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THEORIE DES PARTIES PRENANTES INTRODUCTION La Théorie des Parties Prenantes est une référence désormais majeure dans plusieurs champs du management : elle constitue très souvent le cadre théorique utilisé dans le domaine de l’éthique de l’entreprise et de sa responsabilité économique et sociale (R.S.E.), et elle est de plus en plus fréquemment mobilisée dans les questions de gouvernement d’entreprise, le modèle stakeholder (partie prenante) proposant une vision alternative au modèle stockholder (actionnaire). On se propose donc d’en donner un aperçu en précisant ce qu’on doit entendre par partie prenante, et en présentant brièvement la, ou plutôt les théories des parties prenantes (TPP).
Contenu Introduction ........................................................................................................................ 1 1- La notion de Partie Prenante ............................................................................................. 2 Généalogie ........................................................................................................................ 2 Typologie ........................................................................................................................... 3 2- Les théories des Parties Prenantes ................................................................................... 4 La version normative.......................................................................................................... 4 La version descriptive ........................................................................................................ 4 La version instrumentale .................................................................................................... 5 Conclusion ............................................................................................................................ 6 Repères bibliographiques ...................................................................................................... 7
Théorie des Parties Prenantes : un aperçu
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1- LA NOTION DE PARTIE PRENANTE GENEALOGIE La notion de partie prenante est ancienne, si on considère ce qu’elle recouvre, et non le terme en lui-même. S’agissant de l’idée que l’entreprise concerne différents groupes ou institutions au sein de la société (au sens de communauté, pas au sens de firme), on peut en trouver la trace dès les années 30 et l’ouvrage de Berle et Means, qui anticipent que « le contrôle des grandes entreprises devrait conduire à une technocratie neutre équilibrant les intérêts des différents groupes de la communauté »1. Ils font le constat que l’entreprise ne se résume pas à un face à face plus ou moins collaboratif entre les apporteurs de capitaux et les apporteurs de travail, au premier rang desquels les managers, même si c’est essentiellement sur cette relation que porte leur analyse, fondatrice de la théorie de l’agence. On peut cependant noter que ce constat du poids social qui amène à prendre en compte de nombreux groupes concernés par l’activité de l’entreprise est fait avec regret par les deux auteurs, pour qui la gestion des dirigeants doit se faire au nom et dans le seul intérêt des actionnaires. Le terme de Partie Prenante n’apparaît que plus tard, dans les années 60, sous la plume d’Igor Ansoff qui parle de Stakeholder (mot à mot : qui détient un intérêt, un enjeu), une référence/jeu de mots avec Stockholder, actionnaire. La prise en compte des stakeholders est alors considérée comme un passage obligé, une contrainte qu’il convient de gérer. La notion et le terme de partie prenante sont cependant associés avant tout au travail de R.E.Freeman2, qui va en préciser les contours et en populariser l’usage à partir des années 80. Il en donne la définition suivante : « individu ou groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels ». La légitimité des parties prenantes vis-à-vis de l’organisation, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles il est justifié d’en tenir compte, se fonde à la fois sur : des considérations éthiques : les points de vue et les intérêts exprimés par les parties prenantes méritent en tant que tels d’être pris en considération. Il est ainsi légitime d’intégrer les conséquences sociales, environnementales, sociétales….de l’action des entreprises. des arguments liés au pouvoir, à l’influence réciproque de la firme et des parties prenantes : les interactions qui existent effectivement sont sources de dépendance mais aussi d’opportunités pour l’entreprise, de même que les parties prenantes peuvent subir mais aussi profiter de l’action de l’entreprise. Cela invite à considérer les meilleurs arrangements institutionnels, et notamment contractuels, entre les uns et les autres.
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TYPOLOGIE En retenant la définition des parties prenantes de Freeman, qui s’appuie sur le double critère « peut affecter » et « peut être affecté » par l’action de l’entreprise, on a affaire à une conception large, qui englobe de nombreuses catégories de parties prenantes. On peut les représenter dans le schéma suivant :
(d’après S. Mercier, 2001)
Le double sens des flèches ne signifie cependant pas que l’influence est nécessairement réciproque : elle ne l’est que potentiellement, ce qui signifie qu’une PP peut affecter l’entreprise sans être elle-même affectée, et qu’inversement l’entreprise peut être affectée par une PP sans affecter elle-même. De plus, l’effet peut être positif ou négatif, constituer un danger ou une aide. Pour mieux appréhender la diversité des PP, des typologies ont été proposées, dont on peut retenir : 1. La distinction PP internes / PP externes o PP internes : propriétaires, dirigeants, employés o PP externes : concurrents, consommateurs, gouvernements, groupes de pression, media, communauté… 2. La distinction PP primaires (qui ont une relation contractuelle, formelle avec l’entreprise) / PP secondaires (qui ont une influence plus distante et virtuelle). o PP primaires : propriétaires, employés, fournisseurs, clients o PP secondaires : media, consommateurs, groupes de pression, gouvernements, concurrents, public et société Retour sommaire
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2- LES THEORIES DES P ARTIES PRENANTES On a vu que la prise en compte des PP pouvait se justifier d’un point de vue éthique, d’une part, d’un point de vue stratégique, d’autre part. La réflexion sur les parties prenantes s’est donc assez logiquement dans un premier temps organisée selon deux directions, en cohérence avec ces deux points de vue : un axe normatif traitant des questions éthiques, et un axe stratégique traitant des interactions et de leurs conséquences stratégiques pour l’entreprise. Désormais, la théorie des parties prenantes est organisée en trois branches, cette distinction étant devenue incontournable depuis 1995 : « Donaldson et Preston recensent trois utilisations de la TPP : descriptive, instrumentale et normative. Cette typologie, devenue centrale, est systématiquement reprise dans les travaux postérieurs relatifs à la TPP », 3 rappelle S. Mercier .
L A VERSION NORMATIVE La version normative de la TPP vise à (ré)concilier les aspects éthique et économique. L’entreprise est considérée comme une institution dont les buts dépassent la seule maximisation du profit, et incluent la prise en compte, si ce n’est la satisfaction des intérêts des parties prenantes. Chaque partie prenante mérite de la considération pour elle-même, indépendamment de ce qu’elle peut apporter ou non à l’entreprise. On constate qu’il existe dans cette optique des impératifs moraux, une recherche du traitement équitable des individus, par conséquent la quête d’une « bonne » manière de traiter les parties prenantes. C’est en ce sens que la théorie est normative, et c’est ainsi très naturellement qu’elle se réfère à des auteurs tels que Kant ou Rawls pour leurs écrits philosophiques sur la morale ou la justice. C’est cette version normative qui est en premier lieu mobilisée quand il s’agit de donner un socle théorique à la question de la responsabilité économique et sociale de l’entreprise (R.S.E.). On peut cependant d’ors et déjà noter que les autres variantes de la TPP présentent parfois aussi des aspects normatifs, par exemple dans la version utilitariste quand il s’agit de dégager les « bonnes pratiques » en matière de management des parties prenantes.
L A VERSION DESCRIPTIVE La version descriptive de la TPP repose sur une vision de la firme comme une constellation d’intérêts, complémentaires ou antagonistes, « coopératifs et compétitifs » (Moore, 1999). Elle vise à analyser les relations entre l’organisation et son environnement, à expliquer comment fonctionnent les processus de management, comment les intérêts des PP sont effectivement pris en compte, la manière dont les PP affectent et/ou sont affectées par les décisions organisationnelles. La version descriptive peut également « contribuer à expliquer les conditions d’émergence de nouvelles formes organisationnelles qui prennent davantage en compte les intérêts de leurs PP. Elle se présente donc comme une réponse à la complexité croissante des organisations modernes et aux interrogations sur l’influence de ces organisations sur leur environnement et sur la société. »4
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L A VERSION INSTRUMENTALE La version instrumentale de la TPP repose principalement sur l’idée que « les entreprises qui pratiquent le management des parties prenantes, toutes choses égales par ailleurs, seront plus performantes en termes de profitabilité, de stabilité, de croissance etc. »5. Les relations avec les PP ne sont pas envisagées sous l’angle de la morale, mais des risques ou des opportunités qu’elles présentent. On va alors chercher à évaluer l’efficacité de telle ou telle pratique, dans le but d’en prescrire ou d’en déconseiller l’adoption. L’objectif est d’offrir des outils aux dirigeants pour gérer les relations avec les PP de manière à améliorer la performance de leur entreprise. Le fait que les dirigeants doivent répondre aux intérêts de l’ensemble des PP (stakeholders), et non pas uniquement servir les intérêts des seuls actionnaires (stockholders) permet de comprendre pourquoi la version instrumentale de la théorie des PP a pu être considérée comme une version élargie de la théorie de l’agence, qui comme on le sait se focalise dans sa version stricte sur la relation actionnairesdirigeants. En ce qui concerne les résultats de cette version instrumentale, certains théoriciens de la TPP ont pu estimer que la coopération et la confiance avec les PP constituait un avantage concurrentiel, car elles limitent les coûts liés à leur comportement potentiellement opportuniste. Une étude (Kotter et Heskett, 1992) menée sur 200 entreprises aboutit à la conclusion que la prise en compte par l’entreprise des intérêts des diverses PP n’est pas incompatible avec le profit, et est même favorable à la performance. Dans ces conditions, l’entreprise a donc tout intérêt à faire de la gestion de ses PP un aspect de son management stratégique. Sa prise en compte relèverait alors d’une méthodologie qui pourrait être la suivante, d’après plusieurs auteurs dont Freeman lui-même : -
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identification des PP de l’entreprise (qui sont-elles, quelles sont les coalitions formées entre les PP, quelles sont les PP potentielles ?) ; identification des intérêts des PP (que veulent-elles ? quel pouvoir relatif détiennentelles ? analyse des opportunités et défis qu’elles représentent pour l’entreprise (comment chaque PP est-elle susceptible d’affecter l’entreprise, comment l’entreprise peut-elle les affecter ?) ; analyse des responsabilités (économique, légale, éthique et discrétionnaire) de l’organisation envers ses PP ; mise en place d’un plan stratégique pour tirer parti des opportunités et éviter les menaces. Retour sommaire
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CONCLUSION Pour conclure cet aperçu, on veut souligner que la théorie des parties prenantes, qui valorise l’ensemble des partenaires de l’entreprise, et pas seulement les actionnaires, propose une vision élargie de l’entreprise, qui appelle une gouvernance partenariale en lieu et place de la traditionnelle gouvernance actionnariale, pour reprendre la distinction établie par G. Charreaux. Il convient à cet égard de resituer l’influence théorique de la TPP, qui reste, malgré son essor, minoritaire par rapport à la théorie de l’agence « classique » qui conçoit « la firme moderne comme devant être entièrement subordonnée aux intérêts des actionnaires »6. La valeur partenariale est certes de plus en plus reconnue, mais c’est bien la valeur actionnariale qui prime dans les faits et les modèles. En outre, la TPP ne constitue pas une révolution par rapport au modèle d’analyse dominant, et s’appuie tout comme la théorie de l’agence sur une vision de la firme comme un nœud de contrats. La différence, et c’est la raison pour laquelle on a pu employer le terme de théorie de l’agence élargie, est que le nombre d’agents impliqués est plus élevé, mais l’approche reste contractualiste. Dès lors, le reproche qui a pu être fait à cette approche est de réduire le phénomène collectif de la firme à des interactions qui seraient pour l’essentiel librement consenties et formalisées7. Se trouvent ainsi reléguées au second plan, pour le moins, les questions des asymétries de pouvoir entre agents, du poids des institutions dans l’établissement et le contenu des contrats, du rôle des conventions non contractualisées entre acteurs. Finalement, la dimension normative semble bien présente dans l’ensemble des théories des parties prenantes, et c’est une norme d’inspiration nettement libérale, le système économique étant ramené à « des associations volontaires d’adultes libres, responsables, coopératifs, consentants et complexes » (Freeman, 2002). Cette vision de la firme comme nœud de contrats n’est pourtant pas nécessairement le fin mot de la théorie de l’entreprise, même si elle est dominante. On peut au contraire privilégier une approche qui confère à l’entité entreprise une épaisseur, une autonomie, où elle est vue comme la réunion de compétences variées (stratégiques, cognitives, financières) assurant sa prospérité. Le pouvoir qui revient aux dirigeants et aux administrateurs est alors orienté non seulement vers la satisfaction des objectifs des propriétaires de l’entreprise, mais « exercé au nom de l’intérêt de l’entité, qui à la fois, synthétise et dépasse l’intérêt de ses principales parties prenantes (actionnaires et salariés)»8. Retour sommaire
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REPERES BIBLIOGRAPHIQUES 1
A; Berle et G. Means, The Modern Corporation and Private Property, 1932
2
R.E. Freeman, Strategic Management : A Stakeholder Approach, 1984
S. Mercier, L’apport de la théorie des parties prenantes au management stratégique : une synthèse de la littérature, 2001 3
4
S. Mercier et J.P. Gond, Les théories des parties prenantes, une synthèse critique de la littérature, 2004 5
Y. Pesqueux, S. Damak-Ayadi, La théorie des parties prenantes en perspective, 2004
6
M. Vujisic, L’entreprise doit-elle être gérée dans l’intérêt exclusif de l’actionnaire ?, 2006
7
D. Cazal, La RSE et ses parties prenantes : enjeux sociopolitiques et contrats, 2006
8
M. Aglietta et A. Rebérioux, Les dérives du capitalisme financier, 2004 Retour sommaire
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