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French Pages 206 [210] Year 2003
André Brack Bénédicte Leclercq
La vie est-elle universeIle ? Des premiers êtres vivants à l’exploration spatiale
Préface de Jean-Marie Lehn Illustrations de Thomas Haessig
17, avenue du Hoggar Parc d’Activité de Courtabccuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
Bulles de sciences >> Collection dirigée par Bénédicte Leclercq ((
Ouvrages dtijà parus : La Terre chainfie-t-elle ? Gérard Lambert Asymétrie, k! beauté du diable, Frank Close Que sait-on tks maladies ii pions ? Émile Desfeux Des séquoias dans les étoiles, Philippe Chomaz Les neutrinos vont-ils au paradis ? François Vannucci Les requins mnt-ils des fossiles vivants ? Gilles C u n y Combien pèsz un nuage ? Jean-Pierre Chalon Pourquoi la Nature s'engourdit ? Jean Génermont et Catherine Perrin Qu'est-ce qu, fait trembler la terre ? Pascal Bernard Combien dure une seconde ? Tony Jones D'où viennent les pouvoirs de Superman ? Roland Lehoucq Ces bolides qui menacent notre monde, Christian Koeberl
À paraître : Comment naissent les étoiles ? Daniel Benest Une radioactivité de tous les diables, Gérard Lambert
En couverturc : Illustration originale de Thomas Haeçsig
ISBN : 2-86883-674-7 Tous droits de traluctioii, d'adaptation et de reproduction par tous procédts, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 19 i 7 n'autorisant, aux terincb des alinéas 2 et 3 de l'articlc 41,d'une part, que les ? Des structures chimiques, sortes d’automates chimiques, deviennent capables d’assembler des éléments pour générer d’autres structures à leur image, produisant ainsi plus d’eux-mêmes par eux-mêmes : c’est l’autoreproduction.Par suite de légères erreurs de montage, des automates mutants apparaissent et deviennent, éventuellement, les
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espèces dominantes : c’est l’évolution. Autoreproduction et évolution sont donc les deux qualités qui caractérisent, a minima, le passage de la matière à la vie. La vie est-elle exceptionnelle ? Est-elle une sorte de miracle réservé à la Terre ? Ou bien a-t-elle pu apparaître ailleurs, sous d’autres cieux, autour d’autres soleils ? Est-elle la règle dans l’univers, dès lors que certaines conditions sont respectées ? Ces questions n’ont pas encore de réponses, mais des bribes de connaissance permettent de forger des hypothèses et de proposer des scénarios. Sur la Terre, le passage de la matière à la vie se fit dans l’eau, et la matière impliquée fut probablement de la matière organique, construite sur une ossature d’atomes de carbone. La fabrication de la vie ressemble alors à la confection d’une soupe, nécessitant eau, ingrédients et récipient. Ainsi le rôle de l’eau reste aussi primordial dans ces scenarios scientifiques que dans les mythologies que nous avons évoquées. Toutefois, il nous manque des données : une partie de la recette, des preuves et, surtout, la reproductibilité si chère aux scientifiques. Comment pourrions-nous reproduire l’apparition de la vie sur la Terre ? Cela s’est passé il y a plus de 3’5 milliards d’années : c’est si vieux à l’échelle d’une vie humaine ! Si la vie est un fait reproductible dans tout l’univers, alors nous devrions la trouver ailleurs. La recherche d’un deuxième exemple de vie est devenue l’un des moteurs de l’exploration spatiale. Devant l’ampleur de la tâche, les scientifiques limitent leur quête à une vie qui utiliserait les mêmes ingrédients et le même récipient que la vie terrestre : de l’eau, des molécules organiques construites sur une armature d’atomes de carbone et un corps planétaire. Nous aussi, nous nous envolerons vers d’autres planètes, dans le système solaire d’abord, puis au-delà, vers les exoplanètes. Quelles planètes pourraient accueillir la vie ? Quels indices devrons-noix chercher sur ces planètes pour trancher entre les hypothèses d’unicité et d’universalité de la vie ? I1 est temps de commencer notre grand voyage interplanétaire.
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Prologue : Élémentaire, mon cher...
Comment la vie est-elle apparue dans l’Univers ? Pour répondre à cette question vertigineuse, nous aurons l’occasion de changer d’échelle à plusieurs reprises, de l’infiniment grand à l’infiniment petit et vice versa D’abord le petit : sur la Terre, l’unité fondamentale de la vie est la cellule, qui n’est visible à l’ceil humain que par le biais d’un microscope. Malgré sa petitesse, la cellule vivante est complexe. Sa structure et son fonctionnement sont assurés par de longues molécules composées de carbone, que l’on qualifie de polymères organiques, par opposition aux molécules minérales. En catalysant et en participant à certaines réactions chimiques, ces molécules organiques exploitent l’énergie de leur environnement, fabriquent d’autres molécules et se répliquent, tels des automates chimiques. Comment ces cycles de réactions chimiques se sont-ils organisés ? Comment les premières molécules se sont-elles assemblées pour permettre cette organisation ? D’où viennent les matières premières qui constituent ces automates ? Avant de répondre, nous devons savoir de quoi la matière est faite et comment elle est organisée. Descendons encore d’un cran dans l’échelle des grandeurs. Nous allons survoler quelques notions
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fondamenta les sur l’origine et les propriétés des éléments chimiques, ces substances élémentaires impossibles à décomposer par réactions chimiques.
Les atomes, éléments des molécules Premithre question : de quoi est faite la matière ? Environ
98 pour cent de la matière détectée dans l’Univers consiste en hydrogène (,auxtrois quarts) et en hélium (au quart), les deux gaz les plus légers et les plus abondants. Ces deux compères, comme toute matière, sont constitués d’atomes et vont nous servir d’exemples pour dtScrire ces derniers. L‘atome d’hydrogène, le plus simple de tous, a un proton pour noyau autour duquel gravite un électron. L‘ensemble est neutre électriquement, car la charge positive du proton et 1;i charge négative de l’électron se compensent (voir la figure 1). Outre le proton, le noyau peut contenir une autre particule, le neutron, qui, comme son nom l’indique, est électriquement neutre. Pour un nombre de protons déterminé, un même élément chimique peut se présenter en différentes versions, avec une quantité différente de neutrons : ces versions sont dénommées et topos, (von 1.figure 2). Nous savons aujourd’hui que la périodicité des propriétés chimiques résulte de la structure en couches électroniques des atomes.
2. La table de Mendeleiev, où sont classés les éléments chimiques par poids croissants. Dans la suite de cet ouvrage, nous retrouverons principalement les éléments H (klydrogène), C (carbone), N (azote), O (oxygène) et P (phosphore).
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PROLOGUE : ÉLÉMENTAIRE, MON CHER..
La première ligne de la table ne contient que deux éléments, l’hydrogène (H) et l’hélium (He), respectivement à un et à deux électrons sur la première couche. La deuxième ligne en contient huit, du lithium (Li) au néon (Ne), dont les électrons se rangent sur les deux premières couches. À mesure que l’on avance sur cette ligne, de gauche à droite, la deuxième couche se remplit progressivement (voir la figure 3). La troisième ligne comporte, elle aussi, huit éléments, du sodium (Na) à l’argon (Ar), dont les électrons se répartissent sur les trois premières couches ; la quatrième ligne a 18 éléments, et ainsi de suite. Vous voyez que les éléments rangés sur une même ligne comportent le même nombre de couches électroniques occupées, et que les éléments rangés dans une même colonne possèdent le même nombre d’électrons sur leur couche périphérique. Voilà l’explication de la périodicité de la table de Mendeleïev : les propriétés chimiques d’un élément dépendent du nombre d’électrons présents sur la couche périphérique de cet élément.
3. La périodicité de la table de Mendeleiev reflète le nombre d’électrons présents sur la couche externe de l’atome.
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Des atomes reliés forment une molécule La Nature apprécie qu’une couche soit complète, et elle fait tout pour qu’il en soit ainsi. Une des manières de compléter la couche périphérique incomplète d’un atome consiste à > les électrons des atomes voisins, lorsque ceux-ci sont, eux aussi, en mal d’électrons. Prenons un atome d’hydrogène : il n’a qu’un électron, et il souhaite l’apparier à un autre électron pour compléter la première couche. Lorsque deux atomes d‘hydrogène se rapprochent suffisamment, l’électron de l’un vient compléter la couche électronique de l’autre, et vice eiersa. Les électrons mis en commun forment alors une liaison chimique, et une molécule naît, le dihydrogène, H, (voir l’encadré en fer. Voilà comment les étoiles les plus massives fabriquent la matière de l’Univers. Elle produisent les éléments chimiques nécessaires à la vie, et, selon la formule désormais consacrée, nous sommes bel et hien des répondit à cette interrogation. Déjà dans la Chine ancienne, on pensait que les bambous donnaient spontanément naissance aux pucerons. Les écrits sacrés de l’Inde mentionnent la naissance de mouches à partir d’ordures et de sueur. Les inscriptions babyloniennes signalent que la boue des canaux engendre des vers. Dans l’Égypte antique, on pensait que le limon déposé par le Nil générait spontanément grenouilles et crapauds. Bien que partant d’observations réelles - la présence d’animaux dans différents milieux -, ces civilisations furent incapables d’en dégager une interprétation correcte, faute de recourir à la vérification expérimentale. Pour les philosophes grecs, la vie est une propriété de la matière ; elle est éternelle et apparaît spontanément chaque fois que les conditions sont propices. Ces idées sont exposées dans les écrits de Thalès de Milet, de Démocrite, d’Épicure, de Lucrèce et même dans ceux de Platon. Au I V ~siècle avant notre ère, Aristote synthétise les idées précédemment admises. Avec lui, la génération spontanée acquiert la dimension d’une véritable théorie. cc Tels sont les faits : tout être vient à la vie non seulement à partir de
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l’accouplement des animaux, mais aussi à partir de la décomposition de la terre et du fumier »,écrit-il dans De la génération des animaux. La théorie de la génération spontanée traverse allègrement le Moyen Âge. À la Renaissance, de grands penseurs tels qu’Isaac Newton, René Descartes et Francis Bacon, la soutiennent encore. On commence toutefois à la soumettre aux premiers tests expérimentaux. Ainsi, au milieu du X V I I ~siècle, Jan Baptist Van Helmont, un médecin flamand, déclare obtenir des souris à partir de grains de blé et d’une chemise imprégnée de sueur humaine. Van Helmont s’étonne mi‘:me que les souris obtenues dans ces conditions soient identiques f i celles nées par procréation. Observation et expérimentation approximatives renforcent l’idée au lieu de la remettre en cause. Les premières attaques à la théorie furent portées par Francesco Fiedi, un médecin naturaliste toscan. Dans son traité de 1668, il publie une série d’expériences qui démontrent que la viande en putréfaction n’engendre aucun asticot si l’on prend la précaution de l’enfermer dans des bocaux recouverts d’une fine mousseline.
Un microcosme Six ans après la parution du traité de Redi, le savant hollandais Antonie Van Leeuwenhoek effectue les premières observations de micro-organismes à travers un microscope de sa fabrication. Dès lors, on découvre des micro-organismes partout, et les adeptes de la génération spontanée se réfugient dans le monde de l’infiniment petit, tandi: qu’on cesse progressivement d’y croire dans le cas des êtres vivants hautement organisés. De son côté, Van Leeuwenhoek pense déjà que ces micro-organismes proviennent d’une contamination des solutions par l’air ambiant. En 171 8, son disciple Louis Joblot démontre expérimentalement que les micro-organismes proviennent bien de l’air ambiant, mais il ne convainc pas tous les naturalistes. Même l’éminent 24
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savant Georges de Buffon, au milieu du X V I I I ~siècle, croit que la nature est pleine de germes de vie capables de s’éparpiller lors du pourrissement, puis de s’unir pour produire des microbes. John Needham, l’ami gallois de Buffon, réalise de nombreuses expériences pour confirmer cette conception. I1 place différentes substances organiques dans une fiole hermétiquement close et chauffe l’ensemble. Après ce traitement, toutes les solutions foisonnent de microbes. L‘abbé italien Lazzaro Spallanzani porte les solutions à des températures plus élevées et contredit Needham. Une vive polémique s’engage alors sur l’effet de la température, mais Spallanzani ne parvient pas à imposer ses vues. Toujours est-il que l’industriel français François Appert a l’idée de conserver des aliments dans des boîtes en fer scellées et plongées pendant plusieurs heures dans une eau en ébullition, et... fait fortune en inventant la boîte de conserve. La controverse atteint son apogée un siècle plus tard, avec la publication, en 1860, du traité de Félix Pouchet. Dans cet ouvrage, l’auteur développe une théorie de la génération spontanée étayée par de nombreux exemples expérimentaux de contamination par l’air extérieur. C’est en mettant au point un rigoureux protocole expérimental de stérilisation que Louis Pasteur porta le coup de grâce à la génération spontanée. I1 fit bouillir le contenu d’un alambic dont le bec, ouvert à l’air, était recourbé en forme de S (voir la figure 1 1). Les bactéries s’accumulaient et se développaient dans le recourbement du bec, sans contaminer le contenu du flacon, qui restait stérile : ces bactéries provenaient donc de l’air ambiant, portées par les poussières. En outre, certaines proliférations de Pouchet, observées après un chauffage à 100 O C , s’expliquaient par la résistance des spores, la forme dormante des bactéries : revenues à température ambiante, les spores étaient réactivées et les bactéries proliféraient. Le physicien John Tyndall inventa alors le chauffage discontinu, appelé
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II. L'expérierce de Pasteur. Une solution organique, même stérilisée, placée dans un récipient ouvert, finit par être contaminée par des bactéries (A). Pasteur a l'idée de recourber le bec d'un récipient (B) et de stériliser son contenu par chauffage (C). La solution est alors protégée de toute contamination extérieure, sauf dans le recourbement du bec, qui est en contact avec l'air (D).
depuis tyndallisation, qui aboutit à une stérilisation totale : on porte à ébullition le liquide à stériliser, on le laisse refroidir plusieurs heures et on le refait bouillir. Ainsi les spores germent, puis les bactéries, sensibles à la température, sont détruites. La pasteurisation fut mise au point par Pasteur dans les années 1880 pour prévenir les fermentations secondaires, telles que la fermentation acétique, lors de la fermentation normale du vin et de la bière. Le procédé consiste en un chauffage à 63 "C pendant une heure, ou à 72 "C pendant 15 secondes ou encore à 140 "C pendant moins d'une seconde. Ce dernier, dénommé UHT (pour ultra-haute température), est appliqué aujourd'hui au lait de longue conservation.
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LA GÉNÉRATION SPONTANÉE
L‘évo 1uti on Ces expériences et ces stérilisations par la température démontrent brillamment que la génération spontanée est une ineptie. Cette conclusion est lourde de conséquences : la naissance de tout être vivant procède nécessairement d’une génération préexistante. Autrement dit, la vie a une histoire, avec un début et un fil conducteur que l’on essaie de reconstituer par l’observation ou en laboratoire. Alors que Pasteur rédige ses travaux sur la génération spontanée, Charles Darwin publie les siens sur l’évolution des espèces. Au fil des siècles, l’accumulation des découvertes de fossiles a fini par rendre le constat suivant inévitable : il a existé par le passé et à des époques différentes de nombreuses espèces aujourd’hui disparues, mais dont certaines parties, des os et des dents pour la plupart, se sont minéralisées par des processus géochimiques. Ces fossiles restent enfouis dans le sol, dans des couches sédimentaires qui permettent de les dater. Bien avant Darwin, à la fin du X V I I I ~siècle, le naturaliste allemand Friedrich Blumenbach proposa une classification des fossiles, où il distingua trois types de découvertes : des restes d’espècesvivant encore actuellement, d’autres qui présentent des ressemblances avec le monde vivant actuel et enfin les fossiles dont on ne connaît aucun équivalent dans la nature présente. Le comte de Buffon, après lui, souligna la grande difficulté qu’il avait à identifier les fossiles. Le baron Georges Cuvier mit au point des méthodes d’anatomie comparée permettant la caractérisation et la reconstitution des espèces disparues. Ce faisant, il posa les bases de la paléontologie scientifique, et décrivit une foule d’animaux disparus. Cuvier s’opposait toutefois au transformisme, théorie selon laquelle les espèces dérivent les unes des autres par des transformations successives. C’est le savant anglais Robert Hooke qui introduisit le transformisme, dès le X V I I ~siècle, en suggérant que certaines espèces
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fossiles ava Lent évolué pour aboutir aux espèces contemporaines. À sa suite, en 1802, Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck, élabora une théorie du transformisme des espèces : à partir d’êtres vivants primitifs, les organismes évoluent vers des formes toujours plus complexes. La matière vivante, selon lui, tend vers le perfectionnement et s’adapte aux circonstances extérieures. Sous l’influence du milieu de vie, les besoins et les habitudes d’un être vivant se modifient, ce qui engendre des transformations dans l’organisme. Cette idée lamarckienne impressionna Darwin alors qu’il s’embarquait pour cinq ans dans une grande expédition autour du monde, à bard du Beagle. En Amérique du Sud, en Australie et aux Galapagos, Darwin observa la variabilité des espèces et l’interpréta comme étant l’effet du milieu de vie. Selon lui, le moteur de l’évolution est la sélection naturelle, c’est-à-dire l’élimination des formes les moins adaptées dans la compétition pour la vie. Il développe cette idée dans son ouvrage paru en 1859, De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle. On peut y lire : > Nous ‘y revoilà. Êtres vivants primitifs de Lamarck ou forme primordiale de Darwin, comment la vie est-elle apparue ? Par génération spontanée comme le pensait Lamarck ? N’a-t-on pas simplement déplacé le problème de la vie contemporaine vers celui de l’apparition de la vie passée ? Ne voit-on pas revenir le spectre de cette théorie mise à bas par Pasteur ?
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L‘histoire de la vie sur la Terre
Les roches de la Terre ont enregistré quelques traces de la vie, et le premier élan du chercheur voulant reconstituer son histoire consiste à décrypter ces empreintes minérales, fossile après fossile, des plus récents jusqu’aux plus anciens. Comment s’accumulent les archives fossiles ? Le vent érode les reliefs et emporte au loin des particules. Les pluies lessivent les roches, les fleuves et les glaciers charrient des blocs, des galets, des sables, des débris, des matières dissoutes, qui se déposent sur les berges ou se déversent dans les mers. Les volcans émettent des laves, crachent des pierres, libèrent des fumées et des poussières, qui retombent et se déposent sur le sol. Avec le temps, toutes ces particules finissent par s’accumuler, se comprimer ; elles forment alors de nouvelles roches, dites sédimentaires, comme les calcaires, les grès, les schistes argileux. Parmi les débris qui s’accumulent sur le sol se trouvent des restes d’organismes vivants, végétaux, coquilles ou os. Ces éléments organiques durcissent, réagissent avec les minéraux qui les entourent ou les imprègnent, s’enveloppent dans une gangue de pierre, deviennent pierres eux-mêmes : ce sont les fossiles. Les fossiles ponctuent les roches sédimentaires : les plus connus d’entre eux caractérisent l’époque de formation de la couche sédimentaire qui les contient et, inversement, l’identification d’une couche sédimentaire permet de dater les fossiles que l’on y trouve (uoir la figure 12).
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Succession de couches sédimentaires du sol de Montmartre, à Paris, dessinée par Georges Cuviei’en 1822.
12.
Les ères géologiques
Dès 1840, en étudiant les couches sédimentaires, le géologue britannique John Phillips définit trois ères géologiques : le Paléozoïque (nommé ère primaire, mais qui n’est pas vraiment primaire, comme nous le verrons), le Mésozoïque (ou ère secondaire) et le Cénozoïque (ou ère tertiaire). En fait, cette classification ne couvre qu’une période récente de l’histoire de la Terre, à peine au-delà des 500 derniers millions d’années. Aujourd’hui ces ères sont subdivisées en périodes et époques (voir la figure 13). Chaque période se distingue de la suivante par un changement radical de contenu en fossiles : une extinction en masse est survenue entre les deux. On peut ainsi reconstituer l’histoire de la vie terrestre. La vie marine se diversifie au Cambrien, première période du Paléozoïque : les coquillages et les arthropodes tels que les trilobites apparaissent. Puis les premiers poissons montrent leur bout de nageoire à l’ordovicien. Au Silurien, première sortie des eaux : les plantes colonisent les continents. Les premiers animaux vertébrés foulent la terre ferme durant le Dévonien. Les reptiles (marins et terrestres) appxaissent au Carbonifère. Les dinosaures se rendent maîtres du monde durant l’ère du Mésozoïque. Les oiseaux apparaissent à la fin du Jurassique, et les plantes à fleurs envahissent le paysage durant le Crétacé. Après l’extinction des dinosaures, les mammifères se développent à l’ère du Cénozoïque. L‘homme moderne marque le Quaternaire.
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L'HISTOIRE DE LA VIE SUR LA TERRE
13. Grandes ères et périodes géologiques. Apparition et développement des organismes qui les ont marquées.
Le résumé est expéditif. Quelle contraction du temps représente donc cette histoire en accéléré des principaux règnes ?
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La datation Phillips se fourvoyait quant à la durée des ères géologiques : en se fondant sur la vitesse de formation des couches sédimentaires dans les riiières, il avait déduit un âge de la Terre de 96 millions d’années. Quelques-uns de ses contemporains avaient calculé un âge de la Terre de cet ordre de grandeur par des méthodes différentes. Ainsi, selon le physicien William Thomson (futur Lord Kelvin), la Terre était née il y a 20 à 40 millions d’années, à partir de roches en fusion dont il avait calculé la vitesse de refroidissement. En ét:udiant les phénomènes d’érosion à la surface de la Terre, Archibald Geikie, directeur de l’observatoire écossais de géologie, déterminaii: un âge de la Terre inférieur à 100 millions d’années. Pour l’astrcnome américain Simon Newcomb et le physicien allemand Hermann von Helmholtz, cet âge était égal à celui du Soleil, soit de 100 millions d’années. Dès 1830, Charles Lyell, chef de file de la géologie britannique, avait conjecturé que les périodes géologiques avaient duré des centaines de millions d’années et que l’âge de la Terre devait être supérieur. Cependant de nombreux géologues pensaient que la Terre était éternelle 011 que son âge était impossible à calculer. Pour les autorités religieuses, au contraire, l’origine du monde ne datait que de quelques milliers d’années : en comptant le nombre de générations qui nous séparent d’Adam et Ève, un archevêque avait fixée la date de la création du monde au 26 octobre 4004 avant Jésus Christ, à neuf heure>.du matin, en Mésopotamie. L‘âge de la Terre et de ses différents é1éments était donc soumis à de sévères controverses. I1 a fallu attendre le X X siècle, ~ et la découverte de méthodes de datation fondées sur la radioactivité, pour que l’on détermine définitivement l’âge de la Terre. En 1896, Henri Becquerel montre que des sels d’uranium émettent des rayonnements. En 1898, Marie et Pierre Curie isolent le polonium et le radium de la pechblende, un minéral d’uranium encore plus actif que l’uranium lui-même. Après quelques années de recherches, les physiciens comprennent que cer-
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tains éléments se transforment en d’autres (les éléments fils), tout en libérant de l’énergie sous forme de rayonnements. Nous avons vu au premier chapitre que les éléments chimiques sont caractérisés par le nombre de protons contenus dans leur noyau (nombre qui détermine leurs propriétés chimiques), mais aussi par leur nombre de neutrons. Un même élément chimique peut exister sous différentes versions, comportant divers nombres de neutrons. Par exemple, le carbone, constitué de six protons, existe sous trois versions, ou isotopes, comportant respectivement six, sept ou huit neutrons : le carbone 12, le carbone 13 et le carbone 14. Les carbone 12 et 13 sont stables, mais le carbone 14 tend à se transformer en azote 14 (comportant sept protons et sept neutrons). Le carbone 14 est radioactif. Chaque élément radioactif se désintègre à vitesse constante, que l’on exprime par sa période ou demi-vie : c’est le temps nécessaire pour qu’une quantité originelle de l’élément père soit divisée par deux. La période du carbone 14 vaut 5 568 ans : au bout de cette durée, la moitié d’une population quelconque de carbone 14 s’est transformée en azote 14. Puisque la vitesse de désintégration est constante, elle peut servir d’horloge, comme l’a proposé Willard Frank Libby en 1949. Le carbone 14 permet de dater les matières organiques jusqu’à 50 O00 ans. Les atomes de carbone 14 se forment en permanence dans la haute atmosphère, par contact avec les rayons cosmiques. En respirant ou en s’alimentant, les êtres vivants assimilent le carbone 14 (noté I4C)lorsque celui-ci est intégré dans la molécule de dioxyde de carbone (14C0,), mais ils n’en absorbent plus après leur mort. I1 suffit alors, pour remonter à la date de la mort de l’organisme, de connaître la diminution de la teneur en carbone 14 dans les os pour les animaux, dans les fibres et les tissus pour les végétaux. Concrètement, on mesure le rapport des isotopes 12 et 14, et on le compare à celui qui existe dans un échantillon vivant contemporain. Pour déterminer des âges supérieurs à 50 milliers d’années, notamment pour les temps géologiques, on étudie les isotopes de 33
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l’uranium. L’uranium 235 (qui est utilisé dans les centrales nucléaires) se transforme en plomb 207 avec une période de 704 millions d’années. L‘uranium 238 a une période de 4,468 milliards d’années et se transforme en plomb 206. Dautres horloges sont utilisées, comme le couple potassium 40-argon 40, ou le couple rubidium 87strontium 887. En 1926, l’Académie des sciences américaine décide que seule la radioactivité produit une échelle valable des temps géologiques. À partir des rapports isotopiques mesurés dans les météorites, les géologues ont évalué l’âge de la Terre et des autres planètes du système solaire à 4,566 milliards d’années. Les plus anciens minéraux terrestres cristallisés (zircons) datent d’environ 4,4 milliards d’années, et les roches sédimentaires les plus vieilles ont 3,8 milliards d’années.
Les fossiles les plus anciens Munis d’outils de datation valables, revenons donc aux fossiles, et cherchons les plus anciens, afin de nous rapprocher de l’ori* gine de la vie. Nous avons vu que la vie fossile était bien connue jusqu’au Ciimbrien, première période du Paléozoïque, c’est-à-dire jusqu’à - 570 millions d’années. L‘âge de la Terre étant estimé à 4 566 millions d’années, nous n’avons exploré qu’à peine plus du dixième de cet âge. Toutefois, faute d’archives fossiles plus anciennes, on a longtemps cru que (voir la figure IS). Les plus anciennes traces de vie bactérienne fossile datent de 3,465 milliards d’années - alors que la Terre n’avait que un milliard d’années. Elles ont été trouvées en Australie dans des stromatolithes fossilisés et en Afrique du Sud. Les scientifiques ont décrit des structures ressemblant à des micro-organismes qui auraient déjà pratiqué la photosynthèse oxygénée, à l’instar des cyanobactéries contemporaines, mais cette interprétation est aujourd’hui vivement contestée. Néanmoins, le fait que des micro-organismes aussi
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anciens aient laissé des traces dans les zones éclairées par le soleil suggère que certains d’entre eux pratiquaient la photosynthèse non oxygénée. Puisque la photosynthèse implique un métabolisme déjà élaboré, il est probable que la vie soit apparue bien avant eux.
15. Stromatolithes modernes de Shark Bay, en Australie.
En Afrique du Sud, dans la ceinture des Roches vertes du Barberton, sédiments vieux de 3,5 à 3,2 milliards d’années, Frances Westall, du Centre de biophysique moléculaire d’Orléans, a découvert les traces d’une vie microbienne abondante, baignant dans des eaux de faible profondeur. Elle y a observé plusieurs structures : des filaments de dix à plusieurs centaines de micromètres de long et de 0,5 à 2,5 micromètres de large ; des bâtonnets longs de 2 à 3,8 micromètres et larges de 1 micromètre ; des sphères de 0,5 à 1,5 micromètre de diamètre ; des structures ovales de 0,6 micromètre de long (voir la figure 16). En mesurant la composition isotopique du soufre présent dans ces minéraux, on a conclu à la présence de bactéries réductrices du soufre. Selon une étude des
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16. Les micro-organismes laissent oes traces dans les roches sédimentaires, sous la forme de couches (a), de filaments (b), ou de structJres ovales, comme ce microfossile de Barberton (c), daté de 3 4 milliards d’années.
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isotopes du carbone et de l’azote, d’autres microbes auraient vécu dans les veines hydrothermales du Pilbara, en Australie : ces microorganismes auraient résisté à la chaleur et se seraient nourris de la dégradation chimique des roches. Cette diversification indique que les balbutiements de la vie sont encore plus anciens que ces évidences de vie fossile. Les scientifiques ont donc étudié les roches sédimentaires les plus anciennes. Elles se trouvent au sud-ouest du Groenland, dans les sédiments d h a , âgés de 3,8 milliards d’années, et ceux d’Akilia, vieux de 3,85 milliards d’années. Ils témoignent de la présence permanente d’eau liquide, de gaz carbonique dans l’atmosphère et renferment des kérogènes, molécules organiques complexes. Ces éléments montrent que des conditions favorables à la vie régnaient alors sur la Terre. Ces sédiments anciens pourraient aussi attester de l’existence d’une vie, car le rapport des concentrations des isotopes 12 et 13 du carbone organique y est troublant. En règle générale, les
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molécules tdologiques résultant de la photosynthèse sont caractérisées par un enrichissement en carbone 12 par rapport aux carbonates minéraux. Ainsi, le rapport 12C/13Cpasse de 89 pour les carbonates marins de référence, à des valeurs comprises entre 91 et 92 pour les molécules organiques biologiques. Ce rapport est de 90,2 pour le sédiment d ’ h a et de 92,4 pour celui d’Akilia. Ces valeurs suggèrent l’existence d’une activité photosynthétique, donc d’une vie primitkre, il y a 3,8 milliards d’années. Si cette hypothèse était avérée, cela signifierait que la vie aurait fait son apparition relativement tôt sur la vaste échelle des temps géologiques.
La vie primitive Ainsi, la vie est apparue sur la Terre entre le moment où la croûte terrestre commençait à se solidifier, il y a au moins 4,4 milliards d’années, et le moment où des bactéries ont construit les stromatolithes que l’on retrouve aujourd’hui. Hélas, on ne possède aucune bactérie fossilisée plus vieille que ces dernières. On ignore même lesquels, des eucaryotes et des procaryotes, ont précédé les aurres (voir la figure 17). Des procaryotes auraient-ils évolué vers :es eucaryotes e n phagocytant des éléments qui deviendront des organites ? Au contraire, les eucaryotes auraient-ils engendré des procaryotes par simplification de leur structure, pour une plus grmde efficacité ? Dans le doute, on suppose l’existence d’un ancêtre commun des eucaryotes et des procaryotes que l’on nomme LUCA (acronyme de Last Universal Common Ancestor). Mais de LUCA, aucune trace ! Celles-ci sont perdues à jamais, effacées au fil de l’histoire mouvementée de notre planète, détruites par les métamorphoses
La toute première fabrication de molécules biologiques dans un tube à essai date de 1913. Elle revient à l’Allemand Walther Lob, qui synthétisa la glycine, acide aminé simple, en soumettant un mélange de dioxyde de carbone (CO,), d’ammoniac (NH,) et de vapeur d’eau (H,O) à des décharges électriques. Lob ne se préoccupait pas de l’origine de la vie mais cherchait à comprendre l’assimilation de l’azote atmosphérique par les plantes. Aussi son expérience est longtemps restée méconnue. En 1924, le chimiste russe Alexandre Oparin développa le concept d’évolution chimique et de chimie cc prébiotique (précédant )>
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l’apparition du vivant). I1 suggéra que les molécules organiques utilisées par lcs premiers organismes vivants furent fabriquées dans l’atmosphère primitive à partir de molécules simples telles que l’hydrogène sulfuré HIS, l’ammoniac NH,, le gaz carbonique CO,, le méthane C H, et sous l’influence de fortes radiations ultraviolettes. En 1929, le biologiste britannique John Burton Haldane formula des idées sirnilaires et les résuma sous le concept de ces groupes d’atomes liés à la chaîne carbonée. Nous citerons cinq exemples de groupements fonctionnels : hydroxyle, thiol, carbonyle, carboxyle et amine (uoir la figure 24). Quand un atome d’oxygène, lui-même lié à un atome d’hydrogène, s’accroche à la chaîne carbonée, il forme un groupement hydroxyle (-OH), très soluble dans l’eau. Ce groupement caractérise les alcoo!s simples, qui en possèdent un, et les sucres, qui en portent plusieurs. Comme le soufre appartient à la même colonne que l’oxygène dans la classification périodique, il peut, lui aussi, former un groudénommé groupement pement avec un atome d’hydrogène (SH), thiol. Le mSthanethio1 (CH,-SH) en est un exemple : nous verrons quel rôle il joue dans le métabolisme. Le groupement carbonyle est un atome de carbone lié à un atome d’oxygène par une double liaison (-C=O). Ce groupement est présent dans les sucres. Plus précisément, chaque représentant de la vaste famille des sucres porte nécessairement un groupement carbonyle et au moins deux groupements hydroxyles (-OH). En conséquence, les sucres ont généralement une formule moléculaire multiple de CH,O. Dans la chimie des êtres vivants terrestres, le sucre le plus commun est le glucose (C6H,,0,), qui peut exister sous forme linéaire ou cyclique (voir la figure 25). Lorsqii’il est lié à au moins un atome d’hydrogène, le groupement carbc’nyle caractérise les aldéhydes. Le plus simple des aldéhydes est le formaldéhyde ou formol (H,CO), également présent dans le milieu interstellaire, à hauteur de dix parties par million. Lorsque le :groupement carbonyle est coincé entre deux atomes de
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23. Avec d u carbone et de l’hydrogène, on obtient des chaînes de différentes longueurs (a), ramifiées ou non (b), avec des liaisons doubles ou triples, placées en divers endroits (c), ou des chaînes fermées en cycles (d). Deux composés de même formule moléculaire mais de formule développée différente sont des isomères.
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Aldéhyde::
24. Principaux groupements fonctionnels utiles à la vie.
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25. Le glucose existe sous les formes linéaire et cyclique. On représente souvent la forme cyclique du glucose comme une pastille hexagonale (à droite).
carbone de la chaîne, le composé fait partie de la classe des cétones. L‘acétone (CH,-CO-CH,), qui vous sert, Mesdames, à dissoudre votre vernis à ongles, est la plus simple des cétones. Le groupement carbonyle peut aussi se lier à un groupement hydroxyle. L‘ensemble forme alors le groupement carboxyle (COOH). Ce groupement a tendance à s’ioniser en -COO-, en perdant un proton H’. Les molécules qui le comportent sont acides, et on les appelle acides carboxyliques (acides gras lorsque le groupement carboxyle est fixé à l’extrémité d’une longue chaîne hydrocarbonée). Le plus simple d’entre eux est l’acide formique (HCOOH), que les fourmis sécrètent pour le projeter sur leurs agresseurs. Vous connaissez sans doute l’acide acétique (CH,COOH), principal constituant du vinaigre et l’acide butyrique (C,H,COOH), dont la présence dans la sueur fait la fortune des fabricants de déodorants. Le groupement formé d’un atome d’azote lié à deux atomes d’hydrogène est le groupement amine (-NH,) et caractérise les amines. En solution, ce groupement se comporte comme l’ammoniac, base efficace : il capte un proton de la solution aqueuse, pour devenir -NH,’.
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Les acides aminés, vedettes du monde vivant Lorsqu’un composé comporte à la fois un groupement amine
(-NH,) et un groupement carboxyle (COOH), il est dénommé acide aminit ; dans l’eau, ces groupements sont ionisés en -COO- et -NH,+. Les cellules élaborent leurs protéines, molécules indispensables, à partir de 20 types d’acides aminés qui ont une structure commune : le groupement carboxyle et le groupement amine sont fixés au même atome de carbone. Ce dernier porte aussi un atome d’hydrogène et, sur sa quatrième liaison, un radical R, que l’on nomme chaine latérale et qui caractérise l’acide aminé en question : cela donne la formule chimique générale NH,-CHR-COOH. L‘acide aminé protéique le plus simple est la glycine (NH,-CH,-COOH) : le radical R est simplement un atome d’hydrogène. C’est cette molécule que synthétisa Walther Lob en 1913. Elle se forme probablement en très petite quantité sur des grains givrés, dans le milieu interstellaire et aux confins du système solaire. Pour l’alanine, le radical R est CH,. Pour d‘autres acides aminés, R est une chaîne carbonée qui peut comporter des cycles, des liaisons doubles ou d’autres groupements fonctionnels., La chaîne latérale R confère à l’acide aminé ses propriétés chimiques : comportement hydrophile ou hydrophobe, selon la polarité des particules, et caractère acide ou basique (uoir la figure 26).
L‘expérience de Miller
I1 fallur attendre 1953 pour que soit publié le premier compte rendu d’une expérience de chimie visant ouvertement à reconstituer la chimie prltbiotique. Elle a été conçue par le jeune chimiste américain Stanley Miller, sous la direction d’Harold Urey. Tous deux ignoraient vraisemblablement l’expérience de Lob, mais s’inspiraient directement de l’hypothèse d’Oparin, formulée 30 ans plus tôt. Dans un ballon, Miller soumet un mélange gazeux de méthane (CH,),
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26. Les 20 acides aminés des protéines, classés selon les propriétés de leur chaîne latérale R, indiquée par l’ombre grise. En solution, ces molécules sont ionisées, avec une extrémité NH,’ et une extrémité COO-.
d’hydrogène (H2),d’ammoniac (NH,) et d’eau (H,O) à des décharges électriques, sous un voltage de 60 kilovolts (voir la figure 27).O n se croirait dans le laboratoire du docteur Frankenstein, imaginé par Mary Shelley en 1817...
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27. Dispositif grâce auquel Stanley Miller a obtenu, à partir de gaz et de décharges électriques, quelques molécules indispensables à la vie.
Après une semaine de ce traitement, le mélange gazeux produit un résidu goudronneux. Dans sa première expérience, Miller identifie quatre acides aminés protéiques, la glycine, l’alanine, l’acide aspartique, l’acide glutamique. I1 découvre plus tard des bases puriques des acides nucléiques, supports de l’hérédité (adénine ou guanine, dont nous reparlerons plus loin). I1 constate la présence d’acides organiques, de l’acide cyanhydrique (HCN) et du formaldéhyde (H,CO), dont on découvre le rôle précurseur dans la fabrication des briques du vivant. Apparaissent aussi des composés organiques plus complexes, comme l’urée. De cette expérience, on déduit que la synthèse d’acides aminés se fait dans une solution aqueuse à partir de petits composés organiques formés en phase gazeuse.
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La remarquable expérience de Miller fit des émules. On la reproduisit d’abord telle quelle, puis en faisant varier les conditions, à la fois la composition du mélange gazeux et la source d’énergie. Par de telles expériences, on isola 17 des 20 acides aminés constituant les protéines, ainsi que quelques éléments constitutifs des acides nucléiques. Toutefois, la composition du mélange gazeux souleva immédiatement des questions. On fit valoir que l’atmosphère artificielle de Miller contenait trop de méthane et pas assez de gaz carbonique par rapport à l’atmosphère précambrienne supposée. En effet, si l’on se fie à l’exemple de Mars et de Vénus, les deux sceurs de la Terre, il apparaît que l’atmosphère primitive devait être riche en dioxyde de carbone. Hélas, lorsque les chimistes refont l’expérience de Miller en remplaçant progressivement le méthane par du dioxyde de carbone, c’est-à-direen passant d’une atmosphère très réductrice à une atmosphère moins réductrice, la fabrication des acides aminés diminue terriblement. Reste alors à interpréter les ingrédients de l’expérience de Miller. Le méthane a-t-il été libéré par les éruptions volcaniques, ces dernières apportant en outre l’énergie nécessaire aux réactions chimiques ? Les ultraviolets et les éclairs, qui apportent de l’énergie aux solutions aqueuses qu’ils atteignent, n’ont-ils pas en outre un effet destructeur ?
Les sources hydrothermales sous-marines Certains chercheurs pensent que la vie est apparue au fond des océans, au voisinage des éruptions volcaniques sous-marines et des sources hydrothermales. À l’endroit où les plaques s’écartent, le manteau remonte et forme les dorsales océaniques, véritables chaînes volcaniques sous-marines. Au cours de son ascension et de son refroidissement, le magma se contracte et se fissure. L‘eau de mer s’infiltre dans la nouvelle croûte océanique, où elle est portée à des températures avoisinant 350 O C . Elle se charge en gaz - hydrogène, azote, oxyde de carbone, dioxyde de carbone, méthane, anhydride sulfureux, hydrogène sulfuré - provenant, en partie, de la réduction
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des carbonates et des sulfates qu’elle contient sous forme dissoute. Ceau, ainsi chauffée et enrichie en gaz, s’échappe sous forme de geysers (woiy lu figure 28). 28. Les sources hydrothermales S (3usmarines ou fumeurs noirs, apporte!nt des
élément Ci nécessaires à la vie.
Les sclurces hydrothermales présentent l’environnement réducteur nécessaire aux synthèses prébiotiques et fournissent l’énergie thermique par l’intermédiaire du magma incandescent. Cependant, la température de 350 OC représente un sérieux handicap, car, à ces températures élevées, les briques du vivant ne sont pas stables. Lorsque la température est moins élevée, comme dans le rift des Galfipagos, où les gaz sortent à une température voisine de 40 OC, on perd le bénéfice de l’énergie thermique, et les synthèses chimiques n’ont plus lieu. Le compromis est délicat. Des scientifiques japonais ont simulé en laboratoire les conditions des bouches volcaniques sous-marines (325 OC, 200 kilogrammes par centimètres carrtis). Ils ont identifié les traces de deux acides aminés (glycine et alanine) en partant d’un mélange de méthane et d’azote.
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Les rendements sont de l’ordre de 0,0002 pour cent par rapport au méthane. I1 est vrai que, dans le système fermé utilisé, la dégradation thermique évoquée plus haut entre sérieusement en compétition avec les réactions de synthèse. À la chaleur des sources chaudes sous-marines, l’Allemand Günter Wachtershauser associe l’énergie chimique. Cet agent des brevets (comme l’a été Albert Einstein.. .), titulaire d’un doctorat de chimie organique, a fait de la question de l’origine de la vie son violon d’Ingres. Dans les années 1980, il a élaboré une théorie originale, selon laquelle les molécules organiques primordiales se seraient formées par réduction du dioxyde de carbone grâce à la réaction de l’hydrogène sulfuré (H,S) sur le sulfure de fer (FeS). Cette réaction permet de synthétiser des molécules organiques à partir du dioxyde de carbone et produit de la pyrite (FeS,) capable, par un phénomène d’adsorption, de fixer les molécules organiques formées à la surface des cristaux. Ces molécules auraient alors évolué à la surface des grains minéraux. Le réseau organique et son support minéral se seraient développés conjointement. L‘idée procure un joli scénario pour l’apparition de la vie, mais qu’en est-il en laboratoire ? Les résultats sont encourageants, puisque le sulfure de fer, l’hydrogène sulfuré et le dioxyde de carbone, réagissant dans un milieu dépourvu d’oxygène, donnent de l’hydrogène et quantité de dérivés soufrés dont le méthanethiol (CH,-SH). Ce dernier active chimiquement les acides aminés, qui pourront ensuite s’associer en longues chaînes. Car nous sommes arrivés à l’étape suivante : pour former des protéines, les acides aminés doivent s’enchaîner comme les perles d’un collier.
Fabriquer de grosses molécules La polymérisation (formation de longues chaînes) est une caractéristique majeure de la chimie du vivant. Les protéines sont des polymères, les plus nombreux et les plus différenciés au sein de la cellule vivante. Certaines remplissent une fonction de soutien, le collagène
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par exemple. D’autres, plus nombreuses, catalysent les réactions chimiques vitales : ce sont les enzymes, telles que celles qui nous permettent de digérer, ou celles qui aident à la réplication de l’ADN. Les glucides, les sucres qui flattent notre palais, sont parfois des polymères : les monosaccharides tels que le glucose comportent un seul monomère, les disaccharides en comportent deux, et les polysaccharides sont des polymères. Sur la Terre, les végétaux emmagasinent les glucides sous forme d’amidon, un polysaccharide constitué par la répétition du glucose. D’autres polysaccharides renforcent la structure de la cellule : c’est le cas de la cellulose, également form6e à partir du glucose. Les graisses, qui servent de réserves d’énergie aux animaux de la Terre, sont elles aussi des polymères. Elles sont constituées d’une petite molécule de glycérol (C,H,O,) liée à un, deux ou trois molécules d’acide gras. Ce dernier s’accroche au glycérol par réaction entre son groupement carboxyle (COOH) et un des trois groupements hydroxyles (-OH) du glycérol (voir la figure 29). Cette réaction, qui libère une molécule d’eau, s’appelle une condensation, et la liaison qui en résulte est une liaison ester.
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29. Les lipides (acides gras) sont stockés sous forme de triacylglycérol : trois acides gras sont liés à une molécule de glycérol par une liaison ester (b). Cellec i est obtenue par retrait d’une molécule d’eau (a).
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Seulement voilà : les molécules précurseurs ne peuvent s’assembler que si elles se rencontrent, ce qui est peu probable quand elles flottent dans un grand volume. En revanche, leurs routes se croisent plus facilement lorsqu’elles se promènent sur une surface. C’est là qu’interviennent les surfaces minérales comme la pyrite ou les feuillets d’argile. La rencontre faite, il faut ensuite la faire aboutir. Malheureusement, la réaction de condensation qui liera les deux molécules est en ballottage très défavorable avec le grand nombre de molécules d’eau qui les entourent. C’est pourquoi la présence d’un agent d’activation chimique comme le méthanethiol est nécessaire : il active les acides aminés, qui peuvent ensuite réagir entre eux pour se lier. La formation de tels agents dans les expériences qui miment la chimie des sources hydrothermales est donc pleine de promesses.
La création des membranes Un autre axe de recherches en laboratoire concerne les molécules de soutien des cellules, qui constituent les membranes. En 1925, le biologiste britannique John Haldane écrivait que > Les membranes cellulaires sont formées de molécules amphiphiles, qui possèdent à la fois une tête polaire hydrophile et des chaînes carbonées hydrophobes. Quand on les force à se mélanger à l’eau, les molécules amphiphiles s’ordonnent en structures à deux couches : les queues hydrophobes se rassemblent, face à face, à l’intérieur de cette bicouche, et sont séparées de l’eau par les têtes hydrophiles, à l’extérieur de la bicouche (uoir la figure 30). Si la bicouche est plane, ses bords sont en contact avec l’eau, au grand dam de ses queues hydrophobes. Pour éviter ce contact, les bicouches s’arrangent en petites structures sphériques : les têtes hydrophiles forment la surface de la
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30. Lorsqu’un lipide comporte un groupement phosphate, comme ce phospholipide, elle devient arnphiphile : la tête qui comporte le phosphate est hydrophile, tandis que les acides gras forment une queue hydrophobe. Ces molécules crfient dans l’eau des structures en bicouches, semblables aux membranes des cellules.
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sphère, tandis que les extrémités hydrophobes s’orientent à l’intérieur de la sphère, d’où l’eau est exclue (voir la figure 3 1). Une telle structure en microsphères caractérise les émulsions, comme la mayonnaise et la vinaigrette. Essayez de mélanger de l’eau et de l’huile : vous devez agiter l’ensemble pour obtenir de minuscules bulles d’huile dans l’eau. Ainsi, tout le monde sait fabriquer des membranes lipidiques, en faisant la cuisine. On en crée aussi en faisant la lessive, car les molécules de savon et de détergent possèdent une tête hydrophile et une extrémité lipophile (qui aime l’huile et donc n’aime pas l’eau). Pour nettoyer une tache d’huile sur un morceau de tissu, on plonge celui-ci dans une eau savonneuse : les queues lipophiles entourent la tache d’huile et finissent par la décrocher de son support textile en l’enfermant dans une microsphère. I1 suffit alors de rincer le linge pour éliminer les salissures que le détergent retient Cette alternative à la théorie de la génération spontanée est apparue très tôt dans l’histoire des idées. Dès le ve siècle avant notre ère, le philosophe et astronome Anaxagore de Clazomènes pense que chaque parcelle de matière de l’Univers contient des traces de vie et pourrait ensemencer les planètes. L‘idée que la vie existe ailleurs que sur la Terre trouvera des adeptes enthousiastes durant plus de deux millénaires et arrivera jusqu’à nous. En 1865, après la défaite définitive de la théorie de la génération spontanée, le médecin allemand Hermann Richter affirma que des germes de micro-organismes auraient ensemencé notre planète, par le biais des météorites. I1 dénommait ces micro-organismes , autres que cinématographiques ou de science-fiction, il n’y en pas encore eu, après 40 ans d’écoute attentive.. . Bien sûr, les espoirs sont encore permis, et si le Seti recevait un jour un signal émis par une intelligence, la nouvelle ferait sensation dans le monde entier. Cependant que ferait-on exactement d’un tel contact ? Le message serait-il compréhensible ? Pourrait-on engager une conversation avec les extraterrestres ? Sachant que les éventuels signaux reçus auront mis plus de 50 années pour nous parvenir, et qu’il en faudra autant pour que notre réponse atteigne nos interlocuteurs (sans compter le temps qui nous sera nécessaire pour apprendre ce nouveau langage), on se doute que ce ne sera pas une discussion à bâtons rompus. Mais nous n’en sommes pas là.. .
N‘est-ce pas paradoxal ? S’il existe des êtres intelligents dans l’univers, > ? C’est le grand physicien Enrico Fermi qui posa la question dans les années 1950, alors qu’une partie de la population américaine et française croyait voir des soucoupes volantes. Selon Fermi, si les extraterrestres existaient, ils auraient dû nous rendre visite depuis belle lurette. En effet, à la naissance de notre système solaire, il y a 4,5milliards d’années, notre galaxie, la Voie Lactée, était déjà âgée de près de 5,5 milliards d’années, si bien qu’une civilisation galactique