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ISLAM I Avant-propos SOULEVER LE VOILE Par Catherine Golliau LE POINT 74, AVENUE OU MAINE, 75682 PARIS CEDEX 14 Tél. :

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ISLAM I Avant-propos

SOULEVER LE VOILE Par Catherine Golliau LE POINT

74, AVENUE OU MAINE, 75682 PARIS CEDEX 14 Tél. : 01.44.10.10.10 Fax: 01.43.21.43,24 Service abonnements B 600, 60732 Sainte-Geneviève Cedex 03.44,62.52.20

e-mail : [email protected] Président-directeur général, directeur de la publication : Franz-Olivier Giesbert Rédaction en chef et coordination : Catherine Golliau Choix des textes et rédaction des commentaires Mohammed Hocine Benkheira, François Gauvin, Éric Geoffroy, Henry Laurens, Réza Moghaddassi, Daniel de Smet, Philippe Vallat, Mohyddin Yahia et Nadget Zouggar. Secrétariat de rédaction : Pierre Sommé Révision Francys Gramet Conception et réalisation Rampauo & Associés Le Point, fondé en 1972, est édité par la Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point - Sebdo. Société anonyme au capital de 10100160 euros, 74. avenue du Maine, 75682 Paris Cedex 14. R.C.S. Paris B 312 408 784 Associé principal : ARTEMIS S.A. Dépôt légal : à parution - n ° ISSN 0242 · 6005 · n" de commission paritaire: 0605(79739 Impression : Imprimerie Canale, Borgaro (Italie) , �;;;, . _ , Diffusion: N.M.P.P. LE POINT contrôle les publicités commerciales avant insertion pour qu'elles soient pdrfaitemenl loydles. Il suit les recommandations du Bureau de vérification de la publicité. Si, malgré ces précautions, vous aviez une remarque à faire, vous nous rendriez service en écrivant au BVP, BP 4058 • 75362 PARIS CEDEX 08

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Toute rePfOductiÔn est Stiba·rd·onflëe à l'autorisation expresse de la direction du Point.

L

e libre-arbitre existe-t-il en Islam? Oui. La loi musulmane peut-elle évo­ luer? Oui. Existe-t-il de grands phi­ losophes en Islam? Oui. Mais qui le sait? Trop peu de monde. Car qui, même chez les musulmans cultivés, connaît l'œuvre d'al-Châfi'î, le fondateur de la doctrine sunnite, celle que suivent aujourd'hui 90 % des musulmans ? Qui a lu Avicenne et Averroès, les philosophes qui permi­ rent à l'Europe de mieux comprendre Aristote? Qui sait qu'ac­ tuellement c'est en Iran rislam, que l'on trouve les pen­ religion seurs musulmans les plus modernes et les tant décriée, plus inventifs? demeure L'islam, tout le monde un continent en parle, mais rares sont ceux qui le connaissent. culturel à Cette religion tant dé­ explorer, criée demeure un conti­ un univers nent culturel à explorer, un univers mental plus riche et subtil. riche et subtil que nous le donne à croire son image déformée par le fondamentalisme. Cette richesse, ce cinquième hors-série du Point entend la mettre aujourd'hui à la portée de tous. II faut soulever le voile. Certes, l'entreprise est périlleuse: le su­ jet est trop brûlant pour ne pas susciter les passions. C'est pourquoi nous par­ tons comme toujours des textes fonda­ mentaux. Pour revenir aux sources, loin des clichés et des préjugés. Image de couverture : Andrea da Firenze, Averroès, x1v' siècle. © Archivo iconografico, 5.A./Corbis

Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 3

Sommaire ! ISLAM

La pensée en Islam

1'

Soulever le voile, par Catherine Golliau

3

Lire et comprendre

6

PENSER EN ISLAM, par Rémi Brague

8

L'arabe, langue sacrée, par Marie-Thérèse Urvoy

14

LE CORAN ET LA SUNNA

16

Aux sources de la pensée musulmane, par François Déroche Textes et commentaires

16 20

Repères : Les débuts de L'islam

30

LE MUTAZILISME

34

La théologie de la liberté, par Roger Arnaldez

-· .J

Textes et commentaires

34 38

LE DROIT

44

Une loi descendue du ciel, par Mohammed Hocine Benkheira

44 48

LA PHILOSOPHIE

56

Entre raison et Révélation, par Dominique Urvoy

§

Œ1

! 9

4

Textes et commentaires

1

Textes et commentaires

56 60

Repères : Le califat

70

Novembre-décembre 2005

1

Hors-série n ° 5 Le Point

ISLAM I Sommaire

74

LE SOUFISME

La mystique de l'islam, par Pierre Lory

Textes et commentaires Repères : Les confréries

82

LE CHIISME

84

Un messianisme islamique, par Daniel de Smet

Textes et commentaires

84 88

Repères : Le kharijisme

94

LA NAHDA

96

Le réveil de l'islam, par Henry Laurens

Textes et commentaires

96 100

Repères : L'islam aujourd'hui Gilles Kepel : Al-Qaïda dans le texte

108 110

Entretien avec Malek Chebel:

112

Carte : confessions et écoles juridiques musulmanes

116

Lexique

118

Bibliographie

130

« Une seule alternative : rompre avec le discours théologique »

� Ave
C

terprétation allégorique; cela dit, ils divergent sur [la distinction à faire entre] ce qui est à in­ terpréter parmi ces expressions et ce qui ne l'est pas. [ ...] La raison pour laquelle se trou­ vent dans la Loi révélée de l'explicite et de l'im­ plicite est que les hommes diffèrent par nature les uns des autres et sont d'aptitudes distinctes quand il s'agit de donner leur assentiment [au discours qu'on leur adresse]. Quant à la raison pour laquelle s'y trouvent [aussi] des énoncés de sens explicite et qui se contredisent, c'est afin d'éveiller l'attention des" hommes d'une science irréfragable » [à savoir les philosophes] sur le fait qu'il y a lieu de les interpréter en les faisant se concilier. [ ...] Si [ contre l'évidence qu'il appartient au philosophe de dire quels ver­ sets sont à interpréter et comment]. quelqu'un dit : " il y a dans la Loi révélée des choses que les musulmans sont unanimes à entendre dans leur sens explicite, d'autres, unanimes à inter­ préter, et d'autres encore sur lesquelles ils di­ vergent; dans ces conditions, est-il vraiment permis [de penser] que [ce que requiert] le rai­ sonnement démonstratif nous conduit, d'une part, à interpréter là où les musulmans sont unanimes à entendre selon le sens explicite, d'autre part, à entendre selon le sens explicite là où ils sont unanimes à interpréter? », alors nous lui répondrons : dans l'hypothèse où l'una­ nimité serait vraiment attestée, alors, non, ce ne serait pas acceptable. Mais si l'unanimité sur ce qu'il faut interpréter est [seulement] une conjecture [invérifiable]. alors, certainement, il est acceptable [que le philosophe décide de ce qui est à interpréter]. AVERROÈS, DISCOURS DÉCISIF (FASL AL·MAQAL),

TRAD. ORIGINALE P. VALLAT

Le Point Hors-série n ° 5

1

Novembre-décembre 2005 67

Clés de lecture I PHILOSOPHIE

-....a:

Ibn Khaldoun: z .... la raison appliquée à l'histoire & &

c:, CJ

.... ....

P

récurseur de la théorie moderne de l'histoire, Ibn Khaldoun * est né en 1332 à Tunis d'une famille de notables andalous chassés de Séville lors de la reconquête es­ pagnole. Après des études de philosophie et de droit musul­ man, il entama une carrière mouvementée auprès des sou­ verains rivaux du Maghreb et de Grenade. Voyant sa vie me­ nacée, il s'enfuit du Maghreb pour gagner l'Égypte où il de­ vint grand cadi Ouge suprême). Il rédigea divers ouvrages, no­ tamment sur le soufisme, mais le seul qu'il s'attribue dans son autobiographie est le Kitâb al­ 'ibar, monumentale histoire des Perses, des Arabes et des Ber­ bères, visant à comprendre la politique du Maghreb. Cette région connaît alors un conflit permanent entre les dy­ nasties arabes. Celles-ci font face par ailleurs aux révoltes constantes des tribus berbères. Or, constate Ibn Khaldoun, les conquérants arabes ont rare­ ment connu une telle instabi­ lité. Qu'est-ce qui l'entretient donc au Maghreb? Appr c

oclol gique

Pour répondre à cette question, Ibn Khaldoun va innover. La pensée antique et ses héritiers musulmans, comme Avicenne* (cf. p. 64) ou Averroès* (cf. p. 66), considéraient jusque-là l'histoire comme un art, celui de relater les faits. Ibn Khaldoun va en faire une science à part entière, régie par des lois qui sont celles de la société, que la Muqaddima (Prolégomènes), l'in-

Autographe d'lbn Khaldoun (en haut, dans le coin gauche du manuscrit).

Ce sont les sociétés maghrébines, et non la succession des princes, ui expliquent les turbulences politiques.

traduction au Kitâb al-'ibar, dé­ finit dans tous ses aspects, po­ litiques, culturels, économiques, démographiques et sociolo­ giques. Ainsi, pour lui, l'essor des arts et des sciences dépend des flux commerciaux et des densités de population. Ap­ proche sociologique inédite qui va servir de base à une vision cyclique de l'histoire. Toute dynastie, pour Ibn Khal­ doun, est naturellement limi­ tée dans le temps. Au départ, grâce à une forte cohésion so­ ciale (asabyia), une société jeune et frustre peut avoir l'énergie pour conquérir un em­ pire. Mais quand sa population s'urbanise, alors les divisions sociales apparaissent. L'accu­ mulation des biens répond aux besoins toujours plus factices des sédentaires et notamment

68 j Novembre-décembre 2005 j Hors-série n ° 5 Le Point

des citadins. Progressivement, la cohésion sociale s'émousse. Surtout les richesses attisent la convoitise de sociétés plus rudes et plus aptes à la guerre, comme le sont souvent au Maghreb les tribus nomades. Le cycle de la conquête re­ commence donc. Le luxe est ainsi le privilège des empires et le signe précurseur de leur disparition. Le conc

d'a:sab ia

Ibn Khaldoun utilise le terme d'asabyia des centaines de fois. On le traduit souvent par " es­ prit de corps ». Il représente la force populaire des sociétés avant leur déclin. Quand l'asa­ byia anime à la fois le peuple conquérant et les peuplades conquises, comme c'est le cas au Maghreb entre les Arabes et les Berbères, la paix ne peut s'établir durablement. C'est donc la nature des sociétés maghrébines, et non la succes­ sion des princes, qui explique les turbulences politiques. Considéré aujourd'hui comme le penseur musulman le plus étudié dans le monde, Ibn Khal­ doun a pourtant eu peu d'im­ pact sur la pensée en Islam. Il faudra attendre le XIXe siècle et la colonisation pour qu'on le redécouvre. Au xxe siècle, les historiens Arnold Toynbee et Fernand Braudel ont vanté l'in­ déniable actualité de son ap­ proche. Les sociologues Yves Lacoste et Jean-Paul Charnay se sont servis de ses analyses pour étudier les tensions contemporaines en Islam. François Gauvin

PHILOSOPHIE

Ibn Khaldoun

C ........ ........

Le cycle de l'histoire Un peuple qui en a vaincu un autre [... ] parvient à un haut degré de bien-être et d'aisance. Les habitudes du luxe se développent rapidement chez lui et il abandonne la vie dure et grossière qu'il avait menée jusqu'alors, afin de jouir du superflu et de tous les plaisirs délicats qui font le charme de l'existence. Il adopte les usages du peuple qu'il vient de remplacer et commence bientôt à s'apercevoir combien le superflu est indispensable. [ ... J Les individus rivalisent à qui aura les choses les plus belles, et ils tâchent de surpasser les peuples voisin� par l'excel­ lence de leur cuisine, la richesse de leurs ha­ bits et l'élégance de leur monture. O, 342)

La souveraineté s'use dans le luxe, et c'est le luxe qui la renverse. O, 306 )

Donc les empires, comme les hommes, ont une existence, une vie qui leur est propre; ils gran­ dissent, ils arrivent à l'âge de la maturité, puis O, 349-350) ils commencent à décliner.

La durée de vie des empires varie aussi [comme celle des hommes J sous l'influence des conjonc­ tions, mais, en général, elle ne dépasse pas trois générations. O, 347) IBN KHALDOUN, LES PROLÉGOMÈNES, TRAD. WILLIAM

MAC GUCKIN DE SLANE, IMPRIMERIE IMPÉRIALE, 1863-1865

Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 2005 69

Repères

I

CALIFAT ET DYNASTIES

Le califat et les dynasties de l'islam L'EMPIRE OMEYADE

Mo'âwiya s'installa à Damas et introduisit le principe héré­ ditaire dans le califat. Sa dy­ nastie conquit en un temps re­ cord l'Asie et la Méditerranée fondation de Kairouan, inva­ sion de l'Espagne et de la France mérovingienne jusqu'à Poitiers en 732, invasion du Tur­ kestan chinois, pénétration du Pendjab... Cet immense empire fut doté d'une solide armature administrative. Les Omeyades développèrent l'urbani�ation, l'architecture et les arts. La langue arabe devint langue officielle. Chez les peuples conquis, les conversions furent nom­ breuses, aux dépens notam­ ment des sectes chrétiennes présentes en Syrie. Elles furent d'autant plus faciles que les populations locales suppor­ taient mal le joug byzantin et que le statut de musulman pouvait apporter d'énormes avantages : les convertis sy­ riens furent ainsi intégrés au noyau des conquérants arabes en qualité de « clients » (mawâlt) et participèrent à la vie politique, administrative, sociale et culturelle. L'arrivée de nouveaux croyants semble avoir encouragé la controverse théologique. Le courant mu­ tazilite* (cf. p. 34) apparaît vers 70

1

Novembre-décembre 2005

700. Le droit (fiqh) (cf p. 44) jette ses premières fondations vers 750. Mais les Omeyades sont en butte à l'hostilité des Médinois qui leur reprochent de trop s'oc­ cuper des affaires temporelles et de dédaigner la tradition du Prophète. Ils se heurtent aussi à l'opposition croissante des

Doté d'une solide armature administrative, l'empire des Omeyades développa l'urbanisation, l'architecture et les arts. Il fit de l'arabe sa langue officielle.

chiites* (cf. p. 84) qui les consi­ dèrent comme des usurpa­ teurs. Yasîd réprime ainsi la ré­ bellion de Hussein, fils d'Ali, qui trouve la mort lors de la bataille de Karbala (10 octobre 680), et est depuis vénéré comme un martyr. Après le ca­ life al-Walîd, la dynastie suc­ combe sous les coups des des­ cendants d'al-'Abbâs, un oncle du Prophète. En août 750, al1

Hors-série n ° 5 Le Point

'Abbâs, qui s'est fait proclamé calife à Koufa, extermine la fa­ mille du dernier omeyade. Seul échappe au massacre 'Abd al­ Rahmân ibn Mo'âwiya, qui gagne l'Espagne pour y fonder la dynastie omeyade d'Anda­ lousie. LE CALIFAT ABBASSIDE

Installée à Bagdad, en Irak, la dynastie abbasside jouera la carte de l'universalité et, contrairement aux Omeyades, s'appuiera moins sur les Arabes que sur les Iraniens, qui jouè­ rent un grand rôle dans l'ad­ ministration. Se présentant comme des restaurateurs de la tradition, les califes abbas­ sides essayèrent de contrôler plus étroitement que leurs pré­ décesseurs le pouvoir spirituel et temporel. Sous Haroun al­ Rachid et al-Ma'mûn, Bagdad connut une activité intellec­ tuelle particulièrement intense, à laquelle participèrent aussi bien les Arabes que les Persans convertis, tant dans le champ des sciences religieuses que de la littérature, des mathé­ matiques ou de la médecine. Cet épanouissement culturel fut favorisé par une vie éco­ nomique très active, marquée par la fabrication et l'exporta­ tion de soieries, de tapis, de tissus brodés, le développe­ ment de l'industrie du papier et un trafic commercial intense avec l'Occident et l'Extrême­ Orient. Dès le 1x• siècle appa­ raissent toutefois les premiers signes de la décadence : pré­ pondérance des mercenaires dont les chefs deviennent les maires du palais, agitation so­ ciale qui profite aux dissidences kharijites (cf p. 94) et chiites. Les provinces les plus éloignées se détachent peu à peu, même si elles restent formellement

Samarra (Irak), capitale des Abbassides de 836 à 892, et son minaret hélicoïdal. soumises au califat de Bagdad. Des royaumes presque auto­ nomes apparaissent ainsi au Maghreb (Idrissides au Maroc, Rostémides en Algérie, Aghla­ bides en Tunisie actuelle), au Khorassan (Perse), en Égypte, et même dans la Syrie voisine. En 945, le califat tombe sous la coupe d'Ahmad le buyide, un chiite qui prétendait des­ cendre des rois perses. En 977, son successeur, Adod-ad Daula, se rend maître des deux tiers

CALIFAT ET DYNASTIES I Repères

de l'Iran et de la Mésopotamie, fondant la dynastie buyide qui ne disparut qu'en 1055 sous les assauts des Turcs seldjoukides. le califat essaya de contrebalancer le pouvoir de ces chiites en se servant de la puissance toute nouvelle des Ghaznavides (977-1186), dynastie sunnite installée à Ghazni à la frontière du souscontinent indien et fondée par Sebuktegin, un officier turc devenu gouverneur. Ses princes lancèrent l'islamisation de l'Inde du Nord et laissèrent le souvenir de grands mécènes. Ils développèrent les arts et

l'architecture et attirèrent à leur cour des érudits, tel le mathématicien, historien et géographe al-Bîrûnî ou le poète persan Ferdousi. LA GRANDEUR DE L'ANDALOUSIE Deux puissances musulmanes surtout vont s'opposer au califat de Bagdad, l'une en Espagne, l'autre en Égypte. l'Espagne musulmane s'est constituée en province indépendante dès que 'Abd al-Rahmân, le dernier descendant omeyade, s'est emparé de Cordoue, en 756, et a soumis l'es-

sentie[ de la péninsule ibéri que, celle que les Arabes appellent « al-Andalus ». Deux siècles plus tard, en 929, l'un de ses descendants érigera l'émirat en califat, estimant que la culture raffinée qui régnait alors sur ses terres, où la profondeur intellectuelle le disputait à la tolérance, n'avait rien à envier à celle de Bagdad. Dès la fin du x• siècle tautefois, le califat de Cordoue devient lui aussi le jouet des maires du palais. En 1030, le dernier omeyade disparaît. le royaume s'émiette en une série de principautés (c'est

l'époque des Reyes de Taifas) qui peu à peu disparaissent, victimes de la reconquête chrétienne. Au xn• et au x111• siècle

Contrairement aux Omeyades, les Abbassides s'appuient moins sur les Arabes que sur les Iraniens. toutefois, l'esprit « andalus » continue de briller sous les Almoravides (1056-1147) et les Almohades (1130-1269), grâce

Le Point Hors-série n ° 5 [ Novembre-décembre 2005 [ 71

Repères I CALIFAT ET DYNASTIES à des personnalités aussi brillantes que le médecin phi­ losophe de Cordoue Averroès* et le mystique originaire de Murcie Ibn 'Arabî*. LE CHIISME FATIMIDE Un autre pouvoir, chiite celui­ là, va s'opposer à Bagdad. À la fin du 1x• siècle, l'agitation alide* secoue tout le Proche­ Orient musulman et 'Ubayd Al­ lah, reconnu comme l'imam caché par les ismaéliens*, charge son propagandiste Abû 'Abd Allah de préparer son ac­ cession au pouvoir. Celui-ci gagne la faveur des Berbères du Maghreb, les suit en petite Kabylie et s'ouvre la route de Kairouan en 909, où 'Ubayd Al­ lah entre en triomphateur et fonde la dynastiefatimide. Ses méthodes de conversion bru­ tales et la pression fiscale qu'il impose aux populations vont provoquer la terrible révolte kharijite d'Abû Yazîd, l'homme à l'âne, qui va déchirer la ré­ gion de 936 à 947. Celle-ci re­ tarda mais n'empêcha pas la conquête chiite de l'Égypte par les Fatimides. En 969, l'affran­ chi Jaubar s'empara du nord du pays et commença la construction du Caire. Le cali­ fat fatimide qui régna sur l'É­ gypte et le Maghreb central fa­ vorisa une civilisation très brillante, avant de sombrer, en

Occident sous les coups des Berbères, en Orient, sous ceux des Turcs seldjoukides. En 1171, le Turc Saladin (1169-1193) dé­ pouille les Fatimides de l'Égypte et s'illustre dans la lutte contre les croisés. LA PUISSANCE SELDJOUKIDE C'est au milieu du x1• siècle qu'est apparue une nouvelle puissance qui va marquer un tournant dans l'histoire de l'islam : le pouvoir turc seldjoukide. Refoulant le chiisme, il va imposer aux pays conquis de

Le califat fatimide qui régna sur l'Égypte et le Maghreb favorisa une civilisation brillante, qui sombra sous les coups des Berbères et des Seldjoukides.

nouveaux modes de pensée et de vie. Seul lui échappe l'Occident - Espagne, Maroc-, où les Berbères se libèrent de la tutelle de Bagdad. À partir de là, « l'Orient et l'Occident vont se tourner le dos», comme l'a écrit l'historien Jean Sauvaget.

72 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n ° 5 Le Point

À l'origine mercenaires de la dynastie turque ghaznavide, qui a islamisé l'Inde du Nord vers l'an 1000, les héritiers du Turc Saljûq s'étaient révoltés contre leurs anciens maîtres et avaient unifié pour un temps les provinces persanes. En 1038, Toghrul-Beg avait détruit la puissance chiite buyide et s'était fait nommé sultan en 1055 par le calife de Bagdad. À partir de cette date et jusqu'à l'arrivée des croisés, le pouvoir seldjoukide va non seulement conquérir de vastes territoires en Asie mineure et au Proche-Orient, mais se faire sur tous les fronts le défenseur de l'islam sunnite*, s'efforçant d'annihiler les sectes et de développer un enseignement orthodoxe (développement des madrasas). À partir de la mort du sultan Mâlik Châh, l'empire commence toutefois à se disloquer en faveur des gouverneurs de province. LA CHUTE DE BAGDAD Venus des confins des steppes au milieu du x111• siècle, les Mongols mettent fin à l'existence fictive du califat de Bagdad. Fondé par Gengis Khan (1167-1227), cet empire avait commencé ses incursions en terre musulmane vers 1209, ravageant tout sur son passage. En 1257, Hûlâgû, maître de la Perse et proche du grand khan du moment, s'empare de Bagdad et massacre la famille du calife. Un an plus tard, il

prend Alep et Damas. Hûlâgû était bouddhiste mais fils et époux de chrétiennes. Ses troupes étaient souvent de confession chrétienne nestorienne. Il pensa donc à une alliance avec les croisés contre les Mamelouks, anciens mercenaires turcs qui tenaient alors l'Égypte. Profitant des hésitations des Francs, ce fut le sultan mamelouk Befüar qui finalement les repoussa audelà de ['Euphrate. L'EMPIRE OTTOMAN Mais le grand califat abbasside était bel et bien mort, et avec lui une certaine idée de la puissance musulmane. Tandis qu'à l'ouest, au Maghreb et en Espagne, s'imposaient les dynasties berbères marocaines des Almoravides puis des Almohades, d'autres empires musulmans apparaissaient en Orient : les Moghols en Inde, les Safavides en Perse et les Ottomans au Proche-Orient. En 1453, ces derniers prenaient Constantinople, s'imposant ainsi comme le premier ennemi de l'Europe. Leur empire, le plus long de l'histoire musulmane, dura six siècles, et s'étendit du temps de sa splendeur des portes de Vienne à la Libye, de Bagdad à Alger. Ce n'est pourtant qu'en 1774 et pour mieux rassembler les troupes musulmanes contre les attaques de l'Occident que le sultan ottoman se fit reconnaître comme C. G. calife...

CALIFAT ET DYNASTIES I Repères

DES OMEYADES À LA CHUTE DE GRENADE 661Hi8o. Règne de Mo'âwiya, fondateur de la dynastie omeyade. 663-667. Conquête du Khorassan (Perse). 666. Début de la conquête de l'Afrique du Nord. 670. Construction de la mosquée de Kairouan. 10 octobre 680. Bataille de Karbala. Hussein et ses partisans sont massacrés. Le divorce entre sunnites et chiites est consommé. v. 690. Construction de la mosquée d'Al-Aqsa (le Rocher) à lérusalem. 695-697. Révolte et écrasement des kharijites. 696. La langue arabe reconnue comme langue officielle de l'islam. 700. Début du mouvement mutazilite*. 711. Les musulmans prennent pied en Espagne, près de Gibraltar. 712. Prise de Samarcande. 732. Les musulmans échouent à Poitiers. 740. Dernière invasion arabe en Asie mineure. 747. Révolte en faveur d'Abû al-'Abbâs, fondateur de la future dynastie abbasside. 748. Mort de Wâsil ibn 'Atâ, fondateur du mutazilisme. 25 juin 750. Massacre des Omeyades, à l'exception de 'Abd al-Rahmân ibn Mo'âwiya, qui gagne l'Espagne. 750. Abû al-'Abbâs devient le premier calife abbasside. 754.775. Règne d'al-Mansûr. 756. Fondation de l'émirat omeyade en Andalousie. 759. Mort du Persan Ibn al-Muqaffa'*, premier grand prosateur arabe. 762. Fondation de Bagdad. 767. Mort du juriste Abû Hanifa*. 775.785. Règne d'al-Mahdî. 773-774. Traduction en arabe des Éléments d'Euclide et de la géographie de Ptolémée*. 785. Édification de la grande mosquée de Cordoue. 786-809. Règne d'Haroun al-Rachid. 789. Fondation de Fès, au Maroc. 795. Mort du juriste Mâlik ibn Anas*. 800. Charlemagne est sacré empereur. 809-814. Règne d'al-Amîn. 810. Mort du poète Abû Niwas. 814-833. Règne d'al-Ma'mûn. 814. Les chiites s'emparent des villes saintes. 817. Révolte en Irak. Nomination d'un anticalife. 820. Mort du juriste al-Châfi'î*. 827. Le mutazilisme devient doctrine officielle de la dynastie abbasside. 832. Fondation à Bagdad de la Maison de la Sagesse. Intense activité de traductions des textes grecs.

833. Agrandissement de la mosquée de Cordoue. 833-842. Règne d'al-Mutasim. 834. Constitution de la garde turque. 843. Le chef de la garde turque devient sultan. 847-861. Règne d'al-Mutawakkil. 850. Persécution des juifs et des chrétiens. 855. Mort du juriste Ibn Hanbal*. 863. Début de l'offensive byzantine contre les musulmans. 870. Mort du traditionniste al-Bukhârî* et du philosophe al-Kindî*. 910. Fondation du califat fatimide en lfrîqiya. 922. Supplice du soufi al-Hallâj* à Bagdad. 923. Mort de l'historien al-Tabarî*. 935. Mort du théologien al-Ach'arî*. 950. Mort du philosophe al-Fârâbî*. 969. Les Fatimides dominent l'Égypte. Fondation du Caire. 972. Fondation de la mosquée Al-Azhar. 1001. Première expédition musulmane en Inde. 1021. Création de la secte des druzes. 1031. Chute du califat de Cordoue. Fin de la dynastie omeyade. 1037. Mort d'lbn Sinâ (Avicenne*). 1038. Début de l'offensive des Turcs seldjoukides. 1043-1048. Conquête de la Perse par les Seldjoukides. 1048. Mort du savant al-Bîrûnî*. 1071. Les Seldjoukides prennent Damas. 1080-1256. Les « Assassins » d'Alamût sèment la terreur en Syrie et en Iran. 1085. Reprise de Tolède par les chrétiens. 1096-1099. Première croisade. Les Francs prennent lérusalem le 15 juillet 1099. 1111. Mort du théologien soufi al-Ghazâlî*. 1144. Début de la contre-offensive musulmane contre les croisés. 1145. Traduction en latin de l'algèbre de Khuwarizmi. 1153. Mort de Shahrastâni*. 1174. Saladin, vizir d'Égypte, lance une campagne victorieuse contre les croisés et entre à Damas. 1192. L'Inde du Nord devient musulmane. 1198. Mort d'Averroès. Quatrième croisade. 1238. Édification de ['Alhambra de Grenade. 1258. Les Mongols prennent Bagdad. Fin de la dynastie abbasside 1273- Mort du poète persan Rûmi*. 1291. Échec des Francs devant Saint-lean-d'Acre. 1328. Mort du juriste Ibn Taymiya*. 1406. Mort de l'historien Ibn Khaldoun*. 1492. Chute de Grenade. Fin du dernier califat musulman en Espagne.

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SOUFISME j Introduction L'homme, dit le maître soufi, peut accéder au paradis ici-bas en s'unissant à Dieu. Souvent contesté par l'islam officiel, le soufisme s'est épanoui au sein de multiples confréries, donnant à l'islam quelques-uns de ces plus grands poètes et penseurs.

LES UFISME,

MYSTIQUE DE l:ISLAM Par Pierre Lory

Pierre Lory, spécialiste de la mystique dans l'islam médiéval, enseignant à l'EPHE. Auteur, entre autres, d'Alchimie et mystique en terre d'Islam (Verdier, 2003), du Rêve et ses interprétations en Islam (Albin Michel, 2003) et de la Science des lettres en Islam (Dervy, 2004).

u'est-ce que le soufisme? On peut Il est difficile de cerner avec précision le définir comme la principale mys­ l'apparition de cette mystique musul­ tique de l'islam. Les musulmans mane. Les premières attestations cer­ consiâèrent comme l'essentiel de leur re­ taines de mystiques ont lieu dès la fin du ligion la foi dans un Dieu transcendant, vme siècle. Puis des mystiques ont com­ ainsi que l'obéissance à sa volonté par la mencé à rédiger des traités où ils faisaient pratique des prescriptions de sa Loi et de état de l'union avec le divin, de l'itinéraire la morale formulées dans le Coran et les qui y mène, y joignant des doctrines sur enseignements de Mahomet. Les hommes la nature de la sainteté ou d'autres points croyants et obéissants seront récompen­ de théologie; ainsi, au IXe siècle, Sahl Tus­ sés par le bonheur du paradis, augmenté tarî ou Hakîm Tirmidhî. En Irak, les mys­ de la présence de Dieu. Les tiques ont commencé à de­ mystiques adhèrent inté- Le disciple soufi venir plus visibles. Ils gralement au credo et à la revêtaient un froc grossier pratique de la commu- doit ttraverse:r une en laine (arabe sûf, d'où nauté, ne constituant en ,< mon» intérieure probablement le nom de rien un courant marginal, pour accéder « soufisme »). Vers la fin du e déviant ou a fortiori dissi­ IXe siècle et le x siècle, plu­ dent en islam, mais ils sont à une vie nouvelle sieurs maîtres soufis marconvaincus qu'on peut renquèrent leur génération, contrer Dieu dès ici-bas, que l'homme peut tel Junayd* de Bagdad ou Hallâj*. Le éprouver quelque chose de la Présence rayonnement social de ces maîtres ne absolue, voire même s'unir à Elle. Cette cessa de croître : le petit peuple les vé­ différence est essentielle: le temps et l'es­ nérait souvent plus que les religieux« pro­ pace sont retournés, le paradis est pour fessionnels », juristes et prédicateurs, et les soufis déjà invisiblement présent aux les créditait de nombreux miracles. Leur âmes attentives. impact social pouvait même déranger,. Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 1 75

Introduction I SOUFISME ,. le pouvoir politique, comme l'illustre le procès de Hallâj, exécuté de façon spec­ taculaire à Bagdad en 922. Après la crise morale entraînée par ce procès, un modus vivendi s'instaura en douceur entre l'islam« officiel» et les mys­ tiques. Les maîtres continuèrent à ensei­ gner les principes de la Voie vers l'union à Dieu, mais au sein de cercles discrets. Le nombre des adeptes ne cessa pourtant de croître; les doctrines soufies devinrent mieux connues, défendues dans le sun­ nisme * par d'illustres penseurs comme Ghazâlî* (cf. p. 78). Au xne siècle, le sou­ fisme s'était définitivement constitué en confréries organisées et reconnues - struc­ ture qu'il garda jusqu'à nos jours.

mettre à leur entourage: aimer l'ami de Dieu, c'est participer à la grâce et aux bienfaits de l'union dont il bénéficie. Cette notion est centrale dans la voie soufie. Le disciple est en effet enjoint de traverser une « mort » intérieure pour accéder à une vie nouvelle. La science mais aussi l'énergie spirituelle du maître lui sont né­ cessaires pour accomplir ce passage. Il existe un très grand nombre de confré­ ries, qui se distinguent par une méthode spirituelle et des rituels différents. Tou­ tefois, le rite de base est le même. li s'agit du dhikr, répétition rituelle d'une prière, d'un Nom divin, d'un passage du Coran. Cette pratique s'ancre dans une concep­ tion de la transcendance du langage, qui, en islam, est aussi d'essence métaphysique. Dieu a créé le monde par sa parole. Il s'est Quelle que soit fait connaître par une parole (le Coran). La répétition de la confrérie, le rite paroles (coraniques notam­ fondamental est le dhikr, ment) est vécue comme une répétition rituelle d'une appropriation par les croyants de cette divine énergie qui prière, d'un Nom divin structure le monde. Partant ou d'un passage du Coran. de là, les rituels soufis peuvent être chantés et très ryth­ més, gestués (comme les gi­ Qu'est-ce qu'une confrérie? li s'agit d'une rations des derviches tourneurs), ou organisation initiatique d'une structure as­ privilégier des récitations silencieuses, sez simple. À son sommet, le maître spi­ comme dans la tradition de la confrérie rituel (cheikh en arabe), censé avoir at­ Naqshbandi originaire d'Asie centrale. teint l'union avec Dieu et pouvoir guider vers ce but les disciples, dirige souverai­ Saints musulmans nement la confrérie. Son entourage direct Mais rien n'illustre mieux le soufisme que est constitué par des « initiés », qui ont la vie des saints musulmans. Les manuels déjà parcouru une partie des étapes de la hagiographiques sont très nombreux et Voie et peuvent éventuellement diriger des ont conservé la mémoire, embellie, des séances liturgiques. Ils fréquentent régu­ grands maîtres spirituels : la poétesse Râ­ lièrement le maître, qui leur délivre un en­ bi'a*, le mystique Hallâj, symbole du mar­ seignement initiatique personnalisé et peut tyre en Dieu, !'Andalou Ibn 'Arabî* décerner à l'un d'entre eux l'autorisation (cf p. 80), le poète Rûmî*, grand exta­ de transmettre les enseignements. Enfin, tique qui fut à l'origine de la confrérie des la confrérie comprend un grand nombre derviches tourneurs, ou, plus proche de de disciples liés au maître par un lien plus nous, l'émir algérien Abd el-Kader*, chef lâche qui se contentent souvent d'assis­ de guerre mais aussi un des plus grands ter à des prières collectives. Leur nombre mystiques du x,xe siècle islamique. L'in­ sertion sociale des confréries soufies est s'évalue fréquemment par milliers. La conviction profonde existe que les un phénomène particulier à la commu­ saints reçoivent de la part de Dieu une nauté islamique. L'islam ne comprend pas force et une bénédiction transcendante de clergé et décourage formellement le appelée la baraka, qu'ils peuvent trans- monachisme. Aussi les soufis sont-ils des

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Hors-série n ° 5 Le Point

SOUFISME

hommes engagés dans la vie, le plus sou­ vent mariés et exerçant une profession. Ils pratiquent les prescriptions de la Loi musulmane et, en plus, accomplissent les rites propres à leur confrérie. L'influence sociale du soufisme fut im­ mense jusqu'au début du xvme siècle en­ viron. Des millions de musulmans adhé­ raient aux différentes confréries ; ses doctrines étaient enseignées dans les grands collèges universitaires, de l'Égypte à l'Inde. Un nombre impressionnant d'in­ tellectuels de l'islam classique y a adhéré. Le soufisme a ainsi imprégné de sa sen­ sibilité lyrique la culture musulmane : l'amour divin évoqué en termes d'amour platonique est un thème richement illus­ tré dans les poésies persane, turque, our­ dou, etc. Sa mise en valeur de la dimen­ sion symbolique, intérieure, de tout ce qui apparaît a imprégné la miniature, la calligraphie, les arts décoratifs... Mais depuis le XIXe siècle, l'irruption des modes de pensée occidentaux, de l'en-

I Introduction

seignement public, de l'urbanisation, a érodé le soufisme traditionnel, rural comme citadin. Les élites laïques y ont vu une men­ talité obscurantiste, plongeant le peuple dans les superstitions et la magie. Plus grave encore, les courants réformistes, cherchant à mobiliser les croyants autour d'un islam originel, en ont fait un bouc émissaire : les soufis auraient diffusé le quiétisme, prônant l'accès du fidèle à un monde imaginaire d'expériences spiri­ tuelles, alors que la communauté deman­ dait des militants. Les confréries perdirent nombre d'adhérents, furent interdites dans les pays laïcs (furquie kémaliste), mais aussi dans des pays touchés par le réfor­ misme comme l'Arabie Saoudite. Cependant, il se maintient avec vigueur dans de nombreuses régions : Afrique sa­ hélienne, Maroc, Égypte, Caucase, sous­ continent indien... En Égypte, seul pays où les confréries sont recensées, on estime qu'un dixième environ de la population est peu ou prou rattaché à une voie soufie. •

École indienne,

Conversation mystique

entre des

cheikhs soufis, xv11• s., Saint­ Pétersbourg, Institut

des études orientales.

Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 77

Clés de lecture I SOUFISME

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Al-GhazâlÎ : la Voie et la Loi

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1 fut célébré de son vivant et surnommé post mortem « la preuve de l'islam » l'exemplarité du parcours d'al­ Ghazâlî* tient dans le fait qu'il ait affirmé, lui, le savant, que le soufisme est la voie suprême menant à Dieu. Originaire du Khorassan, Ghazâlî est d'abord le penseur officiel du pouvoir seldjoukide, d'origine turque, qui gouverne alors l'Empire abbasside. De­ puis Bagdad, il réfute avec brio les doctrines qui inquiètent alors l'orthodoxie politico-reli­ gieuse sunnite, telles que l'éso­ térisme chiite ismaé lien*. Rompu à toutes les sciences is­ lamiques, il ressent pourtant un vide et traverse alors une grave crise qui se traduit par une maladie nerveuse. Il se dé­ met de toutes ses fonctions et mène durant une dizaine d'an­ nées une vie de pérégrination et de retraite. Lors d'une troi­ sième étape enfin, il revient parmi les hommes pour diriger les novices sur la Voie soufie, enseigner et parachever une œuvre qui ne compte pas moins de 35 ouvrages, parmi lesquels la Revivification des sciences de la religion et l'incohérence des philosophes (Tahâfut al-falâsifa).

logétique factuelle. Dieu ne se prouve pas, Il se « goûte », comme l'ont toujours dit les soufis. Seule la connaissance gustative, fruit d'une discipline spirituelle accomplie sous la direction d'un maître, permet de contempler les réalités di­ vines. La sainteté - « proximité de Dieu » en islam - se vit donc dans l'au-delà des ratiocina­ tions des théologiens et des ar­ gumentations des juristes. Dans le dernier extrait ci-contre, Ghazâlî s'emploie à établir une filiation spirituelle entre les pro­ phètes et les saints musulmans, tranchant ainsi dans ce débat séculaire; qui sont les « héri­ tiers » des prophètes dont par­ lait Mahomet, les oulémas* gar­ diens de la norme extérieure ou les saints soufis qui tendent à expérimenter intérieurement le

Le « goût » de Dieu

Quel est son enseignement? Ghazâlî affirme la prééminence du dévoilement spirituel et de l'inspiration sur la raison et les sciences qui en dépendent théologie, scolastique, philosophie, droit... La théologie, qu'il a longtemps pratiquée, n'a à ses yeux qu'une valeur apo78

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lhyâ' 'ulûm al-dîn, manuscrit du x1v" siècle.

Hors-série n °

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Le Point

modèle prophétique? Ghazâlî met à profit la doctrine de la « Lumière de Mahomet », ré­ fraction de la Lumière divine et principe fondateur du cosmos, pour recentrer sur la personne du Prophète la communauté, tentée à son époque par di­ verses « déviations » doctrinales.

Le respect de la Sunna La vie spirituelle doit suivre la Sunna* (exemple du Pro­ phète); elle doit donc être vé­ cue au sein du sunnisme *, qui seul garantit la conformité de l'expérience au message de la Révélation. La réalité cosmique de la Lumière de Mahomet s'ap­ préhende aussi sur le plan mys­ tique, puisque l'illumination in­ térieure, chez l'initié, s'alimente à cette lumière. L'influence de Ghazâlî a été et reste majeure. Grâce à sa cau­ tion scientifique, il a contribué à réconcilier le sunnisme avec le soufisme, lequel n'a cessé d'imprégner la culture islamique jusqu'au XIXe siècle. Suivant son modèle, beaucoup d'oulémas et de juristes ont cheminé dans le soufisme, cherchant à con­ joindre la Loi et la Voie, la norme extérieure et l'expérience inté­ rieure. À un moment où le juri­ disme envahissait l'islam, Ghazâlî a rappelé la hiérarchie des valeurs au sein de l'islam; des siècles avant l'apparition des fondamentalismes, il a sou­ ligné que cette religion avait, comme les autres, avant tout une vocation spirituelle, et que la conscience humaine se réalise dans son propre dé­ passement. Éric Geoffroy

SOUFISME

Al-Ghazâlî

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La science qui mène au salut est de deux • sortes : celle qui opère par le dévoile­ ment spirituel (mukâshafa), et celle qui concerne les actions humaines (mu'âmala). La première, qui correspond à la science ésotérique, est supérieure à toutes les autres. « On peut craindre une issue malheureuse, a dit un initié, pour celui qui ne porte pas une part de cette science. » [ ... ] Par la science du dévoilement, j'entends la lumière qui nail: dans le cœur lorsque celui-ci est purifié. Cette lumière éclaire maintes réalités sur lesquelles on avait jusqu'alors les idées confuses; lorsqu'elles se manifestent ap­ paraît la véritable connaissance [...] ainsi que la contemplation de visu qui ne laisse aucun doute.

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spirituel. Comme en a témoigné le Prophète, Abû Bakr [beau-père de Mahomet et premier calife] n'a pas devancé les autres Compagnons du fait qu'il aurait plus jeûné, prié, lu le Coran, émis des fatwas ou pratiqué la théologie, mais par quelque chose qui s'est déposé en son cœur. IBIDEM,

1, 22-23

La cinquième [faculté humaine] est la faculté sainte prophétique. Elle appartient en propre aux prophètes et à quelques saints. C'est en elle que se dévoilent [...] les connaissances issues du monde spirituel, et même du monde « sei­ gneurial», connaissances qui dépassent les ca­ pacités des facultés rationnelle et cognitive. [ ...] Il y a donc au-delà de la raison une dimen­ GHAZÂLÎ, REVIVIFICATION DES SCIENCES DE LA RELIGION (IHYÂ' 'ULÛM AL·DÎN), 1, 19-20 sion à laquelle celle-ci n'a pas accès. De la même façon, la raison se situe au-delà de la sensation Un théologien qui se limite à controverser et à et du simple discernement, et se dévoilent en faire l'apologie de son dogme, sans se préoccu­ elle des choses extraordinaires qui ne sont sai­ per de son état spirituel, ne peut être compté sissables ni par la sensation ni par le discerne­ parmi les savants.[...] La théologie scolastique ment. Ne restreins donc pas la perfection à l'ho­ ('ilm al-kalâm) ne saurait ouvrir à la connais­ rizon limité de ton ego! sance de Dieu ni procurer les fruits de la « science GHAZÂLÎ, LA NICHE DES LUMIÈRES (MISHKÂT AL·ANWÂR) du dévoilement». Au contraire, elle est un voile jeté sur cette connaissance . On ne peut parve­ Ma période de retraite spirituelle a duré envi­ nir à Dieu qu'au moyen de la discipline spiri­ ron dix ans, au cours desquels j'ai eu d'innom­ tuelle (mujâhada), qu'il a définie comme un préa­ brables, d'inépuisables dévoilements. J'ai su lable à la guidance : « Ceux qui auront combattu alors avec certitude que les soufis sont sur la en Nous, Nous les guiderons assurément sur Nos voie de Dieu, et que cette voie est la meilleure; chemins. Dieu est, en vérité, avec ceux qui re­ leurs mœurs sont les plus pures que l'on puisse cherchent l'excellence» (Coran, XXIX, 69). trouver. [... ] En effet, toutes leurs pensées et leurs actions, apparentes ou cachées, s'ali­ [...] « Vous réduisez le rôle du théologien à préser­ mentent à la lumière de la prophétie, et il n'est ver la foi du commun des croyants, me diras­ aucune lumière, sur terre, qui l'emporte sur tu, et celui du juriste à sauvegarder la loi qui ré­ celle-ci. [ ...] Celui qui ne connaît pas la spiri­ git la société. Comment pouvez-vous ainsi tualité par la « gustation » (dhawq) ne perçoit abaisser leur statut et négliger leur fonction?» de la réalité de la prophétie que le nom. En fait, Sache que celui qui veut connaître Dieu par les les miracles des saints sont dans la lignée de hommes s'égare; il faut d'abord connaître Dieu, ceux des prophètes, à un moindre degré bien en cheminant sur Sa voie, alors tu connaîtras sûr. Tels furent les débuts de !'Envoyé de Dieu, Ses hommes. Ne sois pas conformiste sur ce lorsqu'il allait s'isoler dans la grotte Hirâ' pour point. Prends l'exemple des Compagnons du adorer Dieu et que les Arabes disaient : « Ma­ Prophète : leur précellence sur les autres mu­ homet brûle du désir de Dieu . » sulmans ne provient pas de leurs connaissances GHAZÂLÎ, LA PRÉSERVATION DE L'ERREUR (AL·MUNQIDH MIN AL·DALÂL) en théologie ou en droit, mais de leur science orientée vers l'au-delà et de leur cheminement (TRADUCTIONS ORIGINALES D'ÉRIC GEOFFROY)

Le Point Hors-série n ° s I Novembre-décembre 2005 79

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Clés de lecture I SOUFISME

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Ibn 'ArabÎ: la vérité de toutes les religions

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bn 'Arabî* est le « Grand

Maître» de la spiritualité et de l'ésotérisme islamiques. Depuis son Andalousie natale jusqu'à Damas, dernière étape de ses pérégrinations, il a par­ couru toutes les stations de la Voie soufie. Désigné comme le « Sceau muhammadien de la sainteté » - le Sceau universel étant, selon l'islam, Jésus -, il était dès lors investi pour lais­ ser une œuvre écrite aussi dense qu'abondante. Œuvre paradoxale que la sienne : chaque jour davantage

subtile peut troubler même les apprentis soufis, et c'est pour­ quoi, en pays musulman, les cheikhs interdisaient souvent à leurs disciples de lire l'œuvre d'lbn 'Arabî par eux-mêmes. Cette doctrine accorde pour­ tant une attention rigoureuse à la lettre du Coran mais elle dérange le conformisme reli­ gieux en explorant les possibi­ lités de la Révélation. Ibn 'Arabî fut certes l'héritier de la tradi­ tion soufie, mais il lui a offert une formulation à la fois plus ample et plus précise. Le sou-

étudiée et traduite, source d'ins­ piration pour beaucoup de non­ musulmans après avoir fait l'ob­ jet de polémiques séculaires en terre d'islam, elle n'est pas à la portée du premier venu. On peut évoquer la complexité métaphysique, la formulation allusive et la profusion de la terminologie, mais en défini­ tive c'est le caractère initiatique de l'œuvre qui explique qu'elle reste hermétique au plus grand nombre. Une doctrine aussi

fisme postérieur est donc lar­ gement débiteur de l'homme et de son œuvre. Les passages ci-contre sont ex­ traits des Futûhât makk iyya, somme spirituelle exhaustive, et des Fusûs al-hikam, ouvrage plus concis qui récapitule sa doctrine métaphysique. Les vers, enfin, proviennent du re­ cueil de poèmes mystiques Tar­ jumân al-ashwâq. Ils témoignent de l'universalisme et du plura­ lisme qui animent la doctrine

Une doctrine aussi subtile peut troubler les apprentis soufis; c'est pourquoi, en pays musulman, les cheikhs interdisaient souvent à leurs disciples de lire l'œuvre d'lbn 'Arabî par eux-mêmes.

80 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n ° s Le Point

d'lbn 'Arabî, universalisme de la Révélation énoncé par le Co­ ran dans la notion de « Religion immuable» et que le Prophète a illustré maintes fois, lui qui affirmait que 124000 prophètes, depuis Adam jusqu'à lui, avaient été envoyés à l'humanité.

L'unité des religions

Sur ces bases, certains soufis ont professé « l'unité trans­ cendante des religions», thème auquel Ibn 'Arabî a fourni un cadre doctrinal; toutes les croyances et donc toutes les religions sont vraies car cha­ cune répond à la manifestation d'un Nom divin. Il y a ainsi une unité fondamentale de toutes les lois sacrées, et chacune dé­ tieQt une part de vérité. La di­ versité des religions est due à la diversité des « relations » que Dieu entretient avec le monde, et à la multiplicité des mani­ festations divines. Puisque Dieu est conforme à l'opinion que le fidèle se fait de Lui, Ibn 'Arabî en conclut d'abord que les croyances sont conditionnées par les différentes manifesta­ tions de Dieu perçues par les êtres et par la conception frag­ mentaire que chacun se fait de Dieu; ensuite que Celui-ci ac­ cepte toutes les croyances - pas au même degré, bien sûr­ car les conceptions humaines ne sauraient limiter l'être divin. Enfin, quel que soit le destina­ taire du culte (Dieu dans ses diverses dénominations, mais aussi la nature ou les idoles), c'est toujours Dieu que l'homme adore, même s'il n'en est pas conscient. E. G.

SOUFISME I

Ibn 'Arabî

> Les religions révélées ne sont diverses • qu'à cause de la diversité des « rela­ tions divines ». Si la « relation divine » qui demande qu'une chose particulière soit per­ mise dans la loi révélée était la même que celle qui demande qu'elle soit interdite, cela impli­ querait que les décisions divines ne peuvent changer, or il est établi qu'elles changent. Si ce n'était pas le cas, cela signifierait que cette pa­ role divine est incorrecte : « À chacun de vous, Nous avons donné une loi et une voie » (Coran, V, 48). Or il est vrai que chaque communauté a une loi et une voie apportées par son prophète ou son messager. [ ... J Nous savons de façon certaine que la relation de Dieu à Mahomet dans la religion qu'il lui a révélée est différente de la relation qu'il a éta­ blie avec tout autre prophète. Si ce n'était pas le cas, et si la relation qui demande la révéla­ tion d'une loi spécifique était unique, alors les religions révélées seraient une. IBN 'ARABÎ, LES ILLUMINATIONS DE LA MECQUE (FUTÛHÂT MAKKIYYA),

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qu'il accomplit lui reviennent, et en définitive il ne fait que se louer lui-même.[ ...] L'éloge qu'il adresse à ce qu'il professe est donc un éloge qu'il s'adresse à lui-même. C'est pourquoi il blâme ce que professe autrui, ce qu'il ne ferait pas s'il était équitable . Celui qui se limite à cet objet d'adoration particulier est de toute évidence un ignorant, du fait même qu'il s'oppose aux convic­ tions d'autrui au sujet de Dieu. S'il connaissait, en effet, la parole de Junayd : « La couleur de l'eau est celle de son récipient », il accepterait de chacun sa propre croyance; il connaîtrait Dieu en toute forme et en toute profession de foi. De lui n'émane qu'une opinion, et non une science. C'est pour cela que Dieu a dit:« Je suis auprès de l'opinion que Mon serviteur a de moi»; Je ne Me manifeste à lui que dans la forme de sa croyance. Ainsi, la divinité des convictions dog­ matiques est prisonnière des limitations; c'est donc la divinité que contient le cœur de Son ser­ viteur. La Divinité absolue, quant à Elle, ne peut être contenue par rien, car Elle est l'essence des choses et l'essence d'Elie-même. IBN 'ARABÎ, LES CHATONS DE LA SAGESSE (FUSÛS AL-HIKAM)

Les doctrines religieuses divergent en fonction de la divergence des regards qui sont portés sur Lui. Or, chaque personne qui regarde ainsi n'adore et ne professe que ce qu'elle a amené à l'exis­ tence dans son propre cœur. Elle n'a donc amené à l'existence qu'une chose créée, et non le Dieu réel. Mais c'est pourtant dans cette forme doc­ trinale qu'il Se manifeste à elle. L'Essence en tant que telle est unique, mais tu ne peux Le perce­ voir qu'ainsi [dans le monde de la relativité]. IBIDEM,

IV, 211

Tout ce qui est autre que Dieu est fabriqué, et les dieux des croyances sont fabriqués. Abso­ lument personne n'adore Dieu tel qu'en L ui­ même. Il n'est adoré qu'en tant qu'il est fabri­ qué par l'adorateur. IBIDEM,

IV, 229

Celui qui professe une foi dogmatique loue uni­ quement la divinité incluse dans sa profession de foi et à laquelle il se rattache. Les œuvres

Prends garde à ne pas te limiter à un credo par­ ticulier en reniant tout le reste, car tu perdrais un bien immense [ ...J. Que ton âme soit la sub­ stance de toutes les croyances, car Dieu est trop vaste et trop immense pour être enfermé dans un credo à l'exclusion des autres. Il a dit en ef­ fet : « Où que vous vous tourniez, là est la face de Dieu» (Coran, Il, 115), sans mentionner une direction plutôt qu'une autre. IBIDEM

Mon cœur est devenu capable de toutes les formes/Une prairie pour les gazelles, un cou­ vent pour les moines/Un temple pour les idoles, une Ka'ba pour le pèlerin,/Les Tables de la Thora, le Livre du Coran./Je professe la religion de l'Amour, et quelque direction/Que prenne sa monture, l'Amour est ma religion et/Ma foi. IBN 'ARABÎ, TAR/UMÂN AL-ASHWÂQ (L'INTERPRÈTE DES DÉSIRS)

(TRADUCTIONS ORIGINALES D'ÉRIC GEOFFROY)

Le Point Hors-série n ° s I Novembre-décembre 2005 81

Repères I SOUFISME



Les confréries

AHMADIYYA Mouvement contemporain fondé en 1899 à Qadyan au Pendjab (Inde) par le soufi Mirza Ghulam Ahmad (1839-1908), qui se présentait comme le mahdi, le futur messie. Sa pensée donna naissance à deux mou­ vements très différents : la Ja­ mât'at-i Ahmadiyya, basée à Qa­ dyan, très puissante aujourd'hui au Pakistan, en Inde et en Afrique noire. Elle toucherait plusieurs millions de personnes (10 millions en 1980 , dernier chiffre connu) et prétend re­ présenter le seul vrai islam. La deuxième branche, Ahmadiyya anjuman ishaat-i Islam, basée à Lahore, est beaucoup plus li-

bérale et se développe notam­ ment dans le sous-continent in­ dien, en Indonésie, au Nigeria et au Kenya. Les ahmadis sont déclarés apostats par le sun­ nisme* pakistanais. SHÂDHILIYYA Confrérie soufie* qui doit son nom à Abû Hasan 'Ali al-Shâd­ hili. Elle se répandit au x1v• siècle au Maghreb avant de gagner l'Égypte (où elle est l'une des plus importantes re­ censées), la Syrie et l'Arabie. Elle compta parmi ses adeptes les orientalistes René Guénon* et Frithjof Schuon*. Indivi­ dualiste, la « voie» shâdhilite insiste particulièrement sur

82 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n' 5 Le Point

l'approfondissement de la vie intérieure. Elle a été précisée par al-Jazûli, dont les disciples fondèrent la confrérie des lsâ­ wiyya. Partisans d'un islam ou­ vert, présents dans les Balkans, l'Afrique saharienne, l'océan Indien, l'Asie du Sud-Est, la Chine, l'Europe et les États-Unis, les shâdhilis participent, selon les pays, à la lutte contre le wahhabisme* et les autres formes d'intégrisme de l'islam. Les shâdhilis égyptiens sont aussi réputés pour la beauté de leurs chants. KHALWÂTIYYA Cette confrérie, liée à l'origine au chiisme* (cf. p. 84), est née en Azerbaïdjan et en Anatolie vers le x11• siècle et a adopté la théosophie d'lbn 'Arabi* (cf p. 80). Un certain 'Umar al­ Khalwâti, mort en Syrie en 1337, en aurait défini les règles. Elle encourage l'effort indivi­ duel d'ascétisme en prônant la retraite (kha/wa). Dès le Musiciens au festival pa kistanais de musique soufie du sanctuaire de Baba Shah Jamal.

xv" siècle, elle joua un rôle très important dans l'Empire otto­ man, et gagna l'Égypte et le Maghreb au xv1• siècle. Elle est aujourd'hui la plus influente confrérie soufie en Égypte. MAWLAWIYYA Confrérie anatolienne des mev­ levi, dit aussi « derviches tour­ neurs». Installée à Konya (Tur­ quie), elle est apparue au xm• siècle. Elle tire son nom de mawlânâ, titre porté par son fondateur, le grand poète soufi Rûmi*. Elle est célèbre pour les pratiques (danse et mu­ sique) utilisées par ses adeptes pour atteindre l'extase. MÛRIDIYYA (MOURIDISME) Cette confrérie fut fondée en 1866 au Sénégal par Ahmadou Bamba Mbaké (1853-1927), qui appartenait lui-même à la Qâ­ diriyya et recruta principale­ ment dans l'ethnie Wolof. Ses membres portent l'appellation de murîd, terme arabe qui si­ gnifie « novice » mais qui, au x11• siècle en Andalousie, ser­ vait à désigner les soufis. Bamba Mbaké déclarait être chargé par l'ange Gabriel de rénover l'islam au Sénégal en exaltant la valeur du travail manuel. À Touba, « la ville de la Félicité», qui abrite l'une des plus grandes mosquées d'Afrique, son tombeau fait l'ob­ jet d'un pèlerinage annuel obli­ gatoire pour tous ses adeptes. Au Sénégal où les confréries (Qâdiriyya, Tijâniyya, Layene... )

SOUFISME I Repères

CHRONOLOGIE SOUFIE 632. Mort de Mahomet. 801. Mort de Râbi'â, femme soufie, l'un des premiers

structurent la société autant que la religion, le mouridisme représenterait près d'un quart de la population. La confrérie est très impliquée dans la vie économique (culture de l'ara­ chide, commerce, immobilier). Très médiatisés et adeptes du prosélytisme, les mourides sont également très actifs en Eu­ rope et aux États-Unis.

Au Sénégal

où les confréries structurent

la société autant

que la religion, le mouridisme

représenterait

près d'un quart

de la population. NAQCHBANDIYYA

Cette confrérie d'inspiration sunnite* orthodoxe (stricte ad­ hésion à la Sunna* de Maho­ met) doit son nom à Bahâ' al­ dîn al-Nasqshabandî (mort en 1389). Elle s'est répandue au x,ve siècle chez les Turcs d'Asie centrale, qui furent ainsi rat­ tachés au sunnisme, puis s'im­ planta en Asie mineure et en Inde où elle fut introduite par le conquérant Bâbur; elle par­ ticipa activement à la vie spi­ rituelle sous les Moghols, puis aux tentatives de réforme du x,x• et du xx• siècle.

QÂDIRIYYA

Confrérie très active et large­ ment répandue à travers le monde musulman, de l'Afrique noire à la Malaisie en passant par la Turquie. Elle doit son nom au prédicateur hanbalite* du x11• siècle 'Abd a-Qâdir al­ Jîlâni*. Elle est très présente dès le xv• siècle au Proche­ Orient et en Inde, notamment au Pendjab. Au x,x• siècle, des Qâdiris soutinrent Abd el-Ka­ der* dans sa lutte contre la co­ lonisation française. RIFÂ'IYYA

Confrérie active en Orient, ap­ parue vers la fin du x11• siècle en Irak et qui se réclame d'Ah­ mad ibn 'Ali al-Rifâ'i (11061182), juriste arabe de la tra­ dition chaafite*. TCHICHTIYYA

Ordre mystique très présent en Inde, qui tire son nom de la localité de Tchicht, en Syrie, d'où était originaire son fon­ dateur, Abû lshâq. Elle se dé­ veloppa au x11• siècle à partir de la ville d'Ajmer (Rajasthan, Inde). Elle est très inspirée par la pensée d'lbn 'Arabî. La pra­ tique de la musique et de la poésie va de pair avec un as­ cétisme qui emprunte aux tech­ niques du yoga. !:ordre donna naissance à d'autres confréries comme la Sâbiriyya et la Nizâ­ miyya. Elle a influencé au dé­ but du xx' siècle le mouvement religieux anti-occidental de Deoband (Uttar Pradesh), qui

chantres de l'amour divin. 87o-g1. Codification et compilation des hadiths, paroles et gestes du Prophète. 850-1000. École soufie de Bagdad. 911. Mort de Junayd al-Bagdâdî, qui a démontré l'orthodoxie du soufisme. 922. Exécution de Hallâj. Persécutions contre le soufisme. 90D-1100. Maturation du soufisme, dont témoigne al-Ghazâlî (1058-1111). 1165-1240. Ibn 'Arabî, métaphysicien et poète. 1100-1500. Formation des confréries, âge d'or de la poésie mystique persane ('Attâr mort vers 1220; Rûmi en 1273, Hâfiz vers 1389 ... ). 1219-1300. Crise des confréries, victimes des invasions mongoles. 1492. Chute de Grenade : fin de l'islam dans la péninsule ibérique. 1658. Apogée de l'Empire moghol aux Indes. 1700-1900. Déclin des Empires musulmans (ottoman, perse et moghol). 1792. Mort de 'Abd al-Wahhâb, père du wahhabisme; après un compagnonnage réformiste avec le soufisme, le rejet mutuel des deux mouvements s'affirme. 1837. Mort d'Ahmad Ibn ldrîs, figure majeure du renouveau soufi. 1864. Mort d'al-Hajj Umar Tal, soufi tidjane bâtisseur d'un État islamique en Afrique de l'Ouest. 1883. Mort de l'émir Abd el-Kader, soufi algérien et résistant à la colonisation française. 1930-2000. L'Europe découvre le soufisme, avec les œuvres. de Louis Massignon*, René Guénon, Frithjof Schuon et Henry Corbin*.

milite pour un retour à l'islam des origines. TIJÂNIYYA

Confrérie qui doit son nom à Ahmad al-Tijâni (1737-1815), qui en fut le promoteur en Algérie puis au Maroc. Sa règle -, qu'al­ Tijâni assurait avoir reçue de Mahomet lui-même - est re­ marquable par sa simplicité ni retraite, ni pratique ascétique, ni rituel compliqué, ni référence à de longues chaînes de filia-

tion... L'obligation essentielle est de fonder sa propre opinion à partir de la méditation per­ sonnelle et de rintercession du cheikh fondateur à l'exclusion de toute autre (ainsi les visites aux tombeaux des autres saints sont-elles interdites). La confré­ rie se fait remarquer par sa grande capacité d'adaptation. Elle est particulièrement pré­ sente au Maghreb et en Afrique noire, notamment au Sénégal. C. G.

Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 83

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CHIISME I Introduction

Loin de l'image d'intolérance et de fanatisme qu'en a donné l'Iran de Khomeiny, le chiisme représente une incarnation de l'islam spirituel et ésotérique, ouvert aux autres religions. Il a aussi donné naissance à une riche tradition philosophique, toujours vivace.

LE CHIISME,

MESSIANISME ISLAMIQUE

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Daniel de Smet

Daniel

deSmet,

spécialiste de l'influence néoplatonicienne dans l'islam, chercheur à l'Institut supérieur de philosophie (Hoger lnstituut Wijsbegeerte) de l'Université catholique de Louvain. À paraître

Les Épîtres de la Sagesse. Édition et traduction du canon druze (Peeters).

islam chiite*, naguère quasiment in­ Le prophète Mahomet ayant négligé de connu en Occident, s'est manifesté régler sa succession à la tête de la com­ au monde par la révolution iranienne munauté musulmane, sans doute parce (1979), dont l'ayatollah Khomeini fut le qu'il se considérait comme le dernier principal inspirateur. Depuis lors, il fait messager avant la fin imminente du la une des journaux, avec l'action du Hez­ monde, sa mort en 632 opposa deux bollah durant la guerre civile libanaise et conceptions inconciliables de la nature les événements récents en Irak. À travers du pouvoir politique et spirituel. Pour ces faits d'actualité, le chiisme se révèle les sunnites, la mort de Mahomet, le comme une forme d'islam rigoriste, in­ "Sceau des Prophètes», marque la fin de la Révélation : après lui, transigeante, fanatique et personne ne peut pré­ intégriste. Cette image est pourtant en contradiction L'inspiration divine tendre agir sous inspira­ flagrante avec le chiisme continue, après tion divine directe, la com­ traditionnel, qui fait preuve Mahomet, à soutenir munauté étant dirigée par d'une grande richesse in­ un chef politique, élu de tellectuelle. Jusqu'à l'aube la communauté façon"démocratique» et du xx• siècle, le chiisme, à travers l'imam, supposé appliquer la Loi "cette forteresse de l'éso­ chef charismatique. révélée par le Prophète. térisme en islam » selon En revanche, les chiites refusent d'admettre un tel les termes de l'islamologue français Henry Corbin*, incarnait en ef­ arrêt de l'inspiration divine. Après Ma­ fet l'islam spirituel, au même titre que le homet, elle continue à soutenir la com­ soufisme (cf. p. 74) sunnite*. li semble munauté par l'intermédiaire d'un chef avoir subi récemment une remarquable charismatique, dont le pouvoir tempo­ transformation, dont il convient de bien rel et spirituel repose sur une science di­ vine : l'imam. " Le monde ne pourrait,. saisir les enjeux. Le Point Hors-série n ° s I Novembre-décembre 1 85

Introduction I CHIISME • subsister un seul jour sans la présence de l'imam », dit une sentence célèbre. Dès lors, les chiites affirment que Ma­ homet a désigné comme successeur Ali, l'époux de sa fille Fatima. Or, cette no­ mination n'était pas seulement politique. Le Prophète confia à Ali un savoir initia­ tique, la connaissance du sens caché (bâ­ tin) de la Révélation, ainsi que la clé de l'exégèse (ta'wiO, qui permet de dégager les vérités cachées sous le sens littéral

sociales les plus démunies. Leurs révoltes furent pourtant éphémères, réprimées dans le sang par le pouvoir sunnite et sou­ vent réprouvées par les imams eux-mêmes.

Les trois grands courants

Loin de former une unité, le chiisme, dès la mort d'Ali en 661, a donné naissance à une pléiade de mouvements qui se dis­ putèrent l'identité de l'imam légitime. Trois grands courants subsistent à ce jour, qui ont des conceptions diver­ gentes sur l'imamat, tout en ayant développé leur propre Le r 2 e imam, considéré doctrine théologique : le zay­ disme*, assez proche du sun­ comme le mahdi, vit nisme, dont la plupart des fi­ en occultation depuis dèles vivent au Yémen; le xe siècle et réapparaîtra l'ismaélisme*, centré sur une succession de cycles de sept triomphalement imams, dont une des multiples à la fin des temps. ramifications, surtout présente en Inde, est dirigée par l'Agha Khan; enfin, de loin la famille et apparent (zâhir) du texte révélé. Ce chiite la plus nombreuse, celle des ima­ « dépôt » fut transmis par Ali à ses des­ mites* ou duodécimains : majoritaire en cendants, qui forment la lignée des imams, Iran et en Irak, elle compte une importante les seuls successeurs légitimes du Pro­ communauté au Liban. Leur 12e imam, phète. En revanche, les trois premiers ca­ considéré comme le mahdi, vit en occul­ lifes (Abû Bakr, Omar et Othman), ainsi tation depuis le x_e siècle, pour réapparrul:re que les Omeyades et les Abbassides, sont triomphalement à la fin des temps. considérés comme des imposteurs, voire Par la force des choses, les imams et leurs des infidèles. fidèles se sont avant tout concentrés sur Représentant un islam minoritaire - moins l'aspect religieux de leur mission. Por­ de 10 % des musulmans actuels -, les teurs d'une connaissance ésotérique qui imams ont généralement adopté une at­ concerne le sens caché du Coran, les titude politique pragmatique et prudente imams sont chargés d'enseigner cette face aux persécutions dont ils furent vic­ gnose aux disciples jugés dignes. Avant times, préférant l'enseignement religieux son initiation, le néophyte doit souscrire à un pacte d'allégeance, s'engageant à et spirituel à l'action politique. Toutefois, dès le début, le chiisme a vé­ obéir à l'imam en toutes circonstances et hiculé des attentes messianiques. La plu­ à garder secrets les enseignements qui part des imams étaient entourés de dis­ lui sont confiés: c'est la fameuse« disci­ ciples exaltés, qui voyaient en eux le mahdi, pline de l'arcane» (taqîya), à la fois une le Messie, qui se lèvera avec l'épée pour mesure de sécurité face aux menaces sun­ faire régner la justice avant l'avènement nites et une garantie contre la« profana­ du Jugement dernier. Ce messianisme en­ tion des secrets ». gendra d'innombrables révoltes contre La recherche du sens caché du Coran et l'ordre établi. Des aventuriers, se récla­ de toutes les révélations antérieures a mant de la descendance d'Ali, se firent permis aux chiites d'intégrer dans leur passer pour l'imam mahdi et menèrent pensée des éléments empruntés aux phi­ leur propagande auprès des exclus de la losophies et aux religions antéislamiques société musulmane : les non-Arabes, les le néoplatonisme et l'aristotélisme, la esclaves noirs, les membres des classes gnose chrétienne, la haggada juive, les re86

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Hors-série n ° 5

Le Point

CHIISME I Introduction

ligions iraniennes et l'hindouisme. Cette ouverture constitue toute la richesse du chiisme et explique son apport majeur à l'histoire intellectuelle de l'islam. Dès le xe siècle, des philosophes ismaé­ liens élaborèrent en Iran de remarquables cosmologies visant à expliquer les don­ nées coraniques à la lumière d'une réflexion philosophique s'inspirant de Plotin* et d'Aristote*. Les xe et xJ" siècles constituent l'âge d'or de l'ismaélisme, lorsque régna en Égypte la dynastie des Fatimides(9691171 ). Soucieux de rivaliser avec les Ab­ bassides sunnites, les Fatimides attirèrent au Caire philosophes, théologiens et hommes de science, dotant la capitale de bibliothèques, d'hôpitaux, d'observatoires et d'une« Maison de la Sagesse», vouée à l'étude des sciences profanes. Après la disparition de cette dynastie, le chiisme duodécimain prit la relève en Iran. Dans les somptueuses villes ira­ niennes, les souverains safavides ont pa­ tronné les sciences et les arts. La pensée chiite s'exprimait alors dans les écrits de philosophes de premier ordre( dont Mollâ Sadrâ* est sans doute le plus connu), inaugurant une tradition philosophique qui a perduré jusqu'au début du xxe siècle et dont le but était d'établir une harmo-

nie entre l'islam chiite, la philosophie d'Avicenne* (cf p. 64) et le soufisme. Ce patrimoine exceptionnel a été révélé au public européen grâce aux infatigables labeurs d'Henry Corbin.

Apparition des ayatollahs Alors, comment expliquer que la pensée chiite, si tolérante à ses heures de gloire, puisse avoir engendré les dérives du kho­ meinisme, prônant un islam totalitaire, obscurantiste et hostile à toute influence extérieure? D'autant plus que, selon la doctrine duodécimaine, l'occultation du 12e imam, le seul guide légitime de la com­ munauté, marque la suspension de toute activité politique jusqu'au moment de son retour eschatologique. Certains théolo­ giens, oubliant le caractère spirituel et éso­ térique du chiisme, ne se sont intéressés qu'à la lettre de la Loi islamique, dont ils proposèrent une interprétation proche des courants sunnites les plus rigoristes. En outre, s'étant organisés en une sorte de clergé fortement hiérarchisé, leurs chefs - portant le titre d'ayatollah(« le signe de Dieu ») - se sont arrogé des droits qui ne devaient revenir qu'au 12e imam occulté. La figure de Khomeiny est le produit de cette évolution complexe. • Le Point Hors-série n ° S

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Ali blessé à la bataille du Chameau, fresque du xv11• s., Ispahan, mosquée de l'imam Zahdah.

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Clés de lecture I CHIISME

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L'imamat

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u cœur du chiisme* se situe la figure de l'imam, l'unique successeur lé­ gitime du prophète Mahomet. À la fois leader politique et guide spirituel, l'imam est por­ teur d'un savoir secret et ini­ tiatique. li est la source de toute science, la porte donnant ac­ cès à la « cité de la connais­ sance ». Il est le maître dont l'instruction indique au disciple la voie menant au salut. Ce sa­ voir donne à l'imam un pouvoir surnaturel qui lui permet d'ac­ complir des miracles et de maî­ triser les forces de la nature.

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Ali, gendre de Mahomet, vénéré par les chiites.

Le sang séché de Hussein, recueilli dans un flacon, redevient Les miracles d'Ali liquide chaque année La littérature chiite nous a au jour anniversaire du transmis des milliers de tradi­ tions rapportant les faits et massacre de Karbala.

gestes, les paroles pleines de sagesse et les exploits mer­ veilleux de chaque imam. Les textes traduits proviennent d'un de ces recueils, le Livre de

la bonne direction (Kitâb al-ir­ shââ) du théologien duodéci­

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main Shaykh al-Mufîd (mort en 1022). Tout en nourrissant la spiritualité et la foi du croyant chiite, ces traditions ouvrent de larges perspectives aux his­ toriens de la religion, puis­ qu'elles offrent de nombreux parallèles avec les légendes prophétiques juives et le culte des saints en chrétienté. Ali, gendre et neveu de Maho­ met, « dépositaire» du sens ca­ ché du Coran et « fondement » de l'imamat, fait l'objet d'une vénération particulière de la part de tous les chiites, qui lui attribuent des connaissances et des pouvoirs extraordinaires.

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Prototype de l'imam infaillible, chef charismatique et thau­ maturge, il maîtrise les eaux de !'Euphrate, comme Jésus calma la tempête. Tous les poissons le saluent, à l'exception des es­ pèces sans écailles, impures selon la loi musulmane, qui fi­ gurent les adversaires d'Ali et des chiites.

La passion de Hussein L'imamat se transmit aux deux fils d'Ali, Hassan et Hussein, qui forment avec leur mère Fatima, la fille du Prophète, les « gens de la maison» (ah/ al-bayt). D'in­ nombrables traditions expri­ ment la tendresse de Mahomet pour ces deux petits-neveux. Pourtant, Hussein sera massa­ cré par les sunnites en 680 à la bataille de Karbala, en Irak. Les chiites présentent le meurtre

Hors-série n ° 5 Le Point

de Hussein comme une « pas­ sion », décrite en des termes cruels et sanglants qui évoquent la passion du Christ. Le « mar­ tyre» de Hussein est encore cé­ lébré chaque année en pays chiite, donnant lieu à des scènes d'automutilation qui doivent rappeler la souffrance de Hus­ sein à Karbala. Un véritable culte a été voué au sang de Hus­ sein, entouré de légendes qui rappellent la vénération du Saint Sang dans le christianisme. Ainsi, le sang séché de Hussein, recueilli dans un flacon, rede­ vient liquide chaque année au jour anniversaire du massacre de Karbala. Le martyre de Hussein et toutes les injustices faites aux chiites seront vengés à la fin des temps, lorsque le 12e imam sor­ tira de sa retraite, l'épée à la main, pour faire régner la jus­ tice sur terre et infliger aux ty­ rans leur juste châtiment. Fils du 11e imam et d'une princesse byzantine, il parlait déjà au ber­ ceau, comme Jésus le fit selon le Coran. Certaines traditions affirment même qu'il récitait le Coran dans le ventre de sa mère. Caché dès sa naissance pour le soustraire à la mal­ veillance des sunnites*, il resta en contact avec ses fidèles par des intermédiaires. Mais en 942, tout lien fut rompu : il vit dé­ sormais retiré dans une grotte, dont personne ne connaît la lo­ calisation. Dieu prolonge sa vie jusqu'au jour de sa manifesta­ tion, attendue avec impatience depuis dix siècles par des mil­ lions de chiites duodécimains. Daniel de Smet

CHIISME

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_,6_ L'Envoyé de Dieu [Mahomet] a dit:« Je � suis la cité de la connaissance et Ali W en est la porte. Quiconque veut acquérir la connaissance doit l'apprendre de la bouche d'Ali. »

Les eaux de !'Euphrate étaient sorties de leur lit et elles continuaient à monter de sorte que les habitants de Kufa craignèrent d'être noyés. Alors, ils firent appel au Commandeur des Croyants [Ali]. Celui-ci prit l'âne de !'Envoyé de Dieu pour monture, se mit en route, accompa­ gné de nombreuses personnes, et arriva aux rives de l'Euphrate. li mit pied à terre, fit ses ablutions et pria seul, tandis que les gens le re­ gardaient. Il invoqua Dieu par des prières, puis s'avança vers !'Euphrate, un bâton à la main. Il donna un coup dans l'eau avec le bâton, en di­ sant : « Décrois, avec la permission et la volonté de Dieu. » Le niveau de l'eau baissa aussitôt, à tel point que les poissons qui étaient au fond apparurent. Quelques espèces pourtant restè­ rent muettes : les anguilles et autres poissons sans écailles. Les gens, étonnés, lui demandaient pour quelle raison certaines espèces parlaient, tandis que d'autres se taisaient. Ali répondit alors : « Dieu fit que les poissons rituellement purs m'adressèrent le salut, tandis que ceux dont la chair est illicite et impure sont restés muets. » Hassan, le fils d'Ali, ressemblait au Prophète de la tête jusqu'à la poitrine, tandis que Hussein lui ressemblait de la poitrine jusqu'aux pieds. C'était les deux préférés de !'Envoyé de Dieu parmi tous les membres de sa famille. [ ... ] Un jour, le Pro­ phète dit:« ô mon Dieu, je les aime tous les deux et j'aime celui qui les aime. Quiconque aime Has­ san et Hussein, je l'aime aussi; celui qui m'aime est aimé de Dieu; celui qui est aimé de Dieu en­ trera au Paradis. En revanche, quiconque les hait, je le hais aussi et Dieu le hait; celui qui est haï de Dieu entrera en Enfer. »

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Imamat

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en désordre et recouverts de poussière, alors qu'il tenait quelque chose en main. Je lui de­ mandais alors : « ô Envoyé de Dieu, pourquoi es-tu couvert de poussière? » Il répondit : « Cette nuit, j'ai fait un voyage en Irak, à un endroit ap­ pelé Karbala. J'y ai assisté au massacre de mon fils Hussein et d'un nombre de mes enfants et membres de ma famille. Je n'ai pu résister à la tentation de recueillir un peu de leur sang : le voici, je le tiens dans ma main. » Il ouvrit sa main et dit : « Prends-le et conserve-le. » Je le pris : il ressemblait à de la terre rouge. Je le mis dans un flacon, le fermai avec un bouchon, et le conservai. Quand Hussein quitta La Mecque pour se rendre en Irak, je sortis le flacon chaque jour et chaque nuit, afin de sentir et d'observer son contenu. Puis je me mis à pleurer sur son sort. Quand arriva le 10 Muharram, le jour où Hussein fut tué, je sortis le flacon. Au début de la journée, tout était dans son état habituel, mais le soir il contenait du sang frais. J'en fus fortement saisi et je pleurais.

[Mohammed al-Mahdî, le douzième imam] est le Maître de l'épée qui fera triompher la Vérité et dont on attend la venue pour instaurer le règne de la foi. [...] Alors sera accomplie la pré­ dication de l'Envoyé de Dieu : « Les jours et les nuits ne viendront pas à terme, sans que Dieu m'envoie un homme de ma famille, qui portera le même nom que moi. li remplira la terre de justice et d'équité comme elle est remplie à pré­ sent d'oppression et de tyrannie. » SHAYKH AL·MUFÎD, LIVRE DE LA BONNE DIRECTION (KITÂB AL·IRSHÂD), TRAD. ORIGINALE D. DE SMET

L'Envoyé de Dieu nous quitta un soir et il dis­ parut pendant un long moment. Quand il revint à nous, ses vêtements et ses cheveux étaient

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Clés de lecture I CHIISME

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L'apparent et le caché

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a distinction entre l'appa­ rent (zâhir) et le caché (bâ­ tin) est un trait caracté­ ristique de la pensée chiite*. Tous les textes révélés par les Prophètes - la Torah, les Psaumes, l'Évangile et, bien sûr, le Coran - comportent un sens littéral et apparent, derrière le­ quel se cache une signification profonde, inaccessible aux pro­ fanes. Dégager ce sens caché, en soumettant la lettre de la Ré­ vélation à une exégèse ésoté­ rique (ta'wîO, est le privilège de l'enseignement donné aux chiites initiés par les imams ou leurs représentants.

Al·bâtin, l'occulté.

L'apparent se rapporte au ca­ ché comme le symbole se ré­ fère à la réalité symbolisée. Tou­ tefois, les auteurs chiites rejettent catégoriquement la démarche de certains philo­ sophes musulmans - comme rarâbî* (cf p. 62) ou Averroès* (cf. p. 66) - qui réduisaient la lettre du Coran à une simple al­ légorie, formulée par le Pro­ phète afin de transmettre quelques notions morales élé­ mentaires à la masse ignorante, incapable d'accéder à une pen­ sée rationnelle. Pour les chiites, le sens apparent a une valeur intrinsèque, étant lié de façon indissoluble au sens caché : il y a là deux aspects d'une même

et unique réalité. L'apparent est au caché ce que l'âme est au corps : il faut les deux pour faire un être humain. La tentation ésotérique

Dès lors, le chiisme duodéci­ main et l'ismaélisme* prônent en général un strict équilibre entre la Loi révélée par le Pro­ phète et son exégèse ésoté­ rique enseignée par l'imam. Dissocier le Prophète et l'imam, Mahomet et Ali, en pré­ férant l'un à l'autre, présente un double danger, qui a tou­ jours existé au sein même du chiisme. En effet, s'il y a des théologiens qui, à l'instar des sunnites* « orthodoxes », li­ mitent l'islam à un système ju­ ridique dépourvu de spiritua­ lité, en marge sont apparus des mouvements extrémistes qui rejettent le sens apparent pour ne maintenir que l'aspect ésotérique. Certaines sectes

Le chüsme prône un strict équilibre entre la Loi révélée et 'exégèse ésotérique.

ismaéliennes, comme les Qar­ mates* du Bahreïn ou les« .ASr sassins* » d'Alamût en Iran, ont même aboli la Loi en fa­ veur d'une religion purement ésotérique, sans observances ou contraintes religieuses ex­ térieures, comme la prière ou le jeûne du ramadan. Les textes traduits ici, de tradi­ tion ismaélienne, insistent sur la complémentarité de l'appa-

90 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors·série n ° S Le Point

rent et du caché. Dans son Livre des sources (Kitâb al-yanâbî), Abû Ya'qûb al-Sijistânî* dégage le sens caché du Paradis et de !'Enfer. Philosophe d'inspiration néoplatonicienne, il associe le Prophète et l'imam aux deux hy­ postases* de Plotin* : l'intellect et !'Âme, qui forment un couple indissociable. Par leur inter­ médiaire, le disciple atteindra le Paradis : c'est la béatitude de l'âme humaine qui, grâce à la gnose salvatrice émanant de !'Âme ou de l'imam, est deve­ nue immortelle, s'étant unie à son origine céleste, l'intellect. Cet état paradisiaque d'un re-

Al·zâhir, l'apparent.

tour à l'origine nécessite ce­ pendant l'observance de la lettre de la Loi. Celle-ci agit comme un poison employé en méde­ cine. Administré avec modéra­ tion, le médicament guérit la maladie, tout comme la Loi ga­ rantit le bien-être de la société et constitue une étape indis­ pensable dans l'élévation vers la béatitude, à condition qu'elle reste liée à son sens caché. Mais l'abus du médicament peut tuer, tout comme l'idolâtrie de la Loi dissociée de son sens caché voilà la signification de !'Enfer selon Sijistânî. Face au chiisme « islamiste » inspiré par Kho­ meiny, ce texte conserve toute D. S. son actualité.

CHIISME I Apparent et caché

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...6_ Les critiques que les adeptes des dif­ � férentes religions s'adressent mutuelW lement, ne signifient pas pour autant que leur religion soit viciée. Plutôt, ce sont les préceptes de la Loi imposés par les législateurs [les prophètes J et les coutumes qui diffèrent. Ces coutumes peuvent paraître louables et bé­ néfiques à un peuple donné : ayant grandi avec elles, s'y étant habituée de longue date, sa conduite s'y est conformée. Mais cette même religion paraît viciée et réprouvable à d'autres peuples, qui se sont développés selon d'autres usages, ont pris des habitudes bien différentes et adopté des coutumes distinctes. Cela ne si­ gnifie pas pour autant que leur religion soit vi­ ciée, ni que les pratiques des différentes reli­ gions soient réprouvables. Les natures, les usages et les aspirations des hommes diffèrent. Leurs âmes sont exposées à toutes sortes de maladies, en fonction de l'époque, du lieu, des dispositions naturelles, des tempéraments et des coutumes. Or, les lé­ gislateurs, tout comme les astrologues, font of­ fice de médecins des âmes, exerçant leur art dans le but de leur faire recouvrir la santé ou de la prémunir contre les maux qui pourraient s'abattre sur elles. Voilà ce qui explique pour­ quoi leurs préceptes varient, ainsi que les re­ mèdes qu'ils prescrivent, en fonction de la si­ tuation propre à chaque communauté et à chaque nation[ ... ]. Tout comme l'homme est un ensemble com­ posé d'un corps matériel, apparent et extérieur, et d'une âme spirituelle, cachée et secrète, les prescriptions de la religion - et de l'islam en particulier - et les châtiments imposés par la Loi, se présentent sous deux aspects : l'appa­ rent et le caché. L'apparent se rapporte aux actes accomplis par les membres du corps; le caché concerne l'adhésion aux vérités secrètes dans le fond de l'âme. [ ... J Sache donc que les prophètes ne peuvent avoir des avis différents sur l'essence de la religion. Par contre, dès qu'il s'agit des Lois, composées de commandements, d'interdits, de prescrip­ tions, de châtiments et de pratiques rituelles, ils adoptent des positions différentes. Or, la dis-

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Tolérance

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parité des Lois n'est guère nuisible, vu que la religion demeure une [ ... J. Les ordres et inter­ dits des législateurs sont comparables aux pres­ criptions émises par un médecin bien disposé et compatissant envers son patient. Voilà pourquoi les Lois des prophètes divergent et pourquoi il y a des différences dans les pra­ tiques religieuses et les règles juridiques : les prophètes sont les médecins et les astrologues des âmes. Par conséquent, les Lois des pro­ phètes et les pratiques qu'ils prescrivent diffè­ rent en fonction de ce qui est le mieux adapté aux hommes de chaque époque et de chaque nation. Ainsi, il y a eu la Loi de Noé à son époque; après lui, vint la Loi d'Abraham, destinée à un autre peuple vivant à une autre époque; y fait suite, la Loi de Moïse, s'adressant elle aussi à un peuple différent et à une époque différente; il en va de même pour les Lois de Jésus et du Seigneur des prophètes, Mahomet. Tous ces prophètes ont professé la même religion, bien que leurs Lois religieuses soient différentes. ÉPÎTRES DES FRÈRES DE LA PURETÉ (RASÂ'IL IKHWÂN AL·SAFÂ'),

TRAD. ORIGINALE D. DE SMET

Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 2005 93

Repères

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CHIISME

Le radicalisme kharijite

Aujourd'hui très peu répandu (1 % environ de la population musulmane), le kharijisme est la première des grandes dissi­ dences de l'islam et la plus ra­ dicale. Ce mouvement est né en 657 du refus de certains par­ tisans d'Ali d'accepter le prin­ cipe de l'arbitrage proposé par Mo'âwiya après la bataille de Ciffin. Ils devinrent les " Kha­ warij )) les« Sortants», et les ' ennemis les plus acharnés des descendants d'Ali et du chiisme*. En 661, ce fut un kha­ rijite qui assassina le calife Ali à la porte de la mosquée de Koufa. Sous les Omeyades, ils de­ viennent un parti d'opposition

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virulent, lui-même divisé en de multiples tendances enne­ mies : les azraqites extrémistes, qui mirent en danger l'unité de l'Empire omeyade et furent vaincus en 698, les sufrites et les ibadites*, plus modérés. C'est au Maghreb, particuliè­ rement au labal Nafûsa de Tri­ politaine (actuelle Libye), en lfrîqiya (Tunisie) et en Algérie que les kharijites connurent leurs heures de gloire. Le Per­ san Abd ar-Rahman ibn Rus­ tem s'allia à des Berbères al­ gériens et fonda le royaume rustémide de tendance ibadite qui devait durer 147 ans. Des sufrites créèrent aussi des émi­ rats à Tlemcen et Sijilmâsa.

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Hors-série n ° 5 Le Point

La pensée kharijite se caracté­ rise par une fusion poussée entre le temporel et le spiri­ tuel, et une rigueur totale dans la lecture et l'application du Coran. Ainsi, c'est à la lettre que les ibadites entendent les versets coraniques VI, 57, et XLII, 10 : « La décision n'ap­ partient qu'à Dieu.» Pour eux, mille de l'islam, toute faute le calife ou l'imam ne tient son grave dont on ne se repent pas pouvoir que de Dieu, ce qui a rime avec exclusion de la com­ plusieurs conséquences munauté des croyants; elle fait d'abord n'importe quel mu­ passer du statut de croyant sulman peut être élu calife à (ma'min) à celui de mushrik, re­ condition qu'il soit pieux, juste jeté par l'islam. Sous les et qu'il respecte la Loi cora­ Omeyades, les pires ennemis nique, règles qui, à leurs yeux, des kharijites furent ainsi les n'ont été respectées que pour « murji'ites », qui espéraient Abû Bakr (adversaire d'Ali) et pour les pécheurs la miséricorde Omar. C'est ainsi qu'ils vénè­ de Dieu et prévoyaient pour eux rent Aïcha, fille d'Abû Bakr et un temps d'enfer limité. Adop­ femme préférée de Mahomet, tée par les sunnites*, cette théo­ alors que les chiites tournent rie fut rejetée par les kharijites, leur piété vers Fatima, femme qui se refuseront aussi à dis­ tinguer entre impiété et faute d'Ali et fille de Mahomet. Le fait que Dieu décide de tout grave. De même accordent-ils autorise aussi les croyants à beaucoup d'importance à la no­ s'insurger contre le pouvoir s'il tion de walâya, la consangui­ est« injuste » et donc illégi­ nité spirituelle ou communion. time. Par ailleurs, pour cette fa- Seuls peuvent y prétendre les vrais musulmans, ceux qui sont fidèles sans concession. Ghardaïa (Algérie). au cœur du Mzab, en pays ibadite.

MULTIPLES SCISSIONS Les différents courants khari­ jites s'opposent surtout sur la notion de barâ'a, l'excommu­ nication qui menace le mau­ vais musulman, notamment celui qui ment sur sa foi. Contrairement aux azraqites, les ibadites reconnaissent (comme les chiites, notam­ ment les ismaéliens*) la pos­ sibilité de recourir à la taqiyya, la dissimulation de la foi, quand témoigner met en dan­ ger le croyant, sa famille ou sa communauté. D'après la profession de foi d'lbn Abî !-Khayr, 'Aqîda des nafû (x1' siècle) et d'après la

CHIISME I Repères

LA SAGA DES« HÉRÉTIQUES»

Al-risâ/â al-shâfiyya de Mo­

hammed Atfayyash (mort en 1914). il existe donc quatre « états» pour vivre en islam. Le premier est « la Manifes­ tation », celle des deux pre­ miers califes, qui gouvernaient ouvertement et appliquaient avec droiture la Loi coranique. C'est l'état normal dans lequel devrait vivre la communauté

C'est au Maghreb, particulièrement en Libye, en Tunisie et en Algérie, que les kharijites connurent leurs heures de gloire. et vers lequel elle doit tendre. C'est ainsi la voie qu'elle sem­ bla suivre dans le royaume de Tahert mais qui s'occulta dé­ finitivement avec la fin de cet émirat. Le deuxième état est celui de la difâ: la défense, quand la communauté doit lutter pour son existence. La troisième voie est celle du Sa­ crifice : quand la communauté est en danger, il faut que qua­ rante hommes soient volon­ taires pour donner leur vie afin que l'ordre de Dieu de­ vienne manifeste. Quand le chiffre de quarante ne peut être atteint ou que tous sont morts au combat, la commu-

nauté entre alors dans la qua­ trième voie, celle de l'occul­ tation ou de la clandestinité (kilman).

DANS lA ClANDESTINITÉ Dès le x• siècle, les ibadites es­ timèrent au Proche-Orient que la voie de l'occultation était ou­ verte. Les lois concernant l'élec­ tion de l'imam et son rôle s'ef­ facèrent. Le sermon du vendredi ne fut plus fait en son nom. Les croyants « voilèrent» leur ap­ partenance à la communauté ou s'isolèrent en de petites com­ munautés. Au xu• siècle, battus et pourchassés par les sunnites, des ibadites se réfugièrent dans la zone stérile du Mzab, au centre de l'Algérie, où ils ont fondé sept villes, l'Heptapole, longtemps dominées par la loi du secret, et dont la plus cé­ lèbre est Ghardaïa. Aujourd'hui, l'ibadisme a in­ tégré le sufrisme et demeure la composante majeure du kharijisme. Outre le Mzab, qui s'est ouvert au tourisme et à l'économie moderne, il existe des communautés au Yémen, en Oman, en Libye, en Tunisie (Djerba). Ailleurs, les khari­ jites se sont mélangés aux po­ pulations. Ils tiennent tradi­ tionnellement une partie du commerce de bouche, no­ tamment les épiceries. La pra­ tique de la taqiyya a été re­ prise par certains groupes se réclamant du salafisme, d'où l'appellation de « néo­ kharijites». C. G.

632-634. Califat de Abû Bakr. 634-644. Califat d'Omar, mort assassiné. 638. Fondation de Basra et de Koufa, deux centres urbains fondamentaux pour la pensée arabe. 644-656. Califat d'Othman, mort assassiné. v. 650. Établissement de la vulgate coranique. 656. Califat d'Ali. Bataille du Chameau où des Compagnons du Prophète soutenus par Aïcha s'opposent à Ali. luillet 657. Défaite d'Ali contre Mo'âwiya. Convention de Ciffin et arbitrage d'Adroh. Fin 657. Dissidence des kharijites. 658. Bataille de Nahrawân. Les kharijites sont battus par les chiites. tanvier 661. Assassinat d'Ali par un kharijite. 661-680. Règne de Mo'âwiya l". Le pouvoir s'installe à Damas. 680. Mort de Mo'âwiya. Défaites des fils d'Ali à Karbala. Hussein et ses partisans sont massacrés. Le divorce entre les sunnites et les chiites est consommé. 684. Scission chez les kharijites : les azraqites se séparent des ibadites. 685-687. L'Irak et la Perse aux mains des chiites. 695. Apparition des kharijites sufrites. 695-698. Révolte et écrasement des kharijites azraqites. 700. Début du mouvement mutazilite*. 742. Les kharijites menacent Kairouan et l'lfrîqiya. 743. Mort de Zayd, petit-fils d'Hussein, dont les fidèles devinrent les zaydites* qui, jusqu'en 1962, ont gouverné le Yémen. 25 juin 750. Massacre du dernier calife omeyade et de la quasi-totalité de sa famille. Début de la dynastie abbasside. 756. Fondation de l'émirat omeyade en Andalousie. 767-855. Fondation des quatre écoles du sunnisme hanafisme*, malikisme*, chaafisme* et hanbalisme*. 814. Les chiites s'emparent des villes saintes. 817. Révolte chiite en Irak. Nomination d'un anticalife. 827. Le mutazilisme, religion d'État chez les Abbassides. 901-906. Les chiites ismaéliens ravagent la Syrie. 910. Fondation du califat fatimide chiite en lfrîqiya. 940. Occultation du 12• imam chiite. 969. Règne des Fatimides en Égypte. 1011. Début d'édification des sept villes ibadites du Mzab. 1038. Début de l'offensive seldjoukide. 1080-1256. Les « Assassins* » d'Alamût sèment la terreur en Syrie et en Iran. 1492. Chute du dernier califat musulman en Espagne. 1501-1736. Dynastie safavide en Perse. Le chiisme duodécimain devient religion d'État. 1924. Abolition du califat. 1979. Création de la République islamique d'Iran.

Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 95

NAHDA I Introduction

Au x1xe siècle, l'islam entre en contact avec l'Occident colonisateur et découvre la modernité. Des intellectuels appellent les musulmans à s'ouvrir à l'esprit scientifique et technique, tout en reformulant la pensée de l'islam.

LANAHDA

LE RÉVEIL DE l:ISLAM Par Henry Laurens

A

Henry Laurens,

professeur au Collège de France, auteur d'une Histoire

contemporaine du monde arabe

(Fayard, 2004) et de l'Orient arabe à

l'heure américaine de la guerre du Golfe à la guerre d'Irak (Armand Colin, 2004).

près une période allant du xv1• au ribles nettoyages ethniques qui les ac­ xvm• siècle où les grands Empires compagnent; c'est le processus dit de musulmans (Empire ottoman, Perse « balkanisation». En 1830, la France com­ des Safavides, Inde du Grand Moghol) mence la dure et sanglante conquête de équilibraient les puissances européennes, l'Algérie. Au milieu du x1x• siècle, les dans la seconde moitié du xvm• siècle le Russes amorcent celle de l'Asie centrale, rapport des forces bascule brutalement tandis que les Britanniques sont repous­ en faveur des Européens. Partout, de la sés de l'Afghanistan. La guerre de Crimée Méditerranée (Balkans, mer Noire) à l'Inde, (1854-1856) sauve provisoirement l'Em­ pire ottoman, mais la crise d'Orient de le monde de l'islam se trouve attaqué. L'expédition française d'Égypte de 1798 1876-1878 conduit à la perte d'une large à 1801 concrétise le danger. Les Ottomans part des Balkans ottomans, suivie de l'éta­ réussissent à repousser les Français grâce blissement du protectorat français sur la Tunisie en 1881 et de !'ocà l'aide des Britanniques cupation britannique de et des Russes. Les guerres napoléoniennes atténuent Ch,mgement radical: l'Égypte en 1882. Le dis­ provisoirement la menace, à la fin du xvnf siecle, cours européen annonce une soumission totale du mais les Russes entre­ la fensée islamique monde de l'islam aux puis­ prennent déjà la conquête du Caucase au détriment ent e dans le domaine sances chrétiennes. On comprend pour les des Ottomans et des Per- de l'imprimé. peuples musulmans le sans. La guerre d'indéchoc terrible de cette puis­ pendance de la Grèce de 1821 à 1829 marque le début du déman­ sance européenne perpétuellement me­ tèlement des Balkans musulma s, avec naçante. La résistance à la conquête a sur­ les soulèvements chrétiens app és par tout été le fait de rassemblements tribaux les puissances européennes et les ter- encadrés par des confréries religieuses • Le Point Hors-série n ° 5 1 Novembre-décembre 1 97

Introduction 1 AH 1 • (Abd el-Kader* en Algérie, Chamil * dans le Caucase), les colonisateurs de­ vant utiliser la terreur pour l'emporter. Les États constitués ont plutôt mené des combats d'arrière-garde. Mais ils ont com­ pris la nécessité d'opérer des réformes profondes afin de faire face. La nécessité de constituer des armées et une fiscalité moderne impliquent des transformations profondes de la société. Si l'on n'emprunte que ce dont a besoin, il faut d'abord connaître l'Europe. Dans un premier mo­ ment, on ne cherche à importer que des

l'élargissement de l'audience de l'écrit passent par une réforme des usages de la langue pour la rendre plus compré­ hensible au plus grand nombre. Cet en­ semble de transformations constitue au x,xe siècle la renaissance littéraire et lin­ guistique des grandes langues de l'islam (arabe, turque, persan, ourdou). Au milieu du x,xe siècle, l'usage des jour­ naux se développe. Les premières publi­ cations sont le fait de l'État moderne dif­ fusant ses nouveaux règlements. Puis une presse d'information et d'opinion a émergé. Ses grandes ten­ dances sont l'encyclopédisme (savoirs européens et patri­ Les réformateurs font moine) et les thèmes mobili­ sateurs autour de la question un gigantesque travail des réformes. Face aux cen­ d'assimilation, cherchant sures locales, les plus mili­ à éviter une séparation tants s'exilent en Europe et font introduire leurs journaux entre la modernité de façon clandestine dans et l'héritage islamique. leurs pays d'origine. La question essentielle est le passage à l'universel. Dé­ «techniques», permettant de conserver finir ainsi les instruments du savoir eu­ l'essence islamique de la société. Mais ropéen permet plus ou moins d'en éli­ cela se révèle insuffisant. Le projet mo­ miner les origines. En s'appuyant sur les dernisateur reprend le discours européen travaux des orientalistes européens, on de la civilisation et de la nécessité de rat­ cherchera aussi à donner une origine traper l'Europe. Mais on s'attache à vou­ musulmane ou arabe aux sciences mo­ dernes. De façon plus générale, le travail loir conserver son identité propre. d'absorption du nouveau savoir passe Imprimeries et journaux par l'établissement d'équivalences avec La pensée islamique doit donc être re­ le patrimoine islamique afin de le rendre formulée pour faire face à ces défis. Chan­ plus acceptable. gement radical, elle entre dans le domaine de l'imprimé. Les premières imprimeries le premier salafisme sont établies à Constantinople à la fin du Deux tendances générales peuvent alors xvm e siècle et dans les provinces otto­ être observées dans la seconde moitié du manes autour de 1820. C'est d'abord l'É­ x,xe siècle. La première, proche de l'ap­ tat qui produit des livres, soit des ma­ pareil de l'État modernisé, pousse à isla­ nuels techniques traduits ou adaptés de miser les réformes en les formulant dans modèles européens, soit des grands clas­ un vocabulaire islamique. La seconde, is­ siques religieux ou philosophiques. La sue des milieux religieux, va plus loin. Il confrontation avec l'Europe s'accompagne faut réformer l'islam, c'est-à-dire mettre d'une disponibilité nouvelle du patrimoine fin à des siècles de sclérose intellectuelle, intellectuel, avec des textes en voie de pour revenir à l'esprit, et non à la lettre, normalisation. On trouve là les deux des anciens (sala{). Ce mouvement de ré­ grands pôles de cette renaissance intel­ forme, dit « salafite », cherche à s'inspi­ lectuelle : un mouvement croissant de tra­ rer du modèle de la réforme protestante, ductions doublé d'une redécouverte du les protestants apparaissant alors comme patrimoine. Le passage à l'imprimé et les champions de la modernité.

98 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n ° 5 Le Point

NIHDI

Les transformations sociales et les in­ fluences intellectuelles poussent à l'émer­ gence du modèle de la nation dotée d'un territoire. La simplification des usages de la langue y contribue. Mais cet autre secret européen pose un véritable di­ lemme pour les réformateurs. La véri­ table patrie des musulmans n'est-elle pas la totalité du monde musulman, mieux connu grâce aux progrès des communi­ cations? L'union des musulmans ou « pan­ islamisme» ne permettra-t-elle pas de re­ pousser l'agression européenne? Mais en même temps, l'État moderne en voie d'établissement n'est-il pas en train de définir un territoire et une population spécifiques, c'est-à-dire justement de constituer une nation suivant le modèle européen triomphant? La pensée musulmane de cette période n'est pas d'une grande originalité, sauf dans le monde chiite* où la grande tra­ dition philosophique venue des époques précédentes se poursuit. Le rationalisme antique et médiéval y est toujours prati­ qué et le mysticisme peut se nourrir de la tradition néoplatonicienne. La plus grande part de la production du XJX0 siècle

s'inscrit dans la continuation et la répé­ tition du savoir connu, d'où les résistances considérables opposées aux réformateurs. Mais ces derniers font un gigantesque tra­ vail de réflexion fondé sur l'assimilation des connaissances nouvelles, leur tra­ duction et la mise en place d'équivalences. Ils cherchent à éviter une séparation ra­ dicale entre la modernité et l'héritage is­ lamique. Plus que les catholiques de leur temps, ils se revendiquent d'un libre exer­ cice de la raison naturelle, même si cette dernière doit naturellement être subor­ donnée à la Révélation. Mais cette dernière doit être ouverte à un nouvel effort d'interprétation. Tout en dé­ fendant l'islam, les réformateurs accep­ tent les idées nouvelles, certes d'une fa­ çon qui nous paraît aujourd'hui modérée mais qui était rêvolutionnaire pour son temps. Certains d'entre eux n'hésitent pas à s'affilier à la franc-maçonnerie. Leurs lointains successeurs, qui ont repris le même nom (« salafite »), feront tragique­ ment le contraire en faisant d'un islam ap­ pauvri et utopique un modèle absolu re­ jetant absolument l'autre et débouchant sur l'usage de la violence. Le Point Hors-série n ° S

I

Introduction

Rudolf Ernst,

La Leçon, x1x• s.,

collection particulière.

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Clés de lecture I NANDA

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At-Tahtawi, le pédagogue

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é en 1801, !'Égyptien Ri­ fa'aat-Tahtawi* n'est pas le premier musulman à se rendre en Europe, mais c'est Je premier de formation reli­ gieuse à vouloir en faire un ta­ bleau sympathique et raisonné. Descendant du Prophète, il ap­ partient à une famille qui a eu de nombreux docteurs en reli­ gion (oulémas*) et lui-même a suivi cette voie à la grande mos­ quée-université du Caire. En 1826, le vice-roi d'Égypte, Mu­ hammad Ali, le désigne comme imam (équivalent ici d'aumô­ nier) de la première mission sco­ laire égyptienne à Paris. Il y reste cinq ans et assiste à la révolu­ tion. de 1830. De retour, il com­ pose une relation de voyage (L'Or de Paris), un des premiers ouvrages modernes imprimés en Égypte, publié en 1834 et tra­ duit en turc en 1839. Muham­ mad Ali en fait distribuer gra­ tuitement des exemplaires à tous les hauts fonctionnaires. La France expliquée à l'Islam Il montre dans cet ouvrage une intelligence et une ouverture d'esprit remarquables devant la civilisation française, tout en s'exprimant en croyant fervent. Son but est de communiquer aux musulmans toutes les in­ formations utiles. Il sait que les Européens détiennent des sa­ voirs et des techniques dont la société musulmane est dé­ pourvue. Contrairement à bien des musulmans d'aujourd'hui, il voit les Français comme des rationalistes et non comme des chrétiens. Il explique à ses lec­ teurs qu'il faut lire leurs ou-

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Rifa'a at-Tahtawi est le premie1· musulman de formation religieus< à proposer de l'Europe un tableau raisonné t sympathique.

vrages, même s'ils sont remplis d'affirmations contraires à la Révélation. Il s'agit simplement de ne pas se laisser séduire par ces doctrines pernicieuses, mais d'adopter tout ce qui est profitable, comme par exemple la façon d'exposer le savoir. De 1835 à 1873, il s'attachera d'abord à traduire et à former des traducteurs. Il crée une école d'État de langues en 1835, à laquelle est adjoint un bureau des traductions en 1841, puis toute une série d'autres éta­ blissements, embryon d'un sys­ tème d'enseignement moderne. Il est l'un des premiers musul­ mans à s'intéresser à l'Égypte pharaonique et en fait la base d'un patriotisme égyptien. Il connrul: une période de disgrâce de 1849 à 1854, puis revient en cour sous le vice-roi Saïd, puis sous le khédive Ismaïl.

Hors-série n ° 5 Le Point

Dans son œuvre intellectuelle, il reste attaché aux disciplines religieuses traditionnelles. Néan­ moins, il remet en avant un hé­ ritage philosophique largement négligé et surtout se consacre à la traduction et à l'adaptation d'ouvrages français de toutes sortes. Outre les manuels tech­ niques commandés par l'État, il s'intéresse aux ouvrages d'his­ toire et de géographie, ainsi qu'à la philosophie politique (Mon­ tesquieu, Voltaire, Rousseau et beaucoup de contemporains). Formation des élites C'est un écrivain officiel de l'État modernisateur égyptien qui s'adresse à la nouvelle classe des fonctionnaires et à la classe dirigeante des grands proprié­ taires fonciers mettant en va­ leur la vallée du Nil. C'est avant tout un pédagogue qui explique à la fois la supériorité de la Ré­ vélation islamique et la néces­ sité de comprendre la civilisa­ tion moderne. Sans remettre en cause la théologie, il cherche à donner à l'exercice de la raison humaine la plus large part pos­ sible. C'est un don de Dieu qu'il faut savoir utiliser. Dans l'ap­ plication de la loi islamique, il se montre l'ennemi de tout ri­ gorisme. Il cherche avant tout à donner une valeur morale aux actes de la vie, plaide pour J'aide que les riches doivent apporter aux pauvres, insiste sur la né­ cessité de travailler et l'impor­ tance de l'instruction, y com­ pris celle du peuple. Il est le premier à demander l'instaura­ tion d'un enseignement féminin. Henry Laurens

NANDA

At-Tahtawi

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MUHAMMAD IQBÂL, RECONSTRUIRE LA PENSÉE RELIGIEUSE DE

L'ISLAM, TRAD. EVA DE VITRAY·MEYEROVITCH, LE ROCHER, 1996

Pendant les cinq derniers siècles, la pensée re­ ligieuse de l'Islam est restée pratiquement sta­ tionnaire. Il fut un temps où la pensée euro­ péenne recevait son inspiration du monde islamique. Cependant, le phénomène le plus re­ marquable de l'histoire moderne est l'énorme rapidité avec laquelle le monde de l'Islam se di­ rige spirituellement vers l'Occident. Il n'y a rien de mal dans ce mouvement[ ...]. Nous craignons seulement que l'aspect extérieur éblouissant de la culture européenne puisse arrêter notre mouvement et nous empêcher d'atteindre cette culture dans sa véritable profondeur[...]. Avec la renaissance de l'Islam, il est donc nécessaire d'examiner, dans un esprit indépendant, ce que l'Europe a pensé et la mesure dans laquelle les conclusions qu'elle a atteintes peuvent nous ai­ der à revoir et, si nécessaire, reconstruire la pensée théologique de l'Islam.

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