La philosophie de David Hume (1873) [PDF]

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THE LIBRARY

The Ontario for Studies in

Institute

Education

Toronto, Canada

LIBRARY SEP

?î>

197J

THE ONfARIO INSTITUTE IN i:DUCATIOM

FOR STUDIOS

,

LA PHILOSOPHIE DE

DAVID HUME PAR

Gabriel

COMPAYRÊ

ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE, AGRÉGÉ DE PHILOSOPHIE,

DOCTEUR ES LETTRES-

PARIS

ERNEST THORIN, EDITEUR LIBRAIRE DU COLLÈGE DE FRANCE 7

,

RUE DE MÉDICIS

1873

,

7

INTRODUCTION.

LA YIE ET LES ŒUVRES DE DAVID HUME.

Il

la

n'entre pas dans notre plan de raconter en détail

vie de David

Hume. Des

divers incidents qui mar-

quèrent une existence d'ailleurs peu troublée s'agit

de retenir

ici

que

il

,

les faits les plus saillants,

ne

ceux

qui influèrent sur les idées de l'auteur et sur les destinées de son esprit.

L'étude du caractère préparera

l'intelligence des doctrines.

Sans doute, par

spéciale de leurs méditations, leurs

les

œuvres, échappent plus que

à lïnfluence de leur vie

;

ils

la

nature

philosophes, dans les autres écrivains

n'y échappent cependant

pas complètement, et les événements laissent toujours

quelque empreinte dans abstraites qu'elles soient. et l'intérêt

de

la

les

pensées d'un auteur,

D'un autre côté,

si

la justice

renommée de Hume veulent qu'on

mette en regard de ses théories souvent téméraires sa noble et laborieuse existence,

sa jeunesse active et 1

uniquement ambitieuse des succès littéraires , l'irréprochable austérité de ses mœurs^ l'enjouement aimable qui animait ses conversations , la douceur qui surtout sa vieillesse

rechercher son amitié^

faisait

vraiment philosophique , tranquillement écoulée, au dans l'attente milieu des livres et de quelques amis ,

d'une mort dont

les

approches ne troublèrent point

la

constance de son âme. Ce coup d'œil, jeté en passant sur la vie de

Hume,

profitera à la réputation d'un libre

penseur, qu'on a quelquefois représenté sous des couleurs trop noires. Sachant ce

que

l'homme, on se

fut

scandalisera un peu moins de ce que pensa l'écrivain.

Hume

l'étude l'absorba tout entier, et lui

avec

maturité du jugement

la

génie et

la

De bonne heure

point de jeunesse.

n'eut

la

,

passion de la gloire.

donna avant

l'âge,

conscience de son

de

L'histoire

la phi-

losophie offre peu d'exemples d'une vocation aussi

précoce pour les spéculations abstraites.

bourg, ans

le

le 2l6 avril

1711

,

Hume

concevait à dix-huit

premier plan de son système

animé par des découvertes qui

comme un instrument

Pour

(1)

l'histoire

leurs assez courte

mois avant sa mort 1846

,

de

certain

Hume

,

;

(1).

lui

Et dès lors,

apparaissaient

de renommée,

nous avons suivi lui-môme

qu'il a écrite

,

Né à Edim-

et surtout l'excellente

,

en

la notice

avril

tome VI,

p. 107; et le travail

,

1776

ne

d'ail-

,

,

trois

biographie puyiée en

à Edimbourg, par J.-H. Burton, 2 vol. in-S".

l'étude de M. Cucheval-Clarigny

il

— "Voir aussi

Revue des Deux-Mondes

,

1856

,

de M. Campcnon (de l'Académie

française), en tête de sa traduction de V Histoire d'Angleterre, 1839.

vécut plus que pour ses pensées. Captivé par acquit, avant vingt ans,

un sentiment

il

assez vif de sa

responsabilité pour imposer à sa jeunesse

plus rigoureux stoïcisme.

elles,

la loi

du

C'est plaisir d'entendre ce

sage de seize ans déclarer, dans une lettre à son ami

Ramsay (1),

qu'il

met résolument en pratique

les règles

morales qui ordonnent de réprimer toute passion, et cherche dans l'étude, dans

qu'il

moyens

d'élever son esprit. Déjà

contemplation, les

la il

observait

»

sur Fauteur que je

))



))

cherche l'explication.

))

en philosophe...

encore

lis; là c'est

un

»

. .

Une

les réflexions

notait

de passion; dont je

l'esprit

Permettez-moi de vous parler pareille précocité

ne va pas sans quelque pédantisme,

que

éclair

un phénomène de

c'est

il

,

une critique

ses pensées. « Ici, » dit-il, « je recueille

et

de sagesse

Ton peut douter

psychologiques du jeune écolier

eussent toute la valeur qu'il leur attribuait. Mais ces efforts louables, cette vanité d'auteur

turée

,

le

sauvèrent au moins de

la paresse, les frivolités

et lui firent

un peu préma-

la dissipation et

de

une àme supérieure à toutes

de son âge.

Et cependant autour de

lui rien

penchant qui

contrariait plutôt, le

ne favorisait, tout le portait

philosophie. L'université d'Edimbourg

,



il

vers la étudia

,

ne comptait encore dans ses rangs aucun de ces maîtres éminents,

comme

la fin

du

siècle

en

vit paraître,

qui, par leclat de leur enseignement, déterminent les

vocations hésitantes.

(1)

Burton.

Tome

1, p.

A

défaut de professeurs

12, lettre du 4 juillet 1727.

illustres,.

—4— cette université avait-elle

au moins un enseignement

régulier delà philosophie?

Le formalisme presbytérien

s'y était

constamment opposé,

et avait

tenu jusqu'alors

en échec tous les efforts tentés pour organiser le pro-

gramme

même

d'un cours suivi. Les écrits de Locke lui-

ne furent guère connus à Edimbourg qu'en

1730, par les soins du professeur Stevenson, et encore dans un abrégé, œuvre de l'évêque Wynne. C'était l'époque,

il

versité de

est vrai,

où Hutcheson inaugurait, à

Glasgow, ces

l'uni-

brillantes leçons auxquelles

D. Stewart attribue l'honneur d'avoir

commencé

le

réveil

philosophique et littéraire de l'Ecosse. Mais

Hume

ne subit en aucune façon

travaux l'influence de son

ne

fut

dans ses premiers

illustre

contemporain

:

que beaucoup plus tard son correspondant

il

et

son ami, sans devenir jamais son disciple. D'autre part,

Hume

ne trouvait au foyer domestique

aucune de ces excitations journalières qui éveillent quelquefois les grands génies. famille étaient

simplement

Les traditions de sa

de gentilshommes de

celles

campagne. Sa mère, restée veuve avec

trois enfants,

contribua à former ses vertus privées

mais

;

,

simple

autant que bonne, elle ne pouvait agir sur le

vement de

ses idées.

C'est

donc à lui-même,

des méditations personnelles,

menses lectures, que

Hume

développement de son

mou-

c'est à

soutenues par d'im-

du

est surtout redevable

esprit.

Les poètes et

les philo-

sophes se partagèrent ses premières admirations tandis qu'à l'école de Locke et de Berkeley cette subtilité pénétrante qui est

un des

il

;

et

exerçait

traits

carac-

téristiques

de son talent,

apprenait, avec Virgile et

il

Cicéron, cette pureté de goût, cette admirable justesse

d'expression

qui distinguent à un

,

écrits, et qui

lui

haut point ses

si

ont acquis l'honneur de passer dans

son pays pour un maître en Fart d'écrire. Disons cependant que ses lectures philosophiques si

abondantes

plètes.

heure

eût connu Platon,

il

un point incom-

ignorait la philosophie grecque. Si de

Il

comme

et si variées, furent sur

étudiait

il

Locke

s'il

et

bonne

étudié avec ardeur,

l'eût

Berkeley, peut-être cette

influence nouvelle eût-elle modifié et corrigé les ten-

dances exclusivement empiriques de ses doctrines.

Mais à quoi bon regretter que ce libre esprit, n'acceptant qu'une seule domination

anglais, ait développé dans

Dans

théories originales?

philosophiques

,

le

d'expérimentations

mieux ,

que

celle

,

de l'empirisme

une seule

direction ses

même

l'intérêt n'est-il

des progrès

pas que ces sortes

l'on appelle

des systèmes

,

soient poursuivies jusqu'au bout par leurs auteurs? Et

ne

pas se réjouir qu'au lieu d'ajouter un

faut-il

de plus à

la liste

de ces philosophes modérés, qui doi-

vent à une éducation complète leurs doctrines.

nom

la vérité

Hume, poussant

relative

de

à outrance jusqu'à

extrêmes conséquences quelques affirmations

leurs

par l'excès

absolues,

ait,

cause de

la vérité?

même

de ses erreurs, servi

n'est pas le seul,

Il

parmi

les

la

pen-

seurs, dont l'originalité soit faite de quelque génie et

d'un peu d'ignorance

A

deux

faillit

1

reprises, la vocation philosophique de Hume

être déjouée par les événements.

La volonté de

—6— sa famille le destinait au barreau

:

Hume

accepta doci-

lement l'épreuve. Mais bientôt, incapable de surmonter la

répugnance que

lui inspirait le droit,

il

revint avec

passion à ses chères études. Par malheur l'excès

de son

travail et l'ardeur

même

de son application compro-

mirent assez gravement sa santé pour l'obliger à sus-

pendre tout

effort d'esprit.

une véritable

A

crise physique, qui troubla

son âme, jusque-là sereine Il

se crut dangereusement

force

ne

lui

vingt-trois ans,

manquât pour

vail et les espérances

et confiante

malade

de gloire dont

une maison de commerce, Mais Hume,

prendre à lonté, le

il

il

dans l'avenir.

que

craignit

de

la

tra-

s'était jusqu'alors

se résigna à entrer dans

sacrifice qui équivalait

— quelque indolent

qu'il fût

pour

la fortune,

l'unique objet de sa passion faut lire le

mémoire

:

avec une minutie naïve, et lui

les

— Hume

n'était

et sans résistance

les lettres et la philosoqu'il adressait,

à un médecin célèbre de Londres,

son mal,

ait laissé

n'ayant pas su l'exercer par sa vo-

gouvernement de sa destinée,

11

de son na-

que le plus souvent dans sa vie il

homme à abandonner facilement

phie.

profondément

un suicide moral.

turel, et bien

pas

traversa

réaliser les projets

nourri. Condamné au repos,

lui à

;

il

il

pour

en 1734,

lui décrire,

moindres symptômes de

demander, avec une anxiété touchante,

des remèdes décisifs (i).

La santé revint au bout de quelques mois, s'empressa de quitter Bristol et

tl) Burton

,

tome

I, p. 30.

le

et

Hume

commerce. Mais

les

défaillances

du tempérament une

fois

dominées,

restait encore d'autres difficultés à vaincre.

Il

il

lui

lui fallait,

malgré l'exiguité de ses ressources, assurer l'indé-

pendance de sa

un

prit

vie.

Sans protecteur, sans fortune,

parti viril, celui

aux habitudes

et

il

de s'expatrier, de s'arracher

aux douceurs du pays natal, pour dans une solitude que

vivre frugalement en France,

devait rendre plus complète encore son inexpérience

de

langue française. C'est à Reims, puis à La Flèche,

la

Hume

que

passa les trois laborieuses années de son

premier séjour en France (1734-37).

«

Une rigoureuse

« de suppléer me à ce qui me manquait du côté de la fortune, de conserver ma liberté entière et de mépriser tout

permit, »

frugalité

))

))

»

dit-il

lui-même,

,

» ce qui

n'intéressait pas directement

littéraires (1). »

))

1737,

le Traité de la

l'auteur partait

Après

trois

mes progrès

ans de réflexion,

Nature humaine

pour l'Angleterre,

était

afin

en

terminé, et

de surveiller

la

publication de son œuvre.

Hume, dont guère

les

ble-t-il,

distance

un peu

la

rencontre singulière qui, à cent ans de

l'avait

conduit auprès de ce fameux collège

des Jésuites, où Descartes avait étudié.

dant quelque intérêt à remarquer que

de

lente n'aimait

rapprochements, n'a jamais été frappé, sem-

de ,

l'imagination

Il

le

y a cepen-

même

coin

vu naître, dans leur premier germe tout au moins , deux systèmes de philosophie aussi irréconciterre a

Hume, tome I, My own life, p. xrv. sers de l'édition en quatre volumes in-8o. Edimbourg, 1854.

OEuvres philosophiques de

(1)

Je me

—8— un scepticisme résigné qui se complaît dans négations, et auquel on peut rattacher sans para-

liables

ses

doxe

:

du positivisme contemporain

l'origine

;

et ce

doute méthodique qui n'aspire qu à triompher de

même

5

idéaliste des

temps modernes.

Quelque jugement que Nature humaine^

Hume

l'on porte sur le Traité de la

on ne peut s'empêcher

d'admirer

A

vingt-sept

qui lui donna

l'effort d'esprit

ans,

lui-

grande conception

et d'oii est sortie la plus

composé

avait

le jour.

et publié

son chef-d'œuvre.

Descartes écrivit le sien à quarante. Reid et Kant entre

cinquante et soixante ans. Les poètes seuls ont d'ordinaire le privilège de ces improvisations de jeunesse,

qui prennent rang parmi les Cette fois

le

un

de réflexion

pareil

même

résultat

!

et

de travail ne suppose pas

talent d'utiliser leurs fa-

le

une sévère économie de

leurs forces.

pensée.

Peu d'hommes ont possédé, au

Hume,

degré que

cultés par

la

du génie poétique. Mais quelle

l'effervescence hâtive intensité

monuments de

génie philosophique avait éclaté avec

leurs temps et

de

était inaccessible à toute distraction,

Il

De cette concentrasur un même point, il

indifférent à tout divertissement.

tion vigoureuse de son esprit n'est pas étonnant qu'ait

un ouvrage même

pu

sortir

bien considérer surtout que

humaine

duquel saires

,

n'est les

et

en quelques années

aussi considérable,

qu'un système

le ,

si

l'on

veut

Traité de la Nature

pour

la

construction

longues expériences n'ont pas été néces-



il

a

rement acceptés

suffi ,

de quelques principes témérai-

pour que l'auteur, par une déduc-

—9— tion presque algébrique, déroulât sans effort

gue

une lon-

de conséquences.

série

En 1739, parurent

deux premières

les

parties

Traité, celles qui se rapportent à l'Intelligence et

La troisième

Passions.

ne

(of Morals),

vrage, »

))

n'ayant

j)

des dévots

dit-il

lui-même,

«

1740. Le succès ne l'auteur.

L'ou-

«

mourut en naissant,

même réussi à exciter les murmures (1). » Hume en conçut un vif accès de

pas

même

sérieux, le caractère abstrait et la nouveauté

du système devaient indifférent

ou

faire pressentir à

hostile

du public. Mais

écrivains inconséquents,

humain dans nent que

n'était

mouvement philosophique

théâtre d'aucun

le

aux

morale

cependant, sans compter que l'Ecosse

dépit. Et

alors

fut publiée qu'en

aux espérances de

répondit pas ))

partie, consacrée à la

du

Hume il

l'accueil

de ces

était

qui, contrecarrant le genre

ses sentiments et ses croyances

,

s'éton-

genre humain n'applaudisse pas à leurs

le

attaques, et qui, tout à la fois passionnés pour la gloire et épris les

de leurs propres systèmes, voudraient être

héros de

la foule

,

sans renoncer à en combattre

Notre philosophe ne se résigna que peu

les préjugés.

à peu à cette impopularité douloureuse, au prix

de

laquelle s'achète le plus souvent l'indépendance de la

pensée

;

tion d'un

et ce fut

amour-propre exigeant avec

conscience jeta

(1)

en partie pour concilier

dans

Hume

les devoirs

sincère, que, vers la fin de sa vie,

les

,

la satisfac-

d'une il

se

études historiques, heureux de faire enfia

3ïy

own

life

,

p. xv.



10

l'emploi de son talent dans



une science où au cœur

toute sa pensée sans blesser

il

pût dire

la foi

de l'hu-

manité, et plaire à tous sans cesser d'être lui-même

Le désir trait

fût

du succès, tel est le physionomie de Hume. Quoiqu'il

et aussi la volonté

dominant de

la

certainement de ceux qui aiment assez les

pour que

le

lettres,

par ses douceurs, les récompense

l'étude^

elle-même des dans

1

exige,

sacrifices qu'elle

commerce désintéressé de

la

apportait

il

pensée une cer-

taine âpreté d'amour-propre, qui exigeait impérieuse-

ment

la

accompli arts,

comme

gloire

prix

le

obligé

du

travail

aux

et des privations souffertes. Insensible

aux passions du cœur,

il

avait rejeté sur les

succès littéraires toutes les ardeurs de son ambition.

La passion

pour ainsi

s'était,

parties de son

âme pour ne

seul désir, auquel

il

dire, retirée des autres

surexciter en lui qu'un

s'abandonnait avec toutes les

émotions, toutes les fièvres d'un véritable amour. C'était

cependant se méprendre singulièrement sur

les conditions

atteindre

de

la gloire,

que

pour y de métaphy-

faire fonds,

du premier coup, sur un

livre

sique, originale mais téméraire, profonde mais abstruse et compliquée.

De

toutes les

œuvres de Hume,

le

Traité est à coup sûr la plus remarquable, mais elle est aussi la

donc

,

moins propre à devenir populaire. Qui

hormis

les

philosophes de profession

,

eût

pu

consentir à suivre l'auteur dans le dédale où s'engageait son scepticisme arrogant et inexorable ?

On

peut^dire du Traité de

la

Nature humaine

représente, dans l'ensemble des écrits de

qu'il

Hume, ce

le Discours de

q?est pour Descartes

résumé général de

Méthode

:

un

du philosophe. Mais

la doctrine

il

que Descartes, dans ses au-

faut noter cette différence, tres ouvrages^

la

développe fidèlement

de sa

les principes

méthode, tandis que Hume, pendant toute sa vie, semble s'être

donné pour tâche d'atténuer, de dissimuler,

à force d'habileté, les conséquences inquiétantes des théories de sa jeunesse.

Avec une témérité de

avec une hau-

chise qui accuse l'âge de l'écrivain, teur de ton qui

Hume, nous découvre, dans

des idées. écrit

,

le

sceptique du Traité

dans cet ouvrage,

«

me

))

relire (1).

tant

déplaît

conclusions

,

»

Il

«

:

))

;

il

désavoua

L'air

que je

n'ai

la

fois

amertume de ceux de

un

contre

éclat et par

dans

et

homme

le

Traité,

l'auteur,

»

un scandale,

aux adoucisse-

qui entrant, pour

la société, se serait brouillé

(1)

Lettre à Gilbert Stuart. V. Burton

(2)

Y, Avertissement des

,

tome

avec

I, p. 98.

Essais... «

L'auteur désire que les es-

comme

contenant seuls ses senti-

sais suivants soient considérés

ments

amis,

hardiesse de ses

la

ménagements

ressemblait à un

première

ses

jamais reconnu (%). » C'est ainsi qu'a-

revenait aux Il

un de

à

un ouvrage de jeunesse, que

près avoir débuté par

ments.

dogmatisme

pas le courage de le

désavoua aussi

se plaignant avec

ajoute-t-il, « n'a

Hume

le

il

de confiance qui règne

» écrivait-il

ses adversaires qui s'acharnaient

contre

ce premier

fond intime de sa pensée. Plus tard,

reconnut son imprudence

((

pyrrhonisme

contraste avec le

fait

fran-

et ses principes philosophiques. »

— tout le

monde,

de ses jours à

et qui passerait le reste

avec ceux

se réconcilier



12

volontairement

qu'il aurait

froissés et irrités.

Quoique Hume, dans son Traité de maine,

devancé Reid

ait

la

Nature hu-

Dugald-Stewart

et

l'observation minutieuse de quelques

pour

psycholo-

faits

giques, c'est plus particulièrement Kant qu'il annonce et qu'il

prépare

,

non-seulement par

recherches, mais

ses

aussi par

la direction

un peu

froideur

la

de

sèche d'un style qui se refuse presque tout appel à l'imagination et au

Hutcheson

sentiment.

l'aimable

,

et

A

ceux qui

séduisant

comme

,

de

professeur

Glasgow, s'étonnaient de ce qu'on pourrait appeler de

l'insensibilité

son

dans ses études sur

un anatomiste

et

style',

l'esprit

Hume humain

non un peintre «

découvrir

répondait

que

voulait

être

il

((

:

Autre chose plus

secrets

))

est,

))

principes de l'intelligence, autre chose décrire la

))

grâce et

» sible

De

))

disait-il

les

beauté de ses actions. Et

la

il

est

impos-

de concilier ces deux points de vue

(1). »

rigoureuse précision de style, qui distin-

là cette

gue

,

le Traité

entre tous les ouvrages de

Hume.

L'au-

teur y semblerait oublier complètement le public,

ne se montrait avant tout préoccupé de ses lecteurs, qui est

(1)

comme

Burton

,

s'il

d'être compris

et d'atteindre cette précieuse qualité

l'élégance des savants

tome I,

p. 112, lettre à T.

:

je

veux

Hutcheson du 17 sep-

tembre 1739. Les mômes idées sont exprimées dans de la 3e partie du traité Of morals tome II, p. 407. ,

dire la

la

conclusion

— Ajoutons,

clarté.

rigueur

13

— que

cependant,

se manifestent

la netteté

beaucoup plus dans

el

la

le détail

de chaque partie que dans l'ensemble du plan, auquel on peut reprocher quelque indécision et même quelque désordre.

Il

semble que Fauteur

n'ait

pas

embrassé d'un seul coup d'œil cette longue série de chapitres, qui se complètent sans se suivre, et qu'il les

sinon sans méthode, du moins sans faire

ait écrits,

pour ramener à une division rigoureuse, et

effort

disposer dans

un ordre logique

les différentes parties

de son œuvre. Malgré ces défauts,

ment que

l'on

juge

quelque sévère-

et

les théories qu'il

expose,

de la Nature humaine n'en laisse pas

impression d'admiration. D'autres

Hume

le Traité

moins une vive

œuvres ont rendu

célèbre parmi ses contemporains

:

celle-là sur-

tout assure sa gloire auprès de la postérité.

Après avoir quelque temps attendu à Londres un succès qui ne vintpas,

à Ninewels,

Hume se retira auprès de sa famille,

à quelques lieues d'Edimbourg.

quelques jours de découragement , à l'étude.

Il

reprit vite goût

se consola de son insuccès, en méditant

après coup les causes

qui le rendaient inévitable.

((

Ceux qui ont l'habitude de

y>

abstraits,

({

sont

le

il

Après

»

écrivait-il

réfléchir sur des sujets

à son ami

Henry Home,

plus souvent imbus de préjugés

;

et

ceux

))

qui n'ont pas de préjugés sont généralement igno-

»

rants en matière de philosophie. Or,

éloignés des opinions

»

sont

»

qu'on ne saurait

»

les idées

si

les

mes principes communément reçues,

admettre sans introduire dans

philosophiques un changement

considé-

— » rable. Et



14

vous savez que des révolutions sembla-

ne réussissent pas facilement

» blés

que l'amour-propre de

Hume

(1).

))

C'est ainsi

se résignait à l'indiffé-

rence du public, en l'expliquant par l'incompétence des uns, par

Mais

il

la

tira

présomption intraitable des autres.

de son échec, sinon des pensées de

modestie, du moins des leçons de prudence. fia

son système de

travail.

modi-

Il

Désormais plus soucieux

de l'approbation d'autrui, ou, pour mieux dire, plus préoccupé des moyens de

l'obtenir,

il

plus dans cette solitude intellectuelle,

ne se confina

oîi

il

s'était jus-

que-là dérobé à tout conseil, à toute inspiration du

dehors.

La composition de

la

du

troisième partie

Traité de la Nature humaine (publiée en 1740), se res-

de ce changement de méthode. Par une condes-

sentit

cendance nouvelle chez

lui,

Hume

soumit son ma-

nuscrit à l'examen d'Hutcheson, avec lequel

il

venait

d'entrer en relations. Hutcheson était alors dans tout l'éclat

de son enseignement (de 172S9 à 1747). Juge

particulièrement excellent dans les questions de rale,

il

critiqua librement les vues de

Hume.

mo-

Celui-ci

reçut ces avertissements avec une déférence marquée

mais

il

en profita peu.

Il

était trop

personnel,

absolu dans ses opinions pour céder à l'influence,

douce, teur

si

Leechman, un ami commun des deux

tre le plus puissant et le plus

(1)

si

persuasive pourtant, de celui dont le doc-

a pu dire, dans un éloge funèbre, »

;

trop

Burton, tome I,

p. 105.

moralistes,.

« qu'il était le

maî-

aimable qui eût paru



15



de son temps. » Dans le détail de l'ouvrage, Hume des observations qui tint cependant quelque compte ))

apporta quelques ménagements à

Il

lui étaient faites.

l'expression de ses idées, bien que sur ce point encore

ne partageât pas tout à fait les scrupules deHutcheson. Il se targuait de l'indépendance de sa condition

il

:

ne

lui donnait-elle

pas

le

droit

de parler avec plus

de liberté qu'un

homme

un

ou un professeur (1)? Quoi

ecclésiastique

soit,

Hume

sut inspirer

qui aurait

charge d'âmes^

en

qu'il

une assez vive estime à son

correspondant pour que celui-ci à son tour, par un

échange amical,

lui

nouvel ouvrage

:

communiquât, deux ans après, son

Philosophiœ moralis institutio compen-

en 17 4^); mais ses opinions n'en avaient

(^lana (publié

pas moins effrayé Hutcheson didature, lorsque, en 1745,

qui combattit sa can-

,

il

une chaire de

sollicita

philosophie à l'université d'Edimbourg.

Hume

avait compté sur le caractère pratique

ses spéculations morales pour

deur du public.

«

Sans

triompher de

qui s'atta-

l'intérêt particulier

me

de morale, je ne

de

la froi-

»

che aux études

))

hasardé à publier un troisième volume de métaphy-

»

sique à une époque

oii la

» cordent à transformer

exige un

))

'1)

hommes

plupart des

en amusement

» la lecture, et rejettent tout ce qui,

serais

le

pa&

s'ac-

travail

de

pour être compris,

effort considérable d'attention (%). » Mais,

Burton, tome I, correspondance de

Hume

et

de Hutcheson,

p. 114 et suiv. (2)

de

Hume,

OEuvres philosophiques

la 3^ partie.

,

tome H,

p.

216,

l''^

section





16

passionnées de

Hume,

pour trouver notre auteur

et,

en possession de quelque célébrité, au lendemain de et

aux poursuites

encore, la gloire se déroba

est nécessaire de renverser

))

pu paraître d'abord

»

en premier lieu

méritent

elles

,

attention

;

plus naturelle

la

,

il

méthode qui aurait

la

et d'étudier

,

les idées (1). »

Hume, deux manières

d'avoir des

tantôt, lorsque l'impression reparaît, elle

:

mais

dérivent le plus souvent des idées

elles

y a, d après

Il

idées

notre

garde

encore un degré considérable de sa vivacité primitive

;

tantôt

elle est

a perdu entièrement sa vivacité

elle

,

devenue une

idée parfaite

(a

perfect idea).

mémoire; dans

le

premier cas, nous avons

le

second, à Yimagination. Ces deux facultés

emploie

mot sans

le

affaire à la

:

Dans

(Hume

croire à la chose) diffèrent encore

en ce que l'imagination n'est pas astreinte à repro-

même

duire les impressions primitives dans le

sous

et

est ))

la

même

;

la

mémoire , au contraire

rigoureusement soumise à cette

tère principal

de

» server les idées »

forme

la

mémoire

loi.

entendu, pouvoir

et

I,

de con-

simples que de maintenir leur ordre

au premier abord

illimité

Tome

Le carac-

un tout au-

peut inventer ce qui n'a jamais été vu ni

pas cependant

(1)

«

n'est pas tant

et leur situation. » L'imagination remplit

tre rôle: elle

ordre

:

elle

semble jouir d'un

de conception. Qu'on ne ce pouvoir se réduit

Traité, p. 22.

«

s'y

trompe

à associer, à

— » transposer, à



102

augmenter, à diminuer

les

matériaux

» fournis par les sens et par l'expérience (1). »

A

de l'imagination se rattache

cette théorie

deux catégories

tinction capitale des idées en

idées complexes.

idées simples et les

impressions,

Hume

dit

le

la dis-

n'y a pas

Il

:

les

deux

formellement, qui soient

simples, qui soient absolument indivisibles. Les idées

qui leur correspondent seront par conséquent complexes elles-mêmes. Mais Timagination, usant de son

pouvoir, distinguera, séparera idées.

((

Partout

» entre les idées

oii ,

les

une différence

l'imagination saisit

elle n'a

pas de peine à opérer une

séparation (â). » Principe important

))

éléments de ces

— quoique Hume

le jette,

pour ainsi dire, négligemment

à

d'un chapitre

la fin

— car

ment que nous ayons rencontré dans la

et

en passant,

est le seul éclaircisse-

il

ses

œuvres sur

formation des idées abstraites. D'un autre côté,

l'imagination possède la faculté d'associer, d'unir les

idées de manière à former des notions

plexes encore

;

et c'est à ce

plus

com-

nouvel emploi de l'ima-

gination que sont dues les idées générales et les idées universelles.

Dans ce

chement entre

travail

les idées,

guidée par quelques

vent régulariser

la

lois

de liaison, de rappro-

l'imagination est d'ailleurs

constantes qui seules peu-

marche d'une

faculté aussi capri-

cieuse, et qui sont précisément les lois de l'association des idées. Ce

(1)

12)

que sont ces

Tome IV, Essai II, Tome I, Traité, p.

p. 17.

25.

lois et

comment

elles



103



gouvernent en général notre esprit^ restera à exposer, pour achever

Hume

de

la théorie

qui nous

c'est ce

de

faire

connaître

sur les opérations essentielles de

Fintelligence.

Mais avant d'en arriver là, reprenons, pour

mieux comprendre, La

les

premières réflexions de

résume toutes

plus grave, celle qui

c'est

que

les

les

Hume. autres,

idées, quelles qu'elles soient, corres-

les

pondent toujours à des impressions primitives. Pour

Hume

établir ce principe.

raisons. fait.

La première

Hume

n'est

ne

fait

que deux

valoir

guère que l'affirmation du

adversaires Voîîus probandi,

laisse à ses

qui n'admettent pas que toute

((

Ceux,

))

idée est copiée sur une impression semblable n'ont

))

qu'un

))

idées qui

»

dit-il,

moyen de me ,

si

c'est

:

Ce

sera alors

,

de produire des

ne dérivent pas de

pour nous une nécessité,

nous voulons maintenir notre doctrine, de

ou

» l'impression ))

réfuter

dans leur opinion

» cette source. j)

«

la

perception vive qui correspond à

cette idée(1). » Or, les adversaires

que

ne font guère, dans leurs ouvrages, que

ou

à raison

,

citer

Hume

défie

citer, à tort

des idées et des principes auxquels

ils

attribuent précisément ce caractère d'être supérieurs

à l'expérience,

et

de ne pas dériver de

La logique exigerait, ce semble quelque attention à ces

,

que

la sensation.

Hume

eût prêté

listes

de catégories, de no-

que

l'école rationaliste s'est

tions premières et innées,

toujours complu à dresser. C'est vraiment une exécu-

(l)

Tome

IV, Essai

II,

p. 18.





sommaire, que

tion par trop

Hume,

104

procédé par lequel

le

examen,

sans le moindre

rentrer ces no-

fait

tions fondamentales dans la catégorie des idées déri-

vées, calquées sur des impressions ou combinées par

Le croirait-on

l'imagination.

tendu expérimental,

une seule expérience

n'y a pas

il

directe, pour établir

dans ce système pré-

,

que

les

conceptions de

la raison

peuvent être ramenées à des sensations primitives 1

De

toutes les notions rationnelles, l'idée de Dieu est la

seule que

gnes

,

veuille bien rappeler; et en trois

prétend en faire justice

il

blement l'air

Hume

les difficultés qu'elle

de se douter de

emploie lui-même »

«

sans aborder vérita-

soulève, et sans avoir

portée des expressions qu'il

la

L'idée de Dieu, c'est-à-dire d'un

Dieu infiniment intelligent, sage

» ce

et

bon, dérive de

que nous réfléchissons sur les opérations de notre

» propre espri ))

:

,

li-

mitées ces

t

,

et

de

ce

que nous concevons comme

qualités de sagesse

de bonté

prenne dans l'âme humaine

Que

la raison

pour

ainsi dire,

buts moraux de

et

avec laquelle

elle

la divinité, c'est

liste

s'empressera d'accorder à

que

la

illi-

(1). »

l'étoffe,

façonne les

attri-

ce que tout spiritua-

Hume

;

mais

la

forme

raison donne à ces qualités, l'infinité qu'elle

leur confère, et que lui-même ne leur dispute pas, cil

donc

qui

est l'impression

ou l'ensemble d'impressions

de modèle

ces conceptions métaphysi-

sert

ques? Ne

faut-il

à

pas reconnaître qu'elles expriment

une tendance innée de notre

(1)

T. IV, p. 18.

esprit, qui reçoit sans

— doute de l'expérience

matière de ses pensées

la

qui donne de lui-même

fonds, encore plus qu'il il



105

,

fournit

et

de son

n'a reçu, par

la

mais

,

propre

forme dont

revêt ces éléments empiriques ?

Hume

Le second argument de

voudrait être une

contre-épreuve du premier. Après avoir affirmé, sans le

prouver, que les idées ressemblent toutes à des im-

pressions antérieures,

successeurs appellent

Hume, la

joignant à ce que ses

méthode de concordance

vérification nouvelle qui constitue

Hume

rence ,

une

la

,

ce défaut tient à une lacune corres-

pondante dans nos impressions primitives.

Hume

moins.

Un aveugle ne

un sourd imaginer

manquent

infortunés les sens qui leur

cite

Rendez à ces :

en ouvrant

vous créez pour

chacun d'eux une nouvelle source d'idées.

même

du

et

saurait concevoir

le son.

cette nouvelle source d'impressions,

de

Ici,

développe un peu sa pensée,

quelques exemples. la couleur, ni

si le

diffé-

manque

déclare que dans tout esprit où

série d'idées

cette

-^

méthode de

sens

Il

en est

quoique normalement organisé

,

n'a jamais rencontré Tobjet propre à exciter telle telle

sensation

:

du goût

l'idée

du

d'exemples aussi

dans

les

un nègre, un Lapon,

ainsi

vin.

Et

de

frappants

impressions morales

ressenti certaines passions,

incapable,

la

même

quoiqu'il

,

si

n'y

ou

n'a pas ait

pas

semblables lacunes

une âme

si elle

n'a jamais

en est tout à

observation s'applique

monde nouveau des Un homme de mœurs douces

fait

encore

avec quelque justesse à ce

senti-

ments

n'aura

intérieurs.

pas l'idée de

la

cruauté ni d'un ressentiment implaca-

— ble.

Un

l'amitié

ne comprendra pas

égoïste ,

ni les



106

douceurs de

la générosité.

Observations très-justes en un sens, cette vivacité d'esprit,

sublime de

le

s'il

s'agit

de

de cette finesse de cœur, qui

seules peuvent saisir toutes les nuances d'une pensée, toutes les délicatesses d'un sentiment!

L'expérience

personnelle est nécessaire

pour donner à certains

mots, qui sont sur

de tous, cette valeur ex-

les lèvres

pressive, cette signification secrète, qu'ils

ne possè-

dent que pour un petit nombre d'âmes. Avant qu'un sentiment se développe en nous,

en faisons

est

vague

l'idée

que nous nous

et incertaine; la réalité seule re-

nouvelle dans leur fraîcheur première ces notions traditionnelles. Mais autre chose est se représenter avec force,

avec toute

la

puissance de l'imagination, une

émotion du cœur, autre chose

est

en avoir

l'idée.

La

conception d'un sentiment, que nous n'éprouvons pas,

que nous n'avons pas éprouvé. Hume nous

la refu-

sera-t-il? Réduisez autant

que vous voudrez son mi-

nimum de

l'idée

représentation

nous n'avons pas

fait

moins dans notre

esprit.

Hume,

il

,

l'expérience

est vrai, pourrait

avons observé chez

nous-mêmes,

les

de ce sentiment dont n'en existe

pas

nous répondre que nous

les autres, sinon

expérimenté en

émotions dont nous avons quelque

idée. Telle est, en effet, l'origine des notions confu-

ses et obscures que

nous

nous n'avons pas

l'épreuve personnelle. Nous l'ac-

fait

laisse tout

cordons volontiers à Hume, qui la peine

sentiment dont

d'ailleurs n'a pas pris

de pousser l'analyse jusque-là. Mais ce qui

— t

vrai de

.>es,

107



nos sentiments, et de

de toutes

Fest-il aussi

iiumaine ? Les

faits

rapportés par

produit

,

et

la

plupart de nos

formes de

les

pas une conclusion aussi absolue. passe singulièrement

la

Hume

ne

pensée

justifient

Son affirmation dédes exemples

portée

Les conditions que

Hume

qu'il

monde de

qui sont tous empruntés au

l'expérience.

la

impose avec

raison aux conceptions qui ont leurs racines dans les faits, faut-il

les

étendre aussi aux idées qui passent

généralement pour se développer à priori possible, mais

Hume

?

Cela est

ne prouve aucunement que cela

y a là tout au moins un défaut de méthode à signaler. La démonstration notoirement insuffisante soit.

du

Il

Traité de la Nature humaine n'est

nous

détourner de considérer

pas

l'esprit

faite

pour

comme une

puissance active et indépendante, qui non-seulement

soumet l'expérience à ses

lois,

mais qui encore est

capable de s'élever par elle-même plus haut et plus loin Si

que l'expérience.

Hume

s'était

contenté de dire que pour nous

représenter un objet

dans

les

choses

nous avons besoin de trouver

sensibles

un point d'appui ou

symbole, nous pourrions être d'accord avec

nous paraît

être,

en effet,

la loi

de

l'esprit

que nous sommes incapables de penser, concevons en

même

si

lui.

un

Telle

humain, nous ne

temps, ou une représentation

Imaginative (souvenir d'impression morale, ou image sensible),

ou tout au moins un mot, un signe con-

venu qui tombe sous nos sens ou frappe notre imagination.



108



Ce dernier point ^ l'intervention du d'ailleurs trop négligé par

Hume.

C'est

signe, a été

une des gran-

des lacunes de sa psychologie que l'omission de toute

étude sur prit qu'un

le

langage. S'obstinant à ne voir dans

ensemble

de phénomènes,

l'es-

il

n'a cher-

de notre pensée avec

le

cerveau,

ni les liens qui l'unissent avec les signes.

Il

a dédai-

ché

ni les rapports

isolé

gné de marcher dans des voies que Locke ley lui avaient cependant ouvertes

engagé avec une imprudence qui

et

où Condillac

;

l'a

mené

foule d'observations utiles.

Il

ou sensible

fait

recueillir

nous semble, quant

à nous, que lorsque l'image, lorsque ral

s'est

trop loin,

mais où une sage psychologie trouverait à

une

Berke-

souvenir mo-

le

entièrement défaut, un mot est

indispensable pour que notre pensée abstraite se dé-

veloppe. Par exemple, je ne puis penser Vinfini sans

que

présentent à

mon

infini

esprit, soit sur le papier

est

il

Si

le

ne se présente pas lui-même, ce seront, du

moins, d'autres signes équivalents fait.



une vague apparition mentale.

écrit, soit par

mot

dont ce mot se compose se re-

les trois syllabes

Que chacun

Dieu,

:

s'interroge sur ce point

fermement que tout

effort

:

l'être

par-

nous croyons

de pensée abstraite

,

si

haut

qu'il place

tion

nécessaire d'une représentation sensible, quelle

son objet, est soumis à cette condi-

qu'elle soit d'ailleurs

;

et

que notre

esprit,

pour ainsi

dire, ne peut prendre son vol dans les régions méta-

physiques qu'en restant par une partie de lui-même

appuyé sur

les réalités

empiriques.

Mais autre chose est considérer

la

présence de ces



109



représentations sensibles (lobjet lui-même, ou le

qui en est le substitut),

comme une des conditions de comme le fait Hume,

la

pensée; autre chose soutenir,

qu

elles constituent à elles seules tous les

Pour nous,

la pensée.

s'aide,

intellectuels,

ne sau-

sans doute, des images, des souve-

mais qui reste distincte de ces conditions

nirs, des mots,

seule représentation matérielle de

mot

sible, c'est le

infini

sation, ni impression

exemple,

Par

supérieure.

leur est

et

sensibles,

en

une puissance interne de pen-

raient s'expliquer sans ser, qui

éléments de

premières, et

les notions

phénomènes

général tous les

mot

qui soit pos-

l'infini

lui-même.

Ici

il

la

n'y a ni sen-

d'aucune sorte, qui nous aide à

concevoir, en tant qu'il est infini,

l'être

que désigne

y a en dehors du mot qui se présente à l'imagination, un acte intellectuel par lequel nous

ce mot. Mais

il

interprétons ce

mot

et

concevons à son occasion

l'at-

tribut divin qu'il exprime.

A quoi Hume

bon

insister d'ailleurs sur

une question que

a éludée et non résolue? Ces notions que Kant

rattache à la constitution native de l'esprit, que d'autres philosophes considèrent

comme

rectes d'essences suprasensibles

admises dans un système où l'esprit est

clamée

rigoureusement niée,

comme

Les idées a

,

les intuitions di-

ne pouvaient être

l'activité

propre

de

et la sensation pro-

l'unique source de nos connaissances.

priori, si elles existent réellement, seraient,

dans l'ordre spéculatif, ce que nos volontés semblent être dans l'ordre pratique

:

des actes absolument

ir-

réductibles de l'esprit, qui surgiraient spontanément

— dans

de nos phénomènes de conscience,

la série

dépendants de tout ce qui

Hume

que



110

les

précède.

Il

ne peut leur donner place ni parmi

impressions primitives, qui sont toutes a

parmi

ni

les idées qui

in-

est évident les

posteriori,

dérivent directement des im-

pressions.

dans cette question, toujours controversée

Si

toujours obscure, de la

Hume

priori,

raison et des conceptions a

a évité de s'expliquer,

de

la

n'est

il

guère plus

veut rendre compte

satisfaisant ni plus clair, lorsqu'il

il

et

formation des idées abstraites. Ici, cependant,

pouvait, en un sens, justifier et maintenir son prin-

cipe

que

:

idées résultent des impressions. C'est

les

l'expérience en effet qui fournit la matière avec laquelle l'esprit

encore parer

faut-il

les

notions abstraites. Mais

fabrique les

que

l'esprit existe; qu'il

tuelle seule est capable.

dont une force

Or,

ainsi. L'idée abstraite n'est

nue souvenir

;

Hume

pour

primitive, affaiblie, amincie,

compter

pour sé-

ait

éléments des impressions primitives,

travail intérieur d'attention,

tant de

y

si

morceaux

que

et

de



sensation

la

je puis dire,

deve-

d'elle-même en au-

de parties. Sans

qu'elle contenait

qu'il résulterait

seraient vagues,

ne l'entend pas

lui

et enfin se divisant

un

intellec-

que

les idées abstraites

dépourvues de toute vivacité (ce

qui est contraire à l'expérience et ce qu'un

mathéma-

ticien n'admettrait jamais),

il

est impossible

prendre comment

si

délicat

ce travail

qui néglige certaines qualités des

de com-

de l'abstraction,

choses,

pour ne

mettre en lumière que celles qu'il importe d'étudier,

m—



pourrait s'accomplir mécaniquement, sans le concours

d'une raison active. Cette nécessité d'une activité rai-

sonnable est

si

évidente qu'elle s'impose à

lorsque, se démentant jusqu'à

même;

lui-même,

un

invoque pour expliquer

il

traites, rinfluence

Hume

lui-

certain point

abs-

les idées

de l'imagination, qui,

comme nous

peut opérer une séparation partout

lavons déjà

dit



une différence. N'est-ce pas reconnaître,

elle saisit

,

après lavoir niée, l'existence des facultés et des pouvoirs de l'esprit?

Comment je

d'ailleurs, si l'esprit n'agit pas,

ne dis pas seulement l'abstraction, ou

de

mais aussi ces impressions primitives^ dont

la raison,

Hume

expliquer

les idées

nous

dit qu'il n'y

complexes? Or,

comment

se

si

en a pas deux qui ne soient

elles sont

complexes en

quelles apparaissent

fait-il

réalité,

comme

sim-

ples? Cette simplicité apparente n'exige-t-elle pas déjà l'intervention d'un esprit réelle des la

éléments de

qui

soumette

la

diversité

l'objet à l'unité subjective

de

perception?

Hume n'a pas

ne

s'est

pas préoccupé de ces difficultés.

H

songé à rendre compte de l'origine de ces

impressions primitives qu'il considère

comme

le

point

de départ de toute connaissance. Elles existent par

une sorte de création miraculeuse: voilà tout ce en

sait. C'est là,

vice fondamental

même ,

que

qu'il

au point de vue logique, un les

empiriques 'modernes ont

en général tenu à éviter. L'école contemporaine anglaise, si elle

n'admet pas plus que

originelles, s'efforce

Hume

des facultés

au moins de chercher,

soit

dans



112

1



rorganisation du cerveau, soit dans l'hérédité, dans les impressions

ces,

accumulées des individus

et des

ra-

dans ce que M. Spencer appelle ïévolutiouy des

raisons qui puissent expliquer la production des phé-

nomènes Si

de

primitifs

Hume

grand

effort

conscience.

même

n'a pas

tions élémentaires

la

^e

tenté d'expliquer les percep-

l'esprit,

a

il

du moins un

fait

pour déterminer l'origine des idées déri-

vées, c'est-à-dire des idées générales; origine dont les lois

de l'association des idées contiennent, d'après

lui, le secret.

Nous touchons

ici

à un des points les

plus importants de la philosophie de

Hume

mais

;

avant d'exposer ses propres idées sur ce sujet, quel-

ques explications générales sont nécessaires pour

comprendre dans

le rôle

l'histoire

de

la

que sa théorie

est appelée à

faire

jouer

psychologie.

II

Une des

plus grosses difficultés que soulève le sen-

sualisme, particulièrement celui de Condillac, l'impossibilité

de transformation, qui d'un élément unique, sation, et

de

fait sortir

la

tiplient

cipe.

tous les

série

de

la

sen-

pensée est alors

de miracles qui renouvellent

sous toutes les formes un seul et

Hume

la

phénomènes du sentiment

pensée. L'histoire

comme une

c'est

de comprendre ce merveilleux pouvoir

et les sensualistes anglais,

et

même

mulprin-

qui se sont

condamnés, eux aussi, à prouver que quelques impressions primitives suffisent à la génération de tou-

tes

nos idées

j

113 -.

du moins

ôiît

suivi

une méthode plus

ingénieuse et en apparence plus satisfaisante. Ce n'est poiht par d'inexplicables métamorphoses de la sensa-

compte de nos pensées

tion qu'ils rendent

sociation des idées

c'est

,

au mélange ou à

nombre d'éléments

naison d'un certain

l'explication

à Dîeti.

se passer

de l'âme

et

de

du monde, quand on écarte

Deux

:

ils

ses faeui-

comme de la

croyance

ce sont précisément celles qu'avaierit

premiers

philosophes

grecs,

se représentaient le monde,' tantôt

comme

rencontrées

quand

in-

solutions seulement s'offrent au choix

des philosophes déjà

combi-

priiuitifs qu'tte

en est de l'explication de l'esprit

il

l'as-

ou sensibles.

Quand on veut tés,

la

à

phénomènes

attribuent la production de tous les tellectuels

c'est

;

les

varié d'un élément unique , qui, dans sesévo-

l'effet

Wiotis perperttielles

comme

tà'tjtôt

,

se prête à toutes les formes;

l'assemblage complexe d'une multitude

de principes qui, s'associant entre eux de mille manières, réalisent l'infinie variété des choses. C'est

même dans

façon

que

l'es

l'esprit tantôt les

sensation

,

sensualistes

de

M:

modernes voient

transformations multiples de la

tantôt les associations diverses

de quelques

impressions élémentaires. L'école anglaise contemporaine s'est ralliée à cette

dernière hypothèse. L'association est devenue pour elle

comme un mot magique

tères

du cœur

tes, les

et

de

l'esprit.

qui éclaire tous les mys-

Les idées

les plus

hau-

conceptions les plus générales, que l'école ra-

tionaliste

considère

comme données

a priori , 8

l'école





114

expérimentale les explique par l'association des idées.

Les substances ne sont plus alors que des groupes de

phénomènes simultanés

,

associés par l'habitude. Les i

causes et les effets ne sont pas autre chose que des successions invariables de phénomènes, associés en-

core par l'habitude. Et de

même,

les

sentiments les

plus élevés ne sont probablement que des associations d'idées et de sentiments plus simples; mais

expérimentale hésite encore, et malgré récentes de M. Bain sur les émotions

,

ici l'école

les

analyses

elle n'est

pas

arrivée sur ce point à se satisfaire elle-même (i). Il

serait à

Hume

,

faire

remonter à

l'honneur d'avoir provoqué, par ses ré-

seul

flexions

coup sûr exagéré de

les

analyses ingénieuses ou profondes où se

complaît de notre temps la psychologie anglaise. La

comme la faculté humain ou plutôt comme la loi

théorie de l'association, considérée

maîtresse de l'esprit

,

unique des phénomènes de l'âme, ne en un jour. Elle a son histoire;

En

diverses vicissitudes.

son livre sur dérait

les

18210,

progrès de

comme abandonnée,

la

et

s'est

pas fondée

elle est

passée par

Dugald Stewart, dans philosophie, la consi-

en proclamait

« Cette théorie, » disait-il, « est à ))

dans

» joui

l'oubli;

est certain, » dit

logues de

» tioii les

»

chute

:

peu près tombée

éphémère dont

elle

a

en Angleterre a cessé, en grande partie, de

(l) « Il

»

la popularité

la

l'associai ion,

phénomènes de

de succès,

n

M.

Mill, «

que

les- efforts

des psycho-

ayant pour but d'expliquer par l'associala sensibilité, n'oiit

guère été couronnés

Revue des Cours littéraires, sixième année, p. 604.



115



))

puis la mort de son infatigable apôtre, le docteur

)>

Priestley (1). » Cette théorie, dont

annonçait prématurément

la

Dugald Stewart

ruine, c'est la

même qui,

dès cette époque, prenait, dans les méditations et les écrits

de Thomas Brown

veaux développements,

une école

(2!).

de James Mill, de nou-

et qui devait,

devenir

nées plus tard, toute

et

le

signe

M. Stuart

C'est Hartley qu'il est d'usage,

sidérer

comme

le

amis accep-

Mill et ses

nom nouveau

tent volontiers le

quelques an-

de ralliement de

d'Associationnistes.

en Angleterre, de con-

fondateur de la théorie de l'associa-

tion des idées. Et, à vrai dire, cette théorie lui doit

beaucoup. C'est tinction,

qui a imaginé l'ingénieuse dis-

lui

sans cesse reproduite par M. Stuart Mill,

entre ces associations d'idées, qui ne sont que des mélanges, et ces associations plus intimes, qui

deviennent

de véritables combinaisons, analogues aux combinaisons chimiques. Tantôt l'idée complexe, l'idée d'une rose

,

par exemple

avec un

,

est telle qu'on peut

y retrouver,

peu de réflexion, tous les éléments primitifs

qui la composent

:

certaines idées simples de forme,

de couleur, de parfum; de

poudre bleue

et

même

qu'en mêlant une

une poudre jaune , on obtient une

masse qui, à distance, paraît verte, mais dans

la-

quelle on distingue de près les grains bleus et

les

(1)

Le docteur Priestley avait publié, en 1790, une seconde du livre de Hartley :« r/ieor

c'est

»

nous pensons une idée générale, qu'une tendance

»

nommer un nom... Ce nom

une tendance

» priété

finale...

Il

n'y a en nous, quant

a pour caractère la pro

d'évoquer en nous les images des individus

» d'une classe,

et

de cette classe seulement

(1)... n

(1) M. Taine, De l'Intelligence, 1" volume. Dans cette question des idées générales Hume reconnaît

inspii^ de Berkeley. «

Un

,

s'êti

grand philosophe a affirmé que

toute!

nos idées générales ne sont pas autre chose que des idées

parti-»

un mot qui leur donne une signification plua qui leur permet de rappeler, à l'occasion, d'autres idées

culiôres, unies à

étendue, et

particulières semblables à elle.

»

Tome

I,

p. 33.

Principes de la Connaissance humaine. Introduction.

Voir Berkeley,

— ne sont pas

Enfin, ce

Hume

;it

alion et

125



les idées générales

explique l'origine par

de

Et

dans son système,

lui

il

n'y a

aucune

mettre cette nouvelle conclusion

croyance ne sont pour

plus vives

que

:

l'ima-

jugements,

même

paraissent issus de la

LOS

(a

concours de

le

l'association des idées. Les

croyances

seulement

source.

difficulté à

car le jugement et

Hume que

des impressions

les autres. Or, l'imagination peut,

certains cas, assurer

ad-

dans

aux images, qui en elles-mêmes

ne sont que des impressions affaiblies, ce degré supérieur

de vivacité, nécessaire pour déterminer l'affirma-

tion.

Nous étudierons plus au long

et

en détail

ce

nouvel et ingénieux emploi des principes de l'association

idées ; mais, sans anticiper sur ces théories,

des

nous pouvons dès à présent juger

le rôle

que

Hume

attribue à ces principes dans la formation de nos con*

naissances.

Que Hume

qu'ils l'ont fait, la riche variété

sent nos pensées, si

méconnu, autant

el ses disciples aient

c'est ce

des rapports qui unis-

dont on s'étonnera moins,

considère que les philosophes anglais enten-

l'on

dent l'association des idées tout autrement que nous. C'est

une différence de points de vue Pour

saisir.

n*est

les

qu'une

certain ordre,

l'Imagination,

pensée. t

relies

loi

importe de

psychologues français, l'association qui

les

gouverne, qui range dans un

phénomènes de

la

mémoire

et

de

mais qui ne produit directement aucune

Pour Hume,

de

qu'il

l'esprit

,

elle est

une des

ou du moins,

si

ce

facultés essen-

mot répugne à

des théories positivistes, le principe presqtie unique

— de notre développement

donc ne voir dans rapports qui lient



126

un souvenir

une image à une autre image écarte de la

Autre chose

intellectuel.

un autre souvenir,

à

un enchaînement

:

est

qu'un ensemble de

l'association

qui

trame de nos pensées toute conception

qui ne s'y rattacherait pas par un lien ou par un autre

autre chose croire que l'association, en éveillant

;

semblables ou contiguës, les groupe

les idées

nieusement, ou

les unit si

intimement,

si

ingé-

qu'elle nous

prendre ces assemblages d'idées pour des idées

fait

nouvelles. L'association des idées n'est plus alors confinée au

seul

rôle

que nous

lui attribuions

ductrice perpétuelle, qui après tre

une autre sur

une puissance

l'esprit

effective, la source

nos idées générales. Sur ce point

devancé

;

ni

Hobbes

ni

l'association autre chose

d'être

une idée en

scène de

la

,

:

fait

de production

Hume

la loi

par

dévie

elle

n'a

guère été

Aristote n'avaient

que

l'intr

vu dans

ru.qui règle le renou

Tellement de nos souvenirs, ou qui ordonne les tions

fi

de notre imagination. Locke, par sa théorie d

)

idées complexes, et Berkeley, par quelques aperçu

semblent seuls avoir préparé les voies aux doctrines

beaucoup plus hardies de

Dans

Hume

de Hartley.

et

l'étude des principes sur lesquels repose l'as-

sociation,

l'école

expérimentale anglaise

s'est

donc

contentée de rechercher les rapports véritablement

ceux qui

d'après

sont capables

de

produire de nouvelles conceptions. Interrogée sur

les

féconds

,

,

elle

,

rapports quels qu'ils soient qui peuvent lier nos sou-

à

I

— airs

,

je crois qu'elle

la multiplicité.

ter le

c'est

nous en accorderait volontiers

qu'elles ,

augmen-

effet, à

ces relations (on ne

objets de nos idées soit enfin



Ce qui contribue, en

nombre de

marqué)

127

pas assez re-

l'a

peuvent exister

soit entre les

soit entre les idées elles

mêmes

entre les mots qui les expriment. L'incohé-

rence des idées n'est souvent qu'une liaison superfientre les mots.

cielle

peut suffire d'une syllabe,

Il

pour jeter notre

d'une lettre quelquefois,

pensée

dans une direction nouvelle. Le mot et l'idée sont si

de

intimement unis dans

servie

langage

au

l'esprit

que

mouvement de

l'un entraîne le

pensée

la

le

mouvement

l'autre;

subit

le

et qu'as-

joug

associations fortuites, qui surviennent entre les

des

sym-

boles matériels qu'elle a créés pour se rendre sensible. Et

objets

de

même

l'association peut exister entre les

mêmes que

cisément

notre esprit conçoit

;

ce sont pré-

les liaisons les plus philosophiques.

Quant

à donner une classification exacte de nos principes d'association entre les mots, les objets et les idées

elles-mêmes,

c'est

ce qu'il serait présomptueux de

tenter. Il

ne faut pas oublier, d'ailleurs

,

que

le

progrès et

l'enchaînement de nos pensées tient à d'autres causes qu'à l'association et à

ses principes. Les puissances

actives de l'esprit, soit par la perception, soit par la

réflexion, interviennent

pensées pour en changer tés intellectuelles,

à chaque instant dans nos le

courant. Le jeu des facul-

des sens et de

du raisonnement sont

la

conscience,

l'effort

les causes principales qui

mo.





128

difient sans cesse la suite

de nos pensées, et qui

nouvellent constamment, pour ainsi dire, nôtre esprit. Et enfin, jest,

sï l'on

le

re-

décor de

voulait épuiser le

sti*

faudrait aussi tenir compte, pôtir expliquer

il



succession de nos idées, de l'influence fnystérieasé

que peuvent exercer sur nos pensées le travail physiologique du cerveau

et les modifications qui s'accomplis-

sent d'instant en iùstant dans sa substance. Tous les

psychologues ont remarqué que, dans nos l'éveriès, des idées tious échappe souvent

lé lien

des ponits invisibles

îl

y a

comme

lesquels passe nôtre imagina-

pâ!r

Ces rapports,

tion.

:

n'apparaissent

qtiî

ni

entre les

idées, ni entre les objets, ni entre les mots, doivenÇ être cherchés dans le travail inconscieiit cultes

,

où dans

Mai^ Ruriie

l'action

sonrde

fte l'eiitend

pas ainsi

idées rétnpîace, à ses yeux, tuaîistes attribuent à l'esprit

accordent

rialistes

le?s ,

:

de ùos

du

et tatetifé

1

Fassociâtioti âës

facultés (jue fôs spirt-

les forces

que

au système nerveux.

admettre cependant que

fk

c'ei'veôtti

l'attraction

les maté-

Comment

et l'affinité deé

idées suffisent, par elles seules, à produire les idée^

complexes? Quand Hartley nous représente une idée générale

que

le

comme une

combinaison, analogue à

chimiste détermine, lorsque, par

étincelle électrique,

il

l'effet

celle

d'une

transforme certains volumes

d'hydrogène et d'oxygène en une substance ùouvélte qui n'a aucun rapport avec ses éléments constitutif^, la

comparaison nous semble ingénieuse

;

Mais

ti

demandons précisémeût qù^f est!,

datis l'esprit, le pot

vôif, la fa

cette dernière observation, relative à l'unité

comme dans

les

précédentes, Kant a été de-

vers ne nous donne pas plus divine que l'idée de

,

absolue, de

le spectacle

la certitude

l'infinité et

de

de de

l'uni-

l'unité

la perfection.

deux philosophes

Seu-

cette

grande

que Kant n'entend parler que de

l'unité

y a entre les

il

différence

en

grandeur du

la

toute-puissance

vancé par Hume. Selon Philon,

lement

de

de l'unité du monde à (1).

concept... »

que quelqu'un se

Je ne puis croire

»

tel

la simplicité infinie

effet difficile d'inférer

que Hume, prenant

le

de

mot

la

de Dieu,

qu'il serait

seule expérience, tandis

d'unité dans

un sens plus

modeste, soutient, contre toute vraisemblance, que la

considération des choses physiques favoriserait plu-

tôt

des conclusions polythéistes que

(l)

p.

Kant

,

209,310.

la

croyance à un

Critique de la raison pure, traduction Barni,

tome

II

,

— 340 — seul Dieu.

Ici

évidemment

c'est l'esprit

che sans cesse à

faire

de sophisme

Hume^

qui parle, c'est ce génie tentateur de

qui cher-

échec à son bon sens

qui y réussit quelquefois, mais qu'il désavoue le plus sou-

vent après réflexion. Pour rétablir

la vérité

,

dans cette

question, nous n'avons, en effet, qu'à invoquer le pro-

Hume. Dans son

pre témoignage de

Histoire naturelle

de la religion, après avoir fait allusion à ces philosophes

d'un tour d'esprit particulier qui ne voient pas qu'il soit si

absurde d'imaginer que plusieurs êtres sages

et puissants se sont concertés il

écarte fermement une

puyant précisément sur physique

:

«

pour produire

le

pareille hypothèse,

monde, en s'ap-

caractères de l'univers

les

Dans toute l'étendue du monde,

» dit-il,

«

on ne voit qu un modèle. Tous

les êtres sont

»

tement ajustés

même

» partout. Cette »

l'un à l'autre; le

uniformité nous oblige à reconnaître

un auteur unique

» pies,

:

la

supposition de causes multi-

douées des mêmes attributs

»

mêmes

»

sans contenter l'entendement (1).

Ce que

effets,

Hume

ne

ferait

produisant

et

n'a jamais

»

désavoué, par

et

onzième Essai

à cette vérité

,

loppements,

et sur ce point

le

(1) Ili.Hoire

«

,

Il

a consacré

de longs déve-

nous sommes,

Kant, entièrement de son avis.

pense M. StuartMill,

avec raison,

voie empirique

la

seule, à la conception d'un Dieu infini.

dans

les

qu'embarrasser l'imagination

c'est l'impossibilité d'arriver,

le

exac-

dessein règne

S'il était

vrai,

comme comme

que tout ce qui se rapporte à

naturelle de la religion

,

chap.

"VI.

I

-- 341



Dieu est matière d'inférence , et d'inférence a poste-

»

» riori, »

ception de

comme

faudrait rejeter

il

illusoire toute

con-

divine (1).

l'infinité

Mais, après avoir finement analysé les lacunes de la théologie physique,

Hume

ses observations.

n'a pas

Il

n'a pas su tirer profit

voulu reconnaître

clusion qui s'en dégageait naturellement la

je

:

de

con-

la

veux

dire

nécessité de recourir à des principes a priori qui,

que de notre raison

seuls, peuvent expliquer

même

fond

de notre esprit s'échappe de

l'infinité et

la

et

du

conception de

la perfection divines. C'est

a admirablement compris. Si l'on nie, en

ce que Kant effet,

que

la

raison ait par elle-même le pouvoir d'enfanter de paidées,

reilles

il

faut se résigner à cette

absurde que Dieu c'est à cette

scrupule.

que

Il

est

être fini.

Hume

conclusion que

Qui

conséquence le croirait?

se laisse aller sans

déclare, par l'intermédiaire de Cléanthe,

Dieu est parfait,

si

un

il

ne

relative (finitely perfect).

d invoquer Dieu

l'est

comme un

que d'une perfection

faut, dit-il, se contenter

Il

être admirable, excellent,

extrêmement sage, extrêmement grand. Là doit pour

rêter

humain

l'esprit

la

s'ar-

détermination de la

nature divine. Aller plus loin^ c'est s'exposer à des

conséquences contradictoires, à un verbiage dépourvu de sens.

Il

faut avant tout

que Dieu reste pour l'homme

un objet de compréhension (1) (2)

l'idée

M.

Mill

,

Hamilton

,

(2i).

p. 44.

Clarke disait que l'observation du

que d'un être assez sage

Clarke

,

qu'il cite quelquefois.

monde ne nous donne

et assez puissant.

Hume

avait lu

— Sans doute, qu'il la

a

il

Hume

faut savoir gré à

pour maintenir

faits



342

conception de Dieu à

la

portée de l'intelligence humaine.

Dialogues sur

la religion naturelle

vent par

finesse

la

de

,

Dans tous ses

remarquables sou-

si

pensée

la

comme

,

par Tam-

noblesse du style, ce que nous aimons le

pleur et

la

mieux,

c'est

encore

la

vigoureuse polémique

dirige contre les théologiens mystiques

en système

qu'il

qui érigent

,

absolue de Dieu, et qui

l'inintelligibilité

l'existence

rejettent

des efforts

suprême dans

je ne sais quelle

région mystérieuse, où, enveloppée de nuages et de impénétrables, elle se dérobe à toute pensée

voiles

humaine. Nous ne connaissons rien, quant à nous, d aussi antireligieux qu'une pareille théorie. C'est, à

coup sûr, de son les

le

respect de Dieu et la conviction profonde

infinité qui

1

inspire à ses partisans. Mais

Epicuriens voulaient détruire

temps, c'est

ils

tiques à outrance des lui, le

humaine, pour

Hume

hommes ,

,

ne

si

j'ose dire,

cimes ardues de

que supprimer

un sens

la

les analogies

primer aussi toute religion, ser

est,

le

en élevant Dieu relègue pas dans

où l'extase seule pourrait

conduire les pas de l'humanité.

les

Il

défenseur convaincu d'une théologie

un isolement inaccessible

gieuse puisse,

mys-

appelle ces

athées sans le savoir.

ainsi dire, qui, tout

bien au-dessus des

douce

religion de leur

n'employaient pas un autre procédé. Aussi

avec quelque raison que

quant à

la

quand

11

veut que l'âme

nature divine.

humaines, ce et

à l'adoration des

que,

si

hommes

l'on ,

reli-

une pente

gravir par

il

Il

pense

serait sup-

veut

lais-

faut con-

— rver à Dieu les

décernés

la piété,



343

noms que lui a de tout temps les noms de Bonté, de Puissance,

de Sagesse suprême.

Nous louons donc pleinement

Hume

le zèle

avec lequel

ne cesse de combattre cette théologie qui

de rincompréhensibilité divine toute foi religieuse.

Déméa

fait

premier article de

le

représente imaginairement

ce mystique excessif, dans les Dialogues sur la religion naturelle.

Combien de théologiens

lement dans

la

habituel de M. Stuart

M. Mansel, Mill.

Limites de la pensée religieuse,

dicée les principes

de

M. Mansel refuse à

la

quoiqu'il lui fasse en

tions en

Dans un



il

sur les

le

même

la

faculté

de

moindre attribut divin,

temps une

loi

de croire à

Théorie contradictoire, qui, à des spécula-

quelque sorte athées, veut

un

,

et

Ou

allier les bénéfi-

qui nous

être sur la nature duquel

de rien savoir. ,

livre

applique à la théo-

de subordonner toutes nos pensées

existe

contradicteur

le

pensée humaine

ces pratiques de la religion

tions à

On pour-

philosophie de Hamilton,

la

concevoir et de connaître

(1).

représentent réel-

philosophie contemporaine ?

rait, entre autres, citer

Dieu

le

commande

et toutes il

nos ac-

est impossible

bien Dieu n'existe pas, ou,

nous concevons quelque chose de

lui

;

s'il

et c'est,

en définitive, par ce quelque chose que nous

affir-

mons, que nous prouvons son existence. L'incompréhensibilité le

absolue de Dieu n'aurait pas seulement

grave inconvénient pratique de

(l)

M. de Rémusat

,

faire

Philosophie religieuse.

de toute ado-



344



une cérémonie vide de sens;

ration religieuse

même

nous semble compromettre,

ce sujet,

spéculativeraent,

de l'existence divine.

la certitude

Hume comme sur

C'est ce

elle

que

a le mérite d'avoir compris. Sur tant d'autres,

il

rencontré

s'est

avec M. Mill, qui, dans un chapitre de son livre sur Hamilton la

(1), attaque, lui aussi,

doctrine de M. Mansel

la possibilité

,

avec quelque vivacité

de tous ceux qui nient

et

de concevoir humainement

par quelque côté

la

et

de

saisir

nature divine. Mais cette tendance

excellente qui nous porte à ne pas rejeter Dieu hors

de notre horizon,

nous-mêmes des duire dans

dans

et à chercher

attributs

le

monde ou en

que nous puissions intro-

substance divine, ne doit pas faire ou-

la

blier les droits

de

la raison

si

;

,

d'un côté

,

la

piété

tend, par de perpétuels envahissements, à rapprocher d'elle l'objet

de son adoration, parce que tout amour est

porté à supprimer les distances et à établir peu à peu l'égalité,

cesse

mot,

raison doit, d'autre part, relever sans

notion divine et la tenir à son rang.

la il

la

faut compléter la théologie physique par

sage théologie a

Que

la

théologie a priori,

Hume

théologie

le

une

priori. si elle

seule capable de nous donner divins,

En un

sait;

mais

il

est possible, soit

l'infinité

des attributs

n'admet pas que cette

soit possible. C'est ce qu'il essaie d'établir

en examinant un argument, qui n'est autre que

la

preuve cosmologique, compliquée du raisonnement

(1)

M.

Mill,

HamUton, chap. VIL

— de

Anselme,

saitit

imaginé par

dans

et qui lui paraît le plus

grand

effort

philosophie pour s'élever jusqu'à Dieu

la

voie de

la



345

Kant répète souvent que

l'a priori.

la

preuve cosmologique n'est qu'une preuve ontologique déguisée.

S'il

avait cru nécessaire de justifier son affir-

mation autrement que d'une façon abstraite,

pu invoquer l'exemple de

Hume. la

Il

est

,

en

effet,

nature des choses, que

la

preuve cosmologique, qui débute par un appel à

change

l'expérience,

passe à

l'a

coup

à

tout

priori pur. Cette

pensée de Hume.

de caractère,

démarches de

les

est, d'ailleurs,

Il

et

manifeste

se

nécessité

avec une irrésistible évidence dans la

aurait

confusion commise par

la

dans

il

facile

de s'en

rendre compte théoriquement. L'argument cosmologi-

comme

que ne procède plus par analogie, des causes finales.

non, mais une

:

un certain temps,

la

coupe brusquement sortir

preuve

ne se contente pas de dire, ce

Il

qui serait expérimental

tence

la

la

,

qu'il

fois qu'il

série

y a toujours de nous a

fait

l'exis-

remonter,

des causes secondes,

il

chaîne des phénomènes, pour

de cette succession des choses contingentes. La d'un

raison,

coup

dehors de toutes

les

d'aile,

nous transporte alors, en

existences relatives, jusqu'à une

existence transcendantale,

comme

dit

Kant, ou, plus

simplement, jusqu'à une cause première, un être nécessaire.

La preuve cosmologique n'est donc pas con-

forme au type ordinaire des preuves de l'existence de Dieu, puisque sité, est

traire

la

cause, dont elle proclame

précisément conçue

aux

effets qui

comme

la

néces-

radicalement con-

servent de 'point de départ à

— rargumentation. ainsi

Or,

346



nous autorise à conclure

qui

qu'une cause existe, non

pas

mais

analogue,

contraire à toute expérience connue? C'est uniquement la

raison, qui

prétend ne se tenir pour satisfaite que

a trouvé un être nécessaire; et c'est cette pré-

si elle

tention de la raison qui est^ au fond, le seul principe

quand on

solide de la preuve ontologique,

de

l'appareil

blée.

le

La preuve cosraologique

choses qui existe. l'être

pédantesque dont

existent,

il

faut

La preuve ontologique

dépouille

la

moyen âge

dit

:

affu-

l'a

y a des

puisqu'il

qu'un être nécessaire dit:

puisque

de

l'idée

nécessaire est conçue, l'être nécessaire est réel.

En apparence,

second argument semble

le

pas de plus que

le

premier

mais, en réalité,

;

La preuve cosmologique, quand

est rien.

un

faire

elle

il

n'en

pose sa

conclusion,

ne s'appuie nullement sur l'expérience,

dont

fait

elle

a

mention dans sa mineure

:

elle

tire

toute sa force de la nécessité rationnelle de croire à

un être premier

et absolu. Et,

de même,

la

preuve

ontologique, quelque effort qu'elle fasse, ne peut aller

au delà de cette

même

loi

rationnelle, qui veut

que

nous admettions, en quelque sorte, sans démonstration, la

l'existence d'un être nécessaire.

même

preuve,

Au

fond, c'est

présentée d'abord sous une .forme

expérimentale, et ensuite sous une forme géométrique.

Ce qui peut contribuer à entretenir simuler

le vrai

l'illusion et

à dis-

caractère de la preuve a contingentia

mundi, c'est que cette preuve

demande une cause du

monde, comme toute raison demande une cause qui existe.

Au

premier abord,

il

semble

qu'il

à ce

y

ait

— encore analogie



347

on oublie

:

ne

qu'il

s'agit plus ici

d'une cause semblable à celles que l'expérience nous

montre, et qui ne sont toutes que des effets antérieurs; il

s'agit

d'une cause qui elle-même n'a point de cause.

pourquoi

C'est

une

à nous fournir la

lanalogie est tout à

impuissante

fait

pareille conception

ïa priori seul,

:

preuve ontologique peut compléter

ici l'effort

de

notre dialectique. Reste^ maintenant la question de savoir

de

la

Hume, naturellement, ne

le

point

les prétentions

,

toute preuve a priori, par

raison

si

,

sur ce

sont légitimes.

pense pas,

et

il

écarte

une application rigoureuse

de ses principes philosophiques. L'existence de Dieu, dit-il, est faits

un

fait

nécessaires.

le contraire

(matter of fact)

On ne la

qu'il

quant à nous, qu'en un sens, :

de

;

et

il

n'y a pas

possible.

de nier ce qui est

se retranche derrière son système, et

ne prouve nullement ce

saires

,

définitive, se contente Il

n'y a pas

il

non-existence ne puisse être con-

çue, et ne soit, par conséquent

en question.

or,

implique contradiction

d existence dont

Hume, en

;

peut démontrer que ce dont

avance.

Il

nous semble,

y a des

il

faits

néces-

tous ceux qui sont les conséquences légitimes

d'un principe préalablement admis, les effets naturels

d'une cause connue. Or, dans qui nous occupe,

il

est

la

question particulière

de toute évidence que

la rai-

même, réclame

l'exis-

son, en vertu de sa constitution

tence de quelque chose de nécessaire.

Nous ne disons

pas qu'elle pose immédiatement l'existence de Dieu l'intuition

immédiate de

la

Divinité nous paraît

;

une

— chimère

348

qu'il faut écarter



sans hésitation, n'y eût-il

à cela d'autre raison que le témoignage de ceux qui, interrogeant loyalement leur conscience, n'y ont pas

trouvé trace de cette illumination soudaine et spon-

que nous tenons pour

tanée. Mais ce

humaine qui

toute

raison

de

conception

la

dun

certain, c'est

être nécessaire,

soit, d'ailleurs, la nature

que

du monde. Infailliblement,

ainsi

devant toute intelligence développée

question se pose

la

:

choses existent par elles-mêmes, et alors

sité est

étant

dans

les choses,

contingents

être indépendant alternative,

il

la

,

cet être

elle-même, ou un Dieu dis-

tinct

les

que

ne peut se passer

réfléchit

ou bien,

les êtres

ou bieÉ la

néces-

de ce monde

est l'attribut d'un

nécessité

du monde. Et pour résoudre

cette

faut recourir à d'autres considérations,

précisément aux causes finales, qui nous prouvent

que

l'être

nécessaire, étant en

ne peut être

même

monde lui-même.

le

de l'expérience,

ces analogies

les clartés

s'agit

est

il

incontestable

brille,

comme un

seulement de projeter

sur un point ou sur un autre, l'idée de l'être

nécessaire, et

ment de

il

intelligent,

Mais, en dehors de

qu'au fond de toute raison humaine foyer de lumière dont

temps

que

cette idée est le principe, le fonde-

toute philosophie religieuse.

Hume, avec

^

l'incertitude oii

sa perspicacité habituelle, a compris

nous

de

l'être nécessaire.

ne

serait-il

laisse par

elle-même

Pourquoi, dit Cléanthe,

cette idée le

monde

pas cet être? Et, en effet, rien, dans

preuve cosmologique ou dans

la

la

preuve ontologique,

ne nous permet de nous prononcer contre une pareille

Hume

hypothèse.

s'est ici

encore rencontré avec Kant,

qui, dans ses remarques sur la thèse de la quatrième

antinomie, reconnaît que

Fargument cosmologique

«

»

pur ne peut prouver l'existence d'un être nécessaire

))

qu'en laissant indécise

))

être est le

»

rent. »

monde lui-même, ou

s'il

en est

qu'aux yeux de Kant

est vrai

Il

question de savoir

la

tion transcendantale de

si

cet

diffé-

concep-

la

nécessaire excluait toute

l'être

hypothèse naturaliste. Nous avouons ne pas être de cet avis,

nous ne voyons pas que

et

nous obliger à et

un Dieu

nait

que

l'idée

donne aussi et ces

faire

distinct

de

elle

si

Mais

l'être nécessaire.

l'idée d'un être parfait,

ne nous donla raison

nous

d'un être infini,

conceptions excluent toute possibilité de conet,

de l'expérience nous révèlent

l'Intelligence

alliance à

raison pût

un choix entre un monde éternel

du monde,

fondre Dieu et l'univers. Déplus gies

la

divines

;

de l'expérience

et

,

surtout, les analo-

la

Bonté,

grâce à

heureuse

cette

et (}^ la raison

,

Sagesse,

la

nous arrivons

une idée de Dieu aussi complète, aussi satisfaisante

que

l'esprit

humain

La théodicée de elle

est capable

Hume

découronne Dieu, en

nité.

faible

de

offre lui

la

former

1

de grandes lacunes

ôtant l'attribut de

;

l'infi-

Mais, malgré ce défaut capital, nous avons un

pour cette métaphysique sage, timide

même,

qui redoute, avant tout, les écarts aventureux de la

pensée. Si les résultais ne sont pas toujours exacts, la

méthode au moins

est excellente. C'est celle qui a

inspiré la critique de Kant.

Nous n'insisterons pas sur

autres parties delà théodicée de

Hume, sur

les

la distinc-



350



tion qu'il établit entre les attributs naturels (intelligence) et les attributs

moraux de

la divinité

(bonté, justice),

engage

ni sur la discussion légèrement pessimiste qu'il

à propos des misères de l'humanité, ni

,

enfin

conception d'une Providence générale

,

à laquelle se

,

sur sa

rattachait sa négation décidée de toute espèce de mi-

Nous en avons assez

pour

faire saisir,

dans

son ensemble, cette théodicée raisonnable, cette

reli-

racles.

dit

gion modérée, qu'admirait un Schopenhauer

avancé sur

rien n'est

la

,



et

nature divine qui ne puisse

être rigoureusement prouvé. Par les objections qu'il

placées dans

la

bouche du sceptique Philon,

Hume

laissé peu à faire au naturalisme moderne, dont

semble avoir prévu toutes

les objections.

Mais

a pas moins maintenu, malgré toutes les

il

i

i

n'ei

difficultés

qui surgissaient dans son esprit, sa conclusion déiste conclusion très-religieuse, et particulièrement hostil

au panthéisme, dont

les

chimères révoltaient son boi

sens, conclusion très-analogue, enfin, à celles

d'ui

Socrate ou d'un Reid.

Les Dialogues sur d'ailleurs le seul

la

ne sont

religion naturelle

ouvrage dnns lequel

explicitement profession

Hume

il

ait fai

de déisme. Les question!

religieuses l'attiraient et le captivaient. Si

Dialogues,

pai

,

dans

sef

a discuté théoriquement la légitimité dei

raisonnements métaphysiques, dans un autre écrit qu faitsurtout

origines

a recherché

\ei

développement

d\

honneur à son érudition,

historiques

et suivi le

il

sentiment religieux. L'Histoire naturelle de

quoique en maint passage

Hume

y

la

religion^

justifie l'opinion d(



IIP de



351

d'aimer

ses adversaires qui laccusaient

iix

radoxe,



de tous

est peut-être,

le

travaux de notre

les

auteur, le plus remarquable par l'abondance des faits intéressants, des observations fines ou profondes, des

vues pénétrantes ou hardies talent

de premier ordre pour

Hume

(1).

y révèle un

l'histoire critique, celle

qui exige surtout que l'on raisonne et que l'on dis-

proprement

cute.

Pour

sait,

manquait de certaines qualités.

l'histoire

nation qui invente, non qui anime

la sensibilité

celle qui

les

le

avait l'imagi-

Il

voit

mais dans

;

Hume, on

dite.

vivement écrits

de

et

cri-

tique historique, on peut dire qu'il excelle.

Dans son

Hume

fait

Histoire de

religion

,

comme

ailleurs

de l'existence de Dieu une vérité certaine,

dont aucun

homme

de bon sens ne peut douter. Cette

néanmoins,

croyance,

perception immédiate jours de l'humanité.

comme

la

le

,

n'est

pas, à ses yeux, une

contemporaine des premiers

Il

la

considère,

au contraire,

résultat d'opérations compliquées, dont

est difficile

d'analyser le progrès. Pour lui,

pour nous,

la

sion

perception directe de

il

comme

l'infini est l'illu-

respectable de quelques esprits

profondément

religieux, qui, à force de croire à Dieu, s'imaginent qu'ils le

connaissent immédiatement. Elle est, dans

raison des philosophes, ce qu'est l'extase dans

des illuminés. Cette chimère écartée.

Hume

\J Histoire naturelle de la religion parut

en 1757

(i)

temps que

trois autres traités

sur la Hègledugoùt.

Tome

:

Sur

les

IV, p. 419.

Passions, sur

la

la foi

suit pas

,

en nriômc

la Tragédie,



352



à pas la marche progressive de

la

struction des croyances divines.

Il

raison dans la conétablit

avec force,

avec une grande richesse d'arguments, que théisme a été et a dû être

hommes. Soutenir que un

les

la

hommes

seul Dieu, alors qu'à des

poly-

le

première religion des primitifs ont cru à

époques plus rappro-

chées de nous on les trouve encore en proie aux superstitions polythéistes, ce serait dire « qu'on a con» struit des palais »

avant de bâtir des huttes

et fait

delà géométrie avant de pratiquer l'agriculture (1).

Dira-t-on que les l'instinct qui

hommes

Hume se

cause unique

la

répond à merveille que,

dans cette recherche des causes intelligente naissante

à bon compte, et

de quelques degrés leur ignorance.

ler

âmes,

et

ciel

même l'unité

Il

était

donc

polythéisme régnât d'abord sur

que l'humanité commençante

les

dans

installât

une peuplade de dieux. D'autant plus qu'à

époque

cette

une

et des principes,

satisfait

des peuples enfants de recu-

qu'il suffit à la curiosité

naturel que le

»

ont tout de suite obéi à

nous pousse à chercher

de toutes choses?

le

,

et

;

l'homme, préoccupé avant

de ses

affaires

,

du monde que de

tout

de

lui-

devait être frappé moins de la multiplicité

de ses propres

désirs et de ses propres besoins, de l'agitation de sa

vie, des innombrables hasards qui en

troublaient le

cours. Seule la contemplation scientifique nous l'idée

(1)

de l'ordre, de

Tome IV,

p.

de

la

na-

polythéisme a été

la

pre-

la sérénité universelle

420, sect.

mière religion de l'humanité.

I.

Que

le

donne





353

lure; et l'humanité naissante n'avait pas le loisir s'y livrer. C'est

avec

même pénétration,

la

et

de

avec une

Hume

grande abondance de détails piquants, que

nous expose quelques-unes des conséquences du polythéisme

d'une part, l'intolérance aveugle et cruelle

:

qui frappait un Socrate, qui combattait tout effort pour épurer, pour relever la religion

rance bizarre qui supportait les

plaisanteries

plus

les

d autre part,

;

la tolé-

qui acceptait

les impiétés,

vives dirigées contre les

dieux de FOlympe, qui applaudissait enfin aux comédies d'Aristophane. C'est qu'Aristophane, en peignant les vices

des dieux

avec leurs

ne

,

rituel païen.

que

faisait

dans

traits officiels, et

La psychologie humaine se

le ciel d'alors

représenter

les

la vérité

même du dans

reflétait

avec toutes ses passions, et

l'on voyait

des prêtres ordonner pieusement qu'on représentât plusieurs fois de suite la comédie d'Amphitryon, afin d'être agréable à Jupiter vieilli,

amours C'est

en

lui

rappelant ses

de jeunesse.

et ses succès

avec beaucoup moins de justesse que

Hume

du théisme

para-

analyse les origines

:

ici

l'esprit

doxal reparaît. Quoiqu'il en reconnaisse l'antiquité,

ne veut pas admettre que seurs aient pu, par

les

il

philosophes et les pen-

un élan de

leur raison

ou par un

progrès de réflexion, découvrir d'assez bonne heure le

Dieu unique et

infini.

Il

à sa théorie de l'habitude tes le résultat

une nation

il

recours encore une fois fait

des croyances théis-

d'un instinct machinal qui

siblement développé »

;

a

:

idolâtre,

« Il

peut arriver,

que parmi

s'est

insen-

» dit-il, «

chez

les divinités qu'elle

23



une pour en

» adore, elle en choisisse

Que ce dieu

» d'un culte privilégié. » considéré »

comme

comme

ou

» porte;



354

faire l'objet

particulier soit

protecteur national du

le

pays

maître souverain des cieux, peu im-

le

dans tous les cas, les dévots qui le révèrent

moyens

» s'efforceront, par tous les

possibles, de s'in-

))

sinuer dans sa faveur. Supposant qu'il prend plaisir,

))

comme eux-mêmes,

»

aura pas de louange, quelque exagérée qu'elle

))

qu'ils

ne croient devoir

» les craintes

et les

les

))

grandes

»

ancêtres dans

fidèles

adresser.

lui

A

mesure que

plus

l'homme qui aura dépassé ses

flatteries, et

l'art d'enfler les titres

de

la

divinité

sera lui-même dépassé à son tour par les générations nouvelles, qui

))

des

»

que se comporteront

»

dans leurs prières,

»

Tout sera bien,

épithètes

» avoir voulu

ne manqueront pas d'imaginer

pompeuses encore.

plus

hommes, jusqu'àce qu'enfin,

les ils

s'ils

C'est ainsi

invoquent

l'infini

lui-même

s'en tiennent là, et si,

» simplicité absolue,

ils

»

gence de Dieu

»

ment sur

en détruisant ainsi

lequel puisse être établi

» d'un Etre parfait. Créateur

» et

de

par hasard la

avec

fonde-

un culte raison-

du monde,

les

l'intelli-

le seul

» nable. Tant qu'ils savent se contenter

trent

pour

ne s'exposent pas à tomber

dans d'inexplicables mystères, en niant et

!

plus loin et se représenter une

aller

»

»

n'y

soit,

misères humaines s'accroîtront,

))

»

il

inventeront de nouvelles et de

»

))

à l'éloge et à la flatterie,

de

ils

la

notion

se rencon-

principes de

la

raisoi

vraie philosophie, quoiqu'ils aient été con-

duits à cette conception,

non par

la

raison, maiî





355

»

par l'adulatioa et par les

»

plus vulgaire superstition (1)... »

La métaphysique ne outrée

î

psychologiques de

immédiats

pes

serait

Paradoxe ingénieux,

une part de

tient

et qui,

Hume

flatterie

expliquent, non

les théories les princi-

progrès réfléchis de

les

la

en un sens, con-

De même que

gence, mais seulement

l'intelli-

développement machinal

le

de notre âme; de

même

venons de

peut rendre

citer

donc qu'une

vérité.

ou

de

frayeurs vaines

l'explication bizarre

compte,

que nous de

sinon

la

croyance fondamentale à Dieu, au moins de ce travail

de transformation qui, dans gion,

fait

le sein

même

reli-

passer une divinité inférieure à un rang de

plus en plus élevé, et peu à peu tout à côté

De

d'une

du Dieu suprême

en vient à l'asseoir

!

Hume

toutes les parties de la philosophie de

et

dans l'ensemble de ses ouvrages, ce que nous serions

de préférer

tentés

et

de mettre

ce qu'il a pensé et écrit sur

Sur ce points

il

rante, qui se défie

un peu de

vons pas besoin de redire,

se

foi

à

la

Il

fait.

d'ailleurs, qu'en

Nous

n'a-

maintenant

Hume

intelligent,

contradiction avec ses propres

princi-

n'y a, selon nous, d'autres preuves solides

l'existence de Dieu

que

cipe de causalité, et

(l)

Religion.

métaphysique, mais

un Être suprême, à un Dieu

mettait en

pes.

la

a professé une philosophie sage, tolé-

qui ne voudrait pas la supprimer tout à

sa

de tout

au-dessus

le reste, c'est

Tome

celles qui reposent sur le prin-

Hume

IV, p. 447, 448.

de

nie ce

principe.

Y

eût-il

— d'autres preuves

,

356

elles seraient

tradiction avec le système

de

soleil

— encore plus en con-

de Hume. Quand un rayon

pénètre jusqu'à nous, dans l'obscurité d'une

chambre de tous

côtés fermée au jour, nous

remon-

tons, par induction, jusqu'au soleil d'où part ce rayon.

De même, du fond de

notre

monde

terrestre, la

pen-

sée humaine s'élève, des effets qu'elle contemple, jusqu'à

la

cause qu'elle ne peut saisir directement. Tout

raisonnement de ce genre

est interdit à la philosophie

empirique. Elle ne saurait croire à Dieu que par une pieuse pas

le

inconséquence droit de

;

à plus forte raison, elle n'a

nous parler de

l'infinité,

pouvons nous étonner assez que Hume,

cemment, M.

et

et

,

nous ne plus ré-

Mill, persistent à conserver ces

mots

dans leur vocabulaire. Quand nous parlons de bonté, d'intelligence infinie,

nous n'avons sans

de CCS objets une idée adéquate néanmoins, car

c'est la loi

nous

;

commune de

gence, et nous n'avons pas non plus,

une idée adéquate des choses

le

notre intelliplus souvent,

représente

nous pensons au rivage, nous imaginons vagues, et

pensons

Lorsque, par

finies.

exemple, notre imagination se

doute pas les

les

la

mer,

premières

nous faisons aussitôt une enjambée jusqu'à

l'autre rive.

Il

en est de

même

de

l'idée

de Dieu,

sauf qu'ici nous croyons qu'il n'y a pas d'autre rive, et

que l'immensité de Dieu

n'a pas

de

limites. N'est-il

pas évident qu'une pareille conception dérive raison et qu'elle

est

l'expression

supérieure à l'expérience

d'une

de

la

tendance

?

Mais ne reprochons pas aux empiriques des contra-

— dictions qui tournent

au



357

profit

de leurs croyances^,

qui attestent l'élévation de leurs âmes, en qu'elles rendent

même

un nouveau témoignage de

tude de l'existence de Dieu. Toute s'oppose à l'existence divine piriques y croient encore

î

;

et

la

et

temps

la certi-

logique empirique

cependant,

les

em-

Quelle confirmation meil-

leure pourrions-nous désirer de cette tendance naturelle qui

pousse

les

hommes

à croire à Dieu ?

CHAPITRE

X,

LES PASSIONS.

Hume

n'a pas accordé

aux passions moins

tion qu'aux phénomènes de

pements

qu'il

leur

a

d'atten-

pensée. Les dévelop-

la

réservés dans le Imité de la

Nature humaine sont matériellement presque aussi considérables que les longues et minutieuses études conà l'intelligence

sacrées

qu'ils aient la

même

(1).

valeur et

la

ques pages nous suffiront pour

faut

s'en

Il

même

les

cependant

portée. Quel-

résumer,

et

pour

au milieu de descriptions ingénieuses qui ne

saisir,

dépareraient pas les écrits d'un Labruyère, un essai

de

classification et d'explication des

sibles

oii

5

phénomènes sen-

se retrouve la pénétration de notre auteur,

mais qui ne saurait prétendre à constituer définitive-

ment

la

psychologie des sentiments (%).

La pauvreté relative des réflexions de ce sujet tient d'ailleurs à plusieurs causes

(1)

ron

,

Voir Traité de

tome

II

,

la

Nature humaine,

liv.

II

:

:

Hume

sur

et d'abord,

200 pages envi-

p. 3.

(2) Hume a recueilli lui-même le meilleur de ses pensées dans un cent assez court intitulé Dissertation sur les passions, et publié en 1757 tome IV, p. 189. :

,



I

l'insuffisance

-

359

de sa méthode. Malgré

rapports

les

manifestes de l'organisme et des émotions sensibles

Hume E

se maintient encore

dans

ici

jde l'observation psychologique.

es lumières

i

que

la

Il

les strictes limites

écarte de parti pris

physiologie eût répandues sur ses

echerches; et ce vice de méthode est d'autant plus re-

marquable chez Hume^

le

physique

dont

il

et le

qu'il

avouait lui-même qu'entre

moral existe une étroite dépendance,

n'a pas eu

cependant souci de déterminer

la

nature. Des deux séries d'impressions sensibles qu'il distingue, les unes primitives, les autres secondaires et dérivées,

il

déclare que les premières

))

de causes physiques

))

men de

;

mais

,

«

dépendent

» ajoute-t-il

,

« l'exa-

ces impressions et de leurs causes m'en-

de

mon

dans des études

»

traînerait, trop loin

))

d'anatomie et de philosophie naturelle

sujet

,

(1). »

Et

il

passe outre, laissant de côté ces impressions primiti-

ves et instinctives, dont les principes se cachent dans les

profondeurs de notre être, pour n'étudier que les

impressions

«

de réflexion.

»

Il

est impossible

de vio-

du déterminisme

ler plus

ouvertement

tifique,

qui ne saurait admettre que l'on se restreigne

à l'étude superficielle daires Si

,

les règles

scien-

de quelques phénomènes secon-

sans en scruter l'origine et le point de départ.

Hume

son sujet

,

est resté

en quelque sorte à

ce n'est pas seulement le

gnance habituelle à entrer dans

le

fait

la surface

de

de sa répu-

domaine de

la

physiologie; c'est aussi que, considérant toujours la

(l)

Hume, tome

II

,

p. 4.

— comme

d'association

loi

nes psychologiques, faire

360

unique des phénomè-

la loi

pu, malgré ses

n'a

il

— efforts,

pénétrer bien avant un système d'analyse qui

rend compte tout au plus de l'ordre de développe-

ment des passions, mais qui duction ni

la diversité.

l'intelligence, recèle

La

n'en explique ni

sensibilité,

la

pro-

non moins que

un fonds d'énergies naturelles

et

de principes irréductibles que ne saurait entamer, malgré

en

qu'il

les présenter

l'empirisme excessif qui voudrait

ait,

comme

les

transformations d'un élément

unique. Ces tendances innées et diverses

mieux aimé

les ignorer,

que s'exposer, en

vant, à compromettre sa théorie générale

de méthode

,

trop familier

aux

qui omettent volontiers les

faiseurs

a

les obser-

sophisme

:

de systèmes,

recherches

sentent pour leurs préjugés une

Hume

oii

ils

contradiction

preset

un

échec.

Qu'avec ces procédés incomplets et systématiques

Hume

que d'assez médiocres

n'ait atteint

résultats,

il

n'y a pas lieu de s'en étonner, particulièrement dans

une question aussi compliquée n'est pas le seul, la

parmi

les

et

aussi délicate.

Il

philosophes, chez lequel

psychologie des sentiments soit notablement infé-

rieure à la psychologie des idées.

contemporaine

humain

,

,

si

fière

de ses analyses de

avoue modestement elle-même

longtemps encore

tre tous les

est

il

en sera

le

plus complexe.

la sensibi-

ainsi. C'est qu'en-

phénomènes psychologiques,

de beaucoup

l'esprit

qu'elle n'est

pas arrivée à se satisfaire dans l'étude de lité; et

anglaise

L'école

le

Toute

sentiment la

nature

— humaine, physique



361

morale, concourt à

et

pro-

le

duire.

Toutes les facultés de l'âme conspirent à en

former

les

en

éléments. L'amitié, l'amour, que sont-ils,

sinon un ensemble de phénomènes, parmi

effet,

compter

faut

outre

lesquels

il

cause

la

présence de l'objet aimé

série

d'idées joyeuses

,

même

cette

pensée? Et

quel qu'il soit, la ,

que suggère

les volontés

et

la

qu'excite

plaisir, qui est l'élément

si le

de ce tout complexe

essentiel

,

ou tendres

pensée de ce qu'on aime,

que

plaisir spécial

le

et

hétérogène

,

se tra-

duit dans l'intelligence, selon son caractère propre,

par

tel

ou

mouvement

tel

d'idées, l'intelligence, à

son tour, par ses conceptions, réagit en mille façons sur les

le plaisir primitif, et

nuances

si

ner, par suite

variées

du sentiment. Comment

qu'il soit difficile

,

ment d'analyser des physiques, un

contribue à multiplier encore

si

s'éton-

de classer ou seule-

où, sans parler des causes

faits

grand nombre d'éléments moraux se

mêlent et s'entrecroisent? Combien sont plus simples les

phénomènes

même un effet,

raisonnement!

même

faits,

nature

idée,

un jugement,

raisonner suppose,

Si

une succession de

sont tous de

une

intellectuels,

:

ces faits,

c'est

simple dont toutes les molécules

en

du moins,

comme un

corps

sont semblables.

Aimer, au contraire, ou haïr, comprennent une série d'états

intellectuels,

affectifs,

volontaires,

qui,

agissant et réagissant les uns sur les autres, produisent

une

infinité

fier et

Mais

d'émotions

,

que viennent encore modi-

varier les causes physiologiques. c'est assez insister

sur les difficultés du sujet.



362



Voyons maintenant jusqu'à quel point Hume

les

a

résolues Il

s'occupe d'abord de classer les

phénomènes

qu'il

essaiera ensuite d'analyser. L'âme^ pour lui, se réduit,

on s'en souvient, à des impressions

des idées. Les

et à

idées constituent ce que la philosophie du sens

mun

appelle les facultés intellectuelles.

Quant aux

impressions, elles se divisent en deux classes impressions de sensation

,

a

qui

com1° les

:

se développent dans

»

l'âme sous l'influence de l'organisation physique,

»

par

»

des organes des sens aux objets extérieurs

l'effet

des esprits animaux, ou par l'application

impressions de réflexion

des

la

distinction classique des

sentiments

les

:

proviennent immédiatement du corps qui supposent pression

comme

» %^ les

issues des impressions primi-

,

peu près

C'est à

tives.

sensations et

;

premières, qui ;

autres,

les

antécédent nécessaire une im-

antérieure, ou une représentation intellec-

tuelle.

De

ces

deux catégories d'impressions. Hume, comme

nous l'avons déjà dit, néglige complètement mière

;

et nulle part ne se montre

la

pre-

mieux l'impuissance

d'un système qui, arbitrairement, arrête et interrompt



il

l'enchaînement des phénomènes, et

plaît

lui

coupe cours tout d'un coup à l'explication des élémentaires de l'âme

:

« Il est

certain, » dit-il, «

dans ses perceptions

doit

faits

que

commencer

»

l'esprit

»

quelque part

»

toujours les idéqs qui leur correspondent,

))

avoir quelques iàipressions qui font leur apparition

,

;

et

puisque

les

,

impressions précèdent il

doit

y



363



dans l'âme sans aucun antécédent (1).

»

^^^vent moqué des

spiritualistes qui

,

»

On

s'est

à bout d'expli-

^ffions, invoquent, pour rendre compte des phénones,

comme un Deus

trgie

secrète

ex machina

à laquelle

,

,

une

attribuent tout ce qu'il

ils

leur a été impossible

de déterminer dans

mais, sans rentrer

dans

que

rer

les

ici

le

une

force,

débat,

les

faits

;

ne considé-

et à

apparences, ne voit-on pas combien est

Hume

plus étrange le procédé de

,

qui admet

au

,

début des phénomènes psychologiques, un commen-

cement inexpliqué, une sorte de création ex nihilo? Les impressions dérivées ou de réflexion sont donc les

seules que

Hume

mine toute une

étudie. Mais

ici

encore,

il

classe de sentiments. Les impressions

dérivées, en effet, sont ou calmes ou violentes.

première forme

Hume

passions proprement dites (3)

(l)

Hume tome

(-2)

Voir, plus loin, cliap. XIII.

(3)

Rcid critique avec raison l'abus que

,

II

passion. «Il l'applique vol.

,

p.

:

et ce

haine,

p. 4.

,

,

» dit-il, «

La volonté

94.

qu'une passion

la

les

l'orgueil et l'humilité. Et enfin,

la tristesse et la joie,

6"

l'amour et

:

:

idées sur ce

seconde catégorie se rangent

la

la

dans quelques

faut chercher ses

Essais détachés, qu'il

Dans

ailleurs,

c'est

;

A

du beau

appartient le sentiment

n'en parle pas

sujet (%).

éli-

que

,

en

Hume

a

fait

du mot

k tous les principes d'action, » effet

,

pour

Hume

,

n'est guère

les moralistes appellent la raison (dans

son sens pratique) n'est encore que l'ensemble de nos passions les plus calmes.

théories de tés actives.

Reid n'a

Hume

d'ailleurs accordé

aucune attention aux

sur les passions. Voir l'Essai III sur les Facul-



^



364

ces passions elles-mêmes, les plus violentes de nos

émotions,

sont tantôt directes,

tantôt

Les

indirectes.

unes dérivent immédiatement du bien et du mal, du

ou de

plaisir

peine. « Ce sont le désir, laversion,

la

»

la tristesse, la

»

espoir, la sécurité. »

joindre

joie, l'espérance,

volonté (1).

la

A «

mes

»

qualités, » c'est-à-dire qu'elles

principes, mais paf

sont:

mal

le

,

l'adjonction de nouvelles

))

l'amour,

»

malveillance. »

dans

conçue,

tesse.

la

comme

la

intellectuelle,

(1)

simile

C'est dans la 3® partie

que

Hume

pas

comme un

même,

immédiat du

même

plaisir et

de

renferme

est tout à la

livre II (of the will

complètement aux passions efifet

même temps

probabilité que le

s'explique sur la volonté.

directes sont dans le »

du

la jus-

'passions

les

sensibilité, la

bien désiré arrivera. L'amour, de

sions)

admettre

l'espérance, nous

L'espérance, en

une émotion de

une conception

Hume

que

telle

compliquées que

aussi

comme l'amour.

qu'elle est

vanité,

la

soit cette dernière dis-

est assez difficile d'en

il

tout

indirectes,

l'ambition,

théorie des passions

Les passions directes,

paraissent

le

haine, la pitié, l'envie, la générosité, la

la

Quelque fondamentale que

l'a

ont pour principe

mais indirectement. Et ces passions

«l'orgueil, l'humilité,

tinction,

dés-

Les autres dérivent des mê-

»

bien et

la crainte, le

énumération on peut

cette

A

:

la

and

direct pas-

vrai dire,

mais

il

il

ne

l'as-

considère

la

peine et les passions ;

cas. Il la définit d'ailleurs

:

«

L'im-

pression intérieure que nous sentons et dont nous avons con-

donnons sciemment naissance à un nou-

»

science, lorsque nous

»

veau mouvement de notre corps

»

de notre esprit.

»

Tome

,

ou à une nouvelle perception

II, p. 148.

I

de

fois l'idée

365

-

personne aimée,

la

la

représentation des

mouve-

qualités pcoir lesquelles nous l'aimons, et le

ment de cœur qui en

est la suite.

Sous ce rapport

donc, au point de vue du degré de complexité dans le

on ne voit pas en quoi diffèrent l'une

sentiment,

de l'autre par

deux catégories de passions distinguées

les

Hume. Bien

plus,

y a quelque différence,

s'il

si

quelques-unes de nos émotions paraissent plus complexes que les autres, ce sont précisément celles que

Hume effet,

appelle passions directes.

que

la tristesse et la joie,

et le désespoir,

l'amour

A

et la

sont

en

ou encore l'espérance

des passions plus simples que

défaut de valeur réelle,

la

Hume

division de

a

Le bien

précis dans son système.

mal, qui sont les principes de toute passion, peu-

vent être considérés de diverses manières:

en eux-mêmes, directes

certain

;

la crainte,

gueil

l'idée

1

;

;

le désir, l'aver-

l'idée

d'un bien ou

non

la

les per-

autres.

:

l'or-

simple considération du bien,

des qualités que nous possédons

même

fondé de

abord

d'un mal incertain

et alors naissent les passions indirectes

;

par les

passions

les

— ou bien dans leur rapport avec

;

qu'excite,

,

mais

se produisent

supposent simplement

d'un mal

sonnes

et alors

— ou bien

l'espérance, qui est le résultat d'un bien in-

:

sion, qui

près

croire,

haine, dont elles sont les effets ?

du moins un sens et le

Comment

;

l'amour,

sur la notion des qualités possédées Distinction

séduisante

au premier

mais combien précaire, Car

qu'il soit,

il

n'y a pas

qui

si l'on y regarde de de sentiment, quelque simple

n'implique

un rapport entre

l'objet

— 366 — aimé

nous-mêmes. Le bien en

et

soi, le

mal en soi,

sont des mots vides de sens, des absolus imaginaires,

quand

il

de

s'agit

sensibilité, oii tout est relatif. L'es-

pérance, par exemple, pourrait-elle s'expliquer,

bien

incertain

si

entrevoit était considéré

qu'elle

le

en

dehors de tout rapport avec nous-mêmes ou avec

ceux que nous aimons

Hume

?

a donc échoué dans sa tentative de

cation des phénomènes

classifi-

sensibles. Véritablement, cette

encore possible qu'au point de vue

classification n'est

objectif, c'est-à-dire par la détermination des catégories

que nos inclinations

d'objets

poursuivent.

Au

point de vue subjectif, trop d'obscurités entravent en-

core

la

marche du philosophe, pour

qu'il soit possible

d'espérer un résultat solide et définitif. Si l'on consi-

dère l'origine des phénomènes sensibles, on rencontre aussitôt les difficultés

de l'âme

que soulèvent

du corps. Sans doute, on

et

distinguer le sentiment de la sensation

exemple, que sort

de

l'idée,

aussitôt,

;

rapports

a le droit de

de dire, par

sentiment est une émotion morale qui

pour

replonger et s'y perdre presque

s'y

jetée qu'elle

l'objet senti

plaisir

le

les

et la suite

développe

;

est

entre la

conception

de pensées agréables que

tandis que

la

de e l

sensation est un

émotion physique, qui, issue d'un mouvement organique, produit aussitôt d'autres

ques. Mais cependant, sensation, n'est

ni

\

mouvements organi

l'âme n'est absente de

pour grossière qu'elle soit,

ni

le

la

corps

absolument étranger au sentiment, à quelque

degré de raffinement

qu'il s'élève.

Et

si, laissant

de





367

question d'origine, on considère

la

isèque des phénomènes sensibles,

la

nature in-

difficulté

la

classer apparaît plus grande encore.

Il

de

ne sert de

n de dire, en effet, qu'ils sont tous des modifica-

tions d'un

même

qui se retrouve

comme élément

essentiel

au fond de tout sentiment,

et qui est l'im-

fait,

pression de plaisir ou de peine. La métaphysique peut

avoir

raison

d'avancer que

persévérer dans et

que

l'être est le

même

développement de

moins vrai que cette

une multitude

l'être

à

principe de la sensibilité;

accompagne toute extension de notre

le plaisir

existence, de la tout

tendance de

la

façon que la conscience suit

pensée. Mais

la

il

unique domine

loi

de phénomènes

n'en est pas

et

comprend

que, combiné avec

;

d'autres éléments, placé dans des conditions diverses, le plaisir primitif se

un très-grand s'agirait

transforme, de façon à produire

nombre d'émotions

distinctes

qu'il

,

précisément de distribuer en catégories.

Mais une pareille classification supposerait achevée des phénomènes

l'analyse

Hume,

aperçus remarquables.

meuré bien en deçà du

ici

cœur de

vérifier l'exactitude

semblables chaîne

,

,

Hume

est

de-

s'associent;

a eu surtout

de quelques

peuvent se résumer ainsi

rales, qui

encore,

but.

Dans son analyse des passions à

Or, malgré des

affectifs.

elles

:

1^

forment

lois

géné-

Les passions

comme une

dont on ne peut remuer un anneau sans que

les autres

ne s'ébranlent.

«

Le chagrin que nous cause

))

un dessein manqué produit

»

traîne l'envie à sa suite; l'envie fait naître la haine,

la

colère;

la

colère

— » et

haine reproduit

la

— De même, une

chagrin.

le

change naturellement en amour,

» joie excessive se

en générosité, en

»

368

courage,

deux

2^ Lorsqu'il y a entre

en

objets

orgueil

»

(1).

ou deux idées un

rapport (de contiguïté, de causalité ou de ressemblance), les passions qui dérivent de chacun de ce

un

objets, quoiqu'elles ne se ressemblent pas, ont

tendance à s'associer, mêler,

soit

que (2). En

en se succédant sans

soit

s

en se fondant dans une passion uni d'autres termes

,

ce qui détermine

la

pro

duction des sentiments, c'est, ou bien l'associatio

émotions

directe des

,

d'après le

rapport

seul

qu

puisse exister entre elles, le rapport de ressemblance

ou bien

1

association des idées qui donnent naissanc


qu'enfin, toute trace de joie effacée, elle se trans-

»

forme

»

lange (1)...

la

probabilité

crainte

parce que bable;

du mal,

et

Augmentez en-

par suite

la peine, et

dominera de plus en plus, jusqu'à ce

une

en

le

la teindre sensi-

la crainte.

»

douleur

Un peu

complète

plus de

et

sans

peine que de joie,

mal redouté, quoique incertain,

voilà

donc

la définition

crainte n'est pas seulement

mé-

de

la

est pro-

crainte.

Et

la

un mot, imaginé pour dé-

signer une succession d'états de tristesse en plus grand

nombre, entrecoupée de quelques moments joyeux, en présence du mal qui menace: Non,

la

crainte est

bien un sentiment particulier, spécial, composé de sentiments élémentaires, qui se sont mêlés et confondus jusqu'à former

(l)

Tome

un tout

distinct et

nouveau. Les

II, p. 199.

24

lois

de

— qu

Fassociation veulent

que

les



370

il

sentiments simples

en ,

soit ainsi toutes les fois

qui entrent dans

la

com-

position d'un sentiment complexe, ont pour principe

même

un

objet, considéré successivement sous différents

aspects. Lorsque la joie et la tristesse, se succédant

dans l'âme, ont, au contraire

un

objet différent,

cient.

,

pour cause

homme

n'est pas possible qu'elles s'asso-

il

et tristesse les

de

affligé

naissance d'un

la

chacune

Le rapport des idées peut seul servir de fonde-

ment à une combinaison de passions un

,

,

différentes. Ainsi

perte d'un procès, et réjoui de

la

ressentira successivement joie

fils,

sans que ces deux émotions s'unissent,

événements qui

les excitent n'ayant entre

eux au-

cun rapport. Mais un père, qui prévoit que son va mourir, considérant tour à tour de

et la possibilité

guérison

la

,

gravité

la

fils

du mal

verra sa douleur tra-

versée de quelques lueurs de joie; et ces deux séries d'impressions, ayant pour origine

cette analyse

intéressantes.

bien ou

nos espérances tions

soit la ,

était

il

fait

s'il

en général

,

la probabilité

du

source de nos craintes ou de

remarquer que ces deux émo-

exemple, un mal qui

n'est

est terrible, excite la crainte, tout

probable

:

ici la

défaut de probabilité.

un

,

peuvent naître dans des circonstances un peu

différentes. Par ble,

:

Quoique

du mal

cause, se

même effet la crainte. Hume a joint quelques observations

confondront dans un

A

même

la

mal impossible

doute, mais au

que possi-

comme

grandeur du mal compense

Hume

va jusqu'à dire que

peut inspirer

moment où nous

le

la

s'il

le

même

peur. Oui sans

craignons, notre



-

371

imagination frappée nous le représente comme possible,

quoique notre raison nous dise

remarque, la

ne

qu'il

pas. Autre

qu'un mal qui est certain, mais dont

c'est

nature est inconnue, produit non

la

douleur, mais

par exemple, l'émotion d'une mère qui

la crainte;

apprend qu'elle a perdu son

comment

l'est

il

A

est mort.

Hume

langage que

fils

,

vrai dire

,

conserve

ici

mais qui ignore c'est

le

mot de

L'émotion qu'une mère éprouverait en

ressembler à

la crainte

:

crainte.

pareil cas peut

tous les sentiments agités et

désordonnés se ressemblent peler de ce

par abus de

;

nom. Hume n'en

mais a pas

ne saurait

elle

s'ap-

moins raison d'ob-

server que les émotions qui dépendent de quelque incertitude d'esprit ont toutes quelque rapport avec la

peur, et d'expliquer ainsi que l'apparition d'un objet

nouveau,

le spectacle

éveillant dans l'âme

d'une œuvre d'art inconnue,

une certaine agitation d'impres-

sions qui l'empêche de se fixer, produise

ment de surprise

,

d'admiration

,

un

senti-

assez rapproché de

la crainte.

Sans le

aller plus loin,

il

est déjà possible d'apprécier

système d'explication auquel

sions. Rien n'est plus juste

rance et

Hume

la

crainte

expose

ici

comme

Hume soumet

que de considérer

les pas-

l'espé-

des passions composées.

des vues qui ont été reprises par

nos contemporains, et en particulier par un éminent physiologiste,

(1)

p.

Gratiolet (1). C'est aussi avec raison

Gratiolet, cité par

116), subdivise

les

M. Laugel (voir

les

Problèmes de l'âme

passions en homogènes et hétérogènes.

,

Il

— qu'il

372



des relations d'idées

fait

le

taines associations de sentiments.

fondement de cera compris que

Il

sensibilité reposait sur l'intelligence.

la

Pourquoi notre

amour-propre, sortant de lui-même, se répand-il sur toutes les choses qui nous appartiennent, sinon parce

que

a saisi un rapport entre

l'esprit

nous-mêmes

et

que nous possédons? Pourquoi notre amitié

les objets

se communique-t-elle

de proche en proche à tous

ceux qui touchent de près à nos amis, sinon parce

que

a saisi de

l'esprit

entrevu

même

une vérité qui

ici

cette relation ?

fera

un jour

théorie définitive de la sensibilité

;

l'association des sentiments a cette

sur

la

Hume

a

partie de la

et sa doctrine

de

grande supériorité

doctrine de l'association des idées, qu'on sait

au moins pourquoi

un antécédent produit.

les

sentiments s'associent.

existe et supporte le

phénomène qui

se

Les relations des idées, au contraire, ne

sont guère, à ses yeux, que

Par suite ^ la liaison

Ici

est vrai, le

il

l'effet

de

la

coutume.

fondement sur lequel repose

des sentiments est précaire lui-même,

cette liaison participe à

son principe

;

mais, enfin, dans

portait son système,

miner, par

et

ce qu'il y a de fortuit dans

Hume

a

la

fait

mesure que comeffort

des conditions précises,

la

pour déterproduction

de nos passions complexes. Ce

compte

qu'il faut

la

peur

lui

reprocher,

et la confiance

parmi

c'est

les

de prendre

la

passions homogènes.

L'orgueil et rhmnilité font aussi partie des trente-deux passions

de cette espèce.

comme

crainte^

373



l'espérance, pour

pour un composé

distinct

,

et

nouveau,

tout

série

unité dans l'âme

d'états divers qui retrouvent leur

leur source

un

non pour une

commune. Son système

lui

,

imposait en-

core cette conséquence de ne voir dans la conscience,

fondamentale étant détruite, que des atomes

l'identité

indivisibles,

ou des composés indépendants

en quelque sorte. Les passions

comme

,

et isolés

les autres

phénomènes de l'âme, nous paraissent inexplicables, si

n'admet pas l'existence d'une force unique

l'on

capable de se modifier en mille manières.

Que sup-

pose, par exemple, l'espérance? L'intelligence y joue le principal rôle. L'espérance est une imagination vive

du

plaisir

connu, une représentation animée de

jet

aimé

accompagnée de

,

cette

l'ob-

croyance que nous

posséderons de nouveau cet objet, que notre plaisir se renouvellera

;

et notre nature est ainsi faite

que ces

imaginations sont suivies d'une certaine émotion et d'un

commencement de

plaisir.

Tous ces phénomè-

nes, liés ensemble pour se confondre dans un senti-

ment commun que

le

langage désigne par un seul

mot, n'exigent-ils pas une âme vivante, passant par différents états ? S'ils

ne sont que des moments sépa-

rés de notre conscience,

où se

refait

donc,

oii

Hume ne saurait le dire. de Hume font encore mieux

se

reconstitue leur unité ?

Les

analyses ingénieuses

res-

sortir

la

nécessité

d'un

principe

substantiel,

dans

lequel s'accomplisse la synthèse des parties qu'il dis-

tingue lui-même dans l'âme.

Mais revenons à

la

théorie de notre

auteur. La





374

crainte et l'espérance sont les seules passions directes

d'analyser

ait tenté

qu'il

rattache les autres à la

il

:

constitution naturelle de l'esprit. Ce sont les passions

de soumettre à un

indirectes surtout qu'il a essayé

mécanisme régulier

mécanisme dont

,

nées que

les lois

pour-

les lois

aussi exactement détermi-

raient être, d'après lui,

de l'optique ou de

la

mécanique. Les

passions se réduisent à deux couples d'affections originelles et contraires, d'où dérivent

bre de passions secondaires milité (pride

and humility)

En

être assez mal choisis.

d'une part, l'autre,

toutes

la

nom-

haine {love

a adoptés sont

réalité,

affections

les

certain

l'amour et

^

Hume

andhatred). Les mots que

un

ce sont l'orgueil et l'hu-

:

il

peut-

veut désigner,

personnelles

;

de

bienveillantes. Sa divi-

toutes les affections

sion est celle qu'acceptent encore les positivistes

mo-

dernes (Auguste Comte, par exemple), qui distinguent

deux

classes de passions

l'égoïsme et l'altruisme.

:

Analysons d'abord l'orgueil, ou plutôt,

l'orgueil

étant une passion simple, les conditions qui le pré-

cèdent et

guer

le

produisent (1).

l'objet et

la

cause de

l'orgueil, c'est la qualité

choses se passent

agit d'abord plaisir

(1)

;

:

la

elle excite

distinct

faut, dit

Hume,

la passion.

distin-

La cause de

dont nous nous enorgueil-

nous-mêmes. Or,

lissons; l'objet, c'est les

II

cause

,

voici

comment

c'est-à dire la qualité,

une impression agréable, un

et indépendant;

puis

une

relation

The passion of pricle and humility helng simple and uniform

impression.

..

Tome

II, p. 5.

I— 'idées se présente

(

-

375

la qualité

;

d'une façon ou d'une

,

autre, se rapporte à nous; notre imagination passe

insi

de

l'idée

de

la qualité

détourne pour ainsi dire sur nous

t

l'effet

pression agréable qui a été produite.

même

de l'amour

:

même,

à l'idée de nous

de

en

Il

l'im-

est

de

encore une qualité produit une

ici

impression de plaisir; cette qualité se rapporte à une autre personne; l'imagination, par suite de cette re-

personne,

lation d'idées, se porte sur cette

mouvements

traîne dans ses

En

en-

et elle

elle-même.

la sensibilité

d'autres termes, les différentes qualités qui peu-

vent exciter, soit l'orgueil, soit l'amour (et ces qualités sont les

mêmes), sont

vertus

les

les talents

,

tout ce qui compose le mérite personnel la

richesse, la

renommée,

core. Ces qualités excitent

direct, indépendant;

remarquons que à

une

et

beauté

avantages en-

et d'autres

immédiatement un

fois

la qualité

la

,

,

plaisir

ce plaisir produit, nous

doù

il

émane

nous-mêmes ou aux autres; dans

nous éprouvons de l'orgueil,

le

dans

le

se rapporte

premier cas,

second

de

l'amour. Le plaisir resterait, pour ainsi dire, suspendu

dans

le

vide

si

ne

l'association des idées

le

nous ou sur autrui. La relation qui rattache à

nous-même ou aux autres peut

relation de contiguïté, Il

être

,

dans un système

considérée

sur

la qualité

d'ailleurs

,

une

de ressemblance ou de causalité.

ne peut être question de possession

réelle

fixait

comme une

oii le

moi

,

,

oii la

de propriété personne est

chimère. Les qualités que nous

appelons nôtres ne sont, en définitive, que des qualités

qui se rapportent à nous, selon l'un ou l'autre





376

des trois principes d'association. Bien entendu la relation est étroite,

Pour

et

causes de l'orgueil

montre

il

qu'elles ont

,

Hume

(1).

La vertu, de quelque

façon qu'on l'entende, répond,

thèse

:

Hume), ou

l'essence (ce qui est l'opinion de

moins reconnaît-on que cause de

la

vertu

sais quoi qui plaît?

soit

sir n'est il

pas seulement

en est

par

un la

si

l'effet

l'orgueil et l'amour,

conséquence de

le plaisir,

l'in-

les

la

beauté,

Hume,

passant

causes qui engendrent

un

prouver que

plaisir particulier, plaisir

qui, interposé entre deux idées, qui cause

par

de notre organisa-

n'a pas de peine à

toutes excitent en nous

soit

plaisir à l'âme, et ce plai-

longuement en revue toutes

lité

ce n'est un je ne

véritable essence (2). Et

la

au

n'est pas la

s'il

La beauté, de même,

tion naturelle, procure

tout

inséparable. L'esprit

l'effet

les définir,

mode,

fluence de la

plaisir,

le

en est

,

Vhumour, comment

mon hypocomme

à

dit-il,

en est considéré

plaisir

le

passe en revue

toutes celles de l'amour,

pour caractère d'être toutes

immédiatement agréables

ou bien

plus

plus la passion sera vive.

justifier ces assertions,

toutes les

,

de

l'idée

quelle se rapporte cette qualité

,

l'idée la

de

la

qua-

personne à

la-

constitue ou l'orgueil

ou l'amour. Telle est la décomposition arbitraire et artificielle

selon

nous

,

que

Hume

a cru devoir appliquer

sentiments égoïstes et bienveillants qui sont

(1)

Tome

(2)

Ibid.

II, p. ,

26 à 65 pour l'orgueil

p. 31.

;

p.

le

aux fond

66 à 145 pour l'amour.



ft

e

la



nature humaine. Avec une abondance qui prouve

qu'il attachait

beaucoup d'importance à sa théorie

arguments

multiplie les

d une multitude de

dans

377

le

et

les

faits qu'il

exemples.

,

il

s'empare

11

explique ingénieusement

sens de son système.

apparence au moins, à toutes

en

s'astreint enfin,

Il

de

les lenteurs

la

mé-

thode expérimentale.

Au premier abord on a quelque envie de penser que Hume met beaucoup trop de temps à prouver ces ,

vérités banales

mable dans

la

:

que Famour suppose une qualité

personne que nous aimons,

ai-

l'orgueil

des qualités agréables en nous mêmes. Ce serait mal apprécier

une théorie incontestablement originale,

et qui est

remarquable tout au moins par sa simpli-

cité

systématique.

Elle et

n'est,

d'ailleurs,

qu'une

forme particulière

une application aux passions de

rale

de Hume, un

effort

la

doctrine géné-

pour expliquer, par

vements de l'imagination,

les

considère en général, ou bien facultés innées et irréductibles,

d'une réflexion gouvernée par

les

mou-

phénomènes que

comme ou bien la

le

l'on

résultat

de

comme l'effet Hume s'est

raison.

attaché lui-même à faire ressortir cette ressemblance et ce rapport

:

«

Pour confirmer

mon hypothèse, nous

»

pouvons

»

relativement aux jugements qui se fondent sur la

la

comparer à

celle

que

j'ai

déjà exposée

»

causalité.

Dans

))

a toujours

une impression présente

))

et

»

cause). L'impression présente suscite dans l'imagi-

une idée qui

tout

jugement de

cette espèce, (le fait

il

y

observé),

est relative à cette impression (la

— mouvement

378



»

nation un

»

entre l'idée et l'impression

»

de l'impression à

))

l'attention

»

tentiôn resterait toujours sur le

»

s'arrêterait là (i). »

l'idée.

De même, dans agréable, et

qualité et logie, prit

fait

passer cette vivacité

Sans l'impression actuelle,

ne serait pas fixée; sans

le rapport, l'at-

même

objet, et tout

sentiment de l'orgueil,

le

une impression présente lité

vif, et la relation qui existe

,

le plaisir

que cause

il

la

y a qua-

y a aussi un rapport entre cette

il

nous-mêmes.

Hume

triomphe de cette ana-

qui ne prouve cependant qu'une chose

:

l'es-

systématique de notre auteur.

L'association peut

,

sans doute, expliquer quelques-

uns de nos sentiments dérivés

;

mais

nous paraît

il

impossible qu'elle rende compte d'affections aussi fon-

damentales que l'amour de nous-même, ou l'amour des autres.

Hume,

qui accorde, lui aussi, qu'il y a

des impressions primitives qui dérivent de et qu'il serait



la

nature

chimérique de vouloir analyser, aurait

faire place,

parmi

elles, à l'amour, à l'orgueil,

pour mieux dire, à l'amour de

soi. «

A

ou,

moins que

la

))

nature n'ait donné à l'âme des qualités originelles

))

il

»

ne saurait y en avoir de secondaires car, si les premiers principes de toute activité manquaient, ;

ne pourrait jamais, de lui-même, se mettre

»

l'esprit

»

en mouvement

(21).

»

Or, quoi de plus primitif que

l'amour qui attache un être à lui-même et aux êtres

(1)

Tome

(2)

Ibid.

,

II, p. 20. p. 9.

I





379

que Hume ne voit dans

qui lui ressemblent? Je sais bien le

comme dans

moi,

tités fictives,

ne saurait,

produit

les autres artificiel

personnes, que des en-

de l'imagination;

conséquent, se faire un scrupule

par

de fonder encore sur l'imagination

les affections qui se

rapportent à des êtres imaginaires. Mais,

du système de

et qu'il

Hume

pour rentrer dans

l'on sort

si

la réalité

ne

,

voit-on pas qu'il est impossible de rendre compte de toutes les formes

de l'amour de

une

autres sans admettre

soi

ou de l'amour des

produit

,

fois

nous avons con-

et

quand nous avons éprouvé

science de cet amour,

plusieurs fois le plaisir qui

accompagne

ment de nos

le plaisir

pas,

terait

une

plaisir,

avive sans doute et précise nos inclinations.

Nous nous aimons davantage,

à telle

une

inclination naturelle,

tendance innée vers ces objets? Le

ou

Mais

facultés.

s'il

Le

développe-

lui-même n'exis-

une force prédestinée

n'y avait en nous

telle activité.

le

plaisir

dont

Hume

fait le

principe de l'inclination n'en est, au contraire, que la

conséquence

et le signe.

Malgré ses efforts.

bien obligé de reconnaître ductibles

,

le plaisir

comme phénomènes

qualités

pas allé un peu plus loin

reconnu

l'innéité

de

Pourquoi? parce que

contraires.

Hume

irré-

;

pourquoi

l'affection, le plaisir est

Pourquoi n'a-t-il

un

fait, et le ;

scep-

l'affec-

au contraire, suppose une force, une faculté ne veut pas d'une théorie qui exigerait des

cultés et des forces.

pas

source du plaisir?

ticisme ne peut contester l'existence des faits tion,

est

qui naît de certaines qualités, la

peine qui dérive des n'est-il

,

Hume

;

et fa-

— Les tion

sont

faits, d'ailleurs,



380

eux-mêmes en

contradic-

avec son hypothèse. Combien de qualités agréa-

bles chez les autres, qui ne nous inspirent pas d'amour

pour eux il

î

Un homme

est passionné

entend chaque jour un

art

,

artiste

,

pour

il

;

distingué dans son

méprisable dans sa vie? L'aime-t-il?

plutôt, mais

musique

la

Il

méprise

le

ne jouit pas moins délicieusement des

impressions esthétiques que Tartiste D'après les principes de

Hume,

éprouver.

lui fait

la qualité étant aussi

agréable que possible, et ayant d'ailleurs un rapport

avec

très-étroit

musicien qui

le

possède

la

l'amour

,

devrait s'ensuivre. Et cependant l'auditeur continue à

aimer

l'art,

c'est qu'ici

à côté de la qualité agréable

,

odieuse qui

qualité

mouvement et

sans aimer lartiste. Mais, dira

Hume, y a une

détourne l'imagination de son

primitif. Soit,

supposons que

il

,

l'artiste,

mais modifions l'hypothèse, par lui-même, par sa vie

privée, ne nous inspire aucune aversion. L'aimerons-

nous par cela seul

Evidemment non;

qu'il

nous plaira par ses talents

rien ne nous

y

force.

Le plus sou-

vent nous resterons indifférents pour lui, passionnés que nous soyons pour son théorie de

Hume

était vraie

,

si

notre

terminé par l'impulsion mécanique faudrait le cas

que

oii

l'occasion,

art.

amour

quelque Or,

le

non

était déil

Dans

produirait, d'ailleurs, n'est-il pas

talent la

si la

qu'il a décrite,

l'affection se produisît fatalement.

elle se

évident que

?

du musicien

serait

seulement

cause de notre amour? Les qualités

agréables que nous rencontrons chez les autres appellent,

en

effet,

sur

ceux qui

les

possèdent

les

p

— mais

ne créent pas

élans

de notre affection

elles

n'engendrent pas une puissance

existe naturellement diriger le cours

;

elles

en nous. Elles ne peuvent qu'en

en particulariser

,

d'aimer qui

mouvement dans

le

an sens ou dans un autre.

Ce

pas une des moindres singularités de la

n'est

philosophie de

phénomènes jectives

de

Hume, que

intellectuels

par contre à réduire

mouvements d'imagination,

sentiments à des Jire à

à faire des

de pures impressions sub-

sensibilité, et

la

sa tendance

les

c'est-à-

des phénomènes intellectuels. Ces phénomènes

llectuels d'ailleurs,

ne l'oublions pas, n'expriment

ucune façon des rapports

réels

objectifs

et

:

e consistent qu'en associations fortuites et superles.

De

sorte que,

comme

Hume

le dit

sentiments ne sont qu'un jeu de

lui-même,

nature. « Je

la

de contradiction à ce que

nature

»)

ne vois pas

»)

eût uni à l'amour un désir de malveillance

»

l'objet

moment

de cet amour.

»

Nos

affections sont

réglées d'une certaine manière

pourraient l'être

la

tout autrement.

A

,

relatif

dans

la

sensibilité

humaine

,

pas. Dépendrait-il,

néanmoins, de

lance ces

pour

la

le

comportent

volonté de la

la

,

lopper? Sans doute, le

de

tout

des

bienveil-

personne qui donne à ces instincts

inclinations l'occasion

ne

ni vouloir cher-

éprouvât autre chose que de

la

il

y a de

nature, de faire qu'un être qui a des instincts inclinations,

le

elles

coup sûr,

dans des choses qui ne

cher l'absolu

pour

mais

pas hésiter à reconnaître tout ce qu'il

faut

pour

et à

s'éveiller et

de se déve-

de l'homme

est relatif;

— mais une



nature humaine et ses conditions

la

fois

382

données, tout ce qui en dépend est, en un sens, né-

nous ménager d'autres amours;

cessaire. Dieu pouvait

mais pouvait-il

faire

que l'amour ne

pas uni au

fût

plaisir ?

La réponse

quand on prend

n'est pas douteuse,

moi pour une

pour des

réalité, et

du moi. Mais

objets sur lesquels se porte l'affection

dans

monde

le

Hume,

il

imaginaire, où se

en est tout autrement

meut

pensée de

la

Hume

;

le

réalités aussi les

qui a nié

le

caractère raisonnable des actes de la pensée ne saurait être tenté sibilité.

qui

fait

de

le rétablir

pour

les actes

la se

Voici une explication, empruntée à ses

bien comprendre

le

même

de ce que

la

famille à

laquelle

écriti tr

sens et la portée de sa

Théorie des Passions, Pourquoi, dit-il

,

s'enorgueillit-on

propriété a été transmise dans

fils

,

par une succession ininte

I

Le bon sens répondrait q vanité d'un pareil fait c'est que les préju u-

d'héritiers mâles.

si l'on tire

la

on appartient, de génération en

génération, de père en

rompue

de

,

gés nous font attacher un grand prix à notre race, à

transmission de

la

parce qu'un pareil

fait

l'antiquité

la richesse; et

prouve une

vitalité,

de

au

i

une éne

gie de tempérament, où la réflexion peut trouver un

légitime motif de fierté.

réponse de

Hume

!

Que nous sommes

C'est par des

mécaniques que s'explique pour

Le passage, ancêtre à

la

transition

la richesse

à l'imagination

,

si

de

la

du second,

lui

loin de la

phénomènes un

pareil orgueil.

du premi#j

richesse offre plus

la richesse a été

tout

de

facilités

précisément

I

— 383 —

même (un même château, nn même

en outre,

fief), et,

lagination a plus de propension à descendre ou à lonter la série des héritiers, :e

s'ils

sont tous du

même

et, par suite, d'une plus haute importance. Les

)lications

|me sur îlure

semblables abondent dans les

l'action

lyance à une

Passions. Là encore.

de

âme

la

raison,

et

la

théorie de

Hume

a voulu

rendre inutile

la

qui s'émeut diversement selon

rapports réels qui l'unissent

aux

objets.

CHAPITRE XL

LA LIBERTE ET LA NÉCESSITÉ.

Si

anglaise contemporaine a de beaucoup

l'école

Hume

dépassé

veauté et pas de

dans Fétude des Passions, par

profondeur de ses recherches,

la

même

dans

peut dire qu'elle

ment

théorie de la

la

s'est

il

la

nou-

n'en est

liberté,

oii l'on

contentée de reproduire fidèle

ses idées. Quelques nuances à peine séparent la

doctrine de M. Stuart Mill de celle de notre auteur, et,

même

sur ce point, M. Bain, M. Spencer, sont du

avis que

M.

Cette unanimité d'opinions, cette

Mill.

absence de modifications sérieuses dans seraient-elles le signe

que

Hume

la

théorie,

a rencontré la vérité

définitive? C'est ce qu'il s'agit de rechercher (1).

Pour Hume,

comme

pour tous

temps qui s'inspirent de arbitre, très claire

Voir

Hume

part. III, p. 148

'philosophiques

,

,

:

Traité de

De

penseurs de notr
spiritualistes, •soit

compris

il

ces sentiments primitifs, devant lesquels

«

:

Le

du vrai: quand nous obéis-

juste est de la nature

»

sons à

))

très-semblables à celles que nous inspire la vue de

»

la vérité.

))

mandé:

là,

»

voir (1).

))

nous obéissons à des convictions

la justice,

Des deux il

Mais

l'assentiment est

côtés,

s'appelle

Hume

démonstration;

n'est,

(1)

avec raison

ici,

de-

repousse absolument cette

géométrie morale, d'après laquelle être définie

com-

la

vertu pourrait

la vérité réalisée.

Sa morale

au contraire, qu'une sorte d'esthétique qui ré-

Revue positive

,

1870

:

Origine de

l'idée

de justice.

duit le bien

goût.

comme





412

le

beau à une pure

que pour arriver à voir dans

C'est

Texpression des rapports nécessaires que établis entre les êtres il

Thomme,

ou

comparer à

et

actions particulières dont

la

final

,

nature a être,

nature et

la

de

vertu

la

même

d'un

les facultés

dans leur but

faut envisager,

vie de

affaire

la

cette destinée idéale les

l'homme

est capable. Si ce

terme de comparaison manque, toute appréciation mo-

Hume

rale devient impossible. Or,

qu'on spéculât sur

les

jamais admis

n'a

causes finales:

«

De semblables

me

»

considérations, «écrivait-il à Hutcheson,

»

blent tout à

»

Car,

»

l'homme

))

vertu ?

pour cette vie, ou pour une vie future

)>

pour

même, ou pour son auteur? Questions

fait

vous

je

lui

sera

incertaines et antiphilosophiques

demande, quelle

le

? Est-il

«

né pour

le

est

la

fin

bonheur, ou pour

d la^

?

tout

à fait insolubles (1)... » Questions obscures, dirons*

nous, mais dans lesquelles

prendre un parti

donner riable

et fixer

,

faut savoir, cependant,

son choix

humaine une

à la conduite

,

si

ne

l'a

pas

vaut se résoudre,

sensibilité.

fait; et

Il

et objective,

règle fixe et inva-

voilà pourquoi, ne poU'

,

il

en

fait

une impression de U

a retiré aux actions toute moralité réelle

pour attribuer

la distinction

du mal à une émotion subjective de notre

tome

veu

d'un autre côté, à supprimer tou

du bien

fait l'idée

(l)

l'on

!

Hume à

il

Lettre à Hutcheson

du

17 septembre 1739.

du bien

et

sensibilité.

Voir Burton

I, p. 113.

1

~ De même idéales

les

ramené

a

qu'il



413

de pures

à

impressions

principes de toute science, illusoirement

projetés au dehors par

sens

le

avec plus de netteté encore,

il

comme une

de toute morale

sentiment (1). C'est

la

commun, de même,

considère les principes création

,

du

intérieure

seule,

sensibilité

faculté productrice, dit-il

et

cette

c'est

qui, recouvrant les objets

de couleurs sombres ou riantes, d'apparences agréables ou désagréables, enfante le

beauté et de

la

la

que

est vrai

Il

Hume

est l'œuvre à

vice.

mou-

les effets nécessaires

de notre organisation

,

qui elle-même

jamais réglée d'une volonté suprême; et

essaie de rendre ainsi à la morale, au

il

du

se hâte d'ajouter que les

vements de notre sensibilité sont et invariables

monde nouveau de

bonté, de la laideur et

nom de

cette

nécessité subjective des lois de la sensibilité, la fixité et la

permanence

nature

même

lui interdit

qu'il

flexion, consentirait à

admettre cette prétendue

Hume

des sentiments humains ?

observé

les

de puiser dans

la

des choses. Mais qui donc, après ré-

hommes,

qu'il

stabilité

donc

avait-il

si

peu

ignorât que mille causes

détournent leur sensibilité de son cours naturel, dé-

pravent leurs instincts, et rendent agréable aux uns

(l)

Hume

com^^i'enait kii-méino tout ce qu'il y a de hardi

de pareilles affirmations. Ainsi s'il

convenait de publier

» vice et la vertu »

au chaud et au

n lités

ton

,

dans

tome

le

il

écrivait à

passage suivant de son Traité

peuvent être comparés aux sons froid qui, selon la philosophie,

les objets

I, p. 119.

,

dans

Hutchcson pour savoir

,

:

«

Le

aux couleurs

ne sont pas qua-

mais perceptions dans l'àme.

»

Voir Bur-



En

ce qui reste odieux pour les autres?

l'hypothèse de

Hume

1



414

est juste et

fondée

vérité,

on ne s'ex-

,

monde un homme

plique pas qu'il y ait au

si

vicieux

Car, le seul principe d'action étant la sensibilité, et

vice affectant toujours désagréablement notre

même, on ne

raison de notre constitution quelle mystérieuse influence luite

âme

voit

et

paî

quelle perversité gra

,

pourrait l'entraîner à accomplir malgré lui de

,

actes qui répugnent à sa sensibilité.

Hume

morale pour une société d'automates

,



a conçu

ceux de

l'abeille,

par une

loi fatale et

pas connu la société humaine troublée, où

,

naturelle

société

comme :

n'a

il

mouvante

l'éducation et la libre spontanéité de

et

l'in-

dividu déplacent sans cesse les sentiments, et où est nécessaire,

de

sensibilité la

la

digue in-

la raison.

D'ailleurs, à

supposer que

Hume

que

il

par conséquent, d'opposer aux im-

pressions changeantes de flexible

s;

les instincts

de chaque être seraient invariablement réglés,

fixité

1

le

lui

le

sentiment possédât

la

attribue, la pratique de la loi

morale pourrait bien être assurée en

fait

;

mais

la

que nous examinons n'en demeurerait pas

théorie

moins une erreur considérable au point de vue spécuQuoi de plus faux, en

latif (1).

(1)

et

il

Hume

effet,

que d'enlever aux

voyait parfaitement les conséquences de son système

les considérait

comme

très-importantes {very

mo mentons)

.

«

Si

moralité, conformément à votre opinion aussi bien qu'à la

»

la

»

mienne

»

cheson), elle ne concerne que

»

maine... Si

,

n'est déterminée

la

moralité

que par

était,

la

le

sentiment

(

écrit-il à

nature humaine et

Hut-

la vie

au contraire, déterminée par

hu-

la rai-

choses en elles-mêmes tout caractère moral ? Secourir ses semblables

,

mourir pour son pays

science de l'humanité,

garder

,

un mot, qu'honore

jurée, toutes les actions, en

la foi

la con-

par elles-mêmes

n'ont-elles

aucun mérite? Faut-il se réduire à leur accorder

la

valeur fictive, que, par une habitude invétérée, nous

accordons par exemple à des monnaies d'or ou d'argent; ou, pour mieux dire, leur moralité n'est-elle

qu'une apparence, semblable à celle que nos sens nous présentent quand

parent

ils

toutes ses couleurs?

Non;

la

nature extérieure de

est

il

évident que toute

elle-même

en

action

vertueuse

même,

par suite de sa conformité à l'ordre naturel

des choses à

tester

;

l'est

par

et

elle-

personne aujourd'hui ne songe à con-

et

l'intelligence

le

pouvoir d'apprécier cette

conformité.

Ce

que nous ignorions tout ce que nous

n'est pas

mettons de nous-mêmes,

beau,

soit

dans

le

soit

dans

sentiment du bien.

le

sentiment du

A

nos yeux,

il

y a quelque chose de relatif et de subjectif dans l'une

dans

et

l'autre

de ces deux impressions

;

et

nous ne

disons là qu'une chose toute simple, puisqu'il s'agit

de sentiments, nature

,

et

que

les

sentiments, en vertu de leur

sont toujours des

phénomènes

traduisent intérieurement des

dont

ils

ne sont pas

phénomènes extérieurs

»

son, elle serait la ,

tome

même

I, p. 119.

Les

les représentations exactes.

philosophes ne l'ont pas toujours compris, et

ton

qui

affectifs

pour tous

si

les êtres raisonnables. »

on

Bur-



reproché souvent, avec raison, d'introduire

leur a

dans



416

notion de

la

et trop

d'elle,

humaine,

il

divinité des qualités indignes

la

légèrement empruntées à l'expérience

faut aussi les

blâmer d'avoir mêlé à des

notions humaines, et par conséquent relatives caractères absolus qui n'ont rien à y voir.

que

soutenir, par exemple,

beauté

la

des

,

Comment

soit

quelque

chose d'absolu? Prenons, soit une beauté physique, soit

une beauté morale

un arbre dont

,

verdure séduit nos yeux

;

la

une pensée dont

forme la

la

,

profon-

deur ou l'énergie touche notre cœur ou étonne notre esprit.

Dans

les

deux cas,

est incontestable

il

que

beauté conçue ou sentie est une beauté relative lative à nos sens

dont

,

portée limitée nous

la

fait

;

structure particulière et

aimer certaines couleurs

âme dont

certaines formes

;

tution s'adapte

à telle combinaison d'idées, à

relative à notre

la

rela

et

la constitelle

espèce de sentiments et non à d'autres. Supposez que

nos yeux soient construits autrement sont

:

le

l'heure,

même

arbre

ne

le

dans sa grandeur mesurée, nous paraîtra

difforme. Mettez au tions domestiques, et la

qu'ils

que nous admirions tout à

réponse du

vieil

lieu d'être sublime. l'intelligence

cœur humain un peu

plus d affec-

un peu moins de patriotisme,

et

Horace vous paraîtra odieuse au

Donnez un peu plus d'étendue

humaine,

et les plus

à

profondes observa-

tions de Descartes vous paraîtront des longueurs inutiles^

au

lieu d'être des traits

quoique à un moindre degré relatif

dans

les

,

de génie. Et de il

même,

y a quelque chose de

notions morales. Dans une société, par

I

— exemple, où tous

les

417



hommes

seraient égaux, où la

richesse surabonderait, la charité serait une superfluité, et

qui

non

la

plus grande des vertus. Chez un être

du premier coup

,

et sans effort

connaîtrait tout

,

ce qu'il voudrait connaître, le travail intellectuel ces-

un devoir.

serait d'être

que

le

tution

bien,

comme

le

Il

semble donc, en définitive,

beau,

soit relatif à la consti-

humaine. Les devoirs que

sont les

que l'humanité elle-même

bles

la

morale enseigne

d'un être libre et borné;

lois

:

lois aussi

dura-

mais absolues^ non

pas! Et, de plus,

comme dans

le

y a dans

il

la

connaissance du bien,

sentiment du beau, quelque chose que

l'intelligence seule, c'est-à-dire la

che de ce qui est, ne

suffit

pas à nous procurer, et

qui dérive de la seule sensibilité.

devoirs nous apparaissent

représentation sè-

En eux-mêmes

comme une

les

,

série d'actions

conformes à l'ordre moral ;Jes vertus représentent

les

relations naturelles, réalisées par la volonté d'un être libre, et la réflexion seule est capable

comprendre tout

de nous

faire

Mais, parla réflexion seule,

cela.

pouvons- nous connaître véritablement tout ce que renferme ple

mot

:

en entend cette

le

mot fondamental de

le

bien? Ne semble- 1

le

sens

,

qui

,

toute morale, ce sim-

il

pas que celui

au moins une

émotion caractéristique, ce

fois

,

là seul

a éprouvé

plaisir intérieur

que

ressent l'homme de bien en accomplissant tour à tour les

que

devoirs qu'il rencontre le long de la vie? le

beau, quand on veut

plus, à proprement parler,

De même

le saisir tout entier, n'est

un objet de pure 27

intelli-

— gence lui

que

et

,

dont

418



beauté se découvre seulement à ce-

la

sentiment a été délicieusement remué par

le

une œuvre conforme aux

lois

de

l'art;

même

de

bien est aussi en partie un objet de sensibilité,

Texpérience interne de

la satisfaction

conforme à

Mais

que

il

la

l'ordre naturel,

déterminent,

,

les actions

Hume, en

critiques

peut seule achever et

n'en est pas moins certain que la raison

l'ordre naturel plir, et

est

elle

notion du bien.

réflexion

la

et

qui accompa-

gne l'accomplissement d'une action, quand compléter

le

le

comme conformes

,

à

que l'homme doit accom-

niant, s'est exposé à toutes les

que Ton adresse d'ordinaire aux moralistes

du sentiment. Il

est

cependant une partie de

admet que

morale

la

Hume

oii

l'intelligence intervient, et oii la réflexion

devient, bien qu'indirectement,

il

est vrai

,

le

prin-

cipe de l'approbation morale. C'est pour la justice

que

l'auteur fait cette exception à la règle générale qu'i établit

:

seule, entre toutes les vertus, la justice n

dérive pas d'un sentiment immédiatement formé dan

cœur humain.

le

nements que n'est pas

Hume

le

C'est à la suite

une vertu s'est

(1) a

justic

expliqué longuement sur l'origine de la

la propriété (1).

ment en

la

naturelle.

justice, qui se réduit d'ailleurs,

de

de quelques raison

sentiment se produit, et

pour

L'utilité est ici,

lui,

au respect

non pas seule-

partie, mais pour le tout, la source, le fon-

Property ivhich

is

the ohjcct of justice. »



419



dément du mérite qu'on accorde à

hommes

que

priété, et

dépendait.

le

maintien inviolable de

le

bonheur de

société

la

la justice n'est

et voilà

;

vrai dire,

il

pas une vertu naturelle.

de

la justice

nous semble, en

effet,

principe le plus solide est encore

remarquons-le, sur

là,

il

se

que

les

que, de toutes il

l'intérêt

donne

la justice.

fonde directement sur

la seule qu'il

et,

lui

Hume



soient arbitraires; et, à

vertus qu'il reconnaît, celle à laquelle

peu près

pro-

pourquoi on peut dire

défend, d'ailleurs, d'avoir voulu dire par prescriptions

la

humaine en

ont alors déterminé artificiellement les

Ils

règles de la justice

les

Les

justice.

ont de bonne heure compris que l'intérêt

général réclamait

que

la

le

C'est à

l'intérêt,

général, social. Par

accorde un caractère objectif que n'ont pas faut,

tant s'en

les

vertus qui ne dérivent que d'un

sentiment immédiat de plaisir éprouvé par notre âme.

Tandis que

la

plupart des vertus nous sont immédia-

tement agréables à

nous-mêmes

mêmes fice

,

,

soit

soit

parce qu'elles nous sont utiles

parce qu'elles affectent d'elles-

notre sensibilité, la justice qui exige

de nos passions égoïstes au bien

sacrifice

justice

de

l'intérêt

personnel à

même

décisions de la

de tous

l'intérêt

ne peut agir sur nos volontés

le sacri,

le

général, la

et influencer

nos

façon que nos autres devoirs.

Ici, c'est la

raison qui devance le sentiment, qui, pour

ainsi dire

lui

,

ouvre

les

yeux

,

qui le détourne de

céder à des impulsions personnelles la violation

des

lois

de

d'oii résulterait

la justice.

Ou comprend que Hume

soit

embarrassé pour con-

— cilier

avec

de son système sentimen-

les autres parties

tal l'explication utilitaire



420

de

la justice.

Il

est obligé

de

confesser lui-même qu'il n'y a pas de sensation particulière de plaisir attachée à la justice (1). Or, si la

nature ne nous a pas directement intéressés

que nous y trouverions

plaisir spécial

justice, et est

il

si

de comprendre

à pratiquer la

que nous puissions

jamais nous décider à reconnaître ,

par le

toute moralité est fondée sur le plaisir,

difficile

une vertu

,

,

la justice

comme

parvenir à en accomplir les

et surtout

prescriptions.

Dira-t-on que

Hume

est

devenu tout d'un coup

compte, pour recommander

litaire, et qu'il

aux hommes, sur

les réflexions

uti-

la justice

que ne peut manquer

de leur inspirer leur intérêt personnel, engagé dans par suite,

l'intérêt social, et,

de

la

et l'honnête.

taire

,

Hume

à l'accomplissement

ne confond nullement

l'utile

a critiqué lui-même la morale

utili-

justice? Mais Il

lié

en montrant qu'elle ne rend pas compte de

l'approbation que nous ne refusons jamais aux actions

vertueuses, quoiqu'elles se soient accomplies loin de

nous,

et

sans que

nous puissions en profiter; en

insistant surtout sur la

homme

familière à tout

saurait confondre,

(1)

sur »

La

de ces deux choses qu'on ne

,

l'honnêteté.

l'utilité et

contradiction est évidente

la sensibilité

fondamentale et

distinction

:

«

La

justice est fondée nonj

mais sur rentendcment

,

dont les jugements]

régularisent ce qu'il y a de désordonné dans les affections.

Tome

II, p. 284.

*

— Où donc,

donne à

dans

C'est

Hume

enfin,



trouve-t-il le principe qui

son autorité

la justice

sympathie, dans

la

relle à tout

421

homme.

valeur morale?

et sa

bienveillance natu-

la

Hobbes a

L'influence de

été

moins

que Tinfluence de Hutcheson,

puissante sur

lui

affirme qu'il

n'y a guère

d'homme chez

et

il

lequel les

bienveillantes ne balancent au moins les

affections

Hume

affections égoïstes.

pages charmantes

a écrit sur la sympathie des

qu'Adam Smith

,

n'eût pas désa-

vouées. C'est cette sympathie qui, nous intéressant au

bonheur des autres parce que Il

nous entraîne à aimer

,

la justice,

assure ce bonheur.

la justice

n'en est pas moins vrai que la justice, dans les

idées de

Hume,

repose uniquement sur

de

est sorti sur ce point

l'intérêt. S'il

la sensibilité subjective,

il

n'a pas su aller jusqu'aux rapports objectifs, jusqu'aux

relations naturelles

,

qui sont le vrai fondement des

vertus, et, en particulier, des vertus sociales. résulte

que

que

pas de fondement solide

la justice n'a

les garanties qui

même

tout utile

qu'un lui

,

la justice est utile,

est

bonne

aux autres;

et

comment obtiendrez-vous

en reconnaisse

passions

bienveillantes

si

;

égoïstes

;

mais

elle est sur-

la nécessité,

dominent

cette fleur délicate

de

développée dans son de l'humanité dans

:

il

âme? Hume

a vécu loin des

l'intimité

chez

affections

les la

si,

sympathie,

que tant de causes conspirent à briser, ne

instincts,

et

temps qu'elle

homme les

,

en déterminent l'exécution sont

entièrement précaires. Sans doute,

en

en

Il

s'est

pas

a 'trop bien auguré

hommes

et

de leurs

de quelques grands esprits.

— doux

et bienveillants

image eux,

qu'il

422

pour

— les autres

non pour l'humanité

et

à leur

c'est

;

hommes;

a conçu les autres

pouf

c'est

partagée entre

réelle,

sentiments élevés et les tendances égoïstes,

les

a construit sa morale. s'est

donc trompé

tive, variable,

que

âmes ingrates

les

les tromperies, difficiles

la

qu'il

Hume

nature ne développe pas chez

que

,

vie épuise et dissipe in-

la

les meilleurs

par

les

déceptions et

l'accomplissement des devoirs les plus

quoique

,

point de vue pratique,

en confiant à une sympathie fugi-

,

sensiblement chez

Au

les plus nécessaires

,

de

les devoirs

justice. C'est, d'ailleurs, le défaut général

de toute

la

morale de Hume. Combien peu de vertus seraient pratiquées sur

la terre

,

fallait

s'il

attendre que l'édu-

cation morale eût développé chez tous les plaisirs

que seules

l'exercice

Hume Il

les

âmes bien

de leurs devoirs

s'est

faites

hommes

les

trouvent dans

!

donc trompé au point de vue pratique.

a cru que le plaisir de bien faire pouvait remplacer

pour

les

la raison

hommes

l'obligation stricte et rigoureuse

peut seule leur imposer. Son tort est d'ailleurs

de n'avoir pas considéré en elles-mêmes, de leur rapport avec notre sensibilité morales. Alors

même que

stituerait pas l'action.

vaise,

encore

le

,

et

en dehors

les distinctions

le plaisir serait

cause qui nous déterminerait à agir,

de

que

toujours

le plaisir

la

ne con-

caractère intrinsèque et objectif

En elle-même

l'action est

bonne ou mau-

conforme ou non aux rapports naturels des

choses Enfin, et ce sera notre dernière critique,

Hume,

~



423

our ainsi parler^ généralise trop

é

ent moral

n'a rien

tel qu'il le

,

de particulier

le

Le

senti-

réduit à Tagréable

,

de caractéristique. On ne voit

et

pas, dans le système de

conçoit

la vertu.

Hume,

le

moyen de

distinguer

bien d'une sensation voluptueuse ou d'un plaisir

esthétique.

Que de choses

utiles

ou agréables en un

sens qui ne sont pas moralement bonnes

devient alors une vertu

dont se compose

le

procurent tous un rales.

On voit

La vertu

loi

ensemble

acquises

l'éloquence

y

La politesse

tous les talents

mérite personnel, puisqu'ils nous

plaisir,

deviennent des qualités mo-

conséquences de

la

théorie de

Hume.

n'est plus l'action libre et réfléchie d'un être

soumis à une qu'un

les

;

î

,

et

rationnelle

de

:

elle n'est

pas autre chose

qualités naturelles,

où notre volonté

n'a point

de

fatalement part.

CHAPITRE

XIII.

THÉORIES POLITIQUES, ÉCONOMIQUES, LITTÉRAIRES. LES ESSAIS

Si

en quittant

,

lecteur aborde politiques,

il

MORAUX ET

le

Traité de la Nature humaine

,

le

sans transition les Essais moraux

et

aura tout d abord quelque peine à croire

encore affaire au

qu'il ait

POLITIQUES.

cussions subtiles, dont

le

même

auteur. Après les dis-

nihilisme paraît être

la

con-

clusion rigoureuse, c'est une véritable surprise de lire

chez

même

le

pratiques,

oii

philosophe des études substantielles et sont exposées les

lois

générales qui, en

réglant les destinées littéraires et politiques des nations, déterminent la

Essais

,

marche de l'humanité. Dans ces

qui s'étendent sur tant de sujets

une justesse

et

une

,

et oii,

liberté d'esprit admirable, l'auteur,

émancipé de son système, esquisse à grands linéaments de et

de

la

la

politique, de la science

critique littéraire

,

il

au service de

et pénétrante qui les

la vérité,

s'était

traits les

économique

n'y a guère plus qu'à

louer; et l'on ressent presque partout enfin,

avec

une

la joie

de voir

intelligence déliée

trop longtemps égarée dans

paradoxes. Rien, dans ces observations judicieuses,

habilement interprétées par un emploi modéré du rai-

— 425 — sonnement^ rien ne rappelle cette dialectique raffinée qui, pour ainsi dire, enlaçait dans ses

et tortueuse,

replis toutes les réalités

,

et les réduisait à n'être plus

que des ombres vaines. Les hommes ont cessé maintenant d'être ces fantômes qui rêvaient et passaient, au-

tomates sans consistance. et

il

semble qu'au

Hume

les

prend au sérieux,

d'une région de ténèbres,

sortir

oii

choses perdaient leur contour, leur forme précise,

les

nous soyons tout d'un coup rejetés en pleine lumière, devant

nature

la

telle qu'elle est

,

avec ses forces phy-

siques et ses forces morales, avec les êtres vivants qui la peuplent

,

avec

le soleil réel

Que parlions-nous de

qui l'éclairé.

l'impuissance de la raison, du

néant de toute cause et de toute substance fluence souveraine de l'habitude! Voici que

même

,

de

l'in-

Hume

lui-

recherche les causes les plus lointaines des faits

économiques,

et

que, par exemple,

il

spécule a priori,

pendant plus de cinquante pages, sur ont pu assurer à

la

les raisons qui

population, dans les sociétés anti-

ques, un développement plus ou moins considérable

que dans

les sociétés

modernes!

que l'éloignement historique de ou

la

yeux

Il

ne semble nullement

l'objet

longueur de ses raisonnements la

de ses études

affaiblisse à ses

valeur de ses conclusions. Voici encore

qu'il

parle de réformes, de progrès, de perfectionnement, et qu'il attribue à l'esprit

humain

la faculté

de conce-

voir un idéal, de rêver quelque chose de plus parfait

que

la

réalité

de l'habitude la

le

observée! Et cependant, pour qui

fait

principe dominateur de l'intelligence,

routine devrait ê^^e

le

dernier

mot de

la

politique

— et

de

-

426

la vie sociale. Voici enfin qu'il décrit les

rapports

nécessaires qui rattachent à des causes morales, plutôt qu'à

des causes physiques, les caractères généraux

des peuples et les développements de

la civilisation

Et pour justifier de pareilles affirmations, cessaire, ce semble

choses,

des

ficielle

la

et,

par delà faits,

de pénétrer dans

;

la

dans

de chercher dans

nature des effets

la

nature des causes.

la

être tenté de croire, en poursuivant,

richement nourrie d'idées

si

d'un livre à l'autre les opinions de

que

l'intimité des

longue série des Essais, cette lecture atta-

la

chante,

scepticisme

;

nouveau un

que

Hume

hommes

et des

faits,

failli

vivifié à

au contact des

qu'enfin,

la foi

,

,

sincère à la raison, a repris place dans son

de surprendre

matisme, on

Butler

le ,

cédant à

et

il

justifier.

et solitaire

Il

un de ceux

qui,

Hume

dans sa

Si jamais,

d'Edimbourg , un de ses

malgré

n'avaient jamais cessé d'aimer le

âme?

tentation

la

n'eût pas été difficile à

de se

docteur Blair par exemple, ou

pour réfuter

foi

avisé de lui reprocher cette con-

tradiction apparente,

maison studieuse

;

,

une

sceptique en flagrant délit de dog-

le

s'était

de se défendre

et si

;

guéri de son

l'a

se dessécher dans

réalités historiques

n'en est rien pourtant

que

ont changé

pour ainsi dire

l'histoire a

esprit qui avait

les spéculations abstraites;

de

et

l'étude consciencieuse des faits

amis,

1

est né-

succession apparente et super-

détermination a priori de

Comment ne pas

il

le

docteur

leur zèle religieux

Hume,

s'était

philosophe par lui-même, de

ser ses théories sociales et politiques

,

il

imaginé, lui

me

oppo-

semble

— 427 — que, sans se fâcher, avec ce calme, avec cette gravité

douce qui

le caractérisaient,

Comprenez donc

Hume

((

»

distinction

»

spéculation et

»

philosophiques, je suis, dans

»

comme

))

Qu'importe

que

tout le

»

mes propres Mes

la

»

même

»

aimer

de

la vie,

monde, un dogmatique

:

me

et

celles

d'autrui?

une

loi

de nier

cela m'empêche-t-il

de vous

faire

vous répondre en

ce

moment? Mes

personne humaine

»

avec un sentiment énergique de

»

de m'attribuer mes échecs d'autrefois,

»

de

»

:

cela

ma

miner

le

courant plus fort de

la

il

faut encore

que tout

»

semblent à un de ces mythes que

» saient.

est réalité.

que

C'est

nature et de

Les choses de ce

il

les

Grâces

,

res-

Grecs chérisfables

n'y a rien ou presque rien de réel

imaginations

subjuguer

l'in-

monde

La critique a beau prouver que sous ces

et ces fictions

» des

malheurs

en revenir à croire

))

»

les

qu'après s'être convaincu soi-même que

et

» tout est illusion,

» les

responsabilité,

mes quelques succès?

vie, et aussi

la

m'empêche-t-il de vivre

analyses des philosophes sont impuissantes à do-

» stinct;

))

un croyant, de régler

))

ma

écrits

vous,

tendent encore à ôter toute réalité à

» théories

» les

mes

s'agit

il

ou de juger

semblent

votre existence ,

la

comme

pratique. Sceptique dans

actions,

théories

pensée et

:

je n'ai jamais cessé d'établir entre la

mon système, quand

»

ma

enfin le fond de

»

répondu

aurait

lui

se

et l'on

comme

laissent

toujours

séduire

:

et

continue à parler des Muses et

si elles

existaient.

Quand

le

phi-

»

losophe sceptique parle des causes et des substances,

»

il

ressemble encore à un poëte chrétien qui intro-

— » duit

dans ses rimes



428

noms de Vénus ou de Jupiter.

les

y a cependant une différence

que

poëte

»

Il

»

ne conserve ces mots démodés que par habitude

et

»

convention; tandis que

se

»

dérobe à son scepticisme savant, pour se replonger

»

dans

donc

allier,

))

une nécessité de

comme

flexion suggère

» j'écris

pour

» pies politiques

et

» principes

que

:

la

doute que

le

la ré-

je prends

si

avant

parti

discute les uto-

YOcéanie de

politique est

la

moi-même

si,

de

nature commande. Si

pays,

prouve que

essentiels;

loi

toujours fait, le doute

les tories; si je

si j'essaie

il

nature. Laissez-moi

la

comme, par exemple,

,

» Harrington; si je ,

l'ai

mon

de

whigs ou

les

je

la foi

,

l'histoire

» science

philosophe, quand

le

et la foi pratique

» spéculatif ))

le

croyances vulgaires, obéit à une

les

» l'instinct, à

»

c'est

:

une

d'en indiquer les

Adam

ami

notre

))

Smith, qui depuis m'a bien dépassé sur ce terrain, je

))

publie quelques idées nouvelles sur l'économie poli-

» tique

»

ma

;

croyez-moi, je puis faire tout cela sans renier

philosophie. Dans

comme vous

» à rester,

dangereux

»

mes jugements sur

» passer

dites,

les actions

homme

pour un

je persiste

homme comme dans

un monstre, un

mais dans mes actions

»

;

mes spéculations,

,

des autres, je tiens à

de bon sens

»

Telle était la situation intellectuelle de

Hume. Re-

levant d'une main ce qu'il abattait de l'autre

,

il

ac-

ceptait, à titre d'illusions nécessaires, les vérités qu'il

repoussait

comme

l'impuissance de pratique.

Il

a

la

des erreurs avérées

,

et opposait à

raison pure l'autorité de la raison

donc pu écrire ses Essais moraux avec

^a



-. 429

[^

même

que ses Essais philosophiques. On

sincérité

serait aussi injuste

de

,

le

considérer

,

dans un cas

comme un courtisan du sens commun, que, dans l'autre, comme un fanfaron de scepticisme à la faveur ;

de son double point de vue,

il

a cru pouvoir ôter

toute valeur au raisonnement^ en

comme

raisonner lui-même

même

temps que

plus dogmatique des

le

philosophes. Mais avait-il le droit de le faire qu'il

De

une contradiction

à

,

toutes les critiques



il

est

,

que sa philosophie soulève,

de l'abandonner lui-même, quand

veut rendre compte des

Dans

la

faits

préface légèrement enthousiaste

Nature humaine,

il

sidérait

comme

toute

le

du

de

toute esthétique,

entend

,

les théories

nouvelle, avec la confiance d'un ces nouveautés qu'il s

comme

empresse de

qu'il s'agit

;

la

il

con-

principe et la condition nécessaire

politique,

les

Traité de

célébrait les destinées magnifi-

science morale. Et cependant, après

comme il

il

historiques et sociaux ?

ques d'une sage psychologie expérimentale

de

pas à

parce qu'on

plus redoutable n'est-elle pas précisément la né-

cessité

la

ce

en système.

l'érigé

la

On n'échappe

impossible d'admettre.

est

une inconséquence

? C'est

de

toute

avoir exposé,

de cette psychologie

homme

qui regarde

des vérités définitives, voilà

les oublier,

de

les écarter, lors-

d'expliquer les événements de l'histoire

î

Qu'est-ce donc que cette psychologie abstraite qui se dit

en mesure de rendre compte de tous

mènes de

l'esprit et qui

mière rencontre avec

les

phéno-

s'avoue impuissante à sa pre-

les faits ?

Il

n'y

a^,

il

ne peut y



430



avoir de bonnes théories psychologiques, que celles qui subissent avec succès l'épreuve d'une application

immédiate aux événements politiques, religieux

dont se compose

,

condamner

C'est se

avec

tation

Ne

ou

de l'humanité.

soi-même, que sous-

et se réfuter

traire la psychologie

vie

la

littéraires

aux exigences de

cette confron-

les faits.

nous plaignons pas, cependant, d'une inconsé-

quence à laquelle nous devons une multitude de vues pénétrantes et de raisonnements ou fins ou profonds,

que la

l'influence des théories spéculatives

du

Traité de

Nature humaine eût certainement étouffés dans leur

germe

si elle

avait pesé sur les Essais moraux.

C'est à la politique

nombre de

que se rattachent

le

plus grand

Hume, dont

ces petits écrits de

les plus

longs ne dépassent pas les dimensions d'un article de

Revue, dont quelques-uns sont aussi courts qu'un article

de Journal. Primitivement destinés, en

à des écrits périodiques,

ils

effet,

parurent en volume, sous

forme d'Essais détachés, que Bacon avait

cette

,

de-

puis longtemps, rendue populaire en Angleterre.

La constitution anglaise

est

études dans lesquelles se révèle

Hume « oii

pour

les lois

esprit

prudent ;

et

de plusieurs

vive admiration de

la

de son pays,

règne une extrême

gements

le sujet

«

liberté. »

ce pays, » dit-il,

On y retrouve son

conservateur, qui redoute les chan-

sa modération impartiale, qui

donne à

ses

opinions politiques un air d'indécision, mais qui ne

l'empêche pas de manifester un grand zèle pour libertés publiques

;

sa haine des partis violents

,

les

sa

¥



sympathie pour

le

croit,

néanmoins,

terre

mais qui

,

431



gouvernement républicain, impossible de réaliser en

lui paraît

ne

marqué

suffisent-ils

entre

,

le

Angle-

en lui-même un idéal bien

supérieur aux formes monarchiques. traits

qu'il

Ces quelques

pas déjà à établir un contraste

politique conciliant et sage

,

et le

philosophe intolérant et absolu, qui ne se complaisait

que dans Mais le

terrain

Hume

extrêmes

les

?

contraste s'accentue encore , lorsque quittant

le

de

politique particulière

la

de son pays.

s'élève à des questions plus générales, et expose

les principes

de

politique est

une

la politique universelle.

Pour

lui

science, science à laquelle trop

,

la

peu

d'expériences ont encore concouru pour qu'il soit possible d'en

science

déterminer

solide

toutes les lois,

et positive,

déjà

riche

mais

enfin,

maximes

en

générales. La vie des peuples n'est pas livrée au ha-

sard

;

il

y a des

lois

qui veulent qu'à chaque forme

de gouvernement correspondent des conséquences né-

que chaque situation sociale dépende de

cessaires, et

causes certaines.

«

Les

))

pondent toujours aux causes

»

correspond

to causes).

laisse aller à

dire

que

»

Hume,

«

corres-

(Effects ivill

allways

effets, » dit

Par endroits même.

des excès de dogmatisme.

les lois politiques

Il

Hume se

va jusqu'à

peuvent être déduites avec

autant d'exactitude et de rigueur que les conclusions qui dérivent des principes mathématiques. Et ailleurs, il

affirme qu'on peut prédire

a priori

les

résultats

nécessaires de telle ou telle forme de gouvernement. Il

oubliait

ici

un peu

trop la part qu'il convient de

— faire à la liberté



432

humaine, à

à la diversité des caractères.

événements

plexité des

l'initiative individuelle,

méconnaissait

Il

la

com-

politiques, la multiplicité des

influences qui les produisent et qui viennent à chaque instant contredire les

maximes

les

Mais nous pardonnons volontiers à ration, à laquelle

Hume

établies.

Hume une

exagé-

nous a peu habitués, puisqu'elle

il

consiste à avoir trop de D'ailleurs,

mieux

dans

foi

humaine.

la raison

reconnaît lui-même, dans d'autres

passages, qu'il serait téméraire de vouloir faire de politique

une sorte de géométrie morale

(1).

la

Les ex-

périences faites ne permettent encore d'établir qu'un petit

nombre d'axiomes,

quelque

universels

et,

qu'ils

de plus, ces axiomes,

paraissent,

n'échappent

jamais absolument à des contradictions, à des exceptions graves (%).

M.

Mill a

Hume

entrevoit

ici

les

raisons que

admirablement développées dans

le

dernier

chapitre de sa Logique, et qui rendent l'application de l'induction si

sible. » »

aux événements de

malaisée, ((

traite

part

et,

par suite,

La grande

la

l'histoire si délicate et

déduction presque impos»

difficulté,

des affaires humaines,

du hasard

et la

dit-il,

c'est

«

quand on

de distinguer

part des causes connues.

»

la

Et

par ce mot en apparence peu philosophique de hasard (chance),

il

entend tout ce qui tient aux individus.

La réflexion

serait banale

des grands

hommes

(1)

Essai

XIV,

(2)

Essai

X

,

i^° partie.

2^ partie.

dans notre pays,

a été

si

considérable

oii le ;

elle

rôle

ne

— 433 — l'est

peut-être pas en Angleterre, ou, malgré quelques

secousses, l'ordre profond, le développement régulier

des institutions, amoindrissent et effacent l'influence des individus, et où d'ailleurs le calme et la froideur ordinaire des tempéraments tendent à supprimer les ébranrévolutions, mul-

lements soudains; tandis que ces

tipliées chez d'autres peuples par la vivacité ardente

des caractères, rendent plus

difficile

encore, pour ces na-

tions, l'établissement d'une politique générale et d'une

philosophie de l'histoi re.

Malgré

les

concessions que

semble avoir

dans sa politique, aux partisans de

tes,

reste

ici

,

comme

une lacune

partout

il

applique

au fond de ses doctrines

,

déduction ne sont que des

la

absente et c'est, à coup sûr, une politi-

que incomplète

;

et fausse

dans la région des

faits,

que ne

supérieure et naturelle

commandements

hommes,

il

,

L'idée d'un droit primitif, d'une jus-

faits généralisés.

tice idéale, est

l'a priori

fai-

pas souci de combler. Les princi-

qu'il n'a

pes auxquels

loi

Hume

:

celle qui

sait

dont

,

qui

cette loi

,

se maintenant

pas faire appel à cette la raison ,

analyse les

excitant parmi les

selon la diversité des intelligences, tantôt

des convictions solides, tantôt des enthousiasmes passionnés, pousse le

monde en avant,

des sentiers battus pour l'avenir.

Hume, au

le jeter

En

réalité,

dans

les voies

de

contraire, se contente de com-

pulser froidement les faits acquis.

et le fait sortir

il

,

de constater

ne sort jamais de

politique sage, prudente,

manque

ture sur les destinées des nations.

les résultats

l'ornière.

Sa

d'élan et d'ouverIl

n'a

aucune idée 28

— 434 — des progrès que

concevoir et désirer l'analyse

fait

des droits primordiaux de l'homme. Sans doute

Hume, en observant que

peut excuser

expériences modernes

d'Amérique

et la

grandes

les

fondation des Etats-Unis

la

,

on

,

Révolution française

lui

,

deux

eût été le témoin de ces

man-

ont

qué.

S'il

yeux

se seraient ouverts, son esprit se serait agrandi

à l'école

des événements

mais je doute

;

faits

,

qu'ils

ses

eus-

sent suffi pour guérir le vice radical de son esprit,

défaut d'imagination,

le

le

positivisme incurable d'une

intelligence qui est aussi incapable

hardi

l'idéal, qu'elle est

les faits, et,

avec

la

homme

commenter

Quand

fait.

morale

paraît avoir confondu

différents

l'histoire,

cupe que de

d'un vol

question de l'origine du

la

Hume nous

vue bien

question de

empires,

habile à annoter, à

que, dans

gouvernement,

la

saisir

pour ainsi dire, à souligner l'expérience.

C'est ainsi

points de

de

on

il

s'agit

le sait, est

et la philosophie.

l'histoire. C'est

de mérite

qu'il

deux

question de droit et

la

:

de

fondation des

la

rarement d'accord

Hume

ne se préoc-

par l'ascendant primitif d'un

explique l'institution originelle

du gouvernement. Un conquérant, un

législateur s'est

particulièrement distingué par son intelligence, au mi^ lieu

de ses semblables

encore

faibles

et grossiers,

Ceux-ci, dominés ou contraints, lui ont obéi; puis l'im-l

pression de cette obéissance est restée

venue,

jours. Par

,

une explication de ce genre,

évidemment,

l'habitude est]

gouvernements ont été fondés pour

et les

soit la thèse qui,

par les tories,

fait

Hume

tou-

écarte

soutenue en Angleterre

du pouvoir une

institution divine

,|



de l'obéisssance passive un devoir

et

systèmes,

du

Dans l'examen

Hume

comme

Quant à

la

qu'il

consacre à ces deux préjugé

le

Le pouvoir dérive de Dieu,

n dit-il,

toutes choses dérivent de lui (1). »

du contrat

doctrine

avait soutenue,

Hume

,

témoignages de

que Locke

primitif

que Rousseau devait reprendre

et

avec tant d'éclat les

et d'après la-

de peine à écarter

n'a pas

droit divin. «

mais

soit la doctrine

du gouvernement dépend d'un con-

quelle l'autorité trat primitif.

;

whigs défendaient,

contraire, que les

«

-

435

a raison de dire que

l'histoire

dans

,

rien ne la justifie. Tous

,

les

gouvernements ont été fondés par l'usurpation

ou

la

comme le

conquête.

Si

contrat social est

vue de

la

;

est

Hume

dans

;

ne

l'a

longue série des siècles

est

mais

chimère est

elle

présenté

contrat social

une chimère

la justice, cette

jamais été réalisée

dans

le

une thèse historique.

,

vrai,

le

au point de

la vérité. Elle n'a

été qu'une fois

ou deux

Qu'importe

n'en est

!

!

Il

pas moins certain qu'elle aurait dû l'être, et qu'avec le

progrès

prochain,

des temps

l'idéal

mes deviendra ce que

Hume

,

dans un avenir éloigné ou

conçu par

le

fait

la raison

de quelques hom-

réalisé par l'expérience.

ne se décide pas à comprendre. Obsti-

nément attaché

à son point

veut pas en démordre

,

et

de vue historique attaquant

contrat social dans ses parties faibles,

la il

,

il

théorie

ne

du

ne veut pas

reconnaître où elle est vraie, où elle est forte

(1)

C'est

:

quand

Essai XII, 2e partie, Of the original contract; Essai XIII, Of

the passive obédience.

— elle

nous enseigne

436

— a de gouvernement légi-

qu'il n'y

time et de pouvoir sacré que celui qui se fonde sur le

consentement

dont et

monde

autre défaut de

même

n'a pas la

hommes. les

,

et

dont

le

serait finie.

la politique

importance

qui le caractérise

dans

de ceux

ne pourrait être complète que

la politique

jour où l'histoire du

Un

est

conclusions ne devancent jamais l'expérience,

les

dont

Hume

libre d'un peuple.

,

Hume

de

de défiance

c'est l'esprit

il

est

mais qui

,

animé à l'égard des

Je conviens qu'il est dangereux d'apporter

choses de

gouvernement un

la politique et

dans

la

pratique

esprit trop chevaleresque

du

trop

et

optimiste. Mais, enfin, n'est-ce pas pousser l'humeur

soupçonneuse un

maxime

«

:

Tout

que

» fripon

peu

loin

homme

qu'ériger

hommes

,

loi

cette

comme un

doit être regardé

L'historien qui

l'intérêt seul dirige? »

apprécierait les

en

qui les gouver-

le politique

nerait d'après ce principe, ne s'exposeraient-ils pas, l'un à des

graves?

jugements injustes

N'est-il

politique aussi

sur

,

pas plus vrai, au contraire, et plus

de compter sur

la générosité,

Hume

se montre

l'autre à des fautes

,

sur

la

mieux

bons sentiments

les

bonté naturelle des inspiré

quand, expliquant

motifs qui inspirent les partis politiques

,

il

que par des raisons

ajoute-t-il finement,

«

d'intérêt.

gouverne

les

avoue que

presque aussi souvent par

les partis sont guidés

cipes

hommes ?

les prin-

« Si l'intérêt, »

surtout les chefs

;)

ce sont les principes qui, le plus souvent, entrai,

»

nent

))

compose

les

membres subalternes le parti.

»

et

la

foule dont se



437



Malgré ses imperfections et ses erreurs,

Hume

que de

la politi-

ne se recommande pas moins par de

modé-

très-grandes qualités de sagesse pratique et de ration conciliante. Sans vouloir rien enlever

pect des autorités légitimes,

au res-

s'élève avec énergie

il

contre la doctrine de l'obéissance passive. Dans les

un peuple,

cas extrêmes,

Hume

lésé dans ses droits, peut

est juste sur ce point,

par lequel

y arrive n'étant fondée que sur il

est

mais

quand

ils

;

les anciens se

:

»

:

«

Hume commet comme

pas distincte de l'intérêt général, et

que,

que

lorsque

l'intérêt

secouer

rection n'est

,

la

ments

il

c'est

n'a rien

même Il

d'un

général

tyrannie qui l'opprime

,

l'insur-

philosophes

la

que l'accomplissement.

eût été absolutiste ,

De

peuple

du révolutionnaire. Les gouverne-

la politique absolutiste

semblablement Les

pour cela

yeux, un

établis ont, sur tous les autres, à ses

l'attirer.

n'est

la justice s'accomplisse.

grand avantage, celui précisément d'être fois

le dit,

en aucune façon , un attentat contre

justice, elle n'en est

Hume

dois,

une confusion

ici

qu'il faut

que

Fais ce

manifeste. La justice sociale,

sorte

à

trom-

disaient Fiatjustitia, ruât cœlum, cette

advienne que pourra.

l'oblige à

dit-il,

l'intérêt social, elle doit être,

autre forme du proverbe français

précisément

raisonnement

le

mauvais. La justice,

l'occasion, sacrifiée à cet intérêt

paient

La conclusion de

à l'insurrection.

doit recourir

et

s'il

de Hobbes semble

comme

avait vécu à la

empiriques

établis. Par-

lui

,

très- vrai-

même

subissent

époque.

volontiers

dans leurs doctrines sociales, l'influence du milieu où

— s'écoule leur vie.



438

sont les miroirs des

Ils

pas de principes par lesquels

Hume

l'expérience. Mais

tre

ils

faits

n'ayant

,

puissent réagir con-

vivant au milieu d'une

,

société libre, a été conduit naturellement à considérer

comme

la liberté

essentielle

un passage curieux

,

nion bizarre, que

le

au bonheur public. Dans

exprime cependant

il

cette opi-

gouvernement de l'Angleterre

deviendra de plus en plus monarchique, et

ha-

il

sarde cette prédiction que le despotisme absolu sera dernière forme de la monarchie anglaise.

la

core

était influencé

il

de

les prérogatives

grandiraient

les

couronne;

république.

la

mort

la

» pays. »

«

les

pen-

l'Angleterre,

rêver pour

Combien de

fois,

ont

,

même

fait le

prêche

un peu

» partisan » liberté,

comment

ami de de

comme

froids,

raisonnement que

lui

!

Hume

dit ailleurs.

ni tout à fait

dans

et

un tory

la

il

définissait les

monarchie

la famille

,

whigs

et les tories

sans renoncer à

des Stuarts.



la liberté

Un whig

est

sans renoncer à la monarchie, et un partisan de

» protestante. »

Tome

IV,

p. 72.

(1).

com-

conciliation à ses compatriotes, et

la

Voici

» tory est

de son

constitution

la

est la

Euthanasie que

dans d'autres temps

un w^hig,

n'était ni tout à fait

pour

efforts impuissants

Personnellement, nous l'avons

(1)

en concluait qu'el-

le véritable

d'autres pays, des libéraux

Il

en-

Ici

voyait grandir

La monarchie absolue

plus douce,

» l'Anglais doit

Hume

il

Et cette perspective ne

toujours.

convulsions violentes et

»

il

:

l'apaisement d'une monarchie absolue, que les

sait-il,

fonder

faits

Mieux vaut pour

pas.

l'effrayait

la

par les

:

,

«

Un

et

un

ami de la

la

dynastie

— mence par whig,

))

Parfois,

disait-il,



lui-même.

pratiquer

la

»

439

Je suis

«

mais un whig sceptique.

«

un »

semble pencher assez fortement du côté

il

des tories, toujours en vertu de la tendance de son à

esprit

comme ment^

du

s'incliner la

côté des

opinion celle

meilleure

est la plus forte, et qui a

même

rence à celle qui,

cause

la

qui,

historique-

elle, l'autorité

à ses

de

de préfé-

yeux, représente

la

plus juste et la plus raisonnable. « Les maxi-

»

mes des

))

surdes pour choquer

»

ou d'un Hottentot

Hume

pour

considérer

à

^

de l'ancienneté,

tradition, le prestige

la

faits

lui-même,

tories, » dit-il

(i).

«

sont assez ab-

bon sens d'un Samoyède

le )>

n'apporte donc nullement , dans ses opinions

politiques

,

l'intempérance de ses opinions philosophi-

ques. C'est un monarchiste sage et libéral, qui consi-

dère l'autorité sociétés,

comme

et la liberté,

la

garantie de l'existence des

comme

la

condition de leur

perfection; mais qui n'est pas assez hardi pour croire

que

l'exercice et le

tés tendra à

tien

de

rendre de plus en plus inutile

l'autorité.

ture humaine, notre

avec

le

sens

Na-

autant

il

s'efforce,

dans ses Es-

de se rapprocher de l'opinion générale.

Quelle autorité,

» dit-il,

«

peut avoir un raisonne-

ment moral,

))

rentes de la croyance générale

Essai IX.

la

auteur se souciait peu d'être d'accord

»

(1)

liber-

main-

le

Autant, dans son Traité de

commun,

sais politiques, ((

développement régulier des

s'il

nous conduit à des opinions

diffé-

du genre humain?

)^

— 440 — Hume,

Cette timidité politique de

modération

cette

constamment observée n'excluait pas une certaine vacité de sentiment.

Il

vi-

condamnait sévèrement Tin-

différence en matière politique.

Il

ne pensait pas non

plus qu'il fallût se contenter de n'importe quelles institutions sans chercher à les améliorer. Tout en tant

que

le

admet-

caractère des gouvernants peut tempérer

adoucir les défauts inhérents au régime politique

et

d'un pays,

nement

et la nature des lois sont

tantes,

et

qualités

même du

croyait que la forme

il

extrêmement impor-

qu'au lieu de compter sur

pour corriger

individuelles

institution générale,

hasard des

le

les vices

d'une

au contraire, par des

fallait,

il

gouver-

réformes et des améliorations incessantes, chercher,

dans de bonnes

et solides lois, le

moyen de

neutrali-

ser les ambitions personnelles et les vices des gou-

vernants. Malgré son indolence naturelle,

au besoin

,

un

critique assez

des choses de

la

il

eut été,

mordant des hommes

politique, et

il

et

est arrivé quel-

lui

quefois d'exprimer assez vivement ses sentiments sur les

puissants

du jour

Walpole, dont

il

;

avait

témoin un portrait de Robert fait

un des Essais de

sa pre-

mière édition (1).

M. Yillemain, dans une considéré

comme

patriotisme

(l)

Ce

» l'aime;

:

« Je

brillante leçon sur

historien, l'accuse de

voudrais,

» dit-il

portrait se termine ainsi

comme homme

:

«

,

En »

manquer de

« le voir assister,

qualité

de lettres (a scolar)

Anglais, je désire avec calme sa chute.

Hume

,

d'homme

je le hais;

Voir tome

,

je

comme

III, p. 26-27.

— » tantôt »



441

avec tristesse, tantôt avec orgueil, avec joie^

de

à la fortune de l'Angleterre, au développement

» cette

grande

» cela, je

ne

et

le vois

mais bien des

Hume. sais

Il

imposante souveraine. J'aurais voulu pas (1).

»

M. Villemain a raison;

motifs expliquent

ne faut pas oublier

froideur de

cette

avant tout Ecos-

qu'il est

qu'à part quelques brefs séjours à Londres et à

;

Paris, c'est en Ecosse qu'il a vécu. Aussi est-ce sur l'Ecosse

Et

ici

que se sont portées ses

on ne peut

lui

affections patriotiques.

reprocher qu'une chose, d'avoir

poussé jusqu'au fanatisme l'amour de son pays natal.

Le moindre poëte écossais

lui

qu'Homère. Toute sa correspondance

grand

aussi

paraît

est pleine

moignages de tendresse pour ses compatriotes

de téet

de

sollicitude pour la gloire de la littérature nationale.

Quant à l'Angleterre elle-même,

ne

il

lui

pardonnait

pas son indifférence pour la philosophie, et l'insuccès

de ses premiers ouvrages. L'intolérance des dévots anglais

et l'insensibilité générale

travaux de

l'esprit n'étaient

des

furent toujours

lettres.

Le

:

tres était et

dont

pensée

et

les

mode,

oii le

deux

le culte

contraste de la société française,



goût des

une préoccupation dominante, avec

les let-

la froide

sèche société anglaise, accrut encore son antipathie

pour ceux »

homme

la libre

déistes étaient presque à la

les

pas faites pour inspirer

beaucoup de patriotisme à un passions

du public pour

bords de

(l)

qu'il appelle « les turbulents la

Villemain

,

Tamise.

»

Littérature

du dix-huitième

siècle.

barbares des



442 -^

Aussi son jugement général sur

le

caractère national

anglais n'est pas précisément entaché de complaisance. Il

en admire

les fortes et saines qualités;

mais

il

refuse

à ses compatriotes les parties poétiques de l'âme (musical parts). Il se plaint

que leurs poètes comiques des-

cendent trop vite aux grossièretés obscènes

aux

tragiques,

pas de dictionnaire , à peine une grammaire vestigia ruris. »

Il

:

«

manent

leur accorde cependant cette supé-

riorité d'avoir produit

de plus grands philosophes que

peuples de l'Europe. Pour

les autres

leurs

;

assassinats. Les Anglais, dit-il, n'ont

général, pour le théâtre et pour

l'art,

les lettres il

en

leur préfère,

et de beaucoup, les Italiens et les Français. Rien n'est d'ailleurs plus intéressant

de

Hume

que

les fines

observations

sur les caractères des différents peuples. Ce

que nous y aimons surtout, c'est que dans ses vues générales sur le développement de ces caractères

Hume

n'est

nullement porté à exagérer l'influence et

l'action des causes physiques.

presque entièrement

comme »

Il

rejette,

au contraire,

les explications naturalistes qui

le dit Ritter, «

envahissaient de plus en plus,

à cette époque, le domaine du moraliste. »

mine particulièrement

l'influence

Il

exa-

du climat (question

étrange, remarquons-le en passant, chez un philoso-

phe qui nie ment,

et lui

le

monde

extérieur), la discute longue-

accorde beaucoup moins que Montesquieu,

qui, sans doute, par allusion à cet Essai, le

19 mai 1749

» belle

» plus

:

«

J'aime

dissertation oii

mieux

lui écrivait

vous parler

d'une

vous donnez une beaucoup

grande influence aux causes morales qu'aux





443

m'a paru, autant que je suis

))

causes physiques; et

»

capable d'en juger, que ce sujet est traité à fond

de main de maître,

» qu'il est écrit » et

de réflexions neuves. cependant moins

C'est et la

il

»

nouveauté que

la

Hume.

économiques (1),

son originalité est entière.

oii

Discours politiques de Ils

les écrits

en est autrement de ses Essais

Il

» serait difficile, » dit lord

» geurs.

sagesse

la

modération qui nous paraît distinguer

politiques de

))

rempli d'idées

et

Brougham,

Hume

« Il

de parler des

«

en termes trop louan-

unissent toutes les qualités qui peuvent

»

appartenir à un ouvrage de ce genre. Le raisonne-

))

ment

))

mots ou d'exemples

»

quer

»

profonde, non pas seulement pour les systèmes de

))

philosophie, mais aussi pour l'histoire ancienne ou

))

moderne. Les sujets sont heureusement

» le

est clair

:

il

la doctrine.

style,

n'est

pas surchargé de plus de

La science

vigoureux,

élégant,

étendue, exacte,

est

précis...

»

grand mérite pourtant de ces discours

))

leur originalité, le

»

d'économie politique

» à n'en »

,

choisis

:

Le plus

c'est

encore

nouveau système de politique

et

Hume

est,

pas douter, l'inventeur de ces doctrines

mo-

qu'ils contiennent.

dernes, qui maintenant sont les règles de la science,

» qui dirigent »

pour expli-

qu'il n'est nécessaire

mes

(1)

en grande partie

les actions

des hom-

d'Etat, et qui seraient appliquées dans toute

Publiés pour

cours politiques politiques.

,

la

première

fois

,

en 1752

,

sous

le titre

de Bis-

ces Essais ont été réunis aux Essais moraux

et





au gouvernement des peuples , sans

» leur extension ))

444

les intérêts égoïstes et les préjugés

» taines classes

puissantes (1).

Que pourrions-nous

aveugles de cer-

»

un éloge

ajouter à

aussi

com-

plet? Ce qui nous frappe surtout dans les Discours politiques, c'est d'y

un

voir

idéaliste,

un sceptique, aussi

visiblement préoccupé des conditions matérielles du

bonheur humain de

la vie.

aux choses

aussi attentif

,

V Essai sur

le

positives

Commerce, V Essai sur

Luxe,

le

nous montrent un esprit pénétré des nécessités modernes et des besoins nouveaux des sociétés. sur

le

V Essai

Luxe, particulièrement, pourrait être considéré

comme une

excellente réfutation de J.-J. Rousseau,

et des

paradoxes violents du Discours sur

sur

Arts (%). Tout en indiquant les dangers d'un

les

les

Lettres et

luxe excessif, et sans tomber dans une admiration outrée des progrès de l'humanité

avec calme civilisation.

et sagesse,

,

l'auteur

un hymne en l'honneur de

Son optimisme n'exclut pas

sentiment assez vif des plaies sociales

prend

la

de

richesse

la

inégalités excessives. «

dans

))

particulier devrait

» fruits

(1)

»

de son

et

la

un

Hume com-

une meilleure

remède de quelques

le

trop grande disproportion

,

tendance à engendrer

hommes

de lettres, p. 204.

les plaisirs et la

jouir des

en joignant aux nécessités de

Vie des

Le progrès dans

moyens de

avoir les

travail,

Lord Brougham

(2) «

Une

d'ailleurs

fortune des citoyens affaiblit les Etats. Tout

»

la

,

nécessité de chercher dans

distribution

y célèbre,

corruption.

»

dans

Tome

les arts n'a III, p. 302.

pas de

— ))

la

vie quelques-unes des commodités qui

nature humaine; elle diminuerait beaucoup moins

» le ))

charment

Cette espèce d'égalité est conforme à la

» l'existence.

»



445

bonheur du riche

du pauvre

un peuple

L'idéal social

i)

(1).

qu'elle n'ajouterait

actif ^ industrieux,

le travail qu'il

Hume

commerçant.

le

taux de f intérêt, sur

ne sont pas moins remarquables

quelques erreurs

exprimés sur

dans

C'est

du bonheur moral.

Les Essais sur F argent, sur ,

donc

serait

place la source de la richesse matérielle

et aussi l'origine

l'impôt

de

au bonheur

comme

,

l'utilité

,

par exemple,

(%). les

A

part

doutes

des banques publiques et des

papiers de crédit, ses réflexions sur des sujets aussi

nouveaux

et aussi

devenus

être

tique.

spéciaux ont assez de justesse pour

les lieux

communs de

monnaies jouent activement dans dustrie

un

les signes

de

la

rôle analogue à celui

le

que

monde de les

mots

les l'in-

,

que

algébriques remplissent dans le domaine

pensée et de

grande netteté

les

la science.

Il

détermine avec une

causes qui maintiennent ou altè-

rent le taux de l'intérêt. Enfin, tice

l'économie poli-

y montre, avec une clarté parfaite, que

Il

de l'impôt en général

,

il

expose sur

la jus-

sur la nature et le choix

des impôts particuliers, les principes les plus justes et les plus sains.

Dans ces études

si

diverses, et où nous ne pou-

vons pas plus longtemps suivre

(1)

Tome m.

{l)

ma.

,

p. 290.

p. 309, 324, 381.

Hume

,

la

méthode

— est

446



presque partout excellente. C'est un judicieux mé-

lange de

faits

Hume

rés.

historiques et de raisonnements

avait

sociétés antiques

,

beaucoup et

il

habilement à

la

qu'il

faits

fait

servir

construction de ses théories. Les côtés

économiques de

des sociétés

l'histoire

l'attiraient

préférence. Dans son Histoire d'Angleterre statistiques occupent

ne dédaigne pas

des

l'état

avait retenu de ses vastes lec-

une multitude de menus

tures

sur

réfléchi

modé-

,

de

les détails

,

toujours une certaine place.

par exemple

,

Il

de nous apprendre

d'après les comédies de Shakspeare

,

combien coûtait

sous Elisabeth un pourpoint de velours.

était

11

donc

admirablement préparé aux recherches de l'économie politique

,

et

il

les

a pratiquées avec

prudence

la

d'un observateur qui s'appuie sur l'expérience et non sur des hypothèses.

qu'on

lui

Il

ne mérite pas

ici le

reproche

a adressé d'employer une méthode toute

déductive, et d'appartenir à l'école métaphysique (1).

Hume Mais

a, sans doute, souvent recours à la déduction.

n'est-il

quelque a-t-il

pas nécessaire d'en user,

profit

veut

tirer

des généralisations de l'expérience ?

une seule science qui ne

tive? Ce qui, néanmoins ciation

si l'on

,

soit

justifie

Y

en partie déducen partie l'appré-

que nous venons de relever,

c'est

se laisse entraîner quelquefois à prédire

,

que

Hume

par des con-

M. A. Maury, Bévue des Cours littéraires La civilisation en que M. Maury exprime cette opinion à propos de V Histoire naturelle de la religion. Mais la méthode est la même dans les deux ouvrages beaucoup d'érudition et un peu de rai:

(1)

Ecosse. Il est vrai

:

sonnement.





447

tures hardies, l'avenir des sociétés et des nations.

Nous en avons déjà donné un exemple à propos de

En

constitution future de l'Angleterre.

non moins curieux

et qui a trait à

,

Hume

de notre pays

que

aussi désespéré

))

taire

»

Chambre des communes

quoique

;

fonciers

» priétaires

»

seconde pour

»

conséquent,

celui d'une

uns

))

est pas

pour

»

engagements de

»

mis de l'extérieur

»

comprendre que notre

les

que

les

fonds publics,

de

la

il

les

l'Etat... ,

désir d'être fidèles

le

,

la

par

n'en

pro-

aux

Mais peut-être nos enne-

ayant eu assez de finesse pour salut

dépend de

le

danger,

et

pour ne nous

lorsqu'il sera inévitable.

Comme

cette

ré-

le

décou-

nos aïeux,

nos pères, nous avons toujours pensé que

du pouvoir, en Europe

Mais lutte

il

,

ne pouvait être

,

maintenu sans notre intervention

» tance.

quoique

,

désespérée, seront assez politiques pour

» l'équilibre

»

dans

fortifier

nous cacher

comme

la

de ces fonds seront toujours assez étroites

» priétaires ))

»

;

moins vrai que leurs relations avec

» solution

et

et les autres soient personnelle-

ment peu. intéressés dans

»

lords

soient composées de pro-

))

» vrir

un expédient

première entièrement

la

:

pour un mi-

banqueroute volon-

Chambre des

la

plus grande partie

la

les

,

,

d'en venir à

,

»

et,

Grande-Bre-

conclut ainsi

sera toujours difficile et dangereux

» nistre

»

la

examiné plusieurs chances vrai-

tagne. Après avoir

semblables de banqueroute, Il

un autre

l'accroissement

formidable de la dette publique dans

«

voici

la

et

notre assis-

peut arriver que nos enfants, fatigués

accablés de difficultés

,

s'abandonnent

— » à

une sécurité



448

fatale, qu'ils laissent

opprimer

et con-

))

quérir nos voisins, jusqu'à ce qu'enfin, en compa-

»

gnie de leurs créanciers

ils

y

se trouvent

eux-mêmes

» à la

merci du vainqueur; et ce malheur,

» duit

jamais, pourra être appelé

»

notre crédit public (1).

de

la

question

Nous sommes faisait

»

la

se pro-

mort violente de

Laissons de côté le fond

et

ne considérons que

loin,

évidemment, de

,

s'il

la

la

méthode.

théorie qui

de l'induction une association d'idées garantie

par Ihabitude.

de se jeter plus réso-

serait difficile

Il

lument dans l'hypothèse.

Un des

mérites des Essais moraux

et politiques,

c est

qu'à côté d'études économiques brille dans tout son éclat la délicatesse naturelle

Pour être un

du goût

que

est pas

moins passionné pour il

de Hume.

temps modernes ont créées,

trielles

justesse

littéraire

appréciateur intelligent des sociétés indusles

parle

il

n'en

Avec quelle

les lettres.

du goût, du sentiment du beau dans

quelques-uns de ces Essais moraux, qui sont peut-être les meilleurs

du

recueil

:

Sur

la

sur la règle du goût , sur l'origine sur l'éloquence (%)

1

Le goût

tesse de sentiments telle

de beau,

ni

raît la plus

de

laid,

qu'il

délicatesse et les

progrès des arts

définit

que l'âme ne

du goût,

:

une délica-

laisse rien passer

sans en être émue, le goût

précieuse des facultés de

lui

pa-

l'esprit, celle

qui

est la source des joies les plus fines et les plus pures.

Hume sait, d'ailleurs, combien est rare cette exquise déli

(1)

{1)

Tome

III. p. 399.

Ibid., p. 1,

248, 119, 104.

— 449 — catesse de jugement, et qu'il faut, pour la développer,

de longues études

de profondes

et

-réflexions.

impossible d'analyser plus finement qu'il ne

Il

est

fait les

conditions de la critique littéraire (1).

Eu égard aux principes généraux de la philosophie de Hume, on serait tenté de supposer qu'il n'y a pas à ses yeux de règles universelles qui permettent de distinguer le beau du laid; et que le goût est

timent relatif, capricieux rien.

Hume

comme

mode.

la

Il

un senn'en est

repousse avec vivacité cette esthétique

par trop large

et

proclame que

qui

éclectique,

les

goûts sont indifférents, et que toute appréciation est juste par cela seul

déterminer (bien

même) de

qu'elle existe.

qu'il

quelles conditions

beauté d'une œuvre.

Il

croit possible

ne s'aventure pas à

«

Il

y

dépend a,

»

la

dit-il

,

de

le faire lui-

laideur ou la «

malgré

les

»

caprices et les diversités des goûts,

))

généraux d'approbation

))

littéraire...

»

doivent nécessairement nous plaire où nous déplaire,

))

par suite de la constitution originelle de notre esprit

Tome

(1)

» le

Certaines

III, p.

253 et

et

formes,

siiiv. «

La

des principes

de blâme en matière certaines

qualités

sérénité parfaite de l'esprit

rccuoillement de la pensée, une attention sérieuse pour

» qu'il s'agit d'apprécier, voilà les conditions nécessaires

sommes

»

quelles nous

»

{of the cathoUc

» à

une

« les

incapables de juger sur l'universelle beauté

and universal

sensibilité délicate

,

heauty)...

Un

solide

bon sens, uni

cultivé par la pratique, développé par

comparaisons, et affranchi de tout préjugé, voilà

» qui seules

l'olDJet

sans les-

les qualités

peuvent assurer à un critique son véritable carac-

w tère. »

29

— 450 — » (Jrom the original structure of internai fabric)(\

hommes^

les

leurs

si

goûteraient avec les tés.

Il

âmes

ques lumières

»

Tous

étaient également cultivées,

mêmes

ne faut pas, enfin, se

impressions de

).

mêmes beau-

délices les

laisser guider

la sensibilité

intellectuelles.

faut y mêler quel-

il

;

aux seules

La beauté

une

n'est pas

chose relative, variable au gré des opinions individuelles, et

aux ordres du premier ignorant venu.

Il

y a des principes de goût universels, et qui sont pres-

que

les

mêmes

chez tous les

hommes

il

;

y

a

une

critique littéraire.

La beauté

d'ailleurs,

quoique

fixes et invariables, n'est,

en elle-même, qu'un sen-

timent de notre âme, quelque chose

Ce qui

est vrai des sens et

matériel,

l'est

accordé à

Il

comme

la

intellectuel.

Hume

n'accorde pas plus à

la vertu.

«

couleur.

du goût au point de vue

aussi de la sensibilité morale,

au point de vue principes.

des conditions

liée à

La beauté

du goût

est ici fidèle à ses la

beauté

n'est pas

qu'il n'a

une qualité

»

qui existe dans les objets eux-mêmes, elle réside

»

dans

))

l'esprit

la laideur

qui les contemple... »

ne sont pas plus que

» des qualités dans les objets (^). certaines théories de Kant

dans

les choses,

,

m,

Tome

Essai XXIII, Sur

comme dans

,

y a

d'objectif,

mais de

p. 256. la règle

et

doux ou l'amer

» Ici,

qu'il

dépend non des objets eux-mêmes ture de l'esprit humain.

(2)

La beauté

ce qu'il y a d'invariable

en un mot, ce

(1)

le

«

du goût; passim.

la struc-





451

Quelques questions particulières ont aussi regards de

Hume

,

entre autres les causes de la déca-

dence de l'éloquence

de

pour

la

bue

lettres

l'antiquité

puissance et

le

fougue de l'éloquence.

et

par suite

du barreau

3^ la régularité

;

partant

il

nels

et

de dire

des orateurs

les orateurs

:

il

n'y a plus de

serait-il plus juste

;

il

;

la froideur, la

grande des mœurs publiques dit-il,

Il

:

attri1^ la

qui n'est bonne tout au

raison

lois,

aux modernes

relle

connaît et qu'il admire

qu'il

pins que pour l'éloquence

du bon sens,

des sciences. Les

des modernes à trois causes

l'infériorité

complexité des

et

au-dessus de tous leurs rivaux

bien

paraissent

lui

auxquelles se

et les conditions

rattache le progrès des

orateurs

attiré les

:

il

y

2° les progrès

rigueur natu-

de plus en plus

n'y a plus de Verres,

Gicérons.

Peut-être

a encore des

crimi-

y a encore des Verres, mais

emploient leur éloquence à les excuser

Quant aux

lettres et

aux

arts

en général

,

leur dé-

veloppement suppose, d'après Hume, une longue boration

,

un milieu favorable

l'apparition

grande

,

en

même

éla-

temps que

de quelques génies privilégiés, doués d'une

initiative

personnelle. Quatre lois lui parais-

sent résumer la philosophie de l'histoire des arts 1°

Les peuples libres seuls peuvent pour

fois

la

première

produire de grandes œuvres intellectuelles. Ces no-

bles plantes ne fleurissent pas d'abord sur

un

sol esclave.

Le despotisme tue tout élan, toute ardeur. Mais une développées sous l'influence bienfaisante de les lettres

et

:

y

fois

la liberté,

peuvent être transplantées dans d'au très pays,

refleurir sous d'autres

gouvernements. Par imita-

— 452 — tion. par reflet,

deront alors

grands siècles

les

même

littéraires coïnci-

avec des royautés despotiques.

^^

Le voisinage, Funion de plusieurs peuples

le

commerce, par des

une condition là

,

les

du progrès

essentielle

grandeurs de

par

liés

relations amicales, est encore

la

De

intellectuel.

Grèce antique. De

là aussi

l'avancement rapide des sciences dans l'Europe occidentale,

influences des grands pays civilisés

oii les

se fécondent, se complètent, se corrigent les unes les

non moins que les

autres. %^ Les lettres peuvent,

réussir à vivre et à fleurir sous

d'une cour brillante passer des

mœurs

mais

;

et

ne peuvent se

les sciences

des institutions d'une société ré-

publicaine, car elles reposent sur

la liberté

de penser,

principe incompatible le plus souvent avec l'esprit

narchique.

le

même

délicats, elles réclament

pays.

un

Comme

quelques arbres

terrain frais et vierge (1).

peut, d'après ces quelques indications, juger

de l'ampleur

de

et

vent néanmoins définitive d'une

servir

,

ces esquisses peu-

à préparer

philosophie de

au moins compris

quait guère, pour

des vues littéraires

la justesse

de Hume. Quoique incomplètes

tout

mo-

Enfin, 4° les lettres et les arts refleurissent

rarement dans

On

arts,

une monarchie, auprès

dont

l'art,

la possibilité.

mener plus

construction

la

ne

11

loin ses

Hume lui

travaux sur

ce sujet, que la connaissance des arts plastiques,

goût

de

et la

connaissance des œuvres de

l'architecture.

1)

Essai

Il

XXIV, tome

la

le

peinture et

resta toujours insensible,

III, p. 123 et suiv.

a

man-

on

le

— sait, à

en



453

ces impressions d'un autre genre, et son séjour

ne

Italie,

le guérit

Mais, en revanche, lettres; et,

si

pas de son indifférence.

Hume

aimait passionnément les

nous voulions en chercher

nous nous contenterions de

une question intéressante que

preuves,

nous en donne

celles qu'il

indirectement dans un Essai sur

les

Tragédie (1). C'est

la

de savoir pour-

celle

quoi, au théâtre ou dans les romans, nous éprouvons

un

vif plaisir

Pourquoi y

d'autrui. ser, des

au spectacle ou au a-t-il

récit

des malheurs

des larmes douces à ver-

émotions de terreur et de

sentir? Pourquoi est-il vrai

,

pitié agréables à res-

comme on

une variante ingénieuse du poëte

latin,

l'a

que

dit

,

par

:

Medio de fonte dolorum Surgit

amœni

aliquid luctu quod

qu'au plus

Serait-ce parce

amamus

fort

in ipso?

de notre illusion,

nous conservons encore secrètement

l'idée

que tous

Hume juge même quand il

ces malheurs sont faux et imaginaires?

avec raison l'explication insuffisante s'agit

des choses réelles

une description bien

hommes

ces des les

:

,

faite

:

nous trouvons du

plaisir à

des crimes ou des souffran-

nous aimons à

lire,

par exemple^

passages pathétiques de Cicéron. Quel est donc

enfin,

le#

motif de ce plaisir mystérieux que l'âme

ressent en présence des plus tristes tableaux? C'est

qu'en pareil cas, nous éprouvons à et

deux émotions

Essai

XXII tome El,

ments

(1)

,

:

la fois

deux

senti-

une impression douloureuse

p. 237.

de compassion ou le

d'effroi

langue savante

une impression agréable

;

que causent de beaux vers

plaisir littéraire

et

,

une

harmonieuse. L'impression agréable

et

emporte dans son mouvement l'impression douloureuse

douleur s'efface sous l'action plus forte

et la

,

du sentiment de

beauté. Théorie ingénieuse, peut-

la

être vraie, mais dont nous ne voulons tirer

conclusion

que pour

c'est

:

être un ami

qu'une fallait

il

très-sensible des

!

La lecture des Essais moraux temps

imaginée,

l'avoir

un appréciateur

délicat,

plaisirs littéraires

ici

et politiques,

même

en

grand nombre de

qu'elle enrichit l'esprit d'un

mieux

réflexions justes, procure aussi cet avantage de

pénétrer

le caractère

notre estime pour

même mais

de

lui.

Hume,

et grandit par suite

Un auteur découvre peu de

lui-

dans des théories purement philosophiques; écrit sur des

s'il

littéraires,

il

sujets politiques,

moraux ou

ouvre nécessairement de perpétuelles

échappées sur son cœur pas de passions

;

et

sur son âme.

son caractère

Si l'on avait à choisir, dit-il

Hume

était froid

et

n'avait

calme.

quelque part, entre un tem-

pérament ardent, passionné, capable de grandes mais aussi de peines plus vives,

modéré

paisible et

,

et

joies,

un tempérament

entièrement maître de lui-même,

quel est donc l'homme qui hésiterait à porter ses préférences sur ce dernier caractère? C'était précisément le sien.

Mais

la passion,

périence,

il

la

ment doux

et

s'il

lui

manquait

la

flamme plus vive de

avait, à n'en pas douter, connu, par ex-

douce chaleur du sentiment, mesuré.

Il

du

senti-

possédait cette délicatesse de

— rame, dont

il

parle

si

nous précipiter dans dans

les

bien dans un de ses Essais, qui

de nos

élargit le cercle



455

entraînements désordonnés

les

ardeurs troublantes de qui

catesse,

fait

de nos peines, sans

plaisirs et

la

passion

aimer davantage

aime, parce quelle réduit

,

cette déli-

:

choses qu'on

les

nombre des choses qu'on

le

peut aimer, et aussi parce qu'elle nous découvre plus

nettement

les qualités

de

Hume

Les autres œuvres de

combat, où

la

que

celles

aime

l'on

sont des œuvres de

polémique philosophique

sans cesse des armes,

et

sont mêlées d'erreurs

la

et

moment

philosophie. Mais elles

graves, et l'auteur y expose

peu durables.

des hypothèses

avec arrogance Essais politiques

chercher

ira

qui marquent un

considérable de Fhistoire de

!

moraux

sont,

Les

au contraire, une œu-

vre classique, où, dans un style excellent, se font jour des pensées solides

des réflexions judicieuses

,

Par ces mérites,

des sentiments délicats.

gnes de figurer au premier rang parmi littéraires

sont di-

ils

les

œuvres

de l'Angleterre.

Pour résumer nos impressions, nous ne saurions, d'ailleurs,

même

les

mieux

faire

termes dont

il

Hume

qu'emprunter à s'est servi

lui-

pour caractériser

ce genre tempéré de philosophie morale et pratique,

où Ion se préoccupe moins de rechercher rigoureu-

sement

la

vérité pour

soi-même

,

que de persua-

der doucement au lecteur des opinions rend accessibles

,

en se rapprochant de

cissant la pente par laquelle

vous

:

{(

il

qu'on

,

lui

,

lui

en adou-

doit s'élever jusqu'à

La philosophie morale, ou

la

science de la





456

» nattfre humaine, peut être

traitée,

de deux manières différentes

((

:

»

Hume,

dit

chacune

d'elles

a

» son mérite particulier, et peut contribuer au diver» tissement, à l'instruction, à

la

réformation du genre

comme né

»

humain. L'une considère l'homme

))

cipalement pour l'action,

))

décisions par le goût et par le sentiment;

comme

prin-

guidé dans ses

comme

» déterminé à rechercher ou à éviter les objets par

leur valeur apparente^ par la forme qu'ils revêlent

))

Comme

» à ses yeux.

monde,

estimable au

))

» parlons, pour

la

y a de plus philosophes dont nous

vertu est ce

la

les

qu'il

peindre des plus belles couleurs,

empruntent tous leurs charmes à

»

la

» l'éloquence; et traitant leur sujet sur »

poésie et à

un ton

aisé et

de séduire notre ima-

facile, ils s'efforcent surtout

» gination et d'engager nos sentiments. Les philoso»

phes de

» plutôt

seconde espèce considèrent l'homme

la

comme un

» être actif...

» abstraites

être raisonnable

que comme un

Quoique leurs spéculations paraissent

même

et

inintelligibles

à

la

foule des

visent à l'approbation des savants et

»

lecteurs,

»

des sages, et se croient suffisamment récompensés

ils

» des peines

de toute leur vie

,

s'ils

ont découvert

» quelques vérités cachées qui puissent servir à l'in» struction

de

» losophie

dont

»

la postérité. le

est certain

Il

que

la

phi-

ton est facile et populaire obtien-

dra toujours, auprès de

la

majorité des

hommes,

» la préférence sur la philosophie abstraite et rigou»

reuse;

»

comme

elle sera toujours

considérée, non-seulement

plus agréable, mais

comme

plus utile.

Il

— 457 — que

celte philosophie est celle

))

faut aussi reconnaître

»

qui a valu à ses disciples la gloire

en

même

temps

la

plus durable

plus juste... Les raisonneurs

la

))

et

»

abstraits s'égarent facilement

»

leurs

»

dans leurs systèmes, une série d'autres erreurs,

))

s'ils

))

aucune conclusion ne

))

veauté, ni par sa contradiction avec

dans

subtilité

la

de

raisonnements; une seule erreur engendre,

s'obstinent à en

chercher les conséquences

;

par sa nou-

effraie, ni

les

les

opinions

))

communes. Au

))

propose seulement d'exprimer

»

nés de l'humanité sous des couleurs plus belles et

))

plus séduisantes, s'arrête,

»

quelque méprise; et,

» sens

commun

,

contraire

un philosophe qui se

,

si

les

opinions

par hasard

»

garde contre de dangereuses illusions

rentre dans le droit chemin, et se

précisément

politiques.

Hume

la

a

fait effort

parfois

si

lui-même, ce

n'est pas

sion au sens

commun,

se

il

,

il

un désaveu:

s'y

et

séparer

met lui-même en nous en avertit c'est

une conces-

naturelle dans des écrits qui

sont faits pour plaire aux

!«''

(1)... » Telle

pour ne pas

contradiction avec ses principes

(l)

met en

philosophie des Essais moraux

du sens commun. Et

tomG IV,

commet

renouvelant son appel au

âme,

est

il

aux sentiments naturels de son

»

il

commu-

hommes.

Essai philosophique, Des différentes espèces de philosophie,. p. 1 et suiv.

CHAPITRE XIV.

CONCLUSION. II.

Il

I.

LE SCEPTICISME DE DAVID HUME.

SON INFLUENCE SUR LA PHILOSOPHIE MODERNE.

est

maintenant possible de jeter un coup d'œil

d'ensemble sur

la

philosophie que nous venons d'étu-

dier en détail dans toutes ses parties, et de la déter-

miner par quelques

traits

généraux. Nous voudrions

surtout montrer dans quel sens

que, et dans quel sens lieu,

caractériser

il

ne

Hume

l'est

l'influence

qu'il

est

un

scepti-

pas, et, en second

exercée sur

a

la

philosophie moderne.

I

La plus grave erreur que droit

l'on

du scepticisme de Hume

comme un pyrrhonisme de vaise

foi. 11 n'a

jamais eu

la

pût commettre à l'en-

serait

de

parti pris

pensée de

le

considérer

ou de mau-

faire

de

la dia-

lectique un jeu, et son doute doit être pris au sérieux. Si,

au point de vue intellectuel,

que dangereux

et

Hume

est

un

condamnable, moralement,

scepti-

c'est

un

sceptique estimable et dont les opinions méritent le respect.

Il

a

pu

être sophiste

dans

les détails

de son

— 459 ^ système, et faire quelquefois violence à

tout ramener à ses conclusions générales

évidemment sincère dans l'ensemble de et ce qui le

prouve par dessus

mélancolie où

la

caractère

non plus de lité

la

Son

et digne,

n'a

rien

légèreté de Montaigne, de la tranquil-

de ce pyrrhonien

satisfait, qui se

conclusions sceptiques. le

ses opinions,

qui rappelle Pascal

calme

rigide,

cieusement dans son doute.



est

il

émotions de ce sceptique malgré

âme

mais son

mais

jettent parfois ses doctrines.

le

et les dramatiques lui;

;

tout, c'est la tristesse,

rien, sans doute,

n'a

pour

la vérité

Hume

repose

si déli-

a souffert de ses

a plusieurs fois senti le vide

Il

plongeait son système, et

fait

d'amères réflexions

sur son délaissement intellectuel.

S'il

n'a pas réagi

contre ses conclusions, c'est qu'en lui, l'intelligence était toute-puissante

;

c'est

que

pas

la sensibilité n'était

assez forte pour dominer, par ses élans, les négations

qui s'imposaient à son esprit. Ce n'était point ce scep-

Gœthe en pensant

ticisme actif, dont parle tes,

ce

n'est

ses réflexions, renonce sans regret lutaires auxquelles

Par moments,

Hume, triomphe du d'avoir,

je

il

dit

la

aux croyances sa-

il

semble entendre, en

sais quel accent

raisonneur,

qui

joyeux,

s'applaudit

le cri

de

lui-même

par de nouvelles observations, confirmé la

vérité de ses conclusions. Mais cette joie est lide et

pente de

un irrévocable adieu.

cependant,

ne

lui-

pas non plus un scepticisme

entièrement résigné, qui, s'abandonnant à

lisant

de

sans relâche à triompher

qui s'efforce

même; mais

à Descar-

peu durable. Elle

est

le

fait

peu so-

d'un philosophe

— qui

460



condamné au scepticisme par son éducation,

,

d'appuyer sur de nouvelles preuves des théories

félicite

auxquelles toute

il

se sait fatalement voué, et qui, sentant

gravité du parti qu'il a pris, éprouve quelque

la

contentement à penser

qu'il a

mis une nouvelle

fois

de son côté. Aussi, lorsque arrivé au bout de

la raison

ses raisonnements

en recueille

il

,

que son scepticisme

vpit bien

sincèrement des ruines

fraie

se

les résultats

lui pèse,

on

,

et qu'il s'ef-

lui-même amon-

qu'il a

celées autour de lui.

Au

terme de

la

première partie du Traité de

Nature humaine, Y o'ici comment

Hume

que je

«

» avoir

suis

échoué plusieurs

fois

un

traversant

»

témérité de se remettre en

» seau, qui fait si

pour

contre des bancs de

détroit

mer sur

eau de toutes parts

et

même

le

que

souvent... Le souvenir de

l'avenir.

La misérable condition,

la

la

vais-

tempête

mes erreurs la

défiance

la faiblesse,

désordre des facultés que je dois employer dans

» le »

Il

de mes perplexités m'inspire de

» passées,

»

«

dangereux, aurait encore

»

battu

:

échappé miraculeusement au naufrage en

» sable, et

» a

s'exprime, avant

me semble,» comme un homme qui, après

d'aborder l'étude des Passions (1) dit-il,

la

mes recherches,

» L'impossibilité » tés

me

accroît

encore mes inquiétudes.

de corriger ou d'amender ces facul-

réduit

absolument au désespoir, rocher stérile où

et

me

mainte-

))

décide à périr sur

))

nant abordé, plutôt que de m'aventurer sur cet

(1)

Tome

I

,

le

p. 325 et suiv.

j'ai

— Océan sans

»

qui roule ses

linaites,

les

de mélancolie

remplit

dansTimmen-

flots

soudaine sur

» site. Cette réflexion

me



461

dangers que je

comme

»

cours

»

passion, plus que toute autre encore, a l'habitude de

))

se complaire à elle-même, je ne puis éviter de nour-

mon

» rir »

» Je suis

le sujet

me

fournit avec abondance.

tude et de ce délaissement

»

Sophie; je

))

monstre étrange

me

ma philomoi-même comme un

représente à

odieux qui

et

humaine

a

,

été

me

oii

,

jette

jugé indigne de

,

sans conso-

autres à se joindre à moi, pour

» lation... J'excite les

bande à part

mais personne ne m'écoute.

,

chacun a peur de

))

Chacun se

))

tempête qui fond sur moi de toutes parts. Je

tient à distance

exposé de moi-même à

» suis

;

la

siciens, des logiciens, des mathématiciens, et

»

des théologiens

»

dont

))

vais leurs systèmes

ils

» tour ils » et »

pour

moi

,

comment

m'abreuvent?

que

Hume la

déclaré que je désapprous'étonner qu'à leur

Lorsque je regarde autour de

je ne vois de toutes parts que dispute

je

même

être surpris des injures

comment

ma personne?

me

calomnie et diffamation;

considère

» certitude et

de

J'ai

me

expriment leur aversion pour mes doctrines

» tradiction, colère, »

:

la

haine des métaphy-

))

:

la

de tout commerce

exclu

avec ses semblables, et demeure seul

» faire

cette

d'abord effrayé et consterné de cette soli-

»

))

et

désespoir de toutes les réflexions découra-

géantes que

» société

;

moi-même

ignorance.

,

je

,

con-

et lors-

ne trouve qu'in-

»

s'exprimait ainsi à vingt-sept ans, au terme

première partie du Traité de

la

Nature humaine.

— mêmes

Les



462

sentiments l'accablaient encore dix ans

après, lorsqu'il composa ses Essais philosophiques. Dans

un passage remarquable



;,

oppose

il

la

philosophie

réellement scientifique, qui n'aspire qu'à

la

vérité,

à la philosophie morale, qui recherche le succès et

qui veut complaire au sens

commun

les traits les plus sévères, l'état

ceux qui se livrent à prête à

nature

la

hommes, ))

))

))

«

la

iVbandonnez-vous

votre science reste humaine

;

la

dépeint, sous

première plonge langage

voici le

et

;



votre passion pour

« à

» dit-elle

,

qu'il

aux

science; mais que

qu'elle soit telle qu'on

immédiatement l'appliquer à

» puisse ))

:

elle

il

,

l'action et à la

société. J'interdis toute

pensée abstruse, toute spé-

culation trop profonde.

Ceux qui me désobéiront,

je les punirai rigoureusement par la mélancolie pen-

où ces méditations

» sive

» certitude ))

enfin

))

des

))

ils

sans

voudront

Hume tesse

dont

fin

auront jetés, par

elles

les

l'in-

envelopperont

;

par l'accueil glacé que rencontreront auprès

,

hommes

aveux,

les

était

il

que

leurs prétendues découvertes, les

mettre au jour (1)... »

de ceux-là

est impossible lui

quand

,

et je crois qu'après

de

de douter de l'incurable

tels

tris-

avaient inspirée ses méditations philo-

sophiques. Peut-être

même

faut-il voir,

dans ces im-

pressions de découragement et de chagrin, la cause

qui l'éloigna peu à peu de

son esprit

et ses goûts

moins troublantes de

(l)

Tome IV,

p. 5.

la

philosophie, pour diriger

vers les études plus sereines et l'histoire.

Il

ne faudrait pas,

— sans doute

que

la

pousser au tragique une situation morale

,

Hume

froideur naturelle de

tolérable. tes



463

rendit

toujours

ne connut jamais ces angoisses poignan-

Il

que des âmes plus passionnées ressentent, quand

elles se

séparent des croyances de l'humanité, quand

commun. Et

tout lien avec le sens

elles brisent

donc, pour flegmatique

ne

soit,

qu'il

qui

trouverait

pas dans son expérience personnelle de quoi com-

prendre tout ce

communion

y a d'amer à n'être plus en

qu'il

d'idées avec ses semblables? Si

pour une seule opinion,

en coûte de rompre avec

il

conscience de l'humanité, combien

la

même

la

souffrance

doit-elle être plus vive, lorsque, sur tous les points,

on se trouve en contradiction avec elle? Ce seulement per

:

la foi religieuse

c'était aussi la foi

'écroulait autour

de

lui.

que

Un

sent largement à remplir positiviste

sentait lui

pas

échap-

philosophique. Toute réalité idéaliste

de consolation

n'a pas besoin

Un

Hume

n'est

,

:

comme

Berkeley

l'âme et Dieu suffi-

à occuper ses croyances.

comme Auguste Comte

se passe,

au

moins quelque temps, des croyances surnaturelles il

:

a pour exercer son activité, pour étouffer ses tris-

tesses, le

monde

Mais, je

le

sensible, le

demande, que

monde

restait-il

à

entier à explorer.

Hume

pour com-

bler le vide des croyances perdues? Autour de fui,

en lui-même, aucune

réalité

n'en sait rien. Ce qu'il est, ((

De

>)

ma

))

quelles causes dérive

destinée?

De qui

De qui

il

certaine.

ne

mon

le sait

Oii est-il?

Il

pas davantage.

existence? Quelle est

dois-je courtiser la faveur?

dois-je craindre la colère? Quels sont les

))

me

êtres qui m'entourent?... Toutes ces questions

commence

comprendre que

))

confondent

»

suis dans la plus misérable condition qu'on puisse

»

imaginer, environné des plus épaisses ténèbres, et

»

entièrement privé de l'usage de mes organes et de

))

,

et je

mes facultés (1)... En vain l'abus de

à

je

»

de

la dialectique et l'ivresse

la

déduction font-ils quelque temps illusion. L'esprit en agissant, en pensant, bien qu'il n'agisse et ne pense

que pour se prouver à lui-même son propre néant trompe

et se satisfait

,

se

pour quelques moments. Mais,

lorsque l'heure de conclure arrive, on hésite, on est

épouvanté.

Si,

du moins, on pouvait gagner des

adhérents, recruter des disciples? Mais non! il

faut traverser le

monde, silencieux

une propagande dangereuse

avec

son secret; ou bien,

si l'on

bien

et prudent, sans

essayer soi

Ou

,

emporter

et

se hasarde à dire

sa pensée, à quelles attaques, à quels anathèmes ne s'expose-t-on pas

!

Mais ce n'est pas seulement de sa rupture avec les

hommes que le sceptique même, du fond de ses

doit souffrir. Rentré en lui-

pensées

solitaires

veaux motifs de douleur surgissent.

11

est à

de nou-

peu près

impossible que la confiance absolue règne dans prit d'un sceptique.

Hume lui-même

cette impassibilité.

a

Il

beau

n'a pas atteint

s'attacher de plus en plus

fermement à ses motifs de doute,

il

ne peut échapper

à des retours involontaires de dogmatisme

(1)

ïomel,

p. 331.

l'es-

,

et

,

pour

— de

ainsi dire, à des accès

du penseur,

soit lorgueil

lible. L'incertitude livre

les plus



465

il

ne peut se croire

sonnements

!

Si

il

la

quiétude à laquelle

trompé dans ses

s'était

autres

les

infailli-

des assauts à ses conclusions

décidées, et trouble

aspire. Si, par hasard,

de croyance. Quel que

foi et

hommes

Hume

il

rai-

avaient raison

1

qu'en renon-

((

Puis-je être sûr,

))

çan4^

»

vérité? Par quel signe puis-je distinguer la vérité,

»

à

»

avoir raisonné avec toute la rigueur et le soin dont

))

je suis capable

s'écrie

»

aux opinions

supposer que

la

,

établies, je suis la route

fortune

je

me

mon

assentiment à

forte

tendance qui

»

dans un sens ou dans un autre

telle

me

ou

telle

opinion, que

pousse à considérer

sans exagération, le

agitations intérieures auxquelles

Une âme moins

la

ne puis donner d'autre raison de

))

per.

de

guide vers elle? Après

»

Tel est,

«

,

(1).

»

tableau fidèle des

Hume

ne put échap-

succombé sous

forte eût

la

les objets

le

poids

d'un scepticisme aussi désespérant. Montaigne acceptait,

au moins en apparence, passé de

cal est

exaltée; Auguste sa vie

,

sous

la

la

le

négation à

Comte

est

joug de la

la foi;

dévotion

retombé, vers

la

Pasplus

la fin

domination des croyances aimables

de et

des douces espérances. Peu d'hommes ont maintenu

comme Hume,

,

jusqu'à leur dernier jour, l'inflexible

rigueur de leur scepticisme obstiné.

Une

pareille constance,

une

fidélité aussi inaltérable

à des principes entièrement négatifs, serait un pro-

(1)

Tome

I, p. 326.

30





466

dige étrange, si, à côté de son nihilisme spéculatif

Hume

n'avait reconstitué

de

instincts

la

et

les fic-

qui lui a permis de réconcilier ses doctrines avec

tif,

sens. On se rappelle comment, monde extérieur, ou dans celle personnelle. Hume, après avoir montré

les affirmations

dans

de

la

du bon

question du

l'identité

néant et

le

turelle. C'est là, la

de

la fausseté

explique cependant

de

sur les tendances

nature, un dogmatisme apparent et

,

la

croyance générale, en

la

nécessité et la production na-

en définitive,

philosophie de

Hume,

revenir une dernière

et

l'originalité principale

on nous pardonnera d'y

fois.

Deux puissances, selon Hume se disputent humain l'imagination et l'entendement. ,

l'esprit

:

L'entendement, qui

n'est d'ailleurs

que l'ensemble

des propriétés les plus générales de l'imagination, se

rend compte de lui

de nos croyances.

l'inanité

obéissons, nous tombons dans

solu. Mais

tion

nous ne pouvons pas

nous retient sous sa

loi.

intérieur

comme

nous

scepticisme ab-

obéir

:

l'imagina-

Grâce à l'association des

idées, elle nous représente le

monde

lui

le

Si

monde

extérieur, le

réels et distincts.

Elle n'est,

à vrai dire, qu'une ouvrière d'erreur et d'illusion; et

hommes qui s'abandonnent à elle sont, dit Hume, comme les anges dont parle l'Ecriture qui se coules

,

vrent les yeux de leurs propres ailes pour ne pas voir la vérité.

Mais enfin nous sommes forcés de subir

joug de l'imagination, parce elle;

elle

est l'expression

qu'elle a la nature

le

pour

des instincts primitifs de

l'homme. Nous n'avons donc pas à craindre que

les



467 --

raisonnements raffinés de l'entendement soient victorieux et emportent toutes nos croyances. La nature,

dans sa prévoyance, a confié la garde de ces croyances à un instinct plus fort, plus efficace que tous les argu-

ments des sceptiques.

C

est

donc

la

nature elle-même qui

chargée de

s'est

du sceptique,

dissiper les incertitudes

et au-des-

nature nous détermine à

»

sus de tout contrôle,

»

juger, aussi bien qu'à respirer et à sentir (1).

«

Il

la

que

n'y a pas à craindre

» puisse

la

»

commune

))

primer

»

La nature maintient toujours ses droits,

»

phe, en

pousser

et

l'action,

fin

elle

supprime

de compte, de tous

» abstraits (2).

»

les

au nom de

C'est

la

))

))

l'impuissance

de

mon

» guérit »

Par bonheur,

«

que,

oii est

esprit

ma

de

,

la

et triom-

Hume se croit commun des

raison de dissiper les nuages

nature

suffit

mélancolie, de

en faisant cesser

soit

spéculation.

arrive, » dit-il, a que dans

il

ma

vie

cette inclination

autorisé à vivre, à agir ainsi que le

hommes.

la

raisonnements

dominatrice, suggérée par la nature, que ))



doute assez loin pour sup-

le

comme

)>

philosophie vsceptique

jamais détruire les raisonnements de ,

con-

et qui le

Par une nécessité absolue

traint à croire. «

la

à cette tâche

mon

,

et

me

délire philosophi-

tension de

mon

esprit,

par quelque distraction, par quelque impression

))

soit

)•'

vive de mes sens qui

»

mères. Je dîne, je joue au trictrac, je cause avec

(1; (•2)

Tome Tome

I

,

p. 233.

IV, p. 48.

fait

disparaître toutes

mes

chi-



468

— ou quatre heures

))

mes amis

))

de divertissement, je reprends mes réflexions,

et lorsque, après trois

;

»

me

»

décider mon cœur

paraissent

C'est par

si

ridicules,

que

ne puis

Hume

expédient bizarre que

cet

je

à s'y attacher de nouveau (1).

pyrrhonisme

A

pen-

en grâce avec

et rentrer

,

le

sens com-

faveur de ce nouveau point de vue, son

la

scepticisme spéculatif lui paraît une chose tout à indifférente,

vc

Suis-je

un de ces hommes

})

aucune certitude? La question :

moi

ni

qui n'accordent à nos jugements est tout à fait super-

personne n'avons jamais été con-

ni

))

stamment d'une

»

prend

»

cisme absolu

»

adversaire

la

Quiconque

semblable opinion...

peine de réfuter les subtilités d'un sceptiet total

discute en réalité contre

qui n'existe pas

,

et s'efforce

»

ment de démontrer par des arguments

))

d'une faculté que

la

un

inutile-

l'existence

nature a implantée dans

dont l'autorité ne peut être éludée

» et

fait

un sceptique? demandera-t-on,

))

» flue

)>

dérober lui-même aux conséquences de son

sait se

mun.

froides,

si

elles

(%).

l'esprit, >>

Cette

faculté c'est limagination. L'intérêt des recherches sceptiques est

dérablement diminué par

cette

sommes

comme

nous

gination,

mieux

(1)

(2)

tous,

les

savants

incliner devant l'autorité

ou de

la

coutume.

de

donc consi-

nécessité

la

les

II, p. 331, I. p. 233.

nous

ignorants, de

nature, de l'ima-

Hume

ne pouvait pas

critiquer son système, qu'en avouant

Tome Tome

oti

lui-même

— dans

qu'il faut agir^

tème

n'existait pas

la



469

vie pratique,

bien plus,

;

comme

qu'il

si

ce sys-

absolument

est

impossible de s'en tenir aux négations que ce système

grande notre propension

pose en vérités, tant est naturelle

à croire et à affirmer.

A

quoi servent des

analyses qui seront nécessairement démenties par les

de

instincts les plus puissants

prouver que

la

nature?

A

quoi bon

opinions humaines sont fausses, puis-

les

que non-seulement

il

utile, puisqu'il

est

est

même

nécessaire de les croire vraies ?

Comment

s'expliquer, d'ailleurs, cette lutte entre les

différents principes

a leurrés,

si elle

de notre être

nous a entourés

donc bien peu habile,

qu'elle ait

fléchi l'intelligence nécessaire

apparences sont trompeuses nos instincts

nous

d'illusions, elle est

donné à l'homme ré-

pour comprendre que

les

et qu'il faut se défier

de

Le mécanisme

î

? Si la nature

qu'elle a

imaginé pour

nous induire en erreur est mal combiné, puisqu'elle

y a placé, par mégarde sans doute, l'entendement qui nous avertit nous-mêmes de nos illusions Si elle î

voulait nous tromper, pourquoi ne nous a>t-elle pas

aveuglés complètement! Qu'est-ce donc que cet esprit

humain, qu'une pente invincible pousse à se duper lui-même par son imagination, à se précipiter dans des abîmes d'erreur, qu'il a cependant reconnaître ouverts devant ses

que l'homme,

tel

incompréhensible.

encore l'homme

qu'il

le

concevait, est

de

s'écriait

un monstre

incompréhensible

rêvé par

d'ailleurs,

faculté

pas? Pascal

Combien plus

tel qu'il est

Ne soyons pas^

la

Hume

1

dupes des mots;

et

ne

— nous figurons pas que croyant, parce

qu'il



470

Hume

redevenu réellement

soit

accorde une autorité irrésistible

aux

fictions

de l'imagination.

lui,

que

suggestions de l'imagination sont entière-

les

ment dénuées de

Il

est bien

Nous sommes

vérité.

entendu, pour

les jouets

d'une

hallucination perpétuelle, qui partout nous crée des

fantômes

fantôme de

le

:

la

cause ou de

la

force

active, que nous imaginons derrière les successions

de

fantôme de

faits; le

la

matière, que nous présen-

tent quelques-unes de nos perceptions

rame

enfin,

;

fantôme de

le

dont l'apparition mensongère dépend de

quelques autres de nos perceptions. Et fantômes

si

nous voulons

nous retombons dans

repousser

ces

néant

Hume, nous n'avons le choix qu entre raison et pas de raison du tout, c'est-à-dire

,

le

car, dit

:

une fausse

entre les illusions de l'imagination et le nihilisme le plus

complet

(loe

and none at

reason,

hâve no

clioice,

tirer

d'une pareille doc-

la philosophie, c'est-à-dire la réflexion,

que l'entendement engage contre l'imagina-

la lutte

tion, loin

fléau

que

betwixt a false

ail).

La conclusion rigoureuse à trine, c'est

but

le

de rendre des services à Thumanité, est plus

pernicieux que l'on puisse

le

inventer.

L'homme qui pense, selon Hume, est presque nécessairement un sceptique, et plus il réfléchit, plus l'incertitude le »

gagne

première décision, être corrigée par

:

Dans

«

tirée

de

la

tout

jugement, notre

nature de

une seconde,

tirée

de

l'objet, doit

la

mon

juge-

moins de confiance en

mon

j)

notre entendement... Si je réfléchis que

»

ment

est faillible, j'ai

nature de



me

» opinion que lorsque je » choses qui



471

en sont Tobjet,

borne à considérer les

i)

examen, j'envisage, Tune après

mon

continuant

et lorsque,

l'autre,

chacune des

))

appréciations successives que je suis obligé de faire

i)

de mes facultés

))

nent l'évidence, et, par conséquent,

))

à un affaiblissement progressif qui aboutit à une

))

destruction complète (1).

les règles

,

»

de

la

logique condam-

ma

Pour échapper à

négation d'ellle-même, à ce suicide qui est

mot des recherches a qu'un moyen dans

bilité,

croyance,

))

la »

et des efforts

c'est

:

» partie sensitive

de

le

que de

il

est

«

le

fait

n'y

la sensi-

dans l'imagination.

Hume,

cette

dernier

la raison,

de se retrancher dans

coutume, dit

croyance,

«

La

plutôt de la

la partie cogitative

de notre

nature. »

))

On

le voit,

c'est le scepticisme, le

scepticisme ab-

solu qui semble, en définitive, l'emporter, dans les pen-

sées de

Hume. Et cependant,

ce sceptique qui en vient

à dire que plus on examine une opinion, plus souvent

on

la

démontre ou on

probable

et

douteuse,

intellectuelle apporte

d'erreur

:

la vérifie,

plus on la rend im-

— car chaque nouvelle opération avec

elle sa

— ce sceptique qui

sophie toute raison d'être, à

chance particulière

semble ôter à

la

la

philo-

science toute valeur et

toute autorité; ce sceptique ne renonce pourtant pas à la spéculation et à la

» espérer d'établir ))

pensée.

Nous ne devons pas dés-

un système qui

moins satisfaisant^ pour

(1)

«

l'esprit

soit,

sinon vrai, au

humain,

et qui puisse

Traité de la nature humaine, cité par llcyd, toii^e

V,

p.

239.

— l'examen de



472



la critique la plus rigoureuse.

))

résister à

»

Pour

»

progrès delà connaissance, en donnant, sur quelques

))

points particuliers,

ma

la

))

un tour

différent

aux spécu-

en leur désignant

et

ils

ne

contre

le

il

vrai

dire,

Hume

sous ces attaques

le

était

moins sceptique

pensait lui-même. Sous ces négations mul-

sens

si

ardentes contre

Il

nettement

saisi la

valeur et

d'un seul mot appeler les noumènes; mais

il

pouvons croit

aux

l'enceinte des impressions subjec-

croit à des lois fixes, à des tendances, à des

instincts naturels. C'est

tout

il

carac-

le

nie absolument ce que nous

phénomènes. Dans tives,

la raison,

commun, il y a un courant de dogmatisme,

n'a pas

tère spécial.

dans

les questions

morales sur-

que se révèle ce positivisme dogmatique de Hume.

faut voir

Il

les

peuvent rencontrer

certitude et la conviction (1). »

tipliées,

dont

.

de contribuer un peu au

l'espoir

dans lesquels

sujets

C'est qu'à qu'il

j'ai

des philosophes,

» lations » seuls

part,

comme

il

malmène

les sceptiques qui nient'

toute distinction primordiale entre le bien et le mal.

n'admet pas qu'on puisse soutenir ce scepticisme

Il

moral, sans être de mauvaise s'en souvient,

dans

la

foi.

Et de

même, on

question religieuse,

il

pouvoir, sans contredire ses principes, affirmer

croit l'exis-

tence divine!

Ce dogmatisme de Hume, nous n'avons pas besoin de

le répéter,

qu'il

(1)

repose sur des bases trop fragiles pour

soit possible d'en être

Tome

I, p. 336.

dupe. Mais, quel

qu'il

— 473 — que

soit, quelle

lui-niême,

nos jours

Nous

positivistes.

les

philosophie de

la

Hume

fut la défiance qu'il inspirait à

ressemble à celui dont se contentent de

il

Hume

définirions volontiers

un système

:

positiviste,

ou

phénoméniste, exposé par un sceptique. Cest ainsi

que s'expliquent

Hume

qu'on a faites à

deux réputations

et se concilient les

uns

les

:

le

considérant

comme

un pur sceptique, un vrai sceptique, qui doute de

comme

son propre doute, qui,

il

lui-même, ne

le dit

doute pas seulement de ses croyances scientifiques

mais de ses doutes (1); le

les

autres

saluant

le

comme

premier ancêtre de cette école dogmatique moderne

qui s'intitule elle-même l'école positiviste.

Hume

a contrecarré sur tous les points la vieille

philosophie, la vieille métaphysique, trop ardente et trop vive,

il

et,

dans sa lutte

a dépassé le but.

Il

sem-

ble n'avoir pas seulement ruiné telle ou telle philoso-

phie, mais toute philosophie, et avoir rendu impossible,

non pas seulement

la

métaphysique, mais

Dans son entrain à détruire,

science.

non pas seulement

a compromis,

les théories existantes

aussi qui voudraient à leur

venu à douter de

il

tout.

la

,

tour exister.

mais celles Il

en est

Mais surpris dans ce doute

universel, où l'avaient précipité, sans parti pris, les vivacités de la polémique et l'enthousiasme de la pri-

(1)

la

dit

Ce qui donne, en

philosophie de

lui-même,

phique est tendement

,

«

effet,

Hume,

un tour nouveau

de ses doutes sceptiques.

intitulé

et le 5®

:

»

Doutes sceptiques touchant :

et extraordinaire

à.

comme

il

c'est « la solution sceptique, w

Le les



Essai philoso-

opérations de

Solution sceptique de ces doutes.

l'en-^

— 474 — tique,

il

a cherché à se sauver lui-même des consé-

quences de son œuvre;

a imaginé, sans y croire

un expédient plus

et par

que solide au fond

l'association entre les

idées.

ainsi dire, le tour

principes

les

avait

Il

Il

qui n'a

,

de

naturels

même,

lui

fait

de sa création.

faiblesse et l'insuffisance. Mais ce

,

en apparence

satisfaisant

un dogmatisme nouveau

,

fondements que

d'autres

pour

il

en savait

la

dogmatisme, auquel

ne se trompait pas, d'autres s'en sont emparés, qui

il

ont prétendu

,

après l'avoir modifié et amélioré

en

,

faire la science définitive, la science qui, seule, se-

l'homme. De

rait accessible à

mérite d'être considéré

telle

comme un

façon que

positiviste,

Hume

mais non

comme un positiviste naïf, satisfait de ses affirmations. Hume a substitué à la métaphysique le phénoménisme, mais un phénoménisme qui doute de lui-même, qui se chancelant et mal assuré, et qui, par conséquent,

sait

devait provoquer efforts

de

,

nouveaux pour

la part

des rationalistes

ressaisir,

en dehors

,

des

au-des-

et

sus des phénomènes, la réalité substantielle, la vérité objective, qui seules peuvent donner au et à la science

un fondement

solides (1).

explications, citons tout

un passage de

objet et

Pour compléter ces

(1)

M.

un

au moins en partie

Mill qui confirme,

dogmatisme

,

notre opinion sur

caractère relativement dogmatique des spéculations «

Au

»

et

sujet

du but

» phie

de

Hume,

,

une opinion fausse.

Hume comme le d'après lui

,

,

Il

regarde

scepticisme à son vrai sens

la :

le

Hume.

du plan général des spéculations de Hamilton avance une opinion

et

de l'esprit qui y règne

» n'hésite pas à le dire

»

de

Hume ,

et je

pbiloso-

l'objet

de

étant de prouver l'incertitude de toute con-.





475

II

Au

milieu des contradictions passionnées que sou-

Hume, il y a, du le monde est d'ac-

lève l'appréciation des doctrines de

moins, un point sur lequel tout

» naissance.

Dans

» prémisses

« qu'il

» tées

seulement

cette intention,

le

il

montre raisonnant sur des

n'a pas établies lui-même,

comme

mais

qu'il a

»

dans les écoles de philosophie qui l'avaient précédé.

»

faisait voir (d'après

» à

des conclusions en contradiction avec

»

que

philosophes

les

non que

la

et

Hume

témoignage de

le

la

conscience trompe, mais

prémisses généralement acceptées sur ,

»

Hamilton) que ces prétentions conduisaient

» conscience, ce qui prouvait

»

accep-

des principes universellement accordés

des

l'autorité

qui conduisent à ces conclusions, doivent être

» fausses. (Dlscussiuns, pp. 87-88, et ailleurs.) ))

C'est là certainement l'usage

de

» versaires

» validité »

»

comme

prouvant

» ab

Hume

les

fait

que R,eidet plusieurs autres ad-

de ses arguments. Admettant leur

non comme comme une reductio Cei)endant il me semble extrê-

arguments, Reid

les

Hume

conclusions de

ahsurdum de ses prémisses.

mement improbable que Hume

» à cet usage, soit »

ont

ait

,

considérait

mais

prévu qu'on

dans un but dogmatique,

soit

les ferait servir

dans un but pu-

rement sceptique. Si nous formons notre opinion en

Hume

des essais métaphysiques de

lisant la

au

lieu

de

»

juger sur quelques expressions détachées d'un seul Essai

(la

»

philosophie académique ou sceptique), notre conclusion sera, je

»

crois,

» série tout entière

Hume

que

acceptait sincèrement les

» conclusions. Il serait difficile

sans doute de

me

prémisses le

et les

prouver par un

»

témoignage

décisif, et je

ne

»

manière absolue. Quand

il

»

seurs du dernier siècle

r>

complètement de ce qu'étaient réellement leurs opinions

» connaître »

,

il

hasarderai pas à l'affirmer d'une

s'agit

des philosophes libres pen-

est souvent impossible de s'assurer ,

de

jusqu'à quel point leurs réserves exprimaient leurs

convictions réelles ou étaient des concessions aux prétendues

— cord

c'est

:

l'imporlance de son rôle historique. La

philosophie de

Hume

dent sans valeur

ne saurait passer pour un acci-

sans portée, pour un épisode in-

et

de rhistoire de

différent



476

pensée. L'auteur du Traité

la

un

faiseur

de paradoxes qu'une érudition curieuse doit

tenir à

de la Nature humaine n'est pas seulement

» nécessités

du moment. Hume,

est certain

il

a

,

fait

largement

»

des concessions de cette nature; on ne peut pas dire qu'elles

»

ne soient pas sincères, elles sont évidemment comprises

au moins

» çovy-evfa,

» scepticisme «

de

comme

Hume

cuveToïo-i.

était

me

Il

semble

un déguisement de

fort

comme que

le

cette espèce,

adopté plutôt pour esquiver une attaque que jiour cacher son

mieux recevoir

)>

opinion

o

qu'une autre plus odieuse

;

il

aimait

»

clusions dans lesquelles

»"

part

il

;

de sceptique

la qualification

comme

et

avait à tirer des con-

il

savait qu'on verrait la négation, d'une

»

du témoignage du sens commun, d'autre part des doctrinés de la religion, il ne voulut pas les donner pour des convicet crut plus

à propos de les donner^pour les

»

tiens positives,

»

résultats auxquels

»

tière confiance à la véracité de la raison.

» n'ait 1)

on pourrait arriver,

eu lui-mémo cette confiance

voir pnrtagerà ses lecteurs.

et

si l'on

accordait une en-

Je ne doute pas

qu'il n'ait

qu'il

souhaité de

la

Il n'y a certainement pas trace d'un

»

sentiment différent dans ses spéculations sur les autres sujets

»

importants traités dans ses œuvres

»

sens général de ses écrits indique une tendance, et des passa-

:

et

même

sur ce sujet,

donc plus

le

»

ges isolés seuls en indiquent une autre;

»

sonnable d'interpréter les derniers de manière à ne pas con-

» tredire l'état d'esprit »

premier.

»

ton a mal compris

»

honore à

»

est

rai-

habituel de l'auteur qui se révèle dans le

Par conséquent je ne peux m'empécher de croire que Hamilla fois

le

caractère essentiel de

Hamilton

jour

comme

Hume

w

c'est qu'il professe

w

a loyalement réclamé pour lui

M.

il

Mill, Hamilton, p. 611.

Hume

philosophe

et

;

mais ce qui

comme homme,

une ardente admiration le

titre

de penseur.

»

et qu'il



Voir

— remettre en lumière critique dans

le vif

477

sa

des questions modernes^ et dont

encore vivante dans

l'inspiration se retrouve les les plus

un penseur qui a porté

c'est

:



opposées. Dans

les

éco-

chaîne des systèmes

la

philosophiques, sa doctrine est un anneau particuliè-

rement solide

nombre

et saillant,

A

d'autres anneaux.

qu'on se place pour

un de

auquel se soudent un grand

le

juger,

il

faut reconnaître en lui

ces esprits dominateurs qui subjuguent

leurs adversaires, et qui, tion,

quelque point de vue

s'ils

provoquent

s'ils

même

excitent la contradic-

les récriminations violentes,

ne

permettent pas du moins l'indifférence. Aucun grand philosophe moderne ne

s'est soustrait à l'influence

Hume. La plupart

combattu

l'ont

et réfuté

hommes qui considérés comme

passé sous silence. Trois divers, peuvent être

de

la

,

;

de

nul ne Fa

à des degrés trois maîtres

pensée moderne, Reid, Kant, Auguste Comte,

ont particulièrement subi l'action de son génie. C'est ce que nous allons montrer en peu de mots.

Nous

dirons ensuite, en dehors de l'histoire et des faits, quelle est la part légitime d'influence et doit exercer sur les destinées

de

que la

Hume

peut

philosophie

;

quelle est, en d'autres termes, la mesure de vérité

que contient son système.

§ Parlons d'abord

1-

de Reid

et

de l'Ecole écossaise.

Reid est d'un an à peine plus jeune que Hume. Mais tandis

que

Hume

publiait à vingt-huit ans son Traité ^





478

Reid attendait sa cinquante -quatrième année pour mettre au jour son premier Essai(\). Aussi trouve-t-on, d'un côté

témérité juvénile qui se hasarde sans

la

,

scrupule dans une voie nouvelle et périlleuse l'autre^ la

prudence réfléchie d'un esprit mûr

qui se confie surtout au sens

suprême

bition

commun

,

;

de

et solide

dont l'am-

et

de mettre au service des croyances

est

générales l'appoint de ses réflexions personnelles.

Quelque jugement que

sur la philosophie

l'on porte

de Reid, on ne saurait contester qu'elle a été presque

Revendiquer tions

du

les droits

de

la

raison contre les néga-

Traité de la Nature humaine y relever les véri-

que l'impitoyable sceptique avait reléguées au

tés

rang des chimères, et l'enthousiasme

tel est le

du simple

Machar. Reid nous

dans son calme

de trouble

;

plirent toute

n y

l'a

elle

lui-même

détermina

une longue

l'histoire doit

En 1764 parut human mind.

(l)

,

la lecture

des

méditations qui rem-

les

;,

garder

du docteur

à l'examen

dans sa solitude,

entre Reid et Hume, des relacommencement de correspondance

eut d'ailleurs

l'intermédiaire

:

et studieuse existence.

le

au public ses Recherches sur

livre

bon pasteur de New-

apporta des éléments d'agitation et

tions directes et un

dont

dit

but qui anima les efforts et

paix évangélique

et sa

œuvres de Hume

the

de Hume.

par la philosophie

tout entière suscitée

F esprit

Blair

de celui

le

souvenir. Avant de livrer

,

humain, Reid, par

voulut soumettre son

dont

il

s'était

premier ouvrage de Reid

:

constitué

Inqulry into

— 479 -^ Mais, entre deux nobles

l'irréconciliable adversaire.

esprits

l'opposition

,

des

l'aménité

des

On

rapports.

(il

y

félicité

les

il

lettres

deux philosophes.

la

vue),

obscurités de détail

termine en déclarant que, loin d'être mortifié

de son contradicteur,

les critiques

prétend

,

dit-il

,

mêmes, par

erreurs

mon

» naître

qu'il croit,

mettre sur

le

Reid répondit par une

crivons presque en entier

dans

s'en

honore

;

par ses

leur rigoureuse liaison tout au

moins, avoir contribué à la vérité.

il

à une part des louanges que méri-

travaux de Reid, parce

tent les

))

pas

Reid sur l'ensemble de l'ouvrage

après avoir signalé quelques

par

les

question des perceptions de

était surtout

Hume

conservé

a

qu'échangèrent à cette époque

Après avoir

n'empêche

doctrines

:

«

. . .

lettre

Que

le

chemin de

que nous trans-

j'ai

ou non réussi

entreprise, je n'en dois pas moins recon-

que je

suis votre disciple

en métaphysique.

plus appris dans vos écrits sur ce sujet que dans

))

J'ai

»

tous les autres écrits des philosophes. Je ne regarde

»

pas seulement votre système

))

sèment

lié

comme

très-rigoureu-

dans toutes ses parties, mais déduit

des

comme

que

vous

y)

très-exactement

))

acceptez, et qui sont généralement admis par les

))

philosophes

»

jamais douté,

»

ne m'avaient inspiré de

»

étaient vrais, votre système le serait aussi. Et sur

» la question est

:

principes

principes dont je n'aurais si les

moi-même

conséquences que vous en

de savoir

la

s'ils

tirez

défiance. Si ces principes

sont vrais, oui ou non,

évidemment beaucoup

plus facile de répondre,

»

il

))

maintenant que vous avez mis au jour toutes les

— »

»



conséquences qui en procèdent,

» Ja ))

480

qu'il

ne

l'était

quand

était

encoie

majeure partie de ces conséquences

dans

ombre.

donc ces conséquences doivent être repoussées, vous méritez une part de leloge 1

Si

))

qui reviendra aux adversaires et aux contradicteurs

))

d'un pareil système

))

indiqué

»

but

le

;

car vous leur avez à la fois

armes

qu'il fallait viser et fourni les

pour y atteindre (1)... » Reid voulait dire qu'en dévoilant

les

conséquences

des prémisses empiriques on idéalistes de ses devanciers,

Hume

avait montré à ses successeurs de quel

côté surtout leurs coups devaient être dirigés; et

même

temps

quen

par l'absurdité de son scepticisme

,

,

il

avait discrédité lui-même et réfuté à l'avance les principes sur lesquels Il

il

serait trop long

s était

de suivre dans

polémique de Reid contre points,

la

lutte

appuyé.

Hume

est déclarée et

le détail la

(2).

longue

Sur tous

les

vivement soutenue.

Disons cependant que, dans ces critiques poursuivies sans relâche, Reid se montre plus ferme de croyance

Hume

que puissant en argumentation. Sa réfutation de est plus éloquente

clamations,

que

solide. Elle contient plus

que de bonnes

et solides raisons.

Sa tactique consiste

presque partout à retourner contre

(1)

d ex-

plus de cris de révolte et d'impatience

Voir Burton

,

tome

II, p. 154.



Hume

Yoir aussi

la

les

consé-

Dédicace de

Reid, dans les Recherches sur l'entendement humain. (2)

On

Cousin.

peut consufter, sur ce sujet,

la

Philosophie écossaise de





481

Hume s'em-

quences de soq système, conséquences que pressait

du

avouer.

(1

Il

était trop facile

de mettre Fauteur

Traité de la Nature humaine en opposition avec le

sens

commun

et

;

Reid a mieux réussi à établir que

Hume

doctrines de

les

sont dangereuses qu'à prouver

quelles étaient fausses.

Sur plusieurs points on peut affirmer que Reid n'a pas tout à

fait

compris Hume. Nous avons déjà

quelle illusion

dans

la théorie

il

des idées-images

Hume

cisme de

avait été victime, le

quand

il

principe

dit

de

a cru voir

du

scepti-

du monde extérieur. De

à l'endroit

même, quand il reproche a Hume d'avoir employé le mot impression d'un façon vague, sans qu'on puisse savoir, dit-il, si

ce mot désigne l'acte de voir, ou bien l'objet

qu'on voit;

il

est clair qu'en

posant une semblable

question, Reid n'a pas eu une conception nette du systè-

me

de Hume, puisque ce système consiste précisément

à supprimer tout objet, à considérer les impressions uni-

quement au non plus

point de

réfuter

vue

subjectif (1).

Hume que

lui faire

Ce

n'est pas

remarquer qu'on

arrive par ses principes à détruire toute distinction

entre les opérations de l'âme et les objets de ces opérations (%).

Hume

distinction.

En résumé, Reid

n'a jamais

prétendu maintenir cette s'est trop

souvent con-

tenté contre son adversaire d'une réfutation par l'ab-

surde. Les appels au sens

dans son

(1)

Reid

livre

,

que

les

trad. Jouffroy,

commun

sont plus fréquents

recherches positives, dérivées

tome

III, p. 36 et suiv.

(2) Ibid.. p. 29.

31

— 482 — de l'observation, ou interprétées par

le

raisonnement.

Les Essais de Reid n'en sont pas moins une œuvre considérable

,

un

effort

vigoureusement tenté pour

systématiser les croyances générales. Quelques partie»

aux

entre autres les observations relatives

surtout,

sens, et la longue discussion sur les notions morales,

sur l'origine de à

la

la justice,

sur

la nécessité

de donner

morale un fondement rationnel, sont dignes du

grand nom que Reid

s'est

Hume

philosophie moderne.

que

celui

acquis dans l'histoire de la n'eût-il

d'avoir forcé Reid,

conclusions qu'une vait accepter, à

d'autre mérite

pour échapper à des

âme dogmatique

ne pou-

et pieuse

examiner avec sa bonne

foi

son

et

ardeur naturelle les principales questions de la philosophie, qu'il faudrait faire déjà très-grande la part de

Hume a déterminé la réaction de comme autrefois les sophistes d'Athè-

du sceptique.

gloire

l'Ecole écossaise,

nes avaient provoqué

Mais l'influence de

les efforts

Hume

ne s'arrête point

peut sans hésitation affirmer que

ment sur TEcole

un goût

écossaise.

Il

fait le

on

:

a agi directe-

exclusif pour les recherches psychologiques

humain, dont Reid

le

cette philosophie

de prudence

et

;

de

loue avec raison d avoir

centre de toutes les sciences (1).

cet esprit

Il

lui a

transmis

de timidité métaphysique

dont elle ne s'est guère départie.

(1)

Hume



a contribué à lui inspirer

une prédilection marquée pour l'esprit

de Socrate.

Il

a enfin

été

son

Reid, Préface des Essais sur l'entendement humain, trad.

Jouffroy, tome III.

— modèle, dans toutes de

rales

les applications pratiques et

psychologie où

la



483

pas jusqu'au principe fondamental de

Reid

de ses successeurs,

et

mun, dont Hume

n'ait

pour son compte

comme

la

Il

mo-

n'y a

la

philosophie de

l'autorité

du sens com-

quelque droit à revendiquer

Hume

primitive inspiration.

Reid, parle d'instincts naturels, de croyances

invincibles;

y a cette seule différence que

il

devant laquelle

ils

soire et fictive

pour l'un, légitime

yeux de relles

complu.

elle s'est

l'autre

;

l'autorité,

s'inclinent l'un et l'autre, est illu-

que, pour

Hume,

et infaillible

les

aux

croyances natu-

ne sont que des nécessités subjectives pour Reid, ;

au contraire,

elles sont d'incontestables

Hume

L'action directe de

vérités (1).

sur l'Ecole écossaise s'ac-

centue encore et se précise davantage chez les successeurs de Reid.

Dugald

semble

Stewart

déjà

moins de rigueur. Sur quelque points, s'entendre avec

l'esprit perçoit-il

des choses?



Sur

lui.

les

la

Hume

juger

avec

est près

il

question fondamentale:

directement l'essence,

la

de



substance

deux philosophes professent la même

conclusion négative, et réduisent la portée directe de l'esprit

à

la

perception des phénomènes

matière ou

))

pas

»

par les sens

» la

(1)

la

couleur

;

:

c'est

le

corps dont

j'ai la

uniquement l'étendue,

toutes choses

Cette remarque a déjà été

Hume

:

que

faite. «

d'accord avec

»

tence des choses repose sur une foi

il

dit

Ce

,

n'est

perception figure,

la

constitution natu-

Reid,

)i

dit Ritter, « est

que notre croyance à

»

(juand

ma

«

sur un instinct.

»

l'exis-



484



me fait rapporter à quelque chose d'extérieur. de même pour l'esprit. Nous n'avons pas immé-

))

relie

»

Et

»

diatement conscience de son existence

»

avons conscience de nos sensations, de nos pensées,

))

des actes de notre volonté. Ces opérations suppo-

))

sent l'existence d'an être qui sent

y.

la

de ce qui constitue l'essence de l'âme

matière (1).

Y

»

a-t-il

un

les qualités perçues,

de

bien loin de cette constitu-

être substantiel et identique,

naturel qui, selon

l'instinct

et celle

qui nous détermine à concevoir, derrière

tion naturelle

à

pense et

qui

,

Nous sommes dans une ignorance abso-

» qui veut... » lue

mais nous

;

Hume,

maintient

nos

.croyances malgré les raisonnements du scepticisme?

Pour Stewart, comme pour Hume, seuls sont

tence de

1

immédiatement

par

saisis

ame, l'existence de

les

phénomènes

l'esprit

l'exis-

;

matière relèvent non

la

d'une perception directe, mais d'une croyance suggérée par la nature.

Stewart

a

beaucoup

pour

insisté

certain point de vue, la théorie de lité.

Dans ses notes,

trer

que l'opinion de

nomènes

comme dans

au

n'est pas,

Reid

de

la

,

les textes

;

un

pour mondes phécroire et

un paradoxe nouveau

philosophie

à

sur la causa-

Hume sur les relations comme on pourrait le

le pensait

l'histoire

accumule

il

justifier,

Hume

qu'elle a

et isolé

pour

elle,

contraire, les témoignages de Butler, de Berkeley

(dans son ouvragé

(l)

intitulé Siris,

ou Recherches

Eléments de la philosophie de l'entendement humain

philoso-

,

tome

I

,

— phiques sur

de Locke,

vertus de l'eau de goudron),

les

avant eux, de Hobbes, de Malebranche lui-même.

et

est vrai

Il

,

que Dugald Stewart ne se range à

Hume que ble. Comme

dans

de

de

la

l'avis

de l'observation sensi-

les limites

dit

le

il

»



485

lui-même,

«

dans cette question

causalité, ses prémisses sont vraies, sa con-

» clusion

fausse

est

ses prémisses,

»

;

c'est-à-dire

de percevoir immédiatement par

l'impossibilité

les

sens une cause, une force réelle; sa conclusion, c'est-

du principe de

à-dire la négation

Stewart ne

s'est

jamais caché de

profonde pour Hume.

pour se convaincre II

le cite

Il

de

suffit

qu'il l'avait

son admiration

il

lui fait

qu'à Locke ou à Kant. ticisme, mais

Il

aux progrès de

le

détail

les

progrès

combat, sans doute, son scep-

l'envisage

il

les

une place aussi importante

la

comme une

crise

utile et

philosophie.

Nous ne voulons pas pousser plus dans

ses ouvrages

lire

assidûment pratiqué.

sans cesse. Dans sa Dissertation sur

de la pjhilosophie,

salutaire

causalité.

rapports de

écossaise. Disons seulement

que

mier des grands philosophes

loin

et suivre

et

de l'Ecole

Hume

l'influence

écossais,

encore dans les écrits de Hamilton,

du pre-

se retrouve

dernier repré-

le

sentant de cette école. Sans y insister, nous citerons le

jugement que

Hume ))

la

•(1)

tome

Hamilton

dans ses leçons sur

la

lui-même a porté sur métaphysique (1):

Hume

philosophie sensualiste de Locke,

Voir Hamilton II, p. 395.

,

Lectures on

métaphysks

,

édition

«

A

opposa

Mansel

— » la difficulté » est ))

))

de rendre compte de

un des caractères de

la nécessité,

la liaison

même

qui pût servir

une

tenter

à

pareille

explication; quant au principe de la coutume,

» a

montré

qui

de causalité. Le

de Locke ne présentait pas de prin-

sensualisme

» cipe



486

donner une nécessité

ne pouvait

qu'il

donc

Hume

ou bien

doctrine

du

))

réelle. L'alternative est

»

sensualisme est fausse, ou notre nature est un en-

»

semble

»

déterminés par

ment

»

Locke.

» tout

»

Hume

a été ainsi

un plus

solide fondesuperficiel

l'édifice

de

cause ou l'occasion de

la

ce qui a de la valeur dans nos récents travaux

more

philosophie deKant,

»

Sophie allemande

:

en Ecosse,

» Ste^vart

that

(o/* ail

il

soit

,

de

la

la philo-

de Reid, de

de tout ce qui se distingue soit

,

la

dans

la

philosophie

Hamilton exagère peut-être un peu évident

est le père

est le père aussi

et

dans

of principal value in

par Kant, de toute

et,

par un mérite éminent

» française,

is

Hume

récent metaphysics).

))

))

que

à la philosophie,

de métaphysique

» our

à chercher



la

Les profonds penseurs ont été

d'illusions...

))

:

par son témoignage,

qu'il

;

philosophie

italienne.

mais

ne

il

»

est bien

croit pas avoir

échappé lui-même à l'influence de Hume, puisqu'il fait

de cette influence

le

principe de tout ce que les

travaux récents de métaphysique ont produit de distingué dans les contrées philosophiques de l'Europe.

§

On

2.

connaît la phrase célèbre de Kant

:

« C'est

Hume

— qui m'a réveillé de faut

Il

ques,

ajouter que

la nécessité

lui a parfois aussi

€ontre



mon sommeil dogmatique (1). » Hume lui a révélé, par ses atta-

si

de renouveler suggéré

scepticisme. «

le

487

métaphysique

la

moyens de

les

Hume,

M. Cousin,

» dit

))

phe allemand

»

dans l'ancienne route,

est tenté

de

« est

le philoso-

un pas en arrière

faire

Hume

il

se défendre

fantôme perpétuel de Kant. Dès que

» le

,

apparaît et l'en dé-

lui

de Kant est de placer

0)

tourne

»

philosophie entre l'ancien dogmatisme et le sensua-

de Locke et de Condillac, à

» lisme »

tout l'effort

et

;

du scepticisme de

Nous

Hume

l'abri

la

des attaques

(%). »

allons rapidement préciser sur quels points

a principalement porté

l'influence

du philosophe écos-

sais.

Mais disons d'abord que cette influence est sur-

tout

indirecte,

qu'elle se manifeste par l'opposition

presque constante du disciple.

ment étudié pour mieux parfois

la la

philosophie de

combattre.

ou des personnes

Kant a passionné-

Hume,

ce n'a été que

lui est arrivé

Il

aux enfants, vdont

une réaction contre

Si

le

ce qui arrive

caractère est en partie

les caractères

qu'ils ont le plus

de leurs parents familièrement fré-

quentées. Néanmoins, Kant a eu quelque peine à se

défendre contre l'obsession des idées de

remèdes fait

qu'il a

Hume

imaginés pour guérir

le

Hume

,

et les

mal qu'avait

ressemblent quelquefois d'assez près à ce

mal lui-même.

(l)Kant (2)

,

Prolégomènes de toute tnétaphysiqiie future

Cousin, Philosophie de Kant

,

p. 18.

,

Préface.



.

Ce qui



d'épithète

élogieuse

Hume

pour

est

lui

que

le

ment à Hume, la portée

de

graphes de

n'y a pas

un

et judicieux philosophe...,

un homme

si

habile et

si esti-

Cette admiration a surtout pour principe

»

le mérite

H

accorde. L'illustre

lui

plus ingénieux des scepti-

le

«

pénétrant...,

mable!

ne

qu'il

un grave

» ques..., » esprit

Tadmi-

est tout d'abord incontestable, c'est

profonde de Kant pour Hume.

ration

»

488

philosophe allemand attribue juste-

d'avoir voulu déterminer exactement

l'intelligence

la

,

et d'avoir été

un des géo-

Hume

qui, le pre-

raison humaine. C'est

mier, a réellement inauguré

les

attaques contre les

prétentions, justifiées ou non, de ce que Kant appelle la raison pure. Et peut-être,

malgré

nous allons relever,

permis de dire

est-il

que s'arroge

droit

les

qu'ici

deux philosophes sont à peu près du même Le

que

les différences

avis.

raison de sortir des limites de

la

l'expérience possible, pour concevoir des vérités trans-

cendantales, Kant

le

conteste aussi bien que

Sur un point au moins, l'entente

est

damnation de l'ancien dogmatisme. le

scepticisme de

comme

Hume

complète Si

:

Hume. con-

la

Kant condamne

en lui-même,

il

l'approuve

négation de la vieille métaphysique,

qu'il

im-

porte de renverser, ou tout au moins de réformer.

Hume son

a donc entrepris une

tort a été

de ne pas

la

œuvre louable; mais

pousser jusqu'au bout

de ne pas l'embrasser dans son ensemble.

Kant,

trois

moments à

pensée philosophique le

scepticisme;

Il

y

,

et

selon

a,

distinguer dans le travail de la :

enfin,

le la

dogmatisme d'abord critique.

,

puis

Le scepticisme





489

s'insurge justement contre les vaines tentatives d'un

dogmatisme imprudent de rien accorder à existence et

cisément à

mais

:

raison

la

se trompe, en refusant

il

et

,

de reconnaître son

son rôle spécial. La critique consiste pré-

du sceptique,

rectifier les erreurs

par

et,

une détermination complète des principes de l'enten-

dement

de

et

la raison, elle rétablit le

dogmatisme sur

des fondements inébranlables. Mais c'est le scepticisme qui a préparé l'œuvre de

critique,

la

qui rend

et

possible la saine appréciation des facultés de

gence. Or,

Hume

Le

tique.

la

:

méthode

nature humaine nie

en ce sens

mais

il

est

qu'il

laquelle nous

il

est

nous inspire une défiance

dans

marque pas exactement

-cri-

toute ex-

raison en dehors de l'expérience, et

le vrai,

générale

la

l'intelli-

méthode sceptique,

le soin d'instituer la

Traité de

tension de

dans

en

Kant

et a laissé à

est resté à la

faux, en ce

le

qu'il

bornes de l'ignorance à

les

sommes condamnés. Après

avoir con-

testé légitimement certaines applications

de

Hume

préalable,

se trompe, lorsque, sans

dénie à

l'esprit tout

ne

examen

pouvoir de s'étendre a

critique est négative, celle de

la raison,

priori.

il

Sa

Kant positive. Et, pour

reprendre une comparaison qui revient souvent dans la Critique

de

la raison

pure,

Hume

géographe qui se contenterait de dire mitée

;

ressemble à un :

la terre est

li-

tandis que Kant prétend aller plus loin et déter-

miner exactement précises d'un

la

forme sphérique

monde dont

il

et les limites

a fait le tour.

Disons-le tout de suite, Kant nous paraît trop in-

dulgent pour Hume.

Que

les

négations absolues de

— Hume

au

aient tourné

Kant en

de

profit

des

tiré

ait



490

inspirations

salutaires

pour

rétablissement du dogmatisme, on ne saurait tester; mais, pris le

ment à

laisser

connaissances, le

le

con-

le

dans ses intentions

et

Hume

ne tend pas

seule-

indécise et confuse la limite de nos il

dçtermine très-nettement cette limite

sens le plus étroit de l'empirisme, sans auto-

riser la raison

tenter de nouvelles entreprises oii

à

moindre espoir d'un meilleur

puisse avoir le

elle

lettre

la

scepticisme de

réelles,

dans

à

que

philosophie, et

la

succès.

Kant a, d

compris que

parfaitement

ailleurs,

la

discussion du principe de causalité est le point capital

de

philosophie de

la

examinant

Hume.

Il

valeur de ce

la

le

d'avoir, en

loue

principe,

soulevé une

question de laquelle dépend le salut ou la ruine de la

métaphysique

:

la

question de

ments synthétiques a circonscrit son

tique de

la

priori.

examen

l'effet

» erreurs vinrent surtout, » lui ))

est

qu'il

commun

» les espèces » car »

il

pas

Il

de

«

:

Ses

d'un défaut qui

dogmatiques

:

c'est

toutes

de synthèses a priori de l'entendement

aurait trouvé

» lui-là), est,

les

«

systématiquement

que

comme

celui

de

ici

;

permanence,

le principe de la

par exemple (pour ne faire

» pation

des juge-

blâme d'avoir

avec sa cause

» dit-il,

avec tous

ne considérait

le

il

à la seule proposition synthé-

de

liaison

la possibilité

Mais

mention que de ce-

la causalité,

une

antici-

de l'expérience. »

est certain,

le répéter,

et

qu'en

nous avons eu souvent l'occasion fait

d'analyses,

Hume

se satisfait

I

~



491

trop vite, et le défaut fondamental de sa

méthode a

été très-justement mis en lumière par Kant. Mais

semble un peu exces-

critique est fondée, l'éloge nous

songé à

la

inventifs,

Hume

autres.

est

Il

même

texte

» ))

un

lisent

que l'auteur leur

expliqué là-dessus

et

tous les esprits

aux

livre plutôt

inspire,

dans

que dans

le

sous les yeux. Kant, d'ailleurs,

qu'ils ont

Hume

reconnaît lui-même que « ))

Comme

prête souvent ses propres idées

de ceux qui

les méditations

n'a jamais

jugements synthétiques

distinction des

jugements analytiques.

des

Hume

nous persistons à penser que

sif, et

si la

:

ne

s'est

jamais bien

pensait peut-être bien qu'il

il

y a certains jugements où nous sortons du concept de lobjet... » La question ne s'est jamais posée pour Hume.

ainsi

Il

distinguait,

connaissances qui résultaient de

on s'en souvient, la

comparaison

les

même

des idées, et les probabilités qui dérivaient de l'expérience.

Il

ver dans

faut la

beaucoup de bonne volonté pour retrou-

première catégorie

ques, et dans

Mais

la facilité

ver dans tales

la

seconde

les

les

jugements analyti-

jugements synthétiques.

avec laquelle Kant se décidait à retrou-

Hume

l'origine d'une des distinctions capi-

de sa philosophie,

sur d'autres points,

il

est

elle-même une preuve que,

lui était

réellement redevable

de quelques inspirations. Il

est certain, par

Hume les

est la raison

catégories

formes

exemple, que

scepticisme de

qui a déterminé Kant à imaginer

de l'entendement

subjectives, quelque

d'ailleurs,

le

par lesquelles

il

nom

et

l'ensemble des

qu'il

leur

donne

croit rétablir l'autorité

de

— nos jugements



492

compromise par Hume. Hume

si

avait,

en quelque sorte, abouti à une dissolution totale de l'entendement;

nombre

il

avait

décomposé

aucun

d'éléments, sans

indéfini

unis seulement par l'habitude.

Au

en un

l'intelligence

lieu

réel,

lien

de ces relations

précaires et entièrement a posteriori, Kant admet des

principes premiers, qui sont les fondements de l'expé-

comme

rience,

qui

même

de l'entendement, ou

les catégories

tendent à nous faire sortir des limites de

l'expérience, les lois de la raison. Mais,

Kant ne va pas chercher dans dans un rapport direct de

de

principe

la

lui,

Pour

;

de l'expérience

et

de

la

le

lui,

des

mais ces rapports

a priori^ de la constitution

tandis qu'ils ne sont pour

l'esprit,

avec son objet,

les relations, les rapports

entièrement subjectifs

idées sont

dérivent pour

choses elles-mêmes,

l'esprit

science et de la certitude.

comme pour Hume,

sultats

les

comme Hume,

même

Hume que

de

les ré-

coutume.

L'existence des jugements synthétiques a priori, qu'ils

dérivent de l'entendement ou de

Kant reproche surtout à

comme Hume ne causalité

Kant

c'est

,

insiste

s'est

Hume

la raison, voilà

d'avoir

ce que

méconnu

;

et

guère occupé que du jugement de

sur ce point particulièrement

dans sa critique.

Il

y a

,

dans

la

que

Critique

de la raison pure, d'admirables chapitres destinés à rétablir l'autorité primitive et

causalité.

prend

Avec une

Hume

culière

de

innée du principe de

perspicacité parfaite, Kant re-

d'avoir confondu la détermination partitelle

ou

telle

cause, qui n'est possible

qu'après expérience, avec l'affirmation générale de



d'une cause , affirmation qui s'impose a

la nécessité

Que

priori.



493

le soleil

durcisse largile et fonde la neige,

ce que nous ne pouvons savoir qu'après obser-

c'est

vations préalables

;

mais que ces deux phénomènes

que tout

aient une cause, c'est ce

même, en

vertu des conditions

esprit sait par lui-

mêmes de

son déve-

loppement.

Ce

n'est peut-être pas

Hume que Kant forme de

mais

;

la

La

les

la sensibilité

première

la

pour

sensibilité est

de connaître, non pas

les

on

lui,

choses en

Pour Hume,

phénomènes.

tion est le principe tuel

de

fait

l'intelligence.

le sait, la faculté

soi,

a

non plus sans se souvenir de

la

de tout développement

sensa-

intellec-

croyance n'est qu'une sensation, ou une idée

avivée par son rapport avec une sensation. Enfin

,

de ne pas être frappé du

est impossible

il

rapport qui existe entre le dogmatisme de

fondé sur les instincts de

de Kant, appuyé sur philosophes

de

la

,

les notions

ont senti

,

,

morales. Les deux

la

quoique différemment, au nécessité

de reconstruire

l'édifice qu'ils

avaient détruit. Mais chez

allemand,

croyances de

les

la

sit le

;

et c'est

n'a

supérieur à ,

l'esprit sai-

dans ce monde idéal que nos

croyances sont réalisées.

Hume

monde

au-dessus des phénomènes

noumène,

philosophe

le

raison pratique trou-

vent leur point d'appui dans un l'expérience

Hume,

dogmatisme

et le

après avoir critiqué l'usage spéculatif

raison, et abouti,

scepticisme

nature

la

Il

est inutile

de dire que

conçu avec netteté rien de semblable

que, soutenues seulement par

1

instinct, les

,

et

croyances



494



qu'il

combat ne sont sauvées qu'en apparence

pour

le

besoin de

Son

la vie pratique.

et

,

esprit n'a pas

eu assez d'essor pour échapper au scepticisme autre-

ment que par un dogmatisme précaire qui ,

expédient sans valeur. Mais

lui-même dans a

gloire

la

la

^

il

est

permis

que, par sa distinction de il

marcher

n'a pas su

voie hardie où s'est jeté celui qu'il

d avoir compté parmi ses admirateurs

ses disciples

tique,

s'il

qu'un

n'est

la

du moins

,

et

de penser

,

spéculation et de

pra-

la

a déterminé, dans la pensée de Kant, des

réflexions fécondes

;

il

lui

a donné l'idée d'écarter le

pyrrhonisme par un idéalisme étrange, dont loriginalité est incontestable

,

mais qui n'en

moins

est pas

fondé sur une distinction analogue à celle de Hume.

En enfermant

l'esprit

humain dans ce

l'empirisme sceptique, d'où sortir

que par

la

il

porte du sens

ne

permettait de

commun,

il

a forcé le

génie de Kant à se frayer une voie nouvelle élargir les horizons

d'un

de

la

de

cercle étroit

lui

et

,

à

philosophie par lïnvention

monde nouménal, que nous ne pouvons nous

représenter, mais que nous pouvons concevoir, et dont l'existence est certaine.

§3. Si

Hume, par

ses négations, a

provoqué un rajeu-

nissement du dogmatisme spiritualiste

Kant à inventer, par delà presque raison à tés

Hume

,

les

;

s'il

phénomènes où

a il

un monde nouveau de

que nous pouvons penser

et

forcé

donne réali-

non connaître,

afin

— un refuge

d'y chercher

ver,

même,



et d'y

emporter, pour

croyances humaines;

trésor des

le

495

sau-

le

a, de

s'il

contraint les Ecossais à s'appuyer de plus en

plus sur le sens

commun, par

individuelle et par

défiance de la raison

un sentiment

des preuves philosophiques

;

il

secret de la faiblesse

a aussi

,

par ses ana-

lyses, directement inspiré les philosophes qui, à des

degrés divers

se rattachent de notre temps à FEcole

,

il

a agi sur la pensée

moderne, non pas

seulement par

les réactions qu'il a

soulevées

positiviste

:

contradictions qu'il a rendues nécessaires

tendances

les

qu'il

des

qu'il

a léguées

lui

chefs

lui ;

il

a transmises est l'un

de cette école qui

,

,

par les

,

mais par

,

par

idées

les

des maîtres et l'un

en France

relève

,

d'Auguste Comte, en Angleterre, de M. Stuart Mill

;

maître ignoré par les uns, avoué par les autres, mais

dont

l'esprit se

retrouve sans cesse

,

et

dont

nom

le

revient souvent, dans des travaux qui, par la puis-

sance de leurs déductions, par doctrines

,

sinon pour

la vérité

la

hardiesse de leurs

de leurs conclusions

méritent de prendre rang parmi les œuvres les plus considérables de notre temps. Citons d'abord le témoignage d'Auguste

même

:

((

Sous

))

principaux

))

cieux

l'aspect

purement mental

membres de FEcole

Hume

,

Comte

lui-

l'un

des

,

écossaise

,

le

judi-

par une élaboration plus originale sur

théorie de la causalité,

entreprend avec har-

))

la

))

diesse, mais avec les inconvénients inséparables

))

la scission

jj

générale entre la science et

la

de

philoso-

phie, d'ébaucher directement le vrai caractère des

— »



496

conceptions positives... Malgré toutes ces graves

»

imperfections, ce travail constitue, à

»

seul pas capital qu'ait fait l'esprit

»

juste appréciation

mon

gré, le

humain vers

directe de la nature

la

purement

))

relative, propre à la saine philosophie, depuis la

»

grande controverse entre

»

nalistes,

»

historique de cette détermination fondamentale.

»

doit aussi noter, à cet égard, le concours spontané

»

des ingénieux aperçus de son immortel ami

»

Smith, sur

»

tout

))

encore davantage du vrai sentiment de



j'ai

de

nomi-

ci-dessus indiqué le premier

germe

l'histoire

me

ma

,

On

Adam

générale des sciences, et sur-



de l'astronomie,

» rationnelle. Je ))

les réalistes et les

il

s'approche

plais à consigner

peut-être

la positivité

l'expression

ici

reconnaissance spéciale pour ces deux émi-

dont Tinfluence

ma

»

nents penseurs

»

première éducation philosophique, avant que j'eusse

»

découvert

»

la

,

grande

loi

fut très-utile à

qui en a nécessairement

dirigé tout le cours ultérieur (1). »

Après Reid, après Kant, voici donc Auguste Comte qui reconnaît,

aussi,

lui

ses premières réflexions.

dans

Y

Hume,

a-t-il

l'inspirateur

de

donc beaucoup de

penseurs, anciens ou modernes, qui aient eu

la

bonne

fortune d'appeler à la vie philosophique, en présidant

au premier

renom

éveil

de leur

esprit, trois

philosophes d'un

aussi éminent?

Auguste Comte, nous a témoigné encore l'estime

(l)

Auguste Comte

tome VI,

p. 259.

,

Cours de philosophie positive

,

qu'il

édition Littré,

— 497 — de

faisait

Hume

par

Dans ce calendrier, résumé de

Calendrier positiviste. l'histoire

de tous

place qu'il lui a donnée dans son

la

les

temps

de tous

et

nom

à chaque jour de l'année correspond un

par l'action ou par

la

nes ont leur mois

:

patron. Les

noms

pensée, le

les

à côté de Pascal

Hobbes y

:

célèbre

même

places

Kant

et

que Locke

les autres

:

et c'est pré-

Hume

est

Bacon

,

Montesquieu

,

comme

,

compté, et Leib-

Cabanis

Hegel eux-mêmes sont relégués aux rangs plus

obscurs des jours de

a

inscrit

est

aux philosophes que

d'honneur,

temps que saint Thomas

tandis

:

le

Joseph de Maistre, à côté de Fréret.

;

cisément parmi ces privilégiés que

en



plus glorieux figurent dans la

les

Comte met au-dessus de tous

nitz

et

philosophes moder-

Les quatre dimanches du mois ont été réservés, autant de

,

onzième. Descartes en est

sans acception de parti

liste,

pays

les

la

semaine

(1).

De même, Hume com-

trouvé place dans la Bibliothèque positiviste

posée par Auguste Comte pour guider ses disciples, et

les

où ne figurent cependant

,

études de

ni les

œuvres

de Locke ou de Condillac, ni celles de Voltaire ou de Rousseau. Après

la Bible et

cours sur la Méthode, ei selle,

prennent

rang

«

i)

double Dissertation sur

(1)

précédés (ainsi

,

le Dis-

philosophiques

le

demande Comte) de

les

sourds

Ce calendrier se compose de

-chacun

Essais

les

Hume,

Coran, après

Discours sur F Histoire univer-

le

»

le

treize

et

les

aveugles

de la

de

mois de vingt-huit jours

qui ne laissent qu'un jom' complémentaire dans les an-

nées ordinaires et deux dans

les

années bissextiles.

32

— nomie, par

Adam



de VEssai sur

» Diderot, et suivis »

498

Smith.

Hume

L'opinioQ de Comte sur

Vhistoire de VAstro-

»

n'est pas restée sans

écho parmi ses disciples ou ses adhérents » tation

de

Hume

du

» stitution

sur

la causalité

relatif à l'absolu

un pas

unabréviateur du système de Comte » positiviste, » dit »

pour

»

ne

première

la

Hume,

» par

fait

M.

qui

Mill, « fut

:

La disser-

faire à la

sub-

décisif,

écrit

))

La doctrine

(1). «

probablement conçue

dans son entière généralité,

fois,

même

fit

la

mena un peu

plus loin

que

Comle, soutenant non pas simplement que

» les seules causes des

phénomènes susceptibles

d'être

»

connues de nous sont d'autres phénomènes, leurs

))

antécédents invariables, mais qu'il n'y a pas d'au-

espèce de causes,

» tre

la cause,

telle

qu'il Tinter-

» prête, signifiant l'antécédent invariable (%). »

C'est la

ressemblance des doctrines qui révèle

cendant d'un maître mieux encore que des disciples. Or l'Ecole

positiviste

il

suffit

pour remarquer sur combien de

C'est surtout la négation

de toute substance, qui, a

de toute

Hume.

force, et, par suite,

attiré sur

Hume

les

sympa-

d Auguste Comte. En niant toute cause réelle,

thies

Hume

ouvrait les voies à l'affirmation fondamentale

du positivisme

:

qu'il n'y

a que des connaissances re-

C. de Blignicres, Exposition abrégée

sophie positive (2)

l'as-

hommages

de jeter un coup d'œil sur

points essentiels elle se rencontre avec

(1)

les

,

M. Stuart

et

populaire de la philo-

p. 446. Mill,

Comte

et le

positivisme, trad.

Clemenceau,

p. 8»





499

latives, et qu'en toute'chose l'essence réelle^ la vérité

absolue nous échappe. Pour A. Comte,

science se

la

réduit à déterminer les phénomènes dans leurs rapports de similitude et de succession.

aux causes

efficientes et

ment que

recherche

la

Hume ou M.

primant

la

chose,

du mot cause

:

il

,

et,

finales,

Quant aux causes

en proscrit entière-

plus conséquent avec lui-même

Mill, qui

conservent

le

nom

en sup-

rigoureusement l'emploi

s'interdit

il

il

ne parle que des

lois

de succession.

Qui ne reconnaîtrait, dans ces principes, l'expression

même Comte,

des pensées de il

n'y a

Hume? Pour

de certains que

nomènes, ce qui

est

comme pour

lui,

les faits positifs, les

donné par l'expérence.

Il

phé-

y a seu-

lement cette différence que Hume, nourri dans

l'idéa-

lisme de Berkeley, considère les choses au point de

vue

subjectif;

que Comte, au contraire, élevé à

des sciences mathématiques et physiques point de vue

objectif.

Mais

sont pas autre chose au fond que les

se place

,

les impressions

l'école

de

les

faits,

au

Hume ne phéno-

mènes de Comte.

Un même mépris de

la

logique anime auss4 les

philosophes. Ce mépris nous turel et

deux

un préjugé na-

paraît

presque inévitable pour des penseurs qui nient

tout a priori. « La

méthode,

»

dit

Comte,

« n'est

pas

en dehors des recherches

))

susceptible d'être étudiée

»



employée, ou du moins ce

n'est là

qu'une

))

étude morte, incapable de féconder

l'esprit

qui s'y

))

livre (1).

(l)

elle est

En elle-même

))

A. Comte

,

la

logique ne peut ensei-

Cours de philosophie positive

,

tome

I

,

p. 33.

— 500 — gner que des généralités vagues. Elle ne se précise

que dans

ses applications,

c'est là qu'il faut l'ap-

et

prendre. C'est par l'étude des sciences que l'on par-

viendra à acquérir de bonnes habitudes intellectuelles. Il

n'y a pas d'opinion sur laquelle

fréquemment dans

Hume

n'ait

sion et le la

la

série

Comte revienne plus

de ces leçons. Bien que

pas traité la question avec

même

développement,

déci-

condamnation de

la

logique était manifestement au bout de ses doctrines.

Nous n'avons pas besoin de redire (voir combien sont et

même

la

combien

elles

,

chap. VI)

le

insuffisantes les règles de son

malgré leur faiblesse

Organum,

et leur brièveté

dépassent par leurs prétentions

légitime portée

la

d'une logique empirique. Fondée exclusivement sur les faits, sur les résultats

de l'expérience, vide de tout

principe a priori, la logique empirique ou positiviste n'est

que

le

résumé de

la

science

faite.

progrès, les nouvelles applications de

vent à tout

de

la

moment

dont

la

science peu-

modifier, transformer les règles

méthode; de sorte que, variable

la science

Les nouveaux

elle n'est

que

et

mobile

comme

forme abstraite

la

,

la

logique n'a pas de valeur en elle-même; surtout elle

ne peut être déterminée avec l'avance.

se

Le savant qui

mettre à l'œuvre

profit

et

formulée à

méthode avant de

établit sa

ressemble à un voyageur qui

voudrait a priori fixer l'itinéraire d'un voyage de découverte. Si les points

communs entre Hume

et

Auguste Comte

ne sont pas aussi nombreux qu'on pourrait l'attendre

de philosophes qui professent

les

mêmes

principes



501

ont poussé leurs investigations dans des

c'est qu'ils

voies tout à

fait

vent répété

est

,

différentes.

»

,

l'avons sou:

ramène

il

une aberration singulière

peu digne d'un aussi grand contraire

Hume, nous

avant tout un psychologue

tout à la psychologie. Par

arrêt de



A. Comte,

esprit,

et

au

prononce contre Tobservation intérieure un

mort absolu. «L'esprit humain peut observer

directement tous les phénomènes

excepté

,

les siens

L'individu pensant ne saurait se partager

» propres...

que

»

en deux, dont

))

regarderait

»

psychologique est donc radicalement nulle dans son

l'un raisonnerait, tandis

raisonner.

Cette

» principe (1). » L'écart est aussi

entre les deux philosophies

d'une

même

;

l'autre

prétendue méthode

grand que possible

et à voir

deux adhérents

école se contredire aussi absolument sur

un point aussi

essentiel,

on a quelque envie de déses-

pérer du progrès philosophique, et de s'effrayer sur les

destinées d'un science où les opinions

les

plus

contraires peuvent être aussi résolument affirmées.

Auguste Comte, bien qu

Si

a su apprécier D.

Hume,

il

hostile à la psychologie, n'est pas

étonnant que

notre auteur ait excité l'admiration de ceux d'entre les positivistes qui,

mieux

inspirés, reconnaissent les

droits et l'importance des études psychologiques.

l'avons montré bien souvent dans ce livre

:

les philo-

sophes de l'Ecole anglaise contemporaine sont ciples

ment

(1)

de Hume. les

Ils

lui

,

les dis-

ont emprunté non pas seule-

tendances positivistes qui

A. Comte

Nous

les

Cours de philosophie positive

;

déterminent à

passim.

— sacrifier

comme

lui toute

au delà des phénomènes

commencements des de résoudre

502

~

recherche, toute spéculation ,

mais aussi

les

germes ,

théories par lesquelles

les

essaient

ils

problèmes de l'âme. Nous ne dirons

les

pas que M. Stuart Mill, par exemple, soit seulement

un Hume

diffus,

mais

c'est

Hume

un

perfectionné, qui

a su développer avec une admirable clarté les principes

que Fauteur du

Traité de la Nature humaine avait négli-

gemment jetés dans peu obscure

avec

et

Hume, Ihypothèse :

peu

trop

elle est

une forme un

d'éclaircissements.

supprime

expérimentale anglaise

L'Ecole

tique

ses ouvrages sous

comme

,

d'une âme, d'une substance iden-

donc bien forcée

comme Hume

,

chercher dans l'association des idées

,

dans

la

,

de

combi-

naison de quelques impressions primitives, l'explication des

phénomènes

tions les plus

compliqués, des opéra-

les plus

élevées de l'esprit.

Nous pouvons donc conclure que Hume philosophes modernes qui ont

le

est

un des

plus agi sur la pen-

sée de ses contemporains et de ses successeurs. Après cent ans, son influence n'est pas éteinte. lui tous les

cupent et

S'il

a contre

philosophes métaphysiciens qui se préoc-

avant

des

tout

suprasensibles

,

il

questions

transcendantes

a pour lui, au contiaire, tous

ceux qui, à quelque école

qu'ils

tachent de préférence aux

appartiennent,

s'at-

recherches positives, et

excluent, les uns absolument, les autres le plus possible, ces entités, ces facultés

dont

la

cienne a tant abusé. Hegel a pu dire » possible de descendre plus bas,

philosophie an:

«

Il

comme

n'est pas

penseur,

» qu'en faiSSnP%le l'habilude et de » source ))

élevées. » Mais,

M. Huxley,

l'illustre

il

et les plus

a quelques années à peine,

y

savant anglais, écrivait, peut-être

avec une exagération contraire, par

rimagination la

des notions les plus générales

et

pour mieux écraser,

comparaison avec un génie supérieur,

la

le

mérite

Comte, à propos de qui ce passage a été com-

d'A.

posé

:

((

Les pages lourdes et verbeuses d'A. Comte

» rappellent

peu

» leuse précision

la

vigueur de pensée

et la

de style de l'homme que

» pas à appeler le plus

merveil-

je n'hésite

penseur du dix-huitième

fin

» siècle, bien que ce siècle ait produit Kant (1), »

III

De

tout ce

que nous avons

a posé, sinon résolu,

que puissent questions

résulte

il

que

Hume

questions les plus graves

les

débattre

dit,

les

philosophes

redoutables qui seront

modernes

:

longtemps agitées

avant d'aboutir à une conclusion définitive, questions qui se réduisent à deux 1**

L'esprit

humain

:

peut-il sortir

de lui-même,

et,

franchissant les limites des impressions subjectives, peut-il connaître les objets ?

^° L'esprit lui,

humain, en lui-même ou au dehors de

réduit à des connaissances subjectives, ou capa-

ble de déterminer des vérités

objectives, connaît-il

autre chose que des phénomènes;

(l)

Revue des cours scientifiques

,

saisit-il, soit

17 janvier 1869.

direc-

— 504 — tement cédés

et

une vue immédiate,

par

inductifs,

substances,

les

soit

les

par des pro-

principes,

les

essences des choses?

Sommes-nous seulement un ensemble d'affections et de conceptions subjectives, une série d'états de conscience, qui prennent successivement possession d'eux-

n'ont aucune prise sur les objets

mêmes, mais qui

sur les réalités distinctes

extérieurs,

ouverture sur

sur eux-mêmes,

de nous; sans

dehors, et rigoureusement fermés^

le

comme

Et quel que soit

monades de Leibnitz?

les

le résultat

de nos recherches sur ce

premier point, que nous soyons disposés à admettre l'idéalisme

ou à

le

repousser, les connaissances que

nous ne pouvons refuser à dtiire, ont-elles

l'esprit le

pouvoir de pro-

une portée phénoménale, ou une portée

transcendante ? Sommes-nous emprisonnés relatif, ou,

dans

le

par quelques côtés, avons -nous accès sur

l'absolu ?

Nous venons devoir comment

les

systèmes moder-

nes (ceux du moins qui ont été attentifs aux travaux

de Hume), ont répondu à ces deux grandes questions.

Les uns, acceptant l'idéalisme et

comprenant, cependant,

le

et

lephénoménisme

y

besoin de satisfaire aux

croyances de l'humanité, admettent l'existence vague d'un

monde

inaccessible à nos pensées.

retranchent dans leurs lois; et

si

objective de ces ils

la

Mais

ils

se

recherche des phénomènes et de

on leur demande quelle

est la valeur

connaissances, d'ailleurs

relatives,

reconnaissent volontiers qu'elles n'en ont aucune

;

— que

l'esprit

ne peut^ quelque

preuve d'une

la



505

effort qu'il fasse,

existence distincte de

sont les vrais disciples de

Hume

;

lui.

M. Stuart

trouver

Ceux-là Mill

en

est le plus illustre représentant.

Les autres, dont Kant est soulevées par

le chef, font,

aux questions

Hume, des réponses beaucoup

plus com-

pliquées. Mais en négligeant les détails et d'une façon

générale, on peut dire qu'ils sont, eux aussi, convain-

cus qu'au point de vue spéculatif nous ne pouvons saisir autre

chose que nos idées, ni, par delà l'expé-

rience, connaître directement des objets transcendants.

Mais ce monde des réalités substantielles et nouménales;

que

regret, et dont

comme à que vaguement, comme

ne font qu'indiquer

les positivistes

ne parlent

ils

on parle d'une région lointaine qu'on ne visitera jamais,

philosophes de l'école critique prétendent

les

l'aborder, l'explorer, grâce à

un guide nouveau,

la

conscience morale.

combat catégoriquement la

Enfin, la troisième école

philosophie idéaliste et phénoménale de

Hume

:

elle

affirme que nous connaissons les objets distincts de

nous aussi certainement que nous-mêmes de conscience,

subjectifs

au sens intime, intérieure

;

grâce à

avec vérité,

même

la

A vrai

saisir le

les

et

moi

et

nos états

que nous pouvons, grâce ,

la raison,

c'est-à-dire la substance

concevoir, et concevoir

substances autres que

la

nôtre, et

substance divine. dire, la vérité

entière dans

ne nous semble contenue tout

aucun de ces

Le renouvellement de

trois

la

systèmes.

philosophie qu'a provoqué

— le

scepticisme de

Hume

506



n'est pas

encore arrivé à son

terme, et n'a pas produit tous les résultats qu'on doit

en attendre. Les positivistes se trompent,

comme

pent gravement, en réservant,

et se

trom-

insolubles, des

questions que la curiosité humaine ne se lassera pas d'agiter,

que

et

d'éclaircir. Ils se

humaine

l'intelligence

trompent encore quand

connaissance objective

:

la

nous paraît contenue dans qu'il existe autre

est

ils

capable

nient toute

connaissance du non-moi

celle

chose que lui,

du moi. L'homme le

jour où

il

sait

a acquis la

connaissance de sa propre existence. Sans doute, cette notion du non-moi n'est pas encore la

du monde extérieur

;

progressivement par l'existence d'une

dans

la

celle-ci

sens. Mais la certitude de

les

faits.

positivistes se

Nous

fonde, l'esprit intuition, c'est-à-dire

la

trompent enfin

ne

donnée

humain

est incapable soit

Dieu.

Si

cette la

de ces objets transcendants

que nous ne

comme le

intuition,

était possi-

contradictions

les

et

hu-

les connaissions

,

elle

si

Dieu par intuition,

prétendent les positivistes, pas autrement.

l'Ecole critique, elle

fiance en la raison

ils

représen-

diversité des opinions sur ce sujet. Mais

s'ensuit pas,

Quant à

quand

de connaître, par

connaissance immédiate,

on ne s'expliquerait pas la

,

toute affirmation supérieure

nous ne connaissons pas l'âme il

est

disons avec une conviction pro-

le

soit l'âme,

tation directe

maines,

nous

réalité extérieure

veulent nous interdire

ble,

ne nous est donnée que

première conscience que nous avons de nous-

même. Les aux

connaissance

a trop

a trop de

foi

peu de condans

la

con-

— production de nos

l'accès des



En exagérant

science morale. la

507

la part

objectives

réalités

nécessités subjectives

elle

;

rieures

résultats

dans

ferme

dans des

la

communicachoses exté-

que peu à peu l'expérience

accumule. Et, pour accorder trop peu à est forcée

se

les

méconnaît

de notre esprit avec

les

priori

l'a

elle

elle s'isole

;

tion incessante et

de

connaissances,

de tout attribuer à

la raison, elle

conscience morale, et

la

d'investir la raisoa pratique d'une autorité qu'elle

ne

saurait avoir.

Enfin, l'Ecole écossaise et ses adhérents simplifient

par trop

les

questions auxquelles

ils

veulent satisfaire.

La connaissance que nous acquérons des pas aussi aisée qu'ils le croient;

aussi

,

immédiate

et les objets,

une

,

objets n'est

aussi fois

intuitive

connus, ne

sont peut-être pas aussi absolus qu'ils semblent le

supposer. Selon nous, grâce à l'expérience, qui nous met

réellement en rapport avec des objets indépendants

de notre être, grâce à lois

mêmes

et

la

raison aussi, c'est-à-dire

aux

aux conditions subjectives du dévelop-

pement de notre pensée, nous acquérons insensiblement, non pas du premier coup connaissance de nous-même,

la

et

en une

fois,

connaissance du

extérieur, enfin la connaissance de Dieu.

Il

la

monde

faut, sans

doute, à l'enfant une série assez longue de perceptions et d'émotions il

saisisse et

,

pour que

,

conçoive l'unité et

aidé de sa mémoire l'identité

du moi. Une

seule impression ne suffirait pas à développer pareille idée.

Il

faut

un

travail

de comparaison, de réflexion,

^ pour que

508



parvienne à formuler nettement

l'esprit

clairement l'affirmation

:

«

donc

Je pense,

et

je suis. »

Mais de ce que cette connaissance s'acquiert lente-

ment

insensiblement

et

,

s'ensuit-il

qu'elle

une valeur sérieuse? Nous sommes

loin

Nous croyons fermement à

de

l'identité

nous croyons que, du berceau à et

même

développe

force se

;

la

de

n'ait

l'être

pas

penser.

le

humain ;|j

tombe, une seule

mais

il

nous semble

qu'une force,

telle

que l'âme humaine, qui se mani-

feste par des

faits

successifs, ne peut prendre con

une

science en

que

la

fois

que de chacun de ces

faits

,

e

conscience générale qu'elle a delle-même es

nécessairement

le

résultat d'une

série

de ces acte

particuliers.

De même,

connaissance du

la

monde

extérieur

quoique implicitement contenue dans l'affirmation d notre propre existence, ne se précise et ne se déve

loppe qu'au fur et à mesure que nos sens agissent e

que nous comparons nos différentes perceptions. Et ce qui est vrai du moi et du plus de l'existence divine. tuition directe

:

il

prême

:

monde

l'est

encore

n'y a pas encore d'in-

induction,

de réflexion en ré-

nous conduit jusqu'à cette affirmation suDieu

Sans doute, rons de

il

n'y a qu'un travail lent et pénible,

qui, d'induction en flexion,

Ici,

le

est.

la raison



c'est-à-dire,

répéter, la condition de

la

nous ne cessepensée,

dance à chercher une cause, par exemple,

la

la

ten-

tendance

à chercher cette cause toujours plus haut et plus loin,

ou, encore,

la

nécessité

de ne pas affirmer deux

— ^^oses en même temps

^Bssances

^Kice

^Bt

509



sur nos con-

déterminer. Mais l'expé-

source

la

nous puisons sur-

oii

lui-même

L'esprit n'est par

ces connaissances.

^p'une

la raison agit

et contribue à les

est cependant



force capable de connaître

lobjet soit mis en rapport avec lui

à condition que

,

:

force impuissante

par elle-même à produire des connaissances positives; objet réel, et que l'esprit se représente, mais, il

est vrai

selon les lois de

,

sa constitution natu-

relle.

nous semble qu'on ne peut pas douter sérieuse-

Il

ment aujourd'hui de naissances,

la

valeur objective de nos con-

que l'idéalisme

et

plus

n'a

de raison

detre. Nous serions moins affirmatif sur le point, sur la question de savoir

dépassent

le

phénomène

si

second

nos connaissances

La raison

et le relatif.

est

surtout

un

rences

mais, dans la sphère où la nature nous a en-

;

effort

fermés, nous ne le

pour s'élever au-dessus des appa-

sommes réellement en

dehors des choses, avec

que

Teffort

puissant. lues,

de

la

les

si

bien

raison pour aller au delà reste im-

Nous pouvons concevoir

nous ne

rapport qu'avec

phénomènes;

les

choses abso-

pouvons pas les connaître.

Qu'elles

existent, nous avons le droit de l'affirmer. Quelles elles sont,

Si

nous ne

Hume, dans

le

saurons jamais.

sa réaction contre Tancien

dogma-

tisme, n'avait pas dépassé les limites que nous ve-

nons d'indiquer,

il

n'eût rendu

que des services à

la

philosophie. Mais les réactions sont toujours intolérantes et excessives, et la philosophie, oscillant d'un

— excès à un autre bre.

Hume

valeur



a de la peine à trouver son équili-

^

a le double tort d'avoir nié à la fois la

de l'expérience,

objective

l'esprit et

510

de ses

nécessaires.

lois

et l'existence

de

Nous n'avons pas

besoin de redire combien est inadmissible l'ensemble d'hypothèses qu'il a proposé pour expliquer les

opérations intellectuelles

,

sans admettre le rapport

de l'intelligence et de

réel

l'objet,

sans admettre,

d'un autre côté, ni facultés, ni force initiale et unique. Son système est incontestablement faux

y

a

,

dans quelques parties de son système

dances précieuses à C'est

de

lui

exemple, à

que

faire

,

;

mais

il

des ten-

recueillir.

la

philosophie peut apprendre, par

de plus en plus de

la

psychologie le

centre de ses recherches et de ses préoccupations. C'est

de

lui qu'elle

empruntera avec

tous ses disciples anglais, la

nisme psychologique, faits

la

profit, à l'exemple

tendance à voir dans les

qui se succèdent en nous des causes et des effets

unis par les liens d'une mutuelle dépendance ler

de

méthode du détermi-

cependant jusqu'à supprimer avec

;

sans al-

lui la force

une et

multiple sans laquelle on ne peut rien expliquer dans l'âme. C'est à lui qu'il faudra revenir toujours pour

trouver

la

première application sérieuse de cette

de l'association des idées abusent, sans doute,

,

loi

dont nos contemporains

comme on

abuse de toute dé-

couverte nouvelle, promptement transformée en sys-

tème exclusif par

les

intempérances de

la

logique,

mais dont on doit cependant tenir grand compte dans l'explication des

phénomènes psychologiques.

C'est lui



511



qui nous enseignera encore à ne pas être dupe de ces

mots de

facultés^

divisent l'âme en

mériques. C'est

de pouvoirs, qui, mal interprétés,

un

Hume,

nombre d entités chiqui, un des premiers,

certain

enfin,

a compris que la psychologie doit, selon le

physique.

mot de Newton,

Non que

la

impossible; mais dans l'esprit

humain,

ble

,

;

et

,

surtout

elle est ,

il

comme

la

physique

se défier de la méta-

métaphysique nous paraisse l'état

actuel de la science de

encore difficilement aborda-

ne faut pas que

le

souci d'une

métaphysique presque inaccessible fasse négliger une science aussi positive, aussi praticable que la psychologie.

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.

INTRODUCTION. La vie

et les

œuvres de David

Hume

1

CHAPITRE PREMIER. Les origines de

la

philosophie de D.

Hume. Les

caractères princi-

paux de sa méthode

55

CHAPITRE Les éléments de

la

IL

connaissance. Les lois de

l'association

des

idées

94

CHAPITRE Des

III.

vérités certaines et de la démonstration.

Hume

et l'esthétique

transcendantale de Kant

135

CHAPITRE

IV.

Les probabilités de l'expérience. La causalité

CHAPITRE De

l'induction.

La logique de Hume

161

V.

et la logique

de M.

Stuart

Mill

196

CHAPITRE VL La croyance en général

222

CHAPITRE La croyance à la M. Stuart Mill

VII.

matière. L'idéalisme de

Hume

et l'idéalisme

de 244





514

CHAPITRE

VIII.

La croyance

à l'âme ou au moi. L'identité personnelle

La croyance

à Dieu. Les

CHAPITRE l'histoire

dialogues

282

IX.

sur la religion

naturelle de la religion

naturelle, et

318



CHAPITRE

X.

Les passions

358

CHAPITRE La

XI. 384

liberté et la nécessité

CHAPITRE

XII. 403

Théories morales

CHAPITRE Théories politiques

,

économiques,

XIII.

littéraires.

Les Essais moraux 424

et politiques

CHAPITRE XIV. Conclusion.



l.

Le scepticisme de David Hume.

fluence sur la philosophie

moderne

FIN DE LA TABLE DES MATIERES.

5365 -^J



II.

Son in458

192H921 C737C.1

Compayre # La philosophie de David Hume. --.

3 0005 02081435 9

192 H921 C737

Compayre La philosophie de David Hume

1Ô2 H921 C737 ^ Compayre La philosophie de David Hume

The R.W.B. Jackson Library

OISE