Hélène Dorion, Mes Forêts_présentation Générale [PDF]

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Zitiervorschau

Hélène Dorion, Mes forêts (2021, Doucey) La poésie, la nature, l’intime

Plan de séquence • EVALUATION FINALE: sujet de dissertation pour le 07-11-2023 sur feuille (DM imprimé) Dans ses Notes sur la mélodie des choses (1898, publication posthume), RM RILKE écrit que « l’art [est] la continuation, moins modeste, de l’amour ». Faut-il voir dans la poésie de la nature à l’ œuvre dans Mes forêts, comme une déclaration d’amour ? • 1 œuvre intégrale en 3 extraits: Mes forêts • 1 texte de parcours associé • 1 lecture cursive: Philippe JACCOTTET, Cahier de verdure (1990) • 2 groupements complémentaires: dire 1/ la nature; 2/ l’amour en poésie.

Le parcours: la poésie, la nature, l’amour LA POESIE • 2 définitions large: l’étymologique (création) vs celle restreinte, générique, moderne (par opposition aux autres genres, postérieurement au18e s.) • Genre littéraire le plus ancien avec le théâtre qui persiste encore de nos jours = genre très pratiqué, installé (topoï), connu de Dorion; • Dimension sacrée; double patronage complémentaire Dionysos + Apollon • Forme langagière différente + images + musicalité + subjectivité (=> liberté, émancipation, licenses)

La poésie • • • • • • • • • •

Formes, valeurs, connotations, vocations qui ont évolué Antiquité : fluidité des genres, Poésie invocatoire, incantatoire Lyrique puis, chez les Romains, élégiaque et épique => subjectivité + gloire 16e s. premier grand siècle poétique (Ecole lyonnaise + Pléiade) = poésie de cour, mais aussi subjective, parfois intimiste (Labé, Sponde), même si très stéréotypée et suivant des modèles (Pétrarque) 19e autre grand siècle poétique, plusieurs mouvements (Romantisme, Parnasse, Symbolisme, et leurs variantes). Des Ecoles (avec chef de file, manifeste etc.). Expression de la sensibilité romantique et discours du moi. Modernité poétique fin 19e s après BAUDELAIRE, RIMBAUD, APOLLINAIRE. Début 20e s. surréalisme (jeux, expérimentations, 20e s. poésie de la fragilité et du fragment (PERROS, JACCOTTET, ROBIN, RODANSKI) . Poésie de soi comme une épreuve: MICHAUX, MIRON, GUILLEVIC, RAY, GOFFETTE

La forêt / lieu de symbiose….poétique Tiré de François CHENG, Cantos toscans (1999), in A l’orient de tout (Gallimard, 2005)

La nature • Polysémie du terme: tempérament, caractère / réalité géographique/ base sans superflu ? • Topos littéraire quasiment aussi vieux que la littérature • De rerum natura (1er s. av JC) : réflexion philosophique sur la place de l’homme au sein de l’univers et de la nature • Moyen-Age: réalité géo de la forêt et de la nature. Romans table de la table ronde, Tristan & Yseult : la forêt = la sauvagerie, la marge, la transgression (donc l’émancipation) • L’enfer (Dante, 14e s.) : la forêt = chemin initiatique, lieu-frontière, lieu de passage • Préromantiques, romantiques (Chateaubriand & sa forêt à Combourg) => forêt= reflet de l’âme, communication ext/intériorité • Forêt moderne & contemporaine (conscience écologique, universaliste) : dimension didactique de la forêt qui remet l’homme à sa place (de PONGE à DORION en passant par la poésie paysagère d’un Lorand GASPAR)

La forêt chez HUGO, quand la contemplation permet l’introspection Je ne demande pas autre chose aux forêts Que de faire silence autour des antres frais Et de ne pas troubler la chanson des fauvettes. Je veux entendre aller et venir les navettes De Pan, noir tisserand que nous entrevoyons Et qui file, en tordant l’eau, le vent, les rayons, Ce grand réseau, la vie, immense et sombre toile Où brille et tremble en bas la fleur, en haut l’étoile. Dernière gerbe, posthume.

L’intime • Intimus: au-dedans, au plus profond • Intime = intime? = Subjectivité ? Personnel ? Privé ? • Secret ? Caché => travail d’élucidation pour le lecteur? Rôle du lecteurenquêteur? • Poésie : discours du « je », du « moi » semble admis depuis le 16e s., officialisé par les Romantiques, facilité par la révolution psychanalytique • HUGO Les Contemplations, les mémoires d’une âme => intimité transmissible, partageable? Cf. Préface, « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. » = pari d’une intimité universelle. • RIMBAUD « je est un autre »: une intimité inaccessible à l’intérieur-même de soi? = l’espace du dedans selon MICHAUX qui contient « le grand secret » ? (cf. Qui je fus, 1929) • APOLLINAIRE « chaque poème…commémoration d’un moment ma vie » et de fait, « Zone », « Vendémiaire » nous font remarcher sur ses traces, les poèmes portant les noms de ses muses (Annie, Marie), y faisant figurer des éléments autobiographiques (dans « Le voyageur », « Zone » ou « A la Santé ») pourtant, le pronom je dans Zone n’arrive qu’au v.15, largement précédé par le « tu » . Révélation autobiogr pas forcément soupçonnable dans la mention des «sténodactylographes » par exemple, souvent prise pour un simple recours à de la terminologie technique moderne (or, premier emploi du poète, conseillé par sa mère). • Indécence ? Mise en sc. de soi : réseaux sociaux utilisés par Dorion, image de l’auteure avec arrière-plan domestique (vidéo, instagram : on y voit son bureau, son espace domestique) / bribes d’infos biographiques sur son site. Cf. le cas de V. HUGO et « pauca meae » : l’ellipse comme toute suggestion, rempart contre l’épanchement de l’intime ou bien incitation à s’y intéresser?

Le triptyque « la poésie, la nature, l’intime »

• Refus de coordonner les deux derniers termes comme la grammaire française l’aurait exigé pour cette énumération. • Volonté de questionner cette suite : logique? Graduelle? Chaque terme équivalent des autres (tous les termes se valent) ou bien faut-il imaginer une succession chronologique (de la poésie, point de départ, à l’intime, point d’arrivée*, la nature en étant un biais ?) = crescendo pour esquisser un parcours initiatique ou accumulation de trois termes considérés comme aussi importants et fondamentaux les uns que les autres? • Le parcours lui-même pose problème, gigantesque, titanesque et cependant restant à faire signifier = trois termes-clés de la littérature, trois entrées (trop) évidentes = comme l’écriture de Dorion? (* ce que semble indiquer la fin du recueil « vers moi-même ».)

Hélène Dorion : poésie, nature et intime dans son œuvre • Cf. https://mediaserver.univ-nantes.fr/videos/bruno-doucey-poete-editeurpresente-mes-forets-dhelene-dorion/ • Parcours de prof., d’éditrice (Noroît), de critique litt. Et d’écrivain (roman, récit, poésie) • Sources d’inspiration & formation : philosophie (Matérialistes, Camus, Giordano Bruno) et littérature, hybride puisqu’à la fois européenne (Rilke, Lorand Gaspar, Reverdy et Ph . Jaccottet revendiqués comme sources d’inspiration, proximité avec Guy Goffette, Fr. Cheng et Lionel Ray) • Contact étroit avec les autres arts: opéra (Yourcenar, une île de passions, opéra créé en 2022-23 à Montréal), peinture (sœur peintre, expos conjointes), musique (collaborations régulières avec la violoncelliste américaine Julia Kent)

(suite) • Contact avec l’élément air (Le bruissement du temps ), l’eau (Pas même le bruit d’un fleuve) et la forêt • Réalité topographique • Image arrière-plan de son site web helenedorion.com = sa forêt, son bureau = confusion œuvre/personne, femme/autrice ; • Nombreuses images de forêt (Orford) et de mer, d’océan sur sa page instagram • Réseaux sociaux, nouveaux médias (youtube, facebook, instagram, twitter), contact direct (même assez contenu et conventionnel) avec les lecteurs (envoi de lettres saisonnières sous forme de newsletters) • Et cependant, que sait-on vraiment d’H. Dorion (biographie? Famille? Vie privée?) – quelques bribes, quelques indices d’une crise personnelle à l’orée des années 2000 (changement tout à la foi du de lieu de vie, d’éditeur, de vie pro)

3 caractéristiques d’H. DORION • Culture hybride: Philo/littérature Monde anglosaxon (cf. épigraphes de Mes forêts) / francophone, québécois (Jacques Brault, Gaston Miron…) Monde académique, universitaire mais aussi participation à des ateliers d’écriture, pratique plus empirique et partagée • Dimension féministe (cf. collaboration avec MC Blais, Julia Kent…)? Fascination pour la liberté de Yourcenar. • Rencontre avec les arts (peinture avec sa sœur, musique avec Julia Kent ou appui régulier sur les musiques électro de Library Tapes): moderne? (cf. Eluard/Man Ray, Char/Giacometti ou Braque … alliance musique/poésie chez Verlaine, collaboration Paul-Jean Toulet/Debussy ou Colette/Ravel…)

Le rapport au monde, sinon engagé du moins conscient et impliqué • Conscience écologique , Tribune dans le Monde du 13 juin 2023 (méga-feux canadiens) : « Ce matin, dans la forêt où j’habite, à Orford en Estrie [sur la rive sud du SaintLaurent, au centre du Québec], je regarde les années que racontent les arbres, j’écoute les histoires qu’ils portent jusqu’à moi, chacun à travers la forme de son ossature, la densité de son feuillage, et les branches des uns et des autres qui s’entrelacent et s’enchevêtrent comme les fragments d’un même récit. Mais plus au nord, une partie de cette histoire est en train de brûler. Du temps s’effondre. (…) Ces dernières années, l’écorce de ces arbres et l’humus de cette terre ont inspiré mes poèmes. Ils cherchaient à en dire la beauté puissante, mais aussi à faire résonner l’onde du chaos. Ce matin, je n’ai pas de réponse au choc de ce futur venu cogner contre le présent. Je n’ai que mes mots, avec ce qu’ils portent d’espoir pour rester debout et raconter encore la vie : « Le mur de bois/ s’est fissuré/ une pluie/ de longues tiges/inquiète nos pas/ tombe comme on tombe/ parfois dans sa propre vie/ j’écoute cette partition/du temps/ je déchiffre enfin/ le désordre des branches/ les forêts hurlent/ entre racines et nuages. »»

Playlist de Mes forêts sur Spotify (extrait)

• Dans la lignée de Jaccottet (cf. https://www.radiofrance.fr/franceculture/philippe-jaccottet-unepoesie-de-l-incertitude-et-de-la-fragilite-5431095) , Armand Robin, G. Miron (« homme rapaillé ») ou Lorand Gaspar

Esthétique de la faille

• La première section est très morcelée: 25 poèmes de L’écorce du temps • L’écorce elle-même = trace, résidu en décomposition • Propagation de ce qui lézarde : branches -> brèches • Mais cette faille est féconde, créant de la continuité et de la matière accumulée: • Allitération en [f] « s’effrite », « fendille », « s’est fissuré », « craquelle », « casse » • Superposition de deux logiques: son et sens. Aussi bien une évolution logique « branche »/ « feuilles »/ « déchirure » que sonore, avec le jeu sur les paronymes « branches »/ « brèches »

L’accompagnement musical de Mes forêts • Écoute voulu par l’auteure, simultanée si possible (en fin de Mes forêts) • Collaboration fréquente avec la violoncelliste Julia KENT (cf. Colette avec Ravel, Toulet avec Debussy….) • Titre du recueil précédent chez Bruno Doucey : Comme résonne la vie • Playlist faite d’un lot de 29 références = agglomération de solistes, duos, trios • Réf. surtout anglosaxonnes, instrumental, à base de cordes (piano ou violoncelle) • musiques électro, néoclassiques, méditatives, répétitives (1 motif, déploiement en boucles) , effets d’échos & réverbération, utilisation du looping • => paysage mental entêtant voire obsessionnel favorable à l’introspection où l’humanité (pas de vocal) n’est pas centrale

Mes forêts • Recueil (second recueil de poèmes chez Bruno Doucey) même si Dorion n’aime pas cette appellation (préfère un cheminement linéaire), pensé pendant le confinement • Quatre sections (4 saisons? 4 éléments? 5-1 = une presque tragédie?), chacune surmontée d’une épigraphe (une poétesse féminine du continent américain) • Pour une soixantaine de poèmes, dont 5 poèmes intitulés à l’identique « mes forêts » (à titre de comparaison : 126 poèmes dans l’édition 1857 des Fleurs du mal, 191 dans les Regrets mais 56 dans Alcools et 22 dans les Cahiers de Douai).

Questionnement sur la valeur stylistique et sémantique de la récurrence et de la répétition (habitude, rituel, vertu corrective, occasion du perfectionnement, ou fausse duplication?) • Titre Mes forêts: référence à cet espace devenu territoire littéraire, marge (subversion et merveilleux), zone de transgression et zone refuge chez Tristan et Yvain (tout comme pour Madame de Clèves et Nemours) mais aussi lieu initiatique pour Dante dans l’Enfer. Usage du possessif qui dé-neutralise l’espace pour afficher l’appropriation subjective et affective. • Les forêts = réalité canadienne et québécoise (les forêts = 1/3 de la surface de la France mais plus de la moitié du Québec!) mais for [dehors] -> forêt = espace du dehors + « mes » intériorité : les deux réalisent la totalité du monde, dedans, dehors = démarche cosmologique et discours exhaustif sur la vie, le monde et son expérience sensible • Sens second du mot: réseau, amas confus, tissage touffu (on parle volontiers de la « forêt de signes ») • Forêts qui se propagent dans tout le recueil: récurrence du slogan (« mes forêts sont »); champ lexical (écorce, humus…) -y compris les termes à double sens (« feuille »)- et allitération en [f]

Composition du recueil

Le mot de l’éditeur Son nom semble la relier à une constellation, mais sa présence au monde la rend indissociable des paysages qu’elle traverse : Hélène Dorion vit environnée de lacs et de forêts, de fleuves et de rivages, de brumes de mémoire et de vastes estuaires où la pensée s’évase. Dans ce recueil écrit au cœur d’une forêt, elle fait entendre le chant de l’arbre, comme il existe un chant d’amour et des voix de plain-chant. « Mes forêts… », dit-elle dans un souffle qui se densifie de poème en poème. Et l’on entre à pas de loup dans une forêt de signes où l’on déchiffre la partition de la vie sur fond de ciel, sur fond de terre, sur fond de neige, de feuillages persistants et de flammes qu’emporte le vent, de bourgeons sertis dans l’écorce et de renouvellement. Un chemin d’ombres et de lumière, « qui donne sens à ce qu’on appelle humanité ». (Bruno Doucey)

Par O. Barbarant (IGESR) Avec Mes forêts, une première évidence est d’ordre thématique : le livre d’Hélène Dorion part et parle des arbres, de leur «écorce incertaine», de «forêts», et rejoint ainsi une longue tradition pour laquelle, de Virgile à Philippe Jaccottet, l’association de «la poésie» et de la «nature» n’a (presque) jamais cessé de s’imposer. Comme le dit le critique contemporain Jean-Claude Pinson, «Inlassablement, à rebours de toutes les déconstructions modernes de sa longue tradition bucolique, la poésie continue d’évoquer la nature», pour ajouter aussitôt «Elle nous rappelle ainsi que nous en sommes partie intégrante» (Pastoral – De la poésie comme écologie, Champ Vallon, 2020). Mais le livre d’Hélène Dorion à son tour ne se réduit pas à une évocation : il rend compte d’une recherche, fondée sur les liens d’une extériorité (dont on sait qu’elle rejoint l’étymologie du mot «forêt») à une intériorité – à l’intime, qui, en nous rappelant que nous sommes parties prenantes de la nature, enseigne une possible habitation poétique de la terre. Loin de s’opposer, dehors et dedans se conjoignent, et découvrent, par une vigilante écoute du «bruissement du temps», une promesse de vie : «je suis cette ramille qui frémit/au bout du vide. Trace un invisible chemin/vers l’horizon». Le parcours permet ainsi de mettre en lumière les éléments fondamentaux du livre. (https://eduscol.education.fr/document/49874/download )