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LA RESPONSABILITE DU BANQUIER DISPENSATEUR DE CREDIT
Il est aujourd’hui admis que le dispensateur de crédit est un véritable « poumon » ou « sang»[1] de nos économies. L’augmentation des concours bancaires est un stimulateur essentiel de la croissance macro-économique et il est de l’essence du métier de banquier de prendre des risques économiques. Par son action, il remplit la mission pour laquelle il a été sollicité : apporter un concours bancaire à l’agent économique, particulier ou entreprise. L’appellation de « professionnel de l’argent » du banquier ressort de la définition des opérations de banque et des banquiers donnée par l’Art.1 de la loi 103-12 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés qui dispose : « Sont considérés comme établissements de crédit les personnes morales qui exercent leur activité au Maroc, quels que soient le lieu de leur siège social, la nationalité des apporteurs de leur capital social ou de leur dotation ou celle de leurs dirigeants et qui effectuent, à titre de profession habituelle, une ou plusieurs des activités suivantes : – La réception de fonds du public ; – Les opérations de crédit ; – La mise à la disposition de la clientèle de tous moyens de paiement ou leur gestion. » Il peut dès lors paraître injuste de rechercher la responsabilité du banquier dispensateur de crédits alors que celui-ci est souvent à l’origine d’actions louables[2]; allant du crédit à la consommation, au crédit à l’investissement sans oublier le rôle macroéconomique de l’activité bancaire qu’on apparente parfois à un « service public » qui est sans aucun doute le nerf du système monétaire et financier. Faire du banquier, le responsable idéal des difficultés de l’entreprise parce qu’il est solvable, risque dès lors de compromettre la situation du distributeur de crédits. Pour autant, on ne peut passer sous silence la situation des victimes de « mauvais crédits ». En soutenant l’activité de son client, le banquier peut avoir directement ou indirectement trompé les tiers sur la santé financière de l’entreprise. La Cour de cassation française a d’ailleurs énoncé à ce propos « qu’il est constant qu’en raison de son rôle économique et public de distributeur de crédit, et de la foi qui s’attache à ses affirmations, la banque est tenue envers les tiers à certains devoirs de renseignement et de prudence ». A ce jour, la responsabilité du banquier dispensateur de crédit ne peut donc être remise en cause, la naissance d’un droit à réparation non
plus. Cependant, le problème reste entier : quels sont les contours de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit face à une entreprise en difficulté ? Il est dès lors important d’examiner le principe de la responsabilité du banquier dispensateur de crédits face à l’entreprise en difficulté (I) ainsi que les tempéraments qui y sont apportés (II) I – L’affirmation de la responsabilité du banquier dispensateur de crédits face à l’entreprise en difficulté La mise en jeu de la responsabilité du banquier est soumise à des conditions juridiques particulières (A) et engendre des conséquences procédurales (B) A- Les conditions juridiques de mise en œuvre de la responsabilité du banquier dispensateur de crédits L’action en responsabilité intentée contre le banquier dispensateur de crédit suppose, d’une manière très classique, qu’une faute soit démontrée à son encontre (1), qu’un préjudice soit établi par la prétendue victime (2) et qu’un lien de causalité apparaisse entre cette faute et ce dommage (3). 1- La faute du dispensateur de crédit : Face à une entreprise en difficulté, deux fautes sont susceptibles d’être reprochées à la banque dispensatrice de crédit : l’octroi abusif de crédit (a) et le manquement à l’obligation de conseil lui incombant (b) a) L’octroi abusif de crédit : De manière unanime, la qualification de « soutien abusif » est reconnue pour le financement d’entreprise en situation irrémédiablement compromise. Les termes employés par les juges pour qualifier le crédit excessif sont très proches. Il s’agit d’un crédit « dépassant manifestement » la capacité de remboursement de l’emprunteur, ou révélant une « disproportion manifeste », « hors de proportion », incompatible, sans rapport avec celles-ci. La Cour de cassation française[3], dans un arrêt important concernant la définition de prêts excessifs aux entreprises, les définit comme les « crédits dont le montant est sans rapport avec les capacités de financement de l’entreprise ». De manière générale, il y a soutien abusif dans deux séries d’hypothèses : -le soutien abusif consiste en l’octroi d’un crédit, en connaissance de cause, à un débiteur dont la situation est irrémédiablement compromise au jour de l’octroi de crédits.
– lorsque le créancier professionnel a contribué au dépôt de bilan par une politique de crédits ruineux. Dès lors, on comprend aisément qu’un emprunteur soit tenté de reprocher à son banquier le caractère prétendument excessif des financements qu’il lui a accordé dès l’instant où il éprouve des difficultés à rembourser[4]. Mais la jurisprudence française ne manifeste pas la même clémence à l’égard des débiteurs avertis qu’envers les consommateurs ou les professionnels peu expérimentés et, d’une manière générale, se montre hostile aux actions introduites par des emprunteurs avisés[5]. Ainsi, ni une société ni ses dirigeants ou associés ne sauraient invoquer l’octroi fautif d’un crédit manifestement excessif par une banque, du moment où la situation était connue des demandeurs et résultait de leur propre faute[6]. Ainsi l’établissement de crédit n’engagera sa responsabilité pour avoir méconnu la règle de proportionnalité que s’il était informé de la situation de son client[7] , alors que l’intéressé ne disposait pas lui-même des éléments d’appréciation pertinents. C’est dans ce sens que la Cour de cassation marocaine a rendu un arrêt le 4/11/2009 dans lequel elle a considéré que : « Attendu que la responsabilité de la banque ne peut être engagée à l’égard de son client au motif qu’elle aurait octroyé à ce dernier un crédit sans tenir compte de sa situation financière. Attendu que l’allégation selon laquelle le crédit qui lui a été consenti lui a porté préjudice puisqu’il n’a pas tenu compte de ses moyens financiers et de sa capacité de remboursement et que cela a contribué à la dégradation de sa situation financière ne peut suffire à engager la responsabilité de la banque, la mauvaise foi de celle-ci n’ayant pas été établie . Cette mauvaise foi ne peut être prouvée que s’il est établi que la banque a eu connaissance de la réalité de la situation financière difficile du client , et que le crédit excessif allait lui porter préjudice »[8] . Mais, la responsabilité du banquier peut également résulter d’un manquement à son devoir de conseil. b) Le manquement de la banque à son devoir de conseil : L’obligation de conseil impose au banquier un devoir de se renseigner sur la situation personnelle actuelle et future de son client [9] . C’est le cas par exemple lorsqu’il agit en tant que dispensateur de crédit. Afin de remplir son obligation de conseil, le banquier se doit en effet d’apprécier les capacités de remboursement du candidat à l’emprunt. Il devra pour cela procéder à des investigations sérieuses sur la situation financière de l’emprunteur et son aptitude à rembourser les sommes
empruntées. Il doit par exemple vérifier, grâce à des justificatifs que devra lui fournir le client, si le montant du prêt et les revenus de l’emprunteur ne sont pas sans proportion[10] . C’est seulement ensuite, grâce à l’analyse de la situation concrète de son client que le banquier pourra utilement l’informer et le conseiller. L’obligation de conseil, impliquant quant à elle une incitation à un comportement, nécessite une personnalisation, une prise en compte de la situation particulière du partenaire contractuel, une appréciation in concerto, en somme. Afin de remplir son obligation de conseil, le banquier devra en effet mettre en lumière à la fois les avantages et les inconvénients de l’opération envisagée. L’obligation de conseil emporte donc tout d’abord en elle-même une obligation d’information circonstanciée. L’obligation de conseil emporte encore ensuite une obligation de guider la décision du client. Cette obligation pouvant revêtir une nature positive – c’est-à-dire conseiller positivement un comportement – ou au contraire une nature négative – déconseiller un comportement en avertissant et en mettant en garde le client sur les conséquences préjudiciables de celui-ci[11]. Quelle que soit la nature positive ou négative du conseil, l’obligation de conseil ne saurait en aucun cas se transformer en une substitution dans la prise de décision finale par le client, ce dernier demeurant seul juge de l’opportunité de suivre ou non le conseil prodigué par le professionnel. Il s’agit d’une simple obligation de moyens. Il n’existe donc pas aujourd’hui d’obligation de refuser pour le banquier. Cette position était cependant difficilement conciliable avec le devoir de non immixtion pesant par ailleurs sur les professionnels du crédit dans les affaires du crédité. 2- Lien de causalité : Le demandeur doit prouver, selon les principes du droit commun, que le dommage qu’il éprouve est bel et bien causé par la faute du banquier[12]. 3- Dommage : Lorsqu’il est reproché à l’établissement de crédit d’avoir manqué à son devoir de conseil en accordant un crédit excessif ou inapproprié, le préjudice subi par le débiteur dépend des circonstances de l’espèce. Il peut par exemple, être représenté par la perte de la valeur des parts sociales et du fonds de commerce d’une société résultant de l’ouverture d’une procédure de liquidation du fait de l’octroi abusif d’un crédit[13] ou
par la saisie des meubles d’un débiteur à qui avait été accordé un crédit dont la charge de remboursement excédait de façon manifeste les capacités financières[14]. B- Les conséquences procédurales de la responsabilité du banquier dispensateur de crédits : L’ampleur du risque pesant sur les créanciers dispensateurs de crédit de voir leur responsabilité recherchée pour réparer les préjudices résultant d’un octroi abusif de concours est fonction à la fois des titulaires du droit d’agir (1) et de la réparation à laquelle ils pourront éventuellement être condamnés (2). 1- Titulaires de l’action en responsabilité : Une action en responsabilité contre l’établissement de crédit dispensateur de crédit peut être intentée par plusieurs protagonistes, le débiteur lui-même (a) la caution du débiteur (b) les créanciers du crédité (c) a) le débiteur lui-même, Après avoir sollicité et obtenu le crédit litigieux, le débiteur peut invoquer la responsabilité contractuelle de son créancier. La doctrine française enseigne qu’un crédité , qu’il soit défaillant ou non , peut demander réparation à son cocontractant du préjudice résultant du manquement de celui-ci à son obligation de vigilance , c’est-à-dire de prudence et de discernement , dans le cadre d’une opération de crédit [15]. La chambre commerciale de la Cour de cassation française s’est également régulièrement prononcée en faveur de la possibilité de poursuivre la responsabilité contractuelle de l’établissement de crédit, bien qu’en règle générale le demandeur n’ait pas obtenu satisfaction dans les espèces concernées. Néanmoins la Cour de cassation française essaie de trouver un équilibre entre les intérêts de l’emprunteur, qui a besoin de crédit et doit assumer le risque de son entreprise, et ceux du banquier, qui recherche un profit tout en étant tenu à la fois d’un devoir de discernement et d’une obligation de non-ingérence ou de non immixtion. Il en résulte que l’action du débiteur, située sur le terrain contractuel est recevable, mais son résultat ne sera que rarement à la hauteur des espoirs du demandeur. En effet, le crédité est responsable de ses affaires et de ses erreurs. C’est dire que sa faute absorbera le plus souvent celle du banquier et que, par conséquent, la responsabilité de l’établissement de crédit n’est envisageable que dans des cas précis tels que cela a été démontré plus haut. b) la caution du crédité défaillant, Celle-ci poursuivie par l’établissement de crédit, peut chercher à
échapper à son obligation accessoire en engageant la responsabilité de ce dernier sur le fondement des fautes qu’il a pu commettre envers le débiteur principal lors de l’octroi du concours financier. Dès lors, la possibilité d’invoquer le soutien abusif comme fondement de la responsabilité du créancier peut permettre à la caution, soit d’obtenir par voie de demande reconventionnelle des dommages intérêts venant se compenser avec sa dette, soit d’être simplement déchargée de son obligation par voie de défense au fond en raison de la faute commise envers le débiteur principal. Il peut être tentant pour la caution de mettre en cause la responsabilité de la banque à l’occasion de la défaillance du débiteur principal en invoquant à la fois un soutien abusif à l’égard de celui-ci outre une disproportion de l’engagement de cautionnement par rapport à leurs ressources et à leurs facultés de remboursement. Toutefois, il est nécessaire que la caution établisse le lien de causalité entre la faute imputée au créancier et le préjudice qu’elle prétend subir, qui consiste dans la perte d’une chance de ne pas être inquiétée. Le lien de causalité doit être bien évidemment également établi lorsque la caution prétend subir les conséquences d’un soutien abusif du débiteur principal. Il peut en réalité s’avérer que le crédit accordé à ce dernier n’a que peu contribué à la détérioration de la situation financière de l’entreprise de l’entreprise cautionnée. Plus souvent cependant, lorsqu’elle invoque la responsabilité du banquier pour abus de crédit, la caution échoue dans sa tentative de libération parce que sa position, au sein de l’entreprise financée, démontre qu’elle disposait de toutes les informations permettant d’apprécier le risque de l’opération garantie. En effet, la Haute juridiction française a posé en principe[16] que le dirigeant -caution « n’est pas fondé, à défaut de circonstances exceptionnelles, à mettre en œuvre la responsabilité de la banque pour soutien abusif de crédit ». Il est en effet censé connaître aussi bien, sinon mieux, la situation de son entreprise, et, dès lors, il est de son devoir de ne pas solliciter un crédit lorsque son entreprise se trouve dans une situation sans issue, tout comme il lui appartient d’agir pour maintenir un crédit indispensable. L’implication de la caution dans l’opération rompt la chaîne des causalités, ce qui la prive du droit d’agir en responsabilité[17] ou plutôt compromet ses chances de voir son action en responsabilité aboutir. Les professeurs Michel Cabrillac et Christian Mouly observent [18] que
la faute du banquier n’a plus le « caractère de cause déterminante du préjudice de la caution ». Mais la Cour de cassation, en posant le principe de « l’indignité » de la caution dirigeante à faire reconnaître la responsabilité du banquier, cherche à sanctionner de la façon la plus ferme la mauvaise foi de celleci, et à lui faire respecter son engagement. Plus souvent cependant, lorsqu’elle invoque la responsabilité du banquier pour abus de crédit, la caution échoue dans sa tentative de libération parce que sa position, au sein de l’entreprise financée, démontre qu’elle disposait de toutes les informations permettant d’apprécier le risque de l’opération garantie [19]. c) les créanciers du crédité Au titre des diverses personnes fondées à invoquer la responsabilité des professionnels du crédit pour soutien abusif figurent les créanciers du crédité qui sont, bien entendu, fondés à exercer une action en responsabilité contre le banquier qui aura dispensé un crédit excessif à l’entreprise débitrice, crédit sans lequel cette entreprise n’aurait pas eu l’apparence de solvabilité qu’elle avait alors, ce qui aurait certainement évité au créancier de contracter avec elle. Les créanciers qui prétendent avoir été victimes du comportement et des décisions de la banque dispensatrice de crédit doivent démontrer la réalité du préjudice qu’ils ont subi et l’existence d’un rapport de causalité unissant ce dommage à la faute de la banque et l’existence d’un rapport de causalité unissant ce dommage à la faute de l’établissement de crédit , puisque leur action se situe sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle de droit commun énoncée par les articles 77 et 78 du DOC dans la mesure où ils ne sont liées par aucune espèce de contrat avec la banque. 2- La réparation ; Lorsque le principe de la réparation est admis, il faut en fixer le montant. En l’occurrence, c’est le droit commun qui s’applique. Ainsi, le montant des dommages -intérêts est à chaque fois un cas d’espèce qui sera apprécié souverainement par le juge, avec au moyen d’une expertise. La réparation due à la caution peut se résoudre, selon les cas, en
l’annulation du contrat de cautionnement ou la condamnation à des dommage-intérêts pouvant être équivalents à la dette garantie et donc venir se compenser avec elle.
II – Les tempéraments au principe de la responsabilité du banquier dispensateur de crédits face à l’entreprise en difficulté L’examen de la législation et de la jurisprudence française révèle un certain nombre de tempérament au principe de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit quant aux conditions de forme de l’action (A), et aux conditions de fond (B). A- Les obstacles à la recevabilité de l’action : Les conditions de recevabilité de l’action peuvent, tout d’abord, neutraliser la volonté de certaines victimes d’engager une action en responsabilité. En particulier, les créanciers antérieurs à la procédure collective ouverte à l’égard de l’entreprise doivent s’en remettre aux mandataires de justice, dès lors qu’ils veulent obtenir réparation du préjudice subi collectivement du fait de l’octroi abusif de crédit. En effet la Cour de cassation française a considéré que l’action d’un créancier agissant ut singuli dans l’intérêt collectif des créanciers était irrecevable, même en cas d’inaction des mandataires de justice selon l’interprétation généralement admise de cette décision[20]. Toutefois, le syndic du redressement ou de la liquidation peut intenter l’action au nom des créanciers B- Les obstacles au fond ; Même lorsque l’action est recevable, le demandeur est régulièrement débouté de sa demande, parce que la Cour de cassation française, estime dans de nombreuses espèces, en vertu d’une appréciation particulièrement restrictive de la faute, que le demandeur n’a pas rapporté la preuve, soit du caractère ruineux du crédit, soit du caractère artificiel du soutien du créancier[21]. En particulier dans cette seconde série de cas, le demandeur doit prouver que le dispensateur de crédit a apporté un soutien artificiel à une entreprise dont il connaissait la situation irrémédiablement compromise, au moment où il a accordé son
concours. Cette preuve est délicate à rapporter pour deux raisons : – parce que la notion de situation irrémédiablement compromise peut être appréciée plus ou moins étroitement par les juges du fond, disposant d’un pouvoir souverain en la matière[22]. – parce que cette connaissance de la situation est difficile à démontrer en tantqu’élément subjectif de la faute. Cependant un établissement de crédit en général qui gère le compte courant du débiteur « en temps réel » a connaissance de la situation financière de son client. La Cour de cassation française a même ajouté une présomption de connaissance de la situation sans issue de l’entreprise par le créancier, dès lors qu’il a été alerté par des motifs lui permettant de douter de la bonne santé financière de son débiteur, mais qu’il n’a pas fait preuve de davantage de diligence et ne l’a pas vérifié en s’informant[23]. Ainsi, la responsabilité du dispensateur de crédit est engagée lorsqu’il connaissait ou « aurait dû connaître, s’il s’était informé »[24], de la situation irrémédiablement compromise du débiteur[25]. Cependant, la preuve du caractère ruineux du crédit ou du caractère artificiel du soutien, facilitée ou non, ne constitue ni le seul ni le principal obstacle aux actions en responsabilité pour octroi de crédits. En outre la Cour de cassation française a posé une exigence beaucoup plus restrictive qui rend l’admission de l’action en responsabilité très improbable, puisque celle-ci est subordonnée à l’existence de « circonstances exceptionnelles ». Ainsi, la responsabilité du dispensateur de crédit ne peut être retenue que dans les cas exceptionnels où celui-ci avait des informations sur le crédité que lui-même aurait ignoré. En effet, en matière de crédit ruineux, il est nécessaire que le dispensateur de crédit ait eu des informations sur les capacités de remboursement de l’emprunteur ou sur les risques de l’opération financée que, par suite de circonstances exceptionnelles, l’emprunteur lui-même ignorait.
De même, en matière de soutien artificiel, il est nécessaire de vérifier si le dispensateur de crédit savait ou aurait dû savoir, que la situation de l’entreprise était irrémédiablement compromise et, dans le cas où elle l’aurait été, si par suite de circonstances exceptionnelles, le crédité l’ignorait[26]. Ainsi, dans ce dernier cas la responsabilité pour octroi abusif de crédit d’une banque ne peut pas en réalité être retenue, alors même qu’elle avait parfaitement connaissance de la situation irrémédiablement compromise du débiteur. Il n’en irait autrement que si le débiteur, censé connaître sa propre situation, ignorait que celle-ci était sans issue. Les risques que courent les établissements de crédit sont d’autant plus réduits que la Cour de cassation française réserve le même sort aux actions engagées par la caution du crédité- le plus souvent dirigeant caution – qui se prévaut de la faute commise à l’encontre du débiteur principal. Du fait de sa qualité et de ses fonctions dans la société débitrice principale, cette caution est réputée savoir parfaitement si les crédits sont ruineux ou si la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise et ce n’est que si, par suite de circonstances exceptionnelles[27], la caution dirigeante a été moins bien informée que le fournisseur de crédit que la responsabilité de ce dernier pourrait être engagée. En dernier lieu, de nombreux arrêts de la Cour de cassation française écartant la responsabilité prennent le soin de préciser, outre l’absence de circonstances exceptionnelles où des informations seraient inconnues de l’emprunteur ou de la caution mais connues du créancier, que le concours a été sollicité par l’emprunteur lui-même – alors même que l’action lui est en principe ouverte. Relever le fait que le crédité a été à l’initiative du concours préjudiciable laisse entendre qu’il était le mieux à même de juger du bien-fondé du crédit au regard de ses capacités de remboursement ou des risques de l’opération financée ; d’autant qu’en vertu d’un devoir désormais classique du banquier celui-ci n’a pas à s’immiscer dans la gestion des affaires de son client. On peut également y voir l’idée que la victime est déboutée de sa demande en réparation du fait de sa faute à l’origine de son propre dommage.