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French Pages 496 [498]
Sous la direction de
Antoine BIOY et Didier MICHAUX
Traité d’hypnothérapie Fondements, méthodes, applications
Antoine BIOY Didier MICHAUX et al
Traité d’hypnothérapie Fondements, méthodes, applications
© Dunod, Paris, 2007 ISBN 978-2-10-050179-3
LISTE DES AUTEURS
A NTOINE B IOY, docteur en psychologie, maître de conférences sur l’université de Bourgogne, hypnothérapeute et psychologue clinicien sur l’unité douleur et soins palliatifs du CHU Bicêtre (Le Kremlin-Bicêtre). I SABELLE C ÉLESTIN -L HOPITEAU, psychologue clinicienne, psychothérapeute, unité douleur de l’hôpital Trousseau (Paris). E DOUARD C OLLOT, psychiatre, psychanalyste, hypnoanalyste, chef de l’unité d’hypnothérapie de l’Institut Paul Sivadon (association L’Élan retrouvé, Paris). S TEFANO C OLOMBO, psychiatre psychothérapeute FMH, psychologue diplômé, consultant à la faculté de médecine, université de Genève (Suisse).
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
E LIANE C ORRIN, dermatologue attachée à l’hôpital Henri Mondor, hypnothérapeute (Paris). PATRICE C UDICIO, médecin et sexologue, ancien attaché au CHU de Rennes. C ÉCILE F IX, psychothérapeute, hypnothérapeute (Paris). M URIEL F UKS, psychologue et psychothérapeute en pratique privée à Bruxelles. Y VES H ALFON, psychologue clinicien (à la maternité du Belvédère, Mont-Saint-Aignan et au centre de recherche et de traitement de la douleur, CHU de Rouen), président de l’Institut Milton H. Erickson de Normandie. B RIGITTE L UTZ, psychiatre, psychanalyste, hypnothérapeute (Paris).
IV
L ISTE DES AUTEURS
PAUL -H ENRI M AMBOURG, psychiatre (Liège, Belgique), président de l’Institut Milton Erickson de Liège. T HIERRY M ELCHIOR , psychologue, consultant au service de Santé mentale de l’université libre de Bruxelles, ancien président et fondateur de la Société belge d’hypnose de langue française. D IDIER M ICHAUX , docteur en psychologie et professeur de psychologie associé à l’université de Paris X, hypnothérapeute à l’Institut Paul Sivadon et directeur de l’Institut français d’hypnose (Paris). O LEG P OLIAKOW, philosophe, psychologue clinicien (Paris), formé au « Rêve éveillé dirigé » de Robert Desoille et à l’hypnose éricksonienne. F RANÇOIS T HIOLY, psychiatre et hypnothérapeute à l’Institut Paul Sivadon (Paris). W ILFRIED VAN C RAEN, psychothérapeute et sexologue, formateur et enseignant (Belgique), vice-Président de l’Association flamande d’hypnose. J OHAN VANDERLINDEN, psychologue à l’unité des troubles du comportement alimentaire du Universitair Psychiatrisch Centrum KULeuven, Campus Kortenberg (Belgique). « Academic consultant » à la faculté de psychologie KULeuven (université catholique de Louvain). P HILIPPE V ILLIEN, psychiatre d’exercice privé (Lorient). C LAUDE V IROT, psychiatre, ancien président de la Confédération francophone d’hypnose et de thérapie brève, président de l’Institut Milton H. Erickson de Rennes-Bretagne.
TABLE DES MATIÈRES III
LISTE DES AUTEURS
XIII
AVANT-PROPOS INTRODUCTION. DÉFINIR L’HYPNOSE D IDIER M ICHAUX
1
P REMIÈRE PARTIE T HÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
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1. L’hypnothérapie A NTOINE B IOY ET D IDIER M ICHAUX
9
Puységur, le premier hypnothérapeute ?
10
De Freud à Chertok, l’intersubjectivité
12
De Rogers à Erickson, l’importance de la communication
14
Indications et contre-indications
15
La formation en hypnothérapie et les pratiques plurielles
16
2. Les destins thérapeutiques de l’hypnose T HIERRY M ELCHIOR
19
L’approche communicationnelle
20
La signification anthropologique de l’hypnose
26
De l’hypnose stéthoscope à la psychanalyse
28
La perspective constructiviste
35
Conclusion
40
3. L’hypnoanalyse É DOUARD C OLLOT L’enjeu de l’hypnoanalyse
43 44
VI
TABLE DES MATIÈRES
La théorie De la sidération à l’état hypnoïde, 45 • L’hypnose avatar de la transe, 46 • Freud, l’hypnose et la psychanalyse : du pourquoi et du comment, 47 • Jung, l’hypnose et la psychanalyse, 53
45
La pratique de l’hypnoanalyse Remarques préliminaires, 59 • État hypnoïde et règle fondamentale, 61 • L’illusion et la réalité : la Conscience, un espace à n dimensions, 62 • Place des rêves et créativité, 63 • Métaphore, 64 • Le symbole, 66
59
Introduction à l’étude de cas Données cliniques, 71
68
4. L’hypnothérapie onirique O LEG P OLIAKOW
79
Qu’est-ce que l’hypnothérie onirique ?
80
Place de l’HTO dans le champ de l’hypnothérapie La transe hypnotique, 84 • L’hypnose-suggestion, 85 • L’hypnose-onirisme, 85
84
La démarche thérapeutique L’agent thérapeutique, 86 • Les trois temps de la démarche hypno-onirique, 86
86
L’éveil de l’onirisme Le scénario hypno-onirique, 87 • La procédure hypnotique, 87
87
La relation hypno-onirique La transe hypnotique, 88 • Une relation d’éveil , 89 • Un vécu « ontologique essentiel », 90 • Le thérapeute, interlocuteur invoquant, 91
88
Conditions et cadre du scénario hypno-onirique Conditions inhérentes au thérapeute, 96 • Conditions liées à l’espace thérapeutique, 97
96
L’éveil à/de l’onirisme (Se) communiquer à ... Complexité de la communication en hypnothérapie onirique, 99 • La présence onirique domestiquée. Présence onirique et pensée onirique , 102
99
L’approche cognitiviste en hypnotherapie Présence onirique – pensée onirique, 104
104
TABLE DES MATIÈRES
Le planigramme d’anticipation de Mario Berta Présentation de l’Épreuve, 106 • L’Épreuve d’Anticipation de Sandrine, 107 • Les scénarios hypno-oniriques de Sandrine, 109
106
Reprise des scénarios hypno-oniriques Élaboration de schémas dynamiques, 111 • Mise en parallèle Berta et SHO, 114 • La métamorphose des « cognitions », 116 • Effet immédiat de la « métamorphose », 117
111
5. TCC et hypnose d’inspiration ericksonienne F RANÇOIS T HIOLY
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VII
119
Entrée en matière...
120
Genèse d’une pratique
121
Rappels historiques Les thérapies comportementales et cognitives, 124 • L’hypnose d’inspiration ericksonienne, 125
124
Quelques points de convergence entre les deux approches Dans les fondements, 127 • Dans les pratiques, 127
127
Spécificité de l’hypnose d’inspiration ericksonienne Au-delà de la psychologie scientifique, 128
128
Des outils spécifiques L’induction hypnotique, 131 • La communication hypnotique, 132 • Les métaphores, 134 • La technique utilisationnelle, 135
131
Articulation des deux approches En quoi est-il utile à un comportementaliste de pratiquer l’HIE ?, 136 • Et en quoi est-il utile à un hypnothérapeute de se référer aux TCC ?, 140
136
Protocole d’arrêt du tabac utilisant l’hypnose Informer sur le déroulement du protocole, 141 • Première séance, 142 • Deuxième séance, 145 • Troisième séance, 146
141
6. Attachement et hypnose S TEFANO C OLOMBO
149
Cognitivisme et émotions L’approche cognitive rationaliste, 150 • L’approche cognitive constructiviste, 154 • La place de l’émotion, 156
150
La théorie de l’attachement La « situation étrange », 160
157
VIII
TABLE DES MATIÈRES
Attachement, Modèles Internes Opérants et invalidation La qualité de l’attachement, 162 • L’adulte, 164 • Les modèles internes opérants (M.I.O.), 164 • Les représentations de l’attachement chez l’adulte, 167 • L’invalidation et les modes de l’affronter, 168
161
Incidences cliniques Le thérapeute comme « base sécure », 171 • Attachement et hypnose, 174
170
7. Approche corporelle et hypnothérapie B RIGITTE L UTZ
185
La place du corps dans l’hypnothérapie
187
Ressentis du patient et du thérapeute : une lecture corporelle du transfert
191
Applications cliniques Aspects techniques et exemples cliniques, 197
195
Champs d’application et perspectives cliniques
206
8. Régression et hypnothérapie B RIGITTE L UTZ ET C ÉCILE F IX
213
Repérages et articulations Régression dans le rêve, régression temporelle et régression topique, 215 • Régression dans la relation, 217 • La régression : symptôme et dynamique, 219 • Régression implicite et explicite, 221 • Régression en âge : techniques et applications, 224 • Différents types d’induction, 225 • Le contexte de l’intervention. Exemples cliniques, 231 • Régression et traumatisme, 235
214
L’accompagnement de la régression
240
D EUXIÈME PARTIE A PPLICATIONS
DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
9. L’hypnose et l’enfant M URIEL F UKS
247
L’enfant, sujet idéal pour l’hypnose
247
Hypnotisabilité L’enfant de 3 à 5 ans, 248 • L’enfant de 6 à 12 ans, 249
248
TABLE DES MATIÈRES
Indications
249
Les premiers entretiens Définir les objectifs, 250 • Quelle compréhension l’enfant a-t-il de son problème ?, 250 • Évaluer le cadre, 250
250
Le langage du thérapeute
251
Les outils d’induction en fonction de l’âge De 3 à 5 ans, 252 • De 6 à 12 ans, 253
252
La place des parents Démystifier l’hypnose en présence des parents, 254 • Une séance en présence des parents ?, 254
254
Le travail hypnotique L’hypnoanalgésie/l’hypnoanesthésie, 255 • Recadrer, réinterpréter les sensations, 256 • Déplacer et régler, 256 • Distorsion temporelle, 257 • Dissociation géographique, 257 • Réifier, 258 • Les suggestions post-hypnotiques, 259 • Amnésie-régression, 260 • Voyager dans son corps, 260 • Établir la communication par la métaphore, 260
255
La ratification de la transe
261
Quelques illustrations cliniques
262
L’hypnose expliquée aux enfants par un enfant
268
10. Douleur et souffrance I SABELLE C ELESTIN -L HOPITEAU
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IX
271
De la douleur ressentie physiquement à la souffrance psychique
272
Traiter la douleur et prendre en charge la souffrance : les pièges des diagnostics trop vite portés
274
Ce que l’hypnose nous apprend sur la douleur et sur la souffrance
276
Comment expliquer les bénéfices qu’apporte l’hypnose ?
278
Conclusion
284
11. Céphalées : migraines et autres maux de tête PAUL -H ENRI M AMBOURG
285
Comprendre le symptôme Le contexte diagnostique : la classe des céphalées, 286 • Les phénomènes somatiques, 287 • Les modifications neurophysiologiques, 289 • Les fonctionnements psychiques et mentaux, 290
286
Céphalées et psychosomatique
291
X
TABLE DES MATIÈRES
Intérêt de l’hypnose
293
Le travail thérapeutique : de l’anamnèse à l’auto-hypnose L’anamnèse, 295 • Les consultations thérapeutiques, 300
294
Hypnose et thérapie brève Techniques spécifiques pour les céphalées de tension, 302 • Techniques spécifiques pour les migraines, 303
302
Conclusion
303
12. De l’hypnose pour panser le corps É LIANE C ORRIN
305
Hypnose et ressenti Le ressenti comme alphabet premier de l’espace, 307 • La naissance comme expérience du ressenti, 309 • Le retour au corps sensible : la mémoire du corps, 310
306
Le décalage qui nous constitue Notre inadéquation d’être humain portée par notre corps : son déni est l’enjeu des phénomènes psychosomatiques, 312 • Ce décalage peut menacer notre continuité d’existence. « La crainte d’effondrement » de D.W. Winnicott, 313 • Prendre contact avec ce décalage, par le ressenti en hypnose, apaise la souffrance, 317
312
Le processus psychosomatique Le décalage en tant que tel : espace corporel et relationnel des phénomènes psychosomatiques, 320 • Le bouleversement : usage du décalage, 322 • Le processus psychosomatique : événement d’un bouleversement, 323
320
Un des postulats de l’hypnose pourrait s’ennoncer : ce n’est pas nous qui guérissons autrui Savoir du patient sur sa guérison : savoir d’un ressenti, 325 • Le patient seul détient les réponses, 326 • Nous sommes tous des hypnotiseurs : voulons-nous vraiment le savoir ?, 329 • Conclusion, 330 13. Hypnose maternelle et maternalité Y VES H ALFON
325
333
La relation mère-enfant
334
La relation hypnothérapeute-patient(e)
336
L’hypnose comme aide pour les femmes enceintes
338
TABLE DES MATIÈRES
14. Abord hypnotique des états traumatiques P HILIPPE V ILLIEN
341
Traumatisme et événement
342
Quel sens peut prendre le trauma dans un abord hypnotique
345
Traumatisme et dissociation psychique, intérêt de l’hypnose
347
La question de la prévention
349
Exemples cliniques
351
15. Hypnothérapie et sexologie PATRICE C UDICIO
355
La sexologie : un vaste champ de symptômes Que représente la sexologie ?, 355 • Quels sont les troubles sexuels les plus fréquemment rencontrés ?, 358
355
Abord théorique de l’hypnose : la conscience bicamérale Un retour aux origines, 358 • Les trois méthodes de la pensée analogique, 360
358
Du normal au pathologique en sexologie Le sexe biologique et ses corollaires, 361 • Le sexe analogique, 362 • Une sexualité socialisée, 364
361
Situations cliniques L’éjaculation prématurée, 366 • Les troubles de l’érection, 369 • Le vaginisme, 372 • Les troubles du désir et du plaisir, 373
366
16. Les troubles dépressifs : concepts et applications hypnotiques C LAUDE V IROT
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XI
375
Une nouvelle conception de la dépression Conception classique, 378 • Nouveaux concepts, 379
378
Diagnostic Diagnostic positif, 386 • Diagnostic différentiel, 390
386
Les psychotropes
391
Stratégies thérapeutiques Les troubles dépressifs chaotiques, 393 • Les troubles dépressifs chroniques, 396
393
Quelques chiffres
402
Conclusion
403
17. Le traitement de l’anxiété W ILFRIED VAN C RAEN
405
XII
TABLE DES MATIÈRES
Une approche tridimensionnelle Au niveau comportemental, 406 • Au niveau physiologique, 407 Au niveau des cognitions, 408
406 •
Une première porte d’accès : agir différemment Techniques de désensibilisation utilisant l’hypnose, 408 • Techniques d’expositions utilisant l’hypnose, 410 • Confrontation in imagine utilisant l’hypnose, 414 • De l’évitement à l’action, 414
408
Une deuxième porte d’accès : sentir différemment
415
Une troisième porte d’accès : penser différemment
418
18. Hypnose et troubles du comportement alimentaire (anorexie mentale et boulimie) J OHAN VANDERLINDEN
421
Hypnotisabilité et troubles alimentaires
422
Utilisation de l’hypnose dans les troubles alimentaires
423
Quelques principes généraux de traitement pour les troubles alimentaires
423
Les différentes phases dans le traitement Phase 1 : Normaliser les comportements alimentaires , 424 • Phase 2 : Travailler sur les facteurs de maintien, 425 • Phase 3 : Prévenir les rechutes, 425 Utilisation et intégration des techniques d’hypnose dans le traitement des troubles alimentaires Phase 1 : Normaliser les comportements alimentaires, 426 • Phase 2 : Travailler sur les facteurs de maintien, 441 Conclusion
424
425
446
CONCLUSION
449
BIBLIOGRAPHIE
453
GLOSSAIRE
469
LISTE DES EXEMPLES ET EXERCICES
473
LISTE DES CAS CLINIQUES
475
INDEX
477
AVANT-PROPOS
ouvrage est né de la volonté de proposer une référence sinon exhaustive, au moins la plus complète possible sur les pratiques en hypnothérapie à ce jour. En effet, il est courant de trouver des ouvrages exposant telle ou telle pratique, et majoritairement dans le domaine de l’hypnose ericksonienne. Cependant, le domaine de l’hypnothérapie étant beaucoup plus vaste que ce simple champ, il s’imposait à notre sens un ouvrage qui expose les principales approches, incluant par exemple l’hypnoanalyse, qui connaît un renouveau certain, ou encore la pratique du rêve éveillé. Simplement parce que la discipline de l’hypnose avance et évolue, nous avons tenu à privilégier les aspects les plus novateurs de chaque approche. Ainsi, il ne sera pas simplement question d’hypnose ericksonienne mais de cette pratique en lien avec les thérapies cognitives et comportementales (en plein essor dans le monde). De la même manière, la pratique du rêve éveillé est traitée sous l’angle innovant de la phénoménologie et non dans son approche plus commune (psychanalytique). Nous pourrions donner d’autres exemples de ce choix de traiter des aspects les plus innovants en hypnothérapie, comme l’approche de l’hypnose sous l’angle des théories de l’attachement, mais nous laissons le lecteur partir de lui-même à la découverte des chapitres de cet ouvrage ! Pour atteindre cet objectif d’exposer le plus complètement possible les pratiques en hypnothérapIe tout en ouvrant vers ce que cet espace avait de plus innovant, nous avons fait appel à des auteurs français mais aussi suisses et belges qui sont tous des professionnels aguerris et reconnus pour leur expertise dans le domaine de l’hypnose. Ils y exposent leur approche de l’hypnose mais aussi leur pratique individuelle, avec de nombreuses illustrations cliniques. Et c’est tout naturellement qu’après une explicitation des diverses méthodes en hypnothérapie vient une partie
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C
ET
XIV
A VANT- PROPOS
sur les principales indications, ou tout du moins les plus communes. Là aussi nous avons privilégié des approches à la fois novatrices et rigoureuses (comme portant sur la dépression, ou sur la sexothérapie), tout en conservant des repères de pratique éprouvés (comme portant sur le champ de la douleur). Au final, il nous paraît que cet angle entre rappel des données fondamentales et innovations cliniques s’adresse en particulier à des hypnothérapeutes professionnels, mais aussi à tout psychothérapeute non spécialiste de l’hypnose dont l’expérience auprès de l’humain permettra de mieux saisir ce champ particulièrement riche et passionnant.
Introduction
DÉFINIR L’HYPNOSE Didier Michaux 1971, je rencontrai pour la première fois le docteur L. Chertok afin de lui demander quelques renseignements concernant l’hypnose, je ne me doutais pas que l’étude et l’utilisation de cet outil thérapeutique allaient m’occuper pendant tant d’années. Mon intérêt pour l’hypnose était un peu fortuit ; il était la conséquence d’une réflexion (Michaux, 1972) concernant le N’döp1 . Les longues techniques d’induction de ce rituel (chants, danses, massages etc.), l’attente d’une nomination de l’esprit possesseur (Rab) par le biais de la bouche du patient, tout cela m’avait conduit à me poser la question de l’hypnose dans la production de ces états de conscience particuliers et de leurs effets thérapeutiques. Les contacts pris alors me firent comprendre que si l’hypnose pouvait intervenir dans la réflexion sur ces états de transe, elle restait un objet scientifique encore bien mal connu et constituait en soi un sujet majeur de recherche. Le Dr. Chertok2 , qui était alors en train de créer une équipe de recherche sur ce sujet, m’invita à y participer, ce que je fis avec enthousiasme. Différentes recherches réalisées avec deux collègues psychologues3 participant à cette équipe me permirent de me rendre compte qu’il s’agissait d’un sujet de recherche complexe mais abordable. En effet, l’hypnose et les divers comportements qui peuvent être provoqués dans cet état le sont de façon tout à fait simple et stable ; ils ne dépendent que très peu de celui qui fait l’expérience, du moins à contenu de suggestion
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L
ORSQU ’ EN
1. Rituel thérapeutique pratiqué par les Wolof du Sénégal. 2. Rappelons que le Dr L. Chertok était psychiatre, auteur de nombreux livres et articles, dirigeant jusqu’à sa retraite le service de psychosomatique de l’association L’Élan retrouvé, installée alors rue du Rocher à Paris. 3. Pascale Peuchmaur et Guilhem Bleirad.
2
T RAITÉ D ’ HYPNOTHÉRAPIE
égal. Ils sont reproductibles et même si demeurent de nombreuses inconnues, il n’y a rien qui puisse à ce niveau expliquer l’attitude de méfiance qui prévalait à leur sujet au cours des années soixante-dix à quatre-vingt en France. Le sujet était passionnant tant au niveau de la recherche qu’au niveau de ses applications thérapeutiques (traitement de la douleur et psychothérapie) ; il était, de plus, riche d’extensions puisqu’il permettait d’expérimenter différents mécanismes : sensoriels, moteurs et cognitifs. Ce qui m’a toujours passionné dans cette situation hypnotique, au-delà des suggestions et de leur aspect parfois spectaculaire, c’est la facilité étonnante avec laquelle quelques mots (à l’époque toujours les mêmes, aujourd’hui variés selon l’inspiration du thérapeute et les besoins de la situation), pouvaient induire des changements psychiques intenses. Cette diminution de l’orientation active du sujet, de sa présence à certains aspects du monde extérieur (sonnette du téléphone, bruits de la rue etc.), la mise en repos d’une partie de ses barrières psychiques : ce « lâcher prise » si souvent décrit comme expérience principale de l’entrée en hypnose, tous ces éléments découlant de ce que certains ont appelé le rapport hypnotique1 , me paraissaient justifier largement l’intérêt pour l’hypnose et pour ses applications thérapeutiques. Ce qui était difficile, à cette époque, c’était l’absence « cruelle » d’outils thérapeutiques hypnotiques. Les pratiques les plus courantes alors faisaient appel à des suggestions directes dont la visée était d’obtenir une modification des sensations, des perceptions, des comportements ou, plus généralement, tout effet paraissant nécessaire pour faciliter le traitement. La façon de formuler les suggestions2 était, le plus souvent, tout à fait douce et tranquille ; l’hypnothérapeute essayant, plus ou moins inconsciemment, par le ton de sa voix, de diminuer, autant que possible, le niveau d’autorité induit par un discours directif. Cela pouvait concerner de nombreuses approches symptomatiques : on pouvait dire, par exemple, à un enfant énurétique que « dorénavant il serait capable de percevoir la tension dans sa vessie et de se lever pour aller aux toilettes », ou dire à un patient asthmatique que « ses bronches allaient devenir plus résistantes », suggérer à un brûlé « une sensation de fraîcheur » etc. Pour certains symptômes, cette approche semblait avoir un intérêt évident. Ainsi, aider
1. Tout récemment A. Bioy (2005) a consacré sa thèse pour le doctorat de psychologie à une réflexion critique historique et à une recherche clinique à propos de ce concept et de la fonction thérapeutique de ce qu’il désigne dans la relation de soin. 2. Nous nous référons là à la pratique de nos collègues qui à l’époque pratiquaient l’hypnothérapie dans différents pays anglo-saxons.
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D ÉFINIR L’ HYPNOSE
3
le jeune enfant à mettre en place une alternative à l’énurésie, c’était simultanément, en cas de réussite, lui permettre de franchir un obstacle à son bon1 développement, améliorer son estime de soi ainsi que la relation à son entourage. Du point de vue thérapeutique, ces changements sont très intéressants même si l’on peut regretter leur manque apparent de signification psychologique. Et puis, que dire des applications, toujours surprenantes d’efficacité, de la suggestion hypnotique à la douleur et au stress ? Il y avait aussi le domaine, beaucoup plus aléatoire et, on peut même dire, gênant, des suggestions contra-symptomatiques, c’est-à-dire, de ces suggestions qui se contentent de suggérer la disparition du symptôme. Aléatoire, parce que de telles suggestions ne fonctionnent que de temps en temps et sans qu’on sache trop pourquoi. Gênant, parce que dire à quelqu’un : « Vous allez marcher ! », alors qu’il a une contracture hystérique de la jambe depuis plusieurs années, vous amène à adopter une position magique ou démiurgique difficilement compatible avec la position psychothérapeutique telle que nous pouvons la concevoir actuellement. Gênant aussi, parce que ce type de phrases expose celui qui les prononce à un risque d’échec proportionné au niveau de confiance qu’il a mis, ou semblé mettre dans leur énoncé. Et pourtant, parfois ces suggestions fonctionnent laissant le thérapeute perplexe, voire déstabilisé. Ainsi le Dr. Chertok, alors en cours d’analyse didactique, face à Madeleine, une patiente hospitalisée en raison d’une amnésie totale persistant depuis plusieurs mois, essaye différentes stratégies qui lui paraissent compatibles avec l’approche analytique. Après une série d’échecs, il repense à l’un de ses maîtres qui hypnotisait ses patients en leur faisant fixer deux de ses doigts. À son tour, il tente l’aventure. La patiente s’allonge, fixe ses deux doigts, et entre immédiatement dans un état hypnotique. Dans cet état ses souvenirs redeviennent accessibles, le thérapeute suggère qu’ils le resteront au réveil. La patiente se réveille ayant retrouvé tous ses souvenirs. Madeleine sanglote de joie et le Dr. Chertok note :
1. Nous voulons dire par là, non pas « bon » du point de vue de la norme sociale mais « bon » du point de vue des besoins de l’individu. En effet, la thérapie hypnotique, comme la plupart des thérapies, n’a pour objectif que de permettre à la personne de se développer d’une façon qui lui paraisse satisfaisante et qui lui permette de se sentir bien dans ce qu’il est et ce qu’il fait.
4
T RAITÉ D ’ HYPNOTHÉRAPIE
« Pour l’apprenti analyste que j’étais, c’était une expérience bouleversante. Je crois que le souvenir de Madeleine m’a accompagné toute ma vie... » (Chertok, Stengers, Gille, 1990, p. 11)
Gênant enfin, parce que ce type de changement entretient l’illusion d’un pouvoir magique du thérapeute qui pourrait, selon l’expression populaire, « retirer le symptôme ». Mais peut-on vraiment retirer des symptômes ? Il faudrait que les symptômes soient susceptibles d’être saisis et excisés comme de simples corps matériels ? L’hypnose ou l’hypnothérapeute auraient-ils un tel pouvoir ? La réponse est négative. En effet, il n’existe pas à notre connaissance de « bistouris psychiques » et les changements qui se produisent en hypnothérapie sont toujours liés à des changements psychologiques profonds qui, soit spontanés, soit rendus possibles par la thérapie, en accompagnent ou en provoquent la disparition. Aujourd’hui, avec l’expérience, il me semble que, dans ce type de thérapie portant sur des symptômes aujourd’hui considérés comme dissociatifs, l’hypnose fournit essentiellement « l’occasion » recherchée ou trouvée fortuitement par le patient, permettant l’abandon du mode de fonctionnement dissociatif à l’origine du symptôme. Le pourquoi de cette recherche d’« occasion » reste évidemment à préciser pour chaque patient chez qui cet effet est observable, mais on peut avancer que le patient aurait besoin de trouver une cause de guérison à la hauteur des effets dévastateurs du symptôme. Dans cette perspective, le prestige donné au thérapeute ou à l’hypnothérapie pourra permettre au patient de justifier le changement à ses yeux ou aux yeux de ses proches. On peut aussi imaginer que la « rencontre » avec l’hypnothérapeute va permettre une diminution du conflit psychique et permettre ainsi de sortir de la réponse symptomatique. Ces dernières applications de l’hypnothérapie, par leur aspect spectaculaire, ont été souvent montées en épingle. Les thérapeutes voulant « faire preuve », les montrent complaisamment, renforçant une perception magique de l’hypnose et alimentant, en même temps, les réactions de rejet du monde scientifique ainsi que de celui des cliniciens. Ainsi, pour un patient venu soigner une impuissance psychogène qui durait depuis plusieurs années et qui avait mis à mal sa vie de couple, nous avons entendu le thérapeute analyste conclure agacé et pessimiste devant la disparition très rapide du problème sexuel qu’il s’agissait « d’une fuite dans la levée du symptôme ». Le patient aurait donc préféré guérir en apparence plutôt que d’entamer une véritable thérapie. Nous ne voulons pas ironiser, mais il est plus qu’évident qu’un tel changement à quand même quelque chose de plutôt positif : amélioration de la relation au partenaire, amélioration de l’image du patient en tant qu’être sexué et
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D ÉFINIR L’ HYPNOSE
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en tant qu’être social. C’est un peu la même réaction que, pendant longtemps, suscitaient les effets analgésiques de l’hypnose. Je me rappelle encore d’un psychiatre ayant, quelques années auparavant, réalisé avec le Dr. Chertok un article concernant la thérapie hypnotique d’un symptôme hystérique, et qui, au moment où ce dernier avait réalisé une analgésie hypnotique pour deux interventions chirurgicales distinctes, avait eu pour seule réaction lorsque je lui en avais parlé de me répondre : « Si ça marchait, ça se saurait ! » Pour revenir aux approches thérapeutiques des années soixante-dix, en France, la seule ouverture permettant une approche non directive et non centrée sur le symptôme était l’hypnoanalyse, représentée aux États-Unis par Wolberg (1945/1964), mais que personne en France ne se serait risqué à adopter et à enseigner en raison de l’attitude très rejetante des milieux analytiques d’alors. Attitude qui explique les cicatrices parfois encore perceptibles chez les thérapeutes ayant choisi d’intégrer l’hypnose dans leur pratique thérapeutique. Les années quatre-vingt vont amener un bouleversement important. D’une part, plusieurs formations se créent, pratiquement simultanément, avec pour ambition d’enseigner une pratique de l’hypnose thérapeutique en prenant soin de transmettre les connaissances de façon structurée et critique. Parmi ces formations, signalons celle animée par L. Chertok et moi-même qui, outre la transmission de différents outils et de connaissances liées aux recherches internationales, encourageait au développement d’une approche hypnoanalytique. Signalons, par ailleurs, celle de M. Brodin et P. Cudicio et, bien sûr, celle de J. Godin et A. Malarewitcz (Malarewicz et Godin, 1986) ; ces deux derniers thérapeutes diffusant essentiellement, dans ce cadre, les conceptions pratiques, théoriques et thérapeutiques de Milton Erickson. Contrairement aux emballements connus par l’hypnose au XVIIIe et XIX e siècles, c’est petit à petit, et non par un effet de mode rapide, que les thérapeutes de la fin du XXe siècle vont être de plus en plus nombreux1 à s’intéresser à la pratique de l’hypnose. Au fil des années, différentes approches thérapeutiques viendront amplifier et compléter les bouleversements liés à l’approche hypnoanalytique et à la pratique ericksonienne avec toute l’emphase mise sur la façon de communiquer avec le patient en hypnose.
1. À ce propos, sans pouvoir donner une estimation très précise, il semble qu’on puisse aujourd’hui dénombrer plusieurs milliers de thérapeutes faisant appel régulièrement à l’hypnose.
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T RAITÉ D ’ HYPNOTHÉRAPIE
La première partie de ce livre sera consacrée à l’exposé de ces différentes approches thérapeutiques, tandis que la seconde présentera différentes stratégies mises au point pour répondre à certaines indications particulières. Ces deux façons d’approcher l’hypnothérapie nous ont paru complémentaires, l’une permettant de mieux présenter les fondements théoriques et la pratique de chacune de ces approches thérapeutiques, l’autre permettant de voir comment pour certaines pathologies particulières (anxiété, maux de tête, syndrome post-traumatique, etc..) le thérapeute pourra développer une stratégie spécifique ayant recours, éventuellement, à différentes approches afin de tenir compte des nécessités thérapeutiques imposées par un type de symptôme particulier. Complémentaires aussi, car même si l’on peut s’intéresser plus particulièrement à telle ou telle orientation de la thérapie hypnotique (analytique, comportementalo-cognitive, systémique, génétique, constructiviste, etc.), on peut aussi, et cela paraît une nécessité déontologique, se poser la question de ce qui est vraiment utile et nécessaire pour un patient donné, compte tenu de ses symptômes et de la souffrance qui en résulte. On peut, par exemple, penser que la migraine d’un patient a des déterminants psychologiques, qu’elle est la conséquence d’une série de difficultés rencontrées au cours du développement et, en même temps, chercher à intégrer et à utiliser toutes les ressources que donne la situation hypnothérapeutique pour en faciliter la diminution : apprentissage de la relaxation appliquée à la migraine, mise en place de moments autohypnotiques, encouragements à la recherche d’un nouveau mode de fonctionnement par rapport aux tensions et conflits psychiques qui pourraient la sous-tendre etc. Cette prise en compte du symptôme et de ses spécificités n’empêche en rien une thérapie sur le fond des problèmes psychologiques sous-jacents. Nous espérons, par ailleurs, que ce livre, qui s’adresse principalement aux différentes professions de la santé intéressées par l’hypnose et ses applications thérapeutiques, permettra aux lecteurs d’avoir une approche plus réelle de l’hypnose et, tout particulièrement, de mieux appréhender la diversité des stratégies thérapeutiques de l’hypnothérapie contemporaine.
PARTIE 1 THÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
Chapitre 1
L’HYPNOTHÉRAPIE Antoine Bioy et Didier Michaux
’ HYPNOTHÉRAPIE pourrait se définir comme l’usage psychothérapeutique de l’hypnose. Cette pratique prend alors la forme suivante, selon le psychologue Michael Yapko :
L
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« L’hypnose est un processus de communication d’influence au sein duquel le clinicien fait surgir et guide les associations intérieures de son client afin d’établir ou de renforcer des associations thérapeutiques dans le contexte d’une relation de collaboration et d’échanges mutuels centrée sur un objectif. » (Yapko, 1992, p. 37)
Autrement dit, l’hypnothérapie demande une certaine implication, prend place dans un relationnel précis, et se trouve guidée par une demande d’aide. Quelle que soit sa forme (hypnoanalyse, hypnose ericksonienne, rêve éveillé...), l’hypnothérapie place au centre de son approche l’état hypnotique, avec une visée psychothérapeutique (ce qui la différencie par exemple de l’hypnosédation, utilisée en anesthésie). Au centre de cette pratique qui possède une histoire passionnante qui se poursuit encore de nos jours, se trouve la question du lien entre un thérapeute et son patient et les approches que l’on peut en avoir, sur un versant intersubjectif ou plus communicationnel. Un lien qui se construit également selon la « culture professionnelle d’origine » de l’hypnothérapeute et la formation qu’il a reçue en hypnose.
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P UYSÉGUR ,
T HÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
LE PREMIER HYPNOTHÉRAPEUTE
?
Si Mesmer, dont le nom dans les pays anglo-saxons est devenu synonyme de « crise magnétique », de « transe » ou encore de « fascination » par une autre personne humaine, est célèbre et généralement présenté comme l’ancêtre de l’hypnose, sa pratique centrée sur le déclenchement de crises d’agitations thérapeutiques paraît aujourd’hui bien lointaine de ce que nous mettons sous le nom d’hypnose et surtout d’hypnothérapie. Le marquis de Puységur, moins connu du public, élève de Mesmer et son contemporain, va « découvrir » et mettre en place une pratique beaucoup plus proche des pratiques actuelles de l’hypnothérapie. Parce qu’il n’était pas médecin, Puységur répugne à déclencher des crises. Comme souvent dans l’histoire des transes, ses patients vont lui fournir les clefs d’une pratique qui s’écarte considérablement de la pratique de Mesmer. D’abord, Puységur va constater qu’il est possible de communiquer verbalement pendant ce qu’il appelle encore la crise magnétique. Son patient Victor répond à ses questions et à ses propositions d’imagerie. Victor va ainsi s’imaginer en train de participer à une fête foraine et, dans ce cadre, se donner beaucoup d’agitation. Cette interaction inaugurale de la nouvelle pratique magnétique est rapportée par Puységur1 dans ses mémoires. Le marquis suggère ces actions parce qu’il pense que la transpiration va évacuer la fièvre de son patient ; on peut dire, qu’alors, la pratique hypnosuggestive est née. Cette pratique reste cependant une exception car ce que nous décrit Puységur dans ses deux livres concernant la naissance de ce qu’il appelle le sommeil lucide est tout à fait autre. Le magnétiseur nous y est présenté comme « au chevet » de son somnambule. Il fait appel aux ressources spécifiques qui surgissent du fait même de la crise magnétique, de la transe, dirions-nous aujourd’hui. L’entrée dans cet état va faire surgir de nombreuses « ressources » dont les plus marquantes sont l’apparition d’un niveau accru d’intelligence, et l’apparition de diverses compétences, ce sont, selon les mots de Puységur, des effets de la Nature2 dévoilés par la crise magnétique – aujourd’hui, nous dirions qu’elles résultent de la libération de ressources inconscientes
1. Voir à ce propos la réédition faite par l’un des auteurs de ce livre, des deux tomes des mémoires de Puységur qui constituent à la fois un ouvrage passionnant du point de vue de l’histoire des thérapies mais aussi du point de vue anthropologique (cf. Puységur, 1784-85). 2. On en voit une manifestation dans la capacité qu’ont certains animaux de connaître de façon innée les substances qui leur conviennent et celles qui ne leur conviennent pas.
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L’ HYPNOTHÉRAPIE
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non accessibles ordinairement. Puységur évoque aussi, pour rendre compte des effets de sa volonté sur les actions du « somnambule », une sorte d’englobement psychique de l’esprit du sujet dans celui de l’hypnotiseur1 . Ces différents éléments aboutissent à une pratique thérapeutique que, par de nombreux traits, on peut rapprocher des pratiques thérapeutiques contemporaines. Le magnétiseur puységurien ne croit pas disposer d’une connaissance qui lui permettrait de déterminer précisément ce qui est nécessaire pour son patient. Il est à son écoute car il le croit doté de connaissances accrues pendant la transe : au somnambule d’établir la gravité ou la bénignité des symptômes et différents comportements apparaissant hors et pendant la crise. À lui aussi de lui donner la marche à suivre et la place qu’il doit tenir dans les futures interactions. Tout cela se fait par des échanges verbaux et à l’initiative du somnambule. Une relation importante se développe entre le thérapeute et ses patients somnambules : le marquis est au service de ses patients, il les consulte et se limite à une fonction d’intermédiaire apportant le complément fluidique nécessaire au déclenchement de la crise et de ses effets bénéfiques. Cette attitude du thérapeute puységurien tranche avec l’image autoritaire des hypnothérapeutes de la seconde moitié du XIXe siècle tels Charcot, Bernheim, Janet, etc. On comprend donc que des rapprochements puissent être faits entre cette pratique et celle de l’hypnose contemporaine avec la place déterminante que celle-ci donne à son patient. Puységur, par l’utilisation qu’il fait de la « crise magnétique », renommée « sommeil lucide », est bien le premier hypnothérapeute, c’està-dire, le premier thérapeute à utiliser l’état modifié produit pendant la crise, non pour produire tel ou tel phénomène physique source de guérison, mais pour permettre d’accéder à des « ressources » diverses, ordinairement non accessibles, qui vont jouer un rôle déterminant dans le changement thérapeutique.
1. À ce propos, Puységur (1784-85) écrit dans la suite des mémoires : « Le malade dans cet état (somnambulisme magnétique), entre dans un rapport si intime avec son magnétiseur qu’on pourrait presque dire qu’il en fait partie » (p. 142). Et cela, pour Puységur, permet de rendre compte du lien entre ses volontés non exprimées verbalement et les actions du somnambule.
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D E F REUD
T HÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
À
C HERTOK , L’ INTERSUBJECTIVITÉ
Alors que ce qui deviendra plus tard l’hypnose se nommait encore « magnétisme » ou « somnambulisme », la plupart des praticiens de l’époque notent l’apparition de ce que Deleuze (élève de Puységur) nomme « attachement tendre » (Deleuze, 1813, p. 217), et Olivier (1849, p. 66) une « espèce d’attraction ». Il s’agit d’un lien affectif particulier se développant entre le magnétiseur et son patient. Janet parlera, à partir de sa pratique, d’une « espèce très particulière d’amour ». Pour certains, comme Villers (1787), le magnétisme animal ne doit rien à l’existence d’un prétendu fluide, mais bien des sentiments échangés entre le magnétiseur et son patient. Il s’agit là de ce que l’on nomme « le rapport magnétique » (Deleuze, 1825, p. 26-27) puis plus tard le « rapport hypnotique ». Ce rapport désigne l’ensemble des données présentes durant une séance où l’hypnose est pratiquée et qui échappe à la raison et parfois à la conscience. Il s’agit des données émotionnelles et affectives ainsi que des processus inconscients qui vont être convoqués dans l’actualité de l’échange, du rapport, entre l’hypnotiseur et son patient. Freud donnera un nom à ce rapport, en postulant qu’il s’agit de mécanismes transférentiels ici à l’œuvre (1921). Chertok adhérera à cette façon d’envisager le « rapport hypnotique » (1973). D’autres auteurs, comme Palaci (1993), analysent ce rapport sous l’angle de l’empathie, tout en restant dans le champ psychanalytique. La notion d’intersubjectivité qui intervient entre le thérapeute et son patient postule qu’il existe non seulement une interaction entre les deux protagonistes, mais également que ce qui est échangé échappe pour partie à des données rationnelles et conscientes. Ainsi, l’hypnothérapeute ne va pas proposer une métaphore à son patient qu’en fonction de ce que ce dernier dit de son mal qu’il souhaite soulager, mais aussi en fonction de la façon dont il perçoit et ressent ce qu’exprime le patient. La métaphore qui est énoncée est donc une véritable co-construction, une bâtisse construite avec des pierres apportées par le patient, mais aussi par l’hypnothérapeute. Également, faire appel à l’intersubjectivité lorsque l’on parle d’hypnose renvoie au fait que le patient ne perçoit pas que le « manifeste » de la situation et de l’hypnothérapeute qui le prend en charge. Il va également réagir à ce que son praticien lui évoque, à la façon dont il le perçoit et dont il perçoit son action. Autrement dit, la rencontre entre un thérapeute et son patient va faire intervenir de nombreuses données subjectives, qui font partie de la situation hypnotique.
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L’ HYPNOTHÉRAPIE
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Cette subjectivité va être maniée de façon différente selon la conceptualisation théorique à laquelle l’hypnothérapeute se réfère. Ainsi, en pratique ericksonienne, on va centrer son attention sur le patient et la seule subjectivité de ce dernier sera prise en compte. En revanche, en hypnoanalyse, l’intersubjectivité va être accueillie de façon pleine et entière. L’hypnothérapeute va se mettre à l’écoute non seulement des processus inconscients du patient, mais également de ses propres contenus de pensée et ressentis, afin de percevoir ce qui, dans sa propre subjectivité, peut influencer la façon dont le patient vit la situation et au-delà, la façon dont il vit ses symptômes. Autrement dit, lorsque l’intersubjectivité devient un objet d’attention en séance, l’hypnothérapeute va être à l’écoute des mouvements transférentiels et contre-transférentiels présents. L’intérêt est ici double. Le premier, que nous avons cité, est de percevoir et d’analyser le jeu d’influence entre le patient et l’hypnothérapeute. Le second intérêt résulte en fait du premier : l’analyse des processus intersubjectifs permet une pratique de l’hypnose à visée découvrante, c’est-à-dire, lorsque le sens, par exemple, d’un symptôme est recherché (à des fins de soulagement ou non). En effet, en accord avec l’hypothèse du transfert tel que formulé par Freud, les processus inconscients du patient en lien avec son symptôme sont réactualisés au cours de la séance et l’analyse des mouvements intersubjectifs permet de mieux saisir ces processus en jeu. En résumé, nous pourrions dire que les données intersubjectives véhiculées lors des séances d’hypnose sont importantes, car inhérentes à toute rencontre humaine. Pour autant, ces mouvements ne font pas toujours l’objet d’une analyse, ou même d’une prise en compte par l’hypnothérapeute qui peut aussi choisir de les ignorer si le cadre de sa pratique lui permet de faire l’économie de cette dimension. L’intersubjectivité pose de façon directe la question de l’influence : qu’est-ce qui, chez le thérapeute, va influer sur la façon dont le patient va évoluer en séance et dans sa vie ? Également, qu’est-ce qui, chez le patient, va mobiliser chez moi certaines pensées, actes, ou choix thérapeutiques ? Et c’est cette question de l’influence qui a été soulevée dès les débuts de l’hypnose, tant elle fait partie de la pratique, et aussi parce que l’influence est le plus souvent véhiculée, ou se donne à voir de façon la plus criante, dans la suggestion, que l’hypnose utilise beaucoup en tant que méthode psychothérapeutique (Bioy, 2005).
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D E R OGERS À E RICKSON, L’ IMPORTANCE DE LA COMMUNICATION Milton Erickson était un psychiatre américain qui a révolutionné la pratique de l’hypnose. Plusieurs ouvrages lui sont consacrés, plus ou moins hagiographiques d’ailleurs, pour souligner le « thérapeute hors du commun » qu’il était (selon la formule de Jay Haley). Fin clinicien, il conceptualisa peu sa pratique, même si ses disciples tels Ernst Rossi s’y sont employés. En fait, Milton Erickson rendit l’hypnose « plus permissive » c’est-àdire, qu’il s’attacha à débarrasser cette pratique de ses oripeaux dirigistes et pesants. Il axa la façon de manier l’hypnose autour d’une certaine communication à l’autre, et c’est sans surprise que son apport fut repris et développé dans ce domaine par l’école de Palo Alto (Bateson, Watzlawick...). Bien que le nom de Carl Rogers ne soit pas cité dans les ouvrages se rapportant à Erickson, on peut noter que ce psychopédagogue semble avoir mûrement influencé le cadre conceptuel dans lequel l’hypnose Ericksonienne se déroule. Erickson et Rogers étaient contemporains et compatriotes et sans doute évoluèrent-ils dans le même « creuset » idéologique. Il revient cependant à Rogers la paternité de nombreux prérequis à la pratique de l’hypnose Ericksonienne. Ainsi, la notion d’attention centrée sur le patient, l’importance de l’empathie, de la congruence, l’usage même de principes de communication à visée psychothérapeutique ont été largement développés par lui (Bioy et Maquet, 2003). Une certaine vision de l’homme est également commune (constante évolution positive, principe de réalisation et d’actualisation, etc.) ainsi que de l’abord des difficultés des patients avec un primat aux conflits externes. La notion de conflit interne (dont découle la psychopathologie) n’est cependant pas niée, mais chez Rogers et Erickson, elle ne donne lieu ni à théorisation, ni à conceptualisation, laissant ce domaine à la psychanalyse notamment, et par extension à l’hypnoanalyse pour le thème qui nous concerne. Chez Erickson, la notion d’inconscient n’est pas non plus absente. Mais pour beaucoup, sa compréhension ressemble à celle du psychologue J.B. Watson : une « boîte noire » où les processus internes du patient sont contenus mais auquel il est difficile d’avoir accès. À noter que Watson est l’un des hommes à l’origine du courant comportementaliste, et c’est donc tout naturellement (comme François Thioly s’en fait l’écho dans cet ouvrage) que des ponts certains existent entre les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et l’hypnose ericksonienne. Là aussi,
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L’ HYPNOTHÉRAPIE
on peut souligner que Watson et Erickson étaient contemporains (et les TCC déjà bien implantées aux États-Unis) ce qui explique sans doute des liens de parenté pour certaines théorisations. On pourrait ainsi voir l’hypnose ericksonienne comme une voie psychothérapeutique qui allie à la fois des données liées à la psychologie humaniste (Rogers) et au comportementalisme (Watson), tout en ayant une double visée dans les principes de communication qu’elle emploie. Ces principes (suggestion indirecte, double-lien, ratification...) vont servir à la fois à proposer au patient de rentrer en état modifié de conscience – l’état hypnotique – puis de proposer à un patient de modifier son rapport au monde (par l’emploi de métaphores, notamment). En cela, l’hypnose ericksonienne est bien spécifique ; sa différence avec l’hypnoanalyse se situant principalement dans la question du sens et de l’influence. Avec Erickson, ces données ne sont pas vraiment questionnées puisque l’on pose d’emblée que le changement peut survenir à l’insu non seulement du praticien, mais aussi du patient. En hypnoanalyse au contraire, cet « insu » porte un nom : c’est le principe de l’inconscient tel que développé par Freud, et corrélativement du transfert, qui ouvre la voie vers une connaissance des processus en jeu (la psychanalyse étant avant tout une méthode de connaissance de soi avant d’être une psychothérapie). Deux façons donc d’envisager l’hypnose qui, quoiqu’antinomiques, possède chacune leur légitimité.
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I NDICATIONS
ET CONTRE - INDICATIONS
L’hypnothérapie est, comme son nom le suggère, une forme de psychothérapie. En cela, les indications de l’hypnothérapie sont les mêmes que pour toute psychothérapie (phobies, conversions, troubles anxieux, troubles de l’assertivité, etc.). La question est donc plus celle des contre-indications. Autrement dit, l’état modifié de conscience, qui reste la base de l’hypnose, est-il à déconseiller pour certaines structures (et l’on pense en premiers lieux à certains troubles dissociatifs possiblement rencontrés dans des psychoses) ? Il serait difficile d’apporter une réponse définitive à cette question mais il convient de souligner qu’elle est particulièrement peu adaptée dans les troubles psychotiques aigus naissants où justement les patients sont susceptibles d’exprimer une demande particulièrement pressante. Dans de tels cas, il est important que le thérapeute puisse faire comprendre au patient demandeur de soin que ses troubles ne relèvent pas de l’hypnothérapie, trop centrée sur la
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T HÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
dissociation et l’onirisme. Il en est de même pour les patients qui sont en bouffée délirante. Concernant ceux souffrant de paranoïa, l’hypnose n’est pas non plus considérée comme une indication, même si quelques exceptions peuvent exister (le thérapeute doit alors être très expérimenté, et spécialisé dans les troubles psychiatriques sévères). L’hypnose s’inscrit avant tout dans une relation d’aide. Elle n’a pas de pouvoir en soi, mais trouve son potentiel dans le lien interpersonnel qui se tisse entre un hypnothérapeute et son patient (que l’on soit ericksonien ou hypnoanalyste). N’étant pas non plus un médicament, l’hypnose ne possède pas de « contre-indications » formelles ou de possibles « effets secondaires » pour ce qu’elle est. On pourrait donc dire que l’hypnose peut être utilisée de façon éclairée par un thérapeute formé et expérimenté auprès de patients dont il s’occupe, quel que soit le profil de personnalité de ces derniers. À la fois la conscience professionnelle du praticien, son expérience et sa connaissance des processus en cours peuvent lui permettre d’exercer son art sur les populations qu’il rencontre, quelles qu’elles soient. Autrement dit, sur ce point, l’hypnothérapie obéit aux mêmes règles déontologiques et pratiques que n’importe quelle autre forme de psychothérapie. Importance est donc donnée à la formation de l’hypnothérapeute, en lien direct avec sa profession d’origine pour laquelle il a acquis une compétence professionnelle.
LA
FORMATION EN HYPNOTHÉRAPIE ET LES PRATIQUES PLURIELLES On imagine souvent que la pratique de l’hypnose requiert un don particulier ou un apprentissage complexe. N’avons-nous pas tous en mémoire la phrase de Freud (1895, p. 85), dans le sous-chapitre consacré à sa patiente Lucy, mettant en avant comme cause d’un changement de technique son propre manque de don et sa difficulté à gérer la relation au patient déçu dans ses attentes : « (...) j’étais las, après avoir répété cette affirmation et cet ordre : « Vous allez dormir ! Dormez ! » de m’entendre répondre sans cesse, dans les degrés légers d’hypnose : « Mais Docteur, je ne dors pas ! » (...) Je suis bien convaincu que nombre de mes collègues psychothérapeutes savent se tirer de ces difficultés bien plus adroitement que moi, peut-être opèrentils de façon différente (...) lorsqu’un mot risque de vous mettre dans l’embarras, il vaut mieux alors éviter ce mot et cet embarras. »
L’ HYPNOTHÉRAPIE
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En fait, induire l’hypnose est fort simple : quelques phrases stéréotypées peuvent même suffire. C’est d’ailleurs la clé du succès des échelles de mesure mises au point par A. Weitzenhoffer et E. Hilgard au début des années soixante1 : un texte écrit, des directives de passation précisant les conduites à adopter par l’hypnotiseur ainsi que les critères de réussite et d’échec aux différents items du test de susceptibilité hypnotique et voilà l’hypnose mise à la portée de tous. Quel contraste avec la survalorisation positive ou négative dont l’hypnose fait généralement l’objet ! Au point de se demander ce qui a bien pu en inhiber l’usage. Les inquiétudes des thérapeutes, en début de formation, peuvent nous donner quelques indications à ce propos :
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– – – –
Comment réveiller les sujets ? Ce réveil est-il toujours possible ? Comment déterminer la profondeur de l’hypnose ? Comment réagir lorsque le sujet émerge brutalement et surtout lorsque cela s’accompagne d’une remise en question de la réalité de l’état prétendument induit ?
Des inquiétudes relevant à la fois de l’inquiétude devant des éventuels effets de la surnature et d’autres venant de la peur d’être mis en échec dans le rôle qu’impose la fonction d’hypnotiseur. Même si l’induction hypnotique est possible avec de nombreux sujets avec une technique assez rudimentaire, comme celle que nous venons d’évoquer, il est évident que différentes techniques permettent non seulement de rendre celle-ci adaptable à un nombre plus important de sujets, mais aussi de lui donner une orientation relationnelle différente. Car, et c’est sans doute là qu’une formation peut être le plus fructueuse, il est important que la technique d’induction de l’hypnose prenne appui sur le type de relation recherchée. Une induction qui prendrait appui sur une dissymétrie fondamentale comme celle induite par des énoncés impératifs n’aura pas la même portée thérapeutique qu’une induction prenant appui sur des énoncés permissifs sollicitant la créativité et la libre adhésion du sujet. Là, de même qu’en ce qui concerne l’interprétation des réactions du sujet pendant et après la séance, des apprentissages sont nécessaires. À cela évidemment s’adjoint la nécessité d’apprendre les différentes techniques thérapeutiques spécifiques : approfondissement de la dimension de transe, gestion des émotions et amélioration de la résilience, ainsi que les aménagements de techniques non spécifiques 1. A. Weitzenhoffer et E. Hilgard publieront trois grandes échelles de susceptibilité en 1959, 1962 et 1963.
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T HÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
dans le cadre de leur utilisation en hypnothérapie : hypnoanalyse, hypnoonirisme, hypnose dans les thérapies comportementales et cognitives, etc. Car, contrairement à l’image que peuvent en avoir les personnes non spécialisées, l’hypnose ne peut pas se réduire à cette image un peu magique que lui a donnée la pratique contra-symptomatique de la fin du XIX e siècle. L’hypnose est à la fois une pratique ayant des dimensions thérapeutiques spécifiques comme évoqué ci-dessus et aussi un outil qui peut se mettre au service de différentes techniques thérapeutiques préexistantes. Dans ce dernier cas, la formation portera sur la façon d’adapter l’induction de l’hypnose et sa pratique à la technique thérapeutique concernée. Cette pluralité nous paraît essentielle tant au niveau de la connaissance et de la maîtrise de la pratique hypnotique qu’au niveau de la possibilité de s’adapter aux besoins tout à fait divergents des différents types de patient. Ainsi, dans un premier temps, un patient anxieux aura plus besoin d’une approche lui fournissant un support émotionnel et des directions d’actions destinées à l’aider à gérer le stress, que d’une approche trop ouverte laissant son anxiété prendre le dessus et bloquant la thérapie. À d’autres moments, le même patient pourra avoir besoin, tout au contraire, d’une approche non directive et tout à fait ouverte lui permettant d’accéder à ses propres ressources.
Chapitre 2
LES DESTINS THÉRAPEUTIQUES DE L’HYPNOSE Thierry Melchior
’ HYPNOSE (ou avant elle la pratique des magnétiseurs) n’a pas cessé de poser question : déjà au XVIIIe siècle, les Commissaires royaux enquêtant sur la réalité du fluide magnétique concluaient que seule l’« imagination » jouait un rôle dans les processus observés et un siècle plus tard, tandis que le grand Charcot, fort de toute l’autorité considérable que ses découvertes lui avaient valu, réhabilite l’hypnose et la consacre comme un état psychophysiologique particulier, Bernheim, à Nancy, n’y voit que de la « suggestion ». Et de nos jours encore la controverse fait rage entre ceux qui la considèrent comme un état de conscience particulier (les théoriciens « étatistes ») et ceux qui parlent de simples « jeux de rôle » ou de « restructurations socio-cognitives » (les « anti-étatistes »). À cette polémique a priori quelque peu académique s’en rattache une autre, aux implications bien plus considérables sur le plan clinique. Il y a ceux qui considèrent que l’hypnose est un outil fiable d’exploration de la psyché humaine et qu’elle permet notamment de retrouver des traumas et, par là, d’aider à en guérir. Ce sont en général des étatistes : c’est parce que l’hypnose est à leurs yeux un état particulier existant objectivement
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L
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T HÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
qu’elle a la propriété de permettre notamment la récupération de souvenirs amnésiés. D’autre part, il y a ceux qui pensent que si l’hypnose, ou ce que l’on nomme ainsi, peut avoir des applications thérapeutiques intéressantes, elle ne permet pas pour autant la récupération de souvenirs supposément amnésiés. Ce sont en général des anti-étatistes, ou ce que l’on pourrait appeler des agnostiques, ne se prononçant pas sur la réalité de l’état hypnotique mais admettant que la pratique de l’hypnotisme peut avoir une efficacité. Comment se fait-il que cette controverse perdure ? Comment y voir un peu plus clair dans la nature des phénomènes en jeu dans les processus qualifiés d’hypnotiques ? Pour tenter de répondre à ces questions, il nous paraît intéressant de partir des phénomènes les plus observables dans un contexte d’hypnotisme : les phénomènes communicationnels. Ensuite, en resituant l’hypnose dans son contexte anthropologique, nous essayerons de comprendre ce double destin de l’hypnose et des courants psychothérapeutiques qui en découlent.
L’ APPROCHE
COMMUNICATIONNELLE
La recherche sur les particularités de l’hypnose s’est souvent focalisée sur ce qui se passait « dans » le sujet en transe. Est-il dans une sorte de « sommeil partiel » ? Un « sommeil lucide » ? Vit-il « une régression au service du moi » ? Ou une « dépotentialisation de l’hémisphère cérébral gauche » ? Ou effectue-t-il un « transfert de son idéal du moi sur la personne de l’hypnotiste » ? Se trouve-t-il plutôt une « veille paradoxale » ? Ou encore est-il simplement en train de « simuler », de « jouer un rôle ? Cette conception monadique du phénomène a été largement influencée par le mythe de l’individu qui prévaut en Occident et dont nous parlerons plus en détail plus loin. Il a empêché qu’une attention suffisante soit portée aux caractéristiques, pourtant tout à fait remarquables, du type de communication et d’interaction qui prévaut lors d’une séance d’hypnose (Melchior, 1990, 1998). Nous ne nous attarderons pas à un premier aspect, assez évident : la monotonie. On sait que les situations de « déprivation sensorielle » favorisent la fuite dans des états différents de l’état vigile. Quand l’environnement est calme, uniforme, répétitif, notre attention devient évidemment moins nécessaire à notre survie, elle se met donc en veilleuse. En hypnose, les messages relativement pauvres en information nouvelle, formulés d’une voie douce, que l’hypnotiste adresse lors de
L ES DESTINS THÉRAPEUTIQUES DE L’ HYPNOSE
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l’induction, contribuent vraisemblablement à la baisse de la vigilance, à l’estompage de la conscience claire qui est supposé accompagner l’exercice de la « volonté »1 . Mais attachons-nous au contenu de ces messages. Dans un premier temps de l’induction, ce qui est renvoyé au sujet n’est rien d’autre que le reflet approximatif de son propre comportement externe et interne. En pratiquant ainsi l’accompagnement (pacing), l’hypnotiste crée une boucle de rétroaction dans laquelle le sujet s’entend énoncer cela même qu’il est en train de faire et de vivre : PACING
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« Vous êtes assis, vous pouvez sentir le contact de votre dos contre le dossier de la chaise, le rythme de votre respiration qui ralentit progressivement, les paupières qui se ferment, d’elles-mêmes... »
Ce genre de messages invite le sujet à se détacher progressivement de l’environnement pour se mettre en position de spectateur passif de ses propres comportements internes et externes. Ceux-ci lui sont décrits comme se produisant d’eux-mêmes, sans intervention volontaire de sa part. On comprend mieux ainsi que se développe un vécu « dissocié »2 dans lequel les comportements acquièrent un caractère et/ou se voient conférer un statut de spontanéité, d’automaticité typique du vécu hypnotique. Le sujet conscient volontaire supposé habituellement aux commandes, dans la doxa qui est la nôtre, se voit ainsi mis sur la touche. D’autre part, s’entendant énoncer une série de messages assez évidents sur ce qu’il est en train de vivre, le sujet tend à les accepter, à y adhérer et tend ainsi à laisser l’hypnotiste devenir, jusqu’à un certain point, le définisseur de ses propres vécus et comportements. Dans ce type de communication, le sujet accepte, en effet, de laisser l’hypnotiste parler comme si celui-ci savait aussi bien que celui-là ce qui se passe en lui, comme si l’hypnotiste était à l’intérieur de l’hypnotisant. Il ne s’agit plus d’un échange entre inter-locuteurs : nous dirons que le sujet accepte de laisser l’hypnotiste devenir – dans une certaine mesure –
1. Nous mettons le mot entre guillemets pour marquer, anticipativement, nos réserves par rapport à cette notion qui comme nous le verrons est, elle aussi, solidaire du mythe occidental. 2. Ici encore, les guillemets sont de rigueur : si la notion de dissociation est couramment utilisée par les hypnotistes, elle est loin d’être claire et participe, elle aussi, du mythe occidental.
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son intra-locuteur (Melchior, 1998). On n’a sans doute pas suffisamment prêté attention au fait que l’intralocution hypnotique viole ainsi un principe fondamental de la communication humaine ordinaire, que l’on peut appeler Principe d’altérité selon lequel chaque locuteur est en principe seul habilité à pouvoir asserter catégoriquement au sujet de ses états internes. Chacun peut dire « J’ai faim », mais nul n’a le droit d’affirmer catégoriquement « Tu as faim » (sous peine de s’exposer à un véhément démenti). Ce principe est probablement indispensable à la constitution de l’identité personnelle : comment pourrais-je être « Je » si tout un chacun était habilité à asserter valablement concernant ce que je ressens ou ce que je pense ? On peut donc penser que sa violation favorise un estompage des frontières du « je » et du « tu »1 : dès lors, l’origine des messages se brouille. Et comme la légitimité du contenu d’un message est notamment fonction de l’origine qui lui est assignée, il est probable que ce brouillage contribue à l’augmenter et donc à favoriser la réceptivité du sujet aux messages qui lui sont proposés. La psychanalyse, notons-le au passage, procède elle aussi à une violation du Principe d’altérité : tandis que normalement le locuteur est supposé seul habilité à savoir ce qu’il veut vraiment dire, dans la situation analytique, il accepte de laisser l’analyste savoir aussi bien que lui sinon mieux le sens réel de ce qu’il énonce. Ce en quoi l’analyste met en œuvre une structure communicationnelle apparentée à celle de l’hypnose, manifestant ainsi qu’il a sans doute bien moins rompu avec celle-ci qu’il ne se plaît à le croire. À ce stade, faut-il absolument parler d’« hypnose » ? Ce n’est pas sûr. L’hypnotiste, d’ailleurs, pourrait fort bien procéder de la sorte sans jamais prononcer le mot « hypnose » (ou ses synonymes) devant son sujet. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que celui-ci aura souvent tendance à quitter, peu à peu, son état vigile et son orientation variée vers l’environnement. On peut parler alors, comme certains auteurs, d’« hypnose sans hypnose » (ou « sans transe », « sans hypnotisme ») ou, plus simplement, de communication suggestive. Mais relevons ce fait important : par elle-même, la communication suggestive favorise une modification du vécu, elle contribue à faire vivre au sujet une expérience différente de celle qui prévaut habituellement, elle est, si l’on veut, hypnogène.
1. On pourrait dire qu’en maximisant la porosité du je et du tu l’un à l’autre, en favorisant une sorte d’osmose entre eux, la pratique hypnotique tend à « démonadiser » le sujet, ce en quoi elle heurte de plein fouet le mythe occidental de l’individu. C’est l’un des facteurs qui peut expliquer pourquoi l’hypnose a toujours fait problème en Occident.
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Il se peut à présent que l’on soit dans une situation un peu différente : dans ce qu’il est coutume d’appeler « hypnose formelle » ou hypnose « ritualisée ». Dans cette situation, non seulement l’hypnotiste utilise ce type très particulier de communication dont nous venons de parler, mais de plus, il vient un moment où il laisse entendre au sujet, de manière très directe ou plus indirecte, que celui-ci est maintenant en hypnose. C’est ce que nous appellerons la déclaration d’hypnose, déclaration relevant d’un usage peut-être plus performatif1 que constatif du langage (comme quand le président déclare « La séance est ouverte » : il ne se borne pas à décrire la séance, il l’ouvre effectivement). Le plus souvent, cette Déclaration d’hypnose est faite après qu’un certain nombre de phénomènes, différant plus ou moins nettement du mode de fonctionnement normal – ou de ce qui est tenu pour tel – se seront manifestés et auront éventuellement fait l’objet de descriptions de la part de l’opérateur. (Il ne s’agit en fait pas de pures descriptions : le simple fait d’énoncer au sujet ses comportements aura pour effet, que l’opérateur le veuille ou non, de les performer, de les proférer2 , de les lui suggérer. La communication hypnotique manifeste au plus haut point le phénomène de description (ou de prédiction) autoréalisante (self-fulfilling prophecy) à l’œuvre dans les rapports humains. L’hypnotiste dira, par exemple : « Votre respiration a déjà ralenti... Vos paupières se sont fermées, pour vous permettre de vivre cette expérience plus confortablement... Votre tête effectue de légers petits mouvements spontanés, témoignant ainsi de votre entrée dans cet état d’hypnose... » Cette phrase véhicule de multiples façons, sous forme de présuppositions, d’allusions puis sous forme explicite, l’idée que la personne va vivre un certain type d’expérience, va entrer, est en train d’entrer, dans un état autre, l’état hypnotique. À étudier de plus près ce qui se passe là sur le plan communicationnel, on observe que des comportements A, B, C, (respiration, paupières, tête) font l’objet ainsi d’une attribution : ils sont signes de l’entrée en hypnose, ou moyens de faciliter celle-ci. En d’autres termes, nous avons affaire là à ce qu’il est convenu d’appeler un recadrage : des comportements 1. Le philosophe britannique John L. Austin distingue les performatifs, expressions par lesquelles on « fait » quelque chose en disant (« Je promets de venir », « Je vous félicite », « Je baptise ce navire "Normandie" »...) et les constatatifs au moyen desquels on se bornerait à décrire, à constater (« La table est brune »...) Pour une analyse plus détaillée du rôle des performatifs en hypnose, voir Melchior (1998). 2. Sur la « proférence » comme création de réalité (par opposition à la « référence »), voir Melchior (1998).
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qui, au départ, n’avaient éventuellement aucune signification particulière, voire même n’étaient pas spécifiquement perçus comme tels par le sujet, font à présent l’objet d’une attribution de sens très précise : attester de ou faciliter l’hypnose. Et dire que le sujet « est en hypnose », à présent, qu’est-ce à dire ? Le sens du message variera, bien sûr, selon les conceptions que le sujet et l’opérateur pouvaient se faire préalablement de l’hypnose. Mais quelles que soient les variations de ces conceptions, et elles sont grandes, un fait central demeure. Le fait que le sujet soit « entré en hypnose » va signifier qu’à présent la totalité, la globalité de son comportement a fait l’objet (est censée avoir fait l’objet) d’un changement radical. Il est dans un autre « état », dans un autre « mode de fonctionnement ». La totalité de ce qu’il fait, dans le sens le plus large, comprenant aussi ce qu’il vit, ce qu’il pense, ce qu’il éprouve, se retrouve affectée d’un autre signe. Il est, son comportement est, devenu radicalement autre. Autre que quoi ? Autre que dans l’état normal, ordinaire, habituel, c’est-à-dire, selon le mythe occidental, autre que l’état vigile conscient dans lequel la volonté du sujet est censée exercer souverainement son libre arbitre. Et c’est à peu près tout. L’hypnose est d’abord et fondamentalement ce recadrage-là : à partir du premier recadrage de quelques comportements plus ou moins bizarres favorisés par la communication monotone et suggestive, elle consiste, en un second recadrage (à savoir, un recadrage massif de la globalité du comportement du sujet comme altéré), différent de l’état normal. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle il y a inévitablement quelque chose de vague, d’irréductiblement vague dans la notion d’état hypnotique : il s’agit d’un signifiant relativement vide parce que sa principale signification est d’une extrême pauvreté (qui fait d’ailleurs toute sa richesse). Il est seulement le signifiant d’une différence, le signifiant d’un écart. Il a simplement la signification : « différent de l’état normal, ordinaire ». Davantage encore : pour qu’il puisse fonctionner comme opérateur de recadrage d’une vaste gamme de comportements, il est indispensable que le signifiant « hypnose » (ou ses synonymes comme « transe », « somnambulisme », « état second », « sommeil hypnotique ») soit relativement vide. L’extension d’un concept est d’autant plus grande que sa compréhension est pauvre : autrement dit, si « hypnose » était un signifiant bien défini, il ne pourrait recadrer qu’une gamme très limitée de comportements ou de vécus de transe, et serait inefficace dans bien des cas (ce qui nous fait toucher, au passage, à l’une des raisons qui ont rendu si problématique une étude scientifique de l’hypnose : la science a horreur des signifiants flous).
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Comme le disait déjà Pierre Janet, dans sa thèse de 1889 :
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« L’état somnambulique (...) ne présente pas de caractères qui lui soient propres, qui soient en quelque sorte spécifiques. Étant donné une personne que l’on ne peut examiner que dans un seul moment de son existence, il est impossible de déterminer dans quel état elle se trouve. L’état somnambulique n’a que des caractères relatifs, et ne peut être déterminé que par rapport à un autre moment de la vie du sujet, l’état normal ou l’état de veille. (...) Le somnambulisme est une existence seconde qui n’a pas d’autre caractère que d’être la seconde. »
« Être en hypnose », c’est donc être (supposé être) dans un état différent de l’état « normal », « ordinaire » ou « habituel ». Et comme la notion d’état « normal », « ordinaire » ou « habituel » est elle-même assez floue (encore qu’elle implique toujours peu ou prou l’idée d’un comportement dirigé par la « volonté »), il est fatal que la notion d’état hypnotique le soit tout autant. Et selon les personnes, les époques, les lieux, les cultures ou sub-cultures, ce qui sera tenu comme écart significatif par rapport à la « normale » pourra, bien entendu, assez largement varier. Quelques invariants semblent cependant se manifester : ils concernent les rapports du volontaire et de l’involontaire, du conscient et de l’inconscient. Typiquement, une personne en hypnose va être (censée être) capable de faire des choses réputées involontaires (comme arrêter de saigner, faire partir des verrues, cesser de percevoir des stimuli, oublier un fait qui vient de se produire, retrouver un fait oublié...) ou de ne plus pouvoir faire des choses normalement accessibles à la volonté (bouger un membre) ou encore, de faire des choses réputées volontaires sur un mode involontaire (lévitation du bras). Tout se passe donc comme si, en hypnose, les choses étaient mises à l’envers, un peu comme dans les fêtes carnavalesques ou les Saturnales de l’Antiquité au cours desquels les serviteurs étaient, pour quelques jours, autorisés à jouir des privilèges des maîtres, ou les femmes, des privilèges des hommes. Ici, l’involontaire jouit des privilèges du volontaire, l’inconscient des privilèges du conscient... L’hypnose se révèle donc être un extraordinaire opérateur de recadrage. Il faudrait même dire, tant ce recadrage-là est global et radical : opérateur de méta-recadrage. Le signifiant « hypnose » prend ainsi place aux côtés d’autres grands opérateurs de méta-recadrage du comportement humain tels que « être ivre », « être possédé » ou... « être fou ». À partir du premier recadrage des multiples comportements suscités par le processus d’intralocution comme signes de transe, cet opérateur recadre la totalité du comportement comme comportement de transe,
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c’est-à-dire, comportement affecté d’un signe qui inverse l’ensemble des rapports ordinaires du conscient et de l’inconscient, du volontaire et de l’involontaire. L’hypnose est cet opérateur de recadrage et elle est, également, le résultat éminemment variable de ce recadrage dans le réel : une sorte de folie – relativement maîtrisée, potentiellement thérapeutique – à deux. Elle permet ainsi de libérer le sujet, à des degrés variables, des cadres contraignants dans lesquels le mythe occidental l’enfermait : dorénavant un certain nombre de choses peuvent devenir possibles qui ne le paraissaient pas auparavant. À ce titre, l’hypnose est fondamentalement une invitation à une plus grande liberté. Encore faut-il que l’hypnotiste encourage le patient à cette liberté, ce qui implique de ne pas profiter de l’ouverture dont il fait preuve pour lui « fourguer », à tout prix, des croyances définies à l’avance. Ainsi, par exemple, une des conséquences de la mise sur la touche du sujet conscient volontaire habituel, en hypnose, c’est que les actes du sujet se retrouvent privés d’auteur : si en hypnose, « le bras se lève », qui le lève ? On peut songer à inventer des sujets de remplacement pour assigner une origine à de tels actes. On pourra, par exemple, dire que c’est l’« inconscient » du sujet qui lève son bras. Ou toute autre partie de lui. Cela n’impose pas au thérapeute de croire qu’un tel sujet existe. Il peut se borner à reconnaître qu’il a mis en scène un sujet métonymique1 à des fins essentiellement communicationnelles et thérapeutiques, sans pour autant lui conférer un statut de réalité autre que proférentiel.
LA
SIGNIFICATION ANTHROPOLOGIQUE DE L’ HYPNOSE
La civilisation occidentale qui a vu naître la théorie et la pratique du magnétisme animal avec Mesmer, d’abord, la pratique et la théorie hypnotique ensuite dans le courant du XIXe siècle se caractérise par un fait saillant : comme y ont insisté nombre de penseurs (parmi lesquels on pourrait citer Alexis de Tocqueville, Norbert Elias, Louis Dumont, Marcel Gauchet) la société occidentale moderne et postmoderne se vit comme peuplée d’individus. Il est, certes, loisible de dire que 1. Considérer l’inconscient comme un simple sujet métonymique parmi d’autres permet d’effectuer certains rapprochements entre des pratiques thérapeutiques à première vue fort dissemblables. Cette conception permet aussi d’éviter de se demander vainement si « l’inconscient » ressemble au portrait qu’en a tracé Freud plutôt qu’à celui de Jung, de Mélanie Klein ou de Lacan. Sur la théorie des sujets métonymiques, voir Melchior (1998b) et le commentaire qu’en fait François Roustang (1998).
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toutes les sociétés humaines sont constituées d’individus. On peut les dénombrer comme on pourrait dénombrer les pommes sur un pommier ou les abeilles dans une ruche. Mais alors que toutes les autres sociétés privilégiaient les liens d’appartenance (à la famille, au lignage, au clan ou à la caste...), nous vivons dans un monde où chacun de nous se vit essentiellement comme un individu séparé et autonome. Le processus qui nous a menés à une telle situation est long et extrêmement complexe, et il n’y a pas de consensus complet, parmi les auteurs, sur le rôle respectif des différents facteurs qui ont pu y contribuer. Pour n’esquisser que quelques-uns d’entre eux, on pourrait dire que ce processus commence déjà avec la réflexion critique sur les explications mythiques en Grèce au VIe siècle av. J.-C., qui constituera la pensée philosophique. La naissance de la démocratie athénienne, l’orphisme, de nombreux éléments du droit romain, accentuent cette évolution. La valorisation chrétienne du statut d’ermite renonçant au monde, l’idée d’égalité de chacun aux yeux de Dieu, contribuent à la poursuite de son développement Mais c’est surtout à partir de la Renaissance avec l’affaiblissement des liens féodaux, le renforcement des pouvoirs étatiques de plus en plus centralisés, l’émergence progressive de l’État nation, avec la division croissante du travail, avec la Réforme qui favorise un rapport plus personnel à Dieu et la liberté religieuse, avec l’apparition de la science expérimentale, avec les démocraties modernes nées des Révolutions américaine et française et enfin avec le développement du capitalisme, que les traits marquants de l’individu moderne, monadique, séparé, apparaissent vraiment. Parmi ces traits, quatre paraissent particulièrement importants pour notre propos. L’individu occidental est conçu comme doté d’une volonté, permettant de choisir dans une claire conscience parmi différentes options grâce au libre arbitre, ce qui a pour contrepartie sa responsabilité, qu’elle soit morale, religieuse, juridique ou politique1 .
1. Il apparaît donc clairement que la notion de « volonté » joue, dans le mythe occidental, un rôle essentiellement moral, juridique, politique et religieux. En la faisant fonctionner comme s’il s’agissait d’un concept rigoureusement défini et constitué, la psychologie tient indûment pour une réalité naturelle ce qui est avant tout un élément d’une construction sociale essentielle à l’Occident : la « responsabilité ». Et c’est parce que l’on tient la « volonté » pour une réalité naturelle que l’on se voit obligé ensuite d’imaginer une autre réalité, supposée tout aussi naturelle, « l’inconscient », qui serait son pendant.
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Autre trait important : face aux hommes qui, ensemble, ont librement conclu un contrat social, il y a une nature. À l’homme, la liberté (de choisir) ; à la nature, des relations de causes à effet, des mécanismes aveugles (à découvrir, à comprendre). Mais si, dans ce mythe, l’homme est fondamentalement doté de libre arbitre, force est toutefois de constater que l’exercice de sa volonté peut subir des limitations. Les aléas du fonctionnement du corps, morceau de nature en l’homme, peuvent l’influencer. Un problème supplémentaire apparut vers la fin du XIXe siècle quand il s’est agi d’expliquer des comportements apparemment pathologiques sans cause organique apparente. Tant que des explications d’ordre surnaturel (possession par un démon) pouvaient avoir cours, la question ne se posait guère, ou plutôt, elle se voyait immédiatement résolue. Avec le processus de laïcisation, il arriva un moment où ce genre d’explications ne fut plus recevable. Dès lors qu’elles n’étaient plus des « possédées », comment penser les hystériques ? Simples simulatrices ou vraies malades ? Avec la décision prise par Charcot de considérer l’hystérie comme une maladie authentique (et non un simulacre de maladie), il devint impératif d’étudier ce qui dans le fonctionnement du système nerveux pouvait expliquer les comportements incriminés. L’hypnose fut considérée dans les dernières décennies du XIXe siècle comme la voie royale pour étudier ce fonctionnement à l’état brut, c’est-à-dire, sans interférence de la volonté libre du sujet. Charcot et ses disciples crurent ainsi détenir comme l’équivalent d’un stéthoscope de la psyché-système nerveux. Avec elle, pensait-on, il devenait possible d’étudier le fonctionnement des sujets à l’état naturel, natif, naïf (trois mots qui ont la même étymologie), la part de la nature en l’homme inaccessible à d’autres formes d’investigation anatomo-physiologique.
D E L’ HYPNOSE
STÉTHOSCOPE À LA PSYCHANALYSE
Ce que cette hypnose sthétoscopique, solidaire du mythe occidental, cherche à détecter, ce sont donc de purs mécanismes. C’est l’arc réflexe (Gauchet, 1992) qui, à cette époque, en fournit le modèle. Il offre en effet une illustration frappante de la façon dont un comportement, par exemple, l’extension réflexe de la jambe suite à un coup sur le genou, peut se produire automatiquement, sans intervention de la volonté consciente. Dans sa version stéthoscopique, l’hypnose est ainsi comprise comme la mise du sujet dans un état tel que son comportement deviendra purement passif, automatique, réflexe, comme si sa conscience volontaire était totalement hors jeu. Le fait que les sujets soient en hypnose semble dès
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lors constituer un gage d’authenticité absolue : leurs comportements en hypnose sont supposés témoigner directement de ce qui se passe objectivement en eux. Les souvenirs retrouvés en hypnose, en particulier, seront considérés comme parfaitement fiables. Comme nous le verrons, les vives critiques de Bernheim (et d’autres) mèneront à l’abandon d’une telle conception, ce qui entraînera, par la même occasion, une éclipse partielle de l’hypnose pendant de nombreuses décennies. Mais ces critiques ne mèneront toutefois jamais à l’éradication totale de cette conception stéthoscopique. Tout récemment encore, les épidémies de personnalité multiples aux États-Unis témoignent du fait que nombre de cliniciens continuent à croire, envers et contre tout, que si des patients hypnotisés s’expriment sur des modes tour à tour fort différents, cela atteste, à coup sûr, de l’existence objective de personnalités différentes en eux. Ils continuent également à croire que si des souvenirs d’événements traumatiques sont évoqués par ces patients en hypnose, ces souvenirs sont totalement crédibles. D’une manière plus générale, un certain nombre de techniques plus ou moins apparentées à l’hypnose sont de nos jours pratiquées dans une grande diversité de thérapies selon un paradigme stéthoscopique et, tout particulièrement, la psychanalyse dont l’influence a été et demeure encore considérable sur l’ensemble du champ thérapeutique, ce qui justifie que nous nous y attardions quelque peu. Freud, on le sait, a déclaré avoir abandonné l’hypnose. On pourrait donc s’étonner de nous voir ranger la psychanalyse dans le sillage du paradigme stéthoscopique. Cela se comprendra sans doute mieux si l’on rappelle que, même après avoir abandonné depuis longtemps l’hypnose formelle, ritualisée, Freud considérera toujours que la psychanalyse dérive directement de la méthode cathartique, mieux, que celle-ci est comme son noyau : « La thérapie exercée par Breuer consistait à amener, sous hypnose, la malade à se remémorer les traumatismes oubliés (...) Alors disparaissait le symptôme (...) Le même procédé servait donc simultanément à l’exploration et à l’élimination de la souffrance, et du reste cette réunion inhabituelle fut maintenue par la psychanalyse ultérieure. (...) La méthode cathartique est le précurseur direct de la psychanalyse (...) elle est toujours contenue en elle comme son noyau. » (Freud, 1924, nous soulignons.)
Or la méthode cathartique repose intégralement sur la croyance que des souvenirs traumatiques amnésiés peuvent être retrouvés de manière fiable en état d’hypnose. À cette conviction emblématique de l’hypnose stéthoscopique, elle en ajoute une autre, celle selon laquelle le fait de se remémorer le souvenir oublié aurait des vertus thérapeutiques. Nous
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savons aujourd’hui que le récit que Freud nous a fait d’un certain nombre de traitements est à considérer avec la plus grande suspicion. Il est parfaitement établi qu’il a plus d’une fois menti et quand il ne l’a pas fait, il a généralement présenté les faits d’une manière qui tend à légitimer ses croyances théoriques, notamment en mélangeant savamment ce que ses patients avaient dit et la façon dont il interprétait leurs dires (Webster, 2001 ; Borch-Jacobsen, 2002 ; Borch-Jacobsen et al., 2006). Mais même en faisant abstraction de ces stratégies pour faire « coller » la réalité clinique aux théories, il est clair que lorsqu’il pratiquait la méthode cathartique, Freud procédait de manière extrêmement autoritaire. Ainsi il nous dit lui-même que lorsqu’un patient (le plus souvent, une patiente, en fait) lui narrait sous hypnose un souvenir qui ne lui paraissait pas suffisamment compatible avec le genre de souvenirs que sa théorie prévoyait, autrement dit quand ce souvenir était insuffisamment « traumatique », il lui disait tout de go : « Vous vous trompez ; ce que vous me dites n’a aucun rapport avec la question qui nous préoccupe. Il faut ici que nous découvrions autre chose, quelque chose à quoi vous allez penser lorsque j’appuierai la main sur votre front. » (Breuer et Freud, 1895)
On ne sera pas étonné que dans de telles conditions Freud finisse assez souvent par faire « retrouver » des souvenirs spécifiquement compatibles avec ses conceptions étiologiques personnelles des névroses : « Lorsque je commençai à utiliser ce procédé (...) je fus moi-même étonné de constater qu’il me livrait justement ce dont j’avais besoin et je puis dire qu’il ne m’a presque jamais déçu. » (ibid.)
Ne se rendant pas compte qu’il ne fait que « retrouver » (faire « retrouver ») le type de « souvenirs » qu’il suggère, Freud « s’enhardit » et devient de plus en plus péremptoire : « Je m’enhardis peu à peu à tel point que je dis aux malades qui prétendaient n’avoir rien vu ou n’avoir pensé à rien que ce n’était pas possible. Ils avaient certainement appris la vérité, mais se refusaient à la reconnaître et l’avaient rejetée (...) » (ibid.)
Les partisans convaincus de la théorie psychanalytique ne manqueront probablement pas d’objecter que cet autoritarisme de Freud date d’une époque où il utilisait encore l’hypnose et qu’au fur et à mesure qu’il abandonna celle-ci au profit de l’écoute du patient associant librement, il abandonna aussi ce style autoritaire. Il est bien possible, en effet, que
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dans les années qui suivirent l’abandon de l’hypnose formelle, Freud se mit à pratiquer un style plus feutré. Mais l’idée qu’il se fait de sa nouvelle technique, combinant association libre et interprétation, ne rompt en rien avec la conception stéthoscopique de l’hypnose. Si l’hypnose formelle est abandonnée c’est pour être remplacée par un dispositif qui lui ressemble à bien des égards. En effet, il est expressément demandé au patient de mettre en veilleuse sa volonté et son esprit critique pour se laisser aller aux idées qui lui viennent spontanément, ce qui constitue un procédé nettement apparenté à l’hypnose. Et surtout, les vertus qui étaient supposées être celles de cette dernière dans sa version stéthoscopique, à savoir, permettre la découverte de mécanismes se produisant naturellement dans l’esprit humain, se voient intégralement transférés sur la nouvelle technique. Freud abandonne l’hypnose formelle parce qu’il ne se sent pas à son aise dans son emploi ; il l’abandonne, également, parce qu’il lui reproche de « masquer des résistances » ou de ne les supprimer que fort temporairement mais, fondamentalement, il conserve l’essentiel du statut heuristique supposé de celle-ci pour l’attribuer, désormais, à la technique d’association libre avec interprétation. C’est cette confiance illimitée dans les vertus heuristiques, tant de l’hypnose que de sa nouvelle technique combinant association libre et interprétation, qui explique la genèse du système de croyances de Freud et de ses disciples directs ou indirects et la foi intense qu’ils ont en elles. Il n’est pourtant pas difficile de voir que l’association libre couplée à l’interprétation du thérapeute ne saurait constituer une technique fiable pour accéder à des contenus inconscients (dont, rappelons-le, on ne peut tout au plus que supposer l’existence). Cette dernière se fonde en effet soit sur des « mécanismes inconscients » supposés à l’œuvre dans l’esprit du sujet (condensation, déplacement, renversement dans le contraire, signification symbolique, etc.) soit sur des contenus supposés découverts précédemment par la connaissance de tels mécanismes (complexes d’Œdipe, de castration, phases anale, orale, etc.). L’existence objective des « mécanismes inconscients » postulés par la psychanalyse reste une affaire fort controversée. Mais il faut noter qu’à supposer même qu’ils existent réellement, on voit mal comment la seule connaissance de ces « mécanismes » par un analyste pourrait le mener à aider un patient à retrouver, à partir du matériel qu’il apporte en séance, la (supposée) signification inconsciente de ses rêves, de ses lapsus, de ses oublis, de ses actes manqués ou de ses symptômes. Il est radicalement impossible de décoder un message dont le code n’a rien de fixe. Affirmer le contraire reviendrait à affirmer que la seule connaissance des mouvements de déplacement des pièces, au jeu d’échecs, permettrait de reconstituer le déroulement d’une
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partie à partir, par exemple, de la position des pièces au dix-neuvième coup. Les mouvements canoniques des pièces présentent en effet une totale fixité, mais comme ces mouvements peuvent être effectués aussi bien dans une direction que dans une autre, il est impossible de retracer le déroulement effectif de la partie. C’est pourquoi, si l’hypnose ne permet pas de retrouver les causes cachées des comportements « hystériques » ou autres, l’interprétation des matériaux fournis par l’« association libre » ne permet pas davantage de reconstituer les causes sous-jacentes aux comportements et vécus humains normaux ou pathologiques. Il n’existe tout simplement pas de stéthoscope de l’âme, pas plus de stéthoscope « analytique » que de stéthoscope « hypnotique ». L’idée d’un tel stéthoscope est un pur mirage, sous-produit du mythe occidental organisant la bipartition nature/société et la sous-bipartition volonté libre/nature en l’homme. Autrement dit, si un analyste peut « retrouver » quelque chose à partir du « matériel » fourni par le patient, ce ne peut être que parce qu’il se fait une idée a priori du type de contenu inconscient qu’il s’agit de découvrir. Comme le disait justement Pierre Janet dans sa critique de la méthode freudienne : « Une interprétation ne peut être faite que si l’on sait d’avance dans quel sens on doit interpréter. » (Janet, 1913)
Ce propos de Janet concernait la psychanalyse de Freud. Mais nombreux sont, de nos jours, les courants thérapeutiques qui, aussi intéressants et riches qu’ils puissent être par ailleurs, sont influencés de près ou de loin par la psychanalyse et s’inscrivent dans la conception stéthoscopique. C’est le cas notamment de nombreux courants qui appartiennent à la psychologie dite « humaniste », comme par exemple, l’analyse bioénergétique de Lowen, l’analyse transactionnelle de Berne ou la Gestalt-therapie de Perls. C’est aussi le cas d’une pléiade de thérapies d’un simplisme souvent affligeant qui croient pouvoir déterminer notamment par le toucher du corps les origines traumatiques (éventuellement « transgénérationnelles ») de telle ou telle difficulté de vie ou qui considèrent que telle ou telle maladie est nécessairement l’expression symbolique d’un conflit1 . Ces courants partagent à un degré
1. Exemples d’interventions typiques de « thérapeutes » appartenant à ces courants imprégnés de sous-freudisme abâtardi : « En touchant vos vertèbres lombaires je sens qu’il a dû se passer quelque chose de très grave avec votre père quand vous aviez 4 ans » ; « Il y a sûrement dû y avoir un jumeau mort dans le ventre de votre mère en même temps que vous et c’est inscrit dans votre mémoire cellulaire » ; « Votre cystite exprime clairement un conflit en rapport avec la territorialité » ; « Les réactions de votre
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ou à un autre la conviction qu’il est possible de « découvrir » par des techniques diverses la cause réelle des difficultés des patients et qu’il est nécessaire de découvrir de telles causes pour qu’une guérison réelle puisse avoir lieu. Ils partagent tous, autrement dit, une conception réaliste de l’étiologie des troubles psychiques, c’est-à-dire, une conception selon laquelle il serait possible de retrouver la cause réelle de ceux-ci. La conception réaliste en thérapie est le corrélat logique de la conception stéthoscopique. On croit que l’on dispose d’un instrument fiable (hypnose, association libre, guided imagery, toucher corporel ou autre) qui permet de découvrir des mécanismes réels responsables des difficultés à traiter. C’est précisément cette conception que Bernheim avait combattue quand il écrivait par exemple :
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« (...) beaucoup de somnambules ont une finesse de perception très grande ; le moindre indice les guide. Sachant qu’ils doivent réaliser la pensée de l’hypnotiseur, ils s’ingénient à la deviner. Si on a répété plusieurs fois sur le même sujet des expériences de transfert [il s’agit du transfert d’un phénomène, par exemple la catalepsie, d’un côté du corps à l’autre], il devine aisément qu’il doit transférer tel ou tel phénomène ; et, sans qu’on dise rien devant lui, il peut saisir dans l’attitude expectante de l’opérateur ou dans un autre indice quelconque, si le transfert doit être opéré. Si j’insiste sur ces faits, si j’accentue mes observations critiques, c’est qu’elles visent dans son fondement même la doctrine des phénomènes hypnotiques. » (Bernheim, 1888)
Ce que Bernheim a ainsi montré, c’est que l’hypnose ne constitue pas un instrument fiable pour découvrir le fonctionnement objectif de l’esprit humain. Un sujet en hypnose n’est pas l’équivalent d’une grenouille décérébrée. Ce n’est pas un équivalent d’arc réflexe, ce n’est pas un automate. C’est un être humain à part entière qui continue à chercher à détecter, comme dans la vie quotidienne, et peut-être plus finement encore, ce que l’on attend de lui, que ce soit pour s’y opposer ou pour y consentir, selon la motivation qu’il peut avoir à le faire. C’est également ce que découvre vers la même époque le fin psychologue que fut le Liégeois Joseph Delboeuf quand il entreprit, par exemple, de vérifier les affirmations de Charcot et ses élèves sur l’action des aimants sur les sujets en transe somnambulique :
corps indiquent que votre arrière-grand-mère a essayé d’avorter de votre grand-mère maternelle et c’est ce qui vous empêche de prendre votre place dans la vie » ; « Vous ne pourrez guérir de votre cancer qu’en retrouvant les abus que vous avez subis »...
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« Pour ces sortes d’essais, la plus grande circonspection est requise. Les sujets se demandent ce qu’on leur veut, devinent et se hasardent. L’opérateur obtient ce qu’il attend (...) s’il ne se défie pas de lui-même, il guidera sans le savoir, ses sujets dans la voie qu’il désire leur voir prendre, et l’on a lors le spectacle de personnes qui, de très bonne foi, se dupent l’une l’autre. » (Delboeuf, 1890)
C’est à ce jeu de dupes que se sont laissés prendre Charcot et de ses disciples : ils ont cru sans réserve que l’hypnose (ou les techniques qui en dérivaient) donnait un accès fiable à des phénomènes totalement objectifs. Ces phénomènes leur semblaient conformes à leurs croyances théoriques et ils ne se rendirent nullement compte que les « sujets » ou les « patients » cherchaient à détecter ce qu’eux-mêmes cherchaient à détecter (en fonction de ces croyances théoriques) et, dans bien des cas, – parce qu’ils avaient des motivations pour le faire – leur fournissaient ce qu’ils recherchaient. Ces motivations, dans le cas de patients venant en thérapie, ne sont guère difficiles à comprendre. La personne souffre d’une difficulté, elle fait relativement confiance, à tort ou à raison, à la compétence de son thérapeute pour la résoudre et, si elle sent que celui-ci cherche à lui faire « découvrir » quelque chose, elle s’empressera souvent d’essayer de le lui fournir, tout simplement parce qu’elle croit que c’est nécessaire et utile pour lui permettre d’aller mieux. Une autre motivation tient probablement au fait que nous aimons comprendre ce qui nous arrive. C’est l’un des aspects de notre besoin de maîtrise. Nous aurons donc tout naturellement envie de croire aux explications que l’on nous donne parce que cela diminue notre sentiment d’incompréhension et d’impuissance. Toutes les théories qui proclament que ce qui nous arrive ne nous arrive pas par hasard tendront donc à satisfaire ce besoin de contrôle1 . C’est ce qui explique notamment qu’il soit si facile de suggérer, involontairement, de faux souvenirs d’événements plus ou moins traumatiques que ce soit par hypnose ou par toute autre technique plus ou moins apparentée. Il suffit que le thérapeute croie à leur existence et à la nécessité d’en prendre conscience pour qu’ils soient involontairement suggérés. Or, dans la conception d’inspiration freudienne, que ce soit en psychanalyse ou dans de nombreux courants plus ou moins dérivés, c’est précisément ce que le thérapeute recherche tout particulièrement : 1. S’il peut être parfois utile au changement que le thérapeute propose une explication des troubles, il s’agirait de veiller à ce qu’une telle explication ne soit pas aggravante. D’autre part, cela n’impose pas au thérapeute d’y croire lui-même comme à une vérité indubitable.
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des événements plus ou moins traumatiques (le plus souvent, de nature sexuelle) mal vécus ou alors des souvenirs refoulés de vécus difficiles (plus ou moins teintés de sexualité, eux aussi) en relation avec les parents ou d’autres personnages significatifs de l’enfance (problématiques œdipiennes, pré-œdipiennes, etc.), voire même des événements « traumatiques » ayant concerné des ancêtres et dont les répercussions « trans-générationnelles » ou « psychogénéalogiques » se poursuivraient encore aujourd’hui. Rien d’étonnant, par conséquent, que ces courants thérapeutiques finissent toujours par « retrouver » le genre de causes qu’ils recherchent et se sentent ainsi confortés dans le sentiment que leur théorie est une fois de plus validée (Melchior, 1986).
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LA
PERSPECTIVE CONSTRUCTIVISTE
Comme nous l’avons vu, à l’inverse de la conception stéthoscopiqueréaliste de l’hypnose et de la thérapie, la perspective constructiviste ouverte par Bernheim et Delbœuf met, quant à elle, l’accent sur le rôle inesquivable de l’influence en psychothérapie : qu’il le veuille ou non, le thérapeute ne peut pas ne pas influencer son patient à un degré ou à un autre1 . Il n’est pas même nécessaire de faire des interprétations pour cela, cette influence s’exerce déjà quand on se borne simplement à poser des questions. Par exemple, demander à un patient phobique comment se passait sa relation avec sa mère revient déjà à lui suggérer implicitement que, tout d’abord, cette relation a un rapport avec ses problèmes phobiques actuels et, ensuite, que puisqu’un tel rapport est probable, sa relation à sa mère a dû comporter des éléments problématiques. Si, en effet, cette relation s’était bien passée, comment diable aurait-elle pu constituer une des sources des problèmes phobiques actuels ? Par de simples questions, le patient se retrouve ainsi facilement embarqué dans une théorie implicite de ses troubles et motivé, comme nous l’avons vu, à en produire la « vérification ». On ne peut pas ne pas influencer, suggérer, ou comme l’énonce l’École de Palo Alto, « On ne peut pas ne pas communiquer » (Watzlawick et al., 1972) : c’est là le principe le plus fondamental de l’approche constructiviste. Une conséquence immédiate de ce principe, c’est qu’en thérapie on ne pourra jamais savoir avec certitude ce qui a pu causer les difficultés pour 1. C’est vraisemblablement la prégnance du modèle monadique de l’individu qui rend si difficile à nombre de thérapeutes de reconnaître toute l’étendue des phénomènes d’influence.
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lesquelles le patient consulte ; on ne pourra pas savoir avec certitude non plus ce qui finalement l’aura aidé à les résoudre. On est, autrement dit, condamné à un certain agnosticisme, et l’humilité minimale exigible d’un thérapeute, c’est de pouvoir le reconnaître. C’est une des raisons pour lesquelles la théorie que Bernheim nous laisse est si limitée : il se borne pour l’essentiel à insister sur le rôle de la suggestion, et cette notion lui suffit. On peut bien comprendre qu’en comparaison à des explications foisonnantes, passionnantes et infiniment séduisantes des théories thérapeutiques d’inspiration freudienne, les amateurs de spéléologie psychique puissent considérer qu’un tel discours est d’une pauvreté affligeante. L’approche constructiviste n’hésite pas à assumer une telle pauvreté : c’est qu’à ses yeux celle-ci permet d’éviter un appauvrissement bien pire encore, celui qui résulte du décodage systématique de la diversité du réel par une théorie inévitablement simplificatrice et réductrice qui ramènera inlassablement cette diversité à un système d’explication unique, que celui-ci s’appelle « traumatisme sexuel », « complexe d’Œdipe », « protestation virile », « traumatisme de la naissance », « stase de la libido », « pulsion de mort », « archétypes », « cuirasse caractérielle », « nom-du-père », « secrets de famille » ou « traumatismes transgénérationnels ». C’est contre un tel réductionnisme qu’Erickson insistait quand il répétait que « chaque patient est unique » et qu’il ne fallait pas le raboter en le couchant sur le lit de Procuste d’une théorie quelle qu’elle soit. Est-ce à dire pour autant que le thérapeute travaillant dans une perspective constructiviste travaillerait sans aucune hypothèse préalable ? Non. L’une de ses convictions est que, s’il est vrai que l’on ne peut pas ne pas influencer, l’influence que l’on exerce peut-être plus ou moins favorable au changement souhaité. On peut influencer pour le meilleur comme pour le pire. À cet égard, il existe un facteur de changement thérapeutique tout à fait général mais extrêmement puissant : il s’agit simplement de l’expectation positive du changement. Si le thérapeute s’attend à ce que le patient puisse réaliser des changements thérapeutiques, ceux-ci auront plus de probabilités de se réaliser. En revanche, s’il est persuadé que ce changement sera extrêmement difficile, aléatoire ou qu’il prendra un temps considérable, sa croyance fonctionnera comme une suggestion aggravante. C’est ce principe qui peut justifier l’expression « thérapie brève » : une thérapie brève n’est pas une thérapie qui sera obligatoirement rapide. Ce n’est pas une thérapie dans laquelle le thérapeute est pressé, ce n’est pas une thérapie dans laquelle il faudrait que le patient aille mieux le plus vite possible, ce qui ne ferait d’ailleurs qu’aggraver les
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choses. C’est une thérapie dans laquelle le thérapeute a confiance dans le fait que les changements thérapeutiques peuvent se produire relativement rapidement, parfois même très rapidement (et que ce n’est pas parce qu’ils se produisent rapidement qu’ils ne seront pas durables). Si le thérapeute bref croit à quelque chose c’est au changement, pourrait-on dire, ce en quoi il est disciple d’Héraclite : tout change tout le temps, même si l’on ne s’en aperçoit pas toujours, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Cette attitude d’expectation positive du changement n’est au fond qu’un cas particulier d’un principe plus général, celui selon lequel en thérapie l’imaginaire joue un rôle essentiel. Bien sûr les partisans de la conception réaliste de la thérapie ne manqueront sans doute pas de faire remarquer qu’en psychanalyse et dans nombre de courants thérapeutiques dérivés on accorde également une grande importance à l’imaginaire, aux rêves, aux fantasmes, etc. Il y a cependant une différence fondamentale. Dans la perspective réaliste, si l’on prend en compte les productions imaginaires, c’est avant tout pour les interpréter, autrement dit, pour accéder à leur sens inconscient supposé. Dans cette optique, l’imaginaire n’est digne d’intérêt que parce qu’il est le déguisement de la mémoire et c’est fondamentalement à la mémoire, plus précisément à la mémoire refoulée (ou plutôt à ce que l’on suppose être refoulé), que l’on s’intéresse. Dans la perspective constructiviste, au contraire, rien de tel. Comme nous l’avons vu, on y renonce à déterminer la cause, l’origine, la source des difficultés présentes en reconnaissant, avec humilité, qu’une telle détermination est tout simplement impossible outre le fait qu’elle n’est nullement indispensable. Si l’on s’intéresse à l’imaginaire c’est, d’une part, parce que l’on est conscient du fait que dans une interaction humaine les croyances de l’un ont des effets sur les croyances de l’autre et, d’autre part, parce que l’on pense que la manière dont nous voyons les choses est déterminante dans la façon dont nous les ressentons et dans la façon dont nous allons y réagir. À cet égard, la conception constructiviste de la thérapie est encore l’héritière de la philosophie grecque : Aristote, les Stoïciens et les Épicuriens, les rhéteurs, entre autres, disaient déjà que ce ne sont pas tant les choses qui nous affectent mais l’opinion que l’on s’en fait, la façon dont on se les représente, ce que l’on croit, ce que l’on imagine a leur sujet. Favoriser une autre manière de voir les choses pour favoriser d’autres manières de les ressentir, d’autres manières d’y réagir constitueront donc un moyen essentiel de favoriser le changement thérapeutique. Ces nouvelles manières de voir ne seront pas considérées comme plus « vraies ». Comme l’écrivait déjà Protagoras :
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« Celui qui pense sous l’effet d’un état pénible de son âme des choses tout aussi pénibles, on lui fait penser d’autres choses, des pensées que certains, par manque d’expérience, appellent vraies, mais que j’appelle, moi, meilleures que les autres, en rien plus vraies. »
C’est là ce qui justifie l’usage de ce que Bernheim appelait « suggestion » et de ce que, dans un sens voisin, l’École de Palo Alto appelle « recadrage » : on aide le patient à adopter de nouvelles façons de voir les choses susceptibles de l’aider. On pourrait dire qu’à cet égard le thérapeute constructiviste assume le rôle modeste de grossiste en croyances alternatives, pas plus vraies que les précédentes, simplement potentiellement meilleures. Mais l’humble profession de fournisseur en croyances alternatives exige un certain art. Pour que le patient adopte une croyance susceptible de l’aider, il faut de préférence que le thérapeute ait quelque idée des effets potentiels des croyances. Il peut y avoir des croyances aggravantes, par exemple, celles qui impliquent que le changement sera très difficile ou qui estiment qu’il faut à tout prix que le patient explore longuement son passé pour y dénicher des événements plus ou moins traumatiques ou, en tout cas, difficultueux, afin de pouvoir aller mieux. Dans la perspective constructiviste, plutôt que de suggérer qu’il faille nécessairement explorer en long et en large le passé du patient pour permettre la résolution des difficultés, on se centrera au contraire principalement sur le présent (et les cercles vicieux qu’il peut comporter) et sur la construction d’un futur thérapeutique : comment les choses se passeront-elles quand ça ira mieux ? Qu’y aura-t-il de différent dans les façons de faire dans telles ou telles situations ? Et quand occasionnellement on se tournera vers le passé, ce sera souvent préférentiellement pour aider le patient à détecter comment il a pu autrefois se débrouiller dans des situations analogues. Plutôt que de l’aider à trouver des causes à ses problèmes à résoudre, on cherchera plutôt à l’aider à trouver des moyens pour favoriser des solutions. On cherchera à évoquer des ressources, c’est-à-dire, des choses qui aident, plutôt que des lacunes, des manques, des insuffisances supposées être causes de difficultés. Tout simplement parce que l’on considère que le changement est évidemment rendu plus facile par l’évocation de facteurs qui le favorisent que par celle de facteurs qui le défavorisent. Et il est, à tout prendre, moins grave et plus utile de risquer de favoriser des faux souvenirs d’événements ressources que des faux souvenirs d’événements traumatiques. De tels souvenirs d’événements ressources peuvent en effet rendre plus crédible l’idée qu’un changement thérapeutique est possible en accréditant celle que les capacités pour le mener à bien sont déjà disponibles.
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Accréditer l’idée que les facteurs favorables au changement thérapeutique sont d’ores et déjà présents et agissants ne suffit cependant pas toujours. Discréditer les facteurs entravant ce changement peut également être utile. C’est, par exemple, la voie que pratique la thérapie provocative de Frank Farrelly : en incarnant de manière caricaturale la partie du patient qui doute des possibilités de changement ou qui tient une position excessivement critique par rapport à ses ressources, le thérapeute en favorise la déligitimation et aide ainsi le patient à l’affaiblir. C’est en somme une des manières d’externaliser (et donc de déligitimer) la partie du patient qui crée la souffrance. Une autre manière de le faire est de procéder à l’externalisation du symptôme à la façon des thérapeutes narrativistes (Michael White, David Epston). Mais il est un autre aspect du métier de fournisseur en croyances alternatives qui requiert un certain art : car une chose est de proposer une manière de voir, autre chose est que le patient puisse l’adopter. Or il ne l’adoptera que si elle peut s’intégrer suffisamment à son système de croyances. Il s’agira donc de commencer par le détecter suffisamment pour pouvoir s’y adapter. C’est la raison pour laquelle Erickson insiste si souvent sur le fait que chaque patient est unique et qu’il s’agit de parler le langage de ce patient-là, celui qui est avec nous en séance, sans vouloir imposer un langage unique à tous. Les manières de voir qui pourront convenir à un ingénieur informaticien très rationnel, soucieux d’efficacité et un brin obsessionnel, ne seront généralement pas celles qui conviendront à une retraitée pudibonde, timide et férue de religion ou à un jeune lycéen rebelle, passionné de « techno ». En tout cas, il s’agira que ces croyances soient « emballées », mises en forme de manière très différente dans chaque cas, pour qu’elles aient quelques chances d’être envisagées favorablement par leur destinataire. C’est peut-être ce qui manquait le plus dans la suggestion telle que la pratiquait Bernheim, encore qu’il pouvait se montrer subtil à l’occasion. Trop souvent son usage de la suggestion reposait sur un style autoritaire avec une attaque directe des symptômes. Ce que nous enseigne Erickson, ce n’est pas d’affronter mais d’utiliser les croyances du patient. Ce qui revient à faire du judo avec elles plutôt que de vouloir les dominer (ou les « interpréter »). Par ailleurs, les courants fonctionnant selon le paradigme réaliste ont conféré un statut tout à fait privilégié à la parole et corrélativement à l’écoute en thérapie. L’acte n’y est pensé que sous les espèces relativement négatives du passage à l’acte. C’est probablement là une conséquence de l’usage immodéré du schéma de l’arc réflexe dans les conceptions psychiatriques du XIXe siècle (Gauchet, 1992), schéma
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qui domine notamment le modèle neuronique élaboré par Freud dans son Esquisse d’une psychologie scientifique (accompagnant une lettre à W. Fliess du 8/10/1895)1 et dont l’essentiel sera repris dans le chapitre théorique de l’Interprétation des rêves en 1900. Dans ce modèle, l’action (l’extension de la jambe, par exemple) est en bout de course et ne rétroagit sur rien. En conséquence, il est, dans la perspective psychanalytique, impossible de concevoir que nos actes soient autre chose qu’un simple épiphénomène de nos pensées et de nos affects. Or, bien au contraire, tout incite à penser que nos actes ont des effets en retour sur notre manière de voir et de ressentir. C’est en forgeant que l’on devient forgeron, dit le proverbe, mais on pourrait ajouter aussi que c’est en voulant tout éviter que l’on devient phobique ou en voulant tout contrôler que l’on devient obsessionnel. La manière dont nous nous façonnons par nos actes peut donc être aggravante, mais elle peut aussi favoriser les changements souhaités. Le thérapeute constructiviste proposera donc tout naturellement au patient des tâches, des exercices thérapeutiques destinés à l’aider à adopter d’autres patterns de fonctionnement. Experientia docet, l’expérience enseigne et elle enseigne souvent bien plus puissamment que nombre de discours qui, comme on dit, risquent souvent d’entrer par une oreille pour sortir par l’autre.
C ONCLUSION Il y a sans doute bien des façons d’aider une personne à sortir de ses difficultés. Tous les courants thérapeutiques peuvent se prévaloir d’un certain nombre de succès dans cette tâche. Ces succès tiennent fondamentalement à des manières de proposer directement ou indirectement de nouvelles significations capables de modifier la manière dont la personne se rapporte à elle-même, à autrui et au monde. Mais l’erreur la plus fréquemment commise en thérapie est celle qui consiste à croire que si le patient va mieux, c’est parce que les significations proposées étaient « plus vraies ». Cette erreur est comparable à celle qui reviendrait à penser que si un malade va mieux après qu’on lui a prescrit un placebo, cela tiendrait réellement aux propriétés du sucre ou de la mie de pain 1. La référence à l’arc réflexe est explicite dans les tout premiers paragraphes de ce manuscrit : « Le mouvement réflexe s’explique ainsi : c’est un moyen de décharge de ces quantités [d’excitation] et le principe d’inertie nous en donne le motif » (Freud, 1895). Témoignage de sa forte prégnance dans le champ psy, l’arc réflexe servira aussi de paradigme au behaviorisme puisque la notion pavlovienne de « réflexe conditionné » en dérive également.
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contenus dans le médicament. Ou encore, que si le patient va mieux après qu’un sorcier africain l’a débarrassé d’un esprit malfaisant, un tel esprit existait réellement et que c’était bien lui qui provoquait de la souffrance. Cette erreur – l’erreur « réaliste » – a comme fâcheuse conséquence d’entraîner le dogmatisme et le sectarisme du thérapeute qui croira, dès lors, aux articles de foi de son École de référence comme à une religion. Il risque d’en résulter d’une part un fort degré d’autoritarisme1 (le patient est prié d’adhérer aux croyances proposées et s’il ne le fait pas, c’est qu’il « résiste »). Elle a comme autre conséquence, tout aussi fâcheuse, de brider la créativité du thérapeute. Si celui-ci croit en effet qu’il s’agit de retrouver un certain type de causes pour que le patient aille mieux, il s’évertuera encore et encore à les rechercher chez tous ses patients. La perspective constructiviste peut certes paraître plus inconfortable voire anxiogène : s’il ne s’agit pas de retrouver les vraies causes des difficultés du patient, que faire avec lui ? Mais elle a au moins l’avantage de donner au thérapeute une liberté considérable, lui permettant de s’adapter aux particularités de chaque patient, en s’appuyant simplement sur une théorie minimaliste, délibérément sobre, constituée d’un petit nombre de principes très généraux dont nous avons brièvement évoqué quelques exemples.
1. On a pu reprocher à Bernheim un style autoritaire dans sa manière de pratiquer la thérapie. Mais s’il pratiquait effectivement un autoritarisme de pouvoir, celui-ci avait au moins le mérite d’être clair. Les courants stéthoscopiques-réalistes pratiquent quant à eux une herméneutique qui revient à un intense autoritarisme de savoir (ils croient savoir d’avance ce qu’il faut « retrouver ») plus pernicieux encore parce qu’il est occulte (Melchior, 1995).
Chapitre 3
L’HYPNOANALYSE Édouard Collot
’ USAGE , depuis de nombreuses années, d’une pratique de psychothérapie procédant de la psychanalyse d’inspiration freudienne puis jungienne, enfin enrichie par l’introduction de la composante hypnoïde comme élément de la règle fondamentale, m’invite à exprimer les raisons techniques et théoriques qui fondent l’intérêt de l’hypnoanalyse. Revalorisée en France par Léon Chertok et Jacques Palaci, l’hypnoanalyse s’inscrit dans la mouvance d’un courant américain issu du XIXe siècle, influencé par Morton Prince. Actuellement soutenues par de nombreux courants dont les représentants sont entre autres Duncan McColl, Daniel Brown, Erika Fromm, Lewis Wolberg, les Écoles anglo-saxonnes s’articulent globalement davantage autour de la suggestion que la technique que je propose ici. La terminologie, plus particulièrement en Amérique, ne distingue pas toujours les techniques hypnosuggestives, auxquelles appartiennent l’hypnocomportementalisme, l’hypnocognitivisme et le courant d’hypnothérapie ericksonnienne. Dans l’ensemble, ces techniques reposent sur la mise en œuvre de stratégies, initiées par le thérapeute selon l’hypothèse théorique de référence, et agies pendant la séance, conjointement par le patient et le thérapeute. Il y a donc, contrairement aux techniques d’hypnosuggestion du XIXe siècle, une différence fondamentale : il n’y a pas manipulation du patient, mais projet conjoint de réussite. D’autres praticiens, dans la lignée de Woolger, travaillent essentiellement avec des
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L
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techniques proposant une régression d’âge. Quelle que soit l’hypothèse qui les sous-tend, elles n’ont rien en commun avec l’hypnoanalyse. La régression constatée dans l’hypnoanalyse est du même ordre que celle constatée en psychanalyse, régression au sens freudien, ontogénique et temporelle, c’est-à-dire, régression formelle telle que Freud l’a définie. Cette régression n’est pas induite, elle correspond au mouvement spontané et non provoqué qui génère un mode primaire, archaïque, de fonctionnement mental. D’une manière générale, il est indispensable de s’en référer à l’histoire de l’hypnotisme pour comprendre non seulement l’hypnothérapie, mais aussi nombre de concepts majeurs du champ des psychothérapies. À titre d’exemple, les entretiens du marquis A.M.J. Chastenet de Puységur avec son jeune patient Victor publié en 1784 et récemment republié (Puysegur, 1784-85), préfigurent les concepts de transfert et d’alliance thérapeutique. Je renvoie aussi le lecteur intéressé à l’article Hypnose et Hypnothérapie paru dans l’Encyclopédie Médico-Chirurgicale (Collot, 2002), et à l’excellent ouvrage d’Ellenberger (1974).
L’ ENJEU
DE L’ HYPNOANALYSE
Il me paraît d’emblée indispensable d’expliquer les enjeux fondamentaux relatifs aux objectifs que j’assigne à toute démarche psychothérapeutique, lesquels m’invitent à pratiquer électivement, sinon systématiquement, cette forme de psychothérapie. La psychanalyse que je pratique se propose d’atteindre deux objectifs indissociables que je pourrais résumer ainsi : d’une part la dissipation du malaise existentiel visant à instaurer ou restaurer un mieux être via la résolution des conflits psychiques, en prenant à témoin les symptômes psychiques, physiques... et d’autre part, l’accession à l’épanouissement personnel, indissociable du concept d’individuation jungien. Autrement dit, le Moi ne peut accéder au Soi universel qu’après avoir pris connaissance, accepté et traversé la partie que Jung nomme l’Ombre, cette partie comprenant le refoulé freudien, l’univers pulsionnel et la face obscure des archétypes tels qu’ils sont inscrits en tant que formes vides à la naissance. Il s’agit, par conséquent, de retenir que la démarche est une démarche de soin psychique et physique, l’un étant en résonance avec l’autre. Il me faut ajouter à cela un corollaire : l’absolu indispensable d’une syntonisation de la pratique à l’Objet. Or la pratique reposant, comme chacun sait, sur la capacité à écouter et recevoir l’autre dans son monde intérieur, la première exigence de la technique repose sur la disponibilité
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L’ HYPNOANALYSE
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de l’écoutant, la qualité de son univers interne. Plus ce dernier est riche, plus son espace interne est vaste et plus l’autre pourra se retrouver, s’inscrire et opérer des prises de conscience et des changements en lui-même. Tout se passe, en effet, comme si le thérapeute offrait sine die sa propre expérience de traversée de l’Ombre proposant ainsi, à celui qui s’inscrit en lui, la perspective de résolution de problèmes. Être thérapeute, c’est montrer le chemin. La théorie n’est à ce point qu’un outil de réflexion pour adapter, si nécessaire, la pratique au cas par cas. Elle ne doit pas être plaquée sur l’Objet. Elle ne doit pas précéder la démarche, mais l’accompagner. Comme l’aime à dire de l’accompagnement notre collègue Gaston Brosseau : c’est un pas de deux. J’aime cette métaphore qui nous rappelle que la psychothérapie est avant tout un art. Il existe à côté de la méthode un savoir-faire, et pour faire un mauvais je de mots, un sacré savoir comme Jung nous l’a si savamment proposé ! Comme telle, la psychothérapie requiert du praticien d’être intrinsèquement en possession de techniques, sous-tendues par un ensemble théorique, et de surcroît, elle exige aussi de l’empathie, ce qui à mon sens doit se substituer à la règle de neutralité. L’empathie, c’est l’art d’accompagner sans précéder, c’est se donner à l’autre dans le mouvement de l’âme. Après la résolution de la névrose de transfert, ce qui correspondrait dans la terminologie jungienne à l’intégration de l’Animus et de l’Anima (et à la fin de l’analyse), la question fondamentale de toute vie est la quête de sens. Cette quête de sens peut trouver réponse dans le silence et l’exploration des abysses de la Conscience, car il ne saurait y avoir d’autre Réalité que la Réalité intérieure. L’ouverture de conscience dont la personne à fait l’expérience durant l’hypnoanalyse s’avère alors d’une grande aide. Le lecteur intéressé par l’après thérapie pourra consulter le chapitre III de Peut-on penser l’Astrologie, science ou voyance (Collot, Kunth, 2000). Ceci posé, quelle serait la place de l’hypnose dans ce projet ?
LA
THÉORIE
De la sidération à l’état hypnoïde Avant d’aborder la question de savoir pourquoi l’hypnose est un complément remarquable de la règle fondamentale, il nous faut éclaircir nos connaissances sur la fameuse question de l’oubli ou de l’abandon de l’hypnose par le courant psychanalytique, à quelques exceptions près que nous citerons. Il faut dissiper un premier malentendu : l’hypnose, ou plutôt ce qui fut nommé comme tel au XIXe siècle, n’est qu’une
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manifestation transitoire d’un registre de communication du vivant qui ne cesse d’évoluer dans le temps. Il existe d’évidence de l’hypnose à la psychanalyse une filiation, nonobstant le malaise suscité à cette évocation dans les milieux psychanalytiques. L’objectif est ici de montrer sans artifice et surtout sans parti pris, à la lumière des faits issus d’une pratique, quelle fut la dynamique à l’origine de l’émergence de la psychanalyse, à partir de la pratique de l’hypnose. Enfin, je montrerai comment il existe des composantes actives propres à l’hypnose dans toute psychanalyse, notamment freudienne et jungienne, ce qui place en toute logique la psychanalyse comme possédant intrinsèquement un registre hypnotique, que le praticien le considère ou non : il est alors dans ce cas comme M. Jourdain, faisant de la prose sans le savoir... Dans la perspective de comprendre l’Objet en le replaçant dans son contexte phylogénétique, il convient également de situer l’hypnose dans la tradition du soin. L’hypnose, ne nous en déplaise, appartient au vaste ensemble des transes, dont elle partage certaines composantes. Ce qui fut nommé hypnose par James Braid, ou hypnosuggestion par Breuer, n’est que la manifestation d’un mode de communication, à un moment donné de l’histoire phylogénétique. L’hypnose, sortie du fond des âges, emprunte l’allure des transes cathartiques, puis après une évolution spectaculaire au XVIIIe siècle, devient ce qui pourrait être nommé, afin de l’en différencier, état hypnoïde. Voilà ce qu’il subsiste dans certaines de nos psychothérapies, parfois à notre insu : un état hypnoïde. Il est la résultante de la longue histoire de l’évolution de la communication au sein du vivant qui nous porte de l’obscurité à la lumière, de l’obscurantisme à la connaissance et du comportement groupal à l’individualité. L’état hypnoïde provoque une hyper conscience de soi et des autres à travers soi. L’hypnose avatar de la transe Rappelons rapidement que se fait jour une forme de psychothérapie dès le XIVe siècle. Jean Cauvin, dit Jean Calvin, instaure un statut particulier pour certains ministres du culte, chargés de réaliser des cures d’âme. Il s’agit alors de résoudre, avec le fidèle et sous couvert de Dieu, les affres des conflits psychiques. Rappelons encore que Mesmer opère un tournant décisif : avant la mise en place de la pratique magnétique, le choix se situait entre la médecine qui soignait le corps et la religion
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qui soignait l’âme1 . La pratique magnétique met non seulement fin à cette dualité, mais inaugure une pratique de soin de l’esprit en dehors du contexte religieux. Enfin, le marquis de Puységur inaugure une forme de talking cure, ancêtre primitif de la cure de parole ainsi nommé par Anna O., la fameuse patiente de Freud2 . Freud, l’hypnose et la psychanalyse : du pourquoi et du comment L’émergence de la psychanalyse naît dans la pensée freudienne pour deux raisons distinctes. L’une est d’un ordre très intime, liée au malêtre de Freud, l’autre est directement en lien avec l’hypnotisme du XIXe siècle. À la question du pourquoi, Freud nous donne une réponse académique :
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« La psychanalyse est née d’une nécessité d’ordre médical. Elle trouve son origine dans le besoin d’aider les victimes des maladies nerveuses pour lesquelles le repos, l’hydropathie et le traitement électrique n’étaient d’aucun secours. »
Toutefois, Freud expose, à plusieurs reprises, une certaine fragilité psychologique dont il est probable qu’elle fut une forte motivation à l’origine de ses interrogations et recherches. Dans les lettres adressées à sa future épouse, écrites à Paris en 1886, Freud parle de sa tendance « à la neurasthénie », et manifeste une certaine tendance à la phobie sociale, dirait-on aujourd’hui, qu’il soigne avec de la cocaïne, très en vogue à l’époque. Théodore Reik rapporte que Freud « n’éprouvait pas de grande sympathie pour la profession de médecin... » (Reik, 1948, p. 25), puis il ajoute avoir découvert à l’occasion d’une sortie inopinée avec Freud, vers 1928, ce qu’il estime être l’indice de la vraie raison pour « l’obliger à descendre dans l’enfer des névroses ». Freud lui dit en effet : « Vous voyez, c’est une survivance de cette vielle agoraphobie qui m’a beaucoup tourmenté lorsque j’étais plus jeune. »
Bien que l’intimité de Freud échappe à ses amis, beaucoup s’accordent à reconnaître en lui un esprit dépressif, obsessif, très superstitieux et tourmenté. 1. Consulter, à ce propos, les commentaires sur la pratique de l’exorciste, le révérant Gassner. 2. Bertha Pappenheim était une amie de Martha, la future épouse de Freud.
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Pour répondre à la question du comment, il nous faut retracer le parcours du jeune Freud. Médecin non convaincu, il le dit lui-même à plusieurs reprises, il cherche sa voie, ce qui n’est pas étranger à son séjour parisien. L’utilisation de la méthode suggestive hypnocathartique provoquant l’abréaction1 selon Joseph Breuer (1881) l’a conduit à une certaine frustration par rapport à l’effet temporaire des améliorations. Toutefois, Freud fut incité à attribuer la naissance de la psychanalyse à la rencontre historique de Breuer et « Anna O. » et aux échanges suscités par ce traitement entre Breuer et son jeune protégé, en particulier durant l’été 1883. Breuer soutint, à juste titre, vers 1905, que le traitement de Bertha Pappenheim contenait « en germe la psychanalyse tout entière » (Barea, 1966, p. 244-145). Mais arrêtons-nous un instant sur le traitement instauré par la patiente elle-même : « Breuer venait la voir tous les soirs lorsqu’elle se trouvait dans un état de semi-hypnose qu’elle avait elle-même induit. Elle racontait des histoires, tristes et parfois charmantes ; et ils découvraient ensemble que de parler
1. Abréaction : Terme utilisé en psychiatrie et en psychothérapie et qui traduit l’allemand Abreagiren, mot inconnu sans doute avant Breuer et Freud. Dans le sens le plus général, l’abréaction désigne toute décharge émotionnelle qui permet à un sujet d’extérioriser un affect lié à un souvenir traumatique et, en conséquence, de se libérer de son poids pathogène. Parfois, le malade « abréagit » spontanément (abréaction spontanée ou accidentelle), par exemple lorsque l’événement traumatique est récent. Le thérapeute peut, notamment, provoquer l’abréaction par l’hypnose (abréaction provoquée ou secondaire). L’effet produit est appelé catharsis (purification, purgation). C’est entre 1880 et 1895 que la méthode thérapeutique dite cathartique fut employée par Breuer et Freud. Selon eux, « si les représentations devenues pathogènes maintiennent leur activité dans toute leur fraîcheur et sont toujours aussi chargées d’émotion, c’est parce que l’usure normale due à une abréaction et à une reproduction où les associations libres ne seraient pas gênées leur est interdite » (Étude sur l’hystérie, 1895). Dans la mesure où Freud prit de plus en plus en considération les phénomènes de résistance, de transfert et les processus de travail psychologique, il négligea l’effet cathartique lié à l’abréaction. Cependant, toute cure psychanalytique contient, à des degrés variables, selon les sujets et la structure à laquelle ils appartiennent, des manifestations de décharge émotionnelle. Des psychiatres non psychanalystes ont cherché à provoquer des effets semblables à ceux qu’obtenaient Breuer et Freud par l’hypnose, en employant des agents chimiques variés : ainsi, H. Claude proposa l’éthérisation chez les déments précoces ; H. Baruk, la scopochloralose chez les hystériques ; J. Delay, le choc amphétaminique chez les schizophrènes. La subnarcose aux barbituriques (narco-analyse sous divers noms) est toujours employée, mais tout autant controversée. L’interprétation des résultats est délicate ; comment apprécier la part de la « manipulation » psychologique exercée sur un patient semi-inconscient ? C’est, entre autres raisons, parce qu’il redoutait les effets de la suggestion que Freud abandonna la technique d’hypnosuggestion. Qui plus est, les troubles peuvent fort bien se déplacer pour ressurgir ailleurs.
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librement dissipait au moins temporairement ses symptômes. Elle nomma elle-même cette collaboration entre patiente douée et médecin attentif, “cure de parole” ou avec humour “ramonage de cheminée”. » (Gay, 1991, p. 78)
La pratique de l’hypnosuggestion ouvre à Freud différentes voies de recherches, qui trouveront un achèvement ultérieur. Ainsi, suspecte-t-il chez certains patients lors de transes hypnotiques la survenue de fantasmes érotiques comme composante psychique, observation anticipant le concept de transfert. Il reste de l’expérience de l’hypnose très convaincu de la nécessité de laisser place à l’expression affective plutôt que cognitive, ce qu’il évoque, dès 1892, dans « Communication préliminaire des Études sur l’hystérie » :
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« La remémoration dénuée d’affect (affekloses erinnern) est presque toujours sans effet ; le processus psychique qui avait surgi originellement doit être répété de façon aussi vivante que possible (lebhaft... wiederholt), remis au stadum nascendi et alors “verbalisé” ».
C’est en 1892 qu’il inaugure la méthode de remémoration consciente, ou des associations libres, technique progressivement épurée de tout élément suggestif jusqu’à abandon de l’hypnosuggestion vers 1896 au profit de ce que nous nommons aujourd’hui état hypnoïde, facilitateur du revécu. Force est de constater, à partir de l’expérience clinique de la cure type et de l’hypnothérapie d’inspiration analytique, qu’il n’existe de véritable analyse que lorsque l’analysé est capable de régression formelle au sens freudien : il est alors capable, dans cet état spécifique et essentiellement dans cet état, de laisser libre cours à un mode de pensée associatif. Il ne saurait y avoir d’analyse sans régression formelle (structurale) et sans pensée associative : en particulier, toute pensée rationalisante engendre une cérébralisation du discours qui devient une construction défensive qui s’oppose franchement au processus analytique. À ce propos, Freud cite une lettre de Schiller à Körner, son ami se plaignant d’une faible fécondité littéraire : « Il me semble, écrit Schiller, que la racine du mal est dans la contrainte que ton intelligence impose à ton imagination. Je ne puis exprimer ma pensée que par métaphore .../... Dans un cerveau créateur tout se passe comme si l’intelligence avait retiré la garde qui veille aux portes... » (Freud, 1900b, p. 96)
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L’état de régression formelle freudien (somation de la régression ontogénique et temporelle), qui facilite le fameux « palper de l’inconscient » est précisément l’état hypnoïde requis dans tout processus d’hypnothérapie contemporaine : il s’agit de la manifestation la plus directe de la dissociation, dissociation spontanée à différencier de la dissociation associée au refoulement, ou de la dissociation psychotique, ce qui ressort clairement de la consultation des échanges entre Freud et Morton Prince. Freud abandonne l’hypnosuggestion, il conserve sans le savoir une forme d’hypnose auto-induite, grâce à la prescription de la règle formelle. Voici ce qu’il dit à ce propos : « La méthode exige une certaine préparation du malade. Il faut obtenir de lui à la fois une plus grande attention à ses perceptions psychiques et la suppression de la critique, qui ordinairement passe au crible les idées qui surgissent dans la conscience. Pour qu’il puisse observer et se recueillir, il est bon de le mettre dans une position de repos, les yeux fermés ; pour qu’il élimine toute critique, il est indispensable de faire des recommandations formelles. On lui explique que le succès de la psychanalyse en dépend : il faut qu’il observe et communique tout ce qui lui vient à l’esprit (...) Au cours de mes travaux de psychanalyse, j’ai observé que l’attitude psychique d’un homme qui réfléchit est très différente de celle d’un homme qui observe ses propres réflexions (...) Comme on le voit, il s’agit, en somme, de reconstituer un état psychique qui présente une analogie avec l’état intermédiaire entre la veille et le sommeil et sans doute aussi avec l’état hypnotique, au point de vue de la répartition de l’énergie psychique (de l’attention mobile). Les représentations non voulues qui surgissent se transforment en images visuelles et auditives (...) Les représentations “non voulues” deviennent ainsi “voulues”. » (ibid. p. 94-95)
Dans Le Petit abrégé de la psychanalyse publié en 1924, nous pouvons lire : « On ne surestimera jamais trop l’importance de l’hypnotisme dans la genèse de la psychanalyse. D’un point de vue théorique comme d’un point de vue thérapeutique, la psychanalyse gère un héritage qu’elle a reçu de l’hypnotisme (...) Le pas le plus lourd de conséquence fut bien sa décision (de Freud) de renoncer à l’auxiliaire technique de l’hypnose...(...) Freud s’avisa alors de mettre à sa place la méthode de libre association, c’est-à-dire qu’il fit obligation aux malades de renoncer à toute réflexion consciente et de s’abandonner, dans une concentration paisible, à la poursuite de leurs idées spontanées (non voulues) (“de palper la surface de leur conscience”). » (ibid. p. 99, 101)
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Dans une contribution lors d’un colloque à Cerisy, J. Palaci précise la question de l’auto induction d’une transe hypnotique légère, c’est-à-dire, d’un état hypnoïde dans la cure : « L’association libre, en dehors du caractère particulier de communication, implique le renoncement relatif à une parole par rapport à l’autre (une régression volontaire), qui peut trouver son origine dans le renoncement au contrôle du conscient qui a lieu dans l’état hypnotique – ancêtre primitif de l’association libre. De même que celle-ci, il a pour but d’activer le processus primaire de fonctionnement mental, de provoquer une forme de clivage de la personne, de plus, de favoriser une relation d’objet précoce (une sorte de relation symbiotique, fusionnelle), de même qu’une remémoration plus ancienne avec la mobilisation d’affects premiers, tout ceci dans le contexte de phénomènes transférentiels variés. » (Palaci, 1991, p. 219-30)
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Enfin, il faut ajouter que Freud fait rapidement l’expérience de la dyade thérapeute-patient dans les techniques introduisant la dissociation/régression. Ainsi écrit-il : « L’expérience montra rapidement que le médecin analysant se comporte ici de la façon la plus adéquate s’il s’abandonne lui-même, dans un état d’attention uniformément flottante, à sa propre activité mentale inconsciente, évite le plus possible de réfléchir et d’élaborer des attentes conscientes, ne veut, de ce qu’il a entendu, rien fixer en particulier dans sa mémoire et capte de la sorte l’inconscient du patient avec son propre inconscient. On remarqua alors, quand les circonstances n’étaient pas in trop défavorables, que les idées subites du patient avançaient par tâtonnements, en quelque sorte comme des allusions vers un thème donné, et que l’on n’eut plus soi-même qu’à oser un pas de plus en avant pour deviner et pouvoir communiquer au patient ce qui lui était à lui-même caché. Certes, ce travail d’interprétation... » (« La psychanalyse, art de l’interprétation », in Freud, 1900b, p. 56)
Palaci insiste sur le concept « d’empathie-introspective » et considère à la lumière de la théorie des transferts narcissiques qu’il est permis de supposer à propos de la nature de la relation hypnotique : « Qu’il s’agit là d’un processus de réactivation de la relation d’objet narcissique préœdipienne, d’une déstructuration partielle où les limites psychiques entre le sujet et l’autre (l’objet) se confondent. Il est compréhensible que cet état premier, fusionnel, symbiotique où l’on est pris en charge par l’autre représente un attrait (du fait qu’il gratifie un désir inconscient), de même qu’une menace pour le sujet de la perte de son identité (autonomie). » (ibid)
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Il n’est pas nécessaire d’insister davantage sur la filiation de la psychanalyse freudienne et de l’hypnose. L’hypnose, quelle que soit la manière de la nommer, est du point de vue de la relation, un transfert. Dans toutes les techniques faisant appel à la dissociation et à la régression structurale, qu’il s’agisse de développement personnel ou de psychothérapie, voire de tradithérapie, il existe un « champ transférentiel » une dyade où objet et sujet se fondent. C’est à l’intérieur de cette « alliance thérapeutique » en dehors des limites du réel, en dehors de l’espace-temps conventionnel que se joue alors une restructuration psychologique. Cela ne peut manquer d’interroger l’ensemble du champ de la psychothérapie occidentale, à une époque où beaucoup de thérapeutes s’interrogent sur la nature fondamentale du facteur soignant. Comment expliquer, en effet, que les tradithérapeutes, c’est-à-dire les thérapeutes ayant recours à des techniques de soins traditionnelles et ancestrales, de cultures diverses (Shamans de Sibérie, d’Amazonie, d’Afrique, d’Asie...), partagent une capacité soignante tout à fait réelle sur le corps et l’esprit ? Comment ce fait-il qu’Amant-Marie-Jacques Chastenet, marquis de Pyuségur guérissait, tout comme Messmer ou le révérend Gassner, nombre de patients ? Le constat d’un pôle commun, d’un dénominateur commun à l’ensemble de ces techniques ne peut pas ne pas nous interpeller. Or l’un des dénominateurs est bien le phénomène de dissociation qui accompagne toutes formes de transe, état hypnoïde compris. « Lors des consultations thérapeutiques et au cours des nombreux rituels d’installation des génies, une relation interpersonnelle très particulière s’établit peu à peu entre le maître des esprits et le néophyte. Celle-ci repose principalement sur l’infralangagier et l’empathie. La communication émane de l’entrecroisement de deux vécus émotionnels marqués de manière identique par l’expérience de l’invisible. Le statut symbolique de « guérisseur blessé » (selon le concept de Carl Gustav Jung) du fundi joue un rôle clé dans le rapport subjectif qui se noue. Si dans la cure psychanalytique le praticien porte une grande attention à la parole du patient (y compris ses lapsus, ses silences, etc.), le fundi témoigne d’une vigilance similaire mais sur l’ensemble du corps parlant. Les réactions physiques du néophyte, ses rêves, ses brusques expressions affectives, ses manières d’être dans un nouvel environnement, ou encore son expérience des phénomènes de synchronicité sont autant de signes dont le chef de culte tient compte à partir de son propre parcours initiatique. L’efficacité des rituels de possession procède très largement d’une relation d’inconscient à inconscient, comme en atteste ce geste fréquemment utilisé à Mayote pour faire monter un génie : le fundi pose longuement son front contre celui du néophyte, ce qui déclenche la possession sans qu’un mot ne soit échangé. Le concept d’alliance thérapeutique développé par l’anthropologie médicale anglo-saxonne me paraît ici pertinent pour
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éclairer le mécanisme silencieux des cures : la guérison résulte de la mise en commun de deux énergies. Voilà pourquoi, à la différence du système biomédical occidental, le soin chamanique se caractérise par l’échange, la chaleur, la proximité, l’absence de formalisme et l’emploi de la langue de tous les jours.1 »
Comme l’exprime clairement Freud, la libre association, l’interprétation des rêves et l’interprétation du transfert joueront désormais le même rôle que la mise sous hypnose, entendre le travail en hypnosuggestion. Mais le travail doit être entrepris en conservant de l’hypnose l’état hypnoïde, la fameuse semi-hypnose de Breuer, lorsqu’il traite le cas Anna O. et qui actualise la pratique inaugurée par le Marquis de Puységur. La pratique de la psychanalyse telle que Freud l’élabore vers 1890 se serait, « classiquement » selon bon nombre de psychanalystes, « totalement affranchie » de l’hypnose. Une telle affirmation ne peut reposer que sur un malentendu induit par la méconnaissance de la nature de l’hypnose et résulte d’évidence de la confusion historique et scientifique qui fait assimiler l’hypnose clinique aux pratiques d’hypnosuggestion du XIX e siècle. Charcot tente, à la faveur de l’augmentation de la suggestibilité dans l’hypnose, d’obtenir des résultats à la précision chirurgicale, très spectaculaires, dans l’exploration et l’exploitation neurologique de l’hystérie : faire et défaire des symptômes de conversion, par exemple. C’est, de toute évidence, une pratique désuète au regard des acquis de la psychothérapie contemporaine et totalement différente de l’hypnothérapie actuelle, ne serait-ce que par la prise en compte d’un Inconscient et de la parole de l’autre. Freud renonçant à l’hypnosuggestion, inaugure la talking cure, cure de parole...
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Jung, l’hypnose et la psychanalyse Jung fut sensibilisé aux processus inconscients au début de sa carrière, alors qu’il participait à la recherche menée par Wundt sur « les associations de mots », à la clinique psychiatrique de l’université de Zurich, le Burghölzli. Il s’agissait de lire une liste de mots à des sujets qui devaient pour chaque mot donner en réponse un mot « évoqué ». Par exemple, « jardin » pourrait évoquer « vert », etc. C’était une importante
1. Voir B. H ELL , 2006, pp. 175-76 et 1999, pp. 343-47, le chapitre « La puissance de conviction ». Comparaison dans le tableau figure 4 « Les efficacités thérapeuthiques » p. 346, des logiques de soin en Occident et ce qui ressort effectivement des tradithérapeutes au rang desquels se rangent bien sûr les chamans et les voyants-guérisseurs dont il est plus spécifiquement question dans ce livre.
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recherche à l’époque, introduite par Wundt, comme voie d’exploration et d’explication de la manière dont l’information était structurée et associée dans la pensée. Alors que l’accent était mis sur la compréhension de la qualité de la relation existant entre un « mot stimulus » et le mot qui lui était « associé » dans la réponse des sujets (par exemple, « similarité », « différence »...), Jung prêta attention aux réponses manquantes ou différées. Il lui semblait que, souvent, les réponses manquantes chez un même sujet renvoyaient à une même association. Il présuma alors qu’il existait un facteur sous-jacent, inconscient, activé par le ou les mots stimuli. Il posa l’hypothèse que ce facteur distordait momentanément la conscience et interférait avec le mot qui devrait être énoncé. Il nomma ce facteur inconscient : « Complexe ». La Psychologie des Complexes établie à partir de l’observation était un terme que Jung considérait comme fondateur de son école de pensée après la rupture d’avec Freud en 1913. Il en vint toutefois à considérer que le terme de Psychologie Analytique correspondait à une meilleure description de la forme de psychologie qu’il voulait suggérer. Jung est initié à l’hypnosuggestion par Bleuler1 . Il s’y intéresse en tant que manifestation de processus inconscients. Dans son autobiographie, Ma vie, il décrit ses premiers succès avec l’hypnose. Il relate le cas d’une femme venue le consulter, présentant un symptôme de conversion. La paralysie hystérique d’une jambe dont elle souffrait depuis 17 ans 1. B LEULER Eugen (1857-1939) : Psychiatre suisse, né à Zurich, professeur de psychiatrie à l’université de sa ville natale et directeur du célèbre hôpital psychiatrique du Burghölzli. Marqué par les travaux de psycho-physiologie de Wundt et par les idées de Freud, qui lui furent transmises par Jung, alors son assistant, Eugen Bleuler est surtout connu par sa mise en question du concept nosologique de « démence précoce ». Il crée à ce propos, dans son ouvrage sur la démence précoce (Dementia praecox oder Gruppe der Schizophrenien, 1911), la notion de « groupe des schizophrénies », qui recouvre le cadre monolithique établi par Kraepelin, et il insiste sur les troubles affectifs de la maladie et sur son aspect relationnel, caractérisé par le repli sur soi ou « autisme », la Spaltung (fissure) — fondamentale dans l’activité physique — et l’ambivalence. Mais peu à peu et sans doute par suite d’un éloignement progressif par rapport à l’entourage freudien, Bleuler cesse de privilégier cet aspect affectif et relationnel, ainsi qu’une certaine psychogenèse de la schizophrénie, pour en revenir à une organogenèse de plus en plus stricte, les signes « primaires » de l’affection se limitant alors à des troubles biologiques, qui sont pourtant mineurs sur le plan clinique. Si l’on considère, outre son travail sur les schizophrénies, son Traité de psychiatrie (Lehrbuch der Psychiatrie, 1re éd. 1911, 12e éd. refondue par M. Bleuler, 1972), on doit reconnaître que ses études ont constitué pour la psychopathologie de la psychose un apport majeur. Sur le plan de l’assistance psychiatrique, Bleuler est aussi le promoteur de méthodes nouvelles qui mirent la Suisse en tête des nations européennes, dans ce domaine, avant la Seconde Guerre mondiale.
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fut levée en une séance ! Alors que Jung lui propose de la traiter par hypnose, elle sombre spontanément, sans autre forme d’induction, dans une transe au cours de laquelle elle associe dans un travail de rêverie hypnotique pendant une demi-heure. Jung ne parvient à l’arrêter qu’après dix minutes d’effort, et lorsqu’elle sort de transe, elle jette au loin ses béquilles, s’écriant qu’elle est guérie. Jung avoue qu’il n’a pas la moindre idée de ce qui s’est passé. Tout comme Freud, Jung fut inquiété par l’empressement de certaines patientes à son égard. Il semble anticiper les théories du transfert et semble avoir à l’idée que l’hypnose repose sur un transfert positif, alors que le travail du psychanalyste pourrait être supporté sans un tel transfert, voire même avec un transfert négatif : « Ce que nous psychanalystes découvrons à nos dépens chaque jour – et aussi nos patients –, est que nous ne travaillons pas avec le transfert, mais contre lui et en dépit de lui. De là nous ne sommes pas investis de la confiance du patient mais de sa critique. »
Il pose l’hypothèse que le transfert pourrait être le facteur de l’hypnose. Le lien hypnotique lui évoque la relation du père à l’enfant et l’invite à croire au danger d’une dépendance. Une des fonctions du transfert pourrait être selon lui la construction d’un espace « compensatoire », là où il n’y a pas d’espace commun entre le médecin et le patient1 . Ce sont ces considérations et l’expérience de la fameuse patiente qui conduisirent Jung à abandonner l’hypnosuggestion. Il écrit à ce sujet :
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« Permettez que j’exprime une fois pour toutes que je n’ai pas abandonné l’hypnose parce que je voulais éviter de traiter avec les forces fondamentales de la psyché humaine, mais parce que je voulais mener la bataille directement avec elles, et ouvertement2 . »
Jung insiste sur l’importance d’aider le Moi du patient à se confronter, au travers de l’analyse du rêve et de l’imagination dynamique, à son propre Inconscient et dans ses propres termes, plutôt que de tenter de manipuler par des interventions, une reconstruction tacite de l’identité du patient, sans sa participation consciente. Jung place les patients en situation de régression thérapeutique, c’est-à-dire en situation favorisant ce qu’il nomme « le laisser advenir ».
1. CW 16, p. 139. 2. CW 4, p. 601.
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La théorie des rêves devient le lit explicatif de la psyché jungienne. Dans le rêve, on ne fait pas que constater la présence des Complexes1 , mais tout comme dans la clinique, et le fait est d’importance, on observe ce que le psychisme manifeste avec ces Complexes activés : autrement dit, un ensemble de Complexes représente la vie inconsciente, leurs mises en lien dans un scénario exprimant les problématiques inconscientes. Il va sans dire que la libre association, l’imagination active (ou créatrice) jungienne, le travail associatif dans les états de conscience modifiés mettent également en scène ces Complexes, qui peuvent alors faire l’objet d’un travail thérapeutique. Ces techniques reposent sur la capacité innée de symbolisation de la psyché nommée par Jung la Fonction Transcendante2 . L’hypnothérapie analytique prolonge la vie du rêve au cours de la séance créant ainsi un système symbolique métaphorique, agissant comme un tiers, activant restructurations, prises de conscience et changements. Pour mieux appréhender le rôle du processus de symbolisation, il faut avoir présent à la mémoire que l’effort de volonté est peu efficace à provoquer le changement. Les épreuves de lavage de cerveau pratiquées à l’époque de la chasse aux sorcières, y compris celles utilisant une substance provoquant des malaises (Naloxone)3 , se sont avérées inefficaces quant à modifier de façon durable un comportement. Les blocages affectifs, les amnésies, les actes manqués, ne sont d’ailleurs que peu influencés par la volonté : l’effort augmente le plus souvent l’amnésie. Selon Jung, cet « effort » ne peut se manifester qu’au sein de l’image de soi existante à un moment précis, (assimilée à l’Ego, au Je du moment), sous l’égide de la fonction transcendante, favorisant la transition d’une image de soi vers une autre. Nous touchons ici un des points féconds de la divergence théorique entre Freud et Jung à propos de la question du refoulement. Le modèle 1. De même que les archétypes sont les contenus de la psyché objective (l’inconscient collectif), les Complexes sont des contenus de l’inconscient personnel ; ils sont les unités de base de la psyché, neutres par essence, mais pouvant être activés de façon pathogène ; Complexes et Archétypes étant deux structures reliées intimement. L’exploration profonde des complexes permet éventuellement d’expérimenter des images archétypiques. 2. La Fonction Transcendante n’a rien à voir avec la transcendance au sens mystique mais, par analogie, simule une fonction mathématique : il s’agit d’un processus qui transforme un produit en un autre, via une fonction psychique. 3. Les psychothérapies d’inspiration comportementale visent à la création de véritables réflexes conditionnés, à l’établissement de mécanismes psychiques de répulsion ou d’attirance sous l’effet de récompenses ou de sanctions. Le film Orange mécanique montre une séquence où un délinquant sexuel visualise des images propres à l’exciter, et d’associer à cette excitation un stimulus désagréable.
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freudien dépeint un Moi relativement stable (image de soi), qui se « protège » lui-même contre les pulsions provenant de l’Inconscient, alors que Jung insiste sur une structure relativement instable du MoiPersona-Ombre qui posséderait en elle-même un ensemble de possibilités dissociatives normales ou naturelles. En sorte que, l’image de soi « spécifique », habituelle à laquelle s’identifie le Moi, est accessible librement, assez facilement par le rêve ou les techniques amenant la psyché à se dissocier (libre association, état hypnoïde, oniroïde ...). La théorie de Jung s’appuie davantage sur le modèle de dissociation de Pierre Janet, tout en accordant plus d’importance à l’Inconscient (Frey-Rohn, 1990, p. 4). La dissociation serait donc, dans la conceptualisation jungienne, une des caractéristiques de l’appareil psychique, qui, contrairement à la conception freudienne, ne serait pas exclusivement associée au refoulement et à l’amnésie. La dissociation ainsi conceptualisée n’est par ailleurs en rien assimilable à une désorganisation de la personnalité, telle qu’elle se manifeste dans la psychose. Morton Prince avait suggéré à Freud la portée limitée d’une conception théorique étroite de l’amnésie, qui en la forme n’était pas applicable au type d’amnésie survenant spontanément dans l’ensemble des états dissociés. La remarque revêt une grande importance. En effet, dans l’hypothèse freudienne, la dissociation est le factotum du mécanisme de refoulement dont elle est la condition nécessaire et suffisante pour provoquer l’amnésie : le matériel refoulé est mis de côté dans un espace non accessible directement à la conscience. Sans réfuter la conception freudienne du mécanisme d’amnésie et de dissociation, Prince en conteste l’universalité. Prince considère la dissociation comme un mécanisme commun aux phénomènes « de distraction, de pré sommeil, de crises d’hystérie, de transes, d’hypnose, de narcolepsie, de la suggestion post-hypnotique, etc. ». L’amnésie, selon lui, rend compte des « états de conscience modifiés » et s’avère un mécanisme de portée plus général : « L’oubli d’un rêve est seulement un exemple particulier d’amnésie propre aux états dissociés. Toute explication satisfaisante de cette amnésie ne doit pas en méconnaître les autres formes, et doit être en accord avec elles. Le défaut dans l’explication freudienne de cette amnésie à en satisfaire les autres types est, à mon avis, une objection fatale à sa théorie (de la dissociation). » (Prince, 1910)
La technique psychanalytique développée par Jung (l’imagination active ou créatrice) est si proche de l’hypnothérapie analytique que les
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patients ayant expérimenté l’une et l’autre ont du mal à en concevoir la différence. En conclusion, bien que la cure type freudienne soit bien plus éloignée de l’hypnothérapie analytique que la cure jungienne, en particulier en raison des conceptions divergentes de l’Inconscient, il semble que l’élément fondamental, le dénominateur commun de toutes ces techniques et théories repose sur un état psychique particulier dont la spécificité ne fait plus de doute grâce aux études en imagerie médicale. Il n’est pas indispensable de le nommer « hypnotique », il pourrait tout aussi bien se nommer état hypnoïde, état dissociatif spontané, ou état de dialogue affectif...François Laplantine cite Georges de Bellerive, célèbre voyant lyonnais, qui nomme l’état de voyance (de transe) un « acte d’amour », qui amène à vivre l’état affectif mental de l’autre. Jung écrit à ce propos : « Les méthodes divinatoires doivent pour l’essentiel leur efficacité à la même relation qu’elles entretiennent avec les comportements émotionnels : en touchant une disponibilité inconsciente [il ne s’agit pas ici de l’inconscient au sens freudien], elles suscitent l’intérêt, la curiosité, l’attente, l’espérance et la crainte, et par là une prépondérance correspondante de l’inconscient. » (Laplantine, 1985)
Cet acte de « compassion », au sens étymologique de « souffrir avec » ou plus exactement l’empathie du thérapeute, terme qui à mon sens devrait se substituer à neutralité du thérapeute, génère une certaine identification à l’autre au cœur d’une dyade thérapeutique. « Ce que l’homme peut de moins en moins satisfaire aujourd’hui, c’est le besoin inconscient de s’unir, de se relier au monde par toutes ses forces positives les plus profondes. Il souffre de vivre plus que jamais « séparé », aliéné de l’autre et de lui-même, souvent aussi de ne pouvoir intégrer son activité dans son champ affectif, de ne plus en comprendre le sens, bref de ne pouvoir « l’investir » (...) Il ne trouve plus le lien profond qui le rattacherait à sa propre vie, à son entourage : souvent il part ainsi à la dérive sur un océan de solitude. » (Nacht,1971)
Ainsi Nacht évoque-t-il ce manque essentiel qui frappe si totalement la personne du XXIe siècle, manque dans le meilleur des cas, béance affective et problématique identitaire... Je reviendrai sur l’aspect positif d’une prise en charge recréant un espace maternel qui évoque l’espace utérin, la bulle de reconstruction identitaire, un espace non plus dyadique mais monadique.
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PRATIQUE DE L’ HYPNOANALYSE
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Remarques préliminaires Ainsi qu’évoqué dans l’introduction et selon les objectifs ainsi définis, il s’ensuit quelques remarques de portée pratique. Comme l’ensemble des techniques où prévalent l’introspection et la projection, il est indispensable que l’analysé parvienne (tout comme l’analysant) au lâcher prise et au laisser advenir. Pourquoi cela ? Les techniques analytiques, ainsi que Freud ou Jung ne cessent de l’indiquer, requièrent l’abandon d’un certain contrôle cognitif, facilitant ainsi l’expression d’un matériel proche des contenus de l’inconscient, pris ici au sens large de processus non conscients. Cette approche favorise la levée d’amnésie sous la prévalence des processus primaires de fonctionnement mental. En effet, toute réflexion consciente animée par la volonté induit un ensemble de rationalisations, de constructions intellectuelles défensives et ne laisse que peu de latitude, ni à l’expression de l’Inconscient, ni à l’expression de vécus psychiques douloureux. La partie cachée par la Persona, le masque social, ne se manifeste qu’au travers d’artefacts du langage, tel le lapsus, ou via des figures de style tel la métonymie ou la métaphore. Un mot pour un autre : boire un verre (d’eau), par exemple, permet de substituer au contenu le contenant. Le champ sémantique reste identique dans la métonymie. Un doute est introduit sur la qualité du contenu... Cette imprécision laisse place à diverses éventualités qui augmentent le choix des possibles, qui introduisent un flou artistique laissant place à une possible respiration de l’être. Dans la métaphore, le mot mis à la place d’un autre substitue un champ sémantique à un autre en lui attribuant ses qualités. Un degré de plus dans la respiration, dans la liberté d’expression est introduit. Ainsi Pierre de Ronsard flatte la grâce et la beauté de la femme en lui donnant les attributs de la rose... tout en attirant son attention sur le temps qui passe1 . L’humour alimente le mot d’esprit qui est aussi, assez subtilement, un mode d’expression d’affects refoulés, de problématiques souvent inconscientes. Ce qui importe est donc de favoriser la possibilité 1. RONSARD Pierre de : extrait de l’Ode à Cassandre : « Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que votre âge fleuronne, En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme à cette fleur, la vieillesse Fera ternir vostre beauté. »
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d’expression de l’implicite, la réalité de l’être siégeant, ainsi que sa vision du réel, du côté de la subjectivité. C’est bien entendu l’un des fondements du transfert, et je reviendrai sur ce point. À l’inverse, lorsque l’analysé plonge, comme le plongeur de Schiller cité par Freud, dans l’univers de l’inconscient, parce qu’il abandonne toute prérogative consciente comme le disait Freud, alors il fait un voyage au centre du non maîtrisable, du pulsionnel, du non représentable, de l’indicible, de l’affect naissant. Mais ce voyage ne s’effectue pas dans la solitude du plongeur... ce n’est plus le plongeur de Schiller mais celui relié au bateau de la mère par un cordon ombilical qui lui assure l’oxygénation. D’aucuns ressentent ce lien subtil et commutatif entre l’analysé et l’analysant, comparable au lien de la mère au nourrisson. Et nous savons combien le nourrisson est habile à comprendre « de l’intérieur » des situations complexes qui demanderaient de longues explications... nécessitant un langage élaboré... inaccessible à ce dernier. Et nous voilà au centre de la question : cet état requis pour rendre la situation analytique adéquate, ce lâcher prise, cet accès aux processus primaires de fonctionnement mental se nomme tout simplement : état hypnoïde. Alors, tout comme l’aide au plongeur surveille le niveau d’oxygène, ou la survenue d’événements intempestifs sur la zone, ou bien encore gère au mieux les difficultés importantes survenant dans les profondeurs, le thérapeute-analyste accompagne dans l’écoute, au niveau subtil de l’échange inconscient et n’hésite pas à intervenir, signifiant surtout de la sorte sa présence. Être présent, c’est accueillir dans l’instant, reconnaître la souffrance, tendre la main, donner ce que tout être vivant réclame dans les moments de peur, de souffrance, de désespoir. Accueillir c’est aussi prendre et restituer, c’est donner à disposition le codec qui faisait défaut. Donner l’outil qui va permettre d’ouvrir la porte dont on avait perdu la clef. Il peut s’agir d’une clef subtile, donnée dans le silence de l’ange qui passe, ou d’une clef manifeste sous forme d’interprétation qui va permettre l’élaboration. Car, ce qui compte ce n’est jamais la solution mais le chemin pour y parvenir. Jung aimait raconter à ses patients ou à ses étudiants l’histoire suivante : un sage cherchant à aboutir dans son projet de compréhension du monde décida de quitter l’école dans laquelle il enseignait, pour s’isoler dans une thébaïde. Le temps s’écoula jusqu’au jour où certains de ses anciens étudiants pensèrent à lui et décidèrent de lui rendre visite. Arrivés sur place, ils trouvèrent le vieux sage absorbé devant des figures géométriques dessinées sur les murs. Les étudiants sortirent de quoi recopier, pensant que le professeur avait enfin trouvé quelque chose
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d’extrême importance.... Et Jung de conclure : erreur ! « Ce n’est pas la solution qui importe mais le chemin pour y parvenir. » L’hypnoanalyse contemporaine propose au patient, par la formulation d’une règle fondamentale élargie, une technique activant les processus primaires de fonctionnement mental et favorisant une relation d’objet précoce. Ainsi que l’écrit Jaques Palaci (1991, p. 109-120), c’est une méthode d’exploration de l’Inconscient venant en aide à l’association libre, dont elle fait également usage. Ce renoncement relatif de la parole par rapport à l’autre, amène habituellement le patient à spontanément régresser, voire à entrer dans une transe légère : ce renoncement au contrôle conscient est obtenu ipso facto dans la transe hypnotique légère, qui, rappelons-le, est une régression auto-induite. Le patient s’éloigne d’autant plus du discours intellectuel, d’un mode « cérébral » qu’il entre dans l’hypnose légère. Cette méthode n’est pas utilisable avec tous les patients. En effet, l’introduction de l’hypnose demande une grande participation du patient qui se trouve plongé radicalement et rapidement au sein de conflits intrapsychiques, éventuellement de réactualisations traumatiques et assez souvent de vécus cœnesthésiques correspondant à des affects non représentables. L’hypnose réactive les processus primaires, les comportements infantiles, les conflits précoces refoulés. Cet ensemble de matériel est de l’ordre de la mimesis plutôt que de la diegesis pour reprendre la distinction qu’introduit Platon entre mime et discours : l’hypnose, nous l’avons dit plus avant, est un revécu, sans être toutefois nécessairement une catharsis au sens d’Aristote ou Breuer. Le temps de perlaboration est d’ailleurs essentiel et le thérapeute peut proposer au patient d’alterner séances d’hypnose et séances de « paroles ». Le plus souvent, le patient gère lui même cette répartition, et utilise de moins en moins l’hypnose au fur et à mesure de l’approche de la fin du traitement. Le transfert est lui même oscillant : archaïque, préœdipien, symbiotique dans les temps forts de l’hypnose, et il n’est pas sans évoquer le lien affectif et viscéral qui unit la mère et le nourrisson. Il évolue selon la problématique vers tous types de transferts « classiques » au fur et à mesure du déroulement de la cure. État hypnoïde et règle fondamentale Si une certaine neutralité peut être utile au début de la cure, la frustration aidant à l’expression de la souffrance névrotique, cette attitude ne sera maintenue que pendant un temps jugé comme strictement nécessaire à cet objectif, le plus court possible. De la même façon qu’un parent doit discerner entre deux enfants, un jeune enfant très sensible d’un enfant au caractère plus fort, afin d’adapter l’apprentissage des limites
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et des interdits, le thérapeute devra adapter son attitude à la personne en souffrance. Il est indispensable pour la réussite de la cure, ainsi que l’explique avec pertinence Nacht (ibid. pp 5-35), de susciter un sentiment de confiance, de sécurité, auprès du patient. L’expérience montre qu’il peut même être dangereux de placer l’analysé dans une situation de frustration au long cours. La réactualisation dans le transfert de la frustration affective peut mettre en échec la thérapeutique et voire, plus gravement, provoquer de fortes décompensations. Il faudra que le patient trouve dans la personne de l’analyste, de manière inconditionnelle, l’accueil, l’ouverture et le soutient attentif dont il aura besoin, et ce tant que subsistera en lui quelque chose de l’ordre de l’enfant craintif. Il s’agit, par opposition à la déplorable attitude de froideur de la classique neutralité, d’une attitude intérieure de présence. N’oublions jamais que l’analysé s’inscrit dans les ressources internes de l’analyste. Ce dernier se doit d’être cet être au Moi autonome, ni rebelle ni asservi, loin des conflits entre Éros et Thanatos. L’analyste n’a jamais terminé le travail d’individuation, de sublimation. Jung insiste sur la transformation qui s’opère chez l’analyste au cours du travail avec l’analysé. L’analyste doit travailler toute sa vie à élargir sa sensibilité, à augmenter sa capacité d’ouverture, sa connaissance du symbolisme et des cultures. Plus l’esprit sera ouvert, plus grandes seront les opportunités pour l’analysé d’y trouver les ressources qui lui font défaut. Et il nous faut comprendre qu’il ne s’agit pas de faire étalage de connaissances. Le silence est la première vertu de la sagesse. Mais il nous faut imaginer la conscience comme un espace intérieur : c’est un des sens du concept d’archétype, qui se présente comme un registre vide à la naissance. À nous de le remplir par nos expériences, notre parcours de vie, nos connaissances, afin qu’il devienne un espace riche et vivant. Nous allons le partager dans l’analyse, au travers ce lien subtil entre Inconscients, qui se manifeste dans le cordon affectif du lien transférentiel, dans l’espace monadique qui unit l’analysé à son thérapeute. L’illusion et la réalité : la Conscience, un espace à n dimensions L’analyse et, plus particulièrement, l’hypnoanalyse en ce que la technique le promeut, élabore le matériel dans un espace autre que celui du réel tel que défini au premier degré par le produit de nos sens et de nos réflexions. Cela équivaut à dire que le factuel, le discours sur le quotidien, n’est pas le registre privilégié du travail thérapeutique. La souffrance psychique est en lien avec des difficultés certes dans l’actuel, lesquelles doivent trouver une solution dans l’immédiateté d’un travail
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d’accompagnement, travail de soutient ou de coaching. Il peut s’en suivre qu’un premier temps de la prise en charge s’effectue soit en face à face, soit déjà en position propice à l’analyse. C’est aussi le temps d’évaluation de l’opportunité d’un soutien médicamenteux. Ce travail préliminaire visera à résoudre les difficultés du réel. La plongée dans le monde des mystères de l’Inconscient (au sens large) est une expérience d’un autre ordre et d’une autre portée. Si le premier temps de ce travail vise au retour du refoulé freudien, ou à la traversée de l’Ombre jungienne, le second est un parcours ouvrant la psyché sur le Soi, le produit de cette ouverture étant précisément l’individuation. Pour donner une idée de ce parcours, nous pouvons imaginer qu’une personne qui n’a pas encore développé son registre de conscience, existe avant tout dans son Moi, qui constitue sa seule référence. Le Soi représente le développement ultime des facultés de la conscience humaine, à l’image du monde des idées platoniciennes, Soi qui se réfléchit dans le Soi universel dont l’idée serait rendue par la métaphore indienne : le paradis d’Indra serait composé de perles, dont une en son centre refléterait la totalité et dont l’ensemble serait visible en chacune d’elles. C’est, exprimé d’une autre manière, un objet fractal ouvrant sur l’infini, cette faille faisant rupture du fini à l’infini, à l’origine du concept du divin, tel que Leibniz et Nicolas de Cuze l’ont développé. C’est ainsi qu’une certaine connaissance réside au cœur de l’esprit de chaque homme. Le travail de la découverte de l’Inconscient plonge la personne au-delà des limites du réel sensible et du Moi.
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Place des rêves et créativité Passée la phase préliminaire, l’hypnoanalyste encourage l’analysé à prendre en considération tout matériel qui prendra corps en dehors des séances : rêves, dessins, peintures, sculptures... Compositions de tous ordres qui sont le reflet des projections de l’Inconscient, non seulement de la lutte des forces opposées œuvrant dans le Moi, mais surtout des résistances que crée la rencontre des archétypes qui lui sont extérieurs. La raison pour laquelle Jung n’a pas suivi Freud en ce qui concerne l’analyse des rêves est issue de sa propre expérience en 1913. Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Ma vie. Retenons simplement ici que le constat de Jung, corroboré par l’expérience de l’hypnoanalyse, indique clairement que le rêve renvoie parfois à des problématiques phylogénétiques, ainsi que toute création, qui comporte en elle-même des éléments ontogénétiques et phylogénétiques. Nous ne sommes pas des êtres isolés, mais en lien non seulement de façon longitudinale avec nos parents, amis, et d’une façon plus générale tous ceux qui nous entourent,
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mais verticalement avec les générations passées. Le syndrome de la date anniversaire constitue un bon exemple de ces liens, pour qui pourrait douter de leurs existences et de leurs effets sur le long terme. En d’autres temps, ces liens concourraient aux malveillances des jeteurs de sorts et autres sortilèges ou malédictions. La présentation par J. Lacan du texte d’E. Poe La lettre volée en constitue également un exemple passionnant. En ce qui concerne le travail imaginaire, l’hypnoanalyse s’inspire davantage de la psychologie analytique jungienne que de la psychanalyse freudienne. Non seulement en ce qui concerne la qualité du matériel avec lequel on peut travailler mais, en particulier, par la façon dont on traite le matériel du rêve. Ce dernier peut être évoqué en séance et faire l’objet d’une technique d’amplification. Il s’agit d’encourager l’association libre à partir du rêve. Ce procédé vise à créer une suite au rêve, pour au moins deux raisons. Tout d’abord, un rêve dont on se souvient est souvent un rêve qui a réveillé le dormeur, c’est donc un rêve qui a échoué, puisqu’une des fonctions du rêve est de préserver le sommeil, en laissant l’Inconscient trouver des solutions aux conflits. Il est donc parfois possible de retrouver la source du conflit et de prolonger le travail de l’Inconscient jusqu’à résolution du problème. Ce travail peut se faire sur plusieurs rêves, illustrant de façons différentes la même problématique. D’autre part, le rêve est, grâce à l’activation des processus primaires de fonctionnement mental, un outil de choix pour explorer l’Inconscient. Ceci m’amène à évoquer l’intérêt du recours à la métaphore. Métaphore Les concepts de condensation et de déplacement définis par Freud sont superposables à ceux de métonymie et métaphore. Quelle est la portée de la métaphore ? Toute la question réside dans la capacité du langage à représenter le je du sujet. Le langage se compose de signes, composés d’une part de signifiés, c’est-à-dire de concepts, entités définies par l’usage et le dictionnaire, en quelques sortes figées, dont le sens est conventionnel et consensuel et de signifiants d’autre part, éléments d’ordre subjectif mais qui disparaissent dans l’usage pragmatique du langage. Le langage, pour être précis, est le plus souvent composé selon la suite logique des signifiés et n’offre, en conséquence, qu’une faible souplesse d’interprétation et, ce faisant, d’expressivité. Le signifiant est dans la définition de Ferdinand de Saussure, « une image acoustique [qui] n’est pas le son matériel, une chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son,
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la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle » (Saussure, 1972, p. 98). Ce n’est pas par hasard que la poétique jouit de ce qui est nommé la licence poétique, soit la possibilité de casser le langage pour le rendre autrement expressif, au détriment des règles syntaxiques, attribuant aux signifiants des résonances paradoxales, ruptures desquelles émerge un sens caché. Rhétorique et pragmatique sont les deux obstacles à l’expression du Je. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’un dessin vaut mieux qu’un long discours ? Le sujet se représente de ce fait plus aisément grâce aux figures de style, la métonymie par exemple, ou à son insu au travers des artéfacts du langage dont le prototype est bien entendu le lapsus lingue. Il peut aussi restituer une gamme de valeurs très personnelle en chantant le langage, c’est-à-dire, en lui adjoignant un niveau supplémentaire d’expressivité. Autre façon de déjouer l’enferment rhétorique, l’usage de néologismes, manifestation d’un phénomène culturel, qui crée un nouveau signifiant correspondant à une situation ou un ressenti nouveau. L’expression ça me saoul, correspond au ressenti à l’origine d’un mouvement culturel qui pour décrire une overdose médiatique intoxicante, adapte le sens commun du signifiant. C’est un bel exemple de métaphore qui exprime la qualité du contenu du medium auquel il s’applique ! Ces dérives ou évolutions d’une même langue parlée dans différents pays créent au fur et à mesure du temps des diffluences et disparités de sens. De même, c’est un fait constant que d’observer que les générations montantes se constituent un surlangage afin de se libérer du joug que constitue l’identification aux représentations sociales inconscientes de leurs aînés : créer sa langue est un moyen de se différencier et d’affirmer son existence à travers son identité originale. J’ai évoqué, à plusieurs reprises, l’absolue nécessité de ne pas rester dans un discours, mais d’aller progressivement vers une expression libre. Expression dont on sait qu’elle n’est libre que du point de vue de l’absence relative du contrôle cognitif, puisqu’elle est au contraire contrainte par les préoccupations inconscientes... La métaphore ouvre sur le monde intérieur et offre au je de se représenter, de se libérer des contraintes de la rhétorique et de la rationalité, de l’objectivité. Elle exploite les mêmes registres inconscients que ceux utilisés par le rêve et constitue, à ce titre, un mode d’expression exceptionnel par sa richesse. L’usage du conte complète celui de la métaphore. Il met aussi en scène un ou plusieurs scénarios imaginaires qui ont pour objet de favoriser les prises de conscience. De plus, le conte est construit pour proposer, via un cheminement mental, une initiation, une ouverture vers une ou plusieurs solutions.
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L’analyste entend le rêve et peut proposer d’explorer tel ou tel événement, de prolonger telle partie de l’histoire... Là encore le rôle du thérapeute est d’accompagner sans précéder. Il peut, quand il l’estime nécessaire, fournir un élément de solution, comme il fournirait une pièce de puzzle manquante, créant un pont, un lien, là où une solution de continuité bloque le cheminement de l’analysé. Le symbole La symbolique est associée à l’archétype. Elle représente l’héritage de l’histoire de l’humanité et donne le sens à la vie. La perte de la symbolique et des valeurs qui lui sont associées provoque la perte de sens et le retour vers un mode de fonctionnement compulsif/agressif, comme en témoignent les nombreux comportements d’addiction et les troubles de la structuration de la personnalité, de plus en plus fréquents. Tout se passe comme si ne venant de nulle part et n’allant nulle part, la personne adoptait un comportement sans anticipation, sans désir d’investissement, un comportement d’une superficialité catastrophique dont le leitmotiv pourrait être : après moi le déluge. L’autre conséquence psychopathologique directe est l’augmentation des troubles anxio-dépressifs, et l’augmentation du taux de suicide, en particulier chez les jeunes. Les conséquences psychosociales de cette absence de référence sont manifestes dans quasiment tous les domaines : décadence et appauvrissement du langage, des arts, et recours compensatoires aux technologies virtuelles, grisantes, souvent objets d’addiction, se substituant aux expériences vécues, seuls outils valides de transformation de la personnalité. Perte de sens et de perspective favorisent les manipulations de masse aggravées par une politique de déresponsabilisation. La médecine, elle-même, a tendance à s’orienter vers l’adaptation de la personne au social plutôt que de remettre en question le social pour le rendre plus apte à satisfaire les besoins de la personne. Il existe, c’est certain, à la fois des nantis et des rebelles... Devant cette évolution, l’hypnoanalyse fait figure de thérapie à contrecourant. Elle s’intéresse d’abord au sujet. Elle n’est pas aliénable par un système, car le domaine du subjectif, tout comme celui du rêve, ne peut guère être aliéné. Comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, le projet de toute psychanalyse est le Connais-toi toi-même de Thalès de Millet1 . L’hypnothérapie, comme l’analyse jungienne, repose in fine 1. T HALÈS DE M ILLET (VIe av. J.-C.) : naissance vers 624 av. J.-C., Asie Mineur (Turquie), mort vers 547 av. J.-C. à Milet, Asie Mineur (Turquie).
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sur l’ouverture du Moi, en direction du Soi. Je n’ai rien à apprendre, à enseigner, à diriger, à suggérer, sinon l’attitude qu’il convient d’adopter pour se mettre en marche dans la bonne direction et parcourir le chemin qui est toujours original, et subjectif. À ce propos, voici ce qu’écrit Théodor Reik :
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« On naît psychologue, on ne le devient pas. Nous parlons évidemment des psychologues qui s’intéressent aux problèmes émotionnels. L’intérêt pour la psychologie et le don de l’observation psychologique sont innés, au même titre que l’intuition musicale et les dispositions en mathématique. En cas d’absence, rien – ni cours, ni conférence, ni séminaire – ne saura l’engendrer. La comparaison avec le don musical se justifie à plus d’un titre. On naît musicien, comme on naît psychologue. Mais, afin de devenir ce que l’on est fondamentalement, il faut s’astreindre à une formation, à un travail long et ardu. Le don seul ne suffit pas. Et, sans don, le travail et l’application ne sont rien. L’absence de talent en psychologie se remarque particulièrement lorsque le psychanalyste s’apprête à aborder un travail créateur, à rédiger un livre ou un article sur des découvertes qu’il a faites dans le domaine de la psychologie. De nos jours on peut lire bien des livres et bien des articles dans la presse psychanalytique. Ils sont adroitement rédigés, et présentent des éléments tout à fait intéressants du point de vue médical, sociologique, psychosomatique ou physiologique. Je ne doute pas de leur valeur, mais on ne saurait y trouver la moindre trace de psychologie. » (Reik, 1948, p. 13)
C’est pour le thérapeute, passés les premiers temps de la traversée de la névrose infantile, un étonnement sans cesse renouvelé, une aventure qui nous mène vers cet infini, aux confins du réel et de l’imaginaire. Ce n’est pas par hasard que je citais l’un des sept sages, et que le mot Dédale me vint à l’esprit en écrivant ces lignes : la mythologie contient en elle-même les fondements du développement de la psyché, comme la molécule d’acide désoxyribonucléique (ADN) possédait en elle-même la capacité d’engendrer son propre développement. La différence entre la réalisation du Moi de l’analyse classique et l’individuation de l’analyse jungienne et de l’hypnoanalyse réside dans deux conceptions différentes Les « Sept sages de Grèce » (vers 620-550) était le titre donné par la tradition grecque à sept anciens hommes politiques, législateurs ou philosophes présocratiques. Ils étaient sept, comme les Sept merveilles du monde ou les Sept contre Thèbes. Ils étaient tous philos doriennes. Les Sept sages étaient connus pour leur sagesse pratique et leur proverbes et maximes mémorables. La tradition veut qu’ils se soient réunis à Delphes pour offrir leurs devises au dieu Apollon. C’est Platon qui fournit la liste la plus ancienne des Sept sages mais les listes et les attributions des sentences varient et selon des documents de Démétrios de Phalère, la tradition serait bien plus ancienne.
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du concept de réalisation. Classiquement, l’analyse est achevée lorsque s’est réalisée l’intégration des imagos parentaux à la structure psychique, ce qui provoque la liquidation du transfert. Le concept d’individuation comporte l’idée d’un mouvement qui pousse la psyché à la rencontre avec le Soi. C’est un chemin sans fin dans la mesure où l’équilibre parfait n’est jamais atteint, chemin que la personne continuera seule. L’image de la personne individuée et réalisée serait celle d’un surfeur sur la vague dont l’équilibre serait si parfait qu’il ne tomberait jamais... dans l’hypothèse de l’existence d’une vague sans rupture et sans fin. « Le processus de la découverte de soi n’est jamais fini, n’a jamais de fin. Il ne peut être vrai que le fait d’être analysé procure une heureuse conclusion à cette tentative pour se connaître. Ce n’est qu’une étape sur le chemin. De nouvelles expériences viendront augmenter le savoir du psychanalyste. Elles arrivent parfois quand on s’y attend le moins. Vous pouvez être à la recherche d’autre chose et tomber accidentellement sur un fragment inconnu de vous-même. » (op. cit., p.78).
I NTRODUCTION
À L’ ÉTUDE DE CAS
Il n’est pas possible de restituer, pas plus à soi-même qu’à l’observateur extérieur à la situation, l’intégralité de la substance d’une cure analytique ou hypnoanalytique. Toute théorisation est postérieure à l’idéation première qui s’établit, en partie, sur l’analyse consciente et surtout sur la perception inconsciente, monadique des deux parties, le soigné et le soignant. Jung insistait sur la transformation qui s’opère chez le soignant au fil du temps et du travail thérapeutique. Rien de ce qui peut être dit, établit, étayé, théorisé dans l’après-coup ne peut être donné comme étant à l’origine de l’action réelle du traitement. Ce fait et d’autres sont d’ailleurs à l’origine d’un courant de pensée qui envisage l’alliance thérapeutique comme figurant au premier rang des éléments à l’origine du changement, tous courants thérapeutiques confondus. Nous savons, en effet, qu’aucune thérapie ne peut se prévaloir de soigner plus qu’une autre. Certaines formes de thérapie sont plus indiquées pour certaines pathologies, voire certaines personnalités, soignant et soigné confondus. Le facteur thérapeutique réside en partie dans la capacité d’écoute, d’empathie et de mise en œuvre des outils thérapeutiques. Le thérapeute doit être à l’aise avec l’outil qu’il a choisi, je dirais même, pourquoi pas, l’outil qui l’a choisi... La dissociation et la régression ontogénique qui accompagnent l’état hypnoïde tout au long de la séance, y compris pendant les prises de parole de l’analysé,
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favorisent la mobilisation des représentations de façon subtile. L’idéation propre au fonctionnement primaire est extrêmement rapide : le patient est confronté à un flot continu de représentations. Il n’en exprime que quelques-unes, celles qui accrochent son esprit au moment, sans que le hasard soit mêlé au processus. Les chaînes associatives emmènent thérapeute et patient vers l’inconnu, une aventure, un parcours qui se vit à deux. Échanges entre Inconscient, Préconscient et Conscient, échanges intersubjectifs entre Inconscients... Il est difficile de savoir, et d’ailleurs inutile, si la même idée qui survient au même instant dans la séance à l’esprit du patient et du thérapeute est le résultat de la chaîne associative inconsciente active chez chacun, ou si elle partage vraiment un vécu subtil intersubjectif. Le fait est que les rationalistes n’envisagent jamais cette dernière hypothèse, sans doute ne fait-elle pas l’objet d’une représentation dans notre culture occidentale. Quoi qu’il en soit, une partie des modalités du traitement nous échappe, l’accepter est faire l’effort d’accéder à la modestie et de renoncer à la toute puissance. C’est aussi reconnaître à l’humain un espace de créativité et de totale subjectivité. C’est éviter de l’enfermer dans une pragmatique du langage dont nous aurions l’illusion de croire qu’elle nous assure la maîtrise du traitement. Je ne cherche pas à montrer pour autant que le langage peut être négligé, ou de prêcher en faveur d’une quelconque forme d’obscurantisme. L’expérience indique clairement que la qualité du travail repose, en très grande partie, sur l’implication et les ressources des personnes en présence, et surtout, bien entendu, celles du patient. Je fais mien le proverbe de Lao Tseu :
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« Ce n’est pas en tirant sur le brin d’herbe qu’on le fait pousser. »
La pratique de l’hypnoanalyse ne nécessite pas de différencier un temps d’induction d’un temps de travail thérapeutique. Beaucoup de nos élèves s’inquiètent de savoir quand commence et où finit ce qu’il est conventionnellement nommé induction de l’état hypnoïde. Le début d’un travail thérapeutique en hypnoanalyse commence par l’explicitation d’un mode opératoire. Explication de la règle fondamentale, de ce qu’il faut entendre par libre association, de l’intérêt à porter à tout événement survenant dans l’univers des sensations ou de l’esprit, de travail d’amplification à partir de rêves etc. Comme expliqué précédemment, la métaphore joue un rôle déterminant dans le travail thérapeutique de l’hypnothérapeute analyste. La libre association n’aurait aucun intérêt si condensation et déplacement, autrement dit métonymies et métaphores ne venaient représenter le Je du sujet, parfois à l’insu de sa conscience critique. Le principe du travail
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analytique et sa justification reposent sur ces effets de communication qui établissent le langage dans une fonction d’outil de changement. Tout se passe comme si le matériel non représenté ou non représentable du sujet, exprimés par le biais de ces ruptures de langage que sont les coq-à-l’âne, les métonymies, les métaphores, les silences, etc., prenaient corps, grâce à l’écoute flottante, dans l’esprit du thérapeute. Cette écoute particulière, attentive au discours latent, favorise l’accompagnement : il se crée une proximité, une complicité, un entendement au-delà d’un simple accord sur l’énoncé, une bulle transférentielle au sein de laquelle les échanges intersubjectifs sont nombreux. L’empathie résultante permet la reformulation, véritable outil de restructuration, de prise de distance du sujet vis-à-vis des traumatismes, l’aidant à se reconstruire. Enfin l’interprétation apparaît plutôt comme la proposition à un moment critique jugé opportun d’une représentation, objectivée dans l’esprit du thérapeute, de vécus restés opaques dans l’esprit du patient. Le thérapeute se fait le condensateur et l’outil des représentations du sujet, dans un exercice de co-création laissant émerger progressivement du sens. Lors de la première séance, le thérapeute invite à prendre conscience de son être intérieur, via les sensations, à focaliser son attention sur la respiration qui est encouragée : profonde, lente et régulière, bien liée. Les manifestations psychiques surviennent rapidement et spontanément. Le patient est encouragé dans sa prise de parole, même pour exprimer l’événement le plus ténu. Il peut s’agir, par exemple, d’un mouvement du corps fantasmatique. Une jambe, un bras peut se mouvoir virtuellement. Le thérapeute propose d’associer ce mouvement à une évocation... un souvenir, une image, une parole survient... le thérapeute encourage l’association d’idées, puis relance l’attention sur la respiration, ce qui a pour objet de détourner l’esprit critique, la sphère cognitive... nous évitons maintenant toute forme de rationalisation, de raisonnement logique, de construction qui n’aboutirait que trop prématurément à une fermeture sur une certitude intérieure, une causalité possible parmi tant d’autres. La progression de l’analysé vers le lâcher prise et le laisser advenir conditionne la qualité et l’importance de l’ouverture psychique. Il se produit, en règle générale, une levée de l’amnésie infantile, à l’origine de prises de conscience. L’accompagnement consiste à aider l’analysé à élaborer le matériel de la séance à travers les associations multiples de son vécu de séance, fut-il imaginaire ou symbolique. Il peut, favorisé par l’état hypnoïde, prendre toute forme : cénesthésique, lié au corps symbolique (déplacement imaginaire du corps, par exemple), sous formes d’imagerie mentales, de souvenirs (réels ou construits), de fantasmes...
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À cela s’ajoute le travail associatif et d’amplification à partir du matériel du rêve, qui revêt une place plus ou moins importante selon la personne. Ce travail est complété par l’analyse du transfert. L’installation du cadre et l’explicitation de la règle formelle sont des temps importants : il est nécessaire que la personne comprenne le principe et l’intérêt du lâcher prise. En effet, la dissociation porte le sujet à s’exprimer selon un mode de fonctionnement mental primaire, en clair les associations d’idées se fond selon la règle une idée en évoque une autre, une douleur évoque une image, une idée, un souvenir évoque un sentiment... Chacune de ces possibilités pouvant se conjuguer. Il va sans dire qu’il n’y a pas de processus analytique sans libre association. Le raisonnement, au service de constructions intellectuelles, bloque la possible émergence des problématiques inconscientes. Lorsque la conscience critique exerce un contrôle, l’Inconscient ne s’exprime que par effraction. L’association libre est, par conséquent, une expression contraignante, laissant libre cours aux pensées les plus saugrenues, mais aussi les plus vivantes et authentiques. Données cliniques
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Avertissement Un enchaînement de quelques séances a été retranscrit ci-après à partir de notes manuscrites. Le patient a relu les notes qui suivent, et y a ajouté parfois un commentaire. Je n’ai pas donné l’ensemble des commentaires du patient, car si ceux-ci présentaient une dimension de perlaboration intéressante pour lui, ils n’auraient pas davantage éclairé le lecteur : ce travail thérapeutique est une composition artistique dont la quintessence ne peut être malheureusement appréciée qu’au travers d’une pratique. Le lecteur doit être mis en garde contre un biais impossible à résoudre : il ne peut être restitué la totalité des séances sur deux années de travail et surtout, il est impossible d’exprimer la part non verbale de la communication particulière à l’état hypnoïde (dissocié), et de donner, par conséquent, toute la profondeur et l’insight partagé pendant les séances. La transformation, résultat de prises de conscience, de réactualisations de problématiques anciennes aux résonances actuelles, se manifeste au long des jours et des nuits. Le travail du rêve complète celui des séances. Une grande partie de ce travail échappe à l’entendement.
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Monsieur Pierre Monsieur Pierre est âgé de 40 ans au début du traitement. Il a déjà fait un parcours thérapeutique auprès de thérapeutes parmi lesquels le couple Guattari, Patrick Drouot, des spécialistes en thérapie hollotropique et différents maîtres Yogi. Il a fait des études supérieures en commerce international, a travaillé dans l’import-export vers l’Asie. Après la perte de son emploi, qui du reste ne lui plaisait pas vraiment, il devient professeur de yoga et s’adonne à l’astrologie et à la tarologie. Il souhaite s’orienter vers une carrière plus spécifiquement de psychothérapeute et, dans cette perspective, a repris des études de psychologie. Il désire compléter cette formation par un travail « plus classique ». D’autre part, il se plaint de difficultés dans sa vie quotidienne : blocage sexuel par absence de désir depuis trois ans, alors que le couple souhaite avoir un enfant. Il ressent l’emprise de problèmes prenant source dans l’enfance et souhaiterait faire un travail plus classique de conscientisation. J’accepte volontiers le principe de ce travail, ce d’autant que le registre symbolique de M. Pierre est probablement étendu, ce qui ne peut que favoriser le recours à l’hypnoanalyse. Je précise avoir écrit un livre à propos de l’astrologie montrant l’absence de validité et de scientificité de cette pratique, et ajoute que cela ne me dérange pas pour assurer la prise en charge. M. Pierre en convient et répète qu’il souhaite entreprendre un travail classique, pouvant être un support didactique. Je définis le cadre : travail avec le divan, hebdomadaire pouvant être bihebdomadaire si le besoin s’en faisait sentir. Première séance – Induction d’hypnorelaxation, travail léger sur la respiration Le ressenti est physique, sensation de froid qui enveloppe tout le corps, puis survenue de larmes... M. Pierre retrouve une période de vie qu’il situe vers trois/quatre ans. Il a les cheveux courts, les oreilles décollées... il pleure à côté de sa maman... il a un manteau beige, il montre des jouets à sa mère... peut-être dans une vitrine ou à la maison... sensation de tristesse, de frustration et de colère (l’ordre d’apparition des adjectifs n’est pas neutre, il ressent en premier lieu la tristesse, puis l’association se fait avec la frustration, enfin la colère se manifeste à ce moment de la séance). Il fait froid (utilisation du présent), il ressent une tension, une crispation... J’interviens pour l’encourager à entrer dans l’exploration de ce sentiment. M. Pierre forme un couple avec sa mère... pas étouffante mais... un lien d’amour profond... exclusif... suis-je coupé de la femme du présent ? Il ressent la sensibilité de sa mère... il entend maman dans son oreille... besoin de se raccrocher à elle. Amour profond et fusionnel, même si ce n’était pas dit... on ne s’exprimait pas dans sa famille. – Compte rendu du vécu de séance par le patient
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« Il s’agit d’un grand magasin de jeux et de jouets qui se situe à Meaux, à l’angle d’une des rues principales menant à la cathédrale. La tristesse et les frustrations sont ressenties au niveau du cœur et je vis par la suite une tension qui s’installe dans le corps, bras droit, jambe droite avec un poids dans la poitrine. J’ai très envie d’acheter un ou plusieurs jouets que je montre d’ailleurs du doigt. Je ressens une frustration de ne pas l’avoir. Au début et vers le milieu de la séance, je ressens un froid glacial, ce qui correspond à la saison où s’est déroulée l’histoire. Dans une seconde phase, j’entends « maman » trois fois... C’est une façon de chercher ma mère, d’avoir envie d’être avec elle. J’ai besoin de me réfugier auprès d’elle, de sentir sa protection, son réconfort. Ce second épisode de la séance n’est pas obligatoirement lié à la première partie, avec le magasin de jouets. Cet amour dans les bras de maman m’a pacifié et je ressens une grande chaleur, et beaucoup d’amour. Les grandes respirations que le thérapeute m’incite à pratiquer m’ont permis d’aller vers un bien être, une unité ; (début de séance agité, fin de séance pacifié). » Séance suivante M Pierre rapporte ses rêves et quelques réflexions notés sur un cahier. Il se voit les dents saignantes... on lui avait arraché une dent saine. Il se voit avec une femme qu’il embrassait. Il est dans une gare. Sentiment d’être égaré ; cherche son train, il erre. Il a eu deux fois dans la semaine des idées de mort.
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– Travail associatif après une légère induction Vers dix ans, il s’est vu dans un miroir et a pensé à la mort. Il se sent/s’est senti perdu (la problématique est aussi active aujourd’hui qu’autrefois). J’évoque sous forme hypothétique la question de la castration (la perte de la dent saine symbolise-t-elle la perte d’un père), d’être père du, de l’errance et de l’absence de re père ... À noter que le travail d’interprétation se fait à deux : je ne fais que reformuler ses propres expressions. Il peut à tout moment refuser ce qui ne correspondrait pas à son ressenti pendant la séance. La perte l’entraîne à associer ensuite sur des deuils non résolus ou tout au moins encore très douloureux. Vers neuf ans, décès de sa tante... « Je viens dire au revoir à ma tante » ... il ressent une pression dans le cœur... il évoque sa tante, paralysée dès l’âge de vingt ans, atteinte d’une sclérose en plaques, morte étouffée... elle m’a partiellement élevé... il ressent beaucoup de chagrin... associe à un souvenir de l’âge de dix/onze ans : son frère aîné de douze ans arrive en retard à une fête de famille, traite son père de con... ils ne se sont plus parlés pendant deux ans. Le frère manque aussi de repères... drogues... associe avec émotion sur la mort du père en 1990. Il voit deux tombes... dans le même cimetière non loin l’une de l’autre, il ressent la perte du père décédé d’une crise cardiaque alors qu’il était âgé de 26 ans... il évoque la vue du père mort, il était entré par curiosité dans la
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chambre en attendant le médecin... il s’est senti perdu dans les heures qui ont suivi et n’a pas réussi à dormir la nuit suivante. Nous voyageons dans une problématique de perte, qui laisse un profond sentiment dépressif. Le lien œdipien reste omniprésent, c’est ce lien que M. Pierre va élaborer dans les séances suivantes. – Compte rendu du vécu de séance par le patient « En fait, il y a d’autres dents qui saignent. Il y a le sentiment d’une blessure, avec une agression dans la bouche. La gare ressemble à un immense parking souterrain, la nuit, sale et mal éclairé. Ce sous-sol de gare est sans repère. Les deux morts auxquelles se fait le profit de l’association sont celles de mon père et de ma tante. Comme si les deuils n’étaient pas faits, pas accomplis. Ces idées de mort sont apparues lors du rêve éveillé. Ce qui est à noter dans le revécu de la mort de la tante est que le cercueil est ouvert. On voit juste la tête dépasser. C’est une image qui m’a parfois hanté. En fait, c’est mon oncle qui me dit : « viens dire au revoir à ta tante une dernière fois ». Je suis curieux et en même temps surpris de voir cela, la vision du visage figé. La pression ressentie au niveau du cœur est intense, comme un poids sur le cœur. Il est à noter également que dans la même séance je prends mon père par les pieds pour le mettre dans un cercueil. Je me rappelle aussi le moment où j’ai touché sa tête dure (rigidité cadavérique). » Autre séance – Travail associatif sur le rêve après une légère induction – Rêve « Je suis dans un lieu avec une femme. Je cherche à changer les piles d’un train. En fait, je cherche à séduire cette femme qui est avec quelqu’un d’autre. Ce changement de pile est un stratagème pour la séduire. J’ai une érection en voyant cette femme. J’ai peur que les autres voient cette érection quand je m’approche d’elle. » – Vécu de séance par le patient « Cette femme est plutôt jeune et sexy. Elle est visible de dos et porte des bas. Ses jambes sont longues. Il est associé à cette vision un sentiment de honte lié à cette érection visible (culpabilité aussi probable). Le fait de changer les piles du train est une stratégie, une ruse afin de pouvoir s’approcher et séduire cette femme. » – Commentaire L’idée plane d’un enfant en présence de sa maman. S’en suivront beaucoup de rêves de menace, liées à la présence d’une autorité, police, militaire... peur qu’on vienne le chercher... naît un sentiment de persécution et des associations sur le thème de la non reconnaissance du père : « je ne suis pas reconnu en tant que garçon, que fils ».
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Autre séance – Travail du rêve en séance Il possède des cristaux en forme de pique. On lui casse des cristaux, ce qui produit de la colère. Il associe et ressent un sentiment de castration. Puis cet autre rêve : Il est avec sa mère dans un hôtel... il ne parvient pas à descendre au sous-sol par l’ascenseur car il y a plusieurs femmes autour de lui... il ne peut pas leur parler à cause de sa mère. « Dans ma chambre à Meaux, je possède toute une collection de cristaux. Dans cette collection se distinguent deux grands cristaux qui ont été cassés. Je suis dans une colère noire que je sens dans le rêve. De plus, je me lève avec un fort mal de tête. Dans le hall de l’hôtel sont présents beaucoup de femmes séduisantes dont une à la réception. Je ne peux les approcher car je suis avec ma mère. Mais je suis attiré par ces femmes. Je ne peux descendre au sous-sol (inconscient). Je ressens de l’énervement et de la colère contre maman. Une femme brune parmi les femmes me regarde avec désir. La colère vient du fait que ma mère m’empêche de séduire ces femmes. » – Commentaire : J’évoque la surprotection anxieuse de la mère. Il explique que sur les huit enfants qu’elle a portés, dont un enfant mort-né, seuls quatre sont vivants.
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Autre séance – Rêve Un train est en marche. Un homme, Patrick Drouot, un peu distant... l’embrasse et lui dit « J’ai un message, je sens le ventre de ton père... il est là. Il faut que tu continues dans ce sens, dans ce potentiel de guérison ». Il y a un séminaire où on le laisse entrer. Atelier de musique... des femmes courent pieds nus. Une femme lui dit de venir. Il est avec une grande femme. Il y a deux femmes de type oriental (lui rappelant son origine d’Afrique du Nord). Cela lui rappelle sa première relation sexuelle avec une femme juive tunisienne... comme sa mère... – Commentaire Il en prend conscience maintenant. Il fait une entrée dans la réalité : il vivait depuis longtemps un blocage de sa sexualité et constate un changement... il compare son attitude antérieure à celle d’un menhir dans le lit, il est maintenant, assez participant, dit-il. Il parle d’un réveil du désir sexuel. – Rêve Il est dans une station balnéaire, un camping. Il y a une plage... personne. Ses deux frères entrent dans la chambre, il ressent une certaine complicité. Dans une salle de gym il y a une femme assez agréable...Il se rappelle que son père était professeur de gym.
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Autre séance – Rêve Rêve d’une rencontre avec deux femmes qui viennent vers lui... ce qu’il estime nouveau. Rêve d’une réunion chez son maître spirituel... On attend le maître... Il casse un rosier et essaie ensuite de masquer la chose... Le maître arrive... Il dit : « tell to the people to eat vegetarian ». – Commentaire Les deux problématiques s’expriment : la culpabilité face à celui sur qui est projeté le principe d’autorité. Le rosier peut ici symboliser l’Imago maternel, le maître l’Imago paternel, l’ensemble exprimant le conflit œdipien : comment devenir homme sans se séparer de la mère, comment s’identifier au père... Autre séance – Rêve Il y a un train en marche, il entre dans le train. La chef siffle. Il avance pour trouver sa place... place de couleur bleue. Il y a beaucoup de monde... toutes les places sont occupées... il cherche... il y a un grand café au milieu. Il le traverse... il voit deux de ses amis qu’il connaissait quand il faisait du commerce international. M. Pierre ne trouve pas encore sa place, mais il est monté dans le train... – Commentaire Il se sent habituellement mal à l’aise dans les cafés et les bars. Il associe à ce rêve à ses difficultés, puis aux souvenirs liés à ses grands parents qui tenaient un café. – Rêve Il demande un certificat à Gilles Guattari. Celui-ci lui demande de s’occuper d’une patiente. – Commentaire Le processus d’affirmation se manifeste clairement. – Rêve Une ex-amie lui rend visite avec son bébé et le remercie pour tout ce qu’il a vécu d’agréable. – Commentaire Il accorde une valeur synchronistique à cet événement. Autre séance – Rêve
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« J’entre dans un théâtre garni de sièges en velours rouge. Une femme enceinte me montre la place numéro 26. C’est ma place ! » – Commentaire M. Pierre a débuté la thérapie dans une errance, une non reconnaissance paternelle, un sentiment de fragilité exacerbé par un grave trouble oculaire dont il suspecte aujourd’hui l’étiologie psychosomatique. Le processus d’affirmation s’est manifesté dans les rêves au fur et à mesure de l’avancée du travail thérapeutique et des prises de conscience qui l’on amené à des changements dans ses comportements. Ainsi, de l’errance dans les gares, il est passé à la possibilité de monter dans le train, puis d’y avoir une place assise, enfin un fauteuil lui est réservé dans un théâtre. Le numéro 26 correspond à l’âge auquel survint le décès du père. Il prend possiblement enfin la place du père et devient père à son tour... la femme qui lui désigne sa place est enceinte. Autre séance – Rêve « Dans un lieu où il y a des avions, certainement un aéroport... je vole dans l’espace à côté d’un très gros porteur, genre transporteur de fret... L’avion est énorme et semble à l’arrêt... je suis tout prêt et je le vois en gros plan. Je n’ai pas peur. C’est léger et beau. Ma sœur a peur que je me fracasse contre l’avion. » M Pierre vit l’archétype de l’Animus. Il est arrivé au stade ou il peut contacter des représentations du père archétypique, sous l’égide de la fonction transcendante.
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– Rêve Il est en présence de deux anges dont l’un lui évoque une très belle femme suédoise, blonde aux yeux clairs qu’il a connue autrefois ; ces personnages sont en sustentation, la jeune femme se penche vers lui et lui dit que s’il poursuit son évolution dans cette direction il deviendra un sage. M Pierre entre dans une phase de reconnaissance et de découverte de son Anima, et de l’archétype de l’Anima. L’archétype se manifeste sous l’apparence de la Sophia. Cette manifestation impulsée par le Soi provoque une mise en représentation sous l’égide de la fonction transcendante. Le sentiment d’un Absolu ne se présente pas directement à lui, mais sous l’aspect d’un messager, convenant à son système de croyance. Ce messager, une femme, manifeste une intériorisation de l’essence de l’Être.
La thérapie de M. Pierre s’est déroulée sur une durée de trois ans. Elle a donné lieu à une restructuration totale. Psychologiquement, le patient s’est construit une nouvelle identité grâce à la réactualisation dans le transfert de la névrose infantile. Le Moi émergent, bien différencié de celui du père, la revalorisation narcissique, ont accompagné l’abandon
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des défenses de type obsessionnel. Le lâcher-prise progressif s’est manifesté dans l’abandon de la prise de note, dans l’absolue spontanéité des séances, la survenue de silence délicieux de plénitude... Sur le plan psychocorporel, la myopie grave dont M. Pierre était atteint (acuité visuelle de deux-dixièmes environ) s’est améliorée. Il a décidé de laisser les lunettes afin d’entrer directement en relation avec l’autre et le monde. La famille a déménagé, la nature des consultations qu’il dispense a profondément évolué... M. Pierre est fier de donner un sens à sa vie, un sens qu’il a choisi dans le secret de son intimité psychique.
Chapitre 4
L’HYPNOTHÉRAPIE ONIRIQUE Oleg Poliakow
’ HYPNOTHÉRAPIE onirique (HTO) est issue du « Rêve éveillé dirigé » de Robert Desoille. Elle s’inscrit en partie dans la mouvance des thérapies existentielles ou phénoméno-structurales1 , et tout comme elles, se rattache au courant de pensée phénoménologique. De par son souci d’efficacité, de par son pragmatisme2 , elle est, par ailleurs, assez proche des thérapies cognitivo-comportementales. Elle partage donc avec ces thérapies l’orientation philosophique qui les caractérise et les objectifs qu’elles se donnent. Elle s’en différencie cependant par les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs.
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1. C’est par ces termes qu’Eugène Minkowski avait défini sa démarche dans son Traité de psychopathologie. L’expression fut ensuite reprise par Roger Mucchielli dans Analyse existentielle et psychothérapie phénoméno-structurale. 2. Pour le pragmatisme, la fonction essentielle de l’intelligence est, non de nous faire connaître les choses, mais de permettre notre action sur elles (Paul Foulquié, Dictionnaire de la langue philosophique).
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Q U ’ EST- CE
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Ses objectifs : ils sont doubles. En tout premier lieu, elle aspire à libérer la personne qui recourt à ses soins, de sa souffrance, quelle qu’elle soit. À ce souci d’efficacité s’adjoint toujours – c’est le second objectif, de nature « phénoméno-structurale » et spirituelle – une attention soutenue portée à la qualité de l’« être-au-monde » de la personne qui, pour un temps donné, se confie à nous. L’objectif est alors d’harmoniser l’existence de cette personne en favorisant l’actualisation de ses potentialités créatrices, de la « rajeunir » en quelque sorte, en libérant son élan vital. Je souligne à dessein le fait que toute personne se présentant comme « patient », recourt aux soins du thérapeute et se confie à lui. Deux ordres de réalité que la critique psychanalytique – délibérément ? – ne prend pas en compte lorsque, pour se gausser des TCC, elle les réduit au comportementalisme animal. Or ce n’est que parce qu’une personne peut se confier à un thérapeute, ce n’est que parce que celui-ci est attentif à ce qui est vivant en elle, qu’elle est à même d’accepter et les « conseils » qu’il lui donne, et les tâches qu’elle doit accomplir. • Mes moyens mis en œuvre : ils sont au nombre de deux : l’hypnose et le scénario onirique, d’une part, et d’autre part, la personne du thérapeute. Partons de ce constat : le besoin de se confier. Il est fondamental, et effroyable lorsqu’on décide de l’assouvir. Se confier c’est bien sûr, d’un certain point de vue, se confesser, à un ami ou à un prêtre, pour avouer ses « péchés », ses fautes, ses erreurs, afin de les « réparer » et, comme un « pénitent pardonné », d’en être libéré. Mais se confier à un thérapeute est une autre histoire. C’est accepter d’abandonner progressivement l’habitude de tricher avec soi-même, c’est-à-dire, l’habitude d’accommoder sa vie avec toutes les illusions sur soi et sur le monde, désordre qu’une langue de bois d’abord autorise, puis favorise et entérine. L’objectif, ici, est une mutation d’identité. Mais pour ce faire, pour qu’un tel abandon soit possible, faut-il encore, au préalable, pouvoir s’imprégner d’une « disposition d’âme » du thérapeute susceptible d’invoquer cet abandon en le prenant en charge. • Une parole qui rêve : il faut se rendre à l’évidence, le langage n’est pas toujours ce qui nous humanise, il est loin d’être le garant de la nature humaine. Il faut parfois savoir fausser compagnie aux mots – surtout lorsqu’ils sont idolâtrés – pour être humain, pour accéder au mystère •
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L’ HYPNOTHÉRAPIE ONIRIQUE
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d’« être-soi »1 . Et pour cela – et c’est ici surtout que nous affirmons notre originalité – il faut rêver. Il faut sortir de la « parole-spectacle » hystérisée, grandiloquente2 . Il faut sortir de la parole qui ne parle pas. Car une parole qui parle est une parole qui rêve. Et pour qu’une parole rêve, il faut faire rêver le sujet de cette parole. Or, pour un patient, rêver en présence, plutôt en compagnie d’un thérapeute et l’associer à cette production absolument personnelle, intime – idiosyncrasique – c’est d’une certaine façon, déjà se confier à lui. Se confier à celui qui n’est pas un thaumaturge ni, à l’évidence, un technocrate, mais un homme qui partage. • Le Scénario Hypno-Onirique (SHO) : production onirique qui s’apparente au rêve et transcrite sous la « dictée » d’une personne en transe hypnotique – constituera le pivot autour duquel, en un mouvement de spirale, s’organisera et évoluera le travail thérapeutique. Cependant, il ne s’agit pas seulement de faire des scénarios hypno-oniriques pour éveiller un onirisme qui sommeille. Cela est certes important, même nécessaire, mais pas suffisant. Il faut apprendre à parler en images, à vivre en images, à penser d’une façon métaphorique et analogique. Non pour s’y complaire, mais pour progressivement réduire l’enflure du sens au bénéfice d’une densité d’existence. Pédagogie, bien sûr, d’un « savoir-être », d’un « savoir-faire », d’un « avoir » aussi – je m’en expliquerai plus loin. • Le thérapeute doit penser en images : pour introduire le patient à cette réalité et pouvoir la comprendre, le thérapeute se doit d’être lui-même « sujet pensant en images ». Une présence onirique au patient est donc nécessaire. Et cela se vit, se révèle, s’expérimente, s’apprend, se travaille. C’est à ce prix que s’acquiert un savoir-faire, une lucidité, qui vont permettre au thérapeute de se mettre au service du patient. Au demeurant, cette « présence onirique » est, si l’on peut dire, une disposition naturelle, originaire en quelque sorte, mais négligée voire déconsidérée par l’esprit de raison. « Nos relations de la veille avec les choses et surtout avec les autres, nous dit Maurice Merleau-Ponty, ont par principe un caractère onirique : les autres nous sont présents 1. « Devenir conscient de l’ineffable, c’est fausser compagnie aux mots » (Heschel, p. 14). 2. « Technique de la boursouflure ... de l’ampoulé, de l’excès : gonflant démesurément le « volume » de ce dont elle parle, la grandiloquence transforme le petit en grand et l’insignifiant en signifiant, ce qui permet accessoirement à l’homme de s’y forger un destin et de s’y figurer une importance » (Rosset, 1980, p. 83) ; et page suivante : « ... À nous demander si un lien organique ne relie pas nécessairement l’exercice de la parole à celui de la démesure. »
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comme des rêves, comme des mythes, et ceci suffit à contester le clivage du réel et de l’imaginaire » (Merleau-Ponty, 1978, p. 68-69). Ce savoir-faire – penser en images – je le dois, en partie, à l’œuvre de Robert Desoille, une œuvre non seulement ignorée du grand public, mais surtout oubliée, voire reniée, par ceux-là mêmes qui l’ont connu et qu’il a initiés. Yvonne Fayol, collaboratrice des premières heures de Robert Desoille, a été ma thérapeute. C’est à elle que je dois et le métier que j’exerce, et l’orientation humaniste qui est la mienne aujourd’hui. J’ai été formé au Rêve Éveillé Dirigé de Desoille – le R.E.D.D. comme on disait alors – et je pense rester fidèle à son esprit en infléchissant sa pratique et sa théorie dans un sens « phénoménostructural » d’inspiration cognitiviste. Être thérapeute : je puis me reconnaître thérapeute, au même titre que ceux qui le sont ou pensent l’être, mais je ne puis m’éprouver en tant que tel que par le détour d’un avoir. L’avoir d’une technique ? D’un savoir-faire ? Car qui n’a rien n’est rien. Pas seulement. Je crois que tout thérapeute authentique, animé, non pas par des valeurs, mais par une valeur qui le dépasse, est porteur d’un secret qu’il croit posséder, mais qui le possède, qui le fait être, et qu’il doit néanmoins partager sans le dire. Avec qui ? Et pourquoi ? Il n’y a pas d’objectivité en matière de thérapie. Il n’y a qu’un style, celui qui fait de tel être humain un thérapeute à nul autre pareil. Et c’est encore dans le faire qu’un style se révèle, que l’avoir est porteur de l’être.
Cet avoir, qui va bien au-delà de ma technique et de mon savoir-faire, je vais l’exposer en trois temps. Dans un premier temps, je préciserai ce que j’entends par hypnothérapie onirique. C’est bien évidemment le terme d’« onirique » qui sera au centre de mon argumentation, associé à celui de relation. Il est en effet une relation onirique qui s’apparente aux charmes d’un crépuscule dont on ne sait jamais s’il définit un monde qui s’éteint – crépuscule du soir – ou un monde qui s’éveille – crépuscule de l’aube. Parier sur celui qui s’éveille, ne va jamais sans offrir à l’autre, au crépuscule du soir, la possibilité d’advenir. Pour que la thérapie soit, le crépuscule doit être. C’est donc à son « éveil » que sera consacré le deuxième temps. Nous sommes dotés, depuis notre enfance, depuis peut-être la nuit des temps, depuis l’origine biblique, d’un onirisme, vecteur tout à la fois d’illusions sur nous-mêmes, et de salut – ce dernier terme étant pris dans son sens étymologique de « santé, conservation de la vie ». Éveiller cet onirisme, c’est mettre au jour ces deux polarités de notre existence. Et enfin, dans un troisième temps, je produirai l’esquisse d’une démarche d’inspiration cognitiviste dont l’objectif avoué est non seulement de dégager le patient de l’emprise de ses illusions aliénantes,
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mais encore de lui permettre de « créer », dans le vrai sens du terme, une perspective nouvelle de vie. Sa vie. L’hypnothérapie : à l’instar de termes comme thalassothérapie, phytothérapie ou encore hydrothérapie (Le Robert en compte 21), hypnothérapie est composé du suffixe thérapie qui indique la modalité d’emploi d’une substance ou d’un agent dont le nom forme la première partie du mot composé, en l’occurrence ici, l’hypnose. Par hypnothérapie, il convient donc d’entendre l’utilisation de l’hypnose à des fins thérapeutiques. • Onirique : pour Le Littré, est onirique (adj.) « ce dont l’irréalité évoque le rêve ». Le Robert reprend cette définition. Quant à onirisme (subst.) il s’agit, toujours pour Le Littré, d’un « état délirant, parfois provoqué par l’alcoolisme, et caractérisé par l’hallucination de la vision, de la sensibilité générale, ou du sens musculaire (sensation de chute, etc.) ». Pour Le Robert (qui reprend la définition du Manuel alphabétique de psychiatrie d’Antoine Porot), onirisme est un terme médical désignant une « activité mentale pathologique faite de visions et de scènes animées, telles qu’en réalise le rêve ». Antoine Porot est, quant à lui, plus précis, qui distingue un « onirisme normal » d’un « onirisme pathologique ». L’apparition d’un onirisme normal est soumise à certaines influences physiologiques (manque de sommeil par exemple, mais aussi au cours de l’endormissement) ou psychologiques (choc émotif, affectif, stress répété, etc.). Ces influences réalisent une véritable dissolution plus ou moins complète de la conscience qui facilite la production d’images, et la libération d’automatismes, inférieurs aux dires de la Psychiatrie, et plus ou moins coordonnés. Il n’y a pas ici, comme cela se voit dans l’onirisme pathologique, de confusion mentale. L’onirisme normal se caractérise donc par, une dissolution de la conscience qui, devenue ouverte, libère, d’une part des automatismes « inférieurs », donc « aliénants » qui thématisent à son insu le monde d’un sujet, et d’autre part, mais de cela la Psychiatrie n’en dit mot, un potentiel encore inconnu qui est à découvrir. • L’hypnothérapie onirique : par hypnothérapie onirique nous désignons donc l’utilisation de l’hypnose à des fins de dissolution de la conscience dans le but thérapeutique avoué de favoriser la production d’images, la libération d’automatismes et l’actualisation d’un potentiel1 jusque-là en sommeil. Cette dissolution de la conscience contribue à la mise
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1. Desoille parle, lui, « d’images dormantes ».
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au jour de ce que nous appellerons notre présence onirique aux choses et aux autres. Une présence « antérieure » à toute pensée clairement formulée, une présence de nature nocturne. Parler de mise « au jour » d’une présence de nature « nocturne » peut sembler contradictoire. Dans les termes, effectivement. Mais pas dans les faits. Nous verrons comment.
P LACE
DE L’HTO DANS LE CHAMP DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
L’hypnose est souvent présentée comme un phénomène capable, soit de produire directement des effets de guérison, soit d’offrir les conditions idéales pour l’exercice d’une action thérapeutique. Nous distinguerons trois modalités thérapeutiques de l’hypnose ou trois types d’agents : la transe hypnotique, l’hypnose-suggestion et l’hypnose-onirisme. La transe hypnotique L’expression « transe hypnotique » est d’origine ericksonienne. Elle est originale et serre d’assez près la réalité de l’hypnose. « Transe » vient de trans « de l’autre côté » et de ire « aller ». Transe revêt actuellement deux significations : – Passer de l’autre côté, c’est-à-dire « trépasser », « agoniser », d’où le dérivé « transe » signifiant « agonie ». « Entrer en transe » signifiait « se séparer peu à peu de soi-même », d’où l’emploi de « transe » pour désigner un accès d’exaltation mystique. – Traverser, pénétrer ; ainsi peut-on être « transi » de froid, c’est-à-dire, entièrement pénétré par le froid1 . D’après le Grand Robert, la transe (au singulier) est « l’état du médium dépersonnalisé comme si l’esprit étranger s’était substitué à lui ». Une acception relativement pertinente, mais qu’il convient, néanmoins, de moduler quelque peu. Le sujet en transe hypnotique est certes dépersonnalisé, mais jamais au bénéfice d’un « esprit étranger » qui s’imposerait à lui. Il est vrai qu’en transe hypnotique, le sujet progressivement se défait d’un « soi-même » au bénéfice disons de ce qui émerge, d’un ce quelque peu impersonnel, du moins dans un premier temps.
1. Sources : Les Curiosités étymologiques, 1996.
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L’amélioration, lorsqu’elle est obtenue par le seul truchement de la transe hypnotique, est le plus souvent comprise comme un effet de celle-ci. L’hypnose-suggestion La transe, cependant, ainsi que nous le suggère la seconde acception – être transi, traverser, pénétrer – offre aussi la possibilité d’une action thérapeutique exercée de l’extérieur par l’intermédiaire de la suggestion. Celle-ci peut être directe (véritable injonction d’agir dans un sens déterminé) ou indirecte (introduction de métaphores adaptées aux difficultés du sujet). L’hypnose-onirisme
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Mais l’hypnose peut être aussi l’occasion d’une communication originale où le sujet se « laisse-aller-en-relation » avec lui-même et le psychothérapeute, sur un mode onirique. Le scénario qui s’élabore au cours de la transe peut être rapporté au sortir de celle-ci (pratique courante en hypnoanalyse) ou alors il est le fruit d’un dialogue au cours de la transe entre le patient et le thérapeute, et consigné intégralement par les soins de ce dernier (option qui est la nôtre). L’hypnose thérapeutique se présente donc selon trois modalités qui sont : – Une transe, disons de « jachère » (dans son sens premier, gaschiere : « terre labourée, non ensemencée ») où peut naître et se dérouler spontanément, sans apport extérieur majeur autre que celui d’une présence attentive, un processus thérapeutique interne d’autoguérison spontanée ; – Une transe réceptive à une visée thérapeutique externe (« terre labourée et ensemencée ») qui trouve là l’occasion de s’exercer (hypnosesuggestion) ; – Une transe tout à la fois, de « jachère » (« terre labourée non ensemencée ») et disposée à une communication verbale sur un mode onirique (« terre labourée et fertilisée »). Cette dernière modalité – hypnose-onirisme – qui intègre l’état dépersonnalisé, l’influence extérieure, et la communication onirique, est celle qui définie le mieux l’hypnothérapie telle que nous la pratiquons, l’hypnothérapie onirique.
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DÉMARCHE THÉRAPEUTIQUE
L’agent thérapeutique Si l’agent thérapeutique semble clairement circonscrit dans le premier cas, celui de la transe hypnotique de « jachère » comprise comme un processus thérapeutique interne, il demeure, en revanche, plus problématique dans le deuxième. En effet, n’entendre l’hypnose que comme un état réceptif « en attente » d’une influence (hypnose = suggestibilité) ne peut conduire qu’à renoncer à plus ou moins brève échéance à la transe proprement dite. Et donc à l’hypnose en tant qu’agent thérapeutique. Le troisième cas est plus complexe. Il allie l’hypnose comprise comme une transe favorisant un processus interne de guérison, à une production onirique. Une production onirique, au demeurant, de nature bien particulière. Elle n’a rien en commun avec le rêve nocturne, et encore moins avec la rêverie diurne compensatoire. Cette production est bien sûr destinée au psychothérapeute – c’est lui qui la suscite – mais elle l’est aussi, simultanément, au sujet lui-même. La relation hypno-onirique constitue alors, à proprement parler, l’agent qui, utilisé avec méthode et discernement, peut se prêter à une visée thérapeutique. Les trois temps de la démarche hypno-onirique La relation hypno-onirique, nous venons de le voir, a essentiellement pour objectif de provoquer, par le biais de la transe hypnotique, une dissolution de la conscience, ou une dépersonnalisation, – toujours relative, bien sûr – afin de favoriser la production d’images, la libération d’automatismes et l’actualisation d’un potentiel jusque-là en sommeil. En d’autres termes, elle cherche à mettre au jour, comme nous le disions, notre présence onirique aux choses et aux autres. Elle vise donc à éveiller l’onirisme, celui du patient. Cet éveil constitue le temps inaugural du processus thérapeutique. Sans cet éveil rien n’est possible. Éveiller l’imaginaire, cependant, ne suffit pas. Il faut encore, et c’est alors le deuxième temps de notre démarche thérapeutique, éveiller le patient à cet onirisme qu’il reconnaîtra progressivement comme étant le sien. Le troisième temps, souvent intimement associé au deuxième, est alors celui au cours duquel le patient s’éveille de cet onirisme au bénéfice d’un « onirisme sien » plus souple et plus authentique. Pour ce troisième temps la confrontation avec la réalité est indispensable.
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L’ ÉVEIL
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DE L’ ONIRISME
Le scénario hypno-onirique Tout commence par le scénario hypno-onirique. En tant qu’expérience vécue, il est une conduite originale et paradoxale adoptée par un sujet qui, en transe hypnotique est invité, d’une part, à se conduire de façon à se laisser conduire autant par la dérive des images (production onirique) que par les interventions du thérapeute, et d’autre part à ne jamais, autant que faire se peut, se déprendre de la conscience qu’il en a. L’expression se laisser conduire est préférée ici à celle de lâcher prise pour la raison que la dérive onirique s’ordonne toujours selon un sens thérapeutique à découvrir, que le patient pressent, et auquel, aidé par la qualité de la présence et des interventions du thérapeute, il peut accéder en le créant. Alors que le lâcher prise connote plutôt une sorte d’abandon souvent synonyme de chute. Le patient est donc invité – véritable injonction paradoxale – à être activement passif. Or une telle attitude ne peut être adoptée et vécue sans contrainte que là où il n’y a pas de sujet logique (ce qui ne veut pas dire absence de conscience) pour se heurter au paradoxe. Et l’hypnose est précisément ce « lieu-là ».
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La procédure hypnotique La procédure qui conduit un sujet à accepter cette injonction paradoxale comporte quatre phases qui sont respectivement : l’induction, l’approfondissement, le travail thérapeutique proprement dit (en ce qui nous concerne une production onirique assimilable au « rêve éveillé » de Desoille), le réveil, suivi de quelques rapides commentaires. Voyons ces phases : 1. Notre modèle d’induction de l’hypnose est celui de la perception comprise comme un jeu constant entre figure et fond, mais un jeu que nous cherchons à rendre le plus confus possible. L’induction ne poursuit en fait qu’un seul objectif : amener un sujet à une présence au monde et à soi-même diffuse, rêveuse, comme absente, et pourtant largement réceptive. Comment procède-t-on pour l’induction ? Le thérapeute parle beaucoup – il place le sujet dans un véritable « bain de paroles » – et il décrit, à l’aide d’évidences, le contexte présent et la position du sujet, de façon à effacer progressivement tous les repères (la relation ne se spécifie plus) ;
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2. La fermeture des paupières est suivie d’un « temps d’appropriation » de l’état ainsi obtenu. Une musique douce l’accompagne ; 3. Ensuite le sujet est invité par le thérapeute, non pas à rêver, mais à décrire, à partir d’un thème (par exemple : « Vous êtes sur un chemin ») ce qu’il fait, voit et ressent. Le thérapeute note l’intégralité de la production onirique, en se permettant, de temps en temps, quelques relances ; 4. La séance se termine par le « retour à la réalité » (le réveil) suivi d’un rapide commentaire.
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RELATION HYPNO - ONIRIQUE
Nous entendons par relation hypno-onirique tout à la fois l’induction de la transe hypnotique, telle que nous venons de la décrire, et la conduite par le thérapeute du scénario hypno-onirique. C’est dans cet ordre que nous la présenterons. La transe hypnotique Généralement on admet, avec une certaine pertinence lorsque l’accent est mis sur le processus, que l’hypnose, celle que j’ai appelée « de jachère », endort. Imaginez-vous donc en situation. Vous êtes confortablement installé, en position allongée, sur un divan, ou dans un très accueillant fauteuil de relaxation. L’hypnothérapeute est assis à vos côtés – en tournant la tête, vous pouvez le voir – et il parle. Vous l’écoutez. Il décrit et votre position et ce qu’il en est de cette position. Il parle ... Vous l’entendez et, insensiblement, progressivement, vous passez, ou plutôt vous vous sentez passé(r) d’une sensation d’éveil à « quelque chose » qui s’apparente au sommeil. Mais vous ne dormez pas. En vérité vous ne cessez de vous abandonner – comme un nageur fait la planche pour se sentir porté, doucement bercé par la mer. Vous vous effacez au monde qui déjà, au demeurant, commence à se retirer, ou s’est déjà retiré ... vous ne savez plus très bien, car tout s’estompe. Un souvenir surgit, familier et quelque peu étranger, puis une image, une pensée, et puis... plus rien, rien que cette impression de brume dans le lointain. Un voile, pourtant si léger tout à l’heure, se fait lourd, et vos paupières... lourdes, se ferment. Pour le « plaisir », par « jeu », vous résistez un instant, puis vous vous laissez aller. Vous lâchez prise, conscient, vaguement – mais cela vous suffit – de la présence de l’hypnothérapeute à vos côtés. Présence qui de temps
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en temps fluctue, s’efface elle aussi – elle sait se faire discrète jusqu’à la fadeur – mais ne s’absente jamais, ne vous abandonne jamais. À tout instant vous savez que vous pouvez la retrouver, les yeux fermés, et renouer avec elle par-delà le silence, un dialogue de vous seul et du thérapeute « entendu » – présence d’un « interlocuteur providentiel » toujours là, à vos côtés. Quoi qu’il arrive. Il s’agit dès lors, on en conviendra aisément, moins d’un état que d’un processus relationnel original, un entre-deux de qualité particulière où loin d’être passif et réceptif, vous vous montrez, tout au contraire, animé d’une bien étonnante intentionnalité que nous aurons à cœur, maintenant, de préciser.
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Une relation d’éveil Loin d’être un « état réalisé » – sommeil ou autre – acquis au terme d’une démarche, l’hypnose nous apparaît au contraire être précisément cette démarche-là, c’est-à-dire la procédure mise en œuvre pour atteindre l’hypnose, et qui ne l’atteint que parce qu’elle ne cesse de la poursuivre indéfiniment. Combien de patients et de thérapeutes ne se dirent-ils pas déçus de n’avoir pu atteindre « l’état » d’hypnose imaginé, attendu et promis. En hypnose le sujet adopte donc une attitude de conscience qu’on ne saurait, en aucun cas, confondre avec celle qu’il adopte lorsque, la nuit venue, il s’abandonne au sommeil qui le gagne. On sait qu’à cet instant précis où l’activité physique est suspendue et l’activité psychique de plus en plus évanescente, instant où le sujet accepte de se blottir en bornant son existence au lit qui l’accueille, surgissent des images hypnagogiques qui le captent et souvent le subjuguent. La description cependant qui peut en être faite, ne l’est jamais qu’après le réveil, et hors de la présence des dites images. Personne n’en parle « sur le moment », et ne peut le faire. Car lorsque l’image hypnagogique est vécue-perçue, la conscience, captée par elle, progressivement « s’ensable » et « ensommeillée » s’efface. Une telle image, par nature, pourrait-on dire, ne tient pas. Ou le sujet veut en parler, alors il se réveille et, en état de veille, en parle au passé; ou il est capté par elle et alors il sombre dans le sommeil. L’image hypnagogique est une conscience qui s’abandonne sans retenue au sommeil, et loin d’être une « conscience d’oubli de soi », elle est une modalité d’être en retrait. Rien de tel en hypnose. Et cela parce que le thérapeute veille. Il est en quelque sorte le gardien d’une veille qui peut être dite « paradoxale », car elle maintient éveillé un sujet qui s’endort. Et qui ne cesse de s’endormir
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tout en s’éveillant. Et qui rêve, et qui donne à voir des images. À ce titre, l’hypnose ne serait rien d’autre que l’activation simultanée des trois états du cerveau (veille, sommeil, rêve), en présence d’un interlocuteur activant, à sa façon, et pour lui-même, ces trois états. « État-en-mouvement » entre veille, sommeil et rêve, l’hypnose est donc aussi état-en-mouvement entre patient et thérapeute, un « entredeux ». Elle est ce lieu où s’origine la psyché et où naissent les images d’un monde qui s’éveille à lui-même. Mais cet entre-deux où le sujeten-relation ne cesse de s’endormir, disparaît à l’instant précis où le sujet en retrait s’abîme dans le sommeil ou se réveille à la clarté aveuglante du jour. En hypnose, donc, le sujet ne dort ni ne veille. Il s’éveille. Indéfiniment. Il s’éveille dans cet entre-deux à une réalité autre, une réalité à première vue indéfinie, mais en puissance déjà « personnelle ». Un vécu « ontologique essentiel » L’éveil à cette réalité-autre – présence à soi-même et au monde, radicalement différente de celle, « naturelle », vécue au quotidien – passe toujours par l’expérience d’un flottement, une sorte de mise entre parenthèses de soi-même, une dépersonnalisation. Un peu comme si, en un temps suspendu, la conscience marquait le pas, hésitait avant d’accepter de s’abandonner à un mouvement en excès qui toujours la déborde. À la fois hésitation et abandon, la conscience se vit alors en proie à une dissipation retenue. L’accord avec le monde est rompu, et notre existence se met à flotter. Il s’agit là, selon Binswanger, d’une expérience fondamentale. Délesté du poids de cette présence naturelle à moi-même et au monde, je me sens alors comme détaché, à distance d’un jeu auquel pourtant je participe. Mon existence, ma vie, se dissipent et, en état d’apesanteur, je flotte sur un axe vertical où je suis comme suspendu. Un axe vertical constitutif, aux dires de Binswanger, de mon « être-au-monde », de ma « présence ». « Ce flottement de notre existence n’implique pas nécessairement une direction vers le bas, il peut signifier également une libération ou une possibilité de montée. » (Binswanger, 1971a, p. 201)
Et c’est à ce titre qu’il peut être considéré, toujours selon Binswanger, comme une véritable « structure ontologique essentielle » de l’être humain. Et non seulement comme une structure, mais aussi, nous dit-il, comme un pouvoir, celui de se diriger – puisqu’il flotte – de bas en haut, et de haut en bas, de gauche à droite, de droite à gauche. Tout à la fois donc structure ontologique et pouvoir, ce flottement est « la source où
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viennent puiser le langage, l’imagination poétique et, surtout, le rêve » (ibid., p. 202).
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Le thérapeute, interlocuteur invoquant La transe hypnotique est donc ce flottement – flottement de la conscience – expérience vécue et topique imaginaire où viennent puiser le langage et le rêve. À condition, bien sûr, qu’il y ait un interlocuteur à même d’invoquer ce flottement, et d’accueillir, en la provoquant, l’expression onirique dont il est virtuellement porteur. Le thérapeuteinterlocuteur ne limite donc pas sa présence à une « simple présence au patient », à un face-à-face de « neutralité attentive et bienveillante ». C’est parce qu’il cherche à « comprendre » le patient qu’il l’« invoque », non pas à vrai dire à être1 mais à « apparaître ». C’est parce qu’il cherche à le « comprendre » qu’il appelle et favorise la production d’images, afin de libérer les automatismes (schèmes comportementaux aliénants) et d’actualiser un potentiel (élan vital) jusque-là en sommeil. On ne laisse pas être l’autre. On l’invoque. Mais on ne l’invoque que si l’on s’engage dans le flux de ce fleuve héraclitéen qu’est l’onirisme associé à la dépersonnalisation. Ce flux n’est pas un lieu sombre et caché à découvrir (inconscient ou autre). Il est, nous le verrons plus loin, l’immanence de la Vie révélée par la relation avec le thérapeute-interlocuteur, dans l’entre-deux de la relation, par cet entre-deux, et prise en charge par lui. Il s’agit là d’un « retour aux sources », d’un recommencement. On en conviendra aisément, accepter un tel flottement, un tel retour aux sources, n’est possible que si l’on accorde une confiance pleine et entière autant au thérapeute qu’à l’environnement, c’est-à-dire au cadre thérapeutique. Voici deux exemples de SHO. Le premier illustre le retour aux sources accompagné d’une authentique dépersonnalisation, et d’un recours in extremis aux ressources de l’environnement thérapeutique. Le second, quant à lui, est plus classique dans ce sens où les interventions du thérapeute – sa façon d’invoquer le patient – permettent au patient d’élaborer un scénario où se déploie progressivement un univers onirique tout à la fois désolé et sur la fin plus rassurant. Rappelons que le scénario onirique est la relation intégrale de la dérive onirique du patient consignée sous la forme d’un texte par les soins du thérapeute. Il se présente assez souvent comme un récit d’une étonnante efflorescence
1. Comprendre : de comprehendere, prendre ensemble, d’où assembler dans son esprit. La notion d’avoir est ici présente. Invoquer : de invocare, appeler dedans. Autrement dit, appeler l’autre à être.
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imaginative. Sans jamais perdre le contact avec le réel et la présence du thérapeute, le patient soit se laisse conduire par un flot d’images ou d’impressions intensément vécues (premier SHO), soit (second SHO) assisté par le thérapeute-invoquant, il chemine, laborieusement, dans un monde qui ne s’organise qu’en proportion des interventions du thérapeute. Nous verrons lesquelles. Scénario hypno-onirique et dépersonnalisation Au cours de son SHO la patiente se revoit, enfant âgée de sept ou huit ans, installée dans une petite niche creusée naturellement au sommet du tronc d’un arbre, là très précisément où « les branches se séparent ». Elle se sent si bien qu’elle ne manifeste aucune intention d’en sortir. La situation, notons-le, est on ne peut plus régressive (« retours aux sources »). Voici in extenso la suite du SHO : OP : – « Vous êtes actuellement dans cette niche ? – Oui. OP : – Quelles impressions éprouvez-vous ? – J’ai l’impression d’être toute petite (...) j’ai l’impression que tout... est noir... j’ai l’impression d’être qu’un point... (long silence)... OP : – Vous allez laisser ce point que vous êtes devenir ce qu’il a envie de devenir. – Ça tourne (...) OP : – Laissez tourner. – J’ai l’impression de vitesse, de pesanteur comme si j’étais attirée... comme si j’étais une météorite... je suis à la fois lourde et complètement... je sais pas où je suis... OP : – Laissez les choses prendre forme. – J’ai l’impression d’être énorme là, lourde très lourde... tout à l’heure j’avais l’impression de partir à gauche, maintenant c’est à droite et je redeviens un minuscule point (...) je sais pas comment décrire ce qui m’arrive... mes jambes sont tendues comme si je voulais résister ou tenir... cette sensation d’être comme de la fonte et pas exister en même temps... je sais pas où je suis... y a rien autour de moi... j’ai l’impression d’être comme un point en orbite comme si ça montait... (...) je sais pas... j’ai l’impression de n’être qu’un battement... mes yeux oscillent complètement... oui un battement... OP : – Imaginez un battement d’ailes. – Effectivement c’est comme si les ailes battaient... mais là quelque chose de lourd comme s’il ne pouvait pas y avoir d’envol... j’aurais envie d’être un oiseau blanc très grand et qui à force de battre des ailes réussit à s’envoler... il s’envole là... tout est blanc... y a pas de forme pas de... pas d’images... OP : – Vous-vous sentez toujours oiseau blanc ? – Oui (...) là y a plus rien... là c’est noir... tout noir...
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OP : – Pourriez-vous à nouveau vous retrouver dans cet arbre que vous décriviez tout à l’heure ? – C’est dur... j’étais plutôt avec votre bougeoir... OP : – Vous pouvez le décrire ? – Oui, il est légèrement oblique, il a une forme d’envol justement. » [Fin du SHO] Commentaires au sortir de la transe hypnotique
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« Impression d’une vitesse phénoménale... une force de dilatation sur laquelle l’extérieur n’a pas de prise... quelque chose qui se joue pour soi-même, en soi-même... impression que quelque chose part... c’est lâcher le réel... dans le « partir », aller quelque part mais on ne sait pas où... une force quelque part qui vous appartient et qui ne vous appartient pas. »
Le lecteur aura noté que mon intervention est moins « contenante », dans le sens classique du terme, que « facilitante », c’est-à-dire, « contenante-dynamisante». J’offre à la patiente la possibilité de recourir à ses ressources (ses yeux qui « oscillent » – ses paupières effectivement battaient très fort – se transforment en battements d’ailes). L’oiseau qu’elle se sent être alors, presque immédiatement, ira se poser sur mon bougeoir qui évoque l’envol d’un oiseau. Je suis donc partie prenante de son scénario onirique, au même titre que mon environnement. La patiente, à l’évidence, se meut dans un « espace onirique » qui, de par mon intervention, intègre de façon manifeste l’ensemble de mon bureau. Elle s’y sent à l’aise, et probablement en sécurité. La transe qui a été la sienne, proche d’une dépersonnalisation, a pu être vécue, modulée et « harmonisée » en raison précisément de deux facteurs : ma présence et l’agencement particulier de mon bureau qui se veut accueillant, d’une part, et d’autre part, la maîtrise, toujours relative, cela va de soi, d’une technique, celle de mes interventions. Le second SHO précisera cet aspect important de l’hypnothérapie onirique. Scénario hypno-onirique et « éveil » d’un univers onirique Après avoir fait un SHO dont le thème était : « Vous remontez un cours d’eau jusqu’à sa source », la patiente est invitée quelques semaines plus tard, à se resituer au lieu-dit de cette source, mais cette fois-ci en s’imaginant adulte. La première fois elle s’était vue petite fille âgée de quatre ou cinq ans, dans un lieu idyllique, désireuse de trouver « Dieu le Père » sur terre. Voici son SHO : – « (...) J’ai l’impression que c’est un paysage complètement désert... (...) OP : – Décrivez-le.
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– Pas d’arbre... dénudé... que de la lande... et la rivière... je me sens perdue... perdue... (...) j’ai l’impression que je trouve pas de repères dans ce paysage... je sais pas où je suis... je sais pas où accrocher mon regard... c’est toujours pareil... y a des genets... je me sens hors du monde... perdue... je sais pas... si j’appelais si on m’entendrait... (...) y a que l’eau qui coule... claire... pure... dans ce paysage y a que l’eau qui m’attire... je me dis que je serais bien dans l’eau... en Corrèze ... OP : – Décrivez ce que vous voyez. – Je vois rien justement... (...) j’arrive pas à dire ce que je fais là... je sais pas comment je suis venue et je sais pas où aller... (...) j’ai pas envie de marcher... je m’assois sur un rocher et je regarde l’eau... l’eau ça file... (...) je suis assise sur une pierre et je sais pas quoi faire... (...) vous m’avez dit d’être adulte... j’arrive pas à me voir d’âge... le décor est intemporel... moi aussi... (...) y a des fois quand je me promène dans la nature j’ai pas conscience de mon âge... (...) OP : – Décrivez la pierre sur laquelle vous êtes assise. – C’est une pierre lisse en granit... en Corrèze... OP : – Oui, continuez. – Pierre lisse... en hauteur... ça me permet de surplomber l’eau... là je la vois lisse... en forme de cône... un peu pointue... je sais pas ce que je fais là... je regarde l’eau... (...) en regardant l’eau je me dis parfois que j’aimerais être poisson... ou libellule... (...) je suis pas assez légère pour être poisson dans l’eau ou libellule... je suis lourde sur ma pierre... (...) je regarde les oiseaux qui vont ils savent pas où... mais ils vont... j’aimerais avoir la liberté des oiseaux... la grâce de la libellule... (...) c’est comme si j’étais dans cet endroit désert... une nature pour des animaux... mais y a pas d’humains... (...) je suis pas très sûre que j’ai envie de rester là... (...) cet endroit solitaire me renvoie à un abandon... OP : – Vous pourriez vous lever de votre pierre. – Oui... mais je sais pas où aller... OP : – Marcher. – Il faut que je me trouve un chemin... le seul chemin c’est l’eau... mais c’est pas facile... suivre le courant... je sais pas où ça va m’amener... (...) je sais pas comment je suis arrivée là... j’ai plus qu’à marcher dans l’eau... (...) finalement je cherche une ferme... il faut que je trouve un endroit habité... une fois ma grand-mère s’est perdue dans la campagne... elle a été rassurée en entendant un coq chanter... (...) je me dis qu’il faut pas que je reste longtemps dans cet endroit... sinon je vais disparaître... (...) je serais rassurée de voir une ferme... une ferme... une basse cour... (...) je me dis qu’il doit y avoir une ferme... je sais pas où... (...) c’est comme si j’étais assise sur une pierre... avec un gilet rouge... et que je me dis « je sors de là pour trouver un endroit habité » je sais pas... (...) le gilet rouge c’est le vêtement des bergères qui gardaient les moutons... (...) ça y est maintenant je peux dire que je suis une bergère... que j’ai une maison une ferme... je sais pas trop où mais elle est là... (...) c’est peut-être moi la fermière... je retrouve ma maison mais
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pas des gens autour pour l’instant... au moins... je sais qui je suis... tout à l’heure j’étais personne... (...) et si je rentre dans la maison j’aimerais bien que quelqu’un m’attende... je voudrais pas être seule... (...) quand j’étais petite ma grand-mère nous préparait des desserts... oui ça serait comme ça... manger... (...) au coin du feu... (...) je passe de l’eau aux flammes... j’avais envie d’un coin plus chaud... (...) [Fin du SH] Commentaires au sortir de la transe hypnotique
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« J’étais perdue... perdue... vraiment perdue... (...) perdue [regard dans le vague] je savais pas où aller... ça c’était terrible... j’avais envie de retourner dans l’eau... j’étais déprimée... finalement je me suis retrouvée en Corrèze... avec le souvenir de ma grand-mère. »
Conduire un scénario hypno-onirique comme celui-ci n’est possible que si l’on est sensible dans son corps, dans « la vie des tissus », comme dirait Winnicott, au mouvement dans l’espace onirique du patient. Ce mouvement peut être léger et facile, ou au contraire entravé, écrasé, frappé d’inertie ou à l’inverse, en excès, inconsistant, désincarné. Dans ce second SHO j’interviens à des moments précis et en raison de ce qui se joue dans cette sorte « d’aire transitionnelle ». Voyons rapidement ces interventions. À plusieurs reprises je demande à la patiente de décrire. L’invitation à décrire, ce qu’on voit, ce qu’on ressent, ce qu’on aimerait faire dans l’espace onirique, est l’intervention de base. L’objectif est toujours soit de ramener le patient à l’espace onirique lorsqu’il s’en évade, soit de lui permettre, par la description, d’ouvrir cet espace, – ce peut être aussi un espace intérieur (sentiment, émotion) – et ainsi de lui suggérer indirectement la possibilité d’un déplacement, qu’accompagne toujours un sentiment de liberté. Dans le SHO rapporté plus haut, ma deuxième intervention (« Décrivez ce que vous voyez ») visait précisément à ramener la patiente dans son espace onirique qu’elle était, comme à son habitude, sur le point de quitter. Sa tendance « naturelle » – elle a sept ans de psychanalyse derrière elle – était toujours d’associer des souvenirs à des images qui émergeaient spontanément. La troisième (« Décrivez la pierre sur laquelle vous êtes assise ») est très importante. La patiente est en train de perdre pied (« le décor est intemporel... moi aussi... »), un vécu de dépersonnalisation relative se profile. Il faut alors lui offrir la possibilité de « se poser », il faut l’assurer d’une assise – comme pour la patiente du premier SHO – en puisant dans son « lexique » personnel d’images. D’où mon intervention. À partir de là on note un déploiement
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beaucoup plus souple, plus aisé de l’imaginaire. L’espace est plus ouvert et le mouvement s’affirme. Une dernière remarque à propos des interventions qui ont suivi. Pourquoi « Vous pourriez vous lever de votre pierre » ? Simplement parce « Je suis lourde sur ma pierre... j’aimerais avoir la liberté des oiseaux... ». Pourquoi « marcher » ? Il s’agit d’une invitation en réponse au « mais je sais pas où aller ». Mais pourquoi « Marcher » ? La patiente est, qu’on me permette l’expression, une « marcheuse de première », préférant aux transports en commun, les déplacements à pied. Elle marche régulièrement deux à trois heures par jour, pour, dit-elle, garder la forme.
C ONDITIONS ET CADRE HYPNO - ONIRIQUE
DU SCÉNARIO
Un certain nombre de conditions cependant sont nécessaires pour qu’un tel éveil de l’onirisme puisse avoir lieu. Elles sont au nombre de deux : conditions inhérentes au thérapeute et à l’espace thérapeutique. C’est dans cet ordre qu’elles seront examinées. Conditions inhérentes au thérapeute L’hypnose est toujours déjà là, à l’état potentiel chez tout sujet, avant même sa réalisation effective. Elle n’est pas une création artificielle de l’hypnothérapeute. Celui-ci ne fait qu’éveiller cette potentialité, il ne fait que l’actualiser. Une disponibilité intérieure – supposée présente chez le patient – est cependant nécessaire pour qu’un tel éveil puisse s’accomplir. Disponibilité dont les caractéristiques sont les suivantes : le patient doit être capable, tout à la fois de s’abstraire d’un contexte social en le mettant entre parenthèses, de coïncider intimement avec un « vivre » sans recul, irréfléchi comme une vague portée par la houle, et enfin de faire appel au thérapeute (question de confiance !) pour favoriser cette coïncidence, spontanéité pleine tout à la fois de promesses et de menaces. Notons que cette disponibilité supposée est tout à la fois condition de la mise en œuvre de la conduite décrite plus haut, – rien ne peut se faire si elle n’est déjà virtuellement là – et objectif de la thérapie – « effectuation », dans la réalité, de ces capacités. Le patient est donc appréhendé par l’hypnothérapeute comme un sujet déjà doté des qualités que la thérapie est censée lui apporter. S’il ne l’était pas, la thérapie serait impossible.
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Par ailleurs, l’hypnothérapeute doit déployer naturellement une certaine présence à même de favoriser l’éveil de l’onirisme. En soi, elle n’a rien de particulièrement original. Elle fait appel à trois qualités qui peuvent, au demeurant, autant s’éveiller que se développer : outre celle d’entrer aisément en auto-hypnose, celle d’être, d’une part, tout particulièrement sensible à l’onirisme, à son emprise aliénante comme à ses potentialités structurantes, libératrices et, d’autre part, à l’« au-delà » de cet onirisme. Et cette sensibilité en dernière instance n’est rien d’autre qu’une attention portée à la psyché humaine telle que l’entendait Castoriadis. « La psyché est imagination radicale et, comme telle, essentiellement indétermination. Indétermination ne veut pas dire chaos, inconnaissable absolu, singularité ineffable. L’universel y est présent sous de multiples formes, le connaissable aussi, presque tout peut se dire. Mais le nouveau, la création, l’autoaltération y font toujours irruption1 . » (Castoriadis, 1978, p. 90)
Conditions liées à l’espace thérapeutique Elles sont doubles. Par « espace thérapeutique » il convient d’entendre non seulement l’agencement de la pièce où se déroule la cure, mais encore son aménagement.
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•
L’agencement. C’est dans son acception un peu vieillie, que le terme d’agencement, c’est-à-dire, l’action d’agencer, est utilisé ici. Initialement « agencer » signifiait « rendre gracieux2 » en disposant de manière agréable un certain nombre d’éléments. Il s’agit donc, en ce qui nous concerne, de coordonner les éléments constitutifs de la pièce où se déroule la thérapie (fauteuils, bureau, bibliothèques, etc.) de façon à produire un effet d’harmonie que nous dirons intimiste. Harmonie intimiste, car il importe d’offrir au patient une ambiance d’accueil à la mesure de son besoin d’intimité personnelle. Une ambiance où le patient est invité, à la dérobée du temps des horloges, à se mettre « en jachère » selon la très belle expression de Masud R. Khan (Winnicott, « Être en jachère », p. 52). Un lieu propice au rêve. Et à ce titre – on l’aura probablement
1. N.D.A. : C’est moi qui souligne. 2. Gracieux : (Nous retiendrons essentiellement trois acceptions de ce mot): a) Qui témoigne de grâce, de bienveillance ; b) Qui est aimable, qui cherche à être agréable dans les relations sociales ; c) Qui est accordé sans être dû, sans que rien soit exigé en retour (Le Robert).
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compris – cet espace, ou plutôt son agencement, ne sera jamais que le reflet de la personnalité du thérapeute, une métaphore de sa capacité à « contenir ». • L’aménagement. Les éléments qui meublent la pièce où se vit la thérapie – car la thérapie est un temps de vie partagé – ne sont pas seulement agencés de façon à constituer un cadre accueillant. Ils sont également, du moins certains d’entre eux (fauteuil, divan, et parfois bureau), « aménagés », c’est-àdire, « distribués pour un usage précis1 ». Cette distribution cependant, bien que réalisée à des fins exclusivement fonctionnelles, et qu’on pourrait donc supposer étrangères à tout autre préoccupation, se trouve être toujours en accord avec l’agencement de l’espace thérapeutique. En hypnothérapie onirique la séance d’hypnose proprement dite – celle où le patient, en hypnose, produit un scénario onirique – est toujours réalisée en position allongée. La reprise de ce scénario est obligatoirement effectuée en face-à-face. Nous avons, après un temps d’hésitation, remplacé le divan par un fauteuil relax. À la différence, cependant, de ce qui se pratique d’ordinaire, nous nous déplaçons pour la séance d’hypnose et venons prendre place à côté du patient. Dans cet aménagement, le patient change de position (de la position assise à la position allongée) mais non de place, alors que le thérapeute change de place, il passe du fauteuil-face-à-face au fauteuil-hypnose. Le faceà-face se déroule toujours à une distance que Hull (1978, p. 145 sqq.) qualifie de « sociale proche » qui jouxte parfois la « distance personnelle éloignée ». Patient et thérapeute sont approximativement à une distance qui avoisine les deux mètres, distance qui, selon Hull, marque la limite du pouvoir sur autrui. À cette distance l’emprise physique sur l’autre est impossible. La séance hypno-onirique, quant à elle, se déroule à une distance rapprochée, entre – toujours selon Hull – la « distance intime éloignée » (40 centimètres) et la « distance personnelle proche » (75 centimètres). Le thérapeute se situe à l’intérieur de la « sphère protectrice » du patient. La voix, toujours un peu étouffée, est souvent entendue comme véhiculant des informations qui ont trait au corps. À cette distance, toucher l’autre est toujours possible. Comme on le voit, c’est le thérapeute qui s’approche de l’espace « personnel-proche », voire pénètre dans celui « intime-lointain » du patient. Alors qu’ordinairement c’est le patient qui se déplace et pénètre dans l’espace « personnel » du
1. Le Robert.
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thérapeute qui lui ne bouge pas. Le thérapeute, ici, va à la rencontre du patient lorsque celui-ci s’ouvre à lui, et l’attend.
L’ ÉVEIL À / DE L’ ONIRISME
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(Se) communiquer à ... Complexité de la communication en hypnothérapie onirique J’ai choisi cette expression où la forme transitive du verbe (communiquer), et la forme réfléchie à valeur passive (se communiquer), s’interpénètrent, pour suggérer la complexité d’une réalité humaine révélée par l’hypnothérapie onirique. En effet, un patient en transe hypnotique, invité, à partir d’une métaphore inductive, à produire un scénario onirique, non seulement communique les images, les impressions, les émotions qu’il est en train de vivre, mais, sans même expressément le vouloir, ni le savoir, il se communique au thérapeute. Même si la forme est passive, l’intention, elle, est active. Il se communique au thérapeute parce que le thérapeute est là pour ça. Le patient lui suggère, en quelque sorte, un « je ne sais quoi » de son être, à condition, toutefois, qu’au préalable le thérapeute lui ait fait entendre, en l’invoquant, qu’il y sera sensible. Dans un premier temps j’ai surtout été attentif à une communication qui me semblait s’effectuer uniquement sur un mode transitif (communiquer) passif et réfléchi (se communiquer). Assez rapidement, cependant, alerté si je puis dire par la répétition de certaines séquences de scénarios oniriques, une perspective inattendue s’est présentée à moi, qu’une analyse plus attentive du champ lexical couvert par le verbe « communiquer » confirma. « Se communiquer » pouvait revêtir un sens impersonnel, ou anonyme, n’ayant rien à voir avec le sens réfléchi à valeur passive. Et ce sens impersonnel renvoyait, dans les scénarios oniriques, à des séquences qui semblaient au patient complètement étrangères à son univers personnel manifeste. Elles n’étaient pas, en soi, absurdes, simplement elles ne lui appartenaient pas en propre, ou du moins elles ne le concernaient pas en tant que personne. Il en va ainsi, très souvent, de l’agressivité. •
Communiquer : le sens premier du verbe communiquer, comme on le sait, est « rendre commun », « mettre en relation », c’est-à-dire établir entre au moins deux personnes des liens de dépendance et d’influence réciproques. Ce qui exige, pour le moins, la reconnaissance, par chacune de ces personnes, de l’autre en tant qu’alter ego. L’usage diffracte ce sens en de multiples acceptions telles que « faire part », « transmettre », « donner communication », qui n’intègrent pas forcément l’idée de dépendance ou d’influence. L’idée, cependant,
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d’un échange de personne à personne, demeure ici déterminante. On transmet à quelqu’un, on fait part à quelqu’un, et toujours de quelque chose. Par essence, la communication serait donc transitive, et s’établirait autour de quelque chose, d’un terme commun ou à rendre commun. Se communiquer : mais que dire de se communiquer ? De cette forme d’origine pronominale à sens réfléchi, mais de valeur actuellement passive ? Qui communique ? Et à qui ? S’agit-il encore d’un pronom relatif désignant une personne (le qui latin) ? Ou une chose (quid) ? – Sens impersonnel : L’usage relève à propos de se communiquer des exemples puisés dans des comportements tels que bailler, rire, des comportements qui, comme on le sait, se communiquent, mais aussi dans des sentiments tels que la joie, la tristesse, l’angoisse, ou bien encore en physique (le mouvement des corps se communique). Dans ces exemples, « se communiquer » a une valeur passive, mais son sens est impersonnel. Le comportement, par exemple, ou le sentiment, pour ne citer qu’eux, s’ils se communiquent, ce n’est jamais qu’en un mouvement d’expansion non intentionnel, impersonnel et souvent anonyme, qui gagne de proche en proche et envahit tout l’espace. On pourrait dire : il y a bâillement ; il y a rire ; il y a joie, il y a angoisse. Et cet il y a s’empare de moi, s’impose à moi ; je ne puis m’en défaire. Il en va de cet il y a comme du caractère onirique de notre présence au monde. « Peut-être avant toute pensée formulée, nous dit Éliane Amado Lévy-Valensi, se situe, insaisissable pour les animaux pensants que nous sommes (...) une pensée onirique que nous retrouverons plus ou moins domestiquée chez les « civilisés » que nous sommes aussi » (Lévy-Valensi, p. 61-62). De l’onirique donc insaisissable, et probablement débridé, à l’onirique domestiqué, c’est-à-dire subjectivé, appartenant en propre à une personne. – Sens réfléchi : Bien que l’usage n’ait conservé de cette forme que sa valeur passive, avec parfois un sens impersonnel, il ne me semble pas inutile de réactiver son sens réfléchi. Pour ce faire, recourons à des fins didactiques, sans aucune prétention métaphysique, du moins à ce stade de notre argumentation, au cogito ergo sum, au cogito cartésien tant décrié. Considérons le « je pense » (cogito) non pas comme un acte de réflexion qui pose un « Je », mais comme un constat, celui de l’émergence (pas encore « en moi ») d’un flot mouvant qui est là, un flot de pensées et d’images, un flot qui (m)’anime, voire (m)’emporte, un flot venu, surgi d’on ne sait où. Mais il est là. Le ergo sum – « donc je suis » – est une reprise, une appropriation du
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cogito. L’impersonnel du cogito – je le dis en m’inspirant de Michel Henry (2002. p. 42) – est une « venue dans la vie », un « flux » qui me porte et m’emporte, le ergo sum est une « venue au monde », un « avoir-être ». Nous ne pouvons venir au monde qu’après être venus dans la vie. Et venir au monde c’est transmuer, presque dans le sens alchimique, le se communiquer impersonnel en un se communiquer réfléchi à même de constituer le sujet. Or cela n’est possible qu’en référence à un interlocuteur qui de par sa présence – de par la communication réciproque « transitive » – conditionne ce passage de l’impersonnel au réfléchi. Il permet, en la suscitant, une appropriation de l’impersonnel, il permet un « avoir à soi » de l’ « être anonyme ». •
L’anonyme, le réfléchi, le réciproque. Ainsi c’est à trois ordres de réalité qui s’interpénètrent que nous avons affaire. On ne peut communiquer, dans le sens courant de ce verbe, sans laisser advenir un deuxième niveau, un « se communiquer réfléchi », révélateur lui-même d’un troisième, un « se communiquer impersonnel ». Hiérarchisons, à des fins didactiques, ces trois ordres de réalité :
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– En premier lieu, l’impersonnel envahissant, anonyme, non intentionnel, du registre par exemple, de la Nature ou de la Physique. Autrement dit, de la Vie, appelons-la « amazonienne », onirisme débridé sans foi ni loi. – Ensuite, l’impersonnel qui se réfléchit, et qui, parce que plus intentionnel, se subjective. – Et enfin la relation avec un sujet, relation réciproque de communication autour d’un terme plus ou moins objectif. En voici une représentation schématique : •
L’attitude du thérapeute. Lorsqu’un thérapeute est présent à un patient, il vit, ou plutôt éprouve, dans le désordre, mais non dans la confusion, ces trois niveaux de communication. Mais faut-il encore qu’il soit réellement présent. La présence du thérapeute au patient ne se réduit pas au fait d’être « auprès » du patient, ou en face de lui, ne se réduit pas à l’écouter et à le comprendre. Tout cela est important certes, mais ne suffit pas. La présence à... n’est pas seulement une attention « flottante » au « communiquer », à ce que « dit » le patient. Elle est aussi une dépersonnalisation « contrôlée », comme on le dit d’un dérapage, un abandon de soi au « se communiquer » impersonnel, à l’« il y a »
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IMPERSONNEL se communiquer
RÉFLÉCHI
RÉCIPROQUE
se communiquer
communiquer
La réciprocité dans la communication permet une reprise de l’impersonnel anonyme par un sujet devenant dès lors authentiquement sujet. À ce titre la communication « réciproque» est un contenant qui se doit d’être tout à la fois « accueillant » et « ferme ». Une rupture dans cette communication entraîne de facto un appauvrissement du réfléchi, un envahissement par l’impersonnel, porte ouverte alors, parfois aux « états limites », parfois à la psychose.
Figure 4.1. La relation invocante
vaguement anonyme1 . Il faut tout à la fois et, paradoxalement, invoquer activement l’impersonnel anonyme et s’ouvrir à lui, passivement. Par être présent il convient donc d’entendre une disposition particulière qui pourrait être comprise comme une dépersonnalisation temporaire associée à une réflexion inchoative. Cette disposition qui ne se réduit pas à l’attention flottante portée au discours du patient, est par nature invocatoire. Elle en appelle à la Vie d’une personne vivante, et se retrouve aussi bien au cours de la production du scénario onirique – nous l’avons vu – que lors de sa reprise, lorsque le scénario est « travaillé ». En quoi consiste précisément cette disposition ? Il n’est possible, me semble-t-il, d’en rendre compte, qu’en prenant sur l’hypnose et sur la production onirique le point de vue du cogito cartésien tel que rapporté plus haut. Ce point de vue est la clef qui ouvre l’accès à une rencontre authentique lors de la reprise du SHO, en face à face. La présence onirique domestiquée. Présence onirique et pensée onirique Le passage du cogito au sum est un véritable bond, une mutation. Une mutation d’identité. Le ergo est trompeur, car c’est faire de la pensée, de la raison en particulier et de la seule conscience de soi, ou de l’introspection, le moteur de cette mutation. Or ce n’est que parce que je m’adresse à l’autre, à un thérapeute, en lui « faisant part », à mon insu, via le SHO, d’une (mienne) présence onirique au monde, que ce passage 1. Dans le sens où l’entend Emmanuel Lévinas dans De l’existence à l’existant.
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du cogito au sum est possible. Passage d’un onirisme insaisissable, mouvant, inconsistant, et souvent aliénant, passage d’une présence onirique à une pensée onirique (présence domestiquée) appartenant en propre à une personne humaine. Voici un exemple, à titre d’illustration. De la présence onirique à la pensée onirique Au cours de la toute première séance d’hypnose, Georges, sur mes conseils, se laisse porter par ce qui se présente à lui, histoire de faire, en quelque sorte, connaissance avec la transe hypnotique. « On » lui avait dit, au terme de ses deux ou trois tentatives psychanalytiques, qu’il n’avait pas d’imaginaire. Il est donc tout à la fois inquiet et curieux. Or tout se passe bien. Il est surpris par l’émergence « spontanée » dit-il, d’un certain nombre d’images, et en particulier d’une séquence. Il est assis à un bureau dans un lieu calme et paisible, un peu en hauteur, comme sur une estrade. Il est instituteur ou professeur. Devant lui des élèves. Il ne les voit pas, mais il sait qu’ils sont là, sages, attentifs. Quant à lui, il goûte sereinement cet instant de travail et de recueillement.
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Comme je ne reprends jamais un scénario hypno-onirique immédiatement après sa production, nous attendons donc la semaine suivante. Georges revient sur la séquence mais uniquement pour souligner sa satisfaction de constater qu’il est bel et bien doté d’un imaginaire. Puis il me parle de son blog et du plaisir qu’il éprouve à le rédiger, et surtout du bonheur ressenti lorsque « tant de lecteurs » lui manifestent leur contentement. Or dans son blog, il fait surtout part de l’intérêt qu’il porte à la recherche, lui le « pied noir », de ses racines judéo-berbères. Je reformule la situation : « Vous êtes donc assis à votre bureau et vous rédigez votre blog en pensant à tous ces lecteurs qui vont vous lire ». Et j’ajoute : « Probablement dans un cadre calme et paisible, presque de recueillement ». Il n’en faut pas plus pour qu’il établisse un lien avec la séquence onirique. Elle traduit effectivement ce qu’il fait et ressent, lorsqu’il rédige son blog.
Nous passons d’une présence onirique à une pensée onirique. La « présence onirique » c’est ce blog adressé à des interlocuteurs dont il attend la « réciprocité ». Malheureusement ils sont absents ou virtuels (comme les élèves, en transe hypnotique, qu’il ne voit pas). La pensée onirique correspond très précisément à une reformulation, via la séquence onirique, du caractère onirique de la présence de Georges au monde et surtout aux autres. Georges s’approprie ainsi une problématique qui, pour l’instant, ne fait que s’annoncer. Je vais devoir favoriser de plus en plus le passage de l’impersonnel au réfléchi. Entre lui et les autres il y a un écran qui offre la possibilité d’un « contact » chaleureux – et « magistral » – malgré le caractère impersonnel de la relation. Vécu pour le moins
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conflictuel. La quête de ses racines judéo-berbères, associée au fait qu’il n’ignore pas mes origines juives, est probablement ce qui a contribué à l’émergence « spontanée » de la séquence. C’est le côté vivant de Georges qui transparaît dans cette spontanéité, et dans la satisfaction clairement manifestée par lui d’être doté d’un imaginaire. D’un côté un « schème comportemental » aliénant, de l’autre un « élan vital » en quête d’une assise. La thérapie peut commencer. Il y a bien un éveil de l’onirisme (Georges le note avec satisfaction), et un éveil à l’onirisme (Georges est capable d’établir une relation entre la séquence onirique – modalité cognitive – et un comportement dans la réalité – modalité comportementale).
L’ APPROCHE
COGNITIVISTE EN HYPNOTHERAPIE
Présence onirique – pensée onirique
« L’arbitraire de l’inspiration » En règle générale, le passage de la présence onirique à la pensée onirique ne se réalise pas aussi rapidement (Georges en était à sa quatrième séance, et première séance d’hypnose). À l’origine de tout processus thérapeutique il est toujours une phase plus ou moins longue où ce qui prévaut est « l’arbitraire de l’inspiration » du thérapeute. Sa présence onirique entre en résonance avec la présence onirique du patient. Rien n’est encore pensé. Nous sommes au niveau du cogito évoqué plus haut. Ce n’est que progressivement que va s’élaborer une « lecture » plus thématisée de la problématique du patient, c’est-à-dire le passage de la présence onirique à la pensée onirique (Binswanger, 1971b). Par l’expression « arbitraire de l’inspiration », que j’empreinte à Binswanger, je n’entends pas une forme de révélation soudaine teintée de certitudes, mais bien plutôt une sensibilité exacerbée à ce qui chez le patient se montre en se cachant. « Quelque chose » vibre, puis se tait, ou se retire, qui n’ose s’afficher ouvertement, mais que je dois cependant entendre, bien plus que voir. Car, autant dans le face-à-face que dans les scénarios hypno-oniriques, j’entends bien plus que je ne vois, ou plutôt je ressens, – une façon profonde d’entendre – ce que le patient me donne à voir. C’est dans ce sens que je puis utiliser le terme « arbitraire », car rien, objectivement, ne justifie, ou conforte, ce ressenti. Et pourtant c’est lui, et lui seul qui me permet d’entrer en
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résonance avec celui, pour l’heure inavoué, du patient. Mon ressenti « libère » le ressenti du patient, et lui donne une séquence visible et lisible d’expression. Ce ressenti prend toujours appui, d’une part sur ce que raconte le patient, sur les images dont involontairement il use, sur des souvenirs, des scènes vécues de son passé, et d’autre part sur la « stylistique de sa présence », sur sa façon, contrastée parfois, d’exprimer, de rapporter ce qu’il vit ou a vécu. Insensiblement alors, pour peu que je me laisse porter par ce « donné à voir et à entendre », j’entre en résonance avec la présence onirique du patient, et s’éveille en moi ce que j’ai appelé une pensée onirique, l’ébauche d’une structure en forme d’étonnement – « l’arbitraire de l’inspiration ». Une opposition binaire prend forme, une contradiction que je sens conflictuelle, mais, pour l’heure, a minima. C’est un peu comme si, à la suite d’une sorte de réduction phénoménologique non intellectuelle – un état hypnoïde – un accès s’ouvrait vers une première ébauche de ce qu’on pourrait considérer, toutes proportions gardées bien sûr, comme l’essence de l’être-au-monde-pathologique du patient. Cette première ébauche peut être considérée comme un fil rouge – première hypothèse de travail – autorisant l’entrée dans le processus hypno-onirique.
L’ébauche thématique
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En présence de Sandrine Ce qui d’emblée étonne chez Sandrine, femme de 40 ans, c’est sa façon de me regarder alors que j’ouvre la porte. Un regard à peine esquissé, d’une étonnante timidité, et qui, immédiatement en retrait, balaye le sol comme écrasé. Assise, il lui faut quelques minutes avant que son visage ne s’ouvre et que son regard ne se fasse vivant, souriant. Alors elle parle, raconte son histoire, se plaint, s’interroge. Lorsque la séance est terminée et que je la raccompagne, elle retrouve sa timidité, et je dirais presque son abattement. Quelque chose de gris, de terne s’empare d’elle lorsqu’elle s’en va. Elle semble avoir toujours raté quelque chose. Je n’ai pas pour habitude de rendre compte conceptuellement de ce que je ressens. Je le fais par images. Ici, spontanément me vient celle de Cendrillon. Une image, au demeurant, qu’elle conforte en me faisant part de « retrouvailles ferventes », selon ses termes, avec un père parti lorsqu’elle avait deux ans, puis perdu définitivement, enlevé par la mort peu de temps après les retrouvailles. Elle évoque également son « éclatante » réussite professionnelle, mais toujours incertaine parce qu’elle n’est jamais assurée d’être celle qu’elle donne à voir. Je lui propose alors le « planigramme d’anticipation » de Mario Berta.
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LE
T HÉORIES ET MÉTHODES EN HYPNOTHÉRAPIE
PLANIGRAMME D ’ ANTICIPATION DE
M ARIO B ERTA
Présentation de l’Épreuve Il s’agit non d’un test, mais d’une exploration dans le sens positif du terme, une exploration, ou comme il a été convenu de l’appeler, une Épreuve d’Anticipation. Elle a été mise au point par Mario Berta, psychiatre à Montévideo (Berta, 1983). « Elle permet, selon Jean Sutter, d’accéder de plain-pied à l’organisation axiologique la plus intime, la plus authentique du sujet exploré [...] Elle permet d’apprécier l’organisation morale du sujet, de connaître son degré de développement et d’autonomie. Elle montre, chez l’un, l’asservissement à un système rigide d’oppositions conventionnelles, le rejet aveugle de pans entiers de la personnalité ; chez l’autre, l’ébauche au moins d’une disponibilité, d’une ouverture que la psychothérapie saura exploiter. Au terme d’une série d’explorations conduites à l’aide de techniques ingénieuses, elle aboutit, sans que l’intéressé ait eu conscience de ce qu’il livrait de lui-même, à un psychodiagnostic dont les données essentielles sont visibles sur un diagramme ou un « planigramme » facile à établir et à déchiffrer1 . »
L’Épreuve ne comporte, en réalité, qu’une seule consigne qui, si elle est acceptée, engage le sujet dans un jeu, pour lui, on ne peut plus plaisant. Voici cette consigne2 : C ONSIGNE DE L’ ÉPREUVE D ’ ANTICIPATION DE M ARIO B ERTA [1] « Nous sommes dans le futur, en 5766. Des officines vous offrent la possibilité de vous réincarner, après votre mort, dans un minéral, un végétal, un animal ou une chose, mais pas dans un être humain puisque vous en êtes un et que vous en avez l’expérience. En quoi aimeriez-vous vous réincarner ? » La réponse étant obtenue, on poursuit : [2] « Vous voulez vous réincarner en (????). C’est bien. Or, moi je viens d’une planète d’au-delà du système solaire, et pour moi (????) ça ne veut rien dire. Donnez-moi cinq déterminants de (????) pour que je puisse m’en faire une idée, même vague ». Les cinq déterminants étant obtenus, on passe à la troisième question. [3] « L’officine que vous avez choisie est très sérieuse et vous offre toutes les garanties. L’une d’entre elles est que jamais, au grand jamais vous ne
☞ 1. Ibid. Préface de Jean Sutter, p. 12 et 13. 2. N.D.A. : Je l’ai quelque peu adaptée à mon style d’intervention.
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☞ vous réincarnerez dans ce que vous ne voulez absolument pas. En quoi n’aimeriez-vous jamais, au grand jamais, vous réincarner ? » [4] « Vous ne voulez donc surtout pas vous réincarner en (!!!!). C’est bien. Or, moi je viens... etc. Donnez-moi cinq déterminants de (!!!!) pour que je puisse m’en faire une idée ». [5] « Revenons à votre choix positif initial. Vous voulez donc vous réincarner en (????). Vous allez maintenant vous mettre dans la peau de (????) en essayant de ressentir, de vivre, ce que ressent et vit (????). À partir de ce ressenti, donnez-moi le contraire sous l’aspect d’un minéral, d’un végétal, d’un animal ou d’une chose ». [6] « C’est bien. Nous allons maintenant procéder de la même façon pour (!!!!) ». [7] « Reprenons les cinq déterminants de (????). Pour chacun d’eux vous allez me donner librement, spontanément, le contraire. Ne vous embarrassez pas de logique ». [8] « Nous allons procéder de la même façon pour les cinq déterminants de (!!!!) ». [9] « Vous allez maintenant regrouper les cinq déterminants de [7] en une image et une seule, minérale, végétale, animale ou chose ». [10] « Même chose avec les cinq déterminants de [8] ». [11] « Vous allez maintenant me donner le contraire de [9] ». [12] « Et pour finir, le contraire de [10] ».
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L’Épreuve d’Anticipation de Sandrine En grisé, la séquence positive (ce qu’elle aimerait être). En blanc la séquence négative (ce qu’elle ne voudrait pas être). La bipolarité qui normalement sous-tend et dynamise la personne humaine est ici, comme dans la plupart des cas, transformée en antagonisme conflictuel. En effet, comment être tout à la fois une coccinelle et un cafard ! Mais, et c’est en cela que « le Berta » est unique en son genre, cette opposition rend compte d’une présence onirique au monde, présence que nous percevions sourdement, et que nous avions, dans un premier temps, appréhendée à l’aide de l’image de Cendrillon. Le Berta nous permet de préciser notre « intuition ». L’opposition conflictuelle coccinelle/cafard est certes parlante, mais par trop « visible », un peu comme si les deux images appartenaient à un registre onirique conventionnel. L’opposition, en revanche, qui m’apparaît comme la plus intéressante, et cela dans tous les « Berta »,
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[1]
Animal, insecte.
[3] CAFARD
COCCINELLE
(C’est rebutant, c’est sale)
(Animal sympathique qui fait de mal à personne). [2]
[4]
a) C’est rouge, b) Rond, c) Petit, d) Ca vole, e) C’est agréable.
[5]
a) Vilain marron, b) Allongé, c) Toujours en groupe, d) Répugnant, e) Monstrueux. [6]
BARREAUX D’UNE PRISON
[7]
BOUGIE ALLUMÉE
[8]
a) Noir, b) Triangle, c) Gros, d) Ca se cache, e) Ca pique.
[9]
a) Ocre, b) Carré, c) Isolé, d) Tendre, e) Joli.
[10] (C’est glauque)
Une fleur.
CERCUEIL
FLEUR DE COURGETTE
[11]
[12] LA MAISON
LA POUSSIÈRE
Figure 4.2. L’épreuve d’anticipation
l’opposition la plus révélatrice d’une tenson interne insoutenable, est la dernière. Pour Sandrine, il s’agit de l’opposition maison/poussière1
1. L’opposition n’est plus clairement intentionnelle.
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L’ HYPNOTHÉRAPIE ONIRIQUE
En règle générale, je ne reprends le Berta que superficiellement. Je le parcours avec le patient sans jamais l’approfondir. Je le réserve pour le mettre en relation avec les scénarios hypno-oniriques. Les scénarios hypno-oniriques de Sandrine Après le Berta j’ai proposé, à partir du fil rouge de Cendrillon, trois scénarios hypno-onirique à Sandrine, avec pour thème, successivement, [1] « Vous êtes sur un chemin en pente douce », [2] « Vous êtes devant un pont », et [3] « Vous êtes devant une maison ». Je me limiterai à ces trois scénarios, mon but étant ici de sensibiliser le lecteur à une approche hypno-onirique d’inspiration cognitiviste, et non de lui présenter l’« intégrale » d’une thérapie.
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« Vous êtes sur un chemin en pente douce » – « (...) hm (...) hm (...) c’est un chemin... comme du sable... des cailloux... c’est très sec... c’est poussiéreux(...) sinueux (...) on voit de la végétation autour mais c’est du thym de la garrigue (...) le sol... la terre est jaune ocre (...) c’est pas du tout plat... y a plein de terre... de pierres... des cailloux (...) il faut faire attention pour pas faire (...) par contre où il va je vois pas... OP : – Suivez le simplement. – Hm... hm... (...) hm (...) OP : – Oui ? – Hm (...) là c’est comme s’il y avait une zone... cette partie était sous le soleil... comme si un truc noir arrivait... sombre... ça change... c’est moins (...) c’est moins sympa (...) c’est comme si ça s’enfonçait dans le noir... OP : – Le chemin ? – Oui... c’est... c’est pas comme si c’était en pente douce... on voit pas le bout de la pente... c’est pas doux (...) j’avance pas avec entrain... ça me fait peur... OP : – Décrivez l’endroit où vous vous trouvez. – Bof ça me fait peur (...) comme si c’était (...) j’ai du mal à avancer... un peu coincée... ce que je ressens c’est plus quelque chose qui me fait prisonnière... qui est pas loin de ma tête... qui m’enferme (...) une grotte... c’est froid humide... des gouttes d’eau... ça fait des clapotis... ça fait peur... de l’argile de la terre glaise partout (...) OP : – Vous êtes actuellement dans une grotte ? – Oui ... c’est près de ma tête... je peux pas faire des mouvements et ça... ça m’angoisse [respiration un peu haletante] y a pas d’air... OP : – Décrivez cette grotte en détail. – (...) comme si c’était un sarcophage... quelque chose qui est pas haut... qui permet pas... d’être de toute ma hauteur... peu de lumière... j’aime pas ça... sensation de pouvoir étouffer pas trouver un moyen de s’échapper (...)
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comme si ça pouvait bouger comme si le haut pouvait (...) s’écrouler sur moi (...) m’ensevelir quoi (...) OP : – Essayez de vous déplacer légèrement dans cette grotte. – (...) de chercher de la lumière (...) je suis maladroite (...) j’ai l’impression d’être gauche de pas savoir comment m’y prendre... de pas... d’être malhabile... de pas être réfléchie... faire n’importe quoi... c’est inadapté... c’est (...) après... gratter avec ses doigts comme si on avait des griffes... faire un trou pour s’échapper... c’est humide (...) c’est épais... c’est trop lourd (...) je sens quelque chose qui pourrait s’écrouler sur moi... que trouver une issue pour s’en sortir (...) » [Fin du SHO] Commentaires au sortir de la transe hypnotique. « J’en ai marre de me sentir toujours prisonnière... triste... J’ai l’impression d’avoir une couche superficielle et derrière c’est lourd... une couche de brillant et derrière c’est sombre, c’est noir ».
« Vous êtes devant un pont » –« (...) Hm... j’aime pas tellement les ponts... en plus il est plutôt étroit... y a un vide terrible en dessous... il est très très haut (...) c’est plutôt la montagne (...) j’ai le vertige j’ai (...) j’ai peur de tomber... pas sûre de pouvoir passer toute seule (...) pas passer debout... ramper pour que ce soit moins haut... pour que je vois pas les bords... c’est pas facile... c’est pas très long mais ça me semble mission impossible (...) je cherche un moyen de contourner... même s’il faut marcher plus longtemps... ou alors il faut que je m’accroche à quelqu’un... OP : – Décrivez le paysage. – C’est un paysage comme la Corse... un peu aride... en bas c’est comme un ruisseau... des cailloux... ça sent bon... c’est agréable oui comme un chemin de randonnée qui... tout le monde peut le faire mais (...) moi j’ai peur du vide (...) ça fait penser à la Haute Provence (...) on peut escalader (...) OP : – Qu’avez-vous envie de faire en face de ce pont ? – (...) si c’est pas demi tour c’est contourner... descendre et passer la rivière à pied et remonter de l’autre côté... c’est plus long c’est plus difficile (...) OP : – Et que décidez-vous ? – Je vois un petit chemin... j’ai de bonnes chaussures... je vais descendre... OP : – Vous descendez ? – Oui... OP : – Décrivez votre descente. – Je suis sur les fesses ça va vite... je cours... je transpire... je traverse... y a des pierres... je tombe dans l’eau... je me relève... j’arrive de l’autre côté... je remonte... je m’accroche à des branches... finalement c’est pas compliqué...
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finalement je suis fière parce que je trouve ça plus compliqué que de passer sur le pont... je suis heureuse d’être en haut... OP : – Décrivez ce que vous voyez, ce que vous faites et ce que vous ressentez. – Je suis assise en tailleur et je regarde... je me sens paisible... toute petite mais là quand même au milieu des montagnes (...) une sorte de fierté... pas en colère contre moi... je m’en fous d’être pas passée... j’ai trouvé d’autres solutions... finalement je trouve que c’est bien plus difficile que de passer sur le pont... tout le monde passe sur le pont (...) impression de faire partie du paysage... d’être là tranquille... j’ai fait un effort... et je suis heureuse (...) je suis toute seule... personne autour de moi... que le paysage... la nature (...) je sais pas où ils sont les autres (...) je les ai perdus ou ils sont devant moi... je suis la dernière... ça fait rien je prends le temps de me reposer y aura bien quelqu’un qui viendra me chercher... de s’inquiéter (...) là je commence à angoisser... est-ce qu’ils vont se rendre compte que je suis pas là (...) la tranquillité dure pas longtemps (...) (...) je commence à m’angoisser (...) il va faire bientôt moins jour (...) je peux pas imaginer rester là toute seule (...) je suis tendue crispée (...) OP : – Décrivez le paysage. – Ça s’assombrit ça devient angoissant... c’est la montagne c’est sombre... des bruits inconnus... c’est l’angoisse de rester là... tout ce qui était beau sympa ça devient tout le contraire (...) (...) il faut que je trouve un endroit pour me protéger (...) (...) je peux pas rester comme ça toute seule sans bouger... je suis perdue j’ai envie de crier qu’on vienne me chercher (...) tout est angoissant j’ai peur d’étouffer d’être emportée dans la terre... absorbée (...) j’ai froid... je suis toute recroquevillée (...) » [Fin du SHO] Commentaires au sortir de la transe hypnotique
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« Ca passe d’un truc super à un truc d’Apocalypse... Passer sur le pont c’est être absorbée par le vide ».
R EPRISE
DES SCÉNARIOS HYPNO - ONIRIQUES
Élaboration de schémas dynamiques Que faire de ces scénarios hypno-oniriques ? Pour répondre à cette question il nous faut, au préalable, rappeler ce que nous disions à propos de la relation hypno-onirique. Elle a essentiellement pour objectif de provoquer, par le biais de la transe hypnotique, une dissolution de la conscience, ou une dépersonnalisation, – toujours relative, bien sûr – afin de favoriser la production d’images, témoins tout à la fois de la libération d’automatismes et de l’actualisation d’un potentiel jusquelà en sommeil. Le SHO, comme on le voit, remplit à merveille cette
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fonction de production d’images. Mais qu’en faire ? Un flot d’images à comprendre, à interpréter ? Certainement pas, répond Robert Desoille. Il n’y a pas d’analyse des images après le scénario hypno-onirique. « Le but essentiel qui est poursuivi ici est la révélation au sujet de possibilités nouvelles. L’image a pour cause un état affectif et si cet état varie, l’image varie aussi. Mais la réciproque est vraie : toutes nos expériences l’ont prouvé : si on peut orienter les images dans une direction convenable, les états affectifs s’orientent également dans le sens que l’on peut prévoir. Il s’ensuit que l’analyse n’est pas absolument indispensable, bien que très intéressante, pour atteindre les buts poursuivis. (...) Ici l’homme vit son drame dans l’imaginaire, il est protégé par l’imaginaire : c’est aussi dans l’imaginaire qu’il élabore les schémas dynamiques qui le conduiront à l’action. Par la prise de conscience de ses problèmes intérieurs, par leur résolution dans les scénarios du rêve éveillé, il retrouve des énergies perdues, des espoirs abandonnés et il reconstruit lentement son psychisme avec l’aide de son psychothérapeute. (...) Ainsi peut se réaliser ce qu’a écrit Bachelard sur le Rêve Éveille Dirigé : il offre une mise en marche1 . » (Desoille, 1973, p. 48-49)
Cette « mise en marche », cependant, doit être à l’image du kaïros grec, attendue, préparée et surtout saisie au « bon moment ». À un moment donné du processus thérapeutique, c’est le moment d’agir. On joue alors cartes sur table. Dans le cas de Sandrine, j’ai à ma disposition suffisamment de SHO avec une thématique très cohérente, simple à première vue, et qui entre en résonance avec le Planigramme d’Anticipation de Mario Berta, pour envisager la possibilité de la dégager de l’emprise des schèmes comportementaux qui aliènent son existence. Je lui propose donc pour thème du SHO, la maison. « Vous êtes devant une maison » – « (...) Une grande maison toute blanche avec plein de fenêtres... un grand perron... un parc autour ... une maison bourgeoise avec plein de pièces ... plein de fenêtres ouvertes ... le soleil est chaud la pierre est chaude ... une maison confortable ouverte gaie ... accueillante ... on a envie de voir l’intérieur ... il fait chaud ... le soleil chauffe la pierre ... on est bien ... c’est dans un parc on est bien ... c’est tranquille accueillant chaud (...) (...) plein de lumière (...) OP : – Décrivez l’endroit où vous vous trouvez. – Devant la porte j’ose pas entrer ... j’ai envie d’entrer tout doucement ... à l’intérieur c’est sombre ... envie d’entendre des bruits ... y a pas de bruit y
1. On perçoit clairement ici en quoi Robert Desoille était un précurseur de la thérapie cognitivo-comportementale (c’est moi qui souligne).
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a personne ... ça vit pas ... pas éclairé (...) un grand couloir avec un grand escalier au bout en prolongement vers le premier ... de grandes pièces ... c’est confortable ... c’est beau ... c’est trop ... j’ose pas ... je suis toute petite ... je bouge pas je m’assois pas ... je regarde ... y a personne (...) j’appelle et ça répond pas ... je monte l’escalier ... c’est un grand escalier ... c’est pas très gai ... c’est froid ... hm (...) c’est comme si j’étais dans un musée c’est pas une maison où on habite ... du beau mobilier ... du cuir ... des tentures ... c’est pas sympa (...) clinquant mais sans chaleur humaine (...) étouffant même (...) c’est tellement glacial ... que même si c’est beau j’ai pas envie d’y aller ... ça me déprime ... j’ai plus envie de sortir dans le parc ... le soleil ne pénètre pas dans la maison ... c’est tout noir ... y a beau avoir des fenêtres le soleil ne pénètre pas ... ça fait peur cette maison (...) on n’entend rien ... pas de son pas d’oiseau pas de chien ... ça me plaît pas (...) OP : – Vous êtes toujours au même endroit ? – Y a trop de choses ... trop d’objets sur les murs ... c’est étouffant ... je recule pour descendre ... j’ai l’impression d’être petite d’être submergée ... je sors pour respirer ... je regarde si à l’extérieur y a pas de cabane ... des gens ... c’est ouvert mais y a personne ... il doit bien y avoir de la vie quelque part ... je cherche mais j’ose pas trop ... je tâtonne ... je suis étrangère dans cette maison ... est-ce que je suis étrangère ... est-ce qu’on m’attend ... pourquoi je suis là ... j’ai pas envie de rester près de cet endroit ... j’ai envie d’entendre des rires ... des gamins ... des chiens qui aboient ... j’aime pas ça (...) cette maison est trop séduisante ... pourquoi je me suis approchée d’elle elle me plaît pas ... elle est trop belle ... j’ai été attirée par la lumière et je suis déçue ... j’ai envie d’un truc plus enrobant cocoonant ... plus gentil (...) OP : –. Décrivez l’endroit où vous vous trouvez. – Je suis dans un parc avec des arbres vachement haut ... je suis minuscule ... je me sens perdue ... j’ai envie de trouver un endroit où il y a du monde où on m’attend ... où je serais accueillie ... j’ai beau regarder ... je vois rien ... je me suis trompée d’endroit ... le soleil on le voit plus ... y a de grands arbres ... je suis entourée de trucs imposants devant moi ... moi je suis pas grand-chose ... je suis plutôt figée ... comme si j’étais prisonnière... ébahie ... comme si je voulais m’asseoir en tailleur ... bouder ... je m’en veux d’être venu là ... c’est pas ça que je cherchais ... je me suis trompée ... je me cache (...) » [Fin du SHO] Commentaires au sortir de la transe hypnotique. – « Impression d’être ratatinée toute tordue ... me protéger de l’extérieur ... être menacée ... je me sens toujours menacée par les autres » OP : – La menace ? – « Je me trompe ... cette maison est clinquante et finalement y a rien dedans ... des illusions ... c’est comme si ça peut pas être pour moi ... je suis attirée par cette maison ... elle est belle ... mais c’est pas pour moi ... comme si le fait d’y pénétrer ça la rendait ... pas vide ... pleine de choses pas sympa ... » OP : –. Vous ne l’avez pas explorée.
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– « Oui je ne voulais pas être déçue ». NB. Signale qu’au cours de l’induction de la transe hypnotique voyait un « truc noir menaçant qui engloutit ». Et elle ajoute : « Pour casser ça !! ».
Mise en parallèle Berta et SHO Je lui propose, la semaine suivante, de reprendre ce scénario à la lumière du Berta en lui faisant remarquer que le thème de la maison lui a été proposé précisément à partir de l’Épreuve d’Anticipation. À la maison s’opposait la poussière. Cette opposition, comme toute opposition dans le Berta, signale un antagonisme conflictuel, plutôt qu’une bipolarité dynamisante. Or c’est cette dernière, la bipolarité dynamisante, authentique « voie du milieu », que toute thérapie bien comprise cherche à faire découvrir au patient. Voie du milieu ou plutôt, comme le dit si justement Georges Gusdorf, « zone où s’établit l’unité plus ou moins précaire de nos aspirations opposées, et où se situe le centre de gravité d’une existence personnelle »1 (Gusdorf, 1948, p. 158). Et aucune de ces aspirations (pour Sandrine maison et poussière, entre autres) ne doit être négligée dans un travail thérapeutique. La question, évidemment, est de savoir alors comment les aborder ? De trois façons, selon Mario Berta. 1. La première, en apparence la plus simple, mais à mon sens très complexe car elle demande beaucoup de doigté, consiste à demander au sujet d’expliquer en le décrivant, le symbole choisi (ici par exemple, la maison) ; 2. La deuxième s’apparente à la technique d’amplification de Jung. Voici comment Mario Berta la présente : « Je dis directement au sujet ce que le symbole signifie à mon avis, c’est-à-dire, j’exprime mes propres fantaisies concernant le symbole. Dans ces cas-ci, je précise toujours que mes fantaisies du symbole ne constituent pas une interprétation mais seulement l’expression de mes impressions personnelles, une perspective individuelle de plus qui, en général, stimule les fantaisies du propre sujet et lui sert aussi de contraste amplificateur. »(Berta p. 176) À quoi peuvent s’ajouter des allusions historiques, mythologiques, et une mise en parallèle du « symbole » approché avec d’autres appartenant ou non à l’Épreuve d’Anticipation.
1. N.D.A. : C’est moi qui souligne.
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3. La troisième enfin que l’auteur a appelée « visualisation auto-induite » invite le thérapeute à « s’imaginer lui-même à l’intérieur de la situation symbolique posée par le sujet » (ibid. p. 177). Et pour cela, il doit s’installer confortablement, dans des conditions de solitude, de tranquillité et de désafférentation sensorielle. Autrement dit, être en auto-hypnose.
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« L’imagination par auto-induction, précise Mario Berta, lorsqu’elle est bien réalisée, intègre des perceptions subliminaires, des associations inattendues rapides, des détails imprévus, des résonances affectives et des intuitions qui permettent une approche plus globale et intime aux formations symboliques, à ce que le sujet veut exprimer et last but not least, au sujet lui-même. La technique de visualisation par auto-induction augmente la compréhension empathique, le fait de se sentir dans la peau de l’autre. Après une bonne expérience imagogique avec la production du sujet, le psychologue ne parle plus de l’extérieur mais de l’intérieur de l’image du patient, à partir d’un sentiment intime. Ceci est perçu immédiatement par le patient et il se sent mieux compris. » (ibid. p. 1771 )
Personnellement, j’use beaucoup de la première et non seulement dans le travail du Berta. Toutes les reprises des SHO se font, dans un premier temps, sur ce mode. Je demande systématiquement au patient de décrire soit certaines séquences du SHO, soit des images précises, voire même l’objet proposé comme thème d’induction, en évitant toutes références théoriques ou symboliques. La description d’un vase, par exemple, peut se révéler être la description du milieu familial, ou d’une relation maternelle et pas forcément, comme l’enseignait Robert Desoille, toujours celle de la sexualité féminine. J’évite la deuxième approche préconisée par Mario Berta. Je ne m’y sens pas à l’aise, et surtout je n’en éprouve jamais le besoin. Quant à la troisième, j’en conserve l’esprit. C’est au patient que je propose la visualisation auto-induite sous la forme d’un scénario hypno-onirique qui reprend parfois, mais non systématiquement, les symboles de l’épreuve d’anticipation. Le scénario est ensuite retravaillé dans le sens d’une métamorphose des cognitions du patient. Rappelons les propos, déjà cités, de Robert Desoille.
1. Mario Berta utilise le terme de « symbole » pour qualifier l’image par laquelle un sujet à son insu se décrit, ou décrit un aspect de lui-même. Le terme d’allégorie conviendrait mieux. Conservons donc le terme de « symbole », mais réduisons son sens à celui d’allégorie.
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« L’image a pour cause un état affectif et si cet état varie, l’image varie aussi. Mais la réciproque est vraie : toutes nos expériences l’ont prouvé : si on peut orienter les images dans une direction convenable, les états affectifs s’orientent également dans le sens que l’on peut prévoir. »
La métamorphose des « cognitions1 » À titre d’illustration voici la reprise avec Sandrine de son SHO de la maison.
[9]
[10] (C’est glauque)
Une fleur.
CERCUEIL
FLEUR DE COURGETTE
[11]
[12] LA MAISON
LA POUSSIÈRE
Figure 4.3. SHO
Dans un premier temps je reprends son Berta, et commente rapidement l’opposition maison/poussière. Je lui fais surtout remarquer que l’image maison non seulement s’oppose à l’image poussière, mais qu’elle est le contraire de l’image cercueil. Or dans les deux SHO qui ont précédé celui de la maison, il a été question ou d’un sarcophage (le SHO du chemin) ou d’un engloutissement dans la terre (le SHO du pont). Ici, dans le SHO de la maison, il s’agit plutôt d’un musée, (les choses ne sont pas enterrées) avec une atmosphère néanmoins froide et inquiétante. À la différence cependant des deux autres SHO, Sandrine manifeste clairement ici une aspiration à la Vie, un désir de rencontrer d’autres 1. Pour mémoire, rappelons les trois postulats de l’approche cognitiviste en thérapie : 1) L’information (pour la THO, les thèmes inducteurs « le chemin », « le pont », etc.) va activer des schèmes cognitifs profonds lesquels, en retour, vont déclencher des opérations de traitement de l’information (en THO, la production de SHO) et générer des comportements ; 2) Cette activité cognitive anormale est responsable d’émotions, et de comportements pathologiques ; 3) Cette activité cognitive anormale peut être modifiée.
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personnes. Et j’ajoute, en manière de suggestion, « vous êtes en quête d’un lieu où vous allez enfin pouvoir vous sentir bien – parce que chez vous – en quête de votre centre de gravité ». J’invite alors Sandrine – je tiens à signaler que nous sommes en face à face et non au cours d’une séance d’hypnose – j’invite alors Sandrine à bien « s’imprégner » de ces deux « aspirations » opposées que sont la maison et la poussière, et d’essayer, en partant de l’une ou de l’autre, d’imaginer un rapprochement des deux. Elle choisit la « poussière », et la voit se transformer en « cendres brûlantes ». « C’est la maison qui vient de brûler », dit-elle. OP : – Et où voyez-vous ces cendres ? – Ces cendres brûlantes sont dans une cheminée. OP : – Décrivez cette cheminée. – De grosses pierres, pas du marbre, c’est pas froid, avec de grosses poutres en chêne, un grand foyer qui chauffe une grande pièce, on peut se mettre autour. OP : – Y a-t-il du feu dans la cheminée ? – Oui, de grandes flammes, un feu qu’on vient d’allumer, un feu vif ... oui de grandes flammes, quelque chose qui donne envie de se rassembler autour. La cheminée ça permet les confidences, l’intimité. OP : – Une intimité partagée et chacun, pourtant, reste dans son intimité. – Et ça ne devrait pas être dangereux. OP : – Le partage est spontané il n’est pas réponse forcée à une question intrusive. (...) Pourriez-vous vous percevoir comme une cheminée ? – Je le pourrais mais je trouve que ce serait prétentieux. OP : – Pourquoi ? Une cheminée ne demande pas qu’on vienne vers elle. Elle sait attendre sans souffrir, sans se sentir abandonnée, elle sait qu’on aura besoin d’elle quand le moment sera venu. Et quand on vient vers elle, et qu’elle réchauffe, elle n’en tire aucun orgueil.
Effet immédiat de la « métamorphose » Cette métamorphose délimite une zone où, comme je l’ai dit plus haut, s’établit l’unité plus ou moins précaire des aspirations opposées de Sandrine. C’est là que se situe le centre de gravité de son existence personnelle. Néanmoins quelque importante que soit, en elle-même et pour elle-même, l’image de la cheminée à laquelle Sandrine hésite pourtant à s’identifier, c’est à sa fonction « libératrice » que doit s’attacher le thérapeute. C’est un peu comme si, après avoir fait surgir un élément
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nouveau, étranger à une structure donnée, il se livrait à une observation clinique de l’effet produit sur la personne. Et c’est cet effet qui importe. Sandrine hésite à s’identifier à la cheminée non pas, même si elle le dit, parce que « ce serait prétentieux », mais parce qu’elle entrevoit, pour elle, la possibilité – inespérée et en cela « prétentieuse » – d’une libération. Sandrine va progressivement s’éveiller de l’onirisme impersonnel et aliénant, au bénéfice d’un onirisme authentique, au plus près du sien. Une autre phase de la thérapie commence, celle de la déconstruction de la personnalité illusoire, au bénéfice de la personne, une phase dont l’exposé déborderait largement les limites du cadre imposé à cette présentation de l’hypnothérapie onirique Conclure ? Qu’on me permette, cependant, en manière de conclusion des deux phases que je viens brièvement de présenter, de souligner ce qui constitue le cœur, pour ne pas dire l’âme, de l’Hypnothératie Onirique, le passage de la « présence onirique » à la « pensée onirique ». Lorsque ce passage se réalise, le patient découvre alors, parfois pour la première fois de sa vie, qu’il est à même, lui qui se pensait et se sentait « existentiellement incompétent », de prendre en charge ses émotions, de les regarder en face, d’en rire parfois, et parfois de les vivre avec bonheur. Ce passage place toujours la personne en face de sa responsabilité. De ses responsabilités. Elle se découvre responsable de sa vie, et en partie de celle des autres. Mais en se découvrant, elle se découvre, en toute humilité. « Se découvre » ? Dans les deux sens du terme. On comprendra alors que toute présentation d’un « cas » ne peut que laisser dans l’ombre le processus de ce que dans mon introduction j’ai désigné par l’expression « mutation d’identité ».
Chapitre 5
TCC ET HYPNOSE D’INSPIRATION ERICKSONIENNE François Thioly
que l’illustre cet ouvrage, l’hypnose est multiple. Le plus souvent, on ne la considère pas comme une thérapie en soi, mais davantage comme un outil, un ensemble de techniques favorisant un travail spécifique, à l’intérieur d’une approche thérapeutique bien définie relevant d’un cadre théorique propre, et au sein de laquelle elle prend place aux côtés d’autres modalités opérationnelles. On verra dans ce qui suit, où il sera question d’une pratique de l’hypnose inspirée de Milton Erickson (à laquelle je me référerai dans ce qui suit comme hypnose d’inspiration ericksonienne, ou HIE), qu’elle peut aussi être bien davantage que cela, et que dans ce « davantage » réside l’essentiel de son apport à un praticien formé aux thérapies comportementales et cognitives (TCC, dans ce qui suivra). Le lecteur ne trouvera pas un exposé académique ou théorique (on se reportera pour cela aux ouvrages cités dans la bibliographie), mais plutôt une présentation personnelle, donc subjective, proche de la manière dont j’introduis l’hypnose ericksonienne au cours des formations que j’anime.
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A
INSI
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E NTRÉE
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EN MATIÈRE ...
En guise d’introduction et pour situer les démarches respectives du praticien des TCC et celle de l’hypnothérapeute ericksonien, prenons un exemple concret : celui d’un sujet en proie avec les affres que suscite en lui le vertige de la page blanche. Face à cette difficulté, ces praticiens adopteront tous deux une attitude pragmatique, ancrée principalement dans l’ici et maintenant, et ils auront à cœur de définir un objectif clairement identifié. Car ils ont pour but le changement : tous deux s’appuieront également sur la notion d’apprentissage, considérant que le trouble qui leur est soumis résulte en grande partie d’un apprentissage dysfonctionnel, et tous deux auront soin de mettre en place une relation empathique où ils ne répugneront pas au rôle d’instructeur ou d’enseignant face à un sujet actif. Au terme d’une analyse fonctionnelle détaillée (conditions de survenue et de renforcement du symptôme), le comportementaliste mettra peut-être en évidence une estime de soi défaillante, une note dépressive..., ce qui le conduira à proposer une restructuration cognitive dont il aura préalablement décrit les modalités à son patient. Commencera alors le travail de mise à jour des pensées automatiques générant un sentiment d’impuissance (« Je n’y arriverai pas ») pour remonter ensuite aux schémas de base inadaptés et inconscients (« Je dois tout faire parfaitement sinon je ne vaux rien »), qui, mis en mots, devront être systématiquement confrontés à une évaluation plus rationnelle. Cette exploration méthodique débouchera sur la définition d’auto-instructions précises à réactiver chaque fois que seront éprouvées les émotions négatives liées au sentiment d’impuissance, à travers des tâches d’autoévaluation, très structurées, avec des colonnes à remplir où figureront la nature et l’intensité de l’émotion, la situation où elle est apparue, les pensées automatiques associées, l’intensité de l’émotion ressentie (cotée de 0 à 8) en face desquelles seront portées les auto-instructions ou pensées alternatives et leurs effets émotionnels... (modèle des 5 colonnes de Beck). En revanche, si ce praticien des TCC considère que c’est plutôt l’anxiété qui est le nœud de cette affaire, il pourra proposer des exercices respiratoires, l’apprentissage d’une méthode de relaxation et une technique de désensibilisation systématique, qui implique la visualisation de situations à pouvoir anxiogène croissant, se retrouvant par là, sans trop le savoir, sur le terrain de l’hypnothérapeute. Ce dernier, en effet, va disposer au centre de son intervention thérapeutique l’induction d’un état de conscience modifié, la « transe »
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hypnotique, dont dérivent d’ailleurs les techniques de relaxation utilisées par son collègue des TCC. Mais ici, point d’analyse fonctionnelle, plutôt la recherche d’un mode de communication personnalisé (tenant compte des modalités sensorielles privilégiées, des croyances, valeurs, peurs, attentes, ressources...) afin de pouvoir s’adresser au sujet « de l’intérieur de son monde ». La notion de ressource est capitale dans cette approche, la transe hypnotique étant censée mobiliser des ressources inconscientes afin de tirer un meilleur parti des apprentissages passés ; l’hypnothérapeute partira de l’idée que le sujet ne sait pas qu’il sait déjà tout ce qui est nécessaire au dépassement de son symptôme. Et, confiant en ses capacités latentes, il va l’accompagner dans cet état hypnotique qui amplifie la plasticité mentale et permet d’explorer de nouvelles manières d’être au monde ; il va alors s’adresser à lui sur un mode très imagé (narration de métaphores) destiné à stimuler son imaginaire créatif et à mobiliser des savoir-faire déjà actifs dans d’autres secteurs ou à d’autres périodes de sa vie. L’expérience de l’état hypnotique lui-même, avec l’étonnement que suscitent ses manifestations habituelles (processus idéomoteurs tels que catalepsie ou lévitation du bras, altération de la conscience temporelle...), sera comme la métaphore du processus thérapeutique tout entier, suggérant de manière très concrète la possibilité de mobiliser des ressources que le sujet ignorait posséder. Mais dans ce qui va suivre, ces deux thérapeutes n’en forment qu’un seul : je vais en effet présenter ici quelques aspects d’une pratique où se mêlent deux approches thérapeutiques qui, malgré d’incontestables points de convergence, sont suffisamment éloignées l’une de l’autre pour qu’on les trouve rarement associées, du moins en France, bien que depuis deux décennies de nombreuses recherches expérimentales aient jeté des ponts entre hypnose et psychologie cognitive. Je tenterai de montrer quels bénéfices techniques, mais aussi philosophiques, on peut attendre d’une alliance qui, à certains égards, pourrait sembler contre nature.
G ENÈSE D’ UNE
PRATIQUE
Tout d’abord, et dans la mesure où j’ai choisi de décrire ici une pratique personnelle, je me permettrai d’évoquer deux expériences fondatrices qui illustrent, par anticipation, deux thèmes emblématiques des thérapies hypnotiques, croyance et créativité, et un ingrédient énigmatique, mais qui m’apparaît aujourd’hui à la source de cette approche : le cœur (Chertok & Stengers, 1989).
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Tout commence alors que j’étais encore étudiant en médecine, externe dans le service privé d’un patron parisien de pneumologie. On y accueillait beaucoup de malades atteints de cancers du poumon. La plupart d’entre eux étaient condamnés. Cette fréquentation quotidienne de patients pour lesquels on ne pouvait à peu près rien, et dont l’affection était le plus souvent la conséquence du tabagisme, nourrit aujourd’hui encore ma motivation à aider les fumeurs à se libérer de leur dépendance avec l’aide de l’hypnose. Mais l’enseignement le plus fécond de ces quelques mois en pneumologie fut celui de la souffrance et de la confrontation solitaire avec la mort qui vient, dans un milieu qui rejette celle-ci comme un corps étranger et se détourne du « mauvais » malade qui met la technique médicale en échec. Que la technique fût ainsi disqualifiée par un mal sans remède présentait néanmoins pour moi au moins un avantage : le vide sur lequel ouvrait l’impuissance médicale me laissait le loisir d’écouter ce qu’avaient à dire ces patients relégués. Ce qui m’offrit l’opportunité d’une expérience décisive : un patient libanais d’une soixantaine d’années souffrait en permanence de métastases costales de son cancer pulmonaire. À l’époque, on ne recourait guère à la morphine et je me désolais de le voir livré en pâture à une douleur que rien ne soulageait. Je savais qu’il allait mourir sous peu et je souhaitais intensément qu’il puisse, au moins, profiter de la présence de sa nombreuse famille qui se relayait à son chevet. Alors j’osai un geste non médical : tout à mon désir de le soulager, je lui annonçai avec l’aplomb naïf que me conféraient ma jeunesse et mon inexpérience que j’allais faire disparaître sa douleur. À l’aide d’un coton imbibé d’éther, j’appliquai de petites touches de ce liquide qui donne une sensation de fraîcheur en s’évaporant là où je lui demandais de m’indiquer le plus précisément possible qu’il avait mal. La chance du débutant me sourit ce jour-là : la douleur disparut jusqu’à l’inévitable issue, quelques jours plus tard. Et il put partager sereinement ses derniers moments avec ses proches. Je ne savais encore rien de bien précis du pouvoir de la suggestion, mais je retins de cet épisode une injonction qui continue de résonner en moi : « Ose faire ce que te dicte ton cœur. » Quelques années plus tard, j’étais interne dans un service historique, celui où officiait Charcot au siècle précédent. Mes études de psychiatrie m’avaient familiarisé avec les théories psychanalytiques de l’hystérie, inspirées à Freud par son passage chez ce même Charcot, mais on ne m’avait à peu près rien dit de l’hypnose. Parmi les patients qui m’étaient affectés, il y avait un Malien qui nous avait été adressé par le service de maladies tropicales : il était en train de mourir sans que les examens n’eussent décelé le moindre mal organique. On lui administra alors des
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antidépresseurs en perfusion, mais son état continua de s’aggraver. Cela se passait au mois de novembre. Avec l’aide d’un autre Africain dont le français était un peu plus intelligible, je pus reconstituer son histoire : il avait été marabouté au pays pour avoir pris la femme d’un autre, et on lui avait annoncé qu’il mourrait avant Noël. Malgré tous nos traitements, il était en train de réaliser cette prédiction. Là encore, je décidai d’oser, sans trop demander l’avis de qui que ce soit, et je lui fis expliquer que certes, la magie africaine était puissante, mais qu’ici nous pouvions recourir à une magie blanche qui n’était pas moins efficace, et que tel jour je me livrerais à un rituel qui déferait le sort dont il était victime. J’avais aperçu dans un bout de couloir un appareil étrange dont on m’avait dit que c’était une machine à faradisation ; on l’utilisait naguère pour tester la sensibilité des hystériques. La machine me sembla suffisamment impressionnante pour l’usage que je voulais en faire et, le jour dit, je me livrai à une sorte de rituel assez théâtral : gesticulant autour du patient en proférant avec le plus grand sérieux des phrases magiques je lui appliquai quelques légères décharges électriques, et l’assurai que le marabout ne pouvait désormais plus lui nuire. Il sortit, guéri, quelques jours avant Noël. J’avais agi sans trop réfléchir, poussé par la nécessité : il fallait à tout prix tenter quelque chose devant l’impasse où nous nous trouvions. Je mis suffisamment de conviction dans mon action et le patient était suffisamment désespéré pour que nous fussions, tous deux, exactement dans les rôles appropriés et que cette mise en scène autorisât une nouvelle donne. Le souvenir de cette expérience me prépara à une rencontre au goût de réminiscence avec l’œuvre d’un étrange thérapeute qui osait des interventions très peu conventionnelles et insistait sur le caractère créatif et potentiellement transformateur de l’imagination active : Milton Erickson. Entretemps, après avoir baigné de nombreuses années dans l’ambiance très psychanalytique des séminaires de formation de la Salpêtrière, j’avais pris mes distances avec la théorie dominante que je trouvais à la fois dogmatique et réductrice et, en un temps où les TCC étaient encore très marginales en France, je fis ma thèse de médecine sur le traitement comportemental des obsessions et compulsions. Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que je me formai à l’hypnose, d’abord auprès de Léon Chertok, l’artisan de son renouveau dans notre pays, puis à travers la découverte d’Erickson, à laquelle m’avait préparé un détour par les thérapies systémiques et les écrits de quelques-uns des protagonistes de l’École de Palo Alto qui tous se référaient peu ou prou à sa figure emblématique (Bateson, Watzlawick).
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Depuis lors, mon exercice quotidien se nourrit de ces deux approches, même s’il doit désormais davantage à l’influence d’Erickson qu’il ne relève des TCC stricto sensu.
R APPELS
HISTORIQUES
Avant de décrire certains aspects spécifiques de l’HIE, voici un bref rappel qui permettra d’introduire quelques points de convergence mais aussi ce qui distingue et parfois même oppose hypnose et TCC Les thérapies comportementales et cognitives Les thérapies comportementales sont récentes. Même si elles sont d’origine assez hétérogène, elles ont en commun le même propos de « scientificité », c’est-à-dire, qu’elles se soumettent aux exigences de la méthode scientifique. Les thérapies cognitives, que l’on rattache aujourd’hui aux thérapies comportementales dans l’acception contemporaine de « thérapies comportementales et cognitives », apparurent en tant que telles avec la « révolution cognitive » autour des années soixante. Pas de pères fondateurs, mais en divers lieux (Grande Bretagne et États-Unis essentiellement) et venant d’horizon divers, des psychologues et des psychiatres avaient découvert, dès les années cinquante, les possibilités heuristiques des théories de l’apprentissage, de la psychologie scientifique ainsi que les limites de la thérapie psychanalytique. De nouvelles approches thérapeutiques furent ainsi progressivement défrichées par des auteurs qui partagent tous le même souci de confrontation empirique, adoptant la logique scientifique afin de préciser toujours davantage les conditions d’efficacité thérapeutique de leurs méthodes. Citons quelques-uns de ces découvreurs : certains d’entre eux se réclamaient du behaviorisme, comme Eysenck (1960), Donald Meichenbaum (1977), d’autres de la psychanalyse : Joseph Wolpe en Afrique du Sud, qui mit au point la technique de désensibilisation, Albert Ellis (1962) qui définit les principes de la thérapie comportementale rationnelle émotive, et surtout Aaron T. Beck (1972) qui, après avoir montré l’efficacité thérapeutique d’un travail sur les croyances dysfonctionnelles dans le traitement de la dépression, élargit son propos et ouvrit la voie aux approches cognitives des troubles de la personnalité et de certains troubles psychotiques. Dès les années soixante, Beck mettait en évidence l’existence de deux systèmes de pensée : l’un tourné vers l’extérieur, que l’on communique aisément aux autres ; l’autre relevant d’un mode « autosignalant », dont
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on n’a le plus souvent pas une conscience claire, qui ne se communique pas à autrui, et consiste en autosurveillance, auto-instructions, autoavertissements, interprétations rapides, automatiques, d’événements, auto-évaluations et anticipations (Beck in Meyer, 2005, p. 707). Ces pensées automatiques sont sous-tendues par des schémas de croyances fortement ancrées, des définitions de soi-même qui peuvent être très pathogènes. Beck prône un « empirisme collaboratif » qui se propose de faire accepter aux patients le principe que leurs pensées ne sont pas nécessairement appropriées, que les conclusions, les interprétations automatiques qui leur viennent si rapidement ne sont pas forcément correctes et peuvent résulter de ce que je décris volontiers aux patients en termes de « faux plis », des habitudes de pensée inappropriées. Il s’agit alors d’aider le patient à accéder à un niveau méta-cognitif, à une évaluation de ses propres modes de pensée (en tout cas de celles qui se présentent de manière systématique et répétitive) : « Je ne suis pas ma pensée, ça pense en moi, et ça ne pense pas toujours de manière optimale. » On rejoint là un vieux fonds de sagesse bouddhique ou stoïcien.
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L’hypnose d’inspiration ericksonienne Si les pratiques dont relève ce que nous nommons depuis le XIXe siècle « hypnose » remontent à un passé immémorial, les techniques dont je me réclame ici en représentent une approche profondément remaniée par Milton H. Erickson (1902-1980), un psychiatre américain particulièrement créatif. Pour ce qui est d’Erickson lui-même, je renverrai le lecteur intéressé aux nombreux ouvrages qui ont été consacrés à ce « thérapeute hors du commun » (selon le mot de J. Haley). Son approche fut fortement orientée par sa propre expérience de vie, tournant le dos aux conceptions déterministes, mécanicistes, comme aux constructions conceptuelles abstraites, au profit d’une vision pragmatique, ancrée dans un sens très vif de la nature, de ses rythmes et processus, et qui, par maints aspects, était bien plus proche des philosophies orientales que de la psychologie de laboratoire dont se réclament les TCC. Notons cependant qu’Erickson s’initia à l’hypnose alors qu’il complétait ses études de psychiatrie par des études de psychologie à l’Université du Wisconsin. Il y fut profondément impressionné par une démonstration faite par Clark L. Hull (1884-1952). Dans les mois qui suivirent, il s’exerça ardemment aux techniques d’induction hypnotique sur le plus
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grand nombre de sujets possibles. L’année d’après, il suivit l’enseignement de Hull, effectuant de nombreuses expériences hypnotiques dans son laboratoire. Or Hull était alors un des plus brillants représentants du behaviorisme (comportementalisme en français) ; il avait été lui-même très influencé par la lecture de la traduction anglaise de l’ouvrage de Pavlov, Conditioned Reflexes (1927). Pavlov (1849-1936) peut être considéré comme le fondateur de la psychologie scientifique, mais il fut aussi un chercheur qui s’attacha à démystifier l’hypnose pour la faire entrer dans le champ de la recherche scientifique. Il entretint à ce sujet une correspondance avec Pierre Janet (1859-1947), qui poursuivait alors en France les travaux sur l’hypnose. L’hypnose d’Erickson s’origine donc, pour une part, aux mêmes sources que les thérapies comportementales ; d’ailleurs, afin d’explorer le champ d’application de l’hypnose et d’en valider les effets, il publia quantité d’articles (recherches expérimentales et études cliniques, rassemblés dans les Collected Papers). Ce qui est vrai de l’approche ericksonienne l’est de l’hypnose tout entière : la référence à la science, sa méthode, son effort de conceptualisation, son souci de purification d’un objet expérimental nourrit, aujourd’hui comme hier, toute une recherche de laboratoire consacrée à l’étude systématique des phénomènes hypnotiques. L’hypnose en tant que telle est d’ailleurs née de cet effort de rationalisation : en remontant dans le temps, on rencontre l’Autrichien Franz Anton Mesmer (1734-1815), qui fit débuter la carrière scientifique de ce qu’il nomma « magnétisme » mais qui devint « hypnose » quelques décennies plus tard. Si les conceptions fluidiques de Mesmer nous sont aujourd’hui devenues tout à fait étrangères, elles n’en ressortissent pas moins à une démarche scientifique qu’il convient de resituer dans sons contexte : un temps où la science venait de formaliser pour la première fois la possibilité d’une influence à distance (théorie de la gravitation de Newton, du magnétisme de Coullomb). L’hypnose naît donc de l’effort de conceptualiser et d’étudier scientifiquement des faits connus de tout temps où s’associent diversement des états modifiés de conscience et des phénomènes d’influence dont la compréhension claire n’est toujours pas acquise, malgré la peine que l’on s’est donnée depuis deux siècles pour en « purifier » (au sens du laboratoire) les manifestations et évacuer toute référence à un quelconque « pouvoir de guérir », laissé en partage à ces héritiers obscurs du magnétisme que sont les guérisseurs et autres marginaux du soin magique.
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Q UELQUES
POINTS DE CONVERGENCE ENTRE LES DEUX APPROCHES Dans les fondements Le dialogue entre hypnose et science se poursuit de nos jours et fait avancer notre compréhension des phénomènes hypnotiques : imagerie cérébrale (Faymonville, 2005, qui a pu objectiver récemment la spécificité du fonctionnement hypnotique), génétique moléculaire (Rossi, 2005), pour ne citer que deux champs de recherches contemporaines. On voit ainsi que TCC et HIE entretiennent donc toutes deux un cousinage avec le laboratoire et sa démarche scientifique, même si l’HIE déborde ces références de toutes parts, comme on le verra plus bas. TCC et HIE partagent aussi l’accent qu’elles mettent sur les processus cognitifs ; toutes deux prennent en compte les systèmes de croyance. Les « erreurs cognitives » sont mises en évidence par l’attention au discours intérieur, aux formes de la communication (méta-modèle) ; le vocabulaire peut différer, mais dans les deux approches, on s’intéresse aux inadéquations pathogènes, qu’on nomme parfois les « cartes intérieures ». Toutes deux reconnaissent que « comme on pense, on vit », et souscrivent, à ce que notait Epictète il y a bientôt 2000 ans :
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« Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui nous gênent mais l’idée que nous nous en faisons. »
Erickson disait que l’hypnose est une manière de communiquer des idées, et sa façon de considérer la thérapie la situait clairement du côté de l’apprentissage, et même de la rééducation. Dans les deux approches, il s’agit de promouvoir un apprentissage d’apprentissage, même si les moyens pour y parvenir ne sont pas les mêmes : toujours plus structurés, standardisés et rationnels pour les TCC. Enfin, la référence à l’apprentissage dans la constitution même des troubles psychiques renvoie à l’idée que ceux-ci relèvent de processus plutôt que d’une structure ou d’un état, ce qui justifie un commun optimisme thérapeutique. Dans les pratiques Toutes deux se proposent un objectif clair : ce sont des pratiques qui visent le changement. Il s’agit le plus souvent de thérapies brèves. On peut y fixer à l’avance le nombre de séances, établir un contrat, définir un objectif précis. L’HIE est parfois même ultra brève, se limitant à une ou deux séances où
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l’expérience hypnotique va permettre une réorientation durable du sujet à lui-même et à son monde. Le thérapeute comme le patient y sont actifs. L’attitude du thérapeute, dont on a pu montrer qu’elle possède une influence déterminante sur le succès de la thérapie, se veut ouverte, positive, empathique. Ce thérapeute qui ne craint pas d’être interventionniste (même si ce n’est jamais lui qui propose des solutions) prescrit volontiers des tâches, et attend du patient qu’il ne soit pas seulement actif pendant les séances, mais aussi dans leur intervalle. Le mode d’échange (en dehors du travail proprement hypnotique) est de type socratique afin de déterminer avec le plus de précision possible la signification de certains mots-valises (les mots vagues qui expriment des plaintes) pour formuler des objectifs de changement concrets et réalistes. Point capital : dans les deux approches, le thérapeute cherche à autonomiser le patient, il pare à l’installation d’une dépendance, décourage le transfert, favorise la généralisation des acquis et l’appropriation par le patient de tout changement positif. Rappelons enfin que les TCC, dès l’origine, ont incorporé certaines techniques hypnotiques (même si ce mot n’y est pas repris) : toutes les techniques d’exposition in vitro, comme la désensibilisation systématique, relèvent de l’hypnose. Mais que ces points de convergence ne nous fassent pas perdre de vue que l’hypnose (tout particulièrement ericksonienne) projette le comportementaliste dans un univers à bien des égards « exotique »...
S PÉCIFICITÉ DE L’ HYPNOSE D ’ INSPIRATION ERICKSONIENNE Au-delà de la psychologie scientifique L’hypnose en effet puise aussi à des sources moins rationnelles : Erickson insiste sur le fait que la nature fait mieux que nous ; en fils de ferme, il est toujours demeuré extrêmement attentif aux processus vitaux et à leurs rythmes, qu’il s’agisse de ceux de la nature ou de ceux de notre corps (rythmes circadiens, alternance de phases de vigilance et de phases de relâchement, propices à l’induction hypnotique), mais aussi les cycles de vie avec leurs inévitables crises ouvrant sur la possibilité soit d’involuer, soit d’évoluer. La nature s’exprime en nous à travers ces processus vitaux qui sont involontaires et inconscients. Erickson propose de faire confiance à ces processus vitaux, que la transe hypnotique permet d’activer. Il les rassemble, par commodité, sous le
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terme d’inconscient. À noter que ce mot ne doit pas induire en erreur. Il ne répond à aucune description structurelle dans le sens où l’entendent les théories psychanalytiques ; il permet simplement d’exprimer l’idée centrale que ni le thérapeute, ni le patient n’ont à connaître la nature réelle des remaniements psychologiques que la transe hypnotique va favoriser. Erickson considère que les symptômes surviennent lorsque ces processus inconscients ont échoué dans leur travail naturel d’intégration harmonieuse. En ce sens, il a de la genèse des symptômes une conception proche de celle des TCC : des apprentissages limitants résultant d’événements bloquants (traumatismes), d’injonctions ou d’interdits, de préjugés, de postulats, de croyances, plus ou moins conscients donnent naissance à des « îlots inadaptés » pris dans des réseaux d’associations psychiques rigidifiés sur lesquels la volonté n’a pas prise ; les symptômes peuvent aussi naître de l’interférence du mode de fonctionnement conscient dans les domaines où l’inconscient fait mieux sans la conscience. Mais contrairement à la représentation sociale dont sont porteurs la plupart de nos patients, l’état d’hypnose ne cherche pas à remonter à une éventuelle origine du symptôme : Erickson ne croyait pas aux thérapies « découvrantes » (qui prônent la nécessité d’une perlaboration consciente du traumatisme, du conflit...), ni à l’hypnoanalyse : pour lui, « la prise de conscience... est souvent inutile et même contre-indiquée » (Roustang, 1990, p. 53). Ainsi que la définissait très précisément J. Godin (Godin, 1992, pp. 8081), l’hypnose représente : « [...] un mode de fonctionnement psychologique dans lequel un sujet, grâce à l’intervention d’une autre personne, parvient à faire abstraction de la réalité environnante, tout en restant en relation avec l’accompagnateur. Ce débranchement de la réaction d’orientation à la réalité extérieure, qui suppose un certain lâcher-prise, équivaut à une façon originale de fonctionner à laquelle on se réfère comme à un état. Ce mode de fonctionnement particulier fait apparaître des possibilités nouvelles : par exemple, des possibilités supplémentaires d’action de l’esprit sur le corps ou de travail psychologique à un niveau inconscient. »
Lâcher-prise, niveau inconscient, on est bien là dans un monde très différent de celui des TCC. La thérapie vise à donner au patient le libre accès à des ressources potentielles, auxquelles Erickson se référait souvent en utilisant le terme de « réservoir de ressources » inconscient, ceci par le truchement d’une situation thérapeutique qui est entièrement conçue comme une pratique
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particulière de l’interaction. Celle-ci réclame, de la part du thérapeute, une attention de chaque instant afin d’exploiter au mieux le potentiel que recèle cette situation et ainsi d’orienter le travail créatif favorisé par l’activation des ressources du patient. La thérapie hypnotique est ainsi un peu comme une danse, comme un pas de deux dont le rythme naîtrait de l’accord subtil qui s’établit entre thérapeute et patient. Rossi (Erickson & Rossi, 1979b) souligne que la mise en suspens de notre mode de fonctionnement habituel permet d’expérimenter un « moment créatif » : écart, brèche, à la faveur de quoi peut surgir l’inédit (inspiration artistique, illumination spirituelle, solution thérapeutique...) Par ailleurs, si la thérapie s’intéresse bien au symptôme, elle n’est pas à proprement parler symptomatique. Elle est centrée sur la spécificité du sujet dont les modalités de réponse sont systématiquement explorées et déterminent le cours de la thérapie ; il s’agit de traiter le malade plus que la maladie, ce qui rapproche l’HIE des médecines traditionnelles. Le symptôme, lui, n’est qu’une solution particulière, devenue problématique, à une situation qui exigerait un ajustement différent. Solution limitée, figée, comme isolée de la capacité d’adaptations du sujet, qui idéalement est fluide, plastique. Il ne s’agit pas de faire disparaître le symptôme, mais de restaurer cette fluidité, en guidant le patient dans le sens d’une activation de ses capacités adaptatives pour permettre l’émergence de solutions alternatives et plus satisfaisantes. Le thérapeute considère et laisse entendre au patient que celles-ci sont déjà potentiellement disponibles en lui et qu’elles seront révélées par le travail hypnotique. C’est un changement qui vient de l’intérieur du patient que l’on cherche donc à encourager et non une solution toute faite. La capacité de réponse du patient est une variable essentielle (on a pu dire à juste titre que sans capacité de réponse, pas d’hypnose) ; le thérapeute cherche à l’évaluer dès la première induction hypnotique à travers son attention à tous les éléments non-verbaux susceptibles d’orienter l’accompagnement du patient dans cette première expérience décisive. Cette séance initiale est le plus souvent précédée d’une présentation démystifiante de l’hypnose, destinée à orienter et à amplifier l’attente du patient, attente qui est une autre variable capitale (on a été jusqu’à considérer que c’est elle qui produit les effets de l’hypnose) : il y est fait état d’une « transe hypnotique » au cours de laquelle certains phénomènes automatiques, involontaires, sont susceptibles de se produire. Erickson considère que le processus hypnotique repose sur une modalité normale de la conscience (la « transe commune »), expérimentée par chacun d’entre nous lorsque les stimuli extérieurs n’accaparent pas suffisamment notre vigilance (voyage monotone en
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chemin de fer...), ou encore lorsqu’ils sont trop intenses et que se met en place une dissociation protectrice de la conscience (agression sexuelle, accident de la circulation, bombardement, etc.)
D ES
OUTILS SPÉCIFIQUES
L’induction hypnotique L’induction de l’état hypnotique va donc exploiter cette aptitude naturelle du fonctionnement mental à la dissociation en cherchant à absorber la conscience par des stimuli monotones, confusionnants (Erickson utilisait aussi le choc et la surprise, plus délicats à manier cependant) et surtout une incitation à l’intériorisation de l’attention, en s’appuyant sur le monde personnel du sujet. On voit là combien cette approche s’éloigne des protocoles d’induction hypnotique classiques. Mais ceci n’interdit pas de schématiser le processus hypnotique, ainsi que l’ont fait Erickson et Rossi (1979b) en décrivant une logique de la transe en cinq points : 1. Fixation de l’attention : au-delà de la fixation visuelle traditionnelle, c’est le monde intérieur du patient qui va être utilisé pour absorber son attention ;
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2. Dépotentialisation de la conscience et des systèmes de croyance habituels : distraction, choc, surprise, doute, confusion, dissociation ou tout autre processus qui détache le sujet de son cadre de référence habituel ; 3. Mise en route d’une recherche inconsciente : insinuations, présuppositions, questions, allusions : toutes les formes de suggestion indirecte, et tout particulièrement, utilisation de métaphores ; 4. Processus inconscient : c’est ce qui se passe dans la « boîte noire » : activation des associations personnelles du sujet et de ses mécanismes mentaux propres par tous les moyens ci-dessus ; 5. Réponses hypnotiques : comportements vécus comme automatiques, involontaires, qui comprennent les phénomènes hypnotiques classiques (catalepsie, régression en âge, hallucinations et modifications sensorielles, distorsion du temps, modifications mnésiques, suggestion post-hypnotique, signaling), ainsi que la réponse thérapeutique elle-même.
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Le signaling (ou signalling en anglais britannique), très utile pour se faire une idée des processus en cours et favoriser leur efficacité thérapeutique, correspond à un mouvement observable, involontaire, produit en réponse à une question adressée à ce que, par convention, on nomme l’inconscient (ou « cette autre partie de vous-même... ») : « Si votre inconscient reconnaît qu’un processus de changement thérapeutique a été mis en route, votre tête peut faire un signe... » ; « Quand vous saurez que vous n’avez plus besoin d’être ennuyé plus longtemps par cette difficulté, votre index pourra se soulever... » La communication hypnotique Ce qui est dit au patient lors de l’induction, la manière de s’adresser à lui, tout le « discours hypnotique », tourne le dos au discours rationnel affectionné par le comportementaliste, mais est aussi en rupture avec les règles ordinaires de la communication humaine, dans la mesure où le patient y est conduit à se « laisser parler » par le thérapeute (Melchior). Tout l’art d’Erickson a été de raffiner le discours suggestif, et de développer de multiples formes de suggestion indirecte qui réalisent une approche qu’on a dite permissive (la suggestion y retrouve le sens que donnait Saint Thomas à ce terme : « mode d’influence en douceur, insinuation, incitation habile »). En réalité, ce mode suggestif permet surtout de ne pas susciter d’inutiles résistances chez le patient. Il est indissociable d’une utilisation systématique de ce que le patient a déjà commencé à effectuer et qui lui est retourné comme une suggestion ; ceci non pour lui imposer quoi que ce soit, mais pour lui restituer ce qui lui revient, les mouvements involontaires de son propre corps, ses sensations, ses images : l’inviter à occuper sa place, « de telle sorte qu’il soit maintenant actif, à l’origine de ses actes » (Roustang, 1994, p. 139.) Pour donner une idée de la forme d’un tel discours, je vais reproduire quelques extraits d’une induction où il y a beaucoup de « parler pour ne rien dire », de « phrases de routine », éléments tout faits, sans valeur informative, réalisant une trame sonore fluide, enveloppante, destinée à saturer la capacité d’attention consciente pour favoriser un certain décrochage de l’esprit critique. Sur cette trame vont se détacher d’autres éléments, voués à un effet suggestif (mots en gras, prononcés sur un ton différent : suggestion intercontextuelle ou saupoudrage), ainsi que diverses catégories de suggestions indirectes, repérées entre parenthèses :
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E XEMPLE D ’ INDUCTION « Bon... alors vous allez commencer par vous installer aussi confortablement que vous le pouvez... en prenant bien tout votre temps... vous avez conscience de tout ce qui vous entoure... vous sentez votre position sur ce siège... voilà, c’est bien (ratification)... qui est comme il est... (truismes pour faciliter l’adhésion, réalisant une séquence d’acceptation pour donner davantage de poids suggestif au mot « confortable » qui va suivre) et vous êtes libre... à tout moment... votre corps peut faire tout ce qu’il faut (suggestion ouverte) pour que vous soyez bien confortable... il sait trouver une position pour votre tête... et pendant que vous continuez à respirer bien régulièrement... il y a peut-être des phénomènes variés que vous pouvez explorer (suggestion ouverte, floue)... vous pouvez explorer la façon dont vous sentez le poids de votre corps... pendant que vous continuez de laisser venir ce qui vient... et il n’y a rien de particulier à faire pour cela, car vous savez n’est-ce pas que vous n’allez pas entrer dans un agréable état d’hypnose maintenant... avant (implication) de laisser votre corps trouver le meilleur confort possible... parce que c’est lorsque vous commencerez à vous sentir plus à l’aise... que vous commencerez... à rentrer un peu à l’intérieur de vous-même... (suggestion composée) ... et peut-être que vous ne sentez déjà plus votre montre à votre poignet tandis que les paupières deviennent plus lourdes... (favoriser la dissociation et suggestion composée)... vous pouvez préférer profiter de cette expérience... de la manière qui vous convient le mieux... peut-être aussi est-il encore trop tôt pour ... fermer les yeux maintenant... (implication et couverture de toutes les possibilités d’une classe de réponses) vous savez qu’on peut garder les yeux ouverts et ne plus voir ce que l’on regarde... et on peut aussi continuer à voir... même une fois qu’on a ... fermé les yeux (confusion, utilisation de la similitude entre infinitif ou participe passé et impératif des verbes du premier groupe)... cela n’a pas d’importance... (...) c’est comme lorsque vous regardez un film qui vous intéresse vraiment et que vous n’avez pas besoin d’être attentif à ce qui est autour de vous... absorbé par les seules perceptions utiles... celles qui vous intéressent... et quand vous commencerez à être vraiment satisfait de ce confort ... est-ce que vous aurez la surprise de sentir qu’un de vos doigts ? ... on ne peut pas savoir lequel... est-ce que vous serez intéressé de ressentir comme une petite sensation, un doigt (questionnement)... qui peut même bouger tout seul (préparation signaling)... un mouvement automatique... un mouvement involontaire d’un doigt... c’est très fréquent dans cet état... tout à fait naturel... (validation de l’état d’hypnose) (...) ... en même temps... vous pouvez prendre conscience de votre propre manière de laisser se développer toutes ces impressions et de les explorer... comme un paysage qui défile... un paysage familier et un peu exotique (confusion et suggestion de vécu hypnotique)... et pendant ce temps... l’impression que vous pouvez flotter librement... et vous profitez bien de ce sentiment particulier... comme une rêverie... et vous savez que l’on peut rêver que l’on est éveillé... on peut rêver que l’on dort... rêver que l’on rêve... (confusion pour favoriser l’approfondissement)... réellement prendre plaisir à retrouver
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☞ certains rêves... des rêves... des souvenirs... parce que pendant que vous êtes en train de vous occuper de vous-même de cette façon un peu particulière... à un autre niveau de votre esprit certaines recherches se poursuivent et vos pensées peuvent flotter au gré de votre rêverie... flotter librement dans l’espace... flotter dans le temps... l’espace et le temps sont parfois si relatifs... et même si vous savez quel jour nous sommes il est tout à fait possible qu’à cet instant même hier soit plus proche que tout à l’heure... ou qu’avant-hier vous semble beaucoup plus loin que tel souvenir précis de votre enfance... vous pouvez vous rappeler aussi librement que vous voulez un détail précis de ce passé qui reste présent (confusion pour faciliter une éventuelle régression temporelle)... comme vous pouvez vous souvenir de tout ce qui se sera passé dans cette expérience... et oublier tout ce qui ne sera pas important... (suggestion d’amnésie) ou tout ce qui sera important simplement sur le plan inconscient mais qui n’a pas besoin d’encombrer votre esprit (choix illusoire)... vous savez comme on oublie facilement... comme on peut oublier un rendez-vous... penser à autre chose... se tromper de jour... penser que c’est demain alors que c’était hier... comme on peut donner la date de l’année précédente à la place de la date de l’année en cours... ou prendre conscience que demain aujourd’hui sera hier et que cela n’a pas d’importance (confusion et suggestion d’amnésie)... (...) ou alors vous pouvez être tout à fait ailleurs et ne pas faire attention à mes paroles, glisser vers autre chose (couvrir toutes les possibilités d’une classe de réponse) ... profiter de ce moment pour entrer en contact avec vous-même d’une manière qui vous soit bénéfique pour le présent et pour l’avenir... ou vous pouvez tout simplement vous laisser aller au calme... au repos... et je ne sais pas (truisme et « ne pas savoir, ne pas faire ») de quelle manière vous allez utiliser cette expérience dans le temps à venir... peut-être dans les instants qui vont suivre... peut-être plus tard aujourd’hui... ou au moment de vous endormir... ou dans les jours suivants... on ne peut vraiment pas dire à quel moment ce sera... mais peut-être cela sera-t-il intéressant pour vous... ou peut-être plutôt plaisant... je ne sais pas vraiment... de remarquer quelque chose à un certain moment... plus tard... et peut-être préférerez-vous ne pas l’identifier tout de suite consciemment... on ne peut pas savoir à quoi on peut s’attendre... et, plus tard dans la journée, si vous ressentez juste ce sentiment de grand bien-être (suggestion post-hypnotique) ... (...) »
Les métaphores L’un des outils de communication les plus intéressants et les plus puissants développés par Erickson est la métaphore : dans la plupart des situations cliniques, on ne se contente évidemment pas d’induire un état hypnotique, même si une telle expérience peut en elle-même avoir un effet thérapeutique. Le plus souvent, le changement visé implique un réaménagement plus ou moins étendu du rapport au monde du patient. Le pouvoir de transformation de la métaphore repose sur le fait qu’elle fait
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faire l’expérience du changement, l’état d’hypnose permettant d’éprouver plutôt que de seulement se représenter les situations suggérées. La métaphore est un récit construit pour présenter une structure similaire à la situation-problème du patient (isomorphisme) ; elle scénarise certains aspects de la difficulté à traiter, mais de manière analogique, codée, offrant de multiples sens possibles (multi-contextualité) pour que le patient y puise ce qui lui conviendra (principe de « l’auberge espagnole ») et que son esprit critique n’en épuise pas les multiples sens possibles. Elle est dite avec des mots du patient, dans un langage simple, en termes vagues, sauf lorsqu’il s’agit de mettre délibérément l’accent sur un élément précis. Il est bon qu’elle comporte une charge émotionnelle, une tension, puis une description de sa résolution : à un patient encombré par la conviction, héritée d’une thérapie antérieure, qu’il ne pourrait jamais se débarrasser d’un complexe d’infériorité qui lui venait des humiliations infligées par son père, j’ai proposé la métaphore d’un placard « où sont entassés tant d’objets que chaque fois qu’on l’ouvre on s’en veut de ce désordre et on s’irrite de ne jamais y trouver ce qu’on cherche, ou alors quelque chose tombe par terre, et on s’en veut aussi, à tel point qu’on n’ouvre même plus ce fichu placard, jusqu’à ce qu’un jour, sans savoir pourquoi, on se mette à le débarrasser, à trier tout ce qu’il y a dedans, et on fait trois tas, l’un pour la poubelle, et quel bonheur de jeter toutes sortes de choses complètement dépassées, un autre pour ce qu’on est sûr de conserver, et quel plaisir de retrouver certains objets qu’on ne se souvenait même plus d’avoir ! un troisième pour ce qui n’a rien à faire dans ce placard et qu’on va mettre provisoirement à la cave. Et peut-être encore un dernier tas pour quelques vieilles affaires qui appartiennent à quelqu’un d’autre, qu’on va être très soulagé de restituer » etc.
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La technique utilisationnelle Erickson tire sa force de ses faiblesses : il prétend, par exemple, que l’extraordinaire talent d’observateur qui lui permet de décoder le langage corporel tel qu’il s’exprime à travers les mouvements les plus infimes, lui vient de sa surdité à la musique du langage (amusie) ainsi que du temps passé à observer son entourage alors qu’il était entièrement paralysé par la poliomyélite. Ce principe qui lui a été si utile dans sa propre vie, il se propose de le transposer à la relation thérapeutique. La « technique utilisationnelle » devient ainsi un axe majeur de son intervention : elle prescrit d’accepter le comportement manifeste du patient et de reconnaître ses cadres de référence personnels pour lui signifier l’entière acceptation de son monde, donc de lui-même, favorisant ainsi une acceptation correspondante du thérapeute de la part
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du patient : c’est là le fondement de la relation « suffisamment bonne » que le thérapeute se doit de construire dès les tout premiers instants pour que ses interventions souvent inattendues et déstabilisantes ne soient pas aussitôt disqualifiées.
A RTICULATION
DES DEUX APPROCHES
En quoi est-il utile à un comportementaliste de pratiquer l’HIE ?
Une pratique plus complète En se formant à l’hypnose, le comportementaliste va faire l’expérience de tout le potentiel que recèle le fonctionnement hypnotique : les réaménagements que favorise la transe permettent bien souvent d’accroître la pertinence, donc l’efficacité, de ses propres techniques ; comme l’ont montré les travaux de Faymonville, une scène imaginée n’est pas traitée de la même manière par le cerveau qu’une scène revécue en état d’hypnose. L’hypnose met en jeu les mêmes aires cérébrales que celles qui sont recrutées lorsqu’on vit une expérience réelle : il s’agit véritablement d’une reviviscence, avec toute sa charge émotionnelle et certaines dimensions déterminantes de l’expérience qui peuvent demeurer méconnues lors d’une simple remémoration. Le travail thérapeutique a tout à gagner à utiliser ces caractéristiques du vécu hypnotique. Chez les anxieux, par exemple, on peut faire explorer sous hypnose de multiples contextes différents et ainsi permettre des apprentissages correctifs et une extinction de l’angoisse qu’il ne serait pas possible d’obtenir avec une technique d’exposition directe aux situations anxiogènes (dont les effets peinent à se généraliser). D’autre part, de nombreux états pathologiques, comme par exemple la boulimie, sont manifestement associés à des états de dissociation ; on y accède beaucoup plus aisément si on favorise leur réactivation à travers l’induction d’un état de conscience similaire. L’état hypnotique permet aussi de retrouver plus aisément les cognitions négatives ; Araoz a développé le concept très pertinent d’« autohypnose négative » pour décrire le fonctionnement mental automatique à fort pouvoir suggestif qu’on retrouve dans toutes sortes de pathologies. La transe hypnotique permet de mettre cette activité automatique en évidence en faisant revivre les situations où se manifeste un dysfonctionnement avec toute leur charge émotionnelle. La technique de « l’affect bridge », où l’on suggère l’amplification d’une émotion inappropriée
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(émotion vécue de manière incontrôlée dans des situations dont le patient lui-même ne comprend pas qu’elles entraînent pareille réaction) permet de remonter aux premières situations ayant ancré ce type d’émotion, ce qui ouvre la porte au travail de restructuration. Ce dernier bénéficiera de l’état d’hypnose qui permettra un accès élégant aux ressources créatives les plus personnelles, faisant ainsi faire l’économie du laborieux effort de persuasion que déploie le cognitiviste, bien souvent en pure perte. Même le domaine apparemment très rationnel des stratégies de résolution de problème bénéficie du recours à l’hypnose : en sollicitant une réponse non consciente face à une situation complexe (par un signaling ou toute autre réponse non volontaire), on peut faire émerger des solutions plus satisfaisantes que celles auxquelles aboutirait un processus rationnel fastidieux (Dijksterhuis et al., 2006), comme si, face à une grande quantité d’informations, le fonctionnement séquentiel qui caractérise l’esprit rationnel était moins efficace que le fonctionnement massivement parallèle qu’on prête aux processus non conscients. On rejoint là ce qu’on sait de tout temps sur l’aptitude de l’intuition à trouver des raccourcis fulgurants et des solutions originales là où la raison piétine. Complémentarité de l’esprit de finesse et de l’esprit de géométrie, du cœur et de la raison ... Notons ici que de nombreuses recherches de psychologie cognitive (Cuthbert et al. 1991) portent sur la physiologie des représentations mentales et explorent ce pouvoir de l’imagination qui est au cœur de la pratique et de l’efficacité de l’hypnose.
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Une posture plus riche Il est vain d’imaginer qu’un discours théorique quel qu’il soit puisse épuiser le réel. De même peut-on poser que l’humain est plus vaste que ce que permet d’en cerner la démarche scientifique, qui n’est d’ailleurs pas bien armée pour affronter la singularité, indissociable du fait humain. Ce qui a été vu du parcours personnel d’Erickson permet aisément d’imaginer à quel point il était vigilant à conserver ce caractère singulier à toute expérience humaine, à toute relation entre humains ; et l’hypnose est d’abord une histoire de relation, de lien. Le caractère non standardisable, sauf à y perdre l’essentiel, de l’induction hypnotique telle qu’il la conçut très vite, de par son exceptionnelle attention à cette singularité, fut d’ailleurs la pomme de discorde qui l’éloigna de Hull : il montra que c’était dénaturer l’expérience hypnotique que de la contraindre aux protocoles standardisés qu’exigeait le laboratoire. Et c’est là que réside pour moi l’intérêt majeur de l’HIE : en effet, ce qui, dans l’hypnose, peut enrichir le comportementaliste, ce n’est pas
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son aptitude à se soumettre à la rigueur scientifique, c’est au contraire sa « part autre », la manière si particulière dont sa pratique fait arpenter ce champ de la singularité où se déploie la clinique. Car même si le regard scientifique permet d’y poser d’utiles repères, de se limiter à lui seul revient à priver l’homme d’une part qui le constitue en tant que lui-même. L’apport de l’HIE est donc ailleurs : il découle des implications que possède la notion de travail inconscient. On a vu que cet inconscient n’est qualifié tel que d’un point de vue opérationnel, sans statut théorisé. Comme le comportementaliste, l’hypnothérapeute parle à son sujet de « boîte noire ». Mais il fait bien davantage : sans attendre que les neurosciences permettent d’y décrire les mécanismes à l’œuvre, il met l’accent sur le fait qu’il s’agit là du lieu où vont s’effectuer les changements thérapeutiques, se dénouer les « nœuds dysfonctionnels » : c’est là que se déroule l’essentiel, et cette description a une conséquence capitale : l’hypnothérapeute reconnaît ainsi que cet essentiel lui échappe. Il y a là un évident – mais très salutaire – scandale pour la prétention très répandue à tout contrôler. Au risque de choquer un peu, on pourrait avancer que la pratique de l’hypnose ainsi comprise sauve le comportementaliste de son penchant obsessionnel, et ce n’est pas là son moindre avantage ! La pleine acceptation de la limite que l’hypnose assigne à notre rêve de toute-puissance (la « blessure narcissique » dont parle L. Chertok) contribue à pousser le praticien vers ces zones périlleuses où il se retrouve confronté à lui-même, explorateur d’un territoire pour lequel il ne dispose d’aucune carte préétablie. Ici, point de recettes ni de protocoles tout faits. Il faut apprendre à oser, dans le sens qui a été dit plus haut. Et c’est de cette nécessité humblement assumée que peut jaillir l’instant créatif qui va transformer la situation thérapeutique. En découle une manière originale de transmettre le savoir-faire hypnotique. Loin de la psychologie scientifique dont se réclame le comportementalisme, avec son effort pour coller au schéma de l’argumentation hypothético-déductive, l’enseignement de l’HIE se fait par imprégnation progressive (Triadou) : les exercices de pratique hypnotique y alternent avec les histoires cliniques, dont on pourrait croire qu’elles relèvent des « histoires de chasse » et n’auraient de valeur qu’anecdotique, mais qui rejoignent en fait ce qu’on sait de l’efficacité des métaphores et du pouvoir suggestif, évocateur, du langage. Tout comme le mouvement s’apprend par l’imitation, on acquiert bien davantage le geste thérapeutique de cette manière qu’en se plongeant dans des écrits théoriques.
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Plutôt que d’apprendre des techniques, il est question ici de se former à un « art de guérir », sinon même à un art de vivre. Nous avons vu que TCC et HIE se rejoignent quant à l’importance centrale de la notion d’apprentissage. Mais l’HIE l’entend dans un sens plus large : à côté des nouveaux apprentissages et de l’activation ou de la réactivation d’apprentissages dont pourrait bénéficier le domaine où s’exprime une difficulté, il s’agit d’apprendre (ou de réapprendre si l’on considère que le petit de l’homme commence sa vie dans un état d’être similaire) une manière d’être au monde différente, de développer une capacité d’attention élargie, que F. Roustang nomme la « perceptude », et non seulement d’étendre son répertoire comportemental. Et ceci par un travail d’attention tout à fait concret : l’expérience directe de la transe hypnotique. Il est important de souligner ici que le thérapeute lui-même, s’il veut demeurer en contact avec le patient et l’accompagner judicieusement dans l’exploration des potentialités activées par cet état de conscience particulier, devra lui aussi être capable de cette sorte d’attention élargie. D’où l’importance du travail d’expérimentation sur soi-même d’états de conscience modifiée au cours de l’apprentissage de l’hypnothérapie. Plus explicitement qu’ailleurs, le thérapeute est ici son principal instrument, et pour qu’il puisse en tirer quelque chose d’utile, il a à le travailler et à le connaître le mieux possible. Dans les écrits des comportementalistes, on lit en creux qu’on n’y ignore évidemment pas ces dimensions : par exemple, la pratique efficace de la désensibilisation systématique exige un peu plus que l’application mécanique d’un protocole standardisé et implique une prise en considération des « variables personnelles » ; on entre ici nécessairement dans un domaine beaucoup moins explicite, plus subjectif, de l’être en relation avec lui-même, son monde et les autres. Mais les TCC n’évoquent guère cela de manière explicite ; ces aspects de l’expérience thérapeutique échappent au discours de la psychologie scientifique, alors que ce sont eux qui sont humainement les plus pertinents. On peut ainsi dire que le discours de l’hypnose commence là où s’arrête celui des TCC. J’ai parlé plus haut de la technique utilisationnelle qui implique une ouverture à la personne du patient tout entière dans ce qu’il est dans sa globalité. J’y ai trouvé pour ma part bien plus qu’un judicieux opportunisme thérapeutique ; en faisant retour à l’origine très personnelle de cette orientation d’Erickson, on voit à quel point il tire ce principe de sa propre expérience de vie ; il convient donc d’y voir bien plus qu’une simple technique : la force d’Erickson lui vient d’abord de ce qu’il ose être lui-même. Entièrement. Et donc, bien sûr, avec ses faiblesses reconnues.
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Le geste extérieur d’Erickson, sa manière toute personnelle de s’y prendre avec les patients comme avec tout son entourage, est parfaitement inimitable. En revanche, son attitude intérieure peut inspirer notre propre cheminement, une attitude de foi inconditionnelle dans la vie et dans le pouvoir de transformation des processus vitaux. Une invitation à passer du « faire » à l’« être ». Car il n’y a pas de recettes, de techniques de vie, et c’est en cela qu’on ne peut prescrire de « technique ericksonienne », c’est pour cela qu’il n’y a pas non plus d’école ericksonienne. Il n’y a qu’un acte de foi, une adhésion intime à ce que peut la vie en soi et en l’autre lorsqu’on s’appuie sur elle. Et cela passe par un « lâcher prise » qui permet que se déploient librement les potentialités d’une vie dont on perd trop volontiers de vue, en raison des modèles mécanicistes que notre monde nous renvoie de toutes parts, qu’une des caractéristiques distinctives est la grande capacité à l’autoréparation, c’est-à-dire, à la guérison. Et en quoi est-il utile à un hypnothérapeute de se référer aux TCC ? En fait, l’HIE est une sorte d’idéal, elle réalise une ligne asymptotique vers laquelle on peut tendre, mais dont on est plus ou moins proche selon les circonstances, les patients, les moments. L’attitude intérieure d’ouverture, d’humilité, de disponibilité totale aux potentialités de l’instant, la fluidité intérieure nécessaire à l’accompagnement d’un processus largement inconscient, tout cela exige davantage qu’on ne saurait raisonnablement attendre de soi-même. Et c’est là que je vois l’utilité des TCC : leur approche très structurée, rationnelle, permet d’avoir quelque chose à quoi se raccrocher. Elles définissent un cadre dans lequel peuvent s’inscrire ces moments d’inspiration, de liberté créatrice qui seront d’autant plus disposés à survenir que le praticien sera moins tendu par la nécessité de les provoquer. L’idéal de l’HIE réalise donc une sorte d’horizon vers lequel peut avantageusement se porter le regard du thérapeute cognitiviste, car il féconde son action. Le canevas comportemental supplée ainsi aux carences d’inspiration et pourvoit le thérapeute ordinaire d’une sécurité rassurante, tout comme le font les inductions hypnotiques dites « fail safe », c’est-à-dire, qui réussissent à tout coup, et qui proposent une garantie bien venue à l’hypnothérapeute novice. J’ai souligné qu’Erickson était inimitable : ce constat est souvent source de découragement lorsqu’on aborde l’HIE ; en effet, on s’aperçoit très vite que l’apparente évidence des interventions d’Erickson telles qu’elles sont rapportées par Rossi, Zeig, Haley, etc., relève de tout autre
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chose que de l’application d’une technique. Malgré les efforts de décodage et d’explicitation d’un Rossi – au demeurant fort instructifs – auxquels Erickson donne l’impression d’accorder un crédit de circonstance, on sent bien que l’essentiel échappe toujours. Les concepts élaborés par les témoins du travail d’Erickson ont la même fonction : quelques repères pour nous encourager à partir à l’aventure, en explorateurs d’une réalité infiniment variée et en perpétuel devenir. La référence aux TCC fait de même, et elle présente par ailleurs l’avantage paradoxal de sa relative indigence théorique : si schématique, si mécanique qu’on risque moins qu’avec toute autre de prendre la carte pour le territoire, le concept pour la réalité. Ici, aucun danger que, dans l’esprit et la pratique du thérapeute, l’exigence de la relation s’efface derrière la fascination du verbe ! Pour illustration, je terminerai par la présentation d’une possibilité d’articulation des TCC et de l’HIE : l’accompagnement au sevrage tabagique. Bien des éléments de ce que je vais décrire ici sont évidemment transposables à d’autres situations cliniques.
P ROTOCOLE D’ ARRÊT DU UTILISANT L’ HYPNOSE
TABAC
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La notion de protocole est en elle-même antinomique de l’hypnose ericksonienne ; ce qui relève ici de cette approche tient à la manière de s’appuyer sur les ressources les plus personnelles du sujet afin d’amplifier les effets de la motivation. Ce protocole se déroule sur trois séances, l’arrêt du tabac s’effectuant au cours de la deuxième séance, environ quinze jours après la première. La troisième séance a lieu le lendemain de la seconde. Informer sur le déroulement du protocole Dès avant la première séance, les candidats à l’arrêt du tabac sont informés (le plus souvent par courrier électronique) du déroulement du protocole. Celui-ci, et c’est là un aspect « comportementaliste » du processus, leur est proposé comme un contrat où est précisé que le rendez-vous pour la deuxième séance ne sera pris qu’après un entretien téléphonique où la motivation sera évaluée à travers la manière dont auront été effectuées les tâches prescrites à la fin de la première séance.
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Première séance
Faire exprimer les bénéfices escomptés À la première rencontre, je fais préciser les bénéfices escomptés du sevrage. Je recherche systématiquement les motivations positives et les fais détailler, tandis que les motivations négatives (la peur des conséquences d’une perpétuation de l’addiction) feront l’objet d’une reformulation en termes positifs : si, par exemple, c’est la crainte de la maladie qui est mise en avant, elle pourra devenir « être en bonne forme physique pour pouvoir profiter de... ».
Expliquer la nature de la dépendance et première prescription Je donne ensuite des informations sur la nature de la dépendance au tabac (places respectives de la substance et du conditionnement), et recadre le bienfait apparent que procurent certaines cigarettes en mettant l’accent sur l’effet physiologique d’une inspiration profonde – celle qui accompagne la première bouffée – et l’effet du rituel familier, bulle protectrice réalisant une micro-pause où l’on reprend contact avec soi-même, afin de préparer à la recherche de comportements alternatifs ayant les mêmes avantages, mais sans la nocivité de la cigarette. Je fais faire immédiatement l’expérience du bien-être qui accompagne un ample mouvement d’inspiration et insiste sur la nécessité de commencer, dès ce jour, à pratiquer de telles inspirations à de multiples reprises dans la journée (en l’associant à un comportement répétitif : chaque fois qu’on raccroche le téléphone, par exemple).
Recadrer la défaillance de la volonté et justifier le recours à l’hypnose Je fournis un cadre explicatif (démystification de l’hypnose) en adaptant cette explication à ce que j’ai saisi des cadres de pensée du sujet. Mon discours est donc très différent d’une fois à l’autre, mais il vise toujours à souligner que l’arrêt du tabac, comme le changement de tout comportement automatique (conditionnement), ne relève pas de la volonté ni de l’effort conscient : la volonté n’est pas capable d’une vigilance permanente. Les affirmations de tous ceux qui prétendent avoir arrêté « par la volonté » sont recadrées à l’aide d’une petite histoire – véridique – qui a valeur de modèle et qui met en scène un ami chirurgien, très gros fumeur bien qu’averti plus que quiconque des effets néfastes du tabac, qui, un
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jour où il préparait une communication pour un congrès, a cessé de fumer d’un seul coup après s’être vu comme de l’extérieur en train d’inhaler la fumée de la cigarette qu’il était en train de fumer. Je souligne à ce moment que cette prise de conscience agissante a été précédée par tout un travail souterrain qui a abouti à ce déclic. Un tel changement ne doit rien à la volonté et ressortit davantage à la conversion, dans le sens religieux du terme. Je précise alors que l’exercice d’auto-hypnose qu’il s’agira d’effectuer quotidiennement entre la première et la deuxième séance va préparer un déclic similaire en activant « une autre partie du cerveau, celle qui s’occupe des fonctionnements automatiques et est largement inconsciente ». Afin de rendre sensible la limite que j’impartis à la volonté, je fais une démonstration des effets différentiels d’une pensée volontariste, à type d’auto-instruction verbale, et d’une représentation imagée à pouvoir suggestif : je demande au sujet, debout face à moi, de tendre un bras sur le côté et de résister à la pression que j’exerce dessus. Puis je propose de recommencer en essayant à nouveau de résister (le verbe « essayer » est prononcé sur un ton un peu différent) tout en se concentrant sur la pensée, verbalisée intérieurement : « Je veux résister. » Invariablement, la résistance à ma pression se révèle beaucoup moins forte, ce qui provoque un effet de surprise qui va préparer à l’induction hypnotique qui suivra. Enfin je propose de tendre le bras une troisième fois, de ne rien se dire mais d’imaginer que le bras est une barre métallique, et tout en disant cela, j’effleure le bras sur toute sa longueur. Invariablement encore, la résistance est restaurée, et bien souvent même renforcée par rapport à la première expérience. Je donne ensuite une brève explication, en adaptant là encore mon discours au sujet auquel j’ai affaire, mais en soulignant toujours que, face à l’effort volontaire d’arrêter le tabac, la volonté se trouve piégée dans un cercle vicieux dont le mécanisme est un peu le même que celui qui rend si peu efficace la contraction du deltoïde lorsqu’on se dit qu’on veut résister : plus on veut arrêter de fumer, moins on y arrive, parce que fumer est un comportement automatique, tout comme sont automatiques les contractions de nos muscles ; c’est-à-dire, que nos muscles dits volontaires n’ont pas besoin, fort heureusement, que nous nous déclarions intérieurement que nous voulons les contracter pour fonctionner. En revanche, une image qui suggère la solidité, la résistance, restaure toute la force qui, l’instant d’avant, faisait défaut.
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1re séance d’hypnose : susciter la mise en œuvre du travail inconscient Cette explication introduit l’exercice d’auto-hypnose, dont j’annonce que s’il est régulièrement pratiqué, il aura un effet équivalent à celui de l’image de la barre d’acier par rapport à la résistance du bras : mobiliser des ressources autres que celles auxquelles accède la volonté consciente. Elle est à comprendre bien davantage comme une suggestion que comme une explication scientifique de ce qui se passe, et réalise donc une mise en condition dont je puis observer les effets sur l’attitude et le visage du sujet en même temps que j’ajuste mon discours à ces réactions. Je demande alors à quel type d’expériences concrètes s’associent les termes de bien-être et de réussite, et fais raconter quelques souvenirs relevant de ces catégories. Ces situations, avec les termes mêmes par lesquels elles auront été décrites, serviront de base à une induction hypnotique selon la technique très simple de l’accompagnement, où l’on restitue au sujet ses propres mots, les sensations qu’il dit avoir vécues, en collant au plus près à ce qu’il a exprimé. Cet accompagnement va dans le sens d’une coénonciation des états internes du sujet par le thérapeute (Melchior), favorisant l’estompage de la limite du moi : entendre l’autre parler ses propres images, sensations, émotions a un effet confusionnant, où l’on ne sait plus très bien ce qui vient de soi et ce qui vient de l’autre. Le discours du thérapeute est d’abord comme une sorte d’écho retardé pour passer insensiblement à une suggestion d’autant mieux acceptée qu’elle se coule dans le moule de la pensée du sujet lui-même. Il est très fréquent et tout à fait caractéristique du fonctionnement hypnotique qu’après la séance, le sujet exprime un grand étonnement devant la coïncidence entre ses états internes et le discours qui lui était adressé. Ceci contribue à ratifier l’authenticité de l’expérience hypnotique, ainsi que le font aussi la fréquente distorsion temporelle (vécu subjectif d’une durée plus longue ou plus courte que le temps réellement écoulé) et les mouvements involontaires (lévitation de la main...), avec le puissant effet suggestif du constat indiscutable que l’hypnose permet l’émergence de quelque chose d’inattendu et qui vient de soi ; il est utile de souligner ce dernier point afin que le sujet s’attribue des potentialités qu’il ne se savait pas détenir. Ce qui est proposé ici, dans le cadre de l’arrêt du tabac, suit un canevas dont les principales étapes sont résumées sur une feuille remise au sujet, afin de guider la remémoration de ce qu’il a expérimenté, car il aura à le reproduire chez lui. L’impression immédiate de bien se souvenir des différents temps de cette première exploration est très souvent suivie d’un sentiment de confusion et d’une relative amnésie ; c’est cela qui m’a
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incité à résumer l’exercice par écrit en fin de séance. Voici un exemple de ce que je remets au sujet : E XERCICE D ’ AUTO - HYPNOSE À EFFECTUER UNE FOIS PAR JOUR • •
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S’installer confortablement, les mains sur les cuisses. Concentrer le regard sur les mains, puis sur un point au sol. Sentir les mains, se les représenter. Laisser éventuellement les yeux se fermer et se faire une image des mains. Mettre les mains l’une contre l’autre, fermées l’une sur l’autre. Se représenter l’espace entre les paumes, en imaginant une cigarette à l’intérieur : elle symbolise tout ce qui est en rapport avec le fait de fumer. Se demander si l’on souhaite vraiment se débarrasser du tabac, et dans le cas où la réponse est oui, laisser les mains se serrer l’une contre l’autre avec force, à l’instar de la force que va mobiliser l’inconscient. Écrire le mot « force » mentalement avec des lettres de couleur ; souligner le mot d’un trait affirmé. Prendre une grande respiration, relâcher les mains, leur laisser tout le temps nécessaire pour revenir se poser en imaginant que les mains lâchent quelque chose qui s’éloigne et se dissipe comme de la fumée ; se détendre un peu davantage à chaque respiration. Se concentrer sur un souvenir de bien-être, puis un souvenir de réussite, avec le plus de détails concrets possible. Puis se mobiliser progressivement, reprendre une profonde respiration et s’étirer.
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Prescription de tâches Cette première séance se conclut par trois autres prescriptions : changer immédiatement de marque de cigarette ; changer de main, c’est-àdire inverser en miroir tous les gestes impliquant la cigarette. Enfin, se procurer soit des bâtonnets de cannelle, soit imprégner une bandelette de papier d’un parfum choisi à cet effet et la disposer dans un petit tube à garder sur soi. Deuxième séance
Rituel d’élimination La deuxième séance, environ quinze jours plus tard, fait suite à un entretien téléphonique où je rappelle que ce rendez-vous sera celui de l’arrêt du tabac. Je demande de programmer un événement festif pour le soir de ce jour, afin de célébrer cette libération. La séance commence par
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un rituel : déchirer une à une les cigarettes qui restent dans le paquet que le sujet a encore sur lui, à l’exception de la dernière. Restes de cigarettes, débris du paquet et briquets, tout est jeté dans à la poubelle ; la cigarette réservée est disposée entre les paumes fermées l’une sur l’autre.
2e séance d’hypnose, suggestions post-hypnotiques On refait alors l’exercice des mains serrées à partir de l’étape n◦ 4. L’induction hypnotique qui suit le relâchement des mains est prolongée dans le sens d’un approfondissement de la transe. J’introduis une représentation du sujet face à une décharge nauséabonde constituée de mégots exhalant une fumée âcre ; au bout d’un certain temps de confrontation à cette scène, je pose une question du genre : « Et vous allez avoir envie de tourner le dos à toute cette puanteur (ou saleté, ou tout autre terme approprié à ce que le sujet aura exprimé de sa motivation), n’est-ce pas... et quand vous saurez que vous êtes vraiment prêt à quitter tout cela, vous vous sentirez prendre une profonde respiration bienfaisante, et vous vous engagerez sur un chemin... » suit la description du chemin, de plus en plus agréable... Puis, en reprenant l’accompagnement à partir d’une situation de réussite précédemment évoquée, je bifurque vers une projection dans un futur distant d’environ trois mois et demande au sujet de se voir dans une situation « familière ou exotique, ou les deux à la fois, ce n’est pas contradictoire dans cet état-là » où il se sent particulièrement bien, allégé, libéré, en décrivant des sensations en rapport avec les bénéfices escomptés décrits lors de la première séance, et je fais imaginer que cet autre lui-même repense aux tout premiers moments de sa nouvelle vie de non-fumeur et à « la surprise ou peut-être est-ce davantage de la satisfaction, je ne sais pas » éprouvée devant l’aisance avec laquelle s’est fait le sevrage, le bien-être du premier matin sans tabac, la curiosité devant une nouvelle manière de voir les choses, etc. Je fais aussi quelques suggestions concernant la qualité du sommeil qui va suivre la soirée de célébration et le bien-être ressenti après une nuit réparatrice. Troisième séance
3e séance d’hypnose : renforcement et dernières prescriptions La séance du lendemain est destinée à renforcer les effets de celle de la veille : induction fractionnée en deux ou trois temps pour un approfondissement de l’état hypnotique. J’utilise souvent une des nombreuses variantes possibles d’une induction où je suggère que ce qu’il resterait
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à évacuer des anciens comportements de fumeur va être drainé vers l’extérieur. Je propose une fixation de l’ongle du pouce au bout du bras tendu, poing fermé. La sensation de poids qui envahit le bras est associée au poids des habitudes, le poids de tout ce qui encombre, etc... Je suggère que l’autre main va devenir de plus en plus légère, induisant ainsi une lévitation qui, une fois le bras lourd posé, va pouvoir aller installer une légèreté bienfaisante dans la partie du corps qui en a le plus besoin. Puis suggestion d’une situation de bien-être, d’un sentiment de réussite, brève interruption pour quelques mots d’échange, et : « Après une profonde respiration, vous retrouvez tout ce bien-être », approfondissement et multiples suggestions autour de l’idée que le corps reconnaissant va apporter son concours et faciliter davantage encore la libération de la dépendance tabagique. Je termine par un exercice d’auto-hypnose avec ancrage d’une sensation de bien-être associée à un geste discret, à utiliser lorsque surviendra un manque fugitif, un sentiment d’irritabilité ou une émotion désagréable : à deux reprises, je répète la même induction qui consiste à compter de 1 à 3 : E XERCICE D ’ AUTO - HYPNOSE AVEC ANCRAGE D ’ UNE SENSATION DE BIEN - ÊTRE
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1. Profonde inspiration et regard au plafond ; 2. Expiration et fermeture des yeux ; 3. Situation de grand bien-être et signaling par lévitation de la même main que lors de l’induction précédente, avec amplification du sentiment de bien-être et de liberté. Une troisième fois c’est le sujet qui rythme l’exercice en comptant lui-même de 1 jusqu’à 3 afin de se l’approprier.
Je fais refaire quelques exercices respiratoires et donne des prescriptions comportementales (micro-pauses à effectuer plusieurs fois par jour, respirations profondes avec le parfum précédemment sélectionné, un verre d’eau toutes les heures...). Toute latitude est laissée au sujet de me joindre par la suite pour une séance de renforcement, si le besoin s’en fait sentir. Ce qui n’arrive que très rarement.
Chapitre 6
ATTACHEMENT ET HYPNOSE Stefano Colombo
nous proposons de montrer l’intérêt clinique de la théorie de l’attachement et de la puissance de l’hypnose dans le cadre psychothérapeutique. Nous partons de l’approche cognitive en présentant la vision rationaliste et ses limites ainsi que la vision constructiviste. Les deux sont pertinentes en thérapie : la première, par la précision des termes et de la récolte des données. Ces mêmes données permettent à la deuxième de se déployer dans le sens d’une déconstruction pour aboutir à une nouvelle co-construction. Considérant le vécu comme central, nous réservons une place particulière à l’émotion et à la « moviola », stratégie qui permet l’éclosion de l’émotion en séance. La narration, mieux, le mode narratif du patient nous renseigne sur son vécu et nous fait partager le mode relationnel propre à ce patient. La théorie de l’attachement nous est alors d’une grande aide. Non seulement elle nous guide dans la compréhension du patient, mais surtout, elle nous permet de ressentir l’attitude thérapeutique adéquate, de la réajuster et d’être en résonance avec le patient. Et l’hypnose ? C’est grâce à elle que le thérapeute peut entrer dans cette résonance et vivre des moments partagés de fortes émotions. C’est
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N
OUS
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par l’hypnose que le patient vit des temps nouveaux et intenses d’êtreavec-l’autre. Régression en âge et accordage affectif colorent le tableau des teintes de l’aventure qu’est la vie. Nous illustrons ce chapitre par des extraits de séances cliniques.
C OGNITIVISME
ET ÉMOTIONS
L’approche cognitive rationaliste Anamnèse cognitivo-comportementale T : – Qu’est-ce qui vous amène ? P : – Docteur, je ne prends plus les ascenseurs, j’ai peur... A tout vous dire, même le tram me fait peur, je me déplace à pied. Évidemment, j’ai expliqué à la maison que c’est mieux pour la santé de marcher. T : – Et les autoroutes ? P : – Je les évite. T : – L’avion ? P : – Oh, bon Dieu ! Rien que d’entendre le mot m’angoisse! Ainsi débute le premier entretien avec Mr W1 ., un homme âgé de 47 ans, marié, deux enfants.
Le thérapeute2 ayant une formation en thérapie cognitive et comportementale traditionnelle se fera, à juste titre, un devoir de remplir la grille SECCA qui regroupe : Situation – Émotion – Cognition – Comportement – Anticipation (Cottraux, 1995). L’émotion est recherchée afin d’arriver à la cognition au sens proposé par Beck, à savoir la pensée automatique ou l’image automatique qui vient à l’esprit au moment de l’événement (Beck, 1976, 1979). P : – Quand la crise me prend, je ressens une peur extrême accompagnée de palpitations, tachycardie et la sensation d’étouffer (émotion). Je me dis que je vais me sentir mal, je vais mourir (pensée automatique), je me vois dans le cardiomobile toutes sirènes déployées (image automatique).
1. Pour accompagner la partie théorique, nous avons pris une situation clinique réelle pour laquelle nous avons déterminé arbitrairement le nom du patient par la lettre « W » et son prénom par « Patrick ». La suite éclairera la raison du prénom. 2. Pour la clarté de l’exposé, nous parlons de patient, thérapeute, au masculin comme genre, étant entendu que ces termes s’appliquent à l’homme comme à la femme.
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Des situations similaires sont recherchées afin d’en dégager les schémas de base correspondants à la vision de soi, du monde et de l’avenir, c’est-à-dire la triade de Beck.
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T : – Que peut-il vous arriver sur l’autoroute ? P : – Je pourrais avoir une défaillance... c’est dangereux un accident sur l’autoroute. T : – Quand vous allez au restaurant, vous vous asseyez où ? P : – Si j’y vais... sûrement près de la porte. T : – Parce que... P : – Si je me sens mal et je suis coincé au fond du restaurant, je ne serai pas capable de faire face, je ne saurai que dire pour pouvoir quitter le restaurant. T : – En ville, vous sortez seul ? P : – Uniquement pour aller au travail et rentrer à la maison. Vous savez, ma femme travaille aussi et elle amène les enfants à la crèche et à l’école, nous avons deux enfants. T : – Qui fait les courses ? P : – En général ma femme, sauf s’il y a des objets lourds ou encombrants. T : – Alors vous y allez vous! P : – Oui, mais pas seul... T : – Parce que... P : – Si je suis avec quelqu’un que je connais, cela me rassure
Après quelques séances, la vision de soi mise en évidence est : « Je suis fragile » et la vision du monde : « Le monde est plein de dangers. » Ces mêmes schémas sont actifs, comme nous venons de le voir, dans de nombreuses situations : ascenseurs, transports publics, grands magasins, restaurants, avion. Le patient voit l’avenir « sombre » en lien avec la répétition des crises d’angoisse et la restriction de son espace de mouvement. Les concepts de base de la thérapie cognitive sont : – les schémas : structures cognitives dont les postulats ou croyances en sont le contenu ; ces concepts étant souvent utilisés comme synonymes ; – les cognitions : monologues intérieurs à contenu verbal ou imagé déclenchés par des stimuli internes ou externes ; – les processus cognitifs : systèmes de traitement de l’information aboutissant aux cognitions ; – les distorsions cognitives : perturbations dans les processus cognitifs ; – les émotions ;
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– le comportement. Les schémas, les cognitions et les distorsions cognitives représentent le noyau central de l’intervention thérapeutique. Un exemple de distorsion cognitive est l’attention sélective. Dans ce cas, le patient est beaucoup plus attentif aux stimuli internes (palpitations, début de transpiration, impression de chaleur perçue comme étouffante) qu’aux stimuli externes. Au restaurant, il a de la peine à suivre la conversation, sur le trajet domicile-travail, il n’a jamais observé la façade d’un immeuble. Nous pouvons présenter le processus d’attention sélective comme suit (figure 6.1) :
Événement X
b
a
c
b
a c c
c c
b
Schéma A
b
a b
a
a c
Événement A L’événement X est notre patient dans le supermarché en train d’acheter des fruits. Il regarde le rayon où il y a plusieurs sortes de pommes (les b) et différents prix (les c). Simultanément, il ressent des sensations comme des palpitations, des paresthésies (les « fourmis ») aux pieds, les mains moites, du vertige (les a). Son schéma A — « Ce que je ressens est dangereux » — sera aussitôt activé et l’attention sélective se portera sur les éléments correspondants, les a. Le patient rentrera à la maison se disant qu’il a eu un malaise (événement A). Sa femme, par contre, lui demandera, dans le meilleur des cas, pourquoi il a acheté ces pommes-là qui, de plus, sont les plus chères! Il lui répondra qu’il était en retard, pressé ou qu’il y avait trop de monde, bref, il trouvera une excuse pour sauver la face.
Figure 6.1. Attention sélective sur la base du schéma A
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Nous venons d’exposer un aperçu clinique de l’approche cognitive rationaliste. Mais quelle théorie est à la base de cette approche ? L’approche cognitive rationaliste est ancrée dans la tradition empirique qui postule, d’une part, qu’il y a un ordre externe univoque et objectif et, d’autre part, que l’observation impartiale de l’extérieur est possible. Cela permettrait une compréhension univoque et objective de la réalité. Elle fait appel à la métaphore de l’ordinateur. Elle dépasse le comportementalisme qui l’a précédée en introduisant justement la notion d’élaboration de l’information (Guidano, 1987). Bien que le sujet ait une part active dévolue au traitement de l’information, le contenu de la connaissance du sujet est censé être analysable indépendamment du sujet. L’accent est mis sur le contenu des schémas cognitifs. Ces derniers se forment à partir des expériences vécues qui sont vues comme des éléments cumulatifs permettant de définir le contenu. Nous proposons la métaphore de la photocopieuse : le sujet cumule des photocopies de la réalité et finit par y mettre un titre les regroupant. Les titres (schémas) ainsi constitués deviennent de plus en plus indépendants et agissent, par la suite, comme des lunettes au verre coloré à travers lesquelles le sujet continuera à percevoir la réalité. Les photocopies suivantes seront vues à travers le prisme du titre. Dans cette approche, les cognitions sont prioritaires sur les émotions, elles les déterminent en grande partie. L’intervention thérapeutique vise surtout la restructuration cognitive par la mise à l’épreuve des cognitions avec la réalité (« Est-ce vrai que... quels éléments de votre expérience parlent en faveur/défaveur de votre hypothèse ? ») et la recherche de pensées automatiques alternatives (« J’ai l’impression que l’air manque » est moins effrayant que « Je vais mourir »). La relation thérapeutique tend à se transformer en un semblant de cours didactique avec une coloration « scientifique » (travailler comme deux scientifiques qui construisent des hypothèses et cherchent à les valider ou invalider) ou une coloration « pédagogique » comme dans une relation maître-élève. Il est vrai que la clinique montre une certaine efficacité de la restructuration cognitive. Elle amène des changements, parfois notables. Cela ne prouve pas encore que la cognition est centrale. Le lien temporel apparent entre deux entités ne signifie pas encore un lien causal. Si je vais cueillir les fraises en début d’été, à midi quand le soleil est au zénith, je vais bronzer. Ce ne sont quand même pas les fraises qui me font bronzer ! La question serait : que se passe-t-il chez le patient, chez le thérapeute et dans leur interaction lors d’une restructuration cognitive au-delà du résultat cognitif ?
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C’est la raison de dépasser l’approche cognitive rationaliste. Sinon, quel besoin de faire appel au constructivisme ? Une théorie serait-elle comme un tricot, plus il est complexe, plus il a l’air fait main et donc sérieux ? Ce n’est en tout cas pas le moment de... perdre le fil. L’approche cognitive constructiviste L’approche cognitive constructiviste s’inscrit dans une perspective évolutionniste. Cette dernière donne un cadre de référence qui rend l’étude de la connaissance compatible avec la méthodologie appliquée aux disciplines expérimentales et elle dépasse la position empirique déjà décrite. L’être humain, dans son évolution, fait partie de ce monde qu’il essaie d’appréhender (Guidano et Liotti, 1983). La connaissance n’est pas le simple résultat de perceptions comme si, à la naissance, l’enfant était un contenant vide qui se remplit du « matériel » apporté par les sens. La connaissance est, au contraire, le fruit d’une construction active du sujet en interaction avec son environnement, en particulier avec ses semblables. Piaget (1967a, p. 20) nous éclaire : « Le fait essentiel dont il convient de partir est qu’aucune connaissance même perceptive, ne constitue une simple copie du réel, parce qu’elle comporte toujours un processus d’assimilation à des structures antérieures. Nous prenons le terme d’assimilation au sens large d’une intégration à des structures préalables. »
Connaître un objet c’est agir sur lui. Voici un exemple : En retour de cette action sur le milieu, le milieu agit sur le sujet. C’est l’« accommodation » de Piaget (1967b, p. 14) qui précise : « L’être vivant ne subit jamais telle quelle la réaction des corps qui l’environnent, mais qu’elle [l’accommodation] modifie simplement le cycle assimilateur en l’accommodant à eux... On peut alors définir l’adaptation comme un équilibre entre assimilation et accommodation, ce qui revient donc à dire un équilibre des échanges entre le sujet et les objets. »
Dans cette dynamique assimilation-accommodation, il y a autorégulation. L’arbre situé à trente mètres et celui situé à cent mètres de distance paraissent de la même grandeur alors que leur trace sur la rétine est différente. La grandeur est réajustée en fonction de la distance. C’est un exemple d’autorégulation du système perceptif (Piaget, 1967a). Von Glasersfeld (1988, p. 33) écrit :
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L’orientation du cube peut changer d’un coup. Le coin central apparaît soit proche soit lointain.
Figure 6.2. Cube de Necker
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« Le monde dont nous faisons l’expérience est et doit être comme il est parce que nous l’avons composé ainsi. »
Nous avons la chance et la responsabilité de connaître le monde, de « naître avec » à chaque instant de notre existence. L’histoire est, pour chacun de nous, le moment vécu et le récit qu’il nous est donné d’en faire. C’est un peu comme le train que nous prenons pour aller d’une ville à une autre. Dès la recherche de l’horaire, il devient notre train. Nous achetons le billet pour notre train. Il a du retard ? C’est notre train qui est en retard. Il arrive ? Nous sommes arrivés. Il repart ? Nous sommes dans la ville de destination, le train n’est plus qu’un amas de ferraille mis dans un ordre qui peut être perçu comme un ensemble fait d’une locomotive et de wagons. Ces objets sont « prêts » pour devenir le train du prochain voyageur. Il ne le sera pas si ce voyageur n’existe pas. Il n’y a pas de train sans voyageur. Il n’y a pas de voyageur de train sans train. Pour exister ils doivent se rencontrer et « naître » l’un à l’autre. « L’intelligence (...) organise le monde en s’organisant elle-même. » (Piaget, 1967c, p. 311)
Ces processus d’assimilation et d’accommodation retiennent l’attention du thérapeute pour la conduite de la thérapie. Il sera très attentif aux ressources du patient quant à l’intégration des invalidations. L’assimilation sera invitée à quitter sa rigidité pour devenir plus souple. L’accommodation, elle, sera accompagnée avec tact afin que les nouvelles
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expériences ne fassent pas irruption dans l’identité du soi mais y entrent, telles des touches de couleur délicatement mélangées à la peinture déjà existante. Dans une vision constructiviste, l’accent se porte sur comment la connaissance, au sens large, s’est construite. Présent et passé sont au rendez-vous. Le présent arrive en séance sur deux modes : un mode indirect et un mode direct. Le premier consiste, pour le patient, à récolter les observations de situations ou d’événements survenus hors séance, ceci avec le plus de détails possible sur les trois niveaux : cognitif, émotionnel et comportemental. Ces observations, utiles en cognitive rationaliste, le sont aussi dans l’approche constructiviste. Le deuxième mode, direct, est l’observation par le patient et le thérapeute de ce qui se passe en séance même. Le passé est au rendez-vous dans la recherche d’événements analogues, en particulier dans leur déroulement. Leur revue ou découverte permet une mise en lumière des modes de construction des schémas anciens et actuels et des éléments ayant contribué à leur devenir. Un réajustement dans la construction des schémas en est facilité (Greenberg, Rice and Elliott, 1993). Ainsi, pour le patient présenté précédemment, la question n’est plus « Pourquoi a-t-il peur de prendre le tram ? » mais « Comment est-il arrivé à cette conclusion, mieux, à ce vécu ? » La place de l’émotion Une des tâches principales, au début de la thérapie, est la récolte d’observations de la part du patient. Le thérapeute avec une écoute constructiviste reste très attentif à comment le patient raconte son « histoire ». Cette narration est la résultante de l’intégration progressive des expériences vécues. Elle leur donne un sens et garantit la continuité du soi dans le temps malgré la variabilité des situations et événements qui se suivent le long de l’axe temporel de la vie d’une personne. Les observations amenées par le patient sont vues à travers la loupe de la narration. Pour chaque situation, le patient fait un récit qui a des caractéristiques qui se retrouveront, au moins en partie, dans le prochain récit. Pour mieux voir les différentes forces en jeu, en particulier les émotions, les sensations physiques, la qualité des interactions avec autrui, le thérapeute demande au patient de revoir l’événement « alla moviola » (Guidano, 1991). La moviola est l’appareil qui permet de voir une séquence d’un film image par image, d’aller en avant et en arrière.
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En y ajoutant un zoom, de nouveaux aspects viennent s’ajouter. Chaque fois qu’une telle image est réinsérée dans la séquence, cette dernière change à son tour. Cette approche permet de ralentir le récit et d’amener le patient davantage du côté du vécu. Elle l’amène à différencier, dans une expérience émotive, son explication du « comment il l’a éprouvée ». L’intervention thérapeutique vise, ici, à un changement du regard de la part du soi qui observe et évalue sur la part du soi qui expérimente dans l’immédiateté. Le thérapeute acquiert ainsi le rôle du « perturbateur stratégiquement orienté » (Guidano, 1991, trad. it. 1992, p. 107). Dans notre expérience, c’est souvent lors de ce regard alla moviola que les émotions trouvent le temps d’être et amènent, comme le flot de la rivière, le patient dans un état hypnotique propice à une restructuration émotionnelle. Soulignons que la place de l’émotion ne concerne pas que le patient. L’implication émotionnelle du thérapeute est essentielle, c’est elle qui rend les dires du thérapeute, ses questions, ses postures et gestes « vrais », non pas dans une dualité rationnelle vrai-faux ou juste-erroné, mais dans le sens d’un sentiment d’authenticité ou d’une authenticité ressentie par le patient. Dans ce travail d’orfèvre, la narration s’enrichit peu à peu de récits concernant les expériences dans le passé. Elle prépare la partition sur laquelle viennent s’étendre les notes biographiques du patient. C’est ici que la théorie de l’attachement apporte un enrichissement notable.
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THÉORIE DE L’ ATTACHEMENT
John Bowlby (1907-1990), psychiatre et psychanalyste anglais, s’intéresse très tôt à l’éventuel lien entre la déprivation relationnelle pendant l’enfance et le développement d’une personnalité incapable de liens stables. En 1951, il écrit le rapport « Les soins maternels et la santé mentale » pour l’Organisation Mondiale de la Santé (Bowlby, 1951). Il y relate la misère vécue par les bébés et les enfants qui, à cause de la guerre, ont été séparés de leurs parents ou les ont perdus et n’ont pas reçu de soins adéquats. Dans l’article « The nature of the child’s tie to his mother » Bowlby (1958) propose les premiers fondements de sa théorie de l’attachement. Elle sera conceptualisée, dès 1969, dans la trilogie Attachement et perte (Bowlby, 1969, 1973, 1980). Cette théorie s’appuie sur des méthodes et des constats issus de l’éthologie, de la théorie du contrôle des
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systèmes, de la psychologie du développement et de l’épidémiologie. En termes éthologiques, la théorie de l’attachement s’intéresse aux capacités adaptatives de l’individu et à ses ressources. Elle contient la proposition suivante : le maintien de la proximité par rapport à des figures d’adultes protecteurs (figures d’attachement) représente le mécanisme principal dans la régulation du sentiment de sécurité et de la survie du bébé. Il s’agit d’une prédisposition innée qui organise les expériences de séparation/proximité et s’organise en même temps avec ces mêmes expériences. L’attachement fonctionne donc sur un modèle piagétien d’interaction du sujet avec le monde par le biais de l’assimilation et de l’accommodation. Bowlby considère le comportement d’attachement comme une classe du comportement social aussi importante que celle du comportement parental ou celle du comportement amoureux. L’attachement ne nécessite pas de référence à des besoins, comme l’alimentation. Les observations en éthologie le montrent, en particulier les expériences d’Harlow avec les petits des singes. Ces derniers vont se réassurer auprès du simulacre de singe-mère en étoffe et pas auprès de celui en fil de fer, indépendamment qu’il donne ou pas du lait. Bien plus, les petits élevés uniquement en présence du simulacre en fil de fer qui les nourrit, une fois exposés à une situation nouvelle alarmante, restent effrayés et ne cherchent pas de réassurance auprès du simulacre. Au contraire, les petits singes élevés en présence d’un simulacre en étoffe qui ne les nourrit pas cherchent aussitôt le simulacre, en seront apaisés et pourront reprendre l’exploration de la nouvelle situation (Harlow, 1958). L’essentiel pour le petit est donc la proximité et l’accessibilité au simulacre en étoffe. C’est le plaisir de contact qui soutient le comportement d’attachement et non la nutrition. La fonction d’attachement est adaptative, dans le sens évolutionniste. Les comportements d’attachement servent la fonction d’attachement. Alors que la fonction d’attachement reste invariable dans le temps, les comportements varient selon le niveau de développement du sujet. La figure d’attachement est la personne adulte qui est la plus proche du bébé, non tant en termes de quantité, mais en termes de qualité. Nous y reviendrons. Dans la dyade adulte-enfant, c’est la mère qui représente, le plus souvent, la figure d’attachement principale. Dans la suite de notre exposé, nous utilisons, à l’enseigne de Bowlby, « figure d’attachement » et « mère » comme équivalents, conscients qu’il s’agit là de désigner la personne qui donne des soins à l’enfant et à laquelle il s’attache.
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L’activation de l’attachement a comme issue prévisible le fait d’accroître la proximité entre le bébé et la mère. Les comportements pour y parvenir varient dans le temps. Pleurer, sourire, s’accrocher, sont les principaux comportements pendant les premiers mois ; se rapprocher de la mère suivra lorsque le déplacement du bébé devient possible. Plus tard, avec l’avènement du langage, la parole vient enrichir les comportements d’attachement par l’expression d’une demande de proximité ainsi que le font les presque infinies manières d’exprimer ce besoin chez l’adulte. Au système1 d’attachement répond le système de « donner des soins » (caregiving en anglais, accudimento en italien). Le bébé pleure, le comportement d’attachement est activé. Ce dernier active à son tour, chez la mère, le système de donner des soins. Avec la réponse adéquate de la mère, le système d’attachement est désactivé. L’enfant peut alors activer le système d’exploration, lui-même composé d’une série simple ou complexe de comportements. Il peut recommencer à découvrir son nouveau jouet ou se déplacer dans la pièce contiguë à la recherche d’un monde plein de nouveautés qui l’attendent. Nous entrevoyons l’importance clinique du lien entre les deux systèmes, celui d’attachement et celui d’exploration. C’est un point crucial qui invalide l’idée qu’un enfant à qui la figure d’attachement répond va développer une dépendance envers cette personne. Au contraire, c’est justement parce que l’enfant se sent sécure2 qu’il va pouvoir plus facilement explorer son environnement. Les enfants sécures, une fois à l’école, chercheront, oui, un attachement envers le maître d’école, mais pas aux dépens des relations avec les pairs, contrairement aux enfants anxieux qui, eux, favoriseront la relation avec le maître d’école. Cela est d’autant plus compréhensible que l’enfant sécure a de lui-même une représentation positive. L’attachement garde sa fonction et sa validité tout au long de la vie. Nous le retrouvons dans la relation avec un ami, dans l’état amoureux, dans le couple. Une multitude de relations, où le besoin de se sentir en sécurité prédomine, active le système d’attachement. En d’autres termes, dans un système d’attachement, nous cherchons l’autre en tant que personne fiable dans sa disponibilité et dans sa réponse à notre besoin de proximité/sécurité.
1. Le terme « système » est utilisé ici à la place de l’anglais pattern. 2. « Secure » en anglais, signifie être confiant et se sentir en sécurité. « Sécurisé » fait davantage appel au sens d’« être à l’abri de » comme on peut le dire d’un échafaudage qu’il doit être sécurisé des rafales de vent. Nous gardons donc le mot anglais, toutefois francisé. Voir aussi Miljkovitch, 2001.
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Afin de mieux étudier l’attachement, M. Ainsworth a mis au point une expérimentation appelée la « situation étrange » (strange situation), dénomination que nous devrions mieux traduire par « situation insolite ». Nous gardons toutefois ici le terme de « situation étrange » utilisé dans la littérature. La « situation étrange » Mary Ainsworth (1913-1999), psychologue et étroite collaboratrice de Bowlby, a conçu une situation d’observation dans le but de faire apparaître le comportement d’attachement chez des bébés d’un an dans un environnement non familier. Elle consiste en une séquence, d’une durée totale d’une vingtaine de minutes, de huit épisodes d’environ trois minutes chacun. Un bébé, muni d’une bonne escorte de jouets, est observé quand il est en compagnie de la mère, en son absence et à son retour. Une personne étrangère est aussi présente à un moment donné. L’expérimentation implique plusieurs séquences de séparation-réunion (Ainsworth, Blehar, Waters et Wall, 1978). Ce dispositif permet d’étudier les différences individuelles dans l’utilisation de la figure d’attachement comme base pour le comportement d’exploration. Le comportement de la mère est étudié en même temps. Il s’agit donc davantage de l’observation d’une interaction. À partir de ces observations, corroborées par une multitude d’expérimentations par d’autres chercheurs, Ainsworth a décrit trois types d’attachement : A, B et C. A. Anxieux-évitant : le bébé est peu perturbé par la situation, semble ne pas être affecté par le départ du parent, il ne pleure pas et s’intéresse aux jouets ou à l’environnement. Il évite ou ignore le parent lors de son retour en s’éloignant, se détournant ou en cherchant à s’échapper lorsqu’il est pris dans ses bras. Plutôt facile de contact avec la personne étrangère. S’il y a de la colère, elle est plutôt dirigée vers les jouets ; B. Sécure : le bébé présente des signes montrant que le parent lui manque, il proteste ou pleure lors de la séparation. Il accueille le parent de retour de façon active en s’agrippant à lui, en cherchant à être tenu. Après un bref contact, il se calme et retourne jouer ; C. Anxieux-ambivalent (aussi appelé Anxieux-résistant) : il est préoccupé par le parent tout le long de la séquence. Il alterne entre recherche de contact et résistance dès que le parent veut le prendre dans ses bras, veut s’en détacher aussitôt, manifeste de la colère ou reste passif. N’arrive pas à se calmer au retour du parent, pleure.
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Il s’y ajoute un quatrième type découvert plus tard par M. Main (Main et Salomon, 1986). D. Désorganisé-désorienté : le bébé a un comportement désorganisé en présence du parent, il ne parvient ni à s’accrocher, ni à s’en détacher; il peut rester figé ou se lever et tomber par terre à l’arrivée du parent. Le parent est à la fois vécu comme protecteur et comme menaçant, ce qui engendre un conflit dans la conduite d’attachement. L’observateur a l’impression qu’il n’y a aucune stratégie d’attachement. On a relevé une association fréquente de maltraitance soit au niveau du bébé soit au niveau du parent. Pour la clarté du texte, nous adoptons la nomenclature suivante: type A évitant, type B sécure, type C ambivalent, type D désorganisé.
ATTACHEMENT, M ODÈLES I NTERNES O PÉRANTS
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ET INVALIDATION Bowlby a souligné la tendance de l’enfant à s’attacher à une personne en particulier. Il a nommé cette tendance la « monotropie ». Si cette personne est le plus souvent la mère, elle peut aussi être le père ou une autre personne proche de l’enfant. En outre, d’autres adultes peuvent entrer dans le système comme figures d’attachement secondaires et/ou substitutives, par exemple la maman de jour, un membre de la fratrie, une tante ou un oncle, la maîtresse d’école. Il y a donc plusieurs attachements possibles (Pierrehumbert, 2003). Pour ce qui est du père, on a reproché à Bowlby de le négliger. Il faut replacer ses recherches dans leur contexte historique. Il a lui-même voué plusieurs passages consistants à la question. Ses recherches ont donné une impulsion à d’autres études concernant les autres figures d’attachement, le père en particulier (Volling et Belsky, 1992 ; Le Camus, 2000). De ces études, il ressort que plusieurs questions reçoivent des réponses partielles qui incitent à poursuivre les recherches. Pour la clinique, nous trouvons intéressante l’hypothèse que les différences se jouent probablement entre système d’attachement et système d’exploration. La mère aurait une efficacité consolatrice plus grande lors de situations qui provoquent un stress majeur comme la fatigue, la maladie ou l’arrivée d’un inconnu. Le père aurait, lui, une part prépondérante dans l’activation du comportement d’exploration. Au lieu d’étudier le lien au père dans la « situation étrange » comme pour l’attachement à la mère, il a été proposé de l’étudier lors du jeu. C’est alors le « défi », aussi appelé « incitation sensible » qui est pris
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en compte (Grossmann et Grossmann, 1998). Pierrehumbert souligne que « les contextes privilégiés d’échange parent-bébé diffèrent selon les parents : les jeux pour le père, les soins pour la mère » (Pierrehumbert, 2003, p. 213). Nous renvoyons le lecteur intéressé par ces différentes questions encore ouvertes et passionnantes à l’ouvrage de Blaise Pierrehumbert Le premier lien. Théorie de l’attachement (Pierrehumbert, 2003), ouvrage que nous avons vécu comme base sécure pour partir à l’exploration d’une vaste littérature. La qualité de l’attachement Bowlby souligne que l’attachement ne peut jamais être décrit en termes quantitatifs comme « peu attaché » ou « très attaché ». Ce n’est pas l’intensité, mais la qualité de l’attachement qui compte. Pour cette raison, la nomenclature est « sécure », « évitant », « ambivalent » et « désorganisé ». L’enfant sécure peut être autant attaché à sa mère que l’enfant évitant ou l’enfant ambivalent. Étudiant la qualité, Ainsworth montre que la sensibilité de la mère est une caractéristique qui favorise un attachement de type sécure. La « sensibilité » consiste dans la capacité de la figure d’attachement de percevoir les signaux de l’enfant (ex., ses pleurs), les interpréter de façon correcte (ex., recherche de proximité et contact physique) et d’y répondre de façon appropriée et synchrone (Ainsworth et al., 1978). Stern (1985) souligne : « Il y a maintenant assez d’observations sur des nourrissons... pour affirmer que les sentiments intenses et les représentations importantes ne sont pas nécessairement forgés par les actes eux-mêmes "d’être nourri" ou "d’être endormi" mais plutôt par la manière dont ces actes sont faits.1 » (Stern, 1985, trad. fr. 1989, p. 140.)
Au vu des quatre types d’attachement, nous pouvons décrire le mode relationnel de la figure d’attachement comme suit : •
La mère de l’enfant avec un attachement sécure (type B) se montre disponible à répondre positivement aux demandes de proximité et de réconfort de l’enfant. Elle est capable de discriminer les signaux de détresse de son enfant et d’y répondre de façon adéquate. Il s’agit de réponses affectueuses, cohérentes et, surtout, prévisibles. Lors de
1. N.D.A. : italique par nous.
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la réunion après une séparation, l’enfant sécure peut compter sur le sentiment profond de réconfort (être pris dans les bras) et se calme aussitôt. La mère d’un enfant évitant, c’est-à-dire avec un attachement évitant (type A), refuse généralement les demandes de proximité de l’enfant. Sa mimique est pauvre ou signale à l’enfant qu’il doit garder la distance. Cette mère a tendance à dévaloriser et ne pas prendre en compte les besoins de proximité et de réconfort de l’enfant. Ce rejet émotionnel peut prendre la forme d’un évitement du contact physique ou d’un déni des émotions y compris par de la moquerie. Il peut aussi s’exprimer sous la forme d’un contrôle excessif des activités autonomes de l’enfant. L’important semble être, chez la mère, la maîtrise de toute demande émotionnelle de la part de l’enfant. Sa réponse est aussi prévisible mais en tant que probable rejet. L’enfant adopte un style d’attachement qui évite les éventuels refus de la mère en n’exprimant pas ses émotions. Il tâche alors de contrôler ses émotions ou de s’en distraire. Il y a un effort de désactivation des comportements d’attachement. Le regard extérieur le perçoit souvent comme un enfant très autonome. Dans l’attachement ambivalent (type C), la mère peut être décrite comme imprévisible et intrusive. L’imprévisibilité concerne la disponibilité à répondre positivement aux besoins de l’enfant. Tantôt la réponse positive arrive, tantôt elle fait défaut. Cette mère a tendance à être intrusive dans les comportements d’exploration de son enfant. L’attitude de la mère est peu claire ou franchement ambiguë. L’enfant, perturbé par la séparation, a de la peine lors de la réunion et ne réussit pas à se calmer. Colère et besoin de réconfort s’entremêlent. Le système d’attachement est hyperactivé, comme si l’enfant avait compris qu’il faut en rajouter pour avoir l’attention de la mère. Le regard extérieur perçoit l’enfant comme un enfant collant, turbulent, impossible à calmer. L’attachement désorganisé (type D) implique l’observation de comportements et d’interactions qui ne sont pas classifiables dans les trois types d’attachement déjà pris en considération. Lors de la réunion avec l’enfant, la mère semble comme prise dans ses propres pensées, un peu comme absente, voire dans un état hypnoïde. Elle semble elle-même habitée par une peur qui n’a pas de relation avec un quelconque danger dans la situation donnée. Elle est décrite par Main et Hesse comme « effrayée et/ou effrayante » (Main et Hesse, 1990). La mère se sent effrayée par la présence d’un traumatisme non élaboré lié à sa propre figure d’attachement. Son attitude effrayée va, à son tour, être perçue comme effrayante par l’enfant. La mère peut adopter
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un comportement brusque ou avoir des gestes de menace sans la connotation d’un jeu comme cela peut être le cas chez chaque parent. La figure d’attachement, censée protéger de la peur, dégage à son tour de la peur et met l’enfant dans une situation inextricable où son comportement semble ne suivre aucune stratégie, contrairement aux enfants évitants ou ambivalents. Il est désorienté, désorganisé. Le regard extérieur n’arrive pas à préciser le comportement de l’enfant. L’adulte Si la centralité du système d’attachement paraît évidente dans la vie du bébé et du jeune enfant, le système d’attachement persiste au cours de toute la vie (Bowlby, 1969 ; Grossmann et Grossmann, 1998 ; Miljkovitch, 2001). Il ne s’agit pas d’une simple continuité du système d’attachement observé dans l’enfance. Comme pour le développement des stades piagétiens (Piaget et Inhelder, 1966), l’interaction constante entre le sujet et son monde est valable aussi pour le système d’attachement. La coconstruction du monde concerne le cognitif et l’affectif. Assimilation et accommodation sont à l’œuvre tout le long de la vie permettant cette adaptation dynamique qui souligne le processus toujours en cours et non un état qui serait stable. Les modèles internes opérants (M.I.O.) Suivant la conception dynamique des représentations internes, Bowlby a repris le concept de modèles internes opérants (Internal working models) proposé par K. Craik, un pionnier de ce qu’on a appelé plus tard l’intelligence artificielle (Craik, 1943). Les modèles internes opérants (M.I.O.) sont les modèles que l’enfant construit de l’interaction avec sa figure d’attachement. Ils incluent un M.I.O. de soi (aimable1 , compétent ou pas), de l’autre (accessible ou pas), des interactions probables et de leur issue. Leur origine est sociale et leur développement se situe entre expériences passées et actuelles. Pour le thérapeute cognitiviste rationaliste, les M.I.O. se superposent, en partie, aux schémas de Beck (Beck, 1976, 1979). Ils s’en différencient, de notre point de vue, par leur dynamisme et la centralité de leur construction dans l’interaction entre sujets rejoignant ainsi un principe du constructivisme. 1. « Aimable » dans le sens de digne d’être aimé, traduction littérale de l’anglais lovable.
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Les M.I.O. sont « opérants » parce qu’ils influencent la perception ainsi que l’action du sujet. Bowlby a préféré la métaphore de « modèles internes opérants » à des termes comme « carte » (map) ou « image » pour souligner l’aspect actif du sujet sur ces mêmes modèles (Bretherton et Munholland, 1999). Afin que les M.I.O. soient utiles aussi dans toute situation nouvelle, ils doivent pouvoir intégrer des réalités potentielles et non seulement des expériences vécues. En thérapie, cela est important pour permettre au patient de commencer à imaginer des alternatives au vécu actuel. Stern parle de « représentations d’interactions généralisées », les R.I.G.. Elles sont généralisées à partir d’expériences interactives vécues, indépendamment qu’elles soient activées dans le système d’attachement ou pas. Les M.I.O. sont, selon lui, d’une taille et d’un ordre différents des R.I.G. Ces dernières peuvent être conceptualisées comme les unités de base pour la construction d’un M.I.O. Si un M.I.O. est conçu en termes cognitifs qui évaluent et guident, une R.I.G. est conçue en termes de mémoire événementielle, plus proche du vécu affectif ou de l’expérience subjective. L’épisode est vu comme l’unité de base de cette mémoire. Le sujet va, à partir d’épisodes semblables, construire un épisode généralisé qui est une abstraction à partir de nombreux souvenirs spécifiques et appartient à la mémoire sémantique (Stern, 1985). En thérapie, nous considérons l’épisode amené par le patient en séance comme représentatif, pour lui, d’un mode relationnel vécu dans le passé et, probablement, encore actif dans le présent. Le plus souvent, le patient est en état d’hypnose avec une régression en âge qui peut se manifester, entre autres paramètres, par le changement de la voix. Un exemple sera donné dans la partie consacrée à la clinique. L’essentiel est de noter cet aspect représentatif. Il indique que les éléments du récit ne correspondent pas nécessairement au déroulement des faits dans la réalité. Cette précision est essentielle, elle ôte toute liaison causale linéaire entre l’épisode amené et le mode d’être actuel du patient. Nous insistons sur ce point pour avoir vu trop souvent, dans notre pratique et dans les supervisions, la tentation de répondre, sur la base d’un épisode ou d’un souvenir, à la question (mal posée !) du pourquoi ou de la cause. Les M.I.O. ne changent pas à chaque interaction. Sous-tendus par le processus d’assimilation, ils ont une tendance à devenir stables. On retrouvera plus facilement chez l’adulte le même type d’attachement qu’il a eu enfant. Cela permet une meilleure efficacité grâce à un automatisme élevé d’élaboration, dont le prix est une moindre flexibilité (Bretherton et Munholland, 1999).
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« Stables » ne signifie pas « statiques ». En effet, les M.I.O. peuvent évoluer par des changements substantiels dans l’environnement de l’enfant, comme l’amélioration du contexte familial ou le décès d’un parent. Ils peuvent aussi partiellement changer avec le développement de l’individu selon qu’il est en âge préscolaire, scolaire, adolescent ou adulte (Allen et Land, 1999). L’attachement chez l’adulte ne sera pas superposable à l’attachement chez l’enfant. Deux situations illustrent ce fait : dans une relation d’amis, chacun des sujets sert à l’autre de figure d’attachement; dans un couple, chacun des partenaires sexuels remplace, hiérarchiquement, les parents dans la relation d’attachement. L’attachement chez l’adulte diffère ainsi de celui de l’enfant par sa nature de réciprocité et sa nature sexuelle (Hazan et Zeifman, 1999 ; Feeney, 1999). Finalement, les M.I.O. se réorganisent constamment dans l’interaction du sujet avec l’autre et l’environnement. Pour le thérapeute, la relative stabilité des M.I.O. l’amène à être attentif au type d’attachement que le patient crée envers lui, ce qui lui permet de déterminer son attitude thérapeutique. Parallèlement ce sera sur les M.I.O. que portera une grande partie de la thérapie (Bowlby, 1973 ; Guidano, 1987 ; Liotti, 1994 ; Miljkovitch 2001 ; Pierrehumbert, 2003 ; Slade, 1999). Les retombées cliniques d’un changement vont bien au-delà du patient si l’on considère que plusieurs recherches ont mis en évidence des correspondances entre représentations de l’attachement chez l’adulte et type d’attachement chez ses propres enfants. Restant dans une approche constructiviste, le thérapeute se gardera de tomber dans le piège déterministe contre lequel nous met en garde, à juste titre, Miljkovitch (2001, p. 122). Si les M.I.O. sont souvent réservés à l’attachement, pour Bowlby, le concept de M.I.O. s’applique à toutes les représentations. Ils peuvent concerner d’autres systèmes comme celui de l’exploration, de la coopération ou de la compétition (Liotti 1994). Avant de décrire l’attachement chez l’adulte, il nous semble essentiel de rappeler deux règles méthodologiques : – premièrement, une corrélation statistique n’est pas une relation de cause à effet ; – deuxièmement, un résultat statistique appliqué à un groupe n’est pas applicable, tel quel, à un individu. Si la souplesse est un but thérapeutique, il convient que le thérapeute ait cette même souplesse dans l’approche de la littérature et, surtout, de son patient.
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Les représentations de l’attachement chez l’adulte Si Ainsworth a utilisé la « situation étrange » pour mettre en évidence le style d’attachement chez le bébé, Mary Main et ses collaborateurs ont proposé un entretien semi-dirigé afin d’évaluer les représentations de l’attachement chez l’adulte (Hesse, 1999). Il s’agit de l’Adult Attachement Interview (AAI) permettant de cerner l’état d’esprit (state of mind) du sujet par rapport aux relations d’attachement qu’il a eues dans sa propre enfance. La particularité de l’analyse de l’AAI consiste dans l’accent mis sur la manière avec laquelle le sujet répond, bien plus que sur le contenu, en particulier la comparaison entre niveau sémantique et niveau épisodique du récit. La non-concordance entre ces deux niveaux avait déjà été soulignée par Bowlby lui-même (Bowlby, 1980). Il arrive, par exemple, que le sujet déclare avoir eu des « parents magnifiques et humains » (niveau sémantique) et que le récit d’épisodes singuliers fait acte de comportements plutôt négatifs (niveau épisodique). L’inverse est aussi possible. Main, qui était linguiste à l’origine, s’est inspiré des travaux du philosophe Paul Grice pour affiner l’analyse du discours du sujet. Il s’agit de voir si le « principe de coopération » est respecté. Celui-ci, selon Grice (1979), comprend :
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la qualité (parler sincère avec des preuves soutenant le discours) ; la quantité (succinct et complet à la fois) ; la relation (parler à propos) ; la modalité (clair et ordonné).
De cette investigation découlent quatre types de modèles de représentation chez l’adulte correspondant aux modèles chez l’enfant dans la situation étrange : – Ds « Détaché » (Dismissing ; cat. A1 ) : discours incohérent. Le sujet a souvent tendance à décrire ses relations avec les parents sur un mode idéal (« Ils étaient de très bons parents ») et à faire suivre des exemples au contenu plutôt négatif ou alors, interrogé sur des situations précises, sur des souvenirs pouvant appuyer sa déclaration, il n’aura pas de souvenirs et dira qu’il ne s’en souvient pas. Sa description a tendance à être brève. Il se montre ayant plutôt confiance en lui-même et pas dans les autres. Il tend à désactiver son système d’attachement. La colère est retenue. Le cognitif l’emporte sur l’affectif. 1. Nous signalons, sous catégorie, la correspondance avec les modèles d’attachement chez l’enfant dans la situation étrange.
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– F « Autonome » (Free secure/autonomous ; cat. B) : discours cohérent. Le sujet valorise l’attachement tout en étant objectif quant aux différents épisodes, positifs ou négatifs. Le bilan du vécu concernant l’attachement est cohérent. Les réponses sont claires, à propos, sans rajouts ni restrictions. Il se dit confiant en soi comme dans les autres. – E « Préoccupé » (Enmeshed, preoccupied ; cat. C) : le sujet est « préoccupé » ou « pris » par les expériences d’attachement vécues. Il parle en donnant trop d’informations, de manière confuse et souvent hors du sujet. Il paraît agressif, passif ou en colère. Il manque de confiance en soi et a tendance à hyperactiver le système d’attachement. L’affectif l’emporte sur le cognitif. – U « Désorganisé » (Unresolved/disorganized ; cat. D) : le sujet n’a pas la capacité de prendre une certaine distance émotionnelle par rapport aux expériences vécues de maltraitance, abus ou deuils. Le discours est décousu et la personne peut parler au présent d’un parent décédé. Des réactions émotives intenses peuvent soudainement apparaître dans un contexte qui ne les justifie pas. Le sujet semble n’avoir aucune stratégie dans l’attachement. Un cinquième type, « inclassable », a été nommé « CC » pour cannot classify. Il concerne un nombre restreint de sujets. Bien que les représentations de l’attachement semblent descriptives, elles ne sont pas pour autant inactives étant donné qu’elles se superposent aux modèles internes opérants. Elles ont un rôle régulateur par rapport à l’attachement. La personne évitante peut ainsi persister à ne pas faire confiance aux autres et en garder une distance qui vient confirmer, à ses yeux, la justesse de sa stratégie. Si nous trouvons des évolutions dans la continuité du style d’attachement, nous avons aussi des changements au cours de toute la vie. Ces changements peuvent être dus à des événements significatifs, heureux ou pas, rencontres ou décès, justifiant les possibles directions du changement, de non sécure à sécure et vice-versa. C’est ici que se greffe l’intervention thérapeutique. Sur la base de ses représentations, le sujet aura tendance à généraliser ses stratégies relationnelles. La relation à l’autre est assimilée aux M.I.O. existants comme dans l’exemple de la personne évitante. Des stratégies particulières apparaissent selon les différents styles d’attachement. L’invalidation et les modes de l’affronter Mais quel est le levier du changement d’un M.I.O. ? C’est l’invalidation. Elle vient mettre le doute là où il y avait certitude, encore faut-il qu’elle ait accès au système de construction du M.I.O. Elle est la main,
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mue par l’accommodation, qui vient frapper à la porte de l’assimilation. Comment va réagir le sujet face à une invalidation, alors que la stabilité des M.I.O. a pour but la continuité du sentiment de soi ? Le sujet ne peut quand même pas changer à chaque nouveauté ! À partir de la clinique, Lorenzini et Sassaroli (Lorenzini et Sassaroli, 1995) font l’hypothèse d’une correspondance entre le mode d’affronter les invalidations et le style d’attachement. Ils proposent ainsi quatre modes d’affronter les invalidations : – – – –
l’immunisation pour le sujet détaché (Ds, A1 ) ; la recherche active chez le sujet sécure (F, B) ; l’évitement chez le sujet préoccupé (E, C) ; l’hostilité chez le sujet désorganisé (U, D).
Nous pouvons alors établir les correspondances entre : attachement dans l’enfance, état d’esprit2 chez l’adulte, modèle de soi, modèle de l’autre, prévision de l’issue de l’interaction, stratégies relationnelles et mode d’affronter les invalidations. Nous obtenons ainsi quatre ensembles utiles dans la détermination de l’attitude thérapeutique et dans la compréhension du patient. •
Sujet détaché
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attachement dans l’enfance : évitant (type A), état d’esprit adulte : détaché (type Ds), modèle de soi : non aimable ou pas digne d’intérêt, modèle de l’autre : inaccessible, éloigné, rejetant, prévision de l’issue : certaine et négative, stratégies relationnelles : se passer des autres, compter sur soi, distance, désactivation de l’attachement, inversion des rôles, – mode d’affronter les invalidations : immunisation, minimiser voire ignorer leur portée, création de significations ad hoc ce qui annule tout pouvoir d’invalidation, sinon il y a colère ou désespoir ; •
Sujet autonome – attachement dans l’enfance : sécure (type B), – état d’esprit adulte : sécure, autonome (type F), confiant en soi,
1. La première abréviation se réfère à l’attachement chez l’adulte, la deuxième à l’attachement chez l’enfant. 2. L’état d’esprit (state of mind) du sujet adulte par rapport aux relations d’attachement qu’il a eues dans sa propre enfance.
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modèle de soi : aimable, capable, modèle de l’autre : accessible, base sécure, prévision de l’issue : certaine et positive, stratégies relationnelles : faire confiance, coopération, exploration, mode d’affronter les invalidations : recherche active de nouveautés (nouvelles relations, ouverture à l’autre, intérêts divers), capacité de les intégrer quand elles sont utiles (accommodation sélective) ;
•
Sujet ambivalent – attachement dans l’enfance : ambivalent (type C), – état d’esprit adulte : préoccupé (type E), – modèle de soi : incertain, selon la réponse de l’autre ; si accepté aimable, si rejeté pas aimable ; manque de confiance en soi, – modèle de l’autre : imprévisible, – prévision de l’issue : incertaine, variable entre accueillante ou lointaine, – stratégies relationnelles : proximité serrée, contrôle continu de la figure d’attachement, besoin de protection et de liberté, hyperactivation de l’attachement, – mode d’affronter les invalidations : les éviter en restant de plus en plus en territoire connu, sinon il y a peur et anxiété ;
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Sujet désorganisé – attachement dans l’enfance : désorganisé (type D), – état d’esprit adulte : désorganisé, non résolu (type U), – modèle de soi : inconsistant ou polarité fort-faible face aux situations menaçantes, – modèle de l’autre : menaçant, – prévision de l’issue : indéfinie, elle peut être dangereuse, – stratégies relationnelles : fuite, attaque, sidération, – mode d’affronter les invalidations : mode hostile en imposant son point de vue, même si erroné. L’autre est perçu davantage comme un ennemi que comme un interlocuteur.
I NCIDENCES
CLINIQUES
La théorie de l’attachement est une réponse théorique et clinique très enrichissante à l’approche évolutionniste et constructiviste. Elle
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propose au clinicien un cadre de référence utile pour la compréhension de la relation patient-thérapeute, des modèles internes opérants qui la sous-tendent et de son évolution (Crittenden, 1997). Les aspects thérapeutiques découlent de la conviction que les M.I.O. inhérents au style d’attachement dans l’enfance sont activés dans le setting thérapeutique (Brisch, 1999). Le thérapeute comme « base sécure »
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À partir de cet être-avec-le-patient qu’est le cadre clinique, le thérapeute peut commencer, avec le patient, l’exploration de son histoire, c’est-à-dire, du développement des processus l’ayant amené là où il se trouve aujourd’hui. Cette histoire, le sujet la raconte d’une certaine manière qui, comme nous l’avons vu par les études de Main et collègues, nous renseigne sur son état d’esprit par rapport à sa représentation de son attachement lors de son enfance. La relative continuité de ce mode d’être-avec-l’autre fait que le patient va établir la relation avec le thérapeute sur le même mode. Or, si le thérapeute n’est pas sensible au mode relationnel, dans le sens d’une métacognition, il risque fort d’entrer rapidement dans le mode relationnel du patient participant ainsi à son maintien si pas à son aggravation. Prenons, par exemple, un patient « détaché » pour qui la distance est le meilleur moyen pour être proche de l’autre. Le thérapeute non averti a deux possibilités d’être avec son patient. – La première est celle de rester à une distance confortable pour le patient, et peut-être aussi pour lui, sans mise en évidence, à un moment donné, de cette distance ; il reste sur un plan très cognitif, passant en revue pensées automatiques et schémas, engageant le patient dans une restructuration cognitive à pas de course. Cela n’exclut pas une issue positive de la thérapie, toutefois le patient n’a que peu ou pas fait l’expérience émotionnelle concernant la proximité. Le changement risque de rester à un niveau symptomatique par un meilleur autocontrôle des émotions considérées comme perturbantes. – La deuxième possibilité est que le thérapeute se sente non reconnu, nul et en colère. Il risque alors de lire l’attitude du patient comme une résistance ou un manque de motivation. Il force l’approche des émotions, ce qui a comme effet une prise de distance encore plus grande de la part du patient. La rupture, la séparation tant crainte, vient mettre un terme à la relation avant que cela ne devienne trop douloureux pour
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le patient. L’attachement « détaché » est ainsi confirmé comme le plus adapté pour le patient. Avec la prise en compte du système d’attachement, le thérapeute, dans l’exemple donné, prend acte de cette distance. Il y voit surtout le besoin, pour ce patient, de cette distance et donc sa fonction. Son regard vise les ressources que le patient a activées pour faire face à une relation sur le mode le plus confortable pour lui. Le thérapeute prend le temps nécessaire pour que le patient puisse se rapprocher de lui sans se sentir menacé par un éventuel rejet. C’est seulement quand le thérapeute est vécu comme une base sécure que l’exploration des émotions peut avoir lieu. Le patient se sent, peu à peu, confiant dans ses propres ressources, ces dernières étant continuellement mises en évidence et soutenues par le thérapeute. C’est ici que se situe le terrain fertile de la résilience sur lequel poussent les éléments d’un être « autre ». « Autre » et « pareil » en même temps, afin que soit préservée, voire renforcée, la continuité dans le temps.
Spécificités de la relation thérapeute-patient Cette relation est similaire à la relation mère-enfant dans le sens de la disponibilité et de l’adéquation des réponses à la demande de se sentir en confiance, sécure, dans cette nouvelle relation. Rappelons que l’essentiel est la sensibilité de la figure d’attachement, c’est-à-dire, sa capacité de percevoir et d’interpréter de façon adéquate les signaux et les demandes implicites de l’autre et d’y répondre de façon appropriée et synchrone. Lors de la demande d’aide, le patient active son système d’attachement, ce qui a comme conséquence d’activer, à son tour, le système de donner des soins (care giving) chez le thérapeute. À lui de ne pas en rester là ! La relation thérapeute-patient diffère de celle mère-enfant par le fait que, parallèlement ou en alternance au système d’attachement, le thérapeute et le patient tâchent d’entrer dans un système de collaboration. Cela est facilité par l’explicitation de l’objectif de la thérapie. Au début, le patient, s’il est gravement atteint, peut avoir de la peine à fixer cet objectif. Il n’en reste pas moins vrai que par le fait de demander de l’aide thérapeutique, le patient amène un bourgeon d’objectif, ne fut-ce que celui d’un « aller mieux ». C’est la tâche du thérapeute de concrétiser, avec le patient, le contenu de cet « aller mieux » afin d’éviter de répondre à une demande plus ou moins explicite qui pourrait être, par exemple, une demande de dépendance. En effet, une demande en soi n’active pas nécessairement le système d’attachement, elle peut activer le système de coopération ou celui de
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compétition. Quand le joueur de foot passe le ballon à son coéquipier, il lui demande de le recevoir et de poursuivre le jeu dans le but de gagner la partie contre l’équipe adverse ; c’est le système de coopération qui est activé entre les deux joueurs. Quand le joueur de tennis envoie son service à son adversaire, c’est le système de compétition qui est activé. En thérapie, ce sont surtout les moments évoquant une séparation qui activent, chez le patient, le système d’attachement. L’interruption du dialogue par un téléphone arrivant en pleine séance, la fin de la séance, les fins de semaine, les vacances ou une maladie du thérapeute sont des exemples de ces moments.
Une métaphore pour la base sécure Lors du récit des raisons qui l’amènent, le patient donne souvent une série d’explications de ce qui lui arrive. Hélas ! Aussitôt une explication est avancée, aussitôt elle est écartée car le mal-être est toujours présent. Nous écoutons attentivement ces explications et proposons de les considérer comme des hypothèses afin d’introduire le doute. Le patient continue alors avec une série de « je devrais... », « à mon âge... », « pourquoi je ne suis pas ceci ou cela... », laissant apparaître ce qu’il espère être l’objectif de la thérapie. Il sait, plus ou moins explicitement, où il veut arriver, mais il ne se pose pas la question d’où partir. À ce moment, nous proposons la métaphore du navire. Le dialogue peut se dérouler comme suit :
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M ÉTAPHORE DU NAVIRE T : – Un navire, de quoi a-t-il besoin pour arriver à sa destination ? P : – Oh ! D’un équipage et d’un commandant. T : – Bien, un navire avec un équipage et un commandant peut donc partir au-delà des mers ? P : – Il faudra aussi du carburant, des machines en ordre. T : – Très bien, et... ? P : – Je ne sais pas... de la nourriture. T : –Bravo ! Je n’y avais pas pensé, quelle fontaine de propositions vous êtes ! Et... ? P : – Un radar... T : – Vrai ! Et... pour aller là où il désire aller ? P : – Beh... des cartes évidemment ! T : – Ah ! Mais encore ? P : – Je ne sais pas, s’il a des cartes, s’il sait où aller et s’il est bien équipé, il peut partir.
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☞ T : – Vous êtes le commandant, vous vous trouvez au poste de commande, les cartes de navigation devant vous, comment allez-vous faire pour tracer la route ? P : – Je fais une ligne vers la destination. T : – Montrez-moi cela avec un geste. (P fait le geste de tracer une ligne) T : (en pointant le point d’arrivée de la ligne) – Là est le point où vous voulez arriver... et pourquoi la ligne est comme ceci (T repasse sur le même trajet de la ligne du patient) plutôt que comme cela ? (trajet s’écartant de la ligne tracée par P mais arrivant au même point de destination, comme dans la lettre V) P : – Mais je pars d’ici ! T : – Ah !... Alors ? De quoi a besoin le navire pour partir, en plus de toutes les excellentes propositions que vous avez faites ? P : – De savoir d’où il part ! T : – Eh, oui ! Un navire ne peut partir vers la destination choisie que s’il a un port d’attache !
Et la métaphore du navire devient celle du port d’attache. Nous sommes toujours touchés de voir le soulagement chez le patient. Non pas parce qu’il a répondu juste à la question, style devinette, mais parce qu’il se sent sécure au moment même d’entendre « port d’attache ». C’est un moment crucial dans la thérapie qui se traduit par l’apparition d’un état émotif particulier, mélange de soulagement, de tristesse et d’espoir. Nous laissons au lecteur le soin de relever les différentes stratégies mises en œuvre dans ce dialogue. Nous soulignons l’importance de ce sentiment de port d’attache, de base sécure, sentiment qui va permettre au navire du patient, son « soi », de partir à l’exploration des îles de son océan afin de les relier entre elles par le fil rouge qui lui consentira de ressentir un sens plus cohérent de sa trajectoire. Attachement et hypnose
Découvrir le système d’attachement Nous avons présenté les résultats des recherches primordiales faites par M. Main et ses collègues avec l’utilisation de l’Adult Attachement Interview (AAI) qui permet de cerner l’état d’esprit du sujet par rapport aux relations d’attachement qu’il a eues dans sa propre enfance. Cette investigation a été suivie par une multitude de types d’investigation, que ce soient des questionnaires, des entretiens basés sur des images, des histoires à compléter et d’autres encore. Nous renvoyons le lecteur intéressé au chapitre spécifique de Hesse (Hesse, 1999) et,
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pour la francophonie, à l’ouvrage déjà cité de Blaise Pierrehumbert (Pierrehumbert, 2003) qui présente les diverses méthodes, leur critique ainsi que les instruments d’investigation développés par lui-même et ses collègues. Hormis le fait que l’Adult Attachement Interview (AAI) n’est toujours pas publié1 , il nécessite une formation avancée auprès des formateurs agréés. De plus, il a été conçu surtout dans un but de recherche. Il contient des questions sur l’enfance, sur la relation aux parents, sur la signification des attachements, sur d’éventuelles séparations ou pertes vécues. Dans notre pratique clinique, nous utilisons deux stratégies : les questions directes et l’hypnose. Les questions sont celles que chaque thérapeute est amené à poser pendant une thérapie. En voici des exemples : « Quand vous étiez enfant et que vous vous étiez fait un bobo, une égratignure, par exemple, cela ça se passait comment ? » « Et si vous aviez un chagrin ? Que faisiez-vous ? Qu’est-ce qui se passait ? » « Qui, dans votre entourage, vous donnait les câlins ? » « Qui était la personne à laquelle vous étiez le plus attaché ? Celle qui était la plus proche ? » « Y a-t-il eu quelqu’un de malade ? Un décès d’un proche pendant votre enfance ? Si oui : et l’enterrement ? » Le moment choisi pour ces questions est celui d’une émotion forte en séance lors du récit d’un événement ayant un contenu analogue. L’accent est mis sur comment les choses se sont passées. Dans les réponses, nous serons attentifs à la vision de soi, de l’autre, de la relation, des interactions, bref, des différents M.I.O. en cause. Notons que ces questions reçoivent parfois des réponses socialement acceptables, en accord avec les valeurs en vigueur (surtout chez les sujets « détachés » ou « évitants »). D’où l’importance de demander quelle image est venue, quel souvenir, quel épisode lui a fait dire ce qu’il a dit, et cela avec le plus de détails possible. Pour ce qui est de l’hypnose, nous y avons trouvé un grand intérêt. Que cela soit sous la forme de transe ou par le biais conversationnel, selon Erickson, l’hypnose introduit la dimension de l’« être autrement » 1. Une version abrégée est publiée dans différents ouvrages : Hesse, 1999 ; Brisch, 2002 version anglaise ; Brisch, 1999, version originale allemande qui contient une présentation détaillée des questions.
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dans ses différentes composantes : émotionnelle, cognitive et comportementale. Erickson (1983, trad. fr. 1986, p. 49), en parlant à un groupe de praticiens chevronnés, précise : « L’hypnose se déroule dans le patient... Il s’agit d’un processus de comportement dans lequel les patients modifient leurs relations avec l’environnement ; ils modifient leurs relations avec vous et avec tout ce qui se déroule. »
Elle permet au thérapeute de se laisser porter par le flux émotionnel de la séance et d’être davantage sensible, sans trop le « savoir », à ces moments qui se révèlent, par la suite, avoir été cruciaux. C’est un peu comme sur un voilier tranquillement porté par les forces en jeu lorsque, d’un coup, le bruit du saut d’un dauphin se faufile dans la mélodie des vents et des vagues. Si un membre de l’équipage est particulièrement réceptif à ce moment-là, il l’apercevra et partagera, avec les autres navigateurs, la joie de voir les dauphins remonter en surface, disparaître sous l’eau, revenir et jouer avec eux. Ici, de nouveau, le moment d’intervention sera lié à une émotion ou à une sensation présente à l’instant même de la séance. Reprenons notre patient souffrant d’agoraphobie : Émotion, sensation en séance Nous sommes à la onzième séance d’une première étape de thérapie cognitive rationaliste avec restructuration cognitive, exercices respiratoires et relaxation, ce qui a permis une amélioration sensible. Le patient se présente assez content de la semaine passée. Il raconte avoir pu faire un trajet d’un kilomètre tout seul et être entré dans un grand magasin jusqu’au deuxième étage. Il conclut en disant : P : – Cela va mieux, c’est vrai... (Mais le patient hésite, l’intonation de la voix ne coïncide pas avec le contenu, elle n’est pas convaincante ; l’ajout de « c’est vrai », avec la même intonation, va dans le même sens; les trois points de suspension indiquent qu’il y a une suite. Il s’arrête de parler, il regarde très brièvement le thérapeute et baisse les paupières) : P : – Je ne suis pas bien aujourd’hui. T : – Oui... ? P : – Je ne sais pas, vous savez... comme quand on n’est pas bien ! T : – Comment le ressentez-vous ? P : – Je ne sais pas. T : – Où, dans votre corps, le ressentez-vous ?
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P : – Ici... (Il montre le ventre avec la main. Un peu surpris, il hésite.) Non... plutôt là... (Il montre le milieu de la poitrine.) T : – Ressentez bien cette sensation... laissez-la tranquillement être... (Il pose ses avant-bras sur les accoudoirs, baisse le regard.) T : – Voilà, ainsi... très bien... peut-être que vos paupières désirent se fermer... maintenant... ou tout à l’heure...
Régression en âge
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(Le patient entre en transe ; après quelques minutes pendant lesquelles il est accompagné par le thérapeute, il a une larme qui pointe à l’œil droit.) T : – Vous êtes où maintenant ? P : – Je suis en ophtalmologie... je suis tout seul... T : – Vous avez quel âge ? P : – J’ai six ans... je suis tout seul... (sa voix est proche de celle d’un enfant.) T : – Et ? P : – C’est deux semaines que je suis ici et ma maman n’est pas venue me voir. (Le patient pleure) (...)
Nous parvenons ainsi, grâce à une régression en âge, à un épisode représentatif de comment cela se passait quand le patient avait, enfant, besoin de réconfort. Rappelons que le récit d’un épisode n’est pas une copie conforme de la réalité passée, mais un récit représentatif de cette réalité, comme nous l’avons mentionné plus haut. Dans l’exemple donné, il n’y a pas de réponse face à la demande de réconfort de l’enfant. Le patient, une fois quitté l’état d’hypnose, reprend l’événement et précise : P : – L’hospitalisation a eu lieu en automne, au moment des vendanges. Mes parents avaient la vigne en plus des champs maraîchers. Ma mère n’avait, évidemment, pas le temps de venir me voir à l’hôpital. Elle devait aider aux vendanges et s’occuper de mes frères et sœurs, nous étions cinq enfants... T : – Et vous êtes deux semaines en ophtalmologie et... P : – Ma tante venait me voir... j’avais les yeux bandés tout le temps. Cela ne devait pas être très marrant pour un gosse. T : – Vous avez six ans, vous êtes en ophtalmologie depuis deux semaines, vous avez les yeux bandés et votre mère ne vient pas vous voir...
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P : (Regard baissé, ses lèvres tremblent.) – Je me sentais...je me sens seul... (Le patient est de nouveau en transe, il pleure.) T : – Et vous vous sentez seul... P : – Oui, seul et... abandonné, oui c’est ça ! (Le patient pleure, nous sommes très émus.) (...)
Le « Je ne suis pas bien aujourd’hui » prend des contours plus précis. Il se teint d’une coloration émotionnelle intense qui permet au patient et au thérapeute de partager un moment privilégié de leur être-avec. Cet être-avec dont Stern nous rappelle qu’il peut être « une des expériences les plus intenses de la vie sociale » (Stern, 1985, trad. fr. 1989, p. 135). Nous retrouvons, dans le flux émotionnel de ce récit, la base sécure que représentent le thérapeute et la situation thérapeutique pour le patient. Il peut commencer à explorer, en s’y approchant en douceur, les émotions surgies pendant l’enfance. Le système d’attachement est activé et désactivé en concordance avec l’activation/désactivation du système de donner-des-soins chez le thérapeute. Il s’agit d’un ajustement très délicat de l’un à l’autre, tel qu’il peut exister dans une danse : chacun devance de très peu l’autre dans un continuum de micro déséquilibres réciproques permettant à l’ensemble de la danse d’être. Nous pensons pouvoir dire qu’il s’agit, au moins par analogie, de ce que Stern appelle l’« accordage affectif » (idem p. 181). Dans le dialogue retranscrit, il ne s’agit pas, à nos yeux, d’une relation d’attachement uniquement à deux, patient–thérapeute. Il y a déjà la trame de l’attachement de l’enfant vers l’adulte et, en pointillé, encore dans la pénombre, vers sa mère. Nous le représentons avec la figure 6.3. Avec le vécu d’autres séances, nous avons pu déterminer un attachement à la mère de type « évitant ». Les besoins de l’enfant n’étaient pas perçus ou, du moins, n’obtenaient aucune réponse. Pendant son enfance, le patient s’était habitué à garder les émotions pour lui. Il était désigné, lors de visites par des connaissances, comme l’« enfant sage » de la famille, celui dont il ne fallait pas s’occuper, celui qui ne dérangeait jamais. Cette pseudo-autonomie était, à son tour, valorisée par les personnes en visite. Pourquoi disons-nous vécu en parlant des séances ? Pour souligner les trois composantes toujours présentes en séance : les émotions, les cognitions et les comportements. Trop souvent, dans l’approche cognitive, le thérapeute reste au niveau cognitif ce qui amène facilement à un blocage de la thérapie. Nous ne sommes alors pas étonnés qu’un patient souffrant d’attaques de panique avec agoraphobie, comme le nôtre, dise, en parlant
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Mère Attachement
Thérapeute
Patient Donner des soins
Enfant La ligne pleine représente le système d’attachement actif auquel répond, en parallèle, le système de donner-des-soins du thérapeute. La ligne à traits est l’émergence de la demande d’attachement que l’enfant fait envers l’adulte, c’est-à-dire, le patient. Plus tard dans la thérapie, ce même enfant pourra revoir l’attachement à la mère et permettre à l’adulte de mieux intégrer les différentes composantes de l’interaction qu’il a eue avec sa mère, qu’elle soit vivante ou décédée. On peut y ajouter la relation avec la tante et celle, jusqu’ici restée non dite, avec le père.
Figure 6.3. Possibles forces d’attachement en jeu pendant un moment d’une séance
des attaques de panique : « je sais maintenant que je ne vais pas mourir, que ça passe tout seul, mais je continue d’avoir ces malaises ».
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Coconstruire le système d’attachement Que faire de la découverte d’un style d’attachement ? On ne refait pas le passé. Tout moment thérapeutique, et donc de changement, se réalise uniquement dans le présent avec une orientation vers l’avenir. Cela est d’autant plus vrai quand les figures d’attachement sont déjà décédées. Le défi est de permettre au patient de vivre la dynamique attachement/donner-des-soins autrement et de quitter le sentiment d’inéluctabilité du mode de déroulement de la vie, en particulier de ses relations. L’extrait de séance révèle un sentiment profond du patient quand, à six ans, il se trouvait en ophtalmologie. Il était seul et se sentait abandonné. À ce sentiment, sont liés d’autres sentiments que le patient a pu dégager dans les séances suivantes. Il en est ressorti qu’en tant qu’enfant de six ans se trouvant dans un lieu inconnu (l’hôpital), avec des personnes nouvelles (personnel soignant), les yeux bandés (nette diminution du sentiment de contrôle de l’environnement), opéré (fragilisé) il avait de quoi se sentir en danger et avoir le sentiment de ne pas pouvoir faire face à un potentiel danger, réel ou imaginaire. Tout conduisait à activer
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son système d’attachement. L’absence de réponse de sa mère l’avait mis dans un profond sentiment d’être abandonné. Il ne protestait pas et recevait la tante avec une certaine distance. Il avait désactivé, le plus possible, le système d’attachement convaincu qu’il ne devait compter que sur lui-même. C’est ce sentiment d’abandon et de solitude qui ressurgit présentement quand un stimulus interne arrive sans cause apparente, comme des palpitations, une légère tachycardie ou une autre sensation déclenchée par le système neurovégétatif. Il provoque alors une inquiétude qui prend de l’ampleur et entre rapidement dans le cercle vicieux d’une attaque de panique. C’est le même sentiment qui envahit le patient quand il se trouve loin de son domicile le poussant à y faire retour, maintenant ainsi l’agoraphobie. Dans une des séances suivantes, alors que le patient se trouvait de nouveau en état hypnotique (nous proposons de dire en mouvement hypnotique), l’épisode de l’ophtalmologie a ressurgi. Nous avons repris le même cheminement en nous rappelant le prénom du patient : Patrick. Voici un extrait de l’interaction : Pont affectif (...) P : – Je suis dans la chambre, suis tout seul. Je crois que l’infirmière est partie. T : – Mh... mh... P : – Ma tante ne venait pas tous les jours. T : – Et ce jour-ci ? P : – Je suis seul. T : – Que ressentez-vous maintenant ? P : – Une oppression... ici. (Il montre le milieu de la poitrine.) T : – Peut-être... je ne sais pas... maintenant ou tout à l’heure... vous la ressentez encore davantage. P : ... T : – Cette oppression... P : – Oui, ça fait mal (les larmes pointent). T : – Six ans... à l’hôpital... seul dans une chambre... P : (en pleurant) – Pourquoi tout ça... maintenant ? T : – Et que dit le petit Patrick ? P : – Il veut sa maman... T : – Et la maman ne vient pas. P : – Non.
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T : – Le petit Patrick est dans la chambre, en ophtalmologie, tout seul... Qu’est-ce qu’il aimerait le petit Patrick ? P : – Je ne sais pas... qu’on le console. T : – Et... qu’est-ce qu’il dit ? P : – Viens ! Viens ! (le patient éclate en sanglots.) (...) T : – Et le grand Patrick, qu’a-t-il envie de faire ? P : (ébauchant le mouvement d’une main) – Le caresser. T : – Il le caresse... P : – Je lui passe la main dans les cheveux. (La voix est entrecoupée de sanglots.) T : – Vous lui passez la main dans les cheveux... et... P : – Il me sourit... C’est pas vrai ! (avec un mouvement de tête et une intonation de surprise, réalisant ce qui se passe.) Il est content... T : – Il est content. (...)
Nous terminons la séance en validant les émotions chez le patient comme chez le thérapeute. Dans cette séance, il y a eu élargissement des forces d’attachement. Si le thérapeute continue à être ressenti comme base sécure, maintenant c’est le grand Patrick qui peut commencer à être la base sécure pour le petit. Comment le grand Patrick a-t-il pu entrer dans ce mode de relation ? Grâce, entre autres, à l’appel du petit Patrick – Viens ! Viens ! – capable maintenant de demander à être consolé. Ici, le « pont affectif » est central. Il s’agit de cette capacité de se focaliser sur une sensation, une émotion, la laisser s’intensifier pour la prendre comme point de départ pour une exploration dans le temps (Melchior, 1998). Dans l’exemple donné, nous demandons cette focalisation et suggérons l’intensification. Le patient se situe, à un moment donné, à l’âge de six ans, puis de nouveau dans le présent pour aussitôt repartir en arrière dans le temps. Nous représentons ce dernier dialogue figure 6.4. L’essentiel, dans le dialogue exposé, est de voir comment interviennent les deux acteurs, celui qui exprime la demande et celui qui y répond. Trop souvent l’accent est mis, par les thérapeutes, sur la réponse, négligeant ainsi l’expression de la demande. Or, dans notre exemple clinique, le type d’attachement est l’attachement « évitant » où le sujet compte surtout sur lui-même. Dans ce contexte, la formulation de demandes est centrale dans le changement souhaité.
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Attachement
Thérapeute
Patient Donner des soins
Attachement
Réponse
Enfant Le système d’attachement et celui de donner-des-soins entre patient et thérapeute, lignes pointillées, s’est affaibli pour se déplacer, en intensité, entre le patient adulte et le patient enfant, lignes pleines.
Figure 6.4. Changements intervenus lors de la dernière séance
Vers une nouvelle narration La suite de la thérapie permet de revoir différents attachements et de mettre en lumière les ressources que le patient a mises en œuvre chaque fois qu’il a été confronté à une difficulté, à une décision à prendre, à la nouveauté d’une relation, voir à une rupture. Grâce au pont affectif, il peut intégrer, sur un mode vécu, des expériences du passé avec les éléments de ce même passé. Cela lui évite de se porter observateur et juge de situations antérieures avec les éléments du présent. L’éclosion et l’intégration d’émotions restées dans la pénombre conduisent le patient à mieux tenir compte des différents aspects de l’expérience vécue. En particulier, des éléments au premier abord contradictoires peuvent se trouver côte à côte. Dans l’exemple clinique, le sentiment d’abandon peut côtoyer le fait que la mère devait aider aux vendanges et s’occuper des frères et sœurs. La fonction du thérapeute, comme base sécure, accompagne l’exploration de moments heureux comme de moments pénibles. Il propose, par sa disponibilité, l’opportunité d’un vécu alternatif de la relation avec l’autre. En acceptant d’être vécu comme la base sécure, le thérapeute peut et doit inviter le patient à trouver la traduction quotidienne, dans les faits, de ses nouveaux sentiments. Seulement ainsi la parole sera incarnée. Rappelons F. Roustang (2003, p. 91), quand il écrit : « Il est bon parfois de donner des explications et même des interprétations pour apaiser des interrogations incompressibles et angoissées, mais en
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sachant que cela ne sert à rien pour atteindre le but. Ce détour autorisé, dont le thérapeute ne saurait être dupe, ne doit être qu’une halte avant de reprendre le chemin du faire faire et du faire. C’est le comportement, entendu comme un geste traduisant le système relationnel qui est à modifier : c’est par et dans le comportement que le changement s’opère. »
Le patient se sent davantage libre d’explorer des façons alternatives d’être, en particulier d’être-avec. Nous disons bien « alternatives », mot qui suggère, par son pluriel, qu’il y en a plusieurs. Cela protège patient et thérapeute d’une dichotomie bon-mauvais, vrai-faux. La vision de soi et celle de l’autre acquièrent de nouvelles teintes. Avec celles-ci, le peintre peut enrichir le tableau de sa vie lui donnant des nuances qui en font une œuvre plus complète. Au début de la thérapie, le patient amène un récit centré sur la symptomatologie avec un sentiment de discontinuité par rapport à son histoire. Sa biographie est comme saccadée, par à coups. Elle ressemble davantage à une vieille ligne ferroviaire, délaissée depuis des années : des bouts de rail manquent, d’autres sont ensevelis par des ronces, des aiguillages paraissent insensés ou semblent amener nulle part. Le patient ne réussit pas à tracer l’itinéraire. Avec la progression de la thérapie, les nouveaux éléments peuvent être assimilés. Le regard, quant à lui, s’accommode et prend les contours d’une vision plus achevée et plus ouverte à la fois. Dans le contexte de base sécure, avec la présence et l’appui du thérapeute, le patient, dans cette nouvelle façon d’être et de ressentir, construit une nouvelle narration qui lui donne un sentiment de continuité et de cohérence.
Chapitre 7
APPROCHE CORPORELLE ET HYPNOTHÉRAPIE Brigitte Lutz
de butée de la réflexion théorique, la question du savoir du corps nous oblige à l’expérience. C’est cette expérience que tout particulièrement, la pratique de l’hypnose suscite et interroge car le vécu toujours indicible de l’état hypnotique nous permet parfois d’approcher au plus près l’articulation mystérieuse du somatique au psychique. Pas d’état d’âme qui ne corresponde à un état de corps et des sensations particulières associées à des représentations imaginaires. Seulement, la variété et les subtilités de ces états de corps nous sont souvent peu familières et ce d’autant que malheureusement une certaine normalité indique le bien-être, réduit souvent au « rien sentir », comme idéal à atteindre et à maintenir à tout prix. Effets délétères d’un discours médiatique réducteur et tout orienté sur l’opératoire et la tyrannie du productif, la santé serait l’idéal d’un rapport au corps dominé par l’indifférence, l’inconscience. Moyennant quoi, c’est souvent par la douleur qu’on entre au contact du corporel ; survenue plus ou moins brutale du mal-être, du symptôme organique ou fonctionnel qui ouvre un abîme de sensations révélant l’existence inquiétante de tout un monde ignoré. Ainsi la douleur sous ses innombrables avatars et la souffrance qui l’accompagne, viennent se dire dans nos cabinets dans une perspective radicale : c’est pour redresser le dysfonctionnement d’un appareil déficient qui engendre ou accompagne la misère morale, qu’on nous requiert.
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P
OINT
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La demande du patient est d’être débarrassé de sa manifestation symptomatique, la réponse de la plupart des grilles de lecture psychologiques est d’en donner une interprétation censée s’avérer suffisante pour lever le symptôme. Que devient le sujet ? Et ce ne sont pas seulement les effets d’un discours social dont on peut comprendre les prémisses philosophiques et scientifiques que nous avons à contourner, mais aussi les effets du refoulement et de l’organisation défensive du moi dont la survie n’a été possible qu’au prix du démenti de l’éprouvé. Du clivage, de la fracture en soi. Refoulement que l’on retrouve aussi dans un certain discours psychiatrique et psychologisant qui fait qu’à l’inverse, s’occuper de la souffrance morale consiste le plus souvent à ignorer purement et simplement le langage corporel qui la traduit et l’accompagne. Il est certain que nous naviguons en permanence entre deux écueils : soigner et méconnaître une parole subjective qui ne cessera, de toute façon, de chercher à se faire entendre et, à laisser le soin du corps en dehors du champ de la psychothérapie, ne pas donner le temps ni l’espace intermédiaire qui permette à cette parole d’affleurer. Car cette étape du soin au corps et de la prise en compte de la sensorialité est souvent ce qui, dans un premier temps, ouvre la possibilité que la souffrance puisse commencer à se dire. Trop souvent, tenter seulement, immédiatement, à tout prix de soulager ou ne le faire à aucun prix, la guérison ne devant survenir que par surcroît, amène à la même impasse en négligeant de toute façon une dimension essentielle. Il est amusant, à distance, de constater sur quoi repose la déclaration retentissante de Lacan en 53 : la discontinuité psychophysiologique qui entraînerait la réfutation de tout le phénomène hypnotique comme pratique scabreuse de chercher à y prendre appui pour comprendre ou guérir, l’hypnose ne faisant que reproduire la discontinuité plutôt que de faire advenir le discours de l’inconscient. Or c’est rigoureusement à l’opposé que se situe la pratique hypnotique telle qu’on peut la concevoir aujourd’hui. Outre le fait qu’à l’époque les connaissances de la pratique de l’hypnose dataient encore du XIXe siècle, à y bien regarder, n’est-ce pas justement parce qu’elle donne la possibilité de nous situer dans cet espace énigmatique de ce qui apparaît comme discontinuité, que l’hypnose ouvre l’accès au savoir en question ? Car n’est-ce pas là, dans la proximité de ces deux dimensions prises en compte ensemble, le psychique et le physiologique, que peut se défendre, dans un premier temps, la vérité de l’individu ? C’est aux deux dimensions que tout le temps de la thérapie, nous ramène le mouvement incessant de délier et de relier autrement, flux et reflux guidés par la
A PPROCHE CORPORELLE ET HYPNOTHÉRAPIE
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tension du clivage entre savoir et ressenti. Là où le langage corporel prend le relais du langage parlé et où se tient aussi l’inconscient. Bien des thérapeutes cherchent dans leur pratique originale à prendre en compte le savoir qui gît au cœur de tout symptôme et, tout en permettant le soulagement de la douleur, essaient d’ouvrir un espace où puisse se faire entendre cette « parole corporelle ». Le corps est au début et à la fin de l’expérience sensible. C’est l’être là dans toute sa réelle simplicité qui condense tous les niveaux de réalité. Comme le souligne F. Roustang (1988, p. 29), l’unité corps esprit est première, ensuite seulement on y distingue des aspects différents : corporel et psychique.
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« Le corps n’est jamais sans l’esprit pour l’animer et l’esprit, sans corps pour l’exprimer. Le corps esprit, l’esprit incarné, est déjà installé dans cette totalité. Il s’établit dès l’abord sous le régime de la continuité. Toujours dans le passage, le mouvement sensible, incapable de percevoir une chose sans la mettre en rapport avec tout ce qui l’entoure. La référence est immédiate de la partie au tout et du tout à la partie. »
Ainsi pour F. Roustang, l’induction hypnotique est ce qui opère le passage de l’union du corps et de l’esprit, à leur unité. Autant dire que l’aventure subjective se situe dans un espace autrement vaste et confrontant. Puisque la discontinuité n’est qu’apparente ou plutôt « n’existe comme telle que pour la conscience qui appréhende ainsi la manifestation des différents plans de réalité ». « L’expérience hypnotique peut se comprendre comme un moment où se saisit l’unité » (Roustang, 1998, p. 2) car loin que la conscience en soit absente, conscience réflexive, elle y trouve sa place, c’est-à-dire, qu’elle ne prend plus toute la place. En cela, la pratique hypnotique telle qu’on peut l’envisager aujourd’hui, débarrassée de tout son attirail théâtral et aliénant, nous donne encore un accès au mystère des rapports subtils entre les multiples dimensions de notre existence au monde.
LA
PLACE DU CORPS DANS L’ HYPNOTHÉRAPIE
Le travail avec l’hypnose, qui décentre l’activité psychique de son registre réflexif et discursif, nous plonge d’emblée dans le monde du corporel par l’intermédiaire du sensorium. Réactions de rire ou de pleurs, mouvements, distorsion de la perception du schéma corporel... En quoi le corps est-il au centre des dimensions intra et intersubjective de l’expérience hypnotique ?
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En premier lieu, avec la demande d’hypnose, c’est très directement le corps qui nous est amené, présenté pour que l’on s’en occupe. Au travers de cette demande qui s’énonce souvent comme « Vous allez faire quelque chose pour que ça aille mieux », il y a une faille, une rupture, énoncée telle quelle (refus et impossibilité, les deux intriqués indissolublement) qui ne permet pas, dans un premier temps, que les sensations, l’éprouvé, soient perçus autrement que discordants, et refusés. Le discours médical a souvent pris toute la place, recouvrant la demande de soin, avec tout ce qu’elle contient de demande d’écoute, comme une répétition traumatique : non-reconnaissance de la dynamique subjective à l’œuvre. À nous d’installer un cadre qui prenne en compte, mais sans complaisance, la façon dont le patient demande de l’aide. C’est, dans un premier temps, du faire qui nous est demandé ; c’est à la nécessité d’un acte sur le corps et par notre corps que nous sommes confrontés. Assis ou étendu, il s’agit pour nous de parler à un corps tout d’abord silencieux, verbalement en tout cas. À nous d’utiliser notre parole pour initier la parole du patient en nous faisant témoin agissant. Ensuite, parce que la base de notre être au monde, l’éprouvé, primum movens de toute expérience, se constitue bien avant la pensée organisée, l’ouverture de cet espace intérieur dans la relation thérapeutique ne peut se faire sans une intervention qui utilise la parole d’une façon particulière. Et c’est encore d’un acte qu’il s’agit ; le moment où s’opère le décentrement est celui d’un acte de parole. Quand la parole modulée du thérapeute, dans un changement de ton, touche là où quelque chose cherche à se faire entendre. Là où s’accordent deux sujets résonnant l’un à l’autre comme deux violons dans la même pièce. C’est une communication qui est celle de l’hypnose. Immédiate, basée sur l’identification dans ce qu’elle a de profondément humain, sur l’empathie, la résonance. Accord mystérieux, qui nous sollicite dans l’épaisseur de la chair, nous faisant vibrer et résonner, nous donnant la possibilité d’être avec, de connaître et co-naître. Au fond, je pense que l’hypnose est une parole, une parole touchante. C’est la parole qui porte. C’est le corps du thérapeute qui véhicule sa parole par son intonation. Et qui est véhiculé par elle jusqu’au corps du patient. Celle qui va à l’intime, guidée par le ressenti, dans la pâte émotionnelle. Qui procède du ressenti. L’induction hypnotique donne au langage le soutien d’une onde porteuse. C’est la parole comme une musique, la parole vibrée, vibrante de vie, pas celle qui discoure, celle qui rencontre. C’est dans cette vibration de l’intonation, que s’ouvre alors l’espace à l’éprouvé et qui vient de l’éprouvé du thérapeute. On peut certes parler de retour à l’enveloppe primaire que constitue la parole
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donnée par la voix de la mère, mais peut-être existe-il une certaine parole, langage incarné dont la modulation serait celle de l’humanité, du lien humain. Celle qui fait savoir à l’autre qu’il est reconnu et perçu comme sujet là où il en a besoin, dans la solitude de l’être. Il s’agit que l’être humain que l’on reçoit puisse exister en tant que sujet de sa propre vie, de la totalité de son expérience de vivant, souffrance comprise, entendue et accueillie, ce qui est l’exact contraire d’une intention normative.
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« Lorsqu’il n’est pas nécessaire de s’arrimer à la certitude du mot, que ça parle quelque part entre le soi et le monde, et que ça fait savoir qu’on n’est pas seul, alors on peut se laisser aller sur un mode de déstructuration/restructuration du monde à un niveau différent. » (Santiago-Delefosse, 1998, p. 101)
Et ce laisser aller n’est pas synonyme de passivité. C’est le lâcher prise qui ouvre à la créativité, l’exploration redevenue possible de pouvoir s’appuyer sur le désir d’un autre. C’est ainsi la dimension de création que l’on rencontre. Tout autant la création permanente et grouillante de la vie de nos cellules, constamment transformées, remplacées, réparées... que de nos organes œuvrant à toutes les fonctions physiologiques qui nous maintiennent en vie, et nous amènent peu à peu à la mort. Constantes transformations dont il est aussi important de reprendre de temps en temps conscience et acte, que de s’y référer comme réalité ultime dont on ne peut vivre séparé. Et créativité du symptôme, à la fois manifestation et appui, rempart et appel. Des conceptions de l’humain aussi différentes que la psychanalyse et le taoïsme par exemple, se retrouvent dans la compréhension de ce qui trouble la santé comme manifestation d’une rupture d’équilibre, résultant d’un ensemble de circonstances provenant de registres différents : l’histoire de vie, l’environnement, le terrain ou constitution, particuliers à chacun, et constitués en un compromis entre des tendances différentes voire opposées, seul moyen de survivre. En cela tout symptôme est déjà à sa manière, une œuvre créatrice, qui rappelle l’inséparabilité du corps et de la psyché. Yves Halfon fait le rapprochement entre langage poétique et langage hypnotique, le poète étant celui qui crée avec des mots (Halfon, 1998, p. 67). Pour lui, le langage hypnotique n’imite pas la réalité, il la crée. Il évoque. Pour toucher le fonctionnement inconscient, la puissance d’évocation du langage hypnotique doit être analogue au poème. Ce qui rejoint certains modes de guérison traditionnels comme chez les Navajo où c’est le vécu poétique, la pensée immanente, qui rend le sentiment de l’appartenance au continuum de l’univers et qui est au cœur
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du processus de guérison (Crossman et Barou, 2005). Car la puissance des mots est toujours accordée à la matérialité du travail des rituels ; prise de conscience, reconstruction puis rétablissement et prise en charge de soi donnent accès à un nouvel équilibre. Le corps, par les symptômes présentés, a été un point de passage d’un état à l’autre. Car guérir c’est changer, passer d’un équilibre à un autre. Les voies traditionnelles de guérison nous rappellent la complémentarité des approches. Sans renoncer aux traitements précieux de notre civilisation, il paraît insensé de négliger cette dimension des processus de guérison qui fait partie des universaux de l’humanité. Se voir administrer un remède, qu’il soit médicamenteux ou suggestif, soulage, mais la guérison passe forcément par la création, grâce à une position intérieure où elle est voulue et organisée. Les traditions déplacent les frontières de la maladie et de la guérison. C’est en cela, en cet infini qu’on peut parler de thérapie poétique : la guérison y est comprise comme une reconquête, la remise en œuvre de la capacité et de la nécessité de l’humain à la création. Responsabilité du sujet dans la conquête d’un nouvel état d’équilibre, ce que nous apporte cet éclairage est que la santé peut se perdre mais aussi se retrouver, elle est faite de passages, d’un va et vient entre harmonie et désordre (Crossman et Barou, 2005). Et pour cela chacun trouve naturellement sa voie, ses idées, ses solutions de changement lorsqu’il se retrouve. Au fond, c’est notre fonction, l’appui que nous pouvons offrir : trouver le moyen d’initier ou de relancer la dynamique imaginaire, bloquée souvent autour et par les fantasmes qui vont avec l’organisation traumatique. En trouvant le registre d’intervention juste (celui qui correspond à l’individu singulier que l’on a en face de soi), par le travail de l’imagerie, par le travail corporel, parfois par le silence, et ensuite de soutenir cette dynamique. Pas besoin de chercher à trop faire ou trop longtemps, cela se fait de soi-même lorsque le processus est enclenché. C’est l’appui qui redonne l’envie d’explorer et de créer, et comme le dit joliment Marie Balamary (2005, p. 72) : « On ne se lève pas parce que quelqu’un en donne l’ordre mais parce qu’il y a tout à coup de la terre solide entre soi et l’autre sur laquelle prendre appui, et de l’espace pour respirer au large à partir d’un point d’appui sûr. »
À chaque fois dans ce « voyage » ( J. Mac Dougall nomme ainsi la thérapie), c’est de création qu’il s’agit, co-création du voyage lui-même, en ayant réouvert la place au vide qui fait moyeu, rendre possible le mouvement par le travail d’un imaginaire rassuré, c’est-à-dire, pouvant à nouveau utiliser le manque comme moteur du désir.
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R ESSENTIS
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DU PATIENT ET DU THÉRAPEUTE UNE LECTURE CORPORELLE DU TRANSFERT
:
Mouvement de danse, « pas de deux » qui entraîne thérapeute et patient et mobilise tout un monde de sensations, le vécu hypnotique est une dynamique, un processus qui nous engage totalement. C’est qu’il s’agit d’une expérience partagée, d’un moment de relation interpersonnelle ou chacun ressent l’autre (Collot 1998) et le thérapeute est amené à s’impliquer dans la relation intersubjective avec toute l’étendue et l’épaisseur de sa sensibilité, c’est-à-dire, son corps. Là où s’originent sensations et émotions et toutes les représentations visuelles et autres qui nous sollicitent charnellement avant de nous donner à penser. Dans l’hypnose, la présence dense, prégnante, quasi-exclusive du corps de l’autre, c’est notre corps qu’elle fait résonner, l’affectant de façon consciente par son langage : ses manifestations motrices, positions, bruits, intonation, expressions, regard, qui s’offrent directement à nos perceptions. Mais aussi de façon inconsciente, par tout ce qui est de l’ordre de l’insu et ne se dévoile encore que sous la forme d’impressions physiques et de représentations dont le surgissement obéit à la logique des processus primaires. Pour nous, il s’agit d’apprendre à lire ce que nous percevons pendant la séance comme une mise en résonance dans notre organisme de ce qui se joue inconsciemment pour le patient. L’insu est en effet ce qui se perçoit le plus directement, le sensorium ayant cette capacité de communication immédiate. Ce qui n’est pas élaboré circule par d’autres voies que la parole. C’est le principal matériel qui flotte dans le champ transférentiel et se manifeste dans le corps du thérapeute, sollicitant son ressenti par des émotions parfois violentes, des sensations corporelles, des images, des souvenirs personnels. Si le champ transférentiel n’est pas spécifique à l’hypnothérapie – espace d’échange permanent d’affects, d’images, de ressentis conscients et inconscients qui traversent patient et thérapeute – il est, dans la pratique hypnotique, particulièrement dense. Les images et les émotions, les sensations appartenant à notre vécu propre et qui s’imposent à nous avec une intensité qui déroute souvent les débutants, il est fondamental de garder à l’esprit qu’elles surgissent en la présence du patient, du fait de sa présence et correspondent à la résonance, en nous, de ce qui émane de lui. Elles constituent un matériel qu’il s’agit de comprendre et de décoder, constituant du fil rouge que nous suivrons tout au long de la thérapie. C’est parce que nous sommes touchés que se met à vibrer quelque chose en nous. Ce que dit Jallan du toucher dans certaines pratiques
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thérapeutiques corporelles me semble particulièrement pertinent à propos du travail avec l’hypnose puisque l’intonation et les mots du thérapeute peuvent être compris comme des équivalents symboliques du toucher. Et que ce soit au sens propre ou au sens figuré, dans son acception émotionnelle, le toucher est par essence réflexif : on ne peut être touché sans toucher, ni toucher sans être touché soi-même. C’est pourquoi dans le déroulement de la séance d’hypnose et particulièrement quand se trouve mobilisé un intense vécu affectif, le savoir technique n’est plus d’aucun recours : c’est la confiance en son propre inconscient et l’expérience personnelle du thérapeute qui sont sollicitées. La dimension signifiante de certains éléments du discours verbal ou non verbal du patient n’est perceptible au thérapeute que si celui ci se trouve dans un état de conscience particulier, état dans lequel il se rend sensible et ainsi peut percevoir, détecter les éléments distinctifs de ces termes signifiants dans les petites discordances qui font signe : un contenu dramatique énoncé platement ou le contraire, la survenue d’un terme très concret dans un discours intellectuel, un changement subtil d’intonation ou de débit, de vocabulaire, qui attirent son attention. C’est aussi dans « sa capacité d’être touché par le patient sans être invalidé ou réduit à l’impuissance par ses propres affects, que le thérapeute peut soutenir dans son exploration celui qu’il accompagne » (Jallan, 1988, p. 102-103). Il s’agit que le thérapeute ait acquis, par son expérience personnelle, une connaissance de lui-même et de ses modes de résonance qu’il puisse utiliser pour accueillir la singularité du discours corporel, émotionnel, du patient. Il est certain que la pratique de l’hypnose implique que les deux protagonistes puissent supporter une proximité non médiatisée par le langage discursif, par l’organisation défensive structurée du moi, mais sensorielle, corporelle. J. Palaci (1987) disait du transfert dans l’hypnose: « C’est une sorte de transfert des profondeurs avec des résurgences affectives et émotionnelles, un transfert archaïque, fusionnel, qui s’engage brutalement, viscéralement. »
La communication non-verbale y est extrêmement prégnante et la synchronicité des états de conscience du patient et du thérapeute crée cette étonnante communication intuitive qui nous fait aussi entendre dire parfois par nos patients « cette image me venait à l’esprit au moment même où vous me l’avez proposée... » Ce n’est donc pas tant qu’il n’y a pas de transfert dans l’hypnose, c’est que le transfert y est en quelque sorte diffracté, on a à faire avec des niveaux transférentiels différents,
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présents en même temps, et dont l’exploitation se fait sur des registres différents et dans des temps différents. Dans le contexte psychothérapique, il me parait en effet impossible de ne pas envisager la dynamique transférentielle dans son ensemble. Parce que la thérapie nous sollicite dans la durée, la compréhension est nécessaire de ce qui se joue dans la totalité de la relation thérapeutique. Ce qui s’opère dans le déroulement classique du processus thérapeutique de façon très progressive, pour parfois arriver à des moments transférentiels fusionnels – le patient expérimentant dans la relation une régression progressive qui se dévoile peu à peu – se trouve condensé dans l’hypnothérapie. Le temps de la séance isole une dynamique narcissique, fusionnelle et amène le surgissement d’affects tant chez le patient que chez le thérapeute, beaucoup plus tôt que dans le cours de la thérapie lorsque l’on n’utilise pas l’hypnose. Ce moment particulier du temps de la séance peut être compris comme un temps où un aspect particulier du transfert est activé. Avec certains patients, cela confronte le thérapeute à la nécessité de gérer en même temps deux dimensions relationnelles très distinctes : d’une part, ce qui se déroule pendant les séances et ce qui, d’autre part, se manifeste et se découvre peu à peu du positionnement subjectif du patient dans sa relation au thérapeute. Car toutes les nuances de la dynamique transférentielle vont s’exprimer dans et en dehors des séances. De même, le dévoilement et la compréhension de ce qui se présente dans le temps de la séance s’appuient sur cette dynamique. La dimension transférentielle mobilisée par et pour l’hypnose, pendant la séance proprement dite, en serait la part pré ambivalente. Ce qui ne veut pas dire que toutes les autres dimensions n’existent pas. Elles peuvent simplement ne pas être prises en compte, ou pas avant un certain temps. Elles s’activeront peu à peu dans le décours de la thérapie lorsque celle-ci se déploie au-delà de quelques séances. Dans le registre particulier de l’hypnoanalyse, au fur et à mesure que se déroule la thérapie, peu à peu s’espacent et disparaissent les séances formalisées, le processus associatif lancé. C’est alors le déroulement classique de l’analyse du transfert qui s’engage, explicitant les modes de relation spécifiques du patient et son positionnement subjectif vis-à-vis du thérapeute. L’hypnose dans la séance avec induction, déroulement et fin n’est plus aussi précisément repérable. C’est une intervention particulière, interrompant le discours par l’utilisation d’un ton différent, c’est la modulation de la voix qui saisit et suscite l’état hypnotique, qui relance la dynamique des associations en sollicitant la sensorialité. C’est la modulation de la voix du thérapeute et la familiarité du patient avec le jeu de ses propres sensations qui initieront
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ces moments hypnotiques; moments où l’on sent que véritablement quelque chose passe et se passe. La complexité du travail hypnoanalytique, dans la durée de son développement tient justement à ce que les éléments transférentiels sont utilisables à des niveaux et dans des temps différents, ce que soulignait déjà J. Palaci en 89. Le temps de séances formelles dans l’espace délimité desquelles le matériel suscité est manié, mis en jeu de façon à la fois immédiate et distanciée, organise quelque chose de l’ordre d’un espace projectif. Ce qui s’y manifeste tant pour le thérapeute que pour le patient, s’y manifeste sur une scène distincte. Dans ce cadre « sécurisé », la dynamique associative peut s’initier dans le registre transférentiel très particulier d’un narcissisme « colmaté » pour un instant par l’expérience de cette dyade fusionnelle où le thérapeute occupe une place d’Autre. Cette place, nous l’occupons d’une façon qui tient à ce que nous sommes – chaque thérapeute à sa manière propre– mais certains paramètres en sont induits par ce que nous percevons du positionnement inconscient du patient. Et, dans un premier temps, ce que nous en percevons corporellement. C’est en utilisant ses propres associations et son ressenti pendant la séance, que le thérapeute participe au surgissement des souvenirs et des éléments sensoriels associés, ou oriente le développement imaginaire chez le patient. La séance est un moment d’interaction, les interventions se font sur le mode intuitif (reprise de certaines images que l’on propose au patient, idées de questions à propos de ce qu’il ressent... ), qui utilise les images qui nous viennent à l’esprit, les sentiments et les émotions qui nous traversent. En dehors de celle-ci, le travail de réflexion à propos de ce qui s’est passé pendant la séance, permet de commencer une mise en représentations de l’insu du patient, grâce à la prise en compte des deux dimensions du matériel suscité par les séances. Celui amené par le patient d’une part, souvenirs, sensations, éléments appartenant à l’organisation fantasmatique développée à partir des faits traumatiques, qui peuvent être repris et travaillés dans des séances ultérieures. Et d’autre part, le matériel amené par ce que la séance a suscité en nous, et nos propres associations. Notre psychisme de thérapeute aura, en quelque sorte, servi d’espace-relais où peut s’ébaucher l’intégration des affects dissociés. Cet espace, détour obligé et temporaire, c’est à proprement parler, dans le thérapeute qu’il s’initie. Celui-ci servant de récepteur d’images parfois très précises, et d’amplificateur pour permettre l’élaboration des conflits inconscients, des fixations traumatiques qui apparaissent à l’état brut au travers des émotions ressenties à l’égard du patient. Éléments de la communication non-verbale, primitive, qui vont nous guider pour choisir la façon de formuler quelque chose d’opérant à propos de ce que nous
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avons ressenti et perçu ; le type de séance, de métaphore, d’images ou de scénario, qui vont orienter la tonalité de notre intervention. Il me semble que souvent ces perceptions, ces sentiments, s’ajustent comme tenon et mortaise à l’image du corps en jeu, à un moment donné, pour ce patient. C’est-à-dire, qu’en repérant de façon précise ce que l’on ressent et l’attitude corporelle qui y correspond, on a une idée de ce qui se joue pour le patient à ce moment-là. La perception que l’on a de tel ou tel patient à partir de ce qui émane de lui ou d’elle, vient de facteurs non-verbaux : position corporelle, regard, intonation, mimiques qui, en générant en nous des sensations et sentiments particuliers (désir de protection, de violence, peur, malaise...), nous renseignent sur cette image du corps. C’est aussi le savoir immédiat que l’on a lors de la poignée de main : on sait parfois lorsqu’il entre, ce qui se passe pour le patient ; s’il se sent bien ou mal et ce, de façon très subtile. Il arrive à l’inverse que ce que l’on ressent soit tout à fait différent de ce qu’en dit le patient à ce moment, et cela aussi est signifiant. Toutes ces informations passent par le corps, le nôtre et celui du patient. L’expérience clinique que nous développons est faite en grande partie de cette observation qui s’affine avec les années et se double d’une perception affective subtile. Rien de tout cela n’est pensé, réfléchi, préparé. C’est au contraire, ressenti, éprouvé. C’est en ayant le courage d’assumer ces ressentis et de nous en servir, que nous pouvons nous faire lieu de ce détour. Parce qu’aussi cela peut et doit nous donner à penser, réfléchir et préparer le cadre de nos interventions ultérieures. C’est aussi parce que le symptôme ou l’attitude symptomatique fait sens pour nous, dans notre registre de compréhension théorique, que nous pouvons servir de relais, faire pont en prenant sur nous, en comprenant, c’est-à-dire, en prenant avec. En ce sens, la théorie nous sert de point d’appui. Mais pas de paravent ; il s’agit d’avancer dans une aventure où l’on doit éviter la tentation psychologisante et oublier ce que l’on sait pour réinventer, comme le souligne O. Grignon (2002), avec chaque patient un voyage unique guidé par le savoir inconscient.
A PPLICATIONS
CLINIQUES
Comment définir l’approche corporelle ? On peut dire qu’il s’agit des techniques d’induction qui s’appuient sur des éléments corporels, en mobilisant de façon explicite l’attention sur les sensations, la respiration, le tonus musculaire, les postures, toutes
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les perceptions corporelles directement accessibles. Et en proposent la découverte et l’exploration, élargissant ainsi la conscience de soi. Mais bien des éléments sensoriels du vécu symptomatique ne sont pas directement accessibles, justement, et ces techniques constituent aussi des moyens d’intervention pour aller à leur recherche et les dévoiler. C’est au fond provoquer, quand c’est nécessaire, une accommodation qui ne se fait pas d’elle-même, sur le plan de l’expérience corporelle, presque totalement occulté par un système défensif qui vise à ne pas ressentir ou bien à ne rien dire de ce que l’on ressent. En proposant de se mettre à l’écoute de ce qui est ressenti ici et maintenant dans le cadre particulier de la séance, on reste alors au plus près du vécu actuel. L’induction de l’état hypnotique se déroule de la façon la plus simple possible, en focalisant l’attention consciente sur des éléments de l’éprouvé du patient. C’est une attention spécifique à la dimension corporelle du vécu symptomatique. Sensations de striction ou de pesanteur, modifications du tonus ou de la posture, douleurs et troubles fonctionnels qui accompagnent anxiété et dépression ou se présentent comme les manifestations de troubles somatiques avérés, constituent autant d’éléments d’exploration, de voies d’abord, permettant d’initier ou de relancer la dynamique associative. Il me semble que l’expérience de l’état hypnotique induit par ces techniques corporelles réalise en soi un changement radical ou, en tout cas, installe un cadre nouveau où celui ci pourra se déployer. Changement qui s’opère alors, non plus directement par une intervention symptomatique telle qu’on la définit habituellement en hypnothérapie, mais par le fait de solliciter l’expression verbale de la souffrance, au niveau où elle génère le symptôme, sur un plan plus en amont. C’est un changement de registre tant de l’énoncé qui s’opère, que de l’écoute elle-même. On rentre dans le symptôme, en quelque sorte. Dans le nœud lui-même, où se disent à la fois la douleur, les questions, les fantasmes, là où le sens est resté en souffrance. Si la psychanalyse est née de l’abandon d’une certaine pratique de l’hypnose, l’état hypnotique (ou hypnoïde) reste l’état de la conscience qui rend possible l’accès à ce fonctionnement mental particulier marqué par la spontanéité de passage d’une représentation à une autre, qu’elle soit mentalisée ou sensorielle (image, son, sensation), « spontanéité » guidée par l’inconscient, qui définit l’association libre. Or rien n’est moins naturel que d’expérimenter le lâcher prise nécessaire à sa mise en route. Il faut pour cela court-circuiter le discours constitué autour du symptôme et s’approcher au plus près de la substance même de celui-ci, c’est-à-dire l’éprouvé physique et le vécu émotionnel qui découvrent les représentations auxquelles il est relié. Il me semble que c’est là où
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articuler la pratique hypnotique à l’écoute psychanalytique prend tout son sens et l’expérience clinique m’a amenée à utiliser puis développer quelques approches directement corporelles, dans cette perspective. Aspects techniques et exemples cliniques
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Désigner le dispositif Très concrètement, il s’agit de désigner le dispositif, c’est-à-dire, la pièce où l’on se trouve, le divan sur lequel a pris place le patient et d’où il perçoit l’espace, le fauteuil où est assis le thérapeute... et ce, en sollicitant tous les canaux sensoriels de façon détaillée (ce qu’il est possible de voir, d’entendre, de sentir : points de contact du corps sur le divan, mouvements et positions). Puis de prêter attention à la respiration, ses mouvements, son amplitude... Progressivement, on passe à ce qui est ressenti dans cette position, ce que cela évoque, ce que cela amène et fait surgir. On signale ensuite au patient qu’il peut utiliser le soutien du divan dans la proportion et de la façon qui lui convient le mieux. On peut aller jusqu’à évoquer la structure du bâtiment dans lequel la pièce où l’on se trouve est située et intégrée. Jusqu’à préciser que ce bâtiment prend appui sur la terre, etc. Et, à chaque étape, s’enquérir de ce que ressent le patient et prendre le temps d’accueillir ces sensations. Le travail sur les points d’appui du corps peut aussi s’élargir en pointant le fait que dans la position allongée, les points d’appui sont au niveau de la face postérieure du corps (en les détaillant) et que dans la position assise, ce sont d’autres parties du corps qui assurent le contact avec le siège, debout, d’autres encore. Quelle que soit la position, de toute façon certaines parties du corps s’occupent d’assurer le contact avec une base d’appui et le corps est soutenu. Ce travail pouvant alors constituer, en lui-même, l’axe de toute la thérapie, utilisant tous ces registres sur un mode ou sur un autre, de façon très concrète au sens propre des termes, ou au sens figuré, métaphoriquement. Tout ce qui a trait au soutien, au portage, peut ainsi être exploité. La découverte qu’il est possible d’être soutenu dans la traversée de l’épreuve, du deuil.... Dans la souffrance et le désir spécifique manifestés par le symptôme. Nous avons tous des patients pour lesquels, sans parfois la moindre parole de leur part, quelque chose de ce portage que le dispositif thérapeutique nous permet de mettre en œuvre, est efficient et porteur de soulagement. Dans un autre registre, l’évocation des éléments de l’environnement de plus en plus large situe l’individu comme élément d’un ensemble, instrument d’un grand orchestre, occupant une place spécifique, unique, dans une réalité qui nous dépasse et nous comprend. Représentation de
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l’humaine condition soumise à la gravitation aussi bien qu’au désir, dont les développements sont sans limite. Il n’est même pas besoin d’aller plus loin, on est déjà aux prises avec des questions fondamentales ; il est bien rare que n’aient pas surgi quantité d’associations, de souvenirs, etc. Décrire le dispositif c’est utiliser l’espace en l’intégrant au familier. C’est aussi accueillir l’autre avec le respect d’un temps dévolu à la découverte. Offrir la rencontre avec l’espace propre du thérapeute. Désigner et expliciter, commencer à réintroduire une parole juste à propos de facteurs extérieurs, objectifs : les éléments de l’environnement, un discours qui signifie, de la manière la plus simple et la plus concrète qui soit, la légitimité d’être là et de percevoir ce que l’on perçoit. Par ailleurs, l’ensemble des étapes figurées par le mouvement et les changements de position constitue autant de moments signifiants dans la relation avec le thérapeute. Le changement de position dans l’espace du cabinet évoque directement le changement de position relationnelle. La possibilité d’utiliser le divan est pour le patient une étape vers ce lâcher prise qui va peut-être pouvoir aller jusqu’à l’expérience hypnotique. De plus, chacun de ces moments apporte quantité d’éléments du langage corporel à l’observation. Ainsi, le cadre que donne la pratique hypnotique nous donne l’occasion d’exploiter le moment précis qui marque la toute première utilisation du divan par le patient et qui est, par excellence, un moment fécond pour attraper la parole corporelle et lui répondre directement. Pour ouvrir le questionnement à son propos avec respect, en accompagnant le patient dans cette expérience et en lui proposant une écoute attentive des sensations qui se présentent, tant par rapport à nous que par rapport à l’environnement et à lui-même dans cette situation. Si classiquement dans la pratique analytique, l’utilisation du divan a pour but d’éviter la captation par le regard, elle donne plus de place à la voix modulée qui suspend, captation plus archaïque encore du moment hypnotique, parfois fugace, qu’elle permet et dont la raison d’être est le passage, pierre de gué où du sens est donné, qui servira d’élan et de fondation à la reconstruction. Moments hypnotiques qui sont au cœur de l’analyse. Moments féconds par excellence qui orientent et organisent les avancées et les tournants importants du développement de la cure.
Respirer : hyperventilation et autres techniques respiratoires La focalisation de l’attention sur les processus respiratoires et/ou leur modification représente un mode d’induction à part entière utilisant l’attention portée aux différents paramètres de la respiration : sa fréquence, son amplitude, ses mouvements.
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De tout temps, dans toutes les traditions où la connaissance de soi est une dimension importante du chemin évolutif, la respiration a été utilisée comme outil privilégié de méditation et de contrôle émotionnel. Le souffle représentant symboliquement l’âme et le principe même de l’énergie vitale, la pure poussée biologique. En focalisant l’attention sur la respiration, d’une part le champ de conscience se réorganise à partir des perceptions internes, faisant taire le brouhaha des pensées et, d’autre part, les paramètres physiologiques se modifient, parfois de façon très notable. C’est probablement par le biais de ces modifications physiologiques que l’état de conscience peut se trouver très significativement altéré, favorisant l’émergence de contenus inconscients de tous ordres. À telle enseigne qu’en Californie dans les années 70, après que l’utilisation des hallucinogènes a été interdite, l’hyperventilation a servi à produire expérimentalement des modifications profondes de l’état de conscience, proches de celles provoquées par le L.S.D. Outre la dimension de recherche expérimentale, ces techniques ont commencé à être utilisées dans le champ de la psychothérapie, exploitant leur potentiel régressif et cathartique, pour aller au-delà de ce que les techniques verbales permettent. Elles ont été expérimentées et étudiées, après que D. Levadoux les a introduites en France, principalement par un groupe de psychanalystes dont les élaborations sont passionnantes dans le champ des recherches sur la réactualisation de moments traumatiques très précoces, voire même remontant à la période périnatale (d’où son nom de Rebirthing) (Jallan, 1988). Ces techniques ont montré leurs limites, surtout de n’être utilisées souvent (dans le cadre de thérapies de groupe ou individuellement) que de manière ponctuelle et à des fins trop strictement cathartiques. Par contre, dans le contexte d’un travail global, effectué sur la durée, la régression profonde induite par leur puissance intrinsèque présente un intérêt réel. J’ai rencontré, un jour, un jeune homme venu consulter avec un diagnostic probable de bouffée délirante. En l’interrogeant, cet homme qui avait été hospitalisé en urgence et mis sous neuroleptiques, avait essayé une technique méditative proposée dans un livre. Et dans sa chambre de bonne, sans aucune préparation, il avait consciencieusement hyperventilé pendant presque une heure. Le surgissement brutal de souvenirs traumatiques et de modifications physiologiques très pénibles avait généré une angoisse insupportable. Le praticien qui l’avait reçu n’ayant jamais entendu parler de cela était fort inquiet. L’entretien que nous avons eu a beaucoup rassuré ce patient et il a pu investir une psychothérapie, avec pour axe la dynamique du souffle, découvrant qu’il est possible de se servir de cette technique d’une façon opérante, pour autant qu’on le fasse dans le cadre bien précis d’un travail thérapeutique. Car lorsque son utilisation s’inscrit dans une prise
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en charge psychothérapique suivie, elle permet parfois d’amener à jour un matériel qui sans cela n’aurait jamais pu être abordé.
Le principe de l’hyperventilation est de solliciter les limites habituelles de la respiration en l’amplifiant et en l’accélérant, ce qui provoque la rencontre de traces mnésiques corporelles et sensorielles que l’on se propose d’accueillir et d’explorer. Ces traces que Ferenczi nommait « mnèmes organiques-psychiques », correspondent à des ressentis de contraction, de résistance, de blocage, de douleur, en rapport avec les inscriptions traumatiques. On peut supposer qu’elles correspondent au mouvement de rétraction de tout le corps, tendu pour lutter contre l’empiètement psychosomatique (Winnicott, 1954), la menace d’éclatement provoqué par l’envahissement brutal de l’espace psychique. En effet, les expériences traumatiques se caractérisent par un excessif sensoriel qui déborde les possibilités intégratives de l’organisme, et laissent des traces dans le corps correspondant à des ressentis sans représentations ou liés seulement à des représentations inconscientes. Ressentis qui sont associés à des limitations spécifiques de la respiration (dont le repliement protège en quelque sorte de la perception de ces sensations pénibles). Lorsque ces sensations sont réactivées par l’amplification de la respiration, c’est alors un travail cathartique qui se déroule, sollicitant à l’extrême patient et thérapeute. Parfois aussi, lorsqu’un véritable lâcher prise se produit, à l’inverse il arrive que l’on fasse l’expérience transcendante d’un vécu océanique. Le moi dans sa dimension d’organisation défensive est cette fois-ci dépassé, débordé mais dans une expérience nouvelle, appuyée sur un lien solide. On peut penser que l’étayage narcissique est sur le moment suffisant pour relancer des possibilités d’exploration inexploitées. En dehors du champ très spécifique de l’hyperventilation, on peut se servir de la respiration pour organiser l’induction hypnotique de toutes sortes de manières. Par exemple, en prêtant attention à la respiration spontanée et à ses caractéristiques : où elle est perceptible dans le corps, les mouvements qu’elle provoque, les sons qu’elle émet, ce qui se passe quand on joue avec... La respiration n’est souvent pour nous qu’un processus physiologique de base, dont on ignore tout des subtiles variations et des liens avec les registres émotionnel, affectif et organique. Aussi, proposer d’explorer ce champ spécifique amène-t-il d’emblée sur un registre peu connu et surprenant qui décentre immédiatement l’activité psychique vers les processus vitaux les plus importants. La découverte et le maniement des possibilités respiratoires peuvent servir à renforcer le contrôle des émotions, de certains processus physiologiques, de la douleur. La préparation à l’accouchement, à certains
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gestes traumatiques dans les soins, utilise ces techniques depuis longtemps. C’est aussi la possibilité de traverser et de maîtriser l’anxiété, les manifestations critiques de certains troubles fonctionnels (spasmophilie, colites, hoquets résistants... ). Ce qui s’ouvre avec la respiration c’est l’accès à un phénomène universel et naturel, commun à tous les êtres vivants : humains, animaux et végétaux. Le fait de respirer place d’emblée le sujet dans la position d’élément d’un tout, relié aux autres éléments de l’univers et à la nature qui les contient. La respiration renvoie à une symbolique universelle : liberté, communication, échanges, sécurité, confiance. La vie même. Communication psychosomatique via le registre émotionnel, pont et articulation, qui ressortit tout autant du champ physiologique par ses manifestations corporelles issues des perceptions sensorielles, que du champ psychique par les représentations qui leur sont associées. Communication entre intérieur et extérieur, la respiration avec ses limitations, les particularités individuelles de ses différents temps, est aussi métaphore du positionnement relationnel de chacun. Inspiration, expiration, apnée où l’on retrouve le cycle alternant de l’actif et du passif, du prendre et donner, recevoir et lâcher... Inspiration artistique... Souffler, se laisser du temps, se reprendre, respirer, s’affirmer... Prendre sa place, occuper son espace... Là encore tout un champ de travail métaphorique peut être ouvert ainsi et exploité dans des directions différentes. Par ailleurs, le fait de travailler directement sur la respiration amène à contacter le mécanisme même qui nous tient en vie, à savoir le lien avec l’atmosphère dont nous dépendons complètement. C’est contacter notre « placenta aérien » comme disait Françoise Dolto pour qui l’image respiratoire est de ce fait, la plus archaïque. « Le nouveau-né se greffe avec son arbre respiratoire – poumons, trachée et soufflerie entretenue par les muscles respiratoires – sur ce placenta commun à toutes les créatures terrestres : l’atmosphère. » (Dolto, 1997, p. 196)
Ce sont alors les touts premiers moments de notre existence et les toutes premières relations qui peuvent se trouver sollicités et ce très directement par la réactualisation d’expériences archaïques, ou symboliquement. Avec le registre de la dépendance, c’est celui du narcissisme et des liens particuliers aux touts premiers objets. C’est aussi tout ce qui a trait à la continuité de l’être. Quoi que l’on éprouve et traverse, c’est en tant que vivant donc respirant, c’est la constante la plus directement accessible dans sa permanence. On respire.
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Dialoguer avec le corps C’est une des possibilités intéressantes des techniques corporelles. Ce « dialogue » avec le corps qui se déroule sur un mode particulier, installé d’emblée bien loin du dialogue socialement codifié, organise une reprise des premières élaborations en lien avec le vécu corporel. Un exemple clinique me permettra de décrire ce travail : c’est un court fragment extrait des premiers temps de la thérapie. Le corps sait... Lorsque Mme X. vient pour la première fois, elle m’explique qu’elle est malade depuis 10 ans ; le diagnostic rhumatologique est sévère et bien qu’il n’y ait pas d’atteinte lésionnelle, elle porte en permanence une ceinture lombaire. Elle est suivie à l’hôpital en rhumatologie et par un psychiatre car toutes ces douleurs « l’empêchent de vivre ». Son traitement médicamenteux associe antidépresseurs et anxiolytiques, antimigraineux, anti-inflammatoires. Parler avec le psy l’aide un peu, les traitements la soulagent mais « ça ne va pas mieux ». Elle me dit qu’elle a tout essayé et que pour elle l’hypnose est la dernière chance. Je lui explique qu’à l’énoncé de ce qu’elle m’a dit, il ne me paraît pas possible d’utiliser l’hypnose pour chercher une fois de plus à faire disparaître des douleurs qui résistent depuis tant d’années. Manifestement, ces douleurs ont quelque chose à dire qu’il est urgent d’écouter et d’entendre et je lui propose de réfléchir pendant les vacances : si elle est d’accord avec cette approche, nous essaierons à la rentrée. Je la raccompagne en pensant qu’elle ne reviendra sûrement pas. Dès le début septembre, pourtant, elle reprend rendez-vous et se dit prête à faire l’expérience. Lorsque je lui propose de s’allonger sur le divan, elle s’installe en chien de fusil sur le côté et me dit qu’elle ne dort plus que comme cela, ne pouvant plus s’allonger depuis des années. Je commence par désigner le dispositif et lui propose de faire particulièrement attention à ce qu’elle peut sentir dans cette position où son côté gauche s’occupe d’assurer le contact avec le divan. Qu’elle prenne conscience des points de contact de son corps avec la surface du divan. J’insiste sur le fait qu’il est important que son corps prenne le temps d’éprouver le soutien du divan. Le divan la soutient solidement et complètement, mais il est important qu’elle perçoive cela par elle-même, à son rythme, qu’elle l’éprouve. Après quelque temps, je lui demande ce qu’elle ressent, ce qui se passe dans son corps. Elle me dit qu’elle sent une de ses hanches volumineuse, embarrassante, et sa tête aussi. Je lui propose de s’occuper très attentivement de cette sensation :
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« – Qu’est-ce que ressent votre hanche exactement ? Comment cela lui fait-il de se sentir « volumineuse » ? Est-ce que l’autre hanche peut aider celle-ci en lui faisant savoir ce qu’elle « ressent » ? Est-ce que la jambe et une partie du côté peuvent faire savoir à la hanche qu’elles sont reliées à elle ? » Et, peu à peu, cette sensation s’efface et fait place à la perception d’une plus grande surface de contact. Elle arrive à la 3e séance en me disant qu’elle souffre terriblement d’une épaule. Je débute toujours la séance de la même manière, en lui proposant de prendre tout son temps pour prendre conscience des points de contact de son côté avec le divan et d’accueillir les sensations qui se présentent. J’évoque la douleur de l’épaule droite et lui demande quelles sont les sensations dans l’épaule gauche. « – J’ai toujours eu l’impression que c’était une malformation, quelque chose de pas normal. Ma mère a dû m’en parler beaucoup pour que ça me marque comme ça ! (...) Elle se serre et se contracte, mon épaule. (...) À la moindre occasion elle (ma mère) le faisait remarquer. Il suffisait que je sois en maillot de bain pour qu’elle parle de ces épaules qui étaient décollées ; j’étais petite, six ou sept ans. – Les épaules ont sans doute beaucoup souffert de ce manque de considération. « – Oui, en plus, les omoplates recouvrent une grande partie du dos, les articulations, les attaches, ça va très loin, ça occupe une grande partie du dos. – J’ai mon cou qui n’est pas très content non plus, la partie qui est en contact avec les épaules se contracte aussi ... (...) La douleur progresse, elle descend dans le dos. La douleur se cristallise pour éviter peut-être que je ressente d’autres choses, parce qu’elle est là, elle masque autre chose. Elle a une alliée qui est la fatigue, une immense fatigue qui me tombe sur le dos... » – Elles s’entendent très bien toutes les deux. « – Oui, finalement, on peut dire ça. » © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
En arrivant à la séance suivante, elle me dit : « – La douleur de l’épaule s’est atténuée mais j’ai eu une migraine comme je n’en avais pas eu depuis trois mois. En même temps, je sens en moi des désirs qui viennent, des choses que je ne peux pas encore faire, bien sûr. – Bien sûr... Qu’est-ce que ressent la tête ? « – Si j’essaie de préciser ce mal de tête, finalement ça masque le mal au niveau du haut du dos comme si le mal était monté aussi haut qu’il pouvait et là, il ne peut aller plus haut... (...) Si je cherche l’origine vraiment du mal, finalement, c’est dans le bas du dos que ça vient... (...) Il y a ce masque sur le haut du dos, c’est une partie qui ne m’a jamais vraiment fait souffrir... » – Un masque ? « – Quand je pense à cette partie de mon corps, j’y pense comme à une partie déformée, difforme. » – Difforme ?
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« – Pendant de longues années on m’a dit que je me tenais mal. » – Et qu’en dit cette partie de votre corps ? « – Elle ne peut même pas dire qu’elle souffre. » – Elle doit se masquer ? « – Oui, si j’avais eu mal, ça aurait été en plus de ma faute parce que je me tenais mal. » – Et que vous exprime-t-elle maintenant cette partie du dos ? À vous ou à la tête, si elle préfère. « – C’est comme une brûlure et c’est tout à fait relié au bas du dos. Elle est très localisée et n’irradie pas alors que la douleur du milieu du dos, elle, irradie. » – Vers les autres parties du dos ? « – C’est vraiment cette douleur dans le creux du haut du dos qui se cache un peu comme si cette partie-là était devenue insensible, alors que la tête, elle, sait ressentir la douleur et le bas du dos aussi. » – En fait il y a une grande entraide entre les différentes parties du dos. « – Pourquoi ? Peut-être qu’il fallait que je ne sente rien, il y a eu trop de reproches. Je n’ai plus voulu sentir cette partie-là. » – Peut-être pouvez-vous prendre le temps de sentir que le milieu du dos est relié avec la tête et le bas du dos... Ces différentes parties peuvent communiquer entre elles. « – Ça m’étonne comme la douleur est forte ! D’habitude elle est diffuse et je ne sais pas vraiment d’où elle provient. » Quelques mois plus tard, à la fin d’une séance où elle avait pu dire son immense solitude d’enfant, solitude concrète, seule enfant à la maison et solitude de l’être, de ne se sentir jamais comprise dans aucune de ses aspirations, je lui ai dit : – Vous avez beaucoup souffert. « – C’est la première fois que je comprends que mon corps fonctionne comme un ensemble. Mais toute cette douleur, depuis le temps que je m’en occupe... » – Vous avez plutôt cherché à la faire disparaître. « – Oui, je voulais surtout la faire taire. »
Les séances suivantes se feront sur le même mode. Quel que soit ce qui se présente, c’est toujours avec le plus grand sérieux et le soutien a priori de ce qu’elle me dit éprouver, que je reprends ; et je reprends chacune de ses informations, l’une après l’autre. Pendant des mois je vais continuer ainsi et la ramener à ses sensations chaque fois qu’elle se tait après avoir évoqué un souvenir, le mode de début de telle ou telle douleur. Ce n’est que lorsqu’elle commence à porter un jugement de valeur sur ce qu’elle éprouve ou à s’en plaindre
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que je l’arrête et reviens à ce qu’elle ressent. Ou plutôt que je reviens sur ce que telle ou telle partie de son corps éprouve, dans un mouvement volontaire d’adresser mon discours à son corps plutôt qu’à elle ; ce qui me permet de construire une alliance en quelque sorte à côté d’elle et presque malgré elle. Ainsi, peu à peu, son discours se développe et elle retrouve et élabore le climat traumatique de son enfance et les constructions fantasmatiques qui entourent la morphologie et les fonctions de son corps. En prenant confiance en moi et en ma capacité à supporter qu’elle souffre, ma capacité à reconnaître la légitimité de sa douleur, elle a pu parler de la souffrance, c’est-à-dire, de ce qu’elle ressentait affectivement. Ce qu’elle a d’ailleurs verbalisé textuellement : « je me rends compte que sous la douleur, maintenant ce sont les vraies émotions que je sens ». Le ton sur lequel mes interventions sont faites est toujours extrêmement sérieux. J’ai gardé avec elle la solennité du début, celle avec laquelle il m’a semblé qu’il était grand temps de considérer ce qu’elle vivait et endurait depuis tant d’années. Lorsqu’il s’agit de ce qui est éprouvé, donc forcément réel et légitime, pas question de transiger, d’interpréter. Peu à peu, mes interventions seront de moins en moins directives, au fur et à mesure qu’elle assume son ressenti et se l’approprie. L’évolution de cette patiente a été très progressivement mais constamment positive. Au bout de six mois elle a reconquis la position sur le dos. Elle a cessé de porter son lombostat encore quelques mois plus tard. Elle a, peu à peu, continué à se réapproprier toutes les activités qu’elle avait depuis longtemps abandonnées. La thérapie s’est ensuite poursuivie sur environ deux ans. Jusqu’à ce qu’elle exprime son sentiment de ne pouvoir ni vouloir aller plus loin. D’avoir tous les éléments en main : « Au fond, maintenant, c’est à moi de faire le chemin, de changer ce que je veux changer dans ma vie » m’a-t-elle dit lors de notre dernière séance, « J’ai bien compris que vous ne pouviez rien faire pour moi, plutôt rien faire à ma place ». C’est typiquement le genre de cas où il me semble qu’un abord directement corporel peut être intéressant. Lors du premier contact, sa présentation très dépressive m’avait paru être sous-tendue par une dynamique névrotique qui n’avait jamais été abordée et risquait de faire capoter à terme un abord hypnotique symptomatique. Les essais de psychothérapie faits jusque-là n’avaient, selon elle, jamais pris en compte la dimension symptomatique de ses troubles, et cette parole corporelle restait exclue du champ psychothérapeutique. La séparation était bien établie, très étanche, entre traitement psychique d’un côté, et traitement somatique de l’autre. Le symptôme somatique était pourtant au premier
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plan, installé depuis longtemps, sujet de toutes ses plaintes et organisant tout son rapport à l’autre. Tout ce qui pouvait être utilisé comme aide et soutien était organisé autour d’interventions symptomatiques à visée suppressive et normative auxquelles elle résistait massivement. Lorsque je l’ai reçue pour la première fois, j’ai pensé que pour cette patiente, la seule possibilité vraiment thérapeutique était de trouver le moyen d’enclencher un travail analytique, c’est-à-dire, d’organiser un dispositif qui rende possible l’écoute de sa souffrance, donc de trouver un abord qui permette de prendre en compte ses symptômes physiques en tant qu’éléments de son discours. Ce dialogue avec son corps souffrant a permis, me semble-t-il, de réaliser le lien entre la manifestation physique de sa douleur et une écoute qui en décèle et en reconnaisse la dimension de souffrance. Prendre les différentes parties de son corps comme interlocuteur a permis de mettre en scène cette discontinuité apparente et de la jouer en tant que telle, isolée par le cadre de la séance d’hypnose. Ce que cette patiente a d’ailleurs très précisément repéré et maintenu, en commençant toujours les séances par un moment d’entretien : elle venait s’asseoir en face de moi pour me dire tout ce qu’elle voulait me dire, ce que la quinzaine avait amené de réflexions, de craintes aussi et des questions, et en allant, ensuite seulement, s’allonger. C’est à partir de là, du divan, que nous pouvions donner la parole à son corps. Ce n’était plus à elle que je m’adressais, mais à ces parties de son corps qui détenaient un savoir dont elle ne pouvait, elle, rien savoir. Donnant ainsi une légitimité à ce savoir en considérant son corps comme interlocuteur.
C HAMPS D’ APPLICATION ET PERSPECTIVES CLINIQUES Pour pouvoir se mettre à l’écoute attentive des messages corporels que nous avons patiemment appris à ne pas entendre, un temps apprentissage, de familiarisation, tant pour le patient que pour le thérapeute, est nécessaire. Il peut ainsi se révéler intéressant d’orienter le travail thérapeutique sur le corps lorsque le registre de conversation dans lequel se cantonne le discours est manifestement déconnecté du ressenti émotionnel ancré dans le corps, le vécu corporel semblant totalement occulté. Chez de nombreux patients en effet, la conscience corporelle, perception des postures, des points d’appui, des zones de tension, est totalement négligée, inexistante voire refusée, ce qui participe du malaise et parfois le génère. On ne veut rien savoir ou le moins possible de ce
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corps vécu comme anormal de réagir de façon jugée disproportionnée, incompréhensible ou réprouvée. C’est le « rien sentir » érigé en absolu de normalité qui constituerait un but ultime. Résultat, l’inconfort est permanent, et la conscience du malaise, entièrement centrée autour de la zone péri-ombilicale et/ou laryngée. En quelque sorte le patient n’occupe, n’investit, qu’une partie très restreinte de son corps et, de toute façon, pas les parties du corps qui participent à l’appui. L’angoisse et l’anxiété sont corrélées à une sorte de rétraction vers le milieu du corps. On retrouve souvent, associés, des signes de la prééminence de la fonction du regard, perceptible aux fantasmes exprimés à propos du vécu supposé des autres : « Les autres ne souffrent pas ou pas autant, ils ont ceci ou cela que je n’ai pas, ils font telle ou telle tâche naturellement... » Alors, c’est souvent une surprise totale que d’expérimenter ce retour sur soi, les associations d’idées qui viennent avec l’attention soutenue et accompagnée par le thérapeute, aux sensations corporelles découvertes en faisant simplement attention à ce que l’on éprouve à être allongé sur ce divan, à cet endroit précis de la pièce. En parallèle au travail verbal, dans ces cas, l’abord corporel semble permettre de réinstaller la conscience du corps, notamment dans les zones d’appui, ce qui redonne un équilibre au sens propre du terme, faisant parfois rapidement disparaître sensations vertigineuses et déréalisantes, et participe au travail de renforcement du moi. L’abord spécifiquement corporel peut ainsi prendre place au début de la thérapie ; c’est vrai aussi lorsque le patient se plaint de manifestations somatiques qui représentent, en quelque sorte, une porte d’entrée toute trouvée et permettent d’intervenir directement. Les premières séances donnent alors la possibilité d’ajuster la stratégie thérapeutique au sujet singulier que l’on a en face de soi. Il est certain qu’avec certains patients, il faut attendre qu’une solide alliance thérapeutique soit installée pour qu’il soit possible d’approcher le registre de l’éprouvé, pour oser explorer les sensations. Qu’il s’agisse de troubles psychiques ou somatiques, le versant corporel, sensoriel, du malaise est pourtant toujours présent. Le ressenti corporel douloureux peut se trouver « exclu », en dehors du sens organisant la vie du sujet ou bien saturé de sens et enkysté ; présent seulement dans le discours comme objet à faire taire, responsable du mal être, vécu sur un mode persécutif, quand il n’est souvent que la conséquence ou en tout cas le corollaire du mal être. Les sensations qui correspondent au vécu corporel des troubles psychiques sont souvent laissées de côté, ignorées et le discours ne concerne alors que l’éprouvé émotionnel par rapport au symptôme. Parfois, à l’inverse, des sensations qui sont décrites comme insupportables, sont l’objet de plaintes insistantes mais sans que
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ces sensations soient pour autant vraiment explorées, sans que toutes leurs composantes puissent être perçues. Et sans que puissent être perçues ou prises en compte toutes les autres sensations dont le corps est le siège, ni même les émotions, la douleur affective. Et du coup, qu’elles soient ignorées ou mises en avant, ces manifestations corporelles saturent, d’une manière ou d’une autre, le champ sensoriel et masquent d’autres strates de sensations. Il faut une attention et un mode d’intervention spécifiques pour aider peu à peu à les découvrir, permettant le déploiement de cette parole singulière et cryptée du langage corporel symptomatique. Le travail corporel peut aussi prendre place à tout moment dans le décours de la psychothérapie, permettant l’approche différente d’un symptôme somatique qui se présente ou se re-présente ; ou bien, lorsque plus rien ne semble bouger, que l’on ne parvient pas à sortir de la répétition. Ainsi lorsque l’angoisse ou un point d’appel somatique apparaît, le langage corporel prenant le relais, ce peut être le moment de se mettre à l’écoute de cette parole-là. Puisque le symptôme est lui-même un langage dont la parole doit être délivrée (Lacan, 1955), au moment où surgissent ces éléments signifiants primordiaux à prendre en compte en tant que tels, il s’agit de les accueillir comme éléments d’un langage qui se découvre et de laisser venir les autres éléments avec lesquels ceux-ci s’articulent. C’est pourquoi, à ces moments, le plus grand respect et un langage spécifique vont être nécessaires dans une écoute impliquant une présence totale du thérapeute. Pour utiliser ce moment fécond où l’explosion somatique peut révéler un niveau d’atteinte narcissique en lien avec des traumas précoces ou une problématique trans-générationnelle que seul le corps peut exprimer. Car la dimension corporelle des inscriptions, des traces mnésiques ouvre un accès direct au traumatique, la prise de conscience de l’éprouvé corporel renvoie aux époques et aux circonstances où il s’est constitué. Françoise Dolto soulignait que l’utilisation du divan, en neutralisant le schéma corporel, donne accès à l’image inconsciente du corps. C’est directement sur celle ci et avec celle ci que l’on peut travailler, accueillant les éléments fantasmatiques qui viennent alors « naturellement » sous forme d’images ou de scénario à partir de ces impressions étranges de distorsion de la position de la taille, de crainte ou de curiosité à percevoir battements cardiaques ou mouvements péristaltiques. Toutes ces sensations qui sont subies tant qu’elles sont portées, véhiculées sans que rien n’ait permis de se les approprier, sans qu’il ait pu leur être donné un sens. Pour certains patients qui errent de thérapeute en thérapeute, de technique en technique sans résultat durable, il est souvent question d’être entendus, et c’est d’être en mal de cette écoute qu’ils sont errants.
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Pour ces patients-là et quoi qu’ils en disent en nous demandant de faire disparaître leur symptôme, chercher d’emblée et explicitement à provoquer un changement qui viserait à évacuer celui-ci, ne sert de rien. Accepter de répondre à leur demande sur le plan où elle est énoncée, c’est affronter la résistance au niveau où elle est le plus intense et, après une brève et/ou incomplète amélioration dans le meilleur des cas, ils continuent à errer de technique en technique sans que rien ne cède de la douleur et pour cause. À travers le malaise, la douleur, ou de façon explicite lorsque le symptôme a pu être soulagé, c’est une insatisfaction fondamentale qui se dit, révélant avec le noyau même du besoin/désir inconscient : être reconnu et entendu, la dynamique névrotique sous-jacente. Seulement, laisser parler nécessite souvent, dans un premier temps, un certain forçage : pour laisser parler le corps, il va s’agir de faire taire ce qui du discours construit de la plainte, l’empêche. Il faut faire un détour et trouver un registre d’intervention spécifique pour que la parole puisse partir de l’éprouvé. C’est un moment où s’opère, de façon directe, un changement de focale. L’accommodation, pour utiliser une métaphore optique, se fait explicitement sur un autre plan, comme dans les stéréogrammes, autre niveau de réalité que celui d’où part le discours à ce moment sans pouvoir rendre compte, et pour cause, du vécu, entièrement organisé dans l’attitude symptomatique. Cette mise en scène d’un corps tiers, ailleurs, sujet de sensations jusqu’à lors réprouvées, est dans la mise à distance construite, extériorisé, découvert peu à peu et apprivoisé. Car l’objectivation du corps fait partie du discours malade, de la maladie, mal a dit. On peut faire l’hypothèse que le dialogue avec le corps, en laissant le temps d’une parole à deux adressé à un « autre » : le corps, donne à celui-ci un statut différent, un statut d’interlocuteur. Et ce, par le biais de la régression induite en utilisant un langage aux échos d’enfance, un langage qui date de l’époque où le corps est parlé, où l’on nomme les parties du corps et les fonctions organiques, où il est parlé de soi. La reconnaissance de la fonction des sensations douloureuses et symptomatiques donne un accès parfois direct aux toutes premières théories infantiles. C’est ainsi un début de prise de contact avec le niveau subjectif, là où ça parle en dépit du moi élaboré, là où se trouvent débordées les défenses adaptatives. Là le sens peut être découvert et la parole retrouvée, au fil de la mise en représentation du chaos des sensations. Première distanciation qui permet déjà en soi un soulagement, un étonnement. C’est aussi faire enfin, souvent pour la première fois, la distinction entre souffrance et douleur. Il y a là quelque chose qui a du sens, quelque chose se passe qui est une douleur, une sensation ou
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une position particulière et non pas seulement un objet, déchet dont il faudrait se débarrasser et qui persécute. C’est s’adresser au sujet du symptôme, en l’occurrence en première approche au corps lui-même, en parlant du corps lui-même, reconnu comme sujet distinct pris dans une logique fantasmatique à élucider. Possibilité ainsi que s’inaugure un « dialogue » avec ce qui est manifesté d’une façon qui dit en même temps la jouissance et le refus, la demande aussi. En partant directement du lieu même où s’originent les sensations qui accompagnent l’angoisse, on peut avoir accès à toute une partie de l’organisation fantasmatique enroulée autour des images inconscientes du corps. F. Dolto (1997, p. 137) disait l’intérêt qu’il y a à étudier cette imagerie précoce du corps : « Beaucoup de troubles fonctionnels que l’on appelle psychosomatiques ne sont pas autre chose que l’expression inconsciente langagière que le sujet utilise pour exprimer ce qui est refoulé et ne peut être verbalisé. »
En effet, la théorie de l’image inconsciente du corps n’est pas réservée à la clinique d’enfants, même si elle en provient (Dolto, 1997), et celle-ci peut probablement contribuer à éclairer le travail sur le corps que permet l’hypnothérapie. Pour certains patients, comme Mme X., on peut dire que l’atteinte narcissique a provoqué une régression profonde à une image inconsciente du corps très archaïque, dont les symptômes somatiques sont la manifestation. Mme X. ne se porte plus elle-même, il lui fallait une prothèse ; elle ne pouvait même plus s’allonger autrement qu’en position fœtale. C’est à partir de là qu’il fallait aller rencontrer ces symptômes. Et c’est là où le soin a permis l’accroche de l’écoute, car en les prenant très sérieusement en compte mais sans chercher explicitement à seulement les soulager, autour des douleurs a pu s’organiser un espace contenant et accueillant où sa façon d’être, en rapport avec une image du corps non fonctionnelle pour sa vie d’adulte, a pu trouver le temps de dire les fantasmes de handicap et de difformité. L’intégrité narcissique a pu alors être suffisamment restaurée pour que la psychothérapie puisse réellement s’organiser, les symptômes somatiques ayant trouvé leur place signifiante. En prenant en compte directement les sensations douloureuses ou symptomatiques, il s’agit de s’adresser au corps comme sujet du savoir inconscient, savoir manifesté d’un positionnement subjectif intenable, qui peut être ainsi légitimé et accueilli, étape nécessaire, inévitable pour être dépassée. Ce passage, s’il n’a pu se faire pour traverser l’épreuve et continuer à se développer, c’est seulement grâce à un vrai lien humain
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qu’il va pouvoir enfin s’effectuer. C’est dire que la description de ces quelques manières d’approcher la parole corporelle ne doit sûrement pas déboucher sur leur utilisation comme des recettes toutes prêtes. L’expérience montre souvent que l’étiquetage des interventions, (parler par exemple de « la prescription du symptôme »), peut déconnecter celles-ci de leur intensité relationnelle. La dénomination de certains modes d’intervention ne doit pas nous éloigner de leur nature véritable. Si depuis des années, les nombreux travaux sur la communication hypnotique ont pu en montrer les spécificités et en quoi celle-ci nous permet de nous situer sur un registre non discursif, donnant ainsi des outils stratégiques, il s’agit pourtant de ne pas oublier l’essence de cette communication. Dans la psychothérapie, la perspective stratégique est insuffisante en elle-même, c’est le lien affectif qui est sollicité dans la prise en compte de la réalité du vécu corporel. Et ce dans la durée d’un travail psychothérapique qui se déroule à son rythme. L’inscription de la thérapie dans la durée, en tout cas une durée non limitée seulement par des principes théoriques, permet de jouer souplement avec les différents registres et de prendre en compte l’organisation défensive dont le maintien reste vital jusqu’au moment où la souffrance traumatique peut s’intégrer dans l’expérience consciente du sujet. Nous sommes amenés à rencontrer des gens présentant une organisation adaptative parfois très performante, mais derrière laquelle toutes les structures peuvent exister – psychotique, névrotique, limite, psychosomatique – et se dévoiler à l’occasion d’un travail symptomatique. Il s’agit alors de savoir à quel niveau on situe notre intervention et jusqu’où le patient souhaite aller.
Chapitre 8
RÉGRESSION ET HYPNOTHÉRAPIE Brigitte Lutz et Cécile Fix
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la considère comme un symptôme ou une dynamique potentiellement créative, un phénomène qui existe ou pas, un concept pertinent ou non, la régression et la position théorique à son propos organisent néanmoins tout le processus psychothérapeutique et en constituent un aspect central. Et particulièrement en ce qui concerne l’hypnothérapie, où la question se pose tant pour l’hypnose elle-même que pour ses effets. Selon les conceptions freudiennes, l’hypnose, état amoureux sans but sexuel direct, foule à deux, en tant que manifestation d’une disposition héréditaire provenant de la phylogenèse de la libido humaine, est en elle-même une régression. Et ce, tant dans sa dimension de relation que d’état de la conscience. En ce qui concerne l’état hypnotique lui-même, c’est dans son acception topique que la régression qui le constitue est envisagée, évoquant une hiérarchisation des fonctions psychiques telle qu’à l’époque de Freud, on pouvait la concevoir. Activité intellectuelle, dimension réflexive et discursive de la conscience considérée comme ayant une valeur d’intégration supérieure à l’activité émotionnelle, onirique, à l’intuition, et à tout ce qui constitue les processus primaires. On peut alors parler de régression ontologique, comme une progression, un déplacement dans les différentes dimensions de l’être, qui donne accès de façon privilégiée à des processus psychiques et sensoriels primaires,
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ou plutôt premiers. Et à différents niveaux de savoir. Pas seulement retour en arrière donc, comme le terme même de régression nous le suggère à première vue, mais aussi mouvement centripète à l’intérieur de la psyché, du plus élaboré vers le plus brut, de ses manifestations vers la potentialité créative même. Dans cet ordre d’idée, on peut dire qu’actuellement les deux grands courants qui animent le travail psychothérapeutique avec l’hypnose utilisent la régression, mais de manière différente. Très schématiquement on pourrait dire qu’un des axes consiste à utiliser les différents registres de la régression dans la perspective de réactualiser traumatismes et conflits intérieurs qui ont été à la base de l’évolution symptomatique, la prise de conscience de ceux-ci permettant leur élaboration et leur dépassement. La régression se développe alors pendant les séances dans le registre cathartique mais aussi dans le registre de la reconstruction, le travail de symbolisation permettant des remaniements structurels. Elle se développe aussi en dehors des séances, dans la dynamique de la relation thérapeutique d’où elle pourra éventuellement être décryptée. L’autre courant va se servir de la régression directement dans la relation hypnotique, utiliser ce que celle-ci a de régressif en elle-même, sa capacité d’activation de potentialités latentes. Le travail plus directement axé sur la mobilisation des processus d’apprentissage dans un registre cognitif ou comportemental, s’appuie sur la régression dans son acception topique qui permet de réouvrir l’accès à un mode particulier de fonctionnement psychique où les processus primaires sont utilisés dans le déploiement des différents niveaux sémantiques de la métaphore. Alors que dans le registre introspectif, via la dynamique cathartique, la régression va dans le sens de ce que l’on recherche et encourage la prise de conscience, d’autres approches considèrent celle-ci comme inutile voire toxique et seul compte le changement que l’on doit réussir à opérer. Peu importe de savoir ce pourquoi les capacités d’apprentissage s’étaient trouvées inutilisables, ou si le sujet ne pouvait tout simplement pas aller plus loin ; raisons et modalités du changement devant elles aussi rester inconscientes.
R EPÉRAGES
ET ARTICULATIONS
« Quand nous parlons d’issue de processus inconscients vers la conscience, nous sommes en effet obligés de mettre la conscience à la sortie, alors que
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la perception, dont elle est pourtant solidaire, se trouverait être à l’entrée. » (Lacan 1955, p. 226)
Toute l’organisation de la théorie de la régression s’est en effet développée autour de cette recherche de direction, d’orientation et de hiérarchisation correspondant aux savoirs scientifiques de l’époque. Il est bien certain que l’évolution des connaissances, la découverte d’un autre niveau de réalité obéissant aux lois de la mécanique quantique, la systémique développée autour des acquis de la cybernétique, ont fait évoluer la notion de causalité et aussi de direction. Et dès les années cinquante Lacan interrogeait l’idée qu’il puisse exister une régression du moi : « Ce n’est pas d’un état antérieur du moi qu’il s’agit mais littéralement d’une décomposition spectrale de la fonction du moi, faisant apparaître toutes les strates d’identifications dont est constitué le moi. » (Lacan 1955, p. 228)
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Régression dans le rêve, régression temporelle et régression topique Pourquoi « régression » ? C’est par l’étude du rêve que Freud commence à parler de régression. Dès le début, il note « le caractère inexplicable d’un phénomène auquel nous n’avons fait que donner un nom ». Un choix dont il explique la pertinence par le fait que celui-ci rattache le phénomène au schéma d’un appareil psychique doué d’une direction, soulignant son caractère régrédient par rapport à la direction habituelle du processus psychologique à l’état de veille (Freud 1900a, p. 461). Cherchant à décrire les mécanismes très particuliers qui président à la formation du rêve, à son déroulement et à sa structure elle-même, il se rend compte en effet que le fonctionnement psychique dans le rêve correspond à une sorte de chemin à rebours. D’autres l’avaient depuis longtemps fait avant lui. Déjà au XIIIe siècle, Albert Le Grand parlait de régression à propos du rêve comme « un mouvement inverse de celui qui constitue des représentations à partir d’objets sensibles » (id.). Freud précise en 1914 que l’on peut distinguer trois aspects à la régression : topique, temporel et formel, ce dernier correspondant à la sommation des deux premiers (id. p. 466). Différents processus constituent ainsi les dimensions de ce retour. La régression temporelle désigne le retour du sujet à des stades dépassés de son développement : stades libidinaux, stades de la relation d’objet, et à des désirs anciens correspondant à ces stades dépassés. La théorie de la régression temporelle est enracinée dans
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une théorie du développement humain ; avec la maturation, il existe une progression selon des lois et un ordre, des structures et des organisations les moins complexes vers les structures et les organisations les plus complexes. Les stades précoces abandonnés dans le développement ne périssent jamais, mais constituent des « camps de base » comme dans une ascension, sur lesquels il est toujours possible de se replier, selon l’hypothèse que « les états primitifs peuvent toujours être réinstaurés, le psychisme primitif étant impérissable » (Freud 1915, p. 22) et ce tant pour l’individu que pour l’humanité (Laplanche et Pontalis, 1973). C’est la régression dans son aspect dynamique, dont l’utilisation correspond à un modèle de compréhension des phénomènes qui président à l’organisation symptomatique névrotique, et, partant, à la dynamique transférentielle en tant qu’elle représente la remise en jeu dans la relation thérapeutique de modes de relations anciens. C’est ce registre de la régression qui remet l’accent sur la dynamique de l’infantile, dont la mobilisation et l’explicitation se déroulent dans l’hypnoanalyse. Dans sa dimension topique, la régression évoque un retour en arrière d’un autre ordre : dans l’espace de la psyché, en considérant le registre anatomo-physiologique du système nerveux et la psyché comme une sorte d’espace défini par un modèle de fonctionnement mécanique, dans lequel l’influx nerveux circule en excitant les cellules nerveuses depuis les structures sensorielles et perceptives jusque vers les structures intégratives de pensée. « Nous appelons régression le fait que dans le rêve la représentation retourne à l’image sensorielle d’où elle est sortie un jour. » (Freud 1900a, p. 461)
La régression topique correspondrait à un mouvement « à rebours » depuis les structures de pensée vers les niveaux de perception sensorielle et imaginaire. Et dans l’hypnose comme dans le rêve, les pensées font majoritairement place à des images visuelles, des impressions auditives, kinesthésiques, ce qui s’accompagne d’un changement dans la façon dont l’expérience est organisée et mise en œuvre. Toutes ces modifications manifestent le passage des processus secondaires aux processus primaires, et comme dans le rêve, c’est cette dimension de la régression qui constitue le phénomène princeps et caractéristique de l’hypnose, même si, contrairement à ce qui se passe dans le rêve, la régression quelle que soit la facette ou le registre que l’on considère, ne concerne évidemment pas le sujet dans sa totalité. La régression structurale corrélée à la dissociation que produit l’hypnose amène à
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activer des fonctions qui, au travers des processus inconscients, sont aussi celles du rêve. Intégration, mise en scène de désirs antérieurs, apprentissage, symbolisation, qui permettent d’éclairer par exemple la fonction traumatolytique que peut avoir, comme le rêve, le travail en hypnose, car : « L’inconscient proprement dit est dans le travail d’élaboration du rêve lui-même. L’inconscient à ce niveau, c’est l’avant du langage, l’avant de l’histoire personnelle d’un sujet, et c’est aussi l’infantile, l’histoire précoce du sujet. Deux dimensions de l’archaïque qui relèvent d’ailleurs de stratégies différentes et parfois contradictoires dans la cure. » (Grignon 2002, p. 168)
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Régression dans la relation La régression n’est pas seulement, on le sait, un phénomène intrapsychique. M. Balint et d’autres à sa suite dans des registres cliniques divers ont beaucoup insisté sur ce point : c’est aussi un phénomène interpersonnel. La forme que prend la régression dépend donc en partie seulement du patient ; elle ne peut être considérée indépendamment du registre de l’interaction entre patient et thérapeute (Balint, 1961). Pour Jacques Palaci, l’être humain fait montre d’une aptitude fondamentale à des modes variés de relations et des degrés divers de régression, réactivant et répétant certains aspects des relations précoces. La régression structurale qui caractérise l’hypnose est induite, selon lui, par le fait qu’elle émerge au sein d’une relation régressive entre deux personnes. C’est la réactivation d’un stade primitif de l’évolution de la relation d’objet. La mise en œuvre de l’hypnose organise en elle-même une relation régressive : par exemple, les spécificités de la communication hypnotique, qui subvertit les règles ordinaires de la communication (Melchior 1998), réactualisent certains aspects des toutes premières relations. Réactualisation dont les conséquences seront bien sûr très différentes selon le type et la nature des traumatismes qui ont pu affecter le sujet et générer telle ou telle fixation, et qui offre un potentiel thérapeutique puissant mais de manipulation délicate, car cette régression mobilise des éléments transférentiels souvent très archaïques, et le matériel qui surgit pendant la transe n’est pas toujours facile à intégrer dans les couches conscientes. « La nature de la relation hypnotique a été considérablement éclairée par la théorie des transferts narcissiques, et nous pouvons supposer qu’il s’agit là d’un processus de réactivation de la relation d’objet narcissique préœdipienne, d’une déstructuration partielle où les limites psychiques
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entre le sujet et l’autre se confondent. Les phénomènes transférentiels narcissiques étant dus tant à la nature et à la fonction de l’induction, qu’à l’état hypnotique lui-même. » (Palaci 1991, p. 115-117)
Les différenciations entre le sujet et l’objet, entre le psychique et le somatique tendent à s’effacer. Mais si cette symbiose même partielle, en tout cas ponctuelle, avec l’autre, représente un attrait, en gratifiant un désir (conscient ou non), elle peut aussi être perçue par le sujet comme une menace pour son autonomie voire pour son intégrité. Il faut remarquer en effet que l’utilisation de l’hypnose n’est pas toujours possible, même quand elle pourrait sembler souhaitable. Il semble qu’il faille un narcissisme en assez bon état et la possibilité d’investir une relation objectale dans laquelle le lâcher prise est possible, au moins dans une certaine mesure. Quoi qu’on en dise, il s’agit de pouvoir utiliser l’autre, en l’occurrence le thérapeute, pour son bien être, même si cela doit amener à traverser bien des vicissitudes. Ce n’est parfois qu’après un long travail que l’expérience hypnotique peut parfois advenir en tant que telle. Par ailleurs, l’existence de certains traumas gravissimes ou très précoces rend l’utilisation de l’hypnose difficile, car le risque de contacter des niveaux de souffrance extrêmes empêche certains d’oser risquer un lâcher prise vécu comme bien trop dangereux. Là encore, un long détour s’impose parfois lorsqu’il apparaît que malgré son attente, tel ou tel patient ne peut expérimenter la dynamique régressive de l’hypnose. Par ailleurs, Il est certain que la relation hypnotique gratifie un désir ou un fantasme qui varie d’un sujet à l’autre. C’est aussi la recherche de cette gratification qui constitue dans un premier temps la possibilité même de recourir à l’hypnothérapie. Fantasmes et désirs qui peuvent être repérés dans les premiers entretiens et aider à déterminer le choix du mode d’induction, si même l’hypnose est indiquée ou non. Mais c’est ensuite dans le décours de la thérapie que ces fantasmes se dévoilent, en tout cas deviennent peu à peu compréhensibles au sein du contexte traumatique dans lequel ils ont pris naissance et se sont développés. Il faut tout de même pointer que si l’on parle facilement de la croyance du patient, de son attente croyante, ce qui rend la thérapie opérante c’est aussi, outre la croyance en ses références théoriques, la conviction du thérapeute qu’il y a chez le patient qu’il rencontre, quelque chose avec quoi il peut faire alliance, qui permettra de mener à bien le travail quel qu’il soit et de traverser ensemble les moments régressifs, alliance thérapeutique dont la qualité reste, au final, le garant le plus sûr du succès du processus thérapeutique (Collot, 2004, p. 2). C’est que
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dans la relation hypnotique, la régression dans ses différents registres ne concerne pas seulement le patient, dans une certaine mesure, elle concerne aussi le thérapeute. D’une part, l’induction et le déroulement de la séance, les spécificités de la communication hypnotique, amènent également une modification des paramètres physiologiques et sensoriels chez celui-ci, focalisation de l’attention, remaniements des perceptions sensorielles... D’ailleurs c’est en grande partie cette synchronicité des états de conscience du patient et du thérapeute qui permet d’accompagner le sujet dans l’expérience singulière de la séance d’hypnose. D’autre part, aux particularités du transfert spécifique à l’hypnose, répondent des configurations narcissiques précoces qui sont remobilisées dans le contre transfert : omnipotence, mégalomanie, fusion, morcellement (Palaci, 1991, p. 117) qui, si elles nous permettent d’accompagner la régression, doivent nous rendre particulièrement prudents lors de son maniement. La régression : symptôme et dynamique Dans son aspect symptomatique, la régression est un processus qu’on pourrait définir comme une inversion du sens progressif normal des événements dans l’appareil psychique. La cause en est tout ce qui peut faire obstacle au déroulement normal du développement psychique. Car l’être humain est contraint d’avancer ; s’il ne le fait pas, comme le dit F. Dolto, il stagne.
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« Et s’il stagne longtemps, il recule dans son histoire, il régresse à des modalités libidinales passées. »
La conséquence sur le plan clinique peut être une forme particulière de gratification pulsionnelle, comme une hallucination ou un rêve, une forme spécifique de comportement, ce peut être enfin une répétition, dont le principal exemple est le transfert en général (Balint, 1968). Car les traumas obligent un sujet, pour survivre, à retourner dans son histoire, à l’époque d’avant les conséquences du trauma (Dolto, 1997). Ce peut être le retour à des niveaux d’acquisition antérieure, l’apparition d’un symptôme ou d’un comportement symptomatique qui amène à remettre en place un mode de relation marqué par la dépendance... Sur le plan clinique donc, la régression correspond à un mécanisme de défense, à un facteur pathogène et c’est aussi parfois une puissante forme de résistance à la thérapie. C’est ce qui en rend le maniement si difficile. D’autant plus avec l’hypnothérapie, où la régression-résistance peut se manifester
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sous la forme d’un enlisement dans des séances à l’infini, voire une hystérisation de celles-ci. Mais c’est aussi un facteur thérapeutique fondamental et c’est cette dimension qui a été comprise comme une capacité remarquable de certains individus mise au service de la recherche de la guérison, par Ferenczi et par d’autres auteurs après lui, Balint, Winnicott et Dolto parmi les plus connus. Car cette tendance « pathologique » de certaines structures à réactualiser d’anciennes modalités relationnelles est utilisée dans la relation thérapeutique et peut faire ainsi partie intégrante du processus de guérison. Formidable potentialité de l’humain à réactualiser, mettre à jour ce qui l’avait empêché de continuer à se développer harmonieusement, pour réussir finalement dans certains cas, les passages empêchés. La régression est alors considérée comme un processus dynamique qui vise à protéger l’intégrité subjective lorsqu’une situation traumatique interdit la poursuite des acquisitions relationnelles, « un processus sain de repli nécessaire à la conservation de sa santé à un moment donné ». Régression du sujet à une image inconsciente du corps restée suffisamment narcissique pour qu’il survive, mais qu’il n’arrive pas à dépasser. F. Dolto va jusqu’à comprendre la régression symptomatique comme solution dans certaines circonstances. Mais la régression, nous dit-elle encore, s’accompagne de virtualités progressives potentielles intactes car la désorganisation est réversible (Dolto, 1997, p. 23) puisque c’est au niveau du ressenti qu’opère la régression dont il s’agit. C’est ce qui apparaît en effet, le retour vers des modalités d’existence inadaptées et dommageables, contient en soi la possibilité d’une nouvelle avancée. Certes, si la nécessité qu’elle s’appuie sur une aide extérieure rend cette avancée plus aléatoire, elle n’en reste pas moins une réalité potentielle. Que survienne la rencontre entre le sujet souffrant et un autre capable d’entendre cette souffrance et de l’accompagner, « les virtualités progressives potentielles » peuvent alors s’activer et permettre au sujet de redémarrer le processus d’évolution entravé. Il faut néanmoins prendre en compte le fait que certains patients, certaines structures, ont spontanément tendance à régresser dans la relation thérapeutique et d’autres pas. La régression est parfois le symptôme lui-même, extrême vulnérabilité dans la relation à une figure d’autorité, dans certaines structures névrotiques par exemple. Des patients moins souffrants peuvent expérimenter une relation qui leur permet d’utiliser le cadre des séances d’hypnose pour un travail cathartique et retrouver les situations anciennes qui ont pu contribuer à générer leurs difficultés présentes. Ils peuvent se servir de ce matériel pour une élaboration qui se fait presque spontanément, utilisant le cadre des séances où la
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régression se déroule à son rythme sans qu’il soit besoin d’un travail centré directement sur la relation à la personne du thérapeute. Il est possible à ces sujets de jouer souplement avec différents niveaux de relation, de parvenir à utiliser une relation d’aide sans que celle-ci soit l’enjeu de systèmes défensifs conflictuels. Alors que dans certains cas le problème n’est pas tant d’organiser la régression que d’en sortir, de permettre progressivement au patient d’expérimenter une relation adulte.
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Régression implicite et explicite On parle de régression explicite par exemple, dans les inductions de régression d’âge parce que l’on propose directement et explicitement au patient de « retourner en arrière », remonter le temps dans son histoire en utilisant des suggestions spécifiquement orientées. La notion de régression implicite renvoie quant à elle, à l’idée de régression dans la relation thérapeutique. C’est la dimension transférentielle. La manière dont le patient va se situer par rapport au thérapeute/figure d’autorité voire de pouvoir, qui dépend de sa problématique et de ce qui se trouve réactivé de ses relations objectales d’enfant. C’est aussi la position du thérapeute, position qu’il prend dans la relation, subtiles nuances de sa façon de conduire les séances, d’occuper ou non une position directive, son empathie. Tout ce qui va faire de lui un bon support de projection pour le patient. Ainsi, c’est toute la dynamique contre transférentielle, qui va permettre d’accompagner la régression et qui se développe au décours de la thérapie directement dans la relation. Pendant les séances elles-mêmes, la manière de conduire la séance, les intonations, les termes utilisés dans l’induction et la séance induisent la dynamique régressive sans qu’il soit besoin de l’expliciter. Il est certain que même sans suggestion explicite de régression, celle-ci est permise et organisée implicitement par différents mécanismes. Différents processus qui peuvent intervenir seuls ou en se renforçant les uns les autres. Tout d’abord par la réorganisation du contexte sensoriel actuel, réorganisation temporaire, par la remise en jeu de données sensorielles et psychiques inscrites il y a longtemps, que l’utilisation de l’hypnose provoque forcément d’une manière ou d’une autre. Toutes les techniques directement corporelles par exemple, (utilisant la relaxation d’une manière ou d’une autre, les techniques respiratoires...) agissent spécifiquement sur des paramètres physiologiques et sensoriels. Elles amènent parfois à solliciter les limites des organisations corporelles défensives, principalement les tensions musculaires et les limitations respiratoires. De la sorte, elles favorisent le surgissement d’éprouvés qui demeurent inscrits dans le corps, pour certains depuis le tout début de la vie, sous la forme de
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traces mnésiques corporelles qui ne sont pas reliées à des représentations conscientes. Ces éprouvés peuvent n’être reliés seulement qu’à des représentations inconscientes. Ils peuvent aussi n’être reliés à aucune représentation et constituer les seules traces d’expériences traumatiques dont l’excès sensoriel même a provoqué un clivage, ou une sidération qui a annihilé toute possibilité d’intégrer les représentations liées aux faits. Prendre conscience de tel ou tel ressenti corporel renvoie ainsi aux moments où ceux ci se sont inscrits. Les dimensions de ce « renvoi » sont celles de la régression elle-même, évocation voire réactualisation dans la relation hypnotique d’événements et d’affects liés à ces ressentis. D’autre part, l’intonation du thérapeute pendant l’induction mais aussi pendant tout le temps de la séance où la voix est modulée en fonction de ce qui surgit pour le patient et de l’accompagnement que l’on effectue, contribue à organiser ou non un climat propice à la régression et tisse une atmosphère affective particulière autour du patient. Un mot prononcé, suggéré avec une certaine intonation renvoyant inconsciemment à tel ou tel éprouvé dans l’atmosphère particulière d’une période du vécu infantile, ou à des schémas de positionnement subjectif archaïques. « En dissociant en partie voix et langage oralisé adressé, le phénomène hypnotique favorise un fonctionnement qui précède l’interrogation du soi réfléchi. Servant ainsi de vecteur pour activer un fonctionnement psychique mis en sourdine dans la vie courante. » (Santiago-Delefosse, 1998)
Se laisser ainsi porter, guider, voire parler par un autre, réactive ce qui n’a existé que dans les premières années de notre existence, dans la première enfance, et réalise une expérience en elle-même régressive. Ce handling, pour reprendre les termes de Winnicott, accompagne le holding réalisé concrètement par le divan ou le fauteuil sur lequel se trouve le patient, et symboliquement par l’attention, la voix, l’attitude. Expérience de régression dans un transfert archaïque, à une expérience structurante de portage, holding à la fois réel et symbolique qui ouvrirait un accès plus direct à l’imaginaire et au fantasme. Cette voix modulée par l’empathie qui signifie la reconnaissance et l’accueil de l’affect et ouvre l’espace à l’expression de la souffrance. C’est enfin le cadre qui participe à l’induction de la régression : l’organisation du cabinet, le dispositif (fauteuil, divan). L’atmosphère feutrée, calme, la répétition du rituel des séances, la position allongée ou en tout cas confortable, l’attention focalisée sur son vécu intérieur, amènent une réorganisation sensorielle et participent à la création d’une expérience de soi et de l’environnement totalement différente. Même en
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ce qui concerne les séances de régression en âge, régression explicite et implicite s’intriquent et interagissent dans une dialectique propre à la dynamique du travail thérapeutique et il est bien probable que ce travail ne soit opérant que dans la mesure où la dimension de régression implicite est présente. Lorsque ce n’est pas le cas, on peut toujours faire des suggestions de régression d’âge, les séances restent plates, anecdotiques, sans émergence d’affect et bien souvent sans effet thérapeutique. C’est ce qui distingue sans doute le plus cadre expérimental et thérapeutique. Évocation n’est pas actualisation. C’est bien parce que la relation thérapeutique, quand elle réussit, accueille aussi la dynamique régressive, que devient possible le surgissement de toute la dimension affective et émotionnelle qui distingue les deux. Un autre des aspects implicites de la régression est que nombre de patients viennent à nous avec l’idée que la guérison passe forcément par la découverte d’un événement oublié du passé dont tout dépend. Il y aurait une explication univoque et accessible dont la découverte suffirait à faire disparaître les symptômes. Or l’idée que guérir, c’est régresser, faire retour au point d’origine pour ensuite renaître, est discutable car la question de l’existence d’un point d’origine auquel il faudrait retourner se heurte à plusieurs écueils : existe-t-il vraiment un point d’origine et quelle en serait la nature ? Ne s’agirait-il pas plutôt de découvrir un sens originaire ? D’autre part, peut-on réellement parler d’un retour ? La clinique nous démontre chaque jour que, plutôt qu’un point d’origine traumatique, c’est pour un individu donné un ensemble d’expériences traumatiques agglomérées entre elles par les théories infantiles élaborées au fur et à mesure du développement, qui ont entravé sa dynamique vitale et qu’il s’agit de surmonter. Ce ne sont pas seulement les souvenirs traumatiques qu’il faut découvrir, mais aussi toutes les stratégies d’évitement qui contribuent parfois de façon puissante et durable à empêcher les traversées structurantes, obligées, qui seules permettront au sujet de rencontrer, d’éprouver la force de certaines de ses ressources vitales. Il ne s’agit pas seulement de permettre la reconnaissance et l’accueil de sa souffrance par le sujet, ce qui déjà ne va pas de soi, mais encore qu’il devienne en mesure d’affronter les épreuves inhérentes à l’existence humaine. La reconnaissance et l’élaboration des traumatismes font partie intégrante du travail psychothérapique, mais n’en constitue pas la totalité. Le champ d’expériences nouveau que constituent la relation thérapeutique et la possibilité de l’utiliser pour dépasser les limites relationnelles imposées par la dynamique symptomatique, en sont une dimension essentielle. Cette dimension de la thérapie correspond au travail de symbolisation et aussi de « réparation
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symbolique » que permet l’hypnothérapie. Quant au retour en arrière, c’est une figure de style ; impossible de voyager dans le temps. C’est bien plutôt par la remise en scène des éprouvés restés en souffrance, l’actualisation des affects réprouvés et parce qu’ils sont enfin écoutés et entendus que ceux-ci peuvent trouver à s’intégrer à l’expérience, être pensés, et qu’ils peuvent ainsi être enfin dépassés. Régression en âge : techniques et applications Les techniques de régression en âge sont les techniques d’induction hypnotique qui visent expressément à susciter l’évocation par le patient, de périodes de sa vie antérieures au présent. Les souvenirs peuvent se présenter sous une forme ou sous une autre. Plus ou moins complets, images, sensations, éprouvés corporels, positions du corps, ou encore hallucinations sensorielles (odeur, couleur, bruits...) plus ou moins accompagnés d’affect. Évocation qui peut se produire aux différents temps de la séance, lors de l’induction hypnotique ou pendant la séance proprement dite. Le temps de l’induction est en effet particulièrement propice, moment où seul le thérapeute parle et enveloppe le sujet dans une ambiance affective très spécifique. Les suggestions de régression que nous allons détailler induisent bien sûr, par elles-mêmes le surgissement du souvenir, c’est délibérément que patient et thérapeute cherchent à susciter l’évocation du passé, mais cela peut se produire par le seul fait d’expérimenter l’état hypnotique : c’est aussi de façon implicite que peut se trouver induite une régression plus ou moins intense. En dehors du contexte spécifique des séances de régression d’âge proprement dites, n’importe quelle séance d’hypnose peut amener, comme on l’a vu plus haut, le surgissement de tout un matériel plus ou moins archaïque et se trouver le théâtre d’un moment régressif tout à fait particulier. Là encore ce peut être au décours de l’induction mais aussi à n’importe quel moment de la séance. Tel ou tel élément fait soudain surgir un matériel parfois très chargé d’émotion, qui détourne alors vers la catharsis le travail en train de se faire sur un autre mode. C’est donc très spontanément que cette régression en âge peut ainsi survenir au cours de la thérapie, comme elle peut être induite volontairement par le thérapeute à un moment particulier du travail thérapeutique. Mais de toute façon il est à noter que l’utilisation des techniques de régression d’âge est le plus souvent ponctuelle. Chaque séance amenant un matériel dont la richesse et l’impact sur le patient vont nécessiter son élaboration au cours d’entretiens ou de séances différentes. C’est parfois d’ailleurs une unique séance de ce genre qui interviendra au cours de toute la durée d’une psychothérapie.
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Il arrive assez souvent que la demande de ce genre de séance vienne des patients eux-mêmes, qui souhaitent essayer de découvrir l’origine de tel ou tel vécu symptomatique ou au contraire réactualiser des potentialités qu’ils estiment pouvoir retrouver, réactiver par ce moyen. Il arrive même que nous soient adressées des demandes fantaisistes : on a perdu ou égaré un bijou ou tel ou tel objet précieux trop bien rangé avant de partir en vacances, ou plus inquiétantes, évoquant des troubles paranoïaques, sur des revendications ou des éléments persécutifs : « Je suis sûr que ma femme m’a trompé, elle est d’accord pour faire une séance d’hypnose en ma présence et savoir si oui ou non, elle l’a réellement fait. » S’il peut être amusant de suivre le processus qui amène à retrouver des souvenirs précis dans le premier cas, on ne peut qu’insister sur le danger qu’il y aurait à répondre à des demandes qui évoquent une pathologie psychiatrique lourde ou au moins de graves dysfonctionnements et doivent plutôt amener à diriger le patient lorsque c’est possible vers une prise en charge plus adaptée. Différents types d’induction Il existe toutes sortes de techniques spécifiquement axées sur la régression en âge, directement ou indirectement, de façon explicite ou implicite. Les quelques exemples qui suivent représentent des canevas d’induction classiques qu’il est possible de développer selon l’approche particulière à chacun et la singularité du patient.
Suggérer directement la régression
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En utilisant des suggestions très générales, par exemple : S UGGESTIONS GÉNÉRALES « Dès l’instant où les paupières se fermeront, vous commencerez à expérimenter un état de conscience différent qui vous permettra de retourner dans le passé... à votre rythme... une partie de vous sait... dans quelle histoire ancienne se trouvent les éléments dont la connaissance vous aidera peut-être à vous libérer... Il se peut que vous retrouviez une ou plusieurs situations que vous connaissez et dont vous vous souvenez déjà, ou pas. Et dont certains éléments ont pu vous paraître sans importance. Ou... très importants et vous avez pu ne pas avoir eu envie de vous les rappeler ou envie de ne pas oublier et que vous avez oublié sans le vouloir vraiment... laissez venir ce que vous êtes prêt à laisser remonter à votre conscience sous quelque forme que ce soit. »
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En utilisant des suggestions directement orientées qui précisent le moment, la période, l’événement à « retrouver » : S UGGESTIONS ORIENTÉES « Vous allez directement retrouver le premier jour de votre rentrée scolaire, lorsque vous êtes entré au CP ou... en 6e . » Ou encore : « Allez retrouver ce rêve ou cauchemar que vous faites, à certaines périodes, depuis que vous êtes petit. »
Il est possible aussi de se servir de métaphores comme celle de l’escalier. M ÉTAPHORE DE L’ ESCALIER « Je vous propose d’aller au pays de votre vie en passant par un escalier qui descend, chaque marche correspondra à une année de moins dans votre vie, à partir de votre âge actuel. À chacune des marches sur lesquelles vos pieds se poseront, vous expérimenterez un état hypnotique plus profond, vous pourrez vous arrêter sur chacune des marches, y rester le temps que vous sentirez nécessaire d’y rester, pour laisser émerger, le, ou l’ensemble de souvenir(s) de cette année-là. Vous pourrez également vous surprendre à descendre rapidement l’escalier et à vous arrêter sur une marche particulière, correspondant à une année importante de votre vie et entrer spontanément dans le(s) souvenir(s), agréables ou non... tout est possible... Comme il se peut que vous vous surpreniez à dévaler les marches deux à deux à un moment, comme vous le faisiez enfant... ou bien, pour éviter certaines années... sur lesquelles vous ne souhaitez pas vous arrêter... en sachant pourquoi ou pas, vous remarquerez, et peut-être qu’au retour, vous oserez vous y arrêter, si vous êtes prêt(e)... vous vous souviendrez... au retour... de ces marches sur lesquelles vous ne vous serez pas arrêtés(es)... et peut-être que vous comprendrez pourquoi vous n’avez pas pu vous arrêter à ces années-là... à l’aller... comme au retour... et que vous saurez y retourner et vous y arrêter, un peu plus tard ou dans quelques jours ou quelques semaines... peu importe... ce qui est important, c’est que vous pouvez aller aujourd’hui là où vous le pouvez, comme vous le souhaitez... maintenant... êtes-vous prêt(e) ?... Laissez se présenter à vous cet escalier et quand il se présentera à vous, décrivez-le... vous commencez à vous engager... à poser le pied sur la première marche... et vous pensez à vos (X ans). »
On accompagne ainsi le patient, marche après marche, en lui proposant de parler de ce qui se présente à lui ou bien en lui demandant de signaler par un mouvement (du doigt le plus souvent) si quelque chose se passe.
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En repérant les particularités de ce voyage, les années « sautées », celles auxquelles le patient ne s’est pas arrêté... Dans ce type de séance, revenir à l’état de conscience de veille habituel peut se faire tout à fait spontanément : On peut aussi lui proposer de remonter les marches, à son rythme, et ce moment peut constituer une occasion de continuer le travail entrepris, voire d’approfondir l’état hypnotique, en demandant par exemple au patient d’essayer de se poser sur les marches sur lesquelles il n’avait pas pu s’arrêter, jusqu’à rejoindre la marche de départ correspondant à son âge actuel, à la date du jour de la séance. Enfin on peut suggérer de remonter l’escalier, à son rythme, pour rejoindre la marche de départ, lui suggérant au passage, qu’il peut prendre conscience, au retour, de quelque chose qui lui a échappé à l’aller. Lorsqu’il se sera retrouvé au point de départ, c’est cela qui le fera ressortir de l’état d’hypnose dans lequel il se trouve, quel que soit le degré de profondeur de l’état hypnotique. Selon les cas il peut être intéressant de proposer, en guise de suggestion post-hypnotique, de « vous souvenir en ouvrant les yeux que de ce qu’il est bon et important pour vous de vous rappeler » ou bien : « Vous pourrez ouvrir les yeux sur quelque chose qu’il peut être important pour vous de découvrir ou de revoir. » Avec cette technique de l’escalier, on peut proposer de procéder par paliers et par exemple découvrir une surprise sur le palier. Le patient peut emmener sa surprise avec lui après l’avoir découverte ou bien la laisser sur place en sachant qu’il a laissé là, quelque chose qu’il n’a pas eu envie de découvrir tout de suite ou n’est pas prêt à voir. Une autre métaphore classique est celle du chemin qui permet de jouer avec les différents temps : futur, présent, passé. On peut « faire comme si » on allait vers un futur pour y effectuer un travail en rapport avec le présent et laisser la possibilité au passé de se manifester. M ÉTAPHORE DU CHEMIN « Je vous propose de laisser se présenter à vous, un chemin... Pas n’importe quel chemin, celui de votre évolution personnelle... Chemin connu ou inconnu de vous... imaginaire peut-être... peu importe. » (On prend le temps de laisser se former une image, une représentation de ce « chemin ».) Ce chemin est-il engageant ? Que voyez-vous ?... Laissez se promener votre regard... devant... autour... Où en êtes-vous ? Et vous pouvez imaginer qu’à chaque pas que vous faites, vous laissez derrière vous, sous vos pas... une partie des choses qui vous encombraient et vous encombrent encore dans votre quotidien... n’importe quelle chose... bien sûr, cela n’est pas forcément n’importe quoi... comment cela se passe-t-il ?...
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☞ À chaque pas vous gagnez en sûreté, en aisance et tandis que vous vous sentez de plus en plus à l’aise et prenez de plus en plus de plaisir à aller sur ce chemin de votre évolution, vous pouvez prendre conscience de nouvelles pensées, de nouveaux sentiments, des représentations de vous-même différentes... tel que vous aimeriez être... dans quelque temps... (On laisse passer du temps...) Et tandis que vous allez, de plus en plus relaxé... avec une confiance en vous grandissante, vous pouvez laisser se présenter à vous, un des obstacles que vous êtes prêt(e) à dépasser...
On peut aussi utiliser un nuage ou un tapis volant, stimuler ainsi l’imaginaire infantile en utilisant des symboles inscrits dans le patrimoine culturel d’histoires et de contes : M ÉTAPHORE DU NUAGE MAGIQUE Dans un moment, un nuage magique va venir à votre rencontre et se poser à vos pieds afin que vous l’empruntiez pour survoler votre vie. Il sera complètement à votre service et ira à la vitesse qui vous convient, celle qui est bonne pour vous. Vous pourrez le diriger volontairement, le faire aller et revenir, descendre un peu, ou beaucoup, pour voir de plus près certaines périodes, certaines histoires. Peut-être même aurez-vous envie d’aller visiter certains endroits juste pour le plaisir. Vous ferez comme vous voudrez, comme vous le pourrez aujourd’hui. Si vous le souhaitez, à certains moments, vous me direz où vous en êtes, et si vous en avez besoin, je pourrai vous aider à mieux traverser certains passages, à dépasser certaines peurs... êtes-vous prêt(e) ?...
Ou entraîner le patient à aller visiter un jardin, connu ou inconnu.
Suggérer indirectement la régression En évoquant par exemple les touts premiers apprentissages : après quelques suggestions directes (en rapport avec la problématique du patient), évoquer l’histoire ancienne, les apprentissages communs à tous les humains, peut constituer une induction en soi. En vue de faire retrouver des souvenirs d’enfance d’une manière indirecte, ou bien en faisant appel aux anciennes réussites, pour amener le patient à reprendre contact avec des potentialités de base, qui ont toujours été sollicitées et stimuler ainsi la confiance et l’estime de soi. On peut par exemple évoquer l’histoire ancienne du patient dans ses aspects universels, les apprentissages par lesquels nous passons tous, lui permettant de réaliser qu’il a toujours été en apprentissage et qu’il a
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toujours plus ou moins su retenir l’essentiel. Il peut donc faire davantage confiance à ses propres capacités.
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É VOCATION DES PREMIERS APPRENTISSAGES « Je ne sais pas si vous vous souvenez de vos premiers pas... lorsque vous étiez tout petit... sans doute ne vous en souvenez-vous pas... il y a si longtemps !... de la première fois où l’on vous tenait... peut-être par les mains... devant vous... ou. derrière vous... peut-être que c’était votre mère... ou... votre père... ou, quelqu’un d’autre. Je ne sais pas... vous non plus sans doute !... Est-ce que vous vous en souvenez ?... Mais, cela n’a pas beaucoup d’importance. Imaginez combien il vous a fallu faire d’efforts pour... lever un pied et tenir en équilibre sur l’autre jambe, même si l’on vous tenait, peut-être aviez-vous très peur de tomber, peut-être pas... Vous aviez peut-être peur et confiance à la fois... Et puis ensuite, vous avez réussi à tenir en équilibre sur l’autre jambe et. progressivement, vous avez pris confiance... confiance en le fait que vous pouviez tenir en équilibre de plus en plus longtemps... Et, vous n’aviez pas conscience de tout ce que vous étiez en train d’apprendre... Combien de fois, êtes vous tombé(e) ?... relevé(e)... retombé(e) ?... À chaque fois, vous vous releviez, une seule chose vous intéressait... à ce moment-là... l’objectif et... quelque chose vous poussait à recommencer... l’envie de réussir était là, plus forte au fur et à mesure que vous ressentiez que vous alliez réussir... Vous ne vous souvenez pas de ces joies, ces rires aux éclats, on vous applaudissait... Et vous vous applaudissiez... Vous aviez réussi... Et ensuite, vous vouliez aller plus loin... tout(e) seul(e)... sans aide aucune... Et puis petit à petit, vous vous êtes mis(e) à courir... quel bonheur malgré les difficultés rencontrées... Pendant ce temps la confiance augmentait... la hardiesse aussi... Et puis... un peu plus tard... je ne sais pas si vous vous souvenez... quand vous avez appris à faire des boucles pour lacer vos chaussures ? Toutes les difficultés rencontrées pour maintenir avec l’index, bien serré, le début du premier nœud... tout en commençant à former la première boucle ... Peut-être vous rappelez-vous cela ?... Puis un jour, sans vraiment vous en rendre compte, vous vous êtes rendu compte que vous pouviez faire les boucles de vos lacets tout en regardant ailleurs, en étant même occupé(e) à parler... et... vos mains, vos doigts, faisaient... sans que vous ayez à vous soucier de quoique ce soit... Et il en va de même pour tout... Au début, cela ne paraît pas facile... et puis, progressivement, cela le devient... et en ce moment-même, il est des choses que vous êtes en train d’apprendre, que vous savez... et d’autres dont vous ignorez que vous êtes en train de les apprendre, mais une partie de vous apprend... à votre insu des choses. et... plus tard... je ne sais pas quand... vous vous surprendrez à faire ces choses que vous ne saviez pas avoir apprises... C’est comme lorsque vous avez commencé à apprendre à lire... Est-ce que vous vous souvenez des difficultés rencontrées ? Tout cela est bien
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☞ loin mais... cela est quelque part, et une partie de vous peut se rappeler... peut-être pas maintenant, mais un peu plus tard, nous ne le savons pas... et cela... n’a pas beaucoup d’importance de savoir dans combien de temps vous allez pouvoir vous en souvenir. Aimeriez-vous laisser revenir les souvenirs d’une période ou vous étiez en train d’apprendre quelque chose de particulier ?
Abord corporel On peut aussi utiliser un abord corporel : en se servant par exemple du mouvement des bras que l’on peut associer à des suggestions de retour en arrière, l’inconscient « guidant » le processus. Proposer au patient de lever les bras en V au-dessus de sa tête et de sentir le moment où ils se feront plus lourds et les laisser, à partir de ce moment, descendre se poser sur telle ou telle partie du corps. On peut aussi suggérer qu’au moment où les bras se poseront, le patient retrouvera telle ou telle époque de sa vie. C’est une technique qui peut aussi être utilisée de manière à susciter directement la régression par la réactualisation d’affects liés à certains mouvements du corps car ce positionnement des bras évoque directement le fait de tendre les bras vers quelque chose ou quelqu’un. La respiration peut être utilisée pour induire le retour dans le passé : on peut se servir des différents temps respiratoires de façon métaphorique ou comme autant de paliers, d’étapes dans ce voyage à rebours. Par exemple : U TILISATION DE LA RESPIRATION « À chaque inspiration il remonte du fond de vous, avec l’air, une partie des choses qui vous encombrent et dont vous souhaitez vous libérer... certaines choses vous encombrent que vous connaissez et d’autres auxquelles vous ne pensez pas... peuvent se présenter, comme ça, sans que vous vous y attendiez... parce que... sans le savoir, vous êtes prêt(e)à vous en libérer. Et... à chaque expiration, vous expulsez à l’extérieur de vous, une partie de ce qui vous empêchait d’être bien... » Ou encore : « Chaque inspiration vous amène un peu plus loin en arrière, vous ramène vers les situations ou les événements qu’il est important que vous rencontriez à nouveau... »
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Le contexte de l’intervention. Exemples cliniques Outre le cas où l’on décide d’utiliser la régression en âge dans le décours de l’hypnothérapie, la demande peut en être faite directement par le patient ou par un autre thérapeute et le choix d’utiliser ce type de travail peut répondre à plusieurs aspects de la demande. Dans certains cas, c’est un patient qui vient demander très précisément à faire un travail ponctuel axé sur la régression en âge, soit parce que le début des troubles est bien repéré dans le temps, soit parce que les informations lues ou entendues à ce propos ont renforcé une croyance en la vertu thérapeutique de la catharsis : « Si je trouve l’origine de mon symptôme, je guérirai. » C’est l’idée que la régression est la clé de la guérison ou tout au moins, l’ouverture sur la compréhension d’un symptôme ou d’une souffrance. Souffrance, conflits intérieurs devenus insupportables, amènent souvent à imaginer le « le coup de baguette magique » fantasme du « miracle » produit par la reviviscence de la situation traumatique. Attente croyante qui parfois amène le résultat espéré. Il arrive aussi que tel ou tel thérapeute envoie un patient pour des séances ponctuelles directement axées sur la régression, un changement total de cadre et de technique permettant dans certains cas de relancer un travail psychothérapique engagé ailleurs. Le fait de savoir que le patient dispose d’un espace d’écoute où le matériel amené par les séances d’hypnose pourra être élaboré, permet d’ailleurs une liberté souvent bénéfique pour le patient comme pour les thérapeutes. Ce qui rend très utile la mise en place de ce travail en parallèle avec d’autres types de prises en charge. Car certaines fois, le travail symptomatique qui nous est demandé ponctuellement débouche sur des niveaux plus profonds et mobilise des registres bien différents de ce qui était attendu. Ainsi cet exemple à propos d’une femme qui souhaitait faire quelques séances d’hypnose pour arrêter de fumer. Femme souhaitant arrêter de fumer Après la deuxième séance, il ne lui restait à se dégager que des quelques cigarettes « plaisir » restantes. Lors de la troisième et supposée dernière séance, pour aborder la question de la dépendance tabagique, je lui propose de s’engager sur le « chemin de la délivrance ». J’omets, volontairement d’ajouter « du tabac », quelque chose me faisant agir en ce sens. Sa respiration s’accélère. Elle me dit qu’une angoisse monte, qu’elle voit une barrière ouverte devant elle, dans le pré dans lequel elle se trouve. Elle ne voit rien de particulier devant elle mais elle ne peut pas franchir cette barrière. Je lui propose de laisser venir à elle l’idée de quelque chose ou de quelqu’un qui pourrait l’aider. Rien ne se présentant, je lui propose d’imaginer
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qu’elle tient ma main pour l’aider à traverser cette barrière afin d’entrer dans cet autre pré qui lui paraît si agréable. La consigne est de me serrer la main aussi fort qu’elle en aura besoin pour aller au-delà de la barrière et de sa peur et de la lâcher quand elle se sentira hors de danger. Ce qu’elle fit. Une fois apaisée, il me vint à l’esprit de lui demander de se retourner pour voir ce qui avait pu lui faire si peur, ce qu’elle fit. Et là, elle ouvrit spontanément les yeux et dit qu’elle voyait ce qui l’avait toujours arrêtée dans son travail psychothérapique : « Je ne pouvais pas aller plus loin, maintenant, je comprends pourquoi ! » Ne connaissant pas son histoire, je l’ai invitée à reprendre la thérapie interrompue une année auparavant avec son analyste car elle était satisfaite du travail qu’ils faisaient ensemble. Nous n’avons pas reparlé du tabac et n’avons pas été plus loin ensemble.
Dans ce cas particulier, la régression n’a été suggérée que très indirectement dans le cours de la séance par le thérapeute qui a proposé à la patiente de se retourner pour découvrir ce qui pouvait générer la peur survenue dans la séance à un moment bien spécifique. Et ceci n’a sans doute pu se produire que parce que l’accompagnement du thérapeute est resté ouvert en rebondissant sur un signifiant à multiples facettes. Il semble que cette patiente ait pu ainsi prendre conscience d’une tout autre dépendance derrière le niveau explicite de sa demande, formulée par rapport au tabac. Le travail autour de « la barrière » n’a sans doute été possible que parce que le thérapeute a pu prendre en compte son intuition de ne pas prononcer le mot « cigarette ». Dans l’exemple qui suit, c’est après la fin d’une psychothérapie de plusieurs années que la patiente a souhaité une séance d’hypnose axée sur la régression. Cas d’une levée d’amnésie en cours de séance Cette femme de 49 ans voulait essayer de retrouver des souvenirs concernant une année précise de sa vie, l’année de ses 35 ans, qu’elle, pour différentes raisons, pensait avoir été cruciale dans l’évolution de certains aspects de sa vie. De cette année précise, plusieurs personnes de son entourage lui auraient fait remarquer qu’elle ne parlait jamais. Elle pensait occulter quelque chose d’important, qu’elle ne serait pas parvenue à éclaircir malgré les années de travail psychothérapique, car depuis cette époque elle était devenue une « spécialiste des accidents » selon ses propres termes, c’est-à-dire qu’une ou deux fois par an, elle faisait une chute entraînant une fracture ou avait un accident de voiture plus ou moins grave. Déjà bien entraînée par sa pratique de la sophrologie et de l’auto-hypnose, elle n’a pas eu de difficulté à expérimenter l’état de conscience « dans lequel elle serait à même de retrouver les souvenirs de cette année-là » comme il lui a été proposé de le faire pendant l’induction. À la fin de la séance, elle semblait très surprise de sa découverte et a simplement dit « Je sais » mais sans
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souhaiter parler de ce qu’elle avait contacté. Lorsqu’elle revint quelques jours plus tard, comme convenu, elle semblait ravie de dire qu’elle avait retrouvé les souvenirs occultés de cette douloureuse année où elle quitta sa mère pour vivre sa vie de femme, en dehors des règles familiales, expliquant qu’elle avait compris avoir payé finalement très cher, la liberté qu’elle s’était accordée. La culpabilité de ses « transgressions » avait été totalement agie dans ces accidents à répétition dont elle semblait seulement comprendre à ce moment l’importance et le sens.
Cet exemple est intéressant à double titre : c’est une intervention très ponctuelle pour laquelle on peut penser que la régression qu’elle concerne est totalement circonscrite à sa dimension structurale. Aucun besoin pour cette patiente qui l’avait probablement déjà vécu dans son travail thérapeutique antérieur de régresser dans la relation avec le thérapeute. Elle est venue avec une demande précise et n’a utilisé le thérapeute que d’une façon très instrumentalisée, qui justement signait un positionnement subjectif adulte. Par ailleurs en ce qui concerne le travail psychothérapique lui-même, il serait tout à fait surprenant que la question de la culpabilité n’ait pas été abordée et élaborée pendant sa thérapie autour de ces accidents à répétition, alors que celle-ci a démarré justement autour de cette période charnière où la patiente a pu quitter sa famille d’origine. Comment comprendre alors la place d’une intervention ponctuelle avec l’hypnose, qui apparaît dans son discours comme ayant seule permis une prise de conscience qui n’avait pas eu lieu jusqu’alors ? On peut se demander si les remaniements structuraux qui continuent à se produire ou du moins à s’installer durablement après la fin de la thérapie, n’ont pas à la fois permis et provoqué la nécessité de jouer ailleurs une appropriation toute particulière de sa capacité à symboliser la mise en acte destructrice à l’œuvre dans les accidents. C’est hors du champ transférentiel avec son psychothérapeute qu’a pu survenir une prise de conscience salvatrice, dans un transfert organisé sur un tout autre mode avec l’hypnothérapeute, qu’a pu se dire la dimension mortifère de la relation à la mère, du sacrifice repéré comme règle familiale, qu’a pu se produire la remémoration des souvenirs occultés par ce savoir. On peut aussi penser que la levée du symptôme que permet l’hypnose au travers du travail cathartique, ne pouvait survenir pour cette patiente qu’après un long processus thérapeutique. Et peut-être aussi parce que l’expérience de l’hypnose ne pouvait advenir en tant que relation fusionnelle, qu’après celui-ci. Le questionnement reste ouvert. Dans d’autres cas, la régression en âge survient dans le décours de la psychothérapie, sans que pour autant elle en constitue la technique essentielle, voire sans se situer dans le registre d’une hypnothérapie, le
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recours à l’hypnose se faisant spontanément et ponctuellement lorsque le thérapeute parvient à percevoir le langage symptomatique, si particulier tant sur le plan de sa structure que de l’intonation avec laquelle il est énoncé, et à s’y accorder. L’homme qui avait perdu sa fille M. Y 61 ans est venu il y a quelques années avec une demande d’aide ponctuelle, me disant que depuis quelque temps, il était aux prises avec des difficultés relationnelles qui compromettaient la fin de sa carrière professionnelle. Le travail thérapeutique s’est engagé sur le mode d’une psychothérapie de soutien. Au bout de plusieurs mois, des plaintes concernant ses troubles somatiques, dont il n’avait jusqu’alors pas parlé, devinrent insistantes et répétitives, il souffrait à nouveau beaucoup. Le bilan médical avait établi le diagnostic de colopathie fonctionnelle il y a plus de 20 ans. M. Y était très régulièrement surveillé. Cette histoire de troubles intestinaux était repérée par lui comme séquelle de sa vie en Afrique pendant les 5 ans où il y avait fait de nombreux séjours au début de sa vie professionnelle et ne lui avait jamais paru significative. Pourtant depuis quelque temps, les douleurs étaient à nouveaux très gênantes et la plainte à leur propos occupait une plus grande partie des séances. Lors de l’une d’elles, je lui ai proposé de s’occuper de « ce qui faisait tant de mal à son ventre ». À sa grande surprise, le patient a associé cette douleur lancinante à la mort de sa première fille survenue accidentellement à l’âge de 2 ans alors qu’il en avait 32. Il a exprimé pendant plusieurs séances une intense émotion qui lui semblait tout à fait surprenante « après tant d’années », À quelque temps de là, un jour où la douleur se faisait à nouveau très pénible, je lui proposai de « respirer avec son ventre » et de lui consacrer toute son attention. Toute la culpabilité éprouvée autour de la mort de sa fille revint et pour la première fois il put verbaliser des choses « que jusqu’à présent j’avais toujours gardées pour moi ». Jamais il n’avait pris conscience de ce que la souffrance de la mort de sa fille avait générée en lui, réactualisant d’autres deuils qui par la suite ont pu donner lieu à l’élaboration de ce qui s’était organisé autour de traumatismes anciens. À son étonnement et au mien, ce patient n’a plus souffert par la suite des troubles qui avaient rythmé sa vie pendant des années. Et la thérapie, qui au départ ne semblait devoir se dérouler que comme un soutien ponctuel, s’est poursuivie sur le mode d’un travail de fond qui l’a amené à modifier complètement ses conditions de vie.
Sur le plan technique dans cet exemple-ci, la régression a été induite ponctuellement par la proposition d’une écoute de l’éprouvé corporel qui s’est manifesté de façon insistante sur un mode douloureux. Bien que le patient ne fasse spontanément aucun lien signifiant à propos de ces douleurs, le fait qu’il en parle dans le cadre de sa thérapie m’a fait les considérer comme un discours à part entière à prendre en compte tel qu’il
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se présentait. En utilisant un langage très simple, adressé directement à la zone douloureuse de son abdomen, ce qui peu paraître incongru au vu du niveau intellectuel et de l’âge du patient. Mais il semble que ce soit justement ce hiatus provoqué par le choix d’un langage spécifique, qui seul dans certains cas, puisse ouvrir l’accès au registre affectif et sensoriel des époques d’où provient ce langage du corps. Régression induite tant sur le plan structural que temporel, par le retour à un langage à propos du corps qui souvent n’a plus cours à l’âge adulte. Régression et traumatisme
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La question de la véracité L’utilisation de l’hypnose quand elle s’inscrit dans une dynamique cathartique, ce qui concerne directement la régression en âge, amène le patient à « retrouver » des événements passés. Faits connus ou non, maintes fois évoqués ou totalement « oubliés », qui reviennent pendant la séance d’hypnose. Lorsqu’au décours des séances, surgissent des éléments repérés comme souvenirs, traumatiques ou non, se pose la question de leur véracité. Dès les années vingt, d’ailleurs, la régression en âge a suscité un certain nombre d’études, tant à propos de l’authenticité de la régression, que de celle des souvenirs « retrouvés ». Leurs résultats n’ont rien jamais rien donné de probant : impossible d’affirmer l’authenticité de la régression elle-même ou des souvenirs, ou de l’infirmer avec certitude. « Vraie » ou « fausse » régression obtenue au détour d’une induction plus ou moins « sérieuse », reviviscence ou évocation, forme « pure » ou « impure », la question reste ouverte et Weitzenhoffer, dans sa revue de la littérature à propos de la régression d’âge constatait dans les années cinquante, la confusion régnant à ce propos (Weitzenhoffer, 1959). En ce qui concerne le travail psychothérapeutique, que ce soit au décours d’une séance d’hypnose ou en dehors de celle-ci, il s’agit de prendre en compte ce matériel comme faisant partie de la vérité du patient, au moins temporairement. Qu’il s’agisse ou non de reconstruction, l’intérêt thérapeutique reste l’expression des affects dans la relation thérapeutique autour de situations ou d’événements clefs qui peuvent être ensuite élaborés au fil de la thérapie. C’est de la légitimité des émotions et des ressentis à propos des événements, dont nous devons nous faire les alliés inconditionnels. Temporairement au moins, « [...] s’il ne s’insère pas dans ce rapport de croyance, la position du thérapeute devient l’équivalent d’un désaveu. Cette contribution de l’affect, en tant qu’il anime la croyance, constitue la seule voie par laquelle le trauma puisse être appréhendé, non comme probable ou possible mais
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comme réalité nécessaire. Sans le passage par la déraison inhérente à la croyance, pas d’accès à la vérité concernant le passé. » (Schneider, 1998)
Il s’agit d’accueillir le dire du patient dans une perspective intégrative et qui lui permette d’ailleurs éventuellement d’ouvrir la question du statut de la vérité. On se souvient qu’un des éléments qui ont amené Freud à abandonner la pratique hypnotique était que les patients peuvent aussi mentir dans les séances d’hypnose. En outre, le matériel psychique constitué des expériences vitales est profondément remanié au fil du développement individuel, chaque étape pouvant réactiver les conflits dépassés, remodeler les souvenirs. Enfin comme le souligne E. Collot, l’expérience hypnotique elle-même laisse dans certains cas la trace d’un véritable souvenir ; impossible parfois dans l’après coup de discerner le vrai souvenir, du faux (Collot, 2004).
La question du traumatique On ne peut finalement aborder la question du traumatisme que par ses effets, car la seule nature de l’événement, aussi grave soit-il, ne peut suffire à le définir en tant que traumatique. Ce sont aussi les répercussions qu’il a sur le sujet compte tenu de sa structure et la façon dont les événements traumatiques sont reconnus et pris en compte ou non, qui fait leur nocivité. Ce que la clinique nous montre, c’est que ce ne sont souvent pas tant les épreuves en elles-mêmes qui provoquent les pires dégâts, mais le fait qu’elles ne soient pas prises en compte en tant que telles. C’est du coup l’impossibilité pour un individu, et c’est d’autant plus grave qu’il est plus jeune, de reconnaître comme légitime tel ou tel affect, tel ou tel éprouvé. L’humiliation quotidienne, la petite cruauté des moqueries répétées, qui assassinent la sensibilité et font perdre au sujet toute possibilité de s’appuyer sur ses sensations, sont parfois aussi gravement pathogènes par le démenti de l’éprouvé, qui pervertit la réalité. C’est le respect de ce qu’il éprouve et la reconnaissance de sa légitimité qui manque alors à l’individu pour traverser les épreuves que forcément la vie amène. Ne plus pouvoir faire confiance à ses propres sensations, à ses propres émotions, Ferenczi en avait déjà souligné l’aspect dévastateur. Traumatique aussi l’impossibilité de lutter, de se révolter, la surprotection, et d’autant plus quand elle va de pair avec une certaine inaffectivité. Ne pas pouvoir exercer son agressivité sur l’extérieur produit des effets délétères tout autant qu’un excès d’épreuves. C’est pourquoi la question du recadrage est toujours si importante ; Lacan disait de façon provocante que ce qui peut arriver de mieux à quelqu’un, ce sont les dégâts de sa vie, mais plus tard et dans d’autres termes Cyrulnick parlera de résilience en se servant d’un terme technique qui définit la résistance aux déformations
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de certains matériaux... encore faut-il pour que celle-ci puisse jouer, que l’individu trouve un support de résilience, c’est-à-dire quelqu’un qui prenne en compte sa réalité et lui donne les moyens de l’affronter. Freud spécifiait le sens du traumatisme en tant que perturbation de l’économie énergétique. Dans les situations traumatiques « l’intensité de réactions émotionnelles contradictoires dépasse les capacités d’intégration de la personnalité : il ne peut leur être donné un sens par le sujet et l’expérience demeure comme un corps étranger dans le psychisme ». Pour Winnicott, c’est le cas de toute situation où l’environnement du sujet est défaillant sur le mode d’une carence spécifique, produisant un « empiètement sur le psyché-soma qui oblige l’organisme à réagir, le mettant dans un état de tension aux conséquences somatiques parfois graves » (Winnicott, 1969). Abraham et Torok parlent de sidération, de mort partielle que le traumatisme provoque. Balint le décrit comme une disproportion considérable entre les besoins psychophysiologiques d’un sujet au cours des phases précoces de son développement, et les soins, l’affection et l’attention dont il a disposé à cette même époque (Balint, 1968). Et même si l’accession au symbolique peut générer du trauma dans l’après coup et le refoulement secondaire provoquer des remaniements dans l’organisation des traces mnésiques, ce n’est pas le seul mode d’inscription des blessures traumatiques. Monique Schneider souligne :
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« Le trauma exige à la fois une élaboration théorique différente de celle qui sous tend l’étude du refoulement secondaire, et une métamorphose de l’écoute. L’implication de l’analyste change soudain de registre, comme si l’écoute du trauma le chassait de la position d’observateur attentif pour lui assigner un rôle plus actif. » (Schneider, 1991, p. 96)
La réalité traumatique de certains événements n’est pas contestable et doit pouvoir être reconnue et signifiée de façon catégorique par le thérapeute. Pas question de se rendre complice en ne reconnaissant pas la réalité de certains mauvais traitements. Mais parfois, ce qui est réellement traumatique n’est en fait pas repéré comme tel. Pas question non plus de négliger l’organisation fantasmatique qui se développe autour de certains événements et les théories qu’elle produit, notamment dans le processus d’identification à l’agresseur. C’est l’autre dimension qui ressortit du travail spécifique de l’accompagnement de la régression qui conduit jusqu’aux moments où les liens signifiants ont manqué.
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Clivage et inscriptions traumatiques Les conséquences de ces expériences lorsqu’elles surviennent précocement, sont « une coupure radicale d’avec soi », un clivage du moi, conséquence de la violence du choc, de la commotion psychique que produit l’excessif traumatique (Ferenczi, 1932). Une partie des données de l’expérience bascule alors dans l’inconscient, d’autres données ne sont simplement pas perçues. Ferenczi parle de transe traumatique pour décrire ce moment du clivage que produit un événement traumatisant, où conscience et éprouvé sont brutalement séparés sous l’effet du choc. Le sujet « sort » de lui-même, se voyant de l’extérieur. C’est parfois très exactement ce que nous racontent nos patients. Souvenir de Madame Z. Comme Mme Z. qui un jour, a subitement retrouvé le souvenir d’un événement particulièrement grave survenu lorsqu’elle avait 5 ans et dont sa sœur aînée a par la suite, confirmé la réalité. Le souvenir de cet événement est revenu brutalement alors qu’elle marchait dans la rue, à quelque temps d’une première période de thérapie, ce qui a été en soi, traumatique. « Ça m’est tombé dessus, je ne parviens pas à m’en remettre. » Elle raconte précisément le fait que des images se sont présenté à elle de deux façons différentes : avant et après l’événement lui-même, elle voyait lieux et personnes d’un point de vue d’enfant, c’est-à-dire gens et choses très hauts et volumineux, avec des sensations précises. Et pendant le drame, sans rien ressentir, en ayant l’impression de voir ce qui se passait mais de très haut, « comme si j’étais près du plafond ».
Cela peut se produire spontanément comme dans le cas de cette patiente, cela peut aussi survenir pendant une séance d’hypnose et tout particulièrement bien sûr, au décours d’une séance de régression en âge. Ainsi il arrive parfois qu’on ait accès à ce moment même où le patient raconte en effet qu’il a l’impression d’être en dehors de lui-même et de voir se dérouler les événements mais sans plus rien ressentir. C’est un processus voisin que l’on cherche à activer avec certaines techniques, dans le traitement des névroses traumatiques. Mais souvent on n’a de ce moment, que des indications de son existence, indirectes, lorsque dans son discours, le patient passe tout d’un coup de l’évocation de ressentis à la description quasi abstraite de ce qu’il devrait ressentir ou à la description en termes visuels de sa perception de lui-même, traduisant un positionnement extérieur. Souvent les séances amènent alors un matériel plutôt métaphorique, et retrouver les souvenirs eux-mêmes nécessite, quand c’est possible, beaucoup de temps. Le travail hypnothérapeutique trouve là une de ses dimensions les
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plus importantes car l’état hypnotique a à voir par bien des aspects avec la transe traumatique. Et au-delà de la dimension cathartique que rend possible la régression dans ces cas-là, particulièrement avec le travail corporel, peut se déployer tout un travail de symbolisation qui participe de la reconstruction psychothérapeutique. Lorsque les traumas sont très précoces ou trop violents, Ferenczi soulignait déjà que le langage corporel, gestuel, peut demeurer le seul lieu d’inscription d’événements du passé. On ne peut alors avoir accès parfois, qu’à des fragments d’événement. Certaines sensations physiques rencontrées pendant les séances sont des ressentis de contraction, de résistance, de blocage dont on peut supposer qu’ils correspondent au mouvement de rétraction contre la menace d’éclatement provoqué par l’envahissement brutal de l’espace psychique. C’est l’éprouvé d’une tension parfois permanente qui concerne tout le corps ou seulement telle ou telle partie. Tout particulièrement les régions thoracique et diaphragmatique. Ces mnèmes sont parfois constitués de représentations psychiques et physiques, mais parfois, seules subsistent des sensations physiques. En effet, l’inscription traumatique suit le développement de l’individu, et selon que des éléments traumatiques frappent avant l’acquisition du langage ou pendant son apprentissage ou après, les traces mnésiques seront purement corporelles ou plus ou moins accompagnées de représentants psychiques élaborés. Plus les événements traumatiques surviennent précocement, plus la prégnance de leur inscription corporelle est grande et peut rester dissociée des représentations langagières. À cet égard les travaux sur la psycho généalogie nous permettent peut-être de poursuivre ce que disait Ferenczi sur l’inscription de certains traumas : « aucune trace mnésique ne subsistera même dans l’inconscient de sorte que les origines de la commotion sont inaccessibles par la mémoire » et il semble que la clinique nous montre que cela est vrai pour des traumas précoces mais aussi pour des traumas survenus dans les générations précédentes. Car l’inscription alors se produit, mais les seules traces sont corporelles (sensations corporelles, positions corporelles qui accompagnent le positionnement subjectif inconscient et constituent des signifiants primordiaux). C’est ce que décrivait F. Dolto en utilisant son outil conceptuel d’image inconsciente du corps : « L’image du corps de l’enfant est en partie héritée de l’image du corps telle qu’elle s’est construite chez le parent, généralement du même sexe. Les enfants de ces personnes ignorantes de leur souffrance héritent de cette souffrance qui n’a pas dit son nom. C’est ainsi du fait de la souffrance de leurs parents que les enfants héritent d’une mutilation dans leur image du corps archaïque. » (Dolto, 1997, p. 166)
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Les techniques spécifiquement corporelles, en ce qu’elles permettent d’accéder directement à l’éprouvé et d’utiliser ce matériel en tant que tel, sont dans ces cas particulièrement utiles. Ainsi ces traces mnésiques pourront être élaborées, des représentations pourront être créées par le travail thérapeutique. Parfois, à l’inverse le souvenir est là, insistant, revenant sans cesse sur le mode d’une évocation anecdotique, sans affect. Son surgissement dans les séances se produit au milieu de beaucoup d’autres éléments et tous les éléments qui l’entourent le font comme dans le rêve, associés par des liens de déplacement et de condensation. Son élaboration va alors nécessiter beaucoup de temps, patient et thérapeute pris dans le champ répulsif du clivage qui protège le sujet de l’irruption d’un excès de souffrance et empêche longtemps le thérapeute de contacter la tonalité affective qui lui permettrait d’ouvrir l’accès à la totalité du vécu traumatique.
L’ ACCOMPAGNEMENT
DE LA RÉGRESSION
Pour Ferenczi, lorsqu’un sujet a souffert de trauma précoce, la régression s’opère forcément dans la thérapie pour une raison structurelle, conséquence directe du traumatisme : c’est que la progression prématurée ayant succédé au trauma est elle-même traumatique et son corollaire est le maintien en parallèle de fragments clivés, qui eux, n’ont pas évolué (Ferenczi, 1931). Une partie de la personnalité mûrit subitement pour faire face aux effets du trauma, ce qui génère une organisation fragilisée, un peu comme une panoplie d’adulte endossée dans l’urgence, armure trop lourde et qui masque une partie du soi aspirant toujours à être reconnue. D’ailleurs certains de nos patients le verbalisent très précisément : « Je n’ai pas la sensation d’être vraiment un homme (ou une femme), je ne me sens pas vraiment adulte » ou encore, « J’ai l’impression de réagir comme une gamine, c’est bizarre car au fond de moi, je pense le contraire ». Les fragments clivés, ressentis non intégrés, ramènent de façon récurrente le sujet à certaines époques passées de sa vie qui sont sans cesse réévoquées. Ce sont ainsi à la fois l’instabilité de la structuration et les fixations qui déterminent le processus de régression à l’œuvre dans l’organisation symptomatique et dans la relation thérapeutique. Fixations comprises comme ces expériences qui s’inscrivent en nous de façon particulièrement forte et durable pendant le temps d’intégration des apprentissages principaux guidés par le développement pulsionnel. Et aussi comme une aspiration inconsciente à remettre sans cesse en place des processus relationnels inadéquats et surtout dépassés.
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Dans ce cas particulier des traumas précoces qui amènent souvent les patients dans nos cabinets avec des tableaux dépressifs plus ou moins sévères, tout le travail thérapeutique va ainsi consister à accompagner régression et progression, ces deux grands courants qui traversent la thérapie tout au long de sa durée. La première va dans le sens d’un vrai lâcher prise, ayant pour but de parvenir à utiliser le thérapeute comme un substitut solide du soutien qui a fait défaut dans le passé. Le dispositif thérapeutique en ce qu’il accueille et favorise la régression, permet de retrouver les événements traumatiques, de mettre en lumière les comportements problématiques. L’autre courant va dans le sens de l’évolution vitale, encourageant la prise de risque et le développement de l’individuation, la progression qui au final, va entraîner le sujet hors de l’ornière, où l’avait précipité la situation traumatique. Dans un premier temps en laissant la régression dans la relation se développer, mais sans aucunement encourager sa persistance. Dans un second temps il s’agira même de l’empêcher en mettant en lumière ce qu’elle représente de répétition d’anciennes modalités relationnelles. Plus rien d’autre à faire qu’à avancer, toutes les routes régressives se trouvant barrées peu à peu, y compris et surtout l’organisation symptomatique. Mais parce que le sujet se cherche et se fuit, faire en sorte que la régression puisse vraiment aller jusqu’où elle doit aller dans certains cas, n’est pas si simple. Il va s’agir dans ces cas de manier en parallèle la dynamique transférentielle pendant les séances et en dehors. Ce n’est pas parce que le surgissement émotionnel se produit et même se reproduit pendant les séances, que le lâcher prise va suffisamment loin. D’autant que la dynamique régressive s’organise avec l’hypnose d’une façon spécifique sur deux registres, deux plans distincts. Dans le temps des séances elles-mêmes où la régression est en quelque sorte mise en scène avec les techniques détaillées plus haut, autour de ce que Ferenczi appelait « paléocatharsis ». L’expérience hypnotique, dans le cadre circonscrit de la séance, organise un espace distinct où il est possible, de façon métaphorique ou directement, de représenter des affects et des désirs de façon distanciée de la relation interpersonnelle au thérapeute. On a vu en quoi le maniement de l’hypnose constitue un mode de relation potentiellement régressif, c’est ce qui représente le premier plan où se déroule la régression. Le matériel « retrouvé » ou plutôt amené par les séances est alors utilisé selon les techniques de chacun. La dynamique cathartique et la verbalisation qui l’accompagne, soulagent parfois suffisamment la souffrance pour amender les symptômes, en tout cas suffisamment selon le patient.
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Ce matériel donne aussi la possibilité d’articuler un travail qui relève de ce que l’on pourrait appeler « réparation symbolique ». Le cadre de la régression d’âge représente un contexte qui favorise en effet la catharsis mais aussi la reconstruction. À partir des éléments évoqués pendant les séances, l’ouverture est toute trouvée pour susciter de nouvelles représentations imaginaires. Car la capacité enfantine à jouer avec le mode projectif qui est actualisée dans l’hypnose, permet que l’on puisse aisément se servir des outils que l’on utilise avec les enfants : mise en scène d’animaux, d’objets, de personnes et même du thérapeute qui soutient et encourage dans le développement de tel ou tel scénario. C’est aussi tout le travail sur les différents niveaux de la métaphore qui rend l’hypnothérapie si spécifique dans sa capacité à créer des représentations, à générer les symbolisations qui ont manqué, pour autant que ce travail s’accomplisse dans la réalité affective de la relation thérapeutique. Homme avec phobie sociale L’exemple suivant est un court extrait de la thérapie d’un homme de 27 ans qui consultait pour une phobie sociale. Bouc émissaire dans sa famille et durant sa scolarité, en province, il avait subi enfant, des humiliations de toutes sortes. La réserve qu’il avait peu à peu développée confinait à la méfiance et il éprouvait de grandes difficultés à créer des relations amicales et amoureuses. Il souhaitait faire un travail d’affirmation de soi pour acquérir des outils car depuis quelques années, les troubles avaient pris une allure phobique. Au fil des séances, il éprouvait un certain mieux être mais commença à se plaindre de ressentir à tout propos, des colères qui lui semblaient inexplicables. Il lui a été proposé alors : « Allez retrouver en vous l’enfant ou l’adolescent que vous étiez pour retrouver les situations dans lesquelles vous avez ressenti beaucoup de colère que vous n’aviez pas réussi à exprimer. » Il se retrouve dans une cour de récréation, adolescent. Ils sont plusieurs à le taquiner méchamment, et même à le violenter physiquement. Il se sent impuissant, petit, en colère contre eux et contre lui et éprouve une grande souffrance. « — Qu’auriez-vous souhaité être et pouvoir faire, dans cette situation ? — J’aurais voulu être grand et fort pour leur casser la gueule, à tous. — Vous pouvez imaginer que vous êtes très grand, très fort et que vous vous sentez intérieurement exactement comme vous auriez aimé être à cette époque pour vous faire respecter des autres, comme vous le ressentez maintenant : « Cassez-leur la gueule un par un, comme vous auriez aimé le faire à cette époque pour ne plus être en colère aujourd’hui et vivre votre vie d’homme autrement. » — Ah ! vous croyez que je peux ? — Oui, vous le pouvez, vous développez des forces de toutes sortes, toutes celles que vous auriez voulu avoir en vous pour vous faire respecter. Ressentez, vous prenez de l’importance... vous grandissez... vous n’êtes plus le petit..... qui subissait, vous ne le voulez plus. »
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Il lui est suggéré également que pendant ce temps, quelque chose se répare en lui et qu’il prend confiance en lui, en ses capacités d’être différent et de pouvoir et savoir se faire respecter des autres. Qu’il a les ressources en lui pour oser dire au bon moment ce qu’il aura à exprimer, de la bonne manière, à n’importe qui, n’importe où, quelles que soient les circonstances, les situations, le regard des autres... hommes ou femmes... Il lui est proposé de terminer lorsque ce sera bien pour lui. À la fin de sa séance, il se sent courbatu et fatigué comme s’il avait réellement vécu un dur combat. Le patient a exprimé par la suite le fait que cette séance a représenté pour lui une sorte de point de départ à partir de quoi, il s’est senti de taille à modifier certains de ses comportements d’évitement dans son cadre professionnel et dans ses relations privées.
Ce bref exemple montre la façon dont il a été possible avec ce patient, d’utiliser ponctuellement le matériel suscité par les suggestions de régression pour accueillir un fantasme que cette situation traumatique avait généré. Et l’on peut penser qu’en effet la séance, en ce qu’elle a permis la représentation imaginaire et la verbalisation de ce fantasme important, avec le soutien du thérapeute, a constitué un nouveau point de départ à partir d’un moment charnière de l’histoire de ce patient. Mais peu à peu, avec certains patients, principalement lorsqu’existe une structure névrotique, la relation thérapeutique elle-même devient la scène sur laquelle se joue la régression, qui apparaît de plus en plus clairement en dehors des séances en une répétition repérable qui fait partie de la dynamique transférentielle et qui va pouvoir être peu à peu explicitée. C’est alors le plan suivant sur lequel peut alors s’organiser le travail thérapeutique, plus proprement analytique. C’est en général le moment où l’on est amené à abandonner la technique hypnotique pour permettre que se poursuive l’accompagnement de la régression. Cela ouvre la possibilité d’accéder à cette néocatharsis qui correspond au surgissement spontané des émotions et de la souffrance en rapport avec les niveaux traumatiques les plus profonds, et qui ne survient qu’en fin de thérapie parce que c’est dans la relation interpersonnelle elle-même que celle-ci se produit. Ce ne sont plus alors des techniques hypnotiques utilisées dans un but précis mais la dimension hypnotique de l’intonation, qui surgit naturellement dans le décours de la psychothérapie. Et à laquelle répond le surgissement de la transe traumatique, réactualisée comme « ces états dynamitant la différence entre le passé et le présent, entre l’onirique et le vigile » (Schneider, 1991, p. 95). Lorsqu’on devient capable d’entendre et d’accueillir, au travers de modalités comportementales parfois très défensives, la réalité subjective. S’adresser au patient avec respect et sur le ton sérieux d’un véritable intérêt, lorsqu’il évoque et traverse
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une souffrance, réalise une expérience parfois tout à fait nouvelle. Cet accueil respectueux dans sa réalité émotionnelle agit paradoxalement comme un scalpel et ouvre subitement l’accès à la souffrance comme on incise un abcès, en rompant les barrières défensives, nous donnant véritablement l’impression d’accompagner la mise au monde de quelque chose d’infiniment précieux. Ferenczi s’étonnait dans cet article (« Principe de relaxation et néocatharsis »), de retomber sur la puissance de « la bonne vieille gentillesse » à l’égard du patient. Il semble qu’il ne s’agisse pas tant de gentillesse, encore qu’elle n’ait pas à être exclue au contraire, que du respect du sujet et de son symptôme, des souffrances qu’il a pu endurer. Respect et accueil des affects parfois violents que certaines situations lui ont fait éprouver et dont l’individu a pu rester terrifié, respect qui devient perceptible au patient par la qualité de la relation. Ce n’est plus d’une façon stratégique que l’on s’adresse à lui ou à elle, mais en tant qu’être humain dans sa totalité. Ce qui n’est pas si simple lorsque, bien loin des grandes catastrophes humaines repérées comme telles, nous avons à accueillir la douleur de l’incompréhension, de l’inadéquation entre l’individu et son environnement, la peur de la traversée de telle ou telle épreuve. Une détresse enfantine jamais prise en compte, jamais encore entendue, véritablement écoutée et accueillie. Atteindre au plus profond de la souffrance nécessite du temps et une qualité relationnelle toute particulière. On n’atteint pas ces niveaux en quelques séances à l’aide d’une technique quelconque. On en est loin alors justement, là où dans l’épaisseur de l’humanité, on touche, à l’extrême du dépouillement technique, à la rencontre intersubjective. Winnicott disait que l’on atteint le point où il devient possible de dévoiler le vrai self quand la confiance en l’autre atteint ce niveau où il est possible de lui déléguer la fonction de self de garde. Pour que le moi accepte de régresser jusque-là, il faut qu’il puisse déléguer une partie de ses fonctions à l’analyste. Celui-ci va donc devoir s’investir d’une façon spécifique qui manifeste à la fois sa capacité à porter le patient, en prendre soin et aussi à le lâcher pour lui permettre d’évoluer. Il s’agit de reconstituer temporairement un « environnement » adéquat pour que le sujet soit à nouveau à même d’utiliser et de développer ses propres ressources.
PARTIE 2 APPLICATIONS DE L’HYPNOTHÉRAPIE
Chapitre 9
L’HYPNOSE ET L’ENFANT Muriel Fuks
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L’ ENFANT,
SUJET IDÉAL POUR L’ HYPNOSE
« “Un garçon âgé de neuf ans devait être opéré pour l’extraction d’une tumeur. À cette époque1 , les anesthésiants chimiques n’existaient pas encore. Pendant l’intervention, sa mère lui raconta une histoire tellement intéressante qu’il expliqua après l’intervention qu’il n’avait rien senti tant il s’était absorbé dans son imaginaire. Ce petit garçon qui s’appelait Jacob Grimm présenta à son éditeur, dix-huit ans plus tard alors qu’il avait vingt-sept ans, l’histoire de Blanche Neige2 ” Cette anecdote qui date du XVIIIe siècle montre que le phénomène hypnotique est naturel chez l’enfant et que certains enfants y recourent spontanément lorsqu’ils sont confrontés à une situation difficile. » (Rouge, Cuddy, 1990, p. 265)
L’hypnose permet à l’enfant de s’extraire d’une situation anxiogène ou douloureuse et de s’absorber dans son imaginaire. Cette technique s’insère donc tout naturellement dans sa pensée magique, dans son désir d’expérience. 1. N.D.A. : XVIIIe siècle. 2. Hypnos, 1982, May/June, p. 1.
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Utiliser l’hypnose avec l’enfant, c’est aussi entrer dans son monde magique et dans son imagination. La pratique de l’hypnose implique chez lui de s’intéresser à ses héros favoris, à ses émissions de télévision, à ses bandes dessinées préférées, etc. Tous ces éléments permettent de construire et enrichir le travail hypnotique. Pendant la séance, l’enfant mis en contact intime avec son imagination va modifier la perception de son problème, découvrir de « nouveaux possibles » et activer ses propres ressources de changement. C’est à travers les jeux, les dessins, les histoires comme matériaux métaphoriques que cette découverte et la construction de son identité vont se réaliser.
H YPNOTISABILITÉ La capacité de vivre une expérience hypnotique augmente lentement de trois à cinq ans pour atteindre un pic d’hypnotisabilité entre neuf et douze ans avant de redescendre (Rouge, Cuddy, 1990, p. 261). En fonction des stades de développement de l’enfant, les techniques d’induction sont différentes. L’enfant de 3 à 5 ans Lorsqu’on observe de jeunes enfants dans leurs jeux, ils font « comme si ». Le thérapeute utilise donc préférentiellement ce mode de pensée afin de construire ses inductions avec les petits enfants. Ainsi, on peut par exemple suggérer à un enfant qui fait des cauchemars la nuit de regarder l’ongle de son pouce comme s’il s’agissait d’un écran de télévision sur lequel il visualise les monstres qui le poursuivent la nuit. Le thérapeute lui demande alors s’il peut, grâce à sa télécommande, changer leur taille, leur couleur, etc. Contrairement à l’adulte, chez le petit enfant, la détente du corps n’est pas nécessaire pour accéder à l’état hypnotique. Pendant la séance, le jeune enfant garde souvent ses yeux ouverts tout en se représentant, très facilement, une situation imaginaire. Le petit enfant passe ainsi, yeux ouverts, d’un état à l’autre en vivant les deux de manière tout aussi réelle. Au-delà de cela, Barber (1996) dans Hypnosis and suggestion in the treatment of pain illustre à travers de nombreux exemples que le jeune enfant n’a besoin d’aucune induction pour entrer en hypnose et être absorbé par son imagination. Les deux mondes, réel et imaginaire, se
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côtoient. Par ailleurs, plus l’enfant est jeune, plus son imagination est encore liée à la motricité. Un dentiste nous a raconté l’étonnement avec lequel il observait son petit patient pédaler sur son fauteuil alors qu’il lui faisait un soin sous hypnose (l’enfant s’imaginait faire du vélo dans les bois). Il ne s’agit pas de calmer un enfant sous hypnose. On peut d’ailleurs utiliser cette activité motrice pour renforcer l’état hypnotique et la dissociation. L’enfant de 6 à 12 ans Entre six et neuf ans, l’enfant commence à percevoir qu’il y a quelque chose de différent dans l’hypnose par rapport à l’état d’éveil habituel. C’est à cet âge que l’on peut suggérer des phénomènes hypnotiques comme la lourdeur d’un bras, la fermeture des yeux... et la capacité à visualiser les yeux fermés. Le vécu dissociatif sera clairement différencié du vécu réel. Le thérapeute est, dès lors, amené à discuter de l’expérience hypnotique et de son vécu avec le jeune patient.
I NDICATIONS L’efficacité de l’hypnose a été démontrée dans de nombreux domaines :
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douleur aiguë mais aussi douleur chronique1 (céphalées de tension, migraines2 , douleurs abdominales3 , douleurs cancéreuses, examens médicaux, ...) ; pathologies organiques à modulations psychiques (asthme4 , dermatoses5 ) ; énurésie6 ; troubles anxieux7 ; troubles du sommeil ;
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
Faymonville, Laureys, 2000. Kultmar, 1993 ; Moniek et coll., 1994 ; Violon, 1996. Anbar, 2001. Anbar et Hall, 2004. Stewart, Thomas, 1995. Hammond, 2004. King et al., 1995 ; Ollendik, King, 1998.
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
problèmes attentionnels et hyperactivité1 .
L ES
PREMIERS ENTRETIENS
Définir les objectifs Lors des premiers entretiens, le thérapeute se doit de préciser les objectifs, les attentes du jeune et de sa famille ainsi que les motivations d’une psychothérapie et d’une thérapie utilisant l’hypnose. N’oublions pas que l’enfant est amené en thérapie par ses parents. Dès lors, la demande de l’enfant peut être très différente de celle des parents. Il sera donc important de préciser les objectifs de chacun et de définir clairement le cadre de la thérapie. Quelle compréhension l’enfant a-t-il de son problème ? Dans ce cadre, il faudra être particulièrement attentif au langage que l’enfant utilise pour décrire et illustrer son trouble. En effet, les mots que l’enfant utilise seront réintroduits dans le travail hypnotique. Il est aussi important de découvrir le mode d’expression et de représentation préférentiel de l’enfant : favorise-t-il plutôt la vision, l’odorat, l’audition ou le toucher ? Un modèle d’observation ou d’utilisation des préférences sensorielles a été proposé par Bandler et Grinder (Bandler, Grinder, 1975 ; Dilts, Grinder, Bandler, Delozier, Cameron-Bandler, 1979) qui ont analysé les travaux d’Erickson des années soixante-dix. Évaluer le cadre Le thérapeute doit veiller à identifier les solutions déjà essayées par l’enfant. Certaines de celles-ci qui se seraient avérées efficaces ou partiellement efficaces pourront être réutilisées et renforcées dans le cadre hypnotique (par exemple, un enfant qui souffre de céphalées peut signaler avoir moins mal quand il nage). Pour assurer un suivi objectif de l’évolution des symptômes, il sera important d’établir une évaluation de base en mesurant l’intensité et la fréquence des symptômes. Dans le cas de la douleur, il existe des échelles, dites visuelles analogiques, très simples d’utilisation. 1. Illovsky et Fredman, 1976.
L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
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Dans le cadre de troubles du sommeil, de troubles anxieux, d’énurésie, la tenue d’un petit agenda d’observation (pour l’enfant ou le parent si l’enfant est trop jeune pour écrire) peut être proposée. L’histoire et la fonction du problème dans la famille sont idéalement à identifier (les troubles anxieux d’un enfant dont les parents sont en conflit peuvent avoir pour but d’assurer la cohésion et la pérennité du couple). Dialoguer sur les événements, le mode de vie de l’enfant, son caractère, sa scolarité, sa vie sociale, rechercher la signification et la fonction du problème dans son contexte, est capital. Celles-ci peuvent être très variables : être puni pour une faute réelle ou imaginaire, obtenir de l’attention, s’identifier à une personne aimée qui souffre d’un problème similaire, éviter des situations angoissantes, exprimer son hostilité, etc.
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LE
LANGAGE DU THÉRAPEUTE
Un enfant n’est pas un « adulte miniature ». La simplification du langage n’est donc pas la seule adaptation à l’enfant de la sémantique hypnotique. Contrairement au langage hypnotique avec l’adulte où le thérapeute introduit souvent les notions de doute et les expressions conditionnelles, il convient, avec l’enfant, d’avoir une approche plus directive. Des expressions comme « Peut-être », « Tu pourrais » sont, dès lors, moins efficaces que « Tu vas le faire » et « C’est » (Sugarman, 1996)). Nous pouvons mieux le percevoir lorsque nous comparons la phrase : « Peut-être ton bras va commencer à s’endormir » avec « Tu noteras que l’endormissement commence quelque part dans ton bras » qui sera préférée par l’enfant. Des ordres directifs comme « Je veux que tu ... » peuvent cependant stimuler l’opposition (parallèle avec les injonctions parentales). Il faut donc éviter d’exprimer la suggestion comme étant l’ordre du thérapeute « Je veux que... » mais plutôt comme un défi lancé à l’enfant « Tu vas découvrir que... » Nous devons être également attentifs au vocabulaire utilisé avec les jeunes enfants ; des mots comme « paupières », « engourdissement » ne font pas partie de leur registre verbal. Tout ce qui l’intrigue, le défie, l’amuse et qui lui donne du self-contrôle aide l’enfant à focaliser son attention et à se laisser absorber par son imagination : « Tu découvriras... », « Je parie que ... », « Tu seras surpris que... ».
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Voici un exemple d’induction dans un contexte d’expérience angoissante ou de douleur : E XEMPLE D ’ INDUCTION DANS UN CONTEXTE D ’ EXPÉRIENCE ANGOISSANTE OU DE DOULEUR « Je parie que ceci te gênerait moins si tu n’étais pas ici. Où aimerais-tu bien être ? Quelle est la chose la plus chouette à faire là-bas ? Vraiment ?!! Est-ce que tu peux t’imaginer être là maintenant ? Bien ! Lorsqu’on va commencer à faire le soin, tu vas être surpris de voir combien c’est facile d’être là-bas, mais n’y va pas encore ! Tu y étais déjà ? Tu vois... » (Barber, 1996).
Lorsqu’un enfant parle de son problème, nous sommes attentifs à reformuler positivement les termes qu’il utilise, par exemple, en le questionnant sur comment il fait pour garder son lit sec s’il évoque ses pipis au lit la nuit.
L ES
OUTILS D ’ INDUCTION EN FONCTION DE L’ ÂGE
La dissociation hypnotique passe chez l’enfant, comme chez l’adulte, par la possibilité de focaliser son attention. Le type de sujet de focalisation variera en fonction de l’âge de l’enfant. De 3 à 5 ans L’enfant de 3 à 5 ans a une pensée animiste et prête aux objets une âme (cf. Walt Disney). On privilégiera à cet âge des objets concrets pour aider le jeune enfant à focaliser son attention : un animal, une marionnette, un jeu, un dessin, sa peluche... N’hésitez pas à laisser aux enfants le choix de l’objet qui lui servira d’outil d’induction. Pour ce faire, gardez un coffre à jeux dans votre bureau ; l’induction hypnotique commence en fait dès que le choix de l’enfant s’est fixé. Les marionnettes d’Aurélie (4 ans) Aurélie, 4 ans, aime les contes de fées et saisit, sans hésitation, dans le coffre à jouets, les marionnettes à doigt : la princesse, le prince et la méchante sorcière. Elle commence à raconter tout haut une histoire, de manière parfaitement spontanée. Il suffit dès lors au thérapeute d’introduire, en interaction avec l’enfant, d’autres personnages imaginaires ou représentés par d’autres marionnettes à doigts, qui viendront jouer un rôle thérapeutique.
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L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
L’important est de choisir des images, des personnages qui correspondent au désir de l’enfant, qui font partie de son imaginaire.
Si l’enfant n’apporte ou ne choisit pas de matériel, construisez-le avec lui : dessinez avec sa participation un personnage sur l’ongle de son pouce, construisez un bonhomme avec des chiffons qu’il a choisis... Olness et Gardner (1978) recommandent pour les jeunes enfants de 2 à 4 ans comme moyen d’induction de faire des bulles de savon, d’utiliser un livre en trois dimensions, etc. De 6 à 12 ans
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Peu à peu, entre 6 et 12 ans, on peut faire appel à des techniques utilisant l’imaginaire et l’imagerie mentale. Aux enfants qui aiment la télévision, on peut proposer de regarder l’ongle de leur pouce comme s’il s’agissait d’un écran de télévision. L’enfant peut y visualiser une émission qu’il aime, un endroit dans lequel il se sent bien, etc. Certains enfants préfèrent le dessin comme mode d’expression. On peut alors les faire dessiner sur un tableau imaginaire ou sur une feuille de papier.
Dessin 1 Légende : Noémie, 9 ans dessine à la fin de la séance les ballons qu’elle a imaginés. Les couleurs au bout des doigts attestent des sensations de légèretés ressenties.
Victor Simon (2000) utilise une pièce de monnaie pour focaliser l’attention. L’enfant fixe la pièce le bras tendu. Il peut emporter cette
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
pièce chez lui. Celle-ci l’aidera, au besoin, à induire un état hypnotique. Nicole Cuddy (1990) propose à l’enfant d’imaginer des ballons de couleurs et de formes différentes qu’il attache au bout de chacun des doigts de sa main. Des suggestions de légèreté sont énoncées afin d’induire une lévitation. C’est à partir de 10 ans que l’enfant est capable de se concentrer sur son corps et sur les sensations qui y sont inhérentes : relâchement musculaire, respiration... Le thérapeute peut alors utiliser cet outil-là comme moyen d’induction.
LA
PLACE DES PARENTS
Démystifier l’hypnose en présence des parents Démystifier l’hypnose, c’est-à-dire les craintes éventuelles de certains parents qui peuvent croire à une manipulation de leur enfant est essentiel. Pour illustrer ce qu’est l’hypnose auprès de l’enfant, on peut par exemple lui expliquer qu’il lui est déjà probablement arrivé d’être tellement absorbé dans un film ou un dessin animé qu’il n’entendait plus ce qui se passait autour de lui (maman qui appelle pour dire que le repas est servi). Les parents sont idéalement impliqués dans les explications données à l’enfant. Une séance en présence des parents ? Chez les jeunes enfants de 3 à 5 ans, les parents sont souvent présents pendant la séance et y assistent. Dès lors les parents observent que l’hypnose est un phénomène naturel et se sentent rassurés. À l’hôpital pédiatrique de Genève, Nicole Cuddy et Stella Rouge font participer les parents à la première séance d’hypnose si ceux-ci le demandent, avec l’accord de l’enfant. Dans notre pratique, au-delà de 5 ans, nous essayons de faire vivre à l’enfant l’expérience hypnotique de façon indépendante des parents.
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L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
LE
TRAVAIL HYPNOTIQUE
Les informations recueillies pendant les premiers entretiens, les termes que l’enfant utilise pour décrire ses symptômes, ses activités préférées et ses craintes sont introduits lors du travail hypnotique. La promenade de François (7 ans) François, 7 ans, souffre de migraines. Il raconte lors des premiers entretiens qu’il aime faire du vélo. Il signale, également, que ses migraines sont soulagées lorsqu’il pose un gant de toilette frais sur son front. Dès lors, pendant le travail en hypnose, lorsqu’en imagination il pédale en forêt, on lui suggère qu’un vent doux et rafraîchissant caresse son front.
Kohen1 a recensé, dans le cadre de la gestion de la douleur chez l’enfant, des outils hypnotiques qui ont, par ailleurs, de nombreuses applications dans d’autres indications telles que l’énurésie, l’encoprésie, les douleurs abdominales, les migraines, les problèmes de sommeil, les troubles anxieux...
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L’hypnoanalgésie/l’hypnoanesthésie Cet outil permet de rappeler et de recréer une anesthésie. Les inductions directes d’anesthésie sont essentiellement utilisées pour gérer des actes médicaux douloureux (injections, placement de sonde, endoscopies, changement de pansements,...). L’utilisation de l’hypnoanalgésie à des fins psychothérapeutiques dans le cadre de douleurs chroniques sera peu efficace sans replacer la douleur dans son contexte et sans en comprendre la valeur symbolique. Pour suggérer l’anesthésie d’une partie du corps le thérapeute peut proposer de « fermer les robinets, de déconnecter les fils de l’ordinateur, d’un train électrique » en fonction des images que l’enfant évoque. Une prise de sang chez Sonia (4 ans) et Nadia (3 ans) Sonia quatre ans, imagine un gant magique ou de la neige, de la glace et des picotements dans sa main puis dans son bras... afin d’affronter une prise de sang. Nadia, trois ans, imagine naviguer sur un bateau et mettre la main dans l’eau. 1. Kohen in Hammond C. (2004), « Métaphores et suggestions hypnotiques », pp. 463473.
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Recadrer, réinterpréter les sensations Il s’agit de changer la sensation dans le but de la diminuer ou de la réinterpréter : la douleur devient une gêne, etc. Le patient sait qu’elle est toujours présente. La sensation de substitution n’est pas toujours particulièrement plaisante mais apporte un soulagement. Sarah, huit ans, parle de ses maux de tête comme d’une boule de plasticine serrée, fripée. Pendant la séance, Sarah s’est imaginé jouer avec de la plasticine, malaxer la boule... Au bout de trois séances, ses douleurs ont disparu, la boule est devenue lisse. Les peurs de Laurence (7 ans) et Vincent (5 ans) Laurence, sept ans, doit subir des injections régulières suite à une pathologie chronique ; elle a très peur et est angoissée. Lors de la première rencontre, elle raconte qu’elle vient de recevoir des chatons, avec lesquels elle joue beaucoup. L’un d’eux est particulièrement sauvage et la griffe en jouant. Malgré cela, elle n’y accorde aucune importance parce que c’est juste un chaton « fou ». Laurence a pu en hypnose jouer avec ses chatons et lors de l’injection, la sentir sans que cela n’évoque de réelle douleur, juste comme avec ses petits chats. Vincent, cinq ans, imagine des fantômes la nuit : il se cache dans ses draps et ne peut s’endormir car il est persuadé que ses fantômes lui veulent du mal. En hypnose, il fait, par exemple, connaissance avec ses fantômes, et « s’il s’agissait de Casper le gentil fantôme ? ». La peur se transforme alors en curiosité.
Déplacer et régler Il s’agit de modifier non pas la qualité mais bien la quantité d’une sensation : intensité, vitesse, taille, température... Une échelle ou un outil de mesure peut être imaginé pour « monitorer » le changement. La télécommande de Sébastien (5 ans) Sébastien, 5 ans, fait des cauchemars la nuit. Grâce à la télévision de l’ongle, il visualise sur son pouce les monstres qui le poursuivent. Sébastien les transforme grâce à sa télécommande imaginaire. Il rend ces monstres plus petits, en change les couleurs...
La caméra de Juliette (10 ans) Juliette, dix ans, consulte parce que son professeur la trouve trop lente, perdue dans son monde, dans ses rêves.
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L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
Lorsque nous demandons à Juliette de dessiner son problème, elle l’illustre par une caméra (dessin 2a) : « C’est comme une caméra qui va dans mes rêves, je ne trouve pas le bouton off parce que je suis dans le noir et je reste dans mes rêves ». En hypnose, nous lui proposons de retrouver cette caméra et de l’utiliser comme si elle était à l’école, de régler la caméra et d’imaginer ce qui pourrait l’aider pour être dans la leçon, présente en classe. Après avoir fait des gros plans de ce qui lui semble important à retenir, Juliette imagine une nouvelle caméra qui résout son problème (dessin 2b). Cette caméra n’a plus qu’un gros bouton on/off, ce qui lui permet très rapidement de passer des rêves à la réalité.
Dessin 2a et 2b
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Distorsion temporelle Cet outil permet d’accélérer le temps vécu comme douloureux ou inconfortable et de ralentir le temps agréable, entre les accès douloureux. « Tu t’es déjà aperçu qu’une heure peut paraître beaucoup plus longue lorsque tu attends un ami avec qui tu vas faire une chouette activité ou au contraire passer extrêmement vite lorsque tu t’amuses bien. Bien ! Lorsqu’on va commencer ce soin, tu vas être surpris de voir comme c’est facile d’aller sur le terrain de foot avec ton copain, mais n’y va pas encore ! Tu y étais déjà ? » Dissociation géographique Il s’agit de dissocier le jeune patient de la situation présente et de lui proposer en hypnose un endroit agréable, paisible, dans lequel il se sent bien. « Il n’est pas nécessaire que tu restes ici, conscient de l’hôpital. Je me demande si tu ne préférerais pas aller jouer au tennis par ce bel après-midi ensoleillé. Tu pourrais te sentir en pleine forme. Ton corps peut rester ici de manière à ce que tout suive son cours, mais ton esprit t’emmène sur le terrain de tennis et tu peux faire ce qui te fait plaisir, sans que rien ne puisse te déranger. »
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
La maison de vacance de Léon (9 ans) Léon, neuf ans, hospitalisé à l’hôpital des enfants en oncologie pour une leucémie, souffre de douleurs dans les pieds. Il illustre son problème en dessinant des petits bonshommes qui tapent avec un marteau dans ses pieds (dessin 3).
Dessin 3 Pendant la séance d’hypnose, il se voit en vacances dans sa maison familiale au Portugal. À la fin de la séance, son dessin s’est modifié, les bonhommes dans ses pieds ont lâché leur marteau et lèvent leurs bras en signe de victoire (dessin 4).
Dessin 4
Réifier Cette technique permet de matérialiser le problème.
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L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
On demande à l’enfant, par exemple, de dessiner son problème ou sa douleur. Réifier permet à l’enfant de prendre de la distance par rapport à sa problématique et en l’extériorisant, d’agir dessus. Les lutins de Martin (9 ans) Martin a un problème d’énurésie nocturne. Il dessine deux lutins qui représentent son problème (dessin 5). Il nous explique qu’il y a un lutin qui doit le réveiller quand la machine est pleine, en donnant l’alarme (le lutin contrôleur), et un lutin qui doit actionner le mécanisme pour vider la machine (le lutin machiniste). Celui-ci doit attendre que Martin soit au bon endroit (la toilette) pour mettre le mécanisme en marche. En hypnose, les lutins ont appris à bien communiquer et à se coordonner.
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Dessin 5
Les suggestions post-hypnotiques Il s’agit de suggestions directes ou indirectes alors que l’enfant expérimente le processus hypnotique et auxquelles il répond inconsciemment après être sorti de la séance. « La prochaine fois que tu t’assiéras dans ce fauteuil, tu pourras de nouveau, peut-être après une minute ou peut-être après dix secondes, te sentir calme et détendu. » Les suggestions post-hypnotiques peuvent aider à vérifier l’expérience hypnotique.
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Amnésie-régression Le thérapeute propose à l’enfant de retourner à une situation passée lorsque le problème ou la douleur n’existait pas, lorsque le patient pouvait utiliser toutes ses compétences. Pour cela, il lui propose de visualiser une journée sans problème, confortable, et amène l’enfant, au travers de suggestions, à retrouver ce confort dans le présent. Voyager dans son corps En utilisant un « soi » miniature qui voyage dans le corps, visite les parties en bonne santé et les parties en moins bonne santé, en faisant du repérage, l’enfant devient détective et active ses ressources. Il peut être le témoin des améliorations en cours. Établir la communication par la métaphore Une métaphore est définie par Kérouac (1989, p. 2) comme « une histoire réelle ou fictive, anecdote, jeu qui attire l’attention consciente de la personne et sert à déjouer les mécanismes inconscients... ». Erickson, célèbre initiateur de la nouvelle hypnose, était un formidable conteur et mettait en place ce que Rossi appelle « la communication à deux niveaux, c’est-à-dire, communiquer en même temps au niveau conscient et inconscient » (Erickson & Rossi, 1976/1980) : « La conscience est prise au dépourvu parce qu’on lui apporte une réponse qui ne peut être justifiée... Analogie et métaphore, de même qu’une histoire drôle, sont en mesure d’aboutir à de puissants effets par le même mécanisme faisant émerger des structures d’associations inconscientes et des réponses orientées selon une tendance précise lesquelles soudainement apportent à la conscience une apparemment “nouvelle” signification de réponse comportementale. »
Les éléments d’une métaphore thérapeutique À travers les suggestions, l’enfant va tisser des liens entre lui, l’histoire et le thérapeute. Comme le souligne Gordon (1978), c’est ce sentiment d’identification qui fait la force de la métaphore comme facteur de changement. Mills et Growley (1986, p. 93) en analysant les contes ont discerné des facteurs communs à toutes les histoires qui créent ce que Rossi appelle « une réalité phénoménologique partagée ».
L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
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« Les contes de fée classiques : – font apparaître un thème global de conflit métaphorique avec le personnage principal ; – personnifient des processus inconscients en créant des héros et des personnes de bonne volonté (représentant les capacités et les ressources du protagoniste), des méchants et des malveillants (représentant les peurs et les croyances négatives du protagoniste) ; – personnifient des situations d’apprentissage parallèles dans lesquelles le protagoniste est performant ; – présentent une crise métaphorique dans un contexte de résolution certaine, grâce à laquelle le protagoniste dépasse et résout son problème ; – développent un nouveau sentiment d’identification pour le protagoniste comme un résultat de sa victorieuse « quête héroïque » ; – culminent avec une célébration lorsque la valeur propre au protagoniste est reconnue. »
En se basant sur ces éléments, le thérapeute crée, seul ou avec l’enfant, des contes, des histoires dans lesquels l’enfant puise ce dont il a besoin pour gérer ses difficultés.
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LA
RATIFICATION DE LA TRANSE
Lorsque l’enfant retourne à son état de conscience habituel, le thérapeute peut proposer à l’enfant de décrire son expérience, s’il le désire, et les sensations éventuellement « bizarres » qu’il a développées ou ressenties. Cette évocation peut aider l’enfant à confirmer et à comprendre l’expérience qu’il a vécue en hypnose. Il est important que l’enfant sache que ce qu’il a expérimenté n’est pas provoqué par la toute-puissance du thérapeute mais constitue une production propre. Dans un contexte d’inconfort ou de peur, l’hypnose s’autovalide. L’objectif est de faire comprendre à l’enfant qu’il possède les outils pour gérer son anxiété et/ou sa douleur. Une phrase comme « Tu sais comment faire » peut être suffisante pour qu’il comprenne que cet outil hypnotique pourra, dans les mêmes situations, être réutilisé « à la demande ».
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Q UELQUES
A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
ILLUSTRATIONS CLINIQUES Léa et Quentin, une énurésie nocturne
Léa, neuf ans, est l’aînée d’une famille de quatre enfants. Elle vient nous voir dans le cadre d’une énurésie primaire nocturne et nous est envoyée par l’urologue pédiatrique. Il est essentiel que l’évaluation médicale de l’énurésie soit menée avant de réaliser un travail en hypnothérapie. Léa nous explique les nombreux traitements médicamenteux qui ont déjà été essayés ainsi que l’alarme de nuit. Elle est très gênée par son problème. Il l’empêche d’aller dormir chez des copines et elle a été l’objet de moqueries lorsqu’elle est partie en classe de ferme avec l’école, deux ans auparavant. C’est une petite fille très soucieuse de bien faire tout ce qu’elle entreprend ; elle a de nombreuses activités extrascolaires et s’intéresse à beaucoup de choses. Léa explique qu’elle ne se réveille pas la nuit et qu’actuellement elle met un lange pour éviter de changer les draps chaque jour. Ses parents ne se fâchent pas sur elle. Interroger les parents sur ce qu’ils font/ne font pas, leurs réactions (punition, colère) nous permet également de mieux comprendre le problème de l’enfant et d’éventuellement aider les parents afin d’élaborer ensemble une attitude constructive par rapport au problème et d’encourager les progrès de l’enfant. Il est fondamental de recueillir les croyances et les hypothèses que l’enfant se fait par rapport à son problème. Nous lui expliquons le fonctionnement de son corps par un dessin, le fonctionnement des reins, de la vessie... le cerveau qui commande les différents organes. Léa a déjà reçu une explication très claire du fonctionnement de son corps chez son médecin. Au travers d’un dessin, elle nous donne sa vision de son problème. Léa est concentrée sur son dessin, quand nous lui demandons d’imaginer ce qu’elle peut faire pour que cela se passe autrement. Elle prend alors une autre feuille et dessine un nouveau dessin (dessin 7) : un drapeau avec stop en lettres rouges est représenté. – Et ensuite ? lui demandons-nous. Léa effectue le dessin 8 : un bras réveille sa « vessie » et le dessin 9 illustre la résolution de son problème. À travers sa représentation et d’autres délicieuses métaphores comme celle reprise dans le livre Métaphores thérapeutiques pour enfants : Sammy l’éléphant et M. le chameau 1 , Léa reprend progressivement le contrôle de sa vessie. D’autres métaphores ont été utilisées comme « une petite grenouille imaginaire qui préfère être au sec et l’aide chaque nuit à être confortable dans son lit et à s’éveiller si nécessaire ».
1. Mills J.C., Growley R.J. (1986), pp. 180-189.
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L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
Léa a pu s’imaginer son problème résolu en se sentant fière d’elle. Elle est partie trois mois plus tard en classe verte avec l’école et elle nous écrit : « Tout s’est bien passé la nuit, la journée et avec mes copines de chambre. En un mot, c’était génial. »
Dessin 7
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Dessin 8
Dessin 9
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Quentin, onze ans, qui souffre également d’un problème d’énurésie nocturne met au premier plan, à travers son dessin, sa difficulté à gérer les moqueries de ses camarades (dessin 10). Il a tendance à s’effacer et à éviter les autres. Le travail avec Quentin se centrera aussi sur le développement de ses habiletés à répondre aux moqueries et à s’affirmer en s’imaginant face à ses copains.
Dessin 10
Vicky, un stress post-traumatique Vicky, 7 ans, vient nous voir suite à un accident de voiture qu’elle a subi avec sa maman. C’est la kinésithérapeute qui nous l’envoie. Vicky est suivie par celle-ci car elle présente des douleurs multiples. Les images de l’accident lui reviennent souvent et cela lui fait peur. Les examens médicaux n’ont mis aucune lésion en évidence. Vicky est une enfant qui jusque-là allait très bien. Vicky raconte l’accident : un monsieur n’a pas respecté la priorité de droite et a percuté leur voiture. Elle dessine l’accident (dessin 11) en nous expliquant que le pare-brise a volé en éclats et qu’elle s’est retrouvée expulsée de la voiture, sur le trottoir, toute seule. Elle ne savait pas où était sa mère et a eu très peur. Nous lui demandons à ce moment-là ce qui aurait pu l’aider. Vicky complète son dessin. Elle dessine Peter Pan, Gwendoline et la fée Clochette qui envoie sa poudre magique. Vicky se retrouve main dans la main de sa maman, elles volent ensemble et Vicky n’a plus peur. La séance suivante, Vicky arrive détendue et souriante. Elle n’a plus de douleur nulle part et nous dit qu’elle se sent bien et qu’elle ne doit plus revenir.
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L’ HYPNOSE ET L’ ENFANT
Dessin 11
Aurélien, victime d’un « car-jacking » Aurélien, neuf ans, vient nous voir suite à un car-jacking. Un article dans un journal belge (La Dernière Heure, Emmanuelle Praet), relate son histoire : « L’enfant a crié à temps. Effrayé par l’agresseur qui pointait un couteau de 45 cm, le gamin a hurlé, empêchant le car-jacking.
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Bruxelles. Quand on a huit ans à peine, il existe des événements qui peuvent marquer une vie. Voir son père menacé d’un couteau, par exemple. Surtout quand la lame mesure 25 cm. Il était environ 19 h., mercredi, lorsqu’Alain et son fils âgé de huit ans circulaient à bord d’une Mercedes E230, rue des Foulons à Bruxelles. La circulation ralentit, Alain arrête son véhicule. Dans son rétroviseur, il remarque quelqu’un qui court en s’approchant de lui. Soudain, l’homme fait irruption à l’intérieur de la Mercedes et s’installe sur le siège passager. « Sors de la bagnole », lui crie-t-il en le menaçant d’un couteau d’une longueur totale de 40 centimètres, dont 25 cm de lame, et 2 cm de largeur. Alain refuse d’obéir. Le malfaiteur réagit violemment et entaille l’automobiliste à la main gauche. Alain réagit en donnant un coup de poing dans la figure de son agresseur. Le fils de l’automobiliste, assis sur le siège arrière, assiste à la scène. Il ne peut que constater que quelqu’un s’en prend à son père. Impuissant, vu son jeune âge, sa seule réaction est de hurler de toutes ses forces. Ces cris ont porté leurs fruits puisque l’agresseur a pris la fuite dans la rue des Foulons.
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Alain n’est que légèrement blessé. Sa montre l’a, en effet, protégé. Pour ne pas perturber davantage son fils, Alain l’a ramené chez lui. Il s’est ensuite rendu auprès du service de police pour y signaler l’agression dont il avait été la victime. Ainsi, c’est grâce aux cris de son fils qu’Alain aura pu conserver sa voiture. » Depuis plusieurs mois suite à cette agression, Aurélien n’arrive plus à dormir la nuit. Il ne trouve plus le sommeil et ne parvient à être rassuré qu’en dormant dans le lit de ses parents. Nous lui proposons de dessiner ce qui s’est passé. Il dessine son papa au volant de sa voiture et l’agresseur brandissant le couteau (dessin 12). Nous lui demandons ensuite ce qui s’est passé. Aurélien prend une autre feuille et nous montre comment l’agresseur s’est introduit et a menacé son père (dessin 13). Nous demandons ensuite à Aurélien ce qu’il pourrait faire maintenant pour se sentir mieux. Il dessine l’agresseur derrière des barreaux et couché (dessin 14). Ensuite, il se dessine face à l’agresseur devenu inoffensif et lui dit : « Bien fait pour toi » (dessin 15). Pour le rendre complètement ridicule, il finit par lui mettre de grandes oreilles (dessin 16). L’hypnose a travers les dessins a permis de réaliser des « arrêts sur image » et de maîtriser la peur en se réappropriant un rôle actif par rapport au traumatisme. Après cette séance, Aurélien a pu retourner dans son lit et s’endormir sereinement.
Dessin 12
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Dessin 13
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Dessin 14
Dessin 15
Dessin 16
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Benjamin et la sonde gastrique Benjamin, quatre ans, attend un cœur car il souffre d’une pathologie cardiaque qui nécessite une greffe. Le médecin de l’hôpital nous dit que Benjamin doit avoir une sonde gastrique. Il a essayé de mettre seul cette sonde pour se nourrir mais n’y est pas arrivé. Le médecin propose à Benjamin l’hypnose pour l’aider. Nous sommes à la période des fêtes de fin d’année et Benjamin rêve d’une voiture téléguidée. Cette voiture servira à aider Benjamin pour mettre la sonde. Nous dessinons ensemble sur une grande feuille de papier le chemin que la voiture (la sonde) empruntera pour sa course. Cette route est bordée d’arbres et d’un ruisseau. Au moment de mettre la sonde, Benjamin prend la voiture qu’il installe au point de départ. La vitesse à laquelle il déplace la voiture dans sa course permettra à l’infirmière de connaître le rythme auquel elle pourra descendre la sonde. Nous suggérons que la pluie se met à tomber, qu’il y a beaucoup d’eau. La sonde glisse facilement. Benjamin se montre détendu et se sent fier d’être arrivé si vite au point d’arrivée de la course. La prochaine fois, Benjamin n’aura plus besoin de l’infirmière, il se sent prêt à mettre la sonde tout seul.
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EXPLIQUÉE AUX ENFANTS PAR UN ENFANT
Pour terminer ce chapitre, voici l’extrait d’un fascicule écrit par une jeune patiente de treize ans, de N. Cuddy (Rouge-Cuddy, 1990) hospitalisée en cancérologie qui explique ce qu’est l’hypnose à d’autres enfants : « Qu’est-ce que c’est l’hypnose ? C’est quelque chose qui peut t’aider si tu as des problèmes. C’est quelque chose que tu dois inventer. Tu utilises ton imagination, tu dessines, tu utilises des autocollants et fais une cassette pour te rappeler comment le faire. Au commencement, tu le fais avec quelqu’un mais après, quand tu es prêt, tu peux apprendre à le faire tout seul. Comment se sent-on en hypnose ? Lorsque tu commences l’hypnose tu ne sais pas ce que tu vas pouvoir faire, tu es surpris lorsque tu fermes les yeux et que tu imagines des ballons de toutes les couleurs. Tout à coup, sans le savoir, ta main commence à bouger et à monter comme si tu étais dans un rêve. Ce rêve est spécial, car tu peux choisir ce que tu veux voir. Si tu veux voir un pays magique, tu peux en voir un que tu inventes et lorsque tu comptes de 10 à 1, le rêve s’achève et tu te réveilles. Quand tu te réveilles, tu te sens mieux qu’avant
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et très fier de toi. Pour dormir Je me mets en hypnose et m’imagine que mes voisins partent en vacances et me demandent de soigner leur chat, leurs deux chiens, le hamster et le cochon d’Inde. Je dois donner à manger et promener les chiens, un à la fois car ils ne s’aiment pas. À la fin de la journée, je suis tellement fatiguée que je m’endors facilement. Quand j’ai mal au ventre Je fais venir Express bear, mon ours. Son travail est de dire aux travailleurs dans mon ventre de travailler plus doucement, plus lentement, et avec plus de soin. Si ce n’est pas suffisant, il leur demande de tapisser. Pommade contre le mal Si je dois avoir des injections qui font mal, j’utilise ma crème magique pour endormir la place où on va me faire l’injection. De temps en temps, la crème change de couleur, ça dépend de son usage. Ce que l’hypnose m’apporte Avant, j’avais peur et j’étais nerveuse avant les tests à l’école et les examens médicaux, mais maintenant je sais que je peux me relaxer et trouver une manière de résoudre mon problème avec l’hypnose. Lorsque je me mets en hypnose, je me sens en sécurité, libre de tension et capable de faire face à n’importe quoi (même à un lion). Je me sens mieux parce que je suis indépendante et je n’ai pas besoin d’attendre que quelqu’un puisse venir m’aider.. »
Ce témoignage montre qu’au-delà de la gestion de la douleur et de l’anxiété liées à certains soins médicaux, l’hypnose permet de modifier le vécu de l’enfant par rapport à ses difficultés. L’enfant devient acteur et découvre ses ressources personnelles pour faire face à son problème.
Chapitre 10
DOULEUR ET SOUFFRANCE Isabelle Celestin-Lhopiteau
« L’expérience n’est pas ce qui arrive à l’homme, c’est ce que l’homme fait avec ce qui lui arrive. » (Aldous Huxley)
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« Que veut dire changement en psychothérapie... ? C’est une modification des rapports qu’un individu entretient avec lui-même, avec les autres personnes et les choses de son environnement. Il s’agit donc d’une transformation du complexe relationnel dans lequel se trouve inséré un individu. » (F. Roustang)
La douleur est une expérience partagée par l’ensemble de l’humanité. Elle s’exprime de façon très variable, selon les peuples et les cultures, mais aussi d’un individu à l’autre. La douleur ne se manifeste pas toujours par des grands cris ; elle peut s’exprimer, par une prostration, par une sorte d’indifférence au monde. Mais elle a toujours pour point commun de couper celui qui en souffre d’une relation équilibrée au monde et à soi-même. L’individu qui a mal est concentré sur sa douleur, se replie sur lui-même, ce qui le fait sortir du mouvement habituel de la vie en réduisant son monde à la douleur et à elle seule. La douleur ne modifie pas seulement la relation de l’individu à son propre corps mais aussi aux autres et au monde qui l’entoure. Ainsi douleur et souffrance sont à l’image du dieu Janus, dieu à deux visages, prises dans un nouage étroit ou lâche selon le contexte, inséparables mais pourtant distinctes. En effet, s’il n’y a pas de douleur
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sans souffrance, avoir mal et souffrir, avoir mal et être mal, est pourtant différent : on ne peut penser la douleur et la souffrance qu’à la condition de ne pas les confondre. Pourtant, dans la littérature traitant de la douleur, mais aussi dans la démarche même de traitement de la douleur, subsiste souvent une dichotomie amenant à penser que la douleur serait physique, relèverait du corps et la souffrance serait morale, psychique. Or cette dichotomie est issue d’une autre qui a longtemps persisté et persiste parfois encore : celle du corps et de l’esprit. Nous nous situerons ici dans une vision uniciste corps/esprit : le corps n’est pas seulement physique et fonctionnel, il est aussi lieu d’affects, de représentations, d’émotions et outil de relation. Corps et esprit sont deux faces de la même entité. Il s’agit de sortir du dualisme cartésien, de cette tendance à dissocier et à mettre en relation hiérarchique le psychologique et le somatique, le corporel et le mental. La dichotomie entre douleur et souffrance est également artificielle : la douleur purement physique n’est qu’un cas limite, car elle va rarement sans douleur psychique, comme l’est aussi la souffrance supposée purement psychique, qui s’accompagne régulièrement de somatisation. Dans ce chapitre, après avoir défini les termes de douleur et de souffrance, nous nous pencherons sur le jeu de variations existant de l’une à l’autre. Nous verrons alors que traiter la douleur amène, de fait, à prendre en charge la souffrance et qu’il existe des pièges à poser trop vite un diagnostic. Nous aborderons ce que l’hypnose nous apprend sur la douleur et sur la souffrance puis la pertinence de l’approche hypnotique dans ces domaines.
DE
LA DOULEUR RESSENTIE PHYSIQUEMENT À LA SOUFFRANCE PSYCHIQUE Tout d’abord, rappelons la définition de la douleur de l’Association Internationale de l’Étude de la Douleur (IASP) qui intègre à la fois les aspects somatiques et psychologiques : « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en terme d’une telle lésion. »
Diverses études ont montré que l’intensité de la douleur perçue n’est pas proportionnelle au type de lésion ni à l’étendue des lésions tissulaires. Différents facteurs environnementaux ou internes vont moduler
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la perception du message et les réponses neurobiologiques du système nerveux central pour atténuer cette perception. La douleur est multidimensionnelle et « filtrée » par les émotions, le savoir et la mémoire du sujet. La douleur peut se traduire par le cri, la prostration alors que la souffrance ouvre la voie de la plainte. En quelque sorte, souffrir fait passer un individu douloureux d’un « J’ai mal » à « Je suis mal ». La souffrance renvoie à l’émotion, et ainsi à la subjectivité voire à l’intimité. Certains patients vont demeurer dans une souffrance très importante, bien que la douleur soit bien prise en charge, contrôlée : souffrance d’un futur incertain, de perdre le contrôle face à la maladie grave, de se sentir envahir par la maladie, physiquement et ou psychologiquement. Tout un jeu de variations apparaît donc de la douleur à la souffrance. La douleur purement physique n’est qu’un cas limite, car elle va rarement sans douleur psychique, comme l’est la souffrance purement psychique, qui s’accompagne souvent de somatisation. Divers exemples éclairent la multiplicité des liens entre douleur et souffrance. La douleur, voire l’anticipation de la douleur, cause du stress, de l’angoisse et génère de la dépression. Mais on sait également qu’à l’inverse, plus on a peur, plus on a mal. Dans le domaine de la douleur chronique, le stress peut déclencher, entretenir ou résulter de cette douleur. Ou encore lors de soins, quand la douleur est mal soulagée et que l’expérience des soins est mauvaise, cela a des conséquences sur le plan psychologique mais aussi physiologique. La douleur infligée, mal soulagée, provoque une majoration de la douleur lors des gestes ultérieurs, une peur allant parfois jusqu’à la phobie des soins ultérieurs ainsi que des troubles du comportement. Annabel Wunsh et Léon Plaghki (2003) ont montré dans leurs travaux expérimentaux sur la douleur que les caractéristiques affectives et sensorielles de la douleur peuvent être encodées dans le système nerveux central d’une façon associative, non consciente et indélébile. Les traces de la douleur existent : les enfants qui ont été circoncis sans anesthésie présentent des scores de douleur plus élevés que ceux qui l’ont été avec anesthésie (Taddio, 1997 ; Kotiniemi, 1997) ; lors d’une étude auprès de 551 enfants de quatre mois à treize ans, on a constaté des changements dans le caractère et le comportement dans les semaines suivant une intervention en ambulatoire, changements d’autant plus flagrants que la douleur était présente à la maison et si l’enfant avait eu de mauvaises expériences des soins : troubles du sommeil, attachement « excessif » à la mère. Dans les atteintes délibérées du corps, par exemple, les scarifications (pratiquées par des adolescents en souffrance mais aussi très fréquentes
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dans le monde carcéral), l’individu se fait mal pour échapper à la souffrance qui l’étouffe, et contrôler quelque chose, la douleur qu’il s’inflige. D’ailleurs, le moment de la scarification est rarement douloureux, l’acte étant comme anesthésié. C’est une façon de se réapproprier son corps face au monde, comme le rappelle David Le Breton : « La douleur physique est parfois une butée symbolique à opposer à la souffrance, une manière de contrer son hémorragie et de la transférer dans un espace où elle devient un instant contrôlable, une digue contre une angoisse qui menace d’engloutir l’individu. Dernier rempart contre une indicible souffrance, ultime tentative, désespérée, de se maintenir au monde. »
Si une personne décide des circonstances d’une douleur (dans le cas des piercings et modifications corporelles mais également lors de performances dans un cadre sportif), cette personne a alors un contrôle sur sa douleur, qui n’est pas associée à de la souffrance. Il y a, en quelque sorte, création d’un pacte symbolique avec la douleur.
T RAITER
LA DOULEUR ET PRENDRE EN CHARGE LA SOUFFRANCE : LES PIÈGES DES DIAGNOSTICS TROP VITE PORTÉS
La complexité de la douleur, expérience universelle et intime, justifie le « réflexe pluridisciplinaire » de sa prise en charge. Notre expérience en centre de traitement de la douleur nous apprend que soulager la douleur, c’est l’aborder à la fois dans ses manifestations objectives, au niveau corporel (localisation, type, intensité...) et en même temps, dans ses conséquences au sein de l’existence du patient (la dimension de l’individualité, de la subjectivité). Du fait de cette complexité, il y a parfois des risques à poser des diagnostics trop vite. Le piège serait tout d’abord de plaquer un diagnostic psychologique ou médical, avec le risque d’un discours tranché rejouant en permanence cette dichotomie corps-esprit. •
Le risque du discours « tout psy » est de privilégier l’hypothèse d’une cause psychologique sans rechercher du côté somatique. Or, la douleur est un symptôme mis en avant par de nombreux patients névrotiques, mais cela ne signifie pas qu’elle soit la plupart du temps d’origine psychique. Elle est, avant tout, un langage et donc un révélateur de la personnalité du patient.
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Le risque du discours « tout médical » est de ne pas prendre le temps d’entendre la souffrance du patient et même parfois de ne pas laisser le temps au patient d’exprimer cette souffrance, d’aborder les manifestations objectives de la douleur sans se pencher sur ce qu’elle implique au sein de la vie du patient. Au-delà d’une bonne prise en charge de la douleur, les patients peuvent vivre des souffrances très importantes qui ne sont pas forcément prises en compte par les soignants. Prendre en charge la souffrance, c’est d’abord l’accueillir. La plainte du patient est autant un appel au diagnostic, à l’acte médical, qu’un appel au lien, avec l’autre qui peut l’écouter.
Au-delà de l’évidence de l’importance du diagnostic, l’investigation et le soulagement de la souffrance fait partie intégrante du rôle de tout soignant. Il s’agit d’avoir accès à l’individu douloureux et pas seulement à la douleur de l’individu. Un diagnostic parfois vite posé risque d’enfermer sur la douleur de l’individu et de ne pas laisser l’accès à l’individu douloureux. C’est le paradoxe de la douleur : elle doit être traitée objectivement, mais par ailleurs, elle est un phénomène subjectif. Au-delà de l’universalité d’un diagnostic, l’expression individuelle du sujet, l’intime, le fait qu’une personne réagisse différemment par rapport à une autre, implique d’adapter une thérapeutique. Pour mieux cerner le phénomène douloureux, il est nécessaire d’aborder le vécu de la maladie et les représentations que le patient s’en fait. Le risque, sinon, est d’enfermer l’individu dans des généralités, de le ramener à une théorie qui le définit et ainsi le faire disparaître en tant que sujet. Face à un symptôme, les thérapeutes donnent du sens à celui-ci en le ramenant à leur cadre de référence. C’est l’effet rassurant de la théorie, que Maud Mannoni (1999) dénonçait déjà dans son livre La Théorie comme fiction, théorisation fonctionnant de façon défensive pour le thérapeute, l’empêchant d’être pleinement dans la relation avec son patient. Il ne s’agit pas évidemment de n’avoir aucune théorisation de la pratique, mais de garder une distance suffisante pour la relation. F. Roustang (2003) l’évoque dans Il suffit d’un geste : « Mais où va-t-il [le thérapeute] trouver la possibilité de se mouvoir dans son rapport au patient ? Dans le vide qui va lui permettre d’instaurer une aire de jeu, de commencer une danse dont les figures ne sont pas prescrites... Il est vide de tout préalable parce qu’il ignore ce qui pourra se passer. »
Le thérapeute accepte de ne « pas savoir », et d’écouter le patient. C’est lorsque rien ne lui est demandé, devant l’absence de désir du thérapeute à son égard, qu’une demande, un désir de changement peut
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apparaître chez un patient. « Qu’est-il requis du thérapeute pour rendre au patient sa mobilité ? Sa propre mobilité. » La mobilité dont parle F. Roustang serait le facteur non spécifique, c’est-à-dire, commun à toute psychothérapie : « il est le mouvement produit par le thérapeute qui met en mouvement l’existence du patient figée en un ou plusieurs endroits » La pratique même de l’hypnose, son approche transthérapeutique et ses diverses modalités d’utilisation vont à l’encontre de ce risque de la modélisation, de l’objectivation du patient. L’hypnose nous apprend à rencontrer le patient avec ses moyens de communication. Cet espace thérapeutique met en scène à la fois la créativité du patient et celle du thérapeute.
CE
QUE L’ HYPNOSE NOUS APPREND SUR LA DOULEUR ET SUR LA SOUFFRANCE L’imagerie cérébrale fonctionnelle a montré qu’il n’y a pas un centre de la douleur dans le cerveau mais plusieurs régions corticales et souscorticales qui sont activées pendant l’expérience de la douleur (Rainville, Bushnell, 1999). Quel que soit le type de douleur, qu’il s’agisse d’une douleur aiguë, chronique, provoquée par des soins, cutanée, viscérale, les messages douloureux rejoignent d’abord la moelle épinière, avant de monter au sein de celle-ci jusqu’à diverses structures sous-corticales telles que le thalamus. Ils atteignent finalement diverses zones du cortex cérébral : le cortex somatosensoriel (qui reçoit des signaux de toute la surface du corps et des viscères), le cortex cingulaire antérieur et le cortex de l’insula qui est impliqué principalement dans le contrôle du système nerveux autonome, qui gère les mouvements et les réponses automatiques des viscères, comme le cœur qui s’emballe, par exemple, lors d’une douleur aiguë. Diverses études d’imagerie cérébrale fonctionnelle ont par ailleurs montré que des approches telles que l’hypnose, la distraction, la visualisation... modifient l’activité des régions cérébrales normalement impliquées dans la perception de la douleur, qui s’en trouve modulée. Le traitement de la douleur par l’hypnose fait l’objet d’un nombre très important d’études. Les données de diverses études mettent clairement en évidence que l’hypnose permet de dissocier et de traiter distinctement les deux composantes de la douleur : sensori-discriminative (l’intensité, la localisation et la dynamique spatiotemporelle de la douleur), et affective (les émotions associées à cette sensation) (Meier et coll., 1993 ; Rainville, 2003, 1997). Elles confirment également que le cortex
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cingulaire antérieur est davantage impliqué dans la réponse émotionnelle à la douleur, alors que le cortex somatosensoriel intervient pour sa part dans la dimension sensorielle, c’est-à-dire, la qualité et l’intensité de la douleur. Attardons-nous sur deux des études de Pierre Rainville qui apportent véritablement un renversement épistémologique : l’expérience subjective de la douleur devient l’objet principal de la recherche sur la douleur alors qu’elle n’était jusqu’à présent qu’une variable secondaire. •
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Pour la première étude, durant une séance d’hypnose, on suggère à une personne qu’elle ressentira du découragement et de la détresse face à la douleur qu’on lui infligera et que cette douleur sera intense, persistante, impossible à contrôler ; cette personne affirme – après l’expérience de la stimulation douloureuse – que la douleur n’était pas plus intense mais surtout qu’elle était nettement plus désagréable qu’en l’absence de ces suggestions négatives. À l’imagerie cérébrale fonctionnelle, apparaît une modulation de l’activité du cortex cingulaire antérieur, une structure du système limbique, la région du cerveau responsable de la gestion des émotions. Plus le cortex cingulaire antérieur est activé, plus le désagrément que les sujets manifestent est élevé. Cette région du cerveau aurait donc un rôle à jouer dans l’aspect affectif de la douleur, mais également dans le contrôle des réponses motrices et cognitives associées à la douleur telles que les réflexes de retrait, les comportements d’évitement et même des phénomènes d’apprentissage. Lors d’une expérience douloureuse, nous enregistrons, en effet, les caractéristiques de l’environnement, lesquelles nous aideront à prédire l’apparition de cette douleur et nous permettront éventuellement de l’éviter. Dans le cadre d’un second protocole expérimental sur la distraction, des sujets sont invités à porter leur attention sur des sons et à détecter des changements dans la hauteur de ces sons. Quand les sujets se concentrent sur cette tâche, ils affirment que leur douleur diminue. En revanche, quand ils doivent détecter des changements dans l’intensité de la douleur, celle-ci est plus élevée. Or, simultanément sont observés des changements dans l’activité du cortex somatosensoriel. L’activité évoquée par la douleur était notamment moins forte quand le sujet était distrait de sa douleur. Dans cette tâche cherchant à faire diverger l’attention du sujet, seule l’activité du cortex somatosensoriel fut modifiée, contrairement à l’expérience sur l’hypnose. De plus, les sujets déclarent que non seulement le désagrément de la douleur a varié, mais également son intensité. Alors que dans l’étude sur l’hypnose, les sujets soulignent n’avoir perçu aucun changement dans l’intensité
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de la douleur qui, néanmoins, les dérangeait nettement moins lorsque l’expérimentateur formulait des suggestions positives. Par ailleurs, pour mieux cerner le phénomène douloureux, il est nécessaire d’aborder le vécu de la maladie et les représentations que le patient s’en fait. Il arrive souvent que le patient rentre dans une recherche de la signification de la douleur et du sens qu’elle prend pour lui. Il peut lui être proposé en thérapie une démarche d’insight, de parole, de sens, un cheminement des maux aux mots. Selon F.-W. Nietzsche : « Ce qui révolte, ce n’est pas la souffrance mais son non-sens. » Quand on met du sens sur ce qu’on subit, on a toujours mal mais on souffre moins : la souffrance serait réduite par le savoir. Ce que l’hypnose nous apprend alors, également, c’est qu’il y a une autre façon de sortir de la douleur ou de la souffrance. L’hypnose propose une démarche de recul, de perspective, un pas de côté, l’expérience pendant la séance d’hypnose de ce que serait l’effet du changement. L’hypnose nous montre qu’on peut changer sans savoir.
C OMMENT EXPLIQUER LES BÉNÉFICES QU ’ APPORTE L’ HYPNOSE ? Nous avons vu que la douleur a toujours pour point commun de couper celui qui en souffre d’une relation équilibrée au monde et à soi-même. La personne qui souffre est concentrée sur sa douleur, elle se replie sur elle-même, ce qui la fait sortir du mouvement habituel de la vie en réduisant son monde à la douleur et à elle seule. Alors, nous pouvons nous demander, et plus particulièrement, quand une douleur devient chronique, comment le thérapeute peut-il amener son patient à modifier son rapport au monde, à sortir de l’impasse produite par la souffrance, par l’habitude et la peur de la douleur ? Comment dégager de ce cercle vicieux la personne figée dans l’angoisse de la douleur et la faire accéder à une autre perception d’elle-même et du monde, à changer sa posture face à la vie ? L’hypnose, la transe hypnotique appliquée au traitement de la douleur est une des voies privilégiées pour cela. Pour atteindre ce but, il existe diverses thérapies qui passent par le vecteur de la transe et qui, sous l’infinie variété de ses formes, définissent un art de soigner et parfois plus, un art de vivre. La transe est un passage, un changement dans l’existence qui est utilisé en hypnose mais aussi dans d’autres thérapies, médecines traditionnelles.
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Les médecines alternatives ou traditionnelles se présentent sous des apparences très diverses, mais elles se rejoignent sur un point essentiel : en traitant conjointement le corps et l’esprit, elles permettent au patient de reprendre place dans la vie, dans son groupe et, plus largement, dans le monde. La transe a évolué tout au long de l’histoire ; son usage, sa mise en scène, la façon même d’entrer en elle s’est transformée au fil des modifications du monde. Certaines sociétés la prennent en compte de façon évidente et délibérée (c’est le cas pour nombre de sociétés traditionnelles en Afrique). D’autres l’utilisent sans la nommer, en la désignant selon leur terminologie philosophique propre (on peut évoquer alors nombre de techniques psychocorporelles orientales, comme le Qi-Gong, le Tai-Chi-Chuan ou les arts martiaux, qui parlent d’énergie, d’équilibre, de rapport harmonieux au ciel et à la terre). En fait, à travers la variété infinie de ses expressions, la transe recouvre une même réalité, un même rapport du corps à l’esprit : pour toutes les médecines traditionnelles, le corps et l’esprit sont indissociables, ce sont les deux faces d’une même entité. Différentes conceptions du soin existent : celle qui consiste à guérir, soigner le symptôme ; celle qui consiste à prévenir l’apparition du symptôme. La médecine occidentale considère le corps comme une machine biologique complexe, alors que la plupart des médecines traditionnelles y voient un aspect de la personne considérée dans son ensemble et dans sa relation à la société. Pour ces médecines, l’homme est un tout vivant, indissociable de son environnement. Dans la médecine africaine traditionnelle, les rituels, incantations, prières, sont proposés au patient pour renouer ses liens profonds qui le rattachent à l’univers, pour lui permettre de se resituer dans le contexte global de son existence. Guérir, c’est aussi « tranquilliser les patients en tant que personnes totales dans la structure de leur vision du monde spirituelle, de leur famille et de leur culture » (Paul Philibert). Chaque époque et chaque culture pensent le soin en fonction de croyances et de métaphores auxquelles il semble essentiel d’adhérer si l’on veut bénéficier de l’efficacité des remèdes inventés. Le système occidental est lui-même pris dans ce fonctionnement. Au sein même de cette nouvelle religion qu’est la science médicale, le placebo rappelle à quel point les soins, quels qu’ils soient, sont pris dans des systèmes de croyance dans lesquels la relation médecin-malade est primordiale. Chaque thérapie a ses rituels : les gestes du thérapeute, sa façon de diagnostiquer, le vêtement qu’il porte (blouse blanche ou bonnet à
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plumes), les objets qu’il utilise (stéthoscope ou tambour), il faut les connaître et y adhérer pour guérir. L’hypnose, dans son approche transthérapeutique et dans ses diverses modalités d’utilisation, est un apport des plus précieux, dans la prise en charge de la douleur (qu’elle soit aiguë, due aux soins, ou chronique) et de la souffrance. L’approche hypnotique propose, en effet, de multiples stratégies orientant le patient vers ses propres ressources. Les procédures d’inductions hypnotiques incluent des inductions de relaxation, l’utilisation de l’imagerie mentale, un travail sur les stratégies de coping1 qui vont être intégrés de façon libre en fonction du patient, de sa personnalité et de sa douleur. Toutes les stratégies de coping n’ont pas la même efficacité pratique à réduire l’angoisse et l’anticipation anxieuse et toutes les pratiques n’activent pas de la même façon les stratégies de coping. Miller et Barabasz (1991) ont comparé deux inductions hypnotiques avec ou sans relaxation, et avec ou sans suggestions d’analgésie dans la douleur expérimentale. Il apparaît que la relaxation n’est pas nécessaire pour obtenir l’analgésie hypnotique et que l’hypnose est plus efficace si elle comprend des suggestions d’analgésie. Les différentes composantes de la douleur (sensori-discriminative, émotionnelle et cognitive) seront donc simultanément ou distinctement modifiées par le traitement hypnotique. La clinique, ainsi que des études systématisées mettent en évidence que l’hypnose provoque des changements neurophysiologiques, émotionnels, cognitifs et ainsi agit sur la perception de la douleur et son vécu émotionnel. D’un point de vue neurophysiologique, un des mécanismes de contrôle de la douleur consiste à élever le seuil douloureux. Or chez l’adulte, de nombreuses études, et notamment une récente (Benhaiem, Attal, Bouhasira, 2001), mettent en évidence que l’hypnose peut élever ce seuil douloureux : les suggestions d’analgésie augmentent les seuils de perception thermique ainsi que les seuils de la douleur au chaud expérimental chez des sujets sains. L’hypnose en psychothérapie privilégie l’imaginaire, le retour aux sensations corporelles plutôt que des interprétations ou un travail sur le sens. L’hypnose peut être définie, comme le propose F. Roustang, comme « un état de veille intense, à l’instar du sommeil profond à partir duquel 1. Définition du coping selon Lazarus et Folkman : « L’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, déployés pour gérer des exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées (par la personne) comme consommant ou excédant ses ressources. »
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nous rêvons. De même que ce sommeil profond conditionne l’éclosion du pouvoir de rêver, de même cette veille intense nous fait accéder au pouvoir de configurer le monde ». C’est en se mettant, pendant la séance d’hypnose, en contact plus amplement avec son imagination et à partir de ses expériences corporelles, que le patient va se recentrer peu à peu sur sa propre expérience, l’observer, la considérer différemment, découvrir des possibilités de changement et ainsi réactiver le plus efficacement possible ses propres ressources pour changer. C’est la relation que le patient entretient avec son propre corps, aux autres, au monde qui l’entoure qui va être changée et abordée en hypnose. Chaque individu a une vision du monde qui est une création personnelle, une œuvre d’art faite de sa façon de décoder le monde et d’y réagir, et comme le rappelle Jean-Jacques Wittezaele (2003) dans son livre L’homme relationnel, le plus souvent prise pour une description objective de la réalité. Chaque individu au travers de ses expériences établit des liens de causalité en s’appuyant sur certaines croyances. Cela nous paraît important pour faire face. Mais la vie se charge de détruire ces constructions fragiles. Devant la destruction de nos anciens repères, nous pensons que notre monde va s’écrouler. Pendant l’hypnose, ce travail avec l’imaginaire où différentes réalités sont possibles, nous fait prendre conscience que notre vision du monde n’est qu’une construction et qu’il y en a d’autres possibles. Cette construction a été utile mais ne l’est peutêtre plus dans la situation qui pousse à consulter. Nous expérimentons que ce remaniement de repères ne provoque pas l’écroulement de notre monde. Les séances d’hypnose s’appuient également sur le retour aux sensations du corps, car c’est avec l’imaginaire, comme nous venons de le voir, qu’un patient découvre ses possibilités de changement mais aussi à partir de ses expériences corporelles. Or les enfants, les adultes sont de plus en plus amenés à développer leur capacité à rationaliser au détriment de l’exploration du monde par le ressenti. L’hypnose amène à prendre conscience de ce qui se passe dans l’instant présent, hic et nunc, ici et maintenant, dans une relation aux autres et au monde qui ne passe pas seulement par un moi pensant, mais en explorant l’éventail des sensations, des émotions et des pensées. Il s’agit, en fait, de communiquer plus largement et pas uniquement intellectuellement. Pendant la séance d’hypnose, le patient passe d’une conscience restreinte centrée principalement sur l’intellect à une conscience plus large qui prend racine dans la conscience corporelle, émotionnelle se réarticulant à l’intellect. Il expérimente, prend conscience de sa respiration, de
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sa posture, des sensations du contact de son corps. Travailler avec la respiration, c’est prendre conscience de celle-ci pendant la séance mais aussi à d’autres moments ; ce travail est un moment important de la séance puisqu’il existe une relation bilatérale entre respiration et état émotionnel – la vie psychique influe sur la respiration et la respiration influe sur la vie psychique. C’est au travers de cette conscience corporelle que l’hypnose permet le non contrôle, ce lâcher prise, de laisser apparaître un sentiment de soi stable authentique, un sentiment de confiance en soi en lâchant ce besoin de garder exagérément une image de soi. Or, il arrive que certains enfants créent inconsciemment un faux moi, un faux-self. L’enfant, la plupart du temps, ne peut pas modifier la réalité qui l’entoure, il peut modifier sa réalité psychique et parfois en faux-self. Cela ne va pas sans tension pour maintenir en place ce faux-self et des symptômes peuvent apparaître. Ce faux-self, décrit par Winnicott correspond à l’enfant qu’auraient voulu ses parents, qui le dissocie, à la fois, de la conscience corporelle et de ses sentiments réels. Ce sont des enfants modèles qui acceptent de renoncer à leur monde intérieur pour se conformer aux projets des parents puis de la société. L’exemple d’Iris illustre bien ces répercussions. Fillette de 9 ans souffrant de migraine Il s’agit d’une petite fille de neuf ans venant consulter au centre de la migraine pour des migraines fréquentes (deux à trois par semaine ; selon les critères diagnostiques de l’International headache society) avec une durée de crise supérieure à une heure. La localisation est frontale et la douleur pulsatile, avec nausées, vomissements, aura visuelle et pâleur inaugurale. La sensation douloureuse est décrite comme sensation d’étau qui serre de plus en plus fort le crâne. Les parents notent une amélioration par le sommeil. Quand nous rencontrons Iris, ses migraines ont commencé à perturber son travail scolaire par un fort absentéisme. L’apparition des migraines l’oblige à un ralentissement, dans un emploi du temps complètement rempli, happé par l’école et d’innombrables activités. La question du rythme, du temps, se pose en permanence à cet enfant. Les seuls moments de pause sont finalement les moments de migraine. Les facteurs déclenchants identifiés sont le stress à l’école et lors des activités extrascolaires, la luminosité, le bruit. Il existe une anticipation anxieuse à la fois de la crise de migraine mais aussi des situations jugées stressantes à l’école. On peut repérer chez Iris une autoexigence de perfection l’amenant à dépasser ses limites en permanence, à se saturer pour s’adapter, voir se sur-adapter. Il existe une anxiété de performance forte, prenant racine dans des croyances, des distorsions cognitives, qui reflètent une dysharmonie entre Iris et elle-même : « je suis nulle » ; une dysharmonie entre cette petite
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fille et les autres : « les autres ne m’aiment que si j’ai en permanence les meilleures notes » ou « les autres ne m’aiment que si je n’exprime pas de pensées ou d’émotions contraires à eux » ; une dysharmonie entre elle et le monde : « le monde est dangereux ».
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Iris est en relation avec le monde, le voit avec ce moi plus ou moins faux, voit un monde restreint. Cette difficulté d’affirmer, de faire reconnaître ses sentiments dans l’enfance, crée un risque à l’âge adulte, chez l’enfant qui n’a pu construire un sentiment de sécurité propre, de ne pouvoir se fier à ses sentiments, de ne pas connaître ses vrais besoins et d’être finalement étranger à soi-même : il n’aura l’impression d’exister que dans le regard des autres. L’angoisse d’Iris fait écho au fonctionnement de sa famille, de ses parents, eux-mêmes pris dans une anxiété sociale importante, avec une difficulté à exprimer leurs sentiments. Iris apprend à traverser sa scolarité et peut-être sa vie sans traverser d’émotions négatives, en les chassant en permanence au lieu d’y faire face, en étant toujours performante. Elle est au moment du stress dans une sorte d’hypnose négative sur elle-même, se coupant d’elle-même et n’apprenant pas à se fier à ses sensations corporelles, ses émotions, pour savoir qui elle est et ce qui est bon pour elle. Elle va rechercher désespérément à l’extérieur d’elle-même son sentiment de bien-être et de plaisir, à travers les bonnes notes. Pendant la séance d’hypnose, elle imagine différents scénarios qui vont des plus réalistes au plus imaginaire, elle explore cette situation en la visualisant de différentes places, de la sienne, des autres, en imaginant de nouvelles façons d’y réagir, d’y faire face. L’approche hypnotique, qui lui est proposée, va intégrer de multiples stratégies orientant cet enfant vers ses propres ressources. Les procédures d’inductions hypnotiques incluent des inductions de relaxation, l’utilisation de l’imaginaire au travers d’histoires co-racontées par le thérapeute et l’enfant, un travail sur les stratégies de coping... qui vont être intégrés de façon libre en fonction des séances, de la présence ou non de la douleur, de l’évolution de l’enfant. Les séances d’hypnose vont lui permettre de diminuer la fréquence et l’intensité des crises, en l’amenant à modifier sa vision du monde, à sortir de l’anticipation anxieuse de la prochaine crise, à expérimenter des temps de pauses pendant la séance où il n’y a pas d’effort à faire pour se sentir exister, puis en dehors des séances en auto-hypnose.
Le travail en hypnose restitue à la vie imaginaire sa place, alors qu’elle est de plus en plus occultée dans une adaptation à une société marquée par l’efficacité et la conformité. Or cet imaginaire est précieux dans la construction de la personnalité de l’enfant comme l’écrivait Winnicott : « C’est dans cet espace de jeu, de fantaisie, dans cette aire transitionnelle, que le sujet peut entrer dans une dynamique de création et accéder au désir. »
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
La séance d’hypnose recentre l’enfant sur sa sensation d’exister, crée cet espace où cette sensation de vrai-self se réinscrit dans le corps au moment dans la séance, où il abandonne son besoin de contrôler. La relation hypnotique crée directement cette sensation d’être relié au monde différemment : nous sommes là, présents, sans plus devoir faire d’efforts pour nous sentir exister.
C ONCLUSION Douleur et souffrance sont distinctes et pourtant inséparables, liées de multiples façons, et ayant pour point commun de couper celui qui en souffre d’une relation équilibrée au monde, aux autres et à soi-même. Traiter la douleur c’est l’aborder dans ses manifestations objectives et, en même temps, dans ses conséquences au sein de l’existence du patient. L’hypnose nous apprend qu’il est possible de dissocier et de traiter distinctement les deux composantes de la douleur, sensori-discriminative et affective, et de changer la relation que le patient entretient avec son propre corps, avec les autres, et avec le monde qui l’entoure.
Chapitre 11
CÉPHALÉES : MIGRAINES ET AUTRES MAUX DE TÊTE Paul-Henri Mambourg
maux de tête – les céphalées – affectent, avec une fréquence élevée, une grande partie de la population européenne : 21 % des adultes (trois à quatre femmes pour un homme) et 5 à 10 % des enfants (Lantéri-Minet et al., 2005 ; Abu-Arapeh et Russel, 1994). La prévalence en Asie et en Afrique pourrait être très proche (OMS, 2004). Il s’agit donc d’un des symptômes les plus courants qui perturbe considérablement la qualité de vie de nombreuses personnes et dont le coût économique calculé (c’est une coutume de la médecine actuelle) représente des sommes importantes (50 millions d’heures de travail ou de scolarité perdues par année en Grande Bretagne ; OMS, 2004). Or 20 % seulement de ces personnes consultent (Lantéri-Minet et al., 2005). Peut-être parce qu’il n’existe pas encore de traitement vraiment efficace (les causes « psycho-physio-pathologiques » sont encore floues), peut-être aussi parce que la fréquence du symptôme le banalise et l’inclut dans les habitudes culturelles.
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L
ES
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
C OMPRENDRE
LE SYMPTÔME
La plupart des images actuelles sont réalisées par des méthodes informatiques qui superposent des « calques », des « transparents » représentant un ou des éléments constitutifs des images. Lorsqu’elles sont animées ou sériées (dessins animés, bandes dessinées), certains calques restent inchangés tandis que d’autres varient pour s’adapter à l’histoire et au contexte. Les différents plans sont en interaction car tout changement introduit dans une de ces « couches » modifie l’ensemble. On peut comparer les symptômes à de telles images, mais arrêtées, fixes, figées, réapparaissant régulièrement dans des circonstances similaires et constituées par des plans dont le nombre, la dominance, le contenu, etc., reflètent les caractéristiques de chaque personne et de chaque symptôme. Certains de ces « calques » se retrouvent régulièrement, notamment : les classifications diagnostiques, les modifications somatiques lésionnelles et fonctionnelles locales, les processus neurophysiologiques généraux, le fonctionnement psychique et mental, l’histoire individuelle et relationnelle, le contexte vital actuel, les démarches thérapeutiques. Les céphalées, comme tout symptôme, peuvent se concevoir également formés de couches (calques) multiples qu’il est intéressant de passer en revue. Le contexte diagnostique : la classe des céphalées En 2004, l’International Headache Society a proposé une nouvelle classification des céphalées : 1. Céphalées primaires : • • • •
migraines, céphalées de tension, algies vasculaires de la face (cluster headache) et autres céphalées avec symptômes autonomes, divers : – – – – – –
autres céphalées primaires, céphalées lancinantes primaires, céphalées d’effort primaires, céphalées primaires associées à une activité sexuelle, céphalées préorgasmiques, céphalées orgasmiques,
C ÉPHALÉES : MIGRAINES ET AUTRES MAUX DE TÊTE
– – – –
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céphalées de sommeil, céphalées en coup de tonnerre primaires, hémicrânies continues, céphalées persistantes journalières (NPDH) ;
2. Céphalées secondaires : • •
prise ou retrait de substance (notamment abus de prise de substance), céphalées attribuées à une affection psychiatrique ;
3. Névralgies crâniennes, névralgie faciale centrale et primaire et autres céphalées. Il faut ajouter à cette liste les céphalées survenant chez l’enfant : leur incidence avoisine les 10 %. Une exploration médicale doit absolument être réalisée chez tout enfant souffrant de maux de tête, car ils constituent souvent le premier symptôme d’une affection parfois sévère. Cependant, beaucoup de ces céphalées n’accompagnent aucune pathologie connue. Les phénomènes somatiques Si beaucoup de monde à mal à la tête, tous ne sont pas atteints de la même façon ! La classification médicale permet de séparer différents groupes de processus physiopathologiques, principalement les problèmes vasculaires des migraines et les disfonctionnements musculaires des céphalées de tension. Cette distinction est fondamentale pour l’orientation thérapeutique hypnotique.
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Les céphalées de tension À point de départ occipital, elles irradient en casque. La douleur est continue, en étau, non pulsatile, d’une durée de 30 minutes à 7 jours, bilatérale, d’intensité légère à modérée. Ces céphalées ne sont pas influencées par les activités, ne sont accompagnées ni de nausées, ni de vomissements, exceptionnellement par des phonophobies et/ou des photophobies. Elles peuvent coexister avec des migraines.
Les migraines Elles affectent entre 5 et 10% de la population et débutent souvent dans l’enfance ou l’adolescence. La migraine sans aura est plus fréquente chez la femme, la migraine avec aura survient de manière égale chez l’homme et la femme.
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•
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Facteurs déclenchants : certains patients évoquent des origines alimentaires (le tabac, l’alcool, les aliments riches en tyramine, le glutamate de la cuisine asiatique, la période menstruelle ainsi que le stress) ; Prodromes : ils précèdent la migraine d’environ 24 heures et se manifestent par des modifications de l’humeur, de petits troubles sensoriels, des comportements alimentaires inhabituels. L’exemple du chocolat est démonstratif : de nombreuses personnes présentent une envie irrésistible pour le chocolat le jour qui précède la migraine. On a longtemps considéré cette boulimie comme un prodrome, voire un facteur déclenchant. Actuellement, il semble que c’est l’épuisement des mitochondries lors des crises migraineuses, qui provoque un besoin important d’anti-oxydants, donc de chocolat... ; Aura : d’une durée de 5 à 60 minutes il précède la céphalée par un intervalle libre d’une heure au plus ; Les migraines sans aura : elles sont caractérisées par des accès de céphalées épisodiques, de 4 à 72 heures, sans aucun symptôme entre les crises. La céphalée doit présenter au moins deux des quatre symptômes suivants : – – – – – –
topographie unilatérale (2 cas sur 3), caractère pulsatile, intensité modérée à sévère, aggravation lors des activités, nausées (95%) ou vomissements (50%), phonophobie ou photophobie ;
Leur localisation se situe principalement dans les régions temporales ou rétro orbitaires. •
Les migraines avec aura : le patient doit avoir présenté au moins deux accès typiques présentant trois des quatre critères suivants : – un ou plusieurs symptômes neurologiques (aura) originaires du cortex cérébral ou du tronc cérébral ; – durée de 5 à 20 minutes, maximum 60 minutes pour l’aura ; – la céphalée suit l’aura après un intervalle libre de 60 minutes maximum. Il existe rarement des migraines avec aura sans céphalées. On trouve souvent des troubles neurologiques associés : le plus souvent, un aura visuel, scotome progressant dans un hémi-champs visuel, entouré d’un scintillement en fortification à la Vauban ; – des déficits moteurs ou sensitifs, des dysphasies etc.
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Les modifications neurophysiologiques
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La connaissance des disfonctionnements somatiques (depuis le niveau cellulaire jusqu’aux mécanismes systémiques neurophysiologiques) à la base du déclenchement et de l’entretien des céphalées constitue une donnée importante pour l’orientation du travail thérapeutique malgré le fait que, dans ce domaine, il n’existe encore que des hypothèses. Curieusement, les chercheurs se sont très peu intéressés aux céphalées de tension, dont l’incidence est presque le double de celle des migraines (Lyngberg et coll., 2005), comme s’il « allait de soi » qu’il s’agit de l’expression d’un stress (dont la définition reste vague) sur le tonus musculaire. Le seuil de douleur serait abaissé au niveau des muscles et de la peau dans les régions céphaliques, suite à des modifications de certains mécanismes cérébraux centraux. Dans une perspective psychothérapeutique, cette explication, même aussi vague, peut cependant être utilisable. En revanche, les recherches sur les migraines abondent. Aucun schéma précis n’a encore pu expliquer ce qui se passe réellement au cours d’une crise migraineuse. Aucun facteur génétique spécifique n’a été mis en évidence. Mais une hypothèse séduisante évoque une carence des mécanismes homéostatiques au départ de la crise. L’individu, confronté à des circonstances inhabituelles ne parviendrait pas à conserver son fonctionnement neurophysiologique habituel. Ces variations ont des origines très diverses : – – – –
un changement hormonal, même minime ; un traumatisme bénin d’apparence ; des émotions particulières ; un changement de rythme de vie (moins ou plus d’activité : travail ou vacances par exemple) ; – moins ou plus de sommeil ; – une alimentation ou une prise de boissons exceptionnelle ; – des relations familiales, professionnelles ou amicales qui se modifient.
Tous ces événements peuvent être repérables ou passer totalement inaperçus. Et chez une même personne, des circonstances différentes peuvent déclencher les crises. Deux phénomènes pathognomoniques s’ensuivent : 1. Les gros vaisseaux sanguins du tronc cérébral se dilatent, le débit sanguin augmente, l’engorgement est évacué tant bien que mal par des
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
anastomoses artério-veineuses au détriment de la circulation corticale (expliquant les troubles neurovégétatifs). 2. Un véritable orage neuronal éclate dans les régions corticales, entraînant dépolarisation, troubles membranaires et vidange des mitochondries notamment (et provoquant les douleurs). Ces mécanismes fonctionnent en boucles redondantes. La neurophysiologie de ces céphalées est très complexe et ces schémas sont certes réducteurs. Mais ils permettent d’orienter le processus hypnotique, de distinguer quelques « calques » qui seront plus aisés à travailler : les tensions musculaires dans les céphalées de tension, les dérèglements vasculaires et la redondance des mécanismes pathologiques dans les migraines. Les fonctionnements psychiques et mentaux Certaines personnes attribuent plus d’importance que d’autres à certaines manifestations douloureuses. Tout praticien peur évaluer l’impact de la personnalité, du fonctionnement psychique et mental sur les affections dont souffrent les patients.
L’histoire individuelle et relationnelle Le destin de chaque individu suit un itinéraire imprévisible, mais orienté par son patrimoine génétique et par les apprentissages qui jalonnent son existence dans des contextes aussi différents et variés que le milieu utérin, les relations familiales, sociales, culturelles, religieuses, etc. Que ce soit dans le temps (l’histoire personnelle) et dans l’espace extérieur (les relations), de nombreux événements peuvent favoriser l’apparition et la répétition de symptômes tels que les céphalées. Connaître le cycle de vie du patient permet de découvrir les moments des crises existentielles (Lyngberg et coll., 2005) : celles qui ont été bien assimilées, celles qui ont engendré des blocages ou des disfonctionnements. Le patient d’une part et le thérapeute de l’autre vont ainsi pouvoir repérer le début et les moments de reprise des céphalées dans le cours de l’existence. « Les migraines d’une patiente étaient apparues lorsqu’elle avait quitté la maison familiale pour vivre avec un compagnon. Les céphalées d’une autre patiente avaient débuté lors de la mise à la retraite de son mari. » (Mambourg in Michaux, 2004, p. 281.)
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Comme toutes les douleurs répétitives, les céphalées peuvent jouer un rôle important dans la vie relationnelle. Les divers contextes d’interaction constituent des « calques » sur lesquels les thérapies stratégiques et hypnotiques pourront agir : l’enfant et ses parents, le couple, la vie scolaire, le milieu professionnel, etc. (ibid, p. 275-282).
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C ÉPHALÉES
ET PSYCHOSOMATIQUE
Sous la gestion des structures cérébrales, les principaux systèmes (systèmes nerveux autonome, neuromusculaire, endocrinien, immunitaire et vital – faim, soif, sexualité, température, etc.) veillent au fonctionnement physiologique de tout ce qui se passe dans l’organisme, depuis le travail de l’ARN jusqu’au rythme cardiaque, du cycle de Krebs au débit des échanges membranaires cellulaires. L’équilibre de ces systèmes est en interaction avec l’équilibre des processus psychiques et mentaux. Personne ne peut plus nier les liens qu’ils entretiennent. Les émotions mobilisent le cœur, la circulation sanguine, la respiration, les téguments, le système digestif, etc. Un désir sexuel peut amener rapidement un changement radical dans tous les systèmes, depuis l’hyperactivité de certaines cellules jusqu’à la suppression de douleurs importantes. Inversement, tout individu a vécu l’expérience de moments de maladie ou de douleur (une grippe, un mal de dent, par exemple) qui modifient massivement le fonctionnement habituel de l’activité physique et mentale. Mais il s’agit bien d’interactions en boucle : il n’est donc pas possible de déterminer qui influence quoi. Le concept de psychosomatique, alimenté abondamment par la psychanalyse, est resté linéaire. Souvent transformé et déformé, il a été utilisé arbitrairement par beaucoup de professionnels et par le grand public, friand de découvrir des causes inconscientes à l’origine des maladies. Cette dérive que certains appellent psychosomatisme (Jadoulle, 2005) est une héritière des mythes, des croyances religieuses et païennes, des pensées magiques que l’on rencontre dans toutes les civilisations. Le sérieux des recherches actuelles évite le piège réductionniste pour approcher la complexité des phénomènes. Les miracles mêmes sont mis à mal par les avancées scientifiques : Mgr Perrier, évêque de Tarbes-Lourdes a déclaré1 que les progrès de la médecine rendent maintenant impossible « la reconnaissance de toute guérison miraculeuse ».
1. Le Canard enchaîné, 4457, 29-03-2006, p. 8.
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Même l’analyse systémique dérive souvent vers des ponctuations arbitraires. Le rôle du symptôme (ici les céphalées) dans le fonctionnement interne et relationnel de l’individu en devient la cause et crée des schémas réducteurs qui n’offrent aucune aide thérapeutique. Cela ne veut pas dire que les névroses d’angoisse ne produisent pas de troubles somatiques, que l’hystérie n’entraîne pas des symptômes spectaculaires, que la loi familiale du silence n’impose pas une pensée opératoire (alexithymie) chez certaines personnes qui souffrent de maladies souvent immunitaires. Les études psycho-neuro-endocrino-immunologiques commencent à montrer que l’interactivité entre le somatique et le psychique est loin des simplifications abusives. Personne n’en connaît encore le fonctionnement, ni pourquoi les mécanismes homéostatiques sont parfois dépassés, comment ils produisent des symptômes, des maladies transitoires ou des affections chroniques. Un exemple d’évolution de la compréhension des interactions entre psychisme et soma, cité partout, est celui de l’ulcère gastrique, attribué au stress jusqu’à la découverte de l’Helicobacter pylori, bactérie responsable des lésions. Mais la présence d’un micro-organisme spécifique, sa multiplication, son expression lésionnelle peuvent également dépendre d’interactions entre les mécanismes neurophysiologiques et la vie psychique. Tout comme le terme hypnose renvoie erronément à sa racine « sommeil » et à la suggestibilité, le mot psychosomatique implique une notion de clivage psyché-soma, dérive amorcée par l’école de Cnide qui s’opposait à la conception holistique d’Hippocrate. Deux modèles de dysfonctionnement somatique, décrits précédemment, caractérisent les céphalées : •
•
Les céphalées de tension, semblent dues à un tonus musculaire trop élevé et à une baisse importante du seuil de douleur. Elles se manifestent chez des personnes angoissées, en état dit de stress, dont le fonctionnement général ne tient plus compte des rythmes physiologiques. L’homéostasie ne se rétablit pas et une zone particulière, céphalique pour certains, entre en déséquilibre ; Les migraines sont déclenchées par des troubles vasculaires entraînant des désordres multiples et pathognomoniques. Elles réapparaissent régulièrement à la manière des « symptômes obsolètes ». Il s’agit de troubles psychiques, somatiques, ou les deux, qui surviennent alors que le contexte (stimulus) initial n’est plus présent. On les trouve communément dans les états de traumatisme psychique (états de stress
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post-traumatique). Un simple rappel, même partiel ou par association suffit à réactiver les réactions générales qui ont suivi le traumatisme originaire : Un patient allergique aux graminées a déclenché une crise de rhinite allergique en regardant un film qui se déroulait à la campagne.
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Il suffit d’indicateurs de contexte (O’Hanlon, 1987) pour relancer un mécanisme, un programme qui change le fonctionnement de tous les systèmes, depuis les cellules jusqu’aux émotions. Rossi (1994, p.87, 119, 127) a bien expliqué le phénomène. Il postule qu’il existe des réactions psychocorporelles « liées à l’état » (l’état initial responsable du traumatisme) qui s’installent chaque fois que cet état, ou des représentations de cet état, apparaissent, et qui sont favorisées par l’inhibition des mécanismes homéostatiques. Depuis longtemps se pose la question de savoir si de tels états peuvent être comparés à ceux provoqués par des suggestions (post)hypnotiques. Les expériences réalisées en imagerie cérébrale fonctionnelle (Maquet et al., 1999) lors d’états dits d’hypnose fournissent des informations intéressantes. Contrairement à l’imagerie mentale évoquée, le processus hypnotique, enregistré lors de la revivification d’un moment agréable de vie, réactive les zones cérébrales mobilisées initialement lors de cet événement. La plupart des états migraineux peuvent être considérés comme des symptômes obsolètes : des petits déséquilibres vitaux perturbent l’homéostasie et reconnectent à des mécanismes pathologiques précédemment installés.
I NTÉRÊT
DE L’ HYPNOSE
Il n’y a pas plus de raison de traiter par hypnose les céphalées que d’autres symptômes ou affections. Les techniques hypnotiques s’insèrent dans les contextes thérapeutiques spécifiques que proposent les praticiens. Elles varient d’un professionnel à l’autre et s’adaptent à chaque patient, sans perdre de vue que l’efficacité thérapeutique est proportionnelle aux capacités d’auto-hypnose mobilisées par le patient (cf. Delbœuf puis Erickson).
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
L’intervention du clinicien se situe entre deux extrêmes : l’apprentissage de l’auto-hypnose non spécifique et l’auto-hypnose ciblant les dysfonctionnements pathognomoniques des céphalées. •
L’apprentissage de l’auto-hypnose non spécifique permet au patient d’utiliser, à son gré, comme il le veut, quand il le veut, pour ce qu’il veut, le processus de rééquilibrage interne. Un homme d’une quarantaine d’années m’a consulté pour de l’hypnose. Malgré tous mes efforts, il a refusé d’expliquer les raisons de sa démarche et le ou les problèmes qu’il attendait de résoudre. Mis au défi, j’ai accepté et programmé quatre séances d’apprentissage de l’auto-hypnose. Après la troisième, il m’a téléphoné pour avertir qu’il ne viendrait plus. Son problème était réglé et il en était très content. Je n’ai jamais su pourquoi il était venu...
•
Une autre approche auto-hypnotique vise à utiliser le processus hypnotique afin de cibler la physiopathologie du problème par des techniques spécifiques (cf. plus loin).
Il ne faut pas négliger l’intérêt des modifications produites par l’état d’hypnose lui-même. Les recherches actuelles sur cet état modifié de conscience commencent à en révéler les caractéristiques neurophysiologiques particulières qui expliquent certains changements « spontanés » survenant lors des traitements par hypnose.
LE
TRAVAIL THÉRAPEUTIQUE : DE L’ ANAMNÈSE À L’ AUTO - HYPNOSE Lorsque le patient demande de l’hypnose pour guérir ses céphalées, c’est le plus souvent parce que tous les traitements allopathiques et autres ont échoué. Il faut alors trouver les stratégies qui vont permettre d’éviter les pièges de la « dernière cartouche », de l’« hypnose-miracle », des promesses illusoires d’arriver à un meilleur résultat que ses confrères (Mambourg in Michaux, 2004)). L’objectif est de faire vivre au patient un état d’apaisement et de l’amener à apprendre à retrouver cet état. Pour y parvenir, le thérapeute peut adopter une position apparemment paradoxale : il demande au patient de ne pas changer ses symptômes (céphalées), mais tout son langage, toutes ses interventions évoquent impérativement l’amélioration, grâce, notamment, aux techniques d’implication.
C ÉPHALÉES : MIGRAINES ET AUTRES MAUX DE TÊTE
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L’anamnèse Comme dans toutes les approches de douleurs dites chroniques (ibid, 2004), l’anamnèse effectuée lors du ou des premiers contacts avec le patient permet d’apporter tous les éléments qui vont fixer le contexte thérapeutique dans lequel les techniques hypnotiques et stratégiques prennent leur place.
L’histoire Il est indispensable d’écouter comment le patient raconte l’histoire des céphalées, quels termes il emploie, quelles associations il peut faire. Le questionnement du praticien va reconstruire le décours médical des maux de tête, les thérapeutes de toutes disciplines consultés (et mis en échec), les thérapeutiques suivies, les modifications éventuellement apparues etc. Il va s’enquérir des résultats des examens exploratoires qui s’imposent avant toute prise en charge psychothérapeutique.
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Les traitements Il est indispensable de s’informer des traitements médicamenteux pris par le patient car certains médicaments peuvent donner des céphalées comme effets secondaires, et il ne faut pas perdre de vue que la prise quotidienne d’antidouleur occasionne très souvent des céphalées persistantes. Les traitements pharmacologiques les plus courants sont les antidouleurs et les myorelaxants pour les céphalées de tension, les antidouleurs et les triptans dans les migraines1 . Ces drogues diminuent la douleur mais n’ont aucun effet sur les processus neurophysiologiques responsables des céphalées. Une méta revue de la littérature (Lipton et coll., 2003) a montré que les traitements des céphalées échouent parce que : – – – – –
le diagnostic est incomplet ou incorrect, d’importants facteurs d’exacerbation sont négligés, les traitements pharmacologiques ou autres sont inadéquats, les attentes sont irréalistes, il existe des facteurs de co-morbidité.
1. Fiche de transparence : antimigraineux, Centre belge d’information pharmacothérapeutique, janvier 2003.
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Les contextes La connaissance des contextes relationnels (couple, famille, entourage, travail etc.) du patient permet de compléter le processus hypnotique par d’autres interventions, stratégiques par exemple.
Les patterns Le thérapeute pourra aussi se permettre un moment d’obsessionalité lors de l’anamnèse, afin de détailler, avec le plus de précisions possibles, les contextes (patterns) d’apparition des maux de tête. Il s’agit de composer une véritable cartographie de la symptomatologie : quand elle commence, dans quels lieux, avec quelle intensité, quelle durée, quelle fréquence, quelles sont les modifications visibles des activités et du comportement, etc. Recueillir de tels renseignements n’est pas très aisé. Malgré le nombre impressionnant de consultations que ces patients ont déjà à leur palmarès, il est très rare qu’on leur ait demandé autant de détails. Ils se montrent donc souvent très résistants, à leur manière : confusions, imprécisions, erreurs, amnésie, etc. C’est pourquoi il est intéressant de recevoir, en même temps, le conjoint. Il pourra répondre à des questions précises et donner des indications sur les répercussions des céphalées dans la vie de son conjoint. Les renseignements recueillis peuvent être, malgré tout, fragmentaires. Afin de les compléter, le thérapeute pourra demander au patient de mettre par écrit le décours détaillé de sa symptomatologie.
Les constructions mentales Il est également important que le praticien s’informe des mécanismes que le patient imagine être à l’origine de ses problèmes. Ces constructions mentales, souvent erronées, constituent une cible de choix pour toutes les interventions thérapeutiques hypnotiques ou non : Un patient se plaignait de céphalées depuis qu’une porte de garage s’était refermée sur son crâne. Les explorations neurophysiologiques et d’imagerie radiologique multiples n’avaient jamais trouvé d’origine à ses douleurs. Il restait persuadé qu’un petit nerf, invisible à toute exploration, avait été écrasé et lui occasionnait ses céphalées.
Les suggestions Toute consultation, et a fortiori la première rencontre avec l’hypnothérapeute, focalise le patient sur les paroles du thérapeute, créant ainsi chez
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lui (et aussi chez le praticien) un « état modifié de conscience » (Mambourg, 2005) au cours duquel toutes les techniques hypnotiques peuvent déjà être utilisées ou ébauchées : suggestions indirectes, invisibles, saupoudrées sous forme d’implications, suggestions intercontextuelles, etc. C’est ce que certains appellent « l’hypnose conversationnelle ». Chaque mot employé dans tout langage contient une implication et devient une suggestion. Dans ces circonstances particulières, leur dimension suggestive devient encore plus forte, plus marquante. Le patient vient d’ailleurs avec une histoire rigidifiée par des dogmes médicaux et des croyances incrustées dans son psychisme par des suggestions souvent puissantes qui ont entraîné la redondance de ses symptômes. Il a entendu les assertions habituelles : « vous êtes migraineux...les migraineux doivent faire ceci, prendre cela...votre mère était migraineuse ?... ». Il est persuadé de souffrir d’une affection « chronique », qui se reproduira toute la vie. Le discours du thérapeute (infiltré de subtiles suggestions indirectes) vise à ce qu’il puisse commencer à considérer sa symptomatologie comme une affection momentanée. Erickson utilisait remarquablement les techniques de saupoudrage et d’implication : « Lorsqu’Erickson travaillait dans un hôpital, chaque fois que sa secrétaire souffrait de maux de tête, il lui donnait à dactylographier un texte truffé de « suggestions intercontextuelles », invisibles, qui la soulageaient à tel point que sa collègue, lorsqu’elle aussi avait des céphalées, suppliait Milton Erickson de lui donner un texte à dactylographier... »
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Être ou avoir Les personnes médicalisées depuis longtemps, parlent de leurs problèmes en utilisant le verbe « être » : « je suis migraineuse, je suis fibromyalgique, je suis déprimée, je suis boulimique, etc. », comme si leur maladie était inscrite dans leur identité, dans leurs gènes. Par son langage et ses stratégies, le thérapeute va aider le patient à passer de l’être à l’avoir. On a des migraines, on souffre de céphalées ; on a des problèmes de dépression; on a des crises d’angoisse, on fait des accès de boulimie. « Avoir » (ou « faire ») amène une dissociation qui permet de travailler le problème (les maux de tête, par exemple) sans changer fondamentalement la personnalité.
Fragmenter Le vécu, la représentation de la douleur (céphalique) prend, pour la majorité des personnes, un aspect monolithique. Elle attend de la part des hypnothérapeutes des suggestions « directives » (d’hallucination
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
négative ou d’analgésie, par exemple) capables de faire disparaître leur douleur par une sorte de miracle. Janet puis Erickson, notamment (cf. Mambourg, à paraître), estimaient qu’il fallait dissocier et morceler les symptômes en fragments qui deviennent ainsi beaucoup plus facilement transformables. Avec des techniques hypnotiques plus « indirectes », les thérapeutes peuvent aider à modifier ces éléments du symptôme. Des changements, même minimes, de ces parcelles de douleurs peuvent entraîner l’amélioration, voire la guérison. C’est le principe même des « calques ». Il est beaucoup plus facile, en effet, d’aider à changer le rythme, l’intensité, la durée ou des manifestations comportementales d’une douleur que la douleur elle-même.
Réifier Si le patient ne l’a pas fait spontanément, le praticien peut inviter le patient à lui donner une réification (une qualité) qu’il associe à ses céphalées : « en étau », lancinantes, épuisantes, etc. Dès le premier entretien, lorsqu’il parle des céphalées, le thérapeute a tout avantage à utiliser ces associations, voire à les créer lui-même. Il peut ainsi parler des « migraines harcelantes, des maux de tête de fin de semaine, des céphalées hebdomadaires, en coup de poignard », etc. Cette stratégie spécifique, comme les autres, vise à travailler sur un des calques qui constitue le symptôme, dans une optique de dissociation.
Recadrer On peut également se poser la question de la pertinence de parler de « douleurs chroniques ». L’association de ces deux mots contient une puissante suggestion de liaison irrémédiable (comme « vos règles douloureuses », « votre digestion difficile »). Le qualificatif de chronique implique une notion de durée, de continuité dans le temps passé et futur. Il semblerait plus adéquat de parler de « douleurs répétitives » (qui se reproduisent, qui recommencent).
Focaliser Après avoir recueilli le maximum d’informations sur les céphalées, le thérapeute ne peut laisser le patient avec toutes ces évocations négatives et détaillées des plaintes, douleurs, souffrances. Cette première séance lui donne l’occasion de faire passer des suggestions thérapeutiques, sous le couvert de l’exploration anamnestique. Pour cela, la suite de l’entretien abordera enfin l’inventaire des ressources du patient : « Quelles sont les périodes sans douleur ? quels jours, quels moments ? Le sommeil offre-t-il un répit ? Ou et quand l’intensité
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diminue-t-elle, ou est-elle perçue comme plus supportable ? Qu’est-ce qui va bien ? La personne continue-t-elle à travailler, à avoir des loisirs, des activités, des émotions, des passions, des intérêts, une vie sociale, professionnelle, familiale, sexuelle, etc. ? » « Qu’est-ce qui n’est pas détruit par les douleurs ? » constitue une suggestion éminemment puissante ! Cette nouvelle orientation de l’anamnèse surprend toujours le patient, habitué aux rituels de répétition de l’histoire de tout ce qui ne va pas bien. Les renseignements concernant les périodes « saines » seront souvent fragmentaires, confus, contradictoires. La présence du conjoint pourra s’avérer, ici également, bien utile : Extrait d’une séquence de premier entretien avec un couple dont l’épouse souffrait de migraines – Monsieur, quand votre épouse a ses maux de tête épuisants, c’est vous qui faites à manger ? – Non ! C’est elle. – Vous faites alors la vaisselle ? – Non ! Elle veut la faire elle-même. – Vous l’aidez alors pour le nettoyage, la lessive, etc. Vous allez faire les courses ? – Non, elle aime trop choisir elle-même...
Ce type d’investigations permet d’évaluer le retentissement des céphalées (ou d’autres douleurs, voire d’autres symptômes) sur la vie quotidienne.
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Orienter Progressivement, le thérapeute peut introduire des suggestions qui orientent vers le futur, lorsque le patient sera guéri : « Que ferez-vous (employer le futur, jamais le conditionnel) quand vous passerez des weekends en vous sentant tout à fait à l’aise ? [...] » « Monsieur, pouvez-vous me dire ce que votre épouse fera de ses journées lorsqu’elle retrouvera un confort intérieur permanent ?» Ces projections dans le futur peuvent aussi faire l’objet de prescriptions stratégiques pour l’inter-séance.
Surprendre Il existe une technique de choc, qui fissure souvent le bloc compact des problèmes amenés au thérapeute : elle consiste à prendre un ton magistral et déclarer en forme de conclusion : « Vos maux de tête en étau
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sont apparus il y a 8 ans. Vous avez fait toutes les explorations médicales indispensables. Aucune pathologie n’a été décelée qui explique que cela vous prenne tous les matins des jours de la semaine. Vous avez consulté des médecins allopathes, vous avez essayé l’acupuncture, l’homéopathie, l’ostéopathie sans aucun résultat. Tous les médicaments que vous avez pris n’ont eu aucun effet. Rien de tout cela ne vous a donné de satisfaction. Il n’y a qu’une seule personne qui, jusqu’à présent est parvenue à calmer vos douleurs...(silence, pause...). Il n’y a que vous. Vous seul possédez le mécanisme pour passer des moments agréables (le week-end, en vacances, etc.)...Ce que je peux vous proposer, c’est que ce qu’on appelle l’hypnose vous permette d’apprendre à utiliser ce qui fonctionne en vous tellement efficacement... »
S’adapter Face aux échecs répétitifs des traitements classiques et diversifiés tentés par les patients, les thérapeutes parlent de « résistance ». Même si, dans une perspective systémique ou éricksonienne, il est fréquent de « travailler avec la résistance », de l’utiliser à des fins thérapeutiques, le terme résistance implique une connotation négative, une opposition à la guérison proposée. Peut-être pourrait-on aussi envisager qu’il s’agit simplement d’une manifestation explicite de l’inadéquation des thérapeutiques proposées. Chaque personne est différente et doit parfois chercher longtemps la thérapie et le thérapeute approprié. L’hypnose n’est pas plus efficace qu’une autre approche pour l’ensemble des personnes. Elle est beaucoup plus efficace que les autres approches pour les personnes qui adhèrent à la démarche proposée. Voilà donc le thérapeute en possession d’une multitude de calques, d’éléments sur lesquels il pourra mobiliser le patient afin d’amener un petit changement susceptible de modifier le symptôme, la céphalée. Son choix dépendra des techniques qu’il possède, de son contexte de travail, de ses formations, de sa sensibilité, d’un mélange de raisonnement et de ressenti, mais surtout de l’intime conviction que ce qu’il propose peut amener un petit changement. Les consultations thérapeutiques Si la première consultation vise à recueillir les informations indispensables au travail thérapeutique (tout en orientant le questionnement vers des changements), l’hypnose plus formelle est introduite dans les séances suivantes (mais certains hypnothérapeutes commencent à l’utiliser dès la première consultation).
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Que ce soit pour les céphalées de tension ou pour les migraines, les techniques hypnotiques suivantes sont utilisées chez tous les patients : – La dissociation (focalisation-revivification d’un moment de vie confortable) ; – Le rééquilibrage (relaxation, détente amenant un fonctionnement interne naturel) ; – L’utilisation de métaphores (au gré de l’inspiration).
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D’autres techniques peuvent s’avérer très efficaces : – L’analgésie (proposée dans un endroit du corps qui n’est pas la tête, elle devient une « métaphore ») ; – L’hyperesthésie (découverte de la variation des sensations dans le corps) ; – L’amnésie (l’oubli de la douleur est un phénomène spontané fréquent) ; – La fragmentation (technique d’Erickson qui estimait que toute douleur comprenait 1/3 du passé, 1/3 du présent et 1/3 du futur ; le passé et le présent pouvant être modifiés) ; – Le déplacement (l’expérience de déplacements de sensations dans le corps peut être une découverte...) ; – La distorsion du temps (par augmentation des phases de confort et/ou diminution des phases de douleur) ; – Le recadrage des perceptions temporo-spatiales (ramener les douleurs à leurs zones réelles et à leurs moments d’apparition) ; – La réification et les métaphores associées (l’image représentant la douleur est l’objet de métaphores) ; – La confusion (de la localisation et du moment d’apparition des douleurs) ; – Le fractionnement (détermination du pourcentage du corps, du temps, etc., pris par la douleur) ; – L’échange de symptômes (vers un problème plus supportable ou bénin) ; – La focalisation sensorielle (technique dite de Betty Alice Erickson ou du 5-4-3-2-1) ; – La régression (vers des moments sans douleur) ; – La progression en âge (anticipation, projection dans l’avenir : amener le sujet dans le futur sans douleurs) ; – L’auto-hypnose : comme dans tout usage des processus hypnotiques, l’objectif consiste à ce que le patient apprenne lui-même à substituer
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un fonctionnement naturel et confortable aux dérèglements neurophysiologiques qui entraînent ses céphalées.
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ET THÉRAPIE BRÈVE
Le processus thérapeutique qui me convient le mieux consiste à proposer, après la première consultation d’exploration contextuelle, cinq entretiens où se mélangent l’hypnose et les prescriptions stratégiques. Le premier et le deuxième sont séparés d’une semaine ; les deux suivants sont fixés à deux semaines d’intervalle ; le dernier, deux mois plus tard, sert d’évaluation et de réactivation des apprentissages d’auto-hypnose. Pour chaque type de céphalées, j’utilise, en complément des approches générales des douleurs, des techniques spécifiques ciblant les troubles neurophysiologiques en cause. Techniques spécifiques pour les céphalées de tension Il va de soi que le but thérapeutique est de permettre aux muscles céphaliques, cervicaux et thoraciques hauts de retrouver un tonus de base naturel. Comme beaucoup de patients qui font appel à l’hypnose ont échoué dans leurs tentatives de se relaxer (techniques diverses, yoga, etc.), il faut donc trouver, dans l’état hypnotique, des propositions, des suggestions indirectes pour déverrouiller ce blocage : – Demander de vérifier, sans le modifier, le tonus de chaque muscle du corps (check-up du commandant de bord avant le décollage). Ensuite, contrôler ce qui se passe lorsque l’on donne à chaque muscle une totale liberté par autorisation/feu vert, etc. Immanquablement, certains muscles vont se rééquilibrer – d’office d’ailleurs, si la personne atteint un état d’hypnose. On peut espérer que cet ajustage naturel se propage à toutes les parties du corps ; – Suggérer de manière directive de focaliser toute son attention sur la zone douloureuse, de bien situer la région où elle se manifeste avec le plus d’intensité puis s’en éloigner jusqu’à une limite où l’on passe dans des parties du corps sans douleur. À cette limite, (imaginer d’) ériger un mur, une digue, une palissade, des remparts, des fortifications, etc., à l’intérieur desquels on laisse la douleur inchangée, « emballée ». Ensuite, on travaille le rééquilibrage (la détente) du reste du corps. Si le patient y parvient, il empêchera difficilement sa propagation aux régions céphaliques ; – Proposer la revivification d’un moment agréable.
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Techniques spécifiques pour les migraines L’apprentissage de l’auto-hypnose par le patient va intégrer progressivement un rééquilibrage musculaire et un fonctionnement physiologique des différents systèmes qui régissent l’organisme. Lorsque le patient commence à assimiler la régulation de son tonus musculaire, j’introduis des suggestions post-hypnotiques, illustrées de métaphores anatomiques, de « rééquilibrage » physiologique des muscles lisses, particulièrement des muscles lisses des petits vaisseaux sanguins, principalement ceux de la tête. J’ancre ces suggestions en les liant aux signes prodromiques des migraines, à un niveau inconscient ainsi qu’à un niveau conscient :
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AUTO - HYPNOSE POUR LES MIGRAINES « Chaque fois que vous ressentirez ces petits signes d’alerte que vous connaissez bien... ces picotements dans les yeux... spontanément, profondément... vous pourrez retrouver cette harmonie intérieure... cet apaisement que vous vivez en ce moment... cet équilibre naturel que vous avez vécu à diverses reprises... comme lorsque vous vous promenez à la campagne avec votre chien... vous pourrez... confortablement retrouver cet équilibre de tous vos muscles... y compris ces petits muscles intérieurs que l’on ne commande pas directement... mais qui réagissent à nos émotions... ces petits muscles qui règlent le fonctionnement de nombreux organes... qui se trouvent dans les petits vaisseaux sanguins, notamment les vaisseaux sanguins de la tête... comme de petites bagues, ils font varier le débit sanguin... s’ils se relâchent, le débit augmente... s’ils se contractent le débit diminue... cette détente pourra s’installer en vous et permettra à ces petits muscles de trouver juste le bon niveau, naturel, qui correspond à vos besoins... qui vous permettront de vous sentir confortable... Mais aussi, à chaque fois que vous ressentirez ces picotements, vous pourrez vous rappeler... consciemment que vous êtes capable de retrouver... volontairement... un fonctionnement naturel, équilibré, confortable y compris dans tous vos muscles... y compris dans les petits muscles des vaisseaux sanguins de la tête... vous savez comment retrouver rapidement, efficacement cette harmonie... en revivant, même une fraction de secondes... cette ballade à la campagne, avec votre chien... »
C ONCLUSION L’évaluation de l’efficacité de ces approches ne peut être que subjective, étant donné la multiplicité des facteurs et des critères (ces fameux calques) impliqués dans le problème des céphalées. Et qui peut le mieux réaliser cette observation ? Le thérapeute ? Le patient ? Son entourage ? Une personne observatrice ? Professionnelle ou non ?
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Les personnes qui se plaignent de migraines consultent en général spécifiquement pour ce symptôme, tandis que la grande majorité des céphalées de tension font partie de plaintes polysymptomatiques dans un contexte de troubles psychiques et relationnels. Sur les trente derniers patients ayant consulté pour céphalées, douze présentaient un type de migraines spécifique, dix-huit souffraient de céphalées de tension. Deux patients de ce dernier groupe n’ont pas souhaité entreprendre la thérapie, les propositions ne répondant pas à leurs attentes « magiques ». Deux autres du même groupe ont abandonné après une ou deux séances. Ce sont les patients atteints de migraines qui expriment le plus leur satisfaction : l’auto-hypnose espace les crises, ils sont capables, pour la plupart soit de les arrêter, soit d’en diminuer la durée. Dix d’entre eux estiment que leur qualité de vie a changé. Les contextes personnels et relationnels dans lesquels les céphalées de tension se manifestent ne permettent pas d’isoler l’évolution du symptôme. Cependant, les stratégies utilisées et l’expérience de l’hypnose diminuent considérablement le stress et ouvrent la voie à des changements significatifs de la qualité de vie, donc des céphalées chez plus des deux tiers des patients.
Chapitre 12
DE L’HYPNOSE POUR PANSER LE CORPS Éliane Corrin
Paul Valéry affirme : « Notre peau est notre organe le plus profond... », il évoque notre savoir implicite d’un décalage et, simultanément, d’une continuité que nous éprouvons tous entre l’accessible et l’inaccessible porté par notre corps. Notre peau visible et matérielle est doublée de notre mémoire intime, silencieuse et immatérielle, qui s’exprime dans chaque geste du corps et de la peau qui, elle, se montre ! Tout être humain porte ce décalage enchaîné à l’être pour apparaître, éprouvé et ressentit par notre peau, notre corps, et le plus souvent, dans le silence de nos organes. Ce décalage est la réalité d’un manque, que nous pouvons heureusement oublier, et dont le contact perdu se rappelle à nous parfois, par la présence douloureuse du corps qui redonne place à un individu dans son existence. Ce décalage échappe aux logiques discursives de la parole et de l’image qui tentent, inlassablement, d’éviter le retour au corps de l’être dont il est inséparable. L’hypnose nous conduit à ressentir et éprouver, dans un retour au sensible, ce décalage redouté, dont l’expérience apaise notre souffrance à le subir. Ce « décalage » exprime notre inadéquation essentielle d’être humain à habiter la matérialité de notre corps, en même temps que son immatérialité, avec sa part d’inconnaissable vécu, éprouvée et perçue par le corps de l’humain qui le ressent.
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ORSQUE
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Lorsque ce décalage devient un vide littéralement insupportable, une béance mutilante qui menacerait de nous séparer de cette matérialité du corps qui nous fait vivre, il participe de l’enjeu des « phénomènes psychosomatiques ». Il demeure pour chaque individu une singularité, qui ne peut pas s’objectiver et s’évaluer par nos modes de penser habituels. Cet écart est comme un manque fondateur de notre qualité d’humain, c’est une relation à l’absence et au vide qui nous constitue, et que notre corps ressent dès les tout premiers moments de l’existence. Ce décalage fondateur est toujours plein d’inconnu, et ne peut être approché par notre pensée que lorsqu’elle s’engage à ramener au corps l’étrangeté du monde qui lui parvient. Il s’agit de se confronter à la présence du corps et ne pas fuir la corporéité indissociable de l’être à qui cela advient. Ce retour au corps de la pensée chargée d’extériorité perçue, infuse l’épaisseur de notre sensorialité corporelle, et se laisse guider à se fondre au corps qui sent, pensée qui prend corps en oubliant de penser et de sentir, et se fait présente à la conscience de l’humain qui reconnaît cette extériorité redoutée être en lui, et réalise qu’il est vivant à la vivre. Paradoxalement et étonnement, lorsqu’un être humain prend contact, et éprouve son vécu et ses décalages comme siens, il modifie et dissout ses effets vécus et objectifs, et il mobilise ses symptômes relationnels et corporels. Seul notre engagement à ressentir permet le contact à ce décalage, comme le contact d’un touché de peau se risque et découvre en même temps qu’il se révèle à soi, sans repère préalable et sans interprétation. L’hypnose approfondit cette expérience à ressentir, et nous conduit, consciemment, à être plus présent à une nouvelle dimension du sensible qui se découvre en soi, et à laisser la matérialité besognante de notre corps nous échapper, momentanément.
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ET RESSENTI
L’hypnose est l’engagement d’un ressenti qui rappelle notre capacité confiante de nous appuyer sur notre dépendance radicale donnée, dès la naissance. Notre naissance est le don de notre existence, en même temps que le don d’un manque irréductible : celui de notre impermanence, de notre solitude essentielle et de notre finitude. Ces limites nous les ressentons par notre décalage, manque fondateur pour tout humain à porter cette existence, elle, infinie ! L’hypnose nous met au contact de cette retrouvaille familière et non objectivable, à ressentir en soi l’étendu de notre capacité d’être dépositaire de ce don infini d’existence. Cette capacité à contenir ce cadeau, qui nous préexiste simultanément à ce dont il nous dépossède, est indissociable de notre incapacité à maîtriser,
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à posséder ce qui nous en échappe ; cette dépossession est ressentie parfois, comme un vide réel habitant notre existence, et notre corps. Ressentir, c’est pour nous, être présents et conscients à éprouver notre sensorialité qui décrypte l’inconnaissable, en soi. Cette sensation consciente à rencontrer et ressentir en soi l’inconnu de l’existence, le reconnaître en soi et à soi, est un engagement à vivre. Un tel ressenti appartient en propre à l’espèce humaine, et rappelle notre naissance. L’être humain a conscience de savoir, ou pas, qu’il sent l’inconnu redouté dont il est dépossédé, simultanément à ce qu’il reconnaît. Seul cet engagement à ressentir nous permet d’apaiser notre relation douloureuse et tragique à ce décalage et à ce manque, parfois dévastateur dans ses déploiements psychosomatiques.
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Le ressenti comme alphabet premier de l’espace « C’est la réceptivité qui précède la connaissance », dit le traité de chinois de Shitao. Ressentir est une réceptivité qui nous guide à une connaissance qui nous unit à notre expérience, à être ce que nous éprouvons, en s’écartant, se décalant de la pensée, de la sensation et du corps, sans en être séparé. Ressentir nous engage dans une connaissance différente de la connaissance de la pensée, pensée qui s’affranchit du corps sensible et nous en écarte en nous en séparant, dans sa tentation discursive de s’approprier le savoir. Pour un être humain, ce ressenti est une réceptivité éprouvée par le corps qui déploie l’entier de la sensorialité de ses membranes pour faire l’hospitalité aux entendements et mouvements informes des surgissements nouveaux et inattendus dont il n’a aucune prise. Prendre contact avec ce qui est là, qui existe et surgit en dehors de nous dans notre existence, c’est ce qui nous fait exister, et nous rend présents à la vie qui nous advient. Un individu engage ou n’engage pas sa capacité à accueillir l’expérience du ressenti. Ressentir est un acte qui nous engage dans une passivité préalable et agissante, à être dépositaire de notre réalité sensorielle quant elle nous advient, et à advenir par elle à notre existence. Ressentir c’est faire l’hospitalité à nos sensations les plus étranges, à les accueillir et les laisser habiter notre vécu, sans pensée, ni interprétation. Il s’agit de prendre contact, sans explication, sans compréhension, avec ce qui existe, avec ce qui nous arrive d’imprévisible, qui touche et nous touche. Être touché par ce qui nous est inconnu est inquiétant, et souvent nous préférons éviter ce contact qui nous effleure, nous cogne, ou fait intrusion
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en soi, avec le risque de tout bouleverser, de rompre ou de perdre un équilibre préalable, de perdre le sentiment d’une continuité donnée. Dans la clinique psychosomatique, l’individu a perdu le luxe du silence des organes, et nous fait entendre une « crainte d’effondrement » liée à ce décalage, irreprésentable, et projeté directement sur la matérialité corporelle. Cette menace de perdre contact avec la continuité à exister, qui risquerait de disparaître, et nous faire disparaître, nous accroche à la peur de notre propre disparition, peur qui nous immobilise et nous colle à la peau. Paradoxalement, circonscrire et ressentir la disparition redoutée, aide à ne pas disparaître. Il est toujours si étonnant en hypnose d’observer que plus le corps s’approche et ressent ce qu’il redoute, plus le corps s’apaise, car en fait il ne fait que confronter un obstacle connu en lui, mais pas « en corps » reconnu. Fuir ce ressenti, produit un évitement, un clivage sensoriel, comme une anesthésie, qui susciterait de l’amnésie, sur ce point redouté et ainsi, renforce la crainte, ses constructions défensives et ses symptômes. Ce contact avec « ce qui arrive quand je peux l’accueillir », c’est se laisser pénétrer par son présent, sans lien linéaire de causalité, sans interprétation, sans justification à un savoir préalable, c’est un contact qui donne la certitude d’exister. Le sentiment d’exister et de se sentir vivant infuse un être humain par l’expérience d’un ressenti précoce et déjà singulier, il précède le langage et ses modes de représentation et de symbolisation. Notre premier acte de naissance au monde est un acte de ressenti. Naître est un acte de domiciliation du monde en soi, à ressentir ce monde qui nous fait exister, en même temps que nous faisons partie de ce monde. Ce contact, qui permet de se sentir vivant, rappelle à nous ce commencement oublié de notre naissance, qui est ce don premier d’existence. C’est par le contact et par le ressenti que le bébé entre en relation avec tous les possibles du monde qui nous précède, en même temps que ce monde infini nous dépossède de son histoire impersonnelle et impossible à assumer, qui transite par notre corps. Ce premier contact à accueillir notre naissance donnée, sans rétribution, gratuité inséparable de notre manque et impuissance à l’appréhender, est un engagement du bébé à exister. Il va ressentir ces premières relations, déjà ambivalentes, sur ses peaux du dehors et celles du dedans, sur celle de ses poumons, de son tube digestif, et ce sont ses touchés, ses visions, ses entendements, dont il incorpore la multitude des significations, qui plus tard lui donnera accès au langage. Nous venons au monde, baignés par l’expérience du ressenti.
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La naissance comme expérience du ressenti Naître, c’est s’engager à ressentir. La réalité corporelle du bébé est celle d’une relation de contact, et cette relation est bien particulière : le bébé est dans une relation de dépendance radicale à son environnement qu’il touche et qui le touche, qui évolue et qui le façonne, il en fait partie intégrante en même temps qu’il sait déjà s’en individualiser. Sa capacité à être en contact se structure en même temps que sa réalité corporelle, que son sentiment d’exister, d’être intègre, et d’avoir un dehors, un dedans. Cette capacité de contact régule ses fonctions vitales (respirer, dormir, digérer...). Notre intégrité corporelle et la force de notre sentiment d’exister sont indissociables de la genèse de nos premières relations de contact, ancrée à jamais en notre corps, comme une mémoire de nos premiers ressentis à être vivant. Nous avons tous un style qui nous est propre, à entrer en contact avec autrui, avec nos expériences, d’éprouver notre intégrité corporelle, d’accéder au langage, et de se sentir vivant. Pour le bébé, ressentir, c’est tisser son expérience d’être en relation d’interdépendance au monde, tissage dont la trame façonne son intégrité corporelle réelle et son sentiment d’existence. La continuité entre son corps, ses ressentis et le monde qui l’entoure est « un fait d’expérience » pour le bébé. Cette continuité qui l’unit au monde qui l’entoure est une réalité qui ne saurait se réduire à sa mère. Fœtus, il est déjà un étranger pour sa mère, comme le sont les membranes de son œuf, dont la continuité forme son placenta et son cordon. Ce fait d’expérience d’être uni au monde est depuis le début déjà ambivalent, et le fœtus et ses membranes sont d’une écriture génétique et mémoire cellulaire bien étrangère à celle de la mère, dont ils ont à se protéger de son rejet, tout en préservant auprès d’elle un espace partagé de liens. Adulte, nous conservons la mémoire de ce « fait d’expérience » d’une continuité avec ce qui nous entoure, comme d’une perméabilité, entre ce que nous touchons et ce qui nous touche physiquement et intimement, et qui est, au regard de la raison, une hallucination. Dans sa dépendance radicale, le bébé vit l’illusion de cette continuité avec son environnement, comme une réalité. Pour le bébé, le monde est là pour le combler, comme s’il n’était pas séparé de lui, ni de ceux qui l’entourent de soins, ni de ce qui le nourrit, de ce qui le remplit de plénitude. Simultanément, la désillusion peu à peu s’installe, et le monde est de moins en moins là que pour le combler, le remplir ; il ressent qu’ils ne sont pas toujours qu’un. Il perçoit de plus en plus clairement la séparation entre lui et le monde, et conservera toujours dans une étape
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de sa réalité ressentie, la mémoire de sa réalité corporelle antérieure, ou il est le monde. Cette perméabilité totale d’un humain à appartenir à son monde, rappelant ainsi la mémoire de sa dépendance totale d’existence, est une mémoire d’unité et de don, liée à celle d’une perte et d’un savoir de mort et de survivance. Pour que le fœtus vive, son placenta, qui est son premier compagnon de contact, qui le protège et le nourri, doit mourir. Ce premier autre perdu, qu’est notre placenta et ses membranes, est la mémoire d’une séparation à laquelle nous avons su survivre. Cette séparation première n’est ni la perte d’une part de soi, ni d’une part de l’autre : c’est la mémoire de la perte d’un cocon, d’une coquille, d’une membrane, d’une peau que nous avons dû abandonner, pour vivre ; mémoire d’une séparation ressentie, dont le corps se souvient dans son silence à survivre, et dont résonne notre décalage. Le retour au corps sensible : la mémoire du corps S’engager à vivre, c’est décider de ressentir l’entier de son existence en soi. L’hypnose nous engage dans cette expérience du ressenti, propre à chacun, et nous permet d’agir sur ce décalage perçu souvent comme la menace d’une perte, ce « quelque chose ne tient plus » de notre existence. Cette menace, vécue comme une peur, une crainte essentielle, est toujours sous-jacente au symptôme, qui est lui-même, une défense organisée de l’humain plein de ressources. L’hypnose est une caresse, un contact de peau sur notre conscience qui s’ouvre à ressentir et vivre en soi, le plus inacceptable de notre existence, comme le plus créatif ressourcement insensé de celle-ci, à l’écart de la souffrance et la violence des croyances de notre raison discursive. L’hypnose révèle par ce contact, comme un toucher nous fait voir et entendre, notre adhésion à ce mouvement puissant de notre existence,. Comme une vague, l’hypnose nous mobilise et déplace tout ce qui nous constitue, nos relations au monde, aux autres, à nos organes, nos cellules, à nos savoirs, à nos inconnus, à nos symptômes et simultanément, nous participons au déploiement de ce mouvement continu. L’hypnose touche notre lien, à la séparation, à l’absence, ce lien décalé que nous avons à l’existence, lien porté par le corps et antérieur à toute représentation. Approcher ce décalage est l’expérience subjective insensée d’un ressenti, d’un retour au corps de celui qui perçoit. Ce retour au corps d’un être qui accepte de ressentir, brise l’anesthésie et l’amnésie, et dissout le
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mur de l’isolement des cécités et surdités de son existence. Ressentir ce qui nous advient, c’est se sentir vivant face aux faits de notre existence, c’est un face-à-face qui structure un rapport à soi avec l’extériorité qui nous touche. Ce contact se saisit d’une relation au monde qui nous rend vivants. Ressentir c’est prendre contact avec ce qui nous arrive, lorsque nous pouvons l’accueillir, et en faire un événement à soi, en soi, sans s’identifier en se dépersonnalisant, sans être fasciné, ni désubjectivé, et sans déni clivant. Ce contact est un ancrage dans un savoir du corps qui se révèle, comme un toucher nous fait soudain voir et entendre. Ressentir engage notre conscience, comme une caresse effleure pour toucher et être touché par l’extériorité présente. Ce toucher s’éprouve dans les espaces repliés de peau les plus profonds, s’infuse comme un ressenti informe et perçu dans la conscience de l’individu qui ressent et tisse ainsi une relation singulière à soi, qui impressionne et mobilise la mémoire de son corps. Ce ressenti dans la doublure intime de la peau, engage un être à découvrir, et se découvrir. Ce contact sans penser à soi, confronte ce décalage et ce manque dans une relation sans visage, et tisse ainsi une connaissance sans explication, sur nos réalités vécues informes et informulables, et se risquera, ou pas, secondairement au langage, et au mode de représentation de la parole et des images. Notre corps n’est pas médiateur de langage, comme les mots et les images. Il est langage. Notre corps appartient à la voix qui en parle, il est corps de cette voix qui s’adresse à autrui dans son impossible déliaison aux mots et images qui tragiquement s’en séparent. Seul le ressenti nous permet de retrouver la continuité à se sentir vivant sur cet écart parfois trop menaçant et douloureux de ce décalage, comme dans l’enjeu psychosomatique. L’hypnose est l’engagement d’un être humain à ressentir, dans un retour au corps qui permet de se sentir vivant grâce à ce corps qui éprouve et entre en contact. L’hypnose ancre dans le corps cette posture à ressentir, comme l’hospitalité d’un être à faire sien ce qui lui advient, à lui donner un lieu en soi, comme si sa pensée pouvait se poser, se répandre sur les surfaces profondes du corps qui sent. Ce retour au corps de la pensée, caresse les peaux du dedans, dans un contact qui déplie les espaces les plus repliés de soi. C’est comme si le corps engageait l’être à contenir la rencontre avec toutes ses propres expériences autant que ses ressources, comme grandir jusqu’à ce que plus rien ne soit exclu, comme rétrécir jusqu’à ce que plus rien ne soit inclus, jusqu’à être au plus proche de sa réalité, dans un contact, un rapport qui nous fait nous sentir vivant.
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DÉCALAGE QUI NOUS CONSTITUE
Notre inadéquation d’être humain portée par notre corps : son déni est l’enjeu des phénomènes psychosomatiques Notre corps nous rappelle sans cesse ce décalage, qui peut être vécu comme une menace de rupture possible du mouvement continu à vivre simultanément en soi et dans le monde hors de soi, comme une perte possible, une faillite de notre lien fondateur à se sentir vivant. Ce décalage est parfois perçu comme un manque, une insuffisance, une souffrance, comme la menace d’un dysfonctionnement vital dont on ne reçoit plus le sens et que l’on serait condamné à subir, comme une fatalité, dont on ne saurait rien. Parfois cet écart est vécu comme un traumatisme, comme un événement que l’on ne peut pas faire nôtre, inassimilable, qui nous enveloppe dans une proximité sans distance, qui colle à la peau, nous paralyse et nous anesthésie dans l’effroi, nous empêchant de ressentir et de répondre à ce qui se passe. La maladie est, le plus souvent, perçue comme un traumatisme qui nous dépossèderait de notre existence. Face à cette terreur, nous sommes immobilisés, comme une victime impuissante, comme si tombée dans le gouffre de l’écart, nous ne pouvions plus retrouver la continuité à exister. Si nous identifions tout dysfonctionnement à un prédateur extérieur tout puissant, nous devenons alors sa victime impuissante. Il s’agit, pour subir un peu moins, de regarder en face ce qui nous arrive, d’y être intensément présent, sans cécité, sans surdité, sans anesthésie, et, de prendre contact, comme un toucher, une caresse, avec ce que nous savons là, dans notre existence. Il ne s’agit pas de faire face les yeux clos, et sans discernement, en s’exposant de façon sacrificielle. Ce « retour au corps », qui fait face avant toute réflexion, est le chemin inverse de notre pensée discursive, de nos prévisions rationnelles, c’est une alliance entre notre ressenti et notre conscience qui découvre, comme neuf, ce qui se présente dans notre existence. Ce retour au corps engage notre ressenti dans une puissante qualité de présence, sans interprétation, présence vigilante qui perçoit dans l’oubli de notre pensée linéaire de causalité, de nos repères et nos savoirs comparatifs. Cette qualité de présence d’un individu à ce qui est là, et à ce qui est sien malgré lui dans son existence, comme sa douleur, son impuissance, ses limites, ce dont il est dépossédé, ce qui est perdu,... modifie son rapport au plus insupportable, dissout sa peur, et de fait le fait agir – ou pas – du plus profond de lui-même, s’il a l’intention de vivre.
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Ce décalage est toujours le tissage unique et mystérieux d’un humain pris dans la faille entre sa corporéité et le ressenti de son histoire individuelle et collective, à rencontrer l’étrangeté en soi, de l’autre, du monde. « La vision d’un homme ne prête pas ses ailes à un autre », écrit Braque, exprimant dans ces ciels bleus étoilés d’oiseaux blancs, la solitude de l’homme dans son rapport à lui-même, portant sa propre part d’inconnu en lui. Cette inadéquation semble celle de nos modalités de savoir et de non savoir sur notre existence que porte notre corps et dont il est dépositaire. Ce décalage exprime la réalité d’un manque, d’une lacune, d’un vide qui nous constitue, et dont l’impact et le mouvement traversent notre réalité corporelle, physique, biologique, relationnelle, et vécue.
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Ce décalage peut menacer notre continuité d’existence. « La crainte d’effondrement » de D.W. Winnicott C’est ce sentiment d’existence qui semble en péril dans ce que nous font entendre nos patients, dans l’ombre des symptômes corporels qui les conduisent à la consultation médicale. Cette « crainte de l’effondrement », D.W. Winnicott la décrit dans sa clinique pédiatrique et analytique. Le sentiment d’exister est dans le développement bien plus précoce que la parole pour l’enfant. Pour qu’il y ait de l’élaboration du symbolique et du langage parlé, il est nécessaire que le corps, ses fonctions, ses ressentis et ses relations à son environnement et à son intériorité, se soient développées et aient atteint un certain niveau de maturité. Pour penser et parler, notre corps d’humain doit déjà être fait en entier et assez mature. Dans l’ombre du symptôme il y a toujours une peur en relation avec ce décalage, comme si cet écart devenait une fracture dont le lien avec l’existence soudain menacée, pouvait disparaître, et ne plus tenir. Derrière chaque symptôme, il y a cette peur comme si apparaissait soudain, pour un humain, sa propre vulnérabilité liée à une menace imminente. Cette menace est vécue comme un danger pourtant connu en soi, et dont la personne ne semble pas l’avoir expérimenté dans son souvenir, comme un savoir endormi dans l’oubli protecteur. Ce savoir sur nos limites, nos vulnérabilités, sommeille dans la mémoire du corps , dans les replis et doublures de nos membranes corporelles qui savent et ne cessent d’organiser la vie face à notre propre impermanence, notre finitude, notre décalage et manque irréductible. Cette peur est une crainte que « plus rien ne tienne », que le corps ne tienne plus, que « tout s’écroule », d’une chute, d’un vide, d’un anéantissement, redouté pour demain, alors que nos patients l’expriment comme s’ils en
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savaient déjà quelque chose. C’est la peur d’un savoir d’une expérience qu’ils redoutent plus encore que leur symptôme, et à leur insu. Winnicott rappelle que lorsqu’un patient redoute une expérience d’effondrement, c’est qu’il connaît l’angoisse de cette expérience redoutée. Il ne s’agit pas de l’effondrement de quelque chose, ni de la perte de quoi que ce soit. Ce qu’ils craignent, c’est leur propre effondrement, celui de leur propre capacité à se défendre. Cette crainte engendre une angoisse essentielle, une souffrance insupportable, qu’aucun mot ni langage ne sauraient traduire, et dont seul le corps serait témoin. Cet effondrement redouté organise directement sur le corps un état d’alerte, une organisation défensive dont le corps est langage, et le symptôme est comme un bouclier, un masque surnageant cette menace sous-jacente. Le symptôme qui se montre, protège le patient de quelque chose de sous-jacent. Dans la clinique, ce qui nous déconcerte, c’est ce décalage chez nos patients qui avancent leurs corps et son symptôme objectivé, comme seul mode relationnel possible. Ce qu’ils nous font entendre, le plus souvent à leur insu, c’est un état d’alerte, béance du décalage, menace sous-jacente liée à une angoisse, une peur plus forte encore que le symptôme qui se montre, lui, alors qu’il parle de ce qui ne se montre pas. Toujours dans une consultation, un patient nous donnera un signe de ce décalage, par un geste ou un mot, une expression de sa part profonde d’inconnu en lui. Ce décalage s’exprimera toujours comme quelque chose d’inattendu et d’incompréhensible, chez un individu qui montre son corps, sa peau, comme un enfant parle de lui au plus intime à son insu, lorsqu’il montre son dessin. Ce qui nous est donné à entendre, c’est précisément cet écart avec sa part d’insu, comme une part d’un savoir informe que possède l’homme qui s’exprime, savoir éprouvé en son corps sur lequel il a peu d’entendement, comme un contact trop fugace qui ne se serait pas encore déposé et tissé dans tous ses liens possibles dans l’existence de l’individu à qui il advient. Ce savoir émerge dans l’espace d’une consultation, sans préalable, incompréhensible, comme une tentative d’entrer en contact avec ce qui n’était pas possible de contacter, tentative de reconnaître ce que le corps semble connaître, tentative qui nourrit tant de répétition tant que ce savoir porteur d’inconnu n’est pas reconnu. « Je sais que je vais tout perdre... tout mon corps se défait. » Une jeune patiente de vingt ans, gracieuse, fluette, pétillante de vitalité et d’intelligence, ayant déjà eu à se battre avec un épisode d’anorexie à l’adolescence, consultait dans le drame et le désespoir, en répétant sans
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cesse : « Je perds tout, c’est fini, il ne va rien rester...C’est monstrueux, plus rien ne tient, il ne me reste rien, et, on ne voit plus que cela... C’est fini, je sais que je vais tout perdre... quand mes cheveux tombent, tout mon corps se défait... » Elle perdait ses cheveux de façon diffuse, et ne retrouvait plus sa tignasse sauvage d’autrefois. Cette jeune patiente présentait également tout un ensemble de dysfonctionnements récents, cliniques et biologiques ; elle avait un traitement médical compliqué, et il était prévu pour elle une intervention chirurgicale gynécologique qui a pu être retardée pour ensuite se révéler inutile. Elle consultait toujours en urgence, avec la même plainte sur une catastrophe imminente sur ses cheveux, dévorée par la peur de les perdre, sans pouvoir parler de la peur de se perdre, elle. Elle avait pu évoquer, comme incidemment, le stress de ses examens universitaires et leurs enjeux pour sa nécessité perfectionniste, sa rupture récente, brutale et subie avec son premier amoureux, son inquiétude pour une intervention chirurgicale mettant en danger sa maman, séparée depuis sa jeune enfance de son père, et la maladie soudaine de son grand-père, survivant des camps d’extermination, qu’elle considérait immortel. « Il n’a pas le droit d’aller mal ! », répétait-elle.
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Je partageais son avis sur l’absence de relation de cause à effets de ces événements sur ses symptômes, et je lui manifestais mon entendement de leur résonance douloureuse réelle, et bouleversante. Et, elle me répondait en répétant sa plainte en me montrant inlassablement ses cheveux, que j’examinais avec soin, en lui faisant un commentaire sur leur état, sans inquiétude, en et en modifiant un peu son traitement local, avec des apartés sur ses études, sa famille, ses projets... Je continue à la recevoir en urgence, moins fréquemment depuis trois ans, toujours avec une demande dermatologique, complice et bouleversante. Son inquiétude est devenue moins dévorante, elle est plus rapidement rassurée, et elle ne semble plus rechercher un traitement instantané et radical. Je lui ai parlé d’hypnose une seule fois, sans réponse. Je l’ai vivement encouragé à suivre les conseils renouvelés de sa mère, à s’engager dans une thérapie analytique, qu’elle a poursuivie, avec ambivalence, plus d’un an. Dans la clinique médicale : ce décalage vécu comme un vide, ampute le corps, le langage, la relation, accompagné d’une peur essentielle derrière le symptôme.
Cette jeune patiente manifestait, de façon poignante, qu’elle n’avait plus que le corps, et son symptôme visible pour exprimer une angoisse essentielle sous-jacente, ainsi qu’un état d’alerte répétitif, obsédant, face à un danger qui serait à venir, alors que ce danger aurait déjà eu lieu dans le passé et qu’elle avait su le surmonter ! Cette jeune femme avait certainement déjà rencontré le danger et la peur de « tout perdre... que plus rien ne tient ...de la fin... ». Elle ne percevait pas du tout l’irruption de cette angoisse disséquante comme un lien avec son histoire singulière, même inconnaissable, comme le jaillissement d’une mémoire
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oubliée porté par son corps. Il ne s’agit pas de tenter une interprétation, il est question ici de ressentir cette menace, d’entrer en contact avec cette peur et ce décalage vécu comme un vide, puisqu’il est présent et mutilant, et de reconnaître ce vide progressivement comme pas si étranger, et de moins le subir comme une hostilité prédatrice. L’hypnose la conduirait à reconnaître cette absence comme une présence familière, bien qu’insupportable, de reconnaître ce vide, là, dans son existence depuis si longtemps, de le regarder enfin une fois en face, de ne plus faire semblant qu’il n’existe pas !...et de prendre appui sur ce vide. Ce vide n’est pas une trace au sens d’un refoulement, ce n’est pas un traumatisme dont on pourrait se souvenir, ni le refoulement d’un désir enfoui quelque part, de la même manière que le symptôme est sans représentation symbolique sur le corps, sans jouissance, et donc il ne s’agit pas là de névrose traumatique, ni de conversion hystérique. Cette patiente nous exprime un enjeu d’existence, blessure portée par le corps, antérieurement à toute symbolisation et langage. C’est un savoir de l’ordre de la réalité de l’absence qu’exprime cette peur, relation lacunaire en tant que telle, témoin d’un non-vécu, d’un vide qui demande à être reconnu, ressenti, touché, sans être surchargé de sens, pour qu’il puisse prendre vie. Elle nous montre ce décalage douloureux devenu un vide réel, un trou, absence réelle d’une articulation langagière à sa souffrance, dont elle n’a aucun contact. – Elle nous fait entendre ce vide qui entame son corps, ses mots, ses relations, comme une lacune témoin d’une mutilation de ses espaces corporels, langagiers, relationnels. – Cette patiente répétait directement sur son corps cette menace de disparition, de perdre, de se perdre, comme la réalité d’une absence dessinant une perte réelle sur son corps défaillant, figurant un vide qui menacerait son intégrité corporelle, et sa capacité à vivre. – Elle dit l’absence dans sa parole, ses mots sans liens, répétitifs, projetés, et opérants directement sur le corps... Elle sait qu’elle va tout perdre..., dit-elle. Elle répète ses mots frontières, perdus comme un écho, circonscrivant un vide, un hors lieu, écho d’un hors texte, là d’où vient sa voix. – Elle répète le vide dans sa relation, sans liens vers autrui, relation cristallisée sur la menace, qui l’isole et la rend absente et insensible à tout dialogue, à toute rencontre avec ce qui l’entoure, les autres, son monde, à toute altérité. Le décalage pour cette jeune femme, c’est la souffrance insupportable qui fait effraction derrière le masque du symptôme. Elle n’a pas de
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mot pour sa peur et son angoisse essentielle, et elle redit des bouts de phrases comme une litanie appliquée exclusivement à ses cheveux, son symptôme visible : c’est eux qui ne tiennent pas, et qui risquent de se perdre. Elle n’a que le corps pour témoigner de ce décalage devenu un vide dévastateur. Ce qu’elle nous montre, de façon répétitive, c’est ce symptôme qui se voit, sur le corps, ses mots, sa relation, comme si elle était réduite à sa visibilité, pour exprimer sa peur et son décalage menaçant qui ne se voit pas. Le symptôme corporel, ou cutanée, nous fait voir le périssable de nous, nous rappelle que notre corps sera détruit, perdu, et touche notre fragilité, notre vulnérabilité essentielle. Toute lésion corporelle, ou lésion cutanée, porte notre impermanence oubliée, et nous rappelle que nous sommes mortels. Cette patiente, en se réduisant à sa visibilité, s’identifie à son corps périssable, et se voit disparaître avec ce qui disparaît de son corps. Elle est fixée à son symptôme, à ses cheveux qui l’abandonnent, collée à cette disparition qui la fait disparaître. Son symptôme, c’est son refus de faire sienne son expérience de la perte, du décalage. Elle répète sur son corps son manque, comme une addiction, pour réduire ce corps au silence, comme pour renoncer et fuir une réalité insoutenable, son angoisse sous-jacente, qui n’est pas donnée à voir, et dont elle évite tout contact. Il ne s’agit pas de tenter de supprimer sa souffrance, son désespoir. Il s’agit de le reconnaître, de ressentir le décalage présent en elle : ressentir son décalage décolle de l’identification à n’être que son corps périssable, et détache du masque de la visibilité, sans s’en séparer. Cette souffrance, si nous l’entendons, appelle à se faire reconnaître, et c’est par ce retour au ressenti(r), que celui qui n’a plus que le corps pour dire, peut reprendre contact avec sa propre capacité à contenir cette disparition sans disparaître. Prendre contact avec ce décalage, par le ressenti en hypnose, apaise la souffrance S’approcher de ce décalage dans son lieu, le corps, le ressentir, c’est prendre appui sur ce vide, réellement là. L’hypnose guide ce retour au sensible, comme un passeur à l’ouverture d’un pont vers les peaux du dedans. C’est l’engagement d’un être qui découvre ses espaces intimes sur ces épidermes sans visibilité pour autrui, sa solitude essentielle, et l’infinie étendue de ses capacités à contacter le monde. Plus la peau ressent, plus elle touche à l’irréductible opacité au-delà de la visibilité. Juste ressentir ce qui nous fait mal derrière la plaie est un contact qui cicatrise la blessure, avant de la recouvrir. Rencontrer, éprouver sa peur
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de disparaître aide à ne pas disparaître. Plus le corps peut s’approcher, ressentir, reconnaître et nommer ce qui le bouleverse, plus il s’apaise ! « J’ai tout oublié, et je suis une femme de trente ans sans cheveux. » Une jeune femme de trente ans, présentant une pelade décalvante totale depuis plus de deux ans, arrive en consultation pour une première séance d’hypnose, après un premier entretient qui a eu lieu il y a dix jours . Elle entre en soupirant, et se jette sur le fauteuil en disant : « J’ai tout oublié. » Elle soupire encore, et semble accablée. « Au travail, c’est trop lourd, trop pesant. » Je l’interroge du regard, attentive, et elle m’explique d’une voix épuisée que la chef de son service va partir, et qu’elles sont toutes les deux, plus ou moins en conflit. Elle est ravie de la voir partir, et soupire encore : « Elle me gonfle, c’est trop pesant..., je prends trop sur moi, on ne sait jamais ce qu’elle veut, je n’y comprends rien, c’est lourd, c’est trop lourd. » Je l’écoute en silence, elle est au bord des larmes : « C’est trop de stress. » Des larmes coulent sur ses joues, et elle dévoile d’un geste vif son cuir chevelu, en faisant glisser trop facilement sur son crâne nu, son petit foulard de coton coloré. « Je suis une femme de trente ans sans cheveux », dit-elle, d’une voix si désespérée. Elle pleure en silence. Je m’assois près d’elle, l’invite à prendre la posture qui lui convienne, et lui demande de regarder, d’observer, de prendre contact en elle avec cette lourdeur, cette pesanteur, quelle connaît depuis si longtemps, qui revient si souvent dans son existence. Cette pesanteur si insupportable, c’est le moment de la regarder en face, de ne pas faire comme si elle n’existait pas, d’observer où se loge dans son corps cet obstacle, sa consistance, son mouvement.... Elle entre dans sa sensation, puis en ressort soudain, avec une voix craintive : « c’est lourd, étouffant, j’ai toujours l’impression que l’on me regarde ! ». Puis elle replonge en elle, et reprend contact avec sa douloureuse expérience, qui est là, dans sa poitrine, qui descend jusqu’au ventre, et qui n’est pas présente dans sa tête, ni dans ses jambes, ni son dos qui lui respire bien avec ses côtes qui montent et descendent... ni dans ses mains dont l’une est plus lourde.... Son visage, son corps sont tendus, crispés, et des larmes coulent sur ses joues. Elle peine à confronter, ressentir cet obstacle insupportable et pourtant si familier : il s’agit de le toucher, de lui faire de la place aujourd’hui, de le rencontrer, de percevoir cet espace si présent, informe et redouté... Cette pesanteur a un mouvement, elle tourne comme un tourbillon qui ferait perdre l’équilibre... Elle se crispe, comme avec un malaise : « c’est comme un manège avec des chevaux qui tournent, ça tourne, ça tourne... ». Elle accepte de toucher ce mouvement, de rentrer dans ce tourbillon, qui l’aspire, qui la fait chuter dans un noir sans fin... Elle est crispée, des larmes continuent de couler sur ses joues, ses globes oculaires bougent sous ses paupières, elle se laisse pénétrer par le mouvement, ou dans ce tourbillon
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menaçant qu’elle ressent au plus profond de son corps... Puis, après dix minutes de tension, elle semble s’apaiser, elle respire paisiblement, son visage se détend, se lisse, son front n’a plus de plis, ses lèvres ont perdu tout rictus, elle s’est redressée imperceptiblement, elle semble si tranquille, et profondément paisible. Puis je lui propose, alors quelle est en hypnose assez profonde, de revenir sur ces situations de conflits qu’elle a évoqués en arrivant. Elle confronte sa mère, dont elle m’avait dit avoir peu de contact avec elle, et de savoir si peu de choses d’elle, puis sa chef de service, tout en restant bien présente et accueillante à ses sensations du moment, en restant au plus près de ce qu’elle éprouve en elle, là sur son fauteuil... Elle se crispe à nouveau, pleure en silence, et garde le contact et éprouve, comme elle peut, ces situations évoquées du passé... et naturellement, comme si la crispation s’épuisait d’elle-même, elle s’apaise. Puis, elle revient calmement, comme une fin de séance. Puis nous parlons un peu. Elle me dira sa terreur et sa chute dans le tourbillon qui n’en finissait pas, puis tout s’est arrêté et tout allait bien. Elle semble ne pas se souvenir de tout. Quant à la perception de sa mère, sa chef, tout s’est mélangé, et elle se sentait elle, sa chef et sa mère, comme une même personne en elle, comme dans une même peau, avec une confusion angoissante, qui l’a beaucoup effrayée. Puis, après un moment, en restant en contact avec ses sensations sur le fauteuil, tout en poursuivant l’expérience, elle a vu sa mère, et elle s’est soudain sentie si triste : « Elle m’a abandonnée, je ne lui en veux pas ». « Je voyais des choses sans y penser, elle était là sans être là Je me sens proche d’elle, je l’aime, elle n’est pas démonstrative, et ne donne pas sa tendresse. Ses parents l’ont eue très jeune et, comme moi, elle a été livrée à elle-même, si petite ». Elle semble étonnée de voir sa maman, comme désemparée et abandonnée, elle aussi. © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Je la regarde en silence. Elle ajoute : « comme moi, et je ne le voyais pas ». Elle ne reviendra que 2 mois plus tard, ce sera notre troisième rencontre. « J’ai dû oublier des choses depuis la dernière fois », dit-elle, en s’asseyant. Elle est toujours aussi intense, avec son regard vif, observateur, généreux et si triste. Elle est toujours aussi élégante et posée, avec son petit foulard en coton sur sa tête. Elle retire d’un geste rapide son foulard, en même temps qu’elle s’effondre en sanglots : « J’ai peur, ... j’ai peur que ça retombe ». Sur son cuir chevelu nu, lisse et rosé depuis plus de deux ans, une repousse de cheveux noirs, épais de quelques millimètres, recouvraient plus de la moitié de sa surface. Elle sourit et pleure en silence. Et nous reprenons l’hypnose, en partant de cette peur qu’elle ramène aujourd’hui.
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PROCESSUS PSYCHOSOMATIQUE
Le décalage en tant que tel : espace corporel et relationnel des phénomènes psychosomatiques C’est avec ce décalage, devenu un écart douloureux et un bouleversement, que nous avons à prendre contact. Dans tout processus psychosomatique, ce décalage apparaît, avec son bouleversement qui nous dépossède de tout savoir, et nous bouleverse : c’est là que le contact peut redonner le sentiment d’exister à notre patient. L’entendre là ou justement nous ne comprendrons rien, là ou l’être humain existe « hors-texte », être là sans solution pour lui au seuil de son pathétique décalage, c’est témoigner de ce lien par le manque aussi pour soi. Se laisser bouleverser auprès d’un patient, c’est ressentir et être là, à reconnaître notre dépossession à faire et savoir pour autrui, ne rien comprendre et être présent à l’autre avec attention. S’il mobilise notre attention face à cette part d’incompréhensible réciproque, de fait, il ressent qu’il agit sur nous, et il touche sa capacité à agir sur son monde. Ressentir ce que nous ne saurons jamais de l’autre, comme un vide de savoir qui fait lien, est une inversion du regard et de la relation. C’est une alternative toujours possible dans l’espace de nos consultations, et peut s’associer à tout acte professionnel. Ce contact qui accueille l’informe, le chaos, avec juste l’intention d’être présent à l’autre, sans chercher à comprendre, à interpréter, ou à comparer à un savoir antérieur, nous fait réciproquement nous sentir vivants, et mobilise la relation à soi, à l’autre, et les symptômes. L’hypnose intensifie ce contact, d’où sa pertinence dans les phénomènes psychosomatiques. Il s’agit d’éprouver et se laisser guider par le ressenti bouleversant, et de faire de la place en soi pour ce qui nous échappe, le mystère de la vie, l’inconnu en tant que tel. Nous n’avons aucun savoir sur la détresse de nos patients, et pourtant nous entendons leur bouleversement qui nous échappe, et nous avons à le laisser nous échapper pour accueillir l’irruption de l’inattendu pour moins le subir. « Mon mari est en procès pour femme battue. » Une femme consulte à l’hôpital, adressée par son dermatologue, avec une épaisse liasse d’examens complémentaires à la main. Elle est suivie depuis quatre mois pour une pelade, dont la surface alopécique occipitale, de quinze centimètres de diamètre actuellement, s’étend rapidement de jour en jour. Cette évolutivité rapide et cette localisation sont habituellement de très mauvais pronostic.
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C’est une jolie femme de 42 ans, vive, élégante. Elle maîtrise assez bien une agitation débordante et une anxiété qui envahit ses gestes et l’espace autour d’elle. Après avoir examiné son cuir chevelu, ses examens biologiques, tous normaux, je tente de lui parler. Dans une pelade, on est toujours en bonne santé et ce n’est pas rien de trouver « rien » dans les explorations. Je lui explique la pelade, et son potentiel de repousse toujours présent, comme si les cheveux étaient une « Belle au bois dormant » qui pouvait reprendre vie à tout instant. Je perçois sa panique doublée d’anxiété comme un mur entre nous, comme si rien de ce que je lui dis ne pouvait la toucher, et ni aucune relation s’établir entre nous. J’abandonne toute tentative de soin, et je la regarde en silence, je ne sais plus que faire ! Puis calmement, je l’interroge sur son agitation dévorante, qui est tellement là entre nous. Elle semble enfin se poser, et me regarde enfin, plus présente, et me dit ces phrases incompréhensibles : – « C’est que mon mari est en procès depuis six mois pour femme battue. » Je n’y comprends rien et je me penche plus près vers elle, et je lui demande avec étonnement si elle connaît cette femme battue ! Elle est plus calme, sa voix est plus lente et plus profonde. – « C’est que cette femme battue, c’est moi. » Après encore un silence, je lui demande qui a initié le procès. – « C’est moi qui ai demandé le procès contre mon mari. » Après un silence, elle raconte : « Cela fait vingt ans qu’il me bat, et si cela ne tenait qu’à moi, je serais partie, mais les enfants !... Je veux lui montrer la limite, je ne veux pas que cela se répète, pour mes enfants.... ». Puis elle parle de son humiliation, ses hématomes sur son corps, cette douleur et sa peur sans cesse, et, cette nuit-là, aux urgences de l’hôpital où elle avait eu tellement honte... Puis elle parle de cet homme qu’elle aime, élevé dans la rue, battu par son père qui buvait... L’entreprise qu’ils ont créée ensemble, leurs trois enfants dont l’aînée de dix-huit ans est étudiante en psychologie... Elle est devenue si calme, sa voix est paisible et agréable ; je la trouve émouvante et belle. « Maintenant que le procès est là, quelque chose peut changer », dit-elle. Puis, je modifie très peu la prescription de mon collège, et je lui explique longuement comment appliquer le traitement local dont le but est de revasculariser le cuir chevelu, comme on arrose son jardin le soir, après une étouffante chaleur d’été, et comment cette irrigation vitale ressource nos vaisseaux, qui peuvent apporter aux racines ce dont elles ont besoin pour grandir. Je lui raconte cette nécessité de la vascularisation du cuir chevelu, comme une terre qui a souffert à besoin de boire pour reprendre vie, comme les Égyptiens qui ont dérivé les eaux du Nil pour irriguer le désert, jusqu’à faire pousser des forets de papyrus, et l’utilité pour elle, de labourer sa terre à l’occasion de ses shampoings pleins de substance nutritive...
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Deux mois plus tard, lors de sa seconde, et dernière consultation, elle entre souriante : « Mes cheveux ne tombent plus », dit-elle, en inclinant sa tête et découvrant la zone occipitale, tapissée sur toute sa surface d’un cheveu mature de quelques millimètres, noir et dru. La repousse est repartie ! •
Cette patiente nous fait entendre son décalage pathétique à l’envers du symptôme, noyau d’un trouble, qui se projette brutalement comme un vide réel : – sur son corps par une perte objective ; – sur ses mots et leur vide d’articulation langagière à sa souffrance ; – sur sa relation d’isolement mise en acte, et démunie d’adresse vers autrui.
•
•
Elle nous fait entendre sa peur d’effondrement, sans mots, autour de laquelle s’est construit son symptôme. Le symptôme semble la seule solution trouvée par la patiente pour s’adapter à la menace d’effondrement. Cette menace de béance semble plus vitale que le symptôme qui tente de la recouvrir. Le symptôme reste la présence douloureuse du corps identifié au décalage devenu un vide impossible à assumer. Le symptôme reste le temps qu’il faut à l’individu pour reprendre sa place, et adhérer à son existence. Cette patiente illustre notre étonnement réciproque à se laisser mobiliser par ce bouleversement inattendu (elle n’avait jamais parlé de son histoire à elle, me dira-t-elle). L’étonnement est aussi la capacité de son bouleversement à mobiliser son symptôme.
La première consultation semble un moment très privilégiée, et l’ampleur de l’engagement à se confronter à l’inconnu est décisif. Ce bouleversement, il s’agit de le toucher, comme un contact qui s’avance pour reconnaître ce qui est là, sans tenter de le comprendre, ni de le dévoiler, ni de le mettre à nu en supposant une transparence de l’être qui l’éprouve. Il s’agit d’accueillir ce que l’on ne comprend pas, et ce que l’on perçoit de notre propre dépossession à savoir, sur soi, sur l’autre. Faire alliance avec l’incompréhensible, contacter et toucher l’intouchable, se rapprocher de ce qui ne pouvait être proche, pour exister, est une inversion de regard, un renversement de posture qui abandonne, momentanément, toute explication et interprétation. Le bouleversement : usage du décalage Ressentir ce bouleversement est en soi un bouleversement de posture. Cette posture qui accueille l’absence nous délocalise, nous dé identifie à ce qui nous bouleverse, nous donne la distance pour ne pas se considérer comme subissant une extériorité dont nous ne serions qu’un spectateur
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impuissant et assujetti à ce qui nous arrive. Prendre contact, être touché et ressentir le plus redouté, nous permet d’adhérer à notre existence et ses manques, et de moins la subir. C’est le moteur d’une relation d’hypnose que nous pratiquons tous naturellement si souvent. En prendre conscience renforce l’engagement et l’action de cette patiente qui a décidé d’accéder à sa propre existence, de faire face à ses manques, ses limites, et n’aura peut-être plus besoin de la présence de son corps douloureux pour porter son décalage irréductible.
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Le processus psychosomatique : événement d’un bouleversement Le phénomène psychosomatique, c’est le surgissement chez nos patients de ce décalage qui déconcerte les modes de savoir. Parfois, le pronostic est vital et la guérison se produit contre toute attente, et sans trace de symptômes cliniques et biologiques. Parfois, le patient fait un unique épisode dans sa vie. Parfois, la récurrence est épisodique, imprévisible. Parfois, une répétition plus ou moins espacée s’installe, avec ou sans la probabilité de facteurs déclenchants. Parfois la chronicité se construit, d’annuelle, mensuelle, à quotidienne, avec la même possibilité de disparaître spontanément et sans séquelles. Ce mot de « psychosomatique », évoque une séparation possible autour de ce décalage, en même temps que l’inséparable et l’irréductible continuité du lien à notre condition humaine qu’il porte. Dans la clinique médicale, tout se met en scène comme s’il n’y avait plus que le corps pour témoigner de l’être qui se montre. Si nous persistons à ne pas entendre que ce corps s’expose justement pour témoigner de son insuffisance à exprimer ce qu’il ne montre pas, nous enfermons notre patient et nous-même dans une logique d’objet, déjà en marche, ou nous n’aurions de valeur que par ce corps objectivable, réduit à sa visibilité, isolé du monde dont il ne perçoit plus le lien, niant sa surdité et cécité à son humanité silencieuse. Comment parler en notre corps, sans le réduire à un objet extérieur et étranger, au moment ou nous tentons d’approcher ses symptômes, ses mouvements d’évolution naturelle et ses dysfonctionnements, pour en entendre ce qui s’exprime, et en répondre ? Comment porter la tragique division des mots et images que nous produisons, et qui semblent apparaître à autrui comme détachés du ressenti, de la mémoire et de l’histoire qui transite et éprouve notre
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corps ? Comment abriter notre incapacité à témoigner de l’intime, du fond de notre être, et notre propre part d’inconnu qui fondent notre identité, alors que la parole et le regard portent en elles cette défaillance, comme un manque, un vide, une dépossession qui nous constitue ? Notre corps n’est pas médiateur de langage, comme les mots, les images, et autre représentation langagière ou d’objet. Il est langage. Notre corps appartient à la voix qui en parle, il est corps de cette voix qui s’adresse à autrui dans son impossible déliaison aux mots et images qui tragiquement s’en séparent. Ce que nous renvoie quotidiennement la clinique, c’est l’entendement d’un corps qui ne se résume pas à une somme d’organes, de cellules, ou d’appareils de fonctionnements, comme l’appareil psychique, ou somatique. Peut-être que la division psychosomatique témoigne de cette inadéquation qui constitue chaque homme à vivre porteur de ce décalage, comme une défaillance parfois insupportable à contenir. Ce manque, cette dépossession résonnent d’une perte douloureuse, ou de l’absence de quelque chose dont nous serions privés, vide qui menacerait notre existence. Cette menace de cette division portée par l’écart, pourrait se projeter sur le corps, et l’intégrité corporelle serait perçue morcelée, comme si elle pouvait se défaire. Ce décalage douloureux n’est pas toujours pathologique, et il accompagne le plus souvent nos étapes du développement, ses intégrations et adaptations depuis nos tout premiers moments de vie. De là, à ce que le corps soit atteint dans sa matérialité biologique et somatique, supposerait une continuité indissociable au cœur de cette division, de ce décalage qui nous constitue comme humain. Cette continuité résonne de ce fait d’expérience de la naissance où nous sommes le monde et les objets, de la même manière qu’ils sont nous. Cette continuité au vivant demande à être retrouvée par-delà les visages empruntés de notre décalage. Si lorsque le décalage est vécu comme une lacune, un manque en tant que tel, et n’est pas reconnu, il est subi et produit du clivage, du déni, habillé d’anesthésie, d’amnésie et de violence. L’individu ne peut plus porter dignement sa vulnérabilité, sa fragilité essentielle d’articulation, de distance et de lien, avec ses vides, et ses imprévisibilités à s’adapter et à créer. Cette division, cet écart sont irréductibles à l’être humain parlant, car les mots et les images dématérialisent le corps et le monde pour que la vie émerge et se transmette ; et le mot ne sera jamais la chose nommée, et la carte ne sera jamais le territoire (Watzlawick).
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U N DES POSTULATS DE L’ HYPNOSE POURRAIT S ’ ENNONCER : CE N ’ EST PAS NOUS QUI GUÉRISSONS AUTRUI
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Savoir du patient sur sa guérison : savoir d’un ressenti C’est le patient qui décide s’il s’engage, ou pas, à s’approprier sa qualité d’humain, et à accéder à son existence. Lorsqu’il conduit son corps à approcher et éprouver ce qui le bouleverse, et se bouleverse, son corps s’apaise. En fait, le corps connaît ce bouleversement, et ce savoir demeure impalpable, comme une expérience abstraite et sans goût, pour l’être qui ne la ressent pas. Ressentir, est une impression nouvelle qui se fait jour, en rencontrant de sensations décalées qui défient le passé sans le répéter, et en le reconnaissant dans sa continuité présente. Approcher le psychosomatique, c’est approcher cet écart que notre qualité d’humain nous oblige à porter, ce décalage comme une articulation entre ces oppositions signifiantes. Toucher la séparation est une façon de ne pas être séparé. Le paradoxe est que ni les mots, ni l’image ne peuvent témoigner de cet écart, ce décalage qui est porté ne peut être reconnu que par le corps de celui qui l’éprouve. Approcher cet écart est l’expérience d’un ressenti propre à celui qui l’éprouve, et participe de l’expérience singulière d’un être à se sentir vivant. Cette expérience subjective à se sentir vivant échappe à tout savoir rationnel, à toute logique de causalité interprétative et positiviste. S’engager à vivre, prendre et oser son existence, sortir de ses membranes, est antérieur au désir et au symbolique, et cet engagement à vivre, ou pas, est ce qui questionne les phénomènes psychosomatiques. « Il n’y a pas de volonté d’existence », écrivait Friedrich Nietzsche. L’existence, on s’y engage ou, pas, comme on décide de vivre, ou de renoncer. L’étayage du langage et du symbolique, pour un humain, s’ancre sur cette qualité engagée à exister, ou pas, mémoire d’une saisie d’un hors soi en soi, liée à celle de son dessaisissement à le représenter, oubli réel et mémoire de l’oubli, imprimé dans le corps. Notre corps porte, à sa façon pour chacun, ce savoir à saisir et à se dessaisir de son existence, comme si nous savions, pour nous, ces choses essentielles Cette présence d’un manque est une blessure que nous abritons, comme la présence d’une absence à jamais indéterminée, et seul son lieu demeure accessible : le corps de l’humain qui ressent cet écart. Faire l’expérience de ce décalage est l’expérience d’une solitude d’où naît notre voix, celle qui a parcouru et éprouvé l’épaisseur du corps
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inséparable qui la produit, comme « l’unique vague, dont je suis la mer... » (Rilke). Nos membranes corporelles seraient-elles une interface de peau, portant ce décalage, cet écart de liaison indéfinissable ? L’épaisseur de nos membranes est tissée de cet écart, réalité d’un vide qui se tresse aux réalités perçues, éprouvées, ressenties, et qui simultanément intègrent et impriment les surfaces et épaisseurs de notre corps. Ce décalage est une expérience de contact et mouvement des espaces du corps très précoce, et antérieure au langage. Cette expérience d’incorporation précoce de matérialité mêlée du mouvement ininterrompu du développement intrinsèque, et le contact entre le dedans et le dehors, mobilise de façon continue notre corps. En même temps cette expérience infuse notre corps de ressentis indissociables, silencieux qui échapperont toujours aux effets discursifs du langage. Ressentir est un mouvement de l’être dans son entier à accueillir passivement ce qui se passe activement, à ouvrir son contact corporel à sa propre existence. Ressentir est une expérience d’engagement à percevoir et sentir simultanément, sans pensée, sans lutte, ni jugement. Ressentir est une intention d’action sensorielle et sensible qui mobilise la conscience et le corps ensemble sans logique, sans causalité linéaire. Ce mouvement déplie les surfaces organiques de nos membranes, et comme une vague se diffuse et se cogne à l’épaisseur d’une antériorité ancrée à notre mémoire corporelle sans mots, unique et propre à l’humain qui l’éprouve. Le patient seul détient les réponses La crainte impliquant une vigilance obsédante, que cette continuité donnée ne soit plus, et que l’existence soit menacée de ne plus tenir, de s’effondrer peut se projeter directement sur la matérialité du corps. Le corps devient le seul mode d’expression langagier, comme un mode de présence objective pour signifier l’absence, absence objectivable de cette continuité portée par le décalage qui nous constitue. Cette relation au monde qui fait de l’organique le seul mode relationnel possible, rappelle les tout premiers moments de l’existence, la naissance, où l’on accueille avant de parler, expérience de notre dépendance à un don irréductible, dans notre mémoire corporelle du ressenti. Le toboggan Un petit garçon de sept ans est amené en consultation d’hypnose par sa maman, anxieuse et agitée. Elle me raconte que depuis sa naissance, son
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fils vomit à chacun de ses repas, la plus grande partie du peu de nourriture avalée. Dès les premiers mois, une sténose du pylore (anomalie de la valvule assurant la vidange de l’estomac vers l’intestin) a été diagnostiquée. L’intervention chirurgicale n’a pu être réalisée qu’à l’âge de six ans. Jusqu’à l’intervention, la maman s’était arrangée avec son travail d’assistante sociale, pour nourrir son fils et assurer les traitements médicaux, trois fois par jour, car l’enfant refusait toute nourriture, et ne pouvait avaler que très peu, et très lentement. Cela faisait plus d’un an qu’il avait été opéré avec succès, et ses symptômes ne s’étaient pas modifiés. Il continuait à vomir à la fin de chacun de ses repas, surtout après celui du soir, lorsqu’il était couché. Les médecins ne trouvaient pas de solution, et elle ne savait plus quoi faire pour ce dernier fils, cadet d’une fratrie de trois. L’enfant, menu et tendu, était calme et silencieux face à l’effervescence de sa maman. Il était très attentif à ce qui se racontait à son sujet, et son regard aux aguets, pétillait de vitalité et d’intelligence. Je leur affirme que l’hypnose est une expérience familière à chacun, et que ce n’est pas une baguette magique.., L’enfant semble absent, alors que la mère veut savoir...
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Je m’adresse à l’enfant, en séparant son espace de celui de sa mère par ma posture, et je lui raconte en lui faisant un dessin, la continuité de son tube digestif qui est là depuis sa naissance. Mais le tube, très souple, solide et continu, était trop étroit au sortir de l’estomac ce qui créait un encombrement. Maintenant que l’opération s’est bien passée, le tube est plus large, et les aliments peuvent glisser naturellement. Je lui demande ce qu’il a éprouvé avant, après, l’intervention, s’il a eu mal... et, maintenant ? À cet instant, c’est la première fois que je croise vraiment son regard, pendant que sa mère répond vivement, derrière mon épaule, que tout s’est bien passé, et que l’enfant acquiesce en plongeant son regard dans un ailleurs profond. Je lui explique avec mon dessin, que lui n’a rien à faire pour que tout passe, et que tout descende tout seul, comme une goutte de pluie sur la vitre, caressée par la pesanteur, glisse et s’écoule jusqu’au bout pour tomber sur le sol..., comme sa salive, ou sa gorgée d’eau dans son tube digestif s’écoule, tombe, et s’abandonne, qu’il peut l’oublier, comme la nuit dans son sommeil ou pendant ses rêves... son corps continue son activité, digère, respire, alors qu’il n’y a rien à savoir, rien à expliquer, rien à comprendre, et qu’il peut oublier que son corps sait oublier avec tant de confiance tant de choses ; comme sa respiration qui se poursuit dans son sommeil, dans ses rêves, et qui continue à nourrir et protéger tous les espaces de son corps, ou tout bouge et vit sans cesse, même durant son repos... Il est devenu soudain très attentif, immobile, et il semble regarder en lui, les yeux posés sur le dessin qui reproduit le chemin sinueux qui va de la bouche à l’anus. Je lui propose de ressentir en lui ce chemin solide et continu qui existe dans son corps, qui est en bonne santé comme le confirment les chirurgiens. Peut-être, il pourra mieux le ressentir lorsqu’il boit, ou mange... Nous en parlerons la prochaine fois, s’il le désire, et je lui donnerai la copie d’un dessin d’un livre médical.
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Il revient quelques jours plus tard et je le vois seul pour sa première séance d’hypnose. Comme souvent les enfants, il bouge sans cesse, avec une curiosité vigilante, comme une résistance naturelle à l’inconnue, qui le dissipe de tout côté. Après quelques errances, je lui demande ou il aimerait être en ce moment. Il me répond sans hésiter : « au jardin, dans mon aire de jeux ». Nous y entrons, après lui avoir fait ressentir qu’en fermant les yeux ici, il pouvait voir là-bas beaucoup de choses, les voir, et ressentir la saison du jardin, l’agitation et les présences des arbres, des adultes, d’enfants connus et inconnus, et explorer comme il le désirait, les espaces et les jeux qu’il aimait. Soudain, il ne bouge plus, ses mains sont comme posées dans l’air. Il est en transe hypnotique et semble en travail, silencieusement. Au bout de quelques instants, je lui demande ou il est. Il me répond sans sortir de son expérience, d’une voix calme et profonde, qu’il est sur le toboggan. Alors tout s’éclaire pour moi, et je l’accompagne tranquillement à le descendre plusieurs fois. Je lui propose de ressentir lorsque ça glisse tout seul et qu’il se retrouve en bas étonné et fier. Puis il doit attendre son tour pour recommencer, car il y a du monde qui encombre l’accès avant lui, pour retrouver le plaisir de cette glissade. Puis, soudain, son vêtement s’accroche à un obstacle, il est inquiet et il doute que ça passe, et tout se passe bien. Puis, il est tout seul et il peut se laisser glisser autant qu’il veut, et avec tant de confiance, et tant de plaisir, et il retrouve cette facilité, à le faire vite ou doucement... Puis il sort de son expérience brutalement. Je lui propose d’y retourner, de refaire encore une descente comme il l’aime, de regarder s’il n’a rien oublié, et s’il a encore envie de se laisser glisser dans un autre espace, ...et de sortir à sa guise de l’aire de jeux, puis du jardin, et de revenir sur son chemin... La séance a duré près d’une heure, il va retrouver sa maman dans la salle d’attente. Elle voudrait savoir. Je propose à l’enfant de raconter plus tard, ce qu’il veut, à la maison. Il répond qu’il ne sait pas, comme s’il avait oublié. Je le rassure en lui disant que l’amnésie est habituelle à ce travail. Je le félicite de son courage, car il est toujours courageux de se lancer dans une expérience inconnue et de toucher aussi la peur de cette nouveauté et je lui donne, comme convenu le dessin du tube digestif photocopié d’un livre médical. La maman me rappellera le surlendemain, et quelques jours plus tard : elle veut comprendre. Son fils ne vomit plus du tout, persistent quelques petits retours d’aliments certains soirs alors qu’il est au lit. Je ne les ai plus revus.
Que s’est-il passé ? Tout d’abord notre étonnement, bouleversement toujours neuf, propre à chaque expérience d’hypnose. Que l’hypnose permette le changement attendu, ou pas, ou d’autre modification inattendue, l’étonnement et le bouleversement des protagonistes est toujours là, plus ou moins surprenant et présent.
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Ce qui apparaît pour ce jeune patient, c’est le savoir qu’il possède, lui, de ce qu’il veut (l’intégrité de son corps et sa capacité à le faire vivre), et du chemin à prendre pour l’atteindre. Il avait perdu la continuité naturellement présente en lui d’exister (cadeau de naissance dans la mémoire de son corps), et en dehors de lui (la représentation de cette continuité qui est donnée à chaque humain). Il avait ses clés, et il en avait perdu le contact et le ressenti ; peut-être avait-il retrouvé en lui cette expérience d’unité par le mouvement de sa plongée en hypnose. L’hypnose domicilie notre capacité d’adaptation à l’existence, sans cesse à reconquérir, dans notre corps et notre matérialité d’humain. L’intention de s’engager dans l’expérience fait naturellement surgir une peur. Cette peur, c’est avec elle que nous avons à faire alliance. Cette peur, c’est le contact avec ce décalage, ce manque. C’est aussi lorsque nous prenons contact avec ce manque, comme une réalité d’existence qui reprend sa place, que nous pouvons reprendre la nôtre. C’est quand nous contactons ce manque, que nous contactons notre continuité donnée à exister. Ce manque, ce vide est ce qui fait peur, peur de tout perdre. Le paradoxe est que c’est en contactant cette épreuve du manque, ce vide menaçant devient un savoir, sans mots sur lequel nous pouvons prendre appuis pour ressaisir le mouvement de la vie. C’est le mouvement dans lequel nous engage l’hypnose. Prendre contact et ressentir ce qui pourrait nous faire disparaître, nous permet de ne pas disparaître. Circonscrire le vide, le manque, la douleur, la souffrance, nous sépare de cette réalité perçue, et nous permet de moins la subir.
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Nous sommes tous des hypnotiseurs : voulons-nous vraiment le savoir ? Ne pas éprouver par le ressenti ces expériences qui sont nôtres malgré nous, et leur dire « non » c’est une manière de les retenir, une fuite par déni. Nous sommes très inégaux sur notre capacité à ressentir, et devant l’angoisse à éprouver l’absence. Pour fuir ce retour au corps, nous risquons un clivage sensoriel, une anesthésie localisée, et l’amnésie qui éviterait tout contact avec notre insuffisance naturelle à porter notre décalage. Son évitement nous accroche au symptôme comme à la partie visible d’un iceberg, nous atèle à toute autre organisation défensive, souvent performante, et qui nous aurait réellement protégé dans une étape passée de notre vie, et à laquelle nous nous accrochons, comme à un rempart devenu inutile. N’entendre que le symptôme, rend compte de notre surdité à notre souffrance d’être humain réduit à sa visibilité, et renforce la répétition à n’avoir que le corps pour le dire. Ressentir ce
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décalage, éprouver son bouleversement, permet de retrouver un savoir sans payer de son corps, ou du corps de l’autre. L’hypnose est un acte de localisation transitoire, par ce contact à ressentir nos expériences connues et inconnues, irreprésentables et non-objectivables – nous reconnaissons et éprouvons leur réalité insupportable. Alors, elles peuvent traverser notre existence. Les ressentir et les éprouver leur permet de se mobiliser avec les respirations et mouvements de l’existence, et donc de s’en séparer aussi. L’expérience clinique est étonnante : chaque fois qu’un patient accepte de ressentir, et de prendre le temps de contacter un obstacle – souvent informe et mal défini – et de le toucher, l’éprouver dans l’espace de ses sensations intimes profondes et silencieuses, souvent éprouvantes, ce ressenti finit toujours par s’apaiser de lui-même, et une tension, une souffrance se distancie, ou s’abandonne. Ce qui s’abandonne n’est pas définissable, pas interprétable, pas représentable, et pourtant le patient sait intimement que quelque chose d’informe de l’obstacle (à exister) est tombé, et ne lui colle plus à la peau. Conclusion L’hypnose ancre dans le corps cette expérience à ressentir, plus profondément, comme une ouverture, une perméabilité, à faire l’hospitalité, à donner un lieu en soi à toutes les expériences, connues et inconnues, celles que ne pouvions pas accepter. De la même façon qu’elles arrivent, elles vont partir. Il s’agit de reconnaître ces expériences par le contact, et de constater comment notre corps et ses ressentis les connaissent depuis longtemps. C’est en les éprouvant réellement, sans faire semblant qu’elles n’existent pas, en les touchant sur nos peaux du dedans, et nos espaces intérieurs, comme une caresse, sans jugement, sans interprétation, sans émotion, sans peur, qu’elles s’éloigneront spontanément. Comme un passeur de l’illusion à la désillusion, un contact apparaît de nouveau avec cette continuité perdue. L’hypnose guide un individu à saisir sa qualité d’être humain, et l’engage dans le mouvement d’un retour au corps, corps sensible qui ressent sa dimension intime en dessous sa peau. L’humain qui ressent retrouve l’accès au sensible, et sa capacité de mise à l’écart de la présence douloureuse du corps. Ce retour au sensible par le corps fait émerger une dimension qualitative de soi, une mémoire de notre appartenance à notre humanité au sein des constantes oubliées de notre existence. L’hypnose renouvelle l’expérience à se saisir de ce mouvement de vie ressenti au contact d’un « soi peau ». Ressentir engage la conscience
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d’un humain à reconnaître à soi, et à se reconnaître soi, au sein de ses impressions insensées mémorisées en son corps. Ce contact en soi, retrouvé dans notre corps à l’écart des pensées, touche et saisit notre nécessité essentielle et vitale à contacter nos limites et nos possibles, à tenter de percevoir ou nous nous sommes, ce que nous sommes. Ce retour au corps par le ressentir, nous libère momentanément des représentations déchirantes du moi, et nous risque à une reconnaissance venant de soi. Cette reconnaissance à être soi nous confronte à une possible unité à notre liberté, à notre propre savoir vivre, à décider de notre vie, et de retrouver notre place, dans l’abandon des rôles et des symptômes. Et si la relation hypnotique ouvrait à un individu un dialogue sensible comme un toucher de peau dévoile une mémoire intime dans l’épaisseur des membranes du corps, qui raconterait : « Tu es en relation, sois tranquille, tout continue, laisse ton corps oublier qu’il continue à te protéger quand tu l’oublies, comme dans la nuit où se poursuivent tous les rythmes essentiels à ta vie, que tu oublies si tranquillement quand tu dors, quand tu rêves, comment ta respiration qui se continue, comme une harmonie ininterrompue ressource et répare chaque cellule de ton être... Laisse ton corps abandonner son poids, et laisse tes organes faire ce qu’ils ont à faire... Ton image n’est pas ta peau, c’est une partie, un artifice de présence pour évoquer l’absence. Ta peau, c’est elle qui sait t’entendre, écoute ce qu’elle te dit dans l’inaudible doublure de tes rougeurs, tes boursouflures, tes tumeurs, tes suintements et tes déchirures, elle te raconte les histoires qui l’ont touchée, cognée, tes mémoires qui l’ont traversée, ses aventures à survivre sans cesse, à ce vécu de « C’est dégueulasse ! Mon corps me lâche ! Je suis descendu bien bas ! C’est la chute ! C’est insupportable ! Je ne peux pas ! Je suis incapable ! Cela ne vaut plus la peine ! C’est injuste ! Tout est fini ! Tout craque ! ... » Ressentir ces souffrances en soi, c’est faire l’expérience d’un corps qui les contient, et qui se tient vivant.
Chapitre 13
HYPNOSE MATERNELLE ET MATERNALITÉ Yves Halfon
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Q
UAND un enfant a des difficultés pour s’endormir, les mères chantent
une berceuse : « Dors mon petit Quinquin... » en est un exemple1 . Avant d’être support du langage, la voix est apaisement. L’observation de la dyade mère-enfant en maternité, les recherches de Brazelton, Stern, Montagner (Brazelton, 1988), et le discours des femmes ont amené à faire ce rapprochement entre la relation patient-hypnothérapeute et la relation précoce mère-enfant. Cette relation mère-enfant nouveau-né qui débute pendant la grossesse, se construit sur la sensorialité et les capacités de l’enfant d’interagir avec sa mère. L’enfant découvre le monde en s’appuyant sur les réactions de sa mère, et notamment la gratification. L’utilisation que la mère fait de son visage, de son corps, de ses mains et de sa voix constitue le premier contact et le premier modèle de communication de l’enfant nouveau-né avec le monde humain.
1. « Dors, Min p’tit quinquin,/Min p’tit pouchin, Min gros rojin/Te m’fras du chagrin,/Si te n’dors point ch’qu’à d’main », paroles d’Alexandre Desrousseaux, 1855.
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La relation de l’hypnothérapeute avec son patient reprend ce modèle relationnel non pas dans le langage utilisé, la sémantique1 , mais dans la relation si particulière faite de proximité, d’échoïsation, d’empathie. D’après B. Cyrulnik (1997), l’homme, de part sa prédisposition à la parole, connaît doublement l’hypnose : « Une première fois, grâce aux structures sensorielles perçues, comme un nouveau-né face à sa mère ou un homme devant un feu ; et une seconde fois, par la fonction sémiotique de ses perceptions. » (Cyrulnik, 1997, p. 101)
La grossesse et l’accouchement mettent forcément en jeu des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Parce qu’il y a intrication des facteurs biologiques, des facteurs psychologiques et sociaux, c’est un événement psychosomatique2 et l’hypnose aussi, dans la mesure où la relation entre le psychisme et le somatique se manifeste de façon particulièrement massive. De là l’intérêt de l’utiliser comme moyen psychothérapeutique en maternité.
LA
RELATION MÈRE - ENFANT
Winnicott disait, avec juste raison, qu’un enfant seul, c’est-à-dire, sans son environnement, ça n’existe pas. Peut-on séparer l’enfant de sa vie relationnelle ? L’enfant deviendra soi-même que s’il y a un autre, un adulte pour le développer, éveiller ses émotions, ses sentiments. La communication avec autrui commence avec la relation mère-enfant où la mère connaît ou apprend à connaître, dans la période qui suit l’accouchement les besoins et les sentiments de son nourrisson avec lequel elle est en contact. Quand le bébé naît, puis est posé sur la poitrine de sa mère, de ce passage de ce monde aquatique, chaud, fermé à l’air ambiant de notre monde, à l’atmosphère, il entre soudainement, dans un environnement beaucoup plus frais, plus sonore et beaucoup plus lumineux. Et là, il retrouve la familiarité de l’odeur, de la chaleur, de la 1. Le langage poétique ne se définit pas simplement par la versification. La lecture d’un texte poétique se fait sur quatre niveaux : le plan sémantique, relatif aux sens des mots (c’est le lexique, les connotations les images) ; le plan syntaxique qui étudie la construction des phrases ; le plan rythmique qui porte sur la mesure, le vers ; et le plan phonique qui s’appuie sur la connaissance des sonorités. 2. « C’est en outre un événement investi, d’une forte charge affective dans la vie d’une femme » (Chertok, 1958, p. 10).
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sonorité de sa mère, de ses rythmes physiologiques, qu’il avait appris à percevoir dans le ventre de cette femme. Il se calme instantanément quand sa mère le prend dans ses bras... (Montagner, 1988, p. 118). La communication originaire entre le bébé et l’environnement maternel et familial est reflet et écho à la fois tactile, sonore et visuel. Communiquer c’est d’abord entrer en résonance, vibrer en harmonie avec l’autre. Le langage affectif est premier, plus vieux que la parole. Pour transmettre de l’affectivité, il faut qu’il y ait une corporalité de la communication, incarnée dans la sensorialité. Pour qu’il y ait affectivité, il faut de la co-présence, des regards, des gestes, des postures, de la parole, une voix. Le transport affectif déclenche alors, par les canaux sensoriels, une émotion en l’autre qui pourra réagir par un changement de posture, de regard, un mouvement. Il va ainsi, à son tour, émettre des signes communiqués par son affectivité. Cela explique aussi que les enfants, même tout petits, sont au courant des inquiétudes et des joies de leurs parents. L’empathie1 est à la base de l’identification et de la compréhension psychologique des autres. Des actions comme les vocalises et les sourires sont tantôt de simples signaux, tantôt l’ouverture d’un dialogue, l’ébauche d’un discours, le désir d’un échange dans lequel il y a un locuteur et un interlocuteur. Il y a compréhension précoce, par le bébé de quelques jours, de la mélodie habituelle de la voix maternelle avec des effets d’apaisement de l’agitation et de stimulations de certaines activités. L’adulte utilise cette capacité qu’a le bébé de prêter attention aux voix pour changer son propre comportement vocal. Si la voix de l’adulte s’adoucit, le nourrisson restera calme et attentif, il peut sourire ; l’adulte déclenche une attitude plus active chez l’enfant en haussant le ton et le timbre de sa voix ou il peut le surcharger et le ramener aux pleurs s’il emploie un rythme saccadé. L’essence du maternage, ce n’est pas ce que l’on fait pour l’enfant mais plutôt l’échange, l’écho profondément gratifiant que l’on peut instaurer entre l’enfant et soi. On peut s’attendre à ce que les comportements de nos enfants qui les mèneront à de bonnes performances vont être soulignés par des expressions affectives. Par exemple, le premier pas de l’enfant où la mère le lâche et où il plonge dans les bras de son père, c’est une fête
1. On appelle empathie le partage simultané d’états corporels, c’est-à-dire, le fait qu’au même instant, les partenaires de l’interaction vivent et éprouvent un état semblable.
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affective : tout le monde applaudit, l’embrasse. Il aura donc envie de recommencer pour provoquer à nouveau cet événement extraordinaire. C’est le même processus pour l’accès au niveau plus abstrait de la parole. Tout le monde reprend la parole, rit, essaye de communiquer avec l’enfant. Cette emphase sur la parole lui donne envie de tenter l’aventure. La voix qui récompense, encourage l’évolution, le changement. Il est important, d’ailleurs, de noter que pour les enfants de moins deux ans, l’hypnothérapeute utilise des inductions qui reprennent ce que l’enfant a expérimenté, régulièrement avec sa mère : un monde de sensations tactiles, de mouvements, de sons... Et c’est aussi sur ces échanges sensoriels que se crée l’affectivité de l’enfant. Dans la relation hypnotique, à côté du langage verbal, il y a la sensorialité et l’affectivité de la relation proposée par le thérapeute1 .
LA
RELATION HYPNOTHÉRAPEUTE - PATIENT ( E )
Ferenczi (1968, p. 113) expliqua la relation hypnotique comme une réactivation du complexe d’Œdipe avec ce qu’il comporte d’amour et de crainte. C’est ainsi qu’il y aurait, pour lui, deux types d’hypnose : l’une maternelle basée sur l’amour et une hypnose paternelle fondée sur la crainte. « ... Je n’accorde pas une très grande importance à une distinction rigoureuse entre hypnose paternelle et maternelle, car il arrive bien souvent que père et mère changent de rôle. Je veux seulement montrer combien la situation produite par l’hypnose est propre à évoquer, consciemment ou inconsciemment, l’enfance dans l’esprit du médium 2 et à éveiller en lui ces souvenirs liés à l’époque de l’obéissance infantile, si vivants en tout être humain. » (Ferenczi, 1968, p. 113)
Il faudrait reprendre, mettre au goût du jour ces propos de Ferenczi, douceur et fermeté comme cela a été dit plus haut sont dans la relation verbale de l’un ou l’autre parent avec l’enfant pour faciliter ou décourager ou cadrer les conduites de l’enfant : cela renvoie aux suggestions permissives, ouvertes, ou directes, de fermeté, utilisées en hypnose en fonction des circonstances. 1. « Toute psychothérapie comporte deux dimensions, l’une intellectuelle (le savoir, la parole, la représentation), l’autre émotionnelle (le vécu affectif) » (Chertok, 1979, p. 139). 2. N.D.A. : Le médium est l’équivalent de l’hypnotisé.
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La gratification, « valoriser son patient » est un moment important de la relation avec l’hypnothérapeute. Que fait l’hypnothérapeute contemporain, sinon de reprendre le discours du patient, et de lui redonner avec sa voix, les propres termes de son patient. Rilke, dans Lettres à un jeune poète, illustre très bien ce moment essentiel de la relation thérapeutique en hypnose. Dans sa correspondance à Franz Kappus qui lui demandait son opinion sur un sonnet qu’il lui avait envoyé, Rilke lui répond dans une lettre, en ayant pris soin de recopier le sonnet : « Vous voyez j’ai recopié votre sonnet car j’ai trouvé qu’il était beau et simple... Ce sont de vous les meilleurs vers que vous m’avez permis de lire. Je vous envoie cette copie, car je sais combien il est important de redécouvrir son propre travail dans une autre écriture. Lisez ces vers comme s’ils vous étaient inconnus, et vous ressentirez de la manière la plus profonde à quel point ils sont les vôtres. » (Rilke, 1993, p. 85)
Rilke sait en effet fort bien tout ce que signifie pour l’autre, ce geste de recopier de sa propre main et pour les offrir à son auteur, les vers de son interlocuteur ; c’est la réponse de la mère aux apprentissages précoces de l’enfant, l’échoïsation de ses propres actes, la mise en miroir, c’est aussi le travail de l’hypnothérapeute. L’hypnothérapeute utilise tout ce que la personne amène dans la thérapie1 . Le patient lui apprend sa façon de parler, sa façon de sentir, sa façon de s’émouvoir, d’utiliser des images, sa façon d’orienter son attention à l’intérieur de lui-même : le patient est l’auteur de sa poésie et il a besoin de la voix du thérapeute pour se sentir bouleverser, afin de changer. J.K. Zeig :
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« L’hypnose, c’est une relation pleine de vie qui a lieu dans une personne et qui est suscitée par la chaleur de l’autre. » (Zeig, 1985, p. 78)
Ce sentiment apaisant vient de « l’être ensemble ».
1. Cyrulnik écrit à propos de l’individu poreux : « Être-dans, être-avec et faire comme si permettent de décrire les stades de l’ontogenèse d’un nourrisson qui, lorsqu’il est-dans, se laisse perfuser par son milieu, lorsqu’il est-avec devient capable d’agir sur le corps et les émotions de l’autre et lorsqu’il fait comme si mérite le prix Nobel de la construction psychique puisqu’en utilisant des postures, des mimiques et des mots il peut intervenir sur les représentations de l’autre dans son monde psychique. De tous les organismes, l’être humain est probablement le plus doué pour la communication poreuse (physique, sensorielle et verbale), qui structure le vide entre deux partenaires et constitue la biologie du liant. » (1997, p. 94)
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Il existe une hypnose de la voix, mais de nature différente, sensorielle, liée à la rythmicité des mots et des images. Répondre en « écho » avec les mêmes mots semble être une partie efficace du geste thérapeutique, prêter sa voix, redonner de sa propre voix le discours métaphorique du patient, l’offrir à son auteur, c’est un cadeau riche de tous les éléments de l’attente : « un satisfecit narcissique » (Halfon, 1998). Selon Ferenczi, dans la relation hypnotique, l’objet passif est l’hypnotiseur et il se rejoue sur lui, de la part de l’hypnotisé, des rééditions de mouvements affectifs apparus dans la première enfance (avant la fin de la quatrième année), puis refoulé dans l’inconscient. L. Chertok ajouta que dans la relation hypnotique le transfert est en général actionné par gratification : l’hypnotiseur fait don de ses paroles. La suggestion est reçue comme une bonne nourriture. L’importance acquise par le thérapeute dans la relation et dans l’univers affectif du patient a, sans conteste, des effets sur son rapport au symptôme en modifiant sa capacité à faire fonctionner son imaginaire à partir de mots seuls. La disponibilité de l’hypnothérapeute se concrétise d’emblée par son accueil du corps du patient, par son regard et aussi par le vécu de son propre corps. Le thérapeute passe incessamment de soi à l’autre et de l’autre à soi, par la voix, la respiration, la posture, le contact. Il y a un ajustement des corps, un mimétisme rassurant.
L’ HYPNOSE
COMME AIDE POUR LES FEMMES ENCEINTES
La « maternalité », selon Racamier, correspond à tout ce moment compris entre la conception de l’enfant, la grossesse, l’accouchement et l’instauration de la relation mère-enfant. La grossesse est un temps de passage où se remanient les images, les souvenirs et le corps. Ces temps forts de la grossesse et de l’accouchement peuvent fragiliser un grand nombre de femmes : les bouleversements physiologiques et psychologiques tels la modification du schéma corporel, les relations affectives, tactiles et imaginaires avec l’enfant in utero, le retour à son passé, la montée des angoisses, sont des périodes où la femme peut avoir besoin d’une aide. C’est un moment où la femme vit une grande plasticité émotionnelle et où, pour devenir mère, elle puise dans son passé des souvenirs anciens et des comportements inscrits dans l’enfance (besoin d’être entourée, besoin de tendresse et de compréhension). L’aide du soignant se construit sur l’entretien clinique et peut s’élaborer autour de la pratique hypnotique. Car l’hypnose, au-delà des
H YPNOSE MATERNELLE ET MATERNALITÉ
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suggestions thérapeutiques, est aussi une relation qui renvoie vers des relations anciennes, apprises dans l’enfance. Selon Ferenczi, dans la relation hypnotique, l’objet passif est l’hypnotiseur et il se rejoue sur lui, de la part de l’hypnotisé, des rééditions de mouvements affectifs apparus dans la première enfance, puis refoulés dans l’inconscient. L’hypnose est-elle en fait d’essence féminine ? Ce qui lui donnerait cette efficacité dans les prises en charge en maternité. Comme la mère fait de sa voix, de sa tendresse, pour sécuriser l’enfant, l’hypnothérapeute fait don de ses paroles. La suggestion, construite sur le discours métaphorique de la patiente est reçue comme une bonne nourriture. L’hypnose se donne par la voix. La voix touche le corps. Cette voix renvoie à des souvenirs anciens ou à des représentations anciennes où le patient était enfant et où le parent, bien souvent la mère, savait tranquilliser cet enfant par sa voix douce et calme avant de le rendre indépendant. Gill et Brenman (Chertok, 1989, p. 92), psychanalystes américains, ne sont pas loin de penser la même chose puisqu’ils proposent aux thérapeutes les indications suivantes. En fonction de la personnalité du patient, de son histoire et de ses attentes, du contexte dans lequel est utilisée l’hypnose, le thérapeute adopte l’une des quatre attitudes suivantes : – Une attitude d’autorité qui ne souffre aucune discussion et n’envisage, en aucun cas, l’éventualité d’un échec des suggestions ; – Une approche plus maternelle de tendresse et de sympathie qui se veut sécurisante ; – Une attitude rationnelle, expliquant les phases du rituel hypnotique ; – Une attitude passive qui laisse ou donne l’impression au patient de garder toute initiative. Tout cela implique, bien entendu, une certaine plasticité de la personnalité de l’hypnotiseur. L’utilisation des premiers liens mère-enfant ne se limite pas à cette période de développement ; elle se rencontre dans toute relation d’aide hypnotique au patient, qu’il soit jeune ou vieux, femme ou homme, nous retrouvons toujours cette imprégnation à l’enfance. Ce qui pourrait caractériser l’hypnose serait le fait de privilégier davantage l’affect à la représentation. Ce serait une erreur d’arrêter le processus psychothérapeutique qu’au langage, car ce serait minimiser le rapport au corps et à l’affect.
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
Et nous revenons à la berceuse, et ma voix t’accompagnera1 dans ton monde intérieur : « Fais dodo, Amandine... Fais dodo dans les bras de ton père... Fais dodo Amandine, fais dodo dans les bras de Pa », une autre berceuse chantée par un père, grâce à nos mères. F. Leboyer écrit : « Les berceuses parlent une langue qui se passe de notes. Une langue qui vient d’avant Babel. Elles n’appartiennent en propre à aucune religion, à aucune culture, à aucune race. Elles parlent la langue d’un pays sans frontières qui s’appelle le cœur des hommes. C’est pourquoi tous les bébés du monde les comprennent. C’est pourquoi toutes les femmes savaient les chanter. »
C’est la place de la voix dans certains événements de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge adulte : la voix qui apaise, qui gronde, qui endort, qui complimente. La voix qui soigne le corps et l’âme de l’autre en souffrance : la voix de la mère, du père ou de l’hypnothérapeute.
1. Baisser la voix constituait pour Erickson le moyen d’utiliser un indice familier à notre propre enfance pour la plupart d’entre nous, lorsque la mère baisse la voix pour bercer et endormir. Les voix semblent aussi baisser et devenir moins perceptibles, dans la vie de chaque jour, lorsque nous sommes absorbés sur nous-mêmes et juste avant de nous endormir (Erickson, 1986, p. 32).
Chapitre 14
ABORD HYPNOTIQUE DES ÉTATS TRAUMATIQUES Philippe Villien ’ ÉTAT de stress post-traumatique (ESPT) est assurément un sujet à la mode. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un article traitant de cette pathologie ne paraisse dans une revue psychiatrique, les cellules d’urgence médico-psychologique (ou CUMP) se multiplient et les medias n’hésitent plus à interroger le monde médical sur les conséquences psychologiques des faits divers ou des catastrophes de masse. Si bien qu’une certaine confusion finit par s’installer, les mots employés ne désignent plus la même chose, l’évaluation des interventions donne des résultats contradictoires, si bien que des molécules obtiennent une AMM1 pour ce syndrome... alors qu’elles ne le traitent pas mais améliorent, en revanche, les éventuelles complications anxieuses ou dépressives, absolument pas spécifiques de cette pathologie. Les syndromes psychotraumatiques se répartissent entre :
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L
– les troubles aigus (immédiats et postimmédiats) ; – les états psychotraumatiques constitués. •
La première catégorie renvoie aux réactions survenant dans les suites de l’exposition du sujet à l’événement et concerne un regroupement de syndromes plus ou moins « pathologiques », dont on ne peut faire que des hypothèses sur leur lien éventuel avec la constitution d’un authentique état post-traumatique. Elle est la cible privilégiée de la prise en charge des CUMP par les techniques de debriefing ou focusing,
1. Autorisation médicale de mise sur le marché.
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•
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et ne concerne qu’exceptionnellement le psychothérapeute, car en dehors des réactions extrêmes, la question de savoir si l’on est dans la pathologie mentale se pose. La deuxième catégorie fait partie, sans contestation, des désordres mentaux par ses symptômes et par son évolution. De tous les syndromes post-traumatiques, c’est en effet, pour le psychiatre ou le psychothérapeute, la manifestation la plus grave et la plus difficile à traiter.
Ce sera donc le cœur de notre sujet, caractérisé par le syndrome de répétition qui se manifeste dans des scènes de reviviscences (de l’événement traumatique) nocturnes à travers des cauchemars extrêmement agités, ou diurnes par les classiques flash-back. L’hypervigilance et l’évitement complètent habituellement ce syndrome de répétition traumatique (SRT). Le réel problème thérapeutique concerne ce dernier, dont la présence atteste la pathologie traumatique et dont seule la disparition fait parler d’amélioration, voire de guérison. C’est cette symptomatologie qui a toujours résisté aux tentatives de soins, apportant souvent du découragement chez le thérapeute, les spécialistes jusqu’à ces dernières années préférant se consacrer à des descriptions cliniques de plus en plus fines, ou à des hypothèses psychopathologiques de plus en plus complexes, plutôt que de s’attarder sur des propositions d’interventions efficaces. Nous avons déjà évoqué le traitement médicamenteux, non spécifique des états post-traumatiques. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) proposent un protocole d’intervention, mais applicable préférentiellement dans le mois qui suit le trauma (Ponseti-Gaillochon, 2005, p. 54). Les autres approches n’envisagent pas d’intervention adaptée à ce cadre, en dehors de l’EMDR dont la parenté avec l’hypnose est à discuter. Si bien que seule la thérapie brève sur un modèle ericksonnien propose un modèle susceptible de s’adresser à ces problèmes difficiles à résoudre. Nous verrons que pathologie traumatique et hypnose ont des points communs, des ponts qui permettent de proposer une hypothèse pour son étiologie, mais surtout un cadre d’intervention spécifique et pertinent.
T RAUMATISME
ET ÉVÉNEMENT
Nous traversons tous des moments douloureux ou dramatiques, voire tragiques, individuellement ou en groupe, éventuellement parmi une
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A BORD HYPNOTIQUE DES ÉTATS TRAUMATIQUES
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foule. Il peut s’agir d’accidents de la vie, domestiques ou sur la voie publique, ou d’événements stricto sensu extraordinaires (catastrophes naturelles, états de guerre, émeutes ou mouvements de foule), également des agressions plus ou moins violentes, depuis la menace physique jusqu’à l’attentat terroriste. La plupart du temps, pour l’immense majorité d’entre nous, ces rencontres douloureuses n’entraînent pas de conséquences particulièrement néfastes, elles sont intégrées pour venir prendre place dans notre trajectoire existentielle sans plus d’histoire. Tous ces exemples décrivent un fait sociologique ou historique vu de l’extérieur, objectif pourrait-on dire, mais ne nous disent rien de l’impact sur la personne les ayant vécus. Les suites d’une telle rencontre restent donc ouvertes, aboutissant soit à l’intégration dans l’histoire de vie de la personne, soit à la mise en place du traumatisme psychologique, soit éventuellement et de manière apparemment paradoxale, à une expérience comportant des aspects reconnus comme positifs et enrichissants par la personne ayant traversé l’événement dramatique. Il s’agit bien d’une rencontre, celle d’un événement avec une trajectoire individuelle, et comme toute rencontre, nul ne peut savoir ce qui adviendra à moyen ou long terme. L’événement est donc nécessaire pour permettre l’expression de la symptomatologie traumatique, mais il n’est pas suffisant. Restent les facteurs responsables de la part subjective de la rencontre : le passé de la victime avec ses traumatismes antérieurs ou la place de la violence, sa personnalité plus ou moins fragile ou bien structurée, le contexte de vie au moment de la confrontation, l’état psychologique du moment. En adepte des thérapies ericksoniennes, nous dirions que si l’événement fait trauma c’est que le blessé psychique n’avait pas, au moment de l’accident de vie, les ressources nécessaires pour y faire face, apparente tautologie, mais que la suite fera apparaître comme une remarque riche en hypothèses et en possibilités d’intervention. D’autre part, classiquement, l’événement lui-même dans sa manifestation doit répondre à certains critères pour éventuellement entraîner un traumatisme psychologique. Nous envisagerons donc tout d’abord l’événement unique, à distinguer de la répétition de l’agression à plusieurs reprises, voire sur des années, dont les conséquences et la prise en charge diffèrent sensiblement. L’événement se caractérise, en premier, par la violence du moment. Par définition, la violence ne se choisit pas, ne s’anticipe pas, mais se présente sans être invitée, venant interpeller agressivement la personne sans lui demander son avis. Étymologiquement, le mot dérive du latin vis qui signifie « force en action ». C’est donc l’irruption totalement inattendue
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d’un élément remarquable par sa brutalité. La violence entraîne donc, nécessairement, la surprise, empêchant l’anticipation et donc la préparation au choc en vue de l’amortir, ainsi que l’expression émotionnelle puissante de la peur qui peut aller jusqu’à l’intensité extrême de l’effroi. C’est ce qu’a ressenti cette caissière d’une entreprise de transport en commun d’une grande ville qui se retrouve, lors d’un braquage, menacée d’une arme à feu sur la tempe, allongée au-dessus de la pyramide des otages entassés les uns sur les autres, sur ordre des agresseurs, le temps qu’ils vident les caisses. Le deuxième élément présent est l’atteinte à l’intégrité de la personne (physique et/ou psychologique) pouvant aller jusqu’à la rencontre avec la mort, pour soi ou pour les autres. De cette effraction de la personne va découler un débordement émotionnel d’une rare intensité mêlant peur, colère, rage, honte, culpabilité, agressivité, et bien d’autres. C’est là le cas de ce jeune marin de commerce qui, au moment des tensions extrêmes avec certains pays du Moyen-Orient, voit son navire menacé dans le Golfe Persique par une vedette iranienne dont les canons restent pointés un moment interminable, avant de repartir et laisser notre marin abasourdi et honteux de son comportement. Une autre qualité, habituellement délaissée mais capitale pour ses conséquences thérapeutiques, est l’engagement total de la sensorialité de la victime. La participation des sens est toujours extrêmement sollicitée à travers des sons qui sont souvent présents sous forme de fracas, d’explosions, des images entraînant éblouissements à partir d’éclairs, de flammes, de couleurs violentes, mais aussi des odeurs extrêmement fortes, inhabituelles et agressives, voire dans les cas d’agression physique quelle qu’elle soit, des ancrages physiques (kinestesiques) puissants. Tout cela entraîne un véritable tsunami émotionnel, les capacités de gestion habituelles se retrouvant submergées, non seulement par la quantité de stimuli mais également, par la condensation temporelle extrême, deux éléments susceptibles d’interdire une mobilisation des ressources indispensables à ce moment. Quant aux violences répétées, telles les maltraitances, les agressions sexuelles, les tortures, elles combinent plusieurs facteurs de risque comme la chronicité, le sentiment d’impuissance, l’intention humaine de nuire, le manque de soutien social, la honte associée généralement à ce genre d’événement. À cela il faut ajouter que la répétition joue pour épuiser les capacités individuelles présentes pour tenter de faire face au climat mortifère, et que l’horreur, présente dans la violence extrême et extraordinaire, devient la compagne de l’enfant violenté ou du prisonnier maltraité, avec les conséquences de gravité que l’on peut imaginer.
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Nous signalerons enfin une situation régulièrement repérée, le déclenchement d’un état post-traumatique au décours d’un événement objectivement banal, mais apparaissant, après recherche d’antécédents traumatiques, entrer en résonance avec un passé dramatique n’ayant pas jusqu’à ce jour mobilisé, semble-t-il, un quelconque remaniement de la trajectoire existentielle de la personne. Ainsi cet homme à la retraite présentant tous les symptômes d’un état psychotraumatique à la suite d’une attaque de panique au moment de passer par un tunnel routier, qu’il franchissait jusque-là journellement, et qui, à l’entretien, se révèle être un ancien combattant d’Algérie dont la spécificité était de visiter les « trous » découverts lors des patrouilles de son unité dans les massifs montagneux, à la recherche de caches du FNL.
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SENS PEUT PRENDRE LE TRAUMA DANS UN ABORD HYPNOTIQUE L’événement capable d’être vulnérant répond donc, le plus souvent, à un certain nombre de critères comme la surprise, la peur, le débordement émotionnel ou la saturation sensorielle. Une première remarque est que ces qualités, isolées ou mêlées, entrent dans le cadre de techniques reconnues d’induction hypnotique. Ainsi, la technique de la surprise a été longuement développée par Erickson1 . Bien sûr, lors d’un travail hypnotique, le dispositif se révèle beaucoup plus complexe et subtil, mais Erickson reconnaissait volontiers que la plupart des innombrables techniques d’induction qu’il avait développées avaient en commun qu’elles entraînaient généralement toutes de la confusion. De plus, John Edgette et Janet Edgette (2001, p. 315) rappellent dans leur Manuel des phénomènes hypnotiques, ce qui suit : « Si vous produisez un phénomène hypnotique au début d’une séance d’hypnose, il va vous servir à réaliser la plus grande partie de la phase d’induction.(...) C’est donc une façon indirecte de créer l’état d’hypnose, car le client en fait l’expérience à l’aide du phénomène hypnotique sans qu’on lui ai jamais dit d’entrer dans un état de transe. »
Ainsi, provoquer d’emblée une lévitation ou une catalepsie du bras, par exemple, reste encore le meilleur moyen d’entrer en transe, et surtout de court-circuiter les défenses éventuelles de la personne. Il est alors particulièrement intéressant de prendre en compte les manifestations 1. Intégrale des articles de M.H. Erickson, tome I, pp. 428-453.
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cliniques classiquement rapportées lors d’un événement qui se révélera traumatique dans un deuxième temps. Les victimes, les témoins ou les soignants rapportent ainsi : – une désorientation temporelle et/ou spatiale, avec une perte des repères du lieu présent, et un dévidement de la temporalité bouleversé avec confusion des dates et heures ; – une expansion du temps (impression que le temps écoulé a été plus long que le temps de l’horloge), ou au contraire une contraction du temps (le temps s’est écoulé plus vite que celui de l’horloge) ; – un arrêt de la pensée, absence d’écoulement de la pensée, le fil du dialogue intérieur est rompu ; – une anesthésie et, plus exceptionnellement, une hyperesthésie évidentes lors des atteintes corporelles associées ; – une déréalisation avec sentiment d’étrangeté du vécu ; – une dépersonnalisation, sensation de n’être plus soi-même, remise en cause de l’ipséité ; – une impression de rêver, de ne plus adhérer complètement au contexte présent ; – une inhibition de la volonté avec le désir de vouloir faire sans pouvoir passer à l’acte. Et dans les troubles du comportement, on retiendra : – une sidération, avec suspension de toute activité motrice comme figé dans des attitudes parfois étonnantes ; – des actions automatiques, certaines apparemment coordonnées mais incongrues (comme ranger soigneusement ses bagages juste après une catastrophe ferroviaire, ou se recoiffer minutieusement dans les suites d’un accident grave de la voie publique) d’autres à l’évidence pathologiques (fuite à l’aveugle avec mise en danger de soi, agressivité à l’encontre de toute personne croisée...). Ces phénomènes listés peuvent être répartis en deux catégories : •
•
l’une renvoyant à des phénomènes hypnotiques fréquents (désorientation, inhibition apparente de la volonté, sidération ou plutôt catalepsie, anesthésie) ; l’autre rassemblant les signes de la dissociation hypnotique (déréalisation, dépersonnalisation, impression de rêver, les actions automatiques repérées en hypnose comme des attitudes somnambuliques).
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A BORD HYPNOTIQUE DES ÉTATS TRAUMATIQUES
La première catégorie indiquerait que lors de l’événement violent des phénomènes apparaissent volontiers qui seraient des indices de comportement hypnotiques, qui comme on l’a vu plus haut, sont susceptibles de provoquer rapidement un véritable état de transe. Les signes de dissociation confirmeraient cet état de transe, de façon absolue si l’on est tenant de l’hypothèse hilgardienne (Hilgard affirmait qu’il ne pouvait exister d’hypnose sans dissociation), et de façon relative si l’on suit Erickson qui pensait que la dissociation n’est qu’un signe de transe hypnotique parmi d’autres. Rappelons que la dissociation est un phénomène par lequel une partie mentale ou physique d’une personne fait l’expérience de fonctionner distinctement et indépendamment d’une autre partie. C’est Pierre Janet qui dans sa thèse de doctorat es lettres (l’automatisme psychologique, 1889) émit le premier l’hypothèse d’une dissociation de la conscience à la suite d’un choc émotionnel, avec pour conséquences les idées fixes (correspondant de manière grossière au syndrome de répétition), un comportement automatique, le tout échappant à un abord non-hypnotique. En somme, la conséquence de cet événement soudain et violent serait de mettre en place les conditions d’une transe hypnotique et, particulièrement, une dissociation psychique matérialisée par le comportement et le vécu spécifique des personnes victimes de ces événements.
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T RAUMATISME ET DISSOCIATION INTÉRÊT DE L’ HYPNOSE
PSYCHIQUE ,
Certains indices cliniques et épidémiologiques sont en faveur de l’hypothèse affirmant que la dissociation, au moment de l’événement, est nécessaire pour le développement d’une pathologie traumatique chronique. Elle peut ainsi être spontanée ou induite volontairement lors d’une thérapie hypnotique pour mettre en place, par exemple, une anesthésie hypnotique, ou une régression temporelle ou une amnésie, exemples les plus marquants mais non exhaustifs des possibilités d’intervention liées à cette prédisposition universelle. Il est probable que la dissociation qui survient lors d’un événement brutal a une valeur protectrice, permettant la mise à distance efficace et immédiate d’un trop plein d’émotions et de ressentis qui, s’ils étaient reçus de plein fouet, seraient suffisamment agressifs pour remettre en question l’équilibre mental de la personne. Ce recours à la dissociation a notamment été régulièrement repéré dans les stratégies inconscientes mises en route par les prisonniers politiques ou de guerre soumis à des séances répétées de tortures physiques et
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psychologiques. D’où les descriptions de ces séances du point de vue du spectateur, d’un endroit ou local autre que la place effectivement occupée, ou l’hypermnésie de ces moments, ou les émotions dissociées de la scène. Mais à distance, il est probable que cette stratégie de défense devient éminemment délétère, responsable tout ou partie du syndrome de répétition qui, en plus de sa valeur de symptôme d’hypermnésie, peut être vu aussi comme une tentative réitérée de se réassocier a posteriori. Les situations ultimes découlant de la dissociation sont les personnalités multiples, non pas à la mode américaine mais plutôt celles décrites par Théodore Flournoy (1900) dans sa thèse célèbre Des Indes à la planète Mars, et le comportement somnambulique où la coupure d’avec les activités normales est totale, avec amnésie complète des périodes de somnambulisme. C’est probablement à cause du phénomène de dissociation que les tentatives pour traiter les états psychotraumatiques se sont heurtées à des résistances et n’ont pas apporté ce que l’on était en droit d’attendre. L’hypnose, historiquement, a été employée très tôt, au décours de la première guerre mondiale, dans cette indication, ce qui donne à réfléchir, comme si les thérapeutes avaient perçu la proximité de ces phénomènes, sans pouvoir l’expliquer clairement. Mais elle le fut au même titre que le chloroforme ou l’éther, pour obtenir une abréaction cathartique. Devant les résultats catastrophiques (crises émotionnelles, sorties anxieuses de transes, attaques de panique), il fut plus rassurant de pointer l’hypnose comme responsable de ces résultats, plutôt que de remettre en cause l’option thérapeutique de la catharsis pour soigner ces pathologies. Si l’on en croit John et Janet Edgette (2001, p. 166), « La dissociation peut être indiquée comme stratégie thérapeutique quand une personne l’utilise – souvent involontairement – comme mécanisme à l’origine de son problème. »
Puisque le symptôme cardinal (le SRT) consiste à revivre l’événement traumatique, il était tentant d’affronter celui-ci afin de mettre un terme à cet état de dissociation, pour que la victime puisse se réapproprier ce moment et ne plus le subir à la moindre baisse de vigilance, avec son cortège d’anxiété psychique et physique. Mais l’impasse thérapeutique n’était pas résolue, la confrontation au souvenir traumatique n’était pas possible, compte tenu des réactions émotionnelles et physiologiques déclenchées par cette rencontre, donc mortifères et incompatibles avec un état de transe souhaité.
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A BORD HYPNOTIQUE DES ÉTATS TRAUMATIQUES
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D’où l’idée de mettre en place un dispositif de simple ou double dissociation pour que le souvenir traumatique ne soit non plus vécu comme acteur, mais revu comme spectateur, avec la même distance que lorsque l’on regarde un film au cinéma ou à la télévision. Il n’est pas surprenant de constater la facilité avec laquelle ces sujets se plient au dispositif proposé, ayant mis en place spontanément la dissociation ; il était logique de supposer une facilité pour répondre dans un cadre hypnotique à la proposition de dissociation. Une fois ce dispositif mis en place, les stratégies d’intervention sont multiples, directement sur la scène traumatique, ou indirectement sur son sens, les ressources absentes à ce moment mais accessibles lors de cette reprise du souvenir. Mais également il existe l’abord indirect du souvenir, c’est-à-dire la possibilité, grâce à la dissociation, de permettre la rencontre de la victime avec des personnes importantes lors de l’événement, ou le face à face entre la personne actuelle avec ses nouvelles ressources et lui-même en manque de ressources, afin de pouvoir mettre un terme à une histoire sans fin. Les conséquences traumatiques des violences répétées nécessitent souvent un abord sensiblement différent du fait de la manifestation clinique particulière. En effet, il existe rarement dans ce cas une scène de reviviscence unique, souvent les cauchemars ou les flash back sont bien sûr agités, mais aussi flous, complexes, changeants, et donc peu susceptibles de se prêter à un abord direct de la scène traumatique. D’autant plus que la mise en place d’un état de conscience modifiée se révèle beaucoup plus délicate, l’alliance thérapeutique plus longue à mettre en place et demandant d’être constamment réévaluée. Aussi la stratégie thérapeutique passe souvent par un abord indirect et par une intervention plus à distance et encore moins directive, si cela est possible, que pour un événement unique.
LA
QUESTION DE LA PRÉVENTION
Peut-on prévenir l’apparition d’un trauma ? On laisse de côté, évidemment, la prévention de l’événement luimême pour n’envisager que celle des conséquences possibles vers un traumatisme psychique. Il n’est pas question de relancer la polémique au sujet de la pertinence ou non du debriefing, mais d’envisager la question de la prévention du côté de l’hypnose. Si l’on parle de prévention primaire, c’est-à-dire,
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
en amont de l’événement, il ne peut exister de prévention spécifique. Comment se prémunir de la vie ? On a décrit, bien sûr, le cas des soldats pour qui la meilleure prévention consiste à être entraînés de manière la plus efficace, ce qui revient en fait à limiter le facteur surprise par la confrontation répétée à l’entraînement aux différents scenari possibles dans le cadre de la spécificité technique du militaire au sein d’un conflit. Cela revient à poser que la meilleure façon d’affronter l’horreur, c’est de s’y préparer, mais on ne peut le faire que si l’on se trouve dans un contexte qui nous permet de définir le type d’événement risquant de se produire. Ce qui veut dire que pour les catastrophes naturelles, les accidents de la vie ou les agressions, la prévention reste impossible. Pour la prévention secondaire, c’est-à-dire, après un événement potentiellement traumatique, il serait intéressant de pouvoir vérifier si la personne soumise au choc présente des signes de dissociation. La difficulté réside, d’une part, dans le fait que l’hypnothérapeute n’a qu’exceptionnellement l’occasion de rencontrer un sujet peu après ce type d’événement, et d’autre part, que pour un thérapeute même exercé, repérer ces signes souvent très subtils demande beaucoup de savoir-faire et d’expérience. Mais on peut tout à fait imaginer que la meilleure façon de prévenir l’apparition d’une pathologie traumatique serait de travailler sur une réassociation d’une personne dissociée. Quand on décode les techniques employées dans les différents debriefing en postimmédiat (ou IPPI), on a le sentiment que la plupart d’entre elles concourent à ce résultat : la verbalisation sur les émotions ressenties et le vécu personnel (à des fins cathartiques ), « remettre l’individu dans un espace et dans un temps » (Crocq, 2005, p. 15), l’insistance pour une absence de neutralité bienveillante pour plus d’engagement personnel de l’intervenant. Le problème est que ces interventions sur des groupes ou des populations se font à l’aveugle, on ne sait pas exactement ce que l’on fait ni à qui on le fait. Repérer à ce moment les personnes dont l’attitude ou le comportement évoquent un vécu dissociatif serait de la première importance pour envisager un simple travail hypnotique réassociatif, l’intervenant ne s’intéressant qu’au dispositif hypnotique et absolument pas à l’événement ou au fonctionnement psychologique de la personne. Cette hypothèse reste bien sûr à valider, mais avec la présence de plus en plus nombreuse de personnes formées à l’hypnose au sein des CUMP, il n’est pas illusoire d’espérer une avancée dans cette direction.
A BORD HYPNOTIQUE DES ÉTATS TRAUMATIQUES
E XEMPLES
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CLINIQUES
Si le thérapeute est attentif, il s’aperçoit que cette situation traumatique se présente plus souvent qu’il ne peut le penser, mais cela demande de poser, de temps en temps, des questions précises. Devant une modification brutale de trajectoire, un changement net de comportement, de personnalité, une détresse manifeste mais que la personne ne peut expliquer, et bien sûr, des signes de dissociation (manifestations émotionnelles paroxystiques, modifications de l’état de conscience nettement identifiables et répétées, les réactions de sursaut), il convient de poser la question de la qualité du sommeil (repoussé le plus tard possible, agité, détérioré par des cauchemars répétitifs, synonyme d’angoisse) et en fonction des réponses, de chercher d’éventuelles situations traumatiques. Un suicide hétéro agressif
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Ce ne fut pas nécessaire pour ce gendarme confirmé qui consulte pour un évident état psychotraumatique avec le syndrome de répétition sous forme de cauchemars agis fréquents, d’anxiété peu réduite par les médicaments, une agressivité mal contrôlée et principalement dirigée vers sa hiérarchie, une culpabilité permanente depuis un événement qu’il nous rapporte spontanément. Affecté précédemment dans l’école de formation des gendarmes auxiliaires, du temps révolu du service national, il est responsable de la formation aux armes pour ces jeunes qui découvrent, souvent pour la première fois, le maniement des armes à feu. Un soir, un gendarme auxiliaire demande à lui parler pour un problème personnel. Avant de savoir la raison de cette demande, le cadre demande pourquoi cette demande s’adresse à lui et apprend que le jeune homme avait essayé de rencontrer l’aumônier mais que celui-ci était absent. De plus en plus mal à l’aise, le sous-officier propose de voir le curé du diocèse sans succès. En dernier ressort, il refuse d’écouter plus son interlocuteur estimant qu’il n’est pas dans son rôle d’entendre une sorte de confession. Le lendemain, sur le pas de tir dont il assure la responsabilité, notre gendarme voit se présenter le jeune appelé qui, sans un mot met le canon du pistolet sur sa tempe et appuie sur la détente. Le choc psychologique est énorme, la scène terrible et la culpabilité en conséquence. Depuis, les troubles se sont installés, il ne peut plus approcher une arme, ne peut plus assurer son service, revoit la scène dans des cauchemars mais aussi dans des flash-back durant la journée, à la moindre baisse de la vigilance. Il existe aussi des répercussions sur sa vie familiale, compliquée par son irritabilité, son retrait, l’impression d’être toujours ailleurs. Après deux entretiens généraux, l’alliance thérapeutique semblant de bonne qualité, je propose une séance d’hypnose. Les cauchemars ayant trait
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uniquement à la même scène du suicide hétéro-agressif, il apparaissait naturel de chercher à réassocier ce qui avait été dissocié.
Avec Maurice Reitter, Dominique Megglé et Jean-François Roi (Meggle, Reitter, 1988), nous avons eu l’occasion de développer un modèle parmi d’autres, mais qui a l’avantage de la simplicité, de l’efficacité et qui peut servir de base pour des interventions autres, en fonction de la créativité de chacun. Il s’agit, à un premier niveau de lecture, de dérouler le souvenir en double dissociation, comme spectateur et comme projectionniste, et d’en modifier les composantes techniques, que ce soit le son, l’image, la vitesse de défilement, le retour en arrière, toutes les possibilités en somme offertes par la technique vidéo. À un deuxième niveau de lecture, il s’agit d’une reprise du contrôle de la séquence de vie qui avait sa propre activité indépendante de la volonté du sujet. Si le sujet reprend le contrôle du souvenir en pouvant jouer sur le contraste, la couleur ou le noir et blanc, comment celui-ci pourrait à nouveau se manifester contre son gré ? Un suicide hétéro agressif (suite) C’est donc ce que je mets en place au cours de cette séance. Le gendarme se voit donc depuis la cabine du projectionniste en train de se voir assis dans la salle de cinéma, donc de dos, en train de se voir sur l’écran participer au déroulement du drame. Cette double dissociation permet de mettre à distance l’angoisse et les émotions présentes au moment du suicide, sans pour autant les interdire totalement (après tout, un spectateur éprouve des émotions devant un film réussi). Je m’assure de ce montage par la mise en place d’un signaling qui m’indique que la double dissociation est bien en place. Sur ma proposition, il peut, dans un premier temps, accélérer la vitesse de déroulement de la scène, puis la ralentir, puis la repasser en un temps de plus en plus bref jusqu’à ce qu’elle ne prenne plus que quelques secondes. Parallèlement à cette reprise de maîtrise du souvenir, il existe un relâchement progressif, se manifestant dans une façon de répondre de plus en plus facilement aux suggestions ouvertes, une réassurance progressive. Une fois réalisée cette manipulation du film de sa part, je lui propose de récupérer la bobine et d’en faire ce qui lui semble le plus adapté. Quand il me signale que c’est fait, il se réoriente dans le fauteuil. Il paraît perplexe, pensif et me dira plus tard qu’il a confié durant cette séance la bobine du film à un des enquêteurs qui était intervenu officiellement à la suite de ce décès par mort violente, afin de la joindre au dossier d’enquête. Lors d’un entretien suivant, il signalera la disparition des cauchemars, l’amélioration nette de l’anxiété, la diminution de l’irritabilité et la reprise progressive de ses activités privées. Quant à la gendarmerie, il décidait de la quitter après qu’un dossier de réforme pension a été accordé par la hiérarchie.
A BORD HYPNOTIQUE DES ÉTATS TRAUMATIQUES
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Le seul handicap apparent (si c’en est un) sera son refus de s’approcher désormais de toute arme à feu.
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Violences de l’enfance Katell est une jeune fille de 22 ans qui a pris rendez-vous pour des difficultés relationnelles globales, dans le domaine professionnel (elle est technicienne informatique dans une entreprise), personnel, puisqu’elle relate un isolement social, et dans le domaine affectif, fuyant les contacts avec les garçons s’approchant un peu trop d’elle. Elle explique ce constat par son « mauvais caractère », son irritabilité, voire son agressivité. Incapable de nouer un lien de bonne qualité, elle est découragée, et ne sait plus quelle attitude adopter ni quel comportement prendre pour interrompre ce cercle vicieux. Intriguée par ce naufrage socio-affectif chez cette jolie et intelligente jeune femme, je décide d’orienter les questions vers cette agressivité, ce au bout de plusieurs entretiens nécessaires pour « apprivoiser » très progressivement une personne sur ses gardes, ne supportant pas l’inconnu et désireuse de toujours garder le contrôle. Katell finira, dans un premier temps, par dire sa crainte des hommes, surtout ceux susceptibles de tenter de la séduire, et le dégoût des relations sexuelles, qu’elle n’a jamais pu mener à terme, la contracture empêchant toute pénétration. Dans un deuxième temps, elle fera part de flash-back surtout émotionnels, apparemment n’importe quand, très violents, mêlant honte, culpabilité, dégoût de soi, et bouffées de haine. Elle réussira à faire allusion à des souvenirs, qu’elle ne précisera explicitement jamais, la concernant petite fille avec un grand père qu’elle ne voit plus. Prise dans ce tourbillon d’émotions violentes, elle semblait prisonnière d’événements dramatiques passés mais toujours présents par ces flash-back et cette haine envers ce grand père qui ne la laisse pas en paix. Cette maltraitance sexuelle ayant eu lieu épisodiquement mais sur des années, l’absence de scène précise, l’impossibilité de toute façon de s’y confronter, tout cela orientait vers une intervention indirecte. Je lui proposai d’essayer de la relaxation. Il n’y a pas de séance d’hypnose sans relaxation, et il est des situations ou prononcer le mot d’hypnose entraîne tellement de craintes, d’idées préconçues, de fantasmes véhiculés par les médias que le faire serait soit se condamner à des explications interminables, pas forcément convaincantes, soit se confronter à un refus définitif. Comme on se connaissait depuis quelques mois, une certaine confiance était en place, aussi en choisissant une induction hypnotique très progressive et la plus naturelle possible (saturation sensorielle), en insistant sur le confort de la situation, le bien être, l’état de transe intervenait sans difficulté. Je lui proposai d’aller à sa recherche en temps que petite fille, en insistant sur le fait qu’il fallait qu’elle soit seule dans ce souvenir, afin d’éviter tout risque de télescopage avec une scène traumatique en présence de son grand-père. Je mettais en œuvre une simple dissociation, pour permettre la rencontre de la petite Katell avec celle de maintenant. Quand la rencontre eut lieu, je
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
suggérais que Katell adulte avait peut-être des choses à dire à l’autre Katell, des choses qu’elle ignorait sans doute étant donné son jeune âge et son inexpérience. Cela prit un certain temps, et des émotions à l’évidence se faisaient jour. Quand la rencontre se termina, je demandais alors à Katell de voir son grand-père en photographie, là aussi à condition qu’il soit seul dessus. Également, je proposais qu’elle puisse dire à cet homme qu’il lui avait fait du mal, ce qu’elle souhaitait lui dire depuis longtemps et qu’elle n’avait pu faire jusqu’à présent. A posteriori je pense que si j’ai proposé la photographie plutôt que la scène vivante, c’était pour empêcher tout échange et pour avoir en somme ce grand-père en face d’elle, mais sans réaction possible. Je ne sais pas ce que Katell a pu dire dans les deux cas, et ça n’a aucune importance. Ce qu’elle me signale incidemment quelques entretiens plus tard, c’est qu’elle « avait tourné la page », qu’elle ne voulait plus se gâcher la vie avec de la haine pour une personne aussi négative et que son caractère s’était un peu adouci. L’amélioration se confirmait par une rencontre avec un jeune homme et des relations sexuelles complètes. Elle décidait de quitter son travail pour passer un concours ; je n’avais plus de nouvelles par la suite car Katell quittait définitivement la région où elle ne s’était jamais vraiment adaptée.
Les possibilités d’abord par l’hypnose de cette pathologie sont multiples, diverses, fonction de la rencontre et de l’alliance thérapeutique, parfois surprenantes y compris pour l’intervenant, mais grâce à l’ouverture que donne ce cadre, il existe toujours une alternative tenant compte de l’histoire spécifique de la personne, du moment, de la gravité des faits et même de l’ancienneté du traumatisme. Les limites sont celles des ressources de deux individus, en se souvenant que le tout est là aussi plus que la somme des parties, et que si le succès n’est pas obligatoire, les moyens sont à disposition pour y parvenir. Je pense que l’intérêt de l’hypnose dans le cadre des états psychotraumatiques n’en est qu’à ses débuts et qu’il reste toute une terra incognita à découvrir et explorer en ne perdant pas de vue la priorité qui reste le soulagement de la souffrance. N’oublions pas l’histoire de ce guerrier qui fut blessé par une flèche dans une bataille. On a voulu lui arracher la flèche et le soigner, mais il exigea de savoir d’abord qui était l’archer, à quel type d’homme il appartenait et où il s’était placé pour tirer. Il voulu aussi connaître la forme exacte de son arc, quelle sorte de corde il utilisait. Pendant qu’il s’efforçait de recueillir ces renseignements, il mourut.
Chapitre 15
HYPNOTHÉRAPIE ET SEXOLOGIE Patrice Cudicio
LA
SEXOLOGIE : UN VASTE CHAMP DE SYMPTÔMES
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Que représente la sexologie ? Que l’on soit médecin, psychologue, sociologue, thérapeute, conseiller conjugal ou encore simple patient, la sexologie recouvre des champs et des expériences aussi différents que le permet la vaste étendue de son domaine. Que nous apprend l’étymologie ? La sexologie c’est le discours sur le sexe ! Terme des plus ambigus qui désigne aussi bien l’organe que le genre. En fait, tout ce qui a trait au sexe, à la sexualité, à l’identité sexuelle, et ce du normal au pathologique, relève du domaine de la sexologie. Le sexologue devrait-il être à la fois médecin, psychologue, sociologue, philosophe, historien, un esprit universel... ? Les expressions « santé sexuelle et médecine sexuelle », prétendent recouvrir les cadres de la « bonne santé » sexuelle, des maladies
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sexuelles et de la sexualité, elles occupent actuellement le devant de la scène sexologique. S’il est facile de diagnostiquer une MST (maladie sexuellement transmissible), il est plus difficile de diagnostiquer l’étiologie d’un trouble de l’érection que de définir un état de bonne santé sexuelle. Où doit-on situer les troubles du désir et du plaisir ? Existe-t-il un substrat organique ou n’est-ce que psychologique ? La réponse n’est pas évidente d’autant que les récentes découvertes des neurosciences (Damasio, 1999) montrent l’importance des neuromédiateurs dans les pathologies en général et en sexologie en particulier. En effet, l’essentiel de la sexualité humaine n’est pas sous le contrôle de la volonté, mais du système nerveux autonome médié par les neurotransmetteurs. L’éjaculation prématurée ou rapide est considérée actuellement dans notre société occidentale comme un problème sexuel, voire une maladie (certains laboratoires pharmaceutiques recherchent une molécule capable de ralentir sa survenue), alors que dans d’autres sociétés, celle-ci est considérée comme un signe de virilité, de puissance sexuelle. Où se situe la normalité sexuelle ? Les déterminismes socioculturels, l’histoire personnelle, les cognitions de chacun influencent autant les représentations que l’expression de la normalité sexuelle. La sexualité humaine est un système d’autant plus complexe qu’elle fait intervenir la corticalité humaine et surtout l’affectivité. Toute tentative d’extériorisation de ces affects empruntera des chemins pluriels, reflets de la richesse de la pensée humaine, dont l’accès relève de la pensée analogique, représentation ou projection personnelle définie au travers du concept de conscience bicamérale que nous traiterons un peu plus loin. La sexualité possède des fondations biologiques, anatomiques, physiologiques, à portée d’analyse pour la science médicale. Mais le psychisme la transforme et la modèle, d’où la difficulté récurrente à distinguer le normal du pathologique. Il reste assez simple de définir le pathologique dans le cadre médical ; et après un diagnostic étiologique, il est relativement facile de mettre en place un traitement efficace notamment depuis l’apparition de nouvelles molécules. Par contre, dès qu’il s’agit de sexothérapie nous sommes confrontés à une multitude de « thérapies » qui n’ont d’efficace que la foi qu’elles nous inspirent. Elles sont toutes efficaces et inefficaces selon la personne à laquelle elles s’adressent ! Chacune de ces thérapies peut être conçue comme une métaphore, fruit de l’interprétation et tentative de rationalisation de son auteur. Dès lors, que penser de leur valeur scientifique ? En fait, ces démarches fondent
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leur efficacité dans la croyance du patient et, malheureusement, du thérapeute. L’hypnose actuelle relève d’une démarche totalement différente puisque l’hypnothérapeute va devoir s’adapter aux représentations du patient tout en s’appuyant sur les connaissances scientifiques du moment. Il en résultera une nécessaire évolution conceptuelle. Il n’est plus, en effet, possible de soigner des patients selon de concepts élaborés il y a plus d’un siècle. Pour ce qui nous concerne, et dans le cadre de cet ouvrage, la sexologie se limitera à l’étude des troubles sexuels les plus fréquemment rencontrés et la sexothérapie à l’utilisation des outils hypnotiques dans ces mêmes troubles. Exceptés les symptômes dont l’étiologie est essentiellement organique (bien que le psychique soit toujours présent), le trouble sexuel, est le modèle même de l’expression d’une psyché qui n’est pas définitivement fixée sur le soma. Ces représentations, projections psychiques sont variables selon les cultures, selon les époques et selon chacun. Par exemple, une femme vaginique (le vaginisme est une contraction involontaire et réflexe des releveurs de l’anus et constricteurs de la vulve interdisant ou rendant douloureuse toute pénétration), n’a généralement pas de représentation mentale de son vagin ; donc, bien qu’il soit présent, il « n’existe » pas. Pour plus de clarté à notre propos, nous allons d’abord poser les conditions d’un bon fonctionnement sexuel sur le plan biologique ou plutôt éthologique : la survie de l’espèce est en jeu ! Il faut des organes sexuels dont la forme anatomique est dans la norme et dont la fonctionnalité, c’est-à-dire, la physiologie, est en conformité avec ce qui est défini scientifiquement comme normal. Il faut aussi un système vasculo-nerveux alimentant efficacement en éléments nutritifs et informatifs les organes en question, sachant que le sexe est, avant tout, un organe d’échange et de communication. Et, enfin, un système de commande médullaire, neuroendocrinien et surtout cérébral en bon état. Le résultat de ce bon fonctionnement est, comme nous pouvons nous en douter, la procréation, fruit de la rencontre des gamètes. Un exemple de bon fonctionnement sexuel sur le plan biologique est l’érection matinale ou nocturne. Elle survient au décours d’une phase de sommeil paradoxal et correspond à la levée d’inhibition qui l’accompagne. Cette érection est peu ou pas influencée par la « corticalité », le rêve n’ayant une influence que s’il est érotique. Ainsi, lors d’une consultation pour trouble de l’érection ou dysérection, la présence
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d’érection rigide matinale ou nocturne nous permettra d’éliminer la plupart du temps une cause organique. Quels sont les troubles sexuels les plus fréquemment rencontrés ? Chez l’homme, ce sont l’éjaculation prématurée et la dysérection et, chez la femme, l’insuffisance ou l’absence de plaisir et de désir. Il existe aussi, mais moins fréquemment, l’éjaculation retardée ou absence d’éjaculation chez l’homme et le vaginisme, responsable souvent de mariage non consommé, chez la femme. Ces divers troubles sexuels sont souvent évoqués lors des maladies conjugales. Causes ou conséquences ? Il n’est pas toujours aisé d’apporter une réponse. Si les troubles de l’érection peuvent êtres considérés à la fois comme maladie et symptôme, ce n’est presque jamais le cas pour les autres dysfonctions sexuelles qui sont le reflet soit d’une méconnaissance de son corps, du corps de l’autre, soit d’une absence ou d’une représentation symbolique de l’acte sexuel non pertinente, soit encore, des difficultés relationnelles. L’hypnose telle que nous pouvons la concevoir aujourd’hui nous semble être la technique thérapeutique la plus efficace et la plus rapide, car elle permet un accès direct aux représentations mentales analogiques, symboliques du patient qui devient ainsi son propre thérapeute. Si dans notre pratique habituelle les symptômes sexuels sont peu nombreux, ils sont le plus souvent l’expression analogique ou métaphorique de problématiques d’une extrême complexité. Ainsi, il n’est pas toujours nécessaire de s’attaquer à toute l’histoire du patient, mais en intervenant sur un des éléments qui composent cette complexité, il est possible de provoquer une modification des représentations analogiques. Les informations apportées par l’anamnèse ne sont intéressantes que dans la mesure où elles nous renseignent sur leur articulation.
A BORD
THÉORIQUE DE L’ HYPNOSE LA CONSCIENCE BICAMÉRALE
:
Un retour aux origines L’hypnose est, comme nous le savons tous, un état psychologique ou mental, état de ressources pour certains, nous permettant d’accéder à un autre système de représentations, projection de notre état intérieur.
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L’hypnose peut alors être comprise comme un retour « aux sources » de notre conscience, voie d’accès à des ressources jusqu’alors demeurées non conscientes, bien qu’effectives et opérantes dans nos comportements.
Les mythes Il fut une époque pas si lointaine où les hommes conversaient avec des dieux nommés Zeus, Apollon, ou encore Aphrodite ; ils les avaient sans doute créés car les sciences et connaissances de l’époque n’avaient pu résoudre ni leurs problèmes existentiels ni leurs difficultés. Représenter leurs besoins fondamentaux par des divinités permettait d’accéder à un début de réponse. Cette conscience rationnelle que nous utilisons aujourd’hui, s’est structurée sur une certaine forme de pensée dite aristotélicienne, émanant du courant platonicien, et s’est développée aux dépens de la pensée bicamérale qui avait jusqu’alors prévalu dans l’esprit de l’homme. Elle a permis le développement d’une pensée qualifiée de scientifique qui ne saurait cependant apporter toutes les réponses souhaitées. Julian Jaynes (1920-1997), professeur de psychologie à l’université de Princeton évoque ce problème dans son ouvrage La Naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit bicaméral (1976). Définir l’esprit bicaméral n’est pas chose aisée puisqu’il aurait disparu avec la naissance de la conscience ; néanmoins, il semble en exister quelques vestiges à travers des phénomènes aussi divers et variés que la possession, l’hypnose ou encore la poésie et la musique.
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Les deux chambres Une lecture « poétique ou symbolique » d’ouvrages comme la Bible, le Coran et d’autres écrits anciens de la littérature grecque, orientale ou moyen-orientale nous permettrait, sans doute d’accéder à cet esprit. En fait, ce que nous appelons métaphore aujourd’hui représentait très probablement, à l’époque, la pensée usuelle commune caractéristique de cette autre chambre, l’autre chambre étant celle de notre esprit ou conscience actuelle. Elle est tout à fait comparable à la chambre noire de l’appareil photo ou plutôt des vieux cinématographes qui pouvaient servir à la fois d’enregistreur de l’image, et de projecteur. Ne sont enregistrées à ce niveau que des informations d’ordre sensoriel, émotionnel ou affectif, voire spirituel. Elles ne peuvent prendre réalité que sur l’écran de notre conscience. De fait, cette pensée n’est pas disparue, mais occultée par une pensée qui se voulait scientifique, rationalisante. Devenue inconsciente du fait
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de croyances pseudo-scientifiques, elle s’exprime toujours et selon les contextes socioculturels : somatisation , névroses diverses et variées, mal-être, etc. ; mais aussi et surtout comme une ressource positive, moyen d’accès direct au traitement de ces divers symptômes et troubles... Elle coexiste avec la conscience : croyances religieuses et leurs pouvoirs parfois miraculeux et, bien sûr, l’hypnose et ses états dissociés. À l’exemple de cette jeune patiente d’une vingtaine d’années originaire de La Rochelle et qui avait été adressée pour troubles du comportement ; elle souffrait en fait d’un trouble de personnalités multiples. À la suite du décès d’une de ses amies, délinquante et toxicomane, elle adoptait, lors de crises, le comportement de celle-ci. L’application métaphorique d’un rituel de désenvoûtement analogue à l’expression de ses symptômes, a permis de renvoyer l’esprit de son amie décédée apaisée dans l’au-delà ! Ce retour à l’esprit bicaméral, nous permet d’accéder à des ressources jusqu’alors non conscientes.
L’« initiation » hypnotique Ces constats permettent de comprendre l’hypnose comme une façon de penser et de concevoir les choses ; une heuristique, plutôt qu’une technique. Il s’agit de faire preuve d’imagination et de créativité, afin d’utiliser le meilleur discours possible avec le bon patient. L’hypnose devient alors une démarche initiatique. Elle « initie » des processus et « initialise » les ressources du patient. Les trois méthodes de la pensée analogique Il existe trois méthodes : •
La première méthode consiste d’abord à entraîner le patient à penser « hypnotique ou bicaméral » : un certain nombre de séances auront pour objet d’initier et d’entraîner le patient, puis, compte tenu des compétences acquises, lui suggérer de trouver lui-même la solution à son problème. Dans le domaine de la Sexologie, j’initie mes patients, hommes ou femmes, à être musiciens et à jouer autrement de leur instrument. Il leur sera parfois nécessaire de changer d’instrument où devenir quelqu’un d’autre : un changement de prénom pouvant caractériser l’être en devenir. La régression en âge vers une vie antérieure peut être une ressource extraordinaire : souvent, l’autre vie était riche de fortunes amoureuses et sexuelles. Les ramener au présent permet une liberté de vie insoupçonnée.
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La deuxième méthode envisage l’utilisation de scripts dissociatifs, plus ou moins standards. Ils ont l’avantage d’être de réalisation plus simple et plus rassurante pour le thérapeute, et l’inconvénient de ne pas toujours trouver écho dans l’esprit du patient. Il existe néanmoins une astuce pour le rendre plus efficace, c’est l’utilisation du parlé flou ; en effet, un discours vide de sens ne peut prendre une réelle signification qu’avec l’expérience et le vécu du patient. La troisième méthode se veut être hypno-analytique : il s’agit d’interroger l’inconscient, du pourquoi. Son rituel se rapproche beaucoup du rituel de la confession. Si elle donne souvent une réponse, celle-ci n’est que peu pertinente ; en effet, elle rassure, mais ne change pas grand-chose au vécu amoureux ou sexuel.
DU
NORMAL AU PATHOLOGIQUE EN SEXOLOGIE
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Le sexe biologique et ses corollaires Comme nous l’avons évoqué précédemment, il est relativement aisé de définir une normalité biologique selon nos critères de bonne santé sexuelle. Avant d’être humain, l’individu masculin ou féminin est un mammifère dont la finalité de l’acte sexuel est la reproduction : la survie de l’espèce est en jeu. Son humanisation en a fait autre chose qui n’est pas, comme nous pourrions le penser, uniquement ludique, c’est-à-dire, une recherche du plaisir. À d’autres époques, une famille nombreuse était signe de richesse, de pouvoir sur le groupe, la société. Si on y réfléchit bien, que nous a donné la nature ? Deux sexes complémentaires dont l’interpénétration permet la rencontre des gamètes : l’ovule féminin et le spermatozoïde masculin. Dans ce dessein, le sexe de l’homme, organe convexe, soumis à des pulsions sexuelles influencées par les hormones, en l’occurrence la testostérone, va subir une transformation : c’est l’érection. Sa rigidité lui permettra de pénétrer le sexe féminin, organe concave normalement préparé, ouvert, lubrifié par une bonne stimulation clitoridienne, lui aussi influencé, à un degré moindre, par cette même hormone. La pénétration réalisée, puis quelques mouvements de va-et-vient, l’éjaculation survient ; elle survient naturellement, rapidement, efficacité oblige et se trouve gratifiée d’une sécrétion d’endorphines, récompense voluptueuse du devoir bien accompli. La femme, quant à elle, doit se
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satisfaire d’une excitation, voire d’une jouissance clitoridienne préliminaire nécessaire à une pénétration non douloureuse (le vagin s’ouvre et se lubrifie) et au recueil d’un sperme nécessaire à son désir de maternité. La survenue d’une grossesse lui apportera la reconnaissance de l’homme et du groupe. À aucun moment, la normalité sexuelle n’est synonyme de recherche de plaisir, de jouissance. Pour des générations d’hommes et de femmes, la normalité sexuelle a pu se résumer ainsi. Le sexe analogique L’apparition chez l’homme jeune d’érections matinales et nocturnes, la survenue d’éjaculations spontanées et la découverte du plaisir développent chez lui le désir de jouer de son instrument. C’est d’abord la masturbation, plaisir solitaire dont la satisfaction demande progressivement, et de plus en plus, le recours aux ressources de l’imaginaire pour rester efficace et satisfaisante. Conscient du plaisir qu’il pouvait en tirer, l’homme y a rapidement associé son imagination, transformant sa sexualité qui n’était plus uniquement reproductrice. Et c’est là que va apparaître un déséquilibre entre les deux partenaires. En effet, la femme, dans la plupart des cas, n’éprouve pas spontanément la même gratification endorphinique lors du coït s’il n’y a pas, en même temps, stimulation clitoridienne. Ce qui laisse supposer que le plaisir vaginal n’est pas naturel mais plutôt le fruit d’un apprentissage plus ou moins conscient. Pour l’homme, le fait de différer l’éjaculation n’est pas plus naturel !
La femme n’aurait-elle pas le droit aux mêmes plaisirs que l’homme ? Probablement, sachant que chaque sexe possède ses propres représentations analogiques déterminantes du plaisir qu’il va pouvoir en tirer. La femme n’a pu revendiquer son droit au plaisir qu’à partir du moment où elle s’est trouvée libre. Que représente cette liberté ? Dans l’Antiquité, la seule femme libre était la prostituée ; celle qui était visible, qui affichait sa féminité, ses charmes, ses désirs, qui était indépendante de l’homme. Les autres, enfermées dans le gynécée, se devaient d’obéir aux désirs de l’homme. Toute velléité d’indépendance, de liberté était impossible, sauf à changer de statut. Aujourd’hui, la femme semble s’être émancipée ; « égale » de l’homme, possède-t-elle les mêmes droits ? Nous pouvons en douter. Jeune fille, elle peut revendiquer une certaine liberté sexuelle, apanage
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de la jeunesse, mais être toujours célibataire à 25 ans est plus que suspect. Contribuant elle-même à cette représentation, elle se fait la complice inconsciente du système social dans lequel elle se trouve. Malgré une médiatisation impressionnante du plaisir féminin, elle ne semble toujours pas y avoir accès, au risque d’être qualifiée de libertine. Cette incapacité féminine d’atteindre la jouissance masculine ou du moins, ce qu’elle en croit, va donner naissance, dans une société nord-américaine devenue plus hédoniste, mais aussi plus féministe, à la sexologie moderne. D’abord Kinsey dans son fameux rapport, puis Masters et Johnson (1971) élaborent des concepts qui vont devenir des normes physiologiques et pathologiques dans le domaine de la sexualité. Se trouvent ainsi définis de nouveaux concepts comme : éjaculation prématurée, anorgasmie, vaginisme qui finirent par devenir, dans l’esprit des gens, de véritables maladies, bien que ne possédant pas, pour l’essentiel, de support organique. On connaissait déjà l’impuissance, qui est devenue aujourd’hui la dysérection. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de véritables pathologies responsables de troubles sexuels, mais elles sont minoritaires par rapport à l’ensemble des plaintes que nous pouvons rencontrer. Les normes sexuelles actuelles ont déplacé le curseur ; ainsi, ce qui était normal en d’autres temps est devenu anormal aujourd’hui, voire pathologique. Nous commençons à nous rendre compte que nos cognitions et nos représentations analogiques du sexe et de la sexualité vont être déterminantes sur notre sexualité. Si certaines de celles-ci sont pertinentes et peuvent permettre d’accéder à un épanouissement sexuel, nombreuses sont celles qui sont peu efficaces voire inefficaces.
Sur quels critères allons-nous distinguer le pathologique du normal ? Excepté le cadre des critères objectifs des pathologies organiques, nous sommes confrontés à la plus grande subjectivité des acteurs médiatiques qu’ils soient médecins, psychologues ou journalistes. Nous ne mettrons pas en doute leur bonne foi, mais celle-ci reste influencée par leurs croyances d’un autre âge et par leurs propres expériences sexuelles. L’épanouissement sexuel tel que nous le concevons n’est pas à la portée du premier venu. Il n’est pas le fruit d’un savoir mais plutôt une démarche que nous qualifierons d’initiatique dans le sens d’un cheminement vers une connaissance.
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De nos jours, le sexe ne semble être fait que pour jouir ! De plus, il est nécessaire d’être performant ! Malheureusement, le seul usage que l’on en fait relève plus de la masturbation que de l’échange amoureux. L’usage du sexe ressemble à une sorte de mécanique, à un produit de consommation. Le vagin a remplacé la main. Le plaisir semble moins solitaire, du moins pour l’homme, mais qu’en est-il de sa partenaire ? Il est vrai qu’au début de sa vie sexuelle, elle se montre très complaisante et se dit qu’avec le temps, les choses vont changer, puis le désir d’enfants vient justifier les rapports sexuels ; elle en oublie sa frustration. À 40 ans, les enfants ont grandi, plus disponible, elle n’en demeure pas moins toujours aussi frustrée et insatisfaite de sa vie amoureuse. Elle se sent anormale, culpabilise de ne plus avoir de désir pour son partenaire bien qu’elle pense toujours l’aimer, et ne sait plus comment éviter les moments d’intimité. De surcroît, elle a lu dans la presse féminine ou entendu sur un média que le sexe était quelque chose de merveilleux et d’épanouissant et qu’il allait lui permettre de vivre des sensations et des émotions inoubliables. D’autres, pour justifier leur manque de désir, vont attribuer au sexe tous les méfaits possibles et imaginables ou bien jeter sur lui le voile pudique de tous les tabous et interdits reçus au cours de l’éducation. Mais cette absence de plaisir et de désir féminin est-elle le signe d’une anormalité ou d’une quelconque pathologie ? Ne serait-ce pas plutôt le fruit d’une méconnaissance ou de représentations non pertinentes ? Il peut paraître étonnant de n’aborder, jusqu’à présent, ce sujet que sous l’aspect féminin. Mais à quoi sert l’érection de l’homme ? Quel sens lui donne-t-il ? Quelle vertu attribue-t-il à la durée du rapport ? Nous savons déjà que cela n’aura pas d’incidence directe sur la qualité de la reproduction. Une sexualité socialisée L’être humain, mâle ou femelle, se structure en plusieurs couches qui vont progressivement se fondre les unes dans les autres et aboutir à un être plus ou moins accompli. On peut comparer l’être humain en devenir à un nuage peu dense d’atomes ou de molécules qui va, progressivement, se condenser sous l’influence des reflets croisés de ces miroirs que sont ses proches, ses parents. En situation hypnotique, la suggestion du miroir « magique », reflet de sa réalité analogique, est souvent très riche d’enseignement. Nombreuses sont les femmes qui, à la place de leur sexe, décrivent un vide, une zone indéterminée, un peu comme ces planisphères des siècles passés avec
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leur « terra incognita ». Toutes ces projections ne sont pas innocentes bien que, le plus souvent, involontaires. Elles sont néanmoins le reflet de la structure la personne. Nous aborderons de manière analogique, un peu plus loin, tous les ingrédients nécessaires à une sexualité épanouie dont le résultat serait le plaisir, la jouissance. Nous avons évoqué à plusieurs reprises la notion de plaisir, mais pas celle de l’orgasme. Quel sens faut-il lui donner? A-t-il une utilité biologique ? Et si oui, à quel niveau se situe-t-elle ? Peut-on comparer l’orgasme masculin au féminin ? Et lorsque nous parlons d’orgasme féminin s’agit-il du clitoridien ou du vaginal ? Toutes les réponses à ces questions sont fondamentales car elles déterminent des représentations mentales logiques et surtout analogiques. Nous savons que si l’orgasme n’a aucune utilité dans la reproduction, il possède certainement une double fonction : la résolution de tensions qui ne sont pas que sexuelles par dépolarisation brutale d’un certain nombre de neurones, comparable à une crise comitiale de localisation particulière. L’étendue de ce territoire déterminera l’intensité de l’orgasme. L’autre fonction serait plutôt sociale. Chez l’homme, il provoque une chute de son « agressivité » et éventuellement dans sa dimension relationnelle un lien, un ancrage pour reprendre une terminologie connue en hypnose, et que nous retrouvons essentiellement chez la femme lors d’un orgasme vaginal, ce lien émotionnel se transformant en lien affectif. Il ne semble pas que l’orgasme à point de départ clitoridien ait cette même influence psychologique. Nous distinguons, en effet chez la femme, l’orgasme clitoridien du vaginal, attribuant au premier une fonction ludique égocentrique, qu’il soit produit par auto ou hétéro stimulation et au second, une fonction relationnelle. Avant de terminer ce paragraphe, il nous faut aborder la différence des sexes, pas tant sur le plan anatomique local que sur le plan psychologique. Il est important de savoir que notre organe sexuel essentiel est en fait notre cerveau, le sexe anatomique n’étant qu’une courroie de transmission. L’utilisation de ce sexe peut se faire selon trois modalités : – Pulsionnelle, directement influencée par nos gênes et orientée vers la reproduction ; – Compulsive, sous l’influence de la première, mais orientée vers le plaisir personnel : la masturbation en est un bon exemple ;
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– Relationnelle, orientée vers la qualité de la relation, le plaisir de l’autre, la plus humanisée. Si ces trois modalités apparaissent chez les deux sexes, elles ne le sont pas de manière identique. En effet, l’homme semble le plus souvent, dominé par le compulsif, alors que la femme attache beaucoup plus d’importance au relationnel. Ce qui explique la différence d’attente des uns et des autres !
S ITUATIONS
CLINIQUES
L’éjaculation prématurée Elle est encore appelée précoce ou rapide. Considérée depuis moins de 50 ans comme un trouble sexuel, que représente t- elle ? Nous avons vu précédemment que l’homme semblait naturellement programmé pour éjaculer en moins de 2 minutes, puisque la fonction essentielle de l’éjaculation est la reproduction. Nous avons vu également qu’à l’éjaculation était associé un orgasme, sensation voluptueuse secondaire à la sécrétion cérébrale d’endorphines. Nous pouvons comprendre que l’homme ait voulu répéter l’acte jusqu’à en devenir, pour certains, parfois totalement dépendant. En excès, cela peut être considéré comme une addiction. Sans doute a-t-il aussi découvert, par hasard,que de ne pas éjaculer rapidement pouvait être source d’autres plaisirs : le plaisir de jouer avec son excitation, celle de la partenaire et aussi de déclencher un phénomène nouveau, sans doute très gratifiant pour lui : l’orgasme féminin. Mais ne pas éjaculer, c’est pouvoir rester connecté, branché à l’autre dans une tentative de fusion qui, quoique symbolique, peut devenir bien réelle dans son vécu subjectif. L’acte sexuel n’a donc plus pour objectif la jouissance immédiate, mais la relation à l’autre à l’origine de cette jouissance, de cet orgasme. Faire durer l’acte devient une nécessité, sa brièveté une pathologie. Bien que connue depuis des siècles (elle est évoquée dans des ouvrages tantriques ou taoïstes), cette éjaculation trop rapide n’a pu émerger à la conscience du monde occidental qu’avec l’émancipation féminine et a trouvé son point d’orgue avec les travaux de Seemans et de Masters et Johnson qui en ont fait d’un mécanisme naturel une pathologie sexuelle. Découvrant sa sexualité lors de la masturbation, l’homme construit un ensemble de représentations mentales déterminant le futur déroulement de l’acte sexuel : ainsi, ayant appris à caresser son sexe avec sa main, il
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remplacera celle-ci par le vagin féminin le moment venu ! Centré sur son excitation et son plaisir, l’éjaculation ne peut survenir que rapidement. Jeune, il peut tenter de remédier à cette excitation trop explosive en multipliant les rapports ! Très rapidement, la prise de conscience de cette excitation non maîtrisée va développer une angoisse de l’échec ou de performance, aggravant son éjaculation prématurée. Cette prise de conscience est très influencée par le discours médiatique de ces trente dernières années ; celui-ci tente de définir une « normalité » sexuelle arbitraire, culturelle. Malheureusement, l’homme a trop souvent une représentation non pertinente du fonctionnement de son sexe et du rapport sexuel et va chercher une solution impossible. Il pense, très souvent, que ce n’est qu’une question d’hypersensibilité de son gland, de son pénis et que s’ils étaient moins sensibles, il pourrait tenir plus longtemps. Les méthodes employées sont illusoires car il ne faut jamais perdre de vue que notre véritable organe sexuel est notre cerveau. Tout un ensemble d’artifices peut être utilisé pour tenter de retarder la survenue de l’éjaculation : de la respiration volontaire abdominale à la prescription de certaines substances médicamenteuses. Il faut bien comprendre que la maîtrise de l’éjaculation n’est pas naturelle, mais le fruit d’un apprentissage ayant pour objectif une modification des représentations. Si nous comparons le corps de la femme à un violoncelle, son sexe aux cordes de celui-ci, le pénis de l’homme en est l’archet alors qu’il est le musicien. Nous comprenons bien que la musique vient du violoncelle, même si elle est produite par l’archet. De manière plus triviale, il s’agit, pour lui, d’apprendre à caresser le vagin avec son pénis plutôt que de caresser son pénis avec le vagin, mais là où cela se complique un peu : c’est qu’il doit être capable, comme le musicien, de ne pas penser à la façon dont il se sert de son instrument. Réussir de cette façon, c’est se donner la liberté de jouer et de jouir sans entrave. Si toutes ces analogies et métaphores sont utilisables en face à face, sans rituel hypnotique, son utilisation nous permet cependant d’accéder plus directement à cette fameuse « boîte noire », siège de toutes nos représentations sensorielles, émotionnelles et affectives et de les modifier afin que leurs projections dans le réel soient plus en accord avec le but recherché. Il faut bien comprendre que la finalité n’est plus l’éjaculation, mais le plaisir de la relation. De cet échange amoureux naît un autre plaisir, une autre jouissance incomparable. La relation sexuelle devient ainsi autre chose ; elle y met ce qui caractérise le plus notre humanité : nos sentiments.
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Afin de mieux comprendre notre abord des troubles sexuels, nous allons essayer de traduire en termes analogiques une méthode classique du « traitement de l’éjaculation prématurée ». À l’origine, le qualificatif consacré était précoce. Quelle différence existe-t-il au niveau de la représentation entre précoce et prématuré ? C’est très simple : il suffit d’associer aux deux qualificatifs, le mot « enfant » et nous avons la réponse. Un enfant précoce n’a rien à voir avec un enfant prématuré. Ce ne sont pas que de simples jeux de mots car nous savons bien que le langage structure la pensée et surtout notre pensée analogique non consciente. Revenons à notre propos. La méthode consacrée par Masters et Johnson consiste à mettre en place une thérapie comportementale du contrôle de l’éjaculation en utilisant la technique du squeeze. Dans un premier temps, on demande au couple de pratiquer des caresses réciproques non simultanées et non sexuelles, puis dans un deuxième temps, on demande à la femme de serrer la base du gland de l’homme au signal de ce dernier, après l’avoir masturbé, pour l’empêcher d’éjaculer et de répéter la manœuvre à plusieurs reprises, et enfin, dans un troisième temps, de reprendre les rapports sexuels en utilisant toujours la technique du squeeze. Cette méthode doit permettre à l’homme de contrôler son éjaculation. Elle n’est pas toujours inefficace, mais il lui faut reconnaître un grand nombre d’échecs. De toute façon, contrôler son éjaculation est impossible à moins d’être un yogi expérimenté. L’éjaculation est un phénomène réflexe qui survient lorsque l’excitation a atteint un certain seuil. Il doit apprendre à doser son excitation pour ne pas dépasser le seuil d’inévitabilité, responsable de l’éjaculation. Sur un plan logique, la première phase du traitement de l’éjaculation prématurée a pour objet de diminuer l’angoisse de l’échec des ratages successifs. Nous savons, par ailleurs, que la surcharge adrénergique représente un facteur aggravant la prématurité de l’éjaculation, d’où l’aggravation du symptôme lors de sa prise de conscience. En même temps, l’homme prend conscience que ses caresses doivent être orientées vers l’effet produit et non sur l’effet ressenti ; il commence ainsi à modifier ses représentations. Quant à la technique du squeeze de la deuxième phase de la thérapie, elle peut permettre à l’homme d’étalonner son excitation sexuelle. Ce n’est pas tant le serrement qui est efficace, que le signal fait à la partenaire. Il est un peu comme le sauteur en en hauteur qui prend ses marques pour ne pas faire tomber la barre. Ce squeeze n’est qu’une empreinte analogique supplémentaire au signal.
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Quant à la dernière phase de reprise des rapports sexuels, elle ne sera efficace que si l’homme a su repérer, lors de la phase précédente, les zones sensibles vaginales de sa partenaire et qu’il ait réussi à en construire une représentation mentale. L’efficacité de la méthode ne se situe donc pas à un niveau logique comme pour une recette, mais à un niveau analogique. Bien sûr, ce n’est réalisable qu’avec la collaboration et surtout l’implication personnelle de la partenaire. On a beau être un bon musicien ; si l’instrument n’est pas « accordé », la musique jouée ne sera pas agréable et ne justifiera pas que l’on ait envie de prolonger le concert ! Les troubles de l’érection Dans ce paragraphe, nous n’aborderons que les aspects psychologiques des troubles de l’érection appelés encore dysérections. Ces aspects psychologiques sont soit isolés, cas les plus fréquents chez l’homme jeune, soit associés et secondaires à une pathologie organique. Pour mémoire, les pathologies organiques les plus souvent rencontrées sont : • •
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Les pathologies vasculaires, essentiellement artérielles comme l’athérosclérose ; Les pathologies altérant le fonctionnement des corps caverneux, comme la dégénérescence fibreuse des fibres musculaires lisses intra-caverneuses, complication du diabète ; Les pathologies endocriniennes comme le D.A.L.A. (déficit androgénique lié à l’âge) ; Les pathologies iatrogènes : un certain nombre de médicaments peut être responsable de troubles de l’érection. Il ne faut pas oublier non plus toutes les éventuelles conséquences à la chirurgie ou radiothérapie du petit bassin ; Les pathologies neurologiques, pour exemples : les neuropathies, la sclérose en plaque et bien d’autres ; Les pathologies psychiatriques qui sont, pour certaines, à la frontière de l’organique et du psychologique.
Pour bien comprendre la dysfonction érectile et agir sur ses représentations pathogènes, il nous faut connaître le fonctionnement de ce sexe masculin. Comme nous le savons, l’érection est un phénomène vasculaire : c’est le remplissage de sang des corps érectiles qui va aboutir à la
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rigidité de l’organe. Il est constitué de fibres musculaires lisses qui devront se relâcher pour permettre le remplissage. Pendant la plus grande partie de notre temps, ces fibres sont contractées sous l’influence d’un neurotransmetteur : la noradrénaline. Secrétée en permanence, cette dernière est responsable de notre vigilance, mais son taux peut augmenter ou diminuer selon les circonstances. Elle augmente lors de toute situation de stress et diminue lors de la relaxation, de la détente. Son augmentation a pour effet de favoriser la circulation du sang vers les organes utiles au maintien de la vigilance comme le cerveau, le cœur et les muscles, mais de provoquer l’effet inverse pour les organes digestifs et sexuels. L’érection ne peut donc s’effectuer que si le sujet est détendu. Mais l’adrénaline n’est pas suffisante, il faut aussi de la dopamine ; neurotransmetteur d’origine cérébral, elle est sécrétée au moment de l’excitation sexuelle. Elle agit sur l’érection par l’intermédiaire de mécanismes chimiques complexes. Donc si nous résumons, pour que l’homme puisse présenter une bonne érection, il doit être détendu et excité. Toute situation de stress ou d’anxiété représente une entrave à un bon fonctionnement sexuel. Provoquer une détente ou une relaxation sera donc du meilleur effet sur l’érection, sans être suffisant. En général un bon stimulus, qu’il soit endogène ou exogène, produira l’effet souhaité s’il s’agit d’un problème mineur et passager. Selon les cognitions du patient, il sera toujours possible d’y associer des suggestions hypnotiques de type vasomotrices ou de lévitation involontaire du membre en question. Nous pourrons utiliser cette approche lors des dysfonctions érectiles d’étiologie mixte : angoisse de l’échec développée sur une base organique. C’est le cas, par exemple, du trouble de l’érection survenant dans les suites d’un traitement anti-hypertenseur. Dans un premier temps, le médicament est responsable du problème sexuel par la baisse de la pression artérielle. En fait, ce n’est pas le médicament qui est responsable, mais la baisse de la tension. Secondairement, cette baisse n’a plus d’effet, mais s’est développée une angoisse de l’échec qui entretient le trouble. En cas d’échec, cela signifie que nous sommes confrontés à une anxiété plus ou moins généralisée, responsable de cette angoisse de l’échec qui s’entretient. Ce peut être aussi une insuffisance d’excitation ou les deux, reflet des représentations que le patient se fait de lui-même, ce que nous avons évoqué plus haut, à propos de la structuration de la personne. Cela revient, encore une fois, à demander à la personne de s’interroger sur lui-même, sur la façon dont il se perçoit en tant qu’individu mâle porteur d’un sexe mâle. Les questions qu’il est amené à se poser sont :
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Comment se situe-t-il par rapport à lui même ? Par rapport au partenaire ? Par rapport à la famille ? Par rapport à la société ? Si ces réponses peuvent se faire sur un niveau logique au cours de l’entretien, l’hypnose nous apportera des informations riches de sens, le plan analogique ou symbolique représentant la projection de la chambre noire sur notre conscience. Il est fréquent de constater que la réponse analogique contient le plus souvent la solution au problème. Pour illustrer notre propos, prenons un exemple tiré d’un mythe freudien : le vagin denté, responsable d’une angoisse de castration. La perte de l’érection est logique : aucun homme n’a envie de perdre ce qui représente pour lui, non seulement son pouvoir génésique, mais aussi sa qualité d’homme. Nous savons bien que depuis la nuit des temps le phallus érigé symbolise l’homme ! Sur quoi peut bien se fonder cette représentation castratrice de l’organe féminin ? Jusqu’à nouvel ordre l’exploration digitale n’a jamais été responsable d’une amputation ! Il est bien sûr possible, pour rester sur le plan de la physiologie, de considérer que la phase réfractaire suivant une éjaculation coïtale, caractérisée par la perte d’érection, peut symboliser l’absorption castratrice de la semence masculine. De nos jours, la représentation médiatique de la femme actuelle, libre, affranchie, peut paraître terriblement effrayante. Ce n’est pas pour autant qu’il faille regretter l’émancipation féminine. Nous voyons que derrière l’image d’un vagin denté émergent de très nombreuses représentations qui n’ont d’intérêt que le sens donné par l’expérience subjective de notre patient. Mais il existe d’autres difficultés érectiles basées sur les distorsions des représentations analogiques de l’image féminine. Pour un homme, la femme peut être à la fois la mère, l’épouse et l’amante. C’est un peu comme les représentations de l’amour qui comprennent à la fois, l’affection, le désir et la passion. Nous rencontrons parfois, au cours de nos consultations des hommes souffrant du syndrome de « la madone et de la putain ». Leur épouse devenue une madone est sexuellement inaccessible, par contre l’autre « la putain » est toujours aussi désirable, mais pas « aimable ». Jouer à la poupée, déshabillant, mais pas complètement, l’une pour habiller l’autre, va lui changer ses représentations féminines et rétablir ainsi la complexité d’un individu trop longtemps et souvent considéré fragile.
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Le sujet n’est pas clos et il est possible aussi d’envisager sous cet angle analogique la relation, ou plutôt l’interaction des deux individualités impliquées. Si l’expression symptomatique de dysérection semble être toujours un peu la même, les modalités de mise en œuvre sont presque toujours d’une très grande variété. Il est donc impossible de décrire toutes les situations rencontrées. Notre approche a pour but d’initier une réflexion et une démarche personnelle à chaque hypnothérapeute, ayant pour objectif d’utiliser les ressources du patient. Le vaginisme Ce n’est certes pas le trouble sexuel féminin le plus fréquent, mais son étude et son approche thérapeutique nous serviront d’introduction aux problèmes sexuels féminins qui seront traités dans le paragraphe suivant : les troubles du désir et du plaisir. Sur le plan de sa description, le vaginisme, responsable de mariages ou unions non consommés, correspond à une contraction involontaire et réflexe de muscles périnéaux interdisant la pénétration vaginale ou la rendant très douloureuse. Le plus souvent, la motivation des couples consultés est le désir d’enfants. Il est important de savoir que si tous les mariages non consommés ne sont pas la conséquence d’un vaginisme, mais aussi la conséquence d’autres troubles sexuels comme la dysérection, il n’en demeure pas moins qu’ils représentent la cause la plus fréquente. On recherchera d’abord un traumatisme physique ou psychique : blessure vulvaire à la suite d’une chute dans l’enfance ou encore des violences sexuelles : viol, inceste, etc. Le plus souvent, aucun souvenir précis n’est retrouvé, même refoulé ! Il est vrai que certaines suggestions thérapeutiques ou médiatiques sont très fortes pour inventer des preuves. En fait, la femme vaginique est vaginique parce qu’elle n’a pas de vagin, non au plan anatomique, mais au plan de sa représentation mentale. Il n’est pas intégré au niveau du schéma corporel. Sur le plan analogique, cela se traduit par une tentative d’intrusion à l’intérieur du corps et non dans une cavité de celui-ci. Le réflexe de défense est tout à fait comparable à celui que chacun présente au niveau de l’abdomen dans des circonstances comparables. La représentation du vagin, évoquée chez ces femmes, permet de mieux en cerner les mécanismes. Cela va d’une absence quasi totale de la représentation vaginale à l’image d’un conduit, d’un tube étroit
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serré. D’autres fois, la vulve est comparée à une plaie, surtout quand les règles sont douloureuses. Pourtant, et ce, quelqu’en soit l’étiologie, le changement des représentations est relativement simple : il lui suffit de le regarder, ensuite de l’explorer d’abord avec un de ses doigts, puis deux, évaluant ainsi ses qualités. L’hypnose, du fait de ses possibilités de transfert analogique, se révèle être un complément thérapeutique utile : le vagin est ainsi comparé à son poing qu’elle desserre. La métaphore est heureuse car elle représente aussi une « prise en main » de son sexe, et de sa sexualité.
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Les troubles du désir et du plaisir Ils sont liés et sont l’expression métaphorique des représentations que la femme va avoir d’elle-même, de son corps, de son sexe et de sa sexualité. Le rapport à l’autre est aussi essentiel. Ne pas avoir de désir, c’est d’abord ne pas se désirer, et c’est aussi ne pas reconnaître le reflet que lui renvoie le désir de l’autre. En fait, l’absence de désir est un refus qui peut s’exprimer à différents niveaux : refus de soi, de l’autre, de la relation à l’autre, refus d’une certaine image sociale. Nous ne pouvons exclure une pathologie névrotique qui est souvent du même ordre. Le changement de point de vue lui permettra de passer du refus à l’acceptation. Nous comprenons bien que cela ne pourra se faire que par étapes, envisageant dans ce changement tous les niveaux de structuration de la femme et, bien sûr, de sa sexualité. S’imaginer actrice et jouer un rôle plus adapté à son idéal, lui permettra d’accéder à des ressources jusqu’à présent non conscientes ou refoulées. N’oublions jamais que le désir est dynamique, fruit d’une interaction, justifiant un complément : c’est toujours le désir de... ou l’absence de désir de... Rechercher ce complément est indispensable. Quant aux plaisirs féminins : ils sont clitoridiens ou vaginaux, allant de la simple excitation à l’orgasme. L’intensité et la variété de ces plaisirs varient en fonction des représentations qui y sont associées et au sens donné à la sexualité. Nous avons vu, précédemment, que l’absence totale de représentation vaginale pouvait interdire la pénétration. Maintenant, les représentations que chaque femme aura de son sexe et de l’utilisation de celui-ci lui permettra d’accéder ou non aux plaisirs. La sexualité de la femme est essentiellement déterminée par la qualité de la relation à l’autre et que son sexe, lorsqu’il est intégré et investi de cette qualité relationnelle, peut lui permettre d’obtenir les plus grandes satisfactions. Ne plus se voir pénétrée, mais imaginer saisir
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amoureusement le sexe de l’homme deviendra la source de ses plus grands plaisirs. Les choses ne sont guère différentes pour l’homme si ce n’est le contenu de ses représentations, plus adaptées à son physique et à son caractère. Comme nous pouvons le constater, l’hypnose en sexologie n’est pas une collection de recettes, mais bien davantage un état d’esprit.
Chapitre 16
LES TROUBLES DÉPRESSIFS : CONCEPTS ET APPLICATIONS HYPNOTIQUES Claude Virot
de dix-huit années de rencontres et de travail thérapeutique avec des patients souffrant de troubles dépressifs, j’ai vu évoluer ma lecture de cette pathologie et mes approches thérapeutiques. L’hypnose s’est avérée d’emblée très pertinente, amenant les patients soit à une stabilisation avec une plus grande sécurité intérieure, soit à des changements, une nouvelle manière de fonctionner dans leur vie. Paul Watzlawick (1988) aurait parlé de changements de type 1 et de type 2. Dès le début de ma pratique, j’ai intégré l’hypnose dans un cadre écosystémique permettant de prendre en compte les différents éléments en jeu : le patient, son entourage et les autres traitements en cours. En activant au mieux les ressources de chacun, tout en considérant les résistances à chaque niveau. Très rapidement, la place des antidépresseurs est devenue centrale dans ma réflexion. L’expérience de l’association psychothérapie hypnotiqueantidépresseurs ne semble pas plus efficace que la psychothérapie seule.
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À
LA LUMIÈRE
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Il apparaît même que dans le cas d’association, le patient attribue les améliorations aux psychotropes plutôt qu’à ses propres ressources. Ceci m’a conduit à utiliser de moins en moins les antidépresseurs, en particulier lorsque j’ai proposé à certains patients dépressifs d’attendre quelques jours avant une prescription. Lorsque des premières évolutions apparaissent dans ce laps de temps, très souvent en fait, le patient peut s’en attribuer le mérite et retrouver un début de confiance dans ses propres ressources. Il établit aussi une confiance dans l’interaction avec le thérapeute. Peu à peu, les psychotropes sont devenus un traitement de deuxième intention pour la plupart des troubles dépressifs. L’hypnose, associée à différentes stratégies de thérapie brève, prend la place centrale dans le dispositif de soin. Cependant, face à certaines dépressions présentées d’emblée par le patient, ou en cours de thérapie, il reste indispensable de recourir aux antidépresseurs en première intention, l’hypnose n’étant ici qu’un appoint. Le plus souvent, ce choix est conditionné par l’inquiétude que je ressens chez le patient... et en moi. Par la crainte que survienne, chez ces patients très instables, une catastrophe immédiate et, en premier lieu, un geste suicidaire. C’est en 1991 que j’ai « découvert » la théorie du chaos qui m’a permis, quelques années plus tard, d’associer ces dépressions instables avec un processus chaotique. Or la théorie du chaos, si elle décrit cette instabilité, décrit aussi les changements et adaptations imprévisibles qu’elle génère. Le chaos amène, au-delà de l’instabilité, vers un mode de fonctionnement de nouveau équilibré mais différent de ce qu’il était avant cette phase de chaos. Cette conception, qui se retrouve dans tous les systèmes dynamiques complexes dont le vivant est le plus bel exemple, m’a permis d’adopter une lecture beaucoup plus positive des phases dépressives. En effet, sous cet éclairage, une partie au moins des dépressions devient une phase, certes douloureuse, mais aussi nécessaire dans le cycle de vie pour s’adapter à des situations devenues intenables. Ceci vaut particulièrement pour les dépressions aiguës, récentes et d’évolution rapide. Et pourtant nombre des dépressions sont chroniques, stables, interminables. Une grande partie des dépressions nécessite des traitements de longue durée, parfois à vie. C’est bien une des questions fondamentales : comment la dépression devient-elle chronique ? Pourquoi ne guérit-elle pas dans la phase aiguë ? Comment ce phénomène chronique, peu connu ou peu décrit il y a trente ans, est-il devenu un tel problème de santé publique (Pignarre, 2001 ;
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Zeig, 1997) ? Nous disposons pourtant, aujourd’hui, d’une pharmacopée théoriquement puissante et inconnue de nos maîtres. Et malgré cet arsenal impressionnant, dans nos cultures, la prévalence des dépressions et des suicides ne cesse d’augmenter. Doit-on y voir la responsabilité de la société, doit-on discuter les stratégies thérapeutiques ? Après avoir intégré le chaos dans mes outils d’observation, il est devenu plausible de penser le chronique comme un échec des traitements en aigu. Ou, inversement, après quelques années de traitement de troubles dépressifs chaotiques, de constater le très faible taux de rechute, le très faible taux de stabilisation des troubles. Ce qui conduit à proposer dans tous les cas de troubles dépressifs chroniques stables, une réduction rapide puis un arrêt des antidépresseurs, sous couvert d’un traitement hypnotique. Précisons ici, immédiatement, que dans les rares cas où une prescription devient indispensable, je travaille en collaboration étroite avec des confrères compétents dans ce domaine. Précisons, aussi, que dans les phases très intenses, très « chaotiques », les consultations sont très rapprochées : parfois je revois le patient le lendemain, souvent c’est deux ou trois jours plus tard, et jamais plus d’une semaine. C’est ainsi que, d’année en année, j’ai observé que dans une très grande majorité des cas, les troubles dépressifs, qu’ils soient aigus ou chroniques, peuvent présenter rapidement des évolutions très satisfaisantes pour les patients. Et ce, malgré l’absence d’antidépresseurs, ou peut-être grâce à leur absence ? Il est évident que cette attitude est différente des stratégies médicales habituelles qui, tout au contraire, tendent à voir dans les antidépresseurs le premier, et souvent le seul, remède pour « supprimer » la dépression (Hugnet, 2004). Cette attitude, qui s’est développée progressivement depuis 30 ans, est de plus en plus discutable. Lors du 4e forum de la Confédération francophone d’hypnose et de thérapies brèves à SaintMalo, un débat passionnant et difficile a eu pour thème : « Hypnose et antidépresseurs ». Le professeur Millet, psychiatre à Rennes, évalue à 20 % les dépressions qui doivent systématiquement recevoir en première intention un traitement chimique. Autrement dit, dans 80 % des cas, une position différente serait tout aussi pertinente ! Nous en sommes bien loin aujourd’hui. Mais l’information la plus importante est dans ce courrier que tous les psychiatres et médecins généralistes ont reçu de la part de l’Afsapps1
1. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Voir www.afssaps.sante.fr.
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au mois de mars 2006. La prescription d’antidépresseurs est à éviter chez tous les enfants et adolescents. Des études multiples ont en effet montré une efficacité meilleure des psychothérapies et une augmentation du risque suicidaire en cas de traitement antidépresseur. Nous voyons avec ces quelques éléments que la description du traitement hypnotique de la dépression est à placer dans un cadre plus vaste qui contient la chimiothérapie. Dans les stratégies thérapeutiques que nous proposons, cet aspect sera largement abordé. Mais avant de parler de traitement de la dépression, encore faut-il savoir de quoi nous parlons : que décrivons-nous sous ce concept de dépression ? Comme le disait Einstein : « C’est la théorie qui décide ce que nous pouvons observer. »
Quant à Erickson, il disait : « Observez, observez, et observez encore. »
Mais, quelle était sa théorie ? On le disait « a-théorique ». Rien n’est moins sûr. Au contraire, il est certain qu’une des bases théoriques d’Erickson reposait sur les ressources de chaque individu. Base théorique qui le conduisait à développer toutes les techniques permettant d’utiliser et de développer ces ressources, avec au premier plan l’hypnose.
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NOUVELLE CONCEPTION DE LA DÉPRESSION
Conception classique Nous avons tous étudié et appris à observer les signes fondamentaux de la dépression. Les différents modèles courants (sémiologie traditionnelle, CIM 10, DSM 4, échelle de Hamilton) convergent vers un ensemble de symptômes que chacun a observé dans sa vie professionnelle, voire sa vie privée. Cette convergence atteste leur valeur diagnostique forte. Ils sont repris dans les recommandations de l’Anaes1 . Le trépied de la dépression se compose des signes cardinaux dont la présence ou l’absence permet de poser le diagnostic. Pour avoir une valeur, ces signes doivent être observés depuis au moins deux semaines : – humeur dépressive : tristesse, pleurs ; 1. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé.
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– diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour les activités habituellement agréables ; – asthénie, fatigue, réduction de l’énergie ou augmentation de la fatigabilité. Les autres signes recherchés sont plus ou moins présents. Ils ne sont pas suffisants par eux-mêmes pour poser le diagnostic : – – – – – –
idées de culpabilité injustifiées ; pensées de mort ; perte ou réduction de confiance en soi ; difficulté de concentration, de décision ; ralentissement psychomoteur ou agitation ; troubles du sommeil ou de l’alimentation.
Selon le nombre et l’intensité des signes, la dépression sera qualifiée de légère, modérée ou sévère. Ces critères sont pour moi essentiels pour tout diagnostic de dépression. À chaque fois que je parle de ce diagnostic, c’est d’abord en référence à ces symptômes. J’ai cherché également d’autres critères pour affiner le diagnostic : caractère aigu ou chronique, stabilité ou non des symptômes, angoisse ou non, épuisement. Puis j’ai évalué la gravité, en particulier le soutien ou non de l’entourage, c’est-à-dire, le recours éventuel à des ressources externes au patient. Voyons maintenant les différents concepts qui m’ont permis de dégager un autre regard sur la dépression, un autre angle d’observation. C’est un parcours évidemment complètement subjectif et personnel.
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Nouveaux concepts
Erickson : les ressources1 J’ai suivi ma première formation en hypnose en 1986 à Paris avec les Dr. Godin et Malarewicz. J’étais alors interne au Centre hospitalier spécialisé en Psychiatrie à Rennes et cette rencontre avec l’hypnose et les idées d’Erickson a été un vrai choc culturel. À une vision foncièrement pessimiste de la maladie mentale dont la seule « issue » reposait sur les psychotropes est venue s’opposer, de manière radicale, une vision positive et confiante dans les ressources humaines reposant, elle, sur une pratique individualisée et créative de l’hypnose. Pour Erickson, chacun de nous dispose d’une « immense bibliothèque de solutions » à laquelle 1. Erickson, 1999, 2006 ; Haley, 1984 ; Virot, 1988.
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nous pouvons accéder et que nous pouvons activer lors de la transe thérapeutique. Ces ressources sont en grande partie « inconscientes », l’inconscient étant ici simplement entendu comme « tout ce qui n’est pas immédiatement accessible à notre esprit conscient ». Pour chaque problème, nous pouvons trouver des solutions, les construire. Nous pouvons changer notre orientation à la réalité, nos habitudes, dépasser les blocages qui inhibent notre développement. Si cette théorie de la vie, de la maladie et de la guérison me convenait bien, c’est en pratiquant l’hypnose avec mes patients que j’ai pu en vérifier la justesse. Chez Erickson, cette pratique hypnotique se combine avec d’autres genres d’interventions, en particulier avec les proches des patients. Il s’agit d’activer les ressources externes qu’aujourd’hui nous appelons les « ressources du système ». Autrement dit, il pratique empiriquement des thérapies systémiques qui seront formalisées et théorisées plus tard par un groupe de chercheurs autour de Gregory Bateson à Palo Alto (Californie). Les écrits de Bateson sont fondamentaux, et c’est Paul Watzlawick qui diffuse leurs découvertes dans plusieurs ouvrages très accessibles.
Le changement selon Watzlawick1 Avec Watzlawick, nous découvrons un concept particulièrement intéressant : le changement peut être de type 1 ou de type 2. •
•
Il est de type 1 lorsqu’il y a un aménagement du problème à l’intérieur du même cadre. Par exemple, la réduction en intensité ou en fréquence des crises de migraine, la stabilisation d’une dépression avec une réduction des symptômes. Les thérapies de soutien, les psychotropes, ont le plus souvent comme objectif ce changement de type 1. Ce sont des traitements qui doivent être poursuivis sur de longues périodes, voire à vie. Il est de type 2 lorsqu’il modifie les conditions qui génèrent le problème, faisant apparaître un autre mode de fonctionnement chez l’individu, une solution. Le terme solution signifie « rupture de continuité ». Chez une patiente, les migraines présentes chaque week-end ont définitivement cessé lorsqu’elle a décidé de rompre avec son amant. C’est une dépression traînante depuis 4 ans chez un jeune homme de 22 ans qui s’arrête après une rencontre avec son père. C’est une autre dépression qui disparaît chez une femme de 60 ans après avoir fait une visite, pour la première fois, sur la tombe de son père,
1. Watzlawick et al.,1972 ; Watzlawick 1980, 1998 ; Yatchinovsky, 1999.
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mort alors qu’elle avait 18 ans. Dans chacun de ces cas, le patient a modifié concrètement quelque chose dans son fonctionnement interne, émotionnel, et externe, relationnel. C’était aussi une pratique habituelle d’Erickson de prescrire des comportements nouveaux au patient pour l’aider à réaménager son monde relationnel. Les pratiques dites de « thérapie brève » s’appuient souvent sur cette méthode.
Le cycle de vie selon Jay Haley Jay Haley (1973) n’a certainement pas inventé cette description de la vie, description connue et partagée depuis que la vie existe. Mais dans le livre Un thérapeute hors du commun, où il décrit les pratiques d’Erickson, il fait le choix de construire les chapitres par tranche d’âge des patients ou plutôt, selon la phase du cycle de vie. La vie de chacun est naturellement organisée en phases inévitables depuis la naissance jusqu’à la mort, des phases dans lesquelles notre fonctionnement, notre rôle, nos objectifs sont spécifiques. Ce sont les apprentissages corporels (propreté, marche...), les apprentissages scolaires, les apprentissages amoureux, professionnels, parentaux...
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Phases de stabilité et phases de changement Plus que la description de ces phases, Jay Haley met en évidence ce qui est le plus difficile : les changements de phase. Passer d’une phase à une autre suppose des adaptations, des connaissances, des risques, de l’incertitude. C’est lors de ces changements de phase que nous sommes les plus fragiles, les plus sujets à présenter des symptômes. C’est lors de ces changements de phase qu’apparaissent angoisse, dépression, troubles psychosomatiques... Bien sûr, des symptômes n’apparaissent pas à chaque fois, mais seulement lorsque nos ressources ne sont pas « adaptées », lorsque nous ne sommes pas équipés pour mettre en place un fonctionnement équilibré dans la phase suivante. Les premiers contacts amoureux, entrer dans la vie professionnelle, faire un enfant, se séparer des enfants ou des parents... Cette lecture est une des bases fondamentales dans le travail que je mène avec mes patients dépressifs : les aider à franchir cette étape, à avancer dans leur cycle de vie. Sous cet angle, je peux voir des patients qui viennent de s’engager dans cette phase de changements (trouble aigu) et d’autres qui s’y sont arrêtés depuis des années (trouble chronique). Sur ce parcours relativement balisé et prévisible, vont survenir des événements imprévisibles et plus ou moins intenses : des accidents. Maladie, traumatisme physique, accident de la route, agression, décès « anormal » – mort d’un enfant, suicide d’un proche. Ces accidents
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perturbent le cycle de vie, parfois l’interrompent et peuvent ainsi être le point de départ d’un trouble dépressif. Cet aspect est bien connu et facilement repéré, en revanche, deux autres modes de perturbation plus surprenants peuvent survenir. Les accidents heureux Grossesse imprévue ou trop précoce dans la vie d’un couple, mariage, succès scolaire ou professionnel, etc. Ce seront des « accidents heureux » si les conditions pour absorber et s’adapter à ces changements sont mauvaises. Une jeune mariée malheureuse Ce matin, je rencontre une femme de 38 ans qui présente un syndrome dépressif sévère avec crises de panique depuis six mois. Pourtant, dit-elle, « tout va bien en ce moment, je me suis mariée en août, je suis très heureuse avec mon mari ». Oui, mais c’est son deuxième mariage. Elle s’est mariée il y quinze ans avec un homme dont elle était amoureuse. Un soir, après trois ans de vie commune, son nouveau compagnon avait parlé de mariage et elle avait rapidement donné son accord. Immédiatement, il avait téléphoné à ses parents pour leur faire part de la bonne nouvelle puis demandé à sa compagne de téléphoner aux siens, ce qu’elle avait fait. En moins d’un quart d’heure, son destin était scellé, elle s’était définitivement engagée ! Quelques jours plus tard commençaient des manifestations d’angoisse, puis un syndrome dépressif nécessitant arrêt de travail, antidépresseurs, une courte hospitalisation. Les troubles ont disparu avec l’arrivée d’un premier enfant, deux ans plus tard. Si elle avait fait le lien à l’époque, elle n’en avait jamais parlé et a mis « officiellement » ces troubles sur le compte de son travail. Cette explication convenait bien à tout le monde, corps médical compris. Ce nouveau mariage réactive cette catastrophe survenue il y a quinze ans.
Les incidents graves Les incidents, perturbations mineures sont habituellement absorbés après quelques adaptations superficielles. Une panne de voiture, une maladie bénigne, un conflit dans le couple, la famille, au travail... Pourtant, dès ce moment peut s’installer un trouble dépressif, plus ou moins intense. Et bien sûr, disproportionné avec l’événement. Et le barrage cède ... Il y a quatre mois, une femme se réveille en pleurs, des pleurs incessants pendant des jours et des jours. La fontaine de ses larmes semble intarissable.
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Puis un syndrome dépressif intense s’installe avec tous les symptômes classiques. Il ne s’est rien passé dans sa vie et une hypothèse endogène est évoquée. Mais, à bien y regarder, ces larmes sont apparues le lendemain de sa première nuit avec un appareil pour limiter les apnées du sommeil.
Le cycle de vie et ses changements de phase nous donnent une première explication : si cet incident survient dans une phase de fragilité, il est susceptible de déclencher une déstabilisation majeure.
Le modèle systémique1 Brièvement, un système est un ensemble d’éléments en interaction, orienté vers une finalité commune. Une famille, une entreprise, la fonction rénale, la conscience, un individu... Ce sont les systèmes ouverts dont nous parlons, ceux qui font des échanges avec leur environnement, avec le méta-système qui les englobe. Échanges de matière, d’objets, et échanges d’informations. Le système dopaminergique avec le système cérébral, le système cérébral avec l’individu, l’individu avec sa famille, la famille avec le village... Tout système a deux fonctions majeures pour assurer son existence.
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– D’une part, l’homéostasie qui vise au maintien de l’équilibre, à la pérennité du système tel qu’il est : tenir debout, réguler le taux de créatinine, conserver les rôles et les places de chacun dans la famille, protéger les acquis sociaux... ; – D’autre part, la croissance qui augmente, pour un système, les chances de se pérenniser dans le temps : devenir plus fort physiquement et mentalement, acquérir de nouveaux savoirs, augmenter le nombre de clients ou d’adhérents, faire des enfants... Si la croissance assure la vie du système sur le long terme, l’homéostasie l’assure sur le court terme. Et lorsque les deux possibilités sont en compétition, l’homéostasie prend le dessus. Un jeune couple parle de faire un enfant ? Oui, mais si les emplois sont encore fragiles, si la relation est encore instable, alors le projet est repoussé à plus tard, dès que la stabilité sera assurée. Nous retrouvons ici encore ces deux types de changements fondamentaux : l’adaptation de sécurité ou changement de type 1 ; l’adaptation par la nouveauté et le développement ou changement de type 2. 1. De Rosnay, 1975, 1995 ; Virot, in press ; Von Bertalanffy, 1982 ; Watzlawick et al., 1972 ; Zarifian, 1996.
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La vie est complexe et dynamique pour tout le monde1 Plus récemment, cette approche de base des systèmes s’est enrichie de deux dimensions : la complexité et la dynamique. La complexité Bien que ce terme soit aujourd’hui utilisé de manière très courante, il reste flou et souvent mal employé. Il est vrai qu’il n’est pas très simple à définir même pour les spécialistes de la question : il s’agit d’un mot « complexe ». Est complexe un système composé d’éléments dont le tout est supérieur à la somme des parties. Les éléments n’ont pas besoin d’être nombreux : un couple par exemple. L’analyse de chaque partie ne suffit pas à rendre compte du fonctionnement du système. Est complexe un système « sensible aux conditions initiales ». Un petit changement concernant un aspect du problème peut entraîner des modifications très importantes. Tout dépend de l’équilibre interne du système lorsque ce changement survient. Face à un individu en phase anxieuse, chacun sait qu’il faut être très prudent : un mot de travers peut avoir des conséquences majeures ; une attitude sécurisante pourra apaiser rapidement. Autrement dit, un système complexe peut réagir de manière nonlinéaire et imprévisible : une intervention courte peut amener à des changements majeurs et durables. Ceci sera particulièrement vrai pour les troubles dépressifs aigus, beaucoup moins pour les troubles chroniques. La dynamique Est dynamique, un système qui se modifie en permanence au cours du temps. Comme nous le rappelle cette belle phrase attribuée à Bouddha : « Il n’existe rien de constant si ce n’est le changement ». Ceci est vrai dans les systèmes vivants qui sont par nature complexes et dynamiques. Et pourtant combien de patients chroniques nous disent et nous montrent que « rien ne change » ? Et, en cours de traitement, comment décider de la stratégie à adopter, si ce n’est « ici et maintenant », pour tenir compte de la dynamique du système? Est-il en phase d’homéostasie ou en phase de développement ?
1. Le Moigne, 1999 ; Morin, 2005.
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Le chaos est ordinaire1 Tout système complexe peut présenter des phases chaotiques. Ce sont des phases où le système adopte un fonctionnement particulièrement sensible aux conditions initiales, imprévisible, non-linéaire. Tout le fonctionnement antérieur du système est modifié, incontrôlable. Pour chacun de nous, ce sont des moments où notre esprit ne sait plus à quoi se raccrocher, quelle décision prendre, comment anticiper la phase suivante. Des moments très angoissants avec des sensations, des idées, des comportements très changeants d’un instant à l’autre. Cette notion de chaos fait écho à celle de changement de phase du cycle de vie, naturel ou accidentel. Moments où nous sommes fragiles et particulièrement « dépendants des conditions initiales ». Moments où le système se réaménage pour s’adapter aux nouvelles conditions de fonctionnement. La finalité du chaos est de produire un changement de type 2, un changement tel que le système retrouve un équilibre stable et durable. Autrement dit, la phase chaotique est une modalité naturelle des systèmes complexes qui permet la survie et l’adaptation grâce au développement d’un fonctionnement différent. Contrairement à une acceptation courante, la définition du chaos est indépendante de l’intensité. Certaines phases chaotiques sont impressionnantes, d’autres modérées, certaines sont presque inapparentes. La durée est aussi très variable : une phase chaotique peut durer quelques minutes, heures, jours...
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La catastrophe : René Thom2 Ici encore, un terme dont l’usage populaire est abusif. Nous devons à René Thom (1999), mathématicien français, une théorie des catastrophes dont nous nous inspirons ici. Une catastrophe signe un dépassement des ressources du système. Une voiture glisse sur le verglas, au-delà de ses ressources d’adhérence. Un étudiant est refusé dans la salle de concours, au-delà de ses ressources de temps. Une femme apprend l’infidélité de son mari, au-delà de ses ressources morales. Nous sommes confrontés quotidiennement à des catastrophes, petites et grandes, qui nous font vivre des moments d’incertitude, des moments où nous n’avons pas immédiatement la capacité à prévoir l’avenir... des phases de chaos. 1. Briggs et Peat, 1991 ; Gleick, 1991 ; Prigogine, 1994. 2. Thom, 1999 ; Von Bertalanffy, 1982.
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La catastrophe survient dès que nos limites sont franchies et, à partir de ce moment, nous sommes mis en demeure de trouver une solution, de nous adapter face à ces conditions nouvelles : modifier la conduite de la voiture, modifier le projet scolaire, modifier les règles du couple. Une modification plus ou moins rapide, plus ou moins angoissante jusqu’à ce que le nouvel équilibre soit en place. Catastrophe ne veut pas dire conséquences dramatiques. La voiture s’immobilise sur le bas côté, l’étudiant augmente ses chances de succès pour la future session, le couple se réaménage après des années de froideur... Mais les conséquences peuvent également être dramatiques dans chacune de ces situations. Dès que survient la catastrophe, survient l’incertitude de ce que sera l’instant suivant.
Le chaos et le changement selon Erickson1 En découvrant Erickson, nous sommes souvent étonnés par ses « drôles » d’interventions thérapeutiques. Il semble ajouter des perturbations aux perturbations, joue avec des confusions, des provocations, des surprises, parfois des chocs... Et patients et observateurs décrivent des changements rapides et inattendus, des troubles anciens qui guérissent. Nous dirions aujourd’hui qu’Erickson créait des conditions thérapeutiques telles que ces patients se retrouvaient au-delà de leur vision habituelle du monde, une catastrophe dans un cadre contrôlé activant un processus chaotique de changement de fonctionnement du patient.
D IAGNOSTIC Diagnostic positif Nous avons déjà décrit les critères classiques permettant de diagnostiquer une pathologie dépressive. Si, pour tout ce qui suit, ces critères restent valables, avec le temps et les concepts décrits plus haut, il est devenu possible de distinguer clairement deux situations très différentes conduisant le thérapeute à des stratégies thérapeutiques tout aussi différentes.
1. Von Bertalanffy, 1982.
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Tableau synthétique Dépression aiguë
Dépression chronique
Récente
Ancienne (classiquement > 6 mois)
Instable
Stable
Variabilité des symptômes
Fixité des symptômes
Imprévisibilité dans le temps futur
Prévisibilité dans le temps futur
Angoisse
Épuisement
Réactivité non-linéaire
Réactivité linéaire
Pensée agitée
Pensée figée
Disponibilité immédiate du patient
Disponibilité sous conditions
Chèque en blanc
Prudence
Système familial déstabilisé
Système familial adapté
Pression forte ressentie par le thérapeute
Le thérapeute se donne du temps
Déséquilibre dynamique
Équilibre stable
La dépression aiguë ou dépression chaotique
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Jacques qui, soudain, craque Il y a un mois, M. Jacques, 52 ans, souhaite une bonne journée à son épouse et se rend à son travail comme d’habitude. Il est dans cette entreprise depuis 20 ans, contremaître respecté et écouté. C’est lui qui ouvre l’entreprise chaque matin. Malheureusement, la clé casse dans la serrure... M. Jacques s’effondre en larmes, en proie à une angoisse majeure. Paniqué, il se rend chez son médecin traitant qui le soigne – rarement d’ailleurs – depuis qu’il est jeune. Il ne l’a jamais vu dans cet état, il le connaît comme un homme stable, solide, pondéré. Tous ses repères habituels s’envolent. Il pense immédiatement à une hospitalisation en urgence que le patient – pourtant en pleurs – voit comme la pire des choses. Ils conviennent alors d’un traitement mixte standard associant antidépresseurs et anxiolytiques ainsi qu’un arrêt de travail. Il revoit M. Jacques dès le lendemain, puis plusieurs fois en 10 jours. La situation est moins catastrophique, mais un discours très dépressif s’installe : sentiment d’inutilité, d’échec... il ne fait rien chez lui, rumine de sombres pensées. M. Jacques est très demandeur des rendez-vous avec son médecin, il veut l’aider, mais il a beaucoup de mal à fixer son attention. Parfois, il semble aller mieux et l’instant d’après retombe « au plus bas ». Son épouse l’accompagne, très inquiète. Elle n’a jamais vu son mari dans cet
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état. Maintenant, si rien d’autre n’est possible, ils sont d’accord pour une hospitalisation en milieu psychiatrique. C’est à ce moment que le médecin généraliste lui propose de me rencontrer pour avoir mon avis. M. Jacques accepte immédiatement... et aimerait bien que le rendez-vous soit fixé aujourd’hui. Sa fille prend sa journée pour venir avec eux.
La dépression chronique Victor, un peu mort Sur conseil de son médecin traitant, M. Victor, 36 ans me téléphone. Il va très mal, n’a plus de goût à rien depuis 5 ans. Je suis, dit-il, sa dernière chance. Lorsque je lui propose un rendez-vous en cours de semaine, il me dit que ce ne sera pas facile de se déplacer, il ne conduit plus. Ce serait mieux dans 3 semaines, quand les travaux de la maison seront finis. Au téléphone, il souhaite savoir ce que je vais faire, combien de séances, comment il sera remboursé, s’il peut prendre une ambulance... Depuis cinq ans, il fait « de la dépression » et est en arrêt de travail. Au début, cela a été très dur, il a pensé au suicide. Sa vie est devenue un enfer, il ne s’intéresse à rien, regarde la télévision à longueur de journée. Rien ne l’aide de manière durable, ni les consultations tous les mois chez le psychiatre qui lui prescrit les médicaments – ils en ont essayé plusieurs. Ni sa femme, ni la famille, ni les collègues de travail qui viennent encore le voir, ne parviennent à le sortir de son état. La vie s’est adaptée à la maison : son épouse a repris à travailler, les enfants font attention au bruit, les invitations sont devenues exceptionnelles, elles le fatiguent trop.
Discussion Chacun ici reconnaîtra, plus ou moins, quelques-uns de ses patients. Pour l’un comme pour l’autre, le diagnostic de dépression est évident. Est-il pertinent que le thérapeute adopte le même genre de réponse pour M. Jacques et pour M. Victor ? Nous avons choisi ces deux histoires car elles illustrent clairement le fossé qui sépare les deux phénomènes dépressifs. Pour M. Jacques, nous observons une situation de déséquilibre dynamique. Le déséquilibre crée une demande forte de retrouver un équilibre, l’aspect dynamique met en évidence le côté mobile, changeant et actif du phénomène sous-jacent. Si la situation est très angoissante pour M. Jacques, sa famille et le thérapeute, la connaissance de la dynamique interne du chaos va permettre de recadrer ce phénomène comme un passage, douloureux, mais utile dans l’histoire du patient.
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Pour M. Victor, nous parlons d’équilibre stable. En effet, plus ou moins rapidement, un équilibre très douloureux s’est installé avec des habitudes, des rituels, des règles de fonctionnement. Ceci est vrai, tant pour lui que pour son entourage qui a mis en place un fonctionnement évitant les tensions, les angoisses, les éventuelles rechutes. Le côté stable lui donne de la solidité, de la résistance, peut-être de la protection. M. Victor nécessite beaucoup d’énergie pour se maintenir dans le cycle de vie et ses changements de phase. La dépression de M. Victor n’a pas toujours été chronique. Elle a évidemment connu une phase aiguë à l’origine. Cette phase aiguë, chaotique, n’a pas permis de générer les changements nécessaires (type 2) pour aller vers une guérison. Un équilibre pathologique s’est installé, soutenu par divers changements de type 1 : arrêt de travail, médicaments, isolement, repli familial.
Illustration
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Depuis des années, une des tâches thérapeutiques que je prescris aux patients est de colorier des mandalas. En préparant ce travail depuis quelques mois, je me suis aperçu que les résultats étaient très variables et très dépendants du caractère chaotique ou chronique de la dépression (cf. figure 16.1).
Figure 16.1. Dessin des mandalas
Nous avons, à gauche, deux mandalas réalisés par des patients en dépression chaotique : il y a beaucoup de couleurs (nuances de gris),
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beaucoup d’application dans le dessin, beaucoup de temps passé dans l’exécution. À droite, les mêmes réalisés par des patients en dépression chronique. Une, deux ou trois couleurs, un respect très approximatif des contours, quelques minutes d’efforts. Je n’utilise pas ces mandalas pour établir un diagnostic, mais ils révèlent ces différences considérables. Ils me permettent aussi de constater l’appauvrissement physique et imaginaire de ces patients chroniques. Diagnostic différentiel
La mélancolie C’est une forme de dépression relativement rare mais particulièrement dangereuse par les risques suicidaires. Elle présente certaines ressemblances avec les troubles dépressifs aigus décrits ici : dépression récente, absence fréquente de facteurs déclenchants repérables, grande intensité. Mais les troubles ont tendance à être immédiatement stables, peu variables d’un instant à l’autre, et surtout, la demande de soins est faible ou absente. C’est une dépression aiguë non chaotique. Il est essentiel pour tout thérapeute de savoir la détecter car le protocole thérapeutique est très spécifique ; il s’appuie sur des antidépresseurs majeurs et une surveillance rapprochée qui a souvent lieu en milieu hospitalier.
Les troubles bipolaires Ici nous rencontrons un patient présentant un trouble dépressif aigu d’allure chaotique. Le diagnostic repose sur la répétition des épisodes, plus ou moins réguliers, plus ou moins en alternance avec des épisodes de type maniaque. La phase la plus délicate est celle où le patient passe d’une phase maniaque à une phase dépressive qui peut alors être proche ou équivalente d’une mélancolie. La prudence évoquée ci-dessus s’impose de la même manière. Même si la phase dépressive est plus modérée, il semble aujourd’hui que la meilleure stratégie thérapeutique repose sur les sels de lithium. Nous pouvons seulement imaginer que, comme pour les troubles dépressifs chroniques décrits ici, une stratégie thérapeutique appropriée dès le premier épisode pourrait réduire le risque de récidive et l’évolution vers la chronicité.
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PSYCHOTROPES
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus parler de la dépression et plus encore, de la thérapie de la dépression, sans intégrer cette donnée majeure dans la réflexion. Nous abordons ce point ici car si les antidépresseurs ont une influence sur l’évolution, ils ont aussi une influence sur le diagnostic. Les patients souffrant depuis un certain temps de troubles dépressifs ont le plus souvent déjà consulté et rencontrent le nouveau thérapeute alors qu’ils sont déjà traités par antidépresseurs. C’est le cas pour 95 % des patients. Il est alors bien difficile de poser un diagnostic fiable et plus encore de faire la part des choses entre trouble aigu et trouble chronique. En effet, lorsqu’ils réduisent ou arrêtent leur traitement, beaucoup de ces patients décrivent le retour des symptômes initiaux : les symptômes de la dépression chaotique. Un peu comme si, au niveau du processus dépressif, ces patients présentent une « dépression chaotique chronique ». L’hypothèse est que le phénomène chaotique initial n’est jamais arrivé à son terme de solution et de changement : les psychotropes maintiennent le patient dans « un entre-deux » c’est-à-dire, entre le chaos et la guérison, dans une position homéostasique douloureuse. Un arrêt des traitements permet alors de confirmer le diagnostic et d’adopter la stratégie adéquate. Les psychotropes dont je parle ici sont essentiellement les antidépresseurs. Nous verrons que les anxiolytiques peuvent êtres utilisés pour soulager la dimension anxieuse, qui peut être majeure en début de chaos. Lorsque les sels de lithium ou des neuroleptiques sont prescrits, il s’agit souvent des formes particulières déjà évoquées – mélancolie ou troubles bipolaires – que je n’inclue pas dans le protocole décrit. Doit-on ou non prescrire des antidépresseurs ? Les industriels de la pharmacie et tous ceux qui sont directement ou indirectement rémunérés par eux disent oui, bien sûr ; éventuellement, avec une dose de psychothérapie pour accompagner. Ils disent oui, pour ne pas prendre le risque du suicide. Cette menace est puissante et paralyse la plupart des soignants. Pourtant à y regarder de près, les antidépresseurs, prescrits très largement aujourd’hui, n’ont pas fait baisser les statistiques du suicide. Plus troublant encore, ce que nous avons déjà évoqué concernant les enfants et les adolescents : les antidépresseurs augmentent le risque suicidaire. Aussi, nous ne savons rien des patients qui passent à l’acte quelques heures ou quelques jours après instauration d’un traitement, puisqu’en France, toutes les études sont faites par ou pour l’industrie, qui ne publie que celles qui lui sont favorables. Pour le moins, l’attitude
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devrait aller vers la prudence envers cette « panacée »... Encore faut-il savoir faire autre chose. Dans mes débuts professionnels, j’ai naturellement adopté la position standard : antidépresseurs et psychothérapie, qui dans mon cas, repose sur l’hypnose. Deux constats se sont imposés : – Le premier est que les patients sans antidépresseurs s’attribuent l’évolution plutôt que de l’attribuer au traitement chimique. Ainsi, ils redécouvrent leurs ressources et peuvent de nouveau se faire confiance. – Le deuxième est que, à pathologie comparable, les patients qui prennent des antidépresseurs réagissent beaucoup moins bien et moins rapidement à l’hypnose. Ceci m’a amené à réduire progressivement mes choix de prescriptions. Le problème majeur s’est posé avec les situations aiguës, les crises, les phases d’agitation, les patients très angoissés, ceux qui ont besoin d’un soulagement très rapide, ceux qui pensent au suicide. Je me suis peu à peu rendu compte qu’avec l’hypnose, je disposais d’un outil thérapeutique particulièrement intéressant : rapide, efficace immédiatement sur la dimension anxieuse, permettant en quelques instants au patient de retrouver en lui des îlots de calme, de sécurité, des ressources auxquelles il n’accédait plus. En combinant cette observation empirique avec les concepts décrits ici, il est devenu possible de proposer aux patients présentant une phase chaotique, une stratégie qui s’est avérée bien plus efficace que les antidépresseurs. Ceci demande à la fois une grande expérience de l’hypnose et une grande habitude des patients présentant une dépression. Les deux s’acquièrent progressivement en s’adressant d’abord aux situations d’intensité faible à modérée. Cela dit, je considère les antidépresseurs comme un outil thérapeutique majeur, indispensable dans certaines formes de dépression. Ils peuvent sécuriser le patient et le thérapeute, qui met alors en œuvre une psychothérapie hypnotique même si elle est plus longue et plus complexe. Les antidépresseurs sont nécessaires lorsque les limites du thérapeute sont dépassées. Mais rappelons-nous que 80 % des troubles dépressifs pourraient être traités d’une manière plus naturelle et plus rapide si les praticiens acquéraient quelques compétences simples dont l’hypnose est l’archétype.
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S TRATÉGIES
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THÉRAPEUTIQUES
Deux protocoles très différents vont être décrits ici concernant les dépressions chaotiques, instables et dynamiques d’une part ; les dépressions chroniques, stables d’autre part. La présentation choisie par phase est volontairement réductrice et aplatit quelque peu la souplesse et l’adaptation permanente nécessaire. Elle a l’intérêt de poser quelques repères dans un processus de grande complexité. Les troubles dépressifs chaotiques
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La demande de rendez-vous Comme pour toute thérapie, les premiers contacts sont essentiels : ils posent les éléments du cadre, l’orientation générale, le type de relation avec le thérapeute. Recevoir les demandes téléphoniques est donc primordial. C’est le moment de la première évaluation diagnostique qui conditionne le délai pour proposer un premier rendez-vous. Dans une situation chaotique, face à la perte des repères et l’angoisse intense, il est nécessaire de rencontrer le patient rapidement, dans les 24 à 48 heures, parfois quelques jours, selon l’intensité. Dans certaines situations « brûlantes », je reçois le patient le jour même. Ainsi, je réponds immédiatement au besoin de sécurité du patient, mais permets aussi de le rencontrer dans le moment le plus fécond de la perturbation, là où, paradoxalement c’est le plus facile de l’aider. « Comment fais-tu pour avoir de telles disponibilités ? », me demandent certains confrères. « Mon premier rendez-vous disponible est dans 2, 3 ou 6 mois ». Un patient en trouble chaotique ne sera reçu que dans plusieurs semaines, autrement dit, la fin des temps... La seule possibilité pour le patient est alors un traitement par psychotropes qui pourra stabiliser la situation et potentiellement, ouvrir déjà la voie à la chronicité. C’est ainsi que de nombreux thérapeutes voient très peu de troubles chaotiques, d’autant que lorsqu’une stratégie médicamenteuse est mise en route, il est habituel de la poursuivre. La première réponse est dans la pratique de l’hypnose et des thérapies brèves qui apportent des changements relativement rapides et donc de la disponibilité pour le thérapeute. La deuxième est un choix : plus le premier rendez-vous est distant, plus la thérapie sera longue et difficile, je l’ai expérimenté. Et je préfère les thérapies plus confortables et plus courtes. Les patients aussi. Aussi, un premier rendez-vous, même pour un trouble ancien sera fixé dans un délai inférieur à 3 semaines.
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Évidemment, je suis comme chacun, contraint de limiter le nombre de patients dont je peux m’occuper. La première évaluation téléphonique me permet d’accueillir en priorité les patients présentant des troubles sévères, aigus ou chroniques. Après cette réflexion sur le délai, je peux m’intéresser aux psychotropes. Dans ce cadre aigu et récent, soit les patients n’ont pas de traitement antidépresseur, soit il est récent. La plupart connaissent déjà mon orientation professionnelle et acceptent volontiers d’arrêter l’antidépresseur et d’attendre un ou deux jours, une évaluation plus complète. Et notre premier rendez-vous.
La première séance Il s’agit d’abord d’établir le diagnostic selon les deux modèles déjà présentés : la dépression chronique et la dépression chaotique. Nous allons ensuite établir une sorte de carte virtuelle du système de vie du patient : les gens autour de lui, son mode de vie, son travail, et se repérer dans son cycle de vie. Dans le même temps, il s’agit de déterminer quels ont été les facteurs déclenchants : un événement majeur ou mineur, douloureux ou heureux. Si un événement majeur et douloureux peut déclencher une dépression chez n’importe qui, si la dépression survient après un événement heureux, ou mineur, le thérapeute pourra faire l’hypothèse d’un système qui se tenait déjà au bord du déséquilibre. Il doit tenir compte autant des symptômes « ici et maintenant » que de cette situation pré-critique. Après cette évaluation, vient le temps plus directement thérapeutique. L’axe fondamental est de sécuriser, calmer, protéger, créer des repères. Dans ce contexte, le thérapeute va expliquer les phases de cette dépression chaotique. En utilisant l’hypnose conversationnelle, en particulier. Transmettre du calme par la voix, le timbre, le rythme verbal et respiratoire. Il est essentiel que le patient, très sensible et réactif, rencontre cette attitude sécurisante chez le thérapeute. Diverses métaphores décrivent la phase difficile que le patient est en train de traverser : E XEMPLE DE MÉTAPHORES « Un chemin sinueux avec des obstacles plus ou moins longs, plus ou moins pénibles dont on ne connaît pas encore l’issue » ; « Une montagne à escalader avec plus ou moins de prises, des moments parfois difficiles, un sommet à atteindre... que cache cette montagne ? Nous ne le savons pas encore... »
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Après avoir convenu du prochain rendez-vous qui sera d’autant plus proche que les processus internes du patient sont accélérés, nous pouvons commencer à modifier son orientation à la réalité. Nous lui prescrivons d’observer attentivement les troubles, les heures, les intensités, les changements de phase, ... les moments... plus calmes. À tous ces patients, je demande de colorier des mandalas que je leur donne. Ils doivent en colorier deux, en prenant tout le temps nécessaire pour achever complètement ce travail, dans deux moments particulièrement difficiles. Je leur demande d’observer (encore) attentivement ce qui se passe en eux pendant cet exercice thérapeutique. Pour la plupart, ils vont ressentir quelque chose de calme et d’agréable, quelque chose de nouveau. Ils ne savent pas encore qu’ils sont en train d’apprendre la transe. Pour finir, nous convenons, s’ils le demandent, qu’ils peuvent utiliser des anxiolytiques pour passer certaines phases trop douloureuses.
Deuxième séance Si l’évaluation est favorable, le mieux est de ne rien faire et de laisser le processus de guérison suivre son cours. Si les troubles sont comparables ou s’aggravent, nous utilisons l’hypnose formelle dans ses formes les plus sédatives et sécurisantes. Les techniques sont variées :
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– – – –
focaliser sur le temps présent, sur le rythme du temps ; créer des repères avec le lieu, celui-ci puis d’autres ; catalepsie-équilibre-stabilité du bras ; retrouver des liens avec le corps, la respiration, le mouvement de la vie intérieure ; établir un lieu sûr parfois délicat mais tellement efficace ; – focaliser sur des éléments agréables : couleurs, sons, odeurs... Et en quelques minutes, le patient passe de la panique au bien-être le temps de la transe. Ce sera peut-être transitoire, mais c’est possible. Et ce moment a été prévu, contrôlé, choisi... tout l’inverse du chaos.
Troisième séance C’est ici que nous observons le plus souvent l’amélioration : réduction de l’angoisse, réduction de l’intensité et de la fréquence des phases de tristesse, quelques intérêts pour la vie quotidienne. Le patient commence à aller au-delà du chaos, il retrouve des éléments stables et rassurants. Il commence aussi à mettre en place les premiers changements dans ses relations, son organisation ou ses projets.
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Il est essentiel d’évaluer avec lui ce qui change, quelles solutions il est en train de mettre en place consciemment et inconsciemment. « J’ai eu envie d’aller courir, ce que je n’avais jamais fait dans ma vie ». « J’ai pris rendez-vous avec mon chef de service... » « Je commence à accepter l’idée que mon fils prenne un appartement ». Jacques se fait entendre M. Jacques ne supportait plus la réorganisation qui avait eu lieu dans son entreprise. On lui avait demandé de collaborer avec un collègue qui ne travaillait pas, selon lui, correctement. Mais son sens de la hiérarchie et de sa mission faisait qu’il acceptait cette situation depuis deux ans. Un entretien avec sa direction a permis le déblocage de cette difficulté que tout le monde ignorait dans l’entreprise. M. Jacques a appris au travers de cette dépression à exprimer ses sentiments.
Si cela n’a pas été fait auparavant, c’est aussi le moment de rencontrer un mari, un parent, un enfant. De rassurer l’entourage, de décrire le processus en cours, d’inviter l’entourage à observer très attentivement le moindre changement. Si les troubles persistent, nous faisons une nouvelle séance d’hypnose formelle en utilisant d’autres aspects parmi ceux déjà décris. A contrario, en cas d’amélioration, nous laissons le processus évoluer naturellement.
Quatrième séance À ce stade, l’évolution doit être favorable. Dans le cas contraire, nous pourrons proposer une nouvelle séance d’hypnose, mais il faut déjà envisager un échec de cette stratégie. Ceci se produit dans 5 % des cas. Un traitement par antidépresseur peut alors être institué par un confrère plus compétent que moi. Lorsque l’évolution est favorable, elle se poursuit simplement. Le patient ressent, souvent nettement, la fin du chaos. Il est maintenant « équipé » de nouvelles ressources appropriées à cette phase de sa vie, il s’adapte autrement dans ses relations au monde qui l’entoure. Il y a un avant et un après. C’est pourquoi les rechutes ou récidives sont si exceptionnelles. Les troubles dépressifs chroniques
La demande de rendez-vous Le caractère chronique apparaît dès ce moment et le caractère prudent du patient aussi. Il a ses habitudes et n’est pas pressé d’en changer. Avant
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de fixer le rendez-vous, j’évalue l’importance des psychotropes et je demande au patient de les réduire ou de les arrêter. La disponibilité au changement est vite évaluée : P. : – Je veux une nouvelle thérapie mais sans rien modifier de l’autre. T. : – Les traitements sont-ils efficaces ? P. : – Non, sinon je ne viendrai pas chez vous. T. : – Voulez-vous que les choses évoluent rapidement ou lentement ? P. : – J’en peux plus, il faut que ça change vite ! T. : – Alors, le plus simple est de commencer à réduire les antidépresseurs une semaine avant notre rendez-vous.
Cet échange, qui peut durer 2 à 3 minutes, est très courant et permet à la plupart des patients de s’engager très activement dans la démarche de changement. Le rendez-vous est fixé entre une et trois semaines plus tard pour profiter de la mobilisation relative, mais réelle, de cette personne.
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La première séance La phase diagnostique est peu différente de celle décrite pour les troubles aigus. Le diagnostic associe les critères de la dépression et les critères de chronicité, de stabilité vus plus haut. Pour 60 % des patients, la modification des psychotropes est neutre, ce qui est une surprise. Pour 30 %, des troubles chaotiques apparaissent et c’est le protocole précédent qui s’applique. Enfin pour 10 %, les troubles dépressifs restent stables dans leur allure, mais plus marqués et nous serons progressifs dans le sevrage. Le sevrage ? La moitié des patients arrête les antidépresseurs dans les jours qui précèdent le rendez-vous. Ils comprennent bien que cette interruption se fait au profit d’un autre traitement de type psychothérapie et hypnose. Les syndromes de sevrage sont rares (sensations corporelles d’ébriété ou d’électricité...). Ils sont peu sensibles à l’hypnose, mais ne durent que quelques jours. L’apparition de troubles chaotiques n’est pas un syndrome de sevrage mais le retour au premier plan d’une symptomatologie masquée par le traitement chimique. Les autres patients arrêteront les antidépresseurs après cette première séance, ou, pour les plus sensibles après 2, 3 voire 4 séances. Cette première séance se termine avec une phase d’activation des ressources du patient qui, le plus souvent, vient en position passive : « J’attends que vous me sortiez de là, je compte beaucoup sur vous. » L’axe fondamental du soin avec les troubles dépressifs chroniques est de
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permettre la création d’un processus actif et dynamique dans le monde du patient en activant ses ressources internes et externes. Ce processus, qui peut devenir plus ou moins chaotique, favorise l’émergence de solutions adaptées au patient. La stratégie repose sur cette voie : mobiliser, dynamiser, provoquer, déstabiliser, générer de nouvelles émotions. Elle demande plus de créativité de la part du thérapeute, plus d’audace. T. : – Qu’attendez-vous de moi ? (un blanc...) P. : – Je ne sais pas, c’est mon médecin qui m’a dit que... J’attendais justement que vous me disiez ce que vous allez faire pour moi.
Cette position basse qu’occupe le patient doit être prise par le thérapeute. T. : – Je ne pourrai sûrement pas faire mieux que mes collègues. Vous m’avez bien fait comprendre à quel point votre cas est difficile...et je suis d’accord avec vous. Je ne vois pas très bien comment quelque chose peut commencer à bouger.
Si les mots sont importants, le comportement non-verbal et la manière de parler le seront tout autant. La pratique de l’hypnose est, ici encore, précieuse. Le thérapeute doit absolument orienter le patient vers la formulation d’une demande claire et réaliste. Il l’aide à recadrer un objectif accessible dans un nombre de séances limitées. Dans cette thérapie, il me paraît indispensable de donner d’emblée un cadre de durée ou de nombre de séances. Habituellement, je travaille avec le patient pour établir un objectif accessible sur cinq séances. Voire trois séances s’il est nécessaire de provoquer davantage. Cet objectif est le premier petit changement d’Erickson, le plus difficile. Depuis que je demande aux patients de modifier les psychotropes avant la première séance, cette négociation est beaucoup plus facile. Après avoir fixé le prochain rendez-vous, une prescription de symptôme (« Ne changez rien ») ou de comportement paradoxal (« Je vous demande de regarder la télévision tous les matins, la même chaîne... oui, la chaîne de l’Assemblée nationale. De 9 heures à midi. ») Le respect de cette prescription est essentiel et sera vérifié par le thérapeute.
Deuxième séance Cas de figure idéal : le patient présente déjà des signes nets d’amélioration. C’est le cas avec 30 à 40 % des patients ! Alors ne rien faire,
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laisser le processus évoluer. Peut-être l’hypnose formelle pourra l’aider un peu plus tard, si nécessaire. Et si le patient est déçu de ne pas faire une séance d’hypnose, rappelez-lui que son objectif est d’aller mieux, et non de recevoir un traitement qui aujourd’hui n’est pas indispensable. Toute guérison se fait par mobilisation des ressources internes du patient. Et lorsqu’elles sont actives, l’hypnose n’accélérera pas le processus. Le blé se récolte, aujourd’hui encore, en août. La prescription n’a pas été réalisée ? Le patient n’a pas fait sa part du travail thérapeutique ? Alors donnez-lui le temps dont il a besoin pour le faire et attendez tranquillement qu’il se mette en route. Dans ces situations particulièrement stables, vos seules forces ne suffiront pas à bouger le système. La prescription est réalisée et les troubles sont toujours bien présents. L’hypnose formelle a alors une place privilégiée. Elle permet de mobiliser des ressources physiques et mentales, d’activer la créativité, d’expérimenter le changement dans les sensations... Les techniques sont aussi variées, à adapter au patient et au moment :
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– orientation ici et maintenant ; – lévitation du bras ; – réification : transformer un symptôme en un objet qui pourra être modifié, déplacé... ; – métaphores thérapeutiques de changement, de mouvement. Nous retrouvons avec l’hypnose nos objectifs essentiels : expérimenter le mouvement, le changement en toute sécurité, pendant quelques minutes. Les suggestions post-hypnotiques aideront à emporter cette expérience dans la vie réelle du patient et de son entourage. La séance se termine par une nouvelle prescription de tâche qui implique l’entourage : T. : – Ce soir, tout le monde change de place à table. Je voudrais que votre épouse vous emmène au marché mercredi et samedi. P. : – Et si elle ne veut pas ? T. : – Vous croyez qu’elle n’aura pas envie de vous aider ?
Alors, j’écris la prescription, ou je suggère que l’épouse me téléphone. Ici, plus que dans les troubles aigus, il est indispensable de mobiliser les ressources internes et externes, d’activer le système familial. Ce dernier est perturbé depuis des années ; il s’est adapté et n’est pas forcément très motivé aujourd’hui pour modifier son fonctionnement.
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Beaucoup d’échecs, de rechute viennent de cette « résistance » inhérente au système. Tout le monde veut que ça s’arrange, encore faut-il que chacun se mobilise au même moment et dans le même sens. Il est temps, lors de cette séance, de prévoir, pour la prochaine fois ou la suivante, une rencontre avec le ou les proches les plus impliqués. Ils sont invités à jouer un rôle de co-thérapeute, à observer attentivement ce qui se passe. Cette rencontre leur permet aussi de se parler, de parler du problème tel que chacun le vit, d’exprimer des émotions retenues parfois depuis bien longtemps.
Troisième séance Si une évolution se dessine, il faut être très prudent avec l’hypnose. Si une séance a permis de mettre un processus en route, une nouvelle séance peut l’interrompre. J’en ai fait bien souvent l’amère expérience et les patients aussi, même s’ils sont depuis longtemps habitués aux échecs. Il est très nettement préférable d’attendre deux ou trois semaines avant de faire cette nouvelle expérience hypnotique et de vérifier qu’elle est nécessaire. A contrario, si les troubles sont toujours stables, il est intéressant d’activer les ressources inconscientes par une autre stratégie hypnotique.
Quatrième séance La fin du contrat approche. Heureusement, le plus grand nombre des patients évoluent favorablement. Nous pouvons parfois envisager d’accompagner le patient un peu plus loin : la peur de la rechute est un excellent terreau pour la rechute. Si la situation reste bloquée, malgré toutes ces interventions individuelles et systémiques, la pression du changement peut venir de l’échéance prochaine. Et parfois ce n’est qu’à l’ultime minute de la thérapie que le patient décrit le fameux premier petit changement. Un début de mieux qui motivera le thérapeute à mettre en place un autre contrat d’objectif et de nombre de séances. Si au terme du contrat, rien de positif n’est ressenti ou décrit par le patient, la thérapie s’arrête. Le thérapeute invite le patient à observer ce qui se passe dans les jours qui viennent et si quelque chose se met à bouger, il peut être possible de se revoir. Nous estimons que le taux d’évolutions favorables est aujourd’hui de 80 %. Ce taux a augmenté progressivement avec les années, en sélectionnant plus rigoureusement les techniques hypnotiques, en laissant faire dès que possible, en respectant les contrats et surtout peut-être en
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faisant de plus en confiance aux ressources de nos patients, dans leur capacité et leur désir de guérir, même après cinq, dix ou vingt ans de troubles. Il m’est devenu très difficile d’entendre de tel ou tel patient « il ne veut pas guérir ». Je crois au contraire que toute personne qui souffre veut guérir, mais ne sait pas comment. Les thérapeutes ne le savent pas toujours non plus. Évolution favorable ne veut pas toujours dire guérison totale, restitution complète des capacités. Un long parcours dépressif peut, comme une jambe immobilisée longtemps, laisser des séquelles que le thérapeute doit aussi accepter. Mais évolution favorable veut aussi dire des surprises magnifiques, des gens qui reprennent le fil de leur vie là où il s’était arrêté, qui récupèrent physiquement et mentalement, qui reprennent le goût de la vie. Comme M. Victor.
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Victor s’en sort Après les tergiversations initiales, M. Victor a joué le jeu. Il a réduit rapidement les antidépresseurs, respecté les prescriptions. Après la deuxième séance d’hypnose, il va mieux, il sourit spontanément, parle plus facilement. Il a repris des couleurs. Le poids qui lui écrasait la tête est plus léger, il s’est posé sur les épaules. Son épouse confirme, elle est heureuse de dire qu’ils ont fait l’amour l’autre soir, après la séance. Voilà deux ans qu’il n’était plus capable. Mais M. Victor est inquiet, il préfère venir encore un peu. Deux séances plus tard, c’est la catastrophe. Il est au plus mal, pleure sans raison, se met en colère. Sa tête est prête à exploser. Là, devant moi, il est effondré. Il ne croit plus en rien, la thérapie est un échec, il va reprendre les médicaments même s’il sait que ça ne l’aide pas beaucoup. M. Victor passe par une phase chaotique. Je lui demande s’il peut attendre une semaine, observer les symptômes. Je lui explique qu’une phase de chaos peut amener rapidement à des changements surprenants... Le tout dans un climat très hypnotique. Une partie de moi fait confiance aux ressources du chaos, l’autre partie de moi est inquiète, un peu déçue aussi. Et les résultats sont au-delà de toutes les espérances. Il est droit, il a « de l’allure » comme dirait Gaston Brosseau (Montréal), il est gai, les yeux pétillants. Virage maniaque ? Non, simplement lorsqu’il se réveille trois jours après cette séance, il se sent tout à fait bien, un peu fatigué encore peut-être. Il se surprend à dire à son épouse qu’il est prêt à faire un enfant avec elle. Ce qu’il refuse depuis qu’il est malade. Un an plus tard, je ne l’ai pas revu. Je sais seulement par son médecin traitant qu’il va bien, qu’il a repris son travail et qu’il est l’heureux papa d’un petit garçon.
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Q UELQUES
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CHIFFRES
Sur les trois dernières années, mon exercice mixte psychiatrie cliniqueformation m’a permis de recevoir en moyenne 220 nouveaux patients par an. Les chiffres ci-dessous ne sont pas de vraies statistiques au sens cartésien du terme, mais des estimations. J’évalue à 50 % les patients pour qui un diagnostic de dépression peut être posé, des plus légères aux plus sévères. Je recrute peut-être plus de patients de ce type que mes confrères, par deux biais. Des généralistes qui, me connaissant – directement ou non – s’autorisent de plus en plus souvent à m’adresser des patients en phase de dépression aiguë. Et « le bouche à oreille », surtout des patients qui vont mieux, qui incitent leurs proches ayant des troubles similaires à me rencontrer. À ce jour, environ un tiers présente des dépressions aiguës chaotiques, soit une centaine en trois ans. Les résultats sont excellents : 90 % des patients sortent du chaos en une à cinq séances. Le retour à un sentiment de sécurité demande quelques séances supplémentaires. Et surtout, le taux de rechute est extrêmement faible ; ce sont des patients que je ne revois pas. Pour trois patients, une hospitalisation a été décidée d’emblée, les troubles étant trop intenses et le milieu de vie défavorable. Dans les derniers cas, l’évolution n’a pas été suffisante et ils ont reçu un traitement plus classique par antidépresseurs et psychothérapie. Pour les patients en troubles chroniques stables, les résultats sont moins bons. Le taux d’échec est d’environ 30 %, une partie par refus du protocole d’emblée, par peur ou parce que « ce n’est pas le moment de changer ». Cette partie s’est nettement réduite depuis que j’implique le patient dès la demande de rendez-vous. Pour les autres, après arrêt des antidépresseurs, il y a une augmentation des troubles non améliorés par la thérapie. Le retour au traitement précédent ramène la stabilité. Les 70 % restant (environ 160 patients) se partagent encore en deux catégories : guérison (environ 110) et amélioration (environ 50). La plus favorable est celle où les troubles disparaissent complètement, et pour certains sans grand mérite de ma part, puisqu’il aura suffi d’arrêter les psychotropes consommés religieusement depuis des années ! Ce n’est pas toujours aussi simple, certains patients ne repérant une amélioration même minime qu’à la fin de la 5e séance, c’est-à-dire, juste avant de déclarer officiellement l’échec. Mais, lorsqu’un pied est passé dans la porte, le reste suit habituellement. Ces thérapies vont durer de deux à quinze séances. Je parle d’amélioration lorsque le patient lui-même déclare qu’il va mieux, sans psychotropes, sans pouvoir dire qu’il va tout à fait bien.
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C’est surtout vrai avec des patients dont les troubles sont très anciens, supérieurs à dix ans. Cette information recoupée avec ce que nous avons vu sur les mandalas peut faire penser à une perte de ressources personnelles. Cela dit, ces patients améliorés peuvent interrompre la thérapie et conserver ces améliorations. Avant de conclure, un dernier mot sur ces chiffres : ce sont ceux d’aujourd’hui, ceux que j’observe après une dizaine d’années d’apprentissage et de pratique allant vers une confiance toujours plus grande dans les potentialités d’évolution. En utilisant demain ces concepts et ces principes thérapeutiques, vos résultats seront peut-être moins bons. Mais ils évolueront progressivement.
C ONCLUSION Elle sera brève. Faites confiance aux ressources de vos patients, aux ressources de la vie, acceptez les phases chaotiques. Et en utilisant toutes les facettes de l’hypnose, de la transe thérapeutique, vous aurez de bonnes surprises tant avec vos patients en dépression aiguë chaotique qu’avec vos patients enfermés depuis longtemps dans une dépression chronique interminable.
Chapitre 17
LE TRAITEMENT DE L’ANXIÉTÉ Wilfried Van Craen1
études sur l’efficacité des thérapies ont démontré que les thérapies comportementales et cognitives (TCC) apparaissent comme les approches psychothérapeutiques les plus indiquées lors du traitement des troubles anxieux. Parmi ces nombreuses études, mentionnons-en trois, comme exemples de recherches sur l’évaluation comparative de l’efficacité de différentes approches psychothérapeutiques : © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
C
ERTAINES
1. D’une part, les deux rapports de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM, 2004) et d’autre part celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 1993). 2. L’étude de Power (Power et al., 1990) montre l’efficacité comparative des TCC versus l’efficacité de l’impact d’un traitement médicamenteux. 3. L’étude d’Andrews (1991, p. 18) est une méta-analyse dans laquelle l’ensemble des études sur l’efficacité des TCC sont citées, lorsqu’elles répondent aux critères suivants : 1. Mes remerciements à Isabelle Ignace, psychologue, pour son soutien et ses conseils de bonne écriture.
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– une fiabilité des études reprises de façon indépendante et systématique ; – une efficacité significative des TCC par rapport au traitement placebo. L’hypnothérapie s’est fort bien intégrée dans le cadre de référence particulièrement pragmatique et évalué des thérapies comportementales (Clarke et Jackson, 1983) et ensuite des thérapies cognitives (Van Craen, 1990, p. 53-55). Le but de cet article n’a pas pour objet d’éclaircir le cadre de référence des thérapies comportementales ni celle des thérapies cognitives (pour cela nous nous referons volontiers à Van Rillaer (1995), Cottraux (2001) et André (2004) pour un aperçu de l’application des thérapies comportementales et cognitives en cas de troubles anxieux). Cet article se limite à présenter l’intégration des interventions hypnothérapeutiques dans les approches les plus courantes des TCC lors du traitement des troubles anxieux.
U NE
APPROCHE TRIDIMENSIONNELLE
La meilleure approche, pour aborder cette question, est de procéder au moyen du modèle des triples facteurs, aussi appelé « modèle tridimensionnel ». Il s’agit de traiter cette question de la peur pathologique dans les trois niveaux dans lesquels l’angoisse se manifeste : au niveau comportemental, au niveau émotionnel/physiologique et au niveau cognitif. Au niveau comportemental Par exemple, si j’avais une phobie de l’écriture, lors de la rédaction d’un article scientifique, mon angoisse pourrait se manifester au niveau comportemental par un comportement d’évitement (je trouverais sans cesse d’autres choses plus urgentes à accomplir, je pourrais remettre à plus tard l’écriture ou le déléguer à un collègue). Ceci peut être la suite d’un conditionnement classique : peut-être qu’en tant qu’étudiant, pendant que j’écrivais ma thèse (stimulus conditionnel) j’ai pu avoir une inquiétante crise de panique (stimulus inconditionnel), probablement due au stress. Dès lors, j’associerai inconsciemment les deux éléments (écriture et crise de panique). Quelque chose qui à l’époque était neutre (écrire des textes académiques) est ainsi devenu un stimulus induisant l’angoisse. À partir de ce moment, cela se généralisera à des situations qui jadis se passaient sans problème (écrire des textes et des comptes rendus, lire des articles professionnels, donner
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mon opinion dans mon domaine professionnel, solliciter quelqu’un, etc.). Désormais toutes ces choses, autrefois neutres, sont devenues des stimuli conditionnels, qui, en s’y confrontant en réalité ou en imagination (par exemple, si j’en rêve ou si je les anticipe), provoquent une réaction d’angoisse conditionnée. En outre, il se peut qu’une nouvelle forme s’ajoute au conditionnement classique, celui d’un conditionnement opérationnel. Il s’agit d’un comportement d’angoisse qui pourrait persister s’il est activé par un renforcement positif. Si on reprend mon exemple : quelques mois plus tard, je suis invité à donner une conférence et j’aimerais bien m’y rendre (un agoraphobe veut aussi aller au théâtre, une personne qui a peur des oiseaux aimerait aussi visiter la place Saint Marc et quelqu’un qui a une émétophobie aimerait aussi participer tranquillement à un bon petit repas en bonne compagnie). Mais que m’arrive t-il ? Je deviens nerveux, angoissé et plus la date fatidique de la conférence approche, plus je suis pris de panique. Tout cela gâche tellement ma qualité de vie que même si je l’avais volontiers accepté, je décide de renoncer à cette invitation. Voilà mon premier comportement d’évitement mis en place. Cela semble négatif, mais à ce moment-là, rien n’est plus soulageant pour moi, car mon inquiétude, mon angoisse, ma panique, mes troubles du sommeil, ma mauvaise humeur, et toutes ces sensations physiques désagréables disparaissent au moment même où je décide de renoncer à mon projet. Et l’organisme apprend très vite : ne pas faire la conférence, l’éviter, va m’épargner beaucoup de désagréments. Dès lors, le comportement d’évitement se renforcera tellement qu’il se manifestera automatiquement à chaque nouvelle confrontation à une situation de anxiogène. Si plus tard je vais voir un hypnothérapeute qui utilise les TCC, travailler avec moi ce comportement d’évitement sera vraisemblablement le premier objectif du suivi thérapeutique. Au niveau physiologique Un deuxième niveau sur lequel le thérapeute pourrait intervenir serait sur ce que je ressens quand j’ai peur. Du fait que mon angoisse se soit fortement amplifiée, que je ne peux et ne veux pas éviter toutes les situations, je suis de plus en plus confronté à des attaques de panique. Ces angoisses et cette panique se font sentir dans mon corps d’une façon désagréable : des douleurs au niveau de la poitrine, des battements de cœur rapides (entretemps je suis convaincu de souffrir de problèmes cardiaques), des vertiges etc. Ces sensations sont tellement désagréables que j’ai extrêmement peur de les revivre, car je n’ai aucun moyen de les
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contrer. Mon thérapeute m’annonce que je présente une hyperventilation et qu’il va m’apprendre à contrôler ces sensations physiques déplaisantes. Au niveau des cognitions En dernier, au troisième niveau, seront prises en considération mes pensées. Le thérapeute pourra m’expliquer que ma façon de voir les choses (rédiger un article, donner une conférence, mais aussi ce que je ressens) provoque mon angoisse. Par exemple, si je ressens des douleurs dans la poitrine, je penserais aussitôt « ça c’est le début d’une crise cardiaque, j’ai vraiment de graves problèmes de cœur ». Les sensations physiques désagréables du niveau précédent, font naître en moi des interprétations alarmantes. Ces pensées automatiques attisent en moi une réaction de peur qui se traduit par une grande tension dans le corps, qui entraîne à son tour des sensations nouvelles déplaisantes (des picotements dans les doigts, une sensation d’étouffement) d’où un renforcement de la croyance que cela peut ressembler à une « crise cardiaque ». Je me sens pris dans un cercle vicieux d’attaque de panique tellement effrayant que je ne veux plus les revivre. Dans l’avenir je décide « sagement » d’éviter toutes ces situations qui peuvent déclencher une nouvelle crise. Cela nous ramène au premier niveau, le comportement d’évitement, et montre à quel point les trois facteurs s’influencent mutuellement. Le comportement, les composantes émotionnelles et physiologiques et la cognition sont non seulement les trois niveaux sur lesquels se manifestent la peur, mais aussi ceux sur lesquels le thérapeute comportemental cognitif peut construire son travail. L’hypnothérapeute, de son côté, peut s’inspirer de ces trois domaines, en utilisant la riche histoire et les très vastes recherches empiriques des TCC. L’hypnose peut venir enrichir la pollinisation croisée par ses instruments hypnothérapeutiques uniques.
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PREMIÈRE PORTE D ’ ACCÈS AGIR DIFFÉREMMENT
:
Techniques de désensibilisation utilisant l’hypnose La désensibilisation systématique (DS) et la thérapie par exposition (TE) qui sont les deux techniques comportementales les plus répandues et les plus testées, illustrent bien cette dimension comportementale.
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Ces deux techniques sont appliquées aussi bien in vivo qu’in vitro, mais dans la pratique, la DS est surtout utilisée dans le domaine de l’imaginaire, tandis que la TE est surtout mise en pratique dans des situations réelles. La DS in vitro est une technique connue depuis longtemps et développée par Wolpe (1958). Tout d’abord, le patient apprend une méthode de relaxation. Puis il se représente, de façon la plus réaliste possible, une hiérarchie de situations anxiogènes (du plus facile au plus difficile) tout en gardant le sentiment de décontraction comme émotion antagoniste. Au fond, nous retrouvons dans cette technique toutes les analogies avec une séance d’hypnose : un état de profonde relaxation, une fixation sur une scène imaginaire ainsi que la suggestion que la personne concernée est capable de gérer la même situation dans la réalité. En hypnothérapie, des variantes de cette technique se sont développées et en élargissent fortement les domaines d’application. D’ailleurs il n’est pas toujours conseillé d’utiliser la relaxation comme réponse antagoniste : parfois les patients n’arrivent pas à provoquer la détente (notons le phénomène relaxation induced anxiety, c’est-à-dire, le phénomène par lequel des personnes deviennent nerveuses lorsqu’elles doivent se détendre). Mais plus important encore, la relaxation comme réaction antagoniste n’est pas toujours indiquée. En effet, dans certaines situations, l’angoisse doit être réduite, tout en maintenant un certain degré de concentration : cette attention est requise lors d’examens, de prestations artistiques ou sportives, dans le cadre du travail, dans des circonstances sociales etc. Dans de telles situations, il est bien plus efficace de travailler avec un sentiment antagoniste fort et puissant comme la maîtrise de situations difficiles ou une bonne confiance en soi. Cela se retrouve dans la technique du « freiner avec un fort ressenti »(Van Craen, 2000). T ECHNIQUE DU « FREINER AVEC UN FORT RESSENTI » La procédure est la suivante : sous hypnose, le patient revit une situation dans laquelle il se sentait bien et sûr de lui, comme si le monde lui appartenait. Ensuite, ce sentiment est graduellement renforcé sur une échelle allant de 0 à 10, jusqu’au moment où il se sente rempli d’un sentiment si fort et intense que rien ne peut le déstabiliser. Grâce à ce sentiment fort et intense en avant-plan (et qui peut éventuellement être ancré), le patient reprend, une par une, la hiérarchie des situations anxiogènes, tout comme avec la DS.
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Hormis cette technique, il y a encore d’autres moyens de travailler avec le principe des antagonismes d’une manière moins évidente, notamment avec l’humour. On peut demander au patient, lors d’une séance d’hypnose, de se représenter une situation phobique. On peut ensuite l’interroger sur ce qu’il ressent et le retranscrire sur une mélodie drôle tel qu’un refrain de Johan Strauss « An die schöne blaue Donau... ». La sexualité peut aussi agir comme antagoniste de la panique. J’ai déjà décrit le cas d’un homme qui redoutait les examens médicaux longs et pénibles qu’il devait subir. Lors de ces moments, il pratiquait l’auto-hypnose en se dissociant adéquatement des interventions aversives en s’imaginant qu’il se trouvait dans les bras de sa bien-aimée (Van Craen, 1996). Si des idées irrationnelles se trouvent en avant-plan, alors la composante cognitive est la plus indiquée comme porte d’entrée. Là on peut s’inspirer de la technique de coping desensitisation de Borkovec (Borkovec et Mathews, 1988) en tant que variante de la DS. T ECHNIQUE DE COPING DESENSITISATION Dans ce cas-là, on enseigne d’abord au patient une technique de relaxation ou d’induction hypnotique. Pour chaque élément de la hiérarchie d’angoisse, il invente une phrase adéquate, une affirmation cognitive qui diminue l’angoisse. Lors de la séance d’hypnose, le patient fait appel au premier niveau de sa hiérarchie d’angoisse (accompagnée d’une réaction émotionnelle/physiologique et cognitive qui va avec) jusqu’au moment où son angoisse se manifeste au premier plan. Puis il se répète sa phrase clé qui peut-être, par exemple, « Ce que je ressens est désagréable mais pas dangereux » ou encore « J’ai fait cela maintes fois à l’époque, sans aucune crainte, donc je sais pertinemment que je peux le faire. » Et cela, jusqu’à ce qu’il sente que l’angoisse s’éloigne. Ensuite on entame la deuxième situation anxiogène et ainsi de suite.
Techniques d’expositions utilisant l’hypnose La deuxième technique de thérapie comportementale la plus utilisée est l’exposition à la situation redoutée. Le but est de supprimer la réponse anxieuse conditionnée. Les stimuli phobiques peuvent être des situations (conduire sur l’autoroute), des objets (ustensiles contaminés), des animaux (araignées, oiseaux) mais aussi des stimuli intéroceptifs (des extrasystoles chez quelqu’un qui soufre d’une phobie cardiaque) ou des événements sociaux chez ceux souffrant de phobies sociales (réception, fête, réunion, etc.,
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mais aussi plus spécifiquement un tremblement des mains, une transpiration excessive, rougir, etc.) On met en place une hiérarchie des situations anxiogènes ou d’évitement, en prenant en compte les variables suivantes : est-ce que la situation est abordée seule, avec le thérapeute ou le partenaire ? Est-ce (au départ, on admet des moyens sécurisants) un portable pour l’agoraphobe quand il se promène tout seul dans un endroit isolé ou du Motilium pour un émétophobe avant de participer à un dîner copieux ? On recherche ensuite des situations dans un cadre réel : conduire un petit moment sur l’autoroute, toucher des objets « contaminés », traverser une place où se trouvent des pigeons, monter et descendre des escaliers plusieurs fois de suite (un bon exercice pour le thérapeute sédentaire s’il accompagne le patient), poser une question lors d’une conférence. Cette exposition permet de mettre en place une information corrective. Prenons le cas de quelqu’un qui craint de prendre l’ascenseur car il est persuadé que, s’il le prend, il va rester bloqué et personne ne sera capable de l’en libérer. Pendant la thérapie, il va prendre régulièrement l’ascenseur (exposition), sans qu’il arrive quoi que ce soit, et la proposition « si X alors Z » sera dissoute. Prendre l’ascenseur (stimulus conditionné) ne sera plus une prédiction pour une réaction de panique. Bien que l’exposition soit décrite comme la méthode la plus adéquate pour le traitement des phobies, de plus en plus d’études récentes ont mis l’accent sur le risque de rechute des patients (le phénomène de ROF : return of fear). Si on observe les résultats des thérapies utilisant les techniques d’exposition (Eelen et al., 2001, p. 249-264), la plus importante constatation réside dans le fait que l’exposition est très liée au contexte (Rodriguez, 1999) : le patient apprend à maîtriser une crise d’angoisse dans une situation A (par exemple, conduire sur l’autoroute dans les environs).Toutefois, cela ne se généralise pas toujours dans d’autres situations, dans des contextes semblables, par exemple dans la situation B (prendre l’autoroute à l’étranger, là où il n’y a pas toujours de bornes de secours). Le patient ne désapprend donc rien (il ne peut pas se dire « Je n’ai plus l’angoisse de conduire »), mais il apprend quelque chose de nouveau qui est très conditionnée et liée au contexte (« J’arrive à conduire quand il fait jour, que je suis bien reposé et quand je peux appeler au secours en cas de nécessité »). Pour la pratique de l’exposition, afin que l’efficacité de l’approche soit maximale et que les risques de ROF soient évités deux variables doivent entrer en jeu : – Premièrement, que l’on applique l’exposition dans des contextes les plus diversifiés possible (par exemple, des endroits différents, à des
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moments différents, seul ou en présence de tierces personnes), tout en prenant en considération l’état émotionnel du patient (être fatigué, avoir la tête ailleurs ou, au contraire, être en pleine forme et optimiste). De cette façon, le processus de généralisation arrive petit à petit à se mettre en place. Ainsi, je peux conduire seul, même tard le soir quand je suis fatigué ou stressé, je peux le faire en ville, dans des endroits inconnus, dans le brouillard s’il le faut, et même à l’étranger. – Deuxièmement, que l’exposition entre dans un contexte d’acquisition plus large que la situation d’origine dans laquelle la crise d’angoisse se manifestait. Du fait que des thérapeutes comportementalistes préfèrent appliquer l’exposition in vivo, on comprend vite que cela semble une tâche interminable si on veut aller jusqu’au bout de chacune des angoisses du patient. Dans une pratique thérapeutique concrète, il est impensable de partir à la recherche de l’ensemble des différents contextes (d’autant plus qu’il faut répéter à plusieurs reprises une même situation et que la situation d’origine, pour autant qu’elle soit connue, est souvent introuvable). L’intégration des techniques hypnotiques peut jouer un rôle important dans ce domaine d’application et peut même évoluer vers une plus grande efficacité thérapeutique. S’il est important de connaître le contexte d’acquisition d’une angoisse conditionnée, on peut faire appel aux techniques d’exploration hypnotique telle que la technique du « pont affectif » pour identifier la situation traumatique initiale : dans l’imagination, on fait revivre (graduellement), et si possible remanier, cette expérience à plusieurs reprises, jusqu’au moment où cela n’a plus d’effet. Cas d’une jeune femme présentant une phobie des avions La « technique implosive de désensibilisation » de Edelstein (1981) est une technique très appropriée dans ce domaine. Je me rappelle du cas d’une jeune femme qui avait obtenu une bourse d’étude pour l’étranger et qui présentait une phobie de l’avion qu’elle ne comprenait pas du tout. Cette phobie l’empêchait d’accepter cette possibilité de partir à l’étranger. Elle ne présentait pas des distorsions cognitives et n’avait jamais fait d’expérience négative à ce sujet. Du moins, c’est ce qu’elle pensait... En explorant le terrain de son angoisse, on est retourné à un moment où elle était âgée de cinq ans. Elle était en voyage à Venise avec ses parents et attendait à l’aéroport le vol de retour. Le vol avait été retardé à plusieurs reprises à cause du brouillard. Plus le temps passait, plus les tensions s’accumulaient pour cette petite fille, d’autant plus que sa mère, sûrement à cause du stress, commençait à tomber malade.
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Au milieu de la nuit, le vol a été annulé et ils ont tous passé la nuit à l’aéroport, sans avoir la certitude de pouvoir décoller le lendemain. La fillette épuisée, craignait de ne plus jamais revoir son petit chien qui était resté à la maison. Cette famille n’a plus jamais parlé de cet incident, et n’est plus jamais repartie en vacances en avion parce qu’ils prenaient la voiture pour pouvoir emmener leur chien. Ainsi, cet incident a été refoulé et elle ne se rappelait plus de cette expérience traumatique d’origine. Pendant la séance d’hypnose, elle a reçu la consigne d’entrer dans la scène de l’aéroport et, en tant que femme adulte, de consoler l’enfant avec la sagesse qu’elle possède à ce jour. Le fait de revivre et de recadrer cet incident a suffi pour lui laisser prendre l’avion quelques semaines plus tard.
Toutefois, même si le contexte d’acquisition de la phobie d’origine est connu, il n’est pas toujours possible de le rechercher pour pouvoir aller s’y confronter. Par exemple, un jeune homme présentant une émétophobie, avait contracté sa peur de vomir lorsqu’il était adolescent en voyant vomir un camarade. Il en était devenu lui-même malade. Rechercher une telle situation dans la réalité est évidemment impensable. Il peut également s’agir de situations géographiquement inatteignables. C’est l’exemple d’un homme présentant un trouble panique sévère. La première fois que cela s’était produit, notre homme se trouvait dans un endroit éloigné en Afrique, quand tout d’un coup, il fut pris d’une diarrhée aiguë lui faisant peur de ne pas être secouru, peur pour sa vie. Dans toutes ces situations, l’expérience traumatique d’origine ne peut pas être revécue dans la réalité, mais bien sous hypnose ; ainsi une forme intense d’exposition in vitro peut être appliquée. Pendant la séance d’hypnose, on met l’accent sur l’événement par le biais de l’expérience sensorielle, permettant au patient d’immerger dans sa réalité imaginaire et de corriger l’expérience sur le niveau émotionnel. Il ne faut pas oublier qu’un changement thérapeutique n’est pas seulement le résultat d’une notion modifiée, mais surtout d’une expérience émotionnelle corrigée. Le moteur du changement est l’expérience vécue associée à un ressenti fort. C’est cela qui va finalement prouver au patient que ce qu’il craignait n’arrive pas et qu’il est tout à fait capable de gérer la situation. Une deuxième indication de l’utilisation de l’hypnose est évidente, lorsque les thérapies par exposition in vivo s’avérèrent difficiles à réaliser, comme par exemple, pour une phobie de l’avion ou une tokophobie (peur d’accoucher). Une femme venant consulter pour une « peur atroce de l’orage », avait découvert lors d’une séance d’hypnose que lorsqu’elle était enfant, son père dans un accès de colère, avait violemment claqué
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la porte juste devant elle, provoquant le fracassement bruyant du verre de la porte. Cet orage symbolique s’était répété à plusieurs reprises dans le cadre familial. Si on avait à chaque fois besoin de l’aide du dieu Thor pour cette thérapie d’exposition cela pourrait devenir une bien longue thérapie... Confrontation in imagine utilisant l’hypnose Une troisième indication pour pratiquer l’hypnose, en cas d’exposition, est de travailler le plus de contextes anxiogènes possibles. Bien que l’exposition in vivo soit la méthode la plus indiquée, souvent ce ne sera pas possible avec toutes les variations. Dans ces cas-là, une confrontation in vitro par l’hypnose peut être une excellente alternative. Pendant les séances, on peut enseigner au patient comment appliquer une procédure d’exposition ou de désensibilisation dans une ou plusieurs situations. Par exemple, quelqu’un présentant une phobie des oiseaux peut imaginer, lors de la séance d’hypnose chez le thérapeute, s’approcher d’oiseaux dans un zoo. Plus tard, il pourra l’exécuter in vivo. À la maison, il pourra reprendre la procédure dans des contextes différents qui, d’un point de vue pratique, ne sont pas toujours réalisables in vivo, mais qu’il peut s’imaginer. Ces variations de confrontation in vivo peuvent être présentées de façon crescendo : une confrontation solitaire avec les oiseaux, sans la présence du conjoint, dans la pénombre, lors de la période de couvaison lorsque les oiseaux sont les plus agressifs, dans une période où le patient est plus sensible ou vulnérable. Parfois même, certains patients n’osent pas se confronter à la moindre situation difficile in vivo. Grâce à l’hypnose, on peut travailler ces situations, comme un entraînement mental. Cela permettra ensuite aux patients de faire plus facilement un premier pas vers la situation réelle. En somme, le but de la thérapie d’exposition ne consiste pas tant à aller se confronter aux situations redoutées, qu’à « muscler » ses capacités de maîtrise, ce qu’on appelle en anglais coping. De l’évitement à l’action Pour cela il est important que le patient puisse faire quelque chose lors la confrontation : il doit pouvoir disposer de certaines habiletés telles que des techniques pour contrôler les crises de panique. Dans la thérapie comportementale classique, on ne précise pas assez l’importance de cet aspect. Au mieux, on apprend au patient une technique de relaxation comme sensation antagoniste. Via l’hypnose, on peut
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utiliser des techniques adéquates d’autocontrôle comme la technique du poing fermé de Stein (1963). Cela permet au patient de maîtriser la situation, en se référant à des émotions personnelles fortes tout en pouvant utiliser ses propres ressources. Cette approche alternative est surtout importante chez des patients à qui l’on prescrit des anxiolytiques tel que Xanax® , Temesta® , etc. Beaucoup de patients sont toujours en possession de ces médicaments, qui sont pour eux sécurisants. Ils les prennent de façon préventive lorsqu’ils affrontent des situations critiques. Toutefois, le désavantage en est que la maîtrise de la situation difficile est attribuée à un élément extérieur : « j’ai réussi parce que j’avais pris mon médicament ». Par contre, l’application d’une autotechnique de contrôle offre une attribution interne au succès : « j’ai réussi par mes propres moyens ». Pour la suite du processus thérapeutique, cette attribution interne entraîne une motivation intrinsèque et une attitude beaucoup plus combative.
DEUXIÈME PORTE D ’ ACCÈS SENTIR DIFFÉREMMENT
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Lorsque les personnes décrivent des crises d’angoisse, elles le font le plus souvent en termes de sensations physiologiques tels que : une oppression thoracique, une gêne respiratoire, des battements de cœur accélérés, des membres qui tremblent, des picotements dans les mains, des vertiges, etc. Il s’agit en fait des signes d’un stress physiologique (le fameux fight or flight response). Comme mentionné précédemment, le patient souffrant de phobies a surtout peur de revivre ces aspects physiologiques de l’angoisse. Dès lors, il est très important de lui enseigner des compétences et techniques lui permettant de maîtriser ces aspects physiologiques là. C’est pourquoi on enseigne au patient des techniques de relaxation adéquates : – Comme sensation antagoniste dans les techniques de désensibilisation et d’exposition (voir plus haut) ; – Comme une façon de réduire le niveau de la tension générale. Les patients apprennent qu’ils peuvent appliquer des techniques de relaxation pendant la journée pour éviter que le niveau de tensions – dû à l’accumulation du stress – s’élève trop. Notamment lors de confrontations avec des situations anxieuses induites où ils peuvent alors très vite dépasser le seuil de panique au-delà duquel il sera pour eux beaucoup plus difficile d’agir ;
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A PPLICATIONS DE L’ HYPNOTHÉRAPIE
– Comme un comportement de maîtrise dans des situations anxiogènes. Pour des raisons pragmatiques, je préfère proposer la méthode de relaxation progressive de Jacobson parce que cette approche est plus facile à appliquer dans des moments de crise. Surtout la dernière phase, permettant de provoquer très concrètement et rapidement un réflexe conditionnel de relaxation musculaire lors de la confrontation à une situation anxiogène. Toutefois, lors de moments de panique, il est plus difficile de se concentrer sur des sensations abstraites comme le calme, la chaleur et la lourdeur (Training autogène de Schultz). Il en est de même pour d’autres méthodes plus passives. Une technique active est aussi moins aversive pour des gens qui ont un besoin aigu de contrôler tout ce qui est associé au « lâcher prise » et à une certaine forme de « passivité ». Ces patients-là disent souvent que cette technique passive n’est pas assez proche de leur façon de fonctionner. La meilleure technique de relaxation reste, bien sûr, celle où patient et thérapeute se sentent le plus à l’aise, à partir du moment où le patient peut aussitôt l’utiliser dans les situations requises. Il apparaît dès lors évident que la respiration ventrale est une technique standard à apprendre aux personnes anxieuses. Ils peuvent l’intégrer facilement et c’est une méthode pratique à mettre en place en réponse au système nerveux parasympathique lors de situation anxiogène ou au moment d’une anticipation anxieuse. C’est notamment la méthode la plus indiquée pour des personnes souffrant d’hyperventilation (ce qui est souvent le cas de patients atteints de crises de panique). À but préventif, ils apprennent à ne pas inspirer trop d’air lors de situations critiques, mais plutôt à appliquer une respiration superficielle et ventrale tout en n’expirant pas trop vite. Pour cela, les patients peuvent effectuer un cycle de respiration en comptant jusqu’à trois lors de l’inspiration, jusqu’à trois lors de l’expiration et jusqu’à un pour instaurer une pause, ce qui évite d’inspirer trop d’air. Si le patient montre déjà des signes d’hyperventilation, il peut appliquer le contrôle respiratoire en comptant jusqu’à trois pendant l’inspiration, jusqu’à six pendant l’expiration, puis un temps de pause avant de reprendre un nouveau cycle de respiration. Pour prolonger encore d’avantage l’expiration, le patient peut apprendre à siffler et pour ceux qui aiment la musique, fredonner une mélodie. J’obtiens des bons résultats avec une méthode que j’ai développée pour interrompre ce cercle vicieux dans lequel le patient se trouve lors d’une crise d’hyperventilation. Ce cercle vicieux a une influence réciproque entre réactions cognitives et corporelles : une mauvaise respiration cause
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des effets physiques désagréables qui sont à leur tour étiquetés d’une façon catastrophique (« Je n’arrive pas à m’en sortir ; que faire si je m’évanouis ; je vais avoir une crise »...) M ÉTHODE POUR INTERROMPRE UNE CRISE D ’ HYPERVENTILATION
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Sur le plan corporel, il est proposé aux patients qu’ils arrêtent l’hyperventilation grâce à la respiration ventrale en utilisant la méthode de comptage, mais avec une variante de « modification cognitive ». Ils comptent jusqu’à trois lors de l’inspiration, mais se disent une affirmation alternative, qui dure le temps de compter jusqu’à six, lors de l’expiration (par exemple, « Ce que je ressens est le résultat d’une fausse respiration », « Ça passera vite car je sais comment réagir », « Je dois respirer lentement et siffler s’il le faut », etc.).
Cette affirmation à pour effet de renforcer l’autocontrôle et la confiance, car il y a une maîtrise de la situation par le patient. Il est possible pour lui de s’entraîner à ces méthodes de contrôle respiratoire lors des séances d’hypnose avec le thérapeute. Dans un état de transe, le patient imagine une situation dans laquelle une crise d’angoisse et/ou d’hyperventilation est probable. Ensuite il imagine le plus réellement possible comment il va appliquer sa maîtrise (technique de relaxation, respiration ventrale, techniques des phrases clés). Cette utilisation de l’hypnose n’est pas seulement une forme de suggestion post-hypnotique, c’est aussi l’entraînement d’un réflexe mental de maîtrise. En effet, dans de situations de crise, les personnes sont souvent incapables d’agir logiquement ou raisonnablement. En cas d’urgence, il faut qu’ils puissent agir avec une sorte de protocole préétabli, qu’ils ont pu travailler avant. On remarque également que les patients réagissent tardivement avant d’appliquer leurs techniques de relaxation. Ils ne voient pas venir l’accumulation des tensions de la journée (j’appelle cela la « structure d’un toit de tuiles ») et ils réagissent quand la crise d’angoisse est sur le point d’arriver ou qu’il est déjà trop tard. C’est pourquoi j’apprends à mes patients à identifier de plus en plus tôt les signes physiologiques de tension, crainte ou panique (respiration accélérée, soupirs fréquents, etc.). Ils apprennent également à identifier plus tôt les signes comportementaux (ne plus participer à une discussion, irritabilité, etc.) et cognitifs (idées noires, troubles de l’attention, etc.). Si le patient identifie difficilement ces signaux, dans ce contexte aussi, on peut opter pour l’utilisation de l’hypnose. En transe, on propose au patient de revivre une situation récente ayant provoqué une crise d’angoisse. Le « film » est alors re-visionné pas à pas, en commençant
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par le moment le plus dur. À chaque étape, le patient décrit les signes qu’il reconnaît puis remonte ainsi au stade précédent, jusqu’à ce qu’il puisse identifier les tout premiers signes d’anxiété. Il lui est ensuite proposé un « pont vers le futur » lui permettant à l’avenir, lorsqu’il se retrouvera dans une situation similaire, de réagir cette fois-ci beaucoup plus vite, en appliquant les techniques de contrôle qu’il connaît.
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TROISIÈME PORTE D ’ ACCÈS PENSER DIFFÉREMMENT
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En se référant au modèle du traitement de l’information (MirableSarron et Rivière, 1993), on peut observer que les personnes anxieuses présentent une distorsion cognitive systématique dans leur façon d’interpréter les stimuli anxiogènes externes (situations) et internes (réactions physiologiques). Ces distorsions sont typiquement présentes sous les formes suivantes : – Des anticipations. L’agoraphobe se dit : « Je vais me retrouver dans un bouchon, j’aurai une crise de panique et personne ne pourra m’aider » ; – Des prédictions catastrophiques. L’émétophobe se dit : « Si nous sortons, les autres vont boire beaucoup trop, ils seront malades, vont vomir, et là je perds toute ma sérénité » ; – Des interprétations : « Je me sens nerveux donc la situation est critique » ; « La tache sur ma peau n’est pas normale c’est sûrement le début d’un cancer »; « Autrui baille pendant notre conversation donc je suis ennuyant » ; – Des évaluations dichotomiques : « L’exercice thérapeutique n’a pas marché : je suis un cas perdu » ; – Se tracasser de tout ce qu’on ressent : « Je sens que je redeviens peureux » ; mais surtout du fait qu’on se fait des soucis : « Je deviendrai encore dépressif dû à toutes ses tracasseries », ce qu’on appelle les méta-cognitions. Ces ruminations ressemblent souvent à un état d’auto-hypnose négative. Les patients se focalisent tellement sur ce qu’ils pensent ou ressentent qu’ils en atteignent ainsi un état de dissociation dans lequel ils se donnent des suggestions négatives. Par exemple, une personne souffrant de phobie sociale pourra se répéter sans cesse : « Pendant la fête, je ne serai pas à l’aise et les gens ne vont pas m’apprécier. En plus,
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dans le restaurant, je tremblerai et tout le monde le remarquera ». Ces prédictions deviennent des suggestions post-hypnotiques. En faisant appel à l’hypnothérapie, les patients se rendent compte des corrélations entre leurs cognitions (voir les exemples plus haut), leur impact au niveau émotionnel (tension, crainte, panique) et leur action comportementale (à cause de l’anticipation négative, notre ami présentant une phobie sociale se sentira en effet bien tendu pendant la fête, et probablement tremblera-t-il dans le restaurant). L’intervention hypnothérapeutique enseigne aux patients le schéma ABC de la thérapie cognitive. Par exemple, pour un agoraphobe se retrouvant en situation stressante (A) beaucoup de pensées (B) traversent son esprit (« Que faire si je suis pris d’une crise, je ne peux pas fuir, qu’est-ce que les gens vont penser, c’est terrible, je deviens fou ») ce qui provoque un état de panique (C). Le fait de s’en rendre compte est crucial pour le patient, parce qu’il pensait que (C) (la crise d’angoisse) était le résultat d’une confrontation avec A. Ainsi, il évitait A à tout prix et systématiquement, et lorsqu’il s’y confrontait c’était avec beaucoup d’angoisse. Maintenant il réalise que (B) est la raison de son malaise et que ce sont ses cognitions qui feront l’objet de nos interventions thérapeutiques. Si dans une relation thérapeutique classique, on demande au patient à quoi il pense dans une situation d’angoisse, il ne saura pas dire. Une telle activité cognitive se passe très souvent de façon pré-consciente. L’avantage de l’hypnose c’est qu’on se rend très vite compte de ces pensées spontanées et automatiques. Cette prise de conscience est le premier pas vers l’approche hypnocognitive. Un deuxième pas consiste, pour le patient, à modifier ses cognitions liées à l’angoisse par des alternatives plus réalistes, adaptées et constructives. En hypnose on dispose pour cela de la technique de l’ego state (Watkins, 1982) : « Nous savons maintenant ce que dit la partie anxieuse qui est en vous, mais comment réagit votre « moi courageux » dans cette situation ? Comment réagit ce moi tenace, ce moi fort, ce moi réaliste, que vous connaissez bien dans les situations Y ou Z (situations dans lesquelles cette partie de la personne est bien dominante) ? » L’entretien thérapeutique classique provoque souvent chez les personnes anxieuses beaucoup de résistance dès qu’on leur parle des cognitions irrationnelles et cela entraîne souvent des discussions interminables. L’approche hypnotique évite de telles situations. Un troisième pas est l’application de pensées alternatives dans une situation difficile : muni d’un mode de pensée plus réaliste ainsi que
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de techniques de contrôle telles que la relaxation, le patient est alors plus armé pour faire face aux situations redoutées dans la réalité. Ce troisième pas aussi peut être exercé lors de séances d’hypnose : le patient imagine la situation (A), il se répète les cognitions alternatives (B) jusqu’à ce qu’il en ressente l’effet bénéfique (C) de se confronter à la situation et de la maîtriser. Ensuite il procède à l’application in vivo, ce qui permet l’expérience la plus bénéfique : l’approche à travers la confrontation. C’est en prenant des risques, en allant se confronter à la réalité, que l’expérience émotionnelle (vécue comme différente par le patient) permettra de se débarrasser de ce qui a toujours été redouté. Le comportement modifié (confrontation au lieu d’évitement) mène à une nouvelle compréhension, une compréhension émotionnelle, basée sur l’expérience personnelle du vécu. Ainsi on quitte cette troisième porte d’accès (penser) par la première (faire) pour entrer à nouveau par la deuxième (sentir) et passer de nouveau à la troisième (penser). Du cercle vicieux de l’anxiété, le patient passe, par le contrôle et la libération de la confrontation, à une spirale vertueuse ascendante.
Chapitre 18
HYPNOSE ET TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE (ANOREXIE MENTALE ET BOULIMIE)
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Johan Vanderlinden
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ANS ce chapitre nous allons présenter les résultats de notre recherche
sur les possibilités d’utilisation de l’hypnose avec des patientes anorexiques et boulimiques (Vanderlinden, 1993 ;Vanderlinden, Spinhoven, Van Dyck et Vandereycken, 1995). Ensuite, sera présenté un petit résumé sur les études thérapeutiques utilisant l’hypnose dans le traitement des troubles alimentaires. Dans une troisième partie nous présentons notre protocole de traitement des troubles alimentaires en combination avec des stratégies hypnotiques (Vanderlinden, 2003). Dans cette partie, nous passerons en revue différentes techniques hypnotiques et chacune sera illustrée par un exemple de cas. Bien que le processus thérapeutique doive être adapté aux besoins individuels de chaque patient, il se compose néanmoins de différentes phases ou étapes, qui comprennent chacune plus ou moins
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de stratégies et d’interventions spécifiques. Tout d’abord, nous décrirons les différentes techniques thérapeutiques qui peuvent être intégrées au début du traitement, c’est-à-dire, dans la première phase où la question de l’autocontrôle est l’enjeu thérapeutique principal. Ensuite, nous décrirons comment l’hypnose peut être utilisée pour augmenter l’estime de soi, améliorer l’expérience corporelle, changer les cognitions irréelles sur le poids et nourriture, etc.
H YPNOTISABILITÉ
ET TROUBLES ALIMENTAIRES
Hilgard constatait en 1965 que la susceptibilité hypnotique est un caractère stable et nomalement distribué dans la population. Grâce à tous ces travaux, nous avons appris que l’hypnotisabilité est un trait stable et que certains facteurs de personnalité ou certaines pathologies pourraient influencer ce trait. La question est donc posée : les troubles alimentaires possèdent-elles un trait influençant dans un sens ou dans un autre l’hypnotisabilité des sujets ? Une des premières études de Pettinati, Horne et Staats (1985), montre que les patients boulimiques sont plus hypnotizables que les patients anorexiques et qu’ils présentent en moyenne un degré d’hypnotisabilité généralement plus élevé que dans la population normale. De plus, leurs résultats indiquent également que les patients souffrant d’anorexie mentale de type « purgeant » atteignent un score plus élevé que ceux de type « pur ». Nous avons effectué le même type d’étude que celle de Pettinati et collègues dans le centre universitaire St-Jozef à Kortenberg. Nos résultats (Vanderlinden, 1993 ; Vanderlinden, Spinhoven, Van Dyck et Vandereycken, 1995) ont confirmé celles de Pettinati (1985). Les patientes boulimiques, en particulier, et les anorexiques de type purgatives (avec vomissement et abus de laxatifs) ont de bonnes, voire d’excellentes capacités hypnotiques. Seules les patientes anorexiques (de type « pur ») qui ont perdu beaucoup de poids et qui présentent de sérieux problèmes de concentration et une agitation physique trouvent difficile de se relaxer et/ou de répondre à une induction hypnotique classique. Également, d’autres chercheurs (Barabasz, 1991 et Griffiths, 1989) ont confirmé ces résultats.
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U TILISATION
DE L’ HYPNOSE DANS LES TROUBLES ALIMENTAIRES Pierre Janet (1911) est, vraisemblablement, le premier à avoir rapporté un cas d’hypnothérapie chez un sujet souffrant d’anorexie mentale. Il recourt à l’hypnose parce que, dit-il, l’anorexie hystérique et l’hypnose relèvent des mêmes mécanismes. Ce n’est que trois décennies plus tard, en 1936 avec Birnie, que l’hypnose réapparaîtra dans le traitement de l’anorexie mentale. Puis, la fin de cette première période est marquée par l’introduction de la narco-analyse (notamment en France), qui remplaça l’hypnose. Cette dernière est rapidement abandonnée et l’hypnothérapie est oubliée pendant une trentaine d’années. C’est à Crasilneck et Hall (1975) que l’on doit le retour des techniques hypnotiques dans les troubles du comportement alimentaire (suggestions directes pour stimuler la sensation de faim). Beaucoup d’auteurs suivent leur exemple en introduisant des approches et techniques nouvelles. Mais les articles publiés (voir Vanderlinden et Vandereycken, 1988, 1990, 1995) ne dépassent généralement pas le cadre de l’anecdote ou du témoignage. Seule exception, les études qui ont été effectuées pas Griffiths en Australie (1994, 1995, 1996) qui montre un résultat positif avec une approche hypnothérapeutique chez des patients boulimiques.
Q UELQUES
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PRINCIPES GÉNÉRAUX DE TRAITEMENT POUR LES TROUBLES ALIMENTAIRES Les troubles alimentaires sont des problèmes psychologiques très graves, dont la solution ne passe pas seulement par des mots. Se contenter de parler de ses causes éventuelles et des facteurs qui la déclenchent ne suffira jamais à résoudre le problème. Autrement dit, on ne peut pas se contenter d’entretiens thérapeutiques. Pour aller mieux, il faudra plus que des paroles. Que faudra-t-il alors ? Il faudra, d’une part, faire de gros efforts pour renoncer à certains comportements et à certaines habitudes, et d’autre part, apprendre ou réapprendre de nouvelles façons de faire et de nouvelles habitudes. Il est donc indispensable d’agir sur les comportements ; en d’autres mots, le travail le plus important et le plus difficile doit être fait en dehors des sessions thérapeutiques. C’est pourquoi dans un traitement spécialisé le thérapeute donnera régulièrement des tâches thérapeutiques. Son but est d’amener la patiente à des changements concrets dans ses occupations et ses activités quotidiennes.
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Autrement dit, les premiers pas à franchir portent sur les comportements. C’est toujours une étape difficile. Une patiente qui doit recommencer à manger après des mois de jeûne voit son niveau d’angoisse s’élever vite et beaucoup. D’ailleurs, une patiente qui réapprend à manger des quantités normales de nourriture est progressivement confrontée à sa plus grande crainte : celle d’atteindre un poids normal et d’avoir un corps de femme. Ce n’est qu’après un certain temps et à condition que son poids ait atteint les valeurs prévues, que ses idées et ses sentiments vont changer. L’angoisse d’avoir un poids normal et les pensées négatives sur le corps ne disparaîtront que petit à petit et à condition d’affronter assez longtemps la situation. Les études ont clairement montré que le fait d’atteindre le poids prévu et de s’y maintenir longtemps, sont des facteurs importants pour une guérison définitive.
L ES
DIFFÉRENTES PHASES DANS LE TRAITEMENT
Phase 1 : Normaliser les comportements alimentaires Pour toutes les anorexiques, l’étape de loin la plus difficile est de recommencer à manger et de prendre du poids Certaines patientes entameront bien un traitement – par exemple, une psychothérapie centrée sur la prise de conscience – où le thérapeute leur dira qu’elles se remettront d’elles-mêmes à manger lorsque les changements thérapeutiques nécessaires auront eu lieu. Si le thérapeute ne fait attention ni à l’insuffisance du poids et ni au mode d’alimentation, le traitement est, en général, une perte de temps et d’argent. Certainement, dans cette première phase, il faut agir en fonction de la motivation à changer de la patiente et souvent il est nécessaire d’augmenter la motivation pour guérir de l’anorexie mentale (Vanderlinden, 2003). Pour les boulimiques, nous leur demanderons de normaliser les comportements alimentaires (trois repas par jour et trois collations) et puis progressivement de diminuer les crises boulimiques. En même temps, la patiente est invitée à analyser les déclencheurs de la boulimie et de choisir des alternatives vis-à-vis ces crises boulimiques (Vanderlinden et Vandereycken, 2000). En résumé : dans la première phase, on travaille surtout sur la motivation et le comportement alimentaire (douze à seize séances). Si le poids ne monte pas (chez les anorexiques) ou les crises de boulimie ne diminuent pas (chez les boulimiques), il y a un problème, soit avec le traitement, soit avec la motivation de la patiente. Si après trois mois il n’y
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a pas de changement, on conseille d’arrêter le traitement ou de changer les objectifs. Phase 2 : Travailler sur les facteurs de maintien Suivent les principales questions et difficultés auxquelles les patientes ont à faire face au cours de leur traitement et qui sont généralement considérées comme facteurs de maintien. – – – – –
Comment apprendre à être moins perfectionniste ? Comment augmenter l’estime de soi et sortir de mon isolement ? Comment améliorer l’expérience corporelle ? Comment changer les pensées anorexiques ? Comment apprendre à me détendre ?
Nous consacrons une attention particulière aux moyens de vivre avec le poids des souffrances passées. Phase 3 : Prévenir les rechutes
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Souvent les périodes de stagnation et les retours en arrière ne sont pas rares. Ils constituent des étapes normales de la guérison. Le patient sera invité à analyser les facteurs de risques qui peuvent provoquer une rechute et analyser le scénario de rechute. En même temps, la question sera posée : comment réagir quand on risque de rechuter dans, par exemple, l’anorexie mentale ?
U TILISATION ET INTÉGRATION DES TECHNIQUES D ’ HYPNOSE DANS LE TRAITEMENT DES TROUBLES ALIMENTAIRES Nous décrivons ici les différentes techniques d’hypnose que nous utilisons dans le traitement des troubles alimentaires. Pour plus d’informations sur les principes et différentes phases dans le traitement des troubles alimentaires, nous renvoyons à Vanderlinden (2003) et Vanderlinden et Vandereycken (2000).
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Phase 1 : Normaliser les comportements alimentaires
L’hypnose comme technique de relaxation La reprise d’un autocontrôle sur le comportement alimentaire et les autres comportements impulsifs est une priorité dans cette phase de traitement. Dès le début du traitement, l’auto-hypnose est enseignée à la patiente pour lui permettre de se relaxer et d’expérimenter un sentiment de sécurité et de contrôle. Dans la première séance, les idées fausses et les préjugés manifestes au sujet de l’hypnose doivent être corrigés. Parce qu’il y a encore beaucoup de mythes et de fantasmes à propos de cette technique, nous l’appelons rarement hypnose. Nous demandons plutôt aux patientes si elles sont intéressées par l’apprentissage d’exercices de relaxation et/ou de concentration qui pourraient les aider à se sentir bien et calmes lors des prochains moments de crise. Pour motiver les patientes, nous leur expliquons que la technique que nous utilisons peut facilement être apprise par tout le monde, que l’on ait ou pas un trouble du comportement alimentaire (sauf pour les anorexiques sévèrement amaigries qui ont souvent des problèmes de concentration). Pour les patientes qui ont une histoire traumatique, le cadre physique de l’induction hypnotique demande une attention particulière, car le fait de se coucher peut activer des souvenirs traumatiques. Nous demandons souvent aux patientes de s’asseoir sur une chaise confortable, en gardant les deux pieds au sol. De cette façon, elles ont plus le sentiment de garder un autocontrôle et d’être en sécurité. Quand nous avons commencé à travailler avec l’hypnose classique au milieu des années quatre-vingt, nous proposions en général à la patiente une induction hypnotique formelle, au cours de laquelle nous utilisions les quatre étapes suivantes : 1. L’induction avec la technique de fixation visuelle. On demande à la patiente de choisir un point sur lequel elle peut se concentrer. On lui suggère que ses paupières vont devenir lourdes en même temps que ses yeux fixent le point choisi, et qu’au bout d’un moment ses yeux vont probablement se fermer de manière automatique. F IXATION VISUELLE « Installez-vous aussi confortablement que possible sur votre chaise. Quand vous aurez l’impression d’être installée confortablement sur votre chaise, j’aimerai vous demander de choisir un objet et de le fixer. Vous pouvez continuer à fixer toute votre attention sur cet objet... Vous remarquerez peut-être que vos paupières deviennent plus lourdes... et encore plus lourdes. Vos paupières deviennent si lourdes qu’elles vont vouloir se fermer
☞
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☞ toutes seules... qu’elles vont se fermer automatiquement... pendant que vous continuez de vous concentrer sur l’objet que vous avez choisi... et vos paupières deviennent de plus en plus lourdes, elles peuvent devenir si lourdes, si fatiguées, qu’elles commencent à se baisser toutes seules... Vos paupières pourront se fermer toutes seules quand elles seront prêtes... L’idée que vos paupières vont se fermer bientôt peut vous aider à devenir maintenant de plus en plus détendue... »
2. Ensuite, une technique d’approfondissement est utilisée. Aux patientes boulimiques, nous pouvons suggérer de descendre un escalier ou de se concentrer sur le rythme de leur respiration ; aux patientes anorexiques, nous parlons de monter un escalier, de compter de un à dix, tout en suggérant une impression de légèreté. En général, les patientes souffrant de trouble du comportement alimentaire n’aiment pas devenir lourdes ou vivre une sensation de lourdeur. Nous préférons leur suggérer qu’elles deviennent plus légères et qu’elles volent.
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A PPROFONDISSEMENT « Et maintenant que vos paupières sont fermées, je vais vous demander de concentrer votre attention sur le rythme de votre respiration... Quand vous expirez, vous pouvez avoir la sensation de devenir de plus en plus légère, vous pouvez sentir que votre corps devient si léger qu’il peut voler en l’air... Peut-être pouvez-vous imaginer que vous êtes en bas d’un escalier, un escalier solide recouvert d’un beau tapis... vous pouvez remarquer maintenant la couleur du tapis en laine sur l’escalier, vous pouvez avoir la sensation d’être debout sur ce tapis, et bientôt, pendant que je compterai de 1 à 10, vous pourrez vous imaginer monter l’escalier... et en haut de l’escalier vous vous sentirez dans un endroit unique, tranquille, un endroit où vous pourrez vous cacher, où vous pourrez être vous-même, et vous sentir en sécurité... et progressivement, vous pourrez vous sentir de plus en plus détendue. Tout en montant l’escalier, vous pourrez vous relaxer... de plus en plus profondément... Je vais commencer à compter de 1 à 10, vous pouvez compter avec moi : 1 vous touchez la rampe, vous devenez de plus en plus détendue, 2 vous vous sentez de plus en plus légère, 3 votre corps devient encore plus léger pendant que vous montez l’escalier, 4 vous allez de plus en plus haut, 5 vous pouvez vous sentir de plus en plus à l’aise, 6 et de plus en plus détendue, 7 alors que vous montez les escaliers, 8 tout en suivant votre propre rythme, vous vous sentez de plus en plus concentrée sur cet escalier, sur ce tapis, sur ses couleurs... et maintenant que vous êtes presque au sommet, vous pouvez peut-être déjà observer cet espace qui est pour vous, où vous vous sentirez détendue et à l’aise, 9 vous vous sentez de plus en plus légère, 10 vous allez vers cet état merveilleux de relaxation profonde, vous vous sentez calme et à l’aise... »
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3. Quand la patiente est capable d’expérimenter une sensation de détente et de calme, le thérapeute lui suggère d’imaginer qu’elle se trouve dans un endroit et/ou un environnement sûr (imagerie guidée). Avec les patientes traumatisées, le thérapeute doit veiller à discuter de l’endroit et/ou de la scène en détail, pour être sûr que la patiente se sentira en sécurité quand elle imaginera être dans ce lieu. D’après notre expérience, beaucoup de patientes souffrant de troubles du comportement alimentaire (surtout quand elles ont été traumatisées) n’ont aucune idée de ce que pourrait être un tel endroit et ne sont pas capables de l’imaginer. Le thérapeute peut alors suggérer des situations, comme s’allonger ou marcher sur une belle plage, se reposer dans une pièce connue où personne ne peut entrer, etc. I MAGERIE GUIDÉE « Vous pouvez repérer un tel endroit chez vous ; votre chambre, un espace à vous... Je me demande si vous pouvez le voir déjà maintenant, peut-être que certains bruits vous rappellent combien il est agréable d’être dans cet endroit. Et pendant que vous entrez dans cet espace privé, vous ressentez son calme ; votre corps devient de plus en plus léger ; être de plus en plus détendue est une expérience merveilleuse... Ici vous pouvez vous asseoir sur une chaise confortable, ou faire ce que vous aimez, maintenant... écouter votre musique préférée... et vous sentir profondément détendue et bien... »
4. Il y a enfin une phase d’éveil. Le thérapeute suggère que la patiente décide elle-même du moment où elle va terminer l’exercice, en comptant silencieusement à rebours de 3 à 1. La plupart des patientes vont se réveiller sans difficulté. Nous ajoutons habituellement à la consigne que la patiente va ramener avec elle de cet exercice seulement les souvenirs, les sentiments et les pensées qu’elle peut supporter à l’état de veille. É VEIL « ... et quand vous serez prête pour cela, vous pourrez décider de terminer cet exercice, et de compter de 3 à 1. Et vous ne ramènerez avec vous que les expériences, les sentiments, les pensées et les images que vous pourrez supporter quand vous serez en état de veille. Et pendant que vous comptez de 3 à 1, vous devenez tout à fait réveillée, de retour dans l’ici-et-maintenant... »
Quand nous étions confrontés à un nombre croissant de patientes avec un diagnostic de trouble du comportement alimentaire et un tableau
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complexe (« multi-impulsivité ») ou traumatique, nous étions tentés d’utiliser les techniques hypnotiques indirectes (approche ericksonienne). Une nouvelle technique intéressante est celle de l’hypnose active en état de vigilance (active alert hypnosis) développée par Banyai et al. à l’université de Budapest (Banyai, Zseni et Tury, 1993). Dans cette forme d’induction hypnotique, la patiente conduit un vélo ergonomique (ou vélo d’appartement) et garde les yeux ouverts pendant toute la séance. Tout en pédalant, elle doit se concentrer sur le mouvement automatique de ses jambes, et de nouvelles suggestions sont données pour augmenter sa vigilance et son attention, et pour lui donner un sentiment de nouveauté. Cette technique nous a incités à essayer une procédure d’hypnose active : au lieu de pédaler réellement sur un vélo ergonomique, la patiente doit imaginer qu’elle pratique son activité physique préférée. Le fait que beaucoup de patientes présentant un trouble du comportement alimentaire soit fortement préoccupé par l’activité physique, l’entraînement est maintenant utilisé comme une porte d’entrée bien tolérée pour accéder à leur monde interne, ce qui permet d’induire un état hypnotique. Tout d’abord, la patiente doit écrire un texte à propos de son activité préférée, de quelque chose qu’elle aimerait faire dans le moment présent. Elle peut choisir ce qu’elle aime, mais il est important que cette acti