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French Pages 290 [296] Year 1999
IMPÉRIALISME ET CLASSES SOCIALES
JOSEPH SCHUMPETER
IMPÉRIALISME ET CLASSES SOCIALES
Traduction de Suzanne de Segonzac et Pierre Bresson revue par Jean-Claude Passeron présentation de Jean-Claude Passeron
FLAMMARION
Titres originaux des essais Zur Soziologie der Imperialismen Die sozialen Klassen im ethnisch homogenen Milieu Die Krise des Steuerstaates
© Verlag J.C.B. Mohr (Paul Siebeck) © 1972 pour la traduction by LES EDITIONS DE MINUIT 7, rue Bernard-Palissy -
75006 Paris
© 1984, FLAMMARION, Paris
biographie
Joseph Alois Schumpeter est né en 188) à Triesch, en Moravie. Tôt orphelin d'un père industriel, il entre en 1901 à la faculté de droit et des sciences économiques de Vienne, après des études secondaires à Gratz puis à Vienne. Docteur en 1906, il avait été ce que l'on est convenu d'appeler un « étudiant brillant » dont les loisirs studieux débordaient de loin les matières inscrites au programme, à la fois « enfant gâté et enfant te"ible de la faculté» comme ill'écrit lui-même: ses intérêts d'adolescence et ses lectures le portaient aussi Men vers l'Antiquité gréco-romaine que vers l'économie pure, vers l'histoire que vers les mathématiques et la statistique. A l'influence de ses maîtres Bohm-Bawerk, Menger et von Wieser s'ajouta par la lecture celle de Cournot, de Quesnay et de Walras. Des voyages d'études en Allemagne, en France et en Anglete"e le mirent en contact avec d'autres maîtres en sciences sociales, en particulier avec l'enseignement de l'économiste Marshall et des ethnologues Westermarck et Raddon. Plus généralement, il fit très tôt son profit de l'ensemble des traditions théoriques qui se partageaient alors la pensée économique et sociologique en Europe: dès ses premiers ouvrages, sa réflexion se réfère simultanément, en s'essayant à la synthèse, à l'Ecole autrichienne et à l'Ecole de Lausanne, et, en même temps qu'aux différentes écoles de l'économie pure, à la tradition historique et sociologique illustrée par les travaux de Sombart et de Weber sur le capitalisme; de même l'œuvre de Marx constitue d'emblée un de ses pôles de référence, tout au moins au travers de l'interprétation du matérialisme historique qui prévalait alors dans l'Ecole austro-marxiste. Avocat pendant quelques mois près des tribunaux mixtes d'Egypte, il rentre rapidement en Autriche. Privatdocent de l'université de Vienne en 1909 - son Habilitations-Schrift n'est autre que le traité, devenu classique, de statistique économique, Wesen und Hauptinhalt der theoretischen Nationalokonomie - il entame une ca"ière universitaire de professeur d'économie politique, à Czerno-
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witz d'abord, puis à Gratz où il publie en 1912 l'ouvrage consacré à la dynamique économique, Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung. Auteur précoce, il avait en 1920 publié la plupart des ouvrages et des essais qui devaient établir son influence dans les sciences sociales *. Professeur invité à l'université de Columbia durant l'année qui précéda la première guerre mondiale, l'après-guerre le vit ministre des finances dans le cabinet d'Otto Bauer; le cabinet tombé, il se reconvertit comme directeur d'une banque viennoise et reprit, après cette parenthèse, la carrière universitaire, à Bonn d'abord de 1925 à 1934, puis à Harvard où il avait été invité plusieurs fois et où il se fixa définitivement ;usqu'à sa mort en 1950. Dans la dernière période de sa vie, où il se dépensa sans compter dans les tlches d'enseignement et de direction des ;eunes chercheurs, il revint sur ses premières analyses pour les systématiser, les nuancer ou les prolonger, comme on le voit dans Capitalism, Socialism and Democracy (1942). Son prestige d'économiste et de théoricien lui valut de présider de 1937 à 1941 la Société d'économétrie dont il avait été un des fondateurs j président en 1948 de l'Association américaine d'économie, il venait, au moment de sa mort, d'être choisi comme président de l'Association internationale d'économie nouvellement fondée. Un intérêt, souvent proche de la sociologie de la connaissance, pour l'histoire des doctrines lui avait fait entreprendre une vaste fresque de l'histoire de la pensée économique qui, à peu près terminée à sa mort, fut éditée par son épouse, Elisabeth Schumpeter, The History of Economie Analysis (19'4).
* Q. 8
infra, bibliographie.
présentation 1
Ce n'est pas l'intention de retourner contre Schumpeter la méthode dont celui-ci usait si volontiers à l'égard de Marx lorsque, pour mieux le réfuter, il le découpait, entre autres, en un « Marx sociologue » et un « Marx économiste », qui a conduit à rassembler dans ce volume les essais de Schumpeter relevant de l'analyse sociologique. L'autonomisation de cette partie de l'œuvre, dont pâtit sans doute, en ce qu'elle a de systématique, la pensée de Schumpeter, constituait un choix forcé en l'état actuel de la traduction de ses ouvrages (2). Schumpeter serait d'ailleurs plus mal venu que Marx à se plaindre du traitement : la division institutionnelle du travail de traduction entre économistes et sociologues qui est responsable de cet état de fait n'est qu'un cas particulier d'une organisation de l'appareil scientifique qui sépare non seulement la sociologie de l'économie, mais encore la sociologie économique produite par les économistes de celle des sociologues j l'indifférence contradictoire des économistes et des sociologues à l'égard d'un aspect de l'œuvre de Schumpeter, qtti est dé;à de la sociologie pour les uns et qui n'est encore que la sociologie d'un économiste pour les autres, trouve sa caution théorique dans une conception analytique de la méthodologie et de l'épistémologie des sciences sociales que Schumpeter a défendue explicitement [160-161 J, même s'il l'a souvent dépassée dans sa pratique scientifique. Traduits très tardivement en anglais - comme le remarque leur premier préfacier, qui impute ce retard à la défiance des sociologues américains à l'égard de concepts (1) Les nombres entre crochets renvoient à la pagination de la présente ~ition et signalent les passages les plus importants auxquels se réfère l'analyse. (2f Cf. bibliographie, 283. Les textes qui sont traduits ici correspondent aux essais rassemblés dans l'édition allemande des Au/satze zu, Sovologie de Joseph Schumpeter (J. C. B. Mohr, Tübingen, 1953), à l'exception d'un bref article (Das soziale Antlitz des Deutschen Reiches. p. 214-225).
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tels que ceux d'impérialisme ou de classe sociale (3) - les essais de 1919 sur La sociologie des impérialismes et de 1927 sur Les classes sociales en milieu ethnique homogène sont restés ;usqu'ici inaccessibles au lecteur français. L'essai de 1918 sur La crise de l'Etat fiscal qu'on a ;oint à ce volume n'existait qu'en édition allemande et n'a ;amais été utilisé par les commentateurs, bien qu'il contienne, en sa forme la plus circonstanciée, l'analyse des origines précapitalistes de l'Etat bourgeois, dont Schumpeter a ultérieurement fait un usage constant tant pour rendre compte de la place de l'impérialisme dans les sociétés capitalistes que pour déterminer les rapports entre la classe d'affaires et le pouvoir politique. Tous ces textes, centrés sur les relations entre l'histoire sociale des classes dominantes et de leurs différentes fractions, le système de production capitaliste et l'Etat centralisé, doivent à la position qu'ils occupent entre la sociologie historique et l'histoire de l'économie leur importance théorique, mais aussi le sort ambigu qui était resté le leur: les économistes, qui constituaient en France la presque· totalité du public de Schumpeter, ne se sont guère intéressés qu'à la partie de l'œuvre qui leur appartenait institutionnellement (4), tandis que (3) P. M. Sweezy, dans sa préface à l'édition Imperialism and Social Classes, trad. H. Norden, éd. Kelley Inc., New York, 1951. Cette traduction a été rééditée en 1955, avec une introduction de B. Hoselitz, dans les Meridian Books. (4) On remarquera par exemple que, dans l'étude fondamentale qu'il a écrite pour servir d'introduction à la traduction française de Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung (Collection scientifique d'économie politique, t. VI, Lib. Dalloz, Paris, 1935), F. Perroux ne se réfère presque jamais à l'essai sur les impérialismes, ni à celui qui traite des classes sociales, bien que ceux-ci proposent des apports pertinents pour une histoire sociale de l' « activisme entrepreneurial ,. et bien qu'il ait luimême décelé, plus clairement que quiconque, le rôle, au cœur de la théorie schumpéterienne de l'évolution du capitalisme, d'une dynamique d" type sociologico-historique irréductible à la dynamique quantitative de type waIrasien. On peut faire la même remarque à propos d'un autre de ses essais (