105 0 43MB
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
I
Chez le même éditeur
Physiologie humaine, par B. Lacour et J.-P. Belon, 2016, 512 pages. Méthodes en immunologie, par l'Association des enseignants d'immunologie et la Société française d'immunologie, 2014, 232 pages. Guide des analyses en immunologie, par l'Association des enseignants d'immunologie et la Société française d'immunologie, 2014, 284 pages. Immunologie fondamentale et immunopathologie, par le Collège des enseignants d'immunologie, 2e édition, 2018, 344 pages.
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique Abul K. Abbas, MBBS Andrew H. Lichtman, MD, PhD Shiv Pillai, MBBS, PhD Pr Pierre L. Masson Traduction de la 6e édition américaine
David L. Baker, MA DNA Illustrations, Inc.
Illustrations
6e édition
Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France Basic Immunology, functions and disorders of the immune system Copyright © 2020 by Elsevier Inc. All rights reserved. Previous editions copyrighted 2016, 2014, 2011, 2009, 2006, 2004, and 2001. This translated edition of Basic Immunology, Functions and Disorders of the Immune System, 6th edition, by Abul K. Abbas, Andrew H. Lichtman, and Shiv Pillai, was undertaken by Elsevier Masson SAS and is published by arrangement with Elsevier Inc. Cette traduction de Basic Immunology, Functions and Disorders of the Immune System, 6e édition, de Abul K. Abbas, Andrew H. Lichtman, et Shiv Pillai, a été réalisée par Elsevier Masson SAS et est publiée avec l’accord d’Elsevier Inc. © 2020, Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés pour la traduction française ISBN : 978-2-294-77101-9 e-ISBN : 978-2-294-77104-0 Tous droits réservés. La traduction a été réalisée par Elsevier Masson SAS sous sa seule responsabilité. Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances pour évaluer et utiliser toute information, méthodes, composés ou expériences décrits ici. Du fait de l’avancement rapide des sciences médicales, en particulier, une vérification indépendante des diagnostics et dosages des médicaments doit être effectuée. Dans toute la mesure permise par la loi, Elsevier, les auteurs, collaborateurs ou autres contributeurs déclinent toute responsabilité pour ce qui concerne la traduction ou pour tout préjudice et/ou dommages aux personnes ou aux biens, que cela résulte de la responsabilité du fait des produits, d’une négligence ou autre, ou de l’utilisation ou de l’application de toutes les méthodes, les produits, les instructions ou les idées contenus dans la présente publication. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).
Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photocopillage ». Cette pratique qui s’est généralisée, notamment dans les établissements d’enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d’autorisation de photocopier doivent être adressées à l’éditeur ou au Centre français d’exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.
Table des matières
Préface à l'édition originale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI Avant-propos à l'édition française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV 1
2
3
4
5
Introduction au système immunitaire . . . . . . . . . Nomenclature, propriétés générales et composants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Immunité innée et adaptative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Types d'immunité adaptative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Propriétés des réponses immunitaires adaptatives . . . . . Cellules du système immunitaire adaptatif . . . . . . . . . . . Tissus du système immunitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Immunité innée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les premières défenses contre les infections . . . . Caractéristiques générales et spécificité des réponses immunitaires innées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Récepteurs cellulaires pour les microbes et les cellules endommagées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Composants de l'immunité innée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réactions de l'immunité innée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Échappement microbes des à l'immunité innée . . . . . . . Rôle de l'immunité innée dans la stimulation des réponses immunitaires adaptatives . . . . . . . . . . . . . . . Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes . . . . . . . . . . . . Ce que voient les lymphocytes . . . . . . . . . . . . . . . Antigènes reconnus par les lymphocytes T . . . . . . . . . . . Capture des antigènes protéiques par les cellules présentatrices d'antigènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Structure et fonction des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Apprêtement et présentation des antigènes protéiques . . . Fonctions des cellules présentatrices d'antigènes autres que la présentation antigénique . . . . . . . . . . . . . . . Reconnaissance d'antigènes par les cellules B et d'autres lymphocytes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif . . . . . . . . Structure des récepteurs d'antigène des lymphocytes et développement des répertoires immunitaires . . . . . . . . . . . . . . . . Récepteurs d'antigène des lymphocytes . . . . . . . . . . . . . . Développement des lymphocytes B et T . . . . . . . . . . . . . . Immunité cellulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Activation des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . Phases des réactions des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . Reconnaissance de l'antigène et costimulation . . . . . . . . Voies biochimiques de l'activation des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Réponses fonctionnelles des lymphocytes T aux antigènes et à la costimulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . Migration des lymphocytes T dans les réactions d'immunité cellulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Déclin de la réponse immunitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 1 3 4 5 8 13
6
21 21 22 24 29 38 42
7
42 45 45 46 46 51 56 63 64 65
65 66 75 85 85 86 88 94
8
Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fonctions des lymphocytes T dans la défense de l'hôte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Modes de réactions immunitaires dépendant des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Développement et fonctions des lymphocytes T effecteurs CD4+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Différenciation et fonctions des lymphocytes T cytotoxiques CD8+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résistance des microbes pathogènes à l'immunité cellulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réponses immunitaires humorales . . . . . . . . . . . Activation des lymphocytes B et production d'anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Phases et types de réponses de l'immunité humorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Stimulation des lymphocytes B par un antigène . . . . . . . Fonctions des lymphocytes T auxiliaires dans les réponses immunitaires humorales . . . . . . . . . . . Réponses à anticorps contre les antigènes T-indépendants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Régulation des réponses immunitaires humorales : rétroaction des anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Élimination des microbes et des toxines extracellulaires . . . . . . . . . . . . . . . . Propriétés des anticorps déterminant leurs fonctions effectrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Neutralisation des microbes et des toxines microbiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Opsonisation et phagocytose . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réactions, dépendantes de l'IgE, des mastocytes et des éosinophiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Système du complément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Voies d'activation du complément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fonctions des anticorps dans des sites anatomiques particuliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Comment des microbes échappent à l'immunité humorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vaccination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
97 100 103 105 105 105 107 116 117 121 121 121 124 128 136 137 141 141 141 144 144 146 146 147 147 153 155 155
V
VI 9
Table des matières Tolérance immunologique et auto-immunité . . . Discrimination entre le soi et le non soi dans le système immunitaire et ses échecs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance immunologique : principes généraux et signification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance centrale des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance périphérique des lymphocytes T . . . . . . . . . . . Tolérance des lymphocytes B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance aux microbes commensaux et aux antigènes fœtaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Auto-immunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10 Immunologie des tumeurs et de la transplantation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réponses immunitaires contre les cellules cancéreuses et les cellules normales étrangères . . . Réponses immunitaires antitumorales . . . . . . . . . . . . . . . Réponses immunitaires contre les greffes . . . . . . . . . . . . . 11 Hypersensibilités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Affections causées par des réactions immunitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les différents types d'hypersensibilité . . . . . . . . . . . . . . . . Hypersensibilité immédiate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Maladies causées par des anticorps spécifiques d'antigènes cellulaires et tissulaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . Maladies causées par des complexes antigène-anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Maladies causées par des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . Neuro-immunologie : interactions entre les systèmes immunitaire et nerveux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
159
159 160 160 162 167 169 170 175 175 176 185 195 195 195 197 202 205 206 209
12 Immunodéficiences congénitales et acquises . . . Maladies causées par une immunité défectueuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Immunodéficiences congénitales (primaires) . . . . . . . . . Immunodéficiences acquises (secondaires) . . . . . . . . . . . Syndrome d'immunodéficience acquise . . . . . . . . . . . . . .
211 211 211 219 219
Annexes Annexe I Caractéristiques principales d'un choix de molécules CD . . . . . . . .
229
Annexe II Cytokines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
237
Annexe III Cas cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 Cas clinique 1 – Lymphome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 Cas clinique 2 – Transplantation cardiaque compliquée par un rejet de greffe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Cas clinique 3 – Asthme allergique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Cas clinique 4 – Lupus érythémateux systémique . . . . . . 247 Cas clinique 5 – Infection par le VIH et syndrome d'immunodéficience acquise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 Annexe IV Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
251
Annexe V Glossary . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
285
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
313
À nos étudiants
VII
This page intentionally left blank
Auteurs
Illustration
Abul K. Abbas, MBBS, Professor Emeritus, Pathology, University of California San Francisco, San Francisco, Californie, États-Unis. Andrew H. Lichtman, MD, PhD, Professor of Pathology, Harvard Medical School, Brigham and Women's Hospital, Boston, Massachusetts, États-Unis. Shiv Pillai, MBBS, PhD, Professor of Medicine and Health Sciences and Technology, Harvard Medical School, Massachusetts General Hospital, Boston, Massachusetts, États-Unis.
David L. Baker, MA, DNA Illustrations, Inc.
Traduction Pierre L. Masson, Professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain (UCL), Belgique.
IX
This page intentionally left blank
Préface à l'édition originale
Cette sixième édition Des bases de l'immunologie fondamentale et clinique a été révisée en profondeur afin qu'elle intègre les progrès importants dans notre compréhension du système immunitaire, mais aussi afin que l'organisation et la communication des informations rendent optimale l'utilité de cet ouvrage pour les étudiants et les enseignants. Les éditions précédentes ont été accueillies avec enthousiasme par les étudiants des nombreux cours donnés par nous et nos collègues, et nous n'avons pas hésité à respecter les principes directeurs sur lesquels l'ouvrage se fonde depuis la première édition. Nos expériences comme enseignants d'immunologie et directeurs de cours nous ont aidés à évaluer jusqu'où les informations pouvaient être détaillées de manière adaptée à une formation médicale débutante ainsi qu'à des cours de premier cycle ; nous avons aussi appris que, pour faire comprendre les concepts immunologiques, l'enseignement doit être clair et succinct. Nous croyons qu'un abord concis et moderne de l'immunologie est à présent un objectif réaliste. C'est en grande partie parce que l'immunologie est devenue une discipline à part entière ; désormais, elle a atteint le stade où l'on connaît les composants essentiels du système immunitaire et l'on comprend bien comment ils interagissent lors des réponses immunitaires. Il reste, bien sûr, d'importantes lacunes dans nos connaissances, mais nous pouvons maintenant enseigner à nos étudiants, avec une certitude raisonnable, comment le système immunitaire fonctionne. En outre, nous sommes plus en mesure de relier les résultats expérimentaux, en utilisant des modèles simples, à la question plus complexe, mais physiologiquement pertinente, de la défense de l'hôte contre les agents pathogènes. II faut également souligner les formidables progrès dans l'application des principes fondamentaux à la compréhension et au traitement des maladies humaines. Nous avons écrit cet ouvrage pour répondre aux besoins des études de médecine et de divers cursus de premier cycle, tout en profitant de la nouvelle perception de l'immunologie. Nous avons essayé d'atteindre plusieurs objectifs. Premièrement, nous avons présenté les principes les plus importants qui régissent la fonction du système immunitaire. Pour ce faire, nous avons synthétisé les principaux concepts à partir de la masse de données expérimentales qui ont émergé dans le domaine de l'immunologie. Le choix de ce qui est le plus important repose essentiellement sur ce qui est le plus clairement établi par la recherche scientifique et ce qui est le plus pertinent pour la santé humaine et la maladie. Nous avons également réalisé que, dans toute description concise de phénomènes complexes, il est inévitable que des exceptions et des mises en garde soient omises.
Deuxièmement, nous nous sommes concentrés sur les réponses immunitaires contre les micro-organismes infectieux : la plupart de nos descriptions sont centrées sur ce thème. Troisièmement, nous avons eu recours à des illustrations de manière assez libre pour mettre en évidence des principes importants, en évitant les détails qui peuvent être trouvés dans des manuels plus complets. Quatrièmement, nous avons décrit des maladies immunologiques également du point de vue des principes, mettant l'accent sur leur relation avec les réponses immunitaires normales et en évitant les détails des syndromes cliniques et des traitements. Nous avons ajouté une annexe présentant une sélection de cas cliniques, afin d'illustrer comment les principes de l'immunologie peuvent être appliqués à des maladies humaines courantes. Enfin, afin de rendre chaque chapitre lisible de manière isolée, nous avons répété les idées clés à plusieurs endroits de l'ouvrage. Nous croyons que de telles répétitions aideront les étudiants à saisir les concepts les plus importants. Notre espoir est que les étudiants trouveront cette nouvelle édition claire, convaincante, facile à consulter et agréable à lire. Nous espérons que l'ouvrage fera partager notre curiosité pour le fonctionnement du système immunitaire et notre intérêt envers l'évolution de cette discipline et de ses liens avec la santé humaine et les maladies. Enfin, même si nous avons été encouragés à entreprendre ce projet en raison de notre implication dans les cours de l'école de médecine, nous espérons que cet ouvrage sera apprécié également par les étudiants en sciences paramédicales et en biologie. Nous aurons réussi s'il parvenait à répondre à une grande partie des questions que ces étudiants se posent à propos du système immunitaire et, en même temps, s'il les incitait à se plonger davantage dans l'immunologie. Plusieurs personnes ont joué un rôle capital dans la rédaction de ce livre. Notre rédacteur en chef, James Merritt, a été une source constante d'enthousiasme, d'encouragements et de conseils. Notre illustrateur talentueux, David Baker de DNA Illustrations, a remanié toutes les figures pour cette nouvelle édition et a transformé nos idées en images informatives et esthétiques. Clay Broeker a suivi le livre au long du processus de production d'une manière efficace et professionnelle. Notre rédacteur en chef du développement, Rebecca Gruliow, a maintenu le projet sur la bonne voie malgré les pressions de temps et de logistique. À tous, nous devons nos plus sincères remerciements. Enfin, nous avons une énorme dette de gratitude envers nos familles, dont le soutien et les encouragements ont été sans faille. Abul K. Abbas, Andrew H. Lichtman, Shiv Pillai
XI
This page intentionally left blank
Avant-propos à l'édition française
Le bon enseignant se reconnaît à sa faculté d'extraire les éléments essentiels d'une matière et de les soumettre à la réflexion de l'étudiant tout en éveillant, ou en entretenant, sa curiosité. C'est précisément ce que les auteurs, Abul K. Abbas, Andrew H. Lichtman et Shiv Pillai ont réussi en rédigeant cet ouvrage remarquable par sa concision et son sens des priorités. L'immunologie progresse rapidement et, dans cette sixième édition, les lecteurs constateront que des notions introduites dans des éditions antérieures — par exemple les lymphocytes Th17, les T régulateurs, les cellules dendritiques, les récepteurs de type Toll et NOD et les inflammasomes — ont été complétées et mises à jour de manière appropriée. Un autre domaine traité avec pertinence et simplicité est celui de l'immunité des muqueuses, dont le fonctionnement est de mieux en mieux appréhendé. On commence, en effet, à comprendre comme le système immunitaire local parvient à distinguer les micro-organismes commensaux des pathogènes. Il faut également souligner les intéressantes mises à jour des données sur l'immunothérapie du cancer, qui connaît des succès cliniques croissants. Il importe dès lors d'offrir aux étudiants francophones cette nouvelle version, publiée quasi simultanément avec la sixième édition anglaise. Elle convient pour les cours de médecine, mais aussi pour les programmes d'études paramédicales et de biologie. En outre, comme le nombre de nouveaux médicaments fondés sur les anticorps monoclonaux, les cytokines et les récepteurs solubles continue à augmenter de manière exponentielle, tout en s'avérant de plus en plus efficaces, les médecins, qu'ils soient généralistes ou spécialistes, sont amenés à rafraîchir leurs connaissances
en immunologie. Or, la plupart des ouvrages consacrés à cette discipline sont souvent trop fouillés et détaillés : ils ne permettent pas une reprise de contact aisée et rapide. C'est pourquoi le présent ouvrage devrait intéresser non seulement les étudiants, mais aussi tous les cliniciens qui doivent recourir aux nouvelles immunothérapies. Ils y trouveront exactement ce qu'ils souhaitent : refaire connaissance avec les bases de l'immunologie fondamentale et clinique sans devoir recourir, à chaque page, à un dictionnaire scientifique spécialisé. Si l'on dispose déjà de nombreux médicaments ayant un impact sur le système immunitaire, l'industrie pharmaceutique en prépare de nombreux autres, pour lutter non seulement contre les infections, mais aussi contre le cancer, pour contrôler les maladies auto-immunes, les affections inflammatoires, le rejet des greffes et les réactions allergiques. La médecine personnalisée en est encore à ses débuts, mais de grands progrès sont attendus dans ce domaine. Or, parmi les différents systèmes de l'organisme humain, c'est probablement celui de l'immunité innée et adaptative qui dépend le plus du génome et de l'épigénome de chaque individu. Dès lors, la généralisation des connaissances immunologiques et leur approfondissement deviendront encore plus importants. Les mérites de l'ouvrage de Abul K. Abbas, Andrew H. Lichtman et Shiv Pillai sont précisément de susciter l'intérêt pour l'immunologie, de fournir les bases nécessaires à sa compréhension et de faire percevoir les perspectives diagnostiques et thérapeutiques qu'offre cette discipline, tout cela de manière didactique et particulièrement compétente. Pierre L. Masson
XIII
This page intentionally left blank
Abréviations
ADA
Adenosine deaminase
Adénosine désaminase
ADCC
Antibody-dependent cell-mediated cytotoxicity
Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps
AICD
Activation-induced cell death
Mort cellulaire induite par activation
AID
Activation-induced deaminase
Désaminase induite par activation
AIRE
Autoimmune regulator
Régulateur de l'auto-immunité
ALPS
Autoimmune lymphoproliferative syndrome
Syndrome lymphoprolifératif auto-immun
AP-1
Activating protein 1
Protéine activatrice 1
APC
Antigen-presenting cell
Cellule présentatrice d'antigène
ART
Antiretroviral therapy
Traitement antirétroviral
ATP
Adenosine triphosphate
Adénosine triphosphate
BAFF
B-cell activating factor belonging to the TNF family
Facteur d'activation des cellules B appartenant à la famille du TNF
BCG
Bacillus Calmette-Guerin
Bacille de Calmette-Guérin
BCR
B-cell receptor
Récepteur des cellules B
Btk
Bruton's tyrosine kinase
Tyrosine kinase de Bruton
CAM
Membrane attack complex
Complexe d'attaque membranaire
CAR
Chimeric antigen receptor
Récepteur antigénique chimérique
CD
Cluster of differentiation
Molécules CD
CD
Dendritic cells
Cellules dendritiques
CD40L
CD40 ligand
Ligand de CD40
CDR
Complementary-determining region
Région déterminant la complémentarité
CDS
Cytosolic DNA sensor
Détecteur cytosolique d'ADN
CLIP
Class II invariant chain peptide
Peptide de la chaîne invariante de classe II
CMH
Major histocompatibility complex
Complexe majeur d'histocompatibilité
CR1
Complement receptor type 1
Récepteur du complément de type 1
CRP
C-reactive protein
Protéine C-réactive
CSF
Colony-stimulating factor
Facteur stimulant la formation de colonies
CSH
Hematopoietic stem cells
Cellules souches hématopoïétiques
CTL
Cytotoxic T lymphocyte
Lymphocyte T cytotoxique
CTLA-4
Cytotoxic T lymphocyte-associated protein 4
Protéine 4 associée aux lymphocytes T cytotoxiques
CTLA4-lg
Cytotoxic T lymphocyte-associated protein 4-immunoglobulin
Protéine de fusion entre CTLA-4 et la région constante des Ig
CVID
Common variable immunodeficiency
Déficit immunitaire variable commun
DAF
Decay accelerating factor
Facteur accélérant la dissociation
DAL
Leukocyte adhesion deficiency
Déficiences d'adhérence leucocytaire
DAMP
Damage-associated molecular patterns
Motifs moléculaires associés aux dommages
DRO
Reactive oxygen derivatives
Dérivés réactifs de l'oxygène
EBNA
Epstein-Barr virus nuclear antigen
Antigène nucléaire du virus d'Epstein-Barr
XV
XVI
Abréviations
EBV
Epstein-Barr virus
Virus d'Epstein-Barr
ERK
Extracellular signal-regulated kinase
Kinase régulée par un signal extracellulaire
Fab
Fragment antigen binding
Fragment liant l'antigène
Fc
Fragment crystallizable
Fragment cristallisable
FcRn
Neonatal Fc receptor
Récepteur néonatal de Fc
FDC
Follicular dendritic cell
Cellule dendritique folliculaire
GDP
Guanosine diphosphate
Guanosine diphosphate
gp120
120 kDa glycoprotein
Glycoprotéine de 120 kDa
GTP
Guanosine triphosphate
Guanosine triphosphate
HBV
Hepatitis B virus
Virus de l'hépatite B
HCV
Hepatitis C virus
Virus de l'hépatite C
HEV
High endothelial venule
Veinule à endothélium élevé
HLA
Human leukocyte antigen
Antigène leucocytaire humain
HLH
Hemophagocytic lymphohistiocytosis
Lymphohistiocytose hémophagocytaire
HMGB1
High mobility group box protein 1
Protéine de groupe 1 à haute mobilité
ICAM
Intercellular adhesion molecule
Molécule d'adhérence intercellulaire
ICOS
Inducible costimulator
Costimulateur inductible
IFN
Interferon
Interféron
Ig
Immunoglobulin
Immunoglobuline
IL
Interleukin
Interleukine
ILC
Innate lymphoid cells
Cellules lymphoïdes innées
IMID
Immune mediated inflammatory disorder
Maladie inflammatoire impliquant le système immunitaire
iNOS
Inducible nitric oxide synthase
Synthase inductible de l'oxyde nitrique
IP3
Inositol 1,4,5-triphosphate
Inositol 1,4,5-triphosphate
IPEX
Immune dysregulation, polyendocrinopathy, enteropathy, X-linked syndrome
Syndrome de dérégulation immunitaire avec polyendocrinopathie et entéropathie liée à l'X
IRF-3
Interferon regulatory factor 3
Facteur 3 de régulation de l'interféron
ITAM
Immunoreceptor tyrosine-based activation motif
Motif d'activation à tyrosines des immunorécepteurs
ITIM
Immunoreceptor tyrosine-based inhibition motif
Motif d'inhibition à tyrosines des immunorécepteurs
IgIV
Intravenous immunoglobulin
Immunoglobuline injectée par voie intraveineuse
JNK
c-Jun N-terminal kinase
Kinase de la partie aminoterminale de c-Jun
KIR
Killer cell immunoglobulin-like receptors
Récepteur de type immunoglobuline des cellules tueuses
LFA
Leukocyte function-associated antigen
Antigène associé à la fonction des lymphocytes
LPS
Lipopolysaccharide
Lipopolysaccharide
LTR
Long terminal repeat
Longue séquence répétée terminale
MAC
Membrane attack complex
Complexe d'attaque membranaire
MAIT
Mucosal associated invariant T
Invariant associé à la muqueuse T
MALT
Mucosal associated lymphoid tissue
Tissus lymphoïdes associés aux muqueuses
MAP
Mitogen-activated protein
Protéine activée par un mitogène
MAVS
Mitochondrial antiviral-signaling
Signalisation antivirale mitochondriale
MBL
Mannose-binding lectin
Lectine liant le mannose
MCP
Membrane cofactor protein
Cofacteur membranaire
MDSC
Myeloid derived suppressor cell
Cellule suppressive d'origine myéloïde
MGC
Chronic granulomatous disease
Maladie granulomateuse chronique
MLR
Mixed lymphocyte reaction
Réaction lymphocytaire mixte
Abréviations
mTOR
Mammalian target of rapamycin
XVII
Cible de la rapamycine chez les mammifères
NET
Neutrophil extracellular traps
Pièges extracellulaires du neutrophile
NFAT
Nuclear factor of activated T cells
Facteur nucléaire des lymphocytes T activés
NF-κB
Nuclear factor κB
Facteur nucléaire κB
NK
Natural killer cell
Cellule tueuse naturelle ou cellule NK
NLRP3
NOD-like receptor family, pyrin domain containing 3
Famille de récepteurs de type NOD, domaine de la pyrine contenant 3
NOD
Nucleotide-binding oligomerization domain containing protein
Protéine contenant un domaine d'oligomérisation et de liaison de nucléotides
NO
Nitric oxide
Oxyde nitrique
PALS
Periarteriolar lymphoid sheath
Manchon lymphoïde périartériolaire
PAMP
Pathogen-associated molecular pattern
Motif moléculaire associé aux pathogènes
PD
Programmed [cell] death protein
Protéine de mort cellulaire programmée
PDGF
Platelet-derived growth factor
Facteur de croissance dérivé des plaquettes
PHA
Phytohemagglutinin
Phytohémagglutinine
PI-3
Phosphatidylinositol-3
Phosphatidylinositol 3
PIP2
Phosphatidylinositol-4,5-biphosphate
Phosphatidylinositol-4,5-bisphosphate
PKC
Protein kinase C
Protéine kinase C
PLC
Common lymphoid progenitor
Progéniteur lymphoïde commun
PLCγ
Phospholipase Cγ
Phospholipase Cγ
PNP
Purine nucleoside phosphorylase
Purine nucléoside phosphorylase
PPD
Purified protein derivative
Dérivé protéique purifié
PRR
Pattern recognition receptors
Récepteurs de motifs moléculaires
PTPN22
Protein tyrosine phosphatase N22
Protéine tyrosine phosphatase N22
RAG
Recombination-activating gene
Gène d'activation de la recombinaison
RE
Endoplasmic reticulum (ER)
Réticulum endoplasmique
ROI
Reactive oxygen intermediates
Intermédiaires réactifs de l'oxygène
ROS
Reactive oxygen species
Dérivés réactifs de l'oxygène
SCID
Severe combined immunodeficiency
Déficience immunitaire combinée sévère
SLAI
Autoimmune lymphoproliferative syndrome
Syndrome lymphoprolifératif auto-immun
SOCS
Suppressors of cytokine signaling
Suppresseurs de la signalisation des cytokines
STING
Stimulator of IFN genes
Stimulateur de gènes IFN
TAP
Transporter associated with antigen processing
Transporteur associé à l'apprêtement de l'antigène
TCR
T-cell receptor
Récepteur des cellules T
TdT
Deoxyribonucleotidyl transferase
Désoxyribonucléotidyl transférase
Tfh
Follicular helper T cells
Cellules T auxiliaires folliculaires
TGF
Transforming growth factor
Facteur de croissance transformant
TLR
Toll-like receptor
Récepteur de type Toll
TNF
Tumor necrosis factor
Facteur de nécrose des tumeurs
TSH
Thyroid-stimulating hormone
Hormone thyréotrope
VCAM
Vascular cell adhesion molecule
Molécule d'adhérence aux cellules vasculaires
VIH
Human immunodeficiency virus
Virus de l'immunodéficience humaine
VLA
Very late antigen
Antigène d'activation très tardif
VPH
Human papillomavirus
Virus du papillome humain
ZAP-70
Zeta-associated protein of 70 kDa
Protéine de 70 kDa associée à la chaîne zêta
This page intentionally left blank
Chapitre
1
Introduction au système immunitaire Nomenclature, propriétés générales et composants PLAN DU CHAPITRE Immunité innée et adaptative . . . . . . . . . . . . . Types d'immunité adaptative . . . . . . . . . . . . . . Propriétés des réponses immunitaires adaptatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Spécificité et diversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Autres caractéristiques de l'immunité adaptative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3 4 5 5 6 6
Le terme « immunité » dans un contexte biologique se référait historiquement à la résistance aux pathogènes ; toutefois, les réactions à certaines substances non infectieuses, y compris des molécules environnementales inoffensives, les tumeurs et même des composants autologues non modifiés, sont également considérées comme des formes d'immunité (allergie, immunité antitumorale et auto-immunité, respectivement). L'ensemble des cellules, des tissus et des molécules qui assurent ces réactions constitue le système immunitaire, et leurs réactions coordonnées aux pathogènes et autres substances sont qualifiées de réponses immunitaires. La fonction physiologique la plus importante du système immunitaire est de prévenir ou d'éradiquer les infections (fig. 1.1), et c'est le principal contexte dans lequel les réponses immunitaires sont abordées tout au long de ce livre. En outre, le système immunitaire prévient la croissance de certaines tumeurs, certains cancers pouvant être traités par stimulation des réponses immunitaires contre les cellules tumorales. Il joue également un rôle majeur dans la réparation des tissus endommagés. Étant donné que le système immunitaire peut réagir à des substances microbiennes et non microbiennes et peut aussi, dans certaines circonstances, causer des maladies, on définit de manière plus inclusive la réponse immunitaire comme étant une réaction aux microbes et à d'autres molécules reconnues comme étrangères, quelle que soit la conséquence physioLes bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Cellules du système immunitaire adaptatif . . . Lymphocytes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cellules présentatrices d'antigènes . . . . . . . Tissus du système immunitaire . . . . . . . . . . . . . Organes et tissus lymphoïdes périphériques (secondaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recirculation des lymphocytes et migration vers les tissus . . . . . . . . . . . . . .
8 8 11 13 13 16
logique ou pathologique d'une telle réaction. Au sens large, l'immunologie est donc l'étude des réponses immunitaires et des événements cellulaires et moléculaires qui se produisent après qu'un organisme ait rencontré des microbes ou d'autres molécules étrangères. L'importance du système immunitaire pour la santé est illustrée de façon spectaculaire par l'observation fréquente que les personnes ayant une réponse immunitaire défectueuse sont susceptibles de contracter des infections graves, souvent mortelles. À l'inverse, la stimulation des réponses immunitaires contre les microbes par la vaccination est la méthode la plus efficace pour protéger les individus contre les infections ; cette approche a conduit à l'éradication mondiale de la variole, la seule maladie qui a été éliminée de la civilisation par intervention humaine (fig. 1.2). L'apparition du syndrome d'immunodéficience acquise (sida) dans les années 1980 a tragiquement souligné l'importance du système immunitaire dans la défense des individus contre les infections. Contrairement à ces rôles bénéfiques, les réponses immunitaires anormales provoquent plusieurs maladies inflammatoires graves et potentiellement létales. La réponse immunitaire est le principal obstacle au succès de la transplantation d'organes, souvent utilisée pour remplacer un organe défaillant. Les produits des cellules immunitaires peuvent également être d'une grande utilité 1
2
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Rôle du système immunitaire
Implications
Défense contre les infections
Un déficit immunitaire entraîne une aggravation de la sensibilité aux infections; par exemple dans le sida La vaccination stimule les défenses immunitaires et protège contre les infections
Défense contre les tumeurs
Possibilité d'immunothérapie du cancer
Contrôle de la régénération et cicatrisation tissulaires Le système immunitaire peut endommager des cellules et causer une pathologie inflammatoire Le système immunitaire reconnaît et réagit contre les greffons tissulaires et les molécules nouvellement introduites
Réparation des tissus lésés Les réactions immunitaires causent des maladies allergiques, auto-immunes et inflammatoires Les réponses immunitaires sont des obstacles à la transplantation et à la thérapie génique
Fig. 1.1. Importance du système immunitaire chez le sujet sain ou malade. Ce tableau résume certaines fonctions physiologiques du système immunitaire et ses impacts en pathologie. Sida : syndrome d'immunodéficience acquise.
Maladie
Nombre annuel maximum de cas (Année)
Nombre de cas en 2014
Diphtérie
206 939 (1921)
0
Rougeole
894 134 (1941)
72
Oreillons
152 209 (1968)
40
Coqueluche
265 269 (1934)
311
Poliomyélite (paralysante)
21 269 (1952)
0
Rubéole
57 686 (1969)
0
Tétanos
1560 (1923)
0
Haemophilus influenzae type B Hépatite B
~20 000 (1984)
134
26 611 (1985)
58
Fig. 1.2. Efficacité de la vaccination pour certaines maladies infectieuses communes. De nombreuses d'entre elles pour lesquelles des vaccins efficaces ont été développés ont été pratiquement éradiquées aux États-Unis et dans d'autres pays développés. Source : d'après : Orenstein WA, Hinman AR, Bart KJ, Hadler SC. Immunization. In : Mandel GL, Bennett JE, Dolin R (eds). Principles and practices of infectious diseases. 4th ed. New York : Churchill Linvingstone ; 1995. Et : Morbidity and Mortality Weekly Report 2017 ; 66(1).
pratique. Par exemple, les anticorps, qui sont des protéines synthétisées par certaines cellules du système immunitaire, sont utilisés dans des tests cliniques en laboratoire et dans la recherche comme réactifs hautement spécifiques pour la détection d'une grande variété de molécules dans la circulation et dans les tissus et cellules. Les anticorps conçus pour bloquer ou éliminer les molécules et les cellules potentielle-
ment nocives sont largement utilisés pour le traitement des maladies immunologiques, des cancers et d'autres types d'affections. Pour toutes ces raisons, le domaine de l'immunologie a capté l'attention des cliniciens, des scientifiques et du grand public. Ce chapitre est une introduction à la nomenclature de l'immunologie, aux principales propriétés générales de toutes
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire les réponses immunitaires, ainsi qu'aux cellules et tissus qui sont les principaux composants du système immunitaire. En particulier, nous répondrons aux questions suivantes. ■ Quels types de réponses immunitaires protègent les individus contre les infections ? ■ Quelles sont les caractéristiques essentielles de l'immunité et quels en sont les mécanismes ? ■ Comment les cellules et les tissus du système immunitaire sont-ils organisés pour détecter les microbes et y réagir de manière à les éliminer ? Les principes de base introduits ici ouvrent la voie à des descriptions plus détaillées sur les réponses immunitaires dans les chapitres suivants. Vous trouverez un glossaire des termes principaux à la fin de cet ouvrage.
Immunité innée et adaptative Les mécanismes de défense de l'hôte consistent en une immunité dite innée, responsable de la protection initiale contre les infections, ainsi qu'en une immunité adaptative, qui se développe plus lentement et met en œuvre une défense plus spécialisée contre les infections (fig. 1.3). L'immunité innée, qualifiée aussi de naturelle ou de native, est toujours présente chez les individus sains (d'où le terme inné), prête à bloquer l'entrée des microbes et à éliminer rapidement ceux qui ont réussi à pénétrer dans les tissus. L'immunité adaptative, dite également spécifique ou acquise, requiert la prolifération et la différenciation des lymphocytes en réponse aux pathogènes avant qu'ils puissent assurer une défense efficace, c'est-à-dire s'adapter à la présence des envahisseurs microbiens. Au plan phy-
3
logénique, l'immunité innée est plus ancienne ; le système immunitaire adaptatif plus spécialisé et plus puissant s'est développé plus tard. Dans l'immunité innée, la première ligne de défense est assurée par les barrières épithéliales de la peau et des muqueuses et par les cellules et les antibiotiques naturels présents dans les épithéliums ; ils contribuent tous à bloquer l'entrée des microbes. Si des pathogènes réussissent à traverser un épithélium et à pénétrer dans les tissus ou dans la circulation, divers autres composants du système immunitaire inné se joignent à la défense. Il s'agit notamment des phagocytes et des cellules lymphoïdes innées, dont les cellules tueuses naturelles, et diverses protéines plasmatiques, comme celles du système du complément. Tous ces mécanismes de l'immunité innée reconnaissent et réagissent spécifiquement contre les microbes. En plus de fournir une défense précoce contre les infections, les réponses immunitaires innées sont nécessaires au déclenchement des réponses immunitaires adaptatives contre les agents infectieux. Les composants et les mécanismes de l'immunité innée sont examinés en détail au chapitre 2. Le système immunitaire adaptatif se compose de lymphocytes pourvus de récepteurs de substances étrangères très divers et variables, ainsi que de produits de ces cellules tels que les anticorps. Les réponses immunitaires adaptatives sont essentielles, spécialement pour la défense contre les germes pathogènes pour les humains (capables de causer des maladies) et qui peuvent avoir évolué pour résister à l'immunité innée. Les cellules et les molécules de l'immunité innée reconnaissent les structures communes aux classes de microbes, alors que les lymphocytes de l'immunité adaptative expriment des récepteurs qui reconnaissent spécifiquement une plus grande variété de molécules produites par les
Microbe
Immunité innée
Immunité adaptative
Anticorps
Barrières épithéliales
Lymphocytes B
Plasmocytes
Cellules Mastodendritiques cytes Phagocytes
Complément
Cellules NK et ILC
Lymphocytes T Jours
Heures
0
6
Délai écoulé depuis l'infection
Lymphocytes T effecteurs
12
1
3
5
Fig. 1.3. Principaux mécanismes de l'immunité innée et adaptative. Les mécanismes de l'immunité innée assurent la défense initiale contre les infections. Certains des mécanismes empêchent les infections (par exemple, les barrières épithéliales), tandis que d'autres éliminent les microbes (par exemple, les phagocytes, les cellules NK et d'autres cellules lymphoïdes innées (ILC, innate lymphoid cell) ainsi que le système du complément). Les réponses immunitaires adaptatives se développent plus tardivement et sont assurées par les lymphocytes et leurs produits. Les anticorps bloquent les infections et éliminent les microbes ; les lymphocytes T éliminent les microbes intracellulaires. Les cinétiques des réponses immunitaires innées et adaptatives sont des approximations et peuvent varier en fonction des infections.
4
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
microbes, ainsi que des molécules non infectieuses. Toute substance moléculaire qui est spécifiquement reconnue par des lymphocytes ou des anticorps est appelée antigène. Les réponses immunitaires adaptatives recourent souvent aux cellules et aux molécules du système immunitaire inné pour éliminer les microbes. Par exemple, les anticorps (une composante de l'immunité adaptative) se lient aux microbes, ce qui facilite la reconnaissance de ceux-ci par les phagocytes. Ces cellules de l'immunité innée sont alors à même d'ingérer et de détruire les pathogènes. Il existe de nombreux exemples similaires de coopération entre immunité innée et adaptative ; ils seront décrits dans les prochains chapitres. Par convention, le terme réponse immunitaire fait généralement référence à l'immunité adaptative ; c'est l'objet de la majeure partie du présent chapitre. Les cellules du système immunitaire sont présentes dans différents tissus et jouent des rôles distincts dans la défense de l'organisme. La plupart de ces cellules sont dérivées de précurseurs de la moelle osseuse. Certaines circulent dans le sang et sont appelées leucocytes (globules blancs). D'autres sont présentes dans les tissus en permanence. Certaines d'entre elles participent principalement à l'immunité innée, d'autres à l'immunité adaptative ou dans les deux types de réponses. Les cellules du système immunitaire sont réparties en deux grandes catégories : les cellules lymphoïdes (dont la plupart sont à la base des réponses immunitaires adaptatives) et les cellules non lymphoïdes, dites myéloïdes, qui jouent divers rôles, notamment dans les réponses immunitaires innées. Les cellules dendritiques, les macrophages et les mastocytes résidant dans les tissus servent de sentinelles afin d'y détecter la présence de microbes et déclencher des réponses immunitaires. Les cellules dendritiques (CD), appelées de la sorte en raison de leurs nombreuses extensions membranaires, exercent la fonction spécialisée de capture et de présentation des antigènes microbiens aux lymphocytes T pour déclencher des réponses immunitaires adaptatives. Elles sont donc appelées cellules présentatrices d'antigènes ou APC pour antigen-presenting cell ; il en sera question plus loin. Les phagocytes ingèrent et détruisent les microbes. Ce sont des cellules myéloïdes ; elles comprennent les neutrophiles, qui sont recrutés à partir du sang, et des macrophages, qui peuvent se développer à partir de monocytes en circulation et vivre dans les tissus beaucoup plus longtemps que les neutrophiles. Les macrophages ne sont pas seulement des sentinelles et des destructeurs de microbes, ils aident aussi à réparer les tissus endommagés. Puisque les sentinelles et les phagocytes font partie principalement de l'immunité innée, ces cellules sont décrites au chapitre 2. Les lymphocytes, y compris les cellules B et T, circulent dans les organes lymphoïdes et les tissus non lymphoïdes. Ils reconnaissent les antigènes étrangers et assurent les réponses immunitaires adaptatives. Ils sont décrits plus loin dans ce chapitre.
Types d'immunité adaptative On distingue deux types d'immunité adaptative, l'immunité humorale et l'immunité cellulaire ; elles font intervenir différentes cellules et molécules, et sont destinées à
s'opposer respectivement aux microbes extracellulaires et aux intracellulaires (fig. 1.4). ■ L'immunité humorale est exercée par des protéines appelées anticorps ; ceux-ci sont produits par des cellules appelées lymphocytes B. Les anticorps sécrétés passent dans la circulation, dans les liquides tissulaires extracellulaires et dans la lumière des organes couverts d'une muqueuse tels que les tractus digestifs et respiratoires. Les anticorps protègent contre les microbes présents dans ces endroits en les empêchant d'envahir les cellules des tissus et en neutralisant les toxines produites par ces pathogènes. Les microbes qui vivent et se divisent à l'extérieur des cellules, mais qui sont facilement tués une fois ingérés par les phagocytes, sont qualifiés d'extracellulaires. Les anticorps peuvent favoriser l'ingestion de ces microbes par les phagocytes. Cependant, de nombreux microbes, dits intracellulaires, peuvent vivre et se diviser à l'intérieur des cellules infectées, y compris les phagocytes. Bien que les anticorps puissent empêcher ces microbes d'infecter les cellules tissulaires, ils ne sont pas efficaces une fois que les microbes sont entrés dans les cellules. ■ La défense contre les microbes qui ont déjà pénétré dans les cellules est appelée immunité cellulaire. Elle dépend en effet de cellules appelées lymphocytes T. L'immunité cellulaire est essentielle dans la défense contre les organismes intracellulaires qui peuvent survivre et se répliquer dans les cellules. Certains lymphocytes T activent les phagocytes pour détruire les microbes qui ont été ingérés et survivent dans des vésicules intracellulaires à l'intérieur de ces phagocytes. D'autres lymphocytes T tuent tout type de cellules (y compris les cellules non phagocytaires) qui abritent des agents infectieux dans le cytoplasme ou le noyau. Dans les deux cas, les lymphocytes T reconnaissent les antigènes microbiens qui sont présentés à la surface des cellules, ce qui indique la présence d'un pathogène dans la cellule. Certains lymphocytes T contribuent également à la protection contre les microbes extracellulaires en recrutant dans les foyers infectieux de nombreux phagocytes, qui ingèrent et détruisent ces germes. Les spécificités des lymphocytes B et T diffèrent sur des points importants. La plupart des lymphocytes T ne reconnaissent que les fragments peptidiques des antigènes protéiques présentés à la surface des cellules, tandis que les lymphocytes B et les anticorps sont capables de reconnaître de nombreux types différents de molécules, notamment les protéines, les glucides, les acides nucléiques et les lipides. Ces différences et d'autres sont examinées en détail plus loin. L'immunité peut être induite chez un individu par infection ou vaccination (immunité active) ou conférée à un individu par transfert d'anticorps ou de lymphocytes provenant d'un individu immunisé activement (immunité passive). ■ Dans l'immunité active, une personne exposée aux antigènes d'un pathogène réagit activement pour éradiquer l'infection et devient résistante à une infection ultérieure par ce microbe. Une telle personne est dite immunisée contre ce microbe, contrairement à une personne naïve qui n'a jamais été exposée aux antigènes de cet agent infectieux.
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire
Immunité humorale
5
Immunité cellulaire
Microbe Microbes phagocytés Microbes qui peuvent vivre extracellulaires dans les macrophages
Lymphocytes répondeurs
Mécanisme effecteur
Fonctions
Lymphocyte B Lymphocyte T auxiliaire Anticorps sécrétés
Blocage des infections et élimination des microbes extracellulaires
Microbes intra-cellulaires (par ex. des virus) qui se répliquent dans des cellules
Lymphocyte T cytotoxique
Cytokines
Macrophage activé Élimination des microbes phagocytés
Cellule infectée tuée Destruction des cellules infectées et élimination des réservoirs d'infection
Fig. 1.4. Types d'immunité adaptative. Dans l'immunité humorale, les lymphocytes B sécrètent des anticorps qui éliminent les microbes extracellulaires. Dans l'immunité à médiation cellulaire, certains lymphocytes T sécrètent des protéines solubles appelées cytokines qui recrutent et activent des phagocytes pour détruire les microbes ingérés, et d'autres lymphocytes T tuent les cellules infectées.
■ Dans l'immunité passive, une personne naïve reçoit des anticorps ou des cellules (par exemple des lymphocytes) d'une autre personne déjà immunisée contre une infection. Elle peut aussi bénéficier d'anticorps protecteurs qui ont été synthétisés au moyen de techniques modernes de bio-ingénierie. Le receveur acquiert la capacité de combattre l'infection aussi longtemps que persistent les cellules ou les anticorps transférés. L'immunité passive est donc utile pour protéger rapidement un individu avant qu'il ne soit capable de développer une réponse active, mais elle n'induit pas une résistance de longue durée à l'infection. Le seul exemple physiologique d'immunité passive est observé chez les nouveau-nés, dont le système immunitaire n'est pas assez mature pour répondre à de nombreux pathogènes, mais qui sont protégés contre les infections par des anticorps maternels traversant le placenta pendant la grossesse puis issus du lait maternel pendant l'allaitement. Sur le plan clinique, l'immunité passive est utile pour le traitement de certaines immunodéficiences par administration d'anticorps provenant de donneurs multiples et pour le traitement d'urgence de certaines infections virales et des morsures de serpent, cette fois à l'aide de sérum provenant de donneurs immunisés. Les anti-
corps et les lymphocytes T conçus pour reconnaître les tumeurs sont maintenant largement utilisés dans l'immunothérapie passive des cancers.
Propriétés des réponses immunitaires adaptatives Plusieurs propriétés des réponses immunitaires adaptatives sont cruciales pour l'efficacité de ces réponses dans la lutte contre les infections (fig. 1.5).
Spécificité et diversité Le système immunitaire adaptatif est capable de distinguer des millions d'antigènes ou de portions d'antigènes différents, ce qu'on appelle la spécificité. Elle implique que l'ensemble des spécificités lymphocytaires, parfois appelé répertoire lymphocytaire, est extrêmement diversifié. La population totale de lymphocytes B et T se compose de nombreux clones différents (chaque clone étant composé de cellules toutes issues d'un seul lymphocyte), et toutes les cellules d'un même clone expriment des récepteurs d'antigène identiques, différents de
6
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Propriété
Conséquence fonctionnelle
Spécificité
Garantit que les réponses immunitaires visent précisément les microbes pathogènes
Diversité
Permet au système immunitaire de répondre à une grande variété d'antigènes
Mémoire
Amplifie et accélère les réponses lors de contacts répétés avec un même antigène
Expansion clonale
Augmente le nombre de lymphocytes spécifiques d'un antigène à partir d'un petit nombre de lymphocytes naïfs
Spécialisation
Induit des réponses optimales pour la défense contre différents types de microbes
Atténuation et homéostasie
Permet au système immunitaire de répondre à de nouveaux antigènes
Absence de Prévient les agressions de tissus réactivité contre autologues au cours de réponses à des antigènes étrangers le soi Fig. 1.5. Propriétés des réponses immunitaires adaptatives. Ce tableau résume les principales caractéristiques des réponses immunitaires adaptatives et la façon dont chacune contribue à la protection contre les microbes.
ceux de tous les autres clones. Nous connaissons maintenant la base moléculaire de la production de cette remarquable diversité de lymphocytes (voir chapitre 4). L'hypothèse de la sélection clonale, formulée dans les années 1950, a correctement prédit que des clones de lymphocytes spécifiques de différents antigènes se développent avant la rencontre avec ces antigènes, et que chaque antigène déclenche une réponse immunitaire en sélectionnant et activant les lymphocytes d'un clone spécifique (fig. 1.6). La diversité du répertoire lymphocytaire, qui permet au système immunitaire de répondre à un grand nombre et à une grande variété d'antigènes, signifie aussi qu'avant l'exposition à un antigène donné, très peu de cellules, peut-être aussi peu que 1 cellule sur 100 000 ou 1 sur 1 000 000 de lymphocytes, sont spécifiques à cet antigène. Ainsi, le nombre total de lymphocytes capables de reconnaître un antigène et d'y réagir varie d'environ 1 000 à 10 000 cellules. Pour monter une défense efficace contre les microbes, ces quelques cellules doivent donner naissance à un grand nombre de lymphocytes capables de détruire les microbes. Chaque lymphocyte unique qui reconnaît un seul antigène et sa progéniture constituent un clone spécifique d'un antigène. L'efficacité des réponses immunitaires est attribuable à plusieurs caractéristiques de l'immunité adaptative : une vaste expansion du clone de lymphocytes spécifiques d'un antigène après exposition à celui-ci ; la sélection des lymphocytes les plus puissants et leur préservation ; de nombreuses boucles de rétroaction positive qui amplifient les réponses immunitaires. Ces caractéristiques du système immunitaire adaptatif sont décrites dans les prochains chapitres.
Mémoire Le système immunitaire adaptatif réagit plus rapidement, plus largement et plus efficacement à une exposition répétée au même antigène. Cette caractéristique des réponses immunitaires adaptatives implique que le système immunitaire se souvienne de chaque rencontre avec l'antigène, et cette propriété de l'immunité adaptative est donc appelée mémoire immunologique. La réponse à la première exposition à l'antigène, appelée réponse immunitaire primaire, est déclenchée par des lymphocytes appelés lymphocytes naïfs qui voient l'antigène pour la première fois (fig. 1.7). Le terme naïf désigne le fait que ces cellules sont immunologiquement inexpérimentées et n'ont pas répondu auparavant aux antigènes. Les rencontres subséquentes avec le même antigène entraînent des réponses appelées réponses immunitaires secondaires qui sont habituellement plus rapides, plus amples et plus à même d'éliminer l'antigène que les réponses primaires. Les réponses secondaires sont le résultat de l'activation des lymphocytes mémoire, qui sont des cellules de longue durée de vie qui ont été induites pendant la réponse immunitaire primaire. La mémoire immunologique optimise la capacité du système immunitaire à combattre les infections persistantes et récurrentes, car chaque exposition à un microbe génère plus de cellules de mémoire et active les cellules mémoire produites précédemment. La mémoire immunologique est un mécanisme par lequel les vaccins confèrent une protection durable contre les infections.
Autres caractéristiques de l'immunité adaptative Pour se dérouler adéquatement, les réponses immunitaires adaptatives ont d'autres propriétés essentielles (voir fig. 1.5). ■ Lorsque des lymphocytes naïfs ou mémoire sont activés par des antigènes, ils prolifèrent, générant des milliers de cellules, toutes avec les mêmes récepteurs d'antigène et la même spécificité. Ce processus, appelé expansion clonale, augmente rapidement le nombre de cellules spécifiques de l'antigène rencontré et assure que l'immunité adaptative s'adapte à la prolifération rapide des microbes. ■ Les réponses immunitaires sont spécialisées, c'est-à-dire qu'elles sont adaptées aux différents types de microbes afin d'assurer une protection plus efficace. ■ Toutes les réponses immunitaires sont autorégulées ; elles s'atténuent avec l'élimination de l'infection, ce qui permet au système de revenir à un état de repos (homéostasie) et d'être prêt à réagir à une autre infection. ■ Le système immunitaire est capable de réagir contre un nombre et une variété énormes de microbes et d'autres antigènes étrangers, mais normalement il ne réagit pas contre les molécules autologues potentiellement antigéniques, que l'on appelle autoantigènes. Cette insensibilité au soi s'appelle tolérance immunologique. C'est la capacité du système immunitaire de coexister avec des molécules, des cellules et des tissus potentiellement antigéniques, c'est-à-dire les tolérer.
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire
Des clones de lymphocytes matures spécifiques de nombreux antigènes entrent dans les tissus lymphoïdes
Lymphocyte mature
Précurseur lymphocytaire
Clones lymphocytaires porteurs de divers récepteurs dans les organes lymphoïdes primaires
7
Antigène X
Antigène Y
Des clones spécifiques d'antigènes sont activés (« sélectionnés ») par ces antigènes
Des réponses immunitaires spécifiques des antigènes se développent
Anticorps Anticorps anti-Y anti-X
Fig. 1.6. Sélection clonale. Des lymphocytes matures dotés de récepteurs pour de nombreux antigènes se développent avant de rencontrer ces antigènes. Un clone fait référence à une population de lymphocytes avec des récepteurs d'antigène identiques et donc des spécificités ; toutes ces cellules sont vraisemblablement dérivées d'une cellule précurseur. Chaque antigène (par exemple, X et Y) sélectionne un clone préexistant de lymphocytes spécifiques et stimule la prolifération et la différenciation de ce clone. Le diagramme ne montre que des lymphocytes B donnant naissance à des cellules sécrétant des anticorps, mais le même principe s'applique aux lymphocytes T. Les antigènes montrés sont des molécules de surface de microbes, mais la sélection clonale est vraie pour tous les antigènes extracellulaires et intracellulaires.
Antigène X + Antigène Y
Antigène X
Plasmocytes Lymphocyte B anti-X Lymphocyte B anti-Y
Réponse anti-X secondaire
Taux d'anticorps
Plasmocytes
Lymphocytes B Réponse naïfs anti-X primaire
2
Plasmocytes
Lymphocytes B mémoire
Semaines
Réponse anti-Y primaire
4
6
8
10
Fig. 1.7. Réponses immunitaires primaires et secondaires. L'immunisation répétée d'animaux avec des antigènes définis montre les propriétés de mémoire et de spécificité. Les antigènes X et Y induisent la production d'anticorps différents (reflète la spécificité). La réponse secondaire à l'antigène X est plus rapide et plus ample que la réponse primaire (illustre la mémoire). En outre, elle diffère de la réponse primaire à l'antigène Y (reflétant à nouveau la spécificité). Les taux d'anticorps, qui diminuent progressivement après chaque rappel, sont exprimés en unités arbitraires et varient selon le type d'exposition à l'antigène. Seules les cellules B sont montrées, mais les mêmes caractéristiques sont observées avec les réponses des lymphocytes T aux antigènes. Le délai après la vaccination peut être de 1 à 3 semaines pour une réponse primaire et de 2 à 7 jours pour une réponse secondaire, mais la cinétique varie selon l'antigène et la nature de la vaccination.
8
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Cellules du système immunitaire adaptatif Cette section du chapitre décrit les propriétés essentielles des principales populations cellulaires de l'immunité adaptative, à savoir les lymphocytes et les cellules présentatrices d'antigènes (fig. 1.8). Les phagocytes et les autres agents de l'immunité innée sont décrits au chapitre 2.
Lymphocytes Les lymphocytes sont les seules cellules qui se différencient en clones producteurs de récepteurs spécifiques de divers antigènes ; ils sont les effecteurs de l'immunité adaptative. Un adulte en bonne santé est pourvu de 0,5 à 1 × 10 12 lymphocytes. Bien que ces cellules aient toutes une morphologie semblable, relativement banale, elles sont hétérogènes quant à leur lignée, leurs fonctions, leurs phénotypes, leurs réactions et activités biologiques complexes (fig. 1.9). Ces cellules se distinguent souvent par l'expression de protéines de surface identifiables par des anticorps monoclonaux. La nomenclature standard pour ces protéines est le code numérique CD (cluster of differentiation), qui désigne les protéines de surface typiques d'une population cellulaire ou d'un stade particulier de différenciation cellulaire. Ces marqueurs sont reconnus par un groupe (cluster) d'anticorps. (L'annexe I énumère les molécules CD mentionnées dans cet ouvrage.)
Comme nous l'avons mentionné précédemment, les lymphocytes B sont les seules cellules capables de produire des anticorps ; elles assurent l'immunité humorale. Les cellules B produisent des anticorps ancrés dans leur membrane, où ils servent de récepteurs qui reconnaissent les antigènes et amorcent le processus d'activation des cellules. Les antigènes solubles et les antigènes à la surface des microbes et d'autres cellules peuvent se lier à ces récepteurs d'antigène des lymphocytes B, ce qui entraîne la prolifération et la différenciation de ces cellules et aboutit à la sécrétion de formes solubles d'anticorps dotés de la même spécificité antigénique que celle des récepteurs membranaires. Les lymphocytes T sont responsables de l'immunité cellulaire. Les récepteurs d'antigène de la plupart des lymphocytes T ne reconnaissent que les fragments peptidiques d'antigènes protéiques qui sont liés à des molécules de présentation de peptide spécialisées, appelées molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH), à la surface des cellules spécialisées, appelées cellules présentatrices d'antigènes (voir chapitre 3). Parmi les lymphocytes T, les lymphocytes T CD4+ sont appelés lymphocytes T auxiliaires parce qu'ils aident les lymphocytes B à produire des anticorps et aident les phagocytes à détruire les microbes ingérés. Les lymphocytes T CD8+ sont appelés lymphocytes T cytotoxiques (CTL) car ils tuent les cellules hébergeant des microbes intracellulaires. Certains lymphocytes T CD4+ appartiennent à un sous-ensemble spécial dont la fonction est de prévenir ou d'atténuer les réponses immunitaires ; ce sont les lymphocytes T régulateurs.
Type cellulaire
Fonctions principales
Lymphocytes : lymphocytes B ; lymphocytes T,
Reconnaissance spécifique des antigènes et réponses immunitaires adaptatives : – lymphocytes B : agents de l'immunité humorale – lymphocytes T : agents de
Lymphocyte du sang l'immunité cellulaire
Cellules présentatrices d'antigène : cellules dendritiques ; macrophages ; cellules B ; cellules dendritiques folliculaires
Capture des antigènes pour la présentation aux lymphocytes : – cellules dendritiques : déclenchement des réponses des cellules T – macrophages : phase effectrice de l'immunité cellulaire
Cellule dendritique – cellules dendritiques folliculaires :
présentent les antigènes aux lymphocytes B lors des réponses immunitaires humorales
Cellules effectrices : lymphocytes T ; macrophages ; granulocytes Macrophage
Élimination des antigènes : – lymphocytes T : activent des phagocytes, tuent des cellules infectées – Macrophages : phagocytent et tuent des microbes – granulocytes : tuent des microbes
Fig. 1.8. Cellules principales du système immunitaire adaptatif. Les micrographies montrent la morphologie de certaines cellules de chaque type. Les principales fonctions de ces types de cellules sont énumérées.
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire
A
Lymphocyte B
Fonctions effectrices
Microbe
Anticorps
Cytokines
Neutralisation du microbe, phagocytose, activation du complément
Activation des macrophages Inflammation
Lymphocyte T auxiliaire Antigène microbien présenté par une cellule présentatrice d'antigène
Lymphocyte T cytotoxique (CTL)
9
Activation des lymphocytes B
Destruction de la cellule infectée Cellule infectée exprimant l'antigène microbien
Lymphocyte T régulateur
Suppression de la réponse immunitaire
Fig. 1.9. Classes de lymphocytes. A. Dans le système immunitaire adaptatif, des classes distinctes de lymphocytes reconnaissent différents types d'antigènes et se différencient en cellules effectrices dont la fonction est d'éliminer les antigènes. Les lymphocytes B reconnaissent des antigènes solubles ou de surface microbienne et se différencient en cellules sécrétant des anticorps appelées plasmocytes. Les lymphocytes T auxiliaires et les lymphocytes T cytotoxiques reconnaissent les peptides dérivés des protéines microbiennes intracellulaires affichées à la surface cellulaire par les molécules du CMH, décrites au chapitre 3. Les lymphocytes T auxiliaires reconnaissent ces peptides présents à la surface des macrophages ou d'autres cellules présentatrices d'antigènes, et sécrètent des cytokines qui stimulent différents mécanismes immunitaires et inflammatoires. Les lymphocytes T cytotoxiques reconnaissent les peptides présents dans tout type de cellule infectée (ou cellule tumorale) et tuent ces cellules. Les lymphocytes T régulateurs limitent l'activation d'autres lymphocytes, en particulier des lymphocytes T, et préviennent l'auto-immunité.
Tous les lymphocytes proviennent de cellules servant de précurseurs lymphoïdes communs dans la moelle osseuse (fig. 1.10). Les lymphocytes B viennent à maturité dans la moelle osseuse alors que les lymphocytes T se différencient dans un organe appelé thymus. Ces sites dans lesquels les lymphocytes matures sont produits (générés) sont
appelés organes lymphoïdes générateurs (ou centraux). Les lymphocytes matures quittent les organes lymphoïdes générateurs et pénètrent dans la circulation et les organes lymphoïdes périphériques (secondaires), qui sont les principaux sites des réponses immunitaires où les lymphocytes rencontrent les antigènes et sont activés.
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
10
B
Classe
Fonctions
Récepteur d'antigène et spécificité
Marqueurs Pourcentage des phénotypiques lymphocytes totaux* sélectionnés
Lymphocytes T ab Lymphocytes T auxiliaires CD4+
Activent des cellules B (immunité humorale) Activent des macrophages (immunité cellulaire) Stimulent l'inflammation
Hétérodimères αβ CD3+ + Spécificités diverses CD4– CD8 pour des complexes peptide-CMH de classe II
Sang
Ganglion Rate
35–60
50–60
50–60
Lymphocytes T cytotoxiques CD8+
Tuent des cellules infectées par des microbes intracellulaires et des cellules tumorales
Hétérodimères αβ CD3+ – Spécificités diverses CD4+ CD8 pour des complexes peptide-CMH de classe I
15–40
15–20
10–15
Cellules T régulatrices
Suppriment la fonction des autres cellules T (régulation des réponses immunitaires, maintien de la tolérance au soi)
Hétérodimères αβ Spécifiques du soi et de certains antigènes étrangers (complexes peptideCMH de classe II)
CD3+ CD4+ CD25+ FoxP3+ (les plus fréquentes)
0,5–2
5–10
5–10
Ig de surface Spécificités diverses pour de nombreux types de molécules
Récepteurs de Fc CMH de classe II CD19 CD23
Sang
Lymphocytes B Cellules B
Production d'anticorps (immunité humorale)
5–20
Ganglion Rate 20–25
40–45
Fig. 1.9. Suite. B. Le tableau résume les principales propriétés des lymphocytes du système immunitaire adaptatif. Les cellules T γδ, les cellules tueuses naturelles et les autres cellules lymphoïdes innées, dont il est question au chapitre 2, ne sont pas incluses. * Les pourcentages sont des approximations, basées sur des données provenant du sang périphérique humain et des organes lymphoïdes de souris. Ig : immunoglobuline ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité.
Lorsque des lymphocytes naïfs reconnaissent des antigènes microbiens et reçoivent des signaux supplémentaires induits par les microbes, les lymphocytes spécifiques de l'antigène prolifèrent et se différencient ensuite en cellules effectrices et cellules mémoire (fig. 1.11). ■ Les lymphocytes naïfs expriment les récepteurs des antigènes, mais ne remplissent pas les fonctions nécessaires à leur élimination. Ces cellules résident et circulent entre les organes lymphoïdes périphériques et survivent pendant plusieurs mois, voire quelques années, en attendant de trouver et de répondre à l'antigène. S'ils ne sont pas activés par l'antigène, les lymphocytes naïfs meurent par le processus de l'apoptose et sont remplacés par de nouvelles cellules qui sont apparues dans les organes lymphoïdes générateurs. La différenciation des lymphocytes naïfs en cellules effectrices et en cellules mémoire est déclenchée par la reconnaissance des antigènes, assurant
ainsi que la réponse immunitaire qui se développe est spécifique de l'antigène reconnu. ■ Les lymphocytes effecteurs, qui sont les descendants différenciés des cellules naïves, ont la capacité de produire des molécules dont la fonction est d'éliminer les antigènes. Les cellules effectrices de la lignée lymphocytaire B sont des cellules sécrétant des anticorps, appelées plasmocytes. Ces derniers se développent en réponse à une stimulation antigénique dans les organes lymphoïdes périphériques, où ils peuvent rester et produire des anticorps. Un petit nombre de cellules sécrétant des anticorps sont également présentes dans le sang ; on les appelle plasmablastes. Certains d'entre eux migrent vers la moelle osseuse, où ils se transforment en plasmocytes à vie longue et continuent à produire des anticorps des années après l'éradication de l'infection, offrant une protection immédiate au cas où l'infection surviendrait à nouveau.
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire
Organes lymphoïdes générateurs Moelle osseuse
Lymphocytes B immatures
Précurseur lymphoïde Lignée des commun lymphocytes
Sang, lymphe
Lymphocytes B matures, naïfs
Recirculation
B
11
Organes lymphoïdes périphériques (secondaires)
Ganglions lymphatiques
Rate
Lignée des lymphocytes T Recirculation
Lymphocytes T Thymus matures
Tissus lymphoïdes des muqueuses et de la peau
Lymphocytes T matures
Fig. 1.10. Maturation et distribution tissulaire des lymphocytes. Les lymphocytes se développent à partir de précurseurs dans les organes lymphoïdes générateurs (moelle osseuse et thymus). Les lymphocytes matures pénètrent dans les organes lymphoïdes périphériques, où ils répondent aux antigènes étrangers et circulent dans le sang et la lymphe. Certaines cellules B immatures quittent la moelle osseuse et terminent leur maturation dans la rate (non illustré).
Les lymphocytes T CD4+ effecteurs (lymphocytes T auxiliaires) produisent des protéines appelées cytokines qui activent les lymphocytes B, les macrophages et d'autres types de cellules, assurant ainsi la fonction auxiliaire de cette lignée. Les propriétés des cytokines sont énumérées à l'annexe II et seront décrites dans de prochains chapitres. Les lymphocytes T effecteurs ont une vie courte ; ils meurent dès que l'antigène est éliminé. ■ Les cellules mémoire, également générées à partir de descendants de lymphocytes stimulés par l'antigène, peuvent survivre pendant de longues périodes en l'absence d'antigène. Par conséquent, la proportion de cellules mémoire augmente avec l'âge, probablement en raison de l'exposition aux microbes de l'environnement. En fait, les cellules mémoire représentent moins de 5 % des lymphocytes T du sang périphérique chez un nouveau-né, mais 50 % ou plus chez un adulte (fig. 1.12). Avec l'âge, l'accumulation progressive de cellules mémoire compense la production réduite de nouveaux lymphocytes T naïfs à partir du thymus, qui s'atrophie après la puberté (voir chapitre 4). Les cellules mémoire sont fonctionnellement inactives ; elles n'exercent pas de fonctions effectrices à moins d'être stimulées par un antigène. Lorsque les cellules mémoire rencontrent le même antigène que celui qui a induit leur développement, elles réagissent rapidement ; c'est le processus dit de réponse immunitaire secondaire. Les signaux qui génèrent et maintiennent les cellules mémoire restent peu connus, mais ils impliquent des cytokines.
Cellules présentatrices d'antigènes Les voies de pénétration les plus fréquentes des microbes sont la peau, le tractus gastro-intestinal et le tractus respiratoire. Ces tissus contiennent des cellules présentatrices d'antigènes (APC) spécialisées, situées dans les épithéliums ; elles captent les antigènes et les trans-
portent dans les tissus lymphoïdes périphériques et les présentent aux lymphocytes. Ce sont les premières étapes dans le développement des réponses immunitaires adaptatives contre les antigènes. Cette fonction de capture et de présentation de l'antigène est mieux comprise pour les cellules dendritiques, les cellules les plus spécialisées du système immunitaire dans la présentation de l'antigène (APC). Les cellules dendritiques captent les antigènes protéiques des microbes qui traversent les barrières épithéliales et transportent ces antigènes vers les ganglions lymphatiques régionaux, où elles présentent des fragments des protéines pour reconnaissance par les lymphocytes T. Si un microbe a envahi l'épithélium, il peut être phagocyté et présenté par des macrophages tissulaires. Les microbes ou leurs antigènes qui pénètrent dans les organes lymphoïdes peuvent être captés par les cellules dendritiques ou les macrophages qui résident dans ces organes et présentés aux lymphocytes. Le processus de présentation de l'antigène aux lymphocytes T est décrit au chapitre 3. Les cellules dendritiques ont une autre caractéristique importante qui leur donne la capacité de stimuler les réponses des lymphocytes T. Ces cellules spécialisées réagissent aux microbes en produisant des protéines de surface, dites costimulatrices, qui sont nécessaires, avec l'antigène, pour induire la prolifération et la différenciation des lymphocytes T naïfs en cellules effectrices. Les cellules dendritiques expriment un plus grand nombre de ces protéines costimulatrices que les autres types de cellules et sont donc les stimulateurs les plus puissants des cellules T naïves et les déclencheurs les plus efficaces des réponses des cellules T. D'autres cellules présentatrices d'antigènes, comme les macrophages et les lymphocytes B, présentent des antigènes aux cellules T effectrices différenciées dans diverses réponses immunitaires. Les lymphocytes B peuvent reconnaître directement les antigènes des microbes (libérés ou à la surface des
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
12
A
Type cellulaire
Stade Lymphocyte activé ou effecteur
Cellule naïve Lymphocytes B
Reconnaissance de l'antigène
Prolifération
Différenciation
Lymphocytes T
Reconnaissance de l'antigène
Prolifération
Différenciation
B Cellule naïve
Lymphocyte activé ou effecteur
Lymphocyte mémoire
Lymphocyte mémoire
Lymphocytes T Migration
De préférence dans les ganglions lymphatiques
De préférence dans les tissus enflammés
Hétérogène : différents sousgroupes dans les ganglions, les muqueuses et autres tissus
Proportion des cellules capables de répondre à un antigène particulier
Très basse
Élevée
Basse
Fonctions effectrices
Aucune
Sécrétion de cytokines ; activité cytotoxique
Aucune
Isotype d'immunoglobuline (Ig) membranaire
IgM, IgD
Fréquemment IgG, IgA et IgE (taux bas dans les plasmocytes)
Fréquemment IgG, IgA et IgE
Affinité des Ig produites
Relativement faible
Augmente durant la réponse immunitaire
Relativement forte
Fonctions effectrices
Aucune
Sécrétion d'anticorps
Aucune
Lymphocytes B
Fig. 1.11. Phases de la vie des lymphocytes. A. Les lymphocytes naïfs reconnaissent les antigènes étrangers, ce qui déclenche les réponses immunitaires adaptatives. Des lymphocytes naïfs ont besoin de signaux en plus des antigènes afin de proliférer et de se différencier en cellules effectrices (ces signaux additionnels ne sont pas montrés). Les cellules effectrices qui se développent à partir des cellules naïves servent à l'élimination des antigènes. Celles de la lignée des lymphocytes B sont les plasmocytes sécréteurs d'anticorps (certains ont une longue survie). Celles de la lignée des lymphocytes T CD4+ produisent des cytokines. Celles de la lignée CD8+ sont les CTL (elles ne sont pas représentées). D'autres cellules filles des lymphocytes stimulés par les antigènes se différencient en cellules mémoire à longue vie. B. Les principales caractéristiques des cellules naïves, effectrices et mémoire des lignées de lymphocytes B et T sont résumées dans ce tableau. Les origines et les fonctions des cellules effectrices, notamment les changements dans les modes de migration et les types d'Ig produites, sont décrites dans des chapitres ultérieurs.
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire
Cellules T dans le sang (%)
Production thymique
Tissu
100 Cellules T naïves Cellules T mémoire
80 60 40 20 0
0
10
20
30 40 50 Âge (années)
60
70
80
Fig. 1.12. Variation avec l'âge de la proportion de lymphocytes T naïfs et mémoire. Les proportions des lymphocytes T naïfs et mémoire sont basées sur des données provenant de plusieurs individus en bonne santé. L'estimation de la production thymique est approximative. Source : avec l'autorisation du Dr Donna L. Farber, Columbia University College of Physicians and Surgeons, New York, NY.
microbes). En outre, les macrophages et les cellules dendritiques des organes lymphoïdes périphériques peuvent capter les antigènes et les présenter aux cellules B. Un type de cellule distinct appelé cellule dendritique folliculaire (FDC, follicular dendritic cells) réside dans les centres germinatifs des follicules lymphoïdes des organes lymphoïdes périphériques et présente des antigènes qui stimulent la différenciation des cellules B dans les follicules (voir chapitre 7). Les FDC ne présentent pas d'antigènes aux lymphocytes T et diffèrent des cellules dendritiques décrites précédemment qui fonctionnent comme des cellules APC pour les lymphocytes T.
Tissus du système immunitaire Les tissus du système immunitaire sont composés des organes lymphoïdes générateurs (primaires ou centraux), dans lesquels les lymphocytes T et B arrivent à maturation et deviennent compétents pour répondre aux antigènes, et des organes lymphoïdes périphériques (ou secondaires), dans lesquels les réponses de l'immunité adaptative contre les microbes se développent (voir fig. 1.10). La plupart des lymphocytes d'un être humain en bonne santé se trouvent dans les organes lymphoïdes et divers autres tissus (fig. 1.13). Cependant, comme nous le verrons plus loin, les lymphocytes sont uniques parmi les cellules du corps en raison de leur capacité de recirculation, passant à plusieurs reprises dans le sang pour « visiter » chaque organe lymphoïde secondaire. Les organes lymphoïdes générateurs (aussi appelés organes primaires ou centraux) sont décrits au chapitre 4, où est détaillé
13
Nombre de lymphocytes
Rate Ganglions lymphatiques Moelle osseuse
190 x 109
Sang
10 x 109
Peau
20 x 109
Intestin
50 x 109
Foie
10 x 109
Poumons
30 x 109
70 x 109
50 x 109
Fig. 1.13. Distribution des lymphocytes dans les organes lymphoïdes et autres tissus. Le tableau énumère les nombres approximatifs de lymphocytes dans différents organes d'adultes en bonne santé.
le processus de maturation des lymphocytes. La section suivante met en évidence certaines des caractéristiques des organes lymphoïdes périphériques (ou secondaires) qui sont nécessaires au développement de l'immunité adaptative.
Organes et tissus lymphoïdes périphériques (secondaires) Les organes et tissus lymphoïdes périphériques, qui se composent des ganglions lymphatiques, de la rate et du système immunitaire de la peau et des muqueuses, sont organisés de manière à favoriser le développement des réponses immunitaires adaptatives. Les lymphocytes T et B doivent localiser les microbes qui pénètrent à n'importe quel endroit du corps, puis réagir à ces microbes et les éliminer. L'organisation anatomique des organes lymphoïdes périphériques permet aux APC de concentrer les antigènes dans ces organes et aux lymphocytes de les repérer et d'y répondre. Cette organisation est complétée par une remarquable capacité des lymphocytes à circuler dans tout l'organisme de telle sorte que les lymphocytes naïfs se dirigent de préférence vers les organes et tissus lymphoïdes périphériques, dans lesquels l'antigène est concentré, alors que la plupart des cellules effectrices vont vers des foyers infectieux d'où les microbes doivent être éliminés. De plus, des différents types de lymphocytes ont souvent besoin de communiquer pour générer des réponses immunitaires efficaces. Par exemple, dans les organes lymphoïdes périphériques, les lymphocytes T auxiliaires spécifiques d'un antigène interagissent avec les lymphocytes B spécifiques du même antigène et aident ces derniers à produire des anticorps.
14
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A Zone des lymphocytes B Veinule à endothélium (follicule) élevé (HEV) Sinus souscapsulaire
Antigène
Vaisseau lymphatique afférent
Trabécule Zone des lymphocytes T Capsule Centre Médullaire germinatif Sinus Veine médullaire Vaisseau Artère lymphatique Lymphocytes efférent
B
Follicule lymphoïde primaire (zone des cellules B)
Cortex parafolliculaire (zone des cellules T)
Centre germinatif dans un follicule secondaire
Fig. 1.14. Morphologie des ganglions lymphatiques. A. Ce schéma montre l'organisation structurelle d'un ganglion lymphatique. B. Cette micrographie optique montre une section transversale d'un ganglion lymphatique avec de nombreux follicules dans le cortex, dont certains contiennent des zones centrales moins denses (centres germinatifs).
Une fonction essentielle des organes lymphoïdes est de réunir ces cellules rares après stimulation par l'antigène afin qu'elles interagissent si nécessaire. Les principaux organes lymphoïdes périphériques partagent de nombreuses caractéristiques, mais ont aussi des caractéristiques uniques. ■ Les ganglions lymphatiques sont des agrégats nodulaires, encapsulés, de tissus lymphoïdes situés le long des canaux lymphatiques qui parcourent tout le corps (fig. 1.14). Le liquide s'échappe constamment des petits vaisseaux sanguins dans tous les tissus épithéliaux et conjonctifs et dans la plupart des organes parenchymateux. Ce liquide, appelé lymphe, est drainé par les vaisseaux lymphatiques des tissus vers les ganglions lymphatiques, puis retourne dans la circulation sanguine.
La lymphe contient donc un mélange de substances absorbées à partir des épithéliums et des tissus. Au fur et à mesure que la lymphe traverse les ganglions lymphatiques, les APC dans les ganglions sont en mesure de capter les antigènes microbiens qui peuvent pénétrer dans les tissus à travers les épithéliums. En outre, les cellules dendritiques prélèvent dans les épithéliums et autres tissus des antigènes microbiens qu'ils transportent dans les ganglions lymphatiques. La conséquence de ces processus de capture et de transport antigéniques est la concentration, dans les ganglions lymphatiques de drainage, des antigènes des microbes qui ont traversé les épithéliums ou colonisé les tissus. ■ La rate est un organe abdominal fortement vascularisé qui joue le même rôle dans la réponse immunitaire aux antigènes
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire à diffusion hématogène que les ganglions lymphatiques en réponse aux antigènes à diffusion lymphatique (fig. 1.15). Le sang entrant dans la rate circule à travers un réseau de canaux (sinusoïdes). Les antigènes sanguins sont captés et concentrés par les cellules dendritiques et les macrophages de la rate. La rate contient d'abondants phagocytes qui tapissent les sinusoïdes, ingèrent et détruisent les microbes dans le sang. Ces macrophages ingèrent et détruisent également les globules rouges vieillis. ■ Le système immunitaire cutané et le système immunitaire des muqueuses sont des collections spécialisées de tissus lymphoïdes et d'APC situées dans et sous les épithéliums de la peau et des tractus digestif et respiratoire. Bien que la plupart des cellules immunitaires de ces tissus soient diffusément dispersées sous les barrières épithéliales, il existe des collections de lymphocytes et de cellules APC organisées de la même manière que les ganglions lymphatiques. Par exemple, les amygdales du pharynx et les plaques de Peyer intestinales sont deux tissus lymphoïdes des muqueuses anatomiquement définis (fig. 1.16). Le système immunitaire cutané se compose de la plupart des cellules de l'immunité
A
B
Sinus marginal Artériole folliculaire Zone des lymphocytes B (follicule) Zone des lymphocytes T (manchon lymphoïde périartériolaire) Artériole Zone Artère trabéculaire centrale marginale Pulpe rouge
Manchon lymphoïde périartériolaire (PALS)
Centre germinatif d'un follicule lymphoïde
Fig. 1.15. Morphologie de la rate. A. Ce schéma montre une artériole splénique entourée par le manchon lymphoïde périartériolaire (PALS, periarteriolar lymphoid sheath) et les follicules adjacents. Les PALS et les follicules lymphoïdes forment ensemble la pulpe blanche. B. Cette microphotographie optique d'une section de la rate montre une artériole avec le PALS et un follicule avec son centre germinatif. Ils sont entourés par la pulpe rouge, qui est riche en sinusoïdes vasculaires.
15
innée et adaptative, mais sans aucune structure anatomiquement définie (fig. 1.17). À tout moment, au moins un quart des lymphocytes du corps se trouvent dans les muqueuses et la peau (ce qui reflète la grande proportion de ces tissus lymphoïdes) (voir fig. 1.13), et beaucoup d'entre eux sont des cellules mémoire. Les tissus lymphoïdes de la peau et des muqueuses sont des sites de réponses immunitaires aux antigènes qui franchissent les épithéliums. Une propriété remarquable de ces systèmes immunitaires est leur capacité de répondre aux pathogènes sans réagir à l'énorme quantité de microbes commensaux habituellement inoffensifs couvrant les barrières épithéliales. Ceci est rendu possible par plusieurs mécanismes, notamment l'intervention des lymphocytes T régulateurs et d'autres cellules qui inhibent les lymphocytes T plutôt que de les activer. Dans les organes lymphoïdes périphériques, les lymphocytes T et les lymphocytes B sont séparés en différents compartiments anatomiques (fig. 1.18). Dans les ganglions lymphatiques, les cellules B sont concentrées dans des structures délimitées, appelées follicules, situées à la périphérie, ou cortex, de chaque ganglion. Si les lymphocytes B d'un follicule ont récemment répondu à un antigène protéique et reçu des signaux des lymphocytes T auxiliaires, ce follicule peut contenir une région centrale légèrement colorée appelée centre germinatif. Celui-ci joue un rôle important dans la production d'anticorps très efficaces ; il est décrit au chapitre 7. Les lymphocytes T sont concentrés à l'extérieur mais sont adjacents aux follicules, dans le paracortex. Les follicules contiennent les FDC décrites précédemment et impliquées dans l'activation des lymphocytes B, alors que le paracortex contient des cellules dendritiques qui présentent des antigènes aux lymphocytes T. Dans la rate, les lymphocytes T sont concentrés dans les gaines lymphoïdes périartériolaires entourant les petites artérioles, les cellules B résidant dans les follicules. L'organisation anatomique des organes lymphoïdes périphériques est étroitement régulée pour permettre aux réponses immunitaires de se développer après stimulation par les antigènes. Les lymphocytes B sont attirés et retenus dans les follicules en raison de l'action d'une classe de cytokines appelées chimiokines (ou cytokines chimiotactiques ; les chimiokines et autres cytokines sont décrites plus en détail dans les chapitres suivants). Les FDC dans les follicules sécrètent une chimiokine particulière pour laquelle les cellules B naïves expriment un récepteur, appelé CXCR5. La chimiokine qui se lie au CXCR5 attire les cellules B du sang dans les follicules des organes lymphoïdes. De même, les lymphocytes T sont séparés dans le paracortex des ganglions lymphatiques et les gaines lymphoïdes périartériolaires de la rate car les lymphocytes T naïfs expriment un récepteur, appelé CCR7, qui reconnaît les chimiokines produites dans ces régions des ganglions et de la rate. Lorsque les lymphocytes sont activés par les antigènes, ils modifient leur expression des récepteurs des chimiokines. Par conséquent, les lymphocytes B et les lymphocytes T après leur activation par un antigène migrent l'un vers l'autre et se rencontrent au bord des follicules, où les lymphocytes T auxiliaires interagissent avec les lymphocytes B et les aident à se différencier en cellules productrices d'anticorps (voir chapitre 7). Ainsi, ces populations de lymphocytes sont maintenues séparées les unes des autres jusqu'à ce qu'il leur soit utile d'interagir,
16
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Bactéries commensales
Villosité
Lymphocytes intraépithéliaux Cellule épithéliale intestinale
Cellule M
Lumière intestinale
Mucus
Cellule dendritique Crypte
Lymphatique afférent
IgA
Drainage lymphatique
Cellule B
Épithélium de la muqueuse
Plaque de Peyer
Follicule
Cellule dendritique
Lamina propria
Cellule T Macrophage Plasmocyte
Ganglion lymphatique mésentérique
Mésentère
Fig. 1.16. Système immunitaire des muqueuses. Le système immunitaire des muqueuses représenté dans ce schéma est celui de l'intestin grêle, pris comme exemple. De nombreuses bactéries commensales sont présentes dans la lumière intestinale. L'épithélium sécréteur de mucus constitue une barrière naturelle à l'invasion microbienne (voir chapitre 2). Des cellules épithéliales spécialisées, comme les cellules M, facilitent le transfert des antigènes de la lumière dans les tissus sous-jacents. Les cellules de la lamina propria, notamment les cellules dendritiques, les lymphocytes T et les macrophages, assurent les défenses immunitaires innée et adaptative contre les microbes envahisseurs ; certaines de ces cellules sont organisées en structures spécialisées (telles que les plaques de Peyer de l'intestin grêle). L'IgA est un type d'anticorps produit en abondance dans les muqueuses ; elle est transportée dans la lumière où elle lie et neutralise les microbes (voir chapitre 8).
après exposition à un antigène. C'est un excellent exemple de la façon dont la structure des organes lymphoïdes permet que les cellules qui ont reconnu et répondu à un antigène interagissent et communiquent les unes avec les autres uniquement lorsque c'est nécessaire. De nombreux lymphocytes T effecteurs quittent le ganglion par les vaisseaux lymphatiques efférents et quittent la rate par les veines. Ces lymphocytes activés finissent dans la circulation et peuvent se rendre dans des foyers infectieux éloignés. Certains lymphocytes T activés restent dans l'organe lymphoïde où ils ont été générés et migrent dans les follicules lymphoïdes, où ils aident les lymphocytes B à produire des anticorps de haute affinité.
Recirculation des lymphocytes et migration vers les tissus Les lymphocytes naïfs circulent constamment entre le sang et les organes lymphoïdes périphériques, où ils
peuvent être activés par des antigènes pour devenir des cellules effectrices, et les lymphocytes effecteurs migrent des tissus lymphoïdes dans les sites d'infection, d'où les microbes sont éliminés (fig. 1.19). Ainsi, les lymphocytes à différents stades de leur vie migrent dans les sites où ils pourront exercer leurs fonctions. La migration des lymphocytes effecteurs dans les foyers infectieux est plus pertinente pour les lymphocytes T parce que les lymphocytes T effecteurs doivent localiser et éliminer les microbes de ces sites. Par contre, les plasmocytes n'ont pas besoin de migrer vers les sites d'infection puisqu'ils sécrètent des anticorps, qui circulent dans le sang. Ces anticorps lient des pathogènes ou des toxines dans le sang ou dans les tissus dans lesquels ils pénètrent. Les plasmocytes des muqueuses sécrètent des anticorps qui accèdent à la lumière de ces organes, où ils s'attachent aux microbes ingérés ou inhalés et les combattent.
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire
17
Épiderme
Microbes commensaux et pathogènes
Kératinocytes Cellule de Langerhans épidermique Lymphocyte intraépithélial (CD8+)
Derme
Kératinocytes de la couche basale Plasmocyte Vaisseau lymphatique
Veinule postcapillaire
Mastocyte Macrophage Lymphocyte T (CD4+)
Drainage vers le ganglion régional
Cellule dendritique du derme
Fig. 1.17. Système immunitaire cutané. Les principaux composants du système immunitaire cutané montrés dans ce schéma comprennent les kératinocytes, les cellules de Langerhans, les lymphocytes intraépithéliaux, tous localisés dans l'épiderme. Des lymphocytes T, des cellules dendritiques et des macrophages sont présents dans le derme.
A Cellule dendritique
Cellule B Chimiokine Veinule à naïve spécifique endothélium des cellules B élevé
Vaisseau lymphatique afférent
Zone des cellules B Zone des cellules T
B
Zone des cellules T (cortex parafolliculaire)
Cellule T naïve
Chimiokine spécifique des cellules T et des cellules dendritiques
Artère
Zone des cellules B (follicule lymphoïde)
Cellule B
Cellule T
Fig. 1.18. Ségrégation des lymphocytes T et B dans différentes régions des organes lymphoïdes périphériques. A. Le schéma illustre la voie par laquelle les lymphocytes T et B naïfs migrent vers différentes zones d'un ganglion lymphatique. Les lymphocytes B et T naïfs pénètrent par une veinule à endothélium élevé (HVE), montrée en coupe transversale, et sont attirés vers différentes zones du ganglion par des chimiokines qui sont produites dans ces zones et se lient sélectivement à un type de cellule. La migration des cellules dendritiques est également représentée ; elles captent les antigènes des surfaces épithéliales, entrent par les vaisseaux lymphatiques afférents et migrent dans les zones ganglionnaires riches en lymphocytes T (voir chapitre 3). B. Dans cette micrographie en immunofluorescence d'un ganglion lymphatique, les lymphocytes B, présents dans les follicules, sont colorés en vert et les lymphocytes T, dans le cortex parafolliculaire, en rouge. Dans cette technique, une coupe du tissu est colorée par des anticorps spécifiques des cellules T ou B couplés à des fluorochromes qui émettent des couleurs différentes lorsqu'ils sont excités aux longueurs d'onde appropriées. La ségrégation anatomique des lymphocytes T et B se produit également dans la rate (non montrée). Source : avec la permission des Drs Kathryn Pape et Jennifer Walter, University of Minnesota Medical School, Minneapolis, MN.
18
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Chimiokines
Tissu périphérique
Ganglion lymphatique
Veinule à endothéllium élevé Artère
Cellule T effectrice ou mémoire Cellule T naïve
Vaisseau sanguin
Vaisseau sanguin périphérique
Vaisseau lymphatique efférent
Fig. 1.19. Migration des lymphocytes T. Les lymphocytes T naïfs migrent du sang à hauteur des veinules à endothélium élevé dans les zones à lymphocytes T des ganglions lymphatiques, où les cellules sont activées par les antigènes. Les lymphocytes T activés sortent des ganglions lymphatiques, gagnent la circulation sanguine et migrent de préférence vers les tissus périphériques dans les foyers infectieux et inflammatoires. Les molécules d'adhérence intervenant dans l'attachement des lymphocytes T aux cellules endothéliales sont décrites aux chapitres 5 et 6.
Sous le contrôle d'interactions moléculaires, les diverses populations lymphocytaires migrent de manière particulière. ■ Les lymphocytes T naïfs venus à maturité dans le thymus et entrés dans la circulation migrent vers les ganglions lymphatiques, où ils trouvent d'éventuels antigènes arrivés par les vaisseaux lymphatiques qui drainent les épithéliums et les organes parenchymateux. Ces lymphocytes T naïfs pénètrent dans les ganglions par des veinules postcapillaires spécialisées, appelées veinules à endothélium élevé (HEV, high endothelial venules). Les molécules d'adhérence utilisées par les lymphocytes T pour se lier à l'endothélium sont décrites au chapitre 5. Les chimiokines produites dans les zones des lymphocytes T des ganglions lymphatiques et présentes à la surface des HEV se lient au récepteur de chimiokines CCR7 exprimé sur les lymphocytes T naïfs, ce qui permet à ceuxci d'adhérer fermement aux HEV. Les lymphocytes T naïfs migrent ensuite dans la zone des lymphocytes T, où les antigènes sont présentés par les cellules dendritiques. Les cellules B naïves pénètrent également dans les tissus lymphoïdes, mais migrent ensuite vers les follicules en réponse aux chimiokines qui se lient au CXCR5, le récepteur de chimiokine exprimé sur ces cellules B. ■ Dans le ganglion lymphatique, les lymphocytes T se déplacent rapidement à la surface des cellules dendritiques, porteuses éventuellement d'un antigène spécifique. Si celui-ci est reconnu par un lymphocyte T, une liaison stable s'établit entre les deux cellules, entraînant l'activation du lymphocyte. Une telle rencontre entre un antigène et un lymphocyte spécifique est probablement un événement aléatoire, mais la plupart des cellules T transitent par les ganglions lymphatiques au moins une fois par jour. Comme nous l'avons mentionné précédemment et il sera décrit plus
en détail au chapitre 3, la probabilité qu'une cellule T trouve son antigène augmente dans les organes lymphoïdes périphériques, en particulier les ganglions, car les antigènes microbiens sont concentrés dans les mêmes régions que les cellules T naïves. Ainsi, les lymphocytes T activés par leur antigène spécifique se mettent à proliférer et à se différencier. Les cellules naïves qui n'ont pas rencontré d'antigènes spécifiques quittent les ganglions lymphatiques et reviennent dans la circulation. ■ Les cellules effectrices générées lors de l'activation des lymphocytes T migrent préférentiellement dans les tissus infectés, où elles assurent leur fonction d'éradication de l'infection. Des signaux spécifiques contrôlent ces schémas précis de migration des lymphocytes T naïfs et activés (voir chapitre 6). ■ Les lymphocytes B qui reconnaissent l'antigène dans les follicules des ganglions et y répondent se différencient en plasmocytes sécrétant des anticorps, dont la plupart migrent vers la moelle osseuse ou les muqueuses (voir chapitre 7). ■ Les lymphocytes T mémoire se composent de différentes populations (voir chapitre 6) ; certaines cellules circulent à travers les ganglions lymphatiques, où elles peuvent répondre de manière secondaire aux antigènes captés, alors que d'autres migrent dans les foyers infectieux, où elles peuvent réagir rapidement pour éliminer le pathogène. D'autres cellules mémoire résident en permanence dans les tissus épithéliaux, comme les muqueuses et la peau. Nous connaissons moins la circulation lymphocytaire à travers la rate ou d'autres tissus lymphoïdes. La rate est dépourvue de HEV, mais le schéma général de migration des lymphocytes naïfs à travers cet organe est probablement similaire à la migration à travers les ganglions lymphatiques.
Chapitre 1. Introduction au système immunitaire
Points clés ■
■
■
■
■
■
■
La fonction physiologique du système immunitaire est de protéger les individus contre les infections et les cancers. L'immunité innée est la première ligne de défense, assurée par des cellules et des molécules toujours présentes et prêtes à éliminer les pathogènes. L'immunité adaptative dépend de lymphocytes qui, lorsqu'ils sont stimulés par des antigènes microbiens, se mettent à proliférer et à se différencier. Ainsi se forment des cellules effectrices dont certaines répondront plus efficacement à chaque nouvelle exposition au même microbe. Les lymphocytes sont les cellules de l'immunité adaptative et les seules pourvues de récepteurs d'antigène distribués de manière clonale, avec des spécificités pour des millions d'antigènes différents. L'immunité adaptative consiste en immunité humorale, dans laquelle les anticorps neutralisent et éliminent les microbes et les toxines extracellulaires, ainsi qu'en immunité cellulaire, dans laquelle les lymphocytes T éliminent les microbes intracellulaires. Les réponses de l'immunité adaptative se déroulent en plusieurs phases : reconnaissance de l'antigène par les lymphocytes, activation de ceux-ci afin qu'ils prolifèrent et se différencient en cellules effectrices et cellules mémoire, élimination des microbes, déclin de la réponse immunitaire, mémoire à long terme. Les différentes populations de lymphocytes, qui remplissent des fonctions distinctes, sont identifiables sur la base des molécules membranaires particulières qu'elles expriment à leur surface.
■
■
■
■
■
19
Les lymphocytes B sont les seules cellules qui produisent des anticorps. Ils expriment des anticorps membranaires qui reconnaissent les antigènes. Après activation, leurs descendants, appelés plasmocytes, sécrètent des anticorps qui neutralisent et éliminent l'antigène. Les lymphocytes T reconnaissent des fragments peptidiques d'antigènes protéiques présentés sur d'autres cellules. Les T auxiliaires produisent des cytokines qui activent les phagocytes afin qu'ils détruisent les microbes ingérés, recrutent des leucocytes et stimulent la production d'anticorps par les lymphocytes B. Les lymphocytes T cytotoxiques (CTL) tuent les cellules infectées hébergeant des microbes dans leur cytoplasme. Les cellules présentatrices d'antigènes (APC) captent les antigènes des microbes qui ont traversé les épithéliums, les concentrent dans les organes lymphoïdes et les présentent afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T. Les lymphocytes et les APC sont répartis de manière organisée dans les tissus lymphoïdes périphériques (secondaires), où les réponses immunitaires sont amorcées et se développent. Les lymphocytes naïfs circulent à travers les organes lymphoïdes périphériques à la recherche d'antigènes étrangers. Les lymphocytes T effecteurs migrent vers les foyers infectieux périphériques, où leur fonction est d'éliminer les pathogènes. Les plasmocytes restent dans les organes lymphoïdes et la moelle osseuse, où ils sécrètent des anticorps qui gagnent la circulation sanguine, rencontrent et éliminent les microbes.
This page intentionally left blank
Chapitre
2
Immunité innée Les premières défenses contre les infections PLAN DU CHAPITRE Caractéristiques générales et spécificité des réponses immunitaires innées . . . . . . . . . . Récepteurs cellulaires pour les microbes et les cellules endommagées . . . . . . . . . . . . . . Récepteurs de type Toll . . . . . . . . . . . . . . . . . Récepteurs de type Nod . . . . . . . . . . . . . . . . Inflammasomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Détecteurs cytosoliques d'ARN et d'ADN . . . Autres récepteurs cellulaires de l'immunité innée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Composants de l'immunité innée . . . . . . . . . . Barrières épithéliales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Phagocytes : neutrophiles et monocytes/macrophages . . . . . . . . . . . . . Cellules dendritiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mastocytes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cellules lymphoïdes innées . . . . . . . . . . . . . . Cellules Nk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lymphocytes de diversité limitée . . . . . . . . .
22 24 24 26 26 28 28 29 29 29 32 32 32 32 34
La survie des organismes multicellulaires nécessite des mécanismes de défense contre les infections microbiennes et d'élimination des cellules endommagées et nécrotiques. Ces mécanismes qui ont tout d'abord évolué chez les invertébrés puis persisté chez tous les vertébrés supérieurs sont toujours présents et fonctionnels dans l'organisme, prêts à reconnaître et à éliminer les microbes et les cellules mortes. Ce type de défense de l'hôte est connu sous le nom d'immunité innée, aussi appelée immunité naturelle ou immunité native. Les cellules et les molécules responsables de l'immunité innée constituent le système immunitaire inné. Son intervention est le premier front défensif contre les infections. Il bloque l'invasion microbienne par les barrières épithéliales et détruit bon nombre des microbes qui parviennent à entrer dans le corps. Il s'avère capable de contrôler et même d'éradiquer des infections. La réponse immunitaire innée est en mesure de lutter contre les microbes dès leur entrée dans l'organisme ; en revanche, pour se protéger d'un microbe non rencontré auparavant, la réponse immunitaire
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Système du complément . . . . . . . . . . . . . . . . Autres protéines plasmatiques de l'immunité innée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cytokines de l'immunité innée . . . . . . . . . . . Réactions de l'immunité innée . . . . . . . . . . . . . Inflammation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recrutement des phagocytes dans les foyers infectieux et les tissus endommagés . . . . . . Phagocytose et destruction des microbes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réparation des tissus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Défense antivirale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Régulation des réponses immunitaires innées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Échappement microbes des à l'immunité innée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Rôle de l'immunité innée dans la stimulation des réponses immunitaires adaptatives . . . . . .
35 36 36 38 38 38 40 41 41 41 42 42
adaptative doit être stimulée par l'antigène et passer par des phases de prolifération et de différenciation ; elle est, par conséquent, retardée. La réponse immunitaire innée fournit également au système immunitaire adaptatif les instructions nécessaires pour qu'il réagisse de manière efficace aux différents types microbiens. De plus, elle joue un rôle clé dans l'élimination des tissus morts et dans le déclenchement des mécanismes de réparation. Avant d'examiner l'immunité adaptative, sujet auquel la plus grande partie de ce livre est consacrée, nous décrirons dans ce chapitre les réactions précoces de l'immunité innée en nous concentrant sur trois questions principales. ■ Comment le système immunitaire inné reconnaît-il les microbes et les cellules endommagées ? ■ Comment les différentes composantes de l'immunité innée interviennent-elles pour lutter contre les différents types de microbes ? ■ Comment les réactions immunitaires innées stimulentelles les réponses immunitaires adaptatives ?
21
22
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Caractéristique
Immunité innée
Immunité adaptative
Spécificité
Pour des structures partagées par des classes de microbes (« motifs moléculaires associés aux pathogènes »)
Pour des détails de structure moléculaire microbienne (antigènes) ; peut reconnaître des antigènes non microbiens Antigènes
PAMPs
Microbes différents
Microbes différents Récepteurs de type Toll identiques
Anticorps spécifiques d'antigènes distincts
Environ 1 000 motifs moléculaires (estimation) Nombre de molécules microbiennes reconnues
Récepteurs
> 107 antigènes
Codés dans la lignée germinale ; diversité limitée Codés par des gènes formés (récepteurs de reconnaissance de motifs) par recombinaison somatique de
segments géniques ; grande diversité
Ig
TCR Récepteur de type Toll
Récepteur Récepteur de N-formyl Récepteur éboueur méthionine de mannose
Nombre et types de récepteurs
< 100 types différents de récepteurs invariants Seulement 2 types de récepteurs (Ig et TCR) avec, pour chacun, des millions de variations
Distribution des récepteurs
Non clonale : récepteurs identiques sur toutes les cellules de la même lignée
Clonale : des clones de lymphocytes présentant des spécificités distinctes expriment des récepteurs différents
Gènes codant des récepteurs
Codés dans la lignée germinale dans toutes les cellules
Formés par recombinaison somatique de segments géniques seulement dans les cellules B et T
Distinction du soi et du non-soi
Oui. Les cellules de l'hôte ne sont pas reconnues ou peuvent exprimer des molécules qui empêchent les réactions immunitaires innées
Oui. Fondée sur une élimination ou l'inactivation des lymphocytes autoréactifs ; elle peut être imparfaite (d'où la possibilité d'auto-immunité)
Fig. 2.1. Spécificité et récepteurs de l'immunité innée et de l'immunité adaptative. Cette figure résume les caractéristiques importantes de la spécificité et des récepteurs de l'immunité innée et adaptative avec une sélection d'exemples. Ig : Immunoglobulines (anticorps) ; TCR : récepteur des cellules T.
Caractéristiques générales et spécificité des réponses immunitaires innées Le système immunitaire inné exerce ses fonctions défensives avec un petit nombre de réactions, qui sont plus limitées que les réponses variées et spécialisées de l'immunité adaptative. La spécificité de l'immunité innée diffère également à plusieurs égards de celle des lymphocytes, les cellules de l'immunité adaptative qui reconnaissent l'antigène (fig. 2.1). Les deux principaux types de réactions du système immunitaire inné sont l'inflammation et la défense antivirale. L'inflammation consiste en l'accumulation et en l'activation de leucocytes et de protéines plasmatiques dans les foyers infectieux ou dans les lésions tissulaires. Ces cellules et protéines agissent en commun dans la lyse des microbes,
surtout extracellulaires, et l'élimination des tissus endommagés. La défense immunitaire innée contre les virus intracellulaires, même en absence d'inflammation, est assurée principalement par les cellules tueuses naturelles (cellules NK, natural killer), qui tuent directement les cellules infectées, et par les cytokines dénommées interférons de type I (IFN), qui bloquent la réplication intracellulaire des virus. Le système immunitaire inné réagit habituellement de la même manière lors de contacts répétés avec un microbe, tandis que le système immunitaire adaptatif répond plus vigoureusement, plus rapidement et donc plus efficacement à chaque rencontre successive avec un microbe. En d'autres termes, en général, le système inné ne garde pas la mémoire de ses contacts avec les microbes et revient à sa ligne de base après chaque rencontre, alors que la mémoire est l'une des principales caractéristiques du système immu-
Chapitre 2. Immunité innée nitaire adaptatif. Il est de plus en plus évident que certaines cellules de l'immunité innée (comme les macrophages et les cellules tueuses naturelles) sont modifiées par des rencontres avec des microbes de sorte qu'elles répondent mieux lors de contacts répétés. Mais on ignore si ce processus se traduit par une meilleure protection contre les infections récurrentes ou s'il est spécifique de différents microbes. Le système immunitaire inné reconnaît des structures qui sont partagées par différentes classes de microbes et qui sont absentes des cellules normales. Les cellules et molécules de l'immunité innée reconnaissent et répondent à un nombre limité de structures microbiennes, bien moindre que celui, presque illimité, des antigènes de sources microbiennes ou non microbiennes qui peuvent être reconnus par le système immunitaire adaptatif. Chaque composante de l'immunité innée peut reconnaître une grande variété de bactéries, de virus ou de champignons. Par exemple, les phagocytes expriment des récepteurs pour le lipopolysaccharide bactérien (LPS), également dénommé endotoxine, et d'autres récepteurs pour les peptidoglycanes ; chacune de ces substances est présente dans la membrane extérieure ou paroi cellulaire de nombreuses espèces bactériennes, mais absente des cellules mammaliennes. D'autres récepteurs des phagocytes reconnaissent les résidus mannosyles terminaux, qui sont typiques des glycoprotéines bactériennes et fongiques, mais qu'on ne trouve pas dans les glycoconjugués mammaliens. Des récepteurs dans des cellules de mammifères reconnaissent et réagissent à l'ARN double brin (ARNdb), qui est produit durant la réplication de nombreux virus, mais dont les cellules de mammifères sont dépourvues, et aux oligonucléotides riches en séquences CpG non méthylées, qui sont communes dans l'ADN microbien mais peu abondantes dans l'ADN des mammifères. En général, on appelle les molécules microbiennes qui stimulent l'immunité innée motifs moléculaires associés aux pathogènes, ou PAMP (pathogenassociated molecular patterns), pour indiquer qu'elles sont présentes dans les agents infectieux (pathogènes) et partagées par les microbes de même type, pour lesquels elles constituent des motifs moléculaires représentatifs. Les récepteurs de l'immunité innée qui reconnaissent ces structures communes sont appelés récepteurs de reconnaissance de motifs. Les récepteurs de l'immunité innée sont spécifiques de structures microbiennes qui sont souvent essentielles à la survie et à l'infectiosité de ces microbes. Par conséquent, un microbe ne peut échapper à l'immunité innée par simple mutation ou en n'exprimant plus les cibles reconnues par l'immunité innée ; en effet, les microbes qui ne produisent plus ces structures perdent leur capacité d'infecter et de coloniser leur victime. En revanche, les microbes échappent fréquemment à l'immunité spécifique en subissant des mutations des antigènes qui sont reconnus par les lymphocytes, dans la mesure où ces antigènes ne sont généralement pas nécessaires à la survie microbienne. Le système immunitaire inné reconnaît aussi des molécules libérées par les cellules endommagées ou nécrotiques. De telles molécules sont appelées motifs moléculaires associés aux lésions, ou DAMP (damage-associated molecular patterns). Par exemple, la protéine HMGB1 (high mobility group box protein 1), une histone qui est libérée par les cellules dont le noyau est endommagé, et l'ATP extracellulaire, qui est
23
libérée par les mitochondries endommagées. Les réponses subséquentes aux DAMP servent à éliminer les cellules endommagées et à déclencher les processus de réparation tissulaire. Ainsi, les réactions innées surviennent à la suite d'une blessure stérile, par exemple un infarctus, c'est-à-dire la mort d'un tissu causée par un arrêt de l'apport sanguin. Les récepteurs du système immunitaire inné sont codés par des gènes hérités qui sont identiques dans toutes les cellules. Les récepteurs de reconnaissance des motifs moléculaires du système immunitaire inné sont distribués de manière non clonale ; ainsi, des récepteurs identiques sont exprimés sur toutes les cellules d'un type particulier, par exemple les macrophages. Dès lors, de nombreuses cellules du système immunitaire inné peuvent reconnaître et réagir au même microbe. Ces mécanismes contrastent avec les récepteurs d'antigène du système immunitaire adaptatif, qui sont codés par des gènes formés par des réarrangements somatiques durant le développement des lymphocytes, ce qui aboutit à la formation de nombreux clones de lymphocytes B et T, chacun exprimant un récepteur unique. On estime qu'il existe près de 100 types de récepteurs de l'immunité innée qui peuvent reconnaître environ 1 000 PAMP et DAMP. Contraste frappant, il n'existe que deux types de récepteurs spécifiques dans le système immunitaire adaptatif, les immunoglobulines (Ig) et les récepteurs des lymphocytes T (TCR), mais en raison de leur diversité ils peuvent reconnaître des millions d'antigènes différents. Le système immunitaire inné ne réagit pas contre les cellules saines. Plusieurs caractéristiques du système immunitaire inné expliquent son incapacité à réagir contre les molécules ou cellules de l'individu lui-même. Premièrement, au cours de l'évolution les récepteurs de l'immunité innée sont devenus spécifiques de structures microbiennes et de substances provenant des cellules endommagées, à l'exclusion des produits des cellules saines. Deuxièmement, certains récepteurs de reconnaissance de motifs sont sensibles à des molécules comme des acides nucléiques qui sont présents dans des cellules normales, mais ces récepteurs sont localisés dans des compartiments cellulaires, par exemple des endosomes (voir ci-dessous), d'où les composants de cellules normales sont exclus. Troisièmement, les cellules mammaliennes normales expriment des molécules régulatrices qui préviennent les réactions immunitaires innées. Le système immunitaire adaptatif distingue également le soi du non soi. Les lymphocytes qui en font partie reconnaissent des antigènes du soi, mais à leur contact ils meurent ou sont inactivés. La réponse immunitaire innée peut être considérée comme une série de réactions qui assurent la défense à chaque stade des infections microbiennes : ■ aux points d'entrée des microbes : la plupart des infections commencent par l'entrée des microbes à travers les barrières épithéliales de la peau et des tractus digestif, pulmonaire et génito-urinaire ; les premiers mécanismes de défense actifs dans ces sites sont les épithéliums euxmêmes, qui constituent des barrières physiques, ainsi que les molécules antimicrobiennes et des cellules lymphoïdes présentes dans ces épithéliums ; ■ dans les tissus : les microbes qui ont franchi les épithéliums ainsi que les cellules mortes dans les tissus sont détectés par les macrophages résidents, les cellules dendritiques et
24
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
d'autres cellules « sentinelles » ; certaines de ces cellules réagissent en sécrétant des cytokines, qui déclenchent le processus inflammatoire ; elles recrutent et activent les phagocytes chargés de détruire les microbes et d'éliminer les cellules endommagées ; ■ dans le sang : des protéines plasmatiques, notamment les protéines du système du complément, réagissent contre les microbes qui entrent dans la circulation et contribuent à leur destruction. Nous reviendrons plus loin dans ce chapitre à une description plus détaillée de ces composants de l'immunité innée et de leurs réactions. Nous allons voir maintenant comment les microbes, les cellules endommagées et d'autres substances étrangères sont détectés et comment les réponses immunitaires innées sont déclenchées.
Récepteurs cellulaires pour les microbes et les cellules endommagées Les récepteurs de reconnaissance de motifs que le système immunitaire inné utilise pour réagir contre les microbes et les cellules endommagées sont exprimés sur les phagocytes, les cellules dendritiques et de nombreux autres
Milieu extracellulaire
Lipide de la paroi cellulaire bactérienne
types de cellules ; ils sont localisés dans différents compartiments cellulaires où les microbes ou leurs produits peuvent se trouver. Certains sont présents à la surface de la cellule, où ils détectent les microbes extracellulaires ; d'autres se trouvent dans des vésicules (endosomes) dans lesquelles des produits microbiens ont été ingérés ; d'autres encore sont dans le cytosol, où ils servent à détecter des microbes cytoplasmiques et des produits de lésion cellulaire (fig. 2.2). Ces récepteurs de PAMP et de DAMP appartiennent à plusieurs familles protéiques.
Récepteurs de type Toll Les récepteurs de type Toll (TLR, Toll-like receptor) sont homologues à une protéine dénommée Toll qui a été découverte chez la mouche drosophile pour son rôle dans la différenciation embryonnaire. Plus tard, elle s'est révélée essentielle à la protection de ces insectes contre des infections mycotiques. Chez les vertébrés, il y a 10 TLR différents qui sont spécifiques de différents composants microbiens (fig. 2.3). Par exemple, TLR-2 reconnaît plusieurs glycolipides et peptidoglycanes, qui sont produits par des bactéries à Gram positif et certains parasites ; TLR-3 est spécifique de l'ARN double brin, et TLR-7 et TLR-8 sont spécifiques de l'ARN simple brin ; TLR-4 est spécifique du LPS bactérien
Polysaccharide microbien
TLR
Récepteur de type lectine C
Membrane plasmique
Cytosol NLR Lipide de paroi bactérienne ; composants de cellules endommagées
Récepteur de type RIG
ARN viral
Détecteur d'ADN cytosolique ADN microbien
Endosome TLR
NB. Certaines abréviations ne sont pas explicitées dans le dessin, puisqu'elles le sont dans la légende
Acides nucléiques des microbes ingérés
Membrane de l'endosome
Fig. 2.2. Localisation des récepteurs cellulaires du système immunitaire inné. Certains récepteurs comme des récepteurs de type Toll (TLR) et des lectines sont présents à la surface cellulaire ; d'autres TLR sont dans les endosomes. Certains récepteurs d'acides nucléiques viraux, de peptides bactériens et de produits de cellules endommagées sont dans le cytoplasme. NOD et RIG se réfèrent à des membres fondateurs de familles de récepteurs cytosoliques structurellement homologues pour des produits respectivement bactériens et viraux. (Leurs noms complets sont complexes et ne reflètent pas leurs fonctions). On distingue cinq grandes familles de récepteurs cellulaires de l'immunité innée : TLR, CLR (C-type lectin receptors, récepteurs de type lectine C), NLR (NOD-like receptors, récepteurs de type NOD), RLR (RIG-like receptors, récepteurs de type RIG) et les CDS (cytosolic DNA sensors, détecteurs cytosoliques d'ADN). Les récepteurs de peptides N-formylés (non représentés) sont impliqués dans la migration des leucocytes vers des bactéries.
Chapitre 2. Immunité innée
Lipopeptides bactériens
Peptidoglycane bactérien
LPS
TLR-1:TLR-2
TLR-2
TLR-4
25
Flagelline Lipopeptides bactérienne bactériens
TLR-5
TLR-2:TLR-6
Membrane plasmique
TLR-3 ARNdb TLR-7 ARNsb TLR-8 ARNsb TLR-9 ADN CpG Endosome
Fig. 2.3. Spécificités des récepteurs de type Toll. Différents TLR reconnaissent de nombreux produits microbiens de structure différente. Les TLR de membrane plasmique sont spécifiques de composants de la paroi bactérienne, et les TLR endosomiaux reconnaissent des acides nucléiques. Tous les TLR contiennent un domaine de liaison composé de motifs riches en leucine et d'un domaine de signalisation cytoplasmique, le domaine TIR (Toll-like interleukin-1 récepteur). Db : double brin ; LPS : lipopolysaccharide ; sb : simple brin.
(endotoxine), produit par les bactéries à Gram négatif ; TLR-5 est spécifique de la flagelline, une protéine des flagelles bactériens ; TLR-9 reconnaît les séquences CpG non méthylées, qui sont abondantes dans l'ADN microbien. Les TLR spécifiques de protéines, de lipides et de polysaccharides microbiens (dont beaucoup sont présents dans les parois bactériennes) se situent à la surface de la cellule, où ils reconnaissent les produits microbiens extracellulaires. Les autres TLR qui reconnaissent des acides nucléiques sont localisés dans les endosomes, dans lesquels des microbes ont été ingérés et dans lesquels ils sont digérés et leurs acides nucléiques libérés. Les signaux générés par les TLR activent des facteurs de transcription qui stimulent l'expression de gènes codant des cytokines, des enzymes et d'autres protéines impliquées dans la réponse inflammatoire et dans les fonctions antimicrobiennes des phagocytes et d'autres cellules activées (fig. 2.4).
Les principaux facteurs de transcription activés par les signaux provenant des TLR sont : ■ d'une part, des membres de la famille NF-κB (nuclear factor κB), qui induisent l'expression de différentes cytokines et de molécules endothéliales d'adhérence, qui jouent des rôles importants dans l'inflammation ; ■ d'autre part, des IRF (interferon regulatory factors), qui stimulent la production des cytokines antivirales, les interférons de type I. De rares maladies récessives autosomiques caractérisées par des infections récurrentes sont causées par des mutations affectant les TLR ou leurs molécules de signalisation, soulignant l'importance de ces voies dans les défenses contre les microbes. Par exemple, les personnes atteintes de mutations touchant TLR-3 sont sensibles aux infections par le virus de l'herpès simplex, en particulier l'encéphalite, et les mutations de MyD88, la protéine d'adaptation en aval de plusieurs TLR, rendent les personnes sensibles aux pneumonies bactériennes.
26
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Engagement du TLR par des molécules bactériennes ou virales
Domaine riche en leucine
Domaine de signalisation des récepteurs de Toll et de l'IL-1 (TIR)
Inflammasomes
Recrutement de protéines adaptatrices Activation de facteurs NF-κB de transcription
de l'intestin grêle, où il stimule l'expression de substances antimicrobiennes appelées défensines en réponse à des pathogènes. Certains polymorphismes du gène NOD2 sont associés à des maladies inflammatoires intestinales, peut-être parce que ces variantes ont une fonction réduite et permettent aux microbes présents dans la lumière de pénétrer dans la paroi intestinale et de déclencher une inflammation.
IRF (facteurs régulateurs d'interféron)
Expression accrue de : cytokines, molécules d'adhérence, costimulateurs
Production d'interféron de type 1 (IFN-α/β)
– Inflammation aiguë – Stimulation de l'immunité adaptative
État antiviral
Fig. 2.4. Signalisation des récepteurs de type Toll (TLR). Les TLR activent des mécanismes de signalisation semblables, qui impliquent des protéines adaptatrices et conduisent à l'activation de facteurs de transcription. Ceux-ci stimulent la production de protéines responsables de l'inflammation et des défenses antivirales. NF-κB : nuclear factor κB.
Récepteurs de type NOD Les récepteurs de type NOD (NLR) forment une grande famille de récepteurs innés qui détectent des DAMP et des PAMP dans le cytosol des cellules et déclenchent des événements de signalisation inducteurs d'inflammation. Tous les NLR contiennent un domaine d'oligomérisation nucléotidique (NOD, du nom de l'activité à laquelle il a été associé à l'origine) mais différents NLR ont des domaines N-terminaux différents. Deux NLR importants, NOD1 et NOD2, ont des domaines N-terminaux CARD (caspase related domains, domaines apparentés à une caspase) et sont exprimés dans plusieurs types de cellules, y compris les cellules épithéliales et les phagocytes de la barrière muqueuse. NOD1 et NOD2 reconnaissent tous deux les peptides dérivés des peptidoglycanes de la paroi cellulaire bactérienne, et en réponse, ils génèrent des signaux qui activent le facteur de transcription NF-κB, qui favorise l'expression des gènes codant les protéines inflammatoires. Le NOD2 est fortement exprimé dans les cellules de Paneth
Les inflammasomes sont des complexes multiprotéiniques qui s'assemblent dans le cytosol des cellules en réponse à des microbes ou à des perturbations dues à des lésions cellulaires, et génèrent par protéolyse des formes actives des cytokines inflammatoires IL-1β et IL-18. IL-1β et IL-18 sont synthétisées comme précurseurs inactifs, qui doivent être clivés par l'enzyme caspase-1 pour devenir des cytokines actives qui sont libérées par la cellule et favorisent l'inflammation. Les inflammasomes sont composés d'oligomères d'un détecteur, de caspase-1 et d'un adaptateur qui relie les deux. Il existe de nombreux types différents d'inflammasomes, dont la plupart utilisent comme détecteur l'une des 10 protéines différentes de la famille NLR. Ces détecteurs reconnaissent directement les produits microbiens dans le cytosol ou détectent des changements dans la quantité de molécules ou d'ions endogènes dans le cytosol qui indiquent indirectement la présence d'infection ou de dommages cellulaires. Certains inflammasomes utilisent des détecteurs qui ne font pas partie de la famille NLR, comme les détecteurs d'ADN de la famille AIM et une protéine appelée pyrine. Après reconnaissance des ligands microbiens ou endogènes, les détecteurs NLR forment des oligomères avec une protéine adaptatrice et une forme inactive (pro) de l'enzyme caspase-1 pour former l'inflammasome, entraînant la génération de la forme active de caspase-1 (fig. 2.5). La caspase-1 active clive le précurseur de la cytokine interleukine-1β (IL-1β), pro-IL-1β, pour générer l'IL-1β biologiquement active. Comme nous le verrons plus loin, l'IL-1 induit une inflammation aiguë et provoque de la fièvre. L'un des inflammasomes les mieux caractérisés utilise NLRP3 (NOD-like receptor family, pyrin domain containing 3) comme détecteur. L'inflammasome NLRP3 s'exprime dans les cellules immunitaires innées, notamment les macrophages et les neutrophiles, ainsi que dans les kératinocytes cutanés et d'autres cellules. Une grande variété de stimulus induit la formation de l'inflammasome NLRP3, entre autres des substances cristallines telles que l'acide urique (un sous-produit de la dégradation de l'ADN, indiquant des dommages nucléaires) et des cristaux de cholestérol, l'adénosine triphosphate extracellulaire (ATP) (un indicateur de dommage mitochondrial) liée aux récepteurs purinergiques (purinocepteurs) de surface cellulaire, une concentration réduite en ions potassium (K+) dans la cellule (indiquant des dommages de membrane plasmique) et des dérivés réactifs de l'oxygène. Ainsi, l'inflammasome réagit aux lésions touchant divers composants cellulaires. Comment NLRP3 reconnaît ces divers types de stress ou de lésions cellulaires reste inconnu. L'activation d'un inflammasome est étroitement contrôlée par des modifications post-traductionnelles
Chapitre 2. Immunité innée
27
Bactéries pathogènes ATP extracellulaire Membrane plasmique
K+
NLRP3 (détecteur) Adaptateur Caspase-1 (inactive)
K+ Produits bactériens Cristaux Sortie de K+ Dérivés réactifs de l'oxygène
+ +
Inflammasome NLRP3
Signaux innés (par ex. TLR)
Caspase-1 (active)
Transcription du gène de pro-IL-1β
IL-1β Pro-IL1β
Noyau
IL-1β sécrétée
Inflammation aiguë Fig. 2.5. L'inflammasome. L'activation de l'inflammasome NLRP3 aboutit à la transformation de la pro-interleukine-1β (pro-IL-1β) en IL-1 active. La synthèse de pro-IL-1β est induite par la signalisation des récepteurs de reconnaissance de motifs lorsqu'ils interagissent avec un des multiples PAMP ou DAMP. La production ultérieure de l'IL-1β biologiquement active dépend de l'inflammasome. Celui-ci stimule également la production d'IL-18 active, qui est étroitement apparentée à l'IL-1 (non illustré). Il existe d'autres formes d'inflammasome qui contiennent des détecteurs autres que le NLRP3, notamment NLRP1, NLRC4 ou AIM2. ATP : adénosine triphosphate ; NLRP3 : NOD-like receptor family, pyrin domain containing 3 ; TLR : récepteurs de type Toll.
telles que l'ubiquitinylation et la phosphorylation, qui bloquent l'assemblage ou l'activation de l'inflammasome, et par certains micro-ARN, qui inhibent l'ARN messager de NLRP3. L'activation d'un inflammasome provoque également une forme inflammatoire de mort cellulaire programmée des macrophages et des CD appelée pyroptose, caractérisée par un gonflement des cellules, une perte d'intégrité de la membrane plasmique et la libération de cytokines inflammatoires. La caspase-1 activée clive une protéine appelée gasdermine D. Le fragment N-terminal de la gasdermine D oligomérise et forme un canal dans la membrane plasmatique qui permet d'abord la sortie de l'IL-1β mature, puis l'afflux d'ions, suivi par un gonflement cellulaire et la pyroptose.
L'inflammasome retient l'attention non seulement en raison de son rôle dans la défense, mais aussi parce qu'il est impliqué dans plusieurs maladies. Des mutations gain de fonction dans NLRP3, et moins fréquemment, des mutations perte de fonction dans les régulateurs de l'activation de l'inflammasome, causent des syndromes auto-inflammatoires, caractérisés par une inflammation incontrôlée et spontanée. Les antagonistes de l'IL-1 sont des traitements efficaces de ces maladies. Une inflammation articulaire fréquente comme la goutte est causée par des dépôts de cristaux d'urate qui induisent la production d'IL-1β par activation d'un inflammasome. De la même manière, des cristaux de cholestérol peuvent déclencher une inflammation et contribuer ainsi à l'athérosclérose.
28
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Détecteurs cytosoliques d'ARN et d'ADN Le système immunitaire inné comprend plusieurs protéines cytosoliques qui reconnaissent l'ARN ou l'ADN microbien et réagissent en déclenchant des signaux qui mènent à la production de cytokines inflammatoires et antivirales. ■ Les récepteurs de type RIG (RLR, RIG-like receptors) sont des protéines cytosoliques qui détectent l'ARN viral et induisent la production des IFN de type I antiviraux. Les RLR reconnaissent des ARN viraux, dont la structure diffère de celle des ARN mammaliens, comme l'ARNdb qui est plus long que l'ARNdb qui peut se former de façon transitoire dans des cellules normales, ou l'ARN avec un groupe triphosphate en 5' absent dans l'ARN cytosolique des cellules mammaliennes. (Les ARN de l'hôte sont modifiés et ont une « coiffe » en 5' composée de guanosine méthylée en position 7). Les ARN sont exprimés dans de nombreux types de cellules qui sont sensibles à l'infection par des virus à ARN. Après la liaison des ARN viraux, les RLR interagissent avec une protéine de membrane mitochondriale appelée MAVS (mitochondrial antiviral-signaling), qui est nécessaire pour déclencher la signalisation qui active les facteurs de transcription inducteurs de la production des IFN de type 1. ■ Les détecteurs cytosoliques d'ADN (CDS, Cytosolic DNA sensors) comprennent plusieurs protéines structurellement apparentées qui reconnaissent l'ADN microbien double brin (db) dans le cytosol et activent les voies de signalisation qui déclenchent les réponses antimicrobiennes, y compris la production d'IFN de type 1 et l'autophagie. L'ADN peut être libéré dans le cytosol à partir de divers microbes intracellulaires. Puisque l'ADN des mammifères est normalement absent dans le cytosol, les détecteurs innés d'ADN cytosolique ne verront que l'ADN microbien. La plupart des détecteurs innés d'ADN cytosolique activent la voie STING (stimulator of IFN genes) pour induire la production d'IFN de type 1 (fig. 2.6). Dans cette voie, l'ADNdb cytosolique se lie à l'enzyme cGAS (cyclic GMPAMP synthase), qui active la production d'une molécule de signalisation dinucléotidique cyclique appelée cGAMP (cyclic GMP-AMP), qui se lie à la protéine adaptatrice de la membrane du réticulum endoplasmique appelée STING. De plus, les bactéries elles-mêmes produisent d'autres dinucléotides cycliques qui se lient également à STING. En se liant à ces dinucléotides cycliques, STING déclenche des signaux qui conduisent à l'activation transcriptionnelle et à l'expression des gènes des IFN de type I. STING stimule également l'autophagie, un mécanisme par lequel les cellules dégradent leurs propres organites dans les lysosomes. L'autophagie est utilisée en immunité innée pour livrer des microbes cytosoliques aux lysosomes, où ils sont tués par des enzymes protéolytiques. D'autres détecteurs d'ADN cytosolique en plus de cGAS peuvent également activer STING.
Autres récepteurs cellulaires de l'immunité innée De nombreux autres types de récepteurs sont impliqués dans les réponses immunitaires innées aux microbes (voir fig. 2.2).
ADN
Virus, bactéries cGAS Bactéries Dinucléotides cycliques
IRF3
STING
TBK1 P
RE
IRF3
P
Transcription des gènes des IFN de type I
Induction d'un état antiviral
Interférons de type I
Fig. 2.6. Détecteurs d'ADN cytosolique et voie STING. L'ADNdb microbien cytoplasmique active l'enzyme cGAS, qui catalyse la synthèse de GMP-AMP cyclique (cGAMP) à partir de l'ATP et du GTP. cGAMP se lie à STING dans la membrane du réticulum endoplasmique (RE), puis STING recrute et active la kinase TBK1, qui phosphoryle IRF3. Phospo-IRF3 se déplace vers le noyau, où il induit l'expression des gènes d'IFN de type I. Les seconds messagers bactériens, le di-GMP cyclique (c-di-GMP) et le di-AMP cyclique (c-di-AMP) sont directement détectés par STING. STING stimule également l'autophagie et la dégradation lysosomiale des pathogènes associés aux organites cytoplasmiques. cGAS : GMP-AMP synthase cyclique ; IFN : interféron ; IRF3 : interferon regulatory factor 3.
■ Certaines lectines (protéines qui reconnaissent des glucides) dans la membrane plasmique sont des récepteurs spécifiques de glucanes fongiques (ces récepteurs sont appelés dectines) ou de résidus mannosyles terminaux (récepteurs de mannose) ; elles sont impliquées dans la phagocytose des champignons et des bactéries et dans les réactions inflammatoires à ces pathogènes. ■ Un récepteur de surface cellulaire exprimé principalement sur les phagocytes, appelé FPR1 (formyl peptide receptor 1), reconnaît des polypeptides pourvus d'un résidu de N-formylméthionine, une caractéristique des protéines bactériennes. La signalisation passant par ce récepteur favorise la migration ainsi que les activités antimicrobiennes des phagocytes.
Chapitre 2. Immunité innée Jusqu'ici nous avons mis l'accent sur les récepteurs cellulaires, mais le système immunitaire inné, comme nous le verrons plus loin, comporte également plusieurs molécules circulantes qui reconnaissent les pathogènes et nous protègent contre eux.
Composants de l'immunité innée Les composants du système immunitaire inné comprennent les cellules épithéliales, les cellules sentinelles dans les tissus (macrophages résidents, cellules dendritiques, mastocytes et diverses autres), les phagocytes circulants et recrutés (monocytes, neutrophiles), les cellules lymphoïdes innées, les cellules NK et diverses protéines plasmatiques. Nous allons décrire les propriétés de ces cellules et des protéines solubles et leurs rôles dans les réponses immunitaires innées.
Barrières épithéliales Les interfaces principales entre le corps et l'environnement extérieur, la peau, le tractus gastro-intestinal, le tractus respiratoire et le tractus génito-urinaire, sont protégées par des couches de cellules épithéliales qui constituent des barrières physiques et chimiques contre les infections (fig. 2.7). Les microbes contaminent les animaux vertébrés à hauteur de ces interfaces par contact physique externe, ingestion, inhalation et acte sexuel. Ces sites sont bordés par des épithéliums continus qui consistent en des cellules fortement adhérentes qui s'opposent ainsi physiquement à l'entrée des microbes. La kératine à la surface de la peau et le mucus sécrété par les cellules épithéliales muqueuses empêchent la plupart des microbes d'interagir,
Barrière physique contre l'infection
Lyse des microbes par des antibiotiques produits localement
Antibiotiques peptidiques
Lymphocyte
Lyse, par les intraépithélial lymphocytes intraépithéliaux, des microbes et des cellules infectées Fig. 2.7. Fonction des épithéliums dans l'immunité innée. Les épithéliums, sites potentiels d'entrée des microbes, constituent des barrières physiques formées par la kératine (dans la peau) ou par le mucus sécrété (dans les tractus gastro-intestinal, bronchopulmonaire et génito-urinaire) et par les jonctions serrées entre les cellules épithéliales. Les épithéliums produisent aussi des substances antimicrobiennes (par exemple, les défensines) et hébergent des lymphocytes qui tuent les microbes et les cellules infectées.
29
d'infecter ou de traverser les épithéliums. Les cellules épithéliales produisent également des peptides antimicrobiens, notamment les défensives et les cathélicidines, qui tuent les bactéries et certains virus par dislocation de leur membrane externe. Ainsi, des peptides antimicrobiens constituent une barrière chimique contre les infections. En outre, les épithéliums contiennent des lymphocytes dits intraépithéliaux. Ils appartiennent à la lignée des lymphocytes T, mais expriment des récepteurs d'antigène de diversité limitée. Certains de ces récepteurs sont composés de deux chaînes appelées γ et δ ; elles sont similaires, mais non identiques, aux récepteurs αβ, présents sur la majorité des lymphocytes T (voir chapitres 4 et 5). Les lymphocytes intraépithéliaux reconnaissent en général des lipides ou d'autres structures. Les lymphocytes intraépithéliaux réagissent probablement contre les agents infectieux qui tentent de traverser les épithéliums, mais la spécificité et les fonctions de ces cellules restent mal définies.
Phagocytes : neutrophiles et monocytes/macrophages Les deux types de phagocytes circulants, les neutrophiles et les monocytes, sont des cellules sanguines qui sont recrutées dans des sites d'infection, où ils reconnaissent et ingèrent les microbes afin de les détruire à l'intérieur de la cellule (fig. 2.8). ■ Les neutrophiles (également appelés granulocytes, polynucléaires ou leucocytes polymorphonucléaires, PMN) sont les leucocytes les plus nombreux du sang, leur nombre étant compris entre 4 000 et 10 000 par μl (fig. 2.9A). En réaction à certaines infections bactériennes et fongiques, la production de neutrophiles à partir de la moelle osseuse augmente rapidement et leur nombre dans le sang peut atteindre 10 fois la normale. La production de neutrophiles est stimulée par des cytokines, appelées facteurs stimulant la formation de colonies (colony-stimulating factors, CSF) ; ceux-ci sont produits par de nombreux types cellulaires en réponse aux infections et agissent sur les cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse pour stimuler la prolifération et la maturation des précurseurs des neutrophiles. Les neutrophiles sont le premier type cellulaire, et le plus nombreux, à répondre à la plupart des infections, en particulier les infections bactériennes et fongiques et sont ainsi les cellules prédominantes en cas d'inflammation aiguë — nous reviendrons plus loin à une description de l'inflammation. Les neutrophiles ingèrent les microbes présents dans le sang et pénètrent rapidement dans les tissus extravasculaires à hauteur des sites d'infection, où ils ingèrent et détruisent également des microbes. Les neutrophiles expriment des récepteurs pour les produits de l'activation du complément et pour des anticorps qui couvrent les microbes. Ces récepteurs amplifient la phagocytose des microbes couverts d'anticorps et de complément et transmettent des signaux d'activation qui stimulent l'activité lytique des neutrophiles sur les microbes ingérés. Les processus de phagocytose et de destruction intracellulaire des microbes sont décrits plus loin. Ces cellules sont aussi recrutées dans les lésions tissulaires en absence d'infection, où elles déclenchent l'élimination des débris cellulaires. Les neutrophiles ne vivent que quelques
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
30
Caractéristique
Neutrophiles
Macrophages
Origine
CSH dans la mœlle osseuse
CSH dans la moelle osseuse (en cas d'inflammation) Nombreux macrophages résidents : cellules souches dans le sac vitellin et le foie fœtal (au début du développement)
Durée de vie dans les tissus
1–2 jours
Macrophages inflammatoires : jours ou semaines Macrophages résidents : années
Réponses aux stimulus
Rapide, vie courte, activité enzymatique
Plus longue, plus lente, souvent dépendante de la transcription de gènes supplémentaires
Phagocytose
Ingestion rapide de microbes
Aptitude prolongée à ingérer des microbes, des cellules apoptotiques, des débris tissulaires, des substances étrangères
Dérivés réactifs de l'oxygène
Induits rapidement par Moins importants l'assemblage de l'oxydase des phagocytes (bouffée respiratoire)
Oxyde nitrique
Quantité faible ou nulle
Dégranulation
Réponse principale ; induite par un Négligeable réarrangement du cytosquelette
Production de cytokines
Faible par cellule
Induit à la suite de la transcription de iNOS
Fonction importante, production abondante par cellule, requiert la transcription des gènes des cytokines
Pièges extracellulaires Induits rapidement par extrusion Peu de contenus nucléaires
Sécrétions d'enzymes Importante lysosomiales
Moindre
Fig. 2.8. Propriétés distinctives des neutrophiles et des monocytes. Ce tableau énumère les principales différences entre les neutrophiles et les macrophages. Ces deux types de cellules partagent de nombreuses caractéristiques, comme la phagocytose, la chimiotaxie et la capacité de migrer dans les tissus à travers les vaisseaux sanguins. CSH : cellules souches hématopoïétiques ; iNOS : synthase inductible de l'oxyde nitrique ; NET : pièges extracellulaires de neutrophiles.
A
B
Fig. 2.9. Morphologie des neutrophiles et des monocytes. A. Cette microphotographie optique d'un neutrophile sanguin montre le noyau polylobé, d'où leur nom de leucocytes polynucléaires, et les granulations cytoplasmiques peu visibles (la plupart sont des lysosomes). B. Cette micrographie d'un monocyte sanguin montre un noyau typique en forme de fer à cheval.
heures dans les tissus ; ils sont donc les premiers à réagir, mais ils n'assurent pas une défense prolongée. ■ Les monocytes sont moins nombreux que les neutrophiles, leur nombre étant compris entre 500 et 1 000 par μl de sang (voir fig. 2.9B). Ils ingèrent également les microbes dans le sang et dans les tissus. Des monocytes qui pénètrent dans les tissus extravasculaires se différencient en cellules dénommées macrophages qui, contrairement aux neutrophiles, survivent dans ces sites durant de longues périodes. Les monocytes sanguins et
les macrophages tissulaires constituent deux stades de la même lignée cellulaire, qui est souvent appelée système des phagocytes mononucléaires (fig. 2.10). Des macrophages qui résident dans différents tissus tels que le cerveau, le foie et les poumons ne dérivent pas de monocytes circulants, mais bien de progéniteurs présents dans le sac vitellin ou le foie fœtal tôt au cours du développement de l'organisme. Les macrophages résidents se trouvent dans tous les tissus conjonctifs et tous les organes du corps. Les macrophages jouent plusieurs rôles importants dans les défenses de l'hôte : ils ingèrent et détruisent les microbes, ils éliminent les tissus morts et lancent le processus de réparation des tissus, et ils produisent des cytokines qui déclenchent l'inflammation et la régulent (fig. 2.11). Plusieurs familles de récepteurs sont exprimées dans les macrophages et sont impliquées dans l'activation et les fonctions de ces cellules. Les récepteurs innés de reconnaissance des motifs décrits précédemment, notamment les TLR et les NLR, reconnaissent des produits de microbes et de cellules endommagées et activent les macrophages. Les fonctions phagocytaires des macrophages dépendent de récepteurs de surface cellulaire, tels que les récepteurs du mannose et les récepteurs « éboueurs », qui se lient directement aux microbes (et à d'autres particules), et des récepteurs pour les anticorps ou des produits de l'activation du complément qui couvrent les microbes. Ces récepteurs d'anticorps et du complément sont aussi exprimés par les neutrophiles. Certains de ces récepteurs phagocytaires
Chapitre 2. Immunité innée
31
Chez l'adulte, homéostasie et réactions inflammatoires
Tissu Moelle osseuse
Précurseur des monocytes et cellules dendritiques
Sang Monocyte
Activation
Cellule souche hématopoïétique
Macrophage
Macrophage activé
Au cours du développement précoce
Organes hématopoïétiques fœtaux (sac vitellin, foie)
Tissu
Cellule souche hématopoïétique Précurseur des macrophages tissulaires
Différenciation
Sang
Cerveau : microglie Foie : cellules de Kupffer Poumon : macrophage alvéolaire
Moelle osseuse
Rate : macrophages sinusoïdaux
Cellule souche hématopoïétique
Fig. 2.10. Maturation des phagocytes mononucléaires. À l'état d'équilibre chez les adultes et au cours des réactions inflammatoires, des précurseurs dans la moelle osseuse se différencient en monocytes circulants, qui entrent dans les tissus périphériques, viennent à maturité pour former les macrophages et sont activés localement. Au début du développement, comme dans la vie fœtale, des précurseurs dans le sac vitellin et le foie fœtal deviennent des cellules qui colonisent des tissus où ils se transforment en macrophages tissulaires résidents spécialisés.
Microbe Récepteur de type Toll
Cytokine (par ex. IFN-γ)
Fragment du complément Récepteur du complément
Récepteur de cytokine
Activation Cytokines (TNF, IL-1, IL-6, IL-12)
Oxydase
iNOS
Phagocytose de microbe dans un phagosome
Dérivés réactifs Oxyde de l'oxygène nitrique (DRO)
Inflammation, amplification de l'immunité adaptative
Lyse des microbes
Fig. 2.11. Activation et fonctions des macrophages. Lors des réponses immunitaires innées, les macrophages sont activés par des produits microbiens qui se lient à des TLR et par des cytokines (comme l'IFN-γ sécrété par des cellules NK) ; celles-ci induisent la synthèse de protéines qui exercent les fonctions inflammatoires et microbicides de ces cellules. Les récepteurs cellulaires du complément favorisent la phagocytose des microbes couverts de protéines du complément ainsi que l'activation des macrophages. Les récepteurs de Fc des macrophages pour les IgG (non représentés) lient les microbes recouverts d'anticorps et exercent des fonctions semblables à celles des récepteurs du complément. IL : interleukine ; iNOS : synthase inductible de l'oxyde nitrique ; TNF : facteur de nécrose tumorale.
32
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
activent les fonctions microbicides des macrophages. En outre, les macrophages répondent à diverses cytokines. Les macrophages peuvent être activés par deux voies différentes, qui remplissent des fonctions distinctes (voir fig. 6.9). Ces voies d'activation ont été appelées « classique » et « alternative ». L'activation classique est induite par des signaux immunitaires innés, comme ceux provenant des TLR et ceux suscités par l'interféron-γ (IFN-γ) — cytokine qui peut être produite à la fois lors de réponses immunitaires innées et adaptatives. Les macrophages activés classiquement, également nommés M1, sont impliqués dans la destruction des microbes et dans le déclenchement de l'inflammation. L'activation alternative survient en l'absence de puissants signaux des TLR et est induite par les cytokines IL-4 et IL-13 ; ces macrophages, nommés M2, semblent intervenir surtout dans la réparation des tissus et la suppression de l'inflammation. L'abondance relative de ces deux formes de macrophages activés peut influencer les conséquences des réactions de l'hôte et contribuer à divers troubles. Nous reviendrons sur les fonctions de ces populations de macrophages au chapitre 6, lorsque nous décrirons l'immunité cellulaire. Bien que notre description ait été limitée au rôle des phagocytes dans l'immunité innée, les macrophages sont aussi d'importantes cellules effectrices tant dans les réponses cellulaires qu'humorales de l'immunité adaptative. Ces fonctions des macrophages sont décrites respectivement dans les chapitres 6 et 8.
Cellules dendritiques Les cellules dendritiques dans les tissus fonctionnent comme sentinelles qui répondent aux microbes en produisant de nombreuses cytokines qui exercent deux fonctions principales ; elles déclenchent l'inflammation et stimulent les réponses immunitaires adaptatives. Elles captent aussi des antigènes protéiques et présentent des fragments de ces antigènes aux cellules T. En détectant les microbes et en interagissant avec les lymphocytes, spécialement les lymphocytes T, les cellules dendritiques constituent un pont important entre l'immunité innée et adaptative. Nous reviendrons au chapitre 3 sur les propriétés et les fonctions de ces cellules dans le contexte de la présentation de l'antigène.
le TNF), qui stimulent l'inflammation. Les produits de mastocytes assurent aussi la défense contre les helminthes et d'autres pathogènes et sont responsables des symptômes des maladies allergiques (voir chapitre 11).
Cellules lymphoïdes innées Les cellules lymphoïdes innées (ILC, innate lymphoid cells), qui résident dans les tissus, produisent des cytokines semblables à celles sécrétées par les lymphocytes T auxiliaires, mais elles n'expriment pas les récepteurs d'antigène des cellules T (TCR, T-cell receptors). Les ILC ont été réparties en trois grands groupes en fonction des cytokines qu'elles sécrètent ; ces groupes correspondent aux sous-ensembles Th1, Th2 et Th17 de cellules T CD4+ décrites au chapitre 6. Les réponses des ILC sont souvent stimulées dans les foyers infectieux par des cytokines produites par des cellules endommagées, notamment les épithéliales. Les ILC assurent probablement une défense précoce contre les infections tissulaires, mais leurs principaux rôles dans la défense ou dans les maladies immunologiques, en particulier chez les humains, ne sont pas connus.
Cellules NK Les cellules tueuses naturelles (NK) reconnaissent les cellules infectées ou stressées et répondent en tuant ces cellules et en sécrétant une cytokine activatrice des macrophages, l'IFN-γ (fig. 2.12). Les cellules NK sont apparentées sur le plan du développement aux ILC de groupe I et représentent environ 10 % des cellules ayant une morphoA
Cellule NK
Cellule infectée par un virus
Lyse des cellules infectées
B
Mastocytes Les mastocytes sont des cellules dérivées de la moelle osseuse et pourvues de nombreux granules cytoplasmiques. Ils sont présents dans la peau et les muqueuses. Les mastocytes peuvent être activés par les produits microbiens se liant aux TLR et par des composants du système du complément dans le cadre de l'immunité innée, ou par un mécanisme particulier dépendant des anticorps dans l'immunité adaptative. Les granules des mastocytes contiennent des amines vasoactives (telles que l'histamine) qui provoquent une vasodilatation et une augmentation de la perméabilité capillaire, mais aussi des enzymes protéolytiques qui peuvent tuer les bactéries ou inactiver des toxines microbiennes. Les mastocytes synthétisent et sécrètent des médiateurs lipidiques (par exemple des prostaglandines et des leucotriènes) et des cytokines (par exemple
IFN-γ IL-12 Macrophage avec microbes phagocytés
Lyse des microbes phagocytés
Fig. 2.12. Fonctions des cellules NK. A. Les cellules NK détruisent les cellules infectées par des microbes intracellulaires, éliminant ainsi les réservoirs de l'infection. B. Les cellules NK répondent à l'IL-12 produite par les macrophages et sécrètent l'interféron-γ (IFN-γ), qui active les macrophages pour lyser les microbes phagocytés.
Chapitre 2. Immunité innée logie lymphocytaire dans le sang et les organes lymphoïdes périphériques. Ces cellules contiennent de nombreux granules cytoplasmiques et expriment des protéines de surface caractéristiques, mais elles n'expriment pas d'immunoglobulines ou de récepteurs des lymphocytes T, les récepteurs d'antigène respectifs des lymphocytes B et T. Lorsqu'elles sont activées par des cellules infectées, les cellules NK libèrent les protéines de leurs granules cytoplasmiques dans l'espace extracellulaire, au point de contact avec la cellule infectée. Ces protéines entrent alors dans les cellules infectées et activent des enzymes qui induisent la mort par apoptose. Les mécanismes cytolytiques des cellules NK sont les mêmes que ceux que les lymphocytes T cytotoxiques (CTL ; voir chapitre 6) utilisent pour tuer les cellules infectées. Ainsi, les cellules NK, à l'instar des CTL, ont pour fonction d'éliminer les réservoirs cellulaires de l'infection et, par conséquent, d'éradiquer les infections provoquées par des microbes obligatoirement intracellulaires, comme les virus. En outre, les cellules NK peuvent contribuer à la destruction des tumeurs. Par ailleurs, les cellules NK activées synthétisent et sécrètent la cytokine, interféron-γ (IFN-γ), qui stimule les macrophages et augmente leur capacité de destruction des microbes phagocytés. Des cytokines sécrétées par des macrophages et des cellules dendritiques qui ont rencontré les microbes amplifient la puissance protectrice des cellules NK contre les infections. Trois de ces cytokines activatrices des NK sont l'interleukine-15 (IL-15), les interférons de type I et l'IL-12. L'IL-15 est nécessaire au développement et à la maturation des cellules NK, et les interférons de type I ainsi que l'IL-12 amplifient les fonctions lytiques des cellules NK. Ainsi, les cellules NK et les macrophages sont
33
des exemples de deux types de cellules qui coopèrent dans l'élimination des microbes intracellulaires : les macrophages ingèrent les microbes et produisent de l'IL-12 ; celle-ci stimule la sécrétion par les cellules NK d'IFN-γ, qui à son tour amplifie l'activité lytique des macrophages sur les microbes ingérés. Comme décrit au chapitre 6, c'est essentiellement une séquence réactionnelle similaire, impliquant des macrophages et des lymphocytes T, qui intervient dans l'immunité cellulaire adaptative. L'activation des cellules NK résulte d'un équilibre entre la stimulation des récepteurs activateurs et celle des récepteurs inhibiteurs (fig. 2.13). Les récepteurs activateurs reconnaissent des molécules de surface cellulaire qui, souvent, sont exprimées sur des cellules infectées par un virus ou une bactérie intracellulaire, sur certaines cellules cancéreuses et sur des cellules stressées à la suite une altération de l'ADN. Ces récepteurs rendent les cellules NK capables d'éliminer les cellules infectées par des microbes intracellulaires, ainsi que des cellules endommagées de manière irréversible et des cellules tumorales. Un des récepteurs activateurs bien définis des cellules NK est appelé NKG2D ; il reconnaît des molécules qui ressemblent aux protéines du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) de classe I et sont exprimées en réponse à plusieurs types de stress cellulaire. Un autre récepteur activateur, dénommé CD16, est spécifique des anticorps IgG liés à des cellules. La reconnaissance des cellules couvertes d'anticorps aboutit à leur destruction par un processus appelé cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps, ou ADCC (antibody-dependent cellular cytotoxicity). Les cellules NK sont les principaux médiateurs de l'ADCC. Le rôle de cette réaction dans l'immunité
A Stimulation du récepteur inhibiteur Récepteur activateur Ligand activateur de cellules NK
Cellule normale
Cellule NK Récepteur inhibiteur Complexe CMH de classe I du soi−peptide du soi
Cellule NK non activée Pas de lyse cellulaire
B Récepteur inhibiteur non stimulé Cellule NK
Cellule infectée par un virus (Le virus inhibe l'expression du CMH de class l)
Cellule NK activée ; lyse de la cellule infectée
Fig. 2.13. Récepteurs activateurs et inhibiteurs des cellules NK. A. Des cellules saines expriment des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) de classe I, qui sont reconnues par des récepteurs inhibiteurs, de sorte que les cellules NK ne s'attaquent pas aux cellules normales de l'hôte. Notez que les cellules saines peuvent, ou non, exprimer des ligands des récepteurs activateurs (comme la figure le montre), mais elles ne sont pas attaquées par les cellules NK car elles fournissent des ligands aux récepteurs inhibiteurs. B. Les cellules NK sont activées par les cellules infectées dans lesquelles des ligands des récepteurs activateurs sont exprimés (souvent en densité élevée) et l'expression du CMH de classe I est réduite afin que les récepteurs inhibiteurs ne soient pas stimulés. En conséquence, les cellules infectées sont tuées.
34
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
humorale est décrit au chapitre 8. Les récepteurs activateurs des cellules NK ont des sous-unités de signalisation qui contiennent des motifs ITAM (immunoreceptor tyrosine-based activation motif) dans leur queue cytoplasmique. Les ITAM, qui sont également présents dans des sous-unités des récepteurs d'antigène des lymphocytes, contiennent des résidus tyrosine qui sont phosphorylés lorsque les récepteurs sont stimulés par leurs ligands. Les ITAM phosphorylés se lient à des tyrosine kinases cytoplasmiques et les activent. Ces enzymes phosphorylent et activent de la sorte d'autres substrats dans plusieurs voies différentes de transduction du signal, pour aboutir à l'exocytose des granules cytotoxiques et à la production d'IFN-γ. Les récepteurs inhibiteurs des cellules NK, qui bloquent la signalisation provenant des récepteurs activateurs, sont spécifiques des molécules du CMH de classe I du soi, qui sont exprimées sur toutes les cellules nucléées saines. Dès lors, l'expression des molécules du CMH de classe I protège les cellules saines de la lyse par les cellules NK. Au chapitre 3, nous décrirons la fonction importante des molécules du CMH dans la présentation des peptides d'antigènes aux lymphocytes T. Une première famille de récepteurs inhibiteurs des cellules NK est celle des récepteurs KIR (killer cell immunoglobulin-like receptors), dénommés ainsi parce qu'ils ont une structure homologue à celle des immunoglobulines (voir chapitre 4). Une seconde famille regroupe les récepteurs constitués d'une protéine dénommée CD94 et d'une sous-unité à activité de lectine dénommée NKG2. Les deux familles des récepteurs inhibiteurs contiennent dans leurs queues cytoplasmiques des motifs structuraux dénommés ITIM (immunoreceptor tyrosine-based inhibitory motifs), dont les résidus tyrosine sont phosphorylés lorsque les récepteurs lient des molécules du CMH de classe I. Les ITIM phosphorylés se lient à des tyrosine phosphatases cytoplasmiques dont ils favorisent l'activation. Ces phosphatases enlèvent les groupes phosphate des résidus tyrosine de diverses molécules de signalisation et bloquent ainsi la stimulation des cellules NK par les récepteurs activateurs. Par conséquent, lorsque les récepteurs inhibiteurs des cellules NK rencontrent des molécules du CMH du soi, les cellules NK sont inhibées (voir fig. 2.13). De nombreux virus disposent de mécanismes qui bloquent l'expression des molécules de classe I dans les cellules infectées, ce qui leur permet d'échapper à la destruction par des lymphocytes T CD8+ cytotoxiques (CTL) spécifiques des virus ; quand cela arrive, les récepteurs inhibiteurs des cellules NK ne sont pas stimulés et, si le virus induit en même temps l'expression de ligands activateurs, les cellules NK sont activées et éliminent les cellules infectées par le virus. Le rôle des cellules NK et des CTL dans la défense illustre comment les hôtes et les microbes sont engagés dans une lutte évolutive constante : l'hôte utilise les CTL pour reconnaître les antigènes viraux présentés par les molécules du CMH ; les virus inactivent l'expression du CMH, et les cellules NK peuvent compenser la réponse défaillante des CTL puisque les cellules NK sont plus efficaces en absence de molécules du CMH. Le vainqueur de cette confrontation, l'hôte ou le microbe, détermine l'is-
sue de l'infection. Les mêmes principes s'appliquent aux fonctions des cellules NK dans l'éradication de tumeurs, dont beaucoup échappent à la lyse par les CTL en exprimant moins de molécules du CMH de classe I (voir chapitre 10).
Lymphocytes de diversité limitée Plusieurs types de lymphocytes qui ont certaines caractéristiques des lymphocytes T et B interviennent également au début des réactions contre les microbes et peuvent être considérés comme faisant partie du système immunitaire inné. Une caractéristique commune de ces lymphocytes est l'expression de récepteurs d'antigène dont les gènes ont été réarrangés somatiquement comme cela se passe dans les lymphocytes T et B classiques, mais les récepteurs sont peu diversifiés. ■ Comme mentionné plus haut, les cellules T γδ sont présentes dans les épithéliums. ■ Les cellules NK-T, dont certaines expriment des molécules de surface typiques des cellules NK, sont présentes dans les épithéliums et les organes lymphoïdes. Elles reconnaissent des lipides microbiens liés à une molécule apparentée au CMH de classe I, nommée CD1. ■ Les cellules T invariantes associées aux muqueuses (MAIT, mucosal associated invariant T) expriment des TCR avec une diversité limitée mais n'expriment ni CD4 ni CD8. Elles sont présentes dans les muqueuses et sont plus abondantes dans le foie humain, représentant de 20 à 40 % de toutes les cellules T de cet organe. De nombreuses cellules MAIT sont spécifiques des métabolites bactériens de la vitamine B et contribuent probablement à la défense innée contre les bactéries intestinales qui franchissent la barrière muqueuse et entrent dans la circulation portale. ■ Une population de lymphocytes B, appelés lymphocytes B-1, se trouve principalement dans la cavité péritonéale et les muqueuses, où ils peuvent répondre aux microbes et aux toxines microbiennes qui passent à travers la paroi intestinale. Les anticorps IgM circulant dans le sang des individus normaux, même sans immunisation spécifique, sont appelés anticorps naturels. Ils sont les produits des lymphocytes B-1, et un grand nombre de ces anticorps sont spécifiques des glucides qui sont présents dans les parois cellulaires de nombreuses bactéries et des antigènes des groupes sanguins ABO présents sur les globules rouges (décrits au chapitre 10). ■ Un autre type de lymphocytes B, appelés cellules B de la zone marginale, est présent au bord des follicules lymphoïdes dans la rate et d'autres organes et est également impliqué dans la production précoce d'anticorps contre des microbes riches en polysaccharides et présents dans le sang. Les cellules NK-T, les cellules MAIT, les cellules T γδ, les cellules B-1 et les lymphocytes B de la zone marginale répondent comme s'ils participaient à l'immunité adaptative (par exemple, la sécrétion de cytokines ou la production d'anticorps), mais elles ont des caractéristiques de l'immunité innée, à savoir des réponses rapides, une diversité limitée de reconnaissance antigénique.
Chapitre 2. Immunité innée
Système du complément Le système du complément est un ensemble de protéines circulantes et associées aux membranes qui jouent un rôle important dans les défenses contre les microbes. De nombreuses protéines du complément sont des enzymes protéolytiques et l'activation du complément nécessite l'activation séquentielle de ces enzymes, parfois appelée cascade enzymatique. La cascade du complément peut être activée par l'une des trois voies suivantes (fig. 2.14) :
35
■ la voie alternative est déclenchée lorsque certaines protéines du complément sont activées à la surface des microbes et ne peuvent pas être contrôlées car les protéines régulatrices du complément ne sont pas présentes sur les microbes (mais elles le sont sur les cellules de l'hôte) ; cette voie est une composante de l'immunité innée ; ■ la voie classique est déclenchée le plus souvent lorsque les anticorps se sont fixés aux microbes ou à d'autres antigènes, ce qui en fait une composante de l'immunité adaptative humorale ;
Fonctions effectrices Voie alternative
Étapes précoces
C3
C3
Voie des lectines
Anticorps
Déclenchement de l'activation Microbe du complément
B
Voie classique
C3
C2
Lectine liant le mannose
C4
C4
C2
C3b C3b C3b
C3
C3a : inflammation
C3a
C3b
C3b s'attache au microbe
C3b : opsonisation et phagocytose
C3b
C5b C5
C5b
C5a : inflammation
C5a
Étapes tardives Des protéines MAC du complément forment le complexe d'attaque membranaire
C6-9
C6–9 : Lyse du microbe
Fig. 2.14. Voies d'activation du complément. L'activation du système du complément peut être déclenchée par trois voies distinctes, conduisant toutes à la production de C3b (étapes précoces). La protéine C3b déclenche les étapes tardives de l'activation du complément, qui culminent avec la formation d'un complexe multiprotéique dénommé complexe d'attaque membranaire (MAC, membrane attack complex), qui est un pore transmembranaire composé de molécules de C9 polymérisées, qui cause la lyse des microbes à paroi fine. Les peptides C3a et C5b libérés lors de l'activation du complément contribuent à l'inflammation. Le schéma montre les principales fonctions des protéines produites aux différentes étapes. L'activation, les fonctions et la régulation du système du complément sont discutées plus en détail au chapitre 8.
36
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
■ la voie des lectines est activée lorsqu'une protéine plasmatique, la lectine liant le mannose (MBL, mannose-binding lectin), se lie à ses ligands glucidiques sur des microbes ; cette lectine active les protéines de la voie classique mais, dans la mesure où l'activation est déclenchée en l'absence d'anticorps, ce processus fait partie de l'immunité innée. Les protéines activées du complément fonctionnent comme des enzymes protéolytiques clivant d'autres protéines du complément, formant une cascade enzymatique qui peut s'amplifier rapidement car chaque étape protéolytique génère de nombreux produits qui sont eux-mêmes des enzymes. Le composant central des trois voies du complément est une protéine plasmatique nommée C3, qui est clivée par des enzymes produites dans les étapes initiales. Le fragment protéolytique principal de C3, nommé C3b, se fixe de manière covalente aux microbes et peut activer en aval les protéines du complément à la surface des microbes. Les trois voies d'activation du complément diffèrent quant à la manière dont elles sont déclenchées, mais elles partagent les étapes tardives et exercent les mêmes fonctions effectrices. Le système du complément exerce trois fonctions défensives. ■ Opsonisation et phagocytose. C3b recouvre les microbes et favorise la liaison de ces microbes aux phagocytes, grâce aux récepteurs de C3b exprimés par ces cellules. Ainsi, les microbes qui sont couverts par les protéines du complément sont rapidement ingérés et détruits par les phagocytes. Ce processus de marquage d'un microbe par des molécules qui sont reconnues par des récepteurs des phagocytes est dénommé opsonisation. ■ Inflammation. Certains fragments protéolytiques du complément, particulièrement C5a et C3a, sont chimiotactiques pour les leucocytes (surtout les neutrophiles et les monocytes), et ils sont aussi des activateurs de cellules endothéliales et de mastocytes. Ainsi, ils favorisent le passage des leucocytes et des protéines plasmatiques dans les tissus (inflammation) au site d'activation du complément. ■ Lyse cellulaire. L'activation du complément culmine avec la formation d'un complexe de protéines polymérisées qui s'insère dans la membrane cellulaire microbienne, perturbant la perméabilité membranaire et causant ainsi une lyse osmotique. Une présentation plus détaillée de l'activation et des fonctions du complément est donnée au chapitre 8, où les mécanismes effecteurs de l'immunité humorale sont décrits.
Autres protéines plasmatiques de l'immunité innée Plusieurs protéines circulantes, outre les protéines du complément, participent aux défenses contre les infections. La lectine liant le mannose, ou MBL (mannose-binding lectin), reconnaît des glucides microbiens et peut recouvrir les microbes, afin qu'ils soient phagocytés, ou activer la cascade du complément par la voie des lectines. La MBL appartient à la famille protéique des collectines, appelées ainsi car elles ont une structure semblable à celle du collagène et contiennent un domaine de liaison aux glucides (lectine). Les protéines du surfactant pulmonaire appartiennent également à la famille des collectines et protègent les voies res-
piratoires contre les infections. La protéine C-réactive (CRP) est une pentraxine (composée de cinq sous-unités) qui se lie à la phosphorylcholine des microbes et les opsonise en vue de leur phagocytose par les macrophages, qui expriment un récepteur pour la CRP. Celle-ci peut aussi activer la voie classique du complément. Les concentrations plasmatiques d'un grand nombre de ces protéines augmentent rapidement après une infection. Cette réponse protectrice face à une infection est dite de phase aiguë.
Cytokines de l'immunité innée En réponse aux microbes, les cellules dendritiques, les macrophages et d'autres cellules sécrètent des cytokines qui servent de médiateurs dans de nombreuses réactions cellulaires de l'immunité innée (fig. 2.15). Comme nous l'avons mentionné précédemment, les cytokines sont des protéines solubles qui servent de médiateurs dans les réactions immunitaires et inflammatoires ; elles sont responsables des communications entre leucocytes et entre les leucocytes et d'autres cellules. La plupart des cytokines définies sur le plan moléculaire sont appelées, par convention, « interleukines » avec un chiffre, par exemple interleukine-1, mais plusieurs, pour des raisons historiques liées aux circonstances de leur découverte, ont d'autres noms, par exemple le TNF ou facteur de nécrose tumorale. Dans l'immunité innée, les principales sources de cytokines sont les cellules dendritiques, les macrophages et les mastocytes qui sont activés par la reconnaissance de microbes, bien que les cellules épithéliales et d'autres types cellulaires puissent aussi sécréter des cytokines. La reconnaissance de composants de la paroi bactérienne, comme le LPS et des peptidoglycanes par les TLR et la reconnaissance des acides nucléiques microbiens par les TLR, les RLR et les CDS sont de puissants stimulus pour la sécrétion de cytokines par les macrophages, les cellules dendritiques et de nombreuses cellules tissulaires. Au cours des réponses de l'immunité adaptative, les lymphocytes T auxiliaires constituent une source importante de cytokines (voir chapitres 5 et 6). Les cytokines sont sécrétées en petite quantité en réponse à un stimulus externe et se lient à des récepteurs de haute affinité sur les cellules cibles. La plupart des cytokines agissent sur les cellules voisines (action paracrine) et certaines agissent sur les cellules qui les produisent (activité autocrine). Dans les réactions de l'immunité innée contre les infections, suffisamment de cellules dendritiques et de macrophages peuvent être activés pour que de grandes quantités de cytokines soient produites et pour que cellesci puissent agir à distance de leur site de sécrétion (activité endocrine). Les cytokines de l'immunité innée exercent des fonctions variées dans les défenses de l'hôte. Le facteur de nécrose tumorale (TNF), l'interleukine-1 (IL-1) et les chimiokines sont les principales cytokines impliquées dans le recrutement des neutrophiles et des monocytes sanguins dans les foyers infectieux (décrit plus loin). Le TNF et l'IL-1 exercent également des effets systémiques, notamment la fièvre, par action sur l'hypothalamus ; ces deux cytokines, ainsi que l'IL-6, stimulent la production hépatique de diverses pro-
Chapitre 2. Immunité innée
A
Activation des cellules dendritiques, des macrophages et des cellules NK
IL-12
B
Cellules NK
TNF, IL-1,
IFN-γ Cellules dendritiques
Cytokine
Inflammation
Microbes
chimiokines Macrophages
Source(s) cellulaire(s) principale(s)
Neutrophile Vaisseau sanguin
Cibles cellulaires principales et effets biologiques
Facteur de nécrose tumorale (TNF)
Macrophages, lymphocytes T, mastocytes
Cellules endothéliales : activation (inflammation, coagulation) Neutrophiles : activation Hypothalamus : fièvre Foie : synthèse de protéines de phase aiguë Muscles, tissu adipeux : catabolisme (cachexie) Nombreux types cellulaires : apoptose
Interleukine-1 (IL-1)
Macrophages, cellules endothéliales, certaines cellules épithéliales, mastocytes
Cellules endothéliales : activation (inflammation, coagulation) Hypothalamus : fièvre Foie : synthèse de protéines de phase aiguë Cellules T : différenciation des Th17
Chimiokines
Macrophages, cellules Leucocytes : augmentation de l'affinité dendritiques, cellules des intégrines, chimiotactisme, activation endothéliales, lymphocytes T, fibroblastes, plaquettes Cellules NK et lymphocytes T : synthèse Cellules dendritiques, d'IFN-γ, augmentation de l'activité cytotoxique macrophages Lymphocytes T : différenciation en lymphocytes Th1 Cellules NK, lymphocytes T Activation des macrophages Stimulation de certaines réponses à anticorps
Interleukine-12 (IL-12) Interféron-γ (IFN-γ) Interféron de type I (IFN-α, IFN-β) Interleukine-10 (IL-10)
IFN-α : cellules dendritiques, macrophages IFN-β : fibroblastes, cellules épithéliales Macrophages, cellules dendritiques, lymphocytes T
37
Toutes les cellules : état antiviral, augmentation de l'expression des molécules du CMH de classe I Cellules NK : activation Macrophages, cellules dendritiques : inhibition de la production de cytokines et de chimiokines réduction de l'expression des costimulateurs et des molécules du CMH de classe II
Interleukine-6 (IL-6)
Foie : synthèse des protéines de phase aiguë Macrophages, cellules endothéliales, lymphocytes T Lymphocytes B : prolifération des cellules productrices d'anticorps
Interleukine-15 (IL-15) Interleukine-18 (IL-18)
Macrophages, autres cellules Cellules NK : prolifération Lymphocytes T : prolifération Cellules NK et lymphocytes T : synthèse Macrophages d'IFN-γ
TGF-β
Nombreux types cellulaires
Inhibition de l'inflammation Cellules T : différenciation des Th17 Cellules T régulatrices
Fig. 2.15. Cytokines de l'immunité innée. A. Les cellules dendritiques et les macrophages au contact de microbes produisent des cytokines qui déclenchent l'inflammation (recrutement des leucocytes) et stimulent la production, par les cellules NK, d'une cytokine activatrice des macrophages, l'interféron-γ (IFN-γ). B. Certaines caractéristiques importantes des principales cytokines de l'immunité innée figurent dans ce tableau. Notez que l'IFN-γ et le facteur de croissance transformant-β (TGF-β) sont des cytokines à la fois de l'immunité innée et de l'immunité adaptative (voir chapitres 5 et 6. Plus d'informations à propos de ces cytokines et de leurs récepteurs sont fournies dans l'annexe II). CMH : complexe majeur d'histocompatibilité.
38
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
téines appelées protéines de phase aiguë, comme la CRP et le fibrinogène, qui contribuent à la lutte antimicrobienne et au cloisonnement des foyers infectieux. À concentration élevée, le TNF favorise la formation de thrombus sur les endothéliums ; il abaisse aussi la pression artérielle en combinant une diminution de la contractilité myocardique à une dilatation des vaisseaux et une augmentation de leur perméabilité. Des infections bactériennes, graves et disséminées, provoquées par des bactéries à Gram négatif entraînent parfois un syndrome clinique potentiellement létal, appelé choc septique. Il est caractérisé par une chute de la pression artérielle (la caractéristique du choc), une coagulation intravasculaire disséminée et des troubles métaboliques. Toutes les manifestations cliniques et pathologiques précoces du choc septique sont provoquées par des concentrations extrêmement élevées de TNF, qui est produit en réponse aux bactéries. Les cellules dendritiques et les macrophages produisent également de l'IL-12 en réponse au LPS et à d'autres molécules microbiennes. Le rôle de l'IL-12 dans l'activation des cellules NK, qui conduit in fine à une activité lytique accrue et à l'activation des macrophages, a été mentionné précédemment. Les cellules NK produisent l'IFN-γ, dont la fonction de cytokine activatrice des macrophages a également été décrite précédemment. Dans la mesure où l'IFN-γ est également produit par les lymphocytes T, il est considéré comme une cytokine à la fois de l'immunité innée et de l'immunité adaptative. Dans les infections virales, les cellules dendritiques et les macrophages et les autres cellules infectées produisent des interférons de type I, qui inhibent la réplication virale et empêchent la propagation de l'infection aux cellules non infectées.
Réactions de l'immunité innée Le système immunitaire inné élimine les microbes principalement par l'induction d'une réaction inflammatoire aiguë et par les mécanismes de défense antivirale. Différents microbes peuvent provoquer des réactions immunitaires innées distinctes, chacune étant plus efficace pour éliminer un type particulier de microbe. Les principales réactions immunitaires innées à différents microbes sont les suivantes : ■ les bactéries extracellulaires et les champignons sont combattus principalement par la réponse inflammatoire aiguë, dans laquelle les neutrophiles et les monocytes sont recrutés dans le foyer infectieux, et par le système du complément ; ■ les bactéries intracellulaires, qui peuvent survivre dans les phagocytes, sont éliminées par ces cellules qui sont activées par des récepteurs de type Toll et d'autres détecteurs de motifs microbiens et par des cytokines ; ■ la défense antivirale est assurée par les interférons de type I et les cellules NK.
Inflammation L'inflammation est une réaction tissulaire qui fournit rapidement des médiateurs de défense, à savoir des cellules et des protéines circulantes, aux endroits où elles sont nécessaires, c'est-à-dire les foyers infectieux et les lésions tissulaires (fig. 2.16). Le processus de l'inflammation com-
mence par le recrutement de cellules et la fuite de protéines plasmatiques à travers la paroi des vaisseaux sanguins et l'activation de ces cellules et protéines dans les tissus extravasculaires. La libération initiale d'histamine, de TNF, de prostaglandines et d'autres médiateurs par les mastocytes et les macrophages amplifie la circulation sanguine locale et l'exsudation de protéines plasmatiques. Cela contribue aux traits caractéristiques de l'inflammation : rougeur, chaleur et gonflement. Il s'ensuit souvent une accumulation locale dans le tissu de phagocytes, principalement des neutrophiles et des macrophages dérivés des monocytes du sang, en réponse à des cytokines, comme décrit ci-dessous. Des phagocytes activés ingèrent les microbes et les débris de cellules nécrotiques et détruisent ces substances potentiellement nocives. Nous décrivons ensuite les événements cellulaires d'une réaction inflammatoire typique.
Recrutement des phagocytes dans les foyers infectieux et les tissus endommagés Les neutrophiles et les monocytes migrent dans les sites extravasculaires infectieux ou de lésion tissulaire par liaison aux molécules d'adhérence endothéliales des veinules et en réponse à des agents chimiotactiques produits par des cellules tissulaires qui réagissent à une infection ou à une lésion. La migration des leucocytes du sang dans les tissus se déroule en plusieurs étapes : d'abord une faible adhérence des leucocytes aux cellules endothéliales, suivie par une liaison plus ferme puis par la migration à travers l'endothélium (fig. 2.17). Si un pathogène agresse un épithélium et pénètre dans le tissu sous-épithélial, les macrophages résidents et d'autres cellules reconnaissent le microbe et réagissent en produisant des cytokines. Deux de celles-ci, le TNF et l'IL-1, agissent sur l'endothélium des veinules à proximité du foyer infectieux et déclenchent la succession d'événements de la migration leucocytaire dans les tissus. ■ Roulement des leucocytes. En réponse au TNF et à l'IL1, les cellules endothéliales des veinules expriment une molécule d'adhérence de la famille des sélectines et appelée sélectine E. D'autres stimulus, notamment la thrombine, causent une translocation rapide de la sélectine P à la surface endothéliale, le terme « sélectine » se référant à la propriété de ces molécules de lier des glucides, comme le font les lectines. Les neutrophiles et les monocytes expriment à leur surface des glucides qui se lient spécifiquement aux sélectines. Les neutrophiles adhèrent ainsi à l'endothélium, mais le flux sanguin rompt ces liens, qui se reforment en aval, ce qui crée un mouvement de roulement des leucocytes sur la surface endothéliale. ■ Adhérence ferme. Les leucocytes expriment une autre série de molécules d'adhérence, dénommées intégrines, car elles « intègrent » des signaux extrinsèques qui entraînent des modifications du cytosquelette. Sur les leucocytes non activés, les intégrines, comme LFA-1 et VLA4, sont présentes dans un état de faible affinité. Dans un foyer infectieux, les macrophages tissulaires et les cellules endothéliales produisent des chimiokines. Celles-ci se lient à des glycoprotéines à la surface luminale des cellules
Chapitre 2. Immunité innée 1
2
Lésion, rupture de la barrière, entrée de microbes
Des microbes ou une lésion activent des cellules sentinelles
7
3
Perméabilité vasculaire augmentée ; du liquide et des protéines entrent dans des tissus
5
Phagocytose et lyse des microbes
Des cellules sentinelles sécrètent des médiateurs inflammatoires
6 4
39
Le complément, des anticorps et des protéines antimicrobiennes tuent les microbes
Des molécules d'adhérence et des chimiokines causent la migration de leucocytes dans un tissu
Capillaire-Veinule
Fig. 2.16. Réponse inflammatoire aiguë. Les cytokines et autres médiateurs sont produits par les macrophages, les cellules dendritiques, les mastocytes et d'autres cellules dans des tissus en réponse aux produits microbiens et aux cellules endommagées. Certains de ces médiateurs (par exemple, histamine, prostaglandines) augmentent la perméabilité des vaisseaux sanguins, ce qui entraîne l'entrée de protéines plasmatiques (par exemple, protéines du complément) dans les tissus, tandis que d'autres (IL-1, TNF) augmentent l'expression de molécules d'adhérence par les endothéliums et de chimiokines qui favorisent le passage des leucocytes du sang dans les tissus, où les leucocytes détruisent les microbes, éliminent les cellules endommagées et amplifient l'inflammation et les processus de réparation.
endothéliales et sont ainsi exposées en forte densité aux leucocytes qui roulent sur l'endothélium. Ces chimiokines immobilisées se lient aux récepteurs de chimiokines des leucocytes et amplifient rapidement l'affinité des intégrines leucocytaires pour leurs ligands endothéliaux. Parallèlement, le TNF et l'IL-1 stimulent l'expression endothéliale de ligands pour les intégrines, notamment ICAM-1 et VCAM-1. La liaison ferme des intégrines à leurs ligands arrête le roulement des leucocytes sur l'endothélium. Le cytosquelette des leucocytes est réorganisé et les cellules s'étalent sur la surface endothéliale. ■ Migration leucocytaire. Les leucocytes adhérant à l'endothélium rampent vers les jonctions unissant les cellules endothéliales, les traversent et sortent ainsi des vaisseaux sanguins. Dans les tissus, les leucocytes migrent le long des fibres de la matrice extracellulaire, dirigés par les gradients de concentration des agents chimiotactiques, à savoir les chimiokines, les peptides formylés bactériens et les fragments du complément C5a et C3a. Les concentrations de ces agents chimiotactiques sont plus élevées là où se trouvent les microbes, et les leucocytes ont des
récepteurs pour ces molécules qui stimulent la migration vers leur source. Le roulement dépendant des sélectines, l'adhérence ferme assurée par les intégrines activées par les chimiokines, et le déplacement guidé par les chimiokines permettent aux leucocytes du sang de gagner le foyer infectieux extravasculaire quelques minutes après l'infection — comme nous le verrons aux chapitres 5 et 6, la même séquence d'événements permet la migration des lymphocytes T activés dans les tissus infectés. Des déficits héréditaires des intégrines et des ligands de sélectines rendent défectueux le recrutement des leucocytes dans les sites d'infection, ce qui prédispose fortement aux infections ; ces affections sont appelées déficiences d'adhérence leucocytaire (DAL). Les phagocytes collaborent pour détruire les agresseurs avec des protéines plasmatiques, telles que les protéines du complément, qui sont entrées dans le site inflammatoire. Dans certaines infections, des leucocytes du sang autres que les neutrophiles et les macrophages, par exemple les éosinophiles, peuvent être recrutés dans des sites d'infection et assurer la défense contre les pathogènes.
40
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Roulement Leucocyte
Activation des intégrines par des chimiokines
Adhérence stable
Migration à travers l'endothélium
Intégrine (état de faible affinité)
Flux sanguin
Ligand des sélectines
Intégrine (état de forte affinité)
Récepteur de chimiokine Chimiokine Ligand des Sélectine intégrines
Chimiokines
Protéoglycane Chimiokines Cytokines (TNF, IL-1) Macrophage stimulé par des microbes
Fibrine et fibronectine (matrice extracellulaire)
Fig. 2.17. Séquence des événements au cours de la migration des leucocytes sanguins dans les foyers infectieux. Dans les foyers infectieux, les macrophages qui ont rencontré des microbes produisent des cytokines comme le facteur de nécrose tumorale (TNF) et l'interleukine-1 (IL-1) qui agissent sur les cellules endothéliales des veinules environnantes. Elles leur font produire des sélectines et des ligands des intégrines tout en induisant la sécrétion des chimiokines. Les sélectines, en se liant faiblement aux neutrophiles sanguins, les font rouler sur l'endothélium. Les intégrines des neutrophiles permettent ensuite à ces cellules d'adhérer plus fortement. Quant aux chimiokines, elles activent les neutrophiles et induisent leur migration à travers l'endothélium vers le site de l'infection. Les monocytes sanguins et les lymphocytes T activés utilisent les mêmes mécanismes pour migrer dans les foyers infectieux.
Phagocytose et destruction des microbes Les neutrophiles et les macrophages ingèrent (phagocytose) et lysent, dans des vésicules intracellulaires, les microbes qu'ils ont ingérés (fig. 2.18). La phagocytose est un processus d'ingestion de particules de plus de 0,5 μm de diamètre. Elle commence par la liaison de récepteurs membranaires au microbe. Les principaux récepteurs phagocytaires reconnaissent des motifs microbiens particuliers ; il s'agit par exemple des récepteurs de mannose et d'autres lectines, ainsi que des récepteurs d'anticorps et de composants du complément. Les microbes qui sont opsonisés par des anticorps et des fragments du complément peuvent se lier avidement à leurs récepteurs spécifiques sur les phagocytes, ce qui amplifie fortement l'internalisation (voir chapitre 8). La liaison du microbe à la cellule est suivie d'une extension de la membrane plasmique des phagocytes autour de la particule. La membrane se referme et le microbe est internalisé dans une vésicule membranaire, dénommé phagosome. Les phagosomes fusionnent avec les lysosomes pour former des phagolysosomes. Durant l'interaction du microbe avec les récepteurs et son ingestion, le phagocyte reçoit les signaux de différents récepteurs qui activent plusieurs enzymes dans les phagolysosomes. L'une d'entre elles, appelée oxydase phagocytaire, s'assemble dans la membrane du phagolysosome, surtout
dans les neutrophiles, et transforme rapidement l'oxygène moléculaire en anion superoxyde et en radicaux libres, un processus nommé « bouffée oxydative » (ou bouffée du métabolisme oxydatif). Ces radicaux libres sont dénommés dérivés réactifs de l'oxygène (DRO, ou ROS, reactive oxygen species) et sont toxiques pour les microbes ingérés. Une deuxième enzyme, la synthase inductible de l'oxyde nitrique, ou NO synthase (iNOS, inducible nitric oxide synthase) est produite surtout dans les macrophages et catalyse la conversion de l'arginine en oxyde nitrique, qui est également une substance microbicide. Une troisième série d'enzymes, les protéases lysosomiales, hydrolyse les protéines microbiennes. Toutes ces substances microbicides sont produites principalement dans les lysosomes et phagolysosomes, où elles agissent sur les microbes ingérés sans endommager les phagocytes. En plus de la lyse intracellulaire, les neutrophiles utilisent d'autres mécanismes pour détruire les microbes. Ils peuvent libérer le contenu de granules microbicides dans le milieu extracellulaire. En réponse à des pathogènes et à des médiateurs inflammatoires, les neutrophiles meurent et, au cours de ce processus, ils expulsent leur contenu nucléaire pour former des réseaux de chromatine qui sont appelés pièges extracellulaires des neutrophiles (NET, neutrophil extracellular traps). Ces pièges captent et tuent les bactéries et les
Chapitre 2. Immunité innée Les microbes se lient aux récepteurs des phagocytes Récepteur de C3
Récepteur de type lectine
l'organisme s'efforce alors de contenir l'infection en recrutant plus de macrophages, qui forment autour des microbes des collections de macrophages activés appelées granulomes.
Réparation des tissus Lysosome
La membrane du phagocyte enrobe le microbe
Microbe ingéré dans un phagosome Phagosome avec microbe ingéré
En plus d'éliminer les microbes pathogènes et les cellules endommagées, les cellules du système immunitaire amorcent le processus de réparation tissulaire. Les macrophages, en particulier ceux qui sont activés alternativement, produisent des facteurs de croissance qui stimulent la prolifération des cellules tissulaires résiduelles et des fibroblastes, entraînant la régénération des tissus et la cicatrisation de ce qui ne peut être remplacé. D'autres cellules immunitaires, comme les lymphocytes T auxiliaires et les ILC, peuvent jouer des rôles similaires.
Défense antivirale Lysosome avec enzymes
Fusion du phagosome avec un lysosome Arginine Phagolysosome
Citrulline iNOS
NO Les DRO, le NO et les enzymes lysosomiales tuent les microbes dans les phagolysosomes
41
O2
ROS Oxydase des phagocytes
Fig. 2.18. Phagocytose et lyse intracellulaire des microbes. Les macrophages et les neutrophiles expriment de nombreux récepteurs de surface qui peuvent se lier aux microbes afin de les phagocyter ; le schéma présente quelques-uns de ces récepteurs. Les microbes sont ingérés dans les phagosomes, qui fusionnent avec les lysosomes, puis les microbes sont détruits par les enzymes et diverses substances toxiques produites dans les phagolysosomes. Les mêmes substances peuvent être libérées à partir des phagocytes et peuvent tuer des microbes extracellulaires (non représenté). iNOS : synthase inductible de l'oxyde nitrique ; NO : oxyde nitrique ; DRO : dérivés réactifs de l'oxygène.
champignons. Dans certains cas, des enzymes et des dérivés réactifs de l'oxygène, libérés dans l'espace extracellulaire, peuvent endommager des tissus ; c'est la raison pour laquelle l'inflammation, normalement une réaction protectrice contre les infections, peut entraîner des lésions tissulaires. Un déficit héréditaire de l'oxydase phagocytaire est la cause d'une immunodéficience appelée maladie granulomateuse chronique (MGC), dans laquelle les neutrophiles sont incapables d'éradiquer les microbes intracellulaires ;
La défense contre les virus est un type spécial de réponse qui implique les interférons, les cellules NK et d'autres mécanismes, qui peuvent survenir en même temps que l'inflammation, mais en sont distincts. Les interférons de type I inhibent la réplication virale et induisent un état antiviral, dans lequel des cellules deviennent résistantes à l'infection. Les interférons de type I, qui comprennent plusieurs formes d'IFN-α et une d'IFN-β, sont sécrétés par de nombreux types cellulaires infectés par un virus. Une source importante de ces cytokines est un type de cellules dendritiques dites plasmacytoïdes (dénommées de la sorte parce que leur morphologie rappelle celle des plasmocytes ; voir chapitre 3), qui sécrètent les IFN de type I lorsqu'elles sont activées par la reconnaissance d'acides nucléiques viraux par les TLR et d'autres récepteurs de motifs. Lorsqu'un interféron de type I, sécrété par les cellules dendritiques ou d'autres cellules infectées, se lie au récepteur d'interféron de type I sur des cellules infectées ou non infectées adjacentes, des voies de signalisation qui inhibent la réplication virale et détruisent le génome viral sont activées (fig. 2.19). Cette action est à la base de l'utilisation de l'IFN-α pour traiter certaines formes d'hépatite virale chronique. Comme décrit précédemment, les cellules infectées peuvent être détruites par les cellules NK, dont l'activité lytique est renforcée par l'interféron de type I. La reconnaissance de l'ADN viral par les CDS induit également l'autophagie, par laquelle les organites cellulaires contenant des virus sont ingérés par les lysosomes et détruits par protéolyse (voir fig. 2.6). En outre, une partie de la réponse innée aux infections virales, passe par l'induction de la mort par apoptose des cellules infectées, ce qui élimine le réservoir d'infection.
Régulation des réponses immunitaires innées Les réponses immunitaires innées sont régulées par divers mécanismes conçus pour prévenir les dommages tissulaires excessifs. Ces mécanismes comprennent la production de cytokines anti-inflammatoires par les macrophages et les cellules dendritiques, notamment l'IL-10, qui inhibe les fonctions microbicides et inflammatoires des
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
42
Production d'interférons de type I
Cellule infectée par un virus Cellule infectée par un virus ou non infectée
Cellule dendritique plasmacytoïde IFN de type I
Les IFN induisent des enzymes qui bloquent la réplication virale
Récepteur d'IFN
P Phosphorylation du facteur déclenchant ARNase la traduction
Inhibition de l'expression des gènes viraux et de l'assemblage du virion
Inhibition de la synthèse protéique Dégradation de l'ARN viral
État antiviral : inhibition de la réplication virale Fig. 2.19. Activités antivirales des interférons de type I. Les interférons de type I (IFN-α, IFN-β) sont produits par des cellules dendritiques plasmacytoïdes et des cellules infectées par un virus en réponse à une signalisation intracellulaire des TLR et d'autres détecteurs d'acides nucléiques viraux. Les interférons de type I se lient à des récepteurs sur les cellules infectées et non infectées et activent les voies de signalisation qui induisent l'expression de diverses enzymes qui bloquent des étapes de la réplication virale : inhibition de la traduction des protéines virales, dégradation croissante de l'ARN viral, inhibition de l'expression des gènes viraux et de l'assemblage du virion. Les IFN de type I augmentent également la sensibilité des cellules infectées à la lyse par des CTL (non représenté).
macrophages (voie classique d'activation des macrophages), ainsi que l'antagoniste des récepteurs de l'IL-1, qui bloque les effets de cette cytokine. Interviennent aussi de nombreux mécanismes de rétroaction dans lesquels les signaux qui induisent la production de cytokines inflammatoires induisent l'expression également des inhibiteurs de la signalisation des cytokines. Par exemple, les signaux des TLR stimulent l'expression de protéines qui suppriment la signalisation des cytokines (SOCS, suppressors of cytokine signaling) ; les SOCS bloquent les réponses des cellules à diverses cytokines, notamment les IFN. Des régulateurs de l'activation des inflammasomes ont été signalés plus tôt.
Échappement microbes des à l'immunité innée Les pathogènes ont évolué afin de résister aux mécanismes de l'immunité innée et sont par conséquent capables de pénétrer dans leur victime et de la coloniser (fig. 2.20). Certaines bactéries intracellulaires résistent à la destruction lorsqu'elles sont à l'intérieur des phagocytes. Listeria monocytogenes produit une protéine qui lui permet de s'échapper des vacuoles phagocytaires et de pénétrer dans le cytoplasme des cellules infectées, où elle ne risque plus d'être attaquée par les dérivés réactifs de l'oxygène et par le monoxyde d'azote (NO), qui sont produits principalement dans les phagolysosomes. Les parois cellulaires des mycobactéries contiennent un lipide qui empêche les vacuoles contenant les bactéries ingérées de fusionner avec les lysosomes. D'autres microbes possèdent des parois cellulaires résistant à l'action des protéines du complément. Comme décrit dans les chapitres 6 et 8, les mêmes mécanismes permettent aux microbes de résister aux mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire et humorale, les deux branches de l'immunité adaptative.
Rôle de l'immunité innée dans la stimulation des réponses immunitaires adaptatives Jusqu'à présent, nous nous sommes concentrés sur la façon dont le système immunitaire inné reconnaît les microbes et agit pour combattre les infections. Nous avons mentionné au début de ce chapitre que, outre ses fonctions de défense, la réponse immunitaire innée contre les microbes exerçait une importante fonction de mise en garde en alertant le système immunitaire adaptatif de la nécessité d'une réaction immunitaire efficace. Dans cette dernière section du chapitre, nous résumons certains des mécanismes par lesquels le système immunitaire inné stimule les réactions immunitaires adaptatives. Les réponses immunitaires innées génèrent des molécules qui, en s'ajoutant aux antigènes, déclenchent les signaux requis pour activer les lymphocytes T et B naïfs. Au chapitre 1, nous avons introduit le concept selon lequel une activation complète des lymphocytes spécifiques d'antigènes nécessite deux signaux : l'antigène luimême constitue le « signal 1 », tandis que les microbes et les réactions de l'immunité innée aux microbes et aux cellules lésées par les microbes peuvent fournir le « signal 2 » (fig. 2.21). Les stimulus qui signalent au système immunitaire adaptatif qu'il doit réagir ont aussi été appelés signaux de danger. Cette nécessité de seconds signaux dépendants des microbes assure que les lymphocytes répondent aux agents infectieux et non à des substances non infectieuses inoffensives. Dans les situations expérimentales ou en cas de vaccination, les réponses immunitaires adaptatives peuvent être induites par des antigènes en l'absence de microbes. Dans tous ces cas, les antigènes doivent être administrés en association avec des substances appelées adjuvants, qui déclenchent les mêmes réactions immunitaires innées que celles qui sont provoquées par les microbes. En fait, un grand nombre d'adjuvants puissants
Chapitre 2. Immunité innée
Mécanismes d'échappement à l'immunité
Micro-organisme (exemple)
Résistance à la phagocytose
Pneumocoques
Un polysaccharide capsulaire inhibe la phagocytose
Résistance aux dérivés réactifs de l'oxygène dans les phagocytes
Staphylocoques
Résistance à l'activation du complément (voie alternative)
Neisseria meningitidis
Production d'une catalase, qui détruit les dérivés réactifs de l'oxygène L'expression de l'acide sialique inhibe les C3 et C5 convertases
Streptocoques
Résistance aux antibiotiques peptidiques antimicrobiens
Pseudomonas
43
Mécanisme
La protéine M bloque la liaison de C3 au micro-organisme et la liaison de C3b aux récepteurs du complément Synthèse d'un LPS modifié qui résiste à l'action des peptides antibactériens
Fig. 2.20. Échappement des microbes à l'immunité innée. Exemples de mécanismes utilisés par des microbes pour échapper ou résister à l'immunité innée. LPS : lipopolysaccharide.
Récepteur Lymphocyte d'antigène
Signal 1 Signal 2
Antigène microbien Molécule induite durant la réaction immunitaire innée au microbe
Prolifération et différenciation du lymphocyte Fig. 2.21. Nécessité de deux signaux pour l'activation des lymphocytes. Pour l'activation des lymphocytes, la reconnaissance de l'antigène constitue le « signal 1 ». Des substances produites au cours des réponses immunitaires innées contre les microbes (ou des composants microbiens) fournissent le « signal 2 ». Dans cette illustration, les lymphocytes pourraient être des lymphocytes T ou B. Par convention, les seconds signaux principaux pour les lymphocytes T sont dénommés « costimulateurs », car ils agissent en même temps que les antigènes dans la stimulation cellulaire. La nature des seconds signaux pour les lymphocytes T et B est décrite dans les chapitres ultérieurs.
sont des produits dérivés de microbes. La nature et les mécanismes d'action des seconds signaux sont décrits en détail dans la description de l'activation des lymphocytes T et B, respectivement aux chapitres 5 et 7. À ce stade, il est utile de décrire deux exemples de seconds signaux élaborés au cours de réactions immunitaires innées.
Dans des tissus infectés, des microbes (ou l'IFN-γ produit par les cellules NK en réponse aux microbes) stimulent les cellules dendritiques et les macrophages à produire deux types de seconds signaux susceptibles d'activer les lymphocytes T. En premier lieu, les cellules dendritiques expriment des molécules de surface appelées costimulateurs, qui se lient à des récepteurs situés sur les lymphocytes T naïfs et qui contribuent à l'activation des lymphocytes T au moment où l'antigène est reconnu. En second lieu, les cellules dendritiques et les macrophages sécrètent des cytokines comme IL-12, l'IL-1 et l'IL-6, qui stimulent la différenciation des lymphocytes T naïfs en cellules effectrices de l'immunité adaptative cellulaire. Les microbes présents dans le sang activent le système du complément par la voie alternative. L'une des protéines produites au cours de l'activation du complément, nommée C3d, se fixe de manière covalente aux microbes. Lorsque les lymphocytes B reconnaissent les antigènes microbiens par leurs récepteurs d'antigène, ils reconnaissent en même temps la liaison de C3d au microbe par l'intermédiaire d'un récepteur de C3d. La combinaison de la reconnaissance de l'antigène et de la reconnaissance de C3d lance le processus de différenciation des lymphocytes B en cellules sécrétrices d'anticorps. Par conséquent, un produit du complément sert de second signal pour les réponses immunitaires humorales. Ces exemples illustrent l'une des caractéristiques essentielles des seconds signaux, à savoir que ceux-ci non seulement stimulent l'immunité adaptative, mais également orientent la nature de la réponse immunitaire adaptative. Les microbes intracellulaires et les microbes phagocytés doivent être éliminés par l'immunité cellulaire, la réponse adaptative assurée par les lymphocytes T. Les microbes qui sont rencontrés et ingérés par des cellules dendritiques ou des macrophages induisent les seconds signaux, à savoir des costimulateurs et des cytokines, qui stimulent les réactions des lymphocytes T. En revanche, les microbes transportés par le sang doivent être combattus par les anticorps, qui sont produits par les lymphocytes B
44
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
au cours des réponses immunitaires humorales. Dans le sang, les microbes activent le système plasmatique du complément, qui à son tour stimule l'activation des lymphocytes B et la production d'anticorps. Par conséquent, différents types de microbes induisent des types distincts de réactions immunitaires innées qui stimulent à leur tour les types d'immunité adaptative les mieux adaptés au combat contre les pathogènes infectieux.
■
■
Points clés ■
■
■
■
■
Tous les organismes multicellulaires possèdent des mécanismes intrinsèques de défense contre les infections ; ils constituent l'immunité innée. Le système immunitaire inné utilise des récepteurs codés dans la lignée germinale pour répondre à des structures qui sont caractéristiques des différentes classes de microbes et qui reconnaissent également des produits de cellules mortes. Habituellement, les réactions immunitaires innées ne sont pas renforcées par des expositions répétées aux microbes. Les récepteurs de type Toll (TLR), qui sont exprimés sur les membranes plasmiques et sur les membranes endosomiales de nombreux types cellulaires, constituent une classe importante de récepteurs du système immunitaire inné qui reconnaissent différents produits microbiens, entre autres des composants de la paroi cellulaire bactérienne et des acides nucléiques microbiens. Certains récepteurs cytosoliques de la famille des récepteurs de type NOD (NLR) reconnaissent des lipoprotéines de paroi microbienne, tandis que d'autres NLR répondent à des produits de cellules endommagées et à des changements cytosoliques typiques d'une infection ou d'une lésion cellulaire, en formant un complexe multiprotéique cytosolique, l'inflammasome, qui génère la forme active de la cytokine inflammatoire, l'interleukine-1 (IL-1). Les principaux composants de l'immunité innée sont : les cellules épithéliales formant barrière dans la peau, le tractus gastro-intestinal, le tractus génito-urinaire et le tractus respiratoire ; les phagocytes ; les cellules dendritiques ; les mastocytes ; les cellules NK ; des cytokines ; et des protéines plasmatiques, notamment les protéines du système du complément. Les épithéliums constituent des barrières physiques contre les microbes, produisent des peptides antimicrobiens, dont les
■
■
■
■
■
défensines et les cathélicidines ; et contiennent des lymphocytes capables de prévenir les infections. Les principaux phagocytes, les neutrophiles et les monocytes/macrophages, sont des cellules sanguines qui sont recrutées dans les foyers infectieux, où elles sont activées par engagement de différents récepteurs. Certains macrophages détruisent des microbes, et des cellules mortes, alors que d'autres macrophages limitent l'inflammation et préparent la réparation tissulaire. Les cellules lymphoïdes innées (ILC) sécrètent diverses cytokines inductrices d'inflammation. Les cellules NK lysent les cellules infectées par des microbes intracellulaires et produisent la cytokine IFN-γ, qui active les macrophages afin qu'ils détruisent les microbes phagocytés. Le système du complément est une famille de protéines qui sont activées de manière séquentielle lors de la rencontre avec certains microbes (dans l'immunité innée) et par des anticorps (branche humorale de l'immunité adaptative). Les protéines du complément recouvrent (opsonisation) les microbes afin qu'ils soient phagocytés, stimulent l'inflammation et lysent les microbes. Les cytokines de l'immunité innée servent à stimuler l'inflammation (TNF, IL-1, IL-6, chimiokines), à activer les cellules NK (IL-12), à activer les macrophages (IFN-γ) et à prévenir les infections virales (IFN de type I). L'inflammation consiste en le recrutement des phagocytes dans les sites d'infection et de lésions tissulaires, un processus induit par la liaison des leucocytes à des molécules d'adhérence endothéliales induites par les cytokines, TNF et IL-1, et la réponse de ces cellules aux agents chimiotactiques solubles, notamment les chimiokines, des fragments du complément, et des peptides bactériens. Les leucocytes activés ingèrent et détruisent les microbes ainsi que les cellules endommagées. La défense antivirale est assurée par les interférons de type I, qui inhibent la réplication virale, et par les cellules NK, qui tuent les cellules infectées. Outre leur rôle dans les défenses précoces contre les infections, les réactions immunitaires innées fournissent des signaux qui collaborent avec les pour activer des lymphocytes B et T. La nécessité de ces seconds signaux garantit que l'immunité adaptative est déclenchée par des microbes (les inducteurs naturels les plus puissants des réactions immunitaires innées) et non par des substances non microbiennes.
Chapitre
3
Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes Ce que voient les lymphocytes PLAN DU CHAPITRE Antigènes reconnus par les lymphocytes T . . . Capture des antigènes protéiques par les cellules présentatrices d'antigènes . . . Structure et fonction des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité . . . . Structure des molécules du CMH . . . . . . . . . Propriétés des gènes et des protéines du CMH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Liaison des peptides aux molécules du CMH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Apprêtement et présentation des antigènes protéiques . . . . . . . . . . . . . . . . . Apprêtement des antigènes cytosoliques pour une présentation par les molécules du CMH de classe I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
46 46 51 52 53 54
59 60 61 63 64
56
57
Les réponses immunitaires adaptatives sont déclenchées lorsque les récepteurs d'antigène des lymphocytes reconnaissent les antigènes. Les lymphocytes B et T diffèrent quant aux types d'antigènes qu'ils sont en mesure de reconnaître. Les récepteurs d'antigène des lymphocytes B, c'est-à-dire des anticorps liés à la membrane, peuvent reconnaître diverses macromolécules (protéines, polysaccharides, lipides et acides nucléiques) sous forme soluble ou associées à la surface cellulaire, ainsi que des petites substances chimiques. Par conséquent, les réponses de l'immunité humorale assurées par les lymphocytes B peuvent être déclenchées contre de nombreux types de parois cellulaires et d'antigènes solubles microbiens. Quant aux récepteurs d'antigène de la plupart des lymphocytes T, ils ne décèlent que des fragments peptidiques d'antigènes protéiques, et seulement lorsque ces peptides sont présentés sur des surfaces cellulaires liés à des protéines spécialisées appelées molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Puisque des peptides antigéniques s'associent aux molécules du CMH à l'intérieur de cellules, les réponses immunitaires des cellules T ne peuvent être générées qu'envers des antigènes protéiques Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Apprêtement des antigènes internalisés pour une présentation par les molécules du CMH de classe II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Présentation croisée d'antigènes internalisés aux lymphocytes T CD8+ . . . . . . . . . . . . . . . . Signification physiologique de la présentation des antigènes par le CMH . . . . . . . . . . . . . . . Fonctions des cellules présentatrices d'antigènes autres que la présentation antigénique . . . . . Reconnaissance d'antigènes par les cellules B et d'autres lymphocytes . . . . . . . . . . . . . . . . . .
produits à l'intérieur des cellules ou captées par celles-ci. Ce chapitre est consacré plus particulièrement à la nature des antigènes qui sont reconnus par les lymphocytes. Le chapitre 4 décrit les récepteurs qu'utilisent les lymphocytes pour détecter ces antigènes. L'induction des réponses immunitaires par les antigènes est un processus hautement organisé comportant de nombreuses caractéristiques remarquables. La première est la très faible proportion des lymphocytes naïfs spécifiques d'un antigène donné ; moins de 1 sur 105 ou 106 lymphocytes circulants. Cette fraction très réduite des lymphocytes de l'organisme doit rapidement localiser l'antigène et réagir à sa présence, quel que soit l'endroit où il pénètre dans l'organisme. La deuxième est la variation des réponses immunitaires adaptatives en fonction des divers types de microbes en cause. En fait, le système immunitaire doit réagir de différentes manières, y compris pour un même microbe lorsque celui-ci passe par différents stades de son cycle vital. Par exemple, si un pathogène, par exemple un virus, a pénétré dans le courant sanguin, la défense dépend des anticorps ; ceux-ci se lient au virus, l'empêchent d'infecter les cellules et contribuent à son 45
46
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
élimination. La production de puissants anticorps requiert l'activation de lymphocytes T auxiliaires CD4+. Toutefois, après que le pathogène a infecté les cellules, les anticorps ne sont plus efficaces puisqu'ils n'y ont pas accès ; il est alors nécessaire d'activer les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL) afin qu'ils détruisent les cellules infectées et éliminent ainsi le réservoir de l'infection. Par conséquent, nous nous heurtons à deux questions importantes. ■ Comment les rares lymphocytes naïfs spécifiques d'un antigène microbien particulier arrivent-ils à trouver ce microbe, en particulier si on considère que les microbes peuvent pénétrer n'importe où dans l'organisme ? ■ Comment les différents types de lymphocytes T reconnaissent-ils les microbes dans différents compartiments cellulaires ? Spécifiquement, les lymphocytes T auxiliaires reconnaissent et répondent aux microbes extracellulaires et aux intracellulaires qui peuvent être internalisés dans des compartiments vésiculaires des cellules hôtes, tandis que les CTL tuent les cellules infectées qui abritent des antigènes microbiens dans le cytosol et le noyau en dehors du compartiment vésiculaire. Comme nous le verrons dans ce chapitre, les molécules du CMH jouent un rôle central dans cette ségrégation de la reconnaissance des antigènes par les lymphocytes T. Ces deux questions trouvent réponse dans le fait que le système immunitaire a développé un système hautement spécialisé destiné à capter et présenter les antigènes aux lymphocytes. Les recherches menées par les immunologistes, les biologistes cellulaires et les biochimistes ont conduit à une compréhension détaillée des processus par lesquels les antigènes protéiques sont captés, dégradés (apprêtement, ou antigen processing) puis présentés, afin d'être reconnus par les lymphocytes T. Il s'agit du principal sujet abordé dans ce chapitre.
Antigènes reconnus par les lymphocytes T La majorité des lymphocytes T reconnaissent les antigènes peptidiques liés aux molécules du CMH des cellules présentatrices d'antigènes (APC). Le CMH est un locus génétique dont les protéines principales assurent la fonction de molécules de présentation des peptides au sein du système immunitaire. Les lymphocytes T CD4+ et CD8+ ne peuvent déceler des peptides que lorsque ceux-ci sont présentés par les molécules du CMH de l'individu. Cette propriété des lymphocytes T porte le nom de restriction par le CMH. Le récepteur des lymphocytes T (TCR) reconnaît certains résidus d'acides aminés de l'antigène peptidique, mais reconnaît simultanément les résidus de la molécule du CMH qui présente ce peptide (fig. 3.1). Chaque TCR, et donc chaque clone de cellules T CD4+ ou CD8+, reconnaît un peptide présenté par une des nombreuses molécules du CMH chez chaque individu. Les propriétés des molécules du CMH et la signification de la restriction par le CMH sont décrites ultérieurement dans ce chapitre. La manière dont nous générons des lymphocytes T qui reconnaissent les peptides présentés uniquement par les molécules du CMH du soi est décrite dans le chapitre 4. De plus, certaines petites populations de lymphocytes T peuvent reconnaître des lipides et d'autres
Résidu du peptide entrant en contact avec la cellule T Résidu polymorphe du CMH Résidu d'ancrage du peptide « Poche » du CMH
Récepteur de cellule T
CMH
Peptide
Fig. 3.1. Modèle montrant comment un TCR reconnaît un peptide antigénique présenté par une molécule du CMH. Les molécules du CMH sont exprimées sur les cellules présentatrices d'antigènes et présentent des peptides provenant d'antigènes protéiques. Les peptides se lient aux molécules du CMH par l'intermédiaire des résidus d'ancrage, qui fixent les peptides dans des poches se trouvant dans les molécules du CMH. Le TCR de chaque lymphocyte T reconnaît certains résidus d'acides aminés du peptide et certains résidus (polymorphes) de la molécule du CMH.
antigènes non peptidiques présentés par des molécules non polymorphes semblables aux molécules du CMH de classe I, ou sans qu'un système de présentation antigénique spécialisé ne soit nécessaire. Les cellules qui captent les antigènes microbiens et les présentent afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T portent le nom de cellules présentatrices d'antigènes (APC). Il est nécessaire que les lymphocytes T naïfs voient les antigènes présentés par des cellules dendritiques afin de déclencher l'expansion clonale et la différenciation des lymphocytes T en cellules effectrices et mémoire. Des lymphocytes T effecteurs différenciés doivent à nouveau reconnaître des antigènes, qui peuvent être présentés par différents types d'APC à côté des cellules dendritiques afin d'activer leurs fonctions effectrices dans le cadre des réponses immunitaires humorale et cellulaire. Nous décrivons d'abord comment les APC captent et présentent des antigènes afin de déclencher les réactions immunitaires, puis comment les molécules du CMH interviennent dans la présentation de l'antigène aux lymphocytes T.
Capture des antigènes protéiques par les cellules présentatrices d'antigènes Les antigènes protéiques microbiens qui pénètrent dans l'organisme sont captés surtout par les cellules dendritiques et concentrés dans les organes lymphoïdes périphériques (secondaires) dans lesquels les réponses immunitaires sont déclenchées (fig. 3.2). Les microbes pénètrent dans l'organisme principalement par contact cutané, par ingestion gastro-intestinale, par inhalation respiratoire et contamination du tractus génito-urinaire par contact sexuel. Certains microbes peuvent entrer dans le courant sanguin. Des antigènes microbiens peuvent également être produits dans n'importe quel tissu infecté. En raison de la vaste surface des barrières épithéliales, du grand volume de sang, de tissu conjonctif et des organes, il serait impossible pour les lymphocytes de toutes les spécificités possibles de patrouiller efficacement dans tous ces sites à la
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes Peau
Tractus gastro-intestinal
Microbe
Antigène libre Vaisseau lymphatique
47
Tractus respiratoire
Épithélium
Antigène associé à une cellule dendritique Antigène dans le courant sanguin Veinule
Tissu conjonctif Vers un ganglion lymphatique Ganglion lymphatique
Le ganglion lymphatique collecte les antigènes provenant des tissus
Dans la circulation et vers la rate Rate
Les antigènes présents dans le sang sont captés par des cellules présentatrices d'antigène dans la rate
Fig. 3.2. Capture et présentation des antigènes microbiens. Les microbes pénètrent à travers un épithélium et sont captés par des cellules présentatrices d'antigènes présentes dans les tissus, ou bien ils pénètrent dans les vaisseaux lymphatiques ou les vaisseaux sanguins. Les microbes et leurs antigènes sont transportés vers les organes lymphoïdes périphériques, les ganglions lymphatiques et la rate, où les fragments peptidiques d'antigènes protéiques sont présentés par des molécules (CMH) de cellules dendritiques pour être reconnus par les lymphocytes T.
recherche d'envahisseurs étrangers ; au lieu de cela les antigènes sont transportés dans les organes lymphoïdes à travers lesquels les lymphocytes circulent. Des antigènes sont transférés dans les organes lymphoïdes périphériques de deux manières. ■ Les microbes ou leurs antigènes peuvent pénétrer dans la lymphe ou le sang et gagner respectivement les ganglions lymphatiques ou la rate, où ils sont captés par les cellules dendritiques résidentes et présentés aux cellules T. D'autres APC peuvent également capter des antigènes et les présenter aux lymphocytes B dans ces organes. ■ Les cellules dendritiques de l'épithélium, des tissus conjonctifs et des organes transportent les antigènes microbiens aux organes lymphoïdes. Ce processus implique une série d'événements après la rencontre des cellules dendritiques avec des microbes : capture des antigènes, activation des
cellules dendritiques, migration des cellules porteuses de l'antigène vers les ganglions lymphatiques et présentation de l'antigène aux lymphocytes T. Nous allons maintenant décrire ces étapes. Toutes les surfaces séparant l'organisme de l'environnement extérieur sont bordées par des épithéliums continus, qui dressent une barrière à l'infection. Les épithéliums et les tissus sous-épithéliaux contiennent un réseau de cellules pourvues de longues extensions et appelées cellules dendritiques ; ces cellules sont aussi présentes dans les zones riches en lymphocytes T des organes lymphoïdes périphériques et, en nombre moindre, dans la plupart des autres organes (fig. 3.3). On distingue deux populations principales de cellules dendritiques : les « conventionnelles » (ou classiques) et les « plasmacytoïdes » ; elles diffèrent par leur localisation et leurs réponses (fig. 3.4). La majorité des cellules dendritiques
48
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A
B
Cellule dendritique (cellule de Langerhans) dans l'épiderme
Follicule
Cellule dendritique dans un ganglion lymphatique
Fig. 3.3. Cellules dendritiques. A. Les cellules dendritiques immatures résident dans les tissus comportant des épithéliums, notamment la peau, et forment un réseau de cellules présentant des prolongements, apparaissant en bleu sur une coupe de peau marquée en immunohistochimie par un anticorps spécifique des cellules dendritiques. B. Les cellules dendritiques matures résident dans les zones riches en lymphocytes T des ganglions lymphatiques (et de la rate, non représentée), et sont visibles sur la coupe d'un ganglion lymphatique exposée à des anticorps conjugués à un fluorochrome et dirigés contre les cellules dendritiques (rouge) ou contre les lymphocytes B des follicules (vert). Notez que les cellules dendritiques sont dans les mêmes régions du ganglion lymphatique que les cellules T (voir fig. 1.18B). Source : A, avec l'autorisation du Dr Y.L. Liu, MD, Anderson Cancer Center, Houston, TX. B, avec l'autorisation des Drs Kathryn Pape et Jennifer Walter, University of Minnesota Medical School, MN.
Caractéristique
Cellules dendritiques Cellules dendritiques conventionnelles plasmacytoïdes
Marqueurs de surface sélectionnés (humains)
CD11c élevé BDCA1 (CD1c) Dectine
BDCA2 (CD303), autres
Localisation principale
Tissus
Sang et tissu
Expression de récepteurs de type Toll
TLR-4, -5, -8 élevés
TLR-7, -9 élevés
Principales cytokines produites
TNF, IL-6, IL-12, IL-23
Interférons de type I
Fonctions principales postulées
Induction des réponses Immunité innée antivirale et des cellules T contre la induction des réponses des plupart des antigènes cellules T contre les virus
Fig. 3.4. Populations de cellules dendritiques. Cette figure énumère les propriétés des deux principales classes de cellules dendritiques : les classiques (ou conventionnelles) et les plasmacytoïdes. On a décrit de nombreuses sous-populations de cellules dendritiques conventionnelles (non représentées) qui peuvent exercer des fonctions spécialisées dans différents tissus. La dectine est un récepteur pour des glucides. IL : interleukine ; TLR : récepteur de type toll ; TNF : facteur de nécrose tumorale.
dans les tissus et les organes lymphoïdes appartiennent au sous-ensemble conventionnel. Dans la peau, les cellules dendritiques épidermiques sont dites de Langerhans. Les
cellules dendritiques plasmacytoïdes sont qualifiées de la sorte en raison de leur ressemblance morphologique avec les plasmocytes ; elles sont présentes dans le sang et les tissus.
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes Les cellules dendritiques plasmacytoïdes sont la principale source d'interféron de type I dans les réponses immunitaires innées aux infections virales (voir chapitre 2). Les cellules dendritiques utilisent divers récepteurs membranaires pour lier les microbes, comme les lectines de surface cellulaire qui reconnaissent des structures glucidiques typiques du microbe, mais non les glycoprotéines mammaliennes. Ces microbes ou leurs antigènes entrent en général dans les cellules dendritiques par phagocytose ou endocytose dépendant de récepteurs. Durant la capture des antigènes par les cellules dendritiques, des produits microbiens stimulent les réactions immunitaires innées en se liant aux récepteurs de type Toll (TLR) et à d'autres récepteurs innés de motifs microbiens dans les cellules dendritiques ainsi que dans les cellules épithéliales tissulaires et les macrophages résidents (voir chapitre 2). Ceci
Capture de l'antigène
49
aboutit à la production de cytokines inflammatoires comme le facteur de nécrose tumorale (TNF, tumor necrosis factor) et l'interleukine-1 (IL-1). La combinaison de la signalisation des récepteurs innés et celle des cytokines active les cellules dendritiques et entraîne ainsi plusieurs changements dans leur phénotype, leur migration et leur fonction. Activées, les cellules dendritiques conventionnelles perdent leur adhérence aux épithéliums et commencent à exprimer le récepteur de chimiokine CCR7, qui est spécifique de cytokines chimiotactiques (chimiokines) produites par l'endothélium des vaisseaux lymphatiques et par des cellules stromales dans la zone des cellules T des ganglions lymphatiques. Ces chimiokines attirent, hors de l'épithélium, les cellules dendritiques, qui gagnent alors, par les vaisseaux lymphatiques, les ganglions qui drainent cet épithélium (fig. 3.5).
(Cellule de Langerhans)
CMH
DC dermique
Capture d'antigène par des cellules dendritiques (CD)
Activation des DC
Migration des DC
Vaisseau lymphatique afférent Costimulateur
Maturation des DC en migration
Ganglion lymphatique
Présentation de l'antigène
Cellule T
Une DC mature présente un antigène à une cellule T naïve
Zone des cellules T
Fig. 3.5. Capture, transport et présentation des antigènes protéiques par les cellules dendritiques. Des cellules dendritiques immatures se trouvant dans les tissus épithéliaux servant de barrières, tels que l'épithélium ou le derme de la peau, montré ici captent les antigènes microbiens, sont activées et quittent l'épithélium. Les cellules dendritiques migrent vers les ganglions lymphatiques locorégionaux, car elles sont attirées dans ces zones par des chimiokines produites dans les vaisseaux lymphatiques et les ganglions. En réponse à des signaux induits par le microbe (par exemple, les signaux des TLR), les cellules dendritiques arrivent à maturité et acquièrent la capacité de présenter des antigènes aux lymphocytes T naïfs dans les ganglions lymphatiques. Les cellules dendritiques, lors des différentes étapes de leur maturation, peuvent exprimer différentes protéines membranaires. Les cellules dendritiques immatures expriment des récepteurs de surface qui capturent les antigènes microbiens, tandis que les cellules dendritiques matures expriment de nombreuses molécules du CMH et de costimulation, dont la fonction est de stimuler les lymphocytes T.
50
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Au cours du processus de migration, les cellules dendritiques deviennent matures, c'est-à-dire que ces cellules aptes à capter les antigènes se transforment en APC capables de stimuler les lymphocytes T. Cette maturation se traduit par une augmentation de la synthèse et par une expression stable des molécules du CMH présentant l'antigène aux lymphocytes T, mais également de costimulateurs, introduits dans le chapitre 2, comme molécules nécessaires pour que les réponses des lymphocytes T soient complètes. Il résulte de cette séquence d'événements que les antigènes protéiques microbiens qui pénètrent dans l'organisme sont transportés et concentrés dans les régions des ganglions lymphatiques (et la rate) où ces antigènes ont la plus grande probabilité de rencontrer les lymphocytes T. Rappelez-vous que les lymphocytes T naïfs recirculent continuellement à travers les ganglions lymphatiques et expriment également CCR7, qui favorise leur entrée dans les zones des cellules T des ganglions lymphatiques (voir chapitre 1). Par conséquent, les APC professionnelles transportant les antigènes captés et les lymphocytes T naïfs prêts à reconnaître les antigènes se retrouvent dans les ganglions lymphatiques. Ce processus est remarquablement efficace. On estime que si des antigènes microbiens sont introduits dans un site quelconque de l'organisme, une réponse des lymphocytes T à ces antigènes peut débuter dans les ganglions lymphatiques drainant ce site dans un délai de 12 à 18 heures. Différents types d'APC assurent des fonctions distinctes dans les réponses immunitaires dépendantes des lymphocytes T (fig. 3.6).
Type cellulaire
■ Les cellules dendritiques représentent les principaux inducteurs des réponses T-dépendantes, parce que ces cellules sont localisées dans les sites d'entrée des microbes et sont les APC les plus efficaces pour activer les lymphocytes T naïfs. ■ Un type important d'APC pour les cellules T effectrices, spécialement de la lignée des cellules T auxiliaires, est le macrophage, qui est abondant dans tous les tissus. Au cours des réactions immunitaires cellulaires, les macrophages phagocytent les microbes et présentent les antigènes de ces microbes aux lymphocytes T effecteurs, qui sont ainsi réactivés et stimulent à leur tour l'activité lytique des macrophages sur les microbes ingérés (voir chapitre 6). ■ Les lymphocytes B endocytent des antigènes protéiques et les présentent aux lymphocytes T auxiliaires dans les tissus lymphoïdes ; ce processus joue un rôle important dans le développement des réponses immunitaires humorales aux antigènes protéiques (voir chapitre 7). ■ Comme cela est décrit plus loin dans ce chapitre, toute cellule nucléée contenant dans son cytosol des antigènes protéiques étrangers (microbiens ou tumoraux) peut présenter des peptides dérivés de ces antigènes aux cellules T CD8+. Après avoir décrit la manière dont les antigènes protéiques sont captés, transportés et concentrés dans les organes lymphoïdes, la question est maintenant de savoir comment ces antigènes sont présentés aux lymphocytes T. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de connaître la structure des molécules du CMH et d'examiner comment elles interviennent dans les réponses immunitaires.
Expression de : CMH de classe II
Costimulateurs
Fonction principale
Cellules dendritiques
Constitutive ; augmente avec la maturation ; amplifiée par l'IFN-γ
Constitutive ; augmente avec la maturation ; induite par les ligands des TLR, l'IFN-γ et les cellules T (interactions CD40-CD40L)
Présentation d'un antigène aux lymphocytes T naïfs au début d'une réponse d'une cellule T à un antigène protéique (sensibilisation)
Macrophages
Faible ou négative ; induite par l'IFN-γ
Faible, induite par les ligands Présentation de l'antigène des TLR, l'IFN-γ et les cellules aux cellules T CD4+ T (interactions CD40-CD40L) effectrices dans la phase effectrice des réponses immunitaires cellulaires
Lymphocytes B Constitutive; amplifiée par Induite par les cellules T des cytokines (par exemple IL-4)
(interactions CD40-CD40L), interconnexion des récepteurs d'antigène
Présentation d'antigène à des cellules T auxiliaires CD4+ au cours de réponses immunitaires humorales (interactions entre cellules T et B)
Fig. 3.6. Principales cellules présentatrices d'antigènes. Le tableau résume les propriétés principales des APC qui expriment le CMH de classe II et présentent les antigènes aux lymphocytes T auxiliaires CD4+. D'autres types cellulaires, comme les cellules vasculaires endothéliales, expriment également le CMH de classe II, mais leurs rôles dans le déclenchement des réactions immunitaires antimicrobiennes ne sont pas établis. Dans le thymus, des cellules épithéliales expriment des molécules du CMH de classe II et interviennent dans la maturation et la sélection des cellules T. Toutes les cellules nucléées peuvent présenter des peptides associés au CMH de classe I à des cellules T CD8+. IFN-γ : interféron-γ ; IL-4 : interleukine-4 ; TLR : récepteur de type Toll.
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes
HLA humain
Locus du CMH de classe I
Locus du CMH de classe II
DP
DQ
DM
Protéasome : TAP1,2
H-2 de la souris K
H-2M
Locus du CMH de classe I
I-A
DR
51
B
C
A
Protéines du Cytokines : LTβ, complément : TNF-α, LTα C4, facteur B, C2 I-E
Locus du CMH de classe II
D
L
Locus du CMH de classe I
Fig. 3.7. Gènes du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Ces schémas du CMH humain (dénommé HLA) et du CMH de la souris (dénommé H2) illustrent les principaux gènes codant les molécules participant aux réponses immunitaires. La taille des gènes et les distances qui les séparent ne sont pas représentées à l'échelle. Les gènes de classe II sont montrés comme des blocs uniques, mais chacun comprend deux gènes codant respectivement les chaînes α et β. Les produits de certains des gènes (DM, composants de protéasome, TAP) sont impliqués dans l'apprêtement antigénique. Le CMH contient également des gènes qui codent des molécules autres que des molécules présentatrices de peptides, notamment certaines protéines du complément et des cytokines. LT : lymphotoxine ; TAP : transporter associated with antigen processing, transporteur associé à l'apprêtement de l'antigène ; TNF : facteur de nécrose tumorale.
Structure et fonction des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité Les molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) sont des protéines membranaires se trouvant sur les APC qui présentent des antigènes peptidiques afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T. Le CMH a été découvert comme le principal locus génique déterminant la prise ou le rejet de greffons tissulaires entre des individus (« histo » pour tissu). En d'autres termes, des individus dont le locus du CMH est identique (animaux consanguins et vrais jumeaux) accepteront des greffes, tandis que des individus ayant des locus du CMH différents rejetteront ces greffons. Bien entendu, le rejet d'un greffon n'est pas un phénomène prévu par la nature et, par conséquent, les gènes du CMH ainsi que les molécules qu'ils codent doivent avoir évolué pour exercer d'autres fonctions. Nous savons à présent que la fonction physiologique des molécules du CMH est de présenter des peptides dérivés d'antigènes protéiques aux lymphocytes T spécifiques de ces antigènes, comme première étape des réponses immunitaires protectrices dépendant des cellules T. Cette fonction des molécules du CMH explique le phénomène de restriction par le CMH des lymphocytes T, mentionné précédemment.
Tous les vertébrés possèdent des locus CMH hérités de la mère et du père, qui comprennent des gènes codant les protéines du CMH (et d'autres protéines impliquées dans les réponses immunitaires) (fig. 3.7). Les molécules de CMH ont d'abord été découvertes sous forme de protéines codées par le locus CMH murin impliqué dans le rejet du greffon. On les a trouvées chez les humains lorsque l'on a constaté que des femmes ayant eu des grossesses multiples ou ayant reçu de multiples transfusions sanguines produisaient des anticorps qui reconnaissaient les protéines des globules blancs (leucocytes) respectivement d'origine paternelle ou d'un donneur. Ces protéines, appelées antigènes leucocytaires humains (HLA, human leukocyte antigens), se sont rapidement révélées analogues aux molécules du CMH identifiées chez la souris. (La grossesse et les transfusions exposent les individus aux antigènes cellulaires d'autres individus, de sorte que les anticorps produits contre ces cellules reflètent leur incompatibilité, comme dans les expériences de greffe chez la souris.) Chez tous les vertébrés, le CMH contient deux ensembles de gènes hautement polymorphes, appelés gènes du CMH de classe I et de classe II. Comme nous le verrons ultérieurement, le polymorphisme se réfère à la présence dans la population de nombreuses variantes de ces gènes. Ceux-ci codent les molécules du CMH de classe I et de classe II qui présentent les peptides aux lymphocytes T. Outre ces gènes polymorphes, le CMH contient de nombreux gènes non polymorphes. Certains de ceux-ci codent des protéines participant à la présentation des antigènes.
52
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Structure des molécules du CMH Les molécules du CMH de classe I et de classe II sont des protéines membranaires dont chacune comporte un sillon extracellulaire liant un peptide. Bien que les deux classes de molécules diffèrent dans la composition de leurs sous-unités, elles se ressemblent fort par leur structure générale (fig. 3.8).
site de liaison au corécepteur CD4 des lymphocytes T. Puisque CD4 se lie aux molécules du CMH de classe II et non de classe I, les lymphocytes T CD4+ ne peuvent répondre qu'aux peptides présentés par les molécules du CMH de classe II.
CMH de classe I Sillon de liaison au peptide
Molécules du CMH de classe I Chaque molécule du CMH de classe I est composée d'une chaîne α associée de manière non covalente à une protéine dénommée β 2-microglobuline, qui est codée par un gène se trouvant en dehors du locus du CMH. La chaîne α est constituée de trois domaines extracellulaires, suivis par deux domaines, un transmembranaire et un cytoplasmique. ■ Les domaines α1 et α2 aminoterminaux de la chaîne α du CMH de classe I forment deux parois et un sillon liant un peptide et pouvant accueillir typiquement des peptides longs de 8 à 9 acides aminés. Le plancher de ce sillon contient des résidus d'acides aminés qui lient les peptides pour les présenter aux lymphocytes T, tandis que les sommets des parois du sillon entrent en contact avec le récepteur des lymphocytes T qui, entre également en contact avec une partie du peptide présenté (voir fig. 3.1). Les résidus polymorphes des molécules de classe I, c'est-à-dire les acides aminés des molécules du CMH qui sont propres à chaque individu, sont situés dans les domaines α1 et α2 de la chaîne α. La plupart de ces résidus polymorphes peuvent entraîner des variations dans le plancher, site de liaison aux peptides, et par conséquent influer sur la capacité des différentes molécules du CMH de lier des ensembles distincts de peptides. ■ Le domaine α3 est constant, il contient un site de liaison au corécepteur CD8 des lymphocytes T. Comme nous le verrons au chapitre 5, l'activation des lymphocytes T nécessite la reconnaissance simultanée de l'antigène peptidique associé au CMH par le récepteur des lymphocytes T, et de la molécule du CMH par le corécepteur. Par conséquent, les lymphocytes T CD8+ ne peuvent répondre qu'à des peptides présentés par des molécules du CMH de classe I, qui sont les molécules du CMH auxquelles se lie le corécepteur CD8.
Molécules du CMH de classe II Chaque molécule du CMH de classe II est composée de deux chaînes transmembranaires, dénommées α et β. Chaque chaîne α comporte deux domaines extracellulaires, suivis des régions transmembranaire et cytoplasmique. ■ Les régions aminoterminales des deux chaînes, portant le nom de domaine α1 et β1, contiennent des résidus polymorphes qui forment un sillon suffisamment large pour recevoir des peptides de 10 à 30 résidus. ■ Les domaines non polymorphes α2 et β2 contiennent le
α1
α2
Peptide
α2
α1
S S N
N
α3 α3
S S S S
β2m
β2m
C
Pont disulfure
S
Domaine Ig
S S
S
CMH de classe II Sillon de liaison au peptide
β1
α1
α1
S NN S
Peptide β1
β2
α2 S S
S S
C
C
α2
β2
Fig. 3.8. Structure des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) de classe I et de classe II. Les schémas (à gauche) et les modèles (à droite) des structures cristallines des molécules du CMH de classe I et de classe II montrent les domaines des molécules et leurs similitudes fondamentales. Les deux types de molécules du CMH contiennent des sillons de liaison au peptide et des parties invariantes qui se lient au CD8 (domaine α3 de classe I) ou au CD4 (les domaines α2 et β2 de classe II). Ig : immunoglobuline ; β2m : β2-microglobuline. Source : les structures cristallines sont reproduites avec l'autorisation du Dr P. Bjorkman, California Institute of Technology, Pasadena, CA.
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes
Caractéristique
Effets sur les réponses immunitaires
Gènes polymorphes : de nombreux allèles différents sont présents dans la population
Divers individus peuvent présenter différents peptides microbiens et y répondre
Expression codominante : les deux allèles parentaux de chaque gène du CMH sont exprimés
Nombre accru de molécules différentes du CMH qui peuvent présenter des peptides aux cellules T
53
Cellules T Molécules du CMH
Chromosomes parentaux
Types de cellules exprimant le CMH : Les CTL CD8+ peuvent
tuer toute cellule infectée Classe I : par un virus toutes les cellules nucléées
Classe II : cellules dendritiques, macrophages, lymphocytes B
Les lymphocytes T auxiliaires CD4+ interagissent avec les cellules dendritiques, les macrophages, les lymphocytes B
Leucocyte
Cellule dendritique
Cellules épithéliales
Macrophage
Cellule mésenchymateuse
Cellule B
Fig. 3.9. Propriétés des molécules et des gènes du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Le tableau reprend quelques-unes des caractéristiques principales des molécules du CMH et leurs effets sur les réponses immunitaires. CTL : cytotoxic T lymphocytes.
Propriétés des gènes et des protéines du CMH Plusieurs caractéristiques des gènes et des protéines du CMH jouent un rôle important pour les fonctions normales de ces molécules (fig. 3.9). ■ Les gènes du CMH sont hautement polymorphes, ce qui signifie qu'il existe de nombreux allèles différents (variants) dans l'ensemble des individus. Le nombre total de protéines HLA différentes dans la population est estimé à plus de 14 000, avec environ 10 500 pour la classe I et 3 500 pour la classe II, ce qui rend les molé-
cules du CMH les plus polymorphes de toutes les protéines mammaliennes. En fait, ce polymorphisme est tellement important qu'il est extrêmement improbable que deux individus, dans une population non consanguine, aient exactement le même ensemble de molécules du CMH. Ces différents variants polymorphes sont hérités et non générés de novo chez les individus par recombinaison génique somatique, comme le sont les récepteurs d'antigène (voir chapitre 4). Chaque individu hérite et exprime seulement deux allèles de chaque gène du CMH (un de chaque parent), ce qui représente très peu des nombreux variants de la population. Puisque
54
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
les résidus polymorphes déterminent quels sont les peptides présentés par des molécules spécifiques du CMH, l'existence d'allèles multiples assure qu'il existe toujours certains membres de la population qui seront en mesure de présenter un certain peptide d'un antigène protéique microbien particulier. C'est pourquoi l'évolution du polymorphisme du CMH permet à une population de faire face à la diversité des microbes ; au moins quelques individus pourront opposer des réponses immunitaires efficaces aux antigènes peptidiques de ces microbes. Ainsi, chacun ne succombera pas à un nouveau microbe ou à un ancien qui aurait muté. ■ Les gènes du CMH sont exprimés de manière codominante, ce qui signifie que les allèles hérités des deux parents sont exprimés de manière équivalente. L'expression codominante maximise le nombre de protéines HLA exprimées par chaque individu, et permet ainsi à chacun de présenter un grand nombre de peptides. ■ Les molécules de classe I sont exprimées sur toutes les cellules nucléées, alors que les molécules de classe II sont principalement exprimées sur les cellules dendritiques, les macrophages et les lymphocytes B. La signification physiologique de cette distribution nettement différente sera expliquée plus loin. Les molécules de classe II sont aussi exprimées sur les cellules épithéliales thymiques et les cellules endothéliales et peuvent être induites sur d'autres types cellulaires par une cytokine, l'interféron-γ.
Modèles héréditaires et nomenclature des gènes HLA Comme il existe trois gènes polymorphes de classe I, dénommés HLA-A, HLA-B et HLA-C chez l'homme, et que chaque personne reçoit l'ensemble de ces gènes de chacun des deux parents, chaque cellule peut exprimer six molécules de classe I différentes. Dans le locus de classe II, chaque individu hérite de chaque parent de deux gènes codant les chaînes α et β, de HLA-DP, de deux codant DQα et DQβ, d'un ou deux pour DRβ (HLA-DRB1 toujours et parfois HLA-DRB3, HLA-DR4 ou HLA-DR5) et d'un pour DRα. Le polymorphisme réside surtout dans les chaînes β pour les gènes de classe II et exclusivement dans la chaîne α pour les gènes de classe I. Pour diverses raisons, incluant les gènes DRβ supplémentaires chez certains individus (tout le monde n'a pas un locus HLA-DRB3/4/5), et le fait que certaines chaînes α codées par un chromosome peuvent s'associer à des chaînes β codées par l'autre chromosome, le nombre total de molécules de classe II exprimées peut être nettement supérieur à six. L'assortiment de gènes du CMH présent sur chaque chromosome est nommé haplotype CMH. Les gènes d'un haplotype du CMH sont étroitement liés et hérités de manière mendélienne. Par conséquent, la probabilité que deux frères et sœurs héritent d'ensembles identiques d'allèles HLA est de 25 %. C'est pourquoi on teste souvent les frères et sœurs avant des personnes non apparentées pour déterminer s'ils peuvent être donneurs en cas de transplantation — les chances de trouver une compatibilité HLA avec le receveur sont beaucoup plus grandes pour les frères et sœurs. Chez l'homme, chaque allèle HLA est désigné par un chiffre. Par exemple, un haplotype HLA d'un individu pourrait être
A
Molécule du CMH de classe I
Peptide
Molécule du CMH de classe II
Peptide
B Peptide
Poches dans le plancher du sillon de liaison au peptide d'une molécule du CMH de classe II
Résidu d'ancrage du peptide
Fig. 3.10. Liaison des peptides aux molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). A. Ces structures cristallines (vues du haut) des molécules du CMH montrent comment un peptide (en jaune) s'attache au plancher d'un sillon de liaison peptidique et peut alors être reconnu par les lymphocytes T. B. La vue latérale d'une partie d'un peptide lié à une molécule de classe II du CMH montre comment les résidus d'ancrage du peptide le maintiennent dans les poches du sillon de la molécule du CMH. Source : A, avec l'autorisation du Dr P. Bjorkman, California Institute of Technology, Pasadena, CA. B, d'après Scott CA, Peterson PA, Teyton L, Wilson IA. Crystal structures of two I-Ad-peptide complexes reveal that high affinity can be achieved without large anchor residues. Immunity 1998 ; 8 : 319-29. © Cell Press ; avec autorisation.
HLA-A2, HLA-B5, HLA-DR3, etc. Dans la terminologie moderne, sur base du typage moléculaire, les allèles individuels peuvent être appelés HLA-A*0201, en référence au sous-type 01 de HLA-A2 ou HLA-DRB1*0401, en référence au sous-type 01 du gène DR4B1, etc.
Liaison des peptides aux molécules du CMH Les sillons de liaison au peptide des molécules du CMH fixent les peptides dérivés des antigènes protéiques et présentent ces peptides aux lymphocytes T (fig. 3.10). La plupart des molécules du CMH comportent de petites poches dans le plancher des sillons de liaison aux peptides. Les chaînes latérales de certains acides aminés (les résidus d'ancrage) des peptides antigéniques s'insèrent dans ces
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes
Caractéristique
Effets immunitaires
Large spécificité
De nombreux peptides différents peuvent se lier à la même molécule du CMH
55
Chaque molécule Chaque cellule T répond du CMH présente à un seul peptide lié à une molécule du CMH un peptide à la fois Les molécules du Les cellules T CMH ne lient que restreintes par le CMH répondent des peptides surtout à des antigènes protéiques*
Protéines Peptides Lipides Glucides Acides nucléiques
Les molécules de classe I et de classe II du CMH présentent des peptides issus de différents compartiments cellulaires
Les molécules de classe I et de classe II du CMH assurent une surveillance immunitaire contre des microbes dans différentes localisations
Peptides de protéines cytosoliques
Protéines cytosolique
Protéasome
CMH de classe I
Endosome / lysosome Peptides de protéines internalisées dans des vésicules d'endocytose Endocytose de protéine extracellulaire
Une expression stable en surface d'une molécule du CMH nécessite la liaison à un peptide
Seules les molécules du CMH chargées d'un peptide sont exprimées à la surface des cellules pour être reconnues par des cellules T
Dissociation très lente
Une molécule du CMH présente un peptide suffisamment longtemps pour être repérée par une cellule T
CMH de classe II Complexe CMH-peptide
Molécule du CMH « vide »
β2microglobuline α
+
Peptide
Jours
+
Fig. 3.11. Caractéristiques de la liaison du peptide aux molécules du CMH. Certaines caractéristiques importantes de la liaison du peptide aux molécules du CMH sont indiquées, ainsi que leurs effets sur les réponses immunitaires. * Certaines petites substances chimiques et des ions de métaux lourds peuvent modifier directement des molécules du CMH qui sont alors reconnues par des cellules T. RE : réticulum endoplasmique ; Ii : chaîne invariante.
poches et ancrent les peptides dans le sillon. Le peptide retenu contient d'autres résidus dont les chaînes latérales pointent vers le haut et peuvent ainsi être reconnues par les récepteurs d'antigène des lymphocytes T.
Plusieurs caractéristiques de l'interaction des peptides antigéniques avec les molécules du CMH sont importantes pour la compréhension de la fonction de présentation du peptide par les molécules du CMH (fig. 3.11).
56
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
■ Chaque molécule du CMH ne peut présenter qu'un peptide à la fois, car elle ne possède qu'un sillon, mais chaque molécule du CMH est capable de présenter de nombreux peptides différents. Si les poches de la molécule du CMH peuvent recevoir les résidus d'ancrage d'un peptide particulier, alors celui-ci peut être présenté par la molécule du CMH. Par conséquent, seulement un ou deux résidus d'un peptide déterminent si ce peptide se liera au sillon d'une molécule particulière du CMH. Ainsi, les molécules du CMH présentent ce qu'il est convenu d'appeler une spécificité « large » pour la liaison peptidique : chaque molécule du CMH pouvant se lier à de nombreux peptides pour autant qu'ils aient la longueur et la séquence d'acides aminés optimales. Cette large spécificité est essentielle, dans la mesure où chaque individu ne possède que quelques molécules du CMH différentes, qui doivent être capables de présenter des peptides dérivés d'un grand nombre et une large variété d'antigènes protéiques. ■ Les molécules du CMH lient surtout des peptides et non d'autres types d'antigènes. Parmi les diverses classes de molécules, seuls les peptides ont les propriétés structurelles et les charges qui permettent la liaison au sillon des molécules du CMH. C'est la raison pour laquelle les lymphocytes T CD4+ et CD8+ restreints par le CMH reconnaissent et répondent à des antigènes protéiques, la source naturelle de peptides. Le CMH est également impliqué dans les réactions des lymphocytes T à certains antigènes non peptidiques comme de petites molécules et des ions métalliques. La reconnaissance de ces antigènes est brièvement abordée plus loin dans ce chapitre. ■ Les molécules du CMH se chargent d'un peptide au cours de leur biosynthèse, de leur assemblage et de leur transport à l'intérieur des cellules. Par conséquent, les molécules du CMH présentent des peptides qui proviennent de microbes se trouvant à l'intérieur des cellules (soit produits à l'intérieur de la cellule soit ingérés à partir du milieu extracellulaire). Ceci explique pourquoi les lymphocytes T restreints par le CMH reconnaissent les microbes associés aux cellules et non des antigènes libres dans la circulation, les liquides tissulaires ou les lumières des muqueuses. Les molécules du CMH de classe I fixent des peptides provenant de protéines cytosoliques tandis que les molécules de classe II les acquièrent à partir de protéines captées dans des vésicules intracellulaires. Les mécanismes et la signification de ces voies d'association peptide-CMH sont décrits plus loin. ■ Seules les molécules du CMH chargées d'un peptide sont exprimées de manière stable à la surface cellulaire. En effet, les molécules du CMH doivent à la fois assembler leurs chaînes et se lier à des peptides pour acquérir une structure stable, les molécules « vides » étant dégradées à l'intérieur des cellules. La nécessité d'une liaison à un peptide assure que seules des molécules « utiles » du CMH, c'est-à-dire celles qui présentent des peptides, sont exprimées à la surface des cellules afin d'être reconnues par les lymphocytes T. Lorsque des peptides se lient aux molécules du CMH et sont présentés à la surface cellu-
laire, ils restent liés durant une période pouvant durer plusieurs jours pour certains peptides. La lenteur de la dissociation permet à la molécule du CMH qui a acquis le peptide de le présenter suffisamment longtemps pour qu'un lymphocyte T capable de reconnaître le complexe peptide-CMH puisse trouver celui-ci et commencer à réagir. ■ Chez chaque individu, les molécules du CMH peuvent présenter des peptides provenant des propres protéines de l'individu ainsi que des peptides provenant de protéines étrangères, c'est-à-dire microbiennes. Cette incapacité des molécules du CMH de distinguer les antigènes étrangers des antigènes du soi soulève deux questions. Tout d'abord, à chaque moment, il est certain que la quantité de protéines du soi dans une APC est probablement largement supérieure à celle de toute protéine microbienne. Pourquoi alors les molécules du CMH disponibles ne sont-elles pas constamment occupées par les peptides du soi, et donc incapables de présenter des antigènes étrangers ? La réponse probable se trouve dans la synthèse permanente de nouvelles molécules du CMH, prêtes à accueillir des peptides, et particulièrement aptes à capter tous les peptides présents dans la cellule. De plus, un lymphocyte T unique peut repérer un peptide même s'il n'est présenté que par un pourcentage extrêmement faible, de 0,1 à 1 %, des quelque 105 molécules du CMH à la surface d'une APC ; ainsi, ces rares molécules du CMH présentant ce peptide suffiront pour déclencher une réponse immunitaire. En outre, au cours des infections virales, la synthèse protéique de l'hôte est supprimée et des protéines virales dominent et sont dès lors présentées préférentiellement par des molécules du CMH. Seconde question : si les molécules du CMH présentent constamment des peptides du soi, pourquoi ne développons-nous pas des réponses immunitaires contre des antigènes du soi, c'est-à-dire des réactions autoimmunes ? La réponse est l'élimination ou l'inactivation des lymphocytes T spécifiques des peptides du soi (voir chapitre 9). Ainsi, les lymphocytes T sont constamment en train de patrouiller à la recherche de peptides associés au CMH et, en cas d'infection, seules les cellules T spécifiques des peptides microbiens réagiront, alors que les lymphocytes T spécifiques de peptides du soi seront absents ou auront été préalablement inactivés. Les molécules du CMH sont capables de présenter des peptides, mais non des antigènes protéiques intacts, qui sont trop volumineux pour tenir dans la fente du CMH. Il en résulte qu'il doit exister des mécanismes permettant de convertir les protéines en peptides capables de se lier aux molécules du CMH. Cette conversion, dite apprêtement des antigènes, fait l'objet de la prochaine section.
Apprêtement et présentation des antigènes protéiques Des protéines dans le cytosol de toute cellule nucléée sont apprêtées dans des complexes protéolytiques appelés protéasomes et présentées par des molécules
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes
Capture de l'antigène
Apprêtement de l'antigène
Biosynthèse du CMH
Peptides dans le cytosol
57
Association peptide-CMH
TAP
CTL CD8+
CMH de Protéine classe I cytosolique Protéasome
Voie du CMH de classe I
RE
Cellule T CD4+ Endosome/lysosome
Endocytose d'une protéine extracellulaire
RE
Chaîne invariante (Ii) CMH de classe II
Voie du CMH de classe II
Fig. 3.12. Voies d'apprêtement intracellulaire des antigènes protéiques. La voie du CMH de classe I convertit les protéines dans le cytosol en peptides qui se lient aux molécules du CMH de classe I pour être reconnus par les cellules T CD8+. La voie des molécules du CMH de classe II convertit les antigènes protéiques endocytés dans des vésicules des cellules présentatrices d'antigènes en peptides qui se lient aux molécules du CMH de classe II pour être reconnus par les lymphocytes T CD4+. CTL : cytotoxic T lymphocyte ; RE : réticulum endoplasmique ; TAP : transporteur associé à l'apprêtement de l'antigène.
du CMH de classe I, tandis que les protéines extracellulaires qui sont internalisées par les APC spécialisées (cellules dendritiques, macrophages et cellules B) dans des vésicules d'endocytose sont apprêtées dans les endosomes tardifs et les lysosomes et présentées par des molécules du CMH de classe II (fig. 3.12). Ces deux voies d'apprêtement des antigènes font intervenir divers organites et protéines cellulaires (fig. 3.13). Ils sont destinés à examiner toutes les protéines présentes dans l'environnement extracellulaire et intracellulaire. La ségrégation des voies d'apprêtement des antigènes assure également que différentes classes de lymphocytes T reconnaissent les antigènes provenant de différents compartiments. Nous allons maintenant décrire les mécanismes de l'apprêtement de l'antigène, en commençant par la voie du CMH de classe I.
Apprêtement des antigènes cytosoliques pour une présentation par les molécules du CMH de classe I Les principales étapes de présentation de l'antigène par des molécules du CMH de classe I sont le marquage des antigènes dans le cytosol ou le noyau en vue de la protéolyse, la génération protéolytique de fragments peptidiques de l'antigène par un complexe enzymatique cytosolique spécialisé, le transport des peptides dans le réticulum endoplasmique (RE), la liaison de peptides
aux molécules de classe I nouvellement synthétisées et le transport des complexes peptide-CMH à la surface de la cellule (fig. 3.14).
Protéolyse des protéines cytosoliques Les peptides qui se lient aux molécules du CMH de classe I proviennent de protéines cytosoliques digérées dans la voie ubiquitine-protéasome. Des protéines antigéniques peuvent provenir de virus présents dans le cytoplasme, de certains microbes phagocytés qui peuvent s'échapper ou être transportés en dehors de phagosomes dans le cytosol, ou de protéines cytosoliques ou nucléaires codées par des gènes mutés ou altérés, comme dans les cellules tumorales. Toutes ces protéines, ainsi que des protéines propres à la cellule, cytosoliques ou nucléaires, lorsqu'elles sont mal repliées, sont destinées à la digestion protéolytique par la voie ubiquitine-protéasome. Ces protéines sont dépliées, marquées de façon covalente par des copies multiples d'un petit peptide nommé ubiquitine, et enfilées dans un organite nommé protéasome qui est composé d'anneaux empilés d'enzymes protéolytiques. Le protéasome dégrade les protéines dépliées en peptides. Dans les cellules qui ont été exposées à des cytokines inflammatoires (comme lors d'une infection), la composition enzymatique des protéasomes change. En conséquence, ces cellules clivent très efficacement des protéines cytosoliques et nucléaires en peptides ayant la taille et la séquence qui leur permettent de se lier au CMH de classe I.
58
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Caractéristique
Voie du CMH de classe I
Voie du CMH de classe II
Composition du complexe stable peptide-CMH
Chaîne α polymorphe du CMH, β2-microglobuline, peptide Peptide
Chaînes α et β polymorphes du CMH, peptide
α
Peptide
β2-microglobuline
α
β
Cellules qui expriment le CMH
Toutes les cellules nucléées
Cellules dendritiques, phagocytes mononucléés, lymphocytes B ; cellules endothéliales, épithélium thymique
Lymphocytes T répondeurs
T CD8+
T CD4+
Source des antigènes protéiques
Protéines cytosoliques (principalement synthétisées dans la cellule ; peuvent gagner le cytosol à partir des phagosomes) Composants protéasiques du protéasome cytosolique
Protéines endosomiales/ lysosomiales (principalement internalisées à partir de l'environnement extracellulaire) Protéases endosomiales et lysosomiales (par ex. cathepsines)
Réticulum endoplasmique
Endosomes tardifs et lysosomes
TAP
Chaîne invariante, DM
Enzymes responsables de la production de peptides Site de chargement du peptide sur la molécule du CMH Molécules participant au transport des peptides et au chargement des molécules du CMH
Fig. 3.13. Caractéristiques des voies d'apprêtement des antigènes. Comparaison de quelques-unes des caractéristiques des deux voies principales d'apprêtement de l'antigène. CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; TAP : transporteur associé à l'apprêtement de l'antigène.
Liaison des peptides aux molécules du CMH de classe I
Transport des complexes peptide-CMH à la surface cellulaire
Afin de former des complexes peptide-CMH, les peptides doivent être transportés dans le réticulum endoplasmique (RE). Les peptides produits par digestion protéasomique sont dans le cytosol, tandis que les molécules du CMH sont synthétisées dans le RE ; les deux doivent être réunis. Cette fonction de transport est assurée par une molécule, appelée TAP (transporter associated with antigen processing) et située dans la membrane du RE. TAP lie les peptides générés par le protéasome du côté cytoplasmique de la membrane du réticulum endoplasmique et les pompe activement à l'intérieur du RE. Les molécules du CMH de classe I nouvellement synthétisées, qui ne contiennent pas de peptides liés, s'associent à une protéine de pontage, appelée tapasine, qui les lie aux molécules de TAP dans la membrane du RE. Ainsi, alors qu'ils entrent dans le RE, les peptides peuvent facilement être captés par les molécules de classe I encore vides. (Comme nous le décrirons plus loin, dans le RE, les molécules du CMH de classe II nouvellement synthétisées ne sont pas en mesure de lier des peptides en raison de leur association à la chaîne invariante.)
Le chargement du peptide stabilise les molécules du CMH de classe I, qui sont exportées à la surface de la cellule. Une fois qu'une molécule du CMH de classe I a lié fermement un des peptides générés par la digestion dans le protéasome et transférés dans le RE par TAP, ce complexe peptide-CMH devient stable et est livré à la surface de la cellule. Si la molécule du CMH ne trouve pas un peptide qu'elle peut lier, la molécule vide est instable et est finalement dégradée dans le RE. Un antigène protéique peut fournir de nombreux peptides, dont seulement quelques-uns (peut-être un ou deux de chaque antigène) peuvent s'attacher aux molécules du CMH présentes chez un individu et peuvent ainsi stimuler des réponses immunitaires chez cette personne. Les complexes peptide-CMH de classe I sont reconnus par les cellules T CD8+. La lutte au cours de l'évolution entre les microbes et leurs hôtes est bien illustrée par les nombreuses stratégies développées par les virus pour bloquer la présentation des antigènes par les molécules de classe I du CMH. Ces stratégies comprennent le retrait des molécules du CMH
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes
Production de protéines dans le cytosol
Dégradation protéolytique des protéines
Transport des peptides du cytosol dans le RE
Assemblage des complexes peptide-classe I dans le RE
Virus dans le cytoplasme
59
Expression à la surface des complexes peptide-classe I Vésicule d'exocytose
Protéine virale
CD8 TAP Peptide Protéine ubiquitinylée Ub.
Tapasine Protéasome
Phagosome
T cytotoxique + CD8
β2m
Chaperon Antigène protéique d'un microbe ingéré transporté dans le cytosol
Golgi
Chaîne α du CMH de classe I RE
Fig. 3.14. Voie du CMH de classe I pour l'apprêtement des antigènes cytosoliques. Les protéines accèdent au cytoplasme à partir d'une synthèse endogène microbienne, par exemple par un virus, présent dans le cytosol (ou le noyau, non montré) de cellules infectées, ou à partir de microbes ingérés mais dont les antigènes sont transportés dans le cytosol (processus de présentation croisée décrit plus loin). Les protéines cytoplasmiques sont dépliées, conjuguées à l'ubiquitine et dégradées dans les protéasomes. Les peptides résultants sont transférés par le transporteur associé à l'apprêtement de l'antigène (TAP) dans le réticulum endoplasmique (RE), où les peptides peuvent encore être raccourcis. Les molécules du CMH de classe I nouvellement synthétisées sont d'abord stabilisées par des molécules chaperons, puis attachées à TAP par une protéine de liaison appelée tapasine, en sorte que les molécules du CMH sont stratégiquement placées pour recevoir des peptides qui sont transportés dans le RE par TAP. Les complexes peptide-CMH de classe I sont transférés à la surface cellulaire et sont reconnus par les lymphocytes T CD8+. β2m : β2-microglobuline ; Ub : ubiquitine.
nouvellement synthétisées du RE, l'inhibition de la transcription des gènes du CMH et le blocage du transport des peptides par TAP. En inhibant la voie utilisant les molécules de classe I du CMH, les virus réduisent la présentation de leurs propres antigènes aux lymphocytes T CD8+, et peuvent ainsi échapper au système immunitaire adaptatif. Ces mécanismes d'échappement au système immunitaire sont décrits au chapitre 6.
Apprêtement des antigènes internalisés pour une présentation par les molécules du CMH de classe II Les étapes principales dans la présentation des peptides par les molécules du CMH de classe II sont : l'internalisation de l'antigène, la protéolyse dans des vésicules d'endocytose, l'association des peptides aux molécules de classe II, le transport des complexes peptide-CMH à la surface de la cellule (fig. 3.15).
Internalisation et protéolyse des antigènes Les antigènes destinés à la voie du CMH de classe II sont habituellement internalisés à partir de l'environnement extracellulaire. Les cellules dendritiques et les macrophages peuvent ingérer des microbes extracellulaires ou des protéines microbiennes par des mécanismes comme la
phagocytose et l'endocytose dépendant de récepteurs. Les microbes peuvent se lier à des récepteurs de surface spécifiques des produits microbiens ou à des récepteurs qui reconnaissent les anticorps ou les produits de l'activation du complément (opsonines) fixés aux microbes. Les lymphocytes B internalisent efficacement les protéines qui se lient de manière spécifique aux récepteurs d'antigène de ces cellules (voir chapitre 7). Certaines APC, surtout les cellules dendritiques, peuvent aussi pinocyter des protéines sans phase de reconnaissance spécifique. Après internalisation par l'une de ces voies, les protéines microbiennes entrent dans des vésicules intracellulaires, dénommées endosomes ou phagosomes, qui peuvent fusionner avec les lysosomes. Dans ces vésicules, les protéines sont dégradées par des enzymes protéolytiques, ce qui provoque la formation de nombreux peptides de longueur et de séquence variables.
Liaison des peptides aux molécules du CMH de classe II Des peptides se lient, dans des vésicules spécialisées, aux molécules de CMH de classe II nouvellement synthétisées. Les APC qui expriment le CMH de classe II synthétisent constamment ces molécules dans leur RE. Chaque molécule de classe II nouvellement synthétisée porte avec elle une protéine fixée, nommée chaîne invariante (Ii), qui
60
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Capture des Apprêtement protéines des protéines extracellulaires internalisées dans des dans les vésicules compartiments endosomiales/ vésiculaires des lysosomiales APC
Biosynthèse et transport des molécules du CMH de classe II dans les endosomes
Association des Expression peptides apprêtés des complexes avec des molécules peptide-CMH du CMH de classe II à la surface dans les vésicules cellulaire CLIP
Antigène protéique Lysosome
CLIP
HLA-DM
Vésicule d'endocytose
Chaperon
CD4
Ii
Endosome
α β
Vésicule d'exocytose CMH de classe II
T auxiliaire CD4+ Golgi
RE Fig. 3.15. Voie du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) de classe II pour l'apprêtement des antigènes internalisés dans des vésicules. Les antigènes protéiques sont ingérés par les APC dans des vésicules, où ils sont dégradés en peptides. Les molécules du CMH de classe II entrent dans les mêmes vésicules, où le peptide CLIP, qui occupe le sillon des molécules de classe II nouvellement synthétisées, est enlevé. Ces molécules de classe II sont alors en mesure de lier les peptides dérivés de la protéine ingérée par endocytose. La molécule DM facilite l'élimination de CLIP et la liaison subséquente d'un peptide antigénique. Les complexes peptide-molécule du CMH de classe II sont transportés à la surface cellulaire et sont reconnus par les lymphocytes T CD4+. RE : réticulum endoplasmique ; Ii : chaîne invariante.
contient une séquence dite CLIP (class II invariant chain peptide), qui s'insère étroitement dans le sillon de liaison de la molécule de classe II. Le sillon de la molécule de classe II nouvellement synthétisée est ainsi occupé et ne peut plus accepter dans le RE des peptides destinés à se lier à des molécules du CMH de classe I (décrit précédemment). Cette molécule de classe II, associée à la chaîne Ii, migre du RE à travers l'appareil de Golgi et ensuite, au lieu de gagner directement la membrane plasmatique, elle est dirigée par la queue cytosolique de la chaîne invariante dans des vésicules acides (endosomes et lysosomes). Dans ce compartiment, la chaîne invariante est dégradée, ne laissant que le fragment CLIP dans le sillon de liaison au peptide. Des protéines ingérées sont digérées en peptides dans le même compartiment. Les vésicules contiennent aussi une protéine apparentée aux molécules du CMH de classe II, nommée DM, dont la fonction est d'échanger le fragment CLIP de la molécule du CMH de classe II avec d'autres peptides éventuellement disponibles dans ce compartiment et qui peuvent se lier à la molécule du CMH avec une haute affinité.
Transport des complexes peptide-CMH à la surface cellulaire Le chargement du peptide stabilise les molécules du CMH de classe II, qui sont exportées vers la surface cellulaire. Lorsque la molécule du CMH de classe II a lié fermement l'un des peptides provenant des protéines ingérées, le complexe peptide-CMH se stabilise et est transféré à la surface cellulaire, où il peut être reconnu par une cellule T CD4+. Si la molécule du CMH ne trouve pas un peptide auquel elle peut se lier, la molécule vide est instable et finalement dégradée par les protéases lysosomiales. Comme pour la voie de classe I, seulement quelques peptides produits à partir de chaque antigène protéique peuvent se lier aux molécules du CMH d'un individu et stimuler ses réponses immunitaires.
Présentation croisée d'antigènes internalisés aux lymphocytes T CD8+ Certaines cellules dendritiques peuvent présenter des antigènes ingérés sur des molécules du CMH de classe I
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes
Capture de l'antigène
Présentation croisée CMH de classe II
Cellule infectée par un virus CMH de classe I
Fragments cellulaires et antigènes captés par des APC
CMH de classe I
61
Réponse des cellules T Cellule T CD8+ spécifique du virus
Costimulateur
Antigène viral
Cellule dendritique
Un antigène viral entre dans le cytosol
Fig. 3.16. Présentation croisée restreinte au CMH de classe I d'antigènes microbiens de cellules infectées par des cellules dendritiques (APC). Des fragments de cellules infectées par des microbes intracellulaires, comme un virus, ou des antigènes produits dans ces cellules sont ingérés par des cellules dendritiques ; les antigènes microbiens sont décomposés et présentés en association au CMH de classe I des cellules présentatrices d'antigènes (APC). Les lymphocytes T, reconnaissent les antigènes microbiens exprimés sur les APC et sont activés. Par convention, le terme « présentation croisée » (ou sensibilisation croisée) est appliqué aux lymphocytes T CD8+ (lymphocytes T cytotoxiques, CTL) reconnaissant des antigènes associés au CMH de classe I (comme indiqué) ; la même APC capable de présentation croisée peut exposer des antigènes microbiens associés au CMH de classe II pour la reconnaissance par des lymphocytes T auxiliaires CD4+.
aux lymphocytes T CD8+. Cette voie de présentation antigénique s'oppose à la règle générale du fonctionnement des APC selon laquelle les protéines internalisées ne peuvent être présentées que par des molécules du CMH de classe II à des lymphocytes T CD4+. La réponse initiale des lymphocytes T CD8+ naïfs, comme celle des cellules CD4 +, requiert que les antigènes soient présentés par des cellules dendritiques matures dans des ganglions lymphatiques à travers lesquels les cellules T naïves circulent. Cependant, certains virus ne peuvent infecter que des types particuliers de cellules et pas nécessairement des cellules dendritiques. Or, ces cellules infectées peuvent être incapables de gagner les ganglions lymphatiques ou de produire tous les signaux nécessaires à l'activation des lymphocytes T. Comment alors dans les ganglions lymphatiques, les lymphocytes T CD8+ naïfs sont-ils en mesure de répondre aux antigènes intracellulaires des cellules infectées ? De manière semblable, des tumeurs se forment à partir de nombreux types différents de cellules, aussi comment divers antigènes tumoraux peuventils être présentés à des cellules T CD8+ naïves dans les ganglions lymphatiques par des cellules dendritiques ? Une sous-population de cellules dendritiques classiques est capable d'ingérer des cellules infectées, des cellules tumorales mortes, des microbes et des antigènes microbiens et tumoraux et de transporter les antigènes ingérés dans le cytosol, où ils sont apprêtés par le protéasome. Les peptides antigéniques qui sont générés entrent alors dans le RE et se lient aux molécules de classe I, qui les présenteront aux lymphocytes T CD8+ (fig. 3.16). Ce processus est appelé présentation croisée (ou sensibilisation croisée), pour indiquer qu'un type cellulaire, les cellules dendritiques, peut présenter des antigènes d'autres cellules, infectées ou mou-
rantes, ou des débris cellulaires, et sensibiliser (ou activer) des lymphocytes T CD8+ naïfs spécifiques de ces antigènes. Une fois que les cellules T CD8+ sont différenciées en CTL, elles tuent les cellules infectées ou tumorales sans que les cellules dendritiques ou des signaux autres que la reconnaissance de l'antigène ne soient nécessaires (voir chapitre 6). La même voie de présentation croisée est impliquée dans le déclenchement des réactions des lymphocytes T CD8+ à certains antigènes dans les transplantations d'organes (voir chapitre 10).
Signification physiologique de la présentation des antigènes par le CMH De nombreuses caractéristiques fondamentales de l'immunité assurée par les lymphocytes T sont étroitement liées à la fonction de présentation des peptides par les molécules du CMH. ■ La restriction de la reconnaissance par les lymphocytes T des peptides associés au CMH assure que ces lymphocytes T ne voient et ne répondent qu'aux antigènes associés aux cellules. En effet, les molécules du CMH sont des protéines de la membrane cellulaire et le chargement d'un peptide suivi de l'expression des molécules du CMH dépend de biosynthèses et d'assemblages intracellulaires. En d'autres termes, les molécules du CMH ne peuvent lier que des peptides se trouvant à l'intérieur des cellules, là où des antigènes intracellulaires et ingérés sont présents. Par conséquent, les lymphocytes T peuvent reconnaître les antigènes de microbes intracellulaires, qui requièrent des mécanismes effecteurs dépendant des lymphocytes T,
62
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Capture ou synthèse de l'antigène
Présentation de l'antigène
Fonctions effectrices des cellules T
A Voie du CMH de classe I :
Présentation de l'antigène aux cellules T cytotoxiques
Antigène cytosolique
Lymphocyte T cytotoxique CD8+
Lyse de la cellule cible exprimant l'antigène
B Voie du CMH de classe II :
Présentation de l'antigène aux cellules T auxiliaires
Cytokines
Macrophage
+ Microbe extracellulaire
Cellule B spécifique de l'antigène
Microbe dans Lymphocyte T endosome auxiliaire CD4+
Antigène extracellulaire
Cytokines
Activation de macrophage : destruction du microbe phagocyté
Sécrétion d'anticorps par une cellule B : liaison de l'antigène à l'anticorps
Fig. 3.17. Rôle de la présentation des antigènes associés aux molécules du CMH dans la reconnaissance des antigènes microbiens par les lymphocytes effecteurs T CD8+ et T CD4+. A. Les antigènes protéiques des microbes qui vivent dans le cytoplasme de cellules infectées suivent la voie d'apprêtement antigénique du CMH de classe I. Par conséquent, ces protéines sont reconnues par les lymphocytes T cytotoxiques CD8+, dont la fonction est de détruire les cellules infectées. B. Les antigènes protéiques des microbes endocytés à partir de l'environnement extracellulaire par les macrophages et les lymphocytes B suivent la voie d'apprêtement des antigènes utilisant les molécules du CMH de classe II. Par conséquent, ces protéines sont reconnues par les lymphocytes T auxiliaires CD4+, dont les fonctions sont d'activer les macrophages afin de détruire les microbes phagocytés et d'activer les lymphocytes B afin qu'ils produisent des anticorps contre les microbes et les toxines extracellulaires.
ainsi que des antigènes ingérés à partir du milieu extracellulaire, tels que ceux contre lesquels des anticorps ont été générés. ■ En séparant les voies d'apprêtement antigénique passant par les molécules de classe I et de classe II, le système immunitaire est à même de répondre aux microbes extracellulaires et intracellulaires en leur opposant les défenses les plus appropriées (fig. 3.17). Les antigènes cytosoliques sont apprêtés et présentés par les molécules du CMH de classe I, qui sont exprimées sur toutes les cellules nucléées —comme attendu, — puisque toutes les cellules nucléées peuvent être infectées par une ou plusieurs espèces de virus. Les peptides associés aux molécules de classe I sont reconnus par les lymphocytes T CD8+, qui se différencient en CTL. Les CTL détruisent les cellules infectées et éradiquent l'infection, ce qui constitue le mécanisme le plus efficace pour éliminer les microbes
cytoplasmiques. Les CTL tuent aussi les cellules tumorales qui produisent des protéines cytosoliques codées par des gènes mutés. Un grand nombre de bactéries, de champignons et même de virus extracellulaires sont typique ment captés et ingérés par des macrophages, et leurs antigènes sont présentés par les molécules de classe II. En raison de la spécificité du CD4 pour les molécules de classe II, les peptides associés aux molécules de classe II sont reconnus par les lymphocytes T CD4+, qui fonctionnent comme des cellules auxiliaires. Ces lymphocytes T auxiliaires aident les macrophages à détruire des microbes ingérés, activant ainsi un mécanisme effecteur qui peut éliminer les microbes internalisés à partir du milieu extracellulaire. Les lymphocytes B ingèrent des antigènes protéiques microbiens et présentent aussi des peptides aux lymphocytes T auxiliaires CD4+. Ces cellules auxiliaires stimulent la production d'anticorps,
Chapitre 3. Capture des antigènes et présentation aux lymphocytes qui servent à l'élimination des microbes extracellulaires. Ni les phagocytes, ni les anticorps ne sont efficaces contre les virus intracellulaires et d'autres pathogènes qui peuvent survivre et se répliquer dans le cytoplasme de la cellule infectée ; des cellules abritant ces microbes cytosoliques sont éliminées par des CTL CD8+. Ainsi, la nature de la réponse immunitaire protectrice dirigée contre les différents microbes est optimisée par la conjugaison de plusieurs caractéristiques de la présentation des antigènes et de la reconnaissance par les lymphocytes T : voies d'apprêtement des antigènes présents dans des vésicules ou le cytosol, expression cellulaire des molécules du CMH de classe I et de classe II, spécificité des corécepteurs CD8 et CD4 pour les molécules de classe I et de classe II et fonctions des cellules CD8+ comme CTL et des cellules CD4+ comme auxiliaires. La fonction de lier le type de microbe à l'une des deux voies d'apprêtement d'un antigène associé au CMH est importante, car les cellules T elles-mêmes ne peuvent distinguer les microbes intracellulaires et extracellulaires. En fait, comme mentionné précédemment, le même virus peut être extracellulaire au début de l'infection et devenir ensuite intracellulaire. Durant son passage extracellulaire, il est combattu par des anticorps et les phagocytes, dont la production ou les fonctions sont stimulées par les cellules T auxiliaires, mais une fois que le virus a trouvé un abri dans le cytoplasme, il ne peut être éliminé que par les CTL qui détruisent les cellules infectées. La ségrégation des voies de présentation antigénique de classe I ou II permet à la réponse immunitaire spécialisée de contrer les microbes dans leur différente localisation. ■ Les contraintes structurelles imposées à la liaison d'un peptide à différentes molécules du CMH, notamment la longueur et les résidus d'ancrage, déterminent le caractère immunodominant de certains peptides dérivés d'antigènes protéiques complexes, mais aussi l'incapacité de certains individus à répondre à certains antigènes protéiques. Lorsque toute protéine est dégradée par protéolyse dans les APC, de nombreux peptides peuvent être générés, mais seulement ceux qui sont capables de se lier aux molécules du CMH de cet individu peuvent être présentés pour être reconnus par les lymphocytes T. Ces peptides liés au CMH sont les peptides immunodominants de l'antigène. Même les microbes avec leurs antigènes protéiques complexes expriment un nombre limité de peptides immunodominants. Identifier ces peptides afin de développer des vaccins a fait l'objet de nombreuses tentatives, mais il est difficile de sélectionner à partir de n'importe quel microbe un petit nombre de peptides qui seraient immunogènes chez un grand nombre de gens, en raison du polymorphisme (variabilité) énorme des molécules du CMH dans la population. Le polymorphisme du CMH signifie également que certaines personnes peuvent ne pas exprimer de molécules du CMH capables de lier un peptide dérivé d'un antigène particulier. Ces personnes ne peuvent donc pas répondre à cet antigène (non-répondeurs). Une des premières observations qui ont établi l'importance physiologique du CMH a été la découverte que certains animaux consanguins ne réagissaient pas à des antigènes protéiques simples et que la capacité ou l'incapacité de
63
répondre était liée à des gènes dits de réponse immunitaire (gènes Ir, immune response), qui plus tard, se sont avérés correspondre aux gènes du CMH de classe II. Enfin, il convient de noter que les cellules T reconnaissent et réagissent également contre de petites molécules et même des ions métalliques, d'une manière restreinte par le CMH. En effet, l'exposition à certaines petites molécules qui sont utilisées comme médicaments et à des métaux tels que le nickel et le béryllium conduit souvent à des réactions pathologiques des cellules T (dites réactions d'hypersensibilité ; voir chapitre 11). Il existe plusieurs moyens par lesquels ces antigènes non peptidiques peuvent être reconnus par les cellules T CD4+ et CD8+ restreintes par le CMH. On pense que certains produits chimiques modifient de manière covalente des peptides du soi ou des molécules du CMH elles-mêmes, modifiant ainsi ces molécules qui sont alors considérées comme étrangères. D'autres produits chimiques se lient de façon non covalente à des molécules du CMH et modifient la structure du sillon de liaison au peptide de telle manière que la molécule de CMH peut afficher des peptides qui ne sont normalement pas présentés ; ces complexes CMHpeptide sont alors considérés comme étrangers. Ce chapitre a débuté avec deux questions : comment les rares lymphocytes spécifiques des antigènes trouvaient-ils les antigènes, et comment les réponses immunitaires appropriées étaient-elles élaborées contre les microbes extracellulaires et intracellulaires ? La compréhension de la biologie des APC et du rôle des molécules du CMH dans la présentation des peptides d'antigènes protéiques a fourni des réponses satisfaisantes aux deux questions, en particulier pour les réponses immunitaires assurées par les lymphocytes T.
Fonctions des cellules présentatrices d'antigènes autres que la présentation antigénique Le rôle des APC n'est pas limité à la présentation des peptides pour qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T, mais en réponse à des microbes, elles transmettent également des signaux supplémentaires contribuant à l'activation des cellules T. L'hypothèse de la nécessité de deux signaux pour l'activation des lymphocytes a été introduite dans les chapitres 1 et 2 (voir fig. 2.19), et le concept sera repris lorsque les réponses des lymphocytes T et B seront décrites (voir chapitres 5 et 7). Rappelons que l'antigène est l'indispensable « signal 1 », et, pour les lymphocytes T, que le « signal 2 » est fourni par les APC réagissant aux microbes. L'expression de molécules dans les APC qui servent de seconds signaux pour l'activation lymphocytaire fait partie de la réponse immunitaire innée à différents produits microbiens. Par exemple, de nombreuses bactéries produisent une substance appelée lipopolysaccharide (LPS), ou endotoxine. Lorsque les bactéries sont captées par les APC afin que leurs antigènes protéiques soient présentés, le LPS agit sur ces mêmes APC, par l'intermédiaire d'un TLR, et stimule l'expression de costimulateurs et la sécrétion de cytokines. Les costimulateurs et les cytokines, agissant de concert avec la reconnaissance des antigènes par le TCR, stimulent la prolifération et la différenciation des lymphocytes T en cellules effectrices et mémoire.
64
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Reconnaissance d'antigènes par les cellules B et d'autres lymphocytes Les lymphocytes B utilisent des anticorps liés à la membrane pour reconnaître une large variété d'antigènes, notamment des protéines, des polysaccharides, des lipides et de petites substances chimiques. Ces antigènes peuvent être exprimés à la surface des microbes (par exemple des antigènes de la capsule ou de l'enveloppe) ou peuvent se trouver sous forme soluble (par exemple, des toxines sécrétées). En réponse à la présence d'antigènes et à d'autres signaux, les lymphocytes B se différencient en cellules capables de sécréter des anticorps (voir chapitre 7). Les anticorps produits entrent dans la circulation sanguine et dans les sécrétions muqueuses, et se lient aux antigènes, entraînant leur neutralisation et leur élimination. Les récepteurs d'antigène des lymphocytes B et les anticorps sécrétés reconnaissent généralement les antigènes sous leur conformation native, sans qu'il soit nécessaire d'apprêter ou de présenter les antigènes à l'aide d'un système spécialisé. Des macrophages dans les sinus lymphatiques et des cellules dendritiques adjacentes aux follicules peuvent capter les antigènes qui entrent dans les ganglions lymphatiques et présenter les antigènes sous forme intacte (non apprêtée) aux lymphocytes B dans les follicules. Les follicules lymphoïdes riches en lymphocytes B des ganglions lymphatiques et de la rate contiennent une population de cellules appelées cellules dendritiques folliculaires (follicular dendritic cells, FDC), dont la fonction est de présenter les antigènes à des lymphocytes B activés. Les FDC ne sont pas dérivées de la moelle osseuse, ni apparentées aux cellules dendritiques qui apprêtent et présentent les antigènes aux cellules T. Les FDC expriment des récepteurs qui lient des antigènes couverts d'anticorps ou de produits dérivés du complément comme C3b et C3d, sans que n'interviennent des molécules du CMH. Les antigènes présentés par les FDC sont vus par des lymphocytes B spécifiques durant des réponses immunitaires humorales, et la fonction des FDC consiste principalement à sélectionner les lymphocytes B qui se lient aux antigènes avec une forte affinité. Ce processus est décrit au chapitre 7. Bien que ce chapitre ait été focalisé sur la reconnaissance des peptides par les cellules T CD4+ et CD8+ restreintes par le CMH, d'autres petites populations de cellules T reconnaissent différents types d'antigènes. Les cellules NK-T, qui sont distinctes des cellules NK décrites au chapitre 2, sont spécifiques de lipides présentés par les molécules CD1. Les cellules T innées associées aux muqueuses (cellules MAIT, mucosal associated innate T cells) sont spécifiques de métabolites bactériens de la vitamine B présentés par les molécules MR1 de type classe I. Les cellules T γδ reconnaissent une large variété de substances, certaines présentées par des molécules similaires à celles de classe I. D'autres lymphocytes ne requièrent apparemment aucun apprêtement ou présentation particulière. Les fonctions de ces cellules et la signification de leurs spécificités inhabituelles sont peu comprises.
Points clés ■
■
■
■
■
■
■
■
L'induction de réponses immunitaires dirigées contre des antigènes protéiques microbiens dépend d'un système spécialisé dans la capture et la présentation de ces antigènes afin qu'ils soient reconnus par les rares lymphocytes T naïfs spécifiques d'un antigène particulier. Les microbes et les antigènes microbiens qui pénètrent dans l'organisme à travers des épithéliums sont captés par des cellules dendritiques présentes dans les épithéliums et sont transportés dans les ganglions lymphatiques locorégionaux où ils sont pris en charge par des cellules dendritiques qui résident dans les ganglions lymphatiques et la rate. Les antigènes protéiques microbiens sont présentés par les APC à des lymphocytes T naïfs qui recirculent à travers les organes lymphoïdes. Des molécules codées dans le complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) exercent la fonction de présentation de peptides provenant d'antigènes protéiques. Les gènes du CMH sont très polymorphes. Leurs produits principaux sont les molécules du CMH des classes I et II, qui contiennent un sillon de liaison au peptide, dans lequel les résidus polymorphes sont concentrés, et des régions invariantes qui se lient respectivement aux corécepteurs CD8 et CD4. Les protéines qui sont produites dans le cytosol de cellules infectées ou tumorales, ou qui entrent dans le cytosol à partir de phagosomes, sont dégradées par des protéasomes, puis les peptides sont transférés par TAP dans le réticulum endoplasmique où ils s'insèrent dans les sillons de molécules du CMH de classe I nouvellement synthétisées. CD8 se liant à la partie invariante des molécules du CMH de classe I, les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques ne peuvent être activés que par des peptides associés aux molécules du CMH de classe I et qui proviennent de la dégradation de protéines cytosoliques par des protéasomes. Les protéines qui sont ingérées par les APC à partir de l'environnement extracellulaire sont dégradées par protéolyse à l'intérieur des vésicules des APC, et les peptides ainsi obtenus se lient aux sillons des molécules nouvellement synthétisées du CMH de classe II. Puisque CD4 se lie à une partie invariante du CMH de classe II, un T auxiliaire CD4+ ne peut être activé que par des peptides associés au CMH de classe II et qui proviennent principalement de protéines dégradées dans des vésicules, et qui sont typiquement des protéines extracellulaires ingérées. Le rôle des molécules du CMH dans la présentation des antigènes oblige les lymphocytes T à ne réagir qu'aux antigènes protéiques associés aux cellules et permet qu'une sous-population adéquate de lymphocytes T (lymphocytes auxiliaires ou lymphocytes cytotoxiques) réponde au type de microbes que le lymphocyte T est le mieux à même de combattre. Les microbes font exprimer par les APC des protéines membranaires (dites costimulatrices) et leur font sécréter des cytokines. Celles-ci envoient des signaux qui stimulent, de concert avec les antigènes, les lymphocytes T spécifiques. La nécessité de ces seconds signaux assure que les lymphocytes T répondent aux antigènes microbiens et non à des substances non microbiennes inoffensives. Les lymphocytes B reconnaissent les antigènes protéiques et non protéiques, même dans leur conformation native. Les cellules dendritiques folliculaires présentent les antigènes aux lymphocytes B des centres germinatifs, et sélectionnent les lymphocytes B de haute affinité au cours des réponses immunitaires humorales.
Chapitre
4
Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif Structure des récepteurs d'antigène des lymphocytes et développement des répertoires immunitaires PLAN DU CHAPITRE Récepteurs d'antigène des lymphocytes . . . . . Anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Récepteurs d'antigène des lymphocytes T . . . Développement des lymphocytes B et T . . . . . Développement des lymphocytes . . . . . . . . Production des divers récepteurs d'antigène . . . . . . . . . . . . . . . . . .
66 68 71 75 75
79 82
77
Les récepteurs d'antigène jouent des rôles essentiels dans la maturation des lymphocytes à partir de progéniteurs et dans toutes les réponses immunitaires adaptatives. Dans l'immunité adaptative, les lymphocytes naïfs reconnaissent les antigènes pour déclencher des réponses, tandis que des lymphocytes T effecteurs et des anticorps reconnaissent les antigènes afin d'exercer leurs fonctions. Pour reconnaître les antigènes, les lymphocytes B et T expriment des récepteurs différents : des anticorps attachés à la membrane des cellules B et les récepteurs des lymphocytes T (TCR). La fonction principale des récepteurs cellulaires dans le système immunitaire, comme dans les autres systèmes biologiques, est la détection de stimulus externes et le déclenchement des réactions des cellules qui expriment ces récepteurs. Pour reconnaître une large variété d'antigènes, les récepteurs d'antigène des lymphocytes doivent être capables de lier et de distinguer de nombreuses structures chimiques souvent étroitement apparentées. Les récepteurs sont distribués de manière clonale, ce qui signifie que chaque clone lymphocytaire est spécifique d'un antigène distinct et porte un récepteur unique, différent des récepteurs de tous les autres clones. Rappelons qu'un Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Maturation et sélection des lymphocytes B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Maturation et sélection des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
clone est constitué d'une cellule mère et de sa descendance. Le nombre total de clones lymphocytaires distincts est très grand, cet ensemble constituant le répertoire immunitaire. Bien que chaque clone de lymphocytes B ou T reconnaisse un antigène différent, tous les lymphocytes B ou lymphocytes T répondent de manière pratiquement identique à la reconnaissance des antigènes. Pour relier la reconnaissance de l'antigène à l'activation du lymphocyte, les récepteurs d'antigène transmettent des signaux biochimiques qui sont fondamentalement les mêmes dans tous les lymphocytes et sans rapport avec la spécificité. Les caractéristiques de la reconnaissance par les lymphocytes ainsi que celles des récepteurs d'antigène soulèvent les questions suivantes. ■ Comment les récepteurs d'antigène des lymphocytes reconnaissent-ils des antigènes extrêmement variés et transmettent-ils aux cellules des signaux activateurs ? ■ Quelles sont les différences dans les modes de reconnaissance par les récepteurs d'antigène des lymphocytes B et T ? ■ Comment la vaste diversité structurale des récepteurs dans le répertoire immunitaire est-elle générée ? La diversité de la reconnaissance antigénique implique 65
66
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
l'existence de nombreux récepteurs protéiques de structure différente, un nombre bien supérieur à ce qui peut être raisonnablement codé par le génome (c'està-dire la lignée germinale). Par conséquent, pour produire cette diversité, des mécanismes particuliers sont nécessaires. Dans ce chapitre, nous décrivons les structures des récepteurs d'antigène des lymphocytes B ou T, et comment ces récepteurs reconnaissent les antigènes. Nous abordons également la manière dont la diversité des récepteurs d'antigène est obtenue au cours du développement lymphocytaire, donnant ainsi naissance au répertoire des lymphocytes matures. Le processus d'activation des lymphocytes induit par l'antigène est décrit dans les chapitres ultérieurs.
Récepteurs d'antigène des lymphocytes Les récepteurs d'antigène des lymphocytes B et T présentent plusieurs caractéristiques importantes pour les fonctions de ces récepteurs dans l'immunité adaptative (fig. 4.1). Bien que ces récepteurs se ressemblent en termes de structure et de mécanismes de signalisation, les types de structure antigénique que les lymphocytes B et T reconnaissent diffèrent fondamentalement. ■ Les anticorps liés à la membrane plasmique, qui servent de récepteurs d'antigène aux lymphocytes B, peuvent reconnaître une gamme de nombreux types de structures chimiques, alors que les récepteurs d'antigène des lymphocytes T ne reconnaissent que des peptides liés aux molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Les récepteurs d'antigène des lymphocytes B et les anticorps qu'ils sécrètent peuvent reconnaître les formes, ou conformations, de macromolécules natives : des protéines, des lipides, des glucides et des acides nucléiques, ainsi que de simples et petits groupements chimiques. Cette large spécificité des cellules B envers des types moléculaires de structure différente dans leur forme native permet au système de l'immunité humorale de reconnaître divers microbes et toxines, d'y répondre et de les éliminer. Au contraire, la plupart des lymphocytes T ne peuvent reconnaître que des peptides, et unique ment lorsque ces peptides sont exposés à la surface des cellules présentatrices d'antigènes (APC), liés à des molécules du CMH. Cette spécificité évite que des cellules T interagissent avec des antigènes libres ou solubles et assure qu'elles n'interagissent qu'avec des antigènes microbiens ou tumoraux présents dans d'autres cellules du corps. ■ Les récepteurs d'antigène sont composés de régions (domaines) qui participent à la reconnaissance des antigènes et, par conséquent, diffèrent entre clones de lymphocytes. Pour assurer leur intégrité structurale et leurs fonctions effectrices, les récepteurs comportent aussi d'autres parties relativement conservées parmi l'ensemble des clones. Les domaines qui reconnaissent l'antigène sont dénommés régions variables (V), tandis que les parties conservées sont les régions constantes (C).
Même à l'intérieur de chaque région V, la majeure partie de la variation des séquences est concentrée dans de petites zones, appelées régions hypervariables ou régions déterminant la complémentarité (CDR, complementary determining region), dans la mesure où ce sont les parties du récepteur qui se lient aux antigènes, c'est-à-dire qui sont complémentaires de la forme de ces antigènes. En concentrant la variabilité des parties liant l'antigène dans de petites zones du récepteur, il est possible de maximiser la variabilité de la partie liant l'antigène tout en conservant la structure de base des récepteurs. Comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, au cours du développement des lymphocytes, des mécanismes génétiques spéciaux créent des gènes qui codent différentes régions variables pour les récepteurs protéiques d'antigène propres à chaque clone. ■ Les chaînes des récepteurs d'antigène sont associées à d'autres protéines membranaires invariantes, dont la fonction est de transmettre à l'intérieur de la cellule les signaux d'activation déclenchés par la reconnaissance de l'antigène (voir fig. 4.1). Ces signaux, transmis dans le cytosol et le noyau, peuvent déclencher la multiplication du lymphocyte, sa différenciation, l'exercice de ses fonctions effectrices ou, dans certaines circonstances, sa mort. Ainsi, les deux fonctions des récepteurs d'antigène des lymphocytes — reconnaissance des antigènes spécifiques et transduction des signaux — sont assurées par des polypeptides différents. Ces caractéristiques permettent de limiter la variabilité à un ensemble de molécules (les récepteurs d'antigène eux-mêmes), tout en réservant à d'autres protéines qui, elles, sont invariantes, la fonction conservée de transduction des signaux. L'ensemble formé par les chaînes du récepteur d'antigène et les molécules de signalisation dans les lymphocytes B est dénommé complexe du récepteur des lymphocytes B (BCR, B-cell receptor) et, dans les lymphocytes T, complexe du récepteur des lymphocytes T (TCR, T-cell receptor). Lorsque des antigènes se lient aux portions extracellulaires des récepteurs d'antigène, des portions intracellulaires des protéines de signalisation associées sont phosphorylées à hauteur de résidus tyrosine conservés par des enzymes appelées protéinetyrosine kinases. La phosphorylation déclenche des cascades de signalisation complexes qui culminent dans la transcription de nombreux gènes et la production de multiples protéines à la base des réponses lymphocytaires. Les processus d'activation des lymphocytes T et B seront à nouveau abordés respectivement dans les chapitres 5 et 7. ■ Les anticorps existent sous deux formes : soit comme récepteurs d'antigène ancrés dans la membrane des lymphocytes B soit comme protéines sécrétées, tandis que les TCR n'existent que sous la forme de récepteurs membranaires des lymphocytes T. Les anticorps sécrétés sont présents dans le sang et dans les sécrétions des muqueuses, où ils protègent contre les microbes ; ils constituent les molécules effectrices de l'immunité humorale. Les anticorps sont également appelés immunoglobulines (Ig), en référence au fait que ces protéines possèdent une fonction immunologique et présentent les
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif
Caractéristique Anticorps (immunoglobuline) ou fonction
67
Récepteur des lymphocytes T (TCR) Cellule présentatrice d'antigènes
lg membranaire Antigène
CMH Antigène
Igα
TCR
Igβ
CD3
ζ Transduction des signaux
Anticorps sécrété
Forme des antigènes reconnus
Diversité
Transduction des signaux
Fonctions effectrices : fixation du complément, liaison aux phagocytes
Macromolécules (protéines, polysaccharides, lipides, acides nucléiques), petites substances chimiques
Peptides présentés par les molécules du CMH sur des APC
Épitopes conformationnels et séquentiels
Épitopes linéaires
Chaque clone présente une spécificité unique ; possibilité* ~1011 spécificités distinctes
Chaque clone a une spécificité unique; possibilité de ~1016 spécificitiés distinctes
La reconnaissance Les régions variables (V) des chaînes lourdes et légères des de l'antigène est lg membranaires effectuée par :
Les régions variables (V) des chaînes α et β du TCR
Les fonctions de Les protéines (Igα et Igβ) signalisation sont associées aux lg membranaires assurées par :
Les protéines (CD3 and ζ) assocées au TCR
Les fonctions effectrices sont assurées par :
Les régions constantes (C) des lg sécrétées
Le TCR n'assure aucune fonction effectrice
Fig. 4.1. Propriétés des anticorps et des récepteurs d'antigène des lymphocytes T (TCR). Les anticorps (également dénommés immunoglobulines, Ig) peuvent être exprimés sous forme de récepteurs membranaires ou de protéines sécrétées ; les TCR fonctionnent uniquement comme récepteurs membranaires. Lorsque les molécules d'Ig ou de TCR reconnaissent les antigènes, des signaux sont transmis aux lymphocytes par des protéines associées aux récepteurs antigéniques. Les récepteurs d'antigène et les protéines de signalisation associées constituent les complexes du récepteur des lymphocytes B (BCR) et T (TCR). Notez que la figure représente des récepteurs uniques reconnaissant des antigènes, mais la signalisation nécessite typiquement l'agrégation de deux ou plusieurs récepteurs par liaison à des molécules antigéniques adjacentes. Les caractéristiques importantes de ces molécules de reconnaissance des antigènes sont résumées. * Le nombre total de récepteurs potentiels pourvus de sites de liaison uniques est très grand, mais seulement ~ 107-109 clones avec des spécificités distinctes sont présents chez les adultes APC : antigen-presenting cell ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité.
68
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
caractéristiques physiques des globulines. Les anticorps sécrétés reconnaissent les antigènes et les toxines des microbes au moyen de leurs domaines variables, exactement de la même manière que les récepteurs d'antigène liés à la membrane des lymphocytes B. Les régions constantes de certains anticorps sécrétés ont la capacité de se lier à d'autres molécules qui participent à l'élimination des antigènes ; parmi ces molécules, on peut citer des récepteurs se trouvant sur les phagocytes et les protéines du système du complément. Par conséquent, les anticorps assurent différentes fonctions dans l'immunité humorale : les anticorps liés à la membrane des lymphocytes B reconnaissent les antigènes afin de déclencher l'activation des cellules B, et les anticorps sécrétés éliminent les antigènes au cours de la phase effectrice de ces réponses. Dans l'immunité cellulaire, la fonction effectrice d'élimination des microbes est assurée par les lymphocytes T eux-mêmes et par d'autres leucocytes activés par les lymphocytes T. Les récepteurs d'antigène des lymphocytes T ne participent qu'à la reconnaissance de l'antigène et à l'activation des lymphocytes T, mais ces protéines n'assurent aucune fonction effectrice et ne sont pas sécrétées. Après cette introduction, ce chapitre traitera des récepteurs d'antigène des lymphocytes, d'abord des anticorps puis des TCR.
Anticorps Une molécule d'anticorps est composée de quatre chaînes polypeptidiques, à savoir deux chaînes lourdes (H) identiques et deux chaînes légères (L) identiques, chaque chaîne contenant une région variable et une région constante (fig. 4.2). Les quatre chaînes sont assemblées pour former une molécule en forme de « Y ». Chaque chaîne légère est liée à une chaîne lourde, et les deux chaînes lourdes sont liées entre elles, toutes ces liaisons étant assurées par des ponts disulfures. Une chaîne légère est constituée d'un domaine V et d'un domaine C, tandis qu'une chaîne lourde comprend un domaine V et trois ou quatre domaines C. Chaque domaine se replie pour adopter une conformation tridimensionnelle caractéristique, portant le nom de domaine d'immunoglobuline (Ig) (voir fig. 4.2D). Un domaine Ig consiste en deux feuillets β plissés superposés, unis par un pont disulfure. Les brins adjacents de chaque feuillet sont connectés par de courtes boucles saillantes d'hélices α ; dans les régions V des molécules d'Ig, trois de ces boucles constituent les trois CDR impliqués dans la reconnaissance de l'antigène. Les domaines Ig sans boucles hypervariables sont présents dans de nombreuses autres protéines appartenant ou non au système immunitaire, et la plupart de ces protéines participent à la détection de stimulus provenant de l'environnement ou d'autres cellules. Toutes ces protéines sont dites membres de la superfamille des immunoglobulines. Le site de liaison de l'antigène d'un anticorps se compose des régions V d'une chaîne lourde et d'une chaîne légère ; la structure de base d'un anticorps contient deux sites identiques de liaison à l'antigène (voir fig. 4.2).
Chaque région variable de la chaîne lourde (nommée VH) ou de la chaîne légère (nommée VL) contient trois régions hypervariables, ou CDR. Parmi ces trois régions, celle qui présente la variabilité la plus importante est CDR3, qui est située à la jonction des régions variables et constantes. Comme on pouvait le prévoir, CDR3 est également la partie de la molécule d'Ig qui contribue le plus à la liaison de l'antigène. La protéolyse des molécules d'anticorps a fourni des fragments de fonctions distinctes. Celui qui contient la totalité de la chaîne légère (avec ses seuls domaines V et C) attachée au domaine V et au premier domaine C d'une chaîne lourde est nécessaire à la reconnaissance de l'antigène, et dès lors s'appelle région Fab (fragment antigen binding). Les autres domaines C de la chaîne lourde constituent la région Fc, le sigle Fc signifiant fragment cristallin. Il peut, en effet, cristalliser en solution puisqu'il est identique dans toutes les molécules d'anticorps d'un type particulier. Dans chaque molécule d'Ig, il existe deux régions Fab identiques qui se lient à l'antigène attaché à une région Fc qui est responsable de la majeure partie de l'activité biologique et des fonctions effectrices des anticorps. Comme nous le verrons, certains anticorps sont constitués de deux ou cinq molécules d'Ig reliées entre elles. Liant les régions Fab et Fc de la plupart des molécules d'anticorps se trouve une partie flexible portant le nom de région charnière. Celle-ci permet aux deux régions Fab de chaque molécule d'anticorps de bouger, ce qui leur permet de se lier simultanément à des épitopes antigéniques séparés l'un de l'autre par des distances variables. L'extrémité carboxyterminale de la chaîne lourde peut être ancrée dans la membrane plasmique, ce qui est le cas des BCR, ou bien cette chaîne lourde peut se terminer par une extrémité incapable de s'ancrer à la membrane, ce qui fait de l'anticorps une protéine sécrétée. Les chaînes légères dans les molécules d'Ig ne sont pas fixées directement aux membranes cellulaires. Il existe cinq types de chaînes lourdes d'Ig, appelées μ, δ, γ, ε, α. Elles diffèrent dans leurs régions C ; chez l'homme, il y a quatre sous-types de chaîne γ, appelées γ1, γ2, γ3, γ4, et deux de chaîne α, appelées α1 et α2. Les anticorps qui diffèrent par leurs chaînes lourdes appartiennent à des isotypes, ou classes, distincts et sont nommés en fonction de leur chaîne lourde, IgM, IgD, IgG, IgE et IgA. Les isotypes diffèrent quant à leurs propriétés physiques et biologiques ainsi que par leurs fonctions effectrices (fig. 4.3). Les soustypes d'IgG diffèrent aussi l'un de l'autre par leurs propriétés fonctionnelles, ce qui n'est pas le cas pour les sous-types d'IgA. Les récepteurs d'antigène des lymphocytes B naïfs, qui sont des lymphocytes B matures n'ayant pas rencontré d'antigène, sont des IgM et des IgD membranaires. Après stimulation par l'antigène et par les lymphocytes T auxiliaires, le clone de lymphocytes B spécifique de l'antigène peut se développer et se différencier pour former des cellules filles sécrétant des anticorps. Une fraction de la descendance des lymphocytes B exprimant des IgM et des IgD peut sécréter des IgM, tandis qu'une autre fraction de la descendance des mêmes lymphocytes B peut produire des anticorps comprenant d'autres classes de chaînes lourdes. Ce changement dans la production d'isotypes d'Ig est appelé
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif
B IgM membranaire
Chaîne légère
S S
S
S
S S S
S S
S
S
S
S
S
S
S
S
S
S
S
CL
Région Fab
CH2
Région Fc
S S
S S
S S
S C 3 S H
S S
S S
CH2
CH3 CH4
C C
Pont disulfure
S S
VL
S
S
S S
S S
S
CH1
S
S
Queue
CL
C
Site de liaison au complément/ au récepteur de Fc
N
S
S
VL
N
S
S
S
CH1
C
Charnière
N
S
Chaîne lourde
VH
S
N
N
S
VH
N
S
N
S
N
Site de liaison à l'antigène
Site de liaison à l'antigène
S
A IgG sécrétée
69
Domaine d'lg
S S
Membrane plasmique des lymphocytes B
C C
C Structure tridimensionnelle d'une IgG sécrétée
D
Boucles des régions déterminant la complémentarité (CDR)
N
VL CL
1
S S
VH CH1
7 2
6 5
3
4
3b
CH2
3c
C H3
C
Fig. 4.2. Structure des anticorps. Schémas d'une molécule d'immunoglobuline G (IgG) sécrétée (A), et d'une molécule d'immunoglobuline M (IgM) membranaire (B). Ils montrent les domaines des chaînes lourdes et légères et les régions protéiques qui participent à la reconnaissance des antigènes et aux fonctions effectrices. N et C désignent respectivement les extrémités aminoterminale et carboxyterminale des chaînes polypeptidiques. La structure cristalline d'une molécule d'IgG sécrétée (C) montre les domaines et leur orientation spatiale. Les chaînes lourdes y sont représentées en bleu et en rouge, tandis que les chaînes légères sont représentées en vert ; les glucides sont en gris. La représentation en ruban du domaine V de l'Ig (D) montre la structure de base en feuillet β plissé et les boucles saillantes qui forment les trois CDR. CDR : complementaritydetermining region. Source : C, avec l'autorisation du Dr Alex McPherson, University of California, Irvine.
commutation de classe, ou commutation isotypique, des chaînes lourdes ; les mécanismes ainsi que leur importance sont décrits plus en détail dans le chapitre 7. Les deux types de chaînes légères, nommés κ et λ, diffèrent par leur région C. Chaque anticorps n'a seulement que des chaînes légères κ ou λ, mais jamais les deux, et
tous les anticorps produits par toute cellule B ont le même type de chaîne légère. Chaque type de chaîne légère peut s'associer à n'importe quel type de chaîne lourde dans une molécule d'anticorps. La classe des chaînes légères (κ ou λ) reste également inchangée pendant toute la vie de chaque clone de lymphocytes B, même si la commutation de classe
70
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Isotype des anticorps
Concentration Sous-types plasmatique ( chaîne H) (mg/ml)
Demi-vie plasmatique Forme sécrétée (jours)
IgA
IgA1,2 3,5 (α1 ou α2)
6
Surtout dimère, aussi monomère, trimère
Fonctions
Cα1
Immunité des muqueuses
Cα2 Cα3 Chaîne J
IgD
Aucun (δ)
Trace
3
Monomère
Récepteur d'antigène des cellules B naïves
IgE
Aucun (ε)
0,05
2
Monomère Cε1
Défense contre les helminthes, hypersensibilité immédiate
Cε2 Cε3 Cε4
IgG
IgG1-4 (γ1, γ2, γ3 ou γ4)
13,5
23
Monomère
Cγ1
Cγ2 Cγ3
IgM
Aucun (µ)
1,5
5
Pentamère Cµ1 Cµ2
Opsonisation, activation du complément, cytotoxicité à médiation cellulaire dépendant des anticorps, immunité néonatale, inhibition rétroactive des cellules B
Récepteur d'antigène Cµ4 des cellules B naïves (forme monomérique), activation du complément
Cµ3
Chaîne J Fig. 4.3. Caractéristiques des principaux isotypes (classes) d'anticorps. Le tableau résume certaines des caractéristiques importantes des principaux isotypes d'anticorps humains. Les isotypes sont classés sur la base de leur chaîne lourde ; chaque isotype peut contenir une chaîne légère κ ou λ. Les schémas montrent les différentes configurations des formes sécrétées de ces anticorps. Il est à noter que l'isotype IgA est composé de deux sous-classes, IgA1 et IgA2, tandis que les IgG comportent quatre sous-classes, IgG1, IgG2, IgG3 et IgG4. La plupart des fonctions d'opsonisation et de fixation du complément sont exercées par les IgG1 et IgG3. Les domaines des chaînes lourdes de chaque isotype sont indiqués. Pour des raisons historiques, les sous-classes d'IgG portent différents noms dans d'autres espèces ; chez la souris, elles portent les noms d'IgG1, IgG2a, IgG2b, IgG2c et IgG3. Les concentrations plasmatiques et les demi-vies correspondent aux valeurs moyennes d'individus normaux.
de chaîne lourde a eu lieu. La fonction des chaînes légères est de former avec les chaînes lourdes la surface par laquelle les anticorps lient un antigène ; les chaînes légères ne participent pas aux fonctions effectrices, sauf pour se lier aux microbes et aux toxines pour les neutraliser.
Liaison des antigènes aux anticorps Les anticorps sont capables de se lier à une grande variété d'antigènes, notamment des macromolécules et des
petites substances chimiques. En effet, les boucles constituant les CDR peuvent soit se rapprocher pour former des sillons capables d'accueillir de petites molécules, soit former des surfaces plus étendues qui peuvent accueillir diverses molécules plus grandes (fig. 4.4). Les anticorps se lient aux antigènes par l'intermédiaire d'interactions réversibles et non covalentes, à savoir des ponts hydrogène, des interactions hydrophobes ou des liaisons basées sur les charges. Les parties de l'antigène qui sont reconnues par les anticorps
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif
71
celui-ci reconnaît un antigène, l'Igα et l'Igβ transmettent des signaux à l'intérieur du lymphocyte B, ce qui déclenche son activation. Ces signaux, ainsi que d'autres qui interviennent dans les réponses immunitaires humorales, sont décrits de manière plus détaillée au chapitre 7.
Anticorps monoclonaux
Fig. 4.4. Liaison d'un antigène à un anticorps. Ce modèle de liaison d'un antigène protéique à une molécule d'anticorps montre comment le site de liaison à l'antigène peut s'attacher aux macromolécules solubles dans leur conformation native (repliée). Les chaînes lourdes de l'anticorps sont en rouge, les chaînes légères en jaune et l'antigène en bleu. Source : avec l'autorisation du Dr Dan Vaughn, Cold Spring Harbor Laboratory, Cold Spring Harbor, New York.
portent le nom d'épitopes, ou déterminants. Certains épitopes des antigènes protéiques peuvent être un étirement continu d'acides aminés dans la structure primaire de la protéine ; ces épitopes sont qualifiés de linéaires. Parfois, des acides aminés qui ne sont pas attachés l'un à l'autre dans la structure primaire peuvent être rapprochés lorsque la protéine se replie, lui donnant une forme particulière qui est reconnue par un anticorps ; de tels déterminants sont appelés épitopes conformationnels. La force avec laquelle un site de liaison à l'antigène d'un anticorps se fixe à l'épitope d'un antigène est appelée affinité d'interaction. L'affinité est souvent exprimée par la constante de dissociation (Kd), qui est la concentration molaire en antigène nécessaire pour occuper la moitié des molécules d'anticorps présentes dans une solution ; plus le Kd est faible, plus l'affinité est élevée. La plupart des anticorps produits au cours d'une réponse immunitaire primaire possèdent une valeur de Kd comprise entre 10− 6 et 10− 9 M ; mais après une stimulation répétée (par exemple, au cours d'une réponse immunitaire secondaire), l'affinité augmente pour atteindre une valeur de Kd comprise entre 10− 8 et 10− 11 M. Cette augmentation de la force de liaison à l'antigène porte le nom de maturation d'affinité (voir chapitre 7). Chaque molécule d'anticorps IgG, IgD et IgE possède deux sites de liaison à un antigène. L'IgA sécrétée est un dimère de deux molécules d'IgA liées et, par conséquent, est pourvue de quatre sites de liaison antigénique, tandis que l'IgM sécrétée est un pentamère, portant dix sites de liaison antigénique. Ainsi, chaque molécule d'anticorps peut fixer de deux à dix épitopes d'un antigène ou des épitopes sur deux ou plus antigènes voisins. La force totale de liaison est de beaucoup supérieure à l'affinité d'une seule liaison antigène-anticorps, et est appelée avidité. Les anticorps dirigés contre un antigène peuvent se fixer à d'autres antigènes de structure similaire. Une telle liaison à des épitopes semblables est dite réaction croisée. Dans les lymphocytes B, les molécules d'Ig membranaires sont associées de manière non covalente à deux autres protéines, appelées Igα et Igβ ; ces dernières se combinent à l'Ig de membrane pour constituer le complexe BCR. Lorsque
Le concept selon lequel un clone de lymphocytes B fabrique un anticorps de spécificité unique a été exploité pour produire des anticorps monoclonaux, l'une des avancées techniques les plus importantes en immunologie, dont les implications en médecine et en recherche ont été considérables. Pour produire des anticorps monoclonaux, on prélève les lymphocytes B chez un animal immunisé contre un antigène et, comme ces cellules survivent peu longtemps in vitro, on les fusionne avec des cellules de myélome (tumeurs des plasmocytes), qui peuvent être propagées indéfiniment en culture (fig. 4.5). La lignée cellulaire de myélome est mutée afin de présenter un déficit enzymatique la rendant incapable de croître en présence d'une certaine substance toxique. En revanche, les cellules fusionnées se multiplient car les lymphocytes B normaux fournissent l'enzyme manquante. Par conséquent, en fusionnant les deux populations cellulaires et en les sélectionnant par une culture avec la substance toxique, on peut faire pousser des cellules fusionnées qui sont des hybrides de cellules B et de myélome et qui sont appelées hybridomes. Ces cellules d'hybridome produisent des anticorps, comme les cellules B normales, mais croissent de manière continue, ayant acquis la propriété d'immortalité des cellules de myélome. À partir des hybridomes, on peut sélectionner et cloner les cellules qui sécrètent un anticorps de spécificité voulue ; ce sont des anticorps monoclonaux homogènes. Il est possible d'en produire contre pratiquement n'importe quel épitope sur tout antigène. La plupart des anticorps monoclonaux contre des molécules d'intérêt proviennent de la fusion d'un myélome murin avec des cellules de souris immunisées avec cet antigène. De tels anticorps monoclonaux de souris ne peuvent pas être injectés de façon répétée à l'homme, car l'organisme humain considère les Ig de souris comme étrangères et déclenche une réponse immunitaire contre les anticorps injectés. Ce problème a été résolu partiellement par ingénierie génétique qui ne conserve de l'anticorps monoclonal de souris que les CDR et remplace le reste par une Ig humaine ; ce type d'anticorps humanisé est moins immunogène et convient mieux pour une administration humaine. Plus récemment, des anticorps monoclonaux ont été produits par génie génétique et clonage de l'ADN codant des anticorps humains de la spécificité souhaitée. Une autre stratégie consiste à remplacer les gènes d'Ig de souris par des gènes d'anticorps humains, puis à immuniser la souris contre l'antigène d'intérêt. Les anticorps monoclonaux sont aujourd'hui largement utilisés comme agents thérapeutiques et réactifs diagnostiques dans de nombreuses maladies humaines (fig. 4.6).
Récepteurs d'antigène des lymphocytes T Le TCR, qui reconnaît, des antigènes peptidiques présentés par des molécules du CMH est une protéine
72
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Isolement de cellules spléniques d'une souris immunisée avec l'antigène X
Cellules B spléniques dont certaines produisent des anticorps anti-X
Antigène X
Fusion
Lignée myélomateuse mutante et immortelle ; incapable de croître en milieu sélectif
Fusion des cellules spléniques et des cellules de la lignée myélomateuse Culture dans un milieu sélectif Seules les cellules fusionnées (hybridomes) prolifèrent
Isolement de clones dérivés de cellules uniques
Sélection,sur les surnageants,des clones producteurs d'anticorps anti-X et mise en culture des clones positifs Hybridomes producteurs d'anticorps monoclonal anti-X
Fig. 4.5. Production d'hybridomes et d'anticorps monoclonaux. Des cellules de rate provenant d'une souris immunisée avec un antigène connu sont fusionnées avec une lignée cellulaire myélomateuse qui est déficiente en une enzyme et qui ne sécrète pas ses propres Ig. Les cellules fusionnées sont ensuite placées dans un milieu de sélection qui permet la survie uniquement des hybrides immortalisés : les cellules B normales fournissent l'enzyme dont le myélome est dépourvu, les cellules B non fusionnées ne pouvant pas survivre. Ces cellules hybrides sont ensuite cultivées comme des clones de cellules uniques et sélectionnées ensuite sur base de la sécrétion de l'anticorps de la spécificité désirée. Le clone producteur de cet anticorps est ensuite amplifié et devient ainsi la source de l'anticorps monoclonal.
membranaire composée d'une chaîne α et d'une chaîne β, chaque chaîne contenant une région variable (V) et une région constante (C) (fig. 4.7). Les régions V et C
sont homologues aux régions V et C des immunoglobulines. Dans la région V de chaque chaîne de TCR, il existe trois régions hypervariables, ou région déterminant la
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif
73
Maladies inflammatoires (immunitaires) Cible
Effet
Maladies
CD20
Déplétion de cellules B
Lymphomes à cellules B, polyarthrite rhumatoïde, sclérose en plaques, autres maladies auto-immunes
IgE
Bloque la fonction IgE
Asthme allergique
Récepteur de l'IL-6
Bloque l'inflammation
Polyarthrite rhumatoïde
TNF
Bloque l'inflammation
Polyarthrite rhumatoïde, maladie de Crohn, psoriasis
Cible
Effet
Maladies
CD52
Déplétion des lymphocytes Leucémie lymphoïde chronique
CTLA-4
Activation des cellules T
Mélanome
EGFR
Inhibition de la croissance des tumeurs épithéliales
Cancers colorectal, pulmonaire, de la tête et du cou
HER2/Neu
Inhibition des signaux de l'EGF ; déplétion des cellules tumorales
Cancer du sein
PD-1
Activation des cellules T effectrices
Nombreuses tumeurs
PD-L1
Activation des cellules T effectrices
Nombreuses tumeurs
VEGF
Blocage de l'angiogenèse des tumeurs
Cancer du sein, cancer du côlon, dégénérescence maculaire liée à l'âge
Cible
Effet
Maladies
Glycoprotéine IIb/IIIa
Inhibition de l'agrégation plaquettaire
Maladie cardiovasculaire
Cancer
Autres maladies
Fig. 4.6. Sélection d'anticorps monoclonaux utilisés en pratique clinique. Le tableau énumère certains des anticorps monoclonaux qui sont autorisés pour le traitement de divers types de maladies.
Chaîne β N
Vβ
Cβ
N Chaîne α
S
S
S
S
S
S S
S
Vα
Vβ
Vα
Cα Cβ
Cα
S S
C C Région transmembranaire
Pont disulfure S S Domaine d'Ig
S S
Groupe glucidique Fig. 4.7. Structure du récepteur d'antigène des lymphocytes T (TCR). Ce schéma d'un TCR αβ (à gauche) montre les domaines d'un TCR typique spécifique d'un complexe peptide-CMH. La portion de liaison à l'antigène du TCR est formée par les domaines V des chaînes α et β. N et C désignent les extrémités aminoterminale et carboxyterminale des polypeptides. Le schéma en ruban (à droite) montre la structure de la partie extracellulaire d'un TCR révélée par cristallographie aux rayons X. Source : d'après Bjorkman PJ. MHC restriction in three dimensions: a view of T cell receptor/ligand interactions. Cell 1997 ; 89 : 167–70. © Cell Press ; avec autorisation.
74
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
complémentarité (CDR), chacune correspondant à une boucle dans le domaine V. Comme pour les anticorps, la région CDR3 est celle qui présente le plus de variabilité parmi les différents TCR.
TCR Vβ Vα
Peptide
Reconnaissance de l'antigène par le récepteur de cellule T La chaîne α et la chaîne β du TCR participent toutes deux à la reconnaissance spécifique des molécules du CMH et des peptides liés (fig. 4.8). L'une des caractéristiques de la reconnaissance des antigènes par le lymphocyte T, apparue lors des études de cristallographie aux rayons X de TCR liés à des complexes peptide-CMH, est que chaque TCR n'interagit qu'avec un à trois résidus d'acides aminés du peptide associé à la molécule du CMH et interagit aussi avec la molécule du CMH présentant le peptide. Le TCR reconnaît l'antigène mais, comme les Ig membranaires des lymphocytes B, il ne peut transmettre les signaux à l'intérieur des lymphocytes T. On trouve, associé au TCR, un groupe de protéines, CD3 et la chaîne ζ, qui constituent avec le TCR le complexe du TCR (voir fig. 4.1). Les chaînes CD3 et ζ sont essentielles pour l'initiation de la signalisation lorsque le TCR reconnaît l'antigène. En outre, l'activation des lymphocytes T nécessite la participation de molécules coréceptrices, CD4 ou CD8, qui reconnaissent des parties non polymorphes des molécules du CMH. Les fonctions des protéines associées au TCR et des corécepteurs sont décrites au chapitre 5. La reconnaissance des antigènes par les récepteurs des lymphocytes B et T diffère de manière importante (fig. 4.9).
α1
α2
β2m
CMH (classe I)
α3
Fig. 4.8. Reconnaissance d'un complexe peptide-CMH par un récepteur d'antigène d'un lymphocyte T. Ce schéma en ruban est obtenu à partir de la structure du cristal de la partie extracellulaire d'un complexe peptide-CMH lié à un TCR spécifique du peptide présenté par la molécule du CMH. Le peptide est représenté fixé au sillon se trouvant au sommet de la molécule du CMH, un résidu du peptide étant en contact avec la région V du TCR. La structure des molécules du CMH et leur fonction de protéines de présentation des peptides sont décrites dans le chapitre 3. β2m : β2-microglobuline ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; TCR : récepteur des cellules T. Source : d'après Bjorkman PJ. MHC restriction in three dimensions: a view of T cell receptor/ligand interactions. Cell 1997 ; 89 : 167–70. © Cell Press ; avec autorisation.
Caractéristique Molécule liant un antigène
Immunoglobuline (Ig) Récepteur de cellule T (TCR)
Antigène
CD4
Peptide TCR
Ig
Liaison à l'antigène
Trois CDR dans VH et trois CDR dans VL
Trois CDR dans Vα et trois CDR dans Vβ
Changements dans les régions constantes
Commutation de classe de chaîne lourde et changement de l'Ig membranaire en Ig sécrétée
Aucun
Affinité de liaison à l'antigène
Kd 10–7–10 –11 M ; affinité Kd 10–5–10–7 M ; pas de moyenne des Ig changement durant la augmente durant la réponse immunitaire réponse immunitaire
Association rapide, Association et dissociation dissociation variable
Association lente, dissociation lente
Fig. 4.9. Caractéristiques de la reconnaissance des antigènes par les immunoglobulines (Ig) et les récepteurs d'antigène des lymphocytes T (TCR). Le tableau résume les principales similitudes et différences des molécules d'Ig et de TCR, récepteurs d'antigène respectivement des lymphocytes B et T.
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif Les anticorps peuvent se lier à de nombreux types différents de structures chimiques et, souvent, avec une forte affinité. Aussi, ils peuvent s'attacher à une grande variété de microbes et de toxines et les neutraliser, même si leur présence est faible dans la circulation sanguine ou dans les sécrétions des muqueuses. Les TCR ne reconnaissent que les complexes peptide-CMH, et ne s'y attachent qu'avec une affinité relativement faible. C'est pourquoi la liaison des lymphocytes T aux APC doit être renforcée par des molécules d'adhérence intercellulaire (voir chapitre 5). La structure tridimensionnelle du TCR est similaire à celle de la région Fab d'une molécule d'Ig. Contrairement aux anticorps de membrane, dans lesquels seule la chaîne lourde est ancrée dans la membrane, les deux chaînes du TCR sont ancrées dans la membrane plasmique. Les TCR ne sont pas produits sous forme sécrétée, et ils ne changent pas de classe ni d'affinité au cours de la vie d'une cellule T. Environ 5 à 10 % des lymphocytes T de l'organisme expriment des récepteurs composés de chaînes γ et δ. Ces récepteurs ont une structure similaire à celle des TCR αβ, mais possèdent des spécificités très différentes. Le TCR γδ peut reconnaître un certain nombre d'antigènes protéiques et non protéiques généralement non présentés par des molécules du CMH classique. Les lymphocytes T exprimant des TCR γδ sont abondants dans les épithéliums. Cette observation suggère que les lymphocytes T γδ reconnaissent des microbes qui sont généralement rencontrés au niveau des surfaces épithéliales. Néanmoins, ni la spécificité ni la fonction de ces lymphocytes T ne sont clairement établies. Une autre sous-population de lymphocytes T, représentant moins de 5 % de l'ensemble des lymphocytes T, exprime des TCR αβ et des molécules de surface trouvées sur les cellules NK (natural killer) ; on nomme dès lors ces cellules NK-T. Celles-ci expriment des TCR αβ de diversité limitée, mais elles reconnaissent des antigènes lipidiques présentés par des molécules non polymorphes similaires au CMH de classe I appelées CD1. Un troisième sous-ensemble de lymphocytes T qualifiés d'invariants associés aux muqueuses (MAIT, mucosal associated invariant T) exprime également les TCR αβ avec une diversité limitée, dont certains sont spécifiques des métabolites de la vitamine B dérivés de bactéries et liés à une protéine de type CMH appelée MR1. Les cellules MAIT ne représentent qu'environ 5 % des lymphocytes T sanguins, mais jusqu'à 20 à 40 % des lymphocytes T hépatiques humains. Les fonctions physiologiques des cellules NK-T et MAIT ne sont pas bien comprises.
Développement des lymphocytes B et T Connaissant la composition des récepteurs d'antigène des lymphocytes B et T ainsi que la façon dont ces récepteurs reconnaissent les antigènes, on doit maintenant répondre à la question : comment l'énorme diversité des récepteurs est-elle générée ? Comme la théorie de la sélection clonale le prévoyait, il existe de nombreux clones de lymphocytes présentant des spécificités distinctes, pouvant atteindre le chiffre de 107–109, alors que ces clones apparaissent avant la rencontre avec un antigène. Si chacun des récepteurs possibles était codé par un gène, une grande fraction du génome
75
serait consacrée exclusivement à coder des récepteurs d'antigène ; ce qui est évidemment invraisemblable. En fait, le système immunitaire a développé des mécanismes qui permettent la constitution de récepteurs d'antigène extrêmement variés à partir d'un nombre limité de gènes hérités, et la production des différents récepteurs est intimement liée au processus de maturation des lymphocytes B et T. Le processus de maturation des lymphocytes génère d'abord un très grand nombre de cellules, chacune avec un récepteur d'antigène différent, parmi lesquelles sont ensuite conservées celles porteuses de récepteurs utiles. La génération de millions de récepteurs est un processus moléculaire qui ne peut pas être influencé par ce que les récepteurs reconnaissent, puisque la reconnaissance ne peut intervenir qu'après la génération du récepteur et son expression. Une fois que ces récepteurs d'antigène sont exprimés sur les lymphocytes en développement, des processus de sélection entrent en jeu, assurant la survie des cellules par des récepteurs capables de reconnaître des antigènes tels que des antigènes microbiens, et éliminant les cellules qui ne peuvent reconnaître aucun antigène ou qui, en reconnaissant suffisamment bien des antigènes du soi, constituent un risque de causer une maladie auto-immune. Nous allons décrire chacun de ces événements.
Développement des lymphocytes Le développement des lymphocytes à partir des cellules souches de la moelle osseuse implique l'orientation des progéniteurs hématopoïétiques dans la lignée des cellules T et B, la prolifération de ces progéniteurs, le réarrangement et l'expression des gènes codant les récepteurs d'antigène et les événements de sélection des lymphocytes pour le maintien et l'expansion des cellules qui expriment des récepteurs d'antigène potentiellement utiles (fig. 4.10). Ces étapes sont communes aux lymphocytes B et T, même si les lymphocytes B viennent à maturité dans la moelle osseuse et les lymphocytes T dans le thymus. Chacun des processus qui se déroulent au cours de la maturation des lymphocytes joue un rôle particulier dans l'élaboration du répertoire des lymphocytes. ■ La maturation des progéniteurs lymphoïdes communs dans la moelle osseuse aboutit à l'engagement vers les lignées cellulaires B ou T. Cet engagement est associé à l'activation de plusieurs facteurs de transcription spécifiques de lignée ainsi qu'à une accessibilité accrue des gènes des Ig et des TCR à la machinerie de recombinaison génique, décrite plus loin. ■ Les lymphocytes en développement prolifèrent à plusieurs stades de leur maturation. La prolifération des lymphocytes en développement est nécessaire pour maximiser le nombre de cellules exprimant des récepteurs antigéniques fonctionnels, aboutissant à des lymphocytes matures fonctionnellement compétents. La survie et la prolifération des précurseurs lymphocytaires les plus précoces sont stimulées principalement par des facteurs de croissance qui sont produits par des cellules stromales de la moelle osseuse et du thymus. Chez les humains, l'IL-7 maintient et augmente le nombre des progéniteurs de lymphocytes T avant qu'ils n'expriment des récepteurs d'antigène. Les facteurs de croissance
76
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Engagement
Prolifération
Expression du Expression Prolifération du récepteur récepteur d'antigène pré-B/T d'antigène
Sélection positive et négative
Reconnaissance faible de l'antigène
Progéniteur lymphoïde commun
Cellules pro-B/T
Cellule pré-B/T : exprime une chaîne de récepteur d'antigène
Cellule B/T immature : exprime un récepteur d'antigène complet
Cellule T/B mature
Sélection positive
Reconnaissance forte de l'antigène
Échec de l'expression du prérécepteur d'antigène ; mort cellulaire
Échec de l'expression du prérécepteur d'antigène ; mort cellulaire
Sélection négative
Fig. 4.10. Étapes de maturation des lymphocytes. Au cours de leur maturation, les lymphocytes B et T subissent des cycles de prolifération et d'expression des récepteurs d'antigène par recombinaison génique. Les cellules qui ne parviennent pas à exprimer des récepteurs fonctionnels meurent par apoptose, car elles ne reçoivent pas les signaux de survie nécessaires. À la fin du processus, les cellules subissent une sélection positive et négative. Les lymphocytes représentés peuvent être des lymphocytes B ou T.
requis pour l'expansion des progéniteurs des cellules B humaines ne sont pas définis. Cette prolifération génère un vaste pool de cellules dans lequel différents récepteurs d'antigène peuvent être générés. Une prolifération encore plus importante des lignées de cellules B et T survient après que les lymphocytes en développement ont achevé leur premier réarrangement génique du récepteur d'antigène (décrit plus loin) et assemblé un soi-disant prérécepteur d'antigène. Cette étape est un point de contrôle de qualité dans le développement lymphocytaire, décrit ci-dessous ; il préserve les cellules dotées de récepteurs fonctionnels. ■ Au cours de plusieurs phases de leur maturation, les lymphocytes subissent une sélection qui leur permet de conserver les spécificités utiles. La sélection repose sur l'expression de composants intacts de récepteurs d'antigène et sur ce qu'ils reconnaissent. Comme nous le verrons plus loin, la plupart des tentatives visant à générer des récepteurs d'antigène échouent à cause d'erreurs durant le processus de recombinaison génique. Par conséquent, il doit y avoir des points de contrôle au cours desquels seules les cellules qui peuvent exprimer des composants fonctionnels des récepteurs d'antigène sont sélectionnées pour survivre et proliférer. Les prélymphocytes et les lymphocytes immatures qui n'expriment pas de récepteurs d'antigène meurent par apoptose (fig. 4.10). Les réarrangements de gènes dans
les lymphocytes en développement génèrent de manière aléatoire des récepteurs d'antigène avec des spécificités très diverses. Certaines d'entre elles peuvent être incapables de reconnaître des antigènes chez l'individu, par exemple si le TCR ne peut reconnaître des allèles du CMH présents chez cet individu. Afin de préserver les cellules T qui seront fonctionnelles, les lymphocytes T immatures ne sont sélectionnés pour survivre que s'ils ont une certaine affinité pour des molécules du CMH dans le thymus. Ce processus, appelé sélection positive, assure que des cellules qui arrivent à maturité complète seront capables de reconnaître des peptides microbiens présentés par les mêmes molécules du CMH sur les APC (qui sont les seules molécules du CMH que ces cellules peuvent normalement rencontrer). D'autres récepteurs d'antigène peuvent reconnaître fortement certains peptides de protéines du soi liés au CMH du soi, ou reconnaissent fortement le CMH du soi quel que soit le peptide présenté. Une autre sélection est nécessaire pour éliminer ces lymphocytes potentiellement dangereux et empêcher le développement de réactions auto-immunes. L'élimination des lymphocytes B et T fortement autoréactifs est appelée sélection négative. Les processus de maturation et de sélection des lymphocytes B et T partagent quelques caractéristiques importantes, mais diffèrent aussi sur plusieurs points. Nous
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif
77
Gènes des récepteurs antigéniques hérités
commencerons par décrire l'événement central qui est commun aux deux lignées, à savoir la recombinaison et l'expression des gènes des récepteurs d'antigène.
Les cellules souches hématopoïétiques dans la moelle osseuse et les progéniteurs lymphoïdes précoces contiennent des gènes codant les Ig et le TCR dans leur configuration héréditaire, ou germinale. Dans cette configuration, les locus de la chaîne lourde et de la chaîne légère des Ig et les locus de la chaîne α et de la chaîne β du TCR contiennent chacun de multiples segments géniques de régions variables (V), pouvant atteindre une centaine, et un seul ou quelques gènes de régions constantes (C) (fig. 4.11). Entre les segments
Production des divers récepteurs d'antigène La formation des gènes fonctionnels qui codent les récepteurs d'antigène des lymphocytes B et T débute par une recombinaison somatique de segments géniques codant les régions variables des récepteurs, la diversité des récepteurs étant générée durant ce processus.
Domaines Domaine transmembranaire extracellulaire et cytoplasmique
Locus de la chaîne H des Ig (chromosome 14) L V1
(n = ~45) Vn
D (n =23)
Cµ
J
Cδ
Cγ3
Cγ1
5'
3' Cα1
Cγ2
Cγ4
Cε
Cα2
Locus de la chaîne κ des Ig (chromosome 2) L V1
(n = ~35) Vn
J
C
5'
3'
Locus de la chaîne λ des lg L V1
(n = ~30) L Vn
(chromosome 22) J1
C1
J2
C2
J3
C3
J7
C7
3'
5'
Locus de la chaîne β du TCR (chromosome 7) L V1
(n = ~48) Vn D1
J1
C1
D2
J2
C2
5'
3'
Locus de la chaîne α du TCR (chromosome 14) L V1
5'
(n = ~45) Vn
J (n = ~50)
C
3'
Fig. 4.11. Organisation des locus des gènes des récepteurs d'antigène de la lignée germinale. Dans la lignée germinale, les locus des gènes des récepteurs d'antigène contiennent des segments codants (exons, représentés par des blocs colorés de taille différente) qui sont séparés par des segments qui ne sont pas exprimés (introns, représentés sous forme de segments en gris). Chaque région constante (C) des chaînes lourdes d'Ig et chaque région C du TCR sont composées de multiples exons (non montrés) qui codent les domaines des régions C ; l'organisation de l'exon Cμ dans un locus de chaîne lourde d'Ig est présentée comme exemple. Les schémas représentent les locus des gènes des récepteurs d'antigène chez l'homme ; l'organisation de base est la même dans toutes les espèces, bien que l'ordre précis et le nombre de segments géniques puissent varier. Les nombres de segments géniques V, D et J sont des estimations de segments géniques fonctionnels (ceux qui codent des protéines). Les tailles des segments et les distances entre eux ne sont pas représentées à l'échelle. L : séquence signal (leader, petite séquence de nucléotides qui guide les protéines à travers le réticulum endoplasmique puis est clivée dans les protéines matures) ; C : segments constants ; D : diversité ; J : jonction ; V : variable.
78
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
géniques V et C se trouvent des groupes de plusieurs courtes séquences codantes, appelées segments géniques de jonction (J) et de diversité (D). Tous les locus des gènes des récepteurs d'antigène contiennent des segments géniques V, J et C, mais seuls les locus de la chaîne lourde des Ig et de la chaîne β du TCR contiennent en plus des segments géniques D. Ces segments géniques séparés ne peuvent coder des protéines réceptrices d'antigène fonctionnelles, ils doivent donc être réunis au cours de la maturation lymphocytaire.
segment V avec le complexe D-J fusionné (fig. 4.12). Par conséquent, le lymphocyte B engagé dans sa maturation, mais encore immature, possède un exon V-D-J recombiné dans le locus de la chaîne lourde. Ce gène est transcrit et, dans le transcrit primaire, l'exon V-D-J, subit un épissage qui joint le complexe V-D-J aux exons de la région C de la chaîne μ, en position 5' des gènes codant les régions C. L'ARNm μ qui en résulte est traduit en la chaîne lourde μ, première protéine d'Ig synthétisée au cours de la maturation des lymphocytes B. Une séquence essentiellement similaire de recombinaison de l'ADN et d'épissage de l'ARN conduit à la production d'une chaîne légère, sauf que les locus des chaînes légères sont dépourvus de segments D ; aussi, un exon de la région V recombine directement avec un segment J. Les réarrangements des gènes des chaînes α et des chaînes β du TCR dans les lymphocytes T ressemblent aux réarrangements respectifs des chaînes L et des chaînes H d'Ig.
Recombinaison somatique et expression des gènes des récepteurs antigéniques La différenciation d'un progéniteur lymphocytaire en lymphocyte B est associée à la recombinaison de segments géniques sélectionnés de manière aléatoire dans le locus de la chaîne lourde d'Ig, d'abord un segment D avec un segment J pour former un complexe DJ fusionné, puis d'un V1
ADN germinal du locus Ig H
J 1-6
D1-Dn
Vn
Cµ
5'
3'
Recombinaison somatique (jonction D-J) dans deux clones de cellules B ADN recombiné dans deux clones 5' de cellules B
ADN recombiné dans deux clones de cellules B
V1
Vn
D1J1
V1
Cµ 3'
D3J2
Vn
3'
5'
Recombinaison somatique (jonction V-DJ) dans deux clones VnD3J2 Cµ de cellules B
V1D1J1 5'
Cµ
3'
Cµ 3'
5'
Transcription Transcrit primaire d'ARN
ARN messager (ARNm)
V1D1J1
VnD3J2
Cµ
5'
3'
Cµ
5'
3'
Maturation de l'ARN (épissage) VnD3J2 Cµ
V1D1J1 Cµ AAA
AAA
Traduction Chaînes µ d'Ig dans deux clones de cellules B
V CDR3
Cµ
V
Cµ
CDR3
Fig. 4.12. Recombinaison et expression des gènes d'Ig. L'expression d'une chaîne lourde d'Ig comprend deux événements de recombinaison génique (union de D-J, suivie par l'union d'une région V au complexe DJ, avec délétion et perte de segments géniques). Le gène recombiné est transcrit et le complexe VDJ du premier ARN de la chaîne lourde (qui est μ) subit un épissage qui donne l'ARNm μ. L'ARNm est traduit et produit la protéine de la chaîne lourde μ. La recombinaison d'autres gènes codant les récepteurs d'antigène, c'est-à-dire la chaîne légère d'Ig et les chaînes α et β du TCR, suit pratiquement la même séquence, à l'exception du fait que dans les locus ne contenant pas de segments D (chaînes légères d'Ig et chaîne α du TCR), un gène V recombine directement avec un segment génique J.
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif
Mécanismes des recombinaisons V(D)J La recombinaison somatique des segments géniques V et J, ou V, D et J, est assurée par une enzyme spécifique de la lignée lymphoïde, dénommée recombinase V(D)J et des enzymes supplémentaires, dont la plupart ne sont pas spécifiques des lymphocytes et sont impliquées dans la réparation des cassures de l'ADN double brin causées par la recombinase. La recombinase V(D)J spécifique de la lignée lymphoïde est composée des protéines RAG1 et RAG2 (recombinase-activating gene), et reconnaît des séquences d'ADN qui encadrent tous les segments géniques V, D et J des récepteurs d'antigène. À la suite de cette reconnaissance, la recombinase place deux segments géniques d'Ig ou de TCR à proximité l'un de l'autre et clive l'ADN dans des sites spécifiques. Les cassures de l'ADN sont ensuite réparées par des ligases, produisant un exon V-J ou V-D-J recombiné complet, sans les segments d'ADN intermédiaires (voir fig. 4.12). La recombinase V(D)J est exprimée uniquement dans les lymphocytes B et T immatures. Bien que la même enzyme puisse assurer la recombinaison de tous les gènes codant les Ig et le TCR, les gènes complets des chaînes lourdes et légères d'Ig sont réarrangés et exprimés uniquement dans les lymphocytes B, tandis que les gènes des chaînes α et β du TCR ne sont réarrangés et exprimés que dans les lymphocytes T. La spécificité de lignée du réarrangement génique semble être liée à l'expression de facteurs de transcription propres à chaque lignée. Dans les cellules B, des facteurs de transcription spécifiques de la lignée B « ouvrent » le locus du gène d'Ig au niveau de la chromatine, mais pas le locus du TCR, alors que dans le développement de cellules T, des régulateurs de transcription contribuent à ouvrir le locus du TCR mais pas le locus d'Ig. Les locus « ouverts » sont ceux qui sont accessibles à la recombinase.
Génération des diversités des Ig et des TCR La diversité des récepteurs d'antigène est obtenue par l'utilisation de différentes combinaisons de segments géniques V, D et J dans différents clones de lymphocytes (diversité combinatoire). Une diversité encore plus importante est obtenue par des changements de séquences nucléotidiques au niveau des jonctions des segments recombinants V, (D) et J (diversité jonctionnelle) (fig. 4.13). La diversité combinatoire est limitée par le nombre de segments géniques V, D et J disponibles, mais la diversité jonctionnelle est pratiquement illimitée. Cette diversité jonctionnelle est produite par trois mécanismes, qui génèrent plus de séquences que celles présentes dans les gènes de la lignée germinale. ■ Des exonucléases peuvent retirer des nucléotides des segments géniques V, D et J dans les sites de recombinaison. ■ Une enzyme propre aux lymphocytes, la désoxyribonucléotidyl transférase terminale (TdT) catalyse l'addition aléatoire de nucléotides ne faisant pas partie des gènes de la lignée germinale aux jonctions entre les segments V et D et entre les segments D et J, formant ainsi les régions dites « N ». ■ Au cours d'une étape intermédiaire de ce processus de recombinaison V(D)J, les deux brins rompus de l'ADN à chaque bout de l'ADN clivé forment des boucles en
79
épingle à cheveux. Puis, comme première étape dans le processus de réparation, les boucles sont clivées de manière asymétrique, formant des séquences d'ADN en surplomb. Celles-ci doivent être remplies par de nouveaux nucléotides, qui sont appelés « nucléotides P » (P pour palindromiques), ce qui introduit encore davantage de variabilité dans les sites de recombinaison. Conséquence de ces mécanismes, la séquence nucléotidique du site de recombinaison V(D)J dans les gènes d'anticorps ou de TCR dans un clone lymphocytaire diffère de la séquence au site V(D)J des molécules d'anticorps ou TCR produites par tout autre clone. Ces séquences jonctionnelles et les segments D et J codent les acides aminés de la boucle CDR3, la plus variable des régions CDR et la plus importante pour la reconnaissance des antigènes. Ainsi, la diversité jonctionnelle maximise la variabilité des régions de liaison à l'antigène des anticorps et des TCR. Au cours du processus d'élaboration de la diversité jonctionnelle, de nombreux gènes peuvent être produits avec des séquences hors cadre de lecture incapables de coder des protéines, et par conséquent inutiles. C'est le prix à payer pour que le système immunitaire développe une diversité exceptionnelle. Le risque de produire des gènes non fonctionnels est également la raison pour laquelle le processus de maturation des lymphocytes inclut plusieurs points de contrôle au cours desquels seules les cellules comportant des récepteurs utiles sont sélectionnées afin de survivre. On peut exploiter le caractère unique des séquences CDR3 dans chaque clone de lymphocytes pour distinguer les proliférations néoplasiques et réactives des lymphocytes B et T. Dans les tumeurs issues de ces cellules, toutes les cellules de la tumeur auront le même CDR3 (parce qu'elles proviennent toutes d'un seul clone de cellules B ou T), mais dans les proliférations qui sont des réactions à des stimulus externes, plusieurs séquences de CDR3 seront présentes. Le même principe peut servir à l'évaluation de l'ampleur d'une réponse immunitaire — mesurer le nombre de séquences CDR3 présentes dans une population avant et pendant une réponse est un indicateur du degré de prolifération d'un clone de cellules B ou T.
Maturation et sélection des lymphocytes B La maturation des lymphocytes B se déroule essentiellement dans la moelle osseuse (fig. 4.14). Les progéniteurs de la lignée des lymphocytes B prolifèrent, donnant ainsi naissance à un grand nombre de précurseurs des lymphocytes B, appelés lymphocytes pro-B. La maturation qui suit implique l'expression génique et la sélection du récepteur d'antigène.
Étapes précoces de la maturation des cellules B Le locus de chaîne lourde des Ig se réarrange en premier lieu et seules les cellules qui sont capables de produire une chaîne lourde μ sont sélectionnées pour survivre et devenir des lymphocytes pré-B. Les cellules pro-B cessent de se diviser, puis n'importe quel segment D du locus Ig de la chaîne lourde rejoint un segment J choisi au hasard sur
80
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Immunoglobuline
Récepteur des cellules T
Chaîne lourde
κ
λ
α
β
Nombre de segments géniques V
~45
35
30
45
48
Nombre de segments géniques de diversité (D)
23
0
0
0
2
Nombre de segments géniques de jonction (J)
6
5
4
50
12
Mécanisme Diversité combinatoire :
V1
Nombre de combinaisons possibles V-(D)-J
D1 J1
D2 J2
C
Vn
TCR: ~6x106
Ig: ~3x106 D1 J1
Diversité jonctionnelle
V1
D1 J1
V1
C
C
C
V1 D1 J1
C
Enlèvement Ajout de nucléotides de nucléotides (région N ou nucléotides P)
Répertoire potentiel total avec la diversité jonctionnelle
Ig: ~1011
TCR: ~1016
Fig. 4.13. Mécanismes créant la diversité des récepteurs d'antigène. La diversité des immunoglobulines (Ig) et des récepteurs des lymphocytes T (TCR) est obtenue par des combinaisons aléatoires de segments géniques V, D et J, processus limité par le nombre de ces segments, mais le retrait et l'addition de nucléotides à hauteur des jonctions V-J ou V-D-J introduisent une variabilité pratiquement illimitée. Les nombres de segments de gènes se réfèrent aux nombres moyens de gènes fonctionnels (qui sont connus pour être exprimés en tant que protéines ou ARN) chez l'homme. La diversité jonctionnelle maximise la diversité dans les régions CDR3 des protéines des récepteurs d'antigène car CDR3 comprend les jonctions au site de recombinaison V-J et V-D-J. La diversité est élargie par la juxtaposition des régions V des deux types de chaînes dans les Ig et les TCR pour compléter les sites de liaison à l'antigène, et ainsi la diversité totale est en théorie le produit de la diversité totale de chacune des régions V juxtaposées. Les contributions estimées de ces mécanismes aux nombres totaux possibles de récepteurs d'antigène des cellules B et T matures sont représentées. Bien que la limite supérieure du nombre de protéines d'Ig et de TCR qui peuvent être exprimées soit extrêmement élevée, chaque individu possède un nombre de clones de lymphocytes B et de lymphocytes T présentant des spécificités et des récepteurs distincts seulement de l'ordre de 107-109 ; en d'autres termes, seule une fraction du répertoire potentiel peut réellement être exprimée. Source : d'après Davis MM, Bjorkman PJ. T-cell antigen receptor genes and T-cell recognition. Nature 1988 ; 334 : 395–402.
le même locus. Ensuite, un des segments géniques V d'Ig présent en amont est recombiné à l'unité DJ précédemment réarrangée dans chaque cellule pro-B. Étant donné que les nucléotides jonctionnels sont ajoutés au hasard à la fois lorsqu'un D et un J se rejoignent et lorsqu'un segment V fusionne avec une unité DJ, dans la majorité des cellules, le nombre de nucléotides jonctionnels ne correspondra pas à un multiple de trois. Parce que trois nucléotides codent pour un acide aminé, seules quelques cellules pro-B créent des
jonctions qui permettent la production d'une chaîne lourde d'Ig fonctionnelle. Les cellules qui réussissent à réarranger les gènes d'une chaîne lourde fonctionnelle et à synthétiser la chaîne lourde μ d'Ig sont appelées cellules pré-B. Celles-ci sont donc définies par la présence de la chaîne lourde μ. Lorsque les cellules deviennent des cellules pré-B, elles expriment la protéine μ à la surface de la cellule en association avec deux autres protéines invariantes, dites de substitution car elles ressemblent à des chaînes légères et s'associent à la
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif Pré-BCR
IgM
IgM
81
IgD
µ CSH
Pro-B
Grande pré-B Petite pré-B B immature B mature
Réarrangement Réarrangement VDJ Gène de la Lignée germinale DàJ V à DJ réarrangés chaîne H d'Ig
VDJ réarrangés
VDJ réarrangés
Lignée Gène de la Lignée chaîne L d'Ig germinale germinale
Lignée germinale
Réarrangement VàJ
VJ réarrangés
VJ réarrangés
Protéine Ig
Pré-BCR
µ intracellulaire
IgM
IgM, IgD
Aucune
Aucune
Fig. 4.14. Étapes de maturation et de sélection des lymphocytes B. La maturation des lymphocytes B se déroule par étapes successives, chacune d'entre elles étant caractérisée par des changements particuliers de l'expression des gènes d'immunoglobulines (Ig) et des profils d'expression des protéines d'Ig. Les cellules pro-B commencent à réarranger les gènes des chaînes lourdes d'Ig, et les grandes cellules pré-B sont sélectionnées pour survivre et proliférer si elles réussissent à réarranger un gène de chaîne lourde d'Ig et à assembler un pré-BCR. Le pré-BCR est constitué d'une protéine μ d'Ig associée à la membrane et attachée à deux autres protéines appelées chaînes légères de substitution parce qu'elles occupent la place des chaînes légères dans une molécule d'Ig complète. Les petites cellules pré-B commencent à réarranger les gènes de chaîne légère d'Ig, les cellules B immatures assemblent un récepteur membranaire IgM complet, les cellules B matures co-expriment l'IgD, avec les mêmes régions V et la même spécificité comme dans la première Ig produite. BCR : récepteur de cellules B ; CSH : cellule souche hématopoïétique.
chaîne lourde μ. Le complexe de la chaîne μ et des chaînes légères de substitution s'associe aux molécules de signalisation Igα et Igβ pour former le complexe du récepteur du lymphocyte pré-B (pré-BCR).
Rôle du complexe pré-BCR dans la maturation des lymphocytes B Le pré-BCR assemblé exerce des fonctions essentielles dans la maturation des lymphocytes B. ■ Des signaux provenant du complexe pré-BCR permettent la survie et la prolifération de la lignée des cellules B qui ont réussi un réarrangement productif dans le locus de la chaîne H des Ig. Il s'agit du premier point de contrôle dans le développement des lymphocytes B. Il sélectionne et favorise le développement des lymphocytes pré-B exprimant une chaîne lourde μ fonctionnelle (composant essentiel du pré-BCR et du BCR). Les cellules pré-B dont les réarrangements sont hors phase (non productifs) dans le locus de chaîne lourde ne parviennent pas à produire la protéine μ, ni à exprimer un pré-BCR et donc recevoir des signaux de celui-ci ; elles meurent alors selon le processus de mort cellulaire programmée (apoptose). La voie de signalisation pré-BCR comprend une tyrosine kinase en aval appelée Btk, qui est codée sur le chromosome X. Des mutations de Btk chez les garçons empêchent la survie des cellules pré-B et causent l'absence subséquente de cellules B. Cette maladie est appelée agammaglobulinémie liée à l'X. ■ Le complexe pré-BCR transmet aussi des signaux qui interrompent la recombinaison des gènes des chaînes lourdes d'Ig sur le second chromosome ; par conséquent, chaque lymphocyte B ne peut exprimer que les Ig provenant de l'un des deux allèles parentaux. Ce processus, qui porte le nom d'exclusion allélique, garantit que chaque lymphocyte ne puisse exprimer que des récepteurs de spécificité unique.
■ Des signaux du complexe pré-BCR bloquent l'expression des gènes des chaînes légères de substitution et déclenchent la recombinaison dans le locus de la chaîne κ. Les cellules cessent temporairement de se diviser et ne peuvent exprimer la protéine μ que dans le cytoplasme (et non à la surface de la cellule) parce qu'elles n'ont pas de protéines de substitution des chaînes légères ou de protéines régulières des chaînes légères. À ce stade, ces cellules sont appelées petites cellules pré-B. La chaîne λ n'est produite que si le locus réarrangé de la chaîne κ ne peut exprimer une protéine fonctionnelle ou s'il génère un récepteur autoréactif potentiellement nocif et qui doit être éliminé par le processus dit de révision des récepteurs (receptor editing) décrit plus loin. Dans les cellules B immatures, le complexe BCR délivre des signaux qui assurent la survie, préservant ainsi uniquement les cellules qui expriment des récepteurs antigéniques complets ; ce qui constitue le deuxième point de contrôle au cours de la maturation des cellules B. De plus, les signaux provenant du récepteur d'antigène interrompent la production de la recombinase, ainsi que toute recombinaison supplémentaire dans les locus des chaînes légères. Par conséquent, chaque lymphocyte B produit une chaîne légère, κ ou λ, à partir d'un des allèles parentaux. La présence de deux ensembles de gènes de chaînes légères dans le génome augmente simplement les chances de succès de la recombinaison génique et de l'expression d'un récepteur.
Achèvement de la maturation des lymphocytes B La maturation se poursuit après que les cellules B immatures aient quitté la moelle osseuse et migré dans la rate. L'étape finale de la maturation comprend la coexpression des IgD et des IgM, qui se produit parce que, dans tout lymphocyte B
82
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
donné, l'unité VDJ de la chaîne lourde recombinée peut produire par épissage des exons Cμ ou Cδ, dans le transcrit primaire d'ARN, donnant respectivement naissance à l'ARNm μ ou δ. Nous savons que la capacité des lymphocytes B à répondre aux antigènes se développe parallèlement à la coexpression des IgM et des IgD, mais la raison pour laquelle ces deux classes de récepteurs sont nécessaires reste inconnue. Le lymphocyte IgM+ IgD+ est le lymphocyte B mature, capable de répondre à l'antigène dans les tissus lymphoïdes périphériques.
Sélection des lymphocytes B matures Les lymphocytes B en développement sont sélectionnés positivement principalement sur la base de l'expression de récepteurs antigéniques complets, et non sur la spécificité de reconnaissance de ces cellules. (Ceci est fondamentalement différent de la maturation des cellules T, comme nous le verrons ultérieurement.) Le répertoire des lymphocytes B est ensuite adapté dans la moelle osseuse par sélection négative. Au cours de ce processus, si un lymphocyte B immature se lie à un antigène multivalent avec une forte affinité, il peut exprimer à nouveau la recombinase V(D)J, passer par une recombinaison V-J supplémentaire de chaîne légère, générer une chaîne légère différente et ainsi changer la spécificité du récepteur antigénique selon un processus appelé révision du récepteur (voir chapitre 9). Certains lymphocytes B qui rencontrent des antigènes dans la moelle osseuse peuvent mourir par apoptose, ce que l'on appelle également délétion. Les antigènes que des cellules B peuvent reconnaître dans la moelle osseuse sont surtout des antigènes du soi abondamment exprimés dans tout l'organisme (c'est-à-dire ubiquitaires), comme les protéines du sang et les molécules membranaires communes à toutes les cellules. Une sélection négative élimine donc toutes les cellules potentiellement dangereuses susceptibles de reconnaître et de réagir contre les antigènes ubiquitaires du soi. Le processus de recombinaison génique des Ig est aléatoire et, par nature, ne peut être orienté vers la reconnaissance de microbes, bien que les récepteurs produits soient en mesure de reconnaître les antigènes d'un nombre et d'une variété considérables de microbes contre lesquels le système immunitaire doit se défendre. Le répertoire des lymphocytes B est sélectionné positivement pour l'expression de récepteurs fonctionnels et sélectionné négativement contre une forte reconnaissance des antigènes du soi. Ce qui persiste après ces processus de sélection est un vaste ensemble de lymphocytes B matures qui, par hasard, en comprennent de nombreux capables de reconnaître tous les antigènes microbiens qu'un organisme est susceptible de rencontrer.
Sous-populations de lymphocytes B matures La plupart des cellules B matures sont qualifiées de folliculaires, puisque c'est le compartiment qu'elles occupent dans les ganglions lymphatiques et la rate. Les cellules B de la zone marginale, qui se trouvent à la marge des follicules spléniques, se développent à partir de cellules souches hématopoïétiques dérivées de la moelle osseuse à l'instar des B folliculaires, tandis que les cellules B-1, une population distincte présente dans les muqueuses et la cavité périto-
néale, se développent plus tôt à partir de cellules souches hématopoïétiques dérivées du foie fœtal. Le rôle de ces souspopulations de cellules B dans l'immunité humorale est décrit au chapitre 7.
Maturation et sélection des lymphocytes T Des progéniteurs de lymphocytes T migrent de la moelle osseuse vers le thymus, où l'ensemble du processus de maturation se déroule (fig. 4.15). La maturation des lymphocytes T comporte certaines particularités étroitement liées à la spécificité des différentes sous-populations de lymphocytes T pour les peptides présentés par les différentes classes de molécules du CMH.
Étapes précoces de la maturation des lymphocytes T Les progéniteurs les moins développés sont appelés lymphocytes pro-T ou lymphocytes T doubles négatifs, puisqu'ils n'expriment ni CD4 ni CD8. Le nombre de ces lymphocytes augmente principalement sous l'influence de l'IL-7 produite dans le thymus. Certains descendants des lymphocytes doubles négatifs subissent une recombinaison du gène de TCRβ, sous l'effet de la recombinase V(D)J. (Les lymphocytes T γδ subissent une recombinaison similaire faisant intervenir les locus γ et δ du TCR, mais ils appartiennent à une lignée distincte dont il ne sera pas davantage question.) Si une recombinaison VDJ réussit dans l'un des deux locus hérités et qu'une chaîne β est synthétisée, elle est exprimée en surface en liaison avec une protéine invariante dite pré-Tα, pour former le complexe de pré-TCR des cellules pré-T. Si la recombinaison dans l'un de ces deux locus échoue, la recombinaison aura lieu sur l'autre. Si cela échoue également et qu'une chaîne β complète n'est pas produite dans une cellule pro-T, la cellule meurt. Le complexe de pré-TCR transmet des signaux intracellulaires similaires à ceux émis par le complexe pré-BCR dans les lymphocytes B en développement. Ces signaux permettent la survie, la prolifération et la recombinaison des gènes du TCRα, avec inhibition de la recombinaison VDJ dans le second locus de la chaîne β (exclusion allélique). Si la chaîne α et le TCR complet ne sont pas exprimés, il en résulte à nouveau la mort du lymphocyte. Les cellules survivantes expriment à la fois le TCR αβ complet et les corécepteurs CD4 et CD8 ; elles sont appelées lymphocytes T doubles positifs.
Sélection des lymphocytes T matures Les divers clones de lymphocytes T doubles positifs expriment des TCR αβ différents. Si le TCR d'un lymphocyte T reconnaît une molécule du CMH dans le thymus, nécessairement une molécule du CMH du soi chargé d'un peptide du soi, ce lymphocyte T survivra. Les lymphocytes T qui ne reconnaissent pas une molécule du CMH dans le thymus meurent par apoptose ; ces lymphocytes T ne seraient pas utiles, car ils seraient incapables de détecter des antigènes associés aux cellules, présentés par le CMH de cet individu. Cette préservation des lymphocytes T restreints par les
Chapitre 4. Reconnaissance des antigènes dans le système immunitaire adaptatif
83
Faible reconnaissance du complexe CMH de classe II + peptide Thymocyte
APC Sélection positive
Faible reconnaissance du complexe CMH de classe I + peptide
Lymphocyte T CD4+ T mature
Sélection positive
Pré-TCR
Cellule souche
Lymphocyte Lymphocyte pré-T pro-T double négatif Lymphocyte T (CD4–CD8–) immature double positif (CD4+CD8+)
Pas de reconnaissance du complexe CMH de classe I ou de classe II + peptide
Lymphocyte T CD8+ T mature
Apoptose
Échec de la sélection positive (mort par négligence)
Forte reconnaissance du complexe CMH de classe I ou de classe II + peptide
Sélection négative Apoptose Fig. 4.15. Étapes de maturation et de sélection des lymphocytes T restreints par le complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). La maturation des lymphocytes T dans le thymus se déroule par étapes successives, souvent définies par l'expression des corécepteurs CD4 ou CD8. La chaîne β du TCR est d'abord exprimée au stade des lymphocytes pré-T doubles négatifs, et le TCR complet est exprimé par les lymphocytes doubles positifs. Le pré-TCR consiste en la chaîne β du TCR associée à une protéine dénommée pré-Tα. La maturation culmine avec le développement de lymphocytes T simples positifs CD4+ et CD8+. Comme pour les lymphocytes B, l'incapacité d'exprimer des récepteurs d'antigène à un stade quelconque conduit à la mort des cellules par apoptose. Seul le CMH de classe II est montré pour la sélection négative, mais le même processus élimine les cellules T CD8+ autoréactives restreintes au CMH de classe I.
molécules du CMH du soi (c'est-à-dire utiles) constitue le processus de sélection positive. Au cours de ce processus, les lymphocytes T dont les TCR reconnaissent les complexes CMH de classe I-peptide conservent l'expression du CD8, le corécepteur qui se lie aux molécules de classe I, et perdent l'expression du CD4, le corécepteur spécifique des molécules de classe II. À l'inverse, si un lymphocyte T reconnaît des complexes CMH de classe II-peptide, ce lymphocyte maintient l'expression de CD4 et perd celle de CD8. Par conséquent, il émerge de ce processus des lymphocytes T simples positifs (ou thymocytes simples positifs), qui sont soit CD8+, restreints par les molécules du CMH de classe I, soit CD4+, restreints par les molécules du CMH de classe II. Au cours de la sélection positive, les lymphocytes T s'engagent également dans des destins fonctionnels différents : ■ les lymphocytes T CD8+ se différencieront en CTL lors de leur activation et les lymphocytes T CD4+ en lymphocytes auxiliaires producteurs de cytokines ; ■ les lymphocytes T immatures doubles positifs dont les récepteurs reconnaissent fortement les complexes CMH-peptide dans le thymus subissent l'apoptose. Ce
phénomène, qui constitue la sélection négative, permet d'éliminer les lymphocytes T susceptibles de réagir de manière nocive contre les protéines du soi exprimées dans le thymus. Si un lymphocyte T qui reconnaît un peptide du soi avec une haute avidité pouvait atteindre la maturité, la reconnaissance du même autoantigène à la périphérie pourrait entraîner des réponses immunitaires nocives contre des tissus autologues, donc un tel lymphocyte T doit être supprimé. Certains lymphocytes T immatures qui reconnaissent les autoantigènes dans le thymus ne meurent pas mais se développent en lymphocytes T régulateurs (voir chapitre 9). La plupart des protéines présentes dans le thymus sont des protéines du soi, car les antigènes étrangers (microbiens et tumoraux) sont généralement captés et transportés dans les organes lymphoïdes secondaires. Certaines de ces protéines autologues sont présentes dans tout le corps, et d'autres sont propres à des tissus particuliers, mais toutes sont exprimées dans les cellules épithéliales thymiques par des mécanismes spéciaux, dont il sera question au chapitre 9 dans le contexte de la tolérance au soi.
84
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Il peut sembler surprenant que la sélection positive comme la sélection négative soient toutes deux liées à la reconnaissance, dans le thymus, du même ensemble de complexes CMH du soi-peptide du soi. Les deux facteurs qui déterminent le choix entre une sélection positive et négative sont l'affinité du TCR et la concentration de l'autoantigène dans le thymus. Si un TCR reconnaît fortement un autoantigène abondant dans le thymus, la cellule T correspondante sera sélectionnée négativement, ce qui est logique puisqu'une forte reconnaissance d'un autoantigène abondant pourrait provoquer une auto-immunité. Cependant, si un TCR reconnaît faiblement un complexe peptide du soi-CMH du soi, le lymphocyte T qui en est porteur sera sélectionné positivement parce qu'il y a une chance raisonnable que le lymphocyte T reconnaisse fortement un peptide étranger présenté par le CMH du soi. C'est le processus qui donne naissance au répertoire des cellules T fonctionnelles.
Points clés ■
■
■
■
Dans le système immunitaire adaptatif, les molécules responsables de la reconnaissance spécifique des antigènes sont les anticorps et les récepteurs d'antigène des lymphocytes T. Les anticorps (ou immunoglobulines, Ig) peuvent être produits sous forme de récepteurs membranaires des lymphocytes B ou sous forme de protéines sécrétées par des lymphocytes B stimulés par les antigènes et qui se sont différenciés en plasmocytes sécréteurs d'anticorps. Les anticorps sécrétés sont les molécules effectrices de l'immunité humorale, capables de neutraliser les microbes et les toxines microbiennes, et de les éliminer en activant différents mécanismes effecteurs. Les récepteurs d'antigène des lymphocytes T (TCR) sont des récepteurs membranaires et ne sont pas sécrétés. La structure de base des anticorps est composée de deux chaînes lourdes identiques et de deux chaînes légères identiques formant un complexe lié par des ponts disulfures. Chaque chaîne est composée d'une région variable (V), qui est la partie responsable de la reconnaissance de l'antigène, et d'une région constante (C), qui fournit la stabilité structurale et, dans les chaînes lourdes, effectue les fonctions effectrices des anticorps. La région V d'une chaîne lourde et la région V
■
■
■
■
■
■
d'une chaîne légère forment ensemble le site de liaison à l'antigène, et donc la structure de base possède deux sites identiques de liaison à l'antigène. Les récepteurs des lymphocytes T sont composés d'une chaîne α et d'une chaîne β. Chaque chaîne contient une région V et une région C. Les deux chaînes participent à la reconnaissance des antigènes, qui pour la plupart des lymphocytes T sont des peptides présentés par des molécules du CMH. Les régions V des molécules d'Ig et du TCR contiennent des segments hypervariables, portant également le nom de régions déterminant la complémentarité (complementarity determining regions, CDR), qui sont les régions de contact avec les antigènes. Les gènes qui codent les récepteurs d'antigène sont composés de multiples segments qui sont séparés dans la lignée germinale, puis sont réunis au cours de la maturation des lymphocytes. Dans les lymphocytes B, les segments des gènes d'Ig subissent une recombinaison lorsque les lymphocytes parviennent à maturité dans la moelle osseuse et, dans les lymphocytes T, les segments des gènes TCR subissent une recombinaison au cours de la maturation dans le thymus. Les récepteurs de spécificité différente sont générés en partie par des combinaisons différentes des segments géniques V, D et J. Le processus de recombinaison introduit une variabilité dans les séquences nucléotidiques aux sites de recombinaison en ajoutant ou en retirant des nucléotides dans les sites de jonction. Cette variabilité permet le développement d'un vaste répertoire lymphocytaire, dans lequel des clones de différentes spécificités antigéniques expriment des récepteurs différents quant à leur séquence et leur capacité de reconnaissance. La plupart des différences sont concentrées dans les régions de recombinaisons géniques. Au cours de leur maturation, les lymphocytes sont sélectionnés pour survivre à divers points de contrôle ; seules les cellules présentant des récepteurs fonctionnels complets sont conservées et amplifiées. En outre, les lymphocytes T subissent une sélection positive afin de reconnaître les antigènes peptidiques présentés par les molécules du CMH du soi et pour assurer que la reconnaissance des molécules du type approprié du CMH s'accorde avec le corécepteur qui est préservé. Les lymphocytes immatures qui lient fortement les antigènes du soi subissent une sélection négative et un arrêt de maturation. Ce phénomène permet d'éliminer les cellules présentant le risque de réagir de façon nocive contre les tissus de l'organisme.
Chapitre
5
Immunité cellulaire Activation des lymphocytes T PLAN DU CHAPITRE Phases des réactions des lymphocytes T . . . . . Reconnaissance de l'antigène et costimulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Reconnaissance des complexes peptide-CMH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Rôle des molécules d'adhérence dans les réponses des lymphocytes T . . . . . . Rôle de la costimulation dans l'activation des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Stimulus pour l'activation des cellules T CD8+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Voies biochimiques de l'activation des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
86 88 90 90 91 93
97 97 97 99 100 100 103
94
Les lymphocytes T exercent de multiples fonctions dans la défense contre les infections par divers types de microbes ; ils jouent un rôle important comme acteurs de l'immunité cellulaire qui protège contre les infections par des microbes qui vivent et se reproduisent à l'intérieur des cellules. Dans toutes les infections virales et dans certaines infections bactériennes, fongiques et à protozoaires, les microbes peuvent trouver refuge à l'intérieur des cellules, d'où ils doivent être éliminés par les réponses immunitaires cellulaires (fig. 5.1). ■ De nombreux microbes sont ingérés par les phagocytes qui agissent dans le cadre des mécanismes de défense précoces de l'immunité innée, et sont tués par des mécanismes microbicides qui sont en grande partie limités aux vésicules phagocytaires (pour protéger les cellules elles-mêmes des dommages causés par ces mécanismes). Cependant, certains ont évolué pour résister à l'action microbicide des phagocytes et sont capables de survivre, et même de se répliquer, dans les vésicules phagocytaires. Lors de telles infections, les lymphocytes T stimulent l'activité lytique des macrophages envers les microbes ingérés. ■ Certains microbes extracellulaires, comme les bactéries et les champignons, sont facilement détruits s'ils sont phagocytés, surtout par les neutrophiles. D'autres pathogènes extracellulaires, comme les parasites helminthiques, sont détruits par des types particuliers de leucocytes (éosinophiles). Dans ces infections, les lymphocytes T assurent la défense en recrutant les leucocytes qui détruisent les microbes. Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Réponses fonctionnelles des lymphocytes T aux antigènes et à la costimulation . . . . . . . . . Sécrétion de cytokines et expression des récepteurs de cytokines . . . . . . . . . . . . . Expansion clonale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Différenciation des lymphocytes T naïfs en effecteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Développement des lymphocytes T mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Migration des lymphocytes T dans les réactions d'immunité cellulaire . . . . . Déclin de la réponse immunitaire . . . . . . . . . .
■ Certains microbes, notamment les virus, sont capables d'infecter une grande variété de cellules et de se répliquer à l'intérieur, et une partie du cycle de vie des virus se déroule dans le cytosol et le noyau. Ces cellules infectées ne possèdent souvent pas de mécanismes intrinsèques de destruction des microbes, spécialement en dehors des vésicules. Même certains microbes phagocytés dans les macrophages peuvent gagner le cytosol et échapper ainsi aux mécanismes microbicides du compartiment vésiculaire. Les cellules T tuent les cellules infectées, supprimant ainsi le réservoir de l'infection. D'autres populations de lymphocytes T aident les lymphocytes B à produire des anticorps dans le cadre des réponses immunitaires humorales (voir chapitre 7). Bien que le sujet de ce chapitre soit la défense contre les infections, la fonction physiologique principale du système immunitaire, certaines cellules T, spécialement les cellules T CD8+, détruisent aussi des cellules cancéreuses. Ce rôle des cellules T est décrit au chapitre 10. Les fonctions principales des lymphocytes T, activation des phagocytes, destruction des cellules infectées et des cellules tumorales et aide aux lymphocytes B, requièrent que les lymphocytes T interagissent avec d'autres cellules, qui peuvent être des phagocytes, des cellules infectées ou des lymphocytes B. De plus, l'initiation des réponses des lymphocytes T nécessite que les cellules reconnaissent les antigènes présentés par les cellules dendritiques, qui captent des antigènes et les concentrent dans les organes lymphoïdes. Ainsi, les lymphocytes T agissent en communiquant avec 85
86
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Microbes intracellulaires A Phagocyte
Exemples
Microbes phagocytés survivant dans les phagolysosomes Microbes s'échappant des phagolysosomes vers le cytoplasme
Bactéries intracellulaires : Mycobactéries Listeria monocytogenes Legionella pneumophila
Champignons : Cryptococcus neoformans
Protozoaires : Leishmania Trypanosoma cruzi
B Cellule non phagocytaire (par exemple cellule épithéliale)
Récepteur cellulaire pour le virus
Virus
Virus : tous
Rickettsies : toutes
Protozoaires : Plasmodium falciparum Cryptosporidium parvum
Microbes infectant des cellules non phagocytaires Fig. 5.1. Types de microbes intracellulaires contre lesquels est dirigée l'immunité assurée par les lymphocytes T. A. Les microbes peuvent être ingérés par les phagocytes et survivre dans les vacuoles (phagolysosomes), ou s'échapper dans le cytosol où ils sont insensibles aux mécanismes microbicides des phagocytes. B. Les virus peuvent infecter de nombreux types cellulaires, notamment des cellules non phagocytaires, et se répliquer dans le noyau et le cytosol des cellules infectées. Les rickettsies et certains protozoaires sont des parasites intracellulaires obligatoires qui résident dans des cellules non phagocytaires.
d'autres cellules. Rappelons que la spécificité des lymphocytes T pour les peptides présentés par les molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) assure que les lymphocytes T ne reconnaissent que des antigènes associés à d'autres cellules (voir chapitres 3 et 4). Le présent chapitre décrit comment les lymphocytes T sont activés par la reconnaissance des antigènes associés aux cellules et par d'autres stimulus. Les questions suivantes y sont abordées. ■ Quels signaux sont nécessaires pour activer les lymphocytes T et quels récepteurs cellulaires sont utilisés pour recevoir et répondre à ces signaux ? ■ Comment les quelques lymphocytes T naïfs spécifiques d'un microbe donné sont-ils convertis en un grand nombre de lymphocytes T effecteurs capables d'éliminer ce microbe ? ■ Quelles molécules produites par les lymphocytes T assurent les communications avec d'autres cellules, comme les macrophages, les lymphocytes B et d'autres leucocytes ? Après avoir décrit comment les lymphocytes T reconnaissent et répondent aux antigènes microbiens associés aux cellules, le chapitre 6 décrit le mode d'élimination des microbes par les lymphocytes T.
Phases des réactions des lymphocytes T Les lymphocytes T naïfs reconnaissent des antigènes dans les organes lymphoïdes périphériques, ce qui stimule leur prolifération et leur différenciation en cel-
lules effectrices et mémoire ; les cellules effectrices sont à nouveau activées par les mêmes antigènes dans tout tissu infecté (fig. 5.2). Les lymphocytes T naïfs expriment des récepteurs d'antigène et des corécepteurs qui interviennent en reconnaissant les cellules hébergeant des microbes, mais ces cellules sont incapables d'assurer les fonctions effectrices nécessaires à l'élimination des microbes. Les cellules effectrices différenciées sont capables d'exécuter ces fonctions, ce qu'elles font dans tout foyer infectieux. Dans ce chapitre, nous nous concentrons sur les réponses initiales des cellules T naïves aux antigènes. Le développement des cellules effectrices et de leurs fonctions dans l'immunité cellulaire est décrit au chapitre 6, et le rôle des cellules T auxiliaires dans les réponses humorales est décrit au chapitre 7. Les réponses des lymphocytes T naïfs contre les antigènes microbiens associés aux cellules se déroulent en plusieurs phases qui aboutissent à une augmentation du nombre de lymphocytes T spécifiques de l'antigène et la conversion des lymphocytes T naïfs en cellules effectrices et cellules mémoire (fig. 5.3). ■ Une des réponses très précoces est la sécrétion de cytokines requises pour la croissance et la différenciation, et l'expression accrue de récepteurs de diverses cytokines. La cytokine interleukine-2 (IL-2), qui est produite par des lymphocytes T activés par l'antigène, stimule la prolifération de ces cellules. Le résultat est une augmentation rapide du nombre de lymphocytes spécifiques de l'antigène, un processus dit d'expansion clonale.
Chapitre 5. Immunité cellulaire
87
Induction de la réponse Cellules T CD4+
Reconnaissance de l'antigène dans les organes lymphoïdes
Cellules T CD8+
Cellules T CD8+ (CTL)
Cellules T CD4+ effectrices
Expansion et différenciation des cellules T
Des cellules T effectrices entrent dans la circulation
Cellule T naïve
Migration des cellules T effectrices et d'autres leucocytes dans le site de l'antigène Des cellules T effectrices rencontrent des antigènes dans des tissus périphériques
Cellules avec microbes intracellulaires
Activation des cellules T effectrices
Cytokines
Fonctions des cellules T effectrices Activation leucocytaire (inflammation) : phagocytose et lyse microbienne
Des CTL tuent des cellules infectées
Fig. 5.2. Induction et phases effectrices de l'immunité cellulaire. (1) Induction de la réponse : les cellules T CD4+ et T CD8+ naïves reconnaissent les peptides dérivés d'antigènes protéiques et présentés par des cellules dendritiques dans les organes lymphoïdes périphériques. Les lymphocytes T stimulés prolifèrent et se différencient en cellules effectrices, dont beaucoup gagnent la circulation. Certaines des cellules T CD4+ activées restent dans le ganglion lymphatique, migrent dans les follicules et aident les cellules B à produire des anticorps (voir fig. 5.13). (2) Migration des cellules T effectrices et des leucocytes dans le site de l'antigène : les cellules T effectrices et d'autres leucocytes migrent à travers les vaisseaux sanguins dans les tissus périphériques par liaison à des cellules endothéliales qui ont été activées par des cytokines produites en réponse à une infection dans ces tissus. (3) Fonctions des lymphocytes T effecteurs : les cellules T CD4+ recrutent et activent les phagocytes, qui détruisent alors les microbes, alors que les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL) tuent les cellules infectées.
■ Les lymphocytes activés se différencient, ce qui convertit des lymphocytes T naïfs en une population de lymphocytes T effecteurs, dont la fonction est d'éliminer les microbes.
■ De nombreuses cellules T effectrices quittent les organes lymphoïdes, entrent dans la circulation et migrent dans tout foyer infectieux, où elles peuvent éradiquer l'infection. Certains lymphocytes T activés peuvent rester dans
88
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Reconnaissance de l'antigène
APC
Sécrétion de cytokines et expression des récepteurs de cytokines
Cellule T naïve (CD4+ ou CD8+)
Prolifération
Différenciation
Fonctions effectrices
Cellule T effectrice (auxiliaire CD4+ ou CD8+ CTL) IL-2R Cytokines (par ex. IL-2)
Organes lymphoïdes
CD4+ : activation des macrophages, des cellules B, d'autres cellules CD8+ : tue les cellules cibles infectées ; activation des macrophages
Cellule T mémoire (CD4+ ou CD8+)
Tissus périphériques
Fig. 5.3. Étapes d'activation des lymphocytes T. Les lymphocytes T naïfs reconnaissent les antigènes peptidiques associés au CMH à la surface des cellules présentatrices d'antigènes (APC) ainsi que d'autres signaux (non représentés). Les lymphocytes T répondent en produisant l'interleukine-2 (IL-2), et en exprimant des récepteurs pour l'IL-2, ce qui conduit à une voie autocrine de prolifération cellulaire. Le résultat de ce phénomène est une expansion du clone de lymphocytes T spécifiques de l'antigène. Certaines des cellules filles se différencient en cellules effectrices, qui assurent différentes fonctions dans l'immunité cellulaire, et en cellules mémoire, qui survivent pendant de longues périodes. D'autres modifications associées à l'activation, telles que l'expression de diverses molécules de surface, ne sont pas représentées. APC : antigen presenting cell ; CTL : lymphocyte T cytotoxique ; IL-2 : interleukine-2 ; IL-2R : récepteur de l'interleukine-2.
le ganglion lymphatique où ils fournissent aux lymphocytes B les signaux nécessaires à la production d'anticorps contre les microbes. ■ Certaines cellules filles des lymphocytes T ayant proliféré en réponse à l'antigène se différencient en lymphocytes T mémoire, qui ont une longue durée de vie, circulent ou résident dans des tissus pendant des années, et sont prêts à répondre rapidement à de nouveaux contacts avec les mêmes germes. ■ Lorsque les lymphocytes T effecteurs ont éliminé l'agent infectieux, les stimulus qui ont déclenché l'expansion clonale et la différenciation des lymphocytes T disparaissent également. Il en résulte que la plupart des cellules du clone fortement agrandi de lymphocytes effecteurs spécifiques de l'antigène meurent, ramenant ainsi le système à l'état de repos, avec seulement les cellules mémoire restant prêtes à réagir. Cette séquence d'événements est commune aux lymphocytes T CD4+ et aux lymphocytes T CD8+, bien que, comme cela sera décrit au chapitre 6, il existe d'importantes différences dans les propriétés et les fonctions effectrices des cellules CD4+ et CD8+. Les cellules T naïves et effectrices circulent et migrent à travers les tissus de manière différente, ce qui est essentiel pour leurs différents rôles dans les réponses immunitaires. Comme décrit dans les chapitres précédents, les lymphocytes T naïfs recirculent constamment à travers les organes lymphoïdes périphériques à la recherche d'antigènes protéiques étrangers. Les antigènes microbiens sont transportés, à partir des sites d'entrée des microbes, dans les régions mêmes des organes lymphoïdes périphériques à travers lesquelles les cellules T naïves recirculent. Dans ces organes, les antigènes sont apprêtés et présentés par les molécules du CMH sur les cellules dendritiques, cellules présentatrices d'antigènes (APC) et stimulatrices les plus efficaces des cellules T naïves (voir chapitre 3). Quand un lymphocyte T
reconnaît l'antigène, il s'arrête transitoirement au contact de la cellule dendritique et déclenche son programme d'activation. Ce qui entraîne la prolifération et la différenciation des lymphocytes, qui peuvent alors quitter l'organe lymphoïde et migrer de préférence dans le foyer inflammatoire d'où provient l'antigène. Le contrôle de cette migration dirigée est décrit plus loin dans ce chapitre. Après ce survol, nous poursuivons par une description des stimulus requis pour l'activation et la régulation des lymphocytes T. Nous décrivons alors les signaux biochimiques qui sont générés par la reconnaissance de l'antigène et les réponses biologiques des lymphocytes.
Reconnaissance de l'antigène et costimulation L'initiation des réponses par les lymphocytes T nécessite que de multiples récepteurs sur les lymphocytes T reconnaissent leurs ligands spécifiques sur les APC (fig. 5.4). ■ Le TCR (T-cell receptor) reconnaît les antigènes peptidiques associés aux molécules du CMH. ■ Les corécepteurs CD4 ou CD8 sur les cellules T se lient aux molécules du CMH sur les APC et contribuent avec le complexe du TCR à la signalisation activatrice. ■ Les molécules d'adhérence renforcent la liaison des lymphocytes T aux APC. ■ Des molécules appelées costimulateurs exprimées sur les APC après la rencontre avec les microbes se lient aux récepteurs de costimulation sur les cellules T naïves, favorisant ainsi les réponses aux pathogènes. ■ Des cytokines amplifient la réponse des cellules T et la dirigent dans diverses voies de différenciation. Les rôles de ces molécules dans les réponses des cellules T aux antigènes vont être décrits ci-après, alors que les cytokines seront décrites surtout au chapitre 6.
Chapitre 5. Immunité cellulaire
A
Récepteurs et molécules de signalisation des lymphocytes CD4+ Transduction du signal
Reconnaissance d'antigène
Transduction du signal
Ligands sur les APC exprimant le CMH de classe II
CD4
Peptide
TCR
CMH de classe II
CD3 ITAM ζ B7-1/B7-2
CD28 CTLA-4 Motif inhibiteur
B7-1/B7-2 PD-L1/PD-L2
PD-1 Adhérence
B
Molécules de surface des lymphocytes T TCR
89
LFA-1
Fonction
ICAM-1
Ligand Nom
Reconnaissance Peptidede l'antigène CMH
Exprimé sur Toutes les cellules T
CD3
Transduction du signal par le complexe TCR
Aucun
ζ
Transduction du signal par le complexe TCR
Aucun
CD4
Transduction du signal
CMH de classe II
CD8
Transduction du signal
CMH de classe I
CD28
Transduction du signal (costimulation)
B7-1/B7-2
Cellules présentatrices d'antigène
CTLA-4
Inhibition
B7-1/B7-2
PD-1
Inhibition
PD-L1/PD-L2
LFA-1
Adhérence, transduction du signal
ICAM-1
Cellules présentatrices d'antigène Cellules présentatrices d'antigène, tissulaires, tumorales Cellules présentatrices d'antigène, endothélium
Cellules présentatrices d'antigène Toutes les cellules nucléées
Fig. 5.4. Récepteurs et ligands impliqués dans l'activation et l'inhibition des lymphocytes T. A. Principales molécules de surface des lymphocytes T CD4+ participant à l'activation de ces cellules et leurs ligands correspondants sur les APC. Les lymphocytes T CD8+ utilisent la plupart de ces molécules, excepté que le TCR reconnaît les complexes peptide-molécule du CMH de classe I, et que le corécepteur CD8 reconnaît les molécules du CMH de classe I. CD3 est composé de trois chaînes polypeptidiques appelées δ, ε et γ, disposées en deux paires (δε et γε), le schéma ne montrant que les trois chaînes. Les motifs activateurs à base de tyrosine des immunorécepteurs (ITAM : tyrosine-based activation motif) sont les régions des queues cytosoliques des protéines de signalisation qui sont phosphorylées sur les résidus tyrosine et deviennent des sites d'arrimage pour d'autres tyrosine kinases (voir fig. 5.10). Les motifs inhibiteurs à base de tyrosine des immunorécepteurs sont les régions des protéines de signalisation qui sont des sites pour les tyrosine phosphatases qui contrecarrent les actions des ITAM. B. Propriétés importantes des principales molécules de surface des cellules T qui sont impliquées dans les réponses fonctionnelles. Les fonctions de la plupart de ces molécules sont décrites dans ce chapitre ; le rôle de CTLA-4 et de PD-1 dans le blocage des réactions des lymphocytes T est décrit au chapitre 9. LFA-1 est une intégrine qui participe à la liaison du leucocyte aux endothéliums et à d'autres cellules. APC : antigen-presenting cell ; ICAM-1 : intercellular adhesion molecule 1 ; LFA-1 : leukocyte function-associated antigen 1 ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; PD-1 : programmed death-1 ; TCR : T-cell receptor.
90
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
CHM de classe II
APC
CD3
Reconnaissance de l'antigène
ζ
CD4
Lymphocyte T
Lck
TCR
P
P P ITAM
Transduction des signaux Fig. 5.5. Reconnaissance de l'antigène et transduction des signaux au cours de l'activation des lymphocytes T. Différentes molécules des lymphocytes T reconnaissent l'antigène et délivrent des signaux biochimiques à l'intérieur de la cellule à la suite de la reconnaissance de l'antigène. Les protéines CD3 et ζ sont fixées de manière non covalente aux chaînes α et β du TCR par des interactions entre des acides aminés chargés se trouvant dans les domaines transmembranaires de ces protéines (non représenté). La figure illustre un lymphocyte T CD4+ ; les mêmes interactions sont utilisées pour l'activation des lymphocytes T CD8+, à l'exception du fait que le corécepteur est CD8 et que le TCR reconnaît un complexe peptide-molécule du CMH de classe I. APC : antigenpresenting cell ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; ITAM : immunoreceptor tyrosine-based activation motifs ; TCR : T-cell receptor.
Reconnaissance des complexes peptide-CMH Le TCR et le corécepteur CD4 ou CD8 reconnaissent ensemble le complexe formé par les antigènes peptidiques et les molécules du CMH sur les APC, et cette reconnaissance constitue le signal de déclenchement, ou premier signal, induisant l'activation des lymphocytes T (fig. 5.5). Les TCR exprimés sur toutes les cellules T CD4+ et CD8+ est composé d'une chaîne α et d'une chaîne β qui participent toutes les deux à la reconnaissance de l'antigène1 (voir fig. 4.7). Le TCR d'un lymphocyte T spécifique d'un peptide étranger (par exemple, microbien) reconnaît le peptide présenté et, simultanément, les résidus de la molécule du CMH qui sont situés autour du sillon de liaison au peptide. Chaque lymphocyte T mature restreint par le CMH exprime soit CD4 soit CD8, qui sont dénommés corécepteurs, car ils se lient aux mêmes molécules du CMH que celui auquel s'attache le TCR et sont requis pour le lancement de la signalisation à partir du complexe du TCR. En même temps que le TCR reconnaît le complexe peptide-CMH, le corécepteur CD4 ou CD8 se lie respectivement à la molécule de classe II ou de classe I du CMH, à hauteur d'un site distinct du sillon de liaison au peptide. Comme nous l'avons vu au chapitre 3, 1
Une petite sous-population de cellules T exprime des TCR composés de chaînes γ et δ, qui ne reconnaissent pas d'antigènes peptidiques associés au CMH.
quand des antigènes protéiques du milieu extracellulaire sont ingérés par les APC dans des vésicules, ils sont transformés en peptides qui sont présentés par les molécules du CMH de classe II. En revanche, les antigènes protéiques qui sont présents dans le cytosol sont transformés par des protéasomes en peptides présentés par des molécules du CMH de classe I. Ainsi, en raison de la spécificité des corécepteurs pour les différentes classes des molécules du CMH, les lymphocytes T CD4+ et T CD8+ reconnaissent des peptides générés par différentes voies d'apprêtement protéique. Le TCR et son corécepteur doivent être engagés simultanément pour déclencher la réponse des lymphocytes T, et il est probable que de multiples TCR doivent être engagés pour que le lymphocyte T soit activé. Une fois que ces conditions sont remplies, le lymphocyte T déclenche son programme d'activation. Les signaux biochimiques qui conduisent à l'activation du lymphocyte T sont déclenchés par un ensemble de protéines qui sont liées au TCR pour former le complexe du TCR et par le corécepteur CD4 ou CD8 (voir fig. 5.5). Dans les lymphocytes, la reconnaissance de l'antigène et la signalisation sont assurés par deux ensembles moléculaires différents. Le TCR constitué par l'hétérodimère αβ reconnaît les antigènes, mais n'est pas capable de transmettre des signaux biochimiques à l'intérieur de la cellule. Le TCR est associé de manière non covalente à un complexe de signalisation composé de protéines transmembranaires, dont trois protéines CD3, et à une protéine dénommée chaîne ζ. Le TCR, CD3 et la chaîne ζ forment le complexe du TCR. Bien que les TCR αβ doivent varier parmi les clones de cellules T pour reconnaître divers antigènes, les fonctions de signalisation des TCR sont les mêmes dans tous les clones et, dès lors, les protéines CD3 et ζ sont invariantes parmi les différentes cellules T. Les mécanismes de la transduction des signaux par ces protéines du complexe du TCR sont traités plus loin dans ce chapitre. Les lymphocytes T peuvent également être activés par des molécules qui se lient aux TCR de nombreux, voire de tous, clones de lymphocytes T, quelle que soit la spécificité du TCR. Par exemple, certaines toxines microbiennes peuvent se lier aux TCR de nombreux clones de cellules T et se lier également aux molécules de classe II du CMH sur les APC sans occuper la fente de liaison aux peptides. En activant un grand nombre de lymphocytes T, ces toxines induisent une libération excessive de cytokines et provoquent une maladie inflammatoire systémique. On les appelle superantigènes parce que, comme les antigènes classiques, ils se lient aux molécules du CMH et aux TCR, mais à un beaucoup plus grand nombre que ne le font les antigènes habituels.
Rôle des molécules d'adhérence dans les réponses des lymphocytes T Les molécules d'adhérence présentes sur les lymphocytes T reconnaissent leurs ligands sur les APC et stabilisent la liaison des lymphocytes T aux APC. La plupart des TCR se lient avec une faible affinité aux complexes peptide-CMH pour lesquels ils sont spécifiques. Pour induire une réponse, la liaison des lymphocytes T aux APC doit être stabilisée pendant une période suffisamment longue pour que le seuil de signalisation nécessaire soit atteint. Cette fonction de stabilisation est assurée par des molécules d'adhérence se trouvant sur les lymphocytes T dont les ligands
Chapitre 5. Immunité cellulaire sont exprimés sur les APC. La plus importante de ces molécules d'adhérence appartient à une famille de protéines hétérodimériques (deux chaînes), portant le nom d'intégrines. La principale intégrine des lymphocytes T participant à la liaison aux APC est la molécule LFA-1 (leukocyte functionassociated antigen 1), dont le ligand sur les APC porte le nom d'ICAM-1 (intercellular adhesion molecule 1). Sur les lymphocytes T naïfs au repos — c'est-à-dire des cellules qui n'ont pas reconnu et n'ont pas été activées antérieurement par l'antigène —, l'intégrine LFA-1 se trouve dans un état de faible affinité. La reconnaissance d'un antigène par une cellule T augmente également l'affinité du LFA-1 de ce lymphocyte. Ainsi, lorsqu'un lymphocyte T reconnaît un antigène, il augmente la force de sa liaison à l'APC présentant cet antigène, entraînant une boucle de rétroaction positive. L'adhérence assurée par les intégrines est essentielle pour la capacité des lymphocytes T à se lier aux APC présentant les antigènes microbiens. Les intégrines jouent également un rôle important dans l'orientation de la migration des lymphocytes T effecteurs et d'autres leucocytes de la circulation vers les foyers infectieux. Ce processus est décrit dans le chapitre 2 et plus loin dans ce chapitre.
Rôle de la costimulation dans l'activation des lymphocytes T L'activation complète des lymphocytes T dépend de la reconnaissance des costimulateurs sur les APC en plus de celle de l'antigène (fig. 5.6). Il a été précédemment fait réfé-
91
rence aux molécules de costimulation comme des « seconds signaux » nécessaires à l'activation des lymphocytes T. Le nom de costimulateur provient du fait que ce type de molécules agit conjointement avec l'antigène dans la stimulation des lymphocytes T. Les costimulateurs les mieux définis pour les lymphocytes T sont deux protéines homologues désignées par les sigles B7-1 (CD80) et B7-2 (CD86), présentes sur les APC et dont l'expression est fortement augmentée lorsque les APC rencontrent des microbes. Ces protéines B7 sont reconnues par un récepteur appelé CD28, qui est exprimé sur la plupart des lymphocytes T. Différents membres des familles B7 et CD28 servent à stimuler ou inhiber les réponses immunitaires (fig. 5.7). Les signaux provenant de la liaison du CD28 sur les lymphocytes T aux protéines B7 situées sur les APC agissent conjointement aux signaux générés par la liaison du TCR et du corécepteur aux complexes peptide-CMH sur les mêmes APC. La signalisation assurée par CD28 est essentielle pour les réponses des lymphocytes T naïfs ; en l'absence d'interactions entre CD28 et B7, l'engagement du TCR seul est insuffisant pour initier une réponse de cellules T. La nécessité d'une costimulation assure que les lymphocytes T naïfs ne soient activés au maximum que par les antigènes microbiens, et non par des molécules étrangères inoffensives (ou par des antigènes du soi), les microbes stimulant l'expression des costimulateurs B7 sur les APC, comme expliqué précédemment.
Reconnaissance de l'antigène
Réponse des lymphocytes T
CD28 APC « au repos » (absence de molécules de costimulation)
Lymphocyte T naïf
Aucune réponse ou tolérance
Activation des APC par les microbes, réponse immunitaire innée B7 APC activée : augmentation de l'expression des molécules de costimulation, sécrétion de cytokines
CD28
IL-2
Lymphocytes T effecteurs et mémoire
Prolifération et différenciation des lymphocytes T
Fig. 5.6. Rôle de la costimulation dans l'activation des lymphocytes T. Les APC au repos, qui n'ont pas été exposées aux microbes ou à des adjuvants, peuvent présenter des antigènes peptidiques, mais elles n'expriment pas de molécules de costimulation et sont incapables d'activer des lymphocytes T naïfs. Les lymphocytes T naïfs qui ont reconnu un antigène sans costimulation peuvent ne plus répondre (tolérance) à une exposition ultérieure à l'antigène. Les microbes et les cytokines produites au cours des réponses immunitaires innées dirigées contre les microbes induisent l'expression de molécules de costimulation, par exemple les molécules B7, sur les APC. Les molécules de costimulation B7 sont reconnues par les récepteurs CD28 se trouvant sur les lymphocytes T naïfs, fournissant le « signal 2 », ce qui, conjointement à la reconnaissance de l'antigène (« signal 1 »), déclenche les réponses des lymphocytes T. Les APC activées produisent également des cytokines qui stimulent la différenciation des cellules T naïves en cellules effectrices (non montré). APC : antigen-presenting cell ; IL : interleukine.
92
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Nom
B7-1 (CD80)
B7-2 (CD86)
ICOS-L (CD275)
CD28
CTLA-4
ICOS
PD-L1 (B7-H1, CD274)
PD-L2 (B7-DC, CD273)
Ligands sur APC et autres cellules
Récepteurs sur cellules T
Nom Fonction principale
Activation (cellules T naïves)
Activation Inhibition (cellules T (fonction auxiliaires suppressive folliculaires des cellulesT dans les régulatrices) réponses à anticorps)
PD-1 Inhibition
Fig. 5.7. Protéines des familles B7 et CD28. Des ligands homologues à B7 sur des APC se lient à des récepteurs homologues à CD28 sur les cellules T. Différentes paires ligand-récepteur servent des rôles distincts dans les réponses immunitaires. CD28 et ICOS sont des récepteurs stimulants sur les cellules T, et CTLA-4 et PD-1 sont des récepteurs inhibiteurs. Leurs fonctions sont décrites dans le texte.
Une protéine appelée ICOS (inducible costimulator), qui est homologue de CD28 et exprimée aussi sur les lymphocytes T, joue un rôle important dans le développement et la fonction des cellules T auxiliaires folliculaires lors des réponses du centre germinatif (voir chapitre 7). Un autre ensemble de molécules participant aux réponses des lymphocytes T comprend le ligand de CD40 (CD40L ou CD154) sur les lymphocytes T et CD40 sur les APC. Ces molécules ne stimulent pas directement l'activation des lymphocytes T. En revanche, la molécule CD40L exprimée sur un lymphocyte stimulé par l'antigène se lie à CD40 sur les APC et stimule l'expression par ces APC de molécules de costimulation B7, ainsi que la sécrétion de cytokines, par exemple l'interleukine-12 (IL-12), qui favorisent la différenciation des lymphocytes T. Par conséquent, l'interaction CD40L-CD40 favorise l'activation des lymphocytes T en renforçant l'activité stimulatrice des APC sur les cellules T. CD40L sur les cellules T CD4+ amplifie aussi l'activation des cellules B et des macrophages, comme ce sera décrit plus loin. Le rôle de la costimulation dans l'activation des lymphocytes T explique une observation que nous avons mentionnée dans les chapitres précédents. Les antigènes protéiques,
notamment ceux qui sont utilisés comme vaccins, ne parviennent pas à déclencher des réponses immunitaires dépendantes des lymphocytes T, sauf si ces antigènes sont administrés avec des substances qui activent les APC, spécialement les cellules dendritiques. Ces substances, appelées adjuvants, fonctionnent principalement en induisant l'expression de molécules de costimulation sur les APC et en faisant sécréter, par ces cellules, des cytokines qui activent les lymphocytes T. La plupart des adjuvants utilisés en immunologie expérimentale sont des produits provenant de microbes (par exemple, des mycobactéries tuées, qui sont souvent utilisées dans des études expérimentales) ou des substances qui imitent les microbes ; les adjuvants se lient aux récepteurs de reconnaissance des motifs du système immunitaire inné, comme les récepteurs de type Toll et les récepteurs de type NOD (voir chapitre 2). Des adjuvants utilisés dans les vaccins humains sont surtout des sels d'aluminium ; ils induisent une inflammation locale, qui conduit secondairement à l'expression de costimulateurs par les cellules dendritiques. Ainsi, les adjuvants trompent le système immunitaire en le forçant à répondre à des antigènes protéiques purifiés vaccinaux, comme s'ils faisaient partie de microbes infectieux.
Chapitre 5. Immunité cellulaire La compréhension croissante des costimulateurs a conduit à de nouvelles stratégies visant à inhiber les réactions immunitaires nocives. Des agents bloquant les interactions B7-CD28 sont utilisés dans le traitement de maladies dans lesquelles l'activation des cellules T cause le dysfonctionnement d'un organe, comme certaines affections auto-immunes et le rejet de greffe ; des anticorps qui bloquent les interactions CD40-CD40L sont testés dans ces maladies.
Récepteurs inhibiteurs des lymphocytes T Des récepteurs inhibiteurs sont requis pour limiter les réponses et immunitaires pour y mettre fin. Ces récepteurs inhibiteurs ont été appelés co-inhibiteurs par symétrie avec les costimulateurs décrits plus tôt. Deux récepteurs inhibiteurs importants, CTLA-4 et PD-1, ont une structure apparentée à celle de CD28 (voir fig. 5.7). CTLA-4, comme CD28 reconnaissent B7-1 et B7-2 sur les APC, et PD1 reconnaît deux ligands différents mais de structure apparentée, PD-L1 et PD-L2, sur de nombreux types cellulaires. CTLA-4 et PD-1 sont induits dans les lymphocytes T activés et interviennent pour terminer les réactions de ces cellules. CTLA-4 joue aussi un rôle important dans la fonction suppressive des cellules T régulatrices (voir chapitre 9). CTLA-4 et PD-1 préviennent les réactions contre les antigènes du soi, et sont aussi impliqués dans l'inhibition des réponses des cellules T envers certaines tumeurs et des infections virales chroniques. Ces découvertes sont à la base de l'utilisation d'anticorps qui bloquent CTLA-4 ou PD-1 pour amplifier les réactions immunitaires contre les tumeurs chez des patients atteints de cancer (voir chapitre 10). Puisque la fonction normale de ces récepteurs inhibiteurs est de prévenir les réactions immunitaires contre des antigènes du soi, une délétion génétique ou un blocage de ces molécules chez des souris et des humains entraîne une maladie auto-immune. La fonction de ces récepteurs inhibiteurs est décrite de manière plus approfondie au chapitre 9 dans le cadre du maintien de l'absence de réponse aux antigènes du soi.
APC Les cellules T auxiliaires CD4+ produisent des molécules qui stimulent la différenciation des CTL
Cellule T auxiliaire CD4+
93
Stimulus pour l'activation des cellules T CD8+ L'activation des lymphocytes T CD8+ est stimulée par la reconnaissance des peptides associés aux molécules du CMH de classe I et nécessite une costimulation et des lymphocytes T auxiliaires. Les cellules T CD8+ fonctionnent à peu près de la même manière pour tuer des cellules infectées et des cellules tumorales, et leurs réponses aux antigènes microbiens et aux antigènes tumoraux sont essentiellement similaires. Cependant, les réponses des lymphocytes T CD8+ diffèrent sur plusieurs points de celles des lymphocytes T CD4+. ■ L'induction de l'activation des lymphocytes T CD8 + requiert souvent que l'antigène cytosolique d'une cellule (par exemple, des cellules infectées par un virus ou tumorales) soit présenté d'une manière croisée par des cellules dendritiques (voir fig. 3.16). ■ La différenciation des lymphocytes T CD8+ naïfs en lymphocytes T cytotoxiques (CTL) pleinement actifs et plus encore en cellules mémoire peut requérir l'activation concomitante des cellules T auxiliaires CD4+ (fig. 5.8). Lorsque des cellules infectées par un virus ou tumorales sont ingérées par des cellules dendritiques, les APC peuvent présenter des antigènes viraux ou tumoraux à partir du cytosol sous forme de complexes avec des molécules du CMH de classe I et à partir de vésicules sous forme de complexes avec des molécules du CMH de classe II. Ainsi, les lymphocytes T CD8+ et les lymphocytes T CD4+ spécifiques des antigènes viraux ou tumoraux sont activés à proximité les uns des autres. Les lymphocytes T CD4+ peuvent produire des cytokines ou des molécules membranaires qui contribuent à l'activation des lymphocytes T CD8+. Ceci peut vraisemblablement expliquer la susceptibilité accrue aux infections virales et aux cancers chez des patients infectés par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), qui tue les lymphocytes CD4+ mais non les CD8+. Après cette description des stimulus nécessaires à l'activation des lymphocytes T naïfs, nous allons décrire les voies biochimiques déclenchées par la reconnaissance de l'antigène et d'autres stimulus.
Costimulateur
Cellule T CD8+
CTL différenciés, cellules T CD8+ mémoire
Fig. 5.8. Activation des lymphocytes T CD8+. Les APC, principalement des cellules dendritiques, peuvent ingérer et présenter les antigènes microbiens aux lymphocytes T CD8+ (présentation croisée) et aux lymphocytes T auxiliaires CD4+. Parfois, les APC peuvent être infectées ellesmêmes et présentent directement les antigènes (non représenté). Les lymphocytes T auxiliaires produisent ensuite des cytokines qui stimulent l'expansion et la différenciation des lymphocytes T CD8+. Les lymphocytes auxiliaires peuvent aussi activer les APC afin d'en faire de puissants stimulateurs des lymphocytes T CD8+ (non représenté). CTL : cytotoxic T lymphocytes.
94
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique IL-2Rα (CD25) CD69 IL-2
A c-Fos Niveau maximal (pourcentage)
100
Ligand de CD40
Division cellulaire
75 50 25 0
1
2
3
4
5
6
1
12
2
Heures
3
4
5
Jours
B
Cellule T TCR naïve
Rétention dans ganglion lymphatique
Prolifération
Fonctions effectrices
Contrôle de la réponse
CD69
IL-2R
CD40L
CTLA-4
Temps après activation Fig. 5.9. Protéines produites par des lymphocytes T stimulés par des antigènes. La reconnaissance de l'antigène par les lymphocytes T entraîne la synthèse et l'expression de diverses protéines, dont certains exemples sont présentés. La cinétique de production de ces protéines (A) est approximative et peut varier selon les différents lymphocytes T et les types de stimulus. Les effets possibles de la costimulation sur les profils ou la cinétique de l'expression des gènes ne sont pas présentés. Les fonctions de certaines protéines de surface exprimées sur des cellules T activées sont présentées en (B). CD69 est un marqueur de l'activation des lymphocytes T impliqués dans la migration cellulaire ; le récepteur de l'interleukine-2 (IL-2R) reçoit des signaux à partir de la cytokine IL-2 qui favorise la survie des lymphocytes T et leur prolifération ; le ligand de CD40 est une molécule effectrice des lymphocytes T ; CTLA-4 est un inhibiteur de la réponse immunitaire ; c-Fos (représentée en A) est un facteur de transcription. TCR : T-cell receptor.
Voies biochimiques de l'activation des lymphocytes T Lors de la reconnaissance des antigènes et des molécules de costimulation, les lymphocytes T expriment des protéines qui participent à la prolifération, à la différenciation et aux fonctions effectrices des lymphocytes (fig. 5.9). Dans les lymphocytes T naïfs, la synthèse protéique est faible, mais quelques minutes après la reconnaissance de l'antigène, la transcription et la synthèse protéique s'intensifient fortement. Ces protéines nouvellement exprimées sont impliquées dans les réactions subséquentes des lymphocytes T. L'expression de ces protéines est une conséquence des voies de transduction des signaux émanant du complexe du TCR et des récepteurs costimulateurs.
Les voies biochimiques qui relient la reconnaissance de l'antigène aux réponses des lymphocytes T consistent en l'activation d'enzymes comme des kinases, le recrutement de protéines adaptatrices et la production ou l'activation de facteurs de transcription fonctionnels (fig. 5.10). Ces voies biochimiques sont déclenchées quand les complexes TCR et le corécepteur approprié sont rapprochés en se liant aux complexes CMH-peptide à la surface des APC. En outre, il se produit une redistribution très organisée d'autres protéines sur les membranes des APC et des lymphocytes T au niveau du point de contact intercellulaire, de telle manière que les complexes TCR, les corécepteurs CD4/CD8 et CD28 coalescent au centre et les intégrines se déplacent pour former un anneau périphérique. Cette redistribution des molécules d'adhérence et de signalisation est requise pour une induction optimale des signaux d'activation du lymphocyte T. Cette région de contact
Chapitre 5. Immunité cellulaire
95
APC
CD4/ CD8
CD3
Cellule T
Lck
Initiation des signaux transmis par les TCR
ζ
Protéines adaptatrices
P
ZAP-70
P
P
P
P
P P
ITAM
PLCγ1
P
P
P
Activation de la PLCγ1
PI3-Kinase
P P
Facteur d'échange GDP/GTP
ITK
Échange Activation de la PI-3-Kinase GTP/GDP sur Ras, Rac
intermédiaires biochimiques Augmentation du Ca2+ cytosolique
Diacylglycérol (DAG)
Enzymes actives
Calcineurine
PKC
Facteurs de transcription
NFAT
PIP3
Ras•GTP, Rac•GTP
ERK, JNK
NF-κB
Akt, mTOR
Synthèse protéique
AP-1
Fig. 5.10. Voies de transduction des signaux dans les lymphocytes T. La reconnaissance de l'antigène par les lymphocytes T induit des événements précoces de signalisation qui comprennent la phosphorylation des tyrosines des molécules du complexe du TCR et le recrutement de protéines adaptatrices au niveau du site de reconnaissance de l'antigène par le lymphocyte T. Ces événements précoces conduisent à l'activation de plusieurs intermédiaires biochimiques, qui à leur tour activent des facteurs de transcription qui stimulent l'expression de gènes dont les produits sont à la base des réactions lymphocytaires T. Les effets possibles de la costimulation sur ces voies de signalisation ne sont pas présentés. Par simplicité, les voies de signalisation sont illustrées comme indépendantes l'une de l'autre, mais en fait elles peuvent être interconnectées dans des réseaux complexes. AP-1 : activating protein 1 ; APC : antigen-presenting cell ; GTP/GDP : guanosine triphosphate/guanosine diphosphate ; ITAM : immunoreceptor tyrosine-based activation motif ; mTOR : mammalian target of rapamycin ; NFAT : nuclear factor of activated T cells ; PKC : protéine kinase C ; PLCγ1 : isoforme γ1 de la phospholipase C spécifique du phosphatidylinositol ; PI-3 : phosphatidylinositol-3 ; ZAP-70 : zetaassociated protein of 70 kD.
entre la APC et le lymphocyte T, qui comprend les protéines membranaires redistribuées, est appelée synapse immunologique. Bien que la synapse immunologique ait d'abord été décrite comme un site de transduction des signaux activateurs à partir des récepteurs membranaires vers l'intérieur de la cellule, elle pourrait exercer d'autres fonctions. Certaines molécules effectrices et des cytokines peuvent être sécrétées à travers cette région, ce qui évite qu'elles ne diffusent loin des cellules concernées, mais cela permet qu'elles soient bien dirigées vers la cellule en contact avec la cellule T. Des enzymes qui dégradent ou inhibent des molécules de signalisation sont également recrutées dans la synapse, ce qui peut contribuer à l'arrêt de l'activation lymphocytaire.
Les queues cytoplasmiques des corécepteurs CD4 ou CD8 ont une tyrosine kinase, appelée Lck constitutivement attachée. Comme indiqué dans le chapitre 4, plusieurs protéines de signalisation transmembranaires sont associées au TCR, notamment les chaînes CD3 et ζ. Les chaînes CD3 et ζ contiennent des motifs qui comportent chacun deux résidus tyrosine, dénommés ITAM (immunoreceptor tyrosine-based activation motifs). Ceux-ci jouent un rôle essentiel dans la signalisation. La tyrosine kinase Lck, qui est transportée près du complexe TCR par les molécules CD4 et CD8, phosphoryle les résidus tyrosine contenus dans les ITAM des protéines ζ et CD3, et c'est l'événement qui déclenche la transduction du signal dans les cellules T. L'importance
96
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
des corécepteurs tient à leur liaison aux molécules du CMH ; ils rapprochent la kinase de ses substrats essentiels dans le complexe du TCR. Les ITAM phosphorylés de la chaîne ζ deviennent des sites d'arrimage pour une tyrosine kinase dénommée ZAP-70 (zeta-associated protein of 70 kDa), qui est également phosphorylée par Lck et par conséquent rendue enzymatiquement active. La ZAP-70 activée phosphoryle ensuite diverses protéines adaptatrices et enzymes, qui se rassemblent à proximité du complexe du TCR et assurent d'autres événements de signalisation. Les voies principales de signalisation liées à l'activation du complexe du TCR sont la voie calcium-NFAT, les voies des Ras- et Rac-MAP kinases, la voie PKCθ et NF-κB et la voie de la PI-3 kinase. ■ Le facteur nucléaire des lymphocytes T activés (NFAT, nuclear factor of activated T-cells) est un facteur de transcription présent sous une forme phosphorylée inactive dans le cytosol des lymphocytes T au repos. L'activation de NFAT et sa translocation nucléaire dépendent de la concentration des ions Ca2 + dans le cytosol. Cette voie de signalisation est initiée par phosphorylation et activation d'une enzyme nommée phospholipase Cγ (PLCγ) par une kinase, Itk, qui s'attache alors à une des protéines adaptatrices dans le complexe de signalisation. PLCγ activée catalyse l'hydrolyse d'un phospholipide de la membrane plasmique nommé phosphatidylinositol-4,5-biphosphate (PIP2). L'un des sous-produits de la dégradation de PIP2 par la PLCγ, l'inositol-1,4,5-triphosphate (IP3), se lie aux récepteurs d'IP3 sur la membrane du réticulum endoplasmique et sur les mitochondries et initie la libération du Ca2 + dans le cytosol. En réponse à la perte du calcium des réserves intracellulaires, un canal calcique s'ouvre dans la membrane plasmique, entraînant un afflux de Ca2 + extracellulaire dans la cellule, ce qui augmente encore la concentration calcique cytosolique et la maintient élevée pendant des heures. Le Ca2 + cytosolique élevé entraîne l'activation d'une phosphatase portant le nom de calcineurine. Cette enzyme élimine les résidus phosphate du NFAT cytoplasmique, lui permettant ainsi de migrer dans le noyau, où il se lie aux promoteurs de plusieurs gènes afin de les activer. Les gènes concernés codent notamment le facteur de croissance des lymphocytes T, l'interleukine-2 (IL-2), et des composants du récepteur de l'IL-2. Des inhibiteurs de la calcineurine (ciclosporine et tacrolimus) sont des médicaments qui bloquent l'activité phosphatasique de la calcineurine et suppriment ainsi la production dépendant de NFAT des cytokines par les lymphocytes T. Ces médicaments sont largement utilisés comme immunosuppresseurs dans la prévention des rejets de greffes et dans diverses maladies inflammatoires dépendant des cellules T (voir chapitre 10). ■ Les voies Ras/Rac-MAP kinase passent par les protéines Ras et Rac, qui sont activées biologiquement lorsqu'elles lient la guanosine triphosphate (GTP), ensuite par plusieurs protéines adaptatrices et par une cascade d'enzymes qui finalement activent l'un des représentants de la famille des MAP kinases (mitogen-activated protein kinase). Ces voies sont déclenchées par la phosphorylation dépendant de ZAP-70 et par le regroupement de protéines adaptatrices à la membrane plasmique,
conduisant au recrutement des protéines Ras ou Rac et à leur activation par échange de la guanosine diphosphate (GDP) sur les formes Ras ∙ GDP ou Rac ∙ GDP inactives contre du GTP. Ras ∙ GTP et Rac ∙ GTP, les formes actives de ces protéines, déclenchent différentes cascades enzymatiques, conduisant à l'activation de MAP kinases distinctes. Les MAP kinases terminales de ces voies, appelées ERK (extracellular signal-regulated kinase) et JNK (c-Jun N-terminal kinase), induisent respectivement l'expression d'une protéine, c-Fos, et la phosphorylation d'une autre, c-Jun. Les protéines c-Fos et c-Jun phosphorylées se combinent pour former le facteur de transcription actif AP-1 (activating-protein-1), qui amplifie la transcription de plusieurs gènes des lymphocytes T. ■ Une autre voie importante participant à la signalisation du TCR comprend l'activation de l'isoforme θ de la sérine/thréonine kinase dite protéine kinase C (PKCθ) qui conduit à l'activation d'un facteur de transcription, NF-κB (nuclear factor κB). PKCθ est activée par le diacylglycérol (DAG) qui, comme l'IP3, provient de l'hydrolyse de lipides membranaires à inositol par la phospholipase C. PKCθ agit via des protéines adaptatrices qui sont recrutées auprès du complexe du TCR pour activer NF-κB. ■ La transduction du signal du TCR implique aussi une lipide kinase, la PI-3 kinase, qui phosphoryle le phospholipide membranaire PIP2 pour générer le phosphatidyl inositol (3,4,5)-trisphosphate, PIP3. PIP3 est requis pour l'activation de plusieurs cibles cruciales, notamment une sérine/thréonine kinase appelée Akt ou protéine kinase B, qui joue plusieurs rôles, entre autres dans la stimulation de l'expression de protéines antiapoptotiques et ainsi la promotion de la survie des cellules T stimulées par l'antigène. La voie PI-3 kinase/Akt est déclenchée non seulement par le TCR mais aussi par CD28 et les récepteurs de l'IL-2. Akt active mTOR (mammalian target of rapamycin), une sérine/thréonine kinase qui est impliquée dans la stimulation de la traduction des protéines et dans la promotion de la survie et la croissance cellulaires. La rapamycine, un médicament qui se lie à mTOR et l'inactive, est utilisée pour prévenir le rejet de greffe. Les différents facteurs de transcription qui sont induits ou activés dans les cellules T, notamment NFAT, AP-1 et NF-κB, stimulent la transcription et la production consécutive de cytokines, de récepteurs de cytokines, d'inducteurs du cycle cellulaire et de molécules effectrices comme CD40L (voir fig. 5.9). Tous ces signaux sont déclenchés par la reconnaissance de l'antigène, la liaison du TCR et des corécepteurs à l'antigène (complexes peptide-CMH) étant nécessaire pour regrouper des enzymes essentielles et leurs substrats dans les cellules T. Il a été indiqué précédemment que la reconnaissance des molécules de costimulation (par exemple, les molécules B7) par leurs récepteurs (c'est-à-dire CD28) était essentielle pour que les lymphocytes T puissent répondre correctement. Les signaux biochimiques transduits par CD28 lors de la liaison aux molécules de costimulation B7 sont moins bien définis que les signaux déclenchés par le TCR. Il est
Chapitre 5. Immunité cellulaire probable que l'engagement de CD28 amplifie certaines voies de signalisation du TCR, déclenchées par la reconnaissance de l'antigène (« signal 1 »), et peut induire d'autres signaux qui sont complémentaires des signaux du TCR. L'activation lymphocytaire est associée à un changement profond dans le métabolisme cellulaire. Dans les lymphocytes T naïfs (au repos), de faibles quantités de glucose sont consommées et servent à produire de l'énergie sous forme d'adénosine triphosphate (ATP), par la phosphorylation oxydative mitochondriale. Lors de l'activation, la consommation de glucose augmente nettement, les cellules passant en mode glycolyse aérobie. Ce processus génère moins d'ATP, mais facilite la synthèse de plusieurs acides aminés, des lipides et d'autres molécules qui fournissent les éléments constitutifs des organelles et de nouvelles cellules. En conséquence, il devient possible pour les cellules T activées de produire plus efficacement les constituants cellulaires nécessaires à leur croissance rapide et à la production de cellules filles. En conséquence, il est possible pour les cellules T activées de produire plus efficacement les constituants cellulaires nécessaires à leur rapide augmentation de taille et à la production de cellules filles. Ayant décrit les stimulus et les voies biochimiques de l'activation des cellules T, nous continuons en décrivant comment celles-ci répondent aux antigènes et se différencient en cellules effectrices capables de combattre les infections.
Réponses fonctionnelles des lymphocytes T aux antigènes et à la costimulation La reconnaissance de l'antigène et des molécules de costimulation par les lymphocytes T déclenche un ensemble parfaitement régulé de réponses qui culminent avec l'expansion des clones de lymphocytes T spécifiques de l'antigène et la différenciation des lymphocytes T naïfs en lymphocytes effecteurs ou en cellules mémoire (voir fig. 5.3). Plusieurs réponses sont assurées par des cytokines qui sont sécrétées par les lymphocytes T et qui agissent sur les lymphocytes T eux-mêmes, ainsi que sur de nombreux autres types de cellules participant aux défenses immunitaires. Nous passons maintenant à la description de chaque composant des réponses biologiques des lymphocytes T.
Sécrétion de cytokines et expression des récepteurs de cytokines En réponse à l'antigène et aux costimulateurs, les lymphocytes T, en particulier les lymphocytes T CD4+, sécrètent rapidement la cytokine IL-2. Nous avons déjà décrit le rôle, dans les réponses de l'immunité innée, des cytokines produites principalement par les cellules dendritiques et les macrophages (voir chapitre 2). Dans l'immunité adaptative, les cytokines sont sécrétées par les lymphocytes T, surtout les CD4+. Puisque la plupart de ces cytokines sont produites par les cellules T effectrices et jouent divers rôles dans la défense de l'hôte, nous les décrivons dans le chapitre 6, lorsqu'il est question des mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire.
97
L'IL-2 est produite 1 à 2 heures après l'activation des lymphocytes T CD4+. L'activation augmente aussi de manière transitoire l'expression du récepteur de l'IL-2 de haute affinité, augmentant ainsi rapidement la capacité des cellules T de lier l'IL-2 et d'y répondre (fig. 5.11). Le récepteur de l'IL-2 comporte trois chaînes. Les lymphocytes T naïfs expriment deux chaînes de signalisation, β et γ, qui constituent le récepteur de faible affinité pour l'IL-2, mais ces cellules n'expriment pas la chaîne α (CD25) qui permet au récepteur de lier l'IL-2 avec une haute affinité. Quelques heures après l'activation par les antigènes et les molécules de costimulation, les lymphocytes T produisent la chaîne α du récepteur, après quoi le récepteur pour l'IL-2, désormais complet, est en mesure de lier fortement l'IL-2. Ainsi, l'IL-2 produite par un lymphocyte T stimulé par un antigène se lie de préférence au même lymphocyte T et agit sur celui-ci — un exemple de l'action autocrine des cytokines. Les principales fonctions de l'IL-2 sont de stimuler la survie et la prolifération des lymphocytes T, avec en conséquence une augmentation du nombre de cellules T spécifiques de l'antigène ; pour cette raison, l'IL-2 portait à l'origine le nom de facteur de croissance des lymphocytes T. Un récepteur de haute affinité de l'IL-2 est exprimé de manière constitutive dans les cellules T régulatrices, rendant ces cellules très sensibles à l'IL-2. En fait, l'IL-2 est aussi indispensable pour soutenir les cellules T régulatrices et assurer ainsi le contrôle des réponses immunitaires ; il en est question au chapitre 9. Les cellules T CD8+ activées et les cellules NK expriment le récepteur βγ de faible affinité et répondent à des concentrations d'IL-2 plus élevées.
Expansion clonale Les lymphocytes T activés par un antigène et par la costimulation commencent à proliférer après un à deux jours, ce qui entraîne une expansion des clones spécifiques de l'antigène (fig. 5.12). Cette expansion produit rapidement un large pool de lymphocytes spécifiques de l'antigène à partir desquels des lymphocytes effecteurs peuvent être générés afin de combattre l'infection. L'amplitude de l'expansion clonale est remarquable, en particulier pour les lymphocytes T CD8 +. Par exemple, avant une infection, le nombre de lymphocytes T CD8+ spécifiques d'un antigène protéique microbien particulier est approximativement de 1 sur 105 ou 106 lymphocytes de l'organisme. Au pic de certaines infections virales, qui peut survenir une semaine après l'infection, jusqu'à 10 à 20 % de tous les lymphocytes présents dans les organes lymphoïdes peuvent être spécifiques de ce virus. Cela signifie que les nombres de cellules dans les clones spécifiques de l'antigène ont augmenté d'un facteur supérieur à 10 000, avec un temps de doublement estimé à environ 6 heures. Cette énorme expansion des lymphocytes T spécifiques d'un microbe n'est pas accompagnée d'une augmentation détectable des autres lymphocytes qui ne reconnaissent pas ce microbe. L'expansion des lymphocytes T CD4+ semble être nettement moindre, vraisemblablement de 100 à 1 000 fois moins. Cette différence pourrait refléter des différences fonctionnelles entre les deux types de cellules T. Les CTL CD8+ sont des cellules effectrices qui tuent par contact direct les cellules infectées et tumorales : de nombreux CTL peuvent être
98
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique Costimulateur (B7)
CD28
Complexe IL-2R βγc
IL-2Rβγc
Lymphocyte T (naïf) au repos
Activation des cellules T par antigène + costimulateur
APC
IL-2R de faible affinité (Kd ~ 10−9 M)
IL-2
Sécrétion de l'IL-2
Expression de la chaîne IL-2Rα ;
Complexe IL-2R αβγc
IL-2Rαβγc
formation du complexe de haute affinité IL-2R αβγ IL-2R de haute affinité (Kd ~ 10−11 M) Prolifération des lymphocytes T induite par I'IL-2
Nombre de cellules T spécifiques d'un microbe
Fig. 5.11. Rôle de l'interleukine-2 et des récepteurs de l'IL-2 dans la prolifération des lymphocytes T. Les lymphocytes T naïfs expriment le complexe du récepteur pour l'IL-2 de faible affinité (IL-2R), constitué des chaînes β et γc (« γc » fait référence à la chaîne « γ commune » dans la mesure où il s'agit d'un composant des récepteurs de plusieurs autres cytokines). Lors de l'activation par la reconnaissance de l'antigène et par la costimulation, les lymphocytes produisent l'IL-2 et expriment la chaîne α de l'IL-2R (CD25), qui s'associe aux chaînes β et γc pour former le récepteur de l'IL-2 de haute affinité. La liaison de l'IL-2 à son récepteur déclenche la prolifération des lymphocytes T qui ont reconnu l'antigène. APC : antigen-presenting cell.
Expansion clonale
Contraction (homéostasie)
106
104 Cellules T CD8+
Infection
Cellules T CD4+
102 7
14 Jours après l'infection
Mémoire
200
Fig. 5.12. Expansion et déclin de la réponse des lymphocytes T. Le graphique reprend le nombre de lymphocytes T CD4+ et CD8+ spécifiques de divers antigènes ainsi que leur expansion et déclin au cours des réponses immunitaires chez des souris consanguines. Les chiffres sont approximatifs et proviennent d'études des effets de divers antigènes, microbiens ou autres, chez des souris consanguines ; chez l'homme, le nombre de lymphocytes est approximativement 1 000 fois plus élevé.
Chapitre 5. Immunité cellulaire nécessaires pour tuer un grand nombre de cellules infectées ou tumorales. En revanche, les lymphocytes CD4+ effecteurs sécrètent des cytokines qui activent de nombreuses autres cellules effectrices ; ainsi un nombre relativement faible de cellules productrices de cytokines peut suffire.
Différenciation des lymphocytes T naïfs en effecteurs Certaines cellules filles des lymphocytes qui prolifèrent après stimulation antigénique commencent à se différencier en cellules effectrices dont la fonction est d'éradiquer les infections et certains cancers. Ce processus de différenciation est le résultat de changements dans l'expression génique — par exemple, l'activation des gènes codant les cytokines dans les lymphocytes T CD4+ ou des protéines cytotoxiques dans les CTL CD8+. Cela commence en parallèle avec l'expansion clonale, et les lymphocytes effecteurs différenciés apparaissent dans un délai de 3 ou 4 jours après l'exposition aux microbes. Les cellules effectrices de la lignée CD4+ deviennent capables de produire différents ensembles de cytokines. Les souspopulations de cellules T qui se distinguent par leurs profils de Ganglion lymphatique Cellule T CD4+ naïve
99
cytokines sont nommées Th1, Th2 et Th17 (fig. 5.13). Beaucoup de ces cellules quittent les organes lymphoïdes périphériques et migrent vers des sites d'infection, où leurs cytokines recrutent d'autres leucocytes qui détruisent les agents infectieux. Le développement et les fonctions de ces cellules effectrices sont décrits au chapitre 6, où nous décrivons l'immunité cellulaire. D'autres cellules T CD4+ différenciées restent dans les organes lymphoïdes et migrent dans les follicules lymphoïdes, où elles se différencient en cellules T auxiliaires folliculaires et aident les lymphocytes B à produire des anticorps (voir chapitre 7), comme décrit aux chapitres 6 et 7. Les cellules auxiliaires CD4+ activent des phagocytes et des lymphocytes B par CD40L, une protéine de la membrane plasmique, et par la sécrétion de cytokines. L'interaction du CD40L des lymphocytes T avec CD40 des cellules dendritiques augmente l'expression des costimulateurs sur ces APC et la production de cytokines stimulant les lymphocytes T, ce qui produit un mécanisme de rétroaction positive (amplification) pour l'activation des lymphocytes T induite par les APC. Les cellules effectrices de la lignée CD8+ acquièrent la capacité de tuer des cellules infectées ou tumorales ; leur développement et fonction sont aussi décrits au chapitre 6.
Cellule T auxiliaire folliculaire (Tfh)
Cellule Th1
Les cellules Tfh restent dans l'organe lymphoide, migrent dans les follicules
Cellule Th2
Cellule B
Cellule Th17
Aident les cellules B à produire des anticorps de haute affinité
Les cellules T effectrices et les anticorps passent dans la circulation et gagnent les foyers infectieux Microbe
Élimination des microbes
Tissu infecté Fig. 5.13. Développement des cellules effectrices T CD4+. Lorsque les cellules CD4+ T naïves sont activées dans les organes lymphoïdes secondaires, elles prolifèrent et se différencient en cellules effectrices. Certains effecteurs (les populations Th1, Th2 et Th17) quittent pour la plupart l'organe lymphoïde et contribuent à l'éradication des microbes dans les tissus périphériques. D'autres cellules différenciées, appelées cellules T auxiliaires folliculaires (Tfh), restent dans l'organe lymphoïde et aident les cellules B à produire de puissants anticorps.
100
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Développement des lymphocytes T mémoire Certains lymphocytes activés par un antigène se différencient en cellules mémoire à longue vie. Ces cellules constituent un pool de lymphocytes qui sont induits par des microbes et sont prêts à réagir rapidement au retour d'un de ces microbes. Nous ignorons quels sont les facteurs qui déterminent l'orientation de la descendance de lymphocytes stimulés par un antigène vers la fonction de cellules effectrices ou de cellules mémoire. Les cellules mémoire ont plusieurs caractéristiques importantes. ■ Les cellules T mémoire survivent même après l'éradication de l'infection et la disparition des antigènes. Certaines cytokines, notamment l'IL-7 et l'IL-15, qui sont produites par les cellules stromales dans les tissus, peuvent servir à maintenir en vie les cellules mémoire et leur lente réplication. ■ Les cellules T mémoire peuvent être amenées rapidement à produire des cytokines ou à tuer les cellules infectées dès qu'elles rencontrent leur antigène spécifique. Ces cellules n'exercent aucune de leurs fonctions effectrices jusqu'à ce qu'elles rencontrent l'antigène, mais une fois activées, elles répondent beaucoup plus vigoureusement et plus rapidement que les lymphocytes naïfs. ■ Les lymphocytes T mémoire se retrouvent dans les organes lymphoïdes, dans différents tissus périphériques, notamment les muqueuses et la peau, et dans la circulation. Ils peuvent être distingués des cellules naïves et effectrices sur la base de plusieurs critères (voir chapitre 1). Une sous-population de cellules T mémoire, appelées cellules mémoire centrales, occupe les organes lymphoïdes et est responsable de la rapide expansion clonale après réexposition à un antigène. Une autre sous-population, appelée cellules mémoire effectrices, est présente dans les muqueuses et d'autres tissus périphériques et assure des fonctions effectrices rapides lors de la réintroduction de l'antigène dans ces sites. Une troisième sous-population, constituée de cellules mémoire dites à résidence tissulaire, est présente dans la peau et les muqueuses et peut être incapable de gagner la circulation. Elle assure des réponses secondaires rapides aux antigènes rencontrés dans les tissus. Les lymphocytes T mémoire peuvent probablement être activés dans les tissus lymphoïdes et non lymphoïdes, et leur activation, contrairement à celle des lymphocytes T naïfs, ne nécessite pas de niveaux élevés de costimulation ou de présentation d'antigène par les cellules dendritiques. En fait, diverses APC, y compris les lymphocytes B, peuvent être capables d'activer les lymphocytes T mémoire.
Migration des lymphocytes T dans les réactions d'immunité cellulaire Comme nous l'avons vu au début de ce chapitre, les réponses lymphocytaires T sont initiées principalement dans les organes lymphoïdes secondaires, et la phase effectrice se déroule principalement dans les foyers infectieux périphériques (voir fig. 5.2). Ainsi, les cellules T à différents stades de leur vie doivent migrer de différentes manières.
■ Les cellules T naïves doivent migrer du sang dans les organes lymphoïdes secondaires (périphériques) distribués dans tout le corps, jusqu'à ce qu'ils rencontrent, dans l'organe lymphoïde, les cellules dendritiques qui présentent les antigènes que les cellules T reconnaissent (voir chapitre 3). ■ Après l'activation et la différenciation des cellules T naïves en cellules effectrices, celles-ci doivent gagner les foyers infectieux, où elles peuvent éliminer les microbes. La migration des cellules T naïves et effectrices est contrôlée par trois familles de protéines : les sélectines, les intégrines et les chimiokines. Les trois régulent la migration de tous les leucocytes, comme décrit dans le chapitre 2 (voir fig. 2.16). Les voies de migration des cellules T naïves et effectrices diffèrent de manière significative en raison de l'expression sélective de différentes molécules d'adhérence et de récepteurs de chimiokines sur les lymphocytes T naïfs et cellules T effectrices, conjointement avec l'expression sélective de molécules d'adhérence endothéliales et de chimiokines dans les tissus lymphoïdes et les sites d'inflammation (fig. 5.14). Les cellules T naïves expriment la molécule d'adhérence sélectine L (CD62L) et le récepteur de chimiokine CCR7, responsables de la migration sélective des cellules naïves dans les ganglions lymphatiques à travers les vaisseaux sanguins spécialisées appelées veinules à endothélium élevé (HEV) (voir fig. 5.14). Les HEV, situées dans les zones des cellules T des tissus lymphoïdes, sont bordées de cellules endothéliales spécialisées, qui expriment des ligands glucidiques qui se lient à la sélectine L. Les HEV exposent également des chimiokines produites uniquement dans les tissus lymphoïdes et reconnues spécifiquement par CCR7. Les cellules T naïves migrent en plusieurs étapes comme le font tous les leucocytes à travers les vaisseaux sanguins (voir chapitre 2). ■ Les cellules T naïves dans le sang s'engagent dans des interactions de roulement dépendant de la sélectine L avec la HEV, permettant aux chimiokines de se lier à CCR7 sur les cellules T. ■ CCR7 transmet des signaux intracellulaires qui activent l'intégrine LFA-1 (leukocyte function-associated antigen 1, antigène 1 associé à la fonction leucocytaire) sur la cellule T naïve, ce qui augmente l'affinité de liaison de l'intégrine. ■ L'affinité accrue de l'intégrine pour son ligand, ICAM-1 (intercellular adhesion molecule 1, molécule d'adhérence intercellulaire 1) sur la HEV assure la fermeté de l'adhérence et l'arrêt du roulement des cellules T. ■ Les cellules T quittent alors le vaisseau à travers les jonctions endothéliales et sont retenues dans la zone des cellules T du ganglion lymphatique par les chimiokines qui y sont produites. Ainsi, de nombreuses cellules T naïves transportées par le sang accèdent par une HEV dans la zone de cellules T du stroma des ganglions lymphatiques. Ce processus se déroule constamment dans tous les ganglions lymphatiques et les tissus lymphoïdes des muqueuses. Les cellules T effectrices n'expriment ni CCR7 ni la sélectine L, et ne sont donc pas entraînées dans les ganglions lymphatiques.
Chapitre 5. Immunité cellulaire
101
A Ganglion lymphatique
Tissu périphérique
Veinule périphérique
S1P Vaisseau sanguin
Artère
Cellule T activée
S1PR1
Cellule T naïve Sélectine L
Vaisseau lymphatique efférent
Intégrine (LFA-1) Ligand de la sélectine L
CCR7
CXCR3 Ligand de la sélectine E ou P
CCL19/21
ICAM-1
Veinule à endothélium élevé dans ganglion lymphatique
B
Récepteur d'écotaxie des cellules T
Cellules T naïves
Ligand sur les cellules endothéliales
CXL10, Autres
Intégrine (LFA-1 ou VLA-4) Sélectine E ou P ICAM-1 ou VCAM-1
Endothélium dans le foyer infectieux
Fonction du récepteur : paire de ligands
Sélectine L
Ligand de la sélectine L
Adhérence des cellules T naïves à une veinule à endothélium élevé (HEV) dans un ganglion lymphatique
LFA-1 (intégrine β2)
ICAM-1
Arrêt stable sur une HEV
CCR7
CCL19 ou CCL21
Activation des intégrines et chimiotaxie
Ligand de la sélectine E ou P
Sélectine E ou P
Adhérence initiale faible des cellules T effectrices et mémoire à un endothélium activé par des cytokines dans un foyer infectieux périphérique
LFA-1 (intégrine β2) ou VLA-4 (intégrine β1)
ICAM-1 ou VCAM-1
Arrêt stable sur un endothélium activé par des cytokines dans un site périphérique d'infection
CXCR3, autres
CXCL10, autres
Cellules T activées (effectrices et mémoire)
Activation des intégrines et chimiotaxie
Fig. 5.14. Migration des lymphocytes T naïfs et effecteurs. A. Les lymphocytes T naïfs migrent dans les ganglions lymphatiques en raison de la liaison de la L-sélectine, de l'intégrine et du récepteur de chimiokine CCR7 à leurs ligands sur les veinules à endothélium élevé (HEV). Les chimiokines exprimées dans les ganglions lymphatiques se lient au CCR7 sur les lymphocytes T naïfs, ce qui amplifie l'adhérence et la migration dépendant de l'intégrine dans les HEV. Le phospholipide, la sphingosine-1-phosphate (S1P), joue un rôle dans la sortie des cellules T des ganglions lymphatiques, en se liant à son récepteur, appelé S1PR1 (récepteur de sphingosine 1-phosphate de type 1). Les lymphocytes T activés, y compris la majorité des cellules effectrices, migrent dans les foyers infectieux dans les tissus périphériques, et cette migration dépend de la sélectine E et de la sélectine P, des intégrines et des chimiokines sécrétées aux sites inflammatoires. Les cellules Tfh (Follicular helper T cells) (non montrées) sont des cellules effectrices qui restent dans les organes lymphoïdes, car elles expriment un récepteur de chimiokine (CXCR5) qui les attire dans les follicules lymphoïdes, où elles peuvent interagir avec les lymphocytes B résidents. B. Ce tableau résume les fonctions des principaux récepteurs d'écotaxie des lymphocytes T, des récepteurs de chimiokines et de leurs ligands. ICAM-1 : intercellular adhesion molecule 1 ; LFA-1 : leukocyte function-associated antigen 1 ; VCAM-1 : vascular cell adhesion molecule 1 ; VLA-4 : very late antigen 4.
102
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Le phospholipide sphingosine-1-phosphate (S1P) joue un rôle clé dans la sortie des lymphocytes T des ganglions lymphatiques. Les taux de S1P sont plus élevés dans le sang et la lymphe qu'à l'intérieur des ganglions lymphatiques. S1P se lie à son récepteur et induit son internalisation, ce qui maintient basse l'expression du récepteur des lymphocytes T naïfs circulants. Lorsqu'une cellule T naïve entre dans le ganglion, elle est exposée à de plus faibles concentrations de S1P, et l'expression du récepteur commence à augmenter. Si la cellule T ne reconnaît aucun antigène, la cellule quitte le ganglion par les vaisseaux lymphatiques efférents en suivant le gradient de S1P dans la lymphe. Si la cellule T rencontre un antigène spécifique, elle est activée et l'expression en surface du récepteur S1P est supprimée pendant plusieurs jours par CD69, qui est exprimée de manière transitoire à la suite de l'activation des cellules T. En conséquence, les cellules T récemment activées restent dans le ganglion lymphatique assez longtemps pour que l'expansion clonale et la différenciation puissent se dérouler. Lorsque ce processus est terminé, le récepteur de S1P est exprimé à nouveau à la surface de la cellule ; en même temps, les cellules cessent d'exprimer la sélectine L et CCR7, qui avaient auparavant attiré les cellules T naïves dans les ganglions lymphatiques. Par conséquent, les cellules T activées sont attirées hors des ganglions dans les lymphatiques de drainage, qui transportent alors les cellules dans la circulation. Le résultat net de ces changements est que les cellules T effectrices différenciées quittent les ganglions lymphatiques et entrent dans la circulation. L'importance de la voie S1P a été révélée par le développement d'un médicament (fingolimod) qui se lie au récepteur de S1P et bloque la sortie des lymphocytes T des ganglions lymphatiques. Ce médicament est autorisé pour le traitement d'une maladie inflammatoire, la sclérose en plaques. Les cellules T effectrices migrent dans les foyers infectieux parce qu'elles produisent des molécules d'adhérence et des récepteurs de chimiokines qui se lient aux ligands exprimés ou exposés sur l'endothélium vasculaire dans les foyers infectieux. Le processus de différenciation de lymphocytes T naïfs en cellules effectrices est accompagné par des changements dans les types de molécules d'adhérence et de récepteurs de chimiokines exprimés sur ces cellules (voir fig. 5.14). La migration des cellules T activées dans les tissus périphériques est contrôlée par des types d'interactions qui sont les mêmes que ceux impliqués dans la migration des autres leucocytes dans les tissus (voir chapitre 2). ■ Les cellules T activées expriment de nombreux ligands glycoprotéiques pour les sélectines E et P et les intégrines LFA-1 et VLA-4 (very late antigen 4, antigène 4 d'activation très tardif). Des cytokines de l'immunité innée produites en réaction à l'infection, telles que le TNF et l'IL-1, augmentent l'expression des sélectines E et P par les cellules endothéliales, ainsi que celle des ligands des intégrines, en particulier ICAM-1 et VCAM-1 (vascular cell adhesion molecule 1, molécule d'adhérence aux cellules vasculaires), le ligand de l'intégrine VLA-4. ■ Les cellules T effectrices qui traversent la paroi des vaisseaux sanguins dans le site infectieux s'attachent d'abord aux sélectines endothéliales, formant ainsi les interactions de roulement.
■ Les cellules T effectrices expriment également des récepteurs pour les chimiokines qui sont produites par les macrophages et les cellules endothéliales dans ces sites inflammatoires et sont exposées à la surface de l'endothélium. Les cellules T en train de rouler lient ces chimiokines, ce qui augmente l'affinité des intégrines à leurs ligands, assurant ainsi la fermeté de l'adhérence des cellules T à l'endothélium. ■ Les lymphocytes T effecteurs, après avoir été arrêtés sur l'endothélium, se lient à d'autres molécules d'adhérence à hauteur des jonctions entre les cellules endothéliales et s'insinuent dans le tissu à travers ces jonctions. Les chimiokines qui ont été produites par les macrophages et d'autres cellules dans les tissus amplifient la motilité des cellules T migrantes. Le résultat net de ces interactions moléculaires entre lymphocytes T et cellules endothéliales est la migration des lymphocytes hors des vaisseaux sanguins jusqu'au site de l'infection. Les lymphocytes T naïfs n'expriment ni ligands pour les sélectines E ou P, ni récepteurs pour les chimiokines produites dans les foyers inflammatoires. Par conséquent, les cellules T naïves ne migrent pas dans les sites d'infection ou dans une lésion tissulaire. La migration des cellules T effectrices dans un tissu infecté est indépendante de la reconnaissance de l'antigène, mais les lymphocytes qui reconnaissent des antigènes sont de préférence retenus et activés sur le site. La migration des cellules T effectrices dans des foyers infectieux dépend principalement de molécules d'adhérence et de chimiokines. Par conséquent, toute cellule T effectrice présente dans le sang, quelle que soit la spécificité de l'antigène, peut entrer dans le site d'une infection. Cette migration non sélective maximise vraisemblablement les chances des lymphocytes effecteurs d'entrer dans les tissus où ils peuvent rencontrer les microbes qu'ils reconnaissent. Les cellules T effectrices qui quittent la circulation et qui reconnaissent spécifiquement des antigènes microbiens présentés par les APC des tissus locaux sont réactivées et contribuent à la destruction du microbe dans l'APC. Une conséquence de cette réactivation est une augmentation de l'expression des intégrines VLA sur les cellules T. Certaines de ces intégrines se lient spécifiquement aux molécules de la matrice extracellulaire, telles que l'acide hyaluronique et la fibronectine. Par conséquent, les lymphocytes stimulés par un antigène adhèrent fermement aux protéines de la matrice tissulaire à proximité de l'antigène, ce qui peut servir à maintenir les cellules dans les sites inflammatoires. Cette rétention sélective contribue à l'accumulation de lymphocytes T spécifiques des antigènes microbiens dans le foyer infectieux. Après ces diverses étapes migratoires des cellules T, la phase effectrice de la réaction immunitaire peut se dérouler dans n'importe quel foyer infectieux. Alors que l'activation des cellules T naïves nécessite la présentation de l'antigène et une costimulation par les cellules dendritiques, les cellules effectrices différenciées dépendent moins d'une costimulation. C'est pourquoi les cellules T naïves ne peuvent proliférer et se différencier que dans les organes lymphoïdes, où les cellules dendritiques (qui expriment d'abondantes molécules de costimulation) présentent des antigènes, mais les fonctions des cellules effectrices peuvent être réactivées au contact de toute cellule hôte qui présente des peptides microbiens liés à des molécules du CMH, et pas seulement au contact de cellules dendritiques.
Chapitre 5. Immunité cellulaire L'élucidation des interactions moléculaires impliquées dans la migration des leucocytes est à l'origine de nombreux développements d'agents susceptibles de bloquer la migration des cellules dans les tissus. Des anticorps dirigés contre des intégrines sont efficaces dans des maladies inflammatoires comme la sclérose en plaques et les maladies inflammatoires de l'intestin. L'utilité clinique de ces médicaments est limitée par le risque accru d'une nouvelle infection ou une réactivation d'infections latentes, puisque la fonction de surveillance immunitaire des cellules T est déficiente lorsque leur migration dans les tissus est bloquée. Comme mentionné plus tôt, une petite molécule inhibitrice de la voie de la S1P sert à traiter la sclérose en plaques. De petites molécules qui se lient à des récepteurs de chimiokines et les bloquent ont également été développées et ont montré une certaine efficacité dans une maladie inflammatoire de l'intestin.
samment large pour être efficace, ce qui est obtenu par une expansion clonale importante après stimulation et plusieurs mécanismes amplificateurs qui sont induits par les microbes et par les lymphocytes T activés eux-mêmes. ■ La réponse doit être optimisée pour combattre différents types de microbes. Ceci est réalisé largement par le développement de sous-populations spécialisées de cellules T effectrices.
Points clés ■
Déclin de la réponse immunitaire ■
■
■
■
■
■
■
■
Les lymphocytes T sont les acteurs de l'immunité cellulaire, la branche du système immunitaire adaptatif qui combat les germes intracellulaires, qui peuvent être des microbes ayant été ingérés par les phagocytes et vivant à l'intérieur de ces cellules ou bien des microbes ayant infecté des cellules hôtes. Des lymphocytes T assurent également la défense contre certains microbes extracellulaires, aident les lymphocytes B à produire des anticorps et détruisent des cellules cancéreuses. Les réponses des lymphocytes T se déroulent en plusieurs étapes : reconnaissance, par les lymphocytes T naïfs, des microbes associés aux cellules, expansion des clones spécifiques de l'antigène par prolifération, et différenciation des cellules filles en lymphocytes effecteurs et lymphocytes mémoire. Les lymphocytes T utilisent leurs récepteurs d'antigène pour reconnaître les antigènes peptidiques présentés par les molécules du CMH sur les cellules présentatrices d'antigènes, ce qui explique la spécificité de la réponse qui s'ensuit. Ils reconnaissent aussi les résidus polymorphes des molécules du CMH, ce qui explique la restriction par le CMH des réponses des lymphocytes T. La reconnaissance de l'antigène par le TCR déclenche des signaux qui sont transmis à l'intérieur des lymphocytes par des molécules associées au TCR (les chaînes CD3 et ζ) et par les corécepteurs, CD4 ou CD8, qui reconnaissent respectivement les molécules du CMH de classe II ou de classe I. La liaison des lymphocytes T aux APC est favorisée par des molécules d'adhérence, notamment les intégrines, dont l'affinité pour leurs ligands est augmentée par la reconnaissance de l'antigène par le TCR. Les APC exposées aux microbes ou aux cytokines produites dans le cadre des réactions immunitaires innées dirigées contre les microbes expriment des molécules de costimulation qui sont reconnues par des récepteurs situés sur les lymphocytes T et délivrent les « seconds signaux » nécessaires à l'activation des lymphocytes T. Les signaux biochimiques déclenchés dans les lymphocytes T par la reconnaissance de l'antigène et la costimulation entraînent l'activation de différents facteurs de transcription qui stimulent l'expression de gènes codant des cytokines, des récepteurs de cytokines et d'autres molécules participant aux réponses des lymphocytes T. Les voies de signalisation impliquent des protéine-tyrosine kinases qui phosphorylent les protéines qui deviennent des sites d'amarrage pour d'autres kinases et d'autres molécules de signalisation. Les voies de signalisation comprennent les voies calcineurine/NFAT, RAS-MAP kinase et PI-3 kinase/mTOR. En réponse à la reconnaissance de l'antigène et à la costimulation, les lymphocytes T sécrètent des cytokines, dont certaines induisent la prolifération des lymphocytes T stimulés par l'antigène, alors que d'autres, assurent les fonctions effectrices des lymphocytes T.
▲
L'expansion remarquable des lymphocytes spécifiques de l'antigène atteint nécessairement un niveau, à partir duquel on s'attend, selon le principe de l'homéostasie, à un retour à l'état de base afin que le système soit prêt à réagir à une nouvelle infection (voir fig. 5.12). Au cours de la réponse, la survie et la prolifération des cellules T sont soutenues par l'antigène et les signaux costimulateurs venant de CD28 et de cytokines comme l'IL-2. Après la guérison de l'infection et la disparition des stimulus de l'activation lymphocytaire, les nombreuses cellules qui ont proliféré en réponse à la présence de l'antigène sont privées de facteurs de survie. En conséquence, ces cellules meurent par apoptose (mort cellulaire programmée). Après l'éradication de l'infection, la réaction s'atténue en 1 à 2 semaines et seule la présence d'un pool de lymphocytes mémoire survivants témoigne a posteriori de l'intervention des lymphocytes T. En résumé, de nombreux mécanismes ont évolué pour surmonter les difficultés auxquelles les cellules T sont confrontées lors de la génération d'une réaction immunitaire cellulaire efficace. ■ Les lymphocytes T naïfs doivent trouver l'antigène. Ce problème est résolu par les APC qui capturent l'antigène et le concentrent dans les organes lymphoïdes spécialisés à travers lesquels les lymphocytes T naïfs recirculent. ■ Le type adéquat de lymphocytes T (lymphocytes T auxiliaires CD4+ ou les CTL CD8+) doit répondre à des antigènes provenant des compartiments endosomique et cytosolique. Cette sélectivité est déterminée par la spécificité des corécepteurs CD4 et CD8 pour les molécules du CMH de classe II et de classe I, et par la ségrégation des antigènes protéiques extracellulaires (vésiculaires) et intracellulaires (cytosoliques) afin qu'ils soient présentés respectivement par les molécules du CMH de classe II et de classe I. ■ Les lymphocytes T doivent répondre aux antigènes microbiens et non aux protéines inoffensives. Cette préférence pour les microbes est respectée parce que l'activation des lymphocytes T nécessite des costimulateurs qui sont induits sur les APC par les microbes. ■ La reconnaissance de l'antigène par un faible nombre de lymphocytes T doit être convertie en une réponse suffi-
103
104
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
▲ ■
■
■
Les cellules T prolifèrent après activation par l'antigène et les costimulateurs, entraînant l'expansion des clones spécifiques de l'antigène. La survie et la prolifération de cellules T activées sont assurées par le facteur de croissance, l'IL-2. Certaines cellules T se différencient en cellules effectrices responsables de l'élimination des infections. Les cellules effectrices CD4+ produisent des molécules de surface, notamment CD40L, et sécrètent diverses cytokines qui activent d'autres leucocytes en vue de la destruction des microbes. Les cellules effectrices CD8+ sont capables de tuer les cellules infectées ou tumorales. D'autres cellules T activées se différencient en cellules mémoire, qui survivent même après élimination de l'antigène
■
■
et sont capables de répondre rapidement aux rencontres ultérieures avec l'antigène. Les cellules T naïves migrent dans les organes lymphoïdes périphériques, surtout les ganglions lymphatiques drainant des sites d'entrée de microbes, alors que de nombreux lymphocytes T effecteurs générés dans les organes lymphoïdes sont capables de migrer dans n'importe quel foyer infectieux. Les voies de migration des cellules T naïves et effectrices sont contrôlées par des molécules d'adhérence et des chimiokines. La migration des lymphocytes T est indépendante de l'antigène, mais les cellules qui reconnaissent des antigènes microbiens dans les tissus sont retenues dans ces sites.
Chapitre
6
Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire Fonctions des lymphocytes T dans la défense de l'hôte PLAN DU CHAPITRE Modes de réactions immunitaires dépendant des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Développement et fonctions des lymphocytes T effecteurs CD4+ . . . . . . . . . . . . . Des sous-populations de cellules T auxiliaires CD4+ se distinguent par les cytokines qu'elles produisent . . . . . .
105 107
107
La défense de l'hôte dans laquelle les lymphocytes T interviennent comme cellules effectrices relève de ce que l'on appelle l'immunité cellulaire. Les lymphocytes T sont essentiels pour éliminer les microbes qui survivent et se répliquent à l'intérieur des cellules mais aussi pour éradiquer des infections par certains microbes extracellulaires, souvent par le recrutement d'autres leucocytes pour éliminer les pathogènes infectieux. Les cellules T détruisent également des tumeurs qui produisent des protéines qui sont reconnues comme antigènes étrangers (voir chapitre 10). Le thème de ce chapitre est le rôle des réponses des cellules T dans la défense contre des microbes pathogènes. Les réponses immunitaires cellulaires commencent par l'activation des lymphocytes T naïfs, qui les fait proliférer et se différencier en cellules effectrices. La majorité d'entre elles migrent alors dans les foyers infectieux où elles interviennent pour éliminer les microbes. Certaines cellules effectrices CD4+ restent dans les organes lymphoïdes et aident les lymphocytes B à produire des anticorps de haute affinité (immunité humorale, voir chapitre 7). Au chapitre 3, nous avons décrit les fonctions des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) dans la présentation des antigènes des microbes intracellulaires afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T. Au chapitre 5, nous avons décrit les événe-
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Cellules Th1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cellules Th2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cellules Th17 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Différenciation et fonctions des lymphocytes T cytotoxiques CD8+ . . . . . . . Résistance des microbes pathogènes à l'immunité cellulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
110 111 115 116 117
ments précoces menant à l'activation des lymphocytes T naïfs. Dans ce chapitre, nous répondrons aux questions suivantes. ■ Quels types de lymphocytes T effecteurs sont impliqués dans l'élimination des microbes ? ■ Comment les lymphocytes T effecteurs se développentils à partir de cellules T naïves, et comment les cellules effectrices éradiquent-elles les infections causées par des microbes différents ? ■ Quels sont les rôles des macrophages et d'autres leucocytes dans la destruction des pathogènes infectieux ?
Modes de réactions immunitaires dépendant des lymphocytes T Deux principaux types de réactions de l'immunité cellulaire éliminent différents types de microbes. Les lymphocytes T auxiliaires CD4+ expriment des molécules qui recrutent et activent d'autres leucocytes afin qu'ils phagocytent (ingèrent) et détruisent les microbes. Les lymphocytes T cytotoxiques CD8 + (CTL) tuent toute cellule contenant des protéines microbiennes dans le cytosol, éliminant ainsi les réservoirs cellulaires infectieux (fig. 6.1). Les infections microbiennes peuvent
105
106
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A Phagocyte avec des microbes
B Cellule infectée par
ingérés dans des vésicules
Cellules T effectrices CD4+ (cellules Th1)
Cellules T effectrices CD4+ (cellules Th17)
des microbes dans le cytoplasme Cellules T CD8+ (CTL)
Sécrétion de cytokines
Activation des macrophages fi lyse des microbes ingérés
Inflammation, lyse microbienne
Mise à mort de la cellule infectée
Fig. 6.1. Immunité cellulaire. A. Les lymphocytes T effecteurs des sous-populations CD4+ Th1 et Th17 reconnaissent les antigènes et sécrètent des cytokines, qui recrutent des leucocytes (inflammation) et activent les phagocytes, afin qu'ils détruisent les microbes. Les cellules effectrices de la sous-population Th2 (non représentées) recrutent des éosinophiles, qui détruisent les parasites helminthiques. B. Les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL) tuent les cellules contenant des antigènes microbiens dans le cytosol. Ils peuvent aussi produire des cytokines qui induisent une inflammation et activent des macrophages (non montré).
survenir n'importe où dans l'organisme et certains pathogènes sont capables d'infecter et de vivre à l'intérieur des cellules. Les germes pathogènes qui infectent les cellules et qui survivent à l'intérieur de celles-ci comprennent : ■ de nombreuses bactéries, des champignons et des protozoaires qui sont ingérés par les phagocytes mais résistent aux mécanismes de destruction de ces phagocytes et survivent dans des vacuoles ou dans le cytosol ; ■ des virus qui infectent des cellules, phagocytaires ou non, et se répliquent dans ces cellules (voir fig. 5.1). Des cellules T CD4 + et CD8 + reconnaissent les microbes dans différents compartiments cellulaires et se distinguent par la nature des réactions qu'ils suscitent. En général, les cellules T CD4 + reconnaissent des antigènes de microbes qui peuvent être intracellulaires ou extracellulaires (basées sur le site où les microbes survivent et se répliquent) mais dont les antigènes sont internalisés dans des vésicules. Ces cellules T sécrètent des cytokines qui recrutent et activent des phagocytes et d'autres leucocytes qui tuent les microbes. Par contre, les cellules T CD8 + reconnaissent des antigènes microbiens qui sont présents dans le cytosol des cellules infectées, qu'elles détruisent. L'immunité cellulaire contre les pathogènes a été découverte comme une forme d'immunité qui était dirigée contre une infection bactérienne intracellulaire et qui pouvait être transférée d'animaux immunisés à des animaux naïfs non pas par des anticorps sériques, mais bien par des cellules, identifiées depuis lors comme des lym-
phocytes T (fig. 6.2). Les premières études avaient permis de déterminer que la spécificité de l'immunité cellulaire contre différents microbes était une fonction des lymphocytes, mais que l'élimination des microbes incombait aux macrophages activés. Comme déjà mentionné, les cellules T CD4+ sont principalement responsables de ce type classique d'immunité cellulaire, tandis que les cellules T CD8+ peuvent éradiquer les infections sans intervention des phagocytes. Les réactions de l'immunité dépendant des cellules T se déroulent en plusieurs phases (voir fig. 5.2). Des lymphocytes T naïfs sont stimulés par des antigènes microbiens dans les organes lymphoïdes périphériques (secondaires), ce qui génère des cellules T effectrices, dont la fonction est d'éradiquer les infections. Les lymphocytes T effecteurs différenciés migrent ensuite dans le foyer infectieux. Dans ce site, les phagocytes qui ont ingéré les microbes ou des protéines microbiennes dans des vésicules intracellulaires présentent des fragments peptidiques des antigènes protéiques associés à des molécules du CMH de classe II à la surface cellulaire afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T effecteurs CD4+. Les antigènes peptidiques provenant de protéines microbiennes dans le cytosol des cellules infectées sont présentés par des molécules du CMH de classe I afin qu'ils soient reconnus par des lymphocytes T effecteurs CD8+. La reconnaissance des antigènes par les lymphocytes T effecteurs active ceux-ci afin qu'ils accomplissent leur tâche d'élimination des pathogènes. Ainsi, dans l'immunité cellulaire, les lymphocytes T reconnaissent
Chapitre 6. Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire
Nombre de Listeria vivantes dans la rate (log 10)
A
Les lymphocytes T confèrent une immunité adoptive spécifique
10
Lymphocytes T immuns
8
Lymphocytes T non immuns
6 4 2 0
1
3
2
4
Jours après I'infection
Nombre de Listeria vivantes dans la rate (log 10)
B
Le sérum ne confère pas d'immunité spécifique
10
Pourcentage de destruction de Listeria in vitro
C
Sérum immun Sérum non immun
8
4 2 1
3
2
4
Jours après l'infection
Seuls les macrophages activés détruisent les Listeria in vitro
100 80 60
Lymphocytes T immuns Macrophages quiescents Macrophages activés
40 20 0
1,0
2,0
3,0
4,0
des antigènes protéiques en deux phases distinctes. Premièrement, les lymphocytes T naïfs reconnaissent les antigènes dans les tissus lymphoïdes et réagissent par une prolifération et une différenciation en cellules effectrices (voir chapitre 5). Deuxièmement, celles-ci reconnaissent les mêmes antigènes n'importe où dans l'organisme et réagissent en éliminant ces microbes. Ce chapitre décrit d'abord comment les lymphocytes T effecteurs CD4 + et CD8 + se développent en réaction aux microbes et les éliminent. Puisque les lymphocytes T auxiliaires CD4 et les CTL CD8+ recourent à des mécanismes distincts pour combattre les infections, nous décrivons le développement et les fonctions des cellules effectrices de ces classes de lymphocytes individuellement. Nous concluons en décrivant comment les deux classes de lymphocytes peuvent coopérer pour éliminer les microbes intracellulaires.
Développement et fonctions des lymphocytes T effecteurs CD4+
6
0
107
5,0
6,0
Leucocytes ajoutés (×10–6)
Fig. 6.2. Immunité cellulaire contre une bactérie intracellulaire, Listeria monocytogenes. Dans ces expériences, des lymphocytes ou du sérum (source d'anticorps) ont été prélevés chez une souris ayant précédemment été exposée à une dose sublétale de Listeria (souris immunisée) et transférés à une souris normale (naïve), puis on a inoculé la bactérie à la souris receveuse de ce « transfert adoptif ». On a alors compté les bactéries dans sa rate afin de déterminer si le transfert l'avait protégée. La protection contre la bactérie (se manifestant par une diminution de la récupération de bactéries vivantes) a été induite par le transfert de cellules lymphoïdes immunes, identifiées comme des lymphocytes T (A), mais non par le transfert de sérum (B). Les bactéries ont été tuées in vitro par des macrophages activés mais non par des lymphocytes T (C). Par conséquent, la protection dépend des lymphocytes T spécifiques de l'antigène, mais la destruction des bactéries est une fonction qui incombe aux macrophages activés.
Au chapitre 5, nous avons introduit le concept de la répartition des cellules effectrices de la lignée CD4 + sur la base des cytokines qu'elles produisent. Ces souspopulations de lymphocytes T CD4 + diffèrent par leurs fonctions et jouent des rôles distincts dans l'immunité cellulaire.
Des sous-populations de cellules T auxiliaires CD4+ se distinguent par les cytokines qu'elles produisent L'analyse de la production de cytokines par des cellules T auxiliaires (Th) a révélé l'existence de sous-populations de cellules T CD4+ fonctionnellement distinctes par leur production de cytokines différentes et leur aptitude à éliminer différents types de pathogènes. L'existence de ces sous-populations illustre comment le système immunitaire répond de manière spécialisée et optimale pour combattre divers microbes. Par exemple, les microbes intracellulaires, comme les mycobactéries, sont ingérés par des phagocytes, mais résistent à la destruction intracellulaire. La réponse immunitaire adaptative à ce type de microbes entraîne l'activation des phagocytes, les rendant capables de tuer les microbes ingérés. En revanche, la réponse immunitaire aux helminthes est dominée par la production d'anticorps IgE et l'activation des éosinophiles qui détruisent les helminthes. La réponse immunitaire aux bactéries et champignons extracellulaires requiert des cytokines qui déclenchent une inflammation à neutrophiles ; ces leucocytes en grand nombre sont, en effet, nécessaires pour éliminer ces pathogènes. Ces types de réponses immunitaires dépendent des lymphocytes T auxiliaires CD4 +, mais pendant de nombreuses années, la manière dont les lymphocytes auxiliaires CD4+ étaient capables de stimuler des mécanismes immunitaires effecteurs aussi distincts n'avait pas été clairement élucidée.
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
108
Nous savons maintenant que ces réponses dépendent de sous-populations fonctionnellement distinctes de lymphocytes T effecteurs CD4 + qui produisent différentes cytokines. Les lymphocytes T auxiliaires CD4+ peuvent se différencier en trois sous-populations de cellules effectrices qui produisent des types distincts de cytokines qui interviennent pour défendre contre différents types d'infections microbiennes dans des tissus, et une quatrième sous-population qui active des cellules B dans les organes lymphoïdes secondaires (fig. 6.3). Les sous-populations qui furent d'abord définies sont appelées lymphocytes Th1 et Th2 (pour lymphocytes T auxiliaires de type 1 et lymphocytes T auxiliaires de type 2) ; une troisième population identifiée plus tard est appelée Th17 en raison de la cytokine principale qu'elle produit, l'IL-17. La découverte de ces sous-populations a été une étape importante dans la compréhension des réponses immunitaires et a fourni des modèles pour l'étude des processus de différenciation cellulaire. Toutefois, il faut noter que certaines cellules T CD4 + activées produisent des mélanges de cytokines et ne peuvent donc être classées aisément dans ces sous-populations. Une plasticité dans ces populations pourrait expliquer que, dans certaines conditions, une sous-population puisse se convertir en une autre. Malgré ces mises en garde, il est utile de considérer les fonctions des cellules effectrices CD4+ dans le contexte des principales sous-populations
Cellules T effectrices
Cytokines impliquées
pour la compréhension des mécanismes de l'immunité cellulaire. Les cytokines produites au cours des réponses immunitaires adaptatives comprennent celles produites par les trois sous-populations Th principales, ainsi que des cytokines produites par les cellules T régulatrices CD4+ et des cellules T CD8 +. Ces cytokines de l'immunité adaptative partagent certaines propriétés générales, mais chacune exerce ses activités biologiques propres et joue un rôle unique dans la phase effectrice ou la régulation de ces réponses (fig. 6.4). Les fonctions des souspopulations de cellules T CD4 + reflètent les activités des cytokines qu'elles produisent. Des ensembles similaires de cytokines peuvent être produits au début d'une réponse immunitaire par les cellules lymphoïdes innées, comme les cellules ILC1, ILC2 et ILC3 (voir chapitre 2), puis respectivement par les cellules Th1, Th2 et Th17. Ces réponses innées et adaptatives combinées avec des profils de cytokines et des résultats fonctionnels similaires sont parfois regroupées en « immunité de type 1 », « immunité de type 2 » et « immunité de type 3 ». La sous-population de cellules T CD4+ qui se développe en réponse aux divers types de microbes est celle qui est la plus apte à leur éradication. Différents microbes induisent la production de différentes cytokines par des cellules dendritiques et d'autres cellules, et ces cytokines orientent la différenciation des cellules T activées par un antigène vers l'une ou l'autre sous-population. Nous allons maintenant
Principales Principales réactions cellules cibles immunitaires
Défense de l'hôte
Rôle dans les maladies
Activation des macrophages
Pathogènes intracellulaires
Auto-immunité ; inflammation chronique
Activation des éosinophiles et des mastocytes ; activation alternative des macrophages
Helminthes
Allergie
Macrophages
Th1
IFN-γ
Th2
IL-4 IL-5 IL-13
Th17
IL-17 IL-22
Tfh
IL-21 (et IFN-g ou IL-4)
Éosinophiles
Neutrophiles
Recrutement et activation des neutrophiles
Bactéries et Auto-immunité ; champignons inflammation extracellulaires
Production d'anticorps
Pathogènes Auto-immunité ; extracellulaires (autoanticorps)
Cellules B
Fig. 6.3. Caractéristiques des sous-populations de lymphocytes T auxiliaires CD4+. Une cellule T naïve CD4+ T peut se différencier en souspopulations qui produisent diverses cytokines qui recrutent et activent différents types cellulaires (dits cellules cibles) et combattent différentes infections. Ces diverses sous-populations sont également impliquées dans des maladies inflammatoires variées. Le tableau énumère les principales différences parmi les sous-populations Th1, Th2, Th17 et Tfh de cellules T auxiliaires. IFN : interféron ; IL : interleukine.
Chapitre 6. Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire
A
Propriétés générales des cytokines des cellules T
Propriété
Signification
Produite transitoirement en réponse à un antigène
Cytokine fournie quand c'est nécessaire
Agit habituellement sur la même cellule qui produit la cytokine (autocrine) ou sur des cellules voisines (paracrine) Pléiotropie : chaque cytokine exerce de multiples actions biologiques
Des effets systémiques des cytokines sont habituellement liés a des infections graves ou à l'auto-immunité Permet une diversité d'actions, mais peut limiter l'utilité clinique des cytokines en raison des effets non désirés Bloquer une cytokine peut ne pas atteindre l'effet souhaité
Redondance : de multiples cytokines peuvent partager des activités biologiques identiques ou similaires B
109
Actions biologiques de certaines cytokines des lymphocytes T Cytokine
Action principale
Source(s) cellulaire(s)
IL-2
Prolifération des cellulesT; survie des cellules T régulatrices Activation des macrophages Commutation des cellules B vers les IgE
Cellules T activées
Interféron-γ (IFN-γ) IL-4
Cellules T CD4+ et CD8+ ; cellules NK Lymphocytes T CD4+, mastocytes Cellules T CD4+, mastocytes, cellules lymphoïdes innées
IL-5
Activation des éosinophiles
IL-13
Commutation des cellules B Cellules Th2 CD4+, mastocytes, cellules vers l'IgE ; activation alternative des macrophages lymphoïdes innées
IL-17
Stimulation d'inflammation aiguë
IL-21
Activation des cellules B ; Cellules Tfh CD4+ différenciation des Tfh
IL-22
Maintenance de la fonction des barrières épithéliales
TGF-β
Inhibition de l'activation des cellules T ; différenciation des cellules T régulatrices
Cellules Th17 CD4+, autres cellules
Cellules Th17 CD4+, cellules NK, cellules lymphoïdes innées Cellules T CD4+ ; nombreux autres types cellulaires
Fig. 6.4. Propriétés des principales cytokines produites par les lymphocytes T auxiliaires CD4+. A. Propriétés générales des cytokines produites durant les réponses immunitaires adaptatives. B. Fonctions des cytokines impliquées dans l'immunité cellulaire. Notez que l'IL-2, qui est produite par les cellules T dès le début de l'activation et qui a été la première cytokine des lymphocytes T à être identifiée, a été décrite au chapitre 5 dans le cadre de l'activation des cellules T. Le TGF-β agit principalement comme inhibiteur des réponses immunitaires ; son rôle est décrit au chapitre 9. Les cytokines de l'immunité innée sont décrites à la figure 2.14 ; plusieurs de celles-ci sont aussi produites par des cellules T et interviennent donc dans l'immunité adaptative. Plus d'informations à propos de ces cytokines sont disponibles à l'annexe II. IgE : immunoglobuline E ; IL : interleukine.
110
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
décrire les fonctions et le développement de chacune des principales sous-populations de cellules T effectrices CD4+.
Cellules Th1 La sous-population Th1 est induite par des microbes qui sont ingérés et qui activent des phagocytes, surtout des macrophages, et les Th1 stimulent alors la lyse des microbes phagocytés (fig. 6.5). La cytokine « signature » des cellules Th1 est l'interféron-γ (IFN-γ), la cytokine activatrice des macrophages la plus puissante connue. (Malgré un nom semblable, l'IFN-γ est une cytokine antivirale beaucoup moins puissante que les IFN de type I [voir chapitre 2]). Les cellules Th1, par l'intermédiaire du ligand de CD40 et de l'IFN-γ, renforcent l'aptitude des macrophages à tuer les microbes phagocytés (fig. 6.6). Des macrophages ingèrent et tentent de détruire des
APC Cellule T naïve Bactérie
Cellules Th1
IFN-γ
Macrophage
Activation classique des macrophages (lyse microbienne amplifiée) Fig. 6.5. Fonctions des cellules Th1. Les lymphocytes Th1 produisent une cytokine, l'interféron-γ (IFN-γ), qui active les macrophages afin qu'ils détruisent les microbes phagocytés (voie classique de l'activation des macrophages). Chez les souris, l'IFN-γ stimule la production d'anticorps IgG, mais cette observation n'a pas été confirmée chez les humains. APC : antigen-presenting cell.
microbes dans le cadre de la réponse immunitaire innée (voir chapitre 2). L'efficacité de ce processus est grandement améliorée par l'interaction des cellules Th1 avec les macrophages. Lorsque les microbes sont ingérés dans les phagosomes des macrophages, des peptides microbiens sont présentés sur des molécules du CMH de classe II et sont reconnus par les cellules T CD4 +. Si ces cellules appartiennent à la sous-population Th1, elles sont induites à exprimer le ligand de CD40 (CD40L ou CD154) et à sécréter l'IFN-γ. Les interactions simultanées de CD40L avec le CD40 des macrophages et de l'IFN-γ avec son récepteur sur ces mêmes macrophages activent des voies de signalisation biochimiques qui conduisent à la génération de dérivés réactifs de l'oxygène (DRO) et de l'oxyde nitrique (NO) et à l'activation des protéases lysosomiales. Toutes ces molécules sont de puissants destructeurs microbiens. Le résultat net de l'effet conjoint de CD40 et de l'IFN-γ sur l'activation des macrophages est de les rendre fortement microbicides et capables de détruire la plupart des microbes ingérés. Cette voie d'activation par CD40L et l'IFN-γ est appelée activation classique des macrophages, contrairement à l'activation alternative des macrophages dépendant des Th2 décrite plus loin. Les macrophages activés classiquement, souvent dits M1, sécrètent également des cytokines qui stimulent l'inflammation et expriment davantage de molécules du CMH et de costimulation, amplifiant ainsi la réponse des lymphocytes T. Les lymphocytes T CD8+ sécrètent également l'IFN-γ et peuvent contribuer à l'activation des macrophages et à la destruction des microbes ingérés. Le rôle critique des cellules Th1 dans la défense contre les microbes intracellulaires est démontré par le fait que des individus porteurs de mutations qui affectent le développement ou la fonction de cette sous-population sont extrêmement sensibles aux infections par de tels microbes, en particulier des espèces mycobactériennes prévalentes non tuberculeuses qui n'infectent pas les individus immunocompétents. Essentiellement la même réaction, consistant en le recrutement et l'activation leucocytaires, peut être obtenue par injection d'une protéine microbienne (ou autre) dans la peau d'un individu immunisé contre cette protéine ou infecté préalablement par le microbe concerné. Cette réaction est appelée hypersensibilité de type retardé (DTH). Elle est décrite au chapitre 11 lorsqu'il est question des réactions immunitaires dommageables.
Développement des cellules Th1 La différenciation des lymphocytes T CD4 + naïfs en la sous-population effectrice Th1 est induite par la combinaison de la signalisation du récepteur des cellules T (TCR) induite par un antigène et des cytokines IL-12 et IFN-γ (fig. 6.7A). En réponse à de nombreuses bactéries (surtout des bactéries intracellulaires) et des virus, les cellules dendritiques et les macrophages produisent l'IL-12 et les cellules NK produisent l'IFN-γ. Dès lors,
Chapitre 6. Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire
A Activation d'une cellule effectrice
CD40
Activation de macrophage
Macrophage avec des bactéries CD40L ingérées
111
Réponses des macrophages activés Lyse de bactéries phagocytées
CD40
DRO, NO
Cellule T effectrice CD4+ Th1)
B
Récepteur de l'IFN-γ IFN-γ
Sécrétion de cytokines (TNF, IL-1, IL-12, chimiokines)
Expression accrue du CMH et des costimulateurs (molécules B7)
Réponse des macrophages
Rôle dans l'immunité cellulaire
Production des dérivés réactifs de l'oxygène (DRO), de l'oxyde nitrique et augmentation des enzymes lysosomiales
Destruction des microbes dans les phagolysosomes (fonctions effectrices des macrophages)
Sécrétion de cytokines (TNF, IL-1, IL-12) et chimiokines
TNF, IL-1, chimiokines : recrutement des leucocytes (inflammation) IL-12 : différenciation des Th1, production d'IFN-γ
Expression accrue des molécules du CMH et des costimulateurs B7
Activation accrue des cellules T (amplification de la réponse des cellules T)
Fig. 6.6. Activation des macrophages par les lymphocytes Th1. Les lymphocytes effecteurs Th1 reconnaissent, à la surface des macrophages, les antigènes de microbes ingérés. En réaction à cette reconnaissance, les lymphocytes T expriment CD40L, qui se lie à CD40 sur les macrophages. Les lymphocytes T sécrètent aussi l'IFN-γ, qui se lie à ses récepteurs sur les macrophages. Cette combinaison de signaux fait produire par les macrophages des substances microbicides qui détruisent les microbes ingérés. Les macrophages activés sécrètent le facteur de nécrose tumorale (TNF), l'interleukine-1 (IL-1) et des chimiokines qui induisent l'inflammation. Ils produisent également l'IL-12 qui favorise les réponses Th1. Ces macrophages expriment également davantage de molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) et des molécules de costimulation, ce qui amplifie encore davantage les réponses des lymphocytes T. A. L'illustration montre un lymphocyte T CD4+ reconnaissant des peptides associés à des molécules du CMH de classe II et activant le macrophage. B. Le tableau résume les réactions des macrophages et leurs rôles dans l'immunité cellulaire.
lorsque les lymphocytes T naïfs reconnaissent les antigènes de ces microbes, ils sont exposés en même temps à l'IL-12 et à l'IFN-γ. Les IFN de type I, produits en réaction à des infections virales, favorisent également la différenciation Th1. L'IL-12 et IFN-γ activent respectivement les facteurs de transcription Stat4 et Stat1, et les signaux induits par un antigène en combinaison avec les cytokines induisent l'expression d'un facteur de transcription appelé T-bet qui est essentiel au développement et au fonctionnement de Th1. Ces facteurs de transcription agissent ensemble pour stimuler l'expression de l'IFN-γ et d'autres protéines impliquées dans la migration des lymphocytes Th1 vers les sites d'infection. Notez que l'IFN-γ active non seulement des macrophages afin qu'ils tuent les microbes ingérés, mais il favorise aussi l'expansion des Th1 et inhibe le
développement des cellules Th2 et Th17. Ainsi, l'IFN-γ polarise la réponse vers la sous-population Th1.
Cellules Th2 Les cellules Th2 sont induites lors d'infections par des vers parasitaires. Elles favorisent la destruction de ces parasites par l'intermédiaire de l'IgE, des mastocytes et des éosinophiles (fig. 6.8). Les cytokines « signature » des cellules Th2, l'IL-4, l'IL-5 et l'IL-13 coopèrent dans l'éradication des infections parasitaires. Les helminthes sont trop volumineux pour être phagocytés, aussi des mécanismes autres que l'activation des macrophages est nécessaire pour leur destruction. Lorsque les cellules Th2 et les Tfh apparentées rencontrent les antigènes des helminthes, elles sécrètent leurs cytokines. L'IL-4
112
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A
Cellule dendritique
IL-12
+ Microbes intracellulaires (mycobactéries)
T-bet STAT4 STAT1
Cellule NK
+
IFN-γ
Cellule T activée par l'antigène
Cellule Th1
B Cellule dendritique
+ Helminthes Mastocytes, éosinophiles
+ C
GATA-3
IL-4
STAT6
Cellule T CD4+
Cellule T activée par l'antigène
Cellule Th2
Cellule dendritique
+ Champignons, bactéries extracellulaires
IL-1 IL-6 IL-23 TGF-β
RORγt STAT3 Cellule T activée par l'antigène
Cellule Th17
Fig. 6.7. Développement de cellules effectrices Th1, Th2 et Th17. Les cellules dendritiques et d'autres cellules immunitaires qui répondent à différents types de microbes sécrètent des cytokines qui induisent le développement de cellules T CD4+ activées en sous-populations Th1 (A), Th2 (B) et Th17 (C). Des encadrés dans les cellules T activées par l'antigène mentionnent les facteurs de transcription impliqués dans la différenciation des cellules T. IFN- γ : interféron-γ ; IL : interleukine ; TGF-β : transforming growth factor β ; NK : natural killer.
produite par les cellules Tfh stimule la production d'anticorps IgE, qui recouvrent les helminthes et ainsi contribuent à leur élimination. Les éosinophiles se lient à l'IgE par leurs récepteurs de Fc et sont activés par l'IL-5 produite par les cellules Th2, ainsi que par des signaux provenant de ces récepteurs de Fc spécifiques de l'IgE. Les granules des éosinophiles activés libèrent leur contenu toxique pour les parasites. L'IL-13, en stimulant la sécrétion de mucus et le péristaltisme intestinal, contribue à l'expulsion des parasites de l'intestin. L'IgE, qui se lie également aux mastocytes, est responsable de leur activation, menant à la sécrétion de médiateurs chimiques qui stimulent l'inflammation et activent des protéases qui détruisent des toxines. Les cytokines Th2 inhibent l'activation classique des macrophages et stimulent la voie alternative (fig. 6.9). L'IL-4 et l'IL-13 suppriment l'activation des macrophages inflammatoires, mettant ainsi fin à ces réactions potentiellement dommageables. Ces cytokines peuvent aussi amener les macrophages à sécréter des facteurs de crois-
sance qui augmentent la synthèse de collagène par les fibroblastes et induisent la fibrose. Ce type de réponse des macrophages est appelé activation alternative des macrophages, pour la distinguer de l'activation classique, qui amplifie les fonctions microbicides. L'activation alternative des macrophages induite par les cytokines Th2 peut jouer un rôle dans la réparation des tissus après une lésion et peut contribuer à la fibrose dans divers états pathologiques. Les cellules Th2 sont impliquées dans des réactions allergiques à des antigènes environnementaux. Les antigènes qui provoquent de telles réactions sont appelés allergènes. Ils induisent des réponses Th2 chez les personnes génétiquement prédisposées, et une exposition répétée aux allergènes active les mastocytes et les éosinophiles. Les allergies sont le type le plus commun des troubles immunitaires ; nous reviendrons sur ces maladies au chapitre 11 consacré aux réactions d'hypersensibilité. Des antagonistes de l'IL-5 sont autorisés pour le traitement de l'asthme, et un anticorps contre le récepteur de l'IL-4 est approuvé
Chapitre 6. Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire Helminthes ou antigènes protéiques
Cellule T CD4+ naïve APC
Cellule B
113
Macrophage
Prolifération et différenciation
IL-4, IL-13
Cellule Tfh
IL-4
Cellules Th2 IgE
IgG4 (humaine), IgG1 (murine)
Production d'anticorps
Dégranulation des mastocytes
IL-4, IL-13
IL-5
Activation alternative des macrophages (fibrose amplifiée/ réparation tissulaire) Éosinophile
Helminthe Sécrétion intestinale de mucus et péristaltisme
Activation des éosinophiles
Fig. 6.8. Fonctions des cellules Th2. Les lymphocytes Th2 produisent les cytokines IL-4, IL-5 et IL-13. L'IL-4 (et l'IL-13) stimule la production par les cellules B d'anticorps IgE qui se lient aux mastocytes. Une aide à la production des anticorps pourrait provenir des cellules Tfh qui produisent des cytokines Th2 et résident dans les organes lymphoïdes, et non par les cellules Th2 classiques. L'IL-5 active les éosinophiles, un processus important pour la destruction des helminthes. APC : antigen-presenting cell ; Ig : immunoglobuline ; IL : interleukine.
pour le traitement d'une maladie allergique, la dermatite atopique. L'activation relative des cellules Th1 et Th2 sous l'effet d'un agent pathogène peut déterminer l'issue de l'infection (fig. 6.10). Par exemple, le protozoaire parasite Leishmania major vit à l'intérieur dans les vésicules phagocytaires de macrophages, et son élimination nécessite leur activation par des cellules Th1 spécifiques du parasite. Dans la plupart des souches de souris consanguines, la réponse Th1 est efficace contre le parasite et peut éradiquer l'infection. Toutefois, dans certaines souches, la réponse à L. major est dominée par des cellules Th2 et ces souris succombent à l'infection. Mycobacterium leprae, la bactérie qui provoque la lèpre, est pathogène pour l'être humain. Elle vit également à l'intérieur des macrophages et peut être éliminée par des mécanismes immunitaires cellulaires. Certaines personnes infectées par M. leprae sont incapables d'éradiquer l'infection. Non traitée, elle se transforme en une forme destructrice, appelée lèpre
lépromateuse. En revanche, chez d'autres patients, les bactéries induisent de fortes réponses immunitaires cellulaires caractérisées par la présence de cellules T activées et de macrophages dans le foyer infectieux et peu de microbes survivants ; cette forme d'infection moins agressive est appelée lèpre tuberculoïde. La forme tuberculoïde est associée à l'activation des cellules Th1 spécifiques de M. leprae, alors que, dans la forme lépromateuse destructrice, l'activation des cellules Th1 est déficiente et celle des Th2 parfois robuste. L'issue d'autres maladies infectieuses est également déterminée par le degré d'adéquation de la réponse cytokinique des cellules T au pathogène en cause.
Développement des cellules Th2 La différenciation des cellules T CD4 + naïves en cellules Th2 est stimulée par l'IL-4, qui peut être produite par les mastocytes, par d'autres cellules tissulaires et par les cellules T elles-mêmes dans des sites infectés par des
114
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Macrophage activé classiquement (M1)
Macrophage activé alternativement (M2)
Ligands microbiens des TLR, IFN-γ
IL-13, IL-4
Monocyte
DRO, NO, enzymes lysosomiales
Actions microbicides : phagocytose et lyse des bactéries et champignons
IL-10, TGF-β
IL-1, IL-12, IL-23, chimiokines
Effets anti-inflammatoires/ cicatrisation, fibrose
Inflammation
Fig. 6.9. Activation classique et alternative des macrophages. Les macrophages classiquement activés (M1) sont induits par la liaison de produits microbiens aux TLR et par des cytokines, en particulier l'interféron-γ (IFN-γ), et sont microbicides et pro-inflammatoires. Les macrophages activés alternativement (M2) sont induits par de l'interleukine-4 (IL-4) et de l'IL-13 (produites par certaines sous-populations de lymphocytes T et d'autres leucocytes) et jouent un rôle important dans la réparation des tissus et la fibrose. Les populations M1 et M2 peuvent représenter des phénotypes extrêmes, et il peut y avoir d'autres populations de macrophages qui expriment différents groupes de protéines. Aussi, dans la plupart des réponses immunitaires, divers mélanges de ces macrophages sont probablement induits. NO : oxyde nitrique ; ROS : reactive oxygen species, dérivés réactifs de l'oxygène ; TGF-β : transforming growth factor β, facteur de croissance transformant β ; TLR : Toll-like receptor.
Lymphocyte Th1 IFN-γ, TNF Lymphocyte T CD4+ naïf
Activation des Inhibe l'activité macrophages : immunité microbicide cellulaire des macrophages
IL-4, IL-13 Lymphocyte Th2
Infection
Réponse
Résultat
Leishmania major
La plupart des souches de souris : Th1 Souris BALB/c Th2
Mycobacterium leprae
Certains patients : Th1
Guérison Dissémination de l'infection Lèpre tuberculoïde
Certains patients : déficit en Th1 ou Th2 prédominant
Lèpre lépromateuse (nombreuses bactéries)
Fig. 6.10. L'équilibre entre l'activation des lymphocytes Th1 et Th2 détermine l'issue des infections intracellulaires. Les lymphocytes T CD4+ peuvent se différencier en lymphocytes Th1, qui activent les phagocytes afin qu'ils détruisent les microbes ingérés, et en lymphocytes Th2, qui inhibent l'activation classique des macrophages. L'équilibre entre ces deux sous-populations peut influencer l'issue des infections, comme l'illustrent l'infection à Leishmania chez la souris et la lèpre chez l'homme. IFN : interféron ; IL : interleukine ; TNF : tumor necrosis factor, facteur de nécrose tumorale.
Chapitre 6. Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire helminthes (voir fig. 6.7B). L'IL-4 active le facteur de transcription Stat6, et les signaux induits par l'antigène en combinaison avec l'IL-4 induisent l'expression du facteur de transcription GATA-3, qui est requis pour la différenciation des Th2. Comme pour les cellules Th1, ces facteurs de transcription favorisent les réponses Th2 en stimulant l'expression de cytokines Th2 et de protéines impliquées dans la migration cellulaire. L'IL-4 produite par les cellules Th2 augmente la différenciation Th2, amplifiant ainsi la réponse Th2.
Cellules Th17 Les cellules Th17 se développent en réponse à des infections bactériennes et fongiques ; elles induisent des réactions inflammatoires qui détruisent ces organismes (fig. 6.11). Les principales cytokines produites par les cellules Th17 sont l'IL-17 et l'IL-22. On a découvert cette sous-population au cours d'études de maladies inflammatoires, de nombreuses années après la description des sous-populations Th1 et Th2,
Cellule T CD4+ naïve Champignons, bactéries extracellulaires
Prolifération et différenciation
APC
Cellules Th17 IL-17
IL-22
Leuccocytes et cellules des tissus
Cellules épithéliales
Chimiokines, TNF, IL-1, IL-6, CSF
115
et son rôle dans la défense de l'hôte n'a été découvert que plus tard. La principale fonction des lymphocytes Th17 est de stimuler le recrutement de neutrophiles et, dans une moindre mesure, les monocytes, induisant ainsi l'inflammation qui accompagne de nombreuses réponses immunitaires adaptatives de type cellulaire. Rappelons que l'inflammation est également l'une des principales réactions de l'immunité innée (voir chapitre 2). En règle générale, lorsque les lymphocytes T stimulent l'inflammation, la réaction est plus forte et plus longue que lorsque seules les réponses immunitaires innées sont en jeu. L'IL-17 sécrétée par les cellules Th17 stimule la production par d'autres cellules de chimiokines responsables du recrutement de leucocytes. Les cellules Th17 stimulent également la production de substances antimicrobiennes, appelées défensines, qui agissent à la manière d'antibiotiques endogènes produits localement. L'IL-22 sécrétée par les lymphocytes Th17 induit la production de défensine par les cellules épithéliales, contribue au maintien de l'intégrité des barrières épithéliales et peut favoriser la réparation des épithéliums endommagés. Ces réactions de cellules Th17 sont essentielles pour la défense contre les infections fongiques et bactériennes, spécialement dans les barrières épithéliales. Ces microbes peuvent survivre à l'extérieur des cellules mais sont rapidement détruits une fois qu'ils sont phagocytés, surtout par les neutrophiles. De rares individus qui ont hérité d'une déficience dans les réponses Th17 sont prédisposés à une candidose cutanéomuqueuse chronique et à des abcès bactériens cutanés. Les cellules Th17 sont également impliquées dans de nombreuses maladies inflammatoires, et des antagonistes de l'IL-17 et de la cytokine IL-23 inductrice des Th17 se sont avérés très efficaces dans le traitement d'une maladie cutanée comme le psoriasis. Un antagoniste de l'IL-12 et de l'IL-23 (en se liant à une protéine partagée par ces cytokines composées de deux chaînes), qui inhibe ainsi le développement des deux sous-populations Th1 et Th17, est utilisé comme traitement des maladies intestinales inflammatoires et du psoriasis.
Développement des cellules Th17 Peptides antimicrobiens
Inflammation, réaction neutrophilique
Fonction de barrière renforcée
Fig. 6.11. Fonctions des cellules Th17. Les lymphocytes Th17 produisent la cytokine interleukine-17 (IL-17), qui induit la production de chimiokines et d'autres cytokines à partir de diverses cellules, et celles-ci recrutent des neutrophiles (et des monocytes, non représentés) dans le site de l'inflammation. Certaines des cytokines produites par les cellules Th17, notamment l'IL-22, interviennent dans le maintien de la fonction de barrière épithéliale dans le tractus intestinal et d'autres tissus. APC : antigen-presenting cell, cellule présentatrice d'antigène ; CSF : colonystimulating factor, facteur stimulant la formation de colonies ; TNF : tumor necrosis factor, facteur de nécrose tumorale.
Le développement de cellules Th17 à partir de cellules naïves CD4+ est entraîné par des cytokines sécrétées par des cellules dendritiques (et des macrophages) en réponse à des champignons et des bactéries extracellulaires (voir fig. 6.7C). La reconnaissance des glycanes fongiques, des peptidoglycanes et des lipopeptides bactériens par les récepteurs immunitaires innés des cellules dendritiques stimule la sécrétion de plusieurs cytokines innées pro-inflammatoires, notamment l'IL-1, IL-6 et IL-23. L'IL-6 et l'IL-23 activent le facteur de transcription Stat3. Les signaux induits par ces cytokines innées inflammatoires et une autre cytokine appelée TGF-β (transforming growth factor β), en combinaison avec des signaux du TCR, induisent l'expression du facteur de transcription RORγT. Ces facteurs de transcription sont nécessaires à la différenciation des Th17. Paradoxalement, le TGF-β est un puissant inhibiteur de la réponse immunitaire, mais quand il est présent avec IL-6 ou IL-1, il favorise le développement des cellules Th17.
116
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Différenciation et fonctions des lymphocytes T cytotoxiques CD8+ Les phagocytes sont les meilleurs pour tuer les microbes qui sont confinés dans des vésicules, et les microbes qui pénètrent directement dans le cytosol (par exemple des virus) ou qui s'échappent des phagosomes dans le cytosol (par exemple certaines bactéries ingérées) et qui sont relativement résistants aux mécanismes microbicides des phagocytes. L'éradication de ces pathogènes cytosoliques nécessite un autre mécanisme effecteur de l'immunité à cellules T : les CTL CD8+. Les CTL jouent aussi un rôle vital dans la défense contre des cancers (voir chapitre 10). Les lymphocytes T CD8+ activés par un antigène et d'autres signaux se différencient en CTL capables de tuer les cellules infectées exprimant l'antigène. Les cellules T CD8+ naïves peuvent reconnaître des antigènes, mais sont incapables de tuer les cellules qui les expriment. La différenciation des lymphocytes T CD8+ naïfs en CTL pleinement actifs s'accompagne de la synthèse de molécules capables de provoquer la mort des cibles cellulaires, aptitude qui justifie que ces lymphocytes T effecteurs soient qualifiés de cytotoxiques. Les lymphocytes T CD8+ reconnaissent les peptides associés au CMH de classe I sur des cellules infectées et certaines cellules tumorales. Les sources de peptides associés à la classe I sont des antigènes protéiques synthétisés dans le cytosol et des antigènes protéiques de microbes phagocytés mais échappés des vésicules phagocytaires dans le cytosol (voir chapitre 3). En outre, certaines cellules dendritiques peuvent capter les antigènes des cellules infectées et de tumeurs, transférer ces antigènes dans le cytosol, et
Reconnaissance de l'antigène et liaison du CTL à la cellule cible
ainsi présenter les antigènes ingérés sur des molécules du CMH de classe I, par le processus dit de présentation croisée (voir fig. 3.16). La différenciation des lymphocytes T CD8+ naïfs en CTL fonctionnels et en cellules mémoire exige non seulement la reconnaissance de l'antigène mais aussi une costimulation et, dans certaines conditions, l'aide de cellules T CD4+ (voir fig. 5.7). Les CTL CD8+ reconnaissent les complexes peptideCMH de classe I à la surface des cellules infectées et les tuent, éliminant ainsi le réservoir de l'infection. Les cellules T reconnaissent les peptides associés au CMH par leur TCR et le corécepteur CD8. Pour désigner les cellules infectées attaquées par les CTL, on parle de cibles. Le TCR et le CD8, ainsi que d'autres protéines de signalisation, se regroupent dans la membrane du CTL au point de contact avec la cellule cible, et sont entourés par l'intégrine, LFA-1 (leukocyte function-associated antigen 1). Ces molécules s'attachent à leurs ligands sur la cellule cible, formant ainsi la synapse immunologique (voir chapitre 5). La reconnaissance de l'antigène par les CTL déclenche l'activation des voies de transduction de signaux qui conduisent à l'exocytose du contenu des granules des CTL dans la synapse entre le CTL et la cellule cible (fig. 6.12). Puisque toutes les cellules nucléées expriment le CMH de classe I et que les CTL différenciés ne nécessitent pas l'aide de cellules T ou de costimulation pour leur activation, ils peuvent être activés par toute cellule infectée dans n'importe quel tissu et sont capables de la tuer. Les CTL tuent leurs cibles surtout en délivrant, dans cellesci, les protéines de leurs granules. Cette activité dépend essentiellement de deux types de protéines, les granzymes
Activation du CTL et exocytose des granules
Apoptose de la cellule cible
Cellule cible CD8+ CTL
Granzymes ICAM-1 CD8
LFA-1
Perforine
La perforine facilite l'entrée des granzymes dans le cytosol, les granzymes déclenchent l'apoptose
Fig. 6.12. Mécanismes par lesquels les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL) tuent des cellules infectées. Les CTL reconnaissent, dans les cellules infectées, les peptides des microbes cytoplasmiques associés au complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) de classe I et adhèrent étroitement à ces cellules. Les molécules d'adhérence, notamment les intégrines, stabilisent la liaison des CTL aux cellules infectées (non représenté). Les CTL activés libèrent (exocytose) le contenu de leurs granules (perforine et granzymes) vers la cellule infectée, dite cellule cible. Les granzymes sont libérés dans le cytoplasme de la cellule cible par un mécanisme dépendant de la perforine. Les granzymes induisent alors l'apoptose. ICAM-1 : intercellular adhesion molecule 1, molécule d'adhérence intercellulaire 1 ; LFA-1 : leukocyte function -associated antigen 1, antigène 1 associé à la fonction leucocytaire.
Chapitre 6. Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire (enzymes des granules) et la perforine. La perforine rompt l'intégrité de la membrane plasmique de la cellule cible et de la membrane des endosomes, facilitant ainsi la décharge des granzymes dans le cytosol. Des granzymes (enzymes dans des granules) clivent et activent ainsi des enzymes appelées caspases (cystéine protéases qui clivent les protéines après des résidus d'acide aspartique) qui sont présentes dans le cytosol des cellules cibles et dont la fonction principale est d'induire l'apoptose. Les CTL activés expriment aussi une protéine membranaire, le ligand de Fas (FasL), qui se lie à un récepteur inducteur de mort, appelé Fas (CD95) sur les cellules cibles. L'interaction de Fas active les caspases et induit l'apoptose de la cible ; ce mode de mise à mort par les CTL ne requiert pas d'exocytose granulaire et joue probablement un rôle mineur dans l'activité lytique des CTL CD8+. Ces mécanismes effecteurs des CTL aboutissent à la mort des cellules infectées. Les cellules apoptotiques sont rapidement phagocytées puis éliminées. Les CTL elles-mêmes ne sont pas endommagées au cours du processus de destruction des cellules cibles. Aussi, après avoir tué une cellule, elles se détachent et en tuent d'autres. En plus de leur activité cytotoxique, les cellules effectrices CD8+ sécrètent l'IFN-γ. Cette cytokine est responsable de l'activation des macrophages dans les infections et dans certains états pathologiques causés notamment par une activation excessive des lymphocytes T CD8+. Elles peuvent également jouer un rôle dans la défense contre certaines tumeurs. Bien que nous ayons décrit séparément les fonctions effectrices des lymphocytes T CD4+ et des T CD8+, il est clair que ces lymphocytes T peuvent coopérer dans l'éradication des microbes intracellulaires (fig. 6.13) : si les microbes phagocytés restent séquestrés dans les vacuoles des macrophages, les lymphocytes T CD4+ peuvent être en mesure, à eux seuls, d'éradiquer ces infections en sécrétant de l'IFN-γ et en activant les mécanismes microbicides des macrophages ; toutefois, si les microbes parviennent à s'échapper des vésicules et se retrouvent dans le cytoplasme, ils deviennent insensibles à l'activation des macrophages par les lymphocytes T et leur élimination nécessite l'intervention des CTL CD8+ qui détruisent alors les cellules infectées.
Résistance des microbes pathogènes à l'immunité cellulaire Des microbes ont développé différents mécanismes de résistance aux défenses assurées par les lymphocytes T (fig. 6.14). De nombreuses bactéries intracellulaires, notamment Mycobacterium tuberculosis, Legionella pneumophila et Listeria monocytogenes, inhibent la fusion des phagosomes avec les lysosomes ou créent des pores dans les membranes des phagosomes pour s'échapper dans le cytosol. Par conséquent, ces microbes sont en mesure de résister aux mécanismes germicides des phagocytes, de survivre et même de se répliquer à l'intérieur des phagocytes. De nombreux virus
117
Microbes phagocytés dans les vacuoles et le cytosol
IFN-γ
Lymphocyte T CD4+
Microbe viable dans le cytosol
Destruction des microbes dans les phagolysosomes
CTL CD8+
Destruction de la cellule infectée
Fig. 6.13. Coopération entre lymphocytes T CD4+ et CD8+ pour l'éradication des infections intracellulaires. Dans un macrophage infecté par une bactérie intracellulaire, certaines des bactéries sont séquestrées dans des vacuoles (phagosomes) et d'autres peuvent s'échapper dans le cytosol. Les lymphocytes T CD4+ reconnaissent les antigènes dérivés des microbes vacuolaires et activent le macrophage afin qu'il détruise les microbes se trouvant dans les vacuoles. Les lymphocytes T CD8+ reconnaissent les antigènes provenant des bactéries cytosoliques et sont nécessaires pour tuer la cellule infectée, éliminant ainsi le réservoir de l'infection. CTL : cytotoxic T lymphocyte, lymphocyte T cytotoxique ; IFN : interféron.
inhibent l'apprêtement de l'antigène associé aux molécules du CMH de classe I, en empêchant leur production ou leur expression, en bloquant le transport des peptides antigéniques du cytosol au réticulum endoplasmique, ou en éliminant du réticulum endoplasmique les molécules de classe I nouvellement synthétisées. Tous ces mécanismes viraux réduisent la charge en peptides viraux des molécules du CMH de classe I. Ce chargement défectueux entraîne une réduction de l'expression des molécules du CMH de classe I à la surface cellulaire, puisque les molécules de classe I vides sont instables et ne sont pas exprimées à la surface des cellules. Il est intéressant de noter que les cellules NK sont activées par des cellules présentant un déficit en molécules de classe I (voir chapitre 2). Par conséquent, les défenses de l'hôte ont évolué pour contrecarrer les mécanismes d'échappement des virus : les CTL reconnaissent les peptides viraux associés aux molécules du CMH de classe I, mais comme les virus inhibent l'expression de ces molécules, les cellules NK ont évolué pour détecter leur absence sur des cellules infectées ou stressées. D'autres virus produisent des cytokines inhibitrices ou des récepteurs de cytokines solubles (« leurres ») qui se lient aux cytokines comme l'IFN-γ et les « absorbent », réduisant ainsi la quantité de cytokines disponibles pour déclencher des réactions immunitaires cellulaires. Certains virus évitent l'élimination et s'installent de manière chronique
118
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Microbe
Mécanisme
Mycobactérie
Inhibition de la fusion des phagolysosomes
Lysosome contenant des enzymes
Phagosome contenant des mycobactéries ingérées Les mycobactéries survivent dans le phagosome
Virus herpès simplex (HSV)
Inhibition de la présentation de l'antigène : une protéine du HSV interfère avec le transporteur TAP
Cytomégalovirus Inhibition de la présentation de (CMV)
l'antigène : inhibition de l'activité du protéasome ; élimination des molécules du CMH de classe l du réticulum endoplasmique (RE)
Virus d'Epstein-Barr (EBV)
Inhibition de la présentation de l'antigène : inhibition de l'activité du protéasome
Virus d'Epstein-Barr (EBV)
Production d'IL-10, inhibition de l'activation des macrophages et des cellules dendritiques
Protéine cytosolique Inhibition de la présentation antigénique
Protéasome
HSV
Inhibition de l'activation des cellules effectrices : production de récepteurs solubles des cytokines
TAP
RE
CMV
CD8+ CTL
Lymphocyte B infecté par l'EBV
Macrophage Bloque l'activation des macrophages
EBV
Poxvirus
EBV, CMV
IL-10
Poxvirus Bloque l'activation cytokinique des cellules effectrices
Récepteurs solubles d'IL-1 ou d'IFN-γ
IL-1, IFN-γ
Fig. 6.14. Échappement des microbes à l'immunité cellulaire. Exemples de divers mécanismes par lesquels des bactéries et des virus résistent aux mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire. CTL : cytotoxic T lymphocyte, lymphocyte T cytotoxique ; IFN : interféron ; IL : interleukine ; RE : réticulum endoplasmique ; TAP : transporter associated with antigen processing, transporteur associé à l'apprêtement de l'antigène.
en stimulant l'expression de récepteurs inhibiteurs comme PD-1 (programmed [cell] death protein 1 ; voir chapitre 9) sur les cellules T CD8+ et inhibent ainsi les fonctions effectrices des CTL. Ce phénomène dans lequel les cellules T
développent une réponse antivirale, mais qui prend fin prématurément, a été appelé épuisement des cellules T (fig. 6.15). Il survient généralement en réaction à une stimulation antigénique chronique, comme en cas d'infection
Chapitre 6. Mécanismes effecteurs de l'immunité cellulaire
A Infection aiguë Cellules T effectrices
Charge virale
Cellules T mémoire : réponse protectrice contre le virus
119
Comme nous le verrons au chapitre 10, les tumeurs, comme les agents pathogènes infectieux, ont développé plusieurs mécanismes pour échapper ou résister à l'immunité à cellules T CD8+. Ces mécanismes comprennent l'inhibition de l'expression des molécules de CMH de classe I et l'épuisement des cellules T. Le blocage de certains de ces mécanismes d'évitement offre des stratégies efficaces pour libérer l'immunité antitumorale (voir chapitre 10).
Réponse de cellules T
Points clés ■
Temps
B Infection chronique Cellules T effectrices
Charge virale Cellules T épuisées : incapables de réagir contre le virus
Réponse de cellules T
PD-1 CTLA-4
■
■
■
Temps Fig. 6.15. Activation et épuisement des cellules T. A. Lors d'une infection virale aiguë, les cellules T CD8+ spécifiques du virus prolifèrent, se différencient en CTL effectrices et en cellules mémoire et éliminent le virus. B. Lors de certaines infections virales chroniques, les lymphocytes T CD8+ développent une première réponse mais commencent à exprimer des récepteurs inhibiteurs (tels que PD-1 et CTLA-4) et sont inactivés, ce qui conduit à la persistance du virus. Ce processus est appelé épuisement parce que la réaction des cellules T est de courte durée.
virale ou de tumeur chronique, et c'est un mécanisme par lequel les lymphocytes T stimulés à répétition terminent leur propre réaction. Encore d'autres virus infectent directement les cellules immunitaires et les tuent ; le meilleur exemple est le virus de l'immunodéficience humaine, qui est capable de survivre chez les personnes infectées en tuant les lymphocytes T CD4+. L'issue de ces infections est influencée par la puissance des défenses immunitaires et la capacité des agents pathogènes à résister à ces défenses. Le même principe reste applicable lorsque l'on considère les mécanismes effecteurs de l'immunité humorale. Une initiative permettant de faire pencher l'équilibre en faveur de l'immunité protectrice est de vacciner les individus pour stimuler les réponses de l'immunité cellulaire adaptative. Les principes des stratégies vaccinales sont décrits à la fin du chapitre 8, après la description de l'immunité humorale.
■
■
■
■
■
L'immunité cellulaire est la branche de l'immunité adaptative qui éradique des infections provoquées par des microbes associés aux cellules ; elle recourt à deux types de lymphocytes T. Les cellules T auxiliaires CD4+ recrutent et activent les phagocytes, qui détruisent alors les microbes ingérés et certains microbes extracellulaires, tandis que les lymphocytes T cytotoxiques (CTL) CD8+ tuent les cellules hébergeant des microbes dans leur cytosol, supprimant ainsi les réservoirs de l'infection. Les lymphocytes T CD4+ peuvent se différencier en souspopulations de cellules effectrices qui produisent différentes cytokines et exercent des fonctions distinctes. Les cellules effectrices de la sous-population Th1 reconnaissent des antigènes microbiens qui ont été ingérés par des macrophages. Ces cellules sécrètent l'IFN-γ et expriment le ligand de CD40 ; tous deux coopèrent dans l'activation des macrophages. Les macrophages activés classiquement produisent des substances, notamment les dérivés réactifs de l'oxygène (DRO), le monoxyde d'azote (NO) et les enzymes lysosomiales, qui tuent les microbes ingérés. Les macrophages produisent également des cytokines qui induisent l'inflammation. Les cellules Th2 déclenchent une inflammation à éosinophiles ainsi que la voie alternative de l'activation des macrophages. Les cellules Tfh induites en parallèle déclenchent la production d'IgE. Cette classe d'immunoglobulines et les éosinophiles jouent un rôle important dans les défenses contre les infections parasitaires helminthiques. L'équilibre entre l'activation des lymphocytes Th1 et Th2 détermine l'issue de nombreuses infections, les Th1 amplifiant les défenses contre les microbes intracellulaires, alors que les Th2 les répriment. Les cellules Th17 amplifient le recrutement des neutrophiles et des monocytes ainsi que l'inflammation aiguë, qui est essentielle pour la défense contre certaines bactéries et champignons extracellulaires. Les lymphocytes T CD8+ se différencient en CTL qui tuent les cellules infectées, principalement en induisant leur apoptose. Les lymphocytes T CD4+ et CD8+ coopèrent souvent pour éradiquer les infections intracellulaires. Des CTL CD8+ tuent aussi des cellules cancéreuses et sont les principaux médiateurs de l'immunité antitumorale. De nombreux agents pathogènes ont acquis des mécanismes de résistance à l'immunité cellulaire. Ces mécanismes comprennent l'inhibition de la fusion des phagolysosomes, l'échappement des vacuoles des phagocytes, l'inhibition de la formation des complexes peptide-molécule du CMH de classe I, la production de cytokines inhibitrices ou de récepteurs leurres de cytokines et l'inactivation des cellules T, terminant ainsi prématurément les réponses cellulaires T.
This page intentionally left blank
Chapitre
7
Réponses immunitaires humorales Activation des lymphocytes B et production d'anticorps PLAN DU CHAPITRE Phases et types de réponses de l'immunité humorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . Stimulation des lymphocytes B par un antigène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Signalisation induite par les antigènes dans les cellules B . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Rôle des signaux immunitaires innés dans l'activation des cellules B . . . . . . . . . . . Conséquences fonctionnelles de l'activation des lymphocytes B par un antigène . . . . . . . Fonctions des lymphocytes T auxiliaires dans les réponses immunitaires humorales . . . Activation et migration des lymphocytes T auxiliaires et des lymphocytes B . . . . . . . . . . Présentation des antigènes par les lymphocytes B aux lymphocytes T auxiliaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
121 124 125 126 127 128 128
131 131 132 134 135 136 137
129
Les anticorps assurent l'immunité humorale qui constitue la branche du système immunitaire adaptatif dont la fonction est de neutraliser et d'éliminer les microbes extracellulaires et les toxines microbiennes. L'immunité humorale constitue aussi le principal mécanisme de défense contre les microbes avec une capsule riche en polysaccharides et en lipides. En effet, des anticorps peuvent être produits contre des polysaccharides et des lipides tandis que les lymphocytes T ne peuvent répondre aux antigènes non protéiques. Les anticorps sont produits par les lymphocytes B et leur descendance. Les lymphocytes B naïfs reconnaissent des antigènes, mais ne sécrètent pas d'anticorps. L'activation de ces cellules stimule leur différenciation en plasmocytes sécréteurs d'anticorps. Ce chapitre décrit le processus et les mécanismes de l'activation des lymphocytes B et de la production d'anticorps, en se concentrant sur les questions suivantes. ■ Comment les lymphocytes B naïfs exprimant des récepteurs antigéniques sont-ils activés et convertis en cellules sécrétant des anticorps ? Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Mécanismes de l'activation des lymphocytes B par les lymphocytes T auxiliaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réactions extrafolliculaires et centre germinatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Commutation isotypique (de classe) des chaînes lourdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Maturation d'affinité . . . . . . . . . . . . . . . . . . Génération des plasmocytes et des cellules B mémoire . . . . . . . . . . . . . . . Réponses à anticorps contre les antigènes T-indépendants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Régulation des réponses immunitaires humorales : rétroaction des anticorps . . . . . . .
■ Comment le processus d'activation des lymphocytes B est-il régulé de telle sorte que les types d'anticorps les plus utiles soient produits en réponse aux différents types de microbes ? Le chapitre 8 décrit comment les anticorps produits au cours des réponses de l'immunité humorale interviennent pour défendre les individus contre les microbes et les toxines.
Phases et types de réponses de l'immunité humorale L'activation des lymphocytes B aboutit à la prolifération des cellules spécifiques de l'antigène, ce qui conduit à une expansion clonale et à leur différenciation en plasmocytes qui sécrètent des anticorps (fig. 7.1). Les lymphocytes B naïfs expriment deux classes d'anticorps liés à la membrane, les immunoglobulines M et D (IgM et IgD), qui servent de récepteurs d'antigène. 121
122
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Résultat IgM
Activation des lymphocytes B
Reconnaissance de l'antigène Cellule B naïve IgM+, IgD+
Prolifération
Différenciation
Cellule B activée
Plasmocytes sécréteurs d'anticorps
Sécrétion d'anticorps
Cellule B exprimant des IgG
IgG Commutation isotypique
Cellule B exprimant des Ig de haute affinité
IgG de haute affinité
Microbe
Maturation d'affinité
Cellules T auxiliaires, autres stimulus Cellule B mémoire
Fig. 7.1. Phases des réponses immunitaires humorales. Les lymphocytes B naïfs reconnaissent les antigènes et, sous l'influence des lymphocytes T auxiliaires et d'autres stimulus (non représentés), ils prolifèrent (expansion clonale) et se différencient en plasmocytes sécréteurs d'anticorps. Certains lymphocytes B activés passent par une commutation isotypique et une maturation d'affinité, tandis que d'autres deviennent des cellules mémoire à longue durée de vie.
Ces lymphocytes B naïfs sont activés par les antigènes qui se lient aux immunoglobulines (Ig) de la membrane et par d'autres signaux qui seront décrits plus loin dans ce chapitre. Les anticorps sécrétés en réponse à un antigène microbien ont la même spécificité que les récepteurs membranaires des lymphocytes B naïfs qui ont reconnu l'antigène déclencheur de la réponse. Une cellule B activée peut générer quelques milliers de plasmocytes, chacun d'entre eux pouvant produire d'innombrables molécules d'anticorps par jour, de l'ordre de plusieurs milliers par heure. De cette manière, l'immunité humorale peut se développer en parallèle avec la prolifération rapide des microbes. Au cours de leur différenciation, certains lymphocytes B peuvent commencer à produire des anticorps présentant différentes classes de chaînes lourdes (ou isotypes), qui assurent différentes fonctions effectrices et sont spécialisées dans la lutte contre divers types de microbes. On appelle ce processus commutation de classe des chaînes lourdes (ou commutation isotypique). Au cours d'une réponse des cellules B à une infection, l'affinité des anticorps spécifiques des protéines microbiennes augmente avec le temps. Ce processus est appelé maturation d'affinité et il conduit à la production d'anticorps dotés d'une meilleure capacité à lier et à neutraliser les microbes et leurs toxines. Les réponses à anticorps dirigées contre différents antigènes sont classées en T-dépendantes ou T-indépendantes selon qu'elles nécessitent ou non la collaboration des lymphocytes T (fig. 7.2). Les lymphocytes B reconnaissent
et sont activés par une grande variété d'antigènes chimiquement distincts : des protéines, des polysaccharides, des lipides, des acides nucléiques et de petites molécules chimiques. Les lymphocytes T auxiliaires jouent un rôle important dans l'activation des cellules B par des antigènes protéiques. (La qualification d'auxiliaire [helper] provient de la découverte que certaines cellules T stimulent, ou aident, des lymphocytes B à produire des anticorps). Les cellules T aident les cellules B à répondre uniquement aux antigènes protéiques puisque les cellules T ne peuvent reconnaître que des peptides dérivés de protéines présentés sous forme de complexes peptide-complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Sans l'aide des lymphocytes T, les antigènes protéiques déclenchent peu ou pas de réponses humorales. Par conséquent, les antigènes protéiques, ainsi que les anticorps qu'ils induisent, sont dits « T-dépendants ». Les polysaccharides, les acides nucléiques, les lipides et d'autres antigènes multivalents (qui contiennent la même unité structurelle répétée en tandem de multiples fois) peuvent stimuler la production d'anticorps sans la participation des lymphocytes T auxiliaires. Par conséquent, ces antigènes non protéiques multivalents, et les anticorps dirigés contre eux, sont qualifiés de « T-indépendants ». Les anticorps produits en réponse à des protéines montrent plus de commutation isotypique et de maturation d'affinité que les anticorps dirigés contre des antigènes T-indépendants puisque des cellules T auxiliaires stimulent ces processus. En outre, des antigènes T-dépendants stimulent la génération de
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales
123
T-dépendante Antigène protéique
Cellule T auxiliaire
Commutation isotypique, anticorps de haute affinité ; plasmocytes à longue durée de vie IgG IgA
Cellules B folliculaires
IgM
IgE
T-indédépendante IgM
Antigène polysaccharidique
IgM surtout ; anticorps de faible affinité ; plasmocytes à brève durée de vie IgM
Cellules B-1, cellules B de la zone marginale
Autres signaux (par ex. protéines du complément)
Fig. 7.2. Réponses à anticorps dépendantes et indépendantes des lymphocytes T. Les réponses humorales à des antigènes protéiques requièrent l'aide des cellules T, et les anticorps produits passent typiquement par une commutation isotypique et s'avèrent de haute affinité. Des antigènes non protéiques (par exemple, des polysaccharides) sont capables d'activer les lymphocytes B sans l'aide des lymphocytes T. La plupart des réponses T-dépendantes proviennent des cellules B folliculaires, tandis que les cellules B de la zone marginale et les cellules B-1 sont les principaux acteurs dans les réponses T-indépendantes. Ig : immunoglobulines.
plasmocytes et cellules B mémoire à longue vie. Ainsi, les réponses à anticorps les plus spécialisées et à longue vie impliquent des antigènes protéiques et sont induites sous l'influence de cellules T auxiliaires, tandis que les réponses T-indépendantes sont relativement simples et transitoires, et impliquent seulement l'activation directe des cellules B par des antigènes. Différentes sous-populations de lymphocytes B répondent préférentiellement aux antigènes T-dépendants ou T-indépendants (voir fig. 7.2). La majorité de lymphocytes B sont qualifiés de folliculaires car ils résident et circulent dans les follicules des organes lymphoïdes (voir chapitre 1). Ces lymphocytes B folliculaires produisent de manière T-dépendante la plus grande partie des anticorps antiprotéiques, dotés d'une forte affinité et pouvant changer de classes ; ce sont eux qui se différencient en plasmocytes à longue durée de vie. Les lymphocytes B de la zone marginale, qu'on trouve dans les zones périphériques de la pulpe blanche splénique ainsi qu'au bord extérieur des follicules dans les ganglions lymphatiques, répondent surtout aux antigènes polysaccharidiques et lipidiques provenant du sang. Quant aux lymphocytes B dits B-1, ils répondent aux antigènes multivalents dans les muqueuses et le péritoine. Les lymphocytes B de la zone marginale et les lymphocytes B-1 expriment des récepteurs d'antigène
de diversité limitée et leurs réponses sont de manière prédominante de classe IgM et T-indépendantes. Des anticorps IgM peuvent être produits spontanément par des cellules B-1 sans immunisation manifeste. Ces anticorps, appelés anticorps naturels, contribuent à l'élimination de certaines cellules qui meurent par apoptose durant le renouvellement cellulaire normal et peuvent également protéger contre certains pathogènes bactériens. La production d'anticorps lors du premier contact et lors des contacts ultérieurs avec l'antigène, appelée respectivement réponse primaire et réponse secondaire, diffère quantitativement et qualitativement (fig. 7.3). Les quantités d'anticorps produites lors d'une réponse primaire sont inférieures à celles produites lors des réponses secondaires. Pour les antigènes protéiques, les réponses secondaires montrent également une amplification de la commutation isotypique des chaînes lourdes et de la maturation d'affinité, car la stimulation répétée par un antigène entraîne une augmentation du nombre et de l'activité des lymphocytes T auxiliaires. Après cette introduction, nous passons à la description de l'activation des lymphocytes B et de la production d'anticorps en commençant par les réponses lors du premier contact avec l'antigène.
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
124
A
Réponse anticorps primaire
Réponse anticorps secondaire
Primoinfection
Infection répétée Plasmocytes
IgG IgM
Quantité d'anticorps
Plasmocytes dans les tissus lymphoïdes périphériques
B
IgG
Lymphocytes B activés
Faible production d'anticorps
Plasmocytes dans la moelle osseuse
Plasmocytes dans la moelle osseuse
Lymphocyte B mémoire
Lymphocyte B naïf 0 5 10 Jours après 1re exposition à l'antigène
>30 0
Lymphocyte B mémoire
5 10 Jours après 2e exposition à l'antigène
>30
Réponse primaire
Réponse secondaire
Délai après immunisation
Généralement 5 à 10 jours
Généralement 1 à 3 jours
Réponse maximale
Réduite
Importante
Isotype de l'anticorps
Généralement IgM > IgG
Affinité de l'anticorps
Affinité moyenne faible, plus variable
Augmentation relative des IgG et, dans certaines situations, d'IgA ou d'IgE (commutation isotypique) Affinité moyenne élevée (maturation d'affinité)
Fig. 7.3. Caractéristiques des réponses humorales primaire et secondaire. Les réponses humorales, primaire et secondaire, diffèrent par divers aspects, illustrés schématiquement dans (A) et résumés dans (B). Lors d'une réponse primaire, les lymphocytes B naïfs dans les tissus lymphoïdes périphériques sont activés afin de proliférer et de se différencier en lymphocytes sécrétant des anticorps (plasmocytes) et en lymphocytes mémoire. Certains plasmocytes peuvent migrer et survivre dans la moelle osseuse pendant de longues périodes. Lors d'une réponse secondaire, les lymphocytes B mémoire sont activés afin de produire de grandes quantités d'anticorps, souvent avec davantage de commutation isotypique et de maturation d'affinité. Ces caractéristiques des réponses secondaires sont observées principalement dans les réponses dirigées contre les antigènes protéiques, puisque ces changements affectant les lymphocytes B sont stimulés par des lymphocytes T auxiliaires, qui ne peuvent être activés que par des protéines (non montré). La cinétique des réponses peut varier selon les différents antigènes et les différents types d'immunisation. Ig : immunoglobulines.
Stimulation des lymphocytes B par un antigène Des réponses immunitaires humorales sont induites lorsque, les lymphocytes B spécifiques d'un antigène reconnaissent des antigènes dans la rate, les ganglions lymphatiques et les tissus lymphoïdes des muqueuses. Certains antigènes dans les tissus ou le sang sont transportés et concentrés dans les follicules riches en lymphocytes B et dans les zones marginales de ces organes lymphoïdes périphériques. Dans les ganglions lymphatiques, les macrophages qui bordent le sinus sous-capsulaire peuvent capter les antigènes et les présenter aux cellules B dans les follicules adjacents. Les lymphocytes B
spécifiques d'un antigène utilisent les Ig membranaires qui leur servent de récepteurs pour reconnaître l'antigène directement sans qu'il ne doive être apprêté. Les lymphocytes B sont capables de reconnaître l'antigène natif, si bien que les anticorps qui sont ensuite sécrétés (ils ont la même spécificité que les récepteurs d'antigène des cellules B) sont en mesure de se lier au microbe ou au produit microbien dans leur état natif. La reconnaissance de l'antigène déclenche des voies de signalisation qui activent des lymphocytes B. Comme pour les lymphocytes T, l'activation d'un lymphocyte B requiert des signaux supplémentaires à celui qui provient de l'interaction avec l'antigène. La plupart de ces signaux sont produits au cours des réactions immunitaires innées antimicrobiennes.
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales Dans les prochaines sections, nous décrivons les mécanismes biochimiques de l'activation des lymphocytes B par un antigène et d'autres stimulus puis ensuite les conséquences fonctionnelles de la reconnaissance de l'antigène.
Signalisation induite par les antigènes dans les cellules B L'antigène induit le regroupement des récepteurs Ig membranaires, ce qui déclenche des signaux biochimiques qui activent les cellules B (fig. 7.4). Le processus d'activation des lymphocytes B est similaire, dans son principe, à celui de l'activation des lymphocytes T (voir fig. 5.9). Dans les lymphocytes B, la transduction des signaux assurée par le récepteur d'antigène nécessite le pontage d'au moins deux molécules d'Ig membranaires. Le pontage des récepteurs d'antigène survient lorsqu'au moins deux molécules d'antigènes dans un agrégat, ou des épitopes répétitifs d'une
125
molécule antigénique, se lient à des molécules d'Ig adjacentes dans la membrane de la cellule B. Les polysaccharides, les lipides et les autres antigènes non protéiques contiennent souvent plusieurs épitopes identiques par molécule et sont par conséquent capables de se lier en même temps à plusieurs récepteurs Ig sur un lymphocyte B. Même les antigènes protéiques peuvent être exprimés sous forme d'un ensemble à la surface des microbes et sont donc capables d'interconnecter les récepteurs d'antigène d'une cellule B. Les signaux induits par le pontage des récepteurs d'antigène sont transduits par des protéines associées aux récepteurs. Les IgM et les IgD membranaires, les récepteurs d'antigène des lymphocytes B naïfs, ont des régions extracellulaires liant l'antigène très variables (voir chapitre 4). Cependant, ces récepteurs membranaires ont des queues cytoplasmiques courtes. Aussi, quand ils reconnaissent un antigène, ils sont incapables de transmettre eux-mêmes les signaux. Les récepteurs sont liés de manière non covalente à deux protéines,
Microbe
mIg Igα Igβ
Pontage (cross-linking) de l'lg membranaire par I'antigène Fyn Lyn Blk
Phosphorylation des tyrosines
Protéines adaptatrices
P
P
P
P
ITAM
Syk
P
P Btk
Activation de PLCγ
Échange GTP/GDP sur Ras, Rac
lntermédiaires biochimiques Diacylglycérol (DAG)
Ras•GTP, Rac•GTP
Enzymes dépendantes du ca2+
PKC
ERK, JNK
Myc
NF-κB
Inositol triphosphate ⇒ augmentation du Ca2+ cytosolique
Enzymes actives
Facteurs de transcription
NFAT
AP-1
Fig. 7.4. Transduction des signaux produits par le récepteur d'antigène des lymphocytes B. Le pontage des récepteurs d'antigène sur des lymphocytes B par l'antigène déclenche des signaux biochimiques qui sont transmis par les protéines Igα et Igβ associées aux immunoglobulines (Ig). Ces signaux induisent une phosphorylation des tyrosines, l'activation de différents intermédiaires biochimiques et d'enzymes et l'activation de facteurs de transcription. Des événements de signalisation comparables sont observés dans les lymphocytes T après la reconnaissance de l'antigène. Notez qu'une signalisation maximale nécessite le pontage par les antigènes d'au moins deux récepteurs Ig. AP-1 : activating protein 1, protéine activatrice 1 ; GDP : guanosine diphosphate ; GTP : guanosine triphosphate ; ITAM : immunoreceptor tyrosine-based activation motif, motif d'activation à tyrosines des immunorécepteurs ; NFAT : nuclear factor of activated T-cells, facteur nucléaire des lymphocytes T activés ; NF-κB : nuclear factor κB, facteur nucléaire κB ; PKC : protéine kinase C ; PLCγ : phospholipase Cγ.
126
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
dénommées Igα et Igβ, l'ensemble formant ainsi le complexe du récepteur des cellules B (BCR), analogue au complexe du récepteur des cellules T (TCR) sur les lymphocytes T. Les domaines cytoplasmiques des protéines Igα et Igβ contiennent un motif ITAM (immunoreceptor tyrosine-based activation motifs, motifs d'activation d'immunorécepteur à base de tyrosine). ITAM se retrouve dans les sous-unités de signalisation de nombreux autres récepteurs activateurs du système immunitaire (par exemple, les protéines CD3 et ζ du complexe du TCR ; voir chapitre 5). Lorsqu'au moins deux récepteurs d'antigène d'un lymphocyte B sont regroupés par interconnexion causée par l'antigène, les tyrosines des motifs ITAM d'Igα et d'Igβ sont phosphorylées par des tyrosine kinases associées au complexe BCR. Ces tyrosines phosphorylées recrutent la tyrosine kinase Syk (qui équivaut à ZAP-70 dans les cellules T, voir chapitre 5) ; après son activation, celle-ci à son tour phosphoryle les résidus tyrosine de protéines adaptatrices. Ces protéines phosphorylées recrutent alors en aval diverses molécules, surtout des enzymes qui lancent les cascades de signalisation qui activent les facteurs de transcription. Il résulte de cette signalisation induite par les récepteurs des lymphocytes B une activation de facteurs de transcription qui déclenchent l'expression de gènes codant les protéines impliquées dans la prolifération et la différenciation des lymphocytes B. Les principales de ces protéines sont décrites ci-après.
Rôle des signaux immunitaires innés dans l'activation des cellules B Les lymphocytes B expriment un récepteur pour une protéine du système du complément qui fournit de seconds signaux pour l'activation de ces cellules (fig. 7.5A). Le système du complément, introduit au chapitre 2, est un ensemble de protéines plasmatiques qui sont activées par les microbes et par les anticorps fixés à ces microbes et contribuent aux mécanismes effecteurs de défense (voir chapitre 8). Lorsque le système du complément est activé par un microbe, ce qui fait partie d'une réponse immunitaire innée, celui-ci est recouvert par des fragments protéolytiques de la protéine du complément la plus abondante, C3. L'un de ces fragments est nommé C3d. Les lymphocytes B expriment un récepteur pour C3d appelé CR2 (complement receptor type 2) ou CD21. Les lymphocytes B spécifiques des antigènes microbiens reconnaissent l'antigène par leurs récepteurs Ig et reconnaissent simultanément, par le récepteur CR2, C3d lié au microbe. L'engagement de CR2 stimule fortement l'activation des lymphocytes B par l'antigène en augmentant la phosphorylation des ITAM. Ce rôle du complément dans les réponses immunitaires humorales illustre le principe fondamental de l'hypothèse à deux signaux introduite au chapitre 2, selon laquelle les microbes ou les réponses immunitaires innées dirigées contre les microbes fournissent des signaux complémentaires à l'antigène qui sont B
A
C3d lié Antigène microbien
Antigène microbien BCR CR2
PAMP microbien
CD19
TLR
Igα Igβ
CD81
Activation de cellule B
Activation de cellule B
Fig. 7.5. Rôle des signaux immunitaires innés dans l'activation des lymphocytes B. Les signaux générés durant les réactions immunitaires innées aux microbes et à certains antigènes coopèrent avec la reconnaissance de l'antigène par les récepteurs pour lancer les réponses des lymphocytes B. A. L'activation du complément par les microbes conduit à la liaison d'un produit de protéolyse du complément, C3d, aux microbes. Le lymphocyte B reconnaît simultanément un antigène microbien (par le récepteur Ig) et se lie à C3d par le CR2 (récepteur du complément de type 2). CR2 est attaché à un complexe de protéines (CD19, CD81) qui transmet des signaux d'activation dans le lymphocyte B. B. Des molécules dérivées des microbes (motifs moléculaires associés aux pathogènes ou PAMP, voir chapitre 2) peuvent activer les récepteurs de type Toll (TLR) des cellules B, alors que les antigènes microbiens sont simultanément reconnus par le récepteur d'antigène. BCR : B cell receptor ou récepteur des cellules B.
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales nécessaires à l'activation lymphocytaire. Dans l'immunité humorale, l'activation du complément représente une voie par laquelle l'immunité innée facilite l'activation des lymphocytes B ; elle ressemble donc en principe au rôle des costimulateurs des APC pour les lymphocytes T. Des produits microbiens activent également directement les lymphocytes B par l'engagement des récepteurs innés de reconnaissance de motifs (voir fig. 7.5B). Les lymphocytes B, comme les cellules dendritiques et d'autres leucocytes, expriment de nombreux récepteurs de type Toll (TLR ; voir chapitre 2). Des motifs moléculaires associés aux pathogènes se lient aux TLR sur les cellules B, ce qui déclenche des signaux d'activation qui agissent de concert avec les signaux provenant du récepteur d'antigène (et de C3d). Cette combinaison de signaux stimule Liaison et pontage des lg membranaires par l'antigène
127
la prolifération des cellules B, leur différenciation et la sécrétion d'Ig, favorisant ainsi les réponses à anticorps antimicrobiens.
Conséquences fonctionnelles de l'activation des lymphocytes B par un antigène L'activation des lymphocytes B par un antigène multivalent (et d'autres signaux) peut déclencher leur prolifération et leur différenciation, ainsi que leur préparation à interagir avec les lymphocytes T auxiliaires si l'antigène est une protéine (fig. 7.6). Les lymphocytes B activés peuvent commencer à synthétiser plus d'IgM et à produire certaines de ces IgM sous forme sécrétée. Ainsi, la stimulation par l'antigène induit la phase
Changements dans les cellules B activées
Conséquences fonctionnelles
Expression de protéines qui favorisent la survie et les cycles cellulaires
Survie accrue, prolifération
B7 Lymphocyte B naïf
Présentation d'antigène
Interaction avec des cellules T auxiliaires
Antigène
Expression accrue de récepteurs de cytokine
Expression accrue de CCR7
Cytokines Capacité de répondre aux cytokines
Zone des cellules T Follicule
Chimiokines
Migration à partir du follicule vers la zone des cellules T
IgM Production de plasmocytes Sécrétion d'anticorps Fig. 7.6. Conséquences fonctionnelles de l'activation du lymphocyte B passant par les récepteurs d'antigène. Les lymphocytes B activés par l'antigène dans les organes lymphoïdes prolifèrent et sécrètent l'immunoglobuline M (IgM). Cette activation prépare le lymphocyte B à interagir avec les lymphocytes T auxiliaires.
128
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
précoce de la réponse immunitaire humorale. Cette réponse est maximale lorsque l'antigène est multivalent, qu'il connecte plusieurs récepteurs d'antigène et qu'il active fortement le complément et les récepteurs immunitaires innés. Toutes ces conditions sont généralement remplies avec les polysaccharides et les autres antigènes microbiens T-indépendants, comme décrit plus loin, mais non avec la plupart des protéines solubles. Dès lors, par eux-mêmes, des antigènes protéiques n'induisent que faiblement la prolifération et la différenciation des cellules B. Cependant, ils induisent, dans les lymphocytes B, des changements qui augmentent la capacité de ces cellules à interagir avec les lymphocytes T auxiliaires. Les lymphocytes B activés endocytent l'antigène protéique qui se lie de manière spécifique au BCR, ils le dégradent et présentent des peptides liés aux molécules CMH de classe II, qui peuvent être reconnus par des cellules T auxiliaires. Les cellules B activées migrent hors des follicules et vers le compartiment anatomique dans lequel les lymphocytes T auxiliaires sont concentrés. Ainsi, les cellules B sont amenées à interagir avec des lymphocytes T auxiliaires, dérivés de lymphocytes T naïfs qui ont été préalablement activés par le même antigène présenté par des cellules dendritiques. La prochaine section décrit les interactions entre les lymphocytes T auxiliaires et les lymphocytes B au cours des réponses T-dépendantes aux antigènes protéiques. Les réponses aux antigènes T-indépendants sont décrites à la fin du chapitre.
Fonctions des lymphocytes T auxiliaires dans les réponses immunitaires humorales Pour qu'un antigène protéique stimule une réponse humorale, les lymphocytes B et les lymphocytes T auxiliaires spécifiques de cet antigène doivent être réunis dans les organes lymphoïdes et interagir de telle sorte que la prolifération et la différenciation des lymphocytes B soient stimulées. Nous savons que ce processus fonctionne très efficacement, puisque les antigènes protéiques déclenchent des réponses à anticorps dans un délai de 3 à 7 jours après l'exposition à l'antigène. L'efficacité de l'interaction T-B induite par un antigène soulève plusieurs questions. Comment les lymphocytes B et les lymphocytes T spécifiques des épitopes du même antigène parviennent-ils à se rencontrer, étant donné que les deux types de lymphocytes naïfs B et T spécifiques d'un même antigène sont rares — probablement moins de 1 lymphocyte sur 100 000. Comment les lymphocytes T auxiliaires spécifiques d'un antigène interagissent-ils avec les lymphocytes B spécifiques d'un épitope du même antigène et non avec des lymphocytes B non concernés ? Quels signaux sont délivrés par les lymphocytes T auxiliaires afin de stimuler non seulement la sécrétion d'anticorps, mais également les processus particuliers propres à la réponse à anticorps contre les protéines, c'est-à-dire la commutation isotypique et la maturation d'affinité ? Comme nous allons le voir, les réponses à ces questions sont désormais bien connues. Le processus d'interaction entre cellules T et B et des réponses humorales T-dépendantes commence par la reconnaissance de différents épitopes du même antigène
protéique par les deux types cellulaires et se déroule en plusieurs phases. Il est utile de les résumer avant de décrire chacune des réactions en détail. Les principaux événements du processus sont les suivants (fig. 7.7). ■ Les cellules T auxiliaires CD4+ naïves sont activées dans les zones des cellules T d'un organe lymphoïde secondaire par un antigène présenté par des cellules dendritiques sous la forme de peptides apprêtés et liés à des molécules du CMH de classe II. Les cellules T auxiliaires deviennent ainsi fonctionnelles, c'est-à-dire productrices de cytokines. ■ Les cellules B naïves sont activées dans les follicules du même organe lymphoïde par un épitope exposé sur la même protéine (dans sa conformation native) qui est transportée dans le follicule. ■ Les cellules T auxiliaires activées par l'antigène et les cellules B migrent les unes vers les autres et interagissent aux bords des follicules, où la réponse immunitaire humorale commence. ■ Certaines des cellules reviennent dans les follicules pour former des centres germinatifs, où les réponses à anticorps plus spécialisées sont induites. Nous allons décrire maintenant chacune de ces étapes en détail.
Activation et migration des lymphocytes T auxiliaires et des lymphocytes B Les lymphocytes T auxiliaires qui ont été activés par des cellules dendritiques migrent dans la zone des cellules B et interagissent avec les lymphocytes B stimulés par l'antigène dans les zones parafolliculaires des organes lymphoïdes périphériques (fig. 7.7A). ■ L'activation initiale des lymphocytes T nécessite la reconnaissance de l'antigène et une costimulation, comme décrit au chapitre 5. Les antigènes qui stimulent les lymphocytes T auxiliaires CD4+ sont typiquement des protéines dérivées de microbes extracellulaires ; ils sont internalisés et apprêtés dans les endosomes tardifs et les lysosomes et présentés comme peptides liés aux molécules de classe II du CMH des cellules présentatrices d'antigènes (APC), dans les zones riches en lymphocytes T des tissus lymphoïdes périphériques. L'activation des lymphocytes T la plus efficace est induite par les antigènes protéiques microbiens et, en cas de vaccins, par des antigènes protéiques administrés avec des adjuvants, qui stimulent l'expression des costimulateurs sur les APC. Les lymphocytes T CD4+ peuvent se différencier en lymphocytes effecteurs capables de produire différentes cytokines et le ligand de CD40. Certains de ces lymphocytes T migrent vers les bords des follicules lymphoïdes. ■ Des lymphocytes B sont activés par un antigène dans les follicules, comme décrit ci-dessus, et ces lymphocytes B commencent à quitter les follicules à la rencontre des lymphocytes T. Cette migration des lymphocytes B et T activés en direction les uns des autres dépend de changements dans l'expression de certains récepteurs de chimiokines sur les lymphocytes activés. Lors de leur activation, les cellules T réduisent l'expression du récepteur de chimiokine, CCR7, qui reconnaît des chimiokines produites dans les zones
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales
A
Cellule dendritique
Zone des cellules T
Antigène
Zone des cellules B (follicule primaire)
Interaction initiale T-B
Antigène
Cellule T auxiliaire
B
129
Cellule B
Cellule dendritique folliculaire
Plasmocytes de vie courte
Foyer extrafolliculaire
Cellule T auxiliaire folliculaire (Tfh) Cellules T auxiliaires extrafolliculaires
Cellules B du centre germinatif Plasmocytes de vie longue
Réaction dans le centre germinatif
Fig. 7.7. Séquence des événements dans les réponses à anticorps dépendant des lymphocytes T auxiliaires. A. Les lymphocytes B et T reconnaissent l'antigène indépendamment dans différentes régions des organes lymphoïdes périphériques et sont activés. Les cellules activées migrent les unes vers les autres et interagissent sur les bords des follicules lymphoïdes. B. Les plasmocytes sécréteurs d'anticorps sont d'abord produits dans un foyer extrafolliculaire où les cellules T et B activées par l'antigène interagissent. Certaines des cellules B activées et des cellules T migrent de nouveau dans le follicule pour former le centre germinatif, où la réponse d'anticorps se développe pleinement.
des cellules T, et augmentent l'expression du récepteur de chimiokine CXCR5, qui lie une chimiokine produite dans les follicules de cellules B. Celles-ci, en étant activées, passent précisément par des changements opposés ; elles réduisent l'expression de CXCR5 et augmentent celle de CXCR7. En conséquence, les lymphocytes B et T migrent les uns vers les autres et se rencontrent en bordure des follicules lymphoïdes ou dans les zones interfolliculaires, là où la phase suivante de leur interaction va se dérouler. Puisque la reconnaissance de l'antigène est nécessaire à ces changements, les cellules qui se déplacent les unes vers les autres sont celles qui ont été stimulées par l'antigène. Cette migration régulée est un mécanisme pour assurer que les rares lymphocytes spécifiques de l'antigène puissent se localiser les uns les autres et interagir de façon productive au cours des réactions à l'antigène.
Présentation des antigènes par les lymphocytes B aux lymphocytes T auxiliaires Les lymphocytes B qui se lient aux antigènes protéiques par l'intermédiaire de leurs récepteurs d'antigène spécifiques ingèrent ces antigènes par endocytose, les apprêtent dans les vésicules endosomiales et présentent les peptides associés aux molécules du CMH de classe II afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T auxi-
liaires CD4+ (fig. 7.8). Les Ig membranaires des lymphocytes B sont des récepteurs de haute affinité qui permettent aux lymphocytes B de se lier de manière spécifique à un antigène particulier, même si la concentration extracellulaire de cet antigène est très faible. En outre, l'antigène lié par l'Ig membranaire est ingéré par endocytose de manière efficace et transporté dans les vésicules endosomiales tardives et dans les lysosomes où les protéines sont dégradées en peptides qui se lient aux molécules du CMH de classe II (voir chapitre 3). Les lymphocytes B sont donc des APC efficaces pour leurs antigènes spécifiques. Tout lymphocyte B peut se lier à un épitope conformationnel d'un antigène protéique natif, internaliser et dégrader la protéine, puis présenter de multiples peptides de cette protéine pour qu'ils soient reconnus par des lymphocytes T. Les lymphocytes B reconnaissent d'abord un épitope d'un antigène protéique et les lymphocytes T auxiliaires reconnaissent donc des épitopes différents du même antigène protéique. Puisque les lymphocytes B internalisent et apprêtent efficacement l'antigène pour lequel ils possèdent des récepteurs spécifiques et que les lymphocytes T auxiliaires reconnaissent de manière spécifique les peptides provenant du même antigène, l'interaction qui s'ensuit reste spécifique de l'antigène. Les cellules B sont capables d'activer des cellules T effectrices déjà différenciées, mais sont incapables d'induire une réponse des cellules T naïves.
130
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique Lymphocyte B
Reconnaissance de l'antigène protéique natif par le lymphocyte B
Antigène protéique microbien
Endocytose de l'antigène dépendant du récepteur
Apprêtement et présentation
Complexe CMH de classe II-peptide
de l'antigène
Reconnaissance de l'antigène par le lymphocyte T
Lymphocyte CD4+
Fig. 7.8. Présentation de l'antigène par les lymphocytes B aux lymphocytes T auxiliaires. Les lymphocytes B spécifiques d'un antigène protéique lient cet antigène, l'internalisent, l'apprêtent et présentent des peptides liés aux molécules du CMH de classe II aux lymphocytes T auxiliaires. Les lymphocytes B et les lymphocytes T auxiliaires sont spécifiques du même antigène, mais les lymphocytes B reconnaissent les épitopes natifs (conformationnels), tandis que les lymphocytes T auxiliaires reconnaissent les fragments peptidiques de l'antigène liés à des molécules du CMH de classe II.
Anatoxine tétanique (AT)
Cellule B spécifique d'un polysaccharide
Qu'une cellule B reconnaisse un épitope d'un antigène intact et présente des épitopes différents (peptides) reconnus par les cellules T auxiliaires a été démontré par des expériences dans lesquelles des haptènes étaient couplés à des protéines porteuses. Un haptène est une petite molécule chimique, reconnue par les lymphocytes B, mais qui ne peut stimuler la production d'anticorps que si elle est couplée à une protéine porteuse. Dans cette situation, la cellule B lie l'haptène, ingère le conjugué et présente des peptides dérivés de la protéine porteuse aux cellules T auxiliaires. La réponse à anticorps est, bien sûr, spécifique de l'épitope reconnu par la cellule B (l'haptène dans cet exemple), et les peptides dérivés de la protéine porteuse amènent simplement les cellules T auxiliaires dans la réaction. Ce concept a été exploité pour développer des vaccins efficaces contre les polysaccharides microbiens (fig. 7.9). Certaines bactéries ont des capsules riches en polysaccharides, mais ceux-ci ne suscitent que de faibles réponses humorales (T-indépendantes), en particulier chez les nourrissons et les jeunes enfants. Cependant, si le polysaccharide est couplé à une protéine porteuse, des réponses efficaces sont induites contre le polysaccharide, car des lymphocytes T auxiliaires sont engagés dans la réponse. Dans cette situation, la cellule B reconnaît le polysaccharide (équivalent à l'haptène) et la cellule T reconnaît les peptides de la protéine attachée (le porteur) ; la réponse anticorps est spécifique du polysaccharide, mais elle est beaucoup plus forte que les réponses conventionnelles indépendantes du T car les cellules T auxiliaires sont « forcées » à participer. Ces vaccins conjugués ont été très utiles pour induire une immunité protectrice contre les bactéries telles que Haemophilus influenzae, en particulier chez les nourrissons. Les vaccins actuels contre les pneumocoques sont aussi des vaccins conjugués.
Présentation d'un Apprêtement de peptide de AT à une la protéine AT cellule T auxiliaire Polysaccharide de capsule bactérienne conjugué à une protéine
Cellules Th spécifiques de l'anatoxine tétanique
Activation et différenciation de cellules B (réaction dans le centre germinatif) IgG de haute affinité spécifique du polysaccharide
Plasmocytes à longue vie et cellules B mémoire
Fig. 7.9. Le principe des vaccins conjugués : le concept haptène-protéine porteuse. Afin de générer de fortes réponses anticorps contre un polysaccharide microbien, celui-ci est couplé à une protéine (dans ce cas, l'anatoxine tétanique). Les cellules B qui reconnaissent le polysaccharide l'ingèrent et présentent les peptides de la protéine aux cellules T auxiliaires, qui stimulent les cellules B spécifiques du polysaccharide. Ainsi, le changement d'isotype, la maturation d'affinité, les plasmocytes et les cellules mémoire à longue durée de vie (toutes les caractéristiques des réponses aux protéines) sont induits dans une réponse aux polysaccharides. (Notez que certaines cellules B reconnaîtront également l'anatoxine tétanique et des anticorps seront produits contre la protéine porteuse, mais cela n'a aucune incidence sur la réponse antipolysaccharidique). Ig : immunoglobuline.
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales
Mécanismes de l'activation des lymphocytes B par les lymphocytes T auxiliaires Les lymphocytes T auxiliaires qui reconnaissent l'antigène présenté par les lymphocytes B activent ces derniers en exprimant le ligand de CD40 (CD40L) et en sécrétant des cytokines, qui activent les lymphocytes B spécifiques de l'antigène (fig. 7.10). Le processus d'activation des lymphocytes B par les lymphocytes T auxiliaires est analogue à celui utilisé par les lymphocytes T pour activer les macrophages au cours d'une réaction immunitaire cellulaire (voir fig. 6.6). Le CD40L sur les lymphocytes T auxiliaires activés se lie à CD40 exprimé sur les lymphocytes B. L'engagement de CD40 génère des signaux dans les lymphocytes B qui stimulent leur prolifération (expansion clonale), ainsi que la synthèse et la sécrétion d'anticorps. Parallèlement, les cytokines produites par les lymphocytes T auxiliaires se lient aux récepteurs correspondants sur les lymphocytes B et stimulent davantage la prolifération des lymphocytes B et la production d'Ig. La nécessité de l'interaction CD40L-CD40 garantit que seuls les lymphocytes T et B en contact physique interagissent de manière productive. Comme il a été décrit précédemment, les lymphocytes spécifiques de l'antigène sont ceux qui interagissent physiquement, assurant ainsi que les lymphocytes B spécifiques de l'antigène soient également ceux qui reçoivent de l'aide des cellules T. L'interaction CD40L-CD40 stimule également la commutation isotypique et la maturation d'affinité, ce qui explique pourquoi ces changements sont caractéristiques des réactions humorales contre les antigènes protéiques T-dépendants.
Réactions extrafolliculaires et centre germinatif L'interaction T-B initiale, qui survient en dehors des follicules lymphoïdes, induit la production de faibles quantités d'anticorps, qui peuvent appartenir à un isotype commuté (décrit ci-dessous) mais qui sont généralement de faible Une cellule T auxiliaire activée exprime CD40L et sécrète des cytokines CD40
Cellule B
131
affinité (voir fig. 7.7B). Les plasmocytes qui sont générés dans ces foyers extrafolliculaires ont généralement une vie courte et ne produisent des anticorps que durant quelques semaines ; peu de cellules B mémoire sont produites. Plusieurs des événements qui surviennent au cours des réponses humorales complètes se déroulent dans des centres germinatifs qui se forment dans les follicules lymphoïdes et nécessitent la participation d'un type spécialisé de cellules T auxiliaires (fig. 7.11). Certains des lymphocytes T auxiliaires activés expriment abondamment le récepteur de chimiokine CXCR5, qui attire ces cellules T dans les follicules adjacents. Les cellules T CD4+ qui migrent dans les follicules riches en cellules B sont appelées cellules T folliculaires auxiliaires, ou Tfh (follicular helper T cells). La production et la fonction des cellules Tfh sont tributaires d'un récepteur de la famille CD28 appelé ICOS (inducible costimulator), qui se lie à son ligand exprimé sur les cellules B et d'autres cellules. Des mutations héréditaires dans le gène ICOS sont la cause de certaines déficiences de l'immunité humorale (voir chapitre 12). Les cellules Tfh peuvent sécréter des cytokines telles que l'IFN-γ, l'IL-4 ou l'IL-17, qui sont caractéristiques des sous-populations Th1, Th2 et Th17 ; le rôle de ces cytokines dans les réponses des cellules B est décrit ci-dessous. En outre, la plupart des cellules Tfh sécrètent également la cytokine IL-21, qui joue un rôle important mais incomplètement compris dans la fonction des cellules Tfh. Quelques-uns des lymphocytes B du foyer extrafolliculaire, après activation, reviennent dans le follicule lymphoïde, avec des cellules Tfh, et commencent à se diviser rapidement en réponse à des signaux provenant des cellules Tfh. On estime que les lymphocytes B ont un temps de doublement d'environ 6 heures, de sorte qu'une cellule peut produire plusieurs milliers de descendants en une semaine. La région du follicule contenant ces cellules B en prolifération est le centre germinatif, ainsi nommé parce qu'il fut un temps où l'on croyait de manière erronée qu'il constituait le site où de nouveaux lymphocytes étaient générés (germés). Dans le centre germinatif, les lymphocytes B passent par
Des cellules B sont activées par l'engagement de CD40, et par des cytokines
Prolifération des cellules B et différenciation
Ligand de CD40
Cellule T
Récepteur de cytokine Cytokines Fig. 7.10. Mécanismes d'activation des lymphocytes B par les lymphocytes T auxiliaires. Les lymphocytes T auxiliaires reconnaissent les antigènes peptidiques présentés par les lymphocytes B. L'activation des lymphocytes T auxiliaires induit l'expression du ligand de CD40 (CD40L) et la sécrétion des cytokines, qui se lient à leurs récepteurs sur les lymphocytes B et activent ces cellules.
132
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Activation des cellules B et migration dans un centre germinatif
Prolifération des cellules B
Mutation somatique et maturation d'affinité ; commutation isotypique
Cellule B
Cellule T auxiliaire
Centre germinatif Zone sombre Cellule dendritique folliculaire
Sortie des cellules productrices d'anticorps de haute affinité et cellules B mémoire
Récepteur de Fc
Zone claire
Cellule Tfh IgG de faible affinité IgG de forte affinité
Cellule B mémoire
Plasmocyte à longue vie
Fig. 7.11. Réaction de centre germinatif. Les cellules B qui ont été activées par les cellules T auxiliaires au bord d'un follicule primaire migrent dans le follicule et prolifèrent pour former la zone sombre du centre germinatif. Les cellules B du centre germinatif passent par une commutation isotypique et une mutation somatique des gènes d'Ig, et migrent dans la zone claire, où les cellules B dotées des récepteurs d'Ig de plus haute affinité sont sélectionnées et amenées à survivre. Elles se différencient alors en plasmocytes ou en cellules mémoire, qui quittent le centre germinatif. Le panneau de droite montre l'histologie d'un follicule secondaire avec un centre germinatif, dans un ganglion lymphatique. Le centre germinatif comprend une zone sombre basale et une zone claire adjacente. La zone du manteau est la partie du follicule située hors du centre germinatif.
d'importantes commutations isotypiques et de nombreuses mutations somatiques ; les deux processus sont décrits cidessous. Les cellules B de plus grande affinité sont les seules à être sélectionnées durant la réaction du centre germinatif pour se différencier en cellules B mémoire et en plasmocytes à longue durée de vie. Les cellules B en prolifération se trouvent dans la zone sombre du centre germinatif (voir fig. 7.11), tandis que la sélection se produit dans la zone claire moins dense.
Commutation isotypique (de classe) des chaînes lourdes Des cellules T auxiliaires amènent la descendance des lymphocytes B exprimant des IgM et des IgD, à changer les isotypes des chaînes lourdes (classes) des anticorps qu'ils produisent, sans changer leur spécificité antigénique (fig. 7.12). Les différents isotypes d'anticorps exercent des fonctions différentes et, dès lors, la commutation isotypique élargit les capacités d'adaptation des réponses immunitaires humorales. Par exemple, un mécanisme de défense important contre les stades extracellulaires de la plupart des bactéries et des virus consiste à recouvrir (opsonisation) ces microbes avec des anticorps pour induire leur phagocytose par les neutrophiles et les macrophages. Cette réaction est optimale avec
des classes d'anticorps comme l'IgG1 et l'IgG3 chez l'homme. Ces anticorps se lient aux récepteurs de Fc de haute affinité des phagocytes, qui sont spécifiques de la portion Fc de la chaîne lourde γ (voir chapitre 8). En revanche, les helminthes sont trop grands pour être phagocytés et sont éliminés plus efficacement par les éosinophiles. C'est pourquoi les défenses contre ces parasites consistent à les recouvrir avec des anticorps auxquels se lient les éosinophiles. La classe d'anticorps qui est en mesure de faire face à cette situation est celle des IgE, car les éosinophiles possèdent des récepteurs de haute affinité pour la portion Fc de la chaîne lourde ε. Ainsi, l'efficacité des défenses de l'hôte nécessite que le système immunitaire produise différents isotypes d'anticorps en réponse aux différents types de microbes, même si tous les lymphocytes B naïfs spécifiques de tous ces microbes expriment les mêmes récepteurs d'antigène, qui sont d'isotypes IgM et IgD. Une autre conséquence fonctionnelle des commutations isotypiques est la capacité des anticorps IgG de se lier à un récepteur Fc spécialisé, dénommé récepteur néonatal de Fc (FcRn). Le FcRn exprimé par le placenta assure le transfert des IgG maternelles au fœtus, ce qui protège le nouveau-né. Quant au FcRn exprimé sur les cellules endothéliales et les phagocytes, il joue un rôle particulier en protégeant les IgG du catabolisme intracellulaire, ce qui prolonge leur demi-vie dans le sang (voir chapitre 8).
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales
133
Lymphocyte B
Lymphocyte T auxiliaire : CD40L, cytokines
Commutation isotypique
Diverses IL-4
IgM Principales Activation du complément fonctions effectrices
Sous-classes d'lgG (lgG1, lgG3) Réponses du phagocyte dépendantes du récepteur de Fc ; activation du complément ; immunité néonatale (transfert placentaire)
Cytokines produites dans les muqueuses, par ex. TGF-β, BAFF, autres
IgE Immunité contre les helminthes Dégranulation des mastocytes (hypersensibilité immédiate)
IgA Immunité des muqueuses (transport des IgA à travers les épithéliums)
Fig. 7.12. Commutation isotypique (classe) de chaîne lourde d'immunoglobulines (Ig). Les lymphocytes B stimulés par l'antigène peuvent se différencier en cellules sécrétant des anticorps IgM, ou, sous l'influence de CD40L et des cytokines, certains lymphocytes B peuvent se différencier en cellules produisant différentes classes de chaînes lourdes d'Ig. Les principales fonctions effectrices de certaines de ces classes sont indiquées dans le tableau ; tous les isotypes peuvent neutraliser les microbes et les toxines. BAFF (B cell-activating factor belonging to the TNF family) est une cytokine qui active les lymphocytes B et qui peut être impliquée dans la commutation IgA, spécialement, lors de réponses T-indépendantes. Une commutation des sous-classes IgG est stimulée par la cytokine interféron-γ (IFN-γ) chez la souris, mais chez l'homme, on pense qu'elle serait induite par d'autres cytokines. IL-4 : interleukine-4 ; TGF-β : transforming growth factor β, facteur de croissance transformant β.
La commutation isotypique des chaînes lourdes est induite par la combinaison des signaux émis par le CD40L et par des cytokines. Les signaux délivrés par le CD40L et les cytokines agissent sur les lymphocytes B activés et induisent la commutation dans une partie de la descendance de ces lymphocytes. En l'absence de CD40 ou de CD40L, les lymphocytes B sécrètent exclusivement des IgM et ne peuvent changer d'isotype. Ce phénomène souligne le rôle essentiel de cette paire ligand-récepteur dans la commutation. Le syndrome hyper-IgM lié à l'X est provoqué par des mutations du gène CD40L situé sur le chromosome X, qui conduisent à la production de formes non fonctionnelles du CD40L chez les garçons qui héritent de la mutation. Dans cette maladie, la plupart des anticorps sériques sont des IgM puisque le mécanisme de commutation est déficient. Les patients atteints de cette maladie souffrent également d'un déficit de l'immunité cellulaire contre les microbes intracellulaires, car le CD40L est important pour l'activation des macrophages qui dépend des lymphocytes T et pour l'amplification des réponses T par les cellules dendritiques (voir chapitre 6). Le mécanisme moléculaire de la commutation isotypique, appelé recombinaison de commutation, prend l'exon VDJ précédemment formé et codant le domaine V d'une chaîne lourde μ d'Ig et le déplace en aval à proximité d'une région de C (fig. 7.13). Les lymphocytes B
producteurs d'IgM qui n'ont pas subi de commutation contiennent dans leur locus codant la chaîne lourde d'Ig un exon VDJ réarrangé adjacent au groupe de gènes codant la première région constante, qui est Cμ. L'ARNm de la chaîne lourde est formé par jonction de l'exon VDJ aux exons Cμ dans le transcrit de l'ARNm ; il est ensuite traduit en la chaîne lourde μ, qui s'associe à une chaîne légère pour générer un anticorps IgM. Le premier anticorps produit par les lymphocytes B est donc de classe IgM. Dans l'intron 5' de chaque région constante se trouve une séquence riche en guanine-cytosine (CG) appelée région de commutation. Les signaux provenant de CD40 et des récepteurs de cytokines stimulent la transcription jusqu'à l'une des régions constantes en aval de Cμ. Durant la recombinaison de commutation, la région de commutation en amont de Cμ recombine avec la région de commutation adjacente à la région constante en aval transcriptionnellement active, et tout l'ADN intermédiaire est éliminé. Une enzyme, la désaminase induite par activation (AID, activation-induced deaminase), qui est activée par les signaux de CD40, joue un rôle essentiel dans ce processus. L'AID convertit des cytosines (C) dans l'ADN de la région de commutation transcrite en uraciles (U). L'intervention séquentielle d'autres enzymes aboutit à l'élimination des uraciles ainsi qu'à des coupures dans l'ADN. Un tel processus touchant les deux brins conduit à des cassures de l'ADN bicaténaire. Lorsque
134
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
ADN réarrangé dans des cellules productrices d'lgM
VDJ Sµ Cµ
Sγ Cγ
Signaux des cellules T auxiliaires (ligand de CD40, cytokines)
Induction de l'AID
VDJ Sµ Cµ
Sγ Cγ
AID
Recombinaison de Sµ avec Sγ ; délétion des gènes C intermédiaires
Transcription ; épissage de l'ARN
Cγ
VDJ
VDJ
Cγ
ARNm γ V DJ Cγ
AAA
Protéine γ Traduction
IgG Fig. 7.13. Mécanisme de commutation isotypique des chaînes lourdes d'immunoglobulines. Dans un lymphocyte B producteur d'immunoglobuline M (IgM), le gène réarrangé VDJ codant la région V est adjacent aux gènes des régions constantes μ (Cγ). Des signaux provenant des lymphocytes T auxiliaires (le ligand de CD40 et des cytokines) peuvent induire une recombinaison des régions de commutation (S, switch) en sorte que le gène VDJ réarrangé est rapproché d'un gène C en aval de Cμ qui, dans l'exemple choisi, est un gène Cγ. Une enzyme, la désaminase induite par activation (AID, activation-induced deaminase), qui est induite dans les cellules B par des signaux provenant des cellules Tfh, modifie les nucléotides dans les régions de commutation de telle manière qu'elles peuvent être clivées par d'autres enzymes et jointes à d'autres régions de commutation en aval. Ensuite, quand le gène de chaîne lourde est transcrit, l'exon VDJ est rapproché, par épissage, des exons du gène C en aval, produisant une chaîne lourde comprenant une nouvelle région constante et, par conséquent, une nouvelle classe d'Ig. Par simplification, les exons codant les chaînes lourdes γ et α ne sont pas représentés. Notez que, bien que la région C change, la région VDJ, et donc la spécificité de l'anticorps, est conservée. Chaque gène de région C consiste en de multiples exons, mais pour raison de simplicité un seul est montré.
les ADN bicaténaires interrompus dans deux régions de commutation sont réunis et réparés, le segment intermédiaire est éliminé et un exon VDJ réarrangé, qui était à l'origine près de Cμ, peut maintenant être placé immédiatement en amont de la région constante d'un isotype, soit IgG, IgA ou IgE. Le résultat est la production par le lymphocyte B d'une nouvelle classe de chaîne lourde (qui est déterminée par la région C de l'anticorps) avec la même spécificité que le lymphocyte B de départ, puisque la spécificité est déterminée par la séquence de l'exon VDJ, qui n'est pas modifiée. Les cytokines produites par les lymphocytes T folliculaires auxiliaires déterminent la classe de la chaîne lourde produite (fig. 7.12). ■ La production d'anticorps IgG opsonisants, qui se lient aux récepteurs de Fc des phagocytes, est stimulée par l'IL-10 et d'autres cytokines chez l'homme et surtout par l'IFN-γ chez la souris. Dans les réponses à anticorps, ces cytokines sont sécrétées par les cellules Tfh. Les anticorps IgG qui sont produits opsonisent les microbes, favorisant ainsi leur phagocytose et leur destruction intracellulaire. ■ En revanche, la commutation vers la classe IgE est stimulée par l'IL-4 produite par les cellules Tfh. La fonction des IgE est d'éliminer les helminthes, en agissant en collaboration avec les éosinophiles qui sont activés par une autre cytokine des lymphocytes Th2, l'IL-5. De manière prévisible, les helminthes induisent de fortes réponses des cellules Th2 et des Tfh qui leur sont apparentées. Ainsi, le type de sous-population de lymphocytes T auxiliaires répondant à un microbe guide la réponse anticorps qui en découle, ce qui la rend optimale pour combattre l'agresseur. Ces exemples illustrent bien comment différents composants du système immunitaire sont régulés de manière coordonnée et collaborent dans les défenses contre différents pathogènes, les lymphocytes T auxiliaires assurant la fonction de contrôleur « en chef » des réponses immunitaires. La nature des classes d'anticorps produites est également influencée par le site des réponses immunitaires. Par exemple, les anticorps IgA constituent le principal isotype produit dans les tissus lymphoïdes associés aux muqueuses, probablement parce que des cytokines, comme le TGF-β (transforming growth factor), qui favorisent la commutation vers les IgA sont abondantes dans ces tissus. Les IgA constituent la principale classe d'anticorps qui peuvent être activement sécrétés à travers les muqueuses (voir chapitre 8). Les lymphocytes B-1 s'avèrent aussi une source importante d'IgA dans les muqueuses, spécialement contre les antigènes non protéiques.
Maturation d'affinité La maturation d'affinité est le processus par lequel l'affinité des anticorps produits en réponse à un antigène protéique augmente suite à une exposition prolongée ou répétée à cet antigène (fig. 7.14). Grâce à la maturation d'affinité, la capacité des anticorps à se lier à un microbe ou à un antigène microbien augmente si l'infection est persistante ou récurrente. Cette augmentation de l'affinité est due à des mutations ponctuelles dans les gènes codant les régions V, en particulier les régions hypervariables des anticorps produits. La maturation d'affinité est observée uniquement dans
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales
V
C
Mutations somatiques des gènes V des Ig Sélection des cellules B de haute affinité V
Anticorps de faible affinité
C
Mutations Anticorps de haute affinité Fig. 7.14. Maturation d'affinité dans les réponses à anticorps. Au début de la réponse immunitaire, des anticorps de faible affinité sont produits. Pendant la réaction du centre germinatif, une mutation somatique des gènes V d'Ig et la sélection des cellules B mutées porteuses des récepteurs d'antigène de haute affinité aboutissent à la production d'anticorps de forte affinité antigénique.
les réponses aux antigènes protéiques dépendants des lymphocytes T auxiliaires, ce qui indique que les lymphocytes T auxiliaires jouent un rôle essentiel dans ce processus. Ces résultats soulèvent deux questions intrigantes : comment des mutations sont-elles induites dans les gènes codant les Ig dans les lymphocytes B et comment les lymphocytes B de la plus haute affinité (c'est-à-dire les plus utiles) sont-ils sélectionnés pour devenir progressivement plus nombreux ? La maturation d'affinité survient dans les centres germinatifs des follicules lymphoïdes et résulte d'une hypermutation somatique des gènes d'Ig dans les lymphocytes B en division, suivie par la sélection des lymphocytes B de haute affinité par l'antigène (fig. 7.15). Dans les zones sombres des centres germinatifs (où les cellules B en prolifération sont concentrées), de nombreuses mutations ponctuelles sont introduites dans les gènes d'Ig des cellules B qui se divisent rapidement. L'enzyme AID, qui est requise pour la commutation isotypique, joue également un rôle essentiel dans les mutations somatiques. Cette enzyme, comme dit précédemment, convertit les C en U. Les uraciles qui sont produits dans l'ADN de la région V des Ig sont fréquemment convertis en thymine au cours de la réplication de l'ADN, ce qui crée des mutations des C en T, ou sont enlevés et réparés par des mécanismes enclins aux erreurs qui entraînent souvent l'introduction de nucléotides autres que les cytosines mutées originelles. La fréquence des mutations des gènes des Ig a été estimée à une pour 103 paires de bases par cellule en division, un taux de mutations nettement supérieur à celui de la plupart des autres gènes. Pour cette raison, l'ensemble des mutations des Ig dans les cellules B des centres germinatifs est appelé hypermutation somatique. Ces nombreuses mutations entraînent la formation de divers clones de lymphocytes B dont les molécules d'Ig
135
peuvent se lier selon des affinités extrêmement variables à l'antigène inducteur de la réponse. L'étape suivante du processus est la sélection des cellules B porteuses des récepteurs d'antigène les plus utiles. Les lymphocytes B des centres germinatifs meurent par apoptose sauf s'ils sont sauvés par la reconnaissance d'un antigène et l'aide de cellules T. Pendant que les hypermutations somatiques des gènes codant les Ig se déroulent dans les centres germinatifs, l'anticorps qui avait été sécrété au début de la réponse immunitaire s'est lié à l'antigène résiduel. Les complexes antigène-anticorps ainsi formés peuvent alors activer le complément et être présentés par les cellules dendritiques folliculaires (FDC), qui résident dans la zone claire du centre germinatif et expriment les récepteurs de Fc des anticorps et des produits du complément, les deux types de récepteurs contribuant à la présentation de complexes antigène-anticorps. Les lymphocytes B ayant subi l'hypermutation somatique ont l'occasion de lier l'antigène sur des FDC ou libre dans le centre germinatif. Ces cellules B peuvent internaliser l'antigène, l'apprêter et présenter les peptides aux cellules Tfh du centre germinatif, qui fournissent alors les signaux critiques de survie. Les cellules B de haute affinité entrent en compétition plus efficacement pour l'antigène et survivent mieux que les cellules B qui reconnaissent l'antigène faiblement, ce qui rappelle le processus darwinien de survie du plus apte. Pendant que la réponse immunitaire se développe ou en cas d'immunisation répétée, la quantité d'anticorps produits augmente. Il en résulte que la quantité d'antigène disponible dans le centre germinatif diminue. Les lymphocytes B qui sont sélectionnés pour survivre doivent être capables de se lier à l'antigène présent à des concentrations de plus en plus faibles. Par conséquent, seuls les lymphocytes dont les récepteurs d'antigène présentent une affinité de plus en plus élevée sont sélectionnés.
Génération des plasmocytes et des cellules B mémoire Les lymphocytes B activés dans les centres germinatifs peuvent se différencier en plasmocytes ou en lymphocytes mémoire, tous deux à longue durée de vie. Les cellules sécrétrices d'anticorps entrent dans la circulation et sont appelées plasmablastes. À partir du sang, les plasmablastes tendent à migrer vers la moelle osseuse ou des muqueuses, où elles peuvent survivre pendant des années comme plasmocytes et continuer à produire des anticorps de haute affinité, même après l'élimination de l'antigène. On estime que plus de la moitié des anticorps présents dans la circulation sanguine d'un adulte normal est produite par ces cellules à longue durée de vie. Par conséquent, les anticorps circulants reflètent l'historique des expositions de chaque individu aux antigènes. Ces anticorps assurent une protection immédiate dans le cas où l'antigène (un microbe ou une toxine) serait réintroduit dans l'organisme. Une fraction des lymphocytes B activés, qui est souvent constituée par les cellules filles de lymphocytes B de haute affinité ayant subi une commutation isotypique, ne se différencie pas en cellules sécrétant activement des anticorps, mais évolue au contraire en cellules mémoire. Les lymphocytes B mémoire ne sécrètent pas d'anticorps, mais circulent dans le sang et résident dans les muqueuses et d'autres
136
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Lymphocyte B naïf
Activation des cellules B par un antigène protéique et des lymphocytes T auxiliaires
Antigène
Migration dans le centre germinatif
Lymphocytes B avec mutations somatiques des gènes V d'Ig ; Ig d'affinité différente pour l'antigène
Les lymphocytes B avec des Ig membranaires de haute affinité lient l'antigène sur les FDC et présentent l'antigènes aux lymphocytes T auxiliaires
FDC
Les lymphocytes B qui reconnaissent l'antigène sur les FDC ou interagissent avec les lymphocytes T auxiliaires sont sélectionnés et survivent ; les autres lymphocytes B meurent
Cellule T folliculaire auxiliaire (Tfh)
Lymphocyte B de haute affinité
Fig. 7.15. Sélection des lymphocytes B de haute affinité dans les centres germinatifs. Certains lymphocytes B activés par l'antigène, avec l'aide des lymphocytes T, migrent dans les follicules afin de former les centres germinatifs, où ils prolifèrent rapidement et accumulent des mutations dans les gènes codant les régions V des Ig. Ces lymphocytes B produisent des anticorps de différentes affinités pour l'antigène. Les cellules dendritiques folliculaires (follicular dendritic cells, FDC) présentent l'antigène et les lymphocytes B qui reconnaissent l'antigène sont sélectionnés et survivent. Les FDC présentent des antigènes en utilisant des récepteurs de Fc pour lier des complexes immuns ou en utilisant les récepteurs de C3 pour lier des complexes immuns couverts des protéines du complément C3b et C3d (non représenté). Les cellules B lient aussi l'antigène, l'apprêtent et le présentent aux lymphocytes T folliculaires auxiliaires (Tfh) dans les centres germinatifs, et des signaux des cellules Tfh favorisent la survie des cellules B. Au fur et à mesure que la quantité d'anticorps augmente, celle de l'antigène disponible diminue ; aussi, seuls les lymphocytes B exprimant des récepteurs de plus haute affinité peuvent lier l'antigène et être sélectionnés pour survivre.
tissus. Ils survivent plusieurs mois ou plusieurs années en l'absence de nouvelle exposition à l'antigène, ils se recyclent lentement et sont prêts à répondre rapidement si l'antigène est réintroduit. Dès lors, la mémoire d'une réponse à anticorps T-dépendante peut durer toute une vie. Les conditions requises pour l'activation des cellules B mémoire fonctionnellement quiescentes pour se différencier en plasmocytes, et en particulier le rôle auxiliaire des cellules T dans cette réaction, ne sont pas bien définies.
Réponses à anticorps contre les antigènes T-indépendants Les polysaccharides, les lipides et les autres antigènes non protéiques déclenchent des réponses à anticorps sans la participation des lymphocytes T auxiliaires — rappelons que ces antigènes non protéiques ne peuvent pas se lier aux molécules du CMH et qu'ils ne peuvent donc pas être détectés par les lymphocytes T (voir chapitre 3). De nombreuses bacté-
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales
Antigène thymo-dépendant Nature chimique
137
Antigène thymo-indépendant Antigènes polymériques, en particulier polysaccharides ; également glycolipides, acides nucléiques
Protéines
Caractéristiques de la réponse anticorps
Oui
Commutation isotypique
Commutation faible vers IgG
IgE IgG
IgM
IgG IgA
Maturation d'affinité Plasmocytes Réponse secondaire (lymphocytes B mémoire)
IgM
Oui
Faible ou absente
Longue vie
Vie courte
Oui
Observée uniquement avec quelques antigènes
Fig. 7.16. Caractéristiques des réponses anticorps dirigées contre les antigènes T-dépendants et T-indépendants. Les antigènes T-dépendants (protéiques) et les antigènes T-indépendants (non protéiques) induisent des réponses anticorps avec différentes caractéristiques, qui reflètent largement l'influence des lymphocytes T auxiliaires dans les réponses T-dépendantes dirigées contre des antigènes protéiques et l'absence d'aide des cellules T dans les réponses T-indépendantes. Ig : Immunoglobuline.
ries produisent des capsules riches en polysaccharides, et les défenses contre ces bactéries sont principalement assurées par les anticorps qui se lient aux polysaccharides capsulaires, afin de faire de ces bactéries des cibles pour les phagocytes. Les réponses à anticorps contre les antigènes T-indépendants diffèrent par de nombreux aspects des réponses dirigées contre les protéines ; la plupart de ces différences sont attribuables aux rôles joués par les lymphocytes T auxiliaires dans les réponses anticorps contre les protéines (fig. 7.16 ; voir aussi fig. 7.2). Une interconnexion étendue des BCR par des antigènes multivalents peut activer les lymphocytes B de façon suffisante pour stimuler leur prolifération et leur différenciation sans la collaboration des lymphocytes T. Des polysaccharides activent aussi le système du complément, et de nombreux antigènes T-indépendants se lient à des TLR, fournissant ainsi aux cellules B des signaux activateurs qui favorisent aussi l'activation des cellules B qui amplifient l'activation des cellules B en absence d'aide des cellules T (voir fig. 7.5).
Régulation des réponses immunitaires humorales : rétroaction des anticorps Après que les lymphocytes B se sont différenciés en cellules sécrétant les anticorps et en cellules mémoire, une fraction de ces cellules survit pendant de longues périodes, mais la plupart des lymphocytes B activés meurent probablement par apoptose. Cette perte graduelle des lymphocytes B activés contribue au déclin physiologique de la réponse immunitaire humorale. Les lymphocytes B utilisent également un mécanisme spécifique pour interrompre la production d'anticorps. Lorsque les anticorps IgG sont produits et circulent à travers l'organisme, ils se lient aux antigènes qui sont encore disponibles dans le sang et les tissus et forment des complexes immuns. Les lymphocytes B spécifiques de l'antigène peuvent se lier à l'antigène appartenant au complexe immun par leurs récepteurs Ig. Parallèlement, la partie Fc de l'anticorps IgG peut être reconnue par un récepteur
138
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
L'anticorps sécrété forme un complexe avec l'antigène
Points clés ■
Le complexe antigène-anticorps se lie à l'lg du lymphocyte B et au récepteur de Fc
■
■
Récepteur de Fc Ig
Inhibition de la réponse des lymphocytes B
Igα Igβ
ITIM ITAM ■
Bloque la signalisation du récepteur du lymphocyte B
Fig. 7.17. Mécanismes de rétroaction des anticorps. Les anticorps IgG (Ig, immunoglobulines) sécrétés forment des complexes immuns (complexes antigène-anticorps) avec l'antigène résiduel (montré ici sous forme d'un virus, mais en général il s'agit d'un antigène soluble). Les complexes interagissent avec les lymphocytes B spécifiques de l'antigène, les Ig membranaires reconnaissant les épitopes de l'antigène et un certain type de récepteur de Fc (FcγRIIB) reconnaissant l'anticorps lié. Les récepteurs de Fc bloquent les signaux d'activation provenant du récepteur d'antigène, et interrompent ainsi l'activation du lymphocyte B. Le domaine cytoplasmique du récepteur FcγRIIB du lymphocyte B contient un motif ITIM qui se lie à des enzymes inhibitrices de l'activation du lymphocyte B par le récepteur d'antigène. ITAM : immunoreceptor tyrosine-based activation motif, motif d'activation à tyrosines des immunorécepteurs ; ITIM : immunoreceptor tyrosine-based inhibition motif, motif d'inhibition à tyrosines des immunorécepteurs.
particulier de Fc exprimé sur les lymphocytes B (ainsi que sur plusieurs cellules myéloïdes), appelé FcγRIIB (fig. 7.17). Ce récepteur de Fc délivre des signaux négatifs qui suppriment les signaux induits par les récepteurs d'antigène, interrompant ainsi les réponses des lymphocytes B. Ce processus, au cours duquel l'anticorps lié à l'antigène inhibe une production supplémentaire d'anticorps, est appelé rétroaction des anticorps. Il sert à mettre fin aux réponses immunitaires humorales lorsque des quantités suffisantes d'anticorps IgG ont été produites. L'inhibition par le FcγRIIB intervient également pour limiter des réponses à anticorps contre des antigènes du soi, et des polymorphismes dans le gène codant ce récepteur sont associés à une maladie auto-immune, le lupus érythémateux systémique (voir chapitre 9).
■
■
■
■
L'immunité humorale est assurée par les anticorps, qui neutralisent et contribuent à éliminer les microbes extracellulaires et leurs toxines, qui sont ainsi neutralisés ou préparés en vue de leur destruction par les phagocytes et le système du complément. Les réponses immunitaires humorales à des antigènes non protéiques débutent par la reconnaissance des antigènes par des Ig membranaires servant de récepteurs spécifiques d'antigène pour les lymphocytes B naïfs. La liaison de l'antigène interconnecte les récepteurs d'antigène des lymphocytes B spécifiques, et des signaux biochimiques sont transmis à l'intérieur des lymphocytes B par des protéines de signalisation associées aux Ig. Ces signaux induisent l'expansion clonale des cellules B et la sécrétion d'IgM. Les réponses humorales à un antigène protéique, dites T-dépendantes, sont induites par la liaison de la protéine aux récepteurs Ig spécifiques des cellules B naïves dans les follicules lymphoïdes. Des signaux sont ainsi générés qui préparent la cellule B à son interaction avec les lymphocytes T auxiliaires activés qui expriment le CD40L et sécrètent des cytokines. Les lymphocytes B spécifiques internalisent cet antigène et l'apprêtent, puis présentent les peptides liés aux molécules du CMH de classe II à des lymphocytes T auxiliaires spécifiques du complexe peptide-CMH. Ces lymphocytes T auxiliaires contribuent à l'activation précoce des cellules B dans des sites extrafolliculaires. La réponse humorale précoce dépendante des lymphocytes T se déroule dans les foyers extrafolliculaires et génère de faibles quantités d'anticorps, avec peu de changements d'isotype, qui sont produits par des plasmocytes de courte durée de vie. Les cellules B activées induisent l'activation des cellules T et leur différenciation en cellules Tfh. Les cellules B, avec les cellules Tfh, migrent dans les follicules et forment des centres germinatifs. La réponse humorale entièrement dépendante des lymphocytes T se développe dans les centres germinatifs et conduit à une commutation isotypique étendue et à une maturation d'affinité ; à la génération de plasmocytes à vie longue qui sécrètent des anticorps pendant de nombreuses années ; et au développement de cellules B mémoire de longue durée, qui répondent rapidement à une nouvelle rencontre avec un antigène par prolifération et sécrétion d'anticorps d'affinité élevée. La commutation de classe des chaînes lourdes (ou commutation isotypique) est un processus par lequel l'isotype, mais non la spécificité, des anticorps produits en réponse à un antigène change au fur et à mesure du déroulement de la réponse humorale. La commutation isotypique est stimulée par la combinaison du CD40L et des cytokines, les deux types étant produits par les T auxiliaires. Différentes cytokines induisent une commutation pour différentes classes d'anticorps, permettant ainsi au système immunitaire de répondre de la manière la plus efficace aux divers types de microbes. La maturation d'affinité est le processus par lequel l'affinité des anticorps pour des antigènes protéiques augmente avec la durée ou la répétition de l'exposition aux antigènes. Le processus est induit par des signaux venant des lymphocytes Tfh, aboutissant à la migration des lymphocytes B dans les follicules et à la formation des centres germinatifs. Là, les lymphocytes B prolifèrent rapidement et leurs gènes codant les régions V des Ig subissent de nombreuses mutations somatiques. L'antigène peut être présenté par des FDC dans les centres germinatifs. Les lymphocytes B qui reconnaissent l'antigène avec une affinité élevée sont sélectionnés et survivent ; c'est la maturation d'affinité de la réponse à anticorps.
Chapitre 7. Réponses immunitaires humorales
■
Les polysaccharides, les lipides et les autres antigènes non protéiques sont qualifiés d'antigènes T-indépendants, car ils induisent des réponses à anticorps sans l'aide des lymphocytes T. La plupart des antigènes T-indépendants contiennent de nombreux épitopes identiques qui sont capables d'interconnecter plusieurs Ig membranaires d'un lymphocyte B, déclenchant des signaux qui stimulent les réponses des cellules B même en l'absence d'activation par les T auxiliaires.
■
139
Au cours des réponses à anticorps contre les antigènes T-indépendants, la commutation isotypique et la maturation d'affinité sont plus faibles que pendant les réponses aux antigènes protéiques T-dépendants. Les anticorps sécrétés forment des complexes immuns avec l'antigène résiduel et inhibent l'activation des lymphocytes B en interagissant avec un récepteur de Fc inhibiteur situé sur les lymphocytes B.
This page intentionally left blank
Chapitre
8
Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale Élimination des microbes et des toxines extracellulaires PLAN DU CHAPITRE Propriétés des anticorps déterminant leurs fonctions effectrices . . . . . . . . . . . . . . . . . Neutralisation des microbes et des toxines microbiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Opsonisation et phagocytose . . . . . . . . . . . . . . Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réactions, dépendantes de l'IgE, des mastocytes et des éosinophiles . . . . . . . . . Système du complément . . . . . . . . . . . . . . . . .
141 144 144 146 146 147
L'immunité humorale est le type de défense qui est assurée par des anticorps sécrétés. Elle est nécessaire pour la protection contre des microbes extracellulaires et leurs toxines. Les anticorps préviennent les infections en empêchant que les microbes ne se fixent aux cellules et n'y pénètrent. Les anticorps se lient également aux toxines microbiennes et les empêchent d'endommager les cellules de l'hôte. En outre, les anticorps servent à éliminer les microbes, les toxines et les cellules infectées de l'organisme. Les anticorps constituent le seul mécanisme de l'immunité acquise capable de lutter contre les microbes extracellulaires, mais ils ne peuvent pas atteindre les microbes qui vivent à l'intérieur des cellules ; l'immunité humorale est cependant essentielle pour les défenses contre les microbes qui vivent et se divisent à l'intérieur des cellules, comme les virus, puisque les anticorps peuvent prévenir l'infection en se liant à ces microbes avant qu'ils ne pénètrent dans les cellules. Les défauts de production d'anticorps sont associés à une augmentation de la sensibilité aux infections par diverses bactéries, virus et parasites. Tous les vaccins utilisés actuellement agissent en stimulant la production d'anticorps. Ce chapitre décrit comment les anticorps fonctionnent dans les défenses contre les infections. Les questions suivantes sont abordées. Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Voies d'activation du complément . . . . . . . . . Fonctions du système du complément . . . . Régulation de l'activation du complément . . . Fonctions des anticorps dans des sites anatomiques particuliers . . . . . . . . . . . . . . . . . Immunité associée aux muqueuses . . . . . . . Immunité néonatale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Comment des microbes échappent à l'immunité humorale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vaccination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
147 149 151 153 153 154 155 155
■ Quels sont les mécanismes utilisés par les anticorps sécrétés pour combattre les différents types d'agents infectieux et leurs toxines ? ■ Quel est le rôle du système du complément dans les défenses contre les microbes ? ■ Comment les anticorps combattent-ils les microbes qui pénètrent par les tractus gastro-intestinal et respiratoire ? ■ Comment les anticorps protègent-ils le fœtus et le nouveau-né contre les infections ? Avant de décrire les mécanismes par lesquels les anticorps exercent leurs fonctions dans les défenses, nous allons rappeler brièvement les propriétés des molécules d'anticorps qui leur permettent d'exercer ces fonctions.
Propriétés des anticorps déterminant leurs fonctions effectrices Plusieurs caractéristiques de la production et de la structure des anticorps contribuent de manière importante aux fonctions de ces molécules dans la défense immunitaire. Les anticorps agissent dans la circulation, dans les tissus, dans tout l'organisme et dans la lumière des 141
142
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
muqueuses. Les anticorps sont produits après stimulation des lymphocytes B par des antigènes dans les organes lymphoïdes périphériques (secondaires), les ganglions lymphatiques, la rate et les tissus lymphoïdes associés aux muqueuses ainsi que dans les foyers inflammatoires. Parmi les lymphocytes B stimulés par les antigènes, beaucoup se différencient en cellules sécrétrices d'anticorps (plasmocytes), dont certaines restent dans les organes lymphoïdes ou les foyers inflammatoires, alors que d'autres migrent et résident dans la moelle osseuse. Différents plasmocytes synthétisent et sécrètent des anticorps de différentes classes de chaînes lourdes (isotypes). Ces anticorps gagnent la circulation sanguine, d'où ils peuvent atteindre n'importe quel site périphérique d'infection, ou entrer dans les sécrétions des muqueuses, où ils peuvent prévenir les infections par des microbes tentant de pénétrer à travers les épithéliums. Les anticorps protecteurs sont produits au cours de la première réponse (primaire) contre un microbe et en quantité plus importante lors des réponses ultérieures (secondaires) (voir Fig. 7.3). La production d'anticorps commence au cours de la première semaine qui suit l'infection ou la vaccination. Les plasmocytes qui migrent dans la moelle osseuse continuent à produire des anticorps pendant plusieurs mois voire plusieurs années. Si le microbe tente à nouveau d'infecter l'hôte, les anticorps sécrétés en permanence apportent une protection immédiate. Au même moment, des lymphocytes mémoire qui se sont développés durant la réponse initiale des cellules B, se différencient rapidement en cellules productrices d'anticorps lorsqu'ils rencontrent l'antigène, libérant une quantité importante d'anticorps afin de renforcer la défense contre l'infection. L'un des objectifs de la vaccination est de stimuler le développement de plasmocytes à longue durée de vie et de lymphocytes mémoire. Les anticorps utilisent leurs régions de liaison à l'antigène (Fab) pour se lier aux microbes et aux toxines et ainsi bloquer leurs effets nocifs. Ils utilisent leurs régions Fc pour activer différents mécanismes effecteurs destinés à éliminer ces microbes et ces toxines (Fig. 8.1). Cette ségrégation spatiale entre la reconnaissance de l'antigène et les fonctions effectrices des molécules d'anticorps a été décrite au chapitre 4. Les anticorps bloquent, de manière stérique, le pouvoir infectieux des microbes et les effets délétères des toxines microbiennes tout simplement en se liant aux microbes et aux toxines ; ils utilisent pour cela leurs régions Fab. Les autres fonctions des anticorps nécessitent la participation de différents composants des défenses, notamment les phagocytes et le système du complément. La portion Fc des molécules d'immunoglobulines (Ig), constituée des régions constantes des chaînes lourdes, contient les sites de liaison aux récepteurs de Fc des phagocytes et aux protéines du complément. Les anticorps ne se lient aux récepteurs de Fc et aux protéines du complément que si plusieurs molécules d'Ig ont reconnu un microbe ou un antigène microbien et s'y sont fixées. Par conséquent, les fonctions des anticorps qui dépendent de la région Fc nécessitent également la reconnaissance de l'antigène par les régions Fab. Cette caractéristique des anticorps garantit qu'ils n'activent
les mécanismes effecteurs que lorsque cela est nécessaire, c'est-à-dire lorsqu'ils ont reconnu leurs cibles antigéniques. La commutation d'isotype (classe) des chaînes lourdes et la maturation d'affinité amplifient les fonctions protectrices des anticorps. La commutation isotypique et la maturation d'affinité sont deux changements qui touchent les anticorps produits par des lymphocytes B stimulés par un antigène, en particulier lors de réponses à des antigènes protéiques (voir chapitre 7). La commutation isotypique de chaîne lourde se traduit par la production d'anticorps avec des régions Fc distinctes, capables de différentes fonctions effectrices (Fig. 8.1). Ainsi, en optant pour différents isotypes d'anticorps en réponse à divers microbes, le système immunitaire humoral est capable de déclencher divers mécanismes les plus efficaces dans la lutte contre ces microbes. Le processus de maturation d'affinité se déroule sous l'effet d'une stimulation prolongée ou répétée par des antigènes protéiques, et il conduit à la production d'anticorps ayant des affinités pour l'antigène de plus en plus élevées en comparaison aux anticorps sécrétés initialement. Ce changement augmente la capacité des anticorps à se lier et à neutraliser ou éliminer les microbes. L'augmentation progressive de l'affinité des anticorps est une des raisons pour lesquelles il est recommandé d'administrer les vaccins en plusieurs fois ; on amplifie ainsi le pouvoir protecteur de l'immunité. La commutation vers l'isotype IgG allonge la durée de présence des anticorps dans le sang et augmente ainsi leur activité fonctionnelle. La plupart des protéines qui circulent ont des demi-vies de quelques heures à quelques jours dans le sang, mais l'IgG a une demi-vie exceptionnellement longue en raison d'un mécanisme spécial impliquant un récepteur de Fc particulier. Le récepteur néonatal de Fc(FcRn) est exprimé par le placenta, les endothéliums, les phagocytes et quelques autres types cellulaires. Dans le placenta, le FcRn transporte les anticorps de la circulation maternelle au fœtus (voir plus loin). Dans d'autres types de cellules, le FcRn protège les anticorps IgG contre le catabolisme intracellulaire (Fig. 8.2). Les FcRn se trouvent dans les endosomes des cellules endothéliales et des phagocytes, où ils se lient à des IgG qui ont été captées par les cellules. Une fois liées aux FcRn, les IgG repassent dans la circulation ou les fluides tissulaires, évitant ainsi la dégradation lysosomiale. Ce mécanisme de protection d'une protéine sanguine est la raison pour laquelle les anticorps IgG ont une demivie d'environ 3 semaines, beaucoup plus longue que celle d'autres isotypes d'Ig et d'autres protéines plasmatiques. On a exploité cette propriété des régions Fc des IgG afin d'allonger la demi-vie d'autres protéines en couplant celles-ci à la région Fc d'une IgG (Fig. 8.3). Parmi divers agents thérapeutiques basés sur ce principe, on trouve un antagoniste du facteur de nécrose tumorale (TNF) utilisé pour traiter diverses maladies inflammatoires ; dans ce cas, le récepteur du TNF a été fusionné à un fragment Fc. En couplant le domaine extracellulaire du récepteur du TNF à la portion Fc d'une molécule d'IgG humaine au moyen de l'ingénierie génétique, on allonge la demi-vie de la protéine hybride par rapport à celle du récepteur soluble seul.
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale
A
143
Neutralisation des microbes et des toxines
Lymphocyte B
Phagocyte
Anticorps
Opsonisation et phagocytose des microbes
Récepteur de Fc Microbe
Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps
Cellule NK Lyse des microbes
Activation du complément
C3b receptor
Phagocytose des microbes opsonisés par des fragments du complément (p. ex. C3b)
Inflammation
B
Isotype de Fonctions effectrices l'anticorps
IgG
Neutralisation des microbes et des toxines Opsonisation des antigènes pour la phagocytose par les macrophages et les neutrophiles Activation de la voie classique du complément Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps assurée par les cellules NK Immunité néonatale : transfert d'anticorps maternels à travers le placenta et l'intestin Inhibition rétroactive de l'activation des lymphocytes B
IgM
Activation de la voie classique du complément
IgA
Immunité des muqueuses : sécrétion d'IgA dans les lumières des tractus gastro-intestinal et respiratoire, neutralisation des microbes et des toxines
IgE
Défense contre les helminthes assurée par des éosinophiles et des mastocytes.
Fig. 8.1. Fonctions effectrices des anticorps. Les anticorps sont produits suite à l'activation des lymphocytes B par les antigènes et d'autres signaux (non représentés). Les anticorps de différentes classes de chaînes lourdes (isotypes) assurent différentes fonctions effectrices, qui sont illustrées schématiquement dans la partie (A) de la figure et résumées dans la partie (B). Certaines des propriétés des anticorps sont présentées à la figure 4.3. Ig : immunoglobuline ; NK : natural killer.
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
144
IgG libérée du FcRn au pH extracellulaire
Protéine plasmatique
Vésicule d'endocytose
IgG L'IgG se lie au FcRn dans l'endosome FcRn
Recyclage de l'endosome
Neutralisation des microbes et des toxines microbiennes Complexes IgG-FcRn repris dans un endosome en voie Lysosome de recyclage
Autres protéines dégradées dans des lysosomes
Endosome pH < 7
Fig. 8.2. Le FcRn contribue à la longue demi-vie de molécules d'IgG. Les anticorps IgG circulants ou extravasculaires (surtout les sous-classes IgG1, IgG2 et IgG4) sont endocytés par les cellules endothéliales et des phagocytes et se lient au FcRn, un récepteur présent dans le milieu acide des endosomes. Dans les cellules, le FcRn séquestre les molécules d'IgG dans les vésicules des endosomes (pH ~ 4). Les complexes FcRn-IgG sont recyclés vers la surface cellulaire, où ils sont exposés au pH neutre (pH ~ 7) du sang, ce qui permet la libération des anticorps dans la circulation ou le fluide tissulaire. Ig : immunoglobuline.
TNF
Récepteur du TNF (TNFR) Fc IgG anti-TNF
est consacrée aux mécanismes effecteurs qui ne sont pas influencés par des paramètres anatomiques, c'est-à-dire qui peuvent être actifs n'importe où dans l'organisme. Les caractéristiques spécifiques des fonctions des anticorps dans des sites anatomiques particuliers sont décrites à la fin du chapitre.
Protéine de fusion TNFR-Fc d'IgG
Fig. 8.3. Anticorps et protéines de fusion contenant un fragment Fc. Un anticorps spécifique de la cytokine, TNF (tumor necrosis factor) (à gauche) peut lier la cytokine et bloquer son activité, tout en restant dans la circulation durant des semaines en raison du recyclage par le FcRn (neonatal Fc receptor). Le domaine soluble extracellulaire du récepteur (à droite) du TNF est également un antagoniste de la cytokine, et le couplage du récepteur soluble à un fragment Fc d'IgG, par une technique d'ingénierie génétique, prolonge la demi-vie dans le sang par le même mécanisme dépendant du FcRn. Ig : immunoglobuline. [NdT : Dans le cas de cet antagoniste du TNF, la demi-vie de la protéine de fusion n'est que de 3–5 jours. En effet, son affinité pour le FcRn est relativement faible, probablement en raison d'un changement de conformation de la région Fc lors de son couplage au récepteur.]
Après cette introduction, le chapitre se poursuit par la description des mécanismes utilisés par les anticorps pour combattre les infections. Une grande partie de ce chapitre
Les anticorps, en se liant aux microbes, bloquent ou neutralisent leur pouvoir infectieux ainsi que les interactions de leurs toxines avec les cellules de l'hôte (Fig. 8.4). Les anticorps présents dans les sécrétions muqueuses de l'intestin et des voies respiratoires bloquent l'entrée des microbes ingérés et inhalés (voir plus loin dans ce chapitre). Une fois que les microbes pénètrent dans l'hôte, ils utilisent les molécules de leur enveloppe ou de leur paroi cellulaire pour se lier aux cellules et pénétrer à l'intérieur de celles-ci. Les anticorps peuvent se fixer aux molécules de la surface microbienne et empêcher les microbes d'infecter les cellules. Les vaccins actuellement les plus efficaces agissent en stimulant la production d'anticorps neutralisants, qui bloquent l'infection initiale. Des microbes qui sont capables d'entrer dans les cellules peuvent se répliquer dans celles-ci, puis être libérés, pouvant alors infecter d'autres cellules voisines. Les anticorps décèlent les microbes au cours de leur passage d'une cellule à une autre et limitent ainsi leur propagation. Si un germe infectieux parvient à s'implanter, il peut exercer ses effets nocifs par ses endotoxines ou exotoxines, qui se lient à des récepteurs spécifiques sur les cellules de l'hôte. Les anticorps dirigés contre les toxines empêchent la liaison des toxines aux cellules et bloquent ainsi leurs effets délétères. La démonstration par Emil von Behring et Shibasaburo Kitasato de ce type de protection par l'administration d'anticorps contre la toxine diphtérique a été la première démonstration de l'immunité thérapeutique contre un microbe ou sa toxine (sérothérapie), ce qui a valu à Behring le premier prix Nobel de physiologie et médecine en 1901.
Opsonisation et phagocytose Les anticorps recouvrent les microbes et favorisent leur ingestion par les phagocytes (Fig. 8.5). Le processus consistant à recouvrir des particules afin de favoriser une phagocytose ultérieure s'appelle opsonisation, et les molécules qui recouvrent les microbes et favorisent leur phagocytose portent le nom d'opsonines. Lorsque plusieurs molécules d'IgG se lient à un microbe, une rangée de leurs régions Fc, se projetant à distance de la surface microbienne, se forme à la surface du microbe. Si les anticorps appartiennent à certains isotypes (IgG1 et IgG3 chez l'homme), leurs régions Fc se lient à un récepteur de haute affinité pour les régions Fc des chaînes γ, dénommé FcγRI (CD64), qui est exprimé à la surface des neutrophiles et des macrophages (Fig. 8.6). Le phagocyte déploie sa membrane plasmique autour du microbe opsonisé et l'ingère dans une vacuole portant le nom de phagosome, qui fusionne avec les lysosomes. La liaison de l'extrémité de la région Fc des
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale
Sans anticorps
145
Avec anticorps
A Le microbe traverse la barrière épithéliale Microbe
Des anticorps bloquent le passage du microbe à travers la barrière épithéliale
Cellules de la barrière épithéliale
B Infection d'une cellule par un microbe Récepteur pour le microbe
Cellule tissulaire
Des anticorps bloquent la liaison du microbe et l'infection des cellules
Cellule tissulaire infectée
C Effet pathologique d'une toxine Toxine
Des anticorps bloquent la liaison d'une toxine au récepteur cellulaire
Récepteur de surface d'une toxine
Effet pathologique d'une toxine (par ex. nécrose cellulaire) Fig. 8.4. Neutralisation des microbes et des toxines par des anticorps. A. Les anticorps présents sur les surfaces épithéliales, comme dans les tractus digestif et respiratoire, bloquent l'entrée des microbes ingérés ou inhalés. B. Les anticorps empêchent la liaison des microbes aux cellules, qui sont ainsi protégées de l'infection. C. Les anticorps bloquent la liaison des toxines aux cellules, inhibant ainsi les effets pathogènes des toxines.
Liaison des microbes opsonisés aux récepteurs de Fc du phagocyte (Fcγ RI)
Opsonisation du microbe par les IgG
Les signaux du récepteur de Fc activent le phagocyte
Phagocytose du microbe
Destruction du microbe ingéré
Anticorps IgG
Fcγ RI
Signaux
Phagocyte Fig. 8.5. Opsonisation et phagocytose des microbes dépendant des anticorps. Les anticorps de certaines sous-classes d'IgG (IgG1 et IgG3) se lient aux microbes et sont ensuite reconnus par les récepteurs de Fc sur les phagocytes. Les signaux provenant des récepteurs de Fc déclenchent la phagocytose des microbes opsonisés et activent les phagocytes afin qu'ils détruisent les microbes. Ig : immunoglobuline.
anticorps aux récepteurs FcγRI active également les phagocytes, car le récepteur FcγRI contient une chaîne de signalisation qui déclenche de nombreuses voies biochimiques dans les phagocytes. Des dérivés réactifs de l'oxygène, du
monoxyde d'azote et d'enzymes protéolytiques sont produits en abondance dans les lysosomes des neutrophiles et des macrophages activés, cet arsenal contribuant à la destruction du microbe ingéré.
146
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Récepteur de Fc
Affinité pour les Ig
Distribution cellulaire
Fonction
FcγRI (CD64)
Élevée ; lie l'IgG1 et l'IgG3
Macrophages, neutrophiles
Phagocytose ; activation des phagocytes
FcγRIIB (CD32)
Faible
Lymphocytes B, CD, mastocytes, neutrophiles, macrophages
Inhibition par rétroaction des cellules B, atténuation de l'inflammation
FcγRIIIA (CD16)
Faible
Cellules NK
Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC)
FcεRI
Élevée ; lie l'IgE
Mastocytes, basophiles, Activation (dégranulation) des mastocytes et des basophiles éosinophiles
Fig. 8.6. Récepteurs de Fc. Distribution cellulaire et fonctions des différents types de récepteurs de Fc humains. Ig : immunoglobuline ; NK : natural killer.
La phagocytose assurée par les anticorps est le principal mécanisme de défense contre les bactéries encapsulées, telles que les pneumocoques. Les capsules riches en polysaccharides de ces bactéries les protègent de la phagocytose en l'absence d'anticorps, mais l'opsonisation par les anticorps favorise la phagocytose et la destruction de ces bactéries. La rate contient un grand nombre de phagocytes et constitue un site important d'élimination par phagocytose des bactéries opsonisées. C'est la raison pour laquelle les patients ayant subi une splénectomie sont sensibles à des infections généralisées par des bactéries encapsulées. L'un des récepteurs Fc, FcγRIIB, n'intervient pas dans les fonctions effectrices des anticorps, mais arrête au contraire la production d'anticorps et atténue l'inflammation. Le rôle inhibiteur du FcγRIIB ou rétro-inhibition de l'activation des lymphocytes B a été discuté au chapitre 7 (voir fig. 7.16). Le FcγRIIB inhibe également l'activation des macrophages et des cellules dendritiques et peut ainsi exercer une fonction anti-inflammatoire. Des préparations d'IgG, obtenues de donneurs en bonne santé, sont administrées par voie intraveineuse à des patients atteints de diverses maladies inflammatoires. Les effets bénéfiques des immunoglobulines intraveineuses (IgIV) dans ces maladies peuvent être en partie liés à leur liaison au FcγRIIB de diverses cellules.
Cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps Les cellules natural killer (NK) se lient à des cellules recouvertes d'anticorps et les tuent (Fig. 8.7). Les cellules NK expriment un récepteur de Fc, dénommé FcγRIII (CD16), qui fait partie des divers types de récepteurs activateurs des cellules NK (voir chapitre 2). Le FcγRIII se lie aux rangées d'anticorps IgG couvrant une cellule. À la suite des signaux émis par le récepteur FcγRIII, les cellules NK sont activées et déchargent les protéines de leurs granules, qui tuent la cellule couverte d'anticorps par les mêmes mécanismes que ceux utilisés par les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques pour tuer les cellules infectées (voir chapitre 6). Ce
Antigène de surface
Cellule recouverte d'anticorps
IgG
FcγRIII de faible affinité (CD16)
Cellule NK
Destruction de la cellule recouverte d'anticorps
Fig. 8.7. Cytotoxicité cellulaire dépendant des anticorps (ADCC). Les anticorps de certaines sous-classes d'IgG (IgG1 et IgG3) se lient aux antigènes à la surface de cellules infectées et les régions Fc des anticorps liés sont reconnues par un récepteur de Fcγ situé sur les cellules NK. Les cellules NK sont activées et tuent les cellules recouvertes d'anticorps. Ig : immunoglobuline.
processus est appelé cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC, antibody-dependent cellular cytotoxicity). Les cellules infectées par des virus enveloppés expriment généralement des glycoprotéines virales à leur surface ; celles-ci peuvent être reconnues par des anticorps spécifiques et permettre ainsi la destruction des cellules infectées par ADCC. Ce processus est aussi un des mécanismes par lesquels des anticorps thérapeutiques utilisés pour traiter un cancer éliminent les cellules tumorales.
Réactions, dépendantes de l'IgE, des mastocytes et des éosinophiles Les anticorps IgE activent les mastocytes et les éosinophiles qui jouent un rôle important dans les défenses contre les infections à helminthes et qui sont impliqués dans les maladies allergiques. La plupart des helminthes ont une taille trop importante pour être phagocytés et leurs téguments épais les rendent résistants à la plupart des substances microbicides produites par les neutrophiles et les macrophages. La réponse immunitaire humorale aux helminthes est dominée par les anticorps IgE, qui couvrent les vers et favorisent ainsi l'interaction des éosinophiles por-
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale IL-5
FcεRI
IgE
Helminthe Activation des éosinophiles
Cellule Th2 Éosinophile Contenu des granules des éosinophiles
Mort de l'helminthe
Fig. 8.8. Comment des IgE et des éosinophiles contribuent à la destruction des helminthes. Des anticorps IgE se lient aux helminthes, recrutent et activent les éosinophiles par le FcεRI, ce qui entraîne la dégranulation des cellules et la libération de médiateurs toxiques. L'interleukine-5 (IL-5) sécrétée par les cellules Th2 amplifie la capacité des éosinophiles de tuer les parasites. Ig : immunoglobuline.
teurs de récepteurs de Fc de haute affinité pour l'IgE, FcεRI, exprimés également par les mastocytes. La combinaison de l'engagement du FcεRI et de la production de cytokine IL-5 par les cellules Th2 qui réagissent avec les helminthes, active les éosinophiles, qui libèrent alors le contenu de leurs granules, constitué notamment de protéines toxiques pour les helminthes (Fig. 8.8). Les anticorps IgE peuvent également se lier aux mastocytes et les activer ; ces cellules sécrètent alors des cytokines, entre autres des chimiokines qui attirent plus de leucocytes, contribuant à la destruction du parasite. Cette réaction assurée par les IgE et les éosinophiles illustre comment la commutation isotypique des Ig optimise les défenses de l'hôte : les lymphocytes B répondent aux helminthes par une commutation vers les IgE, qui sont efficaces contre les helminthes, tandis que les lymphocytes B répondent à la plupart des bactéries et des virus par une commutation vers les anticorps IgG, qui favorisent la phagocytose par l'intermédiaire du récepteur FcγRI. Comme il en était question dans les chapitres 6 et 7, ces modes de commutation isotypique sont déterminés par le type de cytokines produites par les lymphocytes T auxiliaires réagissant aux différentes populations microbiennes. Les anticorps IgE sont aussi impliqués dans les maladies allergiques (voir chapitre 11).
Système du complément Le système du complément est une collection de protéines circulantes et membranaires qui jouent un rôle important dans la défense de l'hôte contre les microbes et dans les lésions tissulaires dues aux anticorps. Le terme « complément » se réfère à la capacité de ces protéines d'aider, ou compléter, l'activité des anticorps dans la lyse des cellules et des microbes. Le système du complément peut être activé par des microbes en l'absence d'anticorps, dans le cadre de la réaction immunitaire innée à l'infection, et par des anticorps attachés aux microbes, dans le cadre de l'immunité adaptative (voir Fig. 2.12). L'activation du système du complément comprend le clivage protéolytique séquentiel de ces protéines et conduit à la production de molécules effectrices qui participent à l'élimination des microbes de différentes manières. Cette cascade d'activation des protéines du complément, comme toutes les
147
cascades enzymatiques, est capable d'amplification considérable, raison pour laquelle un nombre initialement restreint de molécules du complément activé produites tôt dans la cascade peut générer un grand nombre de molécules effectrices. Des protéines activées du complément s'attachent de manière covalente à la surface des cellules où l'activation a eu lieu, en sorte que les fonctions effectrices du complément soient limitées aux sites appropriés. Les cellules normales disposent de plusieurs mécanismes de régulation qui inhibent l'activation du complément et le dépôt de protéines activées du complément, prévenant ainsi les dommages que pourrait causer le complément aux cellules saines.
Voies d'activation du complément Il existe trois voies principales d'activation du complément : deux déclenchées par les microbes en absence d'anticorps (appelées voie alternative et voie des lectines), la troisième déclenchée par certains isotypes d'anticorps attachés à des antigènes (on l'appelle voie classique) (Fig. 8.9). Plusieurs protéines, dans chaque voie, interagissent en suivant une séquence précise. La protéine du complément la plus abondante dans le plasma, nommée C3, joue un rôle central dans les trois voies. Les premières étapes des trois voies servent à générer un grand nombre de fragments fonctionnellement actifs de C3 activées liés au microbe, ou une cellule, là où la voie du complément est déclenchée. (Par convention, le plus petit fragment protéolytique d'une protéine de complément reçoit le suffixe « a », et le plus gros fragment est le fragment « b » ; C2 est une exception). ■ La voie alternative est déclenchée par hydrolyse spontanée et lente de C3 dans le plasma lorsqu'un produit de dégradation de l'hydrolyse de C3, nommé C3b, est déposé à la surface d'un microbe. Là, C3b forme des liaisons covalentes stables avec les protéines ou les polysaccharides microbiens. Le C3b lié aux microbes lie une autre protéine, appelée facteur B, qui est alors clivée par une protéase plasmatique, appelée facteur D, ce qui génère le fragment Bb. Ce fragment reste fixé à C3b, et le complexe C3bBb agit comme une enzyme protéolytique, appelée « C3 convertase de la voie alternative », qui dégrade plus de C3. La C3 convertase est stabilisée par la properdine, un régulateur positif du système du complément. L'activité de cette convertase a comme effet que davantage de molécules C3b et C3bBb sont produites et s'attachent aux microbes. Certaines des molécules C3bBb se lient à des molécules C3b supplémentaires et le complexe C3bBb3b agit alors comme une C5 convertase, qui clive la protéine du complément C5 et déclenche ainsi les étapes ultimes de l'activation du complément. ■ La voie classique est déclenchée lorsque des IgM ou certaines sous-classes d'IgG (IgG1 et IgG3 chez l'homme) se lient à des antigènes (par exemple à la surface cellulaire des microbes). Il en résulte que les régions Fc adjacentes des anticorps deviennent accessibles au complexe protéique C1 du complément, qui s'y lie (C1 est composé de C1q, la protéine de liaison, et de deux protéases appelées C1r et C1s). La protéine C1 fixée devient une enzyme active, entraînant ainsi la liaison et le clivage séquentiel de deux protéines, C4 et C2. Un des fragments qui est
148
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A
Voie alternative
Voie classique
Voie des lectines
Microbe
Mannose Liaison des protéines du complément à la surface cellulaire du microbe ou à l'anticorps
C1
C4
C4b
Formation de la C3 convertase
C2
C4
C2
2a
C4b
2a
C4b 2a
C3b Bb
C3 convertase
C4b 2a
C4b 2a
C3
C3
C3b
C4b 2a
C3
C3b
C3b
C3a
C3a
C3a
Liaison covalente de C3b à la surface du microbe ; formation de la C5 convertase
C3 convertase
C3 convertase
C3bBb
Clivage de C3
Lectine liant le mannose
Anticorps IgG
C3b
C3
C3b Bb C3b
C4b 2a C3b
C4b 2a C3b
C5
C5
C5
C5 convertase
C5 convertase
C5b
C5a
C5 convertase
C5b
C5a
C5b
C5a
Étapes finales de l'activation du complément Fig. 8.9. Étapes initiales de l'activation du complément. A. Étapes de l'activation des voies alternative, classique et des lectines. Bien que la séquence des événements soit similaire dans les trois voies, celles-ci diffèrent quant à l'intervention des anticorps et d'autres protéines. Notez que C5 est clivé par la C5 convertase, mais n'est pas un composant de l'enzyme.
généré, C4b, se fixe de manière covalente à l'anticorps et à la surface microbienne où l'anticorps s'est fixé ; il s'associe alors à C2, qui est clivé par C1 pour donner le complexe C4b2a. Ce complexe assure les fonctions de « C3 convertase de la voie classique ». Il dégrade C3, et le C3b à nouveau généré se fixe au microbe. Une proportion de C3b se lie au complexe C4b2a et le complexe C4b2a3b qui en résulte agit comme une C5 convertase, qui clive la protéine C5 du complément.
■ La voie des lectines est déclenchée en absence d'anticorps par la fixation de la lectine liant le mannose (MBL) aux microbes. Des sérine protéases apparentées structurellement à C1s de la voie classique sont associées à une MBL et servent à l'activation de C4. Les étapes suivantes sont pratiquement identiques à celles de la voie classique. Le résultat de ces étapes initiales de l'activation du complément est la fixation covalente de C3b en forte densité sur les microbes. Notez que la voie alternative et celle
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale
B
149
Protéines de la voie alternative Protéine
Concentration sérique (µg/ml)
Fonction
C3
640–1660
C3b se lie à la surface d'un microbe où il agit comme une opsonine ou comme un composant des C3 et C5 convertases C3a stimule l'inflammation
C
Facteur B
200
Bb est une sérine protéase et l'enzyme active dans les C3 et C5 convertases
Facteur D
1–2
Sérine protéase plasmatique qui clive le facteur B lorsqu'il est lié à C3b
Protéines des voies classique et des lectines Protéine
Concentration sérique (µg/ml)
Déclenche la voie classique ; C1q se lie à la région Fc de l'anticorps ; C1r et C1s sont des protéases responsables de l'activation de C4 et C2
C1 (C1qr2s2)
C4
Fonction
150–450
C4b se lie de manière covalente à la surface du microbe ou de la cellule sur laquelle l'anticorps est lié et où le complément est activé C4b se lie à C2 afin que celui-ci soit clivé par C1s C4a stimule I'inflammation
C2
20
Lectine
0.8–1
liant le mannose (MBL)
C2a est une sérine protéase fonctionnant comme une enzyme active dans les C3 et C5 convertases Déclenche la voie des lectines ; la MBL se lie aux résidus mannose terminaux des glucides microbiens. Une protéase associée à la MBL active C4 et C2, comme dans la voie classique
Fig. 8.9. Suite. B. Principales propriétés des protéines participant aux étapes initiales d'activation de la voie alternative du complément. C. Principales propriétés des protéines participant aux étapes initiales de la voie classique et de la voie des lectines. Il est à noter que C3, qui figure sur la liste des protéines de la voie alternative (B), est également le principal composant des voies classique et des lectines.
des lectines sont des mécanismes effecteurs de l'immunité innée et que la voie classique est un mécanisme de l'immunité humorale adaptative. Ces voies diffèrent par la manière dont elles sont déclenchées mais, lorsqu'elles le sont, les étapes finales sont les mêmes. L'activation terminale du complément fait suite à la lyse de C5 par la C5 convertase, ce qui fournit le fragment C5b (Fig. 8.10), auquel les autres composants, C6, C7, C8 et C9, se lient de manière séquentielle. La dernière protéine de la voie, C9, polymérise pour former un pore dans la membrane cellulaire au travers duquel l'eau et différents ions peuvent pénétrer, provoquant la mort du microbe. Le complexe C5-C9 est appelé complexe d'attaque membranaire
(MAC, membrane attack complex) et sa formation constitue l'étape finale de l'activation du complément.
Fonctions du système du complément Le système du complément joue un rôle important dans l'élimination des microbes au cours des réponses immunitaires innées et adaptatives. Les principales fonctions effectrices du système du complément sont illustrées dans la figure 8.11. ■ Opsonisation. Les microbes recouverts de C3b sont phagocytés grâce à la propriété de C3b d'être reconnu par le récepteur du complément de type 1 (CR1, ou CD35) exprimé sur les phagocytes. Par conséquent, C3b agit
150
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique A
Inflammation
C5 convertase
C6
C5a
C5
C5b
C9 C8
C7
Poly-C9
C5b
C5b
C5b
C6 C7
C6 C7 C8
C6 C7 C8
Lyse cellulaire
C3b Bb C3b
Membrane plasmique
B
Complexe d'attaque membranaire (MAC) Protéine C5
Concentration Fonction sérique(µg/ml) 80
C5b induit l'assemblage du complexe d'attaque membranaire (MAC) C5a stimule I'inflammation Composant du MAC : se lie à C5b et accepte C7
C6
45
C7
90
Composant du MAC : se lie à C5b, C6 et s'insère dans les membranes lipidiques
C8
60
Composant du MAC : se lie à C5b, C6, C7 et induit la liaison et la polymérisation de C9
C9
60
Composant du MAC : se lie à C5b, C6, C7, C8 et polymérise pour former des pores membranaires
Fig. 8.10. Étapes finales de l'activation du complément. A. Les étapes finales de l'activation du complément, qui commencent après la formation de la C5 convertase, sont identiques dans les voies alternative et classique. Les produits générés au cours des étapes finales induisent l'inflammation (C5a) et la lyse cellulaire (complexe d'attaque membranaire, MAC). B. Propriétés des protéines participant aux étapes finales de l'activation du complément.
comme une opsonine. L'opsonisation est probablement la fonction la plus importante du complément dans la défense contre les microbes. ■ Lyse cellulaire. Le complexe d'attaque membranaire peut induire une lyse osmotique des cellules, notamment des microbes. Cependant, cette activité lytique n'est efficace que sur les microbes qui ont des parois fines et peu ou pas de glycocalyx, comme les bactéries du genre Neisseria. ■ Inflammation. Les petits fragments peptidiques des protéines C3a et C5a, produits par protéolyse de C3 et C5, sont chimiotactiques pour les neutrophiles, stimulent la libération de médiateurs inflammatoires par différents leucocytes et stimulent le mouvement des leucocytes et des protéines plasmatiques à travers les endothéliums dans les tissus. De cette manière, les fragments du complément induisent des réactions inflammatoires qui contribuent à l'élimination des microbes. Outre ses fonctions effectrices antimicrobiennes, le système du complément stimule les réponses des cel-
lules B et la production d'anticorps. Lorsqu'un microbe active C3 par la voie alternative, le produit de dégradation, C3d, est reconnu par le récepteur CR2 (complement receptor type 2) des lymphocytes B. Les signaux transmis par ce récepteur stimulent les réponses des lymphocytes B contre le microbe. Ce processus est décrit dans le chapitre 7 (voir fig. 7.5A) et constitue un exemple de réponse immunitaire innée dirigée contre un microbe (activation du complément) amplifiant une réponse immunitaire adaptative contre le même microbe (activation des lymphocytes B et production d'anticorps). Les protéines du complément liées aux complexes antigène-anticorps sont reconnues par les cellules dendritiques folliculaires des centres germinatifs, ce qui permet une présentation plus efficace des antigènes aux lymphocytes B et la sélection des lymphocytes B de haute affinité. Cette présentation des antigènes dépendante du complément est une autre voie par laquelle le système du complément favorise la production d'anticorps.
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale
151
A Opsonisation et phagocytose C3b CR1
Microbe
Microbe Reconnaissance de C3b lié par le récepteur de C3b du phagocyte
Liaison de C3b au microbe (opsonisation)
Phagocytose et destruction du microbe
B Cytolyse assurée par le complément MAC
C5
Microbe
C3b 2a C3b C4b
Microbe Formation du complexe d'attaque membranaire (MAC)
Activation de la C5 convertase
Lyse osmotique du microbe
C Stimulation des réactions inflammatoires C3a, C5a
C5b
C3b
Microbe Protéolyse de C3, et C5 pour la libération de C3a, et C5a
Recrutement et activation des leucocytes par C5a et, C3a
Destruction des microbes par les leucocytes
Fig. 8.11. Fonctions du complément. A. C3b opsonise les microbes puis est reconnu par le récepteur du complément de type 1 (CR1) des phagocytes, entraînant l'ingestion et la destruction intracellulaire des microbes opsonisés. C3b est donc une opsonine. CR1 reconnaît également C4b, qui peut exercer la même fonction. D'autres produits du complément, comme la forme inactivée de C3b (iC3b), se lient également aux microbes et sont reconnus par d'autres récepteurs situés sur les phagocytes (par exemple, le récepteur du complément de type 3, un membre de la famille des intégrines). B. Le complexe d'attaque membranaire forme des pores dans les membranes cellulaires et induit une lyse osmotique des cellules. C. De petits peptides, libérés au cours de l'activation du complément, se lient à des récepteurs sur les neutrophiles et d'autres leucocytes et stimulent les réactions inflammatoires. Les peptides qui assurent cette fonction sont surtout C5a et C3a (libérés par protéolyse respectivement de C5 et de C3.
Les déficits héréditaires en protéines du complément entraînent des déficiences immunitaires et, dans certains cas, une incidence accrue de maladies auto-immunes. Un déficit en C3 prédispose fortement aux infections bactériennes potentiellement létales dès les premières années de vie. Des déficits en protéines initiales de la voie classique, C2 et C4, peuvent ne pas avoir de conséquence clinique, ou peuvent augmenter la sensibilité aux infections ; ils peuvent aussi être associés à une incidence accrue de lupus érythémateux systémique, une maladie auto-immune liée au dépôt de complexes immuns. Cette incidence accrue de lupus pourrait être due au rôle de la voie classique dans l'élimination des complexes immuns du sang. Ces complexes s'accumulent chez les individus déficients en C2 et C4. En outre, des déficiences du complément peuvent avoir comme conséquences une signalisation défectueuse dans les cellules B et un échec de la tolérance de ces cellules (voir chapitre 9). Les déficits en C9 et dans la formation du complexe d'attaque membranaire entraînent une augmentation de la sensibilité aux infections par Neisseria. Certains individus héritent de
polymorphismes du gène qui code la MBL, ce qui entraîne la production d'une protéine défectueuse ; de tels défauts sont associés à une susceptibilité accrue aux infections. Un déficit héréditaire en properdine, une protéine de la voie alternative, prédispose aussi aux infections bactériennes.
Régulation de l'activation du complément Les cellules des mammifères expriment des protéines régulatrices qui inhibent l'activation du complément, empêchant ainsi que les cellules ne soient lésées par le complément (Fig. 8.12). De nombreuses protéines régulatrices ont été décrites, et des déficits en ces protéines sont associés à des syndromes cliniques causés par une activation incontrôlée du complément. ■ Une protéine régulatrice, l'inhibiteur de C1 (C1 INH, C1 inhibitor), interrompt précocement l'activation du complément au stade de l'activation du C1. Un déficit en C1 INH cause une maladie appelée œdème angioneurotique héréditaire. C1 INH est un inhibiteur de
152
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A
C1q se lie aux complexes anticorps-antigènes, ce qui active C1r2s2
C1 INH
C1q
C1r2s2
Anticorps
B
C1r2s2
Formation de C3 convertases 2a
C4b 2a
C1 INH empêche C1r2S2 de devenir protéolytique
Dissociation de C3 convertases par DAF Bb
C3bBb
2a
DAF C4b
Bb
C3b
Fig. 8.12. Régulation de l'activation du complément. A. L'inhibiteur de C1 (C1 INH) empêche l'assemblage du complexe C1, qui se compose des protéines C1q, C1r, C1s, ce qui bloque l'activation du complément par la voie classique. B. Les protéines de surface cellulaire, DAF (decay accelerating factor) et CR1 (récepteur du complément de type 1), interfèrent avec la formation de la C3 convertase en bloquant la liaison de Bb (dans la voie alternative) ou de C2a (dans la voie classique). La protéine MCP (membrane cofactor protein, CD46) et CR1 servent de cofacteurs pour le clivage de C3b par une enzyme plasmatique appelée facteur I, détruisant ainsi toutes les protéines C3b qui peuvent être formées (non montré).
sérine protéase qui agit comme principal inhibiteur physiologique du clivage de la kallicréine, le précurseur de la molécule vasoactive bradykinine. Par conséquent, le déficit en C1 INH entraîne non seulement une activation accrue du complément, mais aussi une activation protéolytique accrue de la bradykinine, et c'est la principale raison des modifications vasculaires qui entraînent une fuite de liquide (œdème) dans de nombreux tissus. ■ Le facteur accélérant la dissociation (DAF, decay accelerating factor) est une protéine membranaire qui rompt la liaison du facteur B avec C3b ou la liaison de C4b à C2a ce qui empêche la formation de la C3 convertase, interrompant ainsi l'activation du complément à la fois par la voie alternative et par la voie classique. Une maladie appelée hémoglobinurie nocturne paroxystique est due à un déficit acquis dans les cellules souches hématopoïétiques de l'enzyme qui synthétise l'ancre glycolipidique de plusieurs protéines membranaires, notamment les protéines régulatrices du complément, DAF et CD59. Chez ces patients, l'activation incontrôlée du complément s'exerce sur les érythrocytes, ce qui entraîne leur lyse. ■ Une enzyme plasmatique appelée facteur I clive C3b en fragments inactifs, la protéine du cofacteur membranaire (MCP, membrane cofactor protein) et la pro-
téine plasmatique, le facteur H, servant de cofacteurs dans ce processus enzymatique. Un déficit en l'une de ces protéines régulatrices, les facteurs H et I, a pour conséquence une augmentation de l'activation du complément et des taux réduits de C3 en raison de sa consommation, ce qui entraîne une sensibilité accrue aux infections. Des mutations dans le facteur H qui compromettent sa liaison à des cellules sont associées à une maladie génétique rare, appelée syndrome hémolytique et urémique atypique, caractérisé par des troubles vasculaires, rénaux et de coagulation sanguine. Certaines variantes génétiques du facteur H sont associées à une maladie oculaire appelée dégénérescence maculaire liée à l'âge. Ces protéines régulatrices sont produites par des cellules des vertébrés, mais pas par les microbes. Puisque les microbes sont dépourvus de ces protéines régulatrices, le système du complément peut être activé à leur surface beaucoup plus efficacement que sur les cellules normales de l'hôte. Même dans les cellules des vertébrés, la régulation peut être débordée par une activation excessive du complément. Par exemple, les cellules hôtes peuvent devenir des cibles du complément, si elles sont couvertes par des anticorps en grande quantité, comme dans certaines formes d'hypersensibilité (voir chapitre 11).
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale
C
153
Protéines plasmatiques Protéine
Concentration plasmatique
Fonction
Inhibiteur du C1 (C1 INH)
200 µg/ml
Inhibe l'activité sérine protéase de C1r et de C1s
Facteur I
35 µg/ml
Effectue un clivage protéolytique de C3b et C4b
Facteur H
480 µg/ml
Provoque la dissociation des sous-unités de la C3 convertase de la voie alternative Cofacteur du clivage de C3b effectué par le facteur I
Protéine liant C4 (C4BP, C4 binding protein)
300 µg/ml
Provoque la dissociation des sous-unités de la C3 convertase de la voie classique Cofacteur du clivage de C4b effectué par le facteur I
Protéines membranaires Protéine
Distribution
Fonction
Protéine cofacteur de membrane (MCP, CD46)
Leucocytes, cellules Cofacteur pour le clivage épithéliales, cellules de C3b et de C4b par endothéliales le facteur I
Facteur accélérant la dissociation (DAF)
Cellules sanguines, Bloque la formation de la cellules endothéliales, C3 convertase cellules épithéliales
CD59
Cellules sanguines, Bloque la liaison de C9 cellules endothéliales, et empêche la formation cellules épithéliales du MAC
Récepteur du complément de type 1 (CR1, CD35)
Phagocytes mononucléés, neutrophiles, lymphocytes B et T, érythrocytes, éosinophiles, FDC
Provoque la dissociation des sous-unités de la C3 convertase Cofacteur pour le clivage de C3b et de C4b par le facteur I
Fig. 8.12. Suite. C. Principales protéines régulatrices du système du complément et leurs fonctions. FDC : follicular dendritic cells ; MAC : membrane attack complex, complexe d'attaque membranaire.
Fonctions des anticorps dans des sites anatomiques particuliers Les mécanismes effecteurs de l'immunité humorale qui ont été décrits jusqu'à présent peuvent être actifs dans n'importe quel site de l'organisme où les anticorps peuvent accéder. Comme dit précédemment, les anticorps sont produits dans les organes lymphoïdes périphériques et la moelle osseuse, d'où ils gagnent facilement la circulation sanguine, qui les
distribue partout. Les anticorps exercent aussi des fonctions protectrices vitales dans deux sites anatomiques particuliers, les muqueuses et le fœtus.
Immunité associée aux muqueuses L'immunoglobuline A (IgA) est produite dans les tissus lymphoïdes associés aux muqueuses et transportée à travers les épithéliums ; elle se lie aux microbes et les
154
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Lamina propria
IgA dimérique Chaîne J
Plasmocyte produisant des IgA
Récepteur poly-Ig avec une IgA liée
Endocytose du complexe formé de l'IgA et du récepteur poly-Ig
Cellule épithéliale de la muqueuse
Lumière
IgA sécrétée
Microbe Clivage protéolytique
Fig. 8.13. Transport de l'immmunoglobuline A (IgA) à travers l'épithélium. Dans la muqueuse des tractus gastro-intestinal et respiratoire, les IgA sont produites par les plasmocytes dans la lamina propria et sont activement transportées à travers les cellules épithéliales par un récepteur de Fc spécifique des IgA (appelé récepteur poly-Ig car il reconnaît également les IgM). À la surface luminale, les IgA liées à une partie du récepteur sont libérées. À cet endroit, l'anticorps reconnaît les microbes ingérés ou inhalés, et bloque leur entrée à travers l'épithélium.
neutralise dans la lumière des organes couverts d'une muqueuse (Fig. 8.13). Les microbes sont souvent inhalés ou ingérés, et les anticorps qui sont sécrétés dans la lumière du tractus respiratoire ou du tractus gastro-intestinal se lient à ces microbes, les empêchant ainsi de coloniser l'hôte. Ce type d'immunité porte le nom d'immunité liée aux muqueuses (ou immunité sécrétoire). Les anticorps produits dans les tissus muqueux appartiennent principalement à la classe IgA. En fait, l'IgA représente près des deux tiers des quelque 3 g d'anticorps produits quotidiennement par un adulte sain, conséquence de la vaste surface intestinale. La propension des tissus lymphoïdes associés aux muqueuses à produire des IgA est, au moins en partie, due au fait que les cytokines inductrices de la commutation vers cet isotype, notamment le TGF-β (transforming growth factor β), sont produites abondamment dans ces tissus. De plus, les cellules B productrices d'IgA qui sont générées dans les ganglions lymphatiques régionaux ou la rate tendent à coloniser les muqueuses en réponse à des chimiokines produites dans ces tissus. Une partie de l'IgA peut aussi être produite par une sous-population de lymphocytes B, appelés lymphocytes B-1, mieux étudiée chez les rongeurs, qui a aussi une propension à migrer vers les muqueuses ; ces cellules sécrètent de l'IgA en réponse à des antigènes non protéiques sans l'aide des lymphocytes T. Les lymphocytes B de la muqueuse intestinale sont situés dans la lamina propria, sous la barrière épithéliale, et les IgA sont produites dans ce site. Afin de s'attacher aux microbes pathogènes et de les neutraliser dans la lumière, avant qu'ils n'envahissent l'organisme, l'IgA doit être transportée à travers l'épithélium dans la lumière. Ce transfert s'effectue grâce à un récepteur de Fc particulier, portant le nom de récepteur poly-Ig, exprimé au pôle basal des cellules épithéliales. Ce récepteur fixe l'IgA, permet son endocytose dans des vésicules et la transporte jusqu'à la surface luminale. À cet endroit, le récepteur est clivé par une protéase et l'IgA est libérée dans la lumière tout en restant liée à une partie du récepteur poly-Ig, appelée composante sécrétoire. Celleci protège l'anticorps contre la dégradation par les pro-
téases intestinales. Les anticorps peuvent alors reconnaître les microbes dans la lumière et bloquer leur adhérence et leur entrée à travers l'épithélium. L'immunité muqueuse dépendant de l'IgA est le mécanisme de protection contre l'infection par le poliovirus. Celle-ci peut être évitée par vaccination orale avec le virus atténué. L'intestin contient un grand nombre de bactéries commensales qui sont essentielles pour des fonctions de base telles que l'absorption des aliments. Par conséquent, elles doivent être tolérées par le système immunitaire. Les anticorps IgA sont produits principalement contre les bactéries potentiellement nocives et pro-inflammatoires, bloquant leur entrée à travers l'épithélium de l'intestin. Les commensaux inoffensifs sont tolérés par le système immunitaire intestinal, par des mécanismes décrits au chapitre 9.
Immunité néonatale Les anticorps maternels sont transportés activement à travers le placenta vers le fœtus et à travers l'épithélium intestinal des nouveau-nés, afin de les protéger contre les infections. Les nouveau-nés des mammifères présentent un système immunitaire dont le développement est incomplet ; ils sont incapables d'élaborer des réponses immunitaires efficaces contre un grand nombre de microbes. Au cours des premières années de leur vie, ils sont protégés des infections par les anticorps provenant de leur mère. C'est un exemple d'immunité passive naturelle. Les nouveau-nés acquièrent les anticorps maternels. Au cours de la grossesse, l'IgG maternelle se lie au récepteur FcRn exprimé dans le placenta, puis elle est transportée dans la circulation fœtale. Après la naissance, les nourrissons ingèrent les anticorps IgA maternels qui sont sécrétés dans le colostrum et le lait de la mère. Les anticorps IgA ingérés fournissent une protection immunitaire muqueuse au nouveau-né. Ainsi, les nouveaunés acquièrent les anticorps IgG de leur mère et sont protégés contre les germes infectieux auxquels leur mère a été exposée ou contre lesquels elle a été vaccinée.
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale
Mécanisme d'échappement immunitaire
155
Exemples
Variation antigénique
Nombreux virus (p. ex. influenza, VIH) Bactéries (p. ex. Neisseria gonorrhoeae, Escherichia coli) Protozoaires (p. ex. Trypanosoma cruzi)
Inhibition de l'activation du complément
Nombreuses bactéries
Blocage par une capsule d'acide hyaluronique
Streptococcus
Fig. 8.14. Échappement des microbes à l'immunité humorale. Exemples illustrant les principaux mécanismes par lesquels les microbes échappent à l'immunité humorale. VIH : virus de l'immunodéficience humaine.
Comment des microbes échappent à l'immunité humorale Les microbes ont développé de nombreux mécanismes pour échapper à l'immunité humorale (Fig. 8.14). Plusieurs types de bactéries et virus mutent leurs molécules antigéniques de surface et ne peuvent plus être reconnus par les anticorps produits en réponse au microbe d'origine. La variation antigénique est fréquente chez les virus, notamment le virus de la grippe, le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et les rhinovirus. Le VIH mute son génome à un rythme rapide, et dès lors différentes lignées contiennent de nombreuses variantes de la principale glycoprotéine de surface appelée gp120. En conséquence, des anticorps contre des déterminants exposés sur la gp120 dans tout sous-type de VIH peuvent ne pas protéger contre d'autres sous-types qui apparaissent chez les individus infectés. C'est l'une des raisons pour laquelle les vaccins à base de gp120 n'ont que peu ou pas d'efficacité dans la protection des individus contre l'infection. Certaines bactéries, comme Escherichia coli, modifient les antigènes contenus dans leurs pili et peuvent ainsi échapper aux défenses assurées par les anticorps. Le trypanosome qui cause la maladie du sommeil exprime de nouvelles glycoprotéines de surface quand il rencontre des anticorps dirigés contre la glycoprotéine originale. En conséquence, l'infection par ce protozoaire est caractérisée par des vagues de parasitémie, chaque vague correspondant à un nouveau parasite sur le plan antigénique, qui n'est pas reconnu par les anticorps produits contre les parasites de la vague précédente. D'autres microbes inhibent l'activation du complément ou résistent à l'opsonisation et à la phagocytose en cachant des antigènes de surface sous une capsule d'acide hyaluronique.
Vaccination Maintenant que nous avons décrit des mécanismes de défense de l'hôte contre les microbes, y compris l'immunité cellulaire au chapitre 6 et l'immunité humorale dans ce chapitre, il est important d'examiner comment ces réponses immunitaires adaptatives peuvent être induites par des vaccins prophylactiques. La vaccination est le processus consistant à stimuler les réponses immunitaires adaptatives protectrices contre des microbes en exposant l'organisme à des formes non pathogènes ou à des composants microbiens. Le développement de vaccins contre les infections a été l'un des grands succès de l'immunologie. La seule maladie humaine ayant été intentionnellement éradiquée de la surface de la Terre est la variole, et ce résultat a été obtenu par un programme mondial de vaccination. La poliomyélite sera vraisemblablement la seconde maladie dans ce cas et, comme indiqué au chapitre 1, de nombreuses autres maladies ont été en grande partie contrôlées grâce à la vaccination (voir fig. 1.2). Plusieurs types de vaccins sont en usage et d'autres en développement (Fig. 8.15). ■ Certains des vaccins les plus efficaces sont composés de microbes atténués, qui ont été traités afin d'abolir leur pouvoir pathogène, tout en conservant leur infectiosité et leur antigénicité. L'immunisation par ces microbes atténués stimule la production d'anticorps neutralisants dirigés contre les antigènes microbiens, protégeant ainsi les individus vaccinés contre des infections ultérieures. Pour certaines infections, comme la poliomyélite, les vaccins sont administrés par voie orale, afin de stimuler les réponses productrices d'IgA sécrétoires qui protègent les individus contre l'infection naturelle, qui se produit également par voie orale.
156
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Type de vaccin
Exemples
Type de protection
Bactéries vivantes atténuées ou tuées
BCG, choléra
Réponse anticorps
Virus vivants atténués
Poliomyélite, rage
Réponse anticorps ; réponse immunitaire cellulaire
Vaccins sous-unités (antigène)
Anatoxine tétanique, anatoxine diphtérique
Réponse anticorps
Vaccins conjugués
Haemophilus influenzae Streptococcus pneumoniae (pneumocoque)
Réponse anticorps dépendante des lymphocytes T auxiliaires aux antigènes polysaccharidiques
Vaccins synthétiques
Virus d'hépatite (protéines recombinantes)
Réponse anticorps
Vecteurs viraux
Des essais cliniques ont été effectués
Réponses immunitaires cellulaire et humorale
Vaccins à ADN
Essais cliniques en cours pour différentes infections
Réponses immunitaires cellulaire et humorale
Fig. 8.15. Stratégies vaccinales. Exemples de différents types de vaccins qui sont en usage ou ont été essayés et nature des réponses immunitaires protectrices induites par ces vaccins. BCG : bacille de Calmette et Guérin ; VIH : virus de l'immunodéficience humaine.
■ Les vaccins composés de protéines et de polysaccharides microbiens, désignés par le terme de vaccins « sous-unités », agissent de la même manière. Des antigènes polysaccharidiques microbiens — qui ne peuvent pas déclencher la coopération des lymphocytes T — sont couplés chimiquement à des protéines, de telle sorte que les lymphocytes T auxiliaires soient activés et que des anticorps de haute affinité soient produits contre les polysaccharides. Cette forme de vaccination utilise des vaccins dits conjugués, qui constituent un excellent exemple d'une application pratique de nos connaissances sur les interactions entre les lymphocytes T auxiliaires et les lymphocytes B (voir chapitre 7). L'immunisation par des toxines microbiennes inactivées ou par des protéines microbiennes synthétisées en laboratoire stimule la formation d'anticorps qui lient et neutralisent respectivement les toxines natives et les microbes.
L'un des défis permanents de la vaccination est de développer des vaccins qui stimulent l'immunité cellulaire contre les microbes intracellulaires. Les antigènes microbiens injectés ou administrés par voie orale sont des antigènes extracellulaires et ils induisent principalement des réponses anticorps. De nombreuses stratégies destinées à stimuler l'immunité cellulaire par la vaccination sont en cours d'expérimentation. Ces approches comprennent l'incorporation d'antigènes microbiens dans des « vecteurs » viraux, qui infectent les cellules et produisent les antigènes à l'intérieur des cellules. Une nouvelle technique consiste à immuniser des individus avec de l'ADN codant un antigène microbien inséré dans un plasmide bactérien. Le plasmide est ingéré par les cellules présentatrices d'antigènes et l'antigène est ensuite produit à l'intérieur des cellules. Beaucoup de ces stratégies ont été testées avec succès dans des modèles animaux, mais jusqu'à présent peu ont montré une efficacité clinique.
chapitre 8. Mécanismes effecteurs de l'immunité humorale
Points clés ■
■
■
■
■
■
L'immunité humorale est la forme d'immunité adaptative assurée par les anticorps. Ceux-ci préviennent les infections en bloquant la capacité des microbes d'envahir les cellules de l'hôte et ils éliminent les microbes en activant plusieurs mécanismes effecteurs. Dans les molécules d'anticorps, les régions de liaison à l'antigène (Fab) sont séparées dans l'espace des régions effectrices (Fc). La capacité des anticorps de neutraliser les microbes et les toxines est une fonction qui incombe entièrement aux régions de liaison à l'antigène. De plus, les fonctions effectrices dépendantes de la région Fc ne sont activées qu'après la liaison des anticorps aux antigènes. Les anticorps sont produits dans les tissus lymphoïdes et la moelle osseuse, mais ils gagnent la circulation sanguine et peuvent alors atteindre n'importe quel site d'infection. La commutation isotypique de la chaîne lourde et la maturation d'affinité augmentent les fonctions protectrices des anticorps. Les anticorps neutralisent le pouvoir infectieux des microbes et le pouvoir pathogène des toxines microbiennes en se liant aux microbes et aux toxines, et en interférant avec leur capacité à se fixer aux cellules de l'hôte. Les anticorps recouvrent (opsonisent) les microbes et favorisent leur phagocytose en se liant aux récepteurs de Fc situés sur les phagocytes. La liaison des régions Fc des anticorps aux récepteurs de Fc stimule également les fonctions microbicides des phagocytes. Le système du complément est un ensemble de protéines circulantes et membranaires qui assument d'importantes fonctions dans les défenses de l'hôte. Le système du complé-
■
■
■
■
■
■
157
ment peut être activé à la surface des microbes en l'absence d'anticorps (en passant par les voies alternative et des lectines, des composantes de l'immunité innée) et après liaison des anticorps aux antigènes (voie classique, un mécanisme de l'immunité humorale adaptative). Les protéines du complément sont clivées séquentiellement et des composants actifs, principalement C4b et C3b, se fixent de manière covalente aux surfaces sur lesquelles le complément est activé. Les étapes finales de l'activation du complément conduisent à la formation du MAC. Différents produits de l'activation du complément favorisent la phagocytose des microbes, induisent la lyse cellulaire et stimulent l'inflammation. Les mammifères expriment, à la surface des cellules et dans la circulation sanguine, des protéines régulatrices qui empêchent une activation inappropriée du complément sur les cellules. Les anticorps IgA sont produits dans la lamina propria des muqueuses et sont activement transportés par un récepteur de Fc particulier à travers l'épithélium dans la lumière, où ils empêchent les microbes d'envahir l'épithélium. Les nouveau-nés acquièrent les anticorps IgG de leur mère à travers le placenta en utilisant le FcRn pour capter et transporter les anticorps maternels. Les nourrissons acquièrent également des anticorps IgA du colostrum et du lait de la mère par ingestion. Les microbes ont développé des stratégies pour résister à l'immunité humorale ou lui échapper, par exemple en variant leurs antigènes et en acquérant une résistance au complément ou à la phagocytose. La plupart des vaccins actuellement utilisés agissent en stimulant la production d'anticorps neutralisants.
This page intentionally left blank
Chapitre
9
Tolérance immunologique et auto-immunité Discrimination entre le soi et le non soi dans le système immunitaire et ses échecs PLAN DU CHAPITRE Tolérance immunologique : principes généraux et signification . . . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance centrale des lymphocytes T . . . . . . . Tolérance périphérique des lymphocytes T . . . Anergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Régulation des réponses des cellules T par des récepteurs inhibiteurs . . . . . . . . . . . Suppression immunitaire par les cellules T régulatrices . . . . . . . . . . . . Délétion : apoptose des lymphocytes matures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance des lymphocytes B . . . . . . . . . . . . . .
160 160 162 163 164 164 166 167
L'une des propriétés remarquables du système immunitaire normal est qu'il est capable de répondre à une variété considérable de microbes sans pour autant réagir aux antigènes de l'individu (le soi). Cette absence de réponse aux antigènes du soi, qualifiée de tolérance immunologique, se maintient bien que les mécanismes moléculaires par lesquels les spécificités des récepteurs des lymphocytes sont générées ne soient pas biaisés pour exclure des récepteurs pour des antigènes du soi. En d'autres termes, des lymphocytes capables de reconnaître des antigènes du soi sont constamment formés au cours du processus normal de maturation des lymphocytes. En outre, le système immunitaire est facilement accessible à de nombreux antigènes du soi, de telle sorte que l'absence de réponse à ces antigènes ne peut pas simplement être maintenue en cachant ces antigènes aux lymphocytes. Le processus par lequel les cellules présentatrices d'antigènes (APC) présentent les antigènes aux lymphocytes T ne fait pas de distinction entre les protéines étrangères et les protéines du soi, de sorte que les antigènes du soi sont normalement visibles par les lymphocytes. Il doit par conséquent exister des mécanismes qui empêchent le déclenLes bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Tolérance centrale des lymphocytes B . . . . . Tolérance périphérique des lymphocytes B . . . Tolérance aux microbes commensaux et aux antigènes fœtaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance aux microbes commensaux dans l'intestin et la peau . . . . . . . . . . . . . . . Tolérance aux antigènes fœtaux . . . . . . . . . Auto-immunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pathogénie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Facteurs génétiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Rôle des infections et autres facteurs de l'environnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
168 169 169 169 169 170 170 171 173
chement de réponses immunitaires contre les antigènes du soi. Ces mécanismes sont responsables d'une des caractéristiques essentielles du système immunitaire, sa capacité à distinguer les antigènes du soi des antigènes du non-soi (généralement microbiens). Si ces mécanismes sont altérés, le système immunitaire risque de s'attaquer aux cellules et tissus de l'individu lui-même. De telles réactions portent le nom d'auto-immunité, et les maladies qu'elles déclenchent sont appelées maladies auto-immunes. En plus de tolérer la présence des autoantigènes, le système immunitaire doit coexister avec de nombreux microbes commensaux qui vivent sur les barrières épithéliales de leurs hôtes humains, souvent dans un état de symbiose, et le système immunitaire d'une femme enceinte doit accepter la présence d'un fœtus qui exprime des antigènes dérivés du père. L'absence de réaction aux microbes commensaux et au fœtus est maintenue par plusieurs des mécanismes impliqués dans l'absence de réponse au soi. Dans ce chapitre, nous répondons aux questions suivantes. ■ Comment le système immunitaire maintient-il son absence de réponse aux antigènes du soi ? 159
160
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
■ Quels sont les facteurs qui peuvent contribuer à la perte de la tolérance au soi et au développement d'une auto-immunité ? ■ Comment le système immunitaire maintient-il une tolérance aux microbes commensaux et au fœtus ? Ce chapitre commence par la présentation des principes et des caractéristiques les plus importantes de la tolérance au soi. Ensuite, nous examinons les différents mécanismes qui maintiennent cette tolérance aux antigènes du soi ainsi qu'aux microbes commensaux et au fœtus et comment les défaillances de chacun de ces mécanismes provoquent l'auto-immunité.
Tolérance immunologique : principes généraux et signification La tolérance immunologique est une absence de réponse aux antigènes induite par l'exposition des lymphocytes à ces antigènes. Quand des lymphocytes porteurs de récepteurs pour un antigène particulier viennent à le rencontrer, plusieurs conséquences sont possibles. Les lymphocytes activés prolifèrent et se différencient en cellules effectrices et mémoire, entraînant une réponse immunitaire ; les antigènes sont alors qualifiés d'immunogènes. Il est possible aussi que ce contact entraîne la mort ou l'inactivation des lymphocytes, et donc la tolérance ; dans ce cas, les antigènes sont dits tolérogènes. Enfin dans certaines situations, les lymphocytes spécifiques d'un antigène peuvent ne pas réagir du tout. On parle alors d'ignorance immunologique, les lymphocytes étant indifférents à la présence de l'antigène. Normalement, les microbes sont immunogènes et les antigènes du soi sont tolérogènes. Le choix des lymphocytes entre activation, et tolérance et ignorance est déterminé surtout par la nature de l'antigène et les signaux additionnels présents lorsque l'antigène est présenté au système immunitaire. En fait, le même antigène peut être administré d'une manière induisant une réponse immunitaire ou une tolérance. On a exploité cette observation expérimentale afin d'identifier les facteurs qui déterminent l'activation ou la tolérance lors de la rencontre avec l'antigène. Le phénomène de tolérance immunologique est important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, comme indiqué en début de chapitre, les antigènes du soi induisent normalement une tolérance et l'échec de la tolérance au soi est la cause des maladies auto-immunes. Ensuite, si nous connaissons la manière dont la tolérance est induite dans les lymphocytes spécifiques d'un antigène particulier, il sera alors possible d'utiliser ces connaissances pour empêcher ou contrôler des réactions immunitaires indésirables. Certaines stratégies visant à induire une tolérance sont actuellement à l'étude pour traiter les allergies ou les maladies auto-immunes et pour prévenir le rejet de greffes. Les mêmes stratégies peuvent s'appliquer à la thérapie génique, afin de prévenir les réponses immunitaires dirigées contre les produits de gènes ou de vecteurs nouvellement exprimés, et même en cas de transplantation de cellules souches si le donneur de celles-ci est génétiquement différent du receveur. La tolérance immunologique à différents antigènes du soi peut être induite lorsque les lymphocytes en déve-
loppement rencontrent ces antigènes dans les organes lymphoïdes génératifs, centraux ou primaires (tolérance centrale) ou lorsque les lymphocytes matures rencontrent les antigènes du soi dans les organes lymphoïdes périphériques (secondaires) ou dans les tissus périphériques (tolérance périphérique) (fig. 9.1). La tolérance centrale est un mécanisme de tolérance concernant exclusivement les antigènes du soi qui sont présents dans les organes lymphoïdes primaires, c'est-à-dire la moelle osseuse et le thymus. La tolérance envers les antigènes du soi qui ne sont pas présents dans ces organes doit être induite et maintenue par des mécanismes périphériques. Nous n'avons qu'une connaissance limitée de quels antigènes du soi induisent une tolérance centrale ou périphérique, ou sont ignorés par le système immunitaire. Après cette brève introduction, nous allons décrire les mécanismes de la tolérance immunologique et comment l'échec de chaque mécanisme peut aboutir à l'auto-immunité. La tolérance des lymphocytes T auxiliaires CD4+ est décrite en premier lieu, parce qu'on connaît mieux le processus impliquant ce type cellulaire. De plus, les cellules T auxiliaires CD4+ contrôlent quasi toutes les réponses immunitaires contre les antigènes protéiques. Ainsi, la tolérance de ces cellules peut suffire à empêcher à la fois les réponses immunitaires cellulaires et humorales contre les protéines du soi. Inversement, l'échec de la tolérance des cellules T auxiliaires peut aboutir à une auto-immunité qui se manifeste par des attaques de type cellulaire contre des autoantigènes ou par la production d'autoanticorps contre les protéines du soi.
Tolérance centrale des lymphocytes T Les principaux mécanismes de la tolérance centrale des lymphocytes T sont la mort cellulaire et la formation de lymphocytes T régulateurs CD4+ (Treg) (fig. 9.2). Les lymphocytes qui se développent dans le thymus sont des cellules présentant des récepteurs capables de reconnaître de nombreux antigènes, à la fois propres à l'individu et étrangers. Si un lymphocyte immature interagit fortement avec un antigène du soi présenté sous forme d'un peptide lié à une molécule du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) du soi, ce lymphocyte recevra des signaux déclenchant l'apoptose et mourra avant d'avoir pu devenir fonctionnellement compétent. Ce processus, appelé « sélection négative » (voir chapitre 4), constitue un mécanisme important de la tolérance centrale. Le processus de sélection négative touche les cellules T CD4+ et CD8+ autoréactives qui reconnaissent des peptides du soi présentés respectivement par des molécules du CMH de classe II et du CMH de classe I. On ignore pourquoi les lymphocytes immatures meurent lors de la réception, dans le thymus, de puissants signaux passant par les récepteurs des cellules T (TCR), alors qu'en périphérie les lymphocytes matures qui obtiennent de puissants signaux des TCR sont activés. Certaines cellules T CD4 + immatures dotées d'une forte affinité pour des antigènes du soi dans le thymus ne meurent pas, mais deviennent des cellules T régulatrices et gagnent les tissus périphériques (voir fig. 9.2). Les fonctions
Chapitre 9. Tolérance immunologique et auto-immunité
161
Précurseur lymphoïde
Tolérance périphérique : tissus périphériques
Tolérance centrale : organes lymphoïdes primaires (thymus, moelle osseuse)
Lymphocytes immatures
Reconnaissance d'un autoantigène
Apoptose (délétion)
Changements dans les récepteurs (révision des récepteurs ; cellules B)
Développement de lymphocytes T régulateurs (uniquement cellules T CD4+)
Lymphocytes matures
Lymphocyte T régulateur
Reconnaissance d'un autoantigène
Anergie
Apoptose (délétion)
Suppression
Fig. 9.1. Tolérance centrale et périphérique aux antigènes du soi. Tolérance centrale. Les lymphocytes immatures spécifiques des antigènes du soi peuvent rencontrer ces antigènes dans les organes lymphoïdes génératifs (centraux) et être éliminés ; les lymphocytes B peuvent changer de spécificité (révision ou editing des récepteurs) ; certains lymphocytes T se différencient en cellules T régulatrices. Des lymphocytes autoréactifs peuvent achever leur maturation et gagner les tissus périphériques. Tolérance périphérique. Les lymphocytes autoréactifs matures peuvent être inactivés ou éliminés lors de leur interaction avec des antigènes du soi dans les tissus périphériques ou encore supprimés par des lymphocytes T régulateurs.
Thymus
Périphérie
Sélection négative : délétion Cellules T immatures spécifiques d'autoantigènes
Développement de lymphocytes T régulateurs
Lymphocyte T régulateur
Fig. 9.2. Tolérance centrale des lymphocytes T. Une forte interaction des cellules T immatures avec des autoantigènes dans le thymus peut entraîner la mort des lymphocytes (sélection négative ou délétion) ou le développement de lymphocytes T régulateurs qui migrent dans les tissus périphériques.
162
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
des cellules T régulatrices sont décrites plus loin dans le chapitre. Ce qui détermine le sort d'une cellule thymique T CD4+ qui reconnaît un autoantigène, mourir ou devenir une cellule T régulatrice, n'est pas encore connu. Les lymphocytes immatures peuvent interagir fortement avec un antigène si celui-ci est présent à des concentrations élevées dans le thymus et si les lymphocytes expriment des récepteurs qui reconnaissent l'antigène avec une forte affinité. Les antigènes qui induisent une sélection négative peuvent être des substances abondantes dans tout l'organisme, comme des protéines plasmatiques et des protéines cellulaires communes. De manière surprenante, de nombreuses protéines du soi qui ne sont présentes que dans certains tissus périphériques, appelés antigènes restreints à certains tissus, sont aussi exprimées dans certaines cellules épithéliales du thymus. La protéine AIRE (autoimmune regulator) est responsable de l'expression thymique de ces antigènes protéiques par ailleurs propres à certains tissus. Des mutations du gène AIRE sont à l'origine d'un syndrome auto-immun rare, la polyendocrinopathie auto-immune de type 1 (APS-1 ou syndrome APECED). Dans cette maladie, plusieurs antigènes tissulaires ne sont pas exprimés dans le thymus en raison de la déficience de la protéine AIRE, ce qui explique que les cellules T immatures spécifiques de ces antigènes ne sont pas éliminées et ne se développent pas en cellules régulatrices. Ces cellules viennent à maturité en tant que cellules T fonctionnellement compétentes qui entrent dans le système immunitaire périphérique et sont capables de causer des dommages à des antigènes resA
treints à certains tissus. Ces antigènes sont exprimés normalement dans les tissus périphériques appropriés même en absence de AIRE. Aussi, les cellules T qui émergent du thymus et qui sont spécifiques de ces antigènes attaquentelles les tissus et causent une maladie. On ignore pourquoi les organes endocriniens sont les cibles les plus fréquentes de cette attaque auto-immune. Une explication possible serait que AIRE facilite spécifiquement l'expression dans les cellules épithéliales thymiques des gènes exprimés essentiellement dans ces organes. Bien que cette maladie rare illustre l'importance de la sélection négative dans le thymus pour le maintien de la tolérance au soi, la contribution d'un défaut de sélection négative à la plupart des maladies auto-immunes n'est pas connue. La tolérance centrale est imparfaite et certains lymphocytes autoréactifs sont présents chez les individus sains. Comme nous le verrons ci-dessous, les mécanismes périphériques peuvent empêcher l'activation de ces lymphocytes.
Tolérance périphérique des lymphocytes T La tolérance périphérique est induite lorsque des lymphocytes matures reconnaissent des antigènes du soi dans les tissus périphériques, entraînant leur inactivation fonctionnelle (anergie) ou leur mort, ou lorsque des lymphocytes autoréactifs sont contrôlés par des lymphocytes T régulateurs (fig. 9.3). Chacun des mécanismes de
B7 CD28
Réponse des cellules T aux microbes et vaccins
Mécanismes de tolérance
B
TCR Cellule Cellule T dendritique
Cellules T effectrices et mémoire
Anergie
Absence de réponse fonctionnelle
Suppression
Blocage de l'activation
Cellule T régulatrice
Délétion
Apoptose
Fig. 9.3. Tolérance périphérique des lymphocytes T. A. Les réponses des lymphocytes T normaux requièrent la reconnaissance de l'antigène et une costimulation. B. Les trois principaux mécanismes de tolérance périphérique des cellules T sont illustrés : anergie intrinsèque des cellules, suppression par des cellules T régulatrices et délétion (mort cellulaire par apoptose). TCR : récepteur de cellules T.
Chapitre 9. Tolérance immunologique et auto-immunité tolérance périphérique des lymphocytes T est décrit dans cette section. La tolérance périphérique joue clairement un rôle important dans la prévention des réponses des lymphocytes T aux antigènes du soi qui sont présents principalement dans les tissus périphériques et non dans le thymus. La tolérance périphérique peut également fournir des mécanismes de sauvegarde pour prévenir une auto-immunité quand la tolérance centrale envers des antigènes qui sont exprimés dans le thymus est incomplète. La reconnaissance de l'antigène sans costimulation adéquate aboutit à une anergie ou à la mort des lymphocytes T, mais peut aussi les rendre sensibles à la suppression par les cellules T régulatrices. Dans les chapitres précédents, nous avons souligné que les lymphocytes T naïfs ont besoin d'au moins deux signaux pour induire leur prolifération et la différenciation en cellules effectrices et mémoire : le « signal 1 » est toujours l'antigène ; le « signal 2 » est assuré par des costimulateurs qui sont exprimés sur les APC typiquement comme faisant partie d'une réponse immunitaire innée à des microbes ou à des cellules endommagées (voir fig. 5.6). On croit que les cellules dendritiques dans les tissus normaux non infectés et dans les organes lymphoïdes périphériques sont dans un état de repos, au cours duquel elles expriment peu ou pas de molécules de costimulation telles que les protéines B7 (voir chapitre 5). Ces cellules dendritiques sont constamment en train d'apprêter et de présenter des autoantigènes tissulaires, que des lymphocytes T porteurs de récepteurs pour les antigènes du soi sont capables de reconnaître. Les récepteurs d'antigène fournissent donc des signaux (signal 1) mais, sans contribution de l'immunité innée, la costimulation est nulle. Ainsi, la présence ou l'absence de costimulation est importante pour la détermination de l'équilibre entre activation ou tolérance des cellules T.
163
Anergie L'anergie des lymphocytes T est définie comme une absence de réponse lorsque ces cellules reconnaissent des antigènes du soi (fig. 9.4). Comme décrit précédemment, des autoantigènes sont normalement présentés avec une faible densité de costimulateurs. On pense que la reconnaissance de l'antigène en l'absence de costimulation adéquate serait à la base de l'induction de l'anergie par des mécanismes décrits ci-dessous. Les cellules anergiques survivent mais sont incapables de répondre à l'antigène. Les deux mécanismes les mieux établis responsables de l'induction de l'anergie sont une signalisation anormale par le complexe TCR et la transmission de signaux inhibiteurs provenant de récepteurs autres que le complexe TCR. ■ Lorsque les cellules T reconnaissent des antigènes sans costimulation, le complexe TCR peut perdre sa capacité de transmettre des signaux d'activation. Dans certains cas, la cause est l'activation d'enzymes (ubiquitine ligases) qui modifient les protéines de signalisation et les destinent à la destruction intracellulaire par des protéases. ■ Lors de la reconnaissance d'autoantigènes, les cellules T peuvent également engager préférentiellement l'un de leurs récepteurs inhibiteurs de la famille CD28, CTLA4 (cytotoxic T lymphocyte-associated antigen 4, CD152) ou PD-1 (programmed cell death protein 1, CD279), qui ont été introduits au chapitre 5. Les cellules T anergiques peuvent exprimer davantage de ces récepteurs inhibiteurs, qui interfèrent dans les réactions de reconnaissance ultérieure de l'antigène. Les fonctions et les mécanismes d'action de ces récepteurs sont décrits plus en détail ci-dessous.
APC présentant un autoantigène Cellule T naïve
Blocage de la signalisation
Cellule T insensible (anergique)
Reconnaissance d'un autoantigène Récepteur inhibiteur Engagement de récepteurs inhibiteurs
Fig. 9.4. Anergie des cellules T. Si un lymphocyte T reconnaît un antigène sans une forte costimulation, les récepteurs de lymphocytes T peuvent perdre leur aptitude à transmettre des signaux activateurs ou la cellule T peut engager des récepteurs inhibiteurs comme CTLA-4 (cytotoxic T lymphocyte-associated protein 4) et PD1 (programmed cell death protein 1) qui bloquent l'activation. APC : antigen-presenting cells.
164
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Régulation des réponses des cellules T par des récepteurs inhibiteurs Les réponses immunitaires sont basées sur un équilibre entre les récepteurs activateurs et inhibiteurs. Ce concept est établi pour les lymphocytes B et T et les cellules NK. Pour les lymphocytes T, les principaux récepteurs activateurs sont le complexe TCR et les récepteurs de costimulation tels que CD28 (voir chapitre 5), et les inhibiteurs les mieux définis, aussi appelés co-inhibiteurs, sont CTLA-4 et PD-1. Les fonctions et modes d'action de ces inhibiteurs sont complémentaires (fig. 9.5). ■ CTLA-4. Cette molécule est exprimée de manière transitoire sur les cellules T CD4+ activées et de manière constitutive sur les cellules T régulatrices (voir ci-dessous). CTLA-4 intervient pour mettre fin à l'activation de la réponse des cellules T. CTLA-4 agit en bloquant et en éliminant les molécules de B7 de la surface des APC, réduisant ainsi la costimulation par CD28 et prévenant l'activation des cellules T (voir fig. 9.5A). Le choix entre l'engagement de CTLA-4 ou de CD28 est fondé sur le fait que CTLA-4 a une affinité pour les molécules B7 plus grande que celle de CD28, ainsi il lie étroitement B7 et prévient la liaison de CD28. Cette compétition est particulièrement efficace, lorsque la densité membranaire de B7 est faible (comme on peut s'y attendre lorsque les APC présentent des autoantigènes et probablement des antigènes tumoraux) ; dans ces situations, le récepteur qui est engagé de préférence est celui ayant la plus forte affinité, c'est-à-dire CTLA-4. Cependant, lorsque les molécules B7 sont nombreuses (comme dans les infections), tous les ligands ne seront pas occupés par CTLA-4 et certains B7 seront disponibles pour lier le récepteur activateur de faible affinité CD28, menant à une costimulation des cellules T. ■ PD-1. Cette protéine est exprimée sur les cellules CD4+ et CD8+ après stimulation antigénique. Sa queue cytoplasmique contient des motifs de signalisation inhibiteurs avec des résidus de tyrosine qui sont phosphorylés lors de la reconnaissance des ligands PD-L1 ou PD-L2. Une fois phosphorylées, ces tyrosines lient une tyrosine phosphatase qui inhibe les signaux activateurs dépendant de kinases provenant de CD28 et du complexe TCR (voir fig. 9-5B). Puisque l'expression de PD-1 sur les cellules T est augmentée sous l'effet d'une activation chronique des cellules T et l'expression des ligands est augmentée par les cytokines produites durant une inflammation prolongée, cette voie est la plus active dans des situations de stimulation antigénique répétée ou chronique. Cela peut survenir lors de réponses à des infections chroniques, à des tumeurs et à des autoantigènes, lorsque des cellules T exprimant PD-1 rencontrent le ligand sur des cellules infectées, des cellules tumorales ou des APC. Une des applications thérapeutiques les plus impressionnantes de notre connaissance de ces récepteurs inhibiteurs est le traitement des patients atteints de cancer avec des anticorps qui bloquent ces récepteurs. Un tel traitement conduit à une amplification des réactions immunitaires antitumorales et à une régression de la tumeur dans une proportion importante de patients (voir chapitre 10). Ce type de thérapie a été appelé blocage des points de contrôle. En effet, les récepteurs
inhibiteurs servent de points de contrôle dans les réponses immunitaires, et leur blocage thérapeutique lève l'inhibition des réactions antitumorales. Comme on pouvait s'y attendre, les patients traités par blocage des points de contrôle développent souvent des réactions auto-immunes, ce qui est compatible avec l'idée selon laquelle les récepteurs inhibiteurs interviennent constamment pour maintenir les cellules T autoréactives en échec. De rares patients avec des mutations dans l'une de leurs deux copies du gène de CTLA-4, qui réduisent l'expression du récepteur, développent également une inflammation de multiples organes (et une profonde déficience, encore inexpliquée, de production d'anticorps). En plus de CTLA-4 et de PD-1, on a décrit sur les cellules T plusieurs autres récepteurs inhibiteurs qui sont actuellement testés comme cibles de la thérapie par blocage des points de contrôle. Certains de ces récepteurs sont des membres de la famille des récepteurs du TNF (tumor necrosis factor) ou d'autres familles de protéines. Leur rôle dans le maintien de la tolérance aux antigènes du soi n'est pas clairement établi.
Suppression immunitaire par les cellules T régulatrices Les lymphocytes T régulateurs (Treg) se développent dans le thymus ou dans les tissus lymphoïdes périphériques lors de leur rencontre avec des autoantigènes ; ils bloquent l'activation des lymphocytes potentiellement dangereux et spécifiques de ces antigènes du soi (fig. 9.6). Les cellules T régulatrices autoréactives se développent probablement en majorité dans le thymus (voir fig. 9.2), mais elles peuvent aussi se former dans les organes lymphoïdes périphériques. La plupart des cellules T régulatrices sont CD4+ et expriment en forte densité CD25, la chaîne α du récepteur de l'IL-2. Elles expriment également un facteur de transcription, FoxP3, qui est requis pour le développement et la fonction de ces cellules . Des mutations du gène codant FoxP3 chez l'homme ou l'inactivation génique chez la souris causent une maladie auto-immune systémique et touchant plusieurs organes, ce qui démontre l'importance des cellules T régulatrices dans le maintien de l'autotolérance. La maladie chez l'homme est désignée par l'acronyme IPEX (immune dysregulation, polyendocrinopathy, enteropathy, X-linked syndrome, dérèglement immunitairepolyendocrinopathie-entéropathie lié à l'X). La survie et la fonction des cellules T régulatrices dépendent de la cytokine IL-2. Ce rôle de l'IL-2 explique le développement d'une maladie auto-immune grave chez la souris dont le gène codant l'IL-2, ou celui de son récepteur, a été inactivé et chez les humains atteints de mutations homozygotes dans la chaîne α ou β du récepteur de l'IL-2. Rappelons que nous avons présenté l'IL-2 au chapitre 5 comme une cytokine qui est produite par les cellules T activées par un antigène et qui stimule la prolifération de ces cellules. L'IL-2 est donc un exemple de cytokine qui joue deux rôles opposés : elle favorise la réponse immunitaire en stimulant la prolifération des lymphocytes T, et elle inhibe les réponses immunitaires par le maintien de cellules T régulatrices fonctionnelles. De nombreux essais cliniques testent la capacité de l'IL-2 à réguler et à contrôler des réactions immunitaires nocives telles que l'inflammation dans les maladies autoimmunes et le rejet de greffe.
Chapitre 9. Tolérance immunologique et auto-immunité
B
A APC
B7
CTLA-4
CD28
PD-L1/ PD-L2
APC
165
B7-1/ B7-2
ζ TCR
Cellule T (cellule T activée ou Treg)
SHP2
Cellule T
P ITAM
CTLA-4 bloque et enlève B7
P
PI3K PD-1
P CD28
P ZAP-70
Activation de la cellule T PD-1 inhibe les signaux du complexe TCR et CD28
C
CTLA-4
PD-1
Site principal d'action
Organes lymphoïdes secondaires
Tissus périphériques
Stade de la réponse immunitaire qui est inhibé
Induction (sensibilisation)
Phase effectrice
Type cellulaire qui est inhibé
CD4+ pareil ou plus que CD8+
CD8+ > CD4+
Expression cellulaire
Treg, cellules T activées
Surtout cellules T activées
Signaux principaux inhibés
Inhibiteur compétitif de la costimulation de CD28 par liaison à B7 avec une forte affinité et élimination de B7 des APC
Inhibiteur de signalisation de CD28 et du TCR : inhibe les signaux dépendant de kinases en activant une phosphatase
Rôle dans la suppression des réponses immunitaires par des Treg
0ui
Non
Fig. 9.5. Mécanismes d'action et propriétés de CTLA-4 (cytotoxic T lymphocyte-associated protein 4) et de PD-1 (programmed cell death protein 1). A. CTLA-4 est un inhibiteur compétitif de l'interaction B7-CD28. B. PD-1 active une phosphatase qui inhibe les signaux du complexe TCR et CD28. C. Certaines des principales différences entre ces molécules aux points de contrôle sont résumées. APC : antigen-presenting cells ; TCR : T cell receptor.
La cytokine TGF-β (transforming growth factor β) joue également un rôle dans l'induction des cellules T régulatrices, peut-être en stimulant l'expression du facteur de transcription FoxP3. De nombreux types cellulaires peuvent produire du TGF-β, mais l'origine du TGF-β inducteur de cellules T régulatrices dans le thymus ou les tissus périphériques n'est pas identifiée.
Les cellules T régulatrices peuvent supprimer les réponses immunitaires par plusieurs mécanismes. ■ Certaines produisent des cytokines, telles que l'IL-10 et le TGF-β, qui inhibent l'activation des lymphocytes, des cellules dendritiques et des macrophages. ■ Des cellules régulatrices expriment CTLA-4 qui, comme décrit plus tôt, peut bloquer ou épuiser les molécules B7
166
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique Thymus
Ganglion lymphatique
FOXP3 FOXP3
Cellules T régulatrices
Reconnaissance d'un autoantigène dans le thymus
Inhibition des réponses des cellules T
Reconnaissance d'un autoantigène dans les tissus lymphoïdes secondaires Inhibition d'autres cellules
Cellules T effectrices Cellule dendritique
Cellule T naïve
Cellule NK Cellule B
Fig. 9.6. Développement et fonction des cellules T régulatrices. Les lymphocytes T CD4 qui reconnaissent des autoantigènes peuvent se différencier en cellules régulatrices dans le thymus ou dans les tissus périphériques à la suite d'un processus qui dépend du facteur de transcription, FoxP3. [La flèche venant du thymus est plus large que celle qui vient des tissus périphériques afin d'indiquer que la plupart de ces cellules proviennent probablement du thymus.] Ces cellules régulatrices inhibent l'activation des lymphocytes T naïfs et leur différenciation en cellules T effectrices par des mécanismes de contact ou par l'intermédiaire de cytokines qui inhibent les réponses des cellules T. La génération et le maintien des cellules T régulatrices requièrent également l'interleukine-2 (non montré). CD : cellule dendritique ; NK : natural killer.
des APC et les rendre ainsi incapables de costimuler via CD28 et d'activer des cellules T. ■ Les cellules T régulatrices, en raison de l'expression élevée du récepteur de l'IL-2, peuvent accaparer ce facteur de croissance essentiel pour les cellules T et réduire ainsi sa disponibilité pour les lymphocytes T en train de réagir. Le grand intérêt pour les cellules T régulatrices a été alimenté en partie par l'hypothèse qu'une défectuosité de leur fonction ou la résistance des cellules T pathogènes à leur régulation constituait l'anomalie sous-jacente à certaines maladies auto-immunes humaines. On s'intéresse également de plus en plus à une forme de thérapie cellulaire dans laquelle des cellules T régulatrices serviraient à traiter la réaction du greffon contre l'hôte, le rejet de greffe et des maladies auto-immunes.
Délétion : apoptose des lymphocytes matures La reconnaissance d'antigènes du soi peut déclencher les voies de signalisation menant à l'apoptose, ce qui aboutit à l'élimination (délétion) des lymphocytes autoréactifs (fig. 9.7). Il existe deux mécanismes probables impliqués dans la mort des lymphocytes T matures induite par des autoantigènes. ■ La reconnaissance de l'antigène induit dans les cellules T la production de protéines proapoptotiques qui causent la fuite de protéines mitochondriales, telles que le cytochrome c, qui activent des enzymes cytosoliques appelées
caspases, responsables de l'apoptose. Dans les réponses immunitaires normales, l'activité de ces protéines proapoptotiques est contrecarrée par des protéines antiapoptotiques qui sont induites par la costimulation et par des facteurs de croissance produits durant les réponses immunitaires. En revanche, les autoantigènes, qui sont reconnus en absence de forte costimulation, ne stimulent pas la production des protéines antiapoptotiques et la déficience relative en signaux de survie induit la mort des cellules répondant à ces antigènes. ■ La reconnaissance des autoantigènes peut entraîner la coexpression des récepteurs de mort et de leurs ligands. L'interaction ligand-récepteur génère des signaux qui passent par le récepteur de mort et qui aboutissent à l'activation des caspases et à l'apoptose par la voie dite des récepteurs de mort. Le récepteur de mort le mieux connu est une protéine dénommée Fas (CD95), qui est exprimée sur de nombreux types cellulaires, et le ligand de Fas (FasL), présent surtout sur les cellules T activées. Des résultats d'études génétiques soutiennent le rôle de l'apoptose dans l'autotolérance. Le blocage de la voie mitochondriale de l'apoptose chez la souris entraîne un échec de la délétion des cellules T autoréactives dans le thymus, ainsi que dans les tissus périphériques. Des souris avec des mutations dans les gènes fas et fasL et les enfants ayant des mutations de FAS développent des maladies autoimmunes avec accumulation de lymphocytes. Des enfants avec des mutations dans les gènes codant les caspases 8 ou 10, qui interviennent en aval de la signalisation de Fas,
Chapitre 9. Tolérance immunologique et auto-immunité
Reconnaissance de l'antigène
APC Réponse normale
Réponse de cellule T
Cellules T activées
Inhibiteurs d'apoptose
Cellule T IL-2
Protéines apoptotiques dans les mitochondries
Mort cellulaire par reconnaissance d'antigène sans costimulation
Mort cellulaire par engagement des récepteurs de mort
167
Survie, prolifération et différenciation des cellules T
Inducteurs d'apoptose
Protéines apoptotiques libérées des mitochondries Expression du ligand du récepteur de mort
Apoptose
Expression du récepteur de mort
Apoptose Fig. 9.7. Mécanismes de la mort apoptotique des lymphocytes T. Les lymphocytes T répondent à l'antigène présenté par des cellules présentatrices d'antigènes (APC) normales en sécrétant l'interleukine-2 (IL-2), en exprimant des protéines antiapoptotiques (prosurvie), en proliférant et en se différenciant. Les protéines antiapoptotiques empêchent la libération des médiateurs mitochondriaux de l'apoptose. La reconnaissance d'un autoantigène par des cellules T en absence de costimulation peut entraîner un déficit relatif en protéines antiapoptotiques intracellulaires, et l'excès de protéines proapoptotiques cause la mort cellulaire en induisant la libération des médiateurs mitochondriaux de l'apoptose (voie mitochondriale, ou intrinsèque, de l'apoptose). Par ailleurs, la reconnaissance de l'antigène du soi peut conduire à l'expression de récepteurs dits « de mort » et de leurs ligands, comme Fas et le ligand de Fas (FasL), sur les lymphocytes, l'engagement du récepteur de mort aboutissant à la mort cellulaire par la voie (extrinsèque) dite du récepteur de mort.
ont aussi des maladies auto-immunes semblables. Les maladies humaines, appelées collectivement syndrome lymphoprolifératif auto-immun (SLAI), sont rares et les seuls exemples connus d'un défaut de l'apoptose provoquant une maladie auto-immune. ■ De cette discussion des mécanismes de tolérance des lymphocytes T, il devrait ressortir que les autoantigènes diffèrent des antigènes microbiens étrangers sur plusieurs points, ce qui contribue au choix entre la tolérance induite par les premiers et l'activation par les seconds (fig. 9.8). Des antigènes du soi sont présents dans le thymus, où ils induisent des délétions et génèrent des cellules T régulatrices ; en revanche, la plupart des antigènes microbiens tendent à être exclus du thymus, car ils sont typiquement captés à leurs sites d'entrée et transportés dans des organes lymphoïdes périphériques (voir chapitre 3). ■ Les autoantigènes sont présentés par des APC quiescentes (déficientes en costimulateurs) en l'absence d'immunité innée, ce qui favorise l'anergie des cellules T, leur mort ou leur suppression par des lymphocytes T régulateurs. En revanche, les microbes suscitent des réactions immunitaires innées, conduisant à l'expression de cytokines et de
costimulateurs qui servent de seconds signaux et contribuent à la prolifération des cellules T et à leur différenciation en cellules effectrices. ■ Les antigènes du soi sont présents tout au long de la vie et peuvent donc se lier de manière prolongée ou répétée aux TCR, et induire à nouveau l'anergie, l'apoptose et le développement de cellules T régulatrices.
Tolérance des lymphocytes B Les polysaccharides, les lipides et les acides nucléiques du soi sont des antigènes T-indépendants qui ne sont pas reconnus par les lymphocytes T. Ces antigènes doivent induire une tolérance des lymphocytes B afin de prévenir la production d'autoanticorps. Des autoantigènes protéiques peuvent se révéler incapables d'induire la production d'anticorps en raison de la tolérance des cellules T auxiliaires et des cellules B. On soupçonne que des maladies associées à la production d'autoanticorps, comme le lupus érythémateux systémique (LES), sont dues à une tolérance défectueuse tant des lymphocytes B que des lymphocytes T auxiliaires.
168
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Caractéristiques de l'antigène Autoantigènes tolérogènes
Antigènes étrangers immunogènes
Microbe Tissu
Localisation de l'antigène
Certains autoantigènes présents dans les organes lymphoïdes génératifs induisent une sélection négative et d'autres mécanismes de tolérance centrale
La plupart des antigènes microbiens présents dans le sang et les tissus périphériques aboutissent dans les organes lymphoïdes périphériques
Costimulation
Le déficit en costimulateurs peut conduire à une anergie ou une apoptose, et au développement de Treg ou à une sensibilité à la suppression par des Treg
L'expression des costimulateurs, typiquement induite par les microbes, favorise la survie et l'activation des lymphocytes
Durée de l'exposition à l'antigène
Longue persistance (toute la vie) ; l'engagement prolongé des TCR peut induire l'anergie et l'apoptose
Une exposition brève à un antigène microbien reflète une réponse immunitaire effective
Fig. 9.8. Caractéristiques des antigènes protéiques qui influencent le choix entre tolérance et activation des lymphocytes T. Ce tableau résume certaines des caractéristiques des antigènes protéiques du soi et non-soi (par exemple, microbiens) qui déterminent pourquoi des autoantigènes induisent la tolérance et les antigènes microbiens stimulent des réponses immunitaires des lymphocytes T. TCR : T-cell receptor, récepteur de cellule T ; Treg : lymphocytes T régulateurs.
Reconnaissance d'un autoantigène Autoantigène Cellule B autoréactive Révision du récepteur : expression de nouvelles régions V d'Ig
Réduction de l'expression du récepteur et de la signalisation
Apoptose
Cellule B non autoréactive
Délétion
Cellule B anergique
Fig. 9.9. Tolérance centrale des lymphocytes B immatures. Un lymphocyte B immature qui reconnaît un antigène du soi dans la moelle osseuse modifie (révise) son récepteur d'antigène, meurt d'apoptose (sélection négative ou délétion) ou réduit l'expression de ses récepteurs d'antigène et devient incapable de réagir. Ig : immunoglobuline.
Tolérance centrale des lymphocytes B Lorsque les lymphocytes B immatures interagissent fortement avec des antigènes du soi dans la moelle osseuse, soit ils modifient la spécificité de leur récepteur (receptor
editing, révision des récepteurs), soit ils sont tués (sélection négative) (fig. 9.9). ■ Révision des récepteurs. Les cellules B immatures sont à un stade de maturation dans la moelle osseuse lorsqu'elles ont réorganisé leurs gènes d'immunoglobuline (Ig), qu'elles expriment IgM avec une chaîne lourde et une chaîne légère et qu'elles ont arrêté les gènes RAG qui codent la recombinase. Si ces lymphocytes B reconnaissent des autoantigènes dans la moelle osseuse, ils peuvent réexprimer les gènes RAG, reprendre la recombinaison des gènes de la chaîne légère et exprimer une nouvelle chaîne légère d'Ig (voir chapitre 4). Le gène de la chaîne lourde ne peut pas se recombiner car certains segments sont perdus lors de la recombinaison initiale. La nouvelle chaîne légère s'associe à la chaîne lourde Ig précédemment exprimée pour produire un nouveau récepteur d'antigène qui peut ne plus reconnaître l'autoantigène. Ce changement de spécificité du récepteur, appelé révision du récepteur (receptor editing), réduit la probabilité que des cellules B autoréactives potentiellement nocives s'échappent de la moelle osseuse. On estime que 25 à 50 % des cellules B matures, chez un individu normal, peuvent avoir subi une révision des récepteurs durant leur maturation. (Il n'existe aucune observation indiquant que les cellules T en développement subissent une révision des récepteurs.) ■ Délétion. Si la révision des récepteurs échoue, les cellules B immatures qui reconnaissent des autoantigènes avec grande avidité reçoivent des signaux de mort et meurent d'apoptose. Ce processus de délétion ressemble à la sélection négative subie par les lymphocytes T immatures. Comme dans le compartiment des lymphocytes T, la sélection négative subie par les lymphocytes B élimine les
Chapitre 9. Tolérance immunologique et auto-immunité
Autoantigène
Inactivation fonctionnelle
Récepteurs inhibiteurs
169
deux autres types d'antigènes qui ne sont pas du soi, mais qui sont produits par des cellules ou des tissus qui doivent être tolérés par le système immunitaire. Ce sont des produits des microbes commensaux qui vivent en symbiose avec les humains et les antigènes fœtaux d'origine paternelle. La coexistence avec ces antigènes dépend de bon nombre des mécanismes qui sont utilisés pour maintenir la tolérance périphérique aux antigènes du soi.
Apoptose
Tolérance aux microbes commensaux dans l'intestin et la peau
Anergie
Délétion
Régulation par des récepteurs inhibiteurs
Fig. 9.10. Tolérance périphérique des lymphocytes B. Un lymphocyte B mature qui reconnaît un antigène du soi sans coopération des lymphocytes T est inactivé et devient incapable de répondre à cet antigène (anergie) ou meurt par apoptose (délétion) ; son activation peut aussi être supprimée par engagement de récepteurs inhibiteurs.
lymphocytes présentant des récepteurs de haute affinité pour des autoantigènes abondants, habituellement exprimés dans une grande partie de l'organisme sous forme soit membranaire soit soluble. ■ Anergie. Certains antigènes du soi, comme des protéines solubles, peuvent être reconnus dans la moelle osseuse avec une avidité faible. Les cellules B spécifiques de ces antigènes survivent, mais l'expression du récepteur d'antigène est réduite et les cellules deviennent incapables de répondre (anergie).
Tolérance périphérique des lymphocytes B Les lymphocytes B matures qui rencontrent des autoantigènes présents en forte concentration dans les tissus lymphoïdes périphériques deviennent incapables de répondre à ces antigènes (fig. 9.10). Une hypothèse postule que, si les lymphocytes B reconnaissent un antigène protéique mais sans l'aide des lymphocytes T — car les lymphocytes auxiliaires ont été éliminés ou sont tolérants —, ils pourraient devenir anergiques à cause d'un blocage de la transmission des signaux provenant des récepteurs d'antigène. Les lymphocytes B anergiques peuvent quitter les follicules lymphoïdes et ensuite en être exclus. Ces lymphocytes B exclus peuvent être éliminés car ils ne reçoivent pas les stimulus nécessaires à leur survie. Les lymphocytes B qui reconnaissent des antigènes du soi à la périphérie peuvent aussi subir l'apoptose. Par ailleurs, leur activation peut être empêchée par des signaux provenant de récepteurs inhibiteurs. Comme mentionné précédemment, des cellules T régulatrices peuvent aussi contribuer à la tolérance des lymphocytes B.
Tolérance aux microbes commensaux et aux antigènes fœtaux Avant de conclure notre description des mécanismes de la tolérance immunologique, il est utile de tenir compte de
Le microbiome des humains en bonne santé se compose d'environ 1014 bactéries et virus (c'est, estime-t-on, presque 10 fois le nombre de cellules humaines nucléées, ce qui incite les microbiologistes à souligner que nous sommes humains à 10 % et microbiens à 90 %). Ces microbes résident dans les voies intestinales et respiratoires et sur la peau, où ils exercent de nombreuses fonctions essentielles. Par exemple, dans l'intestin, les bactéries normales facilitent la digestion et l'absorption des aliments et préviennent la prolifération des organismes potentiellement dangereux. Des lymphocytes matures dans ces tissus sont capables de reconnaître les organismes, mais ne réagissent pas contre eux, de sorte que les microbes ne sont pas éliminés, et une inflammation nuisible n'est pas déclenchée. Dans l'intestin, plusieurs mécanismes expliquent l'incapacité du système immunitaire normal à réagir contre les microbes commensaux. Ces mécanismes comprennent : ■ l'abondance de cellules T régulatrices productrices d'IL-10 ; ■ une propriété inhabituelle des cellules dendritiques intestinales telle que la signalisation de certains récepteurs de type Toll qui conduit à l'inhibition au lieu de l'activation ; ■ la séparation physique par l'épithélium de nombreuses bactéries commensales du système immunitaire intestinal. Les mécanismes qui maintiennent la tolérance aux bactéries commensales de la peau ne sont pas aussi bien définis.
Tolérance aux antigènes fœtaux L'évolution de la placentation chez les mammifères euthériens a permis que le fœtus arrive à maturité avant la naissance, mais a créé le problème lié à l'expression des antigènes paternels par le fœtus. Ces antigènes étrangers à la mère doivent être tolérés par le système immunitaire de la mère enceinte. Un mécanisme de cette tolérance est la génération de lymphocytes T régulateurs FoxP3+ périphériques spécifiques des antigènes paternels. En fait, au cours de l'évolution des mammifères, la placentation est fortement corrélée avec la capacité de générer des cellules T régulatrices périphériques stables. Il est difficile de savoir si les femmes prédisposées aux fausses couches récurrentes souffrent d'une déficience de la production ou de la maintenance de ces cellules T régulatrices. D'autres mécanismes de tolérance fœtale comprennent l'exclusion des cellules inflammatoires de l'utérus gravide, la présentation médiocre de l'antigène dans le placenta et l'incapacité à générer des réponses Th1 nocives dans un utérus gravide normal. Après avoir décrit les mécanismes principaux de la tolérance immunologique, nous abordons les conséquences d'un échec de celle-ci, c'est-à-dire le développement de l'auto-immunité.
170
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Auto-immunité L'auto-immunité est définie comme une réponse immunitaire dirigée contre des antigènes du soi (antigènes autologues). Elle constitue une cause importante de maladies. On estime que 2 à 5 % de la population dans les pays développés souffrent de maladies auto-immunes ; la prévalence de plusieurs d'entre elles augmente. Différentes maladies autoimmunes peuvent être spécifiques d'un organe, affectant seulement un ou quelques organes, ou systémiques avec des lésions tissulaires et des manifestations cliniques généralisées. Les lésions tissulaires dans des maladies auto-immunes peuvent être causées par des anticorps dirigés contre les antigènes du soi ou par des lymphocytes T autoréactifs (voir chapitre 11).
Pathogénie Les principaux facteurs contribuant au développement de l'auto-immunité sont des gènes de susceptibilité et des facteurs environnementaux déclencheurs, comme les infections (fig. 9.11). Il est postulé que des gènes de sus-
Susceptibilité génétique
ceptibilité interfèrent dans les voies de l'autotolérance et conduisent à la persistance de lymphocytes T et B autoréactifs. Des stimulus environnementaux peuvent causer des lésions cellulaires et tissulaires ainsi que de l'inflammation et activer des lymphocytes autoréactifs, avec en conséquence la génération de cellules T effectrices et des autoanticorps qui sont responsables de la maladie auto-immune. Malgré notre connaissance croissante des anomalies immunologiques susceptibles d'entraîner une auto-immunité, nous ne connaissons pas l'étiologie des maladies auto-immunes humaines les plus communes. Cette absence de compréhension est due à plusieurs facteurs : les maladies auto-immunes humaines sont généralement hétérogènes et multifactorielles ; les autoantigènes inducteurs et cibles des réactions auto-immunes sont souvent inconnus ; les maladies peuvent se manifester cliniquement longtemps après que les réactions auto-immunes ont été induites. Des progrès récents, comme l'identification de gènes associés aux maladies et l'amélioration des techniques pour l'étude des réponses immunitaires chez l'homme sont prometteurs et devraient permettre de résoudre l'énigme de l'auto-immunité.
Réaction aux stimulus environnementaux
Gènes de susceptibilité
Lésion tissulaire et inflammation Tissu Activation des APC tissulaires
Échec de la tolérance au soi
Lymphocytes autoréactifs
Activation des lymphocytes autoréactifs
Lymphocytes effecteurs autoréactifs Lésion tissulaire : maladie auto-immune
Fig. 9.11. Mécanismes supposés d'auto-immunité. Dans ce modèle de maladie auto-immune spécifique d'un organe et due aux lymphocytes T, différents locus génétiques peuvent conférer une susceptibilité à l'auto-immunité, probablement en influençant le maintien de la tolérance au soi. Des facteurs déclencheurs environnementaux, comme des infections ou d'autres stimulus inflammatoires, favorisent l'afflux de lymphocytes dans les tissus et l'activation de cellules présentatrices d'antigènes (APC), ensuite de lymphocytes T autoréactifs, entraînant des lésions tissulaires.
Chapitre 9. Tolérance immunologique et auto-immunité
Facteurs génétiques Le risque héréditaire pour la plupart des maladies autoimmunes est attribuable à de multiples locus génétiques, mais la contribution des gènes du CMH prédomine. Si un vrai jumeau développe une maladie auto-immune, l'autre jumeau court un risque beaucoup plus grand de développer la même maladie qu'un membre non apparenté. En outre, l'augmentation d'incidence est supérieure chez les jumeaux homozygotes (vrais jumeaux) que chez les jumeaux hétérozygotes. Ces observations prouvent l'importance de la génétique dans la susceptibilité à l'auto-immunité. Des études d'association à l'échelle du génome entier, les analyses de liaison dans les familles et des expériences de croisements entre lignées d'animaux ont révélé quelques-unes des variations géniques fréquentes (polymorphismes) pouvant contribuer à différentes maladies auto-immunes. Les premiers résultats suggèrent que ces différents polymorphismes sont plus fréquents (prédisposants) ou moins fréquents (protecteurs) chez les patients que chez les témoins en bonne santé. La probabilité d'une maladie auto-immune particulière chez les personnes porteuses ou non d'un allèle HLA particulier est exprimée par le rapport de cotes ou le risque relatif. L'importance de ces polymorphismes est renforcée par le constat que beaucoup affectent des gènes impliqués dans les réponses immunitaires et que le même polymorphisme génétique peut être associé à plus d'une maladie auto-immune. Toutefois, ces polymorphismes sont présents fréquemment chez des individus en bonne santé et la contribution individuelle de chacun de ces gènes au développement de l'auto-immunité semble être très faible. Aussi un ensemble de nombreux allèles de risque est nécessaire pour causer la maladie. De nombreuses maladies auto-immunes chez l'homme et chez les animaux consanguins sont liées à des allèles particuliers du CMH (fig. 9.12). L'association entre des allèles HLA et les maladies auto-immunes chez l'homme a été mise en évidence il y a de nombreuses années et a constitué l'un des arguments principaux en faveur du rôle important joué par les lymphocytes T dans ce type de maladies — dans la mesure où la fonction des molécules du CMH est de présenter les antigènes peptidiques aux lymphocytes T. L'incidence de nombreuses maladies auto-immunes est souvent supé-
171
rieure chez les individus qui héritent d'allèle(s) HLA particuliers que dans la population générale. Dans la plupart de ces associations à une maladie, des allèles HLA de classe II (HLA-DR et HLA-DQ) sont concernés, peut-être parce que ces molécules du CMH de classe II contrôlent l'action des cellules T CD4+, leur implication dans les réponses immunitaires aux protéines étant de type cellulaire et humoral mais aussi de type régulateur. Il est important de souligner qu'un allèle HLA peut augmenter le risque de développer une maladie auto-immune particulière, mais que l'allèle HLA n'est pas, par lui-même, la cause de cette maladie. En fait, la maladie ne se développe jamais dans la grande majorité des individus qui héritent d'un allèle HLA qui confère un risque accru de la maladie. Malgré l'association nette des allèles du CMH avec plusieurs maladies auto-immunes, le rôle de ces allèles dans le développement des maladies reste inconnu. Selon certaines hypothèses, des allèles particuliers du CMH contribueraient au développement d'une auto-immunité car ils sont nécessaires à la présentation des peptides du soi aux lymphocytes T autoréactifs ou ils sont inefficaces dans la présentation de certains autoantigènes dans le thymus, ce qui empêche la sélection négative des lymphocytes T. Des polymorphismes dans des gènes non-HLA sont associés à diverses maladies auto-immunes et peuvent contribuer à l'échec de la tolérance au soi ou à l'activation anormale des lymphocytes (fig. 9.13A). De telles variantes génétiques associées à une maladie sont nombreuses. ■ Les polymorphismes dans le gène codant la tyrosine phosphatase PTPN22 (protein tyrosine phosphatase N22) peuvent entraîner l'activation non contrôlée des cellules B et T et sont associés à de nombreuses maladies auto-immunes : polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique et diabète de type 1. ■ Dans certaines populations ethniques, des variantes génétiques du détecteur microbien cytoplasmique de l'immunité innée, NOD-2 (nucleotide-binding oligomerization domain-containing protein-2), qui réduisent la résistance aux microbes intestinaux, sont associées à la maladie de Crohn, une maladie inflammatoire de l'intestin. ■ D'autres polymorphismes associés à plusieurs maladies auto-immunes touchent les protéines suivantes : la chaîne α, CD25, du récepteur de l'IL-2, que l'on croit influencer
Maladie
Allèle du CMH
Risque relatif
Spondylarthrite ankylosante
HLA-B27
90
Polyarthrite rhumatoïde
HLA-DRB1*01/*04/*10
4–12
Diabète de type 1
HLA-DRB1*0301/0401
35
Pemphigus vulgaire
HLA-DR4
14
Fig. 9.12. Association de maladies auto-immunes à des allèles du locus du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Des études familiales et de liaison génétique montrent que les individus qui héritent d'allèles HLA particuliers courent un risque plus grand de développer certaines maladies auto-immunes que les individus n'ayant pas ces allèles — rapport de cotes (odds ratio, OR) ou risque relatif (RR). Le tableau reprend une liste d'exemples d'association entre le système HLA et certaines pathologies. Par exemple, les porteurs de l'allèle HLA-B27 ont 90 à 100 fois plus de risque de développer une spondylarthrite ankylosante que les individus sans B27 ; d'autres maladies montrent différents degrés d'association avec d'autres allèles HLA. Les astérisques indiquent les allèles HLA identifiés par typage moléculaire (basé sur l'ADN) au lieu des anciennes méthodes sérologiques (basées sur des anticorps).
172
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A
Gènes qui peuvent contribuer à des maladies auto-immunes génétiquement complexes Gène(s)
Association à une maladie
PTPN22
PR, plusieurs autres
Régulation anormale par une tyrosine phosphatase de la sélection et de l'activation des lymphocytes T ?
NOD2
Maladie de Crohn
Résistance défectueuse ou réponses anormales aux microbes intestinaux
IL23R
MICI, Pso, SA
Composant du récepteur de l'IL-23 ; intervient dans la production et le maintien des cellules Th17
CTLA-4
Diabète de type 1, PR
Déficience d'un point de contrôle inhibiteur et de la fonction des cellules T régulatrices
CD25 (IL-2Rα)
SEP, diabète de type 1, autres
Anomalies dans les cellules T effectrices et/ou régulatrices
LES C2, C4 (Protéines du complément)
FCGRIIB (FCγRIIb) B
LES
Mécanisme
Déficiences dans l'élimination des complexes immuns ou dans la tolérance des cellules B ? Inhibition rétroactive défectueuse des cellules B
Défauts de gènes uniques responsables d'auto-immunité (maladies mendéliennes) Gène(s)
Association à une maladie
Mécanisme
AIRE
Polyendocrinopathie auto-immune (APS-1)
Défaut d'expression thymique d'antigènes tissulaires périphériques et, donc, d'élimination des lymphocytes T autoréactifs
CTLA-4
Syndrome dysimmunitaire autosomique dominant
Déficience d'un point de contrôle inhibiteur et de la fonction des cellules T régulatrices entraînant la perte d'homéostasie des cellules T et B
FOXP3
Polyendocrinopathie et entéropathie liées à l'X (IPEX)
Déficience des cellules T régulatrices
FAS
Syndrome lymphoprolifératif auto-immun (SLPA)
Apoptose défectueuse des cellules T et B autoréactives à la périphérie
Fig. 9.13. Rôle de gènes n'appartenant pas au CMH dans l'auto-immunité. A. Exemples sélectionnés de variantes génétiques (polymorphismes) qui prédisposent aux maladies auto-immunes mais qui, individuellement, ont des effets minimes ou nuls. B. Exemples de gènes dont les mutations sont responsables d'auto-immunité. Ce sont de rares exemples de maladies auto-immunes transmises de manière mendélienne. Le mode de transmission varie dans les différentes maladies. La polyendocrinopathie auto-immune de type 1 (APS-1 ou syndrome APECED) est autosomique récessive, et chez la plupart des patients, les deux allèles du gène AIRE doivent être anormaux pour causer la maladie. Dans le dérèglement immunitaire polyendocrinopathie-entéropathie lié à l'X (IPEX), une mutation dans un allèle du gène FOXP3 situé sur le chromosome X suffit à provoquer une déficience chez les garçons. Le syndrome lymphoprolifératif avec auto-immunité (ALPS) est autosomique dominant à pénétrance très variable, car FAS et FASL sont des protéines trimériques et des mutations dans l'un des allèles de l'un ou l'autre gène a comme conséquence une expression réduite des trimères intacts. La maladie causée par des mutations de CTLA-4 est également autosomique dominante, peut-être parce que la mutation dans un allèle réduit l'expression de la protéine suffisamment pour altérer sa fonction. DT1 : diabète de type 1 ; IL : interleukine ; LES : lupus érythémateux systémique ; MICI : maladie inflammatoire chronique de l'intestin ; PR : polyarthrite rhumatoïde ; PSO : psoriasis ; SA : spondylarthrite ankylosante ; SEP : sclérose en plaques.
l'équilibre entre cellules T effectrices et régulatrices ; le récepteur de la cytokine IL-23, qui favorise le développement des cellules inflammatoires Th17 ; la CTLA-4, un des principaux récepteurs inhibiteurs des lymphocytes T décrit ci-dessus.
Étonnamment, bon nombre de ces polymorphismes se trouvent dans les régions régulatrices des gènes (promoteurs et activateurs) et non dans les séquences codantes, ce qui suggère qu'ils influencent l'expression des gènes.
Chapitre 9. Tolérance immunologique et auto-immunité De rares maladies auto-immunes ont une origine mendélienne ; elles sont causées par des mutations dans des gènes uniques qui ont une pénétrance élevée et qui conduisent à l'auto-immunité chez la plupart des individus porteurs de ces mutations, quoique les types de transmission héréditaire varient. Ces gènes, auxquels nous avons fait allusion plus tôt, comprennent AIRE, FOXP3, FAS et CTLA-4 (fig. 9.13B). La mise en évidence de mutations dans ces gènes a été très utile pour l'identification des molécules et des voies impliquées dans la tolérance au soi. Ces formes mendéliennes d'autoimmunité sont toutefois extrêmement rares et les maladies auto-immunes communes ne sont pas causées par des mutations touchant l'un de ces gènes connus.
Rôle des infections et autres facteurs de l'environnement Les infections peuvent activer des lymphocytes autoréactifs et déclencher le développement de maladies autoimmunes. Les cliniciens ont observé depuis de nombreuses années que les manifestations cliniques de l'auto-immunité sont parfois précédées de prodromes infectieux. Cette assoA
APC tissulaire « au repos »
173
ciation entre les infections et les lésions tissulaires autoimmunes a été clairement établie dans des modèles animaux. Les infections peuvent contribuer à l'auto-immunité de différentes manières (fig. 9.14). ■ Une infection tissulaire peut induire une réponse immunitaire innée locale et celle-ci peut provoquer une augmentation de l'expression de costimulateurs et de cytokines par les APC tissulaires. Ces APC tissulaires activées sont alors en mesure de stimuler des lymphocytes T autoréactifs qui rencontrent les antigènes du soi dans le tissu. En d'autres termes, les infections sont en mesure de « rompre » la tolérance des lymphocytes T et de favoriser la survie et l'activation des lymphocytes autoréactifs. Cela peut mener à une maladie si elle survient chez des personnes qui sont génétiquement à risque de développer une auto-immunité. L'interféron de type I (IFN) est une cytokine produite par la réponse immunitaire innée aux virus. La production excessive d'IFN de type I a été associée au développement de plusieurs maladies auto-immunes, notamment le lupus. Il peut activer les APC ou les lymphocytes, mais ce qui stimule sa production et comment il contribue à l'autoimmunité n'est pas bien compris.
Lymphocyte T
Tolérance au soi
Tolérance au soi : anergie ou délétion
Antigène du soi
B Microbe
Activation de l'APC
Induction de molécules de costimulation sur les APC Antigène du soi
C
Lymphocyte T autoréactif
B7
CD28
Tissu de l'organisme
Auto-immunité
Microbe
Mimétisme moléculaire
Activation des lymphocytes T Antigène du soi Lymphocyte T autoréactif Antigène qui reconnaît le peptide microbien microbien
Tissu du soi
Auto-immunité
Fig. 9.14. Mécanismes par lesquels les microbes peuvent contribuer à l'auto-immunité. A. Normalement, la rencontre des lymphocytes T matures avec des antigènes du soi présentés par des cellules présentatrices d'antigènes (APC) tissulaires quiescentes entraîne une tolérance périphérique. B. Des microbes peuvent activer les APC afin qu'elles expriment des molécules de costimulation. Ainsi, lorsque ces APC présentent des antigènes du soi, les lymphocytes T spécifiques sont activés au lieu d'être rendus tolérants. C. Certains antigènes microbiens peuvent présenter des réactions croisées avec les antigènes du soi (mimétisme). Par conséquent, les réponses immunitaires suscitées par les microbes peuvent se retourner contre les cellules et les tissus du soi. La figure illustre les concepts tels qu'ils s'appliquent aux lymphocytes T ; le mimétisme moléculaire peut également s'appliquer aux lymphocytes B autoréactifs.
174
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
■ Certains microbes infectieux peuvent produire des antigènes peptidiques qui sont semblables aux antigènes du soi et présentent des réactions croisées avec ces antigènes. Ces réponses immunitaires contre des peptides microbiens peuvent entraîner une attaque immunitaire contre les antigènes du soi. Une telle réaction croisée entre antigènes microbiens et antigènes du soi est dénommée « mimétisme moléculaire ». Bien que la contribution du mimétisme moléculaire à l'auto-immunité ait fasciné les immunologistes, sa signification réelle dans le développement des maladies auto-immunes reste inconnue. On connaît quelques syndromes rares dans lesquels des anticorps produits contre une protéine microbienne se lient à des protéines du soi. Un exemple est le rhumatisme articulaire aigu, une maladie assez courante avant l'utilisation généralisée des antibiotiques, au cours duquel des anticorps antistreptococciques réagissent de manière croisée avec un antigène myocardique et causent une maladie cardiaque. ■ La réponse innée aux infections peut altérer la structure chimique des antigènes du soi. Par exemple, certaines infections bactériennes parodontales sont associées à la polyarthrite rhumatoïde. Il est postulé que les réactions inflammatoires à ces bactéries conduisent à la conversion enzymatique des arginines en citrullines dans des protéines du soi ; les protéines citrullinées sont alors reconnues comme étrangères et suscitent des réponses immunitaires adaptatives. ■ Les infections peuvent également provoquer des lésions tissulaires et la libération d'antigènes qui sont normalement séquestrés et n'entrent pas en contact avec le système immunitaire. Ainsi, certains antigènes séquestrés (par exemple, dans le testicule ou dans l'œil) ne sont normalement pas détectés par le système immunitaire et sont ignorés. La libération de ces antigènes lors d'un traumatisme ou d'une infection peut déclencher une réaction auto-immune contre le tissu. ■ L'abondance et la composition des microbes commensaux normaux dans l'intestin, la peau et d'autres sites (microbiome) peuvent aussi avoir un impact sur la santé du système immunitaire et le maintien de la tolérance au soi. Cette possibilité a suscité beaucoup d'intérêt, mais vu les variations normales du microbiome humain liées à l'environnement et à l'alimentation, il est difficile d'établir la relation entre des microbes particuliers et le développement de maladies auto-immunes. De manière paradoxale, certaines infections paraissent protéger des maladies auto-immunes. Cette conclusion repose sur des données épidémiologiques et des études expérimentales limitées. Le mécanisme expliquant cet effet des infections reste inconnu. Plusieurs autres facteurs environnementaux et individuels peuvent contribuer à l'auto-immunité. De nombreuses maladies auto-immunes sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes, mais le mécanisme par lequel le genre peut affecter la tolérance immunologique ou l'activation lymphocytaire reste inconnu. L'exposition au soleil est un facteur déclencheur d'une maladie auto-immune, le lupus érythémateux systémique (LES), qui est caractérisée
par la production d'autoanticorps dirigés contre des acides nucléiques et des nucléoprotéines du soi. On suppose que ces antigènes nucléaires seraient libérés de cellules mortes d'apoptose à la suite de l'exposition au rayonnement ultraviolet du soleil.
Points clés ■
■
■
■
■
■
■
■
La tolérance immunologique est l'absence de réponse spécifique à un antigène qui est normalement induite par l'exposition des lymphocytes à cet antigène. Tous les individus sont tolérants (non répondeurs) envers leurs propres antigènes (soi). La tolérance envers des antigènes peut être induite en administrant cet antigène par différentes voies ; ces stratégies peuvent être utiles dans le traitement des maladies immunitaires et pour la prévention du rejet des greffons. La tolérance centrale est induite dans les lymphocytes immatures qui rencontrent les antigènes dans les organes lymphoïdes centraux. La tolérance périphérique résulte de la reconnaissance des antigènes par les lymphocytes matures dans les tissus périphériques. La tolérance centrale des lymphocytes T est le résultat de leur interaction de haute affinité avec des antigènes thymiques. Certaines de ces cellules T autoréactives meurent (sélection négative), ce qui élimine les lymphocytes T potentiellement les plus dangereux, c'est-à-dire ceux qui expriment des récepteurs de forte affinité pour les antigènes du soi. D'autres cellules T de la lignée CD4 se différencient en cellules T régulatrices qui suppriment l'autoréactivité en périphérie. La tolérance périphérique des lymphocytes T est induite par de nombreux mécanismes. L'anergie (inactivation fonctionnelle) résulte de la reconnaissance des antigènes en l'absence de costimulation (seconds signaux). Les mécanismes de l'anergie comprennent un blocage de la signalisation provenant du TCR et l'engagement de récepteurs inhibiteurs comme CTLA-4 ou PD-1. Des cellules T régulatrices autoréactives suppriment les lymphocytes T potentiellement pathogènes. La délétion (mort par apoptose) peut survenir lorsque des cellules T rencontrent des autoantigènes. Pour les lymphocytes B, la tolérance centrale est induite lorsque les lymphocytes immatures reconnaissent les antigènes du soi dans la moelle osseuse. Certaines cellules changent leurs récepteurs (révision des récepteurs) et d'autres meurent d'apoptose (sélection négative ou délétion). La tolérance périphérique est induite lorsque les lymphocytes B matures reconnaissent les antigènes du soi sans coopération des lymphocytes T, ce qui entraîne l'anergie et la mort des cellules B ou l'engagement de récepteurs inhibiteurs. Les maladies auto-immunes proviennent d'un dysfonctionnement de la tolérance au soi. De multiples facteurs contribuent à l'auto-immunité, notamment des gènes de susceptibilité et des facteurs déclencheurs de l'environnement comme les infections. De nombreux gènes contribuent au développement de l'autoimmunité. Les associations les plus fortes sont établies entre les gènes HLA et différentes maladies auto-immunes liées aux lymphocytes T. Les infections prédisposent à l'auto-immunité, en déclenchant une inflammation et en induisant l'expression aberrante de molécules de costimulation ou à cause de réactions croisées entre antigènes microbiens et antigènes du soi.
Chapitre
10
Immunologie des tumeurs et de la transplantation Réponses immunitaires contre les cellules cancéreuses et les cellules normales étrangères PLAN DU CHAPITRE Réponses immunitaires antitumorales . . . . . . Antigènes tumoraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mécanismes immunitaires du rejet de tumeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Échappement des tumeurs aux réponses immunitaires . . . . . . . . . . . . . . Immunothérapie du cancer . . . . . . . . . . . . . Réponses Immunitaires contre les greffes . . . . Antigènes de transplantation . . . . . . . . . . .
176 176 178 179 180 185 186
Les cancers et les transplantations d'organes sont deux situations dans lesquelles les réponses immunitaires à des cellules humaines qui sont génétiquement distinctes du soi normal ont des conséquences cliniques importantes. Afin que les cancers grandissent, ils doivent échapper à l'immunité de l'hôte et des méthodes efficaces amplifiant les réponses immunitaires du patient contre les tumeurs, appelées immunothérapie du cancer, ont transformé l'oncologie clinique. Dans la transplantation d'organes, la situation est inverse : les réponses immunitaires contre les greffons provenant d'autres personnes constituent le principal obstacle au succès de la transplantation, et supprimer ces réponses est l'objectif prioritaire de la médecine de transplantation. En raison de l'importance prise par le système immunitaire en cancérologie et en transplantation, l'immunologie des tumeurs et l'immunologie de la transplantation sont devenues des sous-disciplines dans le cadre desquelles les chercheurs et les cliniciens se rencontrent pour traiter de questions à la fois fondamentales et cliniques. Les réponses immunitaires contre les tumeurs et les greffons partagent diverses caractéristiques. Ce sont des situations dans lesquelles le système immunitaire ne répond
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Induction de réponses immunitaires Contre les greffes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mécanismes immunitaires du rejet de greffe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prévention et traitement du rejet de greffe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Transplantation de cellules sanguines et de cellules souches hématopoïétiques . . . .
187 189 189 191
pas contre des microbes, comme c'est généralement le cas, mais contre des cellules non infectieuses perçues comme étrangères. Les antigènes qui marquent les tumeurs et les greffons comme étrangers peuvent être exprimés par pratiquement tous les types cellulaires susceptibles de subir une transformation maligne ou d'être greffés d'un individu à un autre. Dès lors, des réponses immunitaires contre les tumeurs et les greffes peuvent être dirigées contre divers types cellulaires. Aussi, le système immunitaire utilise le même mécanisme principal, l'activation des lymphocytes T cytotoxiques (CTL) pour tuer les cellules tumorales et les cellules des greffes tissulaires. Dans ce chapitre, nous répondons aux questions suivantes. ■ Quels sont les antigènes des tumeurs et des greffes tissulaires reconnus comme étrangers par le système immunitaire ? ■ Comment le système immunitaire reconnaît-il et réagit-il aux tumeurs et aux greffons ? ■ Comment peut-on manipuler les réponses immunitaires dirigées contre les tumeurs et les greffons afin d'augmenter le rejet des tumeurs ou inhiber le rejet de greffes ?
175
176
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Nous abordons d'abord l'immunité antitumorale, puis celle de la transplantation en insistant sur les principes qui leur sont communs.
Réponses immunitaires antitumorales Depuis plus d'un siècle, des scientifiques ont proposé qu'une fonction physiologique du système immunitaire adaptatif était la prévention de l'expansion de cellules transformées ou la destruction de ces cellules avant qu'elles ne deviennent des tumeurs dangereuses. Le contrôle et l'élimination des cellules malignes par le système immunitaire constituent ce que l'on appelle l'immunosurveillance des tumeurs. Plusieurs données probantes soutiennent l'idée que l'immunosurveillance joue un rôle important dans la prévention de la croissance tumorale (fig. 10.1). Cependant, le fait que des tumeurs malignes communes se développent chez des individus immunocompétents, indique que l'immunité antitumorale est souvent incapable de prévenir la croissance tumorale ou est facilement débordée par des tumeurs à croissance rapide. En outre, des biologistes considèrent maintenant la capacité d'échapper à la destruction immunitaire comme une caractéristique fondamentale des cancers. C'est ainsi que l'on a réalisé que la réponse immunitaire aux tumeurs est souvent dominée par la tolérance ou la régulation, et non par une immunité efficace. L'immunologie tumorale s'est concentrée sur l'identification des types d'antigènes tumoraux contre lesquels le système immunitaire réagit, sur la compréhension de la nature des réponses immunitaires antitumorales et les mécanismes par lesquels les tumeurs leur échappent, ainsi que sur le développement de stratégies pour amplifier l'immunité antitumorale.
Antigènes tumoraux Les tumeurs malignes expriment différents types de molécules qui peuvent être reconnues par le système immunitaire comme des antigènes étrangers (fig. 10.2). Des antigènes protéiques qui suscitent des réponses CTL sont les plus pertinents pour une immunité protectrice antitumorale. Ces antigènes tumoraux doivent être présents dans le cytosol des cellules tumorales afin d'être reconnus par les CTL CD8+. Les antigènes tumoraux qui suscitent des réponses immunitaires peuvent être répartis en plusieurs groupes. ■ Néoantigènes codés par des gènes mutés de manière aléatoire. Le séquençage récent des génomes tumoraux a révélé que des tumeurs humaines communes comportaient un très grand nombre de mutations dans divers gènes, reflétant l'instabilité génétique des cellules malignes. Ces mutations ne jouent habituellement aucun rôle dans la tumorigenèse et sont appelées mutations de type « passager ». Bon nombre de ces mutations entraînent l'expression de protéines mutées, appelées néoantigènes parce qu'elles sont nouvellement exprimées dans les cellules tumorales, mais pas dans les cellules normales à l'origine de la tumeur. Comme les lymphocytes T ne reconnaissent que les peptides liés aux molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH), les protéines tumorales mutées ne peuvent être reconnues que si les peptides portant les séquences mutées d'acides aminés peuvent se fixer aux allèles CMH des patients. Les néoantigènes tumoraux peuvent ne pas induire de tolérance parce qu'ils ne sont pas présents dans les cellules normales et qu'ils sont les cibles les plus communes des réponses immunitaires adaptatives spécifiques des tumeurs. En fait, le nombre de ces mutations dans les cancers humains corrèle avec la force des réponses immunitaires antitumorales des patients et l'efficacité des immunothérapies qui amplifient ces réponses. Dans les tumeurs expérimentales induites par des carcinogènes chimiques ou des
Preuve
Conclusion
Des infiltrats lymphocytaires autour de certaines tumeurs et l'hypertrophie des ganglions lymphatiques drainants corrèlent avec un meilleur pronostic
Les réponses immunitaires contre les tumeurs inhibent leur croissance
Les greffes de tumeurs sont rejetées par des animaux précédemment exposés à cette tumeur ; l'immunité contre les greffes de tumeurs peut être transférée par des lymphocytes prélevés chez un animal porteur de tumeur
Le rejet des tumeurs présente les caractéristiques du système immunitaire adaptatif (spécificité, mémoire) et il est assuré par des lymphocytes
Les individus immunodéficients présentent une augmentation de l'incidence de certains types de tumeurs
Le système immunitaire protège contre la croissance des tumeurs
Le blocage thérapeutique des récepteurs inhibiteurs des cellules T tels que PD-1 et CTLA-4 conduit à une régression des tumeurs
L'échappement des tumeurs repose pour partie sur l'activation de récepteurs inhibiteurs des lymphocytes T
Fig. 10.1. Preuves de l'intervention du système immunitaire contre les tumeurs. Plusieurs données cliniques et expérimentales indiquent que le système immunitaire adaptatif peut réagir contre des tumeurs. CTLA-4 : cytotoxic T-lymphocyte-associated protein 4 ; PD-1 : programmed cell death protein 1.
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation
Types d'antigènes tumoraux Néoantigènes générés par des mutations sans relation avec la tumorigenèse
Mutation
177
Exemples Mutations aléatoires « passager » dans des cancers communs
Gène déméthyle
Protéines normales exprimées de manière aberrante
Antigènes cancer/testicule dans de nombreuses tumeurs
Surexpression de gènes et de protéines normales
HER2/neu dans les cancers du sein
Virus oncogène
Antigènes nucléaires de l'EBV dans les lymphomes EBV+
Antigènes protéiques exprimés par un virus oncogène Gène viral
Protéines normales exprimées par le tissu d'origine de la tumeur
Tyrosinase dans les mélanomes ; CD20 sur les lymphomes à cellules B
Fig. 10.2. Types d'antigènes tumoraux reconnus par les lymphocytes T. Les antigènes tumoraux qui sont reconnus par les lymphocytes T CD8+ spécifiques de tumeurs peuvent être des formes mutées de diverses protéines du soi ne participant pas au processus de tumorigenèse, des produits d'oncogènes ou de gènes suppresseurs de tumeurs, des protéines du soi surexprimées dans les cellules tumorales et des produits de virus oncogènes. Les antigènes cancer/testicule sont des protéines qui sont normalement exprimées dans les testicules ainsi que dans certaines tumeurs. Les antigènes tumoraux peuvent également être reconnus par les lymphocytes T CD4+, mais le rôle de ces lymphocytes dans l'immunité antitumorale est moins bien connu. EBV : Epstein-Barr virus.
radiations, les antigènes tumoraux sont aussi avant tout des mutants de protéines cellulaires normales. ■ Produits d'oncogènes ou de gènes suppresseurs de tumeur mutés. Certains antigènes tumoraux sont les produits de mutations dites de type « conducteur » dans des gènes qui sont impliqués dans le processus de transformation maligne. Les mutations « conducteur » qui codent des antigènes tumoraux peuvent être des substitutions d'acides aminés, des délétions ou de nouvelles séquences générées par des translocations géniques, toutes aboutissant à des structures considérées comme étrangères.
■ Protéines de structure normale exprimées de manière aberrante ou surexprimées. Dans plusieurs tumeurs humaines, des antigènes qui suscitent des réponses immunitaires sont des protéines normales (non mutées) dont l'expression est dérégulée dans les tumeurs, parfois comme une conséquence de changements épigénétiques tels que la déméthylation de promoteurs de gènes codant ces protéines, et parfois par amplification génique. On s'attendrait à ce que ces autoantigènes de structure normale ne suscitent aucune réaction immunitaire, mais leur expression aberrante semble suffire à les rendre immunogènes. Par exemple, les protéines du soi qui
178
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
sont exprimées uniquement dans les tissus embryonnaires peuvent ne pas induire de tolérance chez l'adulte ; ces protéines exprimées dans des tumeurs peuvent alors être reconnues comme étrangères par le système immunitaire. ■ Antigènes viraux. Dans les tumeurs induites par des virus oncogènes, les antigènes tumoraux peuvent être des produits d'origine virale.
Mécanismes immunitaires du rejet de tumeur Le principal mécanisme immunitaire d'éradication des tumeurs est leur destruction par des CTL spécifiques des antigènes tumoraux. La majorité des néoantigènes tumoraux qui déclenchent des réponses immunitaires chez les individus porteurs de tumeurs sont des protéines cytosoliques ou nucléaires synthétisées de manière endogène, apprêtées par des protéasomes et présentées sous forme de peptides associés aux molécules du CMH de classe I. Par conséquent, ces antigènes sont reconnus par des CTL CD8+, restreints par les molécules du CMH de classe I, dont la fonction est de tuer les
cellules produisant ces antigènes. Le rôle des CTL dans le rejet tumoral a été établi dans des modèles animaux : des tumeurs peuvent être détruites par transfert de lymphocytes T CD8+ réagissant avec les cellules tumorales chez des animaux porteurs de tumeurs. Des études de nombreuses tumeurs humaines indiquent qu'une infiltration abondante de CTL est de pronostic clinique plus favorable que lorsque les tumeurs contiennent moins de CTL. Les réponses des CTL contre les tumeurs sont initiées par la reconnaissance des antigènes tumoraux sur les cellules présentatrices d'antigènes (APC). Les APC ingèrent les cellules tumorales ou leurs antigènes et présentent les antigènes à des cellules T CD8 + naïves dans les ganglions lymphatiques de drainage (fig. 10.3). Les tumeurs peuvent se développer à partir de pratiquement n'importe quel type de cellule nucléée dans tout tissu et, comme toutes les cellules nucléées, elles expriment habituellement des molécules du CMH de classe I, mais souvent, elles n'expriment pas de molécules de costimulation ou de molécules du CMH de classe II. Nous savons cependant que l'activation des lymphocytes T CD8+ naïfs, entraînant leur prolifération et leur différenciation en
Tumeur
Cellule dendritique Antigène tumoral phagocyté
Migration de CTL spécifiques dans la tumeur
Cellule tumorale tuée par des CTL
Vaisseau lymphatique afférent
Ganglion lymphatique
Cellule T
Activation d'une cellule T CD8+ spécifique de la tumeur
Fig. 10.3. Réponse immunitaire contre les tumeurs. Les antigènes tumoraux sont captés par les cellules dendritiques, et les réponses sont déclenchées dans les organes lymphoïdes périphériques (secondaires). Les CTL spécifiques de la tumeur migrent dans la tumeur et tuent les cellules tumorales. D'autres mécanismes de l'immunité antitumorale ne sont pas représentés. CTL : cytotoxic T lymphocyte.
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation CTL actifs, nécessite la reconnaissance de l'antigène (peptide associé à une molécule du CMH de classe I) sur des cellules dendritiques dans des organes lymphoïdes secondaires, mais également une costimulation et/ou l'aide des lymphocytes T CD4+ restreints par le CMH de classe II (voir chapitre 5). Comment les tumeurs de différents types cellulaires peuvent-elles donc stimuler les réactions CTL ? Une réponse probable est que les cellules tumorales ou leurs protéines sont ingérées par des cellules dendritiques et transportées dans les ganglions lymphatiques drainant le site tumoral. Là, les antigènes protéiques des cellules tumorales sont apprêtés et présentés par des molécules du CMH de classe I sur des cellules dendritiques. Ce processus, dit de présentation ou sensibilisation croisée (cross-priming), a été introduit au chapitre 3 (voir fig. 3.16). Des cellules dendritiques peuvent aussi présenter sur des molécules du CMH de classe II des peptides dérivés d'antigènes tumoraux ingérés. Ainsi, des antigènes tumoraux peuvent être reconnus par des cellules T CD8+ et par des cellules T CD4+. En même temps que les cellules dendritiques présentent des antigènes tumoraux, elles expriment des costimulateurs qui fournissent des signaux d'activation des lymphocytes T. On ignore comment les tumeurs induisent l'expression de costimulateurs sur les APC, puisque, comme nous l'avons décrit au chapitre 5, les stimulus physiologiques pour l'induction des costimulateurs sont généralement des microbes, alors que les tumeurs sont en général stériles. Il est probable que le stress ou la mort des cellules tumorales soit en cause. La cause pourrait être une croissance trop rapide, rendant l'apport de sang et de nutriments insuffisant. Il est aussi possible que des cellules tissulaires normales adjacentes puissent être endommagées et meurent en raison de la tumeur invasive. Les cellules en train de mourir libèrent des produits (DAMP, damage-associated molecular patterns, voir chapitre 2) qui stimulent les réponses innées et font dès lors exprimer des costimulateurs sur les APC. Une fois que les lymphocytes T CD8+ naïfs se sont différenciés en CTL effecteurs, ils sont capables de retourner dans n'importe quel site où la tumeur est en train de croître, et de tuer les cellules tumorales exprimant les antigènes appropriés, sans avoir besoin de costimulation ni de la collaboration des lymphocytes T. D'autres mécanismes immunitaires, en plus des CTL, peuvent jouer un rôle dans le rejet des tumeurs. Des lymphocytes T CD4 + ont été détectés chez des patients, et des nombres accrus de cellules T CD4+ effectrices, spécialement des cellules Th1, dans les infiltrats tumoraux sont associés à un bon pronostic. Des anticorps antitumoraux sont aussi détectables chez certains patients cancéreux, mais il n'a pas été démontré que ces réponses protégeaient réellement les individus contre la croissance tumorale. Des études expérimentales ont montré que les macrophages activés et les cellules NK (natural killer) sont capables de tuer les cellules tumorales, et que des réponses Th1 interviennent largement en activant des macrophages, mais le rôle protecteur de ces mécanismes effecteurs chez les patients porteurs de tumeurs n'est pas clairement établi.
179
Échappement des tumeurs aux réponses immunitaires Souvent, les réactions immunitaires ne parviennent pas à contrôler la croissance tumorale parce que le cancer échappe à la reconnaissance immunitaire ou résiste aux mécanismes effecteurs. Le système immunitaire doit faire face à des défis redoutables dans le combat contre les tumeurs malignes car, pour être efficaces, les réactions doivent tuer toutes les cellules tumorales. De plus, les tumeurs peuvent croître rapidement et, souvent, leur croissance déborde les défenses immunitaires. Sans surprise, les cellules tumorales qui échappent à la réponse immunitaire sont sélectionnées pour survivre et se développer. Les tumeurs utilisent différents mécanismes pour éviter la destruction par le système immunitaire (fig. 10.4). ■ Certaines tumeurs cessent d'exprimer les molécules du CMH de classe I ou des molécules impliquées dans l'apprêtement de l'antigène ou dans l'assemblage du CMH. Par conséquent, elles ne peuvent plus présenter d'antigènes aux lymphocytes T CD8+. Pour que la tumeur puisse échapper au système immunitaire, des mutations affectant la présentation de l'antigène associé au CMH de classe I sont probablement plus efficaces que la perte de néoantigènes tumoraux. En effet, toute tumeur peut exprimer de nombreux antigènes immunogènes, mais tous devraient avoir été mutés ou perdus pour que l'évasion réussisse, tandis qu'une mutation dans n'importe quel composant de la présentation antigénique conduira à un échec de la présentation de tous les antigènes. ■ Des tumeurs stimulent des voies qui inhibent l'activation des cellules T. Par exemple, de nombreuses tumeurs expriment PD-L1, un ligand pour PD-1 (programmed cell death protein), le récepteur inhibiteur des cellules T. En outre, les tumeurs, étant persistantes, stimulent de manière répétée les lymphocytes T spécifiques des antigènes tumoraux. Il en résulte que les lymphocytes T développent un état d'épuisement dans lequel ils expriment des niveaux élevés de PD-1, de CTLA-4 (cytotoxic T lymphocyte-associated antigen 4) et d'autres molécules inhibitrices, et deviennent ainsi insensibles aux antigènes. ■ Les facteurs du microenvironnement tumoral peuvent altérer la capacité des cellules dendritiques à induire de fortes réponses immunitaires antitumorales. Par exemple, les cellules dendritiques qui captent des antigènes tumoraux souvent n'expriment que peu de costimulateurs B7 sur les APC, ce qui entraîne un engagement préférentiel du récepteur inhibiteur CTLA-4 sur les cellules T naïves dans les ganglions lymphatiques de drainage, plutôt que le récepteur de stimulation CD28 (voir chapitre 9). Certaines tumeurs peuvent induire des lymphocytes T régulateurs, qui suppriment également les réponses immunitaires antitumorales. Les cellules suppressives myéloïdes, qui sont liées au développement des neutrophiles et des monocytes, mais qui exercent principalement des fonctions anti-inflammatoires, sont abondantes dans les tumeurs, et on croit qu'elles contribuent à l'immunosuppression. ■ Certaines tumeurs encore peuvent produire des cytokines immunosuppressives, comme le TGF-β (transforming growth factor β).
180
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique Cellule tumorale
Immunité antitumorale Antigène tumoral Molécule du CMH
Lymphocyte T spécifique de l'antigène tumoral
Reconnaissance de l'antigène tumoral par le lymphocyte T conduisant à son activation
Deficit de production de l'antigène tumoral Variant de la cellule tumorale dépourvu d'antigènes
Absence de reconnaissance de la tumeur par les lymphocytes T
Mutations des gènes du CMH ou des gènes nécessaires à l'apprétement des antigènes Cellule tumorale dépourvue de molécules de classe l du CMH
Absence de reconnaissance de la tumeur par les lymphocytes T
Échappement des tumeurs Sécrétion de protéines immunosuppressives à l'immunité ou expression de protéines inhibitrices à la surface cellulaire Ligand inhibiteur
Récepteur inhibiteur
Inhibition de l'activation des lymphocytes T Cytokines immunosuppressives
Microenvironnement immunosuppresseur Th1
CTL
Inhibition de l'activation des cellules T ou de la différenciation en Th1 et en CTL
T-reg
MDSC
Fig. 10.4. Comment les tumeurs échappent aux réponses immunitaires. L'immunité antitumorale se développe lorsque les lymphocytes T reconnaissent les antigènes tumoraux et sont activés. Les cellules tumorales peuvent échapper aux réponses immunitaires en perdant l'expression de leurs antigènes ou de leurs molécules du CMH, ou en produisant des cytokines immunosuppressives ou des ligands comme PD-L1 pour des récepteurs inhibiteurs des cellules T. Des tumeurs peuvent également créer un microenvironnement immunosuppresseur avec des lymphocytes T régulateurs et des cellules myéloïdes anti-inflammatoires. CTL : cytotoxic T lymphocyte ; MDSC : myeloid derived suppressor cell, cellule suppressive d'origine myéloïde.
Immunothérapie du cancer Les stratégies principales de l'immunothérapie anticancéreuse actuellement en pratique clinique comprennent l'introduction d'effecteurs antitumoraux comme des anticorps et des cellules T autologues qui reconnaissent des antigènes tumoraux et l'amplification des réponses immunitaires antitumorales du patient par des anticorps
qui bloquent les points de contrôle et par la vaccination. Jusqu'à il y a peu, la plupart des protocoles thérapeutiques des cancers généralisés (qui ne peuvent pas être traités chirurgicalement) étaient fondés sur la chimiothérapie et la radiothérapie, deux modes de traitement qui endommagent les tissus normaux non tumoraux et s'avèrent souvent très nocifs. Comme la réponse immunitaire est hautement
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation
Description d'infiltrats immunitaires par Virchow
Hypothèse de l'immunosurveillance du cancer
(1991, 1994) Découverte des antigènes tumoraux humains
Approbation par la FDA d'un anti-CTLA-4 (ipilimumab) pour le mélanome Vaccination anti-HPV pour prévenir la néoplasie du col utérin
Thérapie du cancer par l'IL-2
181
Approbation par la FDA d'anti-PD-1 et d'anti-PD-L1 pour de nombreux cancers
Invention des cellules CAR pour le traitement des leucémies
1863 1898 1957 1976 1983 1985 1991 2002 2009 2010 2011 2014 2016 Traitement de cancer par des produits bactériens (« toxine de Coley »)
Traitement du cancer de la vessie par le BCG
Thérapie cellulaire adoptive
Thérapie adoptive à cellules T
Approbation par la FDA d'un vaccin à base de CD (sipuleucel-T) pour le cancer de la prostate
Approbation par la FDA d'un anti-PD-1 pour le mélanome
Fig. 10.5. Histoire de l'immunothérapie du cancer. Certaines des découvertes importantes dans le domaine de l'immunothérapie du cancer sont résumées. BCG : bacille de Calmette-Guérin ; CAR : chimeric antigen receptor, récepteur antigénique chimérique ; CTLA-4 : cytotoxic T-lymphocyte-associated protein 4, protéine 4 associée aux lymphocytes T cytotoxiques ; CD : cellules dendritiques ; FDA : Federal Drug Administration ; VPH : virus du papillome humain ; IFN-α : interféron-α ; IL-2 : interleukine-2 ; PD-1 : programmed cell death protein 1, protéine 1 de mort cellulaire programmée ; TNF : tumor necrosis factor, facteur de nécrose tumorale. Source : adapté de Lesterhuis WJ, Haanen JB, Punt CJ. Cancer immunotherapy-revisited. Nat Rev Drug Discov 2011 ; 10 : 591–600.
spécifique, on a longtemps espéré que les réactions immunitaires pourraient servir à l'éradication sélective des tumeurs, sans nuire au patient. Ce n'est que récemment que les promesses de l'immunothérapie du cancer ont été réalisées chez des patients. L'histoire de l'immunothérapie du cancer illustre comment les premières approches, souvent empiriques, ont été largement supplantées par des stratégies rationnelles sur la base de l'amélioration de notre compréhension des réponses immunitaires (fig. 10.5).
Immunothérapie passive par anticorps monoclonaux Une stratégie d'immunothérapie antitumorale qui est appliquée depuis des décennies à un nombre limité de tumeurs repose sur l'injection d'anticorps monoclonaux qui ciblent les cellules cancéreuses pour leur destruction immunitaire ou l'inhibition de leur croissance (fig. 10.6A). Des anticorps monoclonaux dirigés contre différents antigènes tumoraux ont été utilisés dans de nombreux cancers. Les anticorps se lient aux antigènes à la surface des tumeurs (pas aux néoantigènes produits à l'intérieur des cellules), après quoi ils activent des mécanismes effecteurs, comme les phagocytes, des cellules NK ou le système du complément, qui détruisent les cellules tumorales. Par exemple, un anticorps spécifique de CD20, qui est exprimé sur les lymphocytes B, est utilisé pour traiter les tumeurs des lymphocytes B, généralement en association avec une chimiothérapie. Bien que les lymphocytes B normaux soient également éliminés, leur fonction peut être remplacée par l'administration d'immunoglobulines provenant de donneurs normaux. Du fait que CD20 n'est pas exprimé par les cellules souches hématopoïétiques, la population des lymphocytes B normaux se reconstitue après l'interruption du traitement par les anticorps. D'autres anticorps monoclonaux utilisés en immunothérapie peuvent agir par blocage de la signalisation d'un facteur de croissance (par exemple, un anti-HER2/neu contre le cancer du sein et un anticorps
anti-EGF contre diverses tumeurs) ou par inhibition de l'angiogenèse (par exemple, l'anticorps contre le facteur de croissance des endothéliums vasculaires en cas de cancer du côlon et d'autres tumeurs).
Thérapie adoptive à cellules T Les immunologistes des tumeurs ont tenté d'améliorer l'immunité antitumorale en retirant les cellules T des patients cancéreux, en activant les cellules ex vivo pour qu'elles soient plus nombreuses et qu'elles acquièrent plus de puissance effectrice, et ensuite en les réinjectant au patient. De nombreuses variantes de cette approche, appelée thérapie adoptive par cellules T, ont été essayées. ■ Thérapie adoptive avec des lymphocytes T autologues spécifiques de la tumeur. Les lymphocytes T spécifiques des antigènes tumoraux peuvent être détectés chez des patients cancéreux dans leur circulation ou dans les infiltrats tumoraux. Les lymphocytes T peuvent alors être isolés du sang ou de biopsies tumorales d'un patient, multipliés par culture avec des facteurs de croissance et réinjectés au même patient (voir fig. 10.6A). On présume que cette population élargie de lymphocytes T contient des CTL spécifiques de la tumeur, qui migrent dans la tumeur et la détruisent. Cette approche, qui a été combinée avec l'administration de cytokines stimulatrices des cellules T, telles que l'interleukine-2 (IL-2), et une chimiothérapie classique, a donné des résultats variables parmi différents patients et différentes tumeurs. Une raison probable est que, dans ces populations lymphocytaires, les cellules T spécifiques de la tumeur sont en proportion trop faible pour être efficaces. ■ Cellules T exprimant des récepteurs d'antigène chimériques (CAR, chimeric antigen receptor). Dans une modification plus récente de la thérapie adoptive par cellules T, les lymphocytes T sanguins de patients cancéreux sont transduits par des vecteurs viraux qui expriment un récepteur antigénique chimérique (CAR), qui reconnaît
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
182
A
Immunité passive par transfert de cellules T autologues ou d'anticorps monoclonaux
Extraction des cellules T du sang ou de la tumeur du patient et multiplication in vitro
Transfert au patient cancéreux
Cellules tumorales
Lyse de la tumeur par des cellules T ou par des anticorps
Anticorps monoclonaux spécifiques d'un antigène tumoral
B
Thérapie adoptive à base de cellules T CAR Patient avec leucémie ou lymphome
Expansion in vitro avec antiCD3 et anti-CD28, transduction avec le gène de CAR codant un récepteur d'antigène spécifique de la tumeur
Extraction des lymphocytes T du sang
Cellule tumorale
Lyse de la tumeur par des cellules T
Réinjection au patient
Fig. 10.6. Immunothérapie antitumorale par transfert adoptif d'anticorps et de cellules T. A. Immunothérapie passive par cellules T ou anticorps monoclonaux spécifiques de la tumeur. B. Thérapie adoptive à base de cellules T CAR : des cellules T isolées du sang d'un patient sont multipliées en culture sous les effets activateurs d'anticorps anti-CD3 et anti-CD28, puis modifiées génétiquement afin qu'elles expriment des récepteurs antigéniques recombinants chimériques (CAR, chimeric antigen receptors) (voir fig. 10.7) ; après ces manipulations, elles sont réinjectées au patient.
un antigène tumoral et fournit de puissants signaux activateurs de cellules T (voir fig. 10.6B). Le CAR actuellement utilisé comporte une partie extracellulaire de type anticorps à chaîne unique avec des domaines variables de chaîne lourde et de chaîne légère, qui forment ensemble le site de liaison à un antigène tumoral (fig. 10.7). La spécificité des récepteurs endogènes des cellules T (TCR) transduites n'intervient pas dans l'efficacité de ce type de traitement. L'utilisation de cette structure de reconnaissance de l'antigène à base d'anticorps évite les limitations de la restriction des TCR au CMH et permet l'utilisation du même CAR chez de nombreux patients différents, indépendamment des allèles d'antigène leucocytaire humain (HLA) exprimés. De plus, les tumeurs ne peuvent pas échapper aux cellules CAR-T en régulant à la baisse l'expression du CMH. Pour être actifs dans les lymphocytes T, les CAR contiennent des domaines de signalisation intracellulaire de deux protéines du complexe TCR, par exemple les ITAM de la protéine ζ du complexe TCR, et les domaines de signalisation de récepteurs costimulateurs tels que CD28 et CD137. Par conséquent, lors de la liaison à l'antigène, ces récepteurs fournissent à la fois la reconnaissance de l'antigène (via le domaine des immunoglobulines extracellulaires [Ig]) et des signaux d'activation (via les domaines cytoplasmiques incorporés). Les lymphocytes T exprimant le CAR sont multipliés ex vivo et réinjectés au patient, où ils reconnaissent l'antigène des cellules tumorales et sont activés pour les tuer. La thérapie cellulaire CAR-T ciblant la protéine CD19 des cel-
lules B, et plus récemment la protéine CD20, a démontré une efficacité remarquable dans le traitement et même la guérison des leucémies et lymphomes dérivés des cellules B et réfractaires aux autres traitements. Des CAR avec d'autres spécificités pour différentes tumeurs sont en cours de développement et d'essais cliniques. La toxicité la plus grave associée à la thérapie cellulaire CAR-T est le syndrome de libération de cytokines, causé par des quantités massives de cytokines inflammatoires, notamment l'IL-6, l'interféron-γ et d'autres, qui sont libérées car toutes les cellules T injectées reconnaissent et sont activées par les cellules tumorales des patients. Ces cytokines provoquent une forte fièvre, de l'hypotension, un œdème tissulaire, des troubles neurologiques et une défaillance de plusieurs organes. La gravité du syndrome peut être atténuée par l'administration d'anticorps anticytokine. La thérapie cellulaire CAR-T peut générer des effets secondaires au cas où elle s'attaquerait à une cible présente en dehors de la tumeur. En effet, certaines cellules CAR-T sont spécifiques d'un antigène commun aux cellules normales et tumorales. Dans le cas des CAR spécifiques au CD19 ou au CD20, le traitement élimine les lymphocytes B normaux, ce qui requiert un traitement préventif de l'immunodéficience par administration d'anticorps. Ce type de remplacement n'est pas toujours possible lorsque d'autres tissus sont détruits en raison de la réactivité du CAR. Bien que la thérapie cellulaire CAR-T soit efficace contre les leucémies et les tumeurs du sang (auxquelles les lymphocytes T injectés ont facilement accès),
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation
Cellule tumorale
Antigène tumoral VH
VL
CAR
Domaine de signalisation d'un complexe TCR Domaine de signalisation d'un récepteur costimulateur Activation Lyse de la cellule tumorale Fig. 10.7. Récepteur d'antigène chimérique. Le récepteur exprimé dans les lymphocytes T est constitué d'une partie d'Ig extracellulaire qui reconnaît un antigène de surface sur les cellules tumorales et de domaines de signalisation intracellulaire du complexe TCR et de récepteurs costimulateurs qui transmettent les signaux qui activent la fonction lytique des lymphocytes T.
elle n'a jusqu'à présent pas réussi dans les tumeurs solides car les lymphocytes T pénètrent difficilement dans les sites tumoraux. En outre, la sélection des antigènes tumoraux à viser sans que les tissus sains ne soient agressés constitue un véritable défi.
Blocage des points de contrôle immunitaire Le blocage des récepteurs inhibiteurs des lymphocytes T ou de leurs ligands stimule les réponses immunitaires antitumorales. La prise de conscience que les tumeurs échappent à l'attaque immunitaire en engageant des mécanismes de régulation qui suppriment les réponses immunitaires a conduit à une nouvelle stratégie originale et remarquablement efficace d'immunothérapie antitumorale. Le principe de cette stratégie est la stimulation des réponses immunitaires de l'hôte contre les tumeurs en bloquant les signaux inhibiteurs normaux des lymphocytes T, ce qui supprime les freins (points de contrôle) de la réponse immunitaire (fig. 10.8). On y est parvenu en bloquant par des anticorps monoclonaux dirigés spécifiquement contre les molécules inhibitrices des lymphocytes T, CTLA-4 et PD-1, ce qui a été autorisé pour la première fois pour le traitement du mélanome métastatique respectivement en 2011 et 2014. Depuis, l'utilisation des anticorps anti-PD-1 ou anti-PD-L1
183
s'est étendue à de nombreux types de cancer différents. La caractéristique la plus remarquable de ces thérapies est qu'elles ont considérablement amélioré les chances de survie des patients atteints de tumeurs avancées et largement métastatiques, qui étaient auparavant presque à 100 % mortelles en quelques mois ou quelques années. Des anticorps spécifiques d'autres molécules inhibitrices des lymphocytes T, telles que LAG-3 et TIM-3, font actuellement l'objet d'essais cliniques. Il y a plusieurs caractéristiques nouvelles du blocage des points de contrôle immunitaire et des limitations qui doivent encore être surmontées pour en améliorer l'utilité. ■ Bien que l'efficacité du blocage des points de contrôle contre de nombreuses tumeurs avancées soit supérieure à celle de toute forme de thérapie antérieure, seul un sous-ensemble de patients (25 à 40 % au plus) répond à ce traitement. Les raisons de cette faible réponse ne sont pas bien comprises. Les tumeurs qui ne répondent pas peuvent induire l'expression par des lymphocytes T de molécules servant de points de contrôle autres que celles qui sont visées par la thérapie. Il est également possible que ces tumeurs aient recours à des mécanismes d'évasion autres que l'activation de récepteurs inhibiteurs. Les oncologues et les immunologistes recherchent actuellement des biomarqueurs qui permettront de prédire la réactivité aux différentes tentatives de blocage des points de contrôle. ■ L'un des indicateurs les plus fiables de la réaction d'une tumeur au traitement par blocage des points de contrôle est la présence de mutations multiples, ce qui correspond à un grand nombre de néoantigènes et de cellules T qui peuvent répondre à ces antigènes. En fait, les tumeurs dont les enzymes qui corrigent normalement les erreurs de réplication de l'ADN sont déficientes, ce qui entraîne des mutations ponctuelles, présentent le nombre de mutations le plus élevé de tous les cancers, et ces cancers sont les plus susceptibles de répondre au traitement par blocage des points de contrôle. Fait remarquable, le traitement anti-PD-1 est maintenant autorisé pour toute tumeur récurrente ou métastatique dont la réparation de l'ADN est déficiente, peu importe la cellule d'origine ou le type histologique de la tumeur. Il s'agit d'un changement de paradigme dans la façon dont les traitements contre le cancer sont choisis. ■ L'utilisation combinée de différents inhibiteurs des points de contrôle ou d'un inhibiteur avec d'autres modes de traitement sera probablement nécessaire pour atteindre des taux plus élevés de réussite thérapeutique. Le premier exemple autorisé est l'utilisation combinée de l'antiCTLA-4 et de l'anti-PD-1 pour traiter les mélanomes, qui s'est avérée plus efficace que l'anti-CTL-4 seul. Ceci reflète le fait que les mécanismes par lesquels CTLA-4 et PD-1 inhibent l'activation des cellules T sont différents (voir fig. 10.8). De nombreux essais cliniques en cours ou prévus combinent le blocage des points de contrôle avec d'autres stratégies, comme les inhibiteurs de kinases par de petites molécules, l'infection virale oncolytique des tumeurs et d'autres stimulants immunitaires. ■ Les complications les plus courantes du blocage des points de contrôle sont les lésions auto-immunes de
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
184
A
Induction de réponse immunitaire antitumorale dans un ganglion lymphatique Peptide tumoral-CMH
Cellule T CD8+
TCR
Cellule dendritique
B7
B7 CD28
CTLA-4
CTLA-4
CTL sensibilisé capable de tuer des cellules tumorales
Anti-CTLA-4
Pas de costimulation
B
CD28
Costimulation
Lyse des cellules tumorales par des CTL Peptide tumoral-CMH TCR
Cellule tumorale PD-L1
CTL inhibé
CTL activé
PD-1
PD-L1 Anti-PD-L1
Inhibition des cellules T
PD-1 Anti-PD-1
Cellule tumorale morte
Pas d'inhibition des cellules T
Fig. 10.8. Immunothérapie tumorale par blocage des points de contrôle immunitaire. Chez les patients cancéreux, les lymphocytes T répondent souvent de manière inefficace à la tumeur en raison de la régulation à la hausse des récepteurs inhibiteurs tels que CTLA-4 et PD-1 sur les lymphocytes T spécifiques de la tumeur, et de l'expression du ligand PD-L1 sur les cellules tumorales. Les anticorps bloquants anti-CTLA-4 (A) ou anti-PD-1 ou anti-PD-L1 (B) sont très efficaces dans le traitement de plusieurs types de tumeurs avancées en levant l'inhibition par ces molécules des cellules T spécifiques de la tumeur. L'anti-CTLA-4 peut agir en bloquant CTLA-4 sur les lymphocytes T effecteurs (montré) ou sur des Treg. CTL : cytotoxic T lymphocyte ; CTLA-4 : cytotoxic T lymphocyte-associated antigen 4 ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; PD-1 : programmed cell death protein 1 ; TCR : T cell receptors.
certains organes. Ceci est prévisible, car la fonction physiologique des récepteurs inhibiteurs ciblés est de maintenir la tolérance aux autoantigènes (voir chapitre 9). Un large éventail d'organes peut être affecté, notamment le côlon, les poumons, les organes endocriniens, le cœur et la peau, chacun nécessitant différentes interventions cliniques, y compris parfois l'arrêt de l'immunothérapie tumorale salvatrice.
Stimulation des réponses immunitaires antitumorales par vaccination avec des antigènes tumoraux L'un des procédés de stimulation active de l'immunité contre les tumeurs consiste à vacciner les patients avec leurs propres cellules tumorales ou avec des antigènes provenant de ces cellules. Contrairement aux vaccins antimicrobiens habituels, qui sont prophylactiques c'est-à-dire qu'ils préviennent les infections, les vaccins tumoraux sont censés être thérapeutiques en ce sens qu'ils stimulent les réponses immunitaires contre les cancers qui se sont déjà dévelop-
pés. Une raison importante justifiant la caractérisation des antigènes tumoraux est qu'il devient alors possible de les produire pour vacciner les individus contre leur propre tumeur. La plupart des vaccins tumoraux testés jusqu'à présent contenaient des antigènes partagés par le même type de cancer chez différents patients. Ces antigènes sont habituellement des antigènes de différenciation qui identifient les cellules d'une lignée particulière, à la fois normales et néoplasiques. Les vaccins incorporant de tels antigènes ont eu peu de succès, peut-être parce que les antigènes sont exprimés à un certain niveau dans les cellules normales et ont tendance à induire une tolérance qui doit être surmontée pour induire une immunité antitumorale efficace. Plus récemment, on s'est intéressé au développement de vaccins anticancéreux personnalisés adaptés à la tumeur de chaque patient. Comme nous l'avons mentionné précédemment, les antigènes les plus courants qui induisent des réponses immunitaires chez les patients cancéreux sont les néoantigènes générés par les mutations « passagers » affectant des protéines cellulaires aléatoires, et les mutations doivent se trouver dans des peptides qui peuvent se lier aux
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation molécules HLA du patient afin que les cellules T les reconnaissent. L'un des objectifs actuels dans le domaine de la vaccination antitumorale est d'utiliser les technologies de séquençage de l'ADN pour déterminer toutes les mutations dans les séquences d'ADN codant les protéines (exosomes) du génome des cellules cancéreuses d'une personne. Des algorithmes de prédiction de liaison HLA sont ensuite appliqués pour identifier les peptides mutants les plus susceptibles de se lier aux allèles HLA du patient. Une fois ces peptides définis, on produit des vaccins antitumoraux personnalisés en utilisant plusieurs des peptides de néoantigènes. Cette approche est prometteuse, mais elle est confrontée à des défis importants. Les vaccins doivent être personnalisés pour chaque patient ; des CTL efficaces doivent être générés par la vaccination (ce qui a été jusqu'à présent difficile avec la plupart des vaccins, puisqu'ils agissent en stimulant la production d'anticorps) ; les tumeurs peuvent évoluer sous la pression sélective de la réponse immunitaire induite par le vaccin et perdre des molécules CMH ou les antigènes cibles ; et comme ce sont des vaccins thérapeutiques administrés aux patients porteurs de tumeurs, ils doivent surmonter les mécanismes d'évasion immunitaire que les tumeurs ont pu établir chez le patient. Les vaccins spécifiques d'une tumeur peuvent être administrés sous forme d'un mélange d'antigène et d'adjuvants, tout comme les vaccins antimicrobiens. Dans une autre approche, des cellules dendritiques de patients sont multipliées in vitro à partir de précurseurs sanguins, elles sont exposées aux cellules tumorales ou à un antigène tumoral défini, puis ces cellules dendritiques chargées d'antigènes sont utilisées comme vaccins. Les cellules dendritiques portant des antigènes tumoraux mimeront en théorie la voie normale de présentation croisée et pourront induire des CTL actifs contre les cellules tumorales. Le succès du blocage des points de contrôle, décrit plus tôt, a soulevé l'espoir que la vaccination utilisée en combinaison avec des thérapies qui bloquent la régulation immunitaire bénéficiera d'avantages supplémentaires. On peut prévenir le développement de tumeurs d'origine virale par vaccination contre ces virus. Deux vaccins qui se sont avérés remarquablement efficaces sont dirigés contre le virus de l'hépatite B (la cause d'une forme de cancer du foie) et le papillomavirus humain (la cause du cancer cervi-
185
cal et de certains types de cancer oropharyngé). Ce sont des vaccins prophylactiques administrés à des personnes avant qu'elles ne soient infectées ; ils préviennent des infections par des virus oncogènes.
Réponses immunitaires contre les greffes Certaines des premières tentatives de transplantation pour remplacer des tissus endommagés ont eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, pour traiter des pilotes qui souffraient de graves brûlures cutanées lors d'accidents d'avion. On a rapidement réalisé que les greffons étaient rejetés s'ils provenaient d'autres individus. Le rejet résulte de réactions inflammatoires qui endommagent le tissu transplanté. Les études menées entre les années quarante et cinquante ont établi que le rejet de greffes reposait sur un phénomène immunologique, dans la mesure où il montrait une spécificité et une mémoire, et qu'il dépendait des lymphocytes (fig. 10.9). Une grande partie des connaissances en immunologie de la transplantation provient d'expériences pratiquées sur des animaux consanguins, en particulier des souris, qui ont été croisés de telle sorte que tous les membres d'une souche consanguine soient identiques entre eux, mais différents des membres des autres souches. Les études expérimentales ont montré que les greffes entre membres d'une souche consanguine sont acceptées et celles d'une souche à l'autre sont rejetées. Ainsi, il a été fermement établi que le rejet dépendait d'un processus contrôlé par les gènes des animaux. Des expériences ultérieures ont défini la nature des gènes responsables du rejet du greffon et ont montré que les produits de beaucoup de ces gènes étaient exprimés dans tous les tissus. Comme mentionné au chapitre 3, les gènes qui contribuent le plus au rejet des greffes échangées entre souris de différentes souches consanguines sont dénommés gènes du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Le langage de l'immunologie de la transplantation s'est développé à partir des études expérimentales. L'individu qui fournit le greffon a été appelé donneur et l'individu chez qui le greffon est implanté a été appelé receveur ou hôte. Un animal qui est identique à un autre (ainsi que les greffons échangés entre ces animaux) est dit syngénique ; un animal (et un greffon)
Preuve
Conclusion
Une exposition antérieure aux molécules du CMH du donneur accélère le rejet de la greffe
Mémoire et spécificité, deux propriétés essentielles de l'immunité acquise, caractérisent le rejet de greffe
La capacité de rejeter rapidement un greffon peut être transférée à un individu naïf par des lymphocytes d'un individu sensibilisé
Des lymphocytes sont impliqués dans le rejet de greffe
Une déplétion ou une inactivation des lymphocytes T par des médicaments ou des anticorps inhibe le rejet de greffe
Le rejet de greffe requiert des lymphocytes T
Fig. 10.9. Données montrant que le rejet des greffes est une réaction immunitaire. Des observations cliniques et expérimentales indiquent que le rejet de greffe est une réaction du système immunitaire adaptatif. CMH : complexe majeur d'histocompatibilité.
186
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
d'une espèce qui diffère d'un autre animal de la même espèce est dit allogénique ; enfin, un animal (et un greffon) d'une espèce différente est dit xénogénique. Les greffons allogéniques et xénogéniques, également désignés par les termes d'allogreffes et de xénogreffes, sont toujours rejetés par un receveur doté d'un système immunitaire normal. Les antigènes qui constituent les cibles du rejet sont dénommés alloantigènes et xénoantigènes, tandis que les anticorps et les lymphocytes T qui réagissent contre ces antigènes sont respectivement qualifiés d'alloréactifs et de xénoréactifs. Dans le cadre clinique, les transplantations sont généralement réalisées entre deux individus allogéniques, qui sont membres d'une espèce non consanguine et, par conséquent, qui diffèrent l'un de l'autre — à l'exception, bien entendu, des vrais jumeaux. La majeure partie de ce qui va suivre portera sur les réponses immunitaires aux allogreffes.
Antigènes de transplantation Les antigènes des allogreffes qui constituent les cibles principales du rejet sont des protéines codées dans le CMH. Des gènes et des molécules homologues du CMH sont présents chez tous les mammifères ; le CMH humain est constitué par le complexe des antigènes leucocytaires humains (human leukocyte antigen, HLA). Après la découverte du CMH, plus de vingt ans ont été nécessaires pour montrer que la fonction physiologique des molécules du CMH était de présenter des antigènes peptidiques afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T (voir chapitre 3). Rappelons que toute personne exprime six allèles du CMH de classe I (un allèle HLA-A, B et C provenant de chaque parent) et habituellement six ou sept allèles du CMH de classe II (un allèle HLA-DQ et HLA-DP et un ou deux HLA-DR provenant de chaque parent). Les gènes codant le CMH sont hautement polymorphes, avec plus de 12 000 allèles HLA parmi tous les humains codant environ 2 800 protéines HLA-A, 3 500 protéines HLA-B, 2 500 protéines HLA-C, 1 800 protéines DRβ, 800 protéines DQβ et 700 protéines DPβ. En raison de ce polymorphisme considérable, deux individus non apparentés expriment très probablement plusieurs protéines HLA différentes et qui dès lors sont considérées comme étrangères par chaque individu. Puisque les gènes dans le locus HLA sont étroitement liés, tous les gènes HLA de chaque parent sont hérités ensemble comme un haplotype de manière mendélienne. Par conséquent, la chance que deux frères ou sœurs aient les mêmes allèles du CMH est de 1 sur 4. La réaction aux antigènes allogéniques du CMH sur des cellules d'un autre individu est l'une des réactions immunitaires les plus fortes connues. Les récepteurs d'antigène des cellules T (TCR) ont évolué pour reconnaître les molécules du CMH, ce qui est essentiel pour la détection des cellules infectées. À la suite de la sélection positive dans le thymus, les cellules T matures qui ont une certaine affinité pour les molécules du CMH du soi survivent, et beaucoup d'entre elles auront une forte affinité pour le CMH du soi présentant des peptides étrangers. Les molécules du CMH allogénique, contenant des peptides dérivés de cellules allogéniques, peuvent ressembler à des molécules du CMH du soi associées à des peptides étrangers (fig. 10.10). La reconnaissance des molécules du CMH allogénique dans les allogreffes constitue donc un exemple de réaction immunitaire croisée.
A
Normal Récepteur de cellule T
Peptide étranger
CMH du soi Une molécule du CMH du soi présente un peptide étranger à une cellule T sélectionnée pour reconnaître faiblement le CMH du soi, mais qui a une bonne affinité pour ce complexe CMH du soi-peptide étranger
B
Reconnaissance allogénique
Peptide du soi
CMH allogénique La cellule T restreinte par le CMH du soi reconnaît la molécule du CMH allogénique dont la structure ressemble au complexe CMH du soi-peptide étranger
C
Reconnaissance allogénique
Peptide du soi
CMH allogénique La cellule T restreinte par le CMH du soi reconnaît une structure formée par la molécule du CMH allogénique et le peptide Fig. 10.10. Reconnaissance des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) allogénique par les lymphocytes T. La reconnaissance des molécules du CMH allogénique peut être considérée comme une réaction croisée au cours de laquelle un lymphocyte T spécifique d'un complexe formé d'une molécule du CMH du soi et d'un peptide étranger (A) reconnaît également une molécule du CMH allogénique dont la structure ressemble à celle d'un complexe molécule du CMH du soi-peptide étranger (B, C). Des peptides dérivés du greffon ou du receveur (marqués peptides du soi) peuvent ne pas contribuer à l'alloreconnaissance (B) ou ils peuvent constituer une partie du complexe reconnu par le lymphocyte T (C). Le type de reconnaissance par les lymphocytes T schématisé en B et en C est qualifié de reconnaissance allogénique directe.
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation Plusieurs raisons expliquent pourquoi la reconnaissance des molécules du CMH allogénique entraîne de si fortes réactions des cellules T. De nombreux clones de lymphocytes T, y compris des cellules T mémoire générées à l'occasion d'infections antérieures, qui sont spécifiques de différents peptides étrangers liés à la même molécule du CMH du soi peuvent réagir de manière croisée avec n'importe quelle molécule du CMH allogénique, quel que soit le peptide lié, dans la mesure où la molécule du CMH allogénique est semblable aux complexes associant une molécule du CMH du soi et des peptides étrangers. Il en résulte que de nombreux lymphocytes T restreints par le CMH du soi et spécifiques de différents peptides antigéniques sont susceptibles de reconnaître toute molécule de CMH allogénique. En outre, le processus de sélection négative dans le thymus élimine les cellules qui reconnaissent fortement le CMH du soi, mais il n'existe aucun mécanisme pour éliminer sélectivement les lymphocytes T dont les TCR ont une forte affinité pour les molécules du CMH allogénique, qui ne sont jamais présentes dans le thymus. De plus, une seule cellule d'un greffon allogénique exprimera des milliers de molécules du CMH, chacune pouvant être reconnue comme étrangère par les cellules T du receveur. En revanche, dans le cas d'une cellule infectée, seule une petite proportion des molécules du CMH du soi à la surface cellulaire portera un peptide microbien reconnaissable par les cellules T. Le résultat net de ces caractéristiques de la reconnaissance allogénique, c'est que la proportion de cel-
lules T alloréactives chez tout individu est 1 000 fois plus grande que la proportion de cellules T qui reconnaissent n'importe quel antigène microbien. Bien que les protéines du CMH soient les principaux antigènes responsables du rejet de greffe, d'autres protéines polymorphes peuvent également être impliquées. Les antigènes non CMH qui induisent un rejet de greffe sont nommés antigènes mineurs d'histocompatibilité, la plupart d'entre eux étant des formes alléliques de protéines cellulaires normales qui diffèrent par leur séquence entre le donneur et le receveur. Ces protéines polymorphes fournissent des peptides qui sont présentés par des molécules du CMH du receveur et déclenchent une réponse des cellules T. Les réactions de rejet déclenchées par les antigènes mineurs d'histocompatibilité ne sont généralement pas aussi fortes que celles qui sont dirigées contre les protéines de CMH étranger.
Induction de réponses immunitaires contre les greffes L'induction de réponses immunitaires contre le greffon requiert le transport des alloantigènes par les cellules dendritiques dans les ganglions lymphatiques de drainage, où ils sont reconnus par les cellules T alloréactives (fig. 10.11). Les cellules dendritiques qui présentent les alloantigènes exposent également des costimulateurs et peuvent ainsi stimuler les cellules T auxiliaires ainsi que les CTL alloréactifs. Les cellules T effectrices générées migrent dans le greffon et le rejettent.
Activation de cellules T, production de cellules T effectrices par présentation directe et indirecte d'antigène
Sensibilisation Allogreffe (rein) Cellule dendritique du donneur
Transport d'alloantigènes dans un ganglion lymphatique
187
Vaisseau lymphatique afférent
Cellules effectrices CD4+ du receveur
Cellule dendritique du receveur
Rejet Ganglion lymphatique du receveur Destruction des cellules du greffon
Sécrétion de cytokines inflammatoires
Vaisseau lymphatique efférent Cellules effectrices CD8+ du receveur
Sang
Cellules T effectrices du receveur
Fig. 10.11. Réponse immunitaire contre les greffons. Les antigènes du greffon qui sont exprimés sur les cellules dendritiques du donneur ou qui sont captés par des cellules dendritiques du receveur sont transportés vers les organes lymphoïdes périphériques où les cellules T spécifiques des alloantigènes sont activées (étape de sensibilisation). Les cellules T migrent dans le greffon et le détruisent (rejet). Les anticorps sont également produits contre des antigènes du greffon et peuvent contribuer au rejet (non représenté). L'exemple représenté est celui d'une greffe de rein, mais ces principes généraux s'appliquent à toutes les greffes d'organe.
188
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Les cellules T chez les receveurs d'allogreffes peuvent reconnaître les molécules de CMH du donneur non apprêtées à la surface du greffon, ou elles peuvent reconnaître les peptides dérivés des molécules de CMH du donneur liés aux molécules de CMH du receveur à la surface des APC du receveur (fig. 10.12). Ces deux modes de présentation des antigènes de greffe ont différentes caractéristiques et dénominations. ■ Alloreconnaissance directe. La plupart des tissus contiennent des cellules dendritiques et celles-ci sont transmises avec le tissu transplanté au receveur, chez qui elles peuvent migrer dans les organes lymphoïdes secondaires. Lorsque des lymphocytes T naïfs du receveur reconnaissent les molécules du CMH allogénique sur ces cellules dendritiques provenant du greffon, les lymphocytes T sont activés ; ce processus est appelé reconnaissance directe (ou présentation directe) des alloantigènes. La reconnaissance directe stimule le développement des lymphocytes T alloréactifs (par exemple, les CTL) qui reconnaissent directement les molécules du CMH allogénique sur les cellules du greffon qu'ils détruisent. ■ Alloreconnaissance indirecte. Les cellules greffées (ou alloantigènes) peuvent être ingérées par les cellules dendritiques du receveur et transportées dans des ganglions lymphatiques de drainage. Là, les alloantigènes du donneur sont apprêtés et présentés par les molécules du CMH du soi sur les APC du receveur. Ce processus s'appelle reconnaissance indirecte (ou présentation indirecte) ; il est similaire à la présentation croisée des antigènes tumoraux aux cellules T CD8+, décrite précédemment. Si des CTL alloréactifs sont induits par la voie
A Alloreconnaissance directe
CMH allogénique
Cellule présentatrice d'antigène allogénique (cellule dendritique)
B Alloreconnaissance indirecte Cellule CMH allogénique dendritique du receveur
CMH du soi Cellule de tissu allogénique
indirecte, ces CTL sont spécifiques des alloantigènes présentés par les molécules du CMH du soi sur les APC du receveur et ne peuvent pas reconnaître et tuer les cellules du greffon — qui, bien sûr, expriment les molécules du CMH du donneur. Il est probable que lorsque les alloantigènes du greffon sont reconnus par la voie indirecte, le rejet dépend surtout de lymphocytes T CD4+ alloréactifs. Ces cellules peuvent pénétrer dans le greffon avec des APC du receveur, reconnaître les antigènes du greffon qui sont captés et présentés par des APC et sécréter des cytokines qui endommagent le greffon par une réaction inflammatoire. L'alloreconnaissance indirecte par les lymphocytes T CD4+ de l'hôte contribue également à stimuler chez le receveur la production d'anticorps qui se lient aux molécules du CMH greffé. Nous ne connaissons pas l'importance relative des voies directe et indirecte de l'alloreconnaissance dans le rejet des allogreffes par des cellules T. Il a été suggéré que la voie directe était la plus importante dans le cas d'un rejet aigu assuré par les CTL et que la voie indirecte jouait un rôle plus prononcé dans les rejets chroniques. Les réponses des lymphocytes T à des allogreffes requièrent une costimulation ; mais comment les greffes stimulent l'expression de costimulateurs sur les APC n'est pas clair. Comme dans le cas des tumeurs, il est possible que les cellules du greffon se nécrosent, peut-être durant la période d'ischémie avant la transplantation : les substances libérées par les cellules lésées ou mortes activeraient alors les APC par des mécanismes immunitaires innés. Comme nous le verrons, le blocage de la costimulation est une stratégie thérapeutique pour la promotion de la survie du greffon.
Capture et apprêtement des molécules du CMH allogénique par les APC du receveur
Lymphocyte T alloréactif
Le lymphocyte T reconnaît une molécule du CMH allogénique non apprêtée sur les APC du greffon
Lymphocyte T alloréactif
Le lymphocyte T reconnaît un peptide apprêté d'une molécule du CMH allogénique lié à une molécule du CMH du soi Peptide dérivé d'une molécule sur des APC du du CMH allogénique receveur
Fig. 10.12. Reconnaissance directe et indirecte des alloantigènes. A. Une reconnaissance directe des alloantigènes survient lorsque les lymphocytes T se lient directement aux molécules intactes du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) allogénique sur les cellules présentatrices d'antigènes (APC) du greffon, comme illustré à la figure 10.10. B. Une reconnaissance indirecte des alloantigènes se produit lorsque des molécules du CMH allogénique provenant des cellules du greffon sont captées et apprêtées par les APC du receveur, et que des fragments peptidiques des molécules du CMH allogénique sont présentés par les molécules du CMH du receveur (soi). Les APC du receveur peuvent également apprêter et présenter des protéines du greffon autres que les molécules du CMH allogénique.
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation La réaction lymphocytaire mixte (MLR, mixed lymphocyte reaction) est un modèle in vitro de reconnaissance des alloantigènes par les lymphocytes T. Dans ce modèle, les lymphocytes T d'un individu sont mis en culture avec des leucocytes d'un autre individu, puis les réponses des lymphocytes T sont étudiées. L'ampleur de ces réponses est proportionnelle à l'importance des différences de CMH entre ces individus et constitue un facteur de prédiction approximatif du devenir des greffes réalisées entre ces individus. Bien qu'on ait beaucoup insisté sur le rôle des cellules T dans le rejet des allogreffes, il est évident que les alloanticorps contribuent au rejet. La plupart de ces anticorps sont de haute affinité et leur production dépend des lymphocytes T auxiliaires. Afin de produire des alloanticorps, les cellules B du receveur reconnaissent les alloantigènes du donneur, les apprêtent et présentent les peptides dérivés de ces antigènes aux lymphocytes T auxiliaires (qui peuvent avoir été activés préalablement par des cellules dendritiques présentant le même alloantigène du donneur), lançant ainsi le processus de production des anticorps. Il s'agit là d'un bon exemple de présentation indirecte des alloantigènes, dans ce cas par les lymphocytes B.
Mécanismes immunitaires du rejet de greffe Le rejet de greffe a été classé en hyperaigu, aigu et chronique, sur la base de ses caractéristiques cliniques et pathologiques (fig. 10.13). Cette classification historique, qui a été conçue par des cliniciens sur la base du rejet de greffes rénales, a remarquablement bien résisté à l'épreuve du temps. Il est également apparu que chaque type de rejet était assuré par un type particulier de réponse immunitaire. ■ Le rejet hyperaigu survient quelques minutes après la transplantation. Il est caractérisé par une thrombose des vaisseaux du greffon et sa nécrose ischémique. Le rejet hyperaigu est dû à des anticorps circulants qui sont spécifiques des antigènes des cellules endothéliales du greffon et qui sont présents avant la transplantation. Ces anticorps préformés peuvent être des anticorps naturels IgM spécifiques des antigènes de groupes sanguins (il en est question plus loin dans ce chapitre), ou ils peuvent être des anticorps spécifiques de molécules d'un CMH allogénique qui ont été induits à la suite de contacts avec des cellules allogéniques, à la suite par exemple de transfusions sanguines, d'une grossesse ou d'une transplantation antérieure. Presque immédiatement après la transplantation, les anticorps se lient aux antigènes sur l'endothélium vasculaire du greffon, activent les systèmes du complément et de la coagulation, provoquent des lésions de l'endothélium et la formation d'un caillot. Le rejet hyperaigu n'est pas un accident fréquent en transplantation clinique, car chaque donneur et receveur sont appariés sur la base de leur groupe sanguin et l'on recherche chez les receveurs potentiels la présence d'anticorps dirigés contre les cellules du donneur potentiel. Cette recherche d'anticorps est appelée épreuve de compatibilité croisée, ou crossmatch. Cependant, le rejet hyperaigu constitue l'obstacle majeur à la xénotransplantation, dont nous parlerons plus loin.
189
■ Le rejet aigu survient quelques jours à quelques semaines après la transplantation et constitue la principale cause d'échec précoce de la greffe. Le rejet aigu est dû aux lymphocytes T et à des anticorps spécifiques d'alloantigènes du greffon. Ces lymphocytes T peuvent être des CTL CD8+ qui détruisent directement les cellules du greffon ou des lymphocytes CD4+ qui sécrètent des cytokines et induisent une inflammation, qui détruit le greffon. Les lymphocytes T peuvent aussi réagir contre les cellules des vaisseaux du greffon, provoquant des lésions vasculaires. Les anticorps contribuent au rejet aigu, en particulier, dans sa composante vasculaire. Les dommages aux vaisseaux du greffon sont causés surtout par l'activation du complément par la voie classique. Les traitements immunosuppresseurs actuels sont principalement destinés à prévenir et réduire le rejet aigu en bloquant l'activation des lymphocytes T alloréactifs. ■ Le rejet chronique est une forme indolente d'altération du greffon, qui se développe en plusieurs mois ou plusieurs années, aboutissant à une perte progressive de ses fonctions. Le rejet chronique peut se manifester par une fibrose du greffon ou une obstruction progressive de ses vaisseaux, qualifiée d'artériosclérose du greffon. Les lymphocytes T semblent être responsables de ces deux types de lésions en réagissant contre les alloantigènes du greffon et en sécrétant des cytokines qui stimulent la prolifération et les activités des fibroblastes et des cellules musculaires lisses vasculaires du greffon. Des alloanticorps peuvent aussi contribuer au rejet chronique. Bien que les traitements visant à prévenir ou à ralentir le rejet aigu aient été régulièrement améliorés, conduisant au mieux à une survie d'un an du greffon, le rejet chronique résiste à la plupart de ces thérapies et devient la cause principale des échecs de la transplantation.
Prévention et traitement du rejet de greffe Le fondement de la prévention et du traitement du rejet des greffes d'organe est l'immunosuppression, basée sur des médicaments qui éliminent des cellules T ou inhibent l'activation et les fonctions effectrices des lymphocytes T (fig. 10.14). Le développement de médicaments immunosuppresseurs a lancé l'ère moderne de la transplantation d'organes. En effet, ces médicaments ont rendu possible la transplantation d'organes provenant de donneurs dont les HLA sont non compatibles avec ceux des receveurs, en particulier dans les situations où un tel assortiment est impraticable, comme une greffe de cœur, de poumon ou de foie. Les inhibiteurs de la calcineurine, la ciclosporine et le tacrolimus (FK506), constituent une des premières, et encore la plus utile, des classes de médicaments immunosuppresseurs en transplantation clinique. Ils agissent en bloquant la protéine phosphatase (calcineurine) des lymphocytes T. Cette enzyme est nécessaire à l'activation du facteur de transcription NFAT (nuclear factor of activated T cells). Bloquer son activité inhibe la transcription des gènes codant les cytokines dans les lymphocytes T. Un autre médicament largement utilisé est la rapamycine ; elle inhibe une kinase, dénommée mTOR (mammalian target
190
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique A Rejet hyperaigu Cellule endothéliale
Activation du complément, lésions endothéliales, inflammation et thrombose
Vaisseau sanguin
Alloantigène (par exemple antigène de groupe sanguin)
Anticorps circulant spécifique d'un alloantigène Lésions des cellules parenchymateuses, inflammation interstitielle
B Rejet aigu
i Cellules parenchymateuses Anticorps alloréactif
Endothélite
ii
Cellule endothéliale
C Rejet chronique
Macrophage
Cytokines
APC
Réaction inflammatoire chronique dans une paroi vasculaire, prolifération des cellules musculaires lisses de l'intima, occlusion vasculaire
Cytokines Lymphocyte T CD4+ spécifique d'un alloantigène
Cellule musculaire lisse vasculaire Fig. 10.13. Mécanismes et histopathologie du rejet de greffe. Les micrographies de droite montrent des aspects histologiques représentatifs de chaque type de rejet. A. Dans le rejet hyperaigu, des anticorps préformés réagissent avec des alloantigènes de l'endothélium vasculaire du greffon, activent le complément et déclenchent une thrombose intravasculaire rapide et une nécrose de la paroi du vaisseau. B. Dans le rejet aigu, les lymphocytes T CD8+ réagissent avec les alloantigènes des cellules endothéliales et parenchymateuses du greffon, alors que les anticorps réagissent surtout avec les cellules endothéliales. L'inflammation de l'endothélium est parfois appelée « endothélite ». L'histologie montre un rejet cellulaire aigu (microphotographie i) et un rejet humoral, dépendant des anticorps (microphotographie ii). C. Dans le rejet chronique avec artériosclérose du greffon, les lymphocytes T réagissant avec les alloantigènes du greffon peuvent produire des cytokines qui induisent de l'inflammation et une prolifération des cellules musculaires lisses de l'intima, provoquant une occlusion luminale. APC : antigen-presenting cells.
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation
Médicament
Mode d'action
Ciclosporine et tacrolimus
Bloque la production de cytokines par les lymphocytes T en inhibant une phosphatase, la calcineurine, et en prévenant ainsi l'activation du facteur de transcription NFAT
Mycophénolate mofétil
Bloque la prolifération lymphocytaire par inhibition de la synthèse du nucléotide guanine dans les lymphocytes
Rapamycine
Bloque la prolifération lymphocytaire par inhibition de mTOR et de la signalisation IL-2
Corticostéroïdes
Atténuent l'inflammation en agissant sur de multiples types cellulaires
Globulines anti-thymocytes
Se lient aux lymphocytes T et les éliminent en favorisant leur phagocytose ou leur lyse par le complément (elles sont utilisées pour traiter un rejet aigu)
Anticorps anti-IL-2R (anti-CD25)
Inhibe la prolifération des lymphocytes T en bloquant la liaison de l'IL-2 ; peut aussi les opsoniser et contribuer à leur élimination lorsqu'activés ils expriment l'IL-2R
CTLA-4-Ig (bélatacept)
Inhibe l'activation des lymphocytes T en bloquant la liaison de leur récepteur CD28 au costimulateur B7
Anti-CD52 (alemtuzumab)
Lyse les lymphocytes par l'intermédiaire du complément
Fig. 10.14. Traitement du rejet de greffe. Agents utilisés communément pour prévenir le rejet de greffe et leur mode d'action. Comme la ciclosporine, le tacrolimus est un inhibiteur de la calcineurine. CTLA4-Ig : cytotoxic T lymphocyte-associated protein 4-immunoglobulin (protéine de fusion), rarement utilisé ; IL : interleukine ; mTOR : mammalian target of rapamycin ; NFAT : nuclear factor of activated T-cells, facteur nucléaire des cellules T activées.
of rapamycin), requise pour l'activation des cellules T. De nombreux autres agents immunosuppresseurs sont utilisés en complément ou en remplacement des inhibiteurs de la calcineurine ou de mTOR (voir fig. 10.14). Tous ces médicaments posent le problème de l'immunosuppression non spécifique : ils inhibent toutes les réponses, sans se limiter à celle qui est dirigée contre le greffon. Par conséquent, les patients traités par ces médicaments après la transplantation deviennent sensibles aux infections, en particulier par des germes intracellulaires ; ils courent aussi un plus grand risque de cancer, spécialement de la peau et d'autres causés par des virus oncogènes.
191
Avant que la ciclosporine ne soit utilisée en clinique, la détermination de la compatibilité des allèles HLA entre donneur et receveur par typage tissulaire a joué un rôle important dans la réduction des rejets de greffe. Bien que la compatibilité CMH soit critique pour le succès de la transplantation de certains types de tissu (par exemple, la transplantation de cellules souches hématopoïétiques) et améliore la survie d'autres types de greffe d'organe (allogreffe rénale), l'immunosuppression est devenue suffisamment efficace pour que le typage HLA ne soit plus considéré comme nécessaire dans plusieurs types de transplantation d'organe (par exemple le cœur et le foie), en particulier parce que le nombre de donneurs est limité et les receveurs sont souvent trop malades pour attendre qu'un organe compatible devienne disponible. L'objectif à long terme des immunologistes de la transplantation est l'induction d'une tolérance immunologique spécifique des alloantigènes du greffon. En cas de succès, il sera possible d'obtenir une tolérance du greffon sans supprimer les autres réponses immunitaires. Cependant, de nombreuses années de tentatives expérimentales et cliniques d'induction de tolérance spécifique du greffon n'ont pas encore abouti à des méthodes cliniques pratiques. L'un des problèmes majeurs de la transplantation est la pénurie d'organes appropriés. La xénogreffe a été considérée comme une solution possible à ce problème. Des études expérimentales sur des xénogreffes ont montré que le rejet hyperaigu était la cause fréquente des échecs. La raison de la grande fréquence du rejet hyperaigu des xénogreffes est la présence fréquente chez le receveur d'anticorps qui réagissent avec les cellules de l'autre espèce, alors que les cellules de la xénogreffe sont dépourvues des protéines régulatrices qui peuvent inhiber l'activation du complément humain. Ces anticorps, semblables aux anticorps dirigés contre les antigènes des groupes sanguins sont dits « anticorps naturels », car leur production ne nécessite pas une exposition préalable aux xénoantigènes. Il semble que ces anticorps soient produits contre des bactéries qui résident normalement dans l'intestin et qu'ils réagissent de manière croisée avec les cellules d'autres espèces. Les xénogreffes subissent également un rejet aigu, tout comme les allogreffes, mais souvent encore plus grave. En raison du problème de rejet, et la difficulté à se procurer des organes d'animaux qui, au plan de l'évolution, sont proches des humains, la xénotransplantation clinique reste un objectif lointain.
Transplantation de cellules sanguines et de cellules souches hématopoïétiques Un transfert de cellules sanguines entre humains, appelé transfusion, constitue la forme la plus ancienne de transplantation en médecine clinique. Le principal obstacle à la transfusion est la présence d'antigènes de groupes sanguins allogéniques, dont les prototypes sont les antigènes ABO (fig. 10.15). Ces antigènes sont exprimés sur les globules rouges, les cellules endothéliales et de nombreux autres types cellulaires. Les antigènes ABO sont des glucides faisant partie de glycoprotéines et de glycosphingolipides des membranes ; ils contiennent une séquence glycane qui peut
192
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
A
A
B
O
N-acétylgalactosamine N-acétylglucosamine Fucose Galactose
B
Group A
Group B
Group AB
Group O
Type de globule rouge
Type A
Type B
Type AB
Type O
Antigènes
Antigène A
Antigène B
Antigènes A et B Aucun
Anticorps
Anti-B
Anti-A
Aucun
Anti-A et Anti-B
Fig. 10.15. Antigènes du groupe sanguin ABO. A. Structure chimique des antigènes ABO. B. Antigènes et anticorps des personnes porteuses des principaux groupes sanguins ABO.
être modifiée par voie enzymatique par addition de l'un ou l'autre de deux types de résidus terminaux de sucre. Il y a trois allèles du gène codant l'enzyme qui ajoute ces sucres : l'un code une enzyme qui ajoute la N-acétylgalactosamine, l'autre le galactose, et la troisième est inactive et ne peut ajouter aucun des deux glucides. Par conséquent, selon les allèles héréditaires, un individu peut avoir l'un des quatre groupes sanguins ABO différents : les individus du groupe sanguin A ont de la N-acétylgalactosamine ajoutée au glycane central ; les individus du groupe sanguin B ont un galactose terminal ; les individus du groupe sanguin AB expriment les deux sucres terminaux sur différentes molécules de glycolipides ou de glycoprotéines ; et les individus du groupe sanguin O expriment le glycane central sans aucun des sucres terminaux. Les individus exprimant un antigène de groupe sanguin sont tolérants pour cet antigène, mais produisent des anticorps spécifiques contre les antigènes qu'ils n'expriment pas Ainsi, les individus de type A produisent des anticorps antiB, les individus de type B des anticorps anti-A ; les individus du groupe O à la fois des anticorps anti-A et anti-B, et les individus de type AB ne produisent pas d'anticorps antiA ou anti-B. Ces anticorps sont qualifiés de naturels parce
qu'ils sont produits en l'absence de l'antigène. Ils sont probablement produits par les lymphocytes B en réponse aux antigènes des microbes intestinaux, et les anticorps réagissent de manière croisée avec les antigènes du groupe sanguin ABO. Comme les antigènes du groupe sanguin sont des sucres, ils ne provoquent pas de réponse des lymphocytes T qui entraînent un changement d'isotype, et les anticorps spécifiques des antigènes A ou B sont essentiellement des IgM. Les anticorps préformés réagissent contre les cellules sanguines transfusées exprimant les antigènes cibles et activent le complément qui lyse les globules rouges ; le résultat peut être une réaction transfusionnelle grave, caractérisée par une forte réponse inflammatoire systémique, une thrombose intravasculaire et des lésions rénales. Ce problème est évité par l'appariement des donneurs et des receveurs, de sorte qu'il n'y ait pas d'antigènes sur les cellules du donneur qui puissent être reconnus par les anticorps préformés chez le receveur, une pratique courante en médecine. Des antigènes de groupes sanguins autres que les antigènes ABO sont également à l'origine de réactions transfusionnelles, généralement moins sévères. Un exemple important est l'antigène Rh, qui est une protéine de la membrane des globules rouges exprimée par environ 90 % des
Chapitre 10. Immunologie des tumeurs et de la transplantation gens. Les femmes enceintes qui sont RhD négatif peuvent être immunisées par l'exposition à des globules rouges exprimant le RhD du bébé pendant l'accouchement si le bébé a hérité du gène RhD du père. La mère produira des anticorps anti-RhD qui peuvent traverser le placenta pendant les grossesses ultérieures et peuvent attaquer les cellules fœtales Rh positives, causant une maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né. La transplantation de cellules souches hématopoïétiques est de plus en plus utilisée pour corriger les déficits hématopoïétiques ou pour restaurer les cellules de la moelle osseuse qui ont été lésées par radiothérapie et chimiothérapie anticancéreuse et comme traitement des leucémies. Des cellules de toute la moelle osseuse ou, plus souvent, des cellules souches hématopoïétiques mobilisées de la moelle vers le sang d'un donneur sont injectées dans la circulation d'un receveur ; les cellules colonisent alors la moelle. La greffe de cellules de moelle osseuse pose plusieurs problèmes particuliers. Avant la transplantation, une partie de la moelle osseuse du receveur doit être détruite afin de créer un « espace » permettant de recevoir les cellules de la moelle transplantée. Cette déplétion de la moelle du receveur cause inévitablement un manque de cellules sanguines et de cellules immunitaires, entraînant des déficiences immunitaires potentiellement graves avant que les cellules souches transplantées ne génèrent suffisamment de cellules sanguines de remplacement. Le système immunitaire réagit très fortement contre les cellules souches hématopoïétiques. Par conséquent, la réussite de la transplantation nécessite une compatibilité HLA étroite entre donneur et receveur. La compatibilité HLA empêche également le rejet des cellules souches transplantées par des cellules NK, qui sont inhibées par reconnaissance des molécules du CMH autologue (voir chapitre 2). Si des lymphocytes T allogéniques matures sont transplantés avec les cellules de moelle osseuse, ces lymphocytes T matures peuvent attaquer les tissus du receveur, entraînant une réaction clinique grave appelée maladie du greffon contre l'hôte. Lorsque le donneur est un frère ou une sœur identique quant à leur HLA (comme c'est le cas dans environ 80 % des cas) cette réaction est dirigée contre des antigènes mineurs d'histocompatibilité. La même réaction est exploitée pour tuer les cellules leucémiques (réaction du greffon contre la leucémie), et la greffe de cellules souches hématopoïétiques est maintenant couramment utilisée pour traiter les leucémies résistant à la chimiothérapie. Les cellules NK dans l'inoculum de moelle peuvent aussi contribuer à la destruction des cellules leucémiques. Malgré ces problèmes, la transplantation de cellules souches hématopoïétiques est un succès thérapeutique pour une grande variété de maladies touchant les systèmes hématopoïétique et lymphoïde.
■
■
■
■
■
■
■
■
Points clés ■
■
Le système immunitaire est capable d'éradiquer les tumeurs ou de prévenir leur croissance. Les tumeurs peuvent induire des réponses à anticorps, à lymphocytes T CD4+ et à lymphocytes T CD8+, mais la destruction des cellules tumorales par les CTL CD8+ semble être le plus important mécanisme effecteur antitumoral.
193
La plupart des antigènes tumoraux qui induisent des réponses des cellules T sont des néoantigènes codés par des gènes mutés de manière aléatoire (mutations « passagers ») qui ne contribuent pas au phénotype malin des cellules cancéreuses. D'autres antigènes tumoraux comprennent des produits d'oncogènes et de gènes suppresseurs de tumeur, des molécules de structure normale mais surexprimées ou exprimées de manière aberrante et des produits de virus oncogènes. Des CTL reconnaissent des peptides mutants dérivés d'antigènes tumoraux présentés par des molécules du CMH de classe I. L'induction de réponses par les CTL contre les antigènes tumoraux nécessite l'ingestion des cellules tumorales ou de leurs antigènes par les cellules dendritiques et la présentation croisée des antigènes aux lymphocytes T CD8+ naïfs, l'activation des cellules T et leur différenciation en CTL, la migration des CTL du sang dans les tumeurs, la reconnaissance des antigènes tumoraux par les CTL sur les cellules tumorales et la lyse de celles-ci. Des tumeurs peuvent échapper aux réponses immunitaires en perdant l'expression de leurs antigènes, en empêchant l'expression des molécules du CMH ou des molécules participant à l'apprêtement des antigènes, en exprimant des ligands pour des récepteurs inhibiteurs des lymphocytes T, en induisant des lymphocytes T régulateurs ou en sécrétant des cytokines qui suppriment les réponses immunitaires. L'immunothérapie cellulaire CAR-T est une autre approche révolutionnaire aujourd'hui utilisée en pratique clinique. Les cellules CAR-T sont générées in vitro en transduisant les lymphocytes T d'un patient cancéreux afin qu'ils expriment un récepteur recombinant avec un site de liaison de type anticorps pour un antigène tumoral et une queue cytoplasmique aux fonctions de signalisation puissantes. Le transfert adoptif des cellules CAR-T aux patients a permis de traiter avec succès les leucémies et les lymphomes dérivés des cellules B. Le blocage des points de contrôle immunitaire est la principale stratégie d'immunothérapie contre le cancer dans la pratique actuelle. Des anticorps monoclonaux qui bloquent la fonction des molécules inhibitrices des lymphocytes T, telles que CTLA-4 et PD-1, sont injectés au patient, ce qui améliore l'activation des lymphocytes T spécifiques des tumeurs par les antigènes tumoraux. Cette approche s'est avérée très efficace dans le traitement de patients atteints de nombreux types de cancers avancés, mais plus de 50 % des patients ne répondent pas, et de nombreux patients développent des effets secondaires auto-immuns. Des vaccins personnalisés à base de néoantigènes font actuellement l'objet d'essais cliniques. La création de ces vaccins repose sur le séquençage du génome du cancer pour identifier les peptides de néoantigènes propres à la tumeur du patient et qui se lient à ses molécules du CMH. La transplantation d'organes et de tissus d'un individu à un autre est largement utilisée pour traiter de nombreuses maladies, mais l'un des principaux obstacles à une transplantation réussie est le rejet des greffes de tissus étrangers par les réponses immunitaires adaptatives, notamment des CTL CD8+, des cellules T auxiliaires CD4+ et des anticorps. Les antigènes les plus importants qui stimulent le rejet du greffon sont les molécules allogéniques du CMH, qui ressemblent à des molécules de CMH autologues chargées de peptides que les cellules T du receveur du greffon peuvent reconnaître. Les molécules allogéniques de CMH sont soit présentées par des APC du greffon sans apprêtement aux cellules T du receveur (présentation directe), ou sont apprêtées et présentées sous forme de peptides liés au CMH du soi par les APC du receveur (présentation indirecte).
▸
194
▸ ■
■
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Les greffons peuvent être rejetés par différents mécanismes. Le rejet hyperaigu est dû à des anticorps préformés contre des antigènes de groupe sanguin ou des molécules HLA. Ces anticorps provoquent des lésions endothéliales et une thrombose dans les vaisseaux sanguins du greffon. Le rejet aigu dépend des lymphocytes T, qui agressent les cellules et l'endothélium du greffon, et des anticorps qui se lient à l'endothélium. Le rejet chronique est provoqué par des lymphocytes T qui produisent des cytokines stimulant la croissance des cellules musculaires lisses vasculaires et des fibroblastes tissulaires. Le traitement du rejet de greffe est destiné à supprimer les réponses des lymphocytes T et l'inflammation. Le pilier thérapeutique a été l'usage de médicaments immunosuppresseurs, notamment les corticostéroïdes, des inhibiteurs de la calcineurine, des inhibiteurs de mTOR, des antimétabolites et de nombreux autres.
■
■
La transfusion de cellules sanguines est la forme de transplantation la plus ancienne et la plus répandue et nécessite la compatibilité des groupes sanguins ABO du donneur et du receveur. Les antigènes du groupe sanguin ABO sont des sucres exprimés à la surface des globules rouges, des cellules endothéliales et d'autres cellules, et les gens produisent des anticorps naturels spécifiques des antigènes ABO qu'ils ne produisent pas. Les greffes de cellules souches hématopoïétiques sont largement utilisées pour traiter les cancers des cellules sanguines et pour remplacer des composants défectueux du système immunitaire ou hématopoïétique. Ces transplantations de cellules souches hématopoïétiques suscitent de fortes réactions de rejet : elles sont susceptibles de déclencher une maladie du greffon contre l'hôte et conduisent souvent à un déficit immunitaire temporaire chez les receveurs.
Chapitre
11
Hypersensibilités Affections causées par des réactions immunitaires PLAN DU CHAPITRE Les différents types d'hypersensibilité . . . . . . . Hypersensibilité immédiate . . . . . . . . . . . . . . . Activation des cellules Th2 et production des anticorps IgE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Activation des mastocytes et sécrétion de médiateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Syndromes cliniques et traitement . . . . . . . Maladies causées par des anticorps spécifiques d'antigènes cellulaires et tissulaires . . . . . . . . . . . Mécanismes des lésions tissulaires et des maladies causées par des anticorps . . . Exemples et traitement de maladies causées par des anticorps spécifiques de cellules ou de tissus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
195 197 197 198 200 202 202
205 205 206 206 206 207 209
204
Jusqu'à présent, cet ouvrage a insisté sur le concept d'un système immunitaire nécessaire à la défense contre les infections. Cependant, les réactions immunitaires peuvent elles-mêmes provoquer des lésions tissulaires et des maladies. Les affections provoquées de la sorte sont appelées hypersensibilités. Une réponse immunitaire à un antigène peut entraîner non seulement une immunité protectrice, mais aussi une réaction décelable à une provocation par cet antigène, appelée sensibilité, et l'hypersensibilité est donc le reflet de réponses immunitaires excessives ou aberrantes. Les hypersensibilités peuvent survenir dans deux situations. D'une part, les réponses à des antigènes étrangers (microbes et antigènes environnementaux non infectieux) peuvent provoquer des lésions tissulaires, particulièrement si les réactions sont répétitives ou mal contrôlées. D'autre part, les réponses immunitaires peuvent être dirigées contre des antigènes du soi (autologues) en raison d'un défaut de tolérance au soi (voir chapitre 9). Les réactions contre les antigènes du soi, ou auto-immunité, peuvent entraîner les maladies dites auto-immunes. Ce chapitre décrit les réactions d'hypersensibilité, leurs caractéristiques principales et les maladies qu'elles causent en se concentrant sur leur pathogénie. Il ne résume que brièvement les manifestations cliniques et histopathologiques de ces affections, décrites en détail dans d'autres manuels de médecine. Les questions suivantes sont abordées. Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Maladies causées par des complexes antigèneanticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étiologie, exemples et traitement des maladies à complexes immuns . . . . . . . Maladies causées par des lymphocytes T . . . . . Étiologie des maladies causées par des lymphocytes T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mécanismes des lésions tissulaires . . . . . . . . Syndromes cliniques et traitement . . . . . . . Neuro-immunologie : interactions entre les systèmes immunitaire et nerveux . . . . . . . .
■ Quels sont les mécanismes des différents types de réactions d'hypersensibilité ? ■ Quelles sont les principales caractéristiques cliniques et pathologiques des maladies causées par ces réactions ? ■ Quels sont les principes qui sous-tendent le traitement de ces maladies ?
Les différents types d'hypersensibilité Les hypersensibilités sont généralement classées sur la base du mécanisme immunologique principal à l'origine des lésions tissulaires et de la maladie (fig. 11.1). Nous utiliserons les classifications descriptives, plus informatives, tout au long de ce chapitre, mais nous indiquerons également les désignations numériques pour chaque type puisqu'elles sont d'usage courant. ■ L'hypersensibilité immédiate (hypersensibilité de type I) est un type de réaction pathologique provoquée par des médiateurs libérés par des mastocytes. Cette réaction dépend le plus souvent de la production d'anticorps IgE contre des antigènes environnementaux et de la liaison des IgE aux mastocytes de différents tissus. ■ Des anticorps qui sont dirigés contre les antigènes cellulaires ou tissulaires peuvent endommager ces cellules ou 195
196
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Type d'hypersensibilité
Mécanismes immunitaires pathologiques
Mécanismes des lésions tissulaires et de la maladie
Hypersensibilité immédiate (type I)
Lymphocytes Th2, anticorps IgE, mastocytes, éosinophiles
Médiateurs provenant des mastocytes (amines vasoactives, médiateurs lipidiques, cytokines)
IgE
Mastocyte
Allergène Médiateurs
Causée par des anticorps (type II)
Anticorps IgM, IgG dirigés contre des antigènes de la surface cellulaire ou de la matrice extracellulaire Cellule inflammatoire Récepteur de Fc
Complément
Recrutement et activation des leucocytes (neutrophiles, macrophages) par le complément et le récepteur de Fc Opsonisation et phagocytose des cellules Anomalies des fonctions cellulaires, par exemple : signalisation des récepteurs hormonaux
Anticorps
Causée par des complexes immuns (type III)
Inflammation induite par des cytokines (éosinophiles, neutrophiles)
Dépôts sur la membrane basale vasculaire de complexes immuns constitués d'antigènes circulants et d'anticorps IgM ou IgG
Paroi du vaisseau sanguin
Recrutement et activation des leucocytes par le complément et le récepteur de Fc
Neutrophile
Complexe antigène-anticorps
Causée par des cellules T (type IV)
1. Lymphocytes T CD4+ (inflammation induite par des cytokines) 2. CTL CD8+ (cytolyse induite par les lymphocytes T) Lymphocyte T CD8+
Macrophage Lymphocyte T CD4+
1. Activation des macrophages, inflammation induite par les cytokines 2. Lyse directe des cellules cibles, inflammation induite par les cytokines
Cytokines
Fig. 11.1. Types d'hypersensibilité. Pour chacun des quatre principaux types d'hypersensibilité, différents mécanismes immunitaires effecteurs sont responsables des lésions tissulaires et des pathologies. CTL : cytotoxic T lymphocytes ; Ig : immunoglobuline.
ces tissus ou altérer leurs fonctions. Ces maladies sont dites causées par des anticorps ou hypersensibilités de type II. ■ Les anticorps dirigés contre des antigènes solubles dans le sang peuvent former des complexes avec les antigènes et ces
complexes immuns peuvent se déposer dans les vaisseaux sanguins de différents tissus et entraîner une inflammation et des lésions tissulaires ; ce type de pathologie est appelé maladie à complexes immuns ou hypersensibilité de type III.
Chapitre 11. Hypersensibilités ■ Certaines maladies sont dues aux réactions de lymphocytes T spécifiques d'antigènes du soi ou de microbes dans des tissus ; ces maladies impliquant des lymphocytes T représentent l'hypersensibilité de type IV. Ce système de classification est utile car il distingue les mécanismes de lésions tissulaires d'origine immunitaire. Cependant, dans de nombreuses maladies immunitaires humaines, les dégâts résultent d'une combinaison de réactions humorales et cellulaires, de sorte qu'il est souvent difficile de classer clairement ces maladies dans un type d'hypersensibilité.
Première exposition à l'allergène
Allergène
Lymphocyte B
Activation par l'antigène des lymphocytes Tfh et stimulation de la commutation pour la classe des IgE dans les lymphocytes B
Lymphocyte Tfh
IgE
Production d'IgE
Hypersensibilité immédiate L'hypersensibilité immédiate est une réaction des anticorps IgE et des mastocytes à certains antigènes ; elle provoque rapidement des fuites vasculaires et des sécrétions muqueuses, souvent suivies d'inflammation. Les maladies dans lesquelles les réactions d'hypersensibilité immédiate dépendant de l'IgE prédominent sont également appelées allergie ou atopie ; les individus ayant une forte propension à réagir de la sorte sont dits « atopiques ». L'hypersensibilité immédiate peut toucher différents tissus et s'avérer plus ou moins graves selon les individus. Les types communs d'allergies sont le rhume des foins, les allergies alimentaires, l'asthme et l'anaphylaxie. Les allergies constituent les troubles les plus fréquents du système immunitaire : elles affectent environ 20 % des gens et l'incidence des maladies allergiques s'est accrue, spécialement dans les pays industrialisés. La séquence d'événements dans le développement des réactions d'hypersensibilité comprend : une activation des cellules Th2 et des Tfh (T folliculaires auxiliaires) sécrétrices d'IL-4, ce qui stimule la production des anticorps IgE en réponse à un antigène ; ceux-ci se lient aux récepteurs de Fc des mastocytes ; ensuite, lors d'un nouveau contact avec l'antigène, l'interconnexion des IgE par l'antigène conduit à l'activation des mastocytes et à la libération de divers médiateurs (fig. 11.2). Certains médiateurs des mastocytes augmentent rapidement la perméabilité vasculaire et la contraction des muscles lisses, ce qui cause les multiples symptômes de cette hypersensibilité (fig. 11.3). Cette réaction vasculaire et musculaire lisse peut survenir dans les minutes qui suivent la réintroduction de l'antigène chez un individu sensibilisé, d'où le nom d'hypersensibilité immédiate. Les autres médiateurs des mastocytes sont les cytokines qui recrutent, pendant plusieurs heures, des neutrophiles et des éosinophiles dans le site de réaction. Cette composante inflammatoire de l'hypersensibilité immédiate, appelée réaction de phase tardive, est en grande partie responsable des lésions tissulaires provoquées par les crises répétées d'hypersensibilité immédiate. Après ces notions de base, nous allons décrire les phases successives des réactions d'hypersensibilité immédiate.
Activation des cellules Th2 et production des anticorps IgE Chez les individus prédisposés aux allergies, le contact avec certains antigènes entraîne l'activation de
197
Plasmocyte sécrétant des IgE
Liaison des IgE au FcεRI des mastocytes
FcεRI Masto cyte
Nouvelle exposition à l'allergène
Médiateurs Activation du mastocyte : libération des médiateurs
Amines vasoactives, médiateurs lipidiques
Réaction d'hypersensibilité immédiate (quelques minutes après une nouvelle exposition à l'allergène)
Cytokines
Phase tardive de la réaction (6 à 24 heures après une nouvelle exposition à l'allergène)
Fig. 11.2. Séquence des événements dans l'hypersensibilité immédiate. Les réactions d'hypersensibilité immédiate sont déclenchées par l'introduction d'un allergène, qui stimule les cellules Th2 et Tfh productrices d'IL-4/IL-13 et la production de l'immunoglobuline E (IgE). Les IgE se lient aux récepteurs de Fc (FcεRI) sur les mastocytes, et une exposition ultérieure à l'allergène active les mastocytes qui sécrètent des médiateurs responsables des réactions pathologiques de l'hypersensibilité immédiate.
lymphocytes Th2 et Tfh sécréteurs d'IL-4 et la production d'anticorps IgE (voir fig. 11.2). La plupart des individus ne réagissent pas selon la voie Th2 à des antigènes de l'environnement. Pour des raisons inconnues, lorsque certains sont confrontés à des antigènes comme des protéines de pollen, certains aliments, des venins d'insectes ou des
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
198
Immédiate
B
Réaction tardive
Contact avec l'allergène
Manifestations cliniques
A
C Mastocytes
Œdème
0
1
4
8
12
16
Congestion vasculaire
Éosinophiles
20
Heures après le contact avec l'allergène Fig. 11.3. Hypersensibilité immédiate. A. Cinétique, des réactions immédiate et de phase tardive. La réaction immédiate vasculaire et des muscles lisses à l'allergène se développe en quelques minutes après la provocation (exposition à l'allergène chez un individu précédemment sensibilisé), alors que la réaction de phase tardive se développe de 2 à 24 heures plus tard. B. La morphologie de la réaction immédiate se caractérise par la vasodilatation, la congestion et l'œdème. C. La réaction de phase tardive est caractérisée par un infiltrat inflammatoire riche en éosinophiles, neutrophiles et lymphocytes T. Source des micrographies : Dr Daniel Friend, Department of Pathology, Brigham and Women's Hospital, Boston.
phanères d'animaux, ou s'ils sont traités par des médicaments comme la pénicilline, la réponse dominante des lymphocytes T est de type Th2. L'hypersensibilité immédiate se développe suite à l'activation de lymphocytes Th2 et Tfh sécréteurs d'IL-4 en réponse à des antigènes protéiques ou à des substances chimiques qui se lient aux protéines. Les antigènes qui déclenchent une hypersensibilité immédiate (c'est-à-dire des réactions allergiques) sont appelés allergènes. Toute personne atopique peut être allergique à un ou plusieurs de ces antigènes. On ne comprend pas pourquoi seul un petit sous-ensemble d'antigènes environnementaux communs suscite des réactions de type Th2 et la production d'IgE, et quelles sont les caractéristiques de ces antigènes responsables de leurs propriétés allergéniques. Dans des organes lymphoïdes secondaires, l'IL-4 sécrétée par des lymphocytes Tfh stimule la commutation des lymphocytes B en plasmocytes producteurs d'IgE. Par conséquent, les individus atopiques produisent de grandes quantités d'anticorps IgE en réponse à des antigènes qui ne déclenchent pas de réponses IgE chez la plupart des personnes. L'IL-4 et l'IL-13 sécrétées par les cellules Th2 induisent certaines des réactions allergiques, comme la motilité intestinale et les sécrétions excessives de mucus. Les cellules Th2 sécrètent également l'IL-5, qui favorise l'inflammation éosinophile caractéristique des tissus affectés par les maladies allergiques. Comme la majorité des cellules Th2 migrent vers les tissus périphériques, alors que les cellules Tfh restent dans les organes lymphoïdes secondaires, elles jouent probablement des rôles différents dans les réponses allergiques. La commutation IgE se produit principalement dans les organes lymphoïdes et la fonction d'aide est donc assurée par les cellules Tfh. Les cellules Th2 peuvent contribuer à tout changement d'isotype qui se produit dans les sites périphériques des réactions allergiques et, plus important encore, sont responsables de l'inflammation et de l'activation des éosinophiles à ces sites. La propension à la différenciation des lymphocytes T en producteurs d'IL-4 et d'IL-5 et les maladies atopiques qui en résultent telles que l'asthme a une solide base génétique. Les antécédents familiaux de maladie atopique constituent
un risque majeur connu de développer des allergies, et les études d'association génétique indiquent que de nombreux gènes différents jouent un rôle contributif. Certains de ces gènes codent des cytokines ou des récepteurs connus pour être impliqués dans les réponses lymphocytaires T et B, notamment l'IL-4, l'IL-5, l'IL-13 et le récepteur de l'IL-4 ; comment ces variantes génétiques contribuent aux maladies atopiques est inconnu. Les mutations de la filaggrine, une protéine nécessaire à la fonction barrière de la peau, augmentent le risque de dermatite atopique dans la petite enfance et de maladies allergiques subséquentes, dont l'asthme. Divers facteurs environnementaux autres que l'exposition aux allergènes, y compris la pollution de l'air et l'exposition aux microbes, ont une influence profonde sur la propension à développer des allergies, et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles l'incidence des maladies allergiques, particulièrement l'asthme, augmente dans les sociétés industrialisées.
Activation des mastocytes et sécrétion de médiateurs Les anticorps IgE produits en réponse à un allergène se lient aux récepteurs de Fc de haute affinité qui sont spécifiques de la chaîne lourde ε et qui sont exprimés sur les mastocytes (voir fig. 11.2). Ainsi, chez un individu allergique, les mastocytes sont recouverts d'anticorps IgE spécifiques du ou des antigènes auxquels l'individu est allergique. Ce processus de liaison des IgE aux mastocytes est appelé « sensibilisation », car il rend les mastocytes sensibles à l'activation en cas de rencontre ultérieure des IgE avec leur antigène spécifique. En revanche, chez les individus non allergiques, les mastocytes peuvent porter des molécules d'IgE de spécificités variées ; en effet, de nombreux antigènes peuvent déclencher de faibles réponses de type IgE, mais la quantité d'IgE spécifique d'un antigène quelconque n'est pas suffisante pour causer des réactions d'hypersensibilité immédiate lors d'un contact avec cet antigène.
Chapitre 11. Hypersensibilités Les mastocytes sont présents dans tous les tissus conjonctifs, spécialement sous les épithéliums, et sont habituellement localisés près des vaisseaux sanguins. La voie d'entrée de l'allergène détermine souvent quels mastocytes de l'organisme seront activés par pontage (interconnexion) des IgE spécifiques de l'allergène. Par exemple, les allergènes inhalés activent les mastocytes se trouvant dans la sous-muqueuse des bronches, tandis que les allergènes ingérés activent les mastocytes de la paroi intestinale. Les allergènes qui entrent dans le sang par absorption dans l'intestin ou par injection directe peuvent être livrés à tous les tissus, ce qui entraîne une activation systémique des mastocytes. Le récepteur de haute affinité de Fcε, dénommé FcεRI, est composé de trois chaînes polypeptidiques, dont l'une se lie très fortement à la région Fc de la chaîne lourde ε, avec un Kd d'environ 10− 11 M. La concentration en IgE du plasma est approximativement égale à 10− 9 M, ce qui explique pourquoi, même chez les individus non allergiques, les mastocytes sont toujours recouverts d'IgE liées
199
au récepteur FcεRI. Les deux autres chaînes du récepteur sont des protéines de signalisation. Le même récepteur FcεRI est également présent sur les basophiles, des cellules circulantes qui partagent de nombreuses caractéristiques des mastocytes ; mais normalement le nombre de basophiles dans le sang est très bas et ils ne sont pas présents dans les tissus, aussi leur rôle dans l'hypersensibilité immédiate n'est pas aussi bien caractérisé que celui des mastocytes. Lorsque les mastocytes sensibilisés par les IgE sont exposés à l'allergène, ils sont activés et sécrètent leurs médiateurs inflammatoires (fig. 11.4). L'activation des mastocytes résulte de la liaison de l'allergène à au moins deux anticorps IgE sur le mastocyte. Lorsque ce phénomène se produit, les IgE et les molécules FcεRI qui portent les IgE s'interconnectent, ce qui déclenche des signaux biochimiques à partir des chaînes de transduction des signaux du récepteur FcεRI. Les signaux déclenchent la libération rapide de médiateurs inflammatoires.
Allergène
FcεRI
Granules contenant des médiateurs préformés
P
Chaînes de signalisation du FcεRI
P
P
ITAM
P
Voies de signalisation Activation transcriptionnelle de gènes de cytokine
Modification enzymatique de l'acide arachidonique Médiateurs lipidiques Exocytose des granules
Cytokines
Sécrétion
Amines vasoactives
Protéases
Vasodilatation, contraction des muscles lisses
Lésions tissulaires
Sécrétion
Prostaglandines Leucotriènes
Vasodilatation
Contraction des muscles lisses
Cytokines, par exemple le TNF
Inflammation (recrutement des leucocytes)
Fig. 11.4. Production et actions des médiateurs des mastocytes. Le pontage des IgE sur un mastocyte par un allergène active de nombreuses voies de signalisation à partir des chaînes de signalisation du récepteur de Fc de l'IgE (FcεRI), notamment la phosphorylation des ITAM (immunoreceptor tyrosine-based activation motifs). Ces voies de signalisation stimulent la libération du contenu des granules des mastocytes (amines, protéases), la formation de métabolites de l'acide arachidonique (prostaglandines, leucotriènes) et la synthèse de diverses cytokines. Ces médiateurs du mastocyte stimulent les différentes réactions de l'hypersensibilité immédiate. TNF : facteur de nécrose tumorale.
200
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Les médiateurs principaux produits par les mastocytes sont des amines vasoactives et des protéases stockées dans des granules et prêts à être libérées, alors que d'autres sont des cytokines et des produits néoformés provenant du métabolisme de l'acide arachidonique (voir fig. 11.4). Ces médiateurs exercent différentes actions. L'amine principale, l'histamine, cause une augmentation de la perméabilité vasculaire et une vasodilatation, ce qui entraîne une fuite de liquide et de protéines plasmatiques dans les tissus. En outre, elle stimule une contraction transitoire des muscles lisses bronchiques et intestinaux. Les protéases peuvent provoquer des lésions des tissus locaux. Les métabolites de l'acide arachidonique comprennent les prostaglandines, qui entraînent une dilatation vasculaire, et les leucotriènes, qui stimulent la contraction prolongée des muscles lisses bronchiques. Des cytokines induisent une inflammation locale (phase tardive de la réaction, décrite ci-dessous). Ainsi, les médiateurs des mastocytes sont responsables de réactions aiguës des vaisseaux et des muscles lisses et d'une inflammation prolongée, les manifestations typiques de l'hypersensibilité immédiate. Les cytokines produites par les mastocytes stimulent le recrutement de leucocytes, qui sont responsables de la phase tardive de la réaction. Les principaux leucocytes participant à cette réaction sont les éosinophiles, les neutrophiles et les lymphocytes Th2. Le TNF (tumor necrosis factor) et l'IL-4 produits par les mastocytes favorisent une inflammation riche en neutrophiles et en éosinophiles. Les chimiokines produites par les mastocytes et les cellules épithéliales des tissus contribuent également au recrutement des leucocytes. Les éosinophiles et les neutrophiles libèrent des protéases, qui endommagent les tissus, tandis que les lymphocytes Th2 peuvent exacerber la réaction en produisant davantage de cytokines. Les éosinophiles prédominent dans de nombreuses réactions allergiques et constituent une cause majeure des lésions tissulaires observées dans ce type de réactions. Ces cellules sont activées par une cytokine, l'IL-5, qui est produite par les lymphocytes Th2 et les cellules lymphoïdes innées.
Syndromes cliniques et traitement Les réactions d'hypersensibilité immédiate ont diverses caractéristiques cliniques et pathologiques, toutes attribuables aux médiateurs produits en quantités variables et dans différents tissus par les mastocytes (fig. 11.5). ■ Certaines réactions bénignes, comme la rhinite ou la sinusite allergique fréquemment retrouvées dans le rhume des foins, sont déclenchées par des allergènes inhalés, comme des protéines du pollen de graminées. Les mastocytes présents dans la muqueuse nasale produisent de l'histamine et les cellules Th2 produisent l'IL13, et ces deux médiateurs augmentent la sécrétion de mucus. La phase tardive de la réaction d'hypersensibilité peut conduire à une inflammation prolongée. ■ Dans les allergies alimentaires, les allergènes ingérés déclenchent une dégranulation des mastocytes et l'histamine libérée ainsi que d'autres médiateurs provoquent une augmentation du péristaltisme, cause de vomissement et de diarrhée.
Syndrome clinique
Manifestations cliniques et pathologiques
Rhinite, sinusite allergique (rhume des foins)
Augmentation de la sécrétion de mucus ; inflammation des voies respiratoires supérieures et des sinus
Allergies alimentaires
Augmentation du péristaltisme due à la contraction des muscles intestinaux
Asthme bronchique
Obstruction provoquée par l'hyperréactivité des muscles lisses bronchiques ; inflammation et lésions tissulaires provoquées par la phase tardive de la réaction
Anaphylaxie (provoquée par des médicaments, des piqûres d'abeilles ou des aliments)
Chute de la pression artérielle (choc) provoquée par une vasodilatation ; obstruction des voies respiratoires due à un œdème laryngé et une bronchoconstriction
Fig. 11.5. Manifestations cliniques des réactions d'hypersensibilité immédiate. L'hypersensibilité immédiate peut se manifester par beaucoup d'autres symptômes, comme le développement de lésions cutanées, par exemple l'urticaire ou l'eczéma.
■ L'asthme est un syndrome clinique caractérisé par une difficulté à respirer, une toux et une respiration sifflante, liées à une obstruction intermittente du débit expiratoire. La cause la plus fréquente de l'asthme est l'allergie respiratoire dans laquelle les allergènes inhalés stimulent la libération des médiateurs par les mastocytes bronchiques, dont les leucotriènes, qui provoquent des poussées répétées de constriction bronchique et d'obstruction des voies respiratoires. Dans l'asthme chronique, un grand nombre d'éosinophiles infiltrent la muqueuse bronchique et du mucus est sécrété de manière excessive dans les voies respiratoires. En outre, les muscles lisses des bronches sont hypertrophiés et deviennent hyperréactifs à différents stimulus. Certains cas d'asthme ne sont pas associés à la production d'IgE et peuvent être déclenchés par le froid ou l'exercice, mais on ignore comment ces deux facteurs causent l'hyperactivité bronchique. ■ La forme la plus grave d'hypersensibilité immédiate est l'anaphylaxie, une réaction systémique qui est caractérisée par un œdème généralisé dans de nombreux tissus, notamment le larynx, et qui est accompagnée d'une chute de la pression artérielle (choc anaphylactique) et d'une bronchoconstriction. Parmi des inducteurs fréquents d'anaphylaxie, on trouve le venin d'abeille, des antibiotiques de la famille de la pénicilline (injectés ou ingérés), les noix et les fruits de mer. Cette réaction est provoquée par une dégranulation massive des mastocytes en réponse à un antigène distribué de manière systémique ; elle peut être mortelle en raison de la chute soudaine de la pression artérielle et de l'obstruction des voies respiratoires.
Chapitre 11. Hypersensibilités Le traitement des réactions et maladies relevant d'une hypersensibilité immédiate vise à inhiber la dégranulation des mastocytes, afin de s'opposer aux effets de leurs médiateurs et de réduire l'inflammation (fig. 11.6). Les médicaments les plus fréquemment utilisés comprennent les antihistaminiques pour le rhume des foins, des inhalations d'agonistes β-adrénergiques et de corticostéroïdes qui relâchent les muscles lisses bronchiques et réduisent l'inflammation des voies aériennes dans l'asthme, et l'épinéphrine (adrénaline) en cas d'anaphylaxie. De nombreux patients sont soulagés par l'administration répétée de petites doses d'allergènes, appelée désensibilisation ou immunothérapie spécifique de l'allergène. Ce traitement pourrait agir en réduisant la prédominance de la réponse des lymphocytes Th2, en substituant les IgE par d'autres classes d'anticorps, en induisant une tolérance des lymphocytes T spécifiques de l'allergène ou en stimulant des lymphocytes T régulateurs (Treg). Les anticorps qui bloquent diverses
cytokines ou leurs récepteurs, y compris l'IL-4 et l'IL-5, sont maintenant autorisés pour le traitement de certaines formes d'asthme et de dermatite atopique, et d'autres antagonistes des cytokines sont à l'essai chez des patients. Avant de conclure la description de l'hypersensibilité immédiate, il est important de poser la question : pourquoi l'évolution a-t-elle conservé une réponse immunitaire fondée sur les anticorps IgE et les mastocytes dont les principaux effets, à présent, sont pathologiques ? On n'a pas de réponse définitive à cette énigme, mais il est probable que les réactions d'hypersensibilité immédiate ont évolué afin de protéger contre des pathogènes ou des toxines. Il est établi que les IgE et les éosinophiles sont les rouages de puissants mécanismes de défense contre les infections à helminthes et que les mastocytes jouent un rôle dans l'immunité innée contre certaines bactéries et dans la destruction de toxines venimeuses produites par des arachnides et des serpents.
Syndrome
Traitement
Mécanisme d'action
Anaphylaxie
Adrénaline
Provoque une contraction des muscles lisses vasculaires et augmente le débit cardiaque (pour lutter contre le choc) ; provoque le relâchement des muscles bronchiques
Asthme bronchique
Corticostéroïdes
Réduisent l'inflammation
Antagonistes des leucotriènes
Relâchent les muscles lisses bronchiques et réduisent l'inflammation
Antagonistes des récepteurs β adrénergiques
Relâchent les muscles lisses bronchiques
Désensibilisation (administration répétée de faibles doses d'allergènes)
Inconnu ; pourrait inhiber la production d'IgE et augmenter la production des autres isotypes d'Ig ; pourrait induire une tolérance des lymphocytes T
Anticorps anti-lgE
Neutralise et élimine les IgE
Antihistaminiques
Bloquent l'action de l'histamine sur les vaisseaux et les muscles lisses
Cromolyn
Inhibe la dégranulation des mastocytes
Anticorps qui bloquent des cytokines ou leurs récepteurs : anti-IL-5 ou anti-IL-5R (asthme), anti-IL-4R (dermatite atopique)
Bloquent des actions de cytokines
Diverses maladies allergiques
201
Fig. 11.6. Traitement des réactions d'hypersensibilité immédiate. Cette figure résume les principaux mécanismes d'action des divers médicaments utilisés pour traiter les maladies allergiques. Ig : immunoglobuline.
202
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Maladies causées par des anticorps spécifiques d'antigènes cellulaires et tissulaires Des anticorps, typiquement de la classe IgG, peuvent causer des maladies, appelées syndromes d'hypersensibilité de type II, en se liant à leurs antigènes cibles dans différents tissus (fig. 11.7A). Les maladies d'hypersensibilité déclenchées par des anticorps ont été identifiées il y a de nombreuses années et constituent la base de plusieurs troubles immunologiques chroniques chez l'homme. Les anticorps dirigés contre les cellules ou les composants de la matrice extracellulaire peuvent se fixer à n'importe quel tissu exprimant l'antigène cible correspondant ; ainsi des maladies causées par de tels anticorps sont généralement spécifiques d'un tissu particulier. Les anticorps qui déclenchent des pathologies sont le plus souvent des autoanticorps dirigés contre des antigènes du soi. La production des autoanticorps résulte d'une défaillance de la tolérance au soi. Dans le chapitre 9, les mécanismes pouvant entraîner un dysfonctionnement de la tolérance au soi ont été décrits, mais comme nous l'avons souligné, on ignore pourquoi cela se produit dans toutes les maladies auto-immunes humaines.
Mécanismes des lésions tissulaires et des maladies causées par des anticorps Les anticorps spécifiques d'antigènes cellulaires et tissulaires peuvent se déposer dans les tissus, et provoquer des lésions en induisant une inflammation locale, ou ils peuvent induire la phagocytose et la destruction de cellules ou encore interférer avec les fonctions cellulaires normales (fig. 11.8). ■ Inflammation. Les anticorps dirigés contre les antigènes tissulaires induisent une inflammation en attirant et en activant les leucocytes. Les anticorps IgG de sous-classes IgG1 et IgG3 se lient aux récepteurs de Fc des neutrophiles et des macrophages, et activent ces leucocytes, ce qui provoque une inflammation (voir chapitre 8). Ces mêmes anticorps ainsi que les IgM activent le système du complément par la voie classique, déclenchant la production de sous-produits du complément qui recrutent des leucocytes et induisent une inflammation. Lorsque les leucocytes sont activés au niveau des sites de dépôt des anticorps, ces cellules produisent des substances, notamment les dérivés réactifs de l'oxygène et des enzymes lysosomiales, responsables de lésions des tissus adjacents.
Mécanisme du dépôt des anticorps
A Lésions provoquées par
des anticorps anti-tissulaires Fixation des anticorps Antigène dans la matrice extracellulaire
Mécanismes effecteurs de lésion tissulaire
Neutrophile et macrophage
Recrutement et activation des cellules inflammatoires par le complément et les récepteurs de Fc Lésion tissulaire
B Lésion tissulaire provoquée par les complexes immuns Complexes immuns circulants Neutrophiles Vaisseau sanguin
Recrutement et activation des cellules inflammatoires par le complément Site de dépôt des complexes immuns et les récepteurs de Fc
Vasculite
Fig. 11.7. Types de maladies déclenchées par les anticorps. Les anticorps (autres que les IgE) peuvent causer des lésions tissulaires et des pathologies par : A, en se liant directement à leurs antigènes cibles sur des cellules et dans la matrice extracellulaire (hypersensibilité de type II) ou B, en formant des complexes immuns qui se déposent principalement dans les vaisseaux sanguins (hypersensibilité de type III).
Chapitre 11. Hypersensibilités ■ Opsonisation et phagocytose. Si les anticorps se lient à des cellules, comme des érythrocytes, des neutrophiles ou des plaquettes, les cellules sont opsonisées et peuvent être ingérées et détruites par les phagocytes de l'hôte. ■ Réponses cellulaires anormales. Certains anticorps peuvent provoquer une maladie sans induire directement de lésions tissulaires. Par exemple, dans l'anémie pernicieuse, les autoanticorps spécifiques d'une protéine nécessaire à l'absorption de la vitamine B12 provoquent une maladie multisystémique due à une
203
carence en B12. Dans certains cas de myasthénie, les anticorps dirigés contre le récepteur de l'acétylcholine inhibent la transmission neuromusculaire et provoquent une paralysie. D'autres anticorps peuvent activer des récepteurs, imitant leurs ligands physiologiques. Le seul exemple connu est une forme d'hyperthyroïdie, appelée maladie de Basedow ou de Graves, dans laquelle les anticorps dirigés contre le récepteur de l'hormone thyréotrope (TSH, thyroid-stimulating hormone) activent les cellules thyroïdiennes, même en l'absence de l'hormone.
A Inflammation déclenchée par le système du complément et les récepteurs de Fc Activation des neutrophiles
Sous-produits du complément (C5a, C3a) Enzymes des neutrophiles, dérivés réactifs de l'oxygène Inflammation et
Récepteurs de Fc
lésion tissulaire
Activation du complément
B Opsonisation et phagocytose Cellule opsonisée
Cellule phagocytée
Récepteur de Fc
C3b
Phagocyte Récepteur de C3b
Phagocytose
Activation du complément
C Réponses physiologiques anormales sans lésion cellulaire ou tissulaire
Anticorps dirigés contre le récepteur de la TSH Récepteur de la TSH Cellule épithéliale thyroïdienne
Terminaison nerveuse
Acétylcholine (ACh)
Anticorps dirigés contre le récepteur de l'ACh Récepteur de l'ACh
Muscle Hormones thyroïdiennes L'anticorps stimule le récepteur en absence d'hormone
L'anticorps inhibe la liaison du neurotransmetteur à son récepteur
Fig. 11.8. Mécanismes effecteurs des maladies déclenchées par les anticorps. Les anticorps peuvent provoquer des pathologies A, en induisant une inflammation au niveau du site de dépôt ; B, en opsonisant des cellules (telles que des globules rouges), qui sont alors phagocytées ; C, et en interférant avec les fonctions cellulaires normales, par exemple la signalisation d'un récepteur hormonal. Ces trois mécanismes sont observés avec des anticorps qui se lient directement à leurs antigènes cibles, alors que les complexes immuns provoquent des pathologies essentiellement en induisant une inflammation (A). TSH : thyréostimuline.
204
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Exemples et traitement de maladies causées par des anticorps spécifiques de cellules ou de tissus Des anticorps spécifiques des antigènes cellulaires et tissulaires sont à l'origine de nombreuses maladies humaines qui touchent les cellules sanguines, le cœur, les reins, les poumons et la peau (fig. 11.9). Des exemples d'anticorps dirigés contre des tissus sont ceux qui réagissent avec la membrane basale glomérulaire et provoquent une inflammation, une forme de glomérulonéphrite. Les anticorps contre les cellules comprennent ceux qui opsonisent les cellules sanguines et les destinent à la phagocytose, comme l'anémie hémolytique auto-immune (destruction des globules rouges) et la thrombopénie auto-immune (destruction des plaquettes). Les anticorps qui interfèrent avec les hormones ou leurs récepteurs ont été mentionnés plus tôt. Dans la plupart de Maladies causées par des anticorps
Antigène cible
Anémie hémolytique auto-immune
ces cas, les anticorps sont des autoanticorps, mais, moins souvent, les anticorps produits contre un microbe peuvent réagir avec un antigène dans les tissus. Par exemple, dans de rares cas, une infection à streptocoques stimule la production d'anticorps antibactériens qui interagissent avec les antigènes du cœur, produisant l'inflammation cardiaque caractéristique de la fièvre rhumatismale. Le traitement des maladies dues à des anticorps est destiné principalement à limiter l'inflammation et ses conséquences nocives, au moyen de médicaments comme les corticostéroïdes. Dans les cas sévères, une plasmaphérèse est pratiquée pour réduire les taux d'anticorps circulants. Dans les cas d'anémie hémolytique et de thrombocytopénie, la splénectomie présente un avantage clinique, car la rate est le principal organe où les cellules sanguines opsonisées sont phagocytosées. Certaines de ces maladies répondent bien au traitement par IgG intraveineuses (IgIV) provenant de donneurs sains. Mécanismes de la maladie
Manifestations pathologiques et cliniques
Protéines de la membrane de l'hématie (antigènes de groupe sanguin Rh, antigène I)
Opsonisation et phagocytose des hématies
Hémolyse, anémie
Purpura thrombopénique idiopathique ou auto-immun
Protéines de la membrane plaquettaire (intégrine gpllb:llla)
Opsonisation et phagocytose des plaquettes
Hémorragie
Syndrome de Goodpasture
Collagène dans les membranes basales des glomérules rénaux et des alvéoles pulmonaires
Inflammation dépendant du complément et des récepteurs de Fc
Néphrite, hémorragies pulmonaires
Maladie de Basedow ou de Graves (hyperthyroïdie)
Récepteur de l'hormone thyréotrope (TSH)
Stimulation des récepteurs de la TSH par les anticorps
Hyperthyroïdie
Myasthénie
Récepteur de l'acétylcholine
L'anticorps inhibe la liaison de l'acétylcholine et diminue la densité des récepteurs
Faiblesse musculaire, paralysie
Pemphigus vulgaire
Protéines des jonctions intercellulaires des cellules épidermiques (cadhérine épidermique)
Rupture des adhérences intercellulaires par des anticorps
Vésicules cutanées (bulles)
Anémie pernicieuse
Facteur intrinsèque des cellules pariétales gastriques
Neutralisation du facteur intrinsèque, diminution de l'absorption de la vitamine B12
Érythropoïèse anormale, anémie Lésion nerveuse
Rhumatisme articulaire aigu
Antigène de la paroi cellulaire du streptocoque ; l'anticorps reconnaît par réaction croisée un antigène myocardique
Inflammation, activation des macrophages
Myocardite, arthrite
Fig. 11.9. Maladies humaines provoquées par des anticorps (hypersensibilité de type II). Exemples de maladies humaines provoquées par des anticorps. Dans la plupart de ces maladies, le rôle des anticorps est déduit de leur présence dans le sang ou les lésions, et dans certains cas, de l'existence de similitudes avec des modèles expérimentaux dans lesquels la participation des anticorps a pu être démontrée par des études de transfert d'anticorps.
Chapitre 11. Hypersensibilités Le mode d'action des IgIV reste hypothétique ; elles peuvent se lier au récepteur inhibiteur de Fc sur les cellules myéloïdes et les lymphocytes B et bloquer ainsi l'activation de ces cellules (voir fig. 7.15) ou elles peuvent réduire la demi-vie des anticorps pathogènes par compétition pour le récepteur néonatal de Fc des cellules endothéliales (voir fig. 8.2). Le traitement des patients au moyen d'un anticorps spécifique de CD20, une protéine de surface des cellules B matures, fait chuter le nombre de lymphocytes B et se révèle utile pour traiter certaines maladies dues à des anticorps. D'autres tentatives d'inhiber la production des autoanticorps comprennent notamment l'administration d'anticorps qui bloquent soit le ligand de CD40 et donc l'activation des lymphocytes B par les lymphocytes T auxiliaires, soit des cytokines qui favorisent la survie des cellules B et des plasmocytes. On s'intéresse également à une possible induction de tolérance spécifique lorsque les autoantigènes sont connus.
Maladies causées par des complexes antigène-anticorps Des anticorps peuvent causer des maladies en formant des complexes immuns qui se déposent dans les vaisseaux sanguins (voir fig. 11.7B). De nombreux syndromes d'hypersensibilité aiguë et chronique sont causés par des complexes immuns ou y sont associés (fig. 11.10) ; on les appelle les syndromes d'hypersensibilité de type III. Les complexes immuns se déposent habituellement dans les vaisseaux sanguins, en particulier dans les vaisseaux par lesquels le plasma est filtré à haute pression (par exemple les glomérules rénaux et la synoviale articulaire). Par conséquent, contrairement aux maladies causées par des anticorps spécifiques d'antigènes tissulaires, les maladies immunitaires complexes ont tendance à être
205
systémiques et se manifestent souvent par une vasculite généralisée touchant des sites particulièrement sensibles aux dépôts de complexes immuns, comme les reins et les articulations.
Étiologie, exemples et traitement des maladies à complexes immuns Les complexes antigène-anticorps, qui sont produits pendant les réponses immunitaires normales, ne provoquent une maladie que lorsqu'ils se forment en quantité excessive, ne sont pas efficacement éliminés par les phagocytes et se déposent dans les tissus. Les complexes contenant des antigènes chargés positivement sont particulièrement pathogènes parce qu'ils se lient avidement aux composants chargés négativement des membranes basales des vaisseaux sanguins et des glomérules rénaux. Une fois déposées dans les parois des vaisseaux, les régions Fc des anticorps activent le complément et lient les récepteurs de Fc sur les neutrophiles, activant la libération par ces cellules de protéases nuisibles et de dérivés réactifs de l'oxygène. Cette réaction inflammatoire à l'intérieur de la paroi vasculaire, appelée vasculite, peut causer une hémorragie locale ou une thrombose entraînant une lésion tissulaire ischémique. Dans le glomérule rénal, la vasculite peut altérer la fonction normale de filtration, entraînant une maladie rénale. La première maladie du complexe immunitaire étudiée a été la maladie sérique, observée chez des sujets ayant reçu du sérum contenant des antitoxines d'animaux immunisés pour le traitement d'infections. Certaines de ces personnes traitées ont par la suite développé une maladie inflammatoire systémique. Cette maladie pouvait être recréée chez les animaux de laboratoire par l'administration systémique d'un antigène protéique, qui provoque une réponse anticorps et entraîne la formation de complexes immuns circulants. Ceci peut se produire comme
Maladies à complexes immuns
Spécificité des anticorps
Manifestations pathologiques et cliniques
Lupus érythémateux systémique
ADN, nucléoprotéines, autres
Néphrite, arthrite, vasculite
Périartérite noueuse
Dans certains cas, antigènes Vasculite microbiens (par ex. antigène de surface du virus de l'hépatite B) ; dans la plupart des cas, l'antigène est inconnu
Glomérulonéphrite post-streptococcique
Antigène(s) de la paroi cellulaire du streptocoque
Néphrite
Maladie sérique (clinique et expérimentale)
Divers antigènes protéiques
Vasculite systémique, néphrite, arthrite
Réaction d'Arthus (expérimentale)
Divers antigènes protéiques
Vasculite cutanée
Fig. 11.10. Maladies humaines à complexes immuns (hypersensibilité de type III). Exemples de maladies humaines provoquées par un dépôt de complexes immuns ainsi que deux modèles expérimentaux. Dans ces maladies, les complexes immuns sont retrouvés dans le sang ou dans les tissus lésés. Dans toutes ces affections, les lésions sont causées par une inflammation impliquant le complément et les récepteurs de Fc.
206
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
une complication de toute thérapie impliquant l'injection de protéines étrangères, telles que les anticorps contre les toxines microbiennes, les venins de serpents et les lymphocytes T qui sont habituellement produits chez les chèvres ou les lapins, et même certains anticorps monoclonaux humanisés qui sont utilisés pour traiter différentes maladies et peuvent ne différer que légèrement des Ig humaines normales. Une réaction immunitaire complexe localisée appelée la réaction d'Arthus a d'abord été étudiée chez des animaux de laboratoire. Elle est induite par l'administration souscutanée d'un antigène protéique à un animal préalablement immunisé ; elle entraîne la formation de complexes immuns au site d'injection de l'antigène et une vasculite locale. Il arrive parfois que, chez des personnes qui ont été vaccinées ou qui ont déjà des anticorps contre l'antigène vaccinal, un gonflement douloureux se développe au point d'injection lors du renouvellement de la vaccination, ce qui représente une réaction d'Arthus cliniquement pertinente. Dans les maladies humaines à complexes immuns, les anticorps peuvent être spécifiques d'autoantigènes ou d'antigènes microbiens. Dans plusieurs maladies auto-immunes systémiques, de nombreuses manifestations cliniques sont causées par des lésions vasculaires lorsque des complexes d'anticorps et d'autoantigènes se déposent dans les vaisseaux de différents organes. Par exemple, dans le lupus érythémateux systémique, des complexes immuns anti-ADNADN peuvent se déposer dans les vaisseaux sanguins de presque n'importe quel organe, provoquant une vasculite et une altération du flux sanguin, entraînant une multitude de pathologies et de symptômes différents. Plusieurs maladies immunitaires complexes sont déclenchées par des infections. Par exemple, en réponse à certaines infections à streptocoques, les individus produisent des anticorps antistreptocoques qui forment des complexes avec les antigènes bactériens. Ces complexes se déposent dans les glomérules rénaux, provoquant un processus inflammatoire appelé glomérulonéphrite post-streptococcique qui peut entraîner une insuffisance rénale. D'autres maladies à complexes immuns causées par des complexes d'anticorps antimicrobiens et d'antigènes microbiens entraînent une vasculite. Cela peut se produire chez des patients atteints d'infections chroniques par certains virus (par exemple, le virus de l'hépatite) ou parasites (par exemple, le paludisme).
Maladies causées par des lymphocytes T Les lymphocytes T jouent un rôle central dans les maladies immunologiques chroniques dont l'inflammation est une composante importante. Bon nombre des nouvelles thérapies qui se sont révélées efficaces dans le traitement de ces maladies sont des médicaments qui inhibent le recrutement et l'activité des lymphocytes T.
Étiologie des maladies causées par des lymphocytes T Les causes principales de l'hypersensibilité dépendant des lymphocytes T sont l'auto-immunité et des réactions excessives ou persistantes à des antigènes microbiens
ou de l'environnement. Les réactions auto-immunes sont généralement dirigées contre des antigènes cellulaires à distribution tissulaire restreinte. Par conséquent, les maladies auto-immunes dues aux lymphocytes T tendent à être limitées à quelques organes et ne sont généralement pas systémiques. Comme exemples d'hypersensibilité dépendant des cellules T contre des antigènes de l'environnement, on peut citer la sensibilité de contact à des produits chimiques (par exemple, divers médicaments et des substances présentes dans des plantes comme le sumac vénéneux ou poison ivy). Des lésions tissulaires peuvent également accompagner des réponses antimicrobiennes des lymphocytes T. Par exemple, dans la tuberculose, des lymphocytes T réagissent contre des antigènes protéiques de Mycobacterium tuberculosis et la réponse devient chronique car l'infection est difficile à éradiquer ; l'inflammation granulomateuse résultante occasionne des lésions des tissus normaux dans le foyer infectieux. Une activation polyclonale excessive des lymphocytes T par des toxines microbiennes produites par certaines bactéries et des virus peuvent conduire à la production de grandes quantités de cytokines inflammatoires, ce qui provoque un syndrome similaire au choc septique. Ces toxines sont dénommées superantigènes parce qu'elles stimulent un grand nombre de cellules T. Les superantigènes se lient à des parties invariantes de récepteurs de cellules T sur de nombreux clones différents, quelle que soit leur spécificité antigénique.
Mécanismes des lésions tissulaires Dans les différentes maladies provoquées par des lymphocytes T, les lésions tissulaires sont dues à une inflammation induite par des cytokines produites surtout par des lymphocytes T CD4+ ou à une lyse cellulaire causée par des lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL) (fig. 11.11). Ces mécanismes des lésions tissulaires sont identiques à ceux que les lymphocytes T utilisent pour éliminer les microbes associés aux cellules. Les lymphocytes T CD4 + peuvent réagir contre les antigènes cellulaires ou tissulaires et sécréter des cytokines qui induisent une inflammation locale et activent les macrophages. Différentes maladies peuvent être associées à l'activation des cellules Th1 et Th17. Les cellules Th1 sont une source d'IFN-γ, la principale cytokine activatrice des macrophages ; quant aux lymphocytes Th17, ils sont responsables du recrutement des leucocytes, dont les neutrophiles. La lésion tissulaire dans ces maladies est en fait causée surtout par les macrophages et les neutrophiles. La réaction typique dépendant des cytokines des cellules T est appelée hypersensibilité de type retardé, car elle se produit 24 à 48 heures après inoculation d'un antigène protéique à un individu préalablement sensibilisé à cet antigène. Le délai est dû au temps nécessaire pour que les lymphocytes T effecteurs atteignent le site de provocation antigénique, répondent à l'antigène dans ce site et sécrètent des cytokines qui induisent une réaction détectable. Les réactions d'hypersensibilité retardée se manifestent par des infiltrats de cellules T et de monocytes sanguins dans les tissus (fig. 11.12), de l'œdème et des
Chapitre 11. Hypersensibilités
207
A Inflammation induite par des cytokines Cellule T CD4+
APC présentant un antigène tissulaire
Inflammation
Cytokines
Enzymes des neutrophiles, dérivés réactifs de l'oxygène Lésion tissulaire
Tissu cellulaire normal
B Cellules tuées par des lymphocytes T CTL CD8+
Mort cellulaire et lésion tissulaire
Fig. 11.11. Mécanismes des lésions tissulaires provoquées par les lymphocytes T (hypersensibilité de type IV). Les lymphocytes T peuvent causer des lésions tissulaires et une pathologie par deux mécanismes. A. Une inflammation, qui peut être déclenchée par les cytokines produites surtout par les lymphocytes T CD4+, les lésions tissulaires étant provoquées par des macrophages activés et des cellules inflammatoires. B. Destruction directe des cellules cibles par des lymphocytes T cytotoxiques CD8+ (CTL). APC : antigen-presenting cell.
A
B
Fig. 11.12. Réaction cutanée d'hypersensibilité de type retardé. A. Accumulation, périvasculaire (« manchons ») de cellules inflammatoires mononucléées (lymphocytes et macrophages), associée à un œdème dermique et à un dépôt de fibrine. B. Une coloration à l'immunoperoxydase révèle un infiltrat cellulaire qui prédomine autour des vaisseaux et qui s'avère positif avec des anticorps anti-CD4. Source : B, avec l'autorisation du Dr Louis Picker, Department of Pathology, Oregon Health Sciences University, Portland, OR.
dépôts de fibrine causés par une perméabilité vasculaire accrue en réponse aux cytokines produites par les cellules T CD4+ et aux dommages tissulaires induits par les produits de leucocytes, principalement des macrophages, activés par les cellules T. Les réactions d'hypersensibilité
retardée sont souvent utilisées pour déterminer si les gens ont déjà été exposés et ont répondu à un antigène. Par exemple, une réaction d'hypersensibilité retardée à un antigène mycobactérien, DPP (dérivé protéinique purifié), appliqué à la peau, est un indicateur d'infection mycobactérienne passée ou active. Des cellules T CD8+ spécifiques d'antigènes sur des cellules de l'hôte peuvent tuer directement ces cellules. Les lymphocytes T CD8+ produisent également des cytokines, notamment l'IFN-γ, qui peuvent induire l'inflammation, dans certaines maladies d'hypersensibilité. Dans de nombreuses maladies auto-immunes dépendant de lymphocytes T, on retrouve des T CD4+ et des T CD8+ spécifiques d'antigènes du soi, les deux types cellulaires contribuant aux lésions tissulaires.
Syndromes cliniques et traitement On suppose que de nombreuses maladies auto-immunes humaines spécifiques d'organes sont provoquées par les lymphocytes T, car ces cellules sont présentes dans les lésions et parce que ces maladies montrent des similitudes avec des modèles animaux dans lesquels on sait que des lymphocytes T sont impliqués (fig. 11.13). Ces affections sont typiquement chroniques et progressives, en partie parce que des cellules T mémoire à longue vie sont générées ; les antigènes en cause, qu'ils soient d'origine tissulaire ou microbienne, sont rarement complètement éliminés. En outre, la libération et l'altération de protéines du soi à la suite de la lésion tissulaire peuvent
208
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Maladie
Spécificité des lymphocytes T pathogènes
Manifestations cliniques et pathologiques
Sclérose en plaques
Protéines de la myéline
Démyélinisation des neurones dans le système nerveux central, dysfonctionnement sensoriel et moteur
Polyarthrite rhumatoïde
Antigènes articulaires inconnus
Inflammation synoviale avec érosion du cartilage et de l'os dans les articulations
Diabète insulinodépendant (type 1)
Antigènes des îlots pancréatiques
Métabolisme du glucose altéré, maladie vasculaire
Maladie de Crohn
Inconnue, rôle des microbes intestinaux ?
Inflammation de la paroi intestinale ; douleur abdominale, diarrhée, hémorragie
Psoriasis
Inconnue
Inflammation chronique cutanée
Dermatite de contact (p. ex. réaction au sumac vénéneux)
Protéines cutanées modifiées
Réaction cutanée d'HSR, éruption
Infections chroniques (p. ex., tuberculose)
Protéines microbiennes
Inflammation chronique (par exemple, granulomateuse)
Fig. 11.13. Maladies causées par des lymphocytes T. Sont reprises ici des maladies dans lesquelles les lymphocytes T jouent un rôle dominant dans les lésions tissulaires ; des anticorps et des complexes immuns peuvent également être impliqués. Notez que le diabète de type 1, la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques sont des syndromes auto-immuns : la maladie de Crohn, une maladie inflammatoire intestinale, est probablement causée par des réactions antimicrobiennes dans l'intestin et pourrait avoir une composante auto-immunitaire. Les autres maladies sont causées par des réactions contre des antigènes étrangers (microbiens ou environnementaux). Dans la plupart de ces maladies, le rôle des lymphocytes T est déduit de leur détection et de leur extraction du sang ou des lésions et par leurs réactions avec les antigènes ainsi que de la similitude avec des modèles expérimentaux dans lesquels l'implication des lymphocytes T a été établie par diverses approches. La spécificité des cellules T pathogènes a été définie dans des modèles animaux et dans certaines maladies humaines. L'hépatite virale et le syndrome de choc toxique sont des exemples cliniques d'affections dans lesquelles des cellules T jouent un rôle pathogène important, mais elles ne constituent pas des exemples d'hypersensibilité. HSR : hypersensibilité retardée.
entraîner des réactions contre ces protéines nouvellement rencontrées ; ce phénomène a été appelé « diversification épitopique ». En effet, la réponse immunitaire initiale contre un ou quelques-uns des épitopes d'un autoantigène peut s'étendre et susciter des réponses contre beaucoup plus d'autoantigènes. Le traitement des hypersensibilités dues aux lymphocytes T vise à réduire l'inflammation et à inhiber les réponses des cellules T. Pour de nombreuses raisons, le traitement principal de ces maladies a consisté en l'administration des puissants médicaments anti-inflammatoires que sont les stéroïdes, mais ceux-ci ont des effets secondaires importants. Le développement de thérapies plus ciblées, fondées sur la compréhension des mécanismes fondamentaux de ces maladies, a été l'une des réalisations les plus impressionnantes de l'immunologie. Les antagonistes de cytokines inflammatoires se sont avérés très
efficaces chez des patients souffrant de diverses maladies inflammatoires et auto-immunes. Par exemple, pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, on recourt à des anticorps monoclonaux qui bloquent le TNF ou le récepteur de l'IL-6 ou également à de petites molécules inhibitrices de la Janus kinase 3 (JAK3), une molécule de signalisation des cytokines inflammatoires. En cas de psoriasis, des anticorps bloquant l'IL-17 sont utiles. Parmi les autres agents mis au point pour inhiber la réponse des lymphocytes T, mentionnons les médicaments qui bloquent des costimulateurs comme B7. Le transfert de Treg multipliés in vitro ainsi que l'administration d'IL-2 pour augmenter la proportion de Treg endogènes sont actuellement en essai clinique pour le traitement de maladies auto-immunes, comme le diabète de de type 1 et le lupus. En outre, on recherche activement des procédés capables d'induire la tolérance des cellules T pathogènes.
Chapitre 11. Hypersensibilités
Neuro-immunologie : interactions entre les systèmes immunitaire et nerveux Les circuits neuronaux réflexes affectent les réponses immunitaires innées et adaptatives et le développement de maladies inflammatoires. Il est bien connu que le système nerveux est la cible de réactions auto-immunes, comme dans la sclérose en plaques et la myasthénie grave, et l'inflammation peut contribuer au développement de maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer. Les nouveaux développements intéressants sont l'élucidation des communications moléculaires entre les systèmes nerveux et immunitaire, souvent par l'intermédiaire de molécules sécrétées. L'idée que les circuits neuronaux modulent l'immunité et que le système immunitaire modifie les fonctions neurales fascine les biologistes et les cliniciens depuis des décennies. Certains des premiers résultats suggérant l'existence de telles interactions étaient des observations cliniques selon lesquelles le stress psychologique affectait la gravité des réactions allergiques (prédominance des Th2) et de l'hypersensibilité de contact (prédominance des Th1). Ces associations étaient généralement interprétées comme reflétant l'action des neuropeptides, produits lors d'altérations psychologiques, sur les lymphocytes et autres cellules immunitaires. Plus récemment, des outils génétiques sophistiqués et d'autres outils ont été utilisés pour disséquer avec plus de précision les interactions neuronales-immunitaires bidirectionnelles. Voici quelques exemples intéressants d'observations susceptibles d'avoir une incidence sur l'apparition d'états pathologiques. ■ L'activation du nerf vague efférent inhibe la production de cytokines innées pro-inflammatoires comme le TNF, ce qui constitue un nouveau mécanisme de régulation de l'inflammation. Cela a conduit à des essais cliniques sur la stimulation du nerf vague chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. ■ Des signaux cholinergiques et adrénergiques dans la rate régulent la production d'anticorps. ■ Des neuropeptides produits en réaction aux microbes et à d'autres stimulus locaux influencent l'activation des cellules lymphoïdes innées de type 2 dans les voies respiratoires et donc l'immunité de type 2, base des maladies allergiques. ■ Le microbiome intestinal induit des signaux à partir des nerfs entériques qui induisent les macrophages à développer un phénotype anti-inflammatoire et protecteur des tissus et régule l'équilibre entre les cellules Th17 proinflammatoires et les cellules Treg protectrices. Ainsi, le microbiome utilise des circuits neuronaux pour maintenir l'homéostasie immunitaire dans l'intestin, rendant possible la contribution d'anomalies de ce circuit à l'inflammation intestinale. ■ En plus de ces exemples de signaux neuronaux affectant les réponses immunitaires, l'inverse est également vrai : les réactions immunitaires altèrent les fonctions neurologiques et psychologiques. Par exemple, le développement
209
neuronal est régulé par des produits de dégradation du complément et des cytokines ; celles qui sont produites par des cellules immunitaires peuvent influencer les fonctions cognitives comme la mémoire et le comportement social. De nombreuses autres interactions neuronalesimmunitaires ont été décrites et leur impact sur les maladies auto-immunes et allergiques est à l'étude. L'espoir est que l'élucidation de ces voies conduira au développement de nouvelles classes thérapeutiques pour ces maladies.
Points clés ■
■
■
■
■
■
■
■
Les réponses immunitaires responsables de lésions tissulaires sont appelées réactions d'hypersensibilité ; les maladies provoquées par ces réactions sont appelées maladies d'hypersensibilité. Les réactions d'hypersensibilité peuvent survenir à la suite de réponses non contrôlées ou anormales à des antigènes étrangers ou de réponses auto-immunes. Les hypersensibilités sont classées selon le mécanisme responsable des lésions tissulaires. L'hypersensibilité immédiate (de type I, appelée le plus souvent allergie) est provoquée par l'activation des cellules Th2 et les cellules Tfh productrices d'IL-4 et la production d'anticorps IgE contre des antigènes (allergènes) environnementaux ou des médicaments, la sensibilisation des mastocytes par les IgE et la dégranulation de ces mastocytes lors d'une rencontre ultérieure avec l'allergène. Les manifestations cliniques et pathologiques de l'hypersensibilité immédiate sont dues aux actions des médiateurs sécrétés par les mastocytes : des amines augmentent la perméabilité vasculaire et dilatent les vaisseaux sanguins ; des métabolites de l'acide arachidonique causent la contraction des muscles lisses bronchiques, et des cytokines induisent l'inflammation, l'élément caractéristique de la phase tardive. Le traitement des allergies est destiné à inhiber la production des médiateurs et à contrecarrer leurs effets, mais il est également destiné à s'opposer à l'effet de ces médiateurs sur les organes cibles. Les anticorps dirigés contre les antigènes cellulaires et tissulaires peuvent provoquer des lésions tissulaires et des maladies (hypersensibilité de type II). Les anticorps IgM et IgG activent le complément, qui favorise la phagocytose des cellules auxquelles ils sont fixés, induit une inflammation et cause une lyse cellulaire. Des IgG favorisent aussi la phagocytose de cellules par les récepteurs de Fc et le recrutement de leucocytes. Des anticorps peuvent interférer avec les fonctions des cellules en se liant à des molécules et à des récepteurs essentiels. Dans les maladies à complexes immuns (hypersensibilité de type III), des anticorps se lient à des antigènes circulants pour former des complexes immuns, qui se déposent dans les vaisseaux et provoquent une inflammation dans la paroi vasculaire (vasculite) ; la diminution du flux sanguin qui s'ensuit est responsable de lésions tissulaires. Les maladies provoquées par les lymphocytes T (hypersensibilité de type IV) sont dues à l'inflammation causée par des cytokines produites par des lymphocytes CD4+ Th1 et Th17 ou à des destructions cellulaires par des CTL CD8+.
This page intentionally left blank
Chapitre
12
Immunodéficiences congénitales et acquises Maladies causées par une immunité défectueuse PLAN DU CHAPITRE Immunodéficiences congénitales (primaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Défauts dans l'immunité innée . . . . . . . . . . . . Défauts de maturation des lymphocytes . . . . . Défauts dans l'activation et la fonction des lymphocytes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Anomalies lymphocytaires associées à d'autres maladies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Thérapie des immunodéficiences congénitales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
211 212 214 216 218
Immunodéficiences acquises (secondaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Syndrome d'immunodéficience acquise . . . . . . . Virus de l'immunodéficience humaine . . . . . . Pathogénie du sida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Caractéristiques cliniques de l'infection par le VIH et du sida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Traitement et stratégies vaccinales . . . . . . . . .
223 224
218
Des dysfonctionnements affectant le développement et les fonctions du système immunitaire entraînent une augmentation de la sensibilité aux infections et à certains cancers. Les infections peuvent être nouvellement acquises ou la réactivation d'infections latentes, par exemple par le cytomégalovirus, le virus d'Epstein-Barr ou le bacille de la tuberculose, que le système immunitaire tient en échec mais ne peut éradiquer. Ces conséquences liées aux déficits immunitaires sont prévisibles dans la mesure où, comme cela a été souligné dans cet ouvrage, la fonction normale du système immunitaire est de défendre les individus contre les infections et certains cancers. Les troubles provoqués par un dysfonctionnement de l'immunité sont appelés immunodéficiences. Certaines de ces maladies peuvent provenir d'anomalies génétiques affectant un ou plusieurs constituants du système immunitaire. Elles sont alors appelées immunodéficiences congénitales (ou primaires). D'autres défectuosités de l'immunité peuvent provenir d'infections, de carences nutritionnelles, de traitements responsables d'une perte ou d'anomalies de la fonction de différents éléments du système immunitaire. Il s'agira alors d'immunodéficiences acquises (ou secondaires). Dans ce chapitre, nous décrivons les causes et la pathogénie des immunodéficiences congénitales et acquises. Parmi les immunodéficiences acquises, ce chapitre traite plus particulièrement du syndrome d'immunodéficience acquise Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
219 219 219 222
(sida), maladie qui résulte d'une infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), l'une des infections les plus dévastatrices à travers le monde. Les questions suivantes sont abordées. ■ Quels sont les mécanismes qui compromettent l'immunité dans les immunodéficiences les plus fréquentes ? ■ Comment le VIH provoque-t-il les anomalies cliniques et pathologiques du sida ? ■ Comment traiter les immunodéficiences ? Les détails sur les manifestations cliniques de ces affections pourront être trouvés dans les manuels de pédiatrie et de médecine.
Immunodéficiences congénitales (primaires) Les immunodéficiences congénitales sont dues à des anomalies génétiques qui altèrent la maturation ou la fonction de différentes composantes du système immunitaire. On estime qu'environ une personne sur 500 aux États-Unis et en Europe souffre à des degrés divers d'immunodéficience congénitale. Ces immunodéficiences congénitales partagent plusieurs caractéristiques, la principale étant une sensibilité augmentée aux infections (fig. 12.1). Cependant, les manifestations cliniques et pathologiques des diverses 211
212
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
Type de déficit immunitaire
Anomalies histopathologiques et biologiques
Conséquences infectieuses les plus fréquentes
Déficits affectant les lymphocytes B
Absence ou réduction des follicules et des centres germinatifs dans les organes lymphoïdes Réduction des concentrations sériques d'Ig Réduction possible des zones T dans les organes lymphoïdes
Infections à bactéries pyogènes, infections entériques bactériennes et virales
Déficits affectant les lymphocytes T
Réduction des réactions d'hypersensibilité retardée aux antigènes courants
Déficits de l'immunité innée
Infections virales et autres infections microbiennes intracellulaires (par ex. Pneumocystis jiroveci, autres champignons, mycobactéries non tuberculeuses)
Altérations des réponses prolifératives des lymphocytes T aux mitogènes in vitro
Certains cancers (p. ex., lymphomes associés à l'EBV, cancers cutanés)
Variables, en fonction du composant de l'immunité innée défectueux
Variables ; infections bactériennes pyogènes, infections virales
Fig. 12.1. Caractéristiques des déficits immunitaires. Le tableau résume les principales caractéristiques diagnostiques et cliniques des déficits immunitaires affectant différentes composantes du système immunitaire. Dans chaque groupe, diverses maladies et même différents patients souffrant de la même maladie peuvent montrer des variations considérables. Une diminution du nombre de cellules B ou T est souvent observée dans certaines de ces maladies. EBV : virus d'Epstein-Barr ; Ig : immunoglobuline.
immunodéficiences congénitales peuvent différer considérablement. Certaines de ces maladies ont pour conséquence une incidence accrue d'infections qui peuvent se déclarer tôt après la naissance, et peuvent même s'avérer fatales si la déficience n'est pas corrigée. Les autres immunodéficiences congénitales, qui entraînent des infections légères, pourront être détectées au cours de la vie adulte. Des mutations dans plus de 300 gènes différents ont été identifiées comme causes d'immunodéficience primaire. Comme on pouvait s'y attendre, la plupart de ces gènes sont exprimés dans les cellules immunitaires. Certaines caractéristiques intéressantes de ces mutations méritent d'être soulignées. Premièrement, la déficience immunitaire est plus souvent causée par des mutations dans les gènes liés au chromosome X que dans les gènes autosomiques. Comme les garçons n'ont qu'un seul chromosome X, les mutations dans un seul gène causeront la maladie chez les garçons (et les filles porteuses de la mutation seront porteuses mais non affectées parce qu'elles ont deux chromosomes X). Les maladies autosomiques récessives sont observées dans des populations où les mariages cosanguins sont fréquents, et elles sont détectées plus fréquemment maintenant en raison de l'utilisation répandue du séquençage du génome entier. Deuxièmement, alors qu'une mutation de perte fonctionnelle complète dans un gène peut conduire à un état pathologique, une mutation hypomorphe dans le même gène, qui ne compromet que partiellement la fonction de la protéine codée, peut conduire à une maladie très différente. Par exemple, la perte complète des mutations fonctionnelles du RAG1 ou du RAG2, dont il est question ci-dessous, entraîne un trouble appelé immunodéficience combinée sévère (SCID, severe combined immunodeficiency), alors qu'une mutation hypomorphe dans un de ces gènes peut entraîner une maladie très différente (appelée syndrome d'Omenn) dans laquelle l'auto-immunité domine. La troisième caractéristique intéressante est que les mutations dans certains ensembles de gènes contribuent à la susceptibilité à des sous-
ensembles spécifiques d'agents pathogènes. Par exemple, les mutations affectant le récepteur de type Toll 3 (TLR3) et les protéines de la voie de signalisation TLR3 contribuent à l'infection du cerveau par le virus de l'herpès simplex (encéphalite), tandis que les mutations de l'interleukine-12 (IL-12) et des gènes liés au développement ou à la fonction des cellules Th1 entraînent des infections mycobactériennes atypiques. Les mutations dans des gènes du complément codant les protéines qui forment le complexe d'attaque membranaire contribuent aux infections à Neisseria. Ces phénotypes cliniques restreints suggèrent une redondance considérable des mécanismes de défense de l'hôte, de sorte que les défauts dans une voie peuvent être compensés par d'autres voies, et les patients ne sont pas sensibles à une grande variété d'infections. Il est clair que le système immunitaire a développé de nombreuses voies qui sont souvent spécialisées pour combattre des sous-ensembles de pathogènes. La description qui suit résume la pathogénie d'une sélection d'immunodéficiences. Nous avons mentionné plusieurs d'entre elles au cours des chapitres précédents afin d'illustrer l'importance physiologique des différentes composantes du système immunitaire. Comme nous l'avons vu au chapitre 9, des déficiences congénitales touchant des molécules impliquées dans la tolérance au soi se manifestent par une maladie auto-immune.
Défauts dans l'immunité innée Les anomalies de deux composantes de l'immunité innée, les phagocytes et le système du complément, sont des causes importantes d'immunodéficience (fig. 12.2). ■ La maladie granulomateuse chronique (MGC) est causée par des mutations dans les gènes codant des sousunités de l'enzyme NADPH oxydase des phagocytes, qui catalyse la production de dérivés réactifs de l'oxygène microbicides dans les lysosomes (voir chapitre 2). Les neutrophiles et les macrophages affectés sont incapables
Chapitre 12. Immunodéficiences congénitales et acquises
Maladie
Déficits fonctionnels
Mécanismes de la déficience
Maladie granulomateuse chronique
Défaut de production de dérivés réactifs de l'oxygène par les phagocytes ; infections bactériennes et fongiques intracellulaires récurrentes
Mutations des gènes du complexe de l'oxydase phagocytaire ; phox-91 (sous-unité α du cytochrome b558) est mutée dans la forme liée à l'X
Déficit de type 1 en protéines d'adhérence leucocytaires
Défauts d'adhérence des leucocytes aux cellules endothéliales et de migration dans les tissus liés à une expression réduite ou absente d'intégrines β2 ; infections bactériennes et fongiques récurrentes
Mutations dans le gène codant la chaîne β (CD18) des intégrines β2
Déficit de type 2 en protéines d'adhérence leucocytaires
Défauts du roulement des leucocytes sur l'endothélium et de la migration dans les tissus en raison d'une expression réduite ou absente des ligands leucocytaires pour les sélectines E et P endothéliales ; infections bactériennes et fongiques récurrentes
Mutations du gène codant le transporteur 1 du GDP-fucose, nécessaire au transport du fucose dans le Golgi et à son incorporation dans le sialyl-Lewis X
Syndrome de Chediak-Higashi
Fusion vésiculaire et fonction lysosomiale défectueuses dans les neutrophiles, les macrophages, les cellules dendritiques, les cellules NK, les cellules T cytotoxiques et plusieurs autres types de cellules ; infections récurrentes par des bactéries pyogènes
Mutations dans le gène codant LYST, une protéine impliquée dans la fusion des vésicules (y compris les lysosomes)
Défauts de signalisation des récepteurs de type Toll
Infections récurrentes causées par des défauts dans la signalisation des TLR
Des mutations de TLR3 et de MyD88 compromettent l'activation de NF-κB et la production d'interféron de type I en réponse aux microbes
213
Fig. 12.2. Immunodéficiences congénitales causées par des défauts de l'immunité innée. Le tableau énumère les immunodéficiences causées par des défauts dans diverses composantes du système immunitaire inné. NF-κB : NF-nuclear factor κB ; NK : natural killer ; TLR : toll-like receptors.
de tuer les microbes qu'ils phagocytent. Les agents infectieux les plus courants chez les patients atteints de MGC sont les bactéries qui produisent l'enzyme catalase, ainsi que les espèces de champignons Aspergillus et Candida. Les bactéries productrices de catalase peuvent dégrader le peroxyde d'hydrogène, qui est une source alternative de radicaux libres que les leucocytes de la MGC pourraient utiliser pour tuer les bactéries. Le système immunitaire tente de compenser cette destruction microbienne défectueuse en faisant appel à davantage de macrophages et en activant les cellules T, qui stimulent le recrutement et l'activation des phagocytes. Par conséquent, des collections de macrophages s'accumulent autour des foyers d'infection pour tenter de contrôler les infections. Ces collections ressemblent à des granulomes, d'où le nom de cette maladie. La forme la plus courante de MGC est liée à l'X, causée par des mutations dans une sous-unité de la NADPH oxydase qui est codée par un gène du chromosome X. ■ Le défaut d'adhérence des leucocytes est causé par des mutations dans les gènes codant les intégrines, les
enzymes nécessaires à l'expression des ligands pour les sélectines ou les molécules de signalisation activées par les récepteurs de chimiokines nécessaires à l'activation des intégrines. Les intégrines et les ligands des sélectines sont impliqués dans l'adhérence des leucocytes aux autres cellules. En raison de ces mutations, les leucocytes sanguins ne se lient pas fermement à l'endothélium vasculaire et ne sont pas recrutés normalement dans les foyers infectieux. ■ Des carences de presque toutes les protéines du complément et de nombreuses protéines régulatrices du complément ont été décrites (voir chapitre 8). Un déficit en C3 entraîne des infections graves et peut être mortel. Les déficits en C2 et C4, deux composantes de la voie classique d'activation du complément, peuvent entraîner une infection bactérienne ou virale accrue ou une incidence accrue de lupus érythémateux systémique, vraisemblablement en raison d'une élimination défectueuse des complexes immuns. Les déficits en protéines régulatrices du complément entraînent divers syndromes associés à une activation excessive du complément.
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
214
■ Le syndrome de Chédiak-Higashi est une immunodéficience dans laquelle les granules lysosomiaux des leucocytes ne fonctionnent pas normalement. Le défaut immunitaire affecte les phagocytes et les cellules tueuses naturelles (NK) et se manifeste par une sensibilité accrue aux infections bactériennes. De rares patients ont été décrits avec des mutations affectant les TLR ou les voies de signalisation en aval des TLR, y compris les molécules nécessaires à l'activation du facteur de transcription NF-κB (nuclear factor κB). Comme nous l'avons mentionné précédemment, plusieurs de ces mutations ne rendent les patients sensibles qu'à un nombre limité d'infections. Par exemple, les mutations affectant MyD88, une protéine adaptatrice nécessaire à la signalisation de la plupart des TLR, sont associées à des pneumonies bactériennes graves (le plus souvent pneumococciques), et les mutations affectant TLR3 sont associées à une encéphalite herpétique récurrente, mais apparemment pas aux autres infections virales.
Défauts de maturation des lymphocytes De nombreuses immunodéficiences congénitales résultent d'anomalies génétiques entraînant le blocage de la maturation des lymphocytes B, des lymphocytes T ou des deux lignées (fig. 12.3 et 12.4).
Déficit immunitaire combiné sévère (SCID) Les maladies liées au dysfonctionnement des deux lignées lymphocytaires B et T du système immunitaire adaptatif sont classées comme SCID. La cause est un défaut dans le développement ou la fonction des cellules T. Plusieurs anomalies génétiques différentes peuvent causer cette déficience. ■ Le SCID lié à l'X, qui n'affecte que les enfants mâles, compte pour environ la moitié des cas de SCID. Plus de 99 % de ces cas sont causés par des mutations dans une Pro-B
Recombinaison VDJ RAG1, RAG2, Artemis
CSH
sous-unité de signalisation d'un récepteur de plusieurs cytokines. Cette sous-unité est dénommée chaîne γ commune (γc), car ce composant est partagé par les récepteurs de nombreuses cytokines, notamment les interleukines IL-2, IL-4, IL-7, IL-9, IL-15 et IL-21 (du fait que la chaîne γc a été identifiée pour la première fois comme l'une des trois chaînes du récepteur pour l'IL-2, elle est souvent dénommée chaîne IL-2Rγ). Lorsque la chaîne γc n'est pas fonctionnelle, les lymphocytes immatures aux stades pro-T et pro-B ne peuvent plus proliférer en réponse à l'IL-7, le principal facteur de croissance de ces cellules. Une réponse déficiente à l'IL-7 raccourcit la survie et perturbe la maturation des précurseurs des lymphocytes. Chez l'homme, cette anomalie affecte principalement la maturation des lymphocytes T, alors que chez la souris, le nombre de cellules B est aussi fortement réduit. La conséquence de ce blocage est une réduction importante du nombre de lymphocytes T matures, une altération de l'immunité cellulaire et une immunité humorale insuffisante due à l'absence de coopération des lymphocytes T — même si par ailleurs les lymphocytes B parviennent à maturité presque normalement. Les cellules NK sont également déficientes, car la chaîne γc fait partie du récepteur de l'IL-15, la cytokine principale responsable de la prolifération et de la maturation des cellules NK. Une forme autosomique récessive de SCID est causée par des mutations dans le gène codant une kinase appelée Janus kinase 3 (JAK3) qui est impliquée dans la signalisation par la chaîne réceptrice des cytokines γc. De telles mutations entraînent les mêmes anomalies que celles du SCID lié au chromosome X causées par les mutations de γc. ■ Environ la moitié des cas de SCID récessif autosomique sont provoqués par des mutations d'une enzyme appelée adénosine désaminase (ADA), qui participe à la dégradation des purines. Le déficit en ADA conduit à une accumulation de métabolites toxiques des purines dans Cellule B mature Pré-B
Point de contrôle Pré-BCR
Cellule B immature Cellules T CD8+
BTK PLC Point de contrôle pré-TCR γc, JAK3, ADA, PNP
Cellules T CD4+
CD3
Recombinaison VDJ
Cellules T CD4+ CD8+
RAG1, RAG2, Artemis Pro-T
ZAP70 TAP1, 2
CMH de classe II
Pré-T
Fig. 12.3. Immunodéficiences congénitales causées par des défauts génétiques de maturation lymphocytaire. Les voies de maturation des lymphocytes sont décrites au chapitre 4. JAK3 (Janus kinase 3) est une kinase impliquée dans la signalisation par les récepteurs de nombreuses cytokines ; Artemis est une protéine impliquée dans la recombinaison des gènes des récepteurs d'antigène ; Btk (Bruton's tyrosine kinase) est une kinase qui délivre des signaux du pré-BCR et du BCR ; ZAP-70 est une kinase impliquée dans la signalisation du TCR et les protéines TAP transportent des peptides pour leur présentation par des molécules du CMH de classe I. ADA : adénosine désaminase ; CSH : cellule souche hématopoïétique ; PLC : progéniteur lymphoïde commun ; PNP : purine nucléoside phosphorylase ; RAG : recombinaison-activating gene ; TCR : T-cell receptor.
Chapitre 12. Immunodéficiences congénitales et acquises
215
Déficit immunitaire combiné sévère (SCID) Maladie
Déficits fonctionnels
Mécanisme du déficit
SCID lié à l'X
Forte diminution des lymphocytes T ; nombre normal ou augmenté de lymphocytes B ; réduction des Ig sériques
Mutations du gène codant la chaîne γ commune des récepteurs de cytokines, défauts de maturation des lymphocytes T dus à l'absence des signaux induits par l'IL-7
SCID à transmission autosomique récessive provoqué par un déficit en ADA ou en PNP
Diminution progressive des lymphocytes T Le déficit en ADA ou en PNP entraîne une accumulation de métabolites et B (principalement T) : toxiques dans les lymphocytes Ig sériques réduites dans le déficit en ADA ; dans le déficit en PNP, cellules B et Ig sériques normales
SCID à transmission autosomique récessive provoqué par d'autres causes
Diminution des lymphocytes T et B ; réduction des Ig sériques
Syndrome de Di George
Diminution des lymphocytes T ; nombre Anomalies du développement normal de lymphocytes B ; concentrations des troisième et quatrième arcs branchiaux normales ou diminuées des Ig sériques conduisant à une hypoplasie du thymus
Anomalies de la maturation des lymphocytes T et B ; possibles mutations des gènes RAG et d'autres gènes impliqués dans la recombinaison VDJ ou la signalisation via lL-7R
Déficits immunitaires en lymphocytes B Maladie
Déficits fonctionnels
Mécanisme du déficit
Agammaglobulinémie liée à l'X
Diminution de tous les Isotypes d'Ig sériques ; réduction du nombre de lymphocytes B
Blocage de la maturation au-delà du stade de lymphocyte pré-B, à cause d'une mutation affectant la tyrosine kinase de Bruton (BTK)
Déficience des chaînes lourdes d'IgG
Absence d'IgG1, d'IgG2 ou d'IgG4 parfois associée à une absence d'lgA ou d'IgE
Délétion chromosomique dans le locus des chaînes lourdes d'lg en 14q32
Fig. 12.4. Caractéristiques des immunodéficiences congénitales dues à des anomalies de la maturation lymphocytaire. Le tableau résume les principales caractéristiques des immunodéficiences congénitales les plus communes, dans lesquelles des blocages génétiques ont été identifiés. ADA : adénosine désaminase ; Ig : immunoglobuline ; IL-7R : récepteur de l'interleukine-7 ; PNP : purine nucléoside phosphorylase ; RAG : recombination-activating gene.
les cellules qui synthétisent activement de l'ADN, c'està-dire les cellules en prolifération. Les lymphocytes sont particulièrement susceptibles aux altérations par des métabolites des purines, car ces cellules prolifèrent très activement au cours de leur maturation. Le déficit en ADA bloque davantage la maturation des lymphocytes T que celle des lymphocytes B ; le dysfonctionnement de l'immunité humorale est en grande partie une conséquence du déficit fonctionnel des lymphocytes T auxiliaires. Un phénotype similaire est observé chez des sujets qui ont une déficience de la purine nucléoside phosphorylase (PNP). ■ D'autres causes, moins fréquentes, de SCID autosomique récessif comprennent des mutations des gènes RAG1 et RAG2, qui codent des composants de la recombinase qui sont nécessaires à la recombinaison des gènes codant les immunoglobulines et les récepteurs des lymphocytes T, ainsi que pour la maturation des lymphocytes. En absence de RAG1 ou de RAG2, les cellules B et T ne peuvent se développer (voir chapitre 4). Des mutations
du gène Artemis, qui code une endonucléase impliquée dans la recombinaison VDJ, entraînent également l'échec du développement des cellules B et T. ■ Le syndrome de Di George (aussi connu sous le nom de syndrome 22q11) est un défaut dans la maturation des cellules T. Il est la conséquence d'une délétion du chromosome 22, qui interfère avec le développement du thymus (et des glandes parathyroïdes). Le syndrome tend à s'améliorer avec l'âge, probablement parce que la petite quantité de tissu thymique qui se développe est capable de soutenir une certaine maturation des cellules T. Avec la généralisation du dépistage d'immunodéficiences congénitales chez les nouveau-nés, de nombreuses autres causes rares de SCID ont été découvertes.
Déficience sélective en lymphocytes B Le syndrome clinique le plus fréquent provoqué par un blocage de la maturation des lymphocytes B est l'agammaglobulinémie liée à l'X (connue jadis sous le nom
216
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
d'agammaglobulinémie de Bruton). Dans cette maladie, les cellules pré-B dans la moelle osseuse ne parviennent pas à se multiplier, ce qui entraîne une diminution sévère, voire une absence de lymphocytes B matures et d'immunoglobulines sériques. Cette maladie, provoquée par des mutations du gène codant une kinase dénommée tyrosine kinase des lymphocytes B ou tyrosine kinase de Bruton (Btk, Bruton's tyrosine kinase), aboutit à un défaut de production ou de fonction de cette enzyme. L'enzyme est activée par le prérécepteur des lymphocytes B exprimé par les lymphocytes pré-B, et elle participe à la transmission de signaux biochimiques responsables de la prolifération et de la maturation de ces cellules. Le gène codant cette enzyme est situé sur le chromosome X. Par conséquent, les femmes qui portent un allèle mutant du gène Btk sur l'un de leurs chromosomes X transmettent la maladie, et la descendance masculine héritant du chromosome X anormal sera affectée. Environ un quart des patients souffrant d'agammaglobulinémie liée à l'X développent des maladies auto-immunes, en particulier des arthrites ; un lien entre une immunodéficience et l'autoimmunité semble paradoxal : une explication possible de cette association est que Btk contribue à la signalisation du récepteur B, le BCR, et serait donc nécessaire pour l'induction de la tolérance des lymphocytes B ; une Btk défectueuse pourrait ainsi entraîner l'accumulation de lymphocytes B autoréactifs.
Défauts dans l'activation et la fonction des lymphocytes De nombreuses immunodéficiences sont causées par des mutations affectant des molécules impliquées dans l'activation lymphocytaire (fig. 12.5).
Défauts dans les réponses des cellules B Une production défectueuse d'anticorps peut résulter d'anomalies dans les cellules B ou les T auxiliaires. ■ Le syndrome hyper-IgM lié à l'X est caractérisé par un défaut de la commutation de classe (isotype) de la chaîne lourde des lymphocytes B, aboutissant à une prépondérance des immunoglobulines M (IgM) dans le sérum et à une déficience de l'immunité cellulaire contre les microbes intracellulaires. Cette maladie est causée par des mutations du gène qui, dans le chromosome X, code le ligand de CD40 (CD40L), la protéine des lymphocytes T auxiliaires qui se lie au récepteur CD40 se trouvant sur les lymphocytes B, les cellules dendritiques et les macrophages, et qui assure par conséquent l'activation de ces cellules (voir chapitres 6 et 7). L'incapacité d'exprimer un ligand de CD40 fonctionnel se manifeste par des réactions défectueuses dans les centres germinatifs lors des réponses des lymphocytes B dépendant des lymphocytes T. Ce qui se traduit par l'absence de commutation isotypique et de maturation
A Cellule présentatrice d'antigène
Cellule T naïve
Mutations de STAT3
Cellule Th17
Inflammation à neutrophiles
Cellule Th1 Signalisation déficiente du complexe TCR ; déficience du CMH de classe II
Cellules T activées
Mutations de IL-2R, IFNγR
Macrophage
Macrophage activé
Mutations du ligand de CD40 (syndrome hyper-IgM lié à l'X), de CD40 (forme autosomique récessive)
Cellule T auxiliaire Cellule B Immunodéficience commune et variable
Mutations d'AID (syndrome hyper-IgM autosomique)
Plasmocyte
Déficits sélectifs d'isotypes d'Ig
▲
Fig. 12.5. Immunodéficiences congénitales associées à des anomalies de l'activation et des fonctions effectrices des lymphocytes. Les déficits immunitaires congénitaux peuvent être provoqués par des anomalies génétiques affectant l'expression des molécules nécessaires à la présentation des antigènes aux lymphocytes T, la signalisation par les récepteurs d'antigène des lymphocytes T ou B, l'activation des lymphocytes B et des macrophages par les lymphocytes T auxiliaires et la différenciation des cellules B productrices d'anticorps. A. Exemples de sites de blocage des réponses immunitaires.
Chapitre 12. Immunodéficiences congénitales et acquises ▲
B
Maladie
Déficits fonctionnels
Mécanismes du déficit
Syndrome hyper-lgM lié à l'X
Activation défectueuse des lymphocytes B et des macrophages par les lymphocytes T auxiliaires
Mutations du ligand de CD40
Déficit sélectif d'Ig
Production réduite ou nulle d'isotypes sélectifs d'Ig ; sensibilité aux infections ou aucun problème clinique
Mutations dans des gènes d'Ig ou mutations inconnues
Immunodéficience commune et variable
Immunoglobulines réduites ; sensibilité aux infections bactériennes
Mutations dans le récepteur des facteurs de croissance des lymphocytes B ou dans les costimulateurs
Absence d'expression des molécules du Expression défectueuse des défectueuse molécules du CMH de classe II : CMH de classe II et activation des lymphocytes T CD4+ ; déficience de syndrome des lymphocytes nus
Mutations des gènes codant les facteurs de transcription nécessaires à l'expression des gènes codant les molécules du CMH de clase II
Diminution des lymphocytes T ou rapports Expression ou signalisation anormaux entre les sous-populations défectueuse du complexe CD4+ et CD8+ ; diminution de l'immunité cellulaire du récepteur des lymphocytes T
Mutations ou délétions dans les gènes codant les protéines de CD3, ZAP-70
Défauts dans la différenciation des Th1
Activation défectueuse des macrophages par les lymphocytes T ; sensibilité aux infections par des mycobactéries atypiques et d'autres pathogènes intracellulaires
Mutations dans les gènes codant l'IL-12, les récepteurs de l'IL-12 ou l'interféron-γ, STAT1
Défauts dans la différenciation des Th17
Diminution des réponses inflammatoires dépendant des lymphocytes T ; candidose mucocutanée, abcès cutanés bactériens
Mutations dans les gènes codant STAT3, l'IL-17, l'IL-17R
Syndrome lymphoprolifératif lié à l'X
Prolifération des cellules B et activation des CTL Mutations dans le gène induites par l'EBV ; fonction défectueuse des cellules codant SAP (une protéine NK et des CTL et des réponses à anticorps adaptatrice impliquée dans la signalisation lymphocytaire
l'immunité cellulaire et de l'immunité humorale dépendant des lymphocytes T
217
Fig. 12.5. Suite. B. Ce tableau résume les caractéristiques d'une sélection d'immunodéficiences congénitales. Notez que des anomalies dans l'expression du CMH de classe II et dans la signalisation du complexe TCR peuvent causer une maturation défectueuse des lymphocytes T (voir fig. 12.3), ainsi qu'une activation défectueuse des lymphocytes en voie de maturation, comme montré ici. AID : activation-induced deaminase ; CTL : cytotoxic T lymphocyte ; EBV : virus d'Epstein-Barr ; IFNγR : récepteur de l'IFN-γ ; Ig : immunoglobuline ; IL-2R : récepteur de l'IL-2 ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; NK : natural killer ; SAP : SLAM-associated protein ; ZAP-70 : ζ chain-associated protein of 70 kD.
d'affinité dans l'immunité humorale, ainsi qu'à un défaut d'activation des macrophages dépendant des lymphocytes T dans l'immunité cellulaire. Les garçons atteints de cette maladie sont particulièrement sensibles à une infection par Pneumocystis jirovecii, un champignon qui survit dans les phagocytes en absence de stimulation par les lymphocytes T. Un syndrome hyper-IgM autosomique récessif avec un phénotype similaire à celui observé dans la maladie liée au chromosome X est observé chez des individus avec des mutations de CD40. Une autre forme autosomique récessive du syndrome hyper-IgM dans laquelle il existe des anomalies humorales mais aucune anomalie de l'immunité cellulaire est observée chez des individus avec des mutations affectant l'enzyme AID (activation-induced deaminase) impliquée dans la commutation isotypique des cellules B et la maturation d'affinité (voir chapitre 7).
■ Les déficiences génétiques affectant la production de certains isotypes d'Ig sont assez fréquentes. Un individu sur 700 pourrait être atteint d'une déficience en IgA sans que cela n'entraîne de trouble clinique chez la plupart de ces patients, mais des infections des sinus, des poumons et des intestins dans une minorité. L'anomalie provoquant ces déficiences reste inconnue dans la majorité des cas ; rarement, elles sont dues à des mutations des gènes codant les régions constantes des chaînes lourdes d'Ig. ■ L'immunodéficience commune et variable ou CVID (Common variable immunodeficiency) est un ensemble hétérogène de maladies qui sont caractérisées par des réponses humorales insuffisantes contre les infections et par une réduction des concentrations sériques d'IgG, d'IgA et parfois d'IgM. Les causes sous-jacentes
218
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
de CVID comprennent des défauts dans différents gènes impliqués dans la maturation et l'activation des lymphocytes B ou dans la collaboration T-B. Certains patients ont des mutations dans les gènes codant des récepteurs pour la croissance des cellules B ou des costimulateurs impliqués dans les interactions entre cellules T et B. Les patients souffrent d'infections récurrentes, de maladies auto-immunes et de lymphomes.
Activation défectueuse des lymphocytes T Diverses anomalies héréditaires peuvent interférer dans l'activation des lymphocytes T. ■ Le syndrome des lymphocytes nus est une maladie liée à l'incapacité d'exprimer des molécules du CMH de classe II, suite à des mutations affectant les facteurs de transcription qui induisent normalement l'expression de ces molécules. Rappelons que les molécules du CMH de classe II présentent les antigènes peptidiques afin qu'ils soient reconnus par les lymphocytes T CD4+, cette reconnaissance étant essentielle pour la maturation et l'activation des lymphocytes T. Cette maladie se manifeste par une diminution très importante du nombre de lymphocytes T CD4+, provoquée par un défaut de maturation de ces lymphocytes dans le thymus et leur activation défectueuse dans les organes lymphoïdes périphériques. ■ De rares cas de déficiences sélectives de lymphocytes T ont été décrits. Les mutations affectent des voies de signalisation, des cytokines ou des récepteurs impliqués dans la différenciation des cellules T naïves en cellules effectrices. Selon le gène muté et l'étendue de l'anomalie, c'est l'ensemble de l'immunité cellulaire qui sera affecté ou seulement certaines de ses composantes : par exemple, si les lymphocytes Th1 sont touchés, le patient sera prédisposé aux infections mycobactériennes non tuberculeuses ; mais s'il s'agit des lymphocytes Th17, les infections fongiques ou bactériennes prédomineront. Ces déficiences sont des maladies rares, mais elles ont été très instructives, car elles ont révélé l'importance des diverses voies d'activation des lymphocytes T. ■ Les syndromes de lymphohistiocytose hémophagocytaire (HLH, hemophagocytic lymphohistiocytosis) sont caractérisés par une activation systémique, parfois mortelle, des cellules immunitaires, y compris les macrophages, habituellement en réponse à des infections. De nombreux cas d'HLH surviennent comme une manifestation de troubles génétiques dans lesquels les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques et les cellules NK sont incapables de tuer les cellules cibles infectées par un virus. Il s'agit notamment de patients porteurs de mutations dans le gène codant la perforine ainsi que de mutations dans les gènes codant les protéines impliquées dans l'exocytose des granules. Ces mutations entraînent des infections persistantes, généralement virales, et une production excessive d'IFN-γ par les lymphocytes T et les cellules NK, ce qui entraîne une activation excessive
des macrophages. Certains de ces macrophages hautement activés ingèrent des globules rouges, d'où le nom du syndrome.
Anomalies lymphocytaires associées à d'autres maladies Certaines maladies systémiques affectant plusieurs systèmes d'organes et dont les principales manifestations sont autres qu'immunologiques, peuvent comporter une immunodéficience. ■ Le syndrome de Wiskott-Aldrich est caractérisé par un eczéma, une diminution du nombre de plaquettes sanguines et une immunodéficience. Il s'agit d'une maladie liée à l'X provoquée par une mutation d'un gène codant une protéine qui se lie à différentes molécules adaptatrices et à des composants du cytosquelette des cellules hématopoïétiques. En l'absence de cette protéine, les plaquettes et les leucocytes ne se développent pas normalement, leur taille est réduite et leur migration anormale. ■ L'ataxie-télangiectasie est caractérisée par des anomalies de la démarche (ataxie), des malformations vasculaires (télangiectasie) et une immunodéficience. La maladie est provoquée par des mutations d'un gène dont le produit participe à la réparation de l'ADN. Des défauts dans ce processus peuvent affecter, par exemple, les recombinaisons des segments géniques des récepteurs d'antigène, ce qui interfère avec la maturation lymphocytaire.
Thérapie des immunodéficiences congénitales Le traitement des immunodéficiences primaires qui affectent la maturation lymphocytaire varie selon la maladie. Les SCID sont mortels dans les premières années de la vie, à moins que le système immunitaire du patient ne soit reconstitué. Le traitement le plus largement utilisé est la transplantation de cellules souches hématopoïétiques, avec le respect le plus strict possible de la compatibilité entre donneur et receveur afin d'éviter les réactions, potentiellement graves, du greffon contre l'hôte. En cas de déficience sélective des lymphocytes B, les patients peuvent être traités par l'administration d'immunoglobulines de donneurs sains (IVIG, intravenous immunoglobulin), ce qui leur procure une immunité passive. Ce traitement de substitution s'est avéré particulière ment bénéfique dans l'agammaglobulinémie liée à l'X. Le traitement idéal de l'ensemble des immunodéficiences congénitales est la thérapie génique. Ce traitement reste cependant un objectif lointain pour la plupart des maladies. Les résultats les plus impressionnants de la thérapie génique ont été obtenus chez des patients souffrant de SCID lié à l'X dont le système immunitaire a été reconstitué au moyen des cellules de leur propre moelle osseuse dans lesquelles un gène normal de γc avait été introduit. Chez tous les patients souffrant de ces maladies, les
Chapitre 12. Immunodéficiences congénitales et acquises
Cause
Mécanisme
Infection par le virus de l'immunodéficience humaine
Déplétion des lymphocytes T auxiliaires CD4+
Traitements anticancéreux par radiothérapie et chimiothérapie
Diminution des précurseurs de tous les leucocytes dans la moelle osseuse
Immunosuppression en cas de transplantation ou de maladies inflammatoires
Déplétion des lymphocytes ou altération de leur fonction
Envahissement de la moelle par des cancers (métastases, leucémies)
Réduction du site de développement des leucocytes
Malnutrition protéique et/ou calorique
Troubles métaboliques inhibant la maturation et les fonctions des lymphocytes
Ablation de la rate
Diminution de la phagocytose des microbes
219
Fig. 12.6. Déficits immunitaires acquis (secondaires). Le tableau présente les causes les plus fréquentes d'immunodéficiences acquises et le mécanisme par lequel elles peuvent conduire à des anomalies des réponses immunitaires.
infections qui surviennent sont traitées, le cas échéant, par des antibiotiques.
Immunodéficiences acquises (secondaires) Les dysfonctionnements du système immunitaire se développent souvent à cause d'anomalies non génétiques mais acquises au cours de la vie (fig. 12.6). L'une des plus graves parmi ces anomalies à l'échelle mondiale est l'infection par le VIH, que nous allons décrire. Les causes les plus fréquentes d'immunodéficience acquise (ou secondaire) dans les pays développés sont les cancers qui envahissent la moelle osseuse (leucémies) ainsi que des thérapies immunosuppressives. Un traitement de cancer par chimiothérapie et radiothérapie peut léser les cellules en prolifération, notamment les précurseurs leucocytaires de la moelle osseuse et les lymphocytes matures, causant ainsi une immunodéficience. Les immunosuppresseurs pour empêcher le rejet des greffes ou pour traiter des maladies inflammatoires, notamment certaines nouvelles thérapies (par exemple, antagonistes de cytokines, agents bloquant les molécules d'adhérence leucocytaire), sont conçues pour atténuer les réponses immunitaires. Une immunodéficience plus ou moins grave est une complication fréquente de ce type de traitement. La malnutrition protéinocalorique entraîne des déficits de quasi toutes les composantes du système immunitaire et constitue une cause fréquente d'immunodéficience dans les pays avec une pauvreté répandue ou des famines.
Syndrome d'immunodéficience acquise Le sida, qui a été reconnu comme une entité pathologique distincte au début des années quatre-vingt, est devenu un des fléaux les plus dévastateurs dans l'histoire de l'humanité. Il est causé par le virus dit de l'immunodéficience humaine, le VIH. On estime qu'environ 37 millions de personnes sont actuellement infectées dans le monde, dont environ 70 % en Afrique et 20 % en Asie ; plus de 35 millions de décès sont attribuables à cette maladie, qui provoque plus de 1 million de morts par an. Des médicaments antirétroviraux efficaces ont été développés, mais l'infection continue à se répandre dans des régions du monde où ces thérapies ne sont pas largement disponibles ; dans certains pays d'Afrique, l'infection par le VIH touche plus de 30 % de la population. Cette section décrit les principales caractéristiques du VIH, comment ce virus infecte l'homme et la maladie qu'il provoque ; elle se conclut par une brève discussion sur l'état actuel des traitements et du développement de vaccins.
Virus de l'immunodéficience humaine Le VIH est un rétrovirus qui infecte les cellules du système immunitaire, principalement les lymphocytes T CD4+, et qui provoque une destruction progressive de ces cellules. Une particule infectieuse de VIH est composée de deux brins d'ARN inclus dans une nucléocapside protéique, entourée par une enveloppe lipidique dérivée des cellules infectées et contenant des protéines virales (fig. 12.7). L'ARN viral code des
220
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique A
Couche lipidique Matrice p17
gp41 gp120
ARN
Transcriptase inverse Protéase Intégrase
Capside p24
Récepteur de chimiokine
CD4
Surface du lymphocyte T
B
nef LTR
gag pol
vif vpr
vpu
env tat rev
LTR
LTR Longue séquence répétée : intégration de I'ADN viral dans le génome de l'hôte ; site de liaison pour les facteurs de transcription
gag Pr55gag : importation nucléaire de l'ADN viral pol Polymérase : code différentes enzymes virales Facteur d'infectivité virale (p23) : surmonte les effets inhibiteurs des facteurs des cellules hôtes vpr Protéine virale R (p15) : favorise l'infection des macrophages par régulation de l'importation nucléaire du complexe de pré-intégration du VIH
vif
Activateur transcriptionnel (p14) : favorise l’arrêt du cycle cellulaire et améliore la transcription de l'ADN viral rev Régulateur de l'expression des gènes viraux (p19) : inhibe l'épissage de l'ARN viral et favorise l'exportation de l'ARN viral incomplètement épissé vpu Protéine virale U : favorise la dégradation de CD4 et influence la libération des virions env Protéine d'enveloppe gp160 : clivée en gp120, qui permet la liaison au récepteur CD4 et aux récepteurs de chimiokines, et gp41 qui permet la fusion
tat
nef Effecteur négatif : favorise la diminution de l'expression à la surface de CD4 et des molécules du CMH de classe l ; bloque l'apoptose ; augmente l'infectivité des virions
Fig. 12.7. Structure et gènes du virus de l'immunodéficience humaine (VIH). A. La figure représente un virion VIH-1 accolé à la surface d'un lymphocyte T. Le VIH-1 est composé de deux brins identiques d'ARN (génome viral) et d'enzymes associées, notamment la transcriptase inverse, l'intégrase et la protéase, le tout étant enveloppé dans une nucléocapside de forme conique composée de la protéine de capside p24 entourée de la protéine matricielle p17, l'ensemble étant entouré d'une enveloppe membranaire de phospholipides dérivée de la cellule infectée. Les protéines de l'enveloppe codées par le virus (gp41 et gp120) se lient à CD4 et aux récepteurs de chimiokines à la surface de la cellule hôte. B. Le génome du VIH-1 est composé de gènes dont les positions sont indiquées par des blocs colorés. Certains gènes contiennent des séquences qui se chevauchent avec celles d'autres gènes, comme le montrent les blocs superposés, mais ils sont lus différemment par l'ARN polymérase de la cellule hôte. Des blocs de couleur identique séparés par des traits (tat, rev) indiquent que ces gènes, dont les séquences codantes sont séparées dans le génome, nécessitent un épissage de l'ARN pour produire un ARN messager fonctionnel. La liste énumère les principales fonctions des protéines codées par les différents gènes viraux. CMH : complexe majeur d'histocompatibilité. Source : A, d'après la couverture The New Face of AIDS. Science 1996 ; 272 : 1841-2102. © Terese Winslow. B, modifié de Greene WC. AIDS and the immune system. © 1993 par Scientific American, Inc. Tous droits réservés.
Chapitre 12. Immunodéficiences congénitales et acquises
221
Virion du VIH
Membrane plasmique
Virion se liant au récepteur CD4 et à un récepteur de chimiokine Fusion de la membrane du VIH avec la membrane de la cellule ; pénétration du génome viral dans le cytoplasme Cytokine
Nouveau virion de VIH gp120 / gp41 du VIH
Récepteur de chimiokine CD4
Expression de gp120/gp41 à la surface de la cellule : bourgeonnement d'un virion mature
ARN génomique du VIH
Synthèse d'un ADN proviral assurée par la transcriptase inverse Intégration du provirus dans le génome de la cellule
Noyau
Cytoplasme
Activation de la cellule par des cytokines ; transcription du génome du VIH ; transport des ARN viraux dans le cytoplasme après ou avant épissage
Provirus à ADN du VIH Transcrit d'ARN du VIH
Nucléocapside du VIH
Synthèse des protéines du VIH ; assemblage de la nucléocapside Protéines du VIH
Fig. 12.8. Cycle de vie du virus de l'immunodéficience humaine (VIH-1). Les différentes étapes de la reproduction du VIH sont représentées, commençant par l'infection d'une cellule et se terminant par la libération de nouvelles particules virales (virions).
protéines de structure, différentes enzymes et des protéines qui régulent la transcription des gènes viraux et le cycle viral. Le cycle viral du VIH comporte les étapes suivantes : infection des cellules, production de l'ADN viral et intégration de celui-ci dans le génome de l'hôte, expression des gènes viraux et production des particules virales (fig. 12.8). Le VIH infecte les cellules grâce à sa principale glycoprotéine d'enveloppe, dénommée gp120 (glycoprotéine de 120 kDa), qui se lie, sur les cellules humaines, au récepteur CD4 et à certains récepteurs de chimiokines (surtout CXCR4 et CCR5). Les principaux types cellulaires qui expriment ces molécules de surface et qui peuvent ainsi être infectés par le VIH sont les lymphocytes T CD4+ ; en outre, des macrophages et des cellules dendritiques peuvent être infectés par le virus surtout en le captant par phagocytose. Après sa liaison aux récepteurs cellulaires, la membrane virale fusionne avec la membrane de la cellule de l'hôte, permettant au virus
de pénétrer dans le cytoplasme de la cellule. À ce stade, le virus subit une décapsidation par des protéases virales, ce qui libère son ARN. Une copie ADN de l'ARN viral est synthétisée grâce à une enzyme virale, la transcriptase inverse — processus propre à tous les rétrovirus —, puis l'ADN est intégré à l'ADN des cellules par l'intervention d'une autre enzyme, l'intégrase. L'ADN viral intégré est dénommé le provirus. Si le lymphocyte T infecté est activé par certains stimulus extrinsèques, par exemple un autre microbe infectieux ou des cytokines, la cellule répond en déclenchant la transcription d'un grand nombre de ses gènes et, souvent, en produisant elle-même des cytokines. L'une des conséquences malencontreuses de cette réponse normale est que les cytokines et le processus de stimulation cellulaire peuvent également activer le provirus, entraînant la production d'ARN viraux puis de protéines. Le virus est alors capable de former une nucléocapside, qui migre vers la membrane cellulaire, puis acquiert de la
222
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
cellule une enveloppe lipidique, avant d'être libérée sous forme de particule virale infectieuse, prête à infecter une autre cellule. Il est possible que le provirus, l'ADN intégré du VIH, reste à l'état latent dans les cellules infectées pendant plusieurs mois ou plusieurs années, à l'abri du système immunitaire du patient — et même des traitements antiviraux, dont il est question plus loin. On croit que les macrophages et les cellules T folliculaires auxiliaires sont d'importants réservoirs du virus. La plupart des cas de sida sont causés par le VIH-1 (virus de type 1). Un virus apparenté, le VIH-2, est responsable de quelques cas de cette maladie.
Pathogénie du sida Le sida se développe en plusieurs années, avec l'activation du VIH latent et la destruction des cellules du système immunitaire. La production du virus aboutit à la mort des cellules infectées, ainsi qu'à la mort de lymphocytes non infectés, provoquant une immunodéficience et le tableau clinique du sida (fig. 12.9). L'infection par le VIH se transmet par rapport sexuel, par échange d'aiguilles contaminées entre consommateurs de drogues par voie intraveineuse, par transfert transplacentaire ou par transfusion de sang ou de produits sanguins contaminés. Après l'infection, une brève virémie aiguë peut survenir ; à ce moment-là, on peut détecter assez facilement le virus dans le sang et le patient réagit comme lors de toute infection virale bénigne et présente des symptômes non spécifiques tels que fièvre, courbatures et malaise. Le virus infecte d'abord les lymphocytes T CD4+ aux sites d'entrée des muqueuses, dans les organes lymphoïdes comme les ganglions et le sang. Dans les tissus des muqueuses à hauteur des sites d'entrée, de nombreux lymphocytes T peuvent disparaître. Or, une proportion considérable des lymphocytes, en particulier les T mémoire, résident dans ces tissus ; la conséquence de cette destruction locale est un important déficit fonctionnel qui n'est pas reflété par la présence de cellules infectées dans le sang ou une déplétion de cellules T circulantes. Les cellules dendritiques peuvent capter le virus lorsqu'il pénètre à travers les épithéliums et le transporter dans les organes lymphoïdes périphériques où il infecte les lymphocytes T. Le provirus intégré peut être activé dans les cellules infectées, comme décrit précédemment, entraînant la production de particules virales et leur dissémination. Au cours de l'infection par le VIH, les lymphocytes T CD4 + activés sont la source principale des particules virales infectieuses. Comme mentionné plus tôt, des cellules T folliculaires auxiliaires et des macrophages peuvent devenir des réservoirs d'infection, dans lesquels le virus peut rester dormant et n'être réactivé que des mois ou des années plus tard. La déplétion en lymphocytes T CD4+ qui suit l'infection par le VIH est due à un effet cytopathogène du virus, lié à la production de particules virales dans les cellules infectées, ainsi qu'à la mort de cellules non infectées. L'expression des gènes viraux et la production de protéines
Infection primaire des cellules du sang et des muqueuses
Lymphocyte T CD4+
Cellule dendritique
Transport vers les ganglions lymphatiques
Établissement de l'infection dans les tissus lymphoïdes (p. ex., ganglion lymphatique) Dissémination de l'infection dans tout l'organisme
Réponse immunitaire
Latence clinique
Autres infections microbiennes ; cytokines
SIDA
Virémie
Anticorps anti-VIH
CTL spécifique du VIH
Contrôle partiel de la réplication virale
Établissement d'une infection chronique ; virus principalement dans les tissus lymphoïdes ; faible production de virus
Augmentation de la réplication virale
Destruction du tissu lymphoïde ; déplétion des lymphocytes T CD4+
Fig. 12.9. Pathogénie de la maladie causée par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). L'infection par le VIH se développe par sa dissémination à partir du site initial de l'infection vers les tissus lymphoïdes de tout l'organisme. La réponse immunitaire contrôle temporairement l'infection aiguë, mais ne peut empêcher l'établissement d'une infection chronique des cellules des tissus lymphoïdes. Les cytokines produites en réponse au VIH et à d'autres microbes contribuent à favoriser la production du VIH et la progression vers le sida. CTL : lymphocytes T cytotoxiques.
Chapitre 12. Immunodéficiences congénitales et acquises
L'évolution clinique de l'infection par le VIH est caractérisée par différentes phases, aboutissant à une immunodéficience (fig. 12.10A). ■ Syndrome VIH aigu. Peu de temps après l'infection par le VIH, les patients peuvent souffrir d'une affection bénigne due à la virémie initiale ; elle se manifeste par de la fatigue et de la fièvre et disparaît en quelques jours.
A
– Syndrome VIH aigu – Dissémination étendue du virus – Extension aux organes lymphoïdes Décès 108 Maladies opportunistes 107
Infection primaire
Lymphocytes T CD4+/mm3
1 200 1 000 800
Latence clinique Symptômes systémiques
600
106 105
400
104
200
103
0
0 3 6 9 12
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Semaines
Années
102
B Intensité de la réponse immunitaire (unités arbitraires)
Caractéristiques cliniques de l'infection par le VIH et du sida
■ Latence. Durant la période de latence, il peut survenir peu de complications cliniques, mais habituellement les tissus lymphoïdes perdent progressivement des lymphocytes T CD4+ et leur architecture tissulaire. Finalement, le nombre de lymphocytes T CD4+ sanguins commence à décliner, et lorsque celui-ci chute au-dessous de 200 cellules/mm3 (le nombre normal étant d'environ 1 500 cellules par mm3), les patients deviennent sensibles aux infections et le diagnostic de sida est alors posé. ■ Sida clinique. Le sida cause finalement une augmentation de la sensibilité aux infections et à certains cancers suite à l'immunodéficience. Les patients non traités par des agents antirétroviraux sont souvent infectés par des microbes intracellulaires, comme des virus, Pneumocystis jirovecii et des mycobactéries non tuberculeuses, normalement combattus par les lymphocytes T. Un grand nombre de ces microbes sont présents dans l'environnement, mais ils n'infectent pas les individus sains dont le système immunitaire est intact. Puisque ces infections touchent des individus immunodéficients chez lesquels les microbes trouvent ainsi l'opportunité de proliférer, elles sont qualifiées d'« opportunistes ». Une réactivation des virus latents, tels que le cytomégalovirus et le virus Epstein-Barr (EBV), peut aussi survenir puisque, chez les patients atteints de sida, les réactions des lymphocytes T cytotoxiques aux virus sont déficientes. Même si le VIH n'infecte pas les lymphocytes T CD8+, ceux-ci, chez des patients atteints de sida, répondent mal contre les virus. Ce défaut des CTL est probablement dû à la nécessité d'une contribution des lymphocytes T auxiliaires CD4+
Virémie (copies d'ARN du VIH/ml de plasma)
virales peuvent interférer avec la machinerie de synthèse des lymphocytes T infectés. Par conséquent, les lymphocytes T dans lesquels le virus se réplique sont tués au cours de ce processus. La perte des lymphocytes T au cours de la progression du sida paraît plus importante que le nombre de lymphocytes infectés. Le mécanisme de cette perte des lymphocytes T reste mal défini. D'autres cellules infectées, comme les cellules dendritiques et les macrophages, peuvent également mourir, entraînant une destruction de l'architecture des organes lymphoïdes. Selon de nombreuses études, l'immunodéficience résulterait non seulement de la déplétion en lymphocytes T, mais aussi de différentes anomalies fonctionnelles des lymphocytes T et d'autres cellules immunitaires (cellules dendritiques et macrophages). Cependant, l'importance de ces anomalies fonctionnelles n'a pas encore été établie, et la perte des lymphocytes T (suivie par la chute du nombre de cellules T CD4+ dans le sang) reste l'indicateur le plus fiable de la progression de la maladie.
223
Anticorps anti-enveloppe
0 3 6 9 12
Semaines
Anticorps anti-p24
Particules virales dans le plasma CTL spécifiques des peptides du VIH 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Années
Fig. 12.10. Évolution clinique de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). A. Des virus transportés par le sang (virémie plasmatique) sont détectés précocement après l'infection, et leur présence peut s'accompagner de symptômes systémiques typiques d'un syndrome aigu d'infection par le VIH. Le virus se propage aux organes lymphoïdes, mais la virémie plasmatique tombe à des niveaux très bas (détectables seulement par des tests très sensibles comme la RT-PCR, reverse transcriptase - polymerase chain reaction) et reste dans cet état pendant plusieurs années. Le nombre de lymphocytes T CD4+ diminue constamment pendant cette période de latence clinique, en raison d'une réplication virale importante et d'une destruction des lymphocytes T dans les tissus lymphoïdes. Au fur et à mesure que le nombre des lymphocytes T CD4+ diminue, le risque d'infections et d'autres conséquences cliniques du sida augmente. B. Ampleur et cinétique des réponses immunitaires, exprimées en unités relatives arbitraires. Source : avec l'autorisation de Pantaleo G, Graziosi C, Fauci AS. The immunopathogenesis of human immunodeficiency virus infection. N Engl J Med 1993 ; 328(5) : 327-35.
224
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique
(cibles principales du VIH) pour que les CTL CD8+ puissent réagir efficacement contre de nombreux virus (voir chapitres 5 et 6). Les virus latents, qui sont normalement contrôlés par les réponses CTL, sont réactivés chez les patients atteints du sida et provoquent des maladies graves. Les patients atteints de sida courent aussi un risque accru d'infection par des bactéries extracellulaires, vraisemblablement en raison de l'altération des réponses humorales dirigées contre les antigènes bactériens qui nécessitent des lymphocytes T auxiliaires. Les patients deviennent également sensibles aux cancers provoqués par des virus oncogènes. Les deux types de cancer les plus fréquents sont le lymphome des cellules B, causé par l'EBV, et une tumeur des petits vaisseaux sanguins, appelée sarcome de Kaposi, due à un virus herpétique. Les patients atteints de sida ayant développé une maladie avancée présentent fréquemment un syndrome cachectique avec une perte significative de la masse corporelle, suite à une altération du métabolisme et à une réduction de l'apport calorique. Certains patients atteints de sida deviennent déments, la cause supposée étant une infection des macrophages cérébraux (microglie). L'évolution clinique de l'infection par le VIH a été améliorée de manière spectaculaire par la thérapie antirétrovirale. Bien traitée, la maladie progresse beaucoup plus lentement, avec moins d'infections opportunistes et une incidence fortement réduite de cancer et de démence. La réponse immunitaire contre le VIH s'avère incapable de contrôler la propagation du virus et ses effets pathologiques. Les patients infectés produisent des anticorps et des CTL contre les antigènes viraux. Ces réponses contribuent à limiter le syndrome précoce aigu déclenché par le VIH (fig. 12.10B). Toutefois, ces réponses immunitaires ne permettent généralement pas de prévenir la progression chronique de la maladie. Les anticorps dirigés contre les glycoprotéines d'enveloppe, comme gp120, s'avèrent souvent inefficaces, car le virus a la capacité de muter rapidement la région de la gp120 qui constitue la cible de la plupart des anticorps. Les CTL ne sont souvent pas en mesure de détruire les cellules infectées, car le virus inhibe l'expression des molécules de classe I du CMH par les cellules infectées. Les réponses immunitaires dirigées contre le VIH peuvent paradoxalement favoriser la diffusion de l'infection. Des particules virales recouvertes d'anticorps peuvent se lier aux récepteurs de Fc situés sur les macrophages et les cellules folliculaires dendritiques dans les organes lymphoïdes, augmentant ainsi l'entrée du virus dans ces cellules et créant des réservoirs additionnels d'infection. Si les CTL sont capables de tuer les cellules infectées, les cellules mortes peuvent être éliminées par des macrophages, qui peuvent migrer dans d'autres tissus et diffuser l'infection. Enfin, en infectant les cellules immunitaires, et par conséquent en interférant avec leurs fonctions, le virus est capable d'empêcher sa propre éradication. Un petit nombre de patients contrôlent l'infection par le VIH sans traitement ; ces personnes sont souvent appelées « asymptomatiques à long terme » ou « non progres-
seurs à long terme ». L'identification des gènes susceptibles de protéger ces personnes a suscité un grand intérêt car la découverte de ces gènes pourrait conduire à de nouveaux traitements. Certains allèles HLA, comme HLA-B57 et HLA-B27, semblent exercer un effet protecteur, peut-être parce que ces molécules HLA sont particulièrement efficaces à présenter des peptides du VIH aux lymphocytes T CD8+. De plus, une délétion de 32 paires de bases dans le gène de CCR5 est un polymorphisme connu, en particulier en Europe du Nord. Les individus rares présentant une forme homozygote de ce polymorphisme n'ont pas de CCR5 fonctionnel, ce qui rend ces individus complètement résistants à l'infection à VIH.
Traitement et stratégies vaccinales Le traitement actuel du sida est destiné à contrôler la réplication du VIH et les complications infectieuses de la maladie. Des combinaisons de médicaments capables de bloquer l'activité de plusieurs enzymes virales, transcriptase inverse, protéase et intégrase, sont aujourd'hui administrées au début de l'infection. Cette thérapie est qualifiée d'antirétrovirale combinée (ART, antiretroviral therapy). Dans les communautés qui en disposent les infections opportunistes (par exemple, Pneumocystis) et certaines tumeurs (par exemple, le sarcome de Kaposi, le lymphome EBV induit), qui étaient des complications dévastatrices dans le passé, sont maintenant rarement vues chez les patients sidéens. En fait, les patients traités ont des durées de vie très longues, ils meurent de maladies cardiovasculaires et d'autres qui affligent aussi des individus qui vieillissent sans le VIH (même si elles peuvent être accélérées comme une conséquence de l'infection à VIH, pour des raisons inconnues). Même ces médicaments hautement efficaces n'éradiquent pas complètement l'infection à VIH. Le virus est capable de muter, ce qui lui confère une résistance à ces agents et des réservoirs de virus latents (par exemple, dans les tissus lymphoïdes) peuvent être inaccessibles à ces médicaments. Pour les patients résistants aux antiviraux plus anciens, des agents qui inhibent l'entrée et la fusion du virus ont été développés. Le développement de vaccins efficaces sera probablement nécessaire pour contrôler l'infection par le VIH à l'échelle mondiale. Pour être actif, un vaccin devra vraisemblablement induire des titres élevés d'anticorps largement neutralisants qui peuvent reconnaître une large variété d'isolats viraux et une forte réponse par les lymphocytes T, ainsi qu'une immunité associée aux muqueuses. Il s'est avéré difficile d'atteindre ces objectifs avec les stratégies vaccinales actuelles. L'exceptionnelle mutabilité du virus lui permet d'échapper ainsi à la plupart des anticorps neutralisants ; le but des tentatives de vaccination actuelles est de créer des immunogènes qui peuvent induire des anticorps largement neutralisants. Cet objectif n'a pas encore été atteint et, jusqu'à présent, les essais de vaccins contre le VIH se sont révélés décevants.
Chapitre 12. Immunodéficiences congénitales et acquises
Points clés ■
■
■
■
Les immunodéficiences sont dues à des dysfonctionnements de différents composants du système immunitaire ; elles rendent plus sensibles aux infections et à certains cancers. Les immunodéficiences congénitales (primaires) sont causées par des anomalies génétiques, et les immunodéficiences acquises (secondaires) sont la conséquence d'infections, d'une malnutrition ou de traitements qui sont destinés à d'autres affections, mais qui altèrent le fonctionnement du système immunitaire. Les immunodéficiences combinées sévères (SCID) résultent de blocages dans la maturation lymphocytaire. Ils peuvent être causés par des mutations de la chaîne γc des récepteurs de cytokines qui entraînent une réduction de la prolifération des lymphocytes immatures induite par l'IL-7, des mutations des enzymes impliquées dans le métabolisme des purines, et d'autres défauts de maturation des lymphocytes. Des anomalies propres à la maturation des lymphocytes B sont observées dans l'agammaglobulinémie liée à l'X, qui est due à un dysfonctionnement d'une enzyme participant à la maturation des lymphocytes B (Btk). Des anomalies propres à la maturation des lymphocytes T sont observées dans le syndrome de Di George, dans lequel le thymus ne se développe pas normalement. Certaines immunodéficiences sont causées par des altérations de l'activation et des fonctions des lymphocytes, malgré leur maturation normale. Le syndrome hyper-IgM lié à l'X est dû à des mutations du gène codant le ligand de CD40, entraînant un défaut de réponse des lymphocytes B dépendant des lymphocytes T auxiliaires (par exemple, la commutation isotypique) et un défaut d'activation des macrophages dépendant des lymphocytes T. Le syndrome des lymphocytes nus est dû à une expression réduite des protéines du CMH de classe II, ce qui provoque une insuffisance de maturation et d'activation des lymphocytes T CD4+.
■
■
225
Le syndrome d'immunodéficience acquise est causé par le rétrovirus VIH. Celui-ci infecte les lymphocytes T CD4+, les macrophages et les cellules dendritiques en utilisant une protéine d'enveloppe (gp120) pour se lier à CD4 et aux récepteurs de chimiokines. L'ADN viral s'intègre dans le génome de l'hôte où son activation entraîne la production de virus infectieux. Les cellules infectées meurent au cours de ce processus de réplication virale ; cette mort des cellules du système immunitaire est le principal mécanisme par lequel le virus induit une déficience immunitaire. L'évolution clinique de l'infection par le VIH passe généralement par les phases suivantes : une virémie aiguë, une période de latence clinique au cours de laquelle les lymphocytes T CD4+ sont progressivement détruits avec déstructuration des tissus lymphoïdes et finalement le sida, qui se manifeste par des infections opportunistes, certains cancers, une perte de poids et, parfois, la démence. Le traitement de l'infection par le VIH vise à interférer avec le cycle viral. Le développement de vaccins est en cours.
This page intentionally left blank
Annexes
PLAN DE LA PARTIE Annexe I Annexe II Annexe III Annexe IV Annexe V
Caractéristiques principales d'un choix de molécules CD . . . . . . . . . . . . Cytokines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cas cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Glossary . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
229 237 241 251 285
This page intentionally left blank
Annexe I
Caractéristiques principales d'un choix de molécules CD Le tableau suivant comprend une sélection de molécules CD auxquelles il a été fait allusion dans le texte. De nombreuses cytokines et récepteurs de cytokines portent des numéros de CD, mais nous préférons la terminologie plus descriptive
des cytokines, et celles-ci sont énumérées dans l'annexe II. Une liste complète et à jour des molécules CD peut être trouvée à http://www.hcdm.org.
Numéro de CD (Autres Structure moléculaire, famille noms)
Distribution cellulaire principale
Fonction connue ou supposée
CD1a-d
49 kDa Superfamille des Ig et du CMH de classe I Associée à la β2-microglobuline
Thymocytes, cellules dendritiques (notamment les cellules de Langerhans)
Présentation d'antigènes non peptidiques (lipides et glycolipides) à certains lymphocytes T
CD1e
28 kDa Type CMH de classe I Associé à la β2-microglobuline
Cellules dendritiques
Comme CD1a
CD2 (LFA-2)
50 kDa Superfamille des Ig
Lymphocytes T, cellules NK
Molécule d'adhérence (lie CD58) ; activation des lymphocytes T ; lyse dépendant des CTL (cytotoxic T lymphocyte) et des cellules NK
CD3g (CD3γ)
25–28 kDa Associée à CD3δ et CD3ε dans le complexe TCR Superfamille des Ig ITAM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes T
Expression à la surface cellulaire et transduction du signal par le récepteur d'antigène des cellules T
CD3d (CD3δ)
20 kDa Associée à CD3γ et CD3ε dans le complexe TCR Superfamille des Ig ITAM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes T
Expression à la surface cellulaire et transduction du signal par le récepteur d'antigène des cellules T
CD3e (CD3ε)
20 kDa Associée à CD3γ et CD3δ dans le complexe TCR Superfamille des Ig ITAM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes T
Nécessaire à l'expression à la surface cellulaire du récepteur d'antigène des lymphocytes T et à la transduction des signaux
CD4
55 kDa Superfamille des Ig
Lymphocytes T restreints par le CMH de classe II, certains macrophages
Corécepteur dans l'activation antigénique des lymphocytes T restreints par le CMH de classe II (se lie aux molécules du CMH de classe II) ; développement des thymocytes ; récepteur du VIH
CD5
67 kDa Famille des récepteurs éboueurs
Lymphocytes T, sous-population B1 de lymphocytes B
Molécule de signalisation ; liaison à CD72
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
229
230
Annexes
Numéro de CD (Autres Structure moléculaire, famille noms)
Distribution cellulaire principale
Fonction connue ou supposée
CD8a
34 kDa Exprimée sous forme d'homodimère ou d'hétérodimère avec la chaîne CD8b
Lymphocytes T restreints par le CMH de classe I ; sous-population de cellules dendritiques
Corécepteur dans l'activation des lymphocytes T restreints par le CMH de classe I (lie les molécules du CMH de classe I) ; développement des thymocytes
CD8b
34 kDa Exprimée sous forme d'hétérodimère avec la chaîne CD8a Superfamille des Ig
Lymphocytes T restreints par le CMH de classe I
Comme CD8a
CD10
100 kDa Protéine membranaire de type II
Lymphocytes B immatures et Métalloprotéine ; fonction inconnue dans le certains matures ; progéniteurs système immunitaire lymphoïdes, granulocytes
CD11a (chaîne α de LFA-1)
180 kDa Liaison non covalente à CD18 pour former l'intégrine LFA-1
Leucocytes
Adhérence intercellulaire ; liaison à ICAM-1 (CD54), ICAM-2 (CD102) et ICAM-3 (CD50)
CD11b (Mac-1 ; CR3)
165 kDa Liaison non covalente à CD18 pour former l'intégrine Mac-1
Granulocytes, monocytes/ macrophages, cellules NK, cellules dendritiques
Phagocytose de particules couvertes de iC3b ; adhérence des neutrophiles et des monocytes à l'endothélium (liaison à CD54) et aux protéines de matrice extracellulaire
CD11c (p150,95 ; chaîne α de CR4)
145 kDa Liaison non covalente à CD18 pour former l'intégrine p150,95
Monocytes/macrophages, granulocytes, cellules NK
Fonctions similaires à celles de CD11b
CD14
53 kDa Ancre GPI
Cellules dendritiques, monocytes, macrophages, granulocytes
Lie le complexe du LPS et sa protéine porteuse ; nécessaire à l'activation des macrophages par le LPS
CD16a (FcγRIIIA)
50–70 kDa Protéine transmembranaire Superfamille des Ig
Cellules NK, macrophages
Se lie à la région Fc des IgG ; phagocytose et cytotoxicité cellulaire dépendant des anticorps
CD16b (FcγRIIIB)
50–70 kDa Ancre GPI Superfamille des Ig
Neutrophiles
Se lie à la région Fc des IgG ; synergie avec FcγRII dans l'activation des neutrophiles par les complexes immuns
CD18
95 kDa Liaison non covalente à CD11a, CD11b ou CD11c pour former les intégrines γ2
Leucocytes
Voir CD11a, CD11b, CD11c
CD19
95 kDa Superfamille des Ig
La plupart des lymphocytes B
Activation des lymphocytes B ; forme un complexe de corécepteurs avec CD21 et CD81, qui transmet des signaux agissant en synergie avec ceux provenant du complexe du récepteur d'antigène des lymphocytes B
CD20
35–37 kDa Famille des tétraspanines (TM4SF)
Lymphocytes B
Rôle possible dans l'activation ou la régulation des lymphocytes B ? Canal calcique
CD21 (CR2 ; récepteur de C3d)
145 kDa Régulateurs d'activation du complément
Lymphocytes B matures, cellules folliculaires dendritiques
Récepteur du fragment C3d du complément ; forme un complexe de corécepteurs avec CD19 et CD81, qui transmet des signaux d'activation dans les lymphocytes B ; récepteur du virus d'Epstein-Barr
CD22 (Siglec-2)
130–140 kDa Superfamille des Ig Famille des Siglec ITIM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes B
Régulation de l'activation des lymphocytes B ; molécule d'adhérence
CD23 (FcεRIIb)
45 kDa Lectine de type C
Lymphocytes B activés, monocytes, macrophages
Récepteur de faible affinité de l'IgE induit par l'IL-4 ; fonction inconnue
CD25 (chaîne α du récepteur de l'IL-2)
55 kDa Lymphocytes T et B activés, Associée de manière non covalente lymphocytes T régulateurs aux chaînes IL-2Rβ (CD122) et IL-2Rγ (Treg) (CD132) pour former le récepteur de haute affinité de l'IL-2
Liaison à l'IL-2 et favorise les réponses à de faibles concentrations d'IL-2
Annexe I. Caractéristiques principales d'un choix de molécules cd
231
CD28
Homodimère de chaînes de 44 kDa Superfamille des Ig
Lymphocytes T (tous les CD4+ et > 50 % des CD8+)
Récepteur des lymphocytes T pour les molécules de costimulation CD80 (B7-1) et CD86 (B7-2)
CD29
130 kDa Liée de manière non covalente aux chaînes CD49a à d pour former les intégrines VLA (β1)
Lymphocytes T et B, monocytes, granulocytes
Adhérence leucocytaire aux protéines de la matrice extracellulaire et à l'endothélium (voir CD49)
CD30 (récepteur du TNF de la superfamille 8 TNFRSF8)
120 kDa Famille du TNFR
Lymphocytes T et B activés, cellules NK, monocytes, cellules de Reed-Sternberg dans la maladie de Hodgkin
Non établie
CD31 ou PECAM-1 130–140 kDa (platelet/endothelial Superfamille des Ig cell adhesion molecule 1)
Plaquettes, monocytes, granulocytes, lymphocytes B, cellules endothéliales
Molécule d'adhérence contribuant à la diapédèse des leucocytes
CD32 (FcγRII)
40 kD Superfamille des Ig Les formes A, B et C sont des produits de gènes différents mais homologues ; ITAM dans la queue cytoplasmique de la forme A ; ITIM dans la queue cytoplasmique de la forme B
Lymphocytes B, macrophages, cellules dendritiques, granulocytes
Récepteur de Fc pour les IgG agrégées ; la forme B agit comme récepteur inhibiteur qui bloque les signaux activateurs dans les lymphocytes B et d'autres cellules
CD34
105–120 kDa Sialomucine
Précurseurs des cellules hématopoïétiques ; cellules endothéliales des veinules à endothélium élevé
Rôle dans l'adhérence intercellulaire (?)
CD35 (récepteur du complément type 1, CR1)
190–285 kDa (quatre produits d'allèles polymorphes) Famille des régulateurs d'activation du complément
Granulocytes, monocytes érythrocytes, lymphocytes B, cellules dendritiques folliculaires, certains lymphocytes T
Lie C3b et C4b ; favorise la phagocytose des particules recouvertes de C3b et C4b et de complexes immuns ; régule l'activation du complément
CD36
85–90 kDa
Plaquettes, monocytes et macrophages, cellules endothéliales
Récepteur éboueur pour lipoprotéines de basse densité oxydées ; adhérence plaquettaire ; phagocytose des cellules apoptotiques
CD40
Homodimère de chaînes de 44 à 48 kDa Superfamille du TNFR
Lymphocytes B, macrophages, cellules dendritiques, cellules endothéliales
Lie CD154 (CD40L) ; rôle dans l'activation T-dépendante des lymphocytes B, des macrophages, des cellules dendritiques
CD43
95–135 kDa Sialomucine
Leucocytes (sauf les lymphocytes B circulants)
Rôle dans l'adhérence intercellulaire
CD44
80 → 100 kDa Densément glycosylée
Leucocytes, érythrocytes
Liaison à l'hyaluronate ; participe à l'adhérence des leucocytes aux cellules endothéliales et à la matrice extracellulaire
CD45, antigène leucocytaire commun (LCA, leukocyte common antigen)
Multiples isoformes, 180–220 kDa (voir CD45R) Famille de récepteurs à activité de tyrosine phosphatase Famille de la fibronectine de type III
Cellules hématopoïétiques
Tyrosine phosphatase qui régule l'activation des lymphocytes T et B
CD45R
CD45RO : 180 kDa CD45RA : 220 kDa CD45RB : isoformes de 190, 205 et 220 kDa
CD45RO : lymphocytes T mémoire ; sous-populations de lymphocytes B, monocytes, macrophages CD45RA : lymphocytes B et T naïfs, monocytes CD45RB : lymphocytes B et sous-populations de T
Voir CD45
CD46, protéine cofacteur de membrane (MCP, membrane cofactor protein)
52–58 kDa Famille des régulateurs de l'activation du complément
Leucocytes, cellules épithéliales, fibroblastes
Régulation de l'activation du complément
232
Annexes
Numéro de CD (Autres Structure moléculaire, famille noms)
Distribution cellulaire principale
Fonction connue ou supposée
CD47
47–52 kDa Superfamille des Ig
Toutes les cellules hématopoïétiques, cellules épithéliales, cellules endothéliales, fibroblastes
Adhérence, migration, activation leucocytaire ; ligand de SIRP (signal regulatory protein α) ; signal « ne me mange pas » aux phagocytes
CD49d
150 kDa Liée de manière non covalente à CD29 pour former VLA-4 (intégrine α4β1)
Lymphocytes T, monocytes, lymphocytes B, cellules NK, éosinophiles, cellules dendritiques, thymocytes
Adhérence des leucocytes à l'endothélium et à la matrice extracellulaire ; liaison à VCAM-1 et à MAdCAM-1 ; liaison à la fibronectine et au collagène
CD54 (ICAM-1)
75–114 kDa Superfamille des Ig
Cellules endothéliales, lymphocytes T, lymphocytes B, monocytes, cellules endothéliales (inductible par les cytokines)
Adhérence intercellulaire ; ligand pour CD11aCD18 (LFA-1) et pour CD11bCD18 (Mac-1) ; récepteur des rhinovirus
CD55, facteur accélérant la dissociation (DAF, decay-accelerating factor)
55–70 kDa Ancre GPI Famille des régulateurs de l'activation du complément
Large
Régulation de l'activation du complément
CD58 (LFA-3, leukocyte 55–70 kDa function-associated Ancre GPI ou protéine antigen 3) transmembranaire
Large
Adhérence des leucocytes ; lie CD2
CD59
18–20 kDa Ancre GPI
Large
Liaison à C9 ; inhibe la formation du complexe d'attaque membranaire du complément
CD62E (sélectine E)
115 kDa Famille des sélectines
Cellules endothéliales
Adhérence des leucocytes aux endothéliums
CD62L (sélectine L)
74–95 kDa Famille des sélectines
Lymphocytes B et T, monocytes, granulocytes, certaines cellules NK
Adhérence des leucocytes aux endothéliums ; écotaxie des lymphocytes T naïfs dans les ganglions
CD62P (sélectine P)
140 kDa Famille des sélectines
Plaquettes, cellules endothéliales (présente dans des granules, transloqués à la surface cellulaire lors de l'activation)
Adhérence des leucocytes à l'endothélium, aux plaquettes ; lie CD162 (PSGL-1)
CD64 (FcγRI)
72 kDa Superfamille des Ig Associée de manière non covalente à la chaîne commune γ des FcR
Monocytes, macrophages, neutrophiles activés
Récepteur de Fcγ de haute affinité ; rôle dans la phagocytose, l'ADCC, l'activation des macrophages
CD66e (antigène carcinoembryonnaire, CEA)
180–220 kDa Superfamille des Ig Famille du CEA
Cellules du côlon et autres cellules épithéliales
Adhérence ? Marqueur clinique de la présence d'un carcinome
CD69
23 kDa Lectine de type C
Neutrophiles et lymphocytes activés (B, T et NK)
Se lie à S1PR1 et inhibe son expression en surface et la sortie des lymphocytes récemment activés à partir des tissus lymphoïdes
CD74 (chaîne invariante des molécules du CMH de classe II : Ii)
Isoformes de 33–35 kDa et de 41 kDa
Lymphocytes B, cellules dendritiques, monocytes, macrophages, autres cellules exprimant des molécules du CMH de classe II
S'associe aux molécules du CMH de classe II nouvellement synthétisées et dirige leur routage intracellulaire
CD79a (Igα)
33–45 kDa Forme un dimère avec CD79b Superfamille des Ig ITAM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes B matures
Nécessaire pour l'expression en surface du complexe du récepteur d'antigène des lymphocytes B et pour la transduction des signaux
CD79b (Igβ)
37–39 kDa Forme un dimère avec CD79a Superfamille des Ig ITAM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes B matures
Nécessaire pour l'expression en surface du complexe du récepteur d'antigène des lymphocytes B et pour la transduction des signaux
CD80 (B7-1)
60 kDa Superfamille des Ig
Cellules dendritiques, lymphocytes B et macrophages
Molécule de costimulation pour l'activation des lymphocytes T ; ligand de CD28 et CD152 (CTLA-4)
Annexe I. Caractéristiques principales d'un choix de molécules cd
233
CD81, cible de l'anticorps antiprolifératif-1 (TAPA-1, target for antiproliferative antibody-1)
26 kDa Famille des tétraspanines (TM4SF)
Lymphocytes T et B, cellules NK, cellules dendritiques, thymocytes, cellules endothéliales
Activation des lymphocytes B ; forme un complexe de corécepteurs avec CD19 et CD21, qui délivre des signaux agissant en synergie avec ceux provenant du complexe du récepteur d'antigène des lymphocytes B
CD86 (B7-2)
80 kDa Superfamille des Ig
Lymphocytes B, monocytes, cellules dendritiques ; certains lymphocytes T
Molécule de costimulation pour l'activation des lymphocytes T ; ligand de CD28 et de CD152 (CTLA-4)
CD88 (récepteur de C5a)
43 kDa Famille de récepteurs à domaines transmembranaires couplés à une protéine G
Granulocytes, monocytes cellules dendritiques, mastocytes
Récepteur pour le fragment C5a du complément ; rôle dans l'inflammation induite par le complément
CD89 (récepteur de Fcα [FcαR])
55–75 kDa Superfamille des Ig Associée de manière non covalente à la chaîne commune FcRγ
Granulocytes, monocytes, Lie l'IgA ; cytotoxicité cellulaire dépendant macrophages, sous-population de l'IgA de lymphocytes T, souspopulation de lymphocytes B
CD90 (Thy-1)
25–35 kDa Ancrage GPI Superfamille des Ig
Thymocytes, lymphocytes T périphériques (souris), cellules progénitrices hématopoïétiques CD34+, neurones
Marqueur des lymphocytes T ; fonction inconnue
CD94
43 kDa Lectine de type C Sur les cellules NK, s'assemble de manière covalente avec d'autres lectines de type C (NKG2)
Cellules NK ; sous-populations de lymphocytes T CD8+
Le complexe CD94/NKG2 fonctionne comme un récepteur inhibiteur des cellules NK ; liaison aux molécules du CMH de classe I HLA-E
CD95 (Fas)
Homotrimère de chaînes de 45 kDa Famille du récepteur du TNF
Nombreux types cellulaires
Liaison au ligand de Fas ; transmet les signaux inducteurs de mort apoptotique
CD102 (ICAM-2)
55–65 kD ; superfamille des Ig
Cellules endothéliales, lymphocytes, monocytes, plaquettes
Ligand de CD11aCD18 (LFA-1) ; adhérence intercellulaire
CD103 (sous-unité αE d'une intégrine)
Lymphocytes intraépithéliaux, Dimère des sous-unités de 150 et autres types cellulaires 25 kDa Liée de manière non covalente à la sous-unité β7 pour former l'intégrine αEβ7
Rôle dans l'écotaxie des lymphocytes T et rétention dans les muqueuses ; lie la cadhérine E
CD106 (VCAM-1, vascular cell adhesion molecule 1)
100–110 kDa Superfamille des Ig
Cellules endothéliales, macrophages, cellules dendritiques folliculaires, cellules stromales de la moelle
Adhérence des cellules aux endothéliums ; récepteur pour l'intégrine CD49dCD29 (VLA-4) ; rôle dans la circulation et l'activation des lymphocytes
CD134 (OX40, TNFRSF4)
29 kDa ; superfamille du TNFR
Cellules T activées
Récepteur pour CD252 des cellules T ; costimulation des cellules T
CD141 (BDCA-3, thrombomoduline)
60 kDa ; domaines de type EGF
Cellules dendritiques présentant de manière croisée, monocytes, cellules endothéliales
Lie la thrombine et prévient la coagulation sanguine
CD150 (SLAM, signaling lymphocyte activation molecule)
37 kDa Superfamille des Ig
Thymocytes, lymphocytes activés, cellules dendritiques, cellules endothéliales
Régulation des interactions entre lymphocytes B et T et activation lymphocytaire
CD152 (CTLA-4, cytotoxic T lymphocyte-associated protein 4)
33–50 kDa Superfamille des Ig
Lymphocytes T activés et T régulateurs
Signalisation inhibitrice dans les lymphocytes T ; liaison à CD80 (B7-1) et CD86 (B7-2) sur les cellules présentatrices d'antigènes
CD154 (CD40L, ligand de CD40)
Homotrimère de chaînes de 32–39 kDa Superfamille du récepteur du TNF
Lymphocytes T CD4+ activés
Active les lymphocytes B, les macrophages et les cellules endothéliales ; ligand de CD40
CD158 (KIR, killer Ig-like receptor)
50–58 kDa Superfamille des Ig Famille KIR ITIM ou ITAM dans la queue cytoplasmique
Cellules NK, sous-population de lymphocytes T
Inhibition ou activation des cellules NK lors d'une interaction avec des molécules HLA de classe I appropriées
234
Annexes
Numéro de CD (Autres Structure moléculaire, famille noms)
Distribution cellulaire principale
Fonction connue ou supposée
CD159a (NKG2A)
43 kDa Lectine de type C Forme un hétérodimère avec CD94
Cellules NK, sous-population de lymphocytes T
Inhibition ou activation des cellules NK lors d'une interaction avec des molécules HLA de classe I
CD159c (NKG2C)
40 kDa Lectine de type C Forme un hétérodimère avec CD94
Cellules NK
Activation des cellules NK lors d'une interaction avec des molécules HLA de classe I appropriées
CD162 (PSGL-1, Homodimère de chaînes de 120 kDa P-selectin glycoprotein Sialomucine ligand 1)
Lymphocytes T, monocytes, granulocytes, certains lymphocytes B
Ligand pour les sélectines (CD62P, CD62L) ; adhérence des leucocytes aux endothéliums
CD178 (FasL, ligand de Fas)
Homotrimère de sous-unités de 31 kDa Superfamille du TNF
Lymphocytes T activés
Ligand de CD95 (Fas) ; déclenche la mort apoptotique
CD206 (récepteur du mannose)
166 kDa Lectine de type C
Macrophages
Lie des glycoprotéines riches en mannose sur les pathogènes ; contribue à l'endocytose macrophagique des glycoprotéines et la phagocytose des bactéries, champignons et autres pathogènes
CD223 (Lymphocyteactivation gene 3 [LAG3])
57,4 kDa ; superfamille des Ig
Cellules T, cellules NK, cellules B, cellules dendritiques plasmacytoïdes
Se lie au CMH de classe II ; inhibe l'activation des cellules T
CD244 (2B4)
41 kD ; superfamille des Ig ; famille des CD2/CD48/CD58 ; famille SLAM
Cellules NK, cellules T CD8, cellules T γδ
Récepteur de CD148 ; module l'activité cytolytique des cellules NK
CD247 (chaîne ζ du TCR)
18 kDa ITAM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes T ; cellules NK
Chaîne de signalisation du complexe du TCR et des récepteurs activateurs des cellules NK
CD252 (ligand de OX40)
21 kDa Superfamille du TNF
Cellules dendritiques, macrophages, lymphocytes B
Ligand de CD134 (OX40, TNFRSF4) ; costimule les lymphocytes T
CD267 (TACI)
31 kDa Superfamille du TNF
Lymphocytes B
Récepteur des cytokines BAFF et APRIL ; assure les réponses des cellules B indépendantes des cellules T et la survie des lymphocytes B
CD268 (récepteur de BAFF)
19 kDa Superfamille du TNFR
Lymphocytes B
Récepteur de BAFF ; permet la survie des lymphocytes B
CD269 (BCMA, B-cell maturation antigen)
20 kDa Superfamille du TNFR
Lymphocytes B
Récepteur pour BAFF et APRIL ; permet la survie des plasmocytes
CD273 (PD-L2)
25 kDa Superfamille des Ig Structure homologue à B7
Cellules dendritiques, monocytes, macrophages
Ligand pour PD-1 ; inhibition de l'activation des lymphocytes T
CD274 (PD-L1)
33 kDa Superfamille des Ig Structure homologue à B7
Leucocytes, autres cellules
Ligand pour PD-1 ; inhibition de l'activation des lymphocytes T
CD275 (ligand de ICOS)
60 kDa Superfamille des Ig Structure homologue à B7
Lymphocytes B, cellules, dendritiques, monocytes
Lie ICOS (CD278) ; costimulation des lymphocytes T
CD278 (ICOS, inducible 55–60 kDa costimulator) Superfamille des Ig Structure homologue à CD28
Lymphocytes T activés
Lie ICOS-L (CD275) ; costimulation des lymphocytes T et différenciation des Tfh
CD279 (PD1)
55 kDa Superfamille des Ig Structure homologue à CD28 ; ITIM et ITSM dans la queue cytoplasmique
Lymphocytes T activés, lymphocytes B activés
Lie PD-L1 et PD-L2 ; inhibe l'activation des lymphocytes T
CD303 (BDCA2, CLEC4C (C-type lectin domain family 4 member C)
25 kDa ; superfamille des lectines de type C
Cellules dendritiques plasmacytoïdes
Se lie aux glucides microbiens ; inhibe l'activation des cellules dendritiques
Annexe I. Caractéristiques principales d'un choix de molécules cd
235
CD304 (BDCA4, Neuropiline)
103 kDa ; liason au complément, facteur de coagulation V/VIII et domaines méprines
Cellules dendritiques plasmacytoïdes, nombreux autres types cellulaires
Récepteur du facteur A de croissance vasculaire
CD314 (NKG2D)
42 kDa Lectine de type C
Cellules NK, lymphocytes T CD8+ activés, lymphocytes NK-T, certaines cellules myéloïdes
Lie le CMH de classe I et les molécules MIC-A, MIC-B, Rae1 et ULBP4 de type classe I ; rôle dans l'activation des cellules NK et des CTL
CD357 (GITR, TNFRSF18
26 kDa Superfamille du TNFR
Lymphocytes T CD4+ et CD8+, Treg
Rôle dans la fonction des cellules T/Treg
CD363 (S1PR1, sphingosine-1phosphate receptor)
42,8 kDa Couplée aux protéines G Famille des récepteurs à sept domaines transmembranaires
Lymphocytes, cellules endothéliales
Lie la sphingosine-1-phosphate et contribue à l'attraction des lymphocytes hors des organes lymphoïdes
CD365 (HAVCR, hepatitis A virus cellular receptor 1, TIM-1)
38,7 kDa ; superfamille des Ig, glycoprotéine transmembranaire de cellule T, famille des immunoglobulines et des mucines
Cellules T, reins et testicules
Récepteur pour plusieurs virus
CD366 (HAVCR2, hepatitis A virus cellular receptor 2, TIM-3)
33,4 kDa ; Ig superfamille des Ig, glycoprotéine transmembranaire de cellule T, famille des immunoglobulines et des mucines
Cellules T, macrophages, cellules dendritiques, cellules NK
Récepteur pour plusieurs virus ; lie la phosphatidylsérine sur les cellules apoptotiques ; inhibe les réponses des cellules T
CD369 (CLEC7A, DECTINE 1)
27,6 kDa ; lectine de type C
Cellules dendritiques, monocytes, macrophages, cellules B
Récepteur de reconnaissances de motifs spécifique des glucanes pariétaux fongiques et bactériens
Les lettres minuscules apposées à certains numéros de CD se réfèrent à des molécules de CD qui sont codées par plusieurs gènes ou qui appartiennent à des familles de protéines structurellement apparentées. Abréviations : ADCC : antibody-dependent cell-mediated cytotoxicity ; APRIL : a proliferation-inducing ligand ; BAFF : B-cell activating factor belonging to the TNF family ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; CTL : cytotoxic T lymphocyte ; GITR : glucocorticoid-induced TNFR-related ; GPI : glycophosphatidylinositol ; ICAM : intercellular adhesion molecule ; Ig : immunoglobuline ; IL : interleukine ; ITAM : immunoreceptor tyrosine-based activation motif ; ITIM : immunoreceptor tyrosine-based inhibition motif ; LFA : lymphocyte function-associated antigen ; LPS : lipopolysaccharide ; MadCAM : mucosal addressin cell adhesion molecule ; NK : natural killer ; TACI : transmembrane activator and CAML interactor ; TCR : récepteur des cellules T ; TNF : facteur de nécrose tumorale ; TNFR : récepteur du TNF ; VCAM : vascular cell adhesion molecule ; VIH : virus de l'immunodéficience humaine ; VLA : very late activation.
This page intentionally left blank
Annexe II
Cytokines Cytokine et sous-unités
Principale source cellulaire Récepteur ⁎ et sous-unités
Cibles cellulaires principales et effets biologiques
Membres de la famille des cytokines de type I Interleukine-2 (IL-2)
Lymphocytes T
CD25 (IL-2Rα) CD122 (IL-2Rβ) CD132 (γc)
Lymphocytes T : prolifération et différenciation en lymphocytes effecteurs et mémoire ; induit le développement, la survie et la fonction des lymphocytes T régulateurs Cellules NK : prolifération, activation
Interleukine-3 (IL-3)
Lymphocytes T
CD123 (IL-3Rα) CD131 (βc)
Progéniteurs hématopoïétiques immatures : maturation de toutes les lignées hématopoïétiques
Interleukine-4 (IL-4)
Lymphocytes T CD4+ (Th2, Tfh), mastocytes
CD124 (IL-4Rα) CD132 (γc)
Lymphocytes B : commutation isotypique vers IgE, IgG4 (chez les humains ; IgG1 chez les souris) Lymphocytes T : différenciation et prolifération des Th2 Macrophages : activation alternative et inhibition de l'activation classique dépendant de l'IFN-γ
Interleukine-5 (IL-5)
Lymphocytes T CD4+ (Th2)
CD125 (IL-5Rα) CD131 (βc)
Éosinophiles : activation, production accrue
Interleukine-6 (IL-6)
Macrophages, cellules CD126 (IL-6Rα) endothéliales, lymphocytes T CD130 (gp130)
Foie : synthèse des protéines de phase aiguë Lymphocytes B : prolifération des cellules productrices d'anticorps Lymphocytes T : différenciation des Th17
Interleukine-7 (IL-7)
Fibroblastes, cellules stromales de la moelle osseuse
CD127 (IL-7R) CD132 (γc)
Progéniteurs lymphoïdes immatures : prolifération des progéniteurs précoces des lymphocytes T et B Lymphocytes T : survie des cellules naïves et mémoire
Interleukine-9 (IL-9)
Lymphocytes T CD4+
CD129 (IL-9R) CD132 (γc)
Mastocytes, lymphocytes B, lymphocytes T et cellules épithéliales : survie et activation
Interleukine-11 (IL-11)
Cellules stromales de la moelle osseuse
IL-11Rα CD130 (gp130)
Production de plaquettes
Interleukine-12 (IL-12) ; IL-12A IL-12B (p40)
Macrophages, cellules dendritiques
CD212 (IL-12Rβ1) IL-12Rβ2
Lymphocytes T CD4+ : différenciation des Th1 Cellules NK et lymphocytes T CD8+ : synthèse d'IFN-γ, activité cytotoxique accrue
Interleukine-13 (IL-13)
Lymphocytes T CD4+ (Th2), cellules NK-T, ILC de groupe 2, mastocytes
CD213a1 (IL-13Rα1) CD213a2 (IL-13Rα2) CD132 (γc)
Lymphocytes B : commutation isotypique vers IgE Cellules épithéliales : production de mucus accrue Macrophages : activation alternative
Interleukine-15 (IL-15)
Macrophages, autres types cellulaires
IL-15Rα CD122 (IL-2Rβ) CD132 (γc)
Cellules NK : prolifération Lymphocytes T : survie et prolifération des cellules CD8+ mémoire
Interleukine-17A Lymphocytes T CD4+ (Th17), ILC de groupe 3 (IL-17A) Interleukine-17F (IL-17F)
CD217 (IL-17RA) IL-17RC
Cellules épithéliales, macrophages et autres types cellulaires : – production accrue de chimiokines et de cytokines – production de GM-CSF et de G-CSF
Interleukine-21 (IL-21)
CD360 (IL-21R) CD132 (γc)
Lymphocytes B : activation, prolifération, différenciation
Lymphocytes Tfh
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
237
238
Annexes
Cytokine et sous-unités
Principale source cellulaire Récepteur ⁎ et sous-unités
Cibles cellulaires principales et effets biologiques
Interleukine-23 (IL-23) Hétérodimère IL-23A (p19) IL-12B (p40)
Macrophages, cellules dendritiques
IL-23R CD212 (IL-12Rβ1)
Lymphocytes T : différenciation et prolifération des lymphocytes Th17
Interleukine-25 (IL-25 ; IL-17E)
Lymphocytes T, mastocytes, éosinophiles, macrophages, cellules épithéliales des muqueuses
IL-17RB
Lymphocytes T et divers autres types cellulaires : expression d'IL-4, d'IL-5 et d'IL-13
Interleukine-27 (IL-27) ; IL-27 (p28), EBI-3
Macrophages, cellules dendritiques
IL-27Rα CD130 (gp130)
Lymphocytes T : amplifie la différenciation Th1 ; inhibe la différenciation des Th17 Cellules NK : synthèse de l'IFN-γ
Interleukine-35 (IL-35)
Treg
IL-12Rβ2 CD130 (gp130)
Cellules T : inhibe la prolifération
SCF (stem cell factor, ou ligand de c-Kit)
Cellules stromales de la moelle osseuse
CD117 (KIT)
Cellules souches hématopoïétiques pluripotentes : maturation de toutes les lignées hématopoïétiques
GM-CSF (granulocyte/ monocyte-CSF)
Lymphocytes T, macrophages, cellules endothéliales, fibroblastes
CD116 (GM-CSFRa) CD131 (βc)
Progéniteurs immatures et engagés, macrophages matures : maturation des granulocytes et des monocytes, activation des macrophages
M-CSF, CSF1 (monocyte-CSF)
Macrophages, cellules endothéliales, cellules de la moelle osseuse, fibroblastes
CD115 (CSF1R)
Progéniteurs hématopoïétiques engagés : maturation des monocytes
G-CSF, CSF3 (granulocyte-CSF)
Macrophages, fibroblastes, cellules endothéliales
CD114 (CSF3R)
Progéniteurs hématopoïétiques engagés : maturation des granulocytes
TSLP (thymic stromal lymphopoietin)
Kératinocytes, cellules épithéliales bronchiques, fibroblastes, cellules musculaires lisses, cellules endothéliales, mastocytes, macrophages, granulocytes et cellules dendritiques
Récepteur de TSLP CD127 (IL-7R)
Cellules dendritiques : activation Éosinophiles : activation Mastocytes : production de cytokines cellules T : différenciation Th2
Membres de la famille des cytokines de type II Interféron-α (IFN-α, protéines multiples)
Cellules dendritiques, plasmacytoïdes, macrophages
IFNAR1 CD118 (IFNAR2)
Toutes les cellules : état antiviral, expression accrue du CMH de classe I Cellules NK : activation
Interféron-β (IFN-β)
Fibroblastes, cellules IFNAR1 dendritiques, plasmacytoïdes CD118 (IFNAR2)
Toutes les cellules : état antiviral, expression accrue du CMH de classe I Cellules NK : activation
Interféron-γ (IFN-γ)
Lymphocytes T (Th1, CD119 (IFNGR1) lymphocytes T CD8+), cellules IFNGR2 NK et ILC de groupe 1
Macrophages : activation classique (fonctions microbicides amplifiées) Lymphocytes B : commutation isotypique vers les sous-classes d'IgG opsonisantes et activatrices du complément (établi chez la souris, pas chez les humains) Lymphocytes T : différenciation des Th1 Cellules diverses : expression accrue des molécules du CMH des classes I et II, amplification de l'apprêtement et de la présentation d'antigène aux lymphocytes T
Interleukine-10 (IL-10)
Macrophages, lymphocytes T CD210 (IL-10Rα) (surtout lymphocytes T CD210B (IL-10Rβ) régulateurs)
Macrophages, cellules dendritiques : inhibition de l'expression de l'IL-12, des costimulateurs et du CMH de classe II
Interleukine-22 (IL-22)
Lymphocytes Th17
Cellules épithéliales : production de défensines, fonction de barrière amplifiée Hépatocytes : survie
IL-22Rα1 ou IL-22Rα2 IL-10Rβ2
Interleukine-26 (IL-26)
Cellules T, monocytes
IL-20R1, IL-10R2
Non établi
Interférons-λ (interférons de type III)
Cellules dendritiques
IFNLR1 (IL-28Rα) CD210B (IL-10Rβ2)
Cellules épithéliales : état antiviral
Annexe II. Cytokines
LIF (leukemia inhibitory factor)
Trophectoderme embryonnaire Cellules stromales de la moelle osseuse
CD118 (LIFR) CD130 (gp130)
Cellules souches : blocage dans la différenciation
Oncostatine M
Cellules stromales de la moelle osseuse
OSMR CD130 (gp130)
Cellules endothéliales : régulation de la production de cytokines hématopoïétiques Cellules cancéreuses : inhibition de la prolifération
TACI (TNFRSF13B) ou BCMA (TNFRSF17)
Cellules B : survie, prolifération
239
⁎⁎
Cytokines de la superfamille du TNF APRIL (CD256, TNFSF13)
Cellules T, cellules dendritiques, monocytes, cellules dendritiques folliculaires
BAFF (CD257, TNFSF13B) Cellules dendritiques Monocytes Cellules dendritiques folliculaires Cellules B
BAFF-R (TNFRSF13C) Cellules B : survie, prolifération ou TACI (TNFRSF13B) ou BCMA (TNFRSF17)
Lymphotoxine α (LTα, TNFSF1, TNF-β)
Lymphocytes T, lymphocytes B
CD120a (TNFRSF1) ou CD120b (TNFRSF2)
Comme le TNF
Lymphotoxine αβ (LTαβ)
Lymphocytes T, cellules NK, lymphocytes B folliculaires, cellules inductrices de tissu lymphoïde
LTβR ou HVEM
Cellules stromales de tissu lymphoïde et cellules dendritiques folliculaires : expression de chimiokines et organogenèse lymphoïde
Facteur de nécrose tumorale (TNF, TNFSF1)
Macrophages, cellules NK, cellules T, cellules B
CD120a (TNFRSF1) ou CD120b (TNFRSF2)
Cellules endothéliales : activation (inflammation, coagulation) Neutrophiles : activation Hypothalamus : fièvre Muscles, graisse : catabolisme (cachexie)
APRIL (CD256, TNFSF13)
Lymphocytes T, cellules dendritiques, monocytes, cellules dendritiques folliculaires
TACI (TNFRSF13B) ou BCMA (TNFRSF17)
Lymphocytes B : survie, prolifération
RANKL
Cellules précurseurs des ostéoclastes : inhibe la différenciation des ostéoclastes
Ostéoprotégérine (OPG, Ostéoblastes TNFRSF11B) Cytokines de la famille de l'IL-1 Interleukine-1α (IL-1α)
Macrophages, cellules dendritiques, fibroblastes, cellules endothéliales, kératinocytes, hépatocytes
CD121a (IL-1R1) IL-1RAP ou CD121b (IL-1R2)
Cellules endothéliales : activation (induit inflammation, coagulation) Hypothalamus : fièvre
Interleukine-1β (IL-1β)
Macrophages, cellules dendritiques, fibroblastes, cellules endothéliales, kératinocytes, hépatocytes
CD121a (IL-1R1) IL-1RAP ou CD121b (IL-1R2)
Cellules endothéliales : activation (induit inflammation, coagulation) Hypothalamus : fièvre Foie : synthèse des protéines de phase aiguë Lymphocytes T : différenciation des Th17
Antagoniste du récepteur de l'interleukine-1 (IL-1RA)
Macrophages
CD121a (IL-1R1) IL-1RAP
Diverses cellules : antagoniste compétitif de l'IL-1
Interleukine-18 (IL-18)
Monocytes, macrophages, CD218a (IL-18Rα) cellules dendritiques, cellules CD218b (IL-18Rβ) de Kupffer, kératinocytes, chondrocytes, fibroblastes synoviaux, ostéoblastes
Cellules NK et lymphocytes T : synthèse d'IFN-γ Monocytes : expression de GM-CSF, TNF, IL-1β Neutrophiles : activation, libération de cytokines
Interleukine-33 (IL-33)
Cellules endothéliales, cellules musculaires lisses, kératinocytes, fibroblastes
Lymphocytes T : développement des Th2ILC : activation des ILC de groupe 2
ST2 (IL-1RL1) Protéine accessoire du récepteur de l'IL-1 (IL-1RAP)
240
Annexes
Cytokine et sous-unités
Principale source cellulaire Récepteur et sous-unités⁎
Cibles cellulaires principales et effets biologiques
Lymphocytes T (surtout Treg), macrophages, autres types cellulaires
Lymphocytes T : inhibition de la prolifération et des fonctions effectrices ; différenciation des Th17 et des Treg Lymphocytes B : inhibition de la prolifération ; production d'IgA Macrophages : inhibition de l'activation ; stimulation de facteurs angiogéniques Fibroblastes : synthèse accrue de collagène
Autres cytokines TGF-β (transforming growth factor β)
TGF-β R1 TGF-β R2 TGF-β R3
La plupart des récepteurs de cytokines sont des dimères ou des trimères composés de chaînes polypeptidiques différentes, dont certaines sont partagées entre récepteurs de cytokines différentes. Les polypeptides qui composent un récepteur fonctionnel (liaison de la cytokine et signalisation) pour chaque cytokine sont énumérés, mais les fonctions de chaque sous-unité polypeptidique ne sont pas mentionnées. ⁎⁎ Tous les membres de la superfamille du TNF sont exprimés sous forme de protéines de surface cellulaire transmembranaires, mais le tableau ne reprend que ceux qui sont principalement actifs en tant que cytokines solubles libérées par protéolyse. Les autres membres de la superfamille, qui fonctionnent principalement sous forme ancrée à la membrane et ne sont pas, à proprement parler, des cytokines, ne sont pas repris dans le tableau. Ces protéines membranaires et les récepteurs TNFRSF qu'elles lient comprennent OX40L (CD252, TNFSF4) : OX40 (CD134, TNFRSF4) ; CD40L (CD154, TNFSF5) : CD40 (TNFRSF5) ; FasL (CD178, TNFSF6) : Fas (CD95, TNFRSF6) ; CD70 (TNFSF7) : CD27 (TNFRSF27) ; CD153 (TNFSF8) : CD30 (TNFRSF8) ; TRAIL (CD253, TNFSF10) : TRAIL-R (TNFRSF10A-D) ; RANKL (TNFSF11) : RANK (TNFRSF11) ; TWEAK (CD257, TNFSF12) : TWEAKR (CD266, TNFRSF12) ; LIGHT (CD258, TNFSF14) : HVEM (TNFRSF14) ; GITRL (TNFSF18) : GITR (CD357 TNFRSF18) ; et 4-IBBL : 4-IBB (CD137). Abréviations : APRIL : a proliferation-inducing ligand, ligand inducteur de prolifération ; BAFF : facteur d'activation des cellules B appartenant à la famille du TNF ; BCMA : B-cell maturation protein, protéine de maturation des cellules B ; CMH : complexe majeur d'histocompatibilité ; CSF : colony-stimulating factor, facteur de stimulation des colonies ; IFN : interféron ; IgE : immunoglobuline E ; ILC : innate lymphoid cell, cellule lymphoïde innée ; NK : natural killer, cellule tueuse naturelle ; NK-T : natural killer T cell, cellule T tueuse naturelle ; OSMR : récepteur M de l'oncostatine ; RANK : receptor activator for nuclear factor kB ligand, récepteur activateur du facteur nucléaire kB ; RANKL : ligand de RANK ; TACI : transmembrane activator and calcium modulator and cyclophilin ligand interactor ; Th : T auxiliaire ; Tfh : T folliculaire auxiliaire ; TNF : tumor necrosis factor, facteur de nécrose tumorale ; TNFSF : superfamille du TNF ; TNFRSF : superfamille du TNFR ; Treg : cellule T régulatrice. ⁎
Annexe III
Cas cliniques1 Cette annexe présente cinq cas cliniques illustrant différentes maladies impliquant le système immunitaire. Ces cas ne sont pas destinés à fournir un enseignement clinique, mais sont exposés pour montrer comment l'immunologie fondamentale contribue à notre compréhension des maladies humaines. Chaque cas illustre les symptômes typiques d'une maladie, décrit les tests qui sont utilisés pour le diagnostic et indique les modes de traitement fréquemment utilisés.
Cas clinique 1 – Lymphome E.B. est un ingénieur chimiste de 58 ans, qui a toujours été en bonne santé. Un matin, il a remarqué une masse au niveau de l'aine gauche pendant qu'il prenait sa douche. Elle n'était pas douloureuse au toucher et la peau recouvrant la grosseur avait un aspect normal. Après quelques semaines, il a commencé à s'inquiéter car elle était toujours là, et a finalement pris rendez-vous chez le médecin deux mois plus tard. À l'examen clinique, le médecin a noté un nodule souscutané ferme et mobile, d'environ 3 cm de diamètre dans la région inguinale gauche. Le médecin a demandé à E.B. s'il avait récemment présenté une infection quelconque au niveau du pied ou de la jambe gauche, ce qui n'était pas le cas. E.B. s'était plaint de ce qu'il se réveillait fréquemment durant la nuit trempé de sueur. Le médecin a également décelé des ganglions lymphatiques légèrement hypertrophiés dans la région droite du cou de E.B. L'examen clinique n'a pas montré d'autres anomalies. Le médecin a expliqué que le nodule inguinal était probablement un ganglion lymphatique hypertrophié en réaction à une infection. Toutefois, il a prélevé un peu de sang pour des tests et adressé E.B. à un chirurgien qui a ponctionné à l'aiguille fine le ganglion lymphatique. L'examen des frottis préparés à partir des cellules aspirées a révélé principalement de petits lymphocytes irréguliers ; la cytométrie de flux de ces cellules a montré que les cellules exprimant une chaîne légère λ d'immuno1
La description de ces cas cliniques a été rédigée avec l'aide de : Dr Richard Mitchell et Dr Jon Aster, Department of Pathology, Brigham and Women's Hospital, Boston ; Dr Robin Colgrove, Harvard Medical School, Boston ; Dr George Tsokos, Department of Medicine, Beth Israel-Deaconess Hospital, Boston ; Dr David Erle et Dr Laurence Cheng, Department of Medicine, University of California San Francisco ; Dr James Faix, Department of Pathology, Stanford University School of Medicine, Palo Alto.
Les bases de l'immunologie fondamentale et clinique © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
globuline étaient 10 fois plus nombreuses que les cellules exprimant une chaîne légère κ. En raison de la suspicion de lymphome à cellules B, le chirurgien a décidé d'enlever le ganglion entier. L'examen histologique a révélé que le ganglion était hypertrophié en raison de structures folliculaires composées surtout de lymphocytes de taille petite et intermédiaire avec des contours nucléaires irréguliers ou clivés mélangés à un plus petit nombre de grands lymphocytes pourvus de gros nucléoles (fig. cas clinique 1.1). L'analyse par cytométrie de flux de ces cellules a montré une population prédominante de cellules B exprimant des IgM, des chaînes légères λ, CD10 et CD20 ; l'immunohistochimie réalisée sur des lames a montré une forte coloration cytoplasmique pour BCL-2. Sur cette base, le diagnostic de lymphome folliculaire de bas grade histologique a été posé. 1. Pourquoi la présence d'une population de cellules B dans laquelle une grande majorité des cellules expriment la chaîne légère λ indique-t-elle qu'il s'agit d'une tumeur plutôt qu'une réponse à une infection ? 2. Si les cellules des ganglions lymphatiques étaient analysées par PCR (polymerase chain reaction) pour évaluer les réarrangements des chaînes lourdes d'Ig, à quel résultat anormal vous attendriez-vous ?
Fig. cas clinique 1.1. Biopsie de ganglion lymphatique atteint de lymphome folliculaire. Micrographie optique du ganglion lymphatique inguinal du patient. Les structures folliculaires sont anormales, composées d'un ensemble uniforme de cellules néoplasiques. En revanche, un ganglion lymphatique présentant une hyperplasie réactive (comme observé au cours d'une réponse immunitaire) présenterait des follicules avec formation de centres germinatifs, contenant un mélange hétérogène de cellules.
241
242
Annexes
3. Des cellules B normales du centre germinatif folliculaire n'expriment pas la protéine BCL-2. Pourquoi les cellules tumorales pourraient-elles exprimer BCL-2 ? Les tests sanguins d'E.B. ont indiqué qu'il était anémique (trop peu de globules rouges). Il a subi des tests de stadification pour évaluer l'étendue de son lymphome. Une tomographie par émission de positons combinée à une tomodensitométrie (TEP/TDM) a montré des adénopathies hilaires et médiastinales, une augmentation du volume de la rate (splénomégalie) et des lésions hépatiques. Une biopsie de moelle osseuse a montré là aussi la présence d'un lymphome. E.B. a été traité par des injections de rituximab, un anticorps monoclonal IgG chimérique (homme/souris), spécifique du CD20 humain. Les études d'imagerie réalisée six mois après le début du traitement ont montré une régression de la taille des lésions. E.B. se sentant assez bien a pu continuer à travailler. 4. Par quels mécanismes l'anticorps anti-CD20 a-t-il pu aider ce patient ? 5. Quels sont les avantages d'utiliser un anticorps chimérique, tel que le rituximab, plutôt qu'un anticorps de souris ?
Réponses 1. Au cours de la maturation des cellules B, les cellules expriment d'abord un gène de la chaîne lourde μ réarrangé, qui s'associe à la chaîne légère de substitution pour produire le récepteur des cellules pré-B (voir chapitre 4). Les cellules réarrangent alors un gène de la chaîne légère : d'abord κ, puis λ. Si la protéine κ est produite, le gène λ ne se réarrange pas ; un réarrangement λ ne se produit que si le réarrangement κ échoue ou si la molécule Ig assemblée est fortement autoréactive. Ainsi, n'importe quelle cellule B ne peut produire qu'une seule des deux chaînes légères. Chez l'homme, environ 50 à 60 % des lymphocytes B matures expriment κ et 40 à 50 % expriment λ. Dans une réponse polyclonale à une infection ou un autre stimulus, de nombreux lymphocytes B répondent et ce rapport est maintenu. Cependant, s'il y a une surreprésentation marquée d'une chaîne légère (dans ce cas, λ), cela indique qu'une cellule B productrice de λ a proliféré massivement. Il s'agit d'une caractéristique d'une tumeur à cellules B (lymphome), qui résulte d'une cellule B unique. 2. Chaque clone de cellules B a un réarrangement unique des segments des gènes V, (D) et J, formant le gène qui code les régions V des chaînes lourdes et légères. Les lymphomes à cellules B sont monoclonaux, étant composés de cellules qui contiennent toutes les mêmes réarrangements des gènes de chaînes lourdes et légères d'Ig. De telles tumeurs peuvent être fiablement distinguées par amplification PCR des segments géniques réarrangés des chaînes lourdes d'Ig (IgH). Cette méthode utilise des amorces « consensus » de PCR qui s'hybrident avec pratiquement tous les segments géniques des parties variables (V) des IgH et des segments géniques de jonction (J). Ces amorces sont utilisées en PCR pour amplifier essentiellement tous les réarrangements géniques des IgH dans un échantillon (par exemple, l'ADN préparé à partir d'un
ganglion lymphatique). La taille des produits amplifiés est ensuite analysée par électrophorèse capillaire, qui peut séparer les produits de PCR qui diffèrent par la taille, même si un seul nucléotide les distingue. Lorsque les segments V, D et J des gènes d'IgH (comme d'autres gènes des récepteurs d'antigène) sont joints au cours des réarrangements du récepteur d'antigène dans les cellules préB, les segments réarrangés sont de longueur différente en raison de l'action des enzymes qui éliminent (nucléases) des nucléotides et ajoutent des bases (une ADN polymérase spécialisée dénommée désoxyribonucléotide transférase terminale, ou TdT). Dans une population normale de cellules B, de nombreux produits de PCR de taille différente sont générés, et ceci se manifeste à l'électrophorèse par une large distribution des divers fragments. Dans le cas d'un lymphome à cellules B, l'ensemble de la population B a le même réarrangement VDJ : le produit de la PCR est d'une seule taille, donnant un pic unique. 3. De nombreux lymphomes ont des translocations chromosomiques ou des mutations caractéristiques sous-jacentes acquises qui dérégulent des oncogènes spécifiques. Plus de 90 % des lymphomes folliculaires comportent une translocation chromosomique acquise 14 ;18 qui fusionne la séquence codante de BCL-2, un gène sur le chromosome 18 codant une protéine qui inhibe la mort cellulaire programmée (apoptose), pour amplifier des éléments dans le locus des chaînes lourdes d'Ig localisé sur le chromosome 14. En conséquence, BCL-2 est surexprimé dans les cellules du lymphome folliculaire. Incidemment, dans la plupart des cas, le point d'arrêt chromosomique dans le gène IgH impliqué dans la translocation se trouve précisément là où normalement les protéines RAG coupent l'ADN des cellules B dont le gène d'Ig est réarrangé, ce qui suggère que la translocation résulte d'une erreur qui se produit pendant le réarrangement normal du gène du récepteur d'antigène. Cliniquement, la présence d'un gène de fusion BCL-2/IgH, la conséquence de la translocation t (14 ;18), peut être détectée par hybridation in situ au moyen de sondes fluorescentes de différentes couleurs et spécifiques des gènes des IgH et de BCL-2. Ces sondes sont hybridées à des sections préparées à partir de tissus envahis par le lymphome folliculaire ; la superposition spatiale des sondes dans les noyaux des cellules tumorales indique l'existence d'un gène de fusion IgH/BCL-2. Sur de l'ADN isolé de la tumeur, on peut aussi effectuer une PCR avec une paire d'amorces spécifiques respectivement d'IgH et de BCL2. Ces amorces ne donneront qu'un produit lorsque les gènes d'IgH et de BCL-2 sont joints l'un à l'autre, ce qui est une preuve indirecte d'une t(14 ;18). 4. CD20 est exprimé sur la plupart des lymphocytes B matures et l'est également de manière uniforme par l'ensemble des cellules tumorales dans les lymphomes folliculaires. Le rituximab (Rituxan®) injecté se liera donc aux cellules du lymphome et facilitera leur destruction, probablement par les mécanismes utilisés par les anticorps pour détruire les pathogènes. Ces mécanismes impliquent la liaison de la portion Fc du rituximab à diverses protéines : aux récepteurs de Fc des macrophages, qui éliminent les cellules lymphomateuses par
Annexe III. Cas cliniques phagocytose ; aux protéines du complément, dont l'activation aboutit à leur cytolyse (voir chapitre 8). De nombreuses cellules B normales seront également détruites par le rituximab ; cependant, les plasmocytes sécréteurs d'anticorps, qui n'expriment pas CD20, seront épargnés. Le déficit immunitaire causé par la perte des lymphocytes B normaux peut être corrigé par l'administration d'un pool d'IgG provenant de donneurs sains, une forme d'immunité passive. 5. Les anticorps monoclonaux dérivés de lymphocytes B non humains (par exemple de la souris) seront considérés comme étrangers par le système immunitaire humain. Lorsqu'ils sont injectés plusieurs fois au patient, celui-ci développe une réaction humorale, c'est-à-dire qu'il produit des anticorps spécifiques de l'anticorps monoclonal étranger. Ces anti-anticorps vont accélérer l'élimination de l'anticorps monoclonal de la circulation et donc contrecarrer ses effets thérapeutiques. En outre, les régions Fc des IgG humaines se lient mieux que les IgG de souris aux récepteurs de Fc et aux protéines du complément humains, ces deux systèmes assurant l'efficacité thérapeutique de l'anticorps monoclonal (voir question 3). Pour ces raisons, les anticorps monoclonaux développés plus récemment à des fins thérapeutiques ont été génétiquement modifiés pour contenir principalement ou toutes les séquences d'acides aminés d'Ig humaines. En général, les patients ne réagiront pas, ou moins, à ces médicaments, tout comme ils ne s'immunisent pas contre leurs propres anticorps. Le rituximab est un anticorps monoclonal chimérique ; les régions variables liant CD20 proviennent d'IgG de souris, tandis que le reste de la molécule, dont la région Fc, provient d'IgG humaine. La faible proportion de séquences de la souris dans le rituximab ne semble pas induire d'anticorps anti-anticorps monoclonal chez les patients, peut-être parce que les lymphocytes B potentiellement répondeurs ont été détruits par le médicament.
Cas clinique 2 – Transplantation cardiaque compliquée par un rejet de greffe C.M., un vendeur de logiciels, était âgé de 48 ans lorsqu'il a consulté son médecin généraliste pour fatigue et essoufflement. Il n'avait jamais consulté le médecin de manière régulière avant cette visite et se sentait parfaitement bien jusqu'à ce que, il y a environ un an, des activités comme monter un escalier et jouer au basket-ball avec ses enfants sont devenues de plus en plus pénibles. Au cours des six derniers mois, il avait éprouvé des difficultés respiratoires lorsqu'il était allongé. Il ne se rappelait pas avoir souffert de douleur thoracique et ne présentait aucun antécédent familial de pathologie cardiaque, mais il se souvenait que, dix-huit mois plus tôt, il avait dû arrêter de travailler pendant deux jours à cause d'un grave syndrome grippal. À l'examen clinique, son pouls était à 105 bpm, sa fréquence respiratoire à 32/min et sa tension artérielle à 100/60 mmHg ; sa température était normale. Son médecin a décelé des râles (témoignant d'une accumulation anor-
243
male de liquide) à la base des deux poumons. Les pieds et les chevilles étaient gonflés. Une radiographie thoracique a montré un œdème pulmonaire et des épanchements pleuraux, ainsi qu'une hypertrophie significative du ventricule gauche. Ces symptômes étaient ceux d'une insuffisance cardiaque congestive des ventricules gauche et droit ; le cœur est incapable de pomper des volumes sanguins normaux, ce qui entraîne une accumulation de liquide dans divers tissus. C.M. a été admis dans le service de cardiologie d'un hôpital universitaire. Des tests complémentaires, notamment une angiographie coronaire et une échocardiographie, ont permis de poser le diagnostic de cardiomyopathie dilatée (une forme progressive et fatale d'insuffisance cardiaque dans laquelle les cavités cardiaques se dilatent et ne peuvent plus pomper le sang de manière efficace). Ses médecins lui ont dit qu'il pouvait bénéficier d'un traitement médical agressif comprenant des médicaments qui amplifient la contraction du muscle cardiaque, soulagent le travail cardiaque et augmentent l'excrétion du liquide accumulé, mais si sa maladie cardiaque sous-jacente continuait à progresser, la meilleure option pour le long terme serait une transplantation cardiaque. Malheureusement, malgré un traitement médical optimal, ses symptômes d'insuffisance cardiaque congestive ont continué à se dégrader obligeant le patient à renoncer à ses activités de routine quotidienne. Il a été inscrit sur la liste d'attente en vue d'une transplantation cardiaque. Un test PRA (panel-reactive antibody, anticorps réactifs vis-à-vis du panel) a été pratiqué sur le sérum de C.M. afin de déterminer s'il avait été précédemment sensibilisé à des alloantigènes. Ce test (effectué chaque mois) a montré que le patient n'avait pas d'anticorps contre des antigènes HLA ; et à ce moment, aucun autre test immunologique n'a été effectué. Deux semaines plus tard dans une ville voisine, le cœur d'une personne morte à la suite d'un accident de chantier a été prélevé. Le donneur présentait le même type de groupe sanguin ABO que C.M. La transplantation, effectuée quatre heures après le prélèvement du cœur du donneur, s'est déroulée sans incident et le greffon allogénique a correctement fonctionné après l'opération. 1. Quelles complications pourraient survenir si le patient et le donneur étaient de groupes sanguins différents, ou si le patient avait des taux élevés d'anticorps anti-HLA ? C.M. a été placé, le lendemain de la transplantation, sous traitement immunosuppresseur composé de doses quotidiennes de tacrolimus, de mycophénolate mofétil et de prednisone. Des biopsies endomyocardiques ont été effectuées une semaine après la chirurgie et n'ont montré ni lésion myocardique ni cellules inflammatoires. C.M. est rentré chez lui dix jours après l'intervention et, dans le mois qui a suivi, il a pu effectuer des exercices légers. Les biopsies endomyocardiques programmées en routine et effectuées au cours des trois premiers mois suivant la transplantation étaient normales, mais une biopsie effectuée quatorze semaines après l'intervention a mis en évidence de nombreux lymphocytes dans le myocarde et quelques fibres musculaires nécrotiques (fig. cas clinique 2.1), ce qui a été interprété comme un signe de rejet aigu de l'allogreffe. 2. À quoi le système immunitaire du patient répondait-il ? Quels ont été les mécanismes effecteurs de cet épisode de rejet aigu ?
244
Annexes
Fig. cas clinique 2.1. Biopsie d'endomyocarde montrant un rejet cellulaire aigu. Le muscle cardiaque est infiltré par des lymphocytes et des fibres musculaires sont nécrotiques. Source : avec l'autorisation du Dr Richard Mitchell, Department of Pathology, Brigham and Women's Hospital, Boston.
Le taux de créatinine sérique de C.M., un indicateur de la fonction rénale, était élevé (2,2 mg/dl ; normale : 1,5 mg/dl). Par conséquent, les médecins n'ont pas augmenté la dose de tacrolimus, car ce médicament peut être toxique pour les reins. Le patient a reçu trois doses supplémentaires de méthylprednisolone (un stéroïde) pendant 18 heures et une nouvelle biopsie endomyocardique effectuée une semaine plus tard n'a montré que quelques macrophages éparpillés et un petit foyer de tissu cicatriciel. C.M. est rentré chez lui et se sentant bien, il a repris une vie relativement normale, tout en conservant son traitement quotidien à base de tacrolimus, de mycophénolate mofétil et de prednisone. 3. Quel était l'objectif du traitement immunosuppresseur ? Des angiographies coronaires effectuées annuellement après la transplantation ont montré un rétrécissement progressif et diffus de la lumière des artères coronaires. Au cours de la sixième année suivant la transplantation, C.M. a commencé à s'essouffler à l'occasion d'exercices modérés et un examen radiographique a révélé une dilatation ventriculaire gauche. Une échographie intravasculaire a mis en évidence un épaississement diffus significatif de la paroi des artères coronaires avec rétrécissement de la lumière (fig. cas clinique 2.2). Une biopsie endomyocardique a montré un infarctus subendocardique microscopique, ainsi que des signes d'ischémie sublétale (vacuolisation des myocytes). C.M. et ses médecins ont alors envisagé la possibilité d'une seconde transplantation cardiaque. 4. Quel processus a conduit à un échec de la greffe après six années ?
Réponses 1. Si le patient et le donneur étaient de groupes sanguins différents, ou si le receveur avait d'abondants anti-HLA, un rejet hyperaigu aurait pu survenir après la transplantation (voir chapitre 10). Les individus de groupes sanguins A, B ou O ont des anticorps IgM circulants préformés contre les antigènes qu'ils ne possèdent pas (respectivement B, A ou les deux). Les personnes ayant reçu
Fig. cas clinique 2.2. Artère coronaire atteinte d'artériosclérose due à la transplantation. Cette coupe histologique montre une artère coronaire d'un greffon cardiaque allogénique, qui a été retiré d'un patient cinq ans après la transplantation en raison d'un rejet de greffe. La lumière du vaisseau est fortement rétrécie par la présence des cellules musculaires lisses de l'intima. Source : avec l'autorisation du Dr Richard Mitchell, département d'anatomopathologie, Brigham and Women's Hospital, Boston.
des transfusions sanguines, une transplantation ou ayant été enceintes au moins une fois peuvent avoir produit des anticorps anti-HLA circulants. Les antigènes de groupes sanguins et des HLA sont présents sur les cellules endothéliales. Des anticorps préformés, déjà présents chez le receveur lors de la transplantation, peuvent se lier aux antigènes sur les cellules endothéliales du greffon, provoquant l'activation du complément, le recrutement des leucocytes et une thrombose. Il en résulte une altération de l'apport sanguin pour le greffon qui risque alors une nécrose ischémique rapide. On effectue en général le test PRA afin de déterminer si un patient devant recevoir une greffe a des anticorps préexistants spécifiques d'une grande variété d'antigènes HLA. On mélange le sérum du patient avec une collection de petites particules couvertes des HLA ; la fixation des anticorps est détectée par cytométrie de flux, après addition d'anticorps antiIg humaine marqués par un fluorochrome. Les résultats sont exprimés en pourcentage (de 0 à 100 %) des diverses particules couvertes d'HLA qui ont lié des anticorps du sérum du patient. Plus le PRA est élevé, plus grand est le risque que des anticorps du receveur réagissent contre le greffon et déclenchent un rejet suraigu. Le test est généralement effectué sur une base mensuelle, le patient étant en attente d'un cœur. En effet, de nombreux événements peuvent induire de nouveaux anticorps anti-HLA, y compris une transfusion sanguine, ou de nouvelles expositions à des microbes ou à des médicaments, qui peuvent potentiellement provoquer des anticorps qui, par hasard, interagissent avec un HLA du donneur. 2. En cas de rejet aigu, le système immunitaire du patient répond aux alloantigènes du greffon. Les antigènes principaux comprennent des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH) du donneur codées par des allèles que ne possède pas le receveur ; des réactions plus faibles peuvent aussi survenir contre des variantes alléliques non partagées d'autres protéines (antigènes mineurs d'histocompatibilité). Ces
Cas cliniques alloantigènes peuvent être exprimés sur les cellules endothéliales, les leucocytes et les cellules cardiaques du donneur. Les mécanismes effecteurs de l'épisode de rejet aigu comprennent des réponses immunitaires de type cellulaire et humoral. Les lymphocytes T CD4+ du receveur sécrètent des cytokines qui favorisent l'activation des macrophages et l'inflammation, entraînent des lésions et un dysfonctionnement des cellules myocardiques et endothéliales. Les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ détruisent directement les cellules du greffon. Les anticorps du receveur, synthétisés en réponse aux antigènes du greffon, peuvent se lier aux cellules du greffon (particulièrement endothéliales), entraînant l'activation du complément et le recrutement de leucocytes. 3. L'objectif du traitement immunosuppresseur est de réduire la réponse immunitaire du receveur contre les alloantigènes présents dans le greffon et, ainsi, de prévenir le rejet. Les médicaments agissent en éliminant les cellules T (globulines anti-thymocytes) et en bloquant l'activation des lymphocytes T (tacrolimus, ciclosporine et rapamycine), la prolifération des lymphocytes (mycophénolate mofétil) et/ou la production de cytokines inflammatoires (prednisone). On cherche à préserver une partie des fonctions immunitaires anti-infectieuses. 4. La greffe a échoué à la suite d'un rejet chronique lié à l'épaississement des parois des artères du greffon et le rétrécissement de leur lumière (voir chapitre 10). Cette artériosclérose du greffon s'étend à toute la vascularisation et cause des lésions ischémiques, qui constituent la cause la plus fréquente d'échec chronique de greffe. Elle peut être provoquée par une réaction inflammatoire chronique des lymphocytes T contre les alloantigènes des parois vasculaires. L'inflammation est entretenue par des macrophages infiltrant le greffon de manière chronique ; elle entraîne ensuite par des cytokines la migration dans l'intima de cellules musculaires lisses et leur prolifération ainsi qu'une synthèse accrue de matrice extracellulaire.
Cas clinique 3 – Asthme allergique I.E., une fillette de 10 ans, a été présentée à son pédiatre en novembre à cause d'une toux devenue fréquente au cours des deux derniers jours, une respiration sifflante et une sensation d'oppression thoracique. Ces symptômes s'aggravaient particulièrement durant la nuit. Outre des contrôles de routine, elle avait consulté par le passé son médecin pour des infections occasionnelles des oreilles et du tractus respiratoire supérieur, mais elle n'avait jamais eu de respiration sifflante ou d'oppression thoracique. À l'exception d'un eczéma, son état de santé était satisfaisant et son développement normal. Ses vaccinations étaient à jour. Elle vivait chez elle avec sa mère, son père et ses deux sœurs, âgées de 12 et 4 ans, et un chat. Ses deux parents étaient fumeurs, son père avait souffert de rhume des foins. À l'examen clinique, la température était de 37 °C, la pression artérielle à 105/65 mmHg, la fréquence respiratoire à 40/min. I.E. ne semblait pas essoufflée, mais elle avait de faibles rétractions sous-costales. Elle ne présentait pas de signe d'otite ni de pharyngite. À l'auscultation, la respiration était sifflante dans les deux poumons, sans signe
245
d'insuffisance cardiaque congestive (râles). Aucun signe de pneumonie n'a été décelé. Le médecin a établi un diagnostic présomptif de bronchospasme. Il a adressé I.E. à un pédiatre allergologue. Entre-temps, un bronchodilatateur à inhaler, un β2-mimétique (adrénergique) à action rapide et de courte durée a été prescrit, et l'on a conseillé à l'enfant d'y recourir toutes les 4 heures. Ce médicament se lie aux récepteurs β2-adrénergiques situés sur les cellules musculaires lisses bronchiques et entraîne leur relâchement, ce qui dilate les bronchioles. On a également prescrit à la famille un espaceur, un dispositif permettant d'optimiser l'administration du médicament, et on l'a familiarisée avec l'usage de l'inhalateur muni de l'espaceur. 1. L'asthme est habituellement une maladie atopique, particulièrement chez des patients âgés de plus de 6 à 8 ans. Comment l'atopie peut-elle se manifester cliniquement ? Une semaine plus tard, I.E. a été reçue par l'allergologue. Il a ausculté ses poumons et a confirmé la présence d'une respiration sifflante. Il a été demandé à I.E. de souffler dans un spiromètre, qui a révélé un débit expiratoire maximal limité à 65 % de la quantité totale d'air exhalé ou capacité vitale forcée (CVF), indiquant une obstruction des voies respiratoires. Après administration d'un bronchodilatateur par aérosol et répétition du test 10 minutes plus tard, le débit expiratoire maximal atteignait 85 % de la CVF, ce qui indiquait une réversibilité de l'obstruction des voies respiratoires. Un échantillon sanguin a été prélevé et expédié au laboratoire pour numération et formule sanguine ainsi que pour dosage de l'IgE. Le médecin a ensuite effectué des tests cutanés afin de détecter une éventuelle hypersensibilité à divers antigènes. Le test s'est révélé positif pour les poils de chat et pour la poussière domestique (fig. cas clinique 3.1). Il a été conseillé à la jeune patiente d'inhaler des corticoïdes et de ne recourir à son bronchodilatateur que si les troubles respiratoires le nécessitaient. I.E. a été invitée à revenir deux semaines plus tard pour un contrôle et pour connaître les résultats des analyses sanguines. 2. Quelle est la base immunologique d'un test cutané « positif » ? Érythème
OEdème
Fig. cas clinique 3.1. Test cutané positif pour des antigènes environnementaux. En piquant la peau au moyen d'une courte aiguille, on introduit une petite quantité d'antigène dans les couches cutanées superficielles. Si les mastocytes locaux sont porteurs d'anticorps immunoglobuline E spécifiques de l'antigène testé, ceux-ci, ainsi que les récepteurs de Fc auxquels ils sont liés, sont interconnectés par l'antigène. Le processus déclenche la dégranulation des mastocytes et la libération de médiateurs qui provoquent une réaction œdémateuse et érythémateuse.
246
Annexes
Les analyses biologiques ont donné les résultats suivants : taux sérique d'IgE, 1 200 UI/ml (intervalle normal : 0–180), le nombre de leucocytes étant de 700/mm3 (normal 4 300–10 800/mm3) avec un nombre d'éosinophiles de 700/mm3 (normal < 500). Une semaine plus tard, à un nouveau contrôle chez l'allergologue, son état physique s'était significativement amélioré, et la respiration sifflante avait disparu. Le débit expiratoire maximal atteignait cette fois 75 % de la valeur prédite. La famille a été informée qu'I.E. souffrait d'une obstruction des voies respiratoires pouvant avoir été déclenchée par une maladie virale et peut-être liée à des allergies aux phanères de chat et à la poussière. Le médecin était d'avis qu'idéalement il faudrait trouver un nouvel habitat pour le chat, mais qu'il fallait au moins l'exclure de la chambre d'I.E. Il a averti la mère que le tabagisme dans la maison contribuait probablement aux symptômes d'I.E. Il a également recommandé de continuer à recourir à l'inhalateur à action brève en cas d'épisodes aigus de respiration sifflante ou d'essoufflement. I.E. a été invitée à revenir en consultation trois mois plus tard ou plus tôt si elle devait utiliser l'inhalateur plus de deux fois par mois, surtout pour des symptômes nocturnes. 3. Quel est le mécanisme responsable de l'augmentation des taux d'IgE chez les patients qui souffrent de symptômes allergiques ? Le chat de la famille a été donné à un voisin et, sous traitement, l'état d'I.E. a été satisfaisant pendant environ six mois, avec quelques épisodes légers de respiration sifflante. Le printemps suivant, elle a commencé à présenter des épisodes plus fréquents de toux et de respiration sifflante. Au cours d'une partie de football un samedi, elle a souffert d'importantes difficultés respiratoires et ses parents l'ont amenée au service des urgences de l'hôpital local. Après avoir confirmé une forte constriction des voies respiratoires supérieures, se manifestant par le recours aux muscles respiratoires accessoires, le médecin des urgences l'a traitée à l'aide d'un bronchodilatateur β2mimétique nébulisé (par aérosol) et d'un corticoïde par voie orale. Six heures plus tard, ses symptômes ayant disparu, elle a pu rentrer chez elle. La semaine suivante, I.E. a été conduite chez l'allergologue qui a augmenté la dose d'entretien du corticoïde à inhaler. Par la suite, son état a été satisfaisant, avec des crises modérées et occasionnelles qui ont été traitées par le bronchodilatateur nébulisé. 4. Comment traiter un asthme allergique ?
Réponses 1. Les réactions atopiques à des antigènes inoffensifs de l'environnement (allergènes) sont déclenchées par les IgE liées aux mastocytes et peuvent se traduire par des manifestations variées (voir chapitre 11). Les symptômes reflètent généralement le site d'entrée de l'allergène. Le rhume des foins (rhinite allergique) et l'asthme surviennent généralement en réponse à des allergènes inhalés (pneumallergènes), tandis que l'urticaire et l'eczéma se déclenchent plus fréquemment à la suite d'une exposition cutanée ou digestive. Les allergies alimentaires peuvent aussi provoquer des symptômes gastro-intestinaux ou
respiratoires. L'anaphylaxie est la manifestation clinique la plus dramatique des allergies aux venins d'insectes, à des aliments ou à des médicaments. Au cours de cette réaction allergique, on observe une vasodilatation systémique, une augmentation de la perméabilité vasculaire et une obstruction respiratoire (œdème laryngé ou bronchoconstriction). Sans intervention, l'état des patients souffrant d'anaphylaxie peut aboutir à l'asphyxie et au collapsus cardiovasculaire. 2. Si une personne allergique reçoit une petite dose de l'allergène injecté dans la peau, il y a libération immédiate d'histamine des mastocytes activés, ce qui provoque une papule œdémateuse (fuite de plasma) entourée d'un érythème dû à une congestion vasculaire (vasodilatation). L'allergène injecté se lie aux anticorps IgE produits précédemment, qui couvrent les mastocytes en se fixant aux récepteurs de Fcε. Le test d'allergie cutanée ne doit pas être confondu avec le test cutané utilisé pour évaluer une sensibilisation antérieure à certains agents infectieux, comme Mycobacterium tuberculosis. Un test positif à la tuberculine est un exemple de réaction d'hypersensibilité retardée, provoquée par des lymphocytes T auxiliaires stimulés par l'antigène, qui libèrent des cytokines comme l'interféron-γ, entraînant l'activation des macrophages et de l'inflammation (voir chapitre 6). Les dosages d'anticorps IgE spécifiques d'un allergène sont effectués également en routine et fournissent des informations complémentaires aux tests cutanés allergiques habituels. 3. Pour des raisons inconnues, chez les patients atopiques, les réponses des lymphocytes T auxiliaires contre différents antigènes protéiques inoffensifs sont de type Th2, caractérisées par la production d'IL-4, d'IL-5 et d'IL-13, des cellules Tfh produisant de l'IL-4. Celle-ci induit la synthèse d'IgE par les lymphocytes B, et l'IL-5 active les éosinophiles, alors que l'IL-13 stimule la production de mucus (voir chapitre 11). Puisque l'atopie est familiale, une sensibilité génétique est clairement en cause. L'attention s'est concentrée particulièrement sur des gènes situés sur le bras long du chromosome 5 (5q) qui codent plusieurs cytokines Th2 ; sur le 11q, où se situe le gène de la chaîne α du récepteur de l'IgE ; sur des gènes des chromosomes 2 et 9, qui codent respectivement le récepteur de l'IL-33 (ST2) et l'IL-33. Cette cytokine sécrétée par les cellules épithéliales active, pense-t-on, des cellules lymphoïdes innées de groupe 2 (ILC2), qui peuvent jouer un rôle dans l'induction de puissantes réponses Th2. 4. L'une des stratégies thérapeutiques principales des allergies repose sur la prévention en évitant les allergènes en cause, identifiés par des tests cutanés ou les dosages des anticorps IgE spécifiques. Bien que, dans le passé, les traitements aient principalement ciblé les symptômes de bronchoconstriction en augmentant les concentrations d'adénosine monophosphate cyclique (AMPc) intracellulaire (à l'aide d'agents β2-mimétiques et d'inhibiteurs de la dégradation de l'AMPc), au cours des récentes années les agents anti-inflammatoires sont privilégiés. Ceux-ci comprennent les corticoïdes (qui bloquent la libération de cytokines) et les antagonistes des récepteurs de médiateurs lipidiques (par exemple, les
Annexe III. Cas cliniques leucotriènes). De nouveaux traitements qui ont été mis au point pour le traitement de l'asthme et d'autres allergies comprennent des anticorps monoclonaux visant l'IgE, l'IL-5 ou les récepteurs des IL-4/IL-13. Le traitement le plus efficace de l'anaphylaxie est l'administration d'adrénaline par injection intramusculaire. L'adrénaline provoque une constriction des vaisseaux sanguins, une dilatation des bronchioles et une augmentation du débit cardiaque, inversant ainsi la chute de la tension artérielle et l'obstruction des voies respiratoires.
Cas clinique 4 – Lupus érythémateux systémique N.Z. est une femme âgée de 25 ans, qui a consulté son médecin généraliste deux ans auparavant, pour des douleurs articulaires aux poignets, aux doigts et aux chevilles. La température, la fréquence cardiaque, la pression artérielle et la fréquence respiratoire étaient normales. On remarquait sur les joues des taches rouges, plus marquées autour du nez et qui s'aggravaient après exposition d'une à deux heures au soleil. Les articulations des doigts et des poignets étaient gonflées et douloureuses à la palpation. Le reste de l'examen clinique était normal. Son médecin a prélevé un échantillon de sang pour différentes analyses biologiques. L'hématocrite était de 35 % (normale 37 à 48 %). Le nombre de globules blancs était de 9 800/mm3 (valeur normale) avec une formule sanguine normale. La vitesse de sédimentation érythrocytaire était de 40 mm/h (normale entre 1 et 20). Des anticorps antinucléaires étaient détectables à une dilution de 1 : 2 560 (test normalement, négatif à une dilution de 1 : 40). Les autres analyses ne révélaient pas d'anomalies. Sur la base de ces résultats, un diagnostic de lupus érythémateux systémique a été posé. N.Z. a été traitée par voie orale par de la prednisone, un corticoïde, et ses douleurs articulaires ont disparu. 1. Quelle est la signification d'un résultat positif au test des anticorps antinucléaires ? Trois mois plus tard, N.Z. a commencé à se sentir anormalement fatiguée et a pensé qu'elle avait attrapé la
A
B
247
grippe. Pendant environ une semaine, elle a constaté que ses chevilles étaient gonflées au point qu'elle se chaussait avec difficulté. Elle est retournée consulter son médecin généraliste. L'œdème (gonflement dû à une quantité excessive de liquide dans les tissus) des chevilles et des pieds était important. Son abdomen était légèrement distendu et la percussion révélait une légère modification de la matité (signe d'une quantité anormalement élevée de liquide dans la cavité péritonéale). Son médecin a prescrit plusieurs analyses biologiques. Le test des anticorps antinucléaires était toujours positif, avec un titre de 1 : 256, et sa vitesse de sédimentation était de 120 mm/h. La concentration d'albumine sérique était de 0,8 g/dl (normale 3,5–5,0). Le dosage des protéines du complément dans le sérum a donné les résultats suivants : C3, 42 mg/dl (normale 80–180) ; C4, 5 mg/dl (normale 15–45). L'analyse d'urine a montré une protéinurie 4 +, la présence de globules rouges et de globules blancs, et de nombreux cylindres hyalins et granuleux. Un échantillon d'urine de 24 heures contenait 4 g de protéines. 2. Quelle est la raison probable de la diminution des concentrations en protéines du complément et des anomalies des protéines sanguines et urinaires ? Les anomalies de l'analyse d'urine ont incité le médecin à recommander une biopsie rénale. Celle-ci a été pratiquée une semaine plus tard. La biopsie a été examinée par des méthodes histologiques de routine, en immunofluorescence et au microscope électronique (fig. cas clinique 4.1). 3. Quelle est l'explication de la pathologie observée dans le rein ? Le médecin a établi un diagnostic de glomérulonéphrite lupique proliférative ; il a augmenté la dose de prednisone et a recommandé un traitement par un agent cytotoxique (mycophénolate). La protéinurie et l'œdème ont disparu en deux semaines et le taux sérique de C3 est redevenu normal. La dose de corticoïde a été progressivement réduite et maintenue à une posologie faible. Au cours des quelques années suivantes, N.Z. a souffert de poussées intermittentes avec des douleurs articulaires, des
C Dépôts granulaires d'immunoglobuline et de complément dans la membrane basale.
Fig. cas clinique 4.1. Glomérulonéphrite avec dépôt de complexes immuns dans un cas de lupus érythémateux systémique. A. Micrographie optique d'une biopsie rénale montrant un infiltrat de neutrophiles dans un glomérule. B. Micrographie en immunofluorescence révélant des dépôts granulaires d'IgG le long de la membrane basale. Pour la technique de microscopie en fluorescence, une coupe congelée du rein est incubée avec un anticorps conjugué à la fluorescéine et dirigé contre les IgG, dont les dépôts sont localisés par la présence de la fluorescence. C. Dépôts de complexes immuns visibles en micrographie électronique du même tissu. Source: avec l'autorisation du Dr Helmut Rennke, Department of Pathology, Brigham and Women's Hospital, Boston.
248
Annexes
gonflements tissulaires, une diminution de la concentration sérique de C3 et une protéinurie. Ces manifestations pathologiques ont été traitées efficacement par des corticoïdes et la patiente a pu mener une vie active.
Réponses 1. Un test positif pour les anticorps antinucléaires révèle la présence d'anticorps sériques qui se lient aux composants des noyaux cellulaires. On effectue ce test en incubant une monocouche de cellules humaines sur une lame de verre avec différentes dilutions du sérum du patient. Un anticorps anti-immunoglobuline marqué par un fluorochrome est ajouté, puis on examine les cellules au microscope à fluorescence afin de détecter si des anticorps sériques sont liés aux noyaux. Le titre d'anticorps antinucléaires est la dilution maximale de sérum qui produit encore un marquage nucléaire détectable. Presque tous les patients souffrant de LED produisent souvent des anticorps antinucléaires spécifiques d'histones ou d'autres protéines nucléaires ou de l'ADN double brin. La détection de ces autoanticorps permet le diagnostic de la maladie auto-immune. Les anticorps antinucléaires ne sont pas spécifiques du LED, et ce test est progressivement remplacé ou complété par un test plus spécifique à savoir la détection d'anticorps contre l'ADN double brin, qui est considérée comme preuve diagnostique de LED. Les autoanticorps peuvent aussi être dirigés contre diverses protéines membranaires. Le développement d'autoanticorps précède généralement l'apparition clinique du LED de 9 à 10 ans. Les titres d'autoanticorps ne reflètent pas l'activité la maladie et ils ne devraient pas être utilisés pour ajuster le traitement. 2. Certains des autoanticorps forment des complexes immuns circulants en se liant à des antigènes dans le sang. La présence accrue d'antigènes nucléaires circulants chez les patients atteints de lupus érythémateux systémique s'explique par la mort apoptotique d'un plus grand nombre de cellules de divers types, par exemple, des globules blancs et des kératinocytes ainsi que par une élimination défectueuse des cellules apoptotiques. Lorsque ces complexes immuns se déposent sur les lames basales des parois vasculaires, ils peuvent activer la voie classique du complément, ce qui entraîne de l'inflammation et une déplétion des protéines du complément en raison de leur consommation. L'inflammation provoquée par les complexes immuns dans le rein provoque une fuite des protéines et de globules rouges dans l'urine. Cette perte protéique s'accompagne d'une réduction de la concentration d'albumine plasmatique, une diminution de la pression osmotique du plasma et une perte de liquide dans les tissus ; ce qui explique l'œdème des pieds et la distension abdominale. 3. La pathologie rénale est la conséquence du dépôt des complexes immuns circulants dans la membrane basale des glomérules rénaux. De plus, des autoanticorps peuvent se lier directement à des antigènes tissulaires et former des complexes immuns in situ. Ces dépôts peuvent être observés en microscopie de fluorescence (ce qui permet l'identification des types d'anticorps) et en
microscopie électronique (ce qui précise la localisation tissulaire). Les complexes immuns activent le complément, et les leucocytes sont recrutés par des fragments de protéines du complément (C3a, C5a), et par l'interaction de leurs récepteurs de Fc avec les anticorps IgG des complexes immuns. Les leucocytes activés produisent des dérivés réactifs de l'oxygène et des enzymes lysosomiales qui endommagent la membrane basale des glomérules. Cette pathologie rénale est caractéristique des lésions tissulaires provoquées par les complexes immuns, qui peuvent aussi se déposer dans les articulations et dans les petits vaisseaux sanguins de n'importe quel site de l'organisme, comme dans le rein. Le lupus érythémateux systémique est un exemple typique de maladie à complexes immuns (voir chapitre 11).
Cas clinique 5 – Infection par le VIH et syndrome d'immunodéficience acquise À sa première consultation hospitalière, J.C., un apprenti charpentier âgé de 28 ans, se plaignait depuis 3 semaines d'une fièvre modérée et de maux de gorge. L'examen physique a révélé des adénopathies et des traces d'injections. Interrogé, le patient a déclaré que 2 mois plus tôt, il avait commencé à consommer de l'héroïne avec des aiguilles partagées car il ne pouvait plus faire face au coût croissant des doses d'oxycodone achetée dans la rue. L'examen physique a encore révélé un muguet ou candidose oropharyngée (infection fongique) et une légère éruption cutanée sur tout le corps. Les résultats des tests rapides de détection d'une infection par le virus Epstein-Barr (MNI-test) et d'une infection streptococcique oropharyngée (test rapide sur prélèvement rhinopharyngé) étaient négatifs, comme l'étaient les hémocultures pour recherche de bactéries et de champignons. J.C. est reparti avec le diagnostic présumé de syndrome viral et une prescription de nystatine, un antifongique à usage local, pour traiter le muguet. 1. À quelle maladie font penser 3 semaines de fièvre modérée et des adénopathies ? La semaine suivante J.C. a été reçu à la clinique des maladies infectieuses, où des dosages immunoenzymatiques (ELISA) effectués sur le sang se sont avérés négatifs pour les anticorps anti-VIH (virus de l'immunodéficience humaine), mais positifs pour la protéine p24 de la nucléocapside du VIH. La concentration sanguine du génome viral (charge virale) était de 700 000/ml, et le nombre de cellules T CD4+ circulantes était de 300/mm3 (fig. cas clinique 5.1). Les tests ELISA pour la détection de l'antigène de surface du virus de l'hépatite B (VHB) ou des anticorps contre cet antigène étaient négatifs. Le typage génétique du VIH a montré que la lysine était remplacée par l'asparagine à hauteur du codon 103 (mutation K103N) du gène de la transcriptase inverse du VIH. La thérapie antirétrovirale (TAR) a été recommandée, mais le patient a été perdu de vue. 2. Quel était le principal facteur de risque d'infection à VIH de ce patient ? Quels sont les autres facteurs de risque d'infection à VIH ?
Annexe III. Cas cliniques Individu normal
Patient infecté par le VIH
CD4-APC
B
CD4-APC
A
249
CD8-PE
CD8-PE
+ 1 395 lymphocytes T CD4 /mm3
66 lymphocytes T CD4+ /mm3
Fig. cas clinique 5.1. Analyse par cytométrie en flux des lymphocytes T CD4+ et CD8+ dans le sang d'un patient infecté par le VIH. Une suspension de globules blancs du patient a été incubée avec des anticorps monoclonaux spécifiques de CD4 et CD8. L'anticorps anti-CD4 a été marqué par un fluorochrome, l'allophycocyanine (APC), et l'anticorps anti-CD8 par la phycoérythrine (PE). Ces deux fluorochromes émettent une lumière de couleur différente lorsqu'ils sont excités par les longueurs d'onde appropriées. Les suspensions cellulaires ont été analysées avec un cytomètre de flux, qui a pu dénombrer les cellules marquées par chacun des deux anticorps. De cette manière, le nombre des lymphocytes T CD4+ et CD8+ peut être déterminé. Les graphes correspondent à un double marquage d'un échantillon sanguin témoin (A) et de celui d'un patient (B). Les lymphocytes T CD4+ sont représentés en orange (quadrant supérieur gauche) tandis que les lymphocytes T CD8+ sont représentés en vert (quadrant inférieur droit). Notez que ces couleurs ne sont pas celles de la lumière émise par les fluorochromes APC et PE.
3. Pourquoi les tests VIH recherchent-ils à la fois la présence d'anticorps anti-VIH et celle de la protéine p24 ? Six mois plus tard, J.C. a été admis dans un autre hôpital pour un abcès à un site d'injection. Après incision et drainage, il a quitté l'hôpital contre l'avis médical. Le nombre de cellules T CD4+ à cette époque était de 200, et la charge virale était de 15 000. Il a de nouveau refusé une thérapie antirétrovirale. Six ans plus tard, J.C. a été hospitalisé après une semaine de fièvre et d'essoufflement. Une radiographie a montré des infiltrats peu denses mais diffus, la saturation en oxygène étant de 90 %. L'examen microscopique initial des expectorations colorées pour la détection de champignons (coloration à l'argent) n'a rien révélé. Un traitement à base d'antibiotiques et de prednisone a été lancé. Un test PCR sur les expectorations s'est avéré positif pour Pneumocystis jirovecii. Au début, l'état de J.C. a empiré, mais finalement J.C. s'est complètement rétabli. Une nouvelle numération des cellules T CD4+ donnait un chiffre de 150, alors que la charge virale était de 50 000/ml. À ce stade, J.C. a finalement accepté une thérapie antirétrovirale, qui a consisté en elvitégravir/ cobicistat (un inhibiteur de l'intégrase du VIH associé à un médicament amplificateur de l'activité du précédent), plus deux analogues nucléosidiques et nucléotidiques inhibiteurs de la transcriptase inverse du VIH (INTI), le ténofovir/emtricitabine. Les antibiotiques triméthoprime/sulfamides ont été maintenus. On a conseillé à J.C. d'arrêter de fumer. 4. Pourquoi la thérapie antirétrovirale pour le VIH comprend-elle généralement trois médicaments antiviraux différents ? 5. Quelle est la cause de la diminution progressive du nombre des lymphocytes T CD4+ chez J.C. ? 6. Pourquoi des antibiotiques et de la prednisone ont-ils été administrés au patient avant que le diagnostic de l'infection à P. jirovecii ait été établi par PCR ? Un an plus tard, son taux de CD4 était de 890 et sa charge
virale était indétectable, mais il a développé une infection à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM) de sa valve mitrale (endocardite staphylococcique), nécessitant le remplacement chirurgical d'une valve bioprothétique. Le cathétérisme cardiaque préopératoire a révélé une maladie coronarienne sérieuse. Après l'opération, J.C. a été capable d'arrêter les injections d'héroïne et de les remplacer par la prise de méthadone. La thérapie antirétrovirale a été poursuivie, alors que l'association triméthoprime-sulfamides était arrêtée. Depuis, J.C. est resté en bonne santé. Son (sa) partenaire de longue date est resté(e) séronégatif(ve). 7. À ce stade, quels sont les principaux risques vitaux encourus par J.C. ?
Réponses 1. Ce tableau clinique est appelé syndrome aigu de l'infection à VIH. Bien que de très nombreux agents infectieux puissent causer un syndrome viral aigu durant quelques jours, la persistance chez une jeune personne auparavant en bonne santé restreint le diagnostic à un nombre relativement petit d'affections, comprenant notamment l'infection à VIH. 2. Chez ce patient, l'utilisation de drogue intraveineuse est le facteur de risque principal d'infection par le VIH. L'échange d'aiguilles entre toxicomanes transmet des particules virales présentes dans le sang d'un individu infecté à d'autres personnes. Les rapports sexuels avec un individu infecté, la transfusion de produits sanguins contaminés et naître d'une mère infectée constituent d'autres facteurs de risque importants (voir chapitre 12). Les consommateurs de drogues injectables ne représentent que moins de 10 % des cas de VIH aux États-Unis. La plupart (70 %) sont des hommes qui ont des rapports sexuels avec d'autres hommes et les autres sont hétérosexuels (∼ 25 %). À l'échelle mondiale, plus de 90 % des
250
Annexes
nouvelles infections surviennent chez les hétérosexuels. La démographie de l'épidémie a changé au cours des dernières décennies. 3. En cas d'infection aiguë, souve