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L’HOMME & LE SACRE / Roger CAILLOIS
résumé du livre Si le sacré s’oppose au profane par sa nature, les lieux et la forme où ces deux concepts s’exercent, sacré et profane ne sont pas sans rapport. I – rapports généraux entre le sacré le profane
Les lieux : le sacré appartient au domaine du religieux, du dangereux, du défendu. Un sentiment de dépendance intime le retient, le contient, dirige chacun de ses élans. Mais c’est de lui que le croyant attend secours et réussite. Il représente une énergie dangereuse, incompréhensible, peu maniable mais efficace. le profane appartient lui au domaine de la vie domestique et de ses usages communs. Il peut y agir sans angoisse, ni tremblement et son action n’engage que superficiellement sa personne. La religion est l’administration du sacré. Les rites sont les moyens qui lui donnent forme. Le profane doit, dans son intérêt, se garder d’une familiarité trop grande avec le sacré d’autant que celuici n’est pas moins foudroyant dans ses effets. Seul le prêtre possède la clé (et éventuelle le roi dans l’ancien régime) pour pénétrer dans le saint des saints. Divers rites et interdits sont nécessaires pour s’approcher du sacré : rites de consécration et rites de désacralisation ou d’expiation donc retour vers le profane. Les prohibitions également désignées comme les tabous préservent de la catastrophe. Ils sont la nonconformité de l'acte prohibé avec les prescriptions sacrées qui contiennent le monde dans la règle.Ils participent à l'ordonnance universelle de la nature et de la société. L'ordre naturel continue l'ordre social et le réfléchit : tout crime de lèse-majesté est l'équivalent d'un acte contre-nature et nuit au bon fonctionnement du groupe et de l'univers. C'est pourquoi dans la plupart des interdits en vigueur on ne mélange pas les choses car leurs qualités peuvent se combiner et se corrompre par leur proximité... divers exemples sont évoqués pour le respect du pouvoir hiérarchique du monarque, du prêtre et de la sainteté par la préservation du pur et de l'impur, comme dans celui des règles de communications ou d'échange entre divers peuples... Le sacrifice s'impose pour réussir dans ses entreprises et prévenir des malheurs ou du châtiment qui guettent la société, la cité ou la tribu. Il s'agit d'obtenir la grâce des dieux, des puissances personnelles ou impersonnelles dont l'ordre du monde est censé dépendre. Le demandeur passe commerce par un don en un sacrifice pour s'en attirer les bonnes grâces. Ainsi les puissances deviennent les débitrices du donateur elles doivent ainsi accorder ce qu'on leur demande. Les deux partis sont quittes et l'ordre du monde se trouve ainsi rétabli. L'ascétisme aurait un rôle semblable au sacrifice dans le sens où il s'agit d'une offrande, d'un plaisir ou d'un bien dont on se prive pour le donner aux puissances qui règnent sur le monde. Toutefois l'ascétisme, le sacrifice et l'offrande ne sont qu'un pis aller. La restauration de l'ordre ne donne pas à celui-ci sa stabilité première, s'il est rétablit il reste différent de son origine.Après réparation d'une blessure reste la cicatrice.
II – L'ambiguïté du sacré Les catégories du pur et de l'impur jouent un rôle fondamental. Ces deux termes ont recouvert des oppositions de toutes sortes.
Forces équivoques A l'origine ces catégories définissent une polarité religieuse et non éthique : ➢ le sacré est monde d'énergie, de forces, de biens ou de maux ➢ le profane est celui de substances, de choses, de nature fixe
Dans ces catégories nous revenons à bi-polarité celle de la sainteté et celle de la souillure. Le sacrifice devrait effacer la souillure de l'élément sacré, comme l'expiation la faire sortir. L'expiation permet au criminel de reprendre sa place dans la communauté profane. D'autre part on a peur et on voudrait se servir du lieu saint : le criminel qui s'y réfugie devient intouchable, consacré qu'il devient par la sainteté du lieu. La scission du sacré produit les bons et les mauvais esprits (Dieu et Diable). Nous retrouvons cette même ambivalence des fidèles envers ces deux comportements. D'un côté la bonté et l'amour et de l'autre le diable qui châtie cruellement les damnés dans l'enfer, comme il est aussi la voix tentatrice qui offre les douceurs des biens de la terre. Nous retrouvons cette bi-polarité dans la fonction de la religion : la sainteté et la damnation sont déterminées par un double mouvement : l'acquisition de la pureté, l'élimination de la souillure. Cela donc implique l'abandon de l'humain pour accéder au domaine des dieux, la transformation de l'individu signifiée par diverses rites de changement (bain du baptème, changement de vêtements...), bref le passage du profane au sacré. Le monde du sacré fait d'énergies vivifiantes et de forces de mort qui se rassemblent pour former les pôles attractifs et répulsifs du monde religieux ou des mythes : la clarté et sécheresse du jour/ténèbres, humidité de la nuit ; le ciel demeure des dieux où la mort n'entre pas/monde souterrain, aux demeures obscures ... Egalement rappel que le/la droit(e) et l'adresse manifestent la pureté et la faveur divine alors que le /la gauche et la gaucherie manifestent la souillure et le péché.
Réversibilité du pur et de l'impur : Ils sont identifiés par le monde profane par lequel ils s'imposent. L'impur est utilisé comme remède contre d'autres impuretés. Plus ou moins consciemment se profile l'idée que le remède le plus répugnant risque d'être le plus efficace. Mais à l'inverse la souillure contractée paraît inexpiable par quelque soit le rite de purification. Le coupable n'est même pas digne de la mort. « contagieux » il doit être expulsé pour protéger le groupe. Dans son bannissement, en lui consentant quelques aliments, la cité dégage sa responsabilité en la transferant à celle des dieux (l'ordalie). Ainsi le coupable est entré dans le monde divin et c'est aux dieux de le sauver ou de le perdre.
La distribution sociale du pur et de l'impur s'exerce dans des éléments extérieurs tels les vêtements du prince rutilant d'or et de pierreries inaltérables contre ceux qui pourrissent et se décomposent. On la trouve dans l'urbanisme : au centre le siège du divin (église, hôtel de ville, palais de justice...bien éclairés la nuit, plus sécurisants) autour une ceinture d'ombre et de misère où les rues sont étroites, sombres, peu sûres avec ce qu'on y imagine le lieu des hors-la-loi de toutes espèces.
La polarité morale morale et psychologique. Donc la pureté est santé, vigueur, bravoure, chance ... alors que l'impureté est maladie, malchance, misère, damnation. La première manifeste la faveur des dieux et une garantie de vertu. Les civilisations antiques
ont reçues ces notions mystiques, elles les ont léguées dans l'éthique puis laïcisées. Elles s'affinent dans la table pythagoricienne des contraires, puis dans la cosmologie manichéenne, rappel : courbe et droit € géométrie ; pair et impair € arithmétique ; propre et sale € hygiène ; maladie et santé € médecine ; bien et mal € à l'éthique ; grâce et péché € à la religion ; enfin pureté = netteté physique ou morale = chasteté.
III – Le Sacré de respect Les deux pôles du sacré s'opposent indistinctement au domaine profane. Leur antagonisme s'atténue, tend à disparaître en face du profane. La sainteté de même craint la souillure et le profane qui représentent pour elle des actions différentes d'impureté. 1 – l'organisation du monde en clans, en phratries dans l'organisation tribale. Ces dernières forment un système. Elles possèdent des vertus qui collaborent et s'opposent. Chacune assume des fonctions bien définies. [On y retrouve le monde partagé en pur et impur... signifié par des études de moeurs, sur le mariage et divers pouvoirs pratiqués par des groupes qui nous sont exotiques et que je passe, par contre nous l'est moins le caractère sacré du pouvoir tel qu'il est décrit.] 2 – Caractère sacré du pouvoir Comme évoquées précédemment, la vertu divine du prince doit se protèger des souillures pour ne pas être altérée. On lui prête d'ailleurs toutes les vertus même celles qu'il n'a pas. La lèse-majesté est un grand sacrilège. L'action accomplie par lui quelle qu'elle soit ne peut pas être crime mais faveur... Toutefois un bon souverain s'applique à conserver un équilibre entre lui et ses sujets, alors qu'il est rompu par le tyran. [je pense au « Prince de Machiavel »]. Le monarque n'a pas moins de devoir envers le corps social que celui-ci n'en a envers lui. La vertu dans l'un et l'autre cas consiste à rester à sa place, il y va de l'ordre de la société.
IV – Le sacré de la transgression : théorie de la fête. La vie régulière maintient l'ordre du monde, l'effervescence de la fête l'exaltation, le gaspillage et la destruction s'y opposent et pourtant rentrent de droit dans l'essence de la fête. L'individu abandonne son activité journalière qui pourvoit à ses besoins matériels pour un temps, pour rentrer dans les débauches de la fête et de ses émotions. La fête fait partie du sacré. Si le sacré se manifeste par des interdits, il se définit aussi comme le réservé, il est mis hors de l'usage commun protégé par des prohibitions destinées à prévenir toute atteinte à l'ordre du monde. Cette rupture de l'ordre qu'est la fête prépare les réparations de tout ce qui a pu le troubler. Et si les interdits se sont révélés impuissants à maintenir l'ordre de la nature et de la société, il ne reste plus qu'à se tourner vers les forces qui ont alors transformé le chaos en cosmos. La fête est une actualisation de la période créatrice, en renaissant, en se retrempant dans cette éternité toujours actuelle comme dans une fontaine de jouvence, elle est la chance de retrouver ainsi la plénitude de vie et la robustesse qui permettra d'affronter le temps d'un nouveau cycle. Le monde du mythe (le temps de Saturne est celui des sacrifices humains et cronos dévorait ses enfants) s'oppose à celui de l'histoire : l'un commence quand l'autre prend fin. [autres descriptions de rites qui me semblent exotiques]
V – Le sacré, condition de la vie et porte de la mort. Le sacré de cohésion qui soutient et fait durer l'univers profane s'oppose au sacré de dissolution qui menace l'univers profane mais le renouvelle et le sauve d'un lent dépérrissement. Dans la mythologie grecque l'élément actif, représenté par la volonté des héros ou des dieux, se heurte à l'élément passif du
sacré. Avec le christianisme, le catholicisme en tant que religion universaliste mais aussi personnaliste, le sacré devient intérieur et il est du ressort de l'âme. Pour l'incroyant [ensuite par l'arrivée de l'humanisme ?] est sacré l'être, la chose où l'idée à quoi l'homme suspend toute sa conduite, ce qu'il n'admet pas de mettre en discussion, ce qu'il ne renierait ni ne trahirait à aucun prix. Son attitude est semblable à celle du croyant. Elle exige la même abnégation le même engagement de sa personne, un même ascétisme, un égal esprit de sacrifice. Le reste est alors considéré comme profane, on le juge, on en doute, on le traite en moyen et non en fin. Le sacré envahit l'éthique, transforme en valeurs absolues des notions comme celle de l'honnêteté, fidélité [etc ...].Dans ce cas, la distribution du sacré et du profane n'apparaît plus liée à la conception de l'ordre du monde, au rythme de son vieillissement et de sa régénération. Rien de cela n'a résisté aux transformations de la vie sociale qui ont entraîné l'indépendance croissante de l'individu. Cependant, le sacré subsite dans la mesure où cette libération est incomplète c'est-à-dire chaque fois qu'une valeur s'impose comme un raison de vivre car elle se révèle alors rapidement source d'énergie et foyer de contagion. Ainsi le sacré demeure-t-il ce qui provoque respect, crainte et confiance. Il apparaît toujours comme ce qui sépare l'homme de ses semblables, l'éloigne des préoccupations vulgaires. L'attitude profane implique toujours une certaine abdication. Elle retient l'homme d'aller jusqu'au bout de ses désirs ou de sa volonté. Du même coup elle pare d'une prestigieuse auréole les héros insatiables qui, tels Faust ou Don Juan, ont osé assumer ces risques décisifs, bravant les puissances infernales ou faisant alliance avec elles.