ! Continuons à nous renseigner sur lui, sur elle… Ses morceaux favoris, sa famille, leur rencontre… Le guéridon pourra ainsi lui dire les choses qu’il a envie d’entendre, et il prolongera les séances… Tu es un si bon médium ! », s’esclaffa-t-elle. « Je saurai faire… Tu connais mon habileté à plumer proprement un pigeon ! »

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Survolant le tarot étalé en ruban sur le tapis noir aux coins ornés d’un crâne, Mlle Roxane pointait de son index délicat les lames que son comptage désignait, les retournant et les interprétant en quelques mots, donnant parfois à ses phrases une intonation à peine interrogative, affinant avec une nouvelle lame ce qu’elle avait pu dire précédemment… « 1, 2, 3, 4, 5, reprit d’une voix douce la cartomancienne, le secours d’un homme brun… 1, 2, 3, 4, 5… » Elle marqua un petit sursaut en retournant l’arcane sans nom, la Mort, et le jeune homme en noir, soudain inquiet, leva ses yeux embués vers elle… Les lames qu’elle disposait sur le tapis formaient petit à petit une croix latine. Et pour Clérimond d’Entraigues, aussi effaré qu’ému, tout cela, peu à peu, faisait sens… Les larmes lui vinrent aux yeux. « 1, 2, 3, 4, 5, reprit-elle assez vite, la Lune. Nous avons nos sept lames… » Le silence qu’elle laissait s’instaurer plongea le jeune homme dans ses pensées. « Les lames ne mentent pas, poursuivit la jeune femme, et leur disposition nous en apprend davantage encore… Ainsi, la jeune femme brune, opposée à l’arcane sans nom, indique que cette personne qui vous est chère est en souffrance au royaume des Morts ; le Bateleur, c’est l’artiste, il est ici en position forte, comme s’il voulait se rapprocher, parler avec l’Amoureux… C’est vous, l’amoureux, n’en doutez pas ! Je vois mal ce que fait l’artiste dans votre jeu, mais il est bien là ! – Émeline était pianiste virtuose », sanglota Clérimond. La tireuse de cartes eut l’air de comprendre, soudain…

LES INTERSIGNES Les intersignes (sinaliou en breton, « signes avertisseurs ») sont une forme particulière de voyance naturelle, centrée sur la mort. Ils n’annoncent en effet que la mort de quelqu’un, et celui qui reçoit l’intersigne est rarement celui que la mort menace. « Les intersignes sont comme l’ombre, projetée en avant, de ce qui doit arriver », A. Le Braz, Légendes de la mort.

Dans cette tête, elle reconnut celle de son fils, marin à bord d’un bâtiment de l’État. Les yeux étaient grands ouverts et la regardaient avec une inexprimable angoisse. « Mabic ! Mabic ! (Petiot, petiot !), s’écria-t-elle en joignant les mains, que t’est-il arrivé, mon dieu ? » Sitôt que la vieille eut parlé ainsi, la tête roula sur la table et en fit le tour par neuf fois. Puis elle reparut en haut du tas d’écheveaux. « Adieu, ma mère ! », dit une voix. Barba se retrouva plongée dans l’obscurité. Des voisines la ramassèrent le lendemain, évanouie, sur le plancher de la chambre. On apprit à quelque temps de là que, cette même nuit, à cette même heure, son fils Yvon, second maître à bord du « Redoutable », avait eu la tête détachée du tronc dans une fausse manœuvre ; et, comme c’était par gros temps, la tête avait roulé de-ci, de-là sur le pont, avant qu’on eût pu la saisir au passage. – Cité par A. Le Braz, Légendes de la mort.

L’intersigne de la tête coupée

Une nuit que Barba Louarn, de Paimpol, était restée à filer jusqu’à une heure très tardive, elle s’endormit de fatigue sur sa tâche. Elle avait bien près de soixante-dix ans, la pauvre vieille ! Sa quenouille lui ayant échappé des mains et ayant fait du bruit en tombant sur le rouet, Barba se réveilla en sursaut. Elle ne fut pas peu surprise de voir toute la pièce éclairée d’une lumière blanche. Dans le milieu de la chambre, il y avait une table ronde où Barba avait coutume de déposer les écheveaux de lin qu’elle avait filés. Or, sur le tas d’écheveaux, elle vit une tête, une tête fraîchement coupée d’où le sang dégouttait.

Voici maintenant quelques mancies importantes : • arithmancie ou arithmomancie : mot rare, synonyme de Numérologie, qui est la divination par les nombres à qui elle attribue des propriétés. La kabbale et le tarot ont leur propre arithmomancie ; • astromancie : divination par les astres. Mot ancien synonyme d’Astrologie ; • cartomancie : méthode de divination utilisant les cartes (à jouer) pour prédire l’avenir ; • chiromancie : divination par l’inspection des lignes de la main. Attestée dès la fin du Moyen Âge et pratiquée à l’origine essentiellement par les Gitans et les « gens du voyage » ; • cléidomancie : divination qui se pratiquait à l’aide d’une clef suspendue au bout d’une ficelle. Variante populaire du pendule (au masculin, celui-ci !) ; • oniromancie : divination par les rêves ; • oomancie : divination par le blanc d’œuf ; • rhabdomancie : moyen par lequel on tente de déceler les sources, les mines, les trésors enfouis, en tenant par les deux bouts une baguette de coudrier en forme de « Y », qui tourne à l’approche de l’objet cherché.

Andréa la tireuse de cartes (vers 1900), roman de Jenny Noir et Louis Noir (1837-1901), illustré par Paul Cousturier (1855-1915)

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DIVERS OBJETS OU MOYENS UTILISÉS POUR LES DIVINATIONS Parties du corps humain

Éléments naturels

Pour le cordon : l’accoucheuse observe les nœuds du cordon ombilical d’un premier-né, et se trouve en mesure d’annoncer à la mère combien d’autres enfants elle aura. Pour la coiffe placentaire, c’est de cette voyance que vient l’expression « être né coiffé », fait considéré comme un signe de bonne fortune pour le bébé. Mais on lit aussi dans d’autres sources « qu’un enfant né coiffé est bien souvent un loup-garou » ou bien « qu’un enfant né coiffé mourra de mort violente ».

Pour l’eau : on l’utilise dans tous les endroits où elle se trouve (seau, puits, flaques, fontaines, rivières…). Parfois, on se sert des reflets qu’elle renvoie, ou on la trouble et on observe les ondes, les mouvements ; d’autres fois, on y plonge ou on y jette quelque chose (miroir immergé dans une source, objets jetés dans les étangs, les mares, etc.).

Curiosa

On ouvre une Bible au hasard, on pointe du doigt une ligne qui est censée apporter la réponse à la question posée. Variante : l’interprétation d’un vers ou d’un passage trouvé au hasard dans un livre. Variation sorcière « intéressante » : on place dans le plateau d’une balance une bible, dans l’autre un suspect de sorcellerie. Celui-ci était brûlé si la balance penchait de son côté, selon la croyance populaire !

Objets courants

Pour le sel, on le regarde soit fondant dans un liquide, soit crépitant dans un feu. De là viendrait l’idée qu’une salière renversée est un mauvais présage. Pour la cire : on allume une chandelle et on fait couler d’un peu haut la cire fondue, dans un saladier ou un seau d’eau, et on interprète la forme des « flaques » de cire figée (présence de petites boules, grosses boules, forme particulière, etc.). Même pratique avec le plomb fondu. Pour la clef, c’est une divination très usitée dans les campagnes, notamment pour déterminer le sexe d’un enfant à naître. Pour le fer et la paille, on chauffe le fer au feu, des brins de paille sont jetés dessus, et on lit l’oracle dans la trajectoire des étincelles… Pour les œufs, Mlle Lenormand (cf. page 103) est connue pour avoir énormément utilisé, à des fins divinatoires, le blanc d’œuf frais qu’on laisse doucement tomber dans un verre d’eau pour interpréter les formes obtenues. Cette pratique a perduré dans les campagnes ; elle est connue sous le nom savant de «oomancie».

Oniromancie

Cette branche de la divination amena la production de toute une littérature, petits livres ou recueils de colportage, proposant une « Clef des songes », ceux-ci étant en fait considérés comme des présages. La psychologie, science en plein essor, y décèle plutôt ce qu’on finira par nommer « l’inconscient », notion qui sera reprise par la psychanalyse, notamment par Freud, dans son Interprétation du rêve en 1898.

Rhabdomancie

Voici caché, sous ce nom complexe, le bien connu sourcier de nos campagnes. De « sourcier » à « sorcier » il y a peu de différence, donc pour les gens, « c’est tout un » ! Néanmoins, sa grande utilité dans les campagnes, particulièrement dans celles où l’eau est rare, lui valait une belle notoriété, et on n’hésitait pas à faire appel à lui.

De quelques pratiques divinatoires courantes à la Belle Époque La cartomancie

De simples jeux de cartes…

La cartomancie à l’époque de Maléfices, comme le spiritisme, est une survivance de pratiques non pas très anciennes, mais en tout cas bien antérieures à 1900 ! En effet, les grandes figures de la cartomancie et les créateurs ou « inventeurs » du tarot divinatoire sont contemporains… de Louis XVI et de Napoléon Bonaparte ! Et leurs continuateurs ont œuvré du milieu du XVIIIe siècle au tout début du XIXe.

Les cartes « au portrait français » sont attestées en France en 1381. Le tarot, venu d’Italie, apparaît dans les années 1440 avec des cartes d’un autre format (11 x 6 cm au lieu des 8,5 x 5,5 cm des cartes françaises). Le jeu est différent, et comporte surtout une série supplémentaire de vingt-deux cartes décorées d’images allégoriques, les « triomphes » plus tard désignés comme atouts. On aura évidemment reconnu par avance les « arcanes majeurs » des futurs tarots divinatoires. À ce moment de l’Histoire, ces deux jeux sont clairement des cartes « à jouer »… Et l’on joue beaucoup avec ces cartes que l’on trouve partout ! Très vite, on y mêle l’argent, on invente chaque jour ou presque les règles de nouveaux jeux, on crée des lieux réservés pour s’y adonner. On joue, on mise, on gagne, on triche aussi, sans doute, et on en vient aux mains ; on perd, on se ruine

On pourrait alors penser que les cartomanciens n’ont plus leur place en 1900, que la pratique s’est éteinte. Ce serait une véritable erreur : bien que « vivant désormais sur sa lancée », la cartomancie et la lecture par les tarots sont encore bien vivaces à la Belle Époque.

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ou on remercie sa bonne fortune… Peut-être en meurt-on, parfois ? Ces simples cartes, déjà, tissent des liens avec le Destin des hommes ! Assez vite s’impose la notion de « bonne » ou de « mauvaise » carte, de « carte de chance » ou « porte-poisse ». Les petits mots griffonnés sur les dos blancs des cartes au XVIIIe siècle ont pu suggérer à certains l’idée qu’elles pouvaient aussi délivrer d’autres messages plus « magiques ». C’est en tout cas le début d’une interprétation des cartes, et l’émergence de l’idée que ces petits bouts de carton pourraient être porteurs d’un « pouvoir de divination » !

LE SAVIEZ-VOUS ? Un jeu de cartes classique présente de bien étranges correspondances avec le Temps humain : • il comporte 4 couleurs, comme il y a 4 saisons dans une année ; • il compte 52 cartes, comme il y a 52 semaines dans une année (hors Jokers) ; • et si l’on additionne les points de toutes les cartes d’un jeu (Valet = 11, Dame = 12, Roi =13), on obtient 364, ce qui est quasiment le nombre de jours dans une année. Si on y ajoute un Joker valant 1, le compte y est ! Voilà quelques affirmations qui vous rendront plus crédible quand vous incarnerez un cartomancien ou une cartomancienne !

… qui deviennent des jeux divinatoires Deux recueils « d’oracles » destinés à « prédire l’avenir grâce aux cartes » sont imprimés, l’un en 1480, l’autre en Italie en 1540. La première procédure est basique : on tirait une carte du paquet mélangé, et on lisait dans le recueil ce que prédisait le quatre de cœur ou le roi de trèfle. À chaque carte, une interprétation unique et figée. La seconde est beaucoup plus compliquée. Trop simpliste ou trop complexe, la chose resta marginale. Les Roms possèdent déjà une façon de « dire l’avenir ». Leurs cartomanciennes – ce sont en effet souvent des femmes – utilisent dès le XVIe siècle des cartes ordinaires apostillées avec de courts textes manuscrits. Ce jeu annoté est un « jeu divinatoire en devenir ». Paradoxalement, c’est à la Révolution, période de la Raison revendiquée, que les pratiques magiques et divinatoires sont en France à leur apogée, bien que la pratique ne soit pas bien vue. Voici donc les années fastes des cartomancien(ne)s et diseuses de bonne aventure !

Les pratiques sont succinctes : cœurs et trèfles sont des « cartes heureuses », piques et carreaux annoncent « infortune ou malheur ». Les figures représentent des personnes proches du consultant (jeunes hommes, femmes, hommes mûrs), supposées pouvoir influencer son destin. Assez vite, on considère également la disposition des cartes : on les interprète pour elles-mêmes, mais aussi en fonction de leurs voisines, par exemple. La procédure se complexifie, devenant plus ouverte et plus subtile. • S’inspirant des Tziganes (cf. plus haut), elles ajoutent elles aussi des annotations manuscrites sur leurs cartes. Ainsi procédait Mlle Lenormand, « la plus fameuse sibylle du XVIIIe siècle », dont le nom est encore très présent à la Belle Époque. Chaque carte est donc une carte unique, porteuse de présages, et le jeu entier devient alors un outil aussi étrange que lourd de sens, auquel on peut attribuer un « pouvoir » de divination ou d’oracle. • En 1770, Etteilla, pseudonyme inversé de Jean-Baptiste Alliette (1738-1791), fait paraître un ouvrage consacré à « une méthode de divination par les cartes » qu’il appelait « cartonomancie », mot qu’il avait créé, et qui sera simplifié en « cartomancie » en 1803. Il découvre les théories du savant Antoine Court de Gébelin qui a proposé une interprétation poussée du tarot de Marseille, posant les bases d’une lecture ésotérique de ce jeu (qu’il fait faussement remonter aux Égyptiens). Séduit, Etteilla approfondit son étude sur l’interprétation des lames en 1783. Cinq ans plus tard, il publie sa propre version du tarot, mélange de tarot de Marseille et d’influences égyptiennes à la mode, et l’utilise pour ses « tirages ». Surnommé « Grand tarot égyptien d’Etteilla », ce tarot est le « haut fait » auquel Etteilla doit d’avoir laissé son nom dans l’histoire de l’occultisme. Il devient donc (en France) l’inventeur du tarot divinatoire, qui fait ainsi son entrée dans la tradition ésotérique occidentale.

L ’évolution des « techniques » de cartomancie Les cartomanciennes du XVIIIe utilisent d’abord des jeux de 32 cartes ordinaires, dits « jeux de piquet », pour leurs divinations.

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Le succès insensé du tarot Le « Grand Etteilla » et le « Petit Etteilla » « Le Grand Etteilla » (78 lames) s’inspire du tarot de Marseille, mais a été complètement « revu et corrigé » par son auteur : ses lames annotées (impression d’indications, de mots-clés) aident à bien en saisir le sens, et facilitent l’interprétation lors des séances de cartomancie. Ce jeu étant vendu assez cher, le cartomancien crée et commercialise une version plus accessible de son Grand tarot, « Le Petit Etteilla ». De taille réduite, basé sur les jeux ordinaires, avec des annotations plus nombreuses, il connaît un succès durable auprès du grand public. Mais c’est « Le Grand Etteilla », plus abouti, qui fut plébiscité dans les milieux de la « magie » et de l’occultisme. Son prestige en fit un objet incontournable de la

cartomancie, utilisé par beaucoup de tireurs de cartes. À la mort de son créateur (1791), ce tarot connut un regain d’intérêt, puis une immense popularité à l’époque napoléonienne. Ce jeu est vraiment « le grand ancêtre », et il ouvre surtout de nouvelles perspectives en permettant d’affiner les divinations. Il connut aussi un succès dans la durée, de nombreux retirages, d’autant qu’il fut abondamment commenté et revisité par d’autres occultistes au milieu du XIXe siècle (cf. De quelques autres tarots divinatoires, page 104). À la suite du tarot égyptien d’Etteilla, de nombreux cartomanciens et occultistes s’intéresseront à ce type de jeux, qui vont se multiplier entre 1880 et 1914. C’est quasiment « chacun le sien » ! Voici les plus courants.

Le « Grand Etteilla »

Les « tarots de Mlle Lenormand » Marie-Anne Adélaïde Lenormand (1772-1843), plus célèbre comme « Mlle Lenormand », fut la cartomancienne attitrée de l’impératrice Joséphine (entre autres personnalités). « Elle tirait l’horoscope des plus hauts personnages, et gagnait à ce métier plus de 20 000 francs par an », écrit un contemporain. C’est pour son bien connu « Grand tarot de Mlle Lenormand » qu’elle a laissé son nom dans l’occultisme. Mais attention, voici « l’arnaque du siècle » !

Mlle Lenormand n’a jamais utilisé le tarot, se servant pour ses divinations d’un « jeu de piquet » de 32 cartes, parfois annotées ! Elle n’inventa ni jeu de cartes ni tarot divinatoire… Et pourtant, après sa mort et durant les siècles suivants, des éditeurs français et allemands peu scrupuleux créèrent des jeux de cartes divinatoires illustrés (à l’inverse des jeux français classiques qu’elle utilisait). Ils commercialisèrent deux tarots, inventés de toutes pièces, sous les appellations trompeuses – mais très porteuses ! – de « Jeu de Mademoiselle Lenormand » ou « Grand Lenormand » et « Petit Lenormand ».

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Cartes du tarot attribué à Mlle Lenormand

Le Grand Lenormand comporte 54 grandes cartes (9 x 13 cm), mélange disparate de scènes mythologiques, constellations, fleurs, allégories et figures de cartes ordinaires, mais sans texte. Le Petit Lenormand compte quant à lui 36 cartes au format courant. Ces deux jeux étaient livrés avec un livret explicatif détaillé qui devait permettre à tout un chacun de procéder à une divination par les cartes. Très prisés des « vraies » cartomanciennes et des dames qui se piquaient de « tirer les cartes » dans leur salon, ils connurent un vif succès, mais sont tous les deux totalement apocryphes, et Mlle Lenormand n’y a rien à voir, si ce n’est que l’on a utilisé son patronyme comme « caution morale » et argument de vente ! Souvent réédité, le « Grand Jeu de Mlle Lenormand » enrichira ses créateurs. Le nom de Mlle Lenormand figure d’ailleurs encore en bonne place sur tout un tas de livres, oracles, opuscules et almanachs bien postérieurs à sa mort.

INSPIRATION Le thème des tarots divinatoires n’a jamais été exploité dans un scénario de Maléfices. Il y aurait pourtant de quoi faire ! En variant les idées, par exemple, tenez : On retrouve une série de personnes assassinées, avec une lame de tarot divinatoire posée sur chacune d’elle. • Le modus operandi change chaque fois (ou pas ?), mais on finira peut-être par trouver un rapport (même éloigné) entre la lame et le crime ? • Les lames ont-elles une « signification » par rapport aux victimes ou sont-elles disposées au hasard ? • Les victimes sont-elles « connectées » par un lien quelconque ? • Y en aura-t-il d’autres ? Comment mettre fin à cette série de crimes ? • Et à qui peuvent-elles bien appartenir, ces lames ? À un de ces « cartomanciens » ayant récemment défrayé la chronique ? • Ne serait-ce pas plutôt à ces « romanichels » arrivés depuis peu, et installés non loin de la zone ? • Et si le jeu avait été dérobé dans le « musée privé » du Club Pythagore ? Par qui ? Pourquoi ? • etc.

De quelques autres tarots divinatoires Profitant de cette mode, de nombreux tarots sont créés au milieu du XIXe siècle. Les théories foisonnent, donnant naissance à un nouveau courant d’interprétation, plus franchement tourné vers l’occultisme, et qui prétend donner au tarot une valeur ésotérique et initiatique.

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• LE TAROT D’ÉLIPHAS LÉVI (cf. Les sociétés occultes, page 108) Alphonse-Louis Constant (18101875), plus connu sous le nom « cabalistique » d’Éliphas Lévi, publie en 1856 Dogme et rituel de la haute magie. Il est le premier à affirmer que les 21 arcanes majeurs du tarot divinatoire présentent une correspondance avec les lettres de l’alphabet hébreu. Cela permet de relier le tarot à la kabbale hébraïque, et offre aux occultistes de nouvelles possibilités d’interprétations en matière de cabalistique. Il publie lui aussi son tarot, plutôt destiné aux ésotéristes qu’aux cartomanciennes. Quoique cela puisse être discuté ! • LE TAROT DE PAPUS (cf. Les sociétés occultes, page 108) Papus est le pseudonyme du Dr Gérard Encausse (1865-1916), médecin et l’un des occultistes les plus en vue de la Belle Époque, personnage pittoresque qui s’est toujours présenté comme un savant et un expérimentateur. Dans son livre Le Tarot Divinatoire, il associe les arcanes du tarot aux lettres hébraïques, mais aussi à des lettres en sanskrit et à des hiéroglyphes égyptiens, diffusant une nouvelle correspondance mystique du tarot avec des lettres de divers alphabets. Le tarot qu’il crée propose un jeu « corrigé » et entièrement redessiné, fortement teinté d’iconographie égyptienne. Il comporte également des associations cabalistiques. Lui aussi connut un certain succès.

U ne séance de cartomancie, ça se passe comment ? Prenons l’exemple d’une jeune femme qui se rendrait chez une cartomancienne. Que verrait la consultante ? Que ferait-elle ? Que craindrait-elle ? Les « rituels » sont nombreux, chaque cartomancien tenant à sa procédure originale, afin de se démarquer des concurrents. Jeu de cartes ordinaire ou divinatoire, tarot complet ou 22 arcanes seuls… Malgré cette variété, des constantes existent. Ce type de scène est toujours ludiquement intéressant : qu’on y croie ou non, c’est un petit moment d’ambiance particulière, surtout si la « lecture » délivrée est suffisamment ouverte pour donner lieu à des interprétations qui pourraient avoir un rapport avec le scénario, immédiatement ou « avec effet retard », les joueurs repensant soudainement, quelques heures de jeu après la scène, « à ce qu’avait dit la vieille paysanne (ou la jeune bohémienne, ou la fille sur la foire, ou le type du cabaret…) ». Le doute est présent, il sera ou non levé, ce qui est pleinement dans l’esprit du jeu. Toutes les variations – au sens musical du terme – sont possibles sur un tel thème, toutes les ambiances aussi : la teneur de la divination incitera à l’amusement, voire à la gaudriole, par exemple s’il est question d’une rencontre

Malgré leur « ancienneté », tous ces tarots sont connus et utilisés à l’époque de Maléfices, certains par les professionnels, d’autres par le grand public. Le tarot de Mlle Lenormand est d’ailleurs préconisé comme aide de jeu dans le scénario Le marchand de jouets, cf. page 288. Et le croirez-vous ? La plupart des tarots cités dans ce paragraphe sont encore en vente aujourd’hui ! Les jeux authentiques sont hors de prix, cela se conçoit. En revanche, des retirages plus ou moins « à l’identique » existent pour le Grand et Petit Etteilla et les deux tarots Lenormand, à des tarifs relativement abordables. Soyez vigilants cependant : certains jeux proposés sous ces appellations n’ont rien à voir avec les graphismes originaux ! Comme quoi rien ne change…

La cartomancie nécessite la présence physique d’un consultant et d’un voyant, les deux pouvant être éventuellement réunis en une seule personne « qui se tire les cartes ». Il règne dans le cabinet une atmosphère à la fois mystérieuse, apaisante, propice aux confidences. Le décorum a donc son importance, l’apparence et l’attitude de l’officiant aussi : • En ayant sa question à l’esprit, la consultante mélange le jeu, le coupe, puis l’étale en ruban sur la table, face cachée. • Elle tire un certain nombre de cartes que la cartomancienne retourne et positionne selon un schéma donné (arc, rangées, croix…). Le « tirage en croix » est le plus connu, parce que simple et rapide. • Dans un dialogue avec la consultante, les lames sont ensuite « interprétées » par la cartomancienne en tenant compte de divers paramètres : sens de lecture, à l’endroit ou inversée, ordre d’apparition, emplacement de chacune par rapport aux autres, et notamment à ses voisines. On peut tirer « le grand jeu » ou user d’un processus plus simple (et moins onéreux).

La chiromancie C’est l’art de la divination par l’examen des mains, et particulièrement des lignes de la main, attesté dès la fin du agréable, de séduction, de réussite amoureuse (« Je vois une jeune femme brune qui s’intéresse à vous… »). À l’autre bout du spectre, elle peut générer inquiétude ou angoisse, par exemple si le message est vraiment sombre (« Un être cher est en grande souffrance ») ou met en cause la santé ou la vie d’un personnage (« Je me demande… C’est très étrange, cette petite ride qui vient brutalement couper votre ligne de vie… »). Sans parler de la possibilité d’user du « contrepied », qui ferait qu’un message a priori amusant puisse se révéler finalement très, très inquiétant ! C’est bien sûr aux créateurs de scénarios de veiller à ces aspects narratifs, mais il incombe aussi au meneur de jeu de savoir rendre un tel épisode au minimum mystérieux et intrigant, voire totalement angoissant à l’occasion…

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ARNAQUE OR NOT ARNAQUE ? La question peut se poser, car il ne faut jamais perdre de vue que la cartomancie – comme toute pratique « magique » ! – est pour les professionnels un commerce lucratif, qu’il est donc indispensable à la fois de faire venir des consultants… et de susciter chez eux l’envie de revenir régulièrement ! D’où la nécessité de se montrer pertinent – ou du moins d’en donner la sensation au client ! – et de savoir ne pas trop en dire, afin que celui-ci ait envie d’une prochaine séance. La tentation peut donc être forte d’aider un peu le destin en usant d’expédients plus ou moins honnêtes pour « renforcer ses effets »… • Pratiquer le cold reading (lecture à froid), qui consiste à observer discrètement, mais finement le consultant, afin de « déduire des choses » de son apparence, sa posture, son comportement… Relisez une scène de Sherlock Holmes quand il reçoit un nouveau client et lui révèle des choses qui semblent relever de la magie… Le cold reading, c’est cela ! • User souvent de psychologie, et de temps en temps de phrases « passe-partout » qui suscitent l’adhésion et l’acquiescement du client, pour que celui-ci retienne au final

que « la voyante m’a dit des choses justes sur moi, alors qu’elle ne me connaît pas ! » • Au bout de cet engrenage, on trouve le trucage. Vous seriez étonné de tout ce que l’on peut faire quand on sait manipuler un jeu de cartes ! Lame qui revient dans le tirage, forçage ou changement de lame… Nous vous renvoyons à votre illusionniste préféré et vous laissons imaginer ce type d’effets appliqués à des consultants un peu crédules… (Même des sceptiques absolus n’y verraient que du feu !) On est alors davantage dans le théâtre et le jeu d’acteur – décor, éclairages, costume, textes et intonations travaillés – que dans une pratique réellement « magique » mettant en cause un quelconque pouvoir surnaturel. La manipulation mentale et l’escroquerie sont toutes proches ! Mais comment en être sûr ? Cela pourrait d’ailleurs être l’enjeu d’un scénario tournant autour de la voyance, sous quelque forme qu’elle se présente… Et que dire de ce « voyant » aux abois qui, pour garder ses clients et gagner de l’argent, se mettrait en tête de provoquer la réalisation effective des prédictions qu’il leur ferait ?

RÉCIT… Quand il eut vérifié pour la troisième fois l’agencement des chaises autour du grand guéridon de son salon et le petit dispositif qu’il avait mis en place, Armand Houlardin se frotta les mains et sourit. « Pour sûr, ça va être farce ! », pensa-t-il. Après le dîner, le couple Houlardin attendit ses invités, qui ne tardèrent pas à se présenter. On patienta, dans une mondanité teintée d’excitation, jusqu’à ce que la médium arrive, peu avant minuit… Madame Sylvana Paliakovna s’imprégna longuement « de l’atmosphère du lieu », puis retourna le crucifix face au mur, réduisit la lumière en soufflant quelques bougies et s’assit au guéridon, invitant les « officiants » à la rejoindre et à créer un contact en se touchant les doigts. Aline Houlardin, visiblement peu à l’aise, approcha timidement les doigts de sa main gauche de ceux de Raoul Fouchet, son voisin, sa main droite effleurant celle de la médium, qui expliqua à chacun qu’une fois la chaîne établie, il ne faudrait en rien la rompre, sinon le lien avec les esprits serait perdu… En s’asseyant, Armand vérifia une dernière fois que les fils de pêche qu’il avait savamment disposés autour de la pièce étaient en place sous sa chaise, et prit lui aussi un air attentif, attendant son heure en riant sous cape. Madame Paliakovna ferma les yeux, respira profondément, et la séance commença. Au début, les appels de la médium restèrent vains. La déception des participants était palpable. Armand en était à se dire qu’il allait, plus tôt que prévu, tirer un de ses fils pour faire tomber la statuette de Vénus qui trônait sur une commode, quand Madame Piguraut frissonna : « Il fait froid, d’un coup… N’est-ce pas, Colette ? ». La jeune fille ne répondit pas, et tous les regards convergèrent vers elle. Dans la pénombre du salon, on n’était sûr de rien, pourtant on aurait juré que ses yeux étaient blancs, révulsés, sa respiration sifflante… « Vous m’avez appelée, je suis là… », dit alors une voix, au moment même où le grand portrait de la tante Hortense

Houlardin tombait bruyamment au sol, faisant sursauter tout le monde, et particulièrement Armand, qui n’avait absolument rien prévu pour ce tableau… Cette voix de vieille femme, aigre et tremblotante, sortant de la bouche de la jeune fille, aux lèvres désormais blanches et pincées après avoir été si pulpeuses, fit passer un frisson d’effroi sur la nuque de chacun. Madame Paliakovna, bouche bée, yeux exorbités, semblait égarée, et même très effrayée… « Je suis là, reprit la voix, et j’ai bien l’intention de n’en partir qu’une fois obtenu ce que je suis venue chercher… » C’était encore Colette qui parlait, et son corps était à présent étrangement cambré, comme si elle voulait s’éloigner du guéridon, mais que ses mains, toujours en contact avec lui, refusaient de la laisser faire. Des tintements aigrelets se firent alors entendre : dans le buffet, le service de verres semblait agité de tremblements, ce qui provoquait ce bruit aussi cristallin qu’inquiétant… Sans prévenir, les portes vitrées du buffet s’ouvrirent et les verres à liqueur, d’abord, puis le reste du service, se mirent à voler, s’entrechoquant pour se briser et former ainsi des éclats tranchants, puis se dirigèrent en direction du guéridon, comme s’ils voulaient attaquer et blesser les participants à la séance. Ou plutôt, on le constata très vite, comme s’ils voulaient attaquer et blesser la timide Aline Houlardin qui, une balafre sur la joue, poussait depuis un bon moment un cri suraigu, les mains tétanisées sur le guéridon. Pour le coup, Armand n’avait plus envie de rire, et tentant de se protéger de la coupe à champagne ébréchée qui lui arrivait en pleine face, ce fut lui qui rompit la chaîne. La voix rêche cria, de dépit ou de rage, la chaise de la jeune fille se renversa et Colette s’effondra sur le tapis du salon, le corps arqué et tendu comme s’il allait craquer dans la seconde… Le silence qui suivit cette scène d’épouvante était celui d’un tombeau.

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Moyen Âge et pratiqué à l’origine essentiellement par les Gitans et les « gens du voyage ». Les personnages ont davantage affaire à la chiromancie en tant que « clients », démarchés par une diseuse de bonne aventure au détour d’une rue, dans une fête foraine, ou encore dans un village de campagne s’ils sont abordés par la mère Métrier, dont chacun sait « qu’elle lit les lignes de la main ». D’ailleurs, elle avait bien vu que l’Anatole allait « passer », et qu’un animal en serait la cause, hein ! De l’opuscule au gros livre relié, les traités de chiromancie sont nombreux à l’époque, diffusés par les colporteurs à la campagne, et accessibles par des vendeurs de rue, des bouquinistes ou des libraires en ville. Ils expliquent

des méthodes de divination, avec force croquis et planches illustrées à l’appui… En jeu, on peut donc imaginer et accepter qu’un personnage ait acheté un tel ouvrage et se pique de chiromancie, ce qui lui fournit à la fois un loisir à la mode et une petite opportunité de briller dans les salons… Quand il n’en usera pas pour approcher, séduire ou inquiéter un PNJ important dans l’aventure ! Il est temps maintenant de délaisser les voyances pour s’intéresser à une autre strate du fantastique intellectuel et urbain : celle des « cercles occultes », des « sociétés secrètes », et des « Initiés » autoproclamés…

Les sociétés occultes et la nébuleuse de l’ésotérisme Dans le Paris de la Belle Époque, le positivisme scientiste donne des signes évidents d’essoufflement, et le spiritualisme d’Henri Bergson connaît plus de succès que le rationalisme poussif des héritiers d’Auguste Comte. Place aux expériences individuelles inédites : pensons à la conversion mystique de Paul Claudel à la Noël 1886, tandis que Marcel Proust, trempant machinalement une madeleine dans une tasse de thé, fait surgir de l’inconscient les souvenirs enfouis de son enfance. Bref, l’irrationnel est à la mode, et ces plongées dans l’inconnu s’accompagnent souvent d’une consommation exagérée de psychotropes. La recherche de « vérités cachées » et le goût pour le surnaturel connaissent un véritable engouement, comme le montrent le vif succès des librairies ésotériques, la fréquentation nocturne des cimetières, ou la concurrence acharnée à laquelle se livrent certaines sociétés initiatiques. Cependant, à considérer ce foisonnement, peu d’éléments semblent faire le lien entre les rites très divers que proposent les sociétés secrètes, et les pratiques pleines d’imagination auxquelles peuvent s’adonner les adeptes de l’occultisme, du spiritisme et du satanisme. De fait, l’organisation du « paysage ésotérique parisien » s’est structurée au XVIIIe siècle. Nous en préciserons les grandes lignes, en montrant que ces repères fonctionnaient encore un siècle plus tard.

À tout seigneur tout honneur L’organisation la plus visible et influente, tant par le nombre de ses adhérents que par ses moyens financiers, reste la franc-maçonnerie d’inspiration anglaise. Constitué en 1773, le Grand Orient de France a survécu à toutes les vicissitudes politiques de la France, en sachant toujours s’adapter aux pouvoirs en place, comme aux transformations sociales. Fort de plusieurs dizaines de milliers de « frères », il est devenu progressivement un bastion républicain et anticlérical ; au grand scandale des obédiences anglaise et américaine, le convent de 1877 a même supprimé toute référence au « Grand Architecte de l’Univers ». Ayant ouvert son recrutement en direction des classes moyennes, fonctionnant de manière à peu près démocratique (les Grands Maîtres sont élus), et prônant une doctrine progressiste et rationaliste, le Grand Orient incarne assez bien la France de la Belle Époque ; mais pour ses adversaires, notamment catholiques, le G.O.D.F. aurait pris le contrôle du pays par une machination, en plaçant ses hommes à tous les rouages importants de l’État, jusqu’au sommet, à travers le parti radical. En réalité, la première bulle papale condamnant la franc-maçonnerie remontait à 1738, une époque où les frères n’étaient ni athées ni républicains, et la monarchie d’Ancien Régime ne lui reconnut même jamais force de loi ; sans doute l’Église romaine était-elle obsédée par l’origine anglaise (donc protestante) de la maçonnerie,

et peut-être aussi considérait-elle les cérémonies maçonniques comme des simulacres de ses propres rites. Traditionnellement, le G.O.D.F. confère à ses initiés les trois grades « bleus » symboliques de la maçonnerie spéculative, à savoir : Apprenti, Compagnon et Maître. Nous ne révèlerons rien ici des rites secrets de l’initiation, mais ils prétendent illustrer une doctrine philosophique qui se veut « religion de l’Esprit : savoir le Vrai, aimer le Beau, faire le Bien », pour citer le frère Ferdinand Buisson (18411932), député radical, fondateur de la Ligue des droits de l’Homme et président de la Ligue de l’Enseignement. La plupart des loges pratiquent le « rite français », mais le G.O.D.F. reconnaît à ses loges la liberté de pratiquer d’autres rites plus rares si elles le désirent. Le Grand Collège des Rites du G.O.D.F. peut aussi administrer quelques hauts grades.

Une autre maçonnerie Depuis le XVIIIe siècle s’est organisée une obédience maçonnique toute différente, dite « jacobite » ou « écossaise », beaucoup plus conservatrice dans son projet politique, son fonctionnement et sa doctrine. Elle se donne en effet pour mission de révéler de « grands mystères » à ses adeptes. Bien au-delà des trois grades « bleus », les « ateliers supérieurs » de la maçonnerie écossaise prétendent conduire les initiés jusqu’au 33e degré de la Sagesse et de la Connaissance ! Depuis 1804, la principale structure de cette maçonnerie ésotérique est le Suprême Conseil Écossais, dont la Grande Loge de France devint la partie visible en 1894 (autonomie concédée en 1904), et qui pratique le rite « écossais ancien et accepté ». Quelques loges concurrentes suivent la même démarche, mais en observant des rites spécifiques. De fait, ces courants de la maçonnerie spéculative se réclament encore des Illuminés les plus célèbres du XVIIIe siècle, tels : • Emanuel Swedenborg, théosophe suédois qui disait converser avec les chérubins en voyageant dans le Ciel ; • son disciple Joachim Martinès de Pasqually, thaumaturge et théurge qui tentait de parvenir à l’Illumination par contact direct avec les êtres divins, préambule à l’Éternité ; • Jean-Baptiste Willermoz, fondateur avec Martinès de l’Ordre des Chevaliers maçons Élus Coëns de l’univers et créateur en 1782 du Rite écossais rectifié. On n’omettra pas de citer aussi, parmi les fondateurs de cette maçonnerie ésotérique, le comte de Saint-Germain ni le comte de Cagliostro, qui prétendaient tous deux à l’Immortalité, ni le physionomiste Lavater, ni l’illustre Mesmer, inventeur du magnétisme animal…

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Ésotérisme indépendant  : héritiers ou charlatans ? Au milieu du XIXe siècle, le spiritisme et l’occultisme connurent un bref moment de faveur, à travers deux personnages originaux et hauts en couleur, qui ne laissèrent à leur mort que des regrets, mais peu d’héritiers : - l’abbé Alphonse-Louis Constant, alias Eliphas Lévi (1810-1875), qui fut à la fois maçon, kabbaliste et adepte de Swedenborg ; - son confrère Léon Hippolyte Denizard Rivail, alias Allan Kardec (1804-1869), porte-parole des esprits trépassés et spécialiste des tables tournantes (cf. Le spiritisme, page 93). À l’inverse, la Belle Époque vit fleurir un certain nombre de gourous à succès, mais beaucoup moins originaux, puisqu’ils se réclamaient tous des courants de la maçonnerie ésotérique déjà évoqués, qu’ils contribuèrent à remettre au goût du jour. Impression de déjà-vu… - Le zouave Jacob (1828-1913), théurge, attirait les foules en prétendant guérir par le magnétisme et la participation d’esprits bienveillants, mais il fut poursuivi par la Justice pour exercice illégal de la médecine. - Le Sar Mérodack Joséphin Péladan (1858-1918), critique d’art au comportement extravagant, célébré par le Tout-Paris et contempteur du matérialisme dominant, fonda en 1888 l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix. - Son ami le docteur Gérard Encausse, dit Papus (1865-1916), fut sans doute la figure la plus médiatique de l’ésotérisme des années 1900. Il créa en 1891 l’Ordre Martiniste, en souvenir de Martinès de Pasqually, et fut également admis membre de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix de Péladan en 1888, de la franc-maçonnerie

de Rite Swedenborgien en 1901, et en 1908 du Rite de Memphis-Misraïm (remontant à Cagliostro, il propose 99 grades d’initiation !). En conflit ouvert avec les Loges maçonniques « régulières », Papus organisa à Paris, le 24 juin 1908, une conférence internationale maçonnique à laquelle participèrent des défenseurs des rites « d’Arrière-Loges ». Dès 1889, il avait fondé le Groupe indépendant d’études ésotériques (GIEE) pour coordonner des recherches, et dispenser des cours sur les divers aspects de l’ésotérisme occidental, qui prit le nom de Faculté libre des sciences hermétiques en mars 1897 et connut un grand succès. Ainsi, l’ésotérisme de la Belle Époque prospérait en tentant une synthèse audacieuse de tous les courants qui l’avaient précédé. On ne pourra donc terminer ce tableau des courants ésotériques sans mentionner le succès considérable, mondial et durable, que rencontra la Société Théosophique, fondée en 1875 par la Russe Helena Blavatsky, auteur en 1888 du best-seller La Doctrine secrète, synthèse de la science, de la religion et de la philosophie, à propos duquel un savant maçon français écrivait que « ce ne sont que des compilations indigestes et sans ordre, véritable chaos où quelques documents intéressants sont comme noyés au milieu d’une foule d’assertions sans aucune valeur » (sic). À la mort de Madame Blavatsky en 1891, la militante féministe et socialiste anglaise Annie Besant prit la tête de la Société Théosophique ; installée en Inde, elle participa activement au mouvement nationaliste indien, luttant pour l’indépendance.

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$ Le fantastique rural et « pragmatique » : croyances populaires,

superstitions et magie des campagnes Les sources du fantastique paysan Avant que de devenir un phénomène urbain préoccupant les savants et les sociétés secrètes et ésotériques, la magie est une affaire qui concerne les campagnes. Elle est une pratique liée à la vie rurale, difficile et sujette aux malheurs que sont les épidémies, les sécheresses, les inondations, les accidents ou les guerres qui ravagent les campagnes. C’est donc dans les villages et les bourgs que se développent des professions liées à la pratique soit de la magie blanche, soit de « l’Art de la main gauche ». Plutôt que de décrire très précisément les diverses pratiques de la magie campagnarde, nous avons choisi de présenter les grandes lignes de cette magie, sans entrer plus avant dans les détails. Mais rassurez-vous ! Nous aurons l’occasion d’y revenir et d’approfondir ce sujet important à l’occasion d’un supplément spécifique sur lequel nous travaillons déjà… Afin de donner une idée plus concrète des mentalités et pratiques, nous vous proposerons ensuite une petite incursion au sein d’un village campagnard… Il sera temps alors de présenter quelques-unes des créatures que redoutaient les habitants des campagnes pour clore ce rapide survol de la magie rurale.

quand on n’y croit pas vraiment, on évite certaines actions « au cas où » ces croyances reposeraient sur un fond de vérité… C’est la base même de la superstition et de la religiosité. Le malheur… Être 13 à table, mettre un habit neuf un vendredi, croiser un chat noir la nuit, briser un miroir… Tout cela attire le malheur (sept ans pour le miroir !). Poser un chapeau sur un lit attire le mauvais sort. (À l’époque, les hommes ôtaient leur chapeau lorsqu’ils entraient dans la chambre où reposait un mort. Poser un chapeau sur un lit exposerait donc au mauvais sort ou même à la mort.) Poser un pain à l’envers sur la table, renverser du sel porte malheur. Voir un chat noir passer devant soi est un mauvais présage. Cette croyance date du Moyen Âge, où les chats noirs étaient présentés comme compagnons des sorcières. … et la chance : toucher du bois en faisant un souhait, trouver un trèfle à quatre feuilles, accrocher un fer à cheval au-dessus de la porte, casser du verre blanc, marcher du pied gauche sur une crotte de chien, voir un arc-en-ciel, tout cela porte chance.

 C royances populaires et superstitions (pas de magie à l’œuvre)

 P ratiques magiques ou assimilées (magie ou « pouvoirs » à l’œuvre)

Une personne superstitieuse croit que certains actes, certains signes, entraînent mystérieusement des conséquences bonnes ou mauvaises, et elle essaie de se prémunir du « malheur » au sens large. Comme tout le monde, les paysans entretiennent des superstitions ou des croyances populaires, qui sont des choses qui se disent, se transmettent, et amènent des comportements parfois particuliers, des actes ou des pratiques simples, que les gens, d’eux-mêmes, font ou ne font pas, soit pour s’attirer de bonnes grâces, soit pour se prémunir des mauvaises. Les gens superstitieux, contrairement aux « sorciers » dont nous parlerons, n’ont aucune capacité particulière. Ils usent, parfois sans y penser, de gestes qui n’ont rien de « magique » dans leur mise en œuvre mais qui, pour eux, auraient un effet « magique » de protection. Et même

Le monde rural semble un vivier inépuisable d’hommes et de femmes « du don ». Ainsi désigne-t-on souvent les personnes qui ont ou auraient un quelconque pouvoir occulte, « magique » ou plus sombre encore. Rebouteux, herboriste, sorcière, mage, magnétiseur, écouteuse des morts, devin, guérisseuse ou désenvoûteur sont de ceux-là… Et ils sont encore nombreux dans les campagnes à la Belle Époque. Compétences et pouvoirs déployés sont nombreux, comme sont nombreuses les diverses magies à l’œuvre dans les campagnes. Et bon nombre de ces pratiques sont secrètes (étymologiquement, « occulte » signifie « ce qui est caché »).

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RÉCIT… « On t’avait dit, Justin, d’arrêter d’jouer avec le feu ! Mais non, il a fallu que tu continues… Regarde ton bras, tête de pioche ! Quoi ? Ça fait mal ? Ben oui, dame ! C’est pas faute de t’avoir prévenu, hein ! À toujours souffler et tisonner, à jeter tout et l’reste dans les flammes, ça te pendait au nez comme un sifflet de deux sous, te voilà bien brûlé ! … Et encore heureux que ton père était pas là, parce que s’il avait vu le verre de gnôle que t’as jeté dans le feu, y a pas qu’le bras qui te cuirait, à c’t’heure, vaunéant ! » Tout en faisant ses remontrances, la mère le tirait par la main pour l’emmener voir la vieille Léontine Aubertin, afin qu’elle lui « coupe le feu »… Justin ne brillait pas en arrivant en vue de la maison de la vieille dame… C’est qu’on hésitait toujours à s’en approcher, on disait au village « qu’elle avait le don, la Léontine ». Justin ne savait pas le don de quoi, mais au respect qui suintait des paroles quand on parlait d’elle, ça devait être important… Dans la sombre cuisine de sa masure, la Léontine sortait une fiole contenant une mixture blanchâtre… Elle en enduisait la brûlure, en marmonnant on ne savait quoi et en faisant des signes de croix… À la fin, sans prévenir, elle faisait un grand geste et criait : « Feu de dieu, guaris-le, feu du diab’, va-t’end’zans ! », ou un truc ainsi… On revenait à la maison, encore effrayé de la scène qu’on venait de vivre… Chemin faisant, déjà, la brûlure se faisait oublier, puis le soir les cloques se tarissaient, en deux jours c’en était fini ! La Léontine, sans qu’on sache comment (et peut-être valait-il mieux ne pas savoir !) avait « coupé le feu » au Justin, tout comme elle avait « brûlé les verrues » du Léon l’été dernier, juste en passant ses doigts dessus…

Musée Grévin, Magie noire, apparitions instantanées par le Professeur Carmelli (vers 1887) – affiche par Jules Chéret (1836-1932)

Qu’est-ce que la magie ? Magie blanche et magie noire Note : ces sujets sont abordés en détail au chapitre Pratiquer la magie blanche et le Grand Art de la main gauche, page 243, auquel nous renvoyons le lecteur. Nous n’envisageons ici que les « opérateurs » et les pratiques de la campagne.

Dans l’entre-deux, il y a ce que l’on nomme « l’autre médecine ». C’est le domaine de ceux qui soignent de façon « naturelle » et spontanée, ou grâce à une forme de savoir. C’est le domaine des rebouteux, magnétiseurs et guérisseurs, et parfois des sorciers blancs, des désenvoûteurs… Avec ces derniers, on est dans le champ du surnaturel. Il s’agit de prêtres, sorciers et sorcières adeptes de la magie blanche. Certains curés de paroisses, outre leur pratique des sacrements, savent arrêter un feu, une tempête, ou guérir certaines maladies, sans compter qu’ils pratiquent aussi des exorcismes. Ils désenvoûtent autant les lieux que les personnes. « Qui d’autre que le curé était capable de lire et interpréter un grimoire ou une amulette ? », aime à demander malicieusement Claude Lecouteux. Les guérisseurs composent une catégorie très disparate. Certains sont des guérisseurs qui s’appuient sur un savoir ou des techniques anciennes : pharmacopée ancestrale regroupant onguents, potions et recettes à base de plantes, de racines, etc. Pas de « magie » pour cette pratique, du moins au sens courant du terme : le malade comprend bien, lorsqu’il boit une infusion de romarin fournie par une « sorcière », que c’est la plante qui agit sur son foie. De même sait-il, quand le rebouteux s’appuie de tout

M agie blanche, magie noire, et plus encore… LA « MAGIE BLANCHE » est généralement la magie du Bien. C’est une magie positive, curative, protectrice, souvent désintéressée et bienveillante. C’est la magie pratiquée par le mage, la guérisseuse, et « l’écouteuse des morts », qui était à la campagne ce que les spirites étaient en ville. LA « MAGIE NOIRE » est donc logiquement la magie du Mal. C’est une magie négative, offensive, nuisible et destructrice, à tout le moins malfaisante. Elle vise à nuire à autrui, dans un but souvent personnel, pour assouvir sa soif de richesse, de pouvoir, de haine ou de vengeance. C’est « l’Art de la main gauche », la magie qui ensorcelle, qui envoûte, qui encloue, qui maudit… celle que pratiquent les sorcières et les sorciers…

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son poids sur son épaule, et qu’il entend craquer ses os en hurlant comme un goret, que s’il a mal, c’est que les os déplacés viennent de se remettre en place ! Le rebouteux a une connaissance très précise de l’anatomie : squelette, nerfs, tendons, et c’est cela qu’il utilise. Point de magie là-dedans. D’autres possèdent de réelles dispositions surnaturelles, en tout cas inexplicables. C’est le cas du magnétiseur, dont les « passes » et le « Fluide » ressortissent pour le profane au miraculeux et au « magique ». Il en va de même pour ceux qui « barrent le feu » en guérissant les brûlures d’un souffle. Ce sont souvent, à l’origine, des artisans, qui dérivent leurs « dons » soit de leur pratique professionnelle – les forgerons disposaient, dit-on, de la capacité de charmer et calmer les brûlures et les charpentiers celle de « couper les rhumatismes » – soit d’un don de famille. Et que dire des « panseurs de secrets » et de leurs formules absconses ? D’autres enfin, que nous plaçons vraiment à part, car ils sont rarement campagnards, vendent, souvent par colportage ou par correspondance, des élixirs, des potions capables de résoudre tous les problèmes de santé du quotidien, depuis la perte de cheveux en passant par les problèmes de virilité, jusqu’à la guérison de maladies réputées incurables. Cette dernière catégorie remplace le surnaturel par la chimie, la pharmacopée, ou l’escroquerie pure et simple. On aura reconnu… les charlatans !

La science, par essence, s’oppose aux pratiques « magiques » et souvent les combat. En ce sens, le médecin de campagne mène un aussi difficile combat que le curé… Au sein de la campagne même, il n’y a pas de franche opposition à la magie en tant que telle. On sait « qu’il y a des gens qui font des choses qu’on ne s’explique pas », mais ces choses-là sont parfois utiles alors, pragmatiquement, on s’en sert quand on pense qu’il en est besoin. Si opposition il y a, on la trouvera plutôt dans une éventuelle lutte pour contrer les manigances d’un réputé sorcier. On ira donc voir un « désenvoûteur » pour tenter de combattre grâce à la magie le maléfice ou le sort dont on se croit la victime. Certains, dans les mêmes circonstances, pourraient aller voir le curé… Mais d’instinct, on ira sans doute vers les procédés magiques d’abord ! LA TRANSMISSION Dans les campagnes, les connaissances occultes, pour l’essentiel, ne sont pas écrites. Que les sources des « pouvoirs » à l’œuvre soient occultes ou non, ces connaissances « ne viennent pas de nulle part » ! Elles existent, sont souvent anciennes (principes actifs des plantes, formules et grimoires remontant au Moyen Âge) et codifiées (recettes précises, formules figées, rituels complexes). Celui qui se risque à les employer les connaît, la plupart du temps de longue date. Comment les a-t-il acquises ? Pour les petits rituels de soins, c’est le plus souvent par transmission orale, de bouche de guérisseuse à oreille d’apprentie guérisseuse, voire au sein de la famille, en général de mère en fille, pour les remèdes les plus courants. Certains « dons » de guérison sont « de famille », en une sorte de transmission héréditaire… Pour les pratiques magiques (amulettes, talismans), c’est essentiellement par les grimoires et les « livres de magie » diffusés par les colporteurs, tels L’Enchiridion du pape Léon ou La Poule noire. Pour les secrets sorciers, on procède rarement au grand jour. Cela peut aussi se passer oralement de bouche de sorcier à oreille de (futur) sorcier, parfois par d’autres moyens, sur lesquels il est sans doute plus sage de ne pas se pencher davantage… Et puis, ne dit-on pas que si un sorcier qui se sait mourant cache quelque part ses sombres grimoires, ceux-ci seront forcément trouvés par une personne prédisposée, à qui ils étaient comme magiquement destinés ? Voici donc, brièvement évoquée, la « magie des campagnes » à la Belle Époque

LES OPPOSITIONS À LA MAGIE : Les moyens mis en œuvre par la magie s’opposent « évidemment » aux préceptes de la religion, qui voit dans les lois naturelles et l’ordre des choses la volonté de Dieu, qu’il n’est donc pas acceptable de vouloir bouleverser ou combattre. L’Église rejette l’idée même de « magie ». On ne compte pas les ouvrages écrits par des religieux pour en combattre toutes les formes, et à l’époque de Maléfices encore ! À la campagne, le curé a souvent bien du mal à lutter contre les pratiques anciennes (souvent héritées du paganisme) toujours en vigueur, et contre une religiosité qui, de son point de vue, dévoie ou offense la religion. La magie se heurte aussi aux raisonnements scientifiques et aux thèses rationalistes. L’évolution des connaissances scientifiques donne progressivement des explications aux phénomènes primitivement considérés comme relevant de la magie ou de l’envoûtement comme la foudre, certaines réactions chimiques, ou encore certains symptômes médicaux (éruptions, épilepsie, hystérie…).

De quelques personnages remarquables que l’on pourrait croiser au village de J… Clélie et Armand de Trélissac, un couple de riches bourgeois parisiens, parcourant en automobile les pittoresques routes qui sillonnent les provinces françaises, pourraient

se trouver très surpris de ce qu’ils découvriraient dans un village campagnard s’ils venaient, suite à un petit accident

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aux graves conséquences mécaniques, à se voir contraints d’y rester quelques jours. « Hou là ! a dit Sylvère, le forgeron, faut réparer l’essieu, le ressouder, en reforger un bout, peut-être… Ça s’fait pas en deux heures, ça ! Va falloir passer quelques jours au village ! » Et voici nos Parisiens réduits à jouer les touristes forcés, au sein du petit village de J… Une fois assuré le logement chez l’habitant – le docteur avait une grande maison, ça tombait bien ! –, la seule occupation serait de se promener à pied ou en charrette, un peu comme des explorateurs en terre inconnue… Et – sans offense, pensa Armand ! – c’est quand même un peu de ça qu’il s’agissait ! Le village de J… est ici destiné à présenter quelques personnages plausibles à la campagne. Mais on comprend bien qu’une telle concentration de gens singuliers en un seul lieu est hautement improbable, et même absolument impossible ! Simple artifice littéraire…

M arie Dougnard, paysanne superstitieuse Cette jeune femme qui a levé les bras au ciel quand elle a vu l’automobile arriver, et qui surtout s’est signée trois fois quand elle l’a vue heurter la fontaine à l’entrée du village, c’est Marie Dougnard, une fermière qui vit avec sa vieille mère et son mari Anselme, à la ferme des Brunets. La vie est rude pour eux, et le sera plus encore dans l’an qui vient, parce que la vache a mis bas la semaine dernière, mais que le veau était mort-né. Une vraie catastrophe… Peut-être la vache était-elle passée au même endroit qu’un hérisson ? Ça provoque des fausses-couches, ces saletés de bestioles ! Elle avait pourtant pris soin, après la saillie, de bien faire rentrer la vache à reculons dans l’étable, et lui avait frappé le flanc, par trois fois, avec une baguette de coudrier ! L’Anselme n’avait rien dit, c’est un taiseux, mais elle a bien vu qu’il pensait qu’elle n’avait pas bien fait les choses…

Alors que si ça se trouve, c’était une des mauvaisetés du Sylvère… On le sait, qu’il est ensorcelou ! Il s’est peutêtre seulement vengé de ce qu’elle ait refusé de lui donner la dent que la Sidonie avait arrachée à sa mère ? Une dent, je te demande ! Pour quoi donc faire, sinon ses maléfices ? Et puis l’autre, là, le Parisien qui s’en vient aujourd’hui abîmer la fontaine Saint Firmin, qui protège grands et petits des fièvres ! Si les gens ne peuvent plus venir au pèlerinage de fin septembre, ça n’augure rien de bon !

Déjà les villageois arrivaient, certains se signant : une automobile au village, crédiou, c’est qu’on n’en avait jamais vue ! Ce n’est qu’en s’approchant de la fontaine qu’il aperçut la passagère élégante qui tentait avec difficulté, semblait-il, de s’extraire du véhicule. À peine eut-elle posé le pied par terre qu’elle grimaça, vacilla et faillit tomber. « Ça sent l’entorse, se dit Ernest, et peut-être la contusion cervicale ! » Il n’était pas encore assez près pour proposer ses services, mais Sidonie, sa « concurrente », était déjà auprès des Parisiens. Il détestait cette soi-disant guérisseuse, cette faiseuse d’anges aussi, que les villageois allaient plus volontiers voir dans sa masure que lui dans son cabinet… C’est qu’ici, on faisait davantage confiance à Tonin, aux amulettes et aux « formules » qu’à ses ordonnances ! Arrivé sur place, il put juste l’entendre finir sa phrase avant qu’elle ne s’éclipse : « … c’est si vous avez b’soin, mais les plantes, ça guérit ce que vous avez ! ». Sidonie tapota sa besace pleine d’herbes des champs et des fossés, et s’en retourna vers chez elle.

Sidonie Riffaud, la guérisseuse Elle a tout vu, Sidonie… Elle était dans les champs qui bordent le village, à cueillir des simples, elle était aux premières loges ! Déjà, elle avait entendu la pétarade, aperçu le nuage de poussière, avait levé les yeux au ciel quand les deux bourgeois l’avaient dépassée à toute vitesse. Voilà que ces engins de malheur arrivaient jusqu’ici ! On n’était plus tranquilles, même en pleine campagne ! Elle se repencha vers une touffe de rue qu’elle avait repérée avant d’être distraite de sa récolte. Tout en cueillant, la guérisseuse « révisait ses simples » : la rue, ce trésor des fossés ! Séchée, on la pend dans les porcheries pour protéger truies et verrats ; si on la mâche et qu’on souffle ensuite sur des yeux malades, les « taches des yeux » disparaissent. Elle est aussi utile que dangereuse pour les femmes : utile parce qu’un brin placé dans sa chaussure calme les douleurs menstruelles, que la froisser entre ses doigts pour la respirer soulage les femmes allaitantes, et peut même tarir le lait s’il n’est pas bon pour l’enfant… Mais dangereuse, parce qu’abortive et, si on est enceinte, il ne faut surtout pas en mettre dans une soupe ou une omelette aux herbes sauvages ! Le Grand Albert présente également la rue comme un antidote contre toutes sortes de poisons, y compris le venin des vipères… Et puis – mais ça, la Sidonie n’en parlait point ! –, c’est un bon moyen de se préserver des maléfices, et avec le Sylvère dans les parages, ça ne pouvait pas nuire ! Elle fut tirée de ses pensées botaniques par un fracas d’enfer, à l’entrée du village. Un accident ? Il y avait peutêtre quelques douleurs que ses plantes pouvaient soulager ! Sidonie ferma sa besace et rentra au village, bien décidée à proposer ses services s’il y avait besoin.

Le père Adrien Murtaud, curé de campagne « Jamais je ne pensais devoir, Seigneur, organiser un jour cette mascarade ! Mais ici, que voulez-vous, les enfants de chœur ne boivent pas le vin de messe, ils volent l’eau bénite à Pâques pour «empêcher le sorcier» ou à Pentecôte, pour éloigner les orages… J’ai beau me battre contre ces superstitions, Seigneur, ici, on pense que ces rites hérités des païens valent mieux que les prières ! Alors, j’en suis bien désolé, mais Saint Firmin ira faire trempette dans la fontaine dimanche, puisque, paraît-il, c’est le seul moyen de faire cesser la sécheresse… Si je ne me prête pas à cette procession pour rassurer mes ouailles, l’un d’entre eux viendra voler la statue et je la retrouverai trempant dans la fontaine ! » Il s’interrompit, inquiété par le bruit, et comprit rapidement, aux cris des villageois, qu’il y avait eu un accident au village. Il sortit sur le parvis et grogna de dépit en voyant la fontaine à demi-démolie… Le pèlerinage de septembre était compromis, et avec lui une bonne part des revenus de son église ! Une pensée l’effleura, et il jeta un œil soupçonneux sur les villageois présents pour voir si d’aventure « il » n’était pas là… Eh si, bien sûr, le Sylvère était là, ce malfaisant ! Depuis le temps qu’il crachait dans la fontaine ou y lançait un clou en maugréant on ne savait trop quoi chaque fois qu’il passait devant, aujourd’hui il était à la fête ! La fontaine miraculeuse était à bas… Une de ces manigances de sorcier ? À peine l’eut-il formulée qu’il s’en voulut de cette pensée… Mais déjà, « les Parisiens » venaient à sa rencontre. « N’ayez crainte, monsieur le curé, nous ferons réparer la fontaine ! Elle sera relevée et pimpante pour votre pèlerinage, je m’y engage ! C’est bien le moins, après l’avoir abîmée ! » Le père Adrien regagna sa sacristie, l’esprit un peu moins chiffonné… mais à peine !

Ernest Mollitoux, médecin de campagne Quand il a entendu le coup de frein puis le bruit du choc, le docteur est sorti de chez lui en trombe. Il a tout de suite aperçu la fumée et la poussière, puis l’automobile sur le flanc, dont l’avant s’était encastré dans la fontaine Saint Firmin, celle où les pèlerins jetaient des pièces de monnaie, à la grande joie des gamins du village qui récupéraient souvent le butin avant le curé… Il fut assez vite rassuré : la poussière retombée, il vit le conducteur sortir du véhicule, se frotter les côtes et le front avec précautions, puis ôter ses lunettes de chauffeur et s’épousseter. Il s’en tirerait avec quelques hématomes et une estafilade au visage.

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Sylvère Lugnac, forgeron… et sorcier

A ntonin Poulanges, rebouteux-magnétiseur :

Sylvère était chez lui. Oh, pas au feu, tout était trop sec alentour… Mais il y avait toujours à faire, et surtout, à l’abri des regards, dans le vieil appentis. Des tâches que lui seul était à même d’accomplir, parce qu’il fallait pour cela avoir le grimoire, connaître les anciennes formules, les ingrédients rares, et les rituels… Il fallait surveiller philtres et potions, sécher des herbes, en macérer d’autres, remélanger ici, recuire là… Et aussi s’occuper du corbeau et du chat crevés qu’il avait enterrés profondément en forêt, afin d’en récupérer et nettoyer les os, maintenant que les vers étaient passés… La peau, les yeux, les griffes du chat, les plumes et le bec du corbeau, il les avait déjà ou fait sécher, ou mis dans le formol ou l’alcool… Ça servirait ! C’était fastidieux, difficile, ces pratiques en secret de l’Art de la main gauche, mais ça lui était aussi utile qu’agréable, ces pouvoirs et ce statut que ça lui conférait dans le village et ses environs. Il alla nourrir « son » crapaud avec les vers de terre ramassés au jardin… Il le bichonnait, ce gros pustuleux chopé un soir, à la fraîche. Il lui était utile pour certains sorts, comme le nouement d’aiguillette… Ça avait bien marché avec l’Anselme, apparemment, et ça apprendrait à cette garce de Marie d’avoir su « protéger » sa ferme… Le curé l’avait-il aidée, ce fieffé soutaneux ? Pas impossible… Ses réflexions furent interrompues par l’accident, il alla jeter un coup d’œil… Un couple de bourgeois près d’une voiture cabossée, la fontaine emboutie. Il allait se réjouir de voir cette foutue fontaine « miraculeuse » en morceaux, quand il aperçut Clélie. « Diable ! Pas vilaine, la Parisienne… Je retiens les bourgeois quelques jours chez nous, un petit enclouage pour lui, et pour elle… une dégustation de mon philtre d’amour ? » Il s’approcha du véhicule et après un regard expert, déclara : « Hou là ! Faut réparer l’essieu, le ressouder, en reforger un bout, peut-être… Ça se fait pas en deux heures, ça ! Va falloir passer quelques jours au village ! »

« C’est là, hein, Basile ? » demanda Antonin en enfonçant un doigt en un point bien précis du dos de l’homme torse nu, à califourchon sur une chaise, bras croisés sur le dossier… « Oh crénom, oui, que c’est là ! Ça fait un mal de chien, quand t’appuies ! » Ça l’étonnait toujours, Basile, cette connaissance si fine du squelette qu’avait le rebouteux… N’avait pourtant point été aux écoles, le Tonin, mais il savait pour chacune et chacun les défauts de sa carcasse, l’os qui avait bougé, le tendon qui était froissé… Une fois que vous étiez déloqué, il vous regardait, il vous faisait un peu pencher à droite, à gauche, en avant… Après, selon ce qu’il avait vu et senti, il faisait des « passes », comme il disait, montant et descendant ses longs doigts maigres et noueux le long de votre corps, là où y avait les douleurs, sans vous toucher… Et vous sentiez peu à peu une chaleur se diffuser dans votre épaule ou dans votre dos, comme maintenant, puis ça picotait, ça brûlait encore et quand il arrêtait, la douleur s’en était allée… Pendant que le maire se rhabillait, Antonin jeta un regard par la fenêtre. Juste à temps pour voir une de ces automobiles entrer en dérapant dans le village pour aller percuter la fontaine. Il vit surtout la passagère bringuebaler d’avant en arrière sous l’impact, puis subir un gros choc à la hanche contre le fronton de l’édicule. Déjà le médecin arrivait… « Cours, donc, carabin ! pensa Tonin. T’as beau te presser, tu la soigneras pas de ses douleurs avec trois comprimés et une piqûre ! Le bassin a bougé, l’échine également… Et la Sidonie, avec ses simples, qui rapplique aussi… Pour les bleus du mari, son arnica fera l’affaire, mais pour la dame, c’est chez moi que ça se guérira… Sinon, ce sera tant pis pour elle, ça lui durera des mois, et ça reviendra aux jours pluvieux… »

De quelques créatures fantastiques que l’on redoute… Il n’est pas question non plus de décliner un bestiaire dans ce livre de base. Nous l’avons dit, nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain supplément. Pour autant, il convient, afin de compléter notre survol du fantastique paysan, de dire un mot d’une composante importante des terreurs campagnardes : les créatures fantastiques. Les petits paysans des années 1900 sont souvent autosuffisants, mais ils mènent une vie aussi rude et incertaine qu’elle est physiquement pénible et usante. Elle est surtout « étriquée », contrainte, dans les mentalités comme dans les faits. Il n’est pas rare que des paysans n’aient jamais connu autre chose que les confins du village, ou la foire du bourg voisin… Et c’est pire pour les femmes, qui, pour certaines, n’ont pas le droit de sortir de la ferme !

Ces campagnards vivent presque perpétuellement dans la crainte : crainte du lendemain, crainte d’une perte de récolte ou de bétail, crainte de l’accident ou de la maladie… Les superstitions et les croyances, les légendes, les contes de veillée entretiennent des peurs incontrôlables. Alors on craint la nuit, les carrefours, les abords des marais ou des étangs. On redoute la forêt et les créatures nocturnes qui s’y tapissent, on en cloue aux portes des granges quand on les attrape… Mais surtout, surtout, on craint… le Diable !

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Loups, Meneux et loups-garous

Alors s’il s’avère que les précautions prises pour qu’ils oublient les vivants n’ont pas été suffisantes, il faudra initier un acte magique pour se défaire de ces revenants (cf. Désenvoûter un logis, page 252).

Bien que pratiquement exterminé à l’époque, le loup est un animal qui inspire encore la terreur. On le craint pour les troupeaux, pour les enfants, et pour soi. Pas une veillée sans que se raconte une « histoire de loups ». Et même si toutes ne sont pas forcément tragiques, le loup reste bien présent dans les esprits. Outre l’animal lui-même, on craint aussi le « Meneur de loups », cet homme qui commande aux loups et vit parmi eux. Si on venait à lui refuser « du manger pour ses bêtes » quand il frappe à la porte des fermes, il pourrait, pour se venger, lancer sa meute et ravager les troupeaux du village. On dit également que les « Meneux sont loups-garous, dame, à vivre ainsi avec leur meute, c’est toudi possible ! »

À tout seigneur, tout honneur : le Diable et son train… C’est incontestablement la créature que l’on redoute le plus, et qui obsède littéralement le fantastique campagnard. Non que le Diable n’ait pas sa place en ville – loin de nous cette pensée, sa présence est si riche de scénarios potentiels ! –, mais il y est plus métaphorique que réellement présent sous sa forme de « grand cornu ». On notera d’ailleurs qu’on parle très rarement des démons « inférieurs », mais quasiment toujours du Diable lui-même ! À la campagne, donc, le diable est partout : il suffit pour s’en convaincre de se plonger dans la toponymie, ou dans Les Évangiles du Diable de Claude Seignolle (cf. Bibliographie, page 348), qui recense toutes les occurrences du Diable dans l’imaginaire collectif… et aboutit à un pavé de 900 pages ! Le Diable est partout, et sous des apparences multiples : on le voit personnifié – tailleur bossu, gros bourgeois, beau jeune homme élégant, prêtre ou violoneux… – bref, comme vous et moi ; mais aussi sous forme animale, souvent noire, mais pas exclusivement – en bouc noir, la chose est bien connue ; dans les forêts, en loup ou en lièvre, parfois ; à la ferme, en poule, taureau, mouton, chèvre, jument, cheval, baudet, jamais en âne ; en chien bâtard ou de diverses races ; et en chat noir, bien sûr ! On le rencontre dans les lieux les plus variés : au fond des puits – n’y regardez surtout pas ! –, dans les chapelles désacralisées, dans les cimetières, dans les cavernes, grottes et souterrains, près des mares, des étangs, et aux abords des fontaines. Et avec une prédominance pour les champs à trois angles et les carrefours à trois chemins – ce serait là l’origine des croix érigées en ces lieux ! Mais à y bien regarder, le Diable est partout chez lui, ce dont témoigne la toponymie : nombreux sont en France les trous, forges, pas, ponts, mares ou gouffres… du Diable ou de l’Enfer. Il faut donc sans cesse se méfier de lui, puisqu’il peut être n’importe où et se mêler à nos vies sans que l’on s’en rende compte. Ses noires manigances, ses redoutables tentations sont alors d’autant moins suspectes qu’elles viendraient de l’un d’entre nous… et parfois même de nos animaux familiers ! Ceci posé, il est des gens qui ne craignent pas de le voir « tel qu’il est », qui l’invoquent pour le servir, et obtenir de lui pouvoirs et services… au prix que l’on sait ! Ne vous y risquez pas… Votre âme l’intéresse !

« Peûtes bêtes » et autres monstres des forêts ou des étangs… À chaque région (voire département) de France sa créature fantastique plus ou moins monstrueuse. Certaines se rapprochent du dragon, d’autres sont des croquemitaines, certaines des créatures mi-homme (ou femme), mi-animal… La plupart sont agressives. Les citer toutes serait aussi vain que fastidieux, des ouvrages très complets en parlent longuement (cf. Bibliographie, page 348). Imaginez simplement l’effet que de telles histoires peuvent produire sur l’imagination d’un enfant qui vit déjà dans un monde qui lui paraît dur et dangereux, et que l’on menace parfois de l’irruption imminente d’une telle créature ! Les créatures légendaires ne seront pas évoquées ici, nous les gardons pour Enfer et lieux maudits. Certaines entités aquatiques sont présentées ailleurs (cf. Sirènes, ondines et nixes : les filles de l’eau, page 254).

La mort, juste avant, et après… La mort est évidemment un sujet de crainte, elle qui rôde et emporte à son gré tel ou telle, jeune ou vieux, malade ou bien portant, comme on fauche au hasard. Qui n’a jamais entendu parler de l’Ankou, le serviteur de la mort en Bretagne ? Celui qui entend grincer sa charrette – karrigel an Ankoù – est celui qui ne va pas tarder à « passer », à moins que ce soit un de ses proches… Tout un chacun craint la mort, bien sûr, mais craint aussi les morts. Chacun sait qu’il n’est rien de plus bruissant, certaines nuits, que les cimetières, quand les morts parlent entre eux. Et puis, ils peuvent parfois n’être pas en repos, pour des raisons qui leur sont propres ou parce qu’ils sont rancuneux… Alors ils dévorent leur linceul, et ils reviennent demander des comptes à ceux qui restent, ils les dérangent et les affolent, jusqu’à obtenir ce qu’ils veulent. De là viennent toutes les histoires de fantômes, de revenants ou de dames blanches qui peuplent les contes, les veillées, et les esprits des vivants.

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UN MOT DES GRIMOIRES Voici peut-être le moment de tordre le cou à une idée fausse. On se réfèrera pour cela à un homme qui leur a consacré un plein ouvrage : « Le mot «grimoire» est la déformation de «grammaria», «grammaire», et désigne à l’origine un ouvrage écrit en latin, mais il a vite pris le sens de «livre de magie». Il se présente comme un mélange de recettes diverses, aussi bien pour guérir certains maux que pour conjurer ou invoquer les

démons, obtenir tel avantage, fabriquer des talismans et des amulettes, lever ou jeter des sorts, etc. Les traités de magie ont existé bien avant l’apparition du vocable «grimoire», terme générique qui désigne des ouvrages très différents, mais ayant en commun d’appartenir à un type d’écrits anathémisés par l’Église ». – Claude Lecouteux, Le livre des Grimoires, cf. Bibliographie, p. XXX.

Le fantastique et les arts visuels Si la littérature est l’une des sources importantes du fantastique, les arts visuels ne sont pas en reste. Qu’il s’agisse d’illustrer des textes, récits ou contes, ou qu’il s’agisse de créations indépendantes, la peinture principalement a fourni un support de choix pour les artistes désireux d’explorer les chemins tortueux du fantastique. Dans son ouvrage incontournable, L’art fantastique, Werner Hoffmann fait remonter les premières traces de l’art fantastique occidental au Moyen Âge, d’abord dans les marges des livres enluminés, avant de prendre un envol remarquable avec Jérôme Bosch et Bruegel dont les tableaux ont frappé des générations de peintres et de spectateurs par le caractère effrayant et fantastique de leurs images, ponctuées de créatures étranges, de situations absurdes et de scènes de violence. Tenter de dresser un panorama du fantastique dans les arts visuels relève de la gageure, tant la liste des artistes et des œuvres est longue. On peut toutefois, sans trop se tromper, mentionner quelques noms et quelques tableaux qui illustrent bien ce fantastique que Maléfices permet aux joueurs d’explorer. Ces peintures et ces artistes sont autant de sources d’inspiration pour le meneur que de points de repères visuels pour les joueurs, les aidant à ressentir le frisson d’une ambiance, l’effroi provoqué par une rencontre ou la beauté d’une apparition. À quelques remarquables exceptions près, la Belle Époque en France ne constitue pas l’apogée de l’art fantastique. Ce sont des œuvres du siècle précédent qui ont le plus durablement marqué l’art fantastique européen, et qui ont installé dans les esprits les premières empreintes visuelles de l’étrange et du mystérieux. On pense tout d’abord au Cauchemar (1781) de Johann Heinrich Füssli qui, dans ses diverses versions, nous plonge froidement au cœur de l’effroi en faisant littéralement peser sur notre poitrine le poids de l’angoisse. Ou encore son Ondine apparaît aux deux pêcheurs (1821) qui, avec une grande simplicité et une redoutable efficacité, illustre la nature du fantastique comme irruption brusque de l’inattendu. Les illustrations de William Blake, de thèmes religieux et sataniques, installent une atmosphère d’étrangeté et de poésie troublantes. Francisco Goya

avec notamment Le vol des sorcières (1797-98) stupéfie par le choix des scènes et l’utilisation de la lumière et des contrastes comme autant de portes d’entrée du doute ou de la peur. L’art fantastique français de la Belle Époque est largement dominé par le trio Gustave Moreau, Odilon Redon et Félicien Rops (même si ce dernier est Belge) dont les œuvres ont frappé leurs contemporains. Puisant principalement son inspiration dans l’Antiquité, Moreau est le peintre de la décadence, qui sera révéré par Jean Des Esseintes, le héros du roman À rebours de JorisKarl Huysmans. Il infuse dans ses toiles, représentant souvent des personnages féminins (Salomé, Galathée), un sentiment d’étrangeté et de mystique. Libéré des références classiques et antiques, Odilon Redon nous plonge dans un fantastique résolument imaginaire et plus perturbant, car le plus souvent frontal. Il nous montre des têtes flottant dans les airs (Hommage à Goya, 1885) ou une Araignée souriante (1881) et nous invite à explorer les recoins sombres et reculés de notre psyché. Des trois, Félicien Rops est assurément le plus sulfureux. Son registre est sombre, apocalyptique, satanique. Son Satan semant l’ivraie (1882) ne laisse guère d’espoir au spectateur. C’est sans doute aussi le plus scandaleux avec ses représentations de corps féminins à la fois tentateurs et terrifiants. On ne saurait clore cette brève section sans évoquer la photographie et son rapport au fantastique et à l’occulte. D’abord utilisée comme outil d’observation et d’enregistrement des phénomènes occultes (apparitions spirites, etc.), la photographie est devenue aussi une forme d’art permettant de faire voir ce que l’œil ne voit pas, mais que le film ou la plaque permet de révéler. Cette évocation très succincte du fantastique visuel n’a pour autre but que d’inciter joueurs et surtout meneurs à aller s’abreuver à l’eau sombre des œuvres peintes ou reproduites. Sources d’inspiration ou d’illustration d’une ambiance ou d’une thématique, l’usage de l’image dans le jeu de rôle et dans Maléfices en particulier est un must.

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$ Le fantastique ludique de Maléfices ! (Meneurs) Des diverses façons d’appréhender le fantastique pour un personnage de Maléfices (et des multiples scénarios qui peuvent en découler) Nos joueurs se demandent souvent pourquoi il faut toujours qu’ils aillent se fourrer dans des histoires dangereuses d’énigmes retorses, de démons ou de savants fous… Nous pouvons les aider à y répondre de manière ludique : ils possèdent tous, à des degrés variés et dans des acceptions fort diverses, un réel attrait pour le surnaturel, ou à tout le moins un goût prononcé pour « l’étrange », terme aussi vague que pratique. On peut donc rattacher tout personnage de Maléfices à une grande figure de la littérature populaire, que ce soit un écrivain ou un personnage devenu iconique. Cela lui donne une certaine façon d’appréhender les événements qui se présentent à lui, permet de trouver un angle par lequel il va s’intéresser à ces faits étranges, et pourra également aider les joueurs débutants à peaufiner leur interprétation. Et si l’on se place du côté des meneurs et des auteurs de scénarios, cela donne une certaine façon de concevoir, d’aborder et de présenter les événements qui composent leurs aventures, de doser le surnaturel considéré comme acceptable dans leurs histoires, et surtout d’octroyer à chacune de celles-ci une touche, une « couleur », une ambiance bien particulière, variant ainsi les plaisirs ludiques offerts aux joueurs. • LE FANTASTIQUE « À LA MAUPASSANT » est à la fois classique dans ses thèmes, mais très varié dans son approche, un peu « universel » et très lié à la peur qui peut mener à la folie.

• LE FANTASTIQUE « À LA ROCAMBOLE » : feuilletonesque en diable, source d’aventures échevelées, il s’accommode sans sourciller de péripéties, voire de coups de théâtre ou retournements de situation parfois à la limite du vraisemblable, comme le résume si bien l’adjectif « rocambolesque » ! Il peut aussi reposer sur une idée « fantastique », flirtant même à l’occasion avec ce qui s’appellera plus tard la science-fiction : inventions ou expériences « scientifiques » contestables d’un savant – fou, de préférence ! –, bonheur obligatoire, domptage des volcans, voyages improbables dans l’Espace ou le Temps… Références : Harry Dickson de Jean Ray (bien que les aventures se déroulent vers 1920, l’ambiance est bien maléficieuse) ; Le mystérieux docteur Cornélius de Gustave Le Rouge ; Le docteur Lerne de Maurice Renard… • LE FANTASTIQUE « À LA ROULETABILLE » : il s’abreuve aux tout premiers romans policiers et aux aventures criminelles où un détective génial dénoue les plus sombres manigances de criminels toujours plus inventifs. On est à la limite du fantastique ici, car les règles du roman policier veulent que tout ce qui a pu paraître fantastique trouve à la fin du récit une explication logique et rationnelle. Mais dans Maléfices, le doute peut subsister… Références : Le petit vieux des Batignolles, L’affaire Lerouge d’Émile Gaboriau ; Le mystère de la chambre jaune, Le parfum de la dame en noir de Gaston Leroux ; 813 de Maurice Leblanc.

Références : La main d’écorché, Apparition, Magnétisme, Sur l’eau, La chevelure… • LE FANTASTIQUE « VERNIEN » est lié à des inventions, des machines, et/ou à des expéditions scientifiques, exploratoires ; on peut y ajouter sans déchoir les « défis aventureux » type Le tour du monde en 80 jours… Références : les Voyages extraordinaires de Jules Verne (Vingt-mille lieues sous les mers, Voyage au centre de la Terre, La maison à vapeur…), et les Voyages excentriques de Paul d’Ivoi (Les cinq sous de Lavarède…).

• LE FANTASTIQUE CITADIN « À LA SEI­ GNOL­LE » (dans ses Histoires parisiennes) : il est souvent lié à un objet acheté, découvert, hérité… Parfois à un quartier, un lieu précis ou une maison bien particulière… Il y plane souvent une malédiction ancienne, une hantise à travers les siècles. Références : Le bahut noir, Delphine, Le Chupador…

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• LE FANTASTIQUE RURAL « À LA SEIGNOLLE » (dans ses Histoires paysannes cette fois) : profondément enraciné dans les régions de France et ses villages, il est souvent lié à des croyances anciennes ou « sorcières », à telle légende locale, à tel personnage très particulier… La sorcellerie ici n’est jamais bien loin ! Références : La Malvenue, Le Matagot, Marie la Louve, Le diable en sabots, La morsure de Satan…

• LE FANTASTIQUE STYLE « GRANDGUI­GNOL » : dans ce théâtre, qui n’est vraiment pas destiné aux enfants, malgré son nom possiblement trompeur, on jouait des pièces parfois très violentes (vitriolages, décapitations sur scène…) et souvent, voire toujours, transgressives (scènes de tortures, histoires situées dans des asiles de fous, héroïnes malmenées, morts violentes…). Un attrait pour le sanglant, les effets spéciaux hyperréalistes, et un certain mauvais goût assumé…

• LE FANTASTIQUE MYSTIQUE « À LA BARBEY D’AUREVILLY » : centré autour du catholicisme, c’est davantage de « merveilleux chrétien » qu’il faudrait parler, celui des croyants fervents, mais qui craignent pour leurs âmes. Celui qui croit aux anges gardiens, aux démons à l’affût, aux femmes tentatrices, aux curés exaltés et satanistes… Il penche du côté des exaltés, ce sont un peu des hommes et femmes du Moyen Âge égarés dans l’ère industrielle et rationnelle.

Références : Contes du Grand-Guignol d’André de Lorde ; La maison de l’horreur, L’horrible M. Smith de Frédéric Dard. • LE FANTASTIQUE « DU PETIT JOURNAL », celui des journaux à sensation des milieux populaires, « sans chichis » (ambiance Chez Paul). Plus prosaïque dans son approche, il s’inspire des nombreux faits divers dont l’époque raffole. Certains d’entre eux sont parfois particulièrement troublants, sanglants, et même malsains : infanticides, victimes retrouvées découpées en morceaux dans une malle, profanation de sépultures et autres « joyeusetés »…

Références : les nouvelles de Barbey d’Aurevilly. • LE FANTASTIQUE SPIRITE « À LA KARDEC » : (Allan Kardec, Sar Péladan…) tourneur de table mondain (esprits frappeurs, dessin médiumnique, contact avec les défunts, etc.). Un occultisme assez léger, plutôt intellectualisé, qui se veut pragmatique, et quasiment « scientifique » dans son approche. Il peut même tendre à se rapprocher d’une religion. Naturellement, ces nobles intentions peuvent parfois être dévoyées !

Références : La malle sanglante de Maurice Level ; Les contes du whisky de Jean Ray (pour l’ambiance, même si elle est très anglo-saxonne) et de nombreux exemplaires du Petit journal ou de L’œil de la police, par exemple. • LE FANTASTIQUE RÉFUTÉ : il représente l’approche du fantastique par les « scientistes », les personnages rationnels à tout crin, ou les religieux refusant de considérer ou d’accepter cet aspect « surnaturel » – satanique ? – des choses. S’ils s’y intéressent, c’est dans l’unique but de « démonter un à un tous ces racontars de grand-mère ». Quelques parties de Maléfices devraient ébranler ces fortes convictions, mais pour autant, n’oublions pas cette option !

Références : tous les écrits théoriques, les revues, les témoignages publiés à l’époque ; les spectacles spirites présentés par de nombreux magiciens qui surfent sur cette vague « occulte ». • LE FANTASTIQUE « OCCULTE », « À LA PAPUS » : c’est davantage celui des milieux sociaux aisés ou cultivés : c’est le fantastique des tarots divinatoires, des sociétés « ésotériques » (Papus, Eliphas Lévi, Golden Dawn, etc.), ou secrètes (franc-maçonnerie…) ; on veut comprendre et utiliser les mystères anciens, chercher une explication aux lois occultes du Monde… Le meilleur peut côtoyer le pire. Une approche très intellectuelle.

Références : ici encore, ce sont davantage des écrits théoriques, des articles, etc. que des œuvres de fiction. • LE FANTASTIQUE DÉCADENT, « FIN-DESIÈCLE » : c’est celui de ces écrivains et artistes (Huysmans, Bloy, Villiers de L’Isle-Adam, Jean Lorrain…) qui considèrent la période dans laquelle ils vivent comme la fin d’un monde. L’attitude « décadente » se complaît dans le pessimisme morbide, la langueur affectée, une certaine désespérance, sentiments contre lesquels on lutte par un humour noir, volontiers provocateur… et des abus en tous genres, notamment celui de diverses drogues. Leur perception du fantastique découle d’ailleurs, pour certains, de leur consommation importante de substances hallucinogènes…

Références : ici aussi, ce sont davantage des écrits théoriques, des articles, etc. que des œuvres de fiction. • LE FANTASTIQUE « À LA FANTÔMAS » qui lorgne vers l’épouvante : les histoires racontées vont un cran plus loin que le fantastique classique, cherchant à amener le lecteur un peu plus profondément dans l’horreur. Une veine qui peut certes s’éloigner du « canon » du genre, mais qui n’est pas à négliger de temps en temps… Références : les Fantomas de Souvestre & Allain, évidemment ; Les mains d’Orlac de Maurice Renard ; L’affaire Charles-Dexter Ward de H. P. Lovecraft ; L’île du docteur Moreau de H. G. Wells… Certains romans de Graham Masterton, même s’ils sont actuels, entrent dans cette veine.

Références : Là-bas, À rebours, de Huysmans, Contes cruels de Villiers de L’Isle-Adam, les romans « malsains » de Catulle Mendès ou Jean Lorrain…

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L’Œil de la Police, n°153 (1911)

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$ Introduction au système de jeu Les règles de Maléfices Maléfices, comme tout jeu de rôle, possède un système de règles. Ce système est au service de vos aventures : les règles simples et discrètes de Maléfices en font un jeu dont l’intérêt ne repose pas sur la technique, mais sur l’ambiance et la vie créées au cours des parties. Si, lors de votre prochaine partie, vous décidez d’endosser la charge de meneur de jeu (ou « MJ » dans le jargon du jeu de rôle), vous devrez bien maîtriser l’ensemble des règles, car c’est à vous qu’incombera la responsabilité de juger les situations et de résoudre les actions. Si vous allez interpréter un personnage joueur (ou « PJ »), vous n’aurez besoin de connaître, en tant que joueur, que la partie des règles qui concerne la création de votre personnage – et encore : la plupart du temps, cette création se fait en présence du meneur, qui vous guidera bien volontiers. Lorsque, dans une situation particulière de l’aventure, le simple bon sens ou la logique ne peuvent suffire à déterminer le résultat d’une action de personnage, ou lorsque ce résultat dépend du hasard ou du destin, le meneur de jeu pourra recourir à des jets de dé pour orienter sa décision. Pour matérialiser l’intervention du hasard, on se sert de dés spéciaux à vingt faces (abrégé « d20 »). Dans une situation donnée, un personnage qui veut entreprendre une action délicate aura ses chances de réussite exprimées par un seuil. Par exemple, le meneur de jeu indiquera que Marcel Lecouturier doit faire 8 ou moins sur le d20 pour attraper au vol ce chapeau emporté par le vent. C’est ainsi qu’il est possible, dans des situations délicates, de savoir si un personnage est parvenu ou non aux résultats qu’il souhaite.

vie et incarner les personnages que les joueurs vont rencontrer au cours de leurs aventures : les personnages non-joueurs, ou « PNJ ». Le meneur de jeu doit être tour à tour metteur en scène, accessoiriste, éclairagiste, comédien et conteur. Ne soyez pas rebuté par l’ampleur de cette entreprise. Avec un peu de pratique, on y parvient parfaitement et le plaisir que l’on y prend vous récompensera entièrement de vos efforts. Le meneur de jeu est le seul à connaître la trame de l’aventure, appelée scénario. Pour vous faciliter la tâche, deux scénarios prêts à jouer se trouvent dans ce livre avec toutes les indications vous permettant d’animer ces aventures sans difficulté. Vous pouvez bien sûr préparer vos propres aventures. Cela vous demandera un travail préalable, variable selon l’importance du scénario.

Le déroulement d’une partie Le jeu de rôle étant très proche de l’expression théâtrale, un bon joueur tentera de se mettre au maximum dans la peau de son personnage et de « coller » le plus possible à l’univers du jeu. Cela signifie entre autres qu’il essaiera autant que possible de raisonner comme son personnage le ferait, et non en fonction de ce que lui, joueur, sait ou connaît. Dès le début de la partie, un dialogue pratiquement constant va s’instaurer entre le meneur de jeu et les joueurs, demandes et réponses vont se succéder. Les joueurs doivent être cohérents dans l’interprétation de leurs personnages, le meneur de jeu doit l’être aussi face aux questions et actions des joueurs. Son rôle au cours de la partie est de guider les personnages et de juger impartialement toutes les situations qui se présentent, en faisant appel aux règles, à sa logique et son bon sens. Vivre des aventures, c’est faire face au mystère et au danger. Rares seront les situations dans lesquelles un personnage pourra se débrouiller seul : il aura la plupart du temps besoin des autres. Le plus souvent, les objectifs des personnages sont communs, il va de leur intérêt d’agir de concert, les jeux de rôle étant avant tout des jeux de communication et de coopération. Dans la pratique, cela se traduira par un dialogue constant entre les joueurs, chacun parlant au nom de son personnage. Si le meneur anime l’aventure, en aucun cas il n’est l’adversaire des personnages ; ce n’est ni un dieu, ni un despote, mais un arbitre. Toutefois, il est utile de signaler qu’en cas de litige entre les joueurs et le meneur de jeu, la décision finale appartient toujours au meneur. Ce soir, vous êtes la comtesse Dumoutier ou Anna la lingère, le colonel d’Alambert ou Pierrot les-Belles-Mirettes et, en compagnie de quelques amis, vous allez pénétrer dans l’univers de Maléfices. Vous y éprouverez joies et peines, bien sûr. Vous y tremblerez parfois d’épouvante, mais nous vous souhaitons de vous y amuser… toujours.

Les personnages Chaque joueur va créer un personnage. Pour ce faire, en se servant des règles du jeu (cf. chapitre Création de personnage, page suivante), il va lui inventer un passé, une occupation, une personnalité, lui attribuer des qualités et des défauts et le doter de caractéristiques physiques, intellectuelles et morales. Ainsi, petit à petit, ce personnage va prendre vie, devenir un individu à part entière ayant une existence réelle dans le cadre du jeu. Il va pouvoir alors commencer à vivre des aventures, tirer profit de ses expériences, lier des relations avec les autres personnages qu’il rencontrera au cours de ses pérégrinations, se créer de solides amitiés ou aussi, tout est possible, éprouver quelques rancunes tenaces envers tel ou tel individu.

Le meneur de jeu C’est l’animateur. C’est lui qui va se charger de rendre vivant ce qui entoure les personnages. Ces personnages vont évoluer dans un univers imaginaire précis décrit dans les chapitres précédents. Le meneur de jeu doit savoir non seulement planter le décor et créer une ambiance, mais il doit également donner

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$ La création de personnages On est comme on est On est beau, on est laid On est gras ou maigrelet C’est à ça qu’on nous reconnaît

et présidents d’une Amicale vinicole ? Cela, ce n’est pas entièrement dû au hasard, et il faut bien reconnaître que nous y sommes tout de même pour quelque chose. Notez qu’il est très fortement conseillé de créer son personnage en présence d’un meneur de jeu. Cette création peut très bien se faire juste avant de commencer une aventure – c’est d’ailleurs ce qui se passe la plupart du temps, le plaisir de la partie de jeu démarrant avec la création par chaque joueur de son alter ego maléficieux. Certains scénarios sont fournis avec un choix de personnages prêts à l’emploi (des « prétirés » dans le jargon rôliste). Dans ces cas-là, la partie de jeu débutera avec la sélection par chaque joueur du personnage qu’il désire interpréter pendant cette aventure. La création de personnage est présentée ci-dessous, dans l’ordre, étape par étape. Munissez-vous d’une feuille de personnage (téléchargeable sur www.arkhane-asylum. fr) afin d’y noter vos décisions ainsi que le résultat des tirages effectués. Si le meneur de jeu est présent, celui-ci doit se munir de la fiche du meneur de jeu (également téléchargeable sur www.arkhane-asylum.fr) et du Grand Jeu de la Connaissance.

– Chanson populaire Créer un personnage consiste à établir son histoire, ses occupations, ses opinions, son profil psychologique, ainsi que diverses caractéristiques qui le définiront dans le cadre des règles du jeu. Les chapitres suivants sont consacrés à déterminer qui vous allez jouer. L’application et l’utilisation des caractéristiques au cours du jeu sont expliquées dans la partie des règles dédiée à la pratique de Maléfices. Deux facteurs vont intervenir dans la création d’un personnage : vos envies et le hasard. Comme dans la vie réelle en quelque sorte. En effet, n’est-ce pas le hasard qui fait que nous nous retrouvons un jour sur cette terre, femmes ou hommes, français ou lapons, bruns ou blonds ? Cela, nous ne le décidons pas, c’est le fait du hasard ; cependant, qu’est-ce qui fait que, quelques années plus tard, nous nous retrouvons soit bronzés, élancés, possédant une silhouette harmonieuse et exerçant la noble profession de moniteur de ski, soit ventripotents, le nez rouge

État civil Prenez tout d’abord le temps de réfléchir à cette simple question : qui auriez-vous envie d’incarner ? La création de votre personnage débute par le choix de son âge, son nom, son lieu de naissance, sa nationalité, son lieu de résidence, son milieu social ainsi que sa profession. Comment décider ? Sachant que le plaisir de jeu est plus grand lorsque le personnage à interpréter plaît à son joueur, nous vous laissons le choix ! Comme il n’est pas évident d’entrer dans la peau d’un personnage, de la Belle Époque qui plus est, ce livre de base est rempli d’informations et de conseils afin que vous puissiez décider en connaissance de cause. Vous trouverez notamment une série d’Archétypes de professions (cf. pages 154 à 216) décrivant les métiers de l’époque.

EXEMPLE Pour illustrer toute la partie des règles consacrée à la création du personnage, nous allons suivre chapitre après chapitre l’élaboration de deux personnages types. Déterminons leur âge : pour le premier, le joueur choisit de jouer une jeune femme avec un peu d’expérience, affichant 28 ans. Quant au second personnage, son joueur décide qu’il sera dans la force de l’âge, 40 ans. Si la première aventure à laquelle participent nos personnages se situe en 1900, le 10 octobre par exemple, par une simple soustraction nous obtenons leur année de naissance soit, respectivement 1872 et 1860. Le choix de la date étant libre, décidons qu’ils auront vu le jour le 21 mars 1872 et le 18 juillet 1860.

Âge de votre personnage Au moment où vous procédez à son élaboration, un personnage de Maléfices peut avoir de 18 à 65 ans. Ensuite, malheureusement, il continuera de vieillir. Pour obtenir son âge, c’est très simple : comme vous êtes libre de choisir, décidez ! Pour connaître la date de votre naissance, il vous suffit de soustraire votre âge de l’année où commence l’aventure.

Sexe de votre personnage Vous allez aussi choisir librement le sexe de votre personnage. Néanmoins, il faut se rendre à l’évidence : la Belle Époque est une période machiste. Il ne fait en revanche pas bon y être une femme qui a décidé de suivre sa propre voie. La société bourgeoise de l’époque, celle dont un PJ a d’assez fortes chances d’être issu, valorise une image assez traditionaliste de la femme. Même si celle-ci est éduquée

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(les lois scolaires de Jules Ferry concernent aussi les petites filles), la femme 1900 a pour principal horizon le foyer où elle doit veiller au bonheur de son époux et de ses enfants. Ce n’est évidemment pas le profil rêvé par toutes les femmes. Fort heureusement, il existe de multiples manières de vous permettre, femmes ou hommes, d’incarner le personnage féminin de vos rêves. • Une solution, la plus facile, est de faire abstraction de cette partie du contexte historique : dans votre aventure, la Belle Époque n’est tout simplement PAS machiste. Toutes les carrières professionnelles sont ouvertes à toutes, les hommes ne traitent pas les femmes comme des enfants fragiles, ils ne les assomment pas de remarques lénifiantes qui se voulaient galantes et ne se retournent pas sur elles quand elles entrent dans certains lieux publics, etc. Bien sûr, ce n’est pas la réalité historique, mais après tout, vous pensiez réellement que les pactes démoniaques et les esprits frappeurs existaient en 1900 ? • Pour ceux qui tiennent à avoir une cohérence historique, une autre solution est d’interpréter une femme d’exception, à l’image de Marie Curie, Maria Montessori, Louise Michel, Élise Deroche ou Hubertine Auclert, pour n’en citer que quelquesunes. Sans jugement de valeur au regard des souffrances quotidiennes endurées par des milliers de femmes du peuple (ouvrières textiles exploitées, femmes de chambre bafouées, paysannes aux mains calleuses, etc.), nous appellerons ici par convention « femmes d’exception », des femmes qui ont su, par leur seule volonté, s’affranchir des limites dont les hommes entendaient borner leur vie. Plus précisément, dans le cadre du jeu, une femme d’exception choisit d’exercer n’importe quelle profession, ne dépend pas de l’autorité d’un homme et se fait accepter par les institutions. • Il y a aussi la solution qui consiste à interpréter des personnages féminins dans le cadre des prétirés spécialement créés pour une aventure. Dans ce cas, c’est le contexte, prétexte au scénario, qui pousse les personnages féminins hors de leur rôle traditionnel : femme en fuite, femme bafouée, femme vengeresse… De nombreuses situations peuvent être imaginées dans lesquelles celles-ci seront momentanément acceptés hors de leur foyer,

en présence d’autres personnes leur apportant de l’aide (policiers, avocats, etc.).

N om, nationalité, lieu de naissance, résidence, profession Vous allez choisir librement le nom, la nationalité, le lieu de naissance et le lieu de résidence actuel de votre personnage. Ceci fait, vous allez, comme tous les parents du monde, vous pencher sur lui pour poser cette angoissante question : que va-t-il faire de sa vie ? C’est aussi votre devoir de définir la profession de votre personnage. Pour vous guider, nous avons réuni dans ce livre quinze Archétypes de profession (cf. pages 154 à 216) composant un large éventail de la vie sociale sous la IIIe République : • artistes (Beaux-Arts et arts appliqués) ; • aventuriers et autres « professions à risques » ; • comédiens, artistes de cabaret, et en coulisses ; • commerçants et artisans ; • ecclésiastiques et religieuses ; • écrivains et autres professions du livre ; • enseignants et étudiants ; • hommes et femmes d’affaires, rentiers ; • ingénieurs et scientifiques ; • journalistes et autres métiers de la presse ; • juristes et politiciens ; • médecins et autres professions de santé ; • médiums, spirites ett « métiers de l’Étrange » ; • militaires ; • les prolétaires : paysans, ouvriers et domestiques. Reportez-vous à l’Archétype qui correspond au métier que vous avez choisi pour votre personnage. Vous allez ainsi accéder à moult informations vous permettant d’affiner celui-ci, de lui donner corps et donc de mieux l’interpréter. D’ailleurs, nous vous encourageons vivement à garder sous la main ces Archétypes à disposition sous forme de fiches. Cela permet à chaque joueur, pendant qu’il crée son personnage, de consulter aisément les informations relatives à son choix de profession. Cette liste n’est pas exhaustive, il vous est possible d’envisager d’autres options. Nous reviendrons par la suite sur la façon de gérer des professions qui ne sont pas représentées parmi les Archétypes.

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CONSERVEZ UNE COHÉRENCE !

EXEMPLES

Il semble ici que tout est possible, que tous les choix sont acceptables. Il faut néanmoins garder à l’esprit que vous allez interpréter un personnage, un tout et pas une collection d’options hétéroclites. Il est donc capital de conserver une cohérence entre les différents éléments. Cela commence bien sûr par avoir une certaine logique entre l’état civil, la profession et ce que vous allez par la suite décrire du passé du personnage. Pensez que votre personnage appartient à une nation, vit à une époque spécifique, évolue dans un contexte socioculturel précis, donc essayez de l’intégrer le plus possible à sa civilisation. Ce qui ne veut pas dire qu’il doit être forcément conventionnel, loin de là, mais vouloir par exemple jouer le rôle d’un derviche tourneur dans la France de 1900 nous paraît difficilement crédible. Gardez le lien entre ces différentes composantes. Il serait impossible, par exemple, d’être à vingt-et-un ans un ténor du barreau ou pour une femme de faire une carrière militaire si vous tenez à la cohérence historique. Aussi, sachez que beaucoup de métiers « vissaient » littéralement les gens la plus grande partie de la journée à leur lieu de travail, ce qui est bien trop souvent incompatible avec l’aventure qui, elle, requiert du temps et la possibilité de se déplacer.

Notre premier personnage (28 ans) est une femme du nom de Claire Dubreuil, née le 21 mars 1872 à Angers. D’une famille de paysans peu aisée, elle réussit grâce à son sérieux et son acharnement à sortir de sa condition pour devenir institutrice. Elle loge à Angers où se situe son école. Notre second personnage est de sexe masculin. Il se nomme Paul Joncourt, né le 18 juillet 1860 à Nancy. Il vient avec ses parents, riches commerçants, s’installer à Paris après la défaite de 1870. Est-ce les causes de la déroute et l’espoir de pouvoir revenir dans sa contrée natale qui sont à l’origine de son attirance pour l’armée ? Difficile à dire… Toujours est-il qu’après de brillantes études, il devient médecin militaire. Actuellement au grade de lieutenant-colonel, il réside dans la capitale et exerce sa profession à l’hôpital des Invalides.

Boulevard Montmartre, devant le Théâtre des Variétés, l’après-midi (Jean Béraud)

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Éléments biographiques Ses loisirs

Grâce aux étapes précédentes, vous voilà avec un personnage dont vous connaissez l’état civil. Vous avez jusque-là rempli le haut du recto de la feuille de personnage. C’est un bon début, mais qui est-il vraiment ? Quel est son parcours de vie ? Quels sont ses centres d’intérêt ? Quelles opinions défend-il ? Autant d’éléments très utiles pour incarner votre personnage, et vous savez combien nous tenons à l’importance de l’interprétation ! Mais il ne s’agit pas seulement de cela, car ces éléments pourront aussi servir lorsque vous aurez des jets de dé à faire pendant la partie. Il va en effet être possible, durant l’aventure, de s’appuyer sur ces éléments biographiques afin de déterminer si certaines des actions que le personnage veut entreprendre lui sont facilitées ou non, comme cela est expliqué dans la partie consacrée aux règles de jeu. Comme vous allez à présent vous pencher sur une partie plus intime de la vie de votre alter ego maléficieux, vous allez noter ces éléments au verso de la feuille de personnage. Néanmoins, ne figez rien avant la toute fin de la création. Inscrivez vos idées au crayon et laissez-vous influencer par les différents éléments qui vont arriver par la suite.

Il n’y a pas que le travail dans la vie ! Quoique, à l’époque, les ouvriers étaient au turbin une large partie de la journée, du lundi au samedi (voire du lundi au dimanche, car le repos dominical n’a été officiellement promulgué qu’en juillet 1906). Mais même si les gens n’ont pas beaucoup de temps libre et qu’on est loin d’être dans une société de loisirs, la Belle Époque fourmille de nouveaux passe-temps qui s’ajoutent à ceux déjà existants. Quelques exemples en guise d’inspiration : • pour les gens aisés, la chasse (à courre pour les aristocrates), le canotage, le croquet dans les parcs des demeures, aller au cabaret ou à l’opéra, assister à une séance de cinématographe, partir en villégiature dans sa maison de campagne ou être féru de spiritisme ; • pour les gens plus modestes, en vrac : se rendre au café, y jouer aux cartes (manille, belote…), participer à des concours de quilles, de divers jeux de boules ou de palets, les guinguettes en bord de Marne (cf. tableaux de Renoir), fêtes foraines, pêche, cirque. Et n’oublions pas : se promener en forêt, lire les journaux, tenir une collection quelle qu’elle soit, broder, parier, etc. En été, dès 1903, on peut déjà assister au passage du Tour de France ou le suivre dans la presse. Notez le loisir préféré de votre personnage sur sa feuille.

Enfance du personnage Votre personnage, tel que vous venez de le définir, a probablement une place bien établie dans la société. Mais quelles étapes a-t-il traversées pour se construire, pour en arriver là où il est ? Vous allez tout d’abord déterminer comment il a passé son enfance : a-t-il grandi au sein d’une fratrie étendue, à la ferme ? Ou était-il seul, élevé par une gouvernante ? A-t-il vécu dans un logement simple et crasseux d’un faubourg malfamé, ou à l’étranger, bien obligé de suivre ses parents négociants ou diplomates ? Décrivez l’enfance de votre alter ego en quelques mots sur le verso de la feuille de personnage. Si vous n’avez pas d’idée, ou s’il vous est difficile de vous représenter quelles étaient les différentes vies des enfants de la Belle Époque, le meneur de jeu – s’il est présent à vos côtés – devrait pouvoir vous donner des suggestions.

Une singularité Vous pouvez donner une singularité, une particularité à votre personnage. C’est volontairement que nous avons voulu cette rubrique très ouverte, afin de laisser libre cours à vos envies d’interprétation et d’interaction avec les autres personnages. Encore une fois, il s’agit de proposer un élément qui va augmenter votre plaisir de jouer. Ces particularités peuvent aussi bien être une compétence unique, un tic, une spécificité sociale comme une attirance irrépressible ou une crainte particulière, une habitude à laquelle votre personnage ne manque jamais.

Début de sa vie d’adulte

Orientation politique

Si votre personnage est très jeune, cette rubrique n’est pas pertinente. En revanche, si vous avez opté pour quelqu’un dont l’enfance remonte à quelque temps, il peut être judicieux de noter ce qu’il a entrepris au commencement de sa vie d’adulte : qu’a-t-il fait en début de carrière, par exemple ? Par quels endroits est-il passé ? A-t-il déjà eu des mésaventures ou alors des succès particuliers ? Qu’en est-il de ses études, de sa vie amoureuse et maritale ? Nous vous invitons à décrire succinctement les éléments les plus pertinents sur la feuille de personnage.

Les citoyens sous la IIIe République avaient des opinions très tranchées sur la façon d’organiser l’État et la société – les débats pouvaient parfois être âpres et animés. Afin de retrouver cela dans une partie de Maléfices, vous allez définir l’orientation politique de votre personnage et l’inscrire sur la feuille. Remarquez que vous avez aussi le loisir de jouer quelqu’un de novice en politique, quelqu’un qui ne s’y intéresse guère ou quelqu’un qui hésite entre différents bords : tout ceci est permis – il vous faut juste le noter en conséquence sur la feuille. Il sera toujours temps de revenir sur cet aspect particulier quand vous serez plus familier avec l’époque, ou que vous aurez envie de compléter

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cette facette de votre personnage. Pour vous aider à incarner un radical, un monarchiste, un socialiste ou toute autre orientation politique, utilisez les encadrés de la partie consacrée au contexte historique.

n’est pas impossible, mais gageons que les premières aventures vécues auront tôt fait de le faire changer d’avis. Dans tous les cas, le chapitre consacré au fantastique ludique (cf. page 120) vous aidera à cerner ses différentes variantes.

Orientation religieuse

C’EST BEAUCOUP DEMANDER !

Même si à l’époque la très grande majorité des Français étaient catholiques pratiquants, il vaut la peine de noter si votre personnage est d’une confession ou d’une religion différente (protestant, orthodoxe, juif, musulman, etc.), n’a pas de religion ou « bouffe du curé », voire affiche des penchants du côté du Malin. Aussi, vous pouvez décrire en quelques mots son attitude face à sa religion : grenouille de bénitier, peu assidu, sceptique, en conflit avec l’autorité, athée, agnostique, etc.

Remplir tous ces éléments concernant le passé du personnage, ses intérêts et ses opinions peut demander du temps. Cette tâche peut vous sembler ardue, ou bien vous avez envie de commencer l’aventure tout de suite. Pour le plaisir du jeu, nous vous conseillons vivement de ne pas faire l’impasse sur ces éléments, car ils offrent un réel soutien à l’interprétation. Néanmoins, il est possible d’y revenir après un certain temps, par exemple lorsque les idées vous viendront, typiquement au cours de la première partie jouée avec ce personnage. Vous pourrez alors reprendre un ou deux points qui auraient été laissés de côté jusque-là.

Position vis-à-vis du fantastique Le fantastique joue un grand rôle à Maléfices. En commençant une aventure, les joueurs ne pourront jamais être certains que leurs personnages auront effectivement affaire à celui-ci : peut-être ne s’agira-t-il que de faux-semblants ? Mais quand le fantastique sera présent, de quelle nature sera-t-il ? Sera-ce le Malin qui s’intéresse à vos âmes ou bien un esprit qui voudra se venger ? Un sorcier sera-t-il à l’œuvre, ou bien une créature fabuleuse ? Ou rien de tout cela : une simple supercherie ? Au vu de la variété des opinions concernant ce point central de Maléfices, vous allez noter le positionnement de votre personnage vis-à-vis du fantastique : porte-t-il un intérêt à un aspect particulier du fantastique, comme les apparitions du Malin ? Ou sont-ce les fantômes et autres spectres qui attisent sa curiosité ? Notez que cet intérêt peut lui venir de ce qui est à la mode, comme le tournage de guéridon, les ouijas ou… certains aspects de l’égyptologie. Peut-être déciderez-vous que votre personnage ne s’intéresse aux phénomènes étranges que pour mieux prouver que tout s’explique rationnellement ? Ou alors, vous vous êtes décidé à interpréter quelqu’un qui n’a aucun intérêt pour le fantastique ? Cette dernière option

Pourquoi ces éléments sont-ils sur le verso de la feuille de personnage ?

Vous l’avez remarqué, l’état civil et les caractéristiques chiffrées figurent au recto de la feuille de personnage, alors que le passé de celui-ci, ses opinions, ses loisirs et ses particularités se trouvent sur le verso. Il y a une raison à cela : l’état civil est très souvent connu – c’est ce que l’on apprend en premier sur une personne. Mais son passé, ses opinions, ses intérêts et ses manies n’ont pas besoin de se trouver au vu et au su de tout le monde. En effet, imaginez que vous ayez créé un personnage complexe (au passé trouble ou dont il a honte, voir page 218) : ce serait dommage que vos acolytes de table le découvrent par hasard en regardant votre feuille. Aussi, peut-être êtes-vous le seul anarchiste dans un groupe de bourgeois, ou avez-vous des particularités pas tout à fait avouables, comme le jeu d’argent, la cleptomanie ou la consommation d’opium. Là encore, mieux vaut ne pas ébruiter la chose en la mettant sur le devant de la feuille. Bien sûr, le meneur de jeu peut à tout moment vous demander de le laisser consulter votre feuille.

EXEMPLES Déterminons à présent les éléments biographiques de Claire Dubreuil et de Paul Joncourt. Claire Dubreuil a grandi dans une large fratrie à la campagne. L’école a été pour elle le chemin de l’émancipation sociale. Au fil de sa formation d’institutrice, elle a pris ses distances avec les valeurs conservatrices et religieuses de son milieu d’origine. Elle adhère désormais au radicalisme républicain et épouse les positions laïques tout en gardant une foi réelle. Tout cela n’est pas sans créer des conflits avec sa famille. Elle conserve toutefois de son éducation à la campagne un intérêt profond pour le fantastique paysan alors qu’elle ne s’intéresse pas à faire tourner les guéridons comme il est d’usage dans les milieux à la mode. Elle a donc une connaissance des herbes, plantes et remèdes de grands-mères. Par ailleurs, elle a une facilité à calmer les animaux et monte particulièrement bien à che-

val. D’ailleurs, déguisée en homme, elle a même tenté de participer à une course hippique. Paul Joncourt, né avec une cuillère en argent dans la bouche, a goûté à l’amertume de la défaite et de l’exil en 1870. Il s’est orienté vers des études de médecine, mais était réputé pour être un fêtard invétéré durant son internat. Politiquement, il n’est intéressé que par une chose : la Revanche ! Catholique, mais fort peu pratiquant (on le retrouve plus au bistrot qu’à l’église), il aime à se faire tirer les cartes, surtout pour connaître sa fortune amoureuse. En guise de particularité, une rumeur circule sur lui, disant que s’il a rejoint l’armée, c’est aussi parce que, une nuit, trop alcoolisé, il aurait mal procédé lors d’une opération. Il n’aurait donc guère eu d’autre choix, pour pouvoir continuer à exercer, que de gagner les rangs de la grande muette.

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Tirage du Grand Jeu de la Connaissance À présent, les personnages des joueurs sont définis de façon précise et vous en connaissez le profil. L’opération qui va être pratiquée maintenant va confirmer, modifier, ou infléchir quelque peu ce destin. Sont-ils nés sous une bonne étoile ou une mauvaise ? Est-ce que l’orientation de leur vie professionnelle découle d’un bon choix ? Ce sont des données qui nous échappent. La consultation du Grand Jeu de la Connaissance va répondre à nos questions. Il se compose de vingt-deux cartes (les lames), disponibles à la vente et téléchargeables sur le site www.arkhane-asylum.fr. Voici ce qu’en disait Michel Gaudo, l’auteur d’origine de Maléfices : « Ce jeu a été créé spécialement pour Maléfices par Melle Judith Lecordelier que nous remercions vivement. La parfaite connaissance que possède Melle Lecordelier de toutes les techniques de divination et de voyance lui a permis de définir une méthode simple et efficace pour révéler les grandes lignes de l’influence du destin sur les personnages. Nous vous recommandons de manier le Grand Jeu de la Connaissance avec précaution, et cela d’autant plus que d’autres utilisations de ces lames vous seront données ultérieurement ». Cela n’a pas changé, ou si peu : le Grand Jeu de la Connaissance prend dans cette nouvelle édition une place plus importante encore. Le meneur de jeu a la responsabilité de faire procéder au tirage des lames. Il a aussi la charge de guider le joueur dans l’interprétation de ce tirage. Rassurez-vous, il n’est pas nécessaire que vous soyez spécialement versé dans les subtilités des arts divinatoires. Maléfices est un jeu dont l’ambition est de vous amuser et non pas de vous initier aux mystérieux arcanes de la Connaissance. Pour ces tirages de lames, on ne tient aucun compte de la numérotation de ces dernières.

OPTIMISER LE TEMPS PASSÉ À LA CRÉATION DE PERSONNAGE Lorsqu’il faut créer tous les personnages des joueurs présents autour de la table avant de commencer l’aventure proprement dite, mieux vaut réduire les temps morts afin de maintenir la dynamique de jeu. Pour ce faire, nous suggérons au meneur de jeu de procéder ainsi : pendant que vos joueurs découvrent et lisent leur Archétype de profession, prenez-les un par un pour leur faire le tirage comme décrit ici. Autrement dit, laissez vos joueurs découvrir leur Archétype de profession en autonomie, pendant que vous vous occupez successivement d’eux pour leur faire le tirage. Certains auront donc leur tirage avant d’avoir lu leur fiche (ceux que vous aurez pris en premier) et d’autres après (ceux que vous aurez pris en dernier), mais cela n’a pas d’importance, puisque c’est pour cela que, depuis le début de la création, vous leur dites de ne pas figer leurs idées.

Procédure de tirage Ci-dessous vous est présentée la procédure à suivre par le meneur de jeu pour utiliser correctement le Grand Jeu de la Connaissance. Le degré de solennité que vous souhaitez conférer à la « cérémonie » du tirage est laissé à votre entière discrétion. Nous voyons cette étape comme un moment de jeu et vous encourageons à lui donner une certaine importance et à soigner tant la gestuelle que l’interprétation. Dans tous les cas, nous vous proposons la procédure suivante : 1. Isolez-vous avec chaque joueur successivement afin que chacun d’eux puisse procéder, en secret, au tirage des lames pour son personnage. Les données qui vont être dévoilées ne regardent que lui. 2. Demandez au joueur avec lequel vous vous êtes isolé de battre le Grand Jeu de la Connaissance avant de le couper de la main gauche. 3. Faites-lui choisir, toujours de la main gauche, quatre lames au hasard qu’il déposera devant lui, en ligne et face cachée. 4. Sélectionnez ensuite vous-même une seule lame, que vous tiendrez à l’abri de son regard. Il ne devra jamais connaître cette lame. 5. Dites au joueur de retourner les lames qu’il a devant lui, sans oublier de lui mentionner que, pour certaines d’entre elles, l’orientation avec laquelle apparaît la carte quand on la retourne a son importance. Vous pouvez laisser le joueur retourner les cartes comme il l’entend ou définir une procédure systématique (comme de les retourner à la manière des pages d’un livre). Les cartes orientées, une fois retournées, sont clairement reconnaissables : on y voit deux images tête-bêche. Si l’une de ces lames apparaît à l’envers par rapport au joueur on parle alors de tirage « en négatif », sinon il s’agit d’un tirage « en positif ». 6. Le meneur de jeu prend connaissance de la lame qu’il a lui-même tirée. Il doit aussi faire attention à son orientation. Cette lame ne doit jamais être connue du joueur. Elle représente la part du destin du personnage que vous pourrez maîtriser, mais qui lui échappera toujours. 7. Passez maintenant à l’interprétation des lames. Le guide d’interprétation (cf. page 135) est là pour vous aider. Il existe plusieurs façons de faire : - le joueur, surtout s’il est débutant à Maléfices, a peutêtre besoin d’aide. Dans ce cas, le meneur de jeu lui donnera, sous forme de suggestions, plusieurs significations possibles pour les cartes que celui-ci a devant lui. Le joueur choisira alors, avec le meneur, comment ces lames influencent son destin ; - le joueur est à l’aise et interprète de lui-même la majorité ou l’entièreté des lames, en accord avec le meneur, qui est là en soutien. 8. Le joueur note sur sa feuille de personnage le nom des quatre lames dont il a connaissance (ou des cinq lames si la Roue de la Fortune a été tirée, voir guide d’interprétation).

N

N

130

Le meneur reporte soigneusement le nom des lames et leur caractère positif ou négatif sur sa feuille de meneur de jeu. Il inclut la lame qu’il a lui-même tirée. 9. Grâce à l’interprétation du tirage du Grand Jeu de la Connaissance, le joueur connaît un peu mieux son alter

ego. Il est recommandé d’inscrire les éventuels nouveaux éléments biographiques qui sont apparus lors de l’interprétation des lames au verso de la feuille de personnage.

CRÉATION DE PERSONNAGE SANS LA PRÉSENCE D’UN MENEUR DE JEU Nous sommes partis du principe que la création de personnage se fait en présence d’un meneur. C’est ce que la pratique montre et les exceptions sont rares. Car la présence d’un meneur de jeu offre beaucoup d’avantages, que ce soit de par sa connaissance des règles ou du contexte historique. Dans Maléfices, certains éléments, comme la lame secrète ou le Fluide (cf. page 144), ne doivent pas être

portés à la connaissance du joueur. Alors, comment faire lorsque l’on est tout seul, sans meneur ? La meilleure façon est de laisser ces éléments ouverts et, juste avant la toute première partie, de procéder au tirage du Grand Jeu de la Connaissance avec le meneur. Cette façon de faire évite aussi au joueur la lecture des explications relatives aux diverses lames. Le meneur s’empressera de noter ces éléments secrets sur sa fiche de meneur de jeu.

Déterminer les caractéristiques La Constitution

Si inconsidérément il provoque « Jojo des Batignolles » et que celui-ci lui brise une chaise sur la tête, votre personnage va perdre des points de Constitution. Une perte de points de Constitution peut être lourde de conséquences : on estime que votre personnage se trouve dans le coma à 0 point, ce qui n’est pas une situation enviable, et qu’à –1 point il est mort, ce qui l’est moins encore. Une perte de Constitution, même si elle n’atteint pas les extrêmes mentionnés ci-dessus, peut avoir un effet sur les Aptitudes physiques du personnage. Pour vous donner une échelle de valeurs, vous pouvez considérer que tant que la Constitution de votre personnage est supérieure à 8, son état n’est pas inquiétant. Une perte de points de Constitution n’est pas définitive, votre personnage peut retrouver sa forme initiale grâce à des soins attentifs par exemple (cf. Chapitre “Regagner de la Constitution”, page 230). Mais cela peut prendre du temps… et de l’argent. Le meneur de jeu appréciera ces facteurs en fonction de chaque situation. La médecine de l’époque est très dispendieuse, mais après tout ne dit-on pas qu’il vaut mieux être pauvre et bien portant que riche et malade ? En revanche, il est important de signaler qu’en aucun cas il n’est possible de dépasser le nombre de points de Constitution initial, celui-ci représentant le capital maximum de santé et de robustesse.

Sous le terme Constitution (CONST) sont regroupées la forme physique, la santé, la robustesse et l’endurance du personnage. Plus sa Constitution est élevée, mieux il pourra résister aux maladies et se remettre d’une blessure éventuelle. En outre, une bonne Constitution lui permettra de jouir de bonnes Aptitudes physiques. Cette caractéristique est évaluée par un nombre qui peut aller de 1 à 20. La Constitution étant une donnée innée, elle est tirée au dé et non choisie par le joueur. Pour déterminer la Constitution de départ de votre personnage, lancez deux fois le d20, additionnez les deux résultats, et reportez-vous à la table ci-dessous. SOMME DES 2D20

CONSTITUTION

2-3

9

4-5

10

6-9

11

10-14

12

15-19

13

20-24

14

25-29

15

30-33

16

34-36

17

37-38

18

39

19

40

20

EXEMPLES Les deux lancers du d20 pour Claire Dubreuil affichent 11 et 8 comme résultat, ce qui, une fois additionné, donne une somme de 19. Nous pouvons lire sur la ligne correspondante de la table que sa Constitution est de 13. L’addition des deux jets donnant 29 pour Paul Joncourt, sa Constitution est de 15.

Faites un cercle autour du nombre correspondant dans la rubrique idoine de la feuille de personnage. La plus faible Constitution pour un personnage au moment de sa création ne peut être inférieure à 9. Cependant, au cours de la partie, sa Constitution peut baisser et descendre au-dessous de 9. La maladie, par exemple, peut l’affaiblir, il en va de même s’il est blessé.

N

N

131

Les capacités Description des capacités

Le mot « générale » indique bien qu’il ne s’agit pas des connaissances spécifiques qu’il aurait pu acquérir dans un domaine particulier. Vous constaterez qu’il n’y a aucune capacité pour représenter l’intelligence de votre personnage ni sa volonté, son courage ou son sang-froid. Là, il est entièrement fait appel au raisonnement, à l’interprétation ainsi qu’aux décisions du joueur à partir de ce qu’est son personnage.

Le meneur de jeu va avoir besoin, en cours de partie, de références plus précises sur les capacités de chaque personnage. Comme pour la Constitution, elles sont représentées par des nombres qui vont être utilisés de façon active. Ces capacités sont nécessaires pour permettre à la simulation de la vie des personnages d’être réaliste.

Détermination des valeurs des capacités

Nous allons doter votre personnage d’une valeur en : • Aptitudes physiques (APT PHYS) • Perception (PERC) • Habileté (HAB) • Culture générale (CULT GÉN)

Les Archétypes de profession, voir pages 154 à 216, contiennent tous un petit tableau avec des valeurs pour les quatre capacités. Reportez au crayon sur la feuille de personnage les valeurs du tableau de l’Archétype correspondant à la profession de votre personnage, en prenant soin de recopier celles qui s’appliquent à son âge. Vous disposez de 8 points supplémentaires à répartir dans ces quatre capacités. C’est à vous, joueur, qu’il incombe de choisir quelles capacités augmenter en suivant néanmoins ces quelques règles : • ne pas ajouter plus de 4 points dans une seule capacité ; • si la Constitution se situe entre 15 et 17, il vous faut investir au minimum 1 point en Aptitudes physiques. Et si la Constitution de votre personnage est égale ou supérieure à 18, vous devrez même augmenter les Aptitudes physiques de 2 points au minimum ; • inspirez-vous des éléments biographiques de votre personnage. Celui-ci faisait-il par exemple de l’observation ornithologique ? Cela peut justifier de mettre quelques points en Perception. Fait-il de la broderie ou est-il un passionné de bricolage ? Si oui, favorisez l’Habileté. A-t-il reçu une éducation de qualité, était-il un rat de bibliothèque ou a-t-il beaucoup voyagé ? Si tel est le cas, investissez en Culture générale.

LES APTITUDES PHYSIQUES Pour accomplir certaines activités, votre personnage va devoir faire appel à sa puissance musculaire et fournir un effort physique. Même si ces activités ne nécessitent aucune qualification particulière ni ne correspondent à l’apprentissage d’une technique déterminée, elles demandent un certain niveau de prédisposition. C’est cette capacité à l’effort que nous appelons Aptitudes physiques. LA PERCEPTION Votre personnage peut être plus ou moins vigilant, plus ou moins attentif dans sa manière d’appréhender le monde extérieur. Une grande Perception lui permettra de remarquer certains détails, de sentir qu’on l’observe et de se souvenir de certains éléments d’une situation. L’HABILETÉ C’est l’adresse, l’équilibre, la dextérité, la vivacité et, d’une manière générale, l’aisance physique de votre personnage. LA CULTURE GÉNÉRALE Elle est constituée par l’ensemble des connaissances que votre personnage a accumulées au cours de son existence.

Attention : le cas des professions ne correspondant à aucun Archétype est envisagé page suivante.

EXEMPLES Claire Dubreuil a 13 en Constitution, 28 ans et exerce une activité professionnelle d’enseignante. L’Archétype qui lui correspond est celui des enseignants (cf. page 180). Pour son âge, l’Archétype indique 9 en Aptitudes physiques, 10 en Perception, 9 en Habileté et 10 en Culture générale. Ces valeurs sont reportées au crayon sur la feuille de personnage. 8 points peuvent être répartis dans ces quatre capacités. Du fait de ses goûts pour l’équitation et de la vie à la campagne, le joueur interprétant Claire choisit d’ajouter 4 points en Habileté, 3 points en Aptitudes physiques et 1 point en Perception. Les totaux sont donc de APT PHYS 12 ; PERC 11 ; HAB 13 ; CULT GEN 10. Paul Joncourt, de par sa profession de médecin militaire, pose une difficulté. En effet, si nous comparons les tableaux

des Archétypes des médecins et des militaires, nous nous apercevons qu’ils présentent des différences substantielles en Aptitudes physiques et en Culture générale. Le joueur incarnant Paul choisit de prioriser l’Archétype du médecin. Toutefois, et en accord avec le MJ, pour coller au concept de son personnage, il choisit de transférer 2 points de la Culture générale vers l’Aptitude physique. Pour ce PJ de 40 ans, cela nous donne donc comme base : APT PHYS 9 ; PERC 11 ; HAB 12 ; CULT GEN 10. Il va à présent répartir ses 8 points supplémentaires. Désirant coller au plus près de sa double profession, il investit 4 points en APT PHYS et 4 points en CULT GEN (notez que sa CONST le force à ajouter au moins 1 point en APT PHYS). Finalement, il obtient APT PHYS 13 ; PERC 11 ; HAB 12 ; CULT GEN 14.

N

N

132

Il est possible qu’aucun Archétype de profession ne corresponde au métier que vous avez sélectionné pour votre personnage. En accord avec le meneur de jeu, adaptez les capacités indiquées sur l’Archétype qui se rapproche le plus de la profession choisie. Il s’agira alors de « transvaser » quelques points d’une capacité à une autre afin de mieux coller au métier choisi. Il se peut également que votre personnage ait en fait deux professions, comme ce cher Paul Joncourt cité dans nos exemples. Il s’agira de privilégier l’un de ses deux métiers, de prendre l’Archétype correspondant comme base et de le modifier afin de le faire se rapprocher de l’Archétype de sa seconde profession. Là encore, transférez quelques points d’une capacité à une autre. Soyez cohérent et évitez de modifier une capacité de plus de 4 points d’écart. Aussi, notez que la profession ne change les Aptitudes physiques que si cette activité est de façon déterminante active ou sédentaire.

physiques dépendent de la Constitution. Sur la feuille de votre personnage, la Constitution s’inscrit sur une ligne comportant une numérotation de 0 à 20. Cochez sur cette ligne la Constitution de votre personnage et notez dans la case juste en dessous ses Aptitudes physiques. La table qui suit vous donne les malus apportés par la Constitution aux Aptitudes physiques, en fonction de son évolution au cours de la partie lorsqu’elle tombe en dessous de 9. Nous espérons que votre personnage ne sera jamais dans un état de faiblesse extrême, mais pour éviter les calculs en cours de jeu, reportez les valeurs de l’APT PHYS modifiée dans la ligne idoine en dessous de la Constitution sur la feuille de personnage. Ainsi, d’un simple coup d’œil, vous connaîtrez les possibilités physiques de votre personnage dans les situations les plus désespérées. CONSTITUTION

MALUS AUX APTITUDES PHYSIQUES

8

–1

7

–2

6

–3

5

–4

4

–5

3

–6

2

–7

1

–8

Évolution des capacités Les capacités d’un personnage sont établies à sa création. Ensuite elles n’évolueront que très lentement en fonction de son vieillissement ou d’un éventuel changement de profession. Seules les Aptitudes physiques peuvent être modifiées en cours de partie. Les fluctuations des Aptitudes

Les aptitudes intellectuelles Votre personnage a aussi une certaine manière d’appréhender la réalité et il s’appuie sur sa raison et sur sa foi pour comprendre ce qui l’entoure. En fait, les aptitudes intellectuelles d’un personnage de Maléfices se partagent entre deux penchants : sa Rationalité, qui correspond à son attirance pour les explications rationnelles, et sa Spiritualité, qui correspond à sa tendance à admettre l’existence du surnaturel et à y croire. Plus votre personnage aura une grande Rationalité, plus il saura donner une explication rationnelle aux phénomènes auxquels il sera confronté. Mais si sa raison ne suffit pas à expliquer un évènement, seule sa Spiritualité pourra lui permettre de conserver son équilibre mental.

disposant d’une faible Rationalité est influençable et peu sûre d’elle, sa raison vacille. Avec une Rationalité supérieure à la normale, votre personnage aura plus de chances d’apporter une explication rationnelle aux phénomènes paranormaux et de se rassurer. Il pourra aussi facilement se rendre compte que M. Adhémar, l’épicier du quartier, n’abrite pas une horde de fantômes dans sa cave comme l’affirment les gens crédules, mais que plus prosaïquement, il se contente de donner des coups de balai dans le plafond de cette pièce pour mystifier son entourage et ainsi augmenter son chiffre d’affaires. La Rationalité représente également les capacités de résistance à la folie et la puissance d’organisation de la pensée qui est ainsi capable d’intégrer des phénomènes et des données qui pourraient rendre fou. Tout comme la Spiritualité, elle peut varier en cours de jeu, décroître si elle est confrontée à des phénomènes vraiment inexplicables pour votre personnage, ou augmenter lorsque celui-ci réussit à garder la tête froide face à l’étrange et au mystérieux. Cependant, si l’esprit se laisse envahir et s’il voit les bases de son raisonnement détruites, votre personnage court le risque de se retrouver rapidement pensionnaire de lieux peu confortables : l’asile de Charenton, par exemple.

La Rationalité La Rationalité témoigne de la vivacité d’esprit, la sagacité, la puissance d’analyse d’un personnage, ainsi que la faculté d’appréhender rapidement une situation nouvelle. Elle mesure la force de la raison dans son fonctionnement mental, sa capacité à tenter d’expliquer le surnaturel ou le fantastique par la déduction logique et scientifique. Le surnaturel n’a dans l’esprit du personnage qu’une place très réduite, voire nulle. À l’inverse, une personne

N

N

133

Pour un croyant, la Spiritualité représente le rempart que celui-ci peut opposer aux pièges du Malin, la résistance de son âme à ses manigances en vue de s’en emparer. Il est des moments où égrener son chapelet d’une main fébrile peut-être d’un grand secours moral et, s’il est exact qu’en certaines circonstances « il n’y a que la foi qui sauve », encore faut-il en avoir. Tout comme la Rationalité, la Spiritualité peut évoluer en cours de jeu en fonction du résultat des confrontations du personnage avec l’irrationnel. Lorsque la foi triomphe, elle s’en trouve augmentée, mais lorsqu’elle est mise en déroute, le doute s’installe et le potentiel de Spiritualité diminue. Ne pas négliger que la Spiritualité d’un personnage peut lui éviter la damnation à tout jamais. Et puis Confucius n’a-t-il pas dit que l’homme sans foi n’est qu’« un grand char sans joug » ?

OÙ EST PASSÉE L’OUVERTURE D’ESPRIT ? Ceux parmi vous qui ont connu les éditions précédentes de Maléfices se souviennent très certainement que cette caractéristique s’appelait « Ouverture d’Esprit » et non « Rationalité ». Nous avons opté pour ce changement, car nous considérons que le sens que l’on donne à « être ouvert d’esprit » dans le langage commun a évolué et n’est plus l’opposé de la spiritualité. En effet, ne peut-on pas de nos jours être ouvert d’esprit à différentes formes de spiritualités, par exemple ? Maintenant, « ouverture d’esprit » est compris comme « tolérant » et pas forcément comme une opposition à la spiritualité ou à la religion.

La Spiritualité

D étermination du score des aptitudes intellectuelles

La Spiritualité symbolise la puissance des convictions mystiques et religieuses d’un personnage, la force de sa foi, sa croyance au surnaturel, au fantastique. Dans le combat entre le Bien et le Mal, la Spiritualité ne prend pas nécessairement parti. Une forte Spiritualité peut être trouvée autant chez un chrétien, un juif, un musulman, un bouddhiste, un animiste que chez un adepte des cultes antiques. De même, un adorateur de Satan, un démoniste ou un sorcier peut disposer d’une forte Spiritualité. Un personnage doté d’un score élevé en Spiritualité est guidé dans son quotidien par la croyance en un au-delà qui explique et donne un sens à la vie, mais qui est également susceptible de se manifester (apparitions, miracles), voire d’être manipulé (magie, sorcellerie). Dans chacune de ces religions ou croyances, le Bien et le Mal s’opposent, de sorte que l’orientation spirituelle d’une personne vers la lumière ou les ténèbres ne dépend pas d’un score élevé ou faible en Spiritualité. Cette orientation résulte à la fois du choix du joueur et du tirage du Grand Jeu de la Connaissance à la création du personnage.

Rationalité et Spiritualité sont des aptitudes intellectuelles qui doivent être quantifiées, car elles représentent la résistance que peut opposer un personnage, sur le plan rationnel ou irrationnel, aux étranges phénomènes auxquels il sera confronté au cours de ses aventures. Ces deux facettes du fonctionnement mental d’un personnage ne s’opposent pas : une fois la création du personnage achevée, elles vont évoluer indépendamment. Vous disposez de 22 points à répartir entre la Rationalité et la Spiritualité de votre personnage. Pour cette répartition, gardez en tête ce que vous avez déterminé comme orientation religieuse pour votre personnage et comme positionnement vis-à-vis du fantastique : cela correspond-il à un PJ avec une grande Rationalité ou plutôt une grande Spiritualité ? Ou alors quelqu’un qui aurait les deux scores assez équilibrés ? Notez toutefois que si la répartition de ces 22 points peut se faire librement, il est obligatoire d’attribuer au moins 6 points à l’un des deux penchants, ceci afin d’éviter qu’à sa création un personnage subissent les conséquences d’un score extrême dans l’une ou l’autre de ces aptitudes. En effet, les scores d’un personnage dans ces deux caractéristiques ont des significations au-delà et en deçà d’un niveau (voir section Perdre son équilibre mental dans le chapitre La gestion du fantastique, pages 234 et suivantes).

20

5

Un point de Destin Après avoir fait l’ensemble de ces calculs, ajoutez enfin 1 point de Destin à votre personnage dans la case prévue à cet effet. Ce point vous permettra de faire face aux coups du sort, son utilisation est détaillée dans la partie règles (voir chapitre Point de Destin, page 224). XVIII

Ève

III

La Lune Noire

N

N

134

EXEMPLES Quelles vont être les orientations de Claire Dubreuil ? Va-telle bénéficier d’une grande Rationalité ? Ses penchants vontils davantage l’attirer vers la Spiritualité ? Étant institutrice laïque, soumise aux pressions d’une société provinciale moraliste et profondément religieuse, on peut penser qu’elle accepte difficilement cette conception bigote de l’Église catholique. Naturellement attirée par la vision d’une société plus juste, plus égalitaire et sans être pour cela une suffragette, Claire Dubreuil est profondément humaniste, plaçant ses espoirs dans le progrès qui ne pourra qu’apporter justice, paix et réconfort à tous. Cela ne l’empêche pas de garder au fond d’elle-même un vague sentiment religieux qui, s’il ne se concrétise pas par l’adoration d’un Dieu et la pratique d’une religion, n’en est pas moins présent en elle.

Nous attribuons donc à Claire Dubreuil : 9 points en Spiritualité et 13 points en Rationalité. Le cas de Paul Joncourt est tout autre. Marqué dans son enfance par des études dans un collège jésuite, il éprouve un certain respect vis-à-vis de la religion catholique. Son esprit revanchard fait qu’il reproche au gouvernement d’accorder trop de crédits à l’école et pas assez à l’établissement d’une puissante armée. Les buts de la science se résument pour lui en deux parties complémentaires : l’élaboration d’armes sophistiquées et puissantes d’une part, et la découverte de nouvelles techniques médicales permettant de réparer les dégâts de ces mêmes armes d’autre part. Nous répartirons donc les aptitudes intellectuelles de Paul Joncourt en lui accordant 12 en Spiritualité et 10 en Rationalité.

$

Guide d’interprétation des lames du Grand Jeu de la Connaissance En principe, les lames révèlent les prédispositions du personnage, pour l’exercice de certains métiers, par exemple, mais pas seulement. Ces prédispositions peuvent aller dans le sens des choix effectués jusque-là pour le personnage, mais elles peuvent tout aussi bien aller à l’encontre. Les lames indiqueront donc si le personnage est épanoui ou bien s’il vit une existence dans laquelle il n’est pas à l’aise. Il est aussi possible que l’une ou l’autre des lames tirées par le joueur représente plutôt un trait de personnalité, fait référence à une personne tierce ayant un rôle important dans la vie du personnage, ou alors évoque un événement marquant de son histoire. Pour le savoir, le tirage des lames du Grand Jeu de la Connaissance se doit d’être interprété. Les vingt-deux lames qui le composent sont réparties en trois groupes de la façon suivante : • 8 arcanes majeurs ; • 6 arcanes mineurs ; • 8 arcanes de Métiers. Dans le tirage d’un personnage, certains arcanes mineurs ainsi que les arcanes de Métiers ont un effet différent selon qu’ils sont à l’endroit par rapport au joueur ou à l’envers. À l’endroit, on dit qu’ils sont positifs et à l’envers, qu’ils sont négatifs. Cependant, pour les lames qui ne comportent pas deux images tête-bêche, dont notamment les arcanes majeurs, l’orientation n’a pas d’importance. Les lames du Grand Jeu de la Connaissance possèdent toutes deux numéros : ceux-ci n’ont pas de signification pour la création des personnages, mais ils seront utiles

pendant la partie. Celles-ci sont présentées ici une à une, avec leurs significations, ainsi que des suggestions concernant leur interprétation.

Les arcanes majeurs Les lames des arcanes majeurs représentent pour la plupart d’entre elles soit le camp du divin et du Bien, comme l’Archange, le Vicaire ou le Grand Livre, soit le camp du Malin, comme le Diable, le Sorcier ou la Lune Noire. Néanmoins, lorsqu’il s’agira d’interpréter ces lames, celles ayant un motif luciférien vont indiquer une attraction vers la rationalité et le matérialisme, éloignant le personnage de la spiritualité et du sacré. N’oublions pas que le Diable est celui qui corrompt et détourne du droit chemin, utilisant la raison, pour proposer des avantages matériels à ses victimes. Toutefois, dans Maléfices, un sorcier peut très bien avoir une spiritualité élevée. 21

II

L’Archange

N

N

135

L’ARCHANGE Le souffle divin est venu se poser sur le personnage. L’Archange l’a favorisé et l’a prédisposé à devenir un saint homme ou une sainte femme, plus concerné par faire le Bien autour de lui que par satisfaire ses besoins et désirs

LA MORT Le tirage de la Mort est toujours un moment dramatique. Elle nous rappelle que nous ne sommes pas maîtres de notre destin. La révélation de cette lame funeste indique que le mauvais sort s’acharne sur le personnage. La Mort peut aussi suggérer la fin de quelque chose d’important dans son parcours de vie, une rupture marquante et XIII sans doute douloureuse, sans que La Mort cela soit nécessairement un décès. C’est pour cela que, suivant le même principe que pour la Chance, mais agissant en sens contraire, le meneur aggravera, au moment qui lui semblera opportun, la situation de ce personnage. Il est cependant recommandé d’user de ceci avec modération : il ne s’agit pas de forcément provoquer la mort du personnage. Ce sera au meneur de juger, et souvenez-vous qu’une mort en héros est bien plus épique que des blessures entraînant une vie misérable. Comme pour la Chance, qui est son opposé, la Mort n’est utilisée qu’une fois. Cette lame peut aussi être interprétée d’autres façons : votre personnage est peut-être plus prosaïquement fasciné par la mort. Cela peut donner un côté « trompe-la-mort » s’il y a une mise en relation avec certaines professions ou certains loisirs comme militaire, explorateur, pilote automobile, aviation ou équitation. Chez un artiste, elle transparaîtra au travers de ses œuvres.

immédiats. Espérons que le destin lui donnera l’occasion de s’en montrer digne. L’Archange indique que la religion est très importante dans la vie du personnage. De plus, la pratique de la magie blanche lui est facilitée. L’opposé de l’Archange est le Diable.

10

LE VICAIRE Le Vicaire est un serviteur, un soldat du Bien. Le sacré et la spiritualité ont une grande importance pour lui. Le Vicaire ne suppose pas forcément que le personnage soit un fervent religieux : nul besoin de cela pour avoir une spiritualité intérieure forte – ne dit-on pas que l’habit ne fait pas le moine ? V Si cela implique tout de même Le Vicaire la religion, ce qui a toutes les chances d’être le cas, celle-ci a influencé le personnage sur un plan personnel. Il peut s’en être éloigné à un moment afin de poursuivre son propre chemin. Le Vicaire est l’opposé du Sorcier. Il est aussi en opposition avec le Diable, même si l’influence de ce dernier est prépondérante. 18

LA CHANCE Il y a des personnes qui se sortent toujours de toutes les situations, comme par miracle. Nul doute que c’est grâce à la présence de la Chance dans le tirage de leur destin. Est-ce que la Chance sourit au personnage ou bien celui-ci est-il du genre à forcer sa chance, à compter dessus, voire à en abuVII ser ? En tout cas, cette lame lui La Chance permet d’échapper d’une façon quasi miraculeuse à un sort funeste. L’utilisation de cette carte doit être décidée par le meneur de jeu et reste à son entière discrétion. Il peut faire appel à celle-ci pour soustraire le personnage à une mort certaine, même s’il doit pour cela avoir recours à une explication qui relève du surnaturel. Mais si la chance sourit aux audacieux, c’est une maîtresse inconstante, c’est pour cette raison que cette carte ne peut servir qu’une fois : c’est au meneur de noter sur sa feuille si l’effet a été utilisé ou non. La lame contraire de la Chance est la Mort. Si ces deux sont présentes dans le jeu du personnage, il est fort probable que ces deux s’annulent au premier coup du sort qui viendra s’acharner sur lui. 16

LE DIABLE Le Diable est l’ange déchu qui corrompt et détourne ses victimes du Bien, du divin et du sacré. Il mène les gens vers le matérialisme. Avec une telle lame, le personnage a une prédestination envers les forces obscures, ainsi qu’une attirance pour la magie noire. Soyons clairs, cette lame ne fait pas de votre personnage un XV « suppôt de Satan ». Cependant, Le Diable Lucifer l’attire, il est à l’aise dans la marginalité, la provocation ou ce que d’aucuns nomment le péché. Matérialiste et calculateur, il remet en cause la morale de son époque et ne se sent pas forcément tenu par les principes et les préjugés en vogue. Il a tendance à estimer que « la fin justifie les moyens ». Il peut se donner les apparences de la vertu mais il peut aussi, à l’occasion et quand il se maîtrise moins, laisser percer cette image moins flatteuse d’homme égoïste, méprisant, voire méchant dans ses paroles et dans ses actions. Le Diable et l’Archange sont l’opposé l’un de l’autre. 8

N

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LA LUNE NOIRE La Lune Noire symbolise l’attraction luciférienne de la connaissance interdite. Un personnage placé sous ce signe est naturellement attiré par les forces magiques obscures. Pour le personnage qui a la Lune Noire dans son jeu, certains épisodes de vie prennent tout leur sens et agissent comme révélaXVIII teurs. C’est peut-être une grandLa Lune Noire mère campagnarde qui faisait des choses bizarres dans sa chambre à four ou la découverte fortuite du Dragon rouge, un ouvrage de colporteur qui comportait d’étranges images et alphabets. Ceci peut avoir fait germer dans son esprit une petite graine de la curiosité que l’on qualifie de malsaine. Cet attrait coupable pour ce qui touche à l’interdit et à l’occulte va bien sûr aussi influer sur le destin des personnages rationalistes. Un ingénieur, une enseignante, ont pu être désarçonnés par telle histoire « d’intersigne » entendue lors d’une conversation, ou par la découverte d’une référence citant un ouvrage au titre mystérieux, qui a titillé sa curiosité et l’a poussé à en savoir plus. Pour le personnage, il y a toujours un sens caché aux choses. C’est à lui de le découvrir. La Lune Noire et le Grand Livre s’opposent réciproquement.

LE SORCIER Le Sorcier est un serviteur du Mal. Mais ne comptez pas sur lui pour servir qui que ce soit : le Sorcier poursuit surtout ses propres aspirations, sans se soucier ni de son prochain ni de son salut. Cette lame dévoile chez le personnage son côté pragmatique et égocentrique. Elle ne fait pas du personnage XXII un sorcier en puissance, mais Le Sorcier montre qu’au fond de lui existe un penchant et peut-être même quelques connaissances enfouies, pour tout ce qui touche à ce que l’on nomme couramment la sorcellerie. Le personnage vient peutêtre d’une famille campagnarde et, comme Maupassant, a côtoyé durant l’enfance de petits paysans qui croyaient dur comme fer que « la mère Gauzel, ben, c’est une sorcière ! » ; ou bien, adolescent, il s’est fait refiler pour trois sous, par un colporteur, un grimoire avec des recettes de philtres d’amour et y a plongé avec délices ; ou encore, il a eu vent que le père Lauriac, c’était un vrai sorcier. Intrigué, il s’est un jour introduit dans sa remise et ce qu’il y a vu comme ingrédients entreposés l’a profondément marqué… Le Sorcier est l’opposé du Vicaire. Il est aussi au Diable ce que le Vicaire est à l’Archange : il vient en soutien au Diable et est l’opposé de l’Archange, même si l’influence de ce dernier l’emporte. 1

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LE GRAND LIVRE Le Grand Livre contient toutes les connaissances. Cette lame révèle l’état d’initié naturel et attise la soif de savoir, qu’il soit pratique ou théorique. Le tirage de cette lame prédispose aux études, qui auront certainement amené le personnage bien loin. Sa culture est intarissable et il se sera spécialisé dans XX un domaine de connaissance avec Le Grand Livre brio. Le personnage voue un véritable culte aux savoirs, à la culture et à la connaissance. La Lune Noire est l’opposé du Grand Livre. Si ces lames font toutes deux partie du tirage du personnage, nul doute que celui-ci est attiré par les connaissances, mais il y a un conflit intérieur quant à la direction vers laquelle cette attirance le porte. 3

INTERPRÉTATION DES LAMES OPPOSÉES Il se peut tout à fait que dans le tirage du personnage apparaissent deux arcanes majeurs qui sont en opposition : l’Archange et le Diable, le Vicaire et le Sorcier, le Grand Livre et la Lune Noire ou la Chance et la Mort. Comment interpréter ces lames qui semblent être contradictoires ? Une première façon, simple, est de considérer que ces lames s’annulent, comme si ni l’une ni l’autre n’étaient apparues dans le tirage. La seconde méthode, qui demande plus d’efforts d’imagination, mais est ludiquement plus riche, est d’essayer d’interpréter la présence des deux lames : cela peut donner des personnages tiraillés entre deux pôles opposés, qui vivent un conflit interne ou qui ont fait des choses totalement opposées à différents moments de leur parcours de vie.

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Les arcanes mineurs

Pour un personnage féminin, la lame Adam peut aussi donner lieu à plusieurs types d’interprétations : cette femme a du succès auprès des hommes et l’utilise volontiers. Elle est une séductrice, une sorte de Don Juan au féminin, ce qui n’est pas trop bien perçu à l’époque. Ou bien c’est une « cocotte », une femme entretenue et qui le vit bien. Ou alors il se peut qu’un homme – un père, un frère, un amant, quelqu’un de connu, un artiste admiré – ait joué un rôle important dans sa vie et cette femme lui porte un respect, une admiration particulière. On peut aussi imaginer que cette lame fait d’elle un « garçon manqué » – c’est peut-être même visible dans son habillement ou dans le choix de ses activités.

Ève & Adam Adam symbolise la masculinité et Ève, bien sûr, la féminité. L’interprétation de ces deux lames doit se faire en fonction du genre du personnage en question. Lorsque la lame correspond au genre du personnage, cela en renforce les stéréotypes considérés comme naturels, et en tout cas socialement définis à l’époque. Avoir la lame opposée à son genre dans son jeu peut signifier la quête de l’autre sexe… ou alors l’inadéquation avec ce qu’il convient d’appeler les stéréotypes sociaux, très forts en 1900. Cela offre beaucoup de possibilités d’interprétation – quelques-unes sont suggérées ci-dessous. ÈVE Pour un personnage féminin, l’interprétation de cette lame peut jouer sur les ressorts suivants : elle est ce qu’on nomme une « belle femme », élégante, qui attire les regards sans forcément le chercher. Elle a du succès auprès du sexe opposé, voire se révèle être une séductrice. Ou alors elle a simplement beaucoup de charme, III sans être un canon de beauté, et Ève n’hésite pas à jouer de sa séduction naturelle. Autre possibilité, elle possède un des traits de caractère que l’époque attribue aux femmes : gracieuse, de bonne éducation, sachant tenir son rang (!), courageuse, connaissant et respectant les usages. Dernière suggestion d’interprétation : l’attirance vers d’autres femmes. Pour un personnage masculin, Ève peut révéler qu’il se plaît en compagnie des femmes, qu’elles apprécient sa compagnie, qu’il a du charme. Cet homme voue peut-être une admiration à une femme en particulier, qu’elle soit de son cercle familial, une connaissance ou quelqu’un de célèbre. Autre possibilité, il peut avoir un côté dandy, une apparence androgyne, voire féminisée.

LE MÉDIUM Le Médium est sensible au monde impalpable des esprits, de « l’entre-deux ». Il est un pont entre deux réalités. Il ressent certains phénomènes dits surnaturels davantage qu’il ne les analyse… Cette lame en positif peut avoir plusieurs interprétations : le personnage est simplement très intuitif, il a parfois des « fulgurances » VI sur la pertinence desquelles seul le Le Médium meneur peut se prononcer. Il est probable que le Médium indique que celui-ci a une sensibilité particulière qui l’amène à avoir des flashs, des visions ou des hallucinations auditives qu’il ne s’explique pas. Il est possible qu’en entrant dans un lieu, il éprouve des sensations plus ou moins justes, que ses compagnons ne ressentiront aucunement. En ce sens, il peut passer à leurs yeux pour bizarre, voire farfelu. En d’autres mots, le personnage dispose d’un « don », mais il n’en est pas nécessairement conscient et n’en fait pas forcément usage. À moins bien sûr qu’il ait choisi une profession en rapport avec le spiritisme ou la voyance : dans ce cas, le Médium conforte ce choix grâce à ce don. Le Médium devient ainsi sa lame tutélaire (voir ci-dessous dans la section sur les arcanes de Métiers pour une explication des lames tutélaires). En négatif, cette lame peut donner lieu à plusieurs interprétations : le personnage rejette la croyance aux esprits, aux âmes en peine et autres phénomènes du même ordre. Il peut aussi être, à la façon de Houdini, un pourfendeur de ces thèses et de ceux qui les approuvent. Il est certes intuitif, mais ses intuitions sont souvent fausses et l’amènent à se fourvoyer. Poussé à l’extrême, ceci peut faire du personnage une sorte d’illuminé qui croit posséder quelques pouvoirs et… qui en fait n’en a aucun ! Car oui, si sa profession est en rapport, force est de constater que le destin ne le soutient pas. 17

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ADAM Pour un personnage masculin, cette lame peut vouloir signifier qu’il est un bel homme, qu’il a du succès auprès du sexe opposé, et même que c’est un « homme à femmes », un Don Juan. Il possède peut-être quelques-uns des traits de caractère que l’époque attribue aux hommes  : fort, courageux, aventureux, caractère affirmé, IV charisme, autorité. Interprétation Adam plus singulière : il pourrait être attiré par les hommes, ce qui en fait à l’époque un marginal, voire un inverti (terme très péjoratif), excepté dans quelques milieux artistiques ou mondains. 19

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LE CABALISTE La cabale (ou kabbale) est une science occulte cherchant à proposer une interprétation mystique de l’Ancien Testament. Elle se veut être un outil d’aide à la compréhension du monde en incitant à modifier notre perception de cette réalité. Elle offre des réponses aux questions essentielles concernant l’origine de l’univers, le rôle XVII de l’homme, son devenir… Selon Le Cabaliste d’autres sources, la cabale prétend permettre de communiquer avec les esprits. La lame du Cabaliste en positif révèle donc pour le personnage qui la tire une certaine démarche de savant, d’érudit, recherchant inlassablement la clé pour déchiffrer les mystères et les secrets. Cela inclut chez lui une réflexion mystique sur les phénomènes bizarres qu’il sera peut-être amené à observer. Il peut être attiré par tout ce qui est mystérieux, étrange (sans forcément de connotation surnaturelle ou magique), occulte et caché aux yeux des profanes, ce qui ajoute ici un côté ésotérique affirmé. Ce personnage n’est donc pas trop rationaliste et il cherche à toute chose un sens caché. Il est dès lors parfois capable de raisonnements tordus, pinailleur, victime de ses idées fixes, voire séduit par le « complotisme ». En négatif, cette lame indique bien sûr des penchants inverses : le personnage rejette les interprétations magiques

ou occultes auxquelles il affirme clairement ne pas croire. Il met en avant la raison et les faits pour analyser les choses. Il peut certes être attiré par ce qui est mystérieux et étrange, mais ce sera plutôt par curiosité intellectuelle, pour comprendre. Il cherche toujours des « preuves matérielles » pour étayer telle ou telle hypothèse. Ce personnage est peut-être même trop rationaliste, essayant de trouver absolument des explications à tout, allant jusqu’à tenter, parfois obstinément, de convaincre les autres du bien-fondé de ses thèses improbables, fût-ce au prix de la mauvaise foi. Le Cabaliste est aussi la lame tutélaire de tous ceux qui ont pour occupation bien particulière l’étude des textes ésotériques, des livres occultes, des grimoires et des religions perdues. L’ALCHIMISTE Loin du cliché du simple faiseur d’or, l’Alchimiste accomplit un travail sur plusieurs plans : réflexion mystique et processus opératoire. Devant fourneaux et cornues, il vérifie et prolonge hypothèses et intuitions, issues de sa réflexion quant aux phénomènes qu’il peut être amené à observer. L’Alchimiste est un XIX chercheur : il tente sans relâche L’Alchimiste de mettre en pratique les sciences contenues dans ses ouvrages en quête de la pierre philosophale ou d’un procédé de transmutation. C’est aussi un curieux et un perfectionniste. Cette lame offre plusieurs interprétations possibles : posé et rigoureux, le personnage est un rationaliste qui analyse les choses et réfléchit avant d’émettre un avis. Il est très curieux et veut comprendre les choses de la nature. Il a parfois des intuitions fulgurantes et cherche à les valider par l’expérience (à gérer par le meneur). Une telle personnalité est prédisposée à devenir ingénieur ou est tout du moins fascinée par la technique. D’ailleurs, s’il a effectivement une profession correspondante – ce qui, en plus des ingénieurs, inclut les inventeurs et les constructeurs – ce personnage est totalement dans son élément. On considère alors que l’Alchimiste est aussi sa lame tutélaire (voir la description des arcanes de Métiers). Lorsque l’Alchimiste se révèle en négatif, cela signifie que le personnage a une certaine méfiance, voire une défiance envers les progrès scientifiques ou techniques. Il préfère de loin son ressenti ou ses intuitions à une réflexion posée. Il se peut que la recherche du lien de cause à effet l’ennuie profondément et même qu’il atteigne ses propres conclusions de manière hâtive. Bien sûr, si le personnage a justement une profession en rapport avec l’ingénierie et la technique, cette lame en négatif indique qu’il n’a pas les bonnes prédispositions pour son métier – il y a fort à parier qu’il n’y excelle pas. 4

LA ROUE DE LA FORTUNE Cette lame indique que le destin du personnage est en fait plus complexe que celui de la moyenne des individus. Pour savoir si ce vécu atypique est constitué d’épisodes plutôt heureux ou malheureux, il faut regarder l’orientation de la carte : un sens positif montre un parcours complexe, mais couronné de succès, enrichissant, alors qu’un X sens négatif montre une vie semée La Roue de la Fortune d’embûches, que le personnage a surmontées ou surmonte encore avec peine, comme une vie aventureuse qui n’a pas tenu les promesses espérées. Pour préciser la connaissance du destin du personnage, le joueur tire une lame supplémentaire et le meneur de jeu en tire une également, qu’il ne communiquera pas au joueur. Ces deux lames se combinent à celles déjà choisies pour dévoiler la destinée de la personnalité que l’on façonne peu à peu. La Roue de la Fortune est une incitation à réfléchir à la création d’un personnage complexe, voir description page 218. La Roue de la Fortune est aussi la lame tutélaire pour les métiers aventureux. Si le personnage est une sorte de baroudeur ou d’explorateur, sa profession est en phase avec son destin… lorsque la lame apparaît en positif, bien sûr. En négatif, le personnage aura bien des peines à affronter les difficultés que son choix de carrière ne manquera pas de mettre sur sa route. 6

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Les arcanes de Métiers

ÉVITER LE SYSTÉMATISME

Les arcanes de Métiers révèlent la prédisposition du personnage à exercer ou ne pas exercer certaines fonctions. On parle de lame tutélaire (« qui assure une protection ») d’un certain Archétype et de ses professions. Certains arcanes mineurs sont aussi des lames tutélaires. Il est facile de reconnaître les lames tutélaires : ce sont tous les arcanes « orientés », c’est-à-dire visuellement partagées en deux et présentant un aspect positif et un aspect négatif. Une lame tutélaire présente dans le jeu du sujet indique une voie professionnelle favorable si le tirage est positif ou défavorable au personnage si le tirage est négatif. Le jeu du personnage peut contenir une lame qui correspond à son métier, mais il arrive également que le tirage révèle une ou des professions qui n’ont pas été choisies. Lorsque cela se produit, l’interprétation se basera typiquement sur les valeurs que la profession incarne. Il est aussi possible que cette lame représente quelqu’un d’important dans la vie du personnage, comme un ancêtre, un tuteur ou un modèle qui pratiquait cette profession. Le personnage a peut-être adopté une profession non symbolisée dans le Grand Jeu de la Connaissance, dans ce cas vous estimerez quelle est la lame se rapprochant le plus de l’activité en question. N’oubliez pas que vous pouvez aussi désigner parmi les arcanes mineurs quelles sont les lames tutélaires. L’ARTISTE Que ce soit à travers ses écrits, sa musique, sa peinture ou tout autre moyen, l’Artiste est celui qui parvient à susciter des émotions avec ses œuvres. Cette lame symbolise les compétences et les dons artistiques. Pour tout personnage ayant une profession correspondante, cette lame en positif peut signifier I qu’il s’épanouit dans son art, qu’il L’Artiste est un maître dans son domaine, qu’il est reconnu, voire célèbre : un artiste de music-hall ou une diva coqueluche du public, le portraitiste à la mode dans la bourgeoisie ou l’artiste qui fait frémir Paris. En négatif, notre artiste a peut-être de la peine à débuter et à se faire un nom, il est réduit à courir le cacheton dans des établissements minables ou est carrément un artiste maudit, raté. Ou alors c’est un faussaire ou un trafiquant d’art. Autre possibilité : c’est un artiste d’avantgarde que les critiques rejettent et méprisent – comme ce fut le cas des impressionnistes, tant appréciés aujourd’hui. Pour un personnage sans rapport avec les métiers artistiques, cette lame en positif peut signifier que l’on a affaire à un amateur d’art (peinture, sculpture, musique, opéra, théâtre, cabaret…), à un individu qui aimerait bien être un artiste, qui en fréquente ou en compte au sein de sa famille. En négatif, ce personnage méprise les arts (ou un seul art) ou même les artistes (fainéants, profiteurs, vivant dans

Ces lames tutélaires ont toutes un sens positif et un sens négatif. Nous vous suggérons d’éviter d’être systématique dans leurs interprétations. Exemple : un joueur choisit d’incarner un médecin. Il retourne la lame Hippocrate en négatif. Point n’est besoin d’asséner d’emblée que le personnage est un mauvais médecin. Tout d’abord parce que cela risque de décevoir le joueur en lui imposant un aspect de son alter ego qui va peut-être à l’encontre de ce qu’il a envie de jouer. Et aussi parce qu’il y a beaucoup d’interprétations possibles ! Un meneur de jeu pourrait par exemple engager la discussion avec le joueur de la façon suivante : « Tiens ! Ce docteur a, semble-t-il, eu quelques difficultés dans sa vocation ou dans sa carrière de médecin… » C’est au joueur de définir ce qu’il en est. Il peut bien sûr parler de mauvais médecin ou de médecin raté. Mais il peut proposer un obstacle moindre, comme des difficultés dans ses études ou dans sa pratique quotidienne. Cela vaut évidemment pour toutes les lames orientées. Après tout, un joueur voulant incarner un artiste maudit et qui tire l’Artiste en positif, par exemple, ne doit pas être brimé non plus. Notons que la lame peut aussi représenter un protagoniste important de la vie passée ou présente du personnage. Donc pas de systématisme, mais des interprétations avec lesquelles le joueur doit se sentir à l’aise. S’il est présent, le meneur de jeu, de par sa pratique et sa connaissance de Maléfices, épaulera le joueur en proposant un éventail d’interprétations possibles afin d’éviter toute redondance. Bref, il s’agit d’une création commune et dynamique du personnage, par un jeu d’allersretours entre les lames tirées et leur interprétation par le joueur et éventuellement le meneur.

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la débauche, bref un des clichés habituels…), n’aime pas les spectacles ou est peu cultivé sur le plan artistique. Bien qu’attiré par une carrière artistique, il se peut qu’il y ait renoncé en voyant les conditions matérielles misérables que cela risque d’impliquer et y a trouvé la motivation pour s’engager sur une autre voie. LE JUGE Cette lame dénote un sens aigu de la justice, de l’équité et de la morale, ainsi qu’un respect et un intérêt pour le droit. C’est l’arcane de toutes les professions juridiques. Pour un personnage qui a un métier en rapport, le tirage du Juge en positif peut impliquer que c’est un professionnel irréprochable, VIII incorruptible, vraiment épris de Le Juge justice, très zélé, très consciencieux et soucieux de la rectitude dans toutes ses actions. En négatif, il sera peut-être peu regardant, corruptible, il aura des jugements entachés par une idéologie, une idée fixe ou un préjugé. Un juge peu pertinent dans 15

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ses décisions, un avocat véreux ou peu scrupuleux. Il peut aussi s’agir d’un juge dont la carrière est dans une impasse, relégué parce qu’il a refusé de se taire sur une affaire impliquant des personnalités haut placées, par exemple. Pour un personnage sans rapport avec les métiers de la justice, cette lame en positif peut indiquer une personne très droite, éprise de justice, ne supportant pas l’injustice (ce n’est pas tout à fait pareil !), respectueuse de la loi, des règles sociales ou morales, de l’étiquette. En négatif, ce personnage a peut-être eu maille à partir avec la justice, il est corruptible, a un sens un peu particulier ou très personnel de la justice, ne répugnant pas à des actions en marge de la loi.

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LE MOINE Le Moine vit reclus pour œuvrer au salut de tous. Cette lame implique un attrait pour la vocation religieuse, un sens de la charité, du don de soi et de l’ascétisme. Pour un personnage qui a une profession en rapport avec la religion, quelle qu’elle soit, cette lame peut indiquer que celui-ci a la vocation chevillée au corps, qu’il se donne sans compter pour sa foi, qu’il est un pratiquant fervent ou

LE SAVETIER Le Savetier est un travailleur, un artisan doué de ses mains et fier de son savoir-faire. Cette lame regroupe plusieurs professions, dont les artisans, commerçants, ouvriers et employés. Pour un personnage qui a une carrière en rapport avec le travail manuel, l’artisanat ou le commerce, cette lame en posiXII tif indique qu’il a réussi dans son Le Savetier domaine, qu’il s’est fait un nom ou qu’il possède un commerce, une entreprise ou un magasin florissant. Il se démarque aussi par ses compétences. En négatif, peut-être n’a-t-il pas réussi, éprouve des problèmes passagers ou est en grande difficulté financière. Pour un personnage dont le métier est sans rapport, cette lame en positif peut signifier qu’il est habile de ses mains, qu’il vient de ce milieu de l’artisanat ou du commerce, qu’il a été apprenti dans ce domaine avant d’être ce qu’il est et en a gardé des choses positives. S’il est socialement favorisé, il n’a aucun mépris de classe et respecte les gens de ce milieu. En négatif, le personnage ne sait rien faire de ses dix doigts, a honte de venir de ce milieu de l’artisanat ou du commerce, a été apprenti dans ces métiers avant d’être ce qu’il est et en a conservé de mauvais souvenirs ou méprise les gens pratiquant ces professions. 11

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Le Moine

de guerre reconnu, un ancien combattant ne remettant rien en cause. Si le Centurion apparaît en négatif, on a vraisemblablement affaire à un « caporal-chef de carrière », une forte tête trop indisciplinée, une tête brûlée, un « trompe-la-mort », une vieille baderne, un ancien militaire dans la débine, ou un blessé de XI guerre désabusé. Un certain refus Le Centurion de l’autorité et/ou une rancœur envers la hiérarchie peuvent aller de pair avec ce type de personnages. Pour un individu sans rapport avec les métiers des armes, cette lame en positif peut indiquer un grand respect pour l’institution qu’est l’armée, pour l’ordre ou simplement pour la parole donnée. Il est aussi possible qu’il ait une autorité naturelle ou soit très soucieux de l’honneur. En négatif, le personnage n’aime peut-être ni les militaires, ni l’ordre, ni la hiérarchie, voire est un pacifiste ou un anarchiste. Ou alors son service militaire s’est mal déroulé ou il a connu la guerre et en est resté marqué à vie.

très charitable. Si cette lame se révèle en négatif, on peut y voir quelqu’un qui aurait embrassé la carrière ecclésiastique pour de mauvaises raisons. Il a par exemple été contraint, ou alors c’était par ambition, par goût de l’aventure (pour un missionnaire), pour fuir son passé ou expier une faute. Pour un personnage sans rapport avec les fonctions religieuses, cette lame en positif peut signifier qu’il est un croyant fervent et pratiquant ou tout du moins quelqu’un de respectueux de la religion et de ses préceptes. Il peut également avoir fréquenté un établissement scolaire religieux, avoir beaucoup appris au contact d’un brave curé ou d’une bonne sœur, avoir eu son âme sauvée par un directeur de conscience ou avoir été soigné par une religieuse. Si le Moine apparaît en négatif, ce personnage rejette sûrement la religion du fait de son positionnement philosophique ou politique. C’est peut-être même un athée, un « bouffeur de curés » ou carrément un anarchiste – ni dieu ni maître ! Il se peut aussi que ce rejet vienne d’une expérience désagréable, comme la fréquentation d’un établissement religieux (école, orphelinat, pension…) dont il garde de très mauvais souvenirs. LE CENTURION Cet arcane respecte l’ordre et la hiérarchie. Il agit, part au combat. À un certain niveau, il émane de lui une autorité naturelle. C’est la lame des professions en rapport avec l’armée et les métiers des armes. Pour un personnage dont la profession correspond, cette lame en positif peut signifier qu’il est un excellent militaire, promis à une brillante carrière ou ayant déjà atteint un grade important. Il peut même être un héros

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L’ARCHIVISTE Il porte bien sûr un intérêt tout particulier aux livres. C’est la lame des vocations et des professions intellectuelles – savant, enseignant, professeur, écrivain, journaliste, bibliothécaire… Pour celles et ceux ayant un métier en rapport, cette lame, orientée positivement, dénote un personnage s’épanouissant dans XIV son travail, bon dans son domaine, L’Archiviste voire possédant une certaine renommée. Écrivains, professeurs et journalistes peuvent avoir publié avec succès. En négatif, le personnage ne s’épanouit pas dans son métier – il s’est fourvoyé, n’est pas à sa place, voire regrette son choix. C’est un mauvais professeur, un savant qui n’a rien découvert, un écrivain qui n’est pas lu, un journaliste obligé de tenir la rubrique des chiens écrasés. Pour un personnage sans rapport avec les livres et les professions intellectuelles, l’Archiviste en positif suggère qu’il aime les livres, qu’il est un bibliophile, cultivé, doté d’un esprit curieux de tout, qu’il est un autodidacte brillant, s’il vient d’un milieu plutôt modeste, par exemple. En négatif, ce personnage n’aime pas les livres ou la lecture : « C’est du temps perdu ! » Il est peu cultivé, est un ancien cancre à l’école, voire une personne qui ne sait pas lire ou lit fort mal – selon les milieux, c’est courant, possible ou rare.

HIPPOCRATE Il s’agit bien de ce célèbre philosophe et médecin grec qui a donné son nom au serment visant à renforcer la déontologie, l’éthique et le respect de la vie de ceux qui soignent les corps. Pour un personnage ayant une profession en rapport avec la médecine ou la santé, cette lame en positif peut vouloir dire qu’il est XVI ce qu’on appelle un bon médecin, Hippocrate qu’il a un diagnostic sûr, qu’il a gagné l’estime des gens en sauvant des vies, qu’il a une clientèle qui lui assure un quotidien confortable. Si dans son tirage se trouve aussi une lame liée à la religion (l’Archange, le Vicaire, le Moine), on peut y voir un côté social ou humaniste : il soigne les démunis gratuitement, il travaille en hôpital, il lutte contre le manque d’hygiène dans les quartiers pauvres. En négatif, il peut s’agir d’un mauvais médecin. Ou alors de quelqu’un qui, bien que doué, vit mal les échecs qu’il rencontre forcément (mort d’un patient, maladie grave frappant les enfants), qui n’arrive pas à se constituer une patientèle, qui a commis quelques erreurs de diagnostic qui le poursuivent. Ou peut-être accepte-t-il de pratiquer des avortements, sévèrement réprouvés et punis à l’époque. Pour un personnage dont le métier est sans rapport, un tirage en positif indique qu’il a bien évidemment un lien bénéfique avec la médecine, que ce soit parce qu’il a été sauvé par elle ou parce qu’il la pratique à son niveau : 7

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EXEMPLES Lors du tirage des lames du Grand Jeu de la Connaissance, le joueur interprétant Claire Dubreuil se retrouve avec, devant lui, le Vicaire, l’Archiviste orienté positivement, Adam ainsi que la Mort. Guidé par les suggestions du meneur de jeu, il est décidé d’interpréter les lames comme suit : - le Vicaire vient appuyer ce que le joueur a déjà décidé pour Claire Dubreuil : bien que soutenant les positions laïques, elle garde une foi réelle. Cette foi n’est pas forcément celle dictée par le clergé, mais un chemin qu’elle se construit en partie seule ; - en tant qu’institutrice, l’Archiviste est la lame tutélaire de Claire Dubreuil. Comme cette lame est orientée positivement, elle s’épanouit dans son travail. Sa façon d’enseigner fait que les éventuels détracteurs réfractaires à la féminisation de sa profession ne trouvent pas d’arguments à son encontre ; - la lame Adam vient montrer que Claire Dubreuil a un certain succès auprès des hommes, ce qu’elle utilise au besoin, sans être nécessairement une séductrice ; - la Mort n’est ici pas interprétée comme un événement du passé, mais plutôt comme quelque chose qui risque bien d’arriver en cours de partie – à la discrétion du meneur. Quant à la personne jouant Paul Joncourt, le tirage révèle le Médium orienté positivement, l’Artiste orienté négativement, l’Alchimiste en positif ainsi que le Diable : - le Médium orienté positivement montre que Paul Joncourt est sensible au monde des esprits. Le joueur décide

que son personnage a parfois des « images mentales » qui lui viennent lorsque celui-ci doit soigner quelqu’un entre la vie et la mort. Il ne se les explique pas, mais il note qu’elles sont chaque fois en relation avec ce qui vient d’arriver au malheureux patient qu’il a devant lui ; - l’Artiste orienté négativement est une surprise pour le joueur interprétant Paul Joncourt. Il décide que celui-ci méprise les artistes à qui l’on donne beaucoup trop d’importance, alors que l’Alsace et la Lorraine sont à reconquérir ; - l’Alchimiste en positif indique que Paul Joncourt est aussi un médecin qui cherche à améliorer la façon de soigner les blessés de guerre. Il travaille actuellement sur une méthode permettant l’extraction des balles des tissus mous qui diminuerait grandement les risques d’infection ; - le Diable vient souligner le côté matérialiste de Paul. « La fin justifie les moyens » est son credo pour que la revanche se réalise. En plus des noms des lames du tirage et de leur orientation éventuelle qu’ils notent dans les cases prévues à cet effet au recto de la feuille de personnage, les joueurs écrivent les éléments importants de l’interprétation du tirage au verso, sous la rubrique des éléments biographiques. De son côté, le meneur de jeu note sur sa feuille la lame secrète qu’il a tirée pour Claire Dubreuil ainsi que celle pour Paul Joncourt.

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peut-être qu’il sait prodiguer les premiers soins, qu’il s’occupe d’un patient, qu’il est un rebouteux ou se targue d’avoir « un don » pour soigner les gens. En négatif, ce personnage fuit peut-être les médecins ou les hôpitaux, a été mal soigné et en a gardé des séquelles ou a peur des maladies, des piqûres et des traitements. Il se peut qu’il ait tenté d’aider quelqu’un et que cela se soit terminé en fiasco. LE LABOUREUR Le Laboureur a un lien privilégié avec la nature. Comme tous les paysans, c’est un travailleur inlassable, toujours sur pied du matin jusque tard dans la nuit. C’est la lame des professions en rapport avec l’agriculture, la terre, la nature. Un personnage dont la profession correspond et ayant cette lame en positif excelle dans son métier, XXI arrive à en vivre, a certainement Le Laboureur une grande ardeur au travail. En négatif, le Laboureur peut indiquer que la ferme ou le domaine a des difficultés, décline ou s’appauvrit, peutêtre même au point où le personnage réfléchit à abandonner son métier pour partir vers la ville. Pour tous les autres métiers, cette lame en positif peut indiquer des racines paysannes assumées, voire revendiquées. Ou alors un personnage qui n’aime rien tant que de se promener dans les bois, les champs, les parcs, ou est très attaché à sa maison de campagne, au fin fond d’une province française. En négatif, le personnage rejette ou cache ses origines rurales, il peut aussi être un snob méprisant ceux qu’il qualifie de « bouseux ». Peut-être adore-t-il tellement la ville qu’il ne la quitte pratiquement pas. 2

AVERTISSEMENT Les chapitres suivants des règles sont destinés au meneur de jeu. Tant que vous ne désirerez pas remplir cet office, il sera préférable que votre connaissance de la technique du jeu s’arrête ici. De cette manière, les parties de Maléfices resteront plus longtemps nimbées d’un certain mystère et garderont à vos yeux un caractère magique.

$ Des caractéristiques secrètes : le Fluide et la magie Le Fluide Les modificateurs de pratique de la magie

Expliquer ce que représente le Fluide est rendu complexe par la difficulté de définir le sujet. Notre langue est rationaliste et le vocabulaire dont nous disposons pour parler du surnaturel est incomplet ou inadapté. De façon très simpliste, nous pouvons considérer le Fluide comme l’énergie animant le surnaturel. De nombreux savants ont cherché à démontrer scientifiquement son existence. Ce fut un échec, le Fluide échappant aux techniques rationnelles d’analyse. Mais aucun d’entre eux n’a jamais réussi à prouver que cette énergie n’existait pas. Le Fluide, présent dans tout l’univers de manière diffuse, est animé d’un perpétuel mouvement de flux et de reflux. Certains lieux ou certaines créatures représentent pour cette énergie des points de passage plus favorables que d’autres. C’est le cas des lieux maudits (maisons hantées, ronds de sorcières, etc.) et des lieux sacrés (pyramides égyptiennes, clairières des druides, cathédrales, temples, etc.). Toutes les créatures surnaturelles, qu’elles soient d’essence divine ou d’origine maléfique, apparaissent dans notre monde sous la forme d’une émanation matérielle du Fluide. Créature terrestre possédant une âme immortelle, l’homme est conducteur du Fluide dans une certaine mesure et de façon variable selon les individus. Dans Maléfices nous qualifierons de niveau ou de potentiel de Fluide le degré de conductibilité du Fluide de chaque personnage. Plus le niveau de Fluide d’un personnage sera bas, plus il sera résistant au passage de cette énergie. Plus il sera élevé, plus il sera bon conducteur et plus un grand courant de Fluide transitera continuellement à travers lui.

À la création de personnage, selon le tirage du Grand Jeu de la Connaissance ou en cours de partie, à la suite de confrontations au surnaturel, certains personnages se voient attribuer un bonus ou un malus en pratique de magie noire ou blanche. Ces bonus ou malus sont appelés Modificateur de pratique de magie noire (MPMN) et Modificateur de pratique de magie blanche (MPMB). Lorsque le personnage tentera un acte de magie, le modificateur correspondant viendra s’additionner à son Fluide pour constituer l’un des éléments du score de Fluide. Ce score sera ensuite comparé au Seuil de pratique de l’acte magique, c’est-à-dire le minimum de score en Fluide qu’il faut atteindre pour qu’un acte magique déploie ses effets. Ainsi, un personnage qui dispose dans son Grand Jeu de la lame du Sorcier par exemple, jouit d’un MPMN de +1 (voir section suivante). Pour ce personnage, donc, la pratique d’un sortilège ou d’un rituel de magie noire est plus facile, car il bénéficie d’un point supplémentaire pour atteindre le Seuil de pratique du sortilège. À l’inverse, un personnage qui a tiré La Lune Noire aura un score de Fluide pénalisé de 3, lorsqu’il voudra pratiquer la magie Blanche (MPMB de -3). Étant attiré par les forces lucifériennes, la difficulté à pratiquer un sortilège de magie blanche sera « augmentée » de 3 points pour ce personnage. Ces bonus ou malus ne doivent pas être connus du joueur. Ils sont reportés sur la feuille du meneur qui en tiendra compte lors de l’accomplissement d’un acte magique. Notons que d’autres bonus ou malus dépendant de la situation et de l’acte magique en question viendront potentiellement s’ajouter dans le calcul du score de Fluide. Nous n’avons pas besoin d’en dire plus à ce stade, les mécanismes de la magie dans Maléfices sont exposés plus loin, dans la partie La gestion du fantastique, page 234.

Tout personnage de Maléfices possède, à sa création, un niveau de Fluide de 5. Ce potentiel de départ peut-être modifié par le destin lors du tirage du Grand Jeu de la Connaissance (cf. page 135) ou en cours de partie. Par ailleurs, comme cette caractéristique est secrète, le joueur n’a aucune possibilité d’investir des points afin d’augmenter sa valeur de Fluide comme il pourrait le faire avec une autre caractéristique. Toutefois, il est logique que sa vie ait pu influencer favorablement son Fluide. Aussi, si les éléments biographiques du personnage vous semblent aller dans ce sens, vous pouvez, en tant que meneur, augmenter secrètement le Fluide du personnage de 1 point.

E ffets du tirage du Grand Jeu de la Connaissance Comme nous l’avons vu, le tirage des lames influe sur le destin du personnage. Cet effet se retrouve aussi dans les caractéristiques de celui-ci. Si vous êtes meneur de jeu et que vous épaulez un joueur dans la création de son alter ego, nous vous conseillons de ne pas annoncer les modifications lame après lame, mais d’additionner les changements apportés par chacune d’entre elles dans les caractéristiques, individuellement.

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En effet, cela laisse plus de mystère quant à l’effet de chaque lame prise isolément. De plus, n’oubliez pas de tenir compte de toutes les lames, y compris celle(s) que vous avez tirée(s) et notée(s) sur la feuille de meneur de jeu. Voici ce qu’il en est, lame après lame :

meneur, selon ce qui lui semble cohérent avec le personnage créé). Si la lame représente le sexe opposé, elle n’a aucun effet. L’ALCHIMISTE Si cette lame est positive, la Rationalité du personnage sera augmentée de 2 et diminuée de 2 si la lame est négative. Si ce personnage est ingénieur (ou une profession en rapport), l’Alchimiste est à considérer comme sa lame tutélaire. Les bonus et les malus des arcanes de Métiers s’appliquent alors (voir ci-dessous).

L’ARCHANGE Le personnage progresse de +2 en Spiritualité. Pour les sorts de magie blanche, un Modificateur de pratique de magie blanche augmentant de +2 le score de Fluide sera appliqué. Le pouvoir de cette lame est réduit de moitié (+1 en Spiritualité, +1 au Modificateur de pratique de magie blanche) par la présence du Sorcier dont l’effet est annulé. Cette lame s’annule avec Le Diable.

LE CABALISTE Cette lame agit sur la Spiritualité du personnage. Selon une représentation positive ou négative, la Spiritualité du personnage sera modifiée respectivement de +2 ou –2. Si le personnage est versé dans l’étude des textes ésotériques ou occultes, le Cabaliste est alors sa lame tutélaire. Les modificateurs des arcanes de Métiers s’appliquent (voir plus bas).

LE VICAIRE Cette carte entraîne une augmentation de 1 point de la Spiritualité et un Modificateur de pratique de magie blanche de +1. Le Vicaire annule le Sorcier ou réduit de moitié les pouvoirs du Diable. Dans les deux cas, sa propre influence est anéantie.

LE MÉDIUM Si cette lame est apparue en positif, le Fluide augmente de 2 points. Cependant, si le Médium est en négatif, le Fluide baisse de 2 points. Le Médium est la lame tutélaire de tous ceux ayant choisi une profession en rapport avec le spiritisme ou la voyance. Les gains ou les pertes en caractéristiques des arcanes de Métiers s’appliquent alors (voir plus loin).

LE GRAND LIVRE La présence de cette lame augmente de +1 la Rationalité, la Spiritualité ainsi que le Fluide du personnage. Néanmoins, le Grand Livre voit son influence annulée si dans le tirage du personnage se trouve aussi la Lune Noire.

La lame tutélaire

LE DIABLE Il facilite l’utilisation des sorts de magie noire grâce à un Modificateur de pratique de magie noire de +2 et le personnage gagne 2 points en Rationalité. Le Diable et l’Archange s’annulent réciproquement.

Lorsque dans le tirage du personnage se trouve sa lame tutélaire, c’est-à-dire la lame qui correspond à sa profession, les scores dans deux de ses capacités (Aptitudes physiques, Perception, Habileté, ou Culture générale) au choix du joueur augmentent de +1 si la carte est orientée positivement. Si la lame tutélaire est négative, cela signifie que son choix professionnel ne correspond pas à ses dons, et le fait de vivre une vie pour laquelle il n’est pas adapté entraîne une baisse de –1 dans deux de ses quatre capacités, toujours au choix du joueur. Le guide d’interprétation des lames du Grand Jeu de la Connaissance donne beaucoup d’indications quant à savoir quelle lame est tutélaire de quelle profession. Il vaut cependant la peine d’ajouter ici que la Roue de la Fortune est aussi la lame tutélaire des rentiers, le Juge celle des politiciens, le Savetier celle des milieux d’affaires et le Laboureur celle des domestiques. Les Archétypes de professions (cf. pages 154 à 216) donnent des précisions et font référence en la matière. Vous trouverez à la page suivante un tableau récapitulatif du pouvoir du Grand Jeu de la Connaissance sur les caractéristiques de votre personnage. N’oubliez pas de tenir compte de certaines combinaisons qui annulent ou réduisent les effets de certaines lames. À l’abri des yeux du joueur, procédez aux calculs nécessaires. Chaque lame peut en effet avoir une

LE SORCIER L’apparition du Sorcier entraîne une augmentation de +1 de la Rationalité du personnage ainsi qu’un Modificateur de pratique de magie noire de +1. Le Sorcier perd son pouvoir face à l’Archange, mais ce dernier voit son effet réduit de moitié. Le Sorcier et le Vicaire s’annulent réciproquement. LA LUNE NOIRE Le pouvoir de cette lame ajoute 1 point à la Rationalité du personnage ainsi que 2 points à son niveau de Fluide. Comme il est plus difficile de manier la magie blanche lorsque la Lune Noire est présente, le personnage a un MPMB de –3, rendant d’autant plus difficile l’atteinte du Seuil de pratique de ce genre de sorts. La Lune Noire et le Grand Livre s’annulent réciproquement. ÈVE & ADAM Si un personnage a dans son jeu la lame correspondant à son sexe orientée positivement, il voit le bonus correspondant à un arcane majeur doubler (à la discrétion du

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incidence sur les caractéristiques et les capacités de base du personnage. Ces effets de chaque lame s’additionnent pour aboutir à des effets globaux. Dans vos calculs, tenez compte de la lame (ou des lames) secrète que vous avez tirée. Annoncez au joueur les modifications qu’il doit apporter aux caractéristiques et aux capacités de son personnage. Attention ! Ne lui communiquez que les modifications qui affectent des données dont il peut avoir

RATIONALITÉ L’Archange

CAPACITÉS

FLUIDE

+2

Le Vicaire Le Grand Livre

SPIRITUALITÉ

connaissance. Souvenez-vous qu’il ne doit pas connaître le niveau de Fluide de son personnage ni les modificateurs de pratique des actes surnaturels. Rappelez-vous qu’il ne doit pas non plus connaître la ou les lame(s) secrète(s) de son tirage. Vous trouverez, ci-après, les feuilles de personnage de Claire Dubreuil et de Paul Joncourt complètement remplies en application des règles de création des personnages.

Le Diable

+2

Le Sorcier

+1

La Lune Noire

+1

Adam, Ève

MPMN

+2

+1 +1

MPMB +1

+1

+1 +2 +1 +2

–3

Double les effets d’un arcane majeur au choix du meneur.

L’Alchimiste +

+2

L’Alchimiste –

–2

Le Cabaliste +

+2

Le Cabaliste –

–2

Le Médium +

+2

Le Médium –

–2

Lame tutélaire +

+1 pour deux capacités

Lame tutélaire –

–1 pour deux capacités

EXEMPLES Pour rappel, les lames tirées pour Claire Dubreuil sont : le Vicaire, l’Archiviste en positif, Adam ainsi que la Mort. La lame secrète de ce personnage, notée sur la feuille de meneur de jeu, est la Lune Noire. Voici les calculs qu’entreprend le meneur de jeu : la présence de la lame tutélaire (l’Archiviste) en positif fait que deux capacités sont augmentées chacune de 1 point. Le Vicaire et la Lune Noire influencent chacune plusieurs caractéristiques, deux que le joueur doit connaître, Spiritualité et Rationalité, et deux qui lui sont cachées, Fluide et MPMB. La présence d’Adam n’a aucun effet ici, Claire Dubreuil étant une femme. Le meneur de jeu annonce au joueur interprétant Claire Dubreuil qu’il doit ajouter 1 point dans les caractéristiques suivantes : Spiritualité, Rationalité et un point dans deux capacités de son choix (Aptitudes physiques, Perception, Habileté et Culture générale). Le joueur décide de modifier les deux premières. Que de bonnes nouvelles, en somme ! Le meneur de jeu inscrit sur sa feuille que Claire possède 7 en Fluide (5 de base plus 2

points grâce à la Lune Noire). Le Vicaire donne 1 point de MPMB, mais La Lune Noire fait chuter ce même MPMB de 3 points. Le MJ note donc –2 pour le MPMB de Claire Dubreuil. Les lames du Destin de Paul Joncourt sont : le Médium en positif, l’Artiste en négatif, l’Alchimiste en positif ainsi que le Diable. La lame secrète est le Vicaire. L’Artiste n’a aucun effet ici, car cette lame n’est pas la lame tutélaire de Paul Joncourt, dont la profession ne correspond pas. La présence du Vicaire réduit de moitié les effets du Diable : donc, au lieu de 2 points en Rationalité et en MPMN, on n’augmentera ces deux caractéristiques que de 1 point. L’Alchimiste en positif donne 2 points en Rationalité. Le meneur indique au joueur qu’il faut augmenter la Rationalité de Paul Joncourt de 3 points. Il note sur la feuille du meneur de jeu que le Fluide est de 7 (5 de base plus 2 points grâce au Médium) et le MPMN est, comme on l’a vu, de +1.

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On commence ? Une finalisation optionnelle Tous les joueurs sont maintenant en possession de leur alter ego. Ce ne sont encore que des personnages de papier auxquels il faut apporter corps et vie ! De plus, ils sont des individualités et pas un groupe, encore moins une équipe. Si vous êtes en train de créer votre personnage en groupe avec vos camarades et votre meneur de jeu préféré, nous vous proposons de terminer la création de vos personnages tous ensemble, par un moment ludique. En effet, vous allez jouer vos tout nouveaux personnages dans une saynète où ceux-ci vont apprendre à se connaître. Cela peut être un événement mondain, une réunion dans un café ou alors un dîner chez quelqu’un d’important. L’idée est de commencer in media res afin de se concentrer sur les dialogues qui ne vont pas manquer de s’amorcer. La tâche du MJ sera de favoriser le démarrage de ces dialogues. Il ne peut donc se livrer à cette mise en scène que s’il connaît bien chaque personnage. Dans le cadre de cette saynète le meneur de jeu interprète un personnage non joueur qui lance la conversation :

« Ainsi donc, Monsieur Delourmond – nom d’un des personnages joueurs bien sûr –, vous nous venez de Normandie ? Et vous êtes docteur, malgré votre jeune âge ? » Laissez le joueur répondre. S’il pose d’abord des questions sur celui ou celle qui lui parle, décrivez-lui la personne qui l’a interpellé – le personnage non joueur que vous avez choisi pour jouer cette scène – et laissez-le répondre et réagir. Encouragez ensuite tous les joueurs présents à formuler d’autres interrogations. L’idée serait qu’à la fin de cette saynète, chaque personnage ait posé au moins une question à chacun des autres personnages afin de rendre la présentation vivante. Le meneur intervient seulement pour relancer le processus si les joueurs sont en difficulté. Il se peut bien sûr que votre meneur de jeu ait un scénario qui commence par la constitution d’un groupe. Dans ce cas-là, la première rencontre des personnages fait partie intégrante de ce scénario.

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ÉTAT CIVIL

Nom : Dubreuil Prénom : Claire Angers Lieu & date de naissance : 21 mars 1872 à Âge : 28 ans (1900) Nationalité : française Profession : institutrice Milieu social : fonctionnaire

Résidence : Angers Constitution

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Aptitudes physiques 5 6 7 8 9 10 11 12 13 13 13 13 13

Culture générale : 10

Habileté : 13

Perception :

12

Spiritualité

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Rationalité

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Lames du Destin

Le Vicaire

L’Archiviste +

Adam

La Mort

Points de Destin

1

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

Enfance : a grandi dans une large fratrie à la campagne Vie d’adulte : institutrice Loisirs : monter à cheval

Singularité : a participé à une course hippique, déguisée en homme Orientation politique : radicalisme républicain Orientation religieuse : laïque tout en gardant une foi réelle Position vis-à-vis du fantastique : vif intérêt pour le fantastique paysan

Autres éléments biographiques : - Connaissance des herbes, plantes et remèdes de grand-mère - Facilité à calmer les animaux - A un certain succès auprès des hommes

ÉTAT CIVIL

Nom : Joncourt Prénom : Paul Nancy Lieu & date de naissance : 18 juillet 1860 à Âge : 40 ans (1900) médecin militaire Nationalité : française Profession : (grade de lieutenant-colonel) Milieu social : bourgeois aisé

Résidence : Paris Constitution

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Aptitudes physiques 5 6 7 8 9 10 11 12 13 13 13 13 13 13 13

Culture générale : 14

Habileté : 12

Perception :

11

Spiritualité

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Rationalité

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Lames du Destin

Le Médium +

L'Artiste - L'Alchimiste +

Le Diable

Points de Destin

1

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

Enfance : né avec une cuillère en argent dans la bouche. A goûté à l'amertume de la défaite et de l'exil en 1870 Vie d’adulte : longues études en internat de médecine, puis a rejoint l'armée Loisirs : fréquente les bistrots Singularité : une rumeur dit que s'il a rejoint l'armée, c'est aussi parce qu'une nuit, trop alcoolisé, il aurait raté une opération Orientation politique : la Revanche !

Orientation religieuse : catholique, mais fort peu pratiquant

Position vis-à-vis du fantastique : il aime à se faire tirer les cartes, surtout pour connaître sa fortune amoureuse Autres éléments biographiques : - Exerce à l'hôpital des Invalides

- Fêtard invétéré durant son internat

- Est sensible au monde des esprits : des flashes lui viennent lorsqu'il soigne quelqu'un à l'article de la mort

- Méprise les artistes

- Cherche à améliorer la façon de soigner les blessés de guerre. Travaille sur une

méthode d'extraction des balles des tissus mous qui diminuerait grandement les risques d'infection.

Nom du personnage : Claire Dubreuil Nom du joueur : Profession : institutrice Constitution : 13 Aptitudes physiques : 13 Perception : 12 Habileté : 13 Culture générale : 10 Lames : Le Vicaire



La Mort

Notes :

Âge : 28 ans (1900) Spiritualité : 10 Rationalité : 14 Fluide : 7 MPMB :-2 MPMN : 0

L’Archiviste + Adam  lame secrète : La Lune Noire

Nom du personnage : Paul Joncourt Nom du joueur : Âge : 40 ans (1900) Profession : médecin militaire (lieutenant-colonel) Spiritualité : 12 Constitution : 15 Rationalité : 13 Aptitudes physiques : 13 Fluide : 7 Perception : 11 MPMB : 0 Habileté : 12 Culture générale : 14 MPMN : 1 Lames : Le Médium + L’artiste – L’Alchimiste + Le Diable lame secrète : Le Vicaire Notes :

$ Les Archétypes À propos des fiches d’Archétypes… «  Archétype… Archétype ! Est-ce que j’ai une gueule d’Archétype ? »

En effet, certaines professions sont délicates dans nombre d’aventures, en ce qu’elles peuvent interférer grandement avec l’intérêt scénaristique : un policier, par exemple, peut avoir très – trop ! – facilement accès à des données sensibles connues de la seule police, et cela pourrait rendre trop simple une enquête à laquelle seraient mêlés les personnages. C’est pourquoi nous ne proposons pas ici d’Archétype de gendarme ou de policier. C’est un choix réfléchi et assumé. En revanche, nous envisageons à terme la création d’une « Brigade des Maléfices » qui, toutes proportions gardées, serait aux Brigades du Tigre ce que X-Files est au FBI… Nos joueurs auront donc l’occasion d’endosser alors des rôles de policiers – et même de policières, en l’occurrence, ce qui surprendra sans doute les malfrats ! – mais dans un contexte qui favorise le scénario au lieu de le simplifier ou de le desservir… D’autres professions s’avèrent très contraignantes, « vissant » ceux qui les exercent à leur poste de travail pour plus de dix heures quotidiennes (et parfois douze !). Difficile dans ces conditions de se lancer à l’aventure quand celle-ci pointe le bout de son nez ! Est-ce à dire que l’on ne peut jouer que des rentiers dans Maléfices ? Sûrement pas ! Où serait la saveur des échanges tout en interprétation et la variété sociale de la Belle Époque ? Cependant, il faut bien le reconnaître avec Alphonse Allais : « L’argent ne fait pas le bonheur, mais il aide à supporter la pauvreté ! ». On peut jouer un paysan, un commerçant… à condition qu’il soit suffisamment « important » pour pouvoir déléguer. Un exemple de cela peut être Victor Legris, héros des Enquêtes de Victor Legris, série policière Belle Époque des sœurs Izner (Éd. 10-18). Il est libraire, donc a priori très souvent dans sa boutique, mais en réalité, il confie plus régulièrement qu’à son tour la tenue de son commerce à son associé ou à son apprenti, pour aller enquêter dans Paris… De même, un fermier propriétaire terrien peut laisser son exploitation à son métayer, par exemple, et ainsi passer plus de temps à Paris, à traiter des affaires aux Halles ou avec ses clients, que dans ses champs ou ses vignes… C’est avec des arrangements de cette sorte que l’on peut jouer des professions qui, « ordinairement », empêcheraient de partir à l’aventure. N’oublions pas non plus la possibilité d’interpréter un « retraité », même si cette notion est anachronique en

D’emblée, une précision importante pour dissiper tout malentendu. Nous employons ici le terme de « fiches d’Archétypes », parce qu’il est à la fois pratique et aisément compréhensible pour un rôliste : il s’agit de textes présentant un type précis de personnage, centré sur sa profession. « Fiches de personnages » aurait pu prêter à confusion, « fiches de professions » aussi, en ce sens que cela est réducteur et élimine toute notion d’interprétation. Archétypes, donc, mais… bien plus que cela ! Car si on décide de jouer « un journaliste », « une écrivaine » ou « un avocat », il doit être clair pour le meneur comme pour les joueurs qu’il ne s’agit pas de créer « un avocat lambda », mais bel et bien un personnage tout à fait singulier, avec ses particularités, son histoire personnelle, ses qualités, ses défauts, toutes choses qui ont fondé et forgé ce qu’il est devenu, ses façons présentes de penser et de considérer le monde. C’est cette personnalisation, ces « petits riens qui n’appartiennent qu’à lui », qui feront que chaque personnage sera un être unique et qu’il n’y aura jamais « deux militaires » ou « deux femmes peintres » semblables. Et ce sont ces choix et ces traits de caractère qui, ajoutés au tirage du Grand Jeu, permettront une interprétation du rôle des plus agréables et des plus distrayantes. La situation des femmes à la Belle Époque a déjà été évoquée (cf. Introduction à Maléfices, page 5, et Création de personnage, page 124). Elle devrait supposément être un « problème en jeu » au vu du peu d’autonomie qui leur était généralement accordée. Nous soutenons au contraire que les personnages féminins ont un intérêt ludique réel et bien particulier à Maléfices. Et si les Archétypes sont rédigés au masculin par souci de simplification du texte et de brièveté, les options de jeu proposées incluent bien évidemment « la gent féminine », comme on disait alors !

« Que faites-vous dans la vie ? » Choisir la profession de son personnage est en principe très simple. Mais si l’on veut ajouter un minimum de crédibilité au plaisir ludique de l’interprétation de son rôle, et que l’on connaît mal la Belle Époque, cela devient plus difficile, et nécessite quelques repères et « arrangements » avec le vrai quotidien des gens qui vivaient à la Belle Époque.

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1900, où seuls les fonctionnaires sont pensionnés. Chacun voit bien ce que nous entendons par là : un notaire qui a vendu son étude, un vieil instituteur ou ingénieur qui profite de ce qu’il a acquis après une vie de travail, etc. Pensons aussi que n’importe quel personnage plus jeune exerçant une profession peut se retrouver soudain, par les aléas de la vie, à hériter d’un pécule qui, sans en faire un millionnaire, lui permet désormais de disposer d’une petite rente, donc de moins travailler et d’être plus disponible… Pour la variété des personnages joués, on considérera alors qu’il garde les éléments biographiques de son ancienne profession, même s’il est en fait rentier…

« Je ne suis pas un héros ! » Donc idéalement, de quoi, de qui parlons-nous ? De personnes banales, de Monsieur-Madame Tout-le-monde ou presque, vivant dans les années 1870-1914, et qui n’ont a priori rien d’héroïque ni d’exceptionnel. Ni rien de sorciers patentés, d’ailleurs ! Mais ils disposent d’une relative liberté de mouvement, de temps libre, et surtout font preuve d’une curiosité intellectuelle certaine, d’une appétence non moins grande pour le mystère, l’étrange ou « le fantastique », comme on voudra l’appeler, et qui possèdent quelques aptitudes à démêler les affaires embrouillées dans lesquelles ils se sont embarqués. Bref, il s’agit de gens capables de s’impliquer si, de façon tout à fait fortuite, surgit sous leurs pas l’Aventure ! Ils deviendront peut-être extraordinaires au fil des péripéties qu’ils vont vivre, et c’est cette perspective qui donne des personnages riches, pleins de potentiel, intéressants et agréables à jouer.

Archétypes, mode d’emploi… En termes de jeu, le but de ces Archétypes est double : • fournir à tous les joueurs et joueuses quelques éléments de contexte centrés précisément sur le milieu professionnel qu’ils ont choisi d’investir ; • aider celles et ceux qui en ressentent le besoin à peaufiner un profil qui convienne bien au personnage de Maléfices qu’ils veulent jouer, les guider pour ce faire en leur suggérant quelques « personnages types » et quelques éléments d’interprétation de leur rôle… Les fiches d’Archétypes, avec le Grand Jeu de la Connaissance, sont donc au centre de la création de personnages. Ces précisions assenées, voici les Archétypes que nous vous proposons, liste évidemment non exhaustive, et qui ne demande qu’à être enrichie de vos propres idées…

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$ Artistes (Beaux-Arts & arts appliqués) Éléments biographiques

LAME TUTÉLAIRE : l’Artiste APT PHYS 9 8 7

PERC 11 10 8

HAB 10 12 11

CULT GÉN 9 11 12

Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUE : nous parlons ici de gens qui pratiquent un des beaux-arts, tels que peinture ou sculpture. Ont été adjoints l’architecture, la composition musicale… et les artisans d’art qui ont excellé dans leurs créations. Les artistes de scène ont leur propre Archétype (cf. Comédiens, artistes de cabaret et en coulisses). À la Belle Époque, une vague de nouveautés picturales et artistiques envahit l’Europe et trouve à Paris une vitrine exceptionnelle. Mais il y a un art antérieur, académique, apprécié, et une querelle va diviser « anciens » et « modernes » plus novateurs… sans parler des « avant-gardes » ! EN JEU : personnage incontournable à l’époque de Maléfices, l’artiste offre de nombreuses possibilités de spécialisations, et se prête à d’infinies variations d’interprétation (voir plus bas). Il est souvent libre d’organiser son temps comme il l’entend, ce qui ne gâte rien pour un personnage attiré par l’aventure ! Les femmes ne sont pas encore très nombreuses dans le domaine artistique, mais il y en a dans nombre de pays, et ô combien talentueuses ! Pour en rester à la France, elles ont su prendre leur place parmi les affichistes (Jane Atché), les graveuses et lithographes (couvertures et livres pour enfants notamment), les illustratrices (Élisabeth Sonrel, médaille de bronze à l’Expo universelle de 1900) et même, sous pseudonymes masculins vu la violence de certains dessins, parmi les dessinateurs-caricaturistes de presse. Mais c’est en tant que peintres (Rosa Bonheur, Berthe Morisot, Mary Cassatt, Suzanne Valodon) et sculptrices (Élisa Bloch, Camille Claudel) qu’elles sont le plus présentes. La sculptrice Élisa Bloch parvient dès 1889 à décrocher des commandes publiques et Louise Abbéma, peintre, sculptrice et graveuse amie de Sarah Bernhardt, est décorée de la Légion d’honneur en 1906 pour ses œuvres plutôt académiques.

Un tel personnage : • connaît bien son art et peut avoir une « spécialité » : portraits, paysages, scènes d’Histoire… pour les peintres ; statues, sujets animaliers, statuettes, bustes… pour un sculpteur, etc. ; • côtoie des gens aux Beaux-Arts ou au Conservatoire… Va dans des salons et lieux fréquentés par d’autres artistes et la bonne société (lié à son style, sa reconnaissance et/ou sa notoriété) ; • possède une bonne mémoire visuelle (peintres et dessinateurs), une bonne mémoire des objets et bibelots (sculpteurs, grands artisans d’art), une bonne mémoire des sons, des voix (musiciens) ; • peut être riche s’il a du succès et s’il n’est ni impressionniste ni d’avant-garde (rejetés à leur époque). Peut être aussi très pauvre s’il n’est pas reconnu… (cf. personnage bohème, page 217) ; • peut aussi être complètement exalté ou « habité » (si le joueur se pique de le jouer ainsi). Note : ne pas oublier, à la fin, de faire les choix concernant le niveau de succès, de notoriété, de revenus.

Renseignements utiles La période de Maléfices est tellement riche et foisonnante dans tous les domaines artistiques que rédiger un tel Archétype oblige à des raccourcis et simplifications extrêmes, pour lesquels est réclamée l’indulgence… La peinture est l’exemple le plus identifiable de cette explosion créative qui fait de Paris une « capitale des arts ». Mais il en va de même dans tous les arts : sculpture, gravure, musique, architecture et arts appliqués avec « l’art nouveau » (voir plus loin). Et la plupart des artistes cumulent les moyens d’expression. Survolons donc les arts de la Belle Époque. Ils sont riches de personnages très intéressants à jouer ! L’ART « OFFICIEL » : ce que la bourgeoisie nomme « peinture » est en réalité un art très classique, souvent mièvre et grandiloquent – on dit aussi, péjorativement, « pompier » – dont le souci est la « vérité » de la représentation. Un art académique, qui séduit le bourgeois et ne vient pas perturber sa définition du beau. C’est le seul art reconnu qui reçoive des commandes officielles. Il donne dans le portrait flatteur, le paysage idéalisé, les grands tableaux historiques, exotiques ou bibliques… Cet académisme triomphe tous les ans au Salon.

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Mais pour un Meissonier ou un Winterhalter, combien de « petits maîtres sans imagination » ? La critique officielle rejette tous les novateurs, provoquant de violents remous. Les œuvres puissantes de Rodin rencontrent la même incompréhension. La musique de Debussy aussi.

mutuellement. Elle innove avec un style ancré dans l’art nouveau (La Valse, 1895 ; Les Causeuses, 1897 ; La Vague, 1900). LA MUSIQUE aussi traverse, à partir de 1900, une véritable révolution. Le berceau en est la France et l’instigateur principal Claude Debussy. Malgré nombre de controverses, il finira avec Ravel et Fauré notamment, par faire triompher de nouveaux rythmes, des harmonies et des orchestrations qui rompent avec l’existant. L’engouement pour les ballets russes débouchera sur quelques « beaux scandales », la musique de Stravinsky ou Debussy et les chorégraphies de Nijinski n’étant ni comprises ni acceptées par le public parisien.

DES MOUVEMENTS ARTISTIQUES NOVATEURS : des artistes (Monet, Renoir, Sisley…) travaillent à la représentation des jeux de lumière et du mouvement. Le sujet leur importe moins que le chatoiement des couleurs ; ils veulent saisir sur l’instant leur impression directe. Leurs expériences débouchent sur l’impressionnisme. La première exposition, en 1874 chez le photographe Nadar, provoque un scandale. Le grand public les méprise et admire plus que jamais la peinture académique des salons officiels. Dans les années 1880, l’impressionnisme se désagrège. Mais « la graine est semée » de ce qui deviendra « l’art contemporain ». Car déjà des recherches picturales jaillissent, de nombreuses écoles se font, se défont, se confondent, avant de céder la place à d’autres formes d’expression. En réaction au conformisme officiel, mais aussi à un impressionnisme déjà jugé dépassé, on assiste à une véritable révolution qui va, en moins de trente ans, mener à l’abstraction (Kandinsky, Robert & Sonia Delaunay…), en passant par tous les postimpressionnistes : l’école de Pont-Aven (Gauguin, Émile Bernard…), les nabis (Sérusier, Bonnard, Valloton…), le pointillisme (Seurat, Signac…), le fauvisme (Matisse, Duffy, Van Dongen…), puis le cubisme (Braque, Picasso…). Les productions de ces artistes stupéfient par l’ampleur de leur créativité et de leur nouveauté. Reste qu’on est passé en quelques décennies de l’art « allégorique » à la simplification du dessin, au triomphe de la couleur et du mouvement. Le cubisme enfoncera définitivement un dernier clou dans le cercueil du réalisme : Les demoiselles d’Avignon, tableau d’un certain Picasso, date de 1907 ! Ces avant-gardes suscitent indignation et mépris, mais trouvent aussi des défenseurs éclairés comme Max Jacob et Apollinaire. Toute l’Europe est concernée. Toutefois, une « école de Paris » cosmopolite et très libre, accueille à Montmartre ou à Montparnasse, outre les artistes français, le catalan Picasso, le russe Chagall, l’espagnol Gris, l’allemand Klee, etc., et fait de Paris, avant 1914, le foyer le plus prestigieux de ce « chaudron » créatif. Pour autant, dans ce foisonnement de modernité absolue, l’art allégorique conserve une vigueur étonnante, ce que montrent la gare d’Orsay, le pont Alexandre-III, le Petit et le Grand Palais…

L’ART NOUVEAU : L’ARCHITECTURE est influen­ cée par les arts décoratifs. « L’art partout, l’art pour tous » : les architectes rêvent de nouveaux décors pour la ville et l’existence quotidienne (gares, grands magasins, maisons particulières… et décoration intérieure). Le fer, la fonte, l’acier, le verre sont mis en œuvre dans les constructions. Les entrées de métro aux courbes végétales d’Hector Guimard sont un exemple de l’aboutissement de cet art. Le public s’enthousiasme pour ce mouvement international, nommé art nouveau ou modern style (1893-1914), dont s’emparent de très nombreuses disciplines. Les arts appliqués (verrerie, céramique, joaillerie, mobilier, décorations murales…) sont concernés. Il faut citer ici les noms de Émile Gallé, René Lalique et Louis Majorelle (voir plus bas). L’art nouveau touche aussi l’affiche, qui devient un art véritable avec Toulouse-Lautrec, Chéret ou Mucha. Cet art de la ligne courbe est demeuré le symbole de l’art nouveau de la Belle Époque. La France, Paris en particulier, tient donc une place essentielle dans une évolution artistique qui marque toute l’Europe. Le foisonnement des styles, des formes, des rythmes nouveaux fait de ces années d’avant 1914 un des grands moments de l’Histoire de l’art.

Que puis-je jouer ? Note : le joueur n’oubliera pas son dernier choix d’interprétation (cf. Étoffer mon personnage). • Un peintre « conventionnel », qui connaît mondanités, succès, fortune. • Un peintre novateur ou d’avant-garde, peu connu, contesté, peut-être bohème (cf. page 217). • Un peintre novateur, mais qui commence à se faire connaître, qui a un mécène et sort doucement de la précarité. • Un sculpteur « classique », reconnu, travaillant sur commandes officielles (conventionnel dans son art). • Un sculpteur « moderne », plus ou moins reconnu. Peut chercher un mécène (cf. bohème, page 217) ou en avoir déjà un. • Un dessinateur-graveur comme ceux qui illustraient les romans de Jules Verne ou d’autres ouvrages…

LA SCULPTURE est dominée par deux artistes qui s’opposent : Maillol avec ses femmes plantureuses et la forte silhouette d’Auguste Rodin, l’un des sculpteurs les plus célèbres de son temps. Sa technique a un retentissement mondial qui lui vaut de nombreux disciples. Camille Claudel (1864-1943) devient à partir de 1883 son élève et sa maîtresse, et les deux artistes s’influencent

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• Un caricaturiste de presse. • Un affichiste pour les théâtres (cf. Toulouse-Lautrec, Mucha) ou les premières publicités (Jules Chéret, Jane Atché). • Un musicien-compositeur cherchant à écrire une musique « nouvelle ». • Un architecte art nouveau, type Hector Guimard, qui imagine et décore stations de métro et maisons (comme le Castel Béranger). • Un artisan d’art d’exception : -T  ype Émile Gallé : maître verrier, ébéniste, céramiste. Le goût moderne va aux verrières et autres vitraux ; les vases translucides, à ornementation florale ou animale, sont aussi très prisés ainsi que les arts de la table (vaisselle). -T  ype Louis Majorelle : ébéniste (marqueterie), décorateur, maître verrier (vitraux). Les meubles, marquetés ou pas, sont travaillés comme des œuvres d’art, avec des motifs végétaux, tout en courbes. -T  ype les frères Daum : objets en cristal, vases, lustres et bibelots. -T  ype René Lalique : maître verrier, bijoutier et joaillier. Lampes translucides à pieds sculptés, bijoux d’exception sur des thèmes animaliers ou floraux.

Étoffer mon personnage Artiste plutôt comblé ou plutôt en difficulté ? • Je suis un artiste consensuel accepté par la société (réceptions, invitations… Ajouter « personnage mondain » à la biographie). • Je mène et assume une vie dissolue ; je cultive un côté éthéré/dandy/décadent/provocateur qui me vaut une réputation d’artiste « maudit », un opprobre social dans les milieux « chics », mais parfois aussi une forme de fascination. Je suis clairement un personnage bohème (cf. page 217). • Je suis accepté, reconnu, admiré, mais je peux cependant avoir un côté marginal ; je suis rejeté, pas reconnu, mais je peux cependant être populaire, car original et agréable. • Je gagne correctement (voire bien) ma vie ; je n’en vis pas (encore) bien, je cherche à me faire connaître. • Je suis un artiste connu, apprécié (richesse, notoriété, mais peu discret) ; je suis assez pauvre, mais libre… (cf. bohème, page 217). • Ma popularité n’implique pas forcément un mécène ; j’ai un mécène, des soutiens. • Je pratique un art classique et académique, peutêtre un peu trop ; je pratique un art novateur ou même avant-gardiste, peu ou pas compris, pas accepté. • Je suis « dans la débine », j’accepte de faire un peu n’importe quoi pour subsister, tout en continuant à travailler à mon Œuvre (propice à un personnage bohème, cf. page 217).

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$ Aventuriers et autres

« professions à risques » LAME TUTÉLAIRE : la Roue de la Fortune. (Ce n’est pas une lame de profession à proprement parler, mais dans ce cas précis, elle en tient lieu pour toutes ces professions.) APT PHYS 12 11 9

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HAB 11 10 10

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Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUE : certaines de ces occupations ne sont pas considérées comme des « professions » au sens strict. Reste que pour quiconque possèdant le virus des voyages, de la prise de risques, de l’aventure ou encore d’un mélange de tout cela, l’époque de Maléfices offre de réelles possibilités d’assouvir ces désirs aventureux hors des voies toutes tracées, souvent fort loin et ailleurs que là où on est né… EN JEU : un tel personnage, fréquemment sur le terrain, n’est jouable qu’au retour d’une expédition, entre deux voyages ou deux « missions », ou en tant que « retraité ». Mais il est riche de possibilités ! On comprendra aussi que ces carrières, suivies par une femme, prennent un côté encore plus exceptionnel ! Que l’on pense par exemple à Alexandra David-Neel (exploratrice) ou Élisa Deroche (aviatrice), sans oublier les « pures aventurières » dont romans et films nous ont donné l’habitude, et voici des rôles très intéressants à endosser !

Éléments biographiques Ces éléments sont évidemment liés au domaine choisi pour chercher l’aventure. Un tel personnage : • possède des connaissances précises et pointues dans sa « spécialité » (à définir) ; • possède des connaissances géographiques et/ou historiques des lieux explorés et visités (à préciser) ; • affiche un certain mépris du danger, voire un côté « risque-tout » ; • jouit d’une incontestable popularité dans les milieux mondains (s’il joue ce jeu-là) ou dans le milieu scientifique, dont il peut être issu (voir plus bas).

La Belle Époque est une période de progrès, notamment dans le domaine des transports. Les trains vont de plus en plus loin et, pour qui en a les moyens, dans des conditions de luxe et de confort parfois confondantes. De nouvelles voies maritimes s’ouvrent. On réinvente le tourisme, on encourage la découverte de « l’ailleurs ». Et avec les premières images « exotiques » dans les journaux et les publications savantes, puis dans les films documentaires des frères Lumière, l’envie de voyages grandit dans les esprits aventureux. L’empire colonial offre aux baroudeurs de tout poil de vastes territoires à explorer. En voici un exemple : un certain Marie-Charles David de Mayréna, séducteur, escroc, journaliste, ex-officier des spahis et homme d’affaires douteux, s’est en 1888 autoproclamé « Roi des Sedangs », un peuple d’Indochine, sous le nom de Marie Ier ! Ce ne fut pas un succès, mais… il a tenté la chose ! Et pour un missionnaire ou un scientifique humaniste et désintéressé, combien voit-on apparaître d’aventuriers que les scrupules n’étouffent pas ? De quoi se construire un personnage complexe (cf. page 218) intéressant ! Sans aller jusqu’à ces extrémités, la Belle Époque se montre propice à des aventures, permettant aux personnes qui savent – ou qui osent ! – saisir leur chance, de tracer des itinéraires fulgurants, de se bâtir un destin exceptionnel… quand la guigne les épargne ! Car l’entreprise n’est pas une sinécure : partir « loin de la civilisation », comme on dit alors, n’est pas sans danger, même au sein d’une expédition scientifique ! Mais si l’on en revient, quel prestige, quelle gloire ! (À défaut de pouvoir forcément ajouter : « Et quelle fortune ! ») Cette nouvelle figure de « l’aventurier » envahit aussi la littérature. Dès 1850, Gustave Aimard, le capitaine Mayne-Reid puis Jules Verne et ses Voyages extraordinaires reviennent à un genre connu depuis le Moyen Âge, mais cette fois, ces auteurs se réclament du « roman d’aventures ». Le succès de ces ouvrages, parmi les plus lus du XIXe siècle, est foudroyant. Les Voyages extraordinaires, pour ne citer qu’eux, étaient offerts aux enfants (surtout aux garçons) comme cadeaux ou lors des « distributions des Prix » au sein des écoles. L’engouement pour ces romans d’aventures ne se dément pas dans les décennies qui suivent : Jules Verne continua à écrire jusqu’à sa mort en 1905 et de nombreux auteurs briguèrent sa succession. Gustave Le Rouge ou Paul d’Ivoi par exemple, dont les Voyages excentriques sont une claire référence aux Voyages verniens.

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La littérature populaire se révèle donc friande d’aventure sous toutes ses formes : revues dites « de voyages et d’aventures », livres pour la jeunesse, romans, articles de presse… À l’imaginaire de l’aventure et des espaces lointains s’ajoutent alors d’autres valeurs, comme l’exaltation de l’initiative individuelle, héritée du romantisme et l’admiration portée à ceux qui s’exposent à un risque mortel, voire le recherchent. C’est aussi une façon détournée de mettre en exergue les valeurs de la vie bourgeoise, le Home, Sweet Home auquel aspire l’aventurier une fois son périple terminé, sa « mission » accomplie… et le danger passé ! Dans toute cette littérature, on note cependant que l’image de l’aventurier (souvent égoïste et pas toujours reluisant dans ses actions) est majoritairement méprisée, au profit de celle du « héros » (souvent altruiste et possédant, lui, un idéal et des qualités exceptionnelles). Ces deux types de baroudeurs coexistent, et la concurrence est rude ! Dans la vie réelle et dans tous les milieux, c’est une constante : un tel personnage intéresse, captive, passionne et suscite l’admiration. S’il échoue ou revient blessé, on le plaint, on le réconforte… ou on s’en détache. S’il revient auréolé de succès, on assiste à ses conférences, on lit ses livres, on l’invite, on l’adule bref, on se l’arrache ! Dur métier que celui-là !

Que puis-je jouer ? Votre « spécialité » choisie, la première option sera celle d’un type d’aventurier : • « purement aventureux  » : un chercheur d’or ou de trésors ; un vrai baroudeur ; un guide d’expéditions lointaines ; un trafiquant d’art (véreux ?), pillant au péril de sa vie des trésors d’art brut dans des pays reculés, pour de riches collectionneurs ; • « plutôt sportif », ou dont l’activité implique le risque : un pilote automobile ; une pionnière de l’aviation ; un alpiniste ; un enquêteur ou détective privé ; • « plutôt scientifique » : un explorateur ; un archéologue (« à son compte ») ; un membre du Muséum d’Histoire naturelle (botaniste recherchant des plantes exotiques, biologiste traquant un animal encore mal connu, entomologiste en quête d’insectes ou de papillons rares…) ; le fils, la fille ou l’épouse d’un scientifique ou d’un explorateur, qui a absolument voulu l’accompagner dans son expédition… La réciproque n’est pas forcément pertinente, les véritables aventurières ne s’embarrassant pas d’un mari ou d’un enfant.

Étoffer mon personnage Le second choix à effectuer découle de ce qui a été expliqué plus haut et sera « moral » (dans d’autres jeux, on parlerait « d’alignement ») : plutôt « héros » ou plutôt « salaud » ? On peut en effet incarner un être intègre et irréprochable (cf. type 1), moyennement scrupuleux (cf. type 2) ou cynique et égoïste, voire totalement odieux (cf. type 3).

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TYPE 1 – Je suis plutôt proche du héros (forcément positif) des romans d’aventures. • Je possède quelques qualités inhérentes à ce statut ; en choisir deux : altruiste ; ne supportant pas l’injustice ; prompt à voler au secours des faibles ou des opprimés ; foi inébranlable en mes idéaux ; très débrouillard, habile à me tirer de situations délicates ; réel courage ou grande envie de réussir ; du panache ; « je hais ces cœurs pusillanimes qui, pour trop prévoir les suites des choses, n’osent rien entreprendre ». • Je possède aussi un défaut inhérent à ce statut ; en choisir un : enthousiasme parfois déraisonnable ; esprit (trop) chevaleresque, qui frise l’inconscience ; cœur d’artichaut (trop sensible) ; sous-estime souvent les risques ; trop prompt à m’amouracher d’une jeune personne en détresse ; fonce d’abord, réfléchit après. TYPE 2 – Pour moi, la morale passe après mon propre intérêt, mais je peux parfois être tiraillé entre mon idéal de départ et ce que j’en ai fait au fil de mes aventures… • Je possède une qualité inhérente à ce statut ; en choisir une : assez bonne appréciation des risques ; foi inébranlable en ma chance ; instinct de survie ; capable de me laisser attendrir à l’occasion ; habile à me tirer de situations délicates ; capable d’un élan de générosité, de pitié ; fidèle en amitié… jusqu’à un certain point. • Je possède aussi un défaut inhérent à ce statut ; en choisir un : capable de me montrer passablement amoral pour aboutir à mes fins ; mépris du danger dans le feu de l’action ;

capable de mentir avec un grand accent de sincérité (apparente !) ; capable de mettre les autres en danger (voire de les abandonner à un triste sort) pour sauver ma peau. TYPE 3 – Je suis presque « sans foi ni loi », simplement soucieux de m’enrichir lors de mes expéditions ou de surpasser mes concurrents. Je suis plutôt égoïste, cynique, sans scrupules. Du coup, je n’ai pas toujours agi de façon acceptable… « La fin justifie les moyens », en somme… • Je possède des qualités, bien sûr, ne serait-ce que l’audace et la ténacité de me lancer dans ce type d’entreprises risquées. Mais… • Je possède surtout quelques défauts inhérents à cette tournure d’esprit ; en choisir deux : capable de toutes les ruses pour obtenir quelque chose ; capable de « payer de ma personne » s’il le faut ; mépris affiché envers les couards, et même les « tièdes » ; pas à une trahison près ; adore jouer avec le feu, aime les situations dangereuses, les moments de tension, c’est mon adrénaline, au point que cela pourrait me rendre imprudent ou machiavélique. Note : ce dernier type d’aventurier donne un personnage particulier. C’est de fait un personnage complexe (cf. page 218), car il lui faut « masquer » cet aspect négatif pour se fondre dans la masse et être admis dans la société de l’époque. On ment donc souvent, on triche, on improvise… Mais c’est exaltant à jouer, tentez le coup ! Après tout, n’avez-vous pas choisi, précisément, d’incarner un habitué du risque ?

Vous trouvez que l’aventure est dangereuse ? Essayez la routine, elle est mortelle !

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$ Comédiens, artistes de cabaret, et en coulisses LAME TUTÉLAIRE : l’Artiste (sur scène) ou le Savetier (en coulisses) ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

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PERC 9 11 7

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CULT GÉN 8 9 12

Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUES : sont regroupés ici acteurs et autres artistes voisins (chanteuses, musiciens, artistes visuels, de cabaret, forains, danseuses). S’y ajoute le personnel « en coulisses » : metteur en scène, décorateur, costumière, régisseur… Ce qui offre une grande liberté de choix et d’interprétation, les types de numéros et de personnages étant très nombreux.

La profession se féminise énormément à la fin du XIXe siècle, la comédienne devient une « figure » du temps. Certaines artistes de grand renom sont évidemment des « femmes d’exception » : Sarah Bernhardt « la Divine » qui se produit au théâtre qui porte (déjà) son nom, Réjane, Loïe Fuller ou Emma Calvé… EN JEU : un comédien réputé qui joue tous les soirs ou, a contrario, un acteur débutant qui court plusieurs cachetons par soirée, seront très pris par leur profession. Cependant, sauf imprévu, on n’est occupé que trois heures, le temps d’une représentation, et on peut également jouer sur ces moments où on est entre deux engagements, en train de répéter un rôle chez soi. Ce qui laisse la liberté de céder à l’appel de l’aventure ! Pour les métiers « en coulisses », seuls un metteur en scène, un décorateur, une costumière sont pleinement jouables, car ils travaillent avant les représentations et sont aussi soumis aux « intervalles » entre deux spectacles et donc plus libres de leur temps.

Gens de théâtre et d’opéra… Éléments biographiques Un tel personnage : • connaît des lieux et gens de spectacles (cela peut être très divers) ; • peut avoir ses entrées dans la bonne société ou, à l’inverse, dans les milieux interlopes ; • possède « l’art du théâtre » : force de conviction, armes factices, déguisements, boîte à grime, imitation (voix) ; • selon sa notoriété, fréquente la haute société et peut « forcer quelques entrées ».

Renseignements utiles Dans le domaine théâtral, la période 1870-1914 voit se produire des changements conséquents. Paris, « Ville lumière », regorge de théâtres et de salles de spectacles en tout genre. La culture « savante » se propose à la ComédieFrançaise, l’Odéon, l’Opéra-Comique et au récent Opéra Garnier (1874), qui attirent surtout les personnes fortunées. Mais un édit permettant « la libre entreprise du théâtre » (1864) a bouleversé la donne. De nouvelles salles ont fleuri, notamment le long des Grands Boulevards (Théâtres Antoine, Marigny, de la Renaissance, des

Capucines…) et elles présentent un répertoire où prédominent vaudevilles, mélodrames, et pièces… de boulevard ! Parfois, le public parisien ou provincial perçoit certaines de ces pièces comme une provocation contre la morale bourgeoise et des représentations peuvent se révéler « agitées ». La censure théâtrale se déchaîne alors. Elle s’éteindra doucement en 1906, sans retour en arrière. Pour l’Église et une part de la « bonne société », ces « métiers de saltimbanques » restent associés aux clichés tenaces de la vie d’artiste, de la bohème (cf. page 217), de la vie dissolue, de l’incertitude (surtout financière), de l’oisiveté… Cela n’empêche pas un énorme afflux de prétendants au statut d’artiste de théâtre. Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus… Le métier, jusqu’alors sans réelle formation, se professionnalise grâce au Conservatoire d’Art Dramatique, dont les concours se font de plus en plus sélectifs. Ainsi, le statut des comédiens se professionnalise et permet à certains d’obtenir la reconnaissance sociale qui leur manquait. Même si le métier est soumis aux aléas du succès, les mentalités changent… Malgré le machisme de l’époque, vient le temps où une actrice de théâtre ou une chanteuse en vogue jouit d’une certaine popularité et dans certains cas d’une « aura fantasmée ».

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Les écarts de salaire sont très grands : si le gros des artistes reste cantonné au même niveau de vie que les petits fonctionnaires, voire les ouvriers qualifiés, certains cachets peuvent être conséquents, parfois supérieurs aux revenus des élites (40 000 ou 50 000 F annuels). Voici les salaires des acteurs d’une comédie à succès jouée au prestigieux théâtre de l’Odéon, en 1906 : la vedette Lucien Guitry (égal masculin de Sarah Bernhardt) gagne 600 F par soirée et environ 40 000 F par an ; l’actrice principale 12 000 F ; les rôles moins en vue de 7 000 F à 9 000 F ; les seconds rôles entre 2 000 F et 4 000 F. Petits rôles et figurants gagnent moins de 4 F par représentation ! (Un ouvrier gagnait entre 4 F et 11 F par jour… pour 10 h de travail !) De nombreuses pièces sont donc proposées. Certes, les gens aisés sont au parterre ou à l’orchestre et le peuple au « paradis » ou au « perchoir », mais en 1900, tout le monde peut se cultiver et se divertir en allant au théâtre !

Que puis-je jouer ? 1. EN COULISSES : un metteur en scène, un décorateur, une costumière entre deux engagements. Se prête volontiers à un personnage complexe (cf. page 218). 2. SUR SCÈNE : théâtre, opéra, chant lyrique, opérette, danseuse d’un ballet…

• Un jeune acteur débutant : choriste ; figurant (18 à 25 ans environ). • Une danseuse : opéra ou corps de ballet (personnages plutôt jeunes). • Un musicien d’orchestre classique ou un soliste instrumental (âge indifférent). • Un acteur de seconds rôles (parfois spécialisé dans un rôle bien défini : domestique déluré(e), comique, cocotte, etc.). • Un jeune premier ; une chanteuse lyrique (moins de 35 ans). • Un « premier rôle » ; un soliste. • Un « grand acteur classique » ; un chanteur lyrique ; une « Diva » : interprète les grandes œuvres du répertoire ; très bien considéré, « vedette » de l’époque, tels Coquelin, Sarah Bernhardt, Emma Calvé. • Un acteur de boulevard ou de vaudeville (souvent méprisé pour son répertoire « facile » ou provocateur). • Un acteur vieillissant (+ de 45-50 ans), sur le déclin et qui le vit plus ou moins bien. • Un acteur du Grand-Guignol (souvent considéré comme marginal, mais suscitant la curiosité. « Bonus » grime et effets spéciaux : fausse blessure, cicatrices, etc.). Note : ne pas oublier de consulter le tableau final concernant le niveau de succès, de notoriété, de revenus.

Artistes de cabaret, music-hall, café-concert, cirque… Éléments biographiques Un tel personnage : • connaît des lieux et gens de spectacles (cela peut être très varié) ; • peut avoir des relations dans les milieux louches ; • possède de nombreux atouts (enchoisir deux) : repartie, aplomb, « manipulation d’un public », grime, apparences et/ou voix trompeuses ; • selon sa notoriété, fréquente la « bonne société » et peut « forcer quelques entrées » ; • Circassiens seulement ; nombreuses capacités physiques : agilité, souplesse, habileté (tir, lancer de couteaux…), acrobatie, empathie avec les animaux, force physique même si on n’est pas un colosse (à choisir selon spécialité).

Renseignements utiles Aux côtés des nombreux théâtres consacrés à un répertoire classique et exigeant (Comédie-Française, Odéon, Opéra Garnier), se créent et se développent d’autres établissements et formes de spectacles moins élitistes : café-concert, music-hall, théâtre léger, opéra-bouffe, opérette, pantomime, revue, sketch, danse et numéros visuels divers. Construits en ville ou en périphérie, ces lieux proposent des divertissements qui ne sont pas du goût de

certains critiques qui en soulignent la grossièreté, la vulgarité, voire la « pornographie ». La dénonciation du nu tient une grande place dans les rubriques de presse consacrées aux spectacles. Malgré les attaques, ces salles prolifèrent et ont du succès. Elles ont pour nom L’Eldorado, La Scala, Le Ba-TaClan… Les hommes de la haute société (et parfois les femmes) s’y encanaillent et poussent à l’occasion jusqu’à la Butte Montmartre. Là, au Lapin agile ou au Chat noir, se produisent Yvette Guilbert et ses « goualantes », et Aristide Bruant avec ses chansons réalistes en argot, tous deux immortalisés par Toulouse-Lautrec. N’oublions pas « La Goulue » et « Nini Pattes en l’air », célébrités du « cancan » aux pseudonymes évocateurs, dans les cabarets du Moulin Rouge ou des Folies Bergère, où des jeunes femmes défilent délicieusement (dé)vêtues… La tradition héréditaire des « enfants de la balle » décroît de façon sensible, sauf au cirque. La multiplication des salles, la variété des spectacles proposés et la diversification croissante des styles d’artistes réclamés suscitent bien des vocations artistiques, mais amènent aussi une concurrence féroce, qui pénalise les artistes « de second rang » et tous ceux qui ne peuvent travailler régulièrement. Ce qui sauve ces artistes du chômage (pas forcément de la précarité !), c’est que ces établissements recrutent, grâce à l’abondance de ces nouvelles formes de spectacle qui impliquent des acteurs et actrices aux talents multiples ou ayant plusieurs spécialités.

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Les « vedettes » mises à part, les salaires ne sont pas mirobolants : on gagne ici bien moins que les acteurs de théâtre… Ces artistes-là sont assez souvent dans une situation précaire et peuvent mener une vie de bohème (cf. page 217). Mais certains accèdent pourtant au statut si envié de « vedette » ou d’artiste reconnu et assez bien payé. En conclusion, on voit donc se dessiner une double population d’artistes de spectacles : une « aristocratie du spectacle », qui accède à une renommée parfois internationale, cohabite avec des artistes qui se débattent pour survivre, mais entretiennent toujours l’espoir d’une réussite fulgurante, qui fait qu’aucun n’abandonnerait ce « fichu métier » ! De l’aristocrate à l’ouvrier en passant par le bourgeois, en 1900, tout le monde a le droit de s’amuser au cabaret !

Que puis-je jouer ? • Un raconteur d’histoires, de monologues comiques. • Une chanteuse : répertoire réaliste, humoristique, coquin, de romances, comique troupier… • Un musicien de bal populaire ou un accompagnateur de chanteur (âge indifférent). • Un artiste visuel : jongleur, magicien, « dresseur de puces », pétomane (il exista !), ombromane… Danseuse de cancan ou de ballet plus classique (sans forcément être un ex-petit rat de l’Opéra). • Un circassien : acrobate, jongleur, écuyère, équilibriste, dompteur, clown… Ils peuvent parfois se produire aussi en cabarets ou établissements de ce genre. • Une actrice de cinéma chez Méliès (rare, mais possible). RESTE UN DERNIER CHOIX D’INTERPRÉTATION : artiste plutôt comblé ou artiste plutôt en difficulté ?

ARTISTE COMBLÉ

ARTISTE EN DIFFICULTÉ

J’ai un côté mondain (réceptions, invitations…).

J’ai un côté bohème (cf. page 217).

Je suis accepté, reconnu, admiré.

Je suis rejeté, pas reconnu, méprisé.

Je peux cependant avoir un côté marginal.

Je peux cependant être populaire, car original.

Je gagne correctement (voire bien) ma vie.

Je n’en vis pas (encore) bien, je cours le cachet.

Je suis une « vedette » (richesse, notoriété, mais peu discret).

Je suis assez pauvre, mais libre… (cf. personnage bohème, page 217).

Ma popularité n’implique pas forcément un mécène.

J’ai un mécène, un soutien.

Je suis un artiste consensuel ou très classique.

Je suis un artiste maudit ou provocateur (cf. personnage bohème, page 217).

Je pratique un art classique, peut-être un peu trop

Je pratique un art avant-gardiste, peu ou pas compris.

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$ Commerçants et artisans LAME TUTÉLAIRE : le Savetier REMARQUE : sont regroupées ici deux activités touchant au commerce. L’artisan désigne à l’époque « tout ouvrier disposant d’un degré de savoir-faire et d’autonomie, qui possède ses outils de production et vend ses produits et son savoir-faire ». Les artisans, comme les petits commerçants, sont fort nombreux. Tous subissent la rude concurrence des grands magasins, dont la période de Maléfices voit le très rapide développement. Note : les grands artisans d’art de cette époque, qui feront le renom de l’Europe artistique avec l’art nouveau, ont été rattachés aux « Artistes » (voir cet Archétype). EN JEU : il n’y a aucune chance qu’un personnage – homme ou femme – jeune et peu argenté soit propriétaire d’un fonds de commerce. Ce sera plutôt à titre de vendeur ou d’ouvrier qu’il aura été engagé et il ne sera pas libre de

son temps ni de ses mouvements – à garder donc pour des scénarios spécifiques. Il en va de même pour le petit artisan seul dans sa boutique, même s’il est un peu plus libre. En revanche, un commerçant ou un artisan moyennement argenté peut être propriétaire ou gérant d’une affaire. On considérera qu’il dispose alors au moins d’un(e) apprenti(e) ou associé(e), ce qui permet à l’occasion de pouvoir se libérer pour vivre une aventure ! Les professions du commerce et de l’artisanat sont largement ouvertes aux femmes. Certains domaines sont toutefois plus probables que d’autres. On trouve davantage de femmes travaillant dans une boutique de modiste (villes), une épicerie ou une mercerie (villes et campagnes), que dans une serrurerie ! Et nombre de couturières ou modistes travaillent à leur compte dans un « atelier », souvent leur appartement, ce qui leur laisse une certaine liberté. Un personnage peut être patron ou patronne s’il a hérité d’un commerce (de famille, par veuvage) ou est suffisamment riche pour avoir pu l’acquérir seul.

Commerçants et artisan Éléments biographiques

partie des notables (ou simplement les fréquenter en tant que clients) et posséder une petite fortune personnelle.

Un tel personnage : • possède des connaissances précises et des compétences particulières dans sa spécialité ; • possède le « sens du commerce » (bonne présentation, persuasion, bagout, charisme, psychologie…) ; • a un niveau de vie plus ou moins conséquent selon son rôle dans la boutique, la taille du magasin, etc. ; • a tissé des relations sociales dans des milieux très divers ; selon son âge et sa notoriété, le personnage peut faire

Artisans seulement • Connaissances touchant à son domaine d’exercice et habileté manuelle ou technique particulière (+2 HAB, dans son domaine uniquement). • L’artisan d’art (luthier, restaurateur d’art, relieur, tapissier, ébéniste…) bénéficiera de connaissances historiques et artistiques liées à sa pratique : styles, écritures, livres ou instruments anciens, peinture…

Commerçants APT PHYS 10 9 5

PERC 11 12 9

HAB 12 11 8

Renseignements utiles

CULT GÉN 6 9 12

Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) « Quand on entre [dans un grand magasin], on ne sait trop si l’on est dans un magasin ou dans l’un de ces vastes marchés de l’Orient qui offrent aux yeux des amateurs les produits de toutes les nations du globe. » – Le Monde illustré

LES GRANDS MAGASINS… Au début du XXe siècle se développent dans beaucoup de villes, grandes et moyennes, les grands magasins nés au siècle précédent. Entre 1855 et 1896 sont créés les Grands Magasins du Louvre, À la Belle Jardinière, les Grands Magasins du Printemps, La Samaritaine, Les Galeries Lafayette à Paris, Les Magasins Réunis (à Nancy)… C’est l’époque où Zola écrit Au bonheur des Dames. Voici l’exemple des Grands Magasins Dufayel (ameublement et décoration d’intérieur). Installés sur une zone d’un hectare entre le boulevard Barbès et la rue de Clignancourt, ils comptent 15 000 employés en 1912.

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ÂGE 18 à 34 35 à 51 52 et plus

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Pour favoriser la venue et l’accueil des clients, ils disposent d’un théâtre et d’un jardin d’hiver, et souvent y joue un orchestre symphonique ! L’entrée est surmontée d’un dôme qui supporte un phare éclairant Paris ! Le bâtiment aménagé par le sculpteur Dalou comporte au fronton un haut-relief allégorique de Falguière : « Le progrès entraînant dans son sillage le commerce, la banque et l’industrie ». Sur le plan sociétal, ces grands magasins représentent un nouvel espace de liberté pour les femmes bourgeoises. Pour leur respectabilité, Jules Jaluzot, propriétaire du Printemps, confie même la tenue des stands non plus à des vendeurs hommes (les « calicots »), mais à des femmes : les fameuses « midinettes ». LES NOUVEAUTÉS APPORTÉES PAR CES COMMERCES • De vastes surfaces, souvent situées dans des galeries ou des passages couverts, ce qui permet à la clientèle de faire tranquillement ses achats à l’abri des intempéries. • La pratique de l’entrée libre, des tarifs fixes et affichés mettent fin au marchandage et aux prix « à la bobine » (on dirait aujourd’hui « à la tête du client ») des autres commerces. • Des comptoirs multiples présentent un assortiment de produits variés et régulièrement renouvelés. On y vend quasiment tout : habillement, parfumerie, quincaillerie, instruments de musique, remèdes, chapeaux, plumes et ornements destinés à parer la clientèle féminine, ce que l’on nomme alors avec un brin de mépris « les frivolités, fanfreluches et colifichets ». Les grandes villes, et Paris en particulier, comptent aussi des « boutiques de luxe », réservées à une clientèle nettement plus aisée. Mais aux côtés de ces géants de la vente, les villes et les campagnes comptent encore nombre de petits commerces

très variés : commerçants et artisans confondus, plus d’un million de « boutiquiers » paient une patente commerciale en 1902. Ils ne peuvent certes pas lutter à armes égales, mais perdurent grâce à une clientèle locale fidèle, des produits « maison » de qualité, et une convivialité de quartier ou « de village » qui ne se dément pas. ET LES PETITES BOUTIQUES • À LA CAMPAGNE, il y a relativement peu de commerces de bouche, à part le boulanger. La plupart des paysans tirent lait et viande du bétail qu’ils élèvent, s’occupant de le tuer et conserver pour leur consommation personnelle. Il faut parfois compter sur une sorte de « magasin général » ou une « épicerie-bazar » pour se procurer les produits du quotidien. Les foires régionales attirent ponctuellement d’autres commerçants et les ruraux qui le peuvent « vont à la foire » faire des achats plus conséquents. N’oublions pas les colporteurs pour les petits ornements (cravates, bretelles, fichus, foulards, tissus, dentelles…), les produits d’hygiène (savon, rasoir, parfum…), mercerie et colifichets pour dames… Ces marchands ambulants proposent des partitions de chansons, almanachs, recueils de monologues comiques ou édifiants, « livres » – les fameux « petits bleus de Troyes » – mais aussi ouvrages de cuisine, de remèdes et, sous le manteau souvent, de… « sorcellerie » ! • DANS LES VILLES, les petits commerces sont bien entendu plus nombreux qu’aujourd’hui, offrant une extrême variété de produits. Au côté des commerçants, les artisans ont toute leur place, que ce soit pour les métiers de bouche (boucher, boulanger, confiseur, fromager, maraîcher, pâtissier, poissonnier…) ou « de service ». On est étonné par le nombre de boutiques spécialisées que l’on peut recenser dans ce domaine (cf. Que puis-je jouer ?).

Artisans ÂGE 18 à 34 35 à 51 52 et plus

APT PHYS 10 7 5

PERC 10 11 8

HAB 13 12 9

CULT GÉN 6 9 12

une dentellière y fabriquera des merveilles de coiffes ou de cols ouvragés aux fuseaux et les broderies des costumes de fête régionaux laisseront pantois les premiers « touristes » et peintres qui viendront à les voir. Reste que ces personnages d’artisans ruraux ne sont pas tous « transposables » à la ville. (À garder pour des scénarios spécifiques.)

Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise aux données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.)

Renseignements utiles • L’ARTISAN DE CAMPAGNE travaille souvent dans l’utile et le pratique : au menuisier on vient commander une table, une armoire, voire un cercueil… Cependant, à l’occasion (mariage, dot…), il pourra fabriquer sur commande un chef-d’œuvre rustique : certaines armoires normandes, certains lits clos bretons sont de magnifiques objets artisanaux ! De même, on trouve rarement une modiste ou une couturière à façon en campagne. Mais

• L’ARTISAN CITADIN « ordinaire » (boucher, cordonnier, horloger…) travaille pour des gens modestes, mais également pour une clientèle plus argentée. Cette dernière achète ou commande à des artisans réputés et spécialisés des objets réclamant un savoir-faire particulier. Ces clients peuvent aussi avoir affaire à des « experts » : le luthier et le facteur d’instruments de musique œuvrent pour des musiciens professionnels ; la restauratrice d’art pour de riches amateurs ; le relieur pour des bibliophiles ; l’antiquaire avec des amateurs

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Étoffer mon personnage

d’art ou de « curiosités » ; et dans une moindre mesure, la modiste crée des chapeaux pour une clientèle en quête d’élégance et d’originalité ; le tailleur ou la couturière à façon soignent une clientèle qui peut se montrer d’une rare exigence. Les objets fabriqués, la nature des transactions, ne sont pas ici les mêmes qu’en campagne. Cela change évidemment les rapports à la clientèle, le prix des objets vendus et, par ricochet, le niveau de revenus de ces artisans-là par rapport à leurs collègues ruraux.

• J’ai du mal à faire prospérer mon affaire ; mon affaire est prospère ; elle est florissante. • Je suis d’une honnêteté absolue/relative. • Mon magasin est une couverture pour des activités nettement moins avouables ou secrètes (cf. personnage complexe, page 218). • Je suis patron d’un grand magasin ; d’une boutique de mode ; d’un atelier de couture, et fais alors partie du Tout-Paris. Ajouter « Personnage mondain » à la biographie.

Que puis-je jouer ?

Pour un personnage féminin

La palette est très vaste, du plus « banal » au plus exotique… Du moment que cette activité permette à votre personnage de disposer parfois de son temps, tout est envisageable, ou presque !

• Je suis responsable d’un rayon d’un grand magasin. • Je suis une femme indépendante, gérante d’une boutique. • Je possède ma propre affaire, avec un(e) employé(e) ou deux. • Je possède une affaire florissante, des employés assez nombreux ; je suis très en vue et fais partie du Tout-Paris. • Je suis une femme d’exception (à préciser). Ajouter « Personnage mondain » à la biographie.

Le type de commerce choisi, reste à déterminer si je suis : • La gérante d’une boutique. • Un petit commerçant ; un artisan indépendant. • Le patron de mon affaire, petite ou grande. • Un commerçant ; un artisan plus important. • Un marchand de « produits exotiques en provenance des colonies ». • Un commerçant spécialisé. • Le responsable ; le directeur d’un grand magasin. • Un artisan d’art. • Un artisan d’art en cheville avec des voleurs ou des trafiquants (cf. personnage complexe, page 218) qui doit « avancer masqué ».

Au besoin, voici quelques idées : antiquaire, bijoutier, brodeuse, chapelier, chaussetier (bas, bonnets), coiffeur, cordonnier-savetier, coutelier, couturière, dentellière, drapier, droguiste, ébéniste, gantier, grainetier, herboriste, lavandière, libraire, luthier, marchand de bonbons, marchand de couleurs, mercière, orfèvre, relieur, repasseuse, restauratrice d’art, sabotier, tailleur, tanneur, teinturier, tisserand, photographe.

[À propos des grands magasins] « C’était la cathédrale du commerce moderne, solide et légère, faite pour un peuple de clientes. » – Émile Zola, Au Bonheur des Dames

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$ Ecclésiastiques et religieuses Renseignements utiles

LAME TUTÉLAIRE : le Moine ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

APT PHYS 9 7 7

PERC 9 12 10

HAB 9 10 7

La Belle Époque est celle où sociétés savantes et revues scientifiques prolifèrent en province comme à Paris ; où nombre de gens pensent que la science peut et va tout expliquer ; où le progrès scientifique, par des découvertes toujours plus nombreuses, modifie la société et les mentalités. Dans ce contexte, il est paradoxal de constater que l’Église catholique, bien qu’en pleine crise des vocations, est aussi en pleine expansion : elle n’a jamais recensé autant de congrégations contemplatives, d’écoles religieuses et de missions. La France compte 52 800 prêtres séculiers en 1901, 1 400 pasteurs et 200 rabbins. Conformément au Concordat, tous ces religieux sont payés par l’État et donc fonctionnaires… jusqu’en 1905 ! L’influence du clergé est naturellement inégale entre villes et campagnes et selon les régions, certaines étant plus marquées que d’autres par cette tradition populaire qui assure la fréquentation des églises et l’usage fréquent des sacrements.

CULT GÉN 9 11 14

Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUES : il existe une différence imposée par l’Église catholique dans l’affectation des tâches dévolues aux ecclésiastiques – les femmes ne disent pas la messe, par exemple – et dans l’évolution de leur statut. Pourtant, de manière paradoxale, entrer dans les ordres est l’une des rares opportunités offertes aux personnes d’origine modeste d’acquérir une instruction assez poussée et d’effectuer des tâches exigeantes, comme l’enseignement ou les soins aux enfants, aux malades, aux vieillards et aux indigents. On peut ajouter la possibilité de voyager et de goûter à l’aventure en devenant missionnaires.

1. LE RECRUTEMENT : FAMILLES ET PAROISSES Si les classes supérieures et moyennes ne sont pas les plus pourvoyeuses en « vocations », il reste qu’à la fin du XIXe siècle, dans les espaces ruraux défavorisés, le sacerdoce peut apparaître comme une voie honorable, voire recherchée. Le rôle de la paroisse, en milieu rural, est essentiel. Les curés veillent à orienter vers le séminaire ou les congrégations les bons éléments. Parfois, « la famille fière de donner un de ses enfants à l’Église » joue aussi un rôle important, en ville comme en campagne. Le recrutement du clergé est devenu très largement populaire et il faut que ces futurs prêtres, souvent peu éduqués, soient capables d’accéder à un enseignement supérieur et disposent d’un capital intellectuel qui leur permette de s’imposer d’abord face aux notables locaux, ensuite face aux partisans de la laïcisation, par exemple dans les domaines de la médecine et de l’instruction.

EN JEU : sauf scénario spécifique se déroulant au Vatican, les « hauts dignitaires », souvent accaparés, ne sont pas vraiment jouables. Mais si vous voulez quand même incarner un évêque, suivez votre vocation ! On jouera plus facilement un curé « de base » en charge d’un poste plus modeste ou d’une paroisse, même s’il faudra toujours trouver un biais pour qu’il ne soit pas absorbé à 100 % par son sacerdoce. Note : les religieux et religieuses d’un ordre cloîtré – qui par définition sortent rarement, voire pas du tout, de leur couvent – sont réservés aux scénarios spécifiques.

Éléments biographiques Un tel personnage : • connaît le latin (et le latin médiéval des grimoires si études poussées dans ce domaine !) ; • connaît les textes religieux plus ou moins précisément selon l’âge et le « cursus » ; • a des connaissances et relations dans toutes sortes de milieux, selon son activité ; • est souvent introduit dans la bourgeoisie locale, voire la haute société. À l’opposé, il peut aussi connaître les quartiers pauvres s’il y exerce ; • a gardé mémoire des pratiques superstitieuses ou « sorcières » s’il a passé son enfance à la campagne avant le séminaire.

2. FORMATION : LES SÉMINAIRES Dans la première moitié du XXe siècle, petits et grands séminaires, créés au siècle précédent, deviennent donc des institutions de plus en plus appropriées à la formation intellectuelle, morale et spirituelle du clergé. Souvent situés dans de petites villes, les petits séminaires font aussi office de collèges pour les enfants des notables locaux qui ne se destinent pas au sacerdoce. Le choix entre « séminaires purs ou séminaires mixtes » est posé et débattu entre 1901 et 1904. Or les futurs prêtres ont tout avantage à se frotter aux fils de notables ; ils apprennent les bonnes manières, acquièrent

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une instruction solide, se rapprochant de ceux qu’ils vont côtoyer un jour en tant que religieux. La formule mixte est donc privilégiée : faisons de bons chrétiens et parmi ces chrétiens, Dieu prendra ses prêtres. À la fin de ses études, le jeune prêtre peut se voir confier des tâches d’enseignement qui sont considérées, pour les plus doués, comme un début de carrière. Mais souvent, il débute en tant que vicaire : auxiliaire d’un curé plus âgé, le jeune prêtre apprend le métier par l’exemple et le conseil. C’est à lui que sont couramment délégués le catéchisme et les « patronages » qui naîtront plus tard. Nombreux sont ceux qui exerceront sur leur temps libre une activité intellectuelle : botaniste, archéologue, historien de la localité, ces prêtres érudits trouvent tout naturellement leur place dans les sociétés savantes. Sous l’égide du pape Pie IX, l’Église se réorganise, se centralise. La hiérarchie est consolidée, les évêques doivent aller à Rome tous les cinq ans, pour présenter un rapport de ce qui se déroule dans leur diocèse. L’Église continue aussi à prendre ouvertement position sur nombre de points politiques, à pousser ou au contraire condamner telle décision, telle loi. Bref, elle se mêle bel et bien du « siècle ». La grande majorité des prêtres et des évêques sont royalistes et beaucoup interviennent dans les campagnes électorales. Les débats sont alors enflammés (voir plus bas). Les discussions acides entre le maire ou l’instituteur et le curé ne relèvent pas que du cliché et de la caricature ! Mais le poids du clergé s’appuie aussi sur la confession, les prédications, l’enseignement (dans lequel il est très impliqué) et sur son autorité morale, exerçant sur les consciences une influence qui se traduit sur le plan social. Mais ce qui frappe surtout dans l’Église du début du XXe siècle, c’est une vague de spiritualité mystique d’essence irrationnelle. Malgré l’encouragement du pape à faire appel à la raison, dans la pratique le goût du miracle, des apparitions, de ce que l’on nomme « le merveilleux chrétien » saisit les âmes : c’est l’époque des grands pèlerinages : Sacré-Cœur, Paray-le-Monial (123 000 pèlerins en 1901), Lourdes (3 498 pèlerinages entre 1878 et 1903 ; 3 145 000 pèlerins). Les sanctuaires se multiplient. De nombreuses processions sont régulièrement organisées dans l’espace public. UN ANTICLÉRICALISME DE PLUS EN PLUS PRÉSENT Les adversaires de la religion, s’appuyant sur cette piété naïve et cette « crédulité niaise », ont beau jeu de crier à la religiosité, voire à la superstition, et de moquer les curés qui vantent les mérites des pastilles à l’eau de Lourdes… Voici un autre sujet de débats passionnés entre tenants de la raison et de la croyance ! Dans les années 1890, l’institution religieuse et les catholiques vont se trouver tiraillés entre deux courants, l’un conservateur et fidèle à la tradition – soumission à l’ordre établi, refus des théories politiques « de gauche » comme le marxisme – et l’autre plus progressiste, le

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• Un curé visiteur de prisons. • Un(e) missionnaire de retour d’Afrique ou d’ailleurs (« connaissances géographiques », « pratiques « magiques » ou « païennes »). • Une religieuse enseignante ; un séminariste ou prêtre précepteur. • Une religieuse soignante (« connaissances médicales de base », et même plus selon âge). • Un frère, une sœur d’un ordre charitable type SaintVincent-de-Paul (« connaissances en hygiène » et « premiers soins »). • Une religieuse importante qui dirige une école, un hospice. • Un rabbin ou un pasteur (très peu d’imams en France en 1900).

« catholicisme social » – condamnation du capitalisme et du libéralisme, retour aux valeurs morales de la charité… Vers 1900, la tendance à la laïcisation de la société française, amorcée depuis la Révolution, prend un tournant décisif. L’Église conserve une forte influence, mais un décrochement s’est créé entre le discours qu’elle tient et les réalités d’un monde qui s’industrialise, se modernise et change très vite. Cela s’officialise avec la loi de 1901 et culminera en 1905, avec la loi de séparation des Églises et de l’État – vécue comme une tragédie absolue par la grande majorité des ecclésiastiques – et qui stipule qu’en France, la République ne finance aucun culte, que chacun est libre d’avoir une religion ou pas, mais que cela relève uniquement de la sphère privée.

Que puis-je jouer ?

Étoffer mon personnage

• Un curé de campagne récemment nommé à Paris ou proche banlieue (« connaissance de pratiques magiques ou sorcières des campagnes »). • Un curé citadin, travaillant à l’évêché ; dans un séminaire ; dirigeant une école religieuse ; professeur de théologie. • Un curé « intellectuel » qui combat le spiritisme, l’occultisme par écrits ou conférences (« connaissances en occultisme »). On peut y adjoindre un côté « mondain ». • Un curé plus important, en charge d’une équipe paroissiale ou d’une grande église. • Un curé issu d’un milieu modeste, croyant, mais qui a compris que l’Église était pour lui source de promotion sociale, entré dans les ordres pour faire carrière. • Un prêtre dans une paroisse populaire (« connaissances en hygiène » et « premiers soins »). • Un ancien aumônier militaire (« connaissances géographiques » et « sang-froid face aux blessures »). • Un prêtre exorciste (« connaissance du fonctionnement d’un rituel, d’un sort… », « lecture des grimoires »).

• Je possède une foi solide, je ne doute pas. • Je suis mystique, Dieu, la Vierge, un ange me parle. • Je doute parfois de mon rôle au sein de l’Église, de ma foi. • Je ne crois pas (vraiment) au Diable. • Je suis d’origine rurale, je sais que certaines pratiques « magiques » existent et même « fonctionnent » parfois ! • Je crois au Diable et suis au service de Dieu pour le combattre. • L’injustice et/ou la richesse de l’Église me révolte, je veux servir les plus humbles. • Au séminaire, j’ai été amené à étudier des textes inquiétants (sorcellerie, grimoires). • Je suis plutôt/très réactionnaire. • Je suis vent debout contre les projets de lois laïques. • Je suis plutôt/très progressiste. • Je suis sensible aux lois sociales qui pourraient lutter contre la pauvreté.

Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. – La Bible, Romains 12:21

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$ Écrivains et autres professions du livre Éléments biographiques des écrivains

LAME TUTÉLAIRE : l’Archiviste APT PHYS 9 8 7

PERC 9 11 8

HAB 8 9 9

CULT GÉN 10 12 15

Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUES : à l’époque de Maléfices, nombre de grands écrivains et poètes de la génération précédente meurent. Mentionnons notamment Flaubert (1880), Vallès et Hugo (1885), Rimbaud (1891), Maupassant (1893), Verlaine (1896), Edmond de Goncourt et Alphonse Daudet (1897), Mallarmé (1898), Zola (1902), Hector Malot (1907)… Cette génération qui a traversé l’affaire Dreyfus et a vu le mot « intellectuel » devenir un nom commun, n’a pas encore vraiment d’héritiers reconnus : Proust n’est encore qu’un dilettante mondain, Les nourritures terrestres de Gide est passé totalement inaperçu en 1897, Colette sera dépossédée de ses premiers écrits par son mari (1900-1905), Paul Claudel ne sera joué qu’en 1905, Giraudoux en 1909… Si Jules Renard, Romain Rolland, Pierre Loti, Hector Malot et Anatole France sont énormément lus, si Edmond Rostand triomphe au théâtre, nombre d’autres écrivains qui publient alors avec succès nous sont aujourd’hui inconnus, même parmi les lauréats du Goncourt : de 1903 (date de sa création) à 1914, seul Louis Pergaud, qui l’obtient en 1910 pour De Goupil à Margot, nous est encore un peu connu grâce à La guerre des boutons. Cependant, avec plus de deux cents revues littéraires rien qu’à Paris et une multiplication des parutions, la période est extrêmement foisonnante et fait de la Belle Époque un moment exceptionnel de la vie littéraire (et artistique) européenne. EN JEU : un personnage d’écrivain offre une grande liberté de choix et gère (idéalement !) son emploi du temps à son gré. Les femmes ont aussi toute leur place dans ces métiers de lettres, sous pseudonyme ou pas ! Pour les professions du livre, il faut que le personnage, d’une manière ou d’une autre, soit assez indépendant pour se libérer du temps à l’occasion. Ajoutons que l’écrivain et la plupart des métiers du livre peuvent se prêter à un personnage complexe ou à un personnage bohème (cf. pages 217 et 218). Mais n’en faisons pas une règle générale !

Un tel personnage : • possède des connaissances approfondies selon ses thèmes favoris ou le type de ses écrits ; • peut avoir fait scandale en publiant des écrits jugés indécents (il en fallait peu à l’époque ! Madame Bovary, Les Fleurs du mal et les romans de Zola ont tous été condamnés pour pornographie !) et se voir réprouvé ou susciter une curiosité malsaine ; • peut, selon les milieux qu’il fréquente, connaître des gens « étranges » (les mouvements décadents, par exemple), voire cultiver des contacts louches (marginaux, occultistes, pègre…) ; • selon sa notoriété et son succès (et l’âge n’intervient pas forcément dans ce domaine du talent littéraire !), ses ouvrages sont plus ou moins reconnus, lus et il est plus ou moins riche, ou au contraire survit dans la gêne (cf. personnage bohème, page 217) ; • par ricochet, il est plus ou moins introduit dans les milieux mondains.

É léments biographiques des éditeurs et autres professions du livre Un tel personnage : • connaît beaucoup d’écrivains publiant dans des domaines très divers ; • connaît des artistes (illustrateurs, graveurs…) ; • peut, selon ce qu’il publie, fréquenter aussi des gens « étranges » (artistes décadents, illuminés de toutes sortes…), voire cultiver des contacts « louches » (occultistes inquiétants, auteurs sulfureux sous pseudonymes, politiciens d’extrême droite ou anarchistes s’il publie des tracts…).

Renseignements utiles Dans le bouillonnement intellectuel et artistique de la Belle Époque, on voit fleurir une flopée « d’écrivains » : on compte en 1901, 44 600 artistes et écrivains grands ou petits, et on en dénombrera 60 200 en 1911. Mais moins de cent vivent de leur plume et l’on doit à la vérité d’avouer que ces auteurs en vogue ne sont pas toujours les plus intéressants ni les plus talentueux… Ces écrivains exercent leur influence dans les salons littéraires ou mondains, dans les journaux où ils écrivent notamment des critiques littéraires ou théâtrales et dans les nombreuses revues littéraires ou « savantes ».

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LES LECTEURS Les lois Ferry (1881-1882, cf. Contexte historique, page 16) ont accéléré l’alphabétisation de la population. Malgré des disparités, ruraux ou urbains, garçons ou filles, les petits Français sont de plus en plus scolarisés. En classe, ils découvrent la lecture en apprenant des poèmes, en lisant des extraits de romans signés des « grands auteurs ». Colporteurs ou bibliothèques multiplient les occasions de lire. Du coup, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le goût de la lecture est bien partagé et c’est une véritable fierté pour les milieux modestes que d’y accéder. Devenus adultes, tous liront massivement les journaux… dans lesquels des romans paraissent en feuilletons. Ils liront aussi les romans populaires dont la période est riche. Les milliers de gens présents aux obsèques de Jules Vallès et plus encore de Victor Hugo montrent de façon évidente que les romans populaires avaient un grand nombre de lecteurs, et de tous milieux sociaux ! Le phénomène perdure après 1900. Les éditeurs vont bien sûr tout faire pour capter ce nouveau lectorat et les offres se multiplient : collections à destination des adultes ou des jeunes lecteurs (comme le faisait déjà Hetzel avec Jules Verne), romans publiés en petits feuillets à bas prix… Le livre est désormais devenu un produit populaire, tout à fait courant, et généralement d’un prix accessible. Les écrivains de tous ordres ont donc de quoi faire à la Belle Époque ! Et ils sont souvent doublés d’un côté mondain. On pourra préférer

Beaucoup (même ceux reconnus aujourd’hui comme importants) « tirent le diable par la queue », si l’on peut s’exprimer ainsi dans Maléfices ! La plupart des écrivains vivent donc de leurs rentes et souvent d’un autre métier (notamment le journalisme), car leurs droits d’auteur ne suffisent pas. Il en va de même de tous les « groupes », « écoles » et « cénacles » qui se multiplient à Montmartre ou sur la rive gauche : décadents, symbolistes, esthètes, chansonniers, poètes, mystiques, occultistes, satanistes, spirites et autres théosophes, bien peu vivent de leurs écrits. • Les métiers de l’édition s’organisent : le modèle traditionnel au XIXe siècle du libraire-imprimeur, souvent à l’origine d’une maison d’édition, devient caduc, car vers le milieu du siècle se produit une progressive séparation des professions du livre. Imprimerie, édition et librairie deviennent des métiers différenciés. • Autour de grandes maisons historiques d’ouvrages scolaires et de vulgarisation (Flammarion, Hachette qui sera la plus importante société d’édition au monde à la mort de son créateur en 1864), se développe début XXe le monde de l’édition littéraire (Albin Michel, 1900 ; Grasset, 1907…). • Pour éviter une concurrence féroce due à cette multiplication des maisons d’édition, peu à peu, les éditeurs se spécialisent. • L’édition quitte donc l’ère de l’artisanat pour entrer dans celle de l’industrie capitaliste. À titre d’exemple, la maison Hachette & Cie présente vers 1910 des bilans et un chiffre d’affaires comparables à ceux des usines Schneider du Creusot ou du Bon Marché parisien ! LES ÉCRIVAINS Habitués au siècle précédent à traiter directement, souvent de la main à la main et sans contrat, avec « leur » libraire individuel, les écrivains doivent désormais négocier avec des sociétés capitalistes de plus en plus importantes. Si bien qu’ils se sont trouvés, pour la plupart, désarçonnés face à ce personnage à la fois fascinant et repoussant qu’est l’éditeur. Rapidement, ils se sentent étrangers au processus de commercialisation de leurs œuvres. Parallèlement – et ceci compense en partie cela –, le nombre d’auteurs et de livres publiés s’accroît dans de fortes proportions et dans tous les genres littéraires. La Société des gens de lettres est créée. Elle a pour but de « surveiller l’aspect financier de la vie littéraire et la perception des droits de reproduction ». En 1905, elle comptera 870 sociétaires et 1 950 adhérents. Les premiers prix littéraires sont mis sur pied, le Goncourt en 1903, le Femina en 1904. Les petits formats peu chers sortent des presses. Ainsi, au début du XXe siècle, une culture de masse se développe. Ceci entraîne une augmentation considérable des tirages, des ventes et des publications : 5 400 ouvrages en 1811, 14 000 en 1911. Le libraire (re)devient un partenaire important, « spécialiste » qui renseigne et conseille les lecteurs.

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cultiver un côté artiste maudit, décadent ou bohème (cf. page 217) – le tirage du « Grand Jeu » y incite parfois ! –, mais ce sera toujours votre choix !

N’oublions pas non plus les relieurs, bouquinistes et libraires (cf. Archétype « Commerçants et artisans »).

Que puis-je jouer ?

Étoffer mon personnage

UN ÉCRIVAIN Tous les styles d’écrits sont possibles, on n’a que l’embarras du choix ! Il faudra ensuite décider de l’attitude affichée, du succès, de l’état de fortune (cf. Étoffer mon personnage, plus bas). • Une poétesse (type à préciser). • Un feuilletoniste (romans d’aventures, histoires rocambolesques, comme Ponson du Terrail). • Un écrivain humoriste (romans/billets humoristiques, comme Alphonse Allais). • Un écrivain « sérieux » (qui écrit – ou se pique d’écrire – de la « vraie » littérature). • Un auteur d’essais ou d’études ; sujet favori à définir : géographie, sciences, occultisme… ; publiant des ouvrages didactiques, documentaires ou polémiques. • Un écrivain « vulgarisateur » pour la jeunesse (comme Jules Verne). • Un dramaturge (type « boulevard » comme Feydeau, « comédie ou drame » comme Edmond Rostand, « comédie de mœurs » comme Sacha Guitry ou « GrandGuignol » comme André de Lorde). • Un écrivain de textes fantastiques (comme Maupassant). • Un « écrivain pour dames » (romans à l’eau de rose, comme Max du Veuzit, pseudonyme qui cache d’ailleurs… une femme !). • Un auteur de mélodrames (comme Jules Mary). • Un auteur de romans policiers (comme Émile Gaboriau, Gaston Leroux, Maurice Leblanc). • Un auteur de romans d’anticipation (comme Paul d’Ivoi ou Gustave Le Rouge). • Un écrivain de genre horrifique (comme Souvestre et Allain – Fantômas, le vrai ! – ou Maurice Renard). • Un librettiste d’opérettes (comme Halévy).

ÉCRIVAINS • Je suis un écrivain comblé, au sens où mes œuvres se vendent plutôt bien. Je vis de ma plume, je suis reconnu, on m’invite à l’occasion dans la bonne société. Je gagne correctement, voire très bien, ma vie et fais partie du Tout Paris. Ajouter « Personnage mondain » à la biographie. • Je suis « dans la débine », j’accepte de rédiger un peu n’importe quoi pour subsister, tout en continuant à travailler à mon Œuvre (propice à un personnage bohème, cf. page 217). • J’ai du mal à faire reconnaître mon talent ; je suis publié, mais n’en vis pas encore bien (idem). • Je mène et assume une vie dissolue ou scandaleuse, qui me vaut une réputation d’écrivain maudit, un opprobre social dans les milieux chics, mais parfois aussi une forme de fascination. Je suis clairement un personnage bohème (cf. page 217). • J’écris sous mon vrai nom, je veux me faire connaître. • J’écris sous un pseudonyme. • Mon pseudonyme masculin cache que je suis une femme. • Mon pseudonyme féminin cache que je suis un homme. • J’écris des œuvres très différentes sous plusieurs pseudonymes (un personnage complexe ? Cf. page 218). • Je dissimule mon véritable patronyme pour une raison particulière (à préciser). • Je cultive un côté artiste/original/frivole… (ajouter « Personnage mondain » à la biographie). • Je cultive un côté éthéré/dandy/décadent/provocateur/ écrivain maudit (cf. « Personnage bohème », page 217). AUTRES PROFESSIONS TOUCHANT AUX LIVRES (ÉDITEUR, IMPRIMEUR…) • Je débute dans ma profession, ne suis pas encore trop argenté (cf. « Personnage bohème », page 217). • Je suis en pleine ascension sociale, ma situation financière est acceptable, voire bonne. • Je suis bien installé dans ma profession ; je travaille pour un grand éditeur ; mes affaires sont florissantes. • Je suis un éditeur dont les livres s’arrachent, je fais partie des notables, du Tout-Paris. Ajouter « Personnage mondain » à la biographie. • Je suis un imprimeur travaillant pour un petit éditeur dont l’affaire se maintient difficilement à flot. Je peux être amené à imprimer des choses moins reluisantes : tracts, affiches, romans érotiques et autres livres vendus sous le manteau comme brûlots politiques, ouvrages de satanisme, de sorcellerie… (Un personnage complexe ? Cf. page 218).

UN PERSONNAGE GRAVITANT DANS LES MILIEUX DU LIVRE • Un étudiant sérieux en littérature (voir l’archétype «rentiers et oisifs» pour les fêtards peu assidus). Choisir son domaine de prédilection : littérature médiévale, romantique, poésie, etc. • Une bibliothécaire qui peut avoir quelques « spécialités » parmi tous les livres qu’elle conseille. • Un petit éditeur qui publie des ouvrages marginaux. • Un éditeur en vue (comme Hetzel, Flammarion ou Hachette). • Un directeur de collection (qui lit et sélectionne les ouvrages dignes de publication). Note : les éditeurs emploient aussi des illustrateurs et des graveurs (cf. Archétype « Artistes »).

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$ Enseignants et étudiants LAME TUTÉLAIRE : l’Archiviste APT PHYS 9 7 6

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Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) (Choisir le niveau où l’on enseigne et sa spécialité éventuelle)

REMARQUE : voici une profession où les femmes ont une pleine place, ce n’est pas si courant à l’époque ! En effet, l’école étant devenue obligatoire pour les filles en 1850, il faut recruter des institutrices et des professeurs femmes – on dirait « professeures » aujourd’hui – et la profession est plutôt valorisée. Notons cependant qu’une enseignante à l’université est alors une femme d’exception : la toute première, en 1904, fut… Marie Curie ! EN JEU : on ne jouera que des enseignants, mais l’éventail reste large. Nous privilégions les professeurs en grandes écoles et en faculté, parce qu’ils passent moins de temps face aux élèves ; ce qui leur laisse (en théorie) davantage de loisirs qu’un instituteur ou un professeur de lycée qui est dans sa classe près de huit heures par jour (les enseignants assurant souvent des heures d’études). Mais dans un scénario rural ou dans une petite ville, l’instituteur aura toute sa place !

Éléments biographiques INSTITUTEUR : • possède de solides connaissances générales (géographie, histoire, sciences naturelles…) ; • a des connaissances plus ou moins pointues dans son domaine d’élection (à déterminer) ; • a un bon contact avec les enfants (sauf choix contraire exprimé lors de la création) ; • a des relations dans divers milieux (familles des élèves) ou dans un milieu particulier ; • est bien considéré en milieu rural, et en général par les gens attachés aux idées républicaines ; • peut être assez virulent politiquement (souvent républicain et contre les curés dans le public, plus conservateur et religieux dans le privé). DIRECTEUR D’ÉCOLE ET PROFESSEUR D’UNIVERSITÉ : • est bien introduit dans la petite bourgeoisie locale (ou plus haut selon le recrutement de l’établissement) ; • connaît des notables le cas échéant ; • est souvent engagé politiquement. ÉTUDIANT :

Renseignements utiles Entre 1860 et 1900, nombre de lois visent à « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance : l’inégalité d’éducation », comme l’avait déclaré Jules Ferry en 1870. Dès 1850, la loi Falloux oblige les communes de plus de huit cents habitants à ouvrir une école publique de filles. Cette loi organise aussi le contrôle du recrutement des maîtres et de l’enseignement par l’Église catholique. En 1867, la loi Duruy permet aux communes qui le souhaitent de « financer l’école pour les pauvres ». En 1880, Camille Sée fait voter la création des lycées de jeunes filles. Les lois de Jules Ferry (1879 à 1882) ont donc accéléré et amplifié les progrès. Ses mesures sont nombreuses : création d’une École normale féminine à Sèvres et d’une agrégation féminine – existant déjà pour les hommes –, accès des jeunes filles à l’enseignement secondaire d’État, gratuité de l’enseignement primaire, expulsion des congrégations religieuses non autorisées et suppression dans l’enseignement de toute connotation religieuse. Ainsi, le jeudi devient-il jour de congé pour permettre l’instruction religieuse en dehors des locaux scolaires. Cette politique volontariste continuera avec Émile Combes après 1900. Cependant, l’enseignement privé n’est nullement abattu et il y aura encore bien des « combats scolaires » entre les évêques et les politiques autour de « l’école sans Dieu ». Les étudiants représentant la future élite intellectuelle du pays, ils sont plutôt bien considérés malgré leurs frasques parfois retentissantes. La figure de l’étudiant s’impose à l’époque de Maléfices à cause de l’augmentation des effectifs estudiantins de l’enseignement supérieur (essentiellement due à l’accroissement des professions libérales qui peuvent payer des études à leur progéniture). De nombreux étudiants provinciaux viennent aussi étudier à Paris, la ville intellectuelle par excellence. Ils s’installent au Quartier latin, lequel représente le centre de la vie intellectuelle et le lieu de vie de ces jeunes étudiants, qui deviennent une des figures emblématiques de l’ascension de la bourgeoisie.

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On choisira le domaine précis des études, qui apporte quelques compétences. • Possède, selon son niveau de cursus, plus ou moins de connaissances dans le domaine qu’il étudie (à définir). Penser à la cohérence du score de CULT. • Selon son milieu social, possède un niveau de vie pouvant aller de la misère (propice à un personnage bohème, cf. cette fiche) à une aisance insolente. Il va de soi que les vies de ces divers types d’étudiants sont très différentes. • Connaît des étudiants (et quelques professeurs aussi) d’autres matières. • Fréquente éventuellement des milieux louches (à définir).

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Recrutement et formation des enseignants

plémentaires, par exemple des cours pour adultes. Très souvent, il est aussi secrétaire de mairie. À la campagne, dans les bourgades de province, l’instituteur est « une personnalité qui compte », un petit notable mais, avec son salaire modeste, il ne peut accéder à la bourgeoisie. Cependant, ses études en font un intellectuel, avec le curé, le médecin, le vétérinaire et parfois quelques bourgeois. On lui demande avis et conseils.

56,4 % des instituteurs et professeurs viennent des classes moyennes, 9,5 % des milieux ouvriers et 17,4 % des milieux agricoles. L’enseignement secondaire, comme l’armée, est un des véhicules de l’ascension sociale. Les trois quarts des membres de l’enseignement secondaire sont issus de familles qui n’avaient pas pu bénéficier de cet enseignement. Les futurs enseignants, après leur certificat d’études primaires, fréquentent une école primaire supérieure, accèdent au Brevet élémentaire et entrent ensuite à l’École normale (deux par département, une pour les filles et une pour les garçons). De celles-ci vont sortir des bataillons d’institutrices et d’instituteurs qui prennent leurs postes dans toutes les communes de France ou peu s’en faut. L’École normale forme un personnel aux connaissances solides, compétent, rigoureux, dévoué à la République. Il en résulte un esprit de travail, de sérieux, un sens professionnel, une sévérité teintée de compréhension pour la pauvreté. Ils ont « une foi illimitée en la pédagogie », une haute idée de leur fonction, souvent considérée comme un sacerdoce laïc. Ce sont eux que Péguy surnommera en 1913 les « hussards noirs » de la République. La mission qui leur est confiée est fondamentale : assurer dans un cadre républicain et civique l’instruction obligatoire, gratuite et laïque, de tous les garçons et de toutes les filles de France âgés de six ans révolus à onze ans (certificat d’études primaires), à treize ans pour les autres. Les élèves modestes, mais brillants, peuvent après leur instruction primaire, obtenir une bourse leur permettant d’accéder au lycée et, éventuellement, de poursuivre des études longues. Il existe des différences parfois notoires entre régions, entre villes et campagnes, mais le résultat de ces efforts budgétaires et de toutes ces mesures est spectaculaire : on passe d’un taux d’alphabétisation de 15 % de la population en 1829 à 87 % en 1901 ! En 1906, on retrouve environ 120 000 instituteurs qui, après l’élimination des congrégations, seront tous des laïcs. Il y a alors en France près de deux fois plus d’instituteurs que de prêtres.

• LE PROFESSEUR DU SECONDAIRE : vers 1900, il est majoritairement entendu que l’enseignement secondaire est réservé aux enfants des notables et à quelques éléments des classes moyennes. Le lycée est payant. L’enfant d’une famille pauvre peut donc rarement se lancer dans sept années d’études consécutives et coûteuses ! Mais la méritocratie républicaine permet à quelques élèves brillants des classes populaires, repérés par leurs instituteurs, d’obtenir une bourse. En 1901, il y a dans les lycées et collèges 58 800 garçons et 7 800 filles. (Par comparaison, en 1921, on comptera 75 300 garçons et 23 100 filles. C’est une évolution… mais bien lente !) Les professeurs sont encore très peu nombreux : environ 5 000 dans les lycées (dont 2 000 agrégés) et 4 000 dans les collèges. Les lycées de jeunes filles emploient 1 900 fonctionnaires en 1908. Ce petit nombre assure aux enseignants de lycée un réel prestige, notamment en province. En 1910, un agrégé de province touche de 4 200 F à 6 700 F par an, de 6 000 F à 9 500 F à Paris. Par comparaison, un sous-lieutenant débutant gagne 2 500 F, un lieutenant-colonel 6 900 F. Or, si les officiers sont généralement reçus dans la bonne bourgeoisie ou la noblesse, les professeurs du secondaire en sont souvent exclus. Leur salaire leur donne des revenus presque bourgeois, mais en général, ils ne possèdent ni fortune ni capital, et sont contraints à une vie relativement « étriquée ». De plus, les femmes professeurs sont très mal vues des bourgeoises, qui les prennent pour « des émancipées aux idées dangereuses et aux mœurs suspectes ». Les professeurs hommes ont aussi des difficultés à s’introduire dans la société locale, qui considère souvent l’université comme « fondamentalement anticléricale, voire antireligieuse ». Pourtant, ces professeurs jouent un rôle important en province, où ils animent fréquemment des sociétés savantes, des comités politiques ou de la Ligue des droits de l’Homme.

• L’INSTITUTEUR : son début de carrière est financièrement difficile ; en 1907, en province, il gagne 2 230 F par an, plus 100 F d’indemnité de résidence et environ 20 F pour surveiller les études. Dans ces conditions, il doit trouver des travaux sup-

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• LE PROFESSEUR DU SUPÉRIEUR : en 1875, il y a 9 963 étudiants en France ; en 1908, ils sont 39 890, presque tous en droit et en médecine. En 1914, la médecine regroupe 11 500 étudiants, le droit 16 800. Les filières lettres et sciences ont chacune de 6 000 à 7 000 étudiants. En 1885, l’agrégation prend l’aspect qu’on lui connaît encore. Les licences se spécialisent et se passent en un an. Le nombre des professeurs universitaires s’accroît, mais reste très bas : 103 en 1880, 650 en 1890, 1 048 en 1909. Un professeur d’université accède normalement à la « bonne bourgeoisie ». Son traitement va de 6 000 F à 11 000 F en province, de 12 000 F à 15 000 F à Paris.

• Je suis politiquement engagé (tendance à préciser, cf. Et la politique ? pages 25 et 26) • Je suis un « bouffeur de curés », qui aime les joutes oratoires avec eux. • Je joue le jeu des notables. • Je me mêle peu aux notables locaux (attention : à la campagne, l’instituteur est un notable). • J’ai l’ambition de faire carrière (directeur, inspecteur). • J’ai la simple (mais noble) ambition d’être un bon instituteur, soucieux d’assurer à ses élèves un meilleur avenir en les ouvrant au monde extérieur et aux idées nouvelles. ÉTUDIANT • Je suis sérieux, motivé, soucieux de réussir mes études. • Je ne suis ni sérieux ni motivé et profite de la fortune familiale pour jouir des plaisirs de la vie estudiantine*. • Je n’ai aucun problème financier grâce à mes parents ; insouciance et fêtes estudiantines au programme* ! • Je me débats dans d’incessants problèmes financiers, j’accumule les « petits boulots » pour payer mes études. • Je suis souvent invité au théâtre, à des soirées privées, dans la bonne société (à laquelle j’appartiens). • Je suis contraint de faire des « petits boulots » – à préciser – pour payer mes études et ma mansarde. (Peut se prêter à un personnage bohème, cf. page 217) • Je mène mes études dans un but très précis (à déterminer). • J’use d’autres expédients pour payer mes études (peut se prêter à un personnage complexe, cf. page 218). • Je suis à un niveau d’études qui me permet d’envisager un avenir intéressant dans un domaine spécifique. • Je suis un étudiant zélé et même un peu fayot avec un professeur. • J’étais parti pour faire des études sérieuses, puis je l’ai rencontré… Depuis, je suis trop amoureux pour suivre assidûment les cours ? • J’étais parti pour faire des études sérieuses, quand une personne m’a fait découvrir une nouvelle passion : depuis, je suis trop absorbé pour suivre assidûment les cours. • Je suis un étudiant sérieux. Mais je viens d’être recruté par le « Service des statistiques » et je travaille donc discrètement pour les services secrets français. Je suis un personnage complexe (cf. page 218). • Je suis politiquement engagé (tendance à préciser, cf. « Et la politique ? », pages 25 et 26). • Je ne fais pas de politique, même si j’ai mes idées là-dessus (cf. « Et la politique ? », pages 25 et 26).

Que puis-je jouer ? • Un étudiant (cf. tableau plus bas). • Un « pion » (pour un jeune étudiant peu argenté) ; un répétiteur (un peu mieux payé). • Une préceptrice (enseignante « privée » d’une famille aisée). • Une institutrice en école publique ou en école privée, souvent catholique à l’époque. • Un maître d’école en détachement ou en convalescence, qui n’a pas de classe en charge. • Un enseignant du secondaire public ou privé. • Un professeur d’université (matière à préciser) plus ou moins chevronné (selon âge et niveau d’excellence, il sera simple chargé de travaux pratiques, responsable de cours, professeur émérite…). • Un enseignant plus ou moins chevronné en école d’ingénieurs (idem). • Un directeur d’école ; un inspecteur (plus libre de son temps). • Un enseignant (à préciser) en retraite. Note : certaines de ces professions sont favorables à un recrutement par la « Section de statistiques » (c’est ainsi que l’on nommait les services d’espionnage). En effet, quelle meilleure couverture que celle d’un « petit préparateur en chimie dans un lycée » pour masquer un véritable espion au service de la France, spécialiste de physique ou de chimie ? Vous aurez reconnu ici un personnage complexe (cf. page 218).

Étoffer mon personnage ENSEIGNANT • Je suis fier de ce que je suis et de la « mission » que j’accomplis. • J’apprécie mes élèves. • Je n’apprécie pas mes élèves, je déteste les enfants. • Je suis apprécié de mes élèves. • Je ne suis pas apprécié de mes élèves (pourquoi ?). • J’affiche un idéal républicain (dans l’école publique). • Je suis attaché aux valeurs chrétiennes et/ou conservatrices (dans une école privée catholique).

* les étudiants qui délaissent leurs études pour « profiter au maximum de la vie estudiantine » ont été rattachés à l’archétype « Hommes & femmes d’affaires, rentiers », sections « Rentiers et oisifs en tous genres ».

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$ Hommes & femmes d’affaires, rentiers LAME TUTÉLAIRE : la Roue de la Fortune (rentiers) ou le Savetier (femmes et hommes d’affaires) REMARQUE : certaines personnes à la Belle Époque ont la chance – d’où l’arcane de la Roue de la Fortune qui les chapeaute – de pouvoir se passer d’un emploi pour ne mener qu’une existence d’oisiveté. D’autres ont suffisamment travaillé – d’où l’arcane du Savetier – pour n’avoir qu’à gérer de loin leurs affaires. Quelle que soit la raison de cette (bonne) fortune, ils ont l’insigne privilège de vivre de leurs rentes ou de pouvoir jouir d’une richesse conséquente sans bouger un doigt. C’est de ces grands privilégiés que nous parlons ici.

EN JEU : les personnages de cet Archétype n’ont d’autres contraintes que celles qu’ils veulent bien se donner… Non seulement ils peuvent se lancer dans des histoires insensées quand ça leur chante, mais ils ont les moyens, s’il le faut, de les prolonger par un lointain voyage. Tous ces gens sont grands consommateurs de loisirs en tous genres… Enfin, il ne manque à la Belle Époque ni de rentières en vue ni de femmes qui ont une fortune personnelle, lesquelles savent très intelligemment investir ce capital, et deviennent ainsi de solides femmes d’affaires ! C’est même une des plus belles façons de pouvoir chercher, revendiquer et obtenir son indépendance, en dépit des jalousies que cela peut susciter !

Hommes & femmes d’affaires APT PHYS 9 10 8

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Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.)

Éléments biographiques Un tel personnage : • a gardé des connaissances et des capacités liées à sa profession d’origine (à définir et à ajouter à la biographie) ; • possède le sens des affaires, au choix : persuasion, charisme, psychologie ou intuition ; • fréquente « le beau monde », mais privilégie souvent les relations avec les milieux d’affaires, des boursiers, des hommes politiques… (son côté « affairiste ») ; • a un niveau de vie conséquent. Montre des signes extérieurs de richesse… ou pas ! (Certains préfèrent la discrétion) ; • peut avoir un côté « parvenu » ou « nouveau riche » selon son milieu d’origine, et le fait qu’il exhibe sa richesse ou pas.

Renseignements utiles Note : nous parlons ici de gens riches qui travaillent (un peu) ou ont travaillé (beaucoup), des « rentiers d’affaires » en quelque sorte. Ils se sont suffisamment enrichis pour profiter désormais de leur argent, ou laisser d’autres faire fructifier leurs avoirs. Dans l’absolu, la plupart des professions peuvent mener vers cette situation enviable.

La période de Maléfices, sur la lancée du siècle précédent, est propice pour les hommes d’affaires éclairés. La France est au 4e rang économique mondial, elle dispose d’un capitalisme financier florissant et sa Bourse rivalise avec celles de Londres et Berlin. Les capitaux français en Russie et en Angleterre consolident des alliances politiques (cf. Contexte historique, page 19). Des fortunes se bâtissent ici, dans les banques et parmi les boursiers avisés. Disciples des grands capitalistes « à la Zola », certains héritiers se contentent de faire fructifier des affaires déjà prospères. Mais les années 1900 à 1914 voient aussi émerger de nouveaux grands hommes d’affaires innovant dans de nombreux domaines : automobile, textile, caoutchouc, banque et toutes les nouvelles technologies (cf. Les progrès de la Science, page 67). On voit se dessiner une « aristocratie financière » très engagée dans les affaires, réalisant de judicieux placements et siégeant dans divers conseils d’administration ou assemblées d’actionnaires. Ajoutons à ces groupes, les « haute » et « bonne » bourgeoisies, plus complexes à cerner mais rattachées à ce type de vie très privilégiée. Ici se côtoient riches marchands, manufacturiers puissants, directeurs de grands magasins… On y trouve aussi quelques membres d’autres professions – souvent issus de l’aristocratie – qui ont particulièrement réussi parmi les hauts fonctionnaires, médecins, officiers, juristes et grands professeurs. Nous parlons ici de moins de 20 000 personnes, de « hauts notables » avec des revenus annuels supérieurs à 50 000 F, certains atteignant même les 100 000 F (3 000 personnes environ).

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Que puis-je jouer ? • Le patron d’une grande affaire (à définir). Il assiste aux conseils d’administration, à quelques réunions importantes… Il ne travaille pas, au sens courant du terme. • Le directeur d’un Grand Magasin. • Un banquier renommé dont les affaires florissantes lui permettent ce luxe. • Une femme d’affaires qui a réalisé de savants placements, et dont les affaires prospères lui permettent ce même luxe. • Un provincial gros propriétaire terrien ; gros fermier ; gros éleveur (à préciser), venu à Paris. Très fortuné, mais qui peut passer pour un « plouc » (du breton plou, paroisse). • Un galeriste en vue dont le travail consiste à repérer des artistes en devenir pour spéculer sur leurs œuvres.

• Une riche collectionneuse de… qui hante les salons, et dont la fortune est investie dans l’art (à préciser). •Un (soi-disant) galeriste d’art, qui est en fait un trafiquant d’art, peu regardant sur la provenance des œuvres qu’il achète et revend. C’est bien sûr un personnage complexe (cf. page 218) qui doit « avancer masqué ».

Étoffer mon personnage • Je suis d’une honnêteté absolue. Seul mon mérite m’a mené là où je suis. • Je suis d’une honnêteté relative (à préciser ; « On ne devient pas si riche à être honnête », disait Molière). • Mon affaire officielle est une couverture pour des activités nettement moins avouables ou secrètes (c’est un personnage complexe,cf. page 218). Un exemple est fourni plus haut, mais il y en a tant d’autres à inventer !

Rentiers et oisifs en tous genres Note : nous parlons ici de gens riches qui ne travaillent plus ou n’ont jamais eu à travailler. ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

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Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.)

Éléments biographiques Un tel personnage : • possède de nombreuses relations qui forment un « réseau » influent ; • a un niveau de vie conséquent et montre des signes extérieurs de richesse… ou pas ! (Certains préfèrent la discrétion). Ajouter « Personnage mondain » à la biographie ; • a un incontournable côté mondain, fréquente « le beau monde » et entretient des relations avec des artistes, des « vedettes » à la mode… (domaine de prédilection à définir) ; • a un « passe-temps », que dis-je… un « hobby » ! (Facultatif) ; • peut cultiver un côté « Dandy » (homme) ou « Élégante », voire excentrique (femme).

sort de celle-ci, c’en est quasiment fini de ces petits rentiers-là… Mais il en est d’autres ! Ce n’est certes pas la majorité de la population, tant s’en faut – avant 1913, 560 000 foyers en France (sur 39 millions d’habitants) sont détenteurs oisifs d’un capital suffisant pour vivre –, mais ce « grand monde » des privilégiés, ce « demi-monde » des grandes courtisanes et des parasites mondains qui papillonnent autour « donne le ton », et c’est en partie ce qui fait que nous parlons d’une certaine insouciance et de « Belle Époque ». De plus, le phénomène est suffisamment « visible » pour que l’on puisse en faire un Archétype à jouer. L’aristocratie est très friande de fêtes mondaines, de spectacles, de galas de charité, de bals, de dîners ou soupers en ville, mais elle se montre aussi dans les salons (le plus réputé vers 1900 est celui de la comtesse Greffulhe), dans les lieux à la mode (Maxim’s, le bois de Boulogne), à l’Opéra, dans les grands théâtres ainsi que les clubs huppés. Qu’on le veuille ou non, ces oisifs sont, avec les nombreux artistes qui y vivent et y créent, les acteurs principaux du rayonnement de la capitale et plus largement de la France. S’y ajoutent une partie de la grande bourgeoisie et des éléments cosmopolites qui forment le Tout-Paris. La princesse « Winnie » de Polignac, « Boni » de Castellane ou le Comte Robert de Montesquiou, « poète et dandy insolent », en sont des représentants emblématiques. Voyons donc les divers types de rentiers que l’on peut distinguer et incarner à Maléfices.

Renseignements utiles

Que puis-je jouer ?

Le XIX  siècle avait été celui des rentiers décrits par Balzac, fiers d’inscrire leur argent au grand livre de la dette publique, rémunéré à hauteur de 3 à 5 %. Avant 1900, la rente repose souvent sur la terre et l’on peut vivre largement avec les revenus de quelques dizaines d’hectares. Vers 1900, l’effondrement des prix agricoles va sceller le e

• Un « vrai » rentier oisif (qui ne travaille pas du tout). Souvent issu de l’aristocratie ou de la très haute bourgeoisie. C’est une caste fermée, vivant sur des fortunes acquises antérieurement. Elle est donc oisive, ce qui est assez mal vu et considéré comme un privilège de plus en plus inadmissible.

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• Un rentier « chanceux » qui n’a pour ainsi dire rien fait pour « mériter » sa situation d’exception : le gros lot de la loterie, un important gain au jeu, la découverte dans la maison familiale d’un « trésor » quelconque (monnaies, tableau rare, œuvre d’art ancienne), un héritage inattendu, mais conséquent, peuvent faire de vous une rentière ou un rentier. (Ajouter « personnage mondain » à la biographie.) Suscite bien des jalousies. • Un spéculateur-boursicoteur, qui a réussi quelques très jolis coups en bourse et se contente désormais de faire fructifier son capital. Sa situation est relativement fragile, car il n’est pas à l’abri d’un « krach » ou d’un mauvais conseilleur qui lui aurait proposé des placements juteux, mais risqués. Le scandale de Panama, où Gustave Eiffel fut mis en cause, est un exemple de ce type de péripéties boursières. • Un fils de famille qui dilapide joyeusement l’argent de son (futur) héritage en menant une vie de patachon et en négligeant totalement ses études. Il peut en vivant ainsi s’endetter dangereusement… Cela peut être un personnage bohème (cf. page 217). Sans être “bohème”, on peut jouer un dandy ou un excentrique. • Une fille qui agit semblablement, ce qui suscite souvent de vives réactions… dont elle n’a cure ! • Un « nouveau riche* » que les « vrais riches » ont tendance à toiser, voire à moquer pour ses « mauvaises manières ». • Un rentier « mystérieux* », qui mène grand train, fréquente le beau monde et s’y est fait une place enviable… mais dont on ne sait pas précisément d’où lui vient son argent. Peut-être d’ailleurs vaut-il mieux ne pas trop chercher à le savoir ? Que risquent ceux qui voudraient en savoir trop ? Jusqu’où est-il prêt à aller pour préserver son statut privilégié ? Naturellement, il ne se présente pas ainsi et a une « version officielle » à servir aux indiscrets et aux médisants. La plupart du temps, cela en fait un personnage complexe (cf. page 218). • Une femme fort riche* qui semble n’avoir jamais travaillé, ce qui n’est pas rare à l’époque. Mais elle n’est pas noble… Peut-être même un peu « vulgaire » ? *Le moyen par lequel le personnage est devenu rentier et la « version officielle » doivent être confiés au meneur !

Étoffer mon personnage • Sans en faire étalage, je tiens à permettre aux plus défavorisés de profiter de ma bonne fortune. En toute discrétion, je fais œuvre de charité (chrétienne ou pas !) de diverses manières (à préciser). • J’ai un « vice » qui pourrait un jour ou l’autre me coûter très cher (jouer aux courses, hanter les casinos, boursicoter de façon parfois très imprudente, fréquenter les maisons de plaisir…). • En fait, j’ai effectivement été fort riche, mais un revers de fortune (à définir précisément) a bien entamé mon pécule. Je continue à faire bonne figure et à mener grand train, mais en réalité, je cours à la ruine si je ne trouve pas une solution pour me remettre à flot… (cf. personnage complexe, page 218).

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$ Ingénieurs et scientifiques LAME TUTÉLAIRE : l’Alchimiste. Cette lame n’est pas un arcane de Métier à proprement parler, mais elle en tient lieu pour ces professions. APT PHYS 11 9 8

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CULT GÉN 8 10 12

Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUE : le choix ici est particulièrement étendu, car la période est propice à la floraison d’ingénieurs et de scientifiques dans de nombreuses spécialités (voir plus bas). Grande variété aussi des âges, des connaissances, des degrés de notoriété, de réussite… et de sérieux ! Nous considérons également les professions à dominante scientifique de haut niveau (professeurs d’université, chercheurs…), pour des raisons de cursus et caractéristiques assez semblables. EN JEU : les scientifiques seuls dans leur laboratoire, les scientifiques conférenciers et/ou vulgarisateurs sont libres d’organiser leur temps comme ils le souhaitent. Ceux qui travaillent au sein d’une « institution » (Institut Pasteur, grande usine chimique…) le sont nettement moins. Idem pour les ingénieurs. Il y aura parfois des « ruses » à trouver pour qu’ils puissent vivre des aventures.

Éléments biographiques Un tel personnage : • possède des connaissances précises (techniques, scientifiques) dans son domaine d’exercice ; • peut avoir, selon sa spécialité, des qualités particulières. (Habileté manuelle, sens de l’observation, aptitude au dessin, analyse des machineries et mécanismes sophistiqués, usage des produits chimiques…). INGÉNIEURS SEULEMENT : • peut avoir ses entrées dans certaines grandes écoles, certaines usines ou entreprises ; • possède un « réseau » (anciens élèves, employeurs, mécènes, collègues scientifiques ou autres ingénieurs de renom). SCIENTIFIQUES SEULEMENT : • selon son domaine de prédilection, possède des instruments, des appareils, des produits peu courants ; • a ses entrées dans des universités et des labos pour contacter des collègues d’autres spécialités.

Les premières « écoles d’ingénieurs » sont issues des écoles royales d’ingénieurs du génie militaire et du génie rural (voies de circulation, ressources en eau, bois, charbon et autres minerais), à l’exception notable du Conservatoire national des arts et métiers, créé en 1794 par le fameux abbé Grégoire, dont la mission est « le perfectionnement de l’industrie nationale ». Des sociétés savantes et des cours municipaux de sciences et techniques se multiplient ensuite dans plusieurs villes de France au début du XIXe siècle (Paris, Lille, Lyon, Grenoble, Mulhouse, Strasbourg…). Les débuts du XIXe siècle voient l’industrie se développer de plus en plus rapidement. Cette industrie florissante doit se doter d’ingénieurs, ce qui conduit à créer des écoles répondant à ce besoin. La première sera l’École centrale des arts et manufactures de Paris en 1829, afin d’enseigner la « science industrielle ». Elle formera des ingénieurs civils, des « généralistes de l’entreprise ». La seconde moitié du XIXe siècle voit se multiplier des écoles qui suivent l’essor de l’industrie spécialisée, en particulier de la chimie, puis dans les domaines associés à l’électricité. Les « Grandes Écoles » dévolues aux sciences et techniques (dont certaines remontent au XVIIe siècle, mais ont perduré jusqu’à l’époque de Maléfices et bien après !) se développent : École des ponts et chaussées, École des mines de Paris, Conservatoire national des arts et métiers, École centrale des travaux publics (Polytechnique), École navale, Institut national agronomique… Les premières écoles d’ingénieurs pour l’industrie sont créées entre 1829 et 1861 : École centrale des arts et manufactures (Paris), des arts industriels et des mines (Lille), École supérieure de chimie (Mulhouse), École centrale pour l’industrie et le commerce (Lyon), École théorique et pratique de tissage mécanique (Roubaix)… Entre 1878 et 1917 à Paris, mais aussi en province, l’essor des écoles spécialisées est colossal. Souvent dénommées « Écoles Nationales », elles forment techniciens et ingénieurs dans des domaines très variés (cf. Les progrès de la science, page 70). En voici quelques exemples représentatifs : physique et chimie industrielles (Paris), industries agricoles et alimentaires (Montpellier), mécanique, électricité, géologie (Nancy), agriculture coloniale (Montpellier), aéronautique et constructions mécaniques (Paris), etc. Partenaires devenus indispensables dans l’entreprise, souvent associés aux prises de décisions et sources d’innovation, les ingénieurs sont particulièrement choyés par leurs employeurs. En plus d’une rémunération conséquente (3 000 F à 4 000 F pour un débutant en 1900), ils bénéficient fréquemment d’un appartement de fonction ou d’une maison individuelle (appartenant par exemple à l’usine ou l’entreprise).

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Aux côtés de ces ingénieurs, on trouve des scientifiques, des chercheurs, qui s’illustrent dans nombre de sciences. L’époque de Maléfices est un creuset d’excellence sur le plan de la recherche scientifique. Rappelons simplement qu’entre 1901 et 1913, la France remporte deux prix Nobel de Physique, trois de Chimie et trois de Médecine ! Cette profusion d’ingénieurs et de scientifiques va déclencher un courant de pensée : le scientisme. C’est une foi optimiste en la science, incarnée entre autres par le chimiste et homme politique Marcellin Berthelot qui patronna une Grande Encyclopédie. Les scientistes professent une inébranlable confiance en la science et un état d’esprit dirigé « contre l’obscurantisme et l’aveuglement des siècles passés », qui se diffusent largement dans la société française. Les exploits automobiles et aériens y sont pour beaucoup, ainsi que les progrès de la chimie et de la médecine. Parallèlement à ce courant de pensée très en vogue, des gens de formation scientifique embrassent délibérément l’autre face de la médaille, se passionnant pour l’occulte et le surnaturel, se proposant de les étudier pour leur donner des bases scientifiques. Le meilleur exemple en est l’astronome Camille Flammarion qui, après avoir reçu la Légion d’honneur pour ses travaux de vulgarisation sur l’astronomie, l’atmosphère terrestre et le climat… entre en contact, en 1861, avec le spirite Allan Kardec. Convaincu par sa doctrine, il assiste à de nombreuses séances spirites et écrit quantités d’ouvrages sur les communications avec les morts, les maisons hantées, ce qui lui vaudra d’être déconsidéré, voire rejeté avec mépris par beaucoup de ses collègues scientifiques. Voici une nouvelle opposition intellectuelle qui peut donner lieu à de jolis moments d’interprétation !

Que puis-je jouer ? Un ingénieur (choisir d’abord dans quel domaine précis il a étudié et travaille désormais, cf. les diverses écoles). • Un élève ingénieur (personnage jeune, évidemment). • Un ingénieur de bureau d’études, inventif, créatif, dans un domaine d’avenir. • Un jeune ingénieur enthousiaste, croyant que le progrès fera le bonheur de l’humanité. • Un jeune ingénieur ambitieux… qui lorgne du côté de la fille du propriétaire de l’entreprise. • Un ingénieur déjà en poste dans une Compagnie de chemin de fer, par exemple, ou toute autre entreprise (bureau d’études, terrain…). • Un ingénieur reconnu, disciple ou « équivalent » de Gustave Eiffel (ponts, charpentes métalliques) ou de Fulgence Bienvenüe (métro) ; c’est alors une personnalité en vue. • Un « bricoleur de génie », candidat en secret au fameux concours Lépine. • Un constructeur, dans un atelier discret, de machines, d’appareils d’avenir… ou pas !

Une scientifique, un chercheur, un savant (choisir d’abord dans quel domaine précis le personnage a étudié et travaille désormais : physique, chimie, électricité, biologie, botanique, zoologie… Certaines de ces spécialités peuvent intéresser la police. On devient alors une sorte « d’expert » auxiliaire de police, mais on n’est pas policier). Note : si les femmes sont trop peu représentées dans ces domaines scientifiques (on le déplore aujourd’hui encore !), il y en a tout de même, surtout dans les laboratoires. Pas forcément aussi fameuses que Marie Curie, mais bien présentes cependant ! • Un étudiant sérieux dans une matière scientifique (les étudiants peu sérieux ou fêtards sont à chercher selon leur fortune du côté des « bohèmes » ou des « rentiers », cf. pages 217 et 186). • Un professeur de haut niveau en sciences ; mais ce serait davantage un enseignant (cf. cet Archétype). • Une pure chercheuse dans un domaine précis. • Un inventeur (qui peut venir d’une école d’ingénieur). • Un savant reconnu dans son domaine. • Un savant plus mondain vivant de conférences et démonstrations publiques. Ajouter « Personnage mondain » à la biographie. • Un scientiste convaincu, dont le but est de lutter contre l’obscurantisme (ajouter « connaissance des textes religieux, de l’occultisme… » à la biographie, selon sa spécialité). • Un scientiste militant qui combat les occultistes de tout poil. Pour ce faire, il lit beaucoup de littérature ésotérique ou occulte (ajouter « connaissance de l’occultisme » à la biographie) ; • Un scientifique sérieux qui se passionne soudain pour les phénomènes « surnaturels » et devient un des défenseurs de l’occultisme (ajouter « connaissance de l’occultisme » à la biographie) ; • Un savant dont les travaux sont « limites » (ce qu’on appelle « un savant fou », mais on n’est pas obligé d’aller jusqu’à ces coupables extrémités !) Note : presque tous ces personnages peuvent être farfelus, sérieux, réellement productifs ou inspirés, géniaux, fous (au sens de « savant fou »). Certaines de ces professions sont favorables à un recrutement par la « Section de statistiques » – c’est ainsi que l’on nommait les services d’espionnage. En effet, seul un spécialiste en chimie ou en physique pourrait comprendre un plan ou une formule secrète volés à un ennemi ! Et quelle meilleure couverture que celle d’un « petit ingénieur » au fond d’un obscur bureau d’études pour masquer un « véritable espion » au service de la France ? Vous aurez reconnu ici un personnage complexe (cf. page 218).

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Étoffer mon personnage

• Je travaille en secret à mon grand projet (à définir), tous mes revenus s’y engloutissent et je cherche un soutien financier, un mécène… • J’affiche un scientisme militant, je combats l’ignorance et la superstition chaque fois que je le peux. • J’affiche des idées iconoclastes concernant les phénomènes surnaturels, défendant spirites et autres occultistes (ce n’est pas forcément bien vu !).

• J’ai du mal à faire reconnaître mes recherches, j’en vis plutôt chichement, mais la science avant tout ! • Je m’estime mal payé, mais j’aurai un jour ma revanche ! • Je vis bien ma situation actuelle, je suis financièrement à l’aise. • Je cherche à m’élever, à progresser par mon seul travail. • Je suis très ambitieux et tente de m’élever, de progresser dans mon travail par tous les moyens (à préciser).

Rien dans la vie n’est à craindre, tout doit être compris. C’est maintenant le moment de comprendre davantage, afin de craindre moins. - Marie Skłodowska-Curie

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$ Journalistes et autres métiers de la presse LAME TUTÉLAIRE : l’Archiviste APT PHYS 9 8 6

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HAB 9 11 8

CULT GÉN 8 11 13

Renseignements utiles

Le joueur dispose de 8 points à répartir à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUES : journaliste, certes. Chacun voit de quoi il s’agit. Pensons aussi que vers 1910, la photographie remplace progressivement les illustrations dans la presse ; il existe donc dans ce milieu des illustrateurs et des photographes. Malgré un aspect artistique évident, nous avons rattaché ces professions au « Journaliste », considérant que leur démarche était davantage journalistique qu’esthétique. N’oublions pas non plus le pan éditorial de la presse : rédacteur en chef, secrétaire de rédaction, « chef des informations »… Notons que les personnes occupant ces postes étaient également très souvent journalistes de terrain. L’aspect purement technique (composition, impression du journal…) est envisagé avec les « Ouvriers ». Des feuilletonistes travaillaient aussi pour les journaux, mais ils ont été logiquement rattachés aux « Écrivains ». EN JEU : personnage incontournable à l’époque de Maléfices, le journaliste offre de nombreuses possibilités de spécialisation (voir plus bas). Sauf s’il est un journaliste de terrain, ou un reporter qu’on envoie sur les lieux d’un événement, son activité professionnelle se situe essentiellement l’après-midi dans un bureau, pour l’écriture de ses articles en vue d’une composition et d’un tirage nocturne.

Éléments biographiques Un tel personnage : • possède des connaissances précises et pointues dans son domaine de prédilection ; • a des informateurs, un « réseau », et donc des entrées dans des tas d’endroits divers, parfois insolites, toujours selon sa spécialisation ; • connaît beaucoup de gens ; il fréquente des notables selon sa notoriété et les opinions affichées. (Il peut être plus ou moins bien reçu dans tel ou tel milieu, si le journal où il travaille affiche une position politique tranchée.) Il a des relations privilégiées avec les gens qui partagent ses opinions.

La loi de 1881 sur la liberté de la presse permet la prolifération des journaux, proposant aux lecteurs un très large choix. Ils se divisent en deux catégories : les très grandes entreprises, à tirages considérables, dégageant de gros bénéfices, et un grand nombre de petits organes de presse à tirages limités, voire minimes. Ce pullulement de petits quotidiens, souvent locaux, est une des singularités de la presse de l’époque. Les quatre plus grands journaux parisiens sont Le Petit Journal, créé en 1863, qui tire à 1 500 000 exemplaires en 1900, mais décline à partir de 1904 ; Le Petit Parisien à 800 000 exemplaires en 1900, 1 450 000 en 1913 ; Le Matin à 700 000 exemplaires en 1914 ; Le Journal à 600 000 exemplaires en 1904, un million en 1913. Les journaux sont souvent très engagés politiquement à Paris, la presse régionale (environ 175 journaux en 1875, 240 en 1914) s’avérant un peu plus neutre ; mais il existe évidemment des journaux engagés en province ! Voici quelques grands journaux classés à droite : L’Écho de Paris, L’Intransigeant, La Croix, L’Action française, La Libre parole, Le Gaulois, Le Figaro, Le Journal des débats… Les suivants sont classés à gauche : L’Œuvre, L’Humanité, L’Homme libre, Le Radical… Très rares sont les journaux qui emploient des reporters lointains ou des correspondants permanents accrédités. En province, les chiffres sont étonnants : vers 1900, on compte 234 journaux à Lille, 100 à Lyon (dont 7 nationaux), 97 à Marseille, 87 en Gironde, dont La petite Gironde qui tire à 500 000 exemplaires. Ces journaux emploient conjointement des hommes politiques locaux, des écrivains, des journalistes professionnels et des pigistes. Dans son roman Bel-Ami (1885), Maupassant écrit qu’un journaliste établi, qui travaille régulièrement dans un journal, gagne 30 000 F par an pour deux grands articles par semaine « et a sa loge aux Folies Bergère quand il le veut ». Il n’en va évidemment pas de même pour une pléiade de journalistes plus « obscurs », les débutants ou les pigistes….Ceux-ci réussissent à vivre avec un maigre salaire fixe et en « courant les piges » (ce qui les rapproche d’un personnage bohème, cf. cette fiche). Il existe donc une presse qui vit bien, essentiellement des abonnements, mais aussi des fonds de l’État, des

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• Photographes et illustrateurs : ils possèdent une bonne faculté d’observation, une bonne mémoire visuelle et une facilité à dessiner une ébauche de portrait, un plan, etc.

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annonces payantes et de la vente au numéro. On a la possibilité d’acheter le journal en kiosques ou aux nombreux petits crieurs de journaux qui sillonnent les rues à chaque sortie des presses (certains journaux ont deux éditions par jour). La plupart de ces journaux pourraient vivre sans publicité, mais font cependant usage des « réclames ». Ce qui, ajouté aux annonces payantes, leur permet de pratiquer un prix très bas (5 centimes), inférieur à leur coût de revient. On peut aussi consulter les journaux dans l’un des très nombreux bistrots et grands cafés, ce qui permet d’engager des débats passionnés avec les autres clients. Les militants des partis politiques, autorisés officiellement à partir de 1901, se regroupent parfois dans un estaminet dédié, le « cercle », débit de boisson et local politique en même temps. Les lois Jules Ferry (1881-1882) ont accéléré l’alphabétisation de la population. Alors certes, il existe des disparités de lecture selon les régions, entre villes et campagnes, entre hommes et femmes. Mais rural ou urbain, le peuple français, politisé, lit massivement la presse, le journal étant la principale source d’information et sans doute le plus puissant levier d’influence à une époque où n’existe aucun autre moyen de communication de masse. Tirant profit de ce lectorat important, la presse progresse de façon exponentielle. Entre 1871 et 1914, le nombre des journaux vendus en France a été multiplié par cinq. Les journaux se diversifient et des revues spécialisées vont fleurir, notamment à destination du public féminin. Parallèlement, la presse pour enfants vit un âge d’or, les ouvrages « sérieux » se voyant complétés par les premiers magazines illustrés. Ils contiennent bien évidemment des feuilletons, récits de fiction et premières bandes dessinées, comme Les facéties du sapeur Camember (18901896) ou L’idée fixe du savant Cosinus (1893). Puis viendra L’Épatant qui, en 1908, publie les aventures des Pieds nickelés. À côté de cette « littérature de divertissement » sont publiées, souvent initiées et rédigées par des membres de « sociétés savantes », des revues géographiques, historiques, scientifiques, médicales ou ésotériques extrêmement nombreuses. L’offre est tellement pléthorique que se crée « L’Argus de la presse », qui compile une somme insensée de journaux pour proposer à ses abonnés une sorte de « revue de presse » selon leurs centres d’intérêt. Dans ce monde où les rotatives – qui permettent une impression bien plus rapide et « réactive » qu’auparavant – tournent à plein grâce à l’électricité, où les trains acheminent et distribuent les grands journaux parisiens le jour même, n’importe où dans le pays, où les faits divers sont montés en épingle dans la presse populaire, le journaliste exerce un métier « en vue ». Il peut être adulé, apprécié ou détesté selon ce qu’il écrit et les idées qu’il met en avant.

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Que puis-je jouer ? Voici, pour vous aider à choisir une « spécialité », les principales rubriques d’un journal politique : • « l’article de tête », politique, souvent signé par un nom prestigieux (homme politique, grand écrivain, analyste reconnu…) ; • l’éditorial, traitant du « sujet du jour » ; • « le cheval », article qui commence en « Une » et se termine en page 2 (chronique littéraire, grande enquête sur des sujets divers…) ; • le « compte-rendu de la Chambre » (des députés), rédigé par le chambrier, personnage important dans un tel journal ; • rubriques policières, judiciaires, faits divers, sports, etc., écrits par « les rubricards » ; • critiques littéraires ou théâtrales ; • roman-feuilleton (mais alors on est écrivain !). DANS UN JOURNAL GÉNÉRALISTE, on trouvera aussi des articles concernant politique, affaires judiciaires, relations internationales, et d’autres rubriques : faits divers, sports et loisirs, courses hippiques, mode, spectacles, potins mondains, courrier du cœur, conseils féminins (beauté, cuisine, couture…), nécrologie, petites annonces et… « réclames », car la publicité, on l’a dit, se développe en même temps que la presse. • Un journaliste • Une simple pigiste (journaliste rémunérée à l’article), ce qui laisse de la liberté, mais paie peu ! • Un journaliste « de terrain » dans un journal généraliste. • Un journaliste « spécialisé » dans un journal engagé ou non. • Un grand journaliste, ayant « sa » rubrique ou son billet dans un journal important. • Un journaliste spécialisé dans les potins mondains. • Une journaliste cantonnée aux chiens écrasés ou aux futilités de la mode, mais qui cherche à prendre une « vraie » place dans un journal. • Un photographe ou un illustrateur de presse. UN « ADMINISTRATIF » DU JOURNAL • Le directeur ou sous-directeur d’un grand journal généraliste.

• Le directeur ou sous-directeur d’un grand journal politique (orientation à définir). • Le chef des informations, qui est parfois un écrivain connu (grands journaux uniquement). • Le directeur ou sous-directeur d’un journal plus modeste. • Un rédacteur en chef (responsable de ce qui est publié). • Le secrétaire de rédaction (commande la salle de rédaction et le « marbre » où l’on compose puis imprime le journal).

Étoffer mon personnage • Je débute et espère bien me faire une place dans mon journal. • Je suis très satisfait de ma position actuelle. • Je suis d’une scrupuleuse honnêteté et ne dévierais jamais de la déontologie du métier. • Je suis prêt à tout pour un « scoop ». • Je vise à évincer un collègue « installé », mais incompétent. • Je suis toujours à l’affût d’une affaire étrange, façon Rouletabille chez Leroux. S’il le faut, je désobéis à mon rédac’ chef… • Je suis très ambitieux, façon Rastignac chez Balzac. • Je suis très mondain et fréquente la bonne société, utilisant le journalisme comme tremplin social, façon Georges Duroy, dans Bel Ami, chez Maupassant. UN PERSONNAGE FÉMININ peut ajouter quelques éléments particuliers très intéressants à jouer : • une journaliste qui n’a qu’une idée en tête : dégoter LE scoop qui forcera son patron à la considérer autrement, à lui retirer la rubrique « Mode & travaux » et à l’intégrer finalement au sein de l’équipe journalistique du canard ; • une journaliste « crampon » et/ou gaffeuse, mais intelligente, empathique et très sociable : l’époque mise à part, pensez au personnage d’Avril de la série télé des « Petits meurtres » d’Agatha Christie ; • enfin, n’oubliez pas que l’époque connaît des femmes journalistes exceptionnelles (articles souvent liés à des voyages, des « infiltrations »…), par exemple Alexandra David-Neel, ou Nellie Bly. Rien n’empêche d’incarner un personnage de ce type, qui est évidemment une femme d’exception, avec la notoriété qui l’accompagne !

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$ Juristes et politiciens LAME TUTÉLAIRE : le Juge

Paris… Il est aussi des professions politiques moins exposées (cf. plus bas).

REMARQUES : on pourra s’étonner de voir regroupées deux professions qui de prime abord n’ont guère en commun. Mais à l’époque de Maléfices, la plupart des hommes politiques sortent d’une faculté de droit, dont ils ont suivi le cursus. La chose est un peu moins vraie en province, où le politicien local est plus généralement un notable sans être forcément juriste. Dans les faits, les deux groupes sont souvent en relation : quoi qu’en disent les régimes successifs, une carrière dans la magistrature dépend énormément du « bon vouloir » des politiques. La façon d’utiliser connaissances et talents varie beaucoup, mais les deux profils sont en grande partie semblables. Il est important de noter que depuis 1884, les jeunes filles sont autorisées à étudier le droit et, en 1900, Jeanne Chauvin devient la première femme avocate en France. Les carrières de la justice (avocate, greffière, juge non professionnel, puis juge aux prud’hommes) leur sont désormais ouvertes. EN JEU : un juge, une greffière, sont souvent accaparés par leur métier. C’est plutôt en fin de carrière ou à la retraite que ces personnages peuvent être joués. Le juriste libéral (huissier, avocate, notaire…) est en revanche relativement libre d’organiser son temps, contrairement au clerc et au commis, vissés à l’écritoire une grande partie de la journée ! L’avocat débutant, aux rares clients, dispose facilement de son temps. L’avocat, le notaire, l’huissier déjà bien établis peuvent, grâce à leurs employés, se dégager du temps si l’aventure frappe à la porte. Les politiciens de haut rang ne sont pas très crédibles à jouer (on voit mal un ministre ou un grand nom de la Chambre mêlé à une aventure en tant que personnage joueur !). Il en va autrement des subalternes, députés de province peu connus et disposant d’une résidence à

Éléments biographiques UN PERSONNAGE JURISTE : • connaît la loi et le latin ; • a des souvenirs d’affaires criminelles (même anciennes) ; • a des relations (juges, avocats, policiers…) et fréquente la bourgeoisie (au moins !) ; • possède souvent un « réseau » fiable ; • peut avoir gardé (ou entretenir encore) des contacts dans les milieux marginaux ou hors-la-loi… UN PERSONNAGE NOTAIRE : • connaît la loi et les « coutumes locales qui font loi » ; • sait lire les vieux documents, les écritures anciennes (testaments, titres de propriété, plans cadastraux…) ; • a des bases de généalogie et d’histoire locale, pouvant remonter assez loin dans le temps ; • connaît beaucoup de gens… et quelques secrets de famille dans sa région (ceci peut lui valoir de solides « inimitiés »). UN PERSONNAGE POLITICIEN : • a « fait son droit » et connaît le latin ; • possède UN de ces talents : Habileté rhétorique, Sens du bon mot ou de la « vacherie », Charisme, Tribun convaincant ; • connaît beaucoup de monde (journalistes, hommes d’affaires, salons à fréquenter…) ; • selon son bord politique, est plus ou moins admis ou rejeté par les notables ; • possède souvent des « réseaux » influents (ce qu’il en fait lui appartient !). Note : pour choisir son parti politique, se reporter aux encarts du Contexte historique, pages 25 et 26.

Avocats et autres juristes APT PHYS 9 7 6

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Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.)

Renseignements utiles Napoléon a dessiné les grandes lignes de l’organisation judiciaire encore en vigueur à l’époque de Maléfices. On

lui doit le Code civil (« Code Napoléon », 1804), le Code de procédure civile (1806), le Code de commerce (1807), le Code d’instruction criminelle (1808) et le Code pénal (1810). On lui doit la règle de la nomination des magistrats, qui sont réputés « inamovibles ». Le débat sur le mode de recrutement de la magistrature et son indépendance politique dure tout au long du XIXe siècle, s’aggrave après 1895, et n’est toujours pas clos en 1900… C’est donc le Code pénal napoléonien du 3 juin 1810 qui constitue le cadre définissant toutes les peines et contraventions qui sanctionnent crimes et délits « contre la chose publique » (sûreté de l’État et paix publique) et « contre les particuliers » (personnes et propriétés). La majorité des

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Que puis-je jouer ?

magistrats appartient à la « (très) haute société », on ne s’étonnera donc pas que cette justice soit très souvent « forte avec les faibles et faible avec les forts ». Formation : les études de droit qu’a suivies tout juriste ou magistrat de l’époque sont relativement succinctes. Le juge et l’avocat de 1900 ont passé en trois ans une licence en droit, qui n’est pas un diplôme bien sélectif. Mais les choses changent alors et certains se plaignent de ces « concours » que l’on impose. On craint que cette magistrature perfectionnée nommée aux concours, cette assemblée de docteurs et agrégés bien gavés de droit romain se montre inefficace. Beaucoup de magistrats en fin de carrière se reconvertissent dans la politique…

Du moment que le personnage dispose parfois de son temps, on peut incarner : • un juge du siège, instruisant au tribunal. A priori, il n’est pas très riche, mais c’est un notable ; • un juge de paix qui a abandonné son canton rural pour débuter une « vraie » carrière de juge ou de politicien à Paris ; • un juge d’instruction ou un procureur à la retraite (peut s’être fait des ennemis durant sa carrière) ; • un avoué (qui représente, mais ne plaide pas). Longtemps il a été en « concurrence » avec l’avocat. À l’époque de Maléfices, les deux fonctions coexistent ; • une avocate débutante (23-25 ans) ou possédant son propre cabinet (35 ans minimum) ; • un « ténor du barreau » (40 ans et plus). C’est une « figure » des tribunaux, avec une notoriété certaine ; • un notaire, un huissier possédant sa propre affaire (40 ans minimum) ; • un étudiant (en droit) désargenté, clerc de notaire pour payer ses études (cf. la fiche personnage bohème).

Note : un magistrat connaît a priori ce que risquent les personnages de Maléfices s’ils enfreignent la loi ! Le joueur désirant en savoir plus sur les peines et délits se reportera aux « Extraits du Code pénal » du Contexte historique, page 35. LE NOTAIRE : avant 1900, la formation consiste souvent en un simple apprentissage dans une étude, parfois complété par quelques notions de droit. En 1900, le notaire a suivi une formation juridique à la faculté, passé un concours. C’est un « officier public » assermenté, les actes signés « par-devant notaire » ont une incontestable authenticité. La carrière n’est pas facilement accessible (le temps de cléricature varie de dix à trente ans avant de pouvoir acheter une étude !), mais s’avère ensuite lucrative : bien avant 1900, les charges notariales se négocient entre 20 000 F et 46 000 F, mais rapportent autour de 30 000 F, voire 40 000 F par an pour les études prospères. Notaires, huissiers et magistrats jouent un rôle non négligeable dans la société de l’époque, surtout en province. Ils font partie des notables locaux. Souvent, ils se lancent aussi en politique, au plan local d’abord (maires, adjoints) et pour quelques-uns au plan national.

Étoffer mon personnage • J’ai du mal à faire prospérer mon affaire ; mon affaire est prospère ; elle est florissante. • Je suis d’une honnêteté et d’une impartialité absolues ou relatives (préciser). • Il en va des notaires comme des avocats (et de toutes les personnes ?) : certains peuvent être déontologiquement irréprochables, c’est mon cas. • D’autres sont véreux, vénaux ou malhonnêtes pour toutes sortes de (mauvaises) raisons ! (Ambition, arrivisme, soif d’argent…) Naturellement, je cache cet aspect de ma personnalité (cf. la fiche personnage complexe). • Ma connaissance du droit me permet en secret de conseiller des individus peu recommandables que je sais se livrer à des activités peu avouables ou pires ! (Cf. la fiche personnage complexe.)

Politiciens et fonctionnaires assimilés APT PHYS 8 8 6

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En grande partie, les députés et sénateurs forment un milieu privilégié et fermé, peu soucieux de sortir de ce douillet entre-soi. Un certain nombre d’autres points les unit : ils font partie de la « bonne bourgeoisie », fréquentent donc des gens des milieux aisés ; ils font en général « de beaux mariages » et mènent une existence plus que confortable, au point qu’on réprouve souvent leur style de vie ostentatoire. La franc-maçonnerie les rapproche secrètement, parfois, et cela leur sera reproché par leurs adversaires les plus virulents. Leur (bonne) réputation est importante, car un scandale peut briser une carrière. Très susceptibles, les hommes politiques portent facilement plainte pour diffamation… ou provoquent leurs accusateurs en duel !

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Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) Dans son ensemble, le personnel politique est issu de la bourgeoisie et demeure majoritairement insensible aux difficultés d’existence de ceux qu’on appelait alors « les pauvres ». Bacheliers, ayant souvent suivi des études de droit, ce sont des orateurs qui maîtrisent les finesses de la langue. Certains sont d’insignes tribuns : Clemenceau, Jaurès…

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Les politiciens constituent clairement une élite qui « tient les rênes de la République ». À l’inverse, il y a bien entendu des députés qui refusent de jouer ce jeu social dominant et s’engagent au côté des plus humbles. Mais pour beaucoup d’hommes politiques de la Belle Époque, les classes laborieuses restent considérées comme dangereuses, peu fréquentables en dehors des campagnes électorales (car elles votent massivement) et incapables de participer à la conduite des affaires.

Que puis-je jouer ? • Un « petit député de province » résidant à Paris une bonne partie du temps. Il peut lui arriver de « sécher » les séances à la Chambre. • Un conseiller général plus souvent en représentation qu’à son bureau. • Un huissier au Sénat ou à la Chambre. • Un attaché parlementaire ou le secrétaire particulier d’un député ou sénateur. • Un conseiller ministériel actuellement sans poste (file souvent vers le journalisme). • Un diplomate (pas un ambassadeur – difficilement discret – mais un fonctionnaire du Quai d’Orsay, un attaché diplomatique). Peut en secret travailler pour l’espionnage français (cf. personnage complexe, page 218). Note : la gent féminine n’a pas le droit de vote et n’est aucunement représentée à la Chambre ou au Sénat. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de femmes politiques ! Simplement, toute femme qui se mêle activement de politique ne saurait être pour l’époque qu’une « agitatrice », considérée comme étant forcément contre l’ordre établi. Mener ce combat délicat fait de vous une femme très en vue, mais rarement pour le meilleur… Les « suffragettes » ont payé pour le savoir.

Étoffer mon personnage • Je suis d’une honnêteté et d’une droiture absolues ou relatives (préciser). • Je suis entré en politique par « pur » arrivisme. Tout pour faire carrière ! • Je suis un militant sincère, je crois aux valeurs que j’ai choisi d’incarner et veux les faire triompher. • Je suis très susceptible sur ma réputation, j’ai déjà provoqué des accusateurs en duel… • Je suis un politique peu scrupuleux pour toutes sortes de (mauvaises) raisons : soif d’argent ou de pouvoir, vice caché, magouilles… Naturellement, je dissimule cet aspect de ma personnalité (cf. personnage complexe, page 218).

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$ Médecins et autres professions de santé LAME TUTÉLAIRE : Hippocrate ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

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• est bien introduit dans la bourgeoisie locale, dont il est généralement issu (mais pas toujours). Il peut aussi connaître les quartiers pauvres s’il y exerce. • possède une notoriété et des revenus selon l’âge et la pratique. À la campagne, le médecin est un notable.

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Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) (Choisir sa spécialité médicale, sauf si généraliste)

UN PERSONNAGE « VÉTÉRINAIRE » : • possède une connaissance des mœurs animales et une certaine empathie avec les animaux ; • peut exercer les premiers soins pour les humains, mais avec des remèdes… de cheval !

REMARQUES : le vétérinaire a été rattaché au médecin, sans malice aucune, mais parce que les deux domaines sont proches dans leurs études et relatifs à la santé. Il en va de même pour les infirmiers et infirmières, les « rebouteux » et autres « magnétiseurs » campagnards, venus à Paris… ou pas ! On tiendra compte de la grande différence qui existe entre un médecin établi en ville et un médecin de campagne. S’ils ont fait les mêmes études, ils n’ont pas du tout la même pratique ! L’âge intervient aussi dans le statut social (voir plus bas). Notes : on croise déjà des femmes médecins en 1900, qui sont, du fait de leur rareté, des « femmes d’exception ». On compte vingt-huit soutenances de thèses par des femmes entre 1875 et 1884… C’est bien un véritable défi, même en 1900 ! À noter que, si l’on trouve en 1900 des femmes médecins, on ne trouve bizarrement aucune femme vétérinaire ! Un mot supplémentaire sur les vétérinaires : aussi paradoxal que cela puisse paraître, on n’en rencontre pas tant que cela à la campagne (sauf dans les haras ou les grands élevages), car ce sont souvent les connaissances empiriques, superstitieuses, voire « sorcières », qui ont encore droit de cité ; et on en trouve beaucoup en ville, davantage pour s’occuper des nombreux chevaux que des animaux domestiques.

UN PERSONNAGE « CHIRURGIEN OU DENTISTE » : • possède une motricité fine, une grande habileté manuelle.

Éléments biographiques UN PERSONNAGE « MÉDECIN » : • connaît le latin et un peu de grec ; • possède des connaissances médicales approfondies (symptômes, maladies, remèdes…) ; • possède des connaissances précises et pointues dans sa spécialité, s’il en a une ; • possède des connaissances particulières (plantes, poisons…) si son histoire personnelle le lui permet ;

UN PERSONNAGE « INFIRMIER » : • est capable de reconnaître certains symptômes ou pathologies ; • peut effectuer des premiers soins d’urgence et/ou sécuriser un blessé en attendant un médecin. UN PERSONNAGE « PHARMACIEN » : • connaît les remèdes, les plantes et la toxicologie (champignons, médicaments…) ; • peut effectuer les premiers soins ; • a dans son officine toutes sortes de produits (interdits, dangereux…).

Renseignements utiles La médecine, comme nombre de sciences, connaît un réel essor à la Belle Époque (cf. Progrès de la médecine, page 77). De nombreux progrès vont peu à peu révolutionner cet « art ancien » : invention et fabrication de nouveaux appareils d’investigation (rayons X, premières radiographies), expérimentation (vaccin antirabique de Pasteur), emploi courant de l’anesthésie (encore assez sommaire, même si le chloroforme remplace l’éther), identification de maladies grâce à la découverte des virus, des bacilles… et mise en place de thérapies appropriées, détermination des groupes sanguins, vaccination (pas encore obligatoire, sauf pour la typhoïde, loi du 28 mars 1914)… Ceci concerne la médecine du corps. Et que dire de la « médecine de l’esprit » ? C’est durant cette période que naissent et se développent la psychologie scientifique (initiée à la fin du XVIIIe siècle) et la neurologie d’abord, puis la psychiatrie et toutes ses « variantes », jusqu’à la psychanalyse de Freud (vers 1905 pour sa mise en pratique), en passant par l’hypnose et l’électrothérapie.

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C’est aussi une période d’expérimentations multiples (parfois bien hasardeuses) et de réels progrès, notamment concernant la médecine néonatale et les soins de certaines maladies qui ravageaient les populations (rage, typhoïde, tuberculose…) même si on ne parle toujours pas de guérison et que la médecine préventive n’en est qu’à ses balbutiements (propagande pour les radios collectives des poumons et dépistage systématique de la tuberculose par A. Beclere, 1902). Dans ce contexte, le médecin est un personnage important et disposant d’une autorité certaine, celle que lui confèrent à la fois ses longues études, son internat dans les hôpitaux, ses connaissances et aussi le fait qu’il soigne tout un chacun. La durée des études et leur coût sont d’ailleurs souvent un obstacle pour des personnes brillantes et motivées, mais issues de milieux modestes. Ce cas de figure n’est pas totalement absent, bien que demeurant assez rare. À la ville, sitôt qu’il s’est constitué une patientèle, il gagne bien sa vie et fait partie de la « bonne société », ou en tout cas de la bourgeoisie. Mais certains praticiens font le choix de soigner les pauvres. On n’est donc pas toujours riche en étant médecin, cela dépend de sa pratique. À la campagne, où l’on a plus spontanément l’idée de se tourner vers les guérisseurs de tout poil, on ne l’appelle que dans les cas graves, car… il faut le payer et acheter les remèdes. Cependant, pour peu qu’il ait fait preuve d’humanité en certaines circonstances (par exemple en soignant gratuitement une famille pauvre, en donnant de sa personne sans compter lors d’une épidémie, ou encore en traitant de son mieux des animaux), il sera respecté et apprécié, même si certaines mentalités ancestrales font que l’on peut encore s’en méfier. En tout cas, c’est un notable local.

Que puis-je jouer ? Un médecin, un chirurgien, un dentiste, un pharmacien : • un médecin généraliste, son âge détermine alors son aisance financière (plus grande à la ville qu’à la campagne) ; • un médecin « spécialisé » en ville ; • un dentiste ; • un chirurgien (spécialisé ou non) ; • un (ancien) médecin militaire. De l’armée, il a gardé des habitudes (forme physique entretenue, estimation du risque), des mentalités (sens de la discipline, dureté au mal… Ajouter « premiers soins » et « chirurgie d’urgence » à la biographie) ; • un médecin colonial revenu à Paris (ajouter « connaissance des maladies exotiques et parasitaires » à la biographie) ; • un aliéniste ; un hypnotiseur (ajouter « psychologie – ascendant » à la biographie) ; • un psychanalyste, à partir de 1900-1905, mais c’est très rare encore ! (Ajouter « psychologie – emprise » à la biographie) ; • un médecin hospitalier (il est à la pointe du progrès technique) ;

• un médecin très « social » et humaniste (ajouter « soins des parasites : gale, tiques, puces, poux… » à la biographie) ; • un médecin un peu marginal dans sa pratique thérapeutique (à définir) ; • un médecin légiste. (Il est « expert » auxiliaire de police, mais n’est pas policier !) ; • un pharmacien possédant une officine conséquente (et des employés de confiance) ; • un pharmacien plutôt fabricant de médicaments (pilules, potions et pommades…) ; • un « rebouteux » ; un magnétiseur installé à Paris (ou lors de scénarios ruraux). UN VÉTÉRINAIRE : • un vétérinaire de campagne (à réserver pour des scénarios spécifiques) ; • un vétérinaire campagnard « monté à Paris » (« connaissance de remèdes traditionnels ou sorciers ») ; • un vétérinaire de l’armée (une qualité et un défaut militaires à définir) ou à la Garde républicaine (prestige !) ; • le vétérinaire d’une compagnie de fiacres ou d’omnibus ; • le vétérinaire d’un zoo parisien (« connaissance des animaux exotiques »). UNE INFIRMIÈRE OU UN INFIRMIER : • en ville (on dirait en « libéral ») ; • dans un hôpital généraliste ou spécialisé (pour enfants, de type sanatorium…) ; • dans un asile d’indigents. INFIRMIER UNIQUEMENT : • infirmier dans un asile psychiatrique (connaissances particulières : « immobilisation », « diplomatie ») ; • infirmier militaire (ajouter « connaissance des maladies exotiques » à sa biographie) ; • ex-infirmier militaire, en métropole ou dans les colonies. Dans ce dernier cas, ajouter « connaissance des maladies exotiques » à sa biographie. (Suppose d’être démobilisé et rentré en France.) INFIRMIÈRE UNIQUEMENT : • nurse dans un service de maternité. Peut être la responsable d’un service ; • nurse dans une crèche. Peut être la responsable d’un service, voire la directrice (pas trop jeune) ; • nurse privée dans une « grande famille » (à jouer associée avec un autre personnage féminin aisé, « dilettante » ou aristocratique, un peu comme un couple « maîtresse et confidente » au théâtre. Se reporter à l’Archétype « Domestiques »).

Étoffer mon personnage (Pour tous, choisir une option compatible) • Issu d’un milieu modeste, ma profession est une ascension sociale conséquente, mais je sais d’où je viens…

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• Issu d’un milieu aisé, mon engagement au service des autres n’est pas compris de ma famille. • J’ai commencé comme médecin de campagne avant de m’installer en ville, je connais les pratiques rurales plus ou moins « sorcières ». • Je suis jeune, je viens de m’installer à Paris et c’est difficile. • Je suis bien installé et mon cabinet est florissant. • J’ai une vision humaniste et sociale de ma fonction, il m’arrive assez souvent de soigner gratuitement des familles pauvres. • Je travaille dans des quartiers pauvres, je considère mon métier comme une « mission ». • Je travaille dans des quartiers relativement aisés ou bourgeois. Je fréquente la « bonne société ». • Mon but est d’enseigner en faculté, en plus de ma pratique, je travaille à un traité sur un sujet à préciser. POUR LES REBOUTEUX OU MAGNÉTISEURS issus de nos campagnes s’offre un choix supplémentaire : • savoir empirique traditionnel (ajouter « connaissance de quelques remèdes de grand-mère » à la biographie) ; OU • savoir « sorcier » (ajouter « connaissance de quelques talismans, remèdes et formules de grimoires » à la biographie).

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$ Médiums, spirites & « métiers de l’Étrange » LAME TUTÉLAIRE : le Médium (médiums et spirites) ou le Cabaliste (métiers de l’Étrange). Cette dernière n’est pas un arcane de Métier à proprement parler, mais elle en tient lieu pour ces « professions de l’étrange ». ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

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Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUES : certaines propositions ne sont pas de véritables « professions », diront certains. L’objection se balaie, car à l’époque de Maléfices (cf. Le Fantastique, page 93), on ne compte plus les publications, les « sociétés » et autres « cercles » occultes, ni les conférences ou les

spectacles qui se rattachent au surnaturel. Les journaux regorgent de « réclames » concernant ce que l’on nommera ici, par facilité, « l’occulte ». Il était donc important que cet aspect et ces courants de pensée soient pris en considération. Maléfices fait la part belle au fantastique, et ce sont des rôles intéressants à incarner, souvent plébiscités par nos joueuses et joueurs. EN JEU : un médium ou un occultiste peuvent, en 1900, avoir pignon sur rue. Un « magicien » présentant de grandes illusions spectaculaires fait courir le Tout-Paris jusqu’à son théâtre. On peut donc endosser de tels rôles et répondre à l’appel de l’aventure… d’autant que la plupart sont relativement libres de leur temps. En revanche, si le personnage fait partie d’une société occulte, il doit « masquer » sa réelle activité derrière une autre plus anodine. Une bonne part des « professions » regroupées ici peuvent donner lieu à des personnages complexes (cf. page 218).

Médiums et spirites Éléments biographiques Un tel personnage : • possède des connaissances pointues dans sa spécialité (ouvrages théoriques, articles…), même s’il n’est pas sincère (cf. Étoffer mon personnage) ; • possède une éloquence incontestable (persuasion, empathie, charisme…) ; fin psychologue dans tous les cas ; • jouit d’une certaine popularité dans les milieux mondains (s’il joue ce jeu-là) et peut même être une « personnalité d’exception ». Il peut aussi avoir des ennemis acharnés (scientistes, rationalistes…) ; • peut être adulé ou détesté dans les milieux spirites (« querelles de chapelles », polémiques dans la presse…).

Renseignements utiles « Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents. » – Victor Hugo, Actes et paroles – Depuis l’exil L’engouement pour les « esprits » et les tables tournantes secoue toute l’Europe à partir de 1847. C’est un instituteur lyonnais, Léon Hippolyte Denizard Rivail qui, sous le pseudonyme d’Allan Kardec, va en 1857 théoriser et codifier ces pratiques dans Le livre des esprits, ouvrage où il invente le mot « spiritisme ». Il popularisera

plus tard le terme de « médium », personne sensible à des influences ou à des phénomènes non perceptibles par les sens ordinaires. Note : le joueur curieux trouvera bien davantage de précisions dans la partie Le Fantastique, page 93. Le spiritisme repose sur une croyance ancestrale, celle de la « communication avec les défunts ». Kardec avance que les entités de l’au-delà, appelées « esprits », cherchent à contacter les vivants. Ce sont souvent des personnes décédées, avec lesquelles les spirites réussissent à établir une communication par le biais d’un sujet « réceptif » en état de transe (médium), ou de supports inanimés (guéridon, ouija, verre de cristal, crayon et écriture automatique…). On peut alors « parler avec les morts ». La doctrine spirite a séduit toute la société y compris les milieux intellectuels ou savants. Le photographe Buguet propose à ses clients leur portrait « avec l’esprit d’un être cher disparu ». Victor Hugo, exilé à Jersey, affirme communiquer avec Léopoldine, sa fille décédée. Alexandre Dumas, George Sand, l’impératrice Eugénie, Victorien Sardou, Théophile Gautier, Camille Flammarion… ont « fait tourner les guéridons » ! Le spiritisme suscite aussi bien séduction que répulsion, car si un public nombreux s’en montre curieux, en 1892, le Vatican s’interroge : faut-il le condamner définitivement ?

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Il y renoncera, mais des ecclésiastiques mèneront le combat anti-spirite. Le scientisme aura beau faire et dire, le spiritisme affiche un succès durable, comme en attestent les deux congrès spirites de 1889 et 1900 à Paris. C’est la preuve que la société s’intéresse à « l’autre monde », au « domaine des morts » et à l’occultisme. Les revues spirites sont nombreuses, ouvrant leurs colonnes à des personnes qui se présentent comme spirites, médiums, devins (par « le dialogue avec les esprits ») ou « experts » en maisons hantées… Les journaux publient leurs « réclames » et faire appel à un tel personnage n’a rien d’insolite, c’est même un amusement mondain. Une maîtresse de maison invitera donc un médium pour « une séance de spiritisme ». Nos spirites et voyants n’ont pas fini de côtoyer des gens que leur « don » intéresse…

Que puis-je jouer ? • Une médium (ou spirite), persuadée que les âmes en peine nous entourent, ont souvent quelque chose à nous demander ou cherchent à nous aider, et qu’il est possible de les contacter par divers biais*. • Une voyante*, un devin* qui prétend entrer en contact avec les esprits ; présenté comme omniscient pour prédire l’avenir : transes, écriture automatique… • Un « chasseur de fantômes », toujours à l’affût d’un phénomène surnaturel ou d’une maison hantée à « purifier ». • Un « chef » de mouvement spirite : groupe important – spiritisme d’Allan Kardec – ou petit cercle privé qui réunit uniquement quelques amis du « Maître », la concurrence est rude… • Un « pourfendeur de charlatans », qui connaît bien le sujet, mais pour mieux combattre sa « néfaste influence ». Certains prêtres s’étaient spécialisés dans ce type de combat (cf. Ecclésiastiques et religieuses, page 172). *Précisez les « techniques » pratiquées.

Étoffer mon personnage (Cf. plus bas)

« Autres métiers de l’Étrange » Éléments biographiques Un tel personnage : • possède des connaissances précises dans sa spécialité, même s’il n’est pas sincère (voir Étoffer mon personnage) ; • suscite curiosité et/ou intérêt par son côté érudit, « étrange », voire inquiétant. Il peut en jouer (ambition, emprise…) ; • jouit d’une certaine popularité dans les milieux mondains et peut même être une « personnalité d’exception ». Il peut aussi avoir des ennemis acharnés dans les milieux intellectuels (scientistes, rationalistes…). OCCULTISTES SEULEMENT : • dans son propre milieu, peut être adulé ou détesté. Tout ceci est extrêmement complexe, engendrant des « querelles de chapelles » et des polémiques par journaux interposés… ILLUSIONNISTES SEULEMENT : • peut user d’une forme d’influence (persuasion, emprise, suggestion hypnotique…) ; • peut à l’occasion utiliser un « truc d’illusionniste » pour se tirer d’un mauvais pas en détournant l’attention.

Renseignements utiles Nous parlons ici de personnages pour qui la notion de secret est cruciale, d’où l’arcane du Cabaliste (celui qui

cherche à percer toutes sortes de secrets, qui est attiré par l’aspect mystérieux et occulte du monde). Les livres sont importants pour eux, on y trouve tant de choses « cachées », enfouies, tant de « secrets anciens »… Ce sont des membres de sociétés occultes (ou réputées telles), qui prennent leur source dans les cultes antiques dont il faudrait retrouver et élucider les mystères. Ce sont tous ceux qui profitent de cette mode du surnaturel pour tenter d’en vivre d’une façon ou d’une autre. Ce sont aussi les artistes de scène qui se font appeler « magnétiseurs », « magiciens », « fascinateurs », dont les numéros flirtent avec les thèmes du surnaturel… Un clair distinguo avec les magiciens « ordinaires » – cf. Comédiens et artistes de cabaret – qui ne font aucune référence à l’occulte. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’à une époque où science et progrès sont mis en avant, à l’heure du scientisme triomphant, fleurissent toutes sortes de mouvements, de cercles, de sociétés plus ou moins secrètes, centrées sur un réel attrait pour le surnaturel, avec tout le flou que contient le terme. Toutes les doctrines ésotériques se veulent initiatiques. Elles sont cachées aux yeux de ceux qui ne sont pas « initiés » (idem pour les illusionnistes et leurs secrets). Un vocabulaire philosophique, parfois confus, est de mise. Les « expériences authentiques » sont avancées comme incontestables et certains s’autoproclament « astrologue », « magnétiseur », « mage » et autres titres ronflants. Les journaux leur consacrent articles et « réclames ». Une femme tenant salon convoquera un « mage » ou une

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« voyante » pour exposer sa doctrine à ses invités et lancer un débat intéressant. Cela peut sauver une soirée ! On se précipite aussi dans les salles où de grands magiciens présentent des « apparitions de spectres » ou de spectaculaires illusions « spirites » (cf. Que puis-je jouer ?).

Que puis-je jouer ? • Un astrologue, qui fait des horoscopes et les interprète. • Une voyante, un devin qui reçoit des clients pour lire leur avenir (technique à préciser : tarot, oracle, boule de cristal, chiromancie…). • Un « vrai » occultiste, membre d’un mouvement ésotérique (à préciser : théosophe, Rose-Croix…). De la société officielle au petit cercle privé qui regroupe quelques amis du « Maître » et qui méprise les autres mouvements du même ordre. • Un « alchimiste » qui prétend avoir traversé les âges (imitateur-continuateur du Comte de Saint-Germain ou de Joseph Balsamo/Cagliostro). Celui-ci est clairement un escroc (cf. Étoffer mon personnage, Type 3). • Le « pourfendeur de charlatans » a aussi sa place ici (se reporter plus haut). • Un magnétiseur de spectacle (qui dit avoir des pouvoirs de divination, de télépathe, d’hypnotiseur, d’emprise sur la volonté des gens), comme Donato, cité par Maupassant dans Magnétisme.

• Un prestidigitateur spécialisé dans les grandes illusions sanglantes : décapité récalcitrant, cabine aux épées, femme sciée, crémation… (tous ces numéros sont attestés !). • Un illusionniste usant de thèmes « occultes » : « cabinet des esprits », « matérialisations spirites », métempsychose… (idem). • Un fakir : l’Inde et ses secrets sont à la mode et intriguent. Il existe donc des « fakirs » ou du moins des illusionnistes qui présentent des numéros sur ce thème.

Étoffer mon personnage Vous avez un domaine ésotérique de prédilection. Un choix crucial reste à effectuer, qui va affecter l’interprétation de votre rôle : votre personnage est-il sincère ou non dans l’intérêt manifesté et sa pratique de l’occultisme ? Note : cette question ne concerne pas les « illusionnistes et consorts », qui savent parfaitement qu’ils simulent (avec des « trucs »). Leur métier est de tromper les autres ! Ils ne doivent pas être considérés a priori comme des escrocs. TYPE 1 – MON PERSONNAGE EST SINCÈRE J’aborde ces sciences occultes avec enthousiasme, humilité et conviction, je suis sincère dans mes croyances ésotériques et ma pratique. Même si je me fais payer, je ne suis ni un escroc ni un arnaqueur. Il n’y a pas chez moi de volonté de nuire, encore moins de préméditation. TYPE 2 – MON PERSONNAGE EST DE PARTI PRIS 1. Je suis un adepte convaincu, persuadé que le spiritisme ou l’occultisme, « ça marche » ! Pensée magique ou pas, les expériences que j’ai menées ont été positives et je continue à lire sur le sujet pour conforter mon « don » et devenir plus « efficace ». 2. Je suis un opposant convaincu, un rationaliste qui combat toutes ces fumisteries. Mon engagement nécessite de bien connaître ceux contre qui je lutte et je me plonge dans les mêmes ouvrages qu’eux. Je suis donc au fait de leurs croyances et pratiques, mais je n’y souscris aucunement ! TYPE 3 – MON PERSONNAGE EST UN PUR ESCROC* Je ne suis qu’un habile simulateur, un beau parleur qui utilise l’ésotérisme (et quelques trucs d’illusionnisme) comme moyen de tirer profit de la crédulité des autres. Je me suis renseigné, possède quelques connaissances et en parle avec aisance et conviction. J’exploite ce savoir sans remords, pour « plumer les pigeons », mais je n’y crois pas du tout ! Note : jouer un escroc oblige à avancer masqué et nous sommes ici en présence d’un personnage complexe (cf. cette fiche). *Les buts poursuivis, et les moyens employés pour y parvenir, doivent être confiés au meneur !

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$ Militaires LAME TUTÉLAIRE : le Centurion ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

APT PHYS 13 12 10

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HAB 11 11 9

CULT GÉN 6 8 10

Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.) REMARQUES : les hauts gradés sont rares mais, faisant partie de la « haute société », ils sont souvent « en représentation » et potentiellement plus libres de leurs mouvements que le sous-officier ou le « piou-piou » de base. En 1900, il n’y a aucune femme dans l’armée française. Rien n’empêche cependant une joueuse d’endosser un rôle masculin si elle souhaite incarner un jeune homme à pantalon garance et épaulettes dorées !

1870 ». Règne ainsi un esprit de revanche « anti-boches » – mentalité et vocabulaire d’époque ! De plus, l’armée française a été profondément transformée par une loi de 1889, avec un service militaire de trois ans et la suppression des exemptions dans un souci d’égalité. Le service, ramené à deux ans en 1905, est allongé de nouveau à trois ans en 1913. Pour fixer les idées, voici les effectifs de l’armée française en 1901 : 23 100 officiers et 531 100 sous-officiers et soldats et en 1911, environ 30 000 officiers, 330 généraux et 50 amiraux. Les effectifs sont importants et l’armée très coûteuse, puisqu’elle doit bénéficier des armements les plus modernes. Note : il n’y a évidemment pas d’Armée de l’air portant ce nom avant 1934. Cependant, le génie englobait et administrait une « aéronautique militaire ». Il n’y était question que d’aérostiers pour ballons à gaz, type « dirigeables ». Cela étant dit, l’armée s’intéresse très tôt à l’aviation proprement dite : dès 1909, le ministère de la Guerre lui accorde des crédits substantiels et achète cinq appareils (dont deux aux frères Wright) pour étudier leurs possibles applications militaires. Ces crédits passent de 400 000 F à 1,4 million en 1910 et à 7 millions en 1911.

Note : les femmes de militaires gradés ont une position sociale enviable et leur place parmi les notables. Elles ne travaillent pas (on se reportera pour elles à l’Archétype Rentiers, dilettantes et leurs domestiques). EN JEU : les simples soldats ou sous-officiers, accaparés par la vie de caserne, ne sont guère jouables. On n’envisage donc ici que les officiers subalternes et supérieurs. Et encore ! Les officiers d’infanterie sont souvent casernés ou en mission, parfois dans les colonies, et les marins rarement à terre. Reste la solution de travailler pour une instance militaire (état-major, ministère, musée…) où l’on est soumis aux horaires de bureau ; ou bien d’être un ancien militaire.

Renseignements utiles L’armée, dans laquelle on peut entrer sans études ni diplôme, représente pour les hommes issus d’un milieu modeste un moyen de s’élever socialement. Elle se chargera même de fournir aux recrues un minimum d’instruction et les plus capables pourront y faire carrière. Lorsque l’on est d’un milieu plus favorisé, on peut prétendre à ne pas être fantassin (90 % des effectifs) pour servir dans la cavalerie, l’artillerie, le génie, qui forment une élite. On accédera plus facilement aux grades d’officier, pour une carrière valorisante. Après le désastre de 1870 (cf. Contexte historique, page 16), la France réforme son armée, qui est refondue en grandes unités (corps d’armée, divisions, brigades) dont les commandants ont pour charge de la préparer ou de la conduire au combat. Cette organisation permanente, sur le modèle prussien, assure une préparation des troupes qui doit éviter que ne se reproduisent « les terribles erreurs de

L’armée, qui a participé à la conquête de l’empire colonial, jouit alors d’un grand prestige auprès de la population civile. À partir de 1900, le général André, ministre de la Guerre, affecte à l’armée une tâche supplémentaire : l’instruction militaire « pour préparer à la vie sociale de soldat-citoyen ». Le quotidien du soldat reste entaché d’insalubrité, de nourriture médiocre, mais salles de lecture, représentations théâtrales et conférences sont offertes aux recrues ; les cercles d’officiers se développent. Sous l’impulsion de Lyautey, discipline, exercices, formation « à la dure » s’adoucissent. Le régiment devient une école pour les recrues les moins éduquées, à qui l’on (ré)apprend à lire et compter. Le service désormais universel est devenu un rite de passage – le « conseil de révision » ! –, ce qui permet le brassage des jeunes hommes, favorise l’unification linguistique, les patois étant interdits depuis peu. L’armée acquiert alors un rôle important de creuset social où se forge, après l’école, l’unité de la nation. L’armée est très présente dans le « paysage familier » des Français : 221 villes de province abritent une garnison en 1913. La solde des gradés leur assure des revenus bourgeois : un sous-lieutenant débutant gagne 2 500 F mensuels vers 1900, un lieutenant-colonel 6 900 F. En 1913, c’est 3 500 F et 9 100 F. Les contacts entre militaires et civils sont nombreux : défilés avec musique, revues, fanfares militaires donnant des concerts dans les jardins publics, distribution de soupe

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QUELQUES POSTES « PARTICULIERS » : • instructeur/directeur au sein d’une école ou d’un établissement militaire (soumis aux horaires de bureau, mais habite parfois sur place) ; • employé d’un ministère ou d’un musée militaire (soumis aux horaires de bureau) ; • militaire brillant, recruté par la « Section de statistiques » – dénomination banale qui masque les services secrets ! – et qui travaille donc comme espion, en restant dans l’armée ou sous couverture (à définir) ; • médecin militaire (cf. Archétype « Médecins » où ce cas est prévu) ; • (ex)aumônier militaire (cf. Archétype « Ecclésias­ti­ ques » où ce cas est prévu).

aux indigents devant les casernes… Tout ceci concourt au développement d’une imagerie militaire qui imprègne tout un pan de la société et explique, en partie, l’embrasement des esprits lors de l’affaire Dreyfus, capitaine que l’on accuse de « porter atteinte à l’honneur de l’armée » (cf. Contexte historique, page 20). Note importante : quand on est militaire, on est souvent plutôt marqué à droite (conservatrice ou modérée), comme 95 % de l’armée d’alors. On est très majoritairement antidreyfusard, puisque l’honneur et la probité de l’armée – dont on ne doute pas un seul instant – semblent en jeu. En tout cas, le sujet est brûlant, voire « explosif » !

Que puis-je jouer ?

Éléments biographiques

MILITAIRES D’ACTIVE Ma carrière : choisir votre « corps » (il influe sur les éléments biographiques, voir tableau) et aussi votre grade (voir plus bas). Pensez à la cohérence : - l e grade choisi doit tenir compte de l’âge du personnage (même pistonné, on n’est pas capitaine à vingtcinq ans !) ; - celui-ci ne doit pas passer sa vie à la caserne, sinon vivre une aventure ne sera pas facile ! Trouvez un biais ! Cela aboutira à compléter la phrase : « Je suis engagé comme… à… ». AJOUTER À LA BIOGRAPHIE

Infanterie (y compris de marine)

Connaissance et pratique des armes à feu (pistolet ou fusil), sens de l’orientation

Cavalerie (Hussards, Dragons…)

Équitation et combat au sabre (à la lance avant 1912)

Génie/Sapeurs

Connaissance des armes à feu, construction d’ouvrages, connaissance des explosifs

Artillerie

Connaissance des canons (calibres divers), poudres et explosifs

Aérostiers (Aviation après 1909)

Ballons à gaz, photo (aérostier) ; mécanique, sens de l’orientation (aviation)

Armée coloniale

Connaissance des armes (blanches, pistolet), connaissance des rituels et coutumes locales (colonies, outre-mer…)

Marine

Connaissance des armes à feu et des canons, connaissance du milieu maritime, navigation

Note : Il existe aussi une aristocratie militaire, quasi héréditaire, dont on peut faire partie.

Étoffer mon personnage Je suis : • un militaire exemplaire, soucieux de faire une belle carrière ; • un partisan des « bonnes vieilles méthodes » ; un patriote convaincu ; un va-t-en-guerre ; • une baderne qui ressasse ses exploits passés ; • devenu militaire « pour de mauvaises raisons » (à définir) et je ne me sens pas à l’aise dans l’armée. Cela se traduit par un élément à définir ; • je n’ai jamais réellement combattu, mais brûle de prouver ma bravoure ; pourtant, ce que j’ai lu et entendu de la guerre me rend circonspect, voire inquiet ; • j’ai réellement combattu (à préciser) avec courage ou comme j’ai pu ; j’en suis revenu très marqué, dégoûté, blessé et/ou traumatisé ; • je déteste les « va-t-en-guerre ». Cela se traduit par un élément à définir.

PRINCIPAUX GRADES JOUABLES par hiérarchie croissante : - armée de terre, officiers subalternes (minimum 30 ans) : sous-lieutenant, lieutenant, capitaine. Offi­ciers supérieurs (minimum 40 ans) : commandant, lieutenant-colonel, colonel, général de brigade, de div­ision, de corps d’armée, d’armée, maréchal ; - marine, officiers subalternes : aspirant, enseigne de vaisseau, lieutenant de vaisseau. Officiers supérieurs : capitaine de corvette, de frégate, de vaisseau, contre-amiral, vice-amiral, amiral.

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CORPS D’ARMÉE

Selon sa carrière personnelle, un tel personnage : • possède des connaissances géographiques précises des lieux où il a été affecté (métropole, colonie, pays étranger si rattaché à une ambassade) ; • sait manier les armes (habileté au tir et/ou à l’escrime selon régiment, voir tableau) ; • jouit du prestige de l’uniforme, bénéficie de la sympathie de beaucoup de personnes (anarchistes et extrême gauche exceptés) ; • (en tant qu’officier supérieur) appartient à une catégorie sociale élevée, c’est un notable ; (en tant qu’officier subalterne) n’est pas forcément un notable, sauf en province ; • est un « beau parti » pour des jeunes filles « de bonne famille », ou de la petite et moyenne bourgeoisie ;

Ancien militaire Même s’il n’est plus dans l’armée, ce personnage a bénéficié d’une formation militaire. On se reportera donc aux renseignements utiles plus haut. De cette formation, il a gardé des habitudes (méthode de travail, forme physique entretenue, estimation du risque), des mentalités (respect de l’ordre, sens de la discipline), des savoir-faire (sens de l’orientation, adresse au tir, connaissances particulières…). Note : il peut être mal vu, méprisé et/ou rejeté par ses anciens frères d’armes.

Éléments biographiques Selon sa carrière, un tel personnage : • possède des connaissances géographiques précises des lieux où il a servi (métropole, colonies, pays étrangers s’il y a combattu) ; • connaît le maniement des armes, a une habileté au tir et/ ou à l’escrime (selon régiment où il a servi) ; • bénéficie d’un préjugé favorable (ancien militaire)… tant qu’il n’est pas trop marginal.

Que puis-je jouer ? Pourquoi ai-je quitté l’armée ? Je suis : • un ex-militaire jeune (cela suppose d’avoir été écarté pour raisons graves, disciplinaires ou personnelles à définir) ; • un ex-militaire plus âgé, qui a pu quitter l’armée : - à la suite d’un problème de santé ou une ou plusieurs blessures ; je touche une pension, - à la suite d’une exclusion (raison grave à définir). Je suis devenu… (à définir, mais le côté militaire prime), - à la suite d’une guerre dont je suis revenu marqué, dégoûté, traumatisé ou mutilé… Pension possible, - à la suite d’un séjour/une mission dans les colonies, dont je suis revenu malade, dégoûté ou traumatisé… Pension possible. • un militaire à la retraite (50 ans minimum) ; choisir grade et corps (utilisez le tableau, plus haut) ; • j’ai été recruté par la « Section de statistiques » – services secrets – et agis sous couverture (à définir) comme espion (cf. personnage complexe, page 218).

Étoffer mon personnage Malgré cet « échec » de ma vie militaire : • j’ai rebondi et suis devenu, selon mon parcours : responsable de sécurité ; détective privé ; professeur de savate ; directeur d’une « agence de mercenaires » ; professeur d’équitation ; maître d’armes (escrime) ; • en tant que mutilé, j’ai été reclassé dans un bureau, dans un musée… (emplois réservés) ; • j’ai du mal à rebondir, je suis : dans la débine / en voie de marginalisation / déjà marginalisé (à préciser).

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$ Les prolétaires Paysans, ouvriers & domestiques LAME TUTÉLAIRE : le Laboureur (paysans et domestiques) ou le Savetier (ouvriers)

PROPRIÉTAIRE TERRIEN : • a des relations parmi les gros agriculteurs et/ou éleveurs du canton, quelques élus locaux. Sauf exception, il fait partie des notables ou de la bourgeoisie de sa région.

REMARQUES : étrange idée de regrouper trois professions aussi différentes ! Pourtant, un lien existe : nombre d’ouvriers et de domestiques sont des ruraux déracinés. De plus, ce sont trois professions difficilement jouables ! Leurs horaires journaliers très contraignants font souvent obstacle à l’aventure. Il y a donc peu de propositions de jeu ici, juste quelques « cas particuliers » (cf. Que puis-je jouer ?). Alors, pourquoi leur réserver un Archétype ? Tout simplement parce qu’ils constituent un pan très important de la société, que nous ne voulions pas « rayer d’un trait de plume » au prétexte qu’il y a peu d’ouvriers, de paysans et de domestiques au sein du Club Pythagore ! Les personnages de Maléfices ne peuvent pas ne pas les croiser, souvent comme de simples « figurants » dans un village, un café, un théâtre, une fête le dimanche, ou lors d’un dîner chez des amis bourgeois… Cependant, nous avons dû nous contenter d’évoquer très succinctement la vie ouvrière et paysanne. On pourra y revenir à l’occasion de scénarios spécifiques. Les domestiques sont davantage développés, car ils offrent des options ludiques intéressantes.

ÉLEVEURS : • est bien introduit dans la bourgeoisie locale, selon l’importance du cheptel ; • a une connaissance poussée des animaux élevés. S’il s’agit de chevaux et de haras, il fréquente la bourgeoise, la haute bourgeoisie… ou des aristocrates, des millionnaires propriétaires de chevaux de course.

Renseignements utiles Malgré l’exode rural qui a chassé des campagnes les ouvriers agricoles et les paysans les plus pauvres, 23 millions de Français vivent encore à la campagne en 1900 (59 % de la population), dont 16 millions (42 % de la population) recensés comme agriculteurs. Ils sont essentiellement propriétaires de petites parcelles morcelées, exploitant une ferme familiale souvent modeste, mais qui, au prix d’un dur labeur quotidien, permet de vivre sans luxe aucun. À côté d’eux, de (très) gros propriétaires terriens vivent dans l’aisance, pratiquant parfois une agriculture de type capitaliste. Vers 1900, un journalier normand gagne 450 F, sa femme 250 F par mois lors des travaux d’été (l’hiver impose généralement une inactivité forcée). Le progrès arrive doucement, mais les réticences sont fortes face aux premières machines. Le travail de la terre reste donc difficile, le logement souvent médiocre ; on tire l’eau au puits, ce qui rend pénible la vie de tous, et particulièrement de la femme paysanne. L’utilisation d’engrais se répand, la production augmente et elle est commercialisée en grande partie. Le quotidien paysan s’améliore : la nourriture se diversifie, la consommation de viande, de vin, de sucre, de café progresse. Les vêtements s’uniformisent, mais le grand chapeau, la blouse et les sabots sont encore très courants. L’arrivée des journaux, l’apparition des bistrots font reculer les traditions. Le développement de la langue française, le recul des langues locales et des patois, assurés par l’instruction obligatoire et les instituteurs, agissent dans le même sens. Ainsi disparaît peu à peu une culture populaire, qui survit en revanche dans tout ce qui est religiosité et croyances superstitieuses (cf. Le Fantastique, page 93). La France rurale se situe à la limite entre tradition et changement, mais elle est encore très « marquée ». Ainsi, le mode de vie, les costumes, les formules de politesse, un

Les paysans ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

APT PHYS 14 12 10

PERC 9 11 9

HAB 10 11 10

CULT GÉN 5 6 8

Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.)

Éléments biographiques Un tel personnage : • connaît bien les animaux domestiques, sa région, la nature (bonnes et mauvaises terres, faune, flore, bois…) ; connaît aussi les chemins forestiers, caches… et quelques légendes ; • peut connaître diverses régions de France s’il a été itinérant ; • connaît la sorcière ou le « j’teux de sorts » du coin, éventuellement quelques remèdes « traditionnels ».

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accent prononcé parfois, le patois, tout cela, en 1900, permet de distinguer « du premier coup » les paysans des ouvriers et des bourgeois. Ils sont souvent dédaignés et moqués (Bécassine, créée en 1905, renforce cette morgue des citadins vis-à-vis des « ploucs »).

travaille dans une petite ou moyenne entreprise (entre 1 et 50 salariés), dont 790 000 ouvriers et ouvrières à domicile. Ce sont les plus à plaindre.

Que puis-je jouer ? • Un ouvrier agricole récemment arrivé en région parisienne, qui cherche un employeur. Sans beaucoup d’argent, sans emploi, il a du temps pour que l’aventure lui tombe dessus pendant cette période où il ne travaille pas. Cela dit, une telle situation ne peut s’éterniser… à moins que l’aventure ne permette à notre paysan de trouver de quoi subsister encore un moment. • Un propriétaire terrien qui a mis ses terres en fermage et passe beaucoup de temps à Paris « pour affaires ». • Un éleveur de bétail ; un négociant en huîtres et fruits de mer ; un gros maraîcher… Tous traitent avec « le ventre de Paris » (les Halles centrales, ou pavillons Baltard, 1er arr.) et sont plus souvent à la capitale que dans leur ferme. • Un négociant en vins, en Champagne, avec les mêmes caractéristiques que ci-dessus. Mais son repaire est cette fois le marché aux vins de Bercy (« les entrepôts », 12e arr.) ou la Halle aux vins du quai Saint-Bernard (5e arr.).

Les ouvriers ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

APT PHYS 13 11 9

PERC 8 11 8

HAB 11 12 10

CULT GÉN 6 7 9

Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise entre les données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.)

Éléments biographiques Un tel personnage : • connaît les machines (même anciennes) touchant à sa spécialité ; • possède, selon sa spécialité, des notions de mécanique, hydraulique, métallurgie, forge du métal, etc. ; • a ses « réseaux », certes moins influents que ceux de la haute société, mais très variés, très fiables et très solidaires ; il sait pouvoir compter sur eux ; • peut connaître diverses régions de France s’il a été itinérant.

Renseignements utiles En 1906, on dénombre 5,6 millions d’ouvriers, dont 30 % d’ouvrières. C’est 15 % de la population. Près de la moitié (45 %) travaillent dans la grande industrie. L’autre moitié

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LES CONDITIONS DE TRAVAIL SONT DURES ET PRÉCAIRES On est payé à l’heure pour 10 h 30 à 12 h de travail par jour, six jours par semaine, trois cents jours par an. En 1904, ce seront 10 h journalières. Après 1875 s’installe le repos dominical, mais ce jour chômé ne sera payé qu’en 1906. Le salaire moyen masque de grosses disparités, mais en 1911, un ouvrier parisien gagne entre 4,80 F à 8 F par jour. En province, c’est entre 3 F et 4,40 F Les femmes, déjà, sont sous-payées : 2,30 F par jour. On se bat pour la « thune », c’est-à-dire 5 F par jour.

en 1900 !). Et la période sera traversée de grèves et d’émeutes qu’il n’est pas temps de présenter ici. Reste qu’en 1900, on est sorti de la « légende noire » de Germinal. Le pouvoir d’achat des ouvriers français a évolué (cf. Contexte historique, page 49). Le niveau de vie moyen s’améliore : quotidien plus aisé, alimentation plus riche et plus variée (davantage de viande, de sucre, de fruits…). Mais les conditions de logement demeurent souvent précaires et insalubres. L’habillement progresse aussi. Contrairement au paysan, l’ouvrier abandonne la blouse au profit de la chemise, mais reste socialement reconnaissable à la « gapette » crânement posée sur sa tête.

PAS DE PRÉVENTION DU RISQUE MALADIE Pas de législation des accidents du travail avant 1898. Pas de salaire assuré : quand ils peuvent le faire sans risque de grèves, les patrons baissent unilatéralement les salaires. Pas de retraite. Un principe posé en 1906, une loi votée en 1910, mais rien avant la guerre. Une application du taylorisme : machines plus perfectionnées, accélération des cadences, chasse à la rentabilité maximale. Les ouvriers parlent du « bagne »… Physiquement usés, vivant dans l’angoisse d’un travail précaire, la crainte du chômage, puis de la misère quand ils seront vieux, sans revenus, ils sont condamnés à épargner sur le peu qu’ils gagnent. Tout ceci va fournir des motifs de lutte, faire naître très tôt des mouvements ouvriers et des syndicats. Moins nombreux que les paysans, les ouvriers ont un rôle politique plus important (mais le mouvement ouvrier a déjà 100 ans

Que puis-je jouer ? • Un ouvrier récemment arrivé en région parisienne, et qui cherche un employeur. Sans argent, sans emploi, mais avec du temps pour que l’aventure lui tombe dessus pendant qu’il ne travaille pas. Cela dit, une telle situation ne peut s’éterniser… Il va falloir trouver une solution ! • Un faux ouvrier, mais un vrai syndicaliste ou agitateur politique, comme Lantier dans Germinal. En réalité, c’est davantage un intellectuel, mais il évolue et travaille au milieu des ouvriers qu’il entend pousser à la révolte, en organisant des luttes parfois violentes. C’est un personnage complexe (cf. page 218), car il se présente évidemment sous couverture.

Les domestiques ÂGE 18 à 34 35 à 49 50 et plus

APT PHYS 11 10 9

PERC 9 11 9

HAB 10 11 8

Renseignements utiles

CULT GÉN 8 10 12

Les domestiques forment un groupe de 169 500 hommes et 671 500 femmes en 1901. Ils sont nombreux, mais les classes privilégiées, aristocrates, grands et petits bourgeois, ont les moyens d’entretenir une domesticité plus ou moins importante, cela fait partie de leur « standing ». Bien que manuels, ce ne sont pas des ouvriers : les emplois domestiques apparaissent plutôt comme « un résidu millénaire de l’esclavage et de la servitude ». Certes, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, le « maître » ne frappe plus son domestique comme M. Jourdain souffletait Nicole ou Harpagon corrigeait La Flèche. Mais il l’injurie souvent, cela se voit encore dans le théâtre de boulevard. Une grande partie des serviteurs sont des ruraux exilés venus à la ville afin d’échapper à un destin qu’ils pressentent peu reluisant (c’est pourquoi leur arcane de Métiers est le Laboureur). Des « agences de placement » se chargent de mettre en contact futurs employés et potentiels employeurs. Rares sont en effet les familles bourgeoises qui n’ont aucune bonne. Voici l’exemple d’un

Le joueur dispose de 8 points à ajouter à sa guise aux données chiffrées correspondant à sa tranche d’âge. (Les caractéristiques définitives seront à reporter sur sa feuille de personnage.)

Éléments biographiques Un tel personnage : • a gardé des connaissances et une « habileté particulière » touchant à son métier précédent ; • est plein d’astuces et de ressources (débrouillard, roublard) ; • a fini par tisser avec son « maître » des rapports qui ne sont plus de servitude, mais peuvent aller jusqu’à une réelle complicité, voire parfois une vraie amitié, même si les règles sociales veulent qu’on ne manifeste pas publiquement ces relations non conventionnelles.

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Bref, nous vous proposons d’incarner un de ces domestiques fidèles, roublards, finauds et pleins de ressources, à qui maîtres et maîtresses doivent souvent leur salut. Les serviteurs de ce type peuvent « fonctionner » avec tout personnage ayant les moyens d’entretenir un domestique « de toute confiance », qui l’accompagne partout (et donc dans ses aventures !). Nous ne sommes donc pas ici avec Bécassine (bien plus fine que son nom ne le laisse entendre…), mais plutôt du côté de l’astucieux Arlequin, des insolents, mais avisés valets et servantes de Molière, tels Nicole ou Scapin, « habile ouvrier de ressorts et d’intrigues », ou encore des faire-valoir littéraires, tels Passepoil et Cocardasse pour Lagardère, Conseil pour le Pr Aronnax, ou Passepartout pour Phileas Fogg chez Jules Verne…

avocat parisien très aisé : il a en 1913 un valet de chambre, une cuisinière, deux femmes de chambre, une bonne d’enfants. En journée viennent aussi une lingère, une couturière et parfois une repasseuse. Souvent, on engage pendant les vacances un précepteur, une « Miss » ou une « Fräulein ». Et quand on a un très jeune enfant, on emploie presque toujours une nourrice. Malgré leur statut assez « frustrant » – pour ainsi dire sans temps libre et sans vie personnelle –, beaucoup de domestiques sont fiers de leur travail, efficaces et compétents au service de leur employeur. Mais contrairement à l’ouvrier, le domestique bénéficie (sauf patrons indignes) d’une plus grande sécurité : emploi pérenne (sauf faute grave), nourriture assurée, salaire mensuel, tous les autres frais payés, ce qui lui permet parfois de se constituer une petite rente (entre 750 F et 1 000 F) et d’acheter une maisonnette pour ses vieux jours (ce qui est quasi impossible à l’ouvrier moyen). Il suit ses maîtres quand ceux-ci partent à la mer ou à la campagne. Ce ne sont certes pas des « vacances », mais c’est tout de même un « privilège » par rapport à nombre d’ouvriers et employés. Bien considérés ici, victimes de traitements inacceptables dans la demeure voisine, tous sont dépendants du bon vouloir de leurs employeurs. Mais le plus souvent, les gages ne sont pas très élevés. En 1914, une servante fidèle gagne environ 35 F par mois en province et 65 F à Paris, et elle est très souvent, selon la formule, « nourrie, logée, blanchie » – mais par elle-même ! Les hommes sont un peu mieux rémunérés.

EN JEU : le couple « maître-valet » ou « maîtresseservante », très efficace au théâtre, l’est aussi à Maléfices ! Essayez un jour, pour introduire dans votre groupe un(e) jeune débutant(e), de lui confier un rôle au sein d’un couple « maître-domestique » composé d’elle ou de lui et d’un « vieux routard » : - soit vous lui confiez le rôle de domestique… et c’est le vieux routard qui au début « prendra la main » en lui donnant une tâche, une mission, ou en lui demandant son avis de temps en temps ; - soit vous lui confiez le rôle du maître… et dans ce cas, c’est le vieux routard qui se fera un plaisir de l’aider à coup de « Si monsieur me permet, à sa place, je n’irais pas tout seul dans cette maison… ». Au bout d’un moment, vous constaterez que le personnage débutant prend de plus en plus « d’autonomie » au sein du couple, et que cela fonctionne très bien… Cela peut bien sûr s’appliquer à deux adultes !

Que puis-je jouer ? (Maîtres & valets…) Ce ne sont pas ces majordomes, cuisinières, chauffeurs, jardiniers ou autres femmes de chambre que vous allez incarner : trop accaparés par le service de « Monsieur et Madame », ils ne quittent quasiment jamais leur lieu de travail, puisqu’ils vivent et, en général, dorment dans la maison de leurs employeurs. Nous pensons bien davantage à un domestique devenu très proche de son « patron », voire familier et amical, qui l’escorte partout, le seconde, supplée à ses erreurs, et parfois même « prend l’ascendant » sur lui.

Étoffer mon personnage Il reste à peaufiner « votre » domestique en réfléchissant à ces quelques éléments biographiques : • D’où est-il originaire ? • Que faisait-il avant de devenir domestique ? • Comment est-il devenu plus qu’un « serviteur » pour son maître ou sa maîtresse ? • Quel « talent » particulier et inattendu possède-t-il ?

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$ Aller plus loin : personnages « bohèmes » et « complexes » Jouer un personnage bohème 2. « UN VRAI BOHÈME » : un artiste déjà (un peu) connu et qui a des chances de réussir. Ou bien un scientifique amateur qui se pique d’inventions improbables, y engloutissant le peu d’argent qu’il possède. Ou encore un pseudo-détective (spécialisé dans les affaires étranges ?) qui vivote comme il peut… La misère n’est pour ces personnages qu’un moment transitoire. Tous sont des ambitieux, qui travaillent et se donnent les moyens de se faire un jour connaître positivement. Mais rien n’est sûr ! Le joueur qui choisit d’incarner l’un de ces deux types de « bohème » ajoute à sa biographie « Problèmes d’argent » et un des traits suivants, au choix : • « Artiste maudit » : il cultive un côté désespéré, torturé qui rejaillit sur son art. Pas forcément lié au succès ; • « Artiste d’avant-garde », un visionnaire, mais dont l’œuvre est rejetée. Il n’a pas de succès ; • « Paradis artificiels  » : il expérimente « le dérèglement de tous les sens » comme Rimbaud, s’adonne aux paradis artificiels, abusant de l’opium, de l’éther ou de l’absinthe, et fréquentant les lieux de plaisir.

Le mot, remis en lumière par Balzac (1844) et H. Murger (1851), désigne « tout homme qui entre dans les arts sans autre moyen d’existence que l’art lui-même ». Plus largement (cf. Que puis-je jouer, plus bas), « mener une vie (de) bohème », c’est vivre « au jour le jour », en marge des conventions sociales, sans ressources assurées. Si l’on voulait faire une image parlante avec des lames du Grand Jeu de Maléfices, on dirait que la bohème est un état social transitoire, qui peut déboucher aussi bien sur la reconnaissance (l’Artiste) que sur la maladie (Hippocrate) ou sur une fin prématurée (la Mort). À la Belle Époque, dans un Paris en pleine effervescence artistique, l’adjectif « bohème » s’applique en priorité aux artistes et aux littérateurs, dont le mode de vie ne paraît pas, pour la bourgeoisie dominante, assez « terre à terre ». Il est péjoratif, associé à l’idée d’un manque récurrent d’argent, voire d’une certaine pauvreté. On citera ici le fameux « Bibi-la-Purée », ami de Verlaine, et « Prince de la bohème » (1848-1903). Le terme pouvait s’appliquer aussi – assez faussement – à des personnes n’ayant aucun problème d’argent, mais pour qui il était « chic » de revendiquer et d’afficher ce style de vie insouciante et provocatrice. On citera entre autres Robert de Montesquiou, poète, homme de lettres, critique et dandy notoire. Il était de bon ton, quand on était devenu un bourgeois aisé à qui tout réussit, de laisser entendre qu’on avait dans sa jeunesse « connu une période bohème ». La fin de la vie de bohème correspond généralement à la fin de la jeunesse, suivant le principe « plutôt renier la bohème qu’y mourir ».

Note : il ne s’agit pas de créer un personnage glauque et injouable, mais d’incarner un être aux prises avec ses démons personnels. 3. « UN « FAUX BOHÈME » : il trouve dans cette vie une forme de séduction. Par opposition à sa famille, il choisit volontairement la misère alors qu’il a un avenir honorable tout tracé de par son milieu d’origine. « Certains finissent notaires en province, d’autres meurent dans l’obscurité » (Murger). Le joueur qui choisit d’incarner un « faux bohème » ajoute à sa biographie « Personnage mondain » (il a ses entrées dans « le monde ») et un des traits suivants : • Dandy : sa provocation passe par l’apparence vestimentaire. Il ose la couleur, choisit des tissus qui « dénotent », exhibe des accessoires voyants : canne à pommeau sculpté, lavallière bariolée, cravate extravagante… Bref, il donne dans un souci vestimentaire excentrique qui peut lui fermer des portes… et lui en ouvrir d’autres ; • Décadent (ou « fin de siècle ») : il affiche une désespérance teintée d’humour (noir), un pessimisme souvent morbide qui peut choquer ses contemporains. Son langage est affecté, maniéré, mêlant argot et tournures très recherchées, voire désuètes. Littéraire à l’origine, ce mouvement peut séduire d’autres personnages que les écrivains.

EN JEU : la bohème n’est compatible ni avec une profession sérieuse ni avec une situation stable. « Elle n’est pas [non plus] possible en province, seul Paris peut l’accepter ou la tolérer » (Murger). C’est plutôt l’attitude d’un personnage jeune, artiste, écrivain, étudiant, dilettante… et de tous ceux, sans problèmes d’argent, pour qui c’est une façon de « se donner des airs ».

Que puis-je jouer ? 1. « UN BOHÈME IGNORÉ » : artiste pauvre, inconnu, parce qu’il ne peut trouver sa place pour exister dans l’art. Adepte de « l’art pour l’art », il est parfois trop naïf, trop idéaliste, souvent exalté, plus ou moins condamné à la misère et à la mort précoce. Il laisse quelquefois une œuvre que le monde admirera… trop tard ! Un personnage intéressant qu’on ne peut guère jouer sur la longueur.

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Pour renforcer dans tous ces cas l’aspect « vie de bohème », on peut : • habiter rue de la Tour d’Auvergne (près de Montmartre) ou à Montmartre même. Ou sur l’île Saint-Louis ou bien sur le quai aux Fleurs, ou encore au Quartier latin ;

• y vivre chichement dans une mansarde, « glacière en hiver et fournaise en été », selon l’alexandrin si bien construit de Victor Hugo ; • fréquenter Le Prado, bal public sur l’île de la Cité ; ou le Café Harcourt, 47 boulevard Saint-Michel au Quartier Latin ; ou encore, à Montmartre, le Chat noir ou le Moulin Rouge.

Jouer un personnage « complexe » Si vous lisez ceci, c’est que l’idée de jouer un personnage « un peu particulier » vous est venue. Nous allons donc présenter ici ce qu’est « un personnage complexe ». Complexe ne veut pas dire « compliqué ». Cela signifie seulement que le personnage, d’une manière ou d’une autre, a quelque chose à cacher à tout le monde… sauf au meneur de jeu, qui doit le savoir (voir plus loin). On pourrait objecter que « tout le monde a quelque chose à cacher ». Certes, mais à des degrés divers ! Or il est question ici de quelque chose d’un peu plus grave que lire une revue polissonne en cachette de sa femme, ou mentir à son mari sur son emploi du temps, pour aller assister en toute discrétion à une répétition de théâtre… En un mot, nous parlons bien d’un « secret » suffisamment important pour que cela amène le personnage à louvoyer parfois, à ruser toujours, à mentir souvent pour dissimuler aux autres la vérité et préserver sa part d’ombre. Quand votre décision est prise d’endosser un tel rôle, il vous reste à inventer ce « joli petit secret » qui sera l’épine dans le pied, voire l’épée de Damoclès du personnage. À vous de le jouer au mieux ! Attention toutefois ! Il ne s’agit pas de gâcher tous les scénarios ni de plomber votre personnage avec un élément de biographie trop lourd ou trop glauque, qui le rendrait injouable, ou qui mènerait à des actions extrêmes pouvant nuire à l’ambiance de la partie ! Il faut que cela soit

intéressant, mystérieux et « piquant » pour vos partenaires de jeu, et acceptable par le meneur.

J ouer un personnage complexe, ça change quoi ? • Ce type de rôle, finement joué, amènera les autres personnages à s’interroger sur lui au fil des parties, puis à tenter de comprendre « ce qui ne va pas », et – qui sait ? – à essayer d’y remédier. En tout cas, cela promet de beaux moments d’interprétation ! • Au besoin – et c’est pour cela qu’il doit le savoir –, le meneur de jeu utilisera ce ressort dramatique lors d’un épisode qui s’y prête, en lâchant une petite information, en ajoutant un élément relatif à ce secret lors d’une description… Ce ne sera jamais pour vous empêcher de continuer à le jouer, mais au contraire pour vous inciter à pousser plus loin encore l’interprétation de votre rôle. • Enfin, ce personnage complexe n’a pas forcément vocation à le rester quinze parties de suite… Comme indiqué plus haut, il peut être intéressant d’amener vos camarades de jeu à percer votre secret et à voir comment ils pourraient vous aider à faire de ce personnage complexe un personnage (redevenu) « ordinaire »… si c’est possible !

Chut ! Cela reste entre nous… Voici maintenant quelques suggestions pour vous aider à créer votre propre personnage complexe, en ajoutant à sa biographie officielle des éléments qu’il souhaite dissimuler à ses compagnons d’aventure…

Le PJ a un secret à préserver • Cela peut être un secret de famille. À l’époque, on croyait au déterminisme social, à une sorte de fatalité familiale – relisez Zola, par exemple. On peut penser à un père ancien prisonnier, être soi-même un enfant bâtard… • Ou alors un secret sentimental, touchant au couple, à une ou des histoires de cœur… voire d’alcôve. Par exemple avoir un enfant caché dont on s’occupe en secret, ou vivre un destin de femme tiraillée entre son devoir d’épouse et de mère d’un côté, et son cœur de

l’autre. Un homme censé être « un bon père de famille » peut bien sûr vivre la même chose. • Un secret touchant à la profession ou à la carrière. C’est par exemple le bouquiniste qui va parfois chercher des ouvrages tout en dessous de son étal avec des airs de conspirateur : ce personnage propose-t-il sous le manteau des revues polissonnes à quelques clients licencieux, ou a-t-il une clientèle de vrais occultistes, prêts à tout et donc dangereux ? Dans cette catégorie de personnages complexes, il faut réfléchir à ce qui s’oppose à la profession choisie : le prêtre pêcheur, l’artiste maudit, le militaire pacifiste, le chirurgien qui a raté bien trop d’opérations, etc. On peut aussi imaginer une « brave et insignifiante vendeuse » qui, en secret bien sûr, travaillerait pour le « Service des statistiques », nom qui désigne à l’époque… les services d’espionnage de l’État !

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• Un secret plus personnel encore : la richesse que cette vieille dame à l’élégance surannée exhibe dans ses toilettes et ses bijoux, d’où vient-elle précisément ? « On ne devient guère si riche à être honnête », disait Molière. Ou bien « comment un homme si jeune a-t-il pu se voir proposer un poste aussi haut placé dans ce journal ? » • Une situation reposant sur une supercherie, car les possibilités sont quasi infinies : un malentendu fortuit que l’on a laissé s’installer, l’usurpation accidentelle – on entend ici que des circonstances particulières l’ont permise – d’un titre, d’un nom, d’un diplôme… que l’on fait durer en pleine connaissance de cause. Ou une imposture volontaire : imaginez un personnage avec un nom à particule, issu de la noblesse donc, et qui, par opposition frontale à son milieu, milite activement en sous-main, avec l’argent de papa, pour les anarchistes. Vous conviendrez qu’une telle double vie peut être très intéressante à jouer. Arsène Lupin, héros de Maurice Leblanc, roi de l’usurpation d’identité, du déguisement et de la fausse apparence, est une excellente source d’inspiration. • Un événement très marquant : le personnage, par le passé, a été bouleversé par un événement touchant par exemple au spirituel, ou à une grave maladie. Il a aussi pu traverser une grande épreuve de la vie, ou a subi un traumatisme étant enfant, voire a été confronté à la cruauté de la guerre, à la mort. Cela a changé sa vision du monde, ou affecté son psychisme ; peut-être a-t-il des réactions particulières lorsque certaines situations lui rappellent ce qu’il a vécu ? • Une forme de déficience, de vice ou de folie : cela peut être une phobie très présente, comme le vertige ou la vue du sang, ou un vice caché, mais prégnant, dont la découverte ruinerait tout espoir d’échapper au mieux

à la désapprobation de ses pairs, au pire à la rigueur de la loi… Votre personnage est peut-être dépensier, joueur invétéré, au point qu’il ne peut garder un sou en poche, pas même ce que les autres personnages lui confient. Ou encore, il est cleptomane, ce qui peut engendrer bon nombre de quiproquos lors des scènes de fouilles. Peutêtre est-il dépendant à une drogue et, par conséquent, à un fournisseur et son réseau ? On peut également penser à une déficience physique plus ou moins grave, à une maladie menaçant la vie même, donnant un personnage pas forcément diminué, mais plutôt complexé ou très inquiet. Une déficience mentale peut aussi donner un personnage complexe, à condition de ne pas pousser la chose trop loin : il faut toujours que le personnage reste jouable. Pas « d’idiot du village » ou de fou furieux, donc, mais un personnage qui a une fêlure, une fragilité plus ou moins importante… • Des choix pas toujours faciles à assumer : cela peut être une position politique ou religieuse extrémiste. Ou un passé trouble : une ancienne vie d’aventurier, de trafiquant, une première carrière peu glorieuse, voire désastreuse (ancienne cocotte, escroquerie ratée), qui a mené à fuir une région, un milieu… Ou une erreur de jeunesse étouffée à l’époque. Ou bien encore un ennemi personnel, rancunier et tenace. Ou enfin une grave action ayant échappé à la justice… Toutes choses qui pourraient ressurgir : qui sait si un jour un témoin ne pourrait pas refaire surface ? Qui peut jurer que la police – certains policiers, du moins – ne vont pas retomber sur l’affaire et rechercher le personnage ?

De la mesure avant toute chose… Assez souvent, vous le voyez, cela revient à mener ce que l’on nomme « une double vie », celle d’un indicateur de police, d’une personne bigame, d’une personne ayant une facette peu recommandable, d’une espionne pour la France ou pour une puissance étrangère (c’est plus dangereux !). Gardez toujours à l’esprit que votre personnage complexe doit pouvoir s’insérer dans le cadre de l’univers de Maléfices, ainsi que dans les aventures proposées. Afin de ne pas rendre votre alter ego incohérent, envahissant ou incompatible avec le groupe, le scénario, ou l’ambiance générale du jeu, nous vous recommandons de soigner la cohésion et d’y aller avec mesure. Nous encourageons

les joueurs souhaitant créer un tel personnage à en parler d’abord avec leur meneur de jeu. Note : l’utilisation de personnages prétirés est une autre façon de faire jouer des personnages complexes, s’insérant au mieux dans l’aventure. Mais dans ce cas précis, ils seront prévus et inclus dans le scénario en question.

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$ Les règles de Maléfices Pourquoi des règles ? Maintenant que le personnage a été créé, il convient de le faire vivre et interagir avec son environnement et ses congénères. Si, la plupart du temps, les actions d’un personnage sont évidentes et leurs chances de succès faciles à déterminer, dans certaines situations, celles-ci dépendent de facteurs multiples : aptitudes du personnage, circonstances et hasard. La gestion de ces facteurs s’opère par le recours à des règles dont la mise en œuvre relève du meneur de jeu. Vous trouverez dans les sections suivantes, les principales règles de Maléfices. Maléfices favorise le jeu de rôle et l’interaction la plus directe possible entre joueurs et meneur. C’est pourquoi son système de jeu est sobre et simple. Il ne s’encombre pas de règles spéciales complexes ou de tableaux de résolution des actions. Cette IVe édition de Maléfices reprend la plupart des règles des versions précédentes, à quelques différences près. Tout d’abord, le système passe de l’emploi de deux dés à dix faces (d100) à l’utilisation d’un dé à vingt faces (d20). Ce changement permet de se libérer de l’utilisation du tableau des paliers de réussites et favorise

une lecture immédiate du résultat par le joueur lui-même. Enfin, des règles simples sont proposées pour gérer les recherches, fouilles et autres poursuites auxquelles les joueurs ne manquent jamais de se livrer au cours de leurs pérégrinations. La plus grande nouveauté en matière de règles ne se trouve pas dans cette section, bien qu’elle constitue une alternative au recours au jet de dé. Il s’agit de la narration partagée présentée au chapitre qui lui est consacré page 258. En permettant une ellipse dans la partie, la narration partagée peut venir adéquatement se substituer à une séance de jets de dé pour déterminer la réussite ou l’échec d’une action entreprise par les joueurs, comme la fouille de l’appartement d’un suspect par exemple. Elle reste toutefois une règle optionnelle. Les règles présentées ci-dessous sont là pour soutenir le jeu de rôle, elles n’en sont pas l’essence. Servez-vous-en avec bon sens et modération. Il n’est pas rare qu’une partie de Maléfices se déroule sans que le son des dés qui roulent ne se fasse entendre.

Réussir ou rater une action simple Lorsque la réussite d’une action entreprise par un personnage joueur (PJ) ou par un personnage non-joueur (PNJ) n’est pas assurée, ou que ses conséquences sont indéterminables a priori, il est fait appel au dé pour la résoudre. On recourt pour ce faire au jet d’un dé à vingt faces (d20). À noter qu’il s’agit ici de ne résoudre que les actions simples qui n’impliquent pas directement, sous la forme d’une confrontation, un adversaire ou une tierce personne (cf. Affrontements, page 225).

À ce score déterminé par la capacité sollicitée vient s’appliquer un bonus ou un malus en fonction des éléments biographiques du personnage : son passé, son histoire personnelle et sa profession. Au maximum, le modificateur peut être de +3, au pire de –3, selon le tableau en page suivante. Ainsi, un médecin qui s’engagerait dans l’examen d’un cadavre bénéficierait d’un bonus de +2 ou +3, alors qu’une comédienne qui n’a jamais vu de cadavre de sa vie serait pénalisée par un malus de –3 (sans compter qu’elle devra se soumettre à un tirage de confrontation sous la Rationalité, cf. Être confronté à un événement surnaturel ou effrayant, page 236). De même, un personnage originaire d’Auvergne jouirait d’un bonus de +1 ou +2 à un jet de Culture générale qui viserait à identifier les légendes de sa région.

La réussite d’un jet de dé résulte du calcul d’un seuil de réussite déterminé de la manière suivante : • chance de base : déterminée par le score dans la capacité concernée (Aptitudes physiques, Habileté, etc.) ; • application d’un bonus ou malus en fonction des éléments biographiques du personnage ; • application d’un bonus ou malus en fonction des circonstances et de la difficulté de l’action.

Les circonstances et la difficulté de l’action peuvent considérablement affecter les chances de réussite de celle-ci. De même, toutes les actions ne sont pas équivalentes. Certaines sont d’une difficulté importante, alors que d’autres peuvent être considérées comme faciles. Ici, pas de tableau pour les définir précisément, mais on peut aisément conclure qu’escalader la façade d’un immeuble de nuit et sous la pluie est bien plus ardu que par temps sec et de jour… Elles peuvent octroyer un bonus jusqu’à +3 ou un malus jusqu’à –3.

Le choix de la capacité est crucial. Il est dicté par la nature de l’action entreprise. Les actions qui requièrent du doigté solliciteront l’Habileté, celles qui nécessitent l’endurance, la force ou la souplesse feront appel aux Aptitudes physiques. Lorsqu’il s’agit de fureter ou d’observer, la Perception sera utilisée. Quant aux connaissances, la Culture générale fera l’affaire. La sagacité du personnage dépend, elle, de celle du joueur…

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BONUS-MALUS SELON LES ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES PROFIL DU PERSONNAGE

IGNARE

PROFANE

NOVICE

AMATEUR

CONNAISSEUR

PROFESSIONNEL

MAÎTRE

Modificateur

–3

–2

–1

0

+1

+2

+3

L’application des modificateurs résulte d’une décision du meneur de jeu.

Jet de dé Au terme de cette procédure, le joueur dispose d’un seuil de réussite ajustée compris entre 1 et 20 (voire plus).

Il peut alors jeter le d20 : - si le résultat est égal ou inférieur au seuil, l’action est réussie ; - si le résultat est supérieur au seuil, l’action est ratée. Reste à qualifier la réussite ou l’échec.

Qualifier une réussite ou un échec Une réussite peut être exceptionnelle, comme un échec peut être catastrophique. Il y a trois manières de qualifier une réussite ou un échec : • un résultat de « 1 » sur le d20 est toujours une réussite critique ; • un résultat de « 20 » sur le d20 est toujours un échec critique ; • une réussite peut être particulière. Une réussite critique implique que l’action entreprise est exécutée à la perfection. Cela peut se traduire par un gain de temps (par exemple, la fouille a été menée deux fois plus rapidement) ou par l’acquisition d’un renseignement ou d’un indice très précis. Une réussite, sans être critique, peut être particulière, c’est-à-dire être « bonne » sans être exceptionnelle (par exemple, en plus d’obtenir le renseignement désiré, la recherche à la Bibliothèque nationale a permis de mettre la main sur un autre ouvrage qui pourrait s’avérer utile). La valeur au-dessous de laquelle la réussite peut être qualifiée de particulière est calculée en divisant par trois le seuil de réussite final, en arrondissant à l’inférieur, selon le tableau suivant. Elle aura notamment une importance pour les affrontements.

Un personnage qui possède la Chance parmi ses lames du Destin n’est jamais victime d’un échec critique, même avec un « 20 » sur un d20. Celui-ci est transformé en échec normal. Pour rappel, la carte Chance ne déploie cet effet que jusqu’à ce qu’elle serve à sauver le personnage d’un grand danger. Alors elle perd tout effet, et le personnage est susceptible de faire des échecs critiques (cf. Création de personnage, page 136). Un personnage qui possède la Mort parmi ses lames du Destin ne peut jamais faire de réussite critique, même avec un « 1 » sur un d20. Celui-ci est transformé en réussite particulière. À noter que la présence des deux cartes en même temps parmi les lames du Destin d’un personnage annule leurs effets, comme cela est indiqué dans la création de personnage. Exemple : Annette trouve, dans la bibliothèque d’Antonin, un livre mystérieux écrit en vieux français et dont le propos semble tourner autour de l’alchimie. Elle décide de se lancer dans sa lecture. Annette est infirmière, elle a une valeur de 12 en Culture générale, mais ne possède aucune notion en alchimie (ignare –3). Au calme et disposant de dictionnaires pour l’aider, Annette bénéficie de circonstances favorables. L’ouvrage est toutefois d’une lecture alambiquée. Ces deux éléments se compensant, le meneur lui applique un modificateur de 0. Au final, le seuil de réussite ajusté est de 9 (12 – 3 + 0 = 9). Elle jette le dé et obtient un « 7 », c’est une réussite normale. Annette parvient à lire l’ouvrage en une journée. Avec un 3 ou moins (selon le tableau des réussites particulières), elle aurait obtenu une réussite particulière. Cela lui aurait permis de trouver une référence bibliographique supplémentaire utile à sa compréhension du texte.

RÉUSSITES PARTICULIÈRES SEUIL DE RÉUSSITE AJUSTÉ

5 ET –

6-8

9-11

12-14

15-17

18-20

Valeur réussite particulière

*

2

3

4

5

6

* Souvenez-vous qu’un résultat de « 1 » est toujours une réussite critique.

Enfin, un échec critique signifie que l’action est non seulement un échec, mais que celui-ci laisse des traces ou a des conséquences désastreuses. Le personnage peut se blesser durant l’action ou casser la lime à ongles qu’il utilisait pour crocheter la porte d’entrée de son voisin, par exemple. Au choix, le meneur ou le joueur peuvent proposer une interprétation de cet échec. Il n’y a en revanche pas d’échecs particuliers, seulement des échecs et un échec critique (sur un « 20 »).

Points de Destin Les personnages des joueurs disposent de points de Destin (voir Création de personnages). Chaque fois que la lame Chance apparaît lors d’un tirage (hors narration partagée), 1 point de Destin est gagné par le personnage. Ces points peuvent être utilisés pour refaire un jet de dé raté ou insatisfaisant. Le même jet ne peut être relancé qu’une seule fois grâce à la dépense de 1 point de Destin.

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224

$ Affrontements Initiative

Certaines actions ne dépendent pas exclusivement du personnage. Elles impliquent un adversaire qui physiquement résiste, cherche à se dérober ou souhaite lui aussi atteindre ou blesser le personnage. C’est le cas lors d’un combat à mains nues, d’un combat armé ou à distance (ex. armes à feu). Dans ces situations, nous parlons en termes de jeu d’affrontement. Les règles sont pratiquement les mêmes que pour déterminer la réussite ou l’échec d’une action. À deux différences près : – les jets de dé peuvent être plus nombreux ; – il convient de tenir compte de l’action de l’adversaire pour décider de l’issue de la confrontation. Nous décrivons dans les paragraphes qui suivent la règle générale pour les affrontements.

Il est important, dans un affrontement, de déterminer qui l’initie, quel que soit le nombre d’adversaires impliqués. Pour ce faire, il convient de calculer la moyenne entre Aptitudes physiques et Habileté en arrondissant à l’inférieur. Le protagoniste qui a le score le plus élevé commence, les autres suivent selon leur score dans l’ordre décroissant. En cas d’égalité, les protagonistes jettent un d20. Celui qui obtient le score le plus élevé remporte l’initiative. Certaines circonstances déterminent naturellement qui dispose de l’initiative. Lorsqu’un adversaire est surpris ou à terre, il perd automatiquement l’initiative sans qu’il soit nécessaire de procéder au calcul ou au tirage des dés. Ceci fait, celui qui agit en premier décrit l’objectif de son action : assommer l’adversaire, le faire chuter, l’immobiliser, le désarmer, le blesser, le tuer, etc. Les actions de chaque personnage se gèrent dans l’ordre défini par l’initiative. Les actions d’attaque (mains nues, tir, jet, etc.) sont traitées en premier, viennent ensuite les actions de défense (esquive, parade), et enfin les déplacements. Cela est très important, puisque cela va permettre de déterminer si l’action est réussie ou pas, et quelles en sont les conséquences.

Se battre, tirer, lancer Un combat nécessite plusieurs jets de dé, qui représentent les phases de l’affrontement : attaque du personnage, parade ou esquive de l’adversaire, avant que ce processus se répète pour l’adversaire jusqu’à ce que l’affrontement prenne fin, soit par abandon de l’une des deux parties, soit des suites d’une blessure (inconscience, mort).

Séquence

Exemple : Antonin affronte un cambrioleur armé d’une matraque. Antonin dispose d’un score d’initiative de 13 et de la possibilité de faire deux attaques et une action supplémentaire, son adversaire jouit d’un score d’initiative de 10 et de deux actions. Antonin, résolu à mettre hors d’état de nuire son adversaire, décide de faire deux attaques et prévoit une esquive en cas d’attaque. Le cambrioleur, voyant la détermination de son adversaire décide de faire une esquive et de fuir (déplacement). Il convient dans ce cas de gérer d’abord les deux attaques d’Antonin, dont une avec tentative d’esquive du cambrioleur. Comme ce dernier n’attaque pas, l’esquive d’Antonin est inutile. Si l’adversaire n’est pas mis KO par Antonin au terme de son attaque, celui-ci a pu se libérer de son emprise et s’apprête à s’enfuir.

Tout affrontement est divisé en séquences qui impliquent des actions du personnage puis de son adversaire. Le nombre d’actions de chaque protagoniste est limité. Chacun dispose de deux actions (attaque, tir, parade, esquive, déplacement, etc.) par séquence. Selon les éléments biographiques d’un personnage, celui-ci peut bénéficier d’une action supplémentaire. Un personnage peut donc prévoir, par exemple, une attaque et une esquive ou une parade, ou deux attaques lors de sa séquence de jeu. Mais dans ce dernier cas, il renonce à toute parade ou esquive. Il peut à l’inverse faire deux esquives ou deux parades et ne plus pouvoir attaquer. Selon les éléments biographiques d’un personnage, celui-ci peut bénéficier d’une action supplémentaire qui vient s’ajouter librement. Exemple : Antonin est un adepte de la boxe française (connaisseur), de sorte qu’en combat à mains nues, il est particulièrement agile et rapide, ce qui lui permet de faire deux attaques (séquence normale) et une action supplémentaire, comme une parade, un déplacement, ou une troisième attaque.

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225

Combat à mains nues ou avec une arme blanche Pour déterminer la réussite d’une action lors d’un combat à mains nues ou avec une arme blanche, on procède comme suit.

adversaire à terre, il bénéficie d’un avantage certain. À l’inverse, viser une partie précise du corps de l’adversaire ou produire un effet bien spécifique (assommer, faire trébucher, désarmer, etc.) rend l’action plus difficile. Enfin, il convient de prendre en considération le comportement de l’adversaire durant l’affrontement. Celui-ci va probablement chercher à esquiver ou à parer une attaque. Pour ce faire, le défenseur va effectuer un jet d’Habileté ajusté d’un modificateur qui tient compte de l’Habileté de l’attaquant. Ce jet d’esquive ou de parade se fait avant le jet d’attaque. Le modificateur au jet du défenseur est déterminé dans le tableau suivant : MODIFICATEUR DÉFENSIF (COMBAT À MAINS NUES ET À DISTANCE) HABILETÉ DE 5 ET – L’ATTAQUANT

6-7

8-9

10

Modificateur

+2

+1

0

+3

11-12 13-14 –1

–2

15 ET + –3

Si le défenseur réussit son jet d’esquive ou de parade, il inflige un malus de –3 au jet d’attaque de l’adversaire. S’il fait une réussite critique, le malus est de –6 pour l’attaquant. Il n’y a pas de réussite particulière. Si le défenseur fait un échec critique, il donne un bonus d’attaque de +3 à l’agresseur.

Le Petit Journal (supplément illustré) du 20 mars 1898

Détermination des chances de succès La réussite d’un jet de dé dans un tel combat résulte du calcul d’un seuil de réussite déterminé de la manière suivante : • Score de base : déterminée par le score dans la capacité concernée (moyenne entre Aptitudes physiques et Habileté, arrondie à l’inférieur) ; • Application d’un bonus ou malus en fonction des éléments biographiques du personnage (de + 3 à –3) ; • Application d’un bonus ou malus en fonction des circonstances et de la difficulté de l’action (de +3 à –3) ; • Si l’adversaire décide de parer ou d’esquiver, il inflige un malus défensif au jet de l’attaquant qui dépend de son Habileté (cf. tableau ci-contre). En fonction des éléments biographiques du personnage, celui-ci peut bénéficier d’un bonus (ex. pratique la boxe ou l’escrime) ou d’un malus (aucune activité physique spécifique ni pratique d’aucune arme). Les circonstances et la difficulté de l’action entreprise peuvent aussi influencer les chances de succès. Par exemple, un combat en extérieur, sous la pluie ou dans la boue, peut être particulièrement difficile. Le positionnement d’un personnage qui est à terre peut être un handicap, alors que si un personnage est debout face à un

L’Œil de la Police, n°56 (1910)

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226

L’attaquant dispose alors d’un seuil de réussite ajusté et jette le d20. Ensuite, le meneur se réfère au tableau des résultats des confrontations pour déterminer les dégâts selon l’arme utilisée (voir section La santé, page suivante). En cas d’échec critique, l’attaquant chute, perd une action, voire se blesse, son arme blanche peut se briser. Ceci fait, on passe à l’action des autres personnages selon les mêmes règles et selon l’ordre d’action décidé par l’initiative, jusqu’à ce que les adversaires soient mis hors d’état de nuire ou abandonnent l’affrontement.

base de sa capacité est de 13 (moyenne entre l’Habileté et les Aptitudes physiques, arrondie à l’inférieur). Adepte de la savate (connaisseur), il bénéficie d’un bonus de +1 (et d’une attaque supplémentaire en plus de ses deux actions ordinaires). Les circonstances n’ayant rien de particulier et ne souhaitant rien effectuer de spécialement difficile si ce n’est affronter son adversaire, aucun modificateur ne vient s’appliquer. Son adversaire dispose d’une Habileté de 15 et décide d’esquiver l’attaque d’Antonin. Ce dernier, avec une Habileté de 14, inflige un malus de –2 au jet de défense de l’apache, qui doit réussir ainsi un jet de 13 (15–2). Avec un jet réussi de 10, l’apache inflige un malus d’esquive de –3 à Antonin. Au final, le seuil de réussite ajusté d’Antonin est de 11 (13+1–3). Il jette le d20 et obtient un « 6 ». C’est une réussite normale. Il parvient à donner un coup de poing à son adversaire, lui infligeant 2 points de dommages qui viendront affecter son score de Constitution (cf. tableau des dommages, page suivante). Sonné, l’apache ne réclame pas son dû et s’enfuit avec sa bande. Si le jeune homme avait souhaité poursuivre le combat, Antonin aurait pu procéder à la seconde attaque dont il dispose. Puis, cela aurait été au tour de l’apache de faire son action restante, ayant déjà tenté une esquive de l’attaque d’Antonin.

Exemple : Antonin, comme nous l’avons vu, est adepte de la savate. Alors qu’il sort de l’Opéra Garnier après une représentation qui l’a enthousiasmé, il s’engage dans un passage couvert. C’est là qu’il est pris à partie par une bande d’apaches qui trouvent ici à bon compte une victime. Antonin, plutôt bien bâti (Constitution 14, Habileté 13, Aptitudes physiques 14), n’hésite pas à affronter à mains nues le seul adversaire qui se présente à lui, un poignard à la main. Celui-ci est un jeune homme fluet, mais agile (Constitution 10, Habileté 15, Aptitudes physiques 10). Antonin remporte l’initiative puisqu’il dispose d’une moyenne arrondie à l’inférieur de son Habileté et de ses Aptitudes physiques de 13, alors que la moyenne de son adversaire est de 12. Le score de

Combat à distance Détermination des chances de succès

Le combat à distance implique l’utilisation de projectiles (balle, flèche, couteau lancé, lance, etc.). Il suit les mêmes règles que le combat à mains nues ou avec armes blanches, à quelques différences près : • la capacité sollicitée est la seule Habileté ; • la difficulté appliquée au jet dépend de la portée de l’arme et de la distance à laquelle se trouve sa cible, selon le tableau ci-dessous ; • l’adversaire ne peut tenter qu’une esquive : on ne pare pas des balles ou des flèches !

La réussite d’un jet de dé dans un combat à distance résulte également du calcul d’un seuil de réussite déterminé de la manière suivante : • chance de base : déterminée par le score dans la capacité Habileté ; • application d’un bonus ou un malus en fonction des éléments biographiques du personnage (de + 3 à –3) ; • application d’un bonus ou malus lié à la distance de la cible ; • application d’un bonus ou malus en fonction des circonstances et de la difficulté de l’action (de +3 à –3) ; • si l’adversaire décide d’esquiver, il inflige un malus défensif au jet de l’attaquant qui dépend de son Habileté (cf. procédure plus haut et tableau en page précédente).

PORTÉES DES ARMES AVEC MODIFICATEURS PORTÉE COURTE +1

PORTÉE MOYENNE 0

PORTÉE LONGUE –1

Fusil de guerre

0-50 m

51-200 m

201+ m

Fusil de chasse

0-30 m

31-120 m

121+ m

Pistolet (tout calibre)

0-5 m

6-30 m

31+ m

Arc, arbalète

0-10 m

11-30 m

31+ m

Arme de jet

0-3 m

4-15 m

16+ m

En fonction des éléments biographiques du personnage, celui-ci peut bénéficier d’un bonus (exemple : militaire) ou d’un malus (méconnaissance pratique de l’arme). Les circonstances et la difficulté de l’action entreprise peuvent aussi influencer les chances de succès. Un adversaire mobile est par exemple plus difficile à atteindre. Si on ne peut pas parer les balles ou les flèches, il est possible de chercher à les esquiver. Cela se traduit par un malus au jet pour l’attaquant dépendant de la réussite du jet d’Habileté de sa cible et défini par le tableau présenté plus avant.

Selon la réussite, les dégâts sont lus dans le tableau des dommages présenté page suivante.

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227

L’attaquant dispose alors d’un seuil de réussite ajusté et jette le d20. La qualification de la réussite ou de l’échec respecte les mêmes règles que pour tout autre jet. Puis, le meneur consulte le tableau des résultats des confrontations pour déterminer les dégâts selon l’arme utilisée (voir section La santé, ci-dessous). En cas d’échec critique, l’arme s’enraye, explose ou se brise, ou une cible non visée est touchée avec une réussite normale. Ceci fait, on passe à l’action des autres personnages selon les mêmes règles et selon l’ordre d’action établi par l’initiative, jusqu’à ce que les adversaires soient mis hors d’état de nuire ou abandonnent l’affrontement.

La santé Nous venons de le voir, se battre et se faire tirer dessus peuvent avoir des conséquences sérieuses pour la santé d’un personnage. En termes de jeu, cette perte de santé se traduit par une altération directe de la caractéristique Constitution, qui elle-même peut avoir des conséquences sur les Aptitudes physiques d’un personnage.

Perte de Constitution

L’Œil de la Police, n°123 (1911)

La perte de points de Constitution peut être produite par de nombreuses causes. La première est la conséquence d’affrontements, qu’il s’agisse de combats à mains nues, armés ou à distance. Le tableau suivant présente la perte de points de Constitution infligée par type d’armes selon le type de réussite.

La Constitution d’un individu peut encore être affectée par des maladies ou des empoisonnements. Nous proposons ci-dessous un tableau qui résume les pertes occasionnées par de tels dommages. DOMMAGES PAR MALADIE ET EMPOISONNEMENT

DOMMAGES SELON L’ARME RÉUSSITE PARTICULIÈRE

RÉUSSITE CRITIQUE

Fusil de guerre

6

8

mort

Fusil de chasse

5

7

mort

Pistolet (gros calibre)

5

7

mort

Pistolet (calibre moyen)

4

6

mort

Pistolet (petit calibre)

3

5

mort

Arbalète

4

6

mort

Arc

3

5

mort

Épée, sabre, javelot, etc.

4

5

6 + KO

Mains nues

2

4

5 + KO

VIRULENCE MALADIE/ POISON Difficulté et perte de Constitution

Les chutes ou les collisions peuvent également provoquer des pertes de Constitution. Le tableau suivant présente les dommages subis : DOMMAGES EN CAS DE CHUTE OU DE COLLISION HAUTEUR/VITESSE Perte de Constitution

FAIBLE

MOYENNE

ÉLEVÉE

3

5

7

FAIBLE

MOYENNE

ÉLEVÉE

2

4

6

En cas de maladie ou d’empoisonnement, la virulence de la maladie ou du poison détermine à la fois la difficulté du jet de Constitution qu’il faut réussir pour éviter la maladie ou l’empoisonnement et les dommages qu’ils produisent sur la Constitution d’un personnage. En termes de jeu, le personnage doit faire un jet de Constitution ajusté négativement par la virulence de la maladie ou de l’empoisonnement. En cas de réussite, le personnage échappe à la maladie ou à l’empoisonnement. En cas d’échec, le personnage perd autant de points de Constitution que la virulence de la maladie ou de l’empoisonnement. Il a besoin de soins ou d’un antidote. Les maladies et les poisons sont de deux types : bénins et sévères. Pour les premiers, pas besoin de remède ou de médicament, mais de temps pour récupérer. Le personnage fera un jet toutes les 24 heures sous son score de Constitution actuel. En cas de réussite, le personnage regagne un tiers des points perdus, arrondi à l’inférieur (avec un minimum de 1). Le jet se fait jusqu’à ce que tous les points perdus à cause de la maladie ou de

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RÉUSSITE NORMALE

l’empoisonnement soient récupérés. Pour les maladies et poisons sévères, les personnes atteintes ne peuvent récupérer leurs points de Constitution sans soins ou antidote. Pour les maladies et poisons sévères, sans soins, un nouveau jet de Constitution doit être fait toutes les 24 heures, avec un malus équivalent à la virulence de la maladie ou de l’empoisonnement. En cas de réussite, la

situation reste stable. En cas d’échec, le personnage perd à nouveau autant de points de Constitution que la virulence de la maladie ou de l’empoisonnement. Ce n’est que si un traitement ou un antidote est appliqué que le processus de recouvrement de la santé décrit pour les maladies et poisons bénins peut être engagé.

Constitution et Aptitudes physiques À partir d’un certain seuil, la perte de Constitution affecte les Aptitudes physiques d’une personne et ses capacités à se mouvoir, à se battre et à agir. Les pertes des Aptitudes physiques selon le score en Constitution sont décrites dans le tableau suivant : PERTE EN APTITUDES PHYSIQUES Constitution

8

7

6

5

4

3

2

1

Perte Aptitudes physiques

–1

–2

–3

–4

–5

–6

–7

–8

Lorsqu’une personne atteint un score de zéro en Constitution, elle tombe dans le coma. Quand la Constitution chute à –1, la personne meurt.

R egagner de la Constitution : récupérer et se soigner La perte de Constitution n’est pas permanente fort heureusement (sauf en cas de décès, cela va sans dire…). Des soins peuvent être octroyés pour récupérer d’une blessure ou d’une fracture. Ces soins peuvent rarement être prodigués par la victime elle-même, de sorte qu’il faut faire appel à des tiers : médecins, chirurgiens, pharmaciens, etc. Les règles de récupération des points de Constitution sont simples : • un point de Constitution perdu lors d’un combat à mains nues peut être récupéré par tranches de trente minutes que le personnage passe au repos ; • un point de Constitution perdu par une arme blanche ou à distance peut être récupéré par jour si des soins ordinaires sont prodigués au personnage (premiers soins, points de suture, médicaments, etc.).

Pister, suivre, surveiller Il existe des situations dans lesquelles des personnages interagissent avec des adversaires sans qu’il y ait de combat au sens premier du terme, mais elles constituent tout de même des affrontements. On veut parler de ces situations où un individu cherche à pister, à suivre discrètement ou à surveiller un autre individu ou un groupe d’individus. L’issue de ce type d’affrontement consiste à retrouver la trace d’un voleur, à filer un suspect jusqu’à son domicile ou sa cachette sans se faire repérer, ou à identifier une personne dans une foule. À l’inverse, il peut s’agir pour un personnage de semer ses poursuivants ou de s’introduire en douce dans un lieu gardé. Dans tous les cas, il est question d’affrontements dans la mesure où, en règle générale, celui ou celle qui fait l’objet de la poursuite ou de la surveillance cherche précisément à y échapper. Pour gérer ces situations, nous avons mis sur pied un système simple reposant sur les mêmes mécanismes que ceux prévus pour les affrontements de type combat. Ce système permet de gérer les poursuites, les filatures et les surveillances.

Principe Celui ou celle qui engage la poursuite ou la surveillance (poursuivant/surveillant) doit totaliser deux points d’affrontement pour parvenir à ses fins (rattraper le poursuivi

ou suivre le surveillé). À chaque séquence de l’affrontement, en cas de réussite, le poursuivant/surveillant marque un ou plusieurs points d’affrontement faisant augmenter la jauge d’autant. En cas d’échec, le poursuivant perd un ou plusieurs points d’affrontement. Lorsque la jauge atteint +2, le poursuivant/surveillant est parvenu à ses fins ; lorsqu’elle atteint –2, le poursuivi ou le surveillé a réussi à s’échapper. Pour les poursuites à pied, la capacité Aptitudes physiques est utilisée. Pour les poursuites à cheval, en calèche ou en automobile, il sera fait appel à l’Habileté. Pour les surveillances, la Perception sera sollicitée.

Déroulement • Le protagoniste qui engage la poursuite, la filature ou la surveillance procède aux jets de dé en lien avec la poursuite ou la surveillance. • Le meneur détermine le seuil de départ de l’affrontement, c’est-à-dire à quelle distance ou à quelle visibilité se trouve le poursuivi ou le surveillé. En règle générale, on commence avec un score de 0. Si le poursuivi/surveillé est déjà passablement éloigné, la jauge peut être fixée à –1. À l’inverse, si le poursuivant est proche de son adversaire, elle peut être fixée à +1.

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• Pour déterminer le seuil de réussite ajusté, il est tenu compte : – de la capacité pertinente (Habileté, Perception ou Aptitudes physiques) ; – des éléments biographiques du protagoniste actif (–3 à +3) ; – des circonstances : météorologie, luminosité, trafic, densité de la foule, qualité de l’automobile, spécificité du terrain, etc. (–3 à +3) ; – un modificateur tenant compte de l’Habileté, de la Perception ou des Aptitudes physiques du poursuivi/ surveillé (pour autant que celui-ci cherche à se soustraire) selon le tableau suivant :

MODIFICATEUR DE POURSUITE EN FONCTION DE LA CAPACITÉ DU POURSUIVI/SURVEILLÉ CAPACITÉ PERTINENTE (HAB, PERC, APT PHYS)

5 ET –

6-7

8-9

10

1112

1314

15 ET +

Modificateur

+3

+2

+1

0

–1

–2

–3

• Le poursuivant ou surveillant jette un d20. • Une réussite normale lui fait gagner un point sur la jauge d’affrontement. Une réussite particulière lui en fait gagner deux ; une critique trois. À l’inverse, un échec lui en fait perdre une, et un échec critique deux. • On poursuit le processus jusqu’à ce que la jauge atteigne +2 (succès de la poursuite ou de la surveillance) ou –2 (échec de la poursuite ou de la surveillance), ou lorsque l’un des protagonistes abandonne.

Exemple : suite à son affrontement avec les Apaches dont il s’est débarrassé, Antonin souhaite rattraper son adversaire pour lui donner une correction en bonne et due forme. Il se met donc à leur poursuite à pied. Ils sont encore proches les uns et les autres, de sorte que la jauge est à « 0 ». Antonin dispose d’un score de 14 en Aptitudes physiques, contre 10 pour son adversaire. Antonin étant le poursuivant, il procèdera aux jets de dé. Ne possédant aucun talent utile pour la poursuite à pied, Antonin ne reçoit aucun modificateur lié à ses éléments biographiques. Quant aux circonstances, celles-ci lui sont plutôt favorables puisque la poursuite commence dans un passage couvert bien éclairé et n’offrant que peu d’échappatoires ; un bonus de +1 lui est octroyé. Le score d’Aptitudes physiques de son adversaire (qui s’est rendu compte qu’il était poursuivi) étant de 10, aucun modificateur ne vient s’ajouter. Son seuil de réussite ajusté est donc de 15 (14 + 1). Il jette le d20 et obtient un « 10 ». Une réussite normale plaçant la jauge à « +1 » : il rejoint son adversaire, mais ne l’attrape pas encore. Pour son second jet de dé, les circonstances n’ayant pas changé, il doit faire à nouveau un « 15 » ou moins. Il obtient un « 16 » au d20 ce qui est un échec normal : la jauge redescend à « 0 », son adversaire regagne ainsi un peu de distance. Au sortir du passage, les deux protagonistes débouchent sur un grand boulevard. Antonin redouble d’énergie pour rattraper son adversaire. Comme il s’est mis à pleuvoir, la rue est glissante, de sorte qu’un malus de –1 s’applique désormais. Avec un « 3 » sur 13 (14 – 1), Antonin obtient une réussite particulière. Il engrange d’un coup les deux points d’affrontement qu’il tentait d’obtenir et fait trébucher le jeune Apache qui tombe à ses pieds.

L’Œil de la Police, n°143 (1911)

Narration partagée Dans cette nouvelle version de Maléfices, nous avons voulu offrir une alternative à la résolution de certains événements par des règles, des caractéristiques et des jets de dés. C’est ce que nous proposons avec le système de narration partagée détaillé dans le chapitre Narration partagée, page 258.

Libre au meneur d’utiliser l’une ou l’autre exclusivement ou alternativement, selon les besoins du scénario ou de la partie. Ce mode de jeu reste une option à la disposition du meneur.

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$ La gestion du fantastique « L’esprit humain, même le plus éclairé, garde toujours un coin sombre, où s’accroupissent les hideuses chimères de la crédulité, où s’accrochent les chauves-souris de la superstition. La vie ordinaire est si pleine de problèmes insolubles, que l’impossible y devient probable. » – Théophile Gautier, Jettatura Nous allons dans ce chapitre traiter de la gestion du fantastique dans Maléfices, dont la nature et les formes ont été

décrites au chapitre “le genre fantastique” (cf. page 85). Nous découvrirons comment les personnages réagissent face au surgissement du fantastique, de l’étrange et de l’effroi. Mais nous allons aussi nous intéresser aux moyens dont ils disposent pour pratiquer le Grand Art, c’est-à-dire pratiquer la magie blanche ou noire, sous la forme de sorts, de rituels ou d’actes magiques. Avant cela, il nous faut d’abord parler d’équilibre mental.

Spiritualité et Rationalité : un équilibre fragile La Spiritualité (abrégée en SPI) mesure la puissance des convictions spirituelles et religieuses d’un personnage, sa croyance au surnaturel, au fantastique. Dans le combat entre le Bien et le Mal, la Spiritualité ne prend pas nécessairement parti. Une forte Spiritualité peut être trouvée autant chez un chrétien, un juif, un musulman, un bouddhiste, un animiste que chez un adepte des cultes antiques. De même, un adorateur de Satan, un démoniste ou un sorcier peut disposer d’une forte Spiritualité. Un personnage doté d’un score élevé en Spiritualité est guidé dans son quotidien par la croyance en un au-delà qui non seulement explique et donne un sens à la vie, mais qui est susceptible de se manifester (apparitions, miracles), voire que l’on peut manipuler (magie, sorcellerie). Dans chacune de ces religions ou croyances, le Bien et le Mal s’opposent de sorte que l’orientation spirituelle d’un personnage vers la lumière ou les ténèbres ne dépend pas d’un score élevé ou faible en Spiritualité. Cette orientation résulte à la fois du choix du joueur et du tirage du Grand Jeu de la Connaissance à la création du personnage. La Rationalité (abrégée en RAT) témoigne quant à elle de la vivacité d’esprit, la sagacité et la puissance d’analyse rationnelle d’un personnage. Elle mesure la force de la raison dans le fonctionnement mental d’un personnage, sa capacité à tenter d’expliquer le surnaturel ou le fantastique par le raisonnement logique et scientifique. Un personnage doté d’un score élevé en Rationalité développe une vision du monde régie par les lois de la raison, explicable par la science et la logique. Le surnaturel n’a en principe dans son esprit qu’une place réduite, voire nulle. À l’inverse, une personne disposant d’une faible Rationalité est influençable et peu sûre d’elle, sa raison est mal assurée, elle peut vaciller.

Les vieux routards de Maléfices auront constaté que nous avons remplacé l’Ouverture d’esprit par la Rationalité. Il nous est en effet apparu que le concept d’ouverture d’esprit n’était somme toute pas si clair pour les meneurs et les joueurs. L’opposition entre raison et foi, caractéristique de la Belle Époque, est, avec la nouvelle terminologie, plus évidente. Les mêmes personnes auront également remarqué que les scores maximums dans ces deux caractéristiques sont passés de 20 à 22. Cela s’explique par le fait que, désormais, il ne sera plus procédé à un jet de Spiritualité ou de Rationalité au dé, mais à un tirage du Grand Jeu de la Connaissance qui comporte maintenant, comme chacun le sait, vingt-deux lames.

Ces deux facettes du fonctionnement mental d’un personnage ne s’opposent pas. En cours de partie, un score faible en Spiritualité ne suppose pas nécessairement un score élevé en Rationalité, et inversement. De plus, les scores d’un personnage dans ces deux caractéristiques ont des significations au-delà et en deçà d’un certain niveau (voir section Perdre son équilibre mental, plus bas) et impliquent pour lui des changements de comportements parfois considérables. La possible opposition entre ces deux facettes du psychisme d’un personnage reflète l’ambivalence des croyances et des comportements d’une même personne. Un adepte du spiritisme peut parfaitement expliquer sa frayeur soudaine consécutive à un claquement de porte par un courant d’air sans faire appel à la présence d’un ectoplasme. À l’inverse, une personne rationnelle peut se sentir mal à l’aise lorsqu’elle ressent un frisson en entrant dans une crypte sombre et humide.

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Gérer le fantastique Au cours d’une partie de Maléfices, les personnages sont confrontés à des phénomènes inexpliqués, surnaturels ou effrayants ayant directement ou indirectement un lien avec le fantastique. Il se peut aussi parfois que ces phénomènes n’en aient aucun. Dans Maléfices, le fantastique est protéiforme. Il se décline en fantastique étrange et fantastique merveilleux ou en surnaturel. Le fantastique, c’est le surgissement de l’inexplicable ou du surnaturel dans la réalité. Il peut être spectaculaire (apparition d’un démon ou d’un fantôme), comme il peut être à peine perceptible (un bruit étrange dans une cave provoqué par un esprit frappeur). Les pages qui suivent offrent au meneur les outils de gestion du fantastique dans Maléfices.

Ê tre confronté à un événement surnaturel ou effrayant Une confrontation au fantastique peut être assimilée à un choc ou une surprise desquels l’effroi, la peur ou la terreur peuvent surgir. Un phénomène fantastique rompt brusquement avec le train-train quotidien, avec le déroulement normal des jours et des événements. Il introduit un élément de surprise ou d’inattendu qui ne s’explique pas de prime abord. On parle alors de surgissement d’un événement surnaturel ou fantastique. Un choc ne saurait toutefois être généré que par le seul surgissement du fantastique. Il peut également être le produit d’un événement totalement dénué de surnaturel, comme la vision d’un cadavre ou une porte qui claque dans une maison plongée dans le noir… On parle alors d’événement effrayant ou terrifiant. Qu’il résulte d’une situation stressante, du surnaturel ou de ce qui s’apparente à du surnaturel, le choc ébranle le personnage émotionnellement et psychologiquement. En termes de jeu, on a affaire dans chaque cas à une confrontation. Celle-ci peut affecter la Spiritualité ou la Rationalité du personnage.

Mécanismes La Spiritualité et la Rationalité sont deux facettes du personnage. Elles représentent ensemble son équilibre mental et psychologique. Aussi, lorsqu’un événement effrayant ou surnaturel surgit, cet équilibre va être mis à l’épreuve et testé afin de déterminer la réaction du personnage face à cette confrontation et d’évaluer l’impact de cet événement sur son mental à moyen terme. La gestion de ces deux caractéristiques suit quelques règles de base : • en cours de partie, la Spiritualité et la Rationalité sont découplées. Lorsque l’une évolue positivement ou négativement, l’autre n’est pas affectée. Ces deux caractéristiques ont chacune leur propre dynamique.

Derrière ce découplage réside l’idée que l’on peut devenir fou autant par la perte de la raison que par la perte de sa foi ou de ses croyances spirituelles. L’époque dans laquelle Maléfices prend place est l’une des périodes de l’Histoire durant laquelle la confrontation entre foi et raison est la plus forte. Pour autant, c’est aussi l’époque où foi et raison apprennent à cohabiter. Nombre de scientifiques parfaitement rationnels n’en développaient pas moins une foi sincère et réelle au surnaturel (Camille Flammarion, par exemple). Dans le même ordre d’idée, des athées parfaitement rationalistes n’en acceptaient pas moins l’existence de croyances sincères ou la possibilité que certains phénomènes puissent être inexpliqués ; • une confrontation au surnaturel concerne soit la Spiritualité, soit la Rationalité. Jamais les deux en même temps. Lors d’une confrontation, le meneur de jeu choisit la caractéristique touchée en fonction de la nature de l’événement (cf. encadré en page suivante) ; • les scores de Rationalité et de Spiritualité sont appelés à varier au cours d’une partie, à la hausse ou à la baisse, de sorte qu’il est possible que l’inclination première d’un personnage change. Au fil du temps et des événements auxquels il aura été confronté, le personnage modifiera sa perception du monde, sa résistance et son appréhension du surnaturel et de l’effrayant. Cela signifie notamment que sa position vis-à-vis du fantastique et du surnaturel évolue par rapport à ce qui a été arrêté lors de la création du personnage (cf. chapitre Création de personnages). Les confrontations au surnaturel ou à l’effrayant doivent être sollicitées de manière parcimonieuse, et donc rester exceptionnelles. Un tirage de Rationalité ou de Spiritualité ne saurait être demandé à chaque scène d’une partie. Une confrontation de ce type constitue un moment fort d’un scénario. Dans Maléfices, comme ailleurs, la rareté et la parcimonie contribuent à la qualité de la partie.

Nature de la confrontation Une confrontation résulte du choc entre un événement surnaturel ou effrayant et l’équilibre mental d’un personnage. Il y a, pour simplifier, quatre types d’événements : On trouve tout d’abord les événements d’origine surnaturelle ou fantastique qui ne peuvent être expliqués par la logique ou la science. On pense ici aux apparitions de fantômes, d’anges ou de démons, aux tables tournantes, à la magie, etc. Existent ensuite les événements qui ont l’apparence du surnaturel ou du fantastique, mais qui n’en sont pas et qui résultent d’une manipulation, d’une mise en scène ou qui sont parfaitement naturels, mais qui prennent dans l’esprit du spectateur la forme du surnaturel ou du fantastique. Il peut s’agir de l’apparition d’un spectre dans une pièce qui n’est que la projection d’une photo ou d’un film contre un mur clair. Ou encore l’audition d’un chant

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Événement de degré 1 : la participation à une séance de spiritisme « ordinaire » pour la première fois ou la vision fugace d’une lueur inquiétante au fond d’une ruelle, l’animation d’une poupée, la participation pour la première fois à une autopsie sont des événements suffisamment perturbants pour commencer à mettre en question l’équilibre mental d’un personnage. Événement de degré 2 : apercevoir dans un bois une créature menaçante, être confronté à un spectre, voir le personnage d’un tableau qui s’anime, assister à une bagarre très violente représentent des événements qui sollicitent le sang-froid et l’équilibre mental d’un personnage. Événement de degré 3 : être le témoin d’un meurtre, participer à une séance de spiritisme qui tourne mal, être la victime d’un sortilège ou pénétrer dans une pièce où tout le mobilier commence à bouger avant de vous attaquer sont autant d’événements qui mettent au défi votre capacité à garder votre sang-froid ou votre foi. Événement de degré 4 : à ce niveau, l’équilibre mental du personnage est sérieusement mis en danger . Prendre part à un rituel maléfique ou en être la victime, assister à l’apparition d’un spectre très hostile, être confronté à un sorcier ou un démon, découvrir un charnier, entrent dans la catégorie des événements particulièrement perturbants pour l’équilibre mental d’un personnage. Événement de degré 5 : à tout seigneur tout honneur – toute horreur ? –, les événements de cette catégorie sont de nature cataclysmique pour l’équilibre mental d’un personnage. Font partie de cette catégorie les chocs intenses et traumatiques comme l’apparition de Lucifer en personne, la participation à un sabbat ou à un meurtre particulièrement affreux, la vision de cadavres horriblement mutilés ou d’une scène atroce, etc.

lugubre dans les ruines d’une ancienne abbaye qui n’est rien d’autre que le vent qui siffle dans les arbres… Il faut également mentionner les « événements » mentaux, qui découlent de l’imagination du personnage confronté à une situation inattendue et stressante, et qui lui font chercher une explication à celle-ci. C’est le cas lorsqu’un personnage trouve dans une boîte une longue aiguille tachée de sang. Il peut alors inventer un scénario dans lequel il tient entre ses doigts l’arme d’un crime ou le support matériel d’un rituel macabre. Peu importe que cela soit vrai ou pas, le fait qu’il se l’imagine représente un choc émotionnel. Enfin, on trouve les événements parfaitement naturels qui provoquent un choc émotionnel fort, comme assister à un meurtre, à une scène de torture, à un accident ou prendre part à une autopsie pour la première fois. Selon que l’on possède un score plus élevé en Spiritualité ou en Rationalité, on n’interprète pas ces événements de la même manière et, surtout, on n’y réagit pas de la même façon. Les confrontations visent à déterminer ces réactions. Tous les événements surnaturels ou effrayants ne sont pas comparables en gravité et en force. Ils se décomposent en six degrés de confrontation. Événement de degré 0 : il est si peu signifiant et si peu intense qu’il ne met pas en danger l’équilibre mental du personnage ; tout au plus implique-t-il une réaction immédiate de faible intensité, comme un sursaut, un recul, un frisson, une hésitation. Exemple : le personnage est témoin d’une bagarre violente durant laquelle le sang coule, mais qui n’est pas mortelle. S’il réussit son jet de confrontation, il peut intervenir et tenter de séparer les protagonistes, s’il le souhaite. En cas d’échec, il reste spectateur, comme hébété.

SPIRITUALITÉ OU RATIONALITÉ : IL FAUT CHOISIR ! La Rationalité est sollicitée quand : - l’événement est « naturel » et ne dépend d’aucun élément fantastique ou surnaturel ; - l’événement, bien que surnaturel ou fantastique, a l’apparence du « naturel » ; - l’événement « naturel » est violent ou traumatisant.

Selon les circonstances, la nature du fantastique et l’orientation du personnage, on recourra à la Spiritualité ou à la Rationalité. Tout est affaire d’interprétation et de contexte. Quand cela n’est pas spécifié par le scénario, c’est l’orientation vis-à-vis du fantastique que le joueur a choisie pour son personnage qui sert de premier guide. Si le personnage y croit, il est plutôt fait appel à la Spiritualité. S’il n’y croit pas, plutôt à la Rationalité. Cette règle n’est pas exclusive. Le contexte prime. Pour les personnages qui ne se prononcent pas ou qui sont agnostiques, on se référera au bon sens du meneur et à son appréhension du contexte. Dans tous les cas, le contexte doit primer sur toute autre considération. Il faut que le recours à la Spiritualité ou à la Rationalité fasse sens dans le contexte de l’événement. Voici en cas de doute un petit guide pour le meneur.

Mais, dans Maléfices, les apparences sont trompeuses. Ce qui semble naturel peut être surnaturel et ce qui a l’apparence du surnaturel pourrait bien ne pas l’être du tout. Aussi, est-il important que le fait de solliciter la Rationalité plutôt que la Spiritualité (et inversement) ne soit pas un indice donné au joueur quant à la véritable nature de l’événement qui se présente à lui. Tout est affaire d’apparence et de contexte. Une porte qui claque brusquement dans un atelier d’artiste lors d’une visite nocturne, même si elle est animée par l’action d’un fantôme, a de fortes chances d’être prioritairement perçue comme le résultat d’un courant d’air. À l’inverse, un feu follet dans un cimetière, bien qu’il soit provoqué par les gaz issus de la décomposition des cadavres enterrés, peut a priori être interprété comme un événement surnaturel. À nouveau, il est fait appel au bon sens du meneur de jeu.

La Spiritualité est sollicitée quand : -l’événement est d’origine surnaturelle ou fantastique ; - l’événement a l’apparence du surnaturel (sans être surnaturel ou fantastique) ; - la signification que le personnage donne à l’événement est surnaturelle ou fantastique.

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Dans les scénarios, il est la plupart du temps indiqué à quelle catégorie un événement appartient. Lorsque cela n’est pas prévu, c’est au meneur de décider. Le degré de l’événement a une double influence en termes de jeu : il détermine la difficulté du tirage de lames (malus) et la perte de points dans la caractéristique concernée en cas d’échec. Un événement de degré 2 implique un malus de –2 au tirage de lames et, en cas d’échec, une perte de 2 points dans la caractéristique au terme du processus de confrontation (voir plus bas).

et les conséquences du tirage peuvent être modifiées. Quelle que soit l’orientation de la lame en question, le fait qu’un personnage tire, lors de confrontations à l’étrange, au fantastique ou à l’effroyable, un arcane majeur qui est constitutif de son identité indique une prédisposition particulière, et donc une interprétation plus approfondie de la confrontation. Pour procéder à cette interprétation, il faut se reporter à l’encadré en page suivante.

AJUSTEMENT AU TIRAGE DE LAMES LORS D’UNE CONFRONTATION

Gérer les confrontations

Par définition, le fantastique est ce qui sort de l’ordinaire et n’est pas explicable par les lois de la nature. Il ne saurait donc y avoir de circonstances qui vous y préparent, et qui rendent le choc, du coup, moins difficile à « encaisser ». Pourtant, on peut imaginer des situations ou des éléments, en lien avec le profil d’un personnage, qui peuvent être susceptibles d’atténuer la difficulté de la confrontation. Par exemple, un médecin qui est confronté à un cadavre horriblement mutilé peut sans doute mieux gérer une telle confrontation qu’une modiste ou un journaliste mondain. De la même manière, un personnage qui a déjà pris part à une soirée de tables tournantes est moins enclin à être troublé par cette activité hors du commun qu’un premier participant. En bref, un personnage, par son passé, sa profession ou ce qu’il a déjà vécu de similaire, peut bénéficier d’un bonus à son seuil de difficulté lors d’une confrontation. Ce bonus ne peut excéder +1. À l’inverse, un personnage qui a déjà vécu un événement similaire qui a mal tourné, ou qu’il a mal géré, est affublé d’un malus qui ne peut aller au-delà de –1. Dans les deux cas, l’ajustement n’affecte pas, en cas d’échec, les points perdus dans la caractéristique sollicitée, qui découlent seulement du type de confrontation et de son degré de gravité. L’attribution de bonus ou de malus doit rester exceptionnelle. Elle demeure une prérogative du meneur.

Une confrontation est toujours un choc, une mise en danger de l’équilibre mental d’un personnage. C’est pourquoi le joueur doit procéder à un tirage de confrontation en utilisant comme seuil son score en Spiritualité ou en Rationalité. C’est la façon dont un personnage va se comporter face à un événement surnaturel ou effrayant qui est en jeu : va-t-il poursuivre son action après le surgissement de l’événement, va-t-il interrompre celle-ci ou réagir sous l’emprise de la peur, voire de la panique ? En d’autres termes, le test de confrontation comprend une double dimension temporelle : déterminer la réaction immédiate d’un personnage face à un événement et définir les conséquences à moyen terme de cet événement sur son équilibre mental. En termes de jeu, les confrontations se déroulent en trois étapes : 1. la caractéristique sollicitée est celle qui a été déterminée par le meneur (Spiritualité ou Rationalité). Un bonus ou un malus au tirage de lames peut lui être octroyé par le meneur en tenant compte des circonstances ou du passé du personnage (cf. encadré) ; 2. le joueur tire une lame du Grand Jeu de la Connaissance complet. C’est pour cela que l’on parle de tirage (de lames) et pas de jet (de dé). Le sens de la carte à l’endroit (positif) ou à l’envers (négatif) est important, de sorte que le joueur, avant de la retourner avec le recto face à lui, a la possibilité de l’orienter. Lorsque le numéro qui se trouve en bas de la lame indique un chiffre égal ou inférieur au score de la caractéristique sollicitée ajusté de la difficulté liée au degré de l’événement et d’un éventuel malus ou bonus, la confrontation est réussie. Le personnage gagne alors un nombre de points correspondant au degré de l’événement divisé par deux arrondi au supérieur. Lorsque le chiffre indique un score supérieur, la confrontation est perdue et il perd autant de points dans la caractéristique que la difficulté de la confrontation. En cas de réussite critique, le personnage gagne 1 point supplémentaire dans la caractéristique concernée. Il n’y a pas de réussite particulière ; 3. selon la nature de la lame tirée (arcane majeur uniquement) et si celle-ci figure parmi les lames du Grand Jeu qu’il a tirées à la création de son personnage, une interprétation supplémentaire des conséquences de la confrontation est nécessaire. En effet, si la lame tirée est l’Archange, le Vicaire, la Chance, la Mort, le Diable, la Lune Noire, le Grand Livre ou le Sorcier, la réaction

Exemples de confrontation Bastien Heurtault est un jeune homme de bonne famille et bon catholique. Il étudie le droit chez un notaire. Il a 12 en Spiritualité et 11 en Rationalité. Un soir, après le repas familial, il sort de nuit faire une balade dans le bois qui jouxte son domicile. La Lune bien visible souligne les ombres des arbres sur le chemin. Il est brusquement arraché à sa rêverie par le bruit d’une branche qui craque à proximité. C’est alors qu’il croit distinguer une silhouette de petite forme qui s’enfuit en laissant tomber un objet. Confronté à ce qui semble pouvoir être un événement surnaturel, il doit faire un tirage de confrontation de degré 2 impliquant sa Spiritualité. Pour réussir son tirage, il doit tirer une lame du Grand Jeu de la Connaissance dont le score est égal ou inférieur à 10 puisque sa Spiritualité est de douze et que l’événement est de degré 2 (12–2=10). Il ne bénéficie d’aucun ajustement. Il tire la Lune

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INTERPRÉTATION DES LAMES LORS DE CONFRONTATIONS AU SURNATUREL OU À L’EFFRAYANT Lorsqu’un personnage tire un arcane majeur dans le cadre d’une confrontation et qu’il a cette lame parmi ses lames du Destin, une interprétation supplémentaire des conséquences de cette confrontation est nécessaire. Le fait que la confrontation soit réussie ou pas n’a pas d’importance. La concomitance du tirage de la lame lors d’une confrontation et de sa présence parmi les lames du Destin du personnage indique que cette confrontation prend un sens particulier pour lui.

L’Archange

Cette confrontation, quels que soient son degré et sa nature, est importante pour le personnage. Il éprouve face à cet événement un soudain besoin de faire le Bien. Cela lui fait gagner immédiatement 1 point de Spiritualité.

Le Vicaire

L’événement auquel le personnage vient d’être confronté lui fait comprendre que l’on peut (et que l’on doit) agir face au Mal et aux actions des forces obscures. Sa connaissance des moyens d’action pour lutter contre elles s’est soudainement accrue. Il gagne immédiatement un bonus de +1 en Modificateur de pratique de magie blanche (MPMB). Comme pour toutes les caractéristiques en lien avec la magie (Fluide et Modificateurs de pratique), cette information n’est pas communiquée au joueur. Elle reste à l’attention du seul meneur de jeu, qui doit ajuster sa fiche de meneur.

La Chance

Béni des dieux, le personnage reçoit 1 point de Destin (voir Les règles).

La Mort

La confrontation qui vient de se produire est particulièrement éprouvante pour le personnage ! Que celle-ci soit un succès ou un échec, il s’est vu à cette occasion littéralement mourir et il a le sentiment d’avoir échappé à la mort. En termes de jeu, le personnage est terrifié. Il reste

Noire en positif (valeur 18) ; c’est un échec. Il perd 2 points de Spiritualité. Cette créature ne lui inspire pas confiance, il décide de rebrousser chemin en ne manquant pas de regarder régulièrement derrière lui, jusqu’à ce qu’il franchisse le seuil de son domicile. Comme la Lune Noire ne figure pas parmi ses lames du Destin, aucun autre élément ne vient jouer un quelconque rôle dans cette confrontation. Bastien reviendra peut-être un autre jour chercher cet objet abandonné par la créature. Y sera-t-il encore ? Y a-t-il jamais été ? Odette Theury est une sage-femme expérimentée, et grande lectrice. Elle a 14 en Rationalité et 8 en Spiritualité. L’accouchement qui vient de se terminer est une catastrophe : après avoir émis quelques rares cris, le nouveau-né meurt. Pendant qu’elle s’affaire à réanimer le nourrisson, Odette entend le mari entamer une prière à la Vierge Marie. Quelques instants plus tard, alors que le feu dans l’âtre a inexplicablement doublé d’intensité, comme pour réchauffer le nouveau-né déjà froid, l’enfant revient à la vie. Le stress et

momentanément paralysé par la peur. Une fois celle-ci estompée, le personnage gardera dans sa mémoire cet instant comme un élément marquant de son existence.

Le Diable

L’événement qui vient de se produire confirme que tout est affaire de pouvoir, d’influence et de rapport de forces. La voie vers le pouvoir peut passer par des chemins obscurs qui sont ceux de la raison, du calcul et de la manipulation. Le personnage gagne immédiatement 1 point de Rationalité.

La Lune Noire

La confrontation qui vient de se produire introduit une brèche dans la réalité, elle ouvre un passage vers une connaissance cachée, une réalité alternative plus sombre, mais plus riche et plus exaltante. Le personnage estime avoir franchi une étape dans sa compréhension du monde surnaturel. Il gagne immédiatement un point de Fluide. Cette information n’est pas communiquée au joueur.

Le Grand Livre

L’expérience vécue avec cette confrontation enrichit la soif de connaissances du personnage. C’est par la confrontation aux faits et aux événements que le savoir se construit. L’événement qui vient de se produire aiguise plus encore la soif de comprendre du personnage. Il gagne immédiatement 1 point de Fluide. Cette information n’est pas communiquée au joueur.

Le Sorcier

Ce qui vient de se produire ouvre une porte supplémentaire vers l’exercice et la manipulation des forces du Mal. Cette épreuve renforce la connaissance du personnage dans les moyens d’action qu’offrent les œuvres du Malin et des forces occultes. Le personnage gagne immédiatement un bonus de +1 en Modificateur de pratique de magie noire (MPMN), information qui n’est pas communiquée au joueur.

les circonstances particulières interpellent Odette. Elle doit gérer une confrontation de degré 1. On sollicitera donc sa Spiritualité, car même si en réalité le phénomène n’a rien de surnaturel, mais découle d’une coïncidence, Odette est surprise par le contexte et peut imaginer qu’il s’agit d’un phénomène étrange, d’un petit miracle. Dans le Grand Jeu de la Connaissance, elle tire le Grand Livre (valeur 3). C’est une réussite, elle gagne un point de Spiritualité (degré 1 divisé par deux arrondi au supérieur). Cet événement la perturbe et elle y voit un signe du destin qui instille le doute dans son esprit. Elle quitte les lieux après avoir fini son ouvrage. Odette ayant dans son jeu du Destin la lame du Grand Livre, cet événement l’a rendue plus sensible aux événements étranges qui surgissent parfois dans l’existence. En termes de jeu, le meneur augmente son Fluide de 1 point et l’inscrit sur sa feuille de MJ sans le communiquer à Odette.

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Perdre son équilibre mental Comme tout équilibre, l’équilibre mental est fragile. Les éléments qui le composent (Rationalité et Spiritualité) sont appelés à évoluer au fil du temps et des confrontations. Dans Maléfices, on peut défaillir mentalement, voir son comportement et sa psyché altérés, de deux façons : par une perte de la raison ou de la foi – l’une et l’autre ne s’excluant pas – ou par un trop plein de raison ou de foi. En termes de jeu, dès que la Spiritualité ou la Rationalité atteignent la valeur de 3, on considère que le comportement d’un personnage s’altère sérieusement. Il en va de même lorsque ces valeurs atteignent la valeur de 19. Voici un petit panorama des séquelles, selon les situations. Il faut noter que les effets sont cumulatifs : chaque palier franchi ajoute une séquelle supplémentaire. Dans le but de voir le joueur interpréter au mieux les effets de cette perte d’équilibre mental, le meneur prend le joueur à part pour lui indiquer la nature de ces troubles et lui donne, si nécessaire, quelques conseils pour traduire cela dans les mécaniques de jeu.

Faible Spiritualité 3 : les forces surnaturelles (bénéfiques ou maléfiques) sont hostiles au personnage, elles cherchent à lui nuire, à chaque coin de rue, la menace rôde. Son âme est sur le chemin de la damnation, les forces surnaturelles, qui généralement l’accompagnent, l’abandonnent. Il développe un comportement de type paranoïaque. 2 : le personnage est victime de visions terrifiantes, même de jour. Il commence à se faire du mal ; des marques de déchéance physique apparaissent sur son corps (bleus, cicatrices, déformations, etc.). Le personnage doit réussir un jet sous Constitution par jour, le temps du scénario, pour ne pas perdre 1 point dans cette caractéristique. 1 : le personnage cherche maintenant à infliger ses tourments aux autres. Il devient violent. 0 : pour lui, l’âme n’existe plus. Le personnage est dépourvu de toute empathie envers ses semblables, qui ne sont plus pour lui que des amas de cellules. Il souffre d’une forme ultime de psychopathie. Le personnage est définitivement perdu. Toute son énergie a disparu, il plane dans un état mystique permanent. Dans sa tête, tout se mélange dans un maelström de pensées morbides. Le personnage n’est plus jouable.

Forte Spiritualité 19 : le personnage est sur le chemin de l’illumination, de la révélation. Un sentiment de surpuissance l’envahit progressivement, car lui seul connaît le vrai sens caché et mystique des choses. 20 : les éléments du quotidien (la statue de la Vierge, la gargouille de la cathédrale, le chat noir qui passe dans la rue) lui parlent directement et l’incitent à se lancer dans une croisade sainte ou damnée. Émane de sa personnalité une sensation de puissance. Les personnes autour

de lui sont fascinées ou effrayées de l’aura bénéfique ou maléfique qu’il dégage. Il est capable de ressentir ce que les personnes qu’il côtoie ressentent : crainte, peur, joie, mensonge… 21 : des stigmates apparaissent sur son corps, preuves de son « élection ». Sa supériorité spirituelle mène le personnage à développer une attitude méprisante à l’égard d’autrui, il devient de moins en moins sociable. Il n’a qu’une obsession : convertir les autres à sa foi, même par la violence et la contrainte s’il le faut. 22 : tout s’explique par le surnaturel. Le personnage n’a plus aucune perception objective de la réalité, il sombre dans un délire mystique. C’est une forme de paranoïa. Le personnage est illuminé, son âme n’est plus de ce monde. La banalité de l’existence est un poids. Il est en extase permanente. Le personnage est perdu, il n’est plus jouable.

Faible Rationalité 3 : le personnage commence à être victime d’absences, de trous de mémoire. Il bute sur les mots et se répète un peu. 2 :  des tics nerveux (gestes brusques, clins d’œil, tremblements, maladresses, etc.) apparaissent et gênent le personnage dans sa vie quotidienne. 1 : le personnage adopte des comportements du type trouble obsessionnel compulsif ou des phobies. 0 : le personnage n’a plus de contact avec la réalité. Il est en proie à des hallucinations et des dédoublements de personnalité. Le personnage est totalement fou, schizophrène, il est bon pour l’asile d’aliénés, il n’est plus jouable.

Forte Rationalité 19 : convaincu de sa supériorité intellectuelle, le personnage développe progressivement une attitude de mépris pour les autres. Une certaine intolérance à la médiocrité s’installe chez lui. 20 :  à la façon d’un mentaliste ou d’un Sherlock Holmes, le personnage perce les secrets des individus qu’il rencontre. C’est pour lui un jeu qu’il engage compulsivement avec autrui. Ses intuitions ne sont toutefois pas toujours justes, ni bien reçues, ce qui complique d’autant ses interactions en société… 21 : le personnage est persuadé de détenir la réponse à toutes les questions. Celles-ci peuvent être mathématiques, philosophiques ou de toute autre nature scientifique. Cette vérité explique tout. Il faut maintenant la mettre sur le papier et la publier. C’est pour écrire et penser cela que le personnage se retire petit à petit du monde. 22 : le personnage ne croit plus qu’en la réalité mesurée et chiffrée des choses, il est obsédé par le fait de tout objectiver, ranger, classer, trier. C’est une névrose

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obsessionnelle grave. Plus besoin d’écrire ou d’exposer aux autres la vérité : elle est évidente. Et le monde ne comprendrait pas. En clair, le personnage est prisonnier de son esprit, continuellement en fonctionnement, il ne dort quasiment plus et se consume à petit feu. Le personnage est perdu. Il ne peut plus être joué.

plus solides qu’une simple méditation ou une réflexion à tête reposée. On parle alors de psychothérapie, de séjour en maison de repos ou dans un asile lorsque c’est sa Rationalité qui est concernée. Le personnage souffrant d’une crise de Spiritualité pourra quant à lui entreprendre une démarche spirituelle dans une communauté, un monastère ou plus simplement entamer un dialogue avec un responsable religieux ou mystique. Le procédé est identique, à la différence près que le nombre de points regagnés est de 2, jusqu’à ce que le score dépasse à nouveau 4. À ce moment, le procédé « ordinaire » en cours de partie, décrit au paragraphe précédent (valeurs entre 4 et 18) peut être engagé. S’il est vrai que tendanciellement on perd plus de points en Spiritualité ou en Rationalité que l’on en gagne, on ne peut pas exclure la situation où les scores dans ces deux caractéristiques atteignent des sommets. Et comme nous l’avons vu, un surplus de Rationalité ou de Spiritualité peut être aussi dangereux qu’un déficit. C’est pourquoi le même mécanisme de régulation du surplus est possible. Imaginons un personnage disposant d’un score de 20 en Rationalité et dont le comportement devient un sérieux handicap dans ses relations sociales. Conscient de cela, il cherche un soutien et va voir un psychiatre ou un aliéniste qui travaille avec lui pour apprendre à relativiser les choses et à vivre avec son handicap. Dans ce cas, au terme du travail, le joueur procède à un tirage sous Rationalité et doit le réussir (procédure inverse à celle utilisée dans le cas d’un déficit de Rationalité ou de Spiritualité décrit plus haut) pour pouvoir réduire son score de 2 points et revenir à 18. Il existe une autre manière de se reconstruire mentalement après les épreuves traversées au cours d’un scénario. La satisfaction d’avoir résolu une énigme, démasqué un imposteur, sauvé une âme perdue ou renvoyé les forces maléfiques en Enfer contribue à renforcer l’équilibre mental d’un personnage, même si ces actions sont coûteuses en Rationalité ou en Spiritualité. C’est pourquoi, si le scénario se conclut de façon positive, le meneur peut octroyer jusqu’à 2 points à chaque joueur pour qu’il puisse les affecter à ses scores de Spiritualité ou de Rationalité en plus ou en moins, à la condition que le score de la caractéristique concernée ait évolué au cours du même scénario. Voilà qui devrait éviter aux personnages de sombrer trop vite soit dans la démesure soit dans la démence, voire la damnation…

Se reconstruire Les confrontations mettent sérieusement à l’épreuve l’équilibre mental des personnages. Un surplus de Rationalité ou de Spiritualité a des effets aussi néfastes qu’un déficit, nous venons de le voir. Au cours d’une partie ou d’une campagne, les scores de ces deux caractéristiques vont fluctuer à la hausse ou à la baisse, en fonction des succès ou des échecs lors des confrontations et des tirages de lames. Il existe plusieurs cas de figure où le joueur peut agir positivement sur les scores dans ses deux caractéristiques et contribuer ainsi à réguler l’équilibre mental de son personnage. La première méthode a déjà été abordée : un personnage peut gagner 1 point de Spiritualité ou de Rationalité lorsqu’il tire un certain type d’arcane majeur (l’Archange ou le Diable) qu’il possède également parmi ses lames du Grand Jeu. La seconde méthode fait l’objet de cette section. Elle se divise elle-même en deux procédés. Lorsque les valeurs de ces deux caractéristiques se situent entre 4 et 18 et que la valeur de celle-ci a diminué lors du scénario, lors d’un répit – par exemple lors d’un déplacement d’une certaine durée (plusieurs heures ou jours), ou plus généralement en fin de scénario –, le personnage peut revenir sur les événements passés et entamer une réflexion pour tenter d’expliquer et de rationaliser ceux-ci. Il peut aussi, selon ses convictions, méditer ou prier pour reprendre ses esprits. Alors, le joueur peut effectuer une confrontation en utilisant la caractéristique concernée et en tirant une lame. Si le score de la lame est supérieur au score de la caractéristique, il regagne 1 point. Si le score est inférieur, aucun point n’est regagné, aucun point n’est perdu non plus. Lorsque les valeurs de Rationalité ou de Spiritualité sont inférieures à 4, les effets nocifs d’une valeur trop basse commencent à se faire sentir et affectent le comportement du personnage comme cela a été décrit plus haut. Le personnage entre dans un état psychique pathologique dont le traitement requiert des outils et des interventions

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La sensibilité au surnaturel : magie et actes surnaturels Dans cette partie, nous présentons l’une des facettes de Maléfices : la pratique du surnaturel, de la magie et autres rituels. La Belle Époque a été propice au développement de l’occultisme, du spiritisme et de la pratique de la magie. Mais soyons clairs, dans Maléfices, les personnages qu’incarnent les joueurs seront plus souvent victimes qu’acteurs de la magie et des phénomènes surnaturels. On n’y lance pas de sortilège dans chaque scénario et on n’invoque pas un démon chaque fois que l’on a besoin de renseignements. Tout au plus peut-on développer quelques compétences en matière de tables tournantes ou de séances de spiritisme. Cela étant, il n’est pas exclu que les personnages mettent la main sur un rituel ou un sortilège dont la pratique s’avèrerait indispensable à l’accomplissement du scénario en question. Les règles présentées ici sont un guide pour permettre au meneur de gérer ou de créer des situations surnaturelles. Toutefois les actes surnaturels présentés ici ne permettent jamais de déroger aux conditions exposées dans les scénarios. Tous les personnages ne sont pas sensibles de la même manière, ou à un même degré, au surnaturel et au fantastique. Certains peuvent ressentir leur présence en entrant dans une pièce fréquentée par un esprit, ou dans laquelle des événements terribles se sont produits par le passé, alors que d’autres ne seront absolument pas affectés. De la même façon, tout le monde ne fera pas un bon médium ou un bon sorcier.

En jeu, chaque personnage dispose d’une caractéristique secrète que seul le meneur connaît : le Fluide. Sa valeur est déterminée par le Grand Jeu de la Connaissance au moment de la création du personnage. Le joueur ne doit jamais connaître cette valeur. Le Fluide peut être défini comme l’énergie impalpable qui anime le surnaturel. Elle est présente partout autour de nous dans des quantités variables. Les lieux (églises, sites sacrés ou maudits, forêts primitives, cryptes, endroits où un crime ou une mort violente se sont produits, etc.) autant que les créatures vivantes sont animés par le Fluide qui va et vient. Un personnage ou une créature disposant d’un niveau de Fluide bas sera traversé par cette énergie sans qu’il oppose de résistance et s’en aperçoive. Un score de Fluide élevé signifie une adhérence plus grande, donc une sensibilité et un contrôle plus grands. La divination, le spiritisme, la magie, la sorcellerie font appel au Fluide. À la création du personnage, le score de Fluide est de 5. Il évolue en fonction du tirage du Grand Jeu de la Connaissance et pourra évoluer durant les scénarios et les campagnes (cf. Création de personnages) et au fil des confrontations au surnaturel (cf. Gérer le fantastique, page 236).

Pratiquer la magie blanche et le Grand Art « de la main gauche » Il nous faut tout de suite fixer une règle cardinale : pour les personnages de Maléfices que les joueurs vont incarner, pratiquer le Grand Art doit rester une exception, un événement extraordinaire dont la rareté n’a d’égale que la difficulté et la dangerosité. Maléfices propose certes de jouer dans un contexte baigné par le spiritisme, l’occultisme et la magie, mais ce n’est pas un jeu dans lequel les personnages deviennent au fil des scénarios des mages ou des sorciers puissants. La plupart du temps, ils seront les victimes ou les spectateurs des forces surnaturelles. En de rares occasions pourront-ils lever le voile sur les secrets du Grand Art et prétendre le pratiquer, le plus souvent en amateurs. S’ils ne deviendront jamais des sorciers redoutables ou des mages exceptionnels, ils auront toutefois l’opportunité de pratiquer le spiritisme et de faire tourner les tables ; pratiques qui entrent dans la catégorie des actes surnaturels parmi les plus accessibles. Une fois de plus, dans ce jeu, il est fait appel au sens de la mesure du meneur de jeu. Lorsque le surnaturel se trouve à chaque coin de rue, il perd de sa substance, il s’affadit pour n’être plus qu’un cliché. Un bon meneur de jeu saura doser la présence du surnaturel et la pratique du Grand Art pour en faire un

usage parcimonieux, ne serait-ce qu’en variant le type de scénarios qu’il proposera à ses joueurs. Mais au fait, qu’est-ce que la magie ? En quelques mots, c’est une pratique destinée à intervenir de façon surnaturelle sur le cours des événements ou le comportement d’autrui, en mal ou en bien. Dans Maléfices, c’est la capacité à utiliser le Fluide pour altérer la réalité, la tordre, pour modifier les règles de l’univers perçu par le commun des mortels. En tant que manifestation du surnaturel, la magie est un surgissement, une perturbation de l’ordre stable et logique du monde naturel. Pour la pratiquer, il faut développer des connaissances approfondies sur la nature du Fluide et du surnaturel, même si certains actes magiques peuvent être effectués presque sans préparation. La magie est une confrontation entre l’ordre et le désordre, c’est pourquoi dans sa pratique ces deux principes s’affrontent. L’ordre, parce qu’il s’agit de respecter scrupuleusement certaines règles et procédures pour lancer un sortilège. Ordre aussi parce qu’il faut que tous les ingrédients prévus dans le sortilège soient présents pour que l’acte magique ait lieu. Désordre, parce que l’accomplissement de l’acte magique implique une perturbation dans l’agencement

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naturel des choses et que, même lorsque tout a été respecté à la lettre, l’échec est possible, avec les terribles conséquences que cela peut supposer. Pratiquer le Grand Art est dangereux ! On ne perturbe pas l’équilibre de l’univers impunément et sans risque ! On peut y perdre son équilibre mental au passage, ou bien pire, devenir la victime de ses propres actes ! Examinons maintenant les types d’actes surnaturels qui composent le Grand Art.

La magie noire Orientée vers la pratique du Mal, la magie noire (ou Grand Art de la main gauche) est d’essence maléfique et offensive. Elle utilise le Fluide, le canalise pour faire le Mal, pour nuire, détruire, affaiblir, voire anéantir ses victimes. Pour y parvenir, elle requiert également nombre de supports ou d’ingrédients. C’est la magie des sorciers et des sorcières. C’est celle qui permet à celui qui la pratique d’accroître son pouvoir, son influence, sa richesse, etc. Elle se fait au détriment de ses victimes. C’est aussi celle qui permet d’entrer en contact avec les forces maléfiques (démons, créatures, Satan lui-même, etc.). Bien qu’il n’existe pas de catalogue exhaustif des actes magiques, les sortilèges de magie noire sont de loin les plus nombreux et les plus créatifs… Malédictions, ensorcellements, envoûtements, invocations, enchantements d’objets, contrôle des éléments sont les types de magie noire les plus communs. Concernant les règles, la pratique de la magie noire est liée à la Rationalité du personnage puisque celle-ci est liée aux figures du Diable, du Sorcier et de la Lune Noire qui sont les faces rationnelles de la personnalité d’un individu, celles qui sous-entendent une volonté de puissance, de contrôle et de pouvoir.

La magie blanche Orientée vers le Bien, la magie blanche regroupe deux types d’actes magiques. Les premiers sont composés de l’ensemble des pratiques proches de la médecine de campagne, des rebouteux et des guérisseurs. Le Fluide est ici

canalisé pour soigner ou soulager avec l’aide du magnétisme, de talismans, d’amulettes ou de tout autre support. Les seconds consistent en l’ensemble des actes de protection, de contre-sort ou de lutte contre la magie noire et les forces maléfiques. Réparatrice et protectrice, la magie blanche n’est pas l’inverse de la magie noire. Elle poursuit d’autres fins. Elle est aussi généralement moins spectaculaire. Enfin, en volume, les grimoires de magie blanche sont bien moins nombreux que leurs équivalents maléfiques. Ses secrets sont le plus souvent transmis de bouche à oreille. Bénédictions, désenvoûtements, pactes défensifs, enchantement d’objets, soins magiques figurent au catalogue de la magie blanche. En termes de jeu, la pratique de la magie blanche est associée à la Spiritualité du personnage, en ce sens qu’elle est liée aux lames de l’Archange, du Vicaire et du Grand Livre, qui témoignent de prédispositions à la bonté, à l’empathie et à la générosité du personnage.

Les actes neutres Perturber l’ordre naturel des choses ne nécessite pas forcément d’avoir une intention particulière, bonne ou mauvaise, envers le surnaturel. Celui-ci existe également pour lui-même, sans coloration : le Fluide n’est intrinsèquement pas positivement ou négativement chargé. Les fantômes ne sont par exemple pas nécessairement maléfiques. Aussi, existe-t-il toute une série d’actes magiques neutres qui sont des altérations de la réalité, mais qui ne relèvent pas de la magie blanche ou noire. Entrent dans cette catégorie le fait de faire tourner des tables ou de faire apparaître un ectoplasme, les séances de spiritisme, la médiumnité, la chiromancie, la cartomancie, la divination, la voyance, etc. Ce sont pour la plupart des actes magiques secondaires, dans le sens où ils sont moins puissants que la magie noire ou blanche. En jeu, la pratique d’actes magiques neutres peut alternativement faire appel à la Rationalité ou à la Spiritualité du personnage, selon les circonstances et les objectifs poursuivis.

Sortilèges, rituels et actes magiques Prosaïquement, tout acte magique consiste en une sorte de « cérémonie » nécessitant que soient réunies des conditions matérielles spécifiques impératives et des conditions optionnelles, dont la présence augmente – et l’absence réduit – les chances de succès. L’ensemble de ces éléments sont la plupart du temps décrits dans des grimoires, des feuillets ou des textes ordinaires tirés d’un ouvrage ou que l’on trouve sur une pierre, un blason, une plaque ou un linteau de cheminée. La forme écrite n’est toutefois pas indispensable (nombre de pratiques magiques ou surnaturelles sont transmises par oral, notamment dans les campagnes, entre praticiens, sorciers, sorcières, mages et autres rebouteux). Tous les actes magiques ne sont pas de même nature, nous l’avons vu. Ils ne prennent pas non plus tous la même

forme. Il faut distinguer deux types d’actes magiques selon qu’ils sont pratiqués par un seul individu ou plusieurs. LES SORTILÈGES : un sortilège est un acte magique de magie blanche, noire ou neutre, accompli par un seul individu. Pour les mécanique de jeu, seul le Fluide du personnage qui lance le sortilège est sollicité. Les éventuels effets secondaires sont en principe également limités au sorcier. LES RITUELS : dans Maléfices, un rituel est un sortilège qui nécessite la collaboration de plusieurs personnes qui mettent en commun leur Fluide pour accomplir l’acte magique qu’ils ne pourraient pas réaliser seuls. Il doit toujours y avoir une seule personne qui conduit le rituel. Les

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autres participants sont des disciples. Du point de vue des règles, le Fluide de la personne qui conduit le rituel est augmenté en fonction du nombre de disciples et de leur niveau de Fluide. À noter qu’un sorcier suffisamment puissant peut, parce qu’il a un niveau de Fluide convenable,

accomplir un rituel seul, à la condition que, dans les conditions matérielles, il ne soit pas prévu que plusieurs personnes doivent impérativement y prendre part.

Mécanique de jeu du Grand Art Dans les sections suivantes, nous décrivons la manière dont on lance un sortilège, on pratique un rituel ou un acte de magie neutre. Le parti pris pour le système de gestion de la magie est celui de la simplicité. Les versions précédentes du jeu proposaient un système relativement complexe avec des jets négatifs ou inversés. Nous avons décidé de rendre le système plus fluide (sic) et plus simple. Dans le nouveau système, si les conditions matérielles du sort, du rituel ou de l’acte magique sont réunies et que le score de Fluide atteint le Seuil de pratique nécessaire à l’exécution de l’acte, l’acte fonctionne. Pas de jet de dé ou de tirage de lames pour déterminer le succès ou l’échec. Deux raisons principales à ce choix. Premièrement, les vieux routiers, joueurs ou meneurs, auront en effet remarqué au fil des parties que le fait de réunir les ingrédients était suffisamment compliqué pour ne pas encore avoir à prendre le risque de rater un jet ou un tirage. Deuxièmement, la pratique de la magie est tellement exceptionnelle dans une partie de Maléfices et cruciale pour le déroulement d’un scénario, que l’échec d’un acte magique par la faute d’un jet de dé ou d’un tirage de lames peut avoir des conséquences dramatiques. Le hasard n’est toutefois pas complètement évacué. Il y aura bien un tirage de lames avant l’accomplissement de l’acte magique, mais celui-ci ne sert qu’à déterminer si des effets secondaires surviennent, et lesquels.

prédispositions du personnage (Modificateurs de pratique de magie blanche ou noire). Des bonus découlant de supports magiques (ex. bâton de sorcier, talisman, etc.), des bonus ou des malus liés à des conditions optionnelles remplies ou absentes peuvent également s’ajouter. Si le total n’atteint pas le Seuil de pratique, l’acte magique ne se produit pas. BONUS AU FLUIDE EN CAS DE RITUEL PRATIQUÉ À PLUSIEURS

Commençons par quelques définitions. La pratique de la magie requiert précision et méthode. Au centre du dispositif, nous l’avons vu, se trouve le Fluide. Chaque personnage joueur ou non-joueur dispose d’un score dans cette caractéristique, bien qu’il lui soit inconnu. Comme il a déjà été signalé, au départ de la création de personnage, ce score est de 5, mais il peut être affecté par le tirage du Grand Jeu de la Connaissance. Il peut également évoluer au cours des parties (voir Être confronté à un événement surnaturel ou effrayant, page 236). C’est donc au meneur de procéder aux calculs au moment de l’exécution de l’acte magique, puisque la valeur de Fluide d’un personnage est inconnue du joueur. À chaque acte magique est associé un Seuil de pratique. Il s’agit du score de Fluide qui doit être atteint pour que l’acte magique puisse déployer ses effets. Il est défini et fixé dans le descriptif de l’acte magique. Pour atteindre ce seuil, on additionne la valeur actuelle du Fluide du sorcier ou de la personne qui conduit le rituel, auquel peuvent venir s’ajouter des bonus (modificateurs) liés au Fluide des autres participants (dans le cas d’un rituel) ou des

Fluide de chacun des autres participants

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+2

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De surcroît, pour être pratiqué, un acte magique nécessite que certaines conditions matérielles soient réunies. Celles-ci sont impératives ! Leur absence, même d’une seule d’entre elles, rend impossible l’accomplissement de l’acte considéré, quand bien même le Seuil de pratique serait atteint. Certains éléments ou certaines circonstances particulières peuvent également entrer en compte dans l’accomplissement d’un acte magique, sans pour autant être indispensables. On parle alors de conditions optionnelles. Celles-ci peuvent favoriser ou défavoriser la réalisation de l’acte magique. Il se peut qu’une condition optionnelle permette de se passer d’une condition matérielle, moyennant l’application d’un malus. Cela doit être prévu explicitement dans le sortilège ou l’acte magique en question, les meneurs et scénaristes y veilleront. Les individus ne sont pas égaux en matière de pratiques magiques. De même que certains sont plus sensibles au surnaturel et ont un score plus élevé en Fluide que d’autres, certaines personnes sont plus ou moins bien disposées à pratiquer la magie blanche ou noire. À la création de personnage, selon le tirage du Grand Jeu de la Connaissance, ou en cours de partie, suite à des confrontations au surnaturel, certains personnages se voient attribué un bonus ou un malus en pratique de magie noire ou blanche. Ces bonus ou malus sont appelés Modificateur de pratique de magie noire (MPMN) et Modificateur de pratique de magie blanche (MPMB). Ces scores viennent s’additionner au score de Fluide du personnage concerné ou s’y soustraire dans le calcul pour l’atteinte du Seuil de pratique de l’acte magique. Ainsi, un personnage qui dispose du Sorcier parmi ses lames du Destin jouit d’un MPMN de +1. C’est-à-dire que pour ce personnage, la pratique

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d’un sortilège ou d’un rituel de magie noire est plus facile, son score de Fluide est, pour cet acte, augmenté de +1. À l’inverse, un personnage qui a tiré la Lune Noire aura un Modificateur de pratique de magie blanche de –3. Étant attiré par les forces lucifériennes, son score de Fluide pour cet acte est réduit de 3. Toute tentative de réalisation d’un acte magique produit une tension, voire un choc dans l’équilibre mental d’un personnage. On ne modifie pas les règles de l’univers sans conséquence ! Aussi, que l’acte magique réussisse ou pas, chaque participant est soumis à un test de confrontation de sa Spiritualité ou de sa Rationalité, selon la nature de l’acte, en tenant compte de la puissance de l’événement d’après le tableau suivant : CONFRONTATION (ACTE MAGIQUE)

Degré

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Pratiquer un acte magique Voici la procédure pour lancer un sortilège, conduire un rituel ou pratiquer un acte de magie : • pour pratiquer un acte magique, le sorcier ou le mage doit tout d’abord connaître la procédure, réunir les conditions matérielles impératives et, le cas échéant, mettre en place les conditions optionnelles. Cette connaissance n’est pas nécessairement écrite, de sorte que le mage ou le sorcier n’a pas un besoin absolu de disposer d’un support écrit, sauf lorsque celui-ci est spécifiquement requis par l’acte magique en question ; • pensant avoir réuni les conditions matérielles, le sorcier ou le mage peut alors déclarer qu’il « lance le sortilège » ou « procède au rituel ». Le personnage doit spécifiquement déclarer son intention. Car l’acte magique est une affaire de volonté ; • si toutes les conditions matérielles sont réunies, c’est à ce moment que le meneur procède au calcul nécessaire à la détermination du succès ou de l’échec. Pour ce faire, il additionne le score de Fluide du sorcier ou de celle ou celui qui conduit le rituel (éventuellement amendé du Modificateur de pratique de magie noire ou blanche dont il jouit) et les bonus que lui donne chaque participant, selon le tableau des bonus en page précédente. Viennent s’y ajouter d’éventuels bonus liés à l’existence de supports magiques et à ceux découlant de la réunion de conditions optionnelles. Ce total est ensuite comparé au Seuil de pratique de l’acte magique. Si le score est égal ou supérieur, l’acte magique est réussi. S’il est inférieur, il échoue : il ne se passe rien ; • si les conditions matérielles ne sont pas toutes réunies, quand bien même le Seuil de pratique serait atteint, il ne se passe rien ; • avant que le meneur ne décrive ce qui se produit et que l’acte magique réussisse ou pas, le sorcier ou le mage tire une lame du Grand Jeu de la Connaissance complet. Dans le cas d’un rituel, chaque participant procède au

Exemples de pratique du Grand Art Bastien Heurtault s’est fourré dans une mauvaise affaire et s’est vu provoqué en duel (au pistolet) par un mari qui a peu goûté qu’il fasse du charme à son épouse. Le duel est prévu dans deux jours. Pris de panique, car tout à fait novice en armes à feu, Bastien se souvient que son père lui parlait d’objets magiques susceptibles de protéger leur porteur des blessures par balle. Après plusieurs heures de recherche, il retrouve un ouvrage d’anecdotes sur les duels dans la bibliothèque familiale, ouvrage qui décrit sous la forme quelque peu ironique la procédure pour élaborer une amulette protégeant des armes à feu. Bastien décide de tenter le coup. Ce sortilège de magie blanche promet que « la personne qui avale l’amulette est protégée de toute blessure par balle pendant vingt-quatre heures. Si elle se trouve sur la trajectoire d’une balle, celle-ci déviera. Si on lui tire dessus à bout portant, l’arme s’enrayera ». Les conditions matérielles impératives sont les suivantes : il faut pulvériser un crucifix en bois dans de l’eau bénite le soir de la Toussaint et confectionner avec la pâte une feuille de papier, tracer ensuite le pentacle de Mars sur le papier avec le sang d’un homme mort. L’amulette ne peut être utilisée

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Seuil pratique de l’acte

tirage d’une lame du même jeu. Ce tirage vise à déterminer s’il y a des effets secondaires à l’accomplissement du sort. Attention, il peut y avoir des effets secondaires que l’acte magique réussisse ou échoue ! La règle est la suivante : - Si le tirage révèle un arcane de Métiers, rien de particulier ne se produit, hormis les effets normaux du sortilège ou du rituel, - Si l’arcane majeur correspond au type de magie accompli (le Diable, le Sorcier, la Lune Noire pour la magie noire ; l’Archange, le Vicaire, le Grand Livre pour la magie blanche) et que le sortilège est réussi, le sorcier ou le participant au rituel gagne 1 point définitif de Fluide, - Si l’arcane majeur ne correspond pas au type de magie accompli, un effet secondaire décrit dans la fiche de l’acte magique se produit. Les conséquences d’un effet secondaire sont inévitables et non négociables, - Si la lame tirée est la Mort, le sorcier ou le participant est frappé d’une crise cardiaque, d’un évanouissement ou d’une syncope, - Si la lame est la Chance, le sorcier ou le participant gagne 1 point de Fluide. • que l’acte magique réussisse ou pas, chaque participant ou témoin de cet acte procède à une confrontation de sa Spiritualité (magie blanche) ou de sa Rationalité (magie noire) en appliquant le malus lié au Seuil de pratique de l’acte présenté plus haut. Pour les actes neutres, le choix de la caractéristique est laissé au meneur selon les circonstances ; • lorsque l’acte magique a réussi, le meneur procède (pour le personnage) à un jet de Fluide. Si le score obtenu au d20 est supérieur au score de Fluide, le sorcier gagne 1 point de Fluide. Si le score obtenu est égal ou inférieur au score de Fluide, il ne gagne aucun point. Le meneur inscrit le nouveau score sur sa feuille de meneur, mais n’informe pas le joueur du résultat de son jet.

MAGIE, HASARD, INCERTITUDES ET EFFETS INCONTRÔLÉS Nous avons pris le parti de ne pas faire dépendre la réussite d’un acte magique d’un jet de dé ou d’un tirage de lames. Maléfices est un jeu d’ambiance qui favorise l’interprétation et la narration. Il nous est donc apparu qu’il n’était pas judicieux de faire réussir ou échouer un acte magique, le plus souvent déterminant pour le scénario en cours, à cause du hasard. Rien de pire que de voir une scène finale échouer parce qu’un personnage rate un ou plusieurs jets de dé pour « lancer son sortilège ». Aussi, comme nous l’avons vu, si les conditions matérielles sont réunies et le Seuil de pratique de l’acte atteint au niveau du Fluide, l’acte réussit automatiquement. Pour autant, les personnages ne pourront jamais être tout à fait sûrs que le sortilège ou le rituel va réussir et avec quels effets. D’abord parce qu’ils ne connaissent ni leur niveau de Fluide ni le Seuil de pratique de l’acte en question. Ensuite, parce que nous n’avons pas complètement éliminé le hasard, puisqu’il est procédé à un tirage de lames pour définir si des effets secondaires se manifestent. Par ailleurs, que l’acte magique réussisse ou pas, le sorcier et les disciples sont soumis à un tirage de lames pour déterminer les éventuels effets secondaires. Ils procèdent

que par celui qui l’a fabriquée. Comme condition optionnelle, un malus de –2 est appliqué si le sortilège n’est pas pratiqué à la Toussaint, mais un bonus de +1 est appliqué si le sorcier connaît l’identité de celui ou celle qui va lui tirer dessus : il doit alors l’écrire sur la feuille avant de l’ingérer. Bastien réunit tant bien que mal le crucifix, l’eau bénite, la forme du pentacle de Mars et surtout le sang d’un homme mort. En revanche, nous sommes en plein été, de sorte que la condition matérielle liée à la Toussaint n’est pas réalisée. Comme la condition optionnelle permet l’application d’un malus dans ce cas, cela n’empêche pas l’accomplissement de l’acte. Bastien se verra toutefois soumis à un malus de –2 dans le calcul du Seuil de pratique à atteindre. Comme il connaît le nom de son adversaire, il profitera cependant d’un bonus de +1. Bastien dispose d’un score de 6 en Fluide. Par ailleurs, Bastien bénéficie d’un bonus de Modificateur de pratique de magie blanche de +2. Il totalise donc un score pour ce sortilège de 7 (6–2+1+2), alors que le Seuil de pratique du sortilège est de 11. Bastien procède au lancement du sort et avale l’amulette, pensant avoir réussi. Or, il n’en est rien, puisque le Seuil de pratique n’est pas atteint. Malgré le fait que l’acte ait échoué, Bastien a lancé un sortilège, il doit voir si un effet secondaire a tout de même lieu. Il tire la lame du Diable, soit une lame antagoniste à la magie blanche qu’il a pratiquée. Frappé par un effet secondaire lié à la lame du Diable, il s’évanouit immédiatement et tombe au sol. Il lui faut encore faire un tirage contre sa Spiritualité. Remis de son émotion, Bastien se rend au duel pensant avoir réussi son sortilège. Alors que son adversaire lui tire dessus avec succès, Bastien manque son jet d’Habileté pour esquiver la balle de son adversaire qui, lui, réussit son jet de tir. Bastien est grièvement blessé à la jambe. Odette Theury vient de perdre sa grand-mère. Elle hérite de quelques objets parmi lesquels elle trouve un petit ouvrage de rebouteux du siècle passé. Elle lit avec amusement l’ouvrage et se laisse tenter par l’idée de concocter un Breuvage de stupéfaction

également à un tirage de confrontation à leur Spiritualité ou leur Rationalité pour définir les conséquences en termes d’équilibre mental de la commission de l’acte magique, que celui-ci ait abouti ou pas. Cette règle en apparence contre-intuitive se justifie par plusieurs raisons : Pratiquer la magie n’est pas un acte neutre. C’est une affaire de volonté ; il s’agit d’altérer la réalité, qui plus est par des voies surnaturelles. Il est donc logique que l’équilibre mental du personnage soit menacé et qu’il subisse une confrontation. Ensuite, que les conditions matérielles soient réunies ou pas, ou que le Seuil de pratique soit atteint ou pas, les participants à un acte magique engagent volontairement, bien qu’inconsciemment, leur Fluide. De ce fait, il n’est pas si aberrant que l’échec implique des conséquences négatives pour eux. Enfin, cette procédure permet de maintenir le suspens pour les joueurs, qui ne savent pas si l’effet magique est accompli ou pas. Et comme les conséquences d’un acte de magie ne sont pas toujours instantanément constatables, ne pas faire procéder à ces tirages donnerait une indication immédiate aux joueurs sur l’échec de leur entreprise, qui adapteraient alors immédiatement leur comportement en conséquence.

dont les propriétés promettent de plonger la personne qui le boit dans un sommeil de rêves et d’hallucinations susceptible de permettre l’entrée en contact, un bref moment, avec les esprits. Amusée, elle se dit qu’elle arrivera peut-être à dialoguer avec les fantômes qui rôderaient dans l’immeuble qu’elle habite, aux dires de sa vieille voisine. Comme conditions matérielles, le sortilège nécessite de disposer de racines rares et de champignons peu communs. Une fois les ingrédients réduits en poudre, il faut réciter une formule en occitan. Le livre indique que si la formule est récitée une nuit de pleine lune ou d’orage, son efficacité est renforcée (conditions optionnelles). Ce que ne sait pas Odette, c’est qu’il s’agit d’un sortilège de magie noire dont le Seuil de pratique est de 11. Odette a 14 en Rationalité, 8 en Spiritualité et un score de Fluide de 5. Autant dire que la tâche s’annonce difficile pour elle. Ayant rassemblé l’ensemble des ingrédients et procédant lors d’une nuit d’orage, elle pense avoir réuni toutes les conditions pour réussir. Elle lance donc le sortilège. Odette bénéficie d’un Modificateur de pratique de magie noire (MPMN) de +1. Elle a donc pour ce sortilège un Fluide de 6, bien insuffisant pour atteindre le Seuil de pratique de 11. Le meneur lui fait tirer une lame pour définir les éventuels effets secondaires. Elle tire la lame de l’Archange, soit une lame associée à la magie blanche et donc opposée à la magie noire de ce sortilège. Non seulement celui-ci ne va pas fonctionner, car elle n’a pas atteint le Seuil de pratique (elle ne le sait pas), mais elle va subir un effet secondaire : après avoir bu la potion, Odette s’endort (épuisée par le travail, pas à cause du sortilège) et passe une nuit calme. Au matin, alors qu’elle sort, elle a le sentiment d’être suivie par une force qui la harcèle. Ce sentiment d’oppression ne la quittera pas pendant les vingt-quatre heures qui suivent… Ayant procédé selon les instructions, le meneur lui demande encore de faire un tirage de confrontation sous Rationalité (associée à la magie noire). Elle tire l’Alchimiste en négatif (4) et c’est un succès, elle ne perd aucun point de Rationalité.

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Petit recueil d’actes magiques La pratique du Grand Art de la main gauche nécessite que celui ou celle qui s’y lance dispose de connaissances approfondies dans la maîtrise du Fluide. Comme cela a été expliqué plus haut, cela ne s’improvise pas. Il faut méthode, rigueur et persévérance. Nous proposons dans les pages qui suivent un petit recueil de quelques actes magiques parmi les plus communs – si tant est que pratiquer cet art puisse être qualifié de commun ! Mais avant cela, il nous faut dire quelques mots de la sorcellerie et de la manière dont on présente un acte magique.

De la sorcellerie En Europe, la magie et la sorcellerie sont d’abord des phénomènes ruraux fortement liés à la vie quotidienne en extérieur. Le sorcier ou la sorcière agit dans des sociétés agraires et rurales au sein desquelles les individus, les familles et les collectivités luttent pour leur survie. Famines, guerres et épidémies sont des catastrophes qui peuvent surgir à tout moment. Il n’est donc pas surprenant que les magies blanche et noire consistent en des pratiques centrées autour de ce quotidien menaçant : rendre les hommes impuissants, les femmes stériles, altérer la santé du bétail ou le soigner, agir sur les récoltes ou les capacités de travail des individus. C’est donc en priorité

une magie du quotidien. L’analyse des procès en sorcellerie regorge d’histoires d’envoûtement de bétail ou de pacte avec le Diable pour disposer d’une bonne récolte ou d’une bonne chasse. « Le Diable des campagnes n’est pas réprouvé, il est craint en raison de la capacité de nuisance qu’il introduit dans les petites choses de la vie quotidienne des humbles », relève Francis Lacassin dans l’introduction des Évangiles du Diable de Claude Seignolle. Aussi, la magie dans Maléfices est celle que l’on trouve dans les « classiques » de la sorcellerie comme Le grand et le petit Albert. Nous proposons dans les pages qui suivent quelques sortilèges blancs ou noirs, comme sources d’inspiration et comme illustrations.

Format des actes magiques Comme nous l’avons vu, les actes magiques sont toujours décrits et présentés de la même manière. Un acte magique comporte un titre suivi d’une description générale de l’acte et de ce qu’il permet d’accomplir. C’est également ici qu’est défini le Seuil de pratique de l’acte en question. Vient ensuite l’énonciation des conditions matérielles impératives (comme nous l’avons expliqué plus haut, il est possible qu’un acte magique prévoie que l’on déroge à une ou plusieurs conditions matérielles, en contrepartie de l’application d’un malus affectant

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le Seuil de pratique de l’acte en question ; cela doit toutefois être explicitement prévu). Puis sont décrites les conditions optionnelles bénéfiques ou maléfiques qui se traduisent par un bonus ou un malus au Seuil de pratique de l’acte en question. Enfin sont présentés les effets secondaires liés à l’acte, et qui sont déterminés par un tirage de lames.

Remarque importante : aux conséquences standards décrites plus haut en matière d’effets secondaires liés au tirage de lames (gain de Fluide, etc.), peuvent s’ajouter des effets spécifiques à l’acte en question. Par principe, les effets secondaires décrits dans un acte magique spécifique priment sur les conséquences standards.

COMMUNIQUER AVEC UN ESPRIT La communication avec les esprits nécessite l’utilisation d’un support physique. Bien qu’étant des êtres éthérés, les esprits ont besoin de substance solide pour prendre langue avec les pauvres mortels. Pour ce faire, à la Belle Époque, on a le plus souvent recours à un guéridon, quoique d’autres supports puissent faire l’affaire (cf. Quelques modes opératoires du spiritisme, page 94). Nous présentons ici le procédé avec un guéridon. Peu importe dans quel sens la table ou le guéridon sont censés tourner, ils servent de support pour entrer en contact avec un ou plusieurs esprits. L’usage du guéridon a l’avantage d’être pratique, car on dispose toujours à portée de main de ce support ordinaire transformé pour l’occasion en support magique. La communication avec un esprit est ici rudimentaire : les participants formulent des questions et l’esprit contacté répond « oui » en donnant un coup dans le guéridon et « non » avec deux coups. En règle générale, il est rare de pouvoir poser plus de dix questions lors d’une seule séance. Faire tourner un guéridon est un rituel neutre dont le Seuil de pratique est de 11. Chercher à communiquer lors de la même séance avec plus d’un esprit élève le Seuil de pratique à 13. Il peut faire alternativement appel à la Rationalité ou à la Spiritualité. Si l’esprit convoqué, volontairement ou involontairement (cf. effets secondaires, page 246), est bienveillant, on procèdera à un tirage de la Spiritualité. Si l’esprit est maléfique, on sollicitera la Rationalité. Le degré de la confrontation varie de 1 à 3 selon la grille prévue à cet effet (cf. page 246).

Conditions matérielles

Il faut tout d’abord et bien évidemment un guéridon. Une table à quatre pieds fera l’affaire, mais cela implique un malus de –1 sur le Seuil de pratique. Ensuite, il faut un esprit ! Cela tombe sous le sens, mais si aucun esprit ne hante les lieux ou n’est lié à aucune personne ou à aucun objet, cela sera plus difficile d’entrer en contact avec lui : des malus seront alors appliqués. Encore qu’il soit possible, dans des circonstances précisément définies par le meneur et/ou le scénario, de convoquer un esprit particulier qui ne hante pas les lieux. Enfin, il faut un médium, c’est-à-dire quelqu’un qui conduit la cérémonie. C’est à partir du score de Fluide de ce personnage que sera calculé le Seuil de pratique, ajusté des modificateurs liés aux scores de Fluide de l’ensemble des participants. Il n’est pas indispensable que ce médium dispose de la lame Médium parmi ses lames du Destin. Mais l’avoir facilite les choses.

Quant à la procédure, il convient que l’ensemble des participants joignent les mains en permanence, faute de quoi la communication est rompue. Pour entrer en contact avec un esprit, il est préférable que celui-ci ait un lien avec le lieu. Il est bien sûr possible de contacter un esprit qui n’a pas de lien, direct ou indirect, avec le lieu (par exemple dans le cabinet d’une médium), mais cela est plus difficile.

Conditions optionnelles

Un certain nombre de conditions optionnelles peuvent s’appliquer lors de ce rituel : –3 si l’on cherche un esprit particulier qui n’est pas présent ; –2 si la séance a lieu de jour ; –1 si la tentative suit un premier échec ; –1 si l’on utilise une table ordinaire au lieu d’un guéridon ; +1 si la personne qui conduit le rituel a le Médium parmi ses lames du Destin ; +1 si la séance a lieu à minuit ; +1 si l’on retourne (face au mur) tout crucifix présent dans la pièce ; +2 si l’on cherche un esprit particulier qui hante les lieux ; +2 si l’on dispose d’un objet lui ayant appartenu.

Effets secondaires

Chaque participant présent à la séance tire dans le même Grand Jeu de la Connaissance une lame. Les règles standards s’appliquent. S’y ajoutent les effets secondaires suivants. Si une majorité de lames associées à la magie noire est présente (le Sorcier, le Diable, la Lune Noire), la séance tourne mal, un esprit frappeur maléfique est convoqué seul en lieu et place ou en plus de l’esprit recherché, à la discrétion du meneur. Ou alors, l’esprit convoqué arrive seul, mais dans de très mauvaises dispositions… Si une majorité de lames associées à la magie blanche sont tirées (le Vicaire, l’Archange, le Grand Livre), la séance est particulièrement réussie, et l’esprit est très coopératif. Si la lame de la Mort apparaît, le personnage qui l’a tirée est pris d’un malaise et s’évanouit alors que la communication est rompue. À son réveil, le personnage est frappé par des visions angoissantes, voire terrifiantes, en lien avec l’esprit qui a été convoqué. Il doit faire un tirage de Spiritualité ou de Rationalité de degré 2. Enfin, si la lame du Médium est tirée, la séance se déroule particulièrement bien et sa durée est étendue, ainsi que le nombre de questions qui peuvent être posées. Le personnage qui a tiré cette lame gagne 1 point de Fluide.

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Concevoir des sortilèges, rituels et actes magiques Les actes magiques qui sont proposés ici sont des exemples de ce que la pratique du Grand Art de la main gauche permet d’accomplir. Le meneur est libre d’en créer de nouveaux, selon les besoins de son scénario ou de sa campagne. Cette liberté est toutefois encadrée par quelques règles qui visent à s’assurer que l’acte magique en question correspond à l’esprit de Maléfices et n’en déborde pas. Comme nous l’avons déjà dit à de multiples reprises, la magie dans Maléfices est très loin de la magie offensive et spectaculaire d’autres jeux. Elle est ancrée dans des traditions et une cosmogonie très vieilles remontant jusqu’à l’Égypte ancienne ou la Grèce antique, sans compter les traditions judéo-chrétienne et païenne, enrichie de la mythologie médiévale du sorcier, de la sorcière, du rebouteux ou du druide. C’est pourquoi nous invitons le meneur qui souhaite élaborer son grimoire de magie à s’abreuver aux sources de quelques ouvrages pour s’inspirer (voir encadré).

ENVOÛTEMENT PAR DAGYDE L’utilisation d’une figurine, poupée ou tout support représentant un personnage était fréquent déjà en Égypte ancienne. Ce type d’envoûtement vise à nuire à une personne, jusqu’à ce qu’elle en meure, à la suite de souffrances longues et particulièrement intenses. Une fois envoûtée, il n’est de salut que si un désenvoûtement peut être pratiqué. Un recours à la médecine s’avèrerait totalement inutile.

Conditions matérielles

La première étape consiste à fabriquer la dagyde. Seul le sorcier qui va lancer l’envoûtement peut réaliser cette figurine. La forme et le matériau utilisé importent peu. Il peut s’agir de plâtre, de tissu, de bois, de cire vierge, d’encens ou de toute autre matière plus ou moins solide qui permette de reproduire une figure humaine dans la durée. Il faut incorporer à la dagyde un élément physiologique (rognure d’ongle, cheveux, poil, bout de peau, dent, etc.) qui provient du corps de la future victime. Un jet d’Habileté vient sanctionner la confection de la figure qui doit plus ou moins ressembler à la victime visée. Un échec constitue la défaillance d’une condition matérielle. La dagyde ainsi composée, le sorcier doit « charger » la figurine et l’identifier à sa victime. Cela consiste à prononcer les paroles suivantes : « De par le Diable à qui Dieu commande, fais à (nom complet de la victime) tout le mal possible jusqu’à ce que son âme rejoigne Ciel ou Enfer ! ». Ensuite, pendant trente jours consécutifs, le sorcier doit torturer la figurine à l’aide de piques, d’aiguilles ou de tout objet ou procédé (par exemple une flamme) susceptible de provoquer des douleurs physiques à la victime. Au terme de ces trente jours, la victime commence à sentir les tourments causés à la dagyde. Pendant les six mois qui suivent, la victime va s’affaiblir jusqu’à en mourir. L’envoûtement par dagyde est un sortilège de magie noire ayant un Seuil de pratique de 18.

Voici quelques références sur la sorcellerie, la magie et autres actes magiques. On ne saurait trop conseiller aux meneurs d’aller confronter leurs âmes aux nombreux écrits sur ces sujets dangereux. La liste est longue, mais quelques ouvrages faciles à se procurer feront l’affaire. En voici un florilège. Certains des actes magiques présentés dans les pages suivantes en sont directement inspirés. • Brocard, Michèle, Lumières sur la sorcellerie et le satanisme. Yens sur Morges. Éditions Cabédita, 2007. Delmas, Marie-Charlotte, Démons et sorciers : Les créatures du diable. Paris. Omnibus, 2007. • Lecouteux, Claude, Le livre des talismans et des amulettes. Paris. Imago, 2005. • Seignolle, Claude, Les Évangiles du Diable selon la croyance populaire. Le Grand et le Petit Albert. Paris. Bouquins, Robert Laffont, 1998. • Camus, Dominique, La sorcellerie en France – du Moyen Âge à nos jours, Dervy, 2008.

Conditions optionnelles

+1 si la dagyde est réalisée en cire de cierge d’église non entamé ou en cire d’abeille ; +2 si le sortilège est lancé dans un lieu habité ou fréquenté par la victime.

Les meneurs chanceux qui disposent du supplément À la lisière de la nuit, paru en 1986, peuvent bien entendu utiliser les sortilèges et rituels présentés à l’époque. Il leur faudra toutefois les adapter quelque peu aux nouvelles règles, notamment en matière d’effets secondaires.

Effets secondaires

Les règles standards s’appliquent. S’y ajoutent les éventuels effets secondaires suivants. Si le sorcier tire le Diable, le Sorcier ou la Lune Noire, l’effet du sortilège est deux fois plus puissant : la durée de vie est réduite de moitié et l’intensité des souffrances est doublée. Si le sorcier tire l’Archange, le Vicaire ou le Grand Livre, le sorcier est victime de son propre sortilège en plus de sa cible si le sortilège à réussi et à sa place s’il a échoué. Si la Mort est tirée, le sorcier perd définitivement l’usage d’un de ses membres, dont la nature est laissée à la discrétion du meneur.

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Lieux hantés et maudits Au cours de leurs pérégrinations, les personnages seront confrontés à des endroits hantés ou « maudits ». Quelles que soient la nature des lieux et la cause de la malédiction ou de la présence d’un esprit, ces endroits sont fortement chargés en Fluide. Dans les mécaniques de jeu, cela signifie qu’un personnage qui dispose d’un score en Fluide supérieur à 8 ressent automatiquement que le lieu dans lequel il se trouve dégage une énergie particulière. Le personnage ne peut pas savoir quelle en est la cause, mais il ressent une sorte d’énergie négative si elle est maléfique, positive si elle bienveillante. Il n’y a pas à proprement parler de confrontation entre un personnage et un lieu hanté ou maudit, sauf si le scénario le prévoit. Lever une malédiction ou faire fuir un esprit frappeur peut être accompli de deux façons. La première consiste souvent à éliminer la cause de la malédiction ou de la présence de l’esprit. C’est la voie recommandée et la plus efficace. Cela peut être l’objet de l’intrigue d’un scénario que de deviner les causes d’une malédiction et de résoudre l’énigme qui permet de la lever. La seconde consiste à procéder à un rituel de bénédiction, de désenvoûtement ou de révocation d’un esprit, comme nous en proposons un dans les pages qui suivent. Un lieu n’est pas hanté ou fréquenté par un esprit par hasard. Un événement particulier s’y est généralement produit. Celui-ci peut être récent et brutal ou ancien et

le résultat d’une longue histoire. Les contes et légendes regorgent de sites dans lesquels on dit que le Diable a pris ses habitudes, ou que les sorcières y tiennent leur sabbat. Plongez dans ces récits et cette littérature infernale pour vous inspirer et créer des scénarios. Attention toutefois à ne pas faire de chaque cimetière ou de chaque « grotte du Diable » un lieu maudit. Tous ne le sont pas et nombre ne sont hantés que par les racontars et les peurs des habitants des environs, sans qu’ils n’aient été foulés par le moindre sabot de démon ou visités par le plus insigne esprit frappeur. Comme toujours dans Maléfices, le fantastique et le merveilleux sont rares et exceptionnels. C’est ce qui en fait l’attrait.

Lieux bénits et visités Il n’y a pas que les forces du Mal qui rôdent et hantent la surface du globe. Les anges, fées et autres esprits bienveillants nous rendent aussi visite. De la même manière, les lieux bénits, d’où émanent des énergies positives et bienfaitrices, existent. Un peu comme les lieux maudits, leurs bienfaits ont une cause et une histoire. Forêts magiques, buissons ardents et sources miraculeuses sont nombreux dans les campagnes. Leur origine peut remonter aux traditions chrétiennes ou païennes, comme dans le cas de la forêt de Brocéliande. Ce sont aussi souvent des lieux où

DÉSENVOÛTER UN LOGIS Poltergeists, lutins et Petit Peuple, esprits, spectres… Nombreux sont les êtres surnaturels qui hantent les logis et amènent avec eux peurs, terreurs et chaos. Leur présence peut être le fruit de l’action maléfique d’un sorcier, ou la conséquence d’événements tragiques qui se sont déroulés dans ces lieux. Quelle qu’en soit la cause, il est difficile de s’accommoder de leur présence. Les techniques pour s’en débarrasser varient fortement d’une région à l’autre, et parfois selon la nature de la créature. Aussi, le rituel que l’on propose ici n’en est-il qu’un parmi d’autres. Les conditions matérielles et la procédure peuvent donc être adaptées. Il s’agit de renvoyer la créature qui hante les lieux là d’où elle vient. Pour y parvenir, il faut faire appel aux forces divines. Nous avons affaire ici à un rituel de magie blanche dont le Seuil de pratique est de 15.

nouveau le signe de croix. Enfin, ils prononcent un Veni Creator. Ceci fait, l’assemblée se tourne vers le sud avec en main gauche de l’eau bénite et en main droite du buis bénit. Tous déclarent alors en chœur : « Ô Dieu du Midi, ô Dieu de l’Orient, ô Dieu d’Occident, ô Dieu septentrional, mauvais sort corrompu que j’aurais dû sur vos vifs », en aspergeant l’eau bénite à droite et à gauche. L’opération est répétée en faisant successivement face à l’est, à l’ouest et au nord. Il faut également que la nature de la créature qui hante les lieux, les causes de sa présence, ainsi que ses objectifs soient connus du mage. À défaut de ces informations, le rituel ne fonctionne pas. À ces conditions, et au terme du rituel, si celui-ci a réussi, la créature qui hante les lieux aura disparu.

Conditions optionnelles

–2 si le rituel se déroule un autre jour qu’un dimanche ; –1 si le rituel a déjà échoué une fois ; +1 si le sorcier dispose d’éléments (objet, substance corporelle) liés à la créature ; +2 si le rituel est conduit par un homme d’Église.

Conditions matérielles

Le sorcier blanc qui conduit le rituel doit confectionner une bourse en peau d’animal dans laquelle il aura mis une hostie et quelques feuilles de laurier, et qu’il suspendra dans la cheminée du lieu à désenvoûter. Il aura préalablement demandé que soient prononcées trois messes dans trois paroisses différentes, en même temps que dans le lieu en question. Les occupants légitimes et les participants prononcent ensemble un Credo en faisant le signe de croix, puis trois Pater, trois Ave en faisant à

Effets secondaires

En sus des effets secondaires découlant des règles, d’autres conséquences ont lieu : Si les lames du Diable, du Sorcier ou de la Lune Noire sont tirées, le rituel réussit, mais c’est le sorcier qui est désormais hanté et poursuivi par la créature.

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Les amulettes sont des objets magiques qui résultent d’un sortilège ou d’un rituel et qui déploient un effet magique. Elles sont généralement conçues pour protéger son porteur d’un mal ou d’un inconvénient particulier, comme le cas de l’amulette protégeant des armes à feu décrit dans l’exemple évoqué dans la section Pratiquer un acte magique, page 246. Il peut aussi s’agir de se protéger contre les poisons ou la douleur. Techniquement parlant, une amulette est un phylactère, un objet tutélaire, portatif et personnel (parfois à ingérer), figure, médaille, sceau, etc. auquel on attribue une vertu préventive contre les maladies, affections et maléfices. Les talismans diffèrent des amulettes en ce sens qu’ils ne sont pas exclusivement défensifs ou protecteurs. Certains talismans permettent d’altérer la réalité, comme celui qui permet de se rendre invisible ou de ressembler à quelqu’un. Ils confèrent ainsi à leurs porteurs un pouvoir offensif. Les amulettes et les talismans ne développent d’effet qu’au bénéfice de la personne qui les porte. Les bâtons de sorciers sont des objets associés à un type de magie particulière, selon que l’on est un sorcier blanc ou noir. Un bâton de sorcier blanc ne peut être utilisé pour pratiquer de la magie noire et inversement. Si un malheureux devait se lancer dans une telle entreprise, les plus terribles conséquences s’abattraient sur lui. Du point de vue des règles, un bâton de sorcier est un support occulte qui emmagasine du Fluide et qui octroie à son maître un bonus de Fluide équivalent à la charge de Fluide qui lui a été donnée à sa création. Un bâton de sorcier noir contenant 5 points de Fluide accordera à son bénéficiaire, sous réserve qu’il en soit devenu le maître, un Modificateur de pratique de magie noire de +5. Dans tous les cas, les bâtons de sorciers sont des objets magiques puissants qui requièrent une certaine maîtrise par celui ou celle qui souhaite s’en servir. Avant donc de pouvoir en faire usage, il convient d’en devenir le maître. Pour cela, le personnage doit réussir un tirage de magie avec comme Seuil de pratique son score de Fluide diminué de la puissance du bâton. Ainsi, un personnage qui a 8 en Fluide et qui désire utiliser un bâton de sorcier de puissance 3 doit réussir un tirage de lame en faisant 5 (8–3) ou moins. En cas d’échec, il ne parvient pas à l’utiliser. Si la lame tirée est opposée à la nature du bâton (l’Archange, le Vicaire ou le Grand Livre pour un bâton de magie noire ; le Diable, le Sorcier ou la Lune Noire pour un bâton de magie blanche), la personne qui tente de maîtriser le bâton, et cela quel que soit le résultat du tirage, réussi ou raté, devra être soumise à une confrontation de Spiritualité (magie blanche) ou de Rationalité (magie noire) de même degré que la puissance du bâton.

des miracles se sont accomplis. Mais ces lieux que l’on prétend bénits ne le sont pas tous en réalité. Le Fluide n’est pas présent dans toutes les églises, chapelles, cathédrales ou temples. C’est même assez rare. Cela n’empêche pas que les bénéfices de la foi s’y manifestent, mais tous ne sont pas « magiques » au sens strict du terme.

Désenvoûteurs, rebouteux et guérisseurs Avant de devenir un phénomène urbain préoccupant les savants ainsi que les sociétés secrètes et ésotériques, la magie est une affaire qui concerne les campagnes. Elle est une pratique rattachée à la vie rurale, difficile et sujette aux malheurs que sont les épidémies, les sécheresses, les inondations ou les guerres qui ravagent les campagnes. C’est donc dans les villages et les bourgs que se développent des professions liées à la pratique du Grand Art de la main gauche. Rebouteux, désenvoûteurs, guérisseurs et autres mages (ou sorciers) y sont encore nombreux à la Belle Époque. Les rebouteux sont souvent, à l’origine, des artisans. Ils dérivent leurs « dons » soit de pratiques et de savoirs anciens, soit de réelles dispositions surnaturelles. Les forgerons jouiraient, dit-on, de la capacité de charmer et calmer les brûlures et les charpentiers de « couper les rhumatismes ». Avec les désenvoûteurs, on reste dans le domaine du surnaturel. Il s’agit de prêtres, sorciers et sorcières adeptes de la magie blanche. Certains curés de paroisses, outre leur pratique des sacrements, savent arrêter un feu, une tempête ou guérir certaines maladies, sans compter qu’ils effectuent aussi des exorcismes. Ils désenvoûtent autant les lieux que les personnes. Les guérisseurs composent une catégorie très disparate. Certains tiennent leurs capacités de guérison de dons surnaturels (imposition des mains, etc.), d’autres de techniques anciennes basées sur une forme de pharmacopée ancestrale regroupant onguents, potions et recettes à base de plantes, de racines, ou d’une grande connaissance du corps humain, etc. Il existe également des guérisseurs qui s’appuient sur un savoir. Ils vendent, souvent par colportage ou par correspondance, des élixirs, des potions capables de résoudre tous les soucis du quotidien, de la perte de cheveux jusqu’à la guérison de maladies déclarées incurables en passant par les problèmes de virilité. Cette dernière catégorie remplace le surnaturel par la chimie ou la pharmacopée. Ils sont le plus souvent des charlatans.

O bjets magiques : amulettes, talismans, bâtons de sorciers… Le Fluide est une énergie qui, en quantité variable, irrigue notre monde. Il circule et fluctue en intensité. Il est présent dans des lieux spécifiques. Il peut être stocké et emmagasiné, comme toute source d’énergie. Pour cela, il faut des réceptacles. On fait alors appel aux amulettes, talismans et autres bâtons de sorciers.

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Quelques créatures fantastiques et merveilleuses L’univers des créatures fantastiques et merveilleuses est riche. Puisant dans l’Antiquité, nourri par l’imaginaire du Moyen Âge, cet univers forme un bestiaire dans lequel on croise des spectres, des créatures maléfiques, des fées, des sirènes et des animaux fantastiques. Nous vous proposons dans les pages qui suivent un bestiaire provisoire et très sélectif qui devrait pouvoir peupler vos scénarios et ainsi libérer votre imagination de meneur de Maléfices. Tout comme pour la magie, la présence de ces créatures dans les parties de Maléfices doit rester exceptionnelle et suffisamment rare pour que, lorsque la rencontre se produit, celle-ci marque les personnages. S’il ne faut pas manquer de faire appel à votre imagination, les créatures que vos personnages croiseront lors de vos parties doivent être ancrées dans l’imaginaire de la Belle Époque : pas de dragons, mais peut-être un loup-garou ou une fée. Les ouvrages de E. Brasey offrent des références remarquables. Nous nous en sommes en partie inspirés1.

CARACTÉRISTIQUES DES CRÉATURES FANTASTIQUES Si elles possèdent bel et bien un aspect physique et « réel », les créatures dans Maléfices ne se combattent le plus souvent pas par les armes, même si celles-ci peuvent les affecter et les blesser. La plupart du temps, les dommages qu’elles subissent sont mineurs et temporaires. C’est par la magie ou par l’élimination des causes de leur existence ou de leur présence que l’on s’en débarrasse ou qu’on les éloigne. C’est pourquoi vous ne trouverez que très rarement fournies des caractéristiques comme Constitution, Aptitudes physiques ou Habileté. Si les circonstances l’exigent, le meneur de jeu peut leur en attribuer en tenant compte de leur nature et des modalités de leur présence. Dans certains cas, celles-ci seront fournies, par exemple lorsqu’il s’agit de créatures créées par l’homme comme des androïdes qui peuvent être détruits par des armes lors d’affrontements physiques. À ces exceptions près, les créatures fantastiques sont le produit de légendes, de contes et d’histoires anciennes, on ne lutte pas contre des mythes avec des fusils ou des sabres, mais en cherchant à les comprendre, à les déchiffrer. Ce sont eux qui nous donnent les clés. À la condition que l’on se donne les moyens de les prendre au sérieux.

Sirènes, ondines et nixes : les filles de l’eau Si les génies de l’eau partagent tous les mêmes caractéristiques essentielles, ils se distinguent les uns des autres par leur habitat : les sirènes vivent dans la mer, les ondines fréquentent les torrents et les cascades, tandis que les nixes hantent les lacs et les marécages. « Sirène » vient du latin

siren ou du grec seirèn, qui dériverait de seirazein, qui signifie soit « attaché avec une corde » (rappel de l’épisode de L’Odyssée où Ulysse demande à être attaché au mât de son bateau pour écouter les sirènes sans être tenté de les rejoindre), soit « clair et sec » (car c’est par temps clair, sec et sans vent, à l’heure de midi, que les sirènes se montrent le plus volontiers). Répudiées par la religion chrétienne, les sirènes craignent les symboles et les manifestations de la foi religieuse, surtout dans les pays latins où l’Église catholique romaine a longtemps lutté contre les croyances païennes. Ce qui n’est pas le cas des nations celtes et des îles anglo-normandes, où les sirènes, baptisées mermaids (« vierges marines »), ont toujours fait bon ménage avec les hommes. En Bretagne, il existe une forme de sirènes sans queue de poisson, que l’on nomme Mari Morgans (Marie Morgane). Elles se tiennent de préférence dans le voisinage des côtes, à l’entrée des cavernes, à l’embouchure des rivières. Très effrontées et versées dans la science des maléfices, elles poursuivent les jeunes pêcheurs de leurs sollicitations amoureuses : ceux qu’elles parviennent à séduire sont entraînés sous les eaux et on ne les revoit jamais. Elles peuvent aussi recueillir les noyés, ou bien emporter leurs amants humains dans leur palais au fond de l’océan pour y assouvir leurs passions. Les ondines, quant à elles, dont le nom est dérivé de « onde », préfèrent les eaux douces des rivières à l’eau salée des océans. Contrairement aux sirènes, l’extrémité inférieure de leur corps n’est pas recouverte d’écailles de poisson. Paracelse précise d’ailleurs qu’elles « apparaissent sous la forme humaine, vêtues comme nous, sont très belles et impatientes de tenter par leurs artifices ». De par leurs différentes filiations, les ondines sont associées non seulement à l’eau et à la mer, mais également à la musique, la mémoire, la sagesse secrète et les arts. Nymphes des eaux mortes et stagnantes, les nixes, que l’on trouve le plus souvent dans les pays germaniques et nordiques, ont les cheveux aussi brillants qu’un reflet du soleil sur l’eau d’un lac. Méchantes par désespoir, ces dames sont condamnées à expier éternellement une faute ancestrale, et ne peuvent s’empêcher de se venger sur les humains des souffrances qu’elles endurent. Coutumières des bals de nuit, danseuses fatales à la silhouette ondoyante et au port provoquant, elles séduisent les beaux jeunes hommes d’un seul regard d’amour et les entraînent dans une danse de mort jusqu’à l’étang voisin, où ils se noient pour tenter de les suivre. N’ayant pas de queue de poisson, elles abordent les villes et les villages en riches étrangères parées de bijoux, ou en subtiles musiciennes. La nuit de Saint-Jean, il ne faut surtout pas se baigner dans les lacs et les étangs qu’elles habitent, au risque de tomber dans leurs rets. Le même bain, en revanche, sera recommandé à l’équinoxe de printemps, car leurs larmes mêlées à l’eau procurent à ceux qui s’y plongent rajeunissement et beauté.

1Nous avons repris, pour les besoins de ce mini-bestiaire, avec l’accord de l’auteur et de l’éditeur, des sections de ses ouvrages, notamment E. Brasey. L’univers féérique. Paris. Éditions Pygmalion, 2008. Nous remercions chaleureusement l’auteur et sa maison d’édition.

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Encore disponible de nos jours, ce monument offre au meneur une source inépuisable d’intrigues pour ses scénarios de Maléfices. Parler des démons, c’est soulever immédiatement la question de la Cour infernale. C’est que ces affaires-là n’échappent pas au souci de l’ordre et de la hiérarchie, quand bien même le monde démoniaque est souvent associé au chaos et au désordre. Rien de plus faux ! Les Enfers sont le reflet inversé de la Cour céleste fortement hiérarchisée. Au sommet (ou au plus profond devrait-on dire), on trouve Satan, chef suprême de l’empire infernal. Sous ses ordres, des ministres, des ambassadeurs, des juges et des armées de démons, formés en pas moins de six mille six cent soixante-six légions à la tête desquelles on compterait soixante-douze démons tutélaires. Ce qui ne ferait pas moins de quarante-quatre millions quatre cent trentecinq mille cinq cent cinquante-six démons… Le profil des démons supérieurs (c’est-à-dire ceux qui ont un patronyme) est relativement uniforme. Ils portent tout d’abord un titre : grand-duc, duc, marquis, etc. Ils sont ensuite le plus souvent décrits en faisant appel à leurs caractéristiques physiques (aspect, pouvoirs), à leurs attributs (objet fétiche), voire à un animal ou une créature (dragon, cheval, etc.) qui leur sert de monture ou de familier. Leur sont souvent associés des avatars ; les démons n’apparaissant pas toujours sous la même forme aux faibles humains. On leur prête aussi des domaines d’intérêts particuliers comme Bélial qui serait le démon des découvertes et des inventions ingénieuses. Ou Alocer, associé à l’intelligence, à l’astronomie et aux arts libéraux. Les démons sont des êtres de puissance. Ils recherchent le pouvoir et l’influence en s’associant ou en possédant des disciples. C’est ainsi qu’ils interagissent avec les êtres humains. La possession n’est jamais un acte gratuit ni dû au hasard. La plupart du temps, celles-ci résultent du comportement même de la victime qui, consciemment ou pas, commet un acte, un péché qui la rend possible. La possession démoniaque ou l’alliance avec un démon peut également être le résultat d’une invocation qui prend la forme d’un rituel. Elle peut encore être le produit d’une rencontre entre un démon incarné et un homme ou une femme qui conclut un pacte avec lui. Quelles que soient les modalités du passage sous le contrôle ou l’influence d’un démon, le libre arbitre de la victime est primordial. Le Diable et ses légions de démons ont plus d’influence par la volonté des hommes que par l’usage de leur force et de leurs pouvoirs. C’est pourquoi les rares interactions qui peuvent intervenir entre un démon et un être humain prennent le plus souvent la forme d’un échange, d’un jeu ou d’une négociation. Le prix à payer est généralement l’âme de l’individu qui s’aventure sur ces chemins infernaux. S’il s’agit bien d’une relation librement consentie, celle-ci n’est pas symétrique, et certainement pas fondée sur la bonne foi ! Les démons sont des charmeurs, des menteurs et des dissimulateurs qui n’hésitent pas à utiliser toutes les stratégies et tromperies pour faire tomber leurs victimes dans leurs rets. En jeu, la confrontation directe avec des démons reste rare, voire exceptionnelle. Leur apparition est

À L’AVENTURE ! D’un point de vue narratif, ces créatures aquatiques offrent des opportunités de scénarios nombreuses. Voici quelques pistes : • depuis quelque temps, les marais poitevins sont frappés par un nombre anormal de noyades de jeunes hommes. Les rumeurs sur la présence d’entités maléfiques font resurgir de terribles légendes. En réalité, après enquête, les personnages apprennent que le corps d’un jeune homme, que l’on croyait avoir quitté le pays, a été retrouvé dans le marais. Son corps vient tout juste d’être enterré dans le cimetière du village voisin. Il s’était en fait accidentellement noyé dans le marais après une soirée trop arrosée. Sa fiancée, dévastée par ce qu’elle pensait être son départ, s’était donné la mort en se noyant également dans le marais. Son âme damnée y avait retrouvé son amoureux. Tout allait bien jusqu’à ce que le corps du jeune homme soit repêché, inhumé en terre consacrée et donc enlevé à la jeune fille. C’est alors que sa tristesse et sa colère l’ont transformée en une nixe bien décidée à faire payer les jeunes hommes du village en les noyant à leur tour. Ses méfaits ne s’arrêteront que lorsque le corps de son amant lui sera rendu ; • en ce 4 juillet 1898 à 4h du matin, le Beaujolais, vapeur de la Compagnie générale transatlantique en provenance de New York, s’apprête à débarquer dans quelques heures au Havre. Un brouillard inattendu rend les opérations d’approche délicates et la catastrophe survient : le vapeur entre en collision avec un autre navire en provenance de Southampton, qui faisait route pour Madère. Le naufrage fait de nombreux morts. Cent-soixante-cinq naufragés s’en sortent, dont les personnages du scénario. Dans les jours qui suivent, la presse titre sur la catastrophe et interroge les survivants. Certains racontent la même histoire : la veille, ils ont passé la soirée en charmante compagnie avec des passagères qu’ils n’avaient jamais vues auparavant de toute la traversée. Les personnages partagent ce souvenir. Ces derniers et quelques autres passagers ont été en « réalité » secourus par des sirènes et l’épisode qu’ils se rappellent est une « suggestion » qui leur a été soufflée par les sirènes qui les ont sauvés. Les personnages s’engagent alors dans la recherche de ces femmes mystérieuses. S’il s’agit bien de sirènes, pourquoi diable les ont-elles sauvés ?

Démons et autres créatures infernales Il faudrait un traité complet pour épuiser la question des démons. D’ailleurs, il en existe de très bien faits, dont l’un des plus célèbres est le Dictionnaire infernal : Répertoire universel des êtres, des personnages, des livres, des faits et des choses qui tiennent aux esprits, aux démons, aux sorciers, au commerce de l’enfer, aux divinations, aux maléfices, à la cabale et aux autres sciences occultes, aux prodiges, aux impostures, aux superstitions diverses et aux pronostics, aux faits actuels du spiritisme et généralement à toutes les fausses croyances merveilleuses, surprenantes, mystérieuses et surnaturelles de Jacques Collin de Plancy publié en 1863.

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synonyme d’extrême danger pour les personnages. Sans qu’ils soient physiquement présents, leur importance peut toutefois être considérable et prendre des formes multiples. Ils peuvent être à la source d’une possession, d’une malédiction ou d’un savoir particulier. On peut avoir affaire à eux par l’intermédiaire de leurs disciples ou de leur familier. Ils fournissent par leur nature, leurs sphères d’influence, leurs particularités et leurs domaines de prédilection des fondements d’intrigues riches et variés. Mais, comme toujours dans Maléfices, il ne faut pas en abuser. En effet, ce n’est pas parce que les personnages vont être confrontés à une secte satanique qu’un démon est nécessairement actif derrière le décor. Il s’agit le plus souvent d’une bande d’illuminés sans aucun pouvoir et sans aucun soutien démoniaque, qui s’agitent vainement autour de rituels et de références infernales tout à fait creuses. C’est du reste en faisant appel à ces simulacres que les scénarios sont les plus réussis, car les personnages ne sont jamais sûrs d’être confrontés « pour de vrai » au monde infernal. On peut d’ailleurs aussi perdre son âme à force d’illusions, de manipulations et de mensonges…

rien que, souvent, le Diable n’est jamais loin des créateurs fous. Cette thématique a été explorée dans le scénario de Maléfices Le montreur d’ombres par exemple, en écho à la problématique des « doubles » ou « doppelgänger ». Faire appel à ce type de créature nous fait entrer dans une dimension un peu différente du fantastique et du merveilleux. On n’explore plus des cryptes, des forêts maudites ou des catacombes, mais plutôt des laboratoires, des morgues et autres asiles où savants fous et génies du Mal s’exercent à créer des êtres artificiels qui ne manquent pas de retourner leur souffle vital contre leur créateur en échappant à son contrôle. Cette thématique est riche en scénarios où la science devient tour à tour merveilleuse et effrayante.

À L’AVENTURE ! • En cette chaude après-midi d’été, les personnages sont allés canoter. De loin, ils aperçoivent un de leurs amis sur une barque avec quelques compagnons. Soudain, c’est le drame : un homme tire, depuis une troisième barque, à bout portant, et abat les occupants de l’embarcation voisine. Ceux-ci basculent dans le lac, entraînant avec eux leur assassin. Plus tard, se rendant chez leur ami pour présenter leurs condoléances, nos personnages retrouvent celui-ci bel et bien vivant, en bonne santé et tout à fait insouciant. Ils se rendent compte qu’il en va de même pour les autres occupants de la barque. Chose curieuse, chacune de ces personnes a reçu chez elle un colis semblant contenir le fragment d’un animal et une formule de malédiction. En enquêtant, les personnages découvrent que les membres de cette assemblée sont en train de mettre au point des androïdes particulièrement sophistiqués. Hélas, deux groupes s’acharnent sur eux : d’une part des croyants qui refusent que l’on crée des machines à l’image de l’homme et cherchent à mettre un terme à cette affaire par toutes sortes de moyens magiques, d’autre part une bande de malfaiteurs qui souhaitent utiliser ces machines pour procéder à un braquage. Sans compter que l’un des inventeurs détourne, à l’insu de ses collègues, les robots à son profit et les loue pour fournir toutes sortes d’alibis à des gens plus ou moins louches. Un bel imbroglio à démêler en perspective. • Alors qu’ils sont conviés au mariage d’un ami, les personnages et l’ensemble des invités font la connaissance d’un frère cadet du marié que tout le monde croyait mort ou disparu. Celui-ci a l’apparence d’un petit vieux rabougri et crapoteux. Les plus folles rumeurs commencent à circuler autour de ce retour inattendu et surprenant. Certains prétendent que le marié, un scientifique brillant, aurait fait revenir à la vie son frère défunt. Les soupçons s’aggravent encore lorsque la petite ville dans laquelle il réside est la victime de disparitions de quelques-uns de ses habitants, sans que leurs corps ne soient retrouvés. Le scientifique est rapidement accusé d’être un fou qui sacrifie des vies pour prolonger celle de son frère. D’autres pensent que le frère cadet n’est rien d’autre qu’une goule. Il n’en est rien : son frère est récemment revenu des colonies où il a été victime d’une maladie dégénérative rare qui accélère son vieillissement. Quant aux disparitions d’habitants, le mystère reste entier.

Automates et autres androïdes Les créatures que nous présentons ici ne se trouvent pas à proprement parler dans un bestiaire, dès lors qu’elles sont créées par les êtres humains. C’est donc à un autre folklore qu’elles font appel : celui des dérives de la raison humaine et de la science. Il n’en reste pas moins qu’elles constituent, par leur caractère artificiel, une forme spécifique de créatures fantastiques ou merveilleuses. La science fabrique donc ses propres figures fantastiques, nées des promesses ou des cauchemars de son avènement. Dans la tradition juive déjà, le golem a été créé par des hommes pour les servir, avant d’échapper au contrôle de ses créateurs. Dans l’Antiquité grecque, Talos est le premier automate indestructible créé par le dieu Héphaïstos pour garder les côtes de la Crête. Il sera anéanti par la sorcière Médée, épouse de Jason, permettant à celui-ci de rentrer chez lui après avoir conquis la Toison d’Or avec les Argonautes. À l’âge de la science triomphante de la Belle Époque, ces mythes de création d’humanoïdes par des hommes de savoir et de technique n’ont pas disparu. Si l’histoire du Dr Frankenstein est déjà ancienne (1818), tout comme celle de l’automate « Olympia » de L’homme au sable de E. T. A. Hoffmann (1817), les récits de création d’êtres technologiques échappant à leur créateur font encore recette. C’est le cas avec L’Ève future (1886) de Villiers de L’IsleAdam qui narre la création par un Edison imaginaire d’une « andréide » pour son ami Ewald, double de sa prétendante très belle, mais un peu sotte. Ce roman, difficile d’accès, est souvent considéré comme l’un des textes fondateurs de la science-fiction. Intrusion de la science dans le fantastique ou l’inverse, cette thématique des êtres artificiels fournit pour Maléfices un terreau riche et fertile en scénarios. S’y joue l’affrontement entre la raison et la technique d’un côté et l’orgueil qui mène le créateur, et l’humanité à travers lui, à la catastrophe. Ce n’est d’ailleurs pas pour

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$ La narration partagée La narration partagée est une manière de répartir le récit entre les participants. Celui-ci n’est plus entre les seules mains du meneur et les joueurs peuvent, de leur place, ajouter leur touche au tableau d’ensemble qu’est le scénario proposé. L’idée est d’amener les joueurs à prendre une place plus importante dans la création de l’univers ludique, en leur permettant de décrire eux-mêmes des endroits, des personnages, des séquences scénaristiques, ou même des résolutions d’action. Dans ces moments-là, le meneur choisit de laisser l’histoire aux mains des joueurs et s’adapte à ce qu’ils apportent. Toutefois, Maléfices n’est pas un jeu surréaliste ou fantastique où tout serait possible et justifiable ; aussi la narration partagée doit-elle être encadrée par le meneur et, pour garantir la bonne marche de l’intrigue proposée, le meneur va poser des limites, des contraintes à la narration des joueurs, parfois y apporter des modifications. La narration partagée utilise le Grand Jeu de la Connaissance et vous demandera souvent de faire tirer des lames aux joueurs. Rien ne dit que vous deviez chaque fois recourir au jeu entier. Bien au contraire, vous auriez

intérêt à sélectionner cinq à dix lames correspondant à la situation que vous souhaitez jouer, parmi lesquelles une à cinq seront tirées aléatoirement par les joueurs. Cette présélection des lames peut être importante pour proposer des situations intéressantes aux joueurs et éviter les incohérences trop flagrantes dans la narration. Nous allons examiner successivement les différents moments où la narration partagée pourra être utilisée dans un scénario, soit à l’initiative des joueurs, soit à l’initiative du meneur. Dans certains cas, les scénarios vous proposeront d’emblée certains passages à jouer en narration partagée ou certains évènements à décrire sur ce mode ; ils vous donneront des indications précises sur la manière de les gérer. La lecture du présent texte pourra vous paraître déroutante à certains moments si ce concept est nouveau pour vous. Les choses s’éclaireront avec les exemples. Aussi, ne vous inquiétez pas si vous n’arrivez pas à appréhender le tout à la première lecture. Lisez attentivement les exemples et revenez par la suite à la partie théorique.

Narration partagée et résolution des actions Il existe dans Maléfices deux modes de résolution des actions : le mode ordinaire, décrit ci-dessus dans les règles, et un mode alternatif dit narration partagée.

Procédure 1. Lorsque les joueurs ou le meneur souhaitent résoudre une action quelconque en mode narratif, il suffit de le déclarer. Contrairement au mode normal, l’enjeu ne sera pas le résultat de l’action, mais la manière dont on arrive à ce résultat. 2. Le meneur demandera aux joueurs de lui décrire le résultat auquel ils veulent arriver, et éventuellement amendera ou atténuera ce résultat, afin de le rendre cohérent avec l’histoire ; dans d’autres cas de figure, il lui ajoutera une touche d’incertitude. 3. Une fois que le résultat est fixé, on procède à un tirage de lames du Grand Jeu. Vous pouvez décider de tirer d’une à cinq lames du Grand Jeu selon que vous souhaitez un récit plus ou moins riche. Ces lames définiront des contraintes narratives que les joueurs devront respecter. Vous passerez des lames aux contraintes narratives en vous reportant au paragraphe Le Grand Jeu de la Connaissance dans la narration partagée, page 263. Cas particulier : si on tire quatre ou cinq lames, on laissera la possibilité aux joueurs d’en éliminer une ou deux, de telle sorte que le récit s’appuie sur trois lames au minimum. 4. Les joueurs doivent donc inventer un récit cohérent, incluant les contraintes que vous leur avez fixées. En

tant que meneur, vous avez toute liberté de faire préciser le récit, de refuser les incohérences ou les subterfuges que vous trouveriez un peu faciles, bref de faire retravailler aux joueurs leur récit, jusqu’à obtenir une séquence intéressante et s’insérant bien dans l’histoire. 5. Enfin, on considère l’action résolue, vous rappelez le résultat final que vous pouvez amender légèrement au vu du récit des joueurs et vous passez aux conséquences de l’action réalisée. Dans un premier temps, nous vous conseillons de laisser les joueurs développer complètement leur récit puis de le reprendre, c’est-à-dire de le reformuler vous-même, en insérant des relances qui auront pour but de préciser le récit des joueurs. La narration partagée est un véritable moment de construction commune du récit, ne vous contentez pas du premier jet des joueurs, sauf s’il vous semble d’emblée très bon. Soyez également attentif à ce que chacun ait sa part dans la construction du récit et que celui-ci ne soit pas accaparé par un seul joueur. Si vous aviez l’impression qu’un seul joueur s’approprie la construction du récit, vous pouvez donner comme règle que chacun doit œuvrer à l’intégration d’une des lames dans une histoire commune.

Relances Il existe différentes techniques ou règles qui vous seront utiles afin de relancer le récit des joueurs.

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« Oui » : évitez de réfuter totalement une idée des joueurs, et dites oui à leurs propositions. Cela ne veut pas dire que vous devez accepter n’importe quoi, cela veut juste dire que vous ne devez pas refuser en bloc une proposition. Vous pouvez l’amender, la nuancer, l’infléchir, lui donner une contrepartie, etc. Mais ne faites pas comme si les joueurs n’avaient rien proposé. « Mais encore ? » : c’est une manière d’amener les joueurs à reformuler la fin de leur proposition, c’est-à-dire du récit ou d’une portion de récit. De cette manière, vous leur demandez de préciser un évènement décrit, une motivation ou de corriger une incohérence. « Et alors… » : permet de demander aux joueurs de développer une séquence d’action ; il se passe quelque chose et vous leur demandez de raconter ce qui se produit ensuite ou en conséquence. « Soudain… » ; « Toutefois… » ; « Cependant… » ; « Brusquement… » ; « À ce moment-là… » ; « Hélas… » ; « Mais… » ; « Pendant ce temps… » ; « Au moment où (action)… », etc., sont autant de relances que vous pouvez placer. EXEMPLE : Les personnages veulent s’introduire dans un petit pavillon de banlieue pour y récupérer un document particulier. Ils souhaitent jouer cette partie en narration partagée et non sous forme classique. Si cela est possible dans le scénario, le résultat de l’action sera : « Oui, vous allez réussir votre coup, vous allez ressortir avec certains documents (mais vous ne précisez pas encore lesquels). Maintenant, tirez trois lames. » Les joueurs tirent le Laboureur en positif, la Mort et Ève. Les contraintes que le récit devra comporter seront donc : • vous allez utiliser à votre avantage un personnel de la maison ayant un rapport avec la terre (gardien, jardinier, etc.) ; • un des personnages sera blessé dans l’entreprise ou découvrira incidemment dans la maison quelque chose qui changera sa vie à tout jamais (secret de famille ?) ; • un personnage féminin va intervenir à votre avantage ou désavantage. Voici le premier jet des joueurs : « En fin de journée, nous repérons le jardinier qui sort de la maison, il a un trousseau de clés à la ceinture. Nous engageons la conversation avec lui et nous lui volons ses clés. À la faveur de la nuit et grâce aux clés, nous pénétrons dans la maison. Nous fouillons les lieux et nous trouvons des pièces à conviction dans le bureau. Hélas, au cours de la fouille, l’un d’entre nous entre dans la chambre de Madame et la réveille en sursaut. Elle pousse un hurlement et nous avons tout juste le temps de nous enfuir. Le garde-chasse, réveillé, tire un coup de fusil et blesse l’un d’entre nous dans notre fuite. Quelque temps plus tard, nous nous retrouvons chez nous avec les documents dérobés ». Voici donc ce que les joueurs ont inventé. À présent, voyons comment le meneur peut intervenir dans le récit : « Ainsi donc, en fin de journée, vous repérez le jardinier qui sort de la maison, un trousseau de clés à sa ceinture. Vous engagez la conversation avec lui, mais encore ? précisez-moi votre conversation ? Qu’est-ce que vous allez bien pouvoir lui dire ou lui montrer de suffisamment

intéressant pour détourner son attention de son trousseau de clés qui doit tout de même être assez volumineux ?  » Les joueurs peuvent raconter leur conversation et par exemple, à ce moment, estimer qu’ils arrivent à entraîner le jardinier dans un café et à le faire suffisamment boire pour lui prendre ses clés. Le meneur reprend : « Expliquez-moi à présent pourquoi la disparition de ce trousseau ne va pas mettre la maison entière sur ses gardes ». Les joueurs peuvent expliquer que le jardinier, en rentrant chez lui, est honteux d’avoir bu et d’avoir perdu ses clés, il pense les avoir égarées au bistrot et espère les y retrouver le lendemain matin avant de se rendre au travail, pour que sa négligence passe inaperçue. « Soit, grâce à ce trousseau de clés, vous pénétrez dans la maison. Vous tâtonnez dans l’obscurité et vous commencez à faire le tour des pièces. Énumérez-moi les pièces que vous ouvrez. » Les joueurs expliquent qu’ils entrent d’abord dans la cuisine par la porte de derrière puis se trouvent dans un couloir, une porte donne sur un salon, une autre sur la salle à manger et une dernière sur le bureau. « D’accord », reprend le MJ, et pour ajouter un peu de sel et rendre la fin du récit cohérente il continue : « mais le garde-chasse loge au rez-de-chaussée… Vous ouvrez également sa porte. Expliquez-moi pourquoi il ne vous entend pas. » Les joueurs imaginent alors tout simplement que le gardechasse a eu une journée harassante (qu’ils peuvent vous retracer : en quoi sa journée a-t-elle été harassante ?) et dort d’un sommeil très profond. « Soit. Vous fouillez donc le rez-de-chaussée, mais vous ne trouvez pas de documents seulement dans le bureau, d’autres sont cachés dans le salon, racontez-moi où ? » Les joueurs inventent une cachette secrète, par exemple derrière un tableau. Pour corser un peu les choses, le meneur peut déclarer : « Bien, mais comme vous remettez le tableau en place, brusquement… », et il invite les joueurs à poursuivre. « Brusquement, untel renverse un vase qui se brise en tombant », disent les joueurs. « Donc le garde-chasse se réveille, mais si je suis votre récit, il ne va pas vous attraper à ce moment-là. Pourquoi ? — Nous saisissons le chat qui dort dans son panier et nous le lançons au milieu du salon, puis nous nous cachons, annoncent les joueurs. — Soit, ainsi le garde-chasse ouvre la porte, le chat s’enfuit en crachant et le garde-chasse, après avoir juré après le chat, retourne se coucher, mais il ne dort que d’un œil. — Donc nous ressortons avec les documents… — Ah non, votre récit ne se finit pas ainsi ! — Oui, n’étant pas sûrs d’avoir fouillé toute la maison, nous montons à l’étage. » Estimant que la narration partagée est suffisante à ce stade, le meneur reprend, décrit ou fait décrire la manière dont les joueurs réveillent Madame, leur fuite, le coup de feu, la blessure et le retour. Enfin, il remet aux joueurs les aides de jeu correspondant aux documents trouvés, en leur précisant

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que d’après leur récit, ils n’ont pas pu fouiller l’étage et donc qu’ils ne savent pas s’ils auraient pu y dénicher quelque chose d’intéressant. Notez que, dans cet exemple, le meneur va donner aux joueurs l’ensemble des documents qu’ils auraient pu logiquement trouver dans les pièces du rez-de-chaussée, même si leur emplacement initial n’était pas le salon ou le bureau. En revanche, si logiquement certains indices devaient se trouver dans les chambres, ils n’y auront pas accès. Beaucoup de situations peuvent se jouer en narration partagée : comment prendre contact avec une personnalité haut placée ? Comment être introduit dans une maison ? Comment extorquer des documents, des bijoux ou des renseignements lors d’une soirée mondaine, voire une poursuite ou un combat ? N’oubliez pas que la narration partagée n’est pas là pour rendre tout possible, mais pour varier le plaisir ludique. Ainsi, si le scénario le nécessite ou si l’action est vraiment trop improbable, le résultat devra être adapté en conséquence : les personnages parviennent simplement à arracher le collier et en emportent une pierre ; l’un d’eux est arrêté ; leur adversaire se sort du combat mal en point, mais vivant et réussit à s’enfuir ; les renseignements recueillis sont partiellement erronés ; le majordome a un doute sur le fait que le personnage ait jamais été femme de

chambre ; les documents saisis sont incomplets ; le ministre vous recevra, mais pas avant deux jours ; etc. Insistons sur quelques points : • tout le monde doit participer (pour qu’un joueur un peu plus réservé ne se sente pas exclu de la séquence) ; • naturellement, certains joueurs particulièrement inventifs proposeront quelques interprétations inédites, il faut les accepter du moment qu’elles ne sont pas totalement hors de propos ; • d’une manière générale, n’oubliez pas qu’un récit dans lequel les personnages ne se retrouveraient pas en difficulté à un moment ou à un autre n’est souvent pas très intéressant. Le meneur s’ingéniera donc non pas à faire échouer ses joueurs, mais à détourner savamment (et perfidement) « un plan parfait » en « plan avec grains de sable », ne serait-ce que pour que les joueurs, ayant réussi, aient l’impression d’avoir surmonté une ou deux difficultés imprévues, ce qui n’est que plus valorisant et agréable ; • la narration partagée peut aussi servir à donner de la densité à un épisode ou faire une ellipse. De plus, si vous ne disposez plus d’assez de temps pour faire jouer une séquence complète, utiliser la narration partagée vous permettra de faire jouer l’épisode beaucoup plus rapidement qu’avec la méthode classique ; • enfin, rappelons que la narration partagée n’est qu’une option que nous vous invitons à essayer pour votre plus grand plaisir ludique.

Cas des fouilles et recherches Le cas des fouilles et recherches est un peu particulier. Nous considérons ici la situation classique où un joueur déclare par exemple : « Je fouille le bureau » ou « Je fouille la voiture » pour voir « si je trouve quelque chose ». L’idée est que dans la plupart des cas, le fait de savoir si un document est caché dans un faux tiroir du secrétaire, dans le pied creux d’une table ou dans un coffre dissimulé derrière un tableau n’a aucune importance. Même lorsque la cachette est protégée par un sortilège, très souvent il importe peu que le double fond d’un coffre ou une moulure amovible en soit la cachette. Si toutefois la cachette exacte ou l’emplacement spécifique de l’indice avait une importance fondamentale dans l’histoire, alors on ne pourrait pas utiliser la narration partagée, encore qu’avec un peu d’expérience, on trouve toujours un moyen de s’arranger. Dans ces cas-là, vous pouvez aussi utiliser la narration partagée, mais de façon un peu différente. La narration partagée portera surtout sur la description des lieux. Pour cela, il faudra que vous n’ayez pas été trop précis dans votre description initiale. Vous demanderez aux joueurs de vous présenter de la manière la plus détaillée possible les lieux, le lit, le secrétaire, la commode, la tapisserie, etc., et vous vous appuierez sur un des éléments de la description pour permettre au joueur de trouver ce que son personnage cherche. Dans ce cas, l’utilisation du tirage d’une lame de tarot n’est, la plupart du temps, pas utile, à moins qu’un évènement risque d’interrompre la fouille : arrivée d’un

domestique, réveil d’un animal, etc. Dans le cas où il existe une telle possibilité, vous pouvez (mais ce n’est nullement obligatoire) faire tirer une lame au joueur concerné pour savoir s’il doit intégrer une contrariété dans son récit. Reprenons l’exemple utilisé plus haut. Les joueurs pensent que quelque chose d’important est caché dans la chambre de Madame. Ils s’arrangent pour être reçus en journée et sous un prétexte que nous ne détaillerons pas ici, l’un d’entre eux parvient à se glisser dans les étages jusque dans la chambre de Madame. Plutôt que de faire jeter un dé, le meneur peut demander au joueur de décrire la chambre. Le joueur décrit un lit, un secrétaire et une belle armoire avec un grand miroir. Le meneur choisit de faire examiner l’armoire plus en détail. Le joueur commence à décrire les moulures, le meneur le pousse à préciser encore ce qu’il voit et saisit un des éléments de la description du joueur. Par exemple : « Il y a des têtes d’animaux sculptés sur les montants… — Quel genre d’animaux ? — Du petit gibier : faisans, perdrix, lièvres, etc. — Bien, tu t’aperçois que la tête d’un des faisans peut pivoter et ouvrir un compartiment secret dissimulé dans l’épaisseur du bois. » Le joueur y trouve par exemple les lettres que cachait Madame. Il pouvait être prévu dans le scénario que les lettres étaient dissimulées ailleurs, mais en réalité, cela n’a pas d’importance !

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Action ou fouilles ? Vous l’aurez compris, la fouille en narration partagée est une version simplifiée de la résolution d’action dans le même mode. Attention toutefois à ne pas confondre les deux. Si par exemple un personnage souhaite s’introduire

dans une maison afin d’y voler certains documents, vous serez dans le cas de la résolution d’une action, avec des obstacles à franchir. Si par contre le personnage est déjà dans une pièce donnée et veut « fouiller la pièce », vous serez dans le cas d’une simple fouille.

Ô temps suspends ton vol … Voyages et périodes d’attente Dans de nombreux scénarios, il existe des temps morts. Voyages le long d’un fleuve ou en bateau qui peuvent prendre plusieurs jours, séjours prolongés dans une villa avant qu’un évènement ne vienne relancer l’intrigue, longue période d’inactivité du criminel avant qu’un nouveau crime ne remette les personnages sur une piste, etc. Ces temps sont parfois difficiles à gérer et peu intéressants pour les joueurs, à telle enseigne que les scénarios préfèrent souvent se dérouler sur des temps ramassés afin de pallier préventivement ces « ruptures de rythme ». La narration partagée vous propose une manière de faire vivre ces moments pour les rendre pleinement ludiques, mais aussi pour que vous n’hésitiez plus à insérer de telles périodes dans vos scénarios. Il vous faudra, pour commencer, déterminer la périodicité à laquelle les joueurs tireront une lame de tarot. Notez que cette période peut être fixe ou aléatoire. Ainsi pour un voyage de trois semaines, vous pouvez aussi bien décider de faire tirer une lame par semaine que tous les 1d10 jours (le résultat de 1d20 divisé par deux), voire 1d20 jours.

Une fois la lame tirée, elle constituera une fois de plus une « contrainte narrative » que les joueurs devront respecter. Il leur sera alors demandé de raconter un évènement ou incident sans répercussion majeure sur l’intrigue principale, et qui tiendra compte de cette contrainte. Les espaces « vides » de vos scénarios deviendront ainsi de véritables terrains de jeu pour les joueurs. EXEMPLE : Les premières investigations poussent les personnages à se rendre en Écosse à la recherche d’un fantôme qui en sait long… Le voyage va durer cinq jours : un jour en train pour aller à Calais, un jour d’attente à Londres, un jour en train jusqu’en

Écosse, deux jours de trajet en calèche sur place pour rejoindre un lieu reculé. Rien de particulier n’est prévu dans le scénario pour ces cinq jours, le meneur va donc les faire vivre en narration partagée. Pour éviter la lassitude, il choisit trois moments : le voyage jusqu’à Calais, le séjour à Londres, le voyage dans les Highlands. Afin de préserver une cohérence à l’intrigue, le meneur fait une présélection de lames : cinq lames métier pour le trajet en train, quatre lames plus importantes pour Londres (Adam, Ève, la Chance, le Grand Livre), enfin il garde la Mort, le Sorcier, le Diable, la Lune Noire et l’Archange pour les Highlands. Rappelons que ces évènements ne sont là que pour agrémenter le voyage et ne doivent pas avoir d’incidence décisive sur le scénario. Pour la première partie, une lame en positif indique une rencontre agréable ou utile, une lame en négatif une rencontre désagréable. Les joueurs tirent le Médium en négatif. Dans le train, ils

rencontrent une voyante qui leur prédit un malheur. Laissez les joueurs inventer la rencontre et la prédiction. Notez-la, il se pourrait que vous puissiez vous en resservir plus tard ! À Londres, les joueurs tirent Le Grand Livre. Estimez donc que l’un des personnages profite de son séjour à Londres pour consulter une bibliothèque sur un sujet qui lui tient à cœur et trouve une réponse à une question. À lui de vous raconter de quoi il s’agit et comment il l’a trouvée. Cela peut, ou pas, avoir un rapport avec le scénario. Si cela a un rapport avec le scénario, c’est l’occasion de placer une information manquée. Vous pouvez aussi laisser le joueur inventer un aspect en lien avec le fantôme que vous replacerez plus loin dans le scénario. Plus ils se rapprochent des Highlands, plus l’ambiance devient sombre. Pour la dernière partie du voyage, les joueurs tirent la Lune Noire, symbolisant la connaissance interdite. En chemin, leur attention est attirée par une petite église à moitié en ruine, et ils y trouvent quelque chose de caché. Laissez-les imaginer quoi… Une tombe païenne dissimulée dans une crypte en partie effondrée ? Une statue maléfique ? Dans tous les cas, prenez-en note et voyez si vous pouvez « recycler » ce que les joueurs vous disent plus loin dans votre scénario. Si vous n’y arrivez pas, cela n’est pas grave, mais si vous y arrivez, cela pourra avoir un impact très fort sur les joueurs, c’est un des grands plaisirs ludiques offerts par la narration partagée.

Clore un scénario Et si le final de votre scénario était écrit par les joueurs ? Qui va finir avec le trésor ? Le véritable coupable va-t-il s’en tirer en toute impunité ? Les amoureux parviendront-ils à s’enfuir ? Là encore, posez simplement la question de la fin que les joueurs souhaitent pour le scénario. EXEMPLE : Le manipulateur de toute l’affaire, un général bien placé, semble pouvoir se tirer d’affaire impunément. Demandez à vos joueurs : vont-ils le faire tomber oui ou non ?

Si c’est oui, comme il s’agit du final, utilisez tout le Grand Jeu de la Connaissance et faites tirer trois lames. Admettons que les joueurs tirent la Chance, Hippocrate et le Vicaire. Ils vont devoir expliquer comment le général va être confondu. Pour cela, ils vont bénéficier d’une coïncidence bienvenue (la Chance), de l’aide d’un homme d’Église ou d’un homme généreux et altruiste (le Vicaire), mais un médecin ou un médicament risquera de faire échouer leur projet (Hippocrate) ! Là encore, faites confiance à l’imagination de vos joueurs et contentez-vous de les aider pour construire un récit le plus plaisant possible tout en conservant la cohérence de l’intrigue.

Autres possibilités Une fois que vous aurez compris comment fonctionne la narration partagée, des possibilités à peu près infinies s’offriront à vous. La seule limite sera votre imagination. Souvenez-vous toutefois de ne pas l’utiliser abusivement. Une à deux fois par séance semble être un maximum. Vous pourrez ainsi demander aux joueurs de décrire des artefacts, objets, personnages secondaires que vous

prendrez soin d’intégrer dans le fil de votre récit. Vous verrez que rapidement les joueurs ne feront plus la différence entre les personnages du scénario et ceux qu’ils ont ajoutés, et se mettront à les soupçonner ! Vous aurez alors atteint un des points les plus plaisants de la narration partagée !

Le Grand Jeu de la Connaissance dans la narration partagée Les pages qui suivent présentent le guide d’interprétation du Grand Jeu de la Connaissance pour la narration partagée. N’hésitez pas à adapter l’interprétation des lames à votre scénario. En effet, certaines lames peuvent avoir des emplois spécifiques à l’aventure, comme par exemple une lame de métier faisant référence à un PNJ précis, ou un arcane majeur à un objet particulier. Prenez ce guide comme une source d’inspiration, tout en veillant à conserver une cohérence globale de la lecture des lames. Veillez simplement à ce que d’un tirage à l’autre une même lame puisse conserver un ensemble de significations cohérentes. D’une manière générale, les lames orientées positivement représentent des aides, les lames orientées négativement des opposants ou des obstacles. Enfin, soyez sensible aux interactions entre les lames. Ainsi, par exemple, l’Alchimiste accompagné du Sorcier peut avoir une tout autre interprétation que l’Alchimiste accompagné de la Chance. Examinons maintenant quelques interprétations possibles des lames lors d’un épisode de narration partagée. L’ARTISTE : il peut s’agir d’un artiste, mais aussi d’une œuvre d’art ou d’un lieu de culture (musée, galerie, etc.). La présence de l’Artiste lors du tirage d’autres lames

indiquant des influences lucifériennes ou divines peut donner une coloration mystique ou maléfique à cette lame. Elle peut aussi signifier qu’il est fait appel à des talents artistiques des personnages. L’ARCHANGE : il exprime une intervention quasi miraculeuse ou divine qui va venir aider les joueurs. Bien entendu, un personnage rationnel interprétera cela comme un coup de chance incroyable. Il peut aussi s’agir de l’intervention d’un esprit bénéfique si votre scénario en contient un. Il peut encore s’agir d’un lieu religieux comme une église, un monastère, une source sacrée. Dans tous les cas il s’agit d’une influence, positive, inespérée, un signe du Ciel ! ADAM/ÈVE : un personnage masculin ou féminin intervient, en bien ou en mal. Il représentera souvent un PNJ important de votre scénario. Interprétez-le plutôt comme un individu que comme un groupe. Cette lame peut aussi faire référence à la séduction ou à la révélation d’une homosexualité cachée, d’un travestissement. LE VICAIRE : un personnage intervient, lié à la religion d’une manière ou d’une autre. Il s’agira souvent d’un personnage important, doté d’une certaine aura ou d’un pouvoir particulier. Il peut aussi représenter un objet de

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culte ou un lieu lié à ce personnage. Notez que le Vicaire ne possède pas la signification quasi miraculeuse de l’Archange. LE MÉDIUM : il s’agit souvent d’un évènement inexplicable, en positif ou négatif qui interviendra dans le récit des joueurs. Mais de manière plus littérale, il peut bien entendu impliquer une voyante, un spirite, ayant de réels pouvoirs, ou un charlatan. Il peut aussi s’agir d’un objet permettant d’entrer en contact avec les esprits, voire impliquer l’intervention directe d’un esprit. Là aussi, le pouvoir peut être réel ou supposé. LA CHANCE : la chance sourit au personnage ou au groupe. Ici il est clair que l’intervention divine n’y est pour rien. Cela peut se manifester sous la forme d’une rencontre fortuite, d’une manière inespérée d’échapper à un incendie ou de retrouver un objet, etc. LE JUGE : il peut s’agir d’un personnage lié à la justice (juge, avocat, greffier, notaire…) mais aussi d’un lieu (Palais de justice) ou d’un procès officiel ou occulte, d’un groupe de gens s’autodésignant comme jurés (comme dans le crime de l’Orient-Express) ou d’un jury officiel. Il peut aussi s’agir de la notion de Justice : à la fin, les crimes du pervers sont dévoilés et la vérité triomphe ; ou au contraire (pour une lame orientée négativement), d’injustice : le méchant reste impuni et la vérité ne sera jamais dévoilée. On peut aussi imaginer que cette lame implique l’usage ou la découverte d’un document juridique. LE MOINE : une personne ou un groupe lié à la religion intervient. Le moine peut être associé à des agissements bénéfiques (soins, réconfort) ou maléfiques (herbes mauvaises, sombres réunions d’initiés) mais toujours avec une dimension de secret ou de discrétion. Contrairement à l’Archange ou au Vicaire, vous pouvez interpréter cette lame comme un groupe de personnes : ordre religieux, organisation ; ici, pas ou peu de pouvoir surnaturel réel, à la limite un pouvoir d’intercession. Par contre, les personnages impliqués peuvent posséder un savoir-faire liée aux herbes telles qu’on les cultivait dans les monastères : guérisseuse ou avorteuse, à vous de choisir. Le Moine peut aussi représenter un secret lié à la religion, quelque chose qui devrait rester celé ou cloîtré. Mais il peut aussi faire penser à un lieu. Dans ce cas, ce sera plutôt un monastère ou un endroit retiré et secret : grotte sacrée, crypte, etc. Une autre interprétation possible est une “éminence grise” (c’est-à-dire un conseiller influent qui reste dans l’ombre, à l’image du père Joseph pour Richelieu). LA ROUE DE LA FORTUNE : cette lame a une influence sur la nature du récit proposé par les personnages. Comme la roue de la fortune tourne, les personnages vont affronter de multiples péripéties, des retournements de situations successifs avant de remonter la pente de finir par réussir leur action. Vous pouvez accorder une importance particulière à la place de la Roue de la Fortune dans le tirage si vous le souhaitez.

LE CENTURION : un représentant des forces de l’ordre intervient. Il peut être militaire, policier, garde mobile, gendarme, ou même pompier ou garde-garde champêtre, bref tout ce qui porte un uniforme. Cela peut aussi représenter le vol et l’usage d’un uniforme par les personnages ou par une personne qui les roule. LE SAVETIER : un artisan, ou une compétence liée à l’artisanat, intervient. Il peut aussi s’agir d’une machine ou d’un outil comme en utilisent les artisans (presse, métier à tisser, scie mécanique, etc.) ou d’un lieu : boutique, échoppe, scierie, etc. Cette lame peut aussi, par exemple, désigner un photographe à son compte, un marchand de jouets, un garagiste, un confiseur ou autre commerçant, etc. LA MORT : cela peut impliquer la mort d’un personnage ou d’un PNJ (souvenez-vous que le meneur garde un droit de veto !) ou encore une blessure sévère, handicapante. Il peut aussi s’agir de la découverte d’un cadavre, d’un sacrifice sanglant. Mais la Mort peut aussi représenter un changement d’état ou une rupture définitive et permanente, un bouleversement dans une vie, bouleversement physique ou psychologique, divorce, fermeture d’entreprise, déchéance sociale, bref : rien ne sera jamais plus comme avant. L’ARCHIVISTE : il peut s’agir d’un personnage en lien avec des archives ou une bibliothèque, publiques ou privées. On peut imaginer le régisseur du domaine qui a soigneusement gardé les titres de propriété ou une vieille femme qui possède une petite bibliothèque d’une dizaine de volumes sur des plantes aux pouvoirs miraculeux ou les légendes locales. Bien entendu, on peut aussi avoir affaire à une bibliothèque universitaire ou épiscopale. Il peut aussi tout simplement s’agir d’un facteur monomaniaque qui a collectionné des lettres comportant un certain timbre au lieu de les distribuer, ou de la maîtresse qui a gardé tous les brouillons de testaments. Dans tous les cas, l’Archiviste signifie la mise au jour d’un document ou d’une information jusqu’ici ignorée, ou au contraire (pour une lame orientée négativement) d’une personne qui fait tout pour s’opposer à cette découverte. Alternativement, la lame peut désigner un intellectuel (écrivain, journaliste, enseignant, etc.) lié à l’écriture, aux livres ou aux journaux. LE DIABLE : cette lame peut signifier l’intervention du Malin en tant que tel (trompeur, faux, sans parole, déguisé ou travesti). Depuis le temps, il s’est fait une spécialité d’induire ses victimes en tentation et les sept péchés capitaux sont pour lui une inépuisable source d’inspiration. Il peut aussi s’agir de l’intervention du matérialisme ou de la vénalité. L’appât du gain, des biens matériels, meubles ou immeubles, va entrer en jeu dans le récit des personnages. Cela peut encore être un lieu de perdition où l’argent permet d’acheter prostituées, drogue, armes ou toute autre chose sans souci de la morale. Toutefois, si votre scénario comprend déjà un démon particulier, cette lame peut alors

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signifier son intervention ou sa manifestation en relation avec sa spécialité ! HIPPOCRATE : un médecin ou une personne ayant un don pour les soins (magnétiseur, rebouteux, vieille paysanne, etc.) va ici intervenir, pour le meilleur ou pour le pire. Cela peut aussi vouloir dire qu’un lieu de soins (asile, hospice, hôpital, etc.) va être mis en scène. Dans le cas d’une lame orientée négativement, il peut aussi s’agir d’une maladie ou d’une épidémie, d’une blessure qui s’infecte ou d’un ennui de santé, d’un remède inefficace ou inopérant. LE CABALISTE : d’une manière générale, cette lame représente, suivant son orientation positive ou négative, une aide ou un empêchement à décrypter un secret que l’on détient déjà, peut-être sans le savoir. Cela peut suggérer une personne détenant un secret ou capable, grâce à des connaissances particulières, de décrypter une énigme, soit que celle-ci soit révélée aux personnages, soit au contraire qu’on cherche à la leur dissimuler. Le Cabaliste peut aussi être celui qui va permettre de faire un lien entre différents éléments de l’intrigue, qui va rendre clair un aspect obscur des trames du scénario. Cette lame peut aussi représenter un lieu contenant un mystère, une inscription, une fresque ou quoi que ce soit qui permette de révéler un secret. LA LUNE NOIRE : cette lame représente nécessairement l’action d’une force luciférienne. Une personne va se compromettre dans des pratiques occultes (qu’elles soient efficientes ou non) et va tenter d’en profiter. Cela peut aussi signifier la déchéance d’une personne (un médecin sombrant ou ayant sombré dans l’alcoolisme par exemple). Il peut aussi s’agir de la révélation d’un secret maléfique ou nuisible qui portera tort, même si son origine n’est pas surnaturelle (rituel démoniaque, maladie invalidante, adultère, etc.). L’ALCHIMISTE : il peut s’agir de l’intervention d’un ingénieur ou d’un scientifique (fou ou sain d’esprit) qui peut agir grâce à ses compétences. On peut aussi l’interpréter comme l’utilisation d’une machine, ou d’une méthode scientifique par les personnages, même s’ils ne sont pas eux-mêmes assez qualifiés pour cela. Par ailleurs, cette lame peut représenter une transformation, une mutation d’une chose en une autre, au propre comme au figuré.

LE GRAND LIVRE : l’idée générale est ici de dévoiler un secret, quelque chose qui était dissimulé dans les pages du grand livre de la Vie. Le Cabaliste permet de décrypter un secret déjà possédé. Il s’agit prioritairement d’un personnage. Le Grand Livre, pour sa part, permet de découvrir un secret même si on n’en a pas encore le moindre indice. Il s’agit ici d’une véritable révélation qui met en lumière, dévoile ce qui jusque-là était caché. Ce secret a souvent à voir avec la question des origines (bâtardise, paternité, invention) ou avec un évènement fondateur (qui peut être la résultante des actes des personnages, ou alors la découverte des fondements de ce à quoi on fait face). De manière plus prosaïque, il peut aussi s’agir d’un passage secret, d’une pièce ignorée, d’un cabinet dissimulé et ainsi de suite. Les secrets dont il est question ici ne sont pas forcément liés à la sorcellerie. LE LABOUREUR : il peut s’agir ici, bien entendu, de l’intervention d’un paysan, d’un campagnard, mais aussi d’une personne en lien avec l’observation de la nature et pouvant avoir une connaissance liée aux lunaisons, aux plantes, aux sources, mares, forêts, etc. Si le scénario se déroule à la ville, la lame peut représenter, dans le cadre d’une société encore très rurale à la Belle Époque, un parent venu de la campagne et qui peut apporter certaines informations avec lui, ou un séjour nécessaire à la campagne à la recherche de certaines origines, preuves, filiation, voire ingrédients magiques. LE SORCIER : on peut ici s’attendre à une intervention néfaste, opposée aux PJ, utilisant soit des pratiques occultes, soit des stratagèmes vicieux (diffamation, désinformation, pièges en tout genre), pour mettre les personnages dans des situations délicates. Il peut aussi s’agir de la nécessité d’affronter un lieu, un objet, ou un obstacle maléfique. La notion de magie noire est si forte que, si votre scénario le permet, elle devrait être utilisée. Si ce n’est pas cohérent, mettez en place des pièges ou des lieux particulièrement vicieux. Notez que le sorcier a une affinité particulière avec les flammes, il peut donc aussi signifier, le bûcher, l’incendie d’origine naturelle ou surnaturelle. En conclusion, nous n’insisterons jamais assez sur le fait que le but est qu’en enrichissant un épisode du scénario, joueurs et meneur s’amusent de concert !

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$ Mener une partie de Maléfices AVERTISSEMENT LIMINAIRE : les meneurs chevronnés devront nous excuser si cette partie leur donne parfois l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Ils possèdent sans doute suffisamment d’expérience derrière le paravent pour que ce texte ne leur soit pas destiné. Il s’adresse surtout aux meneurs débutants et à ceux qui souhaitent se lancer dans la maîtrise de Maléfices sans forcément bien connaître ce qui en fait tout le sel : une délicieuse ambiguïté centrée sur la présence (ou pas) du fantastique, et la recherche constante d’une ambiance particulière, liée au plaisir de s’immerger dans une époque riche, contrastée et dépaysante pour les joueurs du XXIe siècle que nous sommes.

D es règles simples, mais une ambiance subtile De manière quelque peu paradoxale, un jeu simple dans ses règles, comme Maléfices, n’est pas forcément simple à mener : on a vu (cf. Le Fantastique, page 93) combien est ténue une atmosphère fantastique, à quels petits riens elle tient parfois. Un mot trop direct ou trop précis, un « effet spécial » de trop, et le fantastique débouche, comme dans ces mauvais films gore qui se veulent fantastiques, sur une rigolade en lieu et place du frisson escompté… Échec ! Des règles simples, donc. Mais pour qu’une partie soit fluide, il convient d’assimiler ces règles – cet aspect n’est pas du tout compliqué, le chapitre sur les règles se veut pédagogique, avec de nombreux exemples – pour pouvoir mieux s’en affranchir ensuite. De même que les artistes doivent faire oublier tout ce qu’il y a de travail avant leur prestation pour que ne subsistent plus que le rêve et la magie, le meneur se doit de faire oublier à ses joueurs qu’il y a des « règles » et toute

une série de conventions (un peu comme au théâtre) derrière le scénario qu’il leur propose. Son but premier est de les rendre invisibles aux yeux des joueurs, pour que ne subsiste que le plaisir de vivre une aventure.

Préparer sa partie À part pour des « instantanés », écrits et pensés pour une façon rapide de jouer, il n’est pas recommandé, même si l’on est un improvisateur né, de découvrir un scénario de Maléfices à 10 h du matin pour le mener l’après-midi ! Cela ne peut que donner une image réductrice du jeu, avec le risque d’une bien piètre ambiance autour de la table. On serait loin de l’esprit du jeu voulu par ses créateurs, et sans cesse renouvelé par les passionnés de Maléfices, qu’ils soient joueurs ou meneurs : favoriser l’interprétation et surtout privilégier une ambiance bien particulière. Un scénario de Maléfices, pour un meneur de jeu, ça se prépare par une lecture attentive ; à la découverte de certaines scènes, déjà, quelques idées vous viennent pour « corser la chose »… Et puis un scénario, ça se déguste après coup, en revenant sur tel ou tel épisode dans lequel on imagine ses joueurs, et on pense alors aux aides de jeu que l’on va pouvoir ajouter à celles qui accompagnent le scénario, puis aux quelques artifices simples qui pourront renforcer le propos. Il y a donc un travail nécessaire, afin de bien maîtriser les tenants et aboutissants de l’aventure – pardon pour cette évidence ! – mais aussi de voir comment on pourrait aller un peu plus loin dans sa présentation et dans sa « mise en jeu ». Car, à y bien réfléchir, c’est quasiment de mise en scène qu’il s’agit ! Et c’est de tout ce qui peut contribuer à améliorer cette mise en jeu (ou mise en scène) dont nous allons parler maintenant.

Atmosphère, atmosphère… Quand jouer ? La réponse idéale, contrairement à ce que certains pensent peut-être, n’est pas « tout le temps » ou même « n’importe quand » ! D’abord parce que les scénarios parus et à paraître n’y suffiraient pas, mais encore (et surtout), parce qu’une partie de Maléfices doit rester, quelque part, un moment rare, disons plutôt privilégié. Et puis, à part lors d’une campagne que l’on joue de façon régulière, pour la simple cohérence, il n’est pas logique d’être confronté toutes les semaines à des aventures aussi étranges et aussi… éprouvantes que celles qui sont proposées par le jeu qui sent le soufre. La Rationalité ou la Spiritualité de nos personnages n’y résisteraient pas ! Mieux vaut une bonne partie de temps en temps qu’une lassitude due à trop d’aventures enchaînées, qui

deviennent, aussi aberrant que cela soit, une routine dans l’extraordinaire… Il ne faut pas oublier ce que sont fondamentalement les personnages de Maléfices : des gens « ordinaires » – ce que Molière appelait « l’honnête homme » –, ouverts, souvent cultivés – sans forcément avoir longtemps étudié, il existe de nombreuses façons d’être cultivé ! – mais plus encore curieux et soucieux de comprendre les phénomènes de leur temps. En tout état de cause, ce ne sont en aucun cas des superhéros, pas même des « spécialistes ès affaires surnaturelles ». Ils s’en rapprocheront peut-être, et le Club Pythagore (cf. cette section, page 280) leur offrira sans doute des facilités pour cela, mais à la création, ce sont « de vrais gens » relativement banals, que le hasard (ou la nécessité ?) va confronter à l’aventure… Cette évolution se produira « naturellement » au fil des scénarios et de l’interprétation du personnage.

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Il est souvent intéressant d’éviter une partie en pleine lumière du jour. Le fantastique de Maléfices est bien plus délectable dans l’ambiance feutrée d’une soirée chichement éclairée, lorsque chacun sait que le crépuscule va peu à peu laisser place à la nuit, si favorable à ce que tout, même le plus improbable, devienne possible… Préférez donc toujours jouer une « grosse » aventure en deux soirées plutôt que durant toute une journée. Ou alors, si vous souhaitez une partie longue, en une séance, créez une ambiance lumineuse propice en fermant vos volets pour jouer « en nocturne », avec un éclairage réduit.

Où jouer ? Ici, en revanche, la réponse « partout » pourrait (presque) être acceptable. En effet, si l’on peut rêver de jouer à Maléfices dans un « cabinet de curiosités », une maison de maître du début du XXe siècle ou dans un hôtel particulier datant du Paris d’Haussmann meublé d’époque, force est de constater que ce n’est pas le lot commun ! De même, si la pièce dans laquelle vous jouez peut avoir un petit côté rétro 1900, ce n’en est que mieux, naturellement, mais au prix des meubles et des bibelots style Art nouveau, convenons que c’est un luxe que peu de meneurs de jeu peuvent s’offrir ! Simplifions donc : on usera d’expédients. Idéalement, jouer dans sa bibliothèque ou une pièce tapissée de livres est un moyen facile de créer un contexte un peu « hors du temps », en évitant trop de références visuelles à la modernité : télévision et autres objets connectés ou électriques voyants. Le cas échéant, les masquer du mieux qu’on peut. Nous convenons volontiers que le plus important ici n’est pas le lieu, mais l’ambiance que le meneur saura créer autour de sa table : s’il parvient à « embarquer » ses joueurs dans l’aventure, le cadre va peu à peu s’effacer et toute la table voyagera à la Belle Époque, et n’en sortira plus, ou le moins possible…

De la lumière… ou pas ? Plus simplement encore, cela peut aussi se régler en travaillant les éclairages : une partie éclairée à la bougie ou à la lampe à pétrole peut astucieusement laisser dans l’ombre les objets indésirables… et la lueur tremblante de ces moyens d’éclairage est propice à cette ambiance un peu rétro, au fantastique, à ce subtil frisson que nous aimons à côtoyer dans Maléfices.

que trop systématiquement présente, un simple bruit de fond. C’est au contraire, dans telle ou telle scène, un renfort ponctuel, un supplément d’ambiance, comme on parle de « supplément d’âme ». Attention cependant aux « revers » de ce qui précède : si la musique est trop rare, on aboutit à ce que, chaque fois que le meneur lance un accompagnement musical, ses joueurs (se) disent : « Ouh là là ! Y a de la musique, ça va craindre… ». Et c’est très dommage ! De plus, un risque existe que le meneur se retrouve accaparé par sa volonté de sonoriser sa partie et perde ainsi de vue son rôle premier, qui reste quand même d’entretenir la progression harmonieuse de son scénario. L’autre inconvénient majeur peut être le fait que beaucoup des musiques auxquelles nous pensons d’emblée sont fortement référencées. Certaines sont tellement liées à une scène de film, par exemple, que le risque est grand de voir les images venir se substituer à la scène que l’on décrit. Là encore, c’est fort dommage. Mais un meneur un peu malin – pléonasme ? – saura facilement contourner cet écueil ! En effet, le choix des musiques lui incombe, et il est évidemment crucial. Les progrès technologiques actuels offrent aux meneurs la possibilité d’avoir accès à une infinité de musiques en ligne, et de composer la playlist de leurs rêves, voire, avec un minimum de technique, de créer leurs propres montages musicaux ! Tout est donc, comme en toute chose, affaire de mesure – et en musique, notez bien, cela coule de source. Sachons user de la musique à des moments-clefs, certes, mais sachons aussi en placer lors de simples scènes d’atmosphère, et pas seulement quand on arrive à une scène forte. C’est une façon de « casser les codes » pour éviter les « réflexes conditionnés » de nos joueurs. De la mesure, donc, mais retenons qu’une musique judicieusement sélectionnée accompagnant une scène quelconque est souvent un « plus » de choix pour améliorer l’ambiance que le meneur cherche à installer. Gardons aussi à l’esprit qu’un moyen efficace de créer une ambiance étrange ou angoissante peut être un simple et pesant silence…

De la musique avant toute chose… ou pas ? L’idée ici n’est pas d’entrer dans un débat « pour ou contre la musique en JdR », mais de se contenter d’en explorer les avantages certains et les inconvénients potentiels. À l’évidence, comme au cinéma ou dans les jeux vidéo, la musique est un moyen de renforcer l’ambiance, de favoriser l’immersion, de mettre en relief des scènes intenses. Et en cela, elle peut évidemment s’avérer fort efficace. Il faut aussitôt ajouter « si l’on n’en abuse pas ! ». En effet, la musique ne doit en aucun cas devenir, parce

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L’avant-partie On n’insistera pas sur le nécessaire travail préparatoire du scénario par le meneur, il en a déjà été parlé… Ajoutons simplement que dans cette étape, on sous-entend que le meneur gagne aussi à réfléchir en amont à sa façon d’interpréter les personnages non joueurs, à imaginer des répliques possibles, à penser à des descriptions de lieux, etc. Le cas échéant, la recherche d’illustrations en rapport avec les lieux et les personnages du scénario a sa place ici, mais cet aspect documentaire sera développé quand nous aborderons les aides de jeu, page suivante. Là encore – et cela est de nombreuses fois suggéré dans les scénarios de Maléfices –, il est souvent intéressant de prévoir du temps « de jeu » avant la partie elle-même : • soit, quand c’est le cas, pour créer à l’avance les personnages spécifiques qu’elle exige (personnages « prétirés ») et laisser ainsi les joueurs repenser un peu, après coup, à la façon dont ils vont éventuellement les étoffer, pour les jouer au mieux ; • soit pour pouvoir envoyer personnellement aux joueurs, à leur adresse (M. Pierre-Émile Destremont –

nom du personnage –, chez M. Michel Dupont – nom du joueur), la lettre qui, souvent, lance l’aventure. Cela permet au joueur de rêver par avance à cette aventure qui point, et ainsi de se mettre en condition de mieux incarner son personnage. • Parfois, cela permet aussi aux joueurs de se contacter avant la partie, comme ils le feraient « dans la vraie vie ». De l’interprétation avant même l’aventure ! Bien peu pourront réellement se donner rendez-vous dans un café devant une « fée verte » ! Alors ils utiliseront sûrement, pour se joindre, des outils d’aujourd’hui ; mais cela leur permettra malgré tout de commencer à jouer entre eux avant même la partie, et c’est de bon augure pour l’immersion dans l’aventure… Avec cette histoire de « vraie » lettre envoyée au personnage, nous entrons dans la recherche de plus de crédibilité, de plus de réalisme dans nos aventures pourtant ô combien fictionnelles. Et voici donc venu le moment de nous intéresser aux aides de jeu.

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$ Les aides de jeu Généralités On peut bien sûr jouer au jeu de rôle avec quelques dés, des feuilles de papier, une gomme et un crayon. C’est une conception minimaliste, mais elle est à la base même de notre loisir. Pourtant, assez vite, sont venues s’ajouter à ce « kit de base » ce que l’on nomme des aides de jeu (abréviées en AdJ pour les intimes).

D’une part, cela fait toujours plaisir aux joueurs, surtout si certaines de ces aides sont « un peu » frappadingues (nous y reviendrons) ; et d’autre part, une Adj, c’est un peu l’immixtion d’une certaine forme de réalité dans la fiction. Surtout que, dans un contexte fantastique, jouer sur la fragile frontière entre réel et irréel n’est jamais à négliger. Dans un jeu comme Maléfices, où l’enquête prend sa part, les AdJ délivrent des renseignements de façon plus subtile que la simple narration par le meneur, puisqu’elles fournissent une potentielle information sans la formuler ; elles encouragent aussi l’immersion, c’est important, on l’a déjà signalé, dans un jeu où rôde le fantastique ; enfin, elles favorisent ce que l’on nomme la « suspension d’incrédulité », qui consiste à donner du crédit, de la véracité, à des choses difficilement admissibles telles quelles. Les écrivains de récits (surtout fantastiques) et les prestidigitateurs la pratiquent, et ce n’est pas innocent : il leur faut, à eux aussi, faire admettre à leur public des faits « inacceptables » par la raison ! En cela, la suspension d’incrédulité est bien une des « armes » du meneur de jeu pour favoriser l’ambiance de certaines scènes d’un scénario de Maléfices. Et les AdJ sont un moyen privilégié pour atteindre ces divers objectifs, qui participent tous à enrichir l’ambiance d’une partie.

Qu’est-ce qu’une aide de jeu ? C’est tout simplement un élément non nécessaire à la partie, mais qui vient renforcer la « réalité » de l’aventure, qui aide à crédibiliser ce que vivent les joueurs, donc qui aide à – mieux – jouer. Cet objet est fourni aux joueurs, ils ont tout loisir de l’examiner, le manipuler, et il peut leur donner des indices ou des éléments favorisant la compréhension d’une part de l’intrigue. En ce sens, il aide aussi le meneur de jeu : les buts d’une AdJ sont également de favoriser l’immersion et de permettre au meneur « de ne pas tout dire », selon ce que nous nommerons « le principe de Sherlock », lequel consiste à laisser le plus souvent possible les joueurs faire progresser l’aventure par leurs réflexions et leurs déductions propres, plutôt que de leur livrer directement et oralement les éléments nécessaires à cette compréhension. La « Une » ou un article de journal, une lettre, un portrait, une facture, une ordonnance, une carte postale, un ticket d’entrée au théâtre ou à l’Opéra… sont des aides de jeu. Mais on peut aussi, parfois, utiliser des AdJ qui sont des objets « réels », entendons par là, en 3D : bijou, montre, statuette, bougie noire, main de squelette… Soyons fous !

Une arme à double tranchant ? Avant de passer aux exemples concrets, il n’est pas insolite de s’arrêter un peu sur cette question. En effet, si l’on donne à ses joueurs l’habitude de nombreuses AdJ, on peut aboutir, directement ou par défaut, à ce que l’on appelle des « dédouanements meneur ». Deux exemples simples illustreront ce que l’on entend par ce terme barbare. Imaginons une situation dans laquelle le meneur parle d’une lettre, mais que, contrairement à son habitude, il ne la fournit pas à ses joueurs. Ceux-ci sont enclins à sortir du personnage et à se faire une réflexion de métajeu, du genre : « S’il ne nous donne pas la lettre, c’est que ce n’est pas important… ». C’est gênant. Il en va de même si l’on fournit un portrait de quasiment chacun des PNJ : le fait de n’en pas montrer pour un PNJ que l’on vient de citer peut laisser les joueurs penser que le meneur vient tout juste de l’inventer pour les besoins de la cause, et qu’il n’a donc aucun intérêt. C’est cela, un « dédouanement meneur ». C’est une parole trop vite lâchée, un lapsus – toujours – révélateur, un acte manqué du meneur qui, d’une manière ou d’une autre, apporte aux joueurs une indication importante, non pas en action de jeu, mais en quelque sorte par erreur. Et c’est toujours un peu dommage…

D e l’intérêt des aides de jeu… et de leurs potentiels inconvénients ! À sa sortie, Maléfices a agréablement surpris nombre de rôlistes en fournissant avec ses scénarios des aides de jeu soignées prêtes à l’emploi, ce qui a beaucoup contribué au plaisir ludique des joueurs d’alors. Et cela a convaincu pas mal de meneurs de la nécessité de soigner les aides de jeu, et même d’en fabriquer de nouvelles, pour des scénarios où il n’y en avait pas – pour des raisons de contraintes éditoriales, les scénarios de revues sont rarement accompagnés de nombreuses aides de jeu –, ou pour en ajouter aux scénarios qui en proposaient déjà, ou encore, bien sûr, pour leurs créations originales. Alors certes, cela peut prendre du temps, c’est un travail supplémentaire pour le meneur, mais les avantages et le plaisir ludiques sont tels que « le jeu en vaut souvent la chandelle » (de gloire, évidemment !).

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Si l’on souhaite éviter ces inconvénients, il est nécessaire de se montrer quelque peu « retors » – mais un meneur retors, n’est-ce pas un pléonasme ? – en fabriquant à l’occasion quelques AdJ qui ne servent à rien ou mènent à une fausse piste, et en prévoyant toujours une ou deux illustrations de PNJ supplémentaires au cas où… Partant du principe populaire « qu’il faut être pris pour être appris », les joueurs confrontés une ou deux fois à ce type de situation ne sauront plus jamais trop sur quel pied danser, et se méfieront de leurs réflexes de joueurs.

parce qu’elles peuvent (potentiellement) servir à chacune de vos parties. Exemples : le (fac-similé du) Guide Michelin 1900, un plan de Paris 1900 (arrondissement par arrondissement, cela existe), un Guide Baedeker de Paris, un (vrai) livre concernant les sciences occultes… et bien sûr le Grand Jeu de la Connaissance, sont des AdJ perpétuelles. • Les AdJ génériques : ce sont exclusivement des documents numériques, des « modèles » typographiques qui, une fois « fabriqués » sur votre traitement de texte ou en PAO, ne quittent plus votre disque dur. Ils sont modifiables, et resservent donc indéfiniment au fil des divers scénarios que vous préparez, selon vos besoins.

Conclusion : entre les fans d’improvisation qui soutiennent que l’on peut parfaitement se passer des AdJ, qui ne seraient qu’une façon pour le meneur de flatter son propre ego – « Regardez comme j’ai bien préparé ma partie, regardez le temps que j’y ai passé ! » – et les tenants des AdJ à tout crin, il y a évidemment un juste milieu, que nous vous invitons, meneurs, à chercher et à trouver. Car, finalement, les AdJ sont bien un plaisir ludique partagé autour de nos tables de jeu, et il est toujours agréable d’en fabriquer qui amuseront, agaceront, titilleront ou surprendront nos joueurs… Nous partirons donc du principe que chacun aura désormais saisi leur intérêt ludique, et nous allons examiner maintenant la grande variété de ces AdJ, puis leur utilisation pratique et enfin leur fabrication.

Exemples : des bulletins de salaire, une ordonnance de médecin, un rapport d’autopsie, la « Une » vierge d’un journal… sont des AdJ génériques. • Les AdJ spécifiques : ce sont cette fois des aides de jeu qui sont strictement associées à un scénario donné. Elles ne servent donc que pour une aventure précise, et ne sont pas forcément un document. Exemples : ce peut être un objet en 3D, « ready-made » ou construit par vos soins, un livre réel ou « fabriqué », bref, ici, les seules limites sont celles de votre imagination, de votre folie douce, de votre habileté manuelle et… du temps que vous avez à y consacrer !

L es diverses aides de jeu perpétuelles, génériques, spécifiques On peut distinguer trois catégories d’AdJ. • Les AdJ perpétuelles : une fois fabriquées ou achetées, elles ne quittent plus votre « kit de meneur de Maléfices »

Vous avez des exemples d’AdJ spécifiques avec celles fournies pour les deux scénarios de ce livre de base (et téléchargeables sur le site www.arkhane-asylum.fr).

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$ Utiliser les AdJ en cours de partie, fabriquer des AdJ Selon le « principe de Sherlock » énoncé plus haut, on ne peut comparer le résumé oral d’une lettre, énoncé par le meneur, à la manipulation et l’examen d’une « vraie » lettre confiée aux joueurs. Il en va de même d’un article de journal, d’une photo, voire d’un objet réel : flacon de

médicament, fiole contenant une substance mal définie, montre brisée… Voici quelques exemples d’AdJ, ainsi que quelques idées des renseignements qu’elles peuvent induire, parfois accompagnés de conseils de fabrication.

Les AdJ « papiers » La « Une » de journal

possible effet d’accumulation : « Encore une réclame signée Gramoncel ? » ou « Ce n’est pas le troisième vol de bibelots africains que l’on voit passer en quelques jours ? » ou « Encore un incendie d’entrepôt ? », etc. ; • un événement historique réel peut venir interférer avec l’aventure ou en éclairer quelques aspects : l’annonce d’une tractation politique ou diplomatique, un futur voyage présidentiel, le retour d’un personnage important ou connu, l’annonce d’une conférence… relèvent du même ordre d’idées.

Autant un article de journal ne fournit « que » les renseignements utiles aux joueurs, autant la « Une » ou une page intérieure de journal permet une plus grande variété d’approches : • il faut parcourir toute la page pour trouver les éléments intéressants ou « utiles », avec toujours une part d’incertitude : ce fait divers se rattache-t-il à l’aventure ou pas du tout ? • si l’on apporte plusieurs journaux (un par jour, par exemple), on joue sur un

JOURNAUX Grâce au site Gallica (www.gallica.bnf.fr), on dispose aujourd’hui de beaucoup d’exemples de journaux et revues de l’époque de Maléfices. Le meneur avisé pourra ainsi se fabriquer, à titre d’AdJ génériques, des « bandeaux » des principaux journaux, qui permettent ensuite d’ajouter la date du jour souhaité et de confectionner une « Une ». Ce site offre aussi la possibilité de reprendre des éléments de textes, ce qui permet (si besoin) un « remplissage » de la page avec des extraits d’articles réellement parus tel ou tel jour.

un papier type journal format A3, idéal pour y imprimer ce type d’AdJ). • Les illustrations  : avant 1843, ce sont des gravures ou des dessins qui illustraient les journaux. Dès 1843, L’Illustration utilise des bois gravés d’après daguerréotype (ancêtre de la photographie) pour ce qu’on appelle des similigravures. La photographie dans les journaux n’apparaît timidement que dans les années 1880, et ne s’impose pas immédiatement : faute de moyens de transmission rapides, les photos d’événements lointains arrivent très souvent plusieurs jours après l’événement et, à part pour des faits survenus dans un lieu proche d’une rédaction de journal, les dessinateurs ont encore de beaux jours devant eux. Les couvertures de certains hebdomadaires aussi étaient dessinées, comme les célèbres « Unes » colorées du Petit Journal. La téléphotographie (moyen rapide de transmettre des photos par signaux électriques) n’interviendra parcimonieusement qu’en 1907 et ne deviendra courante qu’après la Première Guerre mondiale.

Deux remarques techniques importantes si vous vous lancez sont à garder en mémoire : • La mise en pages : à l’époque, les journaux quotidiens comportent le plus souvent six colonnes, en corps très petit, ce qui les rend difficilement lisibles pour un lecteur d’aujourd’hui. Alors foin de la stricte réalité historique, notre conseil est de réduire le nombre de colonnes à quatre, de les saisir en corps 7 ou 8, dans une police sans fioritures (Times new Roman, Helvetica, etc.) et d’imprimer ou faire imprimer ces pages de journaux en agrandissement 141 %, au format A3 (Ajoutons qu’il se vend

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La lettre Elle aussi en montre davantage qu’un simple résumé oral. Mais la différence ludique essentielle est que, par ce biais, on fait surtout appel à l’implicite, au non-dit que les personnages doivent débusquer au fil d’une lecture attentive. Voici ce à quoi on peut s’attacher : • L’ASPECT GÉNÉRAL : lettre en bon état, tachée (de sang ? de peinture ?), en partie brûlée, déchirée… ou encore ayant été passée à la flamme, ce qui a révélé un message à l’encre sympathique. Ceci dans le but, par exemple, que les joueurs, plus tard, pensent à passer une autre lettre à la chaleur, pour y dévoiler un message caché – le principe du « billard à trois bandes » est ici intéressant.

L’ENCRE SYMPATHIQUE Celle-ci se fabrique facilement : - En mélangeant du jus de citron et un peu d’eau. On écrit à la plume, on laisse sécher. Le message se révèle à la chaleur : four, fer à repasser, bougie… (gare au feu… et au détecteur de fumée qui se déclenche !). - L  e lait fonctionne de la même façon, révélant un message blanc car chauffant moins vite que le papier. Ici encore, prudence ! - Un mélange à parts égales de bicarbonate de soude et d’eau fonctionne bien aussi, mais la révélation se fait ici avec du vin ou du jus de raisin noir. C’est moins connu que le citron.

• L’EXPRESSION est aussi un indicateur : vocabulaire châtié ou plus relâché, voire vulgaire, langue fluide et expressive, ou minimale et fruste ? • L’ORTHOGRAPHE soignée ou négligée : « il y a des fautes d’orthographe […] ce chapelet de conseils [a été] égrené par une cuisinière », lit-on dans Les confidences d’Arsène Lupin. • LE TEXTE LUI-MÊME : il laisse forcément transparaître, à qui saura lire entre les lignes, davantage de choses que le texte « brut », et notamment des émotions ou des sentiments intimes… Le texte d’une lettre peut être sans aucune malice, c’est-àdire que son contenu manifeste est quasiment sans implicite ; mais il peut aussi s’avérer crypté de diverses façons : alphabet particulier (sorcier, ancien…), acrostiche, lettres « pointées » formant un message, encre sympathique… Ce peut enfin être un texte vraiment codé ou totalement énigmatique. Dans l’extrait d’Arsène Lupin cité plus haut, cela devient plus amusant encore… si les lettres fautives ou manquantes dans le texte composent un autre message ! (Double effet intéressant !) On touche ici au « jeu dans le jeu », qui est un autre aspect ludiquement attractif de certaines AdJ.

« FABRICATION » D’UNE LETTRE Écrire une lettre n’est pas une difficulté insurmontable, même à la plume ! Ce qui est plus délicat, c’est de varier les graphies. Heureusement, aujourd’hui, on n’est plus obligé d’écrire ces lettres à la plume et à l’encre. Les nombreuses polices manuscrites libres de droits que l’on trouve sur la toile permettent de créer ses AdJ « manuscrites » sur un ordinateur. Il faut juste veiller à ce que ces polices soient accentuées, ce qui n’est pas toujours le cas ! L’informatique, comme la plume, permet aussi de varier la couleur de l’encre : noir, bleu foncé, sépia, violet… En revanche, si l’on veut jouer sur l’aspect d’une lettre, un petit investissement sera nécessaire : le meneur va commencer par se constituer une petite collection de divers papiers (tout court) et de papiers à lettres avec enveloppes assorties, en variant les formats, les teintes, le grammage, l’apparence même du papier… Ce qui lui permettra ensuite de modifier l’aspect matériel de ses divers courriers. Conseil : acheter une ramette de papier déjà un peu gris et laisser de petits paquets de feuilles éparpillées à l’air libre dans divers endroits de la maison (grenier poussiéreux ou cave un peu humide si vous en disposez, pièce exposée à la lumière lunaire…). Si vous les oubliez suffisamment longtemps, elles auront pris un aspect naturellement vieilli quand vous les récupérerez… Mais pas au bout de deux semaines !

• LA DATATION (tampon sur l’enveloppe) : lettre ancienne ou récente ? L’affranchissement, la date, mais aussi, le cas échéant, le support : papier jauni, abîmé… • LA LOCALISATION (tampon également) : permet de savoir qu’en telle année, Émilienne Dufresne était en Angleterre et non pas à Rambouillet, comme elle le prétend. • LE SUPPORT renseigne parfois sur l’expéditeur : papier de très bonne qualité, papier tout-venant, papier monogrammé, paquet de lettres parfumées ou non, entourées d’une faveur (le cliché même des lettres d’amour pieusement conservées)… Ou un papier bien reconnaissable, permettant des rapprochements avec d’autres lettres trouvées ailleurs, etc. • L’ÉCRITURE renseigne sur l’expéditeur avec une graphie soignée ou pas, posée ou nerveuse, rapide, très tremblotante (l’expéditeur était-il pressé ? Effrayé ?) : - l’écriture correspond-elle bien à celle de l’expéditeur supposé ? Ou serait-ce un faux ? - l’écriture change-t-elle, se dégrade-t-elle au fil des diverses lettres ? Devient-elle peu à peu semblable à une autre écriture ? (cf. L’affaire Charles Dexter Ward de H. P. Lovecraft.)

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Vieillir artificiellement des feuilles de papier est relativement simple. Et ce qui suit vaut pour tout ce qui est imprimé sur papier : petit mot, billet, ticket de train… Option 1 : faire macérer une petite quantité de feuilles de papier dans un plat contenant du thé très infusé est un moyen efficace d’obtenir un papier vieilli de façon non uniforme, avec des « zones » irrégulières. Y « saupoudrer » quelques feuilles de thé noir ou des grains de café soluble ajoutera des taches plus foncées. Option 2 : la macération dans du café donne aussi de bons résultats. On peut accentuer l’effet « taches » en parsemant la feuille de grains de café soluble. Ceux-ci, en se dissolvant, vont se diffuser sur la feuille et parfois – c’est aléatoire – rester concentrés en un point qui, du coup, en sortira plus foncé, voire avec une tache bien brune. Dans les deux cas envisagés, il faut ensuite, dans un endroit sec, laisser sécher longuement le papier. Préférez le séchage à plat, sur un papier absorbant plutôt qu’en pendant vos feuilles sur un fil (coulures). Notez aussi que le papier ainsi obtenu en ressort plus ou moins gondolé. On peut après le placer entre les pages d’un gros livre pour atténuer ces gondolages. Mais même un peu irrégulier, ce papier passe dans une imprimante.

Dernières remarques techniques : 1/ avec la technique du “trempage”, il faut toujours vieillir sa feuille avant d’y écrire ou imprimer quoi que ce soit, sauf si vous cherchez à obtenir un document vraiment abîmé, auquel cas vous l’écrirez à l’encre de Chine plutôt qu’au stylo à encre (elle « bave » moins à l’humidité) et vous laisserez carrément votre document dehors pendant une ou deux nuits, à même le sol (et bien fixé pour qu’il ne s’envole pas !). Vous le récupérerez très gondolé, peut-être même un peu délavé, et pourrez le salir davantage (terre, trous, etc.) si besoin. 2/ Il existe une autre technique, qui consiste à écrire le texte d’abord, et passer ensuite le thé ou le café au pinceau sur la feuille, sans laisser macérer. Signalons enfin, pour être complet, que l’on trouve dans le commerce des pochettes de feuilles de grammage plus important que le papier, passant à l’imprimante, imitant cette fois des parchemins de diverses teintes et textures, certains même avec des contours irréguliers. C’est utile et pratique pour simuler parchemins, documents anciens et autres pages de grimoires…

La photographie • L’ACTIVITÉ REPRÉSENTÉE : « Gorgemont a été missionnaire ? » (Ou « militaire », chercheur d’or…) « Protat sait barrer un bateau ? Mais ça change tout ! »

Contrairement à un article de presse ou une lettre, une photographie comporte essentiellement des éléments visuels. Même assortie d’un petit texte au dos – qui peut aussi fournir de précieux renseignements –, c’est l’image qui sera primordiale. Intéressons-nous pour commencer à l’aspect strictement visuel.

• LES ÉVENTUELLES ANNOTATIONS : On écrit peu au dos d’une photo, mais une mention de date, de lieu, une phrase concernant les sujets photographiés peut relancer une enquête, fournir une piste, un point de réflexion. Voyez plutôt : « Michaud et moi au Dahomey, 1903 » ; « La bande de la rue Tournefer, Périgueux, 1884 » ; « La famille Aubertin au Manoir de Beaujard, 1891 », etc.

• LE DÉCOR : il fournit parfois un renseignement d’ordre géographique ou biographique : « Darnibat était allé en Afrique ? » ou « Marly aurait vécu en Irlande ? » ou « Clamandon faisait partie de cette expédition ? » ; « Où donc cette demeure est-elle située ? Il faudrait peut-être y aller… » ; « Ce costume que porte l’enfant, c’est breton, non ? », etc. • LES PERSONNES PHOTOGRAPHIÉES : - Y reconnaît-on un ou plusieurs PNJ ? Ici encore, de nombreux renseignements d’ordre biographiques peuvent être suggérés : « Grobertin connaissait donc Herbachet ? Il nous aurait menti ?  » « Michelet a fait partie d’une bande d’apaches ? Il s’est vraiment racheté une conduite, depuis ce temps-là ! » « Mme Tintaine a déjà été mariée ? Car ce n’est pas son mari actuel, sur la photo de mariage ! » « Turandeau ne nous a jamais parlé de cet enfant, non ? Pourquoi ? », etc. - L’un d’entre eux a-t-il totalement changé ? « Mme Rifonand n’était pas paralysée à cette époque ! De quand donc date sa maladie ? » Supercherie ou délit possible : usurpation d’identité, bigamie, double vie, etc.

Note : tout ce qui a été énoncé au chapitre La lettre concernant le texte peut s’appliquer à une photo, à l’exception de la qualité de l’expression, les mentions écrites étant ici trop courtes pour pouvoir en juger. • LA CARTE POSTALE se situe à mi-chemin de la lettre (à laquelle elle s’apparente par son texte) et de la photographie (à laquelle elle s’apparente par l’image du recto). On peut donc y appliquer une grande partie de ce qui vient d’être dit plus haut dans les deux paragraphes concernés. Ajoutons qu’à l’époque de Maléfices, on écrit très souvent sur la face photo d’une carte postale !

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Fabriquer une photo suppose en fait de partir d’une véritable photographie d’époque. Internet regorge de vues anciennes de lieux, de portraits photographiques individuels ou de famille. Idéalement, il faudrait utiliser des documents que l’on possède, mais tout le monde ne collectionne pas les cartes postales ou les portraits anciens… On peut donc simplement se préoccuper de savoir si ces images sont libres de droits. Elles sont parfois dans le domaine public. Au pire, il faut acheter la carte postale en question pour être tranquille, si on tient vraiment à une pièce bien particulière. On peut aussi retravailler des photos modernes en « sépia ».

Éléments pouvant fournir de précieuses indications Quelques ultimes exemples de la façon dont une AdJ « papier » peut relancer une aventure, un épisode d’enquête : • une ordonnance permet de connaître le nom du médecin de famille, la maladie dont un PNJ est atteint, le nom du pharmacien qui a honoré la prescription ; • un ticket de train, de bateau permet d’apprendre d’où revient un PNJ, ou bien où il compte prochainement se rendre ; • un billet de théâtre ou d’Opéra, avec un numéro de loge et la mention « Abonnement », permet de retrouver un PNJ que l’on ne savait pas comment rencontrer ; • une note de restaurant, des factures permettent de connaître certaines habitudes d’un PNJ, des lieux qu’il fréquente assez régulièrement, parfois même son adresse ; • une carte de visite aura le même effet… sauf si elle est fausse ! (Arsène Lupin en possède toute une collection !) LES ADJ « EN 3D » : ACCESSOIRES TOUT FAITS ET DE FABRICATION « MAISON » On s’intéresse ici à des objets souvent trouvés dans des brocantes ou parfois fabriqués par vos soins, qui viennent

à l’appui de vos dires… Toujours cette bonne vieille suspension d’incrédulité dont nous avons parlé plus haut. • DES ACCESSOIRES TROUVABLES Chinez, fréquentez les brocantes de votre région ou durant vos pérégrinations vacancières. Ajoutez quelques incursions sur le net. Vous n’imaginez pas ce que vous risquez de trouver sans vous ruiner : - de vieux calendriers de 1890 à 1914 (avant, c’est plus difficile à dénicher. Les originaux sont évidemment chers, mais des « reprints » existent) ; - d’anciennes clés de diverses tailles et formes, « qui ont vécu » (investissez, cela servira plus d’une fois !) ; - des fioles, des flacons, des petites boîtes au look 1900 (ou pouvant sans problème être présentés comme tels) ; - un numéro de La Gazette des Inventeurs, daté de juillet 1902, idéal pour le scénario Une étrange maison de poupées ; - un « nécessaire à piqûre » d’époque, parfait pour les scènes médicales ou pour suggérer qu’un PNJ est malade ou se drogue – selon les (faux) produits que l’on trouve avec ! ;

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- des vieux livres – il n’est pas ici question de « livres anciens » recherchés par les bibliophiles, et donc très chers ! –, des ouvrages sans grande valeur qui, par pur hasard, « collent » à tel ou tel scénario, ou peuvent devenir des AdJ perpétuelles ou spécifiques. - etc. La « chance du meneur » aidant, vous ferez, soyez-en sûrs, des trouvailles qui, sans forcément vous ruiner, renforceront votre plaisir de mener le jeu en proposant parfois à vos joueurs de véritables objets d’époque. • LA FABRICATION « MAISON » On peut aller plus loin encore, et se lancer à l’occasion dans la fabrication d’aides de jeu en trois dimensions : voici à titre d’exemple une statuette d’Uko confectionnée pour Le Dompteur de Volcans, dont on comprend aisément le pouvoir évocateur et immersif qu’elle peut avoir auprès des joueurs… Il est clair aussi que ce type d’AdJ reste exceptionnel, car tous les scénarios ne se prêtent pas à ce genre de déraisonnables réalisations. C’est, en plus de la satisfaction qu’il y a à faire jouer les autres, évidemment, un des grands plaisirs du meneur de jeu que de « s’impliquer » ainsi pour donner plus de crédibilité à l’histoire qu’il se propose de faire vivre à ses joueurs. Et pour cela, tous les moyens sont bons… pourvu qu’ils ne prennent pas le pas sur l’essentiel : l’aventure narrée et vécue ensemble !

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Soyons fous ! Si le meneur aime « se lâcher » de temps en temps, la chose peut aller plus loin : après tout, le théâtre du GrandGuignol, créé rue Chaptal en 1896, faisait salle comble en 1900 avec des effets spéciaux sanglants ou macabres et on peut, en certaines « grandes occasions », se réclamer de cette illustre référence ! Dans une sorte d’hommage à ce vénérable temple du « gore » et du mauvais goût, on peut, dans de rares épisodes maléficieux, « pousser le bouchon » un cran plus loin… On trouve par exemple, chez les fournisseurs de matériel destiné aux étudiants en médecine, des moulages articulés des os de la main qui feront une crédible « main de squelette », ingrédient nécessaire à certaines opérations magiques que connaissent bien les joueurs qui sont allés du côté de Loudun… Certains vieux cierges ou chandelles à la cire jaunie et salie font de vénérables « chandelles de gloire » d’un réalisme inquiétant… Un flacon de faux sang peut aussi s’avérer utile à l’occasion, pour en tacher une lettre ou la lame d’un poignard un peu particulier… Il y a, sur la toile, des magasins spécialisés dans les « effets spéciaux » de théâtre et de cinéma, ce que l’on nomme aujourd’hui « FX »… Une visite s’impose ! Je terminerai en citant un accessoire qui paraît banal, mais qui ne l’est pas si l’on veut rester dans un certain réalisme : le revolver (à barillet) ou le pistolet. Nous parlons bien évidemment de répliques (à amorces éventuellement) ! Même si Maléfices n’est pas un jeu où priment les combats armés,

cet accessoire est utile, parce que souvent possédé par les « méchants » et malfrats de tous poils que nos personnages affrontent à l’occasion. Or, trouver dans un magasin de jouets un faux pistolet à broche de la Belle Époque comme il y en avait plein le catalogue des armes et cycles de Saint-Étienne, c’est la quête du Graal ! Même un revolver qui n’a pas un look trop moderne est très difficile à dénicher ! Naturellement, ces aides de jeu nombreuses ont un inconvénient certain : au vu du matériel à transporter, il est plus facile de jouer chez soi que de tout transbahuter en un autre lieu. Cela dit, on aura compris que ce n’est pas pour chaque scénario que l’on peut avoir – et concrétiser ! – de telles idées. C’est, et cela doit rester, exceptionnel ! Le plaisir ludique éprouvé autour de la table en vaut largement la chandelle, ainsi que le temps investi par le meneur !

Pour conclure Nous espérons que cette tentative de faire partager au plus grand nombre ces petits plaisirs (coupables ?) vous aura convaincus. On objectera évidemment que l’on peut parfaitement jouer sans tout ce tintouin, que tout peut passer par l’imagination, et que cela peut même être mieux… Admettons. Mais si vous voulez que vos parties de Maléfices demeurent gravées dans la mémoire de vos joueurs, ce type d’éléments sporadiques est un excellent (et excitant) moyen d’y parvenir ! Reste que, si tout ceci participe des efforts du meneur de jeu pour rendre ses parties plus « particulières » encore, on ne peut pas terminer un tel développement sans défendre, paradoxalement, la thèse que tout ceci, même fort intéressant, est accessoire (on ne saurait mieux dire !). Ce qui compte vraiment, et ce vers quoi doit tendre tout

meneur, débutant ou plus chevronné, tient en quelques mots : il doit réussir à capter, assimiler puis utiliser la redoutable « puissance d’évocation » du meneur de jeu. Tous ceux qui ont eu un jour l’occasion d’assister à la prestation d’un grand conteur savent ce qu’il en est. Ces gens-là vous « agrippent » avec leurs mots, de simples mots, oui, mais ils vous happent et… ne vous lâchent plus. C’est évidemment l’essentiel, et si tout ce qui a été écrit avant ces ultimes lignes a pu « effrayer » quelques meneurs à plus d’un titre, sachez que la seule maîtrise de ce pouvoir-là, le pouvoir des mots, suffit pour emmener vos joueurs dans de terribles et délectables voyages au sein de l’univers si particulier, fait d’aventure et de frisson mêlés, que propose à ses passionnés le jeu qui sent le soufre…

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$ Le Club Pythagore Le Club Pythagore fait partie de l’univers de Maléfices depuis sa première édition, comme en témoignent les scénarios déjà parus (Une étrange maison de poupées, Le drame de la rue des Récollets, Le Dompteur de Volcans et La musique adoucit les meurtres dont il est l’un des fils rouges). Jusque-là, les rares renseignements disponibles à son sujet étaient éparpillés au fil de ces scénarios. Nous proposons ici, dans l’attente de la publication d’un supplément qui lui sera entièrement consacré, de réunir l’ensemble des

informations de base dont tout meneur a besoin pour présenter ce Club légendaire. Et qui sait, il n’est pas exclu que cette future publication permette d’achever ce cycle de scénarios impliquant le Club Pythagore initié il y a plus de trente ans… Les deux scénarios présents dans ce livre de base (Le marchand de jouets et Rêveurs éveillés) permettent également au meneur d’introduire le Club Pythagore dans le paysage.

Origine et création Le Club Pythagore tire son nom d’un personnage légendaire dont on ne dispose que de très peu d’écrits. Il semble avoir été philosophe et mathématicien. Il serait né en –580 et mort vers –495. Son parcours l’aurait amené en Arabie, en Chaldée, et en Égypte notamment. Il aurait appris la connaissance des songes, la pratique de la divination et l’astronomie. Suivi par une congrégation de fidèles, il aurait formulé nombre de recommandations ou maximes. Selon lui, il fallait « parler religieusement de l’espèce divine, des démons, des héros et avoir sur eux des idées justes ». Il préconisait de « sacrifier aux dieux du ciel ouraniens en nombre impair, aux chtoniens en nombre pair ». Il opposait deux puissances : « la meilleure, la monade, lumineuse, droite, égale, stable, directe ; la moins bonne dyade, obscure, gauche, inégale, circulaire, mouvante ». Le Club Pythagore est fondé le 2 janvier 1900 à Paris par le docteur Albert Langelier, alias Caton, qui le dirige encore. Le Club s’installe lors de sa création dans des locaux du Palais Royal, au 115 Galerie de Valois.

Les origines du Club Pythagore et les raisons de sa création sont mystérieuses, les dirigeants du Club entretiennent à ce sujet un flou certain. Tout juste sait-on qu’une réunion se tint à Londres en 1899 à l’initiative d’un homme portant le pseudonyme de Philon d’Alexandrie. Cet homme incita les cinq autres participants à instaurer des Clubs Pythagore dans leurs capitales respectives (Londres, Paris, Berlin, Rome et Vienne). Les activités que les membres fondateurs du Club Pythagore ont développées jusqu’à sa création formelle sont tout autant secrètes, du moins pour la plupart de ses membres ordinaires. Les principales informations dont disposent les nouveaux membres sont celles données par Caton dans son discours d’intronisation (cf. encadré). En réalité, l’histoire du Club Pythagore et les raisons de sa création remontent à bien plus loin dans le temps. Mais ceci est une autre histoire.

Buts Dès sa création mystérieuse, le Club Pythagore a eu pour objectif d’étudier les mystères de l’humanité. Avec le rationalisme triomphant, l’étude des phénomènes inexpliqués, de l’occulte et du paranormal pouvait enfin suivre une méthode scientifique. Sans a priori ou préconception, les initiateurs du Club ont décidé de prendre au sérieux l’ensemble des phénomènes et manifestations étranges qui avaient enrichi maintes légendes, et dont certaines remontaient aux plus lointaines époques de l’humanité. Occultisme, alchimie, sorcellerie et ésotérisme constituaient pour ces pionniers un champ de recherches inépuisable. Rapidement, l’étude de ces objets s’étendit également à celle des mouvements, sectes et groupes se réclamant de ces traditions. Le développement important de pratiques comme le mesmérisme ou le spiritisme ne représentait alors que la partie visible d’une lame de fond

qui submergea les sociétés européennes et d’Amérique du Nord. Profondément rationalistes, les fondateurs du Club Pythagore se fixèrent comme mission d’étudier ces mouvements à l’échelle du continent. D’abord secret et informel, le Club Pythagore est aujourd’hui une société ayant pignon sur rue, fonctionnant sous la forme d’un cercle scientifique, intellectuel et littéraire. Ni secte ni société secrète, le Club Pythagore est cependant une société discrète. Comprenant dans son siège parisien plus d’une centaine de « sociétaires », il a adopté comme but dans ses statuts : « l’étude, selon une approche objective et scientifique, des phénomènes, des théories et des idées autour du surnaturel et de ses manifestations réelles ou supposées. Il vise à l’approfondissement de la connaissance de ces phénomènes. »

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Fonctionnement Le Club Pythagore est un cercle fermé. Pour en faire partie, il faut être coopté et parrainé par au moins deux sociétaires. Cette invitation à se rapprocher du Club est précédée d’une enquête menée par des sociétaires qui auront préalablement repéré les candidats. Elle vise à s’assurer que ceux-ci partagent les objectifs et les valeurs du Club et qu’ils sont susceptibles d’être un atout pour celui-ci. Avant de devenir à leur tour sociétaires, les candidats sont conviés à prendre part à quelques événements et à manifester un intérêt aux activités déployées au sein du Club. Lors d’une réception par Caton (cf. discours plus loin), le Club Pythagore leur est présenté. Au terme de celle-ci, ils sont invités à dire s’ils acceptent de le rejoindre. Si c’est le cas, ils acquièrent alors le titre de membre du Club Pythagore. Ils choisissent aussi, selon la tradition, un pseudonyme inspiré de figures célèbres des arts et des sciences. C’est par ce pseudonyme que les membres et les sociétaires s’adressent la parole. L’identité réelle des membres du Club Pythagore n’est pas secrète, certains membres jouissant d’une notoriété publique. Une fois devenu sociétaire, l’usage du pseudonyme s’estompe au fil du temps. En revanche, lors d’une séance officielle du Club, son usage est de rigueur.

Après une année, les membres peuvent déposer leur candidature pour devenir sociétaires. Celle-ci est examinée par les organes du Club. Si durant l’année écoulée depuis leur réception comme membre tout s’est bien passé et qu’ils ont manifesté intérêt et attachement au Club, ils sont accueillis par Caton comme sociétaire (ce discours et les informations sur le Club qu’il contient seront présentés dans le supplément consacré à cet effet). Généralement d’un niveau social moyen à élevé, les membres masculins et féminins du Club exercent toutes sortes de professions et d’activités : entrepreneurs, mécènes, artistes, hauts fonctionnaires, médecins, scientifiques, avocats, juges et politiciens fréquentent les locaux du Club. Le Club Pythagore fonctionne comme ces clubs anglais héritiers des « coffee houses » du XVIIIe siècle. Lieu de socialisation, le Club Pythagore est aussi un lieu dans lequel diverses manifestations sont organisées pour les membres et sociétaires ainsi que pour quelques invités triés sur le volet. Conférences, colloques, banquets et concerts y sont régulièrement programmés. Le Club Pythagore est géré au quotidien par Sénèque, qui en est le secrétaire perpétuel. Véritable bras droit de Caton, il connaît tous les secrets du Club et ceux de chacun de ses membres…

Locaux Dans ses locaux du Palais Royal à Paris, le Club Pythagore offre tous les jours de l’année l’accès à une salle de lecture, une salle de conférences et de bal, une bibliothèque

et un modeste bar, sans compter les locaux administratifs du Club. Le personnel du Club inclut une poignée d’employés choisis pour leur efficacité et leur discrétion.

Le Club Pythagore dans le cadre du jeu Le Club Pythagore offre au meneur et aux joueurs une plateforme sur laquelle scénarios et campagnes peuvent être conçus. Les ressources patrimoniales et financières du Club, dont seuls quelques initiés connaissent l’origine, permettent à ses membres de jouir de nombreux privilèges : bar, frais de voyages payés par le Club pour des déplacements, par exemple. Sans compter que la richesse principale du Club consiste en un fonds bibliothécaire assez conséquent dans les disciplines scientifiques. Sans être exceptionnel, le Club peut également se targuer de disposer d’ouvrages et de références en matières occultes et paranormales. Il n’est donc pas rare que des scénarios débutent dans les salons feutrés du Club. Dans le cadre de ce jeu, les joueurs sont la plupart du temps soit sociétaires, soit membres en attente de le devenir. Le Club peut les mandater pour mener une enquête. Les joueurs peuvent aussi solliciter le Club dans le cadre de leurs propres enquêtes ou pérégrinations pour obtenir renseignements ou soutien. Il est peu probable qu’un ouvrier ou un journalier devienne membre du Club Pythagore, a priori réservé à

une certaine élite. Pour autant, cela n’est pas totalement exclu. Deux hypothèses peuvent se présenter. La première serait qu’un joueur ou une équipe de joueurs incarnent des membres du personnel permanent du Club. La seconde serait que le joueur incarne une personne dotée de facultés ou d’une expérience indispensables au Club et qu’il ait été repéré. On peut ainsi imaginer qu’un artisan soit un médium exceptionnel ou qu’un cabaretier soit un hypnotiseur hors pair. De même, une voyante talentueuse pourrait également intéresser au plus haut point le Club Pythagore. Leurs compétences et expertises leur permettraient d’être sollicités pour devenir membres, voire sociétaires, après enquête approfondie, cela va sans dire… Libre au meneur de faire du Club Pythagore sa seule et unique source de scénarios et de jouer ainsi les scénarios « en campagne ». Les scénarios qui seront prochainement publiés ne seront pas tous directement liés au Club Pythagore. Pour ceux-ci, un encart permettra de suggérer des pistes pour le rattacher plus ou moins étroitement au Club Pythagore selon le souhait du meneur, pour autant que le scénario se déroule après le 2 janvier 1900.

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Les informations présentées ici sont bien évidemment lacunaires. L’histoire du Club Pythagore, de son origine à sa création, les portraits de ses membres illustres et son fonctionnement quotidien détaillé feront l’objet d’un

supplément qui lui sera entièrement consacré. Vous y trouverez tout ce qu’il faut pour faire du Club Pythagore un lieu emblématique de Maléfices.

DISCOURS DE CATON LORS DE LA RÉCEPTION DES NOUVEAUX MEMBRES Après avoir été cooptés pour rejoindre le Club Pythagore et surtout après avoir fait l’objet d’une enquête de respectabilité et de moralité, les nouveaux membres sont intronisés lors d’une réception conduite par Caton, le président du Club Pythagore de Paris. Il s’adresse à eux en ces termes : « Chers amis, chères amies, vous êtes ici dans les locaux du Club Pythagore. Je doute que vous ayez jamais entendu parler de notre Club. En effet, si nous ne sommes pas un club secret, nous souhaitons toutefois demeurer discrets. Nous ne nous soucions guère d’être connus sur la place publique ou de la publicité que l’on pourrait faire autour de nous et de nos activités. Au contraire, nous nous en méfions et considérons qu’elle serait plutôt de nature à gêner nos travaux. Aussi préférons-nous choisir nous-même nos membres après avoir, vous nous en excuserez je suis sûr, pris quelques renseignements sur eux afin de nous assurer de leur, euh… moralité. Le but de notre Club est l’étude impartiale de tous les phénomènes, actes, manifestations, inventions, présents ou passés, inexpliqués ou mal expliqués. Quand je dis impartiale, je veux dire que nous attendons de nos membres qu’ils se penchent sur les problèmes que nous leur soumettons sans décider a priori si l’explication doit en être rationnelle ou irrationnelle. Les deux ont ici le droit de cité. Aussi trouverez-vous dans notre Club aussi bien des mathématiciens que des spirites, des ingénieurs que des magnétiseurs, sans compter nombre d’artistes et de curieux de toutes espèces. La principale qualité que nous espérons de vous est la curiosité ! Entendez-moi bien, j’insiste, au sein du Club Pythagore, on pourra vous pardonner beaucoup de choses, y compris d’être un peu en délicatesse avec la loi, mais deux choses sont impardonnables pour les membres de notre association : le manque de curiosité et la violence gratuite. J’espère que vous prendrez le temps nécessaire pour bien réfléchir à ce que je viens de vous dire.

Si vous acceptez ces conditions et ces quelques règles, nous vous accueillons aujourd’hui en tant que membres du Club Pythagore. Ce statut, la plupart du temps transitoire, vous permet d’avoir accès à une partie des ressources de notre Club, dont son salon et sa petite bibliothèque. Quand le temps sera venu et que vous aurez manifesté intérêt et engagement en faveur du Club Pythagore, nous vous proposerons d’en devenir sociétaires. À ce moment-là, bien d’autres choses encore vous seront révélées. Vous porterez désormais les noms de personnages célèbres des arts et des sciences, que vous avez choisis ; c’est ainsi que vous serez appelés dans les murs de ce Club, et c’est ainsi aussi que vous interpellerez vos confrères et consœurs. Bienvenue au Club Pythagore ! »

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$ Scénarios Introduction Nous vous proposons ici deux scénarios pour entrer dans l’univers de Maléfices. Le premier peut être joué en l’espace d’une soirée et prévoit une scène introductive qui va permettre aux joueurs de présenter leur personnage en même temps que l’action s’installe. Nous y avons aussi inclus un certain nombre de conseils pour vous faciliter sa prise en main si vous êtes débutant. Ce scénario met en scène des phénomènes dont chacun restera libre de penser qu’ils sont naturels ou surnaturels. L’enquête est volontairement ramassée sur deux jours, afin là encore de vous simplifier la tâche. Le second scénario est le prolongement du premier, mais vous n’en direz rien à vos joueurs… Il reprend et éclaire des points restés inexpliqués à la fin de celui-ci, et constitue un défi bien plus important pour vos joueurs, avec une enquête comportant de nombreuses pistes, dont certaines fausses… L’ambiance est plus inquiétante, et nos personnages ne s’en sortiront pas sans avoir affronté le démon qui se révèle être derrière tout cela. Entre ces deux scénarios, vous pouvez, si vous le souhaitez, intercaler le scénario Une étrange maison de poupées. Ce serait même idéal, car le second scénario, Rêveurs éveillés, y fait certains clins d’œil en forme d’hommage. Ce n’est toutefois pas du tout indispensable, c’est simplement une possibilité à votre disposition.

AVERTISSEMENT AU MENEUR DE JEU Maléfices n’est pas un « jeu à secrets ». Il est donc possible d’y être parfois joueur, parfois meneur, on peut se partager les scénarios à mener, et c’est très bien comme cela ! Attention, cependant ! Il faudra faire une exception pour les deux scénarios du livre de base et Une étrange maison de poupées (qui s’intercale entre les deux). Ces trois scénarios, à l’insu des joueurs, sont liés et doivent, à cause de cela (et aussi pour un plaisir ludique optimal des joueurs), être menés par un seul et même meneur.

Voyons à présent ce qu’il vous est nécessaire de savoir avant de mettre en scène Le marchand de jouets, notre premier scénario. Tout d’abord, voici Mme la baronne Calixte de Lariniel. Paroissienne fervente, Mme la baronne a décidé d’organiser une fête de charité au profit des orphelins de sa paroisse de Saint Thomas d’Aquin (7e arr.). Chacun y apporte de petites choses à vendre ou donne un coup de main pour la préparation des invitations ou des stands. La fête aura lieu dans trois semaines et, en ce début de scénario, nos personnages, qui ne se connaissent pas forcément, vont se retrouver chez Mme la

baronne. Viennent-ils en simples visiteurs ? Leur présence a-t-elle ou pas un rapport avec la fête de charité ? Laissezles décider de leur lien avec la baronne, toutefois, celui-ci ne doit pas être anodin, car Calixte leur demandera des choses dans ce scénario. Toujours est-il que les voilà attablés avec la baronne en début de soirée. C’est là qu’ils vont rencontrer Ambroise Roumeyran, marchand de jouets. Ambroise est un artisan extrêmement habile qui fabrique des jouets que l’on penserait enchantés. Il ne s’agit en réalité que de pure et géniale mécanique. Il est installé à Paris depuis quelques années. Hélas, le malheur a frappé sa maison ! Sa fille Anna est tout d’abord devenue progressivement paralytique, puis il a perdu brutalement son épouse victime d’une crise cardiaque, et pour finir, sa fille est morte à son tour d’une foudroyante maladie. Tous ces malheurs sont-ils le fruit du hasard ? Ceci vous sera révélé dans le deuxième scénario. Pour l’heure, Roumeyran est dans le déni le plus complet quant à la mort de sa fille, et les personnages vont être amenés à le découvrir, partant à la recherche de cette jeune fille que l’on croit kidnappée à la suite d’un cambriolage, avant de se rendre compte de la triste réalité, qu’il faudra faire accepter à Ambroise. Plusieurs amis et connaissances de la famille Roumeyran vont pouvoir les aider. Par exemple Fernand, le petit voisin qui vient jouer avec Anna. Eh oui, qui vient jouer, car le fantôme d’Anna hante toujours le magasin de jouets. Vous découvrirez au fil du scénario ce qu’attend cet esprit. Fernand, que la vie n’a pas favorisé, va devenir une pierre angulaire des deux histoires. D’autres personnages non joueurs vont également intervenir, vous les croiserez au fil de votre lecture. Mais au cours de ce scénario, les personnages vont aussi faire une rencontre qui va changer leur vie. En effet, des membres du Club Pythagore (Club que les personnages de nos joueurs ne connaissent pas encore !), intrigués par les jouets de Roumeyran, ont décidé de l’inviter au Club lors d’une soirée. Quand les personnages entrent en scène, les Pythagoriciens les prennent tout d’abord pour des “ennemis de Roumeyran”. Mais ils se rendront rapidement compte que leurs intentions paraissent louables, voire que leur manière d’agir pourrait faire d’eux des candidats idéaux pour le Club Pythagore. Aussi vont-ils les filer pendant tout le scénario pour étudier leurs faits et gestes. À la fin de cette première aventure, s’ils ne se sont pas conduits comme des brutes épaisses évidemment, les personnages devraient donc se voir proposer de rejoindre le Club Pythagore. L’interprétation que chacun donnera à la conclusion de ce scénario est ouverte, et pourra être aussi bien rationnelle qu’irrationnelle. Mais nombre de points resteront

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pour l’heure sans réponse… Heureusement, le second scénario permettra aux personnages de comprendre que derrière cette histoire de famille qu’un feuilletoniste du début du XXe n’aurait pas reniée, se cache quelque chose de bien plus terrible et bien plus sombre…

Vous en savez à présent suffisamment pour que cette première aventure commence ! Note sur les aides de jeu : vous pouvez télécharger toutes les aides de jeu sur le site www.arkhane-asylum.fr.

Note au meneur de jeu : nous vous conseillons de lire les scénarios avec la liste des PNJ et la chronologie à portée de main, afin de pouvoir toujours savoir facilement qui est qui. Par ailleurs, si vous êtes meneur débutant, vous comprendrez rapidement qu’il est impossible d’envisager toutes les situations dans un scénario de jeu de rôle. Une partie des interactions est donc nécessairement laissée à votre inspiration, à votre interprétation, et parfois même à votre improvisation ! De ce fait, il est essentiel que vous lisiez le scénario en entier et que vous compreniez bien, avant de commencer à le mener, quelle en est la logique, quels sont les passages obligés et les indices indispensables. Si cela est clair pour vous, quoi que fassent vos joueurs, vous devriez toujours pouvoir retomber sur vos pieds !

$ Le marchand de jouets Jour 1, mardi 19 août 1902 Chez Mme la baronne Calixte de Lariniel (14 rue de Saint-Simon, VIIe arr.) Présentation des personnages Nous sommes aux alentours de six heures du soir en cette fin du mois d’août 1902. Les personnages, qui ne se connaissent pas tous encore, se retrouvent fortuitement chez la baronne de Lariniel (leur [re]donner l’aide de jeu «carton d’invitation à la fête de charité». Rappel : il a pu leur être déjà fourni à la toute fin du scénario Une étrange maison de poupées), une amie à eux. Ils sont de passage, venus soit rendre une petite visite à la baronne, soit lui demander un service, lui proposer une prestation artistique, ou simplement apporter un lot pour sa future tombola… La baronne, en effet, prévoit une fête de charité le mercredi 10 septembre suivant au profit des orphelins de la paroisse Saint Thomas d’Aquin, dans le 7e arrondissement où elle réside. Chaque joueur doit donc commencer par inventer un lien qui le relie à la baronne de manière positive. Nous les retrouvons attablés autour d’une tasse de thé (ou de quelque chose de plus fort si on le souhaite). Note au meneur de jeu : 1/ Le plan de la maison de la baronne, (fourni en page 308) n’est pas utile au cours de ce scénario. Contentezvous de décrire un bel hôtel particulier avec un grand parc arboré. Une description plus fine sera nécessaire dans le scénario suivant et le plan aura alors toute son utilité. 2/ À ce stade, et comme il s’agit probablement du premier scénario des personnages, aucune présentation n’a encore été faite. Celle-ci va se passer à présent, en roleplay (ou interprétation du personnage que l’on a choisi), constituant peut-être la finalisation de la création des personnages, et en même temps la première scène du scénario. Dans ce cas, la scène peut se dérouler dans un autre lieu, un café chic par exemple. La baronne commence à poser une question à l’un des personnages de votre choix, qu’elle ne connaît finalement pas très bien. Par exemple : « Ainsi vous êtes avocat ? Mais vous êtes bien jeune pour exercer cette charge ! Racontez-nous cela ! » ou encore « Mon Dieu, un militaire tel que vous doit avoir une foule d’anecdotes ! Racontez-nous-en une… Tenez, la fois où vous avez eu le plus peur ! » ou encore « Une femme médecin ?

Mon Dieu, mais c’est peu commun ! Racontez-nous donc comment vous avez réussi cet exploit ! » N’hésitez pas à poser des questions de détail, à prendre les choses par le petit bout de la lorgnette plutôt qu’à poser des questions très générales qui risquent de retomber dans la présentation classique de personnages. Une fois que le joueur aura répondu, invitez chacun des autres personnages à lui poser une question. Ainsi vous créerez d’emblée une interaction entre les joueurs. Puis, procédez de la même manière pour les autres personnages. À la fin du tour de table, chaque personnage devra avoir posé au moins une question à chacun des autres personnages.

Arrivée de Roumeyran Alors que le tour de table se termine, on entend une camionnette se garer devant la propriété, une porte claque et voici qu’arrive un homme qui traîne derrière lui une caisse sur roulettes. Mme la baronne le présente immédiatement aux personnages : Note au meneur de jeu : Voici un exemple de ce qu’elle pourrait dire pour ce faire : « Ah, approchez, approchez mon bon Ambroise ! Je suis bien contente que vous veniez apporter votre pierre à notre œuvre de charité ! Tenez, je vous présente (ici présentation des PJ). Mes amis, Ambroise Roumeyran est un artisan extraordinaire ! Il fabrique des jouets tout simplement in-croya-bles ! C’est bien pour cela que vous venez Ambroise, n’est-ce pas ? Vous nous avez apporté quelques-uns de vos jouets à vendre ! Oh, comme c’est merveilleux ! Montrez-nous cela, je suis impatiente ! » Après cette introduction, les personnages pourront poser quelques questions à Roumeyran, puis examiner ses jouets. Il les sort un par un et en fait une petite démonstration, si on le lui demande. Si on l’interroge, il racontera qu’il est marchand de jouets non loin d’ici (au 1 rue Amélie), mais que sa plus grande satisfaction est de fabriquer des jouets extraordinaires pour sa fille Anna qui,

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la malheureuse, ne peut plus marcher car elle est paralysée. D’ailleurs, il ne peut rester trop longtemps, la petite est toute seule dans l’arrière-boutique du magasin et il ne voudrait pas qu’elle se sente délaissée. On ne pourra s’empêcher de remarquer la tristesse qui envahit le visage de Roumeyran à l’évocation de son enfant paralysée. Toutefois, il prendra volontiers le temps de faire une petite démonstration des jouets apportés avec lui. Note au meneur de jeu : les deux informations importantes à transmettre aux personnages ici sont : Anna est paralysée ; elle est toute seule à la maison et attend le retour de son père.

Il y a tout d’abord un couple de danseurs d’une quinzaine de centimètres de haut. Les habits des deux personnages sont brodés avec soin, et on peut admirer l’élégance du chapeau de la dame. Roumeyran semble actionner un petit mécanisme et le couple se met à danser au milieu des invités en paraissant les éviter. Ce qui frappe surtout, c’est la grâce et la fluidité de leurs mouvements, on dirait un véritable couple en miniature en train de participer à un bal. Après quoi, Roumeyran sort un musicien tenant un orgue de barbarie et deux petits singes qui l’accompagnent, l’un équipé de cymbales, l’autre portant chapeau. Une fois remonté, le musicien se met à jouer et il semblerait même qu’il émette quelque chose qui pourrait faire penser à une musique. L’un des petits singes rythme la mélodie aux cymbales, l’autre enlève son chapeau et,

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chose étonnante, semble venir chercher les personnages, leur tourne autour, secouant le galurin comme s’il essayait de leur soutirer quelque argent. Là encore, la fluidité des mouvements est parfaite. Vous pouvez inventer d’autres descriptions en vous basant sur les aides de jeu ou sur vos propres recherches.

porte Anna et éventuellement de s’occuper d’elle ou de la lui ramener à son hôtel tant que son père sera à l’hôpital. Notez que l’on peut trouver les clés du magasin sur Roumeyran lui-même ou dans sa camionnette, à votre discrétion. Note au meneur de jeu : 1/ C’est ici le véritable enjeu de cette scène : les personnages doivent se rendre chez Roumeyran pour s’occuper d’Anna. C’est pourquoi il était important de donner cette information à l’arrivée du marchand de jouets, comme nous vous l’avons déjà signalé plus haut. Même s’ils n’y vont pas tous, la baronne ne manquera pas de faire appel à leur bon cœur pour ne pas laisser une enfant paralysée seule dans l’attente du retour de son père. Notez que des personnages à ce point sans empathie qu’ils resteraient indifférents à cette situation n’auraient de toute façon pas leur (future) place au sein du Club Pythagore ! 2/ C’est ici aussi que les liens entre les personnages et la baronne sont importants : ils ne peuvent ignorer les supplications de Calixte. 3/ Sachez d’ores et déjà que Roumeyran est dans le coma et ne reviendra à lui que le surlendemain matin, mais ça, personne ne peut le savoir.

Note au meneur de jeu : ce moment est très important, car c’est la première occasion pour les personnages d’être confrontés à quelque chose de « bizarre », pour lequel ils n’ont aucune forme d’explication satisfaisante, ni rationnelle, ni irrationnelle. Prenez donc le temps de mettre ces jouets en scène et de laisser les personnages les observer. Roumeyran laissera volontiers les spectateurs examiner ses jouets, tout en leur conseillant tout de même de les manipuler avec soin. On ne trouvera rien d’extraordinaire, si ce n’est la qualité des finitions et des habits : il s’agit bien de jouets de métal, en tout cas en apparence ! Si un personnage avait l’indélicatesse de briser un des jouets, outre qu’il se ferait très mal voir, il ne trouverait à l’intérieur que ressorts, roues dentées miniatures, articulations et aimants qui lui sauteraient à la figure. Mais la soirée s’avance et Roumeyran doit prendre congé. « Anna m’attend », s’excuse-t-il. Il laisse sa carriole de jouets et s’en va. Il fait de grands signes d’au revoir à la compagnie tout en traversant la route à reculons… On entend alors un énorme bruit de klaxon, un coup de frein violent, un choc et l’on voit Roumeyran passer par-dessus le véhicule qui vient de le percuter sous les yeux des personnages impuissants. Il gît au sol, gravement blessé, saignant des oreilles, à peine conscient. C’est l’affolement ! Mme de Lariniel manque s’évanouir, le chauffeur coupable s’est arrêté et semble pétrifié par ce qui vient de se passer. Roumeyran murmure : « Anna… Ma petite Anna », dans un râle, puis perd connaissance. Que l’on appelle une ambulance ou que l’on procède avec son propre véhicule, il est évident qu’il faut emmener Roumeyran à l’hôpital le plus proche, qui se trouve être l’hôpital Laënnec, rue de Sèvres/rue Vanneau.

Ainsi, tous ou certains des personnages (mais de préférence tous) devraient se rendre à la boutique. La baronne possède la carte de l’artisan, et connaît donc l’adresse : 1 rue Amélie, 7e arr. Ce n’est pas trop loin de chez la baronne, on peut y aller à pied. Avec toutes ces péripéties, la nuit commence à tomber quand les personnages arrivent chez notre marchand de jouets. Note importante : comme on le sait, la petite Anna est morte, ne « vivant » plus que dans l’esprit dérangé de son père (et dans l’esprit de Fernand qui voit son spectre, mais c’est hors sujet ici). Les personnages, s’ils se mettent à la recherche de la fillette, vont donc découvrir une maison vide. Personne ne répond à leur appel. La présentation des pièces de l’appartement de Roumeyran (et des indices importants que l’on peut y trouver) ne tient pas compte de cette recherche d’Anna par les personnages, que le meneur gérera selon les actions de ses joueurs. 1/ Il est important pour la suite de l’aventure que les personnages découvrent en ce lieu des indices, sans lesquels leur enquête va tourner court. Le meneur veillera donc à ce que ses joueurs s’intéressent tôt ou tard à ce qui se trouve dans la boutique et surtout dans l’appartement de l’artisan. 2/ Faites en sorte que les personnages s’orientent au début vers un possible enlèvement. L’idée ne tiendra pas sur la durée, mais elle est source d’angoisse et d’interrogations, ce qui est toujours ludiquement intéressant.

Note au meneur de jeu : ici intervient la perturbation du récit qui va lancer l’aventure. Jusqu’à présent, tout se passait bien, et le récit était dans une sorte de situation d’équilibre. L’accident vient rompre cette situation et plonger les personnages au cœur de l’action. Jouer cette scène de manière vive, c’est l’affolement, on court dans tous les sens, personne ne semble capable de prendre une décision… Il faut donc que les personnages gèrent cette situation nouvelle. Une fois le marchand en sécurité, ou entre les mains des ambulanciers, si personne n’y a pensé, Mme de Lariniel s’écriera : « Mon Dieu, la petite Anna ! ». Si les personnages ne réagissent pas, elle les suppliera de se rendre à la boutique de Roumeyran pour aller voir comment se

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$ La boutique merveilleuse, 1 rue Amélie (VIIe Arr.)

La boutique fait le coin de la rue de Grenelle et de la rue Amélie. Elle possède donc deux larges vitrines sur la rue, dans lesquelles sont présentés divers jouets mécaniques. Les personnages pourront également remarquer une très belle maison de poupées, en dessous de laquelle on a posé un petit carton portant l’inscription « Réservé ». Elle est simplement magnifique, avec un souci très scrupuleux des détails, y compris dans les pièces que l’on entrevoit.

Note au meneur de jeu : il s’agit bien entendu de la maison réservée par Elie Karsfield, et qui fait l’objet d’un autre scénario sans doute bien connu de certains de nos lecteurs (Une étrange maison de poupées), que nous vous conseillons du reste de faire jouer à votre groupe juste après ce premier scénario, si c’est encore possible évidemment ! Cette maison, par ailleurs, n’a pas de rôle particulier dans notre histoire, c’est un petit clin d’œil aux vieux Maléficieux…

La boutique de Roumeyran Lorsqu’ils voudront entrer dans la boutique, les personnages s’apercevront que la porte a visiblement été forcée. La serrure est à présent abîmée et la porte ferme difficilement. Ils pénètrent tout d’abord dans la partie « magasin » de la boutique (cf. plan, page suivante). Là, des jouets, mécaniques ou pas, sont présentés sur diverses étagères. Un vaste comptoir occupe le fond de la salle. Derrière ce comptoir, des étagères montent jusqu’au plafond, elles aussi couvertes de jouets ou d’automates. Une porte entre ces rayonnages permet d’accéder à l’arrière-boutique (qui servait également de salle de jeu à

Anna). Cette porte n’est pas fermée à clé. Quand on entre, on distingue une longue table et des étagères couvertes de jouets. Sur le sol gisent quelques-uns d’entre eux. Si l’on observe les articles sur les étagères, on s’apercevra que soldats et archers semblent pointer en direction de la porte. Note au meneur de jeu : il s’agit de jouets que le fantôme d’Anna a lancés à la tête des cambrioleurs pour les mettre en fuite et dont vous apprendrez l’identité dans le second scénario !

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Une étrange installation circule entre ces étagères et le bureau : il s’agit d’une ligne de chemin de fer en modèle réduit. Au niveau du bureau, sur les rails, sont stationnés une locomotive et un wagon ouvert accroché à elle. Les rails serpentent entre les étagères. Un mécanisme de commande derrière le bureau permet d’envoyer le train chercher des jouets. Derrière le bureau se trouve un fauteuil roulant adapté à un enfant handicapé. Les jouets mécaniques ont visiblement été bousculés. La pièce a sans doute été fouillée. Mais il n’y a là nulle trace d’Anna. On remarque deux autres portes : l’une mène à la cave, elle a aussi été forcée ; l’autre mène à l’étage, et n’a pas été forcée (elle n’était sans doute pas fermée à clef) On peut mettre en route le petit train électrique si on le souhaite : il suffit de tourner une molette et d’actionner l’interrupteur derrière le bureau. Le train se met alors en route pour aller chercher sur une étagère le jouet choisi en fonction de la position de la molette. Le petit train se rend donc jusqu’à l’emplacement demandé. Là, un petit poussoir surgit de la locomotive et appuie sur un loquet au niveau de l’étagère. Le battant qui retenait le jouet visé est libéré, il s’ouvre, et le jouet tombe dans le wagon. Puis le train repart en sens inverse et apporte le jouet devant le bureau. L’ensemble du système fonctionne en partie grâce à l’électricité, en partie grâce à un ingénieux système de rouages et d’engrenages qui se trouve sous les rails et le bureau. Il n’y a absolument rien de magique dans cette installation, mais les personnages pourraient bien avoir la sensation de se retrouver face à quelque chose de parfaitement inexplicable. Note au meneur de jeu : 1/ Avant qu’il ne se passe quoi que ce soit, laissez le temps aux personnages de découvrir les lieux. Appuyez-vous sur le paragraphe précédent et sur le plan fourni pour décrire la scène. Tout est en bois (comptoir, étagères, meubles), verre (vitres, bocaux), métal ( jouets, vieilles boîtes de conserve remplies de vis et de ressorts) et tissus (habits des jouets). Inspirezvous de photos de jouets d’époque pour garnir les étagères à votre convenance. N’oubliez pas qu’il fait maintenant nuit, la lumière est donc assez chiche. Si on allume l’électricité, seule une faible ampoule éclaire la scène. Cette absence de lumière devrait contribuer à installer doucement une ambiance inquiétante : pour la première fois, les personnages vont être confrontés à quelque chose qui fleure le fantastique. 2/ La pièce n’est pas exempte de présence surnaturelle. En effet, le fantôme d’Anna y rôde souvent. Lors de cette première visite, la fillette ne cherchera pas à s’en prendre aux personnages, mais se contentera d’essayer de les effrayer un peu, de les chasser, en déplaçant certains jouets sur les étagères. 3/ Laissez les personnages explorer la pièce dans cette semi-pénombre (la nuit est tombée, l’éclairage est réduit). Laissez-les manipuler les jouets, les mettre en route, s’émerveiller devant leurs prouesses. Puis, pendant ces explorations au milieu des étagères, dans leur dos, faites bouger des jouets (« animés » ou plutôt mis en

route par Anna). L’idée est que les personnages ne puissent pas savoir si les jouets bougent d’euxmêmes, s’il s’agit de ressorts qui finissent de se distendre ou s’il y a dans cette pièce un esprit qui les fait agir. Le but de toute cette scène et de l’exploration de la pièce est de conforter le doute dans l’esprit des personnages : pouvoirs surnaturels de jouets enchantés, ou mécanique incroyablement géniale ? C’est le moment pour vos personnages d’effectuer leur premier tirage de RAT de degré 0 ! Prenez votre temps et laissez les personnages explorer cette pièce autant qu’ils le veulent. Depuis cette pièce, outre la porte qui donne sur le magasin lui-même, deux portes permettent de se rendre d’une part dans la cave-atelier, d’autre part dans l’appartement de l’étage. Pour l’instant, une seule chose sûre : Anna est introuvable ! • L’ATELIER : un escalier très raide permet d’aller dans la cave-atelier (cette pièce aussi a visiblement été fouillée par les intrus). Des ampoules électriques éclairent la pièce. En bas, on trouve un grand établi, le long duquel sont rangés, dans de petits casiers en bois, outils, minuscules engrenages, ressorts, vis, fils extrêmement fins et résistants, etc. Sur l’établi, on voit divers petits jouets en cours de réparation ou de fabrication, ainsi qu’une grosse loupe qui permet de réaliser des travaux minutieux. Dans une caisse, tout à fait au bout de la pièce, on trouvera des barres métalliques, des pièces variées… Difficile au premier regard de savoir de quoi il s’agit : ce sont des barres d’un métal à la fois assez léger, mais solide, un alliage, certaines brutes, d’autres travaillées, en forme de cercle, d’autres avec des courbes plus évasées ; des roulements à billes, des pièces sphériques qui peuvent s’emboîter, etc. Au fond de la caisse se trouvent des plans griffonnés et des feuillets couverts de schémas et de calculs abscons. Note au meneur de jeu : tout ceci représente les travaux (à présent abandonnés, mais on ne peut le savoir) de Roumeyran. En réalité, ce sont des schémas et des éléments d’un prototype d’orthèses de jambes, mais ne prononcez jamais ce mot « d’orthèses ». Contentez-vous de décrire le contenu de la caisse comme présenté. C’est aux personnages de comprendre au fil du scénario de quoi il retourne précisément. Note au meneur de jeu : l’atmosphère ici n’est pas aussi inquiétante que dans la salle du haut, et pour cause, le fantôme d’Anna n’y erre pas. Insistez plutôt sur le côté atelier : plans, outils, vis et rouages bien rangés et triés dans autant de petits casiers. C’est le règne de la technique. On a visiblement apporté un soin tout particulier à l’éclairage de cet espace de travail, qui est bien plus lumineux que la pièce que viennent de quitter les personnages. Mentionner ce détail permettra d’emblée d’installer une atmosphère différente.

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L’escalier qui monte mène à l’étage. Il est flanqué d’un siège mécanique monté sur une crémaillère qui doit permettre, moyennant un ingénieux système de ressorts et de contrepoids, d’emmener Anna à l’étage. L’appartement est inoccupé, mais toutes les pièces paraissent avoir été fouillées.

lettres et des poèmes de Roumeyran adressés à sa femme (on l’a dit, il a continué à lui écrire un an après sa mort) (AdJ 1).

• LE SALON : il ne présente rien de particulier si ce n’est, posé (oublié ?) sur une commode du salon, un courrier provenant du CNAM, Conservatoire national des arts et métiers, (AdJ 5) avec deux bulletins de salaire pour Roumeyran qui y donne quelques heures de cours du soir par semaine. • LA CHAMBRE D’ANNA : la chambre est propre, le lit est fait et n’a pas été dérangé (Ambroise Roumeyran s’occupe tous les jours de la chambre de sa fille, ce qui explique qu’il n’y ait pas là de poussière). On remarque sur la table de chevet une photo représentant Anna et Fernand (mais les personnages ne peuvent le savoir à ce stade).

• LA CHAMBRE DES PARENTS : cette chambre meublée d’un grand lit, d’une armoire et d’un lavabo, ne présente rien de particulier. Dans l’armoire, des habits masculins (M. Roumeyran) et, dans des housses en tissu, des vêtements féminins assez élégants (ceux de sa femme). Sur la table de nuit, la photo d’une jolie femme d’une quarantaine d’années (la défunte Mme Roumeyran). Dans le tiroir de la table de nuit, des

• LES BUREAUX : ici se trouvent la plupart des indices intéressants du lieu. On y remarque deux bureaux. Sur le plus grand, on voit des crayons, pinceaux, encre de Chine, ainsi qu’un nécessaire de couture, une machine à coudre et des petits habits inachevés (il servait de table de travail à Mme Roumeyran). Ambroise n’a touché à rien depuis la mort de sa femme. On trouvera dans un tiroir de ce meuble un jeu de cartes divinatoires (Lenormand ou « L’oracle des dames et des demoiselles ») et une lettre signée d’une certaine Mme Lampart, vantant les mérites spirites de Mme Roumeyran (AdJ 2). L’autre bureau, le plus petit, sert à Ambroise pour rédiger sa correspondance. Il y trône une photo de la famille Roumeyran datée de 1896, sur laquelle on voit clairement qu’Anna, qui a environ six ans, n’était pas paralysée à cette époque. On y trouve également une lettre d’un certain M. Lupstein, horloger, avec lequel Roumeyran s’entretient régulièrement (AdJ 3), et une lettre concernant Anna, signée « Philippe » – les joueurs apprendront plus tard l’identité de l’expéditeur : le professeur Lègue du service des enfants malades – (AdJ 4). Enfin, une enveloppe contient 30 francs en billets, elle est accompagnée d’une carte marquée d’un sceau (AdJ 6), sans adresse, sur laquelle il est écrit « comme convenu », c’est tout.

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déclencher. Si vos personnages se répartissent en deux groupes (un qui fouille l’étage, l’autre qui reste au rez-de-chaussée), faites d’abord jouer la fouille de l’étage, puis cet incident au rez-de-chaussée. Tandis que les personnages explorent la maison sans y trouver trace d’Anna, ils entendront un bruit au rezde-chaussée. C’est un jeune garçon d’une bonne dizaine d’années (Fernand) qui vient d’arriver, intrigué parce qu’il a vu les personnages s’introduire dans la boutique. Il appelle Anna. Quand il voit les personnages, il hésite un instant puis s’enfuit à toutes jambes et file de l’autre côté de la rue dans son immeuble. Il peut aisément être suivi jusque chez lui. Si on ne le suit pas, les voisins pourront facilement renseigner les personnages pour trouver son appartement. Si on frappe à la porte, son père – alcoolique et violent – ouvre. Si on émet la moindre critique sur Fernand, il corrigera celui-ci devant les personnages. Il acceptera que les personnages interrogent Fernand. Celui-ci leur dira qu’il vient presque tous les jours jouer avec Anna. Il reste vague sur ce qu’ils font tous les deux, mais confirme bien qu’ils « jouent ensemble ». Note au meneur de jeu : Fernand est un « sensible » et peut donc percevoir « l’autre monde ». Du coup, dans son esprit d’enfant, la frontière entre les deux mondes n’est pas toujours claire et il est absolument certain de jouer avec Anna. Attention, il ne dit pas qu’Anna est vivante, il dit simplement qu’il joue avec elle ! Dans cette première partie, il ne faut pas que les personnages comprennent trop vite qu’Anna est morte. Donc Fernand restera vague. Cependant, si un personnage a une intuition ou un soupçon, il se contentera de dire : « Ben elle est là quoi, on joue ensemble, qu’est-ce que vous voulez de plus ? », et son père d’intervenir : « Holà, mais vous êtes qui, vous autres, pour raconter des salades pareilles à mon gamin ? Vous allez attirer le malheur sur nous en parlant d’horreurs comme ça, allez, foutez le camp ! ». Cette intervention sauvera Fernand de la poursuite de l’interrogatoire.

Note au meneur de jeu : comme il a été expliqué plus haut, il est indispensable que les personnages trouvent ces différents indices, qui vont leur permettre de poursuivre leur enquête. Ne gâchez jamais un scénario si les personnages ne fouillent pas « exactement au bon endroit ». Ces documents ne sont pas dans une cachette secrète, ils ne sont pas protégés par un sortilège, etc. Dans ces cas-là, ils peuvent aussi bien se trouver dans un tiroir de la chambre (les lettres d’Ambroise à sa femme), oubliés bien en vue sur une commode du salon (lettre des Arts et Métiers ou de Lupstein), etc. Et vos joueurs ne sauront jamais si vous les avez aidés en « déplaçant » un document. Quoi qu’il en soit, il vaudrait mieux que les personnages ressortent de l’appartement avec ces documents, en tout cas pour des joueurs débutants (des joueurs expérimentés auraient sûrement l’idée de retourner fouiller en se disant « qu’ils sont passés à côté de quelque chose »). • DANS LA CUISINE : la table est mise pour deux personnes, et un petit repas pour deux a été préparé ; les habits d’une enfant d’une dizaine d’années, récemment lavés, sont en train de sécher. Il n’y a rien de particulier à trouver dans les autres pièces de l’appartement (sauf si vous décidez, de vous-même, de déplacer certaines aides de jeu).

En revenant dans la boutique (ou juste en jetant un coup d’œil vers la rue s’ils n’ont pas suivi Fernand), ils verront, parmi les derniers passants qui parcourent encore la rue, deux messieurs plutôt bien mis en train de regarder la vitrine. Les personnages pourront, dans la nuit, distinguer leurs silhouettes, sans plus : un grand maigre et sec et un plus petit, un peu rondouillard, qui marche avec une canne. Les deux inconnus s’éloigneront sans se presser, en discutant. Les personnages n’ont a priori aucune raison de les interpeller, mais s’ils le faisaient, les deux hommes leur répondraient « qu’ils ne voient pas bien pourquoi on demande des comptes à deux honnêtes citoyens qui se promènent la nuit ».

Note au meneur de jeu : intervient à présent un incident. Vous aurez compris qu’il est nécessaire d’attendre que les personnages aient visité l’étage pour le

Note au meneur de jeu : les deux inconnus sont deux membres du Club Pythagore (dont les personnages, rappelons-le, ne connaissent pas l’existence), qui

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s’intéressent à Roumeyran en vue d’abord de l’inviter à présenter ses extraordinaires jouets lors d’une soirée, puis de l’inviter le cas échéant à rejoindre le Club. Ils ont eu vent de l’accident, et sont venus prendre des nouvelles du marchand de jouets. Pour l’heure, ils se demandent qui sont les personnages et décident de les surveiller de près, afin de savoir s’ils ne sont pas là pour des motifs inavouables. À ce stade, les personnages devraient déduire qu’Anna a été enlevée ou à tout le moins être très intrigués par sa disparition. Ils devraient commencer à explorer les pistes semées ici, mais pour cela, il leur faudra attendre le lendemain matin.

Note au meneur de jeu : si les PJ demandent son avis à la baronne ou s’ils se gardent d’agir, celle-ci entrera en contact avec eux pour prendre des nouvelles de la fillette. Durant tout ce scénario, la baronne agira si besoin est comme aiguillon pour inciter les personnages à retrouver « cette pauvre enfant disparue ». Elle insistera sur le thème de « on ne peut pas faire confiance à la police, ils vont mettre des jours avant de prendre la chose au sérieux, par pitié, faites quelque chose ! ». Même quand on lui aura dit qu’elle est morte depuis près de 6 mois, la baronne, qui n’était pas plus au courant que quiconque les poussera « à éclaircir ce mystère ».

$ Jour 2, mercredi 20 août L’enquête Cette journée et peut-être une partie de la suivante vont permettre aux personnages d’explorer les diverses pistes qu’ont pu leur suggérer les indices découverts chez Roumeyran. L’ordre de ces investigations est très libre, celui du texte n’est qu’indicatif. ROUMEYRAN EST À L’HÔPITAL : s’ils se rendent à l’hôpital Laënnec, le docteur Le Vigan leur annoncera que « M. Roumeyran se trouve dans le coma, pour une durée que l’on ne peut déterminer pour l’instant. On doit le surveiller, le laisser se reposer, et attendre qu’il en sorte… éventuellement. Repassez demain si vous voulez prendre des nouvelles ». Il ne se risquera pas à un quelconque pronostic. Les personnages devraient donc avoir le temps de suivre les pistes suivantes durant la journée. Note au meneur de jeu : en fait, Roumeyran restera dans le coma toute cette journée (mais les joueurs ne doivent pas le savoir à ce moment). Lorsqu’il se réveillera le lendemain dans la matinée, les personnages auront compris que sa fille est en réalité morte, et que lui-même fait probablement ce qu’ils ne savent pas se nommer un « déni de réalité ». Le scénario prend alors une tout autre tournure…

Suivis ! Durant toute cette journée, les personnages seront suivis par deux individus, les mêmes que ceux qu’ils ont croisés devant la boutique la veille au soir. Cette surveillance se fera de loin, avec prudence (donc difficile à repérer, voir Règles de filature, page 230), mais sera réelle. Il s’agit bien entendu des deux membres du Club Pythagore. Dans un premier temps, intrigués par la présence des personnages dans la boutique la veille au soir, ils imaginent qu’ils sont les auteurs du cambriolage. Mais ils se rendront rapidement compte qu’ils cherchent des informations sur Anna. Ils continueront alors à les suivre pour d’autres raisons : le comportement des personnages pourrait faire d’eux de bons candidats pour le Club Pythagore. Pour s’en assurer, ils veulent être témoins de la manière dont ceux-ci mènent leur enquête. Il est possible que les personnages réussissent à tendre un guet-apens à ces deux suiveurs. Faites-en sorte, si cela devait arriver, qu’ils n’en aient pas l’occasion avant la fin de la journée, de sorte que nos deux hommes aient eu le temps de juger de la façon d’agir de nos héros. Si en effet les personnages parviennent à coincer les deux membres du Club en fin de journée, ceux-ci s’en montreront en réalité amusés, et trouveront que décidément, ces enquêteurs amateurs méritent qu’on leur propose de rejoindre le Club Pythagore, même s’ils n’en diront rien avant la

fin du scénario. Ils se contenteront d’éluder les questions d’un air badin, sembleront trouver que la plaisanterie est vraiment très bonne, et ils fausseront compagnie aux personnages aussi rapidement que possible. Après tout, les membres du Club Pythagore sont des personnages horsnormes, non dépourvus de ressources ! Dans ce cas, ils cesseront leur filature et les personnages ne les reverront plus avant la fin du scénario. Si d’aventure les personnages parvenaient à inverser les rôles et à filer leurs suiveurs, ils pourraient les suivre jusqu’au Palais Royal, siège du Club Pythagore. (Cela gâche un peu la fin et si vous pouvez l’éviter, ce n’est que mieux !) Ils ne pourraient toutefois pas y pénétrer avant d’y être invités par la suite.

Et la police ? Si les personnages prennent contact avec la police, celle-ci se montrera peu pressée de prendre l’affaire en main : « Les enfants disparus, la plupart du temps, on les retrouve dans les quarante-huit heures… Z’inquiétez pas, dans deux jours elle refera surface, la gamine. Elle est paralysée ? Et alors ? La consigne, c’est la consigne : on attend quarante-huit heures ! » Bien entendu, la baronne ne manquerait pas de les interpeller s’ils se contentaient de cette réponse. Par ailleurs, concernant le cambriolage, la police ne peut prendre la plainte que de la part du propriétaire de la boutique. Ils ne peuvent mobiliser un planton devant le magasin pour cause d’effectifs. Du coup, puisque les personnages sont les amis du propriétaire et ont déjà les clés, le fonctionnaire de service jauge les personnages, prend leur identité et… les « bombarde » gardiens du magasin !

Madame Adélaïde Lampart

(21 rue Borghèse à Neuilly, nord-ouest de Paris, jouxtant le 17e arr.) Madame Lampart habite un coquet petit hôtel particulier de Neuilly. Une plaque dorée annonce la couleur : « Melpomène, Spirite. Communication avec les esprits – Contact avec les êtres défunts ». Note au meneur de jeu : l’impression globale qui doit ressortir de cette rencontre est l’outrance. Cette outrance ne vise pas à caricaturer la voyante, mais à introduire le doute chez les joueurs : charlatanisme ou véritables pouvoirs ? (Entre nous, meneurs, Adélaïde Lampart possède quelques réels dons de médiumnité, mais il faut bien vivre, alors elle diversifie ses « pouvoirs » et les moyens de se faire payer…)

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L’hôtel se situe dans un petit parc, fermé sur la rue par une grille de fer forgé. Si l’on sonne, un domestique très guindé viendra ouvrir et faire taire Anubis, le chien de Madame, qui garde la maison. Dans le parc, on peut admirer quelques reproductions de statues antiques au milieu de fontaines surchargées d’ornements. Les personnages seront introduits auprès de « Melpomène » sans difficulté, celle-ci ayant l’habitude de recevoir toutes sortes de personnes qui la consultent pour des raisons souvent peu rationnelles. Mme Lampart est une femme assez forte, portant des robes amples aux couleurs chatoyantes, les mains couvertes de bijoux, et tripotant sans cesse d’énormes colliers qui ornent son cou. Elle recevra les personnages dans son salon, véritable musée hétéroclite rassemblant statuettes, amulettes, objets sacrés réels ou supposés, d’origines aussi diverses que variées. Elle confirmera avoir connu Mme Roumeyran, qui était membre de sa société spirite, d’ailleurs elle est toujours en contact avec elle ! Si on l’interroge sur leurs relations actuelles, elle confirmera bien que celle-ci a rejoint « l’autre monde » et qu’elle la contacte régulièrement, lors de séances de spiritisme qu’elle organise. Elle la décrit comme une femme d’un grand talent et d’une grande générosité. Elle aidait son mari à la boutique en fabriquant « avec beaucoup de goût et d’habileté » les vêtements des jouets. Elle est « passée dans une autre réalité » il y a deux ans, dans des circonstances tragiques, ce fut si brutal ! (Pour rappel, Mme Roumeyran est morte d’une crise cardiaque foudroyante le 18 août 1900 ; Mme Lampart le sait et n’en fera pas mystère). Elle n’a vu ni M. Roumeyran ni Anna depuis. En réalité, elle ne les a jamais rencontrés, si ce n’est aux obsèques de son amie, naturellement ! Tout absorbée par sa passion spirite, elle ne s’est jamais vraiment intéressée à la famille de Mme Roumeyran. S’ils n’y pensent pas, elle pourra proposer aux personnages de participer cette nuit même, ou la suivante, à une séance afin de contacter l’esprit de Mme Roumeyran. Elle donnera rendez-vous aux personnages un peu avant minuit, chez elle, ni avant ni après. Note au meneur de jeu : il n’est pas possible d’écrire le dialogue qui va résulter de cette rencontre, il dépend éminemment des questions que les joueurs vont poser. Utiliser les éléments fournis ci-dessus pour fabriquer les répliques de Mme Lampart, l’art du meneur de jeu tient aussi de l’improvisation théâtrale. L’essentiel est qu’elle puisse trouver un prétexte pour dire aux personnages que Mme Roumeyran est « passée de l’autre côté » et de leur proposer une séance de spiritisme afin de la contacter le soir même. Les personnages devraient ressortir de cet entretien sans bien savoir comment interpréter ce qu’ils ont vu : est-ce une pure mise en scène ? Mme Lampart est-elle sincère ? A-t-elle réellement déjà contacté l’esprit de Mme Roumeyran ? Laissez les personnages interpréter les faits selon les options de leurs personnages, en laissant quant à vous les différentes pistes ouvertes.

Saul Lupstein (42 rue des Vinaigriers, 10e arr.) Saul Lupstein est un horloger dont la boutique est située non loin du canal Saint-Martin. Il est grand, mais replet, dans sa blouse grise. Seule fantaisie : une grosse moustache « à la gauloise » orne son visage… Tout chez lui respire l’exactitude, la précision et la rigueur. Quand les personnages pénètrent dans la boutique, Lupstein est en train de réparer une montre à l’aide d’outils de précision et d’une de ces loupes que l’on se « visse » à l’œil comme un monocle. Si on l’interroge, il pourra dire : « Ah, oui, je connais bien Ambroise Roumeyran. Il vient souvent me demander des conseils quand il a des difficultés à réaliser certains mécanismes. Il nous arrive de travailler ensemble sur certains modèles ici même, dans ma boutique. » Si on continue de questionner, il pourra expliquer qu’il lui semble que le génie de Roumeyran s’est surtout révélé il y a quatre ou cinq ans et qu’à partir de cette période, il était sujet à des inspirations fulgurantes et venait moins souvent le visiter. Par ailleurs, il pourra apprendre aux personnages que Roumeyran utilise de préférence des matériaux précieux comme des fils d’or pour certains de ces mécanismes, afin d’en améliorer la longévité et la fluidité de mouvement. C’est lui qui le fournit pour ce matériel rare et de précision. Rare, donc cher ! Toutefois, Roumeyran s’est toujours heurté à un problème : il aurait aimé faire voler ses jouets, mais il n’a jamais découvert comment. Saul n’a jamais rencontré ni Mme Roumeyran ni Anna, et pourra confirmer que le fabricant de jouets mène une vie plutôt recluse. Cependant, comme il n’est pas facile de trouver de la clientèle pour des jouets aussi sophistiqués et que certains composants coûtent cher, il sait que M. Roumeyran vend également d’autres jouets meilleur marché, et donne surtout des cours du soir à l’école des Arts et Métiers de la rue Saint-Martin (3e arr.). Note au meneur de jeu : l’intérêt de la rencontre est de renforcer l’idée que les jouets en eux-mêmes ne sont pas « magiques ». Par ailleurs, les personnages repartent avec l’adresse de l’école des Arts et Métiers. Il se peut que vos personnages soupçonnent Lupstein d’avoir voulu voler des plans appartenant à Roumeyran. Laissez-les faire leurs hypothèses. Ils ne trouveront évidemment rien qui puisse les confirmer.

Le Conservatoire des arts et métiers

(entrée principale 45 rue Saint-Martin, 3e arr.) Aux Arts et Métiers, on connaît bien le fabricant de jouets. N’importe quel personnel administratif ou enseignant pourra confirmer que M. Roumeyran vient quasiment tous les soirs de la semaine donner des cours de 18 h à 20 h Il est globalement apprécié de ses étudiants, mais passe pour quelqu’un de fort discret sur sa vie privée. Il a des relations plus privilégiées avec le Professeur Jacquet, qui enseigne lui aussi la mécanique.

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Le Pr Jacquet peut être rencontré sur les lieux. En plus de ce qui a déjà été mentionné plus haut, il pourra apprendre aux personnages que Roumeyran a deux rêves : d’une part, il voudrait réussir à faire voler certains de ses jouets et, d’autre part, il travaille sur un prototype de jambe artificielle, pas une prothèse, plutôt ce que la médecine nomme une orthèse, un appareil qui aurait permis à sa fille de marcher à nouveau. Il lui avait fait part de son projet, mais il semble que, depuis quelques mois, il soit à court d’idées, ce qui a un peu noirci son humeur. À ce jour, pour ce qu’en sait Jacquet, le projet est en suspens, peut-être même abandonné. Par ailleurs, il sait également que Roumeyran est en contact avec un médecin de l’hôpital des Enfants Malades, le Pr Lègue, pour étudier la possibilité de faire fonctionner cette orthèse. C’est d’ailleurs ce même médecin qui s’occupe d’Anna depuis qu’elle est malade. Jacquet n’a jamais vu ni la femme ni la fille de Roumeyran, mais il sait que Mme Roumeyran est morte en 1900. Note au meneur de jeu  : ici, on apprend que Roumeyran a deux rêves (faire voler ses jouets et fabriquer des orthèses mécaniques). Ce dernier point est très important pour la fin du scénario, ne laissez pas les personnages passer à côté de cette information. Par ailleurs, la piste continue avec le nom du professeur Philippe Lègue. Si les personnages cherchent à le rencontrer, il leur faudra se rendre à l’hôpital des Enfants Malades (127 rue de Vaugirard, 15e arr.) L’infirmière qui les reçoit est totalement débordée par l’accueil de nombreux blessés suite à une bagarre au couteau entre bandes d’apaches. Tout le monde court partout. Elle prendra cependant trente secondes pour leur dire qu’après sa garde de cette nuit, le Professeur Lègue n’est pas de service ce jour ; elle leur proposera de revenir le lendemain, où il sera présent en journée.

Si les personnages passent discrètement la tête par la porte de l’arrière-boutique, il leur semblera aussitôt qu’il fait bien froid dans cette petite pièce, pour un mois d’août… Mais surtout, ils pourront voir Fernand assis par terre en train de manipuler des petits personnages, tandis qu’une montgolfière semble s’élever toute seule dans les airs. Le jeu se poursuivra jusqu’à ce que les personnages se manifestent, la montgolfière montant et descendant pendant que Fernand installe des personnages dedans. Dès que l’on intervient, le jeu cesse et la montgolfière tombe brutalement à terre. Fernand tentera très probablement de s’enfuir : les personnages lui font peur et il n’est pas censé être là. Quand les personnages essayeront de l’arrêter, des jouets se mettront à voler et à les frapper afin de faciliter la fuite de l’enfant (Anna protège son ami !). Voici un événement suffisamment important pour mériter un tirage de Rationalité de degré 2 ! Si les personnages parviennent à le rattraper et à le rassurer, ils pourront en apprendre un peu plus. S’ils évoquent la cave avec lui, il sera gêné, mais avouera qu’il y descend de temps en temps, quand Anna le lui demande. Elle veut qu’il termine des jambes mécaniques que son père n’a pas finies. Ça pourrait aider les amies qu’elle a rencontrées à l’hôpital. Parfois même, il a une inspiration et il arrive à bricoler des choses, mais souvent il a du mal. En fait, Ambroise ne l’aime pas, il l’accuse de « toucher à tout et de tout casser » ; « Il ne veut plus que je vienne, il dit que je veux toujours bricoler les jouets. D’ailleurs, j’ai des idées, plein d’idées, mais je ne peux pas les réaliser, si Ambroise ne m’aide pas… ». Note au meneur de jeu : plusieurs informations essentielles ici. La manière très vague dont Fernand parle d’Anna, le fait qu’eux ne la voient pas, les jouets qui volent, tout cela devrait confirmer les soupçons des personnages quant à « quelque chose de surnaturel ». Mais tout aussi important est d’expliquer qu’Anna demande à Fernand de finir les appareils de son père pour aider ses amies de l’hôpital, que l’enfant a l’impression d’avoir « tout le temps plein d’idées » et qu’il aurait besoin qu’Ambroise l’aide. Ces informations sont essentielles à la bonne fin du scénario. Quant à l’origine des « inspirations » de Fernand… eh bien, ce sera le sujet du prochain scénario ! Par ailleurs, c’est probablement le moment où Fernand va choisir un des personnages comme « personne préférée » et commencer à lui témoigner des gestes d’affection. Cela aura une très grande importance dans le second scénario, donc ne l’oubliez pas ! Il s’agira sans doute de la personne qui lui portera le plus d’attention ou d’affection.

Retour chez le petit Fernand Donzay Note au meneur de jeu : vous aurez compris que personne n’a vu Anna récemment. Cela devrait commencer à éveiller les soupçons chez nos amis. Ils devraient donc logiquement souhaiter revenir à la boutique à un moment ou à un autre de la journée (ou chez Fernand, qui habite en face). Fernand ne sera pas chez lui. Comme il s’est rendu compte que M. Roumeyran est absent, il en a profité pour « jouer » toute la journée avec Anna. Son père, qui ignore d’ailleurs où est passé son rejeton, est furieux, et promet de corriger ce garnement dès qu’il le retrouvera.

Retour à la boutique

La baronne de Lariniel

En entrant dans le magasin, les personnages entendront une petite voix qui provient de la pièce arrière : c’est Fernand qui parle avec Anna. Il lui demande de faire voler une montgolfière, de la faire redescendre et ainsi de suite.

On l’a signalé, la baronne vous servira si les personnages baissent les bras ou se demandent, après tout, pourquoi ils s’occuperaient de cette affaire. Elle prendra contact avec eux pour obtenir des nouvelles.

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Si elle ne sait toujours pas qu’Anna est morte, elle sera catastrophée à l’idée que la fillette ait pu être enlevée et suppliera les personnages de faire tout leur possible pour retrouver la malheureuse enfant, réutilisant les mêmes arguments que précédemment et les suppliant d’éclaircir ce qui se passe. Et si, à ce stade, elle apprend que la jeune fille est morte, elle sera catastrophée aussi, et poussera les personnages à essayer de comprendre ce qui se passe avec Roumeyran, qui apparemment n’aborde jamais le sujet de sa mort. « Je la croyais vraiment encore en vie, Roumeyran en parle sans cesse ! Par pitié, faites quelque chose ». Avec toutes ces péripéties, la journée devrait toucher à sa fin et les personnages, sans doute bien fatigués d’avoir couru partout, vont devoir décider s’ils vont ou pas à la séance de spiritisme se déroulant cette nuit chez Mme Lampart. N’oubliez pas que pendant toute cette journée, Ambroise Roumeyran est inconscient. Par ailleurs, le professeur Lègue, qui s’occupait d’Anna, n’est pas là et ne pourra être rencontré que le lendemain.

Séance de spiritisme chez Mme Lampart

Si cela devait arriver sans que Mme Lampart ait congédié l’esprit, la séance serait immédiatement et brutalement interrompue, et Mme Lampart s’écroulerait au sol, apparemment victime d’une sorte d’attaque cardiaque. Mais si les personnages suivent bien les instructions de la médium, rapidement la température de la pièce s’abaisse légèrement et l’esprit de Mme Roumeyran se manifeste en frappant un grand coup sur la table. S’en suit une séance de questions-réponses auxquelles l’esprit de Mme Roumeyran répond en frappant un coup pour « oui » et deux coups pour « non ». À moins qu’il ne s’agisse d’un trucage ? Mystère ! En tout cas, au bout d’une dizaine de questions, Mme Lampart, apparemment épuisée, congédie l’esprit, la température de la pièce remonte et la séance s’achève. Les personnages auront des réponses à certaines questions, mais ces réponses sont-elles fiables ? La pénombre empêchait de voir s’il y avait un quelconque mécanisme, un trucage en jeu. De plus, on ne reste dans le petit salon que le temps de la séance. Dès qu’elle est finie, Mme Lampart fait sortir tout le monde et on se retrouve dans le salon. Comme elle est épuisée, elle souhaitera aller se coucher rapidement et les personnages n’auront plus qu’à rentrer chez eux. Note au meneur de jeu : vous l’aurez compris, le but est de maintenir le mystère. Ont-ils vraiment été en contact avec un esprit, ou tout ceci n’est-il qu’une mise en scène ? En tout cas, les personnages sont libres de poser toutes les questions qui leur semblent utiles et les réponses que vous apporterez à leurs questions doivent être exactes et correspondre aux données du scénario. Mais vous ne pouvez répondre que par « oui » ou « non ». Si les personnages posent des questions auxquelles il est impossible de répondre de cette manière, tant pis pour eux, la table sera juste animée d’un léger flottement et cela fera une question en moins à poser. Il est souhaitable que les personnages apprennent à cette occasion qu’Anna est morte. Par ailleurs, des joueurs fins ou expérimentés pourraient d’emblée formuler des questions qui anticiperaient sur le scénario suivant. C’est aussi pour cela que le nombre de questions est limité. Cela dit, voici un nouvel événement surnaturel qui mérite bien un tirage de SPI de degré 1.

M  Lampart attendra les personnages chez elle pour minuit. Elle les fera pénétrer dans son petit salon, décoré à l’image du reste de la maison. La pièce est plongée dans la pénombre et seulement éclairée par quelques bougies. Les participants seront invités à prendre place autour du guéridon qui trône au milieu de la pièce. Mme Lampart les fait asseoir et leur propose d’invoquer l’esprit de Mme Roumeyran. Elle prend bien entendu toutes les précautions d’usage qui sont évoquées en page 250 de cet ouvrage. me

Note au meneur de jeu : il est possible que les personnages demandent à parler à l’esprit d’Anna. À ce stade du scénario, ce n’est pas un problème, de toute façon, le but de cette séance est de confirmer qu’elle est bien morte. Tous posent les mains sur le guéridon, les doigts se touchant, et Mme Lampart commence à appeler l’esprit de Mme Roumeyran. C’est elle qui mène la séance, donc les personnages n’ont pas de tests particuliers à faire. La seule chose qui est importante est qu’ils ne brisent pas la concentration de la médium ni le cercle qu’ils forment en se tenant la main.

Si les personnages ont participé à la séance, il ne leur reste plus qu’à aller se coucher et à se reposer avant le lendemain matin.

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$ Jour 3, jeudi 21 août L’enquête, suite et fin Que restera-t-il à faire aux personnages pour ce second jour d’enquête ? Sans doute, à ce stade, savent-ils qu’Anna est morte. Ils pourraient alors être un peu découragés ou se demander, après tout, pourquoi ils se mêlent de cette affaire. Dans ce cas, comme déjà signalé, faites intervenir la baronne de Lariniel qui s’informera auprès d’eux de l’avancée de leur enquête. Elle pourra leur dire que M. Roumeyran vient de se réveiller, mais qu’il est encore alité à l’hôpital Laënnec. En dehors de la visite à Roumeyran, la principale piste qu’ils peuvent suivre est celle du Pr Lègue à l’hôpital des Enfants Malades. À moins qu’ils ne soient pas allés au Conservatoire des arts et métiers…

Ambroise Roumeyran sort du coma (Hôpital Laënnec, 3 rue Vanneau, 7e arr.)

Dans son lit d’hôpital, Roumeyran se remet lentement. Il a retrouvé ses esprits, mais est encore faible et quelque peu confus. Les médecins parlent de le laisser sortir en fin de journée, « s’il va mieux ». Mais voilà, il réclame Anna et demande de ses nouvelles. Le personnel de l’hôpital, ne connaissant pas la situation, ne sait absolument pas que la jeune fille est décédée. Si l’on discute avec lui de sa famille, Roumeyran est tout à fait conscient que sa femme est décédée, mais il refuse l’idée que sa fille puisse l’être aussi. Si on le lui annonce brutalement, il pensera tout d’abord qu’elle est décédée dans la nuit, puis s’écroulera dans une terrible crise de nerfs… Bien entendu, les personnages seront rapidement évacués de l’hôpital après s’être fait lourdement sermonner par les médecins et les infirmières excédés. La bonne solution consiste à essayer d’en parler avec le personnel médical : une infirmière pourra les diriger vers un médecin psychiatre de l’hôpital. Celui-ci pourra suggérer la solution suivante : « Voyezvous, le problème, c’est que sans sa fille Anna, sa vie n’a plus de sens. Ce qu’il faudrait, c’est qu’il puisse s’investir dans un projet qui redonne du sens à sa vie, un projet qui le tire en avant… Il serait alors sans doute à même d’accepter la mort de sa fille… Hum… Pour ma part, je ne sais pas trop… Il faudrait mieux connaître le malade et ses habitudes, ses rêves… Roumeyran, vous m’avez dit ? C’est curieux, je crois que j’ai un collègue qui m’a parlé de lui, le Pr Lègue… »

Le professeur Lègue (Hôpital des Enfants

malades, rue de Vaugirard, 15e arr.)

Note au meneur de jeu : rappelons que le Pr Lègue ne pourra recevoir les personnages qu’en ce jour 3. Il sait qu’Anna est morte et pour cause, c’est lui qui l’a examinée quand elle se paralysait en 1898, puis qui l’a soignée et a tenté de la sauver de cette typhoïde qui l’a emportée en mars 1902. C’est aussi avec lui que Roumeyran travaillait sur son projet de jambes articulées. L’hôpital des Enfants Malades est adossé à l’hôpital Necker. Le Pr Lègue éprouve une réelle sympathie pour Roumeyran, et il pourra dire ceci aux personnages : • la maladie d’Anna était inexplicable et semblait incurable. Autant, pour les autres enfants du service, on pouvait diagnostiquer les causes de la paralysie, autant pour elle, cela paraissait impossible ; • Anna s’était prise d’amitié pour la plupart des enfants du service ; • Roumeyran et lui travaillaient ensemble sur un projet d’orthèse de jambes ; • Roumeyran a abandonné le projet il y a un peu plus d’un an, leurs travaux ne progressaient plus : « Lui, si capable d’intuitions géniales, il se plaignait de tourner en rond, de ne plus avoir d’idées… » ; • Anna est effectivement morte, mais Roumeyran n’a jamais accepté sa mort, et il continue à vivre comme si elle était vivante ; • en tant que médecin, il n’a jamais trouvé une manière « douce » de lui faire accepter la vérité, et il n’a jamais eu le cœur de le brusquer. Ce qui d’ailleurs n’est sûrement pas le bon moyen de l’aider ; • avec la mort d’Anna, après celle de son épouse, la vie a perdu son sens pour Roumeyran. Il faudrait pour qu’il accepte cette mort qu’il puisse s’investir dans un projet qui aurait du sens et qui lui permettrait de renouer avec la réalité ; • concernant les orthèses de jambes, Roumeyran, hélas, semblait être à court d’idées (et là, les personnages devraient se rappeler le jeune Fernand). « C’est d’autant plus dommage que la petite Anna, lorsqu’elle était en observation et en soins dans mon service, avait parlé des travaux de son père à certaines de ses amies paralysées comme elle, leur faisant miroiter des améliorations de leur état… Elle était si fière des recherches de son papa, elle disait que ça permettrait à tous les enfants du service de marcher à nouveau… C’est pour cela que j’avais accepté de l’aider quand il était venu me voir,

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m’expliquant qu’il n’avait aucune base d’orthopédie ou d’anatomie… »

3/ À ce stade, meneur, vos joueurs ont tous les éléments en main pour penser au dénouement. Ils ont de quoi avoir compris ce qui se joue ici, et peuvent donc agir à la fois pour satisfaire l’objectif de l’esprit chagriné d’Anna (voir aboutir les travaux de son père pour soigner des enfants) et pour redonner à Ambroise une motivation, un but à sa vie. Il tiendrait ainsi la promesse qu’il avait faite à sa fille et reprendrait confiance et goût à la vie… Mais à la fin de ce scénario, il restera des zones d’ombres, des choses inexpliquées. C’est normal : tout ceci, on l’a dit, trouvera son explication dans le second scénario.

Si les personnages expriment leur envie d’aider Ambroise, le Pr leur répond qu’il est prêt à leur apporter son soutien, s’ils en ont besoin, pour trouver une manière de présenter les choses à Roumeyran. Note au meneur de jeu : 1/ Mais pourquoi Roumeyran n’a-t-il plus d’idées ? Et pourquoi Fernand en a-t-il ? Mystère, mystère ! Pour le savoir, il vous faudra faire jouer le second scénario… 2/ L’allusion à la fierté d’Anna et à son désir de voir son père réussir ses orthèses est une façon de mettre les joueurs sur la voie d’un possible dénouement.

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Dénouement Il existe plusieurs façons de dénouer et terminer ce scénario, plus ou moins rationnelles ou fantastiques.

Note au meneur de jeu : la reprise de ses travaux par Ambroise est indispensable au départ du fantôme d’Anna. En effet, si elle hante encore l’atelier de son père, c’est certes pour jouer avec Fernand, mais surtout, on l’aura compris, c’est qu’elle veut que celui-ci reprenne ses travaux pour ses amies. Quoi qu’il en soit, il y a donc deux manières pour les personnages de percevoir la fin de ce scénario : soit ils considèrent qu’ils ont fait en sorte que les volontés du fantôme d’Anna soient exaucées et donc qu’ils ont libéré son âme (c’est une fin fantastique) ; soit ils considèrent qu’ils ont permis à Roumeyran de retrouver un sens à sa vie en reprenant ses travaux et donc qu’ils l’ont aidé à accepter la réalité, et l’ont ainsi sauvé de la folie (c’est une fin rationnelle). Un mélange des deux est évidemment possible. Dans tous les cas, une chose entraîne l’autre. Ne tranchez surtout pas entre ces diverses interprétations et laissez les personnages choisir celle qui leur convient le mieux. Le lendemain dans la journée, les personnages retourneront sans doute au magasin de jouets. Quand ils en repartiront, ils verront le vieil homme et l’enfant sur le seuil de la boutique, avec un Roumeyran souriant et protecteur qui déclare :

• AMENER ROUMEYRAN À ACCEPTER LE FAIT QUE SA FILLE ANNA EST MORTE est le plus important… et délicat : discours rationnel, arguments psychologiques ou intimes voire… séance de spiritisme. Roumeyran se montre très réticent, puis refuse en bloc. Il faudra le convaincre en pur roleplay, c’est une scène forte du scénario. Moyennant quoi, il finira par accepter cette séance de spiritisme où il entrerait en contact avec sa fille, qui lui expliquerait qu’elle a rejoint sa maman et que toutes deux seront patientes et le retrouveront… mais le plus tard possible ! Car en attendant, « il y a une promesse à tenir et de belles choses à accomplir pour mes amies malades ». Note au meneur de jeu : Roumeyran pourra à ce moment – si besoin ! – parler aux personnages de la promesse faite à Anna de fabriquer un appareil qui aiderait les enfants (et les adultes) atteints d’un mal similaire à pouvoir se tenir de nouveau debout et même remarcher avec des béquilles… Après une période d’abattement, le créateur redeviendra peu à peu le brave homme qu’il était, et sa vie pourra redevenir bien plus sereine et plus agréable. • POUSSER ROUMEYRAN À REPRENDRE SON TRAVAIL SUR SON ORTHÈSE en acceptant l’aide du petit Fernand qu’il pourrait d’ailleurs engager comme apprenti (et ainsi se réconcilier avec lui). Après cette nuit sans doute très émouvante, les personnages rentrent chez eux.

« Allez viens, petit, nous avons du travail qui nous attend en bas… (Il tourne le dos, son bras passé autour des épaules de l’enfant, et entre dans le magasin, se dirigeant vers l’escalier de l’atelier.) – Oui, M’sieur Roumeyran, parce qu’une idée m’est venue : j’ai pensé que l’engrenage à cliquets, on pourrait peut-être le rendre plus souple si… » (Le reste se perd dans les bruits de la rue…)

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$ Épilogue plein de promesses… Que ce soit juste en quittant la rue Amélie ou alors qu’ils sont ensemble dans les rues de Paris pour aller boire un verre après cette aventure, les personnages sont rattrapés par un fiacre qui s’arrête à leur hauteur. Quelqu’un ouvre la porte et les invite à « se joindre à eux pour prendre un verre dans un endroit sympathique » : il s’agit des deux personnes qui les filaient le premier jour de l’enquête. Si les personnages hésitent, les occupants du fiacre feront appel à leur curiosité : « Nous avons quelque chose à vous révéler qui pourrait fortement vous intéresser ! ».

cette mystérieuse invitation. Mais ceci est vraiment une autre histoire, qui ouvre le scénario Une étrange maison de poupées, aventure qui peut sans difficulté être jouée durant la période qui s’écoule entre le 1er et le second scénario contenus dans cet ouvrage.

SI LES PERSONNAGES REFUSENT DÉFINITIVEMENT l’invitation des inconnus, les choses en resteront là. Ils recevront cependant par la poste, le 28 août 1902, une curieuse lettre… Nul doute qu’ils répondront à

S’ILS ACCEPTENT, leurs hôtes les emmènent à travers les rues de Paris vers le Palais Royal, 115 Galerie de Valois (1er Arr), où le cocher arrête ses chevaux…

Note au meneur de jeu : montrez alors aux joueurs la lettre introductive du scénario « Une étrange maison de poupées ». Les « anciens » la reconnaîtront, et pour les nouveaux joueurs ce sera un « cliffhanger insoutenable » !

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Bienvenue au Club Pythagore Note au meneur de jeu : si les personnages sont là après avoir reçu une invitation par la poste, pensez bien à signaler aux joueurs qu’avec Caton se trouvent… les deux hommes qui les avaient accostés depuis leur fiacre il y a quelques jours… Avant que la grande porte sculptée ne s’ouvre et qu’un vieil homme plein de distinction ne les fasse entrer, ils auront le temps de lire, sur une plaque de cuivre vissée sur le mur : CLUB PYTHAGORE CLUB PRIVÉ L’intérieur est impressionnant, plutôt cossu, feutré, la décoration est sans ostentation, mais de très bon goût… C’est à la fois accueillant et confortable. Ils pourront facilement repérer, trônant dans le hall où ils se trouvent, un blason de belle taille qu’ils reconnaîtront pour l’avoir vu sur une enveloppe, chez Roumeyran. Il est accompagné ici de la devise « Vitam impendere Vero » (consacrer sa vie à la Vérité). L’homme, qui se présente chemin faisant comme « Sénèque » – « C’est un pseudonyme ! » s’empresse-t-il d’ajouter sur un ton pince-sans-rire –, conduit les arrivants dans un petit salon où un autre homme déjà assez âgé les attend. Sénèque se retire… L’homme leur adresse aussitôt la parole : « Bonsoir, je suis Caton, président du Club Pythagore de Paris… C’est un pseudonyme, bien sûr, et vous allez très bientôt comprendre le pourquoi de ce qui peut vous paraître une très étrange coutume… Mais asseyez-vous donc, et

mettez-vous à l’aise. Même si je n’ai pas l’intention d’abuser de votre temps, nous allons tout de même avoir une petite discussion… Que puis-je vous offrir à boire ? » Il sert à chacun ce qu’il a demandé, et reprend la parole : « Voyez-vous, vous êtes ici dans un hôtel particulier qui appartient à une association non pas secrète, mais discrète… le Club Pythagore, section de Paris ». Leur hôte leur fera alors le petit discours de bienvenue et de présentation réservé aux membres du Club Pythagore (vous trouverez ce discours dans la partie de ce livre dédiée au Club Pythagore, page 280). Après une pause, Caton reprend la parole : « Eh bien voilà, mes amis, vous savez tout ce que vous devez savoir avant de prendre votre décision. Vous êtes désormais considérés comme des membres potentiels du Club Pythagore, si vous le souhaitez ». Caton prend bonne note de l’assentiment que certains vont lui donner de suite, et ajoute : « Je vous laisse bien sûr un petit délai de réflexion, et vous enverrai très bientôt un courrier qui vous invitera à devenir officiellement membres de notre Club. Je vous dis donc à très bientôt ! » Gageons que les personnages attendront impatiemment cette fameuse invitation, et qu’ils saisiront l’occasion de devenir des membres de ce qui, à n’en pas douter, pourrait bien se révéler un vivier d’aventures à venir ! Note au meneur : Il s’agit bien entendu de l’invitation par laquelle débute le scénario « Une étrange maison de poupées », qui on l’a dit peut parfaitement s’enchaîner après cette aventure.

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Aides de Jeu Toutes les aides de jeu mises en forme sont téléchargeables sur le site www.arkhane-asylum.fr.

Aide de jeu n° 1 : lettres d’Ambroise à Blandine Aide de jeu n° 2 : lettre de la spirite Melpomène à Blandine Aide de jeu n° 3 : lettre de Saul Lupstein à Ambroise Roumeyran Aide de jeu n° 4 : lettre du docteur Philippe Lègue aux Roumeyran Aide de jeu n° 5 : bulletins de salaire (École nationale des arts et métiers) d’Ambroise Roumeyran Aide de jeu n° 6 : carte du Club Pythagore

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$ Rêveurs éveillés Introduction Rappelons-nous : au moment où ce scénario commence, les personnages sont invités à une fête de charité chez Mme la baronne Calixte de Lariniel. Mais, avant de faire vivre cette fête, nous vous devons quelques explications. Sans doute êtes-vous sortis de la première partie de cette aventure avec un sentiment d’inachevé ! Quel est le sens du cambriolage chez Roumeyran ? Quelle est la véritable cause de la paralysie d’Anna ? Et d’où viennent les talents extraordinaires de Roumeyran et de Fernand ? Nous allons à présent vous dévoiler les dessous de l’affaire avant de passer à la description de l’action proprement dite. Tout tourne autour d’un tableau sorcier. Un tableau ? Mais, me direz-vous, si vous êtes un ancien joueur de Maléfices, ou si, comme nous vous le suggérons, vous avez fait jouer Une étrange maison de poupées dans l’intervalle, il est déjà question d’un tableau dans ce scénario ! Eh bien oui, et pour tout vous dire ce n’est pas un hasard, car vous allez à présent retrouver messieurs Baumann et Meistermann qui, sous couvert d’une petite galerie d’art, font la chasse à certains tableaux sorciers. Ces deux occultistes amateurs d’art font partie d’un groupe ésotérique : « le cercle de Vitruve ». Celui-ci a pour but d’étudier et de récolter les œuvres d’art supports de pouvoirs sorciers. Le tableau dont il est question ici, Le Rêveur éveillé, était possédé par le père de Mme Roumeyran, qui en a hérité. Il s’agit d’une représentation foisonnante, dans le style de Jérôme Bosch, au milieu de laquelle est magiquement caché le démon Alocer, dont il sera abondamment reparlé. La couleur qui a servi à peindre ledit démon a été mêlée d’une pierre précieuse réduite en tout petits éclats, ce qui a permis à la fois de l’enchanter, mais également de le masquer aux regards de ceux qui observent le tableau… Il ne devient visible que lorsque l’on sait qu’il est présent dans le tableau, et que l’on a découvert son nom… Ce nom est Alocer, et les personnages devront enquêter sur lui d’abord pour l’identifier, puis le distinguer parmi toutes ces créatures étranges, et enfin le combattre. Ce tableau exerce un pouvoir de fascination sur quiconque le regarde attentivement. On s’abîme dans la découverte des multiples détails qui le composent. Mais au fur et à mesure que l’on contemple l’œuvre, des pensées géniales viennent à l’esprit ! Ce tableau fonctionne comme une sorte de « stimulant » qui permet de trouver des idées extraordinaires dans les domaines de l’ingénierie, la mécanique ou les mathématiques. Oui, mais comme vous vous en doutez, il y a une contrepartie à tout cela ! Et dans notre cas, elle est aussi simple que terrible : l’être le plus aimé de l’utilisateur va tomber malade et devenir progressivement paralytique. Ce que l’un gagne en inspiration, l’autre le perd dans son corps. Notons que ni Mme Roumeyran, née Nouguier, ni son père ne connaissaient l’existence de cette contrepartie,

du moins jusque récemment. De son vivant, M. Nouguier fit usage du tableau en « inventant » la tour Eiffel, et sa fille préférée, Apolline, devint paralysée. Il mourut, le tableau passa à sa fille Blandine et attira l’attention de son mari, M. Roumeyran. Celui-ci eut alors des idées extraordinaires pour ses jouets, mais sa fille Anna subit le même sort que sa tante : elle commença à souffrir de paralysie. C’est à ce moment-là que Mme Roumeyran, qui, rappelons-le, était un peu versée dans l’ésotérisme, se mit à avoir des doutes et à enquêter sur cette œuvre. Elle tomba sur la piste des « tableaux magiques » et alla voir un restaurateur puis une galerie d’art qu’elle pensait être versée dans ce genre d’objets. Et elle manqua de prudence. En effet, la galerie était tenue par les deux hommes qui, déjà dans Une étrange maison de poupées, voulaient s’emparer d’un tableau sorcier. Ils se rendirent rapidement compte que le tableau dont leur parlait Mme Roumeyran était très loin d’être ordinaire et qu’il faisait sans doute partie d’une série qu’ils recherchaient. Ils se mirent donc à la suivre. Mme Roumeyran s’en aperçut et, inquiète, alla cacher son carnet et ses notes chez sa sœur à Meudon, où elle connaissait une cachette sûre. Elle fut suivie, mais ses poursuivants, se trompant sur ses intentions et pensant qu’elle habitait là, cambriolèrent la maison. Chou blanc : ils cherchaient le tableau (qui ne s’y trouvait pas !), et pas les notes cachées par Blandine. Peu après, Mme Roumeyran mourut d’une crise cardiaque qui n’a rien à voir avec notre affaire, mais cette mort rompit le fil de la piste pour nos malfrats, qui ne la connaissaient que sous le nom de Nouguier. Pendant ce temps, M. Roumeyran continuait d’être, à son insu, influencé par le tableau et Anna continuait de décliner, mais sans que l’artisan puisse faire le lien entre les deux choses. Anna s’était rapprochée, comme nous l’avons expliqué dans le scénario précédent, du petit Fernand Donzay, que Blandine connaissait également. Elle avait fini par soupçonner que le fameux tableau « était pour quelque chose » dans la maladie de sa fille. Bien que n’ayant pas encore tout compris, sentant son cœur faiblir, elle décida d’éloigner le tableau de son foyer et de le confier à Fernand pour qu’il le cache chez lui, ne soupçonnant pas qu’un enfant puisse être tenté de s’en servir. Elle lui fit jurer de garder le secret et mourut peu après… Or Fernand, on le sait, possède une vraie sensibilité au surnaturel. Mme Roumeyran « le visite » de temps en temps pour lui rappeler de garder le secret. Après la mort d’Anna, la vie reprit son cours dans les circonstances que nous vous avons déjà exposées dans le premier scénario. Mais, grâce à un article de journal rappelant la mort de Blandine Roumeyran, messieurs Baumann et Meistermann réussirent enfin à renouer les fils de leur piste et comprirent que Mme Nouguier était en réalité la femme du célèbre artisan. Au vu des productions

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géniales de l’homme, ils n’eurent plus de doute : l’artisan devait être en possession du tableau. Ils organisèrent alors le cambriolage qui ouvre le premier scénario. Chou blanc à nouveau. Ils imaginèrent ensuite un nouveau stratagème. Meistermann, on s’en souvient peut-être si on a joué Une étrange maison de poupées, a des talents d’hypnotiseur. De plus, il est très intéressé par les images en général, mais aussi par les procédés modernes, notamment le cinéma. Le principe des images subliminales attira dès lors son attention. Il décida d’essayer d’en exploiter les potentialités. Il prend donc le nom de Mourrier et se fait inviter à la fête de la baronne. Puisque nos malfrats sont persuadés que le tableau est chez Roumeyran, mais qu’ils n’ont pas trouvé la cachette, autant lui suggérer de le voler lui-même et de le leur rapporter ! Cela sera fait au moyen d’un film qui contient quatre images subliminales : une image du magasin, une image du tableau, une image montrant un homme en train de fouiller, une image de la tour Eiffel, lieu où l’on souhaite que le tableau soit apporté. Bien entendu, la suggestion ne fonctionne que quand l’esprit rationnel du sujet est endormi, c’est-à-dire pendant son sommeil. Nous verrons dans le scénario que cette suggestion ne va

pas tout à fait fonctionner comme cela était prévu. Pour la suite de l’aventure, souvenez-vous bien que Meistermann et Mourrier sont une seule et même personne. Nous en sommes là quand le scénario débute… Mais quelques précisions tout de même ! D’abord, Fernand, l’ami d’Anna, a commencé à être influencé par le tableau sans bien savoir ce qu’il faisait. Or, le pauvre enfant en mal d’affection (lors du scénario Le marchand de jouets) s’est attaché très fort à un personnage qui va devenir son « être le plus aimé », et donc se retrouver en proie à une paralysie progressive… De plus, deux autres personnes vont intervenir dans cette affaire : Maurice Leblanc, le véritable auteur de romans, alias Émile Brohy, qui va se mêler à la fête sous son faux nom et que les personnages, de fil en aiguille (creuse ?), auront peut-être l’occasion de présenter au Club Pythagore ; et Aristide Paulin, monte-en-l’air anarchiste, qui décide de profiter de l’opportunité de la fête chez la baronne pour dérober ses bijoux. Ce dernier n’a rien à voir avec notre affaire et constitue une fausse piste (qui aurait pu fournir à Leblanc l’idée d’un certain… Lupin !) Et à présent, action ! Que la fête commence !

$ Jour 1 Paris, mercredi 10 septembre 1902, la fête de charité Chez la baronne Calixte de Lariniel (14 rue de Saint-Simon, VIIe arr.) Après leur aventure précédente, les personnages ont été invités par la baronne Calixte de Lariniel à venir assister au gala de charité qu’elle donne dans le parc de son bel hôtel particulier. L’intérieur de celui-ci abrite le buffet (voir plan). La fête ouvre ses portes vers 15 heures. L’après-midi se déroulera selon les interactions des personnages avec les PNJ, leur participation aux attractions proposées, et ce dans l’ordre qui leur plaira. Au milieu des divers stands, les personnages remarqueront surtout la tente de la voyante et la remise où se passent les séances de cinématographe.

Note au meneur de jeu : sur quoi faut-il attirer l’attention des personnages durant cette fête ? Il est bien sûr essentiel qu’ils aillent d’une part chez la voyante, d’autre part chez le projectionniste, et pour cette dernière attraction en même temps que Roumeyran. De plus, ils remarqueront également « Émile Brohy », perpétuellement en train de prendre des notes dans son petit carnet. Prenez le temps de faire vivre cette fête de charité. L’intérêt de cette scène est que l’intrigue est déjà en train de se mettre en place… mais que les personnages n’en auront pas conscience ! Nous vous donnons ci-dessous un aperçu détaillé des personnes et des attractions afin que vous puissiez mettre en scène les interactions choisies.

Les PNJ présents (Le projectionniste et la voyante sont présentés dans la section lieux, au paragraphe qui correspond à l’endroit où l’on peut les rencontrer.)

même temps qu’eux dans la remise pour une séance du cinématographe.

Fernand Donzay

Mme la baronne de Lariniel

Note au meneur de jeu : on se souvient qu’il a tissé des liens d’affection avec l’un des personnages, celui ou celle qui a pu lui parler le plus gentiment ou se montrer le plus aimable avec lui au cours du scénario Le marchand de jouets, d’autant plus si c’est une femme… Cela est essentiel : l’affection de Fernand est à double tranchant et recèle ici un danger dont il n’est pas luimême conscient, comme expliqué en introduction. Cette affection pour un(e) quasi-inconnu(e) s’explique par le fait que sa mère est morte ; que son père est un ivrogne violent qu’il redoute, car il le bat plus souvent qu’à son tour ; il a aussi perdu brutalement sa grande amie Anna. Quant à Roumeyran, même s’il l’a à présent pris sous son aile, leurs relations ont longtemps été en froid et Ambroise reste un homme peu enclin à des démonstrations affectives.

La baronne de Lariniel est très affable. Elle passe d’une personne à l’autre pour s’assurer que tout va bien. Elle viendra forcément à un moment ou à un autre discuter avec les personnages, qu’ils soient seuls ou en groupe. Vous pouvez l’utiliser pour aider des personnages un peu perdus à nouer des contacts.

Ambroise Roumeyran Remis de ses émotions de l’aventure précédente, un peu plus avenant et plus souriant, il fait des démonstrations des jouets qu’il avait apportés à la baronne, et qui sont aujourd’hui mis en vente aux enchères ou offerts en lots. Il ne sera toutefois pas accaparé par son stand tout l’aprèsmidi et aura aussi le temps de flâner de-ci, de-là, et de discuter avec les personnages. D’ailleurs, il se rendra en

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Ainsi, dès que Fernand aperçoit le personnage auquel il s’est attaché, il se jette dans ses bras et l’étreint fortement : « Ah ! Vous êtes là, Monsieur/Madame… ! Je suis tellement content de vous revoir ! Je viens d’aller au cinématographe. On voit des sauvages avec des masques, y font peur, mais c’est formidable ! » Note au meneur de jeu : un peu plus tard dans la fête, mettez en scène un petit incident dans lequel le personnage « élu » par Fernand va être impliqué. Il peut par exemple, sans bien savoir ce qui lui arrive, trébucher et bousculer le majordome qui porte un plateau plein de coupes de champagne. Il s’agit là des premiers symptômes de ce qui va devenir, au fil du scénario, des attaques de paralysie. Pour l’instant, le personnage n’a évidemment aucun moyen de s’en rendre compte, ni même de le soupçonner.

bourgeoise. Il n’aura donc aucun scrupule à en profiter pour voler les bijoux de la baronne et détrousser ses riches invités. À ce stade de l’aventure, les personnages n’ont aucune chance de repérer un pickpocket aussi adroit ! La seule chose dont les personnages se rendront compte en rentrant chez eux, c’est qu’on leur a fait les poches et dérobé quelque chose.

« Émile Brohy »

Les domestiques Les domestiques vont et viennent entre le buffet installé dans le grand hall de l’hôtel particulier, les cuisines et le parc. Ils sont très occupés par la réception et ne prêtent que peu d’attention aux invités. Il n’est pas difficile de s’introduire dans la demeure de la baronne, même si cela a peu d’intérêt, pour les personnages en tout cas.

Le « Voleur » (Aristide Paulin)

Écrivain en mal de succès, il vient chercher ici l’inspiration pour quelques personnages de ses prochains livres. Il se dit journaliste (et il travaille effectivement pour Le Journal). Il est doué d’un sens de l’observation hors du commun. Il se promène toujours avec son petit carnet dans lequel il prend des notes, croquant des personnages, esquissant un début de portrait ou de dialogue mondain… Pas besoin d’un quelconque jet de Perception pour s’en apercevoir, il est littéralement tout le temps en train d’écrire. Il remarquera deux choses essentielles lors de cet après-midi : d’une part, l’adresse indiquée par Mourrier sur sa camionnette (voir plus bas) est fausse (de ce fait, il va s’intéresser à lui, ce qui va lui valoir des ennuis). D’autre part, il sera le seul à repérer le petit manège de notre « pickpocket-cambrioleur ». Il n’en soufflera mot ça l’amuserait plutôt ! - mais notera scrupuleusement ses observations et impressions dans son carnet, avec la ferme intention de les recycler dans un futur roman. Il ne sait pas encore à quel point cette soirée va bouleverser sa vie.

Aristide Paulin est un émule d’Alexandre Jacob, monteen-l’air authentique à l’histoire édifiante. La critique s’accorde généralement à reconnaître qu’Alexandre Jacob inspira à Maurice Leblanc le personnage d’Arsène Lupin, bien que le père du gentleman-cambrioleur ait réfuté la chose. Pour notre part, nous avons choisi de lui faire croiser la route d’un émule (fictif) de Jacob qui, selon nous – liberté du conteur ! –, aurait réellement suggéré à Maurice Leblanc son héros le plus connu. Habile cambrioleur, ayant un don pour les déguisements impénétrables, notre homme, par ailleurs anarchiste, considère cette fête comme représentative de l’hypocrisie

Note au meneur de jeu : voici quelques pistes de personnages secondaires que vous pourrez mettre en scène, selon votre inspiration, pour « noyer le poisson » : Le colonel Pierre-Michel Sourdun-Granger et Madame ; une artiste peintre, Adeline Heurtouze ; le chevalier de Wasterlain et Madame ; M. le curé Libarèche, de la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin. Notez d’ores et déjà (mais n’en dites rien !) que les deux premiers connaissent Roumeyran, se rendront à la projection en même temps que les personnages et seront ainsi également suggestionnés.

Les lieux La tente de la voyante Il s’agit d’une petite tente circulaire, dressée dans un coin du parc, décorée de symboles qui se veulent ésotériques. Une banderole annonce : « Rosalie de Basse-Terre, voyante extralucide. À partir de 1 F. » Le prix d’entrée est, bien entendu, reversé au profit des orphelins. Note au meneur de jeu : soyons clairs : « Rosalie de Basse-Terre » n’est pas plus antillaise que serbocroate… En réalité, il s’agit de Mlle de Saint VéranLourdelles, savamment grimée, qui n’a aucun don particulier. Toutefois, à son insu, et par un de ces

« hasards » incompréhensibles, elle va faire une prédiction obscure qui se révèlera pertinente bien plus tard dans l’aventure… Quand vient le tour d’un personnage, il pénètre dans un petit espace circulaire, caricature de l’intérieur d’une voyante de carte postale. Derrière une petite table ronde, la voyante Rosalie est assise. Elle se présente comme antillaise, parle avec un délicat accent des îles, mais les personnages peuvent s’apercevoir assez facilement qu’elle est grimée et qe ce n’est pas une véritable Antillaise. Quoi qu’il en soit, elle est très jolie…

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Elle commencera par faire son petit numéro aux personnages : son discours est assez vague et passe-partout. À un moment, elle déclare : « Je vois un nom qui pèse sur vous et certains de vos amis, qui vous menace, c’est comme un ORACLE… Méfiez-vous du chevalier au lion… » Après ces deux phrases, la voyante reste un moment silencieuse, les yeux dans le vague, puis a un petit frisson et reprend le cours normal de son discours. Elle ne se souvient pas de la prédiction qu’elle vient de faire. Note au meneur de jeu : la (fausse) voyante vient d’avoir une sorte de “flash”. Au milieu d’un discours improvisé relativement convenu, ces deux phrases sont une véritable voyance, dont elle n’a aucunement conscience. D’où sa réelle incompréhension si on lui en parle… Pour le plaisir, ORACLE est une anagramme d’ALOCER.

L a grange du projectionniste Alfred Mourrier La baronne a prévu une séance de cinématographe pour ses invités. Elle a installé le projectionniste dans une remise, où il bénéficie de place, et surtout d’une obscurité propice à ses projections…

Une trentaine de personnes peuvent s’y tenir assises. Alfred Mourrier projette de petits films tournés dans les colonies. Une pancarte à l’entrée indique : « Venez découvrir les dernières explorations en Afrique-Équatoriale française ». Note au meneur de jeu : il est temps à présent de vous dévoiler le véritable enjeu scénaristique de cette première partie. Comme expliqué en introduction de ce scénario, Mourrier est ici pour suggestionner Roumeyran et tester son nouveau procédé. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que d’autres personnes pourraient elles aussi être touchées par la suggestion ! De fait, il va réussir à implanter dans l’esprit de Roumeyran l’idée d’apporter le tableau convoité à un endroit donné, mais également dans l’esprit de l’un des personnages et de deux autres spectateurs. Qu’ont en commun tous ces gens pour être sensibles à la suggestion ? Eh bien, ils connaissent la boutique de Roumeyran (la suggestion est donc enclenchée par la première image), ils ont un fort Fluide (ils sont « sensibles ») et ils sont tous présents, évidemment, lors de la projection de la bobine incluant les images subliminales. Notez que Mourrier ne projettera bien cette bobine qu’une seule fois dans l’après-midi, lorsqu’il verra Roumeyran arriver dans la remise.

1/ La suggestion fonctionnera automatiquement sur Roumeyran. En ce qui concerne les personnages, choisissez celui qui a le Fluide le plus élevé : il sera à son tour soumis à cette suggestion. De même, le colonel Pierre-Michel Sourdun-Granger et l’artiste peintre Adeline Heurtouze assistent à la projection, et tous deux seront sensibles à la suggestion en raison de leur Fluide élevé. 2/ Sur le coup, on ne ressent rien de particulier. 3/ Le PJ suggestionné ne doit pas être le même que le PJ préféré de Fernand.

adresse était fictive, ce qui lui a donné l’envie d’en savoir plus. D’ailleurs, en quittant la projection, les personnages pourront assister à un petit incident : Mourrier, qui leur tient la porte ouverte pour qu’ils puissent sortir, se retourne brusquement vers sa camionnette, lâche la porte et disparaît derrière elle. On entend des éclats de voix et Émile Brohy apparaît, poussé par le projectionniste furieux qui lui déclare que « le spectacle se déroule dans la salle, pas dans la camionnette ». Il y a là des produits dangereux, inflammables, et il ne voudrait pas qu’un curieux mal élevé cause un accident…

À l’issue de la séance, les spectateurs paraissent ravis. En sortant de la remise, on peut remarquer la camionnette du projectionniste. Elle comporte quelques inscriptions :

Note au meneur de jeu : 1/ Notre journaliste vient de se faire prendre « la main dans le sac » alors que son insatiable curiosité l’incitait à pénétrer dans la camionnette, ce qui va lui valoir cette nuit quelques soucis… 2/ Vous pouvez développer d’autres lieux pour cette fête de charité, qui peuvent vendre des petits objets, proposer des jeux divers, des loteries, etc. Le plan peut vous y aider.

Cinématographe Alfred Mourrier - fêtes foraines, fêtes privées - 132 rue des Vignoles, Paris, 20e. Émile Brohy, qui connaît le quartier, a immédiatement compris que la domiciliation d’entreprise à cette

Événements de la nuit et la situation qui en résulte au matin Les personnages rentrent donc chez eux, sereins, à l’issue de cette agréable journée. Certains d’entre eux constateront alors qu’il leur manque qui un portefeuille, qui un collier ou une broche, qui encore une montre à gousset… La colère passée, ils s’endorment sans doute en rêvant d’Afrique ou des prédictions de Mlle Rosalie. Le personnage « préféré » de Fernand se réveille toutefois au milieu de la nuit, en proie à de violentes douleurs dans les jambes. Il ne peut plus poser le pied par terre et se voit contraint d’attendre que ses douleurs passent. Il finit par se rendormir, mais le lendemain matin, lorsqu’il se lève, il se sent tout ankylosé et met un petit moment avant de retrouver sa mobilité habituelle – il ne peut le comprendre, mais il s’agit là de sa deuxième attaque de paralysie. Le personnage qui (à son insu) a été suggestionné lors de la projection va vivre la nuit la plus agitée – on l’a dit, ce doit être un autre personnage que le précédent. En effet, en pleine nuit, un violent coup de klaxon d’automobile le réveille brusquement… sauf qu’il se trouve au milieu de la chaussée, en tenue de nuit (pyjama ou robe de nuit). Son cœur bat à tout rompre et il est au bord du malaise cardiaque. Être brutalement réveillé ainsi aurait pu lui être fatal ! Il doit s’asseoir un moment pour reprendre son souffle et laisser le temps à son cœur de se calmer un peu. Autour de lui, la rue est déserte. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’il fait là ! Le personnage réalise qu’il n’est pas trop loin de chez lui et regagne facilement son domicile. Lorsqu’il y arrive, il se rend compte que la porte est ouverte et que son appartement est sens dessus dessous. Il vient d’être

victime d’un cambriolage ! Rien ne semble avoir disparu et la porte n’a pas été forcée, elle est tout simplement… ouverte ! Mais le désordre intérieur ne laisse aucun doute : on a fouillé toute sa maison. Il ne voit pas au premier coup d’œil ce qui pourrait manquer. Épuisé, il se couche et sombre dans un profond sommeil. Il se réveillera fatigué « comme s’il avait marché longtemps ». (Mais ce n’est pas la même douleur que celle ressentie par le « paralysé ».)

Que s’est-il donc passé ? Note au meneur de jeu : 1/ Eh bien, le personnage a tout simplement été victime de la suggestion induite par le film d’Alfred Mourrier ! Au milieu de la nuit, il s’est levé pour rechercher partout dans son appartement « le tableau ». Il ne l’a évidemment pas trouvé, mais, suivant la chaîne des images, il s’est mis en route pour la tour Eiffel, laissant la porte de sa demeure grande ouverte derrière lui. En chemin, le violent coup de klaxon d’une voiture l’a réveillé… au risque de le tuer de peur ! 2/ Ce que le personnage ne sait pas non plus, c’est que la même scène s’est produite chez Roumeyran, ainsi que chez Sourdun-Granger et Heurtouze. 3/ En revanche, la suggestion reste ancrée chez Ambroise et les personnages atteints, qui continueront donc à « s’autocambrioler » et à se rendre nuitamment au lieu de rendez-vous, jusqu’à être libérés de leur suggestion, grâce à une séance d’hypnose, par exemple.

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$ Jeudi 11 septembre 1902, au matin (AdJ 1) : outre la fête de charité de la veille, une série de cambriolages s’y étale au grand jour, touchant la baronne et quelques personnes, dont les noms sont cités… Voici donc la situation : deux de nos amis sont visiblement victimes de phénomènes étranges (pertes d’équilibre ou cambriolage) ; de plus, Roumeyran, ainsi que la baronne (ainsi que le colonel et l’artiste peintre), ont euxmêmes été « visités ». Si les personnages ne se lancent pas dans l’aventure spontanément, leurs amis devraient les y pousser, sans compter que les symptômes de l’un d’entre eux vont se multiplier et s’aggraver au fil du scénario, jusqu’à le menacer de paralysie.

Il y a fort à parier que nos personnages vont vouloir se rencontrer pour échanger leurs expériences de la nuit ! Notez que Roumeyran, pour sa part, ne les contactera qu’en début d’après-midi : sa nuit ayant été fort agitée aussi, il ne se réveillera que peu avant midi, ce qui ne manquera pas de l’étonner lui-même ! Voici donc nos personnages qui finissent par se retrouver où il leur plaira. Alors que les premiers arrivent au rendez-vous et attendent les retardataires (arrangez-vous pour qu’il s’agisse de personnes à qui il n’est encore rien arrivé, afin que chacun ait sa pierre à apporter dans la discussion qui va suivre), remettez-leur le journal du jour

L’enquête : première partie « Que nous arrive-t-il ? » L’enquête qui débute maintenant devrait se dérouler sur plusieurs jours (deux au moins). N’oubliez pas que, chaque nuit, aussi bien Roumeyran que notre personnage (et les deux PNJ déjà cités) seront repris de la même crise de somnambulisme. On peut bien entendu veiller l’un ou l’autre, ce qui n’empêchera pas le déclenchement de la crise, mais permettra d’y assister et peut-être de commencer à comprendre. Rappelons ici que réveiller un somnambule est une très mauvaise idée : d’une part, il sera victime d’un violent coup au cœur (jet de CONST, qui, s’il est raté, entraînera la perte d’au moins deux points de CONST), et d’autre part, le somnambule s’en prendra violemment à la personne qui l’a réveillé. En revanche, si on le laisse opérer et qu’on le suit, on pourra découvrir le lieu du rendez-vous… sauf qu’il n’y aura personne pour réceptionner un éventuel butin. En effet, Mourrier, pensant (à tort ou à raison) qu’il a échoué, ne se rend plus sous la tour Eiffel et essaie de comprendre ce qui n’a pas fonctionné, ignorant que son procédé est en réalité presque au point.

Note au meneur de jeu : 1/ N’oubliez pas de mettre en scène chez le personnage concerné quelques attaques de paralysie ( jambe qui se bloque sans raison, marche douloureuse, trébuchement inexplicable…). Mais n’en faites pas trop et soyez progressif. Quelle que soit la forme qu’ils prennent, Roumeyran pourra toujours confirmer que les symptômes étaient les mêmes chez sa fille. 2/ À un moment qu’il est impossible de déterminer, nos personnages se rendront probablement au Club Pythagore. Cette démarche facultative est envisagée tout à fait à la fin de cette partie enquête (cf. page 324). 3/ La visite chez Roumeyran peut intervenir à n’importe quel moment. Gardez à l’esprit que, pour qu’il évoque Meudon et le tableau, il faut que les personnages lui montrent les images subliminales ou lui parlent de ce qu’elles représentent.

Chez la baronne (14 rue de Saint-Simon, Viie arr.) Entrevue avec Mme la baronne

Madame la baronne, Vos invités n’ont pas été aussi charitables qu’ils l’auraient pu. Je les ai un peu aidés à se montrer vraiment généreux ! Je veux croire que vous n’utiliserez pas ces dons spontanés pour vous racheter de la verroterie, sinon je le saurai !

Les personnages sont accueillis par Victor, le maître d’hôtel, qui les mène rapidement auprès de Madame. Cette chère Calixte paraît totalement consternée. Vers 10 h du soir, la fête finie, elle s’est rendue au salon pour compter la recette, celle-ci était intacte. Elle s’est alors aperçue que le tableau qui cache son coffre avait été légèrement déplacé. Elle s’est précipitée et a constaté qu’il avait été ouvert sans être forcé. Les bijoux avaient disparu et, à la place, il y avait un mot (AdJ 2) :

Attila Rien d’autre n’a été dérangé dans la pièce, ce qui contraste fortement avec le désordre retrouvé chez le personnage et les autres « cambriolés ». Les personnages voudront sûrement la questionner plus avant. Elle pourra confirmer que les bijoux étaient bien là avant la fête et représentent une valeur certaine.

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La seule personne qui a attiré son attention est cet « Émile Brohy » qui prenait tout le temps des notes dans son carnet. Un journaliste du Journal, croit-elle savoir. Par ailleurs, elle ne connaît pas personnellement le projectionniste. Quand il a eu vent de la fête, c’est lui qui lui a proposé ses services et lui a fait remettre sa carte de visite (AdJ 3). « Ce qui m’a bien arrangé puisque M. Méliès, que j’avais invité en premier, avait décliné parce qu’il est en pleine réalisation d’un de ses films… » Enfin, la voyante est Mlle de Saint Véran-Lourdelles, sa filleule, une jeune modiste, qui habite au 26 de la rue de l’Ancienne-Comédie (6e arr.). Pour le reste, peut-être peut-on interroger les domestiques ?

personnages, ils pourront dire que la veille, un ramoneur est passé, que personne n’attendait. On a décliné son offre de service. (C’était bien sûr Paulin en « reconnaissance ».) Par ailleurs, il y a eu un incident en fin de soirée : un type éméché a accaparé un moment l’attention en renversant une bouteille de champagne. « Moi, ce type qu’a créé du grabuge, je l’connais… En tout cas, j’l’ai déjà vu », déclare Firmin, le jardinier. « Il est toujours fourré au café Chez Paul, rue Quincampoix (4e arr.), où je joue parfois à la crapette et bois un coup après mon service… Vous pouvez pas l’rater, c’est un petiot, tout l’monde l’appelle Mimile ! »

Les domestiques

Note au meneur de jeu : ainsi, à l’issue de la visite chez la baronne, les personnages se retrouvent avec deux potentiels suspects : l’homme de l’incident « champagne » qu’on peut croiser au bistrot Chez Paul (fausse piste) et cet « Émile Brohy » dont leur a parlé la baronne, qui travaillerait donc au Journal.

Une fois les gens de maison réunis, on peut les interroger ; le meneur pourra faire intervenir tour à tour la cuisinière Azélie, la femme de chambre Yvonne, le maître d’hôtel Victor, le jardinier-factotum Firmin, etc. Ils ont été fort occupés toute la journée de la veille et même les jours précédents. Suite aux questions des

Le colonel Pierre-Michel Sourdun-Granger et l’artiste peintre Adeline Heurtouze (facultatif) • Chez le colonel Sourdun-Granger au 124 rue La Boétie (8e arr.), c’est une autre histoire ! On tombe en plein drame, le colonel étant en train de gourmander sévèrement toute sa maisonnée, qu’il a réunie dans le salon. Qui, mais qui a osé mettre la maison sens dessus dessous ? C’est forcément un familier, car la porte n’a pas été forcée ! Le colonel est persuadé d’être victime d’une vengeance de la part d’un de ses domestiques et menace de les renvoyer tous si le ou la coupable ne se dénonce pas. Madeleine, la femme de chambre, a beau sangloter : « Mais, Monsieur, il n’y avait que vous lorsque je suis entrée dans le salon. Vous faisiez un raffut du diable et vous avez sursauté comme un damné quand je me suis avancée ! », le colonel ne veut rien savoir et entend bien chasser sa vieille et fidèle servante.

Le journal indique que ces deux personnes ont également été victimes d’une « vague de cambriolages » et donne leur adresse (AdJ 1). (Le bijoutier est une fausse piste, il tente une escroquerie aux assurances.) • Si l’on se rend chez Adeline au 31 rue Saint-Andrédes-Arts (6e arr.), on la trouvera en train de ranger son atelier, elle n’y comprend rien, on a pénétré chez elle, mais on ne lui a rien volé ! Si on parvient à gagner sa confiance et qu’elle sent qu’on ne la prendra pas pour une folle, elle avouera s’être, elle aussi, réveillée au milieu de la nuit en pleine rue, non loin de la tour Eiffel, ce qui est loin de chez elle ! À son retour, la porte de son atelier était grande ouverte.

La voyante Mme la baronne a fourni aux personnages le nom et l’adresse de la « voyante », Mlle de Saint Véran-Lourdelles, qui habite un petit intérieur bourgeois dans un immeuble parisien sis au 26 de la rue de l’Ancienne-Comédie (6e arr.), non loin de la faculté de médecine. Celle-ci avouera sans manières que jouer les pythonisses l’a beaucoup amusée, mais qu’elle disait plus ou

moins n’importe quoi, suivant son inspiration et la personne qu’elle avait en face d’elle… Comme expliqué, elle n’a aucun souvenir de ce qu’elle a raconté au personnage concernant « le chevalier au lion » et « l’oracle », et elle est sincère : elle a vu hier tellement de gens ! Elle n’est au courant de rien, pas même du vol chez la baronne.

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La piste de ‘‘ l’homme louche’’ à la fête de la baronne (Enquête sur Aristide Paulin, fausse piste facultative) Le café Chez Paul (12 rue Quincampoix, 4e arr.) est la seule piste des personnages pour remonter jusqu’au cambrioleur. En se rendant au café en fin de journée, on se renseignera facilement sur « Mimile » qui ne tardera pas à arriver. On ne sait pas grand-chose sur lui. C’est un client régulier et fidèle, honnête consommateur qui n’a pas besoin qu’on lui fasse crédit. Aborder ledit « Mimile » de front ne mène à rien. Il se murera dans le silence et, si on devient trop insistant, voire menaçant, le patron pourrait bien prendre sa défense, vu « qu’Chez Paul, les habitués, z’ont le droit d’être peinards ! ». Le suivre quand il sortira de Chez Paul est une meilleure idée, qui permettra de découvrir la planque qu’il partage avec son « chef », Aristide, et qui perche au rezde-chaussée d’un immeuble de rapport situé au 6 rue des Carmes (5e arr.).

Là, les deux complices sont en train de préparer leurs bagages pour lever les voiles, direction l’Espagne, où ils ont bien l’intention de couler des jours tranquilles en profitant de leurs récents butins. Ils éviteront toute confrontation et, s’ils se sentent menacés, ils se contenteront de filer entre les doigts des personnages : leur coup est fait, surtout ils ne veulent pas de complications, et ils sont assez habiles pour semer leurs poursuivants s’ils ont conscience d’être suivis. Si les personnages choisissent de s’introduire discrètement dans la planque des deux hommes, ils trouveront une liste de divers lieux de Paris (AdJ 4) parmi lesquels l’hôtel de la baronne est entouré en rouge, avec cette note manuscrite en marge du plan : « Un beau coup ! Le dernier de la saison ! ». Ce document est là pour faire comprendre aux personnages que les deux malfrats ne sont pour rien dans les autres « cambriolages ».

‘‘Émile Brohy’’, Le Journal (100 rue de Richelieu, Ier arr.)… Si les personnages se rendent au Journal et interrogent les journalistes présents, on leur répondra qu’on ne connaît personne du nom de Brohy. Si on leur décrit l’homme ou qu’on leur parle de la fête chez la baronne, les journalistes éclateront de rire : « Ah, encore un coup de Maurice, c’est sûr ! Il a dû vouloir faire un papier sans se faire repérer et il a pris un pseudo. Tiens, c’est bizarre, il n’est pas venu travailler ce matin, d’ailleurs ». On ne fera pas de difficultés à donner l’adresse de « Maurice » : « C’est Villa Dupont, une petite impasse qui donne dans la rue Pergolèse… C’est dans le seizième, avec vue sur le Bois de Boulogne… Maurice Leblanc, de son vrai nom ! ».

Note au meneur de jeu : eh oui ! C’est sous ce pseudonyme (nom de jeune fille de sa mère) et quelque peu grimé, que s’est présenté la veille celui qui est en fait Maurice Leblanc, futur au