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French Pages 127 [130] Year 1978
QUE SAIS-JE?
Histoire de l'impôt ANDRÉ NEURRISSE
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INTRODUCTION De nos jours, la notion d'impôt se révèle dans le transfert sans contrepartie d'avoirs sous forme monétaire au bénéfice de la puissance publique. Dans le passé, la monnaie avait moins de place et la puissance publique était de tout autre nature : cependant, sans en revêtir les mêmes formes, l'impôt était de même essence, à savoir la traduction comptable de la mise en commun de richesses et de forces en vue d'une action collective dans le cadre d'une institution publique. Ainsi en est-il, par exemple, de la construction et de l'armement de bateaux par des peuplades iliennes, en vue de la conquête de territoires ou simplement de la protection de l'île. Dans une optique opposée on pourrait considérer que les exigences du vainqueur pouvaient entraîner pour le peuple vaincu une répartition des charges de telle sorte que le tribut est essentiellement lié à l'impôt - au point d'en être synonyme. On peut considérer aussi que la part des récoltes donnée par l'exploitant au propriétaire ou au protecteur, contrepartie du droit ou de la possibilité d'exploiter, est devenue impôt lorsque le propriétaire ou le protecteur a assumé une autorité publique ou religieuse. Une autre source pourrait résider dans l'institutionnalisation d'actes illégitimes en péages, tonlieux 3
DU M~ME AUTEUR Précis de droit budgétaire, Librairie générale de Droit et Jurisprudence, 1961.La comptabilité économique française (Comptabilité nationale). Librairiegénérale de Droit et Jurisprudence, 1963 (ouvrage couronné par l'Académie des Sciences Morales et Politiques). Les jeux de casino, Presses Universitaires de France, « Que sais-je? >, no 985, 3' édition, 1977 (traduction en langue espagnole, 1978). Histoire du franc, Presses Universitaires de France, «Que sais-je? _, no 1082, 3' édition, 1974 (traduction en langue japonaise, 1971), Les règlements internaUonaux, Presses Universitaires de France. , Que sais-je? " n° 1495, 1972.
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Wpôt légal. - 1,e édition : 3' trimestre 19,8 © 1978, Pre.lses Universitaires de France 'rous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservé, pour tous pays
atteint leur maturité avec une précocité déconcertante, se sont maintenues pratiquement inchangées. Certes on ne connaît plus l'impôt en nature, l'impôt de quotité élimine l'impôt de répartition, la fiscalité est devenue instrument de politique économique, mais depuis cinq mille ans la facilité et la productivité appartiennent aux taxes indirectes, la difficulté et l'équité (tout au moins sa recherche) à l'impôt direct; ainsi, les techniques fiscales, tout en se perfectionnant, n'ont-elles évolué que modérément. Sans doute l'impôt a-t-il varié dans son poids global, dans sa répartition, entraînant des conséquences économiques et provoquant des réactions sociales et politiques. Il fait partie intégrante de la vie publique, au niveau de l'individu, surtout en tant que phénomène de société. Mais, pour être appréciées à leur juste mesure, ces incidences doivent être rapportées à d'autres données essentielles, notamment la dépense publique, le revenu national et sa distribution, qui débordent du cadre de cette histoire, étroitement sectorielle, de l'impôt en tant que technique administrative et instrument de l'Etat.
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et droits de douane dont l'essence profonde tient peut-être plus du vol de grand chemin que de l'autorisation d'utiliser un ouvrage (pont, route) ou de l'assurance de bonne fin acquise par une fraction des marchandises transportées. L'impôt est un phénomène à multiples facettes dont il est impossible de saisir l'instant - et, partant, le lieu - de sa naissance. Même dans l'hypothèse où l'on ne considère l'impôt que sous sa forme monétaire, il est difficile de cerner l'instant où est apparue la monnaie - d'autant qu'il n'est pas impossible qu'en Egypte la monnaie scripturale ait précédé les espèces. Au reste l'impôt ne se manifeste pas que sous la forme monétaire. L'impôt peut être en nature, qu'il s'agisse soit d'une prestation ou d'une corvée, soit d'une fourniture de marchandises (blé à l'origine, cuivre en 1943). A la vérité il est d'évidence que l'impôt est né avec l'érection de la vie collective en formation étatique, avec, du reste, toute l'imprécision qu'une telle évolution peut comporter. Aussi bien convient-il de remonter très avant dans le cours de l'Histoire pour avoir une dimension perspective qui replace la fiscalité contemporaine dans l'évolution de la société. Cependant c'est l'administration romaine, laquelle a marqué d'une empreinte indélébile la vie publique en Occident, qui constitue le premier pôle de l'évolution de la fiscalité; le second pôle se situe à la période qui a suivi la Révolution de 1789, trouvant ses sources dans l'impôt monarchique et son épanouissement dans la fiscalité contemporaine. Entre les deux se situe la plage de la féodalité où l'éclatement de l'Etat s'est traduit par la provincialisation de la fiscalité. Au cours des siècles et des millénaires les lignes de force des institutions fiscales, lesquelles avaient 4
CHAPITRE PREMIER
LES PREMIERS SYSTÈMES FISCAUX Quelque perfectionnement qu'elles aient atteint, les institutions fiscales romaines n'étaient pas pour autant originales : elles avaient pris modèle dans celles, très évoluées, qu'avaient eues auparavant l'Egypte, puis la Grèce; elles n'ont pas pu ne pas tenir compte par ailleurs du système que les Lagides avaient perfectionné ni, pour ce qui est de l'application en Gaule, de ce qui existait avant l'invasion de César.
I. -
L'impôt de l'Ancien Empire d'Egypte
(3500-2200) Dès l'unification de l'Egypte par le roi Ménès, chef de la Ire dynastie (3300), l'administration ramifie l'autorité du roi jusqu'au sujet et recueille, en sens inverse, la contribution de chacun aux charges de l'Etat naissant. Il y avait à l'origine deux organismes spécialisés dans la fiscalité : la Maison Blanche dans le Sud et la Maison Rouge spécialisées d'abord géographiquement (Sud et Nord) puis très vite fonctionnellement, la Maison Rouge gérant les biens affectés au culte, la Maison Blanche 7
ayant à sa the le « DireclelU' des caravanes » était chargée d'enregistrer tout ce qui entrait ou sortait du royaume. Les sanctions étaient sévères, allant de la bastonnade ou la torsion des pieds et des mains jusqu'aux travaux forcés dans les régions frontières, à temps ou à perpétuité. Parallèlement existait un système d'offrandes, codifié, au bénéfice des temples. L'impôt était payable en métaux précieux ou toute autre denrée mais principalement en nature et il existait de vastes greniers publics, de grandes caves et de grandes resserres pour l'entrepôt du grain, du vin ou de l'huile - et peut-être existait-il aussi des étables publiques. Tel était dans l'Egypte du Ille millénaire le système fiscal simple dans ses principes, efficace dans son application qui permit à la civilisation nilote de prospérer pendant si longtemps. II. -
La fiscalité athénienne
du temps de Périclès Au début du v e siècle Sparte dominait la terre (Ligue du Péloponnèse), mais Athènes exerçait son hégémonie sur les 200 cités des îles et des côtes, alliées dans le cadre de la Ligue de Délos organisée en 478 av. J.-C. Cette hégémonie n'était pas gratuite car la ressource la plus importante de la Cité athénienne était la contribution des participants de la Ligue. A l'origine Aristide l'avait fixée modérément à 460 talents et l'&vait répartie entre les cités suivant les richesses foncières; cette contl"Ïbution, pharos, d'impôt de répartition devint en 413 av. J.-C. un impôt de quotité : elle fut en effet remplacée par une taxe de 5 % sur les transactions effectuées dans 9
demeurant le département des Financcs. Ce dCll11Cr se scinde vers 2500 en l'administration des greniers (Shenout) et celle du Trésor (par Hedj) centralisant les métaux précieux et les denrées non périssables. Les charges publiques étaient principalement assurées par l'impôt direct, accessoirement par les droÎts d'enregistrement et de douane. L'impôt direct était calculé sur la base d'un cadastre établi par des géomètres (harpédonaptes) et des commissions d'arpentage. Ces commissions étaient dirigées par un scribe du cadastre et comprenaient deux scribes agricoles, un porteur de cordeau et un tendeur de cordeau. Les récoltes encore sur pied faisaient l'objet de mensuration, puis, une fois entassé, le grain était strictement décompté en boisseaux, le tout sous le contrôle de géomètres et de scribes. Le cadastre était fait tous les deux ans et chaque chef de famille devait déclarer les personnes, femmes et enfants, appartenant au groupe familial - et signaler les femmes enceintes. Vers l'an 3000 s'ajoute au cadastre un recensement (tenout) bientôt appelé « compte de l'or et des champs» car il inventoriait tous les biens meubles et les évaluait en or selon une monnaie de compte: le deben, subdivisé en 12 shats (le shat valait 7,5 grammes d'or sous l'Ancien Empire). L'impôt direct (oudjeb) portait aussi à la fois sur le revenu et sur le capital, l'évaluation de l'un contrôlant l'évolution de l'autre et réciproquement. Le recensement était contrôlé - et servait de moyen de contrôle - par l'enregistrement obligatoire de toute mutation, lequel donnait lieu à expédition authentique (a nisout). TI ne semble pas qu'il y ait eu de droits sur les ventes; par contre, il est très vraisemblable qu'il y ait eu non seulement taxe statistique mais droits de douane à l'importation comme à l'exportation car une administration
ment périodique et cette répartition imposait des obligations, non seulement militaires mais civiles, différentes selon les classes. Ce n'est qu'à la fin du v e siècle, à l'occasion notamment de la guerre du Péloponnèse, que la République athénienne bénéficia d'un impôt en argent. Au IVe siècle cet impôt direct, l'eisphora, devint systématique et était calculé sur la base de la fortune mobilière et immobilière, esclaves compris: en 378 av. J.-C. les citoyens furent divisés en vingt groupes appelés symmories, de nombres différents, mais de capital équivalent, qui servirent à répartir les liturgies et l'eisphora. Le taux de l'impôt était relativement élevé, de 1 % à 4 % du capital recensé (timema), avec, peut-être, progressivité. A cela s'ajoutaient des droits indirects: dans les ports les navires effectuant le transport des marchandises devaient obligatoirement accoster à l'emporion où les agents de l'adjudicataire de l'impôt recevaient la déclaration en même temps qu'ils percevaient un droit de douane du cinquantième à l'entrée. A l'intérieur, sur les marchés, sur l'agora, était perçue une taxe du centième, l'ekatostaï, ancêtre, au même taux, du centesima rerum venalium des Romains, et de la taxe sur le chiffre d'affaires de la première moitié du xx e siècle en France. On ne peut que constater le parallélisme entre la naissance et la fin de la splendeur athénienne et l'évolution des ressources fiscales : dès le début du v e siècle Athènes disposait de ressources abondantes qui ont favorisé l'éclosion de la démocratie, l'essor des lettres et des arts, et la prospérité économique. Mais l'accl'oissement constant des charges finit par trouver un butoir dans la difficulté de réunir les ressources suffisantes, l'importance du prélèvement provoqua des réactions à Athènes comme dans 11
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ports de la Ligue. En raison du développement du commerce égéen, cette taxe était d'un rapport important (1 500 à 2 000 talents) et son poids excessif provoqua la dissolution de la Ligue. Aussi bien lors de la reconstitution de la Ligue en 377, il fut décidé que la contribution serait déterminée par le Synédrion qui rassemblait en conseil les représentants des cités. Mais les Athéniens accrurent par la suite leurs exigences, envoyant des navires requérir le phOTOS, provoquant finalement la révolte de Rhodes, Chios, Cos et la fin de la Confédération (355) et du « siècle de Périclès ». La Cité d'Athènes disposait d'un éventail de ressources propres très complet. Il y avait tout d'abord les produits du domaine: les carrières (sauf pour la pierre tendre) et les mines appartenaient à l'Etat et faisaient l'objet de concessions consenties par adjudication pour une période de trois à dix ans (Thémistocle fit consacrer les nouvelles ressources provenant de la découverte des gisements d'argent dans le Laurion à la construction de la flotte qui permit aux Athéniens d'écraser les Perses à Salamine). Il existait aussi des droits de justice (amendes, frais et confiscations) mais qui servaient principalement à rémunérer, par affectation spéciale, les juges qui étaient fort nombreux, et des droits d'enregistrement; une taxe à tarif dégressif (l'éponia) qui frappait les adjudications publiques (d'immeubles, de ferme des impôts) et une taxe proportionnelle, de l'ordre du centième, exigée pour la publicité de la vente d'immeubles. L'impôt direct était bien connu à Athènes; à l'origine il ne s'agissait que de prestations en nature, qu'on appelait « liturgies ». Solon avait, dès le début du VIe siècle, réparti les citoyens en quatre classes suivant leurs revenus, déterminés par un recense10
hautes eaux plus propice au contrôle, sur la base des déclarations des propriétaires ou exploitants vérifiés par le délégué du fermier de l'impôt, l'emomion, impôt spécifique par tête de bétail; était également dû le phylakitikon, sorte de contrepartie de la surveillance par les gendarmes des troupeaux (1). L'on trouve également un impôt foncier bâti au taux de 5 %, assis sur la valeur locative de la maison évaluée par le propriétaire. Au roi, les vignerons payaient une autre taxe l'eparourion, taxe foncière proportionnelle à la valeur et à l'étendue du sol, plus une tritée, taxe du tiers, représentative du loyer lorsqu'il s'agit de vignobles royaux. Les Egyptiens subissaient les prestations en nature. Ils étaient tenus au logement de la troupe lors des déplacements (et en certaines régions des vétérans s'installant en clérouques), à l'hospitalité du roi ou de ses agents en mission, aux « cadeaux » à l'occasion des fêtes et anniversaires - lesquels cadeaux deviennent, pour les clérouques notamment, une véritable taxe foncière annuelle. La corvée existait aussi mais relativement courte et pour des objets précis : moissons, entretien des digues. L'enregistrement semble n'être que facultatif. Les droits de mutation des terres ou des immeubles étaient de 5 % (puis de 8 1/4 %), perçus à Alexandrie en offrande au fondateur de la Cité (et à son culte), dans le reste de l'Egypte au profit du roi avec un supplément en offrande au dieu. Des taxes accessoires s'y ajoutent comme le droit de criée (1 %), (1) Il Y avait aussi une taxe sur les fmes dont le produit était constitué en dôréa, c'est·à-dire concédé.
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les cités alliées et le crépuscule de la civilisation hellénique est intervenu avec la décadence des impositions. III. -
Les impôts de l'Egypte ptolémaique (Ille_1er siècle av. J.-C.)
Pendant près de trois cents ans Alexandrie fut avec quelques alternances le phare de l'Orient hellénistique que la richesse des descendants de Lagos, général d'Alexandre, éblouissait de ses splendeurs. Cette puissance était fondée sur une économie prospère et assurée par un système financier particulièrement développé. A l'inverse du système de l'Ancien Empire, la fiscalité des Lagides frappait peu les personnes : il n'y avait pas à proprement parler d'impôts sur les revenus, mais des taxes professionnelles. Bien que les recensements des individus et le cadastre des biens aient été réalisés avec régularité et méticulosité, avec ce sens statistique tenant à une hérédité millénaire, il ne semble pas qu'il y ait eu une taxe de capitation sous les Lagides, encore que vers l'an 220 Ptolémée Philopator ait pu instituer une syntaxis de ce genre. Les commerçants, charcutiers, épiciers, établissements de bains ... cordonniers, étaient tenus à une redevance, le phoros, sorte de droit de licence ou de patente. Les agriculteurs et les possesseurs de pigeonniers étaient redevables d'une taxe foncière, au titre non de la propriété mais de l'usage du fonds, cette taxe portait des noms variés et ses taux étaient différents selon les cultures. De plus il y avait des taxes sur les instruments de travail (bêches notamment et, pour les pêcheurs, sur les barques). Tout le bétail d'Egypte était dénombré, dans la période des
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mais contrôlées par l'administration royale et l'approvisionnement en matières premières fait l'objet d'une stricte régulation entre les ateliers. Les huileries clandestines sont sanctionnées d'amendes et de confiscation. Une fois fabriquée, l'huile était vendue au prix fixé par le roi à des détaillants suivant des quantités programmées à l'avance et déterminées par adjudication de quantité: le détaillant était tenu d'acheter la quantité d'huile adjugée, mais il pouvait la vendre au prix de son choix - encore qu'il y ait eu prix maximal par décision royale. C'était un système ingénieux qui garantissait au roi la vente de l'huile à un prix rémunérateur. Mais l'huile était plus chère qu'à l'étranger, en Grèce notamment, et c'est ainsi que le monopole a été étendu à l'importation sauf pour la consommation personnelle, auquel cas il y a lieu de payer un impôt spécial. Par aillems, le monopole de l'huile a conduit à une surveillance étroite des charcutiers et de l'utilisation de la graisse animale. Il semble aussi que l'on soit allé jusqu'à imposer par une sorte de capitation un minimum d'achat. La question se pose de savoir s'il y a eu une taxe généralisée sur les ventes, comme il en existait en Grèce. Il ne le semble pas, d'autant que les denrées essentielles étaient monopolisées et que les taxes sur les ventes atteignaient à des taux élevés les activités et non les Pl·oduits. Ainsi au taux de 33 1/3 (tritée) étaient frappés les chiffres d'affaires des bains, au taux de 25 % la vente des épiciers (kapelikon), des pêcheurs et des agriculteurs. L'impôt sur le vin, l'apomoira, était du sixième de la valeur de la récolte, laquelle était évaluée par des recensements annuels et les vendanges étaient l'objet d'une surveillance très étroite (par exemple le vigneron ne pouvait faire son vin qu'en présence d'un délégué du fermier 15
la taxe pour écritures publiques, la taxe du soixantième. Les dévolutions à cause de mort étaient aussi frappées d'un droit de succession : l'aparké, dû même en ligne directe. L'essentiel du revenu du roi provenait des taxes indirectes à trois titres : monopoles, droits sur les ventes, droits de douane et péages. Le roi est maître des richesses minérales, carrières de pierre (peu utilisée pour les constructions privées) pour l'exploitation desquelles il semble qu'il y ait eu le système des corvées, salines des marais ou du sol (le sel était monopolisé et donnait lieu en sus à un impôt local de consommation par personne, l'aliké, au profit du nome), et mines d'alun, de métaux, précieux ou non, et de pierres précieuses. Les monopoles fiscaux étaient affermés et portaient, non sur le superflu, mais sur l'essentiel : l'huile, le sel, les textiles, le nitre (produit minéral extrait des salines et servant notamment de blanchiment des tissus), le blé, la bière, le meilleur papier dit « papier royal ». Par ailleurs, le plus typique des monopoles est celui de la culture des oléagineux (sauf olivier) : sésame, croton, ricin, coloquinte, lin. Dans chaque nome des étendues de terre étaient déterminées à l'avance pour la culture et les cultivateurs devaient apporter la récolte aux magasins généraux de chacun des nomes (le monopole était affermé à des capitalistes). Il semble que les graines étaient prêtées par l'administration royale dont les fonctionnaires étaient responsables de la culture, et les fraÏs de culture avancés par le fermier du monopole qui était garant de la rentrée de l'impôt. Il y avait procès-verbal contradictoire d'estimation des récoltes, puis la récolte était vendue exclusivement à la Ferme. Sur le prix, le cultivateur paie une taxe de 25 %. Les huileries sont privées, IL
notamment de la taxe d'assistance judiciaire et la dîme additionnelle (le dixième des sommes en litige déposé en caution avant le procès et laissé par le perdant). De temps à autre, bien que les temples aient été exonérés de toute fiscalité, le roi a effectué des « reprises » sur les revenus des charges sacerdotales et les fondations pieuses, des levées (eisphora et epigraphon) sur les clérouques et les fermiers du domaine sacré. Ainsi les Lagides ont-ils pu adapter dans le cadre de traditions locales, la fiscalité grecque d'autant plus aisément que cette dernière se trouvait dans la filiation égyptienne. IV. - La fiscalité en Gaule avant l'invasion romaine Avant la conquête romaine, la Gaule avait subi l'influence grecque non seulement du fait que le. premier langage écrit y ait été le grec, mais aussi politiquement et administrativement; la population était divisée en tribus de 4 000 personnes environ, avec une hiérarchie à la tête de laquelle se trouvait un roi ou vergobret, élu. Il est logique d'avancer qu'il y avait un système fiscal suffisamment structuré pour faire face aux dépenses militaires (l'armée de Bituit qui en 125 av. J.-C. faillit mettre en échec l'Empire romain au faîte de sa puissance, était forte de 180000 hommes) et civiles (Luerus, père de Bituit, ne voyageait qU'~ll chariot d'argent (1), entouré de sa cour). Ce système fiscal était apparenté (1) L'argent et l'or abondaient, s'amoncelant dans les temples, fleurissant aussi sou. forme de bijoux que portaient habituellement les hommes, même en annes, et il est bien certain que, déployant leurs fastes, Luerus et Bituit ont excité la convoitise romaine et provoqué, à terme, l'invasion de la Gaule.
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de l'impôt) ; l'impôt pouvait être livré en nature ou payé en argent ou en cuivre. Il était en principe affecté au culte de Philadelphe. Les ventes d'esclaves, qui doivent toutes être déclarées à l'avance, donnent lieu à perception de deux taxes, l'une proportionnelle 17,5 % au profit du roi, l'autre par tête d'esclave au profit de la ville (l'importation d'esclaves est soumise à des droits de douane). L'organisation de la douane était aisée en raison du nombre restreint des points de passage; les droits à l'importation étaient fort élevés, à la mesure des prélèvements faits au profit du Trésor royal sur les produits du pays : 50 % pour l'huile, 33 1/3 % pour les vins, 25 % pour le miel et les salaisons; par contre le bois, le fer, les chevaux qui manquaient en Egypte ne payaient que des droits très légers. A l'exportation existaient aussi des droits qui furent très productifs sous les Lagides. AlL" droits de douane s'ajoutaient diverses taxes portuaires, droits de quai ou offrandes. Des péages ou des droits d'octroi (telos) sont prélevés un peu partout aux frontières, aux séparations des nomes, dans les ports fluviaux, aux termes des pistes du désert; ces droits pouvaient atteindre 40, même 50 %, mais étaient généralement du vingt-quatrième (vins, laines). Parmi les ressources du roi on trouve encore les amendes fiscales ou pénales - et les confiscations, parfois prononcées à la suite de rébellions; il y avait aussi des amendes en quelque sorte conventionnelles, sanctionnant au profit du roi le manquement à des obligations de droit privé définies par contrat. A partir de 179 av. J.-C.les amendes et confiscations alimentaient pour la plupart le domaine privé du roi. Par ailleurs, le roi bénéficiait de frais de justice, 16
Saône, ce n'était sûrement pas pour interdire tout commerce mais plutôt pour s'assurer la maîtrise d'une source de revenus. Il est vraisemblable qu'existait déjà une taxe sur les ventes des marchandises sur les marchés; et le centesima rerum venalium n'est que la romanisation d'une taxe déjà existante. César en effet ne modifia pas immédiatement les institutÎons ; il sc borna à établir un portorium sur les frontières - le quadragesima galliacum - et ce n'est qu'après la reddition de Vercingétorix qu'il institua le tribut et romanisa la fiscalité.
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à celui d'Athènes, c'est-à-dire fondé sur l'impôt indirect. A Marseille, cité grecque, n'existaient que des droits sur les marchandises, à l'entrée, à la sortie, et sur les marchés; l'impôt direct y était inconnu (confirmation peut-être trouvée dans la résistance et l'incompréhension opposées à l'établissement du cens par Auguste dans la Narbonnaise). Pour le reste du territoire, les peuplades gauloises ne connaissaient en matière d'impôt direct que le don volontaire, le herriban des Germains dans le cadre des prestations fournies en nature : corvées, fournitures, notamment épuration. En revanche, les taxes indirectes, qui étaient avec les droits de justice l'essentiel des revenus publics, étaient nombreuses et variées. Il existait quantité de droits de passage et de douanes le long des fleuves et sur les routes; en particulier, des taxes d'entrée et de sortie étaient établies dans les ports de la Manche sur les objets échangés avec l'île de Bretagne. Il est vraisemblable que les taxes étaient ad valorem et de manière uniforme sur toutes les marchandises. Leur perception était assurée par les magistrats (qui portaient des costumes distinctifs brodés d'or) et les adjudicataires étaient riches et généralement nobles. Aucune indication ne nous est parvenue sur leurs taux, mais l'on peut penser qu'ils n'étaient pas prohibitifs car ils ne décourageaient pas le commerce, source essentielle de la vie économique du pays. La Gaule, par ses richesses, constituait en effet une active plate-forme d'échanges commerciaux (le terme gaulois magus est venu jusqu'à nous sous le nom de « marché» alors que concurremment le forum latin a donné « foire »). Ces droits et péages étaient néanmoins suffisamment rentables pour provoquer des rivalités entre tribus : lorsque les Eduens ont tenté d'occuper les deux rives de la 18
Dans cette évolution on retiendra comme exemplaires trois périodes : celle du 1er siècle avant PEre chrétienne (correspondant à la romanisation de la fiscalité gauloise), celle du Bas-Empire au moment où les Mérovingiens accueillent l'héritage romain, puis celle de la mutation en Gaule de l'impôt romain avant sa féodalisation. 1. -
L'impôt romain au 1er siècle
A l'époque d'Auguste l'impôt direct, qu'il s'agisse de prestations en nature ou de versements en numéraire, frappait peu le citoyen romain, et la principale ressource de l'aerarium romain était l'impôt indirect.
1. L'impôt direct. - L'impôt direct avait trois formes essentielles : les prestations en nature, le trihut, l'impôt sur les successions. A) Les prestations en nature. - Lorsque l'armée romaine prenait pied sur un nouveau territoire, c'est à un gouverneur (nommé par le consul, l'empereur ou le Sénat), qu'incomhait la charge d'administrer et de mettre en valeur la nouvelle province. Pour ce faire les gouverneurs avaient recours aux prestations en nature: l'annone, qui consistait en apport de hlé, vin et peaux de mouton, chevaux, dans les magasins généraux de l'armée; les corvées pour la construction de routes, mais aussi d'édifices puhlics ou religieux (temples, autels et statues); le logement militaire, c'est-à-dire l'ohligation pour l'hahitant de donner aussi hien pour le soldat que pour sa monture, s'il s'agissait d'un cavalier, le couvert c'est-à-dire le toit, mais sans doute aussi le vivre. S'y ajoutait éventuellement la fourniture de hêtes féroces (en Gaule sans doute des loups et des
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CHAPITRE
II
L'IMPOT ROMAIN De la création de Rome (750 av. J.-C.) à la fin de l'empire d'Orient (1453 apr. J.-C.) vingt-trois siècles se sont écoulés pendant lesquels les institutions se sont formées mais auesi transformées, s'adaptant à l'évolution qui a conduit la ville aux sept collines à l'Empire romain. S'il est vrai que Rome dut son ascension aux exploits de ses légions, il.~'en est pas moins certain qu'elle n'a pu maintenir son hégémonie que par la qualité de 80n administration, et, plus singulièrement, de son système fiscal, lequel assurait à J'Etat romain le renouvellement des sources de richesses. C'est dans cette optique qu'il faut entendre l'impôt romain dont les mécanismes devaient avoir pour effet d'apporter à la ville de Rome les moyens de sa prospérité, aux citoyens romains l'élévation constante de leur niveau de vie; c'est en quelque sorte l'organisation scientifique des pillages (des biens privés et des temples) auxquels se livraient habituellement les cohortes romaines envahissant un territoire. Aussi bien les perfectionnements qui ont été apportés tant à la technique qu'à l'administration fiscale avaient-ils pour but de permaniser cette situation et d'assurer une productivité croissante, :.!u
devra-t-on, dès le départ, distinguer l'impôt purement foncier (proportionnel à la valeur des terres - c'était déjà l'impôt sur le capital) de celui qui frappait les esclaves (capitatio). Le cens fut institué en Gaule, en remplacement du stipendium (1) qui avait été imposé à la Gaule par César, en l'an 27 (vingt-quatre ans après la reddition de Vercingétorix, dix-sept ans après la mort de César) par Auguste qui s'installa d'ailleurs à Narhonne pour mieux présider aux opérations (c'est à ce moment-là qu'il divisa la Gaule qui, depuis César, ne formait qu"une province de la Méditerranée au Rhin, en N arhonnaise, Aquitaine et Lyonnaise). Le recensement fut renouvelé quinze ans plus tard par Drusus, beau-fils d'Auguste, puis en 14 apr. J.-C. par Germanicus. Il n'y a pas de traces de recensements postérieurs, du moins propres à la Gaule, ce qui ne veut point dire qu'il n'yen ait pas eu, mais ce qui tendrait à prouver que la population gano-romaine s'était accoutumée à cette imposition, laquelle, dans l'esprit et le langage des l'edevables, prit peu à peu le nom de l'opération cadastrale: c'est ainsi que le tributum devint, en Gaule tout au moins, le cens.
C) L'impôt du vingtième sur les successions. C'est par la loi Julia et Papia Poppœa qu'Auguste (1) Le slipendium peut passer pour un impôt direct encore qu'il soit fondamentalement une indemnité de guerre. il s'agissait essentiellement d'un impôt de répartition que les peuples vaincus devaient eux-mêmes répartir suivant leur mode d'imposition existant et le montant en était fixé par le Sénat ou par le général vainqueur pour un certain nombre d'années. C'est ainsi que Philippe de Macédoine eut à payer 1 000 talents en termes annuels; c'est ainsi que Carthage dut payer, après la première guerre punique 2200 talent. en 20 termes annuels, après la deuxième guerre punique 10000 talents en 50 termes annuels - soit 200 talents par an. Pour la Gaule l'on manque de précision sur le stipendium que César déclare avoir fixé lui-même au chiITrc de 40 millions de sesterces (30 miIlions de francs 1978).
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ours) pour les jeux du cjrque à Home ou à Nîmes. Ces prestations en nature étaient temporaires, en ce sens que l'armée, sauf aux frontières, n'était pas en permanence sur le territoire; chaussées, temples, forums une fois construits, ne demeurait plus que l'entretien. En sus de ces prestations destinées à l'administration, le gouverneur levait pour son profit personnel des « cadeaux », par exemple l'aurum coronarium, l'or coronaire, don d'or au général vainqueur. B) Le tributum. - A l'origine la capitation, impôt élémentaire, permit à Home de faire face aux premières charges. D'exceptionnel sous le roi Servius Tullius cet impôt, le tributum civium romanum, devint annuel en 406 av. J.-C. lorsque fut créée la solde militaire. Mais, du fait de conquêtes successives, il ne fut plus exigé à Home à partir de 167 av. J.-C. puis, à partir de 89 av. J.-C., des Italiens devenus citoyens romains. Au 1 er siècle av. J.-C. Rome, l'Italie et les cités dotées du jus italicum étaient exemptes du tribut. Le tributum était un impôt de quotité qui avait pour hase la situation de fortune telle qu'elle était déterminée par le cens, lequel constituait un véritahle cadastre des situations individuelles. A l'origine, le cens était d'essence purement militaire puisqu'il avait pour ohjet de dénomhrer la population apte à porter les armes et à fournir la cavalerie; il avait lieu tous les cinq ans et devait constater l'âge des citoyens et le nomhre de leurs enfants, ainsi que leur richesse = nomhre des esclaves, des têtes de hétail, des arpents (jugum) avec la précision des cultures. Le premier cens aurait été effectué en 555 av. J.-C. Tout naturellement ce recensement devient la hase de l'impôt direct et sans doute
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auxquels celte dernière disposition avait conduit. Antonin Caracalla doubla l'impôt qui devint le dixième (mais Macrin, son successeur, rétablit le vingtième) et n'admit plus en exemption que les héritiers directs à l'exclusion des agnats; en accordant systématiquement le droit de bourgeoisie à tous les sujets de l'Empire romain, il les soumit tous au droit commun des successions et de l'impôt s'y rapportant. C'est Justinien qui, par une Constitution de l'an 531, semble avoir aboli les droits de succession dans l'empire d'Orient. Pendant cinq siècles l'impôt fut donc levé avec régularité, affermé généralement aux publicains groupés souvent en sociétés et appelés vicesimarii, c'est-à-dire receveurs du vingtième; ils étaient surveillés par le surintendant de la caisse militaire (qui succéda aux trois prétoriens originels), lequel avait dans les provinces des préposés: les procureurs. Ces derniers, dont la fonction sociale a été très variable (il y eut des soldats et des muletiers), étaient chargés de veiller aux intérêts du fisc, c'est-à-dire non seulement de recueillir les successions pour le compte du domaine privé (1), mais aussi de faire une juste estimation de la valeur de celles qui allaient aux particuliers afin de lever sans possibilité de transaction l'impôt dans les délais les plus rapides; Auguste avait prévu des délais très courts pour l'ouverture des testaments et le débiteur ne disposait que d'un bref délai au-delà duquel il payait une indemnité de retard de un centième par mois. 2. Les taxes indirectes (