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Combattre le Malin dans la théologie spirituelle Par Mère Agnès-Mariam de la Croix Coordinatrice du Groupe de Travail VIGSPIDEP
PLAN RAISONNE Entrée en matière Le Combat ordinaire (page 2) 1. Connais-toi toi-même, les stratégies de la tentation 2. Les armes du combat II. Le Combat extraordinaire (page 6) 1. L'épreuve du juste 2. Les tromperies de l'Ange de lumière, les fausses spiritualités a) Les normes spirituelles b) La réalité contemporaine 3. L'occultisme (page 9) a) L'influence directe du Malin b) Les solutions CONCLUSION I.
______________________________________ _ Entrée en matière La tradition chrétienne est unanime à reconnaître trois ennemis spirituels: le monde, le démon et la chair qui éprouvent le cœur de l'homme. Comme Dieu ne permet pas que nous soyons éprouvés au-delà de nos forces 1, nous sommes attaqués spirituellement d'après le degré d'intériorité où nous nous trouvons. Ce degré tient compte de l'échelle anthropologique paulinienne, corps, âme et esprit (, et des étapes classiques de la croissance spirituelle réparties entre commençants, progressants et parfaits. Saint Jean de la Croix décrit très bien les particularités des ennemis de l'âme: "…il faut remarquer que toutes les pertes que l'âme souffre, viennent de ses ennemis, qui sont le monde, le démon et la chair. Le monde est le plus faible, le démon est le plus difficile à découvrir, la chair est le plus opiniâtre, et ses attaques durent aussi longtemps que la corruption du vieil homme subsiste. Pour surmonter chacun de ces adversaires, il faut les vaincre tous trois. Si l'un succombe, les deux autres manquent de courage et de forces : et, lorsqu'ils sont tout à fait abattus, l'âme n'a plus de guerre à soutenir." 2 Notre propos est de nous arrêter sur le deuxième ennemi spirituel que l'Apocalypse présente comme le "grand dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre"3. Qui est-il cet ennemi mystérieux qui a séduit la femme au début (cf. Gen 3,13) et dont il est dit que « par sa jalousie la mort est entrée dans le monde » (Sag 2,24) ? Cf 1Cor 10,13: "…Dieu qui est fidèle ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces; mais avec la tentation Il préparera aussi le moyen d'en sortir, afin que vous puissiez la supporter." 2 Œuvres complètes, Précautions spirituelles 3 Ap. 12,9 1
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Satan
D'après Saint Paul notre combat n'est pas contre des ennemis visibles," Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les autorités, contre les régents de ce siècle de ténèbres, contre les esprits mauvais dans les lieux célestes." 4 Cet adversaire, nous le verrons apparaître tout au long de l'histoire biblique des deux testaments puis dans l'hagiographie chrétienne où nous relevons qu'il n'y a pas un seul témoin de la vie en Christ qui n'a pas une expérience de son action, depuis Saint Antoine le Grand jusqu'au Saint Padre Pio et Marthe Robin. Une lecture contextuelle 5 de la Bible reconnaîtra que Satan, ou Lucifer (cf Is 14,12) était en Eden, le jardin de Dieu et qu'il y avait pour fonction d'en être le chérubin protecteur (cf Ez 28,14). Après la chute, il n'est pas chassé du Paradis comme Adam et sa femme. Serait-il l'un des chérubins préposés à la "garde" de l'arbre de la vie avec l'épée de feu tournoyante (Gn 3,24). C'est une constante biblique que chaque personne humaine a un accusateur (κατηγορος) 6, en l'occurrence Satan, et un défenseur qui est toujours l'Archange Michel qui se tient là (ὁ ἑστηκὼς) 7 face à Satan et qui est appelé dans la tradition orientale "", c'est-à-dire le guide des âmes dans l'au-delà. Satan et Mikaël sont d'ailleurs les "généraux" rivaux du combat qui se déroule au ciel et qui débouche sur un affrontement tout au long de l'histoire entre Satan, banni du ciel, et la postérité de la femme (cf Ap 12,17) sur la terre. Quoiqu'il en soit de leur identité, le récit biblique affirme que les chérubins gardent l'accès de l'arbre de vie. Seul le sacrifice du Christ fait "enjamber" cette barrière chérubinique qui bloque l'entrée au Paradis. C'est le bon Larron, par sa foi, qui en profitera le premier8 démontrant qu'en Christ nous ne sommes plus soumis au jugement: "En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole, et qui croit à celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie." (Jn 5,24) La doctrine des deux anges est d'une antiquité vénérable: Le Pasteur d'Hermas affirme qu'il est de foi que "chaque homme a avec lui deux anges l'un de justice et l'autre du mal" et il énumère les signes auxquels il faut reconnaître l'un et l'autre pour conclure :" Voilà quelle est l'action des deux anges. Comprends-la et mets ta confiance dans l'ange de justice. Éloigne-toi de l'ange du mal puisque son enseignement est mauvais en tout. Ce commandement indique ce qui concerne la foi, pour que tu aies foi dans les oeuvres de l'ange de justice et en les accomplissant, tu vivras pour Dieu. Crois aussi que les oeuvres de l'ange du mal sont funestes ; en les évitant, tu vivras pour Dieu". L'ambivalence étant le lot de notre condition déchue, elle suscite l'existence des deux voies. La Didaché s'ouvre par ces mots : " Il y a deux voies, l'une de la vie, l'autre de la mort" 9. Même doctrine dans l'Epître de Barnabé :" Il y a deux voies, répondant à deux sortes de doctrine et d'autorité : la voie de la lumière et celle des ténèbres. Elles sont bien éloignées l'une de l'autre ! A l'une sont préposés les anges de Dieu, qui conduisent vers la lumière ; à
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"τας αρχας προς τας εξουσιας προς τους κοσμοκρατορας του σκοτους του αιωνος τουτου" Eph 6,10-12 La lecture contextuelle, explique le texte par le contexte, dans la fidélité aux quatre sens classiques de l'Ecriture. 6 "Il me fit voir Josué, le grand-prêtre, debout devant l'ange du Seigneur, et Satan qui se tenait à sa droite pour l'accuser". (l'ange du) Seigneur dit à Satan: Que le Seigneur te réprime, Satan! que le Seigneur te réprime ! (Za 3,1-2) 7 Dn 12,1 8 "En vérité je te le dis ce jour même tu seras avec moi au Paradis" (Lc 23, 43) 9 Didaché I, 1. 5
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l'autre, les anges de Satan. Or, Dieu est le Seigneur depuis l'origine et pour les siècles, et Satan est le prince du temps présent, le temps de l'iniquité." 10 Ceci confirme ce que constate l'Apôtre Paul: "Je trouve donc en moi cette loi: quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi. Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l'homme intérieur; mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres." (Rom 7:21-23) Cette lutte interne est l’axe de la tentation à laquelle nous sommes soumis lorsque « nous voulons faire le bien ». Le curé d'Ars disait: " Le démon ne tente que les âmes qui veulent sortir du péché et celles qui sont en état de grâce. Les autres sont à lui, il n'a pas besoin de les tenter."11 Tel est le cadre de ce que nous appellerons le "combat ordinaire". Nous réserverons une section pour traiter du "combat extraordinaire", c'est-à-dire qui excède les limites d'une simple tentation intérieure.
I.
Le combat ordinaire
Jésus fut conduit au désert pour y être tenté par le diable (Mat 4,1-2; cf Mc 1, 12-13; Lc 4, 12). En effet Azazel habite les lieux arides. Voici qu'au lieu du bouc émissaire chargé des péchés d'Israël (cf Lev 16,10) c'est l'Agneau de Dieu "qui porte les péchés du monde" qui vient vers lui pour une triple victoire. Ceci nous rappelle une réalité antithétique : la tentation des premiers parents au Paradis, se soldant par une triple défaite (celle de la femme, d'Adam et du serpent). Le jeûne absolu du Nouvel Adam, venu pour libérer son épouse, contraste avec la consommation de l'arbre de la connaissance du bien et du mal par le premier Adam, à l'instigation de son épouse. Notre combat ordinaire contre le Malin se situe dans la foulée de la tentation de Jésus car les baptisés sont appelés à "passer par tous les stades de la vie du Christ" 12. Aller au désert à la suite du Christ est pour nous une entreprise sotériologique où Dieu permet au Malin de nous tenter et parfois même Il l'incite, comme nous le voyons au Livre de Job (Jb 1,8; 2,3). Le propos divin n'est pas de faire tomber l'homme mais de l'éprouver pour la cristallisation de ses choix décisifs, en bien ou en mal. Ainsi, l'action dialectique du Malin s'avère précieuse pour exercer le novice au combat et, en définitif manifester le vrai visage de l'homme intérieur par le dévoilement de ses pensées. Il est intéressant de noter que ce dévoilement est attribué à la Vierge Marie, figure de l'Eglise. Siméon lui prédit que son âme sera transpercée par un glaive de douleur pour "que soient dévoilées les pensées de beaucoup de cœurs" (cfr Lc 2,35). Cette compassion maternelle à la passion de son Fils investit la Mère de Dieu d'un ministère d'intercession par rapport à ces pensées des cœurs qui, dans l'homme déchu, et en alliance avec les puissances des ténèbres "se portaient chaque jour uniquement vers le mal." (cf Gen 6,5)
1. Connais-toi toi-même, les stratégies de la tentation C'est dans l’intimité même de la personne que se déroule le combat, là où se révèlent la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l'orgueil de la vie 13. Ces convoitises trompeuses font la guerre à l'homme nouveau créé selon Dieu dans une justice et une sainteté que produit la vérité (Cf Eph 4,23-24) . C'est dans le cadre de ce combat que se cristallisent les choix fondamentaux qui façonnent le visage de l'âme et qui détermineront 10
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Epître de Barnabé XVIII, 1 Sermon (1° dimanche de Carême) Grégoire le Sinaïte, Cent trente sept chapitres, Philocalie des Pères neptiques, 10 1Jn 2,16
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son salut éternel. Ce combat spirituel, quant à son but et aux armes qu'il utilise est en fait éminemment "psychologique" puisqu'il se déroule dans l'âme et manifeste sa vie et ses positions internes. Dans cet affrontement à l'intérieur de soi se réalise la célèbre inscription du fronton du temple d’Apollon à Delphes, repris par les ascètes chrétiens et les pères du désert, en tête desquels marche Saint Antoine le Grand : « connais-toi toi-même » (γνῶθι σεαυτόν). Car sans épreuve, sans tentation et sans combat que sait-on ? 14. Dans un agraphon rapporté par Tertullien le Christ dit :"Aucun homme n'obtiendra le Royaume céleste s'il n'est pas passé par la tentation" 15. Selon Evagre le Pontique, "La tentation du moine c'est une pensée qui monte à travers la partie passionnée de l'âme et qui obscurcit l'intellect - Le péché du moine, c'est le consentement au plaisir défendu que propose la pensée" 16. Maxime le Confesseur de préciser: "Par les pensées, ce sont les démons qui nous font la guerre, et cette guerre est plus dure que celle qu'ils nous font par les réalités extérieures" 17. Et un auteur contemporain de commenter: "Les choses adverses je peux les fuir de mes jambes, leur clore mes paupières, rentrer en moi et là trouver refuge. Mais que puis-je contre les images intérieures? Partout elles me suivent, et fermerai-je les yeux que plus forte serait leur hantise. Le diable est plus portable qu'un téléphone, plus implanté qu'un pacemaker, lui aussi sait entrer les portes closes…" 18 Mais n'y a-t-il pas disproportion de forces entre les hommes et les démons ? Saint Thomas répond à cette objection: "Pour que les conditions de la lutte ne soient pas inégales, l'homme reçoit en compensation principalement le secours de la grâce divine, secondement la protection des anges. C'est pourquoi Élisée dit à son serviteur (2 R 6, 16) : " Ne crains pas : il y a plus d'alliés avec nous qu'avec eux. " Et de préciser que la finalité de la tentation est de manifester les vraies dispositions intérieures: "Le Deutéronome (1 3, 1) dit donc : " C'est le Seigneur votre Dieu, qui vous tente afin de manifester que vous l'aimez. " … Les démons savent ce qui se passe à l'extérieur des hommes ; mais la condition intérieure dans laquelle se trouve l'homme est connue de Dieu seul, " qui pèse les esprits " (Pr 16, 2). C'est elle qui rend les hommes plus portés à tel vice qu'à tel autre. C'est pourquoi le diable tente en explorant les dispositions intérieures de l'homme, afin de le tenter par le vice auquel il est le plus enclin. " 19 Évagre le Pontique distingue à ce propos huit vices ou pensées fondamentales 20, qu'il considère comme des maladies de l'âme. Ces pensées-matrices sont autant de faux trésors qui accaparent le cœur de l'homme qui, par son inclination vers ce "bien désirable immédiat", renverse l'échelle des valeurs en oubliant et délaissant le "Bien suprême" qui est Dieu. Ces inclinations sont des brèches ouvertes qui facilitent la tentation et même l'appellent. C'est en jaugeant nos inclinations mauvaises que le Malin intervient pour donner le dernier coup de pouce qui nous fait verser dans le péché comme pour Eve qui avait déjà "Mon fils, si tu entreprends de servir le Seigneur, prépare ton âme à l'épreuve." (Si 2,1) et "celui qui n'a pas été éprouvé que sait-il?" (ibid. 34,10). 15 Sur le Baptême, chap.20 16 Praktikè, ch. 78 17 Ibid, § 91, p.30 18 Hadjadj Fabrice: La foi des démons ou l'athéisme dépassé, Salvator 2010,Paris, p.128 19 Suma Teologica I, 1-2 20 Trois concernent le corps (ou les biens extérieurs) : -La gourmandise-la luxure -l’avarice. Trois agissent dans l’âme sensible (): - la colère - la tristesse - la paresse (ou dégoût de la vie spirituelle) . Deux sont difficilement déracinables : - La vaine gloire - l’orgueil. L'orgueil se divise en: Orgueil de la chair attaque les commençants avec pour fruits la désobéissance, la jalousie et la critique. Orgueil de l’esprit attaque progressants avec pour fruits de présumer de ses forces et de mépriser la grâce. 14
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opté pour l'arbre de la connaissance du bien et du mal, puisqu'elle le considérait comme au centre du Paradis alors que le récit biblique assigne cette place à l'arbre de la vie. Le serpent n'eut qu'à lever le dernier obstacle consistant en la peur de la mort pour la convaincre d’assouvir sa convoitise: « non vous ne mourrez pas ! (cf Gen 3, 3-4). Saint Ignace de Loyola pose un principe universel: "En effet, un capitaine et chef d'armée en campagne, après avoir établi son camp et examiné les points forts ou le dispositif d'un château, l'attaque par l'endroit le plus faible. De même, l'ennemi de la nature humaine fait sa ronde, examine tour à tour chacune de nos vertus théologales, cardinales et morales; et c'est là où il nous trouve plus faibles et plus démunis pour notre salut éternel, qu'il nous attaque et essaie de nous prendre." 21 Les manœuvres diaboliques visant à faire tomber le moine sont variées et redoutables. Saint Jean Climaque en brosse ce tableau saisissant: "Le démon ne cesse de tenter de mille manières différentes ceux qui font profession d'obéissance : tantôt il cherche à troubler et à salir leur imagination par des pensées et des images impures, afin de faire révolter la chair contre l'esprit; tantôt il remplit leurs cœurs de peines, de chagrins et de tristesse; ici il les pousse à l'emportement et à la mauvaise humeur, et cherche toutes les voies capables de paralyser leur volonté et de rendre leur vertu stérile et vaine; là il les porte à l'intempérance dans les repas, à la négligence dans la prière, à la mollesse dans le sommeil; enfin il enveloppe leur intelligence dans des nuages et des ténèbres épaisses, afin qu'en les fatiguant de la sorte, il leur mette dans l'idée et leur fasse croire que c'est inutile pour eux de pratiquer l'obéissance… et leur fait misérablement abandonner le champ de bataille." 22 Cependant il ne faut pas exagérer l'influence du Malin. Saint Thomas d'Aquin, à la suite de toute la tradition spirituelle affirme qu'il ne peut pas incliner la volonté, il peut seulement profiter de l'inclination du cœur déjà présente: "Bien que le démon ne puisse pas modifier la volonté, il peut agir de quelque manière, comme nous l'avons dit a, sur les forces intérieures de l'homme ; celles-ci, sans forcer la volonté, l'inclinent cependant." 23
2. Les armes du combat
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L'armure de Dieu, telle que décrite par Saint Paul 25 qui s’oppose au Malin qui se déguise en Ange de Lumière. 2. L’action de Dieu : Saint Isaac de Ninive a cette très belle description: "(La grâce) l'exerce ainsi à percevoir les choses cachées. et elle découvre devant lui le piège des pensées subtiles qui échappent à toute compréhension. Il peut alors aisément discerner comment elles se suivent, comment elles égarent, comment elles se servent des choses auxquelles il est attaché, comment elles s'engendrent l'une l'autre et perdent l'âme. Elle dénonce à ses yeux toutes les ruses des démons et le lieu où demeurent leurs pensées …. Quand enfin la grâce voit que la présomption s'est un tant soit peu infiltrée dans sa pensée et qu'il commence à avoir une haute idée de lui-même elle permet aussitôt que se renforcent et se précisent les tentations qui l'assaillent jusqu'à ce qu'il apprenne sa faiblesse, se réfugie en Dieu et s'attache à Lui dans l'humilité. " 26 1.
Exercices spirituels, Règles, 1° semaine L'Echelle des vertus, quatrième degré, les deux pièges du démon, § 64 23 Suma Teologica I,2,3 24 Nous reférons une synthèse. A cet égard on trouvera dans les ouvrages des maîtres de véritables stratégies. Citons Lorenzo Scupoli, Le combat spirituel, chez L.H.Hovius, Saint-Malo 1785 25 Eph 6,14-16 26 Œuvres spirituelles, 41 discours ascétiques récemment découverts, II, 19 ème discours sur la foi et l'humilité 21 22
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La kénose du Christ: Saint Jean de la Croix donnera une importance primordiale à suivre spirituellement le Christ dans sa kénose car c'est ainsi, par l'humilité et la croix, qu'Il a vaincu le Mauvais 27. La Foi théologale: Saint Jean de la Croix tracera, en synthétisant les pères, les voies apophatiques de la purification intérieure (Celle-ci se réalise à travers les nuits obscures dans leurs composantes active et passive: celle des sens où "l'on met en fuite le démon qui exerce son pouvoir sur l'âme à cause de son attachement aux choses temporelles et corporelles.", et celle de l'esprit à travers laquelle on arrive à la pureté du coeur par la Foi. La Foi théologale est seule capable de rendre l'âme totalement invisible au Malin, le neutralisant dans ses attaques. "Quand l'âme s'avance revêtue de la foi, le démon ne peut ni la voir, ni lui nuire; elle marche alors en toute sécurité; cette vertu la protège beaucoup plus que les autres contre le démon, qui est son ennemi le plus redoutable et le plus rusé. Aussi saint Pierre, qui n'a pas trouvé de meilleur bouclier pour le repousser, nous dit: « Résistez-lui en demeurant fermes dans la foi » (I Pier., V, 9)." 28 Prendre conseil: Saint Dorothée de Gaza écrit: "Le salut se trouve dans beaucoup de conseil… Si, en effet, un homme ne confie pas tout ce qui est en lui, surtout s'il vient de quitter une vie et des habitudes mauvaises, le diable découvrira chez lui une volonté propre ou un jugement propre qui lui permettront de le renverser." 29 Ici entre le concept d'obéissance à l'Ancien qui immunise l'âme contre les subtilités du démon, comme le souligne Syméon le nouveau théologien dans la troisième mode de prière 30. Le discernement des esprits ou est fondamental dans le combat qui nous oppose aux esprits du mal. Dans sa Vita Antonii, Saint Athanase consacre plusieurs chapitres (ch. 23-34 et 37-38) où Antoine nous décrit très longuement et avec force détails les démons et leurs agissements. Pour les vaincre, il convient de bien savoir contre qui on lutte et de prendre les bonnes armes, on ne perd ainsi ni temps ni forces. A cette fin, Antoine brosse tout un tableau du discernement des esprits pour que l'on puisse discerner, peu à peu, de quel esprit provient ce qu’on expérimente, voit, entends ou perçoit. De quel esprit aussi provient telle tendance, telle pensée, tel désir. C'est un exercice qui ouvre la voie à l'acquisition du don du discernement qui est le septième parmi ceux qu'énumèrent l'Apôtre dans 1Co 12, 10. La prière et le jeûne, d'après ses paroles du Seigneur "veillez et priez pour ne pas entrer en tentation, l'esprit est prompt mais la chair est faible" 31, "cette espèce-là (de démons) ne sort que par la prière et le jeûne" 32. La prière de Jésus joue ici un grand rôle. Grâce à cette méthode mnémotechnique, la conscience n'est plus occupée par l’apparition spontanée d’images et ne divague pas dans des pensées élaborée : par le mode répétitif, ponctué par l'égrenage des grains du κομποσκοίνι ou chotki, l'esprit accède à une certaine immobilité. La pensée de Dieu ou mémoire de Dieu doit accompagner le chrétien partout pour aiguiser sa vigilance (nepsis). D'après ce mot du pseudo-Macaire:" Celui qui veut pouvoir toujours fuir les pensées du Malin et en être délivré doit s'assurer un asile et un refuge dans le Seigneur et garder sans cesse le souvenir de Dieu et la confiance en lui." 33 La Parole de Dieu est la référence pour toute anamnèse. Une bonne conscience, ne pas accumuler les petits manquements car ils affaiblissent et attiédissent l'âme. Saint Jean de la Croix parle éloquemment des
Montée du Carmel I, 7 Nuit obscure, livre 2, chap 22 Instructions 62 Philocalie des Pères neptiques, 5 Mt 26,41; Mc 14,38; Mt 17,21 Œuvres spirituelles 53, 15-16
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"apetitos" qui sont les inclinations de la nature déchue vers le plaisir. Les favoriser implique des dommages spirituels: "Le premier la prive de l'Esprit de Dieu; l'autre la fatigue, la tourmente, l'obscurcit, la souille, l'affaiblit" qui accroissent sa vulnérabilité par rapport au Malin. 34 10. Le travail dont toutes les règles monastiques soulignent l'importance à l'encontre des messaliens et autres spiritualistes. 11. La charité qui "couvre une multitude de péchés" avec l'aumône et l'hospitalité. Les Pères, à la suite de Saint Antoine, vont jusqu'à parler de la tendresse envers le Christ. 12. La joie de vivre qui vient de la confiance en Dieu débouchant sur l'assurance ou Ainsi à travers ses luttes contre le Malin, l'athlète du Christ acquiert le plus précieux des dons: la connaissance de lui-même qui débouche sur une confiance inébranlable en Dieu. Il entre dans l'arène des parfaits (, avec le psalmiste il s'écrie: "C'est Dieu qui me ceint de force, Et qui me conduit dans la voie droite. Il rend mes pieds semblables à ceux des biches, Et il me place sur mes lieux élevés. Il exerce mes mains au combat… Tu fais plier sous moi mes adversaires." 35
II.
Le Combat extraordinaire
Abordons l'intervention du Malin qui dépasse la tentation ordinaire. Nous distinguerons dans cette section trois phénomènes: l'épreuve du juste, les tromperies de l'Ange de Lumière, l'occultisme.
1. L'épreuve du juste "Après l'avoir tenté de toutes ces manières, le diable s'éloigna de lui jusqu'à un moment favorable". C'est ainsi que Luc clôt le récit de la tentation du Christ (Lc 4,13). Le "retour" de Satan sera au moment de la Passion. Avant son ultime déclenchement Jésus averti: " …le prince du monde vient. Il n'a rien en moi "(Jn 14, 30). Ce moment Jésus l'appelle "mon heure" mais il est aussi "votre heure et la puissance des ténèbres" (Lc 22,53). Dans ce retour spectaculaire, Satan semble maîtriser la situation: "Satan entra dans Judas Iscariot qui était du nombre des douze" (Lc 22, 3; cf aussi Jn 13,27). A Pierre, Jésus annonce : " Simon, Simon, Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment, mais j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point... " (Lc 22,31). Cependant cette apparente suprématie de Satan sur les cœurs et sur les situations ne résiste pas devant la tactique divine du combat. Dans la version johannique de Gethsémani, Jésus a ces paroles mystérieuses: "Maintenant mon âme est troublée. Et que dirais-je?... Père, délivre-moi de cette heure?... Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure mais c'est pour cette heure que je suis venu…maintenant a lieu le jugement de ce monde, maintenant le prince (archonte) de ce monde sera jeté dehors".36 Et Saint Paul de gloser: " Il a dépouillé les principautés et les autorités (τας αρχας και τας εξουσιας), et les a livrées publiquement en spectacle, en triomphant d'elles par la croix." (Col 2,15). C'est l'épreuve et le triomphe du juste, dont le prototype prophétique est Job. Son épreuve n'était pas une simple tentation intérieure mais un défi à sa foi et à sa confiance en Dieu à travers une véritable ruine temporelle, familiale, physique et morale. C'est la voie des "parfaits" (qui suivent le Christ partout où Il va, portant Sa croix 37. 34 35 36 37
Montée du Carmel, 1er livre, chap.6 Ps 18, 32-2 Jn 12, 27, 31: "νυν κρισις εστιν του κοσμου τουτου νυν ο αρχων του κοσμου τουτου εκβληθησεται εξω" Ap 14,4 et Mt 10,38; 16,24; Mc 8,34; Lc 9,23; 14,27;
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Citons Saint Isaac de Ninive qui décrit bien le passage de la tentation à l'épreuve dans le cadre du perfectionnement ultime de la charité: "Quand la grâce divine a confirmé son cœur en toutes ces choses et parce qu'il s'est confié à Dieu, alors il commence à entrer peu à peu dans les épreuves. La Grâce permet que lui soient envoyées certaines épreuves à sa mesure pour qu'il puisse en supporter la force. Mais en même temps que ces épreuves il reçoit manifestement le secours qui conforte, jusqu'à ce que progressivement exercé il acquière la sagesse et confiant en Dieu il méprise ses ennemis. Car en dehors de ces épreuves il ne lui est pas possible de parvenir à la sagesse dans les combats spirituels, de connaître Celui qui pourvoit à sa vie, de sentir son Dieu et d'être secrètement confirmé dans sa foi. Il lui faut recevoir la force de l'expérience. Il parvient ainsi à la mesure de l'homme parfait dans la foi et l'espérance du Fils de Dieu et il est élevé dans l'amour. C'est en effet quand l'amour de Dieu lui est donné au milieu des malheurs qui brisent l'espérance que l'homme connaît quelle merveille est cet amour pour lui. Dieu montre alors sa puissance en lui donnant le salut. " 38 Il faudrait parcourir les hagiographies pour relever les interventions "directes" du Malin dans la vie des Saints de tous les temps et de tous les horizons depuis les célèbres tentations de Saint Antoine et autres apparitions démoniaques aux Pères du désert jusqu'aux attaques physiques et sévices matériels dont le Malin affligeaient les Saints et Saintes de l'Eglise Une. Rappelons-nous Sainte Marguerite, Saint Isaac de Ninive, Sainte Thérèse d'Avila, Saint Sérafim de Sarov, Silouane du Mont Athos, le Saint Curé d'Ars, Padre Pio ou Marthe Robin, sans parler des retournement inexplicables de situations, vraies conjurations occultes, où tout semble se liguer contre le juste soumis à l'épreuve. Mais comme dit Saint Paul: "dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. Car j'ai l'assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés ni les puissances (ουτε αγγελοι ουτε αρχαι ουτε δυναμεις), ni les choses présentes ni les choses à venir, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur." 39
2. Les tromperies de l'Ange de Lumière, les fausses spiritualités a) Les normes spirituelles Saint Paul affirme et, à sa suite toute la tradition :"Satan lui-même se déguise en ange de lumière." 40 Et « si nous vous annoncions, nous, ou un Ange du ciel, un autre évangile que celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème ». 41 Les manifestations de « l’Ange de Lumière » sont, comme les grâces mystiques à deux niveaux : intérieur et extérieur. Sur le plan intérieur Il faut rappeler que toute personne favorisée de grâces extraordinaires est appelée à expérimenter l'action directe du Malin. C'est un principe dans la théologie spirituelle que Saint Jean de la Croix fixe avec autorité « Si l’âme est favorisée de visions véritables de la part du bon Ange… Dieu permet également à l’ange mauvais de représenter de fausses
Œuvres spirituelles, 41 discours ascétiques récemment découverts, II, 19 ème discours sur la foi et l'humilité, copie électronique, source: http://membres.lycos.fr/saintnicolas/newpage38.html 39 Rm 8, 37-39 40 2 Co 11,14 41 Gal. I, 8 38
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visions, et ces visions, d’après leurs apparences, peuvent facilement jeter dans l’illusion l’âme imprudente, comme cela est fréquent».42 D'où, les maîtres spirituels préconisent la prudence et encore la prudence dans l'accompagnement des phénomènes mystiques. A ce propos Saint Siméon le Nouveau théologien décrit d'une manière saisissante la dangereuse inversion psychologique que le Malin peut créer à l'intérieur de la personne, surtout les anachorètes qui ne jouissent pas de l'objectivisation qu'apporte la vie communautaire- qui s'avance imprudemment dans les voies intérieures sans se prémunir par les armes de l'humilité et du discernement. A cause de l'orgueil elle devient une cible facile aux prédations de l'ennemi: "Telles sont les propriétés du premier mode (de prière). Quand quelqu'un se tient en prière… son cœur s'enorgueillit, sans qu'il le comprenne. Il lui semble que ce qu'il fait vient de la grâce divine… C'est ainsi que se sont égarés ceux qui ont vu une lumière et un flamboiement avec les yeux de leur corps, qui ont senti un parfum avec leur propre odorat, et qui ont entendu des voix avec leurs propres oreilles, ou qui ont éprouvé des choses du même ordre… D'autres ont reçu en eux les contrefaçons du démon: il leur est apparu comme un ange de lumière, et ils se sont fourvoyés, ils ne se sont jamais corrigés, ils n'ont jamais voulu écouter le conseil d'aucun frère. D'autres encore ont été poussés par le diable à se tuer : ils se sont jetés dans des précipices, ils se sont pendus. Qui pourrait décrire toutes les illusions par lesquelles le diable les égare ? Ce n'est guère possible… 43 Sur le plan extérieur Les phénomènes gagnent en objectivisation. Qu’une personne soit favorisée de visions, révélations, extases etc… relève du jugement de son accompagnateur qui doit discerner quel esprit la meut en se basant sur les normes du discernement des esprits. Mais lorsque le phénomène s’accompagnent de signes irrécusables et merveilleux tels que : lévitation, bilocation, suintement d'huile, stigmates, glossolalie, prédictions, signes cosmiques et miracles. La part du merveilleux peut susciter un enthousiasme imprudent qui trouble le regard spirituel et rend les pasteurs crédules. En effet tout signe merveilleux, qui se produit réellement, n’est pas forcément dû à l’action de l’Esprit de Dieu. Rappelons-nous que les magiciens d’Egypte purent reproduire trois de ces signes divins par leurs enchantements 44, lorsqu’ils ne purent reproduire le quatrième, ils s’écrièrent : « c’est le doigt de Dieu ! » (Ex 8 ,19). L’Apocalypse a une parole saisissante à ce propos : « Elle opérait de grands prodiges, même jusqu'à faire descendre du feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes. Et elle séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu'il lui était donné d'opérer en présence de la bête, disant aux habitants de la terre de faire une image à la bête qui avait la blessure de l'épée et qui vivait.(Ap.13,14) ». Or « faire descendre le feu du ciel » est le « signe » décisif qui accrédite le Dieu d’Israël comme vrai Dieu et le prophète Elie comme son envoyé aux yeux du peuple (cf 1R 18,36-38). L’Eglise ne récuse pas la réalité des faux prodiges mais elle les considère avec prudence et circonspection. Elle s’attache à discerner leur origine : Esprit de Dieu, esprit du Mal, illusions humaines ? L’esprit du mal peut opérer des prodiges. Un personnage très connu au Liban, le Dr. Dahesh fut un exemple vivant des prodiges les plus percutants 45. Parmi ses adeptes Nuit Obsc. Liv. II, ch. XXIII, p. 659 Philocalie des Pères neptiques, 5 44 cf Ex 7,11, 22 ; 8,7 45 Ratifiés par un doctorat de la Société Française de Psychiâtrie, lorsqu’il passa sept jours dans un coffre de fer scellé au fond de la Seine et qu’il en sortit vivant. 42
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figurent des hommes politiques, des médecins, journalistes, hommes de lettre. Tous ont été séduits par la réalité du pouvoir qu’il possédait. La dynamique de cette puissance est décrite par son biographe. Le Dr. Dahesh invoquait une entité spirituelle qu’il nommait « l’esprit - » الروحet, à travers elle, réalisait de véritables tours de force. Cet « esprit » lui enseigna comme dogme de foi : l’éternité de la matière et la métempsychose en vertu de laquelle une personnalité du Christ aurait été crucifiée, ainsi que l’inutilité de tous les dogmes et l’égalité de toutes les religions 46. Il est certain que cet « esprit » pour puissant qu’il soit n’est pas l’Esprit de Dieu et que ces prodiges ne sont pas l’œuvre du « doigt de Dieu », mais d’un esprit de mensonge qui a reçu le pouvoir de séduire ceux qui ne sont pas fondés sur le roc de la foi. Nous avons de solides fondements bibliques concernant le pouvoir qui est donné à l’esprit du mal de séduire les hommes par les prodiges 47. De la bouche de la triade inique : dragon, bête et faux prophètes sortent « trois esprits impurs faiseurs de prodiges » (cf Ap. 16,14). Enfin et le Seigneur dira dans ses prophéties eschatologiques : « Si quelqu'un vous dit alors: Le Christ est ici, ou: Il est là, ne le croyez pas. Car il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s'il était possible, même les élus. Voici, je vous l'ai annoncé d'avance. » (Mt 24,23-25) Conclusion Pour terminer disons que, même si les miracles et prodiges venaient de Dieu il sera encore imprudent de les recevoir avec cet enthousiasme puéril qui s'attache plus aux signes qu'à leur finalité définitive qui est la connaissance de Dieu pour le salut éternel. Aux soixante dix disciples qui reviennent « joyeux » à cause des prodiges qui ont eu lieu par leur intermédiaire le Seigneur répond : « ne vous réjouissez pas que les esprits vous sont soumis mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux ». (Lc 10,20) Synthétisant la doctrine des Pères, Saint Jean de la Croix conseille de rejeter tout phénomène mystique quel qu'il soit à part la transformation intérieure de l'âme en Dieu. " Il convient donc à l'âme de les repousser les yeux fermés, sans examiner d'où elles proviennent. Sans cela elle se prêtera si bien à celles du démon et lui donnera à lui-même tant de prise que, loin de recevoir celles de Dieu, elle recevrait celles du démon, et celles-ci deviendraient si nombreuses que, celles de Dieu venant à cesser, tout ce qui se passerait alors ne serait que l'œuvre du démon, sans que Dieu y fût pour rien. C'est ce qui est arrivé à beaucoup d'âmes imprudentes et ignorantes. Elles se comportaient avec tant de sécurité au milieu de ces manifestations, qu'il a été très difficile de ramener un grand nombre d'elles à chercher Dieu dans la pureté de la foi. Beaucoup d'entre elles n'ont même pu être ramenées dans la bonne voie, car les illusions du démon avaient produit en elles de profondes racines…..". Et de conclure par une image qui convient parfaitement à notre thème: " Heureuse l'âme qui saura combattre cette bête de l'Apocalypse aux sept têtes qui sont opposées aux sept degrés de l'amour, en faisant la guerre à chacun d'eux et en luttant contre l'âme dans chacune des sept demeures où elle s'exerce à acquérir chaque degré d'amour de Dieu! A coup sûr, si elle est fidèle à combattre dans chacun de ces degrés et remporte la victoire, elle méritera de passer de degré en degré, ou d'une demeure à une autre, jusqu'à la dernière, après avoir coupé à la bête les sept têtes avec lesquelles elle lui livrait les plus furieux combats. Saint Jean dit même qu'il lui a été permis de faire la guerre aux Saints Prodigies of Dr. Dahesh and the Unity of Religions par Ghazi Brax. Conférence donnée le 12 mai 1970 à l'AUB, à consulter sur http://www.onefineart.com/en/artists/dr_dahesh/index.shtml. Les documents référés attestent qu'il s'agit de magie noire avec usage du pentacle. 47 On peut consulter sa vie sur le site: http://www.daheshisme.org/index1.php 46
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(Apoc. 13, 7), et de pouvoir les vaincre dans chacun des sept degrés d'amour, en y mettant toutes les armes et munitions nécessaires." 48
b) La réalité contemporaine
Il y a de nos jours un regain d'intérêt incontestable pour la mystique en contraste avec un monde de consumérisme et d'utilitarisme. Cependant, même pour des chrétiens, cet engouement pour les "choses de l'esprit" ne passe pas forcément par la "voie étroite" assignée par le Sauveur lui-même et ceux qui l'ont suivi portant leur croix. On déplore que, même dans les séminaires, les noviciats, les centres de formation pour laïcs, les voies antiques de la spiritualité chrétienne se réduisent au minimum quand ils ne sont pas inexistants avec les éléments si précieux de discernements des esprits, de précautions et de stratégies défensives. L'ignorance favorise l'éclosion des pseudo-spiritualités. Doit-on en chercher la raison de ces dérives et de ce laisser-aller dans le fait que la quête spirituelle est devenue affaire de choix et de goût personnel ? A chacun de choisir sa voie et les moyens d'y arriver. S'ouvrant délibérément à toutes les traditions, la quête de Dieu s'est transformée, à échelle planétaire, en un syncrétisme irénique. Dans la foulée du NouvelAge, la nouvelle spiritualité est devenue individuelle et éclectique, chacun faisant son shopping dans les super-marchés de l'esprit. Là les produits étalés appartiennent aux voies et mystiques de toutes les religions avec un penchant très net pour l'hindouisme et le bouddhisme qui, avec leurs vues panthéïstes concernant l'énergie vitale ou énergie universelle 49inclinent leurs nouveaux adeptes vers un ésotérisme où le spiritisme est à l'honneur (channeling, reiki, ouverture des chakras), et où l'occulte devient une panacée universelle à l'intérieur de laquelle le satanisme prends des proportions de culture populaire dans les milieux "branchés" des jeunes occidentaux comme contre-culture. Parallèlement à cet engouement qui va jusqu'à ressusciter les religions païennes par fidélité aux cultures nationales, le christianisme post-conciliaire qui fait face à une désaffection généralisé de la vie sacramentelle, voit émerger en son sein de nouvelles cristallisations dans la compréhension du dogme et de sa pratique quotidienne. Il est incontestable que dans l'après-concile et jusqu'à nos jours deux courants s'opposent à l'intérieur de l'Eglise catholique. Le progressisme et le traditionalisme sont conscients d'être les dépositaires de convictions et de pratiques légitimes et importantes pour la vie de l'Eglise. A l'intérieur du mouvement traditionaliste une portion du monde catholique fait une course au merveilleux où les apparitions de la Vierge Marie et autres phénomènes mystiques semblent donner de "bons" fruits qui se cristallisent par un retour à la pratique sacramentelle et une assiduité aux dévotions mariales. Cependant il n'est pas difficile de repérer dans ces pratiques dévotionnelles une consommation intensive du "spirituel" sur des bases superficielles voire superstitieuses50. Il faut vraiment déplorer de notre temps le manque de compétence qui conduite à la crédulité de certains responsables pastoraux. Sous prétexte de ne pas "éteindre l'esprit" 51 leur complaisance envers les phénomènes para-normaux est imprudente et parfois sans limite au risque de devenir complice. Un directeur spirituel crédule enfonce un pseudomystique davantage dans son illusion s'il le couvre de son autorité. On ne soulignera ici jamais assez l'importance de la cohérence ecclésiale autour de l'Evêque du lieu, chargé en définitif de statuer sur ces cas. La Montée du Carmel, Livre 2, chap.10 Le fluide des théosophistes, le TAO des 50 Faussaires de Dieu, Joachim Boufflet et Jean Vernette, Presses de la Renaissace, 2007 51 N'éteignez pas l'Esprit. Ne méprisez pas les prophéties. Mais examinez toutes choses; retenez ce qui est bon 1Th 5, 19-21 48 49
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Pour ce qui concerne l'accompagnement ecclésial des phénomènes mystiques à portée publique et qui revient à l'autorité compétente (Evêque du lieu, assemblée synodale, assemblée des patriarches, Saint-Siège)52 , il n'est pas inutile de citer ici un témoignage autorisé: " …un triste phénomène est en effet en train de sévir dans notre matière. Je me réfère à la facilité avec laquelle certains experts de compétence douteuse et de renommée internationale mettent à la disposition du grand public leurs réflexions, sinon leurs jugements personnels, sur de prétendues apparitions et phénomènes annexes, sans attendre la conclusion des phénomènes, sans attendre les indications de l’Autorité ecclésiastique. Je ne peux pas taire non plus le grave dommage et le triste scandale qui se crée chaque fois que l’un ou l’autre théologien de réputation se constitue paladin, avocat et même promoteur de quelque apparition en polémique ouverte avec l’Autorité ecclésiastique compétente. Dans ces attitudes ce qui est promu n’est certes pas ces « docta pietas et gravis scientia » auxquelles le magistère fait référence, en parlant du rôle des théologiens dans le discernement ecclésial. 53 Nous parlerons dans la section qui suit du lien entre pseudo-spiritualité et occultisme
3. L'Occultisme Il était inévitable de nous arrêter à ce phénomène hélas très fréquent dans la vie pseudospirituelle des fidèles puisque 85% d'entre eux avouent avoir trempé dans l'occulte. Nous entendons par occulte l'ensemble des pratiques qui entretiennent un lien avec les esprits du mal pour se prémunir d'un mal, conjecturer l'avenir ou agresser un rival. Ce qui nous intéresse c'est l'incidence de l'occulte dans la vie spirituelle et la manière de le combattre du point de vue de la théologie spirituelle qui a aussi des incidences pastorales. Beaucoup de personnes, insatisfaites et déçues de la "religion officielle", se sont tournées vers les pratiques occultes, para-psychologiques, pseudo-mystiques ou satanistes, plus aptes à contenter leurs désirs de pénétrer le mystère, de contrôler leur vie ou de travailler sur leur propre spiritualité. "Le ritualisme, le symbolisme initiatique, dont les grandes religions se sont appauvries, confèrent au néophyte un nouveau statut et lui donne le sentiment d'appartenir à la famille des élus ; il devient plus sûr de lui, et se forge une plus forte personnalité en assimilant un nouveau savoir. Ce savoir est alors synonyme de pouvoir : savoir ce que les autres ignorent confère une puissance certaine, surtout si elle est cela porte sur des secrets. « [...] le penchant pour l'occultisme est un symptôme de régression de la conscience. » 54 L'occultisme concerne le premier commandement55. Il englobe la magie noire, la contremagie, le spiritisme, la sorcellerie, la divination, toute forme de mancie (nécromancie, cafédomancie, chiromancie, cartomancie, astromancie etc...). Traiter avec les démons est assimilé par la tradition à l'idolâtrie (ειδωλολατρεια). Il s’agit du péché de prostitution (πορνεια) car on y est infidèle à l'Alliance avec le Dieu unique pour s'ouvrir à un autre partenaire spirituel.
Cf. "critères de discernements des apparitions et révélations", Congrégation pour la doctrine de la Foi, 1978 Mons. Charles Scicluna, promoteur de la justice de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, au symposium d'études mariales de Lourdes été 2009, traduction privée, p.13 54 Theodor Adorno, Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée, trad., Paris, Payot, 2003. 55 C'est dans la foulée du 1er commandement que le catéchisme de l'Eglise catholique parle des pratiques occultes aux art. 2111 à 2120 52 53
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Saint Isidore de Séville dit dans ses célèbres Etymologiae 56 que "les arts occultes tirent leur origine d'une funeste alliance entre les hommes et les mauvais anges", autrement dit les démons. Saint Paul parle de communion : "Je dis que ce qu'on sacrifie, on le sacrifie à des démons, et non à Dieu; or, je ne veux pas que vous soyez en communion avec les démons. Vous ne pouvez boire la coupe du Seigneur, et la coupe des démons; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur, et à la table des démons." 57 Le Livre d'Enoch lui, parle de "mariage", en affirmant que les arts occultes ont été enseignés par les Anges de Dieu aux filles des hommes à l'occasion de leur mystérieuse union citée dans le chapitre 6 de la Genèse et qui a fait grandir le mal à tel point que Dieu décréta le déluge car "Il se repentit d'avoir fait l'homme": " Et ils se choisirent chacun une femme, et ils s’en approchèrent, et ils cohabitèrent avec elles ; et ils leur enseignèrent la sorcellerie, les enchantements, et les propriétés des racines et des arbres. " 58 La Sainte Ecriture prohibe ces pratiques: Magie, divination, spiritisme, nécromancie, astrologie, augure, enchantement59. Car "quiconque fait ces choses est en abomination à l'Éternel; et c'est à cause de ces abominations que l'Éternel, ton Dieu, va chasser ces nations devant toi ".60 " Car les théraphim ont des paroles de néant, Les devins prophétisent des faussetés, Les songes mentent et consolent par la vanité. C'est pourquoi ils sont errants comme un troupeau, Ils sont malheureux parce qu'il n'y a point de pasteur." 61
Saint Paul range l'idolâtrie et la magie parmi les "œuvres de la chair" qui n'hériteront pas du Royaume des cieux, dans l'Apocalypse, ceux qui les exercent resteront "dehors" 62. Dans le combat spirituel ordinaire, il s'agissait de se démarquer des suggestions du Mauvais qui ont pour but de nous faire pécher. Dans le combat extraordinaire, nous affrontons l'influence directe des démons: qu'est-elle et comment s'en libérer?
a) L' Influence directe du Malin
Tanquerey et le Père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus distinguent deux influences directes du démon: l'obsession, qui est intérieure ou extérieure- et la possession 63. Le Père Gabriel Amorth parle d'obsession pour les manifestations intérieures et de vexation pour les manifestations extérieures 64. Lorsqu'il s'agit de lieux ou d'objets il parle d'infestation. Dans mon intervention au congrès international des exorcistes catholiques en 2008 65 j'ai englobé obsession et vexation à l'intérieur d'un concept unique, celui d'infiltration qui exprime mieux le concept d'un dépassement des limites ordinaires de l'action du Malin. C'est un terme emprunté à la nomenclature de la tactique militaire terrestre et qui signifie "Introduire, si possible en secret, au sein du dispositif ennemi un certain volume de forces en vue d'une action déterminée". Bien sûr, dans beaucoup de cas, il n’y aura pas d’influence directe du Malin mais une affection psychologique bien développée. Il appartiendra à l’accompagnateur de guider la personne vers un bon psychothérapeute ou un psychiatre. Il ne nous appartient pas de nous Etymologiae VIII, 9 1Cor 10,20 58 Livre d'Enoch, 7, 10-11 59 Ex 22,18; Lev 19,26-31 et 20,6; Dt 18, 10-14; Is 2,6; Mal 3,5; Jer 27,9-10 60 Deu 18:12 61 Za 10,2 et cf Jer 27, 9-10 62 Gal 5, 19-20 et Ap 22,15 63 Précis de théologie ascétique et mystique, Livre 2, art 2, n° 1530; Je veux voir Dieu chap 7 64 Confession-mémoires de l'exorciste du Vatican, Michel Laffon, 2010, ISBN 2749912865 65 Nouvelle approche de la prière de délivrance www.aie.org.mx/fr/nouvelle_approche.php 56 57
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arrêter sur ces symptômes. Pour guider dans le diagnostic le service national de la pastorale liturgique et sacramentelle de la conférence épiscopale française a élaboré un ouvrage précieux intitulé: "L'exorcisme dans l'Eglise catholique". "La troisième partie est orientée vers l'entretien pastoral. Elle vise à donner des points de repère pour le discernement et l’interprétation des situations en veillant notamment à bien situer l’articulation des dimensions psychique et spirituelle. Elle rend attentif aux déterminants de l’entretien (observation, écoute, prise de parole, conditions spatiales, temporelles, …). Elle évoque les traits du contexte actuel social et culturel qui peuvent avoir un impact sur certains types de fragilité psychique ou de pathologie. Des points d’attention relatifs aux cultures africaines et antillaises, ainsi que des phénomènes de possession en Islam, pourront aider à l’accueil de 66 personnes issues de mondes culturels diversifiés." a) Les obsessions sont une action adverse visant à inhiber les puissances intérieures de l'âme par les ressentiments suivants: cauchemars ou visions nocturnes ou diurnes effrayantes , idées noires voire suicidaires , idées fixes, songes divinatoires ou impressions prémonitoires tensions , peurs injustifiées , crainte démesurée de la mort ou de la maladie , fatigue , détresse , angoisse , déprime , désespoir , faux phénomènes mystiques. b) Les vexations sont une action adverse visant à tourmenter extérieurement la personne, dans son corps ou dans son environnement par les phénomènes suivants: Expériences sporadiques ou chroniques de viol par une entité non identifiée (appelée kriné) , diverses sensations physiques dérangeantes (démangeaisons, bâillements ou hoquets incontrôlés) , maux physiques provoqués d'une manière occulte (de la céphalée chronique jusqu'aux maladies incurables) ou occasionnés par des agressions occultes, blocage de toute relation affective et de tout projet matrimonial, faillites récurentes, échecs et malédictions , catastrophes domestiques à répétition: explosion d'objets (vases, électro,ménagers, mobilier etc…) c) Les infestations: Ce concept vise l'autorité acquise par les puissances du mal sur les lieux. d) La possession: D’après Tanquerey 67deux éléments constituent la possession : la présence du démon dans le corps du possédé, et l'empire qu'il exerce sur ce corps, et, par son intermédiaire, sur son âme. il n'est par rapport à l'âme qu'un moteur externe, et s'il agit sur elle, c'est par l'intermédiaire du corps dans lequel il habite. Il peut agir directement sur les membres du corps, et leur faire exécuter toutes sortes de mouvements ; indirectement il agit sur les facultés dans la mesure où celles-ci dépendent du corps pour leurs opérations. Le Rituel romain distingue trois signes pour reconnaître une possession : la glossolalie, la révélation de choses occultes, une force surhumaine. e) Les causes ? Toute pratique occulte qu'elle soit magique (envoûtement, maléfice), divinatoire, médiumnique ou spiritiste, peut provoquer une infiltration qui va de simples cauchemars aux plus grandes vexations et aux infestations (provoquées surtout par les séances de spiritisme). A part les personnes qui expérimentent dans leur vie ces troubles, les bien-pensants resteront sceptiques. Déjà Pline l'Ancien hésitait à leur sujet : "Il est aussi téméraire, dit-il, de croire que la nature obtempère à des paroles rituelles que stupide de dénier à celles-ci toute valeur efficace" 68 La cause est personnelle si c'est la personne elle-même qui a pratiqué l'occultisme. Elle est héritée si ce sont les parents de la personne qui ont pratiqué l'occultisme. Elle est subie si c'est une tierce personne qui a provoqué ou cautionné la pratique occulte: celle-ci peut être, malheureusement, une autorité parentale ou spirituelle (il y a des prêtres et des moines qui pratiquent la magie blanche pour "délivrer", faisant tomber les fidèles dans des aliénations 66 67 68
L’exorcisme dans l’Eglise catholique, Desclée-Mame, 2006, 143 p. Précis de Théologie ascétique et mystique, Partie II, n°1537 Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre II : "Cosmologie", 140, trad., Paris, Les Belles Lettres, "Budé", 1950, 339
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sans nombre69). Elle peut être due à la volonté perverse ou erronée de toute personne qui commandite une opération occulte pour nuire (magie noire) ou pour aider (magie blanche). A notre humble avis, aucune pratique pour perverse qu'elle soit n'autorise l'esprit du mal à posséder une personne70. Il a besoin d'une permission explicite du Dieu des vivants et des morts. La possession a été expérimentée par des âmes saintes dont la Bienheureuse Maryam de Jésus Crucifié, la petite Arabe.
b) Les solutions Puisque l'occulte "coupe" l'alliance entre le fidèle et Dieu, les solutions ne peuvent qu'être sacramentelles ou, à défaut, être prescrites par l’autorité ecclésiastique compétente. Un courant « traditionnel » émerge depuis les années quatre vingt qui insiste sur l'existence des démons et de l'enfer et sur la nécessité de combattre Satan. Ce courant se développe dans le contexte d’un retour aux constantes de la foi catholique pour contrecarrer le scepticisme philosophique et dogmatique touchant certaines expressions de la foi, telles que les fins dernières et l'existence des esprits mauvais et leurs sévices dans la vie des hommes. Cette entreprise, jugée urgente pour le salut des âmes - et de l'Eglise elle-même - se concrétise par l'engagement de certains prêtres dans un ministère de délivrance qui est d’autant plus intempestif qu’il est « conforté » par des « signes » et des « phénomènes » impressionnants (convulsions, hurlements, vomissements etc…). La praxis qui est suivie pour traiter une personne suspectée d’être atteinte d’une affection diabolique est de « tester » si elle est « possédée » en réalisant sur elle un exorcisme « in pectore ». Si elle "réagit" on considère qu'elle est "atteinte", on se hâte alors de lui faire subir l'exorcisme, même si elle n'est pas possédée. Cette méthode présente deux désavantages : 1. Elle contrevient aux directives de l’Eglise qui préconise de ne dire l’exorcisme que si on est sûr que la personne est possédée ; 2. L’exorcisme qui est prononcé incite le Malin à faire « comme si » il était présent et donc à s’exhiber à travers la panoplie de signes bruyants et impressionnants. Plus il se manifeste mensongèrement et plus l’exorciste se sent appelé à exercer son ministère en un cercle fermé sans fin. Parfois le zèle confine à l’acharnement thérapeutique. Il y a des personnes qui subissent depuis des années des prières de délivrance à raison de plusieurs heures par semaine. Pourquoi ne sont-elles pas délivrées ? Les protagonistes de la prière de délivrance assurent que c’est parce que l’heure du Seigneur n’est pas venue ou encore parce que la personne atteinte ne prie pas assez. C’est ainsi que les patients sont renvoyés les mains vides avec des prescriptions de plus en plus lourdes (messe quotidienne, jeûnes, rosaire, litanies et neuvaines interminables). Ce n’est que lorsqu'ils sont devenues des loques exsangues qu’on les chasse avec impatience et qu’on leur conseille d’aller se faire soigner psychiquement. Après plus de trente ans d’expérience dans le domaine de l’accompagnement cordial des personnes et dans celui de la délivrance de l’occulte voici ce que nous avons conclu :
La possession est extrêmement rare, sinon inexistante en milieu chrétien après la victoire du Christ. L’exorcisme, qu'il soit in pectore ou à haute voix, est inutile et nuisible. Cette affirmation a recueilli l'approbation unanime des 300 participants au symposium de l'Association Internationale des exorcistes en 2008. Au cas où un exorcisme s’avère nécessaire lorsque la possession est jugée réelle, il faudrait que la cérémonie se fasse dans la stricte intimité avec seulement quelques personnes « spirituelles » pour
L'autorité des ecclésiastiques pratiquant l'occultisme ouvre grande la voie au faux-mysticisme et autres prodiges mensongers, conférant à l'adversaire le pouvoir d'apparaître en Ange de Lumière. 70 Des personnes ayant pratiqué le satanisme et ayant demandé à être possédées ne l'ont pas été. 69
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accompagner dans la prière. Faire de l’exorcisme un « show », de surcroit télévisé est dangereux et malsain. Nous ne pouvons nier la réalité de l'aliénation occulte. Elle cesse à la première invocation du Nom de Jésus, si l'assainissement du terrain psychologique est garanti. Nous avons pu mettre au point une méthode basée sur les sacrements appelée LeV (Libération de la Volonté). Elle consiste en une anamnèse, un diagnostic, une confession des péchés, le renouvellement des vœux du baptême et celui de la chrismation, la déclaration du retrait et de la récupération de sa volonté de toutes les œuvres d’occultisme passives ou actives quelles que soient leur origine et l’autorité dont elles dépendent. On termine en demandant que le sang précieux du Christ soit versé sur nous et rompt tout lien avec l’occulte et ses conséquences. Un temps de convalescence et d'accompagnement psycho-spirituel est nécessaire pour que la personne reprenne le contrôle de sa vie et sorte d'une mentalité de "malédiction" à la lumière du Salut du Christ. Cette méthode a donné de très bons fruits. Elle est à la prière de délivrance comme la coelioscopie l’est pour la chirurgie. Simple, rapide, objective. Elle est disponible sur le site web de l'Association Internationale des exorcistes: www.aie.org.mx/fr/nouvelle_approche.php.
CONCLUSION On ne peut négliger les normes de sagesse consacrées par une tradition pluri-séculaire sans courir le risque de verser soit dans une démarche superstitieuse très nocive ou un absentéisme irresponsable. Les rappeler à votre aimable attention était le but de ce travail. Aujourd'hui les "voies antiques" de la spiritualité chrétienne, soumises au crible d'une vérification critique ou mises au même pied que d'autres traditions spirituelles, ont été comme oubliées ou relativisées. Après une juste réélaboration il est grand temps qu'elles soient enseignées dans les centres de formation et transmises aux fidèles. Leur absence crée un vide sécuritaire évident qui laisse la porte ouverte à la prolifération des fausses spiritualités et des pratiques occultes comme autant de manifestation d'un paganisme récurrent où les superstitions populaires sont prises pour de la dévotion et l'illuminisme collectif pour les fruits de l'Esprit-Saint. A la base des pratiques intempestives qui défigurent la vocation libératrice de l'Eglise se trouve une ignorance certaine des voies spirituelles. Pendant trop longtemps, ces pratiques ont profité d'un silence pastoral qui confinait parfois au laisser-aller. S'il est vrai que, pris au piège de leurs pratiques déviantes ou de leurs phobies, les fidèles ont plus que jamais besoin d'être écoutés, accompagnés et, au besoin, délivrés de leurs liens avec le monde des ténèbres, c'est à l'Eglise locale qu'il revient de prendre en main ce ministère et de l'organiser dans la charité, la prudence et…le bon sens, en vraie Mater et Magistra
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