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French Pages 258 Year 1962
COLLECTION
I»ÊES
Pierre Mendès France
La République moderne PROPOSITIONS
Gallimard
'f'oü;d droits de traduction, de reproduction et d' aM-ptation réserYés pour tous pays, y compris l' U. R. S. S. © 1962, Editions GallimartJ.
A la mémoire de Georges Bonis, ami irremplaçable. P. M.-F.
A quelles nécessités, à quels objectifs doivent répondre nos institutions? C'est ce que ce livre tente de rechercher, compte tenu des structures économiques, sociales, psychologique!!! d'un pays ~omme le nôtre, parvenu à ce point de son histoire. Si nous voulons le succès d'un certain type de solutions plutôt que d'un autre, il faut que ces solutions soient connues à l'avance; il faut qu'on sache qu'elles ont été méditées, débattues, rejetées peut-être par les uns, acceptées sous réserve par d'autres, ou sans réserve par d'autres encore. Il serait souhaitable même que chaque citoyen ait déjà fait son choix parmi elles. Peu importe qu'elles soient critiquées ici ou là, l'essentiel est qu'elles existent. A partir du moment où elles sont discutées, elles font leur chemin, elles contribuent à ranimer la vie politique, à préparer l'avenir. Alors, quand le problème du régime se posera, l'opinion spontanément prononcera son jugement.
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L'essai qui suit ne prétend pas à l'originalité beaucoup des idées qu'il résume sont dans l'air, elles ont fait l'objet de délibérations dans des milieux et des partis très divers. Il faut faire apparaître le plus grand commun dénominateur entre ce qui a été retenu par les uns et par les autres. Ce dénominateur commun constitue déjà une base importante sur laquelle pourraient se rassembler des hommes actuellement dispersés. Et cela devrait leur permettre d'élaborer un contrat politique à l'exécution duquel toutes les forces de progrès pourraient un jour participer. Cette base d'accord n'est pas intangible. Les modalités peuvent en être améliorées et complétées ; mais elles forment un ensemble lié dont les divers chapitres se commandent mutuellement. Rebâtir, par exemple, de meilleures institutions politiques ne servirait pas à grand-chose si on ne leur adjoignait pas les organes d'une démocratie économique ; organiser la planification économique n'aurait guère de sens si on ne commençait pas par préciser pour qui et pour quoi on planifie, si cette planification était privée de moyens de s'imposer, si elle n'était pas élaborée, exécutée, et contrôlée avec les organisations sociales et professionnelles qualifiées, si le gouvernement n'était pas assuré de durer par principe aussi longtemps que le plan lui-même. Base d'accord, mais, du même coup, base minimum puisque chacune des réformes envisagées ne portera ses fruits que si les autres sont acceptées ; et s'il est entendu qu'une fois tel ou tel objectif arrêté en commun, tout ce qu'il faut faire pour l'atteindre devra être fait.
1ntroduction
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Si maintenant on objectait que des questions d'importance ne sont pas traitées ici, je répondrais d'abord que mon intention n'était pas de dresser un catalogue de toutes les réformes souhaitables. De tels catalogues existent, nous n'en avons que trop connu ; la multiplicité des promesses n'a jamais garanti l'étendue des résultats. Mieux valent des propositions provisoirement incomplètes mais honnêtement adaptées aux possibilités que les panneaux-réclame dont on a abusé. Je répondrais surtout que l'ensemble des propositions qu'on va lire commande toutes les réalisations ultérieures. Et je mets au défi quelque homme politique, quelque parti que ce soit d'entreprendre demain une authentique démocratisation de l'enseignement, de modifier la répartition du revenu national au profit des classes défavorisées, d'assurer le contrôle par l'État des positions dominantes de l'économie, d'assurer désormais le respect des libertés fondamentales et des droits de l'homme, de se faire obéir par une armée qui fasse corps avec la Nation ... , si les problèmes institutionnels n'ont pas d'abord reçu une solution correcte. Si l'on n'a pas fait choix, autrement dit, des leviers qu'il conviendra d'employer. Un grand pas serait franchi le jour où une im· portante fraction des citoyennes et des citoyens de ce pays aurait pleine conscience de cette situa· tion et des devoirs qui en découlent. La France paysanne et bourgeoise de 1789 sa· vait ce qu'elle voulait : la terre et l'abolition des privilèges. La Russie ouvrière et paysanne de 1917 savait ce qu'elle voulait : la paix, la terre et du pain. La France de 1962 n'éprouve pas de faim
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aussi simple et aussi urgente, bien que les nécessités qui s'imposent à elle soient au fond aussi graves. Il s'agit pour elle d'inaugurer une expérience qui n'a pas encore été faite : instaurer une démocratie à la fois économique et politique dans un grand pays moderne. L'information et la lucidité doivent donc remplacer l'évidence du besoin. L'évolution politique dépend des structures économiques et sociales. Or, ces structures ne sont jamais totalement stables ni totalement homogènes. Des forces divergentes s'y opposent, ou convergentes s'y additionnent, en combinaisons variables et changeantes. Tel un liquide en surfusion où rien ne laisse deviner de surprenantes virtualités que le plus petit cristal révélera soudain, ce pays peut, quelque jour, exiger de grandes réformes. Dès maintenant, ne les attend-il pas? Il faut préparer l'échéance. Il faut prévoir ce que pourra être, définir et clarifier ce que nous voudrions que soit l'orientation nouvelle du pays 1 •
(1) Je tiens à remercier ici Colette Audry qui a collaboré avec intelligence et dévouement à la réalisation de ce livre.
LES
DONNÉES
CERTITUDES ET PERPLEXITÉS DES FRANÇAIS Depuis un an, j'ai visité un grand nombre de villes et de départements. Il ne s'agissait pas de courir d'un chef-lieu à l'autFe pour donner une représentation le soir et repartir à l'aube. Les meetings que j'ai tenus n'étaient jamais le but du voyage. Je venais d'abord rencontrer des hommes - individuellement ou par petits groupes - que leurs fonctions, leur vocation, leurs activités amènent à suivre les affaires de la région ou celles du pays. J'ai parlé avec les dirigeants des plus importantes formations et associations professionnelles, syndicales et culturelles, les représentants des centrales ouvrières, des organisations agricoles et patronales, des groupements de jeunesse, des mouvements d'étudiants, des cadres du secteur public et du secteur privé. Artisans et universitaires, médecins, magistrats, journalistes, fonctionnaires, militants politiques, hommes de gauche et hommes de droite, les uns engagés, les autres « ne faisant pas de poli-
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tique », tous étaient en contact direct avec le·s réa· lités qui font notre pays, tous se sentaient responsable_s à quelque degré de son évolution et de son avenir. De Grenoble à Lille, de Rennes à Clermont-Fer· rand, de Bordeaux à Strasbourg, j'ai écouté leurs jugements, leurs critiques, leurs pronostics ; ils m'ont dit leurs soucis et leurs inquiétudes. Je les remercie de m'avoir aidé à mieux comprendre la France d'aujourd'hui. Certains observeront que de pareils entretiens laissent inévitablement de côté les masses pro· fondes, celles qui, tout en se sentant concernées, ne s'estiment en aucune façon engagées, qu'on pour· rait désigner sous le terme de « pays réel et muet » par opposition, non pas au pays légal, mais au pays qui s'exprime et se manifeste par des discours, des débats, des articles, des ordres du jour, des interventions auprès des pouvoirs publics. Ce sont les masses qui se pressent sur les routes et sur les place·s au passage du chef de l'État, et puis rentrent chez elles pour se replonger dans le silence ; mais qui, lorsqu'elles s'ébranlent ou vont seulement déposer dans l'urne un bulletin de vote, décident souverai· nement. En réalité, ce réseau complexe d'individus que j'ai consultés, de personnalités, de représentants de collectivités, n'est jamais coupé des masses profondes. Il y baigne. Ces animateurs qui parlent au nom de leurs groupes ne cessent d'observer le pays et ses :réactions. On aime à répéter qu'un cinquième seulement des travailleurs sont syndiqués ; mais, que les grandes centrales s'unissent pour lancer un ordre de grève, et c'est toute une branche prof es-
Certitudes et perplexites des Français
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sionnelle, parfois la classe ouvrière entière qui suit. Les rassemblements de foule et les ovations aux tournées présidentielles ne doivent pas égarer l'observateur. Ils satisfont un certain goût populaire des cérémonies ; ils traduisent un certain état momentané de l'opinion. En vérité, on n'en peut rien conclure quant à l'avenir à m6yen terme ou même à court terme. Cet état peut changer d'un jour à l'autre. Les témoignages recueillis s'étalent sur de longs mois pleins de péripéties et d'émotions politiques. Quand une enquête - et c'est le cas ici - dégage quelques points d'accord massif ; quand ces points d'accord, surgis dès le début, n'ont pas varié au cours d'une période aussi chargée, alors on est sûr de tabler sur du réel ; on peut affirmer que des sentiments collectifs profonds se sont exprimés. Et cela doit être porté à la connaissance du pays. Car si celui-ci prend conscience de lui-même, l'action à venir se profile. C'est déjà comme s'il commençait à agir. C'est déjà un événement politique.
LES POINTS n'ACCORD
Quels sont ces points d'accord? 1. - Tout le monde a conscience du caractère intérimaire du régime sous lequel nous vivons depuis 1958. Parmi les hommes qui m'ont parlé, beaucoup ont voté « oui )) aux divers référendumi et ne le regrettent pas, et d'autres ont voté« non». Mais personne ne croit à la survie de la ye Répu·
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hlique: chacun la voit s'user, s'essouffler, courir sur sa fin. Les plus confiants supposent que « le système actuel durera autant que de Gaulle ». Même pour eux se pose donc, dès maintenant, le problème de lique, e' est le même vice, mais en sens inverse~ Cette fois, c'est le chef de l'État qui, non content de détenir l'exécutif, s'arroge allSsi, par une série d.~ dispositions constitutionnelles ou d'empiétements de :fait 1 une partie du législatif et réduit le Parlement à un rôle mineur. Alors qae, dans la tradition républicaine, le: Parlement est l'instance compétente pour la cODfeetiOG. des lois,. le goltlve:rnement n'intervenant qu'en seconde ligne - soit lersque le Parlement n'a pas statué, soit sur uBe délégation par lui donnée - la Constitution de 1958 a renversé le ~incipe du to;ut au tout_ Le domaine- de la Législation parlementaire est maintenant défini par voie d'énumération limitative; l'art. 34 de la Constitutio-n contient la liste des matières 2 dans lesquelle5 les assemblées ont vocation pour poser les« règles>) ou les« principes fondamentaux»-. Toutes les autres matières ont un earactère réglementaire et, eu 1.. «J'ai e• personnellement affaire, cm treize ans, àvingt-six déclare ~tienne Hirsch, en tant que membre du Commissariat au Plan et ensuite comme Commissaire au Pmn. Ceci voulait dire que les g(')l(lvernements n'étaient pas les mêm..es lors. de l'élaboration du Plan, puis pour la discussion au Parlement et enfin pour la période œexécution. Une grande partie dt'l temp6 était passée à expliquer à des ministres qui étaient sous le coup d'une interpellatien ou sous la menace d'une crise, ce qu'il était bon. de préparer pour les quatre armées suivantes, et, maintes fois, j'ai eu l'impression que le ministre auql!lel je m'adressais se demandait si j'avais vraiment conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. n 2. Matières à vrai dire nombreuses et importantes, mais là n'est pas la question. gouvernements~
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vertu de l'art. 37, relèvent de la seule compétence du gouvernement. Son pouvoir réglementaire s'exerce alors en toute indépendance, jusqu'à modifier ou amender des textes qui ont fait anté· rieurement l'objet de lois votées par le Parlement. C'est donc lui qui devient, selon la remarque du professeur Rivero « le législateur de droit corn· mun », c'est-à-dire le législateur de principe, tandis que le Parlement n'est plus légi~lateur que dans la mesure où on lui attribue ce pouvoir. Le voici réduit au rôle de « législateur d'attributions >>, ou même d'exception. Au surplus, alors que la législation parlementaire ne peut statuer sur les matières qui relèvent désor· mais de la compétence gouvernementale, la législation gouvernementale, elle, peut s'étendre au domaine parlementaire ; il suffit pour cela d'une loi d'habilitation prévue par l'art. 38 de la Consti· tution, loi qui peut suspendre le pouvoir de législation parlementaire pendant une durée déterminée. Et ces règles, déjà si restrictives, sont appliquées dans un esprit particulièrement limitatif. Léo Hamon a fait ressortir le caractère timoré de l'interprétation donnée à l'ensemble des textes constitutionnels par le Président de l'Assemblée Nationale. Il évoque sa « prudence » et indique qu'il a toujours préféré «ne pas aller jusqu'au bout de la compétence législative possible (plutôt) que risquer un nouveau désaveu du Conseil consti· tutionnel ». Ce dernier, dont la complaisance à l'égard de l'exécutif ne s'est jamais démentie, a, dans plus d'une circonstance, décidé que l'une des Assemblées avait outrepassé ses pouvoirs, en
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statuant sur telle matière qui ne relève·. que de la compétence législative gouvernementale. On sait, enfin, que l'exécutif est en droit de promulguer par décret le budget s'il n'a pas été définitivement voté par les deux Chambres, soixante dix jours après son dépôt - extension supplémentaire et considérable du pouvoir législatif gouvernemental1. A vrai dire, convient-il de parler encore du gouvernement et de ses prérogatives? Soit par l'application de principes inhérents à la Constitution ellemême, soit par des extensions continuellement répétées dans la pratique quotidienne, il n'existe plus à proprement parler de gouvernement doté d'une personnalité propre. Si, sous la IVe République, le gouvernement était comme dissous dans l'Assemblée, il est aujourd'hui dissous dans la personne du chef de l'État. Un homme seul conçoit la politique, décide et ordonne. S'il n'a pas le temps ou le goût de s'occuper de certains problèmes, son entourage ou un ministre en sont chargés par lui ; à charge par eux d'interpréter la pensée présidentielle comme le faisaient leurs prédécesseurs lorsqu'ils essayaient de traduire les préférences des partis et des couloirs. Mais ce n'est pas impunément qu'on annihile le Parlement. L'activité et le contrôle parlementaires obligent le gouvernement à exposer sa politique, à 1. Tout le monde sait aussi que, par l'art. 16 de la Constitution, le Président de la République est autorisé à prendre toutes les mesures qu'il estime utiles si les circonstances lui paraissent le justifier et que,'par l'art. 11, il dispose du droit de faire modifier lois ordinaires et lois organiques concernant l'organisation des pouvoirs â publics par recours au référendum, etc.
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publier des faits qui permettr.ont de la discuter, à rendre compte de la marche des affaires~ publiques ; en d'autres termes, la critique parlementaire est à la source de la liberté de l'information. Et l'histoire de notre pays comme, celle des autres peuples, enseigne que la vitalité de toutes les libertés est également liée à l'existence d'un Parlement respecté. « Un pouvoir sans contrôle est fou ... Un peuple n'est libre que dans la mesure où il n'abdique pas l'exercice de la souveraineté entre les mains d'une seule Assemblée, d'un seul parti, d'un seul homme. >> Cette leçon d'Alain, reprise par le profess-eur Vedel, s'applique à la ve comme à la IVe République. L'une et l'autre ont ignoré la nécessité d'un partage et d'un équilibre des tâches et des prérogatives, et nous en mesurons les conséquences : toutes deux ont subi une évolution de plus en plus rapide vers la monopolisation du pouvoir ; hier, par l' Assemblée Nationale, aujourd'hui par le chef de l'État. Hier en direction de l'anarchie, aujourd'hui de l'arbitraire. Ce qui a manqué, dans les deux cas, c'est un jeu de contrepoids, d'équilibre, de coopération - que d'autres pays ont su mettre en place. Dans les deux cas, le pouvoir se trouve porté tout entier d'un côté; il en résulte que le régime, lui, porte à faux. Dans les deux cas, sous des apparences très différentes, l'effet est le même: un système faible, incertain, que le pays ne comprend pas, qu'il supporte mais auquel il n'adhère pas. Certes, sous la IVe République, la volonté populaire pouvait se manifester aux urnes. Et, sous la ve, il lui arrive, à la longue, d'obtenir satisfaction (la paix en Algérie en est un exemple). :Mais elle n'a jamais pu, à la fois, ordonner et ohte-
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nir satisfaction, donner une orientation au départ et veiller à l'exécution de la politique choisie par elle, se reconnaître dans l'action menée, ressentir la fierté d'avoir manifesté sa souveraineté dans la décision prise d'abord, dans sa mise en œuvre ensuite. Sous la IVe, elle s'estimait trompée ; sous la ve, elle se sent traitée en mineure. Ce qu'on peut dire, c'est qu'elle accepte aujourd'hui d'être traitée en mineure, par dégoût d'avoir été trompée ; mais elle ne l'acceptera pas toujours. Si nous voulons donner demain à la France un régime qui garantisse la participation effective des citoyens à la détermination d'une politique d'une part, et lui assure d'autre part l'efficacité et la continuité dans l'exécution, il nous faudra donc réaliser l'équilibre des pouvoirs, dont Montesquieu, il y a deux siècles, montrait la nécessité : « Tout homme qui a le pouçoir (et j'ajouterai : tout corps constitué qui a du pouvoir) est porté à en abuser; il ça jusqu'à ce qu'il trouPe des limites ... Pour qu'on ne puisse abuser du pouPoir, il faut que, par la_ disposition des choses, le pouçoir arrête le pouPolr. » C'est dans l'équilibre des pouvoirs que réside la démocratie. C'est cet équilibre qui est lui-même déjà la démocratie.
ROLE
ET
LIMITES
DU
PARLEMENT
Cet équilibre manquait à la Constitution de 1946. Il ne manquait pas moins à celle de 1958 et l'usage qui en a été fait a encore aggravé ce défaut.
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Quand il s'agira de corriger les errements de la ye République, il faudra veiller à ne pas retomber dans ceux de la IVe. On trouve les hommes de gauche aisément acquis à l'idée de mettre des freins et des garde-fous aux abus de l'exécutif. C'est que l'émancipation et la conquête de la liberté se sont faites à l'origine contre le roi et ses ministres. Il fallait leur résister, limiter leurs prérogatives, les soumettre au contrôle d'un Parlement dont les droits devaient être constamment renforcés. Tout au long du dernier siècle, en face d'Assemblées émanant du peuple, les gouvernements étaient composés de notabilités conservatrices qui avaient pour tendance et pour mission de contenir et Ide freiner la poussée populaire. Agir dans le sens de cette poussée, c'était d'abord lutter contre le pouvoir. Il fallait affaiblir le pouvoir pour que le peuple eût la parole. Ainsi se constitua une tradition demeurée vivace. C'est pourquoi tant de républicains et de socialistes demeurent réticents lorsqu'on veut assurer la solidité et la stabilité gouvernementales. Mais ce serait une erreur de concevoir l'extension de la démocratie par des méthodes qui paralysent l'action de l'État en un temps où ceux qui parlent en son nom doivent disposer des moyens nécessaires pour tenir tête aux intérêts particuliers et aux forces économiques et financières. Il est bien' vrai - de Gaulle (après Montesquieu!) vient de nous le confirmer - que l' exécutif peut céder à des tentations antidémocratiques parce qu'il détient le pouvoir matériel, parce qu'il commande à l'Administration, à la police, à l'armée, parce qu'il dispose des crédits; il est bien
vrai que le pm1vo:ir est corr111pteur et to~jours: gœe-tté pat' l'aiDbi:traitre. MaiS il ne faud.rait pa~ opposer l'exécutif tel qu'il est ou riscque d'être au J.égislatilf tel- Gft!'il devmllÏt être. Cru: en.lin, les As,sembl:ées, elles aussi., cmt leurs ID.aJt~vais penchants et la P'ente les pousse, on ne le sait que trop, à la démagogie, aux empiétements sur Faction gouvernementale, aliX jeux d..es intrigues. Et les gFOupes de pression, les lo,blJies fréquentent tout autant les couloirs- des Ass-eJ.ll'!llhlées que les antich:atmJbres d1~s ministères. Le halan.cie~: est passé die l' amnipotooce de l'As· semib'-lëe à celle de l' exécatil. Ne le ramenons pas à sa positi()t:); a,ntériem'e! L'imp.ortanee du Parlement déeoule de ce qu'il émane de la volonté poplllaŒre et qu'il la représente ; il ef!t, d'abord et avant tout,. le pouvoir représentatif. R-eprésentatif des idéologies, des d:octrines quiÏ- s'opposent dans l'opinic:m pour trancher les débats politiques. Représentatif des forces socio--p-rofessionnelles 1 pour d.;Qnner leurs solutions aux oppositi.ons d'intérêts et aux problèmes que pose la politique économique. G' est parce que le Parlement représente la volGnté natienale qu'il lui appartient de contrôler l' ex;éeution, par le gouvernement, d.e la politique voulue pax le pays. C'est pourquoi, aussi, ilia traduit en lois ; pouvoir représentatif et pouvoir législatif ne font qu'un, en principe. Ils doivent être séparés de l'exécutif. La séparation des pouvoirs est l'un des moyens de cet équilibre institutionnel dont on a montré la nécessité. 1. Sur la représentation des forces socio-professionnelles voir ·chapitre V.
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Toutefois, cette séparation ne saurait être absolue. La volonté qui s'exprime aux Assemblées n'existe pleinement que lorsqu'elle s'applique. Il faut que les décisions prises soient exécutées, mais elles ne peuvent l'être par six cents députés. Seule est apte à passer à l'exécution une équipe restreinte, homogène, ayant une orientation. C'est là une nécessité de travail. Les deux principales institutions de l'État sont donc créées pour coopérer. Leur liaison est inéluctable ; elles agissent et réagissent constamment l'une sur l'autre. Certains domaines ne peuvent appartenir en propre à l'une ou l'autre, mais sont en fait inévitablement partagés. Il en est ainsi de l'œuvre législative elle-même parce qu'elle est devenue aujourd'hui lourde, complexe, mouvante, et parce qu'elle requiert parfois une extrême célérité. En France, comme à l'étranger, les Assemblées ont donc été amenées à laisser les gouvernements statuer et trancher en des domaines où leur compétence était autrefois exclusive ; c'est souvent le cas dans le domaine économique, qui justement tend à devenir l'un des plus importants champs d'action de l'État. Pour appliquer la politique convenue entre le Parlement et le gouvernement, ce dernier doit recevoir de larges habilitations, lui garantissant les coudées franches et les délais nécessaires. Vingt fois, dans le passé, la volonté populaire a été mise en échec parce que le gouvernement était privé des moyens de la faire prévaloir ; ce fut le cas des gouvernements E. Herriot (en 1925) et Léon Blum (en 1937 et 1938) qui durent se démP-ttre devant des coalitions politico-finan-
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cières. S'ils avaient disposé du droit de dissolution, ils n'auraient pas é'té renversés car on savait qu'ils avaient le pays avec eux. La même observation s'applique à un gouvernement qui, vingt ans plus tard, ne dura que sept mois et dix-sept jours. Auraient-ils été renversés néanmoins, ces gouvernements seraient allés devant le suffrage universel et seraient revenus avec des majorités accrues. Le peuple aurait eu le dernier mot. Ainsi, le renforcement des pouvoirs gouvernementaux, loin d'affaiblir la démocratie, peut lui permettre de se prononcer plus efficacement. Lorsqu'on dénonce les « tares » du parlementarisme tel qu'il fut pratiqué par la IVe République, nous répondons souvent qu'elle est morte non pas d'un excès, mais d'une insuffisance de démocratie. Il n'y avait pas assez de démocratie, en effet, puisqu' on ne faisait pas la politique voulue par le pays. Seulement, cette insuffisance de démocratie ne tenait pas à ce que l'Assemblée n'avait pas assez de pouvoirs. En vérité, c'est l'exécutif bien souvent qui n'en avait pas assez.
LA.
PART
DU
CITOYEN
Mais peut-on se fier exclusivement à des articulations juridiques, fussent-elles les mieux conçues, à des députés et des ministres, fussent-ils animés des meilleures intentions, pour surmonter de grandes difficultés, pour résoudre de grands conflits de doctrines ou d'intérêts? La àémocratie de l'État peut-elle vivre si le
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plus grand nombre possible d'individus ne participent pas directement à la gestion des affaires ? Non, car la démocratie ne se localise pas au sommet. Le bulletin de vote demeure symbolique si le citoyen se satisfait de cette forme de souveraineté. La volonté nationale ne peut triompher que si le peuple exerce directement son action au sein des innombrables organisations, locales ou nationales, où sont traitées toutes les questions qui ont des conséquences sur la vie publique. « Le degré de démocratie existant dans un pays donné se mesure à la densité de participation des habitants à l'ensemble des affaires à caractère public, c'est-à-dire aux affaires ayant des conséquences sur la vie publique, celles qui ne sont pas strictement individuelles ou familiales. » (Pierre Belleville.) Une irrigation démocratique de toute l'activité collective a constamment manqué depuis vingt ans. Cause et conséquence à la fois des déficiences décrites plus haut. Mais leçon aussi pour l'avenir. Rétablir une démocratie formelle ne suffira pas ; pour bâtir une démocratie réelle, le concours de tous sera indispensable. Il n'y aura pas de démocratie si le peuple n'est pas composé de véritables citoyens agissant constamment en tant que tels.
III
LA PERSONNALISATION DU POUVOIR La nécessité d'un exécutif fort et durable est présente à l'esprit de tous. Si de Gaulle a rencontré si peu de résistance à son accès au pouvoir, c'est que la débilité et l'instabilité des gouvernements avaient fini par exaspérer à tel point l'opinion que celle-ci admettait désormais n'importe quelle issue, pourvu qu'elle mît un terme au désordre antérieur. La stabilité, bien plus encore que l'efficacité (qui doit être le principal objectif, mais dont la réalité est toujours plus difficile à prouver) fut le thème essentiel des promoteurs de la ye République 1 • Chaque discours de de Gaulle, quel 1. Stabilité qui, malgré les apparences, n'est que très relative, puisque, au changement de gouvernement Debré-Pompidou, il faut ajouter les innombrables remaniements ministériels qui se sont succédé depuis le 13 mai. Nous avons eu en quatre ans, 5 ministres de l'Éducation nationale, 3 ministres des Finances, 7 ministres de l'Information, 3 gardes des Sceaux, etc. Toutefois, de Gaulle apparaissant comme le seul véritable chef, la masse se soucie peu des mutations et permutations; elles lui semblent secondaires bien qu'elles portent atteinte comme sous la IV 8 à la continuité et à l'efficacité du gouvernement.
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qu'en soit l'objet, s'achève sur la perspective menaçante -si le pays venait à lui répondre NONd'un inéluctable retour aux faiblesses de la IVe, spectre de tous les malheurs qui guettent le pays. Et chaque fois qu'il est question d'élargir encore les prérogatives du chef de l'État, c'est la stabilité du pouvoir qui est invoquée derechef à titre de justification. Emporté ainsi par sa logique, le système actuel tend à se dépasser lui-même chaque jour davantage. A la Constitution de 1958 qui dessaisissait déjà presque totalement l'Assemblée en accordant au Président de la République et des pouvoirs législatifs très étendus, et le droit de dissolution ; aux déviations imposées à cette Constitution par le recours à l'art. 16 et toute une série d'autres abus ; à la servilité d'un Conseil constitutionnel qui favorise immanquablement l'exécutif et qui, selon la formule célèbre, faute de rendre des arrêts rend des services 1 - succèdent de nouveaux projets chaque fois plus extensifs. C'est la tendance que, dès 1933, dénonçait René Capitant, dans son étude sur les Régimes parlementaires, quand il insistait sur la nécessité de « désolidariser les deux idées de gouvernement fort et de chef d'État puissant. Dans la littérature politique française, ces deux notions sont trop 1. Par un véritable tour de passe-passe, ce Conseil constitutionnel a été présenté comme une réplique de la Cour suprême américaine. Or, tandis qu'aux U. S. A., la Cour suprême a pour fùnction de protéger le citoyen contre le pouvoir, en France, le citoyen ne peut saisir le Conseil constitutionnel. En fait, c'est le pouvoir qui l'a utilisé pour lui faire ratifier ses empiétements et l'extension continuelle de ses attributions et pour brimer de plus en plus ce qui reste de Parlement.
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souvent confondues, et notamment tout le mouvement favorable à un renforcement du pouvoir exécutif s'est orienté, par suite de cette confusion, dans le sens du renforcement des prérogatives présidentielles. Or, une telle revendication est contraire à l'évolution du régime parlementaire. Les institutions orléanistes ne peuvent plus revivre en France ; en 1875, elles étaient déjà vieilles. » L'opinion publique prend conscience que les resserrements progressifs de l'autorité entre les mains d'un seul homme entraînent irrésistiblement le pays sur les voies de l'absolutisme et de l'arbitraire - et que l'omnipotence, fût-elle douce actuellement, finit toujours par tomber sous le coup de l'analyse célèbre de De Gaulle dans son discours de Bayeux (juin 1946) : « Sans doute, ses débuts (de la dictature) semblent avantageux. Au milieu de l'enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l'ordre qu'elle impose, à la faveur d'un décor éclatant et d'une propagande à sens unique, elle prend d'abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l'anarchie qui l'avait précédée. Mais c'est le destin de la dictature d'exagérer ses entreprises ... A chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. A la fin, le ressort se brise. L'édifice grandiose s'écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu'elle n'était avant que l'aventure commençât. »
L'histoire confirme cette leçon. Les expériences de pouvoir personnel ont toutes connu et cette évolution et cet achèvement.
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î.E
RÉGIME
PRÉSIDENTIEL
Un certain nombre de juristes et d'hommes politiques s'efforcent de proposer un régime plus équilibré qui, tout en consolidant l'exécutif, sauve· garderait néanmoins les droits du législatif. Beau· coup d'entre eux sont partisans du régime prési· dentiel et se réclament du précédent américain. Dans ce régime, le chef de l'État est en même temps chef du gouvernement; l'existence et l'inté· grité des deux pouvoirs, exécutif et législatif, sont garanties par le fait qu'ils sont totalement indé· pendants l'un de l'autre et égaux en importance. Tous deux sont élus au suffrage universel, mais ni le Président ne peut dissoudre l'Assemblée, ni l'Assemblée renverser le Président. Le chef de l'État, élu par la Nation, est responsable devant elle seule. Mais les Chambres peuvent seules voter les lois, les autorisations financières, ratifier les traités, etc., sans qu'aucun détour permette de se passer de leur assentiment. Avec le régime gaulliste, les partisans du régime présidentiel ont en commun l'élection du Président au suffrage universel - mode d'élection qui leur paraît admissible dès lors que le Parlement échappe à la férule du chef de l'État. En revanche, ils restituent au Parlement tous les pouvoirs légis· latifs ; le budget ne peut être acquis sans son vote, des dispositions extensives comme celles des art. 16 et 37 sont exclues, et l'Assemblée nationale est mise à l'abri des menaces de dissolution. On s'efforce donc dans ce système d'organiser une symétrie,
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un équilibre et une stabilité de l'ensemble totalement absents du régime qui a les faveurs du général de Gaulle. On peut cependant essayer d'imaginer ce que serait le fonctionnement du système présidentiel dans un pays comme le nôtre. Comment, dans ce système, les conflits entre les Chambres et le Président, les oppositions entre ces deux pouvoirs affrontés, se résoudraient-ils? En face d'une Assemblée qui, par sa nature même, ne peut être monolithique puisqu'elle reflète les diverses opinions du pays, n'est-ce pas une grande tentation pour un homme qui tire son pouvoir de l'élection populaire, qui dispose d'une puissance de fait et d'un prestige politique considérables, de les utiliser contre les autres institutions et contre les libertés? .Si la Constitution n'offre pas de moyen de trancher les antagonismes, si aucun des pouvoirs n'a le droit d'imposer sa volonté à l'autre, si donc un conflit éventuel est sans solution légale, ne risque-t-on pas d'inciter irrésistiblement un homme qui se sait populaire, qui dispose de tous les moyens d'information modernes, à abuser de ses atouts pour mater les oppositions? Hésiterait-il à le faire, on imagine les pressions qu'il subira de son entourage, de son parti, continuellement obsédés par l'échéance de l'élection prochaine. Après tout, un homme d'État est toujours sincèrement persuadé que sa politique est la meilleure. Comment résisterait-il, dans ces conditions, à l'envie de faire prévaloir cette politique envers et contre
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tout, même au prix de quelques entorses â la légalité? Si Louis-Napoléon, il y a cent ans, .et de Gaulle de nos jours, ont écrasé l'Assemblée, ce n'est pas par hasard. C'est parce que le système y conduit tout droit. Les U. S. A. sont le seul pays au monde où le système présidentiel ait jamais fonctionné normalement. Mais, outre qu'il est toujours dangereux de s'inspirer d'un précédent unique, il faut bien comprendre que le risque d'excès de pouvoir au profit du Président n'existe pas là-bas, du fait que les États- Unis sont un État fédéral. Pendant une longue période, le Président n'a disposé que de pouvoirs extrêmement restreints : l'essentiel de l'autorité, les moyens financiers, l'armature administrative, étaient entre les mains des différents États. C'est dans ce cadre qne le régime a commencé à fonctionner et s'est formé. Certes, les pouvoirs présidentiels se sont accrus peu à peu ; mais le contexte initial est toujours très important dans la vie d'un régime et il diffère ici profondément du contexte français. D'autre part, ces pouvoirs présidentiels ont, là-bas, aujourd'hui encore, des limites. Le Président des U. S. A., s'il voulait outrepasser ses droits, verrait se dresser contre lui les Gouverneurs élus et les assemblées de la majorité des États avec leurs administrations, leurs polices, leurs Gardes nationales, leurs postes de radio et de télévision, leurs finances, etc. Ce serait une nouvelle guerre de Sécession dans laquelle le Président partirait battu d'avance. C'est pourquoi le désaccord entre la Maison-Blanche et le Capitole ne peut conduire, au pire, qu'à
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l'immobilisme, à l'ajournement des décisions et des réformes ; l'histoire des États- Unis en fournit d'innombrables exemples et il est surprenant, après tout, que les partisans du régime présidentiel ne s'en soient jamais avisés. Mais tout porte à penser que le système américain, transplanté dans un pays fortement centralisé comme la France, y prendrait une figure tout autre et singulièrement inquiétante ; ce ne serait pas l'immobilisme, ce serait l'éclat. Enfin, l'objection de principe la plus grave à faire à ce régime, c'est que, sous la façade démocratique du double suffrage populaire, il risque en réalité d'anémier dans le pays l'esprit et l'activité démocratiques. Les citoyens qui élisent une Assemblée votent pour des partis dont les doctrines sont connues, au moins quant à leur orientation générale, ils se prononcent sur des programmes, sur des propositions. Par contre, lorsqu"un homme est porté à la tête de l'État par le suffrage universel, c'est essentiellement sur sa personne que l'on vote. En fait, « on lui fait confiance ,>, « on s'en remet à lui », et parfois sur la base de promesses plus ou moins démagogiques. A cet égard, les campagnes électorales présidentielles aux États-Unis sont d'une ~~diocrité que l'on n'e&t guère tenté de transposer 1c1. Un tel mode d'élection ne peut offrir un élément de contrôle politique sérieux ; il tend même à dépolitiser le corps électoral, ille pousse à démissionner, à prendre l'habitude d'aliéner sa souveraineté, à se désintéresser des affaires du pays. Hien de plus dangereux dans une période comme
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celle que nous traversons. Encourager la Nation à croire que tout sera résolu sans son intervention, c'est donner aux aventuriers une chance inespérée, c'est les protéger de la seule puissance qui soit susceptible de les faire reculer, celle d'un peuple qui a choisi entre les solutions et les propositions politiques et qui entend les faire respecter.
LE
CONTEXTE
FRANÇAIS
On ne peut non plus passer sous silence, quand il s'agit de se prononcer sur la formule présidentielle, les conditions propres de la vie politique française. de Gaulle a créé un certain nombre de précédents par l'abaissement des Assemblées, par l'usage qu'il a fait de la Constitution, par l'interprétation qu'il en a donnée et imposée, par sa façon d'utiliser le référendum. Que demain soit instauré en France un régime présidentiel du type américain, il sera bien difficile d'amener le prochain Président à revenir en arrière. On peut dire que, par ses exagérations, de Gaulle a rendu impossible une tentative de régime présidentiel authentique et équilibré. De plus, l'élection du chef de l'État au suffrage universel présente, en France et aujourd'hui, d'autres inconvénients qui tiennent à la répartition des forces politiques en présence. Le système américain repose sur l'existence de deux vastes partis en lutte pour le pouvoir ; dès lors, l' élection présidentielle se résume, en fait, en un tour de scrutin, ce qui donne au système une clarté indis-
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cutable et évite beaucoup d'intrigues et de combinaisons fâcheuses. En France, la masse électorale est divisée en un grand nombre de partis ; chacun le déplore mais c'est un fait auquel on ne peut remédier, tout au moins d'un jour à l'autre. La multiplicité des partis ne permettrait pas l' élection du Président dès le premier tour 1 et provoquerait, entre les deux tours, marchandages et concessions de toutes sortes. Rien ne dit que, malgré cela, le Président obtiendrait la majorité absolue ou que ne triompherait pas un candidat qui aurait eu fort peu de voix au premier tour et ne cesserait d'être contesté pendant toute la durée de son mandat. Ce qui a été si souvent reproché au scutin d'arrondissement (et ne présente cependant, dans ce cadre étroit, que des inconvénients après tout mineurs) deviendrait très grave sur le plan national. Ce n'est pas ainsi qu'on doit choisir l'arbitre suprême de la Nation, le symbole de l'unité et de la volonté commune. Poussons plus loin encore l' exan1en de ces hypothèses. Il n'est pas difficile de prévoir que les candidats chercheront, dans la compétition nationale, à mobiliser le plus grand nombre de voix en recourant à ces thèmes simplistes qui ont souvent fait leurs preuves dans les luttes passées. Pour le ou les porte-parole de la droite, l'anticommunisme est un moyen de tout repos qui évite de traiter des sujets plus difficiles, qui réunit aisément modérés e~ extrémistes, qui permet de gagner des 1. Sauf si la majorité relative suffisait. Mais alors, quelle serait l'autorité d'un chef d'État élu par 25 ou 30 % des votants?
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hésitants ou des timorés au centre. Il est facile et tentant de dénoncer le péril rouge - non pas tant pour détourner du candidat communiste qui n'a pas de chance d'être élu- mais pour dissuader les électeurs d'apporter leurs voix à tel candidat démocrate ou socialiste qu'on représentera comme devant recevoir au second tour le désistement communiste et, donc, comme assujetti aux ukases de Moscou. En fait, compte tenu des mœur~ politiques de ce pays, de la place que le parti communiste occupe sur l'échiquier, trop limitée pour représenter un danger actuel, mais assez importante pour susciter des réactions de peur (constamment alimentées d'ailleurs par la propagande de la droite), toute la campagne électorale se déroulera sur ce thème. On ne parlera ni de la planification, ni de l'Europe, ni des réformes économiques. Entre deux promesses démagogiques, on appellera les bons Français à s'unir contre les hommes de Moscou, ceux qui se reconnaissent pour tels et ceux qui s'en cachent, ceux qui sont soupçonnés de rechercher ou d'accepter le soutien de l'extrême-gauche ou de lui accorder le leur, au second tour. Voilà le débat de haute politique constructive qu'on offrira à ce pays, la pédagogie par laquelle on formera l'opinion et les citoyens! Et le piège n'est pas évitable, car le parti communiste représente bien 20 ou 25% des suffrages, son candidat arrivera parmi les premiers et se trouvera toujours en bonne position pour jouer un rôle décisif au second tour de scrutin. C'est encore un fait qu'on ne peut ni récuser ni ignorer. Des auteurs éminents, les professeurs Vedel et
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Duverger et d'autres, objectent que les voix communistes au premier tour n'atteindront jamais 20 ou 25 '% des votants et que leur puissance électorale étant moindre, les conséquences qu'on vient d'exposer seront dès lors moins probables 1 • Cette réponse -qui n'est en tout cas qu'une hypothèse - n'est pas du tout convaincante. Car rien n'empêchera les partis et la presse de droite de concentrer leur campagne sur« le péril communiste» et sur« ses alliés». Rien non plus n'empêchera les électeurs communistes - même convaincus que leur candidat ne peut être élu finalement de vouloir se manifester, se compter au premier tour, placer le mieux possible le parti qui a leur préférence, pour lui permettre de monnayer politiquement son retrait au ballottage. Raisonnements parfaitement légitimes et, au surplus, conformes à la tradition selon laquelle chacun utilise au maximum les chances du premier tour, sachant bien que le second seulement sera décisif. Pour finir, quel résultat? La crainte du communisme habilement excitée aura entraîné, c'est le but poursuivi, une hémorragie des voix du centre ou du centre gauche vers la droite. Le candidat 1. Les auteurs cités au texte font parfois état en faveur de leur thèse d'un sondage d'opinion organisé en décembre 1955 au cours duquel les préférences exprimées en faveur de divers hommes politiques papabiles n'étaient pas conformes aux suffrages et aux sièges obtenus par les partis politiques le 2 janvier suivant. Ce rapprochement est très arbitraire. Si les électeurs interrogés avaient eu la possibilité de voter effectivement pour élire le chef du gouvernement, ils auraient eu, sans doute, le réflexe traditionnel selon lequel, au premier tour au moins, on fait une manifestation poiitique, on cherche à bien placer son parti èt son candidat, le choix véritable ne devant être fait qu'au second tour et précisément en fonction des positions conquises au premier.
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de l'extrême-gauche, on l'a dit, ne pourra pas être élu - mais non plus, avec ou sans désiste· ment communiste, le candidat de la gauche non communiste. A ce jeu, la droite gagne à tous coups. La gauche en prendra vite conscience. La moitié de la Nation récusera alors une règle qui ne lui donne pas sa chance. Au surplus, l'exécutif étant durablement détenu par la droite, le conflit entre le Président et l'Assemblée Nationale sera inévitable dès le premier jour si l'Assemblée est à gauche. Le renouveau, par un tel régime, se trouve en tout cas exclu. Ainsi dans le souci de fortifier l'exécutif, mais en ne s'écartant pas des sentiers qui sont -qu'on le veuille ou non - des sentiers tracés par le gaullisme, en n'essayant pas de chercher la solution dans une autre direction, les partisans du régime présidentiel risquent de barrer l'avenir politique de laN ation. Ils reviennent, sans s'en rendre compte, dans l'orbite de ce bonapartisme, qui, depuis un siècle et demi, n'a cessé de guetter ce pays et lui a infligé, chaque fois qu'il s'est imposé, de dra· matiques déconvenues.
LE
CONTRAT
OU
L'ABDICATION
Je sais que beaucoup d'hommes, des jeunes surtout, désorientés par les échos qui leur reviennent du passé, impatients avant tout d'efficacité et de redressement, tournent leurs regards vers cette formule présidentielle dont la nouveauté en France leur paraît offrir une garantie contre
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un retour aux faiblesses et aux impuissances. Le devoir est de les mettre en garde contre une illusion qui se traduirait demain par de nouvelles déceptions. On leur a parlé d'une mode à laquelle il faudrait sacrifier, celle de la « personnalisation de la vie politique ». Et il est vrai que la radio, les actualités, la télévision font apparaître ou résonner jusque dans les plus lointaines campagnes le visage, les gestes, la voix des vedettes de la politique aussi bien que des stars de l'écran. Le spectateur, l'auditeur ont l'impression de prendre contact avec ces personnages, de les connaître et de vivre avec eux. L'insistance de l'image et du ton finit par agir indépendamment du contenu des paroles prononcées, par une sorte d'imprégnation à la manière des slogans eublicitaires. On « vend » un Président comme une marque de cigarettes ou de pâte dentifrice Peu à peu, s'impose non seulement le produit, mais le besoin même du produit. C'est un phénomène moderne, bien connu des publicitaires. Pourtant, qui de nous n'a eu l'occasion de constater, même dans le domaine commercial, les excès du règne de la publicité? Tout le monde sait qu'elle représente parfois une manipulation psychologique assez inavouable de la « clientèle ». Tout le monde est d'accord pour admettre qu'il faudrait réagir contre des tendances que les meilleurs éléments de la profession sont les premiers à blâmer. Est-ce le moment d'encourager, dans une matière aussi grave que la politique, des abus jugés rléjà critiquables ailleurs et d'accepter certaines
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formes institutionnelles qui risquent de les favoriser dangereusement ? Certes, en un sens, la vie politique a toujours été personnalisée; il ne peut en être autrement puisque la politique non seulement est faite par des hommes, mais est aussi action des hommes sur d'autres hommes. Un peintre ou un écrivain peut, à la rigueur, s'effacer, de son vivant même, derrière son œuvre, après avoir incorporé à cette œuvre sa pensée et son style. L'homme politique, lui, « agit » à tout moment sa propre œuvre, il est lui-même tout entier son propre instrument. L'œuvre politique de Robespierre et de Jaurès quand ils vivaient, ce n'était pas autre chose que Robespierre et Jaurès à l'œuvre. Néanmoins, et pour ceux qui les suivaient, Robespierre et Jaurès, c'était d'abord un certain ensemble d'idées, certains objectifs à atteindre et l' e·mploi de certains moyens - toutes choses annoncées par eux, proclamées par eux, sur lesquelles leurs partisans étaient d'accord et poùr lesquelles ils les avaient choisis. Adopter une politique et faire confiance à un homme plutôt qu'à un autre pour l'appliquer, parce que c'est lui qui a été estimé le plus apte et le plus digne, c'est aussi se réserver le droit de le juger sur ses actes. C'est, très exactement, se comporter en citoyen. Cela n'a rien à voir avec le fait de se démettre entre ses mains, pour lui laisser le soin de résoudre à sa manière tous les problèmes. «C'est le droit des prolétaires, c'est le droit des opprimés de lire dans notre conscience et dans notre vie comme dans un livre ouvert, disait Jaurès. Et
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quand le prolétariat connaîtra à fond tous les militants, il verra qu'il ne doit jamais s'abandonner complètement à aucun homme. Tous, quel que soit notre bon vouloir, nous pouvons un jour ou l'autre trébucher ou errer. » Je ne suis pas de ceux qui méconnaissent le rôle fructueux ou désastreux qu'un homme peut jouer dans la vie publique. Nul n'a jugé plus sévèrement que moi ceux qui ont mal gouverné le pays et trahi ses intérêts. Que le pays les juge aussi avec rigueur, qu'il fasse demain de meilleurs choix, je le souhaite de tout mon patriotisme. Mais toutes ses décisions doivent d'abord être fondées sur des volontés précises, sur des objectifs déterminés, sur des contrats clairs. Choisir un homme sur la seule base de son talent, de ses mérites, de son prestige (ou de son habileté électorale), c'est une abdication de la part du peuple, une renonciation à commander et à contrôler lui-même, c'est une régression par rapport à une évolution que toute l'histoire nous a appris à considérer comme un progrès.
PROPOSITIONS
La République, c'est l'outil. JAURÈS.
Les explications qui précèdent ont un caractère négatif : c'est qu'il fallait déblayer le terrain. Il faut passer maintenant aux propositions constructives. Comment résoudre le problème aujourd'hui posé aux Français : obtenir la stabilité et surtout l'efficacité des pouvoirs publics dans le cadre d'une vie démocratique véritable? L'opinion, sur ce point, est divisée, et mon enquête l'a confirmé. Néanmoins, l'objectif visé par la plupart des Français étant le même, il doit être possible de trouver des solutions acceptables, sinon par tous, du moins par le plus grand nombre. Il est évident qu'il n'existe pas de formule miracle, pas de système juridique qui monopolise tous les avantages sans aucun inconvénient. Il n'y a pas de régime parfait. Pas non plus d'institutions qui ne puissent être tournées ou utilisées abusivement. Les institutions s'incarnent dans les hommes
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qui ont à les faire fonctionner. Quelles que soient les précautions prises pour aboutir à une coopération et à un équilibre des pouvoirs, pour concilier des forces contraires, on retombe toujours sur des hommes. Dans la mesure où ils ne sont pas parfaits, dans la mesure où existent des catégories d'intérêts susceptibles d'entrer en conflit, chacun, du simple citoyen au chef de l'État, a toujours tendance à faire jouer les institutions au profit de son intérêt personnel ou de celui de son groupe, de sa caste ou de sa classe. Néanmoins, on peut et on doit tâcher de se prémunir contre les déviations possibles, d'opposer des obstacles aux abus, de réduire les tentations et les pratiques néfastes. C'est le but recherché, notamment, par le chapitre IV qui concerne les institutions politiques proprement dites et qui recherche ce que doivent être le rôle et les droits du Parlement, la fonction de l'exécutif, comment s'articuleront les deux pouvoirs en présence, comment, entre eux, se fera l'arbitrage. Le chapitre v étudie la composition des Assemblées afin que soient représentées fidèlement non seulement les familles politiques du pays, mais aussi les groupes sociaux et les intérêts économiques, question vitale pour le fonctionnement d'une Nation moderne à économie planifiée. Le chapitre VI examine d'autres aspects politiques d'une planification qui se veut démocratique dans ses objectifs et !dans ses moyens. Le chapitre vu en déduit les conséquences à l'égard des entreprises productives publiques et privées et le chapitre vin, celles qui concernent le rôle et le statut des organisations syndicales dans une
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économie planifiée, en général, et au sein des entreprises en particulier. L'organisation nouvelle exige une large décentralisation des tâches, et une politique de réactivation régionale et rurale. C'est l'objet du chapitre IX. Les institutions économiques à créer sur le plan national ou dans les régions ne doivent, en aucune façon, être des organes annexes, ou seulement techniques, mais bien des institutions vivantes dotées de responsabilité et du pouvoir de décision. Elles doivent donc, de toute nécessité, émaner d'une base démocratique et représenter pleinement les divers intérêts socio-professionnels, notamment les classes qui contribuent le plus activement à la production, à la vie collective, à son renouvellement et à son dynamisme. Il ne faut jamais l'oublier, la démocratie ce n'est pas un agencement, un mécanisme ingénieux d'institutions extérieures aux citoyens (même si ces derniers s'y sont ralliés plus ou moins passivement, même s'ils les ont approuvées). Elle doit pénétrer l'activité collective dans toutes ses manifestations et à tous ses niveaux. Elle réclame une participation du plus grand nombre à tous les endroits possibles, à tous les moments possibles. C'est à ce principe essentiel qu'est consacré le chapitre x ; il cherche à déterminer ce que doit être la part du citoyen dans la vie de la Cité. Toutes les propositions qui suivent sont prévues de façon à faire toujours leur pla~e aux exigences du contrat passé entre la Nation et ceux qui la représentent, pour assurer la pleine exécution de ce contrat.
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IV
LE GOUVERNEMENT DE LÉGISLATURE Il n'y a pas de démocratie si l'exécutif gouverne en dehors de tout contrôle du pouvoir représentatif puisque celui-ci parle au nom du pays et doit en faire respecter la volonté. Mais le contrôle parlementaire ne doit pas être envahissant, au point d'entraver l'action de l' exécutif. A l'exécutif, il faut une indépendance, une durée, des moyens qui lui permettent d'accomplir sa tâche sans être paralysé. Indépendance de l'exécutif, contrôle du pouvoir représentatif, la conciliation des deux exigences est difficile. Elle n'est pas impossible, puisqu'une quinzaine de pays, de civilisation comparable à la nôtre, y sont parvenus de par le monde.
L'ÉQUILIBRE DES POUVOIRS
Pour que le Parlement puisse exercer son action au nom du suffrage universel dont il émane, deux sortes d'attributions doivent lui être reconnues :
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1° Il doit participer à la constitution du gouvernement afin que celui-ci soit orienté selon la volonté populaire ; il doit pouvoir interroger ce gouvernement, l'interpeller, le censurer. Montesquieu, défenseur attitré de la séparation des pouvoirs, n'hésite pas à affirmer que « la puisfiance législative ... a le droit et doit avoir la faculté d'examiner de quelle manière les lois qu'elle a faites, sont exécutées ». 2° Il doit être chargé de traduire les volontés du pays en lois. C'est bien pourquoi l'art. 34 de la Constitution actuelle qui fait du gouvernement « le législateur de droit commun 1 » est inacceptable. Le Parlement doit retrouveJ sa responsabilité législative. Sous une réserve, toutefois : il doit pouvoir, le cas échéant, habiliter le gouvernement à prendre telles décisions qui relèvent normalement de la compétence législative, quand elles sont nécessaires à la poursuite de la politique convenue en commun, celle qui figure dans le contrat de majorité dont il sera question plus loin. Le Parlement pourra donc autoriser le gouvernement à modifier la loi dans des domaines et pour une durée déterminés par lui. D'autre part, les membres du Parlement, partageant avec le gouvernement l'initiative législative, chaque député peut déposer des propositions de loi ; la majorité doit retrouver le droit d'inscrire ces propositions à l'ordre du jour sans que le gouvernement puisse s'y opposer (sous réserve des dispositions habituelles qui réduisent l'initia1. Voir p. 43 et 44.
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tive parlementaire, en cas d'augmentation de dépenses ou de réduction de recettes). Le droit d'interpellation et de censure d'une part, le droit d'initiative législative d'autre part, impliquent que chaque Assemblée est maîtresse de son ordre du jour. Toutefois, le gouvernement peut, lui aussi, faire inscrire à l'ordre du jour les projets auxquels il tient, sans aller jusqu'à encombrer l'emploi du temps parlementaire, au point de le monopoliser.
En face d'un Parlement dont les attributions et la dignité seront ainsi assurées, le gouvernement doit disposer, de son côté, des moyens et du temps nécessaires à l'exécution des termes du contrat de majorité, ce qui n'était le cas ni sous la IVe, ni même sous la Ille République. La faiblesse de l'État et de ceux qui le dirigent, loin d'être de nos jours la garantie des libertés démocratiques, n'aboutit, en effet, qu'à les rendre plus vulnérables à la pression des groupes d'intérêts. Le moyen d'éviter la précarité, l'instabilité gouvernementales sans tomber dans le pouvoir personnel, réside dans une solution qui associe étroitement l'action, la tâche et la durée de l'Assemblée à l'action, à la tâche et à la durée du gouvernement. Quand l'Assemblée Natienale sera renouvelée à l'occasion des élections générales, un gouvernement sera constitué à -son image et ce gouvernement vivra, par principe, autant que l'Assemblée elle-même. Cette_ formule est pratiquée, à peu .de
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chose près, dans tous les pays où la démocratie parlementaire fonctionne d'une manière satisfaisante, quelles que soient leurs situations sociologiques et politiques ou les modalités de leurs Constitutions. Certains d'entre eux ont conservé la monarchie et d'autres ont préféré la République ; certains jouissent de l'avantage indiscutable que leur assure la prédominance de deux grands partis, tandis que d'autres souffrent d'une plus ou moins forte pluralité des partis. Néanmoins, et sous réserve de variantes particulières à chacun, chez tous prévaut la règle ou la pratique de la concomitance entre la durée de la législature et celle de la vie du gouvernement. L'Assemblée et le Ministère sont associés et liés au point qu'en cas de circonstances imprévues susceptibles de provoquer une crise ministérielle, l'exécutif, tout comme l'Assemblée, peuvent être soumis de nouveau au jugement du suffrage universel. La simultanéité entre l'élection de l'Assemblée et la constitution du gouvernement, l'identité de leur orientation politique et de leur durée probable, devront être soulignées encore par l'intervention d'un contrat de majorité. Ce contrat apparaîtra aux yeux de tous comme la raison d'être même et le symbole de l'association des deux pouvoirs. Le gouvernement qui sollicite l'investiture parlementaire le fait sur la base d'un programme de travail précis et concret, comportant l'énumération des mesures qu'il entend prendre et un calendrier de réalisation. "'Le vote d'investiture implique approbation de ces propositions et engagement, de la part des parlementaires, de les voter le moment venu, ou même de donner au gouver-
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nement, s'il les demande, les délégations de pouvoirs nécessaires à r exécution du contrat. Ce dernier doit d'ailleurs être présenté en termes tels que l'opinion puisse en contrôler l'exécution et sanctionner les manquements éventuels du gouvernement ou des membres de sa majorité. Lorsqu'un gouvernement définit ainsi une politique, annonce exactement où il veut aller, fait appel à la majorité qui lui a donné le jour, le Parlement doit suivre et, en fait, il suit. Si néanmoins un conflit survient par la suite, le gouvernement doit avoir le droit de procéder à la dissolution de l'Assemblée afin que le pays puisse rendre son arbitrage 1 • C'est la logique même car : - ou bien, soit le gouvernement n'a pas tenu ses engagements, soit l'Assemblée veut modifier le contrat, et il est naturel que le pays puisse être appelé à trancher le conflit ; - ou bien gouvernement et Parlement ne parviennent pas à se mettre d'accord au sujet d'une difficulté qui ne pouvait être prévue au moment du contrat, et seul le suffrage universel peut trancher la difficulté. Avec ces éléments (un gouvernement assuré de la stabilité et respecté de ce fait, une Assemblée qui a retrouvé ses attributions normales et sa dignité, tous deux sous l'arbitrage souverain du pays), on a un système viable, qui reste dans le cadre des principes fondamentaux de la démocratie et qui a donné satisfaction dans tous les 1. « La dissolution reste... un élément essentiel du régime parlementaire... n ne s'agit plus d'une dissolution royale ou présidentielle du type orléaniste, mais d'une dissolution gouvernementale. » (René Capitant, Les Régimes parlementaires, Paris, 1933.)
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pays où le parlementarisme fonctionne d'une manière satisfaisante {Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, pays Scandinaves, Canada 1 etc.). Cependant, le gouvernement de législature rencontre de vives résistances parmi des hommes politiques formés sous la Hie et la IVe Républiques, comme aussi chez d'éminents théoriciens du droit constitutionnel. Beaucoup d'entre eux pensent que ce régime serait praticable seulement dans les pays où la tradition et les données sociologiques ont réduit le jeu politique à l'alternance de deux partis au pouvoir, comme c'est le cas en Grande.:.Bretagne - tandis qu'il serait tout à fait inadapté aux conditions françaises. Sur quoi une pareille affirmation repose-t-elle? Quel est le lien profond entre la prédominance ou le monopole de deux partis, d'une part, un régime institutionnel tel que le gouvernement de législature, d'autre part? La relation logique entre les deux concepts n'est rien moins qu'établie. C'est, plus probablement, la Constitution de type présidentiel qui nécessite le two parties system. Quand le suffrage universel, en .effet, est appelé à choisir entre deux candidats, pour une élection présidentielle, il se trouve en présence d'un choix simple et il peut se prononcer sans grande difficulté. Alors que la multiplicité des partis -donnée de la politique française exige un mécanisme plus élaboré, et l'interposition d'un corps intermédiaire pou~ la constitution du pouvoir ·exêcutif. ·
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On semble oublier, au surplus, qu'avec des variantes et sous des formes diverses, le gouvernement de législature est la règle en Belgique, en li:alie, aux Pays-Bas, au Danemark, etc., pays dans lesquels trois, quatre, cinq, six partis sont en compétition, se confrontent et se combattent. En sens inverse, on fait un peu sommairement Yaloir l'exemple anglais. Car le bipartisme est loin d'être une constante de la politique britannique et les gouvernements de coalition ne sont nullement inconnus de son histoire parlementaire 1 . En fait, de 1874 à 1922, le parti nationaliste irlandais a constitué une force parlementaire non négligeable avec ses quatre-vingts sièges. Quant au parti travailliste, il ne s'est pas substitué d'un coup au parti libéral : de 1910 à 1935, l'un et l'autre font tour à tour figure de deuxième et de troisième parti. Au surplus, les plus récentes élections semblent annoncer une remontée du parti libéral et nul ne pense en Angleterre que les institutions s'écrouleraient si cette éventualité se précisait. Enfin, si l'on prend la peine de creuser un peu sous les apparences, il ressort que, lorsque la vie politique est monopolisée par deux grandes formations, les divisions - qui, en d'autres circonstances, en d'autres pays, engendrent la multiplicité des partis - ne sont pas supprimées pour autant. C'est à l'intérieur des partis eux-mêmes qu'elles subsistent et se manifestent. La minorité travailliste de gauche, par exemple, formerait en France un parti distinct ; qu'elle s'exprime au · 1. En dehors même des périodes de guerre, il y en a eu de
1895 à 1905 et de 1931 à 1935.
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sein du Labour ne signifie pas qu'elle renonce à ses thèses et à son rôle ; de même, chez les conser~ vateurs. La discipline des partis n'empêche pas les oppositions et les tiraillements internes, voire les dislocations de majorité. Au total, et sans méconnaître les conditions favorables dont bénéficie r Angleterre, il n'est pas du tout établi que la règle du gouvernement de législature soit impraticable dans un pays qui n'aurait pas la bonne fortune de ne compter que deux partis. En revanche, il est fort probable que cette règle, avec toutes les conséquences qu'elle comporte, oblige les partis, ceux tout au moins qui font bloc au sein d'une majorité parlementaire, à cons~ tituer une coalition durable. Des groupes qui ont soutenu à l'Assemblée l'action d'un gouver~ nement, qui ont accepté, à cette fin, des discipli~ nes parfois pénibles, et dont les chefs savent qu'une dissolution peut sanctionner la rupture du con~ trat signé - sont, en fait, liés beaucoup plus solidement et plus honnêtement que ne l'étaient les coalitions occasionnelles, les cartels ou les groupements apparentés que nous avons connus en France. Car ce n'est pas pour effectuer ensemble une opération d'arithmétique parlementaire, ce n'est pas pour additionner les trois cent quatorze voix fatidiques qu'ils se sont associés, c'est pour mener en commun un combat précis sur la base d'engagements clairs, concrets et publics. Et lorsqu'ils seront appe~ lés à se représenter devant leurs électeurs ils seront contraints de s'associer de nouveau, parce qu'ayant été réunis au gouvernement, ayant par~ tagé les responsabilités, ayant émis les mêmes vo·
Le
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Si
t~, ils seront tenus de déftmdre, devant le suffrage universel, la politique qu'ils ont faite en commun. Ainsi, et ainsi seulement, en fonction de la conjoncture politique et des problèmes dominants de l'heure, p~ut se dégager un groupement, ou parfois d-eux, et eela malgré Ill multiplicité d~s partis. C'est ce qui s'est produit lors de l'expériencè que fit Mac-Mahon 1 , expérience dont la mauvaise réputation ne doit pas faire oublier qu'elle attei• gnit son objectif : la clarification d'une situation ambiguë par la constitution de deux grandes coalitions, face à face, entre lesquelles le pays eut à choisir en toute connaissanee de cause. Le système du gouvernement de législature favorise donc la constitution de blocs politiques dant les membres sont incités à plus de fidélité, de loyauté et de continuité; il tend à réduire la multiplicité des partis et leur dispersion. Le nombre restreint des formations politiques, l'existence de deux, trois ou quatre grands partis dans certains pays parlementaires, sont peut-être les effets du fonctionnement d'un gouvernement de législature plutôt que la raison de son existence. CRAINTES ET CRITIQUES
Certains hommes politiques et publicistes français ont proposé, au régime du gouvernement 1. Mac-Mahon, Président de la République, procéda, on 1€ sait, en 1877, à la dissolution de la Chambre républicain~ quJ venait d'être élue. L'opinion se passionna pour les nouvelles élections. « Devant la volonté oouveraine du pays, lança Gambetta à Mac-Mahon, il faudra se soumettre ou se démettre. • Les députés républicains revinrent 320, contre 208 conserva· teurs. Mac-Mahon démissionna.
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de législature, des amendements ou des corrections. 1° Paul Reynaud et André Hauriau conseillent très fermement de substituer la dissolution automatique de l'Assemblée en cas de crise, au droit de dissolution laissé à la discrétion du gouvernement. Ce système n'a été, à ce jour, expérimenté dans aucun pays du monde. Cela doit donner à réfléchir. Il faut se défier, au surplus, des règles rigides et absolues dans les relations humainei et politiques. Une Constitution doit laisser aux hommes responsables le droit d'apprécier l'opportunité de certaines décisions graves selon le contexte et les circonstances. Il est des cas dans lesquels le remplacement d'un gouvernement par un autre ne doit pas impliquer obligatoirement le recours aux élections générales. Si le Président du Conseil se retire pour raison de santé, ou s'il a commis telle erreur personnelle qui justifie son départ, un revirement politique fondamental n'est pas nécessaire pour autant 1 • Dans certaines circonstances difficiles, au surplus, des élections générales peuvent être contre-indiquées. Le sort da. pays, en un moment peut-être critique ne doit P.as dépendre du jeu aveugle d'un mécanisme trop rigoureux. La dissolution automatique est basée, dans l'es1. Lorsqu'en 1956 Eden dut quitter le gouvernement britannique, à la suite de la malheureuse expédition de Suez, aurait-il été opportun de procéder à des élections générales\! La situation internationale (et nationale) s'y opposait manifestement. Le système de la dissolution automathtue aurait conduit à conserver, malgré tout, dans un moment dillicile, un gouvernement très diminué.
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prit de ses partisans, sur l'hypothèse que les gouvernants n'auraient pas le courage, s'ils n'y étaient pas contraints, d'utiliser sous leur responsabilité propre l'arme de la dissolution. En difficulté avec l'Assemblée, un Président du Conseil y renoncerait, dit· on, pour ne pas mécontenter les députés et afin d'assurer son éventuel retour au pouvoir. On ajoute même que l'Assemblée serait toujours encline à choisir des présidents du Conseil dont le caractère - ou l'absence de caractère - lui garantirait qu'elle n'aurait jamais à redouter la dissolution. L'argument est pour le moins arbitraire et ne semble pas confirmé par les faits. Dans des pays qui ressemblent au nôtre, en Belgique, aux PaysBas, au Danemark, en Italie, en Angleterre, les choses se passent tout autrement ; ni le gouvernement ni le Parlement n'ont recours à ces fraudes ou ces tricheries dont on menace la France pour le cas où elle adopterait le système. D'ailleurs, les hommes qui ont joué les premiers rôles dans notre histoire parlementaire auraient certainement recouru à la dissolution, s'ils en avaient eu le droit, au risque de déplaire aux députés, et sans considérer l'intérêt de leur carrière personnelle. Waldeck-Rousseau, Combes, Clemenceau, Caillaux, Poincaré, et d'autres, sous la IIIe République, auraient dissous la Chambre si les circonstances l'avaient rendu, à leurs yeux, nécessaire. Plus tard, Millerand, Léon Blum, Tardieu, Herriot 1 l'auraient fait aussi. Et on peut 1. L'homme qui a perdu le pouvoir en se battant pour que la France paye des dettes de guerre impopulaires, n'aurait pas hésité à prononcer la dissolution, s'il l'avait estimé utile au pays.
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La République nwderne
en dire autant des chefs politiques de la IVe : Guy Mollet, -René Mayer, Pinay, Bidault, etc. La pl'e-uve en a d'ailleurs été iaite à deux reprisüs, et, chose curieuse, précisément, par deux hommes qui passaient pour préférer la conciliation à la rupture, l'habileté parlementaire à la dureté autoritaire. ~on seulement Edgar Faure a procédé à la dissolution en 1U53 1 ; m.ais Queuille, cinq ans plus tôt, avait demandé à l' A!5sen}blée d'écourter la législature ; il s'était battu pour avoir gain de cause et avait posé la question de confiance au risque d'être renversé. Finalement, les élections eurent lieu, à sa demande, un an avant l'échéance, ce qui équivalait à une dissolution. Sans doute beaucoup de députés n'y trouvèrent pas leur compte ; la décision n'en fut pas moins imposée ; si le droit de dissolution avait pu jouer à la discrétion du Président du Conseil, ce dernier n'aurait pas eu à perdre tout ce temps ni à prendre tous ces détours. Il est donc faux d'affirmer que les gouvernants français, à la différence de leurs collègues étrangers, ne procéderaient jamais à la dissolution si le droit leur en était donné. On ne doit pas oublier, au demeurant, qu'un conflit entre le gouvernement et 1' Assemblée ne se déroule pas à huis clos. Il a pour spectateur le pays tout entier. Or, ce spectateur est le véritable protagoniste du drame. Dans la mesure précisément où existe un contrat de majorité, dont les clauses sont connues de tous, l'opinion, en sc mobilisant, en exerçant sa pression, facilite:_·a le 1. Dans des conditions d'aiHeurs fàcheuses et critiquables, mais c'est une autre question.
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dénouement de la crise au Parlement même. Si elle n'y parvient pas, il est juste et normal qu'elle exerce l'arbitrage sup:rême entre les deux parties. On voit donc l'inutilité - mais aussi le danger - de précautions et de règles qui nous sont proposées, alors qu'elles n'ont pas paru nécessaires à l'étranger. 2° De divers autres côtés, au contraire, on propose de rendre la dissolution moins facile et moins fréquente : les gouvernements n'auraient pas le droit d'y procéder avant deux crises ministérielles. Cette restriction, ne l'oublions pas, est une de celles qui figuraient dans la Constitution de 1946 et, si la dissolution n'a pas joué son rôle stabilisateur sous la IVe République, c'est en partie à cause d'elle. A vrai dire, pourquoi le recours à la dissolution ne serait-il bon qu'une fois sur deux? Ou bien le système est valable et il doit pouvoir fonctionner dans tous les cas ; ou bien il comporte des inconvénients trop graves et il faut y renoncer. Le principe de l'alternance, la possibilité de la dissolution limitée à une crise sur deux ne repose sur aucune justification logique. En tout cas, il n'y aurait plus alors de gouvernement de législature ! Le plus grave est que la formule proposée priverait, en pratique, du droit de dissolution le premier gouvernement constitué au lendemain des élections générales, celui qui doit réaliser les réformes réclamées par l'opinion et inscrites dans la plate-forme approuvée par les électeurs. Un pareil gouvernement - de mouvement, de progrès,
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La République moderne
voire de combat - qui se heurte aux résistances que l'on sait, a précisément besoin d'être armé pour accomplir sa tâche. Les ministères de 1924, de 1932, de 1936 n'auraient pas été en mesure de se battre plus efficacement qu'ils ne l'ont fait, avec le système de la « dissolution une fois sur deux ». Par contre, ce système aurait joué au profit des gouvernements de reflux, qui marquaient chaque fois un retour en arrière, comme ce fut le cas en 1925, en 1933 et en 1937. Enfin, la règle de l'alternance permettrait aux spécialistes· des couloirs de recourir lors de la première crise à toutes les combinaisons que nous avons déjà connues, puisqu'il n'y aurait pas de sanction, puisqu'ils n'auraient pas à redouter de revenir devant le corps électoral ; il en résulterait un nouvel affaiblissement de l'exécutif qu'il s'agit, au contraire, de renforcer. Pour toutes ces raisons, le retour devant le suffrage universel en cas de difficultés majeures ne doit pas être réservé aux gouvernements pairs : en cas de besoin, chaque gouvernement, pair ou impair, doit pouvoir y recourir! 3° Certes, on peut craindre qu'un gouvernement n'abuse de son droit de dissolution. C'était la hantise des républicains sous la ure. Ils avaient conservé le souvenir de l'acte arbitraire de MacMahon ordonnant au lendemain des élections générales, par une véritable provocation à l'égard du pays, des élections nouvelles - qui, d'ailleurs, se retournèrent contre lui 1 • Cette circonstance historique a longtemps pesé sur les esprits; elle a 1. Vi or ci-dessus, note 1, p. 81.
Le Gou(Jernement de Législature
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détourné beaucoup d'hommes de gauche du principe même de la dissolution. Si de telles inquiétudes subsistent, il suffit de décider qu'aucune dissolution ne pourra être prononcée dans un délai déterminé (par exemple, dix-huit mois) après des élections générales. Une pareille stipulation pourrait faire disparaître toutes les craintes.
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Dès lors que le gouvernement et le Parlement snnt face à face, chacun avec ses prérogatives, que
1' Assemblée Nationale a le droit de censurer le r~ouvernement, mais que ce dernier peut en appeler au pays en dernier ressort, la présence d'un arbitre supérieur, gardien de la Constitution et symbole de r équilibre organisé, devient, de toute évidence, nécessaire. On est ainsi conduit à distinguer le rôle dt~ chef de l'État, de celui de chef du gouvernement, et à rétablir un Président de la République sans responsabilité politique directe, comme c'est !e cas dans tous les pays de démocratie parlementaire. En dehors de ses prérogatives de représentation, la Ille et la IVe Républiques ne confiaient au chef de l'État qu'une fonction politique effective (encore que partagée avec le Parlement) : celle de choisir le chef du gouvernement. Cette disposition doit être conservée pour éviter que la désignation du Président du Conseil soit abandonnée sans
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La République modernt
contrepoids aux intrigues des partis. et des couloirs. Ceux qui redoutent, au surplus, que l'octroi au chsf du gouvernement du droit de dissoudre l'Assemblée n'induise eette dernière à préférer des présidents du Conseil faibles et complaisants, y verront une garantie puisqu'elle ne sera plus seule à les désigner. Le Président de la République, personnage indépendant et dont le mandat est durable doit avoir, à cet égard, un rôle déterminant. La désignation par le chef de l'État et l'investiture par l' Assemhlée concrétiseront la coopération souhaitable des pouvoirs. Cette procédure contribuera à conserver au Président de la République une autorité et un crédit personnels qui lui permettront d'être efficacement le conseiller suprême des institutions, par une action d'arbitrage qui s'est révélée dans le passé extrêmement utile, justement peut-être parce que peu spectaculaire.
UNE UN
ASSEMBLÉE,
GOUVERNEMENT,
UN
PLAN
L'ensemble des propositions qui précèdent offre le cadre voulu pour l'organisation de la planification démocratique qui sera étudiée plus longuement dans la suite de ce livre 1 • Il suffit pour cela que la période d'application du Plan soit calquée sur la durée de la législature ; chaque Assemblée adoptera, à l'initiative du gou1. Voir ci-après, chapitre vr.
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vernement et un an après son élection, un Plan dont elle surveillera et suivra l'exécution pendant la durée de la législature (en fait, la période d'exécution s'étendra un peu au-delà et inclura la première année de la législature suivante 1). La concordance se trouvera ainsi établie entre la durée du Parlement, celle du gouvernement, et celle du Plan. Le gouvernement et l'Assemblée sauront qu'ils seront jugés sur le Plan, sur les résultats obtenus, sur les imperfections constatées. Ce qui incitera les candidats, pendant la campagne électorale, à mettre l'accent sur leur conception du Plan suivant, sur les modifications proposées par eux, etc. 1• Pour faciliter et clarifier cette saisine de l'opinion, on pourra décider que, six mois avant la fin de la législature, devant chacune des deux Assemblées, un débat sera consacré au Plan, aux résultats atteints et aux perspectives futures 1 • Au cours de ce débat, des suggestions se feront jour qui serviront de base aux programmes développés pendant la campagne suivante 1 • Sans doute, ce schéma ne pourra pas toujours fonctionner d'une manière parfaite, des circonstances inattendues viendront en modifier certaines données : changement ou remaniement gouvernemental, adaptation du Plan à une nouvelle conjoncture, dissolution de l'Assemblée, etc. Mais on devra s'efforcer de maintenir autant que possible le synchronisme ou d'y revenir lorsqu'il aura été suspendu. L'essentiel, c'est que l'Assemblée, le gouvernement et le Plan soient toujours associés dans l'opinion. 1. Voir ci-après, p. 120 et 128 et suivantes.
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La République moderne
Il va de soi que l'importance du problème de la planification dans un Etat démocratique et parlementaire conduit à d'autres modifications institutionnelles pour ménager une plus large place aux affaires économiques dans la vie politique. C'est ce qui sera étudié dans les prochains chapitres.
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REPRÉSENTATION POLITIQUE ET REPRÉSENTATION ÉCONOMIQUE On a évoqué, jusqu'ici, le Parlement sans cher-
cher à préciser son contenu et 1a composition. Ce s.ont là pourtant des questions essentielles. Car si l'on s•accorde généralement sul" la nécessité d'un.e première assemblée élue au suffrage universel, le vieux débat reste ouvert s:ur l'utilité de la seconde et, dans l'affirmative, sur ce que doivent être son recrutement, les réalités qu'elle tnduira, comme aussi les at~bu1;ions qui lui seront reconnues.
LA DBUX.IÊHE CHAMBI\E
L'expérience n'a généralement pas été favorable aux Constitutions monocaméristes qui se sont révélées les plus fragiles ; .le précédent de 1848 est connu. Les partisans des deux Chambres insistent sur le fait que la confection d'une loi demande ré-
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flexion. Une loi doit être mûrie. Le double examen prémunit contre la précipitation ou l'improvisation. On fait état en sens contraire des lenteurs d'un double débat parlementaire et des navettes. Mais il est facile de prévoir des délais de délibération suffisamment brefs devant la deuxième Assemblée. L'existence de deux Assemblées contribue au · maintien de l'équilibre si nécessaire des pouvoirs. Elle facilite entre l'exécutif et le Parlement la solution de conflits qui risqueraient sinon d'être sans issue. Certes, il peut en surgir au sein même du Parlement, entre les deux Chambres ; mais il est relativement simple de faire jouer une procédure sur la base de la prépondérance de la Chambre élue au suffrage universel et en recourant à des moyens du type de la commission mixte prévue par la Constitution de 1958 (solution inspirée de celle que prévoit la Constitution américaine en cas de désaccord entre le Sénat et la Chambre des Représentants). Enfin, et c'est le point essentiel, les réserves qui ont pu être formulées dans le passé contre le Sénat portent le plus souvent sur son mode de recrutement bien plutôt que sur son existence même. Autrefois, la double représentation reposait, d'une part, sur une Assemblée Nationale ou Chambre des Députés exprimant principalement les tendances politiques et les partis, d'autre part, sur un Sénat représentant les circonscriptions départementales mais aussi et d'abord les milieux ruraux et les notabilités locales. Un système du même type peut être utilisé à de tout autres fins : il suffit de l'axer sur des réalités plus évolutives. Tandis que les tâches de l'État s'accroissaient de tout un vaste secteur dont
Représentation polittque et économique
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la substance est tissée des réalités économiques et social~s, les partis ont assisté à la promotion récente, à côté d'eux, de jeunes forces démocratiques qui traduisent ces réalités. Si l'Assemblée du suffrage univèrsel continue à exprimer comme par le paHsé les courants idéologiques qui s'opposent dans le pays, la seconde Assemblée sera conçue de mànière à représenter les groupes sociaux et les intérêts professionnels, forces nouvelles ·auxquelles l'État doit reconnaître un rôle et qui doivent participer à son fonctionnement 1 • De telles idées choqueront des démocrates de l'école traditionnelle 2 • A ceux-là, il faut rappeler qu'au xxe siècle l'activité des organes de l'Etat est de plus en plus consacrée aux affaires économiques, à la production, à la répartition, qu'un Parlement du type classique est mal préparé à les aborder, qu'il a tendance à ne les considérer que sous l'angle électoral, qu'il est faible pour résister aux groupes de pression, et qu'une maîtrise suffisante de la vie économique conditionne l'existence et le fonctionnement d'un pouvoir véritablement démocratique. Pour toutes ces raisons, à côté de l'Assemblée qui exprime les diversités idéologiques et politiques, la présence des groupes socio-professionnels 1. Bertrand de Jouvenel a souligné «le déclin ctes solidarités géographiques par rapport aux solidarités professionnelles ~>. Cette évolution doit trouver sa traduction dans les institutions nouvelles. 2. Et aussi des syndicalistes qui considèrent l'État avec une certaine méfiance et redoutent d'être pris dans un engrenage institutionnel où ils perdraient leur indépendance. Leurs craintes seront examinées au chapitre VIII où l'on étudiera la place du syndicalisme dans une nation moderne et une économie planifiée.
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La République moderne
est devenue nécessaire au sein d'une seconde Assemblée dotée de pouvoirs effectifs. Dès lors, chaque individu se trouve représenté deux fois et sous deux formes différentes. Sous l'angle de ses aspirations et de ses volontés politiques, d'abord, à travers le suffrage universel qui désigne l'Assemblée Nationale. Sous l'angle, d'autre part, de son rôle économique et profes· sionnel, de sa classe, au sein d'une assemblée qui confronte tous les producteurs et consommateurs constituant la collectivité. Les réalités qui doivent s'exprimer et, au besoin, s'opposer pour aboutir aux décisions supérieures, ne sont plus exactement celles auxquelles on donnait la parole au siècle précédent. Quand on craignait un excès de centralisme, une domination arbitraire et excessive de la majorité, on cherchait alors un contrepoids dans la représentation parlementaire des entités géographiques, historiques, administratives et aussi de structures sociales con· servatrices. Aujourd'hui comme hier, la décentralisation demeure nécessaire, mais ce sont les réalités économiques et sociales qu'elle doit désormais refléter, c'est aux forces de progrès qu'elle doit donner la parole dans une Assemblée dont ces réa· lités et ces forces seront les principales composantes. Que ce besoin existe n'est guère contesta· ble ; dès 1946, les Constituants ont doté la IVe République d'un Conseil Économique et leurs successeurs de 1958 l'ont reconstitué dans la sous le nom de Conseil Économique et Social. L'expérience de ce Conseil tel qu'il a fonctionné
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depuis quinze ans est positive. Chacun reconnaît la valeur de ses travaux... même SI gouvernements et parlements, sous la IVe comme sous la ve République, n'en ont, la plupart du temps, tenu aucun compte. L'importance d'un pareil forum réside d'abord dans le fait que des discussions sur des sujets d'intérêt général, souvent mal connus et obscurcis par l'intervention des groupes de pression, connaissent, grâce à lui, la publicité. Ce rôle d'informateur et d'éducateur populaire suffirait, à lui seul, à justifier la création d'une haute assemblée économique. La liberté d'expression des représentants des intérêts en présence, la portée des avis minoritaires euxmêmes, l'obligation faite à chacun de ne pas se contenter d'exposer unilatéralement son point de vue, mais de répondre aux objections et aux critiques des autres parties, sont autant d'élément:. susceptibles d'alimenter des débats dans le pays et d'éclairer l'opinion. Mais l'expérience enseigne (on l'a vu pour le Conseil de la République dans la première période de la IVe) que les assemblées ne jouent leur rôle, ne se sentent responsables et ne se comportent en conséquence, que dans la mesure où elles participent effectivement aux décisions. Les membrei d'une assemblée consultative se bornent le plus souvent à exprimer le point de vue de groupes revendicatifs, d'intérêts particuliers, et laissent à d'autres instances, chargées de statuer, le soin d'arbitrer entre les opinions antagonistes. Or, il importe au premier chef que les représentants des différents groupes économiques ne se contentent pas d'exprimer les doléances, fussent-elles jus-
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La République moderne
tifiées;de leurs mandants, mais s'aecoutument aussi à les mettre en balance avec d'autres revendications. Ils d"Oivent apprendre à faire entrer en ligne de compte des intérêts divergents, à prendre position sur les problèmes, en les considérant d'abord du point de vue de la collectivité tout entière. Rien de plus significatif que le débat, de haute qualité cependant, que le Conseil Économique et Social a consacré au IVe Plan d'Équipement en 1962. Les orateurs se sont succédé à la tribune pour présenter les observations particulières des associations familiales ou des cadres de l'agriculture ou de la classe ouvrière. Chacun exprimait les réserves que justifiait à ses yeux l'insuffisance des avantages procurés par le Plan à ses mandants. Le rapporteur a souligné l'intérêt fondamental du Plan présenté par le gouvernement; puis, il a repris certaines réserves importantes. Ses conclusions {)nt été adoptées à une large majorité. Mais pour finir, on ne saurait dire -si le Conseil Économique a i>U n'a pas adopté le Plan élaboré par le gouvernement. Il n'en serait plus ainsi à partir du moment où l'assemblée économique participerait effectivement à la décision, avec voix délibérative. Dans ce cas, elle ne se contenterait plus d'émettre des vœux ou des réserves discrètes, elle prendrait ses responsabilités en acceptant les projets, en les amendant ou en les rejetant. Il est possible, en fait, qu'elle n'en vienne là que progressivement, à mesure qu'elle prendra pleine conscience de son rôle et de son influence. Peu à peu, ce ne seront plus des points de vue parcellaires ou spécialisés qui s'exprimeront, mais des considé-
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rations d'équilibre et d'intérêt collectif. Alors, le Conseil Économique se sera placé sur le plan po.li· tique, au sens le plus élevé de ce mot. Alors aussi il rendra au pays tous les services qu'on est en droit d'attendre de lui.
COMPOSITION
DU
CONSEIL
ÉCONOMIQUE
L'expérience du Conseil ÉcDnomique et Social, telle que nous l'avons vécue jusqu'ici, fait apparaître en outre la nécessité de corriger les proportions respectives des groupes qui le composent pour obtenir une représentation équitable des diffé· rentes formations syndicales et professionnelles ainsi que des intérêts régionaux. La composition actuelle du Conseil avantage en fait certains milieux possédant et conservateurs, et désavantage la classe ouvrière, les forces d'ex· pansion, de rajeunissement et de progrès. Il Îm· porte de réviser cette distribution des sièges pour assurer aux éléments qui composent la Nation et contribuent à la production une plus exacte représentation. Dans la n1esure où c'est une politique de mouvement et de réformes de structures que l'on veut entreprendre demain, il est indispensa· ble que les forces et les groupes favorables à cette politique ne soient pas plus longtemps défavo· risés. Cette question a fait l'objet de travaux approfondis au sein d'une commission spéciale, constituée en vue de la préparation du Colloque pour l'étude des problèmes de la planification démocratique
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(mars 1962). Bien qu'aucune conclusion n'ait été finalement arrêtée, on peut dire que la plupart d.e~t membres de la commission sont tombés d'accord sur un certain nombre de principes qui paraissent pouvoir être retenus. Certes, on ne saurait, ea pareille matière, trouver d'emblée une solution parfaite. Le dosage des divers facteurs de l'économie, les conditions dans lesquelles leur représentation sera organisée, la recherche d'un équilibre acceptable entre citoyens et producteurs qui sont les mêmes hommes mais doivent s'exprimer sur deux plans différents, tous ces objectifs ne peuvent être atteints que progressivement et, au début du moins, par approximation. Après tout, la distribution des sièges dans lei Assemblées politiques n'a jamais été parfaite noll plus. Chacun connaît l'injustice choquante qui préside souvent à la répartition des sièges sénatoriaux d'un département à l'autre, ou des siègei de conseillers généraux dans un même département. Et cette situation se retrouve à l'Assemblée Nationale où les régions à forte concentration démographique sont sous-représentées. Même avec une loi électorale proportionnaliste, on a vu siéger côte à côte des députés qui avaient réuni dix mille suffrages et d'autres qui en avaient obtenu dix foia plus. Ce serait donc une exigence excessive que de prétendre réaliser, et du premier coup, une représentation irrécusable au sein de l'assemblée dei intérêts économiques et des producteurs. La difficulté se trouve encore accrue ici du fàit qu'il s'agit d'obtenir une représentation fondée· à la fois : - sur le nombre de membres de chaque caté-
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gorie socio-professionnelle (c'est l'application du principe de l'égalité des citoyens entre eux) ; -sur le poids de chaque catégorie dans la vie économique, tel qu'il apparaît dans la formation du produit national. Certains membres de la Commission du Colloque ont proposé, au surplus, la prise en compte d'un troisième critère, dit de responsabilité, qui aurait pour effet d'accroître la représentation du patronat, des cadres et du secteur nationalisé (ce dernier étant constitué par des industries de base qui jouent un rôle vital dans l'économie). Ces problèmes de pondération sont délicats. Ce n'est pas une raison pour refuser de les affronter et de rechercher les solutions les meilleures, fût-ce par approximations successives. Quoi qu'il en soit, le Conseil Économique actuel ne répond à aucun des critères proposés ci-dessus. La représentation des consommateurs pose un autre problème. En l'absence d'une organisation incontestablement qualifiée pour défendre leurs intérêts et pour éviter l'arbitraire, on est conduit à recourir aux organismes existants. C'est ce qu'avait envisagé le groupe de travail en distinguant les associations et groupements qui réunissent: - d'une part des consommateurs non spécialisés (diverses organisations familiales, coopératives de consommation, etc.) ; - d'autre part, des consommateurs spécialisés : logement (syndicats de locatai:~es, groupements divers), sports et loisirs (groupements sportifs, etc.), culture (groupements culturels), etc. Bien que ces organisations (et d'autres qui pourront voir le jour) soient et doivent Jester longtemps
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encore imparfaitement représentatives, on peut admettre que leurs porte-parole siègent au Conseil économique et social à condition d'y rester peu nombreux pour ne pas fausser le jeu des majorités, étant entendu d'ailleurs qu'une place plus large pourra leur être reconnue le jour où les consommateurs s'organiseraient mieux, comme c'est le cas dans d'autres pays. Il ne faut jamais oublier que la construction d'une démocratie moderne se fera progressivement et par étapes, que ses organes ne pourront être définis et mis en place que peu à peu. Et ceci est vrai quelles que soient les conditions de l'avènement de cette démocratie: par évolution continue ou par bonds. Les tâtonnements auxquels nous assistons dans les démocraties populaires en sont une preuve. Il faut donc accepter au début des formules approximatives, car le besoin même de les améliorer sera l'aiguillon qui permettra de mettre au point, avec le temps, des décisions plus satisfaisantes. Reste enfin à prévoir le mode de désignation des Conseillers économiques. Seront-ils élus par les membres des catégories sociales et professionnelles au nom desquelles ils siégeront ? Seront-ils choisis par les syndicats et les organisations existants? Ou bien encore associera-t-on les deux formules : élections, par catégories socio-professionnelles, de candidats désignés par des groupements représentatifs (comme c'est le cas pour les élections aux organismes de la Sécurité sociale) ? La troisième proposition me paraît personnellement la meilleure parce qu'elle concilie l'investiture par le suffrage uniYersel et l'intervention des
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syndicats et associations responsables. Toutefois, pendant un certain temps, et pour faciliter la mise en place des institutions nouvelles, il sera peut-être P.référable de faire désigner les membres du Conseil Economique par les groupements comme c'est le cas aujourd'hui. Cette solution a le mérite d'avoir été pratiquée pendant un certain nombre d'années avec des résultats satisfaisants. Elle comporte un avantage supplémentaire. Si, dans le cadre de la planification démocratique, on doit aboutir à une sorte de quasi-contrat entre toutes les parties en cause, il faut que les organisations effectivement représentatives participent, d'une manière ou d'une autre, aux délibérations et aux décisions ; elles ne peuvent le faire que dans la mesure où elles interviennent au sein d'une assemblée appelée à en discuter. Ce qui justifie le maintien des méthodes de désignation en vigueur depuis 1947. A l'usage, on pourra rechercher des aménagements et des améliorations. On est d'ailleurs en droit d'espérer qu'à partir du moment où le Conseil Économique et Social connaîtra de plus larges responsabilités et participera pleinement aux décisions, toutes les organisations seront incitées à y déléguer leurs dirigeants les plus représentatifs, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé. On a vu, en effet, des groupements importants déléguer de préférence, au Conseil, des personnalités non effectivement responsables. Il va de soi qu'il ne saurait être question de porter atteinte à la liberté de chaque organisation de désigner ses délégués comme elle l'entend. Mais on peut former le vœu qu'elle choisisse, autant que possible, les hommes les plus valables et que ceux-ci
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soient amenés, devant l'intérêt croissant des tra· vaux du Conseil, à souhaiter de pareilles déléga· tions. Il serait désirable enfin que chaque syndicat ou organisation répartisse les sièges qui lui sont attribués entre les tendances ou les spécialités professionnelles qui coexistent dans son sein.
En dehors des délégations des groupes économiques et professionnels, une autre représentation est nécessaire, celle des intérêts régionaux. Ce qu'on appelle le problème breton ou le problème du SudOuest doit trouver une expression dans une assemblée économique si celle-ci veut rendre compte de toute la réalité nationale 1 • Tel n'est pas le cas si elle ne réunit que des délégués ouvriers, patronaux, agricoles, etc. (en majorité parisiens ou résidant à Paris). A côté de la représentation verticale assurée par les membres d'origine professionnelle, on doit donc faire place à une représentation horizontale ou géographique, qui permettra aux régions de se faire entendre à la tribune du Conseil Économique. Cette représentation géographique devra être assurée par des délégués des conseils économiques régionaux dont il sera longuement question plus loin, ou par un corps électoral plus large composé des conseils économiques régionaux, des Conseils généraux, des syndicats intercommunaux, des sociétés d'économie mixte régionales, etc., selon 1. Et si l'on veut voir une vie démocratique ranimer l' ensemble du pays. Voir chap. IX.
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une pondération à déterminer, afin que la région en tant que telle soit bien représentée et non un pullulement de collectivités secondaires.
LE DANGER DE CO:RPORATISME
Aux propositions qui viennent d'être faites et à certaines de celles qui suivront -on reprochera peut-être de présenter les inconvénients du corporatisme. Mais le corporatisme n'est dangereux que si, d'une part, on donne aux organisations professionnelles le droit de prendre, sous leur autorité propre, des décisions obligatoires pour tous ceux qui en relèvent; ou si, d'autre part, des structures institutionnelles, arrêtées sur la base d'un certain état de fait, demeurent immuables tandis que la réalité économique est elle-même changeante. Alors, des intérêts particuliers ou périmés continuent à bénéficier d'avantages ou de garanties disproportionnés. Si l'on ne prend pas les précautions nécessaires, la défense professionnelle verse dans le conservatisme au seul profit d'intérêts contraires à ceux de la collectivité. C'est pourquoi il faut s'inspirer des principes suivants : 1o S'il est exact que des organisations professionnelles tendent à considérer les problèmes qui leur sont propres d'une manière égoïste ou unilatérale, il est essentiel de ne jamais leur déléguer la possibilité de légiférer seules. Que leurs
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La Ripublique moderne
dêlégué8 sôient entendus, qu'ils soutiennent les intérê\8 dont ils ont la charge, rien de plus légitime. Mais de8 associations spédalisées ne sauraient prendre de décisions indépendantes, sinon en conformité avec les prescriptions du Plan. C'est l'Assemblée économique, dans son entier, qui tranche et arbitre, parce que les intérêts divers ou contradictoires qui y sont représentés peuvent ainsi se contrôler les uns les autres. On a dit parfois que les groupes d'intérêts seront t~ntés de recourir à des « échanges de bons procédés ». Les viticulteurs donneraient satisfaction aux pêcheurs de haute mer, moyennant un appui pour leurs propres affaires. Des combinaisons de ce genre se produiront toujours, mais elles ne sont pas spécifiques d'un Conseil économique ; on assiste à ces marchandages dans les commissions de l'Assemblée Nationale ou du Sénat et jusque dans l'hémicycle. Le danger sera moindre, en tout cas, au sein d'une assemblée de délégués professionnels qualifiés (où chacun mesure dairement l'avantage qu'il est amené à consentir et le (( prix )) qui peut lui être demandé) que dans une as~emblée politique où les mobiles restent souvent d'ordre purement électoral et in clin en t à des transactions qui peuvent être préjudiciables à l'intérêt général. L'action des groupes d'intérêts, des lobbies, existera dans l'avenir comme elle a existé dans le passé. Elle est inévitable en régime capitaliste et probablement aussi en régime socialiste - car les intérêts, légitimes ou non, cherchent toujours à se défendre. Mais le Conseil Économique portera sur la place publique des discussions et des
Représentation politique et économique
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débats qui se déroulent aujourd'hui dans la coulisse : la publicité est la meilleure protection contre les « échanges de rhubarbe et de séné )). 2° Toujours pour éviter les dangers du corporatisme, le recrutement du Conseil économique restera étroitement en rapport avec la réalité nationale, ses fluctuations et ses évolutions. Il devra donc être révisé à intervalles assez· fréquents -par exemple, après chaque recensement - afin que les groupes traduisent bien l'importance relative des catégories socio-professionnelles et le poids économique de chacune d'elles. Cette adaptation périodique évitera une rigidit.é, un conservatisme et un vieillissement contraires au progrès. 3o Enfin, en cas de désaccord entre le Conseil Économique et Social et l'Assemblée issue du suffrage universel, cette dernière aura toujours le dernier mot. Le principe doit être posé, en effet, que c'est elle qui exprime le mieux l'intérêt général. Les préférences d'une assemblée dont le recrutement est assis sur des intérêts professionnels - respectables et légitimes, mais partiels - , doivent en dernier ressort céder le pas à l'arbitrage de l'Assemblée représentative de l'entité nationale elle-même. POUVOIRS
DU
CONSEIL
ÉCONOMIQUE
Sous ces réserves, le Conseil Économique et Social doit devenir une Assemblée à part entière, la seconde Assemblée parlementaire. Aucun texte
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ne doit devenir loi sans qu'il ait participé à sa confection. L'idée qui se présente d'abord est de limiter ses interventions aux matières économiques et sociales à l'exclusion des affaires politiques. Cette formule est inapplicable : Comment distinguer dans la pratique les textes économiques de ceux qui seraient proprement politiques? S'agit-il d'adhérer au Marché commun? C'est un problème politique au premier chef mais bien évidemment économique aussi et il serait anormal que le Conseil Economique ne soit pas consulté. Le vote du budget de la Défense Nationale implique des conséquences économiques, et de très large portée : les ressources consacrées au secteur militaire sont prélevées sur les autres emplois du revenu national, d'où une diminution corrélative des investissements ou des consommations. On pourrait multiplier les exemples à l'infini. Il n'y a pas, il ne peut y avoir, de nos jours, de poteau frontière entre l'économique et le politique. Reste qu'on ne peut obliger le Conseil Économique à statuer sur des matières qui n'intéressent pas ses membres, ou sur lesquelles ils jugent n'être pas qualifiés. Les principes suivants pourraient donc être retenus : a) Le Conseil Économique et Social examine en première lecture, et avant l'Assemblée Nationale, les projets de loi élaborés par le gouvernement, et dont ce dernier estime qu'ils ont principalement une portée économique et sociale : le Plan, le budget, les lois sociales, les nationalisations, etc. Il examine aussi en première lecture les propo-
Représentatwn
pola~que
et économique
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sitions de loi émanant de ses propres membres. Après quoi, ces textes sont transmis à l' Assemblée Nationale. En cas de désaccord, il y a lieu à navette dans les conditions prévues ci-dessous. b) Les autres projets de loi d'origine gouvernementale ou les propositions émanant des mem· bres de l'Assemblée Nationale sont soumis, en premier lieu, à cette dernière et transmis, après adoption, au Conseil Économique. Celui-ci décide dans chaque cas s'il entend les examiner. Lors· qu'il se saisira ainsi d'un texte législatif, il aura le droit de l'amender et de le modifier, ce qui pourra également donner lieu à des navettes. En revanche, si un texte adopté par l'Assemblée Nationale n'a pas été examiné (ou amendé) par le Conseil Économique dans un délai donné, ce texte devient définitif et il est considéré comme adopté.
c) En cas de navette, le dernier mot reste toujours à l'Assemblée Nationale selon une procédure à déterminer, par exemple après constitution d'une commission mixte composée de membres des deux Assemblées (ainsi que le prévoit dans certains cas la Constitution de 1958). Ces suggestions devraient satisfaire à la fois ceux qui veulent voir largement développer le pouvoir législatif de l'Assemblée économique, et ceux qui, selon la tradition démocratique, entendent maintenir, en toute circonstance, la prééminence de l'Assemblée du suffrage universel.
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Dans un récent et retentissant article, Michel Debatisse 1 a exposé une thèse qui s'apparente étroitement à celle qui vient d'être résumée. Selon lui, « les représentants des salariés, du patronat, des paysans devraient pouvoir se mettre d'accord sur des objectifs qui ont des incidences sur la vie des membres de leurs organisations. Ils auraient à envisager les progrès du bien-être et de sa répartition, mais aussi à prévoir la part consacrée aux investissements de production et aux investissements de consommation. On est étonné des oppositions que suscite cette perspective, même si l'on précise que le dernier mot doit revenir à la Chambre élue au suffrage universel!. .. » Et le même auteur n'hésite pas à demander « la participation des groupes économiques, en tant que représentants des producteurs, aux décisions politiques ». 1. Secrétaire général du Centre national des Jeunes Agriculteurs. L'Express, 9 août 1962.
VI
L'ÉTAT ET LA PLANIFICATION ÉCONOMIQUE Chacun reconnaît aujourd'hui que l'État est responsable de l'évolution économique, qu'il lui appartient de lutter contre les crises et le sousemploi, d'orienter, de stimuler et de coordonner les efforts en vue de l'expansion et du progrès co mm uns. Personne ne peut plus défendre sincèrement le libéralisme du dernier siècle, personne ne croit plus à la valeur de la vieille formule : « Laissez faire, laissez passer. » La question s'est précisée au cours de ces dernières années. La plupart de ceux qui s'y sont appliqués estiment désormais que les interventions de l'État, dont le principe n'est plus contesté, ne doivent pas faire l'objet de décisions successives et parcellaires, au hasard des besoins ou des ci:rconstances. Elles doivent constituer un ensemble cohérent dont les différentes parties, au lieu de se contrarier ou de se neutraliser, comme ce fut souvent le cas, se renforcent, se complè-
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tent, se soutiennent les unes les autres 1 . Cet ensemble, c'est le Plan. Partout où il y a action collective : bataille, construction d'un immeuble, organisation d'une entreprise privée ou publique... il faut un plan pour déterminer les conditions d'exécution les meilleures - sinon, c'est le gaspillage et finalement l'échec. L'exécution, à son tour, demande un pouvoir déterminé sur les hommes et sur les choses - sinon, c'est le chaos et c'est encore l'échec. Certes, ces idées sont accueillies avec réserve ou hésitation dans les milieux de droite. De ce côté, on n'éprouve pas le besoin d'un véritable programme économique national ; on reste méfiant à l'égard de l'intervention des pouvoirs publics. C'est que l'empirisme convient par nature à la droite. Partant de l'idée que l'état de choses existant est l'état normal, elle n'envisage pas de le changer, mais seulement de le gérer. Sa conception du gouvernement est pragmatique, stabilisatrice, conservatoire sinon co.nservatrice. La gauche, au contraire, refusant de s'accommoder des injustices ou des inégalités, est toujours à la recherche de transformations. Tant que cette insatisfaction demeure au stade de la révolte sentimentale, elle est menacée par l'incohérence et 1. « Les pouvoirs politiques, responsables du bien commun, ne peuvent manquer de se sentir engagés à exercer dans le domaine économique une action aux formes multiples, plus vaste, plus profonde, plus organique... Ils doivent exercer leur présence active en vue de dûment promouvoir le développement de la production en fonction du progrès social et au bén,éfice de tous les citoyens. Leur action a un caractère d'orientation, de stimulant, de suppléance et d'intégration». (Encyclique Mater et Magistra.)
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la démagogie. Aussi faut-il constamment faire suivre l'étude des réalités de l'élaboration d'une doctrine efficace. Plus que jamais aujourd'hui, les hommes de progrès doivent préparer des programmes précis et détaillés, fondés à la fois sur des perspectives à long terme et sur les réalités présentes. Cette politique économique tend généralement vers deux objectifs : d'une part, élever le niveau de production, accroître la richesse générale, d'autre part, améliorer la distribution pour aboutir à une situation sociale plus juste. L'effort doit être mené simultanément sur les deux fronts. C'est pourquoi le Plan économique doit se compléter par un plan social. Dans cent ans, les historiens - dans quinze ans nos garçons devenus des hommes - ne nous jugeront pas sur telle affaire à laquelle les journaux consacrent leurs manchettes et le chef de l'État un référendum, mais sur le volume des biens que nous aurons su produire, sur les conditions d'existence, sur l'ouverture de chances et de possibilités que nous aurons assurées à tous au sein de notre société. La valeur d'un système politique et social dépend, Bevan l'a souvent répété, du rythme de croissance qu'il est capable d'imprimer à l'économie et de l'usage qu'il fait du surcroît de production obtenu pour garantir une plus équitable répartition des richesses matérielles et culturelles. Tel est l'objet de la planification, c'est-à-dire de l'ensemble des décisions par lesquelles la collectivité détermine les buts qu'elle se propose et qui doivent être admis comme tels par tous.
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Le premier pays qui ait organisé la planifica· tion de son économie fut l'Union Soviétique après l'autre guerre. Or, il existe une grande différence entre la planification dans un pays neuf, sousdéveloppé, et ce qu'elle peut et doit être dans un pays d'économie évoluée, moderne et complexe. Dans l'Union Soviétique de 1925 ne s'offraient que des choix restreints, élémentaires et fondamentaux. Il s'agissait - comme dans la plupart des pays du Tiers Monde aujourd'hui- de limiter la consommation pour dégager le plus de ressources possibles au profit des investissements; et, parmi ces derniers, de faire respecter la priorité presque absolue des investissements de base. « Moins de présent pour plus d'avenir », tel était en gros l'impératif. En d'autres termes, si difficiles à imposer que fussent les décisions, elles étaient simples à définir et on imagine aisément qu'elles aient pu être conçues et prises par un petit nombre d'hommes tout-puissants, chargés d'arrêter les options et les arbitrages et d'édicter un Plan qui serait ensuite imposé à tous. Dans un système centralisé et autoritaire, on annonce bien aux masses qu'elles collaborent à une grande œuvre, on les mobilise à cette fin. Mais elles n'ont d,. autre choix que d'obéir et d'exécuter. L'idée et l'impulsion par· tent toujours du sommet ; d'ailleurs, une population fruste, analphabète, traditionnellement habituée à obéir et qui n'a jamais joui d'une réelle liberté, accepte les mots d'ordre et subit les contraintes sans les discuter. Les éléments humains n'entrent guère en ligne de compte ; on fait bon marché de la liberté, de l'indépendance de l'homme, de son apport original, de sa dignité même.
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PLANIFICATION ET LIBERTÉ
Il en va tout antrement d'une économie évoluée et moderne. lei, au contraire, comme l'a bien vu Pierre Belleville, les fonctions des organes politiques du pouvoir sont chaque jour plus noml)reuses et plus diverses ; le gouvernement est incapable d'entrer en contact direct avec la masse des cas à traiter ; le pouvoir politique s'exerce à travers une série de réseaux économiques, sociaux, administratifs ; à eôté de lui, ou contre lui, se dressent, plus ou m-oins indépendants, d'autres pouvoirs, grandes entreprises, banques, syndicats ouvriers, groupes de pression, etc. Les décisions à prendre sont innombrables, et chacune peut retentir sur toutes les autres. L'économie est complexe, la politique à mener l'est donc aussi. Les risques d'erreur se multiplient. Une poignée d'hommes, fussentJils riches de toute la science économique du monde, parfaitement informés et munis des statistiques les plus détaillées et les plus exactes (ce qui n'est pas toujours le cas!) ne peut pas décider de tout. Quant à la population, elle a pris le goût de la liberté, elle a besoin de comprendre, de participer aux choix ; il ne lui suffit pas de voir s'améliorer progressivement son sort, elle veut contribuer sciemment à une œuvre collective, dont elle connaît les fins, dont elle a le mérite et dont elle auTa le profit. C'est pourquoi, dans une économie évoluée, on ne _peut maintenir l'entreprise de planification-
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dans un corset de centralisation et de rigueur. On est conduit à des assouplissements, à des démultiplications, à des délégations de pouvoirs dont l'évolution récente de l'Union Soviétique révèle la recherche encore timide mais significative : la centralisation a dû faire des concessions progressives, la rigidité autoritaire du début est devenue moins impérieuse ; il reste un long chemin à parcourir, mais l'évolution se fait dans une direction déjà assez claire pour qui l'observe sans préjugé. Si, à un stade avancé de l'évolution économique et culturelle, le pouvoir de décision ne peut plus être concentré, selon des techniques totalitaires, entre les mains d'un groupe restreint il n'en reste pas moins que le succès d'une politique active et dynamique nécessite une cohérence aussi grande que possible dans le comportement de tous les producteurs de la nation. Comme ils sont par ailleurs aussi des citoyens, on en vient à l'idée d'une planification démocratique où l'impulsion motrice, les décisions d'application, le contrôle, loin d'être monopolisés par l'autorité centrale, doivent venir de la base. C'est la volonté populaire qui constitue la force souveraine et, pour être efficace, elle doit non seulement déterminer les grandes options nationales, mais intervenir aussi à tous les niveaux intermédiaires : collectivités locales, organes régionaux du Plan, coopératives, groupements professionnels et syndicaux, comités d'entreprise, etc. Ainsi seulement, à tous ces niveaux, autorité et planification seront démocratiques ; liberté, efficacité et justice sociale pourront enfin être réconciliées et associées.
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Partout où il y a une responsabilité à engager, il faut donc mettre en place un mécanisme approprié pour que les décisions soient prises démocratiquement, c'est-à-dire avec le concours de tous les .·intéressés. Le but est que le plus grand nombre possible de gens jouent volontairement et consciemment un rôle au centre comme dans la région, dans les professions organisées et jusque dans la vie de l'entreprise 1 • Or, il y a une différence de degré et même de nature entre la planification, telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui en France, et la conception qui vient d'être esquissée. Actuellement, le Plan est élaboré et exécuté, d'un côté par une bureaucratie qui, dans la meilleure hypothèse, est neutre, de l'autre par des groupes qui disposent de moyens efficaces pour défendre leurs intérêts et peser sur les décisions. En dehors de participations ouvrières de caractère souvent symbolique, il n'existe pas de démocratie dans la planification française. Les déceptions qui pourraient en résulter risquent d'entraîner un préjugé défavorable contre la planification elle-même. Il est urgent de redresser la situation afin d'éviter le développement d'une méfiance dangereuse pour l'avenir. Nous avons vu 2 que l'impossibilité pour la base de se faire entendre dans le domaine politique n'est pas exclusive d'un manque de fermeté au sommet. Il en est de même ici. Le professeur Duverger a donc eu raison de rappeler que, dans nn État faible, la planification démocratique 1. Ce qui implique la promotion de la classe ouvrière organisée. Voir à ce sujet le chapitre VIII. 2. Voir chapitre n.
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« n'est pas possible ; à supposer qu'on parvienne ...
à définir des objectifs conformes à l'intérêt général, on n'aura pas les moyens de les atteindre. Dans un État faible, le secteur public (lui-même) n'est qu'un agglomérat de services et d'entreprises qui poursuivent chacun leurs buts propres, sans orientation globale ... L'appareil mixte de production subit essentiellement l'influence des éléments capitalistes parce que le gouvernement ne peut pas faire sentir la sienne. » A régime faible, planification faussée. Une démocratie véritable, au contraire, peut imprimer une vie nouvelle à la politique de planification. Par quels moyens instituer cette démocratie et faire que le Plan devienne la chose de la nation entière? C'est ce qu'ont recherché les participants d'un Colloque pour la planification démocratique 1 qui s'est tenu à Paris en mars 1962 et dont s'inspirent souvent les pages qui suivent. Selon leurs conclusions, la planification est démocratique lorsque se trouvent conjuguées : 1° Une participation active des citoyens ou de leurs représentants à l'élaboration, à l' exécution et au contrôle du Plan, ce qui exige d'abord leur préparation à ces tâches (il s'agit ici de la démocratie dans les moyens) ; 2° Une orientation de la production en vue de la 1. Ce Colloque, qui réunissait des représentants des syndicats et des partis, des universitaires et des hommes politiques, s'est tenu sous la présidence de M. Jeanson, vice-président de la C. F. T. C., et a approuvé deux importants rapports de Gilbert Mathieu (aspects sociaux et institutionnels de la planification démocratique) et Alexandre Verret (exécution du Plan et moyens de financement).
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satisfaction des besoins sociaux définis par des autorités émanant de la nation elle-même (il s'agit de la démocratie dans les buts poursuivis). En fait ces besoins répondent à deux sortes de préoccupations : lutter contre les crises et le sous-emploi, atteindre les objectifs prioritaires. Ces préoccupations sont évidemment primordiales 1 •
L'INFORMATION ÉCONOMIQUE DES CITOYENS
La planification démocratique exige . d'abord que les citoyens - ou ceux qui les représentent contribuent effectivement à l'élaboration, à l' exécution et au contrôle du Plan. « ~tre libre, dans les années 60, c'est participer aux décisions 2 • » Une telle participation suppose qu'un accord très large est intervenu sur les buts poursuivis. Cet accord ne peut avoir de sens que s'il repose sur une meilleure information du pays en général, 1. Le Congrès fédéral de la C. G. T. - Force Ouvrière de novembre 1961 a donné de la démocratie économique et sociale une définition qui recoupe assez bien celle du texte ci-dessus. Selon cette déclaration, « les conditions suivantes doivent être réunies : - la démocratie économique doit être réelle à tous les niveaux, - la planification doit être démocratique et efficace dans ses structures, - l'administration du pays doit être adaptée à cette mission. L'économique n'est cependant qu'un moyen et les objectifs du Plan Force Ouvrière sont d'abord sociaux. » 2. Congrès du Centre national des Jeunes Patrons, mai 1962.
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et de ceux en particulier qui sont appelés à jouer un rôle dans la détermination et l'exécution de la politique convenue. La France est sans doute, de toutes les grandes nations industrielles, celle où l'opinion est la moins informée des problèmes économiques dont la solution intéresse cependant directement chaque individu et chaque famille. L'école et le lycée laissent les enfants et les adolescents dans une ignorance complète de ces problèmes. Plus tard, les jeunes, mal préparés à leur métier de citoyens, subiront l'influence des grands moyens d'information qui expriment tantôt l' opinion des pouvoirs publics, tantôt celle des intérêts privés. Par l'effet d'une ignorance ainsi entretenue, par l'effet aussi de traditions propres à notre pays (un siècle et demi de batailles purement politiques alors qu'en Angleterre, par exemple, les grandes ·affaires qui passionnaient l'opinion 1 avaient presque toujours une incidence économique), les Français ont fini par se persuader que pareils sujets étaient le lot de spécialistes et beaucoup trop difficiles pour le commun des mortels. Pour relever leur niveau de culture économique et sociale, un immense effort est donc nécessaire. La population tout entière a droit à une information objective sur les problèmes du Plan, sur les conditions de sa réussite et sur la part que chacun peut y prendre. Ce qui implique une conception nouvelle du rôle de l'Agence française de Presse, de la radio et de la télévision ; il conviendrait d'augmenter considérablement la place 1. La loi sur les blés, le régime foncier, l'Empire, !e commerce international, etc.
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réservée à une information économique soustraite aux groupes d'intérêts privés ou partisans. Parallèlement, l'initiation économique devra commencer dès l'école primaire. En dehors des comptes rendus d'exécution du Plan mentionnés plus loin, il sera nécessaire que le Commissariat au Plan et les services qualifiés publient, à intervalles fréquents, des eortes de « livres blancs » pour faire le point de certaines grandes questions : la construction, la politique foncière, l'alcoolisme, les exportations agricoles, l'automobile, etc. De pareilles monographies préparées avec le concours des organisations ouvrières, agricoles,. patronales, etc., et des conseils régionaux, sont susceptibles de contribuer à la formation d'une opinion appelée à jouer son rôle en faveur des grandes tâches du Plan. Il faut encore songer dès maintenant à la formation de tous ceux qui auront à participer per5onnellement au travail de planification. La reconnaissance de véritables congés-éducation pour les travailleurs (avec compensation pour les jours de salaire perdus), l'extension du rôle du syndicalisme enseignant comme vulgarisateur des problèmes de la vie industrielle et de la pratique de la planification, le soutien systématique accordé aux efforts des organisations syndicales et de tous les groupements et associations qui préparent des hommes à prendre des responsabilités sociales et économiques, etc., tout cela doit être encouragé au maximum pour permettre une très large action des militants en vue d'une planification de plus en plus démocratique. Il est un autre genre d'information, celui qui se
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développe au cours des périodeg électorale@. A l' cccasion des consultations législatives, un bilan de l'état d' exéeution du Plan et des problèmes qu'il soulève devra être présenté aux citoyens. Cette documentation fera l'objet de débats à 1' Assemblée Nationale et au Conseil Économique et Social au coui's de la période qui précède le renouvellement de l'Assemblée. Pendant la campagne électo.rale, les candidats et les partis en tireront des éléments et des thèmes de discussion. Ces éléments et ces thèmes, objectera-t-on, seront inévitablement tendancieux. Le risque est limité s'il conduit la presse, les candidats, les contradicteurs à contester les affirmations, à fournir des chiffres, à critiquer l'action passée, à formuler suggestions et propositions en vue des programmes futurs. Un progrès immense serait accompli le jour où. les campagnes électorales feraient enfin une large place h des débats de ce genre. CONTENU DU PLAN
Le second aspect de la planification réside dans l'orientation de l'économie vers deux séries d'objectifs : - Éliminer les « dents de scie », combattre les dépressions et les récessions afin d'obtenir une expansion et une croissance aussi régulières et aussi rapides que possible et supprimer les p.ériodes de sous·emploi ; - Opérer, d'autre part, un choix clair et explicite parmi les divers besoins sociaux.
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Aprè.s avoir dre~ts.é d'a-bord l'invewtaire de ~~s besoins, c'est au Pad~ment, expressi~n .dé~~ cratique de la Nation, qu'il app.artient de déter~ miner, compte tenu des priQ:rités respectives de ces div.ers b~oi:a~ et des res~o~rces disponible~, les objectifs qui doivent être atteints par le Plan et les moyens physiques et financiers à mettl'~ en œuvr.e. Cela appellera aussitôt des décisions de base concernant le taux et la forme de la croissance .économique, l'importance du travail et des loi~ sirs, des consommations et des investissements, la répartition régionale de ces investissements, etc. Sans doute, tous le~ citoyens auront eu à s'in~ terroger sur ces choix pendant la précédente cam~ pagne électorale, mais les arbitrages resteront difficiles et même sévères~ Non s.eulement il fal.ldra arrêter la part reipective à accorder à la consommation et aux investissements, en d'autres termes au présent et à l'avenir, mais dan~t l'un et l'autre cas ,d.ev;ront intervenir de5; répartitions secondaires. Pour la consommation, entre besoins individuels (alimentation, habillement, vacances, etc.) et besoins collectifs (écoles, hôpitaux, vieill.esse, urhanisme, ~galisatwn des chances sur l'ens.emble du territoir-e~ normalisation des revenv~ entre g;ro\lpes sQciau~ déf~nse nationale, aide aux pays $Q$·développ.éf;, etc.. ). P.our les investissements, entre les diverses branches de productiOD (Ù}s unes ~tin,ées ~ à~s oonsommations durables : logement, automobile, etc., les autres visant des buts plus éloignés : grands travaux, recherche, etc.). Tous ces choix exigent un sens p.rofund du hien
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collectif. On ne peut voir se développer un tel esprit (qui est proprement l'esprit civique) que chez des hommes et des femmes convaincus non seulement que le choix dépend d'eux, mais que ce choix, une fois fait, sera respecté sans défaillance et sans compromission ; bref, que les sacrifices consentis par eux auront un sens. Ici apparaît toute la responsabilité du Parlement et du gouvernement, devoir de fidélité à la volonté populaire, au contrat passé, devoir d'inflexibilité. Il n'est jamais possible, dans une période donnée, d'atteindre à la fois tous les objectifs souhaitables ; les besoins à satisfaire dépassent toujours les moyens. C'est pourquoi il est indispensable d'utiliser, sans perte ni gaspillage, l'ensemble des ressources disponibles et d'assurer leur utilisa ti on dans les meilleures conditions possibles. Aucun facteur de production ne doit rester inactif ou mal employé. Nous retrouvons la politique du plein emploi. Le Plan, c'est le plein emploi au service d'objectifs démocratiques déterminés. Toutes les décisions et directives dont l'ensemble constitue la politique économique doivent être prises dans cet esprit. II en résultera des modifications et des réformes dans le comportement: - des pouvoirs publics et des administrations qui en relèvent ; des entreprises nationalisées ; des entreprises privées du secteur bancaire.
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Les questions qui concernent l'organisation et le comportement des pouvoirs publics seront traitées dans la suite du présent chapitre. Les rapports entre le Plan et les entreprises produc· tives (publiques ou privées) feront l'objet du cha· pitre suivant. Il y aura lieu ensuite d'étudier plusieurs pro· longements particulièrement importants de la pla· nification, soit en ce qui concerne l'action et le rôle dévolus aux organisations syndicales (chapitre Yin) soit en ce qui concerne la vie et l'économie régionales (chapi~re 1x).
LE PLAN EST IMPÉRATIF POUR
L'ÉTAT
, On peut discuter du degré de contrainte que le Plan exercera sur le secteur privé. Mais aucune contestation n'est admissible en ce qui concerne l'État et ses administrations. Aussi surprenant que cela paraisse, il n'est pas inutile de rappeler ce principe, car il n'a jamais été effectivement res· pecté dans le passé. Parce que nous appartenons à un pays de juristes, nous sommes enclins à rechercher ce que serait la meilleure organisation de l'État, de ses services, de ses ministères, de ses administratioiis, pour faîre respecter la suprématie du Plan. Or ce n'est point l'essentiel. L'essentiel concerne l'esprit même qui doit dominer toute la politique économique et la conception même du Plan. Aucun organigramme ne sera efficace si ne règne pas chez tous les hommes responsables,
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depuis le chef du gouvernement jusqu'à son subordonné le plus lointain, la volonté acharnée, et sans cesse en éveil de faire respecter le Plan à propos de chacune des décisions gouvernementales. Tant que l'équipe dirigeante et son chef, en premier lieu, ne feront pas du Plan leur objectif commun et prioritaire, qu'ils ne sentiront pas pleinement que le Plan en voie d'exécution est « leur » Plan, leur engagement, que c'est là-dessus qu'ils seront jugés, tant qu'ils ne feront pas corps avec l'entreprise, on n'évitera pas la faiblesse, quelle que soit l'organisation retenue. En temps de guerre, chacun sait que les nécessités de la défense priment les autres, chacun à son poste comprend qu'il doit conformer son attitude aux impératifs de la bataille. En temps de paix, le Plan doit connaître la même primauté. Or, jusqu'ici, la reconnaissance de cette primauté, la résolution d'assurer le succès du Plan, même aux dépens d'autres objectifs (moins importants, sinon ils y auraient été incorporés), n'ont pas toujours prévalu dans l'action gouvernementale. Que de fois, depuis quinze ans, n'avonsnous pas vu prendre par tel service, telle administration, tel ministre ou par le Parlement des décisions qui pouvaient, certes, trouver une justification particulière, dans un domaine donné, mais qui remettaient en cause, et parfois gravement, les orientations et les priorités essentielles du Plan 1 ? En fait, la planification ne sera vrai1. Pour évoquer un exemple récent, il n'est pas admissible que le projet atomique de Pierrelatte ait été examiné par le gouvernement et par l'Assemblée Natjonale (mais non par le Conseil Économique et Social dont l'opinion n'a pas été recueillie), comme une affaire distincte et indépendante sur laquelle on
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ment fructueuse que si prévaut, à la tête de l'État, la conviction qu'elle est l'entreprise dominante, au succès de laquelle toutes les décisions parti~ culières doivent être assujetties. Dès lors, aucune proposition ne doit plus être examinée isolément, mais toujours dans le cadre du Plan en voie d'exé~ cution ou du Plan en préparation. Il n'en reste pas moins que des réformes s'im~ posent pour obtenir un meilleur fonctionnement des administrations économiques. La question a fait l'objet, au lendemain de la Libération, de l'ordonnance du 23 novembre 1944, qui voulait assurer un commencement de concentration des pouvoirs économiques entre les mains du ministre de l'Économie nationale (on dirait, aujourd'hui, le ministre du Plan). Cette ordonnance est restée lettre morte, les divers ministères intéressés (Fi~ nances, Agriculture, Industrie, etc.) ayant éludé la tutelle prévue. Le but - qui peut être atteint par diverses méthodes - est le renforcement de la cohésion gouvernementale, par la désignation d'un chef de file de toute l'action économique, qui pourrait être le président du Conseil, ou un vice~président du Conseil, ou le ministre du Plan. Il disposerait du Commissariat au Plan, de la Comptabilité Nationale, du Conseil national du Crédit et exer~ pouvait statuer sans la replacer dans l'ensemble de la planifi~ cation économique (qui faisait cependant l'objet de débats presque contemporains!). Une affaire de cette ampleur (non seulement par les sommes requises mais par ses répercussions sur l'emploi de spécialistes, de matériaux rares, d'équi~ pements, etc.) ne peut que perturber l'équilibre et les chances de succès du Plan si elle n'y est pas correctement incorporée (fllt~ce au détriment de quelque autre projet).
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cerait son contrôle sur les décisions des autres ministres économiques. Il réunirait ces derniers en Comité interministériel pour examiner non seulement les affaires communes, mais aussi toutes les affaires importantes relevant de chacun d'eux, afin d'assurer l'harmonie et l'équilibre de leur action. Le secrétariat du Comité interministériel serait placé sous son autorité et son contre seing requis pour toutes les lois économiques, ainsi que pour les décrets, arrêtés et décisions d'arbitrage importants. La cohérence des décisions doit aussi s'entendre dans le temps. Cela signifie que, le Plan une fois arrêté, les décisions d'application ultérieures pendant la période d'exécution en respecteront les exigences. Plus particulièrement, les budgets annuels de l'État doivent prévoir les crédits indispensables à l'exécution du Plan. Il est inconcevable que le Plan adopté au printemps 1962 ayant prévu un accroissement chiffré des moyens mis à la disposition de l'Éducation nationale, les crédits correspondants n'aient figuré ni au collee· tif de 1962 ni au budget de 1963. Au contraire, le Plan une fois arrêté, un grand nombre de crédits budgétaires devraient pouvoir être fixés plusieurs années à l'avance. Il est en effet facile de déterminer - sous réserve d'oscillations de prix et de variation de la conjonctureles sommes à prévoir chaque année pour réaliser les travaux, ouvrir les chantiers, poursuivre les programmes. Des tranches de financement pluri-annuel peuvent et doivent être arrêtées, facteurs de continuité et de régularité dans l'exécution des travaux. Il n'est pas inutile de signaler enfin que la ré-
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forme du Conseil Économique et Social décrite au chapitre v, de même que les propositions qui seront envisagées au chapitre VIII en ce qui concerne l'intervention des organisations syndicales, constitueront de puissantes garanties du respect de toutes les règles qui viennent d'être proposées.
ÉLABORATION
DU PLAN
L'organisation politique et les principes de la planification étant, par hypothèse, conformes aux propositions qui précèdent, l'élaboration du Plan peut se faire dans l'avenir selon une procédure fixée par une loi organique et comportant un certain nombre d'étapes. Le caractère de ces étapes correspond à deux grandes catégories de travaux. Tantôt, il s'agit de déterminer les objectifs, de procéder aux options (consommation ou investissements, choix entre les buts essentiels que l'on peut s'assigner, etc ... ) ; ce sont alors des. décisions politiques qui ne peuvent être prises que par des institutions responsables de l'État. Tantôt, il s'agit d'étudier les méthodes et les moyens par lesquels les objectifs seront atteints, les conditions qui permettront d'y parvenir et cela est l'affaire des techniciens. Mais ces deux domaines ne sont pas aussi distincts qu'on pourrait le croire 1 • Certaines aspirations, certains désirs politiques peuvent être techniquement irréalisables et les hommes appe1. V. dans Planification française et Démocratie les deux articles de Bernard Cazes et Bernard Gournay.
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lés à dêcider en la matière doivent toujours savoir qu'ils auront à tenir compte de données, de con· ditions ou d'objections techniques. Réciproque· ment, les consultations fournies par les techniciens ne sont pas totalement neutres ; certains travaux préparatoires, selon la manière dont ils sont conduits, peuvent peser sur les choix ultérieurs ; la formulation des alternatives peut prêter à discussion ; la manière d'énoncer une question se ressent souvent des arrière-pensées de celui qui la pose. Et il est des moyens techniques dont l'emploi peut susciter des réactions, des incompréhensions, des passions, dont l'homme politique doit tenir compte. Pour toutes ces raisons, l'élaboration du Plan, si elle comporte au début des prises de position qui incombent aux instances politiques, donnera lieu ensuite à une sorte de va-et-vient continuel entre les instances politiques et les organes techniques ou professionnels. Ce sont ces navettes qui doivent permettre progressivement une mise au point des décisions qu'on peut schématiser comme suit 1° Les premiers travaux préparatoires pour le Plan à venir ne peuvent être assurés que par le Commissariat au Plan. Il s'agit, à ce stade, de réunir les matériaux nécessaires aux études ultérieures, les données principales sur les ressources de base. Mais il s'agit aussi de faire apparaître les grandes options entre lesquelles le Plan de la législature suivante devra choisir. Ce travail se fera en liaison étroite avec les Commissions du Conseil Économique et Social et les conseils économiques régionaux, dont il sera ques-
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tion plus loin. Il commencera deux ans avant la fin de la période couverte par le Plan précédent (c'est-à-dire un an avant la fin de la législature en cours 1 ). 2o La documentation ainsi réunie éclairera le débat qui doit s'instaurer 1 , environ six mois avant l'expiration de chaque législature, devant chacune des deux Chambres, pour examiner les résultats obtenus par le Plan, les causes des déficien· ces et les moyens d'y remédier ainsi que les pers· pectives futures. C'est à partir de la même documentation que se développeront ensuite les discussions de la cam· pagne électorale, les débats ouverts entre partis, syndicats, etc. Faire du Plan un des grands sujets de contestation politique est le meilleur moyen d'intéresser la nation au Plan et à ses orien· tations. 3° Le gouvernement, constitué après les élee· tions, arrête un avant-projet de Plan. Entre les grandes options dégagées par les travaux mention· nés ci-dessus et à la lumière des débats électoraux et de leurs résultats, il va faire ses propositions au Parlement. Il peut d'ailleurs, s'il l'estime utile, présenter deux ou trois variantes, compte tenu de différents rythmes de croissance possibles, de mo· des d'interventions étatiques plus ou moins pous· sés, d'objectifs alternatifs. Ces propositions sont soumises au Conseil Éco· no mique et Social puis à l'Assemblée Nationale qui prendront les décisions fondamentales d'orientation en choisissant entre les options et variantes qui leur ont été soumises. 1. Voir ci-dessus pages 88 et
suival't~
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4° Les directives arrêtées sont mises en œuvre par le Commissariat au Plan avec le concours des Commissions de modernisation, des Commissions du Conseil Économique et Social et des conseils économiques régionaux. Ainsi sera rédigé le projet final de Plan pour être soumis aux Assemblées. 5° Ce projet sera accompagné d'un certain nombre d'annexes destinées à faire ressortir le détail de certaines mesures d'application : répercussions sur le budget de l'État, les budgets des collectivités, les entreprises nationales, le secteur bancaire, etc., ainsi que la démultiplication du Plan dans les régions sous la forme de «plans régionaux » dont il sera question plus loin 1. L'ensemble de ces documents sera présenté au Conseil Économique puis à l'Assemblée Nationale en vue du vote définitif. 6° Chaque année, le budget sera accompagné d'un projet de loi d'ajustement comportant les mesures d'adaptation du Plan à la conjoncture. Chacune des étapes qui viennent d'être énumérées sera accompagnée de mesures d'information destinées aux organisations ouvrières, patronales, agricoles, aux conseils régionaux, à l'opinion publique tout entière. Réciproquement ces organisations devraient être appelées à collaborer à la préparation de comptes rendus périodiques de l'exécution du Plan sous ses divers aspects : par régions, par branches de production, par grandes entreprises (particulièrement les entreprises nationales), etc. Ainsi, depuis la critique du Plan en voie d'exé1. Voir chapitre Ix, notamment p. 206 et 207.
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cution, l'étude et la préparation des décisions futures et jusqu'au vote du Plan nouveau, doivent se succéder une série de contacts, voire de navettes, entre le gouvernement et ses bureaux d'une part, le Parlement, les organisations qualifiées et le pays tout entier d'autre part. Ce dernier est alors en mesure d'imprimer rorientation générale. Les Assemblées ont la charge de préciser cette orientation et de prendre les grandes décisions finales. Les techniciens du Commissariat et le gouvernement s'insèrent en divers points du circuit pour établir les projets et les variantes, prévoir les répercussions, élaborer les textes d'application. On peut espérer, dans ces conditions, obtenir du pays plus et mieux qu'un accord : la mobilisation d'une volonté puissante tendue vers l'accomplissement du Plan, volonté qui à elleseule constitue déjà un facteur décisif du succès. LE PLAN ET L'EUROPE
Il est impossible, à l'heure du Marché Commun, de ne pas envisager les prolongements européens de la politique de planification. Comment concilier les décisions de la planifi· cation nationale et l'appartenance à une organisa .. tion internationale fondée sur la circulation de plus en plus libre des marchandises, des travailleurs et des capitaux et incluant des pays qui demeurent fidèles, en principe tout au moins, au libéralisme, à la non-intervention de l'État dans le domaine économique ?
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Un premier fait entre en ligne de compte ; dans le monde qui est le nôtre, certaines questions trop complexes ne peuvent plus être réglées, certaines charges trop lourdes ne peuvent plus être assumées ni certaines possibilités d'expansion satisfaites que par une harmonisation des forces productives et une certaine mise en commun des ressources et des débouchés. Les remèdes à apporter au problème agricole français sont, pour une bonne part, fonction des possibilités d'exportation à destination de nos voisins ; il n'y a pas de solution proprement nationale. Dans le domaine industriel, les pays modernes sont engagés dans une révolution technique qui accroît le coût et les difficultés du progrès économique et social s'il est recherché dans un cadre géographique trop restreint. Aux États- Unis et en U. R. S. S., où le commerce extérieur ne représente que de 3 à 5 %du revenu national, une production de masse est assurée d'un immense débouché intérieur ; les pays européens, eux, dont les échanges extérieurs atteignent de 20 à 40 o/0 du produit national, ne peuvent espérer l'expansion sur la base de leur seul territoire et doivent harmoniser leurs développements. En fait, des plans d'équipement et de production font double emploi ; c'est, ou ce sera, à très court terme, le cas de l'automobile 1, du textile, de la sidérurgie, de l'aviation, de la chimie, des 1. L'Europe disposera en 1970 d'une capacité de production de 11 millions de véhicules par an, alors que le marché ne sera en état d'en absorber que 8 millions au maximum. Sur cette question, voir Cahiers de la République, no 32. Numéro spécial consacré aux problèmes de l'automobile en France et en Europe.
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produits de synthèse, de l'industrie des appareils électroménagers ; le suréquipement, qui risque de déséquilibrer certains secteurs des économies nationales prises séparément, peut aboutir bientôt, dans l'ensemble européen, à un inadmissible gaspillage de richesses et de forces, à un chômage redoutable, à l'échec de la Communauté. Et, dans le même temps, à l'intérieur de cette Communauté, d'immenses besoins demeurent insatisfaits. Ces problèmes, qui sont des problèmes communs, ne seront pas résolus par le « laissez faire, laissez passer >>. Ils exigent des interventions stimulantes ou correctives qui ne peuvent être le fait d'un État seul et dont l'efficacité est fonction d'une coopération organique. Il n'existe pas de contradiction entre une planification nationale et la participation à un ensemble international qui pratiquerait une politique planifiée, ainsi que vient de l'affirmer Robert Marjolin, vice-président de la Communauté Économique Européenne. En revanche, on imagine mal comment s'intégrerait une planification nationale dans un .Marché Commun à base strictement libérale, s'interdisant toute intervention publique et abandonnant l'évolution économique aux seules lois du marché. En pareil cas, le progrès économique tendrait à se localiser dans les pays - et, à l'intérieur de chaque pays, dans les régions - dont le développement est déjà en avance sur celui des autres 1 . Des mouvements 1. Cf. Pierre Mendès France : Discours à l'Assemblée nationale du 6 juillet 1957.- J. O. 1957, N° 70, A. N. Il faut citer l'opinion du professeur André Marchal selon laquelle ''l'absence de toute intervention sur un vaste marché englobant les six économies, bien loin de conduire à une
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incontrôlés et désordonnés de capitaux et de travailleurs, des importations, purement et simplement « libérées », remettraient inévitablement en question le mouvement de la production et des échanges tels qu'ils étaient prévus par le Plan de l'un ou l'autre État participant. Les prévisions, les calculs, les directives des planificateurs se trouveraient vite réduits à néant, si les États associés ne prenaient pas de concert certaines dispositions nécessaires - qui constitueraient un début d'action supranationale, un début de planification collective. Pierre Pflimlin va jusqu'à écrire « qu'une planification purement nationale perd beaucoup de son efficacité et même de sa signification ». Et il précise : « Les prévisions économiques, les programmes d'investissements risquent d'être affectés gravement par les investissements réalisés dans les autres pays membres du Marché Commun. Je suis persuadé qu'il faudra bientôt, ou renoncer en France à une planification vraiment sérieuse et efficace, ou alors envisager une planification à l'échelle européenne. »
Certes, en entrant dans un ensemble plurinational, une nation n'ignore pas qu'elle accepte des limitations à son indépendance, qu'elle aura même éventuellement à faire face à certaines difficultés nouvelles. Ces limitations, ces difficultés, elle $
spécialisation territoriale profitable à tous, en vertu de la théorie des « vases communicants » permettrait à l'effet de domination de jouer et au processus d'accentuation des inégalités économiques et sociales de se dérouler librement.•• n y a là une analyse de l'effet de répulsion exercée par les régions pauvres et sous-développées, et de l'effet d'attraction exercée par les régions riches et développées ».
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ne sera disposée à les admettre que si l'esprit dans lequel elle envisage son développement économique et social n'en est pas altéré et compromis. La planification démocratique, telle que nous la concevons, suppose une répartition des investissements et des profits qui bénéficie à la collectivité entière et spécialement aux catégories les plus défavorisées. Ces objectifs ne sauraient être remis en cause par le Marché Commun sans qu'il en résulte une crise politique grave. Pour les Français, l'Europe en formation ne doit pas être l'Europe des trusts et des cartels 1, une organisation où ces derniers, tantôt s'entendraient librement pour fixer leurs investissements, leurs productions et leurs prix et se partager les marchés à l'intérieur de la Communauté ou au-dehors - et tantôt se déchireraient dans des combats dont les travailleurs et les consommateurs seraient finalement les victimes. Laisser aller les choses sans réagir, c'est laisser l'Europe s'acheminer vers des formes et des équilibres inacceptables pour les démocrates et les socialistes. L'Europe, telle qu'ils la conçoivent, devra s'opposer tout autant à des formes de concurrence ruineuses qu'à des ententes contraires au progrès et au plein emploi des hommes et des ressources. Elle ne doit pas être un champ clos où toutes les rivalités vont pouvoir se donner li1. Le danger n'est pas théorique. Le C. N. P. F. vient de procéder à une enquête sur les accords patronaux dans l'Europe des Six. ll en ressort qu'il y a été conclu, de 1958 à 1961, plus de 500 accords de cartels et 170 décisions d'investissements privés d'un pays dans un autre (sans compter les accords et investissements dans lesquels des affaires américaines sont intervenues).
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bre cours, mais au contraire une construction pour le bénéfice de chacun et de tous 1 • La seule solution se trouve dans une planification européenne, à base démocratique elle aussi, qui permettra d'harmoniser la croissance productive des pays membres, d'éviter que la liquidation des politiques protectionnistes n'aggrave le déséquilibre entre les régions de haut développement et les régions déprimées ou menacées, et d'orienter la Communauté tout entière vers une expansion régulière. Ces idées de planification nationale font leur chemin chez la plupart des Six du Marché Commun actuel. Seule, l'Allemagne s'oppose à ce mouvement timide encore, mais assez général. Sa méfiance et son scepticisme traduisent l'influence de groupes industriels puissants qui comptent sur leur dynamisme pour conquérir de nouveaux marchés sans tolérer que leur liberté soit limitée par des prescriptions nationales ou internationales. Toutefois, leur action n'a pu se développer jusqu'à ce jour que parce qu'ils ont eu, en toutes circonstances, le plein concours du gouvernement fédéral, dont l'aide n'a d'ailleurs pas toujours été très conforme aux canons du libéralisme économique. Sa prétendue politique orthodoxe comporte, 1. «Imaginez un instant que nous entrions dans une période de dépression, de crise économique grave. On risquerait de voir chaque gouvernement national réagir à sa manière, exporter le chômage vers le voisin, prendre des mesures d'intervention ou de protection qui atténueraient peut-être ses propres difficultés, mais aggraveraient celles du voisin. On ne voit pas comment la Communauté résisterait à une telle épreuve. C'est parce que le risque de désintégration de la Communauté ne peut pas être écarté que je crois qu'il faudra tôt ou tard un gouvernement européen capable de conduire une politique économique européenne. »(P. Pflimlin.)
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en effet, quelques exceptions notables en faveur de l'agriculture, de la construction, des transports, de l'énergie, des relations économiques avec Berlin, du développement des provinces de l'Est, de l'influence économique de l'Administration statistique fédérale, ainsi que des organismes privés de prévision. Sans oublier les investissements publics qui représentent 40 °/0 du total des investissements (et plus encore si on y inclut les investissements militaires) et s'élèvent presque au double des investissements publics français! A l'heure actuelle, c'est au gouvernement fédéral qu'il revient de décider s'il acceptera que l'Europe évolue vers une planification commune ou s'il maintiendra une politique qui fait obstacle aux objectifs de plein emploi et de croissance des pays associés 1 . C'est parce que le problème se posait en ces termes, dès le premier jour, que j'ai regretté en 1957 les modalités essentiellement libérales, capitalistes et libre-échangistes 2 adoptées pour la constitution du Marché Commun. Mais la candidature de la Grande-Bretagne apporte un élément nouveau. L'Angleterre est en train de se convertir à la planification ; son gouvernement, quoique conservateur, vient de se prononcer en faveur d'une planification élaborée en coopération avec les syn1. Après tout, l'idée et la pratique de la planification n'ont été admises en France que très lentement (ce qui explique dans une large mesure les imperfections graves qui subsistent). Beaucoup d'hommes, qui y étaient hostiles il y a dix ou quinze ans, y ont été amenés par l'expérience et par les premiers résultats obtenus. On peut et on doit susciter une pareille évolution sur le plan international. 2. Voir Pierre Mendès France, ibid.
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dicats. Du jour où l'Angleterre serait membre de l'organisation, les préoccupations d'expansion, de plein emploi, de progrès social, de démocratisation recevraient un renfort irrésistible 1 • Ce renfort viendrait tout particulièrement des Trade- Unions qui, le 13 juin 1962, ont défini à l'égard du Marché Commun une position très constructive. Selon eux, les États membres doivent pratiquer une politique de plein emploi tet d'expansion économique, stimuler la demande et le courant des investissements, et prévoir une formation professionnelle en rapport avec les besoins de l'économie. Ils se sont étonnés de l'imprécision du Traité de Rome, en ce qui concerne la planification et l'action des États à l'égard des industries clés (par la nationalisation ou autrement). Ils ont suggéré la création d'une Union des Réserves européennes auprès de laquelle les États membres verseraient une quote-part de leurs avoirs en devises et en or pour fournir une assistance aux pays en difficulté. Ces propositions doivent être complétées sans aucun doute. Mais elles confirment l'idée qu'une politique de planification européenne trouverait appui chez les travaillistes. Raison de plus pour la France de favoriser l'adhésion de l'Angleterre. Il s'agit essentiellement, dans toutes ces questions, de choix politiques à faire. Si les Allemands 1. Le jour où il s'agira d'arrêter une politique économique commune, par exemple en cas de crise mondiale, ou bien pour faire face aux conséquences d'une récession américaine, ou encore pour définir de nouvelles formes de coopération avec l'Afrique, nous pourrons, semble-t-il, ajuster nos vues assez bien avec celles des Britanniques. La chose est moins sûre pour celles des Allemands.
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ou les Belges achètent demain du blé et de la viande français, de préférence à du blé australien ou de la viande d'Argentine qui leur coûtent moins cher, cela ne peut résulter que de considérations politiques majeures. Et il en est encore de même de l'action d'envergure qui doit être menée par la Communauté au profit de l'Ouest et du SudOuest français ou du Sud de l'Italie ; cette action ne peut être conçue, ordonnée et poursuivie que pour des raisons politiques ; ni les technocrates exclusivement guidés par des préoccupations de rendement et de productivité ni les représentants des cartels privés ne se soucieront des problèmes que pose la réanimation des régions déprimées ou menacées de le devenir. Les gauches européennes, y compris la gauche anglaise, et les forces syndicales doivent donc prolonger sur le plan européen les combats qu'elles mènent pour les réformes, le plein emploi, la planification et une meilleure répartition des revenus nationaux ; si elles savent susciter de larges mouvements populaires, elles s'épauleront réciproquement et leur impulsion se fera sentir au sein des organisations supranationales. L'Europe qui est à faire, c'est une Europe de démocratie socialiste, de progrès et de paix.
PL AN 1 F 1ER, C'EST CH 01 S 1 R
Les principes qui doivent guider l'État en matière de planification, tels qu'ils viennent d'être décrits, ne se sont pas assez traduits dans les faits
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depuis quinze ans. Non pas tant faute de moyens techniques que par suite du manque d'ampleur de vues et de volonté des gouvernants. La réforme de l'État doit donc comporter une définition claire des perspectives et des buts de la planification. Le Plan se résume finalement en une série de choix raisonnés. Parce que gouverner, c'est choisir, le Plan est, avant tout, un acte ou une suite d'actes politiques. Les liens qui unissent les institutions politiques et le Plan sont évidents. Et si, quant au choix des objectifs, quant à l'exécution, le Plan est marqué par le système institutionnel, par les hommes responsables, par leurs tendances et leurs convictions - inversement, le Plan, par ses exigences, par les réactions et les habitudes qu'il suscite, influencera et modifiera le fonctionnement politique dans un sens nécessairement positif. La planification ne réussira pas, on l'a déjà dit, sans un État solide et démocratique à la fois. Mais, réèiproquement, au xxe siècle, un État demeure faible et il ne remplit pas pleinement sa mission s'il n'assure pas une planification efficace de l'expansion économique et du progrès social.
VII
LA PLANIFICATION
ET LES ENTREPRISES La liaison entre les organes responsables du Plan et de son exécution d'une part, le secteur productif d'autre part, pose des problèmes délicats et complexes. On ne saurait les résoudre par une formule unique en raison de la grande diversité des entreprises productives. Les unes relèvent du secteur public, mais leur degré de dépendance vis-à-vis de l'État est en fait très variable ; les autres appartiennent au secteur public, mais leur degré d'indépendance est également variable. Comment la planification va-t-elle se développer au niveau de ces entreprises qui est proprement celui de l'exécution ? C'est ce qu'on va tenter d'explorer ici sous trois rubriques consacrées : au secteur nationalisé ; - au secteur privé ; - aux moyens de financement du Plan et aux activités bancaires et financières.
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C'est seulement pour les nécessités de l'exposé que ces trois rubriques sont ici séparées. En fait, le secteur public fonctionne dans un milieu qui reste largement capitaliste. Il s'alimente au secteur privé et le nourrit à son tour. Tout en s'efforçant de l'orienter, il en subit les réactions et les pressions. Les firmes privées sont entraînées peu à peu dans un réseau de prévisions et de prescriptions émanant des pouvoirs publics sur lequel elles peuvent prendre appui pour s'adapter aux nécessités actuelles, mais d'où elles peuvent aussi tenter de s'évader. On se trouve ici à la charnière où s'articule le secteur privé avec celui de l'État, mais aussi l' économique avec le politique ; zone indécise riche de perspectives, de changements et de transformations ; sorte de front de mer séparant et réunissant des éléments de nature différente mais qui s'interpénètrent ; front de bataille aussi, où se joue, dans une large mesure, la partie de la planification démocratique. ·
LE SECTEUR NATIONALISÉ
Le secteur nationalisé constitue ou devrait constituer l'instrument privilégié de la planification 1. Sans doute, il ne couvre qu'une partie de l'appareil de production (la valeur ajoutée par les principales entreprises publiques n'atteint pas 15 Ofo de la production intérieure brute). Mais l'action 1. ' La croissance suppose une ef(pansion et une dir~ction de la consommation et de l'investissement. L'appropriation publique peut· faciliter l'une et l'autre. • Pierre Bauchet~
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qu'il exerce, en aval et en amont, la certitude pour l'ensemble des producteurs que les programmes prévus sont rigoureusement et intégralement exécutés par les services et les sociétés publics, devraient être autant de facteurs décisifs du succès de la planification. L'influence technique et économique exercée par le secteur nationalisé pourrait être considérable, en raison de sa consistance, de la part qui revient à ses investissements dans les investissements globaux et de la situation stratégique qu'occupent ses entreprises. 1° Il s'étend en effet sur les ensembles publics industriels et commerciaux suivants : - transports et communications: la S. N. C. F., Air France, aéroport de Paris, les plus importantes compagnies de messageries maritimes, les transports parisiens, les P. et T., etc. ; - énergie : Électricité de France, Gaz de France, Compagnie nationale du Rhône, les Charbonnages, le gaz naturel, l'Énergie atomique, l'essentiel des activités de prospection et de recherches de pétrole, ainsi qu'une fraction du raffinage; - fabrications diverses : la Régie Renault et sa filiale, la SA VIEM, Sud-Aviation et ses filiales, ~ord-Aviation, Frigeavia, etc., la SNECMA, les Potasses d'Alsace, l'Office industriel de l'Azote, les Tabacs et Allumettes, etc. ; - assurances : les plus importantes compagnies ; - information : l'Agence française de Presse, la Radio et la Télévision, la SOFIRAD (avec son action déterminante sur les «postes périphériques »},
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diverses participations dans des entreprises de
cinéma, etc. ; - sociétés d'équipement ou d'aménagement, entreprises agricoles pilotes, laboratoires et instituts divers, sociétés de publicité, nombreuses participations à des activités relevant de la Santé publique et de la Sécurité sociale, etc. Cette énumération est impressionnante 1 • Elle sera complétée plus loin 2 en ce qui concerne le secteur financier et bancaire. 2o Toutes ces activités donnent lieu à des investissements considérables. Les équipements durables et les dépenses de gros entretien des principales entreprises publiques ont représenté en 1959 plus de 40 o/0 des investissements bruts fixes de l'ensemble des entreprises du pays. 1. Sauf en ce qui concerne notamment les banques, l'électricité, les assurances, etc., ce sont les hasards de la politique générale qui ont présidé à la constitution du secteur public actuel. Tantôt, le but était purement fiscal (Tabacs, allumettes); tantôt, il s'agissait de renflouer des entreprises présentant un intérêt collectif considérable, mais devenues déficitaires et parfois même, au bord de la faillite (chemins de fer, compagnies de navigation maritime, transports parisiens, etc.) ; tantôt l'État voulait promouvoir des activités appelées à demeurer non rentables (Compagnie nationale du Rhône, Aéroport de Paris) ou trop risquées (recherches pétrolifères) ; tantôt, il lui revenait d'exploiter des brevets ou des biens ex-ennemis livrés à la France, à titre de Réparations (Office national de l'Azote, mines de potasse d'Alsace) ; tantôt encore, une entreprise tombait dans le patrimoine public à la suite d'une confiscation pénale (Régie Renault) etc. D'où le caractère disparate du secteur public où voisinent exploitations monopolistes et concurrentielles, les unes dirigées par leurs anciens cadres, d'autres, au contraire, confiées à des équipes animées d'un esprit nouveau. Bien évidemment, aucune conception globale du secteur nationalisé ne pouvait se dégager de cette hétérogénéité. 2. Voir pages 163 et 164.
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Il est certain que les investissements énormes réalisés par les entreprises nationalisées n'auraient été ni effectués ni moins encore coordonnés entre eux, si celles-ci étaient demeurées dans le secteur privé. Les capitaux nécessaires n'auraient pu être mobilisés ; l'auraient-ils été (sous forme, p_ar exemple, de subventions ou de crédits de l'Etat) que les programmes d'équipement seraient restés dominés par des considérations particulières, souvent divergentes et, en tout cas, étrangères à la planification d'ensemble de l'économie. A la Libération, les mille cent cinquante entreprises de production, de transport et de distribution d'électricité - anarchiquement éparpillées sur le territoire, par suite de circonstances historiques et de hasards divers - étaient aussi disparates par le matériel que par les conditions d'exploitation et les structures (lesquelles allaient de la petite exploitation familiale isolée jusqu'au trust lié aux groupes financiers et industriels les plus puissants). Sans la nationalisation, le réseau se serait reconstitué après la guerre« à l'identique». A supposer que chaque compagnie eût trouvé sur le marché ou reçu de l'État de quoi réparer ses dommages et procéder à de nouveaux investissements, elle n'aurait eu en vue que des besoins purement locaux, ou ses propres liaisons capitalistes avec divers groupes, ou encore des considérations de rentabilité à court ou moyen terme. Le pays n'aurait pas profité d'une mise en commun de ressources qui a permis une brillante politique d'expansion, des choix d'ensemble, rélargissement des horizons et, finalement, la construction, en quelques années, du réseau global dont bénéficie
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l'ensemble des consommateurs sous forme d'un prix de vente de l'énergie électrique qui est l'un des plus bas par rapport à 1939. Tel est le genre d'influence que les investissements du secteur public peuvent exercer sur l' éYolution économique et sur la réalisation des objectifs nationaux. 3° Ces investissements retentissent sur le comportement des fournisseurs et des clients diree t s et indirects des entreprises publiques (ciment, construction mécanique ou électrique, etc.) ou encore sur celui des sociétés privées qui arrêtent leurs propres programmes en fonction de celui- des sociétés nationales. Ici encore, le secteur public joue un rôle moteur capable d'entraîner l'ensemble de l'économie du pays. C'est ainsi que « l'E. D. F., les Houillères et la S. N. C. F. ont forcé l'industrie du gros matériel électrique à une spécialisation technique et à un développement rationnel qui lui ont permis de rattraper son retard 1 ». Or, malgré de si réels avantages, de si évidentes possibilités, une expérience, vieille maintenant de quinze ans au moins, montre que les gouvernements successifs n'ont pas su ou osé utiliser la puissance dont ils disposaient ainsi (puissance amplifiée au surplus par le recours éventuel à de nombreux autres moyens d'intervention). Les gouvernements n'ont pas su ou osé se faire obéir par les entreprises publiques. Celles-ci ont trop souvent poursuivi leurs fins propres, non sans de beaux résultats parfois, mais sans se soucier de se subor1. P. Bauchet : Propriété publique et Planification, p. 244.
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donner au Plan 1. Le cas n'a même pas été rare d'entreprises nationalisées donnant l'exemple de l'indiscipline (en matière de programme de production, d'investissements, de prix, de salaires, etc.). A titre d'exemples : - Les programmes réalisés par les arsenaux et la Marine de guerre dans les années qui ont suivi la Libération ont presque toujours été supérieurs aux programmes envisagés par le Plan et aux autorisations votées par le Parlement. - Dans la même période, nous avions besoin de plus de tracteurs que de voitures automobiles. Mais la Régie Renault préférait fabriquer des autos, et ses représentants expliquaient qu'ils ne voulaient pas abandonner le marché à leurs concurrents du secteur privé. Argument sans valeur car l'État répartissait alors les contingents d'acier et pouvait de ce fait contrôler sans difficulté l'ensemble de la production automobile publique et privée. - Les banques nationalisées ont poursuivi leurs affaires avec le souci classique de réaliser des profits et de n'ouvrir de crédits qu'aux entreprises qm répondaient aux critères de solvabilité des 1. • La firme publique est plus sensible aux impératifs du Marché qu'à ceux du Plan. » Pierre Bauchet.. ibid., p. 141. « Toute firme, fût-elle publique, a une tendance à ne voir que son intérêt propre... Le calcul économique d'une firme publique laissée à elle-même la conduit à des décisions qui maximisent son intérêt, mais pas nécessairement celui de la collectivité. Certes, elle a peut-être moins que son homologue privé le souci du bénéfice. monétaire de courte péiWde et davantage celui de la croissance à long terme. Mais ... l'entreprise publique, tout comme une entreprise indépendante, tend à confondre ses propres fins et l'intérêt national. » Ibid., p. 219-220. . ,,
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banquiers orthodoxes du x1xe siècle ; tout en refusant, au contraire, bien souvent, leur soutien à des activités que le Plan entendait promouvoir. - On a vu en 1959, 1960 et 1961, sous un régime qui se prétend fort, une entreprise d'État, la Compagnie française des Pétroles, refuser d'appliquer les directives gouvernementales en matière de pétrole saharien, de sorte que le ministre de la Production a fini par créer, pour parvenir à ses fins, une nouvelle Société, l'Union générale des Pétroles (en attendant que cette dernière en vienne peut-être, à son tour, à déterminer seule sa politique, au mépris des volontés et des prescriptions de l'État!). Dans d'autres domaines, encore, les nationalisations n'ont pas porté les fruits qu'on en attendait. Beaucoup espéraient une révolutio~ dans les rapports des travailleurs et de l'entreprise ; il n'en a rien été, malgré quelques améliorations (rôle des délégués d'atelier, par exemple). Il n'y a pas eu de cogestion, ni même commencement d'une cogestion qui aurait pu servir de test 1 • Sans doute, les syndicalistes n'y étaient-ils pas préparés ; sans doute encore, les techniciens chargés de la gestion des firmes publiques n'ont-ils jamais reçu de directives précises et ils n'étaient guère enclins, par leur formation, à prendre des initiatives de cette nature. Toujours est-il qu'aucune tentative intéressante n'est à signaler. Il serait injuste toutefois de ne pas reconnaître que plusieurs entreprises nationales ont manifesté 1. Toutefois, des délégués du personnel siègent au sein du Conseil d'Administration et jouent un rôle, sans doute effacé, mais non négligeable, à la S. N. C. F. et à la SNECMA.
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un réel dynamisme par quelques réalisations originales, dont le contrat de la Régie Renault est un bon exemple. Dans la plupart des entreprises d'État, la sécurité de l'emploi est entourée de garanties individuelles et collectives 1 ainsi que, dans une moindre mesure, la stabilité des gains ouvriers (voir de nouveau Renault et son fonds d'égalisation des ressources). L'effet d'osmose de ces précédents sur le secteur privé n'est pas négligeable. Enfin, l'existence d'entreprises publiques dans les secteurs de base a grandement favorisé la propension à la technicité et à la modernisation. En plus d'une circonstance, ces entreprises ont su prendre des responsabilités et même des risques devant lesquels des capitalistes auraient reculé. Au total ) 1. Edmond Maire, Secrétaire général adjoint de la Fédération des Industries chimiques C. F. T. C. L'Express, 16 aoftt 1962.
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Cependant, malgré tous les obstacles, on a vu se former, et somme toute en peu de temps, des équipes qui permettent de très bien augurer de l'avenir si un effort systématique est partout entrepris ou élargi. La politique à suivre consiste donc, d'un côté, à hâter au maximum les modifications de structure nécessaires à la République moderne - en comptant, pour la première période, sur les militants déjà préparés et qui peuvent assurer dès maintenant une large part du travail - et, par ailleurs, à former, le plus vite possible, de nouveaux cadres ouvriers. Leur intervention en nombre croissant, garantie de l'indépendance et de l'efficacité syndicales, engendrera plus de confiance en ses possibilités d'avenir dans les rangs de la classe ouvrière. Mais le renforcement d'une élite ouvrière de plus en plus associée à des responsabilités nationales et régionales ne doit jamais couper celle-ci de la base. Or, la base s'intéresse d'abord à l'action dans l'entreprise. Les deux séries d'activités doivent aller de pair. On traitera donc maintenant de l'action syndicale à l'intérieur de l'entreprise, sur le lieu du travail et face à l'employeur.
LE SYNDICALISME DANS L'ENTREPRISE
On lit dans une note de la C. F. T. C. : « La force du syndicat se trouve dans sa capacité et ses possibilités de regrouper les travailleurs des entreprises... L'action syndicale se déroule pour sa part
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essentielle dans l'entreprise elle-même. C'est là que se manifestent, dans leurs réalités, les raisons d'être du syndicalisme, que se nouent les oppositions qui posent des problèmes à la vie nationale ; c'est là en tout cas que le dialogue ou le conflit se réalisent en principal... Il est toujours un peu étonnant ... d'entendre un interlocuteur admettre que le syndicalisme a sa part dans telle prise de responsabilités, dans l'élaboration de telle politique (par exemple, la politique économique régionale), alors que le même interlocuteur ne saura pas admettre l'importance de la vie syndicale à l'échelon le plus bas ou s'imaginera les problèmes résolus à cet endroit ... La représentativité d'une organisation syndicale au plan national et mêmç de sa branche professionnelle, participe d'abord du poids effectif que sei syndicats possèdent, de l'attrait qu'ils exercent sur les salariés des entreprises. ))
Dès maintenant, les syndicats sont devenus les intermédiaires obligés pour le règlement de certains problèmes, négociations paritaires, conflits sociaux, etc. Qu'une grève éclate, même si le syndicat ne l'a pas déclenchée, la solution ne peut être négociée que par lui. L'employeur ne s'y trompe pas 1 • Cette situation n'est pas très ancienne. Parmi les réformes du Front populaire, la moins spectaculaire peut-être, mais organiquement la plus novatrice, est précisément celle qui a consacré le système des conventions collectives et donné 1. Les syndicats sont devenus (( en tant que corps intermédiaires représentatifs, un élément de l'équilibre de l'entreprise en ce qui concerne les rapports avec le personnel, même si ces rapports sont des rapports de tension». Marc Serratrice: Stratégie patronale et Stratégie ouvrière vues à travers la 1\Iétallurgie, in Perspectives Socialistes, aoi"'t-septembre 1962.
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aux syndieat.s une vocation juridique nouvelle. C'est depu.is 1936, en effet, que se sont développées les tractations paritaires entre employeurs et organisatioru; ouvrières ; au point que certains y voient aujourd'hui la plus caractéristique et la plus efficace des activités syndicales. Ceci vaut également pour la fonction publique où, théoriquem-ent., les conditions du travail ne relèvent pas d'un contrat mais d'un statut promulgué par l'État ; en fait, la puissance syndicale a introduit dans le règlement des problèmes un véritable élément contractuel. Comment concilier ce genre de participation 1 à la vie économique et sociale avec l'attitude de contestation et d'opposition qui est traditionnellement celle de notre syndicalisme? Dans un article de l'Encyclopédie française, Pierre Le Brun et André Barjonnet (ce dernier est Je théoricien officiel du parti c-ommuniste pour les problèmes syndicaux) éclairent hien le pr-oblème : « Conflit et dialogue ne s'excluent pas mais s'opposent et se conditionnent dans une unité dialectique de tous les instants. Pour violents qu'ils soient, il est peu de conflits qui n'aboutissent finalement à un dialogue ... Le dialogue est aussi nécessaire que le conflit. » ~s propos ne sont pas sans courage sous la plume de deux militants qualifiés de laC. G. T. Il n'en reste pas moins que les tractations collectives ont une signification véritablement révolutionnaire du fait qu'elles concrétisent, en face des
1. Que certains ont d'ailleurs appelé« participation cGnflktuelle ». Voir p. précédente, note 1.
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directions d'entreprises, la constitution et l'extension, au profit des syndicats, d'un pouvoir rival. Depuis 1936, l'ouvrier n'est plus seul en face du patron, dans ce tête-à-tête où il était condamné à avoir toujours le dessous ; ses intérêts sont pris en main par le syndicat et par les délégués qui parlent en son nom. Un système nouveau est en train de prendre corps. A partir de là, les grandes organisations syndicales s'efforcent de développer et de consolider leur présence dans l'entreprise même. Elles trouvent appui sur certaines structures de la vie industrielle moderne. Le niveau de qualification plus élevé que requiert l'industrie, la jeunesse d'un grand nombre d'ouvriers et de techniciens (facteur qui, compte tenu de la pyramide des âges, s'affirmera encore dans l'avenir), la relative sécurité résultant du plein emploi (assez bien maintenu au cours des dernières années), les conditions du travail en équipe (contrastant avec l'ancienne individualisation des postes), tout cela facilite le recrutement syndical dans l'entreprise. Et cette situation apparaît plus nette encore dans les branches avancées de l'industrie (électronique, électromécanique, pétrole, chimie, etc.) où, on l'a déjà noté, le taux de syndicalisation est notoirement plus élevé que dans les usines du type classique. L'évolution ainsi observée crée un lien direct entre les revendications ouvrières et les conditions particulières de l'entreprise. Même si cette dernière comporte divers établissements, géographiquement éloignés les uns des autres, la pression syndicale tend à s'exercer en fonction de la réalité
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économique que constitue l'entreprise, de ses possibilités financières, de ses perspectives d'expansion. De plus en plus, par-delà l'atelier ou l'usine, c'est la firme dans son entier, en tant qu'unité économique distincte, que 1' on considère. Si les conditions de rémunération ou de travail dépendent étroitement de la situation de la firme, le syndicat éprouve le besoin d'être bien informé de cette situation. Il est conduit à s'intéresser de très près à la gestion au point de vue technique (organisation du travail, outillage, pertes de temps, etc.) et au point vue économique (justification des investissements, orientation des fabrications, etc.). Ces préoccupations se font jour dans les accords d'entreprise les plus récents 1 • L'ouvrage du Club Jean-Moulin, L'État et le Citoyen, insiste sur l'évolution en cours. Il relève que, dans un premier temps, les organisations ouvrières les plus combatives ont manifesté une réelle méfiance à l'égard des accords d'entreprise considérés (non sans raison parfois) comme des« pièges paternalistes » ; mais que, dans une période ultérieure, des accords et des engagements paritaires, concernant la vie générale de la firme, ont pu être négociés par des sociétés importantes :les syndicats - y compris parfois, la C. G. T. -s'y sont ralliés, ncn sans réticence, mais avec le souci de ne pas s'opposer à une évolution qui semblait découler de la nature nouvelle des rapports de production. Peu à peu, on a vu apparaître dans certains milieux ouvriei·s l'idée que les accords d'entreprise pourraient avantageusement se substituer aux anciennes conYentions de branche ou de département. 1. Yoir J\Ta.rc ::erratr:ce - Ibid.
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A vrai dire, il n'y a pas contradiction et les accords passés au niveau de l'entreprise ne sont pas incompatibles avec des conventions plus larges à l'intérieur desquelles ils peuvent même éventuellement se situer. L'inclusion, dans les accords d'entreprises, de clauses garantissant le contrôle des promesses patronales par l'organisation syndicale a parfois été obtenue. Certains de ces accords récents ont mème prévu, au profit des syndicats, une sorte de droit de vérification sur la gestion générale de l'affaire, avec possibilité de consulter l'essen· tiel de la comptabilité ; figure également dans d'autres accords l'engagement par la direction de consulter le syndicat sur tout changement projeté dans l'organisation technique dn travail et les conditions matérielles de la production. Ce nouveau droit d'information et de critique constitue une promotion remarquable des organisations syndicales et les conséquences sont loin d'en être épuisées. En résumé, les traits nouveaux du syndicalisme dans les industries de pointe sont marqués par une forte participation syndicale, par la valorisation des sections d'entreprise et par une orientation de type gestionnaire. La méfiance à l'égard des formes traditionnelles de la lutte politique et, à l'inverse, la croyance dans la valeur de l'action syndicale puissamment organisée, ont, de leur côté, pris un style plus moderne ; elles conduisent de plus en plus les responsables à l'étude approfondie des phénomènes économiques, qui concernent r'entreprise ou qui dominent l'ensemble de la conjoncture. Dans la mesure où l'économi·
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que envahit chaque jour davantage le politique, le rôle du syndicat, d'abord essentiellement organisme de défense ouvrière, se charge de significations politiques. Toutes ces conquêtes mettent en cause ce qu'on a pu appeler le monarchisme patronal. Le pouvoir absolu de la direction est de plus en plus battu en brèche, notamment en matière de discipline intérieure et d'organisation du travail. Si la jurisprudence des tribunaux reste extrêmement conservatrice, la pratique, elle, tend à évoluer à la fois dans les situations de fait et dans les accords passés. Certes, de vives résistances se manifestent dans les entreprises moyennes. Et, comme on l'a déjà noté, une sorte de contre-offensive s'attaque aux militants et aux délégués syndicalistes. Les problèmes de licenciement n'ont encore reçu que des solutions médiocres (exception faite de dispositions plus libérales souvent convenues dans le secteur nationalisé). Il faut donc prévoir de nouveaux moyens de défense, des procédures appropriées, soit à l'intérieur des entreprises (comités de discipline paritaires, etc.), soit au dehors (protection judiciaire fondée sur une législation améliorée). Une réforme indispensable devrait permettre l'annulation en justice d'une mesure fautive prise à l'encontre d'un ouvrier (licenciement injustifié, brimade, etc.). A l'heure actuelle, le juge peut, dans certains cas, accorder de maigres dommagesintérêts, mais il ne peut jamais faire révoquer une décision, même injustifiée ou irrégulière. La revendication la plus importante, aux yeux de toutes les centrales ouvrières, concerne aujourd'hui la reconnaissance· de la section syndicale
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d'entreprise. Sa justification se trouve tout au long des pages qu'on vient de lire. Là encore, les entreprises du secteur nationalisé ont généralement frayé la voie. Leurs décisions devraient être étendues au moins à toutes les grandes et moyennes entreprises. Pour créer un équilibre plus normal des droits et des devoirs, une plus grande exactitude dans l'application de la législation sociale, un sentiment de confiance dans la classe ouvrière, il faut en effet tirer, au niveau de l'entreprise, les conséquences du droit syndiéal et lui permettre de s'exercer au grand jour par un contact officiel avec l'employeur au lieu de rencontres sporadiques limitées aux périodes de crises et de conflits. A quoi devrait s'ajouter une procédure pour le règlement des différends relatifs à l'exercice des droits syndicaux individuels ou collectifs, afin d'obtenir une protection contre les licenciements abusifs ou les brimades. Enfin, l'officialisation des sections syndicales doit s'accompagner d'un nouveau démarrage de l'activité des comités d'entreprise. C'est un fait que leur fonctionnement ne s'est pas révélé aussi fécond qu'on l'espérait en 1945. Dans beaucoup d'entreprises, les comités n'ont même pas été constitués ou ont disparu. Là où ils existent, ils ne remplissent qu'une partie de leurs fonctions. L'ordonnance de 1945 leur confie la gestion des œuvres sociales de la firme ; cette compétence ne leur a généralement pas été déniée et ils l' exer· cent presque partout. En revanche, l'art. 3 de l'ordonnance et toutes les autres dispositions qui ont trait à leur participation à l'administration de l'affaire sont pratiquement restées lettre morte
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(sauf, encore une foiB, dans quelques entreprises nationalisées). En fait, les élus du salariat n'avaient certainement pas, au débuto les cgnnaissanoes générales, financières et juridiques leur permettant d'assumer pleinement leurs nouvelles responsabilités. On aurait pu espérer néanmoins qu'à l'usage et l'expérience aidant un nouveau ltype de relations se seraient dévoloppées entre les représentants ouvriers et les employeurs, et que, quinze ans après les débuts de l'expérience, le comité aurait pu jouer tout son rôle. Mais le patronat ne s'est pas prêté au développement d'une réforme dont il se défiait, et ses représentants ont souvent abusé de l'impréparation des d,élégués du personnel. La relance nécessaire du comité d'entreprise rej oint le problème de la formation des responsables ouvriers. Des possibilités sont ouvertes aujourd'hui qui n'existaient pas après la Libération. Les syndicats, comme on l'a vu, ont, malgré les obstacles, formé un certain nombre d'hommes capables à leur tour d'en entraîner d'autres ; par ailleurs, la législation récente et plusieurs arrêts de la Cour de cassation permettent d-ésormais aux comités d'entreprise d'accorder des indemnités compensatoires des salaires perdus aux bénéficiaires des congés-éducation. Il n'en reste pas mQins que le patronat devra modifier son comportement et accepter de coopérer avec les comité& d'entreprise sur de.s hases révisées. La législation, sur ce point, devra être complétée de façon que le comité soit co~u1té efiectiveiQent sur les questions intéressant l'organisation et la marche générale de l'affaire, qu'il soit informé
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des bénéfices réalisés et de leur affectation, et saisi de rapports trimestriels sur l'évolution de la firme et de ses usines, des projets d'investissements industriels et commerciaux, des productions nouvelles, etc. A l'occasion de toute initiative importante de nature à modifier la structure et les perspectives de la firme, il sera tenu au courant des raisons qui ont amené la direction à prendre sa décisiôn. Il existe enfin des matières où l'accord du comité d'entreprise devrait être obtenu, car les travailleurs y sont plus intéressés que l'employeur luimême : horaires de travail, périodes de fermeture et de vacances, formation des apprentis, réglementation de l'embauche (pour éviter les discriminations politiques et les «listes noires »), perfectionnement technique des ouvriers, hygiène, sécurité, etc. C'est là aussi que des solutions peuvent être recherchées pour le problème des licenciements collectifs (critères pour définir l'ordre des licenciements) ou individuels, etc. Ce travail de cogestion serait grandement facilité par une meilleure présentation du Plan et de ses objectifs par branches industrielles ainsi qu'il a été expliqué au chapitre vu 1 • Pour les principaux secteurs de production, le Plan devrait comporter des monographies de l'entreprise type, décrivant l'exploitation qui répond le mieux aux besoins et aux programmes prévus : proportion entre le volume des investissements et la production, pourcentage souhaité d'exportation par rapport à la production, etc. De telles descriptions 1. Voir page 167.
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seraient de nature à "éclairer les discussions au sein des comités d'entreprise qui prendraient mieux conscience ainsi de la politique à suivre par la firme pour atteindre le.s objectifs du Plan. Les indications purement économiques, telles qu'elles sont actuellement présentées par le Plan, peuvent en effet difficilement être traduites par les délégués syndicaux en termes appropriés à la vie d'une entreprise particulière. Si l'ensemble de ·ces propositions était adopté, il en résulterait une modification profonde du climat de l'entreprise. Les -ouvriers ne se sentiraient plus traités en éléments passifs, en instru· ments, en robots, mais en hommes, en associés devant la prospérité et devant les risques aussi (en premier lieu, le risque de sous-emploi 1). Le comité d'entreprise deviendrait un véritable forum de discussion, d'information réciproque, de confrontation, de coopération constructive.
LE SYNDICALISME ET LA RÉPUBLIQUE
Les transformations économiques et techniques placent les organisations ouvrières en face de responsabilités nouvelles sur lesquelles beau1. « Nous ne voulons plus être des étrangers dans l'entreprise, déclare une brochure de laC. G. T.-F. 0., ni de simples accessoires dans un mécanisme compliqué. Au lieu d'être un matériel humain dont on dispose comme de machines ou de matières premières, nous entendons désormais comprendre le sens de notre travail, en apprécier la portée, consentir librement notre effort et participer à une tâche dont l'intérêt ne nous échappe pas. »
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coup de leurs dirigeants s'interrogent anxteusement. Mais c'est une évolution naturelle qui est en .train de se produire. Recueillir plus de droits, recevoir plus de moyens d'action, c'est aller audevant de tâches plus amples et plus difliciles, ·c'est devenir majeur. Telle est l'évolution normale dans la vie sociale tout comme dans la vie individuelle. Aujourd'hui, le syndicat devient majeur dans l'État et dans l'entreprise. Il ne doit pas reculer devant les problèmes que pose cette mutation, mais chacun doit comprendre la nature des difficultés qui en résultent pour lui et participer à la recherche des solutions. Le syndicalisme s'est voulu longtemps l'adversaire de l'État, parce que c'était l'Etat capitaliste ·et conservateur. Mais dans la mesure où l'État se démocratise - et dans le domaine politique et dans la vie économique et sociale - , dans la mesure où il assure au syndicalisme des droits plus efficaces, l'État n'est plus forcément un adversaire. Progressivement, les travailleurs pourront reconnàître comme le leur un régime qui sera l'instrument indiscuté de la p1·ospérité économique et de la justice sociale. Déjà, prenant conscience de leur importance croissante, des circonstances qui conditionnent leur action et de la gravité du moment, les syndicats reconnaissent qu'ils ne peuvent se désintéresser du cadre politique dans lequel ils agissent. « Le pouvoir syndical ne peut s'exercer valablement dans n'importe quel régime ; la démocratisation de
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l'entreprise et de l'économie suppose des conditions politiques. Et les valeurs syndicalistes portent des exigences de démocratie politique, indépendamment même de la démocratie économique. De ce point de vue, notre problème majeur est celui de la démocratie politique à reconstruire », écrit Edmond Maire 1• Et, de son côté, la Fédération des Travaux publics et des Transports C.G.T.-F.O. affirme, en avril 1962, la « responsabilité que le syndicalisme portera collectivement dans l'avenir de la démocratie » ; et elle ajoute : « La reconstruction de la démocratie est l'œuvre permanente du syndicalisme. » Ainsi s'amorce une évolution dont les conséquences, demain, peuvent être considérables. 1. L' E.-rpress, 16 août 1962.
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LA VIE RÉGIONALE
Des v mx s'élèvent périodiquement pour déplorer la centralisation extrême de notre pays. De nos jours, la critique s'est généralisée. Elle s'appuie sur de si solides raisons qu'elle ann6nce plus qu'un malaise : un besoin profond du pays. La réorganisation des institutions en fonction des responsabilités économiques de l'État doit en tenir compte. La région est une réalité économique, mais elle n'a trouvé jusqu'ici aucune expression institutionnelle, aucun moyen d'action propre, aucun organe doté d'un pouvoir de décision 1 • Or l'aménagement du territoire est devenu l'un de nos grands problèmes. L'évolution naturelle de la population, l'immigration de compatriotes venus d'Outre-Mer, la libre circulation des personnes prévue par le Marché Commun porteront la 1. Voir le rapport du professeur Quermonne (avril 1962) et le « Plan d'Aménagement du Territoire » (publié par le Conseil supérieur du ministère de la Construction en février 1962). On s'est inspiré de ces documents dans ce chapitre.
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France, en peu d'années, de quarante-cinq à cinquante-cinq millions d'habitants. D'où la nécessité d'accroître le nombre d'emplois disponibles; c'est ce qu'a fait l'Allemagne de l'Ouest: elle a su transformer des millions de réfugiés en producteurs actifs, grâce à l'aménagement équilibré de son espace et à la répartition, sur l'ensemble du pays, de grands centres urbains où une activité industrielle prospère assure l'abondance et il a diversité de l'emploi. Telle n'est pas la perspective qu'offrirait l'évolution des réalités économiques françaises, si elles étaient abandonnées à elles-mêmes. La France souffre d'un déséquilibre économique et démographique croissant. Sa capitale est la seule grande ville industrielle à l'échelle moderne, elle groupe le cinquième de la population et absorbe une fraction considérable des énergies disponibles. A l'inverse, plus de la moitié du territoire (Bretagne, Massif central, Sud-Ouest) tourne le dos à la partie développée de l'Europe et son retard s'accentue sans cesse. Si un effort exceptionnel n'est pas entrepris, des emplois nouveaux ne seront offerts à la jeunesse que dans des secteurs géographiques limités (la Fégion parisienne et une vingtaine de départements qui sont déjà associés à la région de l'Europe la plus évoluée) à moins que ce ne soit sur le territoire de pays étrangers où des pôles de développement s'accrois· sent à un rythme très supérieur au nôtre. Alors, la partie nord-est de la France serait absorbée dans une Europe dominée par la vallée du Rhin, tandis· que la périphérie, privée de sa substance économique et humaine, justifierait la célèbre formule du « dêsert français >).
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Même dans le cas d'une planification européenne (dont on a montré la nécessité) et d'une solidarité de ns partenaires (dont nous ne pouvons être assurés), le développement des zones menacées ne sera pas la conséquence automatique de simples investissements réalisés par une intervention de l'État ou de la Cmmunauté. Sans doute, tout doit être fait du dehors pour accroître le capital fixe mis à la disposition des régions les moins dynamiques. Mais leur développement ne résultera, en définitive, que d'un effort collectif et volontaire des populations intéressées, dans le cadre de structures qu'il faut mettre en place rapidement. L'aide venue de l'extérieur peut suppléer en partie des initiatives locales insuffisantes ou découragées elle ne dispense pas les intéressés de se charger de la tâche avec !leurs moyens et sous leur responsabilité propres.
LES CONSEILS ÉCONOMIQUES RÉGIONAUX
Comment ces populations prendront-elles en main le travail d'animation et de redressement? C'est le problème de l'organisation régionale, sur lequel, François Bloch-Lainé appelle l'attention depuis plusieurs années. La région économique française doit être à l'échelle des forces avec lesquelles elle se trouvera plus tard en contact et en compétition. Ce n'est pas le département de la Meurthe-et-Moselle qui peut « faire le poids » en face de la Ruhr ; il faut un territoire plus important en ressources matérielles, en moyens financiers et en hommes.
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La France est actuellement divisée en vingt et une « régions de programme ». Chacun convient que
c'est un découpage excessif et qu'il est nécessaire d'opérer des regroupements pour obtenir de plus puissantes unités susceptibles de recevoir un équipement administratif et universitaire efficace, à la mesure et en fonction de leurs besoins. La région doit être conçue autour d'une capitale comparable aux dix villes « millionnaires » qui existent déjà dans les pays du Marché Commun et qui ne trouvent pas leur équivalent en France. · Chacune de ces capitales régionales doit constituer un pôle d'influence et d'action industrielles, commerciales, universitaires, administratives, culturelles, avec, au besoin, le concours de capitales secondaires. La répartition des activités entre la capitale régionale et les capitales secondaires devra être l'un des premiers objets à discuter par les autorités régionales, lorsqu'elles seront constituées. « Pour que les groupes professionnels, sociaux et géographiques qui constituent la collectivité nationale soient associés réellement à l'élaboration d'un Plan ... il faut que les avis qu'ils donneront ou les décisions qu'ils prendront se situent à tous les stades du processus de planification et concernent tous les aspects de celui-ci. » Si l'on approuve ce principe, posé par Bernard Gournay, si l'on ne se contente pas, comme lui, de viser l'élaboration du Plan mais aussi, et surtout, son exécution, si l'on étend le raisonnement non seulement « à tous les stades », mais à tous les niveaux où le Plan est conçu et appliqué - il apparaît que la région est appelée à jouer un rôle décisif. Car elle
2(}3 eonstit'IM', à l'échelle· hu:Pfta·ine, u:r.te réalité vivante où se traitent des affa·ÏTes- eommn.nes importantes et où peuveD:fi se Pégler ces pru~remoes d'ont tontes les élites provincialles ont déjà u:ne conscience claire. Le- professeur Lavan a fait r~serrtiT que la végion, pM" ses dim-ensi0ns, offne- un cadre eptimum, à la m.esl'He des nouveaux l'eade-rs ÎSSll'S dtt synd.Tcalisme ouvrier, agri-co-le, unÎ'Versitahe'natamment. C'est dans cet enviFonnement, eH présence d' ohjee:tifs proches, que eeux-ei pem.:rront le mieux s'exprimer et Qjéployer une· activité c«merète, déba:rrassée de certaines habitudes politicienn~ contre lesquelles il faat toujours se prêmunir. Pour q:ue la