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Physiologie et physiopathologie de la mastication M.-J. Boileau, M. Sampeur-Tarrit, C. Bazert La mastication est la première étape de la digestion chez la plupart des mammifères. Elle met en jeu plusieurs activités motrices qui préparent la nourriture pour la rendre compatible avec la déglutition. Pendant la séquence masticatrice, des mouvements mandibulaires rythmiques et une activité linguale coordonnée assurent le transport et la fragmentation de l’aliment. Les mouvements masticateurs sont très complexes. La mastication nécessite la coordination parfaite des motoneurones innervant les muscles impliqués. Un générateur central du programme de mastication produit leur schéma d’activité de base mais cette activité est modulée par des influx corticaux et des influx périphériques issus de l’activation des récepteurs sensoriels périphériques permettant l’adaptation des mouvements mandibulaires et des forces masticatrices à la consistance, la forme et la taille du bol alimentaire. La mastication unilatérale dominante peut induire un développement maxillofacial asymétrique ou, chez l’adulte, des dysfonctions articulaires et des lésions parodontales. L’efficacité masticatrice peut être réduite par des pathologies nerveuses, musculaires ou dentaires. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Mastication ; Mouvements mandibulaires ; Muscles masticateurs ; Neurogenèse de la mastication ; Dysfonction
Évolution phylogénique
Plan ¶ Introduction Évolution phylogénique Maturation de la mastication
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¶ Physiologie de la mastication Mouvements mandibulaires et linguaux Activités musculaires au cours de la mastication Neurogenèse de la mastication
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¶ Physiopathologie de la mastication Syndrome de mastication unilatérale dominante Perturbations de la mastication
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¶ Conclusion
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■ Introduction La mastication est la première étape de la digestion chez la plupart des mammifères. Elle associe, au cours d’une même séquence, plusieurs activités motrices, comme la préhension, l’incision des aliments, leur transport intrabuccal et leur fragmentation. Elle réalise ainsi la préparation mécanique et l’insalivation du bol alimentaire afin de le rendre apte à la déglutition. Cet acte rythmique, très complexe, est effectué grâce à l’activité coordonnée des muscles masticateurs mais aussi faciaux, linguaux et hyoïdiens. La coordination parfaite des motoneurones les innervant est d’autant plus indispensable que certains d’entre eux sont simultanément impliqués dans d’autres fonctions comme la respiration. Elle est assurée par un générateur de rythme sous-cortical, le centre de la mastication, dont l’activité peut être modifiée par des influx corticaux ou périphériques conférant à la mastication sa grande adaptabilité aux caractéristiques de l’aliment mastiqué. Stomatologie
Pour Gaspard [1], une authentique fonction de mastication n’est apparue qu’avec les reptiles théromorphes, il y a environ 200 millions d’années. Au cours de la phylogenèse, l’évolution parallèle des comportements alimentaires et des structures craniofaciales a permis de répondre à l’augmentation des besoins en tirant le meilleur parti des différentes sortes d’aliments disponibles [2]. L’évolution des comportements répond à un souci d’efficacité passant, dans un premier temps, d’habitudes microphages à des pratiques macrophages plus rapides et plus efficaces pour s’alimenter [3]. De même, chez les mammifères, la fragmentation des aliments par la mastication et l’action des enzymes salivaires assurent une augmentation considérable de l’efficacité digestive nécessaire au métabolisme rapide associé à l’homéothermie [3]. Une des premières modifications essentielles des structures craniofaciales a été la transformation, chez les vrais poissons, du squelette des deux premiers arcs branchiaux pour former deux mâchoires opposables. Puis, chez les poissons crossoptérygiens et, par la suite, les vertébrés, la mâchoire supérieure s’est fermement solidarisée au crâne. Chez les mammifères, de nouvelles modifications structurales favorisent la mastication : • la mandibule devient un os unique et la musculature craniomandibulaire se réorganise, permettant de développer des forces importantes ; • les lèvres et les joues apparaissent, aidant la langue à positionner le bol alimentaire entre les arcades ; • et surtout, le développement du palais secondaire et d’un mécanisme de protection du pharynx permet de respirer pendant une mastication prolongée. La morphologie des dents et des articulations temporomandibulaires (ATM) s’adapte au régime alimentaire.
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Pour Gaspard [4], la fusion par ankylose des deux hémimandibules en un arc continu chez les simiens et les hominiens confère à la mandibule la possibilité de résister aux contraintes de torsion, de flexion et de cisaillement exercées lors de la mastication unilatérale alternée.
Maturation de la mastication La mastication fait suite à la succion-déglutition caractérisée par des mouvements mandibulaires symétriques par rapport au plan sagittal médian, lents et quasi uniformes [1]. La structuration et le remaniement des principaux muscles masticateurs autorisent, dans un deuxième temps, le jeu différentiel de leurs faisceaux contractiles conduisant à des mouvements variés. Pour Gaspard, c’est vers le cinquième mois qu’apparaît le mâchonnement unilatéral alterné, déplacement mandibulaire en diagonale avec un léger effet de torque, annonciateur de la diduction. La mastication véritable se développe après l’évolution des dents temporaires lors de l’établissement des premières clés occlusales, les afférences desmodontales jouant un rôle essentiel dans cet apprentissage. Cette maturation est rapide et le type masticateur est stable et bien coordonné vers 4 ou 5 ans pour certains auteurs [1, 5] ou lors de la mise en occlusion des premières molaires [6].
■ Physiologie de la mastication Mouvements mandibulaires et linguaux La mastication est accomplie grâce à des mouvements mandibulaires rythmiques dans les trois dimensions de l’espace qui permettent la fragmentation et l’écrasement de l’aliment entre les arcades dentaires associés à des mouvements coordonnés de la langue, des joues et des lèvres qui assurent le transport, la formation et le contrôle du bol alimentaire. Différents moyens ont été ou sont utilisés pour étudier les mouvements mandibulaires, observation directe du point interincisif ou du menton, enregistrements graphiques, photographiques, vidéographiques, radiographiques, électroniques et électromagnétiques. Plus récemment, la cinéfluorographie et la vidéofluorographie ont permis de mieux connaître les mouvements linguaux. Chaque fois que le point interincisif mandibulaire revient à sa position initiale, la mandibule a effectué un cycle masticateur. Selon la position de l’aliment entre les arcades on distingue trois modes de mastication : • la mastication unilatérale alternée, la plus fréquente et la plus physiologique : l’aliment est écrasé d’un seul côté (côté travaillant) mais avec une alternance plus ou moins régulière selon les cycles ; • la mastication unilatérale stricte ou dominante : le côté travaillant est presque toujours le même ; • la mastication bilatérale : l’aliment est écrasé simultanément des deux côtés. De nombreux sujets présentent un côté préférentiel de mastication [7]. Cependant, sa détermination est variable selon les auteurs qui analysent soit les déplacements latéraux de la mandibule lors du 1er cycle [8] ou de quelques cycles sélectionnés ou de nombreux cycles, soit l’activité musculaire ou les facettes d’usure [7]. Pour Hoogmartens [8], cette préférence latérale lors de la mastication serait indépendante des autres préférences latérales et serait donc en relation avec des mécanismes périphériques. Ainsi, pour de nombreux auteurs [5, 9], le côté préféré correspondrait à celui assurant le maximum de contacts lors du guidage occlusal.
Séquence masticatrice et différents types de cycles Pour Schwartz [2-10], une séquence masticatrice correspond à l’ensemble des mouvements de l’ingestion de l’aliment jusqu’à sa déglutition complète.
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À la différence des autres mammifères, l’homme et le macaque peuvent présenter plusieurs déglutitions dans une même séquence déterminant ainsi des sous-séquences. La plus grande partie de la mastication s’effectue avant la première déglutition [11]. Selon la forme des cycles qui la composent, leur rôle dans les transformations de l’aliment et l’activité musculaire développée, la séquence masticatrice peut être divisée en trois phases, de dénomination variable selon les auteurs. 1ère phase : série préparatoire [2], étape I de transport [12] Durant cette première phase la nourriture est rassemblée et fractionnée en morceaux de taille compatible avec la mastication puis déplacée par la langue vers l’arrière et les surfaces occlusales molaires [2]. Chez l’homme, l’incision assure la section de l’aliment et son introduction dans la bouche. Elle est réalisée par un mouvement mandibulaire rétroascendant qui contribue au début du déplacement de l’aliment vers l’arrière. Cette série de mouvements est composée, chez l’animal, d’un petit nombre de cycles de type I [2] ne comportant que deux phases, une fermeture rapide et une ouverture, et s’accompagnant d’un faible déplacement latéral. Ils sont caractérisés par une activité réduite des muscles élévateurs et une forte activité des sus-hyoïdiens. Chez l’homme, quand ils existent, ils présentent les mêmes caractéristiques que chez l’animal mais leur nombre et leur amplitude sont plus réduits. Cette réduction de la phase de transport est en relation avec la faible distance séparant les incisives des molaires et avec l’utilisation des mains ou d’instruments pour placer la nourriture dans la bouche. De plus, les conditions anatomiques humaines ne sont pas appropriées à une étape I de transport efficace [13]. Cependant, même réduite à un cycle ou deux, pour Thexton [13], cette étape est essentielle dans le déplacement vers les molaires d’un morceau d’aliment dur juste cassé par les incisives. La langue joue un rôle très important dans ce transport. Elle s’avance et vient se placer sous l’aliment encore piégé entre les incisives ou contre le palais, puis elle se rétracte pendant que la mandibule est encore abaissée. Les mouvements mandibulaires et linguaux sont coordonnés : la protraction de la langue s’effectue à de faibles niveaux d’ouverture buccale, pendant la phase d’ouverture, alors que la rétraction se produit à de grands niveaux d’ouverture, en fin de phase d’ouverture et pendant la phase de fermeture. Dans le plan frontal, la langue place le morceau d’aliment sur les faces occlusales par des mouvements de poussée, de rotation et d’inclinaison [14]. Au cours de cette phase de préparation, la langue oriente les morceaux d’aliment de sorte que leur plus grand côté soit parallèle à l’axe mésiodistal de l’arcade offrant ainsi une surface de contact avec l’arcade la plus grande possible [15]. 2ème phase : série de réduction [2], période de mastication rythmique [10] Elle assure la majeure partie du fractionnement de la nourriture grâce à des mouvements mandibulaires de type II [2] correspondant aux cycles masticateurs [11] tels qu’ils sont largement décrits dans la littérature. Selon les auteurs et l’aspect de la mastication qu’ils privilégient ces cycles sont divisés en différentes phases (Fig. 1). Ces cycles se caractérisent par une grande activité des muscles élévateurs et peuvent être divisés en trois phases [2-10] : • une phase d’ouverture, régulière et rapide chez l’homme ; • une phase de fermeture rapide jusqu’au contact avec l’aliment ; • une phase de fermeture lente caractérisée par l’écrasement de l’aliment entre les arcades et la très grande activité des élévateurs (phase de puissance ou « power stroke »). Forme des cycles masticateurs. Elle est très variable d’un individu à l’autre mais aussi pour un même individu en fonction de la place du cycle dans la séquence ou de l’aliment. Stomatologie
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Occlusion centrée Broiement 12 % Côté non Préparation 36 % travaillant
Entrée dentaire du cycle masticatoire
Côté travaillant
Écrasement 34 %
Établissement du contact avec le bol alimentaire 12 %
Sortie dentaire du cycle masticatoire
PIM
Fermeture
Ouverture
B
A Côté droit
PIM
Côté gauche Glissement occipital
Fermeture lente
Ouverture Phase de fermeture
Phase d'ouverture
Fermeture rapide
C
Plan sagittal médian
D
Figure 1. Divisions d’un cycle masticateur en différentes phases selon : A. Murphy (in [9]). B. Lauret et Le Gall ; PIM : position d’intercuspidation maximale. C. Lund. D. Ahlgren.
La mastication étant le plus souvent unilatérale, on distingue un côté travaillant ou triturant et un côté non travaillant. Dans le plan frontal (Fig. 2, 3), le point interincisif décrit une trajectoire vaguement elliptique. La mandibule s’abaisse avec une faible déflexion latérale, le plus souvent vers le côté non travaillant, suivie d’un retour vers le côté travaillant. Elle peut aussi se déplacer d’emblée vers ce côté. À partir de l’ouverture maximale, la phase de fermeture rapide s’effectue avec une déflexion latérale vers le côté travaillant. La phase de fermeture lente est orientée médialement, ramenant la mandibule vers la position d’intercuspidation où elle effectue, chez la majorité des sujets, une pause. Chez l’homme, cette période est plus longue que chez les autres animaux et établit quasi constamment des contacts dentaires. Selon l’amplitude latérale, on distingue [5] des mouvements essentiellement verticaux de type hachoir (« chopping movements ») à l’amplitude latérale très réduite et des mouvements de broiement (« grinding movements ») dont l’amplitude latérale importante permet l’écrasement de la nourriture entre les surfaces occlusales. Lorsque la nourriture est interposée entre les arcades des deux côtés simultanément Mioche et al. [14] observent deux types de cycles : • des cycles verticaux avec un déplacement latéral minimal et sans possibilité d’identification d’un côté travaillant ; • des cycles avec déviation latérale permettant d’individualiser, lors de la fermeture, un côté travaillant qui « conduit » le mouvement même si la nourriture est écrasée simultanément des deux côtés. Dans ces cas, le côté travaillant alterne pratiquement d’un cycle à l’autre. Dans le plan sagittal (Fig. 2, 3), les cycles ont la forme d’un fuseau allongé, incliné en bas et en arrière, formant avec le plan d’occlusion un angle d’environ 71° en moyenne [5]. Le plus Stomatologie
souvent, la trajectoire de fermeture est postérieure à celle d’ouverture [5, 17]. Cette disposition est cependant variable et on peut parfois observer des croisements entre ces deux trajectoires. Dans le plan horizontal (Fig. 3), la forme des cycles est encore plus variable [18]. Elle peut être ovalaire, circulaire ou rappeler celle de l’enveloppe des mouvements limites. L’enveloppe des mouvements fonctionnels masticateurs se projette toujours en arrière de celle-ci en raison du recul de la mandibule lors de son abaissement. Mouvements linguaux. Pendant cette phase de mastication rythmique, l’excursion sagittale de la langue diminue d’amplitude et la rétraction linguale coïncide davantage avec la phase de fermeture. La partie antérieure de la langue, en position basse au moment de l’ouverture maximale, s’élève et recule pendant la phase de fermeture, elle atteint sa position la plus reculée puis continue à s’élever pour atteindre sa position la plus haute juste après l’occlusion [19]. À la fin de la phase de fermeture lente, l’os hyoïde est dans sa position la plus basse et la plus reculée. Lorsque la mandibule s’abaisse, il commence à s’élever. La partie postérieure de la langue s’avance et la langue s’allonge. Leur direction de déplacement s’inverse brusquement et la langue se raccourcit au cours de la fin de la phase d’ouverture [10]. Dans le plan frontal, des mouvements rythmiques réciproques de poussée de la langue et des joues maintiennent l’aliment entre les arcades tout en le déplaçant légèrement pour que toutes ses parties soient soumises à la force occlusale lors des cycles successifs. Thexton [13] note aussi l’existence de mouvements de rotation de la langue autour de son grand axe permettant à la nourriture présente sur son dos d’être basculée vers les surfaces occlusales d’un côté. Ce mécanisme est utilisé pour déplacer le bol alimentaire d’un côté vers l’autre [14].
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Côté droit
PIM
Au cours de cette phase, la partie postérieure de la langue s’abaisse, s’avance créant un espace postérieur et sa partie antérieure s’élève permettant à l’aliment de glisser postérieurement. L’homme et les primates peuvent simultanément mastiquer et assurer le transport de l’aliment vers le pharynx sans modification des cycles masticateurs [11]. Ainsi, Hiiaemae [11] et al. n’identifient pas de cycles caractéristiques d’une étape II de transport avant les déglutitions, en cours de séquence. À la fin des séquences de mastication, ils observent cependant, juste avant la déglutition finale, une phase d’élimination (« clearance ») spécifique de l’homme et caractérisée par des mouvements mandibulaires irréguliers, de faible amplitude. Elle permet de regrouper et de rassembler en un bol alimentaire les particules résiduelles dont la taille ne nécessite plus de trituration supplémentaire. L’arrêt des mouvements mandibulaires rythmiques pendant cette phase de forte activité linguale et jugale suggère que, chez l’homme adulte, les mouvements de la langue et la mandibule peuvent être découplés.
Côté gauche Glissement occlusal
Phase de fermeture
Phase d'ouverture
Plan sagittal médian Avant
PIM
Arrière
Amplitude des mouvements masticateurs
Mouvement charnière
Les mouvements fonctionnels ne couvrent qu’une faible partie de l’enveloppe des mouvements limites. Selon les auteurs et les populations étudiées, l’amplitude moyenne du déplacement du point interincisif mandibulaire : • dans le sens vertical, varie de 16 mm à 22 mm [5, 6] ; • dans le sens transversal, varie de quelques millimètres à 1 centimètre [5, 6, 20] ; • dans le sens sagittal, est de 6 mm environ [21]. L’ouverture maximale est influencée par la taille de l’aliment à mastiquer [14, 22]. Elle serait environ supérieure de 3 mm à l’épaisseur de la plus grosse particule et diminue donc au cours de la trituration de l’aliment.
Axe vertical Figure 2. Forme du cycle masticateur dans les plans frontal et sagittal selon Ahlgren [16].
OC
OC AR AV
D
1
G 2
G
AR
3
OC
AV
D Figure 3. Enveloppes des mouvements limites et des mouvements fonctionnels et trajectoire d’un cycle masticateur moyen projetées dans les trois plans de l’espace d’après Fontenelle et Woda (in [9]).
3ème phase : série de prédéglutition [2], étape II de transport [11] Cette série de cycles (cycles type III [2]) a été identifiée chez l’animal et se caractérise par des variations de vitesse au cours de l’ouverture.
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Vitesse et durée des mouvements masticateurs La durée moyenne des cycles est légèrement inférieure à la seconde (entre 0,59 et 1,2 s selon les sujets et les auteurs). La pause en intercuspidation est en moyenne de 100 à 200 ms [6, 20]. La durée est aussi variable selon le type des cycles [2] : • les cycles de type I (série de préparation) sont les plus courts avec des phases d’ouverture et de fermeture de durée équivalente ; • les cycles de type II (série de réduction) ont une durée intermédiaire. Leurs variations de durée sont essentiellement dues aux variations de la phase de fermeture lente ; • les cycles de type III sont les plus longs par allongement de la pause entre les pics d’activité des élévateurs et des abaisseurs. La vitesse n’est pas constante au cours du cycle. Elle est supérieure en début de phase d’ouverture et de phase de fermeture. Elle n’est supérieure dans le sens vertical que lors des déplacements latéraux. Dans la série de réduction, le contact avec l’aliment provoque un pic de décélération marquant le début de la phase de fermeture lente.
Déplacements condyliens Leur amplitude est importante et peut atteindre 40 % de celle du déplacement du point interincisif [23]. Dans 91 % des cas, à la fermeture, le condyle travaillant atteint en premier sa position verticale la plus haute et la conserve durant toute la fin de la fermeture, n’effectuant qu’un mouvement médial d’amplitude variable. Le condyle controlatéral atteint sa position la plus haute lorsque l’incisive centrale entre en occlusion. À l’ouverture, les deux condyles se déplacent immédiatement en bas et en avant. Pour Lauret et Le Gall [6], du côté travaillant, l’étirement du disque lié à la contraction des fibres discales du ptérygoïdien latéral et des élévateurs permet un déplacement du condyle vers Stomatologie
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le haut qui favorise, lors de la phase de guidage dentaire du cycle, les contacts occlusaux étroits même sur des versants cuspidiens dits non travaillants. De même, lors de la mastication d’un aliment très dur et résistant, Komiyama et al. [24] enregistrent un déplacement du condyle travaillant au-delà des limites postérieure et supérieure des trajectoires condyliennes lors des mouvements extrêmes. Ils l’attribuent à la très forte activité des muscles élévateurs dans ces cas et à la compression du disque articulaire et de la zone rétrodiscale, soulignant le risque articulaire à long terme.
Déplacements des molaires L’enveloppe des mouvements limites au niveau des molaires est asymétrique et plus réduite dans le sens vertical que celle du point interincisif en raison de leur situation latérale et plus proche du condyle. Pour Gibbs [17], lors de la fermeture, le déplacement de la molaire du côté travaillant s’effectue à partir d’une position postérieure et latérale avec donc une légère composante antérieure dans la phase finale. La molaire controlatérale se déplace à partir d’une position antérieure et médiale avec une composante postérieure lors de la phase finale.
Contacts et guidages occlusaux lors de la mastication Lors de la mastication, la fréquence des contacts dentodentaires directs est variable selon les sujets et la place du cycle dans la séquence. En fin de série de réduction, lorsque l’aliment est écrasé, ils sont presque systématiques. Ils se produisent le plus souvent en position d’intercuspidation maximale (75 % des cas) ou en position antérieure (24 %) [25]. Ils peuvent être simples ou s’accompagner d’un glissement latéral ou sagittal. Ces glissements au cours de la phase dentaire du cycle masticateur dépendent de l’anatomie occlusale : dans les dentures abrasées, ils sont plus longs et faiblement inclinés par rapport au plan d’occlusion. Ils augmentent l’effet d’écrasement de l’aliment entre les surfaces occlusales. Les trajectoires moyennes de fermeture au voisinage de l’intercuspidation sont pratiquement verticales dans le plan sagittal (1,5° à 2° par rapport à une perpendiculaire au plan d’occlusion) [26]. Moins la trajectoire de fermeture est inclinée dans le plan frontal par rapport au plan d’occlusion, plus elle l’est dans le plan sagittal [23, 26]. La trajectoire d’ouverture est plus variable que celle de fermeture et elle est, en moyenne, par rapport au plan d’occlusion, moins inclinée dans le plan sagittal et plus inclinée dans le plan frontal que celle de fermeture [26]. Sur le plan clinique, Lauret et Le Gall [6, 27, 28] ont montré l’importance de ces guidages occlusaux fonctionnels. Lors de l’incision, le guidage antérieur rétroascendant est plus fort que lors du guidage en propulsion. De même, à la différence des mouvements de latéralité, le guidage occlusal lors de la mastication s’effectue, côté travaillant, harmonieusement sur toutes les dents cuspidées. Côté travaillant, en entrée de cycle, la canine accompagne la mandibule guidée vers la position d’intercuspidation maximale par le guidage cuspidien prémolomolaire. Côté non travaillant, en sortie de cycle, la canine joue le rôle d’appui d’un levier du deuxième genre permettant une action optimale des muscles élévateurs du côté opposé.
Forces développées lors de la mastication Pendant la mastication, la force maximale est développée entre les arcades lors de la phase d’intercuspidation. Elle est très variable selon les sujets, l’aliment et les méthodes de mesure (en moyenne de 2 à 7,2 kg pour Bates [29, 30] ou 26 kg pour Gibbs [31]) mais elle est toujours inférieure à la force maximale obtenue lors du serrement volontaire des arcades (environ 36 % de celle-ci [31]). La performance masticatrice est positivement corrélée à la force maximale du sujet [32]. Lors des guidages occlusaux en fermeture et en ouverture, la force développée est beaucoup plus faible (respectivement 8,3 kg et 5,7 kg contre 26,7 kg pour la force masticatrice maximale [31]). Stomatologie
Facteurs de variations des différents paramètres de la mastication Indépendamment des variations individuelles, des malocclusions et de différents facteurs pathologiques envisagés ultérieurement, la forme des cycles masticateurs se modifie principalement en fonction de l’âge, du sexe et de l’aliment mastiqué. Âge Les travaux de Gibbs et Wickwire [33] montrent des modifications de la forme des cycles masticateurs en fonction de l’âge et surtout du type de denture. Chez l’enfant en denture temporaire, le cycle masticateur est caractérisé par : • une large déflection latérale vers le côté travaillant à l’ouverture et un moindre déplacement à la fermeture ; • un déplacement antérieur important à l’ouverture ; • des contacts dentaires en glissement fréquents à l’ouverture et à la fermeture ; • une fermeture directe côté travaillant sans glissement antérieur au niveau des molaires. L’amplitude du mouvement latéral à l’ouverture tend à diminuer avec l’âge. Vers 10-12 ans, l’ouverture est en général presque verticale au voisinage du plan sagittal médian. Le trajet de fermeture est plus latéral et convexe. Cette inversion du cycle persistera ensuite chez l’adulte. Les enfants en denture mixte ont des cycles de forme très variée présentant, dans une même séquence masticatrice, des cycles caractéristiques de la mastication en denture mixte et de la mastication adulte. Selon Jiffry [34], la performance masticatrice des enfants est inférieure à celle des adultes. Cette différence peut être en partie expliquée par les différences de poids, de surfaces de contact dentaire, de forces occlusales développées. L’amplitude verticale des cycles masticateurs augmente au cours de la croissance parallèlement à la croissance de la mandibule mais semble ensuite, chez l’adulte, diminuer avec l’âge. Malgré les modifications physiologiques qui accompagnent le vieillissement (réduction de la masse musculaire, réduction de la salivation, réduction de la force occlusale) la performance masticatrice est maintenue. Chez des sujets présentant une denture complète, Peyron et al. [35] constatent que le nombre de cycles masticateurs nécessaires augmente avec l’âge, d’environ trois cycles tous les 10 ans, mais que les sujets âgés peuvent s’adapter à la dureté de l’aliment de la même manière que les plus jeunes. Pour ces auteurs, ni la réduction des capacités musculaires ni l’usure dentaire ne semblent donc justifier totalement cette augmentation du nombre de cycles qui pourrait être aussi en relation avec un allongement avec l’âge du temps nécessaire à la manipulation des aliments dans la bouche, à la formation du bol alimentaire et à son insalivation. Komyama (in [35]) cependant évoque une possible limite à l’adaptation de la mastication chez les personnes âgées pour des aliments très durs. Leur activité électromyographique (EMG) atteindrait un plateau alors que les sujets plus jeunes continuent à augmenter leur activité EMG. La détérioration de l’état dentaire en terme de nombre de couples antagonistes fonctionnels, fréquente chez les sujets âgés, apporte des altérations complémentaires (Cf. infra Physiopathologie). Sexe Les hommes présentent par rapport aux femmes une augmentation de différents paramètres physiologiques de la mastication [35] : • l’activité EMG des élévateurs par cycle et par séquence ; • les amplitudes et la surface des cycles ; • la fréquence de la mastication. Aliment mastiqué Les caractéristiques de l’aliment mastiqué (dureté, consistance, taille, forme, goût) influencent la plupart des paramètres
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physiologiques de la mastication traduisant l’importance des mécanismes périphériques dans l’adaptabilité de la mastication. Dureté de l’aliment. C’est la plus étudiée. Son augmentation provoque chez l’adulte : • une augmentation du nombre de cycles masticateurs et donc de la durée de la séquence [36, 37]. Horio et al. [38] signalent cependant que cette adaptation est très faible chez 20 % des sujets de leur étude qui semblent présenter une relative constance du nombre de cycles avant la déglutition, indépendamment de la réduction du bol alimentaire ; • une augmentation de l’amplitude des cycles dans les trois dimensions [37, 39] mais surtout latérale et verticale [36, 39] ; • une augmentation du travail musculaire moyen par cycle (pour Peyron, c’est la variable la plus influencée par la dureté) et de la durée de contraction [39] ; • une augmentation de la durée de la phase d’occlusion [36]. Pour Anderson et al. [37] , l’augmentation de l’amplitude transversale concerne à la fois l’excursion latérale vers le côté balançant à l’ouverture et l’excursion latérale vers le côté travaillant à la fermeture. Seules les trajectoires du cycle correspondant aux guidages dentaires restent inchangées. Les modifications liées à la dureté de l’aliment apparaissent dès le premier cycle de la séquence masticatrice et sont maximales pendant les cinq premiers cycles. Elles durent cependant pendant toute la séquence [40]. Pour Gibbs et al. [17], l’adaptation de la mastication à la dureté de l’aliment est différente chez l’enfant. L’augmentation de la dureté tend en général à réduire encore chez eux le déplacement latéral lors de la fermeture. Taille de l’aliment. Elle intervient également [22, 36]. Peyron et al. [36] notent qu’une augmentation de l’épaisseur de l’aliment provoque une augmentation de la durée du cycle, de l’amplitude d’ouverture ainsi que de la durée et de la vitesse de la phase de fermeture lente. La taille et le nombre des particules de la bouchée influencent leur chance de sélection, c’est-à-dire d’être positionnées par la langue et les joues entre les arcades. La dureté de l’aliment, la taille et la forme des particules influencent leur fragmentation après leur sélection [41]. Au cours de la séquence de mastication, on observe une diminution du travail musculaire et de l’amplitude verticale des cycles en relation avec la réduction de la taille des particules et de la dureté de l’aliment [22, 36].
Activités musculaires au cours de la mastication Tous les mouvements précédemment décrits nécessitent l’activité coordonnée des différentes sangles impliquées et particulièrement des muscles symétriques. Plus les déplacements latéraux augmentent, plus les différences temporelles dans l’activité des muscles symétriques s’accentuent. Cette coordination musculaire n’est pas unique, elle dépend de l’individu et de l’aliment mastiqué mais une certaine chronologie de mise en œuvre semble se dégager des études [9].
Muscles élévateurs de la mandibule Leur activité faible pendant les cycles de préparation, très importante pendant ceux de réduction diminue à nouveau pendant les cycles de type III [2, 10]. Pendant les cycles masticateurs proprement dits (série de réduction) ils présentent une augmentation forte et rapide de leur activité après le contact dentaire avec l’aliment. Le ptérygoïdien médial non travaillant est le premier élévateur à se contracter. Il est actif dès le début de la fermeture et dirige la mandibule en haut et latéralement vers le côté travaillant. Son homologue du côté travaillant commence son activité légèrement plus tard, avec un rôle stabilisateur dans un premier temps. Le temporal et le masséter se contractent presque simultanément, plus ou moins tôt dans la phase de fermeture. En fin de fermeture, tous les élévateurs sont actifs et le restent jusqu’à la fin de la phase dentaire du cycle [6].
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Le pic d’activité du masséter précède le pic de la force occlusale. Son activité électromyographique intégrée est corrélée avec cette force.
Muscles ptérygoïdiens latéraux Du côté travaillant, le chef supérieur du ptérygoïdien latéral se contracte pendant la phase de fermeture contrôlant la position et le degré d’étirement de l’appareil capsuloméniscal [6]. À la sortie dentaire du cycle, les deux chefs du ptérygoïdien latéral travaillant sont contractés, l’inférieur assurant la traction antérolatérale du condyle. Il initie l’ouverture suivi par son homologue [6]. L’activité du ptérygoïdien latéral inférieur s’arrête à la fin de la phase d’ouverture.
Muscles sus-hyoïdiens abaisseurs de la mandibule Dans les séries préparatoires, l’ouverture est le moteur du déplacement. Les abaisseurs ont une activité synchrone avec les muscles protracteurs de la langue. Dans les cycles masticateurs, l’activité du digastrique commence avant le contact dentaire [9] ou au début de la phase d’ouverture [10]. Elle augmente pendant la seconde partie de cette phase.
Muscles de la langue Pendant les séries de réduction on observe une synchronisation de leur activité avec celle des muscles de la dynamique mandibulaire permettant d’isoler [10] : • un groupe musculaire actif à l’ouverture composé des muscles protracteurs de la langue (génioglosse, géniohyoïdien) et des abaisseurs ; • un groupe musculaire actif lors de la fermeture comportant le styloglosse, le sternohyoïdien et les muscles élévateurs. Les muscles linguaux présentent souvent un double pic d’activité pendant le cycle.
Muscles faciaux Pour Yamada [10], ils ne présentent pas de coordination avec les muscles mandibulaires pendant la phase de préparation. Pendant les cycles masticateurs, ils présentent souvent un double pic d’activité. L’activité du buccinateur est maximale pendant l’ouverture maximale. Les orbiculaires sont surtout actifs pendant l’ouverture.
Neurogenèse de la mastication Les mécanismes responsables de la genèse et du contrôle de mastication doivent assurer : la production du rythme des mouvements masticateurs ; la parfaite coordination des activités musculaires impliquées ; et surtout, l’adaptabilité des activités motrices aux conditions extérieures car, à tout moment durant la mastication, peuvent survenir un événement inattendu ou des modifications des caractéristiques de l’aliment. Bien que les mouvements masticateurs diffèrent d’une espèce à l’autre, la mastication présente des caractéristiques communes à tous les mammifères qui laissent supposer des mécanismes de contrôle communs [2]. De nombreuses études ont donc tenté, chez l’animal, de mieux les comprendre. Les travaux de Lund en 1969, enregistrant dans les noyaux des nerfs moteurs, après suppression de toutes les afférences sensorielles, des potentiels d’action rythmiques générateurs de mouvements masticateurs ont montré que ce rythme ne peut être généré, ni entretenu par des mécanismes réflexes. (En effet, une alternance de réflexes d’ouverture, initiés par la pression de l’aliment sur les muqueuses et les dents, et de réflexes de fermeture, liés à l’étirement des muscles élévateurs lors de l’ouverture précédente a longtemps été considérée comme l’origine du rythme masticateur. Pour Rioch, la commande corticale provoquait l’ouverture volontaire de la bouche qui engendrait par activation des fuseaux neuromusculaires un réflexe de fermeture. Cette fermeture provoquait à son tour une ouverture réflexe par augmentation de la pression sur les récepteurs muqueux et parodontaux). la • • •
Stomatologie
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CORTEX Aire masticatrice
Adaptation et initiation GÉNÉRATEUR CENTRAL Rythme et salves motrices
Motoneurones Élévateurs
Abaisseurs
Langue
Activité musculaire coordonnée
Récepteurs articulaires Mouvements rythmiques musculaires de la mandibule et de la langue
Forces occlusales masticatrices
Bol alimentaire
Récepteurs desmodontaux
Rétrocontrôle
Figure 4. Contrôle nerveux de la mastication d’après Thexton Lund [2, 42, 43].
[13]
et
Depuis ces travaux et la mise en évidence, en 1971, par Lund et Dellow d’un générateur central du rythme masticateur situé dans la formation réticulée, il est maintenant admis, même si tous les mécanismes ne sont pas encore connus, que la genèse et le contrôle de la mastication dépendent en grande partie de ce générateur central. Son activité et ses efférences motrices finales sont modulées par des influx corticaux directs et indirects et par des influx sensoriels périphériques susceptibles de modifier l’activité musculaire masticatrice pour l’adapter aux conditions extérieures [10] (Fig. 4).
Générateur central du programme masticateur « central pattern generator » Même isolés de tout influx central ou périphérique, des groupes de neurones situés dans le tronc cérébral sont capables de générer des mouvements de type masticateur. Comme pour la respiration, il est classique de distinguer deux composantes à ce générateur central : • un générateur du rythme qui détermine la durée et la fréquence des cycles ; • un générateur des salves motrices qui détermine la durée et le type des décharges des motoneurones. Le rythme de la mastication est produit par des groupes de neurones situés dans la formation réticulée bulbaire médiale, entre le noyau moteur du V et l’olive inférieure, comprenant les noyaux réticulés paragigantocellulaire et gigantocellulaire. Ces structures sont symétriques. Il existe donc deux générateurs du rythme qui peuvent fonctionner indépendamment et Stomatologie
sont principalement contrôlés par le cortex controlatéral et coordonnés entre eux par des axones qui croisent la ligne médiane. Même activés par des séries de stimuli de fréquence aléatoire et irrégulière, ils sont capables de produire un rythme régulier. Les influx corticaux ou les afférences du V commandent des neurones du noyau paragigantocellulaire qui déchargent de façon tonique. Ces neurones se projettent directement sur des neurones du noyau gigantocellulaire qui établissent le rythme. Les efférences du générateur du rythme se projettent sur le générateur des salves motrices situé dans la partie caudale de la formation réticulée parvocellulaire latérale comportant des prémotoneurones du V. De nombreux prémotoneurones du V ont été identifiés dans les différents noyaux sensitifs du V [2]. L’alternance des mouvements d’ouverture et de fermeture nécessite trois processus : • l’inhibition, pendant la phase d’ouverture, des motoneurones commandant la fermeture. Elle est assurée par un groupe de prémotoneurones inhibiteurs, constituant une composante du générateur des salves motrices. En 1991, Lund [2] supposait qu’ils étaient situés dans le noyau supérieur du V ; • l’excitation des motoneurones commandant l’ouverture. Les motoneurones du digastrique sont activés par des interneurones situés dans le noyau oral du V. Ces interneurones reçoivent des influx excitateurs provenant des afférences à seuil faible des nerfs lingual et alvéolaire inférieur et des afférences musculaires à seuil élevé. Les motoneurones des muscles abaisseurs ne sont pas inhibés pendant la fermeture ; • l’excitation des motoneurones commandant la fermeture. À côté de leur rôle dans l’inhibition des motoneurones de fermeture, de nombreux neurones du noyau supérieur du V sont excités par des influx sensoriels qui initient les salves d’activité des muscles élévateurs. Des ramifications des axones des neurones du noyau mésencéphalique se terminent au niveau du noyau supérieur du V où elles innervent de nombreux neurones [2]. Les limites du générateur des salves motrices sont variables selon les circonstances et la complexité des mouvements. En effet, selon l’intensité de la commande rythmique adressée par le générateur de rythme et en fonction des influx excitateurs convergents qu’il reçoit des centres supérieurs ou des afférences périphériques, un interneurone peut atteindre ou non le seuil d’excitation nécessaire pour décharger. Dans le premier cas, il est intégré dans l’ensemble des neurones générateurs des salves motrices et contribue au potentiel qui déclenche la salve. Les principaux travaux menés sur le rythme masticateur ont concerné les motoneurones du V. Les activités rythmiques des motoneurones du VII et du XII et leur synchronisation avec celle du V ont été beaucoup moins étudiées. L’hypothèse d’une régulation par un même générateur central semble corroborée, pour Yamada [10], par l’existence à l’intérieur ou au voisinage du générateur de neurones de la moelle qui se projettent à la fois sur les motoneurones du V et du VII ou sur ceux du V et du XII. Cependant, après observation de cycles d’activité rythmique de longueurs différentes dans les trois nerfs ou de fréquences différentes lorsque les trois noyaux sont activés et enregistrés individuellement, Nakamura et al. [44] privilégient l’hypothèse de trois générateurs distincts. Comme les motoneurones commandant l’ouverture, les motoneurones du XII ne présentent pas d’hyperpolarisation au cours du cycle ce qui augmente l’efficacité des influx sensoriels excitateurs dans la régulation de leur activité.
Influx corticaux La stimulation de certaines zones du cortex cérébral induit des mouvements de mastication fictifs (mouvements mandibulaires rythmiques associés à des mouvements linguaux et faciaux coordonnés et à une sécrétion de salive). Cette région appelée aire corticale masticatrice est située chez l’homme et
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chez le singe en dessous du cortex moteur primaire dans la partie la plus inférieure du gyrus précentral. Les influx descendant de cette aire corticale masticatrice sont considérés comme la principale source d’activation du générateur central (Nakamura et Katakura in [10] ) mais leur rôle dépasserait cette simple activation. Plusieurs régions distinctes du cortex cérébral peuvent être incluses dans l’aire corticale masticatrice. Chacune d’entre elles pourrait jouer un rôle différent dans la mastication. Ainsi, pour Sessle et al. (in [10]), chez le singe l’aire immédiatement latérale au cortex moteur facial primaire (CMA p ) interviendrait dans l’initiation et la maintenance de la mastication et dans la coordination des mouvements linguaux et mandibulaires pendant la phase de préparation de l’aliment. De même, pour Lund [1] selon la zone corticale stimulée les caractéristiques des cycles obtenus diffèrent, s’apparentant par exemple à celles des cycles de type I (phase préparatoire) ou de type II (phase de réduction). Le cortex semblerait donc interagir avec le générateur central pour déclencher un modèle de mastication adapté aux circonstances. La mastication peut aussi être déclenchée par stimulation de certaines régions d’autres centres nerveux supérieurs tels que l’hypothalamus, l’amygdale et la formation réticulée mésencéphalique [42]. Le générateur central pourrait réguler les réponses de certains interneurones bulbaires aux influx corticaux. Ainsi, Olsson et al. [45] ont montré que celles de nombreux neurones des noyaux principal, intermédiaire et oral du V étaient diminuées pendant la mastication.
Afférences sensorielles La plupart des afférences sensorielles issues de la cavité buccale interviennent dans le contrôle de la mastication. La stimulation tonique de certains récepteurs desmodontaux et muqueux peut initier des mouvements masticateurs seule ou en association avec des influx corticaux infraliminaires. De même, la stimulation tonique des fuseaux neuromusculaires chez le chat rend des influx corticaux infraliminaires efficaces ou accélère la mastication fictive déclenchée par des influx corticaux supraliminaires. Ce type de stimulation interviendrait aussi dans la poursuite des mouvements masticateurs. Pendant la mastication, les mécanorécepteurs épithéliaux à seuil faible sont actifs de manière phasique au début de la phase de fermeture lente. Les mécanorécepteurs desmodontaux, sensibles à la force exercée sur la dent et à ses variations sont de deux types. Ceux à adaptation lente déchargent pendant toute la phase de fermeture avec une fréquence proportionnelle à la pression exercée. Ceux à adaptation rapide sont actifs au début de la phase de fermeture lente puis présentent des bouffées d’activité chaque fois que la dent vibre au contact de l’aliment. Les fuseaux neuromusculaires présentent un comportement très variable, certains ne sont activés que pendant la phase d’ouverture, alors que d’autres déchargent aussi pendant la phase de fermeture répondant au contrôle fusimoteur. Les récepteurs articulaires sont activés par les mouvements mandibulaires dont ils codent le déplacement et la vitesse mais leur action pendant la mastication est peu connue. L’effet des afférences sensorielles phasiques au cours de la mastication varie considérablement d’une phase du mouvement à l’autre et selon le type de récepteurs. Les influx qui favorisent le déroulement de la phase sont facilités. La transmission des influx susceptibles d’inhiber l’activité musculaire et d’interrompre ou perturber le déroulement de la phase dépend du stimulus. Lorsque ces influx sont normalement générés par le mouvement (récepteurs à seuil faible) leur transmission est considérablement réduite par le générateur central. Lorsqu’ils résultent d’un stimulus de forte intensité (récepteurs à seuil élevé) elle est facilitée afin d’assurer la protection des tissus buccaux.
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Ainsi, le réflexe d’ouverture des mâchoires à point de départ muqueux est modulé par le générateur central. Lorsque le stimulus est faible, son effet excitateur est réduit pendant toutes les phases de la mastication [2, 43]. Lorsque les récepteurs à seuil élevé sont recrutés par un stimulus de forte intensité, il existe une facilitation phasique du réflexe d’ouverture pendant la phase de fermeture provoquant une inhibition de l’activité des muscles élévateurs. La stimulation des récepteurs muqueux à seuil faible influence peu la durée du cycle. Celle des récepteurs à seuil élevé, pendant la phase de fermeture, provoque une réduction de sa durée par réduction des décharges des muscles masticateurs, alors que pendant la phase d’ouverture, elle allonge la durée du cycle. Une brusque augmentation de la résistance de l’aliment pendant la phase de fermeture lente induit une réponse voisine du réflexe d’ouverture avec inhibition transitoire des muscles élévateurs et brève excitation des muscles digastriques lors du premier cycle de la série de réduction. Ce réflexe d’ouverture est absent lors des cycles suivants [46]. En effet, à l’exception de ce cycle, la durée et l’amplitude des décharges des muscles élévateurs augmentent considérablement lorsque ces récepteurs sont stimulés par la dureté de l’aliment, entraînant une augmentation de la durée de la phase de fermeture lente et du cycle [46]. L’influence des afférences issues des récepteurs desmodontaux sur les muscles masticateurs passe donc d’une inhibition pendant la série de préparation à une excitation pendant la série de cycles de réduction. Cette dernière action assure un rétrocontrôle positif sur l’activité des élévateurs permettant de l’adapter à la dureté de l’aliment. Une partie de ce rétrocontrôle est également assurée par les fuseaux neuromusculaires qui sont aussi stimulés lorsque l’aliment stoppe ou ralentit le mouvement de fermeture. Pendant la fermeture lente lors de la mastication d’un aliment dur, les récepteurs desmodontaux et les afférences primaires des fuseaux neuromusculaires sont alternativement excités et non excités lors de la fracture de l’aliment, ce qui explique l’alternance de décharges et de périodes de silence dans les muscles élévateurs pendant cette phase. Le réflexe H est facilité durant la fermeture et inhibé durant l’ouverture. Différentes études (in [10, 47] ) ont montré que les influx sensoriels de la sphère orofaciale induisent aussi des réflexes excitateurs et inhibiteurs dans les muscles de la langue. Les muscles protracteurs de la langue, actifs pendant l’ouverture, sont, comme les muscles abaisseurs, insensibles aux variations de dureté de l’aliment et donc de pression sur les mécanorécepteurs desmodontaux. À l’opposé, comme les élévateurs, les muscles rétracteurs de la langue actifs pendant la fermeture sont sensibles à ces variations et présentent une augmentation de leur activité proportionnelle à l’augmentation de dureté de l’aliment. Une forte stimulation des mécanorécepteurs desmodontaux induit dans les muscles linguaux une réponse analogue au réflexe d’ouverture. Kakizaki et al. [47] observent, en effet, une décharge d’activité dans le génioglosse coïncidant avec une période d’inhibition du styloglosse. Le réflexe observé dans le génioglosse est modulé selon les phases de la mastication mais selon un schéma différent de la modulation du réflexe d’ouverture. Ce réflexe se produisant essentiellement pendant la phase de fermeture où les muscles rétracteurs de la langue prédominent, il pourrait réduire la vitesse de rétraction de la langue. Les décharges d’activité du génioglosse peuvent apparaître isolément en fin de fermeture, sans doute en réponse à l’activation de récepteurs muqueux ou linguaux. De plus, les réponses réflexes du génioglosse et du styloglosse aux afférences périphériques ne sont pas toujours antagonistes. Leur activation pourrait modifier la forme de la langue contribuant ainsi à la formation et au transport du bol alimentaire. Stomatologie
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■ Physiopathologie de la mastication Les anomalies de la fonction masticatrice peuvent être divisées en deux grandes catégories : • le syndrome de mastication unilatérale dominante dont Planas [48] a largement décrit les conséquences sur la morphogenèse craniofaciale ; • les perturbations de la mastication liées à l’atteinte d’une des différentes structures impliquées dans son déroulement.
Syndrome de mastication unilatérale dominante Dans ce syndrome le patient mastique exclusivement ou préférentiellement d’un seul côté. Les stimuli de croissance engendrés lors de la mastication par le glissement de l’ATM du côté balançant et les frottements occlusaux puissants du côté travaillant demeurent unilatéraux et conduisent, chez l’enfant, à un développement maxillofacial asymétrique. Ce développement asymétrique favorise la persistance d’une mastication unilatérale dominante réalisant ainsi un véritable cercle vicieux pathogène.
Sémiologie et pathogénie Ce syndrome est caractérisé par une mastication préférentielle du côté qui produit le plus faible abaissement de la mandibule lors de son déplacement latéral (côté de l’angle fonctionnel masticateur de Planas le plus petit [Fig. 5]) et une déviation de la médiane incisive mandibulaire vers le côté mastiquant. On observe du côté mastiquant : • une hémimandibule plus courte et en position distale par réduction des stimuli de croissance au niveau de l’ATM ; • un corps mandibulaire plus haut surtout au niveau molaire, en relation avec les fortes sollicitations fonctionnelles ; • un condyle plus volumineux et une pente condylienne plus accentuée ; • un développement marqué du maxillaire vers l’extérieur et l’avant lié aux frottements occlusaux. Ce développement induit une déviation de la médiane maxillaire vers le côté controlatéral ; • une occlusion de classe II en relation avec le développement sagittal maxillaire et mandibulaire.
On constate du côté opposé : • un allongement excessif de l’hémimandibule par stimulation de la croissance condylienne lors des mouvements sagittaux du condyle non travaillant ; • un condyle plus allongé et une pente condylienne plus faible ; • une occlusion de classe I le plus souvent. Il existe une inclinaison frontale du plan d’occlusion vers le haut du côté mastiquant et vers le bas du côté controlatéral. Chez l’adulte, une mastication unilatérale dominante peut induire ou aggraver des atteintes parodontales ou articulaires.
Étiologie Selon l’étiologie de cette dysfonction on distingue : • le syndrome de mastication unilatérale dominante d’origine congénitale que Witt [49] assimile au syndrome dit « côté mastiquant – milieu mandibulaire » d’Eschler caractérisé par une asymétrie d’action musculaire due à une asymétrie morphologique ou physiologique de ces sangles ; • le syndrome de mastication unilatérale structural dont l’origine est une anomalie morphologique obligeant le patient à mastiquer d’un seul côté [50] (anomalie congénitale sévère, troubles de la croissance condylienne, altération unilatérale de l’ATM ou lésion buccale acquise) ; • le syndrome de mastication unilatérale acquise [50] lié à des sollicitations fonctionnelles inadéquates qui ont perturbé le développement des structures osseuses et alvéolaires d’un appareil manducateur initialement normal. Ainsi, la tétée du biberon puis l’alimentation mixée sont largement incriminées dans l’apparition de ce type de dysfonction masticatrice car elles sollicitent trop faiblement le système masticateur.
Perturbations de la mastication Leur sévérité est extrêmement variable allant de simples modifications spatiales ou temporelles des cycles masticateurs à une diminution plus ou moins importante des capacités masticatrices du sujet en passant par une mastication unilatérale stricte. Leurs causes sont nombreuses car toutes les structures impliquées dans la mastication peuvent être à l’origine de telles perturbations.
Évaluation des capacités masticatrices Pour connaître le résultat de la mastication dans des conditions données ou étudier l’incidence fonctionnelle de certaines
Figure 5. Sujet présentant une mastication unilatérale gauche. A, B. Angles fonctionnels de Planas asymétriques. C. Déviation des médianes incisives. D. Inclinaison frontale du plan d’occlusion. E, F. Usure dentaire asymétrique. Stomatologie
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anomalies, deux paramètres sont le plus souvent estimés par des méthodes granulométriques ou colorimétriques : • la performance masticatrice obtenue en mesurant la taille des particules de l’aliment mastiqué après un nombre donné de cycles ; • l’efficacité masticatrice qui correspond au nombre de cycles nécessaires pour réduire l’aliment en particules d’une taille donnée. Certains auteurs étudient aussi le nombre de cycles effectués avant déglutition ou la taille des particules dégluties, données plus physiologiques.
Causes neuromusculaires Earl (in [9]) distingue trois principales causes neurologiques à des difficultés masticatrices. Faiblesse des muscles masticateurs Unilatérale, elle provoque une déviation de la mâchoire du côté affecté par la faiblesse du ptérygoïdien latéral. Elle n’entraîne pas une gêne fonctionnelle importante mais elle peut provoquer, lorsqu’elle persiste, des modifications morphologiques adaptatives de l’ATM. Elle est due le plus souvent à une atteinte des branches motrices du V ou parfois à des hémiplégies. Bilatérale, elle rend la mastication difficile, voire impossible, le sujet ne pouvant parfois plus maintenir la bouche fermée. Elle peut être provoquée par des atteintes bilatérales du V, ou des tumeurs invasives de la base du crâne ou du tronc cérébral ou des myopathies. Spasmes permanents Les spasmes des muscles élévateurs, le plus souvent d’origine infectieuse (tétanos, encéphalite) ou tumorale, entraînent une fermeture forcée avec impossibilité d’ouvrir la bouche. Les abaisseurs sont parfois affectés entraînant une ouverture avec déviation. Mouvements masticateurs spontanés ou incoordonnés Ils sont parfois rencontrés dans certaines maladies mentales ou dans certaines intoxications médicamenteuses (phénothiazine).
Dysfonctionnements de l’appareil stomatognathique et atteintes articulaires Les dysfonctionnements musculaires ou musculoarticulaires de l’appareil stomatognathique sont fréquents et très variés. Nous nous limitons à leurs principales conséquences sur la mastication qui sont en général plus marquées dans les atteintes articulaires. Pour Mongini [51], ils s’accompagnent de cycles masticateurs irréguliers et de phénomènes de réouverture pendant la phase de fermeture. Les cycles moyens ont une forme complexe et l’enveloppe fonctionnelle est réduite. Ces modifications sont dues à des obstacles mécaniques articulaires ou à des douleurs articulaires ou musculaires qui limitent ou stoppent le mouvement. La vitesse est réduite surtout pendant l’ouverture. La fermeture s’effectue la plupart du temps dans une position différente de l’intercuspidation maximale. La mastication est très souvent unilatérale avec, pour côté préférentiel, celui de l’ATM lésée qui est ainsi moins sollicitée. En effet, l’ATM du côté mastiquant est soumise à moins de charges durant la mastication que celle du côté balançant [50, 52]. L’activité musculaire est elle aussi perturbée avec en particulier une participation des élévateurs pendant l’ouverture et une réduction ou une disparition de la phase de contraction isométrique de ces muscles lors de la fermeture. Dans les dérangements internes de l’ATM différents auteurs (in [53]) constatent une modification de la forme des cycles masticateurs avec réduction de la hauteur du cycle. La mastication du côté atteint s’effectue avec une excursion vers le côté balançant plus importante lors de l’ouverture et une excursion latérale lors de la fermeture supérieure à la normale. La durée du cycle est plus longue, surtout celle de la phase de fermeture.
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Les fractures condyliennes unilatérales provoquent des modifications durables [53] de la durée et de la forme des cycles masticateurs. La durée totale des cycles est allongée par augmentation de la durée des phases d’ouverture et de fermeture. Cette augmentation s’atténue avec le temps. L’amplitude verticale des cycles est légèrement réduite, quel que soit le côté mastiquant, un mois et demi après la fracture en relation avec la douleur résiduelle de l’ATM. De plus, les cycles présentent une réduction de l’excursion vers le côté mastiquant lors de la phase de fermeture et une augmentation de l’excursion latérale vers le côté balançant lors de l’ouverture. Comme dans les cas de dérangement interne de l’ATM, ces modifications de la forme du cycle sont en général plus marquées lorsque le sujet mastique du côté non atteint [53]. De même, la phase d’ouverture est davantage modifiée que la phase de fermeture. Cette différence pourrait être due aux éléments anatomiques impliqués dans le contrôle de ces deux phases. En effet, pour Osborn (in [53]) la trajectoire normale d’ouverture est principalement contrôlée par les ligaments de l’ATM et pour Koolstra et Van Eijden (in [53]) celle de fermeture le serait principalement, voire exclusivement, par les muscles. La rupture des ligaments articulaires lors de fractures de l’ATM altérerait donc la trajectoire d’ouverture surtout lors de la mastication controlatérale. L’atteinte associée du ptérygoïdien latéral contribue, par la dysfonction du chef inférieur, à augmenter l’excursion latérale vers le côté balançant lors de l’ouverture alors que l’atteinte du chef supérieur n’a que peu d’effet sur la trajectoire de fermeture contrôlée principalement par les autres muscles élévateurs non affectés par la fracture.
Causes dentaires L’importance des contacts occlusaux et des afférences proprioceptives dans la mastication explique les modifications des cycles et des schémas de coordination musculaire observées lors d’atteintes dentaires ou de perturbations de l’occlusion. Elles sont parfois à l’origine d’une mastication unilatérale dominante. Malocclusions Les sujets porteurs de malocclusions évoquent rarement des difficultés masticatrices excepté lorsque les contacts occlusaux sont limités à quelques couples. Cependant, Ahlgren [16] observe, dans les malocclusions, une irrégularité de la forme des cycles et du rythme masticateur. Gibbs [54] constate également une réduction des retours en position d’intercuspidation maximale. Dans les classes III, Proschel [21] note des variations significatives de l’amplitude des cycles et du rythme masticateur. Les cas présentant une occlusion inversée latérale ont souvent des cycles inversés. La supraclusion incisive est une des malocclusions dont les répercussions sur la mastication ont été le plus étudiées. Elle est le plus souvent associée à des cycles presque verticaux aux excursions latérales très réduites. La mastication est souvent bilatérale ou unilatérale dominante en raison des blocages occlusaux. Elle s’accompagne souvent, pour Graber (in [9]), d’une augmentation de l’activité du faisceau postérieur du temporal et du faisceau profond du masséter créant, lors de la fermeture, une composante de rétraction qui peut induire dans certains cas, une incoordination méniscocondylienne. Enfin, les contacts cuspide-cuspide créeraient une instabilité et une incoordination musculaire responsables d’une hyperactivité musculaire et des craquements articulaires. Extractions et pathologies dentaires Les douleurs dentaires peuvent limiter la mastication ou induire une mastication unilatérale du côté opposé [48]. De plus, les extractions et les délabrements dentaires réduisent les contacts dentaires et perturbent la sensibilité proprioceptive parodontale. Helkimo et al. [55] constatent une corrélation entre l’efficacité masticatrice et le nombre de contacts interarcades. Selon Agerberg et Carlsson (in [22]), au-dessous de 20 dents bien réparties, il existe une diminution des capacités masticatrices. Cependant, pour Sarita et al. [56] , ce nombre doit être Stomatologie
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modulé en fonction de la dureté de l’aliment. Ainsi, l’intégrité des groupes incisivocanins et de quatre couples antagonistes des secteurs postérieurs offre des capacités masticatrices satisfaisantes pour des aliments mous mais pas pour des aliments durs. Pour Sarita et al. [56], la réduction du nombre de couples de molaires en occlusion a peu d’effet tant que toutes les prémolaires et un couple de molaires sont en occlusion. À l’opposé, lorsque les arcades sont extrêmement courtes la gêne masticatrice est très sévère, imposant une nourriture adaptée. À la réduction des surfaces triturantes s’ajoute la difficulté de contrôle du bol par la musculature buccale. Prothèse Comme l’a indiqué Bates [29, 30], le facteur prépondérant dans les répercussions des prothèses sur la mastication est leur stabilité. Lorsque la rétention de la prothèse adjointe est excellente ou en cas de prothèse fixée ou implantoportée la fonction est presque similaire à celle observée en denture naturelle. En général, cependant, il existe une réduction de l’efficacité masticatrice avec les prothèses adjointes. La langue et les joues participent à la stabilisation. De plus, on constate une diminution des capacités d’adaptation à la dureté de l’aliment chez les sujets porteurs de prothèses amovibles en relation sans doute avec l’altération et la diminution du rétrocontrôle desmodontal.
■ Conclusion La mastication est une fonction essentielle et complexe dont on connaît aujourd’hui de mieux en mieux le déroulement même si les mécanismes impliqués dans son contrôle nerveux ne sont pas tous élucidés. Stéréotypée par l’activité du générateur central de rythme, elle reste cependant éminemment adaptable grâce aux nombreux mécanismes de rétrocontrôle qui assurent non seulement l’optimisation de ses performances grâce à l’adaptation aux caractéristiques de l’aliment mais aussi la protection des différentes structures du système stomatognathique. La connaissance de ces mécanismes et leur prise en compte dans les thérapeutiques odontologiques sont nécessaires au respect de l’harmonie fonctionnelle de l’appareil manducateur. .
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M.-J. Boileau, Professeur des Universités ([email protected]). M. Sampeur-Tarrit, Assistant hospitalo-universitaire. C. Bazert, Ex-assistant hospitalo-universitaire. UFR d’odontologie, université Victor-Segalen Bordeaux 2, 16, cours de la Marne, 33082 Bordeaux cedex, France. Toute référence à cet article doit porter la mention : Boileau M.-J., Sampeur-Tarrit M., Bazert C. Physiologie et physiopathologie de la mastication. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Stomatologie, 22-008-A-15, 2006.
Disponibles sur www.emc-consulte.com Arbres décisionnels
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