Fondements Du Fiqh-2018 [PDF]

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Zitiervorschau

L’imâm al-Juwaynî

Les fondements du droit musulman et des lois de la Charia Sources, définitions et procédés qui mènent à l'élaboration des lois et des fatwas en Islam

"Al-Waraqât fî usûl al-fiqh" Traduit de l'Arabe par Leon Bercher

Présentation

Au début de l’Islam, le mot fiqh signifiait compréhension, savoir, intelligence « et s’appliquait à toutes les branches du savoir. Puis il est devenu le terme technique servant à designer la jurisprudence, la science du droit de l’Islam. Les juristes musulmans ont divisé leur discipline en deux grandes parties : « usûl al-fiqh » (racine du droit) et « furû’ al-fiqh) (branche du droit) 1, ces appellations semblent avoir été inspirées par l’image utilisée dans le Coran : « N’as-tu point vu comment Dieu exprime (sous forme) de parabole une belle parole pareille à un bel arbre dont la racine est solide et la branche (dressée) vers le ciel » (xix -24). « Usûl al-fiqh » désigne la partie théorique de la science du droit qui recouvre à la fois l’étude des finalités (maqâçid) de la loi et la méthodologie dont

1. La formule « Roots of Law » (racines du droit) est utilisée en anglais, par exemple par le compte Ostrorog, cité par M. Hamidoullah dans sa presentation du « Kitab al Mu’tamid fi usûl al-fiqh » d’Abu’l Husseïn al Basri (le mutazilite). Tiré à part Paris 1965. 9

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les critères et les modes de raisonnement permettent la production de la norme juridique. 2 La science des « furû'» est consignée dans des ouvrages de droit pratique fournissant des réponses aux questions relatives aux cultes ('ibâdât) et aux « transactions » (mu'âmalât). Avant d’en arriver à ces codification, l’Islam est passé par une période durant laquelle le Coran, la Sunna et la coutume arabe apportaient suffisamment de données pour permettre au législateur de distinguer le licite et d’apporter des solutions aux cas où cette distinction n’etait pas évidente. Durant le premier siècle de l’Hégire le droit - dont les origines restent « un mystère », selon l’aveu d’un spécialiste aussi avertie que G.H. Bousquet 3 - semble avoir donner la part belle à la réflexion indépendante dont le résultat fut le ra’y (ou opinion), L’istihsân / (appréciation individuelle fondée sur le principe d’équité), l’istislâh (prise en compte des principes d’utilité et l’ijtihâd (effort de réflexion) caractérisaient l’activité de ce courant de pensée qu’on appela « ashâb 2. Selon le juriste andalou Chatibi (1144-1194) la Charia se fixe pour buts ( maqaçid) «  la préservation de la religion, de la vie, de la postérité, des biens et de la raison » - Dans Kitab al‘uwafaqât fi usûl ash-Shariya - Cité par Ma'rûf Dawâbili dans sa thèse sur «  la jurispredence islamique »- Paris - Sorbone -1941-. 3. Précis de droit Musulman - Fontana - Alger. 1940. 10

ar-ra’y » dont l’histoire a été considérée comme l’un des points « les plus attachants de cette branche des études islamiques » (I. Goldziher) 4. Mais les tenants de cette « tradition vivante » (J. Schacht) finirent par provoquer la réaction des « ahl al hadîth » (mouvement des traditionistes) qui s’opposèrent au ra’y en exigeant que toute conclusion juridico-religieuse soit fondée sur un dire authentique du Prophète . Des hommes comme Ibrahim an-Nakha'i à Kufa et Saïd Ibn al-Musayyib à Médine cherchèrent, vers la fin du premier siècle de l’Hégire, à donner au droit une imprégnation éthico-religieuse, durent placer leur réflexion entre, d’un côté la grande liberté de pensée revendiquée par ashâb ar-ra’y et, d'un autre côté, les restrictions introduites par la réaction des ahl al-hadîth. C’est sans doute pour trouver une solution médiane entre ces deux tendances que les juristes des débuts du califat de Bagdad entreprirent une systématisation du droit : la science des usûl al-fiqh naquit de cette recherche des fondements du droit et du souci d'une méthode destinée à mettre de l’ordre 4. Un livre : Kitâb ar-Ra’y (livre de l’opinion juridique) - non conservé - est attribué à Abû Hanifa (m.150/767), fondateur de la première école juridique du sunnisme. Cf. M Hamidullah, op cit. 11

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dans le maquis des études de cas et à dégager des lois générales permettant d’apporter des réponses aux problèmes nouveaux  ! Pour le juriste musulman de Paris Abdelmajid Turquî, « cette science, typiquement musulmane, de la méthodologie juridique » a pour finalité « de permettre au spécialiste d’établir un texte normatif de manière rationnelle, en recourant au raisonnement par analogie et en s’efforçant de l’entourer des garanties fournies par le consensus des savants, à une époque donnée, tout au moins ». 5 C’est Shâfi'i (m en 204/820) qui, dans sa Rissâla, systématisa l’étude des usûl al-fiqh. 6 Les sources fondamentales du droit se trouvent ramenées à quatre : le Coran, la sunna, l’ijma’ (consensus de la communauté) et l’istishâb, ce dernier principe désignant la présomption de continuité en l’absence d’un facteur de changement. Cela conduit à relativiser l’importance des notions érigées parfois en sources de la Loi par les tenants des Ra’y. Selon

un juriste shafi'ite aussi autorisé qu’Abû Hâmid al-Ghazâlî (m. 1111), les quatre fausses (mawhuma) sources du droit sont : « les législations révélées antérieures à l’Islam ; les dits des Compagnons, l’istihsân : et l’istislâh » 7. Mais, tout en écartant ces sources ou en en réduisant sensiblement la portée, al-Ghazâlî leur accorde, en fait, une certaine place et parfois même les intègre, sous certaines conditions, à sa doctrine » 8. De la même façon le Mustasfa d’al-Ghazâlî, l’un des ouvrages d’usûl al-fiqh les plus achevés, inspirés par la Rissâla de Shafi'i, n’inscrit pas le qiyâs, (raisonnement par analogie) au nombre des fondements du droit. Il en fait néanmoins une méthode dans le maniement de laquelle le mujtahid « doit être à l’aise » 9. « Le qiyâs consiste à rechercher la cause (‘illa) d’une règle de droit (hukm) et à étendre cette règle à tous les cas qui participent de la même cause » 10 La ligne orthodoxe des usûl al-fiqh, que principalement Hanafites et Shafi'ites contribuèrent à tracer,

5. Introduction au « Kitâb al-Minhâj fî tartib al Hijaj » ou Art de la polémique » par Al Badji - Edité par A.Turki- Maisonneuve. Larose; Paris 1978

7. H.Laoust: La pédagogie d’al-Ghazlî dans le Mustasfa. In pluralismes de l’Islam. genthner -Paris 1983.

6. L’intérêt de la Rissâla de Shafi'î reste tel que Mâjid Khaddurie a entrepris de la traduire en anglais dans les années 60. cf M.Hamidullah, op.cit.

9. H.Laoust, op.cit.

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8. H.Laoust, op.cit. 10. H.Laoust, op.cit. 13

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était devenue, à peu de variantes près, une sorte de bien commun aux quatre madhhab (écoles) du sunnisme. 11 C’est ainsi que le malikite Abû-l-Walîd Muhammad Ibn Rushd (1126-1198) qui, en tant que philosophe critiqua sévèrement le livre « l’égarement des philosophes» d’al-Ghazâlî, mais n’hésita pas à rédiger un mukhtaçar (abrégé) du traité d’usûl, al-mustasfâ, composé par ce grand juriste shafi'ite. et c’est sans doute ce mukhtasar d’al-mustasfâ de Ghazali qui inspira le condensée d’usûl al-fiqh par lequel débute la traité d’ikhtilâf (divergences) intitulé par Averroès « bidâyatou l-mujtahid wa nihâyatu l-muqtaçid  : Début pour qui s’efforce à un jugement personnel ; fin pour qui se contente de l’enseignement reçu). Les usûl al-fiqh sont appelés par Ibn Rushd « al-kalâm al-fiqhî » (théologie dogmatique juridique), et sans doute pour mieux « mettre l’accent sur l’aspect « raisonneur » de cette science ( la méthodologie dogmatique juridique), et sans doute pour mieux exprimer

sa connexion étroite avec la théologie dogmatique qui est le kalâm proprement dit » 12 Ces quelques exemples suffisent à montrer l’importance de la science des usûl dans l’enseignement traditionnel musulman. Pour la rendre accessible aux étudiants, cette discipline prestigieuse a fait l’objet de nombreux cours abrégés, dont l’un des plus célèbres a été rédigé par le shafi'ite Abu’l Ma'âlî Abdel Malik al-Juwaynî (1028-1085), intitulé « Kitâb al-waraqât » livres des feuilles 13. C’est la traduction 14 de ce petit traité, qui était encore commenté au 17ème siècle et que les étudiants apprenaient par coeur par le grand arabisant Léon Bercher15 qui fait l’objet de cette édition. 12. R. Brunschvig, « Averroès juriste » , in «  etudes d’islamologie » - Tome second - G.P Maisonneuve, Larose- Paris 1976. 13. Al-Juwaynî, surnommé « Imâm al-Haramayn » pour avoir enseigné dans les deux villes saintes La Mecque et Médine, est counu pour ses ouvrages de kalâm asharite et de droit shafi'ite, comme l’irchad ( traduit par J.D Luciani à Alger dans les années 1920) et « Ghaythu’ l-umam » (Salut des Nations) récement étudié en Allemagne. 14. Publié une première fois en 1930 dans la revue Tunisienne.

11. Le dictionnaire biographique d’Ibn Khallikan attribue à Abû yûssuf (m.182/798), le premier ouvrage d’usûl de l’école shafi'ite. Le hanbalisme aussi a produit des théoriciens du droit comme le célèbre Ibn Qudâma (541-620/1146-1223) dont son livre : al-Umda a été traduite par H. Laoust à Damas en 1950. 14

15. Grand arabisant français mort en 1955 à Tunis où il dirigea l’Institut des Hautes Etudes. Après avoir rédigé une thèse sur « les peines et délits dans le Coran » (1928), il se signala par la traduction d’ouvrages littéraires ou juridiques comme : le collier de la colombe (tawqu l-hamâmat) d’Ibn Hazm, la Rissâla d’Ibn Abi Zayd 15

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L’intérêt du sujet traité, la place de l’auteur dans l’histoire de la pensée musulmane, et la probité jointe à l’érudition du traducteur justifient largement une telle réédition, sa lecture bénéficiera aux étudiants des différents établissements privés d’enseignement supérieur musulman ouverts récemment en France. Cet exposé des principales notions de la plus attachante et la plus typiquement islamique des matières de l’enseignement traditionnel musulman donnera une idée de l’effort d’élaboration théorique fourni par les premiers juristes de l’Islam qui en se référant à « l’état de droit » bâti par le Prophète était convaincu que le niveau d’une civilisation se mesure notamment par l’importance accordée aux sciences juridiques. La lecture attentive de ce cours abrégé apporte des indications utiles sur le taqlîd (imitation) et - tajdîd ( rénovation)16.

De la clarté de ce débat dépendent, l'intelligence leur foi et l'interpretation du legs de l'enseignement traditionnel par les musulmans d'aujourd'hui. Car la relecture de la méthodologie, qui, à partir des fondements (usûl) et des finalités (maqaçid), a permis les premières élaborations du droit musulman, fait partie de l'effort d'adaptation dans la fidélité aux origines. C'est dans la mesure où cet ijtihâd - dont les portes demeurent ouvertes - s'inspire de la vigueur intellectuelle et du sens de la nuance des premiers théoriciens du droit musulman, qu'il permet les dépassements dont a besoin l'Islam contemporain. Sadek Sellam*

al-Qayrawânî, la Tuhfa d’Ibn Âsem, le Mukhtasar de Khudari; des chapitres de l’Ihya d’al-Ghazâlî comme "Le livre de la commanderie du Bien, le livre du mariage ou le chapitre de la concupiscience charnelle. » 16. Cf. «  L’Essai sur la méthode juridique maghrébine (Rabat 1944)

*Auteur notamment de "L'Islam et les Musulmans en France" Préface de J.Berque, Édition Tougui Paris, 1987 et "Etre Musulman aujourd'hui" Edition Nouvelle cité - Paris 1989

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dans lequel J. Berque , après avoir étudié le legs de la culture juridique andalouse dûment conservé à la Qarawiyîn de Fès, estime que « la porte de l’ijtihâd n’est pas close. »

Avant propos du traducteur

La science occidentale, qui s’est intéressée avec tant de sollicitude et de fruit aux études de droit musulman, théoriques ou pratiques, et qui a fourni, sur ce vaste sujet, tant d’œuvres originales, d’éditions et de traductions d’ouvrages qui font autorité en cette matière, semble avoir négligé une science pourtant très proche parente de celle du droit proprement dit, et qui, chez les Musulmans, n’est pas moins en honneur que cette dernière. C’est la science des uçûl al-fiqh ou méthodologie juridique. D’un caractère beaucoup plus général et abstrait que la science du droit proprement dit (fiqh), la science des usûl est une application de la logique formelle, de la science de l’exégèse coranique et de la science des traditions et, dans une certaine mesure, de la lexicologie et des autres sciences du langage. Elle prétend expliquer la genèse de la législation positive en vigueur. Mieux encore, elle offre les moyens théoriques auxquels on devra recourir pour formuler, dans les cas non encore prévus, des dispositions législatives nouvelles. En un mot, elle 19

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tend à démontrer comment est né et comment on peut encore faire naître le droit de ses sources orthodoxes immuables. Envisagée sous cet angle, la science des usûl se placerait au-dessus de la science du droit proprement dit. Tandis que celle-ci intéresse surtout le juge et l’administrateur, la première s’adresserait pratiquement aux seules autorités musulmanes ayant le pouvoir réglementaire général ou spécial, ou simplement la faculté de donner des avis juridiques autorisés : le Prince ou ses représentants et les prudents ou mufti. C’est cette constatation qui a amené certains esprits à penser qu’il y avait, dans la méthodologie juridique musulmane, un moyen admirable, à la fois pratique et orthodoxe, d’introduire dans la législation islamique les réformes rendues nécessaires par l’évolution et le progrès modernes. Savvas-Pacha fut de ces esprits, et son livre-étude sur la Théorie du Droit musulman, publié à Paris en 1902 à une époque où les pays musulmans, assoiffés de modernisme, cherchaient les moyens d’adapter l’Islam à la civilisation occidentale sans sortir du cadre de l’orthodoxie, est une des manifestations les plus curieuses de ces efforts touchants mais vains. Il y a, en effet, quelque naïveté à penser que la législation est une production de la raison pure et

que sa formation a échappé aux influences des facteurs d’ordre historique, social ou psychologique qui contribuent à la naissance de toutes les lois humaines. A la vérité, même dans les législations de source divine, les mœurs ont plus de part que la raison dans la genèse des lois. Pourtant, ce serait une autre erreur de croire que la méthodologie juridique n’ait jamais eu aucune application pratique. Nous pensons, au contraire, qu’elle a dû être utilisée fréquemment pour justifier, par des raisons juridiques pures et conformes à l’orthodoxie, des règles et des pratiques consacrées par l’usage et les mœurs. Ainsi, bien souvent, le droit vient sanctionner l’état de fait, et le prestige du droit est tel qu’on le tient pour la cause unique des faits qu’il se borne, en réalité, à consacrer. Le petit ouvrage dont nous donnons aujourd’hui la traduction commentée est très connu chez les Musulmans. C’est un « classique » que nul étudiant ne peut ignorer. Nous avons pensé qu’il n’était pas sans intérêt de le mettre à la portée de tous ceux - et il sont nombreux - qui s’intéressent aux choses de l’Islam. Il est bon, il est indispensable même, que tous ceux qui se préoccupent de comprendre l’âme et l’esprit des Musulmans aient une vue précise de

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la façon dont les docteurs de l’Islam ont conçu la genèse de leur loi. Que le lecteur ne s’étonne point du caractère discursif, de l’excessive subtilité et, parfois, de la pluralité des raisonnements de l’auteur et des commentateurs. Qu’il veuille bien se rappeler que notre texte date du onzième siècle de l’ère chrétienne et que, plus de deux siècles après, les Glossateurs de l’École de Bologne ne travaillaient point, sur les textes de droit romain, selon des méthodes sensiblement différentes. Je me suis servi, tant pour la traduction du texte que pour l’établissement des notes, de deux éditions des « Waraqât ». L’une a été publiée à Tunis (Imprimerie Tunisienne), avec le commentaire marginal de l’Imam Al-Hattâb et la glose du savant tunisien Mohammad b. Hussin al-Hadda. L’autre est une édition marocaine lithographiée, sans indication d’origine, contenant également le texte des « Waraqât » et le commentaire marginal de l’imam Al Hattab, avec une très intéressante glose du Qâdî b.Hadrâ, savant marocain de la fin du siècle dernier.

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Préface du commentateur, Chaykh al-Hattâb

Au Nom d’Allah clément et Miséricordieux, qu’Il répande ses grâces sur notre Prophète et Maître Muhammad, sur sa famille et ses compagnons, et leur accorde le salut. Voici ce qu’a dit le shaykh, le savant, le doctissime, le pontife très intelligent, le mufti des Musulmans en Terre Sainte Abou Abdallah Muhammad, fils du doctissime Abû Abdallah Muhammad ben Abderrahmen du rite malikite, connu sous le nom de Al-Hattâb, qu’Allah nous fasse profiter de ses mérites ! Âmîn ! Louanges a Allah, Maître des mondes ! Salut et bénédiction sur notre Seigneur Muhammad, sur sa famille et tous ses compagnons  ! Le livre des feuillets (al-Waraqât) traitant de la méthodologie juridique dont l’auteur est le shaykh qui a composé des traités pleins d’intérêt, Abou alMa'âli (Abdel Malik), imâm des lieux saints, est un ouvrage de petit volume mais de grande science. L’utilité qu’on en retire est immense. La faveur divine qui s’y attache est évidente. 23

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Plusieurs savants l’ont commenté, certains l’ont fait longuement, d’autres succinctement. Parmi les meilleurs commentaires, on trouve celui du maître de nos maîtres, le doctissime, l’utile Jalâl Dîn Abû Abdallah Muhammad b. Ahmed alMahallî ash-Shâfi'i. Il abonde en remarques précises et en subtilités. Les étudiants s’en sont servis avec profit. Mais son extrême concision en fait presque un recueil d’énigmes, en sorte qu’on n’en peut tirer le profit qu’il comporte qu’avec beaucoup de peine. Or de nos jours, le zèle s’est refroidi, les soucis et les tristesses abondent  ; l’aide que l’on peut attendre de ses frères se fait rare. J’ai donc sollicité la grâce d’Allah pour composer un commentaire des « Waraqât » dans un style clair, qui avertirait le lecteur sur les points délicats ou particulièrement intéressants du susdit commentaire, de telle sorte que mon commentaire expliquât à la fois le texte même des « Waraqât », et celui du précédent commentateur et qu’ainsi, avec l’aide d’Allah, le lecteur, novice ou non pût en tirer profit. Je ne me suis écarté du texte du précédent commentateur que pour le modifier par certaines expressions plus claires ou y ajouter quelques remarques utiles. Je l’ai appelé « la fraîcheur de l’oeil, explication des « Waraqât » de l’imam des Lieux Saints ».

C’est à Allah - que Sa Gloire soit proclamée -, que je demande la réalisation de mon espérance. Lui seul me suffit, et je ne saurais remettre ma cause en de meilleures mains. Commençons par présenter brièvement l’auteur des « Waraqât » au lecteur. C’est le cheikh, l’Imam, le chef des Shâfi'i, l’un des personnages les plus en vue de son temps, auteur d’ouvrages utiles, Abû’l Ma’âli Abdal-Malik, fils du shaykh Abû Muhammad Abdallah b. Yûsuf b. Muhammad al-Juwaynî, un des plus grands districts dépendant de Nisapour. Son surnom est Dhayâ Addîn (lumière de la religion). Il naquit au mois de muharram de l’année 419 (1028 J.C.) et mourut à Bechteghal, bourgade dépendant de Nishapûr, dans la nuit du lundi au mardi 25 rabî' second de l’année 478 (1086 J.C). Il demeura dans le voisinage de La Mecque et de Medine pendant quatre années, qu’il consacra à l’étude et à la délivrance de consultations juridiques. C’est pourquoi on le surnomma « l’Imam des Lieux Saints ». Il devint le chef du corps des savants à Nishapûr, et la Madrassa Nizamiyya fut construite à son intention. Il est l’auteur de nombreux ouvrages originaux.

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Qu’Allah le couvre de Sa Miséricorde, et fasse rejaillir sur nous les faveurs particulières dont il jouissait auprès de Lui  ! Amîn.

Fondements du fiqh (droit musulman)

C’est au Nom d’Allah que je compose cet ouvrage Voici quelques feuilles contenant différents groupes de questions touchant aux sciences des fondements du droit (usûl al-fiqh). Cette expression est composée de deux mots simples : le fondement asl, c’est ce sur quoi est édifié quelque chose. • Commentaire :

Exemple : les fondations d’un mur, la racine d’un arbre ; c’est là la meilleure définition de l’asl, car elle tombe sous le sens. Elle est préférable à cette autre donnée par certains auteurs : « l’asl, c’est ce dont une chose a besoin (pour exister) ». En effet, l’arbre a besoin de ses fruits pour être parfait, et pourtant, les fruits ne sont pas l’asl de l’arbre. Elle doit également être préférée à la définition suivante : « L’asl, c’est ce dont fait partie toute chose ». En effet, le nombre

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un fait partie du nombre dix, et pourtant dix n’est pas l’asl de un. Les branches ou dérivations far‘ sont, au contraire, ce qui est édifié sur quelque chose. Le droit (fiqh) est la connaissance des règles légales déduites par le procédé d’examen rationnel appelé ijtihâd.

Ainsi, dans notre définition, le droit (fiqh) signifie uniquement la science du mujtahid. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que le faqîh connaisse toutes ces règles ; il faut et il suffit qu’il y soit apte. Ainsi, l’Imam Mâlik, qui était un des plus grands juristes mujtahid, sur quarante-huit questions qui lui furent posées, répondit « je ne sais pas » à trente-deux d’entre elles.

• Commentaire :

Ainsi, le fait de savoir que l’intention, pour l’ablution, est obligatoire ; que la prière witr (composée d’un groupe de deux rakâ‘a et d’une troisième rakâ‘a) est recommandée ; que l’intention de jeûner doit être conçue le soir pour que le jeûne du lendemain soit valable ; que la dîme est obligatoire sur les biens de l’impubère et sur les bijoux autorisés ; que l’homicide avec un instrument contondant entraîne le talion... et autres règles sur des points pouvant faire l’objet de controverses entre les divers rites. Au contraire, les règles qui ne sont pas déduites par le raisonnement (ijtihâd) et qui sont de simples articles de foi, comme le caractère obligatoire des cinq prières, l’interdiction de la fornication, l’existence d’Allah et de Ses Attributs, tout cela ne doit pas s’appeler fiqh, parce que cela est connu de tous. 28

Les qualifications légales sont au nombre de sept : 1. l’obligatoire (wâjib), 2. le recommandé (mandûb), 3. l’indifférent (mubâh ), 4. le prohibé (mahzûr ), 5. le blâmé (mâkrûh ), 6. le valide (sahîh) et 7. le nul (bâtil). • Commentaire :

Le fiqh est la connaissance des actes ainsi qualifiés, c’est-à-dire des règles particulières à chacun de ces actes (une fois sa qualification admise). Mais, le fiqh n’est pas la science qui aboutit à ces qualifications : cette dernière science constitue celle des usûl al-fiqh et non du fiqh. C’est d’ailleurs une impropriété 29

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d’expression de la part de l’auteur que de dire : « les qualifications légales sont : l’obligatoire, le recommandé.. etc.. » Il aurait dû dire : « l’obligatoire, la recommandation, l’indifférence, le blâme et l’interdiction ». Mais il a voulu concrétiser ces abstractions en les appliquant à des actes concrets. Notons, en outre, que cette classification en sept qualifications est propre à l’auteur, car la majorité des docteurs estiment qu’il n’y en a que cinq. En effet, le valide (sahîh) est obligatoire (wâjib) ou autre chose ; le nul (bâtil) fait partie du prohibé (mahdhour). D’autres auteurs estiment qu’il y a neuf qualifications. Ils ajoutent aux sept précédentes l’autorisation spéciale à certains actes et à certaines circonstances rukhsa et la azîma ou prescription de principe à laquelle la rukhsa déroge. Après cette énumération des qualifications, l’auteur passe à la définition de chacune d’elles.

1. L’obligation (al-wâjib) 

L’obligation (wâjib) est l’acte qui a pour conséquence une récompense lorsqu’on l’accomplit et un châtiment lorsqu’on le néglige. 30

• Commentaire :

Ce n’est pas là une définition de l’obligatoire en lui même, mais simplement une manière de le déterminer par un de ses effets. Ainsi, la prière est un acte obligatoire qui ne consiste pas en « une récompense si on l’accomplit », mais en certains actes. Mais, il n’était pas possible de donner une définition intrinsèque de l’obligatoire, qui est une qualité abstraite s’appliquant à divers actes. L’auteur a dû se contenter de le déterminer par l’un de ses effets qui est commun à tous les actes obligatoires : la récompense quand on accomplit ce genre d’actes, et le châtiment quand on les néglige. On a fait deux objections à cette définition. On a dit d’abord : la négligence d’un acte obligatoire n’est pas toujours punie. Ainsi les rebelles « uçât » ne sont pas toujours punis. On peut leur faire grâce. A cela, on répond : l’objection ne porte pas, puisque la punition est encourue même si elle n’est pas exécutée. On dit encore : cette définition est trop large ; en effet, elle pourrait s’appliquer à certains actes simplement traditionnels, comme l’appel à la prière ; car on doit combattre par les armes la population de toute ville qui négligerait cette pratique. Autre exemple : celui qui néglige le witr (prescription simplement

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traditionnelle) encourt l’indignité testimoniale. A cela, on répond : 1. Il s’agit, dans la définition de l’auteur, du châtiment de l’autre monde ; 2. Dans les exemples cités, la punition est encourue, non pas précisément parce que l’on a négligé un acte déterminé, mais parce qu’on s’est rendu coupable d’un relâchement en matière de religion, ce qui est prohibé. Quant à l’indignité testimoniale, ce n’est pas une punition, c’est l’absence d’aptitude à une fonction légale qui exige la perfection dans la capacité de faire ou de ne pas faire. Ainsi, si le témoignage de l’esclave n ’est pas admis, ce n’est pas par punition, mais parce que sa capacité n’est pas parfaite.

3. L’indifférent (al-mubâh)

L’acte indifférent (mubâh) est celui qui n’est sanctionné ni en cas d’action, ni en cas d’abstention. 4. L’interdit ou prohibé (al-mahzûr)

L’interdit ou prohibé (mahzûr) est l’acte qui a pour conséquence une récompense si on ne le fait pas et un châtiment si on le fait. 5. Le blâmé (al-makrûh)

Le blâmé (makrûh) est l’acte qui a pour conséquence une récompense si on ne le fait pas, et n’est pas puni si on le fait.

2. Le recommandé (al-mandûb) 

• Commentaire :

Le recommandé (mandûb) est l’acte qui a pour conséquence une récompense et n’est pas sanctionné par un châtiment si on ne le fait pas. Il est bon d’ajouter qu’il n’est pas puni non plus si on le fait. Cette remarque était nécessaire pour éviter que la définition du mubâh par l’auteur ne s’appliquât au « blâmé » et à l’« interdit ».

Dans l’« interdit » et le « blâmé », il faut ajouter à la définition de l’auteur, après « si on ne le fait pas », les mots « de son plein gré ». En effet, la simple abstention des actes blâmés ou interdits, même si elle n’est pas intentionnelle (abstention purement objective), a bien pour effet d’écarter de celui qui s’abstient la responsabilité des dits actes. Mais elle ne peut entraîner une récompense que si l’abstention est volontaire.

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• Commentaire :

Les Fondements du Fiqh

L’imam al-Juwaynî

On objecte qu’il en va de même pour les actes obligatoires et recommandés, puisque celui qui les fait n’a droit à récompense que s’il les fait volontairement. Réponse : cela est vrai, mais la plupart des actes obligatoires ne peuvent être accomplis que s’il y a volonté de la part de leur auteur. Ce sont tous les actes qui nécessitent l’intention (prière, jeûne etc.). Pourtant, il existe certains actes obligatoires dont on peut s’acquitter valablement même sans intention d’accomplir un devoir et de se soumettre à une prescription légale. Ainsi, la prestation de la pension alimentaire pour les épouses, la restitution des choses usurpées des dépôts, le paiement des dettes, etc. tous actes valablement faits par la simple exécution matérielle de la prestation, même si elle n’a pas lieu du plein gré de son auteur. C’est pour cette dernière catégorie d’actes seulement que l’objection est valable.

parce qu’il réunit les éléments légalement exigés pour cela, que ce soit un acte contractuel ou un acte de dévotion. L’exécution est le fait de l’homme soumis à la loi, tandis que la prise en considération est le fait du législateur. En résumé, le caractère exécutoire s’applique aux rapports juridiques entre les hommes, tandis que la prise en considération est le fait du législateur. 7. Le nul (al-bâtil)

Le nul (al-bâtil) n’est pas exécutoire et n’est pas pris en considération.

6. Le valide (as-sahîh)

Le valide (sahîh) est ce qui a pour conséquence l’exécution (de l’objet de l’acte) et sa prise en considération. • Commentaire :

Autrement dit, le sahîh est sanctionné par la loi 34

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